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Des Forêts Et Des Hommes: Qu'est-Ce Qu'une Forêt ?

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Des forêts et des hommes (2)


Qu’est-ce qu’une forêt ?

Le point de vue des sciences humaines

Les réponses des sciences de l’Homme et de la société


La forêt occupe une place centrale sur les terres émergées de notre planète, mais aussi dans l’économie des
nations et le développement des civilisations : elle fait partie intégrante de notre histoire et de notre humanité.
L’image de la forêt est souvent ambiguë : berceau de l’humanité ou milieu hostile à l’homme, enfer vert
ou paradis perdu, domaine des esprits et des divinités ou royaume des démons, milieu nourricier ou espace
à défricher… Souvent considérée comme antithèse de la civilisation (c’est le « domaine du sauvage » par
excellence), la forêt est aussi présentée comme un espace que les communautés humaines ont largement
domestiqué pour se reproduire et s’étendre : dans la plupart des régions tropicales et tempérées, l’espace
domestique (le village, l’espace cultivé) est une ancienne forêt. Elle constitue aussi le fondement de
nombreuses cultures : de Rome à l’empire javanais de Mojopahit la plupart des grandes civilisations sont
issues du défrichement des forêts primitives, que cela soit réel ou mythique. Aujourd’hui, que ce soit la forêt
boréale qu’on abat massivement pour son bois ou la forêt tropicale qu’on cherche à préserver au nom de la
biodiversité ou du changement climatique, elle se retrouve au centre des enjeux mondiaux du développement
durable. Aujourd’hui plus que jamais, l’homme lie encore son avenir au destin des forêts.
Face ces enjeux, il est important de revenir sur ce que recouvre le mot « forêt » : d’une réalité apparemment
si proche et si familière, peut-on proposer, comme le tente la FAO, une définition universelle, valable pour
toutes les forêts de la Terre et qui fasse sens pour tous les peuples ?

Des mots pour désigner la forêt


Un simple survol des divers termes utilisés ici et ailleurs, hier et aujourd’hui, pour désigner les espaces boisés
suffit à révéler la complexité qui se cache sous l’apparente unité du substantif « forêt ».
La définition minimale de la forêt est un « lieu ou terrain couvert d’arbres » (Dictionnaire Larousse). Le
vocabulaire français moderne qui qualifie ces étendues boisées est d’une rare pauvreté. Le terme de forêt est
utilisé de façon indifférenciée, aussi bien pour désigner les plantations de pin des Landes que pour décrire la
jungle dense des tropiques humides. Entre la forêt et le bosquet, il ne reste guère que le bois. Cette faiblesse
terminologique n’est pas commune à toutes les langues, bien au contraire. Les parlers anciens ou d’ailleurs
(langues et dialectes vernaculaires) possèdent une terminologie variée pour nommer et classer les types de
végétations boisées.
Par exemple, les paysans de l’ouest de Bornéo, qui pratiquent des cultures sur abattis-brûlis, utilisent pour
désigner leur « forêt » une dizaine de termes classificatoires qui peuvent eux-mêmes se décliner en sous-
catégories et font référence à des pratiques et des usages ou à des considérations historiques et juridiques
particulières. Cette variété terminologique se retrouve dans de nombreuses cultures rurales du monde où la
forêt occupe encore une place importante dans l’économie quotidienne. Les paysans français du Moyen-âge,
quant à eux, divisaient leur forêt en 6 grands types de forêts.
On rappellera au passage que notre terme forêt dérive du terme latin for, (hors de, extérieur à, à part). La
foresta était un espace soustrait au domaine commun pour les plaisirs du seigneur, c’est-à-dire un espace
défini non pas par ses composantes physiques ou vivantes –la foresta pouvait être une lande ou un bois-, mais
uniquement par sa soustraction du monde de l’utilitaire et de l’économique, et l’exclusion forcée de tous
au profit du seul seigneur. Ces forêts soustraites du monde commun pour des considérations qui touchent à

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la fois au pouvoir, au religieux et au symbolique se retrouvent sous les tropiques : « forêts de la tradition »
ou « bois sacrés » sont universels. Seuls les initiés –chamans, seigneurs, sultans, chefs de la coutume, qui
représentent le médiateur entre l’humain et les esprits y ont accès.
Jusqu’au XIXe siècle, les termes utilisés en France pour désigner la forêt étaient diversifiés et intégraient
aussi bien des critères physionomiques que juridiques (voir tableau ci-dessous). Ces termes ont disparu avec
la révolution industrielle et l’exode rural, en même temps que la forêt perdait de son importance dans la vie
économique et sociale des campagnes.
Ces exemples montrent combien les sociétés, à partir de la réalité tangible de la forêt, en construisent une
définition qui reflète leurs besoins et leurs attentes. Dans ces définitions, l’immatériel ou la surnature constitue
un socle sur lequel l’économie, les rapports sociaux et le pouvoir vont se greffer pour produire une image de
la forêt correspondant à chaque groupe social à un moment donné. L’analyse des modes classificatoires des
faciès forestiers dans une société particulière à un moment donné renseignera donc sur la nature des rapports
de cette société à la forêt, ainsi que sur la teneur des rapports sociaux dans ce qui touche au contrôle des
ressources naturelles.
Quelques termes utilisés pour désigner la forêt en France jusqu’au XIXe siècle (source Corvol 1987) :

Groupe de critères Termes


Selon l’utilisation et la genèse breuil, brûlis, concise, essart, gâtines, terres vaines, revenants
Selon le statut juridique banbois ou bois-banni, bois usagers ou bois d’usages, canton
défensable, défens, garenne, rapailles, réserve, saltus, terre gaste,
terres vaines ou vastes, usages
Selon le mode de traitement futaie (jardinée, par bouquets, regulière, sur souches), gaulis, taillis
(composé régulier ou irrégulier, sous futaie, fureté), vernoie

Qu’en disent les scientifiques ?


Pour les sciences biologiques, la forêt est avant tout un système vivant : un ensemble de populations végétales
et animales dominé par des arbres, se reproduisant selon des règles qui lui sont propres. Elle est considérée
comme une réalité autonome définie par des paramètres structuraux. Les botanistes insistent sur les paramètres
végétaux et leur répartition dans l’espace, en s’intéressant non seulement aux arbres, mais aussi aux arbustes,
aux plantes de sous-bois, aux lianes, aux épiphytes, aux champignons, aux mousses, aux algues et aux
lichens. Les écologues étudient les relations d’interdépendance qu’entretiennent les composantes végétales
et animales de la forêt entre elles, en insistant sur la diversité (des espèces végétales et animales, des habitats,
des niches écologiques) et la complexité (des structures, des architectures forestières, des relations). Les
biologistes classent les forêts en fonction de critères biogéographiques (forêt boréale, tempérée, tropicale,
de montagne) ou par types de végétation (forêt de feuillus, de résineux, décidue, sempervirente) ou encore
selon l’état d’intégrité de l’écosystème (forêt primaire, climacique, secondaire, dégradée, anthropisée). Ces
classifications reflètent un mode de rapport à la nature qui met d’emblée la forêt à l’extérieur de la sphère
sociale : les forêts du monde sont étudiées en dehors de la réalité de leurs rapports à des sociétés qui les utilisent
et les transforment. L’homme n’est pas pris en compte comme créateur de diversité au cœur des écosystèmes
forestiers dans lesquels il a établi ses civilisations, mais plutôt comme une menace pour l’intégrité de la
forêt…. Même si les approches sont en train d’évoluer, cette posture scientifique a parfois dérivé vers une (re)
présentation de la forêt comme le dernier refuge de la nature sauvage. La conservation, puis le discours sur la
biodiversité, jouent aussi sur ce registre qui oscille entre norme et concept.
À l’autre extrémité du continuum nature/culture, les sciences de l’homme et de la société ne vont pas
s’intéresser à la forêt pour elle-même, mais à travers ce que les hommes et les sociétés en disent et en font,
ou pour ce qu’elle révèle sur l’homme et les sociétés. Pour ces chercheurs, la forêt est largement le produit

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historique de rapports entre nature et sociétés, voire une construction totalement sociale ou mentale : la forêt
n’existe que parce qu’elle est pensée par l’homme et authentifiée par la société. A la limite, peu importe la
« nature » de cette forêt, peu importe que la forêt porte des arbres ou non, qu’elle ait une existence réelle ou
non. Ce qui prime ce sont les formes sociales, politiques et cognitives du rapport de l’homme à cet objet : la
forêt qui importe donc moins que l’enjeu social, culturel, religieux ou politique qu’elle incarne. Toutes les
disciplines des Sciences de l’Homme et de la Société se sont penchées sur la question forestière, à commencer
par l’histoire qui a montré que la forêt et ses transformations ont accompagné l’histoire des sociétés, et que
l’histoire de la forêt est autant celle des arbres que celle des hommes. L’anthropologie, et en particulier
l’ethnoscience, se sont intéressées à la façon dont les sociétés locales construisent leurs relations à « la forêt
» (en étudiant les représentations et les classifications, les pratiques et les usages, les règles et les conflits).
La sociologie a étudié les mécanismes en jeu dans les rapports sociaux autours de la question forestière. La
géographie humaine a abordé la façon dont les sociétés et leurs pratiques conditionnent l’apparition et la
persistance des forêts dans les paysages ou encore le rôle assigné à la forêt dans la constitution des territoires.
Les sciences politiques étudient aujourd’hui la formation des relations internationales autour de la question
forestière.
Au-delà de l’objet vivant, qui sait fonctionner indépendamment de l’homme selon des règles qui lui sont
propres se profile ainsi une « forêt des hommes » : un domaine défini par et pour des usages précis, ou un
paysage façonné par des pratiques des utilisateurs -chasseurs-cueilleurs, agriculteurs, forestiers, citadins-,
une construction mentale profondément investie par le symbolique, le sacré, le religieux, et le produit des
rapports de pouvoir qui s’établissent entre les hommes pour le contrôle des ressources naturelles.

La forêt tropicale, particulièrement emblématique d’une « nature » agressée et mise en danger par les activités
humaines, n’est pas seulement une entité globale et planétaire : les représentations sur lesquelles se fonde
le discours international à son propos sont essentiellement issues d’une certaine frange sociale de l’occident
tempéré. Les images que ce discours construit en retour ne coïncident pas forcément avec les représentations
que d’autres groupes peuvent avoir de ces mêmes forêts (Michon 2002). Pour se repérer dans le dédale
des interprétations et des appréciations multiples de la déforestation, Il est essentiel d’être conscient de ce
décalage, et de chercher à comprendre pourquoi il existe.
Ainsi on s’aperçoit que, même parmi les scientifiques, il n’y a pas de consensus sur ce qu’est une forêt : la
forêt de l’anthropologue est finalement fort éloignée de celle de l’écologue…

Alors qu’est-ce qu’une forêt ?


Il n’y a donc visiblement pas de réponse simple à cette question, mais une multiplicité de points de vue, tous
recevables. Définir la forêt est donc complexe. Pourtant, de nombreux organismes (privés, publics, nationaux
ou internationaux) ont produit leur définition, à des fins de planification (inventaires, suivi et aménagement
des surfaces forestières) ou de législation (définition du « domaine forestier », statut juridique faisant rentrer
certaines terres dans le domaine du droit public). Certaines définitions retenues par les pays dans le cadre de
leurs politiques et activités forestières sont purement juridiques : en Indonésie, est « forêt » ce qui est inclus
par la loi dans le domaine forestier de l’Etat, même si les terres ne portent plus d’arbres. Par contre, certains
pays comme le Brésil, la Colombie, Haïti, le Honduras ou le Pérou, ne possèdent pas de définition légale de la
forêt. Cependant, les définitions font plus souvent référence à des critères morphologiques et d’occupation du
sol (surface, densité et hauteur des arbres, taux de recouvrement du sol par la couverture foliaire) car pour des
besoins d’inventaires et de statistiques, les forêts doivent pouvoir être repérables et observables depuis le ciel
ou l’espace (photos aériennes ou images satellitaires). Mais les définitions des différents pays et organismes
ne concordent pas sur les seuils, et des positions différentes, jamais neutres, ont été adoptées selon les pays
quant à l’intégration ou non des plantations dans la catégorie forêt.
Pour des besoins d’évaluation globalisée des ressources forestières au niveau mondial, la FAO a établi un
consensus autour d’une définition unique de la forêt qui repose sur la structure de la formation (10 pour cent
minimum de couvert forestier, espèces ligneuses supérieures à 5m) et sa surface (minimum de 0,5 ha) (fao.
org : la durabilité des forêts — fao.org : Processus d’harmonisation des définitions relatives aux forêts). Cette

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définition permet de collecter des données statistiques de façon standardisée à l’échelle mondiale. Mais elle
est sujette à controverses, en premier lieu à cause de la variété des formations boisées : les critères sont bien
entendus différents au Sahel et en milieu équatorial ; mais aussi parce qu’elle exclut des formations végétales
comme les forêts-galeries, les haies boisées, les brousses tigrées, la taïga. Elle induit aussi des confusions
ou des interprétations erronées dans le cas des systèmes boisés paysans : jachères agricoles, systèmes
agroforestiers complexes comme les agroforêts ou les parcs soudano-sahéliens ou méditerranéens, les oasis.
Il est important de préciser que ce foisonnement de points de vue et de définitions masquent souvent des
enjeux économiques, sociaux, politiques et symboliques tant au niveau des terroirs locaux que sur la scène
internationale. Ainsi, d’un pays à l’autre, d’une organisation internationale à l’autre, les définitions s’adaptent
aux enjeux environnementaux, aux intérêts économiques et aux situations locales. Les définitions légales de
la forêt permettent aux Etats de s’arroger la légitimité des décisions en ce qui concerne la gestion forestière,
y compris sur des terres privées : de ce fait même, les conflits d’intérêt avec les populations locales sont
fréquents dans les forêts du monde tropical. Selon les définitions adoptées, les surfaces forestières mondiales
varient du simple au triple. L’inclusion des plantations dans le décompte des surfaces forestières peut parfois
servir à minimiser le défrichement de la forêt : le Laos, qui vient d’inclure dans sa définition des forêts
les plantations d’hévéa a soudainement annoncé un ralentissement très net de son taux de déforestation.
Il ne s’agit pas uniquement d’une histoire de chiffres ou d’effets d’annonce. A l’heure où se mettent en
place, dans le cadre des politiques internationales de lutte contre le changement climatique, des mécanismes
de compensation financière pour la « déforestation évitée », si un Etat montre qu’il a réduit son taux de
déforestation cela peut rapporter des dizaines de millions de dollars.
Discuter les définitions n’est donc en rien insignifiant : inclure ou non des terres dans la catégorie « forêt »
n’est pas une démarche scientifique. C’est avant tout une décision sociale et politique qui a d’importantes
répercussions sur les domaines de compétence des institutions et des structures concernées, sur les mandats
et les prérogatives de gestion des acteurs touchés ainsi que sur les modalités d’accès et les types d’usage, tout
autant que sur les formes d’appropriation et la capture des bénéfices des ressources arborées.

Et la déforestation ?
De l’openfield anglais ou du bocage normand aux rizières balinaises, les paysages agricoles les plus accomplis
sont issus d’une intense déforestation. Mais cette déforestation historique n’a pas eu pour conséquence
d’éliminer définitivement tous les éléments boisés du paysage. En même temps qu’ils défrichaient leur espace
(cultural, de vie ??) au cœur des forêts, les hommes ont inventé (créé ?) des terroirs où une nouvelle forêt
côtoyait champs et villages. Autour des paysages agricoles et urbanisés, où une forêt s’est maintenue, en
filigrane, dans la mesure où les collectivités humaines en ayant la charge lui reconnaissaient une valeur
économique, culturelle ou symbolique, et ont assuré sa protection. Au cours de leur histoire, les sociétés n’ont
cessé de redéfinir leur rapport à la forêt. Vierge ou contrôlée, domaine de chasse des seigneurs et des sultans
ou forêt domestique des villages, la forêt a été régulièrement redessinée à la mesure des besoins sociétaux.
Son sens social, religieux ou symbolique a lui aussi évolué, donnant la mesure des liens complexes unissant
les hommes à la forêt. Ce processus de recomposition agro-forestière et sociale est aussi valable en Europe
qu’à Java, dans les civilisations bantoues, malgaches que chez les Mayas.
Exploitée ou convertie, vierge ou défrichée, la forêt est au centre des rapports sociaux. Jadis avec les premiers
défrichements civilisateurs et l’établissement des grandes religions, aujourd’hui avec la mondialisation des
échanges ou les débats internationaux sur la déforestation, les sociétés se retrouvent ou s’affrontent pour tirer
partie de l’exploitation et des transformations de l’espace forestier, pour contrôler l’accès à ses richesses et
pour en définir les usages et le rôle.

La forêt tropicale : entre forêt-monde et forêts locales, plusieurs niveaux de définition


La forêt tropicale est devenue, au cours de ces 30 dernières années, un objet de plus en plus familier : on la

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montre et on la visite, on en parle en politique, on s’inquiète collectivement de sa disparition, on multiplie les
initiatives pour sa protection. Mais de quelle forêt parle-t-on au juste ?
Les images et les discours dominants au niveau international font d’abord ressortir un écosystème naturel,
autrefois « poumon de la planète », aujourd’hui haut lieu de la biodiversité, refuge des dernières sociétés
naturalistes, et dont la place dans le cycle du carbone est déterminante. C’est aussi un milieu terriblement
menacé par les activités humaines : la déforestation des forêts tropicales est un des principaux sujets
d’inquiétude au niveau mondial. Ce premier avatar de la forêt tropicale, faisant référence à des préoccupations
environnementales globales, est le plus médiatisé. Il appelle une gestion conservatrice, à laquelle on convie
en bloc : les défenseurs de la nature, du climat et des peuples indigènes. Les instruments mis en place par les
Etats vont de la création de nouvelles catégories juridique tels les parcs et les réserves à la mise en place de
mécanismes financiers destinés à compenser la « déforestation évitée ». Même s’il n’existe pas, à ce jour, de
convention internationale sur la forêt tropicale, ces instruments économiques, juridiques ou financiers sont
discutés et décidés au niveau international car ils sont directement issus des deux grandes conventions sur la
biodiversité et sur le climat.
Pour les nations des Suds, la forêt tropicale est avant tout un capital à valoriser, à travers deux aspects : le bois,
qui constitue une ressource indispensable aux économies nationales, et le foncier, base du développement.
Ce visage plus traditionnel renvoie à une gestion forestière « classique », telle qu’elle est définie depuis
longtemps en Occident. Cette gestion du capital forestier se traduit en général par la mainmise de l’Etat sur
les terres et les ressources forestières à travers des cadres législatifs et des politiques spécifiques. La gestion
du bois est conduite par les professionnels de la forêt : aménagement et exploitation. La gestion du foncier
appelle souvent une transformation radicale de la forêt « naturelle » en forêt plantation, forestière ou agricole,
mais qui suit, là encore, les grandes politiques édictées par l’Etat.
Derrière la forêt-bois, derrière la forêt-environnement, se cache aussi la forêt réelle et quotidienne, parcourue,
travaillée, modifiée et reconstruite par les agriculteurs. Cette forêt-là forme l’essentiel de la matrice forestière
en Asie et en Afrique, elle est sans doute à l’origine de la forêt amazonienne contemporaine, et constituée
de la juxtaposition de centaines de milliers de patrimoines domestiques qui constituent le fondement de
l’économie des villages, de l’identité et des territoires d’autant de groupes locaux. Ces patrimoines sont gérés
selon des normes, des règles et des pratiques dites « coutumières » définies, efficaces et respectées au niveau
local. Cette réalité concrète et quotidienne de la forêt tropicale est la plupart du temps totalement absente du
discours international et des normes d’actions qui en découlent.
Ces trois visages de la forêt tropicale sont-ils compatibles ? Les recherches menées par les Sciences
sociales montrent qu’ils sont surtout source de conflits : la raison internationale qui met en avant l’arrêt de
la déforestation dans la lutte contre le réchauffement climatique peut-elle s’accommoder des logiques des
Punan de Bornéo qui ont besoin, chaque année, de défricher une parcelle de forêt pour produire leur riz
? Le gouvernement indonésien se soucie-t-il de protéger les agroforêts à rotin ou à damar des paysans de
Sumatra alors qu’il soutient l’exploitation forestière qui rapportera au pays des devises indispensables au
développement national, ou l’établissement de centaines de milliers d’hectares de plantations de palmier
à huile possédés par des proches du régime ? Au Laos, les populations montagnardes et forestières que
le gouvernement déplace de force, laissent vacants de grands espaces forestiers, riches en biodiversité qui
attirent trafiquants de toutes sortes.

Que retiendra-t-on ?
Du mythe de l’immense forêt vierge, immuable, impénétrable, à la diabolisation médiatique de l’exploitation
forestière ou aux inquiétudes scientifiques sur l’avenir de la biodiversité, les réflexions sur l’espace forestier
restent toujours fortement liées aux représentations, aux systèmes de valeur et à l’imaginaire, mais aussi aux
enjeux sociaux et politiques portés par les forêts. Depuis la guerre des épices menée au fin fond des forêts des
Moluques au 15e siècle jusqu’aux mécanismes de « déforestation évitée » qui se mettent en place au niveau
mondial à grand renfort de dollars, depuis les grands défrichements du Moyen Age jusqu’à la déforestation

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tropicale actuelle, l’histoire de la forêt elle-même est autant celle des arbres que celle des hommes, celle du
naturel que du culturel. De tous temps, l’accès à la forêt et à ses ressources est resté un enjeu économique,
social et politique aussi bien pour les populations locales que pour les Etats et pour tous les acteurs de la
scène internationale. Comme l’écrivait F. Verdeaux en 1999, la prise en compte de l’enjeu forestier dans le
développement durable passe nécessairement par une explicitation de la dimension humaine et sociale des
forêts.

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