Architecture Sacrée - Le Symbolisme Des Premières Formes - Carnac, Pierre - 2022 - Anna's Archive

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D.

_ Pierre Carnaèl

hitecture|

ésotériques

_ le symbolisme des
premières formes |

éditions dangles L-
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in 2022 with funding from
Kahle/Austin Foundation

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FF Er
73 Les
OrIzOnS ésotériques

dirigée par Jean-Pierre Bayard


Dans la même collection

Annick de Souzenelle : De l’arbre de vie au schéma corporel.


Le symbolisme du corps humain.

Robert Ambelain : Les traditions celtiques. Doctrine initiatique de


l'Occident.

PAPUS (Dr Gérard Encausse) : Les arts divinatoires.


Graphologie, chiromancie, morphologie, physiognomonie, astroso-
phie, astrologie.

A.-D. Grad : Le golem et la connaissance.


La kabbale de la lumière.
architecture
sacrée

$
Autres ouvrages du même auteur

L'histoire commence à Bimini (Ed. Robert Laffont).


Les conquérants du Pacifique (Ed. Robert Laffont).
Pierre Carnac

architecture
sacrée
le symbolisme des
premières formes

D
CH

Editions DANGLES
18, rue Lavoisier
ISBN: 2-7033-0189-8
© Editions Dangles, St Jean de Braye (France) - 1978
Tous droits de traduction, de reproduction
et d'adaptation réservés pour tous pays
A tous ceux qui créeront l'éveil paroxystique des
idées étoufjées dans le suaire de l'admis….

Architecture sacrée (encre Michel Mille)


(Bhoto San-Vio
«Non seulement, ces œuvres forcent notre
admiration, mais elles évoquent une quantité de
problèmes complexes. Si le sens des nouvelles
découvertes était souvent mystérieux et inexpli-
cable, elles permettaient du moins de soupçonner
une chose: que les manifestations, en face
desquelles nous nous trouvions, étaient déjà
beaucoup trop développées pour exprimer la
Jorme la plus ancienne de l'idéal humain pensé et
senti. ))
K. Lindner

« La vraie méthode n'est-elle pas d'interpréter les


idées des Anciens à la lumière de leurs textes et
de leurs monuments, sans s'ingénier à faire
rentrer toutes ces idées dans des cadres simplistes
tracés d'avance ? »
Paul Dhorme

——————————

Le Danube aux Portes de fer (Yougoslavie-Roumanie) .


Défilé de Djerdap - Cazane (la chaudière) ; l'endroit où le fleuve est le plus étroit
(170 m) et le plus profond (à environ 50 km de Lepenski Vir).
Avant-propos

La plus ancienne ville d'Europe découverte à ce jour, où se


trouve-t-elle ?
L'urbanisme scientifique — fondé sur l'emplacement calculé et
arrêté selon les données d’un plan général de l’agglomération, et
conçu d’après des règles topographiques établies et répétées de façon
consciente — où débute-t-il ?
La construction des premiers habitats réalisés selon un plan
fondé sur un module de base rigoureusement exact, où se place-t-
elle ?
L'unique disposition connue d'un centre habité suivant la
solution correcte d’un problème classique d’algèbre (le plus grand
nombre de maisons type dans le plus petit espace disponible), où a-
t-elle été surprise ?
La plus ancienne construction « arithmologique » d’un habitat
mettant à jour des rapports numériques clefs, entre les éléments
fondamentaux d’une bâtisse, où a-t-elle été découverte ?
La sculpture ornementale et figurative des galets, en tant que
sources d'ouvrages plastiques intégrés dans la géométrie « inté-
rieure » de la maison, où fait-elle son apparition en Europe ?
Le premier grand art abstrait et figuratif débouchant sur le
monumental à partir de la sculpture des galets, où connut-il ses
premiers Maîtres européens ?
La plus ancienne scène d'’exaltation animalière du Soleil, vrai
document-premier de la conception trinitaire du Soleil, où a-t-elle été
révélée ?
12 ARCHITECTURE SACREE

La première pièce maîtresse de l’iconographie du Déluge, où a-


t-elle été esquissée ?
Arrêtons-nous ! Pour toutes ces questions — et combien
d’autres analogues ne peut-on encore poser ? — la réponse est
unique : à LEPENSKI VIR !
Lepenski Vir ? Un nom qui, il y a un peu plus d'une décennie,
était totalement inconnu. Un point sur le Danube, placé en face du
tourbillon nourricier de Lepena, en amont des célèbres Portes-de-fer,
qui séparent les Carpates des Balkans, quelque part en Yougoslavie.
La ville, car il y a tous les motifs pour la considérer en tant que
ville, fondée en cet endroit quelque sept mille cinq cents ans ou
même huit mille ans auparavant par des Cro-Magnon venus
d’ailleurs, représente par le plan en trapèze de ses habitats et l’art
sculptural des adorateurs de l'homme-poisson qui la construisirent et
l'habitèrent, un site qui ne le cède en rien, en matière d’extraordi-
naire, aux grands hauts lieux de l’archéologie et de la protohistoire de
l'homme.

La découverte de Lepenski Vir ne fut pas — comme le furent


celles de Tiahuanaco ou des grottes d’Altamira et de Lascaux — une
œuvre de pure fortune. Fouillé et présenté au monde par d'excellents
professionnels, Lepenski Vir eut la chance de sortir au jour sans
destructions de valeurs archéologiques dues à l'enthousiasme ou au
zèle des découvreurs, sans bouleversement de données historiques.
Des expositions internationales telles que celle du Grand-Palais, de
Paris, en 1972, présentèrent ses aspects hors du commun au grand
public. D'importantes revues spécialisées ou de vulgarisation
réservèrent des pages pleines d'éloges à ce véritable joyau de
l'archéologie danubienne ; le chef de ses découvreurs décrivit le site
dans un excellent livre de présentation scientifique.

Puis. ce fut le silence ou la diminution de l'importance des


découvertes.
On avait déjà trop parlé !
Aucune grande école, aucune grande histoire de l'art ne
daignent commencer leurs cours ou leurs pages sur l'histoire de la
plastique européenne ou — dans le fond, sur l’histoire générale de la
plastique — par l'étude des galets sculptés de Lepenski Vir.
AV ANT-PROPOS 13

Aucun grand traité d'histoire de l'architecture, ou cours


spécialisé en la matière, ne démarrent encore leurs premiers chapitres
par l'analyse des habitats au plan-trapèze de Lepenski Vir.
Aucun des savants réputés de la préhistoire européenne ou
mondiale ne s'est décidé à placer la civilisation des chasseurs-
pêcheurs des parages du tourbillon de Lepena en tête de la suite des
grandes civilisations préhistoriques d'Europe.
L'histoire de la géométrie ignore l'existence des géomètres
capables d'utiliser comme plan de construction un trapèze dyna-
mique à ouverture de 60°, et surtout de le tracer correctement sur le
sol il y a 7 500 ou 8 000 ans; l’histoire des symboles, celle de la
magie, l’arithmologie, la numérologie, négligent purement et
simplement les données les concernant si abondamment fournies par
les vestiges de Lepenski Vir ; l’histoire de la pensée humaine ignore,
elle aussi, les leçons qu’elle en pourrait tirer.
Même si l’on parle parfois de Lepenski Vir, l’image est fugitive,
peu approfondie, incomplète ; elle se borne à deux ou trois lignes de
simple mention. On entend même des objections. Il y a des gens qui
doutent de la vraie ancienneté de cette étonnante civilisation carpato-
balkano-danubienne, cela malgré la rigueur scientifique qui a présidé,
d’alpha à oméga, à toutes les opérations de fouille et de préservation
du site.
Une ville sur le Danube il y a 7 500 ans? Des habitats
construits à partir d'un plan géométrique préconçu et reposant sur
l’utilisation d’un module-unité de mesure entrant sans reste dans les
principales dimensions de la maison, trois mille cinq cents ans avant
la pyramide de Khéops? Des architectes jouant à l'urbanisme
quelques millénaires avant Sumer ?
Allons, allons. il y a sans doute quelque chose qui ne va pas...
changeons de sujet !
Voilà pourquoi nous pensons bien humblement qu'il faut nous
entretenir de Lepenski Vir, la première ville d'Europe, un monceau
de vestiges qui contestent et non sans raison — certaines idées
acquises des uns et des autres...
CHAPITRE I

La civilisation du trapèze

« Qui refuse d'aller au-delà des faits les atteint


rarement »
Theodore Huxley

L'engouement de certains peuples de l'Antiquité pour les


symboles de la géométrie est connu depuis bien longtemps.
Octogones, hexagones, cercles, carrés, triangles divers se
retrouvent dans les plans des fameux effigy-mounds, tertres à
contours géométriques mais aussi Zoo- et anthropomorphes de
l'Amérique du Nord, ou dans les célèbres dessins-alignements de la
| Nazca au Pérou, tout comme dans les tracés anthropomorphes de
“grandes dimensions récemment découverts au Chili ou en Argentine.
La présence du carré et du cercle dans les civilisations de la
Chine et de l’Indochine est, elle aussi, depuis longtemps étudiée.
D'ailleurs, pourrait-on concevoir la création culturelle des
hommes des mégalithes, tout en leur ôtant l’art dont ils se sont servis
pour célébrer le cercle ou le triangle rectangle dans des monuments
tels ceux de Stonehenge ou Aveburry en Angleterre, Carnac,
Kerlescan ou Crucuno en Bretagne, Mos’na au Yémen ; ou encore
dans bien d’autres « monuments » semblables éparpillés en Livonie,
Suède, Danemark, Tunisie, Algérie, Baléares, le reste du monde
méditerranéen, au Pérou (dans la presqu'île de Sillustani sur le lac
Titicaca), en Inde ou Indonésie, à Ceylan, etc. ?
16 ARCHITECTURE SACREE

Quoi qu'il en soit et, même si ces gens manifestaient un fort


penchant pour certaines figures géométriques, du point de vue
chronologique, il était déjà bien tard, trop tard même ! Et puis, dans
tous ces endroits, le rôle joué par la géométrie d’un certain symbole,
dans le quotidien des gens du coin, est bien loin d'en faire le peuple
du symbole respectif. Un peuple de l'hexagone, tel celui des abeilles.
Un peuple du carré ou du triangle, sinon même du losange.
Cela ne veut pas dire tout de même qu'un tel peuple n’ait jamais
existé.
En effet, depuis quelques années il est connu, on vient de le
découvrir. Il s'agit des émules d’une géométrie assez particulière et
qui ont constitué, de la sorte, et durant de longs millénaires ce que
l'on pourrait appeler le peuple du trapèze. Le peuple du plus
impossible des trapèzes égarés dans la géométrie architecturale des
arrières ancêtres, car dépourvu de modèle dans la nature immédiate,
et difficile à inventer et même à tracer, en dehors des procédés de
raison géométrique bien consentie.
La civilisation bâtie par ces géomètres d'exception, tout à fait
insouciants des futures divisions et classifications des historiens et
spécialistes d’un lointain avenir, dura assez longtemps sur place,
avant de s’évanouir de la même mystérieuse façon qu'elle avait surgi,
il y a quelque huit millénaires. Cette civilisation sut se forger, dudit
trapèze, l’image de marque de son passage à travers l’histoire.
Sans prédécesseurs identifiés, ou plutôt reconnus, et apparem-
ment sans successeurs prévus par les certificats de descendance
historique requis par la rigueur scientifique moderne, ces gens — les
hommes de Lepenski Vir, site proche des fameuses Portes-de-fer du
Danube, et dont la présence fut mise à jour depuis une décennie par
les patientes fouilles de l’archéologue yougoslave Dragoslav Srejovic,
avaient bâti — à travers leur trapèze — la plus ancienne ville
d'Europe connue à ce jour.

1. Module et longueur de temps


Un petit vallon. une ouverture de terrain en fer à cheval
presque insignifiante, débouchant sur le Danube, tout juste en face
du tourbillon des eaux de Lepena si riche en poissons et aussi —
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 17

ROUMANIE

TURNU SEVERIN

LEPENSKI-
VIR

SLAVIE

Site géographique de Lepenski Vir

maintenant on le sait — berceau d’une des plus étonnantes


civilisations écloses à l’aube de la préhistoire connue de l’Ancien
Monde. Un site bien boisé, ancré au vieux fleuve en amont des
gorges des Portes-de-fer, taillées par le cours impétueux des ondes
rapides dans la roche des montagnes, pour séparer les Carpates — au
Nord — des Balkans — au Sud — par une frontière d’eau large par
endroits d’a peine 200 à 300 mètres.
C’est l'endroit où, à partir de 1965, on découvrit les restes
superposés de plusieurs couches de civilisations, qui se continuaient
sur un parcours temporel de plus de sept millénaires. Leur
enchaînement, noté par les spécialistes — à l'instar de ce qu'ils font
pour des sites de si longue vie, toujours reprise, et de ce qu'ils firent
autrefois à Troie — par des nombres latins successifs, laissa percer à
jour les étages correspondant à PROTOLEPENSKI VIR, LEPENSKI
VIR I(aàe), LEPENSKI VIR II (a et b), LEPENSKI VIR II (a et
b)... Une assez longue présence qui jette un véritable pont historique
comblant un vide local qui s'étend des héritiers des Gravettiens du
paléolithique supérieur jusqu'aux temps des premières civilisations
agricoles du bassin danubien — celle dite de Starcevo-Crish, par
exemple.
18 ARCHITECTURE SACREE

En effet, le faciès culturel du paléolithique supérieur — dont le


nom est dû au gisement français de la Gravette — le Gravettien, avait
connu une énorme diffusion, allant des Pyrénées à l'Oural. Partout
on avait retrouvé les burins de forme spéciale et les pointes effilées à
bords rectilignes et retouches abruptes, ayant servi probablement
d'armature aux sagaies des Gravettiens et ce sont également eux qui
ont légué à l'archéologie de l'Europe et de l'Asie occidentale les
statuettes féminines typiques, dont les célèbres Vénus de Lespugue et
les statuettes non moins connues de Brassempuy, Grimaldi,
Willendo rf et autres. Des statuettes qu'on qualifia pendant un certain
temps, à tort, d’aurignaciennes et que les Gravettiens créèrent il y a
quelque 30 000 ans.
Bien plus tardive, et typique pour le néolithique de l'Europe
centrale et balkanique, la civilisation Starcevo-Crish connut son
épanouissement après la fin du V° millénaire (avant notre ère), en
Bulgarie, Yougoslavie, Hongrie et en Roumanie jusqu'en Ukraine.
Des villages de huttes ou même des maisons en bois revêtues d'argile,
construites régulièrement abritaient ces gens, célèbres pour leurs
herminettes de pierre polie à section dissymétrique et leurs poteries
spécifiques. Néanmoins aucun vestige local n'aurait pu placer entre
les Vénus des Gravettiens et les maisons en bois revêtues d'argile des
paysans de Starcevo-Crish, les maisons-trapèzes de Lepenski Vir !

a) La première ville d'Europe


Lepenski Vir n'est point un site archéologique quelconque.
Depuis son plus ancien début découvert, il est une ville. Une ville
développée à ses premiers commencements sur une bande étroite de
terrain longue de quelque 70 à 90 mètres et qui longe la rive assez
basse du Danube tumultueux.
Les foyers des habitats découverts, de forme rectangulaire,
larges de 25 cm et longs de 120 à 130 cm (pour les dimensions
intérieures), construits en blocs de pierre calcaire, marquent les
maisons, dont l'orientation d'ensemble constitue comme une sorte
d'éventail. Une distance allant de 8 à 10 mètres sépare deux habitats
voisins (leurs foyers).
Présente déjà aux premiers stades de cette civilisation, cette
maison sui generis se retrouve dans la nouvelle « ville » de Lepenski
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 19

Vir I occupant — somme faite — une surface « urbaine » totale de


plus de 2 000 mètres carrés recouverte de bâtisses bien serrées les
unes contre les autres. Les quelque quatre-vingts maisons fouillées
jusqu'en 1971 ont révélé des aspects déjà difficiles à imaginer.

En effet, le plan général des bases de ces habitats présente


l'aspect d’un secteur tronqué à ouverture régulière de 60°. I] s’agit
d'une figure géométrique apparemment sans équivalent, ou modèle,
dans la nature. Cela revient à constater que les architectes de
Lepenski Vir n'ont pas copié ou reproduit, mais qu'ils ont adopté le
fruit d’une pensée abstraite (en fait seulement apparemment abstraite
comme on va le voir), et qui devait leur fournir la forme absolument
inhabituelle et intégralement inventée du plan de leurs habitats.

Tout cela se passait il y a quelque 8 000 ans, presque cinq


millénaires et demi, sinon plus, avant qu’un certain « incertain »
Pythagore ait fait démarrer l’histoire classique de la géométrie.

En fait, rien de plus vague que la personne physique de


Pythagore même ( — 570 à —496 vraisemblablement). Maitre d’une
école philosophique de Crotone en Italie méridionale, le philosophe
est censé être le fondateur d'un courant de pensée dont la longue
histoire devait durer plus de dix siècles, et dont les doctrines sont
rattachées par les uns au maître lui-même, par les autres à ses élèves
et suivants ; d’où un certain doute quant à la personne du philosophe
même.

Pour Pythagore le monde était plongé dans un air infini. La


multiplicité et le nombre apparaissent — selon sa théorie — et se
manifestent dans les choses, grâce à l’air sans limites qui les engendre.
Hérodote et autres auteurs anciens attribuèrent aussi à Pythagore les
doctrines de la métempsycose et de la respiration cosmique ; on lui
imputa également la fameuse invention du théorème qui porte son
nom. Il s’agit en fait de la 47° proposition du premier livre du
géomètre Euclide, selon laquelle, dans tout triangle rectangle, le carré
construit sur l’hypothénuse est égal à la somme des carrés construits
sur les deux cathètes du triangle. En fait, la relation était connue bien
auparavant en Ancienne Egypte, en Mésopotamie et en Inde. Même
les hommes des mégalithes la connaissaient et l’avaient exprimée en
20 ARCHITECTURE SACREE

clair, comme ils le firent dans les éléments dimensionnels du plan de


l'alignement de pierres rectangulaire de Crucuno, en Bretagne (1).

b) Le plan commence par le triangle


Bâtir selon un plan tel que celui des habitats de Lepenski Vir
n'était pas une chose tellement simple, surtout si l'on devait tenir
compte aussi de l'intégration de la demeure à base de trapèze dans le
plan général du site. Il fallait trouver le juste rapport entre les
dimensions clefs de la maison et celles de la surface accordée au site
pris en « entier ».
Pour édifier l'habitat de façon isolée, il aurait suffi de tracer sur
le terrain un triangle équilatéral et de l’amputer par la suite de l’un de
ses sommets. Néanmoins, il faut dire que même cette opération
apparemment assez simple nécessitait au moins une corde et trois
piquets, plus le savoir de géométrie projective pratique s’y rapportant.
Pour placer un certain nombre d’habitats dans un petit vallon, il
fallait partir de rapports bien établis entre les éléments déterminants
de la maison et ceux du vallon lui-même. Une certaine information
mathématique, portant sur la façon dont la largeur de la façade de la
future maison pouvait s'inscrire dans les étages de largeur du vallon
capables chacun de contenir une rangée de «n» maisons, était
indispensable (2), d’abord sur un plan (qui ne devait pas manquer), et
ensuite dans l’espace réel.
Tout laisse voir que ces deux problèmes furent résolus.
Selon les spécialistes modernes, les constructeurs du site
commencèrent par déterminer la longueur de la façade de la maison,
pour en transporter ensuite la valeur physique sur les côtés latéraux
dudit triangle, dont les sommets déterminaient la surface intérieure
de la maison qu'on voulait édifier.
Un triangle équilatéral...
Une fois tracé ce triangle et pour suivre ce qu’on pourrait
qualifier de besoins techniques de la construction, on l’amendait en le

1. Voir à ce sujet notre précédent livre : L'Histoire commence à Bimini (Laffont


éd., Paris, 1973, p. 115).
2. Il s'agit certes, de « n » factorielle.
Géométrie et mesure
Plan d'une maison de Lepenski
Vir
M = module
ESS Ecÿer
G = Galet central

Décomposition en petits triangles


équilatéraux à base M et position du
foyer (F)
22 ARCHITECTURE SACREE

raccourcissant vers l'arrière-corps de la future bâtisse et en


l'élargissant vers sa façade. On gagnait ainsi vers le devant une
surface circulaire, tout en restant dans le jeu des dimensions du
triangle initial, pour l'essentiel de ses formes et dimensions.
Les mensurations des assises de ces maisons — entreprises par
les archéologues — démontrèrent que, tant le raccourcissement que
l'élargissement en question, n'étaient point le fruit du hasard ou de
l'arbitraire. On dépeça le triangle d’une façon qu'on pourrait qualifier
de scientifique, vu qu'il fut toujours raccourci d'un quart de la
longueur de son côté, tandis que la façade gagnait l'arc de cercle
correspondant à celui fourni par un cercle dont le centre se serait
trouvé dans le sommet perdu du triangle et dont le rayon aurait été
égal à la largeur de la façade même.
De cette façon la largeur de l’arrière-corps entrait trois fois dans
la longueur des côtés latéraux et quatre fois dans l'ouverture (droite)
de la façade. Les côtés gardaient trois quarts de la largeur de la même
façade. Grâce à cette disposition, la longueur de l’arrière-corps entrait
comme multiple entier, dans toutes les dimensions clefs du trapèze de
base.
En termes d'architecture, cela revient à dire que cette longueur
arrière — tellement présente dans les éléments dimensionnels du
plan de la bâtisse — sert de module de base au projet de l'édifice.
Nulle part et jamais — si l'on veut s'en tenir aux fouilles
archéologiques effectuées jusqu'à présent dans le monde — une telle
maison ne fut construite par qui que ce soit. Elle demeure l'invention
traduite en réalité des architectes danubiens d'il y a quelques
millénaires.
Tout cela pour parler le langage à deux dimensions de la plate
géométrie plane...
Mais la maison à module précis de Lepenski Vir n'a pas
seulement des assises ; elle a aussi une superstructure en bois, il est
vrai, et qui continue la symphonie géométrique de son plan. Cette
superstructure donne à l'habitat l’air d’une toiture continue, mais
quelle toiture !
Il s’agit d'une solution de continuité en bois, allant de la façade
vers la plus étroite des bases du trapèze et qui fait de la maison une
sorte de boîte à base trapézoiïdale, arrondie en secteur conique, régie
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 23

Projections idéales de la toi-


ture des maisons
F = foyer

par le même immanquable module. En effet celui-ci demeure


présent, et l'intervalle qui sépare les poutres de la construction de
cette toiture surplombant la façade est toujours divisible par le double
du module. Tout comme pour le cas des côtés du plan de la maison,
cette division est sans reste. L'’intervalle qui sépare les poutres des
côtés latéraux est divisé à son tour, et toujours sans reste, par le
même module.
Un extraordinaire jeu de dimensions, dira-t-on, pour se
cantonner dans les rapports de pure géométrie.
On peut dire qu’en fait le triangle équilatéral du départ consiste
en 16 triangles équilatéraux de côté égal au module, le trapèze
résultant de l'amputation du sommet du triangle initial, n'étant plus
composé que de 15 petits triangles équilatéraux de côté égal au
24 ARCHITECTURE SACREE

module. Ainsi le périmètre du « grand » triangle comprend 12 fois la


longueur du module.

c) Le dix et le jeu des nombres

Si on regarde les choses dans toute leur profondeur, on se rend


bien compte qu'à travers le jeu des dimensions, c'est un autre jeu qui
perce, celui des nombres.
| m, 2 m, 3 m, 4 m... ne représentent en fait que la succession |,
2,3, 4... où le module de base représente l'unité.
Ne doit-on pas alors se souvenir que 1 + 2 + 3 + 4 = 10?
Dans les Commentaires d'Hiéracles sur les vers dorez de
Pythagore, rétablis sur les manuscrits et traduits en françois avec des
remarques, le sieur Dacier, garde des livres du Cabinet du roi de
France — et qui avait publié ledit ouvrage chez Rigaud, en 1706 —
écrivait : « En effet, en assemblant les nombres depuis un et jusqu'à
quatre, cette addition fait dix, puisqu'un, deux, trois et quatre font
dix : et le quatre est au milieu arithmétique entre l’un et le sept, parce
qu'il surpasse l'un du même nombre dont il est séparé par le sept, et
ce nombre est le trois, quatre étant au-dessus d'un, comme sept au-
dessus de quatre. Or les vertus et propriétés de l’un et du sept sont très
belles et très excellentes car l'unité comme principe de tout nombre
renferme en elle la puissance de tous les nombres et le sept comme
vierge et sans nuire a en second la vertu et la perfection de l'unité,
puisqu'il n'est engendré par aucun nombre contenu dans l'intervalle
des dix... »
Apparemment c'est du bric-à-brac numéral. En fait — et c'est
pour cela que nous avons cité tout le passage — ce n'est qu’un très
court résumé de cette magie des nombres qui constitua la source du
grand engouement des pythagoriciens pour le DIX — nombre
souverain formé par l'addition des premiers quatre nombres,
premiers à leur idée et donc aussi sacrés.

Pythagore, et surtout les siens, furent les premiers et parmi les


plus tenaces investigateurs du monde sans fin des nombres.
Parmi les inventions de taille attribuées à Pythagore qui, ayant
longtemps séjourné en Egypte, avait fait partie de la caste des prêtres
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 25

Re CREME Projection
nt M er idéale

EX F = foyer
G = galet

Projection
corrigée

Oiseau fantastique et œuf du monde ? Non, simple projection développée de la


toiture des habitats de Lepenski Vir.

Vue supposée
26 ARCHITECTURE SACREE

pharaoniques, on compte une manière — tout atfait Dropres——


d'envisager les rapports entre les nombres et la géométrie.
Renversant la vapeur, et renonçant à obtenir des mesures, c'est-à-dire
des nombres à partir des figures géométriques, Pythagore et les siens
mirent sur pied une géométrie à partir des nombres, où les nombres
se firent donner une forme géométrique propre : triangle, carré,
rectangle...
Pour obtenir selon les pythagoriciens la physionomie géomé-
trique des divers nombres, il était nécessaire de disposer un certain
nombre de points de façon régulière. Le nombre de ces points était
celui dont le total exprimait le nombre qu'on voulait représenter. De
cette façon le neuf carré lui-même, devenait un nombre carré même
dans son expression «extérieure », tout comme le huit devenait
rectangulaire ou le dix triangulaire...
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Huit Neuf Dix ou Dix

La notation en triangle équilatéral du dix devint la plus usuelle,


étant donné son importance magique.
& Il suffit de jeter un coup d'œil sur le dix
HU pythagoricien formulé en triangle équilatéral
é... pour voir que si on remplace unité ou point
PE or par module de Lepenski Vir, on tombe de
façon indéniable sur le triangle équilatéral
Qre fondamental des habitats de ce site.
ee + 2 Cela signifie qu'en fait le jeu des
modules dans les dimensions horizontales du
trapeze dynamique ouvert à 60° n'est qu'une des expressions
ultérieures du dix sacré dit plus tard, si tard, pythagoricien.
Nombre sublime — la fameuse TETRAKTYS pythagoricienne,
se révélant, comme on l’a déjà dit, de la somme des premiers quatre
nombres — le dix contient également autant de nombres pairs (cinq,
à savoir : 2, 4, 6, 8, 10) que d’impairs (cinq, à savoir : 1, 3, 5, 7 ét 9),
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 27

et de nombres premiers que de nombres composés. Pour le célébrer,


les pythagoriciens l'avaient inscrit dans leur conception de l'Univers,
qu'ils considéraient comme fait de sphères tournantes emboîtées les
unes dans les autres, en permanent carrousel autour d’un feu central,
autre que le Soleil. Terre, Lune, Soleil, Mercure, Vénus, Mars,
Jupiter, Saturne avaient leurs sphères. On y ajoutait encore la sphère
des étoiles fixes et uniquement pour la cause sainte du dix en
question, une seconde Terre, vraie Terre de science-fiction, car anti-
Terre, à l’opposite de la nôtre, de façon qu’elle ne puisse être jamais
Vue.

Au-dessus de cette vraie physique du Nombre selon laquelle


toutes les choses créées devaient être constituées de points matériels
isolés les uns des autres, les pythagoriciens construisirent toute une
métaphysique riche en interprétations et en symbolismes parfois
aberrants. Ainsi après l'UN, immuable source mystique de tous les
autres nombres et symbole de la Raison-maîtresse de l'Univers, deux
devenait... l'opinion qu'on se fait des choses ! Dans une telle série où
trois exprimait la trinité, quatre l'équité et cinq le... mariage (union
du premier chiffre masculin, car impair, trois, avec le premier chiffre
féminin, car pair, deux), le DIX était censé désigner la matière, ce qui
surajoutait à sa valeur exceptionnelle.
Aller au-delà du dix, entrevu à travers la figuration ponctuelle
du module de l'habitat de Lepenski Vir, c'était inutile sur le plan
magique. Mais pour rester audit module, il faut dire que la même
représentation en aurait pu faire aussi l'expression — toujours
pythagoricienne — d’un autre nombre triangulaire, le quinze, dont la
figuration dérive du même triangle. Cela faisant, on s’inscrivait déjà
dans une suite de nombres dits polygonaux (pentagonaux, hexago-
naux.. dodécagonaux, etc.).
La présence du module dans le plan des habitats en question
tend à démontrer que les constructeurs avaient conscience de certains
éléments d’arithmogéométrie, qui feront les délices des futurs
pythagoriciens, et sans la connaissance desquels, le rythme géomé-
trique de la maison de Lepenski Vir reste difficile à expliquer.
Néanmoins il est encore à préciser que les pythagoriciens
tirèrent assurément leur grand savoir de sources égyptiennes,
reconnues par les anciens Grecs. Les hiérophantes des pharaons
furent — en fait — les premiers à inscrire le Dix sur leurs tablettes à
28 ARCHITECTURE SACREE

1+2+3+4+5 = 15

écrire, comme on l'a vu, triangulairement, à l'aide de petits points.


Suivant le savoir égyptien, les pythagoriciens enseignèrent que
décade et tétrade étaient étroitement liées et que la Tetraktys devait
être formée et exprimée par l'addition de la monade (un point), de la
dyade (deux points), de la rriade (trois points) et de la rétrade (quatre
points).
La passion pour la Tetraktys fut telle que certains des néo-
pythagoriciens et, par la suite, tous ceux qui se réclamèrent du même
courant de pensée, construisirent un double de la Tetraktys, en
remontant de la monade du sommet vers une nouvelle tétrade,
supérieure, symétrique à la première. C'était le reflet de l'en deçà
dans l'au-delà (vu l'abstraction divine de la Tetraktys même). Mais, et
le mais est de taille, si l'on compte les points de la double Tetraktys,
on en trouve 19 (vu la monade commune). Cela veut dire que la
divine perfection descendue par le truchement de cette nouvelle
figuration, supplémentaire en fait et en idée, dans le manifesté, n'est
plus une décade mais une ennéade (neuf points, d'où aussi le sacré de
ce neuf, dans les traditions numérologiques anciennes se réclamant
ou non, des néo-pythagoriciens).
On traduisit ce 19 — comme les néo-pythagoriciens l'ont fait,
par l'expression occulte du cycle luni-solaire de 19 années. De toute
façon, les platoniciens ont repris avec aisance le symbole de la double
Tetraktys — que certains auteurs ont rapproché aussi du Labrys, la
double hache crétoise, à cause de sa forme. D'ailleurs les mêmes
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 29

& ao. 6

& | boboag @

La double PRES : ne
Tétraktys @ è..... 6... r

platoniciens ont eu l’idée d'utiliser les intervalles d’entre les points de


la divine Tetraktys. Elle se transforme ainsi dans un groupe
triangulaire de 28 points, reflet, dit-on, des 28 signes du zodiaque
lunaire, dans le friangle-ciel. C'était aussi une occasion de relier le
sept (4 x 7 = 28) au dix de la Tetraktys, de façon à en augmenter la
force magique. Mais les platoniciens n’inventèrent rien en faisant tout
cela.
Des points marquant des surfaces triangulaires à la façon de
ceux du triangle de la décade ont été rencontrés sur maints objets
provenant, non seulement de l’époque du fer, mais aussi de l'époque
du bronze. De cette manière, des dispositions analogues, telles celles
des cercles pointillés d’une pendeloque appartenant au trésor de
Cruseilles (III° siècle de notre ère, époque romaine), ou celles des dix
saillies ovales disposées de manière décroissante sur d’autres lignes
horizontales sur le tablier triangulaire de la déesse Cybèle (Pergame,
II° siècle avant notre ère) doivent être moins redevables à des
influences pythagoriciennes qu'à un héritage local. Un héritage dû à
la transmission de formes largement utilisées et diffusées sur un
immense espace géographique, et qui avait atteint les pythagoriciens
comme pour renforcer les données traditionnelles qu'ils avaient
puisées en Egypte. Les historiens des religions ont dûment établi que
bien avant l'époque de Pythagore, certaines populations très
30 ARCHITECTURE SACREE

Le triangle-ciel
à 28 signes

*% + * . * . *

anciennes d'Europe et d'Asie se servaient du triangle à dix points


pour figurer l'expression conjointe du Soleil et de la Lune.
Sans avoir précisément surpris un tel aboutissement à Lepenski
Vir. nous sommes obligé d'observer que la source de la Tetraktys
« égyptienne » se plaçait, selon les mêmes Egyptiens, en dehors du
temps et de l'espace égyptiens proprement dits. En effet, ces premiers
usagers de la divine Tetraktys la faisaient provenir — selon la
tradition — de leurs lointains et légendaires, mais aussi combien

Les derniers tracés des Shemsou-Hor sur les tapis de


Tunisie

Symbole de l'homme (tapis Berbère de Tunisie décoré


du triangle-tête renfermant la sommation de 1 à 4 =
Dix, voire de « l'homme-dix »). .
LA CIVILISATION DU TRAPEZE Di

réels, initiateurs, les SHEMSOU - HOR, venus de l'Ouest lointain, et


qui appartenaient vraisemblablement à une vieille vague de Cro-
Magnon... ce qui, comme on va le voir, rapproche le dix en question
des gens de Lepenski Vir.

La Tétraktys
des... modules

De toute façon, ces approches numérologiques — qui, pour


Lepenski Vir étaient déja, dès les premiers débuts, un objet de
recherche — ont contribué à leur transcription dans les proportions
des éléments géométriques et dimensionnels des habitats de ces
proto-géomètres, déjà hantés par la magie des nombres...
Un, deux, trois, quatre...

d) UN ou le principe
L'unité, le central, l’unique, le milieu, mais aussi l’entier prêt à
s'épanouir tout en se divisant, dans le monde infini des nombres dont
il est le germe et aussi le maître divin, car générateur...
Néanmoins, il faut dire que l’'UN, personnification dans l'image
du trait vertical, représente non seulement l'axe, la colonne ou le
pilier, mais également l’homme debout, le phallus et certes aussi le
bâton de commandement, le sceptre ; en somme, une foule d'objets
se prêtant à des interprétations magiques, et qui conduisent vers l'un
principe.
De nos jours, les philosophes du nombre distinguent — comme
l'avait fait René Guénon — l'un de l’unicité, le premier restant
abandonné à la représentation de l’homme actif — mort ou couché le
trait n’est plus vertical, montant — l’homme complice des œuvres
32 ARCHITECTURE SACREE

sacrées ou profanes de la création de toutes sortes. Quant à l’unicité,


elle demeure l'expression de Dieu comme être et maître tout autant
mystique qu'absolu.
Autrefois — et, il nous faut remonter sur l'échelle du temps
juqu’aux pythagoriciens, pour lesquels la monade en tant que mère
des nombres (leur génitrice et génératrice) ne pouvait être l'un d'eux,
même si le premier devenait dans le fait le UN-principe — un
commun et un principe indistincts de l’unicité, se confondaient dans
la première expression de l'unité, mais non dans celle de l'impair. En
effet, étant donné la position « hors série » du «un », le premier
nombre impair devenait le... trois.
La connaissance consciente du triangle — figure qui, tout
comme le trois est le plus petit nombre comprenant le pair et l'impair
(2 + 1 = 3), est la surface la plus simple et la génératrice de tous les
polygones avait offert aux premiers de ses usagers la possibilité
d'intégrer de façon visible le trois dans le principe. Elle leur avait
donné l'occasion de réaliser une forme unique tout en partant de
trois éléments distincts (les côtés), ce qui allait être reprojeté sous
forme d'unicité magique, dans la carrière symbolique du triangle
auprès des Anciens. Un symbolisme qui n'est pas encore prêt à
s'éteindre.
Sur ce chemin, les gens de Lepenski Vir connurent l’unicité du
module de base de leurs habitats (mesure unique de leur grand
triangle et de leur trapèze uniques eux aussi), une unicité consistant
tout justement en cela que ledit module entrait sans reste dans les
principales dimensions de leurs habitats. Un module qui a, chez eux,
le même rôle qu'aura plus tard chez les gens des mégalithes le yard
mégalithique mis en évidence par les passionnantes recherches
entreprises dernièrement par le professeur anglais Alexander Thom.
Il s'agit de l'étalon de mesure unique, constant (cette fois-ci) et
pratique, utilisé par les gens des mégalithes dans la projection de leurs
plans et la construction de leurs monuments. Ne peut-on dire, en
somme, que les gens de Lepenski Vir furent, dans le principe, les
inventeurs de l'étalon des proportions dans la construction, un
précurseur en quelque sorte du yard mégalithique, et un lointain
aïeul du mètre moderne ?
L'existence même d’un tel « étalon », unique pour un même
type dimensionnel de maisons, est une manifestation implicite de
l'UN principe. ;
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 53

Le fait d'avoir marqué aussi le centre des maisons par un galet,


témoigne de la même connaissance usuelle de l'UN principe et peut-
être aussi des débuts de la grande tradition des nombres, tant
magiques que sacrés.

e) Le deux qui crée


Dualité, double, biface, opposition et en même temps couple et
complémentarité, union des contraires ainsi que symbole attitré de
l'opposition, le deux fut aussi le nombre clef de tous les
dédoublements et de toutes les ambivalences. Il présida en tant que
principal élément numéral de la division (celle qui fait surgir la moitié
et par cela l'égalité), aux plus diverses relations entre l’entier, le tout,
et la partie. L'esprit et la matière, le maitre et l'œuvre (s'il s’agit du
créateur et de la créature, sinon même du Créateur et de la Création),
le bon et le mauvais, le mal et le bien, le bénéfique et le maléfique, le
masculin et le féminin, le blanc et le noir, Dieu et le diable se
réclament d’une certaine expression première de la dualité.
« Source de la division », le partage en deux précède tous les
autres. En idée et en principe, le deux lui aussi est unique en tant
qu'unité des contraires, surtout lorsqu'il endosse la forme du germe
de l’évolution qui mène au progrès, ou celle de l’involution qui
débouche sur la catastrophe. Deux est aussi l’inexprimé d’où peuvent
sortir des couples d'actions (également) contraires. Néanmoins ce
faisant, le deux retrouve son sens d’entité génitrice, une personnalité
de mère et ce faisant, aussi un... sexe. Devenu expression du principe
féminin, nombre de la matrice féconde, deux désigne la mère, la
femme. Il devient leur nombre.
On comptait : un, deux... homme, femme... mâle, femelle...
trois. fruit (produit de l’incorporation de l'UN dans le DEUX,
traduit par l'addition 1 + 2, pour faire du trois la somme, le tout,
mais aussi sur l’autre plan, le fruit, l’enfant...).
Mais restons au deux...
Deux représente aussi les deux portes, les deux portes de l’âme
qui monte aux célestes demeures par la Lune et descend sur Ja Terre
par le Soleil, d’où le couple Lune-Soleil, symbole largement utilisé
des « deux portes ».
34 ARCHITECTURE SACREE

Tout comme il porte vers la division, le deux s'ouvre aussi en


symbole, comme dans les faits, à la multiplication. Sans allusion au
couple premier de la Bible (Multipliez-vous !), on peut considérer le
deux en tant que première synthèse ; le deux se retrouve dans la
bipolarité de chaque multiplication qui, selon le cas, augmente ou
diminue la quantité.
Prenons la mort... Malgré son équivalent d'anti-vie entrevu par
les Anciens, le décès sépare la vie de sa continuation, sous la forme
d'une autre et deuxième existence. Cette croyance effroyablement
ancienne a contribué le plus à l'instauration de l’antithèse : un-
principe - deux-différence. Tout aussi important dans le monde des
symboles et de la magie que le Un principe, le deux de la différence
est aussi celui de la réciprocité, de l'effort commun, de l’alternative et
du couple sacré. Cela pour ne plus parler des enseignements terre à
terre offerts par la nature même lorsqu'elle faisait jouer pluie et beau
temps, jour et nuit, eau et feu, froid et chaleur. sur la scène de la
raison, cette nature qui avait façonné l’homme même tout en le
pourvoyant de deux mains, deux yeux, deux oreilles. « N'importe
quelle mère de jumeaux sait compter jusqu'à deux... », disait à ce
propos un vieux proverbe arabe.
Il ne s'agit pas ici d'aller plus loin dans l'exploration des
circonstances dans lesquelles le deux s’est imposé à l'attention de
l'homme, les couples des figurations rupestres attestent sinon l'usage
conscient du nombre, au moins celui de la notion de répétition qu'il
contient.
Néanmoins, à Lepenski Vir le deux est présent de façon —
pourra-t-on dire — elle aussi double, car « mathématiquement », 1l
est attesté par l'intervalle qui sépare les poutres des côtés latéraux de
la toiture et par la façade même, divisibles sans reste par le module ou
par son double, et « géométriquement » il est confirmé par la pratique
de la symétrie dans les détails du plan et les éléments de construction
de l'habitat.
Manipulateurs aisés de cette inépuisable réserve de deux, de
doubles et de dédoublements dans le monde du similaire qu'est la
symétrie si brillamment mise à jour par le plan de leurs maisons, les
architectes de Lepenski Vir en avaient fait une des cartes de visite de
leur géométrie, de leur technique des constructions, et peut-être aussi
et déjà, de leurs croyances religieuses. |
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 35

f) Le trois ou le TOUT

Puissance génératrice de la Terre et source du mouvement, voilà


seulement deux des innombrables significations symboliques d'un
nombre qui est — depuis que raison existe — l'ambassadeur de la
TRIADE auprès de l’homme.
N'est-il pas, ce même trois, le nombre qui forge le suprême
honneur divin exprimé par l’adage latin E TRIBUS HONOR UNUS
(en trois j'honore un), chose qui ressort également le rapport unité-
trinité ?
L'idée que trois est un, n’est pas tellement saugrenue comme elle
semblerait l'être au premier abord et surtout elle n’est pas toute jeune.
Quant à la trinité, elle n'est pas non plus seulement une des formes de
la triplicité, elle ne fait que tripler l'unité. La triplicité — quelque
chose qu'on multiplie par trois pour en faire une unité « trois fois
plus grande » ou simplement «trois fois grande » tel le célèbre
Hermès Trismégiste (en grec trois fois grand = trismegistos) des
vieilles traditions égypto-grecques développées dans les œuvres des
premiers alchimistes.
Dans une de ses œuvres, G. Dumézil écrivait que : « Quoi qu'il
en soit, dans toutes les légendes de combat, qu'il s'agisse d'un monstre
dont la tête ou le cœur sont triples (le géant scandinave Hrungir avait
un cœur à trois... cornes), ou simplement de trois frères au destin
solidaire (les Curiaces chez les Romains), la signification de la
triplicité n'est pas douteuse : c'est un triplement intensif (3) ».

g) Du «grand » trois au trois « divin »


Conséquence logique du fait que le nombre trois exprimait la
puissance ou la grandeur (les trois couronnes de la tiare du pape par
exemple), les Anciens triplaient les personnages tout justement pour
souligner leurs forces supérieures. Tripler un talisman c'était lui
conférer une triple, et par-cela même, absolue puissance. Exprimer la
triplicité d'une force de la nature signifiait l’exaltation totale de sa
force ou de sa vertu. Résultat, non seulement l'abondance d'êtres

3. G. Dumézil, Horaces et Curiaces (6° éd.. 1942, p. 134).


36 ARCHITECTURE SACREE

triples ou de triades divines mais aussi d'êtres triplement doués


d'attributs physiques et de forces morales dans les mythologies,
traditions et religions de l'Antiquité.
Ainsi, en premier lieu, les trinités divines qui ont marqué de leur
sceau trinitaire, traditions et religions partout dans le monde. En
vieille Egypte, la triade Osiris - Isis - Horus, où père, mère et fils se
mélaient dans un inceste symbolique qui n'est point étranger au
christianisme même. Cet aspect des choses ne fait que mieux
comprendre la consubstantialité du trois et de l’un, dans ce genre de
trinité ou triade. Comme l'avait souligné Maspéro, s’occupant du
dieu trinitaire égyptien : « Père en tant que premier membre de la
triade, il était à la fois son propre père, son propre fils et le mari de sa
mère (4) », sans oublier son double aspect masculin et féminin à la
fois, véritable aveu sur le plan magique des qualités numériques du
trois qui est, comme on l’a déjà dit, le plus petit nombre contenant le
pair (2 = 1+1) et l’impair (1). Autre grand héros de la triplicité
divine en Egypte, Amon, le plus ancien des dieux uniques,
manifestés en trois personnes.
Même les Romains connurent une triade divine constituée par
les dieux Jupiter, Mars et Quirinus, les trois dieux fondamentaux de
la ville de Rome et de l'Etat romain.
En Inde ancienne, la triade Brahma - Vishnou - Shiva jouait le
même rôle dominant que chez les Aztèques, la trinité Tezcalipoca -
Tlaloc - Huitzlipochtli, ou au Pérou, la triade dite Taupatanga, décrite
par les chroniqueurs Acosta et Calancha (5) et qui comprenait
Apuinti, le Maître-Soleil, Churi Inti, le Fils du Soleil et Intihuaoque,
l'air ou (pourquoi pas ?) l'Esprit divin, Frère du Soleil. Cela pour ne
plus parler de la trinité chrétienne si tardive et si peu originale elle
aussi. Comme si tout cela n'avait pas suffi, le plus souvent le chef
d'une telle triade était représenté avec des attributs physiques ou
moraux triples. Ainsi, selon Plutarque (6), Osiris se faisait adorer
bien souvent (comme lors de la procession de la fête de Paamylés)
portant un triple phallus ou muni d’un organe sexuel « trois fois plus

4. Histoire ancienne des peuples d'Orient, 1., 108.


5. Chronique de l'ordre de Saint-Augustin.
6. Plutarque, Isis et Osiris, Ch. XXX VII (Paris, Parthey éd., 1850). *
LA CIVILISATION DU TRAPEZE sn

grand que nature », symboles de sa propre fécondité (7) ; Vishnou


possédait des qualités de triple bonté et de triple sagesse tandis que
Shiva était figuré parfois — comme sur les monnaies des Kusanas —
sous la forme d’un personnage au triple visage.
Quant au Jupiter des Romains, il était, lui aussi, « le roi divin des
trois domaines », céleste, terrestre et infernal...

Premier des dieux du Mexique, Tezcalipoca, un correspondant


aztèque du dieu Odin des Germains ou de Zeus-Jupiter gréco-romain,
était, comme devait le préciser le chroniqueur Sahagun au
XVI® siècle, Le triple chef du ciel, de la terre et du monde souterrain
et portait un triple nom dérivant de celui de la montagne où il s'était
révélé aux gens (Tezcatepec), de celui de l'ombre (Tlil) et de celui de
la fumée (Poca). Tenant compte que Tezcatepec signifiait «la
montagne du miroir », le dieu cumulait, dans son nom le triple sens
mythique et magique du miroir, de la fumée et de l'ombre... La triade
mexicaine retrouvait son image. féminine dans une triade de
compagnes, les trois déesses Cihuacoatl, Cinteotl et Teoyaomisqui,
qui ressemblait d'une façon bien suspecte à la triade de compagnes
des dieux de la trinité indienne, la série : Bhavani - Lachsmi - Parvati
(ou Kali). Quant au chef de la trinité péruvienne déjà cité, Apuinti, on
le désignait sous le nom de l'HOMME AUX TROIS VISAGES...
Le nombre des dieux purement et simplement triples ou à
attributs triples est légion. Même Hermès, le héraut des dieux de
l'Olympe, et la sage Minerve se firent présenter sous de tels aspects.
Ainsi en Grèce archaïque, on avait adoré longtemps un Hermès
tricéphale qui retrouve sa triplicité dans le Mercure triphallique
représenté par certains bronzes de l'époque romaine et vraisemblable-
ment aussi dans l'apparition d’un dieu gaulois également à trois têtes,
déjà présent en Gaule avant la conquête romaine. En ce qui concerne
Minerve (Pallas-Athéna chez les anciens Grecs), elle est de nature
triple elle aussi en tant que déesse de la justice qui, comme on le sait
bien, mesure, pèse et rend justice, trouvant le juste milieu entre
l'outrageur et l'outragé. De là le surnom d’Athéna : Tritogeneïa... et
aussi le fait que les Anciens appelaient parfois le triangle équilatéral
sinon Minerve, du moins Tritogeneïia.….

7. M. Meunier, Plutarque, Isis et Osiris, (1924), p. 123.


38 ARCHITECTURE SACREE

Tricéphale trouvé à St Alexan-


dre (Gaule).

Se penchant sur le trois, Chateaubriand, dans son Génie du


christianisme, écrivait que : «ce nombre trois semble étre dans la
nature le terme par excellence », pour souligner par la suite que le
trois n'est pas engendré et qu'il engendre toutes les fractions ; une
façon d'expliquer pourquoi les pythagoriciens l’appelaient le nombre
sans mère. Mais le grand romantique oubliait, ce disant, que déjà
Homère se servait du trois pour désigner la pluralité, le considérant
en tant que nombre sacré.
Il y eut des peuples anciens qui ne pensaient, pour s'exprimer
dans le grand, et ne juraient, dans le tragique, que par les trois. Les
Celtes furent exemplaires en cette direction. Bon nombre d’histôriens
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 39

y ont vu soit une influence tardive des idées pythagoriciennes — qui


elles, payèrent un très fort tribut à la magie du trois — soit d’autres
influences antérieures à l’époque de Pythagore, en provenance du
sud de l'Italie.
Le savant allemand H. Usener, qui a longuement enquête sur
ce problème, comme le soulignait J. Vendryes, en 1935, lui-même
réputé spécialiste dans L'unité en trois, avait démontré déjà de son
temps non seulement l'extrême diffusion dans le monde antique de
l'usage de la triplicité, mais aussi ses aspects omniprésents et
vraiment protéiformes, son universalité dans toutes les traditions,
croyances, mythologies et religions du monde. Une universalité qui
en fait, nous domine encore. Même s’il y eut des peuples qui
cultivèrent le symbolisme et l'usage mystique et magique du trois de
façon apparemment plus accusée — comme les Celtes — on aurait
tort de ne pas voir la présence générale du trois, de la triade et de la
triplicité dans tout l’espace-temps de l'Histoire.
Ainsi les spécialistes, Dumézil en tête, ont trouvé un écho de la
triplicité dans la « tripartition sociale » des sociétés indo-européenne
et indo-iranienne, divisées comme on le sait en trois classes distinctes
dont chacune possédait ses propres fonctions, conceptions et dieux.
Tout cela est vrai, mais il faut aussi dire qu'on aurait tort de
limiter l'ancienneté des triades, des « triples formels » de la religion,
de la justice ou de l'expression littéraire, la triplicité de certaines
notions et divisions d'ordre social (8) au plafond indo-européen ou
indo-iranien… Il existe des indices et même des preuves que le trois et
la triplicité figuraient déjà dans l'arsenal culturel manifesté en tant
que tel des. Neanderthaliens ! Mais n’anticipons pas. Restons encore
au trois et à la triplicité des temps un peu plus proches.

h) Trois = Tout
Un aspect essentiel et autrement important du trois et de la
triplicité est celui du trois égal au TOUT. Au premier abord, on

8. La société indo-européenne connaissait une division plus ou moins


et
rigoureuse en trois classes : prêtres-hommes de loi, guerriers-administrateurs
qui
éleveurs-agriculteurs. Chacune réalisait une des fonctions vitales de la société,
étaient magie et droit, force et fécondité.
40 ARCHITECTURE SACREE

pourrait croire qu'il s'agit d’une boutade de la même essence que


l'affirmation des pythagoriciens, selon lesquels la moitié devait être
bien souvent plus grande que l’entier…
Si cette sentence due en fait à Hésiode et qui avait beaucoup plu
à Platon se réclame plutôt d’une certaine dialectique, l’idée de voir en
trois le tout est bien plus défendable.
Aristote n'écrivait-il pas que: « Parmi les grandeurs, l’une n'est
divisible qu'en sens unique, c'est la ligne ; l'autre l'est en deux, c'est
la surface ; l'autre l'est en trois, c'est le corps. Il n'y a pas d'autres
grandeurs que celles-là, car trois est tout et qu'il renferme toutes les
dimensions possibles. »
Cela étant on comprend bien aisément par quel raisonnement
spéculatif les pythagoriciens avaient fait du trois le nombre du tout,
c'est-à-dire de l'Univers dont la triade temporelle consistait en la
réunion du commencement, du milieu et de la fin, et la triade spatiale
en l'addition à l'espace quotidien de l'en deçà (parfois infernal), de
l'au-delà (parfois céleste).
Il suffisait que trois soit TOUT pour qu'il devienne en même
temps un véritable superlatif absolu de la pensée métaphysique
antique, comme l’a très bien démontré W. Deonna.

i) Trinités et constellations mythologiques

Néanmoins TROIS qui demeure triade et triplicité sur le seuil


des religions naturelles ou créées (comme le mahométisme), et de
la philosophie, devient — dès qu'on I projette dans la géométrie —
bel et bien un triangle, le triangle dont la plus parfaite expression
reste celle du triangle équilatéral.
Il faut dire aussi qu'’au-delà de la triade des personnages divins et
de la triplicité de l’attribut divin, le trois servit à merveille la foule de
trinités de notions qui régissent l’ordre normal des choses de la pensée
et du langage quotidien.
Ainsi, se voulant exhaustif, le fameux savant jésuite, le père
Athanase Kircher offrit en pâture à ses lecteurs, dans son
Arithmologie sortie à Rome en 1665, un tableau édifiant quant aux
multiples significations du trois:
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 41

| à : 10.
Ordre mental | intelligence mémoire volonté

Ordre tempéramental | végétalif sensitif rationnel

Ordre caractériel divin angélique humain

Sagesse divine sainte commune

Ordre du rationnel pensée intelligence raison

Raisonnement these antithèse synthèse

Erudition concept Voix écriture

Monde spirituel céleste élémentaire

Soleil lumière rayon chaleur

Lune conjonction moyenne opposition

Cercle centre diamètre circonférence

Ordre des dimensions longueur largeur profondeur

Ordre des noribres linéaire (ligne) plan (surface) solide (volume)

Malheureusement — bien qu'en partie valables — le bon père


jésuite cherchait ces triades exclusivement dans son imagination. Plus
pratiques, les ethnologues modernes surent rechercher et trouver la
présence mondialement rencontrée du TROIS chez les peuples du
monde entier. Il s’agit cette fois-ci d’un Trois qui débouche le plus
souvent sur un aperçu inattendu des croyances d'ordre religieux des
autochtones. Nombre cosmique par excellence, le trois révèle la
mythologie ou pour mieux dire, il en ressort. Comme chiffre
privilégié de telle ou telle civilisation (arts, architecture, construc-
tions, etc., dominés par un excès de triades ou triples représentations)
le trois se rattache à ce que certains spécialistes ont désigné sous le
nom de « constellations mythologiques ». Il s’agit de la structure des
légendes et des très anciennes traditions puisées dans le rôle mythique
du Soleil et de la Lune ou de la planète Vénus, dans les croyances des
primitifs.

Parmi les schémas les plus diffusés des couples ou paires Soleil -
42 ARCHITECTURE SACREE

| |

La trinité chrétienne représentée par trois poissons (gauche).


(Pierre tombale de Tintern Abbey - Angleterre).

Lune, ou Lune - Vénus, on rencontre aussi le couple dit consanguin


formé par la Lune homme et frère et le Soleil femme et sœur (9).
Toutes les terres septentrionales allant du nord de l'Allemagne
au Groenland à travers de vastes contrées d’Asie centrale et du Nord,
et aussi des régions entières en Asie du Sud-Est, dans le monde
insulaire du Pacifique ou celui d'Afrique centrale sont concernées par
cette constellation mythologique qu'on rencontre également au
Proche-Orient.

9. Leo Frobenius, le Destin des civilisations (Paris, Gallimard, s.d.).


LA CIVILISATION DU TRAPEZE 43

En effet Allemagne du Nord, Lithuanie, Russie mais aussi


centre des Balkans (Serbie méridionale, Bulgarie, Macédoine,
Monténégro), tout comme la Mongolie, les pays des Ostiaks,
Samoyèdes et Tchouktches sibériens, sont sous l'empreinte de cette
constellation mythologique, dominant de même chez les Esquimaux
d'Asie et d'Amérique du Nord et les Algonquins du Canada, les
peuples d'Indochine et d’Indonésie, les anciens Arabes et Hébreux,
les Soudanais et autres. Les plus vieilles traditions de ces contrées et
de ces gens sont imprégnées non seulement des traces de ladite
constellation mythologique, mais aussi comme frappées de la marque
numérologique du TROIS.
Les trois coups durs sur le bois, pour conjurer le malheur : les
trois clins d'œil qui appellent le bonheur ; les trois épreuves dont le
héros sort toujours indemne et vainqueur ; l’un, deux, trois. qui
compte le démarrage d'une course : les trois saisons des vieux
calendriers égyptiens ou grecs, romains, illyriens, thraces, celtes,
slaves, iraniens, phrygiens, ioniens, caucasiens et autres, attestent la
position du trois, reflétée par la suite, dans une longue série de triades
ou trinités divines dont on va encore s'occuper. Traditions, légendes
et contes de vieille souche, arrivés jusqu'à ce jour, confirment cette
position du trois, le nombre de la répétition, de l’ordre dans le temps.

j) Le trois compte le temps


Le Soleil et la Lune, sœur et frère, donnent aussi une très
précieuse indication sur la manière dont les peuples dominés par le
trois comptaient leur temps.
Toutes les populations primitives ou anciennes qui conféraient
le sexe masculin à la Lune, comptaient leur temps par les nuits ; les
nuits surveillées par la Lune leur maïtre (mâle), cette Lune qui, elle
aussi, se distingue par ses TROIS phases (chez les Anciens) :
croissante, pleine et décroissante.
C'est ainsi que la Lune put fournir à ses premiers adorateurs à
travers les nuits qu’elle dominait, le « devenir » changeant de ses trois
phases — le TEMPS. Cela se passait pendant que le Soleil, /a
compagne de la Lune mâle, leur découvrait la Terre dominée par les
quatre points cardinaux... et cela arriva dès que l'homme se plaça
+4 ARCHITECTURE SACREE

face au Sud. sur la route apparente du Soleil pour découvrir ces


notions apparemment si simples que nous appelons « devant »,
« derrière », « droite» et « gauche » et se les représenter par le
QUATRE. Ce chemin, après leur avoir appris à additionner 3 + 4,
pour obtenir le mythique SEPT, leur fit découvrir la vraie face de ce
dernier, un nombre quatre fois remarquable dans le 28, celui des
jours de la durée d'une Lune...
Cette Lune qui se rattache elle aussi bien solidement au trois
dans la triade (encore une, et de quelles proportions !) des centres
cosmiques de fécondité : LUNE - EAU - VEGETATION, qui
dominaient la Terre, dont le contact avec l'eau impliquait la naissance
et la renaissance perpétuelles de la vie. Propre aux plus anciennes
civilisations méditerranéennes, cette triade est présente sur les
poteries de Sardaigne, étudiées par C. Zervos, dès la fin de l'époque
des Nuraghes. Néanmoins sa plus ancienne présence signalée à ce
jour est bien plus vétuste.
Tout comme le trois est présent à Lepenski Vir dans la
numérologie sacrée de l'habitat, à travers les divisions et les
multiplications concernant le jeu du module (trois fois compris dans
les côtés latéraux du trapèze du plan des maisons de Lepenski Vir I),
ou dans certains éléments de figuration dont on reparlera, 1l se
retrouve aussi dans la triade GALET - FLEUVE - FORET. Cette
triade est une autre façon de dire LUNE - EAU - VEGETATION,
parfois chiffrée dans la seule expression « trafiquée » du galet sculpté,
représentant la triade : LUNE - HOMME-POISSON (fils du fleuve et
son représentant mythique) - Symbole de la FECONDITE (par le
signe de la vulve prête à l'accouchement qu'il porte incisé dans la
pierre).
La présence du trois dominant — comme on va le voir — à côté
du quatre, dérivé lui aussi d'une géométrie commencée à l'échelle du
triangle, demeure largement édifiante pour le monde mental des gens
de Lepenski Vir dont les habitats, par leurs plans, ne font que
confirmer l'emprise.
De ce point de vue, le triangle-trapèze à ouverture de 60° utilisé
par les architectes locaux demeure, non seulement la projection
matérielle, géométrisante et géométrique en même temps de
l'abstraction mentale du trois dans la réalité exprimée, marquée, du
plan sur le terrain, mais aussi l'expression mythologique d'une
croyance déjà très ancienne qui dut être la leur. k
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 45

Symbolisme du trois et du sept


(Le vase de Busiris. Le revers de l'hydrie. Furtwaengler et Reichlold, Griechische
Vasenmalerei, Série 1, PI.LI).

S'occupant du trois de l'être triple et de la triplicité, Vendryes


remarquait, en 1935, que le dieu ou le héros triple, à triple face ou à
triples attributs « devait appartenir dans le fond au plus vieux fonds
mythique des nations occidentales ». Cela est tout aussi vrai que bien
incomplet. Vendryes tirait ses exemples du seul monde celte et des
peuplades italiotes, et cela pour une période qui allait seulement
jusqu'aux débuts du néolithique. Il y en a plus, dans l’espace, comme
dans le temps. Trois et la triade TRAVERSENT tout le néolithique
pour vivre un certain épanouissement chez les Anciens méditerra-
néens et en remontant, se manifestent déjà de façon nette chez les
Cro-Magnon comme ce fut le cas pour les commencements de
Lepenski Vir... Il est même certain que si les Celtes en héritèrent
l'usage exagéré, ce fut à cause de la persistance du trois et de sa
symbolique sur leur territoire de diffusion et surtout le long des
vallées du Rhin, du Rhône et du Danube.
De nos jours le droit de propriété d’une maison est un document
écrit, qui même s’il est déjà autonome, se fait encore accompagner
par le plan annexe de la maison qu'il concerne. Du temps de
Lepenski Vir I, le plan vivant, car inscrit sur le sol du site, constituait
à lui seul maison, titre de propriété et marque des architectes qui
signèrent par leur triangle-trapèze, pour se représenter en tant que
46 ARCHITECTURE SACREE

tels. Cosmique, magique, sacré et usuel en même temps, car utilitaire,


le TROIS-triangle constitua leur identité historique. C'est lui qui fit
d'eux les hommes du... trapèze !

k) Trois et QUATRE fois heureux


Un, deux, trois, quatre...
Artémidore, qui avait donné autrefois une bien célèbre Clef des
songes précisait que rêver trois ou quatre yeux, constituait le plus
heureux des présages. On avait déjà le droit — seulement pour avoir
fait un tel rêve — d'être trois et même quatre fois heureux. Une
appréciation identique marquait les relations qui réunissaient le
quatre d’une part au trois, et d'autre part à la félicité et au bonheur,
considérés comme les récompenses des dieux... Usener, Roscher,
Diels et autres érudits qui se sont penchés tout comme Eliade sur
l'évolution spirituelle de l'humanité ont largement expliqué les
faveurs prodiguées par les Anciens au nombre quatre à cause de la
duplication particulière qu'il représentait :
MOST EL EN OS EEE 2 OISE)

En vue tout justement de célébrer les vertus dispensatrices de


force et de bonheur de certains dieux, les Gaulois adoraient des
Mercures à... quatre têtes, ou des dieux-soleils, des Apollons à quatre
cornes, comme celui trouvé à Beire-le-Châtel. Ce n'est que pour
mieux souligner l’action des forces fécondantes qu'ils étaient censés
posséder, que certains êtres védiques furent figurés en Inde ancienne
avec quatre testicules.
Néanmoins ce n'est pas le nombre et surtout les jeux de
nombres qui ont fait la carrière du quatre dans le monde de la pensée
des Anciens, c'est l'expression figurative, formelle pourrait-on dire
du quatre à travers ses projections géométriques plus ou moins
parfaites qui dominent son symbolisme : le carré et le rectangle.
Presque tout aussi universel que le triangle, mais moins divin
que ce dernier, le carré est essentiellement stable et par-cela même
antidynamique (10).

10. Avec le cercle. le point et la croix (le point étant le centre du cercle ou
même celui de la croix), le carré constitue la 1étrade des symboles dits (en
symbolique), fondamentaux. |
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 47

Même si pour Platon, le carré (tout comme le cercle), était


« absolument beau » en lui-même, il faut voir dans la forme du carré
le contraire du transcendant, un arrêt dans la création, une figuration
du créé à l’opposite de l’action même de la création. Sous le ciel
cercle, régi par un Soleil — comme on va le voir — triangle, le carré
devient la TERRE stabilisée dans sa perfection. De là en opposition
avec la spiritualité du trois, la matérialité du quatre.
Il suffit de penser à la section (triangulaire) de la pyramide, qui,
elle, repose solidement assise sur sa base carrée.

Si la Terre est une nef carrée Voguant sur les ondes de l'Univers,
la spiritualité de la pensée (de l’homme) en constitue la voile
triangulaire pointant du sommet de son mât vers le ciel infini. C’est
ainsi que le navire pyramide traverse l'Océan des temps. Exprimant
une stabilisation, le nombre quatre, reflet de la perfection divine,

devient aussi celui du développement complet. Au temps triangulaire


et vertical dans son essence : HIER - AUJOURD'HUI - DEMAIN,
toujours en ascension vers l'en haut, vient s'ajouter la stabilité de
l'espace, carré, marqué par la nouvelle sacralité des quatre directions,
tout autant de piliers de l’horizon visible. Si le ciel a trois portes,
comme on va le voir, la terre, elle, dispose de quatre portes
cardinales, tout comme les enceintes sacrées des temples anciens...
L'espace sacré est lui aussi presque toujours, sinon un carré, au
moins un rectangle régi un peu plus par la nécessité de comprendre
dans un intérieur les quatre coins (angles) du monde, que par celle de
présenter la projection divine des côtés égaux. Sur ce chemin, la
marche allant de l'enceinte polygonale ou rectangulaire des premiers
enclos sacrés connus, jusqu'au castre romain, rectangulaire et régi
par des voies intérieures « en croix », est tout à fait édifiante. Quant
48 ARCHITECTURE SACREE

au développement ultérieur de la solidité symbolique du quatre dans


une vraie solidité matérielle, l'identité du quatre et du nombre des
éléments constitutifs de la matière des Anciens, représente une autre
preuve de la façon dont on matérialisait l’abstraction d'un symbole.
Exprimant une stabilisation, comme on l'a déjà dit, le quatre
connut aussi un regain de vertu grâce au fait qu'il « doublait le
double » ou le couple... chose dont les hommes se sont certainement
aperçus dès le paléolithique inférieur. Les cupules groupées par deux,
de certaines pierres à signes appartenant encore à la période
moustérienne en témoignent (1 1).
Tout cela doit nous ramener à nouveau vers le polygone régulier
du plan des maisons de Lepenski Vir, vers ce trapèze, sacré lui aussi,
figure tout autant dynamique que numérologiquement déjà excep-
tionnelle dans ses dimensions idéales et sûrement pensées dans tous
leurs détails. Le jeu du module (m) est tout à fait clair de ce point de
vue.

Les architectes-constructeurs de Lepenski Vir partirent d'un


triangle parfait aux côtés égaux à quatre modules (4 m). Une fois ce
triangle tracé, ils en découpèrent le sommet en lui ôtant un triangle
intérieur équilatéral lui aussi, donc tout aussi parfait, aux côtés égaux
à un module (1 m). Il en resta une surface en trapèze caractérisée par

11. Période du paléolithique ancien (-75 000 à -40 000 ans) dénommée d'apres
les découvertes de la grotte du Moustier en Dordogne. ü
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 49

Poterie précolombienne (Ilca - Pérou) qui explique les 16 rayons symboliques du


(Dieu) Soleil. L'Astre du jour domine à la fois le temps (12 rayons, mois, heures)
et l'espace (4 rayons, les points cardinaux).

une grande base égale à quatre modules et les côtés latéraux égaux à
trois modules. Mais un tel trapèze représente exactement une surface
quinze fois plus grande que celle du petit triangle perdu. L'opération
consiste donc en une sorte de réduction de la surface de départ d'une
seizième partie.

Cela nous fait observer que, dans le fond, la surface du grand


triangle du début de la construction était idéalement composée par
l'addition côté à côté — en rangées de triangles inversement disposés
— de 16 petits triangles équilatéraux. Le fait que le module entre de
façon exacte dans toutes les dimensions d'importance de la maison
atteste la connaissance par l'architecte, de ce détail essentiel.
ARCHITECTURE SACREE
50

Néanmoins ce /6 qui est présent en subsidiaire, mais quand même


présent, est non seulement le carré de quatre, mais aussi un nombre
solaire par excellence. Il est d’ailleurs le nombre des rayons de l’astre
du jour dans toutes ses représentations magiques et religieuses depuis
la plus haute Antiquité. Il est à ajouter que ce même 16 en tant que
carré est aussi le premier carré de carré :
DK 2044 AE 6;
Il s'agit donc d'un nombre 3 fois magique (2 — 4 — 16) ou
TROIS FOIS GRAND, ce qui le fait retomber dans le monde
symbolique du trois...
Mais ici le quatre est aussi le trapèze, un trapèze spécial, car
grâce à son ouverture de 60° il représente une figure autant
dynamique que régulière, dont la grande base (4 m) est également
celle de l'hexagone inscrit dans un cercle au rayon égal à cette base (r
— 4 m). Un cercle qui, lui aussi, il faut l’admettre, existait dans la
conscience et sur la planchette des architectes de Lepenski Vir. Les
fouilles en ont rapporté la preuve, même si l’on n’a pas relevé cet
aspect des choses En effet, la devanture du parvis des maisons
suivait de façon plus ou moins exacte le tracé de ce cercle !
En 1897 Diels, spécialiste réputé, écrivait que le trois de la triade
était la première limite de la façon de compter de l'humanité
primitive. Commentant favorablement cette « manifeste impuis-
sance» des primitifs à compter au-delà de trois, W. Deonna,
soulignait qu'on dit — encore de nos jours — d’un benêt qu'il ne sait
pas compter au-delà de trois... Cela est peut-être valable, mais pour
quelle humanité primitive ? De toute façon, pour les constructeurs
des habitats géométriques de Lepenski Vir une telle question — tant
sur le plan de la science des nombres que sur celui du savoir
concernant les figures géométriques simples — serait saugrenue,
sinon même ridicule. :
LA CIVILISATION DU TRAPEZE SI

D) Du nombre à la proportion
Rapport des parties entre elles et avec leur entier, la proportion
est, en même temps, une convenance et une convention. Résultat
prévisible des choses qui s'ordonnent d'elles-mêmes grâce au rythme
intentionnel ou naturel d'une expression, la proportion régit
l'architecture, dans la mesure où cette dernière subit la moindre
organisation, une organisation qui commence, qu'on le veuille ou
non, par le nombre pour aboutir à la proportion « exprimée ».….
Construire une maison, édifier l'habitat est en fait définir un
espace, séparer un espace de l'espace, exprimer un espace dans
l'espace. C’est exactement ce que l'architecte de Lepenski Vir a réalisé
à l’aide du nombre, des proportions dimensionnelles de sa maison-
trapèze.
Que sa maison ait été un monde, cela ne fait plus de doute.
Néanmoins ces aspects formels du monde de la maison régi par les
nombres et les proportions sous-jacentes vont plus loin. Ils
témoignent d'un homme déjà profondément religieux, dans le grand
sens du mot, étant donné que, de façon évidente, l’espace de son
monde-maison provient d'un espace sacré. Eliade écrivait en 1957,
parlant de l'expérience religieuse primordiale « antérieure à toute
réflexion sur le monde », que « pour vivre dans le monde il faut le
fonder et qu'aucun monde ne peut vivre dans le chaos de
l'homogénéité et de la relativité de l’espace profane ». Pour l'historien
des religions de Chicago, le début qui ne peut avoir lieu sans une
préalable orientation impliquant l'acquisition d'un point fixe,
correspond en premier lieu à la détermination de ce point ; un point
qui est, qui doit être, le centre. L'expérience de vie organisée des
gens de Lepenski Vir commence elle aussi, en effet, dès que ce centre
de la maison est établi et marqué, comme on va le voir, par un galet.
L'existence même ou pour mieux dire le choix du trapèze dynamique
à ouverture de 60°, figure régulière et centrée, constitue la
confirmation d’une telle attitude d'ordre philosophique.
Si pour vivre dans la réalité de leur monde les gens de Lepenski
Vir avaient choisi cette façon de s'implanter dans l'espace, c'est
qu'une telle démarche résultait déjà pour eux de toute spéculation
mentale, qu’elle était déjà l'aboutissement d'une pratique intérieure
de l'espace sacré, régie par des règles et des conventions qui percent à
jour à travers le Nombre et la Proportion de leurs habitats.
2. ARCHITECTURE SACREE

Reprenons le plan. après lui en avoir marqué les éléments de


géométrie plane, c'est-à-dire les côtés du trapèze et les angles que
ceux-ci constituent, par des notations se rapportant à l'identité
graphique du trapèze même. B - grande base ; b - petite base; c -
côtes latéraux.
Les proportions qu'on reconnaît aisément sont :

B
BED:C 3b D = bB/40uce

Cela revient à dire que le trapèze régulier du plan des maisons de


Lepenski Vir est caractérisé par la relation :
DRE C
et que du point de vue des angles on a :
PMN + MPO = MNO + NOP
(60° + 120° = 60° + 120°) soit que les sommes des angles opposés
sont égales. II s’agit d’angles complémentaires de chaque côté et dont
la somme est de 1 80°.
Jeu du hasard ou jeu de la raison ? Le ballet des proportions où
nous devons accorder toute l'attention à la relation clef :
BA rc 8 tou dc
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 53

semble prouver non seulement la conscience d’un passage sui generis


du 3 au 4, mais implicitement une précoce approche de deux
relations numérales simples, mais fondamentales pour les débuts de
la Science des nombres :
FÉES NE SR LE 1)

D'ailleurs il est tout aussi intéressant de considérer du point de


vue de son langage numéral le périmètre dudit trapèze :
PPS CE 20 Cr De IC HED
(ou en fonction du module de base m)
Pt M one lien

Pour b = m = | on obtient le ONZE tiré soit de l'addition 4 +


6 + 1 c'est-à-dire 10 + 1, soit de l'addition 4 + 7. Une voie qui
mène à onze en passant par le dix, ou une autre qui se sert du sept.
Reprenant le triangle équilatéral perdu (celui du sommet du
tracé initial) on se rend compte (nous continuons à parler le langage
du périmètre) que c’est en sortant un triangle parfait constitué de trois
modules (ou longueurs standards) d'un bien plus grand triangle
parfait au contour formé de 12 modules, qu'on arrive au trapèze
choisi comme modèle du plan et qui est, lui, ceinturé par un
périmètre fait de 11 modules. Façon de marquer sur le sol que
douze moins un égale onze, mais aussi manière de montrer que les
54 ARCHITECTURE SACREE

architectes de Lepenski Vir I connaissaient au moins trois voies


différentes pour arriver au douze, friplant le quatre, quadruplant le
trois, ou ajoutant en l'occurrence un un...
Le douze qui, nombre « rectangulaire » des futurs pythagori-
ciens, représentait aussi la somme des trois premiers nombres pairs (2
+ 4 + 6) était de toute façon — comme l'indique nettement la
relation 4 c = 3 B des dimensions du trapèze du plan des maisons
de Lepenski Vir — un des NOMBRES d'importance du savoir
mathématique de leurs constructeurs.
Un triangle marqué par le douze. peut-être ce fut là aussi un
des heureux débuts de la carrière de nombre solaire du même douze
— à la fois nombre du cercle — grâce à sa surimpression au triangle
parfait cosmique et solaire.
Quant au choix même de ce douze... nous pensons qu'il est
largement possible que son importance ait été déja d'ordre
astronomique. Qu'il s'agisse des 12 lunaisons (et demie) de l’année
tropique ou du cycle de douze ans tiré de la période de Jupiter (12), le
ciel aurait déjà pu offrir de la matière à réflexion pour en faire sortir
le douze, qui, d'Amérique centrale précolombienne en vieille Chine,
passant par les civilisations anciennes de la Méditerranée est un des
NOMBRES les plus importants. Un choix issu de l'astronomie du
douze à Lepenski Vir ne serait que logique pour des gens qui étaient
de la même souche que les créateurs de calendriers lunaires de l'abri
Lartet étudiés par Marshack et qui les avaient précédés de 27 000 à
34 000 ans. De toute façon, Platon — qui vantait jusqu'à
l'admiration sans bornes la beauté des formes fournie par « quelque
chose de rectiligne et de circulaire composé au moyen du cordeau et
de l’équerre » — considérait le douze, lorsqu'il analysait le zodiaque,
comme l'expression d’un symbole de l'harmonie du UN avec la
multiplicité. Ne faisait-il pas, Platon, la même chose que les
architectes des débuts de Lepenski Vir lorsqu'ils avaient tracé pour la
première fois un triangle qui était le TOUT, tout en étant le un et la
multiplicité, le un et le douze ?

* *

12. Les études de l'Allemand W. Eberhard ont démontré l'extrême ancienneté


de la connaissance de ce cycle en vieille Chine. d
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 55

L'architecte de Lepenski Vir avait commencé par le nombre


pour aboutir à la proportion exprimée et qui témoignait en même
temps des nombres desquels elle se réclame. Le résultat est la beauté
sans égale de la forme de son plan.
On continuera de s'interroger sur le savoir mathématique des
gens de Lepenski Vir, on avancera des hypothèses peut-être
déconcertantes ou contradictoires pour expliquer leur acheminement
vers la forme en architecture... Néanmoins, peut-être que pour mieux
les juger il serait plus utile de leur appliquer les mots de Le
Corbusier : « La mathématique n'est pas pour l'artiste les mathéma-
tiques. I ne s'agit pas de calculs forcément, mais de la présence d'une
royauté : une loi infinie résonance, consonance, ordonnance. La
rigueur est telle que l'œuvre d'art en résulte véritablement... »
Oui, le plan des habitats de Lepenski Vir était une œuvre
d'art

2. La maison, un aide-mémoire
Pour continuer à parler nombres, il faut s'entendre d’abord sur
le triangle équilatéral.
Plutarque nous rapporte que pour saluer les extraordinaires
vertus de ce triangle, les anciens Grecs l'avaient désigné du nom
même de la sagesse, incarnée chez eux par la déesse Pallas, cette
merveilleuse Athéna née du cerveau même de Zeus, le père de
l'Olympe. Traduisant la mythologie, les Romains le nommèrent
Minerve et, également comme les Grecs, Tritogeneia.…. et le
comblèrent de respect en tant que symbole de la justice.

De toutes les vertus du triangle parfait, une, mérite une attention


à part. En effet, le triangle équilatéral est la première figure
géométrique dont la surface peut être divisée sans reste en un nombre
infini de surfaces absolument semblables et il est aussi la première
surface régie par l'empire de la division à outrance. On ne perçoit là-
dedans, aucun microcosme plan, oser se poser en face d'un
macrocosme hanté par la division, pour lui contester ia faculté de se
faire couler dans des petits moules sans fin, semblables au sien.
Faisant du triangle équilatéral le modèle de la famille, tout en
identifiant les côtés au père, à la mère et à l'enfant, même s'il suivait
56 ARCHITECTURE SACREE

une lointaine inspiration égyptienne, Platon saluait, lui aussi, dans sa


République, l'extrême divisibilité de l'Univers, monde et famille à la
fois Cet Univers triangle parfait bâti sur les correspondances père-
esprit, mère-matière et enfant-monde...
En fait le rapprochement triangle parfait-Univers ne fait que
confirmer la triple correspondance UNIVERS - TRIANGEE -
MAISON, une maison régie elle-même par les nombres.
Néanmoins, la plus élémentaire approche des aspects tellement
insolites des habitats du site danubien suscite au moins une
interrogation portant sur les motifs, les buts d’une telle manifestation
dans le NOMBRE de la forme et des dimensions de la maison.

Certes, on doit le reconnaître, les gens qui vivaient il y a huit


mille ans à Lepenski Vir comptaient, calculaient et projetaient à leur
manière et avec quels résultats. Tout comme leur trapèze ou leur
triangle équilatéral, leur nombre dix, qu'ils avaient largement chiffré
dans les proportions de leurs maisons, appartenait à un monde
d'intelligence qu'ils avaient déjà certainement découvert, celui de la
division perpétuelle.
En définitive, toute une magie sous-jacente prend ses sources
dans les rapports numériques révélés par le plan des habitats de
Lepenski Vir. Il ne lui manque pas non plus — à côté du dix — la
présence du douze, cet autre nombre clef des anciennes traditions, si
présent plus tard dans le bagage mathématique des hommes des
mégalithes, et aussi dans celui des anciens Egyptiens, grâce peut-être
moins aux influences mésopotamiennes, qu'aux fameux Shemsou-
Hor initiateurs, ces serviteurs d'Horus, en provenance de l'Occident
lointain.
Le fait même que les constructeurs du Danube avaient pris une
façade quatre fois plus large que l’arrière-front de la maison, que le
rapport entre les deux bases de leur trapèze fondamental était —
comme on l’a vu — de 4/1, démontre une réflexion. Une réflexion
qui, partant de la divisibilité sans bornes du triangle équilatéral,
débouche à Lepenski Vir sur les 4 X 4 triangles inscrits dans le grand
triangle équilatéral qui enferme les contours du plan de la maison.
Tout cela est géométriquement valable, car le grand triangle est
constitué — comme on l’a déjà montré — de 16 triangles sembläbles,
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 51

au côté égal au module. Or il n'y a que 16 triangles égaux de ces


dimensions, capables de remplir la surface du triangle initial et,
ajoutons-le…. initiateur !
La naissance du seize par un tel découpage intérieur du grand
triangle en quatre rangées de triangles allant de un à sept suggère
aussi la suite — numérologiquement autrement importante — des
quatre premiers nombres impairs.

Révéler pour une seconde fois les qualités occultes du nombre


seize, selon les mêmes pythagoriciens, ce serait nous attarder sur des
données classiques depuis plus de 25 siècles.
I ne nous reste qu'a
compter les quinze triangles
«intérieurs » du trapèze
fondamental, jeu de trois
hexagones ayant un seul
petit triangle commun, pour
signaler la constante liaison
entre les systèmes dodécago-
nal et décagonal présents
dans la géométrie non en-
core profane de la maison
de Lepenski Vir.
Enfin faut-il encore
dire que, triangle ou trapèze
découpé, ce plan des mai-
sons pousse encore plus loin les choses, étant centré et comprenant
aussi d'autres éléments de géométrie particulière.
C’est ainsi que l'entrée de l'habitat est pratiquée dans le milieu de
la base élargie du trapèze fondamental et que tout près du foyer
central, au bon milieu de la pièce, se trouvait un galet ovoide
présentant un creux circulaire qui marquait en fait le centre de
gravité du triangle équilatéral initial.
Voilà des gens capables — en fait — de faire rencontrer trois
bissectrices idéales à l’intérieur d’un triangle régulier il y a huit
millénaires. D'ailleurs même le trapèze des maisons peut surgir
comme par enchantement du jeu ascendant ou descendant desdites
bissectrices. Il suffit de les tracer deux fois de façon successive.
58 ARCHITECTURE SACREE

= mbc

Enfin il est encore à ajouter que bien avant les constructions des
anciens Egyptiens, les plus anciernes bâtisses conçues selon les règles
d'une stricte géométrie et satisfaisant l'application d'un calcul de
proportions, furent quand même les habitats de Lepenski Vir.
Fait de mortier rougeâtre de calcaire enduit d’une mince couche
de poli blanc et rose, le revêtement du sol des maisons du site était
aussi beau que solide. La ville de Lepenski Vir I aurait pu en être
fière.
Sur les détails architectoniques du site de Lepenski Vir et sur
ceux de ses maisons, on s’est penché pour faire des constats. Ni le
découvreur du site, ni les spécialistes qui ont écrit depuis ne se sont
intéressés spécialement aux données du symbolisme proprement dit,
ou de numérologie, de cette véritable capitale de la première
géométrie exprimée et appliquée en Europe. d'où l'absence
d'hypothèse formulées en ce sens. Cela nous permettra d’ailleurs d'en
avancer une. Et si toute cette effarante géométrisation des habitats
n'avait servi à autre chose qu'à marquer d’une façon indélébile, dans
le durable de la chose construite, le lointain message d’une
connaissance géométrique sans pareille ?
Voir alors dans les plans et les superstructures des premiers
habitats de cette ville d'avant les villes un simple exercice
mnémotechnique, bon à engendrer et à transmettre le savoir secret
des nombres et des symboles clefs, serait-ce vraiment se tromper ?
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 59

Le jeu des
bissectrices
(nâb = nn :
mba = mnñm')

De toute façon, on trouverait avec assez de difficulté de vraies


preuves capables de contredire une telle supposition.

3. L’urbanisme du jeu des extrêmes


Une des portes de compréhension du site de Lepenski Vir est
offerte par son architecture. Cela est vraisemblablement dû, moins à
ce qu’elle montre au premier regard, qu’à ce qu’elle révèle dès qu'on
abandonne l’idée préconçue selon laquelle l’histoire des architectures
est celle de la succession des simples techniques architectoniques,
plus ou moins différentes.
Il est nécessaire, pour saisir l'essence de l'architecture de
Lepenski Vir d'y voir surtout des pensées d'architectes qui avaient
puisé leurs moyens d'expression technique là où ils les avaient
trouvés.
Edifiant leurs habitats, ils le faisaient moins à la façon du maçon
qui construit un mur régulier, tout en pouvant penser à son futur
week-end, c’est-à-dire à autre chose, que de la manière dont procède
60 ARCHITECTURE SACREE

l’auteur de musique, alors qu'il bâtit sa symphonie au moyen d'un


langage qu'il pré-entend. Oui, ils construisaient à la manière dont les
dieux mêmes avaient créé le monde, en créateurs d'univers, à la fois
réels et magiques, à l'image de leur monde intérieur. Pour eux,
construire, c'était officier.
Néanmoins, pour arriver là, il fallait commencer par le choix du
site même.
Analysant ce qu'il désignait sous le nom de cadres de la vie des
gens des débuts de Lepenski Vir, le découvreur du site atteint parfois
le lyrisme poétique : «1! n'y a pas un seul endroit en Europe, écrit-il,
où l'on puisse trouver dans les limites d'un ensemble géographique
fermé et d'un biotope (13) unique des micro-habitats si nombreux et si
variés qu'aux Portes-de-fer ; et il n'y a nulle part ailleurs, sur un
même espace, de paysages d'un constraste si étonnant et de formes, de
bruits, de parfums et de couleurs si particulières (14)... »
Le choix ayant présidé à la mise en valeur comme habitat du
vallon est absolument évident.
Les éléments de géographie naturelle ayant présidé à l'implanta-
tion du site le prouvent. Parmi eux :
— L'étendue limitée et aux abords bien marqués de la surface
de l'habitat, en fer à cheval, ouvert vers le fleuve, long de 170 mètres
et présentant une largeur extrême de 50 mètres ;
— [La position du vallon sur une terrasse à peu près plate, à
l'abri des vents parfois très forts qui s'engouffrent au-dessus du fleuve
pour suivre sa course vers l'aval, et aussi au-dessus du niveau de
danger des inondations possibles (altitude moyenne du site au-dessus
de 60 mètres) ;
— La présence de protections naturelles, telles que la forêt,
presque infranchissable encore de nos jours, qui entoure le vallon ou
les escarpements rocheux qui constituent tout autant de défenses

| (F2 Aire géographique restreinte correspondant à un groupement d'êtres


vivants soumis à des conditions dont les dominantes sont homogènes.
14. Dragoslav Srejovic, Lepenski Vir (Beograd, 1968, Résumé français,
DT)
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 61

naturelles interdisant un autre accès facile, que celui du côté du


fleuve (15) ;
ABS voisinage immédiat du grand tourbillon nourricier de
Lepena dans le lit du fleuve, et celui des vraies « mines » de galets,
futurs objets de culte et d’art, sur les rives du Danube ;
— L'emplacement du vallon sur la rive droite, occidentale du
fleuve, la plus exposée aux rayons de l’astre du jour et face au Soleil
levant :
— L'inépuisable richesse en gibier de la forêt environnante,
l'abondance en poisson du tourbillon voisin et l'accès facile à des
endroits rocheux garnis de minéraux déjà prisés par les hommes
d'avant l'époque des métaux, pour leurs aspects et couleurs en tant
qu'objets de parure.
Une fois l'emplacement du site choisi, le plus impérieux des
problèmes qui confronta ses bâtisseurs fut sans doute celui de
l'intégration harmonieuse — géométriquement parlant — de l’habitat
proprement dit, dans le monde du site une fois délimité.
Problème simple, mais qui détermina un urbanisme conscient,
car déjà existant.
En effet, si — comme nous l'avons déjà vu — toute la surface
en fer à cheval du vallon fut occupée par des maisons disposées en
éventail, cela fut fait à la manière des objets compris dans un
problème de maximum et de minimum si caractéristique de l'algèbre
supérieure. Un problème dont l'énoncé aurait pu avoir la forme:
comment placer le plus grand nombre possible de maisons de
certaines dimensions, dans le moins d'espace disponible ?

Il serait trop ennuyeux de donner ici la façon dont un étudiant


en mathématiques supérieures S'y prendrait pour résoudre un tel
problème; il suffit de constater que les architectes de Lepenski VirI
ont résolu leur problème en lui donnant la solution correcte.
Pour ce faire, ils ont procédé comme si tout l'espace dont ils
disposaient avait constitué l’intérieur d’une seule maison, une maison

15. Etant donné que les constructeurs du site étaient — comme on va le VOIr
—_ venus d’ailleurs. il est même utile de se demander s'ils ne sont pas arrivés par voie
d'eau. descendant le fleuve.
ARCHITECTURE SACREE
62
ux
baignant sa façade dans le fleuve et poussant ses arrières jusqu'a
au vallon. Ils octroyè rent audit
parois des hauteurs qui confinaient
vers le
espace deux voies d'accès, deux portes étroites, une
Septentr ion, l'autre vers le Midi, sans que cela empêch e l’aména ge-
ment d'une place centrale occupée par la plus grande maison du site.
Cette dernière qu'avoisinaient à gauche et à droite deux bâtisses
radiales. orientées dans le sens des deux ailes du vallon.

a) Le mystère du plan subsiste


TROIS maisons centrant une agglomération parsemée d'étroites
voies de communication montantes et descendantes, constituées de
sentiers et de couloirs d'accès et séparant des habitats présentant
quatre classes de dimensions différentes ; c'était le centre du site déjà
urbain, dès ses premiers débuts. Un des signes marquants de cet
urbanisme avant la lettre est constitué par l'existence des voies
d'accès séparant les maisons, des voies qui n'existèrent point lors de
l'apparition des premières villes d'Asie Mineure, ces voies dont vont
naître les futures rues des agglomérations humaines, des millénaires
plus tard, mais dans cette même région du monde.
Construire de telles maisons, les disposer de la sorte, supposait
l'existence d'une conception architectonique d'ensemble touchant la
future édification du site, et avant la mise en place progressive de ses
éléments. La logique même des choses impose l'existence d’une
planchette d'architecte, ou sinon de quelque chose d'autre, qui aurait
rendu le même service.
Une planchette d'architecte, soit, mais aussi, et surtout des
connaissances d'architecture, voire d'urbanisme qu'on aurait tort de
ne pas interpréter comme... scientifiques !
Se rapportant à cet aspect du site, son découvreur, le docteur
Srejovic écrivait : « Par une comparaison attentive de toutes les bases
et de leurs mesures, on aboutit à la conclusion que les constructeurs
ont eu des connaissances mathématiques déterminées et qu'ils les ont
mises en pratique en mesurant le terrain, en déterminant les positions,
les formes et toutes les dimensions des habitats (16):
Une telle constatation permit au savant yougoslave de mieux

3
16. Dr Srejovic. Lepenski Vir (Beograd, 1968, p. 280).
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 63

préciser ses soupçons et de penser qu'il était même possible « que ce


ne soit pas le système orthogonal mais quelque autre méthode
inconnue correspondant peut-être à l’actuelle notion de triangulation
qui a présidé à la détermination des bases de ces maisons (17) ».
Parmi ceux qui se sont penchés sur l’histoire de l'architecture et
celle des débuts de la topographie, Boisserée a bien relevé le rôle joué
par le triangle équilatéral dans les coulisses de leurs progrès. II est
d’ailleurs tout à fait surprenant de constater qu'un des tracés les plus
employés au Moyen Age par les constructeurs de ces chefs-d'œuvre
de l’art gothique que furent les grandes cathédrales, fut tout justement
le triangle équilatéral. C’est lui qui a fourni le rapport hauteur/base
qui perce à jour à travers l’hexagramme. Combien de baies ou de
portes d’édifices, citées par l’histoire de l'architecture (Provins,
Beaucaire, Sens, en France) témoignent de cette disposition ?
C'est demeurer encore trop modeste dans l'appréciation des
moyens utilisés par les architectes de Lepenski Vir pour déterminer
l'emplacement de leur ville et de ses maisons. Triangulation et
procédés projectifs hors du commun, haut niveau d'approche
«scientifique » des solutions d'urbanisme utilisées et, tout cela, déjà
aux débuts d’une civilisation qui a commencé apparemment sans
fondements et d’un seul jet, mais qui fut bâtie par des gens venant
sûrement d'autre part... Cependant, le mystère — si mystère 1l y a —
nous semble plutôt le résultat d'un certain jeu des apparences...

b) Réflexion sur le savoir


Une alternative se pose...
En effet, il est à supposer soit que les bâtisseurs de la ville
possédaient par instinct le sens de résoudre correctement des
problèmes de maximum et de minimum, en algébristes empiriques et
la vocation de construire des maisons-trapèzes sans modèle de
principe offert par la nature — à l'instar des abeilles traceuses
instinctuelles d’hexagones plus que précis et réguliers — soit que ces
mêmes ingénieux étaient déjà en possession d’un lourd bagage de
connaissances « scientifiques », géométriques et mathématiques
appliquées.

17. Dragoslav Srejovic, Lepenski Vir (Beograd, 1969. p. 281).


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HAMHATITEN \

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Cathédrale de Reims.
Cathédrale de Sienne
66 ARCHITECTURE SACREE

Evidemment, c'est la dernière explication qui l'emporte. Mais


alors il faut ajouter que pour la constitution d'un tel bagage de savoir,
il leur fallait encore 2 - 3 millénaires d'expériences accumulées et
d'observations soumises à une attention critique. Expériences et
observations développées dans les régions d'origine des gens de
Lepenski Vir. La teneur réelle de leur savoir, traduit par le plan de
leur site et de ses habitats — tout en tenant compte de la vitesse du
développement du patrimoine informationnel à l'époque — réclame
pour le moins, un tel intervalle chronologique d'apprentissage
empirique.
Sans anticiper sur ce que nous allons découvrir un peu plus loin,
nous nous contenterons d'affirmer qu'une telle époque de progrès
devait se situer avant celle des hommes des mégalithes et il est bon de
se demander si elle ne correspond pas bel et bien à cette longue
marche des gens de l'extrême Occident, vers l'Orient qui attendait
encore, et déjà — quoi que l'on pense — le soleil de son futur essor
culturel.
Non, il ne s’agit point d'une simple allusion à des courants
civilisateurs allant de l'Occident et de l'Europe du Nord vers l'Orient.
C'est une mention, déjà en train d'être généralement acceptée, des
résultats des derniers travaux de certains savants comme par exemple
les Anglais Colin Renfrew et Alexander Thom (18).
Analysant l'époque de la construction des mégalithes en Europe
occidentale, on s’est rendu compte de la vraie ancienneté de certains
de ces monuments dont on avait attribué la construction à quelques
influences provenant d'Orient, d’un Orient qui, lui, était — à l'époque
des bâtisseurs des premiers mégalithes — encore bien loin de pouvoir
fournir des sources de progrès culturels sensibles.
Néanmoins on conclut bien souvent encore d'une façon
nettement indécise dès qu'apparaît, par-ci ou par-là, le phénomène

18. Nous sommes obligés de souligner qu'une telle position n'est point
foncièrement neuve. étant donné que dès la seconde moitié du XIX® siècle, il y eut
un nombre de chercheurs et de savants attirés par cette idée. Ils furent très contredits
et critiqués. parfois même voués sinon à l'opprobre, au moins au ridicule à cause
soit du trop grand éclat des civilisations orientales classiques (Egypte, Mésopotamie,
Crète), soit par manque d'informations, ou certainement aussi par méfiance.
chronologique. |
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 67

tellement redouté par les historiens et les archéologues, d’un essor


civilisateur local et isolé, apparemment inexplicable. Un tel essor,
parti « de rien », sans motivations facilement défendables, tellement
habituel chez les hautes civilisations américaines précolombiennes,
est largement présenté par les débuts du site de Lepenski Vir. Il faut
aussi ajouter qu'on a même clairement surpris un processus ultérieur
d'altération de l'unité initiale de conception de la maison et aussi des
« lignes » de la ville, une altération avec le temps...
La progression dans l'histoire de ces gens semble avoir apporté
une diversification qui brise la rigueur des lignes du début, et ce n'est
que durant la dernière phase de construction qui suivit Protolepenski
Vir (la sous-période I e) qu'on revient à l’ancienne pureté géomé-
trique.…

c) Le but : transmettre un message

Mais le temps passe...


Il submerge dans ses ombres non seulement les existences
successives de Protolepenski Vir ou de Lepenski Vir I et II — dont
les vies s'étaient épanouies dans un incroyable univers d'art et par-
cela même d'aventure humaine créatrice — mais aussi une autre
énigme...
Lepenski Vir III qui connaîtra un autre visage, dominé par des
habitats souterrains de forme irrégulière et sans aucun ordre
d'emplacement, dépourvus de mesures spécifiques ou de proportions
architecturales, comme si ses constructeurs n'avaient rien connu ou
compris de leurs prédécesseurs, donne l'impression d’être reparti sur
le vide...
Cela ne veut point dire que ces nouveaux — mais combien
moins intelligents architectes — bâtissent sur des ruines. Les
archéologues n’ont pas trouvé de traces de destruction violente sous
la couche de sable qui recouvrait les prodigieux habitats antérieurs à
plan géométrique, leurs foyers, leurs galets. Ce ne fut pas l’eau, le
feu, le séisme ou la guerre étrangère qui ont détruit Lepenski Vir IX.
Comme plus tard les Mayas — en Amérique centrale — les
habitants avaient quitté leur ville qui resta abandonnée et vidée de vie
pour un bon bout de temps avant que le quotidien humain ne s'y
réinstalle…
68 ARCHITECTURE SACREE

Comment ? Pourquoi ? Le saura-t-on jamais ?


Examiner Lepenski Vir des premières phases du site, c’est aussi
récapituler sinon même amender une certaine philosophie de
l'histoire, celle qui pose à la base de toute démarche historique
d'évolution sociale, le but de satisfaire à des besoins purement
matériels. On aurait néanmoins tort de croire que la géométrie tramée
dans l'ombre de tout ce qu'ont fait ces architectes-constructeurs si
remarquables, ait pu avoir des finalités exclusivement matérielles.
Supposer à la base de toutes les activités de ces gens la seule marche
du moteur économique de la société serait absurde.
Habiter une maison à plan rigoureusement trapézoïdal n'aurait
pas fourni plus de commodités matérielles que passer sa vie dans une
bâtisse à plan hexagonal ou autre...

Si le plan du site et de ses maisons démontrent une foi, et ils le


font nettement. c'est vraiment la foi de la transmission du message.
Un message du savoir.
Mais tout cela serait-il possible ?

d) Une autre explication de la marche de l’histoire

Arrêtons-nous sur le seuil d’une des plus formidables leçons


administrées par les réalités de Lepenski Vir au sens même que nous
croyons être celui de l’histoire et contemplons un peu l'homme en
général...
Animal de savane à vocation alimentaire omnivore, l’homme
des tous débuts commence par cueillir au hasard ce dont il fait sa
provende. Ramasseur de graines, arracheur de racines ou collecteur
de baies sauvages, il s’approprie d’abord certains animaux, plus
paisibles, qu'il parque, puis qu’il élève pour se constituer les
premières réserves — vivantes — de viande qu'il ait connues. Il
chasse à l’aide d'outils rudimentaires ; il tend des pièges à son premier
gibier habituel. Maïtrisant de mieux en mieux le feu, qu'il avait
fortuitement découvert, il arrive grâce à ce dernier à la poterie et 1l se
fait cuire les premiers céréales et légumes qu'il cultive déjà... Engagé
sur le chemin du progrès l'homme va plus loin et d'importantes
inventions techniques lui permettent bientôt d'être le maître et le
défenseur de ses champs, de ses récoltes, de ses bêtes et même de
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 69

ses. serviteurs. Le propriétaire est né, et avec lui une société, sa


Société. La croissance de la population et surtout celle de la
production de biens matériels conduit l'homme vers la ville. Les
premières villes font leur apparition dans le décor d’une véritable
révolution néolithique qui, une fois achevée, porte l’homme sur le
seuil de la métallurgie et de l'écriture, à l’aube des premiers empires
dignes de ce nom. Et tout cela arrive grâce au développement
révolutionnaire des moyens de production, et de la croissance de plus
en plus accusée de la production même...
En un mot c'est le progrès issu du primat de l’économie, thèse
fondamentale de Marx que le schéma général du déroulement de
l'aventure humaine semble vérifier, confirmer...

Vrai ? Non, faux !


L'explication économique de la marche de l'Histoire a un
énorme mérite : elle est simple. Néanmoins elle nous présente dès les
premiers débuts et jusqu'aux derniers progrès l’image d'un homme
contraint d’obéir aveuglément à la dure loi de la nécessité, d'un
homme esclave de cette nécessité économique.
Or, il se passe que — et Lepenski Vir ne présente que quelques
aspects, mais de taille — pour battre en brèche l'image trop simpliste
du moteur exclusivement économique, on vient de découvrir encore
d'autres exceptions au moins tout aussi récalcitrantes.
Ainsi des spécialistes français, dont M. Jacques Cauvin, qui ont
fouillé le site syrien de Mureybet sur l'Euphrate, de 1971 à 1974, ont
surpris le même processus d’une autre allure que celle qu'on
supposait et qui bouleverse l'ordre assigné à l'histoire par les
conceptions matérialistes de certains philosophes et économistes
allemands du milieu du XIX' siècle...

Mureybet fut un village à maisons toutes... rondes, fleurissant


au milieu du neuvième millénaire avant notre ère ; les habitants de ce
centre constitué par un rassemblement d’habitats individuels (environ
200 personnes) ont suivi, semble-t-il — tout comme les gens de
Lepenski Vir — un autre chemin que celui qu'on considérait devoir
obligatoirement correspondre au schéma type du développement de
la civilisation humaine. Eux aussi ils ont constitué leur centre, bien
avant que la nécessité économique ait pu les obliger à bâtir des
maisons telles que les leurs. De cette façon — et les spécialistes sont
70 ARCHITECTURE SACREE

formels là-dessus — une première société locale naquit spontané-


ment, pour être suivie par la suite d'innovations techniques et de
changements économiques qui auraient dû les précéder selon le
schéma classique du moteur économique...
En voilà une révolution !
Les travaux et surtout les conclusions du professeur Jacques
Cauvin bouleversent tout ce que bon nombre de savants, fervents
adeptes des schémas acquis, croyaient dur comme (CF RQU
néolithique ; néanmoins ces nouvelles données ne font que confirmer
les doutes et les certitudes que les choses de Lepenski Vir laissaient
entrevoir dès 1968-1969.

e) L’eurythmie gagne la maison

L'architecture du site de Lepenski Vir — et cela ne doit plus


laisser l'ombre d'un doute — est la haute expression première (au
moins en Europe) d'une symbolique se rapportant moins à la
technique déjà très évoluée de la construction de tels habitats,
qu'aussi et surtout, à l'esprit de l'architecture mise en place. La
maison est loin d'être une simple cabane-bâtisse apte à abriter les gens
et leur bagage cultuel (galets sacrés, foyer central, etc.). Tout comme
plus tard, bien plus tard en Egypte, la construction est vivante,
l'habitat des pêcheurs-chasseurs danubiens est lui aussi vivant. Elle
exprime sa vie par la façon dont elle fait exister ses nombres. Comme
la pyramide, comme le temple, le ziggourat des Mésopotamiens,
certains autels iraniens, en un mot comme tous les autres édifices
reliant le sacré au profane (mais ici servant également aux besoins
pratiques du quotidien), la maison de Lepenski Vir joue avec les
nombres, joue avec son environnement humain et matériel auquel
elle s'intègre pour communier.
Le travail des archéologues qui, sous la baguette érudite et
clairvoyante du docteur Srejovic, attentif au nouménal général de
cette civilisation, ont accumulé des données matérielles de première
main, les ont classées et ont cherché à les comprendre, ouvre la voie
vers une explication. Néanmoins, il faut aller plus loin, encore plus
loin. Il faut ouvrir les portes de la reconstitution — si possible — du
mental des chasseurs-pêcheurs du Danube. Il faut dégager les
éléments de leur pensée philosophique, interpréter le langage de leurs
symboles dont une bonne partie parle déjà. ï
Mureybet (Syrie), la plus vieille maison du monde.
Æ# : maisons rondes à Mureybet (—8500)
PC : première céramique à Mureybet (M)
A : agriculture à Mureybet
E : élevage à Mureybet
S : Sumer
E : Egypte (pyramides)
CR : Crète (apogée)
C : débuts de Carthage
R : débuts de Rome
LV : Lepenski Vir

(L'expr
Rémur
de
Tanguy
Dessin
1h) ARCHITECTURE SACREE

S'occupant du rôle du symbole reconnu et apprécié en tant que


tel, un archéologue de grand prestige, Alexandre Varille, tout en le
dérivant de ses sources métaphysiques originaires et qui dominent
toujours son usage conscient, affirmait: «La connaissance du
symbole est la conscience de sa cause. Cette cause peut avoir
plusieurs effets qui, par parenté, se rattachent au symbole. La
conscience simultanée de ces effets est cabale de symboles. Une telle
conscience ne peut se transcrire que par l'image évoquant tous les
aspects simultanés du fait. Il en résulte que, seule l'image concrète
peut appeler la notion abstraite (19) ».
En fait, cette permanente évocation du plus abstrait par le
concret qui, comme le soulignait Varille, était le principe de base de
la pensée pharaonique, est — et cela se voit clairement — également
celui de la démarche mentale des gens de Lepenski Vir.
Parlant des abstractions, Marcel de Carte disait qu’elles « ne
sortent pas de la pensée qui les pense sauf sous forme d'encre et de
salive. Elles y ont leur siège inamovible. Les aimer équivaut à aimer
sa propre pensée, à s'aimer soi-même, à ne jamais sortir de soi. Le
dernier des hommes en est capable (20)... ».
Les gens de Lepenski Vir ont fait sortir d'eux-mêmes les
abstractions pour les figer dans le plan de leurs habitats, demeuré
néanmoins vivant. Mais pour ce faire, ils ont procédé comme s'ils les
avaient connues depuis bien longtemps, comme s'ils avaient su
depuis des millénaires que « la composition des édifices dérive de la
symétrie dont les architectes doivent connaïtre parfaitement les
principes ; c'est un accord convenable des éléments de l'ouvrage entre
eux, le rapport des parties avec l'ensemble, accord découlant d'un
rythme de rapports réciproques ». Appliquant cette règle que donnera
en toutes lettres quelques millénaires plus tard Vitruve, les gens de
Lepenski Vir furent aussi les premiers à créer une eurythmie,
expression de l’aspect heureux des proportions d’une bâtisse dont les
parties et l’ensemble s'accordent pour suivre une ou plusieurs
données de la symétrie.

| 19: Alexandre Varille, Un point de vue nouveau sur l'architecture pharaonique


(Paris, in LOTUS BLEU, n° |, année 61, s.d.).
20. L'Homme contre lui-même.
LA CIVILISATION DU TRAPEZE 73

Kabbale de symboles, l'eurythmie des bâtisses des chasseurs-


pêcheurs de Lepenski Vir les place aussi parmi les membres
précoces d’une grande famille. Nous pensons ne pas exagérer si nous
disons que, tout comme les temples égyptiens ou les cathédrales
gothiques, les habitats au plan de trapèze sont autant de livres fermés
offerts en pâture à ceux qui devaient pouvoir et savoir les lire.
D'ailleurs même la filiation à laquelle nous avons fait allusion,
s'ordonne de façon logique : Lepenski Vir — Egypte ancienne —
Occident chrétien, au moins en ce qui concerne l'apparition et
l'épanouissement d’un certain grand symbolisme. Le symbolisme des
bâtisseurs.. dont nous reparlerons.
Quant au fait que la géométrie des gens de Lepenski Vir et en fin
de compte leur savoir, apparemment isolé, dépassent déjà celui
normalement attribué aux hommes des débuts et même d’une
certaine période de l'Antiquité classique, restons aux dires de Proclus
de Lycie (412-485), un des brillants érudits de l'Ecole d'Athènes,
alors qu'il précisait qu'il « convient désormais de parler de l'origine de
la géométrie dans la période actuelle ; car, comme l'avait dit le
surhumain Aristote, les mêmes pensées sont venues à plusieurs
reprises suivant certaines périodes déterminées de l'Univers et ce n'est
pas de notre temps ou dans celui que nous connaissons par l'histoire
que les sciences se sont constituées pour la première fois, c'est donc
pour la période actuelle seulement qu'il faut considérer les
commencements des arts et des sciences ».
Certes Proclus pensait — selon les exégètes — que c'étaient les
révolutions célestes, les bouleversements cosmiques qui avaient
imposé tant de recommencements successifs. Ne vaudrait-il pas
mieux penser aux révolutions humaines et aux bouleversements
historiques plus tangibles, pour justifier la série de débuts, dont voilà
encore un exemple, celui de Lepenski Vir ? Un début qui, pour ceux
qui ne prévoyaient pas sa découverte inattendue, était réservé au
triangle classique Egypte - Mésopotamie - Crète, quelque deux ou
trois millénaires plus tard.
Constantin Brancusi, Le nouveau-né
(1915, Philadelphia Museum of Art)
CHAPITRE II

Les Brancusi de l’âge de la pierre

« Tout est langue d'expression »


Oswald Spengler

Les historiens de l’art moderne sont unanimement d'accord


quant au rôle joué par Constantin Brancusi dans la constitution et
l'épanouissement de ce qu'on appelle la sculpture moderne. Exégètes
et critiques sont parfaitement à l'unisson pour reconnaître que le
grand sculpteur, auteur d’un fabuleux ŒUF COSMIQUE et de la
fascinante Mademoiselle Pogany aux yeux grands et ronds de hibou,
détermina un extraordinaire renouveau dans la façon de voir et
surtout de redonner du poids aux formes et d’incommensurables
mesures aux volumes.
Ce que l’on connaît assurément moins bien, c'est que ce
vénérable patriarche barbu aux mains d’or et aux rêves de lumière,
tout prêts à prendre corps dans le bois, la pierre, le marbre ou le
métal, fut un voisin attardé de ses collègues de Lepenski Vir, tout
comme lui, sculpteurs de génie.
L'Encyclopédie des arts précise que Brancusi, fils d’un humble
instituteur de village, a vu le jour en Roumanie, à Hobitza, petit
patelin d'Olténie, distant à peine d’une centaine de kilomètres de
Lepenski Vir.
Située en pleine montagne, dans le département roumain de
Gorj, Hobitza est, en fait, un village poussiéreux traversé par un petit
ruisseau dont le lit de sable et de gravier offre — en amont de la petite
76 ARCHITECTURE SACREE

localité — le repos et le doux concert des ondes, à des étranges galets


ronds, ovales, plus ou moins sphériques. Lorsque ces galets « de
pierre » s'accouplent tête-bêche, la moins grande sur la plus grosse,
les paysans de l'endroit les désignent sous le nom de « poupées ».
Pour certains vieux contes les concernant, et qui circulent encore
dans la région, ces étranges concrétions sablonneuses naturelles, ne
seraient rien d'autre que des œufs de géants, sinon des /étes pétrifiées
de quelques anges déchus ou autres grands pêcheurs châtiés par le
père divin et changés en pierre dure...
De toute façon et même s'ils étaient les œufs des « oiseaux de
pierre » (une sorte d'Oiseau du tonnerre local), ces galets, œuvre
finale des érosions et des concrétions naturelles d'ordre géologique, et
qui décorent un peu partout dans la région les devantures des portes
paysannes, ne furent point étrangers à Brancusi dont l'inspiration
créatrice se laissa marquer par leurs jeux de formes et de volumes. Il
les sacralisa à travers son œuvre tout en les déterminant à porter son
propre message d'artiste. Criant au miracle, les admirateurs du maître
s'accordèrent pour admettre qu'il avait réinventé ces galets.
Que le galet puisse entrer dans l’art de la sorte c'est normal, à
cause de sa force de suggestion et de sa propre forme, mais si cela est
arrivé, ce n’est pas Brancusi qui en a donné le premier le ton.

1. Le galet entre dans l’art

La première introduction de ces galets dans l’histoire mondiale


des arts et de la sculpture, demeure le geste déjà consommé depuis de
longs millénaires des inconnus de Lepenski Vir.
Ce fut Lepenski Vir I — et plus précisément encore la sous-
période Ib qui demeura responsable de l'apparition de la sculpture
des galets en Europe. Les habitants de cette période du site prirent la
coutume de placer à l’intérieur de leurs maisons leurs tous premiers
ouvrages plastiques, ayant soin de les intégrer dans la géométrie
intérieure de leurs habitats.
Il faut tout de même dire, que l’usage du galet « travaillé » n'est
pas propre à la seule Europe. En dehors de ce continent, on rencontre
des pierres alluvionnaires sculptées tant chez les Esquimaüx du
LES BRANCUSI DE L’AGE DE LA PIERRE hr.

Grand-Nord américain et d'Asie, que chez les montagnards de l’Asie


centrale. Négligeant les premières qui sont rares (à cause de la
pénurie de matériel lithique ou de ses trop petites dimensions) et
surtout récentes (la plupart ont été façonnées après l’an 1000 de notre
ère), 1l nous faut remarquer que les autres, comme celles de
l'Afghanistan, semblent plus intéressantes, tant par leur ancienneté
(milieu du deuxième millénaire avant notre ère), que par leur origine.
Une hypothese vraisemblable pourrait relier l’origine de ce type de
sculptures à certaines populations de la région montagneuse de
l'Afghanistan central, les DAI (Dai Khitai, Dai Kundi, Dai Zangi, Dai
Mirdad, etc..). Le nom et la provenance indo-européenne des Dai
rappellent les autres « Dai », ceux de l'Europe centrale, c'est-à-dire les
Daces (Thraces du Danube et des Carpates), qui portaient eux aussi
un tel nom, celui de Dai. Il se peut que les Dai asiatiques en question
soient des survivants d’une antique migration qui les aurait amenés
du Danube jusqu’en Asie centrale à travers l'Asie Mineure, sur le
chemin suivi par leurs « frères » phrygiens et par les Arméniens
(VIIIE-VIIE siècles avant notre ère) vers l’Asie Mineure et les abords
du Caucase. Un exemple significatif de galet de ce genre, portant une
figuration humaine, est celui d’Aq Kupruk. Daté du XV® siècle avant
notre ère, il est haut de 6 cm. Nous devons ajouter qu'en
Afghanistan, on a trouvé d’autres galets sculptés plus anciens
(III millénaire avant notre ère), mais d’une autre facture. On peut les
admirer — à côté de celui d'Aq Kupruk — à Kaboul, au Musée
national.

Alliant un genre de gravure réalisée par taille et par frappe, au


choix judicieux des galets, les premiers sculpteurs de Lepenski Vir
ont réussi à sortir l'essentiel de leurs œuvres maîtresses, qu'il s'agisse
de figurations exécutées dans un style naturaliste ou de simples
arabesques abstraites. Parfois de simples formes plus ou moins
aniconiques, tous ces objets occupaient des places s'intégrant dans la
symbolique de leurs sanctuaires et en soulignaient la valeur. Dans
certains cas de telles pièces signifiant chacune à leur tour leur
propre apport à la mystique d’une évocation entière — sont posées de
façon à constituer des triades, sinon même des triangles, à « autres »,
encore plus hautes, significations. Des dispositions semblables
trouvées dans certaines maisons (le découvreur du site, nomme la
maison n° 3) ne font que mieux expliquer le rôle joué par l’art dans
la vie de ces chasseurs-pêcheurs des gorges du Danube.
78 ARCHITECTURE SACREE

Des galets sculptés, des têtes de pierre et aussi des galets-autels


de sacrifice — une sorte de galets-bétyles — représentent ces débuts
de la grande sculpture également vouée au rite et à des fins pratiques,
et débouchant dès ses débuts sur le monumental.
De toute façon, le galet-bétyle représente en fait une priorité
— et jusqu’à ces lignes — encore non révélée, de ce site si riche en
surprises (1).
Quant aux fins pratiques de l'usage de tels galets, elles doivent
être pour le moins au nombre de deux... Le galet sculpté peut dériver
de la pierre ronde (en boule) utilisée en guise d’attrape-poissons.
Des petits galets sculptés, portant les signes de l'eau ou — pour
descendre de l’occulte dans la réalité — taillés en poisson furent
utilisés par les chasseurs-pêcheurs européens et sibériens tant sur le
Danube que sur le Don, la Volga et les fleuves sibériens.
Le deuxième usage tout à fait pratique du galet découlait de son
rôle de « marqueur » à l'intérieur des maisons. Il en était le centre
autour duquel s’organisait le quotidien. En somme borne, en herbe,
et aussi indicateur de circulation avant la lettre, dominant l’espace
privé.
Dans l'univers si varié des galets de toute forme et tout poids,
l'art figuratif ne pouvait débuter que par le marquage de décors
typiques, arabesques diverses, formes corrigées.
Le premier acte d’une telle sculpture en vue de développement
devait être — naturellement — le CHOIX du galet (formes ovales ou
coniques préférées, certains ordres de grandeur à destination
constante, etc.).
Avec le progrès, l'épanouissement dans l’abstrait s’accomplit
dans ces représentations, le plus souvent, par un magistral
enchaînement de l’ornemental et du figuratif.

——————————————————+

Portrait « radioscopique » de l'homme-poisson


(Photo exposition Lepenski Vir, Grand Palais, Paris)

1. Pierre sacrée adorée par les Anciens comme une idole, le bétyle est
également apparenté à la pierre dressée et à l'omphalos (nombril), lui aussi urbétyle.
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80 ARCHITECTURE SACREE

2. De l’homme-pois son au poisson principe


pp

Contemplant — en 1972 — à Paris, au Grand-Palais,


l'exposition des œuvres d’art des gens de Lepenski Vir, on avait
vraiment l'impress ion que des artistes demeurant à tout jamais
inconnus, connaissaient et se servaient déjà des procédés d'expression
si propres aux modernistes d'avant-garde de nos jours.
S’ajoutant aux galets « travaillés » et, comme pour témoigner
d’une plus que précoce présence de la composition, des figurations
«en tableaux » révèlent des scènes de chasse gravées sur des plaques
de grès à passe-partout ménagés sur les côtés latéraux.
Curiosité digne d’être soulignée, l'homme est déjà présent et
figuré dans ce monde invraisemblable, non seulement par l’image de
sa tête, mais aussi par une sorte de projection d’allure radiographique
de son thorax sur les faces rondes du galet, corps et tête en même
temps (Lepenski Vir ID.

a) L’homme et le poisson fusionnent

Demeurant dans une sorte d'équilibre à mi-chemin entre les


figurations concrètes et les produits d’une stylisation trop poussée,
l'art de ces hommes, qui frôle parfois la caricature, révèle le plus
souvent, quant à l'expression d'ensemble de ses personnages, un
aspect grandiose qui se rapproche du monumental. La tête de pierre
— à travers l’image de laquelle les spécialistes ont cru déceler un
certain culte local, celui de l’'homme-poisson, désigné ainsi à cause de
la forme de sa bouche — témoigne largement d’une liaison
indiscutable entre l’homme et la nature, propre à l'esprit des artistes.
Néanmoins, il faut dire que la bouche de poisson des têtes de
pierre justifie non seulement un culte du poisson, ou même celui
d'un homme-poisson, dieu ou demi-dieu initiateur, à la façon de
certaines divinités mésopotamiennes, mais aussi l'existence, dans le
panthéon des croyances locales d’un monstre mythique, d’un hybride
homme-poisson.

L'homme-poisson sous l'expression


du « Vieux sage »
(Photo exposition Lepenski Vir, Grand Palais, Paris)
ARCHITECTURE SACREE
82

Dans ce dernier cas, il pourrait s'agir d’une variante, avant la


trop
lettre et très humanisée, car dépourvue de traits animaliers
apparten ant à la même famille de
accusés, de l’homme-animal
monstres créés par hybridat ion tout en se servant comme support
animal du plus utile, ou plus nocif, ou plus envié des animaux du
coin. De cette façon, bien avant l’homme-lion (sphinx, en Egypte,
Asie Mineure, Mésopotamie et Grèce), l’homme-taureau (minotaure
en Crète, monstres divers en Egypte, Perse, Mésopotamie), l’homme-
chat (Egypte, Amérique précolombienne), l’homme-oiseau (Mag-
daléniens, Egypte, Assyrie), l’homme-loup (Thrace, Scythie),
l’homme-scorpion (Mésopotamie, Egypte), l’homme-cheval (les
centaures des futurs Grecs) et à côté d'eux, l’homme-poisson de
Lepenski Vir devait lui aussi célébrer le rôle essentiel d’un animal
dominant dans l'existence de ses admirateurs et adorateurs. Sur le
Danube, un Aomme-poisson s'imposait chez des pêcheurs qui tiraient
tant de profits des eaux extrêmement riches en poissons.
Tout en étant simplement le poisson qu'on retirait du Danube
voisin, le poisson qu'on célébrait à travers l'homme-poisson devait
être en même temps le poisson principe, d'où aussi l’homme-poisson
vu à travers une vision cosmique, totale; vision intéressant
également l’art et la religion. Elément du macrocosme qui renferme
dans son sein la réalité en tant qu'ensemble de symboles pris par
rapport à l’âme humaine, l’homme-poisson évadé de son temps
terrestre, quitte le temporel pour s'exprimer dans l'étendue et pour
l'exprimer. Dès son apparition, il est — comme symbole — devenu,
limité, figé dans l’espace qu'il personnifie, car sensible, spatial, en un
mot : une forme.
C’est à propos de telles formes que Spengler remarquait — et
avec combien de raison — que tout ce qui entre dans le royaume de
l'étendue. trouve dans le commencement, également la fin (2).
Devenir et finalité en même temps, l’homme-poisson demeure
l'image, le signe sensible d’un trait essentiel de la réalité vécue. Sa
signification déterminée se rattache exclusivement aux symboles
qu'elle exprime en tant que signes sensibles, à des impressions
presque dernières, tant indivisibles qu’involontaires.

ÿ
2. O. Spengler. le Déclin de l'Occident (Paris, Payot, 1948. I, p. 164)
LES BRANCUSI DE L’AGE DE LA PIERRE 83

Symbole complexe, l’'homme-poisson de Lepenski Vir n'était


pas seulement un des traits de la réalité transcendantale de l'individu
projeté dans l'univers de ses croyances cosmogoniques, mais aussi
l'expression certaine, et bien ressentie dans l'intimité de la foi, de
quelque chose qu'on ne pouvait jamais atteindre ou avec quoi on ne
pouvait communiquer de façon rationnelle, même si l’on avait sans
cesse le désir de le faire.

b) Entre le dix et le poisson


L'homme-poisson devait avoir un nom, sinon le « sien », objet
d'une interdiction explicable à travers les tabous des premières
sociétés humaines ou des primitifs, mais au moins une désignation
« de service ». Possible, mais nous ne le saurons jamais. En revanche,
il nous sera plus facile de connaître son nombre, car, comme toutes
les très anciennes divinités, il devait en avoir un. Celui-là, au moins,
nous est proche, car il est à notre portée, marqué par la maison, par le
rangement des modules dans les étages de largeur de son plan : / +
2 + 3 + 4 = 10. En ce sens, nous disposons d’une information
utilisable par analogie. Elle provient de Mésopotamie, le pays des
deux fleuves qui, tout en le flanquant d’un côté et de l’autre, lui
dispensaient les dons nourriciers de leurs eaux, un pays lui aussi
tributaire des poissons, lui aussi ayant eu son homme-poisson, dieu
aussi, OANNES.
Qui était-ce ?
Divinité babylonienne, homme endossant une peau de poisson,
sinon aussi homme-poisson, hybride, initiateur des riverains du golfe
Persique, Oannès — et bien souvent aussi Oonnès, sinon même Ea-
Oannès était sorti aux débuts des temps de l'Œuf du monde
symbolisé chez ses adorateurs par un galet sphérique de pierre,
d'argile (artificiel) ou même de pâte cuite (galet rituel à base de farine
de blé et de poisson fumé râpé). Le nom même de ce monstre
favorable au genre humain, qu'il avait initié aux arts et
à l’agriculture, est significatif ; Oanès ou Oannès vient, en grec, du
vocable OON — œuf. L'emblème sacré de Oannès (en fait le nom
grec du dieu mésopotamien ILU HANNI) — personnification même
du DIEU - POISSON — était tout bonnement le poisson. Ses prêtres
endossaient — pour célébrer son culte — des vêtements confection-
nés en peaux de poissons (« dépouilles » de poissons tannées). Mais il
84 ARCHITECTURE SACREE

Le galet sort de ses propres ondes


(Photo exposition Lepenski Vir, Grand Palais, Paris)

y a plus. Oannès n’est pas le seul dieu mésopotamien dont l'histoire se


termine en queue de poisson ! Son analogue (car lui aussi initiateur)
mais quand même assez différent, au moins à une certaine époque,
est le dieu Nabou ou Nabo, un dieu dont l’attribut est surtout le
TRIANGLE (équilatéral) ! Dieu à corps de sirène ou faisant figure de
triton pisciforme à double queue, ce Nabo, qui fut confondu par les
Babyloniens avec Oannès, était nommé aussi le DIEU-DIX, allusion
à son savoir des chiffres et à son rôle civilisateur.
Selon une inscription datant du règne du roi Bin Nirari (vers
810 avant notre ère) le dieu Nabo était à la fois « le surveillant des
légions du ciel et de la terre, le directeur des œuvres brillantes, le
Dieux-poissons
Un des Oannès d'Assur (VIII®
siècle avant J.-C.).

Dieu-poisson des Portes-de-


fer du Danube {Lepenski Vir Il).
86 ARCHITECTURE SACREE

protecteur et le directeur des astres et aussi le grand gardien des


mystères ». Nabo détenait la table ou les tables de pierre des destinées
(parfois elles aussi triangulaires) et enfin, en tant que Dieu-triangie ou
Triple-dieu il était également celui qui s'élève, qui domine et qui se
couche ou disparaît pour un temps, allusion évidente à sa
« physionomie » solaire...
…ÆEt maintenant, allons compter la récolte d’un pêcheur des
bouches du Tigre et de l'Euphrate de l’époque.
Descendu de sa cufe, bateau rond fait de peaux de bœufs
étendues sur un squelette d’osier, il vide son sac à poisson. Ensuite,
il dispose ses poissons par dix, marquant chaque dizaine par un
caillou rond, un petit galet...
Galet, œuf de pierre, dix, bien célébré et homme-poisson
existaient à Lepenski Vir, au moins deux millénaires avant que le
dieu DIX ne sorte des eaux pour se montrer aux premiers des
Mésopotamiens dignes de ce nom. Serait-il impossible que, pour les
pêcheurs qui retiraient leurs victuailles des eaux tournantes et
profondes de Lepena, l’homme-poisson, leur ancêtre éponyme, leur
dieu-poisson et probablement aussi leur initiateur mythique, se soit
appelé le Dieu-Dix ?
Peurètre
Il ne nous reste qu’à ajouter que si l’art des gens de Lepenski Vir
est, et doit être, comme tout art, une langue d'expression, alors pour
souligner le rôle de l'expression dans l’art de ces hommes, acceptons
que cet homme-poisson soit un véritable paradoxe.
En effet, si l'expression artistique se traduit soit par l’ornement
soit par l’imitation, et si l’ornement se réclame de l’homme et
limitation de l’animal, l’'homme-poisson lui, ne fait que cumuler ces
doubles aspects à cause même de sa double nature.
Beaux par limitation, mais significatifs par l’ornement, animés
par l’imitation, qui toujours « devient », et figés dans la forme par
l’ornement, charmeur mais contraignant et en permanence actuel, les
hommes-poissons en pierre de Lepenski Vir entrèrent dans l’histoire
de l’art pour témoigner des horizons intérieurs de leurs créateurs et
aussi pour nous dévoiler quelques-uns des secrets du quotidien de
ceux-Ci.
L'histoire de l’art éclaire souvent l’histoire proprement dite à
condition de l’explorer symboles... en main ! 5
LES BRANCUSI DE L’AGE DE LA PIERRE 87

3. L’art et le savoir infus

Les sculptures et autres figurations, et en somme, tous les


indices s’y rapportant, témoignent du rôle joué par certains animaux
dans la vie quotidienne et les croyances des locaux ; ainsi : chiens,
poissons, cerfs.
Même si aucun autre animal n'est tellement présent dans le
monde de la création artistique des chasseurs-pêcheurs de Lepenski
Vir, ce qui signifie qu'ils étaient bien moins chasseurs que pêcheurs,
le poisson proprement dit est plutôt suggéré.
Malgré le rôle de grand nourricier joué par le poisson dans leur
existence, les hommes du lieu ne sont pas allés jusqu'à le représenter
en entier et avec tous ses détails anatomiques sur leurs galets, comme
devaient le figurer sur des galets cultuels les anciens Péruviens de la
région d’Ica à une époque bien plus tardive (3).
Si l’on ajoute à tout cela l'existence à Lepenski Vir des galets
portant un certain creux, un œil ou peut-être l'expression d’un
nombril, on arrive bien loin.
De nos jours, les critiques d’art tout comme les historiens de
l'Art, sont unanimes pour attribuer à l’art moderne et surtout à celui
lancé par certaines écoles d'avant-garde, le retour vers la géométrie.
C'est certainement un aboutissement plus semblable à un retour aux
sources, qu'une découverte. Ces sources représentées par un
démarrage issu directement de la géométrie et faisant durant un
temps presque corps commun avec elle, ont surgi sous les coups de
pelle comme par enchantement. Ce fut la chance des fouilleurs qui
ont déterré, avec les galets sculptés de Lepenski Vir, également
quelques éléments premiers d’une telle géométrie.
L'art de Lepenski Vir est inégal. Comme on l’a déjà dit, on peut
lui trouver des preuves d’altération dans le temps. La vigueur des
anciennes formes ornementales se transforme pour la, période de
Lepenski Vir IL, s'enrichissant en matière d’ornementation ou de
décoration d'éléments dépourvus de la force de suggestion des têtes
de la période précédente. Les formes figuratives et ornementales

3. Cf. : Ica y el Peru Precolombino, 1, Arqueologia de la provincia de Ica, ANR:


Assereto (Lima, 1968, p. 98 et 216).
hs

88 ARCHITECTURE SACREE

anciennes (Ic) ne seront plus rejointes dans leur manière de figurer


l'essentiel.
Des spécialistes ont voulu donner des exemples de ce processus
en citant l'aspect d’un galet portant ce qu'ils ont désigné par le titre de
référence un peu trop élaboré, de « cerf courant dans la forêt », ce qui
n'empêche pas — on a le droit de le croire, et on va voir pourquoi —
d'assigner une toute autre importance et aussi un autre message au
galet en question.
Bien qu'elle soit un événement dans l’histoire de l'architecture,
Lepenski Vir en devient un aussi, dans celle de l’art. Cela se rattache
aussi à un problème d'âge.
Parlant des origines de l’art égyptien, Jean Copart conclut dans
le sens que les plus parfaites de ses œuvres sont aussi les plus
anciennes. Regardant les choses de ce côté, on pourrait bien penser
que l’homme, arrivé en ce monde en tant que dépositaire d’un savoir
infus, « s’altère » avec le temps et que depuis sa genèse, il ne fait que
perdre continuellement ce qu'il possédait en matière de savoir intégré
dans sa propre nature ; un savoir portant sur son monde qui est
l'Univers en grand et la Terre en plus petit.
Si étrange que paraisse une telle constatation, elle peut être
transposée dans le sens d’une communion avec la nature à travers
l’art. C’est ce que les gens de Lepenski Vir — des Brancusi avant la
lettre — ont fait pour leur mieux et pour le mieux.
Doit-on ajouter aussi à toutes les autres énigmes du site la
présence de la céramique, rencontrée par les archéologues à
l'intérieur de quelques maisons de Lepenski Vir I ? Ou, ne serait-ce
— comme le considèrent les découvreurs — que les résultats de
glissements de matériaux en provenance des abris souterrains du site
ultérieur de Lepenski Vir III qui auraient perturbé les couches?
Avant d'en décider, il faudrait peut-être — pour ne pas rejeter
l'impossible de la première alternative — analyser de nouveau
l'aspect des choses, à la lumière des récentes découvertes faites par le
professeur Cauvin à Mureybet en Syrie où des maisons vieilles de
plus de dix mille ans (8500 avant notre ère) précédaient une
céramique plus précoce que prévue, elle aussi...

* * ÿ
+ O E © ro)T 5 a 2 Non 2 =
=

Tombeau lca (Pérou)

__—

3.20
90 ARCHITECTURE SACREE

4. Le premier atlas anatomique

Les dessins à reliefs « radiographiques » du thorax des gens de


Lepenski Vir plaident pour un certain goût de ses habitants pour
l'anatomie. En effet, parmi les détails sculpturaux de certains galets,
on a rencontré des représentations apparemment indéchiffrables. Les
spécialistes ont tranché en les appelant purement et simplement...
« des sculptures » !
Néanmoins, il y a sculptures et sculptures, et parmi celles-ci des
figurations tout aussi anatomiques que les images « radiogra-
phiques » dont il a déjà été question. Par exemple, un dessin
ressemblant de manière bien accusée à un tronçon d'intestin
accompagné de ses anses.
Où les choses sont encore plus claires, c'est par exemple sur un
galet découvert dans une des maisons du site (Ic), et qui porte l'image
d'une vulve sous l'aspect bien déterminé qu’elle prend lors du début
de l'accouchement — le tout exécuté d’une façon aussi détaillée que
réaliste.
Maints autres dessins ou gravures, reliefs ou sculptures figurés
ou présents dans les maisons du site, semblent évoquer des organes
humains, telle probablement une représentation du cerveau.
Malheureusement, dans la plupart de ces cas, il n’y a que simple
supputation fondée sur une certaine liberté d'interprétation, surtout
pour la figuration dudit cerveau. Néanmoins cette supposition — qui
nous appartient — se recoupe avec certains détails fournis par la
prédilection de représenter la tête (culte de la tête sinon aussi celui du
crâne), et à travers elle, on peut se demander si l’image du cerveau
n’attesterait pas l'existence d’un cannibalisme rituel.
A toutes ces représentations qui constituent à leur façon les
pièces éparses, mais déjà maîtresses, d’un bel atlas « anatomique » des
premiers commencements, on peut ajouter d’autres documents
condamnés peut-être à plus d’anonymat. Il s’agit en l'occurrence de
documents qu’on pourrait qualifier d'inscrits — gravures sans aucun
sens apparent, encoches et incisions sur des os. Ce sont des os
apparemment gravés découverts dans les couches de Lepenski Vir I et
II. Jusqu'à présent, aucun de ces os — dont certains peut-être
intéressants de ce point de vue — n'a été étudié selon des techniques
LES BRANCUSI DE L’AGE DE LA PIERRE oil
ures de Lepenski Vir

Intestin, cerveau ou quoi d'autre?


(Lepenski Vir 11).

Galet figurant la vulve (Lepenski Vir


lc).

nouvelles, à l'instar de celle préconisée par l'Américain A. Marshack


et qui a donné de si brillants résultats dans le cas des encoches de
certains os gravés du paléolithique supérieur. Une telle étude aurait
peut-être révélé les sens — sinon le non-sens — des sillons et
rainures pratiqués sur les os de Lepenski Vir.
Il se peut que même le mystérieux dessin du « cerf courant dans
la forêt » découvert dans une maison de Lepenski Vir IT et dont on a
déjà parlé, ait représenté tout à fait autre chose que ce qu'on avait cru,
et que certains de ses lignes et points fassent déjà la transition, moins
vers une représentation linéaire du relief, que vers une sorte de
notation plus compliquée que celle de la simple présentation d'une
scène de chasse ou d’adoration.
A vrai dire ne s’agirait-il pas d’une sorte d'écriture ?
92 ARCHITECTURE SACREE

Galet sculpté (bouderie ou scène de


ménage ?) (Lepenski Vir Id-e).

Le cerf courant dans la forêt {Le-


penski Vir Il).

Les récentes découvertes de la jeune savante roumaine Viorica


Mihai, spécialiste du musée archéologique des Portes-de-Fer du
Danube de la ville de Turnu Severin en Roumanie — si proche de
Lepenski Vir — quant aux inscriptions portées par des idoles de la
civilisation voisine, mais bien plus jeune de Girla Mare (Banat, vers
1600 av. J.-C), permettent d'envisager l'éventualité d’une telle
supposition. Il faut chercher dans cette direction et aussi trouver si
la réalité des faits, la chronologie et surtout la bonne volonté des
savants se mettront d'accord.
LES BRANCUSI DE L’AGE DE LA PIERRE gS

5. Radioscopie de l’homme-poisson
Ville avant l’agriculture, géométrie projective et constructive
avant l'écriture, art figuratif et abstrait avant le premier épanouisse-
ment de l’art à message et l'apparition de la vraie grande sculpture en
Europe (4), voilà des aspects surprenants à travers lesquels le site de
Lepenski Vir pose bien plus de questions que les découvertes faites
n'ont pu en élucider, plus ou moins clairement.
La première question qu'on doit se poser est de trouver qui
étaient, en définitive, ces hommes ?
La réponse existe. Elle est formelle. Les gens de Lepenski Vir I
étaient des sédentaires. L'analyse des restes alimentaires retrouvés
dans les couches archéologiques du site indique qu'ils se nourris-
saient de poisson (57,31 % des déchets), de gibier (37,74 % des restes)
et de fruits de la forêt.
Ensuite, et c'est un détail de la plus grande importance, ces
hommes étaient des Cro-Magnon. Ils appartenaient à la variante dite
europoide robuste de type oberkasselien.
Cette origine, extérieure à la région qui abrite leur multimillé-
naire expérience historique et l'essor de leur civilisation, nous
obligent à nous attarder sur l'extraordinaire aventure humaine que
fut celle des Cro-Magnon.

sculpture » nous comprenons une sculpture à message qui


4. Par « grande
ns
diffère des représentations féminines des Gravettiens — plutôt des reproductio
plus choquanis des
d'après nature — tenant compte du grossissement des traits les
modeles.
à
CHAPITRE II

Les Cro-Magnon, ces mal-aimés

.« Le terme de Cro-Magnon est toujours lié dans


l'esprit du public à un type d'homme extrême-
ment primitif et à jamais disparu. Or les
squelettes d'hommes de la race de Cro-Magnon
nous ont prouvé qu'il s'agissait, à beaucoup de
points de vue, d'hommes encore plus évolués que
la majorité des Européens actuels. »
Guy Dingemans

Il y a un peu plus de cent ans que l'on a découvert — et c'était la


première fois, dans un dépôt paléolithique — des squelettes
d’humains suffisamment bien conservés qu'on a pu identifier, de
manière scientifiquement sûre, comme appartenant à des hommes
« modernes ». Dans le langage des spécialistes, ces premiers hommes
modernes, néanthropiens, ou nouveaux (pour les opposer aux paléo-
anthropiens ou hommes anciens) devinrent des Homo sapiens
sapiens. Il s'agissait de squelettes « humains » découverts près du
village des Eyzies, en Dordogne, sur la bordure sud-ouest du Massif
central dans un abri que l’on désignait sous le nom de Cro-Magnon,
c’est-à-dire le grand rocher (1).

1. La chronologie du paléolithique, la plus généralement admise fixe, pour


parler en termes d'age court, l'existence des paléo-anthropiens plus connus sous les
aspects et les appellations de néanderthaliens à une époque située entre -100 000
de
et -40 000 ans, qui s'étend depuis l'interglaciaire Riss-Würm jusqu'aux débuts
la période dite périgordienne et qui recouvre l'âge du moustérien (environ
_15 000 à - 40 000 ans). Ce ne serait qu'en partant dudit périgordien que font leur
apparition des hommes de type moderne, des néanthropiens.
96 ARCHITECTURE SACREE

y |
10 8 6000 jK

Chronologie des Cro-Magnon


M - moustérien : CH - Châtelperonnien ; À - aurignacien ; G - gravettien; S -
solutréen ; Ma - magdalénien; AZ - azilien; C-M - Cro-Magnon; €-M OK -
variante robuste oberkasselienne du type de Cro-Magnon.

1. Les surprises d’une découverte


En mars 1868, des travaux routiers mirent à jour des silex
taillés, des os brisés et ensuite des ossements, des squelettes humains.
L'homme de Cro-Magnon entrait dans l’histoire, mais quel homme !
Rien de simiesque dans leurs aspects ; les squelettes offraient
l'occasion de prouver qu'ils avaient appartenu à des gens ne
présentant pas de front fuyant, comme celui des néanderthaliens,
n'ayant pas des bourrelets sous-orbitaires proéminents, possédant
une taille beaucoup plus élancée (1,72 m en moyenne), ayant une
grande force physique, des petites dents bien alignées, le nez aduilin,
Crâne de l'homme de Cro-Magnon
(Muséum d'Histoire Naturelle, Paris - Photo Boyer - Viollet)
98 ARCHITECTURE SACREE

le front haut, la tête légèrement plus grosse (capacité crânienne y


comprise) que celle des Européens actuels...
Tous ces aspects et en plus la nette différenciation entre la taille
moyenne des hommes et celle des femmes, comparable, elle aussi, à
celle que l’on note chez les gens d'aujourd'hui, constituaient le
tableau d'homme moderne des Cro-Magnon.
Presque tous les auteurs sont d'accord sur le fait que la capacité
crânienne et l'aspect extérieur du visage (face large aux pommettes
saillantes et au nez mince) des Cro-Magnon, ne présentaient aucun
caractère qui puisse distinguer ceux-ci des autres hommes actuels.
Commentant leur aspect, G. Dingemans écrivait : « Si les races
apparentées au type alpin peuvent être considérées aujourd'hui
comme les plus typiquement européennes, en comparaison des
Méditerranéens déjà plus orientaux, et des Nordiques de tendance
cromagnonoide, ces Alpins font figure — à côté des Cro-Magnon —
d'un type infantile nettement dégénéré (2). »
Un autre spécialiste, Frank C. Hibben, confirme cette façon de
voir les choses lorsqu'il écrit à son tour : «L'homme de Cro-
Magnon n'était pas une forme unique de l'homme, maïs bien
l'aboutissement de peut-être plusieurs rameaux d'êtres humains, qui
tous présentaient autant de caractères modernes (3). »
Se rapportant aux Cro-Magnon, dont il supposait la peau claire
et la chevelure comparable à celle des Caucasiens modernes,
l'Américain Tom Prideaux concluait — récemment — par ces mots :
« Tout porte donc à croire que, avec une éducation appropriée, ces
hommes arriveraient à se comporter comme l'homme actuel, aussi
complexe füt-il. Leur intelligence le permettrait — le seul problème
serait celui de l'acculturation car, comme l'avaient fait tous leurs
ancêtres, ils pratiquaient la chasse et la cueillette, et leurs outils et
leurs armes étaient toujours ceux de l'âge de pierre (4). »

2. G. Dingemans, /a Tragédie de l'Univers. Les secrets de la vie. Formation et


transformation des espèces (Paris, A. Colin, 1956).
3. F.C. Hibben, l'Homme préhistorique en Europe (Paris, Payot, 1960).
4. L'Homme de Cro-Magnon, Album Life (Amsterdam, 1973, p. 11}.
LES CRO-MAGNON, CES MAL-AIMES 99

Néanmoins, il faut dire qu'on n'arriva pas d'emblée à ces


conclusions de raison. Durant bien des décennies, on vit en ces gens
plutôt la dernière phase d'existence de cet homme naturel, encore
éloigné de l'intelligence de son propre environnement, et dont les
manières se seraient plutôt rapprochées de celles qu'on assignait
volontiers à l’homme bête. La statue de cet homme, qui salue, au
nom des civilisés, le site des Evyzies, en constitue une illustration sans
réplique. L'expression «homme de Cro-Magnon » connut la
première — mais non la dernière — de ses ambiguités.
De l'homme encore trop « bête », on passa — et certains le
firent, avec le plus suspect enthousiasme — au super-ancêtre, super-
Blanc, ce grand vieillard de Cro-Magnon, sage, remarquablement
beau et par-cela même capable de fournir non seulement le modèle,
mais aussi la justification d’un certain — hélas, déjà ! — racisme. Il
fut suffisant d'en faire un ancêtre direct des Blancs, les gens
désignés (même paléontologiquement, étant donné leur ascendance
tellement supérieure) à devenir les maîtres incontestables — car ils
semblaient prédestinés — du globe...
Par la suite, ce fut le contre-courant. A l'ère de la culpabilité
—— par certains considérée comme obligatoire — des Blancs, pour
leurs anciennes entreprises et actions politiques et militaires
planétaires (colonialisme, implantation religieuse et autres), les uns
voulurent faire des Cro-Magnon des gens plutôt blancoïdes, sinon
parfois des hommes à peau teintée ; les autres les poussèrent d’une
façon assez délibérée vers une espèce d’oubli intentionnel, tout en les
reléguant à une position et à un rôle secondaires qui, de toute
manière, ne furent point les leurs dans l’évolution de l'humanité.
Il faut préciser que de nos jours l'appellation de Cro-Magnon a
dépassé les limites des gens du site des Eyzies. Le nom, la distinction
qu'il implique, recouvre toute une série de populations préhistoriques
de chasseurs-collecteurs ayant, pour l'essentiel, les mêmes caractères
modernes. Il justifie aussi, de cette façon, la claire appartenance,
presque unanimement acceptée de ces hommes au type même de
l'Homo sapiens sapiens.
Certes, pour le détail, les choses sont loin d’être si simples et on a
trop soustrait ou surajouté au tableau de cet homme moderne, deice
néanthropien, pour que son image de marque ne soit parfois assez
altérée. Commentant cet aspect des choses, le savant canadien Philip
100 ARCHITECTURE SACREE

E.L. Smith, professeur d'anthropologie à l’université de Montréal,


écrivit récemment: «De toute manière, quand bien même ils
déploreraient l'emploi impropre du terme, les préhistoriens reconnais -
sent à quel point sont désormais ancrés les erreurs commises et les
mythes diffusés avec tant de succès par leurs prédécesseurs.
L'expression «homme de Cro-Magnon » est devenue ambigué,
impropre mais sans doute ne disparaitra-t-elle avant longtemps (5). »
Restituant à l’homme de Cro-Magnon ce qu'on lui doit,
reconnaissant l’habileté exceptionnelle de ce grand chasseur-
collecteur, ses talents d’extraordinaire artiste ne serait-ce qu'en
admirant pour une fois encore les peintures et les dessins de Lascaux
et d'Altamira, la richesse du monde de ses croyances et symboles,
voire celle de son — déjà, si bien épanoui — monde intérieur, son
grand penchant pour les nombres et la géométrie, nous rendons
justice à l’un des mal-aimés de la préhistoire. Par la même OCCasion,
nous pénétrons avec lui, dans un univers particulier, mais
sensiblement lié aux traditions et légendes dont nous sommes en train
de nous occuper.

2. Les meilleurs chasseurs du monde

La découverte de l'homme de Cro-Magnon remua beaucoup


d’esprits et conduisit, comme il fallait s'y attendre, à des exagérations
bien explicables. Les premiers à rompre des lances pour ou contre ce
qu'ils considéraient être essentiel quant à ces hommes « tellement
évolués », furent, d’une part, ceux qui plaçaient leurs origines dans la
région de la découverte même, soit dans la France actuelle, d'autre
part, les partisans — même involontaires — d’une sorte d'EX
ORIENTE LUX (6) préhistorique et qui voulurent apporter les Cro-
Magnon en Europe occidentale, des régions du Proche-Orient, des
côtes palestiniennes de la Méditerranée.

5. Time - Life, L'Homme de Cro-Magnon, Coll. Les origines de l'homme


(Nederland, B.v., 1973, Introduction). Ouvrage rédigé par T. Prideaux sous la
supervision scientifique du Pr-Dr Ph.E.L. Smith et du Dr KR. Klein, anthropologue
de l'université de Washington.
6. La lumière vient dé l'Orient, dicton latin et devise de ceux qui voulaient
prouver les sources exclusivement orientales de la civilisation. o
LES CRO-MAGNON, CES MAL-AIMES 101

Malheureusement pour les premiers, les Cro-Magnon « fran-


çais » occupaient le seul endroit, ou presque le seul, à avoir connu
leur activité, dépourvu de signes d'évolution sur place, de transition
des autres formes humaines plus rudimentaires à la leur. En effet, si
le sud-ouest de l'actuelle France n'’abrite point de tels sites, en
revanche, la grotte de Skhul, située à proximité de Haïfa, en Israël,
livra dès 1931, de très anciens fossiles humains ; des squelettes
présentant à côté de caractères simiesques qui furent aussi ceux des
hommes de Néanderthal, des caractères humanoiïdes nettement plus
évolulés et qui les rapprochent des gens de Cro-Magnon.

Malgré ces véritables preuves d’un métissage qui aurait pu


conduire aux hybrides de la grotte de Skhul, les dernières
conséquences scientifiques de l'affaire retardèrent l’éclaircissement
désiré de presque trois décennies. Ce ne fut qu’au début des années
soixante qu'on accepta presque unanimement, que vers 45000 à
40000 ans avant notre ère, on avait enregistré une certaine
diversification des Néanderthaliens déjà répartis un peu partout sur la
planète en bon nombre de groupes humains de type cromagnonoiïde
se réclamant tous du nouveau genre d'homme, cet homme moderne
qu’on désigna sous le nom de HOMO SAPIENS SAPIENS.

Mais cela ne fit que reposer le problème des origines des Cro-
Magnon sans signes d'évolution antérieure au sud-ouest de la France.
Des émigrés, certainement, mais d’où ?

a) La chasse explique le chasseur

Vivant vers la fin de la période glacière, dite Würm-Wisconsin,


l'homme de Cro-Magnon fut aussi le héros certain et en partie déjà
dûment reconnu de remarquables migrations. Sa présence un peu
partout dans le monde et ses grands déplacements seraient
néanmoins difficiles à expliquer par le simple fait d’une circulation à
travers un espace beaucoup plus vaste que celui recouvert par les
pérégrinations de ses prédécesseurs ; en réalité, ce ne fut point
l'attirance pour la découverte de nouveaux horizons qui mit les Cro-
Magnon en mouvement, mais une de leurs occupations essentielles.
Une occupation qu'ils perfectionnèrent jusqu'à en devenir les plus
grands maîtres. Il s’agit de la chasse.
102 ARCHITECTURE SACREE

Vue à travers l’une de ses plus scientifiques définitions, cette


occupation humaine n'est qu'une habile exploitation des sources
alimentaires d'énergie. Or, comme dans n'importe quel problème
d'exploitation énergétique, les sources demeurent soit locales soit en
provenance de l'extérieur. Que les sources d'énergie alimentaires des
Néanderthaliens aient été locales — au début — c'était tout à fait
normal. Néanmoins quand les mêmes Néanderthaliens s’attaquèrent
aux troupeaux de rennes — pour assimiler, à travers leur nourriture
animale provenant de la chasse de ces derniers, des matières
nutritives en provenance des pâturages septentrionaux jusqu'où ils ne
se seraient jamais eux-mêmes aventurés — ils exploitèrent une
source d'énergie alimentaire extérieure à leur cadre de vie. Ce grand
progrès réalisé grâce à la chasse d'animaux migrateurs ne suffit point
aux Cro-Magnon qui, perfectionnant leur chasse, réussirent grâce à
la nette croissance des quantités de gibier, des prouesses de vie
reflétées de façon directe dans leur propre diffusion géographique.
En effet, les Cro-Magnon, trouvant les moyens de tuer autant de
gibier qu'il est nécessaire à la constitution de réserves alimentaires, en
profitèrent pour s'organiser en vue d’une meilleure résistance aux
rigueurs du climat. Ainsi ils purent s'installer et se maintenir dans des
régions à climat excessif mais aussi très riches en gibier, comme la
Sibérie où l’on a abondamment retrouvé leurs traces. Une fois
installés, ils y prospérèrent en surajoutant à leurs sources animales de
nutrition déjà classiques, d’autres sources, nouvelles, puisées dans le
monde des oiseaux et des poissons. Perdrix des neiges et différentes
sortes de poissons entrèrent dans leur alimentation.
Néanmoins, pour ce faire, il fallait chasser plus, avec plus
d'efficacité et aussi savoir assurer une bien plus longue conservation
des denrées alimentaires que celles allant du jour au lendemain.

b) La course à l’invention commence

Pour mieux chasser, pour chasser plus que ne le faisaient leurs


prédécesseurs néanderthaliens, les Cro-Magnon inventèrent le
PROPULSEUR. En effet, s’ils réussirent à jouer le rôle qui fut le leur,
dans le tableau des progrès humains, ce fut l'invention toute nouvelle
du propulseur qui y contribua le plus. Bâtonnet de forme spéciale au
corps long d'environ 30 centimètres et présentant une extrémité
LES CRO-MAGNON, CES MAL-AIMES 103

butée sur laquelle s’appuyait la pièce à lancer — un javelot — Île


propulseur leur permettait à la fois de lancer leur arme à une vitesse
nettement supérieure et surtout de chasser à l'abri, car le fait qu'ils
disposaient d’une arme de jet les préservait des réactions directes du
gibier dangereux (coups de griffes, de crocs, de sabots ou de cornes).
Réalisés en bois de renne (et probablement aussi en simple bois, mais
non conservés) les propulseurs furent le plus souvent décorés de
merveilleux motifs sculpturaux.
Mais il faut dire aussi que l'invention du propulseur ne fut point
la seule. Burins à pointe et aiguilles à coudre sortirent également de
leur imagination. Bons travailleurs de la pierre, de l'os, de l’ivoire, de
l’andouiller, ces premiers artistes à part entière surent protéger leurs
corps d’habits confortables, se ménager des abris douillets et se munir
d’une foule d'objets utiles.
Arme déjà fonctionnelle, le propulseur à javelot permit à ses
employeurs de s'attaquer avec succès au plus gros gibier et cela en
réalisant des coups sûrs au premier impact. Le plus fort des humains
n'aurait pu jeter à plus de 50-60 mètres un javelot de 2 mètres de
long, tandis qu’à l’aide du propulseur, on pouvait lui assurer non
seulement une course longue de 120 à 140 mètres, mais aussi des
coups mortels à 30 mètres de distance (pour la chasse aux cerfs ou
aux ours).
La croissance en flèche de la quantité de gibier apporta, car
celle-ci dut aller de pair, l'amélioration des moyens de conservation
des viandes des animaux tués et dépecés. Ce fut ainsi qu’à proximité
des habitats confectionnés de peaux cousues (7) et qui reposaient déjà
sur des fondations en pierre, firent leur apparition les silos qui
contenaient, derrière des petits murs en pierraille, de véritables dépôts
de viande.
Cela dit, il faut aussi ajouter qu'ils savaient déjà conserver la
viande par séchage, congélation ou fumage.
Telle fut la nouvelle vie de ces merveilleux chasseurs qui osèrent
les premiers faire front aux rigueurs des climats sibériens. En
Ukraine où le climat hivernal n’était lui non plus pas très doux, on

7. Les Cro-Magnon tannaient les peaux par graissage (comme les Esquimaux
de nos jours).
104 ARCHITECTURE SACREE

retrouva les restes des habitations de ces chasseurs semi-nomades


dans la vallée du Don où ils vécurent il y a 20 000 à 25 000 ans. Il
s'agit de grandes habitations collectives, faites de peaux cousues,
montées sur des « piliers » faits de défenses de mammouth donc
protégés des animaux prédateurs, à proximité desquelles des puits
consolidés et «fermés» par des couches protectrices d'os de
mammouth constituaient leurs silos alimentaires.
Habiles chasseurs du gros gibier surtout aux époques estivales,
comme à Kostenki (toujours en Ukraine), ils furent aussi parmi les
plus intelligents poseurs de pièges hivernaux et vraisemblablement,
selon certains spécialistes, les inventeurs du piège à nœud coulant (8).
La même vocation d’'inventeurs se manifesta chez les Cro-
Magnon lorsqu'ils se mirent à emmancher sur des bois de cervidés et
des os bon nombre de leurs outils comme, par exemple, les haches et
les couteaux. Cela contribua à une meilleure manipulation des outils
en question. Suivant un véritable trait d'intelligence des techniques
manuelles, les mêmes ancêtres tellement modernes perfectionnèrent
le burin, ce qui leur permit de mieux utiliser l'os, le bois des cervidés
et l’ivoire.
Passant de la chasse-combat à la chasse à distance grâce au
propulseur lanceur de javelots, les Cro-Magnon inventèrent — on
peut le dire — à l’époque de leur épanouissement, l’art de chasser à
l'abri, même si, bien souvent encore, ils chassaient à découvert. Vers
la période de leur déclin qui culmina voilà 10 000 ou 12 000 ans,
une autre dernière grande invention leur permit de passer de la
chasse à l’abri et à découvert à la chasse cachée... Dès qu'ils créèrent
l'arc, la nouvelle époque du chasseur embusqué, apporta un regain
d'importance économique à la chasse. et certainement aussi à la
guerre déjà inévitablement — hélas ! — présente dans leur nouvelle
vie...

8. Pièges pour la capture de petits animaux à fourrure (renards surtout)


construits sur le principe du ressort allié à celui du levier. Le piège projetait en l'air le
renard maintenu prisonnier par le resserrement du nœud coulant sur lequel il avait
ÿ
marche.
LES CRO-MAGNON, CES MAL-AIMES 105

3. Un recyclage il y a 15 000 ans


Fluctuations climatiques concernant un même endroit du
monde ou conditions différentes dues à un espace géographique
différent déterminèrent des changements de vie, se réclamant chez
ces merveilleux inventeurs de tout bord, d’une manière de vivre en
constant progrès. Tout comme ils furent d'excellents chasseurs, ils
arrivèrent à être de bons collecteurs de mollusques et d’admirables
pêcheurs. Les vestiges qu'ils laissèrent en Afrique du Sud dans la
grotte de la baie de Nelson située à quelque 480 km à l’est de la ville
du Cap, et où ils étaient déjà installés depuis quelque 20 000 ans tout
près d’une source d’eau, témoignent en ce sens. Dès que vers
12 000 ans avant notre ère, du fait des changements du climat local
et surtout du décor géographique, la mer s'étant fortement
rapprochée, les mollusques, les fruits de mer en général et les loutres
entrèrent dans leur nourriture courante. On y recueillit les lignes à
pêcher qu'ils avaient fabriquées de tendons de loutre.

Pêcheurs-inventeurs tout comme ils furent chasseurs-inven-


teurs, les Cro-Magnon créèrent un engin de pêche tout à fait
remarquable. Il s'agissait d'un leurre en os, aiguisé à ses deux
extrémités et fixé en son milieu sur un tendon (de loutre). Dès qu'un
poisson attiré par le leurre l’avalait, se le fixant en travers de la gorge,
le pêcheur avisé par le mouvement du tendon ou du fil qui devait le
prolonger, venait saisir sa proie.
Les chasseurs de la baie de Nelson pêchaient de cette manière, il
y a 12000 à 14000 ans. Parmi les systèmes de pêche des Cro-
Magnon figurait aussi l'exploitation des pièges à cailloux dans
lesquels on harponnait les gros poissons (au Canada, les Esquimaux
Netsilik utilisent encore de nos jours des pièges similaires).
L'intelligence technique des Cro-Magnon leur fit réaliser bon
nombre d’autres pas en direction du progrès, parmi lesquels la
première utilisation de « machines » à moudre les grains. Ainsi à
Kom Ombo, en basse Egypte, on a découvert des meules en pierre
calcaire ayant servi à moudre les graminées sauvages. Leurs usagers
étaient des gens de Cro-Magnon.
Moudre les grains. Néanmoins, avec cela ils sortaient du
domaine étroitement lié aux grandes pérégrinations, sinon perma-
106 ARCHITECTURE SACREE

nentes mais au moins saisonnières, à la poursuite du gibier tout en se


rapprochant du sédentarisme.. Mais, même alors qu'ils le firent, et
non sans réaliser du même coup d’autres prouesses — par exemple la
fondation des premières villes au vrai sens du terme (9), comme à
Lepenski Vir — ils surent rester au moins pour un bon bout de temps
les mêmes extraordinaires chasseurs et pêcheurs, les meilleurs peut-
être de toute la préhistoire...

4. Les premiers découvreurs du monde


Que les Cro-Magnon aient accompli de remarquables migra-
tions, cela est indéniable. Parmi ces grands exploits qui, en fin de
compte, conduisirent d'une certaine manière au peuplement du
globe, il faut placer au moins trois énormes aventures dont deux
furent consommées par voie d’eau. Au bout de ces errances et de
ces périples, la découverte de... l'Amérique, dont on parle peu, celle
de l'Australie, qui est la seule qui leur a déjà été reconnue et d’une
certaine manière aussi celle de... l’Europe !
De cette dernière migration à travers l'Atlantique, vraisembla-
blement en descendant le Gulf Stream, nous nous sommes occupé
dans l’un de nos précédents livres, en analysant ses chances de
crédibilité. La « découverte » de l'Amérique n'est autre que la
présence des gens de Cro-Magnon, habitués aux rigueurs du climat,
dans les groupes d'individus en provenance de l'Asie orientale
septentrionale, lors du peuplement du Nouveau Monde à travers le
détroit — alors vraisemblablement encore isthme — de Behring.
Quant à la seule grande découverte maritime déjà officiellement
reconnue des Cro-Magnon, il s’agit de la découverte et du premier
peuplement de l'Australie.
Séparée, il y a quelque 35 millénaires, du Sud-Est asiatique —
représenté alors par le rivage de l’actuelle île de Java qui faisait corps
commun avec l’'Indochine, par un bras de mer large de 1 300 km —
l'Australie était suffisamment isolée pour ne pouvoir être atteinte

9. Les caractères d'urbanisme déjà accusé de tels centres, comme on l'a vu,
justifient cette appréciation, due en premier lieu au découvreur même du site, le chef
de la mission archéologique qui le mit à jour. ÿ
LES CRO-MAGNON, CES MAL-AIMES 107

découverte de l'Australie !
régions à vestiges d'hommes du type de Cro Magnon.
- Ile de Krakatoa. VA
- ancienne ligne littorale.
108 ARCHITECTURE SACREE

qu'à travers un périple utilisant des moyens de navigation fabriqués à


dessein, car devant pouvoir tenir la haute mer.
Les Cro-Magnon réalisèrent les deux découvertes « jumelées ».
Celle du moyen d'accès et celle du « nouveau monde » australien. Un
squelette de femme vieux de 27 000 ans, du type Homo sapiens
moderne, trouvé près du lac Mungo en Nouvelle-Galles du Sud,
témoigne de cette extraordinaire migration par voie d'eau.
Voilà donc une navigation accomplie, traduite par la première
conquête maritime d’un continent, au moins 5 000 ans avant que
d'autres Cro-Magnon ne décorent de leurs peintures et de leurs
dessins les parois des grottes de France et d'Espagne.
Pour mieux placer l'événement du peuplement par voie
maritime de l'Australie dans l’histoire de l’homme découvreur et
inventeur, il suffit de souligner que cela se passait aussi 5 000 ans
avant la création des premières figurines sculptées et censées célébrer
le culte de la nature, 10 000 ans avant l'invention de l'aiguille à
coudre, 15 000 ans avant qu'on ne se mette à chasser le bison à
travers les grandes prairies de l'Amérique du Nord, 25 000 ans avant
l'invention de la flèche et de l'arc en Europe, 26 000 ans avant
l'apparition de la poterie au Japon ou la domestication du mouton au
Proche-Orient, du chien « local » en Amérique du Nord ou de la
chèvre en Perse, et enfin, 27 000 ans avant l'apparition des
premières cultures de céréales au Proche-Orient et 29 000 ans avant
que l’agriculture ne commence à supplanter la chasse et la cueillette
en Europe...
35 000 ans avant nos jours on naviguait sur de si longues
distances. Une telle situation devait être soulignée d'autant plus qu’à
la même occasion, on peut également trancher sur la plus ancienne
navigation qui aurait porté des non-Asiates-nord-orientaux au
Nouveau Monde. Si l’on jugeait d’après les vestiges des « vieux
Américains » brésiliens de Lagoa Santa, découverts par Lund dès
1843 et, vieux, sur place (comme on l’accepte aujourd’hui) d’au
moins 20 000 ans, on disposerait d’une nouvelle date record pour
illustrer la traversée des Océans par l’homme primitif.
Certes, l’idée qu’on avait pu naviguer vers l'Australie 35
millénaires avant le voyage du célèbre capitaine Cook (1728-1779)
qui aborda le continent austral dans son périple entrepris entre 1768
et 1771, était dure à accepter. Le seul concurrent admis de’ Cook
LES CRO-MAGNON, CES MAL-AIMES 109

n'était-il pas, lui aussi, un autre marin à boussole et astrolabe, à


voilier et à canons, un certain Willem Janszoon, Hollandais de natio-
nalité et qui avait, en fait, jeté l’ancre dans le golfe de Carpentarie déjà
en 1605 ?
On essaya — comme il était normal — d’éluder l'importance de
la plus ancienne navigation vers l'Australie. Des spécialistes
australiens de la préhistoire et surtout le docteur Whitehouse
soutinrent que, chassés de Java et de Sumatra par des séismes
provoqués par l'éruption d’un terrible volcan — l'inévitable et déjà
bien à propos en place (10) Krakatoa — des gens emportés
involontairement sur leurs fragiles radeaux côtiers par un raz de
marée conjugué à un vent d'ouragan, auraient abordé en effet
l'Australie, après un voyage de fortune long de plus de 1 300 km!
De cette façon, prétendument scientifique, on met en action
QUATRE coiïincidences majeures (éruption du volcan, raz de marée,
vent d’ouragan et des gens obligatoirement déjà embarqués sur des
radeaux à disposition, faiblement amarrés au rivage et pourvus d'au
moins dix jours de réserves alimentaires dont surtout une insigne
quantité d’eau potable)... pour expliquer que, malgré la longueur du
trajet, la vague de fond aurait été assez forte pour pousser ces
rescapés de fortune vers leurs nouveaux rivages dans un délai de
temps « de survie ».. Pour des rationalistes à outrance c’est là peut-
être la seule façon d’accepter la réalité des choses tout en la drapant
dans une pharamineuse histoire d'aventures, où le fortuit s’allie à la
catastrophe pour sauver les vieux meubles d’une certaine « raison »,
et pour expliquer non seulement la présence des Cro-Magnon en
Australie, mais aussi les analogies anthropologiques des aborigènes
australiens avec « l’homme » de Java !

5. Perspective avant l’histoire


Si pour les Latins, la perspective était une façon artistique de
voir à travers quelque chose ou même dans son intérieur (11), pour

10. Tout comme l'éruption catastrophique du volcan Santorin, survenue


de
15 siècles avant les débuts de notre ère, permit à d’autres ingénieux de l'histoire
situer l'Atlantide de Platon en pleine mer Crétoise….
11. Du verbe (latin) « perspicere » : voir à travers, voir en dedans.
110 ARCHITECTURE SACREE

les spécialistes de l’art qui ont hérité du mot et aussi — il faut le dire
__ d'un assez bon exercice pratique de la notion, la perspective
demeure la manière — art, elle aussi — de donner, de certains objets,
une image tracée sur une surface plane mais qui puisse correspondre
à la vision directe qu'on en a... Même sous cette définition, moderne
et correcte à la fois, la perspective est très ancienne. En effet, bien
avant que les Romains sachent donner parfaitement l'illusion de la
profondeur, telle que nous la montrent et démontrent les peintures
murales de Pompéi ou de Herculanum, certaines vieilles de presque
25 siècles, les anciens Grecs en étaient les maîtres plus qu'accomplis.

a) L’invention de la perspective
Du fait même qu'on peut opposer efficacement en la matière les
fresques pompéiennes anciennes aux peintures égyptiennes qui,
notamment celles de la nécropole de Thèbes (450 av. J.-C.),
semblaient ignorer les règles les plus élémentaires de la perspective,
certains historiens de l’art ont cru devoir en faire une invention de
l'Antiquité classique sud et sud-est européenne. La véritable
scénographie des fresques pompéiennes et surtout les fameux écrits
d'Euclide (III® siècle av. J.-C.), ceux de Lucrèce ou ceux du père de
l'architecture que fut Vitruve (I* siècle av. J.-C.) sont de bons
témoins.
Si le Moyen Age chrétien ou l’art byzantin, attirés plutôt vers
une vision mystique des objets et des personnages se distribuant selon
une disposition tout aussi symbolique que sacrée, ont abandonné la
façon correcte de représenter les choses — marquant un pas en
arrière — la Renaissance, en revanche, remet les choses à leur place
en reprenant le goût et l'exercice de la perspective qui connut des
variantes de présentation, des manières et des classifications, quitte à
en faire une véritable science de l’art de la représentation.
L'évolution qui s'ensuivit élargit la notion pour en faire un
«rendu » du relief et de la profondeur à multiples possibilités et
aspects, allant de la perspective à registres ou de la perspective étagée
à la perspective rayonnée ou à celle à vol d'oiseau, chacune d'elles
ayant aussi ses propres actes de noblesse (12). Mais que ne peut la
12. La perspective à registres existait en fait, déjà chez les anciens Egyptiens et
en Mésopotamie, celle à vol d'oiseau est propre aux peintures chinoises et japonaises
des XV°-XIX° siècles. =
LES CRO-MAGNON, CES MAL-AIMES LM

perspective et où ne peut-elle conduire dans ses applications les plus


poussées ? Des spécialistes de taille mondiale tels Panofski, Gilson,
Parronchi, Dalai, Emiliani, Flocon et autres, l'ont étudiée de points
de vue qui, allant de l’art pur jusqu'à la géométrie, marient l’espace à
la raison à travers mesure, vision, équations de calcul, épures et
dessins.
Néanmoins chercher les sources mêmes de cette si généreuse
démarche de la représentation, que fut et resta la perspective de ses
débuts à nos jours, dans le monde hellénisant méditerranéen à
l'époque si féconde de la création artistique des Grecs et de leurs
premiers élèves, les Romains, ce serait injuste.
Non, tout comme les premières sources de l'écriture, ceiles de la
perspective doivent être recherchées bien plus loin dans l'espace et
dans le temps. En ce cas, assez précis, il faut l’admettre, les Cro-
Magnon font de nouveau parler de leurs prouesses.
Altamira et Lascaux en témoignent !

b) La profondeur sort du rocher


Ainsi sur le grand plafond peint d’Altamira, utilisant à bon
escient les bosses qui le recouvrent, voire la rugosité de sa surface, les
peintres anonymes de la préhistoire ont mis à leur profit les saillies de
la roche afin d’en faire ressortir des impressions de relief vraiment
extraordinaires (13).
La fureur du bison mugissant ou le calme du bison paisible sont
efficacement soulignés par la vivacité d’une représentation sachant
très bien mettre à profit les dénivellations de la paroi, cela pour ne
plus parler des trois bisons pelotonnés, figurés, toujours à Altamira,
avec les pattes ramassées sous le corps visiblement lourd et les têtes
fléchies.
Plus animées, bien souvent comme captées en plein élan, les
figurations de Lascaux démontrent une maîtrise du mouvement et de
la couleur d’où sortent des expressions de relief et de profondeur,
célèbres dans l’histoire première de l’art. Tel ce cheval peint en teintes
foncées dont le mouvement presque altier, mis en évidence par la

13. En Ariège au Tuc-d'Audubert, les animaux sont comme fixés sur la


surface inclinée de la roche, d'une manière qui les intègre au décor.
(112 ARCHITECTURE SACREE

manière de représenter ses membres graciles, le fait courir sous nos


yeux — non sans s’extraire en relief de son propre décor. C'est la
même impression qu'on pourrait ressentir devant le galop du massif
«cheval chinois» de la même grotte, pourchassé par le vol si
rapproché des armes de jet lancées contre lui...
Quelques plumes, de la mousse, des «tubes » de roseau, sinon
des simples os creux, des mélanges déjà connus et fabriqués à dessein
de colorants (pigments) minéraux naturels — voilà de quoi faire tout
ce qui était nécessaire au talent de l'artiste pour inventer l’art.
Maniant à leur manière la perspective avant le début de sa
propre histoire, les Cro-Magnon, qui entre — 35000 et — 15000
décorèrent les parois et les voûtes des grottes en France et en
Espagne, léguèrent à leurs suivants leur art qui fut le premier grand
art de l'homme... Ce faisant, ils démontrèrent qu’il y a déjà 17 à
37 000 ans, ils se sentaient devenir eux-mêmes, à travers un exercice
déjà conscient de leurs larges facultés intellectuelles et certes aussi
spirituelles.
Ce fut la célébrité de leurs peintures qui s’avéra responsable de
la négligence avec laquelle on oublie bien souvent les talents de
graveurs et de sculpteurs de ces mêmes gens qui furent, en définitive,
responsables non seulement de l'apparition de l’art narratif (14), mais
aussi de ce que l’on pourrait appeler sans aucun abus /a naissance de
l'art moderne... Un témoignage remarquablement méconnu en cette
ultime direction est fourni depuis la découverte du site de Lepenski
Vir (15).

6. Au début du conte, le compte


Il y a quelques années, le chercheur américain Alexander
Marshack se mit à démontrer, non seulement l’émergence de la
pensée symbolique dès l’apparition des néanthropiens, mais aussi le

14. Ils furent les premiers à avoir gravé des scènes « narratives » sur des
fragments ou rondelles d'os ou sur la pierre. Des représentations qui « racontaient »
une action (scène de chasse).
15. La vocation des Cro-Magnon pour la sculpture était bien plus ancienne
(premières Vénus : Lespugue, Chiozza, Willendorf, etc.). ù
LES CRO-MAGNON, CES MAL-AIMES 113

fait hautement significatif que les premiers de ces hommes nouveaux


et vraiment modernes avaient d'ores et déjà une compréhension
moderne, abstraite de l'écoulement du temps. On constata aussi que
ces hommes du paléolithique supérieur purent même l’exprimer par
des « notations » écrites, concrétisées dans la chair des os ou des bois
des animaux, par autant d'encoches ou d’entailles correspondantes.
Même si bon nombre de savants bien en place sourient avec la
supériorité du scepticisme qui fait toujours du bien, la réalité est du
côté de Marshack, et ceux qui doutent du bien-fondé de ses
découvertes seront persiflés à leur tour par la science à venir.

a) Des calendriers avant la lettre


Que disait en fin de compte le savant américain ? L'étude qu'il
fit — et Dieu sait combien on essaya de l’en dissuader — de certains
fragments d'os ou de bois d'animaux du paléolithique supérieur le
conduisit à des conclusions vraiment sensationnelles. S’adjoignant de
nouvelles techniques d'étude et examinant au microscope et à la
loupe binoculaire le tracé exact des traits gravés et des encoches en
question, Marshack aboutit à la constatation d’abord de la volonté des
«encocheurs » anonymes de noter certains événements, et ensuite à
un déchiffrement logique de ces notations mêmes, en y surprenant
des notations abstraites parce qu’elles visaient le temps et certains de
ses cycles, comme par exemple le cycle lunaire.
En définitive les gens de l'abri de Lartet, ceux de l'abri
Blanchard ou autres, transcrivaient il y a 30 000 à 35 000 ans les
phases de la Lune à l’aide d’un véritable code — et la diffusion du
procédé fut elle aussi vraisemblablement prouvée (16). Le but de ces
notations, car elles en avaient un, fut expliqué par Marshack, comme
une prise de conscience des gens « primitifs » (combien de primitifs à
vrai dire ?) de la réalité de la composante temporelle du quotidien
environnant. Une composante déterminée par les phases périodiques
de la flore, de la faune, des positions célestes des étoiles et bien sûr
aussi par les grands aléas périodiques de l’activité humaine : chasse,
migrations, mouvements saisonniers (habitats d’été et d'hiver),
éducation, puberté, activité menstruelle de la femme, naissance et
à Bimini
16. Voir à ce propos notre précédent livre : L'Histoire commence
(Laffont Ed., Paris, 1973).
114 ARCHITECTURE SACREE

mort. Tout cela, dit le savant américain, était possible avant


l'apparition de l'écriture et même de la constitution d’un système
numérique. Il se peut même, selon Marshack, que la notation en
question conduisit d'une certaine façon vers la future nécessité de
l'écriture dont elle constitua la plus lointaine et première ébauche...

b) Les premières ébauches de l’écriture

Altamira fut découverte en 1879 par la petite Maria, la fille d'un


aristocrate espagnol don Marcellino de Santuola. En 1880 déjà, les
mieux placés en la matière, des savants européens, français, suédois,
norvégiens, anglais, allemands et autres, déclaraient au Congrès de
Lisbonne que «.… les peintures avaient tout au plus vingt ans
d'ancienneté », car elles ne présentaient «aucun des grands
caractères de l'art de l'âge de la pierre, de l'art primitif assyrien ou
phéñnicien (sic !) ». Un expert encore plus qualifié et s'entichant d’un
certain rationalisme cartésien considéra que les peintures « n'étaient
rien d'autre que l'expression de l'art d’un étudiant médiocre de l'école
de peinture moderne (resic !) ».. Il a fallu plus de vingt ans de
nouvelles découvertes analogiquement significatives pour qu’un vrai
savant — dans l'esprit et non seulement dans ses titres — Emile
Cartailhac. affirme dans un article dont bon nombre de savants et
spécialistes de nos jours devraient se rappeler, un article intitulé
« MEA CULPA d'un sceptique » (publié en 1902), qu’Altamira était
authentique.
Ce que la grotte d’Altamira signifiait pour l’histoire de l’art, la
découverte de Marshack, — à savoir la conscience et les notations
des cycles temporels au paléolithique supérieur — le signifie de
même pour la vraie histoire de l’esprit humain (17). Certes, personne
n’osa traiter le savant américain de faussaire ou d’illuminé, mais bon
nombre de grands maîtres se taisent alors qu'ils ne feignent point
l'ignorance de ses démarches... Il est temps de se demander qui fera
tout de même le Mea Culpa si nécessaire au progrès de nos idées sur
la préhistoire. Et quand ?.….

17. A. Marshack, The Roots of Civilisation (les Racines de la Civilisation),


McGraw-Hill, New York, 1972 (trad. fr. chez Plon, en 1972). ÿ
LES CRO-MAGNON, CES MAL-AIMES NS

En effet, pour ceux qui se contentent de voir dans les encoches


des os de Marshack tout au plus de simples marques de chasse,
l'argument suprême, l’objection maîtresse sont tirés d’une comparai-
son, assez factice sinon même fallacieuse : le fait que la majorité des
« primitifs » encore vivants çà et là dans le monde, NE SAVENT
PAS COMPTER... que beaucoup de ces ethnies arriérées n’ont pas
encore atteint pour ce faire, le cinquième doigt d’une seule de leurs
mains. Car enfin, et en fin de compte, là est le problème : être
d'accord ouvertement avec Marshack, ce serait admettre ni plus ni
moins que LA CONSCIENCE PRECOCE DU RAPPORT DE
L'HOMME AVEC LE TEMPS FUT PLUS IMPORTANTE POUR
LA CONSTITUTION DE LA CIVILISATION QUE LE FAÇON-
NAGE DES OUTILS (cette main «ouvrière » qui « fit» l’'Homo
Faber et non le cerveau de celui-ci, considéré trop lourd encore, pour
être capable de concevoir des. démarches pourtant déjà si
logiques !). Mais oui ! Mais oui (18) !
Et puis, tout justement avec le temps — déjà dépassé — du Mea
Culpa qui se laisse encore attendre, disons aussi que selon des
indices, allant au-delà des suppositions de Marshack, les Cro-
Magnon, à l’époque finale au moins de leur aventure historique,
savaient compter, voire additionner, soustraire et assurément
diviser. ne serait-ce que ceux de Lepenski Vir pour en témoigner.
Néanmoins, il faut dire que ces connaissances où l’abstraction
domine le concret, tout comme la pensée inventive guide les pas de
l'application (des connaissances traduites dans le concret des plans
des maisons de Lepenski Vir de la première et plus ancienne étape du
site d'il y a 8 000 ans) furent apportées avec eux par ces Cro-Magnon
oberkasseliens qui s'y installèrent pour leur dernière aventure
historique. Cela correspondait donc déjà à quelque chose qui se serait
développé bien auparavant, dans un espace-temps antérieur.

la
18. D'une façon analogue certains doutent encore de la possibilité de
d'ensemble
peinture des grottes du paléolithique supérieur selon des conceptions
et qui
« précogitées ». Néanmoins 90 % des bisons et bovidés qui ornent les parois,
des grottes,
devaient symboliser l'élément féminin occupent les zones centrales
à l'entrée
tandis que 70 % des représentations « masculines » sont localisées
: mâle et
(gardiennage magique de la femme et déjà opposition des deux principes
femelle).
116 ARCHITECTURE SACREE

7. Univers, chasseurs, triangles


L'art du chasseur, la sensibilité de l'artiste, l'intelligence de
l'espace et des formes de l'architecte ne pouvaient manquer de
déboucher sur le maniement des symboles, à une époque où
compréhension de l'environnement, sentiments religieux et premiè-
res connaissances vivaient ensemble chaque approche du réel tentée
par les premiers êtres vraiment rationnels.
Sans pousser plus loin l'analyse de ce que durent être les
rapports entre certains symboles dont les Cro-Magnon nous ont laissé
la figuration, et la religion — opération à laquelle se sont consa-
crés avec tant d'esprit critique et de remarquables efforts des
spécialistes tels que Leroi-Gourhan (19) — nous nous bornerons à
observer que si les signes tracés sur les parois des grottes ne peuvent
prouver d'une façon absolue la fonction magique que certains autres
spécialistes leurs accordaient, il est absolument logique qu'ils
traduisent plus ou moins mal le symbolisme de leurs connaissances
voire leur aperçu du monde. Un aperçu qu'il serait difficile de
considérer comme purement intuitif et qui, à sa manière, témoignait
de ce qu’on aurait pu nommer leur vision « scientifique » du monde.
Ainsi la disposition, ou la graduation de certaines figurations
complexes, ainsi l’utilisation assez précoce d'éléments géométriques
figurant tel ou tel rapport mental — encore non éclairci — mais
certainement déjà professé en tant que tel.
Certes les lignes constituant des représentations quadrangulaires
telles que celles d'El Castillo (Espagne) contenaient quelque chose qui
pourrait être la représentation d’un enclos ou d’un habitat tectiforme ;
des traits plus géométriques encore et qui posaient une véritable pile
de « boîtes » sinon un carrelage sous l’image d’un bovidé à Lascaux
pourraient, eux aussi, représenter un autre enclos. Néanmoins, il
s’agit dans le dernier cas de 9 (neuf) carrés(3 X 3) dont l'individualité
est clairement suggérée par la coloration du dessin.

a) La géométrie est implicite


Affirmer que les hommes de Cro-Magnon auraient inventé la
géométrie, ce serait admettre qu'ils se sont adonnés à son exercice dès

19. Les Hommes préhistoriques et la religion (Recherches, Paris, 1972, n° 27,


p. 723-731). É
A - Font-de-Gaume, signe
tectiforme peint en rouge.

B < Font-de-Gaume, signe


tectiforme peint sous le grand
renne.

C - Lascaux - Nef, « blason »


aux pieds de l'énorme vache
noire, peint en noir, jaune,
marron et rouge foncé.
(N - noir: M - marron (brun);
J - jaune; MR - marron
rougeâtre ; F - foncé; FN -
foncé-noir.)
118 ARCHITECTURE SACREE

qu'ils se mirent à peindre ou à sculpter. Par ailleurs, une


démonstration implicite de ce fait fut administrée par le même Leroi-
Gourhan lorsque dans son ouvrage intitulé Préhistoire et art
occidental, comparant les silhouettes de plusieurs figurines féminines
du paléolithique supérieur, toutes des Vénus stéatopyges, obèses, il
révéla la conception hautement géométrique de leurs représentations
qui s’inscrivaient régulièrement dans un certain losange dont le
centre « centrait » également leurs gros ventres.
Néanmoins, on s'éloignerait de la réalité si l’on supposait qu'un
pas fait vers la géométrie des formes n'ait eu son pendant dans une
approche correspondante du symbole, de l'écho, dans le symbole de
la même figuration géométrique. Vénus losanges d'il y a 27 000 à
30 000 ans et femmes triangles de l’âge de fer de l'Europe centrale se
réclament d’une même filiation à travers laquelle triangle et losange,
symboles sexuels aussi, et par-cela même symboles du monde, se
recoupent...

Il est bien vraisemblable que les gens qui ont légué aux futurs
constructeurs de mégalithes les premières figures clefs de la
géométrie, à savoir triangle, carré, cercle, rectangle maniaient depuis
bien longtemps l’abstraction de leurs variantes symboliques.
Cela étant, s’ils furent les premiers à dessiner ou à concevoir des
formes selon les canons de la géométrie, il faut leur rattacher aussi
quelques lointaines sources de ces traditions qui firent plus tard du
triangle — vulve-matrice — le symbole du monde ; du cercle-Soleil
ou Lune, celui de l'enceinte, de l’enclos ou purement et simplement
de l’interdit ou du tabou ; du carré (inscrit dans un cercle) un « fils »
du cercle et ainsi de suite...
Mais à travers la découverte de ces démarches, l’image première
qu'on s'était faite de l’homme de Cro-Magnon a — elle aussi —
beaucoup changé. Comme l’écrivait en 1967, Marc Ambroise Rendu
dans son livre sur la Préhistoire des Français (Paris, Presses de la
Cité, p. 186) : « Un Cro-Magnon soucieux de son intérieur, élégant,
douloureux et pieux, vient ainsi compléter la silhouette du Cro-
Magnon industrieux, rusé et majestueux que nous avaient dessinée les
grandes découvertes d'il y a cent ans. »
Maîtres à sculpter et à peindre, maîtres à chasser et à pêcher de
l’ancienneté de l’homme rationnel, ces maîtres à penser des débuts
LES CRO-MAGNON, CES MAL-AIMES 119

Gravettiens et gens du mé-


solithique dans les régions
Carpato-danubiennes.
1 - Paviov ; 2 - Predmost ; 3 -
Dolni Vestonice ; 4 - Hercu-
lane: 5 - Caranovo; 6 -
Elateia ; 7 - Porodin.
k - gravettiens ; O - mésoli-
thique.
* LV - Lepenski Vir.
120 ARCHITECTURE SACREE

furent assurément aussi les premiers maîtres avoués et manifestés de


la symbolique inaugurant une coexistence qui — concernant
l'homme et le symbole — se continue, de façon consciente ou non, à
travers tout ce qui attend encore le progrès de l’homme.

b) Les « attardés » de Lepenski Vir


Venus en Europe occidentale, probablement d'un foyer qui
aurait pu leur permettre de rayonner tant vers l'Egypte (les Shemsou-
Hor initiateurs) que vers les régions de l'Europe occidentale et
nordique (dès que le climat le permit), les hommes de Cro-Magnon
connurent leur plus grande diffusion en Europe vers la fin du
magdalénien (entre -18 000 et -10 000) ce qui ne les empêcha
pas de se perpétrer en certains endroits du monde, parallèlement à
l'apparition et l'épanouissement d’autres néanthropiens et des
rejetons de ces derniers. De nos jours, pour les opposer aux
Méditerranéens, on parle de gens de race « nordique ».
Pour expliquer la présence des Cro-Magnon, il fallait leur
trouver une certaine filiation, des ascendants plus ou moins
probables. Parmi ceux-ci, des spécialistes comme ©. Reche ont
indiqué l’homme de Berhausen du solutréen et son confrère de
Wisteritz, en Moravie (Tchécoslovaquie) (20).
De toute façon, ce fut pendant l'interglaciaire Würm, à climat
tiède (se réchauffant vers sa fin) et aux premiers temps du
magdalénien (21) que s'épanouit la variante oberkasselienne des Cro-
Magnon, variante propre aux régions rhénanes, et de laquelle se
réclamaient aussi
fondèrent Lepenski Vir.
Chassant le renne, le bison ou même (encore pour un temps) le
mammouth laineux, ils passaient toute leur vie dans les forêts,
surtout aux bords des cours d’eau riches en poissons qui les attiraient

20. Période culturelle du paléolithique supérieur, le solutréen dont le nom


provient de la commune de Solutré-Pouilly près du rocher de Solutré (Saône-et-
Loire) avait précédé le magdalénien (-20 000 à environ -15 000).
21. Période culturelle du paléolithique supérieur, le magdalénien clôt celui-ci
tout en constituant l'époque où l'art pariétal avait atteint son apogée ae,
Lascaux, Font-de-Gaume, les Combarelles, Pech-Merle, etc.).
LES CRO-MAGNON, CES MAL-AIMES 121

Principaux sites archéologiques européens à vestiges de Cro-Magnon.


1 - Obercassel : 2 - Solutré : 3 - Les Hoteaux ; 4 - Les Eyzies ; 5 - Combe Capelle ;
6 - Les Cottés : 7 - Le Placard : 8 - St Germain-la-Rivière ; 9 - Sorde ; 10 - Mas
d'Azil : 11 - Haviland : 12 - Siemonja : 13 - Brno ; 14 - Podbava ; 15 - Pavlov ; 16 -
Predmost : 17 - Lautsch: 18 - Zlaty-Kone : 19 - Gorozovskaia ; 20 - Carpates
moldaves : 21 - Lepenski Vir:; 22 - Grimaldi.

de façon irrésistible. Bon nombre des points où ils fixèrent leurs sites,
réunissaient forêt et fleuve, gibier et poisson, eau et bois, rocher et
galets. Voilà de quoi brosser purement et simplement le tableau
naturel de Lepenski Vir.

Ce n'est pas trop simple, il est vrai, mais de tout ce tableau se


détache l’image des temps où les Cro-Magnon oberkasseliens arrivés
sur le rivage d’un site très à leur goût, bâtirent les premiers habitats
de Lepenski Vir, à une époque où leur race était déjà en déclin, et
122 ARCHITECTURE SACREE

alors que vers -6000, les « Nordiques » allaient s'affirmer un peu


partout sur le continent. Cela justifie leur isolement. Leur figure à
part. Déjà aux débuts de leur site tellement extraordinaire, ses
bâtisseurs constituaient un vrai fossile chronologique en comparaison
avec les autres, si jeunes, et qui faisaient effectivement leurs débuts
réels dans la vie de l'Europe.
L'isolement historique et géographique qui s’ensuivit favorisa
les plus anciens, créant une différence de civilisation à leur avantage.
Ce qui fit que les Cro-Magnon fixés à Lepenski Vir brillèrent dès le
début, face aux autres, moins civilisés, qui les entouraient. Leur
présence sur le Danube — bientôt submergée par des hommes de
type méditerranéen, et justifiée par le mouvement des peuplades qui,
dans le continuel remue-ménage de la préhistoire, suivaient un
chemin allant du Nord vers le Sud, du Nord-Ouest vers le Sud-Est et
parfois du Sud-Ouest vers le Nord-Est — représentait quelque chose
de normal pour l’époque.
L'apparition même des gens de type méditerranéen dès la
troisième grande phase de la civilisation locale est, elle aussi,
facilement explicable, tout comme il est aisé de supposer que les
migrations d’origine anatolienne — telle celle qui fit traverser le
moyen Danube à des hommes en provenance du nord de l'Asie
Mineure et qui dut se traduire par des influences réciproques —
connurent au moins une station de relais à Lepenski Vir.
Enfin il faut voir aussi — dans l'épanouissement premier et les
développements ultérieurs de la civilisation de Lepenski Vir — une
vieille séquence du mouvement qui, si l’on suit les idées récemment
lancées par l'Anglais Colin Renfrew, avait transporté vers les régions
sud-est européennes, vers la Grèce et vers le Proche-Orient, certaines
lumières en provenance du Septentrion.
Cet autre aspect du problème est trop important pour le
négliger. Abandonnant aux spécialistes l'analyse minutieuse des silex
et des poteries retrouvés aux divers stades de développement du site,
et même l'étude des ossements humains recueillis à l’occasion des
fouilles, revenons à la géométrie pour parler encore. carré et
triangle.
CHAPITRE IV

Dieux, triangles, monuments

«Abandonné par l'art profane, le triangle


maintient dans le culte son sens sacré. Les
monuments triangulaires... en témoignent. »
W. Deonna

Lorsque Boèce se mit à commenter les sources de la géométrie


des platoniciens, il souligna que pour eux, la première des surfaces
était bel et bien le triangle, suivi en second par le carré et en troisième
par le pentagone.
mais dire triangle, carré, pentagone ne signifie-t-il pas
compter : trois, quatre, cinq?
En effet, ce n'était qu’une soumission à dessein des grands
nombres élus, ces mêmes 3, 4, 5, au joug inconditionnel de la
géométrie, elle-même sacrée aux débuts des temps, de ses propres
temps.

L Commençons par le triangle

Pour les Anciens, le triangle équilatéral, le plus parfait des


triangles, était aussi la base de la formation d'une pyramide et
représentait à travers sa perfection numérale, implicitement acquise,
la divinité, la suprême harmonie, le signe même de la perfection.
Toute génération s’accomplissant par l'opération sacrée de la
124 ARCHITECTURE SACREE

division. l'homme même, est le résultat d’une diminution par partage


en deux de ce même triangle équilatéral; de même l'homme
correspond — sur le plan de la magie des formes-nombres et de la
numérologie des Anciens — à un certain triangle rectangle.
La terre même — et ce sera Platon
qui le dira plus tard dans son Timée —
est représentée en symbole par un
triangle rectangle. Mais Platon ne
faisait — cependant — qu'hériter des
formes, des signes, des significations.
Symbole cosmique, le triangle
marqua au tout début les têtes d’ani-
maux, à côté des images des astres. La
présence de sa figuration sur le taureau
de Tric el Beïda, en Algérie, pourrait en
servir d'exemple.

L'association triangle-taureau est étroitement liée au symbo-


lisme céleste du triangle. Animal cosmique, représentant privilégié
du ciel, dans lequel la mythologie le plaça aussi sous forme de
constellation, une des douze qui constituent la ceinture zodiacale, le
taureau est particulièrement lié au Soleil, à la Lune et aux étoiles et
bien souvent aussi à la foudre. Les rapports entre les astres et le
triangle et surtout ceux qui relient le triangle à la foudre, arme des
dieux cosmiques, firent qu'on rencontre bien souvent taureau et
triangle dans le cortège des représentations des dieux tels Mardouck
babylonien, Jupiter Dolichenus romain ou Dionysos grec sinon aussi
thrace. Toujours à partir de là, la forme triangulaire du menat, la
pendeloque de la déesse vache Hathor des Egyptiens ou les triangles
de fer, incrustés sur le corps d’un taureau de bronze découvert en
Moravie à Byciskala et datant de l’époque du fer. Par ailleurs, on
avait dressé des monuments triangulaires en l'honneur du taureau.
Tel celui du dieu Ba’al Tars de Cilicie, représenté debout sur un
taureau, et abrité par un édifice triangulaire et posé lui-même sur un
socle triangulaire.
Même en Amérique — apparemment isolée du reste du monde
ancien — le triangle est présent sur les rochers ; bon nombre de
représentations rupestres le contiennent. Ainsi les gravures-dessins
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS 125

/ /
A
ANT
o / [LL
9 Lune, triangle équilatéral et
svastica Tric el Beida (Aigérie),
selon Frobenius.

de la célèbre Piedra Pintada de la Guyane brésilienne signalée depuis


1910 et décrite en détail, en 1950, par Marcel Homet, comportent soit
des triangles emboîtés à base commune, soit des triangles placés tête-
bêche.

Représentant à la fois le Soleil et le germe nourricier du mais, le


triangle des précolombiens américains témoignait aussi pour le
principe de la fécondité. Certains des signes rupestres américains
contiennent des figurations géométriques annexes, où le triangle ne
saurait manquer.
Sur la Piedra del Collegio de Tunja
(Boyuca) en Colombie, la Piedra Gorda du
même pays, les rochers des berges du Rio
Ramiri tout comme à Æl Vinculo, les
combinaisons du triangle se retrouvent
toujours pour figurer la tête de l’homme ou
Piedra Pintada du singe (el mono). Parfois les mêmes
formes issues de la triangulomanie sacrée
des locaux se retrouvent dans la forme de la
| section des puits, rituels ou non, forés dans
| le sol de telle ou telle enceinte sacrée
| (d'habitude au sommet d’une colline). Cela
correspond à une coutume mondialement
répandue.
126 ARCHITECTURE SACREE

Mais l'Antiquité connut — aussi


et surtout, et c'est de la plus grande
importance — le plan en triangle,
parfois depuis des temps immémo-
riaux. En voici un exemple... parisien,
celui d'une vieille découverte fortuite,
relatée dans ses papiers personnels par
le savant académicien chimiste Jean
Hellot (1685-1766). Il écrit :
« Lorsqu'en 1758 on a fouillé le haut de
la rue Saint-Jacques pour y faire les
fondements de la nouvelle église de
Sainte-Geneviève, on a trouvé des puits
Eloono profonds de plus de 60 pieds et au fond
quelques galeries. où on a trouvé
beaucoup de poteries rompues.. Il y a trois de ces puits en triangle,
simplement séparés par une épaisseur de terre d'un pied et demi ou de
deux pieds sans maçonnerie et sans qu'il parüt aucun indice de
cuvelage en bois. Ces séparations s'étaient cependant soutenues
pendant plusieurs centaines d'années (1). M. Souflot, célèbre
architecte nommé par le roi pour conduire la construction de l'église,
a fait remplir tous ces puits et galeries d'une bonne maçonnerie en
pierre pour pouvoir fonder solidement. »
En dehors de l'appréciation sur l’âge des puits en question —
explicable vu l'esprit de l’époque — la description s’y rapportant,
témoigne de l'existence sur la colline de Sainte-Geneviève à Paris
d’un site très ancien, honoré lui aussi par le même engouement de ses
bâtisseurs pour le trois et le triangle.
Plus jeunes, de remarquables édifices religieux et aussi militaires
au plan triangulaire s’élevèrent ici et là, à la gloire de la même
vocation sacrée et bénéfique du triangle.
Ainsi un célèbre monument romain, le temple des dieux syriens
du Janicule, édifié au If" siècle de notre ère, un bâtiment aux bouts
terminés l’un en octogone, l’autre en rectangle, comprend deux autels
triangulaires parfaits (en triangle équilatéral) orientés l’un vers l'Est,
l’autre vers l'Ouest. Le plus grand des deux autels est celui qui pointe

l. Erreur d'appréciation chronologique explicable à l'époque où on se tenait


encore, quant à l’âge du monde, aux chiffres avancés par la Genèse.
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS 1227

ECHELLE
(ER
TER DE AU

Temple des dieux syriens du Janicule de Rome.


A : Sanctuaire octogonal oriental
c - enceinte octogonale ;
at - autel triangulaire ;
b - sanctuaire de Bacchus.
B : Sanctuaire occidental, rectangulaire
s - enceinte de l'autel triangulaire.
128 ARCHITECTURE SACREE

vers l'Est: il dispose également d’une bordure, elle aussi toujours


triangulaire, tandis que l'autel de l'Ouest est plus petit et plus simple.
Le monument du Janicule, étudié par les Français Nicole et
Darier dès 1905. est certainement jeune. De ses trois constructions
constitutives et superposées, la plus ancienne date du milieu du
1e" siècle de notre ère, la dernière est vraisemblablement celle à
laquelle il faut rattacher les autels triangulaires, et provient à peine du
[VE siècle de notre ère. Néanmoins l'autel — en fait une sorte de
caveau triangulaire aux côtés égaux, à la base tournée vers l'intérieur
et pointée vers l'extérieur — est un monument symbolique dont la
tradition est ancienne et qui est dans le fond consacré à une déité de
très grande ancienneté. En effet, au milieu du caveau, dans une cavité
de forme rectangulaire sous trois tuiles qui la recouvraient de façon
hermétique se trouvait la statuette en bronze doré du triple dieu du
TEMPS éternel, du MONDE et du TOUT. Figuré nu et entouré d'un
serpent, le dieu en question s'appelait Aïon et il était aussi le dieu du
PASSE et de l'AVENIR (le temps sous ses trois aspects). Cet Aion
était d’ailleurs assimilé, chez les Romains, à la triple Hécate (qui,
représentée sur des autels triangulaires, était à son tour tricéphale),
déesse elle aussi du temps éternel.

a) Quand le Soleil est un triangle


L'abondante utilisation du triangle et du nombre trois dans les
éléments de construction et de décoration des temples des dieux
orientaux, comme celui des dieux syriens du Janicule de Rome, a été
parfois rapprochée des signes et symboles analogues concernant
certains sanctuaires et représentations d’un autre dieu oriental —
relativement tardif — Mithra, dieu solaire bien souvent triple lui
aussi et désigné par l’épithète grecque Triplaios, dont le sens trinitaire
est absolument éloquent.
On a rattaché cette autre triplicité qui ne représentait dans le
fond que les trois moments ou étapes essentiels de la course diurne du
Soleil (levant, zénith et couchant) à des sources babyloniennes. On
sait que le sanctuaire mithriaque de la via del Salute à Rome
comportait à côté d’une pièce carrée une autre pièce triangulaire où
l'on vénérait les plus illustres adeptes du culte solaire. Partout,
comme à Heidelberg en Allemagne, ou à Spoleto en Italie, les
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS 129

mithraeum, sanctuaires du dieu Mithra, contenaient au moins des


plaques sinon même des autels (ou purement et simplement des
pierres d’adoration) triangulaires, dont les uns, comme la pierre de
Chesterholm (Angleterre), portaient gravés des symboles célestes
(roues, croix, croissants et coqs).

b) Le triangle et la force
Il y a même plus, comme le grand trois est en premier le grand
tout, la notion de perfection, de sacré suprême, se traduisit aussi SUr
le plan des rapports de force, supposés par l'exercice de la guerre.
On fit du triangle marquant le trois de l'enceinte symbolique sur
le terrain, le signe de l’invulnérabilité. D'où la présence du triangle
parfait, équilatéral dans le plan de certains travaux militaires. Un
triangle qui parfois est hérité si l’on choisit de bâtir la forteresse sur
les soubassements de l’ancien sanctuaire triangulaire, ou qui est
choisi à dessein pour constituer le support « magique » d'une
forteresse « parfaite » donc « imprenable ». Dans ce dernier cas, le
triangle est crypté, noyé dans les détails du plan, mais il ressort dès
qu'on le regarde avec un peu plus d'attention.
Ainsi, en Yougoslavie même et à peine à quelques kilomètres de
Lepenski Vir, à Bosman, sur le Danube, on a récemment mis à Jour
une forteresse romaine, et par la suite paléobyzantine, dont le dernier
stade de construction datait du VI* siècle de notre ère et dont le plan
était rigoureusement triangulaire. Les dimensions réduites de ce point
de soutien militaire pratiquement imprenable, car d'accès très
difficile, vu aussi l'emplacement dans le terrain rocheux (des côtés de
50 mètres), peuvent suggérer l’idée que les Romains, qui d'habitude
bâtissaient leurs points de soutien militaire selon un plan rigoureuse-
ment carré, ont probablement utilisé des soubassements déjà en place
et certes, triangulaires.
L'idée du triangle caché dans les entrailles du plan d'une
forteresse imprenable se retrouve d'une façon impressionnante dans
le trapèze irrégulier du plan du célèbre château de Coucy dans le
département de l'Aisne, un repaire militaire du Moyen Age dont pas
même les destructions à dessein des deux guerres mondiales (1917 et
1944-45) n’ont pu entièrement venir à bout. Le constructeur du
château au donjon imprenable, Enguerrand III de Coucy (construc-
ARCHITECTURE SACREE
130
devise
tion du château entre 1225 et 1230), l'homme dont la fière
ne comte aussy : je suis le sire
était : « Roy ne suis, ne prince, ne duc,
bâtir sa forteres se selon un plan où la présenc e
de Coucy », avait fait
parfait ne pouvait pas ne pas jouer un rôle « magique » ;
du triangle
bases du
la position du donjon même, au beau milieu d’une des
triangle, en témoigne.
ou
Sans plus nous attarder sur d’autres monuments triangulaires
motif fréquent depuis la période
fortement marqués par le triangle,
néolithique et à travers les âges du bronze et du fer jusqu'a l'époque
jusquà
gréco-romaine, pour se retrouver au Moyen Age et arriver
nos jours, nous devons souligner que partout où il est utilisé, il
ent propre à telle ou telle
n'appartient pas en tant qu'élém
n
civilisation. Il est partout le signe venu de loin d'une traditio
ancestra le se rattacha nt au trois magique et mystiqu e, à la triade et à
la triplicité absolue des premiers temps...
Quels premiers temps et où ?

c) D’où vient le triangle ?


Pour le grand spécialiste des anciens monuments triangulaires
que fut W. Deonna (2), certaines des associations concernant le
triangle dénotaient une influence orientale surtout au premier âge du
fer. Orientale, voire assyro-babylonienne ou sortant même d’autres
lieux du Proche ou du Moyen-Orient.
En serait-il ainsi ?
De nos jours, on peut déjà remonter le courant et se demander si
la diffusion du symbole triangulaire et des notions sous-jacentes qui
l’'accompagnent en Mésopotamie (d'où l'aurait pris le monde
méditerranéen, selon certains spécialistes déjà démentis par les plus
récentes découvertes) ne prend pas une de ses sources au Caucase.
Au Caucase et à une époque très reculée qui fut celle du splendide
épanouissement de la civilisation métallurgique de Medzamor
(actuelle Arménie russe).
En effet à Medzamor, et datant d’une époque qui précède le
grand usage du triangle chez les Assyro-babyloniens, sur le fameux

2 W. Deonna. la Niké de Paeonios de Mendé et le triangle sagré des


monuments figurés (Bruxelles, 1968, p. 65-117).
A - Plan de la forteresse
romaine et byzantine de
Bosman sur le Danube
(Yougoslavie).

> - Plan du château


de Coucy.
EACARAMIOUrSSONME
mets du triangle;
G : donjon.
132 ARCHITECTURE SACREE

« rocher étoilé » qui dominait le site, des signes d'ordre géométrique


et astronomique témoignent d’une symbolique régie elle aussi par le
trois et le triangle (à côté du sept).
Il s'agit d’une sorte d'observatoire astronomique — à l'air libre
—— composé de trois plates-formes successives, dont la première en
forme de triangle au sommet orienté vers le Sud (3) porte sur son
côté oriental des incisions représentant des astres. La plate-forme
suivante, située à moins de trois mètres de hauteur, garde
l'orientation de la précédente. Un escalier ouvre l'accès, toujours par
le Sud, domaine de la porte dans les anciennes traditions du Moyen-
Orient, à la troisième et dernière plate-forme décorée elle aussi
d'incisions représentant des corps célestes, plus abondants du côté
méridional du rocher. En dehors des étoiles figurées sur le rocher,
des dessins géométriques — autant d’autres symboles et parmi eux
des triangles — figurent sur les faces décorées du rocher. On est
même tenté de se demander s’il ne s’agit pas d’une sorte d'écriture
sacrée manifestée à travers toutes ces notations (4).
L'étude des lieux avait abouti à la conclusion que l'ancienneté
du site remonte au troisième millénaire avant notre ère et que sa
construction peut être mise sur le compte d'une très ancienne
peuplade de forgerons de type atlanto-méditerranéen (type gardé
encore par les Géorgiens occidentaux du Caucase), à évidentes
ascendances cromagnoniennes...

Cela d'autant plus que les progrès techniques de la fabrication


des métaux à Medzamor, enregistrés depuis le III millénaire,
supposent une période « d'apprentissage » local ou autre qui fait
remonter les souches premières de cette civilisation mal connue et les
pousse encore bien plus loin dans le passé. En ce cas, la seule filiation
qu'on pourrait lui chercher devrait se trouver sur le chemin qui mène
à l’origine de ses « triangles » et autres figurations symboliques...
Confirmant la vocation astronomique et astrologique du
triangle, ce plus ancien monument astrologique et astronomique

3. Dans toutes les traditions nordiques, les dieux regardent — tout comme
chez les Egyptiens — vers le Sud, ayant l'Orient à leur gauche.
4. Malheureusement lors des études et surtout des relations publiées sur ce site,
on accorda trop peu d'importance aux recherches qu'auraient dû impliquer, toutes
ces figurations symboliques.
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS 133

connu (5) et qui fut vraisemblablement l'expression d’une des sources


de la diffusion de tels monuments vers le Proche et le Moyen-Orient
(6). le sanctuaire à plan triangulaire de Medzamor, nous fait penser
de façon irrésistible à Lepenski Vir, où le triangle exprimait l’espace,
le monde. le sanctuaire mais aussi la maison de l'homme, dès qu'on
le séparait de son ciel, de son au-delà, le petit triangle du sommet
pour en faire le trapèze de la vie quotidienne.

2. Du «parfait » au « plus beau »..


Tout ce qu'on a dit sur le triangle est bien valable quant à ses
aspects immuables concernant la symbolique des débuts. Dès qu'on
entre
le bouge, ce même symbolisme se met en marche pour —
autres — définir un couple. Un couple représent ant à la fois
et compléme ntarité, un couple qui finit par figurer, à
contrariété
travers sa dualité, les essences des sources du mouvement.
Cette fois-ci, il ne s’agit plus du simple triangle équilatéral
sommet en haut, glyphe du rayon sacré du Soleil et du germe du mais
chez les Mayas, ni du fétiche dressé par les personnages peints sur la
céramique du Suse, ou du symbole du dieu Mardouk sur le célèbre
caillou Michaux : non plus du triangle équilatéral — lame de pierre
même
triangulaire et signe de la foudre chez les Babyloniens — ou au
titre, de la tête triangulaire des idoles cappadoc iennes décrites par
question d'un double jeu de triangles, le
Georges Contenau. Il est
posé sur la verticale, l'horizontale ou même en
double triangle
(7).
parallèle, sommets opposés ou bases collées, sinon se continuant
mâles
I1 faut encore remarquer les têtes triangulaires des idoles
femelles ) des stèles punique s et par dérivat ion aussi les substituts
(et
constituant la
phalliques en bout de cône, ou en triangle équilatéral,
s menhir s du monde méditer ranéen.
partie supérieure de certain

usine rupestre où on a
$. Un monument qui dominait en fait une véritable
un processu s d'affinag e afin d'arriver à
surpris pour la première fois dans l'histoire
s.
la séparation des divers métaux et substances minérale
culte des astres, adoraient la
6. Les Sabéens de Mésopotamie, pratiquants du
{riangul aires. La division habituellement tripartite
déesse Vénus dans des temples
tradition architec turale du triangle.
des anciens sanctuaires confirme la même
7 G. Contenau, Syria (1927, pl. XLIV. a).
134 ARCHITECTURE SACREE

Ciel et feu,
flamme

Cœur Ensemble (losange),


Foudre du père des
dieux

Quant aux deux triangles s’accolant par leur base, la signification de


celui d'en haut portait sur le créateur divin et le mont, celui d'en bas
représentait l'humain et la caverne. De là, le triangle supérieur
devenait le signe de l’attribut phallique (le linga chez les hindous), le
symbole de la génération du mouvement, tandis que le triangle
inférieur demeurait la matrice (le yoni des hindous). Le triangle
supérieur fut ensuite confondu — chez les mêmes hindous — avec
PURUSHA. avatar de Shiva, celui d'en bas représenta Prakriti, le
symbole du repos... et on pourrait continuer.

a) Signes et kabbale de symboles


En définitive, présent comme symbole du tout, de l'homme, de
la femme ou du monde, c’est le même triangle qui à travers une
fabuleuse carrière religieuse se retrouve pour exactement les mêmes
représentations allégoriques dans les actes et l’iconographie du rituel
chrétien. Une présence tout aussi significative, dans l'iconographie de
la kabbale alchimique, ne fait que dénoncer d’autres rapprochements
plus troublants encore entre l’image figurée du Tout, celle de la
Vierge chrétienne ou celle du Grand Œuvre alchimique.…. Des
images qui toutes prennent leur envol de cette source première qui
fut le triangle parfait, superlatif absolu (8) et Univers, car grand
TOUT à la fois.
C’est ainsi que le triangle, présent à Lepenski Vir, pour la
première fois, par ordre d'ancienneté, voyagea à travers toute

8. W. Deonna. rois, superlatif absolu... in Antiquité classique, X XIII (1954,


p. 403-428).
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS 155

l'histoire ancienne en tant que symbole essentiel, tout en se taillant la


meilleure carrière dans l'architecture sacrée.
Insister sur le caractère cultuel de ce triangle à Lepenski Vir, ce
serait enfoncer des portes ouvertes ou nous répéter de façon inutile.
Bien d’autres civilisations postérieures en ont fait le même usage. Le
plus souvent pour y renfermer l'endroit sacré du foyer.
Isha Schwaller de Lubicz, qui a très bien compris l'Egypte, et de
toute façon mieux que certains spécialistes, exclusivement cantonnés
dans l'appréciation matérialiste du message civilisateur des anciens
Egyptiens, écrit dans son livre sur le Temple de l'homme (9) que les
temples antiques (d’ailleurs comme leurs héritières, les cathédrales
chrétiennes du Moyen Age) demeurent essentiellement des Livres

Céramique de Suse

à travers leur
parlants soit à travers leurs ornementations, soit
Or dans cette archite cture — si élaboré e et si calculée
architecture.
Egyptiens —
dans l’ordre des choses divines et humaines des anciens
façon ineffab le sur les portes
le triangle équilatéral se projette d'une
une suite impress ionnant e. Une suite qui
mêmes des sanctuaires dans
le triangl e isocèle vers le carré, de celui-ci au
passe à travers
one. Il s’agit d'un
pentagone, pour déboucher à la fin sur l'hexag
dynamique à
enchevêtrement dont pas même le fameux trapèze
ouverture de 60° ne manque ra.
du Sud à
EXEMPLE : la porte du temple de l'homme Apet
Schwal ler de Lubicz).
Lougsor (salle XII - dans le dessin que donne

9. Dervy-Livres (Paris).
136 ARCHITECTURE SACREE

Monts-triangles (Bateau symbole de Homme portant des poids géomé-


la métropole du 1 nome de la Haute- triques (Lepsius) de forme triangulaire
Egypte). (Flinders Petrie). (conique).

Coincidence voulue du cercle circonscrit à la section de la grande pyramide et de


sa chambre intérieure centrale, mais aussi « jeu » du 3 et du 4.
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS 137

\te

Surimpression du trapèze à ouverture de 60° sur l'étude géométrique faite par


E. C. Kielland d'une statuette d'Osiris. La statuette répond tout aussi bien à la
symétrie du triangle équilatéral raccourci.
ARCHITECTURE SACREE
138
il
Présent sur les peintures et les bas-reliefs égyptiens, quand
de décor des
s'agissait de figurer la montagne, élément habituel
« pouvoir
massues des dieux, le triangle équilatéral trop parfait pour
se révolter pleinement » céda sa place au triangle isocèle.

Caillou Michaux
symbole de Mardouk-homme idole cappadocienne
dans l'œuvre et dans l'art (d'après G. Contenau)

Cela se passa en Egypte, tout comme cela s’était déjà passé à


Lepenski Vir, d'abord en tant que symbole, ensuite comme élément
de décor sinon même de mesure.
Toute sculpture égyptienne demeure imprégnée de cette
véritable magie du triangle, rencontrée dès qu'il s'agissait de vouloir
placer l’homme dans l’œuvre, et par-cela même, l’œuvre dans l’art.
L'étude d'Else Christie Kielland sur la géométrie dans l'art
égyptien (Londres, 1955) révéla la passion des anciens Egyptiens
pour le calcul des volumes et des surfaces de leurs représentations
plastiques. Il s'agissait là d’une coutume s'exprimant en grand par le
truchement des relations entre le cercle, le triangle isocèle inscrit dans
le cercle, des triangles rectangles et parfois seulement des triangles
équilatéraux. Certaines de ces relations concernèrent de très près les
pyramides. ;
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS 139

Triangle équilatéral et trapèze


à ouverture de 60° dans le
tracé régulateur d'un chapi-
teau de colonne (France, Sel-
les-sur-Cher).

C'était la kabbale de symboles dont parlait Alexandre Varille,


une kabbale rencontrée en fait également à Lepenski Vir et qui,
passant à travers les âges devait s'arrêter sur le parvis des grandes
cathédrales gothiques, comme par exemple à Amiens ou à Reims,
cela pour ne plus parler de la présence manifeste du triangle
équilatéral, du trapèze dérivé de lui par l'’amputation du sommet aux
trois quarts des côtés latéraux et de tout ce que la géométrie « sacrée »
cryptée dans les plans et les élévations de tels bâtiments pouvait
représenter.

b) Triangle, folklore et alchimie


La marche du triangle parfait à travers les âges ne se manifeste
pas seulement dans la survie d'un rapport de dimensions, d’une
figure, d'une présence plus ou moins noyée dans la masse d’autres
détails d'un monument ou dans telle ou telle forme ou décoration
d'objet usuel ; elle continue, pour véhiculer parfois des formes déja
sans contenu réel dans le domaine du folklore et même dans celui de
la religion si ce n’est dans les deux en même temps. C'est ainsi qu'en
Provence, présentement encore à l'occasion du pèlerinage de la
Sainte-Baume, les jeunes filles font des « castelets », voire de petits
châteaux en pierre... Non, bien sûr ce ne sont pas des constructions
140 ARCHITECTURE SACREE

des
à... donjon et murs d'enceinte, ce sont purement et simplement
dispositions de 4 pierres, dont trois en triangle et une au milieu...

Les études entreprises par des spécialistes comme Vellay sur


certaines fêtes de l'Orient antique ont permis de retrouver le sens
exact des « castelets » de Provence. Leur triangle symbolise la déesse

de l'amour et de la fécondation (Astoreth au Proche-Orient ancien) et


la quatrième pierre n'est rien d'autre que le phallus de Thamouz,
l'Adonis générateur de ces mêmes contrées. Mais les castelets de
Provence, tournant les regards vers la chaste et pure symbolique
chrétienne de la Vierge, se recoupent avec les propres représentations
sacrées de celle-ci. Ainsi, si nous restons aux seuls sceaux de l'église
(par exemple ceux de certaines communautés orthodoxes grecques et
les exemples abondent), ou si l'on examine les pistorniks, sceaux
pour marquer le pain bénit, l’hostie, ou pour servir la Sainte-
Proskomidie, dans la même Eglise chrétienne orientale, nous
retrouvons le triangle équilatéral pour figurer la Vierge. Parfois ce
triangle équilatéral porte inscrit dans son intérieur un autre triangle,
sommet en bas, classique symbole sexuel et à la fois, lui aussi, signe
sacré de la même Vierge. Marie, mère de Dieu et Astoreth, déesse de
l'amour païen, alliées par la tradition d’un même signe !

Epanoui dans la symbolique des quatre éléments (autant de


triangles, organisés par paires, barrés ou non, sommet en haut ou en
bas), le triangle servit aussi à symboliser le Grand Œuvre alchimique.
Il marqua le but suprême des Adeptes, celui de la transmutation et
Ÿ M
1. Pistornik (Eglise orthodoxe, Rouma- Il. Sceau de l'Eglise (de la commu-
nie) nauté chrétienne, Grèce)
V - symbole de la Vierge V - symbole de la Vierge
A - les neuf groupes des anges du - les neuf groupes des anges du
ciel ciel
S - sceau du Christianisme S - sceau du Christianisme
R - endroit du roi (chef) R - les 12 rayons du Soleil
C - endroit du chef de l'église
V - vivants
M - morts

AT
ll. Dessin manuscrit de G.W.F. Hegel (1770-1831) pour illustrer le contenu
religieux mystique du triangle équilatéral
SC - signes cabalistiques
SA - signes alchimiques
142 ARCHITECTURE SACREE

parfois, il fut aussi le symbole de la Pierre philosophale. Nous ne


pourrions oublier la glorieuse traversée qu'il fit dans le monde des
fiches de pierre que furent les mégalithes. Symbole d'un problème,
quand il représentait sous cape le futur théorème de Pythagore,
comme à Crucuno, en Bretagne ou objet d'orientation, comme dans
la vallée de Suse en Italie, sous sa forme régulière de triangle
rectangle ou légèrement isocèle dans les observatoires et hauts lieux
d'orientation. le triangle provient toujours de la même très ancienne
source traditionnelle.
Pour revenir au triangle parfait, présent dans le plan ou dans
l'élévation, en ce qui concerne les éléments architecturaux propre-
ment dits, le triangle équilatéral et par-cela même le trapèze à
ouverture de 60° sont toujours manifestes et manifestés. Il s’agit
d'une présence voulue, précisément recherchée et qui joue un rôle
dans le message intime et matériel du bâtiment.

c) Les cathédrales et le triangle


Georges Dehio, professeur à l’université de Strasbourg, avait
étudié, dès 1894, le rôle du triangle équilatéral dans les proportions
architectoniques des grandes cathédrales gothiques (10).
La présence du triangle équilatéral et du trapèze à Reims ou à
Amiens démontrent la persistance — à travers les âges — de ces
symboles de l'architecture sacrée proposés à l'Histoire par les gens de
Cro-Magnon, qui les firent — les premiers — entrer dans l'aventure
humaine des techniques de construction. Et puis, combien de fois
cette même présence ne se retrouve-t-elle pas dans l'œuvre de
l'architecte moderne qu'il soit conservateur ou audacieux, mais qui
lui aussi personnifie l'homme dans ce qu'il projette et ce qu'il édifie.
Tout comme l'a bien démontré A. Grenier, l'importance des
nombres et des figures qui répondaient autrefois à la valeur mystique
de certains nombres et de certaines formes « dont les constructeurs de
l'Antiquité et même du Moyen Age étaient profondément imbus », et
la beauté des édifices portant leurs marques ont déterminé leur
renouveau dans le subconscient du talent des bâtisseurs modernes.

10. G. Dehio, Untersuchungen über das Gleichseitige Dreieck als, norm


gotischen Bauproportionen (Stuttgart, 1894).
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS 143

Espace sacré triangulaire de la vallée de Suse (Italie)


À, B, C : menhirs marquants
S : axe de symétrie
(Dessin de notre ami et correspondant Mario lacomussi.)
144 ARCHITECTURE SACREE

À | ÿ prSE

S. Petronio de Bologne
C
Cathédrale de Pise
ARCHITECTURE SACREE
146
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Eglise Schotten de Regensburg

Tout de même, si le triangle équilatéral était censé être le plus


parfait, cela ne signifiait pas que pour les Anciens il était aussi le plus
beau.

d) Notes sur un certain triangle


Le plus beau des triangles, celui qui — selon Plutarque —
représentait chez les anciens Egyptiens le TOUT UNIVERSEL, était
un triangle rectangle, un certain triangle rectangle. Un triangle qui
comportait une partie verticale de 3 longueurs (élément mâle), une
partie horizontale de 4 longueurs (élément féminin) et une partie
inclinée de 5 longueurs, ce qui revenait à exprimer d’une autre façon
la vérité, déjà si vieille, du futur théorème de Pythagore :
GA ENAE=S SE
Le plus beau triangle était une figure spéciale et déjà connue,
même s'il devait être lancé par Pythagore sous son propre manteau
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS 147

Vision de l'au-delà, ouverture vers le ciel et véritable essai d'aboutir à la beauté


céleste, l'icône chrétienne (orthodoxe) qui est aussi une porte de la lumière,
correspond en tout au « triangle parfait » qu'elle représente (chez les Slaves on
place l'icône dans le beau coin lui aussi triangulaire de la pièce - krasny ugoli chez
les russes). Données de symétrie et arithmogéométrie de l'icône du prophète Elie,
Chef-d'œuvre de l'Ecole de Novgorod du XVI® siècle Galerie Tretiakov -
Moscou).
148 ARCHITECTURE SACREE

géométrique, des millénaires après sa « découverte » et son utilisation


par les hommes des mégalithes, qui, parfois — comme on l’a vu en
Bretagne à Crucuno — marquèrent les dimensions de principe dans
le dessin de leurs alignements de fiches de pierre.
Néanmoins il faut dire que — et malgré les affirmations se
prétendant « sûres » de certains auteurs classiques tels que Cicéron
(en l’an 50 de notre ère) qui attribuèrent la création traditionnelle des
rapports numériques révélés par les côtés du triangle rectangle aux
pythagoriciens — des données bien vérifiées font état de l'usage
desdites relations non seulement avant Pythagore et les siens, mais
aussi en dehors du monde gréco-européen.

L'expression 42 + 32 = 52 était connue en Inde et en Chine


bien antérieurement, même si elle fut exprimée par écrit en ces pays
avec un très grand retard. Ainsi le Chou Pei Suang Ching, ouvrage
classique chinois du III* siècle avant notre ère, traite des rapports
entre les carrés de 3, 4 et 5 (11). Il est à ajouter que dans ces mêmes
régions du monde, la symbolique du trois et du triangle avait connu
le même grand usage traditionnel qu'en Grèce antique et au Proche-
Orient classique (12).
Néanmoins pour trancher sur l’antériorité de l'usage de la
somme des carrés de 4 et de 3 sur le modèle grec ne doit-on pas se
rappeler que la relation 42 + 32 = 52 est présente dans le texte du
papyrus Kahun rédigé, semble-t-il, à l'époque de la XII dynastie
(c’est-à-dire vers l’an 2000 avant notre ère) ?

11. D.M. Bose et collab., À Concise History of Science in India (New Delhi,
19H] pD SO):
12. En Chine ancienne le nombre limite inférieur pour définir les facteurs de
troubles (dans le sens de «plusieurs ») correspondait au caractère 7chong
(signification : mürier, symbole graphique : 3 mains au-dessus d'un arbre) ou 111
(trois fois l'unité dans la construction littérale du nombre). De nos jours le Tchong
signifie dans l'abstrait : pluralité et dans son expression précise trois hommes (Cf.
Granet, De la langue et de la pensée chinoise, in Revue Philosophique, 1920, I, p. 98
et 106). En Inde, l'acception de la notion Tous (nous tous) commence avec la
présence de la troisième personne. Les trois pas de Vishnou ou de Bouddha qui nous
rappellent aussi les rrois tours effectués à l'île de Crète chaque jour par le géant de
bronze Talos — être mythique à fonction solaire — témoignent de la même tradition
du Trois.
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS 149

e) Pêche et chasse « grâce » au triangle

Si nous avons parlé des Egyptiens dans le contexte de ce plus


beau des triangles, c'est pour rappeler sa présence chez des hommes
qui les avaient — selon la tradition — initiés, les Shemsou Hor, venus
comme nous n'avons pas cessé de le répéter de quelque part de
l'Occident. et, nécessairement — si l’on accepte les données de la
tradition égyptienne — frères aînés des hommes des mégalithes. En
somme, un petit monde qui se réclamait en définitive, tout comme les
gens de Lepenski Vir d'une plus ou moins étroite parenté avec les
Cro-Magnon.

Combien d’agissements de ces incontestables ancêtres ne


faisaient en définitive que transporter en sous-main les symboles qui
devaient permettre à leurs suivants et héritiers, l’utilisation directe,
non chiffrée, non cryptique, de ce que le symbole véhiculait de
pratique, pour le savoir.

Chasseurs et pêcheurs, les Cro-Magnon le furent tout comme les


gens de Lepenski Vir durant toutes les étapes du site, comme les gens
des mégalithes, comme les Shemsou Hor et même les premiers — Si
on peut utiliser le terme — des anciens Egyptiens. Quels sont leurs
rapports cryptiques avec les triangles en question, mis en évidence
exclusivement. à travers d’autres occupations de gagne-pain que la
cueillette ?
Les voilà :
Parlons chasse. Les pièges à gibier où l’hypothénuse du
triangle renforçait du point de vue mécanique la résistance des
cathètes, pour certains dispositifs comportant cette forme et où, bien
souvent, le support du piège qui devait attraper l'oiseau était
confectionné en triangle équilatéral (les trois bâtons des côtés dudit
triangle servant de soutien aux feuilles, ou au foin qui devaient
cacher le mécanisme).
Quant à la pêche ? Qu'est d’autre la pêche dite parfois à la harpe
propre aux mondes grec et danubien, pratiquée aussi sur certaines
côtes de
surfaces d'eau tranquilles — quand elles le sont — sur les
l'Armori que et sur le... Nil ?
1 s’agit surtout de la pêche d’un poisson remarquable, le brochet
et d’un autre, non moins intéressant lui aussi, l'orphie.
150 ARCHITECTURE SACREE

Le brochet, poisson osseux d’eau douce, de forme élancée, armé


de dents aiguës et au museau plat et pointu (première référence,
naturelle, au triangle), entra de bonne heure dans les traditions des
peuples nordiques et de l'Europe centrale et sud-orientale. Le brochet
de la Kalevala finnoise, rattaché au héros Waïnamoiïnen et les
brochets des Balini (légendes) russes en témoignent.
L'orphie est un poisson téléostéen à bec pointu (autre référence
naturelle au triangle) désigné parfois sous les noms de bécassine de
mer ou d’anguille de mer.
Les naturalistes savent que le brochet et l'orphie sont
relativement proches ; certains ethnologues le savent eux aussi, mais
à travers un rapprochement qui en cherche les fondements,
exclusivement dans de très vieilles traditions. En effet brochets, et
surtout orphies, étaient pêchés autrefois « à la harpe »...
Non, ce n'était pas Orphée, dont le nom est tellement rapproché
lui aussi de celui de l’orphie, qui jouait de sa harpe pour enchanter la
famille des orphies, celle des brochets ou autres poissons des grands
fleuves. La harpe en question était un instrument de pêche,
confectionné de trois bâtons de bois, disposés en triangle équilatéral,
attachés par leurs bouts pour former le cadre triangulaire du
dispositif. A l’intérieur de ce cadre, et le plus souvent au centre d’une
ossature suivant les bissectrices des trois angles du support
triangulaire, on montait un bâton à la verticale, auquel on attachait
une voile quadrangulaire (la voile carrée, la première des voiles).
Ensuite on allait à la pêche, en emportant l'engin, qu’on lançait
sur les eaux calmes. Il flottait, amarré, par l'intermédiaire d'une
longue corde, à la main du pêcheur. Le vent aidant, la harpe était
entraînée vers le large tant que la corde le permettait ; une très longue
corde qui portait, tout comme les trois bâtons du cadre, des
cordelettes munies de flotteurs de liège et d’hameçons, attachés à
leurs derniers bouts.
Amarrée à un point fixe la harpe pouvait rester à longueur
d'heures sur les eaux tournoyantes d’un tourbillon.
Les pêcheurs du « firth » de Solway et ceux de la baie de
Morecambe dans la mer d'Irlande, ceux des îles Ioniennes, vus par
Brehm au XIX° siècle, pêchaient encore à la harpe. L’engin pêcheur
multiple fut également utilisé par les anciens Egyptiens tout comme
— parfois sous des variantes plus ou moins rapprochées — par les
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS 151

vieux pêcheurs du Danube et de la Volga. Au Moyen Age les


pêcheurs du lac Neusiedler en Hongrie supérieure en connaissaient
l'usage.
L'’aire de diffusion, la présence de l'instrument dans les vieilles
traditions locales attestent sa grande ancienneté, d’autant plus que sa
forme de base se rattache de façon plus accusée encore que son nom
à la harpe. N'était-elle, cette dernière, à ses premiers débuts toute
triangulaire ?
La harpe à pêcher. le triangle portant le carré sur les ondes, le
ciel soutenant la terre sur les eaux primordiales, le trois portant le
quatre sur la face des temps. Rêévons avec les héritiers des Cro-
Magnon à tout ce qu'ils ont su nous léguer à travers la forme, le
nombre et l’utile.
L'usage correct du plus beau des triangles devint essentiel pour
la civilisation égyptienne, en cela qu'il contenait dans sa confection
même, l’utilisation de l’angle droit, pièce essentielle de l'ABC du
métier d'architecte ou de constructeur-bâtisseur.
En effet, si l’on trace sur le sol à l’aide de piquets et d’un cordeau
un triangle aux côtés égaux à 3, 4 et 5 unités de longueur son grand
angle est nécessairement rectangle.
Sans une manipulation correcte, dans le monde mental du
calcul, et dans la réalité des faits du concept d’angle droit, le plan d'un
temple, celui d’un palais ou d'une pyramide seraient singulièrement
dénués de leur propre géométrie. Vers l'an - 3000 la construction
des
pratique du triangle rectangle avait déjà offert aux héritiers
Shemsou Hor l'usage correct dudit angle.
Certes, le fameux triangle 3, 4, 5 n'était pas le seul... Comme le
, les
démontrèrent, mais bien plus tard, les Salvasoutras hindoues
plus beaux triangles capables
hommes apprirent l'existence d’autres
5, 12, 13
de leur offrir l'angle droit, lors de leur tracé, tels les triangles
OU MTS ou2357. |
Elevant, comme devait le dire par la suite le philosophe grec
des marchands,
Aristoxénès, l’arithmétique au-dessus des nécessités
ent eux-mê mes à des maîtres beaucoup
les pythagoriciens obéissai
Pythago re aurait-il voyagé, comme les racontar s des
plus anciens.
pythago riciens
légendes l'ont affirmé, d'Arabie jusqu'en Gaule ? Les
non seulement
auraient-ils puisé la source première de leur savoir
152 ARCHITECTURE SACREE

dans l'Egypte antique, mais aussi à des vieilles souches carpato-


de
danubiennes ? De toute façon l'arithmogéométrie des gens
Lepenski Vir se retrouve dans certaines tradition s numérol ogiques
que cultiveront, vers les débuts de notre ère, les Daces. Le problème
d'une filiation par des civilisations intermédiaires est trop précoce
encore, pour être débattu (13).

De toute façon, maisons-premières de Lepenski Vir, cathédrales


de Reims et d'Amiens, statuettes d'Osiris et sceau de Salomon —
symbole enchevêtré de la foudre demandée par l'homme et de celle
que Dieu vient de lancer — ou bouclier de David portant l'œil de
Dieu (source du triangle-œil divin des chrétiens), se rattachent tous au
triangle équilatéral, qui lui aussi peut être considéré comme le plus
beau, mais seulement s’il l'est doublement (pour souligner à dessein
qu'il consiste en deux triangles rectangles égaux et accolés).

Sceau de Salomon

Le chemin est bien long (14). Quand Varille, écrivant sur


l'architecture des Pharaons, affirmait que « les œuvres des hommes ne
diffèrent que par leur caractère personnel », et que dès «qu'on

13. Chez les Daces il s'agissait d'éléments d’arithmologie reliés plutôt au


pythagorisme.
14. M. Dumesnil du Buisson, Le Triangle, symbole et idole de la foudre, in
Ethnographia (Paris, février, 1947). >
Cathédrale de Reims
ARCHITECTURE SACREE
154
pas que
approche le sens des choses, tout s'unifie », il ne s'imaginait
double jeu des formes et
cette idée de faire vivre la construction par le
que dans la pensée des gens de la
des nombres. eût son départ ailleurs
vallée du Nil.

Du bouclier de David à l'œil de Dieu

Le plan des habitats de Lepenski Vir démontre, nous le


répétons, qu'historiquement parlant la géométrie sacrée du foyer,
celle de la maison, débuta chez les Cro-Magnon pour se prolonger
par la suite jusqu’au maître d'œuvre de Chartres et autres centres de
la construction « sacrée » gothique, à travers un laps de temps dont
l'époque des constructeurs des pyramides égyptiennes occupe la
période médiane.
Dans ce long devenir d’alpha à oméga — pour parler en termes
sacrés de kabbale et d'Ecritures — l'alpha, ce sont (15) les gens de
Lepenski Vir, à condition qu'on les fasse sortir de leur isolement,
qu'on leur cherche, et surtout qu'on leur trouve, des semblables à

ER —— —

Plan de la cathédrale d'Amiens

15. Au moins jusqu'à ce jour. $


156 ARCHITECTURE SACREE

Ho
ps Osiris
5) 3
Fruit
3 Homme Isi
9 principe SE
fécondant

4
Femme matrice

Parfait Double
« plus beau »

travers l'Europe, dans le grand processus de leur diffusion, car


vraisemblablement diffusion ce fut, de l'Ouest vers l'Est. Quant à
leurs suivants, nous en reparlerons — car, qu'on le veuille ou non, ils
durent en avoir.
Néanmoins, si l’on veut parler lettres, entre alpha et oméga — et
beaucoup plus proche de la première — il y eut aussi DELTA, rien
de plus qu'un triangle...

3. Les mystères du delta grec

S'occupant de la formation de l'alphabet James B. Fevrier


écrivait que : « … L'alphabet qui semblait consacrer le triomphe du
phonétisme intégral est devenu un prétexte pour des spéculations
obscures (16) ». Cela était dû au rôle joué par la magie dans
l'invention et l’évolution des écritures, et par-cela même dans le
devenir historique de l'alphabet. Un devenir qui n'est que la
conséquence des relations intimes entre l’alphabet, la magie et — en
certains cas — la Kabbale.

16. James B. Fevrier. l'Histoire de l'Ecriture (Paris, Payot, 1947). s


DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS ps?

Eléments constitutifs d'un système capable de tout représenter,


les lettres étaient censées en être les symboles. Leur nom même
signifiait — chez les anciens Grecs — fondements de l'Univers.

a) Le triangle et les lettres


Les disciples de Pythagore voyaient dans les 24 lettres de
l'alphabet les 12 paires correspondant aux signes du zodiaque. Pour
eux les sept voyelles symbolisaient déjà les sept planètes classiques
des premiers temps de l'astrologie et de l'astronomie, si noyées
encore par l'astromancie (divination stellaire) babylonienne. Au
commencement de la série, l’alpha c'était le Soleil.
Un tel acheminement de la pensée mena à coup sûr vers la
gématrie, par la transformation des noms des lettres (chacune avait
son nombre), ce qui représentait en même temps un retour à la
mystique par l'interprétation occulte des correspondances établies.
L'étroite parenté des alphabets grec et phénicien est trop connue
pour chercher une autre signification des contours des lettres
grecques que les explications « formelles », c'est-à-dire issues des
formes du tracé desdites lettres, fournies par les prétendus inventeurs
de l'alphabet.
De la sorte, le DELTA, la quatrième lettre, delt chez les
Phéniciens et daleth chez les Hébreux, et qui signifiait littéralement
parlant « battant de porte », devait provenir de l’ancienne forme du
battant de la porte, de l'ouverture de la tente des nomades.
Certes, le battant en question ne fut plus triangulaire dès qu'il fut
appliqué à un autre type d'habitat; il devint rectangulaire.
Néanmoins l’ancienne appellation de la lettre se maintint et permit de
dater l’époque de sa première apparition. Oui, l’analogie delta grec-
triangle isocèle ou équilatéral est due à la forme du pan de peau qui
recouvrait l'ouverture de la tente des nomades, ou même celle des
habitats de certains sédentaires. Lesquels ? On y reviendra...
Cela n'empêche pas que pour certains autres spécialistes, le nom
de la lettre en question provient du terme hébreu DAD — sein de
femme — ce qui nous paraît une analogie formelle moins bonne.
Tous les historiens des écritures s'accordent pour placer
l'apparition des plus anciennes graphies vraiment grecques au
158 ARCHITECTURE SACREE

IX® siècle avant notre ère tout au plus, dans ce sens que, bien que
tous leurs signes alphabétiques n'accusassent pas un émeaséel=
selon certains spécialistes — une même origine, dès le VII siècle
avant notre ère, l'écriture était courante chez les Grecs.

Pour B.L. Ulmann, l'introduction de l'alphabet phénicien en


Grèce se place vers la fin de la période mycénienne, paraît-il, un peu
après le début du XI° siècle avant notre ère. Même si pour la création
proprement dite de l'alphabet grec, la date de -900 est honorable, il
faut dire que certaines lettres comme par exemple tout justement le
Delta et le Pi étaient à coup sûr beaucoup plus anciennes.
Néanmoins, on aurait tort d'oublier l'usage préhellénique du
triangle en tant que signe d'écriture par les Créto-mycéniens et les
Chypro-minoens. Or le triangle (à tige, il est vrai) des Crétois se
rapprochait d'un signe similaire des Elamites du Moyen-Orient, tout
comme certaines présentations de cette même figure, à tige de
soutien, avoisinent le marrou des Babyloniens, signe-image de la
foudre et du ciel.
Les Egyptiens aussi possédaient un hiéroglyphe semblable au
signe mésopotamien pour marquer tout justement la lumière
zodiacale, tout comme dans l'écriture babylonienne le triangle
représentait le taureau sauvage (animal solaire).
Qu'il s'agisse d’un rapprochement du delta grec au symbolisme
sexuel (le triangle du pubis de la femme) qui porte aussi sur la porte
du corps de la génitrice de la race, ou au symbolisme céleste formel,
voire astronomique (la constellation du triangle du ciel boréal,
deltoton chez les Grecs), il n’en reste pas moins que la signification
cosmique et céleste — à certaines retombées astrologiques — est
l’une des plus importantes.
L'ancienneté, bien plus révolue des deux lettres censées
symboliser entre autres choses le monde (la lettre delta) et /a porte de
la connaissance (la lettre pi) ne peut être une simple œuvre du hasard.
Elle est liée à leurs significations d'ordre cosmique (17).
Analysons-les de plus près.

17. Ainsi en dehors du symbole écrit de la lumière zodiacale qui domine le


sens du signe de l'écriture égyptienne, le delta représentait en ancienne Egypte
également le delta du Nil, porte car bouche du fleuve, marquée par ses sept branches
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS 159

b) Le Cosmos dans une seule lettre

La bibliothèque de l’université d'Oxford garde un manuscrit


intitulé les Mystères des lettres grecques. L'auteur est un certain Aba
ou Apa Seba, le père Seba, moine copte qui l'avait rédigé dans sa
propre langue, vraisemblablement en 1393.
Quoique tardif, le manuscrit Oxford n° 123 véhicule un très
ancien savoir répandu par la suite chez les gnostiques, secte
chrétienne dont se réclamait le saint homme qui l'avait rédigé.
Le long et prolixe discours qui s'étale sur les 118 feuillets du
texte se propose de redonner la vraie signification mystique des
lettres grecques qui étaient censées symboliser en fait toutes les
œuvres de la création.
Dans cette description, effarante par ailleurs, des signes de
l'écriture des anciens Grecs, le delta est non seulement l’image de la
sainte Trinité — en raison de ses trois angles — mais aussi le symbole
même de l'Univers.
L'Univers ? Détaillons-le…..
Le bon père écrit : « … ceci représente la création, la figure de
cette lettre à trois angles ; elle est, en effet, l'image qui représente la
création entière. Tout en haut de la lettre est le ciel supérieur ou
firmament. L'espace qui est au milieu, je l'ai marqué pour figurer les
eaux supérieures du firmament ; la ligne qui est au-dessous et qui
s'élève en forme de vote, je l'ai tracée pour figurer le firmament. La
ligne inférieure est le type de la terre qui est en dessous de NOUN ;
elle est en couleur de sang. L'espace au-dessus de cette ligne figure
les eaux du noun séparant les deux terres. Au-dessus, l'intervalle
correspondant à la ligne tracée en couleur verte, est l'image de la
terre cosmique... ))

qui correspondaient sur le plan numérologique aux sept planètes. Le delta grec ou
égyptien mène, comme on l'a déjà entrevu, vers la trinité.. Une trinité ou triade qui
source sur
elle aussi est toujours. une porte (de la connaissance dont elle est aussi la
des mesures, de l'égalité et du jugement). Sous le signe du delta,
le plan de l'équilibre
des vieux
cette trinité devient le symbole littéral du grand dieu triangulaire Thot
et par-cela le
Egyptiens.. Quant au x n'est-il pas une porte surmontée d'une traverse
signe de la porte de la connaissance des choses cachées ?
ARCHITECTURE SACREE
160

Tarrter
KTHCFC nexH

NYOMT NKOOQ
ATECIXH AA N

TU] GI HCNXA ;
Manuscrit d'Aba Seba

Te NToC AC ÊT

TEpPeWAR
ro nr
VOMGVN JM HTe àaTCpà)

ETCAT UT /

Comme le professeur Ad. Hebbelynck de l’université de


Louvain l'avait bien démontré dans une étude portant sur le
manuscrit en question, il s'agissait d'une description cosmogonique
fondée surtout sur les récits de la gnose chrétienne, mais les racines
de cette dernière puisaient bien loin dans la première pensée grecque
qui fut toujours suspecte d’un certain pythagorisme. En effet, seule
l'influence de l’ancienne mystique grecque de cette même lettre delta,
qui par sa forme de triangle équilatéral ou isocèle symbolisait déjà le
tout, peut expliquer l'interprétation visant la cosmogonie, donnée par
le vieux manuscrit copte. C’est ce fout, que le moine copte détaille à
sa façon, sans oublier quand même de placer en son milieu la terre
cosmique et de faire pousser le ciel vers le sommet de la lettre sur le
dessin.
Le moine appelle le sommet de sa lettre visible et invisible à la
fois, un espace similaire à l'arrière du triangle du plan de la maison
type de Lepenski Vir, découpé en triangle parfait, primitif,
probablement pour évoquer l'idée d'espace interdit à toute souillure
par contact humain. Façon d'exprimer un tabou.
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS 161

Domaine exclu car intouchable

CIEL

Lettre du père Plan de l'habitat de


Aba Seba Lepenski Vir

c) Ce x qui est aussi une porte


Quant au Pi, lettre qui eut, en fin de compte, l'honneur de
représenter le «sacré rapport » reliant longueur et diamètre de
n'importe quel cercle, le fait de symboliser en même temps la porte de
la connaissance, nous reporte encore une fois vers ces mêmes sources
grecques de si lointaine inspiration.
I1 suffit de penser un peu à la géométrie de ce Pi. Ne pourrait-on
pas voir là, non seulement une porte symbolique assez bien tracée,
mais peut-être aussi la vraie, car la première de ses formes était
encore un peu en... trapèze ?
ARCHITECTURE SACREE
162
ant les gens
Ii ne faut pas oublier que Pi est aussi le trilithe rappel
égypti ennes, et
des mégalithes, c’est la silhouette de certaines portes
-de-fe r du Danub e (comme
pour parler porte c'est aussi : les Portes
fluvial es de par le monde ) situées en
n'importe quelles autres portes
ité de Lepens ki Vir, ces portes qui prirent leur nom
immédiate proxim
ont laissé la
d'une porte réelle dont les anciens auteurs nous
de lettres en général, un
description (18). D'ailleurs, et pour parler
fait, encore depuis le début de l’alphabet
certain rapprochement fut
du triangl e équilat éral et le fameux adage d'alpha
grec, entre le Tout
plus tard l’apôtre
à oméga des mêmes anciens Grecs, dont s'empara
ypse. Une représ entati on
Jean pour l'immortaliser dans son Apocal
de Berlin figure le chemin du Tout, allant
du Papyrus n° 5025 (1;,)
nt les sept
d’'alpha à oméga par un triangle régulier réalisé en utilisa
ue de haute
voyelles de l'alphabet grec (19). C'était un triangle magiq
ement selon un schéma
antiquité et qui représentait le group
alpha, de deux epsilo nn, de trois éta,
géométrique triangulaire d'un

Fat VIN /X

ANTON TENNIS
N— N— MN
NN
LENS /IN ON OENTIIENREN
y = W = WÙ æ WW Wa W

18. Barrière naturelle constituée par les rochers occupant le lit du Danube, les
Portes de fer correspondaient à un endroit où un étroit couloir taillé par le fleuve
dans la masse des montagnes faisait office de frontière naturelle entre les Carpates
au Nord et les Balkans au Sud. L'accès terrestre — le long de ce véritable détroit —
était assuré autrefois par un sentier longeant son côté nord. Pour interdire le
passage, on y avait installé — selon des anciennes traditions — « une porte en fer »
(Homère et Pindare y font allusion). C'était probablement une interdiction de
passage régie par des droits de péage réclamés par les peuplades riveraines.
19. Dr Georg Stuhlfaut, Das Dreieck, die Geschichte eines religiosen Symbols
s
(Stuttgart, 1937).
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS 163

de quatre iota, de cinq omicronn, de six upsilonn et de sept oméga,


en tout 28 signes (somme des nombres allant de 1 à 7 et chiffre clef
des calendriers lunaires). On pourrait ajouter encore que la valeur
numérique de ce même triangle littéral s'élevait — selon les
correspondances magiques si chères aux anciens Grecs — à... 666 !
Cela, du point de vue de la kabbale (ultérieure), peut se passer de
commentaires.

* *

Pour le moment, il suffit de nous demander si ces deux lettres


qui figuraient parmi les plus anciennes de l'alphabet grec, ce delta et
ce pi, n'étaient pas elles-mêmes descendues vers la Grèce, de
quelques régions septentrionales, par le même chemin que la toiture
en pente oblique des maisons, présente elle aussi, et sous une forme
autrement élaborée, à Lepenski Vir. Une origine commune des deux
lettres expliquerait plus aisément la manière dont elles sont arrivées à
constituer une paire sacrée de signes scellant la relation bénéfique sur
le double plan des choses du quotidien et de l'harmonie mystique,
entre le pan de la porte — delta — et la porte même — pi.
Ajoutons en guise de commentaire final que, selon un anonyme
« grand maître du savoir oriental et occidental » qui publia sous ce
nom d'auteur un livre assez fourni sur les bases du symbolisme
des lettres à Leipzig en Allemagne, en 1748 : « Le delta grec (A)
signifie dans la symbolique des signes sacrés des anciens Egyptiens ce
qui est relié au céleste, au divin. » L'auteur ajoute que delta et triangle
équilatéral se réciamaient d’une même sacralité géométrique chez les
mêmes Egyptiens.
Allant plus loin encore, un autre anonyme allemand écrit dans
un traité paru à Frankfort en 1761 que, pour les kabbalistes, le
triangle est un moyen pratique d’exprimer la domination de
l'humain, du caduque, de l’artificiel par le divin, la nature, l'éternel,
le naturel. N’ajoute-t-il pas enfin que c’est dans le triangle et sa magie
que repose comme dans un œuf (qui en est le substitut, et vice versa)
la materia prima du monde et de ses mouvements (20) ?

20. La Vraie Description de la kabbale (en latin), (Francfort-sur-le-Main,


1761).
ARCHITECTURE SACREE
164

d) Quand le VERBE devient triangle


Wolf écrivait,
C'est peut-être en pensant à cela que Christian
philos ophie du célèbre humani ste tchèque
tout en commentant la
: « Comme Comeni us ne pouvai t peindr e Dieu dans
Amos Comenius
lyphiq ue. C'est
le monde, il se contenta de peindre une figure hiérog
t un cercle inscrit. Le cercle
ainsi qu'il dessina un triangle portan
(21). »
désignait l'éternité, le triangle la trinité dans son unité
e par le
Malgré cette nouvelle voie d’entendement ouvert
semble qu'il faudrai t cherch er encore
symbolisme trinitaire, il nous
tion réelle pour la représ entati on. tricéph ale..
plus loin une explica
e religie use du
du Christ, telle que nous le rend une peintur
exposé e au Tiroler Volks-
XVII siècle en provenance du Tyrol,
Trinité. Cela
kunstmuseum d’Innsbruck sous le titre :Image de la
l’anti pagani sme à outran ce exercé par les pères
prouve que malgré
s de la tradition
de l'Eglise, comme suite aux forces bien plus grande
r-Zeus et autres Thot et
trinitaire, aux trois Shiva, Vishnou, Jupite
le triple Jésus ! Un Jésus que voilà,
Minerve, il nous faut bien ajouter
que Dieu... triangu laire ! Un aspect du divin dont on
Jui aussi en tant
va reparler.
On pourrait paraphraser la Bible, tout en substituant au célèbre
et dire
VERBE des débuts l’autre grand représentant du Tout divin
GLE ! Pour l’histoir e
qu'au commencement ce fut le. TRIAN
se passa — à l'actuel niveau des
ancienne de l'Europe cela
connaissances — à Lepenski Vir.
Le triangle en tant qu’unité de la triade — voilà une spéculation
née dans les temps les plus reculés et qui hantera bien plus tard les
philosophes, d’Aristote à Hegel et même plus loin...

4. Triples Dieux, triple sagesse.


Espace de la vie de l'homme, symbole du monde, le triangle
devint aussi l'arène de la pensée établie, fixée par écrit, de cette

21. Théologie naturelle (en allemand), (Francfort-sur-le-Main, WEST


DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS 165

Jésus tricéphale
Icône tyrolienne ancienne représentant la trinité
personnifiée par Jésus (XVII siècle, Musée d'art
populaire d'Innsbruck, Autriche).
166 ARCHITECTURE SACREÉE

Le Soleil entouré de triangles parfaits dans le décor de l'architecture du Moyen


Age (Venise Ca d'Oro - Cliché Anca Buzdugan).

PE ———— +

Jésus est lui aussi un dieu triangle


Chapelle Saint-Blaise-des-Simples de
Milly-la-Forêt (91 Essonne)
Tombe de Jean Cocteau
(Photo Studio Ballerini, Millysla-Forêt)
168 ARCHITECTURE SACREE

à
pensée première qui fut avant tout la parole notée, vouée
l'immortalité, incisée dans le dur de la pierre, du bronze et même du
bois, de la pensée qui fut l'expression définie et définitive de la loi,
divine ou humaine, de l'enseignement sacré ou profane, de
l'ordonnance du roi, du compte du percepteur…

a) Triangle et tables des lois


En effet, les premières tables ou tablettes utilisées à ce propos
furent triangulaires et l’espace de lecture (et d'écriture en premier
lieu) qu’elles portaient fut ‘rapézoidal.
Commençons par les plus anciennes — selon la légende — des
tables d'initiation léguées par le ciel à l'humanité encore non policée
_— Jes fameuses tables d'émeraude des traditions égyptiennes. Elles
étaient censées contenir l’enseignement d'Hermès Trismégistos,
Hermes trois fois grand, dont le nom n'était que la forme mise en grec
de l'appellation indigène du Dieu Hautement triangulaire, Thot. Mais
qui était ce dernier ? Un dieu lunaire et solaire à la fois, véritable dieu
des grands luminaires célestes, créateur suprême, maître du ciel, du
temps et de l'éternité, ses trois royaumes, ce qui fit que bien avant les
papes (ah ! l'originalité du christianisme), Thot portait déjà sa triple
couronne ou tiare étant en même temps Trismégas (trois fois grand,
comme on l’a vu) et Trismégistos (trois fois très grand). Pour
continuer la symphonie du trois et de la triplicité, Thot (comble de la
géométrie sacrée dont il était aussi le maître et le dieu) était en même
temps triple et un (comme par hasard, ce fut le cas du dieu créateur
des juifs et des chrétiens). On exprimait la nature à la fois triple et
unique de Thot tout en le décrivant: « comme un... triangle | ».
Enfin, ne serait-ce que pour compléter ce tableau, déjà si riche en
symbolisme, il nous faudra préciser que Thot était inévitablement
aussi le grand dieu des Sciences et surtout de l'Ecriture.

D'ailleurs en matière d'écriture, il convient d’ajouter que ce


même Thot avait l'honneur de posséder son propre hiéroglyphe à
l'image de l’Ibis, son attribut sacré. Plutarque dans ses Symposiaques
(livres IV, V) précise sur cet Ibis-signe littéral, que l'oiseau rappelait
l'image du dieu, car il déterminait sa figure. Textuellement l'historien
souligne que : « De ses deux jambes étendues et de son bec, cet oiseau
forme un. triangle équilatéral. » A côté de l’ibis au plumage blanc et
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS 169

noir qui figurait — selon le même Plutarque — la Lune arrondie au


troisième quartier. Le niveau triangulaire, instrument essentiel de
mesure, représente un autre grand attribut magique du dieu du juste
jugement et des mesures.
Certes Thot n'est pas le seul dieu-triangle des anciens
Egyptiens ; Horus — le Soleil levant — était lui aussi triangulaire
tout comme un autre dieu — moins grand, ce dernier — Sopdou,
vénéré à Gosem, la ville dite du crépuscule. Sopdou était surtout le
dieu de la lumière zodiacale (l'âme de l'Orient selon les hymnes
entonnés en l'honneur de ce phénomène naturel par les prêtres
d'Horus du temple d'Edfou).
Néanmoins le grand maître de l’œuvre et du triangle qu'était
Thot se laissait écrire les formules magiques qu'on lui attribuait en
forme de triangle, habitude qui dura pour certains textes d'écriture
manuelle jusqu’à la Renaissance, et qui se retrouva même jusqu’au
XVII siècle dans l'imprimerie pour marquer les passages finals des
chapitres. Alors faut-il encore dire qu’une des variantes légendaires
des plus anciennes des fameuses tables d’'émeraude avait, elle aussi, la
forme triangulaire ?
Cela étant, faut-il encore s'étonner qu'en Grèce antique les
premières tablettes à écrire furent triangulaires elles aussi ? Que bon
nombre d'inscriptions officielles orientales, égyptiennes et surtout
grecques furent confiées à des supports triangulaires ? Ou que Thot-
triangle se trouva un correspondant, lui aussi ayant le triangie
comme attribut, dans Nabou le grand dieu de la Science du destin et
de l'écriture des Mésopotamiens ? Un dieu qui fournit la première
partie de leurs noms (Nabou-, Nabu-, Napo-, etc.) aux grands
seigneurs des empires assyriens, tels Nabopolassar ou Nabuchodono-
sor (Nabukatznezar).…
On aurait quand même tort de s’arrêter là, laissant l'impression
que la liaison entre le triangle et les tables sacrées est redevable
uniquement à un courant allant de l'Egypte ancienne vers la Grèce.
Un détail assez peu connu rétablit les choses et permet une tout autre
perspective, faudra-t-il faire entrer en jeu — cette fois-ci — les si
mystérieux et légendaires Hyperboréens.…
Les textes classiques sont formels là-dessus dès qu'ils parlent du
fameux sanctuaire grec de l’île de Délos et de son temple. En effet,
ARCHITECTURE SACREE
170
il se fait que
Grecs et non-Grecs y apportaient des offrandes. Or
même les Hyperboréens, selon les textes qui rapport ent cette antique
tradition — ces Hyperboréens qui habitai ent quelqu e part dans le
en ce qui nous concern e, nous placerions
Septentrion et que nous,
volontiers (et toujour s selon les textes) au nord du Danube dans une
aussi à
région qui devait comprendre les Carpates, — envoyaient eux
jeunes vierges du nom de
Délos leurs offrandes. A l’occasion, deux
Opis et Hékaérgé accompagnère nt non seulem ent les offrand es mais
aussi les tables de bronze ou d'or du savoir, des tables qui portaient
inscrites les sentences essentielles de la sagesse gravées sur leurs
faces. triangulaires (22).
N'était-ce pas là aussi une autre tradition inspirée d’un monde
res
commun aux débuts de l'Egypte antique (à travers ses légendai
initiateurs occidentaux) et à ceux de certaines ancienne s civilisat ions
de l'Europe occidentale comme celle des hommes des mégalithes
(23) ? N'étaient-elles pas, ces tables ou tablettes triangulaires, dignes
d'être rapprochées des plaquettes triangulaires fabriquées en terre
cuite et décorées de trois trous — un à chaque angle —, découvertes
dans les habitats lacustres de la Hollande ? Seraient-elles, ces
dernières, trop loin de la plaque triangulaire de bronze portant divers
signes et servant à des pratiques magiques, découverte à Pergame en
Asie Mineure ? Bien jeune, car datant seulement du III siècle de
notre ère, cette plaque portait l'image des trois Hécates à la torche, à
côté de signes divers parmi lesquels aussi le triangle, et véhiculait
sans doute des traditions et des influences déjà vieilles de quelques
millénaires.

b) Les raisins de Dionysos


Il nous semble utile de signaler que le dieu Dionysos, dont les
origines thraces, nord-danubiennes sont incontestables, était, lui
aussi, non seulement le dieu de la vigne mais en même temps une
autre divinité triple. Certes son attribut, emblème céleste, était la
vigne, mais elle était toujours figurée sous la forme de la grappe
triangulaire. Dans les représentations classiques de cette enseigne du

22. D'Homère jusqu'à Plutarque la littérature antique abonde en matière


d'indications sur les divers aspects de ce sujet.
23. Wünsch, Antikes Zaubergerät aus Pergamon, 1905. s
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS 171

dieu, on retrouve toujours les 16 grains, boules ou points (grains de


raisin de la grappe) disposés en rangées décroissantes du haut vers le
bas. Voilà un triangle où l’arrangement des grains de raisin en
nombre solaire — le seize — est comparable à celui des modules dans
les dimensions clefs de la maison de Lepenski Vir. Le nombre
habituel des grains de la grappe disposés en rangées d'éléments
impairs est exactement celui de triangles à base module de la même
figuration (renversée sur la verticale). C'est en définitive la somme
des quatre premiers nombres impairs, en même temps un carré de
carré, le premier (le carré de 2 X 2).

066606006066 Mais Thot, Nabou, Dio-


nysos ou autres, appartiennent
6006606 aussi à une autre filiation. Que
. 0.0 l'Egypte, la Grèce, la Thrace
6 infra- ou supra-danubienne, le
Caucase ou la Mésopotamie
aient connu et reconnu — à
travers une presque même
symbolique — des traditions
analogues, est un aspect vrai-
semblable et ce ne sera pas à nous de le prouver ici. Nous nous
bornerons à rappeler que les tables, plaques ou tablettes en question
étaient censées servir à l'initiation et que — au moins pour l'Egypte
— des textes, comme celui du Livre des morts parlent d'initiateurs
nommément désignés, les Shemsou Hor, les « hommes rouges » en
provenance d'Occident...
Dans un de nos précédents livres, nous nous en sommes
occupés, démontrant leur liaison avec les Cro-Magnon (24). Le fait
que les gens de Lepenski Vir, de la variante oberkasselienne
européoide robuste des Cro-Magnon, habitèrent un espace qui fut
plus tard celui de la naissance de Dionysos dieu-triangle, et aussi celui
du pays des tables de la sagesse triangulaires offertes au sanctuaire de
Délos par les légendaires Hyperboréens, tout comme le rôle joué par
le triangle équilatéral dans la carrière religieuse et mystique de Thot,
le plus ancien des dieux-triangles connus à ce jour, nous permettent
de penser que les architectes de Lepenski Vir ne furent pas si isolés
dans l’histoire qu’on a tendance à le croire...

24. Pierre Carnac. l'Histoire commence à Bimini (Laffont Ed., Paris, 1973).
ARCHITECTURE SACREE
172

5. Dans les secrets du triangle


plus sur sa
Tout ce qu’on a déjà dit du triangle porte bien
tant que symbol e du grand Tout ou de la
présence et son rôle en
fs quant à sa
triade, que sur l'expérience pratique des primiti
mystique, à l'occultisme usuel de ce signe.

a) Triangle et pensée magique


vouée à
Les notions essentielles de la pensée magique
du triangle préocc upèren t bon nombre d'auteu rs. En
l'occultisme
un Livre des signes
1936. l'Allemand Rodolphe Koch sortit à Leipzig
pour les préciser.
et la
Si la divinité égyptienne, la sagesse des pythagoriciens
à travers le triangle, l'homme et
trinité des chrétiens se manifestaient
principe s ne tardèren t point à s’y rattache r. On
la femme en tant que
les figura de la sorte :

NX homme FR

7h

X femme

| Cela menait certes au losange — symbole aussi de la foudre (de


Dieu) — et à des variantes « signologiques » propres à de nombreuses
représentations primitives traditionnelles, telles que : 5
DD
ER Lx «
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS

femmes
femme femme enceinte naissance à un et deux enfants famille

femme homme divinité triade principale


morte actif (des dieux)
où triple foudre

Ces représentations « primitives » se retrouvent dans les deux


mondes, Ancien et Nouveau. Dans ce dernier surtout, on en fit un
usage plus grand qu'on ne le pense. Fixer le triangle sur un rocher en
cas de détresse, c'était demander protection, abri (d’où la relation
avec la demeure ou l'habitat, qu'il représentait bien souvent). Le
répéter en ordre descendant et surtout le tripler, signifiait exprimer le
saint, le plus saint et le très saint à travers un seul symbole qui voulait
également dire comblé (de bonheur), abondant (en matière de
quantité), extraordinaire (sur le plan événementiel), etc. (25).
Marquer de trois clous, trois fleurs, trois disques, etc., une
représentation (papier peint mexicain précolombien, codex, scuptu-
res en pierre, etc.), destinée à décorer le dieu, le personnage
important, le héros chez les gens de Tiahuanaco tout comme chez les
Indiens Zunis, tracer le triangle, signifiait, comme l’a bien démontré
Frank H. Cushing, exprimer, honorer des attributs divins mais aussi,
bien souvent, exprimer certains secrets de la médecine sacrée... A
Copan ou à Labna, en Amérique centrale, de telles marques étaient
familières à bon nombre de sculptures. On possède même une
relation de B.S. Morgan, datée de 1843 et regardant une
représentation locale de deux triangles équilatéraux juxtaposés pour
former le signe, si connu des vieux Méditerranéens, du sceau de
Salomon, emblème religieux des Hébreux. Le codex du Soleil, livre
de rituel et copie d’un manuscrit figuratif original peint sur peau de
cerf tannée datant du XIV® siècle (Manuscrit mexicain n° 21 de la
Bibliothèque nationale de Paris), contient des scènes de rituel

of aboriginal America in
25. Francis Parry, Sacred Symbols and Numbers
Ancient and Modern Times, New York (s. d.). £
174 ARCHITECTURE SACREE

À Décors en
triades

aztèques figurant le culte rendu à Tonatiuh (le Soleil) où une des


illustrations retrace des adorations vraisemblablement animalières
devant le mont du Soleil, autre expression du Soleil-triangle
équilatéral, un triangle marqué par dix signes ronds punctiformes
disposés dans le triangle à la façon des modules de Lepenski Vir ou
des « points » de la Tetraktys pythagoricienne en rangées croissantes
eur la verticale : 1 + 2 + 3 + 4 (ce que le monde est... petit !).
À côté de ces signes-symboles, il nous semble utile de rappeler la
présence — d’ailleurs assez rare — de la figuration de l’angle droit,
en L renversé, mais ayant toujours la même signification de Dieu ou
de divin, car résultant de l’action de la divinité. Une divinité qui, en
tant que force primordiale, était représentée à son tour par le bâton
(de commandement), le sceptre, figuré par un trait vertical. De la,
l’action du sceptre de Dieu sur le monde (représenté par un trait plat,
horizontal) sortant l’angle droit.

FREINS,
L'unicité Le monde Dieu Croix
de Dieu soumis à Dieu (union du spirituel (communion de Dieu
(force de Dieu) et de l'humain) et du monde
ou la nature en tant
qu'expression de Dieu)

Suivant ce chemin, on comprend mieux l’acheminement du


symbole (ô combien divin ! car parfait) de l'angle droit, de la pensée
égyptienne, à travers la mentalité des Grecs vers le Moyen Age
chrétien où il devint le signe de la rectitude (aussi en tant que marque
des maçons ou tailleurs de pierre et comme équerre), et d’autré part le
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS ES

Adoration du Soleil-Triangle-Montagne du monde


Rituel aztèque illustrant le culte rendu à Tonatiuh (le Soleil). Codex du Soleil. Copie
du manuscrit figuratif original peint sur peau de cerf tanné, XIV® siècle.
(Ms. Mexicain N° 21 - Photo Bibliothèque Nationale, Paris)
176 ARCHITECTURE SACREE

Bronze chypriote
(statuette à décor projeté).

« mondialisme » et surtout l’antériorité de la croix au christianisme


(26).
Une ancienne figuration de l’art chypriote de la période du
bronze en témoigne de manière évidente ; l'homme-dieu ou le dieu-
homme (le sens nous paraît parfaitement réversible) porte à son cou,
en amulette, sa propre image, dans laquelle il se projette. C’est une
façon d'exprimer les rapports entre Dieu et le monde, entre macro- et
microcosme par la double présence de la croix dans les traits de la
petite sculpture.
Pour revenir aux hommes-triangles, il ne faut pas oublier les
variantes de la représentation « triangulaire » de la femme.
26. Voir à ce propos notre livre les Conquérants du Pacifique, (Laffont Ed.,
Paris, 1973). ù
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS lle

Ces dessins ressemblent de façon


troublante aux figurations propres à
certaines civilisations de l'époque du
fer, développées sur le Danube supé-
ce rieur. C’est ainsi qu'une urne apparte-
nant à une telle civilisation, découverte à Odenbourg sur le Danube
supérieur hongrois représente des personnages féminins à silhouette
triangulaire.

Deux des trois femmes représentées visiblement sous forme de


triangle plus ou moins parfait — personnages à long cou et jambes
sortantes de la base des triangles en question — le sont d’une telle
façon que leur corps fragile rappelle le jeu des triangles surpris dans
les coulisses du plan de l'habitat de Lepenski Vir. On y voit la série
disposée en hauteur 3,2,1 et même une série 4,3,2,1 altérée à sa base
par un triangle manquant. C'est une figuration ressortie des lois
mêmes de la décoration utilisée, du triangle divisible à l'infini
dépourvu (sur la gauche de l'image) de son sommet (resté en blanc) et
réduit à l'expression des 15 petits triangles à base module restants,
tous marqués par des petits cercles.
178 ARCHITECTURE SACREE

b) Le nombre bute sur le triangle


Même si l’image reproduite de cette urne n'est pas complète,
laissant de côté les triangles qui représentent /a géométrie de l'objet, il
y à aussi sa numérologie, son arithmologie que l’on doit prendre en
considération, malgré des évidentes erreurs de dessin (par altération
de la tradition ou par simple gaucherie).
Ainsi la succession des triangles noirs (1),2,3,4 ou à droite de
l'image, les trois triangles blancs séparés par quelques traits obliques
des autres neuf (carré du même trois) triangles de l’espace Voisin.
Enfin pour le rapport entre les deux personnages féminins
principaux, on remarque le nombre des petits cercles — 29 en dehors
du personnage de gauche (sur les pourtours de son triangle) et 29
dans le triangle même (pour le personnage de droite).
Voir dans les éléments de décor d’un vase et surtout dans leur
nombre autre chose que du fortuit ne serait-ce pas tomber dans
l'exercice d’un véritable occultisme si peu rationnel qu’il pourrait
devenir sinon anti- mais au moins a-scientifique ?
Nous allons nous défendre en citant les mots de W. Deonna :
« Si rudimentaire qu'il soit, un motif peut avoir eu à l'origine un sens,
et l'avoir conservé à travers le temps ; le triangle en est un exemple.
S'il n’est plus, à un moment donné, qu'un ornement, i/ a pu en avoir
un antérieurement, avant que les siècles ne l'aient vidé de son
contenu. Et si l’on admet qu'il en ait un, il ne faut pas toujours le
ramener à une explication trop réaliste, trop terre à terre, n'oublions
pas que l'art, surtout dans les temps anciens, est avant tout religieux,
et qu'il est un langage sacré... »
Il en va de même pour les nombres... Les croyances aux vertus
magiques de certains d'entre eux comme le trois ou le sept
déterminèrent la numérologie sacrée des premiers décors dans la
poterie, les textiles ou l'architecture. Attribuer le nombre de ces
éléments au simple hasard, représente assez souvent le risque de
passer à côté de leurs réelles significations, et surtout celui de ne pas
découvrir l'apparition ou la fréquence de telle ou telle tradition ou
croyance locale...
Reprenons donc l’objet en question...
Nous n'attachons aux valeurs numérologiques ainsi ressorties
qu'une importance limitée à la seule information d'ordre général
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS 179

Vase de Gemeinlebarn
Présence magique des nom-
bres 7 et 8.

7
Figure centrale à losanges ; 8
rangées en ordre décroissant
allant de 8 à 1 en couleurs
alternatives, 36 losanges (6 X

Figure latérale à losanges et


triangles ;
35 triangles et 7 losanges
correspondant à 14 triangles
(49 = 7 X 7 triangles).

qu'elle peut nous apporter, quant à la coutume des Anciens d'utiliser


certains nombres qu'ils affectionnaient à cause de leurs propres
superstitions, plutôt que d’autres ; ou quant à leur habitude de ne pas
utiliser n'importe quel nombre d'éléments répétés de décoration. Cela
étant dit, nous remarquerons en ce qui concerne les nombres des
petits cercles des quatre régions triangulaires situées sous les deux
femmes-triangles, la présence des sommes 56, 88, 35 et 77 ou pour
mieux le souligner des produits 7? x 8,8 x 11;7 x 5et7 x 11.
Deux produits de 7 dans les champs à décorations ouverts vers le
haut et deux produits de 11 dans les champs ouverts vers le bas (7 x
8et7 x 5 pour les champs supérieurs, et 8 x 11 et7 x 11 pour les
champs inférieurs — sommet en haut). Quelqu'un très entiché de
numérologie traditionnelle pourrait pousser plus loin l'observation
pour remarquer que 56 + 35 + 88 + 77 = 256, un carré d’un
carré, car carré de... seize, ce grand nombre solaire... Relevant de tels
aspects, nous enfonçons des portes ouvertes quant à la numérologie
des anciens éléments de décor. Un second exemple, celui d'une urne
en terre cuite à peinture rouge et noire provenant de Gemeinlebarn
(basse Autriche) et datée du VII* siècle avant notre ère, révèle des
aspects numérologiques analogues.

Vases, urnes, peintures peuvent témoigner de la prédilection des


Anciens pour de tels jeux, si ce ne furent que des jeux, et non
180 ARCHITECTURE SACREE

également des procédés mnémotechniques pour retenir les mysté-


rieuses qualités des nombres sacrés. Le saura-t-on jamais ? De toute
façon, à des époques tardives la géométrie tord ses lignes auparavant
pures et le plus grand hasard s'empare des nombres, des éléments du
décor : ce n’est que le beau, à la recherche duquel s'adonne l'artiste
qui le fait retomber, comme sans le vouloir, sur les grands nombres et
leurs multiples...
Quoi qu'il en soit, même pour le vase d'Odenbourg, tout se passe
comme si ces gens avaient pensé, eux aussi, à la façon inspirée par
l'ancienne tradition du choix des nombres et des signes parlants..
cette tradition qui, sous sa version égyptienne tardive, affirmait par la
voix de Trismégiste : « Ecoutez en vous-mêmes et regardez | ‘infini de
l'Espace et du Temps. Là retentissent le chant des Astres, la voix des
Nombres et l'harmonie des Sphères (27).»
Mais à travers les symboles, on peut parler aussi de vie et de
mort...

c) Du symbole au trois du destin


Regardons à nouveau les trois femmes de l’urne d'Odenbourg
(28). L'une file, l’autre est en train de tisser, la dernière joue d'un
instrument dont le son annonce quelque chose...
Filer, tisser, annoncer... Pourquoi pas : naître, vivre et ensuite
entendre le glas de la dernière heure ?
Nous aurions peut-être tort de voir dans ces trois femmes du
Danube supérieur Clotho, Lachesis et Atropos les trois Moiraï
(parques) des anciens Grecs. La fileuse, celle qui tire le sort (mettant
le fil sur la quenouille), a tisseuse, celle qui tourne le fuseau pour
construire les événements de la trame du quotidien, l'inflexible, celle
qui lit la fin, et qui coupe le fil de la vie en lui annonçant le terme
acquis. en définitive les trois filandières, les guides de Bacchus,
d'Hercule, de Thésée, d'Ulysse ou d'Orphée, auxquelles on immolait
des brebis noires. Parlant latin, les choses s’éclaircissent mieux...

27. Quoique tardif l'hermétisme de souche pythagoricienne véhiculait une


somme de traditions d'art dont certaines de grande ancienneté.
28. Voir : J.G.D. Clark, l'Europe préhistorique. Ÿ
DIEUX, TRIANGLES, MONUMENTS 181

Croix tombale triple


pour personnes apparentées
(nord-est de la Valachie)
ARCHITECTURE SACREE
182

En effet. les TRIA FATA, «trois sorts» des Romains, les


et
mêmes fileuses empruntées aux Grecs s'appelaient Nona, Decima
Morta. La neuvième, la dixième et ensuite la. mort! Une autre
allusion au DIX, la divine Tetraktys, le nombre souverain
représentant le summum de la vie... Ce dix présent — par une sorte
de coïncidence — à côté du neuf, non seulement sur l’urne
danubienne, incomplète et déjà inexacte que nous avons regardée,
mais aussi — à titre de loi — dans toute l’arithmologie ou
l'arithmogéométrie des Anciens...
Il est également nécessaire de supposer que ce furent des
endroits comme celui de Lepenski Vir qui ont fourni aux débuts une
autre image symbolique d'importance, celle du triangle associé aux
volutes. Il est bon de croire que la présence du fleuve au pied même
de la maison triangle-trapèze de Lepenski Vir ait pu conduire assez
vite les gens du lieu à l’utilisation d’un décor mixte résultant de
l'association du triangle et des volutes, que les populations
préhelléniques adoptèrent bien plus tard, après qu'elles l’eurent puisé
dans l'art danubien ancien. Cette décoration sera retrouvée par la
suite sur des vases à figures rouges sous la forme d’un tracé en
triangle régulier des bases de volutes supportant la palmette, sur
certains lécytes arybaliques. Elle constitue d’ailleurs un signe de
haute tradition qui, selon des spécialistes réputés tel W. Deonna,
aurait contribué à l'implantation des plaques triangulaires destinées à
compléter l'inventaire usuel des poids et mesures chez les Grecs. Une
série de pièces en bronze, plomb, terre cuite ou autres matériaux tels
les pesons corinthiens du IV* siècle avant Jésus-Christ, et qui tous
avaient la forme d'un triangle équilatéral...
CHAPITRE V

Le trapèze, mesure de l’homme

« La loi physique se découvre, la loi arithmétique


ou algébrique est révélée, même si l'homme a
marché vers la révélation ou bien que la
révélation ait marché vers l'homme. »
Paul Audibert

Une bonne distance nous sépare du dessin datant de l’âge du fer,


consacré à une scène domestique, celle des filandières et qui se
rapproche beaucoup des figurations analogues des futures poteries
grecques, non seulement par la présence des tisserandes ou du métier
à tisser, mais aussi par ses éléments décoratifs, cercles et triangles
simples ou à cercles ou points intérieurs. Ces motifs venus d'une
grande antiquité ne sont guère propres seulement à la Grèce ou à la
vallée du Danube. Triangles à points, cercles et triangles, triangles et
guirlandes peints en blanc, en rouge ou en bleu des poteries
découvertes dans la vallée du Rhin dans le Palatinat, parlent d'une
même lointaine inspiration. Peut-on ne pas rapprocher le chemin qui
dut être celui des idées exprimées par ces décorations de celui que
suivirent les porteurs du triangle parfait et de son rejeton
géométrique, le trapèze dynamique à ouverture de 60° de Lepenski
Vir, lors de leur migration vers le Danube inférieur ?
L'existence d’une telle route du triangle parfait ne constitue pas
le vrai secret de sa présence à Lepenski Vir. En effet, tout cela ne
répond pas encore à une question essentielle, à savoir, le pourquoi de
l'usage du triangle équilatéral et du trapèze résultant de la
décapitation géométriquement rituelle dudit triangle.
184 ARCHITECTURE SACREE

1. Le squelette et le triangle
Apparemment il s'agit de questions destinées à demeurer sans
réponse... mais à bien penser, on peut se demander si ces gens-là
furent les seuls à avoir eu l’idée de l’utilisation d’un tel trapèze, au
cours de la longue histoire de l'habitat ou de l’urtanisme.
Est-ce que le peuple du bronze qui fut, bien plus tard, celui des
Terramares d'Italie centrale n'avait pas lui aussi livré à la postérité le
plan en trapèze de ses sites ? Un trapèze orienté Nord-Est - Sud-Ouest
ou Nord-Ouest - Sud-Est, tout comme l'étaient plus ou moins les
premiers habitats à base trapézoïdale de Lepenski Vir. La composante
nordique des populations de l’âge du fer dont les terres devaient
connaître par la suite l'épanouissement des Etrusques pourra peut-
être justifier un jour leur trapèze comme un don lointain en
provenance d’ancêtres bien proches des « Anciens » des Portes-de-fer
du Danube d'il y a 8 000 ans ! Néanmoins de tels détails n’apportent
rien de nouveau quant à la justification de l’utilisation des triangles
ou trapèzes par les architectes de Lepenski Vir.
La clef de ce mystère de l’histoire de l'architecture n'est pas à
chercher sur le Danube ou dans n'importe quel autre endroit où le
trapèze à ouverture de 60° marque le plan des habitats mais dans la
mentalité et les traditions de ceux qui l'employèrent les premiers.
Il nous semble possible de suggérer une hypothèse.
Explorant le site, au sud-est de la toute première agglomération
(Protolepenski Vir), les archéologues avaient mis à jour un bien
curieux tombeau. Il avait l’aspect d’une fosse trapézoïdale, orientée
de la même façon que les maisons de la future ville de Lepenski Vir.
Le mort y avait été déposé de manière absolument inaccoutumée,
avec les jambes fléchies vers l'intérieur, dans une position assez
rapprochée de celle des inhumations du néolithique de l'Europe
orientale (sépultures de la région Volga-Don) et de l’Asie occidentale-
centrale. :
Contemplant sur une photo le squelette du mort en question, il
nous a semblé utile de prendre en main l’équerre et le compas.
Deux ou trois mesures, la correction de la position — certes un
peu déformée, car glissée sur la gauche — du squelette, la remise en
direction originale de ses mains et voilà la clef que nous nous
proposons de suggérer. 5
LE TRAPEZE, MESURE DE L'HOMME 185

A-t-il été enterré dans une


tombe en forme de tra-
pèze ? Une tombe orientée
de la même facon que les
maisons dont elle épouse
la forme (le plan). /Tom-
beau trapézoidal unique -
Proto-Lepenski Vir).

Une clef qui permettrait de nous contredire... de faire amende


honorable quant à ce que nous avons déjà précisé — suivant
d’ailleurs les spécialistes qui s'étaient penchés sur le problème — que
le trapèze des plans des habitats de Lepenski Vir n'avait pas de
modèle dans la nature... Il s’agit, il est vrai, d’une nature... morte, au
sens propre du terme, mais néanmoins d’un modèle facile à trouver.
En effet, le triangle équilatéral et son trapèze sous-jacent nous
paraissent ressortir, d’une certaine manière, de la géométrie naturelle
du squelette humain disposé en trapèze après sa diminution par
décapitation.
Dans cet arrangement, des distances (les dimensions intéressan-
tes) sont marquées par tous les os capables d'offrir un point d'appui...
Le galet à la forme aniconique, symbole «en œuf » du monde, peut
représenter lui aussi la tête, le crâne...
On arrive à un nouveau triangle équilatéral, fourni par le
squelette. Ce triangle est marqué par le crâne (point pinéal) et les deux
rotules (jambes infléchies). Quant au trapèze, lui, il suffit d’une capitis
186 ARCHITECTURE SACREE

diminutio maxima (1) enlevant la tête et le cou, c’est-à-dire — pour


parler squelette — le crâne et les vertèbres du cou (cervicales), pour
laisser place libre à la base supérieure (la petite base) du trapèze. Une
base qui, pour employer le langage des anatomistes, s'étend de
l'acromion gauche à l'acromion droit. De cette façon, la distance
séparant les deux acromions correspond en fait au fameux module de
base d’un trapèze à ouverture de 60° des habitats de Lepenski Vire
Tout cela est vraisemblable, mais ne pourrait s'avérer valable
pour des petits Mongols ou des Pygmées de la Nouvelle-Guinée. Afin
que le jeu réciproque des proportions arrive à satisfaire la géométrie,
il aurait fallu des individus ayant une bonne longueur de membres
donc aussi une bonne taille. Aux abords d’une taille de 1,80 m, la
géométrie du squelette-trapèze est accomplie. Le « grand ayeul>—
surnom plutôt poétique qu'on donnait autrefois aux Cro-Magnon
proprement dits — aurait pu servir, grâce à ses mesures, de modèle
d'inspiration (2).
Ne pourrait-on penser que c'est de la position sacrée
d'inhumation des gens de la race, sinon au moins de celle de leurs
chefs, que provient le trapèze du plan de la maison dont le centre —
le foyer — correspond, en ce cas, à la position du bassin humain ? De
cette manière, la projection idéale du nombril du cadavre charnu
ayant fourni le squelette-trapèze, dans le centre même de cet autre
monde intérieur qu'est la maison, établit une autre correspondance
magique capable d’amplifier l'importance occulte du procédé.
De toute façon, il s’agit d'un monde décapité, car excluant l’au-
delà céleste symbolisé par la tête (une tête dont la présence dans
l'habitat est remplacée par sa réplique magique en pierre), il marquait
de sa signification particulière la maison des locaux.
D'ailleurs, il suffit de repenser à la projection de l’homme sur les
éléments dimensionnels de sa maison pour découvrir dans la

|. Ancienne expression latine désignant la peine capitale, décapitation


considérée en tant que diminution « majeure » par ablation ou soustraction du
corps, de la longueur d'une « tête » d'où : écourter d'une tête.
2. Déjà pour un individu de la taille de 172 cm, la longueur moyenne du bras
(75 cm) et celle du double de la jambe (distance rotule-talon plus grande que 50 cm)
satisfont les proportions (générales) du trapèze en question. à
L'homme est la mesure
de toutes les choses

1 - acromion
2 - clavicule
3 - sternum (la petite base
du trapèze)

L'homme fournit le trapèze


(a = la grande base du trapèze)

le plan
Entre maison trapèze et homme trapèze. Le squelette de l'homme suggère
de la maison.
188 ARCHITECTURE SACREE

sacralisation — à travers l’homme et sa mort — des habitats, une


confirmation (et peut-être même la souche traditionnelle) de l’adage
immortalisé, par Protagoras (V® siècle), dans son affirmation que
l'HOMME EST LA MESURE DE TOUTES CHOSES !
Un adage qui, comme autant d’autres éléments constitutifs de la
sagesse grecque, vint lui aussi du Septentrion.… Mais une telle idée ne
pouvait être que parallèle à la représentation (grecque) de l’homme
(en symbole) par le triangle — elle aussi provenant, comme on le sait,
du même fonds de traditions préhelléniques apporté par les ancêtres
des Grecs lors de leur descente des régions de l'Europe centrale et
centre-orientale vers la Grèce maritime.
L'identification de la construction, temple ou maison, à
l'homme connut un brillant exemple et de quelle importance, chez les
anciens Egyptiens. La démonstration administrée en ce sens par
Schwaller de Lubicz pour le temple de l'Homme de Lougsor, en
constitue la preuve. En fait de telles correspondances, de tels
rapprochements surtout entre les éléments de l'édifice sacré ou ceux
du sanctuaire et le corps du dieu ou de l’homme, détaillés dans les
données constructives de l'édifice, se rencontrent en bon nombre
d’endroits du monde. Sans souligner pour une fois encore le
rapprochement possible — via les Cro-Magnon et les mythiques
Shemsou Hor initiateurs des anciens Egyptiens selon leurs plus
vieilles traditions — entre la maison-trapèze et le temple de l'Homme,
nous nous bornerons au fait que la plus ancienne de ses
superpositions magiques si extraordinaires est due à l'imagination et
aux travaux de construction des architectes de Lepenski Vir.….
Il ne nous reste plus qu’à pousser encore plus loin l’investiga-
tion, pour trouver, une fois le trapèze plus ou moins justifié, les
fondements plus profonds encore de l’adoption du triangle initial,
ceux qui dépassent l’homine-mesure...
Cela revient à nous interroger sur l'origine même de la maison
en tant que telle.
En définitive, à Mureybet, en Syrie, et même à Lepenski Vir sur
le Danube tout avait commencé par la maison. Ne doit-on pas se
demander pourquoi l'homme construit la maison avant d’être arrivé,
selon la logique du progrès motivée par son moteur économique (on
invente pour satisfaire des besoins toujours matériels), au stade de
développement social requis par une telle action ? ;
LE TRAPEZE, MESURE DE L'HOMME 189

2. Bâtir = officier

Ne peut-on pas répondre à une telle question en disant que


l'homme se met à construire sa maison pour exprimer à travers elle
sa façon fonctionnelle d'intégration dans le cosmos, un Univers avec
lequel il aspire à communier. Pour ce faire, il part du tracé du TOUT
dans lequel il se situe tant inconsciemment que de façon magique,
après en avoir éliminé de manière « respectueuse » l’espace divin (à
Lepenski Vir, le petit triangle qu'il soustrait du plan de la maison tout
en le relevant sur la verticale) pour l’accomplir dans l'élévation
supposée par le passage dans l’ordre divin des choses... Comme il a
besoin de motivation sur le plan cosmique de cette division arbitraire
mais matérielle du monde (qui se partage déjà entre l’homme et le
divin), il justifie le trapèze par son propre corps décapité dont les
mesures suggèrent ce trapèze.

Une fois son espace délimité, l'homme le sacralise en y installant


son foyer, celui de la maison, dans une position centrale qui se
réclame de la géométrie de l’habitat et qui est « centré » par le galet,
symbole lui aussi à la fois de la trinité eau - pierre - forêt (fleuve -
galet - arbre) et de l'homme-poisson, héros éponyme générateur de la
race ou dieu des lieux. Remontant à la verticale (avec la toiture)
toujours grâce au trapèze, dont il complète ainsi la triade (avec les
deux pentes en trapèze du toit des maisons), l'homme s'assure l'abri à
l'intérieur du « mont » dans les entrailles mystiques duquel se situe le
feu central (du foyer rectangulaire) et dont le juste milieu est marqué
par le galet (cœur du monde, son centre, son nombril). Cela étant
l'homme fait correspondre le nombril du cadavre que lui avait fourni
le squelette-trapèze au galet nombril du monde, tout en plaçant
l’ensemble de cette opération magique sous le sigle — pourrait-on
dire — graphique et mental du poisson, dieu et homme en même
temps.

De cette façon, la maison tire ses origines d’un des plus anciens
désirs de l'homme-constructeur, celui de s'exprimer en tant que tel, et
par-cela même elle s'ajoute, qu'on le veuille ou non, aux expressions
conventionnelles complexes qui ont précédé l'écriture tout en restant
pour encore des millénaires, l’un des éléments fondamentaux du
message de l’homme, signe de base de son identité « philoso-
phique »...
ARCHITECTURE SACREE
190
et issu
Le jour où la maison perdit son caractère à la fois sacré
pour s’aligne r sur les autres
du plus profond de l'âme humaine
simple nécessi té de pourvo ir à des besoins
inventions sorties de la
avant vers le
économiques, l'architecture progressa d'un bond en
e symbolique
fonctionnel mais se vit dépourvue de son messag
restère nt néanmo ins cachées
d'ensemble. Des bribes de ce message
de décor, de symétri e ou autres de
dans les éléments de plan,
édifice constru it par la main de l’homme ...
n'importe quel
seuil dans
Quel est l'endroit et l'époque où la maison a franchi ce
dans l’action de ses bâtisse urs ? Vraise mblable-
la pensée et surtout
le sacré et le
ment là, et où il y eut le premier grand divorce entre
ation — qui continu e
profane... dès le début de la longue cohabit
l’homm e, dès l'exist ence séparée et vidée
encore — de la maison et de
ins la
de vie réelle de la maison, temple, sanctuaire, église. Néanmo
le coin
progression de cette division fut lente. Longtemps encore,
s des homme s la fonctio n
réservé au culte continuait dans les habitat
l’enclos existe encore, mais il abrite
de l’enclos sacré... De nos jours,
e
derrière un tableau ou dans la cloison d’une penderie l’autel modern
du dernier des Grands Dieux, le dieu Argent : c’est le coffre à bijoux
et autres valeurs tout aussi périssables.
Le fait qu'à Lepenski Vir, la maison dérive du Tout triangle,
trouve ses justifications lointaines et profondes dans l'identification.
du monde « total » ou de l'Univers matériel et non matériel à cette
figure géométrique si parfaite ; il semble nécessaire de voir dans la
forme première du plan rond, soit en cercle parfait des maisons de
Mureybet bien antérieures, mais à peine découvertes, une confirma-
tion de ce même point de vue. Il suffisait que l’on conçoive un
Univers rond pour y trouver un autre plan-premier de l'habitat,
même si une telle expression était bien plus simple... Cela étant il ne
faut pas être un très grand prophète pour entrevoir l’heure où on
mettra à jour des civilisations-premières à maisons carrées ou en
losange.

3. L’habitat, arène d’action de la forme sur le contenu

Néanmoins, avant de clore ce chapitre qui porte sur les


motivations les plus profondes du choix de la forme fondamentale du
LE TRAPEZE, MESURE DE L'HOMME 191

plan de la maison-trapèze (triangle rituellement amputé), il faut nous


attarder aussi sur l'éventuel impact de la forme choisie (triangle-
trapèze et polyèdre de la maison), sur l’activité vitale des occupants
d'un tel espace habitable.

Il se peut qu'il ait existé un rapport physique direct entre le


bâtisseur-habitant et la forme (intérieure) de sa bâtisse, que le fait
d’habiter dans l'enceinte d’un triangle idéal, centré, réduit en trapèze
par l’ablation proportionnelle d'un de ses sommets produise un
certain effet d'ordre psychologique, recherché à dessein par les gens
du site.

L'idée que la forme du contenant puisse peser sur la nature des


fonctions et des processus vitaux ou, simplement naturels (chimique
voire biochimique, par exemple) exercés dans le contenu, ou par le
contenu, est une donnée acquise depuis bien longtemps par ceux qui
s'occupent de la physique de la vie.
Enumérant des exemples d'influence de la forme sur les activités
vitales déroulées au sein d'elle-même, l'Anglais Lyall Watson citait le
cas d’un brevet français portant sur un récipient prévu pour la
production massive du yaourt et dont la forme particulière
déterminait une activation du rendement des micro-organismes
agissant dans la transformation du lait en yaourt. Les zoologues
savent que de deux souris, l’une placée dans une cage « normale »,
habituelle et la seconde posée dans une cage sphérique, la deuxième
guérit plus vite s'il s'agit d'une même blessure. Le même Lyall
Watson (Histoire naturelle du surnaturel, Albin Michel, Paris)
s'étonne avec les architectes canadiens (ayant trouvé, par hasard, une
telle formule de bâtisse hospitalière) du fait que les schizophrènes
soignés dans des pavillons à plan trapézoïdal présentent une nette,
surprenante et par autant inexplicable amélioration soudaine de leur
état de folie...
Pour expliquer de tels phénomènes, le docteur Lyall Watson,
scientifique de renom international, diplômé de science et de
philosophie des universités anglaises et directeur d’un cabinet conseil
de sciences naturelles (Biologic of London), avance l'hypothèse selon
laquelle les formes ayant des qualités particulières détermineraient les
structures de l’environnement, ces dernières n'étant que le résultat de
«combinaisons de fréquences de l’environnement ».
ARCHITECTURE SACREE
192
sur l’idée que
Il y a déjà toute une science, la Cymatique, fondée
s’exer cent tout en se propag eant de
les pressions de l’environnement
e des formes
façon ondulatoire, ce qui détermine la matière à prendr
de, ou accord ées avec, la fréque nce de ces ondes... Il est
dépendantes
anta pour s'en rendre
suffisant de voir nager un serpent ou une raie-m
e, se déplac e grâce aux trains
compte. La raie-manta, par exempl
qui traver sent la surfac e de son dos à la manière
d'ondes musculaires
e surimp ression
du vent soufflant sur la surface de la mer. La parfait
Sur l'imag e hélicoï dale
d’une plante rampante autour d'un tuteur,
d’un courant ascendant d’air chaud donne le même effet.
une
Jusqu'à présent, personne n'a eu l'idée de reconstruire
dans le polyèdr e si spécial à base
maison de Lepenski Vir, pour loger
comprises
trapézoïidale déterminée et aux dimensions spécifiques
rythme géomét rique régulie r et déterm iné lui aussi, un
dans un
individu quelconque...
t
Nous pensons qu'une telle expérience peut se révéler d'autan
serait en état d'ouvri r de nouvea ux aperçus ,
plus intéressante, qu'elle
de l’architec-
qui pourraient révolutionner l’histoire même, tant celle
ture que celle de l’évolution de l'homme. Bien sûr, pour cela, il aurait
fallu que la recherche archéol ogique ait été complét ée par la mesure
nation de bon nombre de paramèt res physiqu es et
et la détermi
biophys iques, révolus ou actuels.. . mais recherch e... oblige !

Tout cela ne servirait, en fait, qu'à mieux confirmer la nature


«humaine » du trapèze de Lepenski Vir, et sa position de maillon
intermédiaire entre le bâtisseur et l’environnement qui l’a vu venir,
s'installer, concevoir, construire, marquer et... SERVIR.

4. Maisons-trapèzes en Amérique
Une éclatante confirmation de la relation Homme - Trapèze -
Maison, dans l'Histoire de l'architecture, vient d'être offerte en pâture
à la sensation. archéologique par les dernières fouilles du docteur
Carlos Ponce Sanguines, entreprises en 1976 à quelque 70 km de La
Paz, la capitale de la Bolivie. L'archéologue bolivien, directeur de
l'Institut d'archéologie bolivien, vient de mettre à jour une
mystérieuse cité perdue, en plein altiplano dans une région à
1 650 m d'altitude, un site qui est entré déjà dans l’histoire de
LE TRAPEZE, MESURE DE L'HOMME 193

l'Amérique précolombienne sous Je nouveau nom d'Iskanvaya (cité


du plateau des Iskamis).
Il s’agit d’une « nouvelle » vieille civilisation dont l'architecture
est dominée de façon totale et impressionnante par le... trapèze. Les
premières datations attestent, pour les bâtisses déjà découvertes,
d'une ancienneté de 500 à 600 ans. Civilisation des hauts plateaux
des alentours de La Paz, développée dans une région placée à moins
de 300 km de la capitale bolivienne, la culture dite Iskanwaya créa
des terrasses ou plates-formes nécessaires à l'exercice de l’agriculture.
Le docteur Ponce tout en cherchant une explication de l’usage du
trapèze dans l'architecture et la construction du site souligna le
premier que « les constructeurs avaient du, pour pouvoir utiliser une
figure géométrique caractérisée par des angles non droits, s'adonner
à des calculs très précis et surprenants... ». Plus même, ajoute le
même savant, « il faut étudier avec le plus grand sérieux et la plus
profonde attention les motivations de cette rare inclination géomé-
trique ; il faut voir s'il s'agit d'un modèle tiré d'une conception
purement géométrique qu'il est difficile de comprendre ou d'une
inspiration issue de certains aspects typiques de la région, sinon d'un
mélange des deux facteurs pris en considération. cela d'autant plus
facilement que la région n'aurait empêché en quoi que ce soit une
construction «normale » de la cité perdue et retrouvée des
Iskamis ».… Les portes, les parois, les planchers en trapèze,
inhabituels dans l'architecture classique précolombienne, surtout
alors que le trapèze devient tout à fait dominant, avaient déterminé le
docteur Ponce, comme le relatait le journaliste Harold Olmos de La
Paz le 24 octobre 1976, dans le quotidien Æ7 Nacional de Caracas, à
affirmer « qu'il s'agit de quelque chose de tout à fait neuf dans le
monde archéologique étant donné qu'on se trouve devant une
architecture extrémement originale ».….
Certes, la chose est neuve en Amérique, mais elle ne fait que
répéter et amplifier un des gestes de l’architecture des débuts et ce
n’est pas le calcul ou la région qui ont déterminé l'apparition et
l'épanouissement d’une telle architecture « étrange », c’est le naturel
de l'homme à travers ses relations implicites et explicites avec son
Univers. Une autre séquence — tardive dans l'absolu du temps —
et non recherchée sur le plan de ses plus profondes motivations de
cette même relation magique HOMME - TRAPEZE - MAISON qui
fit la remarquable beauté des habitats de Lepenski Vir.
CHAPITRE VI

Des triangles sur le ciel

« L'homme construit d'après un archétype. Non


seulement sa cité ou son temple ont des modèles
célestes, mais il en est de même de toute la région
qu'il habite. chaque phénomène terrestre, soit
abstrait, soit concret correspond à un thème
céleste. comme un double existant précisément
à un niveau cosmique Supérieur... ))
M. Eliade

Si l'homme qui avait dû être pour les architectes de Lepenski Vir


la mesure de toutes les choses — comme nous avons essayé de le
prouver — se retrouve d'une manière indéniable dans le plan du
triangle-trapèze, et si ce triangle « extraordinaire » était aussi divin
pour ses usagers, il n'y a pas de motif pour qu'il soit absent de leur
ciel. Humain ou non, un tel triangle devait être aussi la projection
d’une image céleste sur ce miroir noir et opaque qu'est la terre.

1. Les « grands trois » de la nuit

Le 110° symbole de la VIII sable de Borch rattache le triangle


équilatéral au ciel par l'intermédiaire des étoiles. Ces étoiles qui
furent peut-être les premières à suggérer le trois aux primitifs, un
trois qu'ils marquèrent à l'intention des hommes de façon répétée sur
les deux firmaments — boréal et austral — par le truchement de
deux constellations « triangulaires » : le TRIANGLE (boréal) et le
ARCHITECTURE SACREE
196

TRIANGLE AUSTRAL. Néanmoins il faut bien accepter que ces


deux triangles (dont le premier le Deltoton des anciens Grecs) sont
tardifs et que le vrai grand triangle céleste inspirateur des gens de
Lepenski Vir devait être beaucoup plus important.

a) Le Grand Triangle du Ciel


Symbole vivant, la maison des pècheurs de Lepenski Vir devait,
en effet. avoir eu son modèle sur le ciel. un modèle qui. vu le
changement subi par décapitation, ne pouvait être qu'un triangle plus
ou moins « parfait ». Un triangle dessiné par l'imagination soutenue
par des repères naturels quelque part sur le firmament. Le triangle
d'en haut. miroir lumineux de celui que les constructeurs de
Lepenski Vir traçaient sur le sol à l’aide de la corde et de trois piquets.
Un triangle vivant parce qu'il était marque par des étoiles-sommets.…
Un tel triangle aurait dù connaître un certain voyage cleste, comme
n'importe quelle autre constellation tournant en apparence autour de
la polaire. Un triangle connaissant par sa position celeste mème, un
lever et un couchant après un moment de plénitude et de domination
sur la voûte du firmament : un triangle qui aurait dù faire son chemin
sur la grande voie de poussière céleste — la Voie lactée — devenue
pour la circonstance et par les circonstances, sa propre roule.
5 4 3 Vega, Altair et Deneb
au rendez-vous du
; Grand Triangle (août)

Le Grand Triangle
change de face

ES
A TS

, +, Voie lactée*.

Altair
Vega
Deneb
He
iidl Polaire
TO<}
198 ARCHITECTURE SACREÉE

I1 suffit de regarder le ciel nocturne (boréal) pour se rendre


compte de l'existence réelle du triangle vivant du ciel, un triangle qui
se lève en tant que tel au printemps (fin avril - début mai), occupe la
scène du firmament pendant 7 mois, intervalle de temps qu'il met à
parcourir de ses formes changeantes les poussières lumineuses de la
Voie lactée, pour se coucher enfin (fin novembre - début décembre),
et non sans avoir dominé un bon moment — au mois d'août, en plein
été européen — le sommet de la voûte du ciel.
Les sommets de ce triangle céleste, trois vrais phares de la nuit
boréale, Deneb - Véga - Altair, Deneb de la queue du Cygne, Véga la
brillante et Altair, le régent de la constellation de l’Aiïgle.
Etoile de la queue du Cygne, la constellation boréale dont les
principaux astres constituent une croix apparente en pleine Voie
lactée, Deneb ou Alpha du Cygne est une étoile brillante située à
quelque 600 années-lumière de la Terre (magnitude 1,3; type
spectral A;).
Véga ou Alpha de la Lyre (petite constellation voisine de l'Apex,
point du ciel placé dans la constellation d'Hercule vers lequel semble
se diriger le système solaire) est la plus brillante étoile du ciel boréal
(magnitude 0,1 ; type spectral A).
Alpha de l’Aigle (petite constellation en forme d’aigle aux ailes
déployées) est à son tour un des phares du ciel boréal ; plus connue
sous son vieux nom d'origine arabe, Altair, cette étoile (magnitude
0,9 ; type spectral A) domine vivement son coin de ciel nocturne.
Sur sa route, le triangle vivant du ciel, vivant car aussi tellement
changeant, est tour à tour scalène, quasi isocèle, quasi équilatéral..
Au mois d'août sa position est telle que les étoiles de la petite
constellation de la Flèche (Sagitta) lui découpent le sommet presque
aux 3/4 de longueur de côté, tandis que la tête et la queue du Cygne
s'unissent pour lui en fournir une bissectrice intéressant l'angle du
sommet.

Voilà un triangle que certaines anciennes traditions plaçaient


déjà dans leur ciel sous le nom qui fut dès le début le sien: LE
GRAND TRIANGLE. Ne réclamaient-elles pas parfois de la part des
simples mortels de réunir les angles du Grand Triangle pour en
former le symbole-image de leur monde sur leur ciel ? C'était une
opération votive, devant conduire sur le plan du réel immédiat à la
stabilisation de leur vie, à la fondation et à l'emplacement de leur petit
DES TRIANGLES SUR LE CIEL 199

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Le triangle dans le ciel


200 ARCHITECTURE SACREE

monde terrestre. celui de la maison, du foyer. Des traditions


irlandaises — et combien anciennes — témoignent en cette direction.
Pour avoir choisi, s’ils l'ont fait, de tels jalons, pour leur Grand
Triangle céleste — triangle dont la tradition se rencontre non
seulement dans les vieilles traditions irlandaises, mais jusqu'en
Laponie, chez les bergers des Carpates, quelques tribus amérindien-
nes, des peuplades berbères et autres — il fallait que ces repères
nocturnes les incitent eux-mêmes à une telle démarche, qu'ils
représentent effectivement des Signes.
Véga était la plus brillante étoile de leur firmament; la belle
croix du Cygne si facilement repérable sur la Voie lactée à gauche au-
dessus de la polaire leur offrit sa plus étincelante étoile : Deneb ; non
loin de là, la remarquable brillance d’Altair s’imposait d'elle-même
pour boucler le triangle. Ce triangle qui mettait 7 mois à parcourir le
plus lumineux chemin de leur ciel, lui aussi sujet de tant de traditions
et légendes — allant de celle de la route des esclaves (appellation se
rattachant vraisemblablement à l’époque romaine) à la tradition
beaucoup plus riche, plus vieille et plus diffusée, un peu partout dans
le monde, de la rivière de lumière traversant le firmament (Irlande
ancienne, pays nordiques, mais aussi Mongolie, îles Aléoutiennes,
populations amérindiennes, certains peuples du Caucase, des Alpes et
des Carpates). Cela pour ne pas trop nous attarder sur les autres
traditions, comme celle de la ceinture sacrée du ciel ou celle du fleuve
du ciel (Egypte antique, peuples germaniques, etc.) qui coulait tout
près du pôle septentrional et n'était visible « que de nuit ».
Dans le rapprochement fleuve du ciel - fleuve de la terre (d'ici-
bas) il faudrait voir aussi — encore une sorte de trait d'union — l’idée
sous-jacente de l'eau vive, de l'eau de (la) vie, propre au folklore
danubien, mais aussi et surtout aux traditions populaires de l'Inde et
de la Chine ancienne, aux légendes celtes et germaniques, mexicaines
précolombiennes et centre-africaines. Il s’agit alors de ce fleuve aux
eaux miraculeuses et vivifiantes situé près du château « enchanté » du
Vent du Nord, visible seulement « à la mort de la nuit », se trouvant le
restant du temps sous les flots. tout comme le fleuve du Ciel (Voie
lactée) qui coule vers le pôle céleste et n’est visible que de nuit.
Si pour les Américains précolombiens, la Voie lactée était un
gigantesque serpent blanc, ou pour les Tatars des steppes nord-
circassiennes, la simple route d'évasion d’un voleur de paille, al faut
DES TRIANGLES SUR LE CIEL 201

dire qu'on connaît aussi des traditions plus teintées d’une approche
«scientifique » de l'explication de la Voie lactée. Ainsi un sage
néoplatonicien du IV® siècle de notre ère, Salloustios, considérait —
dans une interprétation symbolique du mythe de Cybèle et Attis —
que la voie lactée est : « la limite supérieure de la matière sujette aux
changements ».
Il est encore à préciser que Véga la brillante est reliée à Altair à
travers une autre légende persistante et assez diffusée. Selon cette
tradition, les deux étoiles forment un couple. Un couple mythique,
« humain », mais aussi — dans le symbolisme à visage zoomorphe
— un couple d'oiseaux royaux, une paire de vautours. Véga devint
également responsable du temps car elle constitua avec deux étoiles
de sa propre constellation un groupe singulier, celui des trois fileuses
du ciel (les filandières de la vieille légende danubienne sous un autre
visage, céleste, cette fois-ci). Les fileuses du ciel, les Chih Nù des
anciens Chinois (deux étoiles plus petites de la Lyre) représentées
parfois en exclusivité par leur sœur « aînée » et tellement brillante,
Véga, la Pupilla des Romains, meublèrent tout un monde de
traditions, des anciens peuples des régions boréales.
Quant à Altair en tant que correspondant « conjoint » dans le
couple « humain » du ciel, de la fileuse, il devient la personnification
d'un jeune bouvier (qu'on ne doit point confondre avec le Bouvier,
dont la principale étoile, alpha du Bouvier, est l’imposante Arcturus).
La légende suit la position réelle des étoiles plaçant ses deux héros
d'un côté et de l’autre du Fleuve du ciel, la Voie lactée, chacun sur
son rivage. Malheureusement la rivière céleste est si profonde que les
deux fiancés ne peuvent pas se rencontrer, sauf une seule fois dans le
cours de l’année... Cela arrivait une certaine nuit, bien précise, et
grâce à la manifeste amabilité d’une volée d'oiseaux, en l'occurrence
des hirondelles dont les ailes déployées (lors d’un vol spécial entrepris
à l'intention des deux amants) fournissaient le pont nécessaire, en
unissant par un trait de plumes Véga à Altair. C’est de cette façon que
se passent les choses dans les légendes et traditions de la Chine
ancienne, de la Mongolie, au Japon, en Amérique du Nord
précolombienne et chez les anciens peuples du Caucase.
Chez les Japonais, c'est le couple Tanabata (la fille) et Hikohoshi
(le jeune pâtre). Dans l’une des versions chinoises, le couple se
rattache par Véga au principe universel Yin et par Altair au principe
ARCHITECTURE SACREE
202
est opposé à Kyain
contraire Yang. En Corée, c'est Ching Yuh qui
Chinoi s, le pâtre était
Oo... Sur les cartes du ciel des anciens
le Linga (symb ole mâle de la
(influence hindoue) représenté par
par Yoni (symb ole fémini n de la matrice).
fécondation) et la fileuse
de l’année où, pour
Quant au pont, il devait correspondre au moment
nes se « rencontraient »
l'endroit considéré, les deux phares noctur
sur le même méridien (en ligne).
couple,
Enfin il y a — comme on l’a déjà dit — aussi un autre
celui des vautours...
de
Parlons ancien arabe. Le nom d’Altair de la constellation
r, c'est-
l'Aigle est en réalité (car il est d'origine arabe) Al-nasr-Al-tai
que celui de Véga
à-dire le vautour volant (l'aigle en plein vol), tandis
r-Al-W äci, ce qui veut dire le
(toujours selon les Arabes) est : Al-nas
désigna tions corres ponden t aux positio ns
vautour tombant (ces
récipr oques des deux astres, celui qui vole étant placé au-
célestes
à
dessus de la Voie lactée, celui qui tombe, au-dessous)... Quant
e qui ne descen d pas sous l'horiz on
Deneb, la seule étoile dudit triangl
queue (du
septentrional, son nom signifie — toujours en arabe — la
Cygne) ; pour certain s aborig ènes de Sibérie septent rionale Deneb est
« la pierre brillante qui éclaire de sous les ondes », manife ste allusion
un vrai phare du ciel submer gé
à la position occupée par cet asire,
Voie lactée, entre deux «îles » de ciel noir,
dans les ondes de la
ciel du
contournées par le fleuve du ciel (cela est le plus évident sur le
mois d’août) (1).
I1 suffit de suivre le mythe de Deneb dans tous ses détails pour
découvrir des relations troublantes entre la queue du Cygne et le
vautour… Il s’agit de l'œuf et de la lumière. Si le Cygne demeure pour
bon nombre de peuples amérindiens et de l’Asie centrale l'oiseau de
lumière survolant (lui aussi) le grand fleuve du ciel, il est aussi
l'oiseau qui couve (parfois après l'avoir pondu) l'œuf du monde. Du
côté de la lumière cet œuf est le fruit de la hiérogamie Terre-Ciel et en
somme du mariage mythique céleste de la fileuse du ciel et de son
pâtre, le résultat de la fécondation — si l’on va en Egypte — de Noût,
la déesse du ciel, par Gêb, dieu de la terre...

|. Pour plus de détails voir : James O'Neill, The Night of the Gods (London,
1893-97. Weaving the Veil, vol. II, p. 872-882). 5
DES TRIANGLES SUR LE CIEL 203

Cet œuf est d’abord un œuf de lumière, laiteuse et douce,


comme celle que dispense la Lune, avant de se transformer en se
solidifiant (tel un vrai œuf) en sphère plus ou moins parfaite,
représentée par la suite — ici-bas — par le galet, monde lui aussi.
Des Scandinaves aux Iraniens, des Mandchous aux Turcs, des
peuples altaiques aux Slaves du Sud-Est européen, cette très ancienne
tradition « céleste » connaît des variantes, mais elle est toujours
présente. Ainsi chez les peuples altaiques, l'oiseau de lumière sera
fécondé par l’eau, le pêcheur du lac ou le chasseur de la forêt pour
générer les autres (hommes et femmes de la Terre).
Quant à l'œuf cosmique caché par la queue du Cygne et repêché
des ondes des eaux primordiales, il est couvé sur ces eaux et c’est
pour lui que vont s'affronter l'Oiseau et le Serpent, le Soleil et les
Ténèbres, Osiris et Seth, Apollon et Typhon (à Delphes) à travers le
terrible scénario du combat entre les forces naturelles que fut le
mythe du Déluge, diffusé partout dans le monde.
Pour marquer le point terminal des légendes et traditions
portant sur ce coin si étoilé du ciel nocturne, ajoutons que le Grand
Triangle du ciel boréal est également marqué par la Croix du Nord,
tracé en fait par les étoiles du Cygne. Cette croix, qui, chrétienne, sera
le symbole céleste de la foi illustrée comme carte de visite par le divin
triangle, portera à son intérieur l’image de la tête du dieu ou
simplement l'œil divin, substitut habile de l'œuf du monde, trop paien
pour être encore exhibé sur les murs des églises.

b) Triangle céleste et œil de Dieu


Un examen attentif du Codex mexicain n° 21 du fonds des
Manuscrits orientaux de la Bibliothèque nationale de Paris fait surgir
sous les yeux étonnés du lecteur une expression graphique commune
du triangle-symbole du Mont et de la Divinité et du Dix, marquée à la
manière de la tetraktys par une suite croissante de points-boules
allant de 1 à 4... Des êtres fabuleux représentant des forces d'ordre
cosmique le vénèrent. Une telle présence démontre une fois encore,
non seulement une universalité insoupçonnée de ce groupement de
nombres-symboles reliés directement au triangle sacré, mais aussi et
surtout l'appartenance incontestable de cet ensemble de notions
hautement symboliques et étroitement apparentées à ce fonds
Les Hommes-dieux pleurent à...chauds triangles (A et B), ou ils ont les yeux
inscrits dans des triangles (C).
(Poteries anciennes Ica - Pérou).
Du Dragon alchimique à L'Œil de Dieu, le triangle contient et protège le sacré, le
suprême, l'excellence.
en
{(Symbolique alchimique du XVII® siècle - A/Grand Sceau des Etats-Unis adopté
1792 - B).
ARCHITECTURE SACREE
206
Amérindiens
mythique de traditions que les ancêtres asiates des
eux à travers le Behrin g et qui devait s'épanouir
avaient véhiculé avec
ique de la future iconog raphie religie use des hautes
dans la symbol
Une origine beauco up
civilisations américaines précolombiennes.
ement appare ntée à des contact s
plus récente et vraisemblabl
via le Pacifiq ue justifie beauco up mieux, par
intercontinentaux
ations
contre, l'apparition — au Pérou — dans certaines civilis
d’autre s figurat ions, au
locales. comme par exemple celle des Ica,
triangl e parfait . Il représe nte cette
moins tout aussi surprenantes du
plus
fois-ci — sur des poteries — les larmes des dieux... Ce n'est
u-dieu dans le triangl e rayonn ant comme on le rencon tre dans
l'œil-d
use)
l'iconographie chrétienne ou dans l'héraldique (influence religie
des Etats- Unis d'Amér ique, mais
comme sur l’avers du sceau d'Etat
nages
le triangle-larme bordant la paupière inférieure des person
figurés sur les poteries.
Symbole du dieu, la larme-monde (c'est le destin qui se cache
dans les larmes des dieux) sacralisait aussi, sous forme de tache
de
peinte, le visage du guerrier en apparat de combat ou en costume
cérémonie.
Contemplant les poteries Ica, on aurait le droit de se demander
s’il ne faut pas se rappeler que le pays des Ica se situe au bout de ce
grand chemin suivi par des éléments de culture matérielle et de
civilisation constitué par la Migration pontique. Un courant dont
nous nous sommes déjà occupé et qui — comme l'ont dûment
démontré dans leurs travaux des savants réputés comme R. Heine-
Geldern, Gordon Eckholm et autres, et comme l'avait confirmé P.
Bosch Gimperra — avait transporté, par l'intermédiaire des
navigateurs du Sud-Est asiatique des éléments de culture matérielle et
traditionnelle de souche dniestro-carpato-danubienne jusque sur les
côtes de l'Amérique du Sud, à une époque située dans la première
moitié du dernier millénaire avant notre ère.
Néanmoins il faudrait ajouter à tout cela encore une liaison
magique et traditionnelle entre le triangle céleste et l'œil de DIeumIEe
fait que le symbole fasse son apparition dans la peinture religieuse de
l'Europe centrale, l'Autriche spécialement, comme une sorte de
rebondissement tardif du triangle sacré des anciennes traditions
populaires danubiennes (dans l'expression imagée de la religion pour
s'épanouir par la suite, une fois lancé, dans l’iconographie des églises
DES TRIANGLES SUR LE CIEL 207

chrétiennes de l’époque baroque, et pénétrer par la suite aussi dans


l'iconographie usuelle de l’église orientale), n’aurait pu déterminer
cette dernière diffusion. Si ceia est arrivé, c'est qu’en fait, le triangle
comportant l'œil se trouve un lointain et fabuleux écho dans de très
anciennes traditions grecques qui reliaient la Sicile aux... Cyclopes.
En effet, la Sicile a une forme géographique triangulaire bien
connue par les anciens Grecs qui l’avaient exprimée même par le
nom qu'ils donnèrent à cette ile : Trinakria (ou l’île aux trois caps —
de akra : cap). Mais il faut aussi préciser que Tri-n-Akria constitue
également une allusion à une autre triade mythologique, celle des
Cyclopes. Ces derniers, selon les croyances des mêmes Grecs,
habitaient dans les grottes et les antres des montagnes de l'ile...
Comme on voit le triangle, sous les feux changeants de la magie des
symboles, sert de trait d'union entre toutes les triades et trinités
anciennes et actuelles, épanouies çà et là à travers le temps et le
Dieu. cyclope — quand on le représente sous la forme de l’œil dans
le triangle — des chrétiens.
Parler de Dieu (surtout pour rester au christianisme), la plus
simple association d’idées nous fait ajouter au couple Véga-Altair le
brillant Deneb, une trinité en somme, et qui, à son tour, reprend
toutes sortes de triades sacrées du Vieux et du Nouveau Mondes.
Remontant de la trinité chrétienne aux triades en question, qu'il
s'agisse de Brahma - Vishnou - Shiva, des hindous, de Tezcalipoca -
Tlaloc - Huitzlipochtli des Aztèques ou d’autres triades pour ne pas
dire trinités tout aussi sacrées, on prend — que l’on veuille ou non —
l'escalier du ciel. Un escalier dont la dernière marche débouchant sur
Dieu est plus élevée que les cieux, comme le dit Job (2), car ce dernier
habite « par-delà les étoiles » selon le même Juste, et pour arriver
chez Lui, il faut frapper à la porte même du ciel, une porte
triangulaire comme celle des tentes des nomades, une porte en delta
que Dieu eut le soin de marquer sur le firmament boréal par son
remarquable triangle...

c) Du pôle du Ciel aux poissons des eaux


Avant d'abandonner le grand triangle vivant du ciel nordique,
n'oublions pas que son plus brillant joyau n'est en définitive qu'un

2. Bible, Job, XXII, 12.


208 ARCHITECTURE SACREE

dieu déchu — étant donné qu'autrefois Véga occupait l'actuelle


position de la polaire, que c'était elle la « polaire » ! En effet, le pôle
du ciel siégeait il y a 16 000 à 18 000 ans dans sa proximité. Voilà un
motif de plus pour que cette belle étoile figure dans la mémoire des
traditions et légendes, parmi les grands du ciel.
Pour les très probables admirateurs du Grand Triangle de
Lepenski Vir, le pôle se trouvait, au début de leur aventure locale,
quelque part dans l'immédiate proximité de l'Alpha du Dragon. Tout
en leur donnant une image légèrement déformée du ciel par rapport
au nôtre, cela ne pouvait que mieux les exercer dans la future
identification du Grand Triangle, plus haut encore, à cette époque...
Un autre recoupement d'importance quant à la présence des
trois phares du Grand Triangle nocture du ciel boréal dans les
traditions des Anciens, est offert par l’utilisation de ses trois étoiles
directrices. à des fins d'orientation, par les gens des mégalithes.
Ainsi lors de sa brillante recherche effectuée sur les sites
mégalithiques de Grande-Bretagne, cet incontestable spécialiste qu'est
Alexander Thom. ancien professeur à l'université d'Oxford (3),
trouva, après l'examen de 257 monuments mégalithiques construits
entre 2000 et 1600 avant notre ère, que certains d’entre eux, étaient
orientés sur. Deneb, Altair et Véga (9 monuments orientés sur
Deneb, 4 monuments orientés sur Altair, etc). De cette façon les
études du meilleur spécialiste mondial dans le domaine de
l'orientation des mégalithes, placèrent aussi les trois luminaires dont
il s'agit à côté du Soleil, de la Lune, d’Arcturus, de Capella (Alpha du
Cocher), de Castor (Alpha des Gémeaux), de Spica (Alpha de la
Vierge) ou d'Antarès (Alpha du Scorpion), parmi les repères
nocturnes consacrés à l'orientation des monuments terrestres.
Mais si le pôle était dans le Cygne, il y a quelque 18 millénaires,
ou dans le Dragon il y a plus de 6 000 ans, sa migration, tout en
faisant miroiter le firmament aux yeux déjà si intelligents des
hommes, ne faisait que mieux les déterminer à suivre les premières
classes de la future astronomie. Ces classes sur les bancs de légendes,
desquelles, les gens de Lepenski Vir ont appris très certainement à

3. Megaliths and Mathematics, in Antiquity, XL, 1966 et Megalithic Sites in


Britain (Oxford, 1967). :
DES TRIANGLES SUR LE CIEL 209

connaître et reconnaître un certain triangle. Le fait que les plus


anciennes légendes eurasiatiques s'y rapportant remontent déjà aux
HI et IV® millénaires avant J.-C., confirme cette façon de voir les
choses. D'ailleurs, une telle représentation rituelle du triangle sera
découverte sur le rocher-observatoire astronomique du site caucasien
de Medzamor, en Russie (datant du III* millénaire avant J.-C.).
La fabuleuse légende de Dhruva, la divinité polaire des anciens
hindous, et surtout l'analyse de ses fondements fournissent des
arguments de taille pour raffermir notre hypothèse (4). En effet, tout
comme dans le cadre des correspondances Terre-Ciel, le tourbillon
des eaux de Lepena aurait dû faire penser au tourbillon du ciel (de ce
ciel, dont les « bœufs » — toujours chez les Grecs —, étaient
«hélicoïdaux » car «tournant les jambes en marchant», autre
allusion bien plus ancienne à la danse des étoiles autour de l'axe
polaire), l'axe reliant les deux tourbillons étant, pour des gens
demeurés dans le monde des mythes, celui de leur propre monde.
Pour clore ce voyage parmi les étoiles, et tout en nous rappelant
— à travers les anciens Grecs — des bœufs et des brebis célestes, qui
évoluant sous la voûte du firmament constituaient le troupeau
lumineux des étoiles principales des deux Ourses, la grande et la
petite, vues à l'œil nu (car en réalité la Grande Ourse contient 87
étoiles et la Petite Ourse 22), on serait en droit de se demander si les
gens de Lepenski Vir ne procédèrent pas de la même façon. Les
agriculteurs-éleveurs grecs ou autres voyaient sur leur ciel des bêtes
de trait ou d'élevage (5), c'était normal ; les Anciens de Lepenski Vir,
plus pêcheurs que chasseurs (songeons à l’'homme-poisson), auraient
tout aussi bien pu voir des troupeaux de... poissons dans le grand
fleuve de lumière de leur ciel, un autre Danube... céleste ! Ces
poissons d'eau douce qui, à l'instar de leurs frères océaniques, se
tiennent eux aussi compagnie en ordre d'agglomération triangulaire,
comme une escadre moderne de sous-marins en plongée ordonnée.

4. Dhruva, fils d'Uttana Pâda, se maintenait toujours sur un seul pied (comme
un pilier), allusion évidente à l'axe polaire.
5. D'où l'appellation du Nord : septentrion, allusion aux sept bœufs de labour,
septentriones des Romains, représentant les étoiles (principales) de la Grande Ourse
(pour les Chaldéens, les planètes étaient des chèvres).
ARCHITECTURE SACREE
210

d) Les Portes du Ciel et leur triangle


seul à régir du
Néanmoins le grand triangle céleste n’est pas le
des étoiles les destiné es des communs
haut du monde inaccessible
l'on se situe à l'époq ue qui fut celle de la constitution
mortels même si
grand triangle
de la multimillénaire tradition du triangle... Un autre
disput e au moins une partie
du ciel nocturne, bien plus abstrait, lui
traditi on, il s'agit du grand triangl e des
des droits d'auteur de la vieille
trois portes du ciel.
gues
Véritable source d'inspiration ultérieure des futurs astrolo
doivent la présenc e des
babyloniens, les devins ës-astrologie lui
horosco pes.…. Un trigone, c'est-à- dire
trigones dans leurs calculs et
« en triangle »
« l'opposition » ou pour mieux s'exprimer la position
(ciel de
de certains luminaires intéressant les thèmes astrologiques
positio ns tempore lles et
naissance par exemple ou divers transits, ou
«sujet» ). Situatio n essenti ellemen t
accidentelles de la vie du
trois angles (un plan à trois angles est un plan
géométrique car offrant
sommets
trigone), le trigone astrologique n'est qu'un triangle à
ponctués par des luminaires (astres, planètes) et dont les points
extrêmes présentent entre eux des distances frisant les 180°. Le fait
même que le trigone présente une certaine importance dans un thème
ne fait que confirmer la valeur de la notion de triangle sacré d’où il
dérive. Comme on le sait, le trigone constituait un des aspects d'un
thème astrologique à côté de l'opposition (diamétrale) du carré, du
sextile, etc. Des auteurs classiques comme Sextus Empiricus,
Ptolémée, Maternus, Proclus et même l'Egyptien Manethon s'en sont
occupés dans leurs écrits ; les astrologues de nos jours le manient
avec attention étant donné son « efficacité » dans la lecture d’un
thème...
Pour revenir au triangle des portes célestes, précisons qu'il s’agit
des trois portes mystiques du ciel, que les traditions sumériennes
connaissaient déjà et dont certains auteurs romains tel Varron,
célèbre polygraphe latin (116 - 27 av. J.-C.) et un des esprits les plus
encyclopédiques qu'eut Rome, et bon nombre d'autres auteurs
classiques parlent en détail. Une des portes de ce triangle était située
dans le signe du Scorpion, à proximité de l'étoile Antarès, une autre
entre les constellations du Cancer et du Lion, et la troisième entre les
constellations des Poissons et du Verseau. Dans le fond, il s'agissait
d'un gigantesque triangle imaginaire inscrit dans le zodiaque et au
centre duquel était censée se trouver la Terre. ÿ
Le triangle des PORTES du CIEL.
A - Porte Cancer - Lion: B - Porte Poissons - Verseau; C - Porte dans le
Scorpion.
212 ARCHITECTURE SACREE

[1 faut dire également que, du grand triangle zodiacal des portes


du ciel et jusqu'au simple trigone d'un horoscope quelconque, le
triangle reste aussi une des figures fondamentales de la constitution
des éléments cosmiques.
L'existence même du triangle zodiacal, comme pour relier le
cercle des constellations dans lequel il est inscrit à la Terre centre du
monde et dans la pratique courante à l'observateur, nous porte vers la
conception du Maître Triangle, respectant en tant que triangle parfait,
l'image-symbole de la totalité des choses, de l'Univers, du Ciel'etrde
l'Homme même.
Une telle vue par autant générale et généralisante est confirmée
par la présence du Triangle suprême dans le cercle du divin espace
céleste des Japonais. Ainsi, les trois Kami, dieux piliers du ciel et
aussi dieux cosmiques primordiaux, constituent eux aussi un triangle
divin.
Dans le SanDaikô (L'étude des trois générations) de l’auteur
Nakatsune, publié en 1791 en supplément au XVII volume du
Kozhiki Den (Tradition de Kozhiki) rédigé à son tour par le célèbre
Motowori Norinaga (1730-1801) (6), deux diagrammes font état du
triangle constitué par les trois dieux piliers du ciel.
Le premier diagramme, celui du cercle «du divin espace
céleste » comprend le triangle imaginaire des trois grands Kami:
Ameno-mi Naka Nushi Kami, le Grand Maitre du centre du ciel qui
habitait dans la polaire (façon de relier le trois à l’un, étant donné que
le divin personnage était parfois désigné sous le nom de Grand Un ou
de Premier Un), Taka mi Musu bi Kami, ou le brillant haut dieu
générateur des choses d'en haut et Kami Musu bi Kami, le brillant
haut dieu générateur des choses d'en bas Îles deux derniers dieux de
cette triade céleste correspondaient en fait au couple japonais IzanaG:i
- IzanaMi, autre préfiguration locale des deux principes fondamen-
taux chinois, le Yang et le Yin, dans leur opposition issue de leurs
attributs concernant pour l'un la responsabilité des choses du Haut
(Ciel) et pour l’autre celle des choses du Bas (la Terre)].

6. Hatori Nakatsune fut l'élève favori de Norinaga, dont l'œuvre reste une des
meilleures présentations de l'ensemble des anciennes traditions religieuses
japonaises concernant l'origine et surtout les étapes traditionnelles de la constitution
des légendes et traditions des dieux du Japon. e
Les diagrammes du Koz-
hiki Den
A: Le «cercle du divin
espace céleste »
1 - Ameno - mi Naka Nushi
Kami ;
2 - Taka mi Musu bi Kami ;
3 - Kami Musu bi Kami;
(les trois Kami, dieux piliers
du Ciel, dieux cosmiques Sir
ee#

primordiaux).

|ES
FA
e- HR
D
Mt
x
wo
der SeD

B : Les mêmes dieux avec l'indication du


sommet de la représentation du cosmos,
régi par le GRAND UN, autre forme du
dieu de l'éternel état du ciel, sis dans le
pôle céleste et — en tant que maître de
l'axe du monde aussi dieu-étoile polaire.
ARCHITECTURE SACREE
214
s'était
Néanmoins, la tradition grecque était la seule qui
son symbol e le plus expressi f, le plus
fabriquée du triangle zodiacal
cela au terme d'une géométr isation plus ou moins liée à
typique... et
traditio n que les
la numérologie sacrée. Aux sources mêmes de la
e du
anciens Grecs avaient apportée, et qui concernait la présenc
es et pratiqu es mystiqu es, magiqu es et
triangle dans leurs croyanc
on retrouv e assurém ent la pierre conique , cette pierre
religieuses,
d’origine
déjà sacrée chez les Phéniciens, mais qui n'était pas
phénicienne.

Un monument grec assez étrange fait état de ce triangle. Il s'agit


de la sphère de marbre d’une circonférence de 0,91 m, découverte
par les archéologues Rhousopoulos et Pervanoglou, en 1866, dans les
ruines du théâtre de Dionysos à Athènes.

A la première vue, la sphère en question porte des représenta-


tions tout à fait particulières. Un Dieu-Soleil, assis sur son trône entre
deux chiens dont un à la tête rayonnante, un lion entre un serpent
barbu et une torche ardente, toutes sortes de signes et plusieurs
cercles. Deux grands et cinq petits (en tout sept cercles). Lorsque bien
plus tard, A. Delatte a fait l'étude de l'objet, tout en nous en donnant
une description détaillée, il a révélé aussi, sans trop insister, la
présence, dans un des grands cercles (à la circonférence de 0,64 m),
de la figuration d'un friangle pas tout à fait régulier (aux côtés de
15,5, 13,5 et 17,5 centimètres) ; il s’agit d’un triangle intérieur, mais
non exactement inscrit dans ledit cercle. Les côtés de ce triangle sont
bordés d'inscriptions, successions ou répétitions de certaines lettres
grecques. Les proportions des côtés de ce triangle intérieur à un
cercle, correspondent en fait aux relations dimensionnelles réelles qui
déterminent les côtés du triangle céleste zodiacal, comme le montre le
dessin de ce dernier.

Les trois côtés du triangle comprennent, quant aux lettres qui les
entourent, des rangées de 26, 30 et 27 caractères. Si les deux
premières séries sont constituées de rangées ininterrompues de signes
alphabétiques, en revanche la dernière consiste — comme pour en
accentuer le contenu magique numérologique — en sept groupes de
signes répétés (six groupes de lettres et un signe unique au début). En
nombre de signes, la succession est :
1 3 4174 474 —= 27esignes ;
Sphère magique d'Athènes.
A - Dieu Soleil
B - Lion solaire
T - Le triangle céleste

RE.
4 ®,
TES

HRTEEEN

C - Cercle à signes magiques


D - Autres signes magiques

10 20 tm.
216 ARCHITECTURE SACREE

Quant aux figurations de la sphère, le personnage assis, un Soleil


couronné de sept rayons et entouré de deux chiens, il s’agit
vraisemblablement du Soleil et de deux constellations, celle du Chien
(Sirius) et du Petit Chien (tout comme dans une de ses représentations
du fameux Codex Vossianus, Sirius est figuré sous la forme d'un
chien à tête radiante à sept rayons (7)). Quant au lion, même s’il
représente la très connue constellation zodiacale, il ne faut point
oublier qu'il est aussi une représentation correspondant au Soleil. La
torche allumée représente vraisemblablement une comète. Selon les
spécialistes qui se sont penchés sur les significations possibles des
éléments de décor de la sphère en question — il y a une bonne
cinquantaine d'années — le serpent qu’elle porte devait représenter la
constellation du même nom ; pour les Grecs, tout comme pour les
Egyptiens il existait aussi une certaine collusion Serpent-Soleil,
épanouie par la suite dans bon nombre de textes gnostiques et
magiques de la Grèce.
Deux détails de cette sphère — datée du II° siècle de notre ère —
présentent, selon nous, une importance particulière. Tout d’abord le
fait qu'elle se réfère au ciel boréal et au Lion marquant le temps de
l'année qu'une telle allusion astrologique aurait dû représenter, et qui
devait être tout justement celui de l'été (juillet-août, intervalle placé
sous le signe du lion, ardent, chaud et correspondant sous cette
ultime acceptation au Soleil). Le deuxième détail : la présence des
chiens. Comme l’avait déjà souligné Delatte, les chiens constituent un
signe céleste de la CANIcule (pour la période 24 juillet-24 août). Cela
confirme l'interprétation de la présence du lion et du Soleil sur cette
même sphère.
Mais il y a plus. La présence du triangle marqué sur la sphère et
bordé d'inscriptions doit être — comme nous l’avons déjà suggéré —
, rapprochée du grand triangle nocturne « classique » dessiné sur le
ciel par la triade Véga -Altair-Deneb, qui arrive à son format presque
parfait à la même époque de l’année. pour la zone de l'Europe
centrale et de la Grèce.

7. De la même façon que celle dont il est figuré sur certaines monnaies
grecques de la ville de Cos (Mionnet, Des médailles antiques, W, p. 313-3 4).
DES TRIANGLES SUR LE CIEL 217

Pour A. Delatte, la sphère de marbre devait avoir été placée dans


le théâtre de Dionysos à Athènes en vue de servir à des opérations
magiques et il avait cru même qu'on l'avait enterrée par la suite dans
le sous-sol du théâtre, pour marquer une sorte de prise de possession
du terrain. Laissant de côté les origines très anciennes, nord-
danubiennes de Dionysos même, nous nous bornerons à souligner
qu'un tel usage de cette sphère correspond à lui attribuer le même
rôle que celui qu'eurent certains galets dans l'univers intérieur des
maisons-trapèzes de Lepenski Vir….

2. Les grands trois du ciel du jour


a) La « queue » de la Terre est un triangle
Qu'on ait découvert sur le ciel le modèle du triangle plus ou
moins parfait et que par la suite, par une sorte de vague en retour, on
ait reprojeté le triangle construit à même le sol ou gravé sur le rocher
en le projetant sur la voûte céleste nocturne, c'était à peu près
normal. Néanmoins le triangle céleste ne fut pas l'apanage exclusif du
ciel étoilé. Celui du jour eut lui aussi son et ses triangles.
En ancienne Egypte, à Edfou, sur les marches du temple
consacré au Soleil, on s’adressait à Horus, le dieu Solaire triangulaire,
par les mots : « O toi, Dieu triangulaire, âme de l'Orient, image de la
lumière zodiacale !.. », et on le représentait par le petit rriangle
équilatéral qui fut chez les Grecs, le signe de la lettre delta (A).
La lumière zodiacale ? Certes, ce phénomène annexé à la
Science moderne par l’astronome parisien Cassini à peine en 1660, et
qui n'est autre chose qu'une luminosité bien marquée présente de
façon régulière, le matin, vers l'Orient, avant le lever du Soleil, et le
soir vers l'Occident, après le coucher de l’astre. De forme pyramidale,
donc apparemment triangulaire, ladite lumière a la base sur le sol et
la pointe du sommet dirigée vers le zénith... D'une durée de 40 à 45
minutes, le triangle de lumière disparaît lentement. Le phénomène en
question fut bien connu par les anciens Grecs et Romains qui tout
comme les Egyptiens lui accordèrent une origine divine. Typique
surtout pour les régions du Midi, cette lumière paraissait saluer le
Soleil à venir et celui-ci une fois parti...
ARCHITECTURE SACREE
218

b) Un triangle tombe du ciel


n'est
Triangulaire selon les apparences, la lumière zodiacale
triangle (en fait, plutôt
point le seul « triangle » céleste du jour. Un
ène
une pyramide) peut être vu dans la forme d'un autre phénom
par une
lumineux, déroulé en plein jour dès que le Soleil est caché
de nuages suffisa mment haute et relativ ement assez peu
couche
dense à travers laquelle les rayons de lumière descend ent en longues
s'ils
projections lumineuses jusqu’au sol, tout en s'écartant comme
des parois d'une pyrami de dont le sommet
glissaient au long
imaginaire serait le Soleil...
Le phénomène a tellement choqué certains savants et hommes
de lettres que même des gens comme Gœæthe l'ont reproduit en le
à
dessinant dans leurs cahiers de travail. Néanmoins Goœæthe, œuvrant
cette reconsti tution du triangle lumineu x créé par les rayons du Soleil
descendant à travers les trous de densité des nuages, ne savait pas que
bien avant lui. et aussi bien avant les anciens Egyptiens eux-mêmes
_— qui l'avaient représenté — les gens des débuts avaient été
impressionnés par le même phénomène naturel et ils l'avaient eux
aussi reproduit.
Les gens des mégalithes l'ont parfois figuré par certains de leurs
alignements, comme celui de Mosna au Yémen représentant quatre
rangées de fiches de pierre divergeant d'un cercle de pierres de dix
mètres de diamètre : les hommes de l’époque du fer l'avaient eux
aussi inscrit dans le répertoire de leurs propres créations d'art. Il en
va ainsi du disque à rayons solaires découvert en Îtalie près de
Bologne et conservé au musée d'art et d'histoire de Genève. Soleil,
rayons, nuages, sol et oiseaux volant entre le sol et l’astre sont
présents à côté d’encoches dont le nombre avait probablement des
significations de magie numérale, sinon un certain rattachement avec
une ébauche de calendrier (aspect perdu, de nombreuses encoches
étant disparues des parties abîimées de la pièce). Bien avant cet objet
d'origine villanovienne et relativement jeune, car datant de l'époque
du fer, des pendeloques datant de l'époque du bronze attestent
l'ancienneté d'un symbole déjà usuel depuis quelques millénaires
avant notre ère. Il faut dire même que, parmi ces pendeloques
triangulaires, munies de crochets et d’anneaux, gravées ou non, on
rencontre certaines pièces qui nous portent bien plus loin dans le
temps par les traditions formelles plus ou moins rattachées à la magie
A - Disque à rayons solaires d'Etrurie (Musée de Genève).
la Seine).
B - Pendeloque en bronze de l'époque romaine (Paris, lit de
C - Plaque de ceinturon {Gaule - Barrière- Flavy).
D - Broche en bronze - époque romaine {Ville de Gereve).
Zurich).
E - Boucle d'oreille - âge du bronze {Suïisse, région de
F - Epingle - âge du bronze {Suisse, Genève-Eaux Vives).
220 ARCHITECTURE SACREE

des nombres qu'elles véhiculent. Ainsi la pendeloque en forme de


hache. du trésor de Cruseilles qui, malgré son appartenance à
l'époque romaine tardive (III* siècle de notre ère), nous offre une
surface triangulaire ornée de cercles ponctués disposés en rangées
successives |, 2, 3, 4...
Oui, mais avec cela, nous versons un nouvel argument au
dossier déjà si riche des relations qui reprojettent la géométrie et la
numérologie des maisons-premières de Lepenski Vir sur tant d’autres
créations artistiques et architecturales marquées par le signe du
triangle: qu'il s'agisse des surfaces latérales triangulaires des
pyramides, des pointes (sommets) des obélisques et piliers sacrés
égyptiens terminés en « pyramidion » (une petite pyramide) ou de
l'image du Soleil rayonnant, dispensateur de lumière et d'énergie, la
pyramide sui generis de la maison de Lepenski Vir, tout comme son
plan en triangle parfait géométriquement amputé de son sommet
évoquent le même symbole essentiel, la même force solaire...

c) Le problème des trois Soleils


Si le triangle constitué par Véga et ses consœurs de luminosité
céleste sur le ciel demeure nocturne et permanent, il existe
néanmoins un autre « grand », mais par autant rare et incomparable
triangle diurne, miraculeux car imaginaire mais aussi produit d'une
certaine logique, le triangle issu du fameux problème des trois soleils
simultanés...
La mythologie nous apprend que certains grands dieux à
attributs nettement solaires tels Zeus, Apollon, Dionysos, Mithra et
autres ont — et cela on l’a déjà vu avec ses pourquoi et comment —
une nature triple.
Correspondant au Soleil, Zeus comme dieu suprême ou Apollon
par sa propre nature, sont à la fois MAITRES de l'UNIVERS, causes
primordiales de toutes choses ou mouvements et guides de toute la
création vivante ou non. Une triple fonction concernant des triples
qualités et ce qui va pour ces deux premiers est valable — à peu de
différence près — pour tous les autres grands dieux triples de
l'histoire de l’homme.
Les anciens Egyptiens saluaient la face du Soleil dans leur
enseignement religieux par un triple titre, en appelant Hermès
DES TRIANGLES SUR LE CIEL 221

Trismégiste Soleil frès puissant, c'est-à-dire âme, puissance et lumière


du monde.
Trois soleils et déjà plus un soleil triple, sortaient journellement
de la matrice universelle pour gouverner en permanence non
seulement le sort de la nature, mais aussi les trois régions du monde
(céleste, terrestre et infernale) dans bon nombre de traditions occultes
des anciens Grecs. Des traditions que ceux-ci tenaient à leur tour
d'un héritage tant égyptien qu'oriental. Delaporte dans son ouvrage
sur les Hittites publié en 1936, signalait les trois dieux-soleils des
Sumériens, Akkadiens et Hittites, dont chacun gouvernait une des
parties composantes de l'Univers, c'est-à-dire le Ciel, la Terre et le
fameux Océan primordial (une des premières identifications du
royaume ténébreux des vagues régi par le dragon — ou serpent — au
domaine infernal).
Trop forte, cette tradition des trois soleils distincts sortit plus
vraisemblablement d’une représentation ou d’une projection à travers
la pensée des Anciens d’un intéressant et rare phénomène naturel,
que du simple triplement d’une notion religieuse ou mystique qu'était
pour eux le Soleil-Dieu…
Oui, car les trois soleils à la fois (et même parfois plus) existent,
c'est-à-dire qu'ils peuvent « exister ».…..
Faut-il remonter jusqu’au texte du philosophe romain Sénèque
pour les trouver, lorsque dans ses Questions naturelles (livre I, chap.
XI, 2) il parle des historiens ayant relaté les apparitions de deux ou
trois soleils simultanés, ou nous sera-t-il suffisant de puiser de nos
jours dans la chronique des faits divers naturels, en consultant de
simples journaux ? Ainsi les journaux anglais qui rapportaient
l'apparition au-dessus d'un village du Yorkshire, par un temps
nuageux, au mois de février 1952, de trois soleils, dont deux
paraissaient former avec le troisième, un triangle presque parfait... Le
fait que les trois soleils en présence étaient teintés chacun d'une
différente couleur (rouge, vert et orange) ne faisait qu'accentuer
l'impression irrationnelle qu'on avait affaire à trois astres. Ce
phénomène de parhélie ou de faux soleil dû à un processus de
réfraction qui détermine en même temps le halo, même s'il est très
rare, ne pouvait échapper aux Anciens. Le SOLEIL TERNAIRE
(lorsque l’image n'était pas linéaire ou multipliée plus encore)
constituant un véritable triangle céleste diurne ne doit pas être
éloigné de la naissance de la conception de la triplicité des DIEUX-
ARCHITECTURE SACREE
22?
s, croyances
MAITRES. des dieux de la lumière des grandes religion
ou traditions anciennes...
fut
Ce grand précurseur de nos « soucoupistes » actuels que
romain de l'insolit e, parent de
Gaius Julius Obsequens, écrivain
— faisant l'invent aire des prodige s de la nature
l'empereur Auguste
Des
__ en récolta toute une série d'exemples dans son livre intitulé
Des historie ns comme
prodiges qu'il rédigea au 1°" siècle de notre ère.
Tite-Live (XLL, 21) notèrent de tels événements dont Pline (II, XX XI)
(les
fit lui aussi une riche énumération tout en précisant leurs dates
s de Rome sous lesquels ils se produisi rent). Tant Obseque ns
consulat
que Pline citèrent des cas précis d'apparitions de trois soleils et même
de trois. lunes !
Terrible, comme pouvait l'être pour l'imagination d'un homme
des premiers âges, le phénomène qui a hanté depuis, non seulement
la curiosité des analystes de tout bord, mais aussi la fantaisie des
poètes, sut se donner un décor d'envergure dans certaines des œuvres
de ces derniers. C'est ainsi que Victor Hugo (Eï nox facia est...)
dépeignit la chute de Satan sous l'œil brillant de... trois Soleils :
« et d'épouvante il ferma sa paupière
Et quand il la rouvrit, trois soleils seulement
Brillaient et l'ombre avait rongé le firmament... »
A la triplicité successive d’un Soleil inspectant tour à tour les
domaines de l'Univers, à la triplicité isolée et prise à part des trois
Soleils présents chacun dans un des trois domaines du monde,
s'oppose cette fois-ci la présence simultanée des trois soleils en
triangle ou parfois en ligne, ce qui sortant du domaine des « faits de
pensée » devait constituer pour les primitifs l'apparition même du
Maître du Monde. Une sorte de personnification matérielle du
Grand Dieu...
Il ne s'agissait plus du Dieu faisant ses trois pas, comme
Vishnou des hindous, pour enjamber du premier la terre, du second
le ciel et du troisième l'enfer, ni de la triple présence dans le ciel, les
eaux primordiales ou sur la terre des soleils imaginés à dessein par les
Mésopotamiens, mais du triple œil ouvert du Dieu, disposé en
triangle ou en ligne, et par-là même de Dieu lui-même en tant que
manifestation extraordinaire. De là à faire du ciel même un triangle
sacré, il n'y avait qu'un seul pas... =
DES TRIANGLES SUR LE CIEL 228

Celui, par exemple, qui mena — à travers l'identification du


Soleil avec l'Œiïl de Dieu (que les chrétiens, dans leur imagerie,
enfermèrent à l'intérieur d’un triangle rayonnant) — à la représenta-
tion du Dieu pourvu de trois yeux, surtout lorsqu'il personnifiait le
temps. Pour mieux comprendre le sens de cette triade du regard
divin, il nous suffit de citer Hugo, de nouveau Hugo, comme l'avait
fait, dans son excellent ouvrage sur le Trois, superlatif absolu, le
Suisse W. Deonna. En effet, le poète écrit (Le Satyre) :
« Jupiter aux trois yeux songeait, un pied sur
l'aigle ;
On voyait dans ses yeux le monde commencé ;
Et dans l’un le présent, dans l'autre le passé ;
Dans le troisième était l'avenir comme un
songe ; »
La force de la tradition du prodige céleste fut telle que les trois
pas du Soleil, présents dans bon nombre de croyances éparses à
travers le monde à côté de variantes locales des légendes des trois
Soleils, se cachent encore de nos jours dans des pratiques qu'il ne
faut pas aller retrouver ni en pleine Afrique noire ni en Amazonie ou
chez les aborigènes australiens. Les vallées des Alpes et des Carpates
nous en fournissent tous les exemples. Ainsi les trois sauts du Soleil à
Pâques afin de fêter la résurrection du Fils de Dieu en Bavière
montagneuse, les trois cierges qu'on allume à la même occasion en
Bohême, en Slovaquie, dans les Carpates et les vallées de
Transylvanie.
Des trois soleils simultanés, marquant le triangle divin ou le
bâton (de commandement) de Dieu (lorsqu'il y a disposition linéaire)
sur le ciel des Cro-Magnon à l’occasion de quelque parhélie sombré
dans la nuit des temps, aux trois cierges du Samedi saint des
Autrichiens du Tyrol et des habitants des Carpates et des Balkans,
quelle distance et, en même temps, quel rapprochement |
D'ailleurs, on ne saurait faire la différence entre le triangle
nocturne des luminaires et celui diurne si rare du parhélie en tant
qu'inspirateurs du triangle plan (de la maison), enceinte ou symbole
corporel. Il est très probable qu'une vague en retour de la pensée
avait reprojeté sur le ciel le triangle féminin, le superposant à celui
des étoiles pour en faire aussi une sorte de matrice cosmique d'où
devaient sortir — pour les magiciens de la Grèce ancienne — chaque
ARCHITECTURE SACREE
224

jour, trois soleils afin de présider aux aléas du destin des hommes,
développé lui aussi sur trois plans : matériel, mental et sacre...

d) Les «trois pas » du Dieu Soleil


Tout cela est bien vrai, mais ce que les spécialistes n'ont pas
encore réussi à établir, c’est la chronologie de ces interprétations des
Anciens. La vision des trois pas successifs d’un même soleil, fut-elle
la première ? L'image géométriquement plus élaborée des trois soleils
différents en triangle ou en ligne ne l'avait-elle pas précédée ?.. et à
travers elle, le triangle parfait ?
Lepenski Vir nous semble pouvoir suggérer une réponse.
Les spécialistes émus par la prédilection des Anciens pour les
vertus magiques du nombre trois qui vont jusqu'à une confirmation
de la création par association mentale des trinités ou triades divines,
surpris par l'importance de la représentation trinitaire à l'époque du
fer et surtout chez les Celtes (à partir de la période dite La Tène I) ont
analysé disques, anneaux, sphères, amulettes, bijoux, roues solaires,
objets et dessins ou gravures portant des décors ou concernant des
sujets marqués par le trois.
Tout le monde s’est mis d'accord pour accepter que ces triangles
ou ces triades représentaient en fait — le plus souvent — l'évocation
matérielle des trois moments essentiels de la course diurne du Soleil :
lever, zénith, coucher. Les trois emblèmes du même soleil, disposés
assez souvent en ligne sur la verticale, l'horizontale ou une courbe,
mais aussi et bien plus fréquemment en triangle afin que le soleil du
Midi puisse occuper la position centrale, dominante.
On a cité bien souvent l'exemple d'un vase italo-grec où un
satyre approche sa torche allumée d'un autel décoré de trois boules et
dominé par le disque rayonnant du soleil, cela pour ne plus parler de
la riche symbolique du disque solaire ou du soleil-personnage
entouré par les trois soleils disposés en triangle, qui ont illustré des
objets rituels ou profanes depuis la préhistoire (les débuts de l’époque
du fer ou en certains endroits déjà dès l'époque du bronze) jusqu'au
Moyen Age... Ceinturons, armes, fibules, lampes, objets en pierre ou
en céramique, partout dans le monde en témoignent.
Le motif des trois points (en ligne ou en triangle), celui des
décors en trèfle, des étoffes tissées à l’époque carolingienne et qui
DES TRIANGLES SUR LE CIEL 225

reprennent des motifs assurément plus anciens, comme par exemple


ceux de la chasuble de saint Ragnobert (Bayeux) datée d'environ 670,
appartiennent sans doute à la même imagerie du décor, que les
dessins des étoffes des Flandres et de Lombardie des XV® et XVI®
siècles. Eulart dans son Manuel d'architecture française (HIT, le
Costume, p. 7, 15, etc.), en cite des exemples. Parmi eux celui du
vêtement d'un noble français orné de 300 pièces d’or cousues par
trois en 100 trèfles.…
Néanmoins, trèfles ou triangles doivent céder la priorité au
modèle linéaire — aux trois soleils en ligne — des soleils du jour pris
dans une représentation successive du cours de l’astre, allant de
l'aube au crépuscule, saluée par le chant évident d’un coq (de bruyère
sinon déjà domestique) sur les parois d’une maison de... Lepenski
Vir ! L'image est — il nous semble — indéniable.

Le coq salue le triple Soleil fLepenski Vir Id-e).

Le coq qui chante, qui crie, qui pourchasse la face du Dieu-soleil


dans son hymne de triomphe matutinal démontre non seulement la
façon dont les Cro-Magnon oberkasseliens de la proximité du
tourbillon nourricier de Lepena ont été les premiers en date à avoir
inventé le... réveil, mais aussi une autre face des rapports oiseau-
soleil. Cela permet aussi — en possession d’un témoignage pour
l’antériorité du trois en ligne — de considérer que ses premiers
employeurs furent aussi les premiers à avoir consciemment franchi le
pas suivant, celui qui mène vers le trois en triangle... S'il en est ainsi,
c’est le chant du coq de cette vieille représentation de Lepenski Vir,
ARCHITECTURE SACREE
226
l'homme sur la géométrie cinq
qui annonce la mainmise de
millénaires avant Pythagore !

* *

triangle,
Signe de choix des bâtisseurs de Lepenski Vir, le grand
devait matérial iser la maison,
amputé de son sommet dès qu'il
dans un sacrific e rituel de son sommet si
décapité comme
à lui-mê me et transfo rmé en trapèze, devait représe nter
ressemblant
é.
aussi — sur le sol — une marque de possession, de propriét
Les Cro-Magnon oberkasseliens de Lepenski Vir venaient de
loin, de quelque part en dehors du site ; leur établissement sur les
bords du Danube en face du tourbillon nourricier de Lepena dans
une contrée toute nouvelle, inconnue et encore non défrichée était,
en fait. une sorte d'acte de création, de prise de possession. L'homme
pénétrait dans un chaos qu'il devait en premier lieu organiser. Une
organisation équivalente au fond à la répétition solennelle d'un acte
primordial, celui du Dieu aux temps de la Création, lorsqu'Il avait —
pour la première fois — transformé le chaos universel en Cosmos
(8)... Acte rituel de prise de possession, l'érection d’un autel à Dieu ou
aux dieux-forces de la nature devait se traduire à Lepenski Vir par
l'édification. voire la construction du monde de l'homme. La maison
dans le site, le foyer dans la maison... Des triangles pour le Dieu
(poisson) ou les dieux du... triangle, Dieu ou dieux du grand Tout...
Des triangles pour le Dieu-poisson à la fois dieu et triangle (9)....et si
l'on coupe leur sommet — comme pour leur cacher la forme (initiale)
— c'est aussi parce que probablement déjà on n'avait plus le droit de
prononcer le nom du dieu. Diminuer le triangle, exorciser ou
conjurer le dieu, exorciser comme pour conjurer le mauvais sort qui
aurait pu se venger de l'audace avec laquelle ces hommes avaient
commencé l'œuvre tout en traçant son vrai visage. l'immuable, le
caché, le mystérieux...
.….et le triangle devint trapèze pour mieux sceller la maitrise des
chasseurs-pêcheurs de Lepenski Vir sur leur nouvel Univers.

8. Voir V. Hamel, l'Homme primitif et la religion (Paris, 1940).


9. Des figurations en provenance de toute la région méditerranéenne certifient
la correspondance sacrée poisson-triangle. Ainsi des représentations d'Etrurie de
trois groupes de trois triangles, côte à côte, alternant avec trois poissons (ce qui relie
le poisson aussi à la symbolique du trois et de ses multiples ternaires et
quaternaires : le neuf et le douze). x
CHAPITRE VII

Le témoignage des têtes

« Faut que tu sois ainsi, nul n'échappe à sa tête


Ainsi dit Apollon, ainsi dit le prophète.
Développe en vivant la forme empreinte en toi
Que ne peut morceler ni temps, ni roi, ni loi. »
Gœthe

Les bâtisseurs du plus ancien site de Lepenski Vir n'auraient pu


y arriver qu’en longeant le Danube depuis les parages de leur lieu de
départ — vraisemblablement du côté de la Forêt-Noire — jusque
vers son embouchure. Même dans le cadre d’un voyage à étapes plus
long encore dans le temps. Cela aurait justifié l'apparition — à la
rigueur — du culte des ancètres sous la forme de l’adoration d’un
ancêtre commun et supérieur, l'ancêtre-guide. Un ancêtre mis en
liaison occulte, symbolique avec l'eau, par le truchement du galet-
tête, et également avec le Soleil, représenté lui aussi, ce dernier, par la
LÊre

1. Le crâne, une borne de l'Univers


L'histoire des religions nous apprend qu'aux débuts, dans une
confusion voulue du sacré et du profane, force cosmique supérieure,
formel
Soleil et pierre ovoide parlaient bien souvent le même langage
rapporta ient appare mment à la même chose. De nombreu ses
et se
archaïques cachaient sous le manteau de
traditions et croyances
différentes figurations cette réalité primordiale qu'était le galet ovoide
en puissance (le
__ œuf-du-monde en tant qu'image sacrée du Tout
228 ARCHITECTURE SACREE

Tout potentiel) — et qui beaucoup plus tard offrira à Platon une idée
toute exprimée pour rapprocher sphère, tête, univers et perfection.
C'est là que se trouve le biais à travers lequel le culte de la tête
humaine — qui ne devait pas manquer dans la démarche d'ordre
religieux des gens de Lepenski Vir — allait déboucher pour
s'épanouir de telle façon qu'il y laissa empreintes et traces. Grâce à
ces vestiges évidents, l'horizon culturel des hommes du site nous
semble relativement facile à reconstituer.
Parlant des symboles de la société humaine, André Leroi-
Gourhan soutient que « le fait humain par excellence est peut-être
moins la création de l'outil que la domestication du temps, c'est-
à-dire la création d'un temps et d'un espace humains (1) ».
Cette organisation du temps et de l’espace se retrouve d'une
manière troublante chez les gens de Lepenski Vir ; elle est poussée
très loin par la présence du Galet-tête dans les habitats, qui dépasse
même en cela, l’arithmogéométrisation du seul espace de la maison.
Il s’agit d’une mise en place d’une hiérarchie des relations intimes qui
unissent et séparent à la fois le temps sacré du temps profane.
Si la ville de Lepenski Vir est une intégration d’un espace déjà
humanisé dans l'univers extérieur, le Galet-tête de chaque maison
témoigne pour une autre double intégration, celle du sacré dans le
temps (pour lui permettre de s’instituer), et du temps dans le profane
du bien-être physique et moral des habitants du site (le temps actuel
est obligé de se rapporter en permanence à celui des ancêtres).
A travers ce culte de l'ancêtre (probablement celui de l'ancétre-
guide, avant celui des ancêtres), il y avait celui de la tête. Les
archéologues ont dûment établi l'intérêt porté par les gens de
Lepenski Vir à la tête (seule), vouée bien souvent à un enterrement
différent (ce ne fut que plus tard qu'on inhuma les morts en les posant
sur des surfaces de pierre, placées entre le foyer de la maison et le
galet rituel — comme sous la protection de ce symbole).
Le culte de la tête eut ses passionnés — à travers l’histoire —
dans presque toutes les régions du monde. Anthropologues,
ethnologues, historiens et autres spécialistes se sont mis d'accord

1. A. Leroi-Gourhan, le Geste et la parole (Paris, Albin Michel. 196$. p. 139).


a

PARTIE
BTE
ME ALT Dre S
ADS

DES

Lepenski Vir
Disposition symbolique des sculptures à l'intérieur d'une maison de
Il.
Dessin reconstitutif (d'après Srejovicl.
230 ARCHITECTURE SACREE

depuis bien longtemps, pour parler non seulement de la fascination


permanente exercée par le crâne sur les humains, mais aussi, el
surtout, de l'apparition de son culte à une époque située il y a quelque
200 000 ans.
Si les habitants de Protolepenski Vir ne manifestaient de l'intérêt
que pour les crânes des défunts, ceux des phases immédiatement
suivantes de la ville changèrent de procédés et de coutumes. Ils
déposaient les morts — assez souvent — dans le sanctuaire des
maisons : le corps gît sur une table de pierre en position centrale, et il
touche de ses mains d'un côté le foyer, de l’autre le galet sacré qui,
placé à l'ouest du foyer ne fait que représenter le Soleil dont il était
assurément le symbole. Le mort était disposé dans le sens Sud-Nord
croisant de la sorte la direction symbolique marquée par la
construction du foyer et la disposition des objets symboliques placés
dans l'habitat (cela à partir de Lepenski Vir Ib).
Décapitation, cannibalisme plus ou moins rituel, présentation
rituelle du crâne, en un mot, le traitement spécial du crâne des
défunts marquent les divers aspects du culte en question.
Exposition du crâne ou des crânes à l'intérieur et au centre d'un
cercle de pierres rangées, dressées ou simplement posées à même le
sol, offrande rituelle du crâne sur un plateau-dalle de pierre,
traitement de la tête « osseuse » par l'élargissement du trou occipital,
pour l'extraction du cerveau, trépanations rituelles du crâne des
morts, simple exposition avant, ou après, le surmodelage et le
remplacement des yeux par des coquilles incrustées, enterrement des
crânes dans des fosses remplies d’ocre rouge, etc... ce n'étaient que
quelques-unes des variantes extérieures d’un tel culte, découvertes un
peu partout dans le monde...
Déjà, en Palestine, vers — 6000, dans la vieille ville de Jéricho,
on décapitait les morts pour en conserver les crânes sous le sol des
maisons de forme circulaire. Une autre forme plus vivante encore de
ce même culte rencontrée partout dans le monde, était la déformation
intentionnelle de la boîte crânienne. Les Incas, les anciens peuples
d'Anatolie (déjà vers — 8000, les anciens Egyptiens (vers — 1500),
les anciens Chypriotes et les Crétois (vers — 1 500) s’en servirent, etil
faut souligner que parmi les axes de diffusion de telles pratiques les
grands fleuves tels l’Amazone, l’Orénoque, le Nil et le Danube
jouèrent un rôle bien déterminé.
LE TEMOIGNAGE DES TETES 231

Des recherches dont les résultats ne laissent plus subsister de


doutes ont mis en évidence l'apparition des premières œuvres d'art
directement concernées par le culte du crâne à l'époque des tous
premiers débuts de l’agriculture. Le crâne présidait aux rites
d'initiation et à ceux de la fertilité ; toutes les manipulations du crâne
se rattachaient de la plus évidente façon, et la plupart du temps au
culte des ancêtres. Si conserver à la longue un crâne, parfois par de
savantes préparations de surmodelage ou de réduction (les aborigènes
des Nouvelles-Hébrides pour le premier cas, les Indiens Jivaros de
l'Amérique du Sud pour le second), servait surtout à rendre
permanente la présence mythique d’un ancêtre dont on assurait ainsi
la permanence rituelle, remplacer ce même crâne par sa réplique en
pierre, c'était allier déjà l’art à la religion et garantir à tout jamais
ladite présence.
Décapitation et nécrophagie, oui, mais aussi chasse aux têtes
avant la fête rituelle de la décapitation, dans le cadre d'un
cannibalisme rituel qui était déjà pratiqué par les hommes de
Néanderthal.
Ancêtre respecté, vaillant ennemi vaincu, ami que l'on refuse
d'oublier. les fournisseurs de crânes justifiaient par leur rôle d'ordre
social la qualité et leur valeur personnelle, le but des primitifs
récupérateurs, manipulateurs et, en essence, adorateurs de cet attribut
s,
anatomique humain. Elément important de la vie de ses adorateur
le crâne s'intégrait dans leur vision fondamentale de l'Univers; il
contribuait à une meilleure compréhension des phénomènes de
l'ambiance et faisait mieux saisir la cohérence de la nature. Même
pour le crâne trophée de guerre, le but final de la possession était
-
celui d’une annexion spirituelle des vertus et des qualités exception
nelles du mort.

2. Le crâne, l’espace et la mort


Symbole de la complexité du grand Tout, le crâne, reste et
des liens
représentant de la tête, ne pouvait échapper, lui non plus, à
manifestement directs avec la géométri e.

Dessins magiques, figurations rituelles, décoraient bien souvent


és au
les crânes préparés pour durer ou leurs substituts emprunt
252 ARCHITECTURE SACREE

monde si divers des galets. Dans ces figurations, les associations


crâne (ou galet-tête) triangle, losange, rectangle sont fréquentes. La
géométrie n'est pas absente dans la décoration des têtes préparées, ni
dans les incisions pratiquées dans les os du crâne. Même la couleur
de certaines décorations confirme la même symbolique (2).
Le sceau du triangle sur les os du front et la décoration par
surmodelage ou gravure du crâne furent une caractéristique
multimillénaire des coutumes dérivées du culte de la tête et de celui
du crâne, pratiqué tout au long du Danube.
Près des sources du fleuve dans la Forêt-Noire, à Hallstatt, on
pratique encore une variante traditionnelle du renouvellement des
funérailles. En effet à quinze années d'intervalle, le crâne est extrait
de la tombe. on le nettoie, on le décore de motifs se rapportant à la vie
du défunt et à ses qualités et on l'expose par la suite dans... l’église
(chrétienne !).
Plus en aval, de vieilles tombes à crânes décorés accompagnent
et jalonnent le cours du fleuve.
Non loin des Portes-de-fer du Danube, à Lepenski Vir, le galet
honore à sa façon le chef, la tête, l'homme... exprimant les rapports
extrêmement profonds et précocement connus qui relièrent l'espace
et la mort. L'homme des lieux avait déjà son propre sens de la mort,
non seulement parce qu’en tant que possesseur d’une certaine raison,
il était lui-même le temps, mais aussi parce qu'il s’en faisait une image
lui permettant de se placer de façon consciente dans son double
monde, intérieur et extérieur. Un monde qu'il marque par le simple
fait qu'il est capable de le concevoir. Le plus précieux témoignage de
cette présence en soi-même et par-cela même, en son propre temps,
de l’homme de Lepenski Vir est fourni par l'existence de la pierre
centrale, la tête de l'homme-poisson ou le galet portant ou non le
creux — le nombril — dans les habitats du site que longe le Danube.

3. Culte de la tête, culte du galet


On a trop souvent affirmé que n'importe quelle symbolique
majeure accroche son langage extérieur au culte des morts, à

2. Des tracés blancs, noirs ou rouges et surtout rouges ; cette couleur était celle
de la vie (sang) et par-cela même sacrée. .
LE TEMOIGNAGE DES TETES 233

l’ornement funéraire ou à la forme de la sépulture. Suivant Spengler :


«Le style égyptien débute par les temples funéraires des pharaons,
l'antique par l'ornement géométrique des urnes funéraires, l'arabe
a les catacombes et les sarcophages, l'occidental par la cathédrale
3)... »
La symbolique extérieure de Lepenski Vir — une des plus
précoces et aussi des plus majeures — s’accrochant aux valeurs de la
sphère et du triangle, préfaçait toutes les autres, tout en témoignant
pour certains de leurs débuts.
La relation galet (pierre)-ancétre participe à travers ses
expressions quantitatives aussi à une sorte de symbolisme social,
décelable à travers le site. Comme la pierre sur laquelle avait dormi
(bien plus tard) Jacob, personnage de marque de l'Ancien Testament,
le galet sacré de Lepenski Vir est «extraordinaire » à cause des
événements magiques ou religieux qui se déroulent autour de lui et
auxquels il sert de centre de projection et de centre rituel. IL est,
comme on l’a dit, un bétyle et même un nombril médiateur, destiné à
marquer l’espace profane de la maison par sa simple présence, de lui
imposer dans l'ordre mental le centre qu'il représentait dans l’ordre
géométrique. La forme même de la pierre, plus ou moins sphérique,
symbole de plénitude, de perfection, contribue à cette image. Elle est
hermétique par le sacré qu'elle renferme et chargée de la force
germinatrice de l’eau qui l'avait bercée dans ses ondes.
« Maison » des ancêtres dans le centre de la maison des vivants,
marqué par le trou de la matrice divine (lorsqu'il le porte), le galet
solidarise ses adorateurs avec les éléments fondamentaux auxquels il
se rattache et qui représentent la triade : Lune, eau, femme... saluant
en même temps à chaque passage rituel le Fleuve, père de l'homme-
poisson. Ce fleuve auquel on sacrifie, parfois par le truchement du
nombre, inscrit dans les coutumes, le rituel, les croyances...

L'auteur grec Pausanias, dans sa description de la Grèce,


témoigne des restes de telles croyances chez ses concitoyens (VIIL 38,
3-4). Bien avant lui, Homère avait mentionné les Troyens sacrifiant
des chevaux au fleuve Scamandre, père mythique d'un de leurs
premiers rois. Plus tard Cimbres, Germains, Francs, Slaves, Illyriens,

3. Oswald Spengler, le Déclin de l'Occident (Paris, Gallimard, 1948).


ARCHITECTURE SACREE
234
Lepenski Vir
feront de même. Rien ne s'oppose à ce que les gens de
coutum e dans leur univers domest ique.
aient implanté la même
On sacrifiait des chevaux, des brebis. Combien de chevaux ?
du
Combien de brebis ? Pelée avait offert cinquante brebis aux ondes
le nombre en question déjà
Sperchios, immortalisant une fois encore
, en
présent — dans le nom même d'un dieu — le Dieu-Cinquante
Mésopot amie.
L’arithmogéométrie de Lepenski Vir n'aurait-elle pas salué, elle
par
aussi, la force du Danube, la force d'initiation manifestée
l'homme-poisson, par les mêmes sacrifice s ?

Le galet sortait des eaux du fleuve pour rappeler par sa


sphéricité la Lune, mais aussi pour se laisser frapper du sceau de la
vulve - image de la femme, il sortait des ondes déjà pénétré par l’âme
des ancêtres, il en sortait comme une sorte de poisson pétrifié, figé en
sa propre matière... Même lors de la simple pêche, pour faire sortir le
poisson, on utilisait comme une sorte de miroir magique attractif
un... galet, des galets. L'utilisation des galets pour la pêche est
signalée et bien connue par les archéologues qui ont depuis bien
longtemps retrouvé et étudié les leurres dont se servaient dans leur
pêche certains peuples de chasseurs-pêcheurs primitifs d'Europe et
d'Asie.
Néanmoins lorsque le poisson « sortait lui-même » des ondes, il
le faisait pour annoncer, pour traduire en mots magiques, en paroles
de légende, le message prophétique des eaux ; pour manifester dans
le fabuleux leur pouvoir initiatique.
C'est pour cela que l'Océan des Babyloniens portait le nom de
Maison de la sagesse dont l'homme-poisson de service, Oannès, fut le
grand initiateur. Si la tradition babylonienne, dont nous avons déjà
mentionné les traits qui la rapprochent de certains aspects de
Lepenski Vir, prétendait que le Dieu-poisson avait initié ses
adorateurs dans les arcanes de l'astrologie, les détails de la pratique
agricole et dans l'écriture, elle n’est en rien moins fabuleuse que les
traditions analogues en honneur chez les Cimbres, les Slaves ou
autres initiés au même titre et en même matière, par leurs dieux-
fleuves. Ainsi le Rhône pour les Cimbres, le Rhin pour maintes tribus
germaniques, la Volga pour les anciens Slaves..
Le Danube, lui, n’aurait-il pas rendu les mêmes services aux
gens fixés en face du tourbillon de Lepena? ,
LE TEMOIGNAGE DES TETES 235

Du culte de la tête à celui de la pierre — triade de symboles —


l'homme-poisson si profondément lié à l'eau, à son obscurité, à ses
forces inhérentes mais également non manifestées, se place en
opposition avec le Soleil. Ce Soleil qui, dans un combat d'allure
cosmique et de portée universelle sur la formation de la mentalité de
l'homme primitif, devait vaincre les eaux... Mais pour ce faire il s'en
fallait d'abord d'un. déluge. Le Déluge, événement cosmique, fut,
lui aussi, présent à Lepenski Vir !
CHAPITRE VII

Le Déluge sur le Danube

« J. de Morgan... voyait dans les récits multiples


du Déluge le souvenir des pluies torrentielles et
des inondations qui, à la fin des temps quater-
naires, suivirent la période giaciaire et détruisi-
rent la vie sur des espaces considérables. »
G. Contenau

Que des graves événements naturels survenus à la fin de la


période glaciaire aient pu suggérer le Déluge Universel tout en
justifiant l'immense diffusion géographique de la tradition du Déluge
est bien possible. Néanmoins suivant le même Contenau, considérer
que c’est au cours des périodes d'Obeid, d'Ourouk et de Jemdet Nasr
qu'il faut placer le Déluge dont se sont emparé les légendes,
croyances et religions du Proche-Orient pour nous en léguer des
variantes, cela nous semble assez douteux, étant donné tout
justement, non seulement l’universalité des déluges (tout aussi divers
que répétés) mais également leur ancienneté... leur caractère bien
plus cosmique que ceux des événements analysés par J. de Morgan.
Néanmoins nous n’allons pas nous attarder sur les caractères
particulièrement généraux et graves des déluges de proportions
cosmiques qui se retrouvent dans la mémoire des plus vieilles
traditions et légendes de toute l'humanité, nous nous bornerons à
nous pencher sur un certain détail, présent lui aussi à Lepenski Vir….
238 ARCHITECTURE SACREE

1. Le plus ancien cliché du Déluge


Poissons - eau - Déluge. La suite paraît assez logique. En effet,
les
nous pensons avoir trouvé la preuve que le Déluge figurait dans
et même que leur légende
croyances des hommes de Lepenski Vir,
les
dut être diffusée vers la Grèce — pour s'épanouir ensuite parmi
locales sud-est europée nnes — se rapport ant au fabuleu x
traditions
événement.
De toute façon, bien relié au galet, par le truchement d’une
histoire visant l'œuf cosmique des anciennes traditions, ce déluge se
recoupe ensuite avec une autre tradition — celle du nombril du
monde.
L'œuf cosmique d’abord. Un détail apparemment dépourvu de
beaucoup d'importance en fait dûment état. En effet, une sculpture
de la maison inventoriée sous le numéro 37 par les fouilleurs et
datant de la période qu'ils avaient désignée par le sigle Ic représente
deux tracés qui semblent s'affronter. On a dénommé la représenta-
tion en question : « sculpture de la maison n° 37 »..
Ne serait-ce qu'un dessin anonyme impossible à «titrer » de
façon plus juste ?
Admirons-le ! Pour nous, c'est le schéma correctement stylisé
d'un bien fameux combat, celui qui à travers le monde entier et la
mythologie de tous les peuples opposa l'aigle et le serpent : véritables
alpha et oméga de toutes les grandes traditions du Déluge.

2. L'Œuf, l’Oiseau et le Serpent


Cette sculpture, en apparence seulement sans aucun sens, laisse
clairement constater que, pour l'artiste de Lepenski Vir, les choses
étaient tellement dépourvues d'équivoque qu'il s'est permis d'y
figurer aussi l'enjeu de cette lutte titanique: l'œuf cosmique.
Allégorie pleine de signification, cet œuf est intégré dans le corps
même de l'oiseau.
En fait, dans la légende classique, l'aigle représente le ciel et, par
substitution, également le Soleil (en tant qu'expression du beau temps
et antagoniste de la tempête ou de la simple pluie), qui se bat avec le
serpent à la grande gueule ouverte — symbole consacré des eaux
souterraines. ‘a
Légendes du Déluge
Le combat de l'oiseau et du
serpent (Lepenski Vir lc).

Le combat de l'aigle et du serpent.


Nombre hiéroglyphique de Tamoan-
chan (Mexique).

Combat pour l'œuf du


monde (Adams, Ohio -
U.S.A.).
240 ARCHITECTURE SACREE

de
Quant à l'œuf cosmique — figuré dans le corps même
de présent er le Monde pour
l'oiseau — il représente une autre façon
de
la possession duquel se livre la bataille. Un monde que l'artiste
ne peut et ne veut laisser sombrer dans la gueule
Lepenski Vir
déjà
largement ouverte du serpent — et c'est pourquoi il l'incorpore
telle vision représe nte déjà
dans la structure de son aigle-soleil. Une
du disque solaire ailé et en même temps, sa
la préfiguration en clair
e représe ntation connue à ce jour dans le monde entier.
plus ancienn
A quelque 10 000 km de Lepenski Vir et aussi avec un retard de
4 à 5 000 ans. une tradition de la même souche ancienne atlantique,
illustre d’une manière saisissante le même terrible combat. Cette fois-
ci, le soleil-oiseau semble céder le pas à son substitut mythique, le
crapaud. Le serpent reste le même et l'œuf cosmique hésite entre les
deux grandes gueules béantes, tout en attendant l'issue d’un combat
qui marque non seulement le plus court sténogramme du Déluge,
mais aussi une des plus grandioses légendes religieuses du Soleil.
L'image n'est que le contour complet du fameux mound composite
du comté d’'Adams (Etat d'Ohio, aux U.S.A.) qui cache dans ses
lignes sinueuses cette tradition cosmologique. En fait, le serpent ou
dragon (pour Lepenski Vir, une autre expression des eaux
primordiales inférieures symbolisées par le poisson), représentants
mythiques des premières eaux étaient aussi, ceux de l'Océan et du
Chaos cosmique d'avant le commencement du monde, d'avant
l'apparition du mouvement, voire de la Vie. Il est parfaitement
compréhensible que ce soit le même serpent qui figure la destruction
du monde à l'occasion du Déluge universel.
A ce dernier titre, le serpent est présent dans les anciennes
traditions et légendes de l'Afrique noire et de certaines contrées
d'Asie.
Les vieux textes hindous parlent du monstrueux dragon qui
s'oppose à la mise en ordre du monde. Il paraît — selon une des
traditions hindoues — que le dragon aurait même réussi à s'emparer
de la Terre et à l'emporter dans les profondeurs marines.
Même à Babylone où se racontait une légende « nationale »
voire locale du Déluge (celle qui mit en action le Noé-babylonien
appelé Oum-Napistim) on retrouve la grande tradition du combat du
dieu et du dragon (1).
1. Voir à ce sujet notre livre : Les Conquérants du Pacifique (Paris, Laffont
Ed.. 1975, p. 207-215). s
LE DELUGE SUR LE DANUBE 241

Il faut dire que, dans le vieux conte d’Etana, que nous avons
analysé dans l’un de nos précédents ouvrages (2), où le héros, un
pauvre berger babylonien, s'était envolé vers le Soleil sur le dos d’un
vautour (après que ce vautour eut livré un terrible combat à un
serpent), on retrouve en partie le sujet d’une autre vieille tradition
toujours babylonienne. Mais en définitive, ce combat n'est-il pas,
chaque fois qu'on le présente sous une nouvelle variante, la relation
plus ou moins modifiée de l'éternel affrontement qui oppose le dieu
Mardouk (homologue du Soleil) au monstrueux Tiamat ou Tianmat
— Je symbole du chaos initial ?
Pour les anciens Egyptiens, l'ennemi de l’ordre naturel était le
même dragon cosmique. Il apparaissait parfois sous les traits
monstrueux d’'Apôp (symbole des forces destructives des ténèbres) ;
néanmoins le héros classique du même combat livré à l'échelle du
monde demeurait Seth (symbole des forces aveugles de la nature),
nommé aussi Typhon (fabuleux serpent mythique) et ennemi juré de
Horus (le dieu-faucon) dans le cadre cosmique d’un combat destiné à
venger la mort mythique du grand Osiris assassiné par Seth.
Apollon lui aussi, le toujours jeune et resplendissant Apollon
emprunté par les anciens Grecs aux légendes hyperboréennes, avait
livré son propre combat avec le serpent. celui du sanctuaire de
Delphes. Son culte, le culte solaire, ne s'installa à Delphes qu'après
l'expulsion de la religion locale du serpent.
Codex aztèques et glyphes mayas (le symbole hiéroglyphique de
Tamoanchan, par exemple) exaltaient la même guerre livrée par
l'oiseau au serpent.
Le mythe existe même en Australie centrale où les sociétés
primitives en connaissaient bon nombre de variantes. Ainsi les
sorciers de la tribu des Anuchias dont le totem est un oiseau,
célèbrent leur grande fête religieuse en organisant la capture bruyante
d’un serpent qui est. noyé par la suite, dans le cadre d’une cérémonie
rituelle extraordinaire. Cette dernière n’est que la reproduction
rituelle de l'ancien combat cosmique. Un combat fabuleux, et qui a,
partout et toujours, la même issue, représentant en fait la victoire
définitive des forces de l’ordre sur celles du désordre (de la nature),

2. Les Conquérants du Pacifique (p. 208-209).


ARCHITECTURE SACREE
242

l'action réparatrice de la divinité dont l'expression symbolique est


fournie par le Soleil. Il s’agit du Soleil toujours victorieux et figuré
par une de ses représentations les plus répandues, d'un de ses plus
anciens symboles : le disque ailé.
Disque ailé, serpent à gueule béante, aigle fonçant pour sauver
et récupérer l'œuf cosmique, l'œuf du monde, terre-galet, sont
évoqués par la sculpture de Lepenski Vir. Mais cette figuration
emboîtée des deux mythes est la plus ancienne qu'on ait reconnue.

3. Le Galet, Nombril du Monde


Il nous reste à nous occuper du nombril.
L'œuf de la figuration trouvée dans la maison n° 37 du site
(période Lepenski Vir 1c), comme celui qui excite la furie combative
du serpent et du crapaud du Mound d'Adams, en Amérique, ont un
creux marqué à l'intérieur. Le même creux que portent certains galets
de Lepenski Vir ; galets qui eux-mêmes marquaient parfois la même
chose pour « centrer » la maison, centre domestique du monde.
Le découvreur du site de Lepenski Vir l'avait remarqué pour
écrire que : « …la valeur même du galet est primordiale car c'est en
lui que se rejoignent les forces concentrées à l'endroit qu'il marque ; il
est le fétiche, l'omphalos, la pierre magique et le nombril du monde...
(3) »
Le savant yougoslave s'arrête là, nous essayerons de pousser un
peu plus loin.
La ressemblance est trop lourde de sens pour demeurer
simplement conceptuelle. Le célèbre nombril du monde — le plus
important des omphaloï grecs, celui de Delphes, tellement rattaché au
culte d'Apollon — n'était, lui aussi, en fin de compte qu'une pierre
ovoide de grandeur moyenne. Un simple bétyle placé en l'honneur
de Gaïa, la première déesse du lieu, servi par Python le serpent
terrible, tué par la suite par Apollon. Un Apollon qu'on va ensuite
admirer, cithare en main, juché sur la même pierre sur un célèbre

3. Dragoslav Srejovic, Lepenski Vir (Beograd, 1969 (en serbe), p. 7871).


LE DELUGE SUR LE DANUBE 243

statère amphictionique, monnaie frappée après la guerre sacrée. Cette


pierre ovoïde devait marquer — disait-on — l'endroit de rencontre
des deux aigles lancés par Zeus des extrémités du monde, pour
déterminer son point central.
Galet des hommes de la variante européoide robuste oberkasse-
lienne du type de Cro-Magnon, marquant le centre de leur monde : la
maison ; galet des dieux grecs, ou devenus grecs, utilisé pour
indiquer le centre de rayonnement d’un de leurs plus importants
cultes, lui-même « étranger ».….
L'histoire se répète à une échelle de plus en plus grande, mais
toujours en se servant — comme on va encore le voir — des mêmes
« personnages ». Le Soleil marqué, symbolisé et déjà présent à
Lepenski Vir, deviendra plus tard, bien plus tard, l’'Apollon des
Grecs. Un dieu que ces derniers s'annexèrent en le prenant quelque
part dans le Nord...
CHAPITRE IX

Géométrie et. géométrie

«chez les Anciens, le point de départ de toute


figuration était l'organisation du devenu, dans la
mesure où il était présent, où on pouvait le
percevoir, le mesurer, le compter. »
Oswald Spengler

Que la géométrie de l'architecture de Lepenski Vir, cette


géométrie arithmétique dégagée par tous les autres aspects du site
menant au nombre et, par-delà le nombre, à la ligne, à la surface ou
au volume, ait choqué les découvreurs est explicable. Néanmoins, et
tout en parlant nouménalement des choses présentes à Lepenski Vir,
les spécialistes ont relégué les données visuellement géométrisantes
dans le domaine du physique, du concret, oubliant ce que d’autres
interprétations, largement possibles, car logiques, mais se réclamant
du monde du psychique, auraient pu apporter à une meilleure
compréhension du site. Une telle démarche permettrait en effet une
restitution plus complète du monde local en cela qu'elle pourrait
révéler la façon de penser — en grand — des gens de ces premiers
débuts.

1. La maison, « métaphore spatiale »

Qu'on le veuille ou non, le trapèze du plan de l'habitat type de


Lepenski Vir est aussi une sorte de métaphore spatiale concrète —
ARCHITECTURE SACREE
246
combien
faite non pas de mots, mais exprimée à travers des tracés
parlants.….
Du fait même que les rapprochements sont possibles entre faits

de l’espace et faits de conscience, c'est-à-dire de pensée, traduits
artificie lle et que l'applic ation du
dès que la géométrie du site devint
celui-ci trouvé, passa à travers le mental — par des
module. une fois
; la
métaphores à rebours, car tracées dans le concret des choses
par les architec tes-
géométrie et l’arithmogéométrie mises en avant
constructeurs, devinrent autrement plus importantes.

C'est pour en donner un exemple bien clair : la manière dont on


utilise la ligne : c’est la première fois qu'elle sert d'une façon si nette
de démarcation entre l'en deçà et l'au-delà, le visible et l'invisible,
l'humain et le divin, alors qu’elle sépare le sommet idéal du triangle
équilatéral en faisant naître le trapèze à ouverture de 60° par une
opération rituelle sur le plan de la pensée. Se rattachant aux grands
mythes des origines, tracer une telle ligne, c'était non seulement
délimiter un monde, séparer l’usuel de l'extraordinaire, mais
organiser ce monde même, établir un domaine de l’espace sur lequel
on a le droit et la puissance de l’action, situé en deçà de celui qui nous
échappe ou nous est interdit.
Sans sombrer dans les thèmes archibattus de la psychanalyse de
la verticalité ou de l’horizontalité dans l’espace artistique de l'homme
(pictural, sculptural ou même littéraire) si bien exploré par Gaston
Bachelard (1), on ne peut pas oublier que, tout comme pour le
philosophe, la maison de Lepenski Vir était imaginée comme un étre,
un monde vertical, qui s'élevait, même dans son plan concret
horizontal, car la ligne, ladite ligne de démarcation y projetait la
frontière entre le ciel et la terre des hommes, le haut et le bas des
choses. Grâce à cette ligne, le plan du site devient — et pour
continuer, citons George Matoré: «Un lieu horizontal où se
rencontrent et s'accordent des êtres qui occupaient auparavant une
place différente sur une échelle verticale. Passer à un autre plan, c'est
donc accéder à un système différent de références (2)... »

|. Poétique de l'espace.
2. Georges Matoré. l'Espace humain (Paris. La Colombe, 1962, D. 66).
GEOMETRIE ET... GEOMETRIE 247

Certes, mais cette analyse moderne de la métaphore spatiale


proprement dite, valable pour l’œuvre de création dans l’art ou la
littérature, était déjà dans la démarche mentale des gens de Lepenski
Vir, alors qu'ils projetaient : visible et invisible, graves « êtres-de-
raison » des primitifs, divin et humain, le dieu et le moi, en deçà ou
au-delà, d’une ligne tracée à la corde (qui elle aussi lie et délie) et au
piquet (axe du monde qui fixe), ces deux derniers eux aussi, héros
d'une démarche non moins dépourvue de son propre symbolisme.
Un symbolisme de la manipulation étroitement apparenté à celui de
la conception et de l'interprétation.
Quant au triangle, nous avons déjà trop insisté sur ses virtualités
sacrées et profanes, pour ne plus relever les triades ou trinités qu'il
suppose, mais le trinitaire dans le fonctionnement de la pensée,
suivant un schéma traditionnel qui se fonde sur les frois points
classiques de telle ou telle situation psychologique.

2. Le plan qui pense la maison


Les philisophes modernes ont depuis bien longtemps constaté
que, dans ce qu'ils appellent la topologie psychique, le plan sort de lui-
même pour constituer l'élément de base, peut-on dire, d’une structure
toute verticale s’ouvrant, s'élevant par l'acquisition d’une nouvelle
dimension, vers le volume...
C'est le rôle de la surface de base de Lepenski Vir, et à travers le
message à gradins toujours poussé en avant par le module de la
construction, elle témoigne d’une notion déjà acquise par ces gens,
une notion au moins aussi importante pour toute l'aventure
ultérieure de la pensée humaine, dans l'exactitude des chiffres et les
rêves de l'Art, la démarche de la raison ou les folies de l'imagination.
L'arithmogéométrie et la géométrie topographique de Lepenski
Vir et de son art, sont non seulement essentielles, mais elles
expriment aussi l'ampleur bien plus qu'évocatrice de la syméfrie,
autre notion largement acquise par les Anciens du site.
Pénétrons dans le domaine des volumes...
Le galet, la tête, l'œuf, la sphère de pierre...
Parlant de la cosmographie psychique de l'homme, Teilhard de
Chardin écrivait que : « L'équilibre intérieur de ce que nous avons
248 ARCHITECTURE SACREE

appelé la noosphère exige la présence, perçue par les individus d'un


pôle ou centre supérieur qui dirige, soutienne, rassemble le faisceau
entier de nos efforts. (3) » Cela est vrai mais il ne fait que confirmer
la manière de se manifester de cette vision du cosmique dans la
raison des gens de Lepenski Vir qui, comme pour nous en offrir un
exemple bien clair, faisaient rayonner la lumière de leur monde à
partir du foyer qu'ils installaient au centre de leur habitat, tout en le
faisant protéger par le galet.
On pourrait presque dire, avec Teilhard de Chardin, qu'il s’agit
de cette lumière « dont le monde est baïgné » et qui « rayonne à partir
d'un foyer historique et est transmissible le long d'un axe solidement
précis. ».

3. Vivre = mesurer

Ces quelques exemples, faciles à multiplier, permettent d’entre-


voir que l'œuvre exprimée des pêcheurs-chasseurs du Danube ne
faisait que matérialiser dans les aspects extérieurs de leurs habitats,
les symboles indéniables du monde complexe qu'était déja le cadre de
leur vie jugé à travers leurs plus profondes conceptions, disons,
philosophiques. Ils traduisaient ainsi une façon de penser, qui fut à
ses débuts exclusivement la leur. Cela témoignait en même temps
d'une magie de la pensée projetée presque seulement sur le plan de
l'expression arithmogéométrique, une pensée qui s'étale et se projette
en s’amplifiant sous la protection de la numérologie sacrée ou
magique, qui croît du point vers la ligne, de la ligne vers le plan et du
plan vers le volume, tout en prenant comme unité de base (disons-le
en pensant aux origines que nous avons décelées de leurs plans-
trapèzes) l’homme lui-même, l'homme dont ils furent les premiers à
faire la mesure, clairement exprimée, de toutes les choses.
Métaphore spatiale dans le concret du quotidien, mais aussi dans
le seul matériau durable dont ils disposaient — la pierre — le galet
prend des dimensions qui le réacheminent vers le symbole, comme
pour boucler la démarche mentale des gens de Lepenski Vir.

3. Teilhard de Chardin, Œuvres (HI, p. 110). .


GEOMETRIE ET... GEOMETRIE 249

Il serait peut-être intéressant pour l'histoire des mathématiques


élémentaires et celle de la géométrie, de rechercher leurs débuts
moins dans les premiers textes — qui, en fait, ne faisaient que
confirmer un usage déjà élaboré et acquis, exercé et transmis — mais
dans les premières ébauches décelables chez des civilisations
débutantes comme celle de Lepenski Vir.
L'Américain Marshack, par son étude sur les encoches des os
préhistoriques de France vieux de 35000 à 40 000 ans, avait
démontré l'ancienneté de la conscience rationnelle des cycles de la
nature chez les hommes du paléolithique supérieur, qui inventèrent
de la sorte la notation conventionnelle, fondement essentiel des
futures écritures.
On aurait tort d'oublier qu’en plein centre de l'Europe, il y a
quelque 8 000 ans, des gens déjà beaucoup plus évolués habitaient
de. véritables codes de géométrie et d’arithmologie, les maisons à
base de trapèze de Lepenski Vir. On avait déjà peut-être trop perdu,
de ce que devaient être dans leurs menus détails, ces maisons lors de
leur construction, mais il reste néanmoins la constatation dûment
faite que tous ces détails portaient le message d’un savoir sur lequel
on a fait jusqu'à présent trop peu de lumière.
Ce savoir pourrait être résumé en gros à ceci :

— Je monde est un mystère vivant à l'existence duquel on


participe à travers le jeu des nombres qui le régit ;
— Jes nombres clefs de ce jeu qui s'exerce également à travers
l'en deçà et dans l’au-delà, dérivent, en tant que rapports et mesures,
de l'être même qui les vit et les a découverts en lui-même : l’homme.
L'homme, la mesure de toutes les choses...

Mais alors vivre ne serait-ce pas simplement mesurer ?


CHAPITRE X

Heureux les gens de l’âge d’or

« À ceux qui sans étude ont reçu de nature la


vraie sagesse en toutes choses d'y cueillir. »
Euripide

On aurait tort de croire — et déjà on l’a dit — que les triangles


dépourvus de leur ciel de Lepenski Vir furent les seuls. Le sanctuaire
de chaque maison était d'habitude bordé de petits triangles faits de
pierres régulières. Des triangles que — cette fois-ci au moins — les
spécialistes ont considérés en tant que symboles tangibles se
rapportant à l'au-delà (1). Il s'agirait en somme, d’un contact bien
reconnu par des spécialistes modernes, des hommes du site avec le
grave domaine des morts.

1. Le langage du foyer
Mais cela, nous le répétons, n'est pas fait que pour sacraliser
davantage les sanctuaires et les foyers des maisons.

le
1. Dans le sol d'une maison de Lepenski Vir Ie on a trouvé, scellée contre
humaine. Pour les
foyer, une plaquette en pierre enfermant une mâchoire inférieure
triangles qui
découvreurs du site il s'agirait là du modèle naturel des petits
entouraient le foyer des habitats.
252 ARCHITECTURE SACREE

D'ailleurs s’il faut s’en tenir à la position même de ces foyers, on


peut conclure à l'existence de croyances et de traditions d'ordre
religieux déjà très avancées.
Dire que le foyer atteste l'importance accordée déjà au feu —
par sa seule présence — serait tout simple. Les spécialistes l'ont
accepté dès leur premier contact avec les foyers des maisons à plan de
trapèze. De même, l'orientation du foyer vers le levant du sanctuaire
a pu être rattachée à la divinité du Soleil si clairement symbolisée
(c'est nous qui l’ajoutons) chez les anciens Grecs par le triangle
« parfait » voire équilatéral.
Par ailleurs à Lepenski Vir même, les rayons du Soleil y sont
représentés. Cela mène à se poser le problème de savoir si les galets
plus ou moins sphériques présents ne veulent pas signifier aussi la
lumière ou si l'œil qu'ils portent parfois (le creux), n’est pas à son tour
le symbole du même Soleil. Pour les découvreurs du site, qui se sont
penchés sur la question, c'était même le Soleil au zénith.
Fait autrement important : les archéologues ont trouvé bien en
place, derrière le foyer, en position mi-enterrée un gros galet plus ou
moins sphérique. Pour le docteur Srejovic, il y aurait là non
seulement l'expression des liens unissant micro- et macrocosme, mais
aussi le symbole de la dualité rattachant la pierre à l’eau. En effet, le
galet en lui-même, n'est-il pas — comme on l’a déjà dit — l’œuvre de
l’eau, du fleuve, des forces de la nature ?
Pour supposer tout cela, il faut avoir un certain courage
intellectuel ; une fois appliqué, ce courage se démontre payant. En
fait feu, eau, air, pierre, que sont-ils ? Ne seraient-ils pas en premier,
les fameux quatre éléments que l’histoire de la philosophie fait sortir
co par enchantement de la poche magique à idées d'Empédocle
D
Ce n'est pas pour mépriser l’œuvre de pènsée de ce philosophe
sicilien, un des sages de la Grèce antique, que nous allons observer

2. Empédocle (né vers 490 avant notre ère), philosophe, médecin, magicien et
prophète grec d'Agrigente, auteur d'un système cosmogonique fondé sur les quatre
éléments dont les rapports sont dominés par l'amour (éros) et la haine (polémos).
3
HEUREUX LES GENS DE L’AGE D'OR 253

l'ancienneté, bien plus grande de cette conception des quatre


éléments dans les traditions très antérieures et qui s’installèrent dans
le symbolisme des Anciens par le truchement d’une figuration se
servant de quatre triangles équilatéraux.

AV VAVoilà des triangles qui pointent vers le ciel quand il s’agit d’air et
de feu, et vers le sol quand ils sont censés représenter eau et terre et
qui, dès qu'il s’agit de s'alourdir, d'éliminer le léger, le flou,
l'invisible, voire le céleste, de se fixer (le feu en air et l'eau en terre) se
Jont barrer.. Trapèze inscrit renversé pour la terre et trapèze normal
contenu lui aussi dans le triangle parfait pour l'air...

2. Un début de hiérarchie sociale ?

Les traces trouvées à Lepenski Vir par les spécialistes attestent


aussi l'existence d’une certaine hiérarchie sociale. Une hiérarchie
bien installée et fondée vraisemblablement sur un culte religieux lui
aussi bien étayé. Le plan général de la ville semble témoigner en
faveur de cette hiérarchie. Il s’agit comme on l’a déjà montré de
l’homme-poisson et du fils du fleuve.
Le premier — et c’est ici le moment de l’ajouter à tout ce qu'on a
affirmé — se rapproche directement du Déluge, à travers le vieux
mythe de Triton, fils de Poséidon à torse d'homme et queue de
poisson qui, en tant que responsable des tempêtes et de leurs colères,
fut chargé par le père des dieux de rappeler les eaux du Déluge.
Triton, dieu non grec, car apporté d’ailleurs, fils de Poséidon et
d'Amphitrite était, lui aussi un dieu de la mer (d’où l'explication de
son corps hybride terminé en longue queue de poisson).
Mais Triton est un fils de l'Océan... Si, comme on va le voir, le
premier océan des Grecs fut le Pont-Euxin, la mer Noire, c'est dans
ARCHITECTURE SACREE
254
— qu'on doit
la région septentrionale — du point de vue de la Grèce
en liaison avec
chercher les origines de l'homme-poisson. Personnage
oisson « étrange r » des
les Argonautes et les eaux du Déluge, le dieu-p
points commu ns avec les gens de
Grecs a assurément ces deux
Et cela d'autan t plus qu'une des plus ancien nes
Lepenski Vir.
effet, traverser
variantes de la navigation des Argonautes les fait, en
les Portes-de-fer du Danube, donc passer à côté du site de l’'homme-
le Déluge était déjà présent (3)...
poisson dans l'horizon duquel
Quant au fils-du-fleuve... Rattachons à ceux que nous avons
déjà nommés quelques autres demi-dieux grecs, comme par exemple
de
Teucer. Crétois de naissance et l’un des premiers rois légendaires
Troie. il était fils du dieu-fleuve Xanthe que nous avons déjà
rencontré en tant que tel, sous son autre nom, celui du fleuve-dieu
Scamandre., rivière de la plaine de Troie. Dans cette tradition on peut
voir, avec certains spécialistes, un don mythologique fait aux locaux
par les Phrygiens d'origine thrace descendus en Asie Mineure en
provenance des régions balkano-danubiennes.…. Cela pour ne pas
souligner encore une fois que le vieil Istros, le Danube des mêmes
Grecs. était lui aussi un grand Fleuve-Dieu.….
Le mythe de l'homme fils du fleuve et par son truchement /a
tradition de l'eau élément a bel et bien pu prendre son essor chez les
chasseurs-pêcheurs danubiens voisins du tourbillon de Lepena pour
être légué plus tard, à travers des intermédiaires dispersés dans le
temps et dans l’espace, aux traditions locales de la Grèce antique,
continentale et maritime, ce qui devait faire par la suite le bonheur et
la fortune de la mythologie grecque.
D'ailleurs, ne plaçait-on pas les débuts des légendes à l’âge d'or ?

3. Lepenski Vir, ville de gens « égaux »


Quoi qu'il en soit, tant en dehors qu’à travers ces mythes, la
croyance en un ancêtre supérieur aurait dû conduire à Lepenski Vir

3. Une des variantes du périple des Argonautes les fait traverser les Portes-de-
fer du Danube (confondu pour la circonstance avec l'Okéanos Potamos, ou selon
d'autres auteurs, avec l'Eridan ou le Tanais - le Don). Homère et Apollodore laissent
entrevoir leur itinéraire danubien. Quant au Déluge, il faut dire que non loin de
Lepenski Vir, dans les monts de Cerna — en Roumanie — la grotte de Curecea était
censée avoir abrité le dragon mythique du Déluge. à
HEUREUX LES GENS DE L’AGE D'OR 255

aussi à l'établissement d’une forte tradition de la famille ayant


d’autres aspects que ceux qu’elle endossera bien plus tard en Grèce
ou à Rome, car au sein de Lepenski Vir (des premières phases au
moins), les hommes et les femmes formant la cellule sociale devaient
être ses membres à part entière, et pour cause, des égaux.
Cette surprenante constatation est issue directement de l'examen
anthropologique des restes ostéologiques trouvés. Les spécialistes
sont formels là-dessus. Les os ont révélé la même sollicitation au
travail et la même robustesse des deux sexes.
La première ville d'Europe connue à ce jour était, semble-t-il,
une communauté d'hommes et de femmes libres...
Vénération des ancêtres, respect d’une hiérarchie sociale issue
d'une organisation sacralisée du site, philosophie religieuse posément
étayée sur le respect de la nature, vie saine au sein d'une
agglomération située dans un merveilleux décor géographique,
entouré de paysages d’une remarquable beauté, sédentarisme marqué
par une robuste tradition de la famille et l'égalité des sexes, dans
l’'accomplissement des tâches quotidiennes, incomparable savoir,
capable de manier l’art des nombres et son intelligence... N'était-ce
pas déjà ce que, bien plus tard, les légendes et les traditions des Grecs
assignèrent à un Temps désigné sous le nom fabuleux d’Age d’or ?
CHAPITRE XI

L’épouse et le trapèze

« C'est la femme qui fait la maison. »


Proverbe roumain

Symbole du monde intérieur, enclos sacré de la maison, le


trapèze se rattache — et non seulement grâce à la dualité découverte
par sa symétrie en regard des angles et des côtés ou ses qualités
dimensionnelles lorsqu'il est isocèle — au couple, à la fécondité, à la
terre.

Si pour certains de ses admirateurs grecs, il figurait, pointe en


bas, — et l'inspiration est plutôt formelle — le front du taureau (ce
dernier, symbole vivant de la fécondité, en tant que signe mythique
de cette force de la nature qu'’exprime la triade EAU - PIERRE -
VEGETATION), le triangle (pointe en haut) couronnait toujours le
front des grandes déesses de la terre GAIA et RHEA.

En un mot, le triangle était — semble-t-il — très lié à


l’adoration, voire le respect dévolu aux grandes divinités de la
végétation, de la terre, de la fécondité... Mais tout cela ne devait être
— en fait — qu’un reflet du sentiment de dévotion envers la femme
en tant que membre égal du couple... Déesse du dieu, impératrice de
l'empereur, reine du roi et épouse de l’homme. Qu'une telle position
ait été occupée par la femme à Lepenski Vir est une chose prouvée,
que l'expression du respect issu d’une position tout à fait semblable
occupée par la femme dans certaines sociétés préhistoriques puisse
avoir conduit au couronnement de la femme égale de l’homme,
258 ARCHITECTURE SACREE

de
devient tout aussi compréhensible... Cela explique la coiffure
déesses de la fécondit é, telle celle des
certaines statuettes des grandes
figurines découvertes à Pergame au XIX® siècle. Il s’agit d’une
sacralisation à l'échelle humaine du trapèze. explicable elle aussi...
Mais, et cela est peut-être le plus intéressant à souligner, le trapèze
sert à couronner la femme épouse, la femme qui fonde un foyer dès
qu'elle s’y installe, même encore de nos jours. Détail encore plus
important, cela se passe tout justement dans les Carpates..… en
Roumanie.

1. Sous l’éclat de la kerpa


Les ethnologues savent que dans certaines régions des Carpates
chez les paysans roumains, le lendemain du mariage (un lundi, car le
banquet des noces a lieu surtout le dimanche), les invités ayant
participé à la cérémonie religieuse se présentent chez le jeune couple,
où la «grande marraine » défait les tresses de la mariée et après
l'avoir à nouveau et autrement coiffée, elle lui pose sur la tête la
traditionnelle kerpa (kKirpa, en roumain). Déjà ronde et ressemblant à
une sorte de toque assez basse, la kerpa dans sa forme ancienne,
largement gardée encore en quelques endroits d'Olténie et surtout en
Bukovine, mais toujours dans les Carpates, représente un... frapèze.
Elle consiste en fait en une sorte de pyramide tronquée posée sur la
tête et recouverte d’un voile. La pyramide amputée de son sommet de
la Kerpa est trapézoïdale, de face, de dos et de profil. Comme elle est
plus large de face et plus étroite de profil, vue de ce dernier côté, elle
s'approche de la forme d’un trapèze régulier à ouverture de 60°.
Disons que les dimensions usuelles de la kerpa — couronne des
épouses des montagnards si solides des sombres forêts de la Bukovine
— s'avèrent être pour le profil de son trapèze, celles d’une figure dont
la base la plus large arrive à quadrupler la base étroite, supérieure.
Quant aux dimensions du trapèze frontal, il semble qu'il consiste en
trois triangles équilatéraux accolés (un, celui du milieu, ayant le
sommet vers le bas). C’est l’image même de Rhéa la païenne endossée
par la Vierge chrétienne, mais dépourvue de son sommet.
Confectionnée de chiffons et le plus souvent entièrement
recouverte de toile forte (de chanvre), la kerpa couronne depuis des
temps immémoriaux le front des épouses. Les jeunes filles de la
EEE E»EbD
À
A - Le motif du « petit sapin » aux « yeux » (les yeux à couleurs de fil alternantes
représentent aussi Lune et Soleil).

- La kerpa

12 + ee. +
_— _— 2 —
ge — = ——
ahemege de deg gt a mt
de he qe pt
ee ds —

Paysanne roumaine por-


tant la Kkerpa

C - Détails de la kerpa :
F - vue de face
P - vue de profil C
260 ARCHITECTURE SACREE

région, elles, à l’occasion de certaines fêtes, portent purement et


simplement des couronnes habituelles. Dès qu'elles se marient, elles
se font coiffer de la kerpa, symbole de la femme ayant déjà
l'administration d’un chez soi, de la femme installée et ainsi, par-cela
même, symbole de la maison. Et puis il faut dire aussi que des
femmes portant la kerpa se retrouvent encore également dans la
Craïna, région montagneuse danubienne de Yougoslavie, dont fait
même partie Lepenski Vir… Elles appartiennent à la population
d'origine roumaine très nombreuse dans le coin.
Que la kerpa, ou sa tradition, soient des éléments culturels
locaux et même d’une extrême ancienneté, cela ne fait plus de doute,
quant à la coïncidence qui nous porte à y voir une autre façon de
célébrer le même trapèze qui fut celui d’un monde éclos dans les
mêmes parages, voilà des millénaires, il faut avouer qu'elle est plus
que troublante.. D'ailleurs, ne peut-on s'interroger de la même
manière sur les origines de quelques motifs décoratifs des tissus
paysans qui, eux, jouent aux... triangles à

2. Le mystère du Téreout
RSR DD Se en A VE RS
A quelques milliers de kilomètres de la vallée du Danube ou des
gorges rocheuses et escarpées des Carpates, triangle plus ou moins
parfait et trapèze sous-jacent se retrouvent chez les Touaregs,
population dont les liaisons originelles avec les hommes du type de
Cro-Magnon ne sont plus à relever. Toujours comme chez les
Roumains, pour protéger le mariage, ils marquent l'épouse de leur
sceau bénéfique. Il s’agit cette fois-ci d'un pendentif pectoral, le
Têreout dont le nom s'écrit en tiffinar :
He 0
et qui signifie textuellement ECRIT-AMULETTE.
Le dictionnaire Touareg-français du père Charles de Foucauld
précise que l'appellation en question désigne aussi le dessin figuratif
ornemental, issu d’un cumul de lignes, points et figures géométriques
sans aucune liaison représentative directe avec quelque chose de
vivant (personnage, animal, plante), tracé n'importe comment sur
n'importe quoi (gravé à même le roc, tracé sur le sol ou sculpté,
dessiné sur le visage d’un être humain ou sur la surface d’une peau,
‘(XI eyoueld ‘SH ‘661
‘senbiyde15 sioneW 19 suy ‘senbiyde1Bouuy13 ‘1109)
‘219q19q [210198d }uepuaq4
(+O : +) }u09191

2
POP
CE
ARCHITECTURE SACREE
262
Le téreout-
d'un mur ou d'un tissu) en somme, une abstraction
de la femme, le jour de
pectoral d'argent constitue la parure maîtresse
son mariage.
bijou
De dessin constant le grand pectoral pendentif de ce
(côtés de 10 à 15 cm), porte
hautement traditionnel et symbolique
la base
suspendues frois autres pièces également friangulaires à
les pendent à leur tour des pendelo ques toujour s triangu laires
desquel
métal). Quand elles ne
et métalliques, les techätchat (ou languettes de
les trois triangle s seconda ires du
décorent point par groupes de sept,
n sont
grand pectoral triangulaire, les pendeloques en questio
ues aux colliers des femmes et à leurs amulett es à l’aide de
suspend
petits anneaux métalliques (1).
Sept clous d'argent dont un, central, plus grand, décorent le
grand triangle déterminant sa division en quatre triangles égaux
décorés à leur tour de cercles, points et lignes réalisés par pression de
poinçon sur la face intérieure de la feuille métallique. Les trois petits
triangles répètent le décor du triangle principal, la hauteur totale du
bijou dépassant vingt centimètres.
I1 suffit d'examiner avec attention le dessin du décor de tous ces
triangles pour se rappeler non seulement le symbole de la vierge
chrétienne des pistorniks et autres sceaux religieux mais aussi et
surtout l’image si lointaine dans l’espace et le temps, mais pas dans le
principe de la filiation des choses, du plan des maisons-trapèzes de
Lepenski Vir et de leur triangle générateur.
Téreout ? Un autre souvenir du triangle-grand Tout et de sa
fantastique aventure dans l'Histoire des hommes...

—_—…—…—…—…—…——————— —
—…—…—

Bijoux d'inspiration berbère


du nord-ouest de l'Afrique
(cliché M. Arch, Florence)

1. Voir à ce sujet: Collections ethnographiques, publié sous la direction de


L. Balout, Planches, Album n° | (Arts et Métiers graphiques, Paris, 1959,
planche LIX). :
CHAPITRE XII

Toujours vers les sources

« Le corps de l'homme est une maison avec une


colonne et neuf portes ».
Goraksha Shataka (Hathayoga)

Le plan des maisons des débuts de Lepenski Vir dérivé d'un


triangle équilatéral témoigne, surtout par le jeu des modules, d’une
science numérologique déjà présente ; néanmoins, rattacher aux
seuls hommes « modernes » plus ou moins apparentés aux Cro-
Magnon sinon seulement à ces derniers, la première découverte du
TROIS, serait imprudent.
Le trois est beaucoup plus ancien. La prise de conscience de sa
valeur numérale, sa première utilisation, tout comme le premier
usage marqué sur le terrain de l'orientation tenant compte de la
marche du Soleil, appartiennent aux plus anciennes pratiques
d'inhumation découvertes à ce jour. Leur étude nous plonge en
plein paléolithique inférieur ; elle remonte vers l'époque de la
première moitié de la dernière glaciation, aux temps des hommes de
Néanderthal, et concerne leurs pratiques funéraires. Certaines
fouilles en sont exemplaires. Nous nous limiterons à celle exécutée
par Peyrony et Capitan (1909-1921) en Dordogne, dans l'abri de La
Ferrassie.
266 ARCHITECTURE SACREE

1. La découverte de La Ferrassie
Les six tombes découvertes à proximité de la route n° 32
révélèrent diverses particularités. Deux tombes d'adultes, un homme
et une femme, deux tombes d'enfants, une d’un fœtus, sinon d'un
enfant mort en très bas âge et la dernière, celle d'un autre enfant au
squelette décapité et dont la tête gisait à part sous une plaque de
pierre, représentent ce qu'on a considéré comme une « sépulture
familiale ».
Les deux dernières tombes se révélèrent les plus intéressantes
moins par le fait que les sépultures étaient orientées d’Est vers l'Ouest
(tout comme les autres en dehors de celle de la femme dont le corps
avait été déposé dans une direction opposée), ou par la position
proprement dite des squelettes, que par le fait que la cinquième
tombe. celle d'un enfant en très bas âge ou même d’un fœtus était
installée sous un petit tertre conique, un des neuf tertres présents,
tertres artificiels, groupés en trois rangées de trois tertres chacune et
disposés comme pour former l’image de trois angles s'emboîtant l’un
dans l’autre. Les rangées de tertres suivaient une disposition
rigoureusement géométrique marquée par la direction générale
Nord-Sud. La tombe de l'enfant occupait le tertre du sommet du
premier angle de tertres, situé le plus au Nord et qui commandait par
sa position la rangée du milieu de tout le système.
On ne pourrait pas dire que les constructeurs de cette « sépulture
familiale » consistant en six tombes n'avaient pas une conscience bien
claire du trois et de la friplicité, malgré l'époque qui était la leur, et
qu'ils n'avaient agi avec un savoir manifeste, mais qui est loin d’être
accordé aux gens du moustérien !
Tout comme pour le trois — plus facile à cerner — des
explications ont été avancées pour justifier la présence de ce neuf,
qui, en définitive, devait se retrouver — bien plus tard, il est vrai — à
Lascaux, suggéré par le nombre des éléments constitutifs d’un des
«blasons » (à côté de la grande vache noire)...
Mais peut-être serait-il utile de nous attarder un peu sur la
carrière mythique-symbolique de ce même neuf... le nombre qui est
— selon des croyances d’une extrême ancienneté — celui des
«portes» du corps humain, ce qui expliquerait une approche
physique du nombre symbole. ;
Ps --ssete FOSSES
7 Pss—

1 - Bord extérieur de la voute


2 - Fond de l'abri
3 - Mur de clôture
4 - Fossé
5 - Route

A - Premiers deux squelettes


B - Squelettes n° 3 et 4
C - Cinquième squelette
D - Sixième squelette
E - Les neuf tertres

F - Bloc à cupules
G - Fosse trapézoidale
| - Crâne
H - Emplacement du sque-
lette

=
TT
268 ARCHITECTURE SACREE

S'interroger sur la présence de la triple rangée de trois tertres à


La Ferrassié revient en fait à se poser une double question. Savoir
d’abord si ceux qui avaient enterré leurs morts sacrifiaient déjà à la
r
numérologie sacrée, de façon plus ou moins élaborée ; découvri
ensuite quel fut le mécanis me mental capable — déjà capable — de
les y avoir conduits, tout en attirant leur attention sur le neuf en
question... Nombre seulement ou déjà nombre symbole ?
Psychologie des primitifs, histoire du développement mental de
l'homme et tradition des nombres doivent se donner la main pour
tenter une approche, même timide et encore trop hypothétique.

2. Une enquête sur le Neuf

Le premier qui — dans le monde de la parole écrite — nous


avait fait remarquer la valeur vraisemblablement rituelle du neuf, fut
assurément Homère. D'ailleurs, ce n’est pas par hasard que neuf,
nombre de l'homme, en tant que symbole numéral de sa gestation
(neuf mois c’est-à-dire 273 jours) est présent dans toute une série de
cycles de bonheur ou de malheur propres à la mythologie des Grecs,
voire les neuf muses, fruits des neuf nuits d’amour de Zeus, les neuf
jours et les neuf nuits de souffrances de Lêto lorsqu'elle accouche, les
neuf jours d'angoisse de la déesse Cérès-Déméter partie à travers le
monde à la recherche de sa fille Perséphone enlevée par Héphaistos,
le ténébreux dieu des Enfers. En tant que trois fois trois, ce même
neuf — expression de la perfection de la perfection — est un
véritable (dans la forme) roi des rois des triangles, chiffrés par le trois.
En effet, si le monde naturel provient de la somme de trois mondes
constitutifs Ciel, Terre, Enfer, chacun symbolisé par un triangle,
alors le neuf qui est l'équivalent de la totalité des trois mondes est
pour une fois encore l'expression figurée d’un triangle parfait (donc
équilatéral) issu de la philosophie religieuse d’une géométrie
savamment sacrée.
Neuf dans le ciel — nombre des sphères célestes ; neuf dans
l'enfer — nombre des cercles infernaux... Neuf cieux et à l’opposite
les neuf sources du séjour des morts. L'image du neuf d’en haut
reflété par le neuf d’en bas traverse époques, mythes et croyances,
traditions et légendes du Danube à la Chine ancienne et de la
Scandinavie à l’altiplano péruvien... Neuf cieux bouddhiques, neuf
TOUJOURS VERS LES SOURCES 269

Le monde total
(Univers)

nœuds du bambou chez les taoistes, neuf encoches du bouleau-axe


du monde chez les peuplades sibériennes, neuf ouvertures de
l’homme pour l'Islam, neuf étapes que devaient parcourir les âmes
des Aztèques pour accéder au repos éternel ; neuf, monogramme
sacré de la déesse Lune, Bolon Tiku des Mayas ; Neuf, nom de la
montagne sacrée du Soleil chez les anciens Egyptiens ; neuf, chiffre
clef de l'enseignement des philosophes matérialistes hindous de
l'école Vaiçeshika ; neuf, le nombre éternel de l'immortalité humaine
chez les francs-maçons, neuf. et la série est bien loin de sa fin...
Les motivations du choix conscient de ce neuf sont faciles à
découvrir chez ceux qui avaient manifestement le niveau mental
propre à la compréhension des vertus magiques tirées d'un certain
savoir numérologique concernant la position et les rapports du
nombre neuf avec les autres nombres, quitte à le déifier par la suite.
En effet, neuf est le premier nœud des nombres ou nœud
numéral. Apparemment isolé entre le 10 et le 8, dont les relations
avec le 5 et le 2 lui sont « visiblement » étrangères, le neuf est
directement lié au Soleil et à la Lune à travers ses relations (d’addition
ou de division) qui le portent vers le 19 et le 7, le 3 et le 4...
Néanmoins, sur ce chemin, il s'apparente d’un seul coup tant au 5
fils et père du 10 divin, si cher aux pythagoriciens qu'aux nombres 4,
6, 8 et autres multiples de deux...
Mais expliquons-nous plus en détail.
270 ARCHITECTURE SACREE

9 (symbole de la gestation chez l'homme) correspond à 9 mois


(9 mois réels : le jeu 30 + 31 + 30 x 3), soit à 273 jours de l’année
solaire. Mais ces mêmes 273 jours ne sont que : 39 semaines.
973 — 30007 mais AUSSI ES EI EN
De même 39 semaines correspondent en définitive à la somme
3 semaines + 36 semaines. 36 semaines (9 X 4 semaines du mois
lunaire) + 3 semaines (issues de la différence réelle) représentent
aussi :
26 OP SONT TO RIQUrS 22522 [SIOUrS OU
ON ARTE 3 TEE LUE SES RO
D D IE RE Ne 0 ne CRE Se Ml

De cette façon — et à travers la sacralité du neuf qui dans le


monde d'Hésiode servait à la mesure des grandes distances de
l'Univers (1), les nombres 3, 4, 7, 13, 28 et 9 se « rencontrent », d'où
l'idée des Anciens sur le nœud des nombres (2).
Mais le neuf dont la superposition à dix fournit le nombre
solaire dix-neuf, célébré par le cycle qui fut attribué par la suite au
Grec Méthon, est aussi le nombre des neuf portes qui séparent
l'enclos sacré (la Sainte des Saintes) de certaines traditions religieuses,
du reste de l’espace — profane, ce dernier. Il en est ainsi chez les
Chinois, où neuf portes séparaient la salle du trône impérial du reste
du palais.
Nombre de la plénitude, le neuf est aussi celui du principe
générateur, mâle, et, chez les Chinois, il représente le Yang blanc
fécondant, générateur... Si le ciel des mêmes Chinois comptait
9 plaines (tout autant de catégories de bienheureux et ni plus ni
moins que 9 999 coins — bizarre liaison du 9 au 4), la Chine même
était aussi le pays du neuf, car elle comprenait 2 X 9 provinces et,
selon Sseuma ts’ien, elle couvrait 1 /81° de la surface du monde entier
(ce qui, tenant compte des rapports réels entre la surface de la Chine
et celle du globe terrestre, n’était pas si loin de la vérité). En dehors de
tous ces développements bien ultérieurs, il faut dire — par rapport

|. Pour Hésiode, la Terre était séparée du Ciel par une distance de neuf jours et
neuf nuits, et de l'enfer toujours par autant de jours et de nuits.
2. Une telle liaison est confirmée chez les Mayas par la soumission,sacrée des
9€ et 13° jours du cycle des jours à la même divinité — le Serpent (dieu-serpent).
TOUJOURS VERS LES SOURCES 271

aux sources mêmes du symbolisme du neuf — que le neuf en tant


que nombre symbolique est présent aussi dans l'ésotérisme de l'ile,
voire du fertre.
Plusieurs circonstances ont conduit à cela.
Ainsi le SERPENT dans son expression la plus éloquente, celle
de l'Ourobouros égyptien — un ophidien qui se boucle tout en se
mordant la queue — représente non seulement l'analyse totale des
choses (d’où la présence du symbole-serpent qui se boucle dans la
symbolique alchimique traditionnelle depuis plus de 22 siècles), mais
aussi la multiplicité qui fait retour à l'unité. En cela, le serpent
marque et sacralise la mort (le tombeau marqué par neuf pierres dans
certains endroits du monde méditerranéen).
Au X° siècle de notre ère, le savant arabe Avicenne considérait
que n'importe quel nombre n'est que le neuf en... travesti (neuf, ses
multiples ou ses multiples + un excédent numérique quelconque).
Le savant motivait cette définition sui generis par le fait que, selon
lui, les signes des nombres n'ont que neuf caractères plus le zéro
qui. n'existe pas! Pourtant ces aspects probants de la grande
tradition ne cessent d'être repris et recommentés pour en sortir
enrichis de nouvelles interprétations.
Ainsi le numérologue moderne, R. Allendy, fit du neuf le
symbole de la solidarité cosmique et de la rédemption. Pour ce faire, il
se fondait sur de bien vieilles traditions selon lesquelles le neuf
funéraire (les neuf pierres des tombeaux méditerranéens et — sait-on
jamais — même les neuf tertres de La Ferrassie) semble exprimer
sinon l'idée de cette rédemption, au moins celle de la survie...
Exprimer ce même neuf par autant de mottes de terre — ou tertres
— représentait dans le fond, répéter neuf fois l'image du cercle (le
serpent qui se mord la queue en dérive), symbole du cycle clos (3)*de
l'unicité résolutive des débuts et des fins, présente plus tard sous la
forme de certains signes graphiques dans certaines écritures, allant de
celle des anciens Egyptiens à celle des Chinois et se retrouvant dans
les graphismes du Tibet, de l'Iran, du Caucase, du monde berbère,
des civilisations précolombiennes d'Amérique (Mayas et Aztèques),
etcr
3. Pour Allendy le neuf, tout comme le six, était aussi le début d'une spirale
vers
(germination matérielle, car vers le bas, pour le neuf et aspiration spirituelle, car
le haut, pour le six).
272 ARCHITECTURE SACREE

Boucle bouclée, le neuf-cercle du signe tracé sur la pierre, sur le


métal, l'argile, dans la cire ou sur le papier est aussi le signe de l’île
dans les ondes de la mer ou du tertre, voire de la Montagne (sacrée)
sur les ondes des plaines et plateaux.

Montagne du Soleil, le neuf des anciens Egyptiens est comme


toute montagne, aussi une île, mais alors elle a... neuf portes où elle
abrite un temple — ce sanctuaire blanc à neuf portes sinon même à
neuf autels — comme c'était le cas du temple-sanctuaire de l’île
Leuké (l’île Blanche), la fameuse le Blanche de la mer Noire, située à
l'embouchure du Danube et qui était en même temps Terre sacrée,
Montagne, Nombril et ile du Soleil tout en restant celle des serpents
(c'est son nom actuel) vénérés dans le temple local d’Apollon (4)...
Il est à souligner que de tous les sens symboliques du neuf, le
plus ancien est le sens funéraire, c'est le neuf, symbole de la survie,
de la rédemption, de l'éternel retour, de la multiplicité fondue dans
l'unité et vice versa...
Neuf tertres pour un mort-né ? De toute façon le rapprochement
est troublant. Mais doit-on déjà le faire ?
Ce serait répondre à la deuxième question posée au début de ces
lignes. Neuf tertres disposés en trois rangées de trois monticules;
chacune reprend en fait la portée du trois, de la trinité, de la
triplicité.…

3. Les Néanderthaliens comptaient-ils ?


L’Allemand Cassirer écrivait un jour : « Le problème de l'Unité
qui sortant d'elle-même, devient « autre » et se dédouble, pour se
refermer finalement sur soi en acquérant une troisième nature, ce
problème appartient en fait au patrimoine spirituel de l'humanité
entière », et le philosophe continue affirmant que l’idée universelle-
ment répandue de la trinité de Dieu doit assurément indiquer qu'il
existe une ultime base concrète sur laquelle elle s’épanouit pour
toujours en renaître renouvelée.

4. La pierre-statue de ce sanctuaire — probablement un menhir — fut la


première représentation d'un dieu étranger, placée dans le Panthéon de Rome, par
les Romains, dès qu'ils atteignirent les parages de la mer Noire.
TOUJOURS VERS LES SOURCES 20

Un, deux, trois. Moi, toi, lui. Terre, Lune, Soleil. trois,
toujours trois, même si parfois triple-trois, ce trois présent dès l’aube
de la raison humaine dans le subconscient et le conscient de
l'homme...
Revenant à la dernière tombe de La Ferrassie, il reste à nous
interroger sur le fait qu'elle présentait un contour visiblement...
trapézoiïidal, qu'elle renfermait le squelette décapité du défunt vers la
petite base de son contour, un squelette disposé sur l’axe Nord-Sud et
qu’à son juste milieu, le trapèze-tombeau contenait une dalle centrale
triangulaire qui recouvrait le crâne, placé vers le Sud... Toute cette
disposition malgré tout curieusement géométrique serait-elle un
simple jeu du hasard ? La question mérite d’être posée d'autant plus
que la dalle triangulaire portait sur sa face inférieure — donc celle
qui venait «en contact » avec le mort — des évidements cupulaires
disposés, eux, deux par deux !
Agréablement surpris par sa découverte, l’archéologue Pey-
ronny, qui avait fouillé le site en compagnie du docteur Capitan, crut
avoir trouvé la première pierre à cupules de la préhistoire ; 11 ne se
doutait pas avoir découvert plutôt le plus ancien exercice de compter
jusqu'à neuf, sinon même de porter au carré un nombre quelconque,
dans l’histoire de l’homme, à côté d’une tout aussi vieille « première »
utilisation magique du triangle...
Jeu des coincidences ? Merveilles du hasard ? C'est difficile à
croire, tout comme il est plus difficile encore d'admettre que le
Néanderthalien en question — car on était bel et bien au moustérien
— ne savait pas, d’une façon ou de l’autre, compter, compter au
moins jusqu'à frois fois trois |
Superlatif de deuxième puissance, le neuf fut en Egypte
ancienne aussi le nombre-nom du dieu Thot, celui qui était « trois
fois grand » avant de se transformer dans le Trismégiste des Grecs. A
vrai dire son épithète était : trois fois trois fois grand, voire neuf fois
grand, neuf fois grand comme le fut, bien plus tard, dans l’espace
carpato-danubien le dieu Dionysos Mais Dionysos aux neuf
grappes de vigne ou Thot « neuf fois grand » des contes égyptiens,
triangle et trapèze des Cro-Magnon oberkasseliens de Lepenski Vir
sont des enseignes pour bien plus tard...
Un regard attentif sur le plan des sépultures de La Ferrassie
demeure néanmoins hautement instructif pour ce que peut apporter
ARCHITECTURE SACREE
274
instructif
de nouveau un retour aux sources. Il demeure hautement
d’inven teurs capable s de
pour comprendre que, malgré leur génie
bois, les Cro-Ma gnon n'avaie nt pas, tout de
faire flèche de tout
même, démarré à Zéro !
Ils eurent des prédécesseurs ces inventeurs de la géométrie et des
débuts de la science sacrée des nombres...
Connaissant déjà l'usage — même si encore vaguement
conscient et purement magique — de la répétition d'un nombre,
voire de son carré (pour le deux et le trois), appréciant dès leur
épanouissement, à l'époque moustérienne, la beauté formelle d'un
contour triangulaire, les Néanderthaliens durent léguer à leurs
suivants et surtout à leurs remplaçants dans l'arène de l’histoire et des
progrès dans la lignée des hommes que furent les Cro-Magnon, au
moins le goût d'aller plus loin sur le chemin déjà entrouvert des
formes et des nombres...

4, Ce trois que tout un chacun porte en soi-même


DORÉ D TE PR SE AR PRE D ee" pr, re
Certes, on peut encore se poser des questions sur les raisons
«internes » de la présence du frois ou de celle du triangle dans
l'expression matérielle des démarches essentielles de ces hommes,
comme, par exemple, dans les rites, déjà bien établis, de
l'inhumation.
Pour suggérer encore une explication — et sur ce plan
«intérieur » des choses — de la présence du frois-triangle dans la
raison des gens de la préhistoire, nous allons faire référence à la
conférence donnée le samedi 26 février 1977 par le philosophe
Pierre Auger, membre de l’Institut, dans l’amphithéâtre Michelet de
la Sorbonne.
Partant de l’idée que la pensée possède un support matériel dans
le cerveau de l’homme et que la conservation des souvenirs (qui
comporte leur inscription dans les structures matérielles de leur
contenu) se fait à travers des «engrammes» renfermant les
informations les concernant (ce qui permet en fait /a reprise en temps
voulu desdits souvenirs), le savant retrouve dans certains groupes de
TOUJOURS VERS LES SOURCES 275

neurones du cerveau — reliés entre eux par leurs synapses (5) — es


supports matériels en question.
Néanmoins — et c’est à Pierre Auger de le souligner — dès que
l'on considère cette véritable objectivation des idées, on arrive à des
classifications dont une, particulièrement, de nature ternaire est
fondée sur l'analyse des critères qui président à l’acceptation ou au
rejet des concepts ou des idées énoncés ou mis en conserve, c'est-
à-dire mémorisés par le cerveau.
Selon une telle classification, la première catégorie est celle des
idées libres, acceptées sans une justification de leurs qualités logiques
et sans qu'elles soient reliées à une raison plus ou moins large, des
idées qui se réclament des rapports de l'individu avec son monde
extérieur et qui ont toujours eu une certaine application sur le plan
pragmatique quotidien. Auger désigne ces idées par le sigle D (de
Dieu, à l'instar des dieux, qui eux, tout en se justifiant par eux-
mêmes, n’ont point besoin d’être expliqués en dehors de leur propre
nature qu'on leur a attribuée a priori).

js Expérimentation

Observation ==>

5. Synapse — point de contact entre deux cellules nerveuses (des termes grecs
« sun » (avec) et « aptein » (joindre).
276 ARCHITECTURE SACREE

Une deuxième catégorie — sigle À (Héros) — rassemble les


idées liées entre elles par la logique rationnelle et dont les attaches
fonctionnent à l'instar du code de l'honneur (6).
Enfin, une dernière et froisième catégorie de pensées se rajoute
aux deux premières, bien abstraites. Par contre, cette dernière
catégorie d'idées tient du concret, car elle concerne et représente les
choses (sigle C, de chose) et correspond aux idées concrètes. Des idées
qui régissent les rapports de l'individu avec son monde extérieur.
Mais avec cela, le triangle fonctionnel de la pensée fait son apparition
en tant qu'outil d'explication.
L'association de ces trois types de pensées, pouvant se
manifester dans le binaire et le ternaire, est capable de décrire
absolument toutes les démarches de la pensée, et il est à se demander,
ajoutons-nous et soulignons-nous, si l'engouement pour le trois, le
ternaire, le triangle et leurs retombées trinitaires (associations par
triades, par exemple), ne représente pas à ses débuts une sorte de
projection extérieure sur le réel ou le quotidien de la façon même de
fonctionner de notre cerveau...

et 2 se

C D H
020 IE ER CREER
RES

où la valeur des signes devient :


mes EEE
Sculpture Théologie Homme
Galet Dieu poisson

Tradition et invocation Poisson Métaphysique


magique Maison « cryptant »
le savoir

Expérimentation

Observation

6. Auger souligne que ce code limite la liberté des idées renvoyant à la


première catégorie (D) tous les personnages-idées qui s'écartent du sens propre de
cette seconde catégorie.
TOUJOURS VERS LES SOURCES 277

Sur le diagramme avancé par Auger, les démarches de la science


expérimentale correspondent au mouvement C — H — C. Mais il
suffit de jeter les yeux sur une telle représentation, pour pouvoir
analyser aussi ce que dut être la démarche mentale des gens de
Lepenski Vir. Une démarche dont les mouvements nous semblent
pouvoir se situer dans le cadre des relations présentées.
Les récentes découvertes sur les fonctions distinctes des deux
hémisphères du cerveau, gauche et droit, celle de l’encéphale et celle
de la partie centrale profonde du cerveau (l’hypothalamus, surtout)
confirment la classification proposée par P. Auger. Mais il faut aussi
dire que l’application de cette classification à l’analyse des restes de
culture matérielle des « primitifs » permet à la fois la mise au clair
(récupération) du fonctionnement de leur pensée et la révélation des
bases les plus profondes (cachées) de l'expression première (comme si
elle était innée) du principe ternaire (trois et triangle y compris). Nous
avons précisé : innée parce qu'une telle notion correspond à l’activité
même de notre pensée et marque l’homme peut-être de la même
façon que le six et l’hexagone stigmatisent sans aucune exception
l’'intrépide abeille.
… €t tout cela permet aussi une meilleure approche des résultats
concrétisés dans des NOMBRES et des FORMES GEOMETRIQUES
utilisés par les gens des origines pour se « défendre » face aux actions
et interactions de la pression de leur environnement !
CHAPITRE XIII

Entre l’histoire et la nature

«La philosophie, dit Galilée dans un chapitre


célèbre de son Saggiatore, est « scritta in lingua
Matematica » dans le grand livre de la nature.
Mais on attend toujours qu'un philosophe vienne
nous dire dans quelle langue l'histoire est écrite
et comment on doit la lire. »
Oswald Spengler

Un célèbre aphorisme latin affirme que la nature ne fait pas de


sauts. Si on devait l'appliquer à l'Histoire, Lepenski Vir y ferait
assurément exception.
S'exprimant sur l’activité des bâtisseurs du site, le docteur
Srejovic affirmait : « L'architecture de Lepenski Vir ne va pas du
même pas que son temps et c'est pourquoi il est illusoire de chercher
la source de son inspiration dans n'importe laquelle des civilisations
mésolithiques ou néolithiques de l'Europe ou de l'Asie. Les structures
de Lepenski Vir I et de Lepenski Vir I sont opposées tant aux
habitats provisoires mésolithiques qu'aux agglomérations fixes du
néolithique, elles ne correspondent qu'à la structure d'une ville d'un
lointain avenir (1). »
En un mot — si quelqu'un s'était imaginé avec assez de
précision un tel site et s’il l'avait décrit, peignant sous les yeux

1. Dr Dragoslav Srejovic, Lepenski Vir (Beograd, 1969 (en serbe). p. 286).


280 ARCHITECTURE SACREE

a
écarquillés d'étonnement de ses lecteurs, ou auditeurs, tout ce qu'on
trouvé à Lepenski Vir, avant que ce site ait été découver t, on l'aurait
accusé — à coup sûr — de brosser ou de rédiger un tableau
d'archéologie-fiction !
Mais Lepenski Vir existe. Il existe même s’il démontre une autre
réalité. il existe même s’il conteste bon nombre d'idées admises. Tant
sur le plan de l’art que sur celui des connaissances d'ordre
« scientifique » voire de la géométrie, ou de la science des nombres de
ses habitants.
Tout cela est vrai, bien vrai et aussi — même si cela peut être
désagréable pour certains — bien beau...

1. Lepenski Vir, une exception

Oui, Lepenski Vir est une exception ! Apparemment seulement,


car en fait, il prolonge d’une façon propre, créatrice, non seulement
l’art du paléolithique supérieur, mais aussi ce trésor de connaissances
qui avaient permis déjà — voilà 35 000 à 40 000 ans, aux gens de
Lartet ou de l'abri Blanchard de graver à mini-échelle des calendriers
lunaires assez compliqués sur leurs fragments d'os. En cela le docteur
Srejovic est, à notre avis, un digne successeur du docteur Marshacxk.
Les sources de tels miracles apparents se trouvent en fait dans la
formidable aventure historique des hommes de Cro-Magnon lors de
leurs acheminements qu’on pourrait tout bonnement taxer de
« civilisateurs », vers l’intérieur de l'Europe et de l'Orient, alors
encore, et pour des longs millénaires, voués aux ténèbres.
Certes par tout cela, Lepenski Vir s'inscrit en faux quant aux
divisions et classements généralement admis et farouchement
défendus, de la discipline désignée sous le nom de préhistoire de
l'Europe, des divisions et des classements se voulant rigoureux mais
qui, par leur caractère rigide, tout à fait schématique et depuis
toujours dépourvu de toute tolérance pour les exceptions, pour la
discontinuité et surtout pour l’inversion de certaines phases, nient
l'œuvre du hasard dans le déroulement de l'Histoire, croient
appartenir à une conception rationnelle des choses, mais pratiquent à
vrai dire une sorte de déterminisme historique quasi finaliste. Un
déterminisme assez contagieux.tant par l'application du principe de la
ENTRE L’HISTOIRE ET LA NATURE 281

moindre résistance dans l’acheminement « possible » des faits, que


par la négation de l'impact kaléidoscopiquement varié des lois de la
probabilité dans l'Histoire.
Haut fait de contestation, Lepenski Vir dont on oublie d'étudier
l’art sur les bancs de certaines écoles de prestige telles que par
exemple, l’école du Louvre de Paris (sous le prétexte, semble-t-il, que
la civilisation en question serait. mal datée !), réclame moins la
réforme d’un système de classement de l'Histoire (déjà périmé,
comme le démontrent d’ailleurs et de façon brillante les découvertes
dont on a parlé, de Mureybet, en Syrie) que son remplacement. Ce
n'est pas là une œuvre de vitesse et quant à Lepenski Vir, elle
n’apportera rien de neuf sur les héritiers présumés de sa civilisation.
Néanmoins, la révision des idées commence...
Tout comme Lepenski Vir, Mureybet est loin de constituer une
« vraie » exception — même si en apparence, de taille — à une règle
censée représenter la commune vérité. Non ! Il en est certainement
de même pour le gisement préhistorique de Mallaha (Eynan) d'Israël,
situé dans la haute vallée du Jourdain, en aval des contreforts
orientaux des montagnes de Galilée. Fouillé depuis 1954, date de sa
découverte accidentelle, et jusqu'en 1976 par des chercheurs du
Centre de recherches préhistoriques français de Jérusalem, ce site se
réclamant de la période dite natoufienne, à dépôts épais de 3 mètres,
daté d'au moins 10 000 ans (env. -— 8500), connut à ses premiers
débuts des grandes habitations circulaires elles aussi (les plus
spacieuses mesuraient jusqu'à 9 mètres de diamètre et appartenaient
aux plus anciennes périodes).

Des maisons sises dans des emplacements creusés à contre-


pente, les terres étant retenues par des murs de grosses pierres, et
dont les couvertures étaient bien soutenues par des rangées
concentriques de piliers. Des foyers bordés de pierres, des bassins à
fond garni de pierres, des silos creusés à même le sol, constituaient les
structures secondaires de ces « maisons » rapprochées ou même
contiguës. L'inventaire des outils trouvés situe ces habitats à l’époque
du paléolithique supérieur de la région palestinienne et du Levant.
Les galets découverts dans les habitats représentent des têtes
humaines schématisées… Des figurines en pierre décorées d'ocre
rouge, et d'objets de parement attestent un début formel de l’art chez
ces hommes d'aspect robuste et de grande taille (valeurs moyennes
ARCHITECTURE SACREE
282
vivant de pêche
174 cm pour les hommes, 164 cm pour les femmes),
et de cueillette dans un biotope où l’on récoltai t des céréales (blé et
les restes de faucille s à lames
orge sauvages), chose attestée par
lustrées par la silice.

Or. ces céréales récoltées de façon évidemment consciente


n'étaient pas cultivées. La domestication des animaux n'était pas
civilisateurs
encore amorcée. Tout démontre que les développements
observés étaient loin d'être accomp agnés par un progrès comparable
de product ion. Mais suivons les conclus ions de
des techniques
M. Jean Perrot, le patron de ces fouilles et recherc hes. IL écrit:
admise qui faisait de
« Ainsi, contrairement à l'opinion généralement
de product ion, le préalab le à tout
l'acquisition des techniques
mouvement de sédentarisation, on a pu proposer, à la suite des
découvertes de Mallaha, qu'une économie de prédation intensive
pourrait permettre elle aussi, en milieu naturel favorable, une vie
sédentaire et le développement de celle-ci... » (Mallaha au
Xe milléna ire avant l'ère chrétie nne, le Courrie r du C.N.R.S ., n° 22,
octobre 1976, p. 13-18).
Encore une fois. le schéma classique qui niait toute possibilité de
progrès en dehors d'un développement préalable des techniques de
production vient d’être battu en brèche. D'ailleurs des observations
récentes faites dans des sites syriens et turcs confirment ces aspects et
— changeant ce qui est à changer — Lepenski Vir s'inscrit, en fait,
parmi les sites hautement contestataires à la rigidité de vieilles, déja
trop vieilles, idées acquises. Une illustration parfaite de ce fait fut
résumée par son propre découvreur, le docteur Srejovic, lorsqu'il
écrivait en 1968 que — entre autres — « Lepenski Vir réunit les
manifestations qui pourraient être jugées, chacune d ‘elles prise en
particulier, comme appartenant au paléolithique (art, religion), au
mésolithique (économie) ou au néolithique (agglomération fixe) ».…
(Lepenski Vir, Belgrade, 1969, Résumé français, p. 275.)
Ce ne sont plus les besoins de l’agriculture qui apportent la
sédentarisation, c’est la sédentarisation locale qui provoque une
explosion démographique et c’est cette dernière qui pousse les gens
à chercher les moyens de produire une céréale sur de nouveaux
terrains... Ce n'est pas l’agriculture qui fixe les cultivateurs au sol,
c'est le bénéficiaire confirmé d'une récolte naturelle, qui, pour
l'emporter avec lui sur de nouveaux territoires, suite à la poussée
ENTRE L’HISTOIRE ET LA NATURE 283

démographique, se met à inventer l'agriculture, renversant l'ordre


des opérations. et dans le fond aussi celui des vues des historiens
restés accrochés aux détails prétendument exacts de l’ancien cliché
des techniques des productions moteurs préalables.

2. Indépendance, indépendance.

Juste en face du fer à cheval du vallon occupé par la ville de


Lepenski Vir, une montagne située au-delà de la barrière naturelle du
fleuve, de nos jours en territoire roumain, élève son... trapèze (!) vers
le ciel. En effet, vue de Lepenski Vir, la montagne d'en face a l'aspect
d'un triangle régulier tronqué... Serait-ce là une autre inspiration
pour le trapèze du plan des habitats ? Même dans l’affirmative, la
forme de la montagne n'aurait offert qu'une seconde, sinon une
«n »-ième motivation quant à l'adoption du trapèze — étant donné
les autres mobiles, déjà vus et tellement essentiels. Néanmoins la
présence de la montagne demeure, surtout si on la place dans
l'inventaire des croyances possibles des gens du début du site, entre la
pierre et l’eau...
Pilier du ciel — plus tard sa colonne — nombril de la Terre
aussi, comme toute montagne cosmique, la montagne « d'en face »
dut, elle aussi, constituer un autre grand dépôt de sacré, pour les
adorateurs de l’'homme-poisson, tout comme l'eau, tout comme la
pierre.
Malheureusement une frontière moderne séparant la montagne
du site, les recherches yougoslaves épuisèrent les couches à surprises
de la ville archaïque, tandis que du côté roumain aucun essai de
chercher la contrepartie du site dans ce qui, évidemment aurait pu
être sa montagne sanctuaire, ne fut entrepris.
Lorsqu'en 1968, nous eûmes l’occasion d'en discuter avec le
professeur Emile Condurachi, alors grand patron des archéologues
roumains, sa réponse fut formelle : « Ce site peut être beau, mais il ne
nous intéresse pas. Nous ne nous mélons pas des affaires.
archéologiques des autres (sic !)... »
Dommage, dommage !
284 ARCHITECTURE SACREE

3. Lepenski Vir oblige.


aux
L'aperçu général des aspects surprenants offerts tant
s par le site de Lepensk i Vir est
spécialistes qu'aux profane
doublement important.
D'une part, il pose le problème de la reconsidération, voire
encore
même de la révision de certaines idées sur la préhistoire,
dominantes : d'autre part, il révèle l'import ance, déjà acquise aux
premiers temps du site, par la symboli que des formes et des nombres
dans la pensée de ses constructeurs.
La complexité des problèmes posés, les surprises que chacun
cachait dans ses coulisses, nous ont obligé d’entourer les aspects
d'arguments, de
décrits de Lepenski Vir de tout un monde
comparaisons et de commentaires.
Pour concentrer le tout dans une dernière image, il faut repenser
au double visage de cette civilisation — surtout pour ses périodes de
début. D'une part, c’est le savoir, le bagage informationnel de ces
hommes, d'autre part, c’est leur isolement.
Tardifs — dès leurs débuts auprès du tourbillon de Lepena —
car fixés là à une époque où leur race connaissait déjà son déclin
(entre — 8000 et — 5000), mais extrêmement avancés par rapport
aux peuplades environnantes — à peine en train d'accéder aux
valeurs culturelles premières, dont les Oberkasseliens, installés sur le
Danube entre les Carpates et les Balkans, étaient déjà des maîtres
assurés — ils avaient choisi leur site selon les critères classiques de
leur race. Forêt et fleuve, bois et galets, gibier et poissons. Ce n'était
pas seulement un site de choix mais — dans la perspective du temps
et de leur propre développement historique « linéaire » durant des
millénaires — aussi un refuge.

Endroit de choix et refuge en même temps, la ville des hommes-


poissons devint — grâce à ces circonstances essentielles — un vrai
biotope (2) historique. Cela fait que Lepenski Vir ne peut être et
rester, comme on le croit, unique. Les aspects apparemment
extraordinaires de l'architecture géométrique locale, sa numérologie

2. Aire géographique restreinte correspondant à un groupement d'êtres


vivants soumis à des conditions dont les déterminantes sont homogènes.
ENTRE L'HISTOIRE ET LA NATURE 285

percée à jour à travers la technique des constructions, et l’art de ses


gens ont conduit de façon fortuite vers cette vision de l’unicité, que
nous considérons pour le moins risquée.
De tels endroits, de tels sites fondés par les mêmes hommes, des
bâtisseurs poussés par les mêmes motifs, intimes et extérieurs, ont dû
exister et peut-être furent-ils assez nombreux.
Le séjour de montagne des chasseurs zWidériens sur les versants
du mont Ceahlau dans les Carpates orientales roumaines (ancienneté
de 6 000 à 10 000 ans), dans un endroit qui, lui aussi, réunissait forêt,
rochers et galets, rivière et clairières, gibier et poissons, et dont les
rochers portent eux aussi le signe du poisson gravé à l'aventure, ne
serait-ce pas quelque chose d'assez semblable ?
La découverte ultérieure d’autres sites, analogues à celui de
Lepenski Vir par les problèmes qu'ils poseront à la recherche
historique, apportera aussi — c’est certain — un nouvel aperçu sur
l'évolution de la pensée humaine.
Cela, parce que sur le plan de la reconstitution possible du
mental des chasseurs-pêcheurs danubiens d'il y a 8 000 ans,
Lepenski Vir représente une première projection connue dans le
monde extérieur de la signification et de la force symbolique du
nombre, déjà — et probablement depuis « toujours » — régnant dans
le vaste domaine intérieur des réalités psychiques humaines. En
définitive, cela revient à dire que les adorateurs de l'Homme-poisson
passaient leurs vies sous l'emprise des forces symboliques qui, de nos
jours, n’agissent plus — comme l'ont dûment prouvé psychologues
et médecins — que dans le monde du rêve et des états proches de
celui-ci.
A présent, la majorité des grands spécialistes en la matière
attribuent le plus souvent, à la signification symbolique des nombres,
une origine purement empirique. Des savants réputés affirment
encore que les nombres « sacrés » naquirent suite à des jeux du
hasard dans le monde mental des hommes primitifs et des Anciens,
hantés par toutes sortes d'ombres et de terreurs.. Sans plus
approfondir une telle idée erronée, nous pensons -— avec le
spécialiste qu'est le docteur L. Paneth (3) — que : « NON, ce ne sont

3. Dr L. Paneth. la Symbolique des nombres dans l'inconscient (Paris, (s. d.),


Payot, p. 188).
286 ARCHITECTURE SACREE

ni le hasard, ni la raison qui en sont la cause première, maïs


l'inconscient prérationnel, la patrie originelle commune des nombres-
symboles, des archétypes et des idées. »
Ce disant. nous soulignons une fois de plus la valeur des
conclusions qu'on peut tirer de l'étude des créations matérielles des
primitifs et des Anciens, à la lumière des nombres et des formes-
symboles, cachés ou dévoilés, qu'elles contiennent... Mais cela nous
amène à attribuer encore une priorité de prestige aux gens de
Lepenski Vir, celle d’avoir ouvert — sans le savoir — un des
premiers grands chapitres de l’histoire de la psychologie humaine,
celui des rapports entre l’homme et les symboles...
Oui, la marque laissée par ces gens sur les berges escarpées du
Danube yougoslave est trop forte pour être unique... Les fleuves et
les forêts d'Europe centrale, orientale, ceux du Caucase, d'une partie
de l'Asie Mineure sinon aussi ceux de l’Asie occidentale ou centrale,
ont dû connaître — à leurs lieux de rendez-vous marqués par des
tourbillons nourriciers ou des gués — de tels biotopes historiques.
C'est aux préhistoriens d'accepter toutes les conséquences de l'entrée
de Lepenski Vir dans l'Histoire et de chercher à dessein, et suivant
des critères biogéographiques appropriés, sur la carte du monde et
sous la carte du ciel, d'il y a 6 000 à 10 000 ans, des civilisations
analogues.
Jusqu’alors, rendons hommage aux découvreurs de Lepenski
Vir qui, prenant acte de l'importance et de la « qualité » historique de
ce site encore hors commun, lui ont fait connaître cette suprême
appréciation qui sauva de la perte et de l'oubli — il y a quelques
années — le trésor archéologique d’'Abou-Simbel : le réaménagement
rigoureusement reconstitué du site — tel qu’il fut mis à jour — sur
une terrasse placée quelques dizaines de mètres plus haut, dans la
même vallée maintenant transformée du Danube. Tout comme le
fameux temple d'Abou-Simbel fut sorti d’un endroit que les eaux du
Nil devaient engloutir, par suite de la construction du barrage
d’'Assouan, les berges du Danube qui abritèrent autrefois les débuts,
la vie et la mort de Lepenski Vir étaient vouées elles aussi à la
submersion dès la mise en place du barrage des Portes-de-fer du
Danube. Sauvé de justesse, le site est là, pour accueillir peut-être
davantage que les touristes, tous ceux qui s'intéressent aux communs
débuts de l’art, des métiers et de la raison de l’homme à la fois artiste,
constructeur et déjà savant... ;
ENTRE L’HISTOIRE ET LA NATURE 287

Dolmens du Caucase occidental à plan en


forme de trapèze régulier (Kreyvannia sur le
cours de l'Albin).

=ivs/n)
4. Un pas vers l’Archéosophie
Lepenski Vir, Mureybet, Mallaha. des sites récemment
découverts mais qui posent d'ores et déjà le problème d’une révision
de la manière d'approcher le message intime porté par des vestiges de
culture matérielle légués par de très anciennes ébauches de
civilisation apparemment « différentes »...
Qu'il s'agisse de quelque chose de spécifique développé dans des
biotopes bien particuliers, c’est évident, mais il demeure tout aussi
évident qu'on a affaire, peut-être moins à l'essai de tel ou tel groupe
humain dirigé vers l'essor voulu d’une certaine organisation sociale,
plus ou moins originale, qu’au résultat traduit dans la nature et la
structure d’une telle société par la pression de l'environnement.
Un monde de conditions extérieures issues de la géographie
physique et de la géologie du territoire, allant du climat à la nature du
terrain, et des moindres ressources végétales aux dernières richesses
animalières de la région, ajoutées à tout ce que le « surnaturel » peut
288 ARCHITECTURE SACREE

rajouter, par ses influences tout à fait particulières sur le


comportement matériel et spirituel de l'homme...
La pression de l’environnement ?
Oui, ce serait cette pression exercée de tous côtés dans un certain
endroit ou site, qui justifierait le choix apparent de l'emplacement, à
travers une sorte de mise en résonance des individus constituant le
groupe avec l’ensemble des conditions naturelles de leur site... Ne
faudrait-il pas même trouver là la source première des futurs
doctrines et rituels visant le choix de l'emplacement de l'habitat, du
site, du pays même, tels que la doctrine gématrique chinoise du Feng
Shui (4)? Ne devrait-on pas également trouver dans les coulisses
d'une telle démarche l'explication des procédés rituels, parfois
apparemment aberrants, des actions de fondation du site ou de la ville
(marquage sacré du terrain et autres) propres à toutes les anciennes
civilisations ? Un tel comportement sur tous les plans, ne pourrait-il
répondre (dans l'esprit du temps) comme un écho à la pression de
l'environnement dont il devait porter la marque indélébile ? Ne
serait-ce pas là l'explication du caractère apparemment exceptionnel
des sites de Lepenski Vir, Mureybet, Mallaha et autres similaires
peut-être encore à découvrir ?
Poussant plus loin les choses, il reste même à se demander sans
trop craindre la chute dans l’hérésie, si les courants de fond des
migrations humaines qui ont abouti au peuplement des continents ne
se sont pas déroulés eux aussi selon les lignes de force de cette même
pression de l’environnement, à laquelle les gens des origines étaient
beaucoup plus sensibles que les « civilisés », aux réactions émous-
sées, des sociétés évoluées et déjà soumises aux lois des pressions
purement économiques...
Un tel aperçu des choses permettrait une tout autre vision des
premiers sauts du progrès humain, plus originale et moins
schématisée ou schématique, voire plus normale.
Durant des décennies, l'idée que les progrès de l'homme
dépendirent exclusivement — et de façon rigoureusement propor-

4. Doctrine du choix de l'emplacement d'un site selon « le souffle du dragon »


mythique, exercé dans la nature de l'endroit, et le voisinage des eaux « sacrées » ou
« tranquilles »... ?
ENTRE L’HISTOIRE ET LA NATURE 289

tionnelle — du développement des moyens de production des


groupes humains, avait régi avec la philosophie inspirée par le
matérialisme historique, tout le tableau de l’évolution historique de
l'homme. Puis ce furent les exceptions à la règle qu'on dut négliger,
minimiser, sinon parfois même expulser de l’ordre du jour de
l'histoire, pour sauvegarder la pureté de la théorie...

Chassez le naturel, il revient au galop...


Le galop des nouvelles découvertes impose une nouvelle
analyse.

Imaginons-nous des gens, en résonance avec leur environne-


ment, faisant jaillir le progrès tout en renversant la vapeur du couple
besoin-invention, utilisant la faucille avant de cultiver les plantes
comme à Mallaha, se sédentarisant avant de pratiquer l’agriculture,
construisant des habitats réguliers et tributaires d’une architecture
parfois bien spéciale, bâtissant même des villes avant de domestiquer
les animaux ou de fabriquer des poteries et ainsi de suite... Faisant
jaillir par-ci par-là, dans des biotopes heureux où ils avaient pu (et su)
se mettre en résonance avec leur environnement, les premières
étincelles de la civilisation Ajoutons à ces débuts, les premiers
miracles de la démographie qui durent se traduire par une croissance
brusque de la population, l'excédent se mettant en marche vers de
nouveaux « nombrils » de futur bien-être...

Laissant de côté ce tableau séduisant, pour revenir à ce qui est


déjà bien net, il nous faut souligner que l’archéoscopie des premières
sociétés humaines, qui pourra — et probablement ce sera le cas —
enrichir l'archéologie, lui apportera aussi un développement
souhaitable, vu l'actuelle emprise exercée sur elle, par le procès-
verbal et la statistique, l'inventaire non commenté et la description
excessive, le catalogue d'objets et les questions sans réponse... La
folle du logis, qui n’est pas toujours si nocive que l'on croit, y
trouvera-t-elle aussi, même si c’est avec toute la prudence requise, la
petite place qui lui est bien due ?.. L'archéologie n’a qu'à gagner
d’une étude systématique et conjointe de l’objet de ses recherches et
de la pression de l’environnement ayant présidé à son apparition,
l'Histoire aussi...
On pourra objecter que cela signifierait faire de la para-
psychologie fossile... Pourquoi pas, si on peut la faire et si une telle
290 ARCHITECTURE SACREE

une
action peut déboucher sur quelque chose de neuf à travers
, meilleur e approch e des vrais
nouvelle, et d’une certaine manière
secrets des débuts de l'Histoire.
Une étude de cymatique archéologique nous fera peut-être
mieux comprendre non seulement le pourquoi des maisons-trapèzes
mais
de Lepenski Vir ou des maisons cylindriques de Mureybet,
aussi les raisons de tant de réussites et d'échecs dans le monde
d'ébauches que fut le DEBUT.
Vivre en sympathie avec l'environnement, « résonner » à
l'unisson avec lui pour bénéficier d’un certain âge d'or, à travers le
bien-être matériel, la santé, la communion avec la nature, sous l'égide
de la FORME et du NOMBRE, voilà le secret des HOMMES-
POISSONS !
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Art byzantin, 110.
Artémidore, 46.
Aba Seba, 159, 161. Assereto P., 87.
Abou-Simbel, 286. Assur, 85.
Ache J.B., 291 Astoreth, 140.
Acosta, 36. Athena, 55.
Acromion, 186, 187. Atropos, 180.
Adams, 239, 240, 242. Attis (roi), 201.
Adonis, | 40. Audibert P., 183, 291.
Afghanistan, 71. AULeR PAT NNTS ONE
Agrigente, 252. Auguste, 222.
Aigle, 198, 202. Aurignacien, 96.
Aion, 128. Aveburry, 15.
Albin, 281. Avicenne, 271.
Allendy R., 271. Azilien, 96.
Al-nasr-Al-tair, 202.
Al-nasr-Al-Wäci, 202.
Alpha du dragon, 208.
Altair, 197, 202, 207, 208, 216.
Altamira, 12, 100,111, 114, 120. Ba'al Tars, 124.
Ameno-mi Naka Nushi Kami, 212, 213. Babylone, 240.
Amiens, 139, 142, 152, 154. Bacchus, 127, 180.
Amon, 36. Bachelard G., 246.
Amphitrite, 253. Balout L., 262.
Antarès, 208, 210. Balini, 150.
Anti-vie, 34. Baerb A.A., 291.
Anuchias, 241. Barrière-Flavy, 219.
Apet, 135. Beire-le-Chätel, 46.
Apex, 198. Bétyle, 718, 233, 242.
Apocalypse, 162. Bhavani, 317.
Apollodore, 254. Bin Nirari, 84.
Apollon, 46, 203, 220, 227, 241, 243, 272. Biotope, 60, 284, 289.
Ap6p, 241. Blanchard (abri), 113, 280.
Apôtre Jean, 162. Boëce, 123.
Apuinti, 36, 37. Bogoras W., 291.
Ag Kupruk, 71. Boisserée, 63.
Archéoscopie, 289. Bologne (San Pétronio), 144.
Archéosophie, 287. Bolon Tiku, 269.
Arcturus, 201, 208. Borch J., 195.
Argonautes, 254, Borissavlievitch M., 291.
Aristoxénès, 151. Bosch Gimperra P., 206
Aristote, 40, 73, 164. Bose, 148.
296 ARCHITECTURE SACREE

Bosman, 129, 131. Cinteotl, 37.


Bouclier de David, 152, 154. Clark J.G.D., 180.
Bouddha, \48. Cocteau J., 166.
Bouvier, 201. Codex
Brahma, 36, 207. — aztèque, 216
Braidwood R.J., 291.
— mexicain n° 21, 173, 175, 203
Brancusi C., 74-76, 88. — Vossianus, 216.
Brassempuy, 18. Combe Capelle, 121.
Brehm, 150. Commelin P., 291.
Brochet, 149, 150. Commenius AÀ., 164.
Brno, 121. Condurachi E., 283.
Busiris, 45. Contenau G., 133, 138, 237.
Byciskala, 124. Cook, 108.
Constellations
mythologiques, 40-43.
C Copan, 173.
Copart J., 88.
Caillois R., 291. Gos, 216.
Caillou Michaux, 133, 138. Coucy, 129-131.
Calancha, 36. Couple consanguin, 41.
Canicule, 216. Crète, 66, 71, 73, 82.
Capella, 208. Croix du Nord, 203.
Capitan, 265, 273. Cro-Magnon, 12, 31, 45,93, 95-109, 111,112,
Caranovo, 119. 115.116, 118, 120-122, 142, 149, 151, 154,
Carnac, 15. 171.186, 188, 223, 225, 226, 243, 260, 265,
Carpentarie, 109. 273, 274, 280.
Carte de M., 72. Crotone, 19.
Carthage, 71. Crucuno, 15, 20, 142, 148.
Carthaillac, \14. Cruseilles, 29, 220.
Cassina U., 291. Culte
Cassini, 217. — de la pierre, 235
Cassirer, 272. — de la tête, 90, 228, 232, 235
Castelet, 139, 140. — des ancêtres, 227, 228, 231
Castor, 208. — du crâne, 90, 232
Cauvin J., 69, 70, 88. — du galet, 232.
Ceahlau, 285. Curecea, 254.
Celtes, 38, 39, 45, 224. Cushing F.H., 173.
Cérès, 268. Cybèle, 29, 201.
Cerna, 254. Cygne, 198, 200-203, 208.
Chaos cosmique, 240. Cymatique, 192.
Charancey de M., 291.
Chartres (Cathédrale), 154.
Chateaubriand, 38. D
Chaätelperronien, 96.
Chesterholm, 129. Daces, 71, 152.
Chien et Petit Chien, 216. Dacier, 24.
Chih Nü, 201. Dai, 71.
Childe V.G., 291. Dalai, 111.
Ching Yuh, 202. Darier, 128, 293.
Chiozza, 112. Dehio G., 142.
Chloto, 180. Delaporte, 221.
Chou Pei Suang Ching, 148. Delatte, 214, 216, 217, 291.
Churi Inti, 36. Délos, 169-171.
Cicéron, 148. Delphes, 203, 241, 242.
Cihuacuatl, 31. Déluge, 12, 203, 237-240, 242, 258, 254.
INDEX ALPHABETIQUE 297

Déméter, 268. Empédocle, 252.


Deneb, 197-200, 202, 207, 208, 216. Enneade, 28.
Déonna W., 40, 50, 123, 130, 134, 178, 182, Enguerrand III de Coucy, 129.
225229)12 Engrammes, 274.
Deux (nombre), 27, 33, 34. Eridan, 254.
Dhorme P., 9. Etana, 241.
Dhruva, 209. Etre-triple, 35, 36, 45.
Diels, 46, 50. Etrurie, 219, 226.
Dieu Euclide, 19, 110.
— Cinquante, 234 Eulart, 225.
— Cosmique, 213 Euripide, 251.
— cyclope, 207 Eurythmie, 10, 72, 73.
— du Grand Tout, 226 Eynan, 281.
— Fleuve, 254
— Poisson, 83, 85, 226, 234, 254
— Serpent, 270 F
— Soleil, 49, 214, 215, 224, 225
— Triangle, 86, 171, 226 Femmes triangles, 177.
— triangulaire, 158, 164, 217. Feng Shui, 288.
Dingemans G., 95, 98. Fevrier J., 156, 292.
Dionysos, 124, 170, 171,214, 217, 220, 273. Fileuse, 182, 201.
Disque ailé, 240, 242. Fils du Fleuve, 44, 253, 254.
Divine perfection, 28. Flèche (Constellation), 198.
Dix (nombre), 24, 26, 27, 29, 31, 53, 56, 83, 84, Fleuve
182, 203, 269. — Dieu, 254
Dix-neuf (nombre), 28. — du Ciel, 200-202
Doctrine gématrique, 288. Pere 209255
Dolni Vestonice, 119. Flocon, 111.
Dornseiff F., 292. Font-de-Gaume, 117, 120.
Double, 28. Forrer, 292.
Douze, 54, 56, 226. Foucauld de Ch., 260.
Dragon, 208, 254. Frobenius L., 42, 125.
Dragon alchimique, 205. Furon R., 292.
Dumesnil du Buisson M., 152, 292. Furtwaengler, 45.
Dumézil G., 35, 39, 292.
Dyade, 28.
G
Gaia, 242, 257.
Galet, 21, 33, 76-78, 83, 84, 86-88, 90-92, 189,
Eau 203, 232-234, 242, 247, 248, 281, 284.
— de la vie, 200 — aniconique, 17, 185
— vive, 200. — bétyle, 78
Eberhard W., 54. — nombril du Monde, 189
Eckholm G., 206. — ovoide, 57
Edjou, 162,169; 217. — sacré, 70, 233
Effigy Mounds, 15. — sculpté, 44, 76-79, 87
Egypte, 19, 24, 29, 36, 66, 70, 71, 73, 82, 105, — 6e, 298 23)
LD, 13S 186, ASS TONI AIUE 27 Galilée, 279.
Elateia, 119. Géb, 202.
El Castillo, 116. Gématrie, 157.
Eliade M., 46, 51, 195, 292. Gemeinlebarn, 179.
Elie, 147. Gildion S., 292.
El Vinculo, 125. Gilson, 111.
Emiliani, 111. Gimbutas M., 292.
ARCHITECTURE SACREE
298
— aux trois visages, 37
Girla Mare, 92.
— chat, 82
Goblet d'Alviella, 292.
Goethe, 218, 227. — cheval, 82
— de Berhausen, 120
Goraksha Shataka, 265.
— de Wisteritz, 120
Gorozovskaia, 121.
— dieu, 176, 204
Gosem, 169.
— dix, 30
Grand Œuvre, 134, 140.
Grand Tout, 129, 134, 226, 231, 262. — lion, 82
— loup, 82
Grand Triangle, 196-198, 200, 203, 207, 208.
Grand Triangle zodiacal, 212. — oiseau, 82
— poisson, 12, 78, 80, 82, 83, 86, 93, 189,
Grand Trois, 35, 129, 195.
233-295, 25825485 290
Grand Un, 212, 213.
— scorpion, 82
Granet M., 148.
— jaureau, 82
Gravette, 18.
— triangle, 176.
Gravettien, 96.
Gravettiens, 17, 18, 93, 119.
Horus, 36, 56, 156, 169,217, 241.
Grèce, 31, 82, 122, 141, 148, 158, 163, 169, Hrungir, 35.
DSP SE Hugo V., 222, 223.
MENACE,
Huitzlpochtli, 36, 207.
255:
Grenier A., 142. Huxley T., 15.
Hyperboréens, 169-171.
Grimaldi, 18, 121.
Guénon R., 31.

lacomussi M., 143.


Hallstatt, 232.
Ica, 49, 87, 89, 204, 206.
Hamel V., 226.
Idoles cappadociennes, 133, 138.
Harpe, 149-151.
Ile Blanche, 272.
Hathayoga, 265.
Ile du Soleil, 272.
Hathor, 124.
Illu Hanni, 83.
Haviland, 121.
Intégration de l'habitat, 61.
Hebelynck A., 160.
Intihuaoque, 36.
Hegel, 141, 164.
Isis 6 TAIIS CE
Heine-Geldern R., 206.
Iskamis, 193.
Hékaérgé, 170.
Iskanwaia, 193.
Hellot J., 126.
Islam, 269.
Hercule, 180.
Istros, 254.
Hercule (constellation), 198.
IzanaGi et IzanaMi, 212, 216.
Herculane, 119.
Herculanum, 110.
Hermès, 37, 220.
Hermès Trismégiste, 35, 168, 220, 221.
Hérodote, 19.
Héphaistos, 268. Jacob, 233.
Hésiode, 40, 270. Janicule, 126-128.
Hibben F.C., 98, 292. Janszoon, 109.
Hiéraklès, 24. Jemdet Nasr, 231.
Hikohoshi, 201. Jericho, 230.
Hobitza, 75. Jésus, 164-166, 182.
Homère, 38, 162, 170, 233, 254, 268. Jivaros, 231.
Homet M., 125. Job, 207.
Homo Sapiens Sapiens, 95, 99, 101. Jourdain, 281.
Homme Jupiter, 36, 37, 164.
— animal, 82 Jupiter Dolichenus, 124. $
INDEX ALPHABETIQUE 299

K Lepenski Vir I, 17, 67, 80, 85, 87, 90-92, 229,


279.
Kabbale Lepenski Vir HI, 17,67, 88.
— alchimique, 134 Le Placard, 121.
— de symboles, TE 134, 139. Lepsius, 136.
Kalevala, 150. Leroi-Gourhan, 116, 118, 228, 292.
Kali, 37. Les Combarelles, 120.
Kami, 212, 213. Les Cottés, 121.
Kami Musu bi Kami, 212, 213. Les Evzies, 95, 99, 121.
Kerlescan, 15. Les Hoteaux, 121.
Kerpa, 258-260. Lespugue, 18, 112.
Khéops, 13. Léto, 268.
Kielland E.C., 137, 138. Leuké, 272.
Kircher À., 40. Lindner K., 9.
Klein R., 100. Livre des morts, 171.
Koch RME? Losange, 172, 179.
Kom Ombo, 105. Lougsor, 135, 188.
Kostenki, 104. Lucrèce, 110.
Kozhiki Den, 212, 213. Lumière zodiacale, 158, 169, 217, 218.
Krakatoa, 107, 109. Lund, 108.
Kreyvannia, 281. Lyre, 198, 201.
Kusanas, 31. d
Kyain Oo, 202.

L Mac Evedy C., 292.


Macrocosme, 82.
Labna, 173. Magdalénien, 96, 120.
Labrys, 28. Magdaléniens, 82.
Lachesis, 180. Maitre du Monde, 222.
Lachsmi, 31. Maitre Triangle, 212.
La Ferrassie, 265, 266, 268, 271, 273. Maitres de l'Univers, 220.
Lagoa Santa, 108. Mallaha, 281, 282, 287-289.
Lahovary N., 700 Manéthon, 210.
Lartet (abri), 54, 113, 280. Mardouck, 124, 133, 138, 241.
Lascaux, 12, 100, 111,116, 117, 120, 266. Maréchal J.R., 292.
La Tène, 224. Mars, 36.
Lautsch, 121. Marshack AÀ., 54, 91, 112-115, 249, 280.
Le Corbusier, 55. Marx, 69.
Lecite aryballique, 182. Mas d'Azil, 121.
Lehner E., 292. Maspéro, 36.
Lepena, 12, 13, 16, 61, 86, 209, 225,226,234, Masson M., 292.
254, 284. Maternus, 210.
Lepenski Vir, 9, 12,13, 16-22, 25-27,30-32,34, Matoré G., 246, 292.
44, 45, 48, 50, 51, 52, 54-60, 63, 66-73, Mayas, 67, 133, 269-271.
75-78. 80, 82-84, 86-88, 90-93, 106, 112, Mayassis S., 292.
MÉMOMIP D IP2MIP OMIS MIS TIR SMIERS Medzamor, 130, 132, 133, 209.
139, 149, 152, 154, 160, 162-164, 171,177, Mercure, 37, 46.
182-186, 188-190, 192, 193, 195, 196, 208, Mésopotamie, ONCE NRA AIO OAISS ANAIE
209, 217, 220, 224-228, 232-235, 237, 238, 234.
240, 242, 243, 245-249, 251-255, 257, 260, Métaphore spatiale, 245, 248.
DOCS TB PTT P210223022882908 Meunié L., 292.
Lepenski Vir 1, 17,19, 44,45, 54,58,61,67,76, Meunier M., 31.
88, 90-93, 225, 230, 238, 239,242,251,279. Méthon, 270.
300 ARCHITECTURE SACREE

Migration pontique, 206. Nombril, 78, 87, 189, 232, 242, 272
Mihai V., 92. —— ju Monde (de la Terre), 189.238, 242, 283
Milly-la-Forét, 166. — médiateur, 233.
Milotte J.P., 261. Norinaga M., 212.
Minerve, 37, 55, 164. Nout, 202.
Minotaure, 82. Novgorod, 147.
Mionnet, 216.
Mithra, 128, 129, 220.
Monade, 28. O
Montagne
Oannès (Oonès), 83-85, 234.
— Cosmique, 283
— du Soleil, 269, 272
Obeid, 237.
Oberkassel, 121.
— Sacrée, 212.
Obsequens GJ., 222.
Morgan B.S., 173.
Océan Primordial, 221.
Morgan de J., 231.
Odenburg, 177, 180.
Morecambe, 150.
Mos'na, 15,218. Odin, 37.
Moustier, 48.
Œil
— de Dieu, 152, 154, 205, 206, 223
Moustérien, 48, 95, 96, 273, 274.
— Ghvite, AS2, 208,
Mungo, 108.
Mureybet, 69, 71, 88, 188, 281, 287, 288, 290. Œuf
— cosmique, 75, 203, 238-240, 242
— de lumière, 203
du Monde, 83, 185, 202, 203, 239.
N Oiseau
— de lumière, 202, 203
Nabo (Nabou), 84, 86, 169, 171. — de pierre, 76
Nabopalassar, 169. — de tonnerre, 76.
Nabukatznezar, 169. Okéanos Potamos, 254.
Nakatsune, 212. Olmos H., 193.
Nandris J., 292. Olympe, 37, 55.
Nazca, 15. O'Neil, 202, 293.
Neanderthal, 101, 231, 265. Onze (nombre), 53.
Néanderthalien(s), 39, 95, 96, 101, 102, Opis, 170.
272-274. Ordonnance, 55.
Nef carrée, 41. Orphée, 150, 180.
Nelson, 105. Orphie, 149, 150.
Netsilik, 105. Osiris 36 MIS TMIS2A1S6 2082418
Neuf (nombre), 26, 29, 182, 226, 268-273. Oum Napistim, 240.
Neuf funéraire, 271. Ourobouros, 271.
Neusiedler, 151. Ourouk, 231.
Nicod J., 292. Ourse, 209.
Nicole, 128, 293.
Niké, 130.
Noë, 240. E
Nœud de nombres (numéral), 269, 270.
Nombre Paamylés, 36.
— carré, 26 Paeonios de Mendé, 130.
— cosmique, 4] Pallas-Athènes, 37, 55.
— de l'homme, 268 Paléoanthropiens, 95.
— rectangulaire, 26, 54 Paneth L., 285.
— sans mère, 38 Panofski, 111.
— solaire, 50 Panthéon (Rome), 272.
— symbole, 268 Papyrus Kahun, 148.
— triangulaire, 26, 27. Parhélie, 221, 223. ÿ
INDEX ALPHABETIQUE 301

Parronchi, 111. Protolepenski Vir, 17, 67, 184, 185, 230.


Parr» 4118298: Ptolémée, 210.
Parvati, 37. Purusha (et Prakriti), 134.
Pausanias, 233. Pythagore, 194620 09 142, 146, | 48,
Pavlov, 119, 121. 151,157, 226.
Pech Merle, 120. Python, 242.
Pergame, 29, 170, 258.
Périgordien, 95.
Perrot J., 282. Q
Persephone, 268.
Pervanoglou, 214. Quatre (nombre), 24, 44, 46
Petrie Flinders, 136. — directions, 47
Peuckert W.E., 293. — portes, 47.
Peuple du Trapèze, 16. Quinze (nombre), 27.
Peyronny, 265, 273. Quirinus, 36.
Physiaue du nombre, 27.
Piedra
— del Collegio, 125
R
— Gorda, 125 Rachet G., 293.
— Pintada, 125. Rapport unité-trinité, 35.
Piliers du Ciel, 283. Reche O., 120.
Pindare, 162. Regensburg (Cathédrale), 146.
Pise (Cathédrale), 145. Reichlold, 45.
Pistornik, 141, 262. Reims (Cathédrale), 64, 139, 142, 152, 153.
Platon, 40, 47, 54, 56, 109, 124. Rendu M.A., 118.
Pline, 222. Renfrew Colin, 66, 122.
Plutarque, 36, 37, 146, 168-170. Rhéa, 257, 258.
Podbava, 121. Rhoussopoulos, 214.
Pogany, 75. Rigaud, 24.
Point pinéal, 185. Rio Ramiri, 125.
Poisson-principe, 80, 82. Riss Würm, 95.
Polaire, 197, 208, 212, 213. Ristic P., 293.
Pompei, 110. Roscher, 46.
Ponce Sanguines, 192, 193 Route du triangle, 183.
Pont-Euxin, 253. Rythme géométrique, 27.
Portes
— du corps, 266, 269
—— de Fer (du Danube), 9, 12, 16, 17, 60, 85,
92, 162, 184, 232, 254, 286
— de la connaissance, 158, 159, 161 Sabéens, 133.
— de la lumière, 147 Sagitta, 198.
— du Ciel, 132, 210,211 Sahagun, 37.
— (Lune et Soleil) « deux portes », 33. Saint Alexandre, 38-
Porodin, 119. Saint Augustin, 36.
Poseidon, 253. Saint-Germain-la-Rivière, 121.
Poupées (de pierre), 76. Saint-Jacques (rue), 126.
Predmost, 119, 121. Saint Ragnobert, 225.
Pression de l'environnement, 192, 287, 288. Sainte Baume, 139.
Prideaux T., 98, 100, 293. Sainte des Saintes, 270.
Principe, 31. Sainte Geneviève, 126.
Principe féminin, 33. Sainte Proskomidie, 140.
Problème de maximum et de minimum, 11, 61. Salloustios, 201.
Proclus, 713, 210. Salvasoutras, 151.
Protagoras, 188. SanDaiko, 212.
302 ARCHITECTURE SACREE

Santuola, 114. T
Savoir Taka mi Musu bi Kami, 212, 213.
— infus, 87, 88 Talos, 148.
— intégré, 88. Tamoanchan, 239, 241.
Scamandre, 233, 254. Tanais, 254.
Sceau Tanabata, 201.
— de l'Eglise, 141 Taupatanga, 36.
— de Salomon, 152, 173. Techätchat, 262.
Schmidt H., 293. Teilhard de Chardin, 247, 248, 293.
Schwaller de Lubiez, 135, 188. Temple de l'Homme, 135, 188.
Scythie, 82. Temps
Sedlmayr H., 293. — éternel, 128
Selles-sur-Cher, 139. — iriangulaire, 47
Sénèque, 221. vertical, 47.
Sept (nombre), 24, 29, 44, 45, 53, 132. Teoyaomisqui, 37.
Sept bœufs (septentrion), 209. Téreout, 260-262.
Seth, 203, 241. Tétrade, 28, 46.
Severyns A., 293. Tetraktys, 26, 28-31, 174, 182, 203.
Sextus Empiricus, 210. Teucer, 254.
Shemsou Hor, 30, 31, 56, 120, 149, 151, 171, Tezcalipoca, 36, 37, 207.
188. Tezcatepec, 31.
Shiva, 36, 37, 134, 164, 207. Thamouz, 140.
Siemonja, 121. Thèbes, 110.
Siène (Cathédrale), 65. Thésée, 180.
Sillustani, 15. Thom A., 32, 66, 208.
Sirius, 216. Thôt, 159, 164, 168, 169, 171, 273.
Skuhl, 101. Tiahuanaco, 12, 173.
Smith Ph.E., 100. Tiamat, 241.
Soleil Tiffinar, 260.
— dieu, 221 Tintern Abbey, 42.
— ternaire, 221 Tite-Live, 22.
— triangle, 47, 174, 175. Titicaca, 15.
Solutré, 120, 121. Tlaloc, 36, 207.
Solutréen, 96, 120. Tonatiuh, 174, 175.
Solutré-Pouilly, 120. Topologie psychique, 247.
Solway, 150. Touareg, 260.
Sopdou, 169. Tout, 33, 35, 39, 40, 54, 128, 134, 146, 160,
Sorde, 121. lEPMIICAMIT2MSO 27928051
Souflot, 126. — triangle, 190
Spengler O., 75, 82, 233, 245, 279, 293. — universel, 146.
Sperchios, 234. Triade, triades, trinités
Sphinx, 82. — en général, 28, 35-37, 39-41, 43-45, 50,
Spica, 208. 77, 130, 159, 164, 172-174, 207, 224,
Squelette trapèze, 185, 186, 189. 253 285247
Srejovic Dr., 16, 60, 62, 63, 70, 229, 242, 252, — eau-pierre-forêt, 189
279, 280, 282, 293. — eau-pierre-végétation, 257
SSeuma ts'ien, 270. — fleuve-galet-arbre, 189
Starcevo-Crish, 17, 18. — galet-fleuve-forêt, 44
Stonehenge, 15. — Lune-eau-végétation, 44
Stuhlfaut G., 162, 293. — Lune-Homme poisson-symboie de la fé-
Sumer, 13. condité, 44
Suse (Italie), 142, 143. — Univers-Triangle-Maison, 56
Suse (Perse), 133, 135. — Triade mexicaine, 37
Synapse, 215. — Triade temporelle, 40 5
INDEX ALPHABETIQUE 303

Trinité péruvienne, 37.


Tria Fata, 182.
Ulmann B.L., 158.
Triangle
Ulysse, 180.
Austral, 196
Un (nombre), 27, 31-33, 54
Boréal, 195
— principe, 32-34.
Ciel, 29, 30
Urbanisme, 11, 59, 62, 63.
Œil divin, 152
Usener H., 39, 46.
parfait, 48, 129, 130, 142, 147, 166. 183,
Uttana Pada, 209.
220, 224,252
sacre 203, 21107222
suprême, 212 V
zodiacal, 212, 214.
Triangulation, 63. Vaiceshika, 269.
Valachie, 181.
Tric e l Beida, 124, 125.
Panier mROMIS2229
Trifunovic L., 293.
Trinacria, 207. Varron, 210.
Tringham R., 293. Vautour, 202.
Véga, 197, 198-202, 207, 208, 216, 220.
Tripartition sociale, 39.
Triplaios, 128.
Vellay, 140.
Vendryes J., 39, 45.
Triple
Vénus, 18, 112, 133.
chef, 37
Vénus Stéatopyge, 118.
dieu, 86, 128
Vishnou, 36, 37, 148, 164, 207, 222.
Hécate, 128, 170
Vitruve, 72, 110.
nom, 37
Voie lactée, 196-198, 200-202.
œil, 222
Voile triangulaire, 41.
Sole 2018225;
Triplement intensif, 35.
Triplicité, 35, 39, 45, 221. W
Trismégas, 168.
Trismégiste, 35, 168, 180, 221, 273. Wainamoinen, 150.
Watson Lyall, 191.
Tritog eneia, 37, 55.
Whitehouse, 109.
Triton 252
Willendorf, 18, 112.
Troie, 17, 254, 265.
Trois (nombre), 24, 27, 35, 38, 39-41, 43, 45, Wolf Chr., 164.
Würm, 120.
129 1182224226
Würm Wisconsin, 101.
boules, 224
Wunsch, 170.
cierges, 223
divin, 35
— filandières, 180
fois grand, 35, 50, 273
Lunes, 222 Xanthe, 254.
pas, 148, 223, 224
plans, 224 Y
points, 247
portes du Ciel, 210 Yard mégalithique, 32.
poissons, 42, 226
sauts, 223 Z
Soleils, 220-225
Tout, 39, 40 Zervos C., 44.
Triangle, 46 Zeus, 55, 220, 243, 268
triangles, 226 — Jupiter, 37.
yeux, 223. Zlaty Kone, 121.
Tuc d ‘Audubert, 111. Zodiaque aux trois portes, 210, 211.
Tunja, 125. Zodiaque lunaire, 29.
Typhon, 203, 241. Zunis (indiens), 173.
Table des matières
VAE
DO DOS ete a ne et 11

ChAD EAN CiMIISAtION AUEtrAPÈZE A cc LS


IANIOUUIÉEMIONELELÉdeNEMDS MERE PE ER TR 16
DMPAIDIENNCTeMINIEIMEULODER PEN EC PE PE TP Er 18
DRÉetplantcommenctibanletians ee ner PEER RE 20
CREUSE ES MOMPIES re 24
D'ACINIOURE DIINCIDE RAR en M EC 31
CIRÉCITELDR QUIICTÉS RU M ne le EN 55
DR TOIS OUI O LENS re 55
CDR AS TAN ALLOISAUMTOISS CCIVINO REP RENP EEPE EEE 35
HMITOISE TOUT RE na re es ice 20 39
DMINieSeRCONSElAUONSMMNOlOLIQUES PAPE PER PRET EEE TETT 40
DRIÉSNTOISICOMPICNENEMDS APE PEN PRE EPP CP PE 43
KH'MEOISCUOUNTRENOIS MEUTEUX EEE EPP EEE EC TT 46
DÉDumomOrc ANADIODONMION EE PRE EM EE EE CE TEEN SI
DM MAISONUNIAIIE MÉMOIRE TS SS
SMAUIDANISMeIdUMEUUTENEXUÉIES ET EEE TT CR CET TEEN TC 59
2) MES TMNS
ET elAURDIANISUDSISLO RE ETPT ES 62
DRRÉEXION SU SAVOIE RE PE OR 63
CMPÉDUtE TANnSMeLTeUNIMESSALÉ EE CT. 67
d) Une autre explication de la marche de l'histoire. ............... 68
CRU cagNelaMAISONE AT CE LT CE 70

Chap. II : Les Brancusi de l’âge de la pierre. ........................ 15


IPS iraletentre dansant EE 76
PADeIlhommMeDOISSOMAURRDOISSONIDUNCIDÉ TE CE EC CC CES 80
ARPhOMmMECMIelDOISSONAUSIONNEN EE EE 80
HD'RÉDireledix ele DOISSONE EAP EEE TENTE CEE ET CCC 83
2, Let leo OS A0
ITS ROME os ne 87
AIMÉ DremienmatlaS aNalOMIAUE ee 90
SRAdioscopie de lINommMe POISSON PE PRET EN EEE EE EEE 93

Chap. III : Les Cro-Magnon, ces mal-aimés......................... 95


IMÉSISurprisesdiune décOUVeTLe EE PP EN EE EE ETC CET 96
DM Simelleurs chasseurs idUMONUe REP EN PE PEER EE EE CCE. 100
2) Raïchasse explique le chasseur PAPE PRE EEE EEE EC ET 101
DRACOUTSSAUINMENTIONCOMMENC PAP ET CE
ER TT ECS 102
3, WU Gad 1 STUDENT PO RE 105
306 ARCHITECTURE SACREE

.:.:::-:::::: 106
4. Les premiers découvreurs du monde ..........:..:
CP EN EEE TS 109
5% Perspective avañit l'NISTOÏTS
RME CREER CRETE 110
2) L'invention de la perspectivé
....,"4:0 111
b) La profondeur sort du rocher .....:..:-..,....:
COMPLICE ERP RREE CE C CCE EEE ELLES 112
É PAUIdébULIAU CONENle
RES EE EC e 113
2) Des calendriers avant.la lettre VC
....::::.::: 114
b) Les premières ébauches de l'écriture..............
116
7. Univers, chasseurs, triangles. .............................:..:.
116
a) La géometrie est implicite. ne
SUN Mens A2 120
b)\ Les « attardés » de Lepenski Vin "LS
::: 123
Chap. IV : Dieux, triangles, monuments. .................::.::::
123
[MCommencons par letrianglé, "core
128
a) Quand le soleil est un triangle ..:.........................:.
129
Diletianelé ea OICe
ODiouvientleltniansle AE RER Er ER EEE EEE EEE ECC CCC 130
CPIUSIDEAUD EEE PER EEE EE EE EE ESC ECTS CTE 133
DD Cpartait> AU
a) Signes et kabbale de symboles. . "ur 0e nn 134
139
b) Triangle, folklore et alchimie "MMM ue
Oles cathedralesiel le tance RE ER CEE CEE 142
EE CE EEE EE CEE CETTE RCE 146
d'iNOtes SURUNICeANTANnLIe PEER
e) Pêche et chasse « grâce » au triangle ......................... 149
BMILeS mysteres AUIdelta ere PP REP EP EEE EEEEEETE TEE 156
a) lertriangleetiles lettres FPE PP NE PERTE EEE EC ECC EE CE CET 157
b) "Le Cosmos dans une seule lettre "EE NS 159
CRC T AUNESTAUSSIRUNE DOTE RE ER EEE RE EC ET CUS 161
d) Quand le VERBE devient triangle. .......................... 164
ANTriples (Dieux (triple Sagesse te PP TEE EEE CET ECECCETC EEE 164
a)Mbriansletetitables deslois PERERER CE EEE EE 168
b)ilrestraisins de lDIONYSOS A RE ENTER EC ET D 170
S'ADansies secrets UTIANLRiC PR REP PRE EE EEE CR TE 722
a)MIriangle et pensée Magique PE CE EEE TE 72
Dilemombreibute suniletnanslenERr Perret E TE EE EEE 178
c) Du symbole au trois du destin. ............:...........:....: 180

Chap. V : Le trapèze, mesure de l’homme........................... 183


184
1. Le squelette et le triangle. ....................................
189
DMBAT — ONCE
3. L'habitat. arène d'action de la forme sur le contenu ............... 190
AMNTaiSOns-trapezes CN AMÉTIQUE RE CCE 192

Chap. VI: Des triangles sur le ciel ................................ 195


IPN es andS trois > de lanUIt PRE EEE EN EEE ET EEE CEE LS)
a)ilee Grandilrianele AUICIC IP PEN EE 196
b'ilriangie celestelet œildelDieu " "ERrPEE EEE EEE ES CET CCC. 203
c) Du pôle du Ciel aux poissons des eaux....................... 207
dilestPortes AWCEleMEUMTIANLlI PRE EPP EE ER EEE TEE ET 210
JMIEeS erands ITOIS du CIelIdU OUTRE EPP EEE EEE 217
TABLE DES MATIERES 307

a) Ia «ue ver SA ENAER A 217)


DC HATANLIMOMOCIAUICIEl RE 218
CRIFÉADIODIÉMENESTIOISSOIEIS REA 220
JIRIÉSSRTOISIDASD IUNDIEUNSOIEE RE 224

Chap MI Lertémoisnage des têtes: ne. cou 227


IRSC NEMUNÉDONMEIUEANENIVERS ER ERP DT
DM Cranemlespace eLlAMOrLE Re A ei eee ces 231
ÉMOUIeUeNANele CUlLEUURS AL EP PER TU 232)

Chap Mile /Déluse sure Danube se


ON norme. 2 I
lMernluSancienCliche AIDÉS PR 238
DMIACEUIMLIOISSAUTeLMIle SerDENT EEE M ER RME
RC ITU 238
SMS AN OMONIRAUENTON AS PA ARE 242

Chap. IX: Géométrie et. géométrie . ............................:. 245


IRIS ON AMELAPRONCISDAUAlE D RATE NE ER 245
DARIÉC IDANEQUIRDENSE lAMMAISONE ER RE ER DE ER EU 247
3 Vivre = OMMOr de ESC RE TS ne 248

Chap XS Heureux. les gens de l'âge d'or... DSIl


IPC ANS ASC AUURIO NE CPR ee OR en 251
2. Un con ce nÉe re or oornon ue. 253
SAMI DENS RIVIERA ER SEC LAURE) A 254

Ghana épouse et le tFADÈeze UN MN UNE DE


lSoUSec aidée lat Ke TDAMR RER ER LR M Re en 258
DMC NN Se TE IUMTÉTEOULE Rene ne UT CU 260

Chap. XII : Toujours vers les sources .............................. 265


ImMdécouverteide ANRET TASSE MR ME EEE CRE 266
D'UN CNET SUMICINEUT MR mn et ce 268
Ses iNeandenthaliens COMDIAENTIIS ES PEER CE 272
AMOERTOISIUeLOUTIUNICHACUMIDOECNISOEMIEMONT PEER ETES 274

Chap. XIII : Entre l’histoire et la nature. .......................... 279


IPMIÉÉDENSKIM MIT UNE EXCEDUON EEE CC 280
DMIndépendance AiNdépDeNdANCe PRE TE ER PR CET CRTC 283
SAME DEN SKIN LU O DIE Ce eeee 0 284
AMUUNADAS AVES EATCNÉOSODHIE EPP EE 287

Bb L'OTAN ed oc le 291
Index alphabétique des noms et des matières spécifiques. ............... 295
ADS TUeSEMALIe Les ei eee ce 305
IMPRIMERIE CLERC (SA)
Photocompo-Offset
18200 Saint-Amand

Dépôt légal Editeur n° 470 — Imprimeur n° 2160


Dans la même collection :

Annick de Souzenelle

Parbro de vie Annick de Souzenelle


au schéma corporel

DE L'ARBRE DE VIE
AU SCHEMA CORPOREL
Le symbolisme du corps humain

le symbolisme dul
corps humain|
Format 15 X 21; 288 pages; illustré.

D
= 3° édition
éditions dangles

Si l'on a dit des cathédrales qu'elles sont des « livres de pierre », on peut dire de notre
corps dont la structure, nous l’affirmons, s'ordonne sur le même schéma, qu'il est un
« LIVRE DE CHAIR ». Apprenons à le lire.
La toponymie de notre géographie anatomique nous livre quelques secrets. Les grands
mythes de l'humanité nous en révèlent d'autres. L'Arbre des Qabbalistes nous plonge
ainsi au cœur de la Réalité.
Nous découvrons alors peu à peu ceci:
Notre corps est un langage. || nous propose un programme à réaliser.
ll est ensuite, entre les mains de l’ouvrier que nous sommes, tout à la fois la matière
première à partir de laquelle nous œuvrons, de même que l'outil et le creuset dans
lequel nous opérons.
Tel l'arbre qui, pour grandir doit être émondé, l'homme naissant de lui-même à lui-
même au cours de successives mises au monde doit subir maintes tailles dans sa chair
pour pouvoir renaître à des plans plus élaborés de son être. Cheminer le long de ce
Corps, interroger ses membres et ses organes, c'est découvrir l'itinéraire du devenir de
l'Homme, sa marche vers sa ressemblance totale au modèle : le Corps Divin; c'est
pionger ainsi dans le mystère de l'Homme, son Mi, ce germe qu'il porte en lui comme la
promesse du grand Arbre qu'il est.
« DE L'ARBRE DE VIE AU SCHEMA CORPOREL » introduit le lecteur dans la grande
aventure qu'est notre remontée du schéma corporel à l'Arbre de Vie.
Dans la même collection :

A.-D. Grad

A.-D. GRAD . le golem


et la connaissance

LE GOLEM
ET LA CONNAISSANCE
La kabbale de la lumière

Format 15 X 21; 192 pages;


très abondamment illustré (iconographie inédite) lumière

Editions Dangles

La tradition hébraïque concernant le Golem ne laisse pas d'être fantastique. L'image du


kabbaliste insufflant la vie à ce robot d'argile a marqué bien des générations, et prouve la
permanence de l'esprit humain épris d'idéalisme. Le Golem, pétri dans la terre rouge, marqué
d'un nom sacré, évoque parfaitement la création du monde dans laquelle le Verbe anime
Adam. Il en va pourtant du Golem comme de la kabbale qui préside à sa création : le terme
prête souvent à confusion. Obscurci par la littérature et les glossaires de fortune, le mythe
débouche presque toujours sur la caricature.
A.-D. GRAD, à partir de considérations traditionnelles sur l'alphabet hébreu, les séphiroth,
dresse dans ce livre une vaste fresque, très dense et particulièrement documentée sur
l'itinéraire de l'hébraïsme et de l'islamisme.
Poursuivant sa quête sur l'or philosophal, voici un solide sentier qui mène à la Sagesse suprême
en passant de l'homme, à partir de cet art hermétique, l'auteur fait une approche saisissante du
mythe du Golem, de la valeur de son nombre mystérieux, découvrant un surprenant mythe de
LUMIERE.
« Imagine-toi que tu es lumière, et que tout ce qui t'entoure est lumière », enseigne la kabbale.
Certes, faire l'expérience de la Lumière relève davantage de la « physique du sacré » que de la
philosophie dite « naturelle ». Mais la kabbale de la lumière ne se révèle-t-elle pas ici plus VRAIE
qu'un mythe scientifique ?
Dans la même collection :

Robert Ambelain

Robert Ambelain
les traditions
celtiques
LES TRADITIONS
CELTIQUES
Doctrine initiatique de l'Occident

ésotériques

Format 15 X 21 ;: 224 pages; illustré. de l’Occident

éditions dangles

Cet ouvrage se présente avec le simple désir de résumer et rassembler des données éparses et
peu accessibles au grand public quant à la Tradition Celtique, considérée tant sous l'angle de la
religion que des enseignements ésotériques en découlant. || est en effet particulièrement
important, en notre époque de profonde mutation spirituelle, de montrer que l'Occident
possède, lui aussi, une de ces religions purement métaphysiques qu'on supposait — jusqu'à
présent du moins — l'exclusif privilège de l'Orient.
L'ouvrage aborde d'abord la théodicée des Druides, et étudie leurs conceptions religieuses.
Tour à tour, les trois « Personnes » de la Triade Divine : Oiw (le Père), Hu Kadarn (le Fils),
Karidwen (la Vierge Mère), voient leurs rapports analysés. Puis, l'auteur nous présente les
fameux « cercles » du Monde : Anwn (l'Abîme), Abred (le Monde Terrestre) Gwenved (le
« Monde Blanc » des Héros et des Dieux), Keugant (le « Cercle Vide » de l’Absolu). Il nous
montre ensuite que la théorie druidique du « Germe », cheminant par des milliers de formes
d'existence — du Minéral au Végétal, du Végétal à l'Animal, de l'Animal à l'Homme — est
plausible, et comment la science moderne a pu, par les multiples possibilités de l'appareillage
scientifique et de l'observation rationnelle, démontrer la présence de la Vie, agissante, active et
évolutrice, dans les trois règnes constituant les «Cercles » secondaires de la Tradition
Celtique : Anw, Gobren et Kenmil.
Enfin, près de 190 triades théologiques ou philosophiques (dont de nombreuses sont inédites),
traduites du gallois ou du breton, viennent asseoir les conclusions de l'auteur et en confirmer le
caractère traditionnel.
Plusieurs chapitres sont consacrés aux rapports unissant les traditions hellénique et
pythagoricienne à la tradition celtique, et celui traitant de l'Apollon Hyperboréen projette une
lumière inattendue sur certains aspects du problème.
Le Celtisme nous apporte une métaphysique plus qu'une religion mais, de ce rationalisme
apparent, il se dégage la certitude en une éternelle et personnelle vie. Que demander encore ?
Dans la même collection :

LETTRE RUE TES)

Papus (Dr Gérard Encausse)


ETS Ta CS
divinatoires
LES ARTS
DIVINATOIRES
Graphologie - Chiromancie -
Morphologie - Astrologie -
Physiognomonie - Astrosophie.

graphologie - chiromancie - morphologie


Format 15 < 211: 224 pages ; illustré : 4° édition.
physiognomonie - astrosophie - astrologie

éditions dangles

PAPUS, dont on a pu dire avec raison qu'il fut « le BALZAC de l'occultisme », avec son
habituelle clarté, son talent « d'éveilleur », sa documentation abondante et précise,
vous invite à travers ce livre maintenant réputé, à découvrir et à vous initier tout
d'abord à la graphologie, puis à la chiromancie, à la morphologie et à la
physiognomonie. Le lecteur y trouvera une multitude d'enseignements sur ces
différents moyens de mieux connaître notre personnalité propre et surtout celle de
ceux qui nous entourent. Que de remarques pertinentes et de renseignements précis
qui vous aideront tout au long de votre existence dans vos rapports humains !
La 4° partie, très importante, est consacrée à l'astrologie en général, et constitue une
très bonne initiation indispensable à tous ceux qu'intéresse cette science en plein
essor. Pour l'astrologie moderne, sérieuse et véritable — contrairement à une certaine
astrologie de seconde zone exploitée par des charlatans — il a été fait appel à
M. Gustave-Lambert BRAHY, l’un des astrologues contemporains les plus réputés. Il
livre ainsi au grand public, une base sérieuse pour qui veut aller plus loin dans ce
domaine.
Pour terminer, une dernière partie est consacrée aux Prophéties et au troublant
problème du Hasard et du Libre-Arbitre, ce libre-arbitre qui nous permet de ne pas être
de simples robots et de pouvoir prendre en mains notre destinée.
Un « classique de la divination » à lire et à mettre en pratique|
cLo s l c e l b E E - e -
L'homme, dès son origine, se fit constructeur. Pour s’abriter
des intempéries et du milieu il réalisa un abri mais, chantant
les louanges de la nature, implorant les forces du cosmos, :
priant, il édifia la plus luxueuse demeure pour y placer son :
Dieu. Il utilisa alors les matériaux les plus nobles, les plus
riches, et donna à ce palais divin des dimensions et des
proportions en rapport avec le temple naturel de la nature.
Ainsi naquit une architecture sacrée, aux proportions mysté:
rieuses qui épousaient des rythmes ainsi que le module d'or
reliant les planètes entre elles. :
Harmonie dépouillée, pure, directe. Règle, compas, CT
sont les instruments du génial architecte qui pensa Triangle,
Càrré, Rectangle, Cercle, mais également à l'harmonie
céleste, au Centre du Monde, à la spiritualité.
Pierre CARNAC, pour définir cette technique, s'appuie
essentiellement sur les vestiges d'une civilisation de plus de
huit millénaires mise à jour par les fouilles archéologiques
entreprises depuis 1965 à LEPENSKI VIR, en Yougoslavie, sur
le Danube.
Un livre précis, direct, montrant parfaitement les rapports de
l'Art Royal avec le nombre et la magie. Une fabuleuse
recherche dans la lignée des précédents écrits de cet auteur :
qui se plaît à souligner l'extraordinaire del'aventure humaine.

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= . ISBN : 2-7033-0189-8

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