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Reponses

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Réponses

– Ressentez-vous, dans le champ d’investigation qui


est le vôtre, le besoin d’une médiologie ?
– Quelles pourraient être aujourd’hui, selon vous, les
tâches de celle-ci ? Avec quels alliés ? En examinant
prioritairement quels types de « cas » ?
– Ou bien ce projet est-il déjà rempli par d’autres dis-
ciplines ? Ou n’est-il qu’un mirage théorique ?
– En bref, quelles sont selon vous les chances et les
difficultés d’une médiologie ?

Telles sont les questions que nous avions envoyées à


quelques interlocuteurs critiques des Cahiers de
médiologie.

Boilly,
Trente-six
têtes
d’expression
© Musée de
Tourcoing
DERRICK DE KERCKHOVE à Toronto, soit dans les universités qui
participent au Programme McLuhan in-
ternational (Buenos Aires, Mexico,
U. du Littoral en France, Amsterdam,
Les chances de la médiologie Maastricht, Kyoto, Madère, etc.).
La médiologie aurait valeur d’applica-
tion dans la mesure où elle permettrait
mondiale et la politique est détermi- d’identifier de nouveaux paramètres
MÉDIOLOGIE ET nant. d’accélération (ou de ralentissement),
INTELLIGENCE CONNECTIVE de prolifération (ou de disparition), de
T ACHES DE LA MÉDIOLOGIE complexification (ou d’homogénisa-
Mon champ d’investigation depuis plu- tion), et encore d’hybridation des mé-
sieurs années privilégie l’étude de la Ce qui pour moi est le plus urgent dans dias. Les « cas » à étudier doivent, bien
connectivité des ressources intellec- la médiologie, c’est de constituer une évidemment refléter les compétences
tuelles. C’est d’ailleurs à une conférence sorte de « grammaire des effets des individuelles des chercheurs. Pour le
remarquable sur l’intelligence des ré- médias ». Pour cela s’aider, sans doute, moment, en plus des formes d’intelli-
seaux bancaires internationaux faite des acquis de la psychologie, de la so- gence de groupe en ligne et en vis-à-
par Daniel Bougnoux à Nice en 1993 (je ciologie, de la sémiologie et des vis, ce qui m’intéresse, c’est l’impact
crois) que je dois la première intuition sciences humaines qui jusqu’à présent des technologies électroniques en
de ce qui de fil en aiguille, en passant n’ont pas cru devoir réserver une place Chine. Le programme McLuhan a établi
par l’œuvre de Pierre Lévy, est devenu spéciale aux médias. Il ne faudrait pas une liaison avec un groupe de re-
l’« intelligence connective ». L’intelli- négliger l’apport du génie civil et des cherche à l’Institut de Technologie de
gence connective est, pour faire simple, autres, ainsi que celui des arts (notam- Harbin pour examiner les effets de l’ap-
quelque chose d’assez courant pour ne ment des arts des technologies et des parition du téléphone dans les petites
pas dire banal ; il ne s’agit pas plus que arts de réseaux) qui en commentent les communautés, de la décentralisation
du pouvoir que les gens ont de mettre effets. J’ai du moi-même à l’occasion de la télévision dans les grandes zones
en commun leurs ressources intellec- inventer des sciences hybrides, comme urbaines, des effets psychologiques
tuelles et psychologiques pour ré- la « technopsychologie » et la « re- comparés de l’utilisation de l’alphabet
soudre des problèmes ensemble ou de cherche neuroculturelle », termes plus et des caractères ideogrammatiques
mettre en place des institutions qui ga- ou moins heureux, il faut l’admettre, sur Internet et bien d’autres aspects
rantissent des comportements sociaux pour faire une jonction difficile entre le médiologiques d’une culture immense
efficaces ou cohérents sur le long système nerveux, notamment l’organi- en pleine expansion au plan des com-
terme. Si cet aspect de l’intelligence hu- sation du champs visuel, la formation munications comme aux autres. De-
maine mérite une attention nouvelle, d’habitudes mentales et la pratique de puis plusieurs années, la tendance des
c’est parce qu’il est désormais mis en lu- l’écriture, de la télévision ou des ré- universités, au moins en Amérique du
mière par l’apparition des réseaux. seaux. Le contenu de ma recherche Nord, est de ne consentir à innover que
Ceux-ci sont en train de créer des tient toujours, mais la définition et dans la mesure où les initiatives péda-
formes d’association et de collabora- l’adoption d’une science reconnue par gogiques donnent lieu à la création po-
tion nouvelles entre les gens. Les mé- une masse critique de chercheurs, tentielle d’emplois. A l’université de
dias, et surtout ceux qui impliquent le comme la médiologie, pourrait lui don- Toronto, par exemple, ce qui se fait de
langage, ont tendance à spécialiser ner une assise plus solide. Une gram- plus nouveau dans des domaines reliés
l’une ou l’autre, ou plusieurs fonctions maire des effets permettrait de recon- à la médiologie, en plus des recherches
mentales et leur accorder une certaine naître des structures et des tendances du Programme McLuhan, s’appelle
priorité sur les autres. C’est là que rési- en voie de formation dans le vécu histo- « The Knowledge Media Design Institu-
de l’intérêt et l’utilité d’une médiologie rique et contemporain des apparitions te ». Cet institut s’adresse en particulier
qui permettrait d’isoler et d’analyser les d’anciens et nouveaux médias. aux problèmes de création et de ges-
effets des médias. Les médias sont des tion de ce que j’ai appelé « psychotech-
interfaces. En effet, les médias, chacun L ES DIFFICULTÉS nologies », soit les médias qui, passant
selon sa configuration technologique, par le langage, affectent la pensée et
sa distribution géographique, sa portée Elles sont nombreuses, bien sûr, mais l’organisation du savoir. C’est un
sociale, sa résilience et son étendue par- pas insurmontables. Il faut d’abord ré- champs de travail qui a de l’avenir car il
ticulières, sont des interfaces entre les unir cette masse critique de chercheurs peut servir l’industrie aussi bien que la
sujets individuels, collectifs ou connec- qui tomberont d’accord pour rattacher recherche pure. Quant à cette dernière,
tifs et le monde. Le médium règle le leur travail à la médiologie. Il faut aussi, un des aspects qui commence à éveiller
contenu, le comportement des usagers et cela est capital, trouver un vocabulai- un intérêt général, c’est de repenser
et l’environnement de son milieu d’ap- re commun en anglais et en français. l’humanisme classique en fonction des
plication. Si l’instrument du téléphone Pour cela, « mzediology » est idéal. Il nouvelles conditions humaines susci-
que l’on tient à la main est une interface faut trouver des partenaires Améri- tées par les technologies. Ce serait là
à l’échelle individuelle, l’ensemble des cains, Britanniques et d’autres pays qui sans doute « an area of opportunity for
réseaux des télécommunications consentent à publier en anglais. Il fau- mediology ».
constitue un milieu interfacial dont le drait aussi constituer quelques chaires
pouvoir sur, par exemple, l’économie de médiologie dans des universités, par Derrick de Kerckhove est directeur du
exemple au Programme McLuhan, soit McLuhan Program in Culture and Technology.

286
BERNARD LAMIZET
Pour une médiologie politique
ne médiologie politique est une Refonder le concept de médiation la médiation mise en œuvre par l’exer-

U médiologie qui inscrit dans son


champ d’investigation et de
théorisation les formes symboliques de
Le concept de médiation peut se définir
comme la constitution d’une dialec-
tique entre la dimension singulière du
cice des institutions et de l’idéal poli-
tique, qui représente, pour l’ensemble
des acteurs de l’espace public, l’en-
l’espace public et les conditions dans sujet, dans ses décisions, dans ses choix semble des formes politiques sur les-
lesquelles la mise en œuvre des média- et dans son expérience propre, et la di- quelles ils fondent leur représentation
tions dans les formes de la communi- mension collective de la sociabilité, de la sociabilité. C’est sur la base de ce
cation produit du sens. En effet, on peut dans ses lois, dans ses institutions et concept de médiation que peut se pen-
définir le politique comme le champ dans l’organisation de la vie publique. ser et se construire le projet d’une ra-
dans lequel la médiation produit du Le concept de médiation se fonde ainsi tionalité politique des sciences de l’in-
sens pour ceux qui l’exercent et pour sur une dialectisation des deux dimen- formation et de la communication, de
ceux qui la reconnaissent, les uns et les sions de la vie sociale, de nature à nature à rendre raison de la signification
autres constituant les acteurs politiques rendre compte à la fois de la dimension des faits politiques et institutionnels.
de la médiation. La médiologie politique singulière de l’énonciation du discours
constitue une forme de cogito politique. et de la formulation des représentations Place des SIC dans la fondation d’une
et de la dimension collective des formes médiologie politique
Une nouvelle définition du sujet en sociales de la communication et de l’in- Il importe, dans ces conditions, d’avoir
politique formation, telles, en particulier, qu’elles sur ce plan une approche théorique et
Le concept de sujet, dans le champ po- sont formulées dans les médias et dans méthodologique : les sciences de l’in-
litique, renvoie à la problématique de les autres formes collectives de la re- formation et de la communication re-
l’engagement, c’est-à-dire à la repré- présentation sociale. La refondation présentent une forme de scientificité du
sentation symbolique dont le sujet est ainsi proposée du concept de médiation politique qui se fonde sur la consistan-
porteur et qui donne du sens à ses pra- consiste à construire la sociabilité sur la ce que le langage donne à l’apparte-
tiques sociales. La dimension médiolo- base d’un ensemble de pratiques sym- nance sociale et à la citoyenneté. Les
gique du sujet, c’est-à-dire l’analyse de boliques, de formes de représentation sciences de l’information et de la com-
ses pratiques sociales et institution- et d’institutions d’information qui fon- munication inscrivent le langage et les
nelles en ce qu’elles s’inscrivent dans dent la consistance symbolique du sujet faits sémiotiques au cœur de l’expé-
des processus symboliques d’informa- du politique dans l’exercice de sa ci- rience politique et fondent, par consé-
tion, de communication et de média- toyenneté. quent, leur cogito du politique sur un en-
tion, se fonde sur la mise en œuvre semble de concepts et de méthodes de
d’une logique symbolique du sujet po- Penser le concept de médiation nature à donner du sens à l’expérience
litique : sur l’existence d’une distancia- Penser le concept de médiation suppo- politique. L’idéal politique, dès lors, se
tion entre l’identité symbolique dont le se que soit structuré un ensemble de trouve structuré comme une médiation
sujet est porteur et les pratiques so- concepts et de méthodes d’analyse fon- de nature à rendre raison de la média-
ciales qu’il met en œuvre dans sa praxis, dés sur le constat à la fois de l’autono- tion entre le projet politique dont sont
c’est-à-dire dans son expérience de la mie de la dimension symbolique des re- porteurs, singulièrement, les sujets de
sociabilité. Si la rationalité du politique présentations politiques de la la sociabilité dans l’exercice de leur ap-
a à penser le concept de sujet, c’est dans sociabilité, et de la nécessaire recon- partenance et la rationalité politique
la rationalité de l’exercice institutionnel naissance de ces représentations par les mise en œuvre, collectivement, au
des fonctions symboliques mises en sujets qui en sont porteurs et qui les cours de la mise en œuvre de l’expé-
œuvre par les sujets de la sociabilité mettent en œuvre dans les pratiques so- rience politique des institutions, par le
dans leurs pratiques symboliques de ciales de la communication. Penser le peuple indistinct, le populus, dans
communication. Ce qui, dès lors, fonde concept de médiation consiste, dans l’exercice de sa souveraineté.
le concept de sujet dans sa dimension ces conditions, à construire une ratio-
politique, c’est sa liberté, en ce que c’est nalité articulant l’un à l’autre les quatre Bernard Lamizet est professeur en
d’elle que procèdent les pratiques sym- dimensions fondatrices du réel de Sciences de l’Information et de la
boliques qui lui donnent l’identité dont l’exercice du pouvoir, du symbolique Communication à l’Université d’Avignon.
il est porteur dans l’espace public. des représentations et de l’opinion, de

287
BERNARD MIEGE
Quatre bonnes raisons de ne pas suivre le courant
médiologique
’occasion m’a déjà été donnée de l’écriture, la multiplicité des références confusions et d’ambiguïtés.

L discuter et de critiquer les thèses


médiologiques à l’occasion de la
parution d’ouvrages de Régis Debray.
et la force des convictions ne changent
rien à l’affaire : la diffusion des idées
et des messages réside dans la logis-
Le rejet (militant)
des sciences
Il m’est même arrivé de découvrir l’un
de mes textes, classé sans que je le
tique, ce qui en première analyse peut
être tenu pour un truisme, mais qui,
humaines
sache par mon collègue Daniel Bou- plus profondément, traduit une et sociales
gnoux à la rubrique… médiologie de conception simplificatrice et même
ses « Textes essentiels ». On ne me unilatérale des phénomènes de com- Les médiologues ont généralement la
fera donc pas le reproche de refuser le munication (ainsi que sur le plan phi- dent dure envers les SHS, et cette atti-
débat. Et malgré l’exiguïté de l’espace losophique, et comme l’a signalé jus- tude va plus loin qu’une réaction (par-
réservé à cette note, je vais encore ten- tement Bernard Stiegler, la tiellement compréhensible) de litté-
ter de répondre à la question posée, en neutralisation du jugement sur la vé- raires excédés par l’émergence de
avouant, comme on m’y invite, ne pas rité d’une idée au profit d’un traite- disciplines nouvelles. En exerçant sa
éprouver le désir, ni ne ressentir le be- ment sur ses conditions de transmis- verve d’écrivain tout particulièrement
soin d’une médiologie. Mes raisons sion). contre Roland Barthes et contre Pier-
sont multiples et mériteraient toutes re Bourdieu, Régis Debray ne dissi-
d’être précisées, et parfois nuancées ; mule pas son objectif premier : tenir le
pour l’essentiel, elles peuvent se ré- Pour les sciences de la communication champ de la culture et de la commu-
sumer comme suit : en tout cas, cette façon de voir (si évi- nication à distance des SHS, toutes
dente paraisse-t-elle à première vue disciplines et théories confondues
aux observateurs et aux acteurs) n’est (seule la psychologie sociale semble,
L’indécision pas acceptable, et, du point de vue de
la pensée communicationnelle, elle
curieusement, échapper à cette ma-
nœuvre de protection). Cette position
de l’objet constitue même un retour en arrière. procède d’une confusion sur la pério-
Loin de nous l’idée de mésestimer le de (la fin du siècle ne reproduit pas les
En dix ans, la médiologie a évolué et rôle des médias et des techniques de conditions des années soixante-dix) ;
des précisions ou des compléments communication dans les sociétés non seulement elle semble difficile à
ont été apportés aux fondements de contemporaines, mais comment ne pas tenir, mais surtout elle interdit la
départ ; sans le reconnaître explicite- voir que le rôle des médias doit être relié confrontation avec/et le recours à des
ment Régis Debray, qui dorénavant en permanence à une « théorie de l’ac- disciplines – et à des théories – qui ne
n’hésite plus à signaler sa dette aux tion » qui mette en évidence et aide à définissent pas (plus en tout cas) leurs
œuvres de Harold Innis et de Marshall comprendre les stratégies, autant sym- approches par analogie aux sciences
McLuhan, et même de Raymond boliques que « pratiques », discursives physiques et biologiques, mais cher-
Williams (dans ce dernier cas cela res- ou non, des acteurs sociaux (très divers) chent à mettre en évidence des régu-
terait à prouver), fait montre de plus de impliqués dans la communication ? larités, sous des conditions détermi-
plasticité dans ses énoncés théoriques Alors que dans l’histoire la question de nées et selon des modalités toujours
; du Cours de médiologie générale aux l’insertion sociale des médias s’est avé- falsifiables.
Manifestes médiologiques et surtout rée suivre des cheminements fort com-
à Transmettre, il y a de notables mo- plexes, la médiologie propose un rac-
difications. Et pourtant, le raisonne- courci, incontestablement réducteur. Le refus de préciser
ment reste marqué pour l’essentiel par
une conception matiériste, d’ailleurs
Est-ce la conscience de ce qu’il faut bien
tenir pour une impasse qui a conduit ré-
ses choix
revendiquée comme telle dans le cemment Régis Debray à admettre s’in- méthodologiques
Cours : tout tourne autour de l’effica- téresser plus à la «transmission» (inter-
cité des supports matériels qui sont générationnelle des grandes Dans la grande majorité des travaux
considérés comme étant à l’origine du conceptions culturelles et religieuses) se réclamant de la médiologie, on se-
succès des idées et de la promotion qu’à la communication ? Le reconnaître rait bien en peine d’identifier une mé-
des cultures et des religions. Le brio de plus clairement éviterait nombre de

288
thodologie rigoureuse ou du moins McLuhan ; là où le second fait montre peuvent être simplement transgres-
une série de techniques de recherche d’un optimisme très nord-américain, sées et dépassées au nom de la cross-
sur lesquelles l’auteur s’appuie pour Debray ne cesse de dénoncer et de fertilization. Le reconnaître ne revient
valider – autant que faire se peut – les mettre en garde, au nom des valeurs pas à soutenir le statu quo, mais parti-
conclusions auxquelles il parvient. Si culturelles qu’il entend défendre ; un cipe du respect (non servile) de normes
cette option n’est bien sûr pas sans socle théorique voisin, sans métho- sociales et culturelles qui évidemment
rapport avec le rôle dévolu aux SHS dologie de recherche, aboutit à des ne sont pas toutes régressives.
(cf. ci-dessus), elle doit cependant en analyses largement divergentes. En conclusion de cette trop brève note,
être dissociée : on est en droit en effet je tiens à souligner que mes désaccords
de questionner les médiologues sur de fond avec la courant médiologique
l’origine de leurs propositions : d’où Le mélange ne m’empêchent pas de me trouver çà
parlent-ils ? avec quels outils ont-ils
conçu leurs raisonnements ? quelles
des genres et là en accord avec certaines analyses
ou cris d’alarme qu’il lance. Ce courant,
vérifications ont-ils opéré ? dans quel Avec la médiologie enfin, on ne sait ja- pour des raisons que je ne peux déve-
cadre socio-historique leurs analyses mais si les productions relèvent du tra- lopper ici, me paraît cependant pro-
sont-elles vérifiées ? En bref, on aime- vail intellectuel, du publicisme polé- fondément marqué par la situation
rait un peu mieux connaître l’envers mique ou de la recherche (scientifique) française (perte d’influence de la
du décor, et la cuisine où se concoc- universitaire, voire de la création litté- « scène intellectuelle », rôle exacerbé
tent les études proposées. raire ; en fait, l’entreprise entend se po- de quelques médias télévisuels natio-
Certes, la méthodologie doit rester se- sitionner simultanément sur tous les naux, importance stratégique du déve-
conde par rapport à l’élaboration théo- terrains, sans marquer les différences. loppement des techniques modernes
rique ; elle en est en quelque sorte dé- Qu’on me comprenne bien : il ne sau- de communication, etc.) ; ses corres-
pendante. Mais ce peu d’intérêt pour rait y avoir de solution de continuité pondances avec des situations étran-
les modalités mêmes de la recherche entre l’activité éditoriale, l’intervention gères sont encore peu probantes (par
interroge : comment dès lors se pré- dans les médias, la production et la dif- exemple avec les «cultural studies» bri-
munir des descriptions fluctuantes et fusion des connaissances à l’Universi- tanniques qui se sont développées
des analyses par trop liées à des posi- té voire même l’écriture littéraire. Mais dans un tout autre contexte).
tions personnelles, à des effets de chacune d’entre elles répond au-
mode ou à des situations particu- jourd’hui (qu’on le veuille ou non) à des
lières ? Pour ne prendre qu’un Bernard Miège est membre du GRESEC,
règles de fonctionnement, à des ins- et professeur en Sciences de l’Information
exemple, la vidéosphère de Debray a tances de légitimation, à des modalités et de la Communication à l’Université
peu à voir avec la Galaxie Marconi de d’exercice et à des rationalités qui ne Stendhal de Grenoble.

ERIK NEVEU
Pour une réflexion in-disciplinée sur les média
« Il n’y a pas de débat d’idées sérieux en cinq feuillets
dactylographiés double interligne – calibre maximum
du papier de magazine » (1). C’est sans doute pour cela que
préhensive. Politiste, mes recherches portent sur les rap-
ports du personnel politique au monde des médias, sur le
rôle social des sciences sociales, les mouvements sociaux.
Il ne me semble tout à fait nécessaire sur ces objets (et tant
les « Cahiers » m’adressent l’invitation, aussi sympathique d’autres) de s’interroger sur les effets, enjeux et contraintes
que médiologiquement biaisée, de répondre en 5 000 que font peser des systèmes de communication, des dis-
signes à trois questions gigognes sur les problématiques positifs techniques qui structurent les interactions sociales.
que valorise la revue. Concrètement, je suis amené à me demander par exemple
’il est une « logie » dont je ressente le besoin, c’est es-
S sentiellement d’une socio-logie, pensée non comme
une chapelle ou une discipline bunker mais comme dé-
si la place croissante des « petites phrases » ou de la mise
en valeur d’attributs liés à la « personnalité » dans le débat
politique doit d’abord à des impératifs propres au médium
marche et legs intellectuel unifiant, partagé par des cher- télévision ou à d’autres logiques. Je suis encore conduit à
cheurs de toutes les disciplines – au sens académique et ins- penser les effets des réseaux de communication et dispo-
titutionnel du terme – qui visent à analyser les faits sociaux sitifs structurants de l’espace public sur les chances in-
les plus divers du présent et du passé à partir d’une double égales des diverses mobilisations d’avoir accès à l’atten-
visée d’enquête empirique et d’explication causale et com- tion des médias, d’y être vus et « bien vus », pour reprendre

289
la formule de Patrick Champagne. techniques ou « médiologiques » et les études de cas précises, et n’ait appor-
eut-être suis-je alors un « Mon- logiques sociales qui façonnent les té une contribution significative et re-
P sieur Jourdain » de la médiologie ?
J’en doute. Je ne ressens pas davan-
usages et les applications des avan-
cées scientifiques (5).
connue à l’intelligence d’un media pré-
cis. Durkheim avait eu la vulgarité de
tage une irrépressible appétence pour a seconde tient aux « coûts » scien- se livrer à quelques travaux empi-
donner aux interrogations que peut
soulever cette approche le statut d’une
L tifiques qui me semblent obérer la
constitution d’une « médiologie »
riques sur le suicide et la division du
travail social avant de formuler de
discipline ou d’une problématique au- comme champ de savoir autonome. simples « Règles de la méthode ». Ces
tonome. Je le justifierai – avec les rac- Ajouter une nouvelle spécialisation à travers epistémologique ne sont sans
courcis que génère un format de des sciences sociales déjà zébrées de doute pas sans lien avec la manière
timbre-poste – par trois séries de rai- clôtures et de barbelés disciplinaires dont la constitution d’un réseau de
sons. c’est contribuer à une balkanisation médiologues réfracte des tensions et
a première peut s’exprimer sim- qui les appauvrit. Eriger une nécessai- des oppositions au sein des mondes
L plement : pourquoi réinventer la
roue ? Pourquoi labéliser d’une nou-
re réflexion sur les « médias » de la
communication et de la vie sociale en
académiques et intellectuels français.
Pour le dire de façon lapidaire, la base
velle appellation contrôlée des chan- « logie » c’est risquer la monomanie sociale de la médiologie se situe da-
tiers qui ont déjà donné lieu à des in- explicative et la survalorisation du dé- vantage du coté d’intellectuels formés
vestissements anciens, variés et… terminisme technologique, là où l’in- aux humanités et à la philosophie, qui
féconds. Pour chercher à prendre en telligence du monde social exige d’ar- y importent une partie de leur épisté-
compte les bonnes questions (Et il en ticuler les problématiques, les mé, de leurs habitus disciplinaire (6).
est autour des contraintes des divers causalités, les interdépendances. i l’invitation à la médiologie
outils de transmission !) que soulève
la visée médiologique, le marché théo- J ’ajouterai enfin une raison d’épis-
témologie pratique. La médiologie
S consiste à souligner la nécessité
de penser dans la trame des faits so-
rique est déjà bien achalandé. Pour « réellement existante », celle qui s’ex- ciaux, le rôle des canaux de communi-
poser ici plus de simples repères je no- prime dans ces « Cahiers », me semble cation physique et symboliques, les
terai que d’Harold Innis (2) à Jack en plus d’un cas céder à des travers in- contraintes nées des dispositifs tech-
Goody en passant par Elisabeth Ei- tellectuels français. Lesquels ? Un goût niques qui structurent et médiatisent
senstein, historiens, anthropologues (et talent) de la formule et du raccour- la vie sociale, elle n’est certes pas un
et sociologues nous ont déjà offert un ci percutant mais simplificateur, une « mirage théorique », ou alors un mi-
bel héritage d’études, de concepts, connaissance et un usage fort modéré rage utile. Mais que gagne-t-on à bar-
d’interrogations fécondes sur les ef- des travaux étrangers, une affinité der une bonne question d’une
fets sociaux des changements média- coupable pour les postures de sur- « logie » ? Une terrible apparence de
tiques. Si leur focale est plus large, plomb et la production d’énoncés scientificité sans doute. Une revendi-
puisque la gamme des médiations so- « théoriques » sans que ceux-ci trou- cation territoriale sur un bout du social
ciales qu’ils envisagent va au delà de vent leurs étais dans le processus mo- peut-être ? Ou la première pierre d’un
celles liées aux médias, les travaux deste, lent, souvent ingrat de l’enquê- « Sam’suffit » aux lisières de l’Alma
d’Antoine Hennion et Cecile Méadel te et de l’étude de cas qui est mater ? Mais si nous parlions de gains
offrent aussi des réflexions stimu- cependant la condition préalable de de connaissances ? Suivons donc le
lantes. La sociologie des médias, tant constitution d’une théorie. Mauvais précepte de Norbert Elias : « Une théo-
nord-américaine qu’européenne recè- procès ? A chacun d’en juger en com- rie qui ne permet pas de régler des pro-
le également de précieuses res- parant par exemple un chapitre – éru- blèmes concrets ne sert à rien. Elle ne
sources. A titre de simple illustration, dit, documenté, exigeant – des travaux mérite même pas le nom de théorie ».
l’étude de Todd Gitlin sur le processus d’Elisabeth Einsenstein sur les chan- L’existence des riches corps de tra-
d’interaction entre le SDS des années gements induits par l’invention de vaux évoqués plus haut, celui de re-
soixante et les médias américains l’imprimerie aux pyrotechnies « mé- cherches « media-logiques » d’avant la
constitue une admirable référence (3). diologiques ». Convenons-en, la pri- Médiologie suggère un superbe espa-
Peut-on aussi suggérer que certaines mauté esthétique est parfois du coté ce d’émulation intellectuelle. Que les
démarches réflexives des gens de des derniers nommés. Mais du coté de chercheurs convaincus de la fécondi-
média eux mêmes peuvent apporter la problématisation, d’une capacité té du projet médiologique fassent
beaucoup à penser (4) ? La sociologie d’« exemplification systématique » mieux et transposons au monde de la
des sciences et des techniques enfin pour parler le Passeron ? Singulière recherche la formule de Brecht : « Les
constitue un gisement essentiel et an- chronologie aussi que traduit la pro- choses sont à qui les rend meilleures ».
cien d’études et de conceptualisa- duction d’un « Traité de médiologie Mais cette compétition intellectuelle
tions, attentives à penser les relations générale » avant que cette dynamique suppose bien sur que ses règles ne
complexes entre les déterminismes de recherche ne se soit incarnée en soient pas récusées par avance (7) et

290
que soit prise en compte la force des argumentations liées NOTES
à des enquêtes, des données objectivées, mise en relation 1. R Debray, Le pouvoir intellectuel en France, Ramsay, 1979, p 89.
l’inégale fécondité des constructions de problématiques… 2. Et il écrivait voici bientôt un demi-siècle : The bias of communication, University
of Toronto Press, 1951.
toutes choses qui peuvent opérer dans le monde des « doc- 3. The Whole World is Watching. Mass media in the Making and Unmaking of the
teurs » comme dans celui des « savants »…même si les jeux New Left, University of California Press, Berkeley, 1980.
4. Les témoignages-reflexions suscités par Alain Accardo (Journalistes au quoti-
de pouvoir et d’idéologie ont à l’évidence plus d’effets ici dien, Le Mascaret, Bordeaux, 1995) en donnent un exemple impressionnant.
que là. 5. A titre illustratif voir le bilan proposé par Patrice Flichy dans L’innovation tech-
nique (La Découverte, 1995) et l’ensemble des travaux de ce chercheur.
6. Ajoutons, pour multiplier les maladresses diplomatiques, que l’état des Sciences
de l’information et de la communication françaises, leur niveau scientifique inéga-
lement stimulant ont pu contribuer sur un mode négatif et répulsif à l’attraction du
projet médiologique qui, comparé à l’hétérogeneité de ce secteur disciplinaire,
peut apparaître comme aussi structuré et lumineux qu’un édifice gothique.
7. Cf. R Debray, « Savants contre Docteurs », Le Monde, 18 avril 1997, p 17 spéciale-
ment.

PIERRE NORA
cial et culturel. Dire que la nation ne relève que du sym-
bolique n’empêche pas, et oblige même à prendre en
compte les expressions apparemment les plus lointaines
Peu importe la couleur de ce symbolique, les plus triviales si nécessaire, à condi-
tion de montrer ce qu’elles ont elles-mêmes de symbo-
du chat… lique. Le point de vue médiologique se justifie si, et seu-
Peu importe, en définitive, le statut exact de la « médiolo- lement si ces expressions font apparaître des corrélations
gie », – domaine de recherches ou discipline à part entiè- causales inaperçues, si leur sélection n’est pas arbitraire,
re, mouvance, cadre d’études, instrument d’analyse –, si
elle est opératoire. Si elle permet des éclairages neufs, si si leur analyse est vraiment parlante.
elle est créatrice de sujets, si elle offre une grille d’inter- Quant au second point, il demeure de l’ordre de l’hypo-
prétation. Peu importe en effet la couleur du chat, pourvu thèse évocatrice, interrogative, plus que de la démons-
qu’il attrape des souris.
tration. Et Régis Debray le sait bien. Si la démonstration
Prenons, sans pouvoir le discuter à fond, l’exemple de la
nation auquel Les Cahiers de médiologie ont consacré était juste et la mort de l’État-nation inéluctable en fonc-
leur n° 3, et plus particulièrement le texte introductif, « La tion des évolutions techniques contre lesquelles on ne
Statue descellée par ses socles même ». Beau texte, qui
peut rien, il serait trop facile d’opposer le Régis médio-
fait se demander, comme souvent, ce que serait la mé-
diologie sans le talent d’évocation. logue au Régis républicain et de lui demander pourquoi
On y trouve deux idées : la première, que la nation n’est se donner tant de mal pour défendre un type de nation
pas seulement un phénomène de représentation, mais obligatoirement voué à la disparition. Et si au contraire
d’organisation, un système d’infrastructures techniques
tenu par les historiens comme quantité trop négligeable ; l’apocalypse cybernéticienne de l’État national n’est pas
et que les routes, postes, télégraphes, égouts même sont inéluctable, alors sa projection médiologique ne relève-t-
aussi dignes d’attention que les écoles, musées, monu- elle pas de la métaphore, de la radicalisation intellectuel-
ments. La seconde, que la formule de l’État-nation ayant
le, de l’hypothèse d’école, du vertige rhétorique, du rêve
coïncidé avec le bel âge de la « graphosphère », l’avène-
ment de la « vidéosphère » est gros d’une menace de mort poétique et de la science-fiction ?
de l’État national, du moins d’une profonde altération de L’indécidable de cet exemple ne peut-il être généralisé à
sa forme classique.
la démarche médiologique tout entière ? Il y a bien là
Dont acte. Je ne me sens aucun désaccord avec ces deux
affirmations, en tant qu’historien, mais à des nuances près « quelque chose », mais il est difficile de définir exacte-
qui assurent ou non, la validité de l’analyse médiologique. ment quoi. Plus assurée dans sa méthode, plus probante
Sur le premier point, il est vrai que tout autre chose est dans ses résultats, la médiologie ne serait-elle pas à l’his-
d’analyser les canaux, les PTT, la Radio, les Ponts et chaus-
sées en soi et pour soi, comme des spécialités, ou de les toire ce que la sémiologie, par exemple, a été à la critique
considérer comme les médiations techniques d’un fait so- littéraire ?

291
Correspondance
C’était en plein été, ce sixième Cahier avançait entre les membres du Comité, mais un différend persistait sur une question fonda-
mentale. Les lettres ne servent pas seulement aux mises en demeure, on peut s’écrire aussi pour débattre et faire calmement le point,
ou pour enregistrer un état des travaux en cours. Et par hommage à la graphosphère, toujours en service.

Mon cher Daniel, de diffusion massive, est par excellence le


faux-ami du médiologue, qui pourrait bien
la route et de la bicyclette. À partir d’un même
postulat — à savoir qu’un ensemble de faits
perdre toute son originalité intellectuelle à se naturels doit s’expliquer par des causes natu-
Tu me reproches gentiment d’avoir déserté le laisser fasciner pour un effet de voisinage so- relles — le médiologue traite la culture, qui est
terrain « critique des médias » en tenant qu’un nore et sémantique. Confondre la médiologie à la nature ce que l’héritage est à l’hérédité,
médiologue ne peut sans quelque provoca- avec la sociologie des médias serait céder à la comme un produit d’opérations de transmis-
tion rester muet sur les tours et détours ac- ligne de la plus forte pente… sociologique et sion sui generis en s’exposant d’ailleurs aux
tuels de la machine médiatique. Il y a là deux médiatique. Il est toujours confortable quand mêmes accusations que le sociologue cent
questions, l’une personnelle, l’autre théo- on se sent un peu seul, à l’écart, de rejoindre ans plus tôt, (ravaler le supérieur à l’inférieur).
rique. Pour la première, de peu d’importance, des lieux habités et bien illuminés. Il me Et nous voilà ramenés aux deux questions qui
je suis prêt à plaider « responsable mais pas semble plus productif (et infiniment plus di- nous soucient et dont je ne sache pas que les
coupable ». Tu as raison. Je me suis essayé, il vertissant) de créer un site encore non-réper- spécialistes du «pouvoir des médias» se sou-
y a vingt ans (dans Le Scribe et dans Le pou- torié sur la carte universitaire. Pour ce faire, cient outre mesure : quelles sont les condi-
voir intellectuel en France), au démontage cir- pas de routes tracées, pas de guide Michelin, tions de production techniques d’une réalité
constancié des mécaniques décervelantes, la pas d’accueil chaleureux. Nous sommes des dite culturelle, et quels sont les effets culturels
télé en particulier. Ce n’était pas encore la pionniers, même si nous nous reconnaissons d’une innovation dite technique? L’étude des
mode, le milieu intellectuel n’y était pas prêt, beaucoup de prédécesseurs et de créanciers correspondances entre un ceci et un cela ap-
d’où une réception faible. Je me réjouis à pré- — l’anthologie le montre assez. Nous tra- paremment sans rapport, c’est une problé-
sent de voir la chose prospérer dans le grand vaillons aux frontières, nous défrichons sans matique, — celle de l’efficacité symbolique —
public et sous les meilleures plumes. Même cartes ni refuges, sans diplômes ni médailles qui ne peut pas prendre pour juges ou «réfé-
si je continue de préférer le démontage de à attendre de personne. Nous sommes des rées » des sociologues aveuglés par l’exclu-
mécanismes au débinage des personnes : atypiques, comme le sont les questions que sion chez eux originaire du fait technique, ni
vieil héritage spinoziste, qui conduit à l’ana- nous soulevons auxquelles aucune discipline des sémiologues dressés par Saussure au
lyse plus qu’au pamphlet. Le militant en nous instituée ne donne de réponses convain- tout- langage, ni des politistes professionnel-
peut trouver son compte à la polémique, au cantes ; et je me demande si se mettre à cou- lement étrangers aux longues durées cultu-
nom de son idéal; non le médiologue, qui doit, rir pour rattraper un express qui n’est pas le relles. N’aurions-nous pas plus de lumières à
me semble-t-il, se garder de moraliser et de nôtre, la fameuse 71e section (« sciences de attendre des archéologues, des archivistes-
sermonner. Comprendre suffit. On ne peut l’information et de la communication »), en paléographes, des historiens des techniques
pas gagner sur tous les tableaux : le gain d’in- montrant patte blanche pour qu’on nous lais- et des mentalités, des paléontologues, des
telligibilité va rarement avec le gain de popu- se monter dans le train, n’est pas la meilleure ethnographes et tout bonnement, des an-
larité. façon de se dérober à la tâche ingrate consis- thropologues, pour ne pas parler des philo-
Je n’ai pas poursuivi dans cette voie, c’est tant à poser ses propres rails. Quitte à rompre sophes qui ont guidé tes pas comme les
vrai. On y tourne assez vite en rond, avec le avec son milieu d’origine (lequel, si j’en crois miens, — Derrida, Dagognet, ou Serres ? Ce
risque d’endosser une livrée, encore plus mé- les lettres de répudiation de tes collègues, que sont eux, nos contrôleurs, nos parrains, nos
diatique que les autres, celle du ronchon pé- nous tenons à honneur de publier telles critiques. Ne crois-tu pas qu’il y a beaucoup
riodiquement invité à lancer sa fausse note quelles, sans la classique « réponse de la ré- plus de médiologie en acte (sinon en forme)
dans le concert. Indépendamment de ce daction », prend les devants sans se gêner). dans l’analyse qu’esquisse ici même Odon
porte-à-faux classique (le système raffole de La sociologie des médias est une chose res- Vallet de comment les techniques d’ascen-
ses soupapes), il m’est bientôt apparu que pectable et utile. Mais, outre qu’elle n’a besoin sion ont modifié l’alpinisme (avec l’effet-jog-
« les médias» ne sauraient constituer un objet d’aucune aide extérieure pour se reproduire, ging du retour au piolet en bois et aux chaus-
autonome et consistant de réflexion, tant ils je ne vois pas que la partie puisse l’emporter sures de cuir) que dans l’excellent
recroisent de déterminations, exogènes et hé- sur le tout et l’épiphénomène sur la structure. recensement par Grégory Derville des di-
térogènes. D’où le caractère assez souvent C’est un peu comme si la sociologie en ses dé- verses sociologies de la communication en
gélatineux, invertébré, aussi proliférant qu’ar- buts s’était astreinte à l’analyse du fonction- odeur de sainteté dans les bercails acadé-
bitraire, humoral et jargonnant, des mass- nement des sociétés anonymes, par actions miques ?
médiologies courantes. Un objet, philoso- ou à responsabilité limitée, en confondant la Le crampon d’acier multipointes n’est peut-
phique ou scientifique, cela ne se reçoit pas, société et les sociétés, personnes juridiques être pas un média, ni très remarquable. Mais
cela se construit. L’expérience ne se désigne à finalité civile ou commerciale, parce qu’of- quand il vient à rencontrer la vieille pulsion,
ni ne se découpe pas d’elle-même, et il se ficiellement titulaires du nom. Et pour filer la faustienne ou religieuse, de l’ascension des
pourrait que l’omniprésence apparente des métaphore et pasticher la célèbre règle de sommets, il se noue là un petit scénario mé-
médias contemporains nous cache les com- Durkheim, on pourrait dire que le premier diologique, une petite intrigue culture/tech-
plexités de la fonction médium prise dans geste de la méthode médiologique consiste à nique, dont l’élucidation me semble plus
toute sa dimension. traiter les faits culturels comme des choses éclairante pour la compréhension de l’animal
La méthode Assimil nous enseigne que (techniques), — ce que nous avons fait avec le technicien, et en particulier de son avenir, que
chaque langue a ses faux-amis. Il me semble spectacle et la nation —, et des choses tech- le benêt et tant rebattu two -step -flow -of-
que « médias », au sens ordinaire d’appareils niques comme les faits de culture — ainsi de communication. Mais peut-être après tout

292
n’est-ce là qu’une question d’affinités, d’inté- de balayer le monde et son histoire, elle peut problèmes de transmission qui me semblent
rêts personnels. La grande presse, la radio, la prendre en écharpe maintes réalités, pré- pouvoir singulièrement éclairer ce que nous
télé me divertissent et m’instruisent ; je suis sentes, et pourquoi pas, dans le lot, les mass- nommons « culture ». Aux avant-centre de la
toujours curieux de voir fonctionner ces médias ? « communication sociale » de marquer des
grandes machines de l’intérieur, en côtoyant Dans une équipe de foot, il y a des avants, des penaltys. Les arrières courent moins vite,
les professionnels et en œuvrant avec eux ; demis et des arrières. Mettons la « com » à mais il en faut bien pour protéger les buts.
mais j’ai du mal à en faire le centre de ma vie l’attaque, si tu veux, mais gardons la «trans » R.D.
intellectuelle. Peut-être est-il bon que en défense. Ne m’en veux pas si je m’inscris
d’autres remédient à cette infirmité. Après décidément en deuxième ligne, dans la sur-
tout, si la médiologie est d’abord une façon face de réparation, du côté des archaïques

Cher Régis, n’en crois rien, et je n’arrive pas à comprendre cette disjonction.
Les médias t’instruisent et te divertissent mais tu n’en tires pas
Je ne sais si cet échange épistolaire dissipera le différend, mais une -logie ; Hegel de même faisait par les journaux sa « prière phi-
certains termes de ta lettre m’éclairent mieux sur le projet que tu losophique du matin » mais n’incluait pas la connaissance ou la
portes avec tant de ferveur ; par exemple quand tu redoutes que logique des médias dans son Encyclopédie. La procession phé-
la médiologie perde « toute son originalité intellectuelle à se lais- noménologique de l’Esprit se reflète mal dans cette « gélatine » ?
ser fasciner… » Sommes-nous vraiment ces pionniers hé- J’en suis bien d’accord : nous sommes affrontés à des mots dé-
roïques ? Je crois plutôt que nous piochons avec d’autres un ter- courageants, média, médium, communication, transmission…,
rain très encombré, où nous nous heurtons constamment à des qui recouvrent des pratiques infiniment impures. Mais n’as-tu
recherches anciennes, fortes de reconnaissance institutionnel- pas écrit toi-même que « le médiologue est un chien » ? Tu de-
le et aux résultats certes très inégaux mais « reçus en l’École », et vrais, à partir de là, mieux considérer le véritable travail d’en-
partout enseignés. Tu te vois, depuis le splendide isolement de quête de Serge Halimi. Informer sur l’information n’est pas tâche
l’artiste (qui précède en toi le chercheur scientifique), apporter à subalterne, et mettre des noms sur les dysfonctionnements ou
la communauté savante une découverte ou du moins une pro- les abus du « pouvoir médiatique » ne se réduit pas au pamphlet
blématique capitale ; il me semble que notre problème est plutôt ni au plaisir de déplaire. Je vois entre la démonstration d’Halimi
de nous faufiler entre les savoirs existants, et de nous faire et nous l’avers et le revers d’une même médaille. Les médias sont
prendre au sérieux. une machine molle sans doute, et presque impossible à critiquer
D’où vient en effet l’éclairage ? Qui pose les bonnes questions ? car ils produisent des effets symboliques de croyance, de trans-
Les disciplines ne sont pas globalement infirmes, et il y a long- cendance et de pouvoir dans lesquels nous sommes pris. Mais
temps que certains sociologues ont défriché la « question de la pour qui s’intéresse à l’efficacité symbolique et aux ruses de la
technique » et de ses incidences symboliques, culturelles, poli- transmission, le JT ou la presse écrite offrent une mine inépui-
tiques… C’est pourquoi nous ne traitons pas avec des disciplines, sable d’observations. Et la dénonciation sommaire, populiste ou
découpage inerte, mais avec des individus c’est-à-dire des sentimentale de ces effets rend d’autant plus nécessaires nos
œuvres (ce qui me navre le plus dans l’infocom à laquelle je me analyses. Pourquoi refuser ce terrain ?
trouve rattaché, c’est qu’elle ne produit pas d’œuvre). À cet égard Je discerne dans ton retrait une raison d’humeur doublée d’une
ton, ou notre, problème est de franchir le saut entre ton œuvre, parade théorique. L’humeur, c’est que tu es excédé autant que
considérable et pour moi réellement stimulante, et une encore à moi de la dénonciation des médias, faciles boucs émissaires,
venir médiologie. Il est de bonne guerre - ou de «wishful thinking» ainsi que des laborieuses théories produites depuis cinquante
- d’écrire dans ce Cahier que la médiologie dit, pense, démontre années par leurs sociologues : ni toi ni moi n’avons envie de dan-
que… Nous ventriloquons un fantôme, ou nous faisons la gros- ser le two-step flow et autres airs villageois. Mais entre ces ren-
se voix. Il y a tes textes, très singuliers - je veux dire écrits avec ton gaines et, disons, Virilio, je persiste à penser qu’il y a place pour
style et tes curiosités, et non sur le mode impersonnel du cher- une médio-, qui englobe une média-, logie. Je ne crois pas suc-
cheur scientifique - autour desquels gravitent quelques lunes. comber, écrivant cela, à la pression de mon milieu universitaire.
Sommes-nous pour autant passés du je au nous, ou d’une juxta- Il est vrai qu’on ne choisit pas, qu’on ne refait pas son milieu ; j’es-
position d’individualités à un collège ? La médiologie elle-même, saye pédagogiquement par mes livres, mes cours, de m’ency-
il me semble, enseigne que les conditions actuelles d’énonciation cler au mien. Je t’assure qu’il existe une véritable attente de la
de notre recherche n’en font pas vraiment une -logie. part des étudiants, ou de certains collègues aussi consternés que
Mais venons-en au fond, c’est-à-dire aux contenus annoncés par nous par l’état de nos études. Raison de plus pour entrer dans le
« médio ». Depuis le début (depuis que j’ai lu à parution Le Pou- marais de l’infocom, et tenter de le drainer.
voir intellectuel en France, Le Scribe et surtout Critique de la rai- Tu te justifies enfin par le coupe-feu que tu crois dresser entre
son politique), j’y inclus à part entière les médias. C’est d’ailleurs communication et transmission, en autonomisant la seconde. À
la raison pour laquelle j’avais trouvé naturel, en composant l’an- la lecture de Transmettre ce cloisonnement m’avait paru sédui-
thologie des Textes essentiels pour Larousse, de mettre un ex- sant, mais je ne le crois pas tenable ; il faudrait définir plus ri-
trait de Bernard Miège à la rubrique « Médiologie ». En 1993, j’em- goureusement l’une et l’autre, ce qui est sans doute impossible
ployais ce mot comme une abréviation pour « sociologie des tant elles paraissent enchevêtrées : on trouvera dans chaque
médias », en lui fixant ce programme fort : comprendre comment transmission beaucoup de communication, et inversement.
un collectif en s’informant s’organise, et se donne un corps. Mon Pour conclure, cher Régis, ton fidèle samouraï dans le «champ
collègue me reproche encore de l’avoir ainsi enrôlé, et se trouve infocom » voudrait te dire ceci : il m’a toujours semblé que ton
paradoxalement d’accord avec toi, médio- et médias n’auraient œuvre singulière mais difficile à classer occupait le moyeu d’une
rien à faire ensemble. Pur effet d’écho sans lien sémantique? Je roue aux multiples rayons. Ne préjuge pas d’avance de leur
nombre, et ne mets pas de bâtons dans ta propre roue !
D.B.

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