Interview Du Pr. ONDO OSSA (13 Septembre 2024)

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Interview du Professeur Albert ONDO OSSA

(Libreville, le 13 septembre 2024)


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LE MBANDJA :
Pr Bonjour. Après la sortie médiatique très critiqué d’ailleurs avec PC Maganga
Moussavou, vous vous êtes murés dans un silence de cathédrale pour
réapparaitre à TV5 lors de la célébration du premier anniversaire du coup d’Etat
du 30 août 2023. Stratégie de communication ou volonté de gêner les militaires
qui ont ruiné vos espoirs d’arriver au pouvoir ?

A2O :
Le silence est aussi un mode d’expression qui, en plus, présente plusieurs
avantages. Il permet de prendre du recul et d’avoir une meilleure appréciation
des événements, de sorte qu’on ne prend la parole que lorsqu’on a des choses
intéressantes à dire. Ensuite, un long moment de silence permet d’avoir une
meilleure lisibilité du futur (proche et lointain) et d’envisager sereinement de
quoi demain sera fait ainsi que les actions à entreprendre pour y faire face !
Voilà pourquoi chacune de mes interventions oriente davantage les Gabonais, en
leur montrant le cheminement à suivre en vue du redressement et du
développement de notre pays.

LE MBANDJA :
A Oyem où vous avez accompagné votre neveu de président, ce dernier vous a
rappelé que c’est lui et non vous qui a tué. Il vous conseillait de se retrouver au
village pour se le partager. Avez-vous reçu votre part de gibier ? Que vise votre
contestation ?

A2O :
De telles anecdotes et allégories sont malheureuses pour le contexte et pour
notre pays. C’est désolant de penser qu’un pays puisse être comparé à un gibier
qu’on doit se partager. Il s’agit à mon sens de la « Res publica », autrement dit
la chose publique qui exige un mode de gestion rationnel et huilé. On comprend
aisément qu’il s’agit en fait d’une république bananière dans laquelle je ne me
retrouve pas, d’où mon attitude « de non défiance et de non allégeance ».

LE MBANDJA :
S’il vous était demandé de poser un bilan froid du premier anniversaire du CTRI,
sans langue de bois, que diriez-vous ?

1
A2O :
Un bilan se dresse par rapport aux objectifs de départ et lorsqu’il n’y en a pas,
comme dans le cas d’espèce, on s’en tient aux déclarations, ce qui permet de
faire de la statique comparative, autrement dit comparer les déclarations de
départ aux pratiques courantes. Un seul exemple suffit pour édifier le peuple
gabonais : dès le départ, à l’aube du « coup de force », on a un Président de la
transition autoproclamé qui, par la suite et comme par magie et sans nouvelle
élection présidentielle, devient Président de la République. C’est incroyable ! Il
n’y a qu’au Gabon que cela est possible. A croire qu’on ne sait pas au Gabon ce
qu’on entend par transition, à savoir « un processus politique qui permet un
passage progressif d'un régime dictatorial à une démocratie ». Est-ce le cas
aujourd’hui ? Les Gabonais peuvent en juger !

Par ailleurs, une analyse fine des agissements du CTRI permet de relever ce qui
suit :
1°) Le discours du CTRI ne repose pas sur une vision claire de l’avenir de notre
pays et encore moins sur une présentation claire des objectifs poursuivis.
“Restaurer les institutions” est juste un slogan, un fourre-tout, en fait un
contenant sans contenu précis.
2°) Rien de ce que disent et font les militaires n’est en prise directe avec les
aspirations profondes du peuple. Or le peuple gabonais attend des solutions
(claires et efficaces) aux deux problèmes de fond : l’amélioration de la
gouvernance au sommet de l’État, d’une part, et la restauration de la dignité
des Gabonais, d’autre part.

Le bilan d’étape conduit donc inévitablement à répondre sans fioriture aux


questions suivantes :
- Les problèmes de gouvernance au sommet de l’État ont-ils été réglés,
avons-nous depuis un an une répartition équitable des richesses du pays ?
A-t-on mis fin à la gabegie, y’a-t-il une meilleure gestion des finances
publiques ? Non, les pratiques sont les mêmes. A titre d’exemple, les
jeunes gens sans expérience et complètement démunis hier sont
devenus en moins de huit mois milliardaires.
- Y’a-t-il au moins un élément qui laisse entrevoir la restauration de la
dignité aux Gabonais ? Non, le favoritisme, l’ostracisme et le népotisme
persistent ! De même que les injustices, les passe-droits et autres
atteintes à la dignité humaine. On confond le bien public et le patrimoine
personnel au point que tout procède d’une faveur du monarque. C’est du
déjà vu !

2
- Avons-nous des personnalités crédibles à la tête de l’État ? Non, le CTRI
dit une chose et son contraire.
- Les militaires ont-ils apporté une solution à la crise institutionnelle qui
secoue notre pays qui n’est que la conséquence d’une violation des textes,
notamment la loi fondamentale ? Non, la crise institutionnelle perdure.
Rien n’a changé car le CRTI a violé sa propre charte !

Soyons sérieux un moment. En quoi l’inauguration des certains ronds-points et


routes (dont les travaux datent pour certains de l’époque de BONGO Père),
permet-elle d’améliorer les institutions ? Est-elle une solution à la crise
institutionnelle qui frappe notre pays ? Non, la crise institutionnelle perdure et
s’amplifie, on tend dangereusement vers la dictature, en passant par le culte
de la personnalité !

Rien ne sert de se voiler la face. La transition des militaires est un cuisant échec.
Elle s’est totalement fourvoyée car dénaturée et vidée de son contenu. Le
pouvoir de la transition s’est très curieusement et malencontreusement
comportée comme un pouvoir établi, investi et légitime, mêlant le faux et le
vrai, la fiction, le rêve et la réalité et entraînant de ce fait notre pays dans une
dérive profonde et une incertitude radicale. Si nous n’y prenons garde, notre
pays en sortira - s’il en sort - bien plus meurtri qu’auparavant, avec à l’appui une
régénération du système ancien, dans ses pratiques comme dans ses
composantes, quelle désolation !

Tout compte fait, les dirigeants actuels du Gabon (en réalité des « pédégistes »)
étant pour la plupart le problème de notre pays, ils ne peuvent en rien en
constituer la solution ! Aussi, le peuple gabonais attend-t-il avec impatience la
restitution du pouvoir à celui qu’il a majoritairement choisi le 26 août 2023. Le
reste est superflu et incongru !

LE MBANDJA :
Paris n’est souvent pas loin dans ce qui se passe au Gabon. En 1994, à la suite de
la présidentielle de 1993, Mba Abessole le vainqueur de cette élection se retrouve
devant l’ambassadeur de France où il est allé faire constater l’évidence de sa
victoire à Paris. L’ambassadeur de l’époque lui dira : « Vous les fang vous aimez
trop le pouvoir, la France ne vous le donnera pas. Tout au moins la mairie de
Libreville ». Comme par enchantement, le corps électoral qui vota pour le parti de
Mba Abessole en majorité lors des locales à Libreville, va se déjuger deux mois
après en donnant la majorité des députés au PDG. L’ambassadeur avait-il trop ou
vite parlé ?

3
A2O :
Ne regardons pas l’avenir de notre pays avec les yeux du passé. Pensons aux
générations futures. Le contexte international a beaucoup changé et il y a une
forte mutation des relations bilatérales aux relations multilatérales. De plus,
aucun Etat moderne ne peut soutenir durablement un régime militaire si la
population le conteste. C’est dire que notre avenir ne dépend que de nous, de
notre résilience et des actes que nous posons au quotidien pour contrer les
dérives autoritaires du CTRI.

Si nous nous illustrons par un combat contre nature, autrement dit un combat
mené contre ceux qui luttent réellement contre le pouvoir qui oppresse, aucun
espoir n’est permis. Ce qui se passe dans notre pays est inadmissible ailleurs. Un
peuple qui vote massivement un Président et qui, le lendemain, est incapable
d’assumer son choix et se met immédiatement à plébisciter un putschiste !

C’est facile, dans ces conditions d’accuser la France. C’est la France qui envoie les
partisans de Monsieur OLIGUI NGUEMA insulter les activistes (MOULENDA et
de nombreux autres). C’est certainement Paris (L’Elysée ou le Quai d’Orsay) qui
a payé et forcé madame le ministre de la communication pour dire, en un temps
relativement court, une chose et son contraire ? Est-ce la France qui paie les
Gabonais connus pour qu’ils déversent toutes les insanités sur « le Gabonais
normal » dont le seul tort est de rester droit dans ses bottes ? Non, c’est trop
facile, assumons pour une fois nos bêtises, nos turpitudes et nos actes !

LE MBANDJA :
De Mba Abessole à Ondo Ossa en passant par feu Mba Obame, l’histoire semble
bégayer pour les candidats « fang ». Avez réellement cru que ce qui est arrivé à
vos prédécesseurs ethniques vous échappera ? Faites-vous preuve de naïveté ?

A2O :
Je ne suis nullement naïf. Autant que je sache Jean PING, qui n’est pas Fang, a
subi le même sort,. Moi, je ne pose pas le problème du Gabon en ces termes.
Dans les faits, ce sont les ténors Fang (intellectuels et notables) qui ont porté
le système « BONGO-PDG » à bout de bras tout comme les ténors d’autres
communautés (NZEBI, PUNU). Certes, objectivement, ce sont certaines familles
du Haut-Ogooué qui ont plus bénéficié du régime « BONGO-PDG », c’est vrai que
les bourses d’études et les stages ont été prioritairement accordées aux étudiants
et fonctionnaires originaires du Haut-Ogooué. De même que certains secteurs ou
catégories socio-professionnelles leur ont exclusivement été réservés. C’est vrai
que les meilleurs postes et promotions sont revenus pendant près de quarante

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ans prioritairement aux originaires du Haut-Ogooué. C’est vrai que les postes les
plus juteux (dans l’administration centrale, le secteur parapublic, voire le secteur
privé) ont été réservés, en priorité, à certaines familles du Haut-Ogooué.

Mais on ne peut nier que c’est la population du Haut-Ogooué qui en a payé le


plus lourd tribut et qui a le plus souffert de ce régime ; c’est elle dont les enfants
ont été le plus sacrifiés. En fait, le système « BONGO-PDG » n’a pu tenir que parce
les ténors Fang ont tout mis en œuvre pour l’encadrer et le soutenir. Il en est de
même des ténors des autres ethnies, au point qu’une analyse fine et sérieuse
permet de distinguer deux catégories de Gabonais : les repus et les exclus.
Certains Fangs se victimisent aujourd’hui dans plusieurs forums alors qu’ils ont
été les fervents défenseurs et les principaux concepteurs de la pérennité du
système « BONGO-PDG ».

En définitive, la situation actuelle, qui échappe à de nombreux analystes, oppose


deux camps distincts :
1°) La majorité silencieuse (le peuple), qui a majoritairement voté A2O le 26
août 2023 et qui, malheureusement aujourd’hui, a peur des représailles des
hommes en treillis ;
2°) Le pouvoir PDG qui tente de se régénérer, avec beaucoup de mal et, surtout,
de donner un contenant à un contenu vieux de 60 ans.

LE MBANDJA :
Hypothèse d’école. A supposer que votre neveu aurait pris le risque de vous
installer au pouvoir. Quelle allait être votre marge de manœuvre avec une GR à
80 % Téké ? Un vrai coup d’Etat n’était-il pas loin ?

A2O :
N’en faisons pas un problème « Téké » au risque de nous fourvoyer. Ce n’est pas
parce qu’ils sont « Téké » qu’ils sont naturellement mauvais et malveillants. La
GR aurait été composée à 100 % de « Tékés » que cela n’aurait constitué une
menace pour moi. C’est un cliché entretenu par le PDG et ses satellites. Les
membres de la GR ont eux aussi besoin, comme les autres Gabonais, d’une
meilleure considération. Le peuple gabonais rêve de justice et de bien-être, les
membres de la GR avec. N’oublions surtout pas que c’est cette même GR (à 80
% Téké) qui a déposé le Président Ali BONGO (un Téké). Tout système porte en
lui les germes de son autodestruction !

Je prétends que la GR ne m’aurait posé aucun problème car j’allais vite


procéder à un partage équitable des richesses, très vite améliorer les

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conditions de soins, la scolarisation de nos enfants et le pouvoir d’achat des
Gabonais. J’allais très rapidement réhabiliter l’armée nationale en la dotant d’un
équipement moderne, adéquat et adapté à la dimension de notre pays et de nos
effectifs. Je n’aurais rien eu à craindre de la GR.

LE MBANDJA :
De 1993 à nos jours, le Gabon nous a souvent donné les présidents élus qui
passent le temps d’un mandat à revendiquer une victoire qui ne leur reviendra
jamais. Un an après le coup d’Etat, avez-vous l’intime conviction que les militaires
qui ont pris goût au pouvoir vous le rendrons un jour ?

A2O :
J’estime que ceux qui ont été élus avant moi ont fait ce qu’ils pensaient juste et
je comprends leurs comportements autant que je les excuse. Moi, je tente
d’agir différemment, d’ailleurs en tirant des leçons de leurs expériences. Ils sont
presque tous - et pour des raisons diverses - passés de la contestation à la
collaboration voire à la compromission, principalement à cause des agissements
d’un pouvoir vil qui utilise malicieusement les leviers de l’Etat pour empêcher,
par la corruption, la coercition et tout autre moyen, une expression politique
plurielle et saine dans notre pays.

Fort des résultats de l’élection du 23 août 2023 dûment publiés par l’autorité
compétente (le document existe, ce n’est pas un faux), j’essaie d’œuvrer
autrement, en étant clair et en ne cédant à aucune pression, ni à aucun chantage
(familial, interne ou externe), ce qui est aisé pour moi car je ne suis pas à la tête
d’un parti politique. Notre peuple a une compréhension lente et une réaction
souvent complexe. Je crois que si je reste droit dans mes bottes, le peuple finira
par comprendre en raison de sa souffrance croissante et dès lors qu’il aura
compris et adopté une attitude plus responsable en conséquence, les pays amis
et les partenaires du Gabon s’ajusteront rapidement eux aussi. En cela, la règle
est claire : éviter, autant que faire se peut, toute souillure !

LE MBANDJA :
Votre mot de la fin.

A2O :
Je voudrais en guise de mot de fin faire un certain nombre de rappels :
1°) Aucun Gabonais n’a un pays de rechange, même pas ceux qui se pavanent
au sommet de l’Etat ;
2°) Le problème aujourd’hui n’est pas ONDO OSSA. Ce n’est pas, comme on veut
le faire croire, un problème personnel mais il s’agit d’un problème global, qui
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concerne notre communauté, notre société et notre nation. C’est le peuple
gabonais qui est, reste et sera souverain aujourd’hui et demain selon la volonté
de Dieu.
3°) La méthode du PDG reste la même, rien de bien nouveau ! Elle consiste à
discréditer tout opposant sérieux, en essayant d’inventer des histoires qui n’ont
jamais eu lieu. Malheureusement, l’expérience nous montre que cette stratégie
est contreproductive aujourd’hui, car la nature des acteurs a changé.

Pour tenter de noyer mon intervention sur TV5 Monde, on crée une histoire
vraisemblable dont tous les protagonistes et acteurs sont pourtant vivants.
Même le Président de la Transition connait exactement ce qui s’est passé. Que
les défenseurs zélés du CTRI, ses sbires et autres sous-fifres malhonnêtes,
contraints de faire le sale boulot, prennent la peine de vérifier leurs informations
au risque de paraître ridicules. Rien de plus facile : on sort volontairement une
histoire de son contexte et on y met des ingrédients pour que la moutarde
prenne. Ensuite, on paie à grands prix des mercenaires internes et externes
pour mieux scier la planche et le tour semble joué. Mais ils y laisseront tous
leurs plumes car je suis parfaitement préparé à cela. Je suis prêt à affronter,
avec mes armes (et notamment le silence), les balivernes et autres mensonges
grossiers des perfides trompeurs.

4°) 10 milliards plus 10 milliards font 20 milliards. Dans lequel de mes comptes
ces sommes ont-elles été déposées et à quelles dates ? Si je ne les ai pas reçus
(ce qui est vrai), quelqu’un d’autre a certainement empoché cette somme qui
aurait bien pu constituer un acompte sur la facture de la SEEG pour éviter les
délestages dont le peuple gabonais est victime ! Par ailleurs, si on peut sortir 10
milliards sans pièce comptable, c’est que le pays est en danger. Il y a là un réel
problème qui, curieusement, échappe à la vigilance des pourfendeurs et qui,
pourtant, devrait les préoccuper si vraiment ils sont des patriotes sérieux. Une
seule expression est de mise : « La lotta continua ! Hasta la victoria siempre » !

J’en profite pour lancer un vibrant appel aux pays amis et aux pays partenaires
du Gabon pour leur dire qu’il ne peut y avoir de collaboration saine et pérenne
dans un environnement en crise institutionnelle perpétuelle, mal structuré et
en pleine instabilité. La collaboration a besoin d’un environnement stable et
structuré ! Qu’ils y pensent !

Que Dieu bénisse notre pays le Gabon !

Je vous remercie !

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