Philosophie du Développement Ivoirien
Philosophie du Développement Ivoirien
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DÉPARTEMENT DES ARTS ET LETTRES
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SECTION : PHILOSOPHIE
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ANNÉE ACADÉMIQUE : 2023-2024
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MÉMOIRE DE MASTER PROFESSIONNEL
L’ENSEIGNEMENT DE LA NOTION DE
« DÉVELOPPEMENT » CHEZ EBÉNÉZER
NJOH-MOUELLÈ DANS LE SECONDAIRE
IVOIRIEN AUJOURD’HUI
Présenté par :
M. SEKA Kouamé Ernest-Junior
Soutenu le 29 Mai 2024 devant le Jury N°3 composé de :
SOMMAIRE
SOMMAIRE............................................................................................................................ II
DÉDICACE ............................................................................................................................ III
REMERCIEMENTS ............................................................................................................. IV
INTRODUCTION GÉNÉRALE .............................................................................................5
PREMIÈRE PARTIE : EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ, UN REGARD AUTRE SUR
LE DÉVELOPPEMENT ........................................................................................................19
CHAPITRE I : LA SPÉCIFICITÉ DE LA PENSÉE NJOH-MOUELLÉENNE DU
DÉVELOPPEMENT, RUPTURE AVEC LA CONCEPTION CLASSIQUE DU
DÉVELOPPEMENT ................................................................................................................21
CHAPITRE II : EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ, POUR UN DÉVELOPPEMENT CENTRÉ
SUR L’HUMAIN .....................................................................................................................30
DEUXIÈME PARTIE : L’EXPÉRIMENTATION DE LA NOTION DE
« DÉVELOPPEMENT » CHEZ EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ DANS LE
SECONDAIRE IVOIRIEN ....................................................................................................42
CHAPITRE 1 : CONDUITE DE LEÇON SUR LA NOTION DE « DÉVELOPPEMENT »
EN CLASSE TERMINALE D .................................................................................................44
CHAPITRE 2 : MISE EN SCÈNE DE L’EXPLICATION D’UN TEXTE D’EBÉNÉZER
NJOH-MOUELLÈ SUR LA NOTION DE « DÉVELOPPEMENT » .....................................53
TROISIÈME PARTIE : L’APPORT DE LA CONCEPTION DE DÉVELOPPEMENT
CHEZ EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ DANS LA CONSTRUCTION DES CITOYENS
RESPONSABLES ET D’UN DÉVELOPPEMENT DURABLE EN AFRIQUE ..............70
CHAPITRE 1 : LA CONCEPTION NJOH-MOUELLÉENNE DU DÉVELOPPEMENT,
UNE CONTRIBUTION À LA CONSTRUCTION DES CITOYENS RESPONSABLES.....72
CHAPITRE 2 : LE DÉVELOPPEMENT SELON EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ, UNE
CONTRIBUTION À LA CONSTRUCTION D’UN DÉVELOPPEMENT DURABLE EN
AFRIQUE .................................................................................................................................86
CONCLUSION GÉNÉRALE ..............................................................................................102
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE ........................................................................................108
TABLE DES MATIÈRES .................................................................................................... 116
III
DÉDICACE
À mon défunt père M. Koman SEKA, je dédie ce Mémoire.
IV
REMERCIEMENTS
À notre Professeur Conseiller, Monsieur ADHOU Kouadio, pour les conseils, la formation et
la bonne collaboration durant mon année de stage au sein de l’Établissement d’Application
Jean Piaget / ENS.
À mes géniteurs. Merci infiniment de m’avoir donné la vie. Merci pour la qualité de
l’éducation que j’ai reçue de vous. Merci de votre indéfectible soutien.
À mes amis et condisciples de toujours, merci. La brièveté de mes propos à votre égard ne
peut qu’être éloquente de l’incommensurabilité de la reconnaissance que je vous porte.
À Dieu sous l’égide et la grâce de qui toute cette production a été réalisée au quotidien sans
heurts majeurs.
5
INTRODUCTION GÉNÉRALE
6
1
Gilbert Rist, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, 3ème édition revue et argumentée, Paris,
Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 2007, p. 27.
2
André Comte-Sponville, Dictionnaire Philosophique, Paris, Éditions PUF, 2001, p. 258.
7
vie et vers de meilleure condition sociale. Le développement est lié au social et à l’économie.
Dans son contexte économique, le développement se traduit par une forte augmentation de la
richesse, par une hausse du Produit Intérieur Brut par habitant, par une production massive
des biens de consommation ou de production dont le but est de lutter contre la pauvreté,
entendue comme manque de biens matériels et financiers.
À la lumière de ces définitions, l’une des préoccupations fondamentales marquant nos
sociétés d’aujourd’hui est le modèle de développement que nous souhaitons construire. À cet
effet, faut-il réduire exclusivement le développement d’un pays à sa seule production massive
des biens divers de consommation ? L’indice de développement est-il uniquement la
croissance du Produit Intérieur Brut par habitant, ou la croissance économique ? Existe-t-il un
critère adéquat et approprié de notation et d’évaluation du niveau de développement d’une
nation ? Ces interrogations portant sur le développement sont au cœur de la pensée ou de
l’activité philosophique3. En effet, le philosophe ne doit rester en marge des situations
malheureuses que traversent les individus dans la vie sociale. Il est celui-là même qui doit
apporter sa part d’étoile, sa contribution dans la résolution des problèmes de son époque. De
ce fait, celui-ci doit se mettre à l’écoute du monde pour en dégager le sens. Aussi est-il appelé
à donner plus d’ampleur et de rigueur aux réflexions portant sur les injustices dont souffrent
les êtres humains de par le monde, comme la faim, la pauvreté, l’analphabétisme, la torture, le
racisme, les inégalités sexuelles, l’oppression des femmes, les incarcérations arbitraires ou la
privation de soins médicaux, etc. Pour s’en convaincre, le philosophe canadien Bernard
Lonegran (1904-1984) affirme que « la philosophie est une réflexion sur la situation humaine
à un niveau ultime. Elle consiste en une réflexion fondamentale sur la situation humaine »4.
En d’autres termes, la philosophie est une discipline portant sur la situation humaine. Ainsi,
cette discipline, entendue comme amour de la sagesse, se veut une discipline rationnelle et
critique ayant pour crédo la recherche permanente et constante de la vérité, de la justice et des
autres valeurs semblables. La philosophie contribue incessamment à la formation
intellectuelle des individus, à leur éducation morale et à la stabilité de la vie sociale. De cette
manière, philosopher, c’est à la fois s’interroger et interroger l’univers dans lequel nous
vivons, voire de penser les problèmes de notre société afin que nous nous épanouissions. En
3
On peut à titre d’exemple, mentionner certains auteurs qui se sont penchés sur le sujet, notamment : Aristote,
Éthique à Nicomaque, trad. de R. Bodéüs, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2004 ; Adam Smith, Recherches sur
la nature et les causes de la richesse des nations, [1776], Paris, Flammarion, 1999 ; Amartya Sen, Un nouveau
modèle économique. Développement, justice, liberté, (trad. de l’anglais par M. Bessières, Paris, Éditions Odile
Jacob, 2000), L’économie est une science morale, (trad. M. C. Sperber et N. Guilhot, Paris, La Découverte,
2003) et aussi L’idée de Justice, trad. de l’anglais par P. Chemla, Paris, Flammarion, coll. « Champs essais »,
2010 ; Dominique MEDA, Au-delà du PIB, pour une autre mesure de la richesse, Paris, Flammarion, 2008, etc.
4
Bernard Lonegran, La philosophie de l’éducation in Œuvres complètes, Paris, PUF, 2002, p. 2.
8
partant de cette analyse, la philosophie est susceptible d’aider nos États sur la voie du
développement.
Le développement est consubstantiel à toute société. Cette « consubstantialité » se
justifie par le fait que toute société veut et cherche à s’améliorer, à se développer, à se
perfectionner, à se moderniser. Subséquemment, le développement apparaît comme un
processus incontournable dans la marche des sociétés, c’est-à-dire dans la création des
sociétés nouvelles. En tant que processus incontournable, il est perçu en termes de mutation
de civilisation et de dynamique sociale et humaine. Le développement apparaît donc comme
une aspiration profonde des sociétés humaines vers l’évolution, la croissance. Autrement dit,
le développement est devenu une quête, voire un but à atteindre à telle enseigne que, souligne
le spécialiste de la sociologie du développement Gilbert Rist (1938-2023), « celui-ci constitue
en effet une constante de la vie de toutes les sociétés depuis l’aube de l’humanité »5. De cee
assertion, il ressort qu’il y a un désir constant pour chaque société de tendre vers une
transformation, une amélioration, voire vers un monde nouveau. C’est sans doute pourquoi, le
développement figure parmi l’un des défis des États africains après leur ascension à
l’indépendance dans les années 1960. L’année 1960 correspond à l’année où la plupart des
pays africains se sont libérés de la colonisation, voire de la rationalité coloniale. Cette
rationalité a imposé aux Africains l’idée qu’ils sont incapables de relever les défis de leur
propre développement. Elle s’est donnée pour mission de dominer, d’exploiter l’esprit africain
de sorte qu’il perd espoir de se développer, de se reconstruire, de se créer un monde selon ses
propres valeurs.
Or, un peuple dominé, exploité est un peuple qui ne se gouverne pas, qui ne dispose
plus de lui-même, qui perd sa liberté ; c’est un peuple aliéné. Subséquemment, la rationalité
coloniale a modifié notre manière d’être, de penser et a fait de nous des individus incapables
d’envisager notre propre développement. Comme le révèle l’historien et politologue
camerounais Achille Mbembe (1957…), en les dépossédant de leur espace, la rationalité
coloniale a exigé aux Africains, « non seulement qu’ils changent leurs raisons de vivre, mais
aussi qu’ils changent de raison_ des êtres en écart perpétuel »6. En conséquence, c’est notre
culture, notre civilisation, nos us et coutumes qui sont niés et considérés comme des choses
primitives, c’est-à-dire appartenant à un monde inférieur. De la sorte, c’est toute la dignité de
l’être africain qui est remise en cause ainsi que son identité. Une telle entreprise coloniale
5
Gilbert Rist, Op. cit., p. 34.
6
Achille Mbembe, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, Paris, Éditions La Découverte,
2010, p. 15.
9
plonge l’Africain dans un pessimisme, dans un doute profond non seulement sur son présent,
mais aussi son avenir. Cette idée transparaît dans la pensée du psychiatre et essayiste algérien
martiniquais Frantz Fanon (1925-1961) lorsqu’il écrit que, dans l’entreprise coloniale, « la
culture du peuple asservi est sclérosée, agonisante. Aucune vie n’y circule. Plus précisément
la seule vie existante est dissimulée »7. Il fallait donc que nos États s’affranchissent de cette
rationalité coloniale en mettant en place les principes fondamentaux de leur développement.
À l’aube des indépendances, les pays africains ont donc ressenti la nécessité de
construire un développement dont le but est de lutter contre la pauvreté, la misère, le chômage
qui privent le peuple de certains droits fondamentaux tels que le fait d’espérer vivre
longtemps, de mener une vie bonne, de vivre en toute liberté, et d’avoir accès à l’éducation.
Ces pays promeuvent le développement dans certains secteurs vitaux comme nous révèle
l’homme politique ivoirien Marcel Zadi Kessy (1936-2020) en prenant l’exemple de la Côte
d’Ivoire : « En accédant à l’indépendance, la Côte d’Ivoire, à l’instar des États africains,
s’est fixé un objectif prioritaire : le développement économique, social et culturel »8. C’est
donc d’autant plus nécessaire que la notion de « développement » soit inscrite dans les
programmes scolaires en Côte d’Ivoire.
Dans nos programmes scolaires en général et dans la discipline philosophique en
particulier, la notion de « développement » figure dans la compétence III du programme des
classes de Terminale D. Cette compétence, traitant d’une situation relative aux conditions du
progrès, a pour thème les conditions du bonheur. Elle intervient seulement dans la leçon 3 –
« Progrès et Bonheur » – de cette compétence. Elle y est sommairement analysée ; et la
situation d’apprentissage, élément indispensable dans l’élaboration et la conduite d’une leçon
l’atteste bien. Cette situation suggère, à titre de tâches, de connaître les caractéristiques du
travail, de la technique, de distinguer les différents types de progrès, et d’examiner les
conditions du bonheur. En référence à la situation d’apprentissage, la finalité recherchée par le
travail, la technique, le progrès ou le développement est de mettre à la disposition de l’homme
les conditions de possibilité et de réalisation du bonheur. Cependant, il s’est avéré que, malgré
l’inscription de la notion de « développement » dans les programmes scolaires, notamment en
philosophie, nous avons du mal à nous développer. Est-ce un problème d’enseignement de
ladite notion ? Est-ce un manque de vision du développement, c’est-à-dire est-ce qu’on ne
met pas exclusivement l’accent sur la promotion d’un développement matériel ?
7
Frantz Fanon, Pour la révolution africaine. Écrits politiques, Paris, Éditions La Découverte, 2001, p. 53.
8
Marcel Zadi Kessy, Développement de proximité et gestion des communautés villageoises, Abidjan, Éditions
Éburnie, 2004, p. 39.
10
La difficulté est que l’orientation que l’on donne le plus souvent à la notion de
« développement » pour la rendre effective est une orientation matérialiste. On perçoit le
développement comme une affaire infrastructurelle. Cette orientation matérialiste du
développement repose sur l’accumulation des richesses économiques, la possession des biens
matériels, la croissance des objets de conforts ; et elle s’observe bien dans les discours
officiels des hommes politiques et des économistes classiques. Ainsi, l’approche
communément adoptée par les économistes et les hommes politiques en la matière,
notamment ceux spécialisés dans l’estimation quantitative du développement, consiste à
s’interroger sur le niveau de ressources économiques, financières et monétaires dont disposent
les pays et dont jouissent les individus. Dans cette approche du développement, on se limite à
juger le développement d’un pays sur la base des moyens techniques et des infrastructures
(bâtiments, hôpitaux, universités, ponts, stades, routes, usines, aéroports, ports, caniveaux
etc.) dont il dispose. Un pays est dit développé lorsque son niveau de réalisation technique et
économique est très avancé, et un pays est dit sous-développé lorsqu’il est démuni
économiquement et techniquement. En des termes plus économiques, un pays développé se
caractérise par la croissance forte du Produit Intérieur Brut et/ ou du Produit National Brut, et
un pays sous-développé par la faible croissance du PIB et/ou du PNB. Par conséquent, le
développement prend la forme de l’économicisme, c’est-à-dire se ramène à l’idée de
croissance, d’accès aux revenus. Grosso modo, il existe des critères objectifs du
développement dont les principaux éléments sont la croissance économique et la technique.
C’est dans cette perspective qu’il faut lire ces propos du philosophe et homme politique
ivoirien Sidiki Diakité : « le développement tel qu’on l’exprime de nos jours dans les discours
officiels repose avant tout sur un calcul économique et sur une vision instrumentale de la
technique »9. Or, cette manière de penser le développement s’avère, à bien y observer,
superficielle. En quoi réside cette superficialité ?
Cette superficialité réside dans le fait que le développement, fondé sur un calcul
économique et sur une vision instrumentale de la technique, n’est pas viable à long terme. En
réalité, en considérant de façon exclusive le développement sous cet angle, il y a un écueil
auquel on ne prête souvent pas attention. L’écueil est que souvent, le peuple n’a pas
conscience de toutes ces infrastructures qu’on construit, à telle enseigne que les caniveaux
destinés à évacuer l’eau sont bouchés à cause des déversements d’ordures. Dans ces
conditions, ne serait-il pas nécessaire de prendre le temps de conscientiser, d’éduquer d’abord
9
Sidiki Diakité, Technocratie et question africaine de développement. Rationalité technique et stratégies
collectives, Abidjan, Édition Stratéca diffusion, coll. « Penser l’Afrique N° 2 », 1994, p. 184.
11
10
Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, trad. de V. Delbos, Paris, éditions Librairie
Delagrave, 1996, pp. 149-150.
11
Bergson et l’idée de profondeur (3ème cycle, Sorbonne, 1967) et L’avenir de l’humanité selon le Bergsonisme
(Doctorat d’État, Sorbonne, 1981).
12
philosophes qui tiennent office de conservateur de musée ne peuvent être considérés comme
de véritables philosophes, mais plutôt comme des pseudo-philosophes, inutiles à la société12.
Donc, il les appelle à une productivité d’idées ou voies nouvelles pour rendre possible le
développement intégral dont l’Afrique a besoin. Telle est l’affirmation d’Azombo Menda et
M. Enobo Kosso lorsqu’ils écrivent :
Ebénézer Njoh-Mouellè commence par souligner la nécessité de la philosophie dans le
contexte socio-historique des pays africains. Puis il se penche sur les tâches qui
incombent actuellement au philosophe africain qui ne doit pas être un conservateur de
musée, mais un élément actif dans le processus de développement intégral dont
l’Afrique a besoin. Ce qui l’amène à reprendre la question du développement pour en
dégager la signification philosophique13.
En reprenant la question du développement, Njoh-Mouellè apporte un éclairage
nouveau sur le concept de « développement », dépassant le cadre limité des biens matériels
pour s’intéresser aux existences humaines réelles, telles que la misère, la pauvreté, la
médiocrité, la politique, la morale, le langage, l’éducation, le travail, le bonheur, la liberté, le
bien-être, etc. L’auteur consacre, en un mot, toute sa réflexion à penser à nouveau frais la
notion de « développement » en l’orientant nécessairement sur l’homme, son éducation, sa
moralisation, sa formation. C’est donc à bon droit que le présent travail d’étude et de
recherche s’élabore sous l’égide de la philosophie de cet auteur. L’intitulé de cette recherche
est libellé comme suit : « L’ENSEIGNEMENT DE LA NOTION DE « DÉVELOPPEMENT »
CHEZ EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ DANS LE SECONDAIRE IVOIRIEN
AUJOURD’HUI ».
Le cadre théorique, qui sous-tend la présente étude, est la philosophie du
développement. La philosophie du développement peut être présentée comme une philosophie
ayant pour tâche de réfléchir à tout ce qui concerne l’amélioration des conditions de vie
extérieure et intérieure de l’homme. Dans cette philosophie du développement, deux (2)
grandes conceptions sont entrées en confrontation : il s’agit d’une part de la conception
matérialiste du développement, et d’autre part de la conception idéaliste du développement.
La conception matérialiste du développement limite le développement à la simple production
des données matérielles, telles que les infrastructures, l’économie, la finance, les productions
techniques. Mieux, elle promeut un développement centré sur la production des biens
matériels. Quant à la conception idéaliste du développement, elle prend en compte non
seulement les productions de biens matériels, mais l’humain en tant que tel, sa vie, sa dignité,
12
Ebénézer Njoh-Mouellè, Jalons, Recherche d’une mentalité neuve, Yaoundé, Éditions CLE, 1970, p. 86.
13
S. Azombo Menda et M. Enobo Kosso, Les philosophes africains par les textes, Paris, Éditions Nathan-
Afrique, 1978, p. 151.
13
sa liberté, son être. Ainsi, parmi ces deux conceptions, c’est la conception idéaliste du
développement qui nous intéresse. Pourquoi un tel choix ? Dans ses écrits, Njoh-Mouellè
soutient que s’il y a un développement qu’il faut promouvoir, c’est bel et bien le
développement à visage humain. Ce développement à visage humain est au service de
l’homme, de la société. C’est un développement susceptible de réduire le problème de la
pauvreté, de la médiocrité, de la superstition dont souffrent les pays sous-développés. C’est
pourquoi, le choix de Njoh-Mouellè pour explorer l’idée de développement n’est pas anodin.
Ce choix de Njoh-Mouellè peut s’expliquer pour deux raisons principales. La première
de celles-ci est le tournant pris par le débat autour de la question africaine du développement
dans les années 70 où la plupart des États africains, après l’indépendance, semblaient
construire un modèle de développement par comparaison aux pays développés. Ainsi, « la
vision de notre développement, dans l’optique de l’homme individuel comme dans celle de la
société globale, est souvent faussée par une abusive réduction à sa dimension économique et
matérielle »14. Dans cette perspective, « tout le monde, en pays sous-développé, se plaint de
marquer de moyens financiers et matériels pour faire ceci ou cela »15. Cela est d’autant plus
justifié que lorsqu’on demande à l’Africain sous-développé ce que signifie le développement
socio-économique, ce dernier répond par « l’énumération d’objets à acquérir »16, tels que les
réfrigérateurs, machines à laver, maisons à étages, campagnes et forêts rasées, routes et
autoroutes etc. Or, s’interroge Njoh-Mouellè,
un pays est-il sous-développé par rapport à un autre ou plutôt par rapport à ses propres
potentialités ? (…) En d’autres termes, l’idéal de développement pour l’Afrique sous-
développée pourrait-il être, devrait-il être la réalité économique des États-Unis
d’Amérique d’aujourd’hui ?17.
À cette interrogation, l’auteur répond que c’est un discours erroné, voire fallacieux de dire
d’un pays qu’il est développé ou sous-développé par faute d’une commune mesure de
développement. On ne saurait, en ce sens, réduire le développement d’un pays à sa seule
possession des richesses économiques ou des moyens techniques et scientifiques. Il faut donc
relativiser les critères du développement, car c’est un processus continuel prenant en compte
aussi bien l’aspect quantitatif des réalisations matérielles que les valeurs et richesses
culturelles, comme le révèle Njoh-Mouellè lorsqu’il affirme :
L’idée de développement est incontestablement une notion économique ; mais la réduire
rigoureusement à l’économique serait la restreindre. Le développement est un processus
14
Ebénézer Njoh-Mouellè, Développer la richesse humaine, Éditions CLE, Yaoundé, 1980, p. 55.
15
Ibidem.
16
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du développement,
Yaoundé, Éditions CLE, 1970, p. 5.
17
Idem, pp. 5-6.
14
complet, total qui déborde par conséquent l’économique pour recouvrir l’éducationnel
ou le culturel18.
Parce que par l’éducation ou la culture, l’homme s’éloigne de toutes déterminations
purement naturelles et finit par devenir un être social, moral et spirituel, le développement ne
doit lui être étranger. En réalité, se développer c’est d’abord et avant tout développer l’humain
dans sa totalité. Le développement renvoie non seulement à la croissance économique, mais
aussi et surtout à la qualité de la vie humaine. Que donc le développement ne se limite pas au
progrès matériel, car il y a aussi le progrès moral, le progrès spirituel, mais surtout le progrès
humain. Autrement dit, le développement matériel ne peut être bénéfique que s’il est précédé
par un développement des mentalités, un développement spirituel, moral.
La seconde raison du choix de Njoh-Mouellè repose sur la qualité et la pertinence de
ses écrits. Pensée actuelle et féconde, les écrits de ce philosophe camerounais ont l’avantage
de nous situer au cœur d’un débat très complexe, à savoir la question africaine du
développement. Bien plus, sa pensée, dans son ouvrage De la médiocrité à l’excellence, sous-
titré essai sur la signification humaine du développement (1970) est une manière originale
d’aborder la question du développement. Dans ce livre, en se démarquant de toutes
connotations matérialistes qu’on associe généralement à l’idée de développement, Njoh-
Mouellè élabore une signification essentiellement humaine du développement. Pour cet
auteur, c’est l’homme qui, dans sa contribution, doit servir de socle au développement
économique et social. Construire un espace d’humanisation de l’homme doit être la fin du
développement. Parlant dudit ouvrage, le philosophe camerounais Hubert Nono Ndjana
(1946-2023) écrit :
Il s’agit d’une véritable phénoménologie des figures de l’homme convoqué au
développement et à l’excellence. Ce texte constitue aussi, en même temps, comme le
verso d’un recto, une anthropologie de la misère, dont toutes les attitudes sont
minutieusement décrites : l’ignorance, la superstition, la sorcellerie, la perversion des
mœurs, l’ostentation, le snobisme, le matérialisme le plus vulgaire, etc. Tout l’effort qui
est d’ailleurs fait dans l’ouvrage est de dissocier le développement authentique de toutes
les connotations matérialistes que le vulgaire lui associe au risque de s’éterniser dans la
médiocrité19.
Dans son ouvrage De la médiocrité à l’excellence, Njoh-Mouellè tente de définir le nouveau
type d’homme dont le développement économique et social doit promouvoir. Ce nouveau
type d’homme n’est pas cet homme médiocre qui tourne le dos à l’avenir, à la créativité pour
s’éterniser dans l’instinct de conservation ou le besoin de sécurité. Il ne s’agit non plus de cet
homme critique égaré et superstitieux ni cet homme prisonnier de la modernité et du snobisme
18
Ibidem.
19
Hubert Nono Ndjana, Histoire de la philosophie africaine, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 65.
15
20
Paul N’Da, Recherche et méthode en sciences sociales et humaines, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 15.
21
Jacqueline Russ, Les méthodes en philosophie, 3ème édition établie par France Farago, Paris, Éditions Armand
Collin, 2017, p. 28.
22
René Descartes, Discours de la méthode, Présentation, notes, dossiers, bibliographie et chronologie, par
Laurence Renault, Paris, Garnier Flammarion, 2000, pp. 29-32.
17
C’est ainsi que Kant la définit comme une méthode « qui consiste dans l’étude du procédé de
la raison même, dans l’analyse et l’examen de l’ensemble de nos facultés intellectuelles, pour
savoir quelles en sont les limites »23. Dans cette logique, l’usage de la méthode critique
constituera l’instrument d’analyse et d’examen minutieux des forces et faiblesses de la
conception dominante du développement, en s’inspirant des écrits de Njoh-Mouellè.
Ensuite, nous ferons usage de la méthode analytique. Dérivé du verbe analuein
signifiant « délier », la méthode analytique est la réflexion qui procède par voie d’analyse
dont la fonction est de décomposer une notion afin d’en saisir sa véritable signification,
compréhension. C’est dire qu’analyser consiste « à décomposer l’objet d’étude en allant du
plus complexe au plus simple. Cette méthode recherche le plus petit composant possible,
l’unité de base des phénomènes »24. Dès lors, la méthode analytique se démarque de la
méthode synthétique qui procède par thèse, antithèse et synthèse ; et Bacon Tenoit en est le
fondateur. Mais, dès le début du XXème siècle, l’analyse devient une science appelée
philosophie analytique, qui est une science née des critiques, chez Frege en Allemagne et chez
Bertrand Russell en Grande-Bretagne. Dans ce présent travail, celle-ci nous servira à
déterminer la conception njoh-mouelléenne du développement dans les moindres détails, et à
faire une analyse pratique de la notion de « développement » en classe terminale D, mais
aussi à démontrer son apport, voire sa nécessité dans la construction d’une citoyenneté
responsable et d’un développement durable en Afrique.
23
Emmanuel Kant, Logique, traduit par J. Tissot, Paris, Librairie Philosophique de Ladrange, 1862, p. 39.
24
Omar Aktouf, Méthodologie des sciences sociales et approches qualitatives des organisations, Québec, P.U.O,
1992, p. 23.
18
PREMIÈRE PARTIE :
EBÉNÉZER NJOH-MOUELLÈ, UN REGARD
AUTRE SUR LE DÉVELOPPEMENT
20
Notre première partie, telle que formulée, a pour objectif d’exposer la conception
njoh-mouelléenne du développement. En effet, la parution en 1970 de l’ouvrage De la
médiocrité à l’excellence, sous-titré essai sur la signification humaine du développement
d’Ebénézer Njoh-Mouellè marque un tournant décisif dans l’approche de la notion de
« développement ». Ainsi que l’auteur le souligne, « le développement économique et social,
s’il ne devait viser que la production massive des biens divers de consommation n’améliorait
en rien l’homme en tant que tel »25. Une telle affirmation met en évidence le regard critique
que Njoh-Mouellè porte sur le développement économique et social qui se borne
exclusivement à viser la production massive des biens divers de consommation, voire la
croissance économique.
Ce faisant, la conception njoh-mouelléenne du développement va à l’encontre de
l’approche classique du développement, soutenue par les spécialistes du revenu national. En
d’autres termes, Njoh-Mouellè rebrousse chemin aux théories classiques du développement
afin d’identifier leurs insuffisances et leurs failles théoriques dont le but est de dégager une
nouvelle conception du développement répondant véritablement aux besoins des individus et
de la société. Une telle analyse nous permet d’affirmer que l’auteur porte un regard nouveau
sur le concept de « développement ». Mais, en quoi consiste réellement l’approche classique
du développement ? En quoi est-elle limitée, voire obsolète selon Njoh-Mouellè ? Là se dit
tout l’intérêt de notre première partie.
Cette première partie contient, en conséquence, deux chapitres. Le premier chapitre a
pour titre « la spécificité de la pensée njoh-mouelléenne du développement, rupture avec la
conception classique du développement ». Dans ce chapitre, nous exposerons la conception
classique du développement afin d’en dégager ses insuffisances en nous focalisant sur les
critiques élaborées par Njoh-Mouellè. Le second chapitre est intitulé « Ebénézer Njoh-
Mouellè, pour un développement centré sur l’humain ». Ici, nous poserons les bases de la
théorie njoh-mouelléenne du développement.
26
Jean-Marc Huart, Croissance et développement, Paris, Éditions Bréal, coll. « Thème et débats », 2003, p. 12.
27
Robert M. Solow, « A contribution to the theory of Economic Growth », in Quarterly Journal of Economics,
Vol.70, n°1, 1956, p. 65-94.
28
Jean-François Dortier, Le dictionnaire des sciences sociales. Paris, Sciences Humaines Éditions, 2013, p. 76.
29
Emmanuel Bénicourt et Bernard Guerrien, La théorie néoclassique. Microéconomie, macroéconomie et
théorie du jeux, 3ème éd., Paris, La découverte, coll. « Grands Repères/Manuels », 2008, p. 5.
22
30
Jean-François Dortier, Le Dictionnaire des sciences sociales, Op. cit., p. 183.
31
https://misterprepa.net/modele-de-solow/
32
Dominique Guellec et Pierre Ralle, Les nouvelles théories de la croissance, 5ème éd., Paris, Éditions la
découverte, 2003, p. 83.
33
Ce modèle de Solow est, à partir des années 1980, remis en cause par l’économiste américain Paul Romer qui
conçoit la croissance économique non pas comme une donnée exogène, mais plutôt comme une donnée
endogène intégrant ainsi les phénomènes comme le progrès technique, les rendements d’échelle, les effets
d’apprentissage, la formation, les dépenses publiques, ou dépenses de recherche/development etc. La principale
23
critique qu’il adresse à Solow est que tous ces phénomènes sont ignorés dans son modèle, voire considérés
comme des facteurs d’extérieurs dans le circuit économique. (Cf. Paul Mickael Romer, « The Origins of
Endogenous Growth » in The Journal of Economic Perspectives, Vol. 8, n°1, 1994, pp. 3-22.
34
Jean-François Dortier, Op. cit., p. 267.
35
Ibidem.
36
Jean-Marc Huart, Croissance et développement, Op. cit., p. 19.
24
divers ordres ; et nous sommes sous-développé lorsque nous sommes privés de ces divers
moyens. Cela traduit que l’accroissement du PIB et/ou du PNB détermine le niveau de
développement des pays, ou du moins permet de comparer les pays. Ce que souligne Njoh-
Mouellè lorsqu’il rappelle :
Dans l’optique quantitative, celle qui présente l’état de développement en termes de
réalisations techniques et de productions de bien de divers ordres, le sous-
développement à l’opposé apparaîtrait essentiellement comme un état de manque et de
privations37.
Cependant, cette façon d’envisager le développement ou le sous-développement est-elle
figée ? La croissance économique est-elle réellement le but essentiel du développement ? Le
développement, vu sous cet angle, peut-il mieux garantir réellement une existence épanouie
des individus dans une société donnée ? En d’autres termes, les indicateurs du développement
tels que le PIB et le PNB peuvent-ils permettre de mesurer la qualité de vie des individus au
sein d’un État donné ? Nos indicateurs économiques n’ont-ils pas de limites quant à la mesure
du bien-être de la population issue d’une société donnée ? Malheureusement, à en croire à
Njoh-Mouellè, cette conception classique du développement semble ignorer les véritables
difficultés des hommes dans la société. Selon lui, le développement économique et social
visant exclusivement la production massive des biens matérielles ne rend pas compte des
besoins individuels. Cette idée sera analysée de façon détaillée dans la suite de notre travail,
notamment à la seconde section de ce premier chapitre.
37
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du développement,
Op. cit., p. 5.
38
Idem, p. 7.
25
nombre considérable d’êtres humains est victime de la pauvreté, des famines, de l’inégalité
des chances, de l’insécurité sociale, de la violation et du non-respect des libertés individuelles,
et des privations les plus révoltantes, etc. En prenant l’exemple des sociétés de l’hémisphère
Nord industrialisés et dites développées, Njoh-Mouellè laisse entendre que « l’accroissement
des richesses et des biens matériels dans ces sociétés n’a pas encore réussi à supprimer le
crime, le banditisme, l’escroquerie, l’exploitation de la naïveté des faibles de la société »39.
L’optimisme philosophique de l’auteur est que la pauvreté, les famines, l’inégalité des
chances, l’insécurité sociale, la violation des droits de l’homme, le crime, le banditisme,
l’escroquerie, l’exploitation peuvent avoir une incidence sur la vie des individus. En ce sens,
rien ne prouve que les réalisations matérielles aillent nécessairement de pair avec la qualité de
vie des individus. Aussi est-il possible de vivre au milieu de nombreux biens matériels et
demeurer dans la pauvreté, voire être diminué dans son être. Dans cette perspective, souligne
Njoh-Mouellè, « on ne peut pas prétendre avoir développé un pays tout simplement parce que
le PIB est très élevé et le taux de croissance assez flatteur, alors que d’un côté, le taux de la
population carcérale par rapport à l’ensemble de la population reste très élevé »40. Tel est le
cas des personnes défavorisées, pauvres qui meurent chaque jour et sont mal nourries, mal
vêtues, maltraitées, illettrées, qui ne bénéficient pas des soins médicaux en cas de maladie.
Cela révèle donc la complexité du développement économique ou matériel dans son
rapport avec l’existence humaine. Une telle situation pousse Njoh-Mouellè à dire que les
réalisations matérielles ne témoignent pas nécessairement en faveur d’un développement
authentique ou réel et que « c’est un point de vue superficiel que celui qui se borne à juger du
développement d’une société par l’aspect quantitatif des réalisations matérielles qui y sont
effectuées »41. En d’autres termes, les réalisations matérielles ne peuvent déterminer le niveau
réel du développement d’une société. Car, appréhender le développement d’une société sous
l’aspect quantitatif des biens matériels relève de la superficialité. Dans cette même optique,
Sidiki Diakité souligne que les entités économiques telles que le PIB et/ou PNB ne sont pas
des moyens adéquats pour améliorer la qualité de vie du plus grand nombre. La raison
évoquée par Diakité est que ces entités économiques « ne fournissent pas une mesure
adéquate du bien-être humain et de la qualité de la vie »42. En ce sens, elles ne mesurent pas
39
Ebénézer Njoh-Mouellè, L’Aspiration à être, Éditions Dianoïa, Paris, 2002 (ouvrage collectif contenant
l’autobiographie intellectuelle et sept réponses aux essais critiques), p. 28.
40
Ibidem.
41
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du développement,
Op. cit., p. 20.
42
Sidiki Diakité, Technocratie et question africaine de développement. Rationalité technique et stratégies
collectives, Op. cit., p. 184.
26
ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue. Les indicateurs classiques du développement
sont obsolètes vis-à-vis du bien-être sociétal ; et ils ne garantissent pas une existence de
qualité. Ils ne rendent pas compte de la réalité et du niveau de vie véritable des populations. À
ce niveau, nous pouvons convoquer l’économiste indien Amartya Sen (1933…) qui estime
que nos indicateurs économiques raisonnent sur des moyennes ; et en cela ils passent à côté de
la vie réelle des hommes. Les indicateurs économiques, en s’éloignant de plus en plus de la
vie réelle de ceux-ci, ne se s’intéressent pas aux problèmes des inégalités sociales. C’est dans
cette perspective que Sen écrit :
Nos systèmes de mesure nous font raisonner sur des moyennes. Mais si nous continuons
à raisonner sur des moyennes, nous forgerons nos convictions et nous construirons nos
décisions sur des données de plus en plus éloignées de la vie réelle. L’individu moyen
n’existe pas et l’accroissement des inégalités le détache encore plus de l’expérience
réelle de la vie. Car la moyenne, c’est une façon de ne jamais parler des inégalités43.
Les indicateurs classiques du développement sont donc fautifs. Dans bien des domaines, ils ne
parviennent pas à prendre en compte certains aspects clés du bien-être social. Ils se limitent
qu’aux moyennes et ne rendent pas compte des besoins vitaux.
La seconde idée met en exergue que, dans l’approche orthodoxe du développement,
l’homme est coupé de tout effort ; ce qui compte ce sont les chiffres. Les chiffres sont plus
importants que les individus. En effet, à la lecture des économistes classiques du
développement tels que Robert Solow, on ne peut parler de développement que lorsqu’il y a
une argumentation brute des productions. Ce point de vue ne semble pas convenir à Njoh-
Mouellè qui estime plutôt que ces productions prennent l’allure de l’accumulation du capital,
du PIB et/ou PNB, ou d’autres variables qui reflètent l’évolution des revenus. Dans une telle
conception du développement, l’homme devient in fine un instrument passif dans le processus
du développement. Mieux, l’humanité de l’homme est reléguée au second plan dans le
développement infrastructurel, voire dans la production industrielle. Or, dans cette condition,
l’homme cesse d’être lui-même et n’a plus de valeur comme le souligne Njoh-Mouellè :
« Lorsque l’homme devient un instrument passif d’un processus inhumain de production
industrielle, il cesse d’être actif intérieurement, c’est-à-dire qu’il cesse de travailler, de
penser pour lui-même. Il perd la dimension de la profondeur »44. Cette conception du
développement ne fait que produire des sous-hommes. Dès lors, elle paraît réductrice en ce
sens qu’elle ne fait que réduire l’homme en simple référence numérique. Une telle idée est
mise en exergue par Njoh-Mouellè lorsqu’il souligne à juste titre que
43
Amartya Sen et al., Richesse des nations et bien-être des individus, Traduit de l’anglais par le Département de
la traduction du ministère des Affaires étrangères et européennes, Paris, Odile Jacob, 2009, p. 19.
44
Ebénézer Njoh-Mouellè, Op. cit., p. 74.
27
les dirigeants politiques qui étudient souvent les problèmes à l’échelle de pays entiers,
oublient que c’est lui, l’homme individuel, qui doit être la finalité de tous les plans de
développement. Il se voit réduit en chiffre ou en simple référence numériques dans leurs
calculs statistiques45.
En fait, lorsque les hommes politiques, et plus loin les économistes classiques parlent de
développement, ils n’ont en vue que le développement d’une société d’abondance,
d’opulence, c’est-à-dire une société possédant des richesses propres, potentielles. Et, dans ce
type de société, le bien-être des individus dépend de la jouissance des ressources
économiques, financières et monétaires. Or, comme nous fait savoir Njoh-Mouellè,
le bien-être ne s’identifie pas avec la jouissance pure et simple des objets-réponses que
fournit la technique à nos besoins et désirs. Le bien-être-jouissance a vite fait de
transformer l’homme en esclave de l’objet. Dans bien-être, il y a un statisme sclérosant
de l’homme enfermé dans le cadre de la répétition jouissive. Or l’objet de jouissance
peut être lui-même tarissable46.
De cette assertion ressort l’idée qu’on ne peut résumer le bien-être des individus à ce que
pourrait lui fournir la technique en termes d’objets.
La troisième idée concerne la transformation de l’homme en esclave des objets
matériels. En effet, le développement, vu sous l’angle matériel, détourne l’attention des
hommes vers l’avoir ou les biens matériels, à telle enseigne qu’ils en sont devenus esclaves.
Cela n’est point étonnant puisque, dans notre société contemporaine, les hommes sont
fascinés par la recherche effrénée et frénétique des objets matériels. Vivre, pour eux, c’est
posséder en grande quantité des ressources monétaires, c’est avoir le goût du luxe. Leur
programme de vie est un programme d’acquisitions d’argent, d’une maison, d’un véhicule ; et
ici nous avons affaire aux conditions matérielles du développement. De la sorte, nous vivons
dans une société où tout enrichissement est pris comme une fin en soi, et le sous-
développement comme une privation de toute richesse. Or, comme le soutient Njoh-Mouellè,
« tout enrichissement pris comme fin en soi est, au bout du compte, un appauvrissement ;
appauvrissement de l’être au profit de l’avoir, dilution de l’être dans l’avoir »47. Dans son
ouvrage Développer la richesse humaine, Njoh-Mouellè établit une distinction entre l’homme
de l’Avoir et l’homme de l’Être. Selon lui, l’homme de l’Avoir est le type d’homme égoïste
qui se contente de satisfaire ses besoins personnels et passe de longues heures, le jour comme
la nuit, à travailler. Il est obsédé par le gain, il construit des immeubles à telle enseigne qu’il
assimile de façon abusive, voire inconsciente le moyen à la fin. C’est ce que met en exergue
Njoh-Mouellè à travers ces propos suivants :
45
Ebénézer Njoh-Mouellè, Op. cit, p. 14.
46
Idem, p. 72.
47
Idem, p. 11.
28
Ayant en effet oublié que la constitution de l’avoir ne peut être qu’un moyen au service
d’une fin définissable comme satisfaction des besoins fondamentaux de l’homme en vue
de son accomplissement total intérieur, l’homme de l’avoir transforme inconsciemment
le moyen en fin48.
À l’opposé, l’homme de l’Être est l’homme qui « place sa vocation dans l’effort permanent,
mais un effort qui consiste pour lui à soumettre la nature à la liberté et à sauver ainsi de
l’homme ce qui appartient à l’universel »49. Ici, il milite en faveur de la liberté et de la dignité
de l’homme. Il a le sens de la responsabilité et sert que son épanouissement ne dépend pas des
biens matériels dont il dispose. De la sorte, l’homme de l’Être a des qualités nécessaires qui
vont bien au-delà des richesses économiques : il est un anticonformiste, résiste à la facilité, et
crée un nouvel ordre qu’on puisse vouloir universellement.
Partant de là, la position défendue par Njoh-Mouellè est que le développement matériel
semble créer les conditions d’une société où l’avoir vient modifient négativement l’être. En
clair, nous assistons à une dialectique de l’être et de l’avoir, comme le souligne Njoh-
Mouellè :
(…) à l’état social, l’apparition de la propriété individuelle a inauguré la dialectique de
l’être et de l’avoir. Ce que j’ai, ce qui m’appartient sous forme de richesses
dénombrables finit par faire partie de mon être. Mes plantations, mes immeubles, mes
cars de transport, si je suis homme d’affaires, c’est, ni plus ni moins, moi-même.
Qu’une partie de cet avoir en vienne à me manquer et me voilà affecté dans mon être
entier et cela peut aller jusqu’au suicide – suppression de l’être – en cas de faillite (perte
de l’avoir)50.
Ce sont donc les propriétés, les plantations, les immeubles, l’accumulation des richesses qui
font parties intégrantes de notre être, de notre vie. Ce que nous possédons en termes de
richesses économiques a plus de valeur que ce que nous sommes en réalité, à telle enseigne
que nous sentons affecté dans tout notre être lorsque nous perdons tel ou tel bien matériel. Les
individus sont absorbés par les richesses dénombrables. Or, les richesses dénombrables
mettent celui qui les détiennent dans une position inconfortable, dans un état d’anxiété
constante induit par la peur de perdre ces richesses. Si tel est le cas, l’auteur estime que « le
développement conçu comme une accumulation pure et simple de l’avoir est un mauvais
développement »51. C’est un mauvais développement parce que l’accumulation des richesses,
le goût du luxe s’accompagnent d’une régression morale et d’une crise de la vertu comme l’a
démontré le philosophe genevois Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) dans son premier
48
Ebénézer Njoh-Mouellè, Développer la richesse humaine, Op. cit., p. 24.
49
Idem, p. 44.
50
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du développement,
Op. cit., pp. 11-12.
51
Idem, p. 73.
29
discours intitulé Discours sur les sciences et les arts. La démarche de Rousseau montre
clairement que le développement des techniques, des sciences est source de déshumanisation
et d’aliénation de l’homme sous toutes les formes. Sous la plume de Rousseau, le
développement des sciences et des arts a mis à notre disposition, toutes les commodités, les
moyens, les artifices et autres fétiches d’instruments d’une véritable dénaturation ou
dénaturalisation de l’homme. Ce qui compte désormais, ce n’est plus la simplicité naturelle de
l’être mais plutôt la nouvelle orientation des sujets humains vers les objets matériels. De cette
analyse, les productions techniques et scientifiques nous portent donc préjudices en
corrompant nos mœurs, nos âmes, nos coutumes, nos cultures ou nos manières de faire et
d’être. Dès lors, conclut Rousseau, « les sciences et les arts doivent leur naissance à nos
vices : nous serions moins en doute sur leurs avantages, s’ils la devaient à nos vertus »52.
Ainsi, tout comme Rousseau, le développement qui ne vise que l’accumulation des richesses
ne doit être considéré comme un véritable développement.
Cependant, il convient de préciser que Njoh-Mouellè ne conteste pas l’importance de
l’avoir dans l’entreprise d’épanouissement personnel. Son but est d’inviter les hommes
politiques, les économistes classiques à revoir leur approche du développement, afin qu’ils ne
la centrent pas uniquement sur les accessoires, l’économie, le matériel, la finance. De même,
en ce qui concerne le rapport de l’homme aux biens matériels, Njoh-Mouellè précise que les
biens matériels représentant l’avoir et non l’être, doivent être traités continuellement comme
des moyens et ne devraient devenir en aucun cas la finalité des finalités :
Il ne s’agit pas pour nous de contester l’importance de l’avoir dans l’entreprise
d’épanouissement personnel de tout être, mais simplement d’inviter à effectuer un
déplacement d’accent, un renversement des positions : ce n’est pas l’être qui doit être
subordonné à l’avoir mais exactement le contraire. Quand donc on fait miroiter à
l’homme l’image d’une société d’abondance au sein de laquelle il connaîtrait le vrai
bonheur, on ne fait que détourner son attention de l’essentiel sur l’accessoire53.
Trois (3) raisons fondamentales semblent remettre en question l’approche classique du
développement : premièrement, elle est incapable de concilier prospérité économique et
amélioration des vies individuelles ; deuxièmement, elle réduit l’homme aux chiffres ;
troisièmement, elle détourne l’attention des hommes vers les objets matériels en les rendant
esclaves. Mais, comment Njoh-Mouellè appréhende-t-il le développement ? Quel est pour lui
le but essentiel du développement ? Autrement dit, sur quoi repose la conception njoh-
mouelléenne du développement ?
52
Jean-Jacques Rousseau, Discours sur les Sciences et les arts, Présentation, commentaires et notes par Gérard
Mairet, Paris, Librairie Générale Française, 1996, p. 75.
53
Ebénézer Njoh-Mouellè, Op. cit., p. 150.
30
54
Idem, p. 22.
55
Idem, p. 18.
31
que nous y avons projetée. Ce qui rend la misère subjective plus aigüe c’est la servitude
dans laquelle elle nous place à l’égard de l’aspiration56.
Ainsi, sa distance et sa différence vis-à-vis de l’objet visé ou recherché semble caractériser
l’homme pauvre des pays sous-développés. La pauvreté dont il est question ici est une
pauvreté matérielle. Comme le dit Njoh-Mouellè, dans le contexte de la misère subjective,
l’homme est « un homme pauvre ; il lui manque parfois le strict nécessaire pour la suivie ; et
il le sait. Pour lui, toute sa misère se résume dans ce manque »57. La notion de « homme
pauvre » mérite une attention particulière ici. L’homme pauvre est d’abord pleinement
homme ; et en tant qu’homme, il est doté de raison et exprime naturellement sa rationalité et
sa liberté. Donc, du point de vue humain, l’homme pauvre est un être accompli, parce qu’il
possède les caractéristiques de la rationalité et de la liberté. Mais, du point de vue matériel, cet
homme est pauvre parce qu’il ne possède pas un certain nombre de biens matériels pouvant
lui permettre de mieux vivre ou de satisfaire ses besoins fondamentaux.
Cette forme de misère implique que l’individu est misérable parce qu’il meure de faim
ou ne mange pas à sa faim ; et donc pour survivre, il a besoin de manger, de satisfaire ses
besoins fondamentaux. En un mot, la misère de l’homme des pays sous-développés se résume
à la famine, à la sous-alimentation, à la malnutrition, à la maladie, au ventre affamé, à la
mendicité, au chômage, au besoin de sécurité etc. Si par exemple, nous nous rendons dans nos
rues et demandons à un individu qu’est ce qui fait sa misère, celui-ci répondra que c’est parce
qu’il n’est pas capable de manger à sa faim. Et cet individu ne sera en aucun cas capable
d’envisager une nouvelle conception de sa misère. Il limite, de fait, sa pauvreté à l’absence
des biens matériels qui lui permettraient de satisfaire ses besoins alimentaires. Cependant, ce
point de vue ne semble pas convenir à Njoh-Mouellè qui estime plutôt que
la misère du sous-développé ne saurait se résumer par le cri du ventre. Vue sous l’angle
de l’homme, (…) la recherche du pain quotidien n’est pas une fin en elle-même ni
l’abondance du pain le critère d’un développement certain (…). La misère de l’homme
n’est pas supprimée par le simple fait qu’il mange à sa faim58.
Aux yeux de l’auteur, la misère subjective ne semble pas caractériser réellement l’homme de
l’Afrique sous-développé. La cause de la misère subjective, dit-il, peut être inutilement
justifiée par les autres qui nous entourent, même si la cause en est le désir de vivre. Il ne nie
pas l’idée selon laquelle la misère subjective ne saurait être une forme de misère dont souffre
l’homme des pays sous-développés. Ce qu’il nie c’est le fait de limiter simplement sa misère
56
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du développement,
Op. cit, pp. 18-19.
57
Idem, p. 22.
58
Idem, p. 17.
32
59
Idem, p. 19.
33
de l’étendue de son pouvoir, à telle enseigne qu’il manque de rationalité, ignore ce dont il est
capable de faire, fuit sa responsabilité et accuse les autres d’être responsable de son malheur
ou de son bonheur. Cet homme est inconsciemment un sous-homme, car il vit en deçà de
l’humanité véritable. Explicitement, « est misérable et sous-homme, celui qui, dans son
comportement, ne manifeste pas ces caractéristiques de liberté et de rationalité. Il est pauvre
homme et non nécessairement homme pauvre ; c’est-à-dire qu’il est pauvre en esprit »60. La
misère de l’homme des pays sous-développés ne se trouve pas dans le fait qu’il est affamé et
démuni, mais dans le fait qu’il est un être superstitieux, ignorant, dépersonnalisé. La pauvreté
mentale, l’indigence d’esprit déterminent donc l’homme sous-développé. C’est contre cette
forme de misère que le développement économique doit lutter. Évoquant la problématique de
l’Afrique sous-développée, Njoh-Mouellè écrit :
L’Afrique sous-développée est certes pleine d’hommes sous-alimentés et affamés, mais
elle est surtout pleine d’hommes masqués, certaines se sachant masqués, d’autres pas,
les premiers se confondent parfois avec les seconds sans qu’on puisse voir qui enlèvera
le masque de l’autre s’être démasqué lui-même, ou après l’avoir été par un autre. Le
problème du développement n’est donc pas de donner à manger à cet homme mais
plutôt de le transformer, de supprimer sa duplicité, de substituer de la consistance à de
l’inconsistance61.
Ainsi, pour l’auteur, si le développement économique et social doit lutter contre la misère
objective, alors c’est sur cet objectif que les promoteurs du développement doivent se
concentrer et non sur l’accumulation des biens matériels.
Aujourd’hui, la lutte contre la pauvreté ou la misère figure parmi les enjeux des
politiques internationales en ce sens qu’elle constitue un frein à l’évolution des sociétés. Elle
empêche les hommes de mener une vie digne. Dès lors, la pauvreté ou la misère peut ne pas
être due uniquement à une absence de revenus réels, car elle peut se traduire par la liberté
insuffisante pour l’individu de mener une vie convenable. De ce fait, le développement doit
être au service du bien-être des hommes en supprimant les principaux facteurs qui remettent
en cause leur liberté, leur épanouissement. Sur ce point, Sen est sans détour lorsqu’il écrit :
Le développement exige la suppression des principaux facteurs qui s’opposent aux
libertés : la pauvreté aussi bien que la tyrannie, l’absence d’opportunités économiques
comme les conditions sociales précaires, l’inexistence de services publics autant que
l’intolérance ou la répression systématique exercée par les États autoritaires62.
Car, constate-t-il, « malgré un niveau de prospérité économique sans précédent à l’échelle
planétaire, un nombre considérable d’êtres humains, la majorité de la population mondiale,
60
Idem, pp. 22-23.
61
Idem, pp. 35-36.
62
Amartya Sen, Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté, trad. de l’anglais par M.
Bessières, Paris, Éditions Odile Jacob, 2000, p. 16.
34
peut-être, souffre d’un déni permanent de libertés élémentaires »63. De ce constat, il faut que
le développement économique puisse rimer avec l’expansion des libertés humaines.
Développer une société dépend aussi des possibilités ou des opportunités réelles qu’on offre
aux individus de choisir la vie qu’ils souhaitent mener. La valeur du développement dépend
donc d’agents humains et de leur façon d’agir et d’être. L’économiste français Jean-Marie
Albertini (1929-2014) de son côté approuve bel et bien cette idée en appréhendant le
développement comme un processus complexe qui englobe toutes les dimensions de la vie en
société, telles que l’économie, la psychologie, la politique. Pour lui, « le développement
suppose l’apparition d’un monde nouveau et non le grossissement quantitatif de ce qui existe
déjà »64. Dans cette apparition du monde nouveau, le développement ne peut se passer de
l’homme en tant que tel ; et telle est la vision njoh-mouelléenne du développement.
63
Ibidem.
64
Jean-Marie Albertini, Mécanismes du sous-développement et développement, Paris, Éditions Ouvrières, 1981,
p. 254.
65
Ebénézer Njoh-Mouellè, Op. cit., p. 154.
35
66
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du développement,
Op. cit, p. 31.
67
Idem, p. 37.
68
Idem, pp. 37-38.
36
complète hétéronomie »69. Il est cet individu qui renonce à son autonomie, à son originalité, et
à sa liberté. En clair, l’homme médiocre est un individu superficiel, abandonnant sa raison,
son jugement personnel au profil de ce que les autres lui imposent. Commentant les écrits de
Njoh-Mouellè, le philosophe ivoirien Boa-Thiémélé écrit :
Dans la médiocrité prend forme l’acte de se conformer aux autres, de se complaire dans
ce qui convient aux autres. Processus naturel de sécurisation du moi, ce conformisme
renvoie à une réalité négative. Il désigne la complaisance à l’égard des modes d’être et
de pensée de la communauté. L’individu est dans ce cas privé du fondement personnel
de la conviction et du choix70.
Autrement dit, l’homme médiocre donne le dos à la liberté, à son génie créateur pour
s’enraciner dans le suivisme, l’auto-répétition habituelle. Or,
(…) si l’homme médiocre est celui qui met sa raison et son jugement personnels en
congé pour s’abandonner au ballotement que lui impose l’opinion et le jugement
anonyme des autres, il peut être et il est même aussi l’homme qui, dans un second
mouvement d’auto-abandonnement, se laisse balloter par ses diverses tendances aussi
tyranniques les unes que les autres71.
Dans ce sens, l’homme médiocre est l’homme dont les capacités cognitives sont inhibées par
les idées dominantes de son milieu. Ce sont les idéologies, la culture de son milieu qui le
définissent, le font. À ce propos, Njoh-Mouellè lie le milieu humain au mode de vie, aux
comportements. Cela se perçoit clairement lorsqu’il définit le milieu humain comme
un ensemble organisé d’individus qui suivent un mode vie donné. Le milieu donc, en
tant que phénomène, n’est observable qu’à travers les comportements et le mode vie de
ces individus, puisque c’est d’après le mode de vie et non d’après les individus en tant
que tels qu’un milieu, qu’une société se singularise et se distingue d’un autre milieu,
d’une autre société. Pour survivre, le milieu a intérêt à voir tous ses membres se
conformer au mode de vie, aux croyances, bref à la culture et à l’idéologie qui le
définissent72.
Habiter un milieu c’est penser, ou s’habiller comme on le ferait dans ce milieu ; c’est
également accepter le comportement ou la loi du plus grand nombre. Mais, d’où se situe la
médiocrité de l’homme ? En fait, ce n’est pas parce qu’un homme appartient à un milieu qu’il
est considéré comme un homme médiocre. C’est plutôt son inaptitude ou incapacité à reculer
par rapport à son milieu qui le rend médiocre. Pourtant, dans un tel milieu, le normal sera
celui qui se comporte comme font la plupart des hommes. Par analogie, l’homme anormal
sera celui ne se comporte pas comme font la plupart des hommes. Or, écrit Njoh-Mouellè,
« ce qui est pris (…) comme normalité n’est encore que de la médiocrité. La loi du plus grand
69
Idem, p. 43.
70
Ramsès L. BOA-Thiémélé, Reconstituer le corps glorieux d’Osiris. Entretien avec Macaire ETTY, Abidjan,
Les Éditions Kamit, 2021, p. 147.
71
Njoh-Mouellè, Op. Cit., 42-43.
72
Idem, p. 38.
37
nombre n’est pas nécessairement une loi dictée par la raison »73. En effet, dans la masse,
nous avons plutôt tendance à suivre de manière irréfléchie les comportements et le mode de
vie de ceux avec qui nous vivons. Nous suivons le mouvement de la masse sans se demander
si l’action à entreprendre est bonne ou pas. Ce qu’on voit faire par tout le monde, ou ce que
fait la masse ne relève pas de la raison, entendue du point de vue logique comme la faculté
des principes ou encore faculté permettant à l’homme de bien juger, voire de distinguer les
vraies affirmations des fausses affirmations. Donc, poursuit Njoh-Mouellè, « est normal, non
pas ce qu’on voit faire par tout le monde, mais ce qui, même suivi par une infime minorité
seulement, obéirait à la raison universelle »74. Pour lui, même si ce qui est normal est suivi
par une petite quantité d’individus, alors c’est cela qu’il faudrait considérer comme ce qui est
normal. Car, elle est déterminée non pas par le grand nombre, mais plutôt par la raison. Dans
la logique njoh-mouelléenne, la raison est la juridiction suprême qui permet de déterminer ce
qui peut ou non représenter le critère de la normalité. C’est une lumière naturelle qui permet
aux individus de sortir de leur sommeil dogmatique et d’accéder à la connaissance. Le but de
Njoh-Mouellè, en privilégiant la raison au détriment du plus grand nombre, est de faire passer
l’homme de la médiocrité à l’excellence. Ainsi, pour l’auteur De la médiocrité à l’excellence
le développement économique et social doit faire en sorte que l’homme médiocre puisse
reconquérir sa vraie identité, sa liberté et devenir un génie créateur, d’où le concept
d’ « excellence ». Que désigne-t-elle ?
Pour Njoh-Mouellè, « l’excellence est la situation ou la condition de celui qui
s’échappe d’une cellule où se presse et s’étouffe une foule de personnes pour mieux respirer,
au dehors et dans la solitude, l’air de la liberté »75. L’excellence de l’homme renvoie à sa
capacité à s’échapper des conditions de son milieu en vue de mieux respirer et de manifester
pleinement sa liberté. Contrairement à l’homme médiocre qui se laisse dominer par les
réalités de son milieu, l’homme excellent est celui qui ne partage pas nécessairement les idées
issues de la masse ou du plus grand nombre. Il est celui qui se situe en haut de l’échelle et se
met en position de domination, de supériorité en renonçant à la petitesse, à la soumission et à
la stérile passivité. En ce sens, Njoh-Mouellè estime que l’homme excellent est celui qui
rompre avec le conformisme, le snobisme, la routine, la répétitivité abusive. En un mot, ce qui
caractérise l’homme excellent, c’est sa capacité à contester telle ou telle situation, ou du
moins à se libérer de toute forme d’esclavagisme. L’auteur écrit à ce propos :
73
Idem, p. 40.
74
Ibidem.
75
Idem, p. 134.
38
76
Idem, p. 136.
77
Idem, p. 100.
78
Idem, p. 106.
79
Azombo Menda et M. Enobo Kosso, Les philosophes africains par les textes, Op. cit., 151.
39
l’avoir, la paresse et s’engage dans l’histoire du monde à travers ses œuvres. C’est un acteur et
non un spectateur de l’histoire. Dans cette optique, Njoh-Mouellè écrit que
l’homme véritable, l’excellence, c’est celui qui ne balance pas entre être spectateur et
être acteur, il choisit d’être acteur ; c’est celui qui ne se contente pas de vaines paroles
mais qui agit immédiatement sa parole à la fois intime et publique, laissant le soin à
d’autres d’expliciter cette parole déjà inscrite par lui dans des œuvres. (…) C’est
l’homme qui comprend que le salut des autres dépend de son propre salut et
réciproquement80.
De cette assertion, il ressort que deux exigences s’ajoutent à la définition de l’homme
excellent : sa responsabilité vis-à-vis de ses semblables et sa capacité de connaissance de ce
qui est bien ou mal pour tous. L’homme excellent est celui non seulement qui résiste aux
difficultés de la vie, mais aussi celui qui agit de sorte que ses actions soient universellement
acceptées et valables pour tous. Pour Njoh-Mouellè, c’est ce type d’homme que le
développement doit nécessairement promouvoir.
Dans son ouvrage Développer la richesse humaine, Njoh-Mouellè nous enseigne que
le développement économique et social ne doit pas se limiter à son seul aspect matériel, mais
doit chercher à améliorer l’homme en lui fournissant les meilleures conditions de son
épanouissement. C’est pourquoi, écrit-il, « l’homme doit être la finalité du développement »81.
Si l’homme doit être la finalité du développement, alors cela suppose fondamentalement que
de la bataille du développement devra sortir un type d’homme que nous caractérisons
sous les traits du créateur pour souligner la nécessité qu’il y a à faire en sorte qu’il soit
un homme sinon libre, du moins toujours apte à le devenir. (…) le développement doit
être au service de l’homme (…). Il faut que le développement œuvre à substituer à la
médiocrité l’excellence82.
Si la bataille du développement doit pouvoir nous conduire de la médiocrité à l’excellence,
Njoh-Mouellè estime que le philosophe a son rôle à jouer. Pour lui, le philosophe est celui qui
ne dort jamais. Il est comme l’oracle de la société dont sa voix doit constamment trouer,
percer le silence mortel, des nuits de la servitude et de l’aliénation sous toutes les formes.
Par son sens de réflexion et de l’humain, le philosophe a pour rôle de veiller
constamment pour pouvoir révéler aux autres le sens du présent et la direction de l’avenir afin
de les amener à sortir de l’ignorance, de la superstition, de la facilité pour devenir en
permanence les créateurs de leur propre histoire83. Dans son ouvrage Jalons, sous-titré
recherche d’une mentalité neuve, Njoh-Mouellè montre la valeur de la pratique philosophique
dans l’existence humaine. Mieux, l’auteur nous fait savoir que l’humanité a intérêt à prendre
80
Ebénézer Njoh-Mouellè, Op. cit., p. 143.
81
Ebénézer Njoh-Mouellè, Développer la richesse humaine, Op. cit, p. 5.
82
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, Op. cit., p. 134.
83
Idem, p. 99.
40
social. Or, la philosophie n’apporte pas un capital de savoir. Elle est interrogation
permanente de la réalité86.
Dans cette perspective, Njoh-Mouellè soutient que le philosophe apparaît comme un guide, un
concepteur du développement. Même s’il n’agit pas de la même manière que les ingénieux, le
but du philosophe dans la société est de conserver le bien-être et le bonheur que le
développement doit assurer aux individus. L’auteur ne dira pas le contraire lorsqu’il écrit :
Par l’interprétation donc, un philosophe doit déterminer la direction à prendre. C’est ici
le lieu de souligner avec force qu’on ne saurait demander au philosophe dans le
contexte de la « bataille du développement » de combler les vides avec les ponts, des
machines, des routes bitumées, etc. comme on le demande aux ingénieurs. Le point de
vue de ceux-ci est partiel, celui du philosophe se veut synoptique : il embrasse le
devenir global de la société et voudrait saisir le sens de ce devenir. Ainsi pour le
philosophe, vouloir le développement ne signifie rien tant que la conception du bien-
être, du bonheur que ce développement devrait assurer aux individus n’est pas élucidée
! Et c’est bien lui, le philosophe, qui doit risquer à dire : voilà ce qui se passe, voilà
jusqu’où cela peut aller, voilà les mirages, voici les réalités et les obstacles. La
philosophie, en articulant ce qui est là, inarticulé, organise ce qui est là, inorganisé87.
Loin donc des critiques acerbes dont elle fait l’objet dans la société, la philosophie n’a pas
pour nature d’apporter des réponses concrètes aux problèmes dont souffrent les individus. Elle
est, à l’origine, interrogation sur l’ensemble des choses qui entourent l’homme. Dès lors, le
rôle du philosophe est de contribuer de façon pratique au développement de la société et par
ses prises de position qui entrainent des changements qualitatifs. Malgré tous les griefs à son
encontre, la philosophie a une fin pratique, celle de nous aider à résoudre les problèmes que
nous rencontrons dans la vie quotidienne.
Pour conclure cette partie, la conception njoh-mouelléenne du développement vise
l’amélioration des vies humaines. Mais, il ne méconnaît pas l’importance du développement
économique, matériel et financier dans l’existence humaine. Le véritable développement
suppose une harmonie entre la croissance économique et l’épanouissement intellectuel, moral
et spirituel de l’homme. En ce sens, le philosophe ivoirien Boa Thiémélé Ramsès écrit que,
dans la philosophie Njoh-Mouellè du développement, « (…) le comportement humain est sans
doute celui qui compte le plus ; les mentalités en sont les ressorts et les verrous principaux. Il
est le facteur qui surplombe tous les autres »88. Mais, comment peut-on enseigner cette
conception njoh-mouelléenne du « développement » en classe de terminale D ? Dans la suite
de notre travail, nous allons faire un cas pratique de la notion de développement à partir d’une
étude de notion et d’une explication de texte philosophique.
86
Ibidem.
87
Idem, p. 79.
88
Ramsès L. BOA-Thiémélé, Reconstituer le corps glorieux d’Osiris, Op. Cit., p. 162.
42
DEUXIÈME PARTIE :
L’EXPÉRIMENTATION DE LA NOTION DE
« DÉVELOPPEMENT » CHEZ EBÉNÉZER NJOH-
MOUELLÈ DANS LE SECONDAIRE IVOIRIEN
43
89
Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, Module de
formation des professeurs contractuels du programme social du gouvernement 2019, https://dpfc-ci.net/wp
content/uploads/dpfcfichiers/2019-2020/psgouv2019/Modules%20du%20secondaireContractuels%202019/
Modules%20Formation%20Contractuels_Philosophie.pdf, 28 juillet-30 septembre, 2019, p. 12.
44
90
Idem, p. 14.
45
INTRODUCTION
I. Titre 1
A. Sous-titre 1
B. Sous-titre 2
II. Titre 2
A. Sous-titre 1
B. Sous-titre 2
CONCLUSION
Ce plan est donc composé d’une introduction, de deux grands points numérotés I et II, puis
d’une conclusion. Chaque grand point comprend deux sous-parties intitulées A et B. La
conclusion consiste à faire le bilan de l’analyse et à montrer comment l’objectif a été atteint à
travers la résolution du problème posé. Comme on peut le voir, le contenu d’une étude de
notion n’est pas dense comme le traitement d’une leçon dans le cadre du programme
opérationnalisé. En réalité, l’étude de notion ne vise pas à épuiser le traitement de la notion.
En revanche, elle analyse brièvement les différents aspects de la notion en rapport avec une
autre notion. Elle s’effectue en 55 min maximum et ne peut prendre en compte tous les
éléments d’une leçon ordinaire. C’est pourquoi, il faudra convoquer un seul auteur par sous-
parties. Cela revient à convier au total quatre auteurs. Voici donc présenté en quelques lignes
l’essentiel de l’étude de notion. À présent, examinons-la dans sa phase pratique à partir de la
notion de « développement » qui guide ce présent travail.
47
B. Phase pratique
La tâche qui nous incombe dès à présent est de conduire une leçon sur la notion de
« développement » en classe de terminale D sous forme d’une fiche de leçon.
LE DÉVELOPPEMENT
INTRODUCTION
Problème : Le développement peut-il assurer le bonheur de l’homme ?
Objectif : Montrer l’importance du développement dans la réalisation du bonheur de
l’homme.
CONCLUSION
48
DÉROULEMENT DE LA LEÇON
Moment Stratégies Activités de Activités de l’élève Trace écrite
didactique / pédagogiques l’enseignant
Durée
COMPÉTENCE III : TRAITER UNE SITUATION
Si dans la
Phase de pratique, le I. LE DÉVELOPPEMENT,
Nous pouvons dire
développement développement ne
parvient pas
que le développement OBSTACLE AU BONHEUR DE
toujours à
est un obstacle au L’HOMME
bonheur de l’homme.
garantir le bien-
être des individus,
que pouvons-nous A. Le développement expose l’homme à
dire du des dangers
développement ?
Le développement menace l’homme. En
Avec l’apparition
des bombes
Le développement effet, le développement, à l’instar du progrès
expose l’homme à
atomiques, quel technique et scientifique, est complice de la
des dangers car il est
argument peut-on
complice de la
formuler pour
violence, des armes à violence du fait qu’il prolifère des industries
montrer que le
feu. de la mort, sources de mort, de malheur, de
développement est
néfaste pour
l’homme ? souffrance, de désolation, de chaos et
d’inquiétude. À ce propos, en référence aux
Travail de
groupe et armes chimiques, atomiques, nucléaires le
brainstorming Citez un auteur
dans l’histoire de philosophe allemand Hans Jonas écrit : « La
Hans Jonas
la philosophie qui
justifie notre promesse de la technique moderne s’est
argument. Que
dit-il exactement ? inversée en menace », (Le principe
Pour Hans Jonas, le responsabilité, Paris, Éditions Le Cerf, 1990,
développement, à
Que veut signifier p. 13). Pour Hans Jonas, le développement,
l’instar de la
cette assertion de
technique, est une
Hans Jonas ?
source mortelle pour à l’instar de la technique, est une source
l’homme. mortelle pour l’homme.
Par ailleurs, au
plan éthique et
Le développement B. Le développement met en péril les
met en péril les valeurs morales et éthiques
moral, quel
valeurs morales et
argument
éthiques. Le développement conduit au malheur
pouvons-nous
formuler pour de l’homme dans la mesure où il est source
montrer l’aspect
néfaste du d’aliénation de l’homme. En effet, l’homme
développement ?
est devenu dépendant et esclave des objets
techniques. En d’autres termes, le
développement, par le biais du progrès des
sciences et des techniques, entraîne la
régression de la faculté cognitive de l’être
humain et fait de lui son esclave. L’homme
est constamment menacé par le progrès
50
Quelle est la
dernière partie de
Phase de l’étude de notion ? La conclusion CONCLUSION
conclusion Au terme de notre analyse, nous retenons
Échange Que peut-on
retenir en guise de -d’une part, le
verbal (Questi
conclusion ? développement
d’une part que le développement suscite des
ons ou
consignes / suscite des dangers dangers car il menace l’homme à travers
réponses -d’autre part, il est
source de bonheur de l’évolution des sciences et des techniques, et
l’homme.
d’autre part il est nécessaire à l’humanité,
car il fait progresser l’homme dans sa quête
Proposez votre du bonheur. Pour notre part, nous estimons
point de vue sur le
problème que même si le développement détruit
Malgré ses effets
philosophique néfastes, le l’homme à travers ses productions, force est
posé dans développement
l’introduction. assure le bonheur de de reconnaître qu’il assure le bonheur de
l’homme.
l’homme. Il représente une valeur pour
l’homme.
53
texte est pratiquée avec les élèves par les stagiaires de l’École Normale Supérieure (ENS).
L’explication de texte est une pratique pédagogique qui a d’abord lieu lors des visites
pédagogiques, auprès des stagiaires, effectuées par les professeurs encadreurs de l’ENS. Le
stagiaire fait alors une explication de texte avec ces élèves. Ensuite, pendant l’examen de
titularisation du CAP/PL (Certificat d’Aptitude du Professorat, option Professeur de Lycée).
Lors de cet examen, le stagiaire est évalué sur un texte dont il fera l’explication avec les
élèves.
L’explication porte impérativement sur un texte d’un auteur au programme91. C’est
dire que l’explication de texte prend en compte des éléments sur lesquels le stagiaire qui
l’exécute avec les élèves doit s’aligner afin de ne pas compromettre la réussite de cet exercice.
Selon les recommandations de la pédagogie, l’enseignant doit toujours prendre le soin de
préparer rigoureusement l’exercice qu’il fera avec les élèves. Cette préparation implique que
l’enseignant conçoive lui-même l’exercice en question. Il doit éviter de reproduire
servilement des corrigés pris dans des manuels, dans une œuvre, un document, etc.
L’improvisation est alors à proscrire. Par conséquent, le stagiaire doit se documenter, se
cultiver en permanence, échanger des documents avec son binôme, ses devanciers, et prendre
en compte les avis, les suggestions et les critiques de son Professeur Conseillé.
Dans le déroulement de l’explication de texte, l’enseignant dès son entrée en classe
après avoir adressé ses salutations aux élèves, vérifie rapidement la propreté de la classe et la
tenue vestimentaire des élèves. Après cela, il procède au contrôle de présence. L’enseignant
distribue le texte aux élèves qui procèdent automatiquement à sa numérotation et à sa lecture
sous sa conduite. Il s’ensuit différentes lectures, studieuses, ayant chacune un objectif précis.
La première lecture conduit à avoir une idée générale du texte. La deuxième, à rechercher les
mots et expressions difficiles et/ou essentiels et à les souligner. La troisième lecture,
magistrale, est effectuée par l’enseignant lui-même et vise à repérer les mouvements du texte.
L’explication de texte comprend plusieurs parties : l’introduction, la compréhension
littérale du texte, la problématique et l’explication détaillée des mouvements du texte, la
91
Voici la liste des auteurs au programme classés par période :
- Antiquité et le Moyen âge : Platon, Aristote, Épicure, Lucrèce, Épictète, Marc Aurèle, Saint
Augustin, Saint Thomas d’Aquin.
- Époque moderne : Machiavel, Montaigne, Hobbes, Descartes, Pascal, Spinoza, Malebranche, Leibniz,
Montesquieu, Hume, Rousseau, Kant, Claude Bernard.
- Époque contemporaine : F. Hegel, A. Comte, Cournot, S. Kierkegaard, K. Marx, F. Nietzsche, S. Freud,
Husserl, H. Bergson, Alain, G. Bachelard, Merleau Ponty, J-P Sartre, M. Heidegger, Karl Popper, Jacques
Monod, François Jacob.
- Auteurs africains : K. Nkrumah, Tempels P., M. Towa, Eboussi Boulaga, P. Hountondji, Ebénézer Njoh-
Mouellè, Frantz Fanon, Léopold Sédar Senghor, Cheikh Anta Diop, Joseph Ki-Zerbo.
55
B. Phase pratique
Ici ; la théorie va naturellement céder la place à la pratique qui nous aidera à saisir
l’essence même de l’explication de texte. Voici ci-dessous le texte support qui va servir à
notre expérimentation pratique :
Ce n’est pas à la misère subjective qu’on peut voir la marque particulière
du sous-développement. Nous venons de le dire, cette forme de misère se
56
DÉROULEMENT DE LA LEÇON
Le développement (L11) : Il
traduit l’état d’un pays dont son
niveau de réalisations économique
et technique est très avancé ; état
marqué par la réduction du
chômage.
réalisations techniques et
matérielles du genre de la
construction des routes, des
infrastructures. Au sortir de cette
étape explicative, voyons
maintenant quel regard critique
peut-on porter sur ce texte ?
En vous référant à
qui est de l’ordre moral ou spirituel.
l’histoire de la Tel est le constat qu’a fait le
philosophie, citez un Jean-Jacques
auteur qui partage le Rousseau philosophe français Jean Jacques
point de vue de Njoh-
Mouellè. Et, que dit-il Rousseau (1712-1778) en tant que
exactement ?
témoin de la révolution scientifique
66
TROISIÈME PARTIE :
L’APPORT DE LA CONCEPTION DE
DÉVELOPPEMENT CHEZ EBÉNÉZER NJOH-
MOUELLÈ DANS LA CONSTRUCTION DES
CITOYENS RESPONSABLES ET D’UN
DÉVELOPPEMENT DURABLE EN AFRIQUE
71
92
Ebénézer Njoh-Mouellè, Discours sur la vie quotidienne, Yaoundé, Africaine d’Éditions (Afrédit), 2007, p. 15.
93
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, Op. cit., p. 136.
94
Jacqueline Russ, Dictionnaire de philosophie, Paris, Flammarion, 2004, p. 250.
73
de s’en reconnaître l’auteur »95. La responsabilité exige de pouvoir et devoir répondre de nos
actions, de nos actes, de nos choix. En ce sens, elle implique l’idée de devoir, d’engagement
personnel en toute connaissance de cause, de choix conscient et justifié rationnellement. Être
responsable, « c’est donc assumer le pouvoir qui est le sien, jusque dans ses échecs, et
accepter d’en supporter les conséquences »96. Cependant, dans le cadre de l’analyse de cette
sous-section, nous mettrons l’accent sur la responsabilité au sens moral ou philosophique.
Le rationalisme classique définit l’Homme comme un être entièrement doué de raison
ou de conscience. La raison ou conscience permet à l’homme de se libérer de la tutelle de la
nature pour se prendre totalement en charge comme Sujet pensant. De la sorte, la subjectivité
consiste à concevoir sa propre rationalité en faisant de la raison son principe d’action. Par la
conscience, l’Homme est en tout temps et toute circonstance maître de lui-même, libre et
responsables de ses actes. Tout homme responsable est en quelque sorte un être raisonnable,
conscient et libre. En ce sens, la responsabilité a un fondement rationnel et a un rapport avec
la liberté. Ce qui semble donc fonder la responsabilité c’est la liberté et la raison, qui
représentent « le siège et l’origine de toutes les valeurs humaines et sociales »97. Amartya
Sen, fondateur de la théorie des capabilités, écrit en ce sens que la responsabilité dépend de la
jouissance d’un certain nombre de libertés ; et elle exige la liberté98. Si la responsabilité exige
la liberté, c’est dire que la responsabilité sans la liberté est une véritable contradiction. Il n’y a
donc point de de responsabilité sans liberté.
Dans cette logique, Njoh-Mouellè soutient que l’homme ne devient réellement homme
que par sa capacité à user de façon raisonnable sa pensée et à agir en toute liberté et
responsabilité. Ce faisant, l’homme ne sort de sa minorité ou bassesse qu’en décidant par lui-
même, en imprimant à sa vie la marque de la raison par une conduite irréprochable, c’est-à-
dire responsable. Dans son ouvrage De la médiocrité à l’excellence, dont le sous-titre indique
clairement l’enjeu : essai sur la signification humaine du développement, l’auteur part d’un
constat : le développement perçu exclusivement en termes de croissance économique ne va
pas nécessairement de pair avec le développement chez l’homme lui-même du point de vue de
la responsabilité. Cela est dû au fait que le développement par exemple de l’infrastructure
routière ne témoigne pas forcement d’un développement certain. De même, les réalisations
matérielles n’ont souvent pas de rapport avec les problèmes que rencontrent les individus
95
Ibidem.
96
André Comte-Sponville, Dictionnaire Philosophique, Op. cit., p. 800.
97
Kouadio Franck, Des enjeux didactiques de la notion de désaliéner en classe de terminale à la lumière de la
pensée de Cheikh Anta Diop, Mémoire de master professionnel en philosophie, École Normale Supérieure
d’Abidjan, 2019, p. 59.
98
Amartya Sen, Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté, Op. cit., p. 371.
74
dans la société. Il est certes vrai que le développement ne peut résoudre définitivement les
difficultés rencontrées par les hommes, mais le concevoir en dehors de l’homme est une grave
erreur. Donc, pour Njoh-Mouellè, le type d’homme que le développement devrait promouvoir
est l’homme excellent, voire responsable et créatif. Il estime en ce sens que la responsabilité
est une de ces valeurs qui déterminent le statut de l’homme excellent. Car, affirme-t-il,
« l’homme de l’excellence ne se départit à aucun moment de sa responsabilité sans se
renoncer, sans se nier. L’excellence implique donc pour l’homme le devoir de
responsabilité »99. Aussi, l’excellence exige à ce que nous agissons en rendant compte des
actions qu’on pose. Un homme, pour exceller, se doit l’obligation de ne point renoncer à sa
responsabilité. Ne point renoncer à sa responsabilité amène l’homme à prendre son destin en
main. Sur ce point, Njoh-Mouellè fait une précision en affirmant ce qui suit :
Être responsable, c’est avoir à tout moment en esprit qu’on est celui-là qui doit rendre
compte des actes qu’on pose. C’est ne pas agir, avec l’arrière-pensée de se cacher
derrière quelqu’un d’autre. Si un camarade vous fait une proposition de promenade dans
un lieu présentant des risques et que vous acceptez en parfaite connaissance des risques
encourus, vous ne pouvez pas vous décharger de votre responsabilité au cas où il se
produit un incident dommageable pour vous-même. Derrière l’idée de responsabilité il y
a celle de liberté. Au plan philosophique, l’homme est dit responsable parce qu’il est
crédité d’une aptitude à la liberté100.
Si derrière l’idée de responsabilité il y a celle de liberté, cela supposerait que le fait qu’on soit
responsable des actes que nous posons est, en réalité, un critère essentiel pour construire notre
développement. Le développement d’un pays engage la responsabilité de tout un chacun. Il ne
s’agit pas de nous départir de nos propres responsabilités en les confiant à d’autres individus.
En mettant donc l’homme au centre du développement, Njoh-Mouellè nous exhorte à
l’initiative, à l’autonomie et à la responsabilité. Car, pour lui, l’irresponsabilité n’est
fondamentalement pas une prédisposition à la liberté humaine, voire à la conscience humaine.
En lisant les écrits d’Ebénézer Njoh-Mouellè, l’on s’aperçoit qu’il revient aux hommes
de prendre en charge le changement et le développement de la société dans laquelle ils vivent.
Les hommes ne doivent pas sombrer dans un nihilisme passif, au sens nietzschéen du terme.
Ils ne doivent pas nier et déprécier leur existence. Ils ne doivent point s’abandonner aux
forces occultes, au destin, aux dieux. Il ne doit pas penser que ce sont les forces occultes ou
dieux qui doivent présider son avenir. Car, en s’abandonnant aux forces occultes, au destin,
aux dieux, l’individu se dépouille de son pouvoir de créateur. Pour Njoh-Mouellè, tout
99
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, Op. cit., p. 139.
100
http://www.njohmouelle.org/Accueil.php?ok=7&bck=y&m=7&s=701&act=&numeroPages=89&Ncur=870&i
=840.
75
individu méconnaissant l’étendue de son pouvoir de créateur est un individu superstitieux. Or,
un individu superstitieux, par exemple, ne fait pas preuve de responsabilité et de liberté. Telle
est l’idée défendue par Njoh-Mouellè, lorsqu’il écrit que « l’homme superstitieux ne sent
responsable de rien de ce qui lui arrive. C’est toujours le sort, ce sont les dieux, les ancêtres,
c’est le voisin. Le responsable de l’événement heureux c’est la divinité ou, à la rigueur le bon
ancêtre ; l’événement malheureux, est le fait d’une volonté perverse »101. Cette façon de
percevoir les choses remet en question le sens même de la responsabilité individuelle et
collective. Et le philosophe ivoirien Boa Thiémélé dénonce un tel état de fait dans son
ouvrage La sorcellerie n'existe pas. Dans cet ouvrage, celui-ci nous invite à faire preuve de
rationalité et d’esprit critique face aux évènements, incidents qui se présentent à nous. Il nous
invite à ne pas croire aux esprits et à la superstition, car dit-il « la croyance aux esprits et à la
superstition contribue à rendre les individus et l’État moins responsables. (…) Chacun se
cache derrière des forces irrationnelles pour ne pas faire son travail de citoyen »102. Tout
individu doit donc agir de façon responsable en prenant l’initiative de se libérer indéfiniment
de tout ce qui pourrait constituer un obstacle à son existence. L’individu doit se défaire en
quelque sorte de toutes formes d’aliénations telles que la médiocrité, la superstition,
l’irrationalisme, le suivisme moutonnier. Et la responsabilité doit permettre à chaque individu
de prendre entièrement en charge sa vie, au mépris de toute forme de domination.
Sur ce point, Njoh-Mouellè soutient qu’il est de la responsabilité des individus de se
libérer eux-mêmes des formes d’aliénations. Comme il l’affirme en ce sens, « si le véritable
développement consiste à faire des hommes libres et capables de le demeurer, (…) il apparaît
évident que se libérer de son caractère coléreux, de son tempérament apathique ou de sa
tendance à l’alcoolisme sollicite au premier chef la volonté de l’homme individuelle lui-
même »103. La libération de l’homme ne dépend donc pas d’une essence qui lui serait
extérieur, mais plutôt de l’individu lui-même. À ce propos, il a été reproché à Njoh-Mouellè
de vouloir promouvoir l’individualisme et non de prôner une certaine solidarité
communautaire. Or, c’est dans l’intention d’amener chaque individu à être maitre de son
destin, de son avenir, de son histoire et à être l’acteur clé du développement de sa société. Il le
dit clairement : « l’important c’est, non pas notre enchaînement mais notre participation à
l’événement et par conséquent la compréhension du sens de notre destin »104. Notre
101
Ebénézer Njoh-Mouellè, Op. cit., p. 21.
102
Ramsès L. BOA-Thiémélé, La sorcellerie n’existe pas, Abidjan, Cerap, 2010, pp. 126-127.
103
Ebénézer Njoh-Mouellè, L’Aspiration à être, Op. cit., 29.
104
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du
développement, p. cit., p. 7.
76
participation à notre destin se révèle donc importante aux yeux de Njoh-Mouellè. Le destin
des hommes dépend d’eux-mêmes et non d’une quelconque entité supérieure.
C’est justement le sens de l’appel lancé par l’existentialisme athée défendu par le
philosophe français Jean Paul Sartre (1905-1980). Pour mener à bien sa théorie de l’existence
humaine, Sartre part du principe selon lequel l’existence précède l’essence. Cette vision de
l’existence humaine élaborée par le père fondateur de l’existentialisme athée, consiste à
rejeter l’idée de toute transcendance qui se situerait en dehors de l’action libre de l’homme.
Ce qui est premier, pour ce philosophe, c’est l’existence et non l’essence, puisqu’exister, dit-
il, consiste à se tenir hors de soi, à s’extérioriser dans le monde en se construisant librement.
En effet, Sartre nous fait savoir que l’homme est un être qui, dès sa naissance ou sa venue au
monde, est abandonné, voire délaissé. N’ayant pas été déterminé par quoi que ce soit,
l’homme est condamné à être libre, à se faire, à se créer et à se choisir au gré des situations
qui lui imposent la vie quotidienne. Et, parce qu’il est un être condamné à la liberté, l’homme
n’est pas défini à partir d’une essence qui lui serait extérieur. L’homme existe tout d’abord et
construit ensuite son essence. Il existe dans un monde où il est amené à bâtir son avenir, son
histoire, à imprimer sa marque et à se construire librement. C’est pourquoi, à la question qui
est de savoir ‘‘qu’est-ce que signifie l’existence précède l’essence ?’’, Sartre répond que
« cela signifie que l’homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu’il se
définit après »105. Et par la suite, précise-t-il,
mais si vraiment l’existence précède l’essence, l’homme est responsable de ce qu’il est.
Ainsi la première démarche de l’existentialisme est de mettre tout homme en possession
de ce qu’il est et de faire reposer sur lui la responsabilité de son existence106.
Dans la perspective sartrienne de l’existence, l’homme est ramené entièrement à ses actes
dont il est totalement responsable. De cette manière, c’est l’homme lui-même qui donne sens
et orientation à son existence en tant qu’être de liberté. Avec Sartre, l’homme devient son
propre créateur, le créateur de son essence et de ses valeurs. L’homme est un être de volonté,
de besoin et de détermination. Ainsi, il se doit d’être responsable de son existence. Cette
responsabilité lui incombe de penser le développement de sa société. On ne peut donc penser
le développement d’une nation en dehors des hommes qui la constituent. De la sorte, le
développement réel et authentique d’une société dépend de la responsabilité des individus
ainsi que de leur capacité à s’approprier des valeurs sociales telles que la justice sociale, la
démocratie, la tolérance, le pardon, la paix, l’amour du prochain. Pour que le développement
105
Jean Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, Paris, Gallimard, Folio essais, 1996, p. 30.
106
Idem, p. 31.
77
d’une société donnée devienne effectif, il faut que ses hommes soient libres, donc
responsables. La responsabilité peut s’entendre comme l’aptitude qu’a l’individu de prendre
son avenir en main, de se dépasser, de se surpasser et de se libérer « de la léthargie
esclavageante de toutes les formes d’obscurantisme »107. Tout individu doit impérativement
recouvrer sa liberté, donc sa responsabilité en se défaisant de toute forme d’aliénation.
Cependant, la responsabilité individuelle dont fait mention Njoh-Mouellè est une forme
de responsabilité ouverte aux autres. Chez l’auteur De la médiocrité à l’excellence, l’acte
individuel porte non seulement le sceau de la subjectivité, mais aussi a une portée universelle.
La définition de la responsabilité individuelle passe nécessairement par sa mise en relation
avec la responsabilité collective. Njoh-Mouellè affirme à ce propos :
Toute responsabilité qui se limiterait à l’individu enfermerait l’homme dans les cercles
étroits de l’égoïsme et des diverses autres clôtures que la liberté devrait ébranler. On
retomberait alors dans la situation de l’homme vivant dans la société close et dans
l’âme, individuelle et sociale à la fois, tournerait comme dans un cercle. Le fait est que
toute attitude égoïste et particulariste contredit l’excellence de l’homme. La
responsabilité de l’homme supérieur ne peut donc être qu’une responsabilité étendue à
l’humanité objective. Le vouloir de l’homme excellent ne se subordonne pas à des fins
partisantes ; il veut la volonté générale108.
107
Ebénézer Njoh-Mouellè, Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification
humaine du développement, Op. cit., p. 102.
108
Idem, pp. 139-140.
78
L’homme excellent, en tant qu’il prend des initiatives novatrices, engage le sort de ses
semblables. Il ne saurait lui être interdit de vouloir son propre bien ; mais alors, il doit
agir de telle sorte que vouloir son propre bien ne contredise pas le bien des autres ; en
d’autres termes vouloir son propre salut et vouloir le salut de ses semblables doivent
être une et même chose. Il n’est responsable que parce qu’il est apte à la liberté ; et si sa
recherche de la liberté devait nuire à la libération des autres, il ferait échec par là-même
à sa propre libération et se dénoncerait comme indigne de la responsabilité de l’humain.
L’homme créateur que nous cherchons est donc un homme sur qui pèse une fort lourde
responsabilité. Il doit accepter de créer des valeurs pratiques qui puissent se donner
comme modèles109.
109
Idem, p. 141.
79
110
Kouadio Franck, Sujet et liberté à partir de la philosophie d’Emmanuel Kant, Thèse de Doctorat unique en
philosophie, Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, 2021, p. 243.
80
111
Emmanuel Kant, Traité de pédagogie, trad. de Jules Barni, Paris, Félix Alcan Éditeur, 1886, pp. 42-43.
112
André Comte-Sponville, Dictionnaire Philosophique, Op. cit., p. 301.
113
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du développement
Op. cit., pp. 145-146.
114
Idem, p. 146.
81
Conscient du fait que nos sociétés sont en crise, l’historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo
(1922-2006) lance un appel en faveur de l’éducation pour tous. Cet appel est une invitation à
reformer nos systèmes éducatifs de sorte qu’ils puissent être offerts à tous, c’est-à-dire aux
enfants, jeunes et adultes, femmes et hommes, paysans, etc. Dans son ouvrage Éduquer ou
Périr, Ki-Zerbo soutient que l’éducation de tous est une affaire importante pour la simple
raison qu’une société sans une éducation est une société suicidaire. Dans cette perspective, il
écrit que « l’éducation, c’est le logiciel de l’ordinateur central qui programme l’avenir des
sociétés »115. Cela sous-entend que l’avenir des sociétés dépend de l’éducation. Tout individu
a donc droit à l’éducation. On ne peut édifier une société d’excellence, d’initiative, de création
et de développement si l’on n’accorde pas d’intérêt à l’éducation. L’éducation pour tous dont
parle Joseph Ki-Zerbo apparaît comme un puissant facteur susceptible de former un citoyen
ayant le goût de l’effort et du travail, de la curiosité, de la responsabilité, de la considération
et du respect des valeurs sociales et humaines. C’est pourquoi, l’auteur défend une conception
de l’éducation au sens plus large du terme, intégrant une dimension à la fois éthique et
culturelle. Dans la préface dudit ouvrage, il met en évidence cette conception de l’éducation :
Une réflexion sur l’éducation apparaît donc comme primordiale. Elle doit être située
dans une perspective positive qui prenne en compte toutes les dimensions des
aspirations de l’homme considéré en tant que finalité et agent central du développement.
Les buts de l’éducation ne doivent pas être définis uniquement à partir des exigences
d’ordre économique : ils doivent aussi prendre en compte les valeurs culturelles et les
aspirations spirituelles des individus, des communautés et, par-delà, de l’humanité. La
dimension éthique et culturelle de l’éducation doit accompagner sinon orienter celles
qui se rapportent à la qualité de la vie et de l’environnement, mais les valeurs doivent
être assumées librement et dans la conscience d’une solidarité nécessaire aujourd’hui
comme demain116.
Ce qui implique que l’éducation doit être au service du peuple, c’est-à-dire adaptée aux
besoins vitaux, alimentaires et fondamentaux des individus. L’éducation doit être
indissociable de la situation concrète et réelle des individus. Il ne s’agit donc pas de réduire
l’éducation à sa seule forme d’instruction, d’enseignement ou de relation maitre-élève.
Cette conception de l’éducation transparaît également dans la pensée philosophique de
Njoh-Mouellè. Chez lui, pour promouvoir la liberté dans l’excellence, il faut nécessairement
une éducation qui met l’homme au centre de toute chose et crée des conditions favorables à
son épanouissement, son bien-être. Ainsi, l’éducation ne saurait se réduire à l’accumulation
des savoirs, des compétences dans tel ou tel domaine d’activité. Mieux, l’éducation n’est pas
essentiellement apprentissage. C’est ce que l’auteur défend en ces termes suivants :
115
Joseph Ki-Zerbo, Éduquer ou Périr, Paris, L’Harmattan, 1990, p. 16.
116
Idem, pp. 11-12.
82
L’éducation dont nous parlons n’est pas à comprendre sous l’unique forme de
l’instruction ni dans la situation éducationnelle traditionnelle de maître-élève. C’est une
éducation plus large, comportant une grande zone diffuse favorable dans laquelle baigne
l’homme. Bien éduquer ici consistera donc d’abord à proposer au père de l’homme un
milieu stimulant qui le conditionne dans le sens voulu et qui est celui de la promotion de
la liberté dans l’excellence117.
Cette conception de l’éducation est susceptible de favoriser le développement des individus
pour eux-mêmes sans qu’ils ne soient esclaves des autres. Au sens le plus large, l’éducation
prépare l’individu à vouloir sa liberté et à résister aux forces extérieures qui tendent à le
déshumaniser, à le dominer. Une telle conception de l’éducation participe du développement
de l’esprit critique et de l’esprit d’analyse, qui apparaissent comme une disposition essentielle
à toute œuvre de libération et d’autonomie. Sous l’impulsion de l’éducation, l’esprit critique
et l’esprit d’analyse permettent à l’individu de reconsidérer son rapport au monde, à lui-
même, ainsi qu’à ses semblables et à la société dans son ensemble. L’éducation favorise la
conscience émancipatrice en développant un esprit critique et combatif chez l’homme aliéné,
superstitieux. L’éducation au sens large apparaît, pour ainsi dire, comme le levier pour
transformer les mentalités des hommes. L’éducation est donc la voie par laquelle la libération
et la prise de conscience des individus deviennent possibles. C’est pourquoi, dans sa
conception de l’éducation, Njoh-Mouellè nous invite à accorder un intérêt aux sciences, à la
philosophie comme discipline de la réflexion, à l’esthétique perçue non pas du point de vue de
la théorie de l’art, mais plutôt de la création proprement dite.
La philosophie en tant que discipline de réflexion aide, par exemple, l’individu à
penser par lui-même, et à disposer des armes nécessaires pouvant lui permettre de se réveiller
de son sommeil dogmatique et de son conformisme avilissant. Loin des critiques acerbes dont
elle fait l’objet, la philosophie pousse l’individu à agir raisonnablement, à éviter toute
démesure, à accueillir avec sérénité les épreuves de la vie. Elle se reconnait par sa démarche
essentiellement critique, interrogative et questionnante. Dans son ouvrage Métaphysique, le
philosophe grec Aristote (384-322av. J. C-) écrit que « c’est, en effet, l’étonnement qui
poussa, comme aujourd’hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques »118.
L’étonnement est définitif ici non pas comme un fait émotif, mais comme la capacité humaine
à questionner, à interroger une réalité non familière. Pour Aristote, la philosophie ne prend
son origine que dans l’étonnement, principe de la curiosité scientifique. C’est sur le
fondement de l’étonnement que les questions philosophiques s’engendrent et se poursuivent
117
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, Op. cit., p. 146.
118
Aristote, Métaphysique, trad. de J. Tricot, Paris, Éditions Les Échos du Maquis, 1953, pp. 46-47.
83
119
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, Op. Cit., pp. 146.
120
Idem, pp. 146-147.
84
121
Ebénézer Njoh-Mouellè, Jalons, Recherche d’une mentalité neuve, Op. Cit., pp. 61-62.
122
Idem, p. 61.
123
Ibidem.
85
la vie quotidienne »124. Pourtant, pour parvenir à un véritable développement, notre système
éducatif doit être en adéquation avec nos réalités.
Notre système éducatif doit être tourné vers l’avenir et non vers le passé. Il doit former
des hommes capables de créer et non des réservoirs de connaissances théoriques. Aujourd’hui,
l’on limite l’école à l’obtention des diplômes et l’acquisition des savoirs élaborés. Or, La
valeur d’un système éducatif réside de sa capacité à faire de l’individu un être responsable, un
être travailleur, agissant en vue de l’intérêt général. Par ailleurs, notre système éducatif se doit
l’obligation de rendre illusoire l’opposition individu-société, tradition-modernisme. Njoh-
Mouellè écrit en ce sens :
La philosophie africaine de l’éducation doit donc être tournée vers l’avenir et éviter de
poser les faux problèmes de l’opposition individu-société, tradition-modernisme. La
bonne qualité de l’éducation est celle où les besoins de l’individu et ceux de la société
trouvent leur satisfaction. Enfin, pour qu’une éducation au service du développement
soit dite de bonne qualité, il faut qu’elle se situe dans le sens général du progrès et
diffuse une culture générale étendue et profonde qui rapproche de plus en plus l’homme
de sa réalisation totale125.
Perçue en ce sens, la philosophie africaine de l’éducation est cette philosophie susceptible de
définir le type d’homme dont l’Afrique a besoin pour son développement. Celle-ci propose
une redéfinition de la notion d’éducation pour qu’elle s’oriente vers les réalités propres aux
sociétés. Elle vise à inculquer des valeurs aux individus en vue de les amener à croire en eux-
mêmes, à être des êtres qui se projettent avec succès dans le futur. Ainsi, l’homme dont
l’Afrique a besoin pour son développement est l’homme cultivé, éduqué, qui croit à ses
capacités de réflexion. Ce qui implique son abandon à la passivité, à la paresse, à l’ignorance,
à la superstition. À dire vrai, il faut repenser notre système éducatif afin de parvenir au
véritable développement. Un pays qui rêve du développement, doit nécessairement miser sur
l’éducation, notamment une éducation de qualité. Cette éducation de qualité doit promouvoir
l’épanouissement des individus, les préparer activement à l’action sociale. Cette éducation de
qualité doit également donner un sens plus enrichi au concept de culture générale de sorte
qu’elle puisse associer au « avoir-dire » le savoir et le « savoir-faire ». De ce fait, la véritable
éducation est celle qui forme des individus capables d’innover, de créer et non des réservoirs
de connaissances éparses.
124
Ramsès L. BOA-Thiémélé, Reconstituer le corps glorieux d’Osiris, Op. Cit., p. 146.
125
Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du développement, Op. Cit.,
p. 64.
86
contemporaine »126. Le développement durable est cœur d’un projet de société dont le désir
de réduire les inégalités sociales ainsi que la pression sur l’environnement. En effet, le
concept de développement durable est apparu dans les travaux de la Commission mondiale
sur l’environnement et le développement des Nations unies. Cette commission est dirigée à
l’époque par Go Harlem Brundtland, d’où l’appellation ‘‘ Rapport Brundtland’’. Ce rapport
publié en mars 1987, décrit les conditions d’une nouvelle humanité dont l’enjeu est de lutter
contre le réchauffement climatique et d’améliorer les conditions de possibilité et de réalisation
du bonheur de la population. Ce rapport postule que la protection de l’environnement est la
condition privilégiée du bien-être de l’homme. Il remet en cause un mode de vie et de gestion
des ressources compromettant la possibilité de vie future en contradiction avec la satisfaction
aux besoins de tous. Ce rapport oblige les acteurs du développement à se conformer aux
exigences humaines. Ainsi, selon le rapport Brundtland, le développement durable est un
mode de « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité
des générations futures de répondre aux leurs »127. En d’autres termes, c’est un
développement qui répond aux besoins humains d’aujourd’hui sans remettre en cause la
capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins.
Partant de cette définition, deux concepts sont inhérents à la notion de développement
durable, à savoir celui de « besoins » et celui des limites que l’état de nos techniques, de nos
sciences et de notre organisation sociale imposent quant à la capacité de l’environnement à
répondre aux besoins des humanités actuelles et à venir128. Ce qui s’ajoute ici de manière
significative comme facteur du développement durable, c’est l’environnement ; et ce qui
s’ajoute comme une sorte de souci dans la finalité donnée au développement durable, c’est le
fait de penser à sauvegarder les intérêts des générations futures. Ce qui est au centre du
développement durable, c’est la satisfaction des besoins matériels de l’humanité présente ainsi
que ceux des générations à venir. Le développement durable est un processus qui intègre
donc, dans les stratégies de développement, les préoccupations environnementale, sociale et
économique dans une perspective générationnelle. C’est un mode de développement qui veut
rompre avec ces modes de développement qui ont conduit à des dégâts socio-économiques et
écologiques. Ainsi, le pari contenu dans l’idée développement durable est de concilier
l’écologique, l’économique et le social. Mieux, le développement durable se veut un
processus de développement qui veut concilier progrès économique et social sans pour autant
126
Tracey Strange et Anne Bayley, Le développement durable. À la croisée de l’économie, de la société et de
l’environnement, Paris, Éditions OCDE, coll. « les essentiels de l’OCDE », 2008, P. 26.
127
Gro Brundtland, 1988, Notre avenir à tous, Montréal, Éd. du Fleuve, 1988 ; p. 51.
128
Jean-François Dortier, Le dictionnaire des sciences sociales, Op. cit., p. 94.
88
mettre en péril l’équilibre naturel de la planète. C’est un processus qui veut, pour ainsi dire,
assurer le développement tout en préservant l’environnement. Cette finalité du développement
durable est mise en exergue par Jean-François Dortier quand il écrit : « concilier la poursuite
de la croissance économique mondiale avec la préservation des ressources naturelles pour
les générations futures et la lutte contre les inégalités, tel est le pari contenu dans l’idée de
développement durable »129. C’est pourquoi, trois dimensions sont inhérentes au concept de
développement durable. Il s’agit de la dimension sociale, de la dimension environnementale
et de la dimension économique, qui sont à la fois distinctes, mais interdépendantes. Toutefois,
chacune de ces dimensions, comme l’avance Sylvie Ferrari, a sa propre finalité :
La dimension économique s’exprime par une combinaison optimale des ressources
naturelles, humaines et techniques dans le but d’assurer la maximisation du bien-être
des générations sur un horizon de long terme ; sa finalité réside dans l’absence de tout
gaspillage de ressources (…). La dimension sociale concerne l’accès aux ressources et
leur répartition dans l’espace (niveau intragénérationnel) et dans le temps (niveau
intergénérationnel) ; sa finalité est d’assurer l’équité entre les générations dans la
distribution des dotations disponibles. Quant à la dimension environnementale, elle a
trait à la gestion des stocks de ressources et à la préservation de leur qualité afin
d’assurer la permanence du capital naturel dans le temps130.
et les collectivités, donc orienté vers la cohésion sociale et l’accès pour tous à une haute
qualité de vie131.
131
Olivier Nay, Lexique de science politique : vie et institutions politiques, Paris, Dalloz, 2011, p. 146.
132
Le développement durable. Les grandes questions, Paris, Éditions de l’OCDE, 2001, p. 11.
133
Gilbert Rist, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Op. cit., 2007, pp. 314-315.
90
134
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du
développement, Op. cit., p. 9.
135
Amartya Sen, L’idée de justice, Op. cit., p. 305.
91
De cette assertion, Sen veut nous enseigner que si les individus décident de protéger les autres
espèces de l’environnement, c’est justement parce qu’ils sont beaucoup plus puissants que les
autres espèces de la nature, et qu’ils ont envers elles une certaine responsabilité liée à cette
asymétrie de pouvoir. En ce sens, ils le font pour un autre motif que celui de la satisfaction de
leur besoin. Autrement dit, il est de leur responsabilité de sauvegarder les autres vivantes
simplement parce qu’elles sont impuissantes et, eux, plus puissants qu’elles.
Deuxièmement, cette approche du développement durable ne saisit pas véritablement
ce qui fait la valeur de l’environnement. Car, celle-ci
(…) assimile parfois l’environnement (par une simplification qui me paraît abusive) à
l’état de nature, qui comprend l’étendue de la couverture forestière, la profondeur de la
nappe phréatique, le nombre d’espèces vivantes, etc. Si l’on postule que cette nature
préexistante restera intacte si nous ne lui ajoutons pas d’impuretés ni de polluants, on
pourrait en conclure que la meilleure façon de protéger l’environnement consiste à
interférer le moins possible avec lui137.
136
Idem, p. 306.
137
Idem, p. 303.
138
Ibidem.
92
du développement durable : c’est l’homme. Pourtant, l’apport des humains mérite d’être pris
en compte dans la préservation de l’environnement. Comme l’indique Sen, le combat pour
l’environnement nécessite l’intervention constructive de l’humanité. Il le dit à travers ces
termes suivants :
(…) le combat pour l’environnement ne consiste pas seulement à le préserver, mais
aussi à agir sur lui. Si beaucoup d’activités humaines qui accompagnent le processus de
développement ont eu des conséquences destructrices, les humains ont aussi le pouvoir
de fortifier et d’améliorer l’environnement où ils vivent. Lorsqu’on envisage les
mesures qui permettraient d’arrêter la destruction de l’environnement, il faut y inclure
l’intervention constructive de l’humanité. Notre pouvoir d’intervenir de façon efficace
et rationnelle peut être substantiellement accru par le processus du développement lui-
même. 139.
En effet, la doctrine du développement durable ne s’occupe pas du type d’homme que l’auteur
qualifie de créatif, et que tout développement devrait se soucier de promouvoir. Aux yeux
d’Ebénézer Njoh-Mouellè, la question qui est savoir ‘‘quel type d’homme le développement
durable doit se proposer de promouvoir ? ’’ ne semble pas avoir été posée par les théoriciens
du développement durable. Car, « avec le décentrement de l’homme comme valeur et
boussole directrice du développement, apparaisse dans cette centralité des préoccupations la
139
Idem, p. 304.
140
http://www.njohmouelle.org/Accueil.php?m=5&s=513.
93
notion ou plus exactement le fait de la durabilité des ressources naturelles, des écosystèmes,
de la biosphère, des richesses de toutes sortes, bref…des choses »141. Or, en ne plaçant pas
l’homme comme la référence à laquelle tout développement devrait se rapporter, on ne saurait
placer les intérêts des générations futures au centre de cette vision du développement. Penser
aux intérêts des générations futures sans pour autant mettre l’homme au centre de toutes
choses, relèverait en quelque sorte d’une pure illusion. L’illusion est que ces générations,
comme le nom l’indique, n’existent encore. Et, même si elles parviennent à exister, rien de
confirme que les inégalités naturelles régnant entre elles seront résolues.
Troisièmement, le développement durable est une idéologie au service des grandes
puissances occidentales. En effet, tandis que les pays du tiers-monde pensent leur
développement, les grandes puissances mondiales inventent la notion du développement
durable dont le but est de freiner le développement de ceux-ci. Pour Njoh-Mouellè, dans
l’idée du développement durable, il y a la volonté des grandes puissances capitalistes
d’instrumentaliser, d’exploiter les nations en voie de développement. Comme il le soutient,
le concept de développement durable n’a pas pu être déployé sous la forme d’une
authentique idéologie de développement. Cette ébauche de doctrine n’est pas
suffisamment cohérente pour cela, en dépit de sa schématisation en trois piliers ou trois
cercles entrant en intersections. En effet, le développement durable ne remet pas en
cause le libéralisme capitaliste. Bien au contraire, c’est en maintenant à leur place les
leviers et paramètres du libéralisme qu’une simple invite à la prudence, à la réduction
des volumes de consommation des ressources naturelles, est adressée aux divers acteurs
de la vie économique. Il ne s’en dégage non plus rien de systématique relativement à
l’intérêt porté au social pour qu’il soit dit qu’une teinte de socialisme la colorerait142.
Or, dans le système capitaliste, le plus important c’est l’extension des structures d’échanges et
non l’amélioration des aides sociales destinées aux personnes les plus démunies. Cela est dû
au fait que notre monde actuel est incroyablement riche, mais est également marqué par de
terribles pauvretés et de privations les plus révoltantes, notamment des millions d’enfants qui
meurent chaque jour et sont mal nourris, mal vêtus, maltraités, illettrés et inutilement
malades. Ce sont les inégalités des chances qui dominent ce monde. Si tel est le cas, il y a des
raisons de douter de la capacité du développement durable à répondre aux besoins des
générations présentes et futures. Tandis que d’autres personnes bénéficient des ressources,
d’autres en sont privées. Dans le fond, Njoh-Mouellè reproche aux tenants du développement
durable de servir que les intérêts des riches. Puisqu’avec l’avènement du développement
durable, vient se briser sur le mur de l’intérêt des grandes puissances économiques, politiques
141
http://www.njohmouelle.org/Accueil.php?m=5&s=513.
142
http://www.njohmouelle.org/Accueil.php?m=5&s=513.
94
les espoirs mis dans le projet de la réalisation d’un développement intégral de l’homme.
Comme il le souligne,
Devant une telle réalité, même hypothétique et aléatoire, que pourrait valoir le souhait,
pourtant légitime, de croissance et de prospérité des pays en voie de développement ?
Quand on sait qu’il ne saurait y avoir de décollage économique sans industrialisation et
que beaucoup de pays africains n’ont toujours pas décollé économiquement, comment
leur demander de modérer la consommation des ressources naturelles qui sont
demeurées en jachère depuis toujours sous l’étiquette plus ou moins rassurante de
« richesses naturelles143.
Dès lors, le concept du développement durable, loin d’apporter des solutions aux hommes,
crée deux types de sociétés où on assiste aux gros poissons qui écrasent les plus petits
poissons.
143
http://www.njohmouelle.org/Accueil.php?m=5&s=514.
144
Emboussi Nyano, « La moyenne et la norme à propos de la médiocrité chez Ebénézer Njoh-Mouellè », in
Emmanuel Malolo Dissakè (éd), L’Aspiration à Être. Autour du philosophe Ebénézer Njoh-Mouellè, Paris,
Éditions Dianoïa, 2002, p. 42.
95
souci, au-delà de toute autre considération, de remettre l’homme au centre de tout. Pour lui, ce
n’est pas la satisfaction des besoins, mais l’humain comme valeur qui doit servir de référence
dans la bataille du développement durable.
Fondamentalement, le développement durable doit avoir pour fin première et moyen
principal la liberté de l’homme et non la durabilité des ressources naturelles. La liberté est ce
qui fait la valeur de l’existence humaine. En effet, un homme qui n’est pas libre de construire
sa propre existence n’en est pas un ; c’est un être aliéné. Être aliéné c’est être autre que soi-
même. Mieux un être aliéné est un être privé de liberté, un être qui ne dispose pas de lui-
même, qui ne s’affirme pas. Njoh-Mouellè défend à juste titre que la liberté est le royaume
dans lequel devra nous faire entrer le développement en général, et en particulier le
développement durable. Car, la liberté va au-delà même du bonheur, au sens où « il n’y a ni
bonheur commun ni commune mesure du bonheur »145. Le bonheur ne s’apprécie que de
différente manière. Un retour dans l’histoire de la philosophie, précisément dans la période
post-socratique, nous permet de constater que le bonheur est diversement apprécié en fonction
des courants de pensée. Pour les sceptiques, le bonheur réside dans la suspension du
jugement ; pour les épicuriens l’homme ne peut trouver son bonheur que dans la satisfaction
des désirs naturels (plaisirs) mais sont d’ordre intellectuel, rationnel ; pour les stoïciens, le
bonheur réside dans l’absence de troubles dans l’âme (ataraxie), et ne dépend que de nous.
Dans cette logique, c’est l’expansion de la liberté de l’homme qui doit être au cœur de
la théorie du développement durable. Amartya Sen pense en ce sens que les libertés humaines
sont des éléments constitutifs du développement durable. Car elles contribuent au progrès de
la société ainsi que des individus. Il classe ces libertés humaines en cinq (5) catégories, à
savoir : les libertés politiques, les ouvertures économiques, les opportunités sociales, les
garanties de transparence et la sécurité sociale. Ces libertés humaines favorisent la capabilité,
voire la liberté des individus de vivre la vie qu’ils ont raison de souhaiter. Par capabilité, il
faut entendre « la liberté de mener différentes sortes de vies [correspondant] exactement à
l’ensemble formé par différentes combinaisons de fonctionnements humains, ensemble en
lequel une personne est à même de choisir sa vie »146. Autrement dit, la capabilité est «
l’aptitude des gens à vivre le type de vie qu’ils ont des motifs de valoriser »147. La notion de
capabilité est liée aux modes de fonctionnements humains (human functionings). Par modes
145
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du
développement, Op. cit., p. 7.
146
Amartya Sen, L’économie est une science morale, trad. M. C. Sperber et N. Guilhot, Paris, La Découverte,
2003, p. 64.
147
Amartya Sen, L’idée de justice, Op. cit., p. 299.
96
de fonctionnements humains, il faut entendre tout ce qu’une personne est capable de réaliser.
Ils renvoient, entre autres, à ce que peut faire un être humain en termes d’état (being) et
d’action (doing). Dès lors, il est certes vrai que les hommes ont des besoins, mais la
satisfaction de ces besoins ne garantit en rien le bien-être de ceux-ci.
Au-delà des besoins, les hommes ont, en effet, d’autres valeurs à promouvoir que la
durabilité des seuls niveaux de vie à défendre. En conséquence, ce qu’il convient de rendre
durable, ce n’est pas seulement nos besoins et nos niveaux de vie. Le développement durable
doit plutôt penser à perpétuer la liberté et la capabilité des individus d’avoir et de préserver ce
à quoi ils accordent de la valeur et auquel ils accordent de l’importance. Dans son ouvrage
L’idée de justice, Sen propose de repenser l’idée de développement durable à l’aune des
libertés dont jouissent les individus. Pour lui, le développement durable doit aller au-delà de
la satisfaction des besoins de l’homme. Ce mode de développement doit également impliquer
le maintien des libertés et des capabilités dont jouissent les individus dans la société. Et, en
repensant le développement durable à l’aune des libertés, l’on accorde de la valeur et de
l’intérêt aux vies humaines. Telle semble, du reste, la position de Sen lorsqu’il écrit que
si l’importance des vies humaines tient aussi à la liberté dont nous jouissons, l’idée de
développement durable est à reformuler en conséquence. Il est impératif de ne pas
penser étroitement à rendre durable la satisfaction de nos besoins, mais, plus largement,
à rendre durable – ou à perpétuer – notre liberté (dont celle de satisfaire nos besoins). Si
l’on recadre ainsi les choses, on pourra définir la « liberté durable » en élargissant les
formulations proposées par Go Brundtland (…) : ce serait le maintien, et si possible
l’extension des libertés et des capabilités concrètes dont jouissent les gens aujourd’hui
« sans compromettre la capabilité des générations futures » d’avoir une liberté
semblable, ou supérieure148.
Ce qui convient de rendre durable, c’est non pas nos besoins, mais plutôt nos libertés, voire
nos capabilités. Ainsi, les théoriciens du développement durable doivent principalement se
soucier des vies que mènent concrètement les hommes, c’est-à-dire leur expérience, leur
réalisation. En ce sens, ils ne doivent pas se limiter à penser exclusivement l’environnement
en termes de conservation des conditions naturelles préexistantes. Car, se concentrer
étroitement sur le maintien des niveaux de vie et des besoins est une condition nécessaire
mais insuffisante pour améliorer les conditions de vie humaine.
Préserver ou renforcer l’environnement et accorder de l’importance aux vies et libertés
que les individus parviennent à mener constitue une vraie différence. En effet, en accordant de
l’importance aux vies et aux libertés humaines, on perçoit les hommes non pas comme des
148
Idem, pp. 306-307.
97
patients dont les besoins méritent considération, mais plutôt comme des agents libres capables
de choisir leur propre valeur, ce qui va au-delà du prisme du niveau de vie et des besoins.
S’inscrivant dans cette même perspective, Njoh-Mouellè soutient que les promoteurs
du développement durable ne sauraient enfermer le sens de l’existence des individus dans la
satisfaction des besoins. Il est impératif pour ces promoteurs de valoriser la liberté des
hommes. Car, la liberté peut servir aux hommes à préserver et à enrichir l’environnement dans
lequel ils se situent et pas seulement à le détruire, à le dévaster. Elle nous permet de
déterminer la nature de notre existence. Dès lors, ce à quoi il faut accorder de la valeur ce
n’est point de satisfaire les besoins fondamentaux des individus, mais leur liberté.
Reconnaître l’importance de la liberté peut aussi élargir nos préoccupations, nos
engagements. Nous pouvons décider d’user de notre liberté pour œuvrer en faveur de
nombreux objectifs qui ne s’inscrivent pas dans le seul périmètre de notre vie
personnelle. (Par exemple, la préservation d’espèces animales menacées d’extinction).
C’est une question cruciale pour les impératifs de la responsabilité environnementale et
du développement durable149.
Donc, la valeur du développement durable réside dans sa capacité à laisser fondamentalement
une place aux actions des individus en incluant leur liberté de réaliser une vie de qualité et de
choisir les objectifs généraux qu’ils se sont fixés. Si tel est le cas, ne devons-nous pas aussi
interroger l’idée de culture, qui est aussi une dimension essentielle de la vie humaine ?
Pour Njoh-Mouellè, le développement durable doit prendre en compte toutes les
dimensions de la vie humaine, notamment la dimension culturelle. Mieux, au-delà de la
dimension sociale, politique et économique qu’il intègre déjà, le développement durable, pour
qu’il soit effectif, doit également intégrer la culture. Chez cet auteur, la culture fait partie du
4ème pilier du développement durable, aux côtés de l’économie, du politique, du social. Mais,
la question qu’on pourrait se poser est celle-ci : qu’est-ce que la culture ? En quoi est-elle
indispensable pour le développement d’un pays ?
De manière générale, la culture est l’ensemble des traits propres à une société ou à un
groupe d’individus. Il s’agit d’un mode de vie qui caractérise une société donnée. Mieux, la
culture est l’ensemble des processus par lesquels l’homme transforme la nature. Elle a un lien
avec l’éducation, en ce sens que la culture désigne les attitudes, les croyances, les valeurs
acquises et transmises par l’éducation. C’est par le biais de l’éducation que se transmet la
culture. La culture désigne l’ensemble des pratiques, des valeurs, des visions du monde qui
sont spécifiques à un peuple et qui lui confèrent une place primordiale dans la construction de
sa société. En guise d’exemples, nous pouvons citer les langues, les habitudes, l’art, le
149
Idem, p. 279.
98
150
Lê Thành Khôi, « Culture et développement » in Tiers-Monde, tome 25, n°97, 1984, pp. 15-16.
151
Idem, p. 14.
152
Yao Kouadio, « La culture dans Cheikh Anta Diop » in Revue Della / Afrique Numéro Spécial / Décembre
2021 de campagne Éditoriale Tome 1, p. 245.
99
153
Cheikh Anta Diop, Parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négro-africaines, 2ème
Éditions, IFAN, Dakar, 2008, XIII.
154
Ramsès L. BOA-Thiémélé, Nietzsche et Cheikh Anta Diop, Paris, l’Harmattan, 2007, p. 46
155
Idem, p. 170.
100
nous »156. De cette manière, un peuple sans conscience historique ou culturelle est un peuple
sans repère, sans fondement réel. La culture est l’ensemble des valeurs qui permettent
d’identifier un peuple, de savoir ce qu’il est et de ce qu’il n’est pas.
La dimension culturelle du développement durable exige non seulement de protéger
l’environnement, mais également les traditions, les coutumes. Il ne faut pas voir les traditions
ou les coutumes comme une entrave à l’évolution des sociétés. Pour Njoh-Mouellè, la
tradition est une condition essentielle au progrès de l’humanité, au sens où « il y a une valeur
dans la tradition en tant que telle : c’est la sauvegarde de l’unité de caractère sans laquelle le
peuple tout comme l’individu n’auraient pas de personnalité identifiable »157. Si la tradition a
en elle-même une valeur, c’est bien évidemment parce qu’elle est rattachée à notre
personnalité. En effet, le concept de tradition provient du substantif latin traditio lui-même
issu du verbe latin tradere qui signifie remettre ou transmettre158. De son étymologie latine,
ressort que la tradition apparaît comme le mouvement de transmettre quelque chose ou le
contenu d’une transmission. Mais, la tradition est un terme polysémique qui renvoie
généralement à la transmission par l’habitude, la parole ou l’écriture d’un héritage passé
constitués de l’ensemble des valeurs, pratiques et représentations constituant l’identité et la
personnalité d’un peuple. Pour l’ethnologue Dominique Zahan, « la tradition constitue
l’ensemble des acquisitions que les générations successives ont accumulées depuis l’aube des
temps, dans les domaines de l’esprit et de la vie pratique »159. De ce fait, la tradition embrasse
plusieurs aspects de la vie de l’homme et concerne plusieurs disciplines, au nombre
desquelles figure principalement la sociologie, la théologie, le droit et la politique. De cette
manière, la tradition se pose comme le substrat de l’identité, de la personnalité des peuples,
c’est-à-dire ce qui fonde l’identité culturelle et personnelle d’un peuple.
Perçue en ce sens, la tradition se veut le fondement de toutes sociétés. Dans cette
optique, Njoh-Mouellè en assimilant développement et promotion de l’excellence humaine,
nous fait savoir que les valeurs traditionnelles participent à l’élaboration de la personnalité de
chaque individu y compris de la société. Par la tradition, nous devenons des humains capables
d’autodéfinition et d’affirmation de soi. Dans cette perspective, l’auteur De la médiocrité à
l’excellence estime que les théoriciens doivent pencher leur réflexion sur la durabilité des
valeurs traditionnelles qui se résument « en des attitudes, des comportements, des
156
Cheikh Anta Diop, Nations nègres et Culture, Paris, Présence africaine, 1979, p. 102.
157
Ebénézer Njoh-Mouellè, De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du
développement, Op. cit., p. 49.
158
Le petit Robert, Paris, Le robert, 2017, p. 2591-2592.
159
Dominique Zahan, Religion, spiritualité et pensée africaines, Paris, Payot, 1970, p. 80.
101
160
Ebénézer Njoh-Mouellè, Op. cit., p. 50.
161
Idem, p. 51.
162
Idem, pp. 49-50.
102
CONCLUSION GÉNÉRALE
103
étapes qui sont l’introduction, le développement et la conclusion. Ce faisant, nous avons fait
une étude sur la notion de développement. Au niveau de l’introduction, le problème que vous
avons cherché à analyser est : le développement assure-t-il le bonheur de l’homme ? Et,
l’objectif est de montrer la valeur du développement de la réalisation du bonheur de l’homme.
Au niveau du développement, nous avons analysé deux aspects du concept de développement,
à savoir ses effets néfastes sur l’homme et son importance dans la quête du bonheur humain.
Au niveau de la conclusion, nous avons mentionné que même si le développement, à l’instar
du progrès matériel, suscite la crainte, force est de reconnaître que le développement est un
moyen pour améliorer les conditions de vie des individus, tant au niveau économique, social
qu’humain. Quant à l’explication de texte philosophique, nous avons vu que c’est un exercice
généralement pratiqué par les enseignants-stagiaires consistant à rendre de façon plus
explicite le texte d’un auteur obligatoirement inscrit au programme de philosophie. Dans le
contexte de notre sujet de mémoire, nous avons choisi un texte de 16 lignes extrait de
l’ouvrage De la médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du
développement du philosophe camerounais Njoh-Mouellè. Dans l’introduction au niveau de
l’explication de texte philosophique, nous avons présenté brièvement Njoh-Mouellè ; au
niveau du développement (même si cela ne figure pas dans le schéma de l’explication de
texte), nous avons vu en premier lieu la compréhension littérale du texte, qui a consisté à
expliquer les mots et expressions difficiles soulignés dans le texte de Njoh-Mouellè et à
identifier la valeur des connecteurs logiques ; en second lieu, nous avons dégagé la
problématique du texte, à savoir les éléments de la grille de lecture (thème, problème, thèse,
antithèse, intention, enjeu, structure logique) ; en troisième lieu, nous avons porté une analyse
critique sur la forme ( la critique interne) et le fond (la critique externe) du texte. Au niveau de
la conclusion, nous avons fait le bilan de la discussion menée dans la critique externe et
également donné notre avis personnel sur le problème que pose le texte.
La troisième partie, quant à elle, a porté sur « L’apport de la conception de
développement chez Ebénézer Njoh-Mouellè dans la construction des citoyens
responsables et d’un développement durable en Afrique ». Celle-ci pose les enjeux de
notre sujet de mémoire de master professionnel. Ce faisant, cette troisième partie s’est
proposée de faire de la conception njoh-mouelléenne du développement, un ferment pour la
construction d’une citoyenneté responsable et d’un développement durable en Afrique. En
effet, nous avons vu que l’homme est au centre de la conception njoh-mouelléenne du
développement. Pour Njoh-Mouellè, le développement économique et social doit promouvoir
l’excellence de l’homme au détriment de la médiocrité, qui est une forme de croyance à la
106
former les hommes de demain, c’est-à-dire des citoyens responsables, capables et aptes à
relever les grands défis liés au développement de leur société. Ainsi, il faut que l’État insiste
sur l’éducation des apprenants à la responsabilité. Car, l’éducation à la responsabilité est la
condition sine qua non du véritable développement d’une nation, d’un continent.
Ainsi, à travers ce présent mémoire de master professionnel, nous voulons inviter tous
les acteurs du système éducatif (éducateurs, enseignants, ministères, responsables de la
pédagogie, etc.) à mettre au programme de philosophie de Terminale l’ouvrage De la
médiocrité à l’excellence, essai sur la signification humaine du développement d’Ebénézer
Njoh-Mouellè. Il est certes vrai que Njoh-Mouellè figure parmi la liste des auteurs au
programme des classes de Terminale, mais il n’est pas exploité véritablement en tant que tel.
Nous les appelons à la nécessité de l’étudier en classe. Il ne suffit pas seulement de l’évoquer,
il faut aussi insister sur l’analyse de ses textes. Il faut familiariser donc les apprenants aux
textes de Njoh-Mouellè de sorte à permettre à ce qu’ils aient une idée de ce que signifie
réellement le développement, d’autant plus que nous sommes confrontés, de nos jours, à la
problématique du développement de l’Afrique. De ce fait, Njoh-Mouellè peut être un auteur
sur lequel les apprenants peuvent s’appuyer pour mener à bien leur réflexion en termes de
développement, ou pour mieux comprendre cette notion de « développement ».
Cependant, au-delà de la problématique du développement de l’Afrique, il y a
également des questions actuelles liées à la renaissance africaine, à la valorisation de nos
cultures, de nos traditions africaines. À ce sujet, il y a deux auteurs majeurs qu’il faut
absolument faire connaître aux élèves : Cheikh Anta Diop et Amadou Hampâté Bâ. Cheikh
Anta Diop pose la désaliénation culturelle comme la condition pour aboutir à la renaissance
africaine ; et Amadou Hampâté Bâ, quant à lui, pose la valorisation des cultures et traditions
comme la condition nécessaire au développement de l’Afrique. Si donc les apprenants sont
outillés sur les questions de développement de l’Afrique, de la renaissance africaine et de la
valorisation des cultures et traditions africaines, nous aboutirons à la naissance d’une jeunesse
africaine consciente, cultivée, confiante. Cela ne peut être possible que par la valorisation des
auteurs africains tant au niveau secondaire que supérieur.
108
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116
SOMMAIRE ....................................................................................................... II
DÉDICACE........................................................................................................III
REMERCIEMENTS......................................................................................... IV
Résumé
Ce mémoire de master professionnel est une relecture, voire une actualisation de la pensée
njoh-mouelléenne du développement. Dans ses écrits, Ebénézer Njoh-Mouellè (1938…)
s’efforce de promouvoir un développement au sens large du terme. Pour lui, le développement
d’une société nécessite une appréciation non seulement de ses ressources économiques, mais
aussi de ce qui importe réellement pour les individus : leur liberté, leur bien-être, leur
formation, leur éducation. Car, pour que chacun puisse vivre mieux dans la société, il faut se
soucier aussi du développement humain. C’est pourquoi, chez Njoh-Mouellè, s’il y a un
développement qu’il faut nécessairement promouvoir c’est bel et bien celui qui est susceptible
de faire passer l’homme de l’état médiocre à l’état excellent. Tel est donc le trait essentiel de
la pensée njoh-mouelléenne du développement. Dès lors, ce présent travail de recherche se
propose de montrer comment la philosophie Njoh-Mouellè prônant l’idée d’un
développement proprement humain est susceptible de contribuer à la construction des
citoyens responsables et d’un développement durable en Afrique. Il s’agit essentiellement de
démontrer dans un esprit didactico-pédagogique, une analyse et un enrichissement de l’étude
de la notion de « développement » en terminale D à l’aune de la conception njoh-mouelléenne
du développement. Le but essentiel est de redorer le blason du système éducatif ivoirien, de
construire des citoyens responsables, et par ricochet une société durale, responsable,
développée et dynamique. Mais, pour y parvenir, nous procéderons par une démarche
critiquo-analytique.
Abstract
This master’s thesis is a reexamination, or perhaps an update, of Ebénézer Njoh-Mouellè’s
thought on development. In his writings, Ebénézer Njoh-Mouellè (born in 1938) strives to
promote development in the broad sense of the term. For him, the development of a society
requires an assessment not only of its economic resources but also of what truly matters for
individuals : their freedom, well-being, education, and formation. To ensure that everyone can
live better in society, attention must also be given to human development. Therefore,
according to Njoh-Mouellè, the development that must be promoted is one that can elevate
individuals from mediocrity to excellence. This essential trait defines Njoh-
Mouellè’s philosophy of development. Therefore, this research work aims to show how the
philosophy of Njoh-Mouellè advocating the idea of a truly human development is likely to
contribute to the construction of responsible citizens and sustainable development in Africa.
Our focus will be on analyzing and enriching the study of the concept of “development” in the
context of secondary education (specifically, terminale D) using Njoh-Mouellè’s development
perspective. Our ultimate goal is to enhance the reputation of the Ivorian educational system,
foster responsible citizens, and create a durable, responsible, developed, and dynamic society.
To achieve this, we will follow a critical and analytical approach.