Droit Constitutionnel I
Droit Constitutionnel I
Droit Constitutionnel I
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auteurs lui préfèrent l’approche formelle de la matière du droit constitutionnel. Celui-ci se
réduirait alors à l’ensemble des prescriptions juridiques énoncées dans la Constitution. En
adoptant une telle position, on réduit la substance du droit constitutionnel à des données
formelles qui sont elles-mêmes réductrices.
Elle découle de la diversité des États et des systèmes politiques. Il faut recourir à
l’analyse systémique pour découvrir la réalité du régime politique. Chaque système politique
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Paul VALERY
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doit être analysé en lui-même et compte tenu de son environnement. Pour saisir sa spécificité,
il apparaît par conséquent qu’au-delà des règles, il faut appréhender la pratique politique et
l’esprit des gens.
Il a existé une querelle entre les constitutionnalistes sur le point de savoir par quel bout
appréhender la discipline. Pour les uns, il faut mettre en évidence la dimension politique (c’est
l’école de Maurice Duverger). Pour les autres, c’est le droit qui prime (c’est l’école de Favoreu).
La véritable question se trouve dans le degré d’efficacité avec lequel le droit saisit la politique.
Les deux matières ne sont pas opposées. Il faut associer droit constitutionnel et science
politique. La querelle entre droit constitutionnel politique et droit constitutionnel positif n’a
pas lieu d’être.
Il faut éviter l’excès de normativisme qui consiste à faire croire que le droit peut saisir
toute la politique. Il existe en droit constitutionnel la distinction faite par un auteur entre le droit
constitutionnel normatif, celui par lequel la norme et la réalité se rapprochent, et le droit
constitutionnel nominal, celui qui n’est le droit que par le nom.
Il faut faire preuve d’objectivité dans une matière où les convictions politiques peuvent
l’emporter sur des considérations scientifiques. Le combat des constitutionnalistes cache
quelques fois un combat des politiques.
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Première partie : Théorie générale du droit constitutionnel
Objectif général du cours. L’objectif de ce cours est de permettre aux étudiants d’avoir
une connaissance parfaite des règles de formation, d’organisation et de fonctionnement des
États.
Mode d’évaluation. Les étudiants seront évalués à partir d’une épreuve écrite de 3
heures maximum. Il s’agira soit d’une dissertation juridique soit d’un questionnaire.
Dans cette partie, nous allons étudier les concepts fondamentaux du droit
constitutionnel. Il s’agit de notions que l’on retrouve dans tous les systèmes politiques. Il existe
une théorie générale du droit constitutionnel construite autour des notions d’État (Chapitre I),
de Constitution (Chapitre II) et de représentation politique (Chapitre III).
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Chapitre I : L’État
Apparemment, l’État est une notion simple. Ce n’est qu’une apparence. En réalité, le
terme tend à désigner plusieurs institutions et situations. La notion d’État s’applique en effet
aussi bien au gouvernement et à l’administration qu’au pays.
Pour bien saisir la notion d’État, nous en examinerons successivement la notion (Section
1), les formes (Section 2) et les fonctions (Section 3).
§ 1 : La définition sociologique
A. La population
Avant tout, l’État est une collectivité humaine. Mais l’existence d’une collectivité
humaine sur un espace donné est en elle-même impuissante à donner naissance à un État. Ce
qui est important, c’est le fait que cette collectivité vivant sur une sphère politique donnée se
sente distincte d’une autre collectivité lointaine ou voisine.
D’un point de vue qualitatif, la population est valorisée par le critère de la nationalité
et par les concepts de « nation » et de « peuple ». À l’intérieur de l’État, une distinction
essentielle est en effet faite au plan juridique entre nationaux et étrangers. La nationalité est le
lien juridique de rattachement d’une personne à un État ; les personnes qui ont un lien juridique
de rattachement avec d’autres États sont des étrangers et celles qui ne bénéficient d’aucun lien
de rattachement sont des apatrides. Certaines personnes ont la double nationalité lorsque cela
est autorisé. En cas de double nationalité, la protection diplomatique est exercée par l’État qui
a le plus de liens effectifs avec l’individu.
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peut être axé sur certaines considérations telles que la race, la religion, la langue ou la
géographie ; c’est la thèse objective de la nation, forgée en Allemagne par des auteurs comme
Fichte. Cette conception de la nation est très discriminatoire en ce que la nation s’identifie à la
race ; elle est d’ailleurs utilisée par Hitler comme l’une des bases du national-socialisme
(nazisme). Le sentiment de solidarité qui unit les individus dans leur volonté de vivre ensemble
peut, en plus des éléments objectifs, se fonder sur des éléments subjectifs. En effet, l’histoire
commune des guerres, des calamités ou des réussites communes sont autant de facteurs qui
forgent une nation : c’est la thèse subjective de la nation mise en évidence par des auteurs
français comme Ernest Renan et Jules Michelet5.
La nation, quoi qu’il en soit, est l’œuvre du temps. C’est ce que nous enseigne l’histoire
des pays occidentaux où la nation s’identifie à l’État. En Afrique, il faut le reconnaître, il y a
une dissociation entre la nation et l’État : ce sont les États établis qui cherchent à construire des
nations.
B. Le territoire
Il ne peut y avoir d’État véritable sans territoire. L’espace territoriale est la zone de
juridiction de l’État, c’est-à-dire l’espace sur lequel s’exercent la réglementation et la plénitude
de sa souveraineté. On ne peut concevoir un État aux frontières indéterminées ou extensibles.
Les frontières permettent de délimiter l’espace sur lequel vit la population.
C. Le pouvoir politique
Pour que l’État existe, il est nécessaire que le comportement de la population sur le
territoire soit ordonné par le pouvoir politique. Celui-ci a la charge d’assurer l’ordre et la
sécurité, de construire et de maintenir l’unité de l’État et de la nation. Et pour ce faire, le pouvoir
politique doit être effectif et légitime.
§ 2 : La définition juridique
A. La personnalité juridique
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Dans Qu’est-ce qu’une nation ? (1882), Renan écrit : « Ce qui constitue une nation, ce n’est pas de parler la
même langue, ou d’appartenir à un groupe ethnographique commun, c’est d’avoir fait ensemble de grandes
choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l’avenir… ».
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Elle confère à l’État, en tant qu’entité souveraine, des droits et lui impose des
obligations. Elle le place en position d’assumer ses responsabilités. La personnalité juridique
est appelée à renforcer l’existence et le fonctionnement tant interne qu’international de l’État.
Elle assure la pérennité et la continuité de l’État et du pouvoir.
Au-delà de sa qualité formelle de sujet de droit, l’État est une institution : on passe ainsi
de la souveraineté du chef à celle de l’État.
B. La souveraineté
Comme l’écrit un auteur, « aussi longtemps que subsista pendant les premiers siècles
du Moyen-Âge, l’idée d’un peuple chrétien d’Occident soumis à la seule potestas de l’empereur
et à l’unique autoritas du Pape, le problème de la souveraineté ne se pose pas6 ». La rupture
avec le Pape et l’avènement de l’Empire donnent à la souveraineté son existence et son sens.
Pour Jean Bodin, la souveraineté est l’expression par laquelle on désigne un pouvoir suprême.
En d’autres termes, c’est un pouvoir qui ne relève d’aucun autre pouvoir. Le pouvoir souverain
n’est soumis à aucun autre pouvoir ni dans l’ordre interne ni dans l’ordre international. La
notion de souveraineté exclut par définition toute possibilité de contrôle sur le pouvoir d’État.
§ 1 : L’État unitaire
La notion d’État unitaire se définit à partir d’une idée simple. Mais ses modalités
d’organisation sont variables.
L’État unitaire, appelé aussi « État simple », est la forme la plus simple d’organisation
de l’État. C’est une forme caractérisée par l’unicité de chacun de ses éléments constitutifs.
De cette unicité découle une simplicité de fonctionnement de l’État. Dans ce type d’État, il
existe un seul centre d’impulsion politique. Il existe aussi un seul ordonnancement juridique.
Une seule volonté politique s’impose à l’ensemble des citoyens sur le territoire de l’État et
l’ensemble de la population est soumise aux mêmes lois. La très grande majorité des États
africains, dont la Côte d’Ivoire, adopte ce type d’État.
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Mais l’État unitaire peut être diversement aménagé (organisé).
1. La centralisation
Lorsque l’État unitaire est centralisé, les décisions aussi bien politiques
qu’administratives relèvent du pouvoir central : il n’y a pas d’intermédiaires entre le pouvoir
central et les gouvernés. Historiquement, cette forme d’organisation du pouvoir étatique est
rendue nécessaire par la volonté que manifestent les systèmes étatiques naissants et/ou fragiles
à contenir les risques de désintégration et les velléités séparatistes.
2. La décentralisation
La décentralisation est une technique par laquelle l’État reconnaît à des collectivités
territoriales (décentralisation territoriale) et à des services publics (décentralisation technique)
qu’il crée le pouvoir de s’auto-administrer. En Côte d’Ivoire, les collectivités territoriales
décentralisées sont les communes et les régions. La décentralisation est régie par un certain
nombre de principes parmi lesquels la détermination des principes de fonctionnement par
la loi, l’élection des personnes et des organes décentralisés par les citoyens, l’attribution
d’une personnalité juridique aux collectivités décentralisées et l’existence d’un rapport de
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tutelle entre le pouvoir central et les collectivités décentralisées. L’autorité décentralisée
n’est pas sous la dépendance directe du pouvoir central.
A. La Confédération d’États
B. L’État fédéral
1. La notion
L’État fédéral est une union d’États qui prend normalement naissance par une
Constitution (acte juridique de droit interne). Il existe deux procédés de passage au
fédéralisme :
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C’est George SCELLE qui est à l’origine de cette distinction.
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Suisse (où l’on parle faussement de Confédération helvétique)… Il se construit le plus souvent
entre des États unitaires qui conviennent, dans un premier temps, de constituer une
Confédération et, dans un second temps, de passer à la Fédération en tentant de réaliser un
équilibre entre, d’une part, des intérêts et des structures étatiques et, d’autre part, la préservation
des formes étatiques plurielles.
2.1. L’autonomie
Le principe d’autonomie signifie que chaque État fédéré a des compétences propres qui
sont distinctes des compétences de l’État fédéral. Quel que soit le mode de répartition des
compétences, certaines questions relèvent de la compétence des organes fédéraux :
monnaie, finance, défense, affaires extérieures, etc.
2.2. La participation
La participation aux organes fédéraux étant acquise, les entités fédérées prennent
logiquement part sur une base égalitaire à l’élaboration des décisions valables pour l’État
fédéral (élaboration des lois, révision constitutionnelle, etc.).
2.3. La superposition
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Le principe de superposition permet d’avoir constamment à l’esprit le fait que
l’État fédéral, malgré la complexité de sa structure, est un État et non un composé d’États
souverains. La suprématie tient à la superposition des ordres juridiques, l’ordre juridique
fédéral étant l’ordre de référence de toutes les normes. C’est en référence à la Constitution
fédérale que se détermine l’organisation des entités fédérées. Au plan organique, on a également
la superposition jusqu’au sommet de l’État : il y a le Parlement fédéral, l’exécutif fédéral et la
juridiction constitutionnelle suprême.
On note qu’en Afrique, c’est un mode d’organisation étatique peu pratiqué : certaines
fédérations ont disparu (c’est le cas de la Fédération du Mali qui englobait le Soudan français
(Mali actuel), le Sénégal, la Haute Volta (Burkina Faso) et le Dahomey (Bénin actuel)… ; de
la Fédération du Soudan (scindée en Soudan et Soudan du Sud) ; du Cameroun (devenu un État
unitaire), etc.), d’autres présentent un caractère artificiel (c’est le cas du Nigéria). Les rares
États fédéraux existants sont l’Afrique du Sud, les Comores… Mais la plupart de ces fédérations
sont confrontées à un dysfonctionnement structurel au point où l’on se demande si le
fédéralisme convient au contexte africain. Au total, on retient que le fédéralisme africain est
fragile et inopérant : il y a le problème du séparatisme comorien, l’inscription au droit à
la sécession des entités fédérées éthiopiennes (cf. la guerre récente contre les séparatistes
du Tigré), le caractère artificiel du fédéralisme nigérian, etc.
L’on peut retenir deux lectures possibles de cette question : l’une qui est politique,
mettant l’accent sur la raison d’être de l’État et sur sa finalité (§ 1), et l’autre qui est juridique,
reposant sur les différents actes accomplis par l’État (§ 2).
À quoi sert l’État ou, du moins, à quoi devrait-il servir ? À rien, répondent les
anarchistes. L’État est un instrument de domination d’une classe (la bourgeoisie) sur les autres
(le prolétariat), selon les marxistes. D’autres conceptions de l’État paraissent cependant
répondre à l’idée de lui reconnaître certaines missions ; elles se rattachent à la philosophie
libérale de l’État : il s’agit de l’État-gendarme et de l’État-Providence.
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A. L’État-gendarme
B. L’État-Providence
« Ne pas intervenir », « laisser passer », c’est donner la possibilité aux plus riches ou
aux plus puissants d’écraser les moins nantis, les plus faibles. Avec l’État-Providence, l’État
est au contraire un acteur politique. Il est aussi un acteur économique : il oriente vigoureusement
l’activité économique. Pour tout dire, l’État est entrepreneur, il est même un acteur social. En
somme, l’État est interventionniste. Cette conception est liée au dirigisme.
On peut convenir qu’il existe trois fonctions correspondant à une distinction tripartite
de Montesquieu (séparation des pouvoirs) :
- la fonction législative, qui vise à élaborer les lois, les actes juridiques de portée
générale et impersonnelle. Cette fonction relève principalement de la
compétence des parlementaires dans un système représentatif et démocratique ;
- la fonction exécutive, qui consiste à exécuter les lois, à les mettre en
application ;
- et la fonction juridictionnelle, qui a pour objet de sanctionner les atteintes à la
loi.
Chapitre II : La Constitution
Tout État possède une Constitution dans la mesure où tout État est régi par un système
de gouvernement lui-même défini par des règles. Même dans les États de tyrannie pure, et s’il
y a un minimum de rationalité politique, il existe des règles, à tout le moins une règle, qui
gouvernent l’exercice du pouvoir. Dans un État de droit, les gouvernants n’exercent le pouvoir
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qu’en vertu d’une désignation et non sur la base d’une vertu ou d’une qualité qui leur serait
propre. Cette affirmation vaut pour les États modernes où la référence à la Constitution est
constante et générale. Dans tous les régimes politiques, gouvernants et gouvernés font
constamment référence à la Constitution pour affirmer leur autorité et leur légitimité. C’est dire
l’importance de la Constitution que nous allons maintenant définir tout en voyant ses formes
(Section 1), son mode d’élaboration et de révision (Section 2) et la question du contrôle de
constitutionnalité (Section 3).
§ 1 : Définition de la Constitution
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noyau des règles proprement juridiques, s’ajoutent une série d’usages qui concernent le
fonctionnement des institutions politiques.
Cette définition a des limites qui sont au nombre de deux. Tout d’abord, elle ne se
rapporte qu’à la matière ou à l’objet de la Constitution sans aucune référence à la forme et à la
valeur, en d’autres termes à son autorité dans l’ordonnancement juridique. Ensuite, cette
définition est imprécise et extensive, elle suppose une confusion entre pouvoir constituant et
pouvoir législatif. On comprend pourquoi on aura recours à la définition au sens formel.
S’agissant de ses limites, il est évident que certaines règles d’importance réelle ne sont
pas prises en considération alors même qu’elles ont une valeur constitutionnelle au regard de la
définition matérielle (ex : les lois électorales importantes pour la dévolution du pouvoir en
régime démocratique).
Cependant, on observe avec Jean Gicquel que les définitions matérielle et formelle de
la Constitution sont certes dissociables mais restent complémentaires.
Au plan de la forme, on établit une distinction entre les Constitutions eu égard aux
techniques d’élaboration et de révision et aussi en fonction de l’autorité de la Constitution. À
partir de là, on fait les distinctions suivantes : Constitution matérielle/Constitution formelle
(supra), Constitution coutumière/Constitution écrite et Constitution souple/Constitution rigide.
Certaines Constitutions sont coutumières mais la plupart d’entre elles sont écrites.
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1. Constitution coutumière
C’est une Constitution dont le contenu réside dans un ensemble de traditions et d’usages.
Ce sont des pratiques non écrites. Les règles qui forment une Constitution coutumière ne sont
pas codifiées dans un texte officiel. C’est le cas de la Grande-Bretagne. Dans ce pays, on ne
trouve pas de document unique et écrit appelé « Constitution ». En fait, la Constitution
britannique est constituée d’un ensemble d’éléments épars comprenant la Common law,
c’est-à-dire un ensemble de coutumes sanctionnées par le juge, et les usages (par ex., le
choix du Premier Ministre dans le parti majoritaire au Parlement).
2. Constitution écrite
1. Constitution souple
Elle est dite ainsi quand sa procédure de révision est identique à celle applicable à la
modification d’une loi ordinaire. La Constitution peut alors être révisée par le législateur selon
la procédure commune d’élaboration des lois. Il va de soi que, dans ces conditions, la
Constitution ne bénéficie d’aucune autorité supérieure à un acte législatif ordinaire.
2. Constitution rigide
Une Constitution est dite rigide lorsque sa procédure de révision est solennelle et la
révision est effectuée par un pouvoir constituant dérivé ou institué (PCD). Il y a des
conséquences juridiques qu’on dégage de la notion de Constitution rigide :
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- certaines dispositions de la Constitution sont intangibles, notamment en
matière de droits et de libertés ainsi que toutes les dispositions formellement
déclarées intangibles (forme républicaine du Gouvernement, laïcité, etc.) ;
- la procédure de révision constitutionnelle est solennelle et le pouvoir
constituant doit s’y soumettre ;
- la Constitution étant la norme supérieure de l’État, un contrôle de
constitutionnalité est organisé pour assurer sa suprématie dans l’ordre
interne.
§ 3 : La structure de la Constitution
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- la coexistence du dispositif constitutionnel avec une ou des déclaration(s) de
droits : les préambules des Constitutions renvoient le plus souvent à une ou des
déclaration(s) de droits qui ont été séparément adoptés de la Constitution. Ainsi,
une Constitution peut renvoyer à la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789 et, plus généralement, à la Déclaration universelle des droits
de l’homme de 1948 ou à un autre instrument juridique (Charte des Nations
Unies, Acte constitutif de l’Union africaine…) (Cf. Constitution ivoirienne de
2016) ;
- la coexistence de la Constitution annoncée avec une Proclamation ou une
Charte fondamentale. Dans certains pays, une proclamation politique ou une
Charte précède et fonde l’élaboration de la Constitution. L’une ou l’autre est le
document de référence idéologique de la Constitution. C’est le cas généralement
dans les pays où il y a un putsch ou une révolution. L’une ou l’autre peut être
considérée comme l’expression de la Constitution sociale.
L’écriture d’une Constitution est avant tout déterminée par la question du pouvoir
constituant, c’est-à-dire de l’autorité investie du pouvoir et de la compétence pour donner corps
à la Constitution. La désignation de ce pouvoir constituant est elle-même déterminée par des
rapports de force et par la nature du régime politique. Cela dit, l’opération d’écriture de la
Constitution se présente différemment selon qu’il s’agisse d’établir une nouvelle Constitution
ou d’apporter une ou des modifications à une Constitution existante. Dans le premier cas, on
utilise le terme d’établissement de la Constitution et l’autorité compétente est le pouvoir
constituant originaire (PCO). C’est un pouvoir inconditionnel et souverain. Il est à la fois
politique et juridique : il est fondateur des institutions et du régime. Dans le second cas, on parle
de révision constitutionnelle entreprise par le pouvoir constituant dérivé (institué) (PCD).
C’est un pouvoir institué, conditionné et limité. Le pouvoir constituant, qu’il soit originaire ou
dérivé, est un pouvoir suprême.
§ 1 : L’établissement de la Constitution
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d’Ivoire, en 1999-2000), d’une révolution ou d’une guerre (France, en 1946) et qu’il est pourvu
à son remplacement8. Cela dit, dans l’établissement de la Constitution, une distinction peut être
faite entre les procédés non démocratiques et les procédés démocratiques.
Avec ce procédé, la naissance de la Constitution est le fait d’un acte unilatéral du (des)
titulaire(s) du pouvoir. Concrètement, un individu élabore une Constitution et la donne au
peuple (ex. de la Charte de 1814 par laquelle Louis XVIII donne une Constitution aux Français).
Dans ce cadre, la Constitution est l’œuvre soit d’une Assemblée élue soit du peuple lui-
même à travers le procédé du référendum constituant.
1. L’Assemblée constituante
Avec ce procédé, le peuple est invité à élire une Assemblée, dite Constituante, chargée
de rédiger la Constitution. Il s’agit d’une Assemblée ad hoc spécialement élue pour élaborer et
voter la Constitution et cette Assemblée n’exerce pas de pouvoir législatif. L’existence de cette
Assemblée s’achève avec la naissance de la Constitution. L’Assemblée constituante peut être :
8
Autrement dit, l’effondrement d’un régime politique ou d’un pouvoir politique n’entraîne pas nécessairement
la disparition de la Constitution : par exemple au Mali, la Constitution de 1992 a survécu aux putschs de 2012
contre Amadou Toumani Touré et de 2020 contre Ibrahim Boubacar Kéita.
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- non souveraine, c’est-à-dire qu’elle doit s’en remettre au peuple pour faire
adopter la Constitution.
2. Le référendum constituant
Ici, la Constitution est élaborée par une Assemblée constituante car le peuple, dans son
ensemble, ne peut exercer cette prérogative. Cependant, si la Constituante n’est pas souveraine,
la Constitution ne produira d’effets juridiques qu’après avoir été soumise à la ratification du
peuple et adoptée par référendum.
§ 2 : La révision de la Constitution
Toute Constitution peut être révisée, c’est-à-dire qu’elle peut être modifiée. La
modification s’impose lorsque l’évolution de la société rend la Constitution inadaptée. Les
Constitutions écrites prévoient elles-mêmes généralement leur propre révision. Elles prévoient
aussi l’autorité qui est spécialement chargée de cette opération ; cette autorité, c’est le pouvoir
constituant dérivé ou institué.
A. La procédure de révision
1. L’initiative de la révision
19
Maroc de 1970, où seul le Roi peut déclencher la révision)10. Dans d’autres États, l’initiative
est au contraire laissée au seul Parlement (Constitution du Portugal de 1976). Parfois, elle est
même laissée au peuple (en Suisse, où la signature par 100 000 personnes d’une pétition tendant
à modifier la Constitution rend obligatoire la révision : c’est le système de la votation
populaire). Le plus souvent, l’initiative de la révision est partagée par plusieurs instances ou
organes, par exemple en Côte d’Ivoire, où elle est partagée entre le président de la République
et le Parlement.
10
Quid de la nouvelle Constitution marocaine ?
11
20
Enfin, d’autres Constitutions indiquent que seule une Assemblée constituante
adopte le texte de révision.
Dans certains cas, il n’est permis de réviser la Constitution qu’après un certain délai. De
telles précautions sont prises pour permettre la consolidation des institutions.
21
En admettant que nous sommes dans le cadre d’une Constitution rigide, où le législateur
(ordinaire) ne peut pas modifier la Constitution, celle-ci doit être protégée. Tout cela, car elle
est la Loi fondamentale. Le principe de légalité constitutionnelle implique le respect de la
hiérarchie des normes.
Dans la démocratie représentative, la loi est faite par les représentants du peuple. Ceux-
ci ne sont rien d’autre, dans le meilleur des cas, que la majorité gouvernante. Le peuple
souverain ne peut avoir de censeur que lui-même mais la majorité gouvernante, même
représentative du peuple, n’est pas le peuple. De plus, cette majorité peut faillir : elle peut par
exemple opprimer la minorité et mettre ainsi en péril les libertés fondamentales. Le contrôle de
constitutionnalité est donc nécessaire pour limiter la volonté de puissance de la majorité, pour
éviter la dictature de la majorité et ce contrôle correspond à la fin du légicentrisme.
Le juge constitutionnel, étant chargé de veiller à la répartition des compétences entre les
entités fédérées et les organes fédéraux, fait ainsi respecter la Constitution fédérale. C’est une
raison supplémentaire qui fonde le contrôle.
A. Le contrôle politique
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B. Le contrôle juridictionnel
Le caractère juridictionnel tient ici au fait que la décision est couverte de l’autorité
de la chose jugée et qu’elle est en droit et non en équité. Des garanties sont accordées à
l’organe de contrôle ainsi qu’aux personnalités qui le composent, au caractère
contradictoire de la procédure et à la motivation en droit de la décision. Mais si l’on choisit
le contrôle juridictionnel, il restera posé le problème du choix entre le contrôle par voie
d’action et le contrôle par voie d’exception.
Sur quelle base repose le pouvoir d’État ? Sur quoi repose la souveraineté ? À ces
interrogations, le droit constitutionnel répond que la représentation est une exigence politique
23
insurmontable. Cela dit, comment la souveraineté s’exprime dans l’État ? Qui en est le
titulaire ? Et par quel mécanisme choisit-on les représentants ?
1. Signification
C’est à l’abbé Sieyès que l’on doit d’avoir élaboré dans Qu’est-ce que le tiers État ?
cette théorie qui postule que la souveraineté est l’attribution d’une personne morale : la
Nation. Selon lui, la souveraineté appartient au peuple pris dans son ensemble telle une
entité abstraite. Tous les individus ne peuvent cependant pas participer à l’exercice du pouvoir
en raison des considérations tenant à la capacité mentale, l’âge et au pouvoir économique. Il
faut donc donner à une entité dotée de personnalité juridique distincte de celle de ces
composantes et exprimant pour tous l’exercice du pouvoir. Cette entité s’exprime sans
considération du temps, elle englobe le passé (les morts), le présent (les vivants) et l’avenir (les
générations futures).
2. Implications
12
Sur la souveraineté théocratique, cf. Maurice DUVERGER,
24
Plusieurs implications découlent de la théorie de la souveraineté nationale :
1. Signification
2. Implications
13
« Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut
exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »
25
- le mandat est impératif et le mandataire (l’élu) doit se conformer aux directives
de ses mandants (les électeurs de sa circonscription) qui peuvent en permanence
le révoquer.
Section 3 : Le suffrage
C’est le moyen par lequel le peuple ou la nation manifeste sa volonté lorsqu’il lui est
reconnu le droit d’exprimer sa souveraineté. C’est le moyen par lequel le citoyen prend une part
active à l’action politique.
Le suffrage est un droit, on dit même que c’est le droit politique par excellence. Un
certain nombre de conditions formelles entoure la jouissance du droit de vote et concourt à
l’universalité du suffrage. Mais ces conditions ne suffisent pas car il faut être inscrit sur une
liste électorale.
A. L’universalité du suffrage
Afin de bénéficier du droit de vote, il faut accomplir des conditions de nationalité, d’âge,
de jouissance de droits civils et politiques.
C’est à partir des listes électorales que l’on détermine les suffrages exprimés. Les
suffrages exprimés sont constitués de l’ensemble des électeurs inscrits dans une circonscription
et qui ont manifesté leur volonté dans un sens positif ou négatif. Ne sont pas pris en compte
dans le calcul des suffrages exprimés les non-votants et les abstentionnistes ainsi que les
bulletins blancs et les bulletins nuls. Autrement dit, le nombre des suffrages exprimés (SE)
14
26
est égal au nombre de votants (NV) moins les bulletins (ou votes) blancs (BB) et nuls (BN)
:
En tant que droit politique, le droit de suffrage est gouverné par un certain nombre de
principes fondamentaux. Ceux-ci, revendiqués par tous les systèmes politiques, sont :
l’universalité, l’égalité, la liberté, le secret du vote et la sincérité.
A. L’universalité du suffrage
Elle est liée à la jouissance du droit de vote sous réserve de conditions de nationalité,
d’âge, de capacité civile et politique et à l’exclusion des discriminations, telles que celles liées
à la fortune.
B. L’égalité du suffrage
Elle revêt trois aspects : l’égalité des citoyens, l’égalité des candidats et l’égalité des
circonscriptions.
Il s’agit de mettre tous les citoyens capables d’exercer leur droit de vote dans des
conditions identiques de vote. Aussi chaque électeur dispose d’une seule voix. Ce qui exclut :
- le vote plural : on estime que des personnes (électeurs) ont un intérêt spécial
dans les affaires de l’État en raison de leur situation familiale (suffrage familial
ou de fortune) ; l’électeur a ici plusieurs voix. Il a existé à la fin du XIXe s. et
au début du XXe s. ;
- le vote multiple : l’électeur utilise sa seule voix dans plusieurs circonscriptions.
En Grande-Bretagne, les universités, jusqu’aux années 1980, pouvaient voter
dans deux circonscriptions. L’article 8 du Code électoral de 1994 dispose que
nul ne peut voter dans plusieurs circonscriptions15 ;
- le vote par procuration : l’électeur dispose, en plus de la sienne, d’une autre
carte d’électeur. Ce qui lui donne mandat de voter en ses lieux et place d’un autre
électeur. Il est également interdit en Côte d’Ivoire.
15
Quid du Code électoral en vigueur ?
27
2. L’égalité des candidats
Il s’agit de créer les conditions d’une concurrence loyale entre les candidats.
C. La liberté de suffrage
Elle se manifeste à deux égards : pluralité des candidats (et liberté de choix entre les
différents candidats) et liberté de voter ou non.
D. Le secret du vote
16
Cf. les élections législatives ivoiriennes prévues pour mars 2021…
17
Cas de la Côte d’Ivoire…
28
A. Le scrutin majoritaire
C’est le mode de scrutin permettant d’attribuer la totalité des sièges (ou le siège) à
pourvoir à la liste (ou au candidat seul) ayant obtenu le plus grand nombre de voix. Mais on
distingue : le scrutin à un tour et celui à deux tours.
1. Le scrutin à un tour
L’élection a lieu en un seul tour et le candidat (ou la liste) qui a obtenu le plus grand
nombre de voix est élu. Si le candidat est seul, on parle de scrutin uninominal ; s’il s’agit
d’une liste, c’est un scrutin plurinominal (ou de liste).
Au premier tour, on exigera la majorité absolue des suffrages (50% + 1 voix). À défaut,
c’est-à-dire si aucun candidat ou aucune liste n’a obtenu cette majorité absolue, un second tour
est organisé : on parle alors de ballotage. Dès lors, selon que tous les candidats du premier tour
sont reconduits ou, plus généralement, que les deux candidats arrivés en tête sont qualifiés,
l’élection sera acquise à la majorité relative ou à la majorité absolue.
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Cf. George BURDEAU, p. 151.
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quelque peu injuste mais relativement efficace car il suscite des coalitions capables de
gouverner à condition d’être solidaires et disciplinées.
B. Le scrutin proportionnel
C’est nécessairement un scrutin de liste qui permet d’assurer à chaque parti une
représentation proportionnelle en rapport avec l’importance numérique des voix qu’il a
recueillies.
1.1. Le quotient
Après la répartition des sièges au quotient, il y a des suffrages inutilisés. Exemple : dans
une circonscription où 100 000 suffrages se sont dispersés entre les listes A, B, C, D et E, on a
utilisé le Qc. Il y a cinq (5) sièges à pourvoir ; le Qc = 100 000/5 = 20 000. La liste A avec
36 000 voix aura 1 siège, la liste B avec 28 000 aura 1 siège, la liste C (19 000 voix), la liste D
(10 000) et la liste E (7 000) n’auront aucun siège. Il y a 60 000 voix inutilisées et il reste 3
sièges à pourvoir. Il y a trois solutions concevables :
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- le procédé des plus grands restes. Il consiste à attribuer les sièges restants aux
listes qui ont obtenu le plus grand nombre de suffrages inutilisés. Dans l’exemple
précédent, les suffrages inutilisés pour A sont de 16 000, pour B de 8 000, pour
C de 19 000, pour D de 10 000 et pour E de 7 000. Les 3 sièges restants iront
donc respectivement aux listes C, A et D. Le résultat n’est pas très équitable
puisque la liste B avec 28 000 voix aura obtenu 1 siège comme la liste D avec
seulement 10 000 voix.
Au final, on aura : A (2 sièges), B (1 siège), C (1 siège) et D (1 siège) ;
- le procédé de la plus grande moyenne. Il est conçu pour corriger cette injustice.
Chacun des sièges restants est attribué à la liste pour laquelle la division du
nombre de suffrages qu’elle a recueilli par le nombre de sièges attribués plus 1
donne le plus fort quotient. Dans l’exemple précédent : A : 36 000 : 2 (1 siège
pourvu + 1 siège fictivement ajouté) = 18 000 ; liste B : 28 000 : 2 (idem) =
14 000 ; liste C : 19 000 : 1 (1 siège fictivement attribué) = 19 000 ; liste
D 10 000 : 1 (idem) = 10 000 ; et liste E : 7 000 : 1 = 7 000. La liste C, avec le
plus grand reste, se verra attribuer 1 siège restant.
On recommencera l’opération pour les deux (2) autres sièges restants. On
divisera cette fois les suffrages de la liste C par 2 (puisqu’elle vient d’obtenir 1
siège) : 19 000 : 2 = 9 500. Cette fois, c’est la liste A qui obtient 1 siège
supplémentaire.
Le dernier siège ira à la liste B qui, compte tenu des deux répartitions
précédentes, aura le plus grand reste.
Au final, les 5 sièges se répartiront comme suit : A (2 sièges), B (2 sièges) et C
(1 siège).
- et le système d’Hondt (voir les manuels de droit constitutionnel), qui aboutit au
même résultat.
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Le territoire national constitue une seule et même circonscription et les listes
concourent au niveau national. L’objectif est la recherche de la plus grande justice possible
en permettant la représentation fidèle de l’opinion. On déterminera alors le quotient national
(Qn).
Ici, la répartition des sièges de quotient et des sièges de reste se fait dans chacune des
circonscriptions et non au plan national.
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Le système électoral favorise l’émergence de petits partis. Mais ceux-ci peuvent imposer leur volonté à un
parti au pouvoir et entraîner la dissolution d’un Parlement nouvellement élu… : la majorité est toujours
dépendante des « caprices » des diverses minorités (« Tout le monde se plaint du système électoral israélien…
», en ligne).
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C. Scrutin uninominal et scrutin de liste
Par rapport à la liberté de l’électeur, le choix entre listes bloquées et listes aménagées
(vote préférentiel et panachage). Dans les listes bloquées, le citoyen vote pour la liste
entière et ne peut ni aménager la liste ni y supprimer des noms. Ici, les partis ont une grande
influence sur l’électorat et sur les élus. La liberté de choix de l’électeur est paralysée. Le vote
préférentiel permet à l’électeur d’indiquer les candidats auxquels il souhaite que soient
attribués les sièges qui reviennent à la liste. Il peut modifier l’ordre de présentation des
candidats à l’intérieur de la liste. Ici, les partis sont moins puissants quant à la liberté de
l’électeur. Le panachage consiste de la part de l’électeur à rayer un ou plusieurs noms sur
une liste et à leur substituer des noms de candidats empruntés à d’autres listes. Ce procédé
permet de restituer à l’électeur la liberté de choisir ses candidats.
Par rapport à l’égalité entre les candidats d’une même liste dans un scrutin proportionnel
de liste bloquée, les noms de candidats situés loin de la tête ont moins de chances d’être élus.
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