Droit Administratif

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Droit administratif RANDRIAMAHEFA Tefialivelo

Le DROIT ADMINISTRATIF.

Introduction.

Définition de l’administration.
Le terme d’administration a deux significations, l’une organique, l’autre fonctionnelle. Dans sa
première signification, le terme d’administration désigne l’ensemble des organismes
administratifs ayant la personnalité morale. Dans sa seconde signification, qui est la plus
pertinente, le terme d’administration désigne des activités administratives exercées dans un but
d’intérêt public. Il en découle deux conséquences : tout d’abord, le but d’intérêt général permet de
les distinguer des activités des particuliers qui sont exercées dans un but d’intérêt privé. Ensuite
la qualification d’activités administratives permet de différencier l’administration prise en son
sens matériel de l’action législative et juridictionnelle de l’Etat.

Définition du droit administratif.


Il existe deux significations possibles du droit administratif. Selon une première acception large,
le droit administratif désignerait l’ensemble des règles de droit applicables à l’administration sans
qu’il y ait lieu de distinguer entre droit privé et droit public. En ce sens le droit administratif serait
simplement le droit de l’administration : cependant, cette conception apparaît comme étant trop
large et de plus elle nie toute homogénéité du droit administratif. C’est pourquoi elle ne rencontre
pas les faveurs de la doctrine qui préfère une acception plus restrictive qui met l’accent sur les
particularismes de la matière ; ainsi que l’observent MM. RIVERO et WALINE, « le droit
administratif est l’ensemble des règles juridiques distinctes de celles de droit privé qui régissent
l’activité administrative des personnes publiques1 ». En d’autres termes, il s’agit des règles
applicables exclusivement à l’administration et sanctionnées par un juge spécifique, à savoir le
juge administratif.

Formation historique du droit administratif.


Le droit administratif, dans sa conception contemporaine, remonte à la Révolution Française. Il
est le produit de la méfiance des révolutionnaires envers les Parlements de l’Ancien Régime.
Cette suspicion envers les magistrats de l’Ancien Régime a conduit à l’adoption d’un texte
fondamental ; la loi des 16 et 24 août 1790 qui instaure la séparation des autorités judiciaires et
administratives. En vertu de ce texte complété par un décret du 16 fructidor an III, « les
fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions
administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce
soit les opérations des corps administratifs […] ». Ces textes sont à l’origine de la dualité de
juridiction qui existe de nos jours en France. Cependant la juridiction administrative n’est
apparue du jour au lendemain : elle est le produit d’un long processus. Dans un premier temps,
l’incompétence des juridictions ordinaires s’est concrétisée par le fait que, faute de juge
compétent pour la contrôler, l’administration est devenue son propre juge. Toutefois, très
rapidement se sont constitués en son sein des organes spécialisés dans le jugement : tel est le cas
du Conseil d’Etat créé par la Constitution du 22 frimaire an VIII qui outre un rôle administratif

1
J. RIVERO, M. WALINE, Droit administratif, Dalloz, Coll. Précis, 17ème éd. 1998, p. 20

1
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a reçu dès sa création un rôle contentieux puisqu’il était chargé d’examiner les lites pouvant
survenir entre les particuliers et l’administration. Tel est également le cas des Conseils de
préfecture issus de la loi du 28 pluviôse an VIII, qui sont les prédécesseurs des actuels
Tribunaux administratifs. Au moment de leur création au début du XIXème siècle, il ne s’agissait
pas encore de véritables juridictions mais simplement de conseillers de l’administration. A cette
époque on est encore dans un système de justice retenue, c'est-à-dire que la décision est prise par
l’administration elle-même. Le Conseil d’Etat n’émettait qu’un avis sous forme de projet de
décision qui devait ensuite être signé par le chef de l’exécutif2. Cette situation a pris fin avec la
loi du 24 mai 1872 qui confère la justice déléguée au Conseil d’Etat et aux Conseils de
préfecture. A compter de cette date, ces organes deviennent de véritables juridictions dont les
décisions sont exécutoires par elles-mêmes et ne nécessitent plus l’agrément du Chef de l’Etat.
Cette séparation des autorités administratives et judiciaires et la dualité de juridictions qui en
découle, ont contribué à la création d’un droit spécifique qui déroge au droit commun. Mais la
création d’un droit administratif dérogatoire au droit privé doit aussi beaucoup à la spécificité du
contentieux entre les particuliers à l’administration, c'est-à-dire aux conflit entre les intérêts
privés et l’intérêt général. L’ensemble de ces raisons a conduit à l’édification du droit
administratif.

Caractéristiques du droit administratif.


La définition restrictive du droit administratif — retenue par la doctrine — insiste sur
l’autonomie fondamentale du droit administratif, qui tient aux moyens de l’administration que
sont les prérogatives de puissance publique et à son but que constitue le service public. Le célèbre
arrêt Blanco, rendu par le Tribunal des conflits le 8 février 1873, symbolise cette autonomie : il
fut jugé que la responsabilité de l’administration « ne peut être régie par les principes qui sont
établis dans le Code Civil, pour les rapports de particulier à particulier…, elle a des règles
spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’Etat
avec les droits privés ».
Outre son autonomie par rapport au droit commun, le droit administratif se caractérise aussi par le
fait qu’il n’est pas codifié. S’il peut exister des codes administratifs chez tel ou tel éditeur, ils
n’ont pas la vocation créatrice et exhaustive des codes napoléoniens. Ainsi le Code Civil (1804)
et le Code Pénal (1810) procèdent d’une philosophie qui est inséparable de l’époque de leur
élaboration. Les codes administratifs existants ne sont que de simples recueils de textes législatifs
ou réglementaires applicables à une matière spécifique3. Faute de codification systématique, la
prolifération des lois et des règlements, ainsi que la difficulté qu’il peut y avoir à distinguer ce qui
est en vigueur de ce qui ne l’est pas, posent un problème de sécurité juridique. Toutefois, malgré
ces difficultés, la perspective d’une codification générale des règles du droit administratif reste
incertaine, d’autant que les textes ne sont pas la seule source du droit administratif. Ce dernier est
en effet historiquement un droit fondamentalement prétorien : les seuls textes qui existaient au
dix-neuvième siècle ne concernaient que des situations bien spécifiques. Cette situation présente
des avantages indéniables puisque le juge administratif peut ainsi adapter le droit à l’évolution
des réalités économiques et sociales. L’inconvénient est cependant le droit administratif apparaît

2
Force est cependant de constater qu’en pratique les avis du Conseil d’Etat était presque toujours suivis par l’exécutif
3
Il existe par exemple un code de l’urbanisme, un code du domaine de l’Etat ou encore un code de l’expropriation
pour cause d’utilité publique

2
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parfois comme un droit incertain dans la mesure où l’état du droit ne peut jamais être considéré
comme sûr par un justiciable. Toutefois ce constat d’un droit prétorien doit être atténué des nos
jours en raison de la prolifération de normes internationales, de lois et de règlements. Mais il faut
tout de même reconnaître, qu’en dépit de cette inflation normative, le juge administratif conserve
toujours un rôle important dans l’édification du droit administratif.

Chapitre 1 : La soumission de l’administration au droit

La France étant un Etat de droit, l’administration n’est pas toute puissante et ne peut pas agir de
manière arbitraire. Même lorsqu’une autorité administrative dispose d’un pouvoir discrétionnaire,
son action est enserrée dans certaines limites : elle se doit en effet de respecter le principe de
légalité, c'est-à-dire de se soumettre aux nombreuses règles de droit s’imposant à elle.

Section 1 : Les sources de la légalité administrative

Les règles de droit encadrant l’activité de l’administration — que l’on qualifie souvent de source
de la légalité administrative — sont nombreuses et ont des origines variées.

§ 1 : Le bloc de constitutionnalité

Au premier rang de ces sources figure la Constitution du 4 octobre 1958 et les textes de valeur
Constitutionnelle, l’ensemble formant le bloc de constitutionnalité. Ce dernier comporte bien
évidemment la Constitution proprement dite et son préambule. Ce dernier renvoie en outre au
préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, à la Déclaration des droits de l’Homme et du
citoyen de 1789 et à des Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Ces
principes, normalement identifiés par le Conseil Constitutionnel4, sont tirés de la législation
républicaine antérieure à 1946 ce qui exclut les textes adoptés sous les autres régimes que
républicains.. Ils se sont vus reconnaître une valeur constitutionnelle suite à la célèbre décision du
Conseil Constitutionnel du 16 juillet 19715. S’ajoutent enfin à ces sources constitutionnelles des
principes de valeur Constitutionnelle qui diffèrent des Principes fondamentaux reconnus par les
lois de la République dans la mesure où ils ne reposent pas sur des lois de la République, mais
sont créés ex nihilo par le Conseil Constitutionnel.

§ 2 : Les conventions internationales

A un degré inférieur de la hiérarchie des normes figure les conventions internationales. Si ces
dernières ont pendant longtemps joué un faible rôle, il est possible d’observer depuis quelques
décennies un phénomène d’internationalisation des sources de la légalité. L’explication de cette
évolution tient largement à la place faite par les Constituons de 1946 et 1958 au droit
international. Ainsi l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que « les traités ou
accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont dès leur publication une autorité supérieure à

4
Toutefois en 1996, un Principe fondamental reconnu par les lois de la République a été créé non pas par le Conseil
constitutionnel mais par le Conseil d’Etat.
5
CC., décision 71-44 DC du 16 juillet 1971

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celle des lois sous réserve pour chaque accord ou traité de son application réciproque par
l’autre partie ». Est donc affirmée la primauté du traité sur la loi. Depuis 1989 et le célèbre arrêt
Nicolo6, le juge administratif donne un plein effet à cet article. Auparavant lorsqu’il y avait
conflit entre un traité et une loi postérieure, le juge administratif faisait prévaloir la loi sur la
convention internationale : en effet le juge administratif ne s’estimait pas compétent pour
contrôler la compatibilité et l’applicabilité d’une loi par rapport à une norme internationale. Dès
lors, l’acte administratif contraire à la convention mais conforme à la loi bénéficiait d’un écran
législatif et n’était pas considéré comme illégal7.. Depuis 1989, le Conseil d’Etat a renoncé à cette
vision de l’écran loi et accepte désormais de vérifier la comptabilité des actes administratifs et des
lois — même postérieures — aux traités internationaux. Pour ce faire, le Conseil d’Etat —
distinguant clairement contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité — interprète
l’article 55 comme comportant implicitement une habilitation à écarter l’application des lois
incompatibles avec une norme internationale.
Actuellement parmi les sources internationales de la légalité administrative, il en est deux qui
retiennent plus l’attention du fait de leur importance tant quantitative que qualitative : il s’agit
d’une part des traités de l’Union européenne ainsi que du droit communautaire dérivé, et d’autre
part de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

§ 3 : La loi

Historiquement la loi est la première source de la légalité administrative ; son rôle demeure
d’ailleurs prépondérant, même si l’article 34 de la Constitution n’attribue qu’une compétence
d’attribution au législateur soit pour fixer les règles dans certaines matières8, soit dans d’autres
matières pour déterminer les principes fondamentaux9. Quoi qu’il en soit, dès lors que la loi a été
promulguée par le Président de la République, l’administration doit la respecter et l’appliquer,
sauf hypothèse d’incompatibilité avec une convention internationale.

§ 4 : Les sources non écrites.

Comme il a déjà été dit, la jurisprudence — en dépit de la multiplication des textes — occupe
encore de nos jours une place importante parmi les sources du droit administratif. Certes le juge
administratif ne tient pas de la Constitution le pouvoir de poser des règles générales et ne peut
adopter des arrêts de règlement. Cependant, dans le silence de la loi, le juge administratif a du
pendant longtemps « formuler lui-même la règle générale qui lui permettait de statuer10 ». C’est
ainsi que le Conseil d’Etat a progressivement élaboré le droit de la responsabilité administrative,
le droit des contrats administratifs, etc…

6
C.E. 20 octobre 1989, Nicolo, Rec., p. 190
7
Par ex. C.E. 1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoule de France, Rec. p. 149
8
Il s’agit notamment des droits civiques, des garanties accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques,
de l’état et la capacité des personnes, des crimes et délits et des peines qui leur sont applicables, de la nationalité, des
impositions de toute nature, du régime électoral et des nationalisations ou privatisations.
9
Il s’agit notamment pour le législateur de fixer les principes relatifs à l’organisation générale de la défense
nationale, à la libre administration des collectivités locales, à l’enseignement, au régime de la propriété, à celui des
droits réels et des obligations civiles et commerciales, au droit du travail, syndical et de la sécurité sociale.
10
J. RIVERO, M. WALINE, Droit administratif, Dalloz, Coll. Précis, 17ème éd. 1998, p. 73

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A coté de ces règles jurisprudentielles que le juge administratif a formulé pour pallier le silence
de la loi, le Conseil d’Etat a également identifié depuis 1944 des principes généraux du droit11 :
inspirés par la tradition libérale de 1789, le Préambule de 1946, les conventions internationales ou
encore les nécessités de l’équité, ces principes reconnus — certains diront qu’ils sont créés — par
le juge administratif s’imposent à l’administration même en l’absence de textes. Ils ont en effet
une valeur supra-décretale, c'est-à-dire que tous les actes de l’administration y sont soumis, même
les règlements autonomes de l’article 37 de la Constitution. S’ils ont toujours une valeur
supérieure à celle des actes administratifs, les principes généraux du droit ont en revanche
nécessairement une valeur inférieure à celle des lois. En effet, le juge administratif étant soumis à
la loi, il ne peut créer des normes jurisprudentielles s’imposant au législateur. Outre cet argument
tiré de la hiérarchie des normes, il faut rappeler que ces principes ont une fonction supplétive :
lorsqu’une loi existe déjà, le principe n’a pas vocation à s’appliquer en lieu et place du texte
législatif.

§ 5 : Le règlement

Les règlements sont des actes administratifs de caractère général et impersonnel. Ces actes sont
très nombreux et hiérarchisés en fonction leur auteur, et c’est fort logiquement le règlement de
l’autorité supérieure qui l’emporte et doit s’imposer aux autres autorités. Ainsi pour les actes
émanant des autorités étatiques, figurent au sommet les décrets en Conseil des ministres, puis les
décrets pris sur avis du Conseil d’Etat, les décrets, les arrêtés ministériels et enfin les arrêtés
préfectoraux.
Outre cette hiérarchisation organique, les règlements peuvent faire l’objet depuis 1958 d’une
autre classification. Il est, en effet, possible de distinguer au sein de la Constitution de la 5ème
République des règlements d’exécution des lois (article 21) et des règlements autonomes
(article 37) que le 1er Ministre peut adopter en dehors de toute loi. Ces règlements autonomes,
dont le domaine n’est pas d’attribution mais de droit commun ont été considéré comme une
révolution en 1958 ; force est, cependant, de constater qu’ils sont peu nombreux et qu’en pratique
le législateur conserve son rôle de pouvoir normatif de droit commun.

Section 2 : Les limites du principe de légalité

La signification de ce principe de légalité a déjà été évoquée en introduction de ce chapitre ; tout


acte administratif contraire à une norme supérieure peut être déférer au juge administratif afin
qu’il soit déclaré illégal et le cas échéant annulé. Il convient ici de voir les limites du principe,
c'est-à-dire les hypothèses dans lesquelles, l’administration peut ne pas appliquer des normes de
valeur supérieure sans encourir de sanction du juge administratif. Il s’agit notamment de
l’existence de certains actes insusceptibles de tout recours et de la théorie des circonstances
exceptionnelles.

§ 1 : Les actes de gouvernement

11
C.E. 5 mai 1944, Dame veuve Trompier-Gravier, Rec., p. 133

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Certains actes de l’administration bénéficient d’une immunité juridictionnelle. Tel est notamment
le cas des mesures préparatoires et des mesures d’ordre intérieur qui ne peuvent faire l’objet d’un
recours juridictionnel : cette immunité est logique car ces actes sont destinés à un usage interne à
l’administration et ne font pas grief aux administrés. De plus ces actes sont souvent « considérés
comme étant d’importance trop minime pour que les juges puissent en être saisis12 ».
En revanche, d’autres actes beaucoup plus importants et faisant grief aux intéressés jouissent
aussi d’une immunité juridictionnelle ; ce sont les actes de gouvernement. A l’origine ces actes
particuliers échappaient au contrôle du juge en raison des mobiles politiques qui les inspiraient13 :
le juge administratif considérait que les mobiles politiques ôtaient leur nature administrative à ces
actes, lesquels cessaient donc d’être soumis à son contrôle. Par un arrêt Prince Napoléon14 du
19 février 1875, le Conseil d’Etat a renoncé à ce critère du mobile politique sans proposer un
nouveau critère. En effet, depuis 1875, le juge administratif a préféré adopter une démarche plus
empirique pour définir le domaine des actes de gouvernement. Cela s’est traduit par une
extension continue du contrôle du juge et consécutivement par une restriction très sensible des
cas d’immunité juridictionnelle. Cependant les actes de gouvernement ne sont pas pour autant en
voie d’extinction : ils sont actuellement encore très présents dans deux domaines marqués par la
raison d’Etat. Il s’agit tout d’abord des actes concernant les relations de l’exécutif avec le
Parlement. Ainsi le juge administratif se déclare incompétent pour connaître des refus du Premier
ministre de déposer un projet de loi, décrets soumettant un projet de loi à référendum, décisions
du Président de saisir le Conseil constitutionnel, décisions du Premier ministre de saisir le
Conseil constitutionnel, décrets de dissolution de l’Assemblée Nationale, décrets de promulgation
des lois…). Il s’agit ensuite de certains actes qui ne sont pas détachables des relations
internationales car le Conseil d’Etat ne s’estime pas compétent pour apprécier l’activité
diplomatique du gouvernement.

§ 2 : Les circonstances exceptionnelles

Une autre limite au principe de légalité concerne l’hypothèse dans laquelle des circonstances
exceptionnelles rendent particulièrement difficile le respect du principe de légalité. Cette théorie
des circonstances exceptionnelles a été élaborée par le juge administratif à l’occasion de la
Première guerre mondiale. Dans deux arrêts, Heyries15 et Dol et Laurent16, le Conseil d’Etat
précise qu’il « appartient au juge […] de tenir compte dans son appréciation des nécessités
provenant de l’état de guerre, selon les circonstances de lieu et de temps, la catégorie des
individus visés et la nature des périls qu’il importe de prévenir ». Par la suite cette théorie a été
étendue à d’autres hypothèses que la guerre ; grève générale dans les services publics, risque
d’éruption volcanique… Dans toutes ces hypothèses, le respect du principe de légalité aurait
paralysé l’action administrative au détriment de l’intérêt général : le juge s’est donc efforcé de
concilier respect de la légalité et efficacité en adoptant sa théorie des circonstances
exceptionnelles qui emporte deux conséquences essentielles.

12
M. LOMBARD, Droit administratif, Dalloz, Coll. Cours, 2ème éd. 1998, p. 52
13
C.E. 9 mai 1967, Duc d’Aumale, Rec. p. 472
14
Rec., p. 155
15
C.E. 28 juin 1918, Rec., p. 651
16
C.E. 28 février 1919, Rec., p. 208

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Tout d’abord lorsqu’elle est confrontée à des circonstances anormalement graves, l’autorité
administrative a la faculté de se soustraire au respect des règles ordinaires qui entraveraient son
action. Elle peut être dispensée de l’observation des règles de forme et de procédure, des règles de
compétence et même des règles de fond : elle peut ainsi adopter des mesures attentatoires aux
libertés publiques qui seraient jugées illégales en période ordinaire.
Toutefois, cet assouplissement du principe de légalité ne s’opère pas en dehors du droit. Bien au
contraire, les mesures prises par l’administration sont contrôlées par le juge qui met en place une
sorte de légalité de crise. Bien que l’administration puisse s’affranchir du respect des règles
ordinaires, elle n’échappe pas à la vigilance du juge. Ce dernier contrôle d’une part si la situation
était réellement exceptionnelle, d’autre part si l’administration était vraiment dans l’impossibilité
d’agir dans le respect des règles normalement applicables, et enfin si les mesures de crise
adoptées sont adaptées. Grâce à ces deux aspects de la théorie des circonstances exceptionnelles,
le juge a donné les moyens à l’administration de concilier efficacité et respect du droit.

A côté de la théorie des circonstances exceptionnelles qui est purement prétorienne, il existe aussi
des textes régissant des situations de crise particulièrement difficiles. Il est ici possible de
mentionner le régime de l’état de siège fixé par les lois du 9 août 1849 et du 3 avril 1878 et le
régime de l’état d’urgence régi par la loi du 3 avril 1955. Le premier est destiné à transférer
l’autorité civile à l’autorité militaire pour faire face à un péril imminent résultant d’une guerre
étrangère ou d’une insurrection à main armée. Ce transfert est opéré par décret pris en conseil des
ministres pour une durée maximale de 12 jours : la prolongation de l’état de siège au-delà de cette
période doit être autorisée par le Parlement17. Le régime de l’état d’urgence concerne quant à lui
des hypothèses d’atteinte grave à l’ordre public ou de calamités publiques. Prononcé par décret
pris en conseil des ministres pour une période de 12 jours (avec une prolongation possible par le
Parlement18), l’état d’urgence se traduit par un renforcement des pouvoirs de police des préfets ou
du ministre de l’Intérieur. Parallèlement à ces deux régimes d’origine législative, l’article 16 de la
Constitution prévoit aussi la possibilité pour le Président de la République de s’arroger des
pouvoirs exceptionnels.

Chapitre 2 : L’organisation de l’Administration

Lorsqu’on adopte une vision organique de l’Administration, il convient d’emblée de constater


qu’elle ne forme pas un ensemble unitaire et monolithique. L’Administration est en réalité
constituée d’une myriade de personnes publiques aux compétences diverses et variées..

Section 1 : Les personnes publiques

Avant de détailler les principales institutions administratives françaises, il convient de s’intéresser


à la notion fondamentale de personne publique.

§ 1 : La personnalité morale en droit administratif

17
Article 36 de la Constitution du 4 octobre 1958
18
Article 36 de la Constitution du 4 octobre 1958

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Droit administratif RANDRIAMAHEFA Tefialivelo

Reconnaître la personnalité morale à une institution ou à un groupement revient à en faire un


sujet de droit titulaire d’un patrimoine, de droits et d’obligations. Toutefois, bien que les
personnes morales soient des sujets de droit, on ne peut les assimiler totalement aux personnes
physiques : il subsiste d’importantes différences. Tout d’abord, les personnes morales obéissent à
un principe de spécialité, c'est-à-dire que contrairement aux personnes physiques, elles ne peuvent
agir que dans le but pour lequel elles ont été crées. Ensuite, les personnes morales bénéficient
d’une certaine pérennité car leur durée n’est pas subordonnée par la mort naturelle. Enfin, les
personnes morales se sont pendant longtemps différencier des personnes physiques par leur
immunité pénale ; cependant le nouveau code pénal a mis fin à cette situation et pose le principe
d’une responsabilité pénale des personnes morales à l’exception de l’Etat.
Qualifier les autorités administratives de personnes morales n’est pas suffisant ; encore faut-il
préciser qu’il s’agit de personnes publiques, c'est-à-dire de personnes morales soumises au droit
public. Cependant, il n’est pas toujours facile de différencier une personne publique d’une
personne morale de droit privé. En effet, il n’existe pas de critère unique permettant de
reconnaître une personne morale de droit public. Pour résumer, on peut dire qu’en théorie les
personnes morales de droit public sont créées par l’autorité publique et agissent toujours en vue
d’un intérêt public. Inversement les personnes morales de droit privé sont issues d’une initiative
privée et peuvent poursuivre des buts variables.
La qualification de personne publique emporte plusieurs conséquences importantes quant à leur
régime : tout d’abord les personnes publiques ne peuvent pas faire l’objet de voies d’exécution
d’où notamment l’insaisissabilité de leurs biens. Ensuite, les personnes publiques ne peuvent être
déclarées en faillite ou en déconfiture ; elles ne peuvent donc faire l’objet d’une procédure de
redressement ou liquidation judiciaire. Enfin, la qualité de personne publique leur offre la
possibilité de bénéficier de régimes particuliers en ce qui concerne le droit applicable à leurs
contrats, à leurs agents, à leurs travaux immobiliers et à leurs propriétés immobilières.

§ 2 : La diversité des personnes morales de droit public

Les personnes morales de droit public se répartissent en trois catégories : l’Etat, les collectivités
locales et les établissements publics.

A. L’Etat

L’Etat, qui constitue à lui seul une catégorie de personne publique, est le seul à avoir en charge la
satisfaction des besoins de toute la population française. Il a une vocation administrative générale
qui s’étend à l’ensemble du territoire national.

B. Les collectivités locales

Au contraire les collectivités locales n’ont qu’une compétence limitée à une fraction du territoire
national : ce sont des collectivités infra-étatiques. Elles servent à garantir la décentralisation
territoriale de la France. Dans cette catégorie figurent les communes, les départements, les
régions, les territoires d’outre mer et les collectivités territoriales à statut particulier de Mayotte et
de Saint-Pierre et Miquelon.

8
Droit administratif RANDRIAMAHEFA Tefialivelo

L’existence même de certaines collectivités locales est prévue par l’article 72 al. 1 de la
Constitution19, mais c’est surtout l’alinéa 2 de cet article qui retient l’attention car il dispose que
les « collectivités s’administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par
la loi ». Ainsi, si c’est au législateur de déterminer le statut des collectivités locales20, il doit le
faire en respectant ce principe de libre administration.

C. Les établissements publics

Les établissements publics constituent une catégorie beaucoup plus hétérogène que les deux
précédentes. Il n’y a pas de critère clairement défini. Aussi la doctrine a-t-elle souvent recours à
une définition négative : les établissements publics sont des personnes morales de droit public
autres que l’Etat et les collectivités locales. Mais cette définition n’est pas toujours très
opératoire. La difficulté provient du fait qu’il faut différencier les établissements publics des
établissements d’utilité publique qui sont eux des personnes de droit privé. Certes il n’y a pas de
problème lorsqu’on est en présence d’une qualification législative d’établissement public. Mais
dans le silence de la loi, le juge administratif a été contraint de recourir à d’autres critères
d’identification qui jouent de façon cumulative le rôle de faisceau d’indices. Tout d’abord, le juge
peut prendre appui sur l’origine de l’établissement ; lorsque l’établissement a été créé par l’Etat
ou une collectivité locale, il est probable que ce soit un établissement public : inversement si
l’initiative est privée, on est vraisemblablement en face d’un établissement d’utilité publique.
Ensuite, le juge peut se référer à la nature de l’activité : si la personne gère une véritable activité
de service public et pas seulement une activité d’intérêt général, le juge sera enclin à reconnaître
un établissement public. Enfin, si les critères précédents ne suffisent pas, le juge peut toujours
rechercher la qualité d’établissement public dans l’utilisation de prérogatives de puissance
publique.
La nécessité de recourir à ces critères multiples provient en grande partie de la diversité des
établissements publics. Celle-ci est en grande partie due au fait que l’établissement public est un
instrument de décentralisation fonctionnelle ; l’Etat et les collectivités locales confient des
missions de service public bien précises à ces personnes publiques. Cette variété des missions
confiées a engendré une diversité des statuts et compétences. Ainsi se sont constituées deux
grandes familles d’établissements publics ; les établissements publics administratifs et les
établissements publics industriels et commerciaux. Très sommairement, on peut dire que les
premiers assurent les missions traditionnelles de l’Administration, tandis que les seconds sont le
fruit de l’interventionnisme croissant de l’Administration dans l’économie. Cette distinction issue
de la jurisprudence a de profondes implications sur le régime des établissements publics. Ainsi les
établissements publics administratifs sont profondément imprégnés par le droit public. En
revanche, les établissements publics industriels et commerciaux sont en raison de leur activité
marqués par un régime mixte qui allie règles de droit public et règles de droit privé.
Cependant, en dépit de cette hétérogénéité, les établissements publics ont tous des caractères
communs quant à leur régime. Etant dotés de la personnalité morale, les établissements publics
bénéficient d’organes propres (généralement une assemblée délibérante et un exécutif) ayant un

19
Tel est le cas des communes, départements et territoires d’outre-mer
20
Les divers textes législatifs concernant ces statuts sont codifiés depuis 1996 dans un Code général des Collectivités
territoriales.

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Droit administratif RANDRIAMAHEFA Tefialivelo

pouvoir de décision. Cette autonomie décisionnelle est renforcée par le fait que les établissements
publics ont également un patrimoine propre et un budget distinct de la collectivité publique qui
les a créés. Autonomie ne signifie cependant pas indépendance totale : en effet, les textes créant
des établissements publics prévoient presque toujours l’existence d’un un contrôle de tutelle par
une collectivité de rattachement (généralement l’Etat ou une collectivité locale) sur
l’établissement public. Enfin une dernière caractéristique commune à tous les établissements
publics est leur soumission au principe de spécialité : les établissements publics n’ont que des
compétences d’attribution limitativement énumérées et ne peuvent agir hors du cadre de la
mission qui leur a été confiée. Tout dépassement de ce cadre sera sanctionné par le juge comme
étant une violation du principe de spécialité.

Section 2 : Les structures administratives

Les structures administratives françaises sont dominées par la distinction entre déconcentration et
décentralisation.
Pour illustrer la déconcentration Odilon BARROT affirmait au siècle dernier : « c’est toujours le
même marteau qui frappe, mais on en a raccourci le manche ». Dans les Etats déconcentrés,
l’administration étatique est organisée en plusieurs niveaux locaux qui sont autant de relais du
pouvoir central. L’administration est alors fortement hiérarchisée, car il s’agit de transférer
certaines attributions de la capitale vers des administrations déconcentrées formées d’agents de
l’Etat et obéissant à l’autorité centrale. Comme le résume M. JACQUE, « la déconcentration
consiste à insérer entre le centre et l’administré une cascade d’autorités étroitement hiérarchisées
auxquelles on confiera l’exercice de certaines attributions de l’Etat sur les instructions et sous le
contrôle des autorités centrales21 ». En France l’exemple le plus explicite de la déconcentration
est le préfet : nommé par le 1er ministre, le préfet est dans le cadre du département le dépositaire
de l’autorité gouvernementale. Il doit obéir aux ordres du gouvernement sans pouvoir les modifier
sous peine d’être révoqué car c’est un emploi à la discrétion du gouvernement (autre ex. Recteur
d’académie). La déconcentration est donc un système dans lequel l’Etat unitaire gouverne et
administre au moyen d’agents qui lui sont entièrement subordonnés tout en étant disséminés dans
les circonscriptions administratives du territoire. En résumé, ce qui caractérise donc le plus la
déconcentration, c’est l’existence d’un pouvoir hiérarchique c'est-à-dire une relation d’autorité
entre l’échelon central et les échelons locaux

La décentralisation ne repose pas sur la même logique hiérarchique que la déconcentration. Il y a


décentralisation lorsque les décisions administratives ne sont plus prises par le pouvoir central ou
ses agents déconcentrés, mais par des autorités locales élues au suffrage universel et dotées d’une
autonomie à l’égard du gouvernement. La décentralisation consiste donc à reconnaître à d’autres
personnes publiques que l’Etat des pouvoirs administratifs qu’elles exercent de manière
autonome dans le cadre des lois. La décentralisation peut être fonctionnelle ou territoriale : la
décentralisation fonctionnelle est la plus rare : elle consiste à reconnaître un pouvoir de décision à
des services publics autonomes dotés de la personnalité morale : en France il s’agit des
établissements publics. Comme on l’a vu, ces personnes publiques, bien qu’autonome, ont une
sphère de compétence précise, c'est-à-dire une spécialité bien identifiable. En pratique, la
21
J.-P. JACQUE, Droit Constitutionnel, Dalloz, Coll. Mémento, 3ème éd. 1998, p. 10

10
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décentralisation revêt surtout un aspect territorial : elle consiste alors à reconnaître un pouvoir de
décision à des collectivités territoriales bénéficiant d’une certaine marge de liberté en ce qui
concerne certaines prérogatives qui leur sont confiées par l’Etat. Pour être effective et se
différencier de la déconcentration, la décentralisation doit présenter plusieurs caractéristiques :
• Contrairement au phénomène de déconcentration qui est purement interne à l’Etat, la
décentralisation suppose la reconnaissance de la personnalité morale des collectivités
territoriale à qui l’Etat transfert des compétences
• Cette personnalité juridique doit garantir l’autonomie des collectivités décentralisées par
rapport au pouvoir central : cette autonomie serait purement artificielle si les dirigeants de la
collectivité étaient nommés par le gouvernement et placés sous ses ordres. C’est pourquoi,
l’autonomie ne peut être acquise que par un moyen ; il faut que les dirigeants des collectivités
décentralisées ne soient pas nommés mais élus par les citoyens de la circonscription. Aussi les
collectivités locales sont-elles généralement gérées par une assemblée élue au suffrage
universel qui élit en son sein l’exécutif local.
• Pour être réelle, la décentralisation nécessite l’existence d’un véritable transfert de pouvoir de
l’Etat vers les structures décentralisées et l’octroi d’un pouvoir de décision tangible de leurs
dirigeants : ils ne doivent pas avoir que des pouvoirs symboliques. La décentralisation peut
être plus ou moins poussée. En France la décentralisation a été sensiblement renforcée par les
lois du 2 mars 1982, du 7 janvier 1983 et du 5 janvier 1988 qui ont transféré de nombreuses
compétences de l’Etat vers les régions, départements et communes22.
• Enfin la décentralisation requiert existence d’un budget et surtout de ressources propres ne
relevant pas du bon vouloir de l’Etat. Le fait pour une collectivité territoriale de posséder des
ressources propres est en effet nécessaire si l’on veut parler d’autonomie.

Toutefois les collectivités décentralisées — même gouvernées et administrées par des élus — ne
peuvent agir de manière discrétionnaire. Elles sont non seulement tenues par les lois de l’Etat,
mais en outre n’ont que des pouvoirs limités par rapport à l’Etat. Cette limitation des prérogatives
des collectivités décentralisées est garantie par l’existence d’un contrôle de l’Etat. Ce contrôle
que l’on qualifie très souvent de tutelle est vital pour garantir la forme unitaire de l’Etat. La
tutelle ne doit pas être confondue avec un quelconque pouvoir hiérarchique : il ne s’agit pas pour
l’Etat d’user d’un quelconque pouvoir hiérarchique mais de s’assurer que les lois sont respectées
par les collectivités décentralisées et que celles-ci ne vont pas au des pouvoirs que l’Etat leur a
transférés. En France depuis 1982 cette surveillance s’exerce a posteriori, c'est-à-dire après
l’édiction de l’acte par la collectivité locale. Ce n’est plus un contrôle sur l’opportunité de la
décision mais seulement sur sa légalité. En effet les collectivités décentralisées ont l’obligation de
transmettre au préfet leurs décisions. Le préfet, autorité de tutelle doit, s’il estime l’acte de la
collectivité illégal, saisir le juge administratif afin que celui-ci annule l’acte : il s’agit du déféré
préfectoral. L’autonomie de la collectivité locale est donc bien garanti puisque seule une illégalité
suscite l’intervention de l’autorité de tutelle, et encore celle-ci ne dépend pas du représentant du
gouvernement mais d’un juge.

22
Par exemple, depuis 1982 la construction et l’entretien des bâtiments scolaires n’incombe plus à l’Etat mais aux
collectivités décentralisées : les écoles sont de la compétence des communes, les collèges relèvent des départements
et enfin les lycées sont gérés par les régions.

11
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Chapitre 3 : L’activité de l’administration

Il s’agit ici d’étudier d’une part les principales missions confiées aux administrations, et
d’analyser les actes que ces dernières peuvent adopter pour parvenir à leurs fins.

Section 1 : L’objet de l’action administrative

Il n’est plus possible de prétendre de nos jours que l’action de l’administration correspond
exclusivement à des missions régaliennes. En effet, les activités des personnes publiques se sont
nettement diversifiées depuis le siècle dernier et ne peuvent plus se résumer à l’édiction d’actes
administratifs et à la préservation de l’ordre public. Les personnes publiques sont désormais
également prestataires de services. C’est pourquoi, afin de classer les différentes actions de
l’administration, il convient de prendre en compte leurs objectifs. Ceux-ci sont au nombre de
deux ; le service public et la police administrative.

§ 1 : L’activité de service public

La notion de service public joue un rôle majeur en droit administratif. En effet, le service public
est présenté par beaucoup d’auteurs (notamment par les tenants de l’Ecole de Bordeaux du Doyen
DUGUIT) comme étant le fondement du droit administratif, ou du moins comme étant le
principal facteur explicatif des multiples dérogations du droit public au droit commun.
Cependant, si nul ne nie le rôle essentiel de la notion de service public, sa définition est des plus
délicates.

A : Notion de service public

Souvent présenté comme la pierre angulaire du droit administratif, la notion de service public
n’est pas des plus précises et a fait l’objet de longues discussions doctrinales. Elle a d’une part
une signification matérielle qui désigne une activité d’intérêt général, et d’autre part une
signification organique qui suppose une organisation administrative. Il arrive que les notions
organiques et matérielles de service public se recoupent, mais ce n’est pas une règle absolue car il
arrive qu’une activité de service public soit assumée par une personne privée. Reste donc à
identifier le service public dans son sens matériel : parfois un texte précise que telle ou telle
activité répond à une mission de service public. Cependant dans le silence des textes, le juge est
obligé de définir ce qu’est un service public. Or, pas plus que la doctrine, que le Conseil d’Etat
n’ont pu trouver un critère unique pour identifier le service public : plusieurs critères doivent être
employés pour définir le service public.
A lire la jurisprudence, le service public peut se définir comme une activité d’intérêt général
assurée par une personne publique ou du moins sous le contrôle d’une personne publique23. Il
arrive que le Conseil d’Etat ne se contente pas de la réunion de ces deux éléments et en exige un
troisième critère. C’est le cas dans un arrêt Narcy du 28 juin 196324 ; outre le critère de l’intérêt

23
Ce contrôle de la personne publique à l’égard l’organisme gérant le service peut porter aussi sur sa constitution,
son organisation ou encore son fonctionnement.
24
Rec. p. 401

12
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général et le critère organique d’un rattachement direct ou indirect de l’activité à une personne
publique, le Conseil d’Etat a exigé que le gestionnaire du service dispose de prérogatives de
puissance publique. Lorsque ces trois critères sont réunis (intérêt général, présence de
prérogatives de puissance publique, mise en oeuvre par une personne publique d’un pouvoir de
contrôle et direction sur les modalités d’exécution de cette activité), le juge estime qu’il est en
face d’une mission de service public. Cependant, le critère tiré de l’existence de prérogatives de
puissance publique reste secondaire car le Conseil d’Etat et le Tribunal des Conflits ne le
mentionnent pas systématiquement.

B : Les principes régissant les services publics

Tout service public, qu’il soit administratif ou industriel et commercial, est soumis à certains
principes régissant son fonctionnement. Ces derniers (qu’on appelle aussi les "lois de Rolland")
sont au nombre de trois. Il s’agit des principes de continuité du service public, de l’adaptation
constante du service public et d’égalité qu’il convient de préciser.
• Principe de continuité du service public : c’est probablement la plus importante des lois de
Rolland. Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision DC n°79-105 du 25 juillet 1979, a
reconnu une valeur constitutionnelle au principe de continuité du service public. Ce dernier
suppose que le service fonctionne normalement de manière continue. Selon l’importance du
service, la continuité peut signifier la permanence de l’activité, ou dans une moindre mesure
l’établissement d’un service minimum. En effet, si le principe de continuité du service public a
valeur constitutionnelle, il ne doit pas pour autant aboutir à priver de tout effet le droit de
grève qui a aussi valeur constitutionnelle. Il convient donc aux pouvoirs publics d’adopter des
textes conciliant — sous le contrôle du juge constitutionnel et du juge administratif — ces
deux principes contradictoires et d’égale valeur25.
• Principe d’égalité : depuis longtemps reconnu par le juge administratif26, c’est également un
principe à valeur constitutionnelle (C.C. Décision DC 79-107 DC du 12 juillet 1979). Ce
principe comporte plusieurs aspects ; il joue aussi bien à l’égard des sujétions que le service
impose, qu’à l’égard des avantages qu’il procure. Il s’applique donc aussi bien aux usagers,
candidats-usagers, agents ou fournisseurs. Cependant il convient que ce principe d’égalité ne
s’applique que de façon relative : ainsi, des différences de traitement entre des usagers ou
candidats-usagers du service public sont légales du moment qu’elles sont justifiées soit par des
considérations d’intérêt général, soit par une différence de situation de fait ou de droit27.
• Principe de l’adaptation constante du service public (dit aussi principe de mutabilité) : ce
principe signifie que le service doit constamment s’adapter aux évolutions susceptibles
d’affecter l’intérêt général. En effet, l’intérêt général n’est pas figé : dès lors le service public
doit s’adapter à ses nouvelles exigences.

C : Les modes de gestion des services publics

25
En fonction des circonstances, cette conciliation peut aller de l’interdiction totale du droit de grève pour certains
fonctionnaires, à des mesures de réquisition, à l’organisation d’un service minimum, ou encore à l’exigence d’un
préavis de grève.
26
Par exemple ; C.E. 9 mars 1951, Société des concerts du Conservatoire, Rec. p. 151
27
C.E. 10 mai 1974, Denoyez et Chorques, Rec. p. 274

13
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Les activités de service public peuvent être exercées soit directement par une personne
publique, soit être confiés par la personne publique à une personne privée.

1. La gestion directe du service public par une personne publique

Lorsqu’il y a régie, l’administration assure elle-même le service, c'est-à-dire qu’elle


emploie son personnel et utilise ses propres biens. Dès lors, il faut en déduire que les services en
régie ne constituent pas des personnes juridiques distinctes ; le service n’a aucune individualité,
même sur plan financier. Généralement ce procédé de la régie est appliqué aux services publics
administratifs. Ce n’est qu’exceptionnellement que les services publics industriels et
commerciaux sont exécutés en régie ; dans ces hypothèses le service dispose d’une certaine
individualité comptable qui permet d’évaluer s’il est excédentaire ou déficitaire.

2. La gestion déléguée de service public

Il arrive souvent qu’un service public ne soit pas assuré directement par l’Etat ou une
collectivité territoriale mais soit délégué à une personne publique ou à une personne privée. Dans
certains cas, la gestion déléguée est réservée exclusivement à des personnes publiques : il s’agit
alors pour la personne publique responsable du service public de transférer à une autre personne
publique qu’elle crée la mission d’assurer les prestations du service public. A cette fin l’Etat et les
collectivités territoriales peuvent notamment créer des établissements publics28 ou des
groupements d’intérêt public29.
Les délégations de service public ne profitent pas uniquement à des personnes publiques. Il est
admis depuis longtemps que l’Etat ou une collectivité territoriale peut transférer une mission de
service public à une personne privée. Cette délégation peut résulter d’un acte unilatéral30, mais le
plus souvent elle découle d’une convention : on parle alors de convention ou de contrat de
délégation de service public. On peut en identifier de plusieurs types :
• Concession de service public : c’est de loin le type de contrat le plus employé pour déléguer
un service public industriel et commercial. La concession de service public est un contrat passé
entre une personne publique (concédant) et un concessionnaire en vertu duquel ce dernier
s’engage à exploiter le service à ses risques et périls en se rémunérant sur les usagers. Non
seulement, le concessionnaire exploite le service à ses risques et périls, mais en outre il doit
effectuer lui-même les ouvrages indispensables à l’activité du service. En effet, dans le cadre

28
Les établissements publics peuvent brièvement se définir comme des personnes morales de droit public distinctes
de l’Etat et des collectivités territoriales et spécialement chargées d’une ou plusieurs missions de service public. Si
ces établissements bénéficient de la personnalité morale, ils sont toujours placés sous le contrôle d’une collectivité de
rattachement (l’Etat, les communes, les départements, les régions…). Mais la principale caractéristique des
établissements publics est qu’ils sont soumis à un principe de spécialité : ils constituent en effet une forme de
décentralisation fonctionnelle et ont de ce fait des compétences d’attribution qui sont limitativement énumérées.
29
Un groupement d’intérêt public est une personne publique (ayant un régime proche de celui de l’établissement
public) qui réunit des personnes publiques et privées en vue d’une tâche commune. Ces groupements voulant instituer
un partenariat sont issus de conventions entre les différents acteurs souhaitant coopérer à cette mission de service
public.
30
C.E. 13 mai 1958, Caisse Primaire “Aide et Protection”, Rec. p. 417

14
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des concessions de service public, c’est toujours au concessionnaire de réaliser les


investissements nécessaires à l’exploitation et au fonctionnement du service. C’est pourquoi
les concessions de service public sont souvent également des concessions de travaux publics.
Aussi, afin de permettre au concessionnaire d’amortir les investissements qu’il a effectués
pour le service, les contrats sont conclus pour une longue durée.
• Affermage : l’affermage est un contrat qui ressemble beaucoup à la concession de service
public, puisque le fermier assure l’exploitation du service. Les principales différences
concernent le financement des équipements nécessaires au service et le mode de rémunération
du fermier. Tout d’abord, le fermier ne supporte pas les frais de construction des ouvrages et
équipements qu’il emploie ; en effet, c’est la personne publique qui a réalisé elle-même ces
investissements. Ensuite, si le fermier perçoit, comme le concessionnaire, les redevances
payées par les usagers, il doit en verser une partie à l’administration : ces sommes que verse le
fermier à l’administration représentent, en réalité, l’amortissement des installations et ouvrages
mis à sa disposition.
• Régie intéressée : dans la régie intéressée, la personne gérant le service public (le régisseur)
agit pour le compte de la personne puisque lui ayant délégué la mission. Ce régisseur n’est pas
rémunéré par les redevances des usagers mais perçoit une rétribution de la personne publique.
Cette rétribution qui est fonction d’éléments variables (comme par exemple le chiffre
d’affaires, la bonne marcher du service…) explique que le régisseur ne subit pas les risques et
charges de l’exploitation du service.
• Gérance : dans ces contrats, le gérant exploite le service public moyennant une rémunération
forfaitaire versée par la personne publique. C’est donc la collectivité publique qui continue les
risques et charges de l’exploitation.

D : La distinction Services Publics (SPA) - Services Publics Industriels et Commerciaux (SPIC)

Jusqu’à la 1ère guerre mondiale, tant la doctrine que la jurisprudence admettaient que les services
publics ne pouvaient être qu’administratifs ; ces services publics administratifs correspondent aux
missions traditionnelles de l’Etat : justice, défense nationale, enseignement, éducation, santé
publique, sécurité… Cependant, suite à la 1ere guerre mondiale et au développement constant de
l’interventionnisme économique des personnes publiques, les juges et la doctrine ont admis
l’existence de services publics industriels et commerciaux essentiellement soumis à un régime de
droit privé (T.C. 22 janvier 1921, Société commerciale de l’ouest africain31).
La difficulté est alors de distinguer les services publics administratifs et les services publics
industriels et commerciaux : en effet, la distinction est fondamentale car leurs régimes respectifs
sont nettement différents.

1. Les critères de la distinction

Ces critères ont été définis par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 16 novembre 1956, Union
syndicale des industries aéronautiques32 : la haute-juridiction ne propose pas un critère unique
mais un faisceau d’indices. Ces indices sont respectivement l’objet du service, le financement du
31
Rec. p. 91
32
Rec. p. 434

15
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service et enfin les conditions relatives à l’organisation et fonctionnement du service : autant de


critères qu’il convient de développer.
• Objet du service : quand l’activité en cause se situe dans un domaine où il existe une
concurrence privée, il est probable que le service public soit industriel et commercial.
Inversement quand l’activité s’exerce à titre gratuit et que le gestionnaire du service ne cherche
pas à réaliser des profits, il s’agit probablement d’un service public administratif. Tel est le cas
des activités correspondant aux missions traditionnelles de l’Etat.
• Financement du service : le service dont les ressources proviennent essentiellement de
redevances payées par les usagers (et non de subventions budgétaires ou de recettes fiscales)
sont généralement des SPIC.
• Modalités d’organisation et de fonctionnement du service : le service public est administratif si
les modalités de son organisation et de son fonctionnement présentent des caractères
exorbitants du droit commun. C’est notamment le cas quand le service est assuré directement
par une personne publique.
A l’aide de ces trois séries d’indices, le juge administratif a construit une jurisprudence
permettant de distinguer efficacement les services publics administratifs et les services publics
industriels et commerciaux.

2. Le droit applicable aux SPA et aux SPIC

Au siècle dernier la question du droit applicable aux services publics ne se posait pas
véritablement ; il n’y avait que des services publics administratifs directement assurés par une
personne publique. Aussi étaient-ils fort logiquement soumis à un régime relevant exclusivement
du droit public. L’état du droit s’est compliqué avec l’apparition des services publics industriels
ou commerciaux. En effet dans l’arrêt Société commerciale de l’ouest africain de 1921, le
Tribunal des conflits avait reconnu l’existence de ces services en les soumettant largement au
droit privé. En effet, ces services « fonctionnent dans les mêmes conditions que les entreprises
industrielles ou commerciales similaires » : aussi pour ne pas fausser la concurrence, la personne
publique doit être dépourvue de ses avantages et prérogatives de puissance publique. C’est
pourquoi, plus le caractère industriel et commercial est marqué, plus le droit privé doit être
prédominant dans le régime applicable.
En pratique quatre grandes hypothèses peuvent être distinguées :
I. SPA géré par une personne publique ; dans cette hypothèse, le régime applicable relève
exclusivement du droit administratif.
II. SPA géré par une personne privée ; bien qu’on soit en présence d’un service public
administratif, le régime laisse une place importante au droit privé. En effet, les relations
individuelles entre le service et ses agents sont régies par le droit privé. De même, les
rapports entre la personne privée exerçant le service et les usagers sont des relations de droit
privé. En revanche, les actes administratifs unilatéraux adoptés par les personnes privées
gérant un service public administratif sont de la compétence du juge administratif et
obéissent donc au droit administratif.
III. SPIC géré par une personne publique ; dans cette hypothèse, les relations entre le SPIC et
les usagers relèvent du droit privé. Il y a toutefois deux exceptions : le directeur du service

16
Droit administratif RANDRIAMAHEFA Tefialivelo

et le comptable public sont toujours des agents de droit public33. S’agissant des usagers du
SPIC, ils sont dans une situation contractuelle de droit privé.
IV. SPIC géré par une personne privée ; en pareil cas, presque tout le régime applicable au
service relève du droit privé. C’est notamment le cas des relations entre le service et les
usagers. C’est également vrai des relations entre le service et ses agents : par exception
cependant, le droit public reparaît lorsque la personne privée adopte un règlement touchant
à l’organisation du service public.

Tableau récapitulatif.
Organe chargé de la Service public Service public industriel
gestion administratif ou commercial
Acte administratif Droit public Droit public
unilatéral
Usagers Droit public (situation Droit privé
Service public légale et réglementaire) (situation contractuelle)
géré par une Agents Droit public Droit privé
personne publique (sauf pour le directeur et
le comptable public)
Responsabilité Droit public Droit privé

Acte administratif Droit public puisqu’il y a Droit public pour les actes
unilatéral usage de prérogatives de réglementaires
puissance publique34 d’organisation du service35
Service public Usagers Droit privé Droit privé
géré par une
personne privée Agents Droit privé Droit privé

Responsabilité Droit privé Droit privé

§ 2 : L’activité de police administrative

A coté des activités de service public, la police administrative est la seconde mission essentielle
de l’administration. C’est aussi une mission très sensible car pour préserver l’ordre public,
l’administration doit parfois imposer des limitations et libertés des citoyens. C’est pourquoi il
convient d’analyser successivement la notion de police administration, puis les différents types de
police administrative et enfin les limites des pouvoirs de police.

A : La notion de police administrative

Comme l’observent MM. RIVERO et WALINE « on entend par police administrative l’ensemble
des interventions de l’administration qui tendent à imposer à la libre action des particuliers la
33
C.E. 26 janvier 1923, De Robert de Lafrégeyre, Rec. p. 67 ; C.E. 8 mars 1957, Jalenques de Labeau, Rec.
p. 158
34
C.E. 31 juillet 1942, Monpeurt, Rec. p. 337
35
T.C. 15 janvier 1968, Compagnie Air France c/ Epoux Barbier, Rec. p. 789

17
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discipline exigée par la vie en société36 ». Dès lors, son objectif primordial est la prévention des
atteintes à l’ordre public. Il est possible de tirer deux enseignements de ce postulat.

1. Police administrative et police judiciaire

Le fait que la police administrative soit destinée à prévenir les atteintes à l’ordre public permet de
la distinguer de la police judiciaire. Il s’agit ici d’une distinction fondamentale : en effet, les
contentieux des deux polices ne relèvent pas du même juge. Le critère de distinction semble a
priori simple : lorsque l’opération de police poursuit un but répressif après la réalisation d’une
infraction on est en présence d’une opération de police judiciaire. Au contraire, lorsque les
mesures de police ont pour but de prévenir la commission d’infraction (et donc le maintien de
l’ordre public), elles s’inscrivent dans le cadre de la police administrative. Toutefois, à l’usage, il
est parfois plus délicat de distinguer ces deux types de police ; en effet, ce sont souvent les
autorités et des personnels communs qui sont titulaires de la police judiciaire et de la police
administrative. En outre, il peut arriver en pratique qu’une opération qui était initialement une
mission de police administrative devienne ultérieurement une opération de police judiciaire suite
à la commission d’une infraction37.

2. La police administrative ; une protection de l’ordre public

Une fois qu’on a précisé que la police administrative est destinée à protéger l’ordre public, il faut
encore définir cette dernière notion. Classiquement, l’ordre public repose sur un triptyque
incontournable consacré par une loi de 1884 : la sécurité publique, la salubrité publique
(entendue au sens de la sauvegarde de l’hygiène publique) et la tranquillité publique. Ces trois
éléments sont d’ordre essentiellement matériel puisqu’il s’agit d’éviter les désordres tangibles et
visibles. Mais à ces trois éléments traditionnels de l’ordre public, se sont rajoutés d’autres
éléments comme l’immoralité38 et la dignité humaine39. En effet, le juge a interprété largement
le terme d’ordre public puisqu’il dépasse considérablement le triptyque originel. Cependant, le
juge fait toujours attention à distinguer la police générale de l’ordre public des polices spéciales.

B : Les différents types de police administrative : police générale et polices spéciales

36
J. RIVERO, M. WALINE, Droit administratif, Dalloz, Coll. Précis, 18ème éd. 2000, p. 427
37
T.C. 12 juin 1978, Société Le Profil, Rec. p. 648
38
Le juge administratif admet que les autorités de police administrative générale (notamment les maires) peuvent
parfois prendre des mesures pour protéger la moralité publique. Tel est par exemple le cas des interdictions de films
présentant un caractère immoral. Toutefois, le Conseil d’Etat a précisé avec rigueur les conditions d’intervention de
la police. Dans l’arrêt du 18 décembre 1959, « Société Les Films Lutétia » (Rec. p. 693), la Haute Juridiction
indique que la projection du film en cause doit être « susceptible d’entraîner des troubles sérieux ou d’être à raison du
caractère immoral dudit film et de circonstances locales, préjudiciable à l’ordre public ». L’autorité de police n’est
donc gardienne de la moralité publique que lorsqu’il existe un risque matériel pour l’ordre public.
39
Dans son arrêt du 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge (Rec. P. 372), le Conseil d’Etat a affirmé
que « le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l’ordre public ». Aussi l’autorité
investie d’un pouvoir de police administrative (en général le maire) peut interdire une activité qui porte atteinte au
respect de la dignité humaine.

18
Droit administratif RANDRIAMAHEFA Tefialivelo

Au sein de la police administrative, il convient de distinguer entre police générale et police


spéciale. Dans le cadre d’une police administrative générale, l’autorité compétente peut prendre
des mesures s’appliquant à l’ensemble de l’activité des citoyens : c’est la police qui « est exercée
d’une manière indifférenciée à l’égard de n’importe genre d’activité ». En d’autres termes,
lorsque l’autorité intervient pour prévenir des atteintes à l’ordre public, il s’agit d’une police
administrative administrative générale. Au contraire, certains textes prévoient l’existence de
polices spéciales, qui sont spécifiques soit à une catégorie d’individus (exemple de police des
étrangers) soit à une catégorie d’activités (exemples de la police des édifices menaçant ruine, de
la police de la chasse). Ces polices spéciales poursuivent un but qui peut dépasser l’ordre public
traditionnel : ainsi il existe des textes instaurant des polices spéciales ou des polices culturelles,
objectifs qui sont sans rapport avec la sécurité, la tranquillité ou la salubrité publique.

Concrètement, les mesures de police susceptibles d’être adoptées par l’autorité compétente
peuvent consister dans l’adoption de réglementations, d’interdictions (par exemple de
manifestations), de suspensions (d’autorisations administratives ou de permis) ou encore de saisie
(d’un journal ou d’un libre). Pour en finir avec la police administrative, il convient de préciser
que les mesures prises dans ce cadre sont placées sous le contrôle du juge administratif. Celui-ci
vérifie l’adéquation de la décision de police par rapport aux circonstances ; il contrôle notamment
que les atteintes aux libertés soient nécessaires et justifiées par le risque d’atteinte à l’ordre
public. Dans cet esprit, sont prohibées par le juge administratif, toutes les mesures de police
d’interdictions générales et absolues40.

Section 2 : Les actes de l’administration

L’administration dispose de deux moyens d’action : soit elle adopte des actes administratifs
unilatéraux, soit elle procède de manière conventionnelle en concluant des contrats.

§ 1 : Les actes administratifs unilatéraux

L'acte administratif unilatéral est le mode normal d'action de l'administration : c’est une décision
émanant de la seule volonté de l'administration.

A : Définition

Les actes unilatéraux sont avant tout des actes juridiques, c'est-à-dire des manifestations de la
volonté de la puissance publique destinées a faire grief aux administrés en créant des droits ou
des obligations. En d’autres termes l’acte unilatéral modifie l’ordonnancement juridique ce qui
permet de le distinguer de nombreuses autres mesures de l’administration qui n’ont pas cette
propriété (actes préparatoires, mesures d’ordre intérieur, circulaires…). Parce qu’ils sont
administratifs, ces actes se distinguent d’autres mesures unilatérales telles les lois ou encore les
décisions de justice. L’adjectif administratif joue ici le rôle de critère organique qui permet
d’exclure les actes du parlement ou des juridictions.
40
C.E. 22 juin 1951, Daudignac, Rec. p. 362

19
Droit administratif RANDRIAMAHEFA Tefialivelo

B : Les actes exclus de la catégorie des actes administratifs unilatéraux

Tous les mesures prises unilatéralement par l'administration ne constituent pas forcément des
actes administratifs unilatéraux ; il existe des actes purement déclaratifs, des actes de préparation
ou mesures préparatoires. Ces différents actes se différencient des actes administratifs unilatéraux
dans la mesure où ils ne modifient pas par eux mêmes l'ordonnancement juridique ; il s’agit de
mesures d’importance minime qu’on ne peut considérer comme des décisions exécutoires faisant
grief. Ils sont donc insusceptibles d'un recours en excès de pouvoir et ne sauraient être soumis au
même régime que les actes administratifs unilatéraux.
Si les mesures préparatoires et les actes purement déclaratifs ne posent pas problème, certaines
normes adoptées par l’administration posent plus de difficultés. C’est tout d’abord le cas des
circulaires ; ce terme de circulaire désigne généralement une communication d’un supérieur
hiérarchique à destination de ses subordonnés par laquelle il donne son interprétation d'une loi ou
d'un règlement. La circulaire était donc traditionnellement un pur acte intérieur à l'administration.
Toutefois il arrive parfois que la circulaire ne se contente pas d’être purement interprétative mais
qu’elle modifie l’ordonnancement juridique c'est-à-dire qu’elle crée du droit. On se trouve donc
dans l'hypothèse d’une mesure d'ordre intérieur modifiant la situation des administrés et se situant
donc en dehors du service ; il serait donc anormal de considérer ces mesures comme étant
insusceptibles de faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir. Aussi le Conseil d’Etat a réglé
cette question dans un arrêt de 1954 “Institution Notre Dame du Kreisker”41 : certaines
circulaires sont qualifiées de réglementaires soit parce qu'elles ajoutent des prescriptions aux lois
et aux règlements, soit parce qu'elles créent des droits et obligations nouvelles pour les
administrés. Dans ces hypothèses, les circulaires qualifiées de réglementaire sont considérées
comme de véritables actes administratifs unilatéraux. Dans les autres cas, c'est-à-dire lorsque les
circulaires sont purement interprétatives, elles demeurent des actes internes au service ne pouvant
faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir.
Parallèlement aux circulaires, il existe une seconde catégorie d’actes qui pose des problèmes de
qualification dans la catégorie des actes administratifs unilatéraux : ce sont les directives. Celles-
ci sont destinées à encadrer, à orienter le pouvoir discrétionnaire de l’administration lors de
l’examen de situations individuelles. En effet, il s’agit de dispositions par lesquelles une autorité
administrative investie d'un pouvoir discrétionnaire subordonne l'examen de telles situations à des
critères généraux ; certains auteurs ont ainsi parlé de “codification des motifs”. Toutefois,
contrairement aux actes réglementaires que l’administration doit toujours appliquer, l’autorité
administrative peut toujours écarter une directive d’une part, si des données particulières d'un cas
déterminé sont invoquées et d’autre part lorsque l’intérêt général l’exige. En d’autres termes,
l’autorité administrative pourvue d’un pouvoir discrétionnaire peut poser des règles générales
relatives à l'exercice de ce pouvoir, « à condition qu’il ne leur confère pas un caractère impératif
et se réserve la possibilité d'y déroger ». Cette possibilité de dérogation explique que le juge
refuse de faire des directives un acte administratif unilatéral. Toutefois le juge administratif
attache tout de même certains effets juridiques à ces codifications de motifs : les administrés ont
le droit d'exiger de l'administration qu'elle se conforme aux orientations générales figurant sans
ses directives. En effet, le refus d'appliquer une directive à un particulier, alors que celui-ci
41
C.E. 29 janvier 1954, Institution Notre Dame du Kreisker, Rec. p. 64

20
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satisfait aux critères posés par cette directive, est illégal sauf si l’intérêt général ou une situation
particulière justifiaient une pareille dérogation.

C : Les différentes catégories d’actes administratifs unilatéraux

Les actes administratifs unilatéraux font l’objet de plusieurs classifications. Il est tout d’abord
possible de distinguer ces actes en prenant en considération la forme de l’acte : décret, arrêté,
délibération… Il est également possible de classer les actes administratifs en fonction de leur
auteur ; administration centrale, administration déconcentrée, collectivités locales, établissements
publics, autorités administratives indépendantes, organismes privés investis d’une mission de
service public. Mais la classification qui retient le plus l’attention reste la distinction entre actes
réglementaires et actes individuels qui repose sur la portée respective des deux catégories d’actes.
A titre de rappel, les premiers sont ceux qui posent une règle impersonnelle et de portée générale,
alors que les seconds sont d’ordinaire nominatifs. La distinction entre acte réglementaire et
décision individuelle est la plus importante car elle emporte plusieurs conséquences en ce qui
concerne la publicité de l’acte42, les règles de retrait et d’abrogation…

§ 2 : Le régime des actes administratifs unilatéraux

Le régime des actes administratifs unilatéraux suppose que l’on s’intéresse successivement à leur
élaboration, à leur entrée en vigueur, à leur disparition et à leurs effets juridiques

A : L’élaboration des actes administratifs unilatéraux

Contrairement au droit de nombreux Etats, il n’existe pas en France de Code de procédure


administrative, ou tout du moins une loi générale précisant la procédure précédant l’adoption
d’un acte administratif unilatéral. Cela ne signifie pas que le processus décisionnel est
entièrement libre : outre les règles de compétence, on assiste depuis une vingtaine d’années à la
multiplication de textes encadrant l’élaboration des actes administratifs. C’est ce que l’on appelle
communément la procédure administrative non contentieuse ; celle-ci résulte d’une volonté
d’amélioration des relations entre la puissance publique et les administrés. Aussi ces textes se
sont-ils efforcé d’assurer une certaine transparence de l’action administrative et de renforcer la
concertation dans le processus d’élaboration des actes administratifs unilatéraux. Ont ainsi été
mises en place de nombreuses procédures imposant la consultation — obligatoire ou
facultative — d’organismes divers et variés, des procédures d’enquête publique auprès des
intéressés ou encore des concertations entre administrations43. Parallèlement à ces procédures
consultatives, le décret du 28 novembre 1983 a étendu le champ d’application du principe du
contradictoire. En effet, selon l’article 8 du décret, les décisions défavorables émanant d’autorités
de l’Etat « ne peuvent légalement intervenir qu’après que l’intéressé ait été mis à même de

42
Ainsi, la publicité des actes réglementaires se fait par publication au Journal Officiel ou dans un journal d’annonces
légales, tandis que celle des décisions individuelles s’opère par notification aux intéressés.
43
Ces procédures consultatives sont désormais en grande partie réglementées par un décret du 28 novembre 1983
concernant les relations entre l’administration et les usagers qui précise notamment les règles de quorum, les
conditions de convocations… des organismes consultés.

21
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présenter des observations écrites ». Ce dialogue obligatoire permet une meilleure compréhension
de la mesure et d’éviter un éventuel contentieux.
Dans le même esprit de transparence de l’action administrative, le législateur a complété la
procédure administrative non contentieuse en rendant obligatoire la motivation de certains actes
administratifs unilatéraux. Au préalable, il faut préciser qu’en général le droit administratif
n’exige pas un important formalisme : pour preuve, il est admis que certaines décisions soient
implicites et résultent uniquement du silence de l’administration pendant un certain délai.
Cependant il existe certaines formalités substantielles, comme par exemple la signature de
l’auteur de la décision pour les actes écrits, ou la motivation de l’acte. Traditionnellement
l’administration française n’était pas tenue de motiver ses décisions. Cependant, la loi du
11 juillet 1979 l’oblige dorénavant à motiver les décisions individuelles défavorables aux
intéressés et les décisions dérogeant aux règles générales fixées par la loi ou le règlement. Le
texte précise notamment que doivent être motivées les décisions qui « restreignent l’exercice
d’une liberté publique, ou de manière générale constitue une mesure de police », les décisions qui
« infligent une sanction », les décisions qui « retirent ou abrogent une décision créatrice de
droits », les décisions qui « opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance », les
décisions qui « refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui
remplissent les conditions légales pour l’obtenir » et enfin les décisions « qui refusent une
autorisation ». Dans ces hypothèses, la motivation constitue une formalité substantielle dont le
défaut entraîne l’illégalité de l’acte pour vice de forme.

B : L’entrée en vigueur des actes administratifs unilatéraux

Pour entrer en vigueur, c'est-à-dire produire des effets juridiques, l’acte administratif unilatéral
doit impérativement avoir fait l’objet de formalités de publicité. Cette publicité prend la forme
d’une notification aux intéressés pour les décisions individuelles ou d’une publication pour les
actes réglementaires (insertion au Journal Officiel, affichage…). Cette publicité a pour effet de
rendre l’acte opposable aux intéressés : à défaut l’acte reste inopposable44.
Un autre principe concernant l’entrée en vigueur des actes administratifs unilatéraux est leur non
rétroactivité. En vertu d’un principe général du droit reconnu dans l’arrêt Société du journal
l’Aurore45, les actes administratifs ne peuvent en effet avoir d’effet rétroactif sauf si une loi
l’autorise expressément.

C : La sortie de vigueur des actes administratifs unilatéraux

En théorie et sauf disposition contraire, un acte administratif a vocation à s’appliquer sans


limitation de durée. Certes il arrive que certains actes fixent eux-mêmes la durée de leur
application de manière explicite ou implicite ; ils deviennent alors caducs une fois ce temps
expiré. Mais en en dehors de ces hypothèses, la disparition de l'acte administratif ne peut résulter
que d'une manifestation de volonté de son auteur d’y mettre fin : la sortie de vigueur de l’acte
requiert lors soit une décision d’abrogation, soit une décision de retrait.

44
La publicité a pour autre conséquence de faire courir les délais de recours.
45
C.E. 25 juin 1948, Société du Journal l’Aurore, Rec. 259

22
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1. L’abrogation

L'abrogation est une décision qui met fin aux effets de l’acte administratif initial pour l'avenir : il
s’agit soit de le remplacer par un acte différent, soit de le supprimer purement et simplement. Les
règles concernant l’abrogation sont relativement simples mais varient selon qu’il s’agit de faire
disparaître un acte réglementaire ou une décision individuelle.
S’agissant des actes réglementaires, le principe est que nul n’a de droit acquis à leur maintien. Le
règlement, parce qu’il est impersonnel et général, peut toujours être modifié ou supprimé pour
l’avenir. Cette faculté pour l’administration d’abroger un acte réglementaire à tout moment
devient même une obligation d’abroger lorsque l’acte est illégal. En effet, le Conseil d’Etat a
confirmé dans un arrêt Alitalia de 1989 que « l'autorité compétente saisie d'une demande tendant
à l'abrogation d'un règlement illégal est tenue d'y déférer soit que ce règlement soit illégal ab
initio, soit que l'illégalité résulte de circonstances de fait ou de droit postérieures à cet acte46 ». En
vertu de cette jurisprudence qui consacre un principe général du droit, l’administration ne peut
donc laisser en vigueur un règlement illégal : elle doit impérativement l’abroger.
S’agissant des décisions individuelles, leur abrogation est possible à tout moment si elles n’ont
pas fait acquérir de droits sous la condition de respecter le parallélisme des formes (c'est-à-dire
que l’abrogation doit émaner de l’autorité qui a pris cette décision statuant selon la même
procédure). Par opposition lorsque la décision individuelle constitue un acte créateur de droits47,
son abrogation n’est possible que si elle est expressément prévue et organisée par un acte
législatif ou réglementaire : en dehors de ces hypothèses et sauf exceptions, l’abrogation d’un acte
créateur de droit n’est pas possible. En outre, il convient de préciser à propos des actes
individuels que jusqu’à présent, la jurisprudence n’a pas reconnu d’obligation d’abroger les
décisions illégales. Cette solution est logique car s’agissant de décision pouvant créer des droits
juridiquement protégés il convient de concilier respect du principe de légalité et sécurité
juridique.

2. Le retrait.

Les règles concernant le retrait sont beaucoup plus complexe car sa portée est rétroactive. Quand
l'administration retire un acte on considère qu'il n'a jamais existé et qu'il n'a produit aucun effet.
Se pose donc ici un sérieux problème de sécurité juridique : en effet, il ne faut pas que
l’administration puisse trop aisément retirer des actes ayant créé des droits. C’est pourquoi on
retrouve le régime de retrait ne repose pas sur la distinction entre acte individuel et acte
réglementaire mais sur la distinction entre acte créateur de droits et acte non créateur de droits.
S’agissant des actes non créateurs de droits, leur retrait est possible à tout moment et pour
n’importe quel motif48. Il faut cependant nuancer cette affirmation en précisant que la

46
C.E. 3 février 1989, Cie Alitalia, Rec. p. 44
47
Il faut ici précise que toutes les décisions unilatérales ne sont automatiquement pas créatrices de droits. Par acte
créateur de droits, on entend généralement un « acte unilatéral individuel, qui confère à un administré un avantage
juridiquement protégé ».
48
Par exemple, une sanction disciplinaire peut toujours être retirée.

23
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jurisprudence et la doctrine sont incertaines quant aux possibilités de retrait des actes
réglementaires, notamment pour des considérations d’opportunité49.
S’agissant des actes créateurs de droits, la conciliation entre sécurité juridique et respect du
principe de légalité conduit à interdire tout retrait à partir du moment ou leur légalité ne peut plus
être remise en cause directement devant le juge administratif. Dès lors le retrait des tels actes est
toujours impossible lorsqu’ils sont légaux50. En revanche, lorsque l’acte créateur de droits est
illégal, l’administration dispose du délai du recours contentieux (deux mois) pour retirer l’acte et
corriger ainsi l’illégalité51. Il faut souligner que ce délai de recours contentieux ne court qu’à
compter de l’achèvement des formalités de publicité dont l'acte doit faire l'objet : tant que cette
publicité (publication ou notification) n’est pas achevée le délai de recours ne court pas52.

D : L’exécution des actes unilatéraux

Pour garantir la prompte et bonne exécution de ses actes administratifs unilatéraux,


l’administration dispose d’une part du privilège du préalable et d’autre part, du privilège de
l’exécution d’office.

1. Le privilège du préalable

L’exécution des actes administratifs unilatéraux est domainée par l’existence du privilège du
préalable. Celui-ci comporte deux aspects essentiels. Le privilège du préalable permet tout
d’abord à l’administration d’imposer aux particuliers des droits et obligation sans leur
consentement. L’acte administratif est ainsi exécutoire par lui-même et s’applique
immédiatement du seul fait de son édiction. En effet, l’autorité publique n’a pas besoin de faire
appel au juge pour rendre obligatoire sa décision et modifier la situation de l’administré.
Le privilège du préalable suppose également que toute décision administrative bénéficie d’une
présomption de régularité. Cela explique que le recours en excès de pouvoir n’a pas d’effet
suspensif : l’acte continue à produire ses effets tant que le juge n’a pas constaté l’illégalité de
l’acte. Les administrés doivent donc se conformer à l’acte même s’ils ont intenté un recours
contre celui jusqu’à temps que le juge le déclare illégal.
Comme le résume André De LAUBADERE, par ce privilège du préalable, « on veut dire que
l’administration se trouve dispensée, pour réaliser ses droits, de s’adresser préalablement à un
juge ; si l’administré conteste les prétentions de l’administration, c’est lui qui devra saisir le
juge…53 »

2. Le privilège de l’exécution d’office

49
Il semble que pour une grande partie de la doctrine, que le retrait d’un règlement ne peut être effectuer par
l'autorité administrative de sa propre initiative ou sur recours gracieux seulement dans le délai du recours contentieux
et à la condition qu’il soit illégal. Sur ce point, voir C.E. 14 novembre 1958, Ponard, Rec. p. 554
50
C.E. 21 novembre 1947, Dlle Ingrand, Rec. p. 430
51
C.E. 3 novembre 1922, Dame Cachet, Rec. p. 790
52
C.E. 6 mai 1966, Ville de Bagneux, Rec. p. 303
53
A. De LAUBADERE, J.-Cl. VENEZIA, Y. GAUDEMET, Traité de Droit Administratif, t. 1., L.G.D.J, 15ème éd.,
1999, n° 977

24
Droit administratif RANDRIAMAHEFA Tefialivelo

En théorie les administrés sont tenus de se conformer aux prescriptions des actes administratifs
unilatéraux dès leur édiction. Cependant, il arrive parfois que des particuliers refusent de se
soumettre : aussi l’administration doit-elle pouvoir intervenir afin de contraindre ces administrés
récalcitrants et assurer la correcte exécution de ses actes. Pour cela elle dispose du privilège
d’exécution (ou action) d’office (ou forcée). Ce privilège signifie que l’administration peut
employer la contrainte contre le particulier réfractaire en recourant à la force publique et sans
saisir le juge : par sa nature même, cette prérogative de l’administration est exorbitante du droit
commun. Toutefois, ce recours à la force ne constitue pas le droit commun ; il reste subsidiaire
puisqu’aux termes d’un arrêt du Tribunal de Conflits du 2 décembre 190254, l’exécution d’office
n’est possible que dans trois hypothèses.
• Le recours à la force publique pour faire exécuter un acte administratif unilatéral est tout
d’abord possible quand la loi le prévoit expressément. Ainsi on donne traditionnellement
l’exemple de la loi du 3 juillet 1877 relative aux réquisitions militaires qui autorise le recours à
la force contre le « mauvais vouloir des habitants ».
• Ensuite, l’exécution forcée est possible en cas d’urgence. Comme l’observait ROMIEU dans
ses conclusions sous l’affaire Société immobilière Saint-Just « il est de l’essence même du
rôle de l’administration d’agir immédiatement et d’employer la force publique lorsque l’intérêt
immédiat de la conservation publique l’exige ; quand la maison brûle, on ne va pas demander
au juge l’autorisation d’y envoyer les pompiers ». Bien évidemment, l’administration ne peut
pas librement se prévaloir d’une situation d’urgence : elle opère toujours sous le contrôle du
juge qui vérifie si cette condition d’urgence est respectée.
• Enfin, l’action d’office demeure possible en l’absence pour l’administration d’autres voies de
droit pour exécuter la mesure. Cette absence d’autres voies de droit désigne non seulement
l’inexistence de sanctions pénales pour sanctionner l’administré récalcitrant, mais aussi le
défaut de tout procédé légal (notamment des actions judiciaires) permettant de contrer cette
résistance.
Lorsque l’administration procède à une exécution forcée en dehors de ces trois hypothèses ou
encore lorsqu’il n’y pas résistance de l’administré, elle commet une faute de nature à engager sa
responsabilité. Si, en outre, cette exécution forcée porte atteinte à la propriété privée ou à une
liberté, elle sera également consécutive d’une voie de fait conduisant à la compétence exclusive
du juge judiciaire.

§ 2 : Les contrats administratifs

Parallèlement aux actes administratifs unilatéraux, l’administration peut recourir à un procédé


moins exorbitant du droit commun : le contrat. Cependant le particularisme de l’activité
administrative, tant le but de service public que ses prérogatives de puissance publique, ont
forcément engendré des altérations du droit privé.

A : Distinction entre contrat administratif et contrat de droit privé

54
T.C. 2 décembre 1902, Société immobilière St-Just, Rec. p. 713

25
Droit administratif RANDRIAMAHEFA Tefialivelo

D’emblée il faut préciser que l'administration peut passer soit des contrats de droit privé
classiques, soit des contrats plus spécifiques, à savoir les contrats administratifs

1. Critères du contrat administratif

Pour être qualifié de contrats administratifs, les conventions signées doivent répondre à une
première condition systématique : il faut qu’au moins une des deux parties cocontractantes soit
une personne publique. En effet, sauf de rares exceptions, un contrat conclu entre deux personnes
privées est toujours considéré comme un contrat de droit privé55. Inversement les contrats conclus
entre deux personnes publiques sont présumés revêtir un caractère administratif56 : il s’agit
cependant d’une présomption simple qui peut être renversée. Mais excepté cette présomption, il
ne suffit pas qu'une personne publique ait signé le contrat pour que celui-ci devienne ipso-facto
un contrat administratif : le contrat doit répondre à au moins l’un des critères suivant :
• tout d’abord, le contrat est administratif s'il a pour objet de faire participer le cocontractant de
l'administration à un service public57.
• ensuite, un contrat sera également qualifié de contrat administratif s'il renferme des clauses
exorbitantes du droit commun58, c'est-à-dire des stipulations ayant pour objet de conférer aux
parties des droits ou des obligations étrangers par leur nature à ceux qui sont susceptibles d'être
librement consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles ou commerciales.
• enfin, certains contrats seront aussi considérés comme des de contrat administratif du fait que
leur régime est exorbitant et dérogatoire du droit commun.

Outre ces trois critères identifiés par la jurisprudence, certains contrats sont administratifs par
détermination de la loi. Tel est le cas des contrats comportant occupation du domaine public, des
marchés de travaux publics ou encore des emprunts consentis par l’Etat.

2. Diversité des contrats administratifs

Les administrations peuvent conclure différentes sortes de contrats administratifs : cette diversité
des contrats dépend en grande partie de leur objet. La distinction principale concerne celle qui
divise d’une part, les marchés publics et d’autre part, les contrats de délégation de service public.
Les concessions de service public ont pour objet de confier au concessionnaire l’exploitation
d’un service public à ses risques et périls. En contrepartie le concessionnaire se rémunère sur les
usagers ; en effet ceux-ci doivent acquitter des redevances pour profiter de la prestation de
service59. Au contraire, les marchés publics sont des contrats, passés dans les conditions du
Code des marchés publics, par les collectivités publiques en vue de la réalisation de travaux,
fournitures et services. Il ne s’agit donc nullement pour la personne publique de confier à un tiers
l’exploitation d’un service public, mais d’acquérir des biens, de faire réaliser des travaux publics
ou encore de solliciter des prestations de service. Outre leur objet, ces contrats se différencient

55
T.C. 3 mars 1969, Société Interlait, Rec. p; 682
56
T.C. 21 mars 1983, Union des Assurances de Paris (UAP), Rec. p. 537
57
C.E. 20 avril 1956, Epoux Bertin, Rec., p. 167
58
C.E. 31 juillet 1912, Granites porphyroïdes des Vosges, Rec., p. 909
59
Voir supra.

26
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également des concessions par le critère de la rémunération60 ; ainsi quand le cocontractant de


l’administration est rémunéré par le versement d’un prix, il s’agit d’un marché public. Au
contraire quant le cocontractant de l’administration est rémunéré grâce aux redevances des
usagers, il s’agit d’une concession de service public.
Outre ces deux principales catégories de contrats administratifs, on peut aussi mentionner les
contrats d’occupation du domaine public qui ont pour objet de permettre à des particuliers
d’occuper temporairement les parcelles du domaine public, c'est-à-dire des propriétés publiques
soumises à un régime particulier parce qu’elles sont affectées à l’utilité publique et qu’elles sont
spécialement aménagées en vue de cette affectation. Sans entrer dans une énumération longue et
fastidieuse, il est aussi possible de signaler l’existence des contrats d’offre de concours par
lesquels une personne publique accepte une contribution d’un cocontractant intéressé par la
réalisation de travaux publics.

B : Exécution des contrats administratifs

Le fait de qualifier une convention de contrat administratif a une très grande incidence sur son
régime car cela permet à l'administration de bénéficier de prérogatives qui n'existent pas en droit
privé ; on a ici un exemple particulièrement frappant du caractère inégalitaire du droit
administratif. Ces prérogatives de la partie cocontractante publique sont nombreuses.
Premièrement, elle dispose d'un pouvoir de direction et de contrôle de son cocontractant.
Deuxièmement, en cas de manquement aux stipulations du contrat ou aux instructions émises
dans l’exercice du pouvoir de direction, l’administration peut infliger des sanctions : il peut s’agir
de pénalités pécuniaires, de la mise à l’écart du cocontractant par substitution d’un tiers ou par
l’administration elle-même et enfin de la résiliation pour faute.
Troisièmement, la puissance publique possède un pouvoir de modification unilatérale du contrat.
Elle ne peut cependant utiliser cette prérogative que pour un motif d’intérêt général et que sous
réserve que la révision du contrat ne porte sur les clauses financières du contrat61.
Quatrièmement; l'administration peut résilier le contrat de façon unilatérale en dehors de toute
faute du cocontractant : pour résilier un contrat elle doit alors se fonder sur l'intérêt du service et
garantir à son partenaire une réparation intégrale du préjudice que cause cette mesure d’intérêt
général mettant fin au contrat.

Face aux nombreuses prérogatives de l'administration le cocontractant dispose cependant d'une


garantie essentielle, à savoir le droit à l'équilibre financier du contrat : lorsque l’utilisation de ses
prérogatives exorbitantes par l’administration entraîne un accroissement des charges de son
partenaire, elle a obligation de procéder à une indemnisation de celui-ci.

Chapitre 3 : Le contrôle de l’action administrative

Section 1 : Les auteurs du contrôle

60
C.E. 26 novembre 1971, S.I.M.A., Rec. p. 723
61
CE 2/2/83 Union des transports publics urbains et régionaux, Rec. p. 33

27
Droit administratif RANDRIAMAHEFA Tefialivelo

Pour des raisons historiques, il existe en France deux ordres de juridictions. Tandis que la Cour
de Cassation se trouve à la tête de l’ordre juridictionnel judiciaire, le Conseil d’Etat assure la
fonction de cour suprême de l’ordre juridictionnel administratif.

§ 1 : L’existence d’un ordre de juridiction spécialisé

La dualité de juridictions résulte de la loi des 16 et 24 août 1790 qui interdit aux tribunaux
judiciaires de connaître des actes de l’administration. Cette loi très défavorable au juge judiciaire
est une réaction des révolutionnaires contre l’opposition systématique à toute tentative de réforme
des Parlements de l’Ancien Régime qui exerçaient alors la fonction judiciaire. A titre de rappel,
les litiges auxquels l’administration était partie furent dans un premier temps confiés à
l’administration elle-même ; c’est le système de l’administrateur juge. C’est depuis la loi du 24
mai 1872 que l’on passe officiellement en France d’un système de justice retenue par le Roi à
celui de la justice déléguée par le peuple souverain au Conseil d’Etat. Le système de
l’administrateur juge perdura toutefois jusqu’en 1889, date à laquelle la compétence de droit
commun en premier ressort fut transférée au Conseil d’Etat62. Si la loi qui confère la justice
déléguée au Conseil d’Etat est donc déjà fort ancienne, ce n’est que nettement plus récemment
que le juge administratif s’est vu accordé un statut constitutionnel. En effet, il a fallu attendre la
décision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 1987 pour que l’existence de la juridiction
administrative soit constitutionnalisée. Encore faut-il préciser le juge administratif ne voit son
existence constitutionnellement garantie qu’au travers de sa compétence exclusive pour annuler
ou réformer les actes de l’administration63.

§ 2 : La répartition des compétences

Le dualisme juridictionnel n’est pas sans soulever quelques difficultés. La principale réside dans
la détermination de l’ordre juridictionnel compétent, car il n’existe pas de critère unique pour
définir la compétence du juge administratif par rapport à la compétence du juge judiciaire.

A : Le partage des compétences

Brièvement, on peut dire qu'un litige est de la compétence du juge administratif lorsqu’une est en
cause une activité administrative : ceci entraîne l'exclusion de la compétence du juge administratif
des litiges entre particuliers, des litiges mettant en cause le parlement et dernièrement des litiges
relatifs au fonctionnement de la juridiction judiciaire. Mais cet exposé sommaire de la répartition
des compétences est très insuffisant en pratique. Dans les faits, les praticiens se fondent sur une

62
C.E. 13 décembre 1889, Cadot, Rec., p; 1148
63
En vertu de cette décision, « relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation
ou la réformation des décisions prises dans l'exercice des prérogatives de puissance publique par les autorités
exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités locales ou les organismes publics... » Désormais,
concernant le contentieux de l'annulation et de la réformation des actes administratifs, c'est-à-dire le contentieux de
leur légalité, le législateur ne peut toucher à la compétence des juridictions administratives : une loi ne peut donc plus
transférer ce type de contentieux au juge judiciaire, sauf hypothèses exceptionnelles motivées par le bon intérêt de la
justice.

28
Droit administratif RANDRIAMAHEFA Tefialivelo

pluralité de critères comme la nature des actes de l'administration, la nature de l’activité exercée,
la nature des choses utilisées, l’emploi de prérogatives de puissance publique…

B : Le Tribunal des Conflits, gardien de ce partage des compétences

La complexité des règles de compétence peut être source de conflit lorsque juridictions judiciaires
et administratives se déclarent toutes deux compétentes ou incompétentes. Lorsqu'un pareil
conflit de compétence se produit, aucune des juridictions administratives ou judiciaires ne peut
imposer sa solution à l'autre car aucune n'a prééminence sur l'autre. C’est pourquoi a été créé par
une loi du 24 mai 1872 (qui reprend un texte de 1849) le Tribunal des Conflits. C’est une
juridiction paritaire présidée par le garde des sceaux ou les deux ordres de juridiction sont
représentés à égalité64. Le Tribunal des Conflits intervient exclusivement pour trancher une
question de compétence entre le juge administratif et le juge judiciaire. Il peut être saisi suivant
deux hypothèses :
Tout d’abord il peut connaître des conflits positifs ; il y a conflit positif d'attribution
lorsqu'un tribunal de l'ordre judiciaire prétend être compétent à propos d’un litige alors
que l'administration soutient au contraire que ce litige relève de la compétence du juge
administratif. En pareil cas, le préfet peut adresser au tribunal judiciaire saisi, un
déclinatoire de compétence. Si le juge judiciaire rejette ce déclinatoire, le préfet dispose
d'un délai de 15 jours pour élever le conflit en adoptant un arrêté de conflit qui oblige le
juge judiciaire à surseoir à statuer. Une fois saisi, le Tribunal des Conflits peut soit
approuver l'arrêté de conflit et donc refuser la compétence au juge judiciaire, soit annuler
l'arrêté de conflit et confirmer la compétence de l’ordre judiciaire.
Le Tribunal des Conflits peut aussi connaître des conflits négatifs ; pareil conflit existe
quand les deux ordres de juridiction se sont déclarés successivement incompétents. Dans
ce cas le dernier tribunal saisi doit lui même saisir le TC qui indiquera la juridiction
compétente.
Sauf hypothèse exceptionnelle, le Tribunal des Conflits ne tranche que des questions de
compétence ; il ne règle pas le litige au fond, il ne donne pas de solution définitive ; il se contente
de préciser quel juge est compétent.

§ 3 : L’organisation des juridictions administratives

Chaque ordre juridictionnel forme un ensemble distinct, hiérarchisé dont chacun a au sommet un
tribunal suprême (Cour de Cassation et Conseil d’Etat). L'ordre juridictionnel administratif se
décompose en trois niveaux de juridiction auxquels il faut adjoindre des juridictions spécialisées.
Le Conseil d'Etat : c'est sans doute l'institution administrative la plus importante. Il
comporte 6 sections dont une seulement s'occupe du contentieux administratif. Les 5
autres sections administratives jouent le rôle de conseiller juridique du gouvernement65.
Elles ont des activités purement consultatives et non juridictionnelles. La Section du
Contentieux est organisée en 10 sous-sections qui sont les formations de jugement de

64
En pratique le garde des sceaux n’intervient que rarement, essentiellement en cas de partage des voix.
65
Ces 5 sections sont la section de l’intérieur, la section des finances, la section des travaux publics, la section sociale
et la section du rapport et des études

29
Droit administratif RANDRIAMAHEFA Tefialivelo

base. Le Conseil d’Etat est la juridiction suprême de l'ordre juridictionnel administratif ; il


est juge d'appel pour certaines décisions juridictionnelles, mais est surtout le juge de
cassation de tout l'ordre administratif.
Les cours administratives d'appel (CAA) : contrairement au Conseil d’Etat qui a été
créé au XIXème siècle, les CAA sont une création récente car elles ont été instaurées par
la loi du 31 décembre 1987. Elles sont dirigées chacune par un Conseiller d'État et sont au
nombre de 7 ( Paris, Nancy, Lyon, Nantes, Bordeaux, Marseille, Douai). Ce sont les
juridictions d'appel de droit commun de l'ordre juridictionnel administratif, c'est-à-dire
qu'elles connaissent des appels contre l'essentiel des jugements des Tribunaux
administratifs.
Les tribunaux administratifs : ils sont les héritiers des anciens conseils de préfecture
auxquels ils ont succédé en 1953. Il existe 35 Tribunaux administratifs en France ; ils sont
juge de 1er ressort, sauf hypothèse particulière, c'est-à-dire qu’ils sont juge de droit
commun dans leur ressort territorial.

A coté des ces juridictions administratives de droit commun, il existe des juridictions
spécialisées : celles-ci sont fort nombreuses et il est pratiquement impossible d'en faire une
classification homogène. Ces juridictions spéciales peuvent comporter soit un ou deux degrés ; le
seul point commun dans cette mosaïque de juridictions est leur soumission systématique au
contrôle de cassation du Conseil d’Etat66.

Section 2 : Le contrôle de la légalité

Le juge administratif est susceptible de connaître de plusieurs types de recours contentieux.


Malgré cette diversité, il existe des règles communes à tous les recours portés devant un juge
administratifs.
• Tout d’abord le contentieux devant les juridictions administratives est toujours subordonné, à
l'exception de la matière des travaux publics, à l'existence d'une décision préalable de
l'administration. Cette règle signifie que le requérant doit d’abord susciter une décision de
l’administration et ensuite seulement saisir le juge administratif67. Le plaideur qui néglige de
solliciter une décision préalable est irrecevable.
• Ensuite, la procédure administrative contentieuse présente un caractère écrit. Les parties ne
peuvent en effet que déposer des requêtes et mémoires par lesquels elles exposent leurs
prétentions et conclusions et développent les moyens qu'elles articulent à l'appui des ces
conclusions. Des observations orales peuvent certes être formulées, mais l’essentiel de la
procédure demeure écrit.
• Enfin la procédure administrative est inquisitoriale. Cela signifie qu’il appartient au seul juge
administratif de diriger l'instruction : il communique les pièces aux parties et détermine le
délai de production des pièces et fixe les mesures d'instruction et d'expertise. Il joue donc un

66
La plus prestigieuse de ces juridictions est la Cour des Comptes qui, avec les Chambres Régionales des Comptes
juge les comptes des comptables publics.
67
Cependant, l'administration n'est pas tenue de répondre à une demande d’un requérant : toutefois, si l'administration
n'a pas répondu à une demande d'un requérant au bout de deux mois, ce silence équivaut, sauf texte contraire, à une
décision implicite de rejet. C'est cette décision implicite de rejet qui fera l'objet du recours.

30
Droit administratif RANDRIAMAHEFA Tefialivelo

rôle actif dans la recherche des preuves. Bien sûr cette procédure est aussi secrète puisque les
tiers à l'affaire ne peuvent avoir accès au dossier.

§ 1 : Le Recours en excès de pouvoir et les recours de plein contentieux

A. Présentation des principaux types de contentieux administratif

Le contentieux administratif se divise en deux grands types de recours qui sont fonction des
pouvoirs dont dispose le juge. Il est possible d’identifier tout d’abord le contentieux de
l'annulation qui permet au juge administratif de reconnaître l'illégalité d'un acte administratif et
d'en prononcer l'annulation. A ce contentieux de l’annulation, on oppose le contentieux de la
pleine juridiction : ce type de contentieux permet au juge d’employer la plénitude de ses
pouvoirs juridictionnels et d’aller au-delà de la simple annulation de la décision attaquée
(notamment en accordant des indemnités). Le contentieux de pleine juridiction se caractérise par
son hétérogénéité ; il concerne notamment le contentieux de la responsabilité, le contentieux
contractuel, le contentieux fiscal, le contentieux électoral, le contentieux des installations classées
et le contentieux des édifices menaçant ruine… A titre accessoire, il existe deux autres catégories
de recours contentieux ; le contentieux de la répression qui permet au juge de condamner
pénalement des personnes ayant commis ce qu’on appelle des contraventions (de grande voirie).
Enfin, il faut mentionner le contentieux de l'interprétation qui correspond aux hypothèses où le
juge administratif doit apprécier la validité d'un acte ou l'interpréter mais sans l’annuler. C’est
l’hypothèse dans laquelle le juge administratif est saisi d’une question préjudicielle posée par le
juge judiciaire quant à l’interprétation ou à l’appréciation de la légalité d’un acte.

B. Le Recours pour excès de pouvoir

Le recours pour excès de pouvoir se présente comme un procès fait à l'acte selon formule de
Edouard LAFERRIERE. En effet, il peut se définir comme un recours tendant à l’annulation d’un
acte administratif en raison de sa violation d’une règle de droit. Le recours pour excès de pouvoir
n’est pas la seule voie de droit existant au sein du contentieux de l’annulation. Il existe d’autres
recours68, mais ceux-ci sont nettement moins fréquent que le recours pour excès de pouvoir et ne
constituent en fin de compte que des variantes.
Lors d’un recours pour excès de pouvoir, la question posée au juge administratif est purement
objective : l'acte attaqué est-il légal ? Il ne s'agit pas pour le juge administratif de dire si le
requérant est titulaire de droits ou d’obligations à l'encontre de l'administration, mais seulement
de dire si l’acte a violé ou non une règle de droit supérieure. Cette objectivité du contentieux de
l’excès de pouvoir emporte certaines conséquences :

68
Subsidiairement, il faut constater l’existence de deux autres recours en annulation : tout d’abord, le déféré
préfectoral qui est une sorte de recours pour excès de pouvoir ouvert au seul préfet dans le cadre de sa tutelle sur les
collectivités locales : ensuite, le recours en déclaration d'inexistence qui concerne les actes administratifs auxquels
il manque un élément tellement essentiel à leur légalité, qu'il n'y a même pas besoin de l'annuler, et que le juge
déclare simplement "nul et de nul effet" ou "nul et non avenu".

31
Droit administratif RANDRIAMAHEFA Tefialivelo

• Autorité absolue de la chose jugée ; l'annulation de l’acte illégal joue erga omnes c'est-à-dire
qu’elle vaut à l'égard de tous et pas seulement à l’égard des parties au litige.
• Recours d'utilité publique : le recours pour excès de pouvoir ayant pour objet la sauvegarde de
la légalité des actes administratifs, il n’est pas nécessaire qu’il soit prévu par un texte69. C'est
également ce caractère de recours d'utilité publique qui explique que les requérants soient
dispensés du ministère d'avocat
• Recours d'ordre public : les administrés ne peuvent renoncer ni à l'exercice du recours, ni au
bénéfice de la chose jugée. En d'autres termes, le consentement donné par un particulier à une
décision administrative ne supprime pas le droit de cet administré de contester ultérieurement
l’acte.

S’agissant de la recevabilité du recours pour excès, il faut préciser qu’un administré ne peut
intenter un tel recours qu’à l’encontre d’actes administratifs unilatéraux, c'est-à-dire contre des
actes présentant un caractère décisoire faisant grief70. Ne peuvent donc faire l’objet d’un recours
pour excès de pouvoir les contrats administratifs, les circulaires, les directives, les mesures
préparatoires ou encore les mesures d’ordre intérieur. Lorsque le requérant attaque bien un acte
administratif unilatéral, encore faut-il qu’il respecte les délais : en effet, le recours est recevable
seulement s’il a été formé dans les deux mois suivant la publication ou la notification de l’acte
attaqué. Si le recours est jugé recevable, reste alors au juge à se prononcer sur la légalité de l’acte
et seulement sur la légalité.

§ 2 : Les cas d’annulation

Les moyens d’annulation d’un acte administratif unilatéral sont nombreux. Depuis Edouard
LAFERRIERE, ces moyens sont regroupés en deux grandes causes juridiques ; les moyens
légalité externe qui permettent théoriquement d’apprécier la validité de l’acte sans lire son
contenu, et les moyens légalité interne qui nécessitent la lecture du contenu de l’acte.

A : Les moyens de légalité externe.

1. L’incompétence

C’est l’illégalité tenant à l’auteur de l’acte. Le Conseil d’Etat a très tôt sanctionné les moyens tirés
de l'incompétence (CE 28 mars 1807, Dupuy Briace). On estime qu’il y a incompétence de
l’auteur de l’acte attaquée, lorsque celui-ci n’avait pas l'aptitude juridique pour l’adopter. Cette
incompétence est de plusieurs ordres :
• incompétence matérielle : c’est l’hypothèse dans laquelle l’auteur de l’acte intervient dans
une matière étrangère à ses attributions.
• incompétence territoriale : c’est l’hypothèse dans laquelle l’autorité administrative a édicté
un acte qui dépasse le domaine territorial de ses compétences.

69
C.E. 17 février 1959, Dame Lamotte, Rec. p. 110
70
Voir supra

32
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• incompétence temporelle : c’est l’hypothèse dans laquelle l’autorité administrative a édicté un


acte administratif unilatéral alors quelle n’était pas encore ou n’était plus compétente pour
édicter cet acte au moment où elle a pris cet acte.

2. Les vices de procédure et les vices de procédure.

Le vice de procédure est la violation d'une des règles organisant la procédure d'élaboration des
décisions administratives. Bien qu’il n’existe pas en France de code de procédure administrative,
ces règles sont nombreuses et diverses ; il s’agit par exemple pour l’autorité administrative de
solliciter parfois un avis préalable ou encore de procéder à une enquête publique. La violation des
règles de procédure entraîne normalement l’annulation de l’acte ; Cependant, le juge administratif
estime que l’annulation systématique de l’acte pour violation des règles de procédure n’est pas
dans l’intérêt de la justice : c’est pourquoi il distingue entre formalités substantielles et formalités
accessoires. Selon le juge administratif, il n'y a lieu d’annuler l’acte que si la formalité prescrite
par les textes était substantielle. Présentent un tel caractère substantiel les procédures et formalités
ayant d’une part, une influence essentielle sur le contenu de la décision et d’autre part, celles qui
ont été créées pour protéger les administrés.
Contrairement au vice de procédure qui affecte le processus de l'élaboration de l'acte, le vice de
forme concerne la présentation externe de l'acte. Il s’agit notamment des obligations tenant à la
signature l’acte, au contreseing, aux mentions obligatoires ou encore à la motivation de l’acte. La
violation de ces obligations est de nature à entraîner l’annulation de l’acte, mais le juge fait
souvent preuve d’une certaine souplesse (à l’exception de l’obligation de motivation qui est
rigoureusement contrôlée).

B : Les moyens de légalité interne.

1. Le détournement de pouvoir : illégalité tenant au mobile de l’acte.

C’est un des moyens les plus graves d’annulation d’un acte administratif unilatéral. Il
consiste à sanctionner l'administration ayant usé de ses pouvoirs en vue d'un objectif autre que
celui pour lequel ses pouvoirs lui ont été confiés. Si l'administration agit avec une intention ne
correspondant pas au but qu'elle devait poursuivre, elle accomplit un détournement de pouvoir.
Est ainsi annulé l’acte ayant pour mobile les préoccupations d’ordre privé de l'auteur de l'acte
(vengeance ; concussion ; volonté de nuire), l’acte pris dans l'intérêt d'une personne privée ou d'un
groupement privé (volonté de favoriser des tiers ; motifs politiques), l’acte pris à raison de
préoccupations d’intérêt public mais dans un intérêt public qui n’était pas celui pour lequel la
compétence a été conférée71.

2. Violation directe de la loi.

La violation directe de la loi est la méconnaissance d'une norme de fond établie par une source
supérieure. C’est donc une illégalité tenant au contenu lui-même de l’acte qui est contraire aux
71
Constitue ainsi un détournement de pouvoir le fait pour une autorité administrative d’user de ses pouvoirs de police
non en vue du maintien de l'ordre public mais pour assurer le fonctionnement des services publics.

33
Droit administratif RANDRIAMAHEFA Tefialivelo

prescriptions de textes d’une valeur supérieure. C'est la situation la plus caractéristique de l'excès
de pouvoir : l'action administrative viole les principes qu'elle doit respecter.

3. Erreur de droit.

L'erreur de droit concerne non pas le contenu de l’acte proprement dit mais les motifs de droit qui
le fondent. En effet, dès lors que l'autorité administrative applique un texte ou un principe de
façon erronée, elle commet une erreur de droit. Plusieurs hypothèses peuvent être observées :
• application d'un texte autre que celui qui était normalement applicable. Le juge administratif
estime qu'il y a erreur quant à la base légale sur laquelle l'acte considéré a été pris.
• acte administratif unilatéral pris sur le fondement d’un texte réglementaire illégal.
• acte administratif pris sur le fondement d’un texte légal et applicable mais interprété de
manière incorrecte par l’autorité administrative.
L'illégalité d'une décision pour défaut de base légale n'est pas irrémédiable car elle n’emporte pas
ipso facto l’annulation. Le juge administratif peut régulariser la décision en la rattachant à un
fondement adéquat, c'est-à-dire en opérant une substitution de base légale.

4. Erreur sur l’exactitude matérielle des faits.

Cette erreur concerne aussi les motifs du fondement. Ce contrôle, institué en 1916 par
l'arrêt Camino72, consiste pour le juge administratif à vérifier que les faits avancés par
l’administration pour motiver sa décision existent réellement : c’est pourquoi on qualifie
également ce contrôle de contrôle de matérialité des faits. Si le fait sur lequel l'acte déclare se
fonder ne s'est pas produit, n'a jamais existé, alors l'acte administratif perd sa justification en
l'absence de motif réel et doit être annulé.

5. Contrôle de la qualification juridique des faits.

C’est le contrôle le plus délicat à effectuer par le juge. Il consiste à vérifier que les faits
invoqués par l’auteur de l’acte administratif sont bien de nature à fonder juridiquement sa
décision. En d’autres termes, il faut que l’autorité administrative compétente ait bien apprécié les
faits et leur ait donné une correcte qualification juridique : le juge examine que ces faits "sont de
nature à justifier" l'acte pris.
Ce type de contrôle n'est apparu qu'en 1914 avec la jurisprudence Gomel73. Ce n’est pas un
contrôle uniforme. En effet, s’agissant de la qualification juridique des faits, il faut constater une
intensité variable du contrôle qui est fonction de la nature des pouvoirs de l’administration.
Ce contrôle de la qualification juridique des faits ne pose pas de difficultés quand la compétence
l’administration est liée, c'est-à-dire lorsque l’administration n’a pas le choix du contenu et du
sens de sa décision. En effet dans ces hypothèses le juge ne risque pas d’opérer un contrôle
d’opportunité car l’administration elle-même n’a aucun marge de manoeuvre. Tel était le cas
l’arrêt Gomel.

72
C.E. 14 janvier 1917, Camino, Rec. p. 15
73
C.E. 4 avril 1914, Gomel, Rec. p. 488

34
Droit administratif RANDRIAMAHEFA Tefialivelo

Au contraire, la question est beaucoup plus délicate lorsque l’autorité administrative n’est pas liée
par les textes : elle bénéficie alors d’un pouvoir discrétionnaire et prend ses décisions au regard de
considérations d’opportunité. Le juge peut-il alors contrôler ces motifs, ce qui reviendrait pour le
juge à substituer son appréciation à celle de l’administration et à incorporer des éléments
d’opportunité dans son contrôle ; longtemps négative, la réponse est dorénavant variable. Dans
des hypothèses très rares, le juge se refuse toujours à tout contrôle de la qualification juridique des
faits. Plus fréquemment, les juridictions administratives pratiquent un contrôle de l’erreur
manifeste d’appréciation ; c’est un contrôle restreint (aussi appelé contrôle minimum) puisque le
juge renonce à contrôler la proportionnalité de la décision administrative aux circonstances, mais
vérifie seulement que la décision n’est pas manifestement disproportionnée. Enfin lorsque l’acte
de l’administration porte atteinte à une liberté74 ou au droit de propriété75, le juge n’hésite pas à
pratiquer un contrôle plus approfondi qui constitue un véritable contrôle de la proportionnalité de
la mesure prise par l’administration.

Parfois, la simple annulation de l’acte administratif est insuffisante pour donner satisfaction aux
requérants ; aussi ces derniers peuvent-ils quitter le domaine du recours pour excès de pouvoir et
se placer sur le terrain du plein contentieux. C’est notamment le cas lorsqu’un requérant sollicite
réparation des dommages causés par l’administration et engage la responsabilité de
l’administration

Section 3 : La responsabilité de l’administration

Comme toute autre activité, l'activité de l'administration peut être génératrice de dommages. Mais
ce risque est d'autant plus fréquent et lourd de conséquence que l’administration met en oeuvre de
puissants moyens. Aussi engager la responsabilité de l’administration peut de nos jours sembler
une solution naturelle en cas de réalisation d’un dommage du fait de l’administration : tel n’a pas
toujours été le cas. A l’origine, l’administration est apparue totalement irresponsable au nom du
principe selon lequel l’Etat ne peut mal faire. Cette irresponsabilité de la puissance publique
apparaissait dans la première moitié du XIXème siècle comme un corollaire de la souveraineté de
l'Etat. Une telle situation était acceptable tant que l'administration limitait ses rares interventions
dans le cadre de l'Etat gendarme76.
La responsabilité de l'Etat et des personnes publiques en général ne fut admise en principe qu'en
1873 avec le célèbre arrêt Blanco. Dans cette décision le Tribunal des Conflits affirme : « la
responsabilité qui peut incomber à l'Etat pour les dommages causés aux particuliers par le fait de
personnes qu'il emploie dans le service public […] n'est ni générale ni absolue ; elle a ses règles
spéciales… » Bien que restrictive, cette formule n'en consacre pas moins l'existence d'une

74
L’arrêt ayant pour la première fois reconnu un tel contrôle concernait une mesure de police : le juge a exigé que
l’adoption de la mesure de police était nécessaire et que son contenu était adéquat c'est-à-dire proportionné (C.E. 19
mai 1933, Benjamin, Rec. p. 541)
75
S’agissant du contrôle des mesures d’expropriation (c'est-à-dire des atteintes au droit de propriété), le contrôle
opéré par le juge est d’un type particulier. Il est qualifié de contrôle du "Bilan", puisque le juge compare les coûts et
avantages de l’opération publique nécessitant l’expropriation de propriétaires (C.E. 28 mai 1971, "Ville Nouvelle
Est", Rec. p. 409)
76
A l’époque, il n'existait que de rares exceptions au principe d'irresponsabilité des personnes publiques à savoir les
dommages causés par les travaux publics et ceux causés par la gestion du domaine privé.

35
Droit administratif RANDRIAMAHEFA Tefialivelo

responsabilité de la puissance publique. Elle montre aussi la volonté du juge des conflits de ne
pas insérer cette responsabilité dans le cadre du droit civil, mais d’en faire une construction du
droit public avec ses règles propres.

§ 1 : Le partage de responsabilité entre l’administration et ses agents

Si l’arrêt Blanco affirme qu’il existe une responsabilité de la puissance publique, il ne faut pas
oublier que l'administration est un être abstrait qui agit par l'intermédiaire de ses agents. Dès lors,
les conséquences dommageables de leurs actes doivent-elles incomber à l'administration ou aux
agents eux-mêmes ? Or, dans l’arrêt Blanco, le Tribunal des Conflits n’a pas réglé cette question
de savoir comment doivent être indemnisés les dommages causés à une victime par un agent de
l’administration. Il n’aurait pas été absurde de voir dans ce contentieux indemnitaire un litige
opposant deux personnes privées et relevant donc du juge judiciaire. Mais généraliser cette
responsabilité civile de l’agent présente de nombreux inconvénients : « elle serait à la fois injuste,
car généralement il agit dans l’intérêt de l’administration, trop lourde, étant donnée la
disproportion possible entre la faute commise et les sommes en jeu, et préjudiciable à
l’administration, le fonctionnaire n’osant plus agir77 ». Au demeurant, cette solution aurait abouti
à remettre en cause la politique jurisprudentielle du Tribunal des Conflits de créer une
responsabilité de la puissance relevant du seul juge administratif. C’est pourquoi le Tribunal des
Conflits a pris soin de définir les hypothèses de responsabilité de l'agent et de responsabilité de
l'administration.

A : La distinction faute personnelle, faute service.

La distinction entre responsabilité de l'administration et responsabilité de l'agent repose sur


l'opposition fondamentale entre la faute service de service et la faute personnelle mise en
évidence par l’arrêt Pelletier du 30 juillet 187378 : depuis, quand un dommage est causé à un
administré, la première question à se poser est de savoir si on est présence d'une faute personnelle
d'un agent ou d'une faute de service afin de déterminer quel est l’ordre de juridiction compétent.
La faute personnelle emporte compétence du juge judiciaire et application du droit privé, la faute
de service emporte compétence du juge administratif et application de la responsabilité spécifique
affirmée dans l’arrêt Blanco. Reste à préciser ces deux notions. Selon LAFERRIERE, la faute
personnelle est celle qui fait apparaître l’agent avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences :
inversement la faute de service est celle qui est anonyme, d’où le fait que c’est l’administration
qui est responsable. Plus précisément, on peut considérer comme une faute personnelle, d'une part
les fautes commises par l’agent en dehors de l'exercice de ses fonctions et d'autre part les fautes
commises dans le service mais qui s’en détachent du fait de leur particulière gravité ou de leur
intention malveillante79. En revanche les fautes de service ne permettent pas d’individualiser un

77
G. PEISER, Droit administratif, Dalloz, Coll. Mémento, 18ème éd., 1996, p. 151
78
T.C. 30 juillet 1873, Pelletier, Rec. p. 117
79
Il faut cependant ici préciser que le concept de faute personnelle est indépendant de la faut pénale. Aux termes de
l’arrêt Thépaz (T.C. 14 janvier 1935, Rec. P. 224) il peut y avoir faute pénale d’un agent sans pour autant que celui-
ci ait commis une faute personnelle.

36
Droit administratif RANDRIAMAHEFA Tefialivelo

agent et ne sont pas détachables du service ; c’est ce dernier qui a causé le dommage et c’est à lui
de l’indemniser.

B : Le cumul de responsabilités

A la suite de l'arrêt Pelletier, les deux systèmes de responsabilité étaient exclusifs l'un de l'autre :
si le dommage était du à une faute personnelle, la responsabilité de l'agent était seule engagée,
celle de l'administration ne jouant qu'en cas de faute de service. C'est le système du non-cumul de
responsabilité. Mais, en pratique ce système présentait de graves difficultés pour la victime d'une
faute personnelle car elle n'était pas assurée que l'agent public, auteur de la faute personnelle soit
solvable. Aussi, dans un souci d’équité, le Conseil d’Etat a multiplié les hypothèses de cumul de
responsabilités.
Tout d’abord, dans un arrêt Anguet de 191180, le Conseil d’Etat a admis qu’en cas de cumul
fautes à raison de faits différents, l'une personnelle et l'autre imputable au service, la victime se
voit reconnaître la faculté de choisir entre les deux responsabilités. Elle peut donc demander la
réparation de la totalité du préjudice, soit à l'administration devant le juge administratif, soit à
l’agent devant le juge judiciaire. Bien sûr, en cas de moindre doute quant à la solvabilité de
l’agent, la victime actionnera toujours l’administration. En 1918 dans l'arrêt Lemonnier81, le
Conseil d’Etat se montre encore plus favorable à la victime. Il admet qu’un même fait puisse
simultanément constituer une faute personnelle et une faute de service, d’où un cumul de
responsabilités. Pour le commissaire du gouvernement BLUM, lorsque la faute personnelle n'a pu
être commise par l'agent qu'au moyen des instruments ou des pouvoirs mis à sa disposition par le
service, la faute se détache du service mais le service ne se détache pas de la faute. Dans l’arrêt de
1918, le Conseil d’Etat ne va pas jusqu’au bout de la logique de Léon BLUM : il mentionne
encore l’existence d’une faute de service et exige que la faute personnelle soit commise à
l’occasion du service. Du moment que la faute personnelle a été commise en service, la victime
aura une option actionner l’agent devant le juge judiciaire et actionner l’administration devant le
juge administratif. Peu à peu, la référence à une faute de service va disparaître et la jurisprudence
va admettre un cumul de responsabilités sans même qu’il y ait faute de service. Dès lors il y a
cumul de responsabilités sans même cumul de fautes. La dernière évolution a lieu en 1949 dans
trois arrêts, Mimeur, Defaux et Besthelsemer82 : tirant toutes les conséquences de l’analyse de
Léon BLUM, le Conseil d’Etat admet un cumul de responsabilités alors même que la faute
personnelle n’a même pas été commise dans le service. Il suffit désormais que la faute
personnelle ne soit pas dépourvue de tout lien avec le service pour ouvrir l’option à la victime. Or
ce lien entre la faut personnelle et le service est entendu de manière très large : il peut être
temporel, géographique ou instrumental. En pratique, les victimes vont donc privilégier
l’engagement de la responsabilité publique car elles sont sûres de la solvabilité de
l’administration. Cette solution peut sembler choquante à première vue : l’administration qui n’a
commis aucune faute indemnise la victime en lieu et place de son agent fautif. Cependant cette
“injustice” est corrigée par l’existence d’actions récursoires ; lorsque l'administration a été
déclarée responsable à raison d'une faute personnelle d'un de ses agents elle peut ensuite se

80
C.E. 3 février 1911, Anguet, Rec. p. 146
81
C.E. 26 juillet 1916, Epoux Lemonnier, Rec. p. 761
82
Rec. p. 492

37
Droit administratif RANDRIAMAHEFA Tefialivelo

retourner contre cet agent afin qu’il lui rembourse les sommes déboursées83. Finalement, le
système du cumul de responsabilités est empreint d’une grande justice : la victime en actionnant
l’administration est sûre de la solvabilité de son débiteur, et l’administration peut récupérer
l’indemnisation qu’elle a versée en se retournant contre le seul fautif c'est-à-dire l’agent.

§ 2 : Les conditions d’engagement de la responsabilité

Avec la jurisprudence Blanco s’est donc affirmée une responsabilité publique différente de la
responsabilité civile. Cependant, le juge administratif n’a pas fait table rase : il s’est largement
inspiré des principes de droit privé de la responsabilité. Comme en droit privé, la mise en œuvre
de la responsabilité administrative suppose la réunion de trois éléments : un préjudice, un fait
générateur — d’ordinaire une faute — et un lien de causalité.

A : Le préjudice

Tout dommage n’a pas vocation à être réparé ; seuls les préjudices réels et certaines sont de
nature à ouvrir droit à indemnisation. De ces deux caractéristiques on peut déduire que sont admis
les préjudices futurs lorsque leur réalisation apparaît inévitable : par opposition un préjudice
seulement éventuel ne saurait être indemnisé84.
Cependant il ne suffit pas toujours que le préjudice soit réel et certain. Il doit tout d’abord porter
sur une situation juridiquement protégée ; dans un premier temps, le Conseil se montrait
excessivement rigoureux et exigeait la lésion d'un droit pour admettre l'existence d'un préjudice.
Cependant en 1951, il a abandonné cette exigence et s'est contenté de la simple atteinte à un
intérêt légitime pour accorder réparation à des victimes85. Cette condition qui lui a longtemps
permis d’exclure l’indemnisation des concubines des victimes, lui permet désormais d’exclure
l’indemnisation de personnes se trouvant dans une situation illégale86.
Une dernière condition tient au caractère appréciable ou évaluable en argent du dommage.
Pour être indemnisé, un préjudice doit pouvoir être chiffré. S’agissant des dommages causés aux
biens il n’y a pas de difficultés car le préjudice patrimonial ou plus largement économique est par
définition appréciable en argent. En revanche la douleur physique et la douleur morale sont plus
difficiles à évaluer pécuniairement : c’est pourquoi leur indemnisation n’a été que tardivement
acceptée. Ainsi ce n’est qu’en 1958 que le juge administratif a accepté l’indemnisation des

83
C.E. 28 juillet 1951, Laruelle et Delville, Rec. p. 464
84
Longtemps la question s'est posée de savoir si la perte d'une chance doit être ou non réparée ; d'une façon générale
le Conseil d’Etat n’admet la réparation du préjudice consistant dans la perte d'une chance que si cette dernière était
réelle et sérieuse.
85
C.E. 28 juillet 1951, Berenger, Rec. p. 473
86
En effet, l’exigence d’un intérêt légitime juridiquement protégé a été interprétée par le juge administratif comme
prohibant toute possibilité d’indemnisation au profit des concubines de victimes d’un accident mortel causé par
l’administration. Par un arrêt Delle Müesser du 3 mars 1978 (Rec. P. 116), le Conseil d’Etat est revenu sur cette
interprétation : la Haute Juridiction reconnaissait par là que les concubines sont dans une situation juridiquement
protégée et qu’elles ont droit à une indemnisation suite au décès de leur conjoint.

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souffrances physiques87 ; quant à la douleur morale, son indemnisation n’a été admise qu’en
196188.

B : L’imputabilité du dommage à l’administration et lien de causalité avec le fait générateur

Même lorsque le préjudice est réel et certain, il ne sera réparé que s’il est possible de l'imputer à
une personne en raison de ses activités. En effet, tout régime de responsabilité suppose qu'il existe
un certain lien objectif entre l'activité de la personne déclarée responsable et le dommage. Cette
condition comporte deux aspects ; primo déterminer la personne publique concernée et secundo
rattacher le dommage à l'activité d'une personne publique ?
Se pose donc tout d’abord le problème de l'imputabilité du préjudice. Quelle est la personne
responsable ? Le principe est la personne publique normalement responsable est celle dans la
compétence de laquelle entre l'activité qui a engendré le dommage. Le juge doit donc se montrer
particulièrement attentif quant à la détermination de la personne à l’origine du dommage ;
l’opération n’est pas toujours facile89. Mais l’opération suivante est encore plus délicate.
Une fois que l’on peut imputer le dommage à une personne publique clairement identifiée, encore
faut-il démontrer l’existence d’un lien de causalité directe entre ce dommage et l’activité de cette
administration. Selon le juge administratif, il y a lien de causalité directe lorsque l’activité de
l’administration avait une vocation particulière à provoquer le dommage, c'est-à-dire lorsque le
cours normal des choses fait apparaître une relation de cause à effet entre l’activité de
l’administration et le préjudice. Inversement cela signifie qu’il n’y aura pas de responsabilité de la
puissance publique lorsque la cause est étrangère à l’administration, qu’il s’agisse d’une faute
d’un tiers90, d’une faute de la victime ou encore d’un cas de force majeure91.

C : Le fait dommageable.

Même lorsqu’il existe un lien de causalité, tout préjudice n'entraîne pas automatiquement pour
son auteur l'obligation de le réparer. Le fait générateur du préjudice doit lui aussi présenter
certaines caractéristiques : ainsi, en droit privé, seul un acte fautif est susceptible d’engager la
responsabilité. De même, la mise en oeuvre de la responsabilité de la puissance publique suppose
normalement que le comportement de l’administration soit fautif. Mais la faute administrative,
c'est-à-dire la faute de service présente par rapport à la faute de droit privé des caractères

87
C.E. 6 juin 1958, Commune de Grigny, Rec. p. 323
88
C.E. 24 novembre 1961, Ministre des travaux publics c/ Letisserand, Rec. p. 661
89
Dans le cas de concours prêté par une collectivité publique à une autre collectivité publique, c'est la personne
morale bénéficiaire de ce concours qui, en principe, répond envers les victimes des dommages.
90
Dans le cas ou la responsabilité est partagée entre l'administration et un tiers, personne privée, le Conseil d’Etat
n'admet pas que la victime puisse demander réparation pour la totalité à l'administration devant le juge administratif.
La victime ne peut demander à l'administration de réparer que pour la part de responsabilité incombant à celle-ci.
91
La force majeure est un événement extérieur à l'activité du prétendu responsable : elle est imprévisible, extérieure
et irrésistible. Le caractère extérieur de la force majeure fait la différence de celle-ci avec le cas fortuit qui pour être
imprévisible et irrésistible n'est pas extérieur et n'est donc pas détachable de l'activité considérée. La force majeure
est caractérisée par son imprévisibilité, c'est-à-dire que c'est un événement qui ne pouvait être raisonnablement
envisagé. En outre la force majeure est aussi caractérisée par son irrésistibilité c'est-à-dire que la production du
dommage ne pouvait être empêchée par l’administration : c’est pourquoi la force majeure exonère l’administration de
toute responsabilité.

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originaux. L’originalité du fait dommageable ne s’arrête d’ailleurs pas à la faute de service.


Exceptionnellement, il peut arriver que la responsabilité de l’administration soit engagée même
en l’absence.

1. La faute de service

Ainsi que cela a déjà été dit, la faute de service apparaît comme une carence, dans le
fonctionnement normal du service, qui n’est pas personnellement imputable aux agents.
S’agissant d’une faute anonyme et collective, les individus s’effacent pour faire place à la seule
responsabilité de l’administration. Concrètement la faute de service peut consister en un
dysfonctionnement de l'appareil administratif, un manquement à une obligation préalable,
l’adoption d’un acte illégal92, le défaut d’entretien d’ouvrage public, un défaut de surveillance ou
de contrôle, une maladresse, un retard, etc…
Normalement la responsabilité pour faute de l’administration est une responsabilité pour faute
prouvée : c’est la victime qui a la charge de la preuve de la faute qu'elle allègue. Mais cette
preuve lui est facilitée par le caractère inquisitorial de la procédure. De plus, et ceci est particulier
au contentieux de la responsabilité, des présomptions de faute peuvent être instituées. Ces
présomptions ont pour effet de renverser la charge de la preuve en imposant au défendeur de
prouver qu'aucune faute qui lui serait imputable n'est à l'origine du dommage. Une telle technique
est très favorable aux victimes qui n'ont plus besoin de démontrer le comportement fautif de
l’administration. On trouve un exemple d’une pareille présomption en matière de dommages de
travaux publics : en effet les usagers d’un ouvrage public qui sont victimes d’un accident du fait
dudit ouvrage bénéficient d’une présomption de défaut d’entretien normal de cet ouvrage, c'est-à-
dire d’une présomption de faute.
En droit privé « tout fait quelconque » d’une personne, qui cause à autrui un dommage oblige son
auteur à le réparer ; peu importe que la faute soit légère. En droit administratif, les données de
base sont assez différentes car le juge administratif subordonne parfois la responsabilité de la
puissance publique à la gravité de la faute. Ainsi, lorsque l’administration exerce certaines
activités particulièrement difficiles ou agit dans le cadre de missions régaliennes, sa
responsabilité ne sera engagée que si elle a commis une faute lourde. L’exigence d’une faute
lourde s’explique en partie par le souci d’éviter un engagement trop systématique de la
responsabilité de l’administration à raison de ses missions les plus délicates, phénomène qui
risquerait de paralyser le service en favorisant un certain renoncement à l'action chez les agents.
Cependant cette justification n’est pas totalement satisfaisante : c’est pourquoi, le juge
administratif sans renoncer pour autant à l’exigence d’une faute lourde, a singulièrement restreint
son domaine.
Le domaine de la faute lourde se résume de nos jours :
• aux activités des services pénitentiaires
92
Il convient de préciser qu’une décision légale n'est jamais fautive. Inversement l'acte administratif illégal est
toujours fautif, quel que soit la cause de l'illégalité. Il existe donc une équation illégalité = faute. Mais on ne peut pas
dire pour autant que toute illégalité implique automatiquement la responsabilité de l'administration. Une décision
illégale, et par la même fautive, peut ne pas engager la responsabilité : c'est notamment le cas quand la décision
illégale n'est pas constitutive d'une faute lourde et que celle-ci est exigée. De même, quand l'administration prend une
décision justifiée au fond, mais illégale en la forme le juge administratif décide que l'illégalité n'entraîne pas la
responsabilité : il estime qu'il n'existe pas de préjudice réparable car la décision légale aurait eu le même résultat .

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• aux activités de police s’exerçant dans des conditions délicates


• aux activités des services fiscaux présentant des difficultés particulières
• à certaines activités de contrôle et de tutelle
• aux activités liées au fonctionnement du service public de la justice

La question est en constante évolution : ainsi jusqu’en 1998 la responsabilité des services de
secours et de lutte contre l’incendie et des services de secours en mer était subordonnée à
l’exigence d’une faute lourde. Depuis deux arrêts (CE, 13 mars 1998, Améon ; CE 29 avril
199893, Commune de Hannapes94) cette faute lourde n’est plus exigée ; une faute simple suffit
pour engager la responsabilité de la puissance publique en raison de ces activités.

2 ) La responsabilité sans faute

Si le principe est celui de la responsabilité pour faute, le juge administratif et le législateur


admettent de manière subsidiaire l’engagement de la responsabilité de la puissance publique en
l’absence de toute faute de sa part. Il est possible d’identifier deux fondements à cette faveur
reconnue aux victimes de l’administration95 : d’une part le risque et d’autre part, la rupture de
l’égalité devant les charges publiques.

a / La responsabilité sans faute fondée sur le risque

La responsabilité pour risque est une notion classique tant en droit privé qu'en droit public. Elle
illustre l’hypothèse dans laquelle le dommage est le résultat de la réalisation d'un risque spécial
qui a été créé par l’administration ou qui a profité à l’administration. Dès lors que
l’administration expose, dans l'exercice de sa mission et indépendamment de toute faute, une
personne à un pareil risque, il semble logique et juste qu’elle en supporte les conséquences. Les
hypothèses de responsabilité sans faute fondée sur le risque sont nombreuses et variées :

• Responsabilité sans faute à raison d'une chose dangereuse utilisée par l'administration : par
exemple, il y a engagement de la responsabilité sans faute de l’Etat pour les dommages causés
par l’explosion de munitions entreposées dans un fort (C.E. 28 mars 1919, Regnault-
Desroziers96). Il y a aussi responsabilité de l’Etat en cas d’utilisation d'armes à feu par les
forces de police blessant des personne tiers (C.E. 24 juin 1949, Consorts Lecomte97).
• Responsabilité sans faute à raison d'une méthode dangereuse utilisée par l'administration. La
responsabilité sans faute de la puissance publique a été reconnue en raison des dommages
causés par prisonniers ou des malades mentaux ayant fait l’objet de méthodes libérales de

93
C.J.E.G. 1998, p. 197
94
D. 1998, p. 535
95
Dans les cas de la responsabilité sans faute, la faveur faite aux victimes ne se résume pas à l’abandon de la faute,
mais concerne aussi les causes exonératoires puisque ni le cas fortuit, ni le fait du tiers ne peuvent exonérer la
personne publique de sa responsabilité.
96
Rec. p. 329
97
Rec. p. 307

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rééducation, d'éducation surveillée, de réinsertion des prisonniers (C.E. 3 février 1956


Thouzellier98 ; C.E. 13 juillet 1967, Département de la Moselle99)
• Responsabilité sans faute de la puissance publique au profit des collaborateurs bénévoles
(occasionnels ) du service public. Née entre 1943 et 1946 cette jurisprudence s'est développée
et vise l'indemnisation des préjudices éprouvés par le collaborateur requis ou sollicité et dont
la coopération a été acceptée par l'administration(C.E. 22 novembre 1946, Commune de Saint
Priest-la-Plaine100)101.

b / La responsabilité sans faute pour rupture de l'égalité devant les charges publiques

La responsabilité sans faute pour rupture de l'égalité devant les charges publiques est spécifique
au contentieux administratif et n’a pas son semblable en droit privé. Elle concerne des hypothèses
où les dommages ne présentent pas un caractère accidentel, mais sont la conséquence naturelle et
même nécessaire et prévisible de certaines situations ou de certaines mesures « par l'effet
desquelles des membres de la collectivité sont sacrifiées aux exigences de l'intérêt général ». Pour
bénéficier de cette responsabilité sans faute, la victime doit toujours se prévaloir d’un dommage
anormal et spécial. Par spécialité, on entend le dommage qui n’atteint qu’un nombre réduit de
personnes. Quant à l’anormalité, elle concerne souvent le degré de gravité du préjudice : on
estime en effet que les administrés doivent supporter sans compensation les gènes et
inconvénients ordinaires de la vie en société ; ce n’est qu’au-delà d’un certain seuil d’anormalité
que leurs intérêts sont sacrifiés au nom de l’intérêt général et qu’ils méritent une réparation.
Les hypothèses de responsabilité sans faute fondée sur la rupture de l’égalité devant les charges
publiques sont nombreuses :
• Responsabilité du fait des décisions administratives régulières : la responsabilité de la
puissance publique peut se trouver engagée, même sans faute sur le fondement du principe de
l'égalité des citoyens devant les charges publiques lorsqu’une mesure légale crée un préjudice
spécial et d'une gravité certaine. Cette solution vaut pour les actes réglementaires (C.E.
22 février 1963, Commune de Gavarnie102) et pour les actes non réglementaires (C.E.
28 octobre 1949, Société des ateliers du Cap Genêt103).
• Responsabilité du fait de l'abstention non fautive de l'administration : l'hypothèse la plus
fréquente est celle dans laquelle l'administration refuse d'exécuter une décision de justice, car
cette exécution aurait de graves répercussions (C.E. 30 novembre 1923, Couitéas104).
L'administration a le droit de refuser d'exécuter une décision de justice, c'est-à-dire qu'elle a le
droit de refuser de prêter le concours de la force publique quand l'exécution de cette décision

98
Rec. p. 49
99
Rec. p. 341
100
Rec. p. 279
101
La jurisprudence a dû poser certaines conditions pour éviter que n’importe qui puisse engager la responsabilité de
l’administration. En premier lieu les dommages subis ou causés par le collaborateur ne seront indemnisés sans faute
que s'il y a coopération à une mission de service public. Ensuite il faut que le concours apporté par le collaborateur
soit justifié (certains arrêts parlent parfois d'urgente nécessité pour justifier l'aide spontanée apportée par le
collaborateur). Enfin il faut une collaboration réelle et non pas rôle passif de simple spectateur.
102
Rec. p. 113
103
Rec. p. 450
104
Rec. p. 789

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de justice aurait pour effet de troubler gravement la paix publique. Dans un tel cas les
personnes qui ont bénéficié de la décision de justice sont sacrifiées au nom de la paix publique
: il est normal qu'ils soient indemnisés. La jurisprudence Couitéas ouvre plus ordinairement
droit à réparation aux bénéficiaires de jugement prescrivant l'expulsion des grévistes occupant
indûment les lieux de travail… lorsqu'ils se sont heurtés à un refus légal de concours de la
force publique.
• Responsabilité du fait des lois et des conventions internationales ; si la loi prévoit une
réparation ou exclut toute indemnisation il n'y a pas de problème car le juge administratif sera
lié par les termes de la loi. Dans le silence de la loi, la situation est plus délicate. Pendant tout
le début du XXème siècle a prévalu un principe d'irresponsabilité de l'Etat du fait de l'activité
du législateur. Cette irresponsabilité était fondée sur le caractère incontestable de la loi et sur
le dogme selon lequel le législateur ne peut mal faire. En 1938, le Conseil d’Etat opère un
revirement et admet la responsabilité sans faute de l’Etat. (C.E. 14 janvier 1938, Société
anonyme des produits laitiers La Fleurette105). Cependant le juge administratif pose des
conditions très strictes pour l’engagement de la responsabilité. En effet, pour que l’Etat soit
déclaré responsable, il faut primo que le préjudice subi par la victime doit être spécial et
suffisamment grave c'est-à-dire anormal, secundo que l'activité sacrifiée ne doit être ni illicite,
ni immorale, ni dangereuse pour la collectivité, et tertio que le texte même de la loi et ses
travaux préparatoires ne permettent pas de penser que le législateur a entendu exclure toute
indemnisation. Ainsi les lois qui sont prises dans l'intérêt général sont interprétées comme
excluant toute volonté de réparation.
• La solution en matière de responsabilité du fait des lois a été transposée en matière de
responsabilité sans faute du fait des traités internationaux signés par la France (C.E. 30 mars
1966, Compagnie générale d’énergie radioélectrique106).

105
Rec. p. 25
106
Rec. p. 257

43

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