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Un Siècle de Physique Fondamentale: Membre de L'académie Française Membre de L'académie Des Sciences

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N° 797 BULLETIN DE L’UNION DES PHYSICIENS 1595

Un siècle de physique fondamentale


par Louis LEPRINCE-RINGUET
Membre de l’Académie Française
Membre de l’Académie des Sciences

Louis LEPRINCE-RINGUET a participé - il le dit dès les premières lignes de son article -
à toute la science du XXe siècle. Il a également, et depuis de nombreuses années, toujours
répondu favorablement aux demandes de l’Union des Physiciens dont il est membre d’honneur.
Dès 1948, dans le résumé des «Journées d’étude de physique» (BUP n° 367/368/369, mai-juillet
1948) on trouve le compte-rendu suivant :
«La première conférence est faite par M. LEPRINCE-RINGUET, professeur à l’École Polytech-
nique, dont chacun connaît les remarquables travaux sur les Rayons cosmiques. A l’issu d’un
exposé très vivant sur les Matérialisations et Dématérialisations, illustré d’admirables clichés,
Monsieur LEPRINCE-RINGUET répond inlassablement à toutes nos questions».

Je pense être le dernier ou l’un des tout derniers ayant participé au développement
de la physique dès la fin des années vingt. En 1900, les rayons X étaient connus depuis
cinq ans, et la radioactivité naturelle, avec Becquerel, depuis quatre ans. C’est alors
que Pierre et Marie Curie découvrirent le polonium et que l’équipe de Cambridge, en
Angleterre, réussit à préciser les produits de la radioactivité, alpha, bêta et gamma.

Après la guerre de 1914, on chercha à casser les noyaux d’atomes, et c’étaient les
Anglais à Cambridge, avec Rutherford, qui possédaient les meilleurs éléments de détection
de particules ou de rayonnements éjectés par les noyaux lorsqu’on les bombardait avec
les particules alpha des corps radioactifs. En 1932, à Cambridge, Chadwick fit une
découverte remarquable : le neutron comme constituant fondamental des noyaux. Il en
résultait que tous les noyaux de tous les éléments sont constitués par deux briques : le
proton (noyau d’atome d’hydrogène, le plus petit) et le neutron, proche du proton mais
électriquement neutre. Ce fut une très grande révolution qui permit d’étudier les noyaux
de tous les éléments.

En 1934, Frédéric Joliot et Irène Curie découvrirent la radioactivité artificielle :


un noyau bombardé, ayant craché une particule, n’est plus un noyau stable mais
radioactif. On peut donc rendre radioactifs tous les noyaux précédemment stables (fer,
cuivre, ...). Deux voies sont alors ouvertes pour les transmutations nucléaires : on peut
bombarder les noyaux avec des sources intenses de particules alpha des corps
radioactifs, ou bien on peut utiliser les rayons cosmiques qui sont des noyaux légers
parcourant l’espace à très grande vitesse et dont l’énergie est très supérieure à celle
des particules radioactives. Quand un rayon cosmique heurte un noyau (de l’atmo-

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sphère par exemple), il le casse complètement et, en plus, est capable de créer des
particules nouvelles appelées mésons, hypérons, etc. Deux voies ont donc été suivies,
l’une dans les laboratoires, avec les particules alpha radioactives, l’autre dans les
montagnes, avec les rayons cosmiques. Juste avant la guerre, deux Allemands, Hahn
et Strasmann, découvrirent un phénomène nouveau : quand un noyau d’uranium, le
plus lourd de tous les éléments, est touché par un neutron, même très lent, il se casse
en deux gros morceaux et émet quelques neutrons qui pourront casser un autre noyau
d’uranium dans le voisinage, ... C’est la base de la réaction en chaîne que l’on pourra
utiliser pour fabriquer des piles atomiques. L’Italien Enrico Fermi, après avoir reçu le
prix Nobel, ne revint pas en Italie à cause des lois antisémites de Mussolini, sa femme
étant juive. Il fut reçu très chaleureusement aux États-Unis et réalisa, dans un sous-sol
du stade de Chicago, la première pile atomique, le 2 décembre 1942.

Pendant la guerre, au début des années quarante, aux États-Unis, Robert


Oppenheimer va essayer d’utiliser la fission pour élaborer la fabrication d’une bombe
atomique. Pour cela il fallait tout d’abord séparer l’isotope 235 de l’uranium qui
n’existe qu’en proportion très faible (moins de 1 %) dans un morceau de l’uranium
normal. C’est avec l’uranium 235 que fut fabriquée la première bombe atomique. La
suivante fut réalisée grâce à une autre substance fissile, le plutonium, que l’on pouvait
trouver dans les produits résultant du fonctionnement des piles atomiques de Fermi. A
cette époque, la plus grande partie des physiciens d’Europe avaient fui leur pays et
gagné l’Amérique pour pouvoir lutter efficacement contre le nazisme triomphant. Il y
avait naturellement de nombreux juifs parmi eux (Weisskopf, Rossi, Teller, ...). La
première bombe atomique explosa sur Hiroshima et, quelques jours plus tard, la
seconde détruisit Nagasaki en août 1945 : cela provoqua la reddition immédiate des
Japonais. Par ailleurs, les piles atomiques se développèrent considérablement après la
guerre, sous la forme de centrales nucléaires, et en France l’électricité est aux quatre
cinquièmes d’origine nucléaire.

Après la guerre, les physiciens se penchèrent sur la construction d’accélérateurs


de particules, capables de produire des rayons cosmiques artificiels par millions toutes
les secondes ; ce sont les synchrotrons. Les physiciens européens se sont alors associés
pour construire le CERN entre Genève et la France. CERN signifie Centre Européen
pour la Recherche Nucléaire, mais celle-ci n’a rien à voir ni avec les piles atomiques,
ni avec les bombes : il s’agit de science fondamentale. Treize pays de l’Europe
occidentale y participent et, actuellement, c’est dans un anneau de vingt-sept kilomètres
de tour que des faisceaux d’électrons sont accélérés, puis envoyés sur des cibles, ce
qui permet non seulement d’étudier la structure du proton et du neutron, mais aussi de
créer des particules nouvelles à vie très brève. C’est donc l’étude de la structure intime
de la matière qui continue, avec les grands accélérateurs de particules, notamment celui
du CERN, le plus grand du monde.

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Les équipes de physiciens qui travaillent au CERN sont de plus en plus nombreuses,
et le nombre de physiciens par équipe augmente très vite. Actuellement, il n’est pas rare
de trouver un compte-rendu signé par plus de cent physiciens. Beaucoup d’Américains
et de Japonais viennent aussi travailler au CERN qui n’a pas son équivalent dans leurs
pays. La prochaine étape, qui n’est pas encore tout à fait décidée (question finances),
est l’utilisation de l’anneau de vingt-sept kilomètres de tour, non plus avec des
électrons mais avec des protons, pour augmenter considérablement la puissance de
l’appareil, ce qui est nécessaire pour créer, à partir d’énergie, des particules de plus en
plus lourdes.

Après ce résumé très court des découvertes considérables qui ont été faites en
physique des particules depuis le début de ce siècle, je souhaite dire quelques mots de
mon aventure scientifique. Je n’étais pas spécialement orienté vers la science lorsque
j’étais élève du secondaire. Pourtant, pendant la Première Guerre mondiale, lorsque
j’étais en classe de première et de MathElem, j’ai eu un professeur de physique, jeune
normalien mobilisé, dont le cours était très intéressant et qui probablement m’a donné
un certain goût pour la physique. J’ai été reçu à l’X en 1920 et, là, le cours de physique
était très vétuste : il n’était même pas question des quanta, découverts en 1900, ni de
la relativité d’Einstein de 1905.

Sorti de l’X dans le corps des ingénieurs des télégraphes, j’ai eu à faire une année
comme sous-lieutenant et deux années d’école d’application avant d’avoir un poste.
En 1923, j’ai donc fait mon service militaire en Rhénanie, alors occupée par les
Français, et ma principale préoccupation a été le tennis, orienté par mon camarade et
ami Jean Borotra, déjà champion. Les écoles d’application (Supélec et Suptélécom)
ont été suivies sans excès de zèle : beaucoup d’autres activités nous occupaient à cette
époque de grande détente après la guerre, les Équipes sociales en particulier.

Le service dans lequel j’ai eu mon premier poste était celui des câbles
sous-marins : alors, seuls les câbles sous-marins permettaient d’avoir des liaisons avec
l’Afrique du Nord, l’Amérique, le Sénégal et autres pays d’Afrique ; ce n’étaient pas
des liaisons téléphoniques car le câble sous-marin déforme les signaux, mais c’était du
télégraphe Morse, avec une série de points et de traits. Nous avions un très grand réseau
de câbles : Marseille-Alger, Bizerte, Oran, Brest-Casablanca, Dakar, Abidjan, Cotonou,
Grand Bassam, ... Ces câbles sont posés sur le fond et parfois cassent : la réparation
est un travail d’équipe, et j’ai été très heureux de passer ainsi cinq années, à huit mois
par an de travail, en mer.

Après cette période, à la fin des années vingt, j’ai eu, par un heureux hasard,
contact avec un de mes cousins qui travaillait dans un laboratoire de physique. C’était
un petit labo privé, avec trois ou quatre physiciens seulement, créé par le duc Maurice

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de Broglie, ancien officier de marine, passionné par les rayons X. Ce laboratoire, situé
contre son hôtel particulier, près de la place de l’Étoile, était très dynamique, et Maurice
de Broglie souhaitait l’orienter davantage sur les transmutations nucléaires qui
commençaient seulement à être réalisées en Angleterre dans le grand centre de
Cambridge, le plus important de notre planète. J’ai été très séduit par l’offre qu’il m’a
faite de devenir son assistant, et j’ai commencé ma vie d’apprenti physicien en essayant
de détecter les particules qui provenaient de la désintégration des noyaux par les rayons
alpha du radium. Mais, assez rapidement, mon orientation a évolué grâce à un
physicien, Bruno Rossi, venu à Paris pour voir l’amplificateur très sensible que j’avais
construit. Il m’a entraîné vers l’étude du rayonnement cosmique. On ne connaissait pas
très bien les propriétés de ce rayonnement qui sillonne l’espace, jour et nuit, et qui
nous arrive sur terre à la cadence d’une particule (en général un noyau léger) par
seconde sur la surface de la paume de la main. Nous sommes donc traversés, jour et
nuit, hiver comme été, par des particules d’une énergie considérable : c’étaient les
rayons cosmiques que j’avais envie d’étudier car on n’était pas confiné dans un
laboratoire, mais on travaillait un peu partout sur la terre, spécialement dans les hautes
montagnes où le rayonnement est plus intense et où les primaires sont plus nombreux.
D’où les expéditions de plusieurs mois à la Jungfrau, au Pic du Midi de Bigorre et aux
Cosmiques, petit laboratoire que nous avions construit avec les guides de Chamonix à
la fin de la guerre, à 3650 mètres d’altitude, sur la pente très raide de l’Aiguille du
Midi. Et puis, pour chercher ces fameux rayons en dehors de l’atmosphère, nous avons
fait des expéditions de ballons-sondes, qui pouvaient monter jusqu’à trente kilomètres
d’altitude en transportant des appareils de détection.

Comme, en 1936, j’ai été nommé professeur de physique à l’École polytechnique,


j’ai pu créer un centre d’étude des rayons cosmiques, qui a fonctionné jusque dans les
années cinquante. C’est alors que les équipes des Cosmiques se sont repliées sur le
grand accélérateur de particules européen, le CERN, remarquablement réalisé par les
physiciens de treize pays d’Europe occidentale. Dans la course avec les États-Unis,
l’Europe a gagné, et le premier faisceau du CERN, avec des particules de vingt-cinq
milliards d’électron-volts, a fonctionné six mois avant celui des Américains, malgré la
faiblesse des moyens en hommes et en matériel des pays d’Europe occidentale après
la guerre. Aujourd’hui, le grand accélérateur de vingt-sept kilomètres de tour est le seul
au monde ayant cette puissance, et il attire des centaines de chercheurs venus de tous
les pays du monde, en particulier des États-Unis et du Japon.

Après ma retraite, en 1972, comme professeur du Collège de France - j’avais


soixante-et-onze ans - je me suis beaucoup intéressé aux problèmes européens grâce à
mon expérience du CERN. C’est alors que l’on m’a demandé de présider la section
française du Mouvement européen, ce que j’ai fait jusqu’en 1990.

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