(775022431) Descartes Recueil Textes Convertis Word Hi 2019
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(775022431) Descartes Recueil Textes Convertis Word Hi 2019
L’ÊTRE HUMAIN
340-102-MQ
Hiver-2022
DESCARTES
Descartes
Extraits du volume : Guenancia Pierre, Descartes, Bordas Folio-Essais 1996
ISBN 2-9 111 27-37-4
Extraits disponibles sur :
http://mapage.noos.fr/crosin000v/Descartes/Extraits_fr_Descartes.html
Le corps humain
3
des passions dans l’âme. Car pour comprendre comment les passions se produisent dans l’âme,
comme pour savoir comment leur résister, il faut d’abord pouvoir reconnaître l’action du
corps seul sur l’âme et donc ne pas sous-estimer son rôle et son influence dans la plupart des
pensées et des conduites des hommes. L’importance accordée de tout temps par Descartes à
la médecine tient aussi à cette conception de l’automatisme corporel.
“ Je désire que vous considériez que ces fonctions [ digestion, nutrition, respiration, etc. ]
suivent toutes naturellement, en cette machine, de la seule disposition de ses organes, ni
plus ni moins que font les mouvements d’une horloge, ou autre automate, de celle de ses
contrepoids et de ses roues. ” Traité de l’homme.
LES ANIMAUX-MACHINES
La différence entre l’homme et l’animal n’est donc pas une différence de degré ou de
complexité, mais bien une différence de nature. Car l’homme, parce qu’il pense, parle ou
invente un système de signes destiné à communiquer ce qu’il pense. La parole est le seul signe
certain d’une pensée enfermée dans le corps. On peut alors conjecturer que si l’animal ne
nous communique pas ses pensées, ce n’est pas parce que nous ne comprendrions pas le “
langage ” dans lequel il les exprime, mais parce qu’il ne pense pas. Cela ne veut pas dire qu’il
ne vit pas ou qu’il n’est pas sensible, mais seulement qu’il n’est régi que par un principe
mécanique et non aussi par un principe intelligent.
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“ Or il est, ce me semble, fort remarquable que la parole, étant ainsi définie, ne convient qu’à
l’homme seul. Car, bien que Montagne et Charon aient dit qu’il y a plus de différence d’homme
à homme, que d’homme à bête, il ne s’est toutefois jamais trouvé aucune bête si parfaite,
qu’elle ait usé de quelque signe, pour faire entendre à d’autres animaux quelque chose qui
n’eût point de rapport à ses passions ; et il n’y a point d’homme si imparfait, qu’il n’en use ; en
sorte que ceux qui sont sourds et muets, inventent des signes particuliers, par lesquels ils
expriment leurs pensées. Ce qui me semble un très fort argument pour prouver que ce qui
fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu’elles n’ont aucune pensée, et non point
que les organes leur manquent. Et on ne peut dire qu’elles parlent entre elles, mais que nous
ne les entendons pas ; car, comme les chiens et quelques autres animaux nous expriment
leurs passions, ils nous exprimeraient aussi bien leurs pensées, s’ils en avaient.” Lettre au
marquis de newcastle, 23 novembre 1646.
“ Ne m’avouerez-vous pas que vous êtes moins assuré de la présence des objets que vous
voyez, que de la vérité de cette proposition : Je pense, donc je suis ? Or cette connaissance
n’est point un ouvrage de votre raisonnement, ni une instruction que vos maîtres vous aient
donnée ; votre esprit la voit, la sent et la manie. ” Lettre de mars ou avril 1648 à Silhon.
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LES ÉMOTIONS INTÉRIEURES DE L’ÂME
De son vivant, Descartes a échangé avec les philosophes et les savants de l’Europe une
correspondance où la polémique et la critique souvent sévère des thèses et des
démonstrations cartésiennes occupent une grande place. Mais c’est surtout après sa mort et
avec la publication d’œuvres jusque-là inédites que la philosophie cartésienne fait l’objet de
critiques d’ensemble, particulièrement dans les milieux influencés par cette philosophie, et
par ces philosophes que l’on commence à appeler cartésiens : Pascal, Spinoza, Leibniz.
Pascal (qui a rencontré Descartes en 1647 et a parlé avec lui de ses expériences sur le vide)
appartient à un milieu assez hostile au cartésianisme, à la fois en désaccord avec la méthode
cartésienne dans les sciences, et soupçonnant la philosophie cartésienne de de vouloir
demeurer à bonne distance de la religion chrétienne. En témoigne ce jugement sévère
(Pensées, fg. 77) :
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“ Je ne puis pardonner à Descartes ; il aurait bien voulu dans sa philosophie, se pouvoir
passer de Dieu ; mais il n’a pu s’empêcher de lui faire donner une chiquenaude, pour mettre le
monde en mouvement ; après cela, il n’a plus que faire de Dieu. ”
Ce sont pour des raisons inverses de celles de Pascal que Spinoza critique Des- cartes :
l’idée d’un Dieu créateur, l’idée d’une âme disposant librement de ses volontés ne sont que
fictions aux yeux de l’auteur de l’Éthique où la critique du cartésianisme est constante,
même si elle n’est pas aussi explicite que dans ce passage tiré de la préface de la cinquième
partie : “ En vérité je ne puis m’étonner qu’un philosophe, après s’être fermement résolu à ne
rien déduire que de principes connus d’eux-mêmes, et à ne rien affirmer qu’il ne perçût
clairement et distinctement, après avoir si souvent reproché aux Scolastiques de vouloir
expliquer les choses obscures par des qualités occultes, admette une hypothèse plus occulte
qu’aucune qualité occulte. Qu’entend-il, je le demande, par l’union de l’Âme et du Corps ?
Quelle conception claire et distincte a-t-il d’une pensée très étroitement liée à une certaine
petite portion de l’étendue ? ”
Leibniz n’a pas cessé de ferrailler contre le système de Des-cartes, comme si cet-te critique
lui était nécessaire pour formuler sa propre pensée. Mais c’est aussi chez ce philosophe que
se trouvent les objections les plus profondes qu’on ait faites à la philosophie et à la science
cartésiennes (car ce sont les erreurs de cette science que relève d’abord Leibniz). L’une des
plus récurrentes porte sur le critère (aux yeux de Leibniz incertain et arbitraire) du clair et
distinct pour reconnaître la vérité. Mais Leibniz, soucieux de la conformité de la philosophie
et de la religion, cherche aussi à montrer le caractère limité, partiellement vrai seulement,
et, dans le fond, dangereux pour la foi, du mécanisme cartésien (Remarques sur les principes
de Descartes) : “ Il (Descartes) prétend que, dans l’explication des phénomènes de la nature,
il n’est pas besoin d’autres principes que ceux tirés de la mathématique abstraite (…) et il ne
reconnaît pas d’autre matière que celle qui est l’objet de la géométrie. J’accorde pleinement
que tous les phénomènes particuliers de la nature pourraient être expliqués mécaniquement
(…) mais ce qu’à mon avis il faut toujours garder présent à l’esprit, c’est que les principes
mécaniques mêmes, c’est-à-dire les lois générales de la nature, naissent de principes plus
élevés et ne sauraient être expliqués par la quantité seule et par des considérations
géométriques. Ces principes impliquent, bien au contraire, quelque chose de métaphysique…
Car en dehors de l’étendue et de ses modifications il y a, inhérente à la matière, la force
même ou la puissance d’agir qui permet le passage de la métaphysique à la nature et des
choses matérielles aux choses immatérielles.
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L'homme et l'animal
Thierry Gontier
Présentation
Si l'animal est une machine, alors l'homme est-il lui-même autre chose? Ne peut-on pas
réduire les actions du vivant à une simple mécanique complexe? Les enjeux sont aujourd'hui
plus importants que jamais car, si l'homme est une mécanique complexe, au nom de quoi
défendre, ou limiter les expérimentations humaines, les transplantations d'organes, la
reproduction assistée etc? Les destins de l'homme et de l'animal sont unis étroitement.
Avec Descartes, les deux partis, jusque-là opposés, se trouvent rangés dans le même camp:
celui des partisans de l'âme des bêtes; les cartésiens, eux, trancheront la question en
supprimant toute âme chez les animaux. Pour la biologie antique, l'âme est le principe de la
vie: la médecine moderne d'Harvey transpose ce principe de l'âme au cœur, réduisant cette
notion extrêmement complexe que les Grecs appelaient «vie» au seul mécanisme de la
circulation sanguine. La vie, auparavant caractérisée comme achèvement de l'être vers sa
perfection propre, est réduite à son expression géométrique la plus simple: le mouvement,
entendu non comme «achèvement» (comme c'est le cas chez Aristote), mais comme simple
«déplacement». C'est alors par abus de langage que nous distinguons le mouvement de la
montre de celui de l'animal: le vivant n'a plus aucune prédominance sur l'inerte.
Pour Descartes, l'âme n'a plus de fonction vitale: son seul «attribut» est la pensée: ce qui
semble mettre l'homme à l'abri d'une totale réduction mécaniste, car lui seul a une
expérience intérieure immédiate de sa pensée (le fameux «Je pense, donc je suis» d'où
Descartes conclut «je suis une chose qui pense»). L'être premier de l'homme, c'est la
pensée et non la vie: l'homme est vivant en plus d'être «pensant», et parce qu'il est uni à un
corps. Entre l'âme et le corps, il n'y a aucun rapport naturel: l'âme est purement spirituelle
et le corps purement matériel et obéissant aux seules lois de la mécanique géométrique.
L'homme n'est donc pas essentiellement animal: sa nature est autre, et son destin différent,
8
car la mort du corps (qui signifie en géométrie séparation de ses parties matérielles) laisse
intacte cette substance autonome et indivisible qu'est l'âme. L'animal est donc une machine,
mais pas l'homme. On connaît les conséquences de cette thèse: si l'animal ne pense pas, il ne
peut non plus percevoir (car la perception est pour Descartes un acte de la pensée: ce ne
sont pas les yeux qui voient, mais bien l'âme), ni sentir de la peine ou de la joie. Les cris que
pousse un chien battu ont une explication simplement mécanique, les coups de bâton
provoquant un ébranlement nerveux, et provoquant le remplissage des poumons et
l'expiration de l'air qui fait vibrer les cordes vocales: de la même façon, une bouilloire
siffle, sans qu'elle souffre de la chaleur de l'eau bouillante. Nous reviendrons plus loin sur
les aspects éthiques de cette thèse: contentons-nous dans un premier temps d'en relever
quelques difficultés du point de vue théorique.
L'homme-machine
L'attaque la plus dure contre le cartésianisme est venue des mécanistes eux-mêmes, qui se
sont efforcés, au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, de réduire le rôle de l'âme dans
l'explication des phénomènes humains. Si les actions que l'on attribue à l'âme des bêtes sont
l'effet de l'agencement mécanique de leur corps, ne peut-on pas en dire autant des actions
ordinairement attribuées à l'âme humaine (le langage, le raisonnement, la liberté d'agir, la
foi, etc...)? Régius, un disciple contemporain de Descartes un peu trop zélé, ne voyait déjà
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aucune nécessité de refuser de faire de l'âme de l'homme, un simple «mode» (c'est-à-dire
une «façon d'être») du corps: le dualisme cartésien était ainsi rejeté au nom même du
mécanisme. Au siècle suivant, la thèse de l'animal-machine, dans laquelle Descartes avait vu
un rempart contre l'athéisme, devait devenir le fondement du matérialisme athée de La
Mettrie, d'Helvétius, d'Holbach et bien d'autres. La Mettrie, qui a écrit en 1747 un traité
qui a pour titre L'Homme machine, affirme à la fois la thèse de l'animal-machine et la
communauté de nature entre l'homme et l'animal; les animaux ont comme l'homme quelque
chose que nous pouvons appeler «âme», mais qui n'est qu'un effet de l'agencement de leur
corps. De fait, il n'est plus possible de dissocier les destins de l'homme et de l'animal depuis
la fin du XVIIIe siècle. Les théories transformistes de Lamarck et Darwin conduisent à
penser l'homme comme un animal évolué: si l'animal est une simple machine, si l'évolution
elle-même est une simple interaction mécanique entre la machine et le milieu naturel, sur
quel plan penser finalement la «différence» humaine ?
Les béhavioristes sont de ce point de vue les héritiers directs du mécanisme cartésien, et ils
ne voient dans les actions animales que le simple conditionnement du milieu sur la machine: la
théorie pavlovienne des réflexes est devenue ainsi un modèle d'interprétation pour
l'ensemble des actions animales... et évidemment humaines. Par ailleurs, le perfectionnement
des techniques actuelles (cybernétique, informatique, intelligence artificielle...) complexifie
les modèles mécaniques, pour fournir des explications de plus en plus précises des
comportements des êtres vivants (l'homme compris). Notre façon contemporaine de juger
les choses, d'interpréter les phénomènes, ou d'évaluer des comportements, et cela dans
tous les domaines (scientifiques, éthiques, politiques, artistiques...) est profondément
influencée par le béhaviorisme issu du mécanisme cartésien. Il s'est bien trouvé, dès
l'époque de Descartes, des scientifiques qui ont cherché à renouer avec les intuitions
fondamentales des biologistes antiques: le vitalisme de Stahl, la «force vitale» de Bergson,
l'éthologie de Lorenz sont autant de tentatives de sortir la science de la réduction
mécaniste. Mais que valent ces tentatives, face aux succès retentissants de la biologie
«technique» contemporaine? Le langage est lui-même en quelque sorte prisonnier des
structures béhavioristes; les scientistes ont beau jeu de demander à leurs adversaires ce
qu'ils entendent précisément par les termes d'«instinct», de «force vitale», d'«âme», de
«vie», de «finalité», etc... De la même façon, les cartésiens soulignaient l'obscurité des
termes de la scolastique aristotélicienne («puissance», «acte», «entéléchie», «nature»,
«achèvement»...). Les opposants au mécanisme sont souvent tout aussi embarrassés lorsqu'on
leur demande des «résultats»: il est vrai que la science antique n'avait pas comme but de
fournir des «résultats» techniques, mais seulement de tenter de comprendre la complexité
des êtres.
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Les enjeux éthiques
Malebranche, à qui Fontenelle reprochait de battre son chien, répondait: «Eh! quoi, ne savez-
vous pas bien que cela ne sent point?» Nicolas Fontaine, le fameux chroniqueur de Port-
Royal, nous raconte que les disciples de Descartes clouaient des chiens vivants sur des
planches afin de faire des expériences. Les cartésiens se firent vite une réputation de
cruauté, qui, jointe au peu de crédibilité de leur doctrine, a contribué à les discréditer
auprès de l'opinion commune. Mais, plus encore que l'animal, on peut dire que l'homme a
souffert de ce mépris du vivant: Plutarque et Montaigne avaient en leur temps analysé
comment on passait insensiblement, par une sorte d'accoutumance, de la cruauté vis-à-vis de
l'animal à la cruauté vis-à-vis de l'homme. Les possibilités de la science moderne unissent de
plus en plus étroitement les destins de l'homme et de l'animal: on commence par essay er
«naïvement» les techniques nouvelles sur l'animal, sans parler des conséquences sur
l'homme; puis, une fois la technique «au point», on passe progressivement de l'animal à
l'homme: les fameux comités de «bio-éthique», qui sont nés dans différents pays, ne font en
général qu'entériner - à plus ou moins long terme - ce passage, sans pouvoir lui opposer
d'argument vraiment convaincant: mais, en fait, qu'est-ce qui pourrait empêcher ce passage?
Au nom de quoi faire une exception pour l'homme, une fois qu'on n'a reconnu en l'animal
qu'une machine perfectionnée, et en l'homme un animal perfectionné ?
Nous connaissons bien la réponse «humaniste» à cette question: l'homme est, contrairement
à l'animal, un être raisonnable; il faut respecter dans la personne humaine, la raison qui fait
sa «dignité». Le principe de cette réponse repose sur la distinction radicale entre l'homme
et l'animal, permettant de condamner pour l'homme ce que l'on justifie pour l'animal. Cette
réponse, nous ne la devons ni aux cartésiens ni à Kant, mais tout d'abord aux stoïciens, pour
lesquels nous n'avons de devoirs que vis-à-vis de ceux qui ont des devoirs envers nous: ainsi,
toute société repose sur la réciprocité des droits et des devoirs. Une telle réciprocité
existe entre tous les êtres de raison, entre les hommes et les dieux: mais les animaux, qui
n'ont aucun devoir envers nous, ne peuvent non plus avoir aucun droit. Le droit moderne est
lui aussi fondé sur l'idée d'une réciprocité des droits et des devoirs: mais n'a-t-on vraiment
aucun devoir envers des êtres qui ne sont pas placés dans une situation de réciprocité vis-à-
vis de nous ?
Remarquons tout d'abord que fonder toute l'éthique sur la dignité de la raison (ce que Kant
nomme la «personne», et qui est comme une marque de Dieu en nous), conduit non seulement
à la cruauté envers les animaux, mais aussi envers les hommes. Certaines formes de torture
ont reçu de cette façon une justification «thérapeutique»: on meurtrit le corps pour forcer
l'individu à se soumettre à la raison, et on fait violence à l'autre dans l'intérêt de sa propre
«personne». La question est finalement de savoir si l'on refuse la torture au nom de la
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«dignité de la personne humaine», ou tout simplement parce qu'elle fait souffrir. On voit
l'enjeu de la question apparemment anodine de nos devoirs envers les animaux: il s'agit de
décider si le fondement premier de l'éthique est la dignité de cet être abstrait que l'on
nomme «personne» ou («raison»), ou la dignité de la vie et de l'être vivant concret (âme et
corps), capable de sensibilité, de souffrance et de joie. Esquissons une réponse personnelle:
la solution au problème du fondement de l'éthique n'est pas à chercher dans l'opposition
entre l'homme et l'animal, mais dans le fond commun en deçà de leurs différences: le vivant
est alors valeur par lui-même, une valeur absolue ou intrinsèque. Reconnaître cela, c'est aussi
reconnaître qu'il y a des devoirs unilatéraux, et qui ne se «retournent» pas en droits: nous
avons des devoirs envers de notre corps, envers des animaux, et, selon certains, envers Dieu;
ces devoirs ne sont pas fondés sur des droits que nous aurions envers ces êtres, et ils ne
fondent pas non plus de tels droits.
Les modèles ne sont pas des vérités: c'est le propre de l'idéalisme que de confondre ces
deux plans. Les adversaires de Descartes le notaient déjà: Dieu a sans doute pu faire que
l'animal ne soit qu'une machine, mais rien n'indique qu'il l'ait effectivement fait. Entre le
possible et le réel, entre les constructions de l'esprit et la vérité, il y a un fossé que ni la
logique ni la géométrie ne peuvent franchir. Les éthologues (Konrad Lorenz le premier) l'ont
redit à leur manière à propos des béhavioristes: le béhavioriste, qui expérimente le vivant
dans un laboratoire (c'est-à-dire hors de son milieu naturel), ne voit que ce qu'il suppose (le
conditionnement du milieu sur le vivant), et ne peut constater que ses propres modèles. Le
mécanisme reste ainsi un modèle qui fonctionne, une sorte de fiction rationnelle efficace
dans ses applications techniques: mais la réalité s'épuise-t-elle dans cette déduction
scientifique? De fait, ce que la pensée mécaniste risque bien de nous faire oublier, c'est
qu'il y a bien d'autres enjeux que la seule domination technique; que la véritable fin de la
science est la connaissance du monde et de nous-mêmes (et non la domination du monde et
de nous-mêmes); qu'une telle connaissance est nécessairement soumission devant la vérité;
enfin, que ce n'est que dans ce sens que la science peut contribuer à fonder, au sens le plus
large du terme, une sagesse.»
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motivations sont tellement élevées qu'elles taquinent encore l'homme du
21ème siècle "pour expliquer en quoi consistent l'imagination et la mémoire"
- Vers la fin du siècle, Leibniz dira «Il est indigne d'homme de valeur de
perdre leur temps comme des esclaves à effectuer des tâches que l'on
pourrait confier à n'importe quelle machine». Et «On découvrira un jour une
méthode générale dans le cadre de laquelle il sera possible de réduire toutes
les données rationnelles à une sorte de calcul» .
Pour sa part, Buffat suit les interrogations de Diderot sur le siège de l’âme et
Jacques Chouillet les parallèles que trace ce philosophe entre le corps humain et la politique:
si cette dernière n’est pas une machine, la politique devient “une extension de la biologie”
(“Machines” 265). Daniel Arasse développe les implications de la guillotine lorsque la mort du
roi décapité, symbolise une absence à la tête de la société. La question du siège de l’âme n’en
reprend que de plus belle lorsque la question se pose de savoir si la mort soudaine n’implique
pas jusqu’à quinze minutes de conscience post mortem, et la possibilité de se savoir mort, de
pouvoir se dire “Je suis mort”(133). Faite pour supprimer les supplices de l’ancien régime et
pour transformer le bourreau en exécuteur, elle est perçue par certains spectateurs comme
un objet pornographique (125). Elle aurait à voir avec le désir, un désir voyeuriste et peut-
être sadique. En effet, les romans de Sade et Rétif de la Bretonne semblent mentionner des
machines.
13
René Descartes
Méditations métaphysiques
Tout ce que j'ai reçu jusqu'à présent pour le plus vrai et assuré, je l'ai appris des
sens, ou par les sens: or j'ai quelquefois éprouvé que ces sens étaient trompeurs, et il est de
la prudence de ne se fier jamais entièrement à ceux qui nous ont une fois trompés.
. Mais, encore que les sens nous trompent quelquefois, touchant les choses peu sensibles et
fort éloignées, il s'en rencontre peut être beaucoup d'autres, desquelles on ne peut pas
raisonnablement douter, quoique nous les connaissions par leur moyen: par exemple, que je
sois ici, assis auprès du feu, vêtu d'une robe de chambre, ayant ce papier entre les mains,
et autres choses de cette nature. Et comment est-ce que je pourrais nier que ces mains et
ce corps-ci soient à moi? si ce n'est peut-être que je me compare à ces insensés, de qui le
cerveau est tellement troublé et offusqué par les noires vapeurs de la bile, qu'ils assurent
constamment qu'ils sont des rois, lorsqu'ils sont très pauvres; qu'ils sont vêtus d'or et de
pourpre, lorsqu'ils sont tout nus; ou s'imaginent être des cruches, ou avoir un corps de
verre. Mais quoi? ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant, si je me réglais
sur leurs exemples.
. Toutefois j'ai ici à considérer que je suis homme, et par conséquent que j'ai coutume de
dormir et de me représenter en mes songes les mêmes choses, ou quelquefois de moins
vraisemblables, que ces insensés, lorsqu'ils veillent. Combien de fois m'est-il arrivé de
songer, la nuit, que j'étais en ce lieu, que j'étais habillé, que j'étais auprès du feu, quoique je
fusse tout nu dedans mon lit? Il me semble bien à présent que ce n'est point avec des yeux
endormis que je regarde ce papier; que cette tête que le remue n'est point assoupie; que
c'est avec dessein et de propos délibéré que j'étends cette main, et que je la sens: ce qui
arrive dans le sommeil ne semble point si clair ni si distinct que tout ceci. Mais, en y pensant
soigneusement, je me ressouviens d'avoir été souvent trompé, lorsque je dormais, par de
semblables illusions. Et m'arrêtant sur cette pensée, je vois si manifestement qu'il n'y a
point d'indices concluants, ni de marques assez certaines par où l'on puisse distinguer
nettement la veille d'avec le sommeil, que j'en suis tout étonné; et mon étonnement est
tel, qu'il est presque capable de me persuader que je dors.
. Supposons donc maintenant que nous sommes endormis, et que toutes ces particularités ci,
à savoir, que nous ouvrons les yeux, que nous remuons la tête, que nous étendons les mains,
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et choses semblables, ne sont que de fausses illusions; et pensons que peut être nos mains, ni
tout notre corps, ne sont pas tels que nous les voyons. Toutefois il faut au moins avouer que
les choses qui nous sont représentées dans le sommeil, sont comme des tableaux et des
peintures, qui ne peuvent être formées qu'à la ressemblance de quelque chose de réel et de
véritable; et qu'ainsi, pour le moins, ces choses générales, à savoir, des yeux, une tête, des
mains, et tout le reste du corps, ne sont pas choses imaginaires, mais vraies et existantes.
Car de vrai les peintres, lors même qu'ils s'étudient avec le plus d'artifice à représenter des
sirènes et des satyres par des formes bizarres et extraordinaires, ne leur peuvent pas
toutefois attribuer des formes et des natures entièrement nouvelles, mais font seulement
un certain mélange et composition des membres de divers animaux; ou bien, si peut être leur
imagination est assez extravagante pour inventer quelque chose de si nouveau, que jamais
nous n'ayons rien vu de semblable, et qu'ainsi leur ouvrage nous représente une chose
purement feinte et absolument fausse, certes à tout le moins les couleurs dont ils le
composent doivent- elles être véritables.
Descartes, René, Méditations métaphysiques, Classiques Hachette, Paris, 1996, 160 pages.
15
René Descartes
Citation
Méditation sixième
Descartes, René, Méditations métaphysiques, Classiques Hachette, Paris, 1996, 160 pages.
16
Descartes –mécanisme
Encyclopédie de l’Agora
Descartes a le mérite d'avoir décrit et analysé le mouvement réflexe et d'avoir ainsi répandu
une lumière éclatante sur notre activité involontaire. Il a en même temps le mérite d'avoir
affirmé que l'activité de l'âme est liée au cerveau et immédiatement liée au cerveau
seulement. Et enfin — malgré les hypothèses anatomiques imparfaites dont il disposait — il a
le mérite d'avoir exposé la psychologie spiritualiste avec une grande netteté et avec une
logique parfaite.
18
LES CONCEPTS CLÉS DE LA PHILOSOPHIE DE DESCARTES
L’HUMAIN
Esprit
Corps Substance
Substance pensante qui a la
matérielle (tout ce qui
capacité de douter en suivant une
est étendu, le corps
méthode rigoureuse. Cette capacité
humain).
le rend libre de penser.
Idées innées
Doute méthodique
Existence de Dieu
Cogito
Existence des L’esprit prend intuitivement conscience
choses matérielles de lui-même. Une saisie intuitive et
indubitable : Je pense, je suis.
Passions Volonté
(libre arbitre)
Le doute méthodique cartésien rejette provisoirement comme fausses les sources possibles
d’erreur (témoignages des sens, démonstrations logiques, opinions). Puisque je ne peux douter
que je doute, le doute permet de poser avec certitude le cogito (je pense, donc je suis). Le cogito
conduit à ce première évidence : je suis une substance pensante. Et c’est mon âme qui pense
grâce aux idées innées. L’idée innée de Dieu mène à l’existence de Dieu, être parfait qui ne peut
me tromper. L’erreur vient d’un mauvais usage de ma volonté (libre arbitre) qui choisit le faux et
le mal. Dieu, créateur de l’idée claire et distincte de l’étendue qui se présente à mon esprit, me
garantit l’existence des choses matérielles. En conséquence, j’ai la certitude que mon corps
(substance étendue) existe et qu’il assume seul les fonctions vitales. Mais moi, je suis une âme
(substance pensante). Mon âme qui pense constitue mon essence. C’est mon corps qui ressent
d’abord les passions, mais celles-ci touche aussi l’âme. L’âme doit maîtriser les passions.
19
LES TROIS FONCTIONS DE LA RAISON
(fonction pratique)
Source : Bruno Leclerc et Salvatore Pucella. « Chapitre 12:0Le rationalisme », Les conceptions de l’être humain : Débats
et perspectives, Éditions du renouveau pédagogique inc., Saint-Laurent, 2010, p. 19.
20
LE PROBLÈME DU MODE D’EXISTENCE BIOLOGIQUE DE L’UNITÉ DE
LA CONSCIENCE : OÙ VIT LE MOI ?
87 88 Il y a une pluralité de morts dans la mort, tout comme il y a une multiplicité de vies dans la vie,
mais ces diverses morts qui se fondent d’ordinaire en l’unité apparente d’un événement, se sont trouvées ici
spectaculairement désynchronisées par la nouvelle technique d’exécution. La guillotine a produit un
phénomène de mort imparfaite, qui a posé la question de savoir à quelle mort correspond la mort du moi, à
quelle mort biologique correspond la mort de la personne. Pour répondre, il fallait produire une théorie du
mode d’existence anatomophysiologique de la vie du moi.
89 Or à cette question, « Où dans le corps vit le moi ? », On sait que Descartes avait cru le découvrir
dans la glande pinéale (conarium), organe simple situé dans le cerveau, propre par sa position à exercer les
fonctions de centralisation sensori-motrice ordinairement associées à la notion de siège de l’âme Descartes,
Passions de l’âme, § 31.
93 La question est cependant de savoir si, malgré la section des artères, de la moelle épinière et de la
trachée, les fonctions cérébrales peuvent perdurer, ou si, entre autres, l’arrêt de la circulation du sang ne
produit pas une éclipse instantanée de l’activité consciente de l’organe.
Si un humain meurt guillotiné (séparation du corps et de la tête où réside le siège de la conscience dans
la glande pinéale), est-il possible qu’il se sache mort étant donné que la conscience soit immatérielle et que la
glande pinéale ne mourra pas immédiatement, puisque protégée momentanément (cerveau baignant dans un
liquide)?
Grégoire Chamayou, Revue d’histoire des sciences, La querelle des têtes tranchées, 2008,
http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=RHS_612_0333&DocId=112082&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCoun
t=5&hits=3573+356c+1f56+1f4f+1f27+0&fileext=html#hit1
(Consulté le 4-03-2019)
ART. 32. Comment on connaît que cette glande est le principal siège de l’âme. La raison qui me persuade que
l’âme ne peut avoir en tout le corps aucun autre lieu que cette glande où elle exerce immédiatement ses
fonctions est que je considère que les autres parties de notre cerveau sont toutes doubles, comme aussi nous
avons deux yeux, deux mains, deux oreilles, et enfin tous les organes de nos sens extérieurs sont doubles ; et
que, d’autant que nous n’avons qu’une seule et simple pensée d’une même chose en même temps, il faut
nécessairement qu’il y ait quelque lieu où les deux images qui viennent par les deux yeux, où les deux autres
impressions, qui viennent d’un seul objet par les doubles organes des autres sens, se puissent assembler en
une avant qu’elles parviennent à l’âme, afin qu’elles ne lui représentent pas deux objets au lieu d’un. Et on peut
aisément concevoir que ces images ou autres impressions se réunissent en cette glande par l’entremise des
esprits qui remplissent les cavités du cerveau, mais il n’y a aucun autre endroit dans le corps où elles puissent
ainsi être unies, sinon en suite de ce qu’elles le sont en cette glande.
René Descartes, Les passions de l’âme, GF Flammarion, Paris, 1996, 302 pages. ISBN : 978-2-0807-0865-6
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Discours de la méthode (1637)
POUR BIEN CONDUIRE SA RAISON
ET CHERCHER LA VÉRITÉ
DANS LES SCIENCES
SECONDE PARTIE
• Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment
être telle : c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention; et de ne
comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si
distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute.
• Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en autant de parcelles qu'il se
pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre.
• Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les
plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus
composés; et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns
les autres.
• Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je
fusse assuré de ne rien omettre.
Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir, pour
parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m'avaient donné occasion de m'imaginer que toutes les
choses, qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes, s'entre-suivent en même façon et que, pourvu
seulement qu'on s'abstienne d'en recevoir aucune pour vraie qui ne le soit, et qu'on garde toujours l'ordre
qu'il faut pour les déduire les unes des autres, il n'y en peut avoir de si éloignées auxquelles enfin on ne
parvienne, ni de si cachées qu'on ne découvre. Et je ne fus pas beaucoup en peine de chercher par lesquelles
il était besoin de commencer : car je savais déjà que c'était par les plus simples et les plus aisées à
connaître; et considérant qu'entre tous ceux qui ont ci-devant recherché la vérité dans les sciences, il n'y a
eu que les seuls mathématiciens qui ont pu trouver quelques démonstrations, c'est-à-dire quelques raisons
certaines et évidentes, je ne doutais point que ce ne fût par les mêmes qu'ils ont examinées; bien que je n'en
espérasse aucune autre utilité, sinon qu'elles accoutumeraient mon esprit à se repaître de vérités, et ne se
contenter point de fausses raisons.
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