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Délai raisonnable : la
Cour de cassation précise
sa position
Par Arnaud Buisson Fizellier et François-Xavier Goulard

30/11/2022

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Délai raisonnable : la Cour de cassation précise sa


position
Publications Récentes

Le 9 novembre 2022, dans l’affaire de la« Chaufferie Actualité Sociale-


de la défense », la formation plénière de la chambre décembre 2023
criminelle a statué sur la sanction applicable à une
procédure d’une durée déraisonnable :
« doit être maintenu le principe selon lequel la
méconnaissance du délai raisonnable et ses éventuelles
conséquences sur les droits de la défense sont sans
incidence sur la validité des procédures »[1].
Cet arrêt, qui bénéficie de la plus large CRPC (« le plaider
publication(B+R+L+C), marque la ferme volonté de la coupable ») : LA
Cour de mettre un terme à la jurisprudence développée PUISSANCE
depuis plusieurs mois par les juges du fond. CREATRICE DE LA
Plus que jamais, le droit français se trouvepris en étau COUR DE
entre, d’une part, les exigences du procès équitable et, CASSATION AU
d’autrepart, le manque de moyens de la justice. SERVICE DE LA

Dans un tel contexte, il est légitime de s’interroger sur


PRESOMPTION
D’INNOCENCE
les suites d’une telle décision.

RAPPEL : FORCE
I/ Propos liminaires PROBANTE D'UNE
EXPERTISE
Pour rappel, l’article 6§1 de la Convention européenne AMIABLE
de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH)
Circulaire de politique
consacre le droit à un procès équitable, auquel participe
pénale en matière de
le droit à voir sa cause entendue dans un délai justice pénale
raisonnable [2] . environnementale du 9
Sur le fondement de cet article, la Cour européenne des octobre 2023 : vers un
droits de l’homme (CEDH) a développé quatre critères renforcement des
d’appréciation de la durée d’une procédure pour juger sanctions pénales
son caractère raisonnable.
Parmi ces critères non limitatifs, la Cour
examine notamment :
- La complexité de l’affaire,
- Le comportement du requérant,
- Le comportement des autorités nationales,
- L’enjeu du litige pour le requérant.

Le développement de cette exigence par la CEDH et les


condamnations de la France pour sa violation ont
conduit à son introduction en droit français [3] .
Toutefois, cette exigence n’est dotée, en France,
d’aucune sanction en cas de violation. La victime de la
durée déraisonnable d’une procédure ne bénéficie que
d’un recours indemnitaire [4] .

II/ La désapprobation des juges du fond

Pour pallier ce défaut de sanction, plusieurs


juridictions ont pris l’initiative de prononcer la nullité
des procédures excédant un délai raisonnable [5] .
Pour parvenir à cette nullité les juges du fond
procédaient à un double contrôle :
- Celui de la durée de la procédure à travers
l’examen des critères développés par la CEDH,
- Celui de l'atteinte porté par la durée de la
procédure aux droits des mis en cause.

Si la nullité de la procédure est une sanction propre à


garantir l'effectivité du droit à un délai raisonnable, il
était difficile de percevoir l’unité juridique des
décisions rendues sur cette question.
D’une part, le fondement de la nullité ne faisait pas
l'unanimité. Si l’article 802 du Code de procédure
pénale a été invoqué à titre de fondement [6] ,plusieurs
juridictions ne s’en remettaient qu’au droit à un procès
équitable[7].
D’autre part, la sanction elle-même était confuse, les
juridictions prononçant tantôt la nullité de la
procédure[8],tantôt la nullité des poursuites [9] .
Malgré ces indéterminations, cette jurisprudence avait
l’ambition d’assurer l’effectivité du droit à un procès
équitable.
Le 9 novembre 2022, la Cour de cassation censure cette
jurisprudence en réaffirmant sa position [10] :
« le dépassement du délai raisonnable défini à l'article
6, § 1, de la Convention européenne des droits de
l'homme est sans incidence sur la validité de la
procédure » [11] .

III/ Les précisions apportées par la Cour de


cassation

Pour expliquer son refus de sanctionner la durée d’une


procédure par sa nullité, la formation plénière de la
chambre criminelle procède en trois temps.
Dans un premier temps, elle explique que le droit
français, particulièrement l’article préliminaire et
l’article 802 du code de procédure pénale, n’offre pas
une telle faculté et rappelle :
« la durée excessive d’une procédure ne peut aboutir à
son invalidation alors que chacun des actes qui la
constitue est intrinsèquement régulier »[12].
Dans un second temps, elle convoque la jurisprudence
de la CEDH.
Elle expose, au visa de l’article 6§1 de la Convention,
que la méconnaissance du droit à être jugé dans un
délai raisonnable n’a jamais été reconnue par la Cour
européenne des droits de l’homme comme portant
atteinte aux droits de la défense.
Elle explique également que le droit français offre
suffisamment de garanties à ce droit, parmi lesquelles :
- La faculté d’évocation de la Chambre de
l’instruction [13] ,
- La faculté offerte aux parties de solliciter la
clôture de l’instruction[14],
- La faculté offerte aux parties d’exercer un recours
indemnitaire[15],

Dans un troisième temps, elle expose les moyens dont


disposent les juges pour prendre en considération les
conséquences d’un délai déraisonnable :
« [la méconnaissance du droit à être jugé dans un
délai raisonnable] ne compromet pas en elle-même les
droits de la défense, ses éventuelles conséquences sur
l'exercice de ces droits [doivent]en revanche être
prises en compte au stade du jugement »[16].

La durée excessive d’une procédure ne peut donc pas


conduire à sa nullité mais doit être prise en
considération par les juges :
- Lors de l’appréciation de la culpabilité du mis en
cause,
- Lors de la détermination de la peine.
La Cour rappelle ainsi que pour apprécier la culpabilité
du mis en cause, les juges doivent :
- Apprécier la valeur des preuves et ainsi, prendre
en compte leur dépérissement par suite d’un délai
déraisonnable,
- Tenir compte de l’altération du contradictoire. La
durée d’une procédure peut placer les parties dans
l’impossibilité de discuter de la valeur comme de la
portée des éléments de preuve.

En outre, lorsque l’état de santé du mis en cause ne lui


permet pas d’assurer sa défense, la Cour rappelle que
les juges ont la possibilité de constater la suspension de
l'action publique [17] .
Enfin, les juges doivent prendre en considération la
durée excessive d’une procédure lors de la
détermination de la peine.
Les délais procéduraux excessifs peuvent ainsi affecter
la nature, le quantum et le régime de la peine. La Cour
rappelle à ce titre que les juges peuvent prononcer une
dispense de peine [18] .

IV/ Les effets du temps judiciaire sur le jugement


L'arrêt de la formation plénière, loin de mettre un point
final à la question des délais procéduraux, met au
contraire en évidence l’indispensable prise en
considération du temps judiciaire en phase de
jugement.
La Cour rappelle que les juges doivent examiner les
faits tout en portant leur attention sur l’état dans lequel
un dossier se présente à eux après de longues années de
procédure.
En l’état de la jurisprudence, nous recommandons donc
aux justiciables de démontrer à l’audience les
conséquences des délais procéduraux sur le dossier.
Les preuves examinées par le tribunal, particulièrement
les témoignages, peuvent être altérées.
La durée avec laquelle certains éléments ont été
recueillis pendant l’enquête ou l’instruction peut
également affecter leur force probante.
Le défaut de comparution d’un ou plusieurs mis en
cause ou témoins peut porter atteinte au contradictoire
comme à l’égalité des armes en rendant difficile, voire
impossible, la discussion de certains éléments de
preuve.
Enfin, le principe de personnalisation des peines
commande la prise en considération de la personnalité
du condamné comme de sa situation personnelle,
familiale ou professionnelle dans le choix de la peine.

[1] Cass. Crim., 9 novembre2022, n°21-85655, §22


[2] L’article 6 § 1stipule : « Toute personne adroit à ce
que sa cause soit entendue équitablement,
publiquement et dans undélai raisonnable »
[3] A titre d’exemple, l’article préliminaire du code de
procédurepénale en son alinéa 6, l’article L.111-3 du
code de l’organisation judiciaire,l’article 175-2 code de
procédure pénale.
[4] Article L. 141-1 ducode de l'organisation judiciaire
[5] T. corr. Rouen,22 févr. 2022, minute n° 409/22,
parquet n° 12257000001 ; T.corr. Tarascon, minute
n° 106/2022, parquet n° 12135000029 ; T.
corr.Nanterre, 24 mars 2022, minute n° 42, parquet
n° 21041000337 ;T. corr. Marseille, 17 janv. 2022,
minute n° 22/390, parquetn° 06000000011 ; T. corr.
Avignon, 17 nov. 2021, minuten° 1696/21, parquet
n° 11098000046 ; T. corr. Tours, 12 janv.2022, minute
n° 68/C1/22, parquet n° 08000013674 ; T. corr.Basse-
Terre, 31 janv. 2022, minute n° 125/2022,
parquetn° 21098000021 ; T. corr. Rouen, 8 mars 2022,
minute n° 542/22,parquet n° 12048000035
[6] T. Correc. Nanterre, 11janvier 2021,
n°01194045395
[7] T. corr. Rouen,22 févr. 2022, minute n° 409/22,
parquet n° 12257000001
[8] T. Correc. Nanterre, 11janvier 2021,
n°01194045395
[9] CA Versailles,15 sept. 2021, RG n° 21/3005 ; T.
corr. Tours, 12 janv.2022, minute n° 68/C1/22, parquet
n° 08000013674 ; T. corr.Rouen, 22 févr. 2022, minute
n° 409/22, parquet n° 12257000001 ;T. corr. Avignon,
17 nov. 2021, minute n° 1696/21,
parquetn° 11098000046
[10] Crim. 7 mars1989, n°87-90.500 ; Crim., 29 avr.
1996, n°95-81.948 ; Crim. 24avr. 2013, n° 12-82.863
[11] Cass. Crim., 9 novembre2022, n°21-85655, §11
[12] Cass. Crim., 9 novembre2022, n°21-85655, §14
[13] Articles 220, 221-1 à221-3 du code de procédure
pénale
[14] Article 175-1 du codede procédure pénale
[15] Article L. 141-1 ducode de l’organisation
judiciaire
[16] Cass. Crim., 9 novembre2022, n°21-85655, §12
[17] Article 10 du code deprocédure pénale
[18] L’article 132-59 du code pénal dispose :« La
dispense de peinepeut être accordée lorsqu'il apparaît
que le reclassement du coupable estacquis, que le
dommage causé est réparé et que le trouble résultant
del'infraction a cessé »
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