(775022431) Descartes Recueil Textes Convertis Word Hi 2019

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CÉGEP DE GRANBY

DÉPARTEMENT DE PHI LO SOPHIE

L’ÊTRE HUMAIN
340-102-MQ
Hiver-2022

PROFESSEURE : ANNA KATIA TREMBLAY

DESCARTES
Descartes
Extraits du volume : Guenancia Pierre, Descartes, Bordas Folio-Essais 1996
ISBN 2-9 111 27-37-4
Extraits disponibles sur :
http://mapage.noos.fr/crosin000v/Descartes/Extraits_fr_Descartes.html

Le corps humain

Si la lumière est le fil conducteur de la physique cartésienne, la machine, et plus


particulièrement l’horloge, est le terme le plus
fréquemment employé par Descartes pour
désigner le corps, aussi bien celui de l’animal que
celui de l’homme.

Dès ses premiers écrits (dans le Traité – non


publié – de L’Homme), Descartes a pensé
pouvoir beaucoup mieux expliquer les diverses
fonctions corporelles en comparant le corps à
une machine automate qu’en considérant la vie
comme quelque chose d’irréductible à la
matière. Contrairement à l’enseignement
d’Aristote, ce n’est pas l’âme qui pour Descartes
fait du corps un corps vivant, animé. On doit
pouvoir expliquer les principales fonctions
corporelles – la digestion, la locomotion, la
respiration, mais aussi la mémoire et
l’imagination corporelles – comme si elles
résultaient d’un mécanisme que Dieu avait voulu rendre automatique, comme une horloge
destinée à montrer les heures par la seule disposition de ses roues et contrepoids. Inutile
donc de supposer une petite âme qui dirigerait chaque fonction principale et lui ferait
réaliser le but pour lequel elle a été conçue.

Cette représentation, destinée à un grand avenir (la


comparaison du corps avec une machine n’a jamais
cessé, de l’horloge à roues à l’ordinateur), constitue
une des pièces maîtresses de la pensée cartésienne.
Sur elle va reposer la distinction métaphysique de
l’âme et du corps, mais aussi l’explication de leur
union au sein d’un même être, l’homme ; sur elle aussi
s’appuiera l’explication cartésienne de la formation

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des passions dans l’âme. Car pour comprendre comment les passions se produisent dans l’âme,
comme pour savoir comment leur résister, il faut d’abord pouvoir reconnaître l’action du
corps seul sur l’âme et donc ne pas sous-estimer son rôle et son influence dans la plupart des
pensées et des conduites des hommes. L’importance accordée de tout temps par Descartes à
la médecine tient aussi à cette conception de l’automatisme corporel.

“ Je désire que vous considériez que ces fonctions [ digestion, nutrition, respiration, etc. ]
suivent toutes naturellement, en cette machine, de la seule disposition de ses organes, ni
plus ni moins que font les mouvements d’une horloge, ou autre automate, de celle de ses
contrepoids et de ses roues. ” Traité de l’homme.

LES ANIMAUX-MACHINES

Une idée de Descartes, relative à sa conception mécaniste du corps, a été particulièrement


discutée et a soulevé d’innombrables protestations indignées jusqu’à aujourd’hui, celle selon
laquelle l’animal agirait en toutes ses actions comme un automate très perfectionné. Cette
thèse, ou plutôt cette hypothèse, découle directement de ce que Descartes identifie l’âme
avec la pensée dont le caractère distinctif est la
connaissance : l’être qui pense sait qu’il pense, et il
s’arrange pour faire savoir, par un moyen ou par un
autre, ce qu’il pense aux autres. Descartes
imagine, dans la cinquième partie du Discours de la
Méthode, une sorte de test pour reconnaître une
action sensée d’une action mécanique, automatique
ou naturelle (seulement dictée par la nature, ici
synonyme d’instinct). Si l’on pouvait construire des
machines qui eussent les organes ou la figure d’un
singe, nous ne pourrions jamais distinguer le singe
artificiel du singe naturel… Dans d’autres textes, Descartes précise davantage sa pensée en
notant que toutes les actions, et surtout les plus accomplies, des animaux peuvent être
expliquées par la structure et la disposition de leurs organes et résulter de l’instinct (nous
dirions aujourd’hui : du programme génétique). La perfection même de certaines de leurs
actions plaiderait pour le caractère automatique de leur exécution. Au contraire, une action
intelligente a toujours quelque chose d’imparfait et d’inachevé, et peut être encore
perfectionnée. Parce qu’elle est libre (elle procède de la liberté), elle pourrait être autre
qu’elle n’est, elle n’est donc pas strictement déductible des conditions naturelles.

La différence entre l’homme et l’animal n’est donc pas une différence de degré ou de
complexité, mais bien une différence de nature. Car l’homme, parce qu’il pense, parle ou
invente un système de signes destiné à communiquer ce qu’il pense. La parole est le seul signe
certain d’une pensée enfermée dans le corps. On peut alors conjecturer que si l’animal ne
nous communique pas ses pensées, ce n’est pas parce que nous ne comprendrions pas le “
langage ” dans lequel il les exprime, mais parce qu’il ne pense pas. Cela ne veut pas dire qu’il
ne vit pas ou qu’il n’est pas sensible, mais seulement qu’il n’est régi que par un principe
mécanique et non aussi par un principe intelligent.

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“ Or il est, ce me semble, fort remarquable que la parole, étant ainsi définie, ne convient qu’à
l’homme seul. Car, bien que Montagne et Charon aient dit qu’il y a plus de différence d’homme
à homme, que d’homme à bête, il ne s’est toutefois jamais trouvé aucune bête si parfaite,
qu’elle ait usé de quelque signe, pour faire entendre à d’autres animaux quelque chose qui
n’eût point de rapport à ses passions ; et il n’y a point d’homme si imparfait, qu’il n’en use ; en
sorte que ceux qui sont sourds et muets, inventent des signes particuliers, par lesquels ils
expriment leurs pensées. Ce qui me semble un très fort argument pour prouver que ce qui
fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu’elles n’ont aucune pensée, et non point
que les organes leur manquent. Et on ne peut dire qu’elles parlent entre elles, mais que nous
ne les entendons pas ; car, comme les chiens et quelques autres animaux nous expriment
leurs passions, ils nous exprimeraient aussi bien leurs pensées, s’ils en avaient.” Lettre au
marquis de newcastle, 23 novembre 1646.

“ JE PENSE DONC JE SUIS ”

Cette formule – la plus célèbre de toutes en philosophie – découle logiquement de la


généralisation du doute. Car si je peux douter de toutes choses, y compris des vérités
mathématiques, je ne peux pas douter que je doute, ou que c’est moi qui doute. Par
conséquent, ce moi qui doute existe. Certes, il n’existe peut-être pas “ en chair et en os ”,
puisque l’existence des choses sensibles a été mise en doute, il se peut que je rêve et que
tout ce que j’attribue à ma nature soit faux. Mais il est impossible que, pensant voir toutes
les choses, je ne sois pas ou je n’existe pas, moi qui pense ainsi les voir, les toucher et les
sentir.

Les conséquences de ce raisonnement, si simple en apparence qu’il en paraît tautologique,


sont considérables. D’ailleurs la plupart des philosophes qui ont adressé à Descartes (sur sa
demande) des objections à ses Méditations ont manifesté leur étonnement devant cette
démarche qui inverse, semble-t-il, l’ordre naturel des choses : les choses extérieures ne
précèdent-elles pas la pensée que l’esprit en a ? ne faut-il pas qu’il existe un monde
extérieur pour que son idée se trouve dans l’esprit ? Non, leur répond Descartes, l’existence
de ce monde est extrêmement vraisemblable tant qu’on n’en doute pas, mais elle ne résiste
pas à un doute radical et général, alors que seule la pensée de celui qui doute possède la
certitude absolue recherchée en métaphysique. Comme il faut commencer par ce qui est le
plus certain, le cogito devient avec Descartes le premier principe de la philosophie, “ la terre
ferme, dit Descartes, sur laquelle j’ai posé les fondements de ma philosophie ”. Un nouveau
continent s’est alors découvert à lui.

“ Ne m’avouerez-vous pas que vous êtes moins assuré de la présence des objets que vous
voyez, que de la vérité de cette proposition : Je pense, donc je suis ? Or cette connaissance
n’est point un ouvrage de votre raisonnement, ni une instruction que vos maîtres vous aient
donnée ; votre esprit la voit, la sent et la manie. ” Lettre de mars ou avril 1648 à Silhon.

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LES ÉMOTIONS INTÉRIEURES DE L’ÂME

Descartes ne cherche pas des remèdes aux passions,


non seulement parce que ce ne sont pas des maladies
de l’âme (comme disaient les stoïciens), mais parce
qu’elles sont “ toutes bonnes ”. Descartes veut dire
par là qu’elles sont toutes bonnes à quelque chose, la
nature les ayant toutes destinées à quelque usage.
Néanmoins elles peuvent aussi, mal conduites, rendre
l’âme “ esclave et malheureuse ”, com-me dans ces
situations que nous connaissons tous où nous ne
trouvons pas en nous la force de résister à un
mouvement de colère, de peur, de haine.

Descartes n’oppose pas des lois morales pour faire


front aux dangers des passions, mais ce qu’il nomme
les émotions intérieures de l’âme “ qui ne sont excitées en l’âme que par l’âme même, en quoi
elles diffèrent des passions, qui dépendent toujours de quelque mouvement des esprits
(animaux) ”. Par exemple, en se représentant un bien et en y pensant souvent, l’âme finit par
l’aimer et par se l’approprier, mais cet amour, fortement et profondément ressenti, ne la
touche pas après avoir touché son corps. En un sens, un tel amour (pour Dieu, mais aussi pour
des personnes) est causé par la volonté : on finit par aimer ce que l’on veut aimer, surtout si
ce que l’on aime possède une perfection qui le rende véritablement estimable. Un amour
d’estime, un amour d’essence intellectuelle, n’est pas moins fort mais plus fort qu’un amour
passion, qui ne dure que ce que dure l’émotion corporelle produite par son objet. Ainsi la joie
que communique à l’âme l’exercice de la vertu constitue-t-elle “ un souverain remède contre
les passions ”. L’âme n’a plus besoin alors de lutter contre celles-ci, parce qu’elle possède
dans ces émotions intérieures la source fertile de son contentement : “ afin que notre âme
ait ainsi de quoi être contente, elle n’a besoin que de suivre exactement la vertu. ”

QUELQUES CRITIQUES DE LA PHILOSOPHIE CARTÉSIENNE

De son vivant, Descartes a échangé avec les philosophes et les savants de l’Europe une
correspondance où la polémique et la critique souvent sévère des thèses et des
démonstrations cartésiennes occupent une grande place. Mais c’est surtout après sa mort et
avec la publication d’œuvres jusque-là inédites que la philosophie cartésienne fait l’objet de
critiques d’ensemble, particulièrement dans les milieux influencés par cette philosophie, et
par ces philosophes que l’on commence à appeler cartésiens : Pascal, Spinoza, Leibniz.

Pascal (qui a rencontré Descartes en 1647 et a parlé avec lui de ses expériences sur le vide)
appartient à un milieu assez hostile au cartésianisme, à la fois en désaccord avec la méthode
cartésienne dans les sciences, et soupçonnant la philosophie cartésienne de de vouloir
demeurer à bonne distance de la religion chrétienne. En témoigne ce jugement sévère
(Pensées, fg. 77) :

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“ Je ne puis pardonner à Descartes ; il aurait bien voulu dans sa philosophie, se pouvoir
passer de Dieu ; mais il n’a pu s’empêcher de lui faire donner une chiquenaude, pour mettre le
monde en mouvement ; après cela, il n’a plus que faire de Dieu. ”

Ce sont pour des raisons inverses de celles de Pascal que Spinoza critique Des- cartes :
l’idée d’un Dieu créateur, l’idée d’une âme disposant librement de ses volontés ne sont que
fictions aux yeux de l’auteur de l’Éthique où la critique du cartésianisme est constante,
même si elle n’est pas aussi explicite que dans ce passage tiré de la préface de la cinquième
partie : “ En vérité je ne puis m’étonner qu’un philosophe, après s’être fermement résolu à ne
rien déduire que de principes connus d’eux-mêmes, et à ne rien affirmer qu’il ne perçût
clairement et distinctement, après avoir si souvent reproché aux Scolastiques de vouloir
expliquer les choses obscures par des qualités occultes, admette une hypothèse plus occulte
qu’aucune qualité occulte. Qu’entend-il, je le demande, par l’union de l’Âme et du Corps ?
Quelle conception claire et distincte a-t-il d’une pensée très étroitement liée à une certaine
petite portion de l’étendue ? ”

Leibniz n’a pas cessé de ferrailler contre le système de Des-cartes, comme si cet-te critique
lui était nécessaire pour formuler sa propre pensée. Mais c’est aussi chez ce philosophe que
se trouvent les objections les plus profondes qu’on ait faites à la philosophie et à la science
cartésiennes (car ce sont les erreurs de cette science que relève d’abord Leibniz). L’une des
plus récurrentes porte sur le critère (aux yeux de Leibniz incertain et arbitraire) du clair et
distinct pour reconnaître la vérité. Mais Leibniz, soucieux de la conformité de la philosophie
et de la religion, cherche aussi à montrer le caractère limité, partiellement vrai seulement,
et, dans le fond, dangereux pour la foi, du mécanisme cartésien (Remarques sur les principes
de Descartes) : “ Il (Descartes) prétend que, dans l’explication des phénomènes de la nature,
il n’est pas besoin d’autres principes que ceux tirés de la mathématique abstraite (…) et il ne
reconnaît pas d’autre matière que celle qui est l’objet de la géométrie. J’accorde pleinement
que tous les phénomènes particuliers de la nature pourraient être expliqués mécaniquement
(…) mais ce qu’à mon avis il faut toujours garder présent à l’esprit, c’est que les principes
mécaniques mêmes, c’est-à-dire les lois générales de la nature, naissent de principes plus
élevés et ne sauraient être expliqués par la quantité seule et par des considérations
géométriques. Ces principes impliquent, bien au contraire, quelque chose de métaphysique…
Car en dehors de l’étendue et de ses modifications il y a, inhérente à la matière, la force
même ou la puissance d’agir qui permet le passage de la métaphysique à la nature et des
choses matérielles aux choses immatérielles.

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L'homme et l'animal
Thierry Gontier

publié De l'homme à l'animal, Paradoxe sur la nature des animaux Montaigne et


Descartes, Paris, Vrin 1998; L'homme et l'animal, La philosophie antique,
Paris, PUF, 1999.

Présentation
Si l'animal est une machine, alors l'homme est-il lui-même autre chose? Ne peut-on pas
réduire les actions du vivant à une simple mécanique complexe? Les enjeux sont aujourd'hui
plus importants que jamais car, si l'homme est une mécanique complexe, au nom de quoi
défendre, ou limiter les expérimentations humaines, les transplantations d'organes, la
reproduction assistée etc? Les destins de l'homme et de l'animal sont unis étroitement.

La raison des bêtes


Les animaux-machines

Avec Descartes, les deux partis, jusque-là opposés, se trouvent rangés dans le même camp:
celui des partisans de l'âme des bêtes; les cartésiens, eux, trancheront la question en
supprimant toute âme chez les animaux. Pour la biologie antique, l'âme est le principe de la
vie: la médecine moderne d'Harvey transpose ce principe de l'âme au cœur, réduisant cette
notion extrêmement complexe que les Grecs appelaient «vie» au seul mécanisme de la
circulation sanguine. La vie, auparavant caractérisée comme achèvement de l'être vers sa
perfection propre, est réduite à son expression géométrique la plus simple: le mouvement,
entendu non comme «achèvement» (comme c'est le cas chez Aristote), mais comme simple
«déplacement». C'est alors par abus de langage que nous distinguons le mouvement de la
montre de celui de l'animal: le vivant n'a plus aucune prédominance sur l'inerte.

Pour Descartes, l'âme n'a plus de fonction vitale: son seul «attribut» est la pensée: ce qui
semble mettre l'homme à l'abri d'une totale réduction mécaniste, car lui seul a une
expérience intérieure immédiate de sa pensée (le fameux «Je pense, donc je suis» d'où
Descartes conclut «je suis une chose qui pense»). L'être premier de l'homme, c'est la
pensée et non la vie: l'homme est vivant en plus d'être «pensant», et parce qu'il est uni à un
corps. Entre l'âme et le corps, il n'y a aucun rapport naturel: l'âme est purement spirituelle
et le corps purement matériel et obéissant aux seules lois de la mécanique géométrique.
L'homme n'est donc pas essentiellement animal: sa nature est autre, et son destin différent,

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car la mort du corps (qui signifie en géométrie séparation de ses parties matérielles) laisse
intacte cette substance autonome et indivisible qu'est l'âme. L'animal est donc une machine,
mais pas l'homme. On connaît les conséquences de cette thèse: si l'animal ne pense pas, il ne
peut non plus percevoir (car la perception est pour Descartes un acte de la pensée: ce ne
sont pas les yeux qui voient, mais bien l'âme), ni sentir de la peine ou de la joie. Les cris que
pousse un chien battu ont une explication simplement mécanique, les coups de bâton
provoquant un ébranlement nerveux, et provoquant le remplissage des poumons et
l'expiration de l'air qui fait vibrer les cordes vocales: de la même façon, une bouilloire
siffle, sans qu'elle souffre de la chaleur de l'eau bouillante. Nous reviendrons plus loin sur
les aspects éthiques de cette thèse: contentons-nous dans un premier temps d'en relever
quelques difficultés du point de vue théorique.

En fait, seuls les arguments théologiques semblent


devoir apporter la preuve décisive de cette
distinction de nature entre l'homme et l'animal, et
c'est pourquoi Descartes les utilise en dernier
recours. Si les bêtes ont une âme, elle est - tout
comme celle de l'homme - distincte de leur corps,
purement spirituelle, et par conséquent immortelle;
il faut alors admettre que les fourmis et les
mouches, les huîtres et les éponges, partageront
avec nous la vie éternelle: paradoxe dangereux, qui
doit nous faire renoncer à la thèse de l'âme des
bêtes, car elle prive l'homme du fondement de son
espérance en une vie future: il n'y aurait en effet
aucune raison d'attribuer à l'homme une
immortalité naturelle tout en en privant l'animal.
Nous verrons cependant qu'après Descartes, la thèse des «animaux-machines» a bien plus
servi les courants matérialistes que spiritualistes.

L'homme-machine

L'attaque la plus dure contre le cartésianisme est venue des mécanistes eux-mêmes, qui se
sont efforcés, au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, de réduire le rôle de l'âme dans
l'explication des phénomènes humains. Si les actions que l'on attribue à l'âme des bêtes sont
l'effet de l'agencement mécanique de leur corps, ne peut-on pas en dire autant des actions
ordinairement attribuées à l'âme humaine (le langage, le raisonnement, la liberté d'agir, la
foi, etc...)? Régius, un disciple contemporain de Descartes un peu trop zélé, ne voyait déjà

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aucune nécessité de refuser de faire de l'âme de l'homme, un simple «mode» (c'est-à-dire
une «façon d'être») du corps: le dualisme cartésien était ainsi rejeté au nom même du
mécanisme. Au siècle suivant, la thèse de l'animal-machine, dans laquelle Descartes avait vu
un rempart contre l'athéisme, devait devenir le fondement du matérialisme athée de La
Mettrie, d'Helvétius, d'Holbach et bien d'autres. La Mettrie, qui a écrit en 1747 un traité
qui a pour titre L'Homme machine, affirme à la fois la thèse de l'animal-machine et la
communauté de nature entre l'homme et l'animal; les animaux ont comme l'homme quelque
chose que nous pouvons appeler «âme», mais qui n'est qu'un effet de l'agencement de leur
corps. De fait, il n'est plus possible de dissocier les destins de l'homme et de l'animal depuis
la fin du XVIIIe siècle. Les théories transformistes de Lamarck et Darwin conduisent à
penser l'homme comme un animal évolué: si l'animal est une simple machine, si l'évolution
elle-même est une simple interaction mécanique entre la machine et le milieu naturel, sur
quel plan penser finalement la «différence» humaine ?

Les béhavioristes sont de ce point de vue les héritiers directs du mécanisme cartésien, et ils
ne voient dans les actions animales que le simple conditionnement du milieu sur la machine: la
théorie pavlovienne des réflexes est devenue ainsi un modèle d'interprétation pour
l'ensemble des actions animales... et évidemment humaines. Par ailleurs, le perfectionnement
des techniques actuelles (cybernétique, informatique, intelligence artificielle...) complexifie
les modèles mécaniques, pour fournir des explications de plus en plus précises des
comportements des êtres vivants (l'homme compris). Notre façon contemporaine de juger
les choses, d'interpréter les phénomènes, ou d'évaluer des comportements, et cela dans
tous les domaines (scientifiques, éthiques, politiques, artistiques...) est profondément
influencée par le béhaviorisme issu du mécanisme cartésien. Il s'est bien trouvé, dès
l'époque de Descartes, des scientifiques qui ont cherché à renouer avec les intuitions
fondamentales des biologistes antiques: le vitalisme de Stahl, la «force vitale» de Bergson,
l'éthologie de Lorenz sont autant de tentatives de sortir la science de la réduction
mécaniste. Mais que valent ces tentatives, face aux succès retentissants de la biologie
«technique» contemporaine? Le langage est lui-même en quelque sorte prisonnier des
structures béhavioristes; les scientistes ont beau jeu de demander à leurs adversaires ce
qu'ils entendent précisément par les termes d'«instinct», de «force vitale», d'«âme», de
«vie», de «finalité», etc... De la même façon, les cartésiens soulignaient l'obscurité des
termes de la scolastique aristotélicienne («puissance», «acte», «entéléchie», «nature»,
«achèvement»...). Les opposants au mécanisme sont souvent tout aussi embarrassés lorsqu'on
leur demande des «résultats»: il est vrai que la science antique n'avait pas comme but de
fournir des «résultats» techniques, mais seulement de tenter de comprendre la complexité
des êtres.

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Les enjeux éthiques

Malebranche, à qui Fontenelle reprochait de battre son chien, répondait: «Eh! quoi, ne savez-
vous pas bien que cela ne sent point?» Nicolas Fontaine, le fameux chroniqueur de Port-
Royal, nous raconte que les disciples de Descartes clouaient des chiens vivants sur des
planches afin de faire des expériences. Les cartésiens se firent vite une réputation de
cruauté, qui, jointe au peu de crédibilité de leur doctrine, a contribué à les discréditer
auprès de l'opinion commune. Mais, plus encore que l'animal, on peut dire que l'homme a
souffert de ce mépris du vivant: Plutarque et Montaigne avaient en leur temps analysé
comment on passait insensiblement, par une sorte d'accoutumance, de la cruauté vis-à-vis de
l'animal à la cruauté vis-à-vis de l'homme. Les possibilités de la science moderne unissent de
plus en plus étroitement les destins de l'homme et de l'animal: on commence par essay er
«naïvement» les techniques nouvelles sur l'animal, sans parler des conséquences sur
l'homme; puis, une fois la technique «au point», on passe progressivement de l'animal à
l'homme: les fameux comités de «bio-éthique», qui sont nés dans différents pays, ne font en
général qu'entériner - à plus ou moins long terme - ce passage, sans pouvoir lui opposer
d'argument vraiment convaincant: mais, en fait, qu'est-ce qui pourrait empêcher ce passage?
Au nom de quoi faire une exception pour l'homme, une fois qu'on n'a reconnu en l'animal
qu'une machine perfectionnée, et en l'homme un animal perfectionné ?

Nous connaissons bien la réponse «humaniste» à cette question: l'homme est, contrairement
à l'animal, un être raisonnable; il faut respecter dans la personne humaine, la raison qui fait
sa «dignité». Le principe de cette réponse repose sur la distinction radicale entre l'homme
et l'animal, permettant de condamner pour l'homme ce que l'on justifie pour l'animal. Cette
réponse, nous ne la devons ni aux cartésiens ni à Kant, mais tout d'abord aux stoïciens, pour
lesquels nous n'avons de devoirs que vis-à-vis de ceux qui ont des devoirs envers nous: ainsi,
toute société repose sur la réciprocité des droits et des devoirs. Une telle réciprocité
existe entre tous les êtres de raison, entre les hommes et les dieux: mais les animaux, qui
n'ont aucun devoir envers nous, ne peuvent non plus avoir aucun droit. Le droit moderne est
lui aussi fondé sur l'idée d'une réciprocité des droits et des devoirs: mais n'a-t-on vraiment
aucun devoir envers des êtres qui ne sont pas placés dans une situation de réciprocité vis-à-
vis de nous ?

Remarquons tout d'abord que fonder toute l'éthique sur la dignité de la raison (ce que Kant
nomme la «personne», et qui est comme une marque de Dieu en nous), conduit non seulement
à la cruauté envers les animaux, mais aussi envers les hommes. Certaines formes de torture
ont reçu de cette façon une justification «thérapeutique»: on meurtrit le corps pour forcer
l'individu à se soumettre à la raison, et on fait violence à l'autre dans l'intérêt de sa propre
«personne». La question est finalement de savoir si l'on refuse la torture au nom de la

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«dignité de la personne humaine», ou tout simplement parce qu'elle fait souffrir. On voit
l'enjeu de la question apparemment anodine de nos devoirs envers les animaux: il s'agit de
décider si le fondement premier de l'éthique est la dignité de cet être abstrait que l'on
nomme «personne» ou («raison»), ou la dignité de la vie et de l'être vivant concret (âme et
corps), capable de sensibilité, de souffrance et de joie. Esquissons une réponse personnelle:
la solution au problème du fondement de l'éthique n'est pas à chercher dans l'opposition
entre l'homme et l'animal, mais dans le fond commun en deçà de leurs différences: le vivant
est alors valeur par lui-même, une valeur absolue ou intrinsèque. Reconnaître cela, c'est aussi
reconnaître qu'il y a des devoirs unilatéraux, et qui ne se «retournent» pas en droits: nous
avons des devoirs envers de notre corps, envers des animaux, et, selon certains, envers Dieu;
ces devoirs ne sont pas fondés sur des droits que nous aurions envers ces êtres, et ils ne
fondent pas non plus de tels droits.

Les modèles ne sont pas des vérités: c'est le propre de l'idéalisme que de confondre ces
deux plans. Les adversaires de Descartes le notaient déjà: Dieu a sans doute pu faire que
l'animal ne soit qu'une machine, mais rien n'indique qu'il l'ait effectivement fait. Entre le
possible et le réel, entre les constructions de l'esprit et la vérité, il y a un fossé que ni la
logique ni la géométrie ne peuvent franchir. Les éthologues (Konrad Lorenz le premier) l'ont
redit à leur manière à propos des béhavioristes: le béhavioriste, qui expérimente le vivant
dans un laboratoire (c'est-à-dire hors de son milieu naturel), ne voit que ce qu'il suppose (le
conditionnement du milieu sur le vivant), et ne peut constater que ses propres modèles. Le
mécanisme reste ainsi un modèle qui fonctionne, une sorte de fiction rationnelle efficace
dans ses applications techniques: mais la réalité s'épuise-t-elle dans cette déduction
scientifique? De fait, ce que la pensée mécaniste risque bien de nous faire oublier, c'est
qu'il y a bien d'autres enjeux que la seule domination technique; que la véritable fin de la
science est la connaissance du monde et de nous-mêmes (et non la domination du monde et
de nous-mêmes); qu'une telle connaissance est nécessairement soumission devant la vérité;
enfin, que ce n'est que dans ce sens que la science peut contribuer à fonder, au sens le plus
large du terme, une sagesse.»

Le corps, l'imagination et la mémoire, le dépassement :

- Descartes s’est intéressé la circulation sanguine. Il étudie la structure de


l'œil. Il n'hésite pas à localiser l'âme précisément en un endroit du cerveau.

- Descartes n'a pas toujours eu raison dans ses explications anatomiques et


physiologiques. Qu'importe ! Le but est ailleurs:

- Traité du Monde : "(...) je me suis résolu d'expliquer tous les phénomènes


de la nature, c'est-à-dire toute la physique ". (…/…) mais les grandes

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motivations sont tellement élevées qu'elles taquinent encore l'homme du
21ème siècle "pour expliquer en quoi consistent l'imagination et la mémoire"

- Un peu plus tard Pascal inventera la machine à calculer et s'intéressera


à la mécanique de la pensée.

- Vers la fin du siècle, Leibniz dira «Il est indigne d'homme de valeur de
perdre leur temps comme des esclaves à effectuer des tâches que l'on
pourrait confier à n'importe quelle machine». Et «On découvrira un jour une
méthode générale dans le cadre de laquelle il sera possible de réduire toutes
les données rationnelles à une sorte de calcul» .

Pour sa part, Buffat suit les interrogations de Diderot sur le siège de l’âme et
Jacques Chouillet les parallèles que trace ce philosophe entre le corps humain et la politique:
si cette dernière n’est pas une machine, la politique devient “une extension de la biologie”
(“Machines” 265). Daniel Arasse développe les implications de la guillotine lorsque la mort du
roi décapité, symbolise une absence à la tête de la société. La question du siège de l’âme n’en
reprend que de plus belle lorsque la question se pose de savoir si la mort soudaine n’implique
pas jusqu’à quinze minutes de conscience post mortem, et la possibilité de se savoir mort, de
pouvoir se dire “Je suis mort”(133). Faite pour supprimer les supplices de l’ancien régime et
pour transformer le bourreau en exécuteur, elle est perçue par certains spectateurs comme
un objet pornographique (125). Elle aurait à voir avec le désir, un désir voyeuriste et peut-
être sadique. En effet, les romans de Sade et Rétif de la Bretonne semblent mentionner des
machines.

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René Descartes

Méditations métaphysiques

Extrait : Méditation première

Tout ce que j'ai reçu jusqu'à présent pour le plus vrai et assuré, je l'ai appris des
sens, ou par les sens: or j'ai quelquefois éprouvé que ces sens étaient trompeurs, et il est de
la prudence de ne se fier jamais entièrement à ceux qui nous ont une fois trompés.

. Mais, encore que les sens nous trompent quelquefois, touchant les choses peu sensibles et
fort éloignées, il s'en rencontre peut être beaucoup d'autres, desquelles on ne peut pas
raisonnablement douter, quoique nous les connaissions par leur moyen: par exemple, que je
sois ici, assis auprès du feu, vêtu d'une robe de chambre, ayant ce papier entre les mains,
et autres choses de cette nature. Et comment est-ce que je pourrais nier que ces mains et
ce corps-ci soient à moi? si ce n'est peut-être que je me compare à ces insensés, de qui le
cerveau est tellement troublé et offusqué par les noires vapeurs de la bile, qu'ils assurent
constamment qu'ils sont des rois, lorsqu'ils sont très pauvres; qu'ils sont vêtus d'or et de
pourpre, lorsqu'ils sont tout nus; ou s'imaginent être des cruches, ou avoir un corps de
verre. Mais quoi? ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant, si je me réglais
sur leurs exemples.

. Toutefois j'ai ici à considérer que je suis homme, et par conséquent que j'ai coutume de
dormir et de me représenter en mes songes les mêmes choses, ou quelquefois de moins
vraisemblables, que ces insensés, lorsqu'ils veillent. Combien de fois m'est-il arrivé de
songer, la nuit, que j'étais en ce lieu, que j'étais habillé, que j'étais auprès du feu, quoique je
fusse tout nu dedans mon lit? Il me semble bien à présent que ce n'est point avec des yeux
endormis que je regarde ce papier; que cette tête que le remue n'est point assoupie; que
c'est avec dessein et de propos délibéré que j'étends cette main, et que je la sens: ce qui
arrive dans le sommeil ne semble point si clair ni si distinct que tout ceci. Mais, en y pensant
soigneusement, je me ressouviens d'avoir été souvent trompé, lorsque je dormais, par de
semblables illusions. Et m'arrêtant sur cette pensée, je vois si manifestement qu'il n'y a
point d'indices concluants, ni de marques assez certaines par où l'on puisse distinguer
nettement la veille d'avec le sommeil, que j'en suis tout étonné; et mon étonnement est
tel, qu'il est presque capable de me persuader que je dors.

. Supposons donc maintenant que nous sommes endormis, et que toutes ces particularités ci,
à savoir, que nous ouvrons les yeux, que nous remuons la tête, que nous étendons les mains,
14
et choses semblables, ne sont que de fausses illusions; et pensons que peut être nos mains, ni
tout notre corps, ne sont pas tels que nous les voyons. Toutefois il faut au moins avouer que
les choses qui nous sont représentées dans le sommeil, sont comme des tableaux et des
peintures, qui ne peuvent être formées qu'à la ressemblance de quelque chose de réel et de
véritable; et qu'ainsi, pour le moins, ces choses générales, à savoir, des yeux, une tête, des
mains, et tout le reste du corps, ne sont pas choses imaginaires, mais vraies et existantes.
Car de vrai les peintres, lors même qu'ils s'étudient avec le plus d'artifice à représenter des
sirènes et des satyres par des formes bizarres et extraordinaires, ne leur peuvent pas
toutefois attribuer des formes et des natures entièrement nouvelles, mais font seulement
un certain mélange et composition des membres de divers animaux; ou bien, si peut être leur
imagination est assez extravagante pour inventer quelque chose de si nouveau, que jamais
nous n'ayons rien vu de semblable, et qu'ainsi leur ouvrage nous représente une chose
purement feinte et absolument fausse, certes à tout le moins les couleurs dont ils le
composent doivent- elles être véritables.

Descartes, René, Méditations métaphysiques, Classiques Hachette, Paris, 1996, 160 pages.

15
René Descartes

Citation

Méditation sixième

« La nature m'enseigne aussi, par


ces sentiments de douleur, de faim,
de soif... que je ne suis pas
seulement logé dans mon corps ainsi
qu'un pilote en son navire mais,
outre cela, que je lui suis conjoint
très étroitement et tellement
confondu et mêlé que je compose
comme un seul tout avec lui ».

Descartes, René, Méditations métaphysiques, Classiques Hachette, Paris, 1996, 160 pages.

16
Descartes –mécanisme

Encyclopédie de l’Agora

Descartes cherche à expliquer l'enchaînement et le développement du monde conformément


aux lois générales de la nature; de même il cherche à expliquer l'organisme et la vie
organique d'après des lois purement mécaniques. Outre l'astronomie, la physiologie devrait
d'après sa conception également être une science absolument mécanique. Dans son
hypothèse cosmogonique il fait abstraction de la théologie; de même dans sa, mécanique
organique il fait abstraction de la psychologie; il se représente le corps humain comme
composé de parties matérielles et comme agissant conformément aux lois de la chaleur et du
mouvement, sans qu'aucune âme (qu'elle soit «végétative», «sensitive», ou «rationnelle»)
intervienne. Cette conception, qui est une conséquence des principes généraux de la physique
de Descartes (l'organisme en tant qu'être matériel devant tomber sous les lois générales de
la matière), se trouva pour lui empiriquement vérifiée, lorsque William Harvey découvrit la
circulation du sang (1628). Harvey est au premier rang parmi les fondateurs de la science
moderne de la nature; il est pour la physiologie ce qu'est Galilée pour la physique. Il donna le
coup de grâce aux forces mystiques dans le domaine de la physiologie, en démontrant que le
mouvement du sang n'est pas dû à sa propre force où à la force de l'âme, mais qu'il est dû à
la contraction du cœur qui le refoule dans le corps. Les lois générales du mouvement sont
ainsi valables au dedans comme au dehors de l'organisme. Descartes fut un des premiers
hommes marquants qui aient adopté la théorie d'Harvey. En déclarant dans le Discours de la
méthode (chap. V) qu'il se rangeait à cet avis, il apportait un puissant appui à la théorie
nouvelle, qui avait à vaincre une si grande résistance, à cause de l'antithèse violente qu'elle
offrait avec l'ancienne conception de la vie organique. Descartes décrit dans différents
ouvrages (notamment dans le Traité de l'homme) de quelle façon on peut concevoir le corps
humain comme pure machine. Ici encore, sa conception générale a fait naître la clarté, bien
que ses explications n'aient pas toujours été heureuses dans le détail. Niels Steensen, un
des plus grands anatomistes du siècle suivant, reconnut que la méthode inaugurée par
Descartes servait à démontrer l'insuffisance de ce que l'on enseignait auparavant sur le rôle
des différents organes et à poser avec plus de clarté les problèmes relatifs à cette
question. Descartes étendit à la physiologie des nerfs la conception mécanique que Harvey
avait fait triompher pour la circulation du sang. D'accord avec la physiologie d'alors, il croit
qu'il y a dans les nerfs des courants d'«esprits animaux», courants qui tiennent à ce que,
après avoir été échauffées dans le cœur, les parties ténues du sang affluent au cerveau
dont elles remplissent les circonvolutions, tandis que le reste du sang continue son chemin à
travers les veines. Du cerveau elles se dirigent par les nerfs dans les muscles. Ces courants
peuvent être mis en mouvement par des impressions dont nous n'avons pas conscience; c'est
17
ce qui arrive dans les mouvements involontaires, par exemple, quand nous tendons les mains
en avant en tombant, ou bien quand nous poursuivons notre marche sans y penser. Ces sortes
de mouvements involontaires peuvent se faire absolument mécaniquement, et même malgré
nous (mente invita e Ianquam in machina). Descartes exprime ce qui précède en disant que
les «esprits animaux» sont réfléchis (esprits réfléchis) et il donne une description et une
explication claires de ce que l'on appelle maintenant mouvement réflexe. Quant aux animaux,
nous sommes forcés d'admettre que toutes leurs fonctions et toutes leurs actions se font
de cette façon involontaire et mécanique. Nous n'avons pas de raison pour leur attribuer une
âme. Si l'agneau fuit à la vue du loup, c'est que les rayons lumineux qui du corps du loup
frappent l'œil de l'agneau, mettent ses muscles en mouvement au moyen des courants
«réfléchis» des «esprits animaux». Et l'on peut expliquer le retour des hirondelles au
printemps par analogie avec l'horloge qui fait retentir sa sonnerie à des intervalles réguliers.
Du reste, on voit bien que les animaux, pas plus qu'une machine, ne peuvent s'accommoder à
un nouvel état de choses plus complexe. Descartes soutient encore l'opinion que les animaux
sont de simples machines pour cette raison que sans cela il faudrait d'après sa conception
leur attribuer l'immortalité, — et une huître ou un champignon seraient immortels? Il en est
autrement de l'homme; la conscience qui se manifeste en chacun de nous nous force à
admettre l'existence d'une âme, d'une substance pensante qui est en réciprocité d'action
avec la substance matérielle, avec la faculté d'exercer une intervention régulatrice dans les
mouvements des «esprits animaux». L'âme est en communication immédiate avec une seule
partie du cerveau, la glande pinéale (glandula pinealis), qui attira sur elle l'attention de
Descartes, parce que ce n'est pas en effet un organe conjugué, comme tant d'autres parties
du cerveau; elle lui semblait être à peu près au milieu du cerveau et au-dessus du conduit par
lequel les «esprits animaux» des circonvolutions antérieures communiquaient avec les
circonvolutions postérieures. Les «esprits animaux» heurtent la glande pinéale, excitent
ainsi l'âme et font naître en elle la sensation, le sentiment et l'appétit; l'âme y répond —
également par un choc (!) contre la glande pinéale — et dirige les esprits animaux dans un
certain sens. Souvent (par exemple dans la maîtrise de soi) le coup et le contrecoup vont en
sens opposés, et alors il s'agit de savoir qui peut pousser le plus forte.

Descartes a le mérite d'avoir décrit et analysé le mouvement réflexe et d'avoir ainsi répandu
une lumière éclatante sur notre activité involontaire. Il a en même temps le mérite d'avoir
affirmé que l'activité de l'âme est liée au cerveau et immédiatement liée au cerveau
seulement. Et enfin — malgré les hypothèses anatomiques imparfaites dont il disposait — il a
le mérite d'avoir exposé la psychologie spiritualiste avec une grande netteté et avec une
logique parfaite.

http://agora.qc.ca/Dossiers/Rene_Descartes. (Page consultée le 4-03-2019)

18
LES CONCEPTS CLÉS DE LA PHILOSOPHIE DE DESCARTES

L’HUMAIN

Se distingue du monde animal


parce qu’il est doté d’un esprit.

Esprit
Corps Substance
Substance pensante qui a la
matérielle (tout ce qui
capacité de douter en suivant une
est étendu, le corps
méthode rigoureuse. Cette capacité
humain).
le rend libre de penser.

Substance matérielle Substance pensante


(âme)

Idées innées
Doute méthodique

Existence de Dieu

Cogito
Existence des L’esprit prend intuitivement conscience
choses matérielles de lui-même. Une saisie intuitive et
indubitable : Je pense, je suis.

Passions Volonté
(libre arbitre)

Le doute méthodique cartésien rejette provisoirement comme fausses les sources possibles
d’erreur (témoignages des sens, démonstrations logiques, opinions). Puisque je ne peux douter
que je doute, le doute permet de poser avec certitude le cogito (je pense, donc je suis). Le cogito
conduit à ce première évidence : je suis une substance pensante. Et c’est mon âme qui pense
grâce aux idées innées. L’idée innée de Dieu mène à l’existence de Dieu, être parfait qui ne peut
me tromper. L’erreur vient d’un mauvais usage de ma volonté (libre arbitre) qui choisit le faux et
le mal. Dieu, créateur de l’idée claire et distincte de l’étendue qui se présente à mon esprit, me
garantit l’existence des choses matérielles. En conséquence, j’ai la certitude que mon corps
(substance étendue) existe et qu’il assume seul les fonctions vitales. Mais moi, je suis une âme
(substance pensante). Mon âme qui pense constitue mon essence. C’est mon corps qui ressent
d’abord les passions, mais celles-ci touche aussi l’âme. L’âme doit maîtriser les passions.

19
LES TROIS FONCTIONS DE LA RAISON

Permet de convaincre, d’adopter une position par


l’examen et la comparaison de thèses différentes.
Permet de justifier des prises de position, de
défendre ou de combattre un point de vue par des
DISCOURS arguments d’ordre rationnel qui renvoient à des
faits, à des données vérifiables par tous.
ARGUMENTÉ
(fonction logique) Permet ainsi d’écarter les arguments qui relèvent de
l’autorité, des croyances religieuses, de la tradition
et des intérêts personnels.
Nous permet de nous libérer de l’emprise de notre
subjectivité.

Permettent de trouver une explication rationnelle


aux événements et aux phénomènes naturels à
condition :
— d’élaborer une méthode qui assure le bon usage
de la raison ;

La RAISON — de se limiter à l’explication des phénomènes


CONNAISSANCES naturels, car seul ce qui peut être perçu par nos sens
est source de peut être objet de savoir.
VRAIES
(fonction cognitive)

Permettent ainsi d’éliminer les préjugés, les


explications mythiques ou magiques, les opinions
non fondées, les pratiques superstitieuses.
Augmentent notre degré de liberté et d’autonomie
en nous libérant de l’esclavage de l’ignorance.

En proposant des critères d’action rationnels


valables pour tous, c’est-à-dire qui respectent l’être
humain, la raison nous permet :
— d’agir par devoir (et pas seulement selon le
devoir), c’est-à-dire choisir de bonnes fins, celles qui
ACTIONS JUSTES pourraient être les fins de tout être humain.

(fonction pratique)

La raison nous aide à devenir majeurs, autonomes, à


nous libérer de l’emprise des autres.

Source : Bruno Leclerc et Salvatore Pucella. « Chapitre 12:0Le rationalisme », Les conceptions de l’être humain : Débats
et perspectives, Éditions du renouveau pédagogique inc., Saint-Laurent, 2010, p. 19.

20
LE PROBLÈME DU MODE D’EXISTENCE BIOLOGIQUE DE L’UNITÉ DE
LA CONSCIENCE : OÙ VIT LE MOI ?

87 88 Il y a une pluralité de morts dans la mort, tout comme il y a une multiplicité de vies dans la vie,
mais ces diverses morts qui se fondent d’ordinaire en l’unité apparente d’un événement, se sont trouvées ici
spectaculairement désynchronisées par la nouvelle technique d’exécution. La guillotine a produit un
phénomène de mort imparfaite, qui a posé la question de savoir à quelle mort correspond la mort du moi, à
quelle mort biologique correspond la mort de la personne. Pour répondre, il fallait produire une théorie du
mode d’existence anatomophysiologique de la vie du moi.
89 Or à cette question, « Où dans le corps vit le moi ? », On sait que Descartes avait cru le découvrir
dans la glande pinéale (conarium), organe simple situé dans le cerveau, propre par sa position à exercer les
fonctions de centralisation sensori-motrice ordinairement associées à la notion de siège de l’âme Descartes,
Passions de l’âme, § 31.
93 La question est cependant de savoir si, malgré la section des artères, de la moelle épinière et de la
trachée, les fonctions cérébrales peuvent perdurer, ou si, entre autres, l’arrêt de la circulation du sang ne
produit pas une éclipse instantanée de l’activité consciente de l’organe.

Si un humain meurt guillotiné (séparation du corps et de la tête où réside le siège de la conscience dans
la glande pinéale), est-il possible qu’il se sache mort étant donné que la conscience soit immatérielle et que la
glande pinéale ne mourra pas immédiatement, puisque protégée momentanément (cerveau baignant dans un
liquide)?

Grégoire Chamayou, Revue d’histoire des sciences, La querelle des têtes tranchées, 2008,
http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=RHS_612_0333&DocId=112082&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCoun
t=5&hits=3573+356c+1f56+1f4f+1f27+0&fileext=html#hit1
(Consulté le 4-03-2019)

La glande pinéale comme siège de la conscience

ART. 32. Comment on connaît que cette glande est le principal siège de l’âme. La raison qui me persuade que
l’âme ne peut avoir en tout le corps aucun autre lieu que cette glande où elle exerce immédiatement ses
fonctions est que je considère que les autres parties de notre cerveau sont toutes doubles, comme aussi nous
avons deux yeux, deux mains, deux oreilles, et enfin tous les organes de nos sens extérieurs sont doubles ; et
que, d’autant que nous n’avons qu’une seule et simple pensée d’une même chose en même temps, il faut
nécessairement qu’il y ait quelque lieu où les deux images qui viennent par les deux yeux, où les deux autres
impressions, qui viennent d’un seul objet par les doubles organes des autres sens, se puissent assembler en
une avant qu’elles parviennent à l’âme, afin qu’elles ne lui représentent pas deux objets au lieu d’un. Et on peut
aisément concevoir que ces images ou autres impressions se réunissent en cette glande par l’entremise des
esprits qui remplissent les cavités du cerveau, mais il n’y a aucun autre endroit dans le corps où elles puissent
ainsi être unies, sinon en suite de ce qu’elles le sont en cette glande.

René Descartes, Les passions de l’âme, GF Flammarion, Paris, 1996, 302 pages. ISBN : 978-2-0807-0865-6

21
Discours de la méthode (1637)
POUR BIEN CONDUIRE SA RAISON
ET CHERCHER LA VÉRITÉ
DANS LES SCIENCES

SECONDE PARTIE

Les règles de la méthode

• Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment
être telle : c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention; et de ne
comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si
distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute.

• Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en autant de parcelles qu'il se
pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre.

• Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les
plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus
composés; et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns
les autres.

• Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je
fusse assuré de ne rien omettre.

Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir, pour
parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m'avaient donné occasion de m'imaginer que toutes les
choses, qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes, s'entre-suivent en même façon et que, pourvu
seulement qu'on s'abstienne d'en recevoir aucune pour vraie qui ne le soit, et qu'on garde toujours l'ordre
qu'il faut pour les déduire les unes des autres, il n'y en peut avoir de si éloignées auxquelles enfin on ne
parvienne, ni de si cachées qu'on ne découvre. Et je ne fus pas beaucoup en peine de chercher par lesquelles
il était besoin de commencer : car je savais déjà que c'était par les plus simples et les plus aisées à
connaître; et considérant qu'entre tous ceux qui ont ci-devant recherché la vérité dans les sciences, il n'y a
eu que les seuls mathématiciens qui ont pu trouver quelques démonstrations, c'est-à-dire quelques raisons
certaines et évidentes, je ne doutais point que ce ne fût par les mêmes qu'ils ont examinées; bien que je n'en
espérasse aucune autre utilité, sinon qu'elles accoutumeraient mon esprit à se repaître de vérités, et ne se
contenter point de fausses raisons.

22

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