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Philosophie du Développement Ivoirien

SEKA KOUAME ERNEST-J _ L'enseignement de la notion de Développement Chez Ebénézer Njoh-Mouellé dans le secondaire ivoirien aujourd'hui_ Mémoire De Master Professionnel _ soutenu à l'École Normale Supérieure d'Abidjan 2024.

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Philosophie du Développement Ivoirien

SEKA KOUAME ERNEST-J _ L'enseignement de la notion de Développement Chez Ebénézer Njoh-Mouellé dans le secondaire ivoirien aujourd'hui_ Mémoire De Master Professionnel _ soutenu à l'École Normale Supérieure d'Abidjan 2024.

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I

ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE D’ABIDJAN


………………………………………………

………………………………………
DÉPARTEMENT DES ARTS ET LETTRES
……………………………..
SECTION : PHILOSOPHIE
…………………………
ANNÉE ACADÉMIQUE : 2023-2024
..………………………….
MÉMOIRE DE MASTER PROFESSIONNEL

En vue de l’obtention du diplôme de Professeur de Lycée (Grade Master)

L’ENSEIGNEMENT DE LA NOTION DE
« DÉVELOPPEMENT » CHEZ EBÉNÉZER
NJOH-MOUELLÈ DANS LE SECONDAIRE
IVOIRIEN AUJOURD’HUI

Présenté par :
M. SEKA Kouamé Ernest-Junior
Soutenu le 29 Mai 2024 devant le Jury N°3 composé de :

Président du jury : M. Thierry Armand EZOUA, Professeur Titulaire de


Philosophie (Université Félix Houphouët-Boigny).

Directrice : M m e Élise YAPO-ANVILE, Professeure Titulaire de Philosophie (École


Normale Supérieure d’Abidjan).

Examinateur : M. Kpaka Julien ASSAMOI, Inspecteur Pédagogique Principal


de Philosophie (Direction de la Pédagogie et de la Formation Continue) .
II

SOMMAIRE
SOMMAIRE............................................................................................................................ II
DÉDICACE ............................................................................................................................ III
REMERCIEMENTS ............................................................................................................. IV
INTRODUCTION GÉNÉRALE .............................................................................................5
PREMIÈRE PARTIE : EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ, UN REGARD AUTRE SUR
LE DÉVELOPPEMENT ........................................................................................................19
CHAPITRE I : LA SPÉCIFICITÉ DE LA PENSÉE NJOH-MOUELLÉENNE DU
DÉVELOPPEMENT, RUPTURE AVEC LA CONCEPTION CLASSIQUE DU
DÉVELOPPEMENT ................................................................................................................21
CHAPITRE II : EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ, POUR UN DÉVELOPPEMENT CENTRÉ
SUR L’HUMAIN .....................................................................................................................30
DEUXIÈME PARTIE : L’EXPÉRIMENTATION DE LA NOTION DE
« DÉVELOPPEMENT » CHEZ EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ DANS LE
SECONDAIRE IVOIRIEN ....................................................................................................42
CHAPITRE 1 : CONDUITE DE LEÇON SUR LA NOTION DE « DÉVELOPPEMENT »
EN CLASSE TERMINALE D .................................................................................................44
CHAPITRE 2 : MISE EN SCÈNE DE L’EXPLICATION D’UN TEXTE D’EBÉNÉZER
NJOH-MOUELLÈ SUR LA NOTION DE « DÉVELOPPEMENT » .....................................53
TROISIÈME PARTIE : L’APPORT DE LA CONCEPTION DE DÉVELOPPEMENT
CHEZ EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ DANS LA CONSTRUCTION DES CITOYENS
RESPONSABLES ET D’UN DÉVELOPPEMENT DURABLE EN AFRIQUE ..............70
CHAPITRE 1 : LA CONCEPTION NJOH-MOUELLÉENNE DU DÉVELOPPEMENT,
UNE CONTRIBUTION À LA CONSTRUCTION DES CITOYENS RESPONSABLES.....72
CHAPITRE 2 : LE DÉVELOPPEMENT SELON EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ, UNE
CONTRIBUTION À LA CONSTRUCTION D’UN DÉVELOPPEMENT DURABLE EN
AFRIQUE .................................................................................................................................86
CONCLUSION GÉNÉRALE ..............................................................................................102
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE ........................................................................................108
TABLE DES MATIÈRES .................................................................................................... 116
III

DÉDICACE
À mon défunt père M. Koman SEKA, je dédie ce Mémoire.
IV

REMERCIEMENTS

Mes vifs remerciements s’adressent :

À Monsieur le Directeur de l’École Normale Supérieure (ENS) d’Abidjan.


À mes Maîtres de l’Université Félix Houphouët-Boigny et de l’École Normale Supérieure
d’Abidjan. Infiniment merci de m’avoir tenu la main dans ce parcours labyrinthique qu’est la
formation universitaire d’une part, et la formation professionnelle d’autre part.

À notre Directrice de Mémoire de master professionnel Mme YAPO-ANVILE Élise,


professeur titulaire de philosophie à l’École Normale Supérieure d’Abidjan qui, par sa rigueur
scientifique, sa disponibilité, sa courtoisie et ses conseils, nous a guidé dans la réalisation de
ce travail de recherche.

À Monsieur le Chef de Département des Arts et Lettres.


À Monsieur le Chef de Section Philosophie.
Aux inspecteurs et/ou aux encadreurs pédagogiques de philosophie à l’Antenne Pédagogique
Abidjan 1, pour notre encadrement.

À tout le personnel administratif, d’encadrement, d’entretien, de sécurité et l’ensemble des


enseignants de l’Établissement d’Application Jean Piaget / ENS.

À notre Professeur Conseiller, Monsieur ADHOU Kouadio, pour les conseils, la formation et
la bonne collaboration durant mon année de stage au sein de l’Établissement d’Application
Jean Piaget / ENS.

Au laboratoire PHICCAF (Philosophie des Cultures et Civilisations Africaines) du


département de philosophie de l’Université Félix Houphouët-Boigny, Bureau 12A

À mes géniteurs. Merci infiniment de m’avoir donné la vie. Merci pour la qualité de
l’éducation que j’ai reçue de vous. Merci de votre indéfectible soutien.

À mes amis et condisciples de toujours, merci. La brièveté de mes propos à votre égard ne
peut qu’être éloquente de l’incommensurabilité de la reconnaissance que je vous porte.

À Dieu sous l’égide et la grâce de qui toute cette production a été réalisée au quotidien sans
heurts majeurs.
5

INTRODUCTION GÉNÉRALE
6

Le terme de « développement » est un terme polysémique, c’est-à-dire qui a plusieurs


significations. D’une discipline à une autre, le développement peut prendre divers sens. Ce
qui traduit la difficulté à définir de façon fixe le terme de « développement ». Toutefois, dans
le langage courant, le développement s’est progressivement imposé pour désigner à la fois un
état et un processus, sous-entendu par les notions de bien-être, de progrès, de justice sociale,
de croissance économique, d’épanouissement personnel, voire d’équilibre écologique1. C’est
pourquoi, le contenu du vocable développement fait généralement référence à l’amplification,
à la croissance, à l’épanouissement, à l’essor, au progrès, à l’extension, à l’expansion. Mieux,
le développement est l’action ou le processus qui consiste à se développer. Pour paraphraser
le philosophe français André Comte-Sponville (1952…), développer une chose, c’est sortir
cette chose de son emballage, c’est étendre ce qui était plié ou enroulé, ou d’exposer en détail
cette chose. L’idée de développer s’oppose à celle d’« envelopper », de « diminuer »,
d’« appauvrir »2. Dès lors, le développement implique la croissance, le progrès.
Il y a cependant une nuance entre le progrès et le développement. En effet, le terme
progrès, dérivé du latin ‘‘progressus’’, traduit le passage d’un état moins favorable à un autre
état plus favorable ou meilleur. C’est un état d’avancement ou un mouvement graduel vers
l’avant. En général, le progrès est envisagé comme un horizon meilleur, et cela au double plan
matériel et spirituel ou moral. On parle alors de deux types de progrès, à savoir le progrès
matériel et le progrès spirituel ou moral. Que recouvrent ces deux types de progrès ? Le
progrès matériel désigne l’ensemble des productions humaines destinées à l’épanouissement
matériel. Dans la pratique et dans les faits, le progrès matériel est synonyme de bien-être
social et est généralement rendu possible par les moyens de la technique et de la science.
Quant au progrès spirituel ou moral, il est synonyme de changement de mentalité ou de
comportement. Autrement dit, c’est une évolution du point de vue des mœurs. En fait, il s’agit
de renoncer aux actes barbares, dégradant ou déshumanisant par la mise en place d’un cadre
institutionnel ayant pour vocation d’éduquer l’homme à la vertu et à le socialiser au bien. En
un mot, par progrès spirituel ou moral, il faut entendre tous les moyens visant à discipliner
l’humain et à combattre son animalité. De son côté, le développement met l’accent sur la
qualité des vies humaines, c’est-à-dire la satisfaction de leurs besoins fondamentaux, la
réduction des inégalités, du chômage et la pauvreté. Dans le même sens, il prend en compte
les facteurs sociaux et culturels, tel que l’évolution de nos sociétés vers un meilleur niveau de

1
Gilbert Rist, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, 3ème édition revue et argumentée, Paris,
Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 2007, p. 27.
2
André Comte-Sponville, Dictionnaire Philosophique, Paris, Éditions PUF, 2001, p. 258.
7

vie et vers de meilleure condition sociale. Le développement est lié au social et à l’économie.
Dans son contexte économique, le développement se traduit par une forte augmentation de la
richesse, par une hausse du Produit Intérieur Brut par habitant, par une production massive
des biens de consommation ou de production dont le but est de lutter contre la pauvreté,
entendue comme manque de biens matériels et financiers.
À la lumière de ces définitions, l’une des préoccupations fondamentales marquant nos
sociétés d’aujourd’hui est le modèle de développement que nous souhaitons construire. À cet
effet, faut-il réduire exclusivement le développement d’un pays à sa seule production massive
des biens divers de consommation ? L’indice de développement est-il uniquement la
croissance du Produit Intérieur Brut par habitant, ou la croissance économique ? Existe-t-il un
critère adéquat et approprié de notation et d’évaluation du niveau de développement d’une
nation ? Ces interrogations portant sur le développement sont au cœur de la pensée ou de
l’activité philosophique3. En effet, le philosophe ne doit rester en marge des situations
malheureuses que traversent les individus dans la vie sociale. Il est celui-là même qui doit
apporter sa part d’étoile, sa contribution dans la résolution des problèmes de son époque. De
ce fait, celui-ci doit se mettre à l’écoute du monde pour en dégager le sens. Aussi est-il appelé
à donner plus d’ampleur et de rigueur aux réflexions portant sur les injustices dont souffrent
les êtres humains de par le monde, comme la faim, la pauvreté, l’analphabétisme, la torture, le
racisme, les inégalités sexuelles, l’oppression des femmes, les incarcérations arbitraires ou la
privation de soins médicaux, etc. Pour s’en convaincre, le philosophe canadien Bernard
Lonegran (1904-1984) affirme que « la philosophie est une réflexion sur la situation humaine
à un niveau ultime. Elle consiste en une réflexion fondamentale sur la situation humaine »4.
En d’autres termes, la philosophie est une discipline portant sur la situation humaine. Ainsi,
cette discipline, entendue comme amour de la sagesse, se veut une discipline rationnelle et
critique ayant pour crédo la recherche permanente et constante de la vérité, de la justice et des
autres valeurs semblables. La philosophie contribue incessamment à la formation
intellectuelle des individus, à leur éducation morale et à la stabilité de la vie sociale. De cette
manière, philosopher, c’est à la fois s’interroger et interroger l’univers dans lequel nous
vivons, voire de penser les problèmes de notre société afin que nous nous épanouissions. En
3
On peut à titre d’exemple, mentionner certains auteurs qui se sont penchés sur le sujet, notamment : Aristote,
Éthique à Nicomaque, trad. de R. Bodéüs, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2004 ; Adam Smith, Recherches sur
la nature et les causes de la richesse des nations, [1776], Paris, Flammarion, 1999 ; Amartya Sen, Un nouveau
modèle économique. Développement, justice, liberté, (trad. de l’anglais par M. Bessières, Paris, Éditions Odile
Jacob, 2000), L’économie est une science morale, (trad. M. C. Sperber et N. Guilhot, Paris, La Découverte,
2003) et aussi L’idée de Justice, trad. de l’anglais par P. Chemla, Paris, Flammarion, coll. « Champs essais »,
2010 ; Dominique MEDA, Au-delà du PIB, pour une autre mesure de la richesse, Paris, Flammarion, 2008, etc.
4
Bernard Lonegran, La philosophie de l’éducation in Œuvres complètes, Paris, PUF, 2002, p. 2.
8

partant de cette analyse, la philosophie est susceptible d’aider nos États sur la voie du
développement.
Le développement est consubstantiel à toute société. Cette « consubstantialité » se
justifie par le fait que toute société veut et cherche à s’améliorer, à se développer, à se
perfectionner, à se moderniser. Subséquemment, le développement apparaît comme un
processus incontournable dans la marche des sociétés, c’est-à-dire dans la création des
sociétés nouvelles. En tant que processus incontournable, il est perçu en termes de mutation
de civilisation et de dynamique sociale et humaine. Le développement apparaît donc comme
une aspiration profonde des sociétés humaines vers l’évolution, la croissance. Autrement dit,
le développement est devenu une quête, voire un but à atteindre à telle enseigne que, souligne
le spécialiste de la sociologie du développement Gilbert Rist (1938-2023), « celui-ci constitue
en effet une constante de la vie de toutes les sociétés depuis l’aube de l’humanité »5. De cee
assertion, il ressort qu’il y a un désir constant pour chaque société de tendre vers une
transformation, une amélioration, voire vers un monde nouveau. C’est sans doute pourquoi, le
développement figure parmi l’un des défis des États africains après leur ascension à
l’indépendance dans les années 1960. L’année 1960 correspond à l’année où la plupart des
pays africains se sont libérés de la colonisation, voire de la rationalité coloniale. Cette
rationalité a imposé aux Africains l’idée qu’ils sont incapables de relever les défis de leur
propre développement. Elle s’est donnée pour mission de dominer, d’exploiter l’esprit africain
de sorte qu’il perd espoir de se développer, de se reconstruire, de se créer un monde selon ses
propres valeurs.
Or, un peuple dominé, exploité est un peuple qui ne se gouverne pas, qui ne dispose
plus de lui-même, qui perd sa liberté ; c’est un peuple aliéné. Subséquemment, la rationalité
coloniale a modifié notre manière d’être, de penser et a fait de nous des individus incapables
d’envisager notre propre développement. Comme le révèle l’historien et politologue
camerounais Achille Mbembe (1957…), en les dépossédant de leur espace, la rationalité
coloniale a exigé aux Africains, « non seulement qu’ils changent leurs raisons de vivre, mais
aussi qu’ils changent de raison_ des êtres en écart perpétuel »6. En conséquence, c’est notre
culture, notre civilisation, nos us et coutumes qui sont niés et considérés comme des choses
primitives, c’est-à-dire appartenant à un monde inférieur. De la sorte, c’est toute la dignité de
l’être africain qui est remise en cause ainsi que son identité. Une telle entreprise coloniale

5
Gilbert Rist, Op. cit., p. 34.
6
Achille Mbembe, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, Paris, Éditions La Découverte,
2010, p. 15.
9

plonge l’Africain dans un pessimisme, dans un doute profond non seulement sur son présent,
mais aussi son avenir. Cette idée transparaît dans la pensée du psychiatre et essayiste algérien
martiniquais Frantz Fanon (1925-1961) lorsqu’il écrit que, dans l’entreprise coloniale, « la
culture du peuple asservi est sclérosée, agonisante. Aucune vie n’y circule. Plus précisément
la seule vie existante est dissimulée »7. Il fallait donc que nos États s’affranchissent de cette
rationalité coloniale en mettant en place les principes fondamentaux de leur développement.
À l’aube des indépendances, les pays africains ont donc ressenti la nécessité de
construire un développement dont le but est de lutter contre la pauvreté, la misère, le chômage
qui privent le peuple de certains droits fondamentaux tels que le fait d’espérer vivre
longtemps, de mener une vie bonne, de vivre en toute liberté, et d’avoir accès à l’éducation.
Ces pays promeuvent le développement dans certains secteurs vitaux comme nous révèle
l’homme politique ivoirien Marcel Zadi Kessy (1936-2020) en prenant l’exemple de la Côte
d’Ivoire : « En accédant à l’indépendance, la Côte d’Ivoire, à l’instar des États africains,
s’est fixé un objectif prioritaire : le développement économique, social et culturel »8. C’est
donc d’autant plus nécessaire que la notion de « développement » soit inscrite dans les
programmes scolaires en Côte d’Ivoire.
Dans nos programmes scolaires en général et dans la discipline philosophique en
particulier, la notion de « développement » figure dans la compétence III du programme des
classes de Terminale D. Cette compétence, traitant d’une situation relative aux conditions du
progrès, a pour thème les conditions du bonheur. Elle intervient seulement dans la leçon 3 –
« Progrès et Bonheur » – de cette compétence. Elle y est sommairement analysée ; et la
situation d’apprentissage, élément indispensable dans l’élaboration et la conduite d’une leçon
l’atteste bien. Cette situation suggère, à titre de tâches, de connaître les caractéristiques du
travail, de la technique, de distinguer les différents types de progrès, et d’examiner les
conditions du bonheur. En référence à la situation d’apprentissage, la finalité recherchée par le
travail, la technique, le progrès ou le développement est de mettre à la disposition de l’homme
les conditions de possibilité et de réalisation du bonheur. Cependant, il s’est avéré que, malgré
l’inscription de la notion de « développement » dans les programmes scolaires, notamment en
philosophie, nous avons du mal à nous développer. Est-ce un problème d’enseignement de
ladite notion ? Est-ce un manque de vision du développement, c’est-à-dire est-ce qu’on ne
met pas exclusivement l’accent sur la promotion d’un développement matériel ?

7
Frantz Fanon, Pour la révolution africaine. Écrits politiques, Paris, Éditions La Découverte, 2001, p. 53.
8
Marcel Zadi Kessy, Développement de proximité et gestion des communautés villageoises, Abidjan, Éditions
Éburnie, 2004, p. 39.
10

La difficulté est que l’orientation que l’on donne le plus souvent à la notion de
« développement » pour la rendre effective est une orientation matérialiste. On perçoit le
développement comme une affaire infrastructurelle. Cette orientation matérialiste du
développement repose sur l’accumulation des richesses économiques, la possession des biens
matériels, la croissance des objets de conforts ; et elle s’observe bien dans les discours
officiels des hommes politiques et des économistes classiques. Ainsi, l’approche
communément adoptée par les économistes et les hommes politiques en la matière,
notamment ceux spécialisés dans l’estimation quantitative du développement, consiste à
s’interroger sur le niveau de ressources économiques, financières et monétaires dont disposent
les pays et dont jouissent les individus. Dans cette approche du développement, on se limite à
juger le développement d’un pays sur la base des moyens techniques et des infrastructures
(bâtiments, hôpitaux, universités, ponts, stades, routes, usines, aéroports, ports, caniveaux
etc.) dont il dispose. Un pays est dit développé lorsque son niveau de réalisation technique et
économique est très avancé, et un pays est dit sous-développé lorsqu’il est démuni
économiquement et techniquement. En des termes plus économiques, un pays développé se
caractérise par la croissance forte du Produit Intérieur Brut et/ ou du Produit National Brut, et
un pays sous-développé par la faible croissance du PIB et/ou du PNB. Par conséquent, le
développement prend la forme de l’économicisme, c’est-à-dire se ramène à l’idée de
croissance, d’accès aux revenus. Grosso modo, il existe des critères objectifs du
développement dont les principaux éléments sont la croissance économique et la technique.
C’est dans cette perspective qu’il faut lire ces propos du philosophe et homme politique
ivoirien Sidiki Diakité : « le développement tel qu’on l’exprime de nos jours dans les discours
officiels repose avant tout sur un calcul économique et sur une vision instrumentale de la
technique »9. Or, cette manière de penser le développement s’avère, à bien y observer,
superficielle. En quoi réside cette superficialité ?
Cette superficialité réside dans le fait que le développement, fondé sur un calcul
économique et sur une vision instrumentale de la technique, n’est pas viable à long terme. En
réalité, en considérant de façon exclusive le développement sous cet angle, il y a un écueil
auquel on ne prête souvent pas attention. L’écueil est que souvent, le peuple n’a pas
conscience de toutes ces infrastructures qu’on construit, à telle enseigne que les caniveaux
destinés à évacuer l’eau sont bouchés à cause des déversements d’ordures. Dans ces
conditions, ne serait-il pas nécessaire de prendre le temps de conscientiser, d’éduquer d’abord

9
Sidiki Diakité, Technocratie et question africaine de développement. Rationalité technique et stratégies
collectives, Abidjan, Édition Stratéca diffusion, coll. « Penser l’Afrique N° 2 », 1994, p. 184.
11

le peuple ? Le développement n’est-il pas avant tout le développement humain ? De même,


fondamentalement, le développement matériel n’améliore pas toujours les conditions de vie
des hommes et néglige le plus souvent les enjeux liés à leur santé, éducation et qualité de vie.
Cette vision du développement n’est pas toujours en adéquation avec nos intérêts, nos réalités
et nos valeurs. On méprise donc l’essentiel dans le développement infrastructurel : l’homme.
Or, chez Kant, l’homme représente une valeur suprême qui mérite respect et considération.
Pour lui, l’homme est un être doté de raison. Et parce qu’il est doté de raison, il apparaît
nécessaire de le considérer comme des fins en soi et jamais comme des moyens10. Considérer
l’homme comme un moyen, c’est le représenter comme un objet ; et le considérer comme une
fin en soi c’est le concevoir comme une personne. Plus précisément, dans la philosophie
kantienne, l’homme est perçu comme un sujet moral responsable et libre, un être raisonnable
constituant une fin en soi et possédant une valeur absolue. Si l’homme est une valeur
suprême, ne faudrait-il pas repenser la notion de « développement » ? Tenir l’approche par
l’estimation quantitative du développement au superficiel n’est-ce pas se donner la voie libre
pour la formulation d’autres critères d’évaluation du développement ? Ces questions nous
invitent à une réinterrogation de ladite notion.
Cette réinterrogation de la notion de « développement » peut se faire à l’aune de la
pensée du philosophe camerounais Ebénézer Njoh-Mouellè (1938…), qui est considéré
comme l’un des précurseurs de la pensée moderne et contemporaine du développement.
L’essentiel de ses œuvres s’est résolument tourné vers une réflexion morale et politique sur le
développement. Après avoir soutenu deux thèses de doctorat sur Bergson11, l’auteur reprend
la question du développement dans les années 70 dans l’optique de dégager sa signification
philosophique. Pour aboutir à un tel objectif, l’auteur souligne non seulement la nécessité de
la pratique philosophique dans le contexte socio-historique africain, mais aussi la tâche qui
revient aux philosophes africains dans la construction du développement intégral de leur
continent. Pour ce faire, il les interpelle à ne point être de simples conservateurs de musée,
terme désignant généralement des professionnels dans la conservation des œuvres du passé.
C’est une métaphore que l’auteur utilise ici pour décrire l’état actuel des intellectuels
africains, qui ne produisent pas de nouvelles idées pour construire leur propre avenir y
compris celui de leur pays. Ceux-ci se servent du passé pour construire une vision du monde,
qui n’est pas en rapport avec nos réalités ou vécus quotidiens. Ainsi, pour Njoh-Mouellè, ces

10
Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, trad. de V. Delbos, Paris, éditions Librairie
Delagrave, 1996, pp. 149-150.
11
Bergson et l’idée de profondeur (3ème cycle, Sorbonne, 1967) et L’avenir de l’humanité selon le Bergsonisme
(Doctorat d’État, Sorbonne, 1981).
12

philosophes qui tiennent office de conservateur de musée ne peuvent être considérés comme
de véritables philosophes, mais plutôt comme des pseudo-philosophes, inutiles à la société12.
Donc, il les appelle à une productivité d’idées ou voies nouvelles pour rendre possible le
développement intégral dont l’Afrique a besoin. Telle est l’affirmation d’Azombo Menda et
M. Enobo Kosso lorsqu’ils écrivent :
Ebénézer Njoh-Mouellè commence par souligner la nécessité de la philosophie dans le
contexte socio-historique des pays africains. Puis il se penche sur les tâches qui
incombent actuellement au philosophe africain qui ne doit pas être un conservateur de
musée, mais un élément actif dans le processus de développement intégral dont
l’Afrique a besoin. Ce qui l’amène à reprendre la question du développement pour en
dégager la signification philosophique13.
En reprenant la question du développement, Njoh-Mouellè apporte un éclairage
nouveau sur le concept de « développement », dépassant le cadre limité des biens matériels
pour s’intéresser aux existences humaines réelles, telles que la misère, la pauvreté, la
médiocrité, la politique, la morale, le langage, l’éducation, le travail, le bonheur, la liberté, le
bien-être, etc. L’auteur consacre, en un mot, toute sa réflexion à penser à nouveau frais la
notion de « développement » en l’orientant nécessairement sur l’homme, son éducation, sa
moralisation, sa formation. C’est donc à bon droit que le présent travail d’étude et de
recherche s’élabore sous l’égide de la philosophie de cet auteur. L’intitulé de cette recherche
est libellé comme suit : « L’ENSEIGNEMENT DE LA NOTION DE « DÉVELOPPEMENT »
CHEZ EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ DANS LE SECONDAIRE IVOIRIEN
AUJOURD’HUI ».
Le cadre théorique, qui sous-tend la présente étude, est la philosophie du
développement. La philosophie du développement peut être présentée comme une philosophie
ayant pour tâche de réfléchir à tout ce qui concerne l’amélioration des conditions de vie
extérieure et intérieure de l’homme. Dans cette philosophie du développement, deux (2)
grandes conceptions sont entrées en confrontation : il s’agit d’une part de la conception
matérialiste du développement, et d’autre part de la conception idéaliste du développement.
La conception matérialiste du développement limite le développement à la simple production
des données matérielles, telles que les infrastructures, l’économie, la finance, les productions
techniques. Mieux, elle promeut un développement centré sur la production des biens
matériels. Quant à la conception idéaliste du développement, elle prend en compte non
seulement les productions de biens matériels, mais l’humain en tant que tel, sa vie, sa dignité,

12
Ebénézer Njoh-Mouellè, Jalons, Recherche d’une mentalité neuve, Yaoundé, Éditions CLE, 1970, p. 86.
13
S. Azombo Menda et M. Enobo Kosso, Les philosophes africains par les textes, Paris, Éditions Nathan-
Afrique, 1978, p. 151.
13

sa liberté, son être. Ainsi, parmi ces deux conceptions, c’est la conception idéaliste du
développement qui nous intéresse. Pourquoi un tel choix ? Dans ses écrits, Njoh-Mouellè
soutient que s’il y a un développement qu’il faut promouvoir, c’est bel et bien le
développement à visage humain. Ce développement à visage humain est au service de
l’homme, de la société. C’est un développement susceptible de réduire le problème de la
pauvreté, de la médiocrité, de la superstition dont souffrent les pays sous-développés. C’est
pourquoi, le choix de Njoh-Mouellè pour explorer l’idée de développement n’est pas anodin.
Ce choix de Njoh-Mouellè peut s’expliquer pour deux raisons principales. La première
de celles-ci est le tournant pris par le débat autour de la question africaine du développement
dans les années 70 où la plupart des États africains, après l’indépendance, semblaient
construire un modèle de développement par comparaison aux pays développés. Ainsi, « la
vision de notre développement, dans l’optique de l’homme individuel comme dans celle de la
société globale, est souvent faussée par une abusive réduction à sa dimension économique et
matérielle »14. Dans cette perspective, « tout le monde, en pays sous-développé, se plaint de
marquer de moyens financiers et matériels pour faire ceci ou cela »15. Cela est d’autant plus
justifié que lorsqu’on demande à l’Africain sous-développé ce que signifie le développement
socio-économique, ce dernier répond par « l’énumération d’objets à acquérir »16, tels que les
réfrigérateurs, machines à laver, maisons à étages, campagnes et forêts rasées, routes et
autoroutes etc. Or, s’interroge Njoh-Mouellè,
un pays est-il sous-développé par rapport à un autre ou plutôt par rapport à ses propres
potentialités ? (…) En d’autres termes, l’idéal de développement pour l’Afrique sous-
développée pourrait-il être, devrait-il être la réalité économique des États-Unis
d’Amérique d’aujourd’hui ?17.
À cette interrogation, l’auteur répond que c’est un discours erroné, voire fallacieux de dire
d’un pays qu’il est développé ou sous-développé par faute d’une commune mesure de
développement. On ne saurait, en ce sens, réduire le développement d’un pays à sa seule
possession des richesses économiques ou des moyens techniques et scientifiques. Il faut donc
relativiser les critères du développement, car c’est un processus continuel prenant en compte
aussi bien l’aspect quantitatif des réalisations matérielles que les valeurs et richesses
culturelles, comme le révèle Njoh-Mouellè lorsqu’il affirme :
L’idée de développement est incontestablement une notion économique ; mais la réduire
rigoureusement à l’économique serait la restreindre. Le développement est un processus

14
Ebénézer Njoh-Mouellè, Développer la richesse humaine, Éditions CLE, Yaoundé, 1980, p. 55.
15
Ibidem.
16
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du développement,
Yaoundé, Éditions CLE, 1970, p. 5.
17
Idem, pp. 5-6.
14

complet, total qui déborde par conséquent l’économique pour recouvrir l’éducationnel
ou le culturel18.
Parce que par l’éducation ou la culture, l’homme s’éloigne de toutes déterminations
purement naturelles et finit par devenir un être social, moral et spirituel, le développement ne
doit lui être étranger. En réalité, se développer c’est d’abord et avant tout développer l’humain
dans sa totalité. Le développement renvoie non seulement à la croissance économique, mais
aussi et surtout à la qualité de la vie humaine. Que donc le développement ne se limite pas au
progrès matériel, car il y a aussi le progrès moral, le progrès spirituel, mais surtout le progrès
humain. Autrement dit, le développement matériel ne peut être bénéfique que s’il est précédé
par un développement des mentalités, un développement spirituel, moral.
La seconde raison du choix de Njoh-Mouellè repose sur la qualité et la pertinence de
ses écrits. Pensée actuelle et féconde, les écrits de ce philosophe camerounais ont l’avantage
de nous situer au cœur d’un débat très complexe, à savoir la question africaine du
développement. Bien plus, sa pensée, dans son ouvrage De la médiocrité à l’excellence, sous-
titré essai sur la signification humaine du développement (1970) est une manière originale
d’aborder la question du développement. Dans ce livre, en se démarquant de toutes
connotations matérialistes qu’on associe généralement à l’idée de développement, Njoh-
Mouellè élabore une signification essentiellement humaine du développement. Pour cet
auteur, c’est l’homme qui, dans sa contribution, doit servir de socle au développement
économique et social. Construire un espace d’humanisation de l’homme doit être la fin du
développement. Parlant dudit ouvrage, le philosophe camerounais Hubert Nono Ndjana
(1946-2023) écrit :
Il s’agit d’une véritable phénoménologie des figures de l’homme convoqué au
développement et à l’excellence. Ce texte constitue aussi, en même temps, comme le
verso d’un recto, une anthropologie de la misère, dont toutes les attitudes sont
minutieusement décrites : l’ignorance, la superstition, la sorcellerie, la perversion des
mœurs, l’ostentation, le snobisme, le matérialisme le plus vulgaire, etc. Tout l’effort qui
est d’ailleurs fait dans l’ouvrage est de dissocier le développement authentique de toutes
les connotations matérialistes que le vulgaire lui associe au risque de s’éterniser dans la
médiocrité19.
Dans son ouvrage De la médiocrité à l’excellence, Njoh-Mouellè tente de définir le nouveau
type d’homme dont le développement économique et social doit promouvoir. Ce nouveau
type d’homme n’est pas cet homme médiocre qui tourne le dos à l’avenir, à la créativité pour
s’éterniser dans l’instinct de conservation ou le besoin de sécurité. Il ne s’agit non plus de cet
homme critique égaré et superstitieux ni cet homme prisonnier de la modernité et du snobisme

18
Ibidem.
19
Hubert Nono Ndjana, Histoire de la philosophie africaine, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 65.
15

tournant le dos à la liberté-créatrice et incapable de se développer personnellement. Le nouvel


homme dont le développement économique et social doit permettre la réalisation est l’homme
excellent, c’est-à-dire l’homme qui est toujours éveillé et engagé dans la construction de son
avenir.
En conséquence, l’intérêt de notre sujet de recherche présenté ci-dessus n’a de sens que
si la conception Njoh-Mouelléenne du développement nous permet de mieux cerner la notion
de « développement », dont l’enjeu est la construction des citoyens responsables et d’un
développement durable en Afrique. Par ailleurs, notre sujet se formule comme une nouvelle
façon d’enseigner ladite notion afin de permettre aux élèves de mieux la comprendre. En
d’autres termes, c’est une réforme de la pratique enseignante que nous souhaitons proposer.
Dès lors, le problème central qui découle de notre sujet du mémoire de master professionnel
est le suivant : Comment la philosophie d’Ebénézer Njoh-Mouellè, qui prône l’idée d’un
développement proprement humain, peut-elle contribuer à la construction des citoyens
responsables et d’un développement durable en Afrique ? Cette problématique sera traitée par
l’entremise de la résolution des problèmes suivants : Comment Ebénézer Njoh-Mouellè
conçoit-il le développement ? Comment enseigner la notion de « développement » par la
philosophie njoh-mouelléenne dans le secondaire ivoirien ? Quel est l’apport de la conception
de développement chez Ebénézer Njoh-Mouellè dans la construction des citoyens
responsables et d’un développement durable en Afrique ? Notre problématique, pour être
menée à bien, répond à un objectif général et à trois objectifs secondaires :
OBJECTIF GÉNÉRAL : Montrer comment la philosophie d’Ebénézer Njoh-Mouellè
prônant l’idée de développement proprement humain est susceptible de contribuer à la
construction des citoyens responsables et d’un développement durable en Afrique.
OBJECTIFS SECONDAIRES :
- Exposer la conception njoh-mouelléenne du développement ;
- Faire un cas pratique de la notion de « développement » chez Njoh-Mouellè dans le
secondaire ivoirien à partir d’un exposé de leçon et d’une explication de texte ;
- Démontrer l’apport de la conception de développement chez Ebénézer Njoh-Mouellè
dans la construction des citoyens responsables et d’un développement durable en
Afrique.

Méthodologie de recherche utilisée


Toutefois, pour atteindre ces objectifs, l’usage d’une méthodologie s’avère nécessaire.
En effet, toute recherche scientifique exige une méthodologie. Pour le sociologue ivoirien
16

Paul N’Da (1945-2020), « la méthodologie de la recherche englobe à la fois la structure de


l’esprit et de la forme de la recherche et les techniques utilisées pour mettre en pratique cet
esprit »20. C’est dire que la méthodologie regroupe non seulement une méthode, mais aussi
des démarches et des techniques, ou outils employés pour mieux conduire notre réflexion.
Elle est une entreprise rigoureuse et bien ordonnée pour guider l’esprit de l’apprenti-
chercheur. Dans l’orthographe du vocable « méthodologie », transparaît une autre notion,
celle de « méthode ».
L’acception étymologique de méthode vient du mot grec methodus qui veut dire
« chemin ou voie ». Par-là, elle se révèle comme un instrument rigoureux et rationnel qui
nous permet de mieux organiser nos pensées et d’éviter certaines erreurs dans la rédaction
d’un travail scientifique. Son but est de contraindre notre plume à observer des règles en vue
d’atteindre un résultat bien déterminé. Pour citer Jacqueline Russ (1934-1999), la méthode est
« un ensemble de démarches raisonnées et rationnelles, permettant de parvenir à un but »21.
Conduire sa réflexion et atteindre un objectif bien déterminé exigent donc essentiellement une
méthode. Sur ce point, la grande affirmation du philosophe français René Descartes (1596-
1650), notamment dans son Discours de la méthode (1637), se révèle pertinente et
fondamentale. Philosophe rationaliste, celui-ci souligne que le bon sens (raison) est présent
chez tous les individus, mais qu’ils n’en font pas tous bon usage. Ce mauvais usage du bon
sens rend la méthode impérativement utile aussi bien pour la recherche de la vérité que la
22
conduite de nos pensées . Par conséquent, dans le cadre de notre sujet de réflexion, la
démarche critiquo-analytique tiendra lieu de « méthodologie utilisée ». La démarche
« critiquo-analytique » suppose ici deux méthodes d’investigation intellectuelle combinées
qui sont : en amont, la méthode critique, et en aval, la méthode analytique.
D’abord, nous utiliserons la méthode critique en tant qu’elle est l’examen d’un
principe afin de porter sur son sujet un jugement. Etymologiquement, la critique dérive du
latin criticus, lui-même dérivé du grec kritikos, qui renvoie à l’idée de jugement, de
discernement. Elle est une tentative intellectuelle qui sert à comprendre les limites et les
validités d’une proposition ou d’une idée. Cette méthode trouve son origine dans la pensée du
philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804). D’origine kantienne, la méthode critique
consiste à soumettre nos connaissances, nos valeurs, nos croyances au jugement de la raison.

20
Paul N’Da, Recherche et méthode en sciences sociales et humaines, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 15.
21
Jacqueline Russ, Les méthodes en philosophie, 3ème édition établie par France Farago, Paris, Éditions Armand
Collin, 2017, p. 28.
22
René Descartes, Discours de la méthode, Présentation, notes, dossiers, bibliographie et chronologie, par
Laurence Renault, Paris, Garnier Flammarion, 2000, pp. 29-32.
17

C’est ainsi que Kant la définit comme une méthode « qui consiste dans l’étude du procédé de
la raison même, dans l’analyse et l’examen de l’ensemble de nos facultés intellectuelles, pour
savoir quelles en sont les limites »23. Dans cette logique, l’usage de la méthode critique
constituera l’instrument d’analyse et d’examen minutieux des forces et faiblesses de la
conception dominante du développement, en s’inspirant des écrits de Njoh-Mouellè.
Ensuite, nous ferons usage de la méthode analytique. Dérivé du verbe analuein
signifiant « délier », la méthode analytique est la réflexion qui procède par voie d’analyse
dont la fonction est de décomposer une notion afin d’en saisir sa véritable signification,
compréhension. C’est dire qu’analyser consiste « à décomposer l’objet d’étude en allant du
plus complexe au plus simple. Cette méthode recherche le plus petit composant possible,
l’unité de base des phénomènes »24. Dès lors, la méthode analytique se démarque de la
méthode synthétique qui procède par thèse, antithèse et synthèse ; et Bacon Tenoit en est le
fondateur. Mais, dès le début du XXème siècle, l’analyse devient une science appelée
philosophie analytique, qui est une science née des critiques, chez Frege en Allemagne et chez
Bertrand Russell en Grande-Bretagne. Dans ce présent travail, celle-ci nous servira à
déterminer la conception njoh-mouelléenne du développement dans les moindres détails, et à
faire une analyse pratique de la notion de « développement » en classe terminale D, mais
aussi à démontrer son apport, voire sa nécessité dans la construction d’une citoyenneté
responsable et d’un développement durable en Afrique.

Annonce du plan général


Les différentes questions subsidiaires évoquées précédemment dans la problématique
nous amènent à articuler notre travail autour de trois (3) grandes parties. Primo, la première
partie expose la conception njoh-mouelléenne du développement et s’intitule comme suit :
« Ebénézer Njoh-Mouellè, un regard autre sur le développement ». Elle comporte deux
chapitres : le premier chapitre est intitulé «la spécificité de la pensée njoh-mouelléenne du
développement, rupture avec la conception classique du développement ». Il s’agit pour nous
dans ce premier chapitre de montrer que la philosophie njoh-mouelléenne du développement
se présente tout d’abord comme une philosophie qui remet en question l’approche du
développement couramment admise par les économistes classiques. Le deuxième chapitre

23
Emmanuel Kant, Logique, traduit par J. Tissot, Paris, Librairie Philosophique de Ladrange, 1862, p. 39.
24
Omar Aktouf, Méthodologie des sciences sociales et approches qualitatives des organisations, Québec, P.U.O,
1992, p. 23.
18

portant sur « Ebénézer Njoh-Mouellè, pour un développement centré sur l’humain » se


propose d’exposer la conception njoh-mouelléenne du développement.
Secundo, la deuxième partie est titrée comme suit : « l’expérimentation de la notion
de « développement » chez Ebénézer Njoh-Mouellè dans le secondaire ivoirien ». Cette
seconde partie de notre réflexion présente une étude de cas pratique sur la notion de
« développement » chez Njoh-Mouellè à travers un exemple de conduite de leçon (premier
chapitre) et d’une explication de texte (deuxième chapitre).
Tertio, la troisième partie de notre réflexion intitulée « L’apport de la conception de
développement chez Ebénézer Njoh-Mouellè dans la construction des citoyens
responsables et d’un développement durable en Afrique » répond à une volonté d’analyse.
Cette ultime partie se propose de préciser les enjeux didactico-pédagogiques de la conception
du développement chez Njoh-Mouellè. À cet effet, cette partie comportera deux chapitres. Le
premier chapitre est titré « la conception njoh-mouelléenne du développement, une
contribution à la construction des citoyens responsables », et le second « le développement
selon Ebénézer Njoh-Mouellè, une contribution à la construction d’un développement durable
en Afrique ». Chaque partie principale décrite ci-dessus est subdivisée en paragraphes et
sections. Ainsi, ces trois grandes parties de structuration de notre travail de recherche tracent
le chemin que nous empruntons pour atteindre notre principal objectif.
19

PREMIÈRE PARTIE :
EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ, UN REGARD
AUTRE SUR LE DÉVELOPPEMENT
20

Notre première partie, telle que formulée, a pour objectif d’exposer la conception
njoh-mouelléenne du développement. En effet, la parution en 1970 de l’ouvrage De la
médiocrité à l’excellence, sous-titré essai sur la signification humaine du développement
d’Ebénézer Njoh-Mouellè marque un tournant décisif dans l’approche de la notion de
« développement ». Ainsi que l’auteur le souligne, « le développement économique et social,
s’il ne devait viser que la production massive des biens divers de consommation n’améliorait
en rien l’homme en tant que tel »25. Une telle affirmation met en évidence le regard critique
que Njoh-Mouellè porte sur le développement économique et social qui se borne
exclusivement à viser la production massive des biens divers de consommation, voire la
croissance économique.
Ce faisant, la conception njoh-mouelléenne du développement va à l’encontre de
l’approche classique du développement, soutenue par les spécialistes du revenu national. En
d’autres termes, Njoh-Mouellè rebrousse chemin aux théories classiques du développement
afin d’identifier leurs insuffisances et leurs failles théoriques dont le but est de dégager une
nouvelle conception du développement répondant véritablement aux besoins des individus et
de la société. Une telle analyse nous permet d’affirmer que l’auteur porte un regard nouveau
sur le concept de « développement ». Mais, en quoi consiste réellement l’approche classique
du développement ? En quoi est-elle limitée, voire obsolète selon Njoh-Mouellè ? Là se dit
tout l’intérêt de notre première partie.
Cette première partie contient, en conséquence, deux chapitres. Le premier chapitre a
pour titre « la spécificité de la pensée njoh-mouelléenne du développement, rupture avec la
conception classique du développement ». Dans ce chapitre, nous exposerons la conception
classique du développement afin d’en dégager ses insuffisances en nous focalisant sur les
critiques élaborées par Njoh-Mouellè. Le second chapitre est intitulé « Ebénézer Njoh-
Mouellè, pour un développement centré sur l’humain ». Ici, nous poserons les bases de la
théorie njoh-mouelléenne du développement.

Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du développement,


25

Op. cit., p. 17.


21

CHAPITRE I : LA SPÉCIFICITÉ DE LA PENSÉE NJOH-MOUELLÉENNE DU


DÉVELOPPEMENT, RUPTURE AVEC LA CONCEPTION CLASSIQUE DU
DÉVELOPPEMENT

A. De la conception classique du développement


La conception classique du développement débouche sur l’idée selon laquelle
développement et croissance économique vont de paires. Mieux, le développement n’est
redevable qu’à la croissance économique. Que désigne-t-elle ? Au strict du terme, la
croissance économique désigne un processus quantitatif qui se caractérise, au cours d’une
durée, par l’accumulation de la richesse, du capital par tête d’habitant. Elle se traduit par
l’augmentation de la production, des capitaux, et est généralement mesurée par le PIB
(Produit Intérieur Brut) et/ou le PNB (Produit National Brut), entendus comme des
indicateurs représentatifs de la production de richesses d’un pays. L’économiste français Jean-
Marc Huart renchérit cette idée en ces termes suivants :
La croissance économique est un processus quantitatif qui se traduit par l’augmentation,
au cours d’une longue période, d’un indicateur représentatif de la production de
richesses d’un pays, le plus souvent le produit intérieur brut en volume (PIB), voire le
produit national brut (PNB)26.
Cela sous-entend que la croissance économique se veut un processus ayant pour credo le
développement pur et simple des biens matériels, des richesses économiques, l’accroissement
du PIB et/ou PNB. Mais, avec l’économiste américain Robert Solow (1924…), la croissance
économique est identifiée aux facteurs de production, tels que le capital et le travail.
Dans son article27 publié en 1956, Solow s’intéresse aux questions relatives à l’origine
de la croissance économique. Ce faisant, il élabore un modèle de croissance économique dont
le but est de « montrer qu’il peut exister une croissance stable et « équilibrée » (c’est-à-dire
sans surchauffe, ni oscillation) lorsqu’est réalisée une juste répartition du capital (K) et du
travail (L), les deux facteurs de production »28. Ce modèle est construit sur la base de
plusieurs hypothèses de la théorie néoclassique de l’économie qui, s’inscrivant dans la
perspective de l ‘‘individualisme méthodologique’’, consiste à expliquer les phénomènes
socio-économiques à l’aune des choix individuels composant la société29. Ainsi, le modèle de
Solow est considéré comme l’un des modèles majeurs de la théorie de la croissance
économique ; ce qui lui a valu un prix Nobel d’économie en 1987. Ce modèle appréhende la

26
Jean-Marc Huart, Croissance et développement, Paris, Éditions Bréal, coll. « Thème et débats », 2003, p. 12.
27
Robert M. Solow, « A contribution to the theory of Economic Growth », in Quarterly Journal of Economics,
Vol.70, n°1, 1956, p. 65-94.
28
Jean-François Dortier, Le dictionnaire des sciences sociales. Paris, Sciences Humaines Éditions, 2013, p. 76.
29
Emmanuel Bénicourt et Bernard Guerrien, La théorie néoclassique. Microéconomie, macroéconomie et
théorie du jeux, 3ème éd., Paris, La découverte, coll. « Grands Repères/Manuels », 2008, p. 5.
22

croissance économique comme le résultat d’une productivité, c’est-à-dire du capital et du


travail. Mieux, Solow explique la croissance économique à partir de l’augmentation du
facteur capital et du facteur travail. Le facteur capital regroupe ici les biens matériels qui
peuvent être utilisés lors de plusieurs cycles de productions. Il s’agit, entre autres, des outils,
des machines, des matériels ou moyens de transport, de communication, etc. En un mot, le
facteur capital fait référence à la quantité d’investissement. Quant au facteur travail, il
correspond à l’ensemble des heures de travail effectuées par les individus. Mieux, ce facteur
s’identifie par l’intensité du travail. Pour Solow, plus les individus travaillent et investissent
dans le capital, plus la croissance économique augmente fortement.
Cependant, dans le modèle de Solow, « l’innovation technique compte beaucoup plus
que la croissance du capital (du nombre de machines) ou de l’intensité du travail »30. La
raison de cette priorité accordée à l’innovation technique est double : la première est que le
stock de capital a une durée de vie. Par exemple, une machine à laver fonctionne trois (3) à
cinq (5) ans. Passées ces années, elle peut être hors d’usage. Ainsi, le capital perd sa valeur
chaque année jusqu’à ce qu’il ne fonctionne plus ; la deuxième est due à la population active
qui ne fait qu’augmenter le facteur travail. Or, plus le nombre de travailleur augmente, moins
il y a de machines ou d’outils par travailleur. Dès lors, Solow estime que la croissance
économique peut stagner, ce qui ne peut donc être expliqué ni par une augmentation du
facteur capital ni par une augmentation du capital travail31. Donc, au-delà de ces deux facteurs
de production, il ajoute un auteur facteur, à savoir le progrès technique. Cette idée se justifie à
travers ces propos de Dominique Guellec et Pierre Ralle :
Le terme de « progrès technique » a été largement utilisé dans les analyses quantitatives
de la croissance fondées sur le modèle de Solow. Il désignait alors le résidu, c’est-à-dire
cette fraction de la croissance non expliquée par les facteurs explicitement pris en
compte. (…) Il désigne bien la transformation des techniques utilisées dans la
production, à l’exclusion de tout autre facteur32.
Ainsi, pour Solow, le terme de « progrès technique » n’est pas le produit du système
économique lui-même. À cet effet, il n’en précise pas son origine et le considère comme un
facteur exogène. En clair, le progrès technique apparaît pour Solow comme une donnée
exogène33, expliquant fondamentalement la croissance économique à long terme. Ce faisant,

30
Jean-François Dortier, Le Dictionnaire des sciences sociales, Op. cit., p. 183.
31
https://misterprepa.net/modele-de-solow/
32
Dominique Guellec et Pierre Ralle, Les nouvelles théories de la croissance, 5ème éd., Paris, Éditions la
découverte, 2003, p. 83.
33
Ce modèle de Solow est, à partir des années 1980, remis en cause par l’économiste américain Paul Romer qui
conçoit la croissance économique non pas comme une donnée exogène, mais plutôt comme une donnée
endogène intégrant ainsi les phénomènes comme le progrès technique, les rendements d’échelle, les effets
d’apprentissage, la formation, les dépenses publiques, ou dépenses de recherche/development etc. La principale
23

la croissance économique a pour but principal d’organiser le bien-être, le bonheur de tous,


voire les conditions de vie des populations. Cela témoigne l’importance du progrès technique,
de la production, de l’économie dans le processus du développement.
Dans ce modèle de croissance économique, le développement n’est redevable qu’aux
domaine de la finance, de l’économie, de la production, de la technique. Dans le même sens,
le PIB et le PNB, qui servent de mesure à la croissance économique, apparaissent comme des
mesures traditionnelles les plus couramment utilisées pour définir le niveau de développement
d’un pays. Toutefois, une distinction s’opère entre ces deux indicateurs. Le PIB est un indice
de mesure des « productions effectuées à l’intérieur d’un pays (qui comprend l’activité des
sociétés étrangères qui produisent sur le sol national) »34. C’est dire qu’il est l’instrument de
mesure qui rend compte de la santé économique de chaque pays et sert à mieux mesurer les
biens et services produits sur le marché. Il est généralement utilisé pour calculer la croissance
ou performance économique d’un pays donné. Quant au PNB, c’est un critère de mesure des
« productions des sociétés d’un pays (même celles qui ne sont pas effectuées sur le sol
national) »35. Il correspond à la production annuelle de biens et services commercialisables
produits par un pays ; et cette production a lieu tant sur le territoire national qu’à l’étranger.
Quoi qu’il en soit, ces deux indices de performance économique mettent l’accent sur un
développement centré sur les statistiques, les chiffres, l’arithmétique. Sur la base de cette idée,
le développement repose avant tout sur une croissance abusive du PIB et du PIB. Dans cette
condition, la qualité de vie des individus dans un pays s’améliore à condition que le PIB et le
PNB augmentent par tête d’habitants. En ce sens, le bien-être d’un pays s’appréhende comme
la quantité de biens matériels qu’il possède. Dans cette approche, il y a donc développement
lorsqu’un pays maximise ou fructifie les ressources dont il dispose en profits ou en gains,
voire en objets de confort. Partant de ce présupposé, le sous-développement d’un pays se
traduit par un manque de richesse, un faible accroissement du PIB ou PNB par habitant ou par
un retard infrastructurel. À ce propos, Huart souligne que « le sous-développement (…)
correspond à la situation qui caractérise des pays qui ne peuvent faire croître durablement le
PIB en raison d’un certain nombre de blocages internes »36. De cette manière, ces indicateurs
limitent le développement à la croissance économique. En ce sens, nous sommes développés
parce que nous possédons des moyens techniques, ou des moyens de productions de bien de

critique qu’il adresse à Solow est que tous ces phénomènes sont ignorés dans son modèle, voire considérés
comme des facteurs d’extérieurs dans le circuit économique. (Cf. Paul Mickael Romer, « The Origins of
Endogenous Growth » in The Journal of Economic Perspectives, Vol. 8, n°1, 1994, pp. 3-22.
34
Jean-François Dortier, Op. cit., p. 267.
35
Ibidem.
36
Jean-Marc Huart, Croissance et développement, Op. cit., p. 19.
24

divers ordres ; et nous sommes sous-développé lorsque nous sommes privés de ces divers
moyens. Cela traduit que l’accroissement du PIB et/ou du PNB détermine le niveau de
développement des pays, ou du moins permet de comparer les pays. Ce que souligne Njoh-
Mouellè lorsqu’il rappelle :
Dans l’optique quantitative, celle qui présente l’état de développement en termes de
réalisations techniques et de productions de bien de divers ordres, le sous-
développement à l’opposé apparaîtrait essentiellement comme un état de manque et de
privations37.
Cependant, cette façon d’envisager le développement ou le sous-développement est-elle
figée ? La croissance économique est-elle réellement le but essentiel du développement ? Le
développement, vu sous cet angle, peut-il mieux garantir réellement une existence épanouie
des individus dans une société donnée ? En d’autres termes, les indicateurs du développement
tels que le PIB et le PNB peuvent-ils permettre de mesurer la qualité de vie des individus au
sein d’un État donné ? Nos indicateurs économiques n’ont-ils pas de limites quant à la mesure
du bien-être de la population issue d’une société donnée ? Malheureusement, à en croire à
Njoh-Mouellè, cette conception classique du développement semble ignorer les véritables
difficultés des hommes dans la société. Selon lui, le développement économique et social
visant exclusivement la production massive des biens matérielles ne rend pas compte des
besoins individuels. Cette idée sera analysée de façon détaillée dans la suite de notre travail,
notamment à la seconde section de ce premier chapitre.

B. De la critique njoh-mouelléenne de la conception classique du développement


Njoh-Mouellè ne mésestime pas l’importance de la croissance économique dans le
processus du développement d’un pays. D’ailleurs, selon l’auteur, le développement
économique et social est d’une grande utilité dans l’organisation du bonheur, ou du moins du
bien-être de tous les individus. C’est dans ce sens qu’il a pu écrire : « le développement
économique et social se propose d’être l’organisation du bonheur ou plus exactement du
bien-être de tous »38. Cependant, il nous fait savoir cette conception du développement est
limitée ; et ces limites peuvent se résumer en trois (3) idées essentielles.
La première concerne la difficile connexion entre les réalisations matérielles et
l’amélioration de la qualité de vie des individus. En effet, malgré les prouesses économiques
observées dans la plupart des pays développés ou des pays en voie de développement, un

37
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du développement,
Op. cit., p. 5.
38
Idem, p. 7.
25

nombre considérable d’êtres humains est victime de la pauvreté, des famines, de l’inégalité
des chances, de l’insécurité sociale, de la violation et du non-respect des libertés individuelles,
et des privations les plus révoltantes, etc. En prenant l’exemple des sociétés de l’hémisphère
Nord industrialisés et dites développées, Njoh-Mouellè laisse entendre que « l’accroissement
des richesses et des biens matériels dans ces sociétés n’a pas encore réussi à supprimer le
crime, le banditisme, l’escroquerie, l’exploitation de la naïveté des faibles de la société »39.
L’optimisme philosophique de l’auteur est que la pauvreté, les famines, l’inégalité des
chances, l’insécurité sociale, la violation des droits de l’homme, le crime, le banditisme,
l’escroquerie, l’exploitation peuvent avoir une incidence sur la vie des individus. En ce sens,
rien ne prouve que les réalisations matérielles aillent nécessairement de pair avec la qualité de
vie des individus. Aussi est-il possible de vivre au milieu de nombreux biens matériels et
demeurer dans la pauvreté, voire être diminué dans son être. Dans cette perspective, souligne
Njoh-Mouellè, « on ne peut pas prétendre avoir développé un pays tout simplement parce que
le PIB est très élevé et le taux de croissance assez flatteur, alors que d’un côté, le taux de la
population carcérale par rapport à l’ensemble de la population reste très élevé »40. Tel est le
cas des personnes défavorisées, pauvres qui meurent chaque jour et sont mal nourries, mal
vêtues, maltraitées, illettrées, qui ne bénéficient pas des soins médicaux en cas de maladie.
Cela révèle donc la complexité du développement économique ou matériel dans son
rapport avec l’existence humaine. Une telle situation pousse Njoh-Mouellè à dire que les
réalisations matérielles ne témoignent pas nécessairement en faveur d’un développement
authentique ou réel et que « c’est un point de vue superficiel que celui qui se borne à juger du
développement d’une société par l’aspect quantitatif des réalisations matérielles qui y sont
effectuées »41. En d’autres termes, les réalisations matérielles ne peuvent déterminer le niveau
réel du développement d’une société. Car, appréhender le développement d’une société sous
l’aspect quantitatif des biens matériels relève de la superficialité. Dans cette même optique,
Sidiki Diakité souligne que les entités économiques telles que le PIB et/ou PNB ne sont pas
des moyens adéquats pour améliorer la qualité de vie du plus grand nombre. La raison
évoquée par Diakité est que ces entités économiques « ne fournissent pas une mesure
adéquate du bien-être humain et de la qualité de la vie »42. En ce sens, elles ne mesurent pas

39
Ebénézer Njoh-Mouellè, L’Aspiration à être, Éditions Dianoïa, Paris, 2002 (ouvrage collectif contenant
l’autobiographie intellectuelle et sept réponses aux essais critiques), p. 28.
40
Ibidem.
41
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du développement,
Op. cit., p. 20.
42
Sidiki Diakité, Technocratie et question africaine de développement. Rationalité technique et stratégies
collectives, Op. cit., p. 184.
26

ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue. Les indicateurs classiques du développement
sont obsolètes vis-à-vis du bien-être sociétal ; et ils ne garantissent pas une existence de
qualité. Ils ne rendent pas compte de la réalité et du niveau de vie véritable des populations. À
ce niveau, nous pouvons convoquer l’économiste indien Amartya Sen (1933…) qui estime
que nos indicateurs économiques raisonnent sur des moyennes ; et en cela ils passent à côté de
la vie réelle des hommes. Les indicateurs économiques, en s’éloignant de plus en plus de la
vie réelle de ceux-ci, ne se s’intéressent pas aux problèmes des inégalités sociales. C’est dans
cette perspective que Sen écrit :
Nos systèmes de mesure nous font raisonner sur des moyennes. Mais si nous continuons
à raisonner sur des moyennes, nous forgerons nos convictions et nous construirons nos
décisions sur des données de plus en plus éloignées de la vie réelle. L’individu moyen
n’existe pas et l’accroissement des inégalités le détache encore plus de l’expérience
réelle de la vie. Car la moyenne, c’est une façon de ne jamais parler des inégalités43.
Les indicateurs classiques du développement sont donc fautifs. Dans bien des domaines, ils ne
parviennent pas à prendre en compte certains aspects clés du bien-être social. Ils se limitent
qu’aux moyennes et ne rendent pas compte des besoins vitaux.
La seconde idée met en exergue que, dans l’approche orthodoxe du développement,
l’homme est coupé de tout effort ; ce qui compte ce sont les chiffres. Les chiffres sont plus
importants que les individus. En effet, à la lecture des économistes classiques du
développement tels que Robert Solow, on ne peut parler de développement que lorsqu’il y a
une argumentation brute des productions. Ce point de vue ne semble pas convenir à Njoh-
Mouellè qui estime plutôt que ces productions prennent l’allure de l’accumulation du capital,
du PIB et/ou PNB, ou d’autres variables qui reflètent l’évolution des revenus. Dans une telle
conception du développement, l’homme devient in fine un instrument passif dans le processus
du développement. Mieux, l’humanité de l’homme est reléguée au second plan dans le
développement infrastructurel, voire dans la production industrielle. Or, dans cette condition,
l’homme cesse d’être lui-même et n’a plus de valeur comme le souligne Njoh-Mouellè :
« Lorsque l’homme devient un instrument passif d’un processus inhumain de production
industrielle, il cesse d’être actif intérieurement, c’est-à-dire qu’il cesse de travailler, de
penser pour lui-même. Il perd la dimension de la profondeur »44. Cette conception du
développement ne fait que produire des sous-hommes. Dès lors, elle paraît réductrice en ce
sens qu’elle ne fait que réduire l’homme en simple référence numérique. Une telle idée est
mise en exergue par Njoh-Mouellè lorsqu’il souligne à juste titre que

43
Amartya Sen et al., Richesse des nations et bien-être des individus, Traduit de l’anglais par le Département de
la traduction du ministère des Affaires étrangères et européennes, Paris, Odile Jacob, 2009, p. 19.
44
Ebénézer Njoh-Mouellè, Op. cit., p. 74.
27

les dirigeants politiques qui étudient souvent les problèmes à l’échelle de pays entiers,
oublient que c’est lui, l’homme individuel, qui doit être la finalité de tous les plans de
développement. Il se voit réduit en chiffre ou en simple référence numériques dans leurs
calculs statistiques45.
En fait, lorsque les hommes politiques, et plus loin les économistes classiques parlent de
développement, ils n’ont en vue que le développement d’une société d’abondance,
d’opulence, c’est-à-dire une société possédant des richesses propres, potentielles. Et, dans ce
type de société, le bien-être des individus dépend de la jouissance des ressources
économiques, financières et monétaires. Or, comme nous fait savoir Njoh-Mouellè,
le bien-être ne s’identifie pas avec la jouissance pure et simple des objets-réponses que
fournit la technique à nos besoins et désirs. Le bien-être-jouissance a vite fait de
transformer l’homme en esclave de l’objet. Dans bien-être, il y a un statisme sclérosant
de l’homme enfermé dans le cadre de la répétition jouissive. Or l’objet de jouissance
peut être lui-même tarissable46.
De cette assertion ressort l’idée qu’on ne peut résumer le bien-être des individus à ce que
pourrait lui fournir la technique en termes d’objets.
La troisième idée concerne la transformation de l’homme en esclave des objets
matériels. En effet, le développement, vu sous l’angle matériel, détourne l’attention des
hommes vers l’avoir ou les biens matériels, à telle enseigne qu’ils en sont devenus esclaves.
Cela n’est point étonnant puisque, dans notre société contemporaine, les hommes sont
fascinés par la recherche effrénée et frénétique des objets matériels. Vivre, pour eux, c’est
posséder en grande quantité des ressources monétaires, c’est avoir le goût du luxe. Leur
programme de vie est un programme d’acquisitions d’argent, d’une maison, d’un véhicule ; et
ici nous avons affaire aux conditions matérielles du développement. De la sorte, nous vivons
dans une société où tout enrichissement est pris comme une fin en soi, et le sous-
développement comme une privation de toute richesse. Or, comme le soutient Njoh-Mouellè,
« tout enrichissement pris comme fin en soi est, au bout du compte, un appauvrissement ;
appauvrissement de l’être au profit de l’avoir, dilution de l’être dans l’avoir »47. Dans son
ouvrage Développer la richesse humaine, Njoh-Mouellè établit une distinction entre l’homme
de l’Avoir et l’homme de l’Être. Selon lui, l’homme de l’Avoir est le type d’homme égoïste
qui se contente de satisfaire ses besoins personnels et passe de longues heures, le jour comme
la nuit, à travailler. Il est obsédé par le gain, il construit des immeubles à telle enseigne qu’il
assimile de façon abusive, voire inconsciente le moyen à la fin. C’est ce que met en exergue
Njoh-Mouellè à travers ces propos suivants :

45
Ebénézer Njoh-Mouellè, Op. cit, p. 14.
46
Idem, p. 72.
47
Idem, p. 11.
28

Ayant en effet oublié que la constitution de l’avoir ne peut être qu’un moyen au service
d’une fin définissable comme satisfaction des besoins fondamentaux de l’homme en vue
de son accomplissement total intérieur, l’homme de l’avoir transforme inconsciemment
le moyen en fin48.
À l’opposé, l’homme de l’Être est l’homme qui « place sa vocation dans l’effort permanent,
mais un effort qui consiste pour lui à soumettre la nature à la liberté et à sauver ainsi de
l’homme ce qui appartient à l’universel »49. Ici, il milite en faveur de la liberté et de la dignité
de l’homme. Il a le sens de la responsabilité et sert que son épanouissement ne dépend pas des
biens matériels dont il dispose. De la sorte, l’homme de l’Être a des qualités nécessaires qui
vont bien au-delà des richesses économiques : il est un anticonformiste, résiste à la facilité, et
crée un nouvel ordre qu’on puisse vouloir universellement.
Partant de là, la position défendue par Njoh-Mouellè est que le développement matériel
semble créer les conditions d’une société où l’avoir vient modifient négativement l’être. En
clair, nous assistons à une dialectique de l’être et de l’avoir, comme le souligne Njoh-
Mouellè :
(…) à l’état social, l’apparition de la propriété individuelle a inauguré la dialectique de
l’être et de l’avoir. Ce que j’ai, ce qui m’appartient sous forme de richesses
dénombrables finit par faire partie de mon être. Mes plantations, mes immeubles, mes
cars de transport, si je suis homme d’affaires, c’est, ni plus ni moins, moi-même.
Qu’une partie de cet avoir en vienne à me manquer et me voilà affecté dans mon être
entier et cela peut aller jusqu’au suicide – suppression de l’être – en cas de faillite (perte
de l’avoir)50.
Ce sont donc les propriétés, les plantations, les immeubles, l’accumulation des richesses qui
font parties intégrantes de notre être, de notre vie. Ce que nous possédons en termes de
richesses économiques a plus de valeur que ce que nous sommes en réalité, à telle enseigne
que nous sentons affecté dans tout notre être lorsque nous perdons tel ou tel bien matériel. Les
individus sont absorbés par les richesses dénombrables. Or, les richesses dénombrables
mettent celui qui les détiennent dans une position inconfortable, dans un état d’anxiété
constante induit par la peur de perdre ces richesses. Si tel est le cas, l’auteur estime que « le
développement conçu comme une accumulation pure et simple de l’avoir est un mauvais
développement »51. C’est un mauvais développement parce que l’accumulation des richesses,
le goût du luxe s’accompagnent d’une régression morale et d’une crise de la vertu comme l’a
démontré le philosophe genevois Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) dans son premier

48
Ebénézer Njoh-Mouellè, Développer la richesse humaine, Op. cit., p. 24.
49
Idem, p. 44.
50
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du développement,
Op. cit., pp. 11-12.
51
Idem, p. 73.
29

discours intitulé Discours sur les sciences et les arts. La démarche de Rousseau montre
clairement que le développement des techniques, des sciences est source de déshumanisation
et d’aliénation de l’homme sous toutes les formes. Sous la plume de Rousseau, le
développement des sciences et des arts a mis à notre disposition, toutes les commodités, les
moyens, les artifices et autres fétiches d’instruments d’une véritable dénaturation ou
dénaturalisation de l’homme. Ce qui compte désormais, ce n’est plus la simplicité naturelle de
l’être mais plutôt la nouvelle orientation des sujets humains vers les objets matériels. De cette
analyse, les productions techniques et scientifiques nous portent donc préjudices en
corrompant nos mœurs, nos âmes, nos coutumes, nos cultures ou nos manières de faire et
d’être. Dès lors, conclut Rousseau, « les sciences et les arts doivent leur naissance à nos
vices : nous serions moins en doute sur leurs avantages, s’ils la devaient à nos vertus »52.
Ainsi, tout comme Rousseau, le développement qui ne vise que l’accumulation des richesses
ne doit être considéré comme un véritable développement.
Cependant, il convient de préciser que Njoh-Mouellè ne conteste pas l’importance de
l’avoir dans l’entreprise d’épanouissement personnel. Son but est d’inviter les hommes
politiques, les économistes classiques à revoir leur approche du développement, afin qu’ils ne
la centrent pas uniquement sur les accessoires, l’économie, le matériel, la finance. De même,
en ce qui concerne le rapport de l’homme aux biens matériels, Njoh-Mouellè précise que les
biens matériels représentant l’avoir et non l’être, doivent être traités continuellement comme
des moyens et ne devraient devenir en aucun cas la finalité des finalités :
Il ne s’agit pas pour nous de contester l’importance de l’avoir dans l’entreprise
d’épanouissement personnel de tout être, mais simplement d’inviter à effectuer un
déplacement d’accent, un renversement des positions : ce n’est pas l’être qui doit être
subordonné à l’avoir mais exactement le contraire. Quand donc on fait miroiter à
l’homme l’image d’une société d’abondance au sein de laquelle il connaîtrait le vrai
bonheur, on ne fait que détourner son attention de l’essentiel sur l’accessoire53.
Trois (3) raisons fondamentales semblent remettre en question l’approche classique du
développement : premièrement, elle est incapable de concilier prospérité économique et
amélioration des vies individuelles ; deuxièmement, elle réduit l’homme aux chiffres ;
troisièmement, elle détourne l’attention des hommes vers les objets matériels en les rendant
esclaves. Mais, comment Njoh-Mouellè appréhende-t-il le développement ? Quel est pour lui
le but essentiel du développement ? Autrement dit, sur quoi repose la conception njoh-
mouelléenne du développement ?

52
Jean-Jacques Rousseau, Discours sur les Sciences et les arts, Présentation, commentaires et notes par Gérard
Mairet, Paris, Librairie Générale Française, 1996, p. 75.
53
Ebénézer Njoh-Mouellè, Op. cit., p. 150.
30

CHAPITRE II : EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ, POUR UN DÉVELOPPEMENT


CENTRÉ SUR L’HUMAIN

A. De la lutte contre la misère humaine


Njoh-Mouellè est confronté au problème de la misère humaine. C’est la raison pour
laquelle, il s’est fixé pour objectif de donner une compréhension correcte de la notion de
« développement » confisquée par les économistes et les hommes politiques. Son analyse
critique au sujet du développement économique et social découle du fait qu’elle ne reflète pas
nécessairement l’épanouissement de soi. Mieux, le développement tel qu’il est perçu en
termes de production massive des biens divers de consommation, ne coïncide pas avec les
buts poursuivis par les individus en tant que fins. Une telle analyse critique suppose donc de
redéfinir les critères du développement afin d’en donner un sens plus large. Ainsi, pour lui, le
véritable critère du développement réside non pas dans la satisfaction des besoins
alimentaires, mais dans la suppression de la misère de l’homme. Aussi convient-il de noter
qu’avec Njoh-Mouellè, la misère humaine que le développement économique doit combattre
n’est pas nécessairement la misère matérielle, mais plutôt la misère spirituelle et morale.
Au chapitre II de son ouvrage De la médiocrité à l’excellence, sous-titré Essai sur la
signification humaine du développement, Njoh-Mouellè s’interroge sur la véritable nature de
la misère de l’homme des pays sous-développés. Il part du principe que « la misère de
l’homme des pays sous-développés est (…) double : elle est misère subjective et misère
objective tout à la fois »54. Que faut-il donc entendre par misère subjective et misère
objective ? L’auteur définit la misère subjective comme la « prise de conscience douloureuse
par l’homme de la faille qui sépare son être actuel de ce qu’il veut être »55. En effet, Par « être
actuel », il faut entendre ce que l’homme possède ou ce qu’il a en possession en termes de
propriétés, de richesses ; « ce qu’il veut être » traduit le désir constant pour l’homme de
posséder ce qu’il n’a pas ou ce qu’il voudrait avoir. De ce fait, la misère subjective traduit
l’état de différence et de distance de l’homme des pays sous-développés entre ce qu’il possède
et ce qu’il voudrait avoir. Comme le révèle l’auteur, la misère subjective
(…) réside dans la conscience de la différence et de la distance. Différence d’avec ceux
qui possèdent ce qu’il n’a pas, distance par rapport à ce qu’il n’a pas et voudrait avoir.
(…). Des hommes en pays développé vivent le même type de déchirement qui fixe, au
point de l’y aliéner, notre existence à un objet, à une situation qui sont un objet, une
situation de l’autre côté de la barrière qui nous hypnotise par la force de la valeur de vie

54
Idem, p. 22.
55
Idem, p. 18.
31

que nous y avons projetée. Ce qui rend la misère subjective plus aigüe c’est la servitude
dans laquelle elle nous place à l’égard de l’aspiration56.
Ainsi, sa distance et sa différence vis-à-vis de l’objet visé ou recherché semble caractériser
l’homme pauvre des pays sous-développés. La pauvreté dont il est question ici est une
pauvreté matérielle. Comme le dit Njoh-Mouellè, dans le contexte de la misère subjective,
l’homme est « un homme pauvre ; il lui manque parfois le strict nécessaire pour la suivie ; et
il le sait. Pour lui, toute sa misère se résume dans ce manque »57. La notion de « homme
pauvre » mérite une attention particulière ici. L’homme pauvre est d’abord pleinement
homme ; et en tant qu’homme, il est doté de raison et exprime naturellement sa rationalité et
sa liberté. Donc, du point de vue humain, l’homme pauvre est un être accompli, parce qu’il
possède les caractéristiques de la rationalité et de la liberté. Mais, du point de vue matériel, cet
homme est pauvre parce qu’il ne possède pas un certain nombre de biens matériels pouvant
lui permettre de mieux vivre ou de satisfaire ses besoins fondamentaux.
Cette forme de misère implique que l’individu est misérable parce qu’il meure de faim
ou ne mange pas à sa faim ; et donc pour survivre, il a besoin de manger, de satisfaire ses
besoins fondamentaux. En un mot, la misère de l’homme des pays sous-développés se résume
à la famine, à la sous-alimentation, à la malnutrition, à la maladie, au ventre affamé, à la
mendicité, au chômage, au besoin de sécurité etc. Si par exemple, nous nous rendons dans nos
rues et demandons à un individu qu’est ce qui fait sa misère, celui-ci répondra que c’est parce
qu’il n’est pas capable de manger à sa faim. Et cet individu ne sera en aucun cas capable
d’envisager une nouvelle conception de sa misère. Il limite, de fait, sa pauvreté à l’absence
des biens matériels qui lui permettraient de satisfaire ses besoins alimentaires. Cependant, ce
point de vue ne semble pas convenir à Njoh-Mouellè qui estime plutôt que
la misère du sous-développé ne saurait se résumer par le cri du ventre. Vue sous l’angle
de l’homme, (…) la recherche du pain quotidien n’est pas une fin en elle-même ni
l’abondance du pain le critère d’un développement certain (…). La misère de l’homme
n’est pas supprimée par le simple fait qu’il mange à sa faim58.
Aux yeux de l’auteur, la misère subjective ne semble pas caractériser réellement l’homme de
l’Afrique sous-développé. La cause de la misère subjective, dit-il, peut être inutilement
justifiée par les autres qui nous entourent, même si la cause en est le désir de vivre. Il ne nie
pas l’idée selon laquelle la misère subjective ne saurait être une forme de misère dont souffre
l’homme des pays sous-développés. Ce qu’il nie c’est le fait de limiter simplement sa misère

56
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du développement,
Op. cit, pp. 18-19.
57
Idem, p. 22.
58
Idem, p. 17.
32

dans la crise de bien de consommation. En contestant la conception commune de la misère de


l’homme des pays sous-développés, Njoh-Mouellè déclare que c’est la misère objective qui
caractérise réellement le sous-développement. En quoi consiste cette misère objective ?
La misère objective peut être sous-entendue comme l’état qui reflète la sous-humanité
de l’homme des pays sous-développés. Selon Njoh-Mouellè, cette misère est dite objective
parce que justement, nous n’avons pas besoin de nous situer dans telle ou telle contrée du
monde pour pouvoir la vivre. C’est une misère inconsciente d’elle-même qui est marquée par
la superstition, l’ignorance, l’irrationalité, l’analphabétisme, la paresse intellectuelle, le refus
d’être libre ou de penser par soi-même. Ainsi, pour l’auteur, c’est l’idée de sous-humanité qui
définit véritablement la misère de l’homme des pays en voie de développement. C’est dans
cette perspective qu’il faut lire ces propos de Njoh-Mouellè :
Ce n’est pas à la misère subjective qu’on peut voir la marque particulière du sous-
développement. (…) La marque particulière du sous-développement c’est la misère
objective, celle qui n’a pas besoin d’être consciemment vécue pour être. Elle s’appelle
ignorance, superstition, analphabétisme. C’est la véritable misère, celle qui maintient ou
ravale l’homme à l’état de sous-humanité par l’aliénation et le défaut de liberté qu’elle
entraîne. Le spectacle le plus affligeant en situation de sous-développement c’est lui de
l’irrationnalité dans le comportement de l’homme59.
Si Njoh-Mouellè considère la misère objective comme la véritable misère dont souffre
l’homme des pays sous-développés, c’est bien parce qu’il y a un critère universel qui permet
de déterminer qu’un individu souffre ou pas de la misère objective. Ce critère universel est ce
que l’auteur appelle « l’humanité de l’homme ». Ce critère, selon l’auteur, repose sur deux
valeurs fondamentales que sont la rationalité et la liberté. La rationalité fait référence à un
mode de fonctionnement logique et rationnel de l’esprit humain. Elle permet à l’homme de
savoir rationaliser les évènements se présentant à lui. Quant à la liberté, c’est du point de vue
de l’esprit et de la morale qu’elle doit être saisie. Elle fait allusion ici à la liberté de penser, de
critiquer ou de remettre en question tout ce qui se présente à nous comme des vertus absolues.
Or, Njoh-Mouellè constate qu’il y a un manque de rationalité et de liberté dans l’esprit
de l’homme des pays sous-développés. Dès lors, il ne suffit pas d’être doté de raison pour
accéder à notre véritable humanité. Si ce sont donc la rationalité et la liberté qui définissent
réellement notre humanité, l’auteur De la médiocrité à l’excellence nous fait savoir que
l’homme de l’Afrique sous-développé souffre de la misère objective, car celui-ci est incapable
d’exprimer sa rationalité et sa liberté et demeure toujours dans l’ignorance et dans la
superstition. La véritable misère de l’homme sous-développé réside dans la méconnaissance

59
Idem, p. 19.
33

de l’étendue de son pouvoir, à telle enseigne qu’il manque de rationalité, ignore ce dont il est
capable de faire, fuit sa responsabilité et accuse les autres d’être responsable de son malheur
ou de son bonheur. Cet homme est inconsciemment un sous-homme, car il vit en deçà de
l’humanité véritable. Explicitement, « est misérable et sous-homme, celui qui, dans son
comportement, ne manifeste pas ces caractéristiques de liberté et de rationalité. Il est pauvre
homme et non nécessairement homme pauvre ; c’est-à-dire qu’il est pauvre en esprit »60. La
misère de l’homme des pays sous-développés ne se trouve pas dans le fait qu’il est affamé et
démuni, mais dans le fait qu’il est un être superstitieux, ignorant, dépersonnalisé. La pauvreté
mentale, l’indigence d’esprit déterminent donc l’homme sous-développé. C’est contre cette
forme de misère que le développement économique doit lutter. Évoquant la problématique de
l’Afrique sous-développée, Njoh-Mouellè écrit :
L’Afrique sous-développée est certes pleine d’hommes sous-alimentés et affamés, mais
elle est surtout pleine d’hommes masqués, certaines se sachant masqués, d’autres pas,
les premiers se confondent parfois avec les seconds sans qu’on puisse voir qui enlèvera
le masque de l’autre s’être démasqué lui-même, ou après l’avoir été par un autre. Le
problème du développement n’est donc pas de donner à manger à cet homme mais
plutôt de le transformer, de supprimer sa duplicité, de substituer de la consistance à de
l’inconsistance61.
Ainsi, pour l’auteur, si le développement économique et social doit lutter contre la misère
objective, alors c’est sur cet objectif que les promoteurs du développement doivent se
concentrer et non sur l’accumulation des biens matériels.
Aujourd’hui, la lutte contre la pauvreté ou la misère figure parmi les enjeux des
politiques internationales en ce sens qu’elle constitue un frein à l’évolution des sociétés. Elle
empêche les hommes de mener une vie digne. Dès lors, la pauvreté ou la misère peut ne pas
être due uniquement à une absence de revenus réels, car elle peut se traduire par la liberté
insuffisante pour l’individu de mener une vie convenable. De ce fait, le développement doit
être au service du bien-être des hommes en supprimant les principaux facteurs qui remettent
en cause leur liberté, leur épanouissement. Sur ce point, Sen est sans détour lorsqu’il écrit :
Le développement exige la suppression des principaux facteurs qui s’opposent aux
libertés : la pauvreté aussi bien que la tyrannie, l’absence d’opportunités économiques
comme les conditions sociales précaires, l’inexistence de services publics autant que
l’intolérance ou la répression systématique exercée par les États autoritaires62.
Car, constate-t-il, « malgré un niveau de prospérité économique sans précédent à l’échelle
planétaire, un nombre considérable d’êtres humains, la majorité de la population mondiale,

60
Idem, pp. 22-23.
61
Idem, pp. 35-36.
62
Amartya Sen, Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté, trad. de l’anglais par M.
Bessières, Paris, Éditions Odile Jacob, 2000, p. 16.
34

peut-être, souffre d’un déni permanent de libertés élémentaires »63. De ce constat, il faut que
le développement économique puisse rimer avec l’expansion des libertés humaines.
Développer une société dépend aussi des possibilités ou des opportunités réelles qu’on offre
aux individus de choisir la vie qu’ils souhaitent mener. La valeur du développement dépend
donc d’agents humains et de leur façon d’agir et d’être. L’économiste français Jean-Marie
Albertini (1929-2014) de son côté approuve bel et bien cette idée en appréhendant le
développement comme un processus complexe qui englobe toutes les dimensions de la vie en
société, telles que l’économie, la psychologie, la politique. Pour lui, « le développement
suppose l’apparition d’un monde nouveau et non le grossissement quantitatif de ce qui existe
déjà »64. Dans cette apparition du monde nouveau, le développement ne peut se passer de
l’homme en tant que tel ; et telle est la vision njoh-mouelléenne du développement.

B. De la promotion de l’excellence de l’homme


La grande affirmation de Njoh-Mouellè dans De la médiocrité à l’excellence, sous-
titré essai sur la signification humaine du développement, est que la véritable bataille du
développement est de fournir des conditions nécessaires permettant aux hommes de sortir de
la médiocrité et d’accéder à l’excellence. À ce propos, il estime que le développement a une
double fonction, celle de promouvoir premièrement l’excellence de l’homme en réduisant la
médiocrité, et deuxièmement celle de fournir en permanence à l’excellence ainsi que promue
les conditions chaque fois nécessaires à sa réaffirmation65. Cependant, pour comprendre cette
double fonction du développement, il nous semble nécessaire de définir les concepts de
« médiocrité », d’ « excellence » et leurs caractéristiques.
La médiocrité est la condition de l’homme qui, appartenant à un milieu donné, ne
manifeste pas le désir de s’auto-déterminer, de remettre en cause les réalités de son milieu. En
effet, Njoh-Mouellè assimile la médiocrité à une forme de routine, de snobisme, de
conformisme, de suivisme moutonnier, de répétition abusive des hommes vivant dans un
milieu. Dans son analyse du développement, l’auteur établit une analogie entre l’homme
médiocre et l’homme critique. Pour lui, l’homme critique est l’homme en état de crise, c’est-
à-dire l’homme qui souffre de toutes formes de pesanteurs morale et mentale telles que
l’analphabétisme, le dogmatisme, l’aliénation, la superstition. Dans cette perspective, nous
fait savoir Njoh-Mouellè, « la crise de l’homme critique s’appelle dépersonnalisation, fausse

63
Ibidem.
64
Jean-Marie Albertini, Mécanismes du sous-développement et développement, Paris, Éditions Ouvrières, 1981,
p. 254.
65
Ebénézer Njoh-Mouellè, Op. cit., p. 154.
35

identité ou identité d’emprunt, sous-développement du rationnel »66. Mieux, l’homme critique


est celui qui n’a aucune idée de l’endroit où il va ; il est une créature égarée, perdue,
désorientée, dépersonnalisée. Un tel homme est, pour Njoh-Mouellè, un homme médiocre.
L’homme médiocre est un homme incomplet, c’est-à-dire qui ne prend pas de décision
face à une telle ou telle situation. Il est celui qui appartient à un milieu sans être véritablement
central. Pour Njoh-Mouellè, la médiocrité de l’homme se traduit par le fait qu’il est placé à
mi-chemin entre l’humanité véritable et la sous-humanité. Telle est l’affirmation de l’auteur
lorsqu’il décrit l’homme médiocre en partant de son étymologie.
Étymologiquement, l’homme médiocre est l’homme du milieu, c’est-à-dire l’homme du
centre sans que par centre il faille entendre le noyau, le cœur dans l’ordre de
l’excellence ou de l’essence. Il est du centre mais sans être central. Au centre de quoi se
trouverait-il donc exactement ? Ce n’est certainement pas au centre des hommes, mais
plus exactement au centre de l’homme en ce sens qu’il reste à mi-chemin de l’humanité
authentique et de la sous-humanité parfaite67.
De cette définition étymologique, on peut déduire que l’homme médiocre est immergé dans la
masse. Or, dans la masse, il n’est pas pris comme référence, c’est-à-dire qu’il n’est celui à qui
on se réfère lorsqu’on veut prendre une décision. Caché dans la masse, l’homme médiocre
n’entreprend pas, ne crée pas, n’innove pas. Sa personnalité se dissout dans l’anonymat d’une
masse incolore et inodore, selon l’expression de Njoh-Mouellè. Pour lui, la médiocrité de
l’homme peut se déterminer non seulement par des considérations d’ordre qualitatif, mais
aussi par des considérations d’ordre quantitatif. À ce propos, il écrit que
(…) l’homme médiocre est l’homme du milieu aussi bien que l’homme d’un milieu. Si
sa médiocrité se dit d’abord en rapport avec des considérations d’ordre qualitatif, elle se
dit en second lieu en rapport avec des considérations d’ordre quantitatif et spatial. Il est
en effet l’homme d’un milieu en ce sens qu’il est signe d’un milieu et appartient au
grand nombre, à la majorité, à la masse. Et c’est sans doute parce qu’il est d’abord d’un
milieu qu’il est en second lieu du milieu. (…) Il devient lui -même, par le fait de cette
immersion dans la masse, incolore et inodore. Et le défaut de personnalité, le manque
d’originalité sont les premiers traits par lesquels se révèle l’homme médiocre68.
Si l’homme médiocre est l’homme du milieu aussi bien que l’homme d’un milieu, alors c’est
bien parce qu’il ne fait pas preuve d’esprit critique. Il s’identifie à ce que pense l’opinion
commune et adopte des comportements stéréotypés, recherche la facilité et la sécurité. Un tel
homme se caractérise par l’instinct de conservation et le besoin de sécurité. À ce propos,
Njoh-Mouellè écrit que « (…) l’homme médiocre pourrait être fondamentalement défini
comme l’homme qui abdique sa responsabilité et son autonomie pour se soumettre à la plus

66
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du développement,
Op. cit, p. 31.
67
Idem, p. 37.
68
Idem, pp. 37-38.
36

complète hétéronomie »69. Il est cet individu qui renonce à son autonomie, à son originalité, et
à sa liberté. En clair, l’homme médiocre est un individu superficiel, abandonnant sa raison,
son jugement personnel au profil de ce que les autres lui imposent. Commentant les écrits de
Njoh-Mouellè, le philosophe ivoirien Boa-Thiémélé écrit :
Dans la médiocrité prend forme l’acte de se conformer aux autres, de se complaire dans
ce qui convient aux autres. Processus naturel de sécurisation du moi, ce conformisme
renvoie à une réalité négative. Il désigne la complaisance à l’égard des modes d’être et
de pensée de la communauté. L’individu est dans ce cas privé du fondement personnel
de la conviction et du choix70.
Autrement dit, l’homme médiocre donne le dos à la liberté, à son génie créateur pour
s’enraciner dans le suivisme, l’auto-répétition habituelle. Or,
(…) si l’homme médiocre est celui qui met sa raison et son jugement personnels en
congé pour s’abandonner au ballotement que lui impose l’opinion et le jugement
anonyme des autres, il peut être et il est même aussi l’homme qui, dans un second
mouvement d’auto-abandonnement, se laisse balloter par ses diverses tendances aussi
tyranniques les unes que les autres71.
Dans ce sens, l’homme médiocre est l’homme dont les capacités cognitives sont inhibées par
les idées dominantes de son milieu. Ce sont les idéologies, la culture de son milieu qui le
définissent, le font. À ce propos, Njoh-Mouellè lie le milieu humain au mode de vie, aux
comportements. Cela se perçoit clairement lorsqu’il définit le milieu humain comme

un ensemble organisé d’individus qui suivent un mode vie donné. Le milieu donc, en
tant que phénomène, n’est observable qu’à travers les comportements et le mode vie de
ces individus, puisque c’est d’après le mode de vie et non d’après les individus en tant
que tels qu’un milieu, qu’une société se singularise et se distingue d’un autre milieu,
d’une autre société. Pour survivre, le milieu a intérêt à voir tous ses membres se
conformer au mode de vie, aux croyances, bref à la culture et à l’idéologie qui le
définissent72.
Habiter un milieu c’est penser, ou s’habiller comme on le ferait dans ce milieu ; c’est
également accepter le comportement ou la loi du plus grand nombre. Mais, d’où se situe la
médiocrité de l’homme ? En fait, ce n’est pas parce qu’un homme appartient à un milieu qu’il
est considéré comme un homme médiocre. C’est plutôt son inaptitude ou incapacité à reculer
par rapport à son milieu qui le rend médiocre. Pourtant, dans un tel milieu, le normal sera
celui qui se comporte comme font la plupart des hommes. Par analogie, l’homme anormal
sera celui ne se comporte pas comme font la plupart des hommes. Or, écrit Njoh-Mouellè,
« ce qui est pris (…) comme normalité n’est encore que de la médiocrité. La loi du plus grand

69
Idem, p. 43.
70
Ramsès L. BOA-Thiémélé, Reconstituer le corps glorieux d’Osiris. Entretien avec Macaire ETTY, Abidjan,
Les Éditions Kamit, 2021, p. 147.
71
Njoh-Mouellè, Op. Cit., 42-43.
72
Idem, p. 38.
37

nombre n’est pas nécessairement une loi dictée par la raison »73. En effet, dans la masse,
nous avons plutôt tendance à suivre de manière irréfléchie les comportements et le mode de
vie de ceux avec qui nous vivons. Nous suivons le mouvement de la masse sans se demander
si l’action à entreprendre est bonne ou pas. Ce qu’on voit faire par tout le monde, ou ce que
fait la masse ne relève pas de la raison, entendue du point de vue logique comme la faculté
des principes ou encore faculté permettant à l’homme de bien juger, voire de distinguer les
vraies affirmations des fausses affirmations. Donc, poursuit Njoh-Mouellè, « est normal, non
pas ce qu’on voit faire par tout le monde, mais ce qui, même suivi par une infime minorité
seulement, obéirait à la raison universelle »74. Pour lui, même si ce qui est normal est suivi
par une petite quantité d’individus, alors c’est cela qu’il faudrait considérer comme ce qui est
normal. Car, elle est déterminée non pas par le grand nombre, mais plutôt par la raison. Dans
la logique njoh-mouelléenne, la raison est la juridiction suprême qui permet de déterminer ce
qui peut ou non représenter le critère de la normalité. C’est une lumière naturelle qui permet
aux individus de sortir de leur sommeil dogmatique et d’accéder à la connaissance. Le but de
Njoh-Mouellè, en privilégiant la raison au détriment du plus grand nombre, est de faire passer
l’homme de la médiocrité à l’excellence. Ainsi, pour l’auteur De la médiocrité à l’excellence
le développement économique et social doit faire en sorte que l’homme médiocre puisse
reconquérir sa vraie identité, sa liberté et devenir un génie créateur, d’où le concept
d’ « excellence ». Que désigne-t-elle ?
Pour Njoh-Mouellè, « l’excellence est la situation ou la condition de celui qui
s’échappe d’une cellule où se presse et s’étouffe une foule de personnes pour mieux respirer,
au dehors et dans la solitude, l’air de la liberté »75. L’excellence de l’homme renvoie à sa
capacité à s’échapper des conditions de son milieu en vue de mieux respirer et de manifester
pleinement sa liberté. Contrairement à l’homme médiocre qui se laisse dominer par les
réalités de son milieu, l’homme excellent est celui qui ne partage pas nécessairement les idées
issues de la masse ou du plus grand nombre. Il est celui qui se situe en haut de l’échelle et se
met en position de domination, de supériorité en renonçant à la petitesse, à la soumission et à
la stérile passivité. En ce sens, Njoh-Mouellè estime que l’homme excellent est celui qui
rompre avec le conformisme, le snobisme, la routine, la répétitivité abusive. En un mot, ce qui
caractérise l’homme excellent, c’est sa capacité à contester telle ou telle situation, ou du
moins à se libérer de toute forme d’esclavagisme. L’auteur écrit à ce propos :

73
Idem, p. 40.
74
Ibidem.
75
Idem, p. 134.
38

Il [l’homme excellent] se libère de toutes les formes institutionnelles et paralysantes de


la vie. C’est l’homme qui répudie la superstition de l’ordre établi. L’ordre établit c’est
précisément l’ordre de la sempiternelle répétition de soi, sans aucun renouvellement,
c’est l’ordre de la sclérose et de la mort. Le régime de l’ordre établi transforme
l’homme en un élément quasi inerte de l’histoire et transforme ainsi ce qui ne devait être
qu’un moyen en une fin76.
L’homme excellent substitue un ordre nouveau à un ordre ancien dans le but de construire son
humanité, de vouloir sa liberté. Cette substitution exige un divorce préalable avec le régime
de l’ordre établit qui tend à l’exploiter, à l’étouffer, à modifier son être. Pour Njoh-Mouellè,
« la liberté commence avec le pouvoir de dire non, la résistance, l’opposition, la
contestation »77. La liberté ne doit pas être entendue ici comme une absence de contrainte ou
d’interférence extérieure. Cette liberté dont parle Njoh-Mouellè ne suppose pas que l’homme
libre est celui qui n’est soumis à aucun obstacle. La liberté relève de l’agir des individus. Elle
réside dans la possibilité pour l’homme de se libérer de ses fardeaux et d’assumer sa condition
d’existence. Elle fait de lui un être responsable, c’est-à-dire un être dont son avenir dépend de
lui-même et non des autres. De ce fait, elle implique l’idée d’autonomie, de responsabilité,
d’indépendance, de capacité ou de puissance d’agir. Dès lors, la liberté n’est pas
nécessairement une donnée naturelle, mais une conquête. Elle implique la libération :
Non seulement la liberté ne signifie pas la fin des résistances et entraves mais qu’au
contraire elle exige la résistance et l’entrave pour être. En d’autres termes, la résistance,
l’obstacle ou l’entrave sont les révélateurs de la liberté. Cela veut dire que c’est contre
un obstacle, contre une dictature ou un esclavage que se prouve la liberté de celui qui
n’établit qu’il est libre qu’en supprimant l’obstacle, renversant la dictature ou abolissant
l’esclavage78.
L’homme excellent, de par sa liberté, doit refuser ce que l’opinion commune considère
comme normal, ou comme une fin en soi. De ce fait, l’homme excellent n’accepte pas les
choses de la vie telles qu’elles se présentent, et par conséquent refuse de se laisser dominer,
voire dompter par les formes institutionnelles et paralysantes de son environnement. L’homme
excellent sait que les circuits répétitifs ne résument pas la vie d’une personne. Pour l’homme
excellent, rien n’est figé, tout se construit afin de rompre avec les systèmes d’habitudes. Pour
citer Azombo Menda et Enobo Kosso, l’homme excellent est « ce courageux prisonnier
platonicien qui brise les chaînes de la caverne, accepte la difficultueuse ascension dans le
monde de la connaissance vraie puis revient auprès de ses anciens compagnons les aider à se
libérer et à transformer leur monde »79. En ce sens, c’est un homme qui refuse la facilité,

76
Idem, p. 136.
77
Idem, p. 100.
78
Idem, p. 106.
79
Azombo Menda et M. Enobo Kosso, Les philosophes africains par les textes, Op. cit., 151.
39

l’avoir, la paresse et s’engage dans l’histoire du monde à travers ses œuvres. C’est un acteur et
non un spectateur de l’histoire. Dans cette optique, Njoh-Mouellè écrit que
l’homme véritable, l’excellence, c’est celui qui ne balance pas entre être spectateur et
être acteur, il choisit d’être acteur ; c’est celui qui ne se contente pas de vaines paroles
mais qui agit immédiatement sa parole à la fois intime et publique, laissant le soin à
d’autres d’expliciter cette parole déjà inscrite par lui dans des œuvres. (…) C’est
l’homme qui comprend que le salut des autres dépend de son propre salut et
réciproquement80.
De cette assertion, il ressort que deux exigences s’ajoutent à la définition de l’homme
excellent : sa responsabilité vis-à-vis de ses semblables et sa capacité de connaissance de ce
qui est bien ou mal pour tous. L’homme excellent est celui non seulement qui résiste aux
difficultés de la vie, mais aussi celui qui agit de sorte que ses actions soient universellement
acceptées et valables pour tous. Pour Njoh-Mouellè, c’est ce type d’homme que le
développement doit nécessairement promouvoir.
Dans son ouvrage Développer la richesse humaine, Njoh-Mouellè nous enseigne que
le développement économique et social ne doit pas se limiter à son seul aspect matériel, mais
doit chercher à améliorer l’homme en lui fournissant les meilleures conditions de son
épanouissement. C’est pourquoi, écrit-il, « l’homme doit être la finalité du développement »81.
Si l’homme doit être la finalité du développement, alors cela suppose fondamentalement que
de la bataille du développement devra sortir un type d’homme que nous caractérisons
sous les traits du créateur pour souligner la nécessité qu’il y a à faire en sorte qu’il soit
un homme sinon libre, du moins toujours apte à le devenir. (…) le développement doit
être au service de l’homme (…). Il faut que le développement œuvre à substituer à la
médiocrité l’excellence82.
Si la bataille du développement doit pouvoir nous conduire de la médiocrité à l’excellence,
Njoh-Mouellè estime que le philosophe a son rôle à jouer. Pour lui, le philosophe est celui qui
ne dort jamais. Il est comme l’oracle de la société dont sa voix doit constamment trouer,
percer le silence mortel, des nuits de la servitude et de l’aliénation sous toutes les formes.
Par son sens de réflexion et de l’humain, le philosophe a pour rôle de veiller
constamment pour pouvoir révéler aux autres le sens du présent et la direction de l’avenir afin
de les amener à sortir de l’ignorance, de la superstition, de la facilité pour devenir en
permanence les créateurs de leur propre histoire83. Dans son ouvrage Jalons, sous-titré
recherche d’une mentalité neuve, Njoh-Mouellè montre la valeur de la pratique philosophique
dans l’existence humaine. Mieux, l’auteur nous fait savoir que l’humanité a intérêt à prendre

80
Ebénézer Njoh-Mouellè, Op. cit., p. 143.
81
Ebénézer Njoh-Mouellè, Développer la richesse humaine, Op. cit, p. 5.
82
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, Op. cit., p. 134.
83
Idem, p. 99.
40

au sérieux l’activité philosophique. Ce faisant, il définit la philosophie comme une réflexion


critique ayant pour but de libérer, voire d’éclairer l’esprit des individus. Il s’agit de les
éloignant de toutes formes d’aliénation, d’assujettissement. Ainsi qu’il l’écrit, la philosophie
travaille à désaliéner les consciences humaines : « Réflexion critique en même temps
qu’intention créatrice, la philosophie a comme tâche fondamentale de désaliéner les
consciences »84. Chez Njoh-Mouellè, la conscience humaine est action et mouvement ; elle
est toujours intentionnelle, c’est-à-dire tendance vers quelque chose d’extérieure à elle. En un
mot, la conscience humaine n’est jamais vide en ce qu’elle porte toujours sur quelque chose
qui peut soit l’aliéner soit le libérer. Si tel est le cas, la tâche de la philosophie est de veiller à
ce que l’esprit humain soit libre. Ainsi, en définissant la philosophie comme réflexion critique
et intention créatrice, l’auteur veut aller au-delà de la philosophie spéculative qui, depuis ses
opinons présocratiques, porte sur des questions d’ordre ontologique. L’ontologie est la science
ayant pour objet de réflexion la signification de l’Être ; c’est la science de l’Être en tant
qu’Être. Pour Njoh-Mouellè, considérer l’Être en lui-même est le signe d’une aliénation au
sens où la fixation sur l’Être en tant qu’Être ôte la liberté à l’homme de se tourner vers ses
spécialisations85.
Donc, si la tâche fondamentale de la philosophie est de désaliéner les consciences, alors
tout développement d’une société doit être précédé d’une réflexion, d’une philosophie. Une
société qui veut se développer doit nécessairement interroger ses philosophes, les mettre en
action et les dynamiser. Il est certes vrai que les philosophes ne proposent pas de solutions au
même titre que les scientifiques, mais de par leur capacité à penser et à réfléchir, ils sont
susceptibles de définir les voies à suivre pour construire un développement efficace.
D’ailleurs, les dérives du développement matériel et les dangers auxquels il expose
l’humanité justifient l’actualité et la nécessité de la philosophie. Pour Njoh-Mouellè, les
hommes se fondent sur des préjugés, des illusions, pour dire de la discipline philosophique
qu’elle ne peut résoudre les problèmes liés au développement de la société. Or, la philosophie
n’a pas pour nature de résoudre les problèmes de la société au même titre que les hommes de
science. Elle consiste, dans sa nature, à questionner l’ensemble des choses qui entourent
l’homme. Mieux, la véritable nature de la philosophie réside dans le questionnement,
l’interrogation. Il le dit clairement à travers ces propos suivants :
Ceux qui proclament l’inutilité de la philosophie partent de bases fausses. Pour eux, en
effet, la philosophie devrait aider de la même manière que la médecine ou la
technologie à résoudre les problèmes particuliers du développement économique et
84
Ebénézer Njoh-Mouellè, Jalons, Recherche d’une mentalité neuve, Op. cit., p. 88.
85
Idem, pp. 87-88.
41

social. Or, la philosophie n’apporte pas un capital de savoir. Elle est interrogation
permanente de la réalité86.
Dans cette perspective, Njoh-Mouellè soutient que le philosophe apparaît comme un guide, un
concepteur du développement. Même s’il n’agit pas de la même manière que les ingénieux, le
but du philosophe dans la société est de conserver le bien-être et le bonheur que le
développement doit assurer aux individus. L’auteur ne dira pas le contraire lorsqu’il écrit :
Par l’interprétation donc, un philosophe doit déterminer la direction à prendre. C’est ici
le lieu de souligner avec force qu’on ne saurait demander au philosophe dans le
contexte de la « bataille du développement » de combler les vides avec les ponts, des
machines, des routes bitumées, etc. comme on le demande aux ingénieurs. Le point de
vue de ceux-ci est partiel, celui du philosophe se veut synoptique : il embrasse le
devenir global de la société et voudrait saisir le sens de ce devenir. Ainsi pour le
philosophe, vouloir le développement ne signifie rien tant que la conception du bien-
être, du bonheur que ce développement devrait assurer aux individus n’est pas élucidée
! Et c’est bien lui, le philosophe, qui doit risquer à dire : voilà ce qui se passe, voilà
jusqu’où cela peut aller, voilà les mirages, voici les réalités et les obstacles. La
philosophie, en articulant ce qui est là, inarticulé, organise ce qui est là, inorganisé87.
Loin donc des critiques acerbes dont elle fait l’objet dans la société, la philosophie n’a pas
pour nature d’apporter des réponses concrètes aux problèmes dont souffrent les individus. Elle
est, à l’origine, interrogation sur l’ensemble des choses qui entourent l’homme. Dès lors, le
rôle du philosophe est de contribuer de façon pratique au développement de la société et par
ses prises de position qui entrainent des changements qualitatifs. Malgré tous les griefs à son
encontre, la philosophie a une fin pratique, celle de nous aider à résoudre les problèmes que
nous rencontrons dans la vie quotidienne.
Pour conclure cette partie, la conception njoh-mouelléenne du développement vise
l’amélioration des vies humaines. Mais, il ne méconnaît pas l’importance du développement
économique, matériel et financier dans l’existence humaine. Le véritable développement
suppose une harmonie entre la croissance économique et l’épanouissement intellectuel, moral
et spirituel de l’homme. En ce sens, le philosophe ivoirien Boa Thiémélé Ramsès écrit que,
dans la philosophie Njoh-Mouellè du développement, « (…) le comportement humain est sans
doute celui qui compte le plus ; les mentalités en sont les ressorts et les verrous principaux. Il
est le facteur qui surplombe tous les autres »88. Mais, comment peut-on enseigner cette
conception njoh-mouelléenne du « développement » en classe de terminale D ? Dans la suite
de notre travail, nous allons faire un cas pratique de la notion de développement à partir d’une
étude de notion et d’une explication de texte philosophique.

86
Ibidem.
87
Idem, p. 79.
88
Ramsès L. BOA-Thiémélé, Reconstituer le corps glorieux d’Osiris, Op. Cit., p. 162.
42

DEUXIÈME PARTIE :
L’EXPÉRIMENTATION DE LA NOTION DE
« DÉVELOPPEMENT » CHEZ EBÉNÉZER NJOH-
MOUELLÈ DANS LE SECONDAIRE IVOIRIEN
43

Cette seconde partie a pour objectif de faire un cas pratique de la notion de


« développement » chez Njoh-Mouellè dans le secondaire ivoirien, précisément en classe de
terminale D, à partir d’une étude de notion et d’une explication de texte philosophique. Il
s’agit, pour nous, de mettre en exergue la dimension professionnelle de notre travail, voire ses
enjeux didactico-pédagogiques. Cette dimension porte essentiellement sur des pratiques de
classes qui sont soit tributaire du programme ivoirien de philosophie des classes terminales,
soit conforme aux normes d’évaluations de l’examen du CAP/PL. Dans le système éducatif
ivoirien, la philosophie est une discipline qui apparaît dans le second cycle, précisément en
classe de première et de terminale. Elle se situe dans le domaine de l’univers social à côté des
disciplines, avec lesquelles elle a des affinités, telles que l’Histoire-géographie et l’Éducation
aux Droits de l’Homme et à la Citoyenneté (EDHC). Comme toutes les autres disciplines dans
l’enseignement secondaire, la philosophie reste attachée à un profil de sortie, c’est-à-dire ce
qui est attendu de l’élève au terme de sa formation.
À la fin du second cycle du secondaire, l’élève doit avoir construit et acquis des
connaissances et des compétences lui permettant de développer son esprit critique à
travers la production d’une dissertation et d’un commentaire de texte philosophiques
portant sur : Les difficultés liées à la conquête de la liberté ; Le sens de l’humanité à
travers les productions de l’homme ; Le rapport entre le progrès et le bonheur ; Les
difficultés liées à l’élaboration de la vérité89.
Dans cette perspective, l’enseignement de la philosophie en classe de première et de terminale
vise, à travers la transmission de connaissances, d’attitudes, d’aptitudes et de valeurs
nécessaires, le développement de l’esprit critique de l’apprenant. C’est cette visée qui justifie
un ensemble de notions étudiées en classe de terminale, ainsi que des textes des auteurs au
programme.
Ce faisant, cette seconde partie contiendra deux chapitres. Le premier chapitre a pour
titre « Conduite de leçon sur la notion de « développement » en classe terminale D ». Ce
chapitre est essentiellement consacré à l’étude de notion, qui est une première activité de
l’examen de titularisation du CAP/PL. Quant au deuxième chapitre, il est intitulé « mise en
scène de l’explication d’un texte d’Ebénézer Njoh-Mouellè sur la notion de développement ».
Ce chapitre est consacré à l’explication de texte, qui est la deuxième activité de l’examen de
titularisation du CAP/PL. Dès lors, quelles sont les principes qui régissent ces deux activités ?
Qu’en est-il de leur pratique ?

89
Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, Module de
formation des professeurs contractuels du programme social du gouvernement 2019, https://dpfc-ci.net/wp
content/uploads/dpfcfichiers/2019-2020/psgouv2019/Modules%20du%20secondaireContractuels%202019/
Modules%20Formation%20Contractuels_Philosophie.pdf, 28 juillet-30 septembre, 2019, p. 12.
44

CHAPITRE 1: CONDUITE DE LEÇON SUR LA NOTION DE


« DÉVELOPPEMENT » EN CLASSE TERMINALE D

A. Présentation de l’étude de notion


Notre tâche ici est de préciser les principes ou règles qui fondent l’étude de notion. Par
définition, l’étude de notion est une activité ayant pour contenu une notion particulière du
programme national d’enseignement de la philosophie. Elle n’est pas un exercice inscrit dans
le programme d’enseignement de la philosophie. Généralement, la leçon est définie comme
un enseignement donné par un professeur à des élèves dans une salle de classe ou dans un
autre lieu d’apprentissage. Elle renvoie à « un ensemble de contenus d’enseignement
/apprentissage susceptibles d’être exécutés en une ou plusieurs séances »90. L’objectif de la
leçon est donc d’enseigner, d’apprendre et d’inculquer aux élèves des contenus et valeurs leur
permettant de mieux s’intégrer dans la vie sociale.
La progression annuelle en philosophie, particulièrement celle des classes de
terminale, comporte plusieurs leçons ; et chaque leçon est tributaire d’une compétence. Pour
cette année scolaire 2023-2024, en classe de terminale D, il y a quatre grandes compétences :
➢ Compétence I : Traiter une situation relative à la rédaction de la dissertation et du
commentaire de texte philosophiques. Elle a pour thème ‘‘les méthodologies’’ et
comporte en son sein deux (2) leçons :
• Leçon 1 : La dissertation philosophique
• Leçon 2 : Le commentaire de texte philosophique
➢ Compétence II : Traiter une situation relative aux conditions de l’homme dans la
société. Elle a pour thème ‘‘ les conditions de la liberté’’ et comporte trois (3) leçons :
• Leçon 1 : La connaissance de l’homme
• Leçon 2 : La vie en société
• Leçon 3 : Dieu et la religion
➢ Compétence III : Traiter une situation relative aux conditions du progrès. Elle a pour
thème ‘‘les conditions du bonheur’’ et comporte également deux (2) leçons :
• Leçon 1 : La valeur de la philosophie
• Leçon 2 : Progrès et Bonheur
➢ Compétence IV : Traiter une situation relative aux conditions de la connaissance. Elle
a pour thème ‘‘ les conditions d’élaboration de la connaissance’’ et comporte deux (2)
leçons :

90
Idem, p. 14.
45

• Leçon 1 : Langage et vérité


• Leçon 2 : La connaissance scientifique
Ainsi présentée la progression annuelle en philosophie des classes de terminale D, la notion
que nous avons choisie d’étudier est la notion de « développement ». Cette notion fait partie
du contenu didactique de la leçon deux (2) de la Compétence III. En ce qui concerne
l’exécution d’une leçon conformément au programme opérationnalisé des classes de
terminales, le professeur est appelé à se conformer aux consignes contenues dans le document
du programme opérationnalisé. L’opérationnalisation est l’acte par lequel les notions ne sont
plus traitées de manière atomisée, mais mises en relation avec d’autres notions. De ce fait, les
consignes indiquées dans le programme portent sur les contenus, les instructions afin de
conduire les activités, les techniques pédagogiques, les moyens et supports didactiques.
Cependant, l’étude de notion, pour la réussir, nécessite une bonne préparation. Elle ne
s’improvise pas. L’enseignant doit se garder de s’approprier de façon servile de contenus
didactiques, d’où qu’ils viennent. Autrement dit, l’enseignant pourrait être sujet au discrédit et
subir d’énormes préjudices relativement à sa réputation, son autorité quelque peu fragile du
fait de son statut de stagiaire. Il doit également relire plusieurs fois le cours avant de le
dispenser en classe. Cette relecture ne s’apparente en rien à un apprentissage par cœur. Aussi
une documentation est-elle exigée à l’enseignant. En outre, l’étude de notion porte sur une
notion particulière du programme opérationnalisé. Le stagiaire choisit donc une notion sur
laquelle va porter sa leçon. À la suite, il détermine avec précision le problème et fait ressortir
l’objectif visé ; et passe alors, avec les élèves, à la construction du cours qui se fait sous forme
d’analyse cohérente et méthodique selon un plan tout aussi cohérent que rigoureux. Avant de
passer à l’exécution effective de la leçon proprement dite, le professeur doit partir d’un
préambule pour aboutir à la notion. Le préambule est un ensemble de questions brèves et
précises auxquelles l’enseignant soumet les élèves en vue de les amener à découvrir par eux-
mêmes la notion qui fera l’objet de l’étude.
Par ailleurs, l’étude de notion comprend trois étapes qui sont reliées entre elles,
constituant ainsi sa structure. Ce sont l’introduction, l’analyse détaillée du développement
et la conclusion. Au niveau de l’introduction, l’on donne une définition claire et précise de la
notion à étudier en prenant soin d’y intégrer la possibilité de dégager le problème à analyser.
Une fois le problème posé, l’enseignant note l’objectif à atteindre au tableau en précisant aux
apprenants que celui-ci ne fait pas partie de la trace écrite. En ce qui concerne l’analyse, elle
doit être un exposé cohérent et rigoureux des connaissances organisées avec définitions,
46

explications, citations, références et exemples si possibles. Les auteurs convoqués dans


l’analyse doivent être situés dans l’espace et dans le temps.
Le plan de l’analyse découle logiquement du problème à analyser et de l’objectif visé.
Ce qui signifie que le plan de l’étude de notion varie d’un individu à un autre. Il n’y a donc
pas un plan type imposé aux stagiaires. C’est plutôt, la cohérence et la rigueur du plan qui est
en jeu. Quoiqu’un plan type ne soit pas imposé aux stagiaires, il est toutefois indiqué que
l’ossature générale de leurs leçons devrait obéir à un certain cadre normatif. C’est pourquoi,
les enseignants formateurs de l’ENS, chargés de la formation initiale et détenteur, par
ricochet, de la caution scientifique recommandent un plan qui s’enracine fondamentalement
dans la schématisation suivante :

TITRE DE LA NOTION (Encadré et centré au tableau)

INTRODUCTION
I. Titre 1
A. Sous-titre 1
B. Sous-titre 2
II. Titre 2
A. Sous-titre 1
B. Sous-titre 2
CONCLUSION

Ce plan est donc composé d’une introduction, de deux grands points numérotés I et II, puis
d’une conclusion. Chaque grand point comprend deux sous-parties intitulées A et B. La
conclusion consiste à faire le bilan de l’analyse et à montrer comment l’objectif a été atteint à
travers la résolution du problème posé. Comme on peut le voir, le contenu d’une étude de
notion n’est pas dense comme le traitement d’une leçon dans le cadre du programme
opérationnalisé. En réalité, l’étude de notion ne vise pas à épuiser le traitement de la notion.
En revanche, elle analyse brièvement les différents aspects de la notion en rapport avec une
autre notion. Elle s’effectue en 55 min maximum et ne peut prendre en compte tous les
éléments d’une leçon ordinaire. C’est pourquoi, il faudra convoquer un seul auteur par sous-
parties. Cela revient à convier au total quatre auteurs. Voici donc présenté en quelques lignes
l’essentiel de l’étude de notion. À présent, examinons-la dans sa phase pratique à partir de la
notion de « développement » qui guide ce présent travail.
47

B. Phase pratique
La tâche qui nous incombe dès à présent est de conduire une leçon sur la notion de
« développement » en classe de terminale D sous forme d’une fiche de leçon.

PLAN DE DE L’ÉTUDE DE NOTION

LE DÉVELOPPEMENT

INTRODUCTION
Problème : Le développement peut-il assurer le bonheur de l’homme ?
Objectif : Montrer l’importance du développement dans la réalisation du bonheur de
l’homme.

I. LE DÉVELOPPEMENT, OBSTACLE AU BONHEUR DE L’HOMME

A. Le développement expose l’homme à des dangers

B. Le développement met en crise les valeurs morales et éthiques

II. LE DÉVELOPPEMENT, CONDITION DE RÉALISATION DU


BONHEUR DE L’HOMME

A. Le développement contribue au bien-être matériel et spirituel


de l’humanité

B. Le développement améliore les conditions de vie de l’homme et


favorise son épanouissement

CONCLUSION
48

DÉROULEMENT DE LA LEÇON
Moment Stratégies Activités de Activités de l’élève Trace écrite
didactique / pédagogiques l’enseignant
Durée
COMPÉTENCE III : TRAITER UNE SITUATION

Phase RELATIVE AUX CONDITIONS DU PROGRÈS


d’élaboration THÈME : LES CONDITIONS DU BONHEUR
CLASSE : Tle. D
Préambule
Échange Quel est le
Phase de verbal (Questi processus qui ÉTUDE DE NOTION :
présentation ons ou intègre à la fois la
consignes / croissance Le développement
réponses économique et la
qualité de vie LE DÉVELOPPEMENT
humaine ?
Quelle est la L’introduction INTRODUCTION
Phase première étape de
d’introduction l’étude d’une
notion ?
Le développement Le développement est une notion complexe.
renvoie à la
Comment peut-on
définir le
croissance Il renvoie tantôt au déploiement, à
économique et aussi
développement ? l’enrichissement, tantôt à l’extension, à la
au déploiement.
De cette définition, prospérité, à la croissance économique. De
De cette définition, le
que représente le
développement
développement cette définition, le développement représente
représente un bien
pour l’homme ?
pour l’existence un bien pour l’existence humaine, voire
humaine.
Échange Peut-on toujours
verbal (Questi affirmer que le
contribue à la réalisation du bonheur de
ons ou développement l’homme. Mais, l’impact négatif et
Non monsieur.
consignes / améliore les
réponses conditions de vie irréversible du développement, à l’instar de
de l’homme ?
Le développement
la technoscience, sur l’homme et la nature
semble mettre en
Qu’est-ce-qui
péril l’évolution semble remettre en cause son aspect
justifie les
humaine, à l’instar de
critiques à
l’endroit du
la science et de la valorisant.
technique.
développement ?

Au vu de ce Problème : Le développement peut-il


paradoxe, quel
Répondent.
problème assurer le bonheur de l’homme ?
philosophique
pouvons-nous
poser ?
Objectif : Montrer l’importance du
Prennent note.
Le professeur développement dans la réalisation du
donne l’objectif du
cours bonheur de l’homme.
49

Si dans la
Phase de pratique, le I. LE DÉVELOPPEMENT,
Nous pouvons dire
développement développement ne
parvient pas
que le développement OBSTACLE AU BONHEUR DE
toujours à
est un obstacle au L’HOMME
bonheur de l’homme.
garantir le bien-
être des individus,
que pouvons-nous A. Le développement expose l’homme à
dire du des dangers
développement ?
Le développement menace l’homme. En
Avec l’apparition
des bombes
Le développement effet, le développement, à l’instar du progrès
expose l’homme à
atomiques, quel technique et scientifique, est complice de la
des dangers car il est
argument peut-on
complice de la
formuler pour
violence, des armes à violence du fait qu’il prolifère des industries
montrer que le
feu. de la mort, sources de mort, de malheur, de
développement est
néfaste pour
l’homme ? souffrance, de désolation, de chaos et
d’inquiétude. À ce propos, en référence aux
Travail de
groupe et armes chimiques, atomiques, nucléaires le
brainstorming Citez un auteur
dans l’histoire de philosophe allemand Hans Jonas écrit : « La
Hans Jonas
la philosophie qui
justifie notre promesse de la technique moderne s’est
argument. Que
dit-il exactement ? inversée en menace », (Le principe
Pour Hans Jonas, le responsabilité, Paris, Éditions Le Cerf, 1990,
développement, à
Que veut signifier p. 13). Pour Hans Jonas, le développement,
l’instar de la
cette assertion de
technique, est une
Hans Jonas ?
source mortelle pour à l’instar de la technique, est une source
l’homme. mortelle pour l’homme.

Par ailleurs, au
plan éthique et
Le développement B. Le développement met en péril les
met en péril les valeurs morales et éthiques
moral, quel
valeurs morales et
argument
éthiques. Le développement conduit au malheur
pouvons-nous
formuler pour de l’homme dans la mesure où il est source
montrer l’aspect
néfaste du d’aliénation de l’homme. En effet, l’homme
développement ?
est devenu dépendant et esclave des objets
techniques. En d’autres termes, le
développement, par le biais du progrès des
sciences et des techniques, entraîne la
régression de la faculté cognitive de l’être
humain et fait de lui son esclave. L’homme
est constamment menacé par le progrès
50

techno-scientifique qui développe en lui des


caractères égoïstes ainsi que de l’agressivité
à l’égard de la nature mettant en péril sa
propre survie. Dans cette condition, le
Citez un auteur développement contredit la morale et la
dans l’histoire de
la philosophie qui dignité humaine. Il entraîne un recul moral
justifie que le
développement est et intellectuel. Comme le mentionne le
facteur de
dépravation de Gabriel Marcel philosophe français Gabriel Marcel (1889-
l’homme. Que dit-
il exactement ? 1973), « Plus les techniques progressent,
plus la réflexion est en recul », (Les
hommes contre l’humain, Paris, Éditions
Que veut signifier Pour Gabriel Marcel,
cette assertion de le progrès des Fayard, 1992). Pour Gabriel Marcel, le
Hans Jonas ? techniques met fin à
la réflexion humaine. progrès des techniques met fin à la réflexion
humaine.

Que pouvons-nous En somme, le En somme, le développement ne


retenir de cette développement ne
première analyse ? contribue pas contribue pas toujours au bonheur de
Et, proposez une toujours au bonheur
transition qui nous de l’humanité. Mais
l’humanité. Mais, n’est-il pas la condition de
permettra n’est-il pas la réalisation du bonheur de l’homme ?
d’aborder la condition du
seconde partie de bonheur de
notre analyse. l’homme ?

En vous référant à Le développement, II. LE DÉVELOPPEMENT,


la question de condition de CONDITION DE RÉALISATION
transition, quel est réalisation du DU BONHEUR DE L’HOMME
le titre de notre bonheur de l’homme.
deuxième axe
d’analyse ? A. Le développement contribue au bien-
être matériel et spirituel de l’humanité
Le développement
En quoi le contribue au bien-être Le développement, qu’il soit matériel ou
développement matériel et spirituel
peut-il contribuer de l’humanité. moral, met en exergue les valeurs collectives
au bonheur de
l’homme ? susceptibles de contribuer au bien-être
matériel et spirituel des hommes. Il
contribue au bien-être des humains tant
quantitativement que qualitativement. La fin
recherchée par le développement c’est la
promotion de l’humanité tout en mettant à la
51

disposition de l’homme un ensemble de


biens matériels et/ou spirituels en vue leur
épanouissement et de leur bonheur. À ce
propos, en parlant de la valeur du progrès,
Citez un auteur voire du développement dans la civilisation
dans l’histoire de
la philosophie qui de l’humanité, le philosophe anglais Francis
justifie que le
développement Francis Bacon Bacon (1561-1626) s’interroge : « Peut-on
contribue au
perfectionnement parler d’humanité si le progrès n’avait pas
de la civilisation et
au bien-être de existé ? L’humanité ne serait-elle pas
l’humanité. Que condamnée à rester dans la primitivité, la
dit-il exactement ?
barbarie, la sauvagerie ? », (Novum
Organon, trad. du français par Lorquet,
En s’interrogeant, Paris, Librairie de L. Hachette, 1957
Que veut signifier Francis Bacon veut
cette assertion de dire qu’en dehors du (Version Numérique). En s’interrogeant,
Francis Bacon ? développement ou du Francis Bacon veut dire qu’en dehors du
progrès, l’humanité
sombrerait dans la développement ou du progrès, l’humanité
primitivité, la
barbarie et la sombrerait dans la primitivité, la barbarie et
sauvagerie.
la sauvagerie.

B. Le développement améliore les


Dans une autre Le développement
perspective, en améliore les conditions de vie de l’homme et
quoi le conditions de vie de favorise son épanouissement
développement l’homme et favorise
contribue au son épanouissement.
Le développement améliore les
bonheur des conditions de vie de l’homme et favorise son
individus eu égard
de leur condition épanouissement dans la mesure où ses
de vie ?
différentes inventions facilitent les travaux
difficiles à la place de l’homme. En effet,
grâce au développement des sciences
aujourd’hui, l’homme utilise de moins en
moins son énergie musculaire. Le
développement apparaît comme un
processus d’amélioration constante des
conditions de vie et de travail tant au niveau
52

individuel que collectif. Il vise en outre


l’épanouissement de l’homme et présente
des projets compatibles avec le respect de la
dignité de la personne humaine tout en
s’appuyant sur la science et la technique.
Citez un auteur C’est dans cette optique que le philosophe
dans l’histoire de
la philosophie qui camerounais Njoh-Mouellè opine que « la
justifie que le Njoh-Mouellè
développement fonction du développement est double :
améliore les
conditions de vie promouvoir l’excellence de l’homme en
humaine et réduisant la médiocrité et fournir en
favorise son
épanouissement. permanence à l’excellence ainsi promue les
Que dit-il
exactement ? conditions chaque fois nécessaires à sa
réaffirmation », (De la médiocrité à
l’excellence, essai sur la signification
humaine du développement, Yaoundé, CLE,
Pour Njoh-Mouellè,
le développement 1970, p. 154). Pour Njoh-Mouellè, le
Que veut signifier vise non seulement
cette assertion de l’excellence de développement vise non seulement
Njoh-Mouellè ? l’homme, mais aussi
fournit les conditions l’excellence de l’homme, mais aussi fournit
lui permettant de
mieux vivre.
les conditions lui permettant de mieux vivre.

Quelle est la
dernière partie de
Phase de l’étude de notion ? La conclusion CONCLUSION
conclusion Au terme de notre analyse, nous retenons
Échange Que peut-on
retenir en guise de -d’une part, le
verbal (Questi
conclusion ? développement
d’une part que le développement suscite des
ons ou
consignes / suscite des dangers dangers car il menace l’homme à travers
réponses -d’autre part, il est
source de bonheur de l’évolution des sciences et des techniques, et
l’homme.
d’autre part il est nécessaire à l’humanité,
car il fait progresser l’homme dans sa quête
Proposez votre du bonheur. Pour notre part, nous estimons
point de vue sur le
problème que même si le développement détruit
Malgré ses effets
philosophique néfastes, le l’homme à travers ses productions, force est
posé dans développement
l’introduction. assure le bonheur de de reconnaître qu’il assure le bonheur de
l’homme.
l’homme. Il représente une valeur pour
l’homme.
53

CHAPITRE 2 : MISE EN SCÈNE DE L’EXPLICATION D’UN TEXTE D’EBÉNÉZER


NJOH-MOUELLÈ SUR LA NOTION DE « DÉVELOPPEMENT »

A. Généralité sur l’explication de texte


L’explication de texte est un exercice qui n’apparaît pas au programme officiel des
classes de terminale et de première, bien qu’il ne soit pas un exercice étranger à
l’enseignement de la philosophie en Côte d’Ivoire. Dans le programme officiel
d’enseignement de la philosophie dans les classes terminale et de première, l’exercice
consacré à l’explication de texte est respectivement le commentaire de texte philosophique et
l’étude de texte. Quelle est donc la particularité de l’explication de texte ?
L’explication de texte n’est ni le commentaire de texte philosophique ni l’étude de
texte. Le commentaire de texte philosophique, dans sa structure, est l’opposé de la dissertation
philosophique. Dans la dissertation, l’élève ou le candidat est soumis à une difficulté
intellectuelle, et doit lui-même écrire le texte. Dans le cas du commentaire, le texte est déjà
écrit, il s’agit alors pour l’élève de l’expliquer en mettant à nu les idées qu’il cache dans sa
forme originale. Commenter un texte, c’est écrire l’autre du texte en des termes simples,
explicites, en expliquant les expressions et les concepts clés qu’il comporte. Cela se fait en
respectant la structure logique du texte. Dans sa forme, le commentaire de texte comprend
trois grandes parties : l’introduction, l’étude ordonnée et l’intérêt philosophique. Qu’en est-il
alors de l’étude de texte ?
L’étude de texte, comme son nom l’indique est l’examen d’un texte philosophique
suivant une approche bien définie. Comme le commentaire, c’est un exercice qui se fait en
classe dans le cours normal de la progression. L’étude de texte comprend ainsi cinq étapes qui
sont : l’introduction, la compréhension littérale, la problématique du texte, l’explication
d’ensemble du texte et la critique du texte. Notons que l’introduction de l’étude de texte est
différente de celui de l’explication de texte. Dans l’introduction de l’étude de texte, on
présente sommairement mais avec précision l’auteur ; on indique l’origine du texte et on le
situe dans son contexte si possible. Ici, par origine du texte, il faut dire s’il s’agit d’un article
de journal, d’un conte, d’une légende, d’une critique d’art, etc.
Quant à l’explication de texte, c’est un exercice à la fois proche et lointain du
commentaire de texte philosophique et l’étude de texte. En effet, institutionnellement,
l’explication de texte ne fait pas partie des épreuves officielles du baccalauréat comme la
dissertation et le commentaire de texte philosophiques. Autrement dit, les élèves et les
candidats ne sont pas évalués sur cet exercice à l’examen final. En revanche, l’explication de
54

texte est pratiquée avec les élèves par les stagiaires de l’École Normale Supérieure (ENS).
L’explication de texte est une pratique pédagogique qui a d’abord lieu lors des visites
pédagogiques, auprès des stagiaires, effectuées par les professeurs encadreurs de l’ENS. Le
stagiaire fait alors une explication de texte avec ces élèves. Ensuite, pendant l’examen de
titularisation du CAP/PL (Certificat d’Aptitude du Professorat, option Professeur de Lycée).
Lors de cet examen, le stagiaire est évalué sur un texte dont il fera l’explication avec les
élèves.
L’explication porte impérativement sur un texte d’un auteur au programme91. C’est
dire que l’explication de texte prend en compte des éléments sur lesquels le stagiaire qui
l’exécute avec les élèves doit s’aligner afin de ne pas compromettre la réussite de cet exercice.
Selon les recommandations de la pédagogie, l’enseignant doit toujours prendre le soin de
préparer rigoureusement l’exercice qu’il fera avec les élèves. Cette préparation implique que
l’enseignant conçoive lui-même l’exercice en question. Il doit éviter de reproduire
servilement des corrigés pris dans des manuels, dans une œuvre, un document, etc.
L’improvisation est alors à proscrire. Par conséquent, le stagiaire doit se documenter, se
cultiver en permanence, échanger des documents avec son binôme, ses devanciers, et prendre
en compte les avis, les suggestions et les critiques de son Professeur Conseillé.
Dans le déroulement de l’explication de texte, l’enseignant dès son entrée en classe
après avoir adressé ses salutations aux élèves, vérifie rapidement la propreté de la classe et la
tenue vestimentaire des élèves. Après cela, il procède au contrôle de présence. L’enseignant
distribue le texte aux élèves qui procèdent automatiquement à sa numérotation et à sa lecture
sous sa conduite. Il s’ensuit différentes lectures, studieuses, ayant chacune un objectif précis.
La première lecture conduit à avoir une idée générale du texte. La deuxième, à rechercher les
mots et expressions difficiles et/ou essentiels et à les souligner. La troisième lecture,
magistrale, est effectuée par l’enseignant lui-même et vise à repérer les mouvements du texte.
L’explication de texte comprend plusieurs parties : l’introduction, la compréhension
littérale du texte, la problématique et l’explication détaillée des mouvements du texte, la

91
Voici la liste des auteurs au programme classés par période :
- Antiquité et le Moyen âge : Platon, Aristote, Épicure, Lucrèce, Épictète, Marc Aurèle, Saint
Augustin, Saint Thomas d’Aquin.
- Époque moderne : Machiavel, Montaigne, Hobbes, Descartes, Pascal, Spinoza, Malebranche, Leibniz,
Montesquieu, Hume, Rousseau, Kant, Claude Bernard.
- Époque contemporaine : F. Hegel, A. Comte, Cournot, S. Kierkegaard, K. Marx, F. Nietzsche, S. Freud,
Husserl, H. Bergson, Alain, G. Bachelard, Merleau Ponty, J-P Sartre, M. Heidegger, Karl Popper, Jacques
Monod, François Jacob.
- Auteurs africains : K. Nkrumah, Tempels P., M. Towa, Eboussi Boulaga, P. Hountondji, Ebénézer Njoh-
Mouellè, Frantz Fanon, Léopold Sédar Senghor, Cheikh Anta Diop, Joseph Ki-Zerbo.
55

critique du texte et la conclusion. En effet, l’introduction de l’explication de texte consiste en


une présentation brève et précise de l’auteur. L’introduction faite, on amorce la
compréhension littérale du texte. Elle consiste, à relever les termes et expressions difficiles du
texte et à les expliquer de façon contextuelle. Elle consiste aussi à repérer les connecteurs
logiques et à déterminer leur fonction. La problématique, quant à elle, renvoie à faire ressortir
les items de la grille de lecture que sont le thème, le problème, la thèse, l’antithèse,
l’intention, l’enjeu, la structure logique. Pour relever ces éléments, l’enseignant se doit autant
que possible de donner des indices aux apprenants afin de leur faciliter la tâche. Cependant,
dans l’explication de texte, la problématique est associée à l’explication détaillée des
mouvements. Le terme détaillé indique en filigrane la nature même de l’explication. De cette
façon, il n’est pas question de faire une explication d’ensemble du texte comme dans le
commentaire de texte et dans l’étude de texte. L’explication détaillée consiste alors à repérer
les grandes articulations du texte et les expliquer de part en part, en tenant compte des
références textuelles. De ce fait, il convient de préciser que l’explication détaillée se construit
avec les élèves et non pour les élèves. Il ne s’agit donc pas d’une explication linéaire du texte.
L’explication détaillée laisse place à la critique du texte. Critiquer un texte, c’est porter
un jugement de valeur sur la forme et le fond du texte. En cela, dans la critique du texte, on
distingue respectivement deux formes de critique : la critique interne et la critique externe. La
critique interne permet une évaluation du texte pris en lui-même. Il faut donc faire ressortir la
nature du texte, le type d’argumentation, analyser l’adéquation entre l’intention et le mode
d’argumentation et aussi mettre en évidence les éventuelles contradictions. En outre, il y a la
critique externe. Elle consiste à évaluer la thèse de l’auteur au regard de l’histoire de la
philosophie. Enfin, il faut élaborer la conclusion. La conclusion revient tout naturellement à
faire le bilan du débat de la critique externe et à donner son point de vue sur la question objet
de débat. Dans ces conditions, ne faut-il pas nous laisser guider par une pratique
expérimentale de l’explication de texte afin d’en cerner les contours ?

B. Phase pratique
Ici ; la théorie va naturellement céder la place à la pratique qui nous aidera à saisir
l’essence même de l’explication de texte. Voici ci-dessous le texte support qui va servir à
notre expérimentation pratique :
Ce n’est pas à la misère subjective qu’on peut voir la marque particulière
du sous-développement. Nous venons de le dire, cette forme de misère se
56

rencontre partout, même en pays développés, et entendons par là pour le


moment les pays d’abondance relative. La marque particulière du sous-
développement c’est la misère objective, celle qui n’a pas besoin d’être
consciemment vécue pour être. Elle s’appelle ignorance, superstition,
analphabétisme. C’est la véritable misère, celle qui maintient ou ravale
l’homme à l’état de sous-humanité par l’aliénation et le défaut de liberté
qu’elle entraîne. […] Dans un tel contexte, le nombre d’hôpitaux ne
témoigne pas nécessairement en faveur d’un développement réel. Et c’est
un point de vue superficiel que celui qui se borne à juger du développement
d’une société par l’aspect quantitatif des réalisations matérielles qui y sont
effectuées. Il faut encore regarder de près le rapport de l’homme à ces
réalisations. L’ignorance dont celui-ci peut faire preuve est la marque d’une
misère plus grande encore. Et l’ignorance va souvent de pair avec la
superstition. Elle fait échec à la construction des ponts et des routes.
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification
humaine du développement, Yaoundé, Éditions CLE, 1970, pp. 19-20.

PLAN DE L’EXPLICATION DE TEXTE PHILOSOPHIQUE

INTRODUCTION (Brève présentation de l’auteur)


I. COMPRÉHENSION LITTÉRALE DU TEXTE
A. Explication des mots et expressions difficiles du texte
B. Fonction des connecteurs logiques
II. PROBLÉMATIQUE ET EXPLICATION DETAILLÉE DES
MOUVEMENTS DU TEXTE
A. Problématique du texte
B. Explication détaillée des mouvements du texte
III. CRITIQUE DU TEXTE
A. Critique interne
B. Critique externe
CONCLUSION
57

DÉROULEMENT DE LA LEÇON

Moment Stratégies Activités de l’enseignant Activités de Trace écrite


didactique / Pédagogiques l’élève
Durée
COMPÉTENCE III : TRAITER UNE
Phase
SITUATION RELATIVE AUX
d’élaboration
CONDITIONS DU PROGRÈS
THÈME : LES CONDITIONS DU
BONHEUR
CLASSE : Tle. D
Lorsque vous êtes face à Numéroter le texte
un texte, quelle attitude
devrez-vous premièrement
adopter ?
Phase de
présentation Ce texte comporte 16 lignes
combien de lignes ?
L’explication de EXPLICATION DE TEXTE
Quelle est la nature de texte
l’activité à mener ?

Lorsque vous débutez la


rédaction d’un exposé, par L’introduction INTRODUCTION (Brève
quelle partie commencez-
vous ?
présentation de l’auteur)

Qui est l’auteur de ce Ebénézer Njoh- Ebénézer Njoh-Mouellè (1938…)


texte ? Mouellè.
est un auteur africain, d’origine
Que saviez-vous de cet C’est un auteur
Phase auteur ? africain
camerounaise situé entre le XXème
d’introduction et le XXIème siècle. Philosophe
Échange verbal Quelle est sa nationalité ? Il est camerounais
(Questions ou humaniste, il est auteur de plusieurs
consignes / Quel est son courant de
réponses) pensée ? Humanisme ouvrages tels que Jalons I,
Citez quelques ouvrages Jalons, recherche recherche d’une mentalité neuve,
qu’il a écrit. d’une mentalité
neuve, Développer
Yaoundé, Éditions CLE, 1970 ;
la richesse Développer la richesse humaine,
humaine, De la
médiocrité à Éditions CLE, Yaoundé, 1980 ; De
l’excellence, etc.
la médiocrité à l’excellence,
Éditions CLE, Yaoundé, 1970.
C’est de ce dernier ouvrage cité
qu’est extrait ce fragment de texte
qui nous est soumis pour une
explication.
58

En vous référant à votre


cours de première en La compréhension I. COMPRÉHENSION
Phase de philosophie, quelle est la littérale du texte LITTÉRALE DU TEXTE
développement première étape de la
méthode de lecture de
texte ? A. Explication des mots et
Elle consiste, à expressions difficiles
En quoi consiste la relever les termes
compréhension littérale et expressions
du texte
du texte ? difficiles du texte Misère subjective (L1) : C’est une
et à les expliquer
contextuellement. forme de misère caractérisée par la
Elle consiste aussi
à repérer les misère matérielle, le manque
connecteurs
logiques et à d’alimentation, l’absence de biens
déterminer leur
fonction.
matériels ;
Le sous-développement (L2) : Il
Échange verbal Quels sont donc les mots Relèvent et traduit l’état d’un pays dont son
(Questions ou et expression difficiles du expliquent les
consignes / texte ? Expliquez-les mots et niveau de vie au plan économique
réponses) contextuellement. expressions
difficiles du texte. et technique, est moins avancé et le
taux de pauvreté est très élevé.
Misère objective (L5) : C’est une
misère spirituelle, voire morale.
Elle est marquée par une absence
de liberté, de rationalité,
l’analphabétisme, la superstition ;
Ignorance (L6) : Manque de
connaissance ;
Superstition (L6) : Croyance
irrationnelle vis-à-vis d’une chose ;
Analphabétisme (L7) : manque
d’apprentissage
Sous-humanité (L8) : état de
l’homme demeurant dans
l’ignorance, l’irrationalisme, la
superstition ;
D’un point de vue superficiel
(L10-11) : d’un point de vue
formel ;
59

Le développement (L11) : Il
traduit l’état d’un pays dont son
niveau de réalisations économique
et technique est très avancé ; état
marqué par la réduction du
chômage.

Relèvent et B. Fonction des


Relevez les principaux donnent la connecteurs logiques
connecteurs logiques et fonction des
donnez leur fonction. connecteurs Ne…pas (L1) : connecteur logique
logiques
d’opposition
Et (L10) : connecteur logique
d’addition

Quelle est l’étape qui suit Problématique et


la compréhension explication II. PROBLÉMATIQUE ET
littérale dans le cas d’une détaillée des
explication de texte ? mouvements du EXPLICATION
texte DETAILLÉE DES
MOUVEMENTS DU
TEXTE
Dans cette seconde étape,
quel est le premier point à La problématique
analyser ? du texte A. Problématique du texte
Thème : Le rapport entre les
En quoi consiste la
problématique du texte ? Elle consiste à réalisations matérielles et le
dégager les items de
la grille de lecture développement
Appliquons les éléments
que sont le thème, le
de la grille de lecture au problème, la thèse,
texte de Njoh-Mouellè. Problème : Les réalisations
l’antithèse,
De quoi est-il question l’intention, l’enjeu, matérielles déterminent-elles le
dans le texte ? la structure logique.
niveau réel du développement ?
À quelle préoccupation
l’auteur tente-t-il de Thèse : Pour Njoh-Mouellè, les
répondre ? (Thème)
réalisations matérielles ne peuvent
Quelle est la position de Répondent.
l’auteur relativement au déterminer le niveau réel du
problème posé ? (Problème)
développement d’un pays, car elles
Quelle est la thèse qui prend
le contre-pied de la thèse ne vont pas de pairs avec la qualité
défendue par l’auteur ?
(Thèse) de vie des individus.

Que vise l’auteur Antithèse : Le développement


immédiatement l’auteur en
écrivant de texte ? (Antithèse) matériel est facteur de bien-être.
60

Quel est l’objectif lointain Intention : L’auteur veut montrer, à


visé par l’auteur en écrivant
ce texte ? (Intention) travers ce texte, l’incompatibilité
En combien de parties peut- entre les réalisations matérielles et
on structurer ce texte ?
(Structure logique) le développement.
Attribuez à chaque partie
une idée principale. Enjeu : Le bien-être / Le bonheur
Structure logique : Ce texte
d’Ebénézer Njoh-Mouellè
comporte deux mouvements
possibles :

1er mouvement (L1-9) : « Ce n’est


pas (…) qu’elle entraîne »
Idée principale : La misère
objective comme marque
particulière du sous-
développement.
2ème mouvement (L9-16) : « Dans
un tel contexte (…) des routes »
Idée principale : Appréciez le
développement sous l’angle des
réalisations matérielles relève de la
superficialité.

Quel est le second point de L’explication


B. Explication détaillée
cette étape ? détaillée des
mouvements du des mouvements du
texte texte

Rappelez l’idée principale La misère Dans le premier mouvement


du premier mouvement. objective comme du texte, il est question de la misère
marque
particulière du objective comme marque
sous-
En vous référant au développement. particulière du sous-
premier mouvement du
texte, quelles sont les idées développement. En effet, le sous-
secondaires que l’auteur « Ce n’est pas à la
met en évidence justifier misère subjective développement a toujours été
notre idée principale ? qu’on peut voir la présenté comme un état de manque
marque
particulière du et de privations des réalisations
sous-
développement », matérielles et techniques. Un pays
(L1 -3)
61

est sous-développé parce que son


« (…) qui
maintient ou niveau de vie au plan économique
ravale l’homme à
l’état de sous- et technique, est moins avancé et le
humanité par
l’aliénation et le
taux de pauvreté est très élevé.
défaut de liberté C’est cet état de privation et de
qu’elle entraîne »
(L 7-9). manque que l’auteur appelle
« misère subjective » (L1). Cette
L’auteur veut dire misère subjective peut s’entendre
Que veut dire l’auteur à à travers ces idées
travers ces idées secondaires qu’il comme une forme de misère
secondaires ? y a une seule caractérisée par le manque
misère
fondamentale qui d’alimentation, l’absence de biens
est à la base du
sous- matériels ; elle est une misère
développement
des pays matérielle. Elle est caractérisée par
africains : la
misère objective. la faim, le ventre affamé, la famine,
la sous-alimentation. Or, selon
Njoh-Mouellè, on ne peut limiter le
sous-développement, à cette forme
de misère, comme en témoigne
l’expression de la ligne 1 à 3 « Ce
n’est pas à la misère subjective
qu’on peut voir la marque
particulière du sous-
développement ». Ce faisant, il
rompre avec cette conception
orthodoxe du sous-développement
en estimant qu’un pays peut être
sous-développé en raison du fait
que les individus qui le composent
sont ignorants, superstitieux,
analphabète. Ce que l’auteur traduit
par la notion de « misère
objective » (L5). Cette forme de
misère fait référence à la misère
62

spirituelle, voire morale. Elle est


marquée par une absence de liberté,
le manque d’esprit critique, de
rationalité, la croyance irrationnelle
des choses. Ainsi, pour l’auteur la
misère objective est cette forme de
misère « qui maintient ou ravale
l’homme à l’état de sous-humanité
par l’aliénation et le défaut de
liberté qu’elle entraîne » (L 7-9).
Donc, la misère objective est cette
Si la misère forme de misère dont souffre les
subjective n’est
pas la marque pays en voie de développement.
particulière du
sous- Mais, si la misère subjective n’est
développement, pas la marque particulière du sous-
peut-on affirmer
que les développement, peut-on affirmer
réalisations
déterminent-elle le que les réalisations déterminent-elle
niveau réel du
développement le niveau réel du développement
d’un pays ?
d’un pays ?

En vous appuyant sur Appréciez le C’est dans le deuxième


l’idée principale du développement
premier mouvement, sous l’angle des mouvement de son texte que le
proposez-nous une réalisations
transition pour passer au matérielles relève
philosophe camerounais nous
deuxième 2ème. de la révèle que le fait d’appréciez le
superficialité.
développement d’un pays sous
« C’est un point l’angle des réalisations matérielles
de vue superficiel
que celui qui se relève de la superficialité. Il écrit à
Rappelez l’idée principale borne à juger du
du second mouvement. développement
ce propos que « c’est un point de
d’une société par vue superficiel que celui qui se
l’aspect quantitatif
des réalisations borne à juger du développement
matérielles qui y
sont effectuées » d’une société par l’aspect
(L10-12).
quantitatif des réalisations
Quels sont les arguments « Le nombre
dans ce mouvement qui d’hôpitaux ne
matérielles qui y sont effectuées »
justifient cette idée témoigne pas (L10-12). Comment comprendre
principale ? nécessairement en
63

faveur d’un cette assertion ? En effet, par-là,


développement
réel » (L9-10). l’auteur veut signifier que c’est de
la superficialité de vouloir mesurer
le niveau développement d’un pays
en fonction de l’aspect quantitatif
de ses biens matériels. Le
développement est perçu le plus
L’auteur veut dire souvent comme l’état d’un pays
Que veut dire l’auteur à à travers ces
travers ces arguments ? arguments qu’on dont son niveau de réalisations
ne saurait se économique et technique est très
focaliser sur les
réalisations avancé et aussi marqué par la
matérielles pour
mesurer le niveau réduction du chômage. Dans cet
de développement
d’un pays. état, règne l’abondance des biens de
diverses consommations. De même,
il y a développement lorsqu’il y a
accumulation des richesses
économiques. Or, cette façon de
comparer le niveau de
développement d’un pays n’est pas
absolu. Car, on peut disposer
d’énormes ressources monétaires,
des infrastructures et vivre dans la
misère, le chômage, la souffrance.
En ce sens, le développement
infrastructurel ne va de mèche avec
l’épanouissement, voire le bien des
individus dans la société. Dans ce
contexte, souligne Njoh-Mouellè,
« le nombre d’hôpitaux ne témoigne
pas nécessairement en faveur d’un
développement réel » (L9-10).
Autrement dit, le développement
réel d’un pays ne dépend pas de ses
64

réalisations techniques et
matérielles du genre de la
construction des routes, des
infrastructures. Au sortir de cette
étape explicative, voyons
maintenant quel regard critique
peut-on porter sur ce texte ?

Quelle est l’étape qui suit La critique du III. CRITIQUE DU TEXTE


la problématique et texte
l’explication détaillée des A. Critique interne
mouvements ?
La critique interne Dans ce texte démonstratif, Njoh-
Quel est le premier
moment de la critique du Mouellè pour se faire comprendre a
texte ? construit sa démarche
Texte démonstratif
Quelle est la nature de ce argumentative autour de deux idées
texte ? -la misère objective
est la marque essentielles. La première met en
Rappelez la démarche particulière du sous-
argumentative de l’auteur développement. exergue l’idée selon laquelle la
-apprécier le
développement sous misère objective est la marque
l’angle des
réalisations particulière du sous-
matérielles relève de
la superficialité. développement. Dans la seconde
Comment jugez-vous cette Il y a adéquation idée, il nous met en évidence avec
démarche par rapport à entre cette démarque
son intention ? et l’intention de raison qu’apprécier le
l’auteur.
développement sous l’angle des
réalisations matérielles relève de la
superficialité. En conséquence,
cette démarche argumentative est
en adéquation avec son intention
qui est de nous montrer que
l’incompatibilité entre les
réalisations matérielles et le
développement. Par ailleurs, le
développement matériel contribue-
t-il toujours au bien-être des
individus ?
65

Quelle est la 2e phase de La critique B. Critique externe


la critique du texte ? externe
Le développement matériel ne
Au regard de la thèse Le développement favorise pas le bien-être des
d’Ebénézer Njoh-Mouellè, matériel ne
formulez le premier axe favorise pas le
individus. Mieux, les réalisations
d’analyse. bien-être des matérielles ne peuvent déterminer
individus.
le niveau réel du développement
d’un pays, car elles ne vont pas de
paires avec la qualité de vie des
individus.
Dans quelle condition, Le développement D’abord, le développement
selon vous, cette thèse de matériel influence
Njoh-Mouellè est-elle négativement la matériel influence négativement la
recevable ou justifiable ? société et toute la
culture humaine société et toute la culture humaine
dans son évolution
dans son évolution. En effet,
l’histoire humaine nous révèle
qu’avec l’évolution des
technologies, de la science et de la
technique dans notre société, nous
assistons à la dépravation des
mœurs, des traditions, des
coutumes, des cultures. En ce sens,
les réalisations matérielles semblent
contribuer à la décadence, à la
dégradation de l’humanité.
Autrement dit, le développement
matériel ne permet à l’homme
d’évoluer que sur le plan physique
et matériel. Aveuglé par ce succès
matériel, l’homme rejette tout ce

En vous référant à
qui est de l’ordre moral ou spirituel.
l’histoire de la Tel est le constat qu’a fait le
philosophie, citez un Jean-Jacques
auteur qui partage le Rousseau philosophe français Jean Jacques
point de vue de Njoh-
Mouellè. Et, que dit-il Rousseau (1712-1778) en tant que
exactement ?
témoin de la révolution scientifique
66

et technique du XVIIIème siècle.


Dans son premier discours, le
philosophe déclare : « la
dépravation est réelle et nos âmes
se sont corrompues à mesure que
nos sciences et nos arts se sont
avancés à la perfection », (Discours
Que veut dire Rousseau à Pour Rousseau, le sur les Sciences et les arts, 1996, p.
travers cette idée ? progrès technique 45). L’évidence qui se dégage d’un
a occasionné la
chute des valeurs tel propos c’est que le progrès
morales et
spirituelles. technique a occasionné la chute des
valeurs morales et spirituelles.

Avec l’avancée fulgurante Les réalisations Ensuite, les réalisations


des armes à feu, quel matérielles matérielles ne favorisent pas le
autre argument pouvons- détruisent et
nous formuler pour dégradent notre bien-être des individus dans la
justifier notre premier axe humanité.
d’analyse ? mesure grâce à elles, l’humanité a
atteint un point critique, celui de
l’auto-destruction ou de l’auto-
anéantissement. Cela peut se
justifier par l’avancée fulgurante
des technosciences. En fait, le
sérieux problème avec la
technoscience, c’est évidemment la
mise en au point d’armes de
destruction à grande échelle. Les
réalisations matérielles ou
techniques dans leur essor ne sont
pas de nature à rassurer l’humanité
puisqu’elles peuvent conduire à
tout moment à l’intinction de
En vous référant à l’espèce humaine. Pour le célèbre
l’histoire de la
philosophie, citez un philosophe et scientifique allemand
auteur qui partage ce
point de vue. Que dit-il Albert Einstein Albert Einstein (1879-1955), « Tout
exactement ?
67

notre progrès technologique dont


on chante les louanges, le cœur
même de notre civilisation, est
comme une hache dans les mains
d’un criminel ». (Correspondance
in Œuvre posthume, Paris, Seuil,
Que veut dire Albert L’auteur veut dire
Einstein à travers cette que le 1980). Autrement dit, le
pensée ? développement
matériel est source développement matériel est source
de destruction de
valeurs et de vies de destruction de valeurs et de vies
humaines. humaines.
Dans ce premier axe d’analyse,
Élaborez un bilan partiel nous pouvons retenir de ce premier
de l’axe 1 Répondent.
axe d’analyse que les réalisations
matérielles semblent mettre en péril
l’évolution humaine. Mais, le
développement matériel n’est-il pas
facteur de bien-être ?

Le développement matériel est


En vous référant à la Répondent. facteur de bien-être. Les
question de transition,
quel est le titre de notre réalisations matérielles vont de
deuxième axe d’analyse ?
paires avec la qualité de vie des
individus.

En quel sens le Le développement


En premier lieu, le
développement, à l’instar améliore les développement améliore les
de la technique et de la conditions de vie
science est-il facteur de de l’homme. conditions de vie de l’homme et
bien-être humain ?
favorise son épanouissement, voire
son bien-être. En effet, le progrès
scientifique et technique facilite les
conditions de travail. La machine,
par exemple, réalise les travaux
difficiles et laisse ainsi de repos à
l’homme. Donc, les réalisations
68

matérielles déterminent le niveau


réel du développement, car elles
améliorent le niveau de vie des
individus. À ce propos, la
philosophe américaine Hannah
Arendt écrit que « c’est
En vous référant à Hannah Arendt
l’histoire de la l’avènement de l’autonomisation
philosophie, citez un
auteur qui partage ce qui, en quelques décennies,
point de vue.
probablement videra les usines et
libèrera l’humanité de son fardeau
le plus ancien et le plus naturel, le
fardeau du travail,
l’asservissement à la nécessité »,
(La condition de l’homme
moderne, Paris, Calmann-Lévy,
Pour la
Que veut dire Arendt à philosophe, les 1958, p. 37). Pour la philosophe, les
travers cette idée ? productions du
développement, productions du développement,
telles que
l’autonomisation, telles que l’autonomisation,
allégeront la
souffrance des
allégeront la souffrance des
individus. individus.
Deuxièmement, l’implication
Au regard de l’apparition Les réalisations
de l’internet, de matérielles ont de la technique et de la science
l’informatique, que révolutionné ou
pouvons-nous dire des bouleversé notre dans le quotidien de l’homme, a
réalisations matérielles ? perception du
monde.
significativement révolutionné les
choses. Aujourd’hui, on assiste à un
rendement qualificatif et quantitatif
en termes de productivité. Ainsi, les
machines de tout genre et de toute
sorte tels que les robots, les
tracteurs, les bulldozers, les
ordinateurs sans oublier l’internet
qui sont des produits de la
technique, ont libéré l’humanité des
69

tâches fastidieuses et laborieuses.


En vous référant à Pierre Joseph
l’histoire de la Proudhon Comme le souligne le philosophe et
philosophie, citez un
auteur qui partage ce économiste français Pierre-Joseph
point de vue.
Proudhon, « La science et la
technique, en effet, ont
profondément bouleversé et
amélioré, depuis deux siècles, les
conditions de vie des hommes dans
les pays industrialisés »,
(Philosophie du progrès, Paris,
On comprend que Éditions Adamant Média, 2002).
Que devons-nous les réalisations
comprendre à travers matérielles Mieux, les réalisations matérielles
cette assertion de ouvrent une ère
Proudhon ? nouvelle pour ouvrent une ère nouvelle pour
l’homme.
l’humanité qui n’est rien d’autres
qu’une grande promesse du
bonheur.
Quelle est la dernière La conclusion CONCLUSION
Phase de partie de cet exercice ?
conclusion Au terme de notre analyse, il
convient de retenir que d’une part
Premièrement, le
Que peut-on retenir en
guise de conclusion, de la
développement les réalisations matérielles semblent
matériel met en
discussion effectuée dans mettre en danger la vie des
danger l’existence
la critique externe ?
humaine.
individus, et d’autre part elles
Deuxièmement, il
contribuent à l’épanouissement des
est source de bien-
être humain. individus. Pour notre part, nous
Même s’ils estimons que même si les
Donnez votre point de vue
constituent un
sur la question. réalisations matérielles ruinent
danger, ils mettent
en place des
moyens l’existence humaines, force est de
permettant de
reconnaître qu’elles mettent en
mieux développer
notre société. place des moyens permettant de
mieux développer notre société.
70

TROISIÈME PARTIE :
L’APPORT DE LA CONCEPTION DE
DÉVELOPPEMENT CHEZ EBÉNÉZER NJOH-
MOUELLÈ DANS LA CONSTRUCTION DES
CITOYENS RESPONSABLES ET D’UN
DÉVELOPPEMENT DURABLE EN AFRIQUE
71

Les écrits du philosophe camerounais Ebénézer Njoh-Mouellè sont à la fois vaste et


riche. Ils peuvent servir de support d’analyse pour résoudre les problèmes de notre société
actuelle. À partir des lectures faites de l’ouvrage De la médiocrité à l’excellence, sous-titré
essai sur la signification humaine du développement, Njoh-Mouellè pose les bases d’une
conception authentique du développement. Il s’agit pour l’auteur de rompre avec la vision
dominante du « développement » qui se réduit à la croissance économique, et qui est promue
généralement par les hommes politiques et les économistes classiques. Cette vision du
développement que Njoh-Mouellè qualifie d’obsolète, a longuement influencé les sociétés
africaines et même occidentales. Elle se borne à juger le développement d’une société en
fonction des richesses dont elle dispose. Or, pour Njoh-Mouellè, mieux vaut lutter contre la
pauvreté que d’accroitre les richesses économiques. Développer un pays ne consiste pas à
accroître ses richesses matérielles, mais à créer les conditions permettant aux hommes d’être
épanouir et de prospérer.
Ce faisant, cette troisième et dernière partie de notre réflexion veut faire ressortir la
portée et les enjeux de la conception njoh-mouelléenne du développement. Il est question,
dans cette ultime partie, d’évaluer non seulement les perspectives ouvertes par notre sujet de
Mémoire de Master professionnel pour notre société, mais aussi les motivations intrinsèques
des acteurs de l’éducation nationale à mettre au programme et perpétuer l’enseignement de la
notion de développement en général et la conception njoh-mouelléenne en particulier dans le
système éducatif ivoirien. Il s’agit pour nous donc de légitimer l’enseignement de la
conception njoh-mouelléenne du développement en la posant comme nécessaire, puis relever
les enjeux d’un tel enseignement pour l’Afrique.
En conséquence, elle comporte en son sein deux chapitres. Le premier chapitre intitulé
« La conception njoh-mouelléenne du développement, une contribution à la construction des
citoyens responsables » se propose de puiser dans la pensée de Njoh-Mouellè des voies et
moyens susceptibles de contribuer à la construction de citoyens responsables, engagés et aptes
à relever les défis liés au développement de leur société. Le deuxième chapitre, quant à lui,
s’intitule comme suit : « Le développement selon Njoh-Mouellè, une contribution à la
construction d’un développement durable en Afrique ». Ici, nous exhumerons la pensée de
Njoh-Mouellè en la confrontant avec nos réalités contemporaines, notamment la question de
l’environnement. Ce chapitre se veut être une actualisation de la pensée Njoh-Mouellè du
développement. Ce faisant, nous partirons de la conception njoh-mouelléenne du
développement pour poser les bases du développement durable en Afrique.
72

CHAPITRE 1: LA CONCEPTION NJOH-MOUELLÉENNE DU


DÉVELOPPEMENT, UNE CONTRIBUTION À LA CONSTRUCTION DES
CITOYENS RESPONSABLES

A. De la construction de la responsabilité individuelle


Le point de départ de la pensée philosophique de Njoh-Mouellè est dépasser la
perspective traditionnelle du développement perçue en termes de croissance de la production
par habitant. Sa vision du développement débouche sur la promotion de l’excellence de
l’homme. Pour l’auteur, l’excellence est l’objectif principal que tout être humain doit
poursuivre ou pourvoir atteindre. Dans son Essai intitulé Discours sur la vie quotidienne,
Njoh-Mouellè souligne qu’en fixant l’excellence comme objectif à poursuivre par tout
homme, il ne traite pas en réalité d’autre chose que de cette même sagesse, envisagée comme
la qualité de l’homme essentiellement créatif, sous l’inspiration des valeurs qui accroissent
l’humanité en l’homme au lieu de la détruire92. De ce fait, l’excellence représente la qualité
essentielle de l’homme créatif ; elle apparaît comme ce qui accroît l’humanité de l’homme.
Elle fait de lui un être créateur et actif. Par opposition à l’homme médiocre qui reste inhibé
par le dogmatisme et la superstition, « l’excellence de l’homme invite donc celui-ci à quitter
la transition, le passage pour accéder à son devenir. C’est un homme résolument engagé dans
le processus de la libération »93. Une telle approche de l’homme excellent prouve bel et bien
que ce sont les valeurs de responsabilité qui transparaissent dans la conception njoh-
mouelléenne du développement. Mais, que recouvre la notion même de responsabilité ?
L’acception étymologique de responsabilité vient du mot latin ‘’respondere’’, qui
signifie littéralement répondre, être digne de, égal à ou à la hauteur de. Au-delà de son
acception étymologique, on distingue deux conceptions de la responsabilité. D’une part, on
distingue la responsabilité juridique, qui a un aspect civil et un aspect pénal, et d’autre part la
responsabilité au sens moral ou philosophique. Que recouvre ces deux conceptions de la
responsabilité ? La responsabilité civile se dit d’une personne « qui doit réparer le tort fait à
autrui »94. Quant à la responsabilité pénale, elle désigne le caractère de celui qui peut être
poursuivi et puni pour un délit ou un crime. La responsabilité juridique, dans son ensemble,
implique l’adoption d’une certaine tenue qui ne va pas sans l’observation de normes sociales
et juridiques régissant une société donnée. En ce qui concerne la responsabilité au sens moral
ou philosophique, elle renvoie au « fait de répondre totalement de ses actes, de les assumer et

92
Ebénézer Njoh-Mouellè, Discours sur la vie quotidienne, Yaoundé, Africaine d’Éditions (Afrédit), 2007, p. 15.
93
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, Op. cit., p. 136.
94
Jacqueline Russ, Dictionnaire de philosophie, Paris, Flammarion, 2004, p. 250.
73

de s’en reconnaître l’auteur »95. La responsabilité exige de pouvoir et devoir répondre de nos
actions, de nos actes, de nos choix. En ce sens, elle implique l’idée de devoir, d’engagement
personnel en toute connaissance de cause, de choix conscient et justifié rationnellement. Être
responsable, « c’est donc assumer le pouvoir qui est le sien, jusque dans ses échecs, et
accepter d’en supporter les conséquences »96. Cependant, dans le cadre de l’analyse de cette
sous-section, nous mettrons l’accent sur la responsabilité au sens moral ou philosophique.
Le rationalisme classique définit l’Homme comme un être entièrement doué de raison
ou de conscience. La raison ou conscience permet à l’homme de se libérer de la tutelle de la
nature pour se prendre totalement en charge comme Sujet pensant. De la sorte, la subjectivité
consiste à concevoir sa propre rationalité en faisant de la raison son principe d’action. Par la
conscience, l’Homme est en tout temps et toute circonstance maître de lui-même, libre et
responsables de ses actes. Tout homme responsable est en quelque sorte un être raisonnable,
conscient et libre. En ce sens, la responsabilité a un fondement rationnel et a un rapport avec
la liberté. Ce qui semble donc fonder la responsabilité c’est la liberté et la raison, qui
représentent « le siège et l’origine de toutes les valeurs humaines et sociales »97. Amartya
Sen, fondateur de la théorie des capabilités, écrit en ce sens que la responsabilité dépend de la
jouissance d’un certain nombre de libertés ; et elle exige la liberté98. Si la responsabilité exige
la liberté, c’est dire que la responsabilité sans la liberté est une véritable contradiction. Il n’y a
donc point de de responsabilité sans liberté.
Dans cette logique, Njoh-Mouellè soutient que l’homme ne devient réellement homme
que par sa capacité à user de façon raisonnable sa pensée et à agir en toute liberté et
responsabilité. Ce faisant, l’homme ne sort de sa minorité ou bassesse qu’en décidant par lui-
même, en imprimant à sa vie la marque de la raison par une conduite irréprochable, c’est-à-
dire responsable. Dans son ouvrage De la médiocrité à l’excellence, dont le sous-titre indique
clairement l’enjeu : essai sur la signification humaine du développement, l’auteur part d’un
constat : le développement perçu exclusivement en termes de croissance économique ne va
pas nécessairement de pair avec le développement chez l’homme lui-même du point de vue de
la responsabilité. Cela est dû au fait que le développement par exemple de l’infrastructure
routière ne témoigne pas forcement d’un développement certain. De même, les réalisations
matérielles n’ont souvent pas de rapport avec les problèmes que rencontrent les individus

95
Ibidem.
96
André Comte-Sponville, Dictionnaire Philosophique, Op. cit., p. 800.
97
Kouadio Franck, Des enjeux didactiques de la notion de désaliéner en classe de terminale à la lumière de la
pensée de Cheikh Anta Diop, Mémoire de master professionnel en philosophie, École Normale Supérieure
d’Abidjan, 2019, p. 59.
98
Amartya Sen, Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté, Op. cit., p. 371.
74

dans la société. Il est certes vrai que le développement ne peut résoudre définitivement les
difficultés rencontrées par les hommes, mais le concevoir en dehors de l’homme est une grave
erreur. Donc, pour Njoh-Mouellè, le type d’homme que le développement devrait promouvoir
est l’homme excellent, voire responsable et créatif. Il estime en ce sens que la responsabilité
est une de ces valeurs qui déterminent le statut de l’homme excellent. Car, affirme-t-il,
« l’homme de l’excellence ne se départit à aucun moment de sa responsabilité sans se
renoncer, sans se nier. L’excellence implique donc pour l’homme le devoir de
responsabilité »99. Aussi, l’excellence exige à ce que nous agissons en rendant compte des
actions qu’on pose. Un homme, pour exceller, se doit l’obligation de ne point renoncer à sa
responsabilité. Ne point renoncer à sa responsabilité amène l’homme à prendre son destin en
main. Sur ce point, Njoh-Mouellè fait une précision en affirmant ce qui suit :
Être responsable, c’est avoir à tout moment en esprit qu’on est celui-là qui doit rendre
compte des actes qu’on pose. C’est ne pas agir, avec l’arrière-pensée de se cacher
derrière quelqu’un d’autre. Si un camarade vous fait une proposition de promenade dans
un lieu présentant des risques et que vous acceptez en parfaite connaissance des risques
encourus, vous ne pouvez pas vous décharger de votre responsabilité au cas où il se
produit un incident dommageable pour vous-même. Derrière l’idée de responsabilité il y
a celle de liberté. Au plan philosophique, l’homme est dit responsable parce qu’il est
crédité d’une aptitude à la liberté100.

Si derrière l’idée de responsabilité il y a celle de liberté, cela supposerait que le fait qu’on soit
responsable des actes que nous posons est, en réalité, un critère essentiel pour construire notre
développement. Le développement d’un pays engage la responsabilité de tout un chacun. Il ne
s’agit pas de nous départir de nos propres responsabilités en les confiant à d’autres individus.
En mettant donc l’homme au centre du développement, Njoh-Mouellè nous exhorte à
l’initiative, à l’autonomie et à la responsabilité. Car, pour lui, l’irresponsabilité n’est
fondamentalement pas une prédisposition à la liberté humaine, voire à la conscience humaine.
En lisant les écrits d’Ebénézer Njoh-Mouellè, l’on s’aperçoit qu’il revient aux hommes
de prendre en charge le changement et le développement de la société dans laquelle ils vivent.
Les hommes ne doivent pas sombrer dans un nihilisme passif, au sens nietzschéen du terme.
Ils ne doivent pas nier et déprécier leur existence. Ils ne doivent point s’abandonner aux
forces occultes, au destin, aux dieux. Il ne doit pas penser que ce sont les forces occultes ou
dieux qui doivent présider son avenir. Car, en s’abandonnant aux forces occultes, au destin,
aux dieux, l’individu se dépouille de son pouvoir de créateur. Pour Njoh-Mouellè, tout

99
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, Op. cit., p. 139.
100
http://www.njohmouelle.org/Accueil.php?ok=7&bck=y&m=7&s=701&act=&numeroPages=89&Ncur=870&i
=840.
75

individu méconnaissant l’étendue de son pouvoir de créateur est un individu superstitieux. Or,
un individu superstitieux, par exemple, ne fait pas preuve de responsabilité et de liberté. Telle
est l’idée défendue par Njoh-Mouellè, lorsqu’il écrit que « l’homme superstitieux ne sent
responsable de rien de ce qui lui arrive. C’est toujours le sort, ce sont les dieux, les ancêtres,
c’est le voisin. Le responsable de l’événement heureux c’est la divinité ou, à la rigueur le bon
ancêtre ; l’événement malheureux, est le fait d’une volonté perverse »101. Cette façon de
percevoir les choses remet en question le sens même de la responsabilité individuelle et
collective. Et le philosophe ivoirien Boa Thiémélé dénonce un tel état de fait dans son
ouvrage La sorcellerie n'existe pas. Dans cet ouvrage, celui-ci nous invite à faire preuve de
rationalité et d’esprit critique face aux évènements, incidents qui se présentent à nous. Il nous
invite à ne pas croire aux esprits et à la superstition, car dit-il « la croyance aux esprits et à la
superstition contribue à rendre les individus et l’État moins responsables. (…) Chacun se
cache derrière des forces irrationnelles pour ne pas faire son travail de citoyen »102. Tout
individu doit donc agir de façon responsable en prenant l’initiative de se libérer indéfiniment
de tout ce qui pourrait constituer un obstacle à son existence. L’individu doit se défaire en
quelque sorte de toutes formes d’aliénations telles que la médiocrité, la superstition,
l’irrationalisme, le suivisme moutonnier. Et la responsabilité doit permettre à chaque individu
de prendre entièrement en charge sa vie, au mépris de toute forme de domination.
Sur ce point, Njoh-Mouellè soutient qu’il est de la responsabilité des individus de se
libérer eux-mêmes des formes d’aliénations. Comme il l’affirme en ce sens, « si le véritable
développement consiste à faire des hommes libres et capables de le demeurer, (…) il apparaît
évident que se libérer de son caractère coléreux, de son tempérament apathique ou de sa
tendance à l’alcoolisme sollicite au premier chef la volonté de l’homme individuelle lui-
même »103. La libération de l’homme ne dépend donc pas d’une essence qui lui serait
extérieur, mais plutôt de l’individu lui-même. À ce propos, il a été reproché à Njoh-Mouellè
de vouloir promouvoir l’individualisme et non de prôner une certaine solidarité
communautaire. Or, c’est dans l’intention d’amener chaque individu à être maitre de son
destin, de son avenir, de son histoire et à être l’acteur clé du développement de sa société. Il le
dit clairement : « l’important c’est, non pas notre enchaînement mais notre participation à
l’événement et par conséquent la compréhension du sens de notre destin »104. Notre

101
Ebénézer Njoh-Mouellè, Op. cit., p. 21.
102
Ramsès L. BOA-Thiémélé, La sorcellerie n’existe pas, Abidjan, Cerap, 2010, pp. 126-127.
103
Ebénézer Njoh-Mouellè, L’Aspiration à être, Op. cit., 29.
104
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du
développement, p. cit., p. 7.
76

participation à notre destin se révèle donc importante aux yeux de Njoh-Mouellè. Le destin
des hommes dépend d’eux-mêmes et non d’une quelconque entité supérieure.
C’est justement le sens de l’appel lancé par l’existentialisme athée défendu par le
philosophe français Jean Paul Sartre (1905-1980). Pour mener à bien sa théorie de l’existence
humaine, Sartre part du principe selon lequel l’existence précède l’essence. Cette vision de
l’existence humaine élaborée par le père fondateur de l’existentialisme athée, consiste à
rejeter l’idée de toute transcendance qui se situerait en dehors de l’action libre de l’homme.
Ce qui est premier, pour ce philosophe, c’est l’existence et non l’essence, puisqu’exister, dit-
il, consiste à se tenir hors de soi, à s’extérioriser dans le monde en se construisant librement.
En effet, Sartre nous fait savoir que l’homme est un être qui, dès sa naissance ou sa venue au
monde, est abandonné, voire délaissé. N’ayant pas été déterminé par quoi que ce soit,
l’homme est condamné à être libre, à se faire, à se créer et à se choisir au gré des situations
qui lui imposent la vie quotidienne. Et, parce qu’il est un être condamné à la liberté, l’homme
n’est pas défini à partir d’une essence qui lui serait extérieur. L’homme existe tout d’abord et
construit ensuite son essence. Il existe dans un monde où il est amené à bâtir son avenir, son
histoire, à imprimer sa marque et à se construire librement. C’est pourquoi, à la question qui
est de savoir ‘‘qu’est-ce que signifie l’existence précède l’essence ?’’, Sartre répond que
« cela signifie que l’homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu’il se
définit après »105. Et par la suite, précise-t-il,
mais si vraiment l’existence précède l’essence, l’homme est responsable de ce qu’il est.
Ainsi la première démarche de l’existentialisme est de mettre tout homme en possession
de ce qu’il est et de faire reposer sur lui la responsabilité de son existence106.

Dans la perspective sartrienne de l’existence, l’homme est ramené entièrement à ses actes
dont il est totalement responsable. De cette manière, c’est l’homme lui-même qui donne sens
et orientation à son existence en tant qu’être de liberté. Avec Sartre, l’homme devient son
propre créateur, le créateur de son essence et de ses valeurs. L’homme est un être de volonté,
de besoin et de détermination. Ainsi, il se doit d’être responsable de son existence. Cette
responsabilité lui incombe de penser le développement de sa société. On ne peut donc penser
le développement d’une nation en dehors des hommes qui la constituent. De la sorte, le
développement réel et authentique d’une société dépend de la responsabilité des individus
ainsi que de leur capacité à s’approprier des valeurs sociales telles que la justice sociale, la
démocratie, la tolérance, le pardon, la paix, l’amour du prochain. Pour que le développement

105
Jean Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, Paris, Gallimard, Folio essais, 1996, p. 30.
106
Idem, p. 31.
77

d’une société donnée devienne effectif, il faut que ses hommes soient libres, donc
responsables. La responsabilité peut s’entendre comme l’aptitude qu’a l’individu de prendre
son avenir en main, de se dépasser, de se surpasser et de se libérer « de la léthargie
esclavageante de toutes les formes d’obscurantisme »107. Tout individu doit impérativement
recouvrer sa liberté, donc sa responsabilité en se défaisant de toute forme d’aliénation.
Cependant, la responsabilité individuelle dont fait mention Njoh-Mouellè est une forme
de responsabilité ouverte aux autres. Chez l’auteur De la médiocrité à l’excellence, l’acte
individuel porte non seulement le sceau de la subjectivité, mais aussi a une portée universelle.
La définition de la responsabilité individuelle passe nécessairement par sa mise en relation
avec la responsabilité collective. Njoh-Mouellè affirme à ce propos :
Toute responsabilité qui se limiterait à l’individu enfermerait l’homme dans les cercles
étroits de l’égoïsme et des diverses autres clôtures que la liberté devrait ébranler. On
retomberait alors dans la situation de l’homme vivant dans la société close et dans
l’âme, individuelle et sociale à la fois, tournerait comme dans un cercle. Le fait est que
toute attitude égoïste et particulariste contredit l’excellence de l’homme. La
responsabilité de l’homme supérieur ne peut donc être qu’une responsabilité étendue à
l’humanité objective. Le vouloir de l’homme excellent ne se subordonne pas à des fins
partisantes ; il veut la volonté générale108.

Dans son rapport à la responsabilité collective, la responsabilité individuelle se pose comme


une responsabilité sociétale ; elle est fonction du groupe auquel appartient l’individu. Tel est
donc le sens de la responsabilité individuelle que préconise Njoh-Mouellè. Toutes partisantes
égoïste et particularistes tendent à remettre en cause la responsabilité de l’homme supérieur
ou excellent. À dire vrai, l’homme excellent se caractérise par des valeurs d’universalité, car il
n’agit pas seulement en vue de son propre intérêt. Il veut la volonté générale, voire le bien-
être de tous. Mieux, l’homme excellent milite en faveur de son bien-être et celui de sa société,
sa communauté. De ce fait, le véritable sens de la responsabilité consiste à amener l’individu
à prendre en compte le sort des autres. Il en va de notre identité d’être humain et responsable
de nous sentir concernés par les difficultés que traversent les autres. Pour Njoh-Mouellè, l’une
des exigences de l’homme excellent est sa responsabilité vis-à-vis de tous les humains. De
cette manière, la responsabilité est la valeur par laquelle le sujet s’engage à agir par devoir en
vue de son épanouissement individuel et de celui de sa communauté, en renonçant par là-
même à la violence et à l’égoïsme de ses penchants naturels. Sur ce point, l’auteur est sans
détour quand il soutient :

107
Ebénézer Njoh-Mouellè, Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification
humaine du développement, Op. cit., p. 102.
108
Idem, pp. 139-140.
78

L’homme excellent, en tant qu’il prend des initiatives novatrices, engage le sort de ses
semblables. Il ne saurait lui être interdit de vouloir son propre bien ; mais alors, il doit
agir de telle sorte que vouloir son propre bien ne contredise pas le bien des autres ; en
d’autres termes vouloir son propre salut et vouloir le salut de ses semblables doivent
être une et même chose. Il n’est responsable que parce qu’il est apte à la liberté ; et si sa
recherche de la liberté devait nuire à la libération des autres, il ferait échec par là-même
à sa propre libération et se dénoncerait comme indigne de la responsabilité de l’humain.
L’homme créateur que nous cherchons est donc un homme sur qui pèse une fort lourde
responsabilité. Il doit accepter de créer des valeurs pratiques qui puissent se donner
comme modèles109.

La véritable responsabilité incline au respect de l’altérité, au respect de soi, au respect


de nos engagements vis-à-vis du groupe. Pareille responsabilité nous amène à susciter les
conditions favorables à la libération de soi et même de nos prochains. Njoh-Mouellè, en
écrivant que ‘‘ toute responsabilité qui se limiterait à l’individu enfermerait l’homme dans les
cercles étroits de l’égoïsme ’’, veut rompre avec cette vision erronée de la responsabilité
fondée sur la recherche effrénée et frénétique du profit. Cette vision traditionnelle de la
responsabilité part du principe que l’homme responsable est celui qui en amont ses seuls
intérêts, son égoïsme au détriment de son engagement vis-à-vis de sa société, ce qui peut
freiner le développement. Or, de cette vison fausse du concept de responsabilité, résultent les
tares qui mettent en péril l’évolution de nos sociétés que sont la corruption, l’incivisme, la
dépravation, le culte de l’incompétence, l’improductivité, la frustration des méritants, la
rébellion, la pauvreté, le sous-développement, et l’enlisement dans l’aliénation. En
conséquence, Njoh-Mouellè nous invite à nous éloigner du faux sens de la responsabilité et à
adopter fermement une approche intellectuelle de la responsabilité qui, par ricochet, exige de
respecter notre engagement envers nous-mêmes ainsi qu’envers ceux qui nous entourent.
Finalement, ce qui importe, c’est notre part de responsabilité dans la construction du
développement de notre société. En tant qu’intellectuel, nous devons être conscients de la
responsabilité qui nous incombe dans la marche de notre société vers l’évolution. Chacun doit
y jouer sa partition en demeurant libre et responsable. C’est pourquoi, Njoh-Mouellè soutient
que les africains en quête de développement doivent d’abord se reconnaître comme libres et
responsables. Sans cela, ils se constitueraient en obstacle majeur à leur propre développement.
Mais, pour ne pas qu’ils constituent un obstacle majeur à leur propre développement, ne
faudrait-il pas dès l’abord éduquer, voire former les individus ? L’éducation ou la formation
des jeunes n’apparaît-elle pas comme le moteur de tout développement ?

109
Idem, p. 141.
79

B. De l’éducation comme instrument de formation des individus


Dans une société où la plupart des hommes demeurent dans l’ignorance et la
superstition, et par conséquent manquent de connaissance, d’esprit critique, innovation et de
créativité, le désir de développement peut se transformer en utopie. L’utopie peut être
comprise ici comme quelque chose d’irréalisable ; une vue de l’esprit, un leurre. Chez Njoh-
Mouellè, le sous-développement ne se réduit pas au manque de nourriture ou à l’absence des
biens matériels, mais au manque de connaissance et de liberté, à la pauvreté objective. La
pauvreté objective étant entendue comme le fait qu’on considère l’homme comme moyen et
non comme fin du développement économique et social. Le manque de connaissance, d’esprit
critique, d’innovation peut se révéler comme un obstacle majeur à l’évolution des sociétés.
Dans ces conditions, ne faudrait-il pas éduquer ou former les individus, condition privilégiée
du véritable développement ? Mieux, la formation de l’individu n’apparaît-elle pas comme le
moyen adéquat pour faire de celui un agent central du développement ?
Njoh-Mouellè nous aide à penser l’éducation des individus comme principal moteur
du développement. Issue du latin educatio, lui-même dérivé de ex-ducere signifiant action de
guider, de conduire hors…, l’éducation est un moyen d’apprentissage et d’instruction qui vise
à développer les facultés physique, psychique et intellectuelle des individus. Sa finalité est de
former les individus, ou du moins de permettre aux individus d’acquérir un certain nombre
d’habilités et de compétences, susceptibles de faire d’eux des citoyens libres, responsables et
capables de transformer la société dans laquelle ils évoluent. Conçue dans ce sens, l’éducation
est un moyen de formation des individus.
Dans le concept de formation, il est question de créer en conférant l’être et la forme. Il
s’agit notamment de façonner, en donnant un statut. Par le canal de la formation,
l’éducation vise donc à introduire dans un sujet une certaine forme voulue, par la
transmission de savoirs, de techniques et d’aptitudes spécifiques. L’éducation, par le
biais de la formation, est porteuse de ferments d’émancipation. Elle constitue un moyen
de capacitation des individus. Par l’éducation, les individus acquièrent des armes pour
analyser avec lucidité leur situation de dominés et la combattre110.
À travers l’éducation, l’homme se forme et acquiert des savoirs nécessaires pouvant lui
permettre d’agir en toute responsabilité, de s’émanciper, de se libérer des situations qui
tendent à l’aliéner. C‘est dire que l’éducation prépare l’individu à l’effort, au travail et à
mener une vie conformément, pour employer un terme cartésien, au bon sens.
En ce sens, Kant parle de l’éducation comme la pierre angulaire de l’humanisation,
voire de la socialisation de l’homme. Cette humanisation et socialisation de l’homme

110
Kouadio Franck, Sujet et liberté à partir de la philosophie d’Emmanuel Kant, Thèse de Doctorat unique en
philosophie, Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, 2021, p. 243.
80

débouche sur l’acquisition de nouvelles normes reconnues universellement et acceptées par la


société. Pour lui, l’enfant qui vient de naître n’est pas encore un humain à proprement parler ;
c’est par l’éducation qu’il acquiert son humanité. Tel est ce qui ressort de cette affirmation de
Kant : « L’homme ne peut devenir homme que par l’éducation. Il n’est que ce que l’éducation
fait de lui »111. Cela sous-entend que l’éducation arrache l’homme de son animalité et fait de
lui un humain en lui inculquant les valeurs de la société. De cette manière, éduquer « c’est
transformer un petit d’homme (…) en être humain civilisé. Cela suppose qu’on lui transmette,
dans la mesure du possible, ce que l’humanité a fait de meilleur ou de plus utile, ou qu’elle
juge être tel »112. L’éducation est donc un instrument de transformation, de changement des
individus. Elle joue un rôle primordial dans la construction de l’humanité. Telle est la raison
pour laquelle Njoh-Mouellè, dans sa redéfinition des critères de développement, souligne
l’importance du rôle qui incombe à l’éducation dans la promotion de l’excellence humaine.
Pour Njoh-Mouellè, tout homme peut accéder à l’excellence, et que celle-ci n’appartient
pas à une catégorie de personnes. L’excellence n’est pas une donnée naturelle, mais plutôt une
acquisition. Elle ne s’acquiert qu’au bout de l’effort et historiquement dans l’action. Cela
révèle que l’excellence n’est pas un état qui peut être atteint de manière définitive. On ne naît
pas excellent, on le devient. L’excellence est donc une conquête, et elle doit se conquérir tous
les jours. En défendant l’idée selon laquelle le développement économique et social doit
nécessairement contribuer à l’amélioration de l’homme, c’est-à-dire en le menant de la
médiocrité à l’excellence, Njoh-Mouellè pose une question qui nous semble légitime :
« Maintenant comment faire pour généraliser l’excellence, la rendre moins
aristocratique ? »113. Il répond à cette question fondamentale en écrivant ceci :
Étant donné ce que nous avons déjà indiqué comme caractéristiques de l’homme
excellent, il s’agirait pour les éducateurs de concevoir l’éducation de la jeunesse
africaine d’aujourd’hui dans le sens indiqué ; c’est-à-dire s’attacher à développer chez
les jeunes le sens critique, le sens des responsabilités, le goût de la création esthétique et
l’amour de la liberté114.
Selon Njoh-Mouellè, il appartient aux éducateurs de concevoir une éducation qui puisse
essentiellement contribuer à la formation des individus dans la société par le développement
de l’esprit critique, du sens des responsabilités, du goût de la création esthétique et de l’amour
de la liberté. La formation qui s’opère grâce à l’éducation signifie donc que l’homme devient,
par ce fait, un être créateur, capable de s’affirmer à travers ses œuvres, et penser son avenir.

111
Emmanuel Kant, Traité de pédagogie, trad. de Jules Barni, Paris, Félix Alcan Éditeur, 1886, pp. 42-43.
112
André Comte-Sponville, Dictionnaire Philosophique, Op. cit., p. 301.
113
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du développement
Op. cit., pp. 145-146.
114
Idem, p. 146.
81

Conscient du fait que nos sociétés sont en crise, l’historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo
(1922-2006) lance un appel en faveur de l’éducation pour tous. Cet appel est une invitation à
reformer nos systèmes éducatifs de sorte qu’ils puissent être offerts à tous, c’est-à-dire aux
enfants, jeunes et adultes, femmes et hommes, paysans, etc. Dans son ouvrage Éduquer ou
Périr, Ki-Zerbo soutient que l’éducation de tous est une affaire importante pour la simple
raison qu’une société sans une éducation est une société suicidaire. Dans cette perspective, il
écrit que « l’éducation, c’est le logiciel de l’ordinateur central qui programme l’avenir des
sociétés »115. Cela sous-entend que l’avenir des sociétés dépend de l’éducation. Tout individu
a donc droit à l’éducation. On ne peut édifier une société d’excellence, d’initiative, de création
et de développement si l’on n’accorde pas d’intérêt à l’éducation. L’éducation pour tous dont
parle Joseph Ki-Zerbo apparaît comme un puissant facteur susceptible de former un citoyen
ayant le goût de l’effort et du travail, de la curiosité, de la responsabilité, de la considération
et du respect des valeurs sociales et humaines. C’est pourquoi, l’auteur défend une conception
de l’éducation au sens plus large du terme, intégrant une dimension à la fois éthique et
culturelle. Dans la préface dudit ouvrage, il met en évidence cette conception de l’éducation :
Une réflexion sur l’éducation apparaît donc comme primordiale. Elle doit être située
dans une perspective positive qui prenne en compte toutes les dimensions des
aspirations de l’homme considéré en tant que finalité et agent central du développement.
Les buts de l’éducation ne doivent pas être définis uniquement à partir des exigences
d’ordre économique : ils doivent aussi prendre en compte les valeurs culturelles et les
aspirations spirituelles des individus, des communautés et, par-delà, de l’humanité. La
dimension éthique et culturelle de l’éducation doit accompagner sinon orienter celles
qui se rapportent à la qualité de la vie et de l’environnement, mais les valeurs doivent
être assumées librement et dans la conscience d’une solidarité nécessaire aujourd’hui
comme demain116.
Ce qui implique que l’éducation doit être au service du peuple, c’est-à-dire adaptée aux
besoins vitaux, alimentaires et fondamentaux des individus. L’éducation doit être
indissociable de la situation concrète et réelle des individus. Il ne s’agit donc pas de réduire
l’éducation à sa seule forme d’instruction, d’enseignement ou de relation maitre-élève.
Cette conception de l’éducation transparaît également dans la pensée philosophique de
Njoh-Mouellè. Chez lui, pour promouvoir la liberté dans l’excellence, il faut nécessairement
une éducation qui met l’homme au centre de toute chose et crée des conditions favorables à
son épanouissement, son bien-être. Ainsi, l’éducation ne saurait se réduire à l’accumulation
des savoirs, des compétences dans tel ou tel domaine d’activité. Mieux, l’éducation n’est pas
essentiellement apprentissage. C’est ce que l’auteur défend en ces termes suivants :

115
Joseph Ki-Zerbo, Éduquer ou Périr, Paris, L’Harmattan, 1990, p. 16.
116
Idem, pp. 11-12.
82

L’éducation dont nous parlons n’est pas à comprendre sous l’unique forme de
l’instruction ni dans la situation éducationnelle traditionnelle de maître-élève. C’est une
éducation plus large, comportant une grande zone diffuse favorable dans laquelle baigne
l’homme. Bien éduquer ici consistera donc d’abord à proposer au père de l’homme un
milieu stimulant qui le conditionne dans le sens voulu et qui est celui de la promotion de
la liberté dans l’excellence117.
Cette conception de l’éducation est susceptible de favoriser le développement des individus
pour eux-mêmes sans qu’ils ne soient esclaves des autres. Au sens le plus large, l’éducation
prépare l’individu à vouloir sa liberté et à résister aux forces extérieures qui tendent à le
déshumaniser, à le dominer. Une telle conception de l’éducation participe du développement
de l’esprit critique et de l’esprit d’analyse, qui apparaissent comme une disposition essentielle
à toute œuvre de libération et d’autonomie. Sous l’impulsion de l’éducation, l’esprit critique
et l’esprit d’analyse permettent à l’individu de reconsidérer son rapport au monde, à lui-
même, ainsi qu’à ses semblables et à la société dans son ensemble. L’éducation favorise la
conscience émancipatrice en développant un esprit critique et combatif chez l’homme aliéné,
superstitieux. L’éducation au sens large apparaît, pour ainsi dire, comme le levier pour
transformer les mentalités des hommes. L’éducation est donc la voie par laquelle la libération
et la prise de conscience des individus deviennent possibles. C’est pourquoi, dans sa
conception de l’éducation, Njoh-Mouellè nous invite à accorder un intérêt aux sciences, à la
philosophie comme discipline de la réflexion, à l’esthétique perçue non pas du point de vue de
la théorie de l’art, mais plutôt de la création proprement dite.
La philosophie en tant que discipline de réflexion aide, par exemple, l’individu à
penser par lui-même, et à disposer des armes nécessaires pouvant lui permettre de se réveiller
de son sommeil dogmatique et de son conformisme avilissant. Loin des critiques acerbes dont
elle fait l’objet, la philosophie pousse l’individu à agir raisonnablement, à éviter toute
démesure, à accueillir avec sérénité les épreuves de la vie. Elle se reconnait par sa démarche
essentiellement critique, interrogative et questionnante. Dans son ouvrage Métaphysique, le
philosophe grec Aristote (384-322av. J. C-) écrit que « c’est, en effet, l’étonnement qui
poussa, comme aujourd’hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques »118.
L’étonnement est définitif ici non pas comme un fait émotif, mais comme la capacité humaine
à questionner, à interroger une réalité non familière. Pour Aristote, la philosophie ne prend
son origine que dans l’étonnement, principe de la curiosité scientifique. C’est sur le
fondement de l’étonnement que les questions philosophiques s’engendrent et se poursuivent

117
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, Op. cit., p. 146.
118
Aristote, Métaphysique, trad. de J. Tricot, Paris, Éditions Les Échos du Maquis, 1953, pp. 46-47.
83

au fil des générations humaines. Le questionnement constitue le moteur de l’activité


philosophique. Ainsi, le philosophe est celui qui questionne tout ce qui l’entoure et les
préjugés en les présentant comme de fausses opinions dont il faut se méfier.
L’enjeu de l’éducation, en accordant un intérêt à la philosophie et autres disciplines,
est de bâtir une société non seulement de savoir, mais aussi de justice et d’égalité. Chez Njoh-
Mouellè, l’éducation de la masse est la condition nécessaire pour rompre avec le déséquilibre
qui règne entre le plus grand nombre et l’élite. Elle est un moyen adéquat pour lutter contre
l’hégémonie, la domination et l’exploitation. Ainsi qu’il souligne, par le truchement de
l’éducation, « il est possible de rehausser le niveau de culture de la masse et de renverser
l’équilibre entre la masse et l’élite en créant une situation dans laquelle le plus grand nombre
devient l’élite et le plus petit nombre seulement le coke, le déchet »119. Car dit-il, « une chose
nous paraît certaine, on ne peut pas éviter le déchet. Par contre on peut réduire son
importance quantitativement »120. En effet, notre société d’aujourd’hui est marquée par une
multitude d’injustices telles que l’exploitation du système capitaliste, la marginalisation,
l’impérialisme culturel, la violation des droits humains et de la dignité de la personne,
l’inégalité du genre. De la sorte, les injustices et inégalités entre les hommes se multiplient,
notamment au niveau social, économique et même politique, à telle enseigne qu’elles
semblent se poser comme l’une des normes caractérisant notre société. Or, là où il y a des
injustices, des inégalités, il y a également perte du respect de l’homme, de sa dignité et de sa
liberté. En conséquence, en réhaussant le niveau de culture de la masse par le truchement de
l’éducation, il est possible d’aboutir à une société dans laquelle le plus grand nombre devient
l’élite. L’accès à l’éducation de la masse permet de lutter contre les inégalités de chances.
Mais, comment l’éducation de la masse peut-elle être possible ?
Pour que l’éducation des masses devient possible, il faut que l’éducation soit de bonne
qualité. En fait, une éducation qui se proposerait de fabriquer des individus dédoublés,
stéréotypés, dépersonnalisés, ignorants leur propre histoire, est une fausse éducation. C’est
une éducation inadaptée aux besoins réels des individus. Pour Njoh-Mouellè, la véritable
éducation est celle qui permet non seulement l’épanouissement total humain dans et par la
création, mais aussi résous les problèmes qui se posent aux hommes, perçus comme des êtres
naturellement destinés à vivre en société. L’homme, étant un être destiné à vivre en société
selon Aristote, a besoin d’une éducation authentique qui puisse lui permettre de développer
ses facultés morale et intellectuelle. Par le canal de l’éducation, l’homme se forme, se

119
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, Op. Cit., pp. 146.
120
Idem, pp. 146-147.
84

transforme et forge sa personnalité. La fonction de l’éducation est de préparer les individus à


l’action, et à leur insertion sociale et professionnelle. Et, c’est dans cette logique que doit
s’inscrire la philosophie africaine de l’éducation selon ces propos de Njoh-Mouellè :
Le but de l’éducation doit être de préparer la masse des femmes et des hommes à leur
vie de producteurs et de citoyens actifs. En participant à l’action commune, aux efforts
collectifs tant dans le domaine de la production économique que dans celui de la
production artistique et spirituelle, l’homme africain doit participer à sa propre histoire.
La philosophie africaine de l’éducation devra donc tendre à définir un système qui
forme des hommes fortement insérés dans leur société et conscients de la direction
générale vers laquelle marche le progrès, non seulement de l’Afrique, mais de
l’ensemble des sociétés humaines121.
La philosophie africaine de l’éducation est une philosophie qui donne à la notion d’éducation
un sens enrichi, un sens plus large. Pareille philosophie de l’éducation suggère de rompre
avec l’éducation de l’époque coloniale qui, le plus souvent, n’est pas en adéquation avec les
réalités africaines. En effet, la plupart des hommes formés à l’école coloniale n’accordent peu
d’intérêt à l’égard des travaux manuels et des carrières techniques. De même, ils oscillent
entre modernité et tradition. Dans l’entendement de l’Africain de l’ancienne école, le
développement suppose l’acceptation de la modernité et le renoncement à la tradition. Car, la
modernité fait référence à ce qui est présent, actuel par opposition à la tradition qui relève de
ce qui est ancien, dépassée, démodée.
Or, l’opposition entre modernité et tradition n’est pas une opposition purement radicale.
Toute modernité doit pouvoir accepter des traditions nouvelles sur lesquelles elle doit
s’adosser, et vice versa. Le traditionalisme doit être ouvert aux traditions nouvelles. Malgré
l’éducation dont il a bénéficié à l’école coloniale, l’Africain est coupé de sa propre réalité et
est plongé dans la mémorisation du maximum possible de connaissances. Comme l’indique
Njoh-Mouellè, l’homme africain formé à cette école est « un homme à qui il manque une
unité culturelle. Il s’est mis à osciller entre le point de vue de l’individualité et celui de la
communauté, avec une nette tendance à basculer plutôt du côté de l’individualité »122. Et pour
cause : « à son éducation, il a manqué une formation sociale capable de lui inculquer le sens
de sa responsabilité au sein d’une société démocratique et moderne à construire »123. Si
malgré l’éducation, l’enseignement, l’Africain manque d’une formation sociale, voire
professionnelle, l’urgence est de repenser notre système éducatif. À en croire au philosophe
ivoirien Boa Thiémélé, « notre malheur, en Afrique, vient d’un système éducatif sans prise sur

121
Ebénézer Njoh-Mouellè, Jalons, Recherche d’une mentalité neuve, Op. Cit., pp. 61-62.
122
Idem, p. 61.
123
Ibidem.
85

la vie quotidienne »124. Pourtant, pour parvenir à un véritable développement, notre système
éducatif doit être en adéquation avec nos réalités.
Notre système éducatif doit être tourné vers l’avenir et non vers le passé. Il doit former
des hommes capables de créer et non des réservoirs de connaissances théoriques. Aujourd’hui,
l’on limite l’école à l’obtention des diplômes et l’acquisition des savoirs élaborés. Or, La
valeur d’un système éducatif réside de sa capacité à faire de l’individu un être responsable, un
être travailleur, agissant en vue de l’intérêt général. Par ailleurs, notre système éducatif se doit
l’obligation de rendre illusoire l’opposition individu-société, tradition-modernisme. Njoh-
Mouellè écrit en ce sens :
La philosophie africaine de l’éducation doit donc être tournée vers l’avenir et éviter de
poser les faux problèmes de l’opposition individu-société, tradition-modernisme. La
bonne qualité de l’éducation est celle où les besoins de l’individu et ceux de la société
trouvent leur satisfaction. Enfin, pour qu’une éducation au service du développement
soit dite de bonne qualité, il faut qu’elle se situe dans le sens général du progrès et
diffuse une culture générale étendue et profonde qui rapproche de plus en plus l’homme
de sa réalisation totale125.
Perçue en ce sens, la philosophie africaine de l’éducation est cette philosophie susceptible de
définir le type d’homme dont l’Afrique a besoin pour son développement. Celle-ci propose
une redéfinition de la notion d’éducation pour qu’elle s’oriente vers les réalités propres aux
sociétés. Elle vise à inculquer des valeurs aux individus en vue de les amener à croire en eux-
mêmes, à être des êtres qui se projettent avec succès dans le futur. Ainsi, l’homme dont
l’Afrique a besoin pour son développement est l’homme cultivé, éduqué, qui croit à ses
capacités de réflexion. Ce qui implique son abandon à la passivité, à la paresse, à l’ignorance,
à la superstition. À dire vrai, il faut repenser notre système éducatif afin de parvenir au
véritable développement. Un pays qui rêve du développement, doit nécessairement miser sur
l’éducation, notamment une éducation de qualité. Cette éducation de qualité doit promouvoir
l’épanouissement des individus, les préparer activement à l’action sociale. Cette éducation de
qualité doit également donner un sens plus enrichi au concept de culture générale de sorte
qu’elle puisse associer au « avoir-dire » le savoir et le « savoir-faire ». De ce fait, la véritable
éducation est celle qui forme des individus capables d’innover, de créer et non des réservoirs
de connaissances éparses.

124
Ramsès L. BOA-Thiémélé, Reconstituer le corps glorieux d’Osiris, Op. Cit., p. 146.
125
Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du développement, Op. Cit.,
p. 64.
86

CHAPITRE 2 : LE DÉVELOPPEMENT SELON EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ,


UNE CONTRIBUTION À LA CONSTRUCTION D’UN DÉVELOPPEMENT
DURABLE EN AFRIQUE

A. De la réalité du développement durable


Le bonheur est un état de satisfaction totale et permanente ; et naturellement, l’homme
est le seul être aspirant au bonheur. C’est dire que le vœu profond et fondamental de
l’homme, c’est être heureux. Ainsi, le désir de vivre heureux, de connaître le bonheur conduit
l’homme à s’appliquer à l’organisation socio-politique de son environnement. Mais, qu’est-ce
que l’environnement ? Étymologiquement, le terme environnement trouve son origine dans le
grec, le latin et le gaulois. En effet, en-viron-ne-ment vient du terme « virer » (tourner) qui
trouve son origine dans le grec « gyros » (cercle, tour) puis dans sa transformation latine
gyrare et in gyrum ; dans le latin virare, vibrare (tournoyer), dans le gaulois viria (Qanneau,
bracelet). En partant de son étymologie grecque, latine, gauloise, l’environnement désigne
tout ce qui entoure l’humain. Plus précisément, c’est l’ensemble des éléments naturels et
artificiels au sein duquel se déroule la vie humaine. Ainsi, dans le concept d’environnement,
tout est mis à la disposition de l’homme afin qu’il puisse vivre heureux non seulement avec
lui-même, mais avec la nature.
Cependant, ce désir pour l’homme d’accéder au bonheur en s’appliquant à
l’organisation socio-politique de son environnement semble être compromis. En effet, avec
l’avènement de l’économie mondialisée, dominée par le système capitaliste, l’on assiste à une
inégalité croissante entre les États, où les plus forts dominent et exploitent les plus faibles.
Ainsi, les injustices et inégalités entre les hommes se multiplient, notamment au niveau social,
économique et même politique, à telle enseigne qu’elles semblent se poser comme l’une des
normes caractérisant notre société. À tout cela s’ajoute également les problèmes de
l’environnement qui mettent en péril le bonheur des individus, voire qui impactent la vie
humaine, tels que le réchauffement climatique, la désertification, la perte de la biodiversité, la
déforestation, la destruction de la couche d’ozone, la pollution de l’air, de l’eau et du sol etc.
Ces situations inquiétantes vont susciter, dans le monde, le besoin de reconstruire nos sociétés
sur de nouvelles bases, d’où la notion du développement durable.
La question du développement durable est au cœur des préoccupations humaines
contemporaines. C’est un concept consubstantiel à toutes couches humaines, à telle enseigne
qu’il constitue l’une des thématiques essentielles de notre société contemporaine, comme
l’attestent ces propos de Tracey Strange et Anne Bayley : « le développement durable est
devenu une sorte de pierre de touche conceptuelle, une des idées qui définissent la société
87

contemporaine »126. Le développement durable est cœur d’un projet de société dont le désir
de réduire les inégalités sociales ainsi que la pression sur l’environnement. En effet, le
concept de développement durable est apparu dans les travaux de la Commission mondiale
sur l’environnement et le développement des Nations unies. Cette commission est dirigée à
l’époque par Go Harlem Brundtland, d’où l’appellation ‘‘ Rapport Brundtland’’. Ce rapport
publié en mars 1987, décrit les conditions d’une nouvelle humanité dont l’enjeu est de lutter
contre le réchauffement climatique et d’améliorer les conditions de possibilité et de réalisation
du bonheur de la population. Ce rapport postule que la protection de l’environnement est la
condition privilégiée du bien-être de l’homme. Il remet en cause un mode de vie et de gestion
des ressources compromettant la possibilité de vie future en contradiction avec la satisfaction
aux besoins de tous. Ce rapport oblige les acteurs du développement à se conformer aux
exigences humaines. Ainsi, selon le rapport Brundtland, le développement durable est un
mode de « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité
des générations futures de répondre aux leurs »127. En d’autres termes, c’est un
développement qui répond aux besoins humains d’aujourd’hui sans remettre en cause la
capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins.
Partant de cette définition, deux concepts sont inhérents à la notion de développement
durable, à savoir celui de « besoins » et celui des limites que l’état de nos techniques, de nos
sciences et de notre organisation sociale imposent quant à la capacité de l’environnement à
répondre aux besoins des humanités actuelles et à venir128. Ce qui s’ajoute ici de manière
significative comme facteur du développement durable, c’est l’environnement ; et ce qui
s’ajoute comme une sorte de souci dans la finalité donnée au développement durable, c’est le
fait de penser à sauvegarder les intérêts des générations futures. Ce qui est au centre du
développement durable, c’est la satisfaction des besoins matériels de l’humanité présente ainsi
que ceux des générations à venir. Le développement durable est un processus qui intègre
donc, dans les stratégies de développement, les préoccupations environnementale, sociale et
économique dans une perspective générationnelle. C’est un mode de développement qui veut
rompre avec ces modes de développement qui ont conduit à des dégâts socio-économiques et
écologiques. Ainsi, le pari contenu dans l’idée développement durable est de concilier
l’écologique, l’économique et le social. Mieux, le développement durable se veut un
processus de développement qui veut concilier progrès économique et social sans pour autant

126
Tracey Strange et Anne Bayley, Le développement durable. À la croisée de l’économie, de la société et de
l’environnement, Paris, Éditions OCDE, coll. « les essentiels de l’OCDE », 2008, P. 26.
127
Gro Brundtland, 1988, Notre avenir à tous, Montréal, Éd. du Fleuve, 1988 ; p. 51.
128
Jean-François Dortier, Le dictionnaire des sciences sociales, Op. cit., p. 94.
88

mettre en péril l’équilibre naturel de la planète. C’est un processus qui veut, pour ainsi dire,
assurer le développement tout en préservant l’environnement. Cette finalité du développement
durable est mise en exergue par Jean-François Dortier quand il écrit : « concilier la poursuite
de la croissance économique mondiale avec la préservation des ressources naturelles pour
les générations futures et la lutte contre les inégalités, tel est le pari contenu dans l’idée de
développement durable »129. C’est pourquoi, trois dimensions sont inhérentes au concept de
développement durable. Il s’agit de la dimension sociale, de la dimension environnementale
et de la dimension économique, qui sont à la fois distinctes, mais interdépendantes. Toutefois,
chacune de ces dimensions, comme l’avance Sylvie Ferrari, a sa propre finalité :
La dimension économique s’exprime par une combinaison optimale des ressources
naturelles, humaines et techniques dans le but d’assurer la maximisation du bien-être
des générations sur un horizon de long terme ; sa finalité réside dans l’absence de tout
gaspillage de ressources (…). La dimension sociale concerne l’accès aux ressources et
leur répartition dans l’espace (niveau intragénérationnel) et dans le temps (niveau
intergénérationnel) ; sa finalité est d’assurer l’équité entre les générations dans la
distribution des dotations disponibles. Quant à la dimension environnementale, elle a
trait à la gestion des stocks de ressources et à la préservation de leur qualité afin
d’assurer la permanence du capital naturel dans le temps130.

Partant de là, le développement durable est un développement, économiquement efficace,


socialement équitable et écologiquement soutenable. Donc, le développement n’est durable
que s’il procure des services à la fois économiques, sociaux et environnementaux aux
individus. C’est un développement à la croisée de l’économie, de la société et de
l’environnement. En ce sens, le développement durable est un processus social, économique
et politique visant l’amélioration des conditions de vie humaine dans la mesure d’une bonne
durabilité. La durabilité peut être comprise comme un processus qui tient compte de la
répartition des ressources humaines dans le temps. À ce propos, le politiste français Olivier
Nay saisit le développement durable comme une
(…) politique et stratégie visant à assurer la continuité dans le temps du développement
économique et social, dans le respect de l’environnement, et sans compromettre les
ressources naturelles indispensables à l’activité humaine. (…) Le développement
durable doit être compris comme un développement à la fois : - supportable pour les
écosystèmes dans lesquels nous vivons, donc économe en ressources naturelles et aussi
« propre » que possible ; - viable, autosuffisant à long terme, c’est-à-dire fondé sur des
ressources renouvelables et autorisant une croissance économique riche en emplois,
notamment là où les besoins essentiels ne sont pas ouverts ; - vivable pour les individus
129
Ibidem.
130
Sylvie Ferrari, 2010, « Éthique environnementale et développement durable : réflexions sur le Principe
responsabilité de Hans Jonas », in Développement durable & territoires [En ligne], vol. 1. nº 3, consulté le 12
août 2020. URL : http://journals.openeditionorg/developpementdurable/8441 ; DOI :
https://doi.org/104000/developpementdurable.8441, p. 4.
89

et les collectivités, donc orienté vers la cohésion sociale et l’accès pour tous à une haute
qualité de vie131.

Le principe du développement durable vise à parvenir à un environnement supportable,


viable et vivable pouvant durer aussi longtemps que possible dans le temps. En cela, l’une des
préoccupations fondamentales qui guident les réflexions sur le développement durable semble
être la manière la plus adéquate de protéger l’environnement. L’élément constitutif du
développement durable est donc l’éthique environnementale. Ce faisant, selon l’Organisation
de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), le concept de développement
durable s’imposé dans le but de répondre aux défis et aux préoccupations auxquels sont
confrontés les pouvoirs publics, comme la lutte contre le changement climatique, la
préservation de la biodiversité, la protection contre les risques sanitaires, industriels et
naturels, l’instauration d’une nouvelle gouvernance. Cette organisation postule qu’
au cours des deux dernières décennies, le concept de développement durable s’est
imposé dans la réflexion des pouvoirs publics. Le bien-être matériel a apporté aux
sociétés non seulement la possibilité de répondre à une variété de préoccupations
sociales et environnementales non satisfaites mais aussi la capacité de s’adapter aux
évolutions défavorables132.

Ce faisant, la durabilité de l’environnement a été conçue dans le but de préserver et de


renforcer la qualité de vie humaine. De ce fait, le développement durable vise le respect des
ressources naturelles et des écosystèmes tout en ne perdant pas de vue les finalités sociales du
développement que sont la lutte contre la pauvreté, les inégalités, l’exclusion et la recherche
de l’équité. À ce propos, Gilbert Rist reconnaît la dette que les théoriciens et éthiciens des
questions environnementales doivent à la commission Brundtland en la matière;
reconnaissance qu’il formule clairement en ces mots :
Il faut reconnaître à ce doucement le mérite d’avoir produit un inventaire quasi
exhaustif des problèmes qui menacent l’équilibre écologique de la planète.
Déforestation, dégradation des sols, effet de serre, élargissement du trou d’ozone,
démographie, chaîne alimentaire, approvisionnement en eau, énergie, urbanisation,
extinction des espèces animales et de la biodiversité, surarmement, protection des
océans et de l’espace : rien n’a échappé à l’état des lieux dressé par la commission, sur
la base d’une information considérable, clairement présentée sous la forme de chiffres et
de tableaux133.

Cependant, cette approche brundtlandienne de la durabilité du développement semble être


étriquée, et ce pour trois (3) raisons fondamentales.

131
Olivier Nay, Lexique de science politique : vie et institutions politiques, Paris, Dalloz, 2011, p. 146.
132
Le développement durable. Les grandes questions, Paris, Éditions de l’OCDE, 2001, p. 11.
133
Gilbert Rist, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Op. cit., 2007, pp. 314-315.
90

Premièrement, elle limite le bonheur de l’humanité présente et future à la satisfaction


des besoins. En effet, à la lecture du rapport Brundtland, la valeur du développement durable
réside dans la satisfaction des besoins du présent sans nuire ou remettre en question la
capacité des générations futures à satisfaire les leurs. Cela sous-entend que les motivations
adéquates devant fonder le combat pour la protection de l’environnement sont la satisfaction
et la préservation des besoins du présent et du futur. Autrement dit, la théorie du
développement durable met l’accent non pas sur les modes de vie, mais plutôt sur les besoins.
Or, en mettant l’accent sur les besoins, elle ne semble pas prendre en compte les problèmes
réels dont sont victimes les pays en voie de développement. Pour Njoh-Mouellè, l’Afrique
rencontre d’énormes difficultés qui vont bel et bien au-delà des besoins. Car, dit-il, « l’homme
du pays sous-développé est un homme pauvre »134. Il est pauvre, car celui-ci est marqué par
l’indulgence d’esprit, l’irrationalité dans son comportement, l’ignorance, l’incapacité
d’expliquer telle ou telle situation qui se présente à lui, la crainte, le manque de confiance en
soi etc. Dans ce même sens, cette conception du développement ne reflète pas une vision
assez large de l’humanité.
Amartya Sen, dans son ouvrage L’idée de justice, estime que l’humanité a certes des
besoins, mais elle a aussi d’autres valeurs qu’elle cherche à promouvoir. Il l’écrit en ces
termes qui suivent : « Certes, les gens ont des besoins, mais ils ont aussi des valeurs ; en
particulier, ils chérissent leur aptitude à raisonner, évaluer, choisir, participer et agir. Les
limiter à leurs besoins nous donnerait une vision assez appauvrie de l’humanité »135. Ici,
l’auteur nous invite à concevoir l’humanité au sens plus large du terme. L’humanité est prise
dans son sens arithmétique comme l’ensemble des êtres humains dans leur diversité. En
réalité, l’un des facteurs de l’existence de nos sociétés, c’est l’hétérogénéité, voire la diversité
des individus. En effet, nos sociétés sont constituées d’individus hétérogènes, c’est-à-dire
différents, divergents. Et, nous différons les uns des autres pour des raisons d’ordre personnel,
naturel, environnemental, social. De ce fait, les hommes ont des besoins différents en
ressources ; ils ont la possibilité de valoriser différents choix de vie, différentes possibilités
particulières, qui ne se laissent pas saisir à travers le prisme du niveau de vie et des besoins.
Ainsi, pour Sen, nous ne devons pas penser la durabilité de l’environnement dans la seule
perspective des besoins ou niveaux de vie. Il en apporte l’illustration à travers cet exemple :
Réfléchissons, par exemple, à notre sentiment de responsabilité vis-à-vis d’autres
espèces qui sont menacées d’extinction. Si nous attachons de l’importance à leur

134
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du
développement, Op. cit., p. 9.
135
Amartya Sen, L’idée de justice, Op. cit., p. 305.
91

préservation, ce n’est pas simplement parce que – ni seulement dans la mesure où – la


présence de ces espèces améliore notre propre niveau de vie. Supposons que quelqu’un
estime qu’il nous incombe de faire tout notre possible pour assurer la survie d’une
espèce animale en péril, disons la chouette tachetée. Il pourrait dire sans aucune
contradiction : “Mon niveau de vie ne changera pas selon qu’il existe ou non des
chouettes tachetées. D’ailleurs, je n’en ai jamais vu. Mais je suis absolument convaincu
que nous ne devons pas laisser s’éteindre cette espèce de chouette, pour des raisons qui
n’ont pas grand-chose à voir avec le niveau de vie des humainsˮ136.

De cette assertion, Sen veut nous enseigner que si les individus décident de protéger les autres
espèces de l’environnement, c’est justement parce qu’ils sont beaucoup plus puissants que les
autres espèces de la nature, et qu’ils ont envers elles une certaine responsabilité liée à cette
asymétrie de pouvoir. En ce sens, ils le font pour un autre motif que celui de la satisfaction de
leur besoin. Autrement dit, il est de leur responsabilité de sauvegarder les autres vivantes
simplement parce qu’elles sont impuissantes et, eux, plus puissants qu’elles.
Deuxièmement, cette approche du développement durable ne saisit pas véritablement
ce qui fait la valeur de l’environnement. Car, celle-ci
(…) assimile parfois l’environnement (par une simplification qui me paraît abusive) à
l’état de nature, qui comprend l’étendue de la couverture forestière, la profondeur de la
nappe phréatique, le nombre d’espèces vivantes, etc. Si l’on postule que cette nature
préexistante restera intacte si nous ne lui ajoutons pas d’impuretés ni de polluants, on
pourrait en conclure que la meilleure façon de protéger l’environnement consiste à
interférer le moins possible avec lui137.

De cette assimilation de l’environnement à l’état de nature, ressort l’idée selon laquelle la


valeur de l’environnement réside dans ce qu’il contient en lui-même tesl que la couverture
forestière, la profondeur de la nappe phréatique, le nombre d’espèces vivantes. Donc,
l’environnement ne peut rester intacte que si les hommes n’agissent pas sur lui. Or, une telle
définition de l’environnement est tout aussi simple qu’erronée : car, « ce qui fait la valeur de
l’environnement n’est pas seulement ce qu’il contient, mais aussi les possibilités qu’il offre
aux humains. Son impact sur les vies humaines compte énormément »138. Autrement dit, la
valeur de l’environnement réside moins en l’environnement lui-même que dans les
possibilités qu’il offre aux hommes de mener une vie digne d’être vécue. Et, en limitant
l’environnement à ce qu’il contient en lui-même, les tenants du développement durable ne
semblent pas pleinement saisir ce qui mérite d’être valorisé par les hommes, et ce à quoi ils
tiennent véritablement. Dès lors, le facteur qui est remis au second plan dans cette approche

136
Idem, p. 306.
137
Idem, p. 303.
138
Ibidem.
92

du développement durable : c’est l’homme. Pourtant, l’apport des humains mérite d’être pris
en compte dans la préservation de l’environnement. Comme l’indique Sen, le combat pour
l’environnement nécessite l’intervention constructive de l’humanité. Il le dit à travers ces
termes suivants :
(…) le combat pour l’environnement ne consiste pas seulement à le préserver, mais
aussi à agir sur lui. Si beaucoup d’activités humaines qui accompagnent le processus de
développement ont eu des conséquences destructrices, les humains ont aussi le pouvoir
de fortifier et d’améliorer l’environnement où ils vivent. Lorsqu’on envisage les
mesures qui permettraient d’arrêter la destruction de l’environnement, il faut y inclure
l’intervention constructive de l’humanité. Notre pouvoir d’intervenir de façon efficace
et rationnelle peut être substantiellement accru par le processus du développement lui-
même. 139.

Se situant dans cette même logique, Njoh-Mouellè souligne que la théorie du


développement durable semble retirer l’homme de la place centrale au profit de
l’environnement, c’est-à-dire des choses de la nature. Or, les choses de la nature n’existent
pas pour elles-mêmes, mais bel et bien pour l’intérêt et le service que l’on en tire. De cette
manière, l’homme ne doit pas être relégué au second plan ; il doit être la référence des
références. Ce n‘est malheureusement pas ce qui a motivé la démarche intellectuelle des
promoteurs de développement durable qui eux, ont pensé davantage aux ressources naturelles
dont il ne faudrait pas priver les générations futures, et aux écosystèmes dont il ne faudrait pas
continuer de dégrader. Car, leur seul souci est de penser la durabilité de l’environnement en
termes de besoins ou de niveaux de vie. En ce sens, lisons ces propos de Njoh-Mouellè :
Les indications de lutte contre la pollution et l’émission des gaz à effet de serre ne
rencontrent pas spontanément des volontés fermement disposées à les suivre et à les
appliquer. Si nous laissons de côté la question de la gouvernance qui est ainsi soulevée,
étant donné la liberté que conserve chaque homme et chaque dirigeant d’adopter ou non
cette vision des choses, il y a lieu de souligner le fait important ayant consisté à déplacer
l’homme, nous voulons dire l’être humain, du centre des préoccupations d’une telle
doctrine de développement pour le remplacer par la nature, l’écologie, bref
l’environnement140.

En effet, la doctrine du développement durable ne s’occupe pas du type d’homme que l’auteur
qualifie de créatif, et que tout développement devrait se soucier de promouvoir. Aux yeux
d’Ebénézer Njoh-Mouellè, la question qui est savoir ‘‘quel type d’homme le développement
durable doit se proposer de promouvoir ? ’’ ne semble pas avoir été posée par les théoriciens
du développement durable. Car, « avec le décentrement de l’homme comme valeur et
boussole directrice du développement, apparaisse dans cette centralité des préoccupations la

139
Idem, p. 304.
140
http://www.njohmouelle.org/Accueil.php?m=5&s=513.
93

notion ou plus exactement le fait de la durabilité des ressources naturelles, des écosystèmes,
de la biosphère, des richesses de toutes sortes, bref…des choses »141. Or, en ne plaçant pas
l’homme comme la référence à laquelle tout développement devrait se rapporter, on ne saurait
placer les intérêts des générations futures au centre de cette vision du développement. Penser
aux intérêts des générations futures sans pour autant mettre l’homme au centre de toutes
choses, relèverait en quelque sorte d’une pure illusion. L’illusion est que ces générations,
comme le nom l’indique, n’existent encore. Et, même si elles parviennent à exister, rien de
confirme que les inégalités naturelles régnant entre elles seront résolues.
Troisièmement, le développement durable est une idéologie au service des grandes
puissances occidentales. En effet, tandis que les pays du tiers-monde pensent leur
développement, les grandes puissances mondiales inventent la notion du développement
durable dont le but est de freiner le développement de ceux-ci. Pour Njoh-Mouellè, dans
l’idée du développement durable, il y a la volonté des grandes puissances capitalistes
d’instrumentaliser, d’exploiter les nations en voie de développement. Comme il le soutient,
le concept de développement durable n’a pas pu être déployé sous la forme d’une
authentique idéologie de développement. Cette ébauche de doctrine n’est pas
suffisamment cohérente pour cela, en dépit de sa schématisation en trois piliers ou trois
cercles entrant en intersections. En effet, le développement durable ne remet pas en
cause le libéralisme capitaliste. Bien au contraire, c’est en maintenant à leur place les
leviers et paramètres du libéralisme qu’une simple invite à la prudence, à la réduction
des volumes de consommation des ressources naturelles, est adressée aux divers acteurs
de la vie économique. Il ne s’en dégage non plus rien de systématique relativement à
l’intérêt porté au social pour qu’il soit dit qu’une teinte de socialisme la colorerait142.

Or, dans le système capitaliste, le plus important c’est l’extension des structures d’échanges et
non l’amélioration des aides sociales destinées aux personnes les plus démunies. Cela est dû
au fait que notre monde actuel est incroyablement riche, mais est également marqué par de
terribles pauvretés et de privations les plus révoltantes, notamment des millions d’enfants qui
meurent chaque jour et sont mal nourris, mal vêtus, maltraités, illettrés et inutilement
malades. Ce sont les inégalités des chances qui dominent ce monde. Si tel est le cas, il y a des
raisons de douter de la capacité du développement durable à répondre aux besoins des
générations présentes et futures. Tandis que d’autres personnes bénéficient des ressources,
d’autres en sont privées. Dans le fond, Njoh-Mouellè reproche aux tenants du développement
durable de servir que les intérêts des riches. Puisqu’avec l’avènement du développement
durable, vient se briser sur le mur de l’intérêt des grandes puissances économiques, politiques

141
http://www.njohmouelle.org/Accueil.php?m=5&s=513.
142
http://www.njohmouelle.org/Accueil.php?m=5&s=513.
94

les espoirs mis dans le projet de la réalisation d’un développement intégral de l’homme.
Comme il le souligne,
Devant une telle réalité, même hypothétique et aléatoire, que pourrait valoir le souhait,
pourtant légitime, de croissance et de prospérité des pays en voie de développement ?
Quand on sait qu’il ne saurait y avoir de décollage économique sans industrialisation et
que beaucoup de pays africains n’ont toujours pas décollé économiquement, comment
leur demander de modérer la consommation des ressources naturelles qui sont
demeurées en jachère depuis toujours sous l’étiquette plus ou moins rassurante de
« richesses naturelles143.

Dès lors, le concept du développement durable, loin d’apporter des solutions aux hommes,
crée deux types de sociétés où on assiste aux gros poissons qui écrasent les plus petits
poissons.

B. Des défis du développement durable pour l’Afrique


Dans la précédente sous-section, nous avons tenté de montrer les forces et faiblesses
de l’approche classique du développement durable. Et nous avons vu que, bien qu’il soit un
mode de développement qui tente de concilier prospérité économique et préservation de
l’environnement, le développement durable se veut un processus souhaitant rendre durable les
besoins de l’humanité présentes et futures. Or, en se focalisant exclusivement sur cet aspect,
le développement durable semble valoriser la protection des ressources naturelles au
détriment de l’homme lui-même. Mieux, dans cette nouvelle approche du développement,
l’homme n’est pas perçu comme le centre à partir duquel tout s’organise. Face à une telle
situation, la nécessité de donner un sens plus large au concept du développement durable pend
tout son sens. Ainsi, pour donner à ce concept toute sa latitude, nous convoquons la
conception njoh-mouelléenne du développement.
Aux dires d’Emboussi Nyano, la philosophie d’Ebénézer Njoh-Mouellè est une
philosophie abordant de multiples approches qui sont reliées entre elles : premièrement, elle
peut se lire comme une philosophie du développement abordée sous l’angle du devenir
individuel de chaque homme ; deuxièmement une philosophie de la liberté abordée sous
l’angle de la libération des êtres humaines de toutes formes d’aliénations ; troisièmement une
philosophie de l’être abordée non pas sous l’angle ontologique mais plutôt sous l’angle
anthropologique144. Ces trois approches de la philosophie de Njoh-Mouellè ont en commun le

143
http://www.njohmouelle.org/Accueil.php?m=5&s=514.
144
Emboussi Nyano, « La moyenne et la norme à propos de la médiocrité chez Ebénézer Njoh-Mouellè », in
Emmanuel Malolo Dissakè (éd), L’Aspiration à Être. Autour du philosophe Ebénézer Njoh-Mouellè, Paris,
Éditions Dianoïa, 2002, p. 42.
95

souci, au-delà de toute autre considération, de remettre l’homme au centre de tout. Pour lui, ce
n’est pas la satisfaction des besoins, mais l’humain comme valeur qui doit servir de référence
dans la bataille du développement durable.
Fondamentalement, le développement durable doit avoir pour fin première et moyen
principal la liberté de l’homme et non la durabilité des ressources naturelles. La liberté est ce
qui fait la valeur de l’existence humaine. En effet, un homme qui n’est pas libre de construire
sa propre existence n’en est pas un ; c’est un être aliéné. Être aliéné c’est être autre que soi-
même. Mieux un être aliéné est un être privé de liberté, un être qui ne dispose pas de lui-
même, qui ne s’affirme pas. Njoh-Mouellè défend à juste titre que la liberté est le royaume
dans lequel devra nous faire entrer le développement en général, et en particulier le
développement durable. Car, la liberté va au-delà même du bonheur, au sens où « il n’y a ni
bonheur commun ni commune mesure du bonheur »145. Le bonheur ne s’apprécie que de
différente manière. Un retour dans l’histoire de la philosophie, précisément dans la période
post-socratique, nous permet de constater que le bonheur est diversement apprécié en fonction
des courants de pensée. Pour les sceptiques, le bonheur réside dans la suspension du
jugement ; pour les épicuriens l’homme ne peut trouver son bonheur que dans la satisfaction
des désirs naturels (plaisirs) mais sont d’ordre intellectuel, rationnel ; pour les stoïciens, le
bonheur réside dans l’absence de troubles dans l’âme (ataraxie), et ne dépend que de nous.
Dans cette logique, c’est l’expansion de la liberté de l’homme qui doit être au cœur de
la théorie du développement durable. Amartya Sen pense en ce sens que les libertés humaines
sont des éléments constitutifs du développement durable. Car elles contribuent au progrès de
la société ainsi que des individus. Il classe ces libertés humaines en cinq (5) catégories, à
savoir : les libertés politiques, les ouvertures économiques, les opportunités sociales, les
garanties de transparence et la sécurité sociale. Ces libertés humaines favorisent la capabilité,
voire la liberté des individus de vivre la vie qu’ils ont raison de souhaiter. Par capabilité, il
faut entendre « la liberté de mener différentes sortes de vies [correspondant] exactement à
l’ensemble formé par différentes combinaisons de fonctionnements humains, ensemble en
lequel une personne est à même de choisir sa vie »146. Autrement dit, la capabilité est «
l’aptitude des gens à vivre le type de vie qu’ils ont des motifs de valoriser »147. La notion de
capabilité est liée aux modes de fonctionnements humains (human functionings). Par modes

145
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du
développement, Op. cit., p. 7.
146
Amartya Sen, L’économie est une science morale, trad. M. C. Sperber et N. Guilhot, Paris, La Découverte,
2003, p. 64.
147
Amartya Sen, L’idée de justice, Op. cit., p. 299.
96

de fonctionnements humains, il faut entendre tout ce qu’une personne est capable de réaliser.
Ils renvoient, entre autres, à ce que peut faire un être humain en termes d’état (being) et
d’action (doing). Dès lors, il est certes vrai que les hommes ont des besoins, mais la
satisfaction de ces besoins ne garantit en rien le bien-être de ceux-ci.
Au-delà des besoins, les hommes ont, en effet, d’autres valeurs à promouvoir que la
durabilité des seuls niveaux de vie à défendre. En conséquence, ce qu’il convient de rendre
durable, ce n’est pas seulement nos besoins et nos niveaux de vie. Le développement durable
doit plutôt penser à perpétuer la liberté et la capabilité des individus d’avoir et de préserver ce
à quoi ils accordent de la valeur et auquel ils accordent de l’importance. Dans son ouvrage
L’idée de justice, Sen propose de repenser l’idée de développement durable à l’aune des
libertés dont jouissent les individus. Pour lui, le développement durable doit aller au-delà de
la satisfaction des besoins de l’homme. Ce mode de développement doit également impliquer
le maintien des libertés et des capabilités dont jouissent les individus dans la société. Et, en
repensant le développement durable à l’aune des libertés, l’on accorde de la valeur et de
l’intérêt aux vies humaines. Telle semble, du reste, la position de Sen lorsqu’il écrit que
si l’importance des vies humaines tient aussi à la liberté dont nous jouissons, l’idée de
développement durable est à reformuler en conséquence. Il est impératif de ne pas
penser étroitement à rendre durable la satisfaction de nos besoins, mais, plus largement,
à rendre durable – ou à perpétuer – notre liberté (dont celle de satisfaire nos besoins). Si
l’on recadre ainsi les choses, on pourra définir la « liberté durable » en élargissant les
formulations proposées par Go Brundtland (…) : ce serait le maintien, et si possible
l’extension des libertés et des capabilités concrètes dont jouissent les gens aujourd’hui
« sans compromettre la capabilité des générations futures » d’avoir une liberté
semblable, ou supérieure148.
Ce qui convient de rendre durable, c’est non pas nos besoins, mais plutôt nos libertés, voire
nos capabilités. Ainsi, les théoriciens du développement durable doivent principalement se
soucier des vies que mènent concrètement les hommes, c’est-à-dire leur expérience, leur
réalisation. En ce sens, ils ne doivent pas se limiter à penser exclusivement l’environnement
en termes de conservation des conditions naturelles préexistantes. Car, se concentrer
étroitement sur le maintien des niveaux de vie et des besoins est une condition nécessaire
mais insuffisante pour améliorer les conditions de vie humaine.
Préserver ou renforcer l’environnement et accorder de l’importance aux vies et libertés
que les individus parviennent à mener constitue une vraie différence. En effet, en accordant de
l’importance aux vies et aux libertés humaines, on perçoit les hommes non pas comme des

148
Idem, pp. 306-307.
97

patients dont les besoins méritent considération, mais plutôt comme des agents libres capables
de choisir leur propre valeur, ce qui va au-delà du prisme du niveau de vie et des besoins.
S’inscrivant dans cette même perspective, Njoh-Mouellè soutient que les promoteurs
du développement durable ne sauraient enfermer le sens de l’existence des individus dans la
satisfaction des besoins. Il est impératif pour ces promoteurs de valoriser la liberté des
hommes. Car, la liberté peut servir aux hommes à préserver et à enrichir l’environnement dans
lequel ils se situent et pas seulement à le détruire, à le dévaster. Elle nous permet de
déterminer la nature de notre existence. Dès lors, ce à quoi il faut accorder de la valeur ce
n’est point de satisfaire les besoins fondamentaux des individus, mais leur liberté.
Reconnaître l’importance de la liberté peut aussi élargir nos préoccupations, nos
engagements. Nous pouvons décider d’user de notre liberté pour œuvrer en faveur de
nombreux objectifs qui ne s’inscrivent pas dans le seul périmètre de notre vie
personnelle. (Par exemple, la préservation d’espèces animales menacées d’extinction).
C’est une question cruciale pour les impératifs de la responsabilité environnementale et
du développement durable149.
Donc, la valeur du développement durable réside dans sa capacité à laisser fondamentalement
une place aux actions des individus en incluant leur liberté de réaliser une vie de qualité et de
choisir les objectifs généraux qu’ils se sont fixés. Si tel est le cas, ne devons-nous pas aussi
interroger l’idée de culture, qui est aussi une dimension essentielle de la vie humaine ?
Pour Njoh-Mouellè, le développement durable doit prendre en compte toutes les
dimensions de la vie humaine, notamment la dimension culturelle. Mieux, au-delà de la
dimension sociale, politique et économique qu’il intègre déjà, le développement durable, pour
qu’il soit effectif, doit également intégrer la culture. Chez cet auteur, la culture fait partie du
4ème pilier du développement durable, aux côtés de l’économie, du politique, du social. Mais,
la question qu’on pourrait se poser est celle-ci : qu’est-ce que la culture ? En quoi est-elle
indispensable pour le développement d’un pays ?
De manière générale, la culture est l’ensemble des traits propres à une société ou à un
groupe d’individus. Il s’agit d’un mode de vie qui caractérise une société donnée. Mieux, la
culture est l’ensemble des processus par lesquels l’homme transforme la nature. Elle a un lien
avec l’éducation, en ce sens que la culture désigne les attitudes, les croyances, les valeurs
acquises et transmises par l’éducation. C’est par le biais de l’éducation que se transmet la
culture. La culture désigne l’ensemble des pratiques, des valeurs, des visions du monde qui
sont spécifiques à un peuple et qui lui confèrent une place primordiale dans la construction de
sa société. En guise d’exemples, nous pouvons citer les langues, les habitudes, l’art, le

149
Idem, p. 279.
98

comportement. Ainsi, à l’observation, chaque société a sa culture et qu’il y a autant de


cultures qu’il y a autant de sociétés.
Dans son article Culture et développement publié en 1984, Lê Thành Khôi souligne la
valeur de la culture dans le processus du développement. Ainsi, celui-ci relève quelques
composantes de la culture susceptibles de construire un véritable développement. Il s’agit de
la langue qui est le moyen d'expression et de communication normal d'un peuple, des
croyances ou pratiques qui, représentant un élément essentiel, comprennent aussi bien les
croyances idéologiques et religieuses que les croyances populaires, souvent méprisées par les
couches intellectuelles, de l’organisation familiale et sociale qui comprend le rôle de la
famille, les différenciations entre sexes, classes d’âge, groupes sociaux, etc., des techniques
de production, d’occupation de l’espace de genre de vie selon le milieu géographique, la
classe sociale, le secteur « traditionnel » ou « moderne »150. Dans l’idée de culture, les
individus se reconnaissent comme des personnes. Se reconnaître comme une personne ici
c’est prendre connaissance de son identité. La culture est ce qui fait notre identité. Ainsi que
le souligne Lê Thành Khôi,
quand on parle de l’identité culturelle, on adopte d’emblée une optique globale. On
suppose l’existence de caractéristiques communes à un groupe social (ou à la grande
majorité de ce groupe) dans le domaine du penser, du sentir et de l’agir qui le
différencient d'autres groupes151.
S’identifier à la culture c’est être soi-même. C’est pourquoi un peuple sans culture est
un peuple désorienté, perdu, voire un peuple sans âme. Par la culture, l’homme renoue avec
ses origines, ses racines : « La culture est l’expression de l’âme d’un peuple. Elle unit et
représente ses racines. De là, elle donne une identité comme repère et repérage. Se repérer
dans le monde et être identifié comme tel est donc l’une de ses perspectives »152. Autrement
dit, la culture est facteur d’union, de rassembleur, et d’orientation. Celle-ci permet aux
peuples de s’affirmer et de rompre avec son complexe d’infériorité. Pour l’historien et
égyptologue sénégalais Cheikh Anta Diop (1923-1986), la culture est un facteur capital pour
le développement. En cela, celui-ci pose la culture comme une véritable dimension
fondamentale de la renaissance africaine. Cette renaissance africaine passe par un
repositionnement historico-culturel, c’est-à-dire par la reconquête de soi (ou la conscience
historique) et par la prise de conscience de notre identité culturelle. Il s’agit d’amener les

150
Lê Thành Khôi, « Culture et développement » in Tiers-Monde, tome 25, n°97, 1984, pp. 15-16.
151
Idem, p. 14.
152
Yao Kouadio, « La culture dans Cheikh Anta Diop » in Revue Della / Afrique Numéro Spécial / Décembre
2021 de campagne Éditoriale Tome 1, p. 245.
99

Hommes en général, et les Africains en particulier à prendre conscience de leur propre


histoire, voire leur culture.
De ce fait, pour renouer avec la culture africaine ou du moins pour créer la renaissance
africaine, Cheikh Anta Diop invite les africains à un retour à l’Egypte antique. Pour lui,
l’Egypte antique est le berceau de la civilisation africaine et humaine. Elle est le point de
départ, le commencement et l’origine de l’histoire de l’Afrique noire. Elle est pour ainsi dire
d’origine nègre africaine. Pour ce philosophe et égyptologue africain, la réappropriation de
l’histoire pharaonique ou de l’Egypte est la condition d’une émergence et d’une désaliénation
culturelle. Le retour à l’Egypte est un retour à l’origine, à la genèse africaine, et à un retour à
soi-même. À ce propos, lisons ce que nous dit Anta Diop :
Dans la mesure où la civilisation Égypto-nubienne marque l’étape la plus ancienne de
notre culture, force est de nous renouer avec celle-ci dans tous les domaines si l’on veut
bâtir un corps de Sciences Humaines. L’Égypte est au reste de l’Afrique Noire ce que la
Grèce et Rome sont à l’Occident. Les nouvelles humanités africaines devront s’édifier
sur les soubassements de l’antique culture pharaonique153.
L’auteur propose ici le retour au passé égypto-nubien qui est un processus de la
reconnaissance de soi et de la reconnexion avec soi. Ce qui est indispensable à un peuple
pour mieux orienter son évolution, c’est de connaitre ses origines, son passé, sa culture.
Mais le retour vers notre passé, nos origines, notre culture n’est ni un enfermement ni
une manière de demeurer dans ce passé mais, c’est une démarche de renaissance. C’est dans
cette perspective qu’affirme BOA-Thiémélé en ces termes suivants : « Mais se tourner vers le
passé, ce n’est guère s’enfermer dans une exaltation romantique de ce passé historique et
grandiose. Insister sur le sentiment de continuité créé par la conscience historique a pour fin
de forger une personnalité africaine »154. Se tourner vers le passé implique l’assurance, la
mise en évidence des valeurs humaines édificatrices, la désaliénation de la conscience et la
plénitude intérieure de l’Africain. Par conséquent, le recours à l’Egypte antique est une sorte
de renaissance, c’est-à-dire une nouvelle naissance et un renouvellement de la société
africaine déstructurée et coupée de son berceau culturel. Autrement dit, « le retour à l’Egypte
est la condition nécessaire mais pas suffisante pour rénover la culture africaine et lui donner
paradoxalement un air de modernité »155. Donc, cette culture dont fait l’éloge Anta Diop est
une culture nationale, mais rénovée, voire modernisée. Ainsi qu’il l’affirme : « La culture
nationale est le seul rempart sérieux, vraiment infranchissable, entre le monde extérieur, et

153
Cheikh Anta Diop, Parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négro-africaines, 2ème
Éditions, IFAN, Dakar, 2008, XIII.
154
Ramsès L. BOA-Thiémélé, Nietzsche et Cheikh Anta Diop, Paris, l’Harmattan, 2007, p. 46
155
Idem, p. 170.
100

nous »156. De cette manière, un peuple sans conscience historique ou culturelle est un peuple
sans repère, sans fondement réel. La culture est l’ensemble des valeurs qui permettent
d’identifier un peuple, de savoir ce qu’il est et de ce qu’il n’est pas.
La dimension culturelle du développement durable exige non seulement de protéger
l’environnement, mais également les traditions, les coutumes. Il ne faut pas voir les traditions
ou les coutumes comme une entrave à l’évolution des sociétés. Pour Njoh-Mouellè, la
tradition est une condition essentielle au progrès de l’humanité, au sens où « il y a une valeur
dans la tradition en tant que telle : c’est la sauvegarde de l’unité de caractère sans laquelle le
peuple tout comme l’individu n’auraient pas de personnalité identifiable »157. Si la tradition a
en elle-même une valeur, c’est bien évidemment parce qu’elle est rattachée à notre
personnalité. En effet, le concept de tradition provient du substantif latin traditio lui-même
issu du verbe latin tradere qui signifie remettre ou transmettre158. De son étymologie latine,
ressort que la tradition apparaît comme le mouvement de transmettre quelque chose ou le
contenu d’une transmission. Mais, la tradition est un terme polysémique qui renvoie
généralement à la transmission par l’habitude, la parole ou l’écriture d’un héritage passé
constitués de l’ensemble des valeurs, pratiques et représentations constituant l’identité et la
personnalité d’un peuple. Pour l’ethnologue Dominique Zahan, « la tradition constitue
l’ensemble des acquisitions que les générations successives ont accumulées depuis l’aube des
temps, dans les domaines de l’esprit et de la vie pratique »159. De ce fait, la tradition embrasse
plusieurs aspects de la vie de l’homme et concerne plusieurs disciplines, au nombre
desquelles figure principalement la sociologie, la théologie, le droit et la politique. De cette
manière, la tradition se pose comme le substrat de l’identité, de la personnalité des peuples,
c’est-à-dire ce qui fonde l’identité culturelle et personnelle d’un peuple.
Perçue en ce sens, la tradition se veut le fondement de toutes sociétés. Dans cette
optique, Njoh-Mouellè en assimilant développement et promotion de l’excellence humaine,
nous fait savoir que les valeurs traditionnelles participent à l’élaboration de la personnalité de
chaque individu y compris de la société. Par la tradition, nous devenons des humains capables
d’autodéfinition et d’affirmation de soi. Dans cette perspective, l’auteur De la médiocrité à
l’excellence estime que les théoriciens doivent pencher leur réflexion sur la durabilité des
valeurs traditionnelles qui se résument « en des attitudes, des comportements, des

156
Cheikh Anta Diop, Nations nègres et Culture, Paris, Présence africaine, 1979, p. 102.
157
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du
développement, Op. cit., p. 49.
158
Le petit Robert, Paris, Le robert, 2017, p. 2591-2592.
159
Dominique Zahan, Religion, spiritualité et pensée africaines, Paris, Payot, 1970, p. 80.
101

représentations »160. Cependant, il distingue deux formes de valeurs traditionnelles. La


première est celle qui repose sur un fond d’ignorance, de superstition, d’irrationalisme ; et la
deuxième, quant à elle, repose sur un fond d’amour, de justice et de vérité. Njoh-Mouellè
porte un regard favorable sur la deuxième forme de valeurs traditionnelles au détriment de la
première. La raison qui justifie un tel choix est que la valeur traditionnelle reposant sur un
fond d’ignorance, de superstition, d’irrationalisme n’est pas une véritable valeur, dans la
mesure où elle est susceptible de contribuer à l’étouffement de l’humanité de l’homme. C’est
une valeur qui refuse la contradiction, la critique ; c’est une valeur traditionnelle figée. Par
contre, la valeur traditionnelle reposant sur un fond d’amour, de justice, de vérité est celle qui
accepte la critique et qui ouvre sur une humanité universellement vraie et valable pour tous.
Ainsi, pour Njoh-Mouellè, c’est cette forme de valeurs traditionnelles que les promoteurs du
développement tout comme ceux du développement durable doivent sauvegarder, voire
conserver161.
On ne peut parler de développement durable que s’il y a sauvegarde du patrimoine
culturel, voire traditionnel. Promouvoir le développement durable sans saisir la culture et la
tradition dans toutes ses dimensions n’est que pure illusion. Car, écrit Njoh-Mouellè,
la tradition parle au nom de la continuité et contre la discontinuité. Et, par-delà les
traditions particulières, il y a la tradition universelle d’humanité. (…) Ce qui, dans la
tradition, devrait être transmis du passé au présent c’est un certain sens de l’humain par
lequel l’humanité se conserverait sinon en tant que fait, du moins en tant qu’idéal. La
tradition est un appel au souvenir. Il faut se souvenir de soi sous peine de vivre une
existence décousue et somnambulique, il faut se souvenir du devoir-être qui est placé
tout aussi bien derrière nous que devant nous. Mais se souvenir de soi ne signifie pas
revenir sur tout ce qu’on a été ; cela signifie faire vivre ce qui, de nous, ne saurait
disparaître sans que nous ne disparaissions du même coup. La continuité que veut
assurer la tradition est donc une continuité du fondamental et non de l’accessoire, une
continuité sans doute aussi de l’idéal et non nécessairement de l’empirique162.
Dès lors, les promoteurs du développement durable ne doivent pas faire fi des valeurs
traditionnelles. Car, la sauvegarde et le respect de la tradition sont la garantie de l’équilibre
sociale et de l’identité des individus. Le respect de la tradition prive l’homme du
comportement excessif ou agressif que peut susciter le zèle de la liberté nouvellement
acquise. La tradition fait de l’homme une créature historique dont la personnalité le rapproche
des grands hommes et renforce sa dignité. Ainsi, en plus de répondre à leurs besoins, les
promoteurs du développement durable doivent veiller à ce que la personne réelle soit
respectée et à ce que sa valeur, sa dignité soient protégées.

160
Ebénézer Njoh-Mouellè, Op. cit., p. 50.
161
Idem, p. 51.
162
Idem, pp. 49-50.
102

CONCLUSION GÉNÉRALE
103

Notre réflexion sur le sujet « L’enseignement de la notion de « développement »


chez Ebénézer Njoh-Mouellè dans le secondaire ivoirien aujourd’hui » marque
essentiellement notre désir d’étudier la conception njoh-mouelléenne du développement ainsi
que son apport dans le système éducatif ivoirien. Le problème central que nous avons voulu
analyser à partir de la formulation d’un tel sujet est : comment la philosophie d’Ebénézer
Njoh-Mouellè, qui prône l’idée d’un développement proprement humain, peut-elle contribuer
à la construction des citoyens responsables et d’un développement durable en Afrique ? Pour
résoudre un tel problème philosophique central, nous nous sommes posés trois questions
secondaires à savoir : Comment Ebénézer Njoh-Mouellè conçoit-il le développement ?
Comment enseigner la notion de « développement » par la philosophie njoh-mouelléenne
dans le secondaire ivoirien ? Quel est l’apport de la conception de développement chez
Ebénézer Njoh-Mouellè dans la construction des citoyens responsables et d’un
développement durable en Afrique ? Cette problématique ainsi constituée répond à un objectif
général et à trois objectifs secondaires. L’objectif principal est de montrer comment la
philosophie d’Ebénézer Njoh-Mouellè prônant l’idée de développement proprement humain
est susceptible de contribuer à la construction des citoyens responsables et d’un
développement durable en Afrique. Pour atteindre cet objectif principal, nous avons
premièrement exposé la conception njoh-mouelléenne du développement ; deuxièmement
nous avons fait un cas pratique de la notion de « développement » chez Njoh-Mouellè dans le
secondaire ivoirien à partir d’un exposé de leçon et d’une explication de texte en classe de
terminale D ; et troisièmement nous avons démontré l’apport de la conception de
développement chez Ebénézer Njoh-Mouellè dans la construction des citoyens responsables
et d’un développement durable en Afrique.
Pour parvenir à cette fin, nous avons fait usage de deux méthodes, à savoir la méthode
critique et la méthode analytique. Par la méthode critique, nous avons déterminé les forces et
faiblesses liées à la conception dominante du développement, en s’inspirant des écrits de
Njoh-Mouellè. Cela a fait l’objet de la première partie de notre réflexion. La première partie
est intitulée « Ebénézer Njoh-Mouellè, un regard autre sur le développement ». L’objectif
que nous nous sommes fixés dans cette première partie est d’exposer explicitement la
conception njoh-mouelléenne du développement. En effet, Njoh-Mouellè porte un autre
regard sur le concept de développement en inaugurant une nouvelle approche du
développement qui concilie matérialité et spiritualité. Ce faisant, il procède par une remise en
question du développement économique et social dont les économiques, les hommes
politiques en font l’éloge. Pour l’auteur, le développement économique et social vise
104

essentiellement l’amélioration du sort matériel des individus. En fait, dans la conception du


développement économique et social, on se contente de réduire le développement d’un pays à
sa croissance du produit national brut, à son industrialisation, à ses progrès technologiques ou
encore à sa modernisation sociale, à sa seule production massive des biens divers de
consommation. Autrement dit, le développement est perçu comme un processus
d’amélioration des conditions matérielles d’existence. En cela, on réduit très souvent le
développement d’un pays à sa seule dimension économique. L’indice de développement est
donc uniquement la croissance du Produit Intérieur Brut par habitant, ou la croissance
économique. Or, une telle façon de concevoir le développement semble s’éloigner de plus en
plus des réalités concrète et réelle des humains. Pour la simple raison qu’aujourd’hui les
individus vivent dans des conditions de vie précaire malgré l’aisance matérielle ou
l’abondance des richesses dont dispose leur société. Ce faisant, sans méconnaître l’importance
des biens matériels dans l’entreprise de l’épanouissement personnel de tout être, Njoh-
Mouellè estime que le vrai développement vise à supprimer la misère humaine. Cette misère
humaine, au-delà de la privation des biens matériels, est marquée par la superstition,
l’ignorance, l’irrationalité, l’analphabétisme, la paresse intellectuelle, le refus d’être libre ou
de penser par soi-même, l’irresponsabilité des individus face à telle ou telle situation. C’est
cette forme de misère que Njoh-Mouellè appelle : la médiocrité. Ainsi, pour Njoh-Mouellè, la
véritable bataille du développement est celle qui fournit des conditions nécessaires permettant
aux hommes de sortir de la médiocrité en accédant à l’excellence.
Quant à la méthode analytique, elle a nous permis non seulement de faire une
expérimentation de la notion de développement chez Njoh-Mouellè en classe de terminale D
(deuxième partie de notre réflexion), mais aussi de démontrer son apport, voire sa nécessité
dans la construction d’une citoyenneté responsable et d’un développement durable en Afrique
(troisième partie de notre réflexion). La deuxième partie de notre réflexion est titrée :
« L’expérimentation de la notion de « développement » chez Ebénézer Njoh-Mouellè
dans le secondaire ivoirien ». Dans cette deuxième partie, l’objectif est de faire un cas
pratique de la notion de développement chez Njoh-Mouellè à partir d’une étude de notion et
d’une explication de texte, qui sont généralement conçue comme deux activités conformes
aux normes d’évaluation de l’examen du CAP/PL. Le cas pratique de la notion de
développement, tant au niveau de l’étude de notion que de l’explication de texte
philosophique, s’est fait dans un tableau, communément appelé fiche de leçon. Aussi
convient-il de retenir que l’étude de notion est un exercice qui porte sur une notion tributaire
du programme officiel ivoirien de philosophe des classes terminales. Elle comprend trois (3)
105

étapes qui sont l’introduction, le développement et la conclusion. Ce faisant, nous avons fait
une étude sur la notion de développement. Au niveau de l’introduction, le problème que vous
avons cherché à analyser est : le développement assure-t-il le bonheur de l’homme ? Et,
l’objectif est de montrer la valeur du développement de la réalisation du bonheur de l’homme.
Au niveau du développement, nous avons analysé deux aspects du concept de développement,
à savoir ses effets néfastes sur l’homme et son importance dans la quête du bonheur humain.
Au niveau de la conclusion, nous avons mentionné que même si le développement, à l’instar
du progrès matériel, suscite la crainte, force est de reconnaître que le développement est un
moyen pour améliorer les conditions de vie des individus, tant au niveau économique, social
qu’humain. Quant à l’explication de texte philosophique, nous avons vu que c’est un exercice
généralement pratiqué par les enseignants-stagiaires consistant à rendre de façon plus
explicite le texte d’un auteur obligatoirement inscrit au programme de philosophie. Dans le
contexte de notre sujet de mémoire, nous avons choisi un texte de 16 lignes extrait de
l’ouvrage De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du
développement du philosophe camerounais Njoh-Mouellè. Dans l’introduction au niveau de
l’explication de texte philosophique, nous avons présenté brièvement Njoh-Mouellè ; au
niveau du développement (même si cela ne figure pas dans le schéma de l’explication de
texte), nous avons vu en premier lieu la compréhension littérale du texte, qui a consisté à
expliquer les mots et expressions difficiles soulignés dans le texte de Njoh-Mouellè et à
identifier la valeur des connecteurs logiques ; en second lieu, nous avons dégagé la
problématique du texte, à savoir les éléments de la grille de lecture (thème, problème, thèse,
antithèse, intention, enjeu, structure logique) ; en troisième lieu, nous avons porté une analyse
critique sur la forme ( la critique interne) et le fond (la critique externe) du texte. Au niveau de
la conclusion, nous avons fait le bilan de la discussion menée dans la critique externe et
également donné notre avis personnel sur le problème que pose le texte.
La troisième partie, quant à elle, a porté sur « L’apport de la conception de
développement chez Ebénézer Njoh-Mouellè dans la construction des citoyens
responsables et d’un développement durable en Afrique ». Celle-ci pose les enjeux de
notre sujet de mémoire de master professionnel. Ce faisant, cette troisième partie s’est
proposée de faire de la conception njoh-mouelléenne du développement, un ferment pour la
construction d’une citoyenneté responsable et d’un développement durable en Afrique. En
effet, nous avons vu que l’homme est au centre de la conception njoh-mouelléenne du
développement. Pour Njoh-Mouellè, le développement économique et social doit promouvoir
l’excellence de l’homme au détriment de la médiocrité, qui est une forme de croyance à la
106

superstition. Or, dans sa définition du concept d’excellence, la question de la responsabilité


humaine s’impose. Car, dit-il, l’excellence humaine implique le devoir de responsabilité. Si
tel est le cas, chaque citoyen du monde peut accéder à l’excellence à condition qu’il agisse en
toute responsabilité. La responsabilité est un préalable au développement durable. Dans la
construction du développement de sa société, les individus doivent agir en toute responsabilité
en prenant l’initiative de rompre avec la paresse intellectuelle. Njoh-Mouellè invite tout un
chacun, intellectuel, professionnel de l’éducation, homme de laboratoire, à être conscients de
la tâche qui nous revient dans la construction du développement. Car, l’homme excellent que
le développement économique et social doit nécessairement promouvoir est l’homme
responsable, créateur des idées nouvelles, et non le consommateur passif des produits crées
par d’autres. Par ailleurs, nous avons tenté de montrer dans cette dernière partie que, par le
truchement de la philosophe du développement prônée par Njoh-Mouellè, il est possible de
construire un développement durable en Afrique. En effet, la philosophie njoh-mouelléenne
du développement, prônant un développement humain, accorde une attention particulière aux
capacités réelles des individus. Elle prétend redéfinir les valeurs monofocales du
développement durable, qui se contentent de rendre uniquement durable les besoins matériels
des individus par la protection de l’environnement. Une telle vision du développement
durable n’est pas en parfaite congruence avec les intérêts, les réalités et les valeurs d’un pays
donné, notamment en Afrique. Ce faisant, Njoh-Mouellè nous invite à réorienter de façon plus
large le concept du développement durable, en mettant l’accent sur la durabilité des libertés
humaines ainsi que de la culture, et par ricochet de la tradition. Ce qui convient de rendre
durable, ce n’est point seulement les besoins mais aussi les libertés humaines, les valeurs
culturelles et traditionnelles. Donc, pour que le concept de développement durable soit une
réalité et non une utopie en Afrique, il faut valoriser aussi les vies humaines, les traditions, les
cultures, les coutumes africaines. L’enjeu du développement durable en Afrique est, au-delà
de la préservation ou la réhabilitation de l’environnement, est la sauvegarde des libertés
humaines et du patrimoine culturel. Il faut développer durablement nos ressources culturelles
et humaines.
Pour notre part, nous estimons que Njoh-Mouellè a le mérite d’avoir posé la
problématique du développement de manière claire et précise sans faux-fuyant. L’originalité
de sa pensée se situe dans l’idée que pour construire un développement, il faut au préalable
transformer les mentalités humaines. Les hommes, en général, et en particulier les Africains
doivent se réveiller de leur sommeil dogmatique et prendre leur destin en main. Mais, cela ne
peut être possible que par le truchement de l’éducation. Par l’éducation, il est possible de
107

former les hommes de demain, c’est-à-dire des citoyens responsables, capables et aptes à
relever les grands défis liés au développement de leur société. Ainsi, il faut que l’État insiste
sur l’éducation des apprenants à la responsabilité. Car, l’éducation à la responsabilité est la
condition sine qua non du véritable développement d’une nation, d’un continent.
Ainsi, à travers ce présent mémoire de master professionnel, nous voulons inviter tous
les acteurs du système éducatif (éducateurs, enseignants, ministères, responsables de la
pédagogie, etc.) à mettre au programme de philosophie de Terminale l’ouvrage De la
médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du développement d’Ebénézer
Njoh-Mouellè. Il est certes vrai que Njoh-Mouellè figure parmi la liste des auteurs au
programme des classes de Terminale, mais il n’est pas exploité véritablement en tant que tel.
Nous les appelons à la nécessité de l’étudier en classe. Il ne suffit pas seulement de l’évoquer,
il faut aussi insister sur l’analyse de ses textes. Il faut familiariser donc les apprenants aux
textes de Njoh-Mouellè de sorte à permettre à ce qu’ils aient une idée de ce que signifie
réellement le développement, d’autant plus que nous sommes confrontés, de nos jours, à la
problématique du développement de l’Afrique. De ce fait, Njoh-Mouellè peut être un auteur
sur lequel les apprenants peuvent s’appuyer pour mener à bien leur réflexion en termes de
développement, ou pour mieux comprendre cette notion de « développement ».
Cependant, au-delà de la problématique du développement de l’Afrique, il y a
également des questions actuelles liées à la renaissance africaine, à la valorisation de nos
cultures, de nos traditions africaines. À ce sujet, il y a deux auteurs majeurs qu’il faut
absolument faire connaître aux élèves : Cheikh Anta Diop et Amadou Hampâté Bâ. Cheikh
Anta Diop pose la désaliénation culturelle comme la condition pour aboutir à la renaissance
africaine ; et Amadou Hampâté Bâ, quant à lui, pose la valorisation des cultures et traditions
comme la condition nécessaire au développement de l’Afrique. Si donc les apprenants sont
outillés sur les questions de développement de l’Afrique, de la renaissance africaine et de la
valorisation des cultures et traditions africaines, nous aboutirons à la naissance d’une jeunesse
africaine consciente, cultivée, confiante. Cela ne peut être possible que par la valorisation des
auteurs africains tant au niveau secondaire que supérieur.
108

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
109

1. Les ouvrages d’Ebénézer Njoh-Mouellè


NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification
humaine du développement, Yaoundé, Éditions CLE, 1970, (4 rééditions)
NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer, Jalons I. Recherche d’une mentalité neuve, Yaoundé, Éditions
CLE, 1970.
NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer, Jalons II. L’Africanisme aujourd’hui, Yaoundé, Éditions CLE,
1975, (2 rééditions).
NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer, Développer la richesse humaine, Éditions CLE, Yaoundé,
1980.
NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer, Considérations actuelles sur l’Afrique, Yaoundé, Éditions
CLE, 1983.
NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer, Jalons III. Problème culturels, Yaoundé, Éditions CLE, 1987.
NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer, Introduction à l’œuvre poétique d’Antoine Assoumou, Agence
Littérale Africaine, Yaoundé, 1987.
NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer, Député de la nation, Yaoundé, Presse de l’UCAC, 2001.
NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer, La philosophie est-elle inutile, Six essais autour du principe
d’utilité, Yaoundé, Éditions CLE, 2002.
NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer, Discours sur la vie quotidienne, Yaoundé, Africaine d’Éditions
(Afrédit), 2007.
NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer et Michalon Thierry, L’État et les clivages ethniques en Afrique,
Yaoundé, Éditions Ifrikiya, 2011.
NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer, Henri Bergson et l’idée de dépassement de la condition
humaine, Paris, Éditions L’Harmattan, 2013.
NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer et HOND Jean Tobie, État de lieux de la communication sociale
au Cameroun : aspects juridico-institutionnels et analyse critique de l’environnement de la
presse libre, Cameroun, Éditions CLE, 2013.
NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer et KENMOGNE Émile, Vie et éthique, de Bergson à nous,
Paris, Éditions L’Harmattan, 2015.
NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer, La philosophie, l’action et la politique, Yaoundé, Presse de
l’UCAC, 2011.
NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer, Mondialisation : rapports de forces et illusions de solidarité :
(essais philosophiques et politiques), Yaoundé, Presse de l’UCAC, 2016.
NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer, Transhumanisme, marchands de science et avenir de l’homme,
Paris, Éditions, L’Harmattan, 2017.
110

NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer, Quelle éthique pour le transhumanisme ? Des « hommes


augmentés » et des « posthumains », demain en Afrique ?, Cameroun, Éditions L’Harmattan,
2018.
NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer, Lignes rouges ‘‘ éthique’’ de l’intelligence artificielle, Paris,
Éditions L’Harmattan, 2020.
NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer, Conférence sur le transhumanisme et l’intelligence artificielle,
Cameroun, Éditions L’Harmattan, 2023.
NJOH-MOUELLÈ, Ebénézer et ROUX Marc, Quelle réception du transhumanisme en
Afrique, Cameroun, Éditions L’Harmattan, 2023.

2. Les ouvrages sur Ebénézer Njoh-Mouellè


KENMOGNE, Emile, Philosophie et Politique chez Ebénézer Njoh-Mouellè, Yaoundé,
Éditions P.U.Y, 2000.
L’Aspiration à être, Éditions Dianoïa, Paris, 2002 (ouvrage collectif contenant
l’autobiographie intellectuelle et sept réponses aux essais critiques).
MEDA, Azombo et KOSSO, Enobo, Les philosophes africains par les textes, Paris, Éditions
Nathan-Afrique, 1978.
MBANG, Dim Pernel, Le matériel et philosophie de développement d’Ebénézer Njoh-
Mouellè, Paris, Éditions Universitaires Européenne, 2022.
NDJANA NONO, Hubert, Histoire de la philosophie africaine, Paris, L’Harmattan, 2009.
Philosophie du Cameroun, Ouvrages collectif, Yaoundé, Éditons P.U.Y, 2006.

3. Les autres ouvrages


ALBERTIN, Jean-Marie, Mécanismes du sous-développement et développement, Paris,
Éditions Ouvrières, 1981.
ARENDT, Hannah, La condition de l’homme moderne, Paris, Éditions Calmann-Lévy, 1958.
ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, trad. de R. Bodéüs, Paris, Flammarion, coll. « GF »,
2004.
ARISTOTE, Métaphysique, trad. de J. Tricot, Paris, Éditions Les Échos du Maquis, 1953.
BACON, Francis, Novum Organon, trad. du français par Lorquet, Paris, Librairie de L.
Hachette, 1957 (Version Numérique).
111

BENICOURT, Emmanuel et GUERRIEN, Bernard, La théorie néoclassique. Microéconomie,


macroéconomie et théorie du jeux, 3ème éd., Paris, La découverte, coll. « Grands
Repères/Manuels », 2008.
BOA-Thiémélé, L. Ramsès, Nietzsche et Cheikh Anta Diop, Paris, l’Harmattan, 2007.
BOA-Thiémélé, L. Ramsès, Reconstituer le corps glorieux d’Osiris. Entretien avec Macaire
ETTY, Abidjan, Les Éditions Kamit, 2021.
BOA-Thiémélé, L. Ramsès, La sorcellerie n’existe pas, Abidjan, Cerap, 2010.
BRUNDTLAND, Gro, 1988, Notre avenir à tous, Montréal, Éd. du Fleuve, 1988.
DESCARTES, René, Discours de la méthode, Présentation, notes, dossiers, bibliographie et
chronologie, par Laurence Renault, Paris, Garnier Flammarion, 2000.
DIAKITE, Sidiki, Technocratie et question africaine de développement. Rationalité technique
et stratégies collectives, Abidjan, Édition Stratéca diffusion, coll. « Penser l’Afrique N° 2 »,
1994.
DIOP, Cheikh Anta, Nations nègres et Culture, Paris, 1979, Présence africaine, 1979.
DIOP, Cheikh Anta, Parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négro-
africaines, 2ème Éditions, IFAN, Dakar, 2008, XIII.
EINSTEIN, Albert, Correspondance in Œuvre posthume, Paris, Seuil, 1980.
FANON, Frantz, Pour la révolution africaine. Écrits politiques, Paris, Éditions La
Découverte, 2001.
FOFANA, Mouramane, Rêver le progrès, Abidjan, Éditions CEDA/NETER, 1997.
GUELLEC, Dominique et RALLE, Pierre, Les nouvelles théories de la croissance, 5ème éd.,
Paris, Éditions la découverte, 2003.
HAMPÂTÉ BÂ, Amadou, Kaïdara, récit initiatique peul, Abidjan, NEI-EDICEF, 2009.
HAMPÂTÉ BÂ, Amadou, Aspects de la civilisation africaine, Paris, Présence Africaine,
1972.
HUART, Jean-Marc, Croissance et développement, Paris, Éditions Bréal, coll. « Thème et
débats », 2003.
JONAS, Hans, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique,
trad. de l’allemand par Jean Greisch, Paris, Les Éditions Le Cerf, 1990.
JONAS, Hans, Une éthique pour la nature, trad. de l’allemande Sylvie Courtine-Denamy,
Paris, Flammarion, 2017.
KANT, Emmanuel, Fondements de la métaphysique des mœurs, trad. de V. Delbos, Paris,
éditions Librairie Delagrave, 1996.
112

KANT, Emmanuel, Logique, traduit par J. Tissot, Paris, Librairie Philosophique de Ladrange,
1862 (Version Numérique).
KANT, Emmanuel, Traité de pédagogie, trad. de Jules Barni, Paris, Félix Alcan Éditeur,
1886.
KI-ZERBO, Joseph, Éduquer ou Périr, Paris, L’Harmattan, 1990.
LONEGRAN, Bernard, La philosophie de l’éducation in Œuvres complètes, Paris, PUF,
2002.
Marcel, Gabriel, Les hommes contre l’humain, Paris, Éditions Fayard, 1992.
MBEMBE, Achille, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, Paris, Éditions
La Découverte, 2010.
MEDA, Dominique, Au-delà du PIB, pour une autre mesure de la richesse, Paris,
Flammarion, 2008.
NAY, Olivier, Lexique de science politique : vie et institutions politiques, Paris, Dalloz, 2011.
NUSSBAUM, Martha, Capabilités : comment créer les conditions d’un monde plus juste ?.
Trad. de l’anglais par S. Chavel, Paris, Flammarion, 2012.
NIAMKEY, Koffi, « L’exigence d’endogénéité et la problématique du développement
africain », Ki-Zerbo Joseph (dir), La nature des autres : pour un développement endogène en
Afrique, Dakar, CODESRIA, 1992.
NIAMKEY, Koffi, Controverses sur la philosophie africaine, Paris, L’Harmattan, 2018.
NIAMKEY, Koffi, Philosophie, culture et développement, Paris, L’Harmattan, 2021.
NIETZSCHE, Friedrich, Fragments posthumes XIII, aphorisme 11 (228), Paris, Gallimard,
1976.
PEYREFITTE, Alain, La société de confiance. Essai sur les origines et la nature du
développement, Paris, Odile Jacob, 1995a.
PEYREFITTE, Alain, Du ‘‘miracle’’ en économie, Paris, Odile Jacob, 1995b.
PROUDHON, Pierre-Joseph, Philosophie du Progrès, Paris, Éditions Adamant Média, 2002.
PLATON, La république, Trad. de R. Baccou, Paris, GF Flammarion, 1966.OCDE, Le
développement durable. Les grandes questions, Paris, Éditions de l’OCDE, 2001.
RIST, Gilbert, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, 3ème édition revue et
argumentée, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 2007.
ROUSSEAU, Jean-Jacques, Discours sur les Sciences et les arts, Présentation, commentaires
et notes par Gérard Mairet, Paris, Librairie Générale Française, 1996.
SARTRE, Jean Paul, L’existentialisme est un humanisme, Paris, Gallimard, Folio essais, 1996.
113

SMITH, Adam, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, [1776],
Paris, Flammarion, 1999.
SEN, Amartya, Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté, (trad. de
l’anglais par M. Bessières, Paris, Éditions Odile Jacob, 2000.
SEN, Amartya, Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté, trad. de
l’anglais par M. Bessières, Paris, Éditions Odile Jacob, 2000.
SEN, Amartya et al., Richesse des nations et bien-être des individus, Traduit de l’anglais par
le Département de la traduction du ministère des Affaires étrangères et européennes, Paris,
Odile Jacob, 2009.
SEN, Amartya, L’idée de Justice, trad. de l’anglais par P. Chemla, Paris, Flammarion, coll.
« Champs essais », 2010.
SEN, Amartya, 2003, L’économie est une science morale, trad. M. C. Sperber et N. Guilhot,
Paris, La Découverte, 2003.
STRANGE, Tracey et BAYLEY, Anne, Le développement durable. À la croisée de
l’économie, de la société et de l’environnement, Paris, Éditions OCDE, coll. « les essentiels
de l’OCDE », 2008.
ZADI, Marcel Kessy, Développement de proximité et gestion des communautés villageoises,
Abidjan, Éditions Éburnie, 2004.
ZAHAN, Dominique, Religion, spiritualité et pensée africaines, Paris, Payot, 1970.

4. Les articles des revues scientifiques, les thèses et les mémoires, les
Encyclopédies et les dictionnaires spécialisés, Webographie, etc…

4.1.Les articles des revues scientifiques


BALLET, J. et al., « Justice environnementale et approche par les capabilités » in Revue de
philosophie économique, 2015, Vol. 16, N° 1, p. 13-39.
BÉNICOURT, Emmanuel, « Amartya sen : une nouvelle ère pour le développement ?
Réponse à Alexandre Bertin » in Revue Tiers Monde, 2006, Vol. 2, N° 186, p. 433-447.
KHOI, Lê Thành, « Culture et développement » in Tiers-Monde, tome 25, n°97, 1984, p. 8-
29.
M. SOLOW, Robert, « A contribution to the theory of Economic Growth », in Quarterly
Journal of Economics, Vol.70, n°1, 1956, p. 65-94.
114

NYANO Emboussi, « La moyenne et la norme à propos de la médiocrité chez Ebénézer Njoh-


Mouellè », in Emmanuel Malolo Dissakè (éd), L’Aspiration à Être. Autour du philosophe
Ebénézer Njoh-Mouellè, Paris, Éditions Dianoïa, 2002.
ROMER, Paul Mickael, « The Origins of Endogenous Growth » in The Journal of Economic
Perspectives, Vol. 8, n°1, 1994, pp. 3-22.
YAO, Kouadio, « La culture dans Cheikh Anta Diop » in Revue Della / Afrique Numéro
Spécial / Décembre 2021 de campagne Éditoriale Tome 1, p. 237-252.

4.2.Les thèses et les mémoires


BLASSI, N’Guessan Rémi, La problématique du développement dans la philosophie de Njoh-
Mouellè, Thèse de Doctorat unique en Philosophie des cultures et civilisations africaines,
Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, 2023.
KOUADIO, Franck, Des enjeux didactiques de la notion de désaliéner en classe de terminale
à la lumière de la pensée de Cheikh Anta Diop, Mémoire de master professionnel en
philosophie, École Normale Supérieure d’Abidjan, 2019.
KOUADIO, Franck, Sujet et liberté à partir de la philosophie d’Emmanuel Kant, Thèse de
Doctorat unique en philosophie (Métaphysique et Esthétique), Université Félix Houphouët-
Boigny, Abidjan, 2021.
LOPOA, Bi Kouamé Jeff Mack Donald, La tradition Africaine dans La crise du Muntu de
Fabien Eboussi Boulaga, Mémoire de Master en Philosophie des cultures et civilisations
Africaines, Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, 2021.
SEKA, Kouamé Ernest-Junior, Justice et capabilité dans L’idée de justice d’Amartya Sen,
Mémoire de Master en Philosophie Politique et Morale, Université Félix Houphouët-Boigny,
Abidjan, 2021.
SOME, Ollo Germain, De l’idée de développement durable chez Kwame Nkrumah, Thèse de
Doctorat unique en Philosophie des cultures et civilisations africaines, Université Félix
Houphouët-Boigny, Abidjan, 2022.

4.3.Les Encyclopédies et les dictionnaires spécialisés


AKTOUF, Omar, Méthodologie des sciences sociales et approches qualitatives des
organisations, Québec, P.U.O, 1992.
COMTE-SPONVILLE, André, Dictionnaire Philosophique, Paris, Éditions PUF, 2001.
115

DUROZOI, Gérard et ROUSSEL, André, Dictionnaire de philosophie. Paris, Éditions Nathan,


2009.
DORTIER, Jean-François, Le dictionnaire des sciences sociales, Paris, Sciences Humaines
Éditions, 2013.
Encyclopédie universelle philosophique, Volume 1, Paris, PUF.
GREFFE, X. et al., Dictionnaire des grandes œuvres économiques. Paris, Édition Dalloz,
2002.
Le petit Robert, Paris, Le robert, 2017.
N’DA, Paul, Recherche et méthode en sciences sociales et humaines, Paris, L’Harmattan,
2015.
RUSS, Jacqueline, Les méthodes en philosophie, 3ème édition établie par France Farago,
Paris, Éditions Armand Collin, 2017.
RUSS, Jacqueline, Dictionnaire de philosophie, Paris, Flammarion, 2004.
RUSS, Jacqueline, Les chemins de la pensée (3ème Édition). Paris, Armand Colin Éditeur,
1988.

4.4.Webographie ou sitographie
FERRARI, Sylvie, 2010, « Éthique environnementale et développement durable : réflexions
sur le Principe responsabilité de Hans Jonas », in Développement durable & territoires [En
ligne], vol. 1. nº 3, consulté le 12 août 2020.
URLhttp://journals.openeditionorg/developpementdurable/8441 ; DOI
:https://doi.org/104000/developpementdurable.8441
Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement technique et de la formation
professionnelle, Module de formation des professeurs contractuels du programme social du
gouvernement 2019, https://dpfc-ci.net/wp content/uploads/dpfcfichiers/2019-
2020/psgouv2019/Modules%20du%20secondaireContractuels%202019/
Modules%20Formation%20Contractuels_Philosophie.pdf, 28 juillet-30 septembre, 2019.
http://www.njohmouelle.org/Accueil.php?m=5&s=513.
http://www.njohmouelle.org/Accueil.php?m=5&s=514.
http://www.njohmouelle.org/Accueil.php?ok=7&bck=y&m=7&s=701&act=&numeroPages=
89&Ncur=870&i=840.
https://misterprepa.net/modele-de-solow/.
116

TABLE DES MATIÈRES


117

SOMMAIRE ....................................................................................................... II

DÉDICACE........................................................................................................III

REMERCIEMENTS......................................................................................... IV

INTRODUCTION GÉNÉRALE ....................................................................... 5

PREMIÈRE PARTIE : EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ, UN REGARD


AUTRE SUR LE DÉVELOPPEMENT .......................................................... 19

CHAPITRE I : LA SPÉCIFICITÉ DE LA PENSÉE NJOH-MOUELLÉENNE


DU DÉVELOPPEMENT, RUPTURE AVEC LA CONCEPTION CLASSIQUE
DU DÉVELOPPEMENT .................................................................................... 21

A. De la conception classique du développement ....................................... 21

B. De la critique njoh-mouelléenne de la conception classique du


développement .............................................................................................. 24

CHAPITRE II : EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ, POUR UN


DÉVELOPPEMENT CENTRÉ SUR L’HUMAIN ............................................ 30

A. De la lutte contre la misère humaine ...................................................... 30

B. De la promotion de l’excellence de l’homme ........................................ 34

DEUXIÈME PARTIE : L’EXPÉRIMENTATION DE LA NOTION DE


« DÉVELOPPEMENT » CHEZ EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ DANS
LE SECONDAIRE IVOIRIEN ........................................................................ 42

CHAPITRE 1: CONDUITE DE LEÇON SUR LA NOTION DE


« DÉVELOPPEMENT » EN CLASSE TERMINALE D .................................. 44

A. Présentation de l’étude de notion ........................................................... 44

B. Phase pratique ......................................................................................... 47


118

CHAPITRE 2 : MISE EN SCÈNE DE L’EXPLICATION D’UN TEXTE


D’EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ SUR LA NOTION DE
« DÉVELOPPEMENT »..................................................................................... 53

A. Généralité sur l’explication de texte ....................................................... 53

B. Phase pratique ......................................................................................... 55

TROISIÈME PARTIE : L’APPORT DE LA CONCEPTION DE


DÉVELOPPEMENT CHEZ EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ DANS LA
CONSTRUCTION DES CITOYENS RESPONSABLES ET D’UN
DÉVELOPPEMENT DURABLE EN AFRIQUE .......................................... 70

CHAPITRE 1: LA CONCEPTION NJOH-MOUELLÉENNE DU


DÉVELOPPEMENT, UNE CONTRIBUTION À LA CONSTRUCTION DES
CITOYENS RESPONSABLES .......................................................................... 72

A. De la construction de la responsabilité individuelle............................... 72

B. De l’éducation comme instrument de formation des individus ............. 79

CHAPITRE 2 : LE DÉVELOPPEMENT SELON EBÉNÉZER NJOH-


MOUELLÈ, UNE CONTRIBUTION À LA CONSTRUCTION D’UN
DÉVELOPPEMENT DURABLE EN AFRIQUE .............................................. 86

A. De la réalité du développement durable ................................................. 86

B. Des défis du développement durable pour l’Afrique ............................. 94

CONCLUSION GÉNÉRALE ........................................................................ 102

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE .................................................................. 108

TABLE DES MATIÈRES ............................................................................... 116


119

Résumé
Ce mémoire de master professionnel est une relecture, voire une actualisation de la pensée
njoh-mouelléenne du développement. Dans ses écrits, Ebénézer Njoh-Mouellè (1938…)
s’efforce de promouvoir un développement au sens large du terme. Pour lui, le développement
d’une société nécessite une appréciation non seulement de ses ressources économiques, mais
aussi de ce qui importe réellement pour les individus : leur liberté, leur bien-être, leur
formation, leur éducation. Car, pour que chacun puisse vivre mieux dans la société, il faut se
soucier aussi du développement humain. C’est pourquoi, chez Njoh-Mouellè, s’il y a un
développement qu’il faut nécessairement promouvoir c’est bel et bien celui qui est susceptible
de faire passer l’homme de l’état médiocre à l’état excellent. Tel est donc le trait essentiel de
la pensée njoh-mouelléenne du développement. Dès lors, ce présent travail de recherche se
propose de montrer comment la philosophie Njoh-Mouellè prônant l’idée d’un
développement proprement humain est susceptible de contribuer à la construction des
citoyens responsables et d’un développement durable en Afrique. Il s’agit essentiellement de
démontrer dans un esprit didactico-pédagogique, une analyse et un enrichissement de l’étude
de la notion de « développement » en terminale D à l’aune de la conception njoh-mouelléenne
du développement. Le but essentiel est de redorer le blason du système éducatif ivoirien, de
construire des citoyens responsables, et par ricochet une société durale, responsable,
développée et dynamique. Mais, pour y parvenir, nous procéderons par une démarche
critiquo-analytique.

Mots-Clés : Développement, Responsabilité, Éducation, Développement durable,


Médiocrité, Excellence, Liberté.

Abstract
This master’s thesis is a reexamination, or perhaps an update, of Ebénézer Njoh-Mouellè’s
thought on development. In his writings, Ebénézer Njoh-Mouellè (born in 1938) strives to
promote development in the broad sense of the term. For him, the development of a society
requires an assessment not only of its economic resources but also of what truly matters for
individuals : their freedom, well-being, education, and formation. To ensure that everyone can
live better in society, attention must also be given to human development. Therefore,
according to Njoh-Mouellè, the development that must be promoted is one that can elevate
individuals from mediocrity to excellence. This essential trait defines Njoh-
Mouellè’s philosophy of development. Therefore, this research work aims to show how the
philosophy of Njoh-Mouellè advocating the idea of a truly human development is likely to
contribute to the construction of responsible citizens and sustainable development in Africa.
Our focus will be on analyzing and enriching the study of the concept of “development” in the
context of secondary education (specifically, terminale D) using Njoh-Mouellè’s development
perspective. Our ultimate goal is to enhance the reputation of the Ivorian educational system,
foster responsible citizens, and create a durable, responsible, developed, and dynamic society.
To achieve this, we will follow a critical and analytical approach.

Keywords : Development, Responsibility, Education, Sustainable development, Mediocrity,


Excellence, Freedom.

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