Patterns of Entrepreneurship Management 4th Edition by Jack M. Kaplan 2024 Scribd Download

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 34

Full download ebook at ebookgrade.

com

Patterns of Entrepreneurship Management 4th


Edition by Jack M. Kaplan

https://ebookgrade.com/product/patterns-of-
entrepreneurship-management-4th-edition-by-jack-m-
kaplan/

Download more ebook from https://ebookgrade.com


More products digital (pdf, epub, mobi) instant
download maybe you interests ...

Patterns of Entrepreneurship Management 5th Jack M.


Kaplan

https://ebookgrade.com/product/patterns-of-entrepreneurship-
management-5th-jack-m-kaplan/

Patterns of Entrepreneurship Management

https://ebookgrade.com/product/patterns-of-entrepreneurship-
management/

Essentials of Entrepreneurship and Small Business


Management 8th Edition by Norman M. Scarborough

https://ebookgrade.com/product/essentials-of-entrepreneurship-
and-small-business-management-8th-edition-by-norman-m-
scarborough/

Strategic Entrepreneurship (4th Edition)

https://ebookgrade.com/product/strategic-entrepreneurship-4th-
edition/
Kaplan SAT Subject Test Biology E M 2015 2016 (Kaplan
Test Prep) Kaplan

https://ebookgrade.com/product/kaplan-sat-subject-test-biology-
e-m-2015-2016-kaplan-test-prep-kaplan/

Cycles of Constitutional Time The Balkin Jack M

https://ebookgrade.com/product/cycles-of-constitutional-time-the-
balkin-jack-m/

Smith's Recognizable Patterns of Human Deformation 4th


Edition

https://ebookgrade.com/product/smiths-recognizable-patterns-of-
human-deformation-4th-edition/

Smith's Recognizable Patterns of Human Deformation 4th


Edition

https://ebookgrade.com/product/smiths-recognizable-patterns-of-
human-deformation-4th-edition-2/
Another random document with
no related content on Scribd:
femmes, les enfants eux-mêmes me font part des vœux qu’ils
forment pour la bonne réussite de mon voyage. Jamais je ne compris
mieux qu’en cette circonstance quels meilleurs résultats on peut
obtenir en traitant avec douceur ces populations primitives. La
sévérité excessive et la brutalité ont toujours été, pour moi, de
mauvais procédés de colonisation et je me suis toujours très bien
trouvé, dans mes différents voyages en Afrique, de ne pas les
employer.
Le frère de Sandia, Mody-Moussa, et son fils Diamé nous
accompagnent jusqu’aux dernières cases du village. Là on se serre
de nouveau la main. Sandia fait mille recommandations à son frère
qui le doit remplacer pendant son absence, serre la main à son fils,
lui recommande d’avoir bien soin de sa case, et nous nous mettons
en route pour Sini, où j’avais l’intention de faire étape. Sandia, qui
connaît le pays à merveille, est en tête de la caravane. Derrière lui
marche le palefrenier de son cheval. Je suis immédiatement.
Viennent ensuite mon interprète, mon palefrenier, les porteurs.
Samba-Sisoko et Gardigué-Couloubaly ferment enfin la marche et ont
pour consigne de veiller au bon ordre de la caravane. C’est cette
disposition que j’ai toujours adoptée pendant les étapes et je n’ai
jamais eu à constater le moindre désordre, chacun sachant
parfaitement ce qu’il avait à faire.
Avant de quitter Nétéboulou, je m’étais efforcé de bien connaître
l’allure de mon cheval et j’étais arrivé à savoir à peu près exactement
quelle était la distance qu’il parcourait au pas en une heure et même
en une minute. Aussi, n’ayant aucune préoccupation à ce sujet, je
pouvais, sans distraction, lever mon itinéraire. Ma boussole
fonctionnait à merveille et ma montre étant bien réglée, je n’eus
relativement que de faibles erreurs à enregistrer.
A peine avions-nous quitté le village que nous entrons
immédiatement dans les lougans[5]. Ils s’étendent à perte de vue.
Mil, maïs, arachides, etc., etc., on voit défiler toutes les plantes
cultivées dans le pays. La route suit une direction Sud légèrement
Ouest, longeant à deux kilomètres environ le marigot, et à quatre
kilomètres du village nous le laissons sur notre gauche. Nous
apercevons alors les rôniers[6] de Genoto, point extrême où puissent
venir les chalands, et nous traversons une vaste plaine couverte
d’herbes maigres et parsemée de larges flaques d’eau. C’est la plaine
de Genoto que limitent, au Sud, la Gambie, à l’Ouest et au Nord, les
collines du Ouli et à l’Est, le marigot de Nétéboulou. Absolument
inculte, stérile, elle nous offre, avec ses rares bouquets d’arbres
rabougris, l’aspect que doivent présenter, en Amérique, les solitudes
de la Prairie. La route, à ce moment, est franchement Ouest. Il en
sera de même jusqu’à Sini. Nous laissons sur notre gauche les ruines
du petit village de Coussaié, et à 9 h. 42 nous arrivons à Makadian-
Counda.
Makadian-Counda. — Petit village Malinké d’environ 350
habitants. Il ne présente rien de bien particulier. Il est mal entretenu,
sale, nauséabond. En 1886, il fut pillé et détruit par les guerriers du
marabout Mahmadou-Lamine. Actuellement, il est en partie
reconstruit. Ses habitants sont des gens paisibles, qui se livrent
tranquillement à la culture de leurs lougans. Aussi sont-ils riches en
produits de toutes sortes. Nous faisons la halte sur la place principale
du village, et, à peine étais-je descendu de cheval, que le chef,
accompagné de ses principaux notables, vint me saluer. C’est un
parent d’une des femmes de Sandia. Il me fait mille protestations
d’amitié et m’offre quelques œufs frais qui sont les bienvenus. Après
l’avoir remercié de son aimable réception et lui avoir serré la main,
nous nous remettons en route pour Sini.
A quelques centaines de mètres du village, nous rencontrons le
fils du chef du Ouli, Massara. Son père l’envoie à notre avance avec
deux ou trois autres cavaliers. Ce jeune homme, âgé d’environ trente
ans, est un ivrogne fieffé. Il monte un beau cheval noir dont lui a fait
cadeau, me dit-il, le colonel Archinard, pour le récompenser de sa
belle conduite pendant la campagne de Nioro, à laquelle il a pris part
avec les meilleurs guerriers du Ouli. Encore trois kilomètres au milieu
de beaux lougans et, à dix heures dix minutes, nous arrivons enfin à
Sini, où nous allons passer la journée. Il fait une chaleur étouffante,
et, cependant, malgré mon état maladif, je n’en suis pas trop
incommodé.
Depuis mon arrivée dans la région, le village de Sini avait souvent
manifesté le désir d’avoir ma visite. Aussi comprendra-t-on aisément
que j’y fus reçu à bras ouverts. Déjà, en voyant arriver à mon avance
le fils du chef, je m’étais fait une idée de la réception qui m’y
attendait. A peine descendu de cheval, je fus conduit à la case qui
avait été préparée à mon intention. Des cases avaient été également
préparées pour Sandia, mon interprète et mes hommes. Nous y
fûmes bien logés et y passâmes la journée sans trop y souffrir de la
chaleur. Il y avait à peine quelques instants que nous étions installés
que le chef, Massa-Ouli, vint me rendre visite. C’est un vieillard
d’environ 70 ans, encore bien conservé, mais cependant fort
rhumatisant. Son tam-tam, ses principaux notables l’accompagnaient
et, pour la circonstance, il avait endossé le manteau de chef, rouge,
bordé de galons d’or, qui lui avait été donné par Monsieur le
commandant supérieur. Nous causâmes longuement des choses du
pays, il me fit mille protestations d’amitié, et nous nous quittâmes les
meilleurs amis du monde. A mon intention, il avait immolé un bœuf,
et préparé tout ce qu’il fallait pour la nourriture de mes hommes et
de mes animaux. Aussi la mission fit-elle grasse chère ce jour-là.
Le temps s’écoula rapidement dans cet hospitalier village et la
soirée arriva sans que nous nous soyons ennuyés un seul instant. A
quatre heures du soir, Massa-Ouli m’envoya son tam-tam et je fus
obligé, pour lui être agréable, d’assister à la sérénade qu’il me donna
devant notre logement. Très curieux ce tam-tam. Il se compose de
tambourins et de balafons et les airs que jouent les artistes ne
manquent pas d’un certain agrément. Quiconque a entendu le
balafon ne peut oublier les sons harmonieux que rend ce primitif
instrument, et la virtuosité, si je puis parler ainsi, dont font preuve
ceux qui en jouent. Tout le monde connaît le tambourin des
peuplades africaines. Il n’en est pas de même du balafon. Aussi
croyons-nous devoir en donner ici une description détaillée. Je crois
donc devoir rapporter textuellement ce que j’écrivais à ce sujet, sur
les lieux mêmes, dans mes notes journalières.
Le balafon est un instrument assez rare au Soudan. Il est plutôt
particulier aux peuples qui habitent les rivières du Sud et notamment
la Gambie. On le trouve encore dans certains villages Malinkés du
Sud du Bambouck et au Fouta-Diallon. C’est peut-être avec la
guitare, que l’on désigne sous le nom de Cora, l’instrument de
musique soudanien dont les sons impressionnent le moins
désagréablement l’oreille. Il est assez compliqué et demande, pour
sa construction, un ouvrier exercé. Aussi son prix est-il relativement
élevé : quatre-vingt-dix à cent francs environ.
Le balafon se compose essentiellement : 1o du cadre ; 2o de
l’appareil producteur du son ; 3o d’un appareil qui joue le rôle de
résonateur.
1o Cadre. — Le cadre se compose d’un trapèze en bois ayant la
forme que représente la figure ci-contre. Ce cadre est formé par des
morceaux de bois de 0m80 environ de longueur sur 0m06 de largeur
et 0m03 d’épaisseur pour les grands côtés. Des petits côtés, l’un a
environ 0m25 de longueur et l’autre 0m15. Ils sont formés par des
morceaux de bois de même largeur et épaisseur que les autres.
L’intervalle compris entre les deux grands montants est comblé par
des traverses qui vont de l’un à l’autre et qui en rendent la solidité
plus grande. Une autre traverse réunit les deux petits côtés. Tout
cela est uni au moyen de cordes de baobab et est d’une grande
solidité.
Aux quatre angles de ce cadre A. B. C. D. se trouvent quatre
montants en bois de même hauteur, solidement fixés au cadre et
ayant environ 0m20 de hauteur. Ces montants sont unis entre eux
par des cordes solides, généralement en cuir, qui forment ainsi un
cadre E. F. H. O. parallèle à celui que nous venons de décrire et qui
est inférieur. C’est sur ces cordes que va être posé l’appareil
producteur du son.
2e Appareil producteur du son. — Cet appareil se compose
simplement d’une série de lamelles de bois très dur disposées par
ordre de longueur sur le cadre supérieur. Comme l’indique la figure
ci-dessous, ces lamelles ont toutes la même largeur et la même
épaisseur, mais non la même longueur. La plus longue a environ
vingt-cinq centimètres de longueur et les autres vont en diminuant
de longueur jusqu’à la dernière qui peut avoir huit centimètres
environ. Leur nombre est variable ; mais il est rarement inférieur à
12 et supérieur à 20. Ces lamelles sont fixées sur les cordes
supérieures du cadre à l’aide de petites cordes qui les maintiennent
en place, en leur laissant toutefois une certaine mobilité.

Les deux figures ci-dessus peuvent donner une idée de ce que


sont ces lamelles. La figure A représente une lamelle entière et la
figure B une coupe qui serait faite perpendiculairement à son axe.
3o Appareil résonateur. — L’appareil résonateur qui est destiné à
renforcer les sons est bien simple. Il se compose d’une série de
petites calebasses ayant la forme que représente la figure ci-dessous
(no 1) et qui sont fixées au-dessous de chaque lamelle. C’est là le
côté le plus délicat de la construction ; car, en effet, de la grosseur
de la calebasse dépendra la nature du son, on comprendra qu’il faut
apporter un certain choix dans la composition de cet appareil, afin de
ne pas modifier l’accord et surtout d’obtenir une gamme à peu près
exacte. Aussi voit-on des lamelles avoir deux calebasses et d’autres
une seule. Tout cela dépend du volume.

Les figures ci-dessus peuvent donner une idée de la façon dont


sont disposées les calebasses au-dessous des lamelles. Ces
calebasses sont maintenues en place par des liens qui les joignent
aux différents côtés du cadre et qui les unissent entre elles. Tout cet
ensemble, qui paraît devoir être très fragile, est, au contraire,
excessivement solide.
Pour jouer du balafon, on s’asseoit par terre et on place
l’instrument devant soi, de façon à avoir les lamelles les plus longues
à sa gauche. On peut également en jouer en marchant ; alors,
l’instrument est porté, suspendu au cou par des liens qui sont fixés à
ses deux extrémités. L’instrument repose alors sur le ventre de
l’exécutant, de façon à ce qu’il ait toujours à sa gauche les lamelles
les plus longues, celles qui donnent les notes les plus graves.
Pour tirer des sons de ce bizarre mais ingénieux instrument, il
suffit de frapper d’un coup sec la lamelle avec les baguettes
représentées ci-dessous.

Ces baguettes sont en bois. Il en est qui s’en servent à nu,


d’autres, au contraire, qui entourent l’extrémité renflée à l’aide de
chiffons excessivement serrés ou, mieux, de caoutchouc. Il nous a
semblé que les sons obtenus avec ces dernières étaient plus
harmonieux que ceux obtenus avec les autres.
Le balafon est construit, en ce qui concerne le bois, par les
forgerons. Quant à l’agencement des différentes pièces, il est fait par
l’artiste lui-même. Le bois qui doit servir à la construction doit être
très dur, bien sec, et ne présentant aucun défaut. Plusieurs espèces
peuvent être employées à cet usage. Citons : le Samboni
(Cytharexylum quadrangulare Jacq.), le Vène (Pterocarpus erinaceus
Poir.), le Kaki (Diospyros ebenum Retz.). De même, les calebasses
doivent être bien sèches, ne présenter aucun défaut ni fissure, car le
son pourrait en être profondément altéré. Enfin, les cordes elles-
mêmes doivent être minutieusement construites et présenter toutes
les garanties voulues de solidité et de bonne fabrication.
Le balafon peut être considéré, au Soudan, comme étant un
instrument de luxe. Il n’y a guère que les chefs riches et influents qui
en aient, et le griot (musicien de profession) qui en joue, jouit
habituellement dans le village d’une considération que n’ont pas ses
autres collègues. Seul, il est admis à l’honneur de jouer du balafon,
et, tant est grande l’estime que l’on a pour cet instrument que,
souvent, l’épithète de balafon est ajoutée au nom de l’artiste qui s’en
sert. Ainsi, à Koundou (Fouladougou), par exemple, le joueur de
balafon porte le nom de « Fodé-Balafon ». Il n’est connu que sous ce
nom-là dans les villages environnants.
Les sons obtenus avec cet instrument sont relativement assez
mélodieux et dans l’agencement des notes, il est facile d’y retrouver
les éléments de la gamme. Les airs que jouent les griots présentent
également une certaine harmonie et un rhythme appréciables, même
pour une oreille peu musicale.
Après une heure de musique effrénée, et après avoir assisté aux
danses les plus échevelées, exécutées cependant en mon honneur, je
congédiai, par la voix de mon interprète, les artistes mâles et
femelles qui m’entouraient, et orchestre en tête, je me rendis à la
demeure du chef pour lui rendre la visite qu’il m’avait faite le matin.
Cette façon de procéder m’a toujours réussi au Soudan, et, c’est en
usant sans cesse de la plus grande politesse et de la plus grande
douceur que je suis arrivé à me concilier partout le respect et l’amitié
des chefs avec lesquels j’ai été en relations. Point ne sert de prendre
avec ces gens-là des airs de matamores et de croquemitaines. Nous
n’arriverions jamais qu’à nous aliéner leur sympathie. Il faut avoir le
bon esprit de ne se considérer que comme leur hôte, et, si l’on sait
conserver toutefois sa dignité d’homme et de Français, on peut être
certain que d’eux-mêmes ils reconnaîtront notre supériorité.
Massa-Ouli attendait d’ailleurs ma visite. Je le trouvai dans sa
case, entouré de toute sa famille. Il me présenta ses enfants, ses
femmes et ses frères, et, après un entretien des plus aimables, nous
nous quittâmes en nous serrant la main, à plusieurs reprises. Je fis à
tous de petits cadeaux, dont ils me remercièrent vivement. Inutile de
dire que les griots ne furent pas oubliés. C’est dans l’usage, et je
n’aurais pas voulu laisser de moi une mauvaise impression. Tous,
sauf le chef, me reconduisirent à mon campement, et chacun rentra
chez soi, fatigué, mais satisfait, moi surtout.
L’habitation du chef du Ouli ne diffère guère de celles de ses
sujets. Les cases sont absolument construites sur le même modèle.
Elles sont plus vastes et plus nombreuses, et voilà tout. Celle où il se
tient dans la journée est située au pied d’un superbe N’taba, bel
arbre de la famille des Sterculiacées, sur lequel nous reviendrons
plus loin. C’est un des plus beaux échantillons de cette espèce
végétale que j’aie rencontré dans tout le cours de mes voyages au
Sénégal et au Soudan.
La route de Nétéboulou à Sini présente d’intéressantes
particularités ; Nétéboulou est construit sur un plateau dont le sous-
sol est formé de quartz et de grès ferrugineux que recouvre une
épaisse couche de latérite. Elle disparaît à deux kilomètres environ
du village au-delà du marigot qui porte son nom, pour faire place à
la plaine stérile de Genoto. Cette vaste plaine marécageuse est
complètement inondée pendant l’hivernage. Elle mesure environ
vingt kilomètres de longueur sur quinze de largeur dans ses plus
grandes dimensions, et s’étend des collines du Ouli et de Nétéboulou
jusqu’à la Gambie et au marigot de Nétéboulou. Le sol en est
uniquement formé par une épaisse couche d’argiles anciennes et
d’alluvions récentes. A peine y voit-on par-ci par-là quelques arbres
peu vigoureux, rachitiques. Elle est couverte, dans toute son
étendue, par une herbe mince et ténue parsemée de touffes de
Joncées et de Cypéracées. Après avoir traversé de l’Est à l’Ouest ce
morne désert, on arrive par une pente assez raide sur le plateau de
Sini ; jusqu’à Makadian-Counda ce ne sont que des argiles
compactes ; mais à peu de distance de ce village la latérite reparaît
et l’on peut dire que la plus grande partie du plateau en est
uniquement formée. Son sous-sol ne présente guère que des roches
de nature ferrugineuse.
Au point de vue botanique, nous ne trouvons à signaler que trois
espèces principales de végétaux.

1o Nété. — Le Nété ou Néré (Parkia biglobosa H. Benth.)[7], est


une belle Légumineuse de la tribu des Parkiées. On la trouve en
grande quantité dans le Bambouck, le Bélédougou, la Haute-Gambie.
Il est facile de la reconnaître à ses feuilles profondément découpées
qui ressemblent à s’y méprendre à celles de certaines de nos
fougères, et à ses fleurs d’un beau rouge foncé et disposées en
forme de boule à l’extrémité des jeunes rameaux. Son fruit est une
gousse d’une belle dimension en tout semblable à nos plus beaux
haricots. Il contient une douzaine de graines entourées d’une pulpe
jaune relativement assez compacte et abondante. Cette pulpe est
très parfumée. Sèche, elle forme une sorte de farine que les
indigènes mangent volontiers pendant la disette. Les fruits poussent
au nombre de huit ou dix au maximum, à l’extrémité des jeunes
rameaux. Ce végétal fleurit de juin à août et ses fruits ne sont guère
comestibles avant le mois de mars de l’année suivante. On le trouve
en grand nombre aux environs de Nétéboulou. Son bois est
généralement peu employé.

2o Téli. — Le Téli (Erythrophlæum Guineense Rich.)[8], est un


végétal de haute stature. C’est encore une belle Légumineuse-
Parkiée. Il croît, de préférence, sur les bords des marigots et j’en ai
vu de beaux échantillons dans les environs de Nétéboulou. Il est
facile à reconnaître à la couleur sombre de son feuillage, et à son
fruit qui est une gousse rougeâtre quand elle est sèche et plus large
que ne le sont, en général, celles des autres légumineuses. Son
écorce est profondément fendillée, et, si on l’enlève, sa partie
intérieure présente une belle couleur rouge foncée. Chaque gousse
contient environ huit à dix graines, à deux faces bombées,
ressemblant à s’y méprendre à celles de certains haricots. Ces
graines, qui ont toujours à peu près le même poids, servent dans
certaines régions, le Bouré, par exemple, pour peser l’or. Cinq de ces
graines équivalent à peu près en poids à un gros, environ trois
grammes quatre-vingt-deux centigrammes.
Le Téli ou Tali (Peulh, Bambara, Malinké) est la plante vénéneuse
par excellence au Soudan français, au dire, du moins, des habitants.
Il entrerait du Téli dans la composition du « Corté », le fameux
poison que les habitants de Komboreah (Konkodougou) sont si
habiles à préparer et qui est si connu dans le Baleya, l’Amana, le
Dinguiray et même à Siguiri. Mais quelle est la partie de la plante qui
est utilisée ? C’est ce que nous n’avons pas encore pu savoir.
Toutefois nous avons appris que, dans certaines de nos rivières du
Sud, le Rio-Nûnez, le Rio-Pongo particulièrement, et dans le pays de
Loango, où le Téli est appelé Boudu ou Boudou, les indigènes
fabriquent avec sa racine, par infusion, une liqueur d’une extrême
amertume et qui sert de poison d’épreuve. Quand elle est trop
chargée, elle cause la suffocation, la rétention d’urine, etc., etc.,
l’accusé tombe et est déclaré coupable ; à dose plus faible, elle
n’amène pas d’accidents graves, alors l’accusé résiste et est déclaré
innocent.
D’après les indigènes du Soudan, toutes les parties de la plante
seraient excessivement vénéneuses. Voici ce que me disait à son
sujet le chef de Gangali (Niéri) : « Une feuille de Téli dans le
couscouss suffit pour empoisonner toute une famille. Un bœuf, un
cheval, un mouton en mange-t-il, il meurt aussitôt. Un oiseau, un
insecte mange-t-il une fleur de Téli, il tombe aussitôt foudroyé. » De
plus, les poissons ne vivent pas dans les marigots dont les bords sont
couverts de Télis, et il serait dangereux d’y faire boire les animaux.
Je me souviens encore que, sur la route de Damentan, mon
palefrenier refusa absolument de faire boire mon cheval à l’eau d’un
marigot dont les bords étaient couverts de Télis. Fait singulier : cette
eau, qui est toxique pour le cheval, paraît-il, ne le serait pas pour
l’homme. Je ne sais ce qu’il peut y avoir de vrai pour le premier,
mais, ce que nous pouvons assurer, c’est qu’il nous est arrivé
souvent de faire usage d’eau puisée au pied d’un Téli et que nous
n’en avons jamais été incommodé. Il en a toujours été de même
pour nos hommes.
Tout cela est évidemment bien exagéré, mais il s’en dégage ce
fait toutefois, c’est que toutes les parties de la plante sont nuisibles
mais à des degrés différents. Celle qui est la plus active, et cela, au
plus haut degré, c’est l’écorce. L’écorce fraîche l’est plus que l’écorce
sèche, et celle des jeunes sujets plus que celle des vieux arbres.
Après l’écorce la racine, puis la fleur et les graines. Les feuilles
n’auraient que de faibles propriétés nocives, mais, cependant, encore
assez fortes pour occasionner la mort, à une faible dose.
Jamais les animaux n’en mangent. On peut les laisser paître en
toute sécurité dans la brousse. Ils ne mangeront jamais les feuilles
du Téli, jamais ils n’en brouteront l’écorce. Cet arbre leur cause une
répulsion qu’ils ne peuvent surmonter. Par instinct, ils s’en éloignent
toujours. Ils ne peuvent en absorber que lorsqu’on en mélange les
feuilles avec l’herbe qu’on leur donne en pâture. Et encore arrive-t-il
fréquemment qu’ils mangent le bon fourrage et laissent le téli ?? La
meilleure façon de leur en faire absorber est simplement de
pulvériser l’écorce et de leur administrer avec leurs aliments la
poudre ainsi obtenue.
D’après les renseignements que j’ai recueillis un peu partout à ce
sujet, et que Sandia, le chef de Nétéboulou, m’a confirmés, car il
avait vu le cheval de son père mourir empoisonné, par malveillance,
avec du Téli, les animaux qui en absorbent à doses toxiques
éprouveraient les premiers accidents environ deux heures après
l’ingestion. Leur ventre deviendrait très volumineux. Ils
présenteraient une écume abondante à la bouche, des convulsions
qui dureraient une demi-heure environ et la mort surviendrait deux
heures et demie ou trois heures après l’ingestion du poison.
Les noirs du Soudan utilisent les feuilles du Téli contre le ver de
Guinée, et, voici comment : lorsque l’abcès qu’occasionne le ver s’est
ouvert spontanément ou bien à la suite d’une manœuvre opératoire,
et que le parasite commence à sortir, ils enveloppent la partie malade
avec des feuilles de Téli. Deux ou trois suffisent pour la couvrir
complètement. Un pansement fait avec des feuilles d’un autre
végétal quelconque inoffensif et maintenu toujours humide est
appliqué par-dessus. Le tout est fixé à l’aide de lacs. Ils prétendent
que le ver est alors empoisonné et qu’il sort plus facilement. Ceci
mérite confirmation, on le comprendra aisément. J’ai cependant vu
des malades se bien trouver de ce traitement.
Le Téli ne sert en aucune autre circonstance. Il inspire aux
indigènes une telle frayeur qu’ils ne l’utilisent ni dans la construction
de leurs cases ni même pour faire cuire leurs aliments.

3o N’taba. — Le N’taba[9] est une Malvoïdée de la famille des


Sterculiacées. C’est le « Sterculia cordifolia Cav. », ainsi nommé
parce que ses feuilles sont en forme de cœur. C’est un des plus
beaux végétaux des régions de l’Afrique tropicale. On le reconnaît
aisément à son tronc énorme, à ses feuilles excessivement larges et
à son fruit absolument caractéristique. Ce fruit, qui vient à l’extrémité
des jeunes rameaux, a la forme d’une gousse volumineuse, dont les
valves charnues s’ouvrent à la pression par son arête convexe. Son
extrémité libre est munie d’une sorte d’appendice charnu en forme
d’aiguillon de 0m06 environ de longueur. Quand il est mûr, il a une
couleur rouge clair qui ne peut laisser aucun doute. Il renferme une
douzaine de graines polyédriques noyées dans une pulpe jaunâtre,
savoureuse, et excessivement parfumée. C’est un des meilleurs
desserts que j’aie rencontrés au Soudan et souvent nous nous en
sommes régalés. Les fruits sont accouplés au nombre de trois, cinq
ou sept en faisceaux et adhèrent fortement au pédoncule et à la tige
qui les porte. Ils tombent rarement et pour les cueillir on est obligé
de sectionner le rameau qui les porte.
Cet arbre acquiert des proportions gigantesques. Nous en avons
vu dans le Ouli, le Sandougou, le Kantora, à Mac-Carthy, etc., etc.,
des spécimens vraiment remarquables. Dans ces régions, c’est l’arbre
à palabres préféré dans tous les villages et son épais feuillage est
recherché pendant les heures chaudes de la journée.
Le N’taba habite de préférence, les terres riches en humus et les
terrains à latérite. On ne le trouve, pour ainsi dire, jamais sur les
bords des marigots. Et pourtant, il affectionne tout particulièrement
les régions humides. Aussi est-il excessivement rare dans les régions
sablonneuses et les steppes du Soudan. C’est surtout dans le Sud de
nos possessions qu’on le rencontre, de préférence, dans le
Sandougou, le Ouli, le Konkodougou, le Sud du Diébédougou, le
Damentan, le Niocolo, le pays des Coniaguiés et des Bassarés, etc.,
etc. Il se prête cependant assez volontiers à la culture dans des
régions plus septentrionales. Ainsi, à Bammako, notre excellent ami,
M. le vétérinaire Körper, a obtenu à ce sujet des résultats
surprenants et a pu acclimater absolument ce végétal sur cette
partie des bords du Niger. Il ne faut pas oublier que le N’taba est le
congénère du Kola. Il est donc permis d’espérer que l’on pourra
arriver, un jour, à cultiver ce dernier végétal dans les régions où croît
le premier.
Le N’taba est peu utilisé par les indigènes. Dès qu’ils sont mûrs,
les fruits sont mangés avec avidité par les enfants. Dans certaines
régions, à Missira (Sandougou) notamment, il m’a été dit que ces
fruits étaient parfois employés avec succès contre certaines diarrhées
rebelles. Je n’ai jamais eu à le constater.
Le N’taba, suivant les régions qu’il habite, fleurit du mois de
janvier au mois de mars et les fruits arrivent à maturité du
commencement de juin à la fin de juillet. Il porte des feuilles
pendant toute l’année. Il a été introduit à la Guyane (Maroni).
Nous ne voulons pas quitter Sini sans le faire connaître plus
complètement au lecteur. Sini, capitale de l’État Malinké du Ouli, est
un village d’environ 600 habitants. Bien qu’il soit la résidence du
Massa-Ouli ou chef du Ouli, il a absolument l’aspect du plus simple
des villages. Ses cases sont construites en terre, rondes et couvertes
d’un toit en chaume qui à la forme d’un chapeau pointu. Il est
entouré d’un tata (fortification en terre) à tourelles qui tombe
littéralement en ruines, mais qui, à en juger par ce qu’il en reste,
devait être très fort. Le chef n’a pas de tata particulier, comme cela a
lieu dans la plupart des villages Malinkés. — La population est
formée uniquement de Malinkés, sales et grands ivrognes. Les
membres de la famille royale, à part peut-être le chef actuel, ont à ce
point de vue une réputation bien méritée. — Sini a été attaqué par le
marabout Mahmadou-Lamine-Dramé en 1886, lorsque, chassé de
Dianna par le colonel Galliéni, il s’enfuit vers le Ouli et se réfugia à
Toubacouta. Les habitants avaient eu le temps de prendre toutes les
mesures de défense nécessaires. Un fort sagné (fortification en bois)
avait été construit autour du village. On en voit encore les restes. Les
guerriers des villages voisins étaient venus se réfugier auprès du
chef, et, de ce fait, en peu de jours, Massa-Ouli se trouva à la tête
d’une colonne de six à huit cents hommes. Trop âgé pour la conduire
au combat, il en confia le commandement à son jeune fils Massara et
à Malamine, le chef de Nétéboulou, le frère de Sandia, le chef actuel.
En vain, les bandes du marabout tentèrent-elles de s’emparer de vive
force du village. Elles l’attaquèrent inutilement trois jours de suite.
Voyant la place aussi bien défendue, le marabout se retira, mais
attaqué par les guerriers du Ouli qui sortirent alors en masse du
village et se mirent à sa poursuite, il fut complètement battu, et se
réfugia avec les quelques guerriers qui lui restaient à Toubacouta,
dont le chef lui ouvrit les portes et le reçut à bras ouverts. Sini avait
cependant souffert de ce siège de trois jours. Un incendie allumé par
l’ennemi avait dévoré les toits de la moitié des cases. Heureusement
la population et les guerriers avaient pu se réfugier dans l’espace
compris entre le tata et le sagné. C’en était fait autrement du village
et l’on peut être certain que si le marabout s’en était emparé, il ne
l’eût pas ménagé. On voit encore les traces de cet incendie,
notamment dans le quartier qui est situé sur la route de
Goundiourou.
La population de Sini est paisible, hospitalière et s’adonne surtout
à la culture. Aussi le village est-il entouré de tous côtés de beaux
lougans de mil, maïs, arachides. Autour des cases mêmes les
femmes et les enfants font de petits jardinets où ils cultivent avec
succès, oignons, courges, tomates, oseille. L’espace compris entre le
tata et le sagné est également bien cultivé, et j’y ai remarqué de
belles plantations de maïs et de manioc. Par contre, le troupeau du
village est peu nombreux. Du reste les Malinkés, proprement dits, de
cette région, élèvent peu de bétail. Ils laissent ce soin aux Peulhs
qu’ils rançonnent d’une façon éhontée à ce point de vue.
Dans la soirée, Massa-Ouli et ses fils et ses frères vinrent me
saluer de nouveau et me quittèrent en me promettant de venir le
lendemain matin me serrer la main. Tout le monde dormit bien cette
nuit-là, aussi les préparatifs du départ se firent-ils rapidement.

28 octobre. A cinq heures du matin, je réveille toute la caravane,


mon interprète Almoudo et Sandia sont les premiers debout et
organisent le convoi rapidement. Enfin, après un déjeuner sommaire,
nous pouvons nous mettre en route à cinq heures quarante minutes.
Malgré l’heure matinale, tout le monde est debout. Massa-Ouli lui-
même est assis devant la porte de sa case et me serre la main avec
effusion à plusieurs reprises et me souhaite un bon voyage. Son fils
Massara est à cheval et va nous accompagner jusqu’au premier
village. Je donne le signal du départ et bien à regret nous quittons
Sini, non sans avoir promis à nos amis de revenir les voir à notre
retour de Mac-Carthy.
Le jour commence à poindre quand nous franchissons les portes
du sagné pour nous engager au milieu de beaux lougans de mil dont
les tiges hautes de plus de quatre mètres se rejoignent et forment
au-dessus de nos têtes un véritable dôme de feuilles et d’épis. La
température est excessivement fraîche. Je constate 16 degrés. La
rosée est de plus très abondante et nous sommes absolument
inondés peu après le départ. Nous marchons d’une bonne allure pour
nous réchauffer et dans le plus grand ordre. Il est 6 heures 15 quand
nous arrivons à Canapé. C’est le premier village Peulh que nous
rencontrons. Tout le monde est debout. Il faut mettre pied à terre.

Canapé. — Canapé est un village d’environ deux cent cinquante


habitants. Il est entièrement construit en paille. C’est, du reste, le
seul mode de construction employé par les Peulhs. Il est
littéralement enfoui au milieu du mil et du maïs, et jusque devant les
cases tout est cultivé. Pas un pouce de terrain n’est perdu. Ses
habitants viennent du Fouladougou et le Ouli, le Sandougou et le
Niani en sont très peuplés. C’est là qu’ils y cherchent un refuge
contre les pillages et les exactions des souverains de leur pays
d’origine. Ils construisent en paille de gentils petits villages proprets
et se livrent avec passion à la culture et à l’élevage. Aussi sont-ils
absolument pressurés par leurs nouveaux maîtres.
A peine étions-nous arrivés que sur l’ordre du chef on nous
apporta de grandes et nombreuses calebasses de lait sûr et de
couscouss pour les hommes et pour moi du lait frais et des œufs en
quantité. Bon gré mal gré il fallut s’attabler et manger.
Heureusement que le noir a l’estomac complaisant, aussi mes lascars
firent-ils sérieusement honneur à ce petit apéritif, comme disait mon
fidèle Almoudo. Pour moi, je me contentai d’avaler quelques œufs
crus et de boire deux tasses environ d’un excellent lait fraîchement
tiré. Ce qui me fit encore plus de plaisir ce fut le cadeau que me fit le
chef de plusieurs bouteilles d’excellent beurre. Ce qui me promettait,
grâce au modeste talent de mon cuisinier, Samba-Sisoko, une
excellente cuisine pour l’avenir.
Après une halte de vingt minutes environ, nous nous remîmes en
marche, non sans avoir serré vigoureusement la main à Massara, qui
nous quittait là pour retourner à Sini, et sans l’avoir remercié de sa
généreuse hospitalité. Le chef de Canapé et ses principaux notables
m’accompagnèrent pendant plusieurs kilomètres et, chemin faisant,
me firent part de la situation pénible qui leur était faite dans le Ouli.
Je leur promis d’en informer le commandant de Bakel dont ils
relevaient, et ils me quittèrent enchantés. J’ai appris depuis que tout
avait été réglé au mieux de leurs intérêts et à la satisfaction
générale.
En quittant Canapé, nous traversons d’abord les lougans du
village qui, relativement, ont une superficie considérable. Peu après,
nous entrons en pleine brousse. Elle se continue jusqu’aux lougans
de Soutouko, où nous arrivons vers neuf heures du matin.

Soutouko. — Soutouko est un village d’environ 550 habitants. Sa


population est formée uniquement de Malinkés musulmans. Ils
différent absolument des autres Malinkés et se rapprochent
beaucoup de la race Toucouleure dont beaucoup d’entre eux ont le
type et les mœurs. Ce sont ces Malinkés que, dans les Rivières du
Sud, on désigne sous le nom de Mandingues. Nous y reviendrons
plus loin. Musulmans fanatiques, ils furent des premiers à embrasser
la cause du marabout Mahmadou-Lamine.
Soutouko n’a nullement l’aspect des autres villages Malinkés. Bien
qu’il soit construit de la même façon, il est propre et bien entretenu.
Au centre du village règne une mosquée en paille et pisé bien
comprise et dont les abords sont indemnes de tout immondice. Je
n’ai pas besoin de dire qu’elle est assidûment fréquentée.
Là encore il fallut mettre pied à terre et accepter le lunch qui
nous était préparé. Mes hommes s’en tirèrent à merveille. Pour moi,
je ne pus absorber qu’une petite quantité de lait et quelques œufs
frais. La fatigue commençait à se faire sentir et je ne pus que
difficilement remonter à cheval. J’étais loin d’être complètement
remis des assauts que j’avais eu à supporter à Nétéboulou.
La route entre Soutouko et Barocounda, où j’avais décidé que je
ferais étape, est bordée à droite et à gauche par de superbes
champs de mil et d’arachides. Elle ne présente rien de particulier et
nous la fîmes sans aucun autre incident que les nombreuses haltes
que ma faiblesse me força à faire, tous les deux ou trois kilomètres.
Environ à mi-chemin de Barocounda se trouvent plusieurs villages
Peulhs dont les habitants se livrent paisiblement à la culture. Ce
sont : Marosouto — Ourosaradado — Tabandi — Sarè n’Dougo —
Saré-Dialloubé. Nous fîmes halte à Tabandi et les habitants vinrent
nous saluer et nous apporter des calebasses de lait et d’eau fraîche
pour nous désaltérer, car la chaleur commençait à être insupportable.
Ils nous autorisèrent également à arracher quelques pieds
d’arachides. Nous nous régalâmes de leurs graines vertes. C’est un
des meilleurs fruits du Soudan que je connaisse.
Enfin, à midi, nous apercevions les toits pointus de Barocounda,
où nous allions pouvoir goûter quelque repos et nous mettre à l’abri
des ardeurs de la canicule. J’étais absolument à bout de forces
quand je pus prendre possession du logement qui avait été préparé à
mon intention.
Je fus reçu à Barocounda avec autant d’empressement et de
sympathie que dans les autres villages du Ouli que je venais de
visiter. Nous eûmes à profusion de tout ce que l’on peut trouver au
Soudan et j’estime encore aujourd’hui que les quelques cadeaux
dont ma pauvre pacotille me permit la largesse à mes hôtes en
reconnaissance de leur généreux accueil, furent bien au-dessous de
ce qu’ils dépensèrent en mon honneur.

Barocounda. — Barocounda est un gros village de 750 habitants


environ. Sa population est uniquement formée de Malinkés puants,
sales et ivrognes. Ses cases sont construites sans aucun soin, sans
aucun ordre, et la plupart d’entre elles tombent littéralement en
ruines. Il est absolument ouvert et ne possède aucune défense. La
place principale du village, où se trouvent deux superbes n’tabas, est
absolument encombrée de détritus de toutes sortes. C’est, comme
dans tous les villages Malinkés, du reste, le dépotoir commun où
chacun vient jeter les ordures de son ménage. Il possède de beaux
lougans et de belles rizières, mais peu de bestiaux. Par contre, les
chèvres et les poulets y sont excessivement nombreux. Pendant la
guerre du marabout, il fut relativement épargné et n’eut à supporter
que les razzias des pillards qui l’accompagnaient.
Je passai là une assez bonne journée qui me remit des fatigues
de la longue étape du matin. Dans la soirée, le ciel se couvrit
brusquement. Eclairs, roulements de tonnerre se succédèrent sans
interruption pendant plusieurs heures. La chaleur devint intolérable ;
mais, contre notre attente, il ne tomba pas une goutte de pluie.
Heureusement que vers minuit les nuages se dissipèrent. Le vent du
Nord se leva, vint rafraîchir l’atmosphère, et nous permit de goûter,
pendant quelques heures, un sommeil réparateur. Le lendemain, au
réveil, il n’y avait plus trace de l’orage de la veille, et nous pûmes,
sans crainte d’être trempés, nous mettre en route pour Toubacouta,
où j’avais décidé de faire étape.

29 octobre. — Nous quittons Barocounda à 5 h. 15 du matin et


nous nous rendons sans aucun incident à Toubacouta, où nous
arrivons à 9 h. 15. La route de Barocounda à Toubacouta ne
présente rien de bien particulier tant au point de vue botanique que
géologique. Elle traverse une vaste plaine argileuse couverte de
bambous à travers lesquels on n’avance que difficilement. Du haut
du plateau qui domine la plaine où s’élevait jadis l’ancien village de
Toubacouta, on découvre tout le champ de bataille où fut mise en
déroute l’armée du marabout par la petite colonne que commanda et
dirigea avec tant d’autorité mon excellent ami M. le capitaine Fortin,
de l’artillerie de marine. Sandia, qui y assista et y paya de sa
personne, me donna sur les lieux mêmes tous les détails de cette
glorieuse campagne. L’intelligent chef de Koussan-Almamy, Abdoul-
Séga, qui y remplissait les fonctions d’interprète de la colonne
française, a bien voulu me renseigner à ce sujet aussi exactement
que possible. C’est d’après leurs récits que j’ai rédigé ce qui suit :
Toubacouta était situé au bord d’une vallée qu’entourait au Sud,
au Nord et à l’Ouest une ceinture de collines peu élevées. A l’Est il
est défendu par le petit marigot de Maka-Doua qui sépare le Ouli du
Sandougou. Ce marigot est peu profond et ne saurait constituer un
obstacle difficile à surmonter. Toubacouta, au point de vue de la
stratégie indigène, était fort bien situé, étant donné surtout qu’il
n’aurait jamais affaire à des ennemis familiers avec les armes à
longue portée. Attaqué, au contraire, par des troupes européennes,
sa position devenait absolument mauvaise. Si, quand il avait à
combattre contre des noirs, il voyait descendre leurs colonnes
d’attaque sur les flancs des collines qui l’entourent, par contre il ne
pouvait rien contre nos canons, qui, du haut de ces mêmes collines
le pouvaient bombarder impunément. Son tata, à en juger par les
ruines que nous y avons vues, devait être relativement fort. De plus,
chaque demeure particulière était entourée d’un petit mur, comme
cela a lieu dans la plupart des villages Malinkés. Ces petits ouvrages
de défense intérieurs n’étaient pas à négliger, car il est évident qu’ils
forment autant de réduits qu’il faut, dans un assaut régulier,
emporter de vive force. Toubacouta devait être un fort village
d’environ 800 habitants. Ses ruines sont maintenant pour ainsi dire
inhabitées. Depuis la guerre du marabout, il ne s’y est élevé que
quelques petites huttes où viennent se reposer les captifs qui
cultivent les lougans environnants, et le maïs pousse haut et dru là
où le faux prophète a prèché la guerre sainte. A deux kilomètres
environ à l’ouest, de l’autre côté du marigot de Maka-Doua, sur le
sommet d’une verdoyante colline, a été reconstruit Toubacouta. Ses
habitants, que la guerre avait dispersés, sont à peu près tous
revenus maintenant. L’ancien Toubacouta est donc situé dans le Ouli
et le nouveau dans le Sandougou. La population est uniquement
formée de Malinkés musulmans, fanatiques qui furent des premiers,
on n’en doute pas, à se ranger sous la bannière du marabout. Ils
avaient émigré de la rive gauche de la Gambie quelques années
auparavant dans les circonstances suivantes :
Vers 1869 ou 1870, le marabout Simotto Moro (Moro, en
mandingue du Sud, signifie marabout). On ajoute ce qualificatif au
nom de tous les marabouts qui acquièrent quelque renommée, frère
de Dimbo, le chef actuel de Toubacouta, habitait les bords du
marigot de Simotto-Ouol, qui se jette dans la Gambie, tout près du
village de Oualiba-Counda, dans le Fouladougou, à trois kilomètres
environ au Sud-Ouest de Yabouteguenda. Ce marabout avait dans
son village une grande influence et sa renommée lui avait attiré bon
nombre de disciples qui lui étaient venus des autres villages du
Ghabou. Le Ghabou est ce vaste pays Malinké situé sur la rive
gauche de la Gambie dont s’empara Alpha-Molo et auquel on donne
aujourd’hui le nom de Fouladougou. De nos jours, Moussa-Molo, fils
du précédent, y a succédé à son père et y règne en véritable tyran.
Les agissements de Simotto-Moro ne tardèrent pas à éveiller la
défiance d’Alpha-Molo, qui résolut de se débarrasser d’un voisin qui
menaçait de faire échec à son autorité naissante. Averti à temps et
ne se voyant plus en sûreté dans son petit village du Ghabou,
Simotto-Moro, à la tête de deux ou trois mille individus, traversa la
Gambie à Yabouteguenda et vint demander au Massa-Ouli (chef du
Ouli) de l’autoriser à s’établir dans son pays et de lui accorder dans
ce but pour lui et ses compagnons une concession de terrain
suffisante. Le Massa, enchanté de voir ainsi s’augmenter le nombre
de ses sujets, lui répondit qu’il pouvait s’installer avec sa suite
partout où il lui conviendrait dans son territoire. Le vieux marabout
n’en demandait pas plus. Aussi son choix fut-il vite fait. Sur les bords
du marigot de Maka-Doua, qui sépare le Ouli du Sandougou, il avait
remarqué depuis longtemps des terres fertiles et une bonne position
pour y construire un village. C’est là qu’il demanda à se fixer. Non-
seulement le Massa y consentit, mais encore il lui envoya son frère
Penda-Mahmady avec quatre cents hommes pour l’aider à construire
un sagné et un tata. Sous la conduite du marabout, en peu de mois,
le nouveau village fut élevé et solidement fortifié. Il ne se contenta
pas d’entourer ses nouvelle demeures d’un fort sagné (palissade
formée de pièces de bois jointives, plantées en terre et hautes
d’environ trois mètres), et d’un épais tata, il fit en plus creuser
autour de ces premières défenses deux larges et profonds fossés,
l’un extérieur et l’autre intérieur au sagné. Le nom de Toubacouta fut
donné au nouveau village.
A l’abri de ses murailles et n’ayant plus rien à redouter d’Alpha-
Molo et de ses Peulhs, le vieux marabout continua ses prédications et
sa renommée ne fit que croître dans tous les pays riverains de la
Gambie. Pendant bon nombre d’années on ne parla que de lui dans
toute la région, et son nom de Simotto-Moro (marabout du Simotto
du nom du marigot sur les bords duquel il avait d’abord habité et
commencé sa carrière religieuse) était dans la bouche de tous les
bons Musulmans. Il ne tarda pas à essayer de profiter de la situation
exceptionnelle qu’il s’était faite, et chercha maintes fois à faire naître
les occasions d’en imposer à son généreux hôte. Massa-Ouli ne
résista pas, et, tant est grande la crainte que les marabouts inspirent
aux populations non musulmanes du Soudan, qu’il n’osa jamais
contrecarrer les desseins du vieux marabout. Cela fut une grande
faute comme on le verra plus loin. Les choses restèrent pourtant en
état jusque vers 1875, époque à laquelle Ousman-Gassy, fils de
Boubakar-Saada, almamy du Bondou, organisa une petite colonne
dans le Ferlo-Bondou et marcha contre Toubacouta. En arrivant
devant le village, il reconnut, mais trop tard, que ses forces étaient
insuffisantes pour qu’il puisse s’en emparer. Il se contenta de faire
caracoler ses cavaliers jusque sous les murs de la place, et, après
avoir échangé une vive fusillade avec les défenseurs, il se retira avec
une vingtaine de prisonniers. Il traversa alors la Gambie et se rendit
auprès de Moussa-Molo pour l’aider à réprimer la révolte qui venait
d’éclater dans toute la région ouest du Fouladougou.
Mais à l’instigation de Simotto-Moro, Massa-Ouli se plaignit à
Boubakar-Saada de la conduite d’Ousman-Gassy. Ses récriminations
n’eurent aucun effet, et, de ce fait, le marabout ne lui pardonna pas
de ne pas avoir tiré vengeance de l’affront qui lui avait été fait. Son
mépris et sa honte pour son hôte s’envenimèrent chaque jour et il ne
songea plus qu’à lui faire payer cher sa lâcheté vis-à-vis de l’almamy
du Bondou. Ses vœux ne tardèrent pas à être exaucés. Vers la fin de
1876 ou au commencement de 1877, les marabouts Mour-Seïny et
Biram-Cissé, lieutenants de Mahmoudou-Dadi, roi du Saloum, qui
venait de soumettre tout le Niani, levèrent une colonne de deux ou
trois mille hommes et marchèrent contre le Ouli. Si Simotto-Moro ne
leur donna pas de guerriers, il leur donna, du moins, tous les
renseignements nécessaires pour faciliter leurs entreprises, et, en
effet, Medina, qui était alors la capitale du pays, fut pris d’assaut et
Massa-Ouli fut réduit à s’enfuir avec quelques cavaliers qui lui
servirent d’escorte. Cependant, les guerriers du Ouli ne perdirent pas
courage. Penda-Mahmady et Dally-Manoma, frères du Massa,
réussirent à en rallier deux ou trois cents environ, avec lesquels ils
allèrent s’embusquer au gué de Paqueba, sur la rivière Sandougou,
afin de barrer la route à l’ennemi et lui couper toute retraite. Le
surlendemain matin, Mour-Seïny et les siens se présentèrent pour
traverser le gué. Les guerriers du Ouli les reçurent à coups de fusil.
Le combat s’engagea et après deux heures d’une lutte acharnée, le
Ouli lâcha pied et ses guerriers se débandèrent en laissant sur le
champ de bataille bon nombre de morts et de blessés, qui furent
presque tous achevés par les Ouolofs de Mour-Seïny. Dans cette
journée, le Ouli avait perdu ses meilleurs guerriers, au nombre
desquels se trouvaient six princes de la famille régnante, dix ou
douze captifs de la couronne et cinquante à soixante hommes.
Mour-Seïny rentra triomphalement à Koussalan (Niani) après avoir
mis à sac le Ouli et satisfait ainsi la vengeance de Simotto-Moro, qui
ne crut même pas devoir cacher tout le plaisir que lui causait la
défaite et la ruine de son hôte.
Jusqu’en 1881, époque à laquelle il mourut, la paix ne fut pas
troublée. Son fils Dimbo, qui lui succéda, hérita de la haine que son
père avait vouée aux Oualiabés (famille régnante du Ouli) et aux
Sissibés (famille régnante du Bondou). Aussi, en 1886, lorsque le
marabout Mahmadou-Lamine se sauva de Dianna devant la colonne
du colonel Galliéni, ce fut à Toubacouta, auprès de Dimbo, qu’il alla
se réfugier et reconstituer son armée. Dès lors, ce village devint le
repaire de tous les brigands et de tous les rebelles du Niani, du
Sandougou, en un mot, de tous les pays Mandingues riverains de la
Gambie et du Saloum.
Cet état de choses ne pouvait durer longtemps ainsi sans exposer
les pays alliés de la France à devenir encore la proie des colonnes de
Mahmadou-Lamine. Le colonel Galliéni, alors commandant supérieur
du Soudan Français, obligé de se rendre en toute hâte sur les bords
du Niger où sa présence était urgente, résolut, pour tranquilliser les
populations et pour surveiller les agissements du marabout pendant
l’hivernage, d’établir un poste provisoire dans le pays. A cet effet, il
chargea le lieutenant indigène Yoro-Coumba, des tirailleurs
sénégalais, de se rendre dans le Bondou et dans les pays riverains de
la Gambie, afin d’entamer des relations suivies avec les habitants et
de ramener à nous ceux qui tenaient encore pour Mahmadou-
Lamine.
Le lieutenant s’acquitta avec intelligence et succès de sa mission
et put s’avancer jusqu’à Yabouteguenda sur la Gambie, à une
journée de marche de Toubacouta. Dans ce périlleux voyage, il
n’était accompagné que de dix tirailleurs sénégalais et d’une centaine
de cavaliers du Bondou que commandait Ousman-Gassy. Notre ami
Abdoul-Séga, chef de Koussan-Almamy, lui servait d’interprète et de
secrétaire. Saada Ahmady, le nouvel almamy du Bondou, n’avait pu
l’accompagner jusqu’à Yabouteguenda et était resté à Nétéboulou,
village distant d’une étape de ce dernier.
Yoro-Coumba, revenu à Sini, la capitale du Ouli, dans la dernière
quinzaine d’avril 1887, y reçut l’ordre de M. le colonel Galliéni de
revenir dans le Bondou et d’y choisir un endroit convenable non loin
du Niéri-Kô pour y établir le poste d’observation.
Il fit choix de Bani-Israïla, village du Diaka, province tributaire du
Bondou. Tous les habitants de ce village, musulmans fanatiques,
avaient suivi le marabout Mahmadou-Lamine dans sa fuite. Mais peu
après que le lieutenant s’y fut établi ils commencèrent à revenir et
peu à peu le village se repeupla. Du reste, depuis son arrivée dans le
pays, il n’avait cessé d’envoyer des émissaires dans les États voisins
pour annoncer à ceux qui s’y étaient réfugiés qu’ils pouvaient sans
crainte retourner dans leurs villages respectifs.
Ce fut dans la première quinzaine de mai 1887 que le capitaine
Fortin fut nommé, par M. le colonel Galliéni, commandant du poste
de Bani-Israïla et de la colonne qui, au retour de la belle saison,
devait opérer contre Toubacouta. Il s’établit à environ cinq ou six
cents mètres au Sud-Est du village, en un endroit assez élevé d’où
l’on domine toute la plaine environnante. Il construisit là un poste
des mieux fortifiés et capable de résister à toutes les attaques du
marabout. La garnison en était relativement peu nombreuse, mais
suffisante cependant pour tenir la campagne sans crainte d’essuyer
un échec. Fortin n’avait avec lui, en effet, qu’une compagnie de
tirailleurs sénégalais que commandait le lieutenant Renard, ayant
sous ses ordres le lieutenant indigène Yoro-Coumba, dont la mission
était terminée. Monsieur le pharmacien de deuxième classe Liotard
était chargé d’assurer le service de l’ambulance, et deux interprètes,
dont l’un était notre ami Abdoul-Séga de Koussan-Almamy, étaient à
la disposition du commandant. Le commandant du cercle de Bakel
était chargé d’assurer le ravitaillement de la petite colonne.
Au milieu de ce pays dévasté, et malgré les privations de toutes
sortes et les maladies qui l’assaillirent à cette époque si malsaine
dans les pays chauds, la petite troupe que commandait notre ami ne
se laissa jamais aller au découragement et traversa victorieusement
ces pénibles épreuves. Tous, à l’exemple de leur chef, rivalisèrent de
courage et de dévouement, et l’on peut dire que cette campagne fut
une des plus glorieuses et des plus intelligemment conduites de
toutes celles que nous avons entreprises au Soudan.
Mettant à profit l’inaction forcée à laquelle le condamnait la
saison des pluies, le capitaine Fortin noua des relations très suivies
avec les pays riverains de la Gambie et obtint de leurs chefs la
promesse qu’ils arrêteraient le marabout s’il venait à se réfugier chez
eux.
Vers la fin du mois de juillet, le Niéri-Kô n’était plus guéable et
l’inondation était telle qu’il était devenu absolument impossible, en
cas de besoin, de mobiliser la garnison de Bani. Fortin tourna la
difficulté en envoyant dans le Ouli Ousman-Gassy avec une centaine
de cavaliers et deux cents fantassins. Ousman-Gassy alla camper à
Sini. Grâce à ses dispositions, Sini put repousser victorieusement les
attaques du marabout et lui infliger même une cruelle défaite, mais
Ousman-Gassy ne put arriver à temps pour secourir Nétéboulou,
dont Mahmadou-Lamine réussit à s’emparer par surprise.
Entre temps, Fortin négocia activement avec le roi du
Fouladougou, Moussa-Molo, et réussit à conclure avec lui un
arrangement en vertu duquel notre nouvel allié franchit la Gambie et
installa tout le long de ce fleuve, jusqu’à Mac-Carthy, sur la rive
droite, des postes de guerriers destinés à barrer la route au
marabout, dans le cas où Toubacouta pris, il voudrait fuir et chercher
un refuge sur la rive droite. Dans le même but, il enjoignit aux
Massa-Diambour et Massa-Coutia (Kalonkadougou) de marcher avec
leurs guerriers contre Mahmadou-Lamine si, par hasard, il venait à
s’enfuir vers le Nord. Les mêmes précautions étaient prises vers
l’Ouest et Ousman-Celli, chef de Oualia (Sandougou), l’alcati (chef)
de Koussalan et tous les autres chefs Ouolofs et Torodos du Niani
s’étaient engagés à l’arrêter s’il fuyait vers leurs pays respectifs.
Tout était, comme on le voit, savamment combiné. Rien n’était
laissé au hasard, à l’imprévu. La réussite était certaine, et c’en était
fait de la puissance du marabout.
Toutes ces dispositions prises, Fortin n’attendit plus pour agir que
les ordres du colonel et les renforts qui lui étaient annoncés. — Le 22
novembre 1887, ils arrivèrent. C’étaient deux compagnies de
tirailleurs sénégalais commandées par le lieutenant Chaleil, ayant
sous ses ordres les lieutenants Pichon et Poitout, une section
d’artillerie commandée par le lieutenant Le Tanhouézet. En plus, le
lieutenant Levasseur, de l’état-major du Soudan, et le docteur
Fougère, médecin de deuxième classe de la marine, étaient mis à la
disposition du commandant de la colonne expéditionnaire.
Enfin, le 28 novembre au soir, après avoir organisé ses troupes,
Fortin quittait Bani et marchait contre Toubacouta. La colonne arriva
rapidement à Sini, d’où une colonne volante fut expédiée à
Passamassi pour couper la retraite à l’ennemi s’il tentait de fuir vers
le Kantora. Le 5 décembre, la colonne campe à Soutouko, le 6 à
Dalla-Bâ, à trois kilomètres de l’ennemi. Cette dernière marche se fit
de nuit pour ne pas éveiller les soupçons des rebelles. Enfin, le 7, au
point du jour, on arrive devant Toubacouta. Immédiatement, le feu
est ouvert. Toubacouta est mitraillé et livré aux flammes. Mais le
marabout, qui, par hasard, n’avait pas couché cette nuit-là dans le
village, put échapper et s’enfuir vers le Sandougou. Sans perdre de
temps, Fortin lança à sa poursuite Ousman-Gassy et Moussa-Molo
avec leurs cavaliers. Ils l’atteignirent au village de N’goga-Soukouta.
Moussa-Molo, l’ayant fait cerner et tuer par ses cavaliers, lui fit
trancher la tête par un de ses griots, qui l’apporta au capitaine
Fortin, à Toubacouta. Ainsi se termina cette glorieuse campagne, et
tel fut, sauf erreurs, ce brillant fait d’armes, trop peu connu en
France et qui fait le plus grand honneur au capitaine Fortin, aux
courageux officiers et aux vaillantes troupes qui le secondèrent si
bravement.
Après avoir laissé à l’Ouest les ruines de l’ancien village de
Toubacouta et franchi le marigot de Maka-Doua, nous gravissons le
versant peu incliné de la colline sur laquelle s’élève le nouveau
village de Toubacouta. Comme nous l’avons dit plus haut, nous
sommes là dans le Sandougou. Je fus, du moins en apparence, bien
reçu par les habitants de ce village désormais célèbre. J’eus pour
logement une case vaste, spacieuse, carrée, bien aérée et ne
ressemblant en rien aux cases que j’avais habitées jusqu’à ce jour. Je
me rappelle encore combien grand fut mon étonnement et ma
satisfaction de me voir ainsi logé et j’en témoignai au chef tout mon
contentement.
Je n’ai pas besoin de dire qu’il me fit mille protestations d’amitié
et de dévouement. On verra par ce qui suit que ses actes furent loin
d’être en accord avec ses paroles. D’abord, contrairement aux usages
de tous les pays noirs, il ne m’envoya rien pour mes repas, et ce ne
fut que lorsque Sandia lui eût fait part de mon étonnement qu’il se
décida à faire préparer du couscouss pour mes hommes que je lui
payai comptant, bien entendu. Je puis dire qu’à part les villages
Coniaguiés, où nous en fûmes réduits à la portion congrue, ce fut à
Toubacouta que je fus le plus mal hébergé : aussi ma surprise fût-
elle extrême quand il me montra une attestation de la mission de
délimitation des possessions anglaises et françaises en Gambie, qui
avait séjourné dans son village quelques mois auparavant, par
laquelle le plus grand éloge était fait de la généreuse hospitalité qu’il
leur avait offerte. Ce ne fut que dans la soirée qu’il revint à de
meilleurs sentiments et qu’il vint m’offrir un mouton que je refusai
impitoyablement.
La journée se passa sans autre incident qu’un violent orage
accompagné d’une pluie diluvienne, et l’arrivée d’un envoyé de
Guimmé-Mahmady, chef du Sandougou, qu’il avait chargé de venir
me chercher là pour me conduire à Missira, sa résidence.
Pendant toute la nuit, la pluie tomba à torrents. Elle ne cessa que
vers deux heures du matin, et nous pûmes au point du jour partir
pour Missira. J’aurais été désolé d’être forcé de rester un jour de plus
à Toubacouta. La réception qui m’y avait été faite était loin de m’y
engager.
Le nouveau village de Toubacouta est situé à environ vingt-et-un
kilomètres de Barocounda et à neuf kilomètres de la Gambie. Sa
population, formée uniquement de Malinkés musulmans, est environ
de six cents habitants. Il est bien construit, bien entretenu et d’une
propreté remarquable pour un village noir. J’en fus littéralement
charmé. Il est absolument ouvert et ne possède ni tata, ni sagné.
Ses environs sont bien cultivés et il est entouré des lougans les
mieux entretenus et des plus belles rizières de la région. Son
troupeau est relativement nombreux et chaque propriétaire possède
en quantité moutons, chèvres et poulets.
Toubacouta appartient aujourd’hui à l’Angleterre. Il est compris
dans la zone de terrain que nous lui avons cédé par le traité du 10
août 1889.
Le marigot de Maka-Doua, qui forme la limite du Ouli à l’Ouest et
le sépare du Sandougou, se jette dans la Gambie à la hauteur de
Fatatenda. Il est formé par deux branches dont l’une, le Maka-Doua,
proprement dit, passe entre les deux villages de Toubacouta l’ancien
et le nouveau, et l’autre, le Douga-Kô, passe à Dalésilamé. Ses bords
sont couverts de magnifiques rizières et de beaux lougans de mil et
d’arachides.
De Sini à Toubacouta, la nature du sol change progressivement
au fur et à mesure que nous descendons vers le Sud et que nous
approchons des rives de la Gambie. Nous trouvons bien encore les
argiles compactes aux environs de Sini et de Canapé. Elles
apparaissent encore aux environs de Toubacouta et de Barocounda ;
mais d’une façon générale, c’est la latérite qui domine dans toute
cette région, et aux environs de la Gambie, les marais et les alluvions
récentes. Aussi le terrain est-il là d’une richesse et d’une fertilité
étonnantes. Les collines elles-mêmes que nous avons traversées sont
excessivement boisées et le sol en est encore recouvert par une
épaisse couche d’humus qui les rendent supérieurement fertiles. Les
plateaux ferrugineux et rocheux ont presque complètement disparu.
Parfaitement arrosés par de nombreux marigots qui débordent,
chaque année, les environs des villages sont couverts de belles
rizières. Le mil, arachides, maïs et toutes les autres plantes cultivées
par les indigènes y prospèrent à merveille.
La flore y est plus belle que dans les régions plus septentrionales
et les grandes espèces botaniques s’y développent d’une façon
remarquable. N’tabas, Fromagers, Baobabs, Rôniers, grandes
Légumineuses, etc., etc., y atteignent des proportions énormes. La
brousse elle-même y est si vivace et y acquiert une hauteur telle,
que, dans les sentiers, qui, dans ces régions, servent de route,
cavaliers et chevaux disparaissent complètement sous la verdure.

Le Dougoura. — C’est dans cette région que j’ai vu les derniers


spécimens d’un beau végétal que j’avais rencontré en abondance
dans le Bondou, le Tiali, le Niéri et la région Nord-Ouest du Ouli. Les
indigènes lui donnent le nom de « Dougoura ». C’est un bel arbre qui
atteint des proportions énormes, et, qu’à la forme de sa graine, j’ai
cru reconnaître appartenir à la famille des Térébinthacées. Son tronc
volumineux, droit, élancé, s’élève parfois à six ou huit mètres de
hauteur. Il émet à ce niveau des branches maîtresses énormes qui
donnent elles-mêmes un grand nombre de rameaux. Son écorce est
épaisse, profondément fendillée, et si on y pratique une incision
intéressant toute son épaisseur, il en découle un suc blanc laiteux,
épais et poissant les doigts et exhalant une odeur prononcée de
térébenthine. Son bois est blanc, dur, et parfois les indigènes s’en
servent pour fabriquer des mortiers à couscouss. Ses feuilles peu
épaisses et peu touffues sont d’un vert tendre, luisantes, et leur
forme rappelle un peu celle de l’Acacia de nos jardins. Je n’en ai
jamais vu la fleur. Le fruit est des plus caractéristiques et permet de
reconnaître de loin l’arbre qui le porte. Il croît à l’extrémité des

Vous aimerez peut-être aussi