FERRARIO Giulio, Le Costume Ancien Et Moderne

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EUROPE.

v
DE 1/ E U R O P F,
DISCOURS PRÉLIMINAIRE
DE

ROBUSTINIEN GIRONI

YlCE- BIBLIOTHECAIRE DE LA BIBLIOTHÈQUE IMPÉRIALE ET ROYALE DE MIL A3


ET CENSEUR.

Lvlgré que , des quatre continens qui composent notre globe , Lnpunmiee

l'Europe soit le moins considérable; malgré qu'il ne soit sorti de ç "'°'-


la nuit des siècles que long tems après ceux qui formaient avec
lui l'ancien monde , et n'ait commencé que fort tard à exercer
sur eux l'influence de son pouvoir, ce continent est néanmoins ce-
lui gui mérite le plus de fixer notre attention et nos soins dans
la recherche du costume des peuples dont il fut le berceau , et de
ceux qui l'habitent aujourd'hui. C'est dans son sein d'ailleurs que
se trouve la belle Italie ,

....... felice , onorato, almo terreno (i).

où nous avons eu le bonheur de naître , qui fut la patrie des maî-


tres de l'univers , et depuis la terre classique d'où les connaissances
humaines se sont répandues chez les autres nations.
de l .Europe.
L'Europe est cette région célèbre , où l'esprit humain a donné Supériorité
Fessor à toutes ses facultés et développé toute son énergie , eu por-
tant àla perfection les arts et les sciences à peine ébauchés et reatés
dans l'enfance chez les Egyptiens, les Assyriens et les Phéniciens.
Elle est encore en droit de s'enorgueillir du nombre et de la ci-
vilisation de ses habitans, de leurs constitutions politiques , de leur
commerce , de leur industrie , de leurs découvertes , et même de
leur ambition , de leurs caprices , de leurs besoins , ainsi que de
la variété de leurs passions , de leurs caractères et de leurs usages.
C'est elle qui a été le théâtre des plus grandes révolutions , des
événemens les plus extraordinaires , et qui nous offre le champ le

(i) Le Tasse, Rimes,

loi VI
° Ï3 I S C O U R S FRELIBUSTAIRE
plus vaste à parcourir parmi une foule de peuples divers, de mo-
Biamens insignes et de chefs-d'œuvre de la magnificence des beaux
arts (i). Qu'il nous soit donc permis de rappeler ici, au
cette terre fameuse 3 ces paroles de Pline : Altrix victoris sujet de
omnium
gentium populi s longeque terrarum puîcherrima Europa.
scènes Mais d'où est venu à ce continent le nom qu'il porte ? com-
revherches ., , , IL
au sujet nient a-t-il ete peuplé? qu'elles étaient les limites de l'ancienne
de ï Europe. --, , * JL
Europe, et quelles sont les révolutions qu'elle a subies? Telles
sont les questions sur lesquelles s'exerce ordinairement l'érudition
des savans. Nous dirons d'abord qu'on ne peut assurer rien de po-
sitif sur la dénomination de V Europe , ni au sujet des noms sous
Ses rVffcrcm lesquels elle a été anciennement connue. Ortelius et Brietius s'ac-
cordent àdire , d'après la Bible , que les écrivains sacrés lui don-
nèrent le nom de Japetia; mais ils n'apportent aucune raison solide
à l'appui de leur opinion fa). Brietius assure encore que l'Europe fut
jadis appelée Galazia , et il s'appuye en cela de l'autorité de Dio-
dore et de Sol in , qui pourtant ne désignent point sous ce nom l'Eu-
rope entière, mais seulement quelques-unes de ses contrées. Ptolémée
dans le second livre de son opus quadripartitum , lui donne celui
de Celtica ; et on la trouve désignée sous le même nom dans d'autres
écrivains de l'antiquité ; mais encore cette dénomination ne peut
s'appliquer h tous les pays qui composaient autrefois cette partie
du monde. Il n'est guères facile de déterminer l'origine du mot
Europe , qui est le nom le plus général et peut être le plu3 ancien

(i) Si l'on veut considérer les Européens sous le rapport des arts et
des sciences , quel est le peuple qui peut leur être comparé ? Les autres
nations ne sont jamais sorties des limites et des époques de leur empire.
Semblables à ces arbres qui ne peuvent prospérer que sur leur sol natal,
les arts ne se sont jamais étendus chez elles au delà des besoins de la
vie. L'Européen , franchissant les bornes du présent , a embrassé dans l'ac-
tivité de son imagination et de ses travaux le passé et l'avenir. Il a re-
cueilli avec des peines infinies les débris des arts ; et fier de ces riches
dépouilles , il a su conduire à la perfection ce que le génie des anciens
n'avait fait qu'ébaucher , ajouter de nouvelles découvertes à celles qu'ils
lui ont transmises, imposer des lois aux élémens , parcourir tous les pays,
€t dans sa noble audace, aller interroger la nature jusques sous les pôles. »
Telles sont les éloquentes expressions dont s'est servi M r Masson de Mor-
*villiers en parlant de l'Europe.
(2) Ortel. Geogr. Pars 2 lib. £ cap. 4. Briet. Parai. Geogr. Pars po-
ster, tom. 1. lib. s.
m
sur l'Europe. g
elurcs
nom
de ce continent. Festis le fait dériver à1 Europa fille d'Agenor , Cow
qui fut enlevée par Jupiter , et transportée dans un pays auquel dans Europa
la suite passa son nom. et il cite à l'appui de son sentiment le té-
moignage de plusieurs écrivains qui attestent , qu'Agenor et les
Phéniciens avaient fait la conquête de ce pays , sous le prétexte
de l'enlèvement d'une jerne fille, qui portait peut-être le nom d' Eu-
ropa. D'autres enfin prétendent que ce nom lui est venu des Phé-
niciens dans
, la langue desquels le mot Europa , ou XJr-Appa si-
gnifie une terre dont les habitans ont le visage blanc (i). Entre
toutes ces opinions et autres semblables , que la crainte d'être pro-
lixes nous fait passer sous silence , il serait embarrassant de porter
un jugement certain : c'est pourquoi nous nous contenterons de les
avoir indiquées. Eh! qu'importe d'ailleurs pour notre instruction;,
que les Phéniciens ayent donné à l'Europe le nom à'Ur-Jppa ,
visage blanc , parce que cetie couleur est celle des peuples qui l'ha-
bitent, ou qu'il se soit formé du mot oriental ourab , qui veut dire
pays de l'occident (a)?
Il ne nous sera peut-être pas aussi difficile de découvrir quels ^"/T
ont été les premiers hommes qui ont peuplé l'Europe. Nous avons de l^uroPe
déjà dit , qu'après le déluge universel 3 les restes de l'espèce hu-
maine échappés à cette grar.de catastrophe , allèrent se réfugier
dans les hautes régions de l'Asie, et que c'est delà sans doute que
l'Europe aura reçu dans la suie ses premières colonies, lesquelles
après s'être avancées à travers les pays qui joignent les deux con-
tinens à l'est, ou les lies nombreuses dont l'Archipel est parse-
mé, seront venues s'établir d'abord dans ses contrées orientales,
d'où elles se seront ensuite répandues peu-à-peu sur toute sa sur-
face. Et en effet Moyse , parlant des enfans de Japhet , ou plu-
tôt des peuples qui étaient leurs descendans , dit qu'il se parta-
gèrent entre eux les îles des gentils , et les divers pays s chacun
selon son langage (3). Or les interprètes sont d'avis pour la plu-

(0 V. Bocliart Phaleg. lib. 4 et 55.


(2) Ghantreau Science de l'Histoire , vol. 2 pag. 61. D'autres écri-
vains veulent encore que le mot Europe tire son origine d'un canton
fort petit qui portait ce nom , et se trouvait dans le voisinage de l'Helles»
pont ; mais leur opinion manque de raisons solides. Pinkerton, vol. 1 pag. 12.
(5) Gen. X 5. V, Calmet. Diction de la Bible , vol. I Malte-Brun,
Hist. de la Géogr. pag 17. Pluche , Concorde de la Géogr. pag. 244»
Hist. univers, d'une société de gens de lettres. T. I. L. 1 c. 2 Sect. IV,
Europe, Vol. I. a
io Discours preliminaîee.

part que , par ces mots insulœ gentium , on d»it entendre l'Europe.
Cette expression asiatique s'accorde en effet avec ce qu'il y a de
plus certain en géographie, car la première chose qui se présente
à quiconque veut passer de l'Asie Mineure enEurope , est cette mul-
titude d'îles qui s'étendent dans tout l'Archipel. Le Clerc croit même
que l'Europe entière passait pour être une île dans l'esprit des an-
ciens peuples de l'Asie. C'est aussi l'idée {ue semble en avoir eue
Pomponius Mêla. On lit encore dans le second livre des Machabées ,
qu'après avoir réduit ses ennemis à ne pcqvoir plus troubler la tran-
quillité de ses états, Démétrius Nicanqr licencia son armée, à
l'exception des troupes étrangères, qu'il avait appelées ex insulis
gentium , c'est à dire de la Grèce. Il parûtrait donc que la Créce ,
ou les autres contrées qui en sont voisines, ont été les premières ha-
bitées en Europe ; et il est à présumer que delà sa population se
sera étendue dans les Gaules , en Espagne et en Etrurie , par suite
du penchant naturel qui devait porter (es hommes de ces premiers
tems à s'établir clans des pays fertiles st d'une douce température ,
plutôt que dans les climats stériles et glacés du nord ; de quoi nous
aurons occasion de parler plus amplement dans les recherches que
nous aurons à faire > sur le costume de chacun des peuples de ce
continent.
desEurope Mais les anciens n'eurent
anciens. encore que
J- des connaissances fort
imparfaites sur la configuration et l'étendue de l'Europe. Héro-
dote , ce père de l'Histoire , qui vivait environ quatre siècles
après Homère , croyait que l'Europe égalait en grandeur l'Asie
Homère. et la Lybie prises ensemble. Homère , le prince des poètes et des
historiens de l'antiquité , regardait le mont Olympe en Thessalie
comme le centre de l'univers, et file de Scherie , depuis Co?cyre0
maintenant Corfou , comme la partie la plus occidentale de ce
continent (i). Il place au nord de la Grèce les vastes contrées de
la Thracc, mais il ne nous dit rien de l' Hébre , ni du Danube dont
il est fait mention pour la première fois dans Hésiode sous le nom
à'Jster. L'Italie même est à peine indiquée, et encore confusément,
dans l'Odyssée. La Sicile (a) et les îles adjacentes y sont décrites
d'une manière bien peu conforme à leur véritable position , et com-
me étant le séjour de monstres, de nymphes dangereuses, et de peu-

(i) Odyss. VI. v. 204.


(2) Appelée Thrinaçcia , et ensuite Thrinacria.
sur l'Eukope. îi
pies entièrement fabuleux : ce qui prouve combien peu elles étaient
connues de cet écrivain célèbre (i).
On trouve clans Hérodote des notions bien plus étendues sur Hérodote
l'Europe. 11 parle des peuples de Y Adriatique t des Thyrrhéniens s de
Vlbérie , et de Tariessus 3 aujourd'hui Y Andalousie en Espagne ; il
donne quelqu'indice , quoique d'une manière obscure, de Masilia,
aujourdh'hni Marseille, des Liguriens, et des Enéihes ; il désigne
très-clairement YTster , le Boristhéne et le Tanaïs; il fait une belle
relation des Scythes dont il place les diverses tribus entre Ylster
et le Tanaïs , et cite en outre divers autres peuples confinans avec
les Scythes. Mais entre ces régions , dont quelques-unes sont décri-
tes avec beaucoup d'exactitude par cet historien , il se trouve des
vuides immenses qu'il n'a point su remplir.
Depuis Hérodote, la géographie de l'Europe ne parait pas fyïhèas.
avoir fait de grands progrès, jusqu'à l'époque brillante où la va-
leur Romaine porta ses aigles triomphantes dans toutes les contrées
du monde alors connu. On sait pourtant qu'un certain Pyihms ha-
bitant de Marseille, lequel vivait quelques années avant Alexan-
dre, avait écrit la relation d'un voyage qu'il avait fait en Scandi-
navie ,et peut-être jusques dans la mer Baltique ; et que d'autres
voyageurs, particulièrement de la Grèce, avaient cherché à péné-
trer peut-être encore plus avant dans le nord ; mais leurs ouvrages ont
été la proie du tems , et ce qu'on en trouve rapporté dans certains
écrivains, ne présente que des notions imparfaites et très-obscures.
Ce ne fut même que sous le siècle d'Auguste que les Romains, Lésions.
plus jaloux de conquérir que de publier leurs conquêtes, songèrent à
donner une description exacte des pays qui leur étaient soumis. Mais
la politique apprit bientôt à. ces maîtres du monde, combien il leur
importait de connaître la position et les limites de leur vastes do-
maines, ainsi que les avantages qu'ils pouvaient en tirer pour le
commerce , pour le luxe et pour la guerre. C'est peut-être à cette
politique que nous sommes redevables des œuvres de Strabon et de Straion.
Pline. Le premier vivait sous Auguste. 11 fit un recueil , qui n'est
pas toujours très-fidèle , de tous les écrits des géographes qui l'avaient
précédés, et des relations de son tems. La série des régions que ce
géographe a décrites, commence par Ylbérie ou l'Espagne , et con-
tinuant par les Gaules, l'Italie, l'Allemagne, l'Iilyrie, et la France,

(0 v- GosseKn , Géographie des Grecs analysée.


ia Discours préliminaire

finit aux iîes de la Grèce. Il fait aussi mention à* Albion ou de


la grande Bretagne , de la Scandinavie , et autres contrée du nord j,
malgré qu'il suspecte un peu la vérité des relations d'après les-
quelles il en parle. Mais il lui arrive souvent de tomber dans des
erreurs grossières , et d'avoir des opinions extravagantes au sujet de
pays qui, de son tems, devaient être parfaitement connus à Rome.
Il fait courir la chaîne des Pyrénées du nord au midi } et couler
le Rhin sur une ligne parallèle à cette chaîne. Sa description de
l'Italie contient des notions du plus grand intérêt; mais on l'y
voit avec peine discutant sérieusement si cette péninsule a la ligure

p:in
d'un triangle ou d'un carré.
Pline aussi doit être considéré comme un compilateur soigneux
de toutes les relations qui avaient été faites avant lui et de son tems ,
sur la géographie universelle ; mais comme il avait puisé en partie
aux mêmes sources que Strabon , on trouve également dans ses
écrits des contradictions choquantes ; et un étrange assemblage de
vérités et de fables, surtout lorsqu'il parle de l'Europe septentrio-
nale. Admirable par la précision et l'étendue de ses connaissances^,
quand il décrit quelqu' objet d'Histoire naturelle appartenant même
à des pays très-éloignés de Rome, il admet avec une crédulité
puérile l'existence de certains peuples, dont les uns avaient des
pieds de chevaux , et les autres des oreilles si grandes qu'elles leur
servaient comme de coussin dans leur lit. Son ouvrage cependant ,
malgré le grand nombre d'erreurs dont il est semé, nous fournit des
éclaircissemens précieux , pour déterminer quelles étaient les limi-
tes de l'Europe septentrionale dans les premiers siècles de l'em-
pire Romain.
Itinéraires
Piomains. Ce qui contribua encore beaucoup aux progrès de la géogra-
phie ,ce fut ce qu'on appela les itinéraires , que certains Empe-
reurs firent dresser pour indiquer, non seulement les routes, mais
encore les confins, les revenus, et l'étendue des provinces qui étaient
sous la domination Romaine. Malgré qu'il y eût des ordres très-
sévères pour empêcher que ces itinéraires ne fussent connus, (i)
il était bien difficile , pour ne pas dire impossible , qu'ils échap-
Europe passent àla curiosité des géographes et dos voyageurs. Et en ef-
2 Pioiëmêe. fet , Ptolémée , astronome d'Alexandrie „ le dernier et le plus
grand des géographes de l'antiquité 3 qui vécut sous le régue des

(i) Tacit. Armai, (en plusieurs endroits).


sur l'Europe. i3
Antonins , y puisa la plupart des connaissances qu'il avait acquises
clans cette science. A l'exemple de Marinus de Tyr il posa les fon-
démens de la géographie sur l'astronomie et les mathématiques (i),
Les notions qu'il nous a laissées , nous mettent dans le cas d'as-
signer d'une manière assez précise, les limites qu'avait l'ancienne
Europe à l'orient et au nord. 11 trace avec beaucoup d'exacti-
tude le cours du [Volga qu'il appelle Rha , ainsi que celui du Ta-
ndis ,auquel il fait décrire une courbe comme celle qu'il suit
réelement dans les cartes modernes , tandis que Strabon le fait
courir du nord au midi. On trouve néanmoins diverses erreurs dans
son ouvrage. Il fait avancer la Méditerranée vers le levant à vingt
degrés au delà des limites qu'elle a de ce côté , malgré que de son
teins, cette mer fût parcourue par les Grées et les Romains dans
toute son étendue : il donne à Albion une extention si considérable

à l'orient, qu'il la fait replier sur l'Allemagne, et à l'Italie même


une cofiguration peu conforme à celle qu'elle a ; enfin , dans la
description qu'il fait des parties septentrionales de l'Europe^ qu'il
prolonge jusqu'à la Chersonése Cimbrique , aujourd'hui le Jutland
en Dannemark s il désigne comme des îles , certaines contrées qui
tiennent au continent.
On voit par cet exposé rapide des progrès de la géographie Confins
dlîpi -, . , ,1 ^ © O JT £e r ancienne
e 1 tLurope , que les anciens n eurent qu une connaissance très- Europe,
imparfaite de ce continent jusqu'à la fondation de l'Empire Ro-
main. Depuis cette époque, on sut d'une manière positive qu'il
était borné, non seulement au midi parla Méditerranée, mais en-
core à l'occident par une ligne qui s'avançant dans l'Océan, passait
entre l'Irlande et l'Angleterre 3 et regagnait la muraille d'Anton in en
Ecosse. Ses limites du côté du nord ne sont pas aussi faciles à fixer.
Après avoir dit tout ce qu'il connaissait des contrées septentrio-
nales de l'Europe , Ptolémée lui donne pour confins 3 au lieu de
l'océan 3 des terres qu'il suppose inconnues. Les navigateurs Romains
avaient visité les côtes méridionales de la Baltique jusqu'au Piubo a

(i) Quelques écrivains ont élevé des doutes sur l'authenticité de la


géographie de Ptolémée. Ils prétendent que le vrai texte est perdu, et
que l'ouvrage qu'on a , n'est qu'une compilation postérieure aux tems
où vivait cet écrivain. Cette opinion ne repose cependant que sur des fon-
demens bien fragiles: nous ^n'entreprendrons point de la discuter ici. On
peut lire à cet égard ce qu'en a dit Gosselin dans l'ouvrage que nous
avons déjà cité.
*4 Discours préliminaire
aujourd'hui la Dwlna , et ils en avaient rapporté les noms de di-
verses peuplades qui les habitaient, sans y laisser aucun établisse-
ment. On voit même clairement, par les cartes de Ptolemée , que
les Romains n'avaient aucune connaissance des pays intérieurs de
l'Allemagne. Ainsi l'on peut affirmer 5 sans crainte de se tromper }
que les anciens n'étaient point allés , sur le continent , au delà du
5i.e degré de latitude septentrionale , ou d'une ligne qui, partant
de l'embouchure du Rhin , venait finir aux monts Sarmates ou
Krapacks. Quant aux confins de ce continent à l'est , les opinions
des anciens géographes sont partagées , et on lit dans Brietius qu'il
y avait à cet égard cinq sistômes différens , que nous n'entrepren-
drons point de discuter ici, pour ne point trop nous écarter du but
que nous nous sommes proposés. Ce qu'il y a de certain , c'est que
du tems des Empereurs Romains , on donnait pour limites à l'Eu-
rope 9du côté de l'orient, la mer Egée ou l'Archipel, la Propon-
tide , ou mer de Marmara , le Pont Euxin ou la Mer Noire , jusqu'à
l'embouchure du Niester , et de là une ligne qui remontait le long
de ce fleuve jusqu'aux monts Krapacks ; mais on ne pourrait rien
dire de positif sur la limite véritable qui séparait l'Europe de
l'Asie au delà de l'embouchure de ce fleuve (i).
Division Nous venons de voir quels étaient les confins de l'Europe an-
sou*Romain.
vEmpire cienne. Ce serait ici le cas d'en présenter la carte selon le plan
que nous nous sommes prescrit ; mais comme il serait difficile de
lui donner assez d'étendue pour y éviter la confusion , à cause du
grand nombre de divisions qu'il faudrait y marquer; et l'ordre que
nous avons adopté „ exigeant que nous traitions distinctement de cha-
que pays en son lieu, nous nous réservons à donner les différentes

(i) L'Encyclopédie méthodique étend l'Europe ancienne jusq\i'au Ta-


Ttaïs ; mais il n'est pas encore bien décidé si le Tanaïs des anciens était
îe Danube , ou le Don , ou quelqu'autre fleuve de la Russie. Il est d'au-
tres écrivains qui donnent pour limite à cette partie du monde , du côté
de l'est, une partie du Don , puis une ligne qui va de ce fleuve au Volga ,
du Volga au Carambice qu'ils croyent être YOby , et enfin le reste du
cours de ce dernier fleuve jusqu'à son embouchure. Cette démarcation con-
fond d'une manière étrange les limites cle l'Europe moderne avec celles
de l'ancienne. Pour ne point nous exposer à donner comme certaines ces
choses douteuses , ou trop hazardées , nous avons préféré de nous en tenir
à l'opinion des écrivains les plus dignes de foi , sur les confins de ce con-
tinent qui nous paraissent les mieux démontrés.
v SDR l'Europe. i5
Cartes de la géographie comparée de ce continent, an commence-
ment de l'histoire particulière de chacun des peuples qui l'habi-
tent. Nous nous bornerons donc à observer pour le moment que v
lors de l'empire Romain , l'Europe se divisait en douze provinces
qui étaient ^ les îles Britanniques 3 la Scandinavie, la Sdrmalie 3
la Gaule, la Germanie , Y Espagne 3 Y Italie 3 la Mésie ,1a Thrace,
la Macédoine , Ylllyrie , et la Grèce.
Telles étaient en Europe les contrées sur lesquelles, comme Décadent
sur le reste du monde connu 3 s'étendait dans les premiers tems la dcRomam™
domination Romaine. Mais déjà s'accumulaient dans le nord de
cette partie du monde ainsi qu'en Asie , ces hordes de peuples bel-
liqueux et féroces, qui devaient un jour envahir l'empire et Rome
même. Tandis que les Romains livrés à la mollesse et à tous les
excès de la corruption , perdaient insensiblement dans des révolu-
tions continuelles et dans les guerres intestines leur ancienne vi-
gueur et la supériorité de leurs vertus guerrières, ces mêmes hor-
des qu'ils appelaient Barbares , croissaient de jour en jour en
nombre et en force , et trop resserrées bientôt dans leurs terres
natales, menaçaient d'en sortir comme des torrens impétueux. Au
commencement de l'ère vulgaire , l'Europe civilisée était divisée de
l'Europe encore barbare par une ligne , qui prendrait à-peu-près
depuis l'embouchure du Rhin jusqu'à celle du Danube (i). D'un
côté la nature étalait toutes ses beautés , réunies à tout ce que l'in-
dustrie les
, arts et les sciences avaient pu inventer pour les com-
modités etles agrémens de la vie; de l'autre on ne trouvait que
d'affreux climats en proie à un hiver perpétuel , et manquant de
tout , que de misérables cabanes , et des hommes errans comme des
Causes
bêtes sauvages (a). Non contens de leurs immenses possessions et tou- de F invasion
des Barbares.
jours avides de conquêtes, les Romains osèrent s'avancer au delà
de cette ligne, et engager avec ces hordes misérables une guerre
qui dura pendant presque les deux premiers siècles de l'empire.
Forcées de se retirer plus au loin dans le nord , elles s'y multi-
plièrent bientôt au point de n'y plus trouver de quoi subsister; et
cédant à l'appât des riches dépouilles que leur offraient les pro-
vinces de l'empire Romain tombant en ruine de toutes parts, sur-
tout après le partage qui en fut fait en empire d'orient et em-

(i) Voy ce que nous avons dit plus haut.


(2) Le Sage. Atlas histotiq. Tabl. 8, edit, de Flor.
J6 Discours prélimihaike
pire d'occident, elles franchirent de nouveau, vers le milieu du
troisième siècle, les confins de leurs climats' glacés, et se précipi-
tèrent enfoule sur les plus belles contrées de l'Europe. Telle fut
l'invasion des Goths. Dans le même tems, et poussés sans doute
Goths, Hum. par les mêmes motifs, les Hum , non moins barbares que les Goths ,
sortirent des régions centrales de l'Asie, et se débordèrent égale-
ment sur les terres de l'empire Romain. Quelle douceur et quels
charmes ne devait point avoir pour ces peuples l'aspect de pays si
riches , si florissans , et si différens en tout des tristes contrées qu'ils
avaient quittées ? Entraînés par les mêmes causes , et peut être par
l'exemple des Goths et des Huns , d'autres barbares , laissant là leurs
déserts , se joignirent à eux , ou leur firent la guerre , et se dis-
putèrent entre eux les débris sanglaus de cet empire. Envain quel-
ques Empereurs réussirent à repousser ces hordes féroces, et même
à les forcer de se retirer dans les pays lointains d'où elles étaient
sorties : elles revinrent toujours avec plus de fureur , et finirent
par chasser à jamais les aigles Romaines de l'empire d'occident (i).
TdJsÊiTba>iT La Bretagne fut envahie par les Saxons , la Gaule par les Francs ,
et l'Espagne par les Fisigoths. L'Italie après avoir subi successi-
vement le joug des Huns , des Hérules , des Ostrogoths , et autres
peuples barbares , passa enfin sous celui des Lombards.
JNous croyons faire une chose agréable à nos lecteurs que de leur
donner ici une carte où sont représentées les invasions des Barba-
res d'après les idées de Le Sage. L'étendard bleu indique ceux qui
étaient sortis du nord de l'Europe 3 et dont les pays se trouvaient
entre l'océan , et une ligne qu'on pourrait imaginer tracée entre
la Crimée et l'embouchure de la Dwina: l'étendard rouge désigne
ceux qui étaient venus de l'Asie , et qui habitaient au delà d'une
ligne qu'on pourrait tirer depuis l'embouchure du Don jusqu'à celle
de YOby j et l'étendard jaune signale ceux dont les tribus occu-
paient les contrées comprises entre ces deux lignes.
.iVouvei ordre La chute de l'empire Romain
politique.
en occident y fit éclorre un
nouvel ordre de choses; et des ruines de l'Europe ancienne, s'éleva
pour ainsi dire l'Europe moderne. Un nouveau costume commença
dès lors à s'introduire parmi les peuples qui étaient passés sous le

(i) Une chose qui ne contribua pas peu à la décadence de l'empire


Romain , ce fut le partage solennel qui en fut fait en empire d'orient ,
eu en empire d'occident sous Valentinien en l'an 364-
sur l'Europe. 17
joug des Barbares , costume qui dans nos recherches nous servira
comme de liaison entre l'ancien , et surtout entre le Romain et
celui des tems modernes. d*ûrieiit

Malgré l'invasion des Barbares , et lorsque l'empire d'occident e,


avait déjà repris sous de nouvelles formes une nouvelle existence
sous Charlemagne vers le commencement du neuvième siècle, l'em-
pire d'orient ne s'était pas tout à fait éclipsé, et il conservait en-
core quelque reste de puissance sur certaines contrées de l'Italie.
Mais comme les vicissitudes politiques de cet empire ont moins de
rapport avec. l'Europe qu'avec l'Asie, où il s'étendait presqu'en
entier , nous nous réservons d'en parler de nouveau lorsque nous
traiterons du costume des peuples appartenais aux contrées occi-
dentales de ce dernier continent. Quant aux grands événemens qui
se sont passés à Constantinople , lieu de la résidence des Empereurs
d'orient , nous en ferons mention incessamment dans notre introduc-
tion au costume des Grecs. Nous nous bornerons à observer poul-
ie moment à nos lecteurs , que cet empire , qui était connu encore
sous les noms d'empire Grec , et de bas empire , accablé sous le
poids des vices de son gouvernement et de l'avilissement de la na-
tion ,finit , après diverses révolutions , par devenir la proie des
Turcs en i543, époque mémorable, où Mahomet II. prit Constan-
tinople d'assaut, et fonda en Europe Fempire Ottoman qui dure
encore aujourd'hui. (1).
oaveaux
L'invasion des Barbares en Europe opéra , comme nous venons &
costume.
de le dire , un chagement total dans l'ancien costume de ses habi-
tans. Il se fît un mélange bizarre des lois , des institutions , des
coutumes , des langages même et des arts des conquérans avec ceux
des nations subjugées. Nous marcherons pendant plusieurs siècles à
travers les ténèbres, dans l'ignorance et la confusion. Des généra-
tions féroces se succéderont, jusqu'à ce qu'il sorte de l'Italie un
premier rayon de lumière , qui annoncera l'aurore de plus beaux
jours. Alors nous verrons l'ordre et l'harmonie sortir peu-à-peu
comme du cahos , et s'étendre dans toute l'Europe. Le génie de
l'Italie se relèvera plus glorieux que dans le siècle d'Auguste, et
reprendra son empire sur cette partie du monde , non plus par
la violence 3 par la force des armes, ni par la tyrannie, mais par
les lettres , les arts , les sciences et le commerce.

(1) V. Gibbon. Hisbory of tlie décline and fail of the Roman an-
pire. Beau. Histoire du Bas-Empire. Montesq. Décadence etc.
Europe- Vol, I. 3
i8 Discours préliminaire
Progrès d* la Ces irruptions de Barbares contribuèrent néanmoins aux pro-
gres de la géographie, et à reculer les limites de l'ancienne Eu-
rope. Les relations qu'ils donnèrent sur les pays dont ils étaient
originaires , furent recueilies , bien que grossièrement , dans les chro-
niques des siècles modernes. Elles furent la source de connaissan-
ces plus étendues et plus précises sur les légions du nord. Mais
c'est encore moins à ces relations qu'à la propagation de la reli-
gion Chrétienne 9 que l'Europe est redevable de l'avancement de
sa géographie. Les moines lui ont rendu des services importons
ainsi qu'aux autres sciences. C'est d'eux que nous tenons, non seule*
ment les annales des siècles du moyen âge , mais encore les diffé-
rentes descriptions des pays dont ils ont douné l'histoire, (i). Le zélé
des missionnaires pénétra dans des climats, jusqu'où les conquérana
n'avaient point osé s'avancer. Ce furent eux qui les premiers nous
firent connaître la véritable position du Dannemark s de la Suéde,
et de l'Irlande. Ils parcoururent les bords de la Vistule et de
VOder , et donnèrent la description de ces contrées , ainsi que des
mœurs de leurs habitons (a). Des Princes qui sentaient tous les
avantages que pouvaient leur procurer de ces connaissances , firent en-
treprendre des voyages vers toutes les extrémités de l'Europe. Dès
le neuvième siècle , les Normands avaient découvert les îles de
Féroer et l'Islande (3). On était même parvenu dans le dixième
siècle jusqu'aux plages lointaines du Groenland (zf). Les Danois
s'aventurèrent les premiers dans la mer glaciale au delà du 7Ô.e
degré de latitude 9 et en i553 ils découvrirent les îles sauvages et
glacées du Spitzberg.
Nous avons parcouru toutes les époques les plus remarquables
de l'Europe, depuis la plus haute antiquité jusqu'aux dernières dé-

(i) V. Anton. Matthei. jlnalecta veteris aevi , ec.


(2) C'est ainsi qu'Emon , abbé de Werum, fit vers l'an 1217 la des-
cription de toutes les contrées que les Croisés avaient traversées depuis
les Pays-bas jusques en Palestine. S. Bonifaee apôtre des Allemands en
fit autant de divers cantons de l'Allemagne , dans des lettres qu'il écrivit
aux Souverains Pontifes. Voy. encore Malte-Brun , tom. 1 , pag. 4°8-
(3) Langebek. Script, rer. Dan. T. III. Torf. Hist. Norveg. II. lib. 2.
(4) Voy. Torfoei. Groenland, antiqua. Quelques géographes encla-
vent encore le Groenland en Europe. Mais les dernières découvertes qui
ont été faites , ne permettent plus de douter que cette contrée ne tienne
au continent de l'Amérique.
sur l'Europe. 19
couvertes qui y ont été faites; et nous avons ainsi indiqué en quel-
que sorte la marche que nous nous proposons de suivre, dans la
recherche du costume des différens peuples de ce continent. Nous
sentons toute la difficulté d'une pareille entreprise; mais cette diffi-
culté même servira d'aiguillon à notre zélé, et l'accueil favorable que
le public a fait jusqu'ici à notre ouvrage rassurera nos pas dans
cette carrière épineuse. Nous ne donnerons pas non plus la carte
de l'Europe moderne , par les mêmes motifs qui nous ont fait omet-
tre celle de l'Europe ancienne. Nous nous contenterons donc d'aver-
tir ici nos Lecteurs, que dans la division des états de l'Europe,
nous suivrons le système généralement adopté , d'après lequel on la
partage en dix sept régions qui sont : le Portugal , l'Espagne , la Division
France, la Hollande avec la Belgique, la Grande Bretagne, le moderne!30
Dannemark , la Norvège , la Suéde , la Russie , la Prusse , la Po-
logne,la Bohême, l'Allemagne, la Suisse, l'Italie, la Hongrie et
la Turquie , outre les diverses îles disséminées dans ses mers.
L'Europe moderne est bornée au nord par la mer glaciale , à Se* eonjîm.
l'occident par l'Océan , au midi par la Méditerranée qui la sépare
de l'Afrique, à l'orient par l'Archipel, la mer de Marmara, la
mer Noire, la mer tfAsof? et ensuite par le Don et le (Volga
jusqu'aux monts Poyas ou Oural (1). Elle s'étend depuis le 12,0 ao'
de longitude occidentale, jusqu'au 65° 4°' de longitude orientale
du méridien de Paris , et depuis le 36.e jusqu'au 7a.6 degré de la-
titude septentrionale: ce qui fait 11 10 lieues de longitude depuis
le cap Saint Vincent jusqu'à l'embouchure de l'Oby, et environ cpo
lieues de latitude depuis le cap Matapan jusqu'au cap Nord (2,).
Les anciens, comme on le sait, étaient dans l'usage de repré- &Eur*ps
senter l'Europe sous l'image fabuleuse d'une jeune nymphe que Ju- représentée.
piter avait enlevée en prenant la forme d'un taureau : c'est là le
seul symbole qu'il nous en ont laissé. La planche 3 en offre trois
figures emblématiques qui ont été copiées sur divers monumens. Le
n.° 1 , pris d'une peinture appartenant au tombeau des Nasons ,
représente l'Europe enlevée à la vue de ses compagnes qui parais-
(1) Selon la carte de Pwbert.
(2) Voyez la carte géographique qui précède ce discours. Les limites
qui séparent l'Europe moderne de l'Asie ne sont pas encore parfaitement
déterminées entre les Géographes. Il n'entre point dans notre sujet de discu-
ter cette question , sur laquelle le Lecteur pourra consulter le voyage de
Pallas.
20 Discours préliminaire sur l'Europe,
sent épouvantées. Dans le n.° a, copié sur un camée du Chevalier
Fontaine, la nymphe se montre sans aucun ornement. Le n.° 3,
qui est tracé d'après une autre camée du cabinet de la maison de
Brandebourg, la dépeint au milieu du cortège gracieux des Amours
et des Néréides , telle qu'on la trouve décrite dans Lucien. Divers
artistes modernes l'ont représentée sous la figure d'une matrone ma-
gnifiquement vêtue. Son habillement à diverses couleurs annonce la
variété de ses richesses. Sa tête est ceinte d'un brillant diadème ,
en signe de la domination qu'elle exerça sur le monde entier du
tems des Romains. Elle est assise pour Fordinaire sur deux grandes
cornes d'abondance, symbole de sa fertilité: d'une main elle tient
l'image d'un temple, comme signe allégorique de religion; et de
l'autre un sceptre dont l'expression emblématique désigne la forme
la plus commune de ses gouvernemens. On voit d'un côté , un che-
val avec des trophées qui annoncent son génie belliqueux ; et de
l'autre des livres , des globes , des compas , des pinceaux , et des
instrumens de sculpture et de musique, qui attestent sa supériorité
dans les sciences et dans les arts. L'Europe est encore figurée quel
quefois sous l'image d'une Pallas ayant un casque en tête, avec un
sceptre d'une main , et de l'autre une corne d'abondance.
Europe
Le&ru*. Lebrun l'a représentée clans le grand escalier du château de
Versailles sous la figure d'une femme, d'un aspect aimable et en même
tems noble et majesteux , assise sur des canons. Elle a pour coiffure
un casque surmonté d'un panache blanc: une cuirasse d'or brille
sur sa poitrine, et un riche manteau de couleur bleue lui sert
cle vêtement. D'une main elle tient un sceptre, et de l'autre une
corne d'abondance. A l'un de ses côtés , un coursier hennissant lève
sa tête superbe; et de l'autre se voyent quelques livres, avec un
étendard , un casque et un bouclier.
L'Evmpe
d'Appùmi. Enfin le Chevalier Appiani a figuré l'Europe sous l'aspect d'une
belle femme se reposant dans une chaise d'or, et contemplant l'O-
lympe. Un long sceptre est dans l'une de ses mains, qu'elle tient
mollement étendue sur une corne d'abondance : elle est vêtue d'une
tunique blanche et d'un manteau couleur de pourpre : non loin de
la chaise sont épais ça et là le ciseau, le maillet, la palette , une
harpe , un caducée , et une couronne de laurier , emblèmes des
beaux arts. On voit à ses pieds un livre , un compas , un équerre ,
et un globe qui sont les attributs des sciences et des arts , et plus
loin une chouette , symbole de la sagesse.
■iÂlcâ/ofiùuiLhifmMs,asJ!a <?'J_*<V& di JHùùj-
LE C O S T U
ANCIEN ET MODERNE

DE LA GRÈCE
PAS

M.r GIRONI

VICE-TiMI.TOTHECA.Hll: EE LA BIBLIOTHEQTJE IMPÏMAM2 El RQTÀ1E SE MUAS

ET CÏÏÏSEl'».
INTRODUCTION

.LJLu seul nom de la Grèce , de grands souvenirs se réveillent idée»


en foule dans Pâme de quiconque a fréquenté l'école des muses 5 eTL'uTicno
et se pique de quelques connaissances , même médiocres , dans
les sciences et les arts. Et qui pourrait en effet arrêter sa pensée
sur cette terre heureuse qui donna le jour aux Homères , aux Hé-
rodotes , aux Sophocles , aux Démosthénes , aux Thémistocles , et à
tant d'autres grands hommes , sans être pénétré d'un sentiment puis-
sant qui élève lame et enflamme l'imagination ? Il semble que des
monumens qui nous restent de cette nation célèbre , s'échappe une
flamme, pour ainsi dire, divine qui , dispersant les nuages amoncelés
par les tems , découvre à nos yeux le spectacle enchanteur des scè-
nes Mythologiques, et fait revivre dans notre esprit tout ce que
l'histoire nous a transmis de plus étonnant dans les arts ^ et de plus
merveilleux en fait d'événemens.
Mais aussi , dans cette espèce d'enthousiasme qui s'empare de Difficulté
nous en songeant à la Grèce, il est bien difficile de ne pas se lais- d° t'cfécT
ser transporter par un mouvement d'admiration , qui nous empêche
souvent de juger sainement de la vérité 3 et nous égare dans des
routes incertaines et trop élevées. C'est là peut-être ce qui a donné
lieu à cette multitude de systèmes sur l'origine de la Mythologie
Grecque; aux explications étranges, et souvent contradictoires qui
en ont été faites; au peu de vérité qui régne quelque fois dans
les écrits des historiens , et même dans les récits des voyageurs ;
et enfin à l'imperfection des descriptions qui nous ont été trans-
mises sur les monumens de l'ancienne Grèce: considérations qui
toutes devraient nous faire renoncer au projet de retracer ici le cos-
tume des peuples qui l'ont habitée.
Une autre difficulté non moins grande s'est présentée à nous commun
a un centre
Bfpcvhé tout ce
ée rapporter
dans cette entreprise , c'est, celle de rapporter l'histoire et le cos-
tume de cette nation à un centre commun , de lier ensemble tous qui concerne
les événemens qui la concernent , et de lui donner , pour ainsi dire , la a
une seule et même physionomie d'habitudes, de lois et de constitu-
s
24 Introduction.
tions , comme il est aisé de le faire pour tous les autres peuples de
l'antiquité. Et en effet , la Grèce doit être envisagée en quelque sorte ,
non comme une seule et même nation , mais bien comme un monde
entier , comme une aggrégation de divers peuples , qui , tout en con-
servant entre eux quelque ressemblance et certains rapports , dif-
fèrent néanmoins essentiellement de caractère 3 de mœurs, de gou-
vernemens et même de langage. Cette diversité se manifeste bientôt
de la manière la plus sensible , par exemple entre les Athéniens et
les Béotiens ou Spartiates.
Hisloire
éa Gillies. Quant à l'histoire de ce pays , nous sommes d'avis que Gillies
est Fécrivain qui Ta le mieux traitée , et peut-être le seul qui ait
su mètre de l'ensemble dans le tableau des différentes vicissitude?
des peuples de la Grèce , et les ramener à un point d'unité qui ,
dans tous les genres , fait le charme principal des productions de
l'esprit. C'est pourquoi nous nous en rapporterons souvent aux re-
lations de cet écrivain, en tout ce qui concerne les événemeus poli-

Athéniens ,
tiques et militaires qui peuvent avoir quelque liaison avec l'objet du
costume. Mais comme de tous les peuples de la Grèce , les Athéniens
principal
de le Grèce. méritent le plus de fixer notre attention, nous nous attacherons à
peuple
décrire le leur d'une manière plus particulière. Parmi les villes
Grecques , Athènes fut sans contredit la plus polie et la plus remar-
quable. C'est d'elle que les autres empruntèrent leurs connaissances
dans les arts et dans les sciences , aussi bien que leurs vices. Les
modes Athéniennes furent recherchées et suivies par tous les Grecs
qui avaient quelque prétention au bon goût. D'ailleurs le territoire
d'Athènes nous est beaucoup mieux connu que tout autre lieu de
la Grèce ; et les descriptions que nous avons sur le costume Atti-
tique sont en si grand nombre , qu'il nous sera aisé d'en former un
tableau , d'après lequel on pourra se faire une juste idée du carac-
tère de ce peuple, qui fut autrefois le premier de la terre.
ïiiulililê
des recherches
Mais en nous proposant de traiter ici du costume des Athé-
minutieuses. niens et de celui des autres peuples de la Grèce, notre inten^
tion n'est pas d'entrer dans des recherches minutieuses , ni dans
des raisonnemens subtils , qui ne tendraient qu'à faire pompe d'une
vaine érudition s sang aucun profit pour le lecteur. Qu'aurions nous
gagné en effet dans l'étude de l'antiquité , lorsqu'après bien de»
conjectures, nous parviendrions à savoir quelle était la forme du lit
de Junon , ou du vaisseau qui transporta les Argonautes à la con-
quête de la toison d'or? Bien loin donc de vouloir imiter le docte
Introduction 2,5
Saumaise, qui, après avoir démontré dans deux longues et savantes Critique
d~ de ôaumuisc
issertations , que les pommes d or du jardin des Hespérides n'é-
taient, selon le témoignage de divers auteurs,, que des oranges de
la plus grande beauté, finit par déclarer avec un Docteur Al-
lemand, que ces pommes n'étaient point des oranges, mais des ci-
trons ,nons laisserons de côté tout ce qui ne fournirait matière qu'à
de vaines arguties, et n'aurait d'autre mérite que de grossir inuti-
lement cet ouvrage. Car, encore une fois , notre but n'est pas d'y Noire butdans
rassembler tout ce qui a été dit au sujet de la Grèce ; mais seule-
ment d'y exposer avec choix les notions dont la certitude ou au
moins la probabilité sont reconnues, et surtout celles qui peuvent
être de quelqu'utilité pour les artistes. Nous ne prétendons donc
point à l'honneur de publier des choses nouvelles, ou que personne
n'ait jamais dites; notre ambition se borne seulement à recueillir
ça et là , et à réunir en un seul corps , tout ce qui concerne le cos-
tume Grec, et dont on ne pourrait s'instruire autrement, qu'en
lisant une multitude de volumes, qui ne se trouvent que dans les
plus riches bibliothèques. Et que pourrait-on dire de neuf sur un
sujet, qui a été traité par tant d'auteurs célèbres anciens et mo-
dernes ?Nous ne marcherons pourtant point pour cela servilement
sur les traces de ceux que nous prendrons pour guides , quelque soit
du reste le poids de leur autorité ; nous n'hésiterons même pas à
nous écarter de leur jugement , toutes les fois que les lumières d'une
saine critique nous feront appercevoir qu'ils peuvent être tombés
eux mêmes dans l'erreur. nécessaire
Nous éviterons également de nous arrêter sur certains vices *?*««*
grossiers , et sur quelques déréglemens particuliers aux Grecs. Les l d'"
mœurs Athéniennes surtout, même dans le beau siècle de Périclés , du riptio,
nêcess-'"—
étaient souil liées de taches honteuses, que la pudeur ne permet
point de montrer à nu. C'est pourquoi nous n'en dirons que ce qui
sera indispensable pour en donner une juste idée , et pour que no-
tre ouvrage ne soit pas incomplet à cet égard ; mais nous aurons
soin d'observer dans nos expressions la décence la plus scrupuleuse,
à l'exemple de Socrate , qui voulait que les grâces , ces volupteuses
compagnes de Venus , ne parussent jamais que couvertes d'un voile.
Un autre écueil , et sans doute bien dangereux , vient encore />>?; ^
s'offrir à nous dans cette tâche laborieuse, c'est la difficulté de ef^Tîï^/'''î"
trouver un guide sûr, d'après lequel nous puisions juger de ce fabuleux-
."1'
qui appartient aux tems fabuleux. Il est des écrivains et des ar~ Crie'
Europe. Vol. L >
2,6 sur la Grecs,
listes qui se montrent peu délicats sur ce point 3 et qui , sans res-
pect pour ia vérité , représentent les Grecs , des teras par exemple
d'Hercule et de Thésée, avec un costume qui ne convient qu'aux
Grecs déjà policés , et devenus maîtres dans les arts de tout genre.
Que de fois n'avons nous pas vu sur la scène, Euridice et Ariane,
habillées en Aspasîes, et comme les belles Grecques du tems d'Ale-
xandre ?Que de fois ne nous a-t-on pas présenté la ville de Thé-
bes assiégée par les sept chefs , bâtie avec cette magnificence d'ar-
chitecture cpiine se développa que plusieurs siècles après la seconde
guerre Thébaine ? C'est pourquoi nous avons cru ne pouvoir con-
sulter, dans la description du costume propre aux tems fabuleux,
d'autorité plus respectable que celle d'Homère et autres poètes de
Les Poètes
historiens
la plus haute antiquité. Personne n'ignore que les premières rela-
de la Grèce tions historiques ont été écrites en vers , et qu'on n'y mêla le mer-
prem
veilleux, que dans la vue de les graver plus profondément dans
l'esprit du peuple, en frappant plus vivement son imagination. En
même teras que nous offrirons à l'attention de nos lecteurs quel-
qu'un des monumens appartenant à ces siècles reculés , nous nous
ferons un devoir de les instruire des motifs qui nous ont déterminé
à le leur présenter préférablement à d'autres. Nous avons donc
rangé tout ce qui tient à ces tems fabuleux sous trois époques dis-
tinctes, quisont; l'expédition des Argonautes, la seconde guerre de
Thébes , et la guerre de Troie.
Tems Après cette dernière guerre , le flambeau de l'histoire com-
sec
de lsLord/Udge
mence à jetter quelques rayons de lumière 3 au moyen desquels
l-a Grèce
nous voyons se développer peu à peu des scènes imposantes qui
étonnent l'imagination , et mettre en pratique les grandes maximes
de la politique et de la philosophie. Au retour de cette entreprise
fameuse, les Grecs devinrent la proie de révolutions affreuses et sans
cesse renaissantes ; on ne vit de toutes parts que des trônes teints
de sang, des villes opprimées par de cruels tyrans, et des divisions
intestines et sanglantes. Quelques villes secouèrent enfin le joug ,
et la nation entière se forma en république. C'est à cette époque,
qu'on peut regarder comme le second âge de la Grèce , que pa-
rurent les plus grands capitaines et les plus sages législateurs ; que
les arts et les sciences parvinrent au plus haut degré de splendeur;
que la population s'accrut, au point qu'il fallut envoyer au dehors
des colonies pour s'y procurer une vie plus commode; et que les
Grecs enfin devinrent le premier peuple du monde.
INTRODUCTION H7

Mais l'esprit de rivalité , ce fléau destructeur des républiques Tpeutème


et des empires, vint bientôt troubler cette union politique qui fait
la principale force d'une nation , et à laquelle les Grecs étaient
redevables des victoires étonnantes qu'ils avaient remportées sur les
Perses»- La Grèce fut partagée en trois puissances. Athènes, Sparte
et Thébes furent tour à tour en possession du pouvoir suprême. Ce-
pendant Thébes voyait se former dans son propre sein , sous les leçons
du père d'Epaminondas , Philippe le Macédonien, politique profond, Philippe
à la pénétration duquel rien n'échappait cle ce qui pouvait lui ser- de ia Grdce
vir un jour pour se rendre maître de la Grèce entière. II se com-
plaisait àvoir les Grecs se déchirer entre eux , et user toutes leurs
forces dans cette fameuse guerre civile., connue sous le nom de
guerre sacrée. Dès qu'il fut monté sur le trône de Macédoine , il
donna le premier choc à leur liberté; mais cette grande entre-
prise ne fut portée à sa fin que sous son fils Alexandre. L'époque
que nous venons de parcourir compreud les plus beaux tems de la
Grèce , et l'âge où les arts et les science arrivèrent au plus haut
point de perfection.
Après la mort d'Alexandre , la Grèce devint le théâtre des Quatrième %».
guerres des Macédoniens, et ses villes furent livrées à la merci de
tyrans féroces , jusqu'à l'époque où les Achéens , sous le comman-
dement d'Aratus , jettèrent les fondemens d'une nouvelle république ,
qu'on peut regarder comme le dernier effort de la liberté de Grecs.
Cependant les Etoliens et Cléoméne Roi de Sparte , s'opposèrent for-
tement au projet d'Aratus, qui seul pouvait rendre à la Grèce sou
ancien lustre. Après plusieurs défaites, les Achéens appelèrent à
leur secours Philippe II Roi de Macédoine. De leur côté les Eto-
liens s'allièrent avec les Athéniens; mais voyant qu'ils ne pouvaient
se soutenir contre les forces des Achéens et des Macédoniens réu-
nis, ils se mirent sous la protection des Romains, qui ne tardèrent
point à déclarer la guerre à Philippe. Les Romains dont la puis-
dfs Romain.
sance était déjà devenue formidable par la ruine de Carthage , usè-
rent d'abord envers les Grecs de cette politique astucieuse , dont
ils s'étaient déjà servis pour tromper d'autres peuples , et tout
en feignant de vouloir rendre à chaque ville son premier état , ils
les tinrent toutes divisées, et les mirent ainsi dans l'impuissance
de se défendre ni de faire aucune entreprise sérieuse pour recouvrer
leur indépendance. Enfin , après avoir réglé les affaires de la Grèce
comme arbitre et comme médiatrice 3 Rome la subjuga par la force
2.8 Introduction
La Gréée des armes. Le Consul Mummius détruisit la superbe Corinthe, et
conquise par J- "
les Romains,
sous ses ruines s'ensevelit pour toujours la liberté des Grecs. Depuis
de?J G,éee cet événement qui eut lieu l'an 608 après la fondation de Rome ,
la Grèce devint une province Romaine sous le nom d'Achaïe.
Cependant, dans cet état même de servitude, les vaincus con-
servaient sur les vainqeurs une sorte d'empire , par leur supério-
rité dans les arts et dans les sciences, lorsque Mithridate Roi de
Pont, et l'ennemi le plus terrible des Romains suscita contre eux
une guerre des plus sanglantes. Sylla n'ayant point de machines
pour prendre Athènes , qui était devenue le centre des forces et
Guerre
de MitrJiidate de la puissance militaire de Mithridate., lit raser les bosquets de
et de suia. l'Académie et du Lycée , et ayant fait construire avec les bois qu'il
en tira toutes celles dont il avait besoin pour tenter un assaut, il s'em-
para de cette malheureuse ville, et la livra à toutes les horreurs du
pillage et de la dévastation , comme il avait déjà fait des temples
Sous Oetaue. d'Epidaure , d'Olympie et de Delphes. Octave , après avoir saisi les
rênes du monde , craignant que la Grèce ne parvint une autre fois
à secouer le joug , y envoya trois Préteurs Romains pour la gou-
verner ;et depuis lors, l'oppression et l'avilissement ne laissent plus
voir dans les Grecs , qu'un peuple misérable et dégradé.
GoiBtanûnopie Bysance qui prit ensuite le nom de Constantinople et devint
et empire , .
d'Orient. la capitale de l'empire d'orient, ne conserve plus rien du costume
Grec , que les vices , la superstition 3 le mensonge et la mauvaise
foi. " La révolution , comme le remarque l'illustre Ghoisseul dans
le discours préliminaire de son grand ouvrage , qui transféra sur
le Bosphore le siège de l'empire, ne pouvait manquer de jetter
aussitôt les Grées dans une espèce d'ivresse. L'abandon de Rome
pour une ville Grecque , fut à leurs yeux une espèce de victoire
que la Grèce remportait sur Rome. Mais de quel effet pouvait être,
après tant de désastres, un événement de cette nature, tout flat-
teur qu'il était en apparence ? Les idées de patrie et de liberté
s'évanouirent tout-à-fait. Les Grecs devinrent d'autant plus lâches
et plus vils, qu'ils se trouvèrent plus près du trône : les vices de la
cour se propagèrent rapidement dans tout le corps de la nation :
les dignités usurpèrent les hommages dûs à la vertu , et chacun fit
son unique étude de chercher à plaire au tyran. „

fousLa lesGréée
Turcs.
La Grèce ne nous offrira plus désormais qu'une suite d'évé-
nemens déplorables. Prise et dévastée tour à tour par cent peuples
divers^ Goths, Scythes, Alains , Gépides , Bulgares, Africains,
sur la Grèce. 29
Sarrazins _, Croisés, elle devint enfin, vers le commencement du
XIV.% siècle la proie des Turcs , sous le joug desquels elle gémit en-
core ,et ne présente plus aujourd'hui à l'œil du voyageur,, que des
pays incultes, de tristes chaumières, et des habitans plongés dans
Grecs
l'ignorance et la misère. Malgré cet état d'abjection , la Grèce modernes.
compte encore quelques âmes nobles qui, tout en gémissant sur les
restes précieux de leur ancienne patrie , conservent des sentimens
généreux , et attendent que quelque main bienfesante vienne lui
rendre son premier éclat. C'est dans les campagnes et sur les monts,
ajoute le même auteur, qu'il faut chercher aujourd'hui les descen-
dais véritables des anciens Grecs. C'est sur ces monts escarpés , que
se formèrent ces terribles phalanges qui , sous la conduite de Pyr-
rhus , envahirent l'Italie, et portèrent l'épouvante jusque dans les
murs de la capitale du monde: c'est laque le fameux Scanderberg,
le héros de la Chrétienté , le vainqueur à'A murât et de Mahomet II,
renouvella, avec une poignée de braves dans le XV. e siècle., les pro-
diges de valeur dont furent témoins, dix huit siècles auparavant, les
champs de l'Attique et de la Béotie : c'est là enfin que vivent les
rejetons des anciens Spartiates, connus sous le nom de Maniottes } qui ManioUes-
n'ont jamais plié sous le joug Ottoman. Déjà quelques rayons de
lumière semblent se répandre sur ces malheureuses contrées, depuis
que les Grecs modernes, surtout dans l'Ionie , ont commencé à cul-
tiver leur esprit et leur cœur par l'étude des arts et des sciences,
dont ils ont hérité de leurs ancêtres. Puissent'ils recouvrer un jour
leur gloire primitive 3 et faire revivre les noms de ces grands hom-
mes,dont la mémoire nous enflamme avec eux du p'us noble en-
thousiasmPleins
e! de cette espérance , nous avons , à l'exemple du
même Choîsseul , représenté à la planche 6 la Grèce, sous la figure de la Grèce,
d'une matrone dans les fers : elle est entourée de monumens funé-
raires élevés en l'honneur des illustres personnages qui l'ont rendue
si célèbre ; un de ses bras est appuyé sur la tombe de Léonidas :
derrière elle s'élève une pierre , où on lit l'inscription faite par Si-
monide pour les trois cents Spartiates qui périrent à la bataille
des Thermopyles: Passant , vas dire à Sparte que nous sommes morts
ici pour obéir à ses lois. La Grèce ne semble attendre que le se-
cours de quelque grande puissance, pour se relever de son avilisse-
ment. Sur une roche voisine sont gravées ces paroles de Didon dans
le IV.e livre de l'Enéide :
EXORIARE ALiqVIS NOSTRIS EX OSSIBUS ULTOR,
CATALOGUE DES PRINCIPAUX OUVRAGES
<JUI ONT ÉTÉ CONSULTÉS

SUR LE COSTUME DES GRECS (i).

xIchillis Tatii De Clitophontis et Leucippes amoribus libri VIII. gr. et


lat. ex recens. B. G. L. Boden. Lipsiae , 1776, in 8.°
.AEschyli Tragoediae, cur. Fr. H. Bothe. Lipsiae, i8o5 , in 8.°
Agincourt, Seroux d'^ Histoire de l'art par les monumens. Paris, 181 1 ,
et suiv. fol.0
Agricola, De mensuris et ponderibus Roraanor. et Graecor. Basil. i55o,

in fol.0 Soph. Epistolae. Milan, 1806, in 8.°


Alciphronis
Alypiij introductio musica, gr. lat. apud antiq. musicae auctores , ex edic.
Marc. Meibomii. Amstel. , 1662 , vol. 2 , in 4.0
Anacreon. T. et Saplius, Garmina cur. Fr. G. Born. gr. Lipsiae, 1789,
ogia. Napoli , gr. irai. , 1788 , vol. 6. in 4.0
Antholin 8.°
Antiquité sacr. et prof. gr. et rom. Haye, 1796, in fol.°
Antonini Itinerarium , edit. Pet. Wesselingii. Amstel., 1705, in 4.0
Appiani Alexandr. Historiae , gr. lat. cum notis varior. Amstel. , 1670 ,
2 , vol. in 8.°
Apollodori Athen. Bibliotbeca , cum notis et versione gallica E. Clavier.
Paris, i8o5, vol. 2., in 8."
Apollonii Rhodii. Argonautica , cum notis varior. cur. Jo. Shaw gr. lat,
Oxon. , 1779 , in 8.°
Apuleii ; Metamorphoseon. L. XI. edit. Priaei. Gouclae. , i65o, in 8.°

(1) Nous ne citerons ici que le principaux ouvrages. Si quelqu'un,


de nos lecteurs trouvait que nous en avons oublié quelques-uns , nous
le prions de ne pas nous taxer trop promptement d 'omission , car nous
-pourrions lui répondre que nous avons en effet passé à dessein sous si-
lence divers auteurs , soit parce qu'ils ne nous ont offert aucuns ma-
tériaux propres à notre objet, soit parce que leurs écrits nous ont paru
trop médiocres pour mériter que nous en fissions mention. Tel est , entre
autres } V ouvrage de Bannier. Outre ceux qui sont énoncés dans ce ca-
talogue ,nous avons eu encore recours à plusieurs autres dont on trou-
vera indication
V au bas île chaque page.
Catalogue des Ouvrages sur les Grecs. 3i
Arebaeiogia , or Miscell. Tracts, relat. to antiquités, publ. by the Society
of antiq. of Lonclon , 1779, 1814 , vol. 18, in 4.0
Aristophanis Comoediae, cur. Brunck. gr. lat. Argent;., 17S0, vol. 4 , in 8."
Arrianus. De exped. Alexandri et Indica , cur. Nie. Blancardo , gr. lat.
Amstel. , 1668 , in 8.°
Athenians letters Lond. } 1781 , in 4.0
Aubignac. Pratique du théâtre. Amster. , iyi5 , vol. 2 , in 8»8
Augustinus. Gernmae et Sculpt. antiq. ec. 1694 , in 4.0
Augustirti S. Opéra, edit. Bénédictin. Parisiis , 1679, v0^ ÎI ' *n ^*
Auli Gellii Noctes atticae , cum notis varior. Lug. Bat. , 1666 , vol. 2, in 8.*
Bailly, Histoire de l'astronomie ancienne, Paris, Debure , 178 1 , in 4.0
Essai sur ]es fables et sur leur histoire. Paris , an VIII. , vol. 2 , in 8.*
Balduinus , De Calceo antiquo etc. Amstel. , 1667 , in 16. °
Bardon, Dandré. Les costumes des anciens peuples. Paris , 1772 , vol. 3, in 4.0
Barthélémy , Voyage du jeune Anacharsis en Grèce publ. par. M. de
Sainte-Croix. Paris , Didot jeune an VII. , 7 vol. in 4.0 et atlas.
Bartholinus Th. De armillis veterum. Amst. , 1676 , in 12. ° De tibiis ve-
terum. Ibid. 1679 ' I2-°
Bartholdy , Voyage en Grèce dans les ans-i8o3-4. Trad. de lAllem. par.
A. D. G Paris , 1808, vol. 2, in 8.°
Bartoli a. Santé. Mus. odescalcum. Romae , 1747 _, vol. 2, in fol.0
Basilii magni Collectio operum , gr. lat. Parisiis , 1721 , vol. 5 , in fol.0
Batteux, Histoire des causes premières. Paris, 1769, vol. 2, in 8.°
Bayle, Dict. histor. et critiq. Roterdam , 1720, vol. 4 , in fol.0
Belon , Observations de plusieurs singularités trouvées en Grèce etc. Pa-
ris , i588 , in 4.0
Begeri Bellum et excidium Trojanum ex antiquitatum reliquiis etc. Bero-
lini , 1699 ■> ^n 4*
Berger , Gomment, de personis vulgo larvis. Franco/. , 1723 , in 4.0
Bianchini Fr. , Storia universale provata co'monumenti. Rorna, 1697, in 4.*
Bionis et Moschi Idyllia cur. L. A. Teuchero gr. lat. Lipsiae , 1793, in 8.°
Blond , Description des pierres gravées de M. le Duc d'Orléans. Paris ,
1780 , vol. 2 , in fol.°
Blair's, Chronological tables and maps , etc. Lond. , i8o3 , in fol.0
Boettiger , Descriptions et Fragmens etc. trad. de l'Allem. par. F. F. Bast.
Paris. Didot le jeune , an IX. , 1801 , in 8.°
Les furies. Paris, 1802^ in 8.°
Bos ( Lamb. ) Antiquitatum graecar. descriptio. Lipsiae , 1767 , in 8.*
Bossuet , Discours sur l'Hist. universelle. Paris, Renovard, i8o5 , vol. 6, in 12.0
Bracci, Comment, de antiq. Scalptoribus. Flor. 1786^ vol. 2, in f.°
Bruckerus ( Jac ) Historia critica philosophiae. Lipsiae , 1742, vol. 6, in 4. °
Brissonius ( Barn. ) et Hottomanus , De veteri ritu nuptiar. et jure con-
nubiorum. Lugd. Bat. , 1641. , in 12 °
Brunings ( Ghri. ) Gompendium antiquitatum graecarum etc., 1734, in 8.°
3à Catalogue des Ouvrages
Buffon , Histoire natur. etc. rédigé par Sonnini. Paris an VIT., 1798,
1807 , vol. 127 , in 8.°
Byzantinae historiae scriptores , etc. Parisiis, etc., vol. 5o , in fol.0
Callimachi Cyr. Omnia cura notis Varior. gr. lat. Lugd. Bat. , 17 61, in 8.°
Caryophilus , De veterum clypeis. Lugd. Bat. , ijSi , in 4.0
Gaylus , Recueil d'antiquités égypt. étrusques etc. Paris , 1761, vol. 7 , in 4.°
Cellarius , Notitia orbis antiqui. Lips. iy3i , vol. 2, in 4.0
Chandler's , Travels in Greece , and in Asia minor. Oxford and London ,
1776 , vol 2 , in 4.0
Inscriptiones antiquae. Oxonii , 1774 » in fol.0
Charitonis aphrodisiensis , de Cherea et Gallirhoe etc. gr. lat. Amsteh ,
1750 , vol. 2 , in 4.0
Ghau , Description des pierres gravées de M. le Duc d'Orléans. Paris ,
1780 , vol. 2 , in fol.0
Sur les attributs de Venus. Paris , 1776, in 4-°
(Chaussard, ) Fêtes et courtisanes de la Grèce. Paris, i8o3, vol. 4, in 8.°
Chevalier , Voyage dans la Troade. Paris , vol. 3 , in 8.°
Choisseul-Gouffier , Voyage pittoresq. de la Grèce. Paris , 1782, in fol.*
Coluthus , De raptu Helenae , gr. lat. ital. ex recens. M. Bandini. Floren-
tiae 1765 , in 8.°
Conti , Illustrazione del Parmenide di Platone. Venezia , 1743, in 4-°
Gorsinus , Fasti attici. Florent., 1744, vol. 4, in 4.0
Croix , Ste , Examen critiq. des anciens historiens d'Alexandre. Paris _,

us 5 , ,Dic
Daneti177 4.0nar. antiquitat. Roman, et Graec. Paris. , 1698 , in 4.0
intio
Dapper } Description des îles de l'Archipel. Amst. 1703 , in fol.°
Denina, Istoria délia Grecia. Venezia , 1784, vol. 4j in 8.°
Diodori Siculi Biblioth. cur. P. Weseling , gr. lat. Bip. et Argent. , 1793-
801 , vol. 11 , in 8.°
Diogenes Laertius , De vitis philosophorum , gr. lat. Lips., 1739, in 8.°
Dionysius Halicarn. Opéra omnia, gr. lat. Oxon. , 1704, vol. 2, in fol.0
Dissertation on the Eleosinian and Bacchic Mysteries. Amst. , in 8.°
Dodwel , De veteribus Graecor. Romanor. cyclis. Oxon. , 1701 , in 4-°
Dupuis , Origine de tous les cultes , etc. Paris , an III. ( 1795) vol. 4 , in 4.°
Durand, Recueil et Parai, des édifices, etc. Paris, an VIII, fol.° at-
lant. obi.
Eckel , Doctrina numor. veterum^ Vindobonae , 1798 , vol. 8 , in 4.0
Eisenchmidius , De ponderibus et mensuris veterum. Argent., 1737, in 12.0
Encyclopédie méthodiq. Antiquités, Mythologie etc. Paris, 1786, e£

suiv. , in 4.0
Ercolano , Antichità d' , etc. Napoli , 1767 , 92 , vol. 9 , in fol.0
Euripidis Tragoediae ex edit. et cum not. Barn. cur. Beckio , gr. lat. Lips.
1778-88, vol. 5, in 4.0
Origenis opéra omnia, gr. lat. cur. Car. de la Ruq. Paris > ifîz , vol. 4?

in fol.°
sur les Grecs; 33
Flaxman, The Iliad and Odyssey of Homer, engrav. by Th. Piroli , etc.
Lond. , 17^5 , fol.0 obi.
Compositions from the tragédies of Aeschylus , etc. Lond., iyq5 ,
fol.0 obi.
Geographiae veteris scriptores graeci minores , edit. H. Dod. et J. Hudson ,
gr. lat. Oxon. , 1698 , vol. 4 , in 8.°
Gell , Geography aud antiquities of Ithaca. Lond. , 1807, in 4.0
Gessnerus, Nmnismata Graeca etc. Tiguri in fol.°
G illies , History of the ancient Graece. Lond. , 1786 , vol. 2 , in 4.0
Goguet , De l'origine des lois, etc. Paris, 1758, vol. 3, in 4.0
Gorius. Thésaurus gemmar. antiq. Flor. 1760 , vol. 3 , in fol.0
Gosselin , Géographie des Grecs analysée. Paris, 1790, in 4.0
Gronovii Thésaurus antiquitatum Graecar. Lugd. Bat. 1697, vol. i3, in fol.0
Guichard , Funérailles et diverses manières d'ensevelir des Grecs et des
Rom. Lyon, i58i , in 4.0
Guis, Voyage littéraire de la Grèce. Paris, 1783. vol. 4, in 8.°
Hamilton , Pitture de' vasi antichi. Firenze , 1800, vol. 4, in fol.0
Hancarville, Recherches sur les arts de la Grèce. Lond., 1785, vol. 3, in 4.0
Antiquités étrusq. grecq. etc. Naples , 1767 , vol. 4 , in fol.°
Hérodote, Histoire etc. par Larcher. Paris , 1802 , etc. vol. 9, in 4.0
Hesiodi Opéra cum notis Varior. gr. lat. Amstel. , 1701 , in g.0
Homerus. llias , cur. C. G. Heyne , gr. lat. Lips. , 1802, vol. 8 , in 8.°
Opéra, cur. J. Aug. Ernesto, gr. lat. Lips. 1769, vol. 5, in 8.°
Hume, Discours politiq. Paris, i754 , vol. 2, in 12. °
Jamblichus , De mysteriis etc., gr. lat. Oxonii, 1678, in fol.0
Juliani Imperatoris Opéra , gr. lat. , cur. Spanhemio. Lips. , 1696 , in fol.0
Junius , De pictura veterum. Rotera, , 1694 , in fol.0
Justini Hist. cum notis Varior. , cur. Gronovio. Lugd. Bat. , 1760 , in 8.°
Justini Martyris Opéra omnia , gr. lat. stud. Bened. Parisiis , 1742,111 fol.°
Kirmannus , De animlis. Lug. Bat. , ^72 , in 16.0
Laguilletière , Athènes ancienne et nouvelle. Paris , 177$, in 12.0
Lampe, De cymbalis veterum. Traj. ad Rh. , 1703, in 16.0
Lens , Costume , ou essai sur l'habillement et les usages de plus, peupi.
de l'antiquité, prouvé par les monumens. Liège , 1776, in 4.0
Lessing , Laoocoon sur la peinture et la poésie , trad. de l'Allem. Paris 0
1802 , in 8.°
Lipsius Justus, Opéra omnia. Antuerp. , 1692 , vol. 4 , in fol.°
Lomeyerus, De lustrationibus veterum gentilium. Ultra/. , 1681, in 4.*
Lydius, De re militari. Dordr. , 1698, in 4.0
Malliot. Recherches sur les costumes, etc. des anc. peuples etc. Paris,
Didot l'aine j 1804, vol. 3 , in 4.0
Mariette, Des pierres gravées. Paris , i75o , vol. 2, in fol.°
Marmora oxoniensia , gr. lat. Oxon , i763 , in fol.0
Martin , Explication de divers monumens singuliers etc. Paris, 1739 , in 4.e
Europe. Vol. I, 5
34 Catalogue des Ouvrages
Meibomius , Antiquae musicae auctores , gr. lat. Amstel. , i652 , vol. 2 , m 4*
Meiners , Histoire etc. des arts dans la Grèce , trad. de l'Allem. Paris ,
vol. 5, in 8.°
Mémoires de l'académie des inscriptions et belles lettres. Paris , 1717,, etc.
Meursius, Graecia feriata. Liigd. Bat., i6i5, in 4.0 Graecia ludibunda.
Ibid. , 1625 , in 8.°
Millingen, Peintures antiq. et inédites de vases Grées etc. Rome , i8i3,

in fol.0
Mionnet. Description de médailles antiq. gr. etc. Paris, i8i6-i3, vol. 6, in 8.®
Montfaucon , Antiquité expliquée. Paris , 1719, vol. i5, in fol.*
Paleographia graeca. Paris , 1708, in fol.0
Montesquieu, Ses oeuvres. Amsb. , 1768, vol. 3, in 4.0
Musée Napoléon etc. Paris , 1804 , et suiv. in 4.0
Nicolai , De graecorum luctu. Thielae, 1697, in 16. °
Noël, Dictionnaire mythologique. Paris } an IX., vol. 2, in 8.*
Nonni Dionysiaca , gr. lat. Hanoviae , 1610 , in 8.°
Orphaei Omnia quae extant , cur. God. Hermanno , gr. lat. Lips. , i8o5 ,

Paciaudus,° De athletis Graecorum. Romae , 1766, in 4.0


in 8.
Palmerius , Graeciae descriptio. Lug. Bat., 1678, in 4.0
Passerius Nov. Thés, gemmarum. Piomae , 1781 , vol. 5, in fol.0
Pausanias, Graeciae descriptio, cur. Jo. Fr. Facio, gr. lat. Lips. , 1794,
vol. 4, in 8.°
Paw , Recherches philosophiq. sur les Grecs. Berlin } 1788 , vol. 2, in 8.°
Picard, Bern. Cérémonies et coutumes relig. etc. Amst. , 1723, tom. 5,

vol. 7 , in fol.0
Piranesij 1. B. Antiquités de la grande Grèce, etc. Paris , 1804, in fol. °
Platonis , Opéra , gr. lat. interpr. Mars. Ficino. Franco/. , 1602 , in fol.0
Plinii , Ser. ( Caii ) Historiae natur. cum. notis varior. ex recens. Georg.
Frid. Franzii. Lips. 1778-91, vol. 10, in 8.°
Pluche, Histoire du ciel. Paris , 1739 , vol. 2 , in 12.
Concorde de la Géographie des différens âges. Paris, 1785, in 8."
Plutarco, Le vite etc., volgarizzate da Girol. Pompei. Kerona , 1773,
vol. 5, in 4.0
Polenus , Utriusq. thesauri an tiquitaf. roman, et graecar. etc. Venet. , 1737^
vol. 5 , in fol.0 '•
Polybius , Historiae, cur. Jo. Schweighaeuser , gr. lat. Lips. , 1789, vol. 9,

s um.
Postellus 8.,° De magistratibu Atheniensi Venet., i54i , in 8.°
in , og ia
Potterus Archaeol graeca. Lug. Bat. , 1702, in fol.0
Pouqueville , Voy. en Morée , en Albanie , etc. Paris , 181 5, vol. 3 , in 8.*
Procopii Historiae, gr. lat. Parisiis , 1662, vol. 2 , in fol.°
Quaclrio , Délia storia e délia ragione d' ogni poesia. Bologna e Milano ,
1739-62, tom. 5, vol. 7, in 4.0
sur les Grecs, 35
Quatrèmere,, Le Jupiter Olympien, etc. Paris, i8i5, in fol.0
Quintus Calaber , Praetermissa ab Homero , cur. I. Corn, de Paw. , gr.
lat. Lug. Bat. , i734 , in 8.°
Posthomericorum efvcum observ. Clir. G. Heynii. Argent. 1807 , in 8.°
Rasche , Lexicon univ. rei numariae etc. Lipsiae , 1785-1805, 7 Tom.
vol. 14 , in 8.°
Roccheggiani , Raccolta di 200 Tavole rappres. i costumi etc. , Roma ,
1804^ vol. 2., fol. obi.
Roi ( le ) Ruines de la Grèce. Paris , 1770, tom. 2 , vol. 1 , in fol.0
Roussier , Mémoire sur la musique des anciens. Paris , 1770 , in 4.0
Sabatier , Moeurs,, coutumes et usages des anc. peuples. Paris , 1770 , in 4.0
Saint-Non , Voyage pittoresq. etc. du. Royaume de Naples etc. Paris ,
1781-86 , Tom 4 , en 5 vol. in fol.°
Schlegel , Geograpliia Homerica. Uanov. 1788^ in 8.°
Scrofani , Viaggio in Grecia negli anni 1794 e 95 , vol. 3 , in 8.°
Sonnini, Voyage en GriJce etc. Paris, 1801 , vol. 2 ,,in 8.° et atlas, in 4 -°
Sophoclis Tragoediae , cur. B. Brunckio , gr. lat. Argent., 1776, vol. 2 ,
in 4 °
Spallart , Tableau historiq des costumes etc. , trad. de l'Allem. etc. Metz,
1804-9 , vol. 7 , in 8.° et atlas, etc.
Spon , Recherches curieuses sur Tantiq. Lyon , 1680 , in 4-9
Stosch , Pierres^ antiq. gravées. Amst, , 1724 , in fol.°
Stuard , The antiquities of Athen etc. London , 1761 , in fol.°, trad. aussi
en Français.
Thucididis Historia cum notis etc. , gr. lat. Biponti , 1788 , vol. 6., in 8.°
Tischbein , Recueil de gravures d'après des vases antiques etc. Paris ^
1810 , vol. 4 } i11 fol.°
Figures d'Homère d'après l'antiquitée etc. Metz , 1801 , in fol.°
Valerius Flaccus, Argonauticon , cur J. A. Waguer. Gottingae , i8o5,
vul. 2 , in 8.°
Visconti , Il Museo Pio-Clementino. Roma, 1782 _, vol. 6, in fol.0
Iconographie grecque. Paris } Didot Vaine, i8n , vol. 3 ^ in 4.0
avec atlas.
Visconti , Fil. Aur , e Guattani. Il Museo Chiaramouti. Roma, 1808, in fol.°
Vitruvius , De architectura etc. cur. I. Got Schneider. Lips. , 1808, vol. 4,
in 8.° etc.
Welervol., Voyage d'Italie, de Dalmat.
2 , in 12. de Grèce, etc. La Haye, 172.$,

Winkelmann , Histoire de l'art chez les anciens , etc. avec des notes , etc.
Paris, an XL, 1802, vol 3. in 4.0
Monumenti antichi inediti. Roma, 1767, vol. 1, in fol.°
Young, Wil. The history of Athens. Lond. , 1786 , in 4.3
Xenophontis quae extant omnia , ex edit. Schaeideri et Zeunii , gr. lat.
Edinburg, 181 1 , vol. 10, in 8.°
TOPOGRAPHIE
DE LA GRÈCE.

EiTnoZe -*-jES historiens sont encore partagés d'opinions sur l'étymolc-


de ia Grèce. gie des mots de Grèce et de Grecs. Quoique moins anciens
Egyptiens , les Juifs > les Assyriens et les Chinois , les Grecsque sont les

peut-être de tous les peuples, celui dont le berceau est enveloppé


de plus de nuages, et qui offre le moins de monumens sur son ori-
gine. De grands Empires florissaient déjà en Asie et en Afrique,
que la Grèce était encore sauvage et barbare. C'est par un effet de
cette ignorance absolue sur leurs commenceraens , que les Grecs eux
mêmes se vantaient d'être aW***^, c'est à dire les enfans de la
terre qu'ils habitaient. On trouve dans Pline ( liv. 4 ,
ch. 7 ) que
ce pays prit son nom de Greco, un des Rois de la Thessalie. Qu'il
nous soit permis cependant, de nous écarter en cela du sentiment
de cet écrivain , qui n'est appuyé d'aucunes preuves , et de recher-
cher de plus haut l'étymologie de ce mot. Les noms les pins an-
ciens sous lesquels nous trouvons désignés les Grecs , sont ceux de
Pelasses et d'HéUéniens. M.r De Gèbelin est d'avis, que les premiers
habitans de la Grèce sont venus des contrées boréales 9 ou des ri-
ves du Danube, et qu'ils s'appelaient Pelasges: il ajoute qu'ils don-
nèrent le nom à9 Illyrique , ou de Détroit , à une partie de mer lon-
gue et resserée, et qu'ils appelèrent aussi Illyrie le pays qui s'éten-
dait le long des rivages de cette mer; mais que s'étant avancés
jusqu'au mont Acrocéronien au nord de la Chaonie et de la Thes-
salie où finit ce golphe , ils trouvèrent une mer spacieuse , à la-
quelle ils donnèrent le nom de Rha ou Rhe, qui veut dire, vaste,
immense, d'où se forma le mot Rhaïcus , sous lequel ils désignèrent
la mer, ainsi que la nation qui peuplait ses bords. D'Esichius a con-
servé cette dénomination comme étant , selon lui , celle que les
Grecs eurent dans le principe. Mais comme les lettres linguales ,
L et R^ ajoute M.r de Gébelin, sont ordinairement précédées d'une
lettre gutturale , il est à présumer que le mot Rhaïcus se sera aisé-
\
Topographie de la Grèce. 3j

ment changé en celui de Graicus. Cette conjecture , si elle n'est.


des mieux fondées 3 est au moins très-ingénieuse; et comme l'observe
fort bien M.r Mentelle , elle explique la raison pour laquelle les
peuples compris sous la dénomination de Grecs , furent toujours dis-
tincts des Macédoniens s des Thraces et autres nations Pélasges ,
bien que, selon toutes les apparences, ils ayent eu tous une origine
commune.
L'opinion de Gébelin semble se confirmer par le mot né;ù*,>y<i$, Eymoiot
ou ul\*<ryo< , qui veut dire cicogne , parce qu'à l'exemple de cer- jvV^e
tains oiseaux , ces peuples allaient errans de pays en pays. Ils quit-
tèrent les bords du Danube , attirés sans doute par la douceur du
climat , et par l'abondance des productions que la nature leur of-
frait à mesure qu'ils s'avançait vers les contrées méridionales de
l'Europe. Le même auteur dit encore , que les Pelasses furent aussi
appelés Joniens , du nom àjon leur père, fils de Japhet et petit
fils de lYoè , d'où une partie de la Grèce prit le nom d'/orzie (i).
Il croit voir en outre dans l'histoire de Deucalion et des Argonau-
tes l'emblème de celle de Noé : c'est pourquoi il regarde comme
très-probable, qu9 Hellenus , qui, au dire des Grecs, était fils de
Deucalion , et du nom duquel ils prirent celui d'Helléniens s n'était
autre chose que Jon , père des Joniens ou des Pélasges , et con-
clut que Moyse avait des notions parfaitement exactes sur le sol
et les populations de la Grèce. Le sentiment de Gébelin, quel- deJn la Gn

qu'il soit, diffère peu de celui de Gillies (a) y non plus que des
anciennes traditions, qui font remonter la population de la Grèce
a environ dix huit siècles avant Fére vulgaire: il parait môme,
aux yeux de ceux qui partagent cette opinion , que ces premiers
peuples n'étaient pas aussi sauvages qu'ils ont été représentés par
la plupart des écrivains ; et qu'ils ne tombèrent depuis dans la
plus grossière barbarie , que par suite de quelqu'une de ces gran-
des catastrophes qui ont boulversé à diverses époques toutes les
parties de notre globe , laquelle aura , pour ainsi dire , totalement
défiguré cette contrée , comme nous nous proposons de le démontrer
dans un autre lieu. Nous ne croyons pas pourtant pour cela devoir
adopter entièrement l'hypothèse que nous avons exposée aupara-

(i) Cette opinion parait être aussi celle de Boccart dans ses savantes
recherches sur les racines et l'origine des langues.
(2) Hist. of anc. Greece vol. 1. pag. 3.
Do Topographie

vant; et nous ne l'avons rapportée, que parce qu'elle nous a pan*


]a plus ingénieuse et la plus vraisemblable (i).
D'après toutes ces considérations , et dans la supposition que les
premiers habitans de la Grèce soient venus du Danube } on pour-
rait , suivant le système de Gébelin (a) envisager cette contrée sous
la forme d'un triangle aigu , qui aurait pour base le lit de ce
fleuve au nord, et dont les côtés seraient Y Adriatique et la mer
Ionienne d'une part, et de l'autre Y H elles pont ou détroit de Gal-
lipoli , avec la mer Egée ou Y Archipel. Ce triangle est partagé
en trois grandes bandes ou sections , par diverses chaînes de mon-
tagnes parallèles à la base. L'angle qui lui est opposé se termine
par une péninsule , qui est presqu'eutièrement détachée du reste
du triangle. Telle est l'idée la plus exacte qu'on puisse se for-
mer de la configuration du territoire de la Grèce. On dirait que
la nature l'a ainsi disposé, pour en faire le séjour d'une grande
nation divisée en peuplades différentes , suivant les démarcat ions

Premit
qu'elle même y a établies.
habita Il est probable que les premiers peuples qui se sont fixés en
deiaG.ece. Grèce étaient venus de l'Asie, eu passant Y Hellespont qui n'est
qu'un bras de mer très-étroit. Les bateaux les plus ordinaires pu-
rent leur suffire pour ce passage , car plusieurs siècles après, quinze
mille Bulgares osèrent le traverser à cheval, sans le secours d'au-
cune barque. Arrivées au Danube 3 et ne pouvant s'avancer plus
loin au nord , faute de moyens pour franchir ce fleuve, ces colonies
se dispersèrent le long de F Adriatique , et s'étendirent de proche
en proche jusqu'au bout du triangle. Retranchant maintenant de ce
triangle la Thrace qui ne fit jamais partie de la Grèce , ainsi que
' la G; ce la Macédoine qui ne fut aggrégée à la Grèce proprement dite
générale
que du tems de Philippe, nous aurons pour nouvelle base la chaîne
de l'Olympe qui sépare la Thessalie de la Macédoine , et la Grèce
se trouvera ainsi divisée par la nature même en deux parties , savoir;

(x) Nous ne devons point taire n'ont plus celle du célèbre Lareher
à cet égard , qui est que tout le pays appelé Grèce ou Hellade du tems
d'Hérodote, n'était connu avant la guerre de Troie , et encoi~e long
tems après , que sous le nom des divers peuples qui l'habitaient. Homère
parle bien des Dauniens , des Arglens , des Achéens etc. , mais il ne
désigne jamais sous un même nom tous les Grecs ensemble.
(2) Dict. Etymol. de la Lang. grecq. dise. prél. pag. xxxin.
de la Grèce. 3o,

d'un côté le mont Olympe jusqu'à l'isthme de Corinthe ; et de


l'autre , l'étendue de pays qui se trouve depuis cet isthme jusqu'au
cap le plus méridional de la péninsule, appelé anciennement Tae-
narium Promontorium , et aujourd'hui le Cap Mata-pan.
Cette contrée s'étend depuis le 36.e jusqu'au delà du ^o.e degré 20 Longitude
minutes environ de latitude septentrionale, savoir du mont Olympe et latiaule.

jusqu'à la pointe la plus méridionale de l'île de Gythère > à présent


Cérigo , et depuis le 3o,.e degré moins 3o minutes , jusqu'au 4a-e e*
3o minutes de longitude dans sa plus grande largeur prise oblique-
cl large
ment depuis
, la rivière Achêron , appelée aujourd'hui Uliki , jusqu'au Longue;
cap Sunni, qui est maintenant le cap Colonni. Sa plus grande lon-
gueur peut doue être évaluée à environ 24° milles , et à peu-près
à 200 sa plus grande largeur. Elle forme ainsi deux grandes pé-
ninsules que joint ensemble l'isthme de Corinthe, et qui sont baignées
par le golfe Thermaïco , aujourd'hui golfe de Salonique , par la
mer Egée , par V Archipel , et par la mer Ionienne qui forme l'entrée
de Y Archipel. Le golfe de Corinthe , qui porte encore ce nom ,
sépare l'une de l'autre ces deux péninsules. La Grèce est. le plus
beau séjour qu'il y ait sur la terre, tant à cause du climat qui par Climat
et situation.
sa latitude y est généralement tempéré, et jouit d'un ciel toujours
pur et serein , qu'en raison de sa position au bord de mers parse-
mées d'îles , presque toutes fertiles et agréables.
La Grèce est entrecoupée de montagnes qui déployent diver- Montagne.
ses chaînes du nord au raidi , et partagent tout son territoire en
divers cantons dont quelques-uns ont fort peu d'étendue , et sont
circonscrits dans les limites de quelques-unes des rivières qui sor-
tent de ces différentes chaînes. Plusieurs de ces monts, surtout dans
la Grèce septentrionale , sont très-élevés et cachent presqu'en tout
iems leurs sommets sous des masses de neige et de glace. Tels sont
entre autres; l'Olympe , aujourd'hui mont Lahca^ où les anciens poè-
tes placèrent le séjour de leurs divinités fabuleuses; et le Parnasse ,
appelé maintenant Japora , dont la cime se divise en plusieurs pics,
et qui , au dire de Wholer et de Spon , ne le cède point au Mont
Cènis en hauteur (1). La péninsule, au dessus de l'isthme, ne comp-
tait pas moins de vingt quatre de ces monts fameux dans l'anti-
quité. Après YOlympe et le Parnasse , les plus connus étaient ; VOs-
sa , à présent Cassopa , et le Pélion maintenant Petras , qui ne sont

(1) Ghandler , Voy. en Grèce, vol. 3 pag. 35g.


4° Topographie
qu'une ramification de YOlympe , laquelle setend le long des côtes
de l'Archipel ; le Pinde qui est une longue branche de VHcmus 5
autre mont fameux et très-élevé dans la Thrace ou Romanie , au-
jourd'hui mont Argentaro ou Chaîne du monde ; YHélicon ; le Ci-
théron qui forme une chaîne d'occident en orient; le Penthéllque
maintenant Penteli , autrefois renommé par ses marbres ; et YHymé-
£e, à présent mont Sethinos , connu par l'excellence de son miel.
On trouve dans les cartes de Danville et de Laurenberg (i) ces
différentes chaînes parfaitement tracées.
Momagncs D'autres chaînes se présentent encore
du Péloponnèse - l # dans la péninsule
' , au
dessous de L isthme appelé par les anciens Péloponnèse , ou île de
Pélops , héros qui selon la tradition était venu de l'Asie, et conquit
une partie de la Grèce. Strabon lui donne la figure d'une feuille
de platane, parce qu'elle ressemble en effet à une feuille divisée
comme en plusieurs lobes (a). C'est pour la même raison que les mo-
dernes lui ont donné le nom de u<>?i» (Morée), car elle abonde en
une espèce de mûriers dont les feuilles sont partagées en cinq lo-
bes, qui est le nombre des principaux caps du Péloponnèse. Cette
péninsule tient au continent par l'isthme de Corinthe , appelé au-
jourd'hui Hexa-Miliv nom qui dérive du Grec moderne, et veut
dire six milles, qui est précisément l'étendue de sa largeur (3).
On rencontre sur cet isthme les monts Géraniens et les Pierres
Scyronides qui sont une chaîne de rochers. Les chaînes des mon-
tagnes de cette péninsule ont aussi leur direction du nord au midi,
quoi qu'en certains endroits elles jettent des branches qui vont
d'occident en orient , ce qui la partage en divers cantons dont la
nature semble avoir posé elle même les limites. Les plus remarqua-
bles de ces monts sont, Y Acrocorinthe qui s'élève sur l'isthme com-
me un pic ou comme une roche nue 3 le Stymphale à présent mont

(i) Il y a encore en Thessalie des crêtes ou roches fameuses parmi


les Grecs modernes sous le nom de météores. Selon Pouqueville , ch. 28 ,
ces roches forment un canton séparé à la distance d'environ trente milles
de Jannina. On voit sur leurs cimes quelques couvens de Calogers. La
situation de ces lieux escarpés et inaccessibles , fait qu'on ne peut monter
à ces couvens que par des échelles de cordes , ou dans un panier que les
moines tirent à eux au moyen d'une roue.
(2) Strab. Paris etc. 18 12., vol. 3. pag. i3g.
(3) Deux lieues de France.
de la Grèce. 41
Poglyphe^ YErymanthe maintenant Dlmizane , le Parthenius , le.
Ménale , Ylthome , YAnchisius , et le Taygéle aujour d'hui mont
des Maïnottes , qui abonde en toutes sortes de gibier.
Quelques-unes des îles qui avoisinent la Grèce ont aussi des monts Montagne
ou masses de rochers très-élèves^, et ont été célèbres par la beauté
de leurs marbres, telles que Paros , et Antiparos. Cette contrée Miue^
avait en outre des mines de différens métaux , dont on trouve en-
core des vestiges. Thucydide , Xénophon et Strabon font mention
des mines d'argent de l'Attique, et il est dit dans Hérodote que Pe-
sistrate tira beaucoup d'or des sables du Strymon, sur les rives duquel
il y avait , au rapport de Strabon , diverses mines d'or et d'argent.
La petite île de Kimolos a pris le nom d'Argentière que lui ont
donné les modernes, à cause des mines d'argent qui y furent décou-
vertes (r). Certains monts de la Grèce, surtout dans les îles, ne
permettent point de douter que cette partie de la terre n'ait aussi
subi toutes les catastrophes, que l'action des volcans a occasionnées Volcan*.
sur presque toute la surface du globe. On en voit la preuve , non
seulement dans les cratères qu'on apperçoit encore sur plusieurs de
ces monts , et dans les eaux thermales qu'on y trouve , mais encore
dans la quantité des matières volcaniques que renferme entre au-
tres cette dernière île , et qu'on rencontre sur le mont Mosychon
dans celle de Lemnos (a).
Les montagnes de la Grèce donnent naissance à une foule de »„«/« «t-fc*
rivières, dont la plupart sont plus célèbres par ce qu'en ont dit
les Poètes , que par le volume de leurs eaux. Les plus considé-
rables de la péninsule au dessus de l'isthme sont ; Y Achetons D
appelé aujourd'hui Y Jspropotane , qui soit du Pinde, et se jette
dans la mer à l'entrée occidentale du détroit: Homère lui don-
ne le nom de *fU.* ax«x*«s (3) qui veut dire Roi Achetas , ses
eaux étaient autrefois le principe de la fertilité des pays qu'elles
arrosaient ; le Céphisc qui prend sa source dans le mont Oeta , à
présent Banina , et qui après avoir grossi son cours de quelques
autres rivières, va se perdre dans le lac Copaïs '-, maintenant lac de
Topogiia renommé par ses coquilles; et le Penée actuellement Sa-
lampria , qui vient aussi du Pinde , et a son embouchure dans le

(i) Sonnini , Voy. en Gr. tom. 2. pag. 35.


(a) Buttmann. Sur le Vole, de Fîslë de Lemnos,
(5) Lib. XX. v. 194. Iliad.
Europe. VuL, I. g
4a Topographie
golfe Thermaïque •-, ou de Salonique. Dans la péninsule au dessous
de l'isthme, les principales rivières sont; YAlphée aujourd'hui Roféas
qui se jette dans la mer Ionienne , et dont la source n'est pas en-
core bien connue des Géographes; le Crati qui prend sa source
dans une montagne du môme nom, et va se décharger dans le
golfe de Corlnthe , il recevait autrefois les eaux de YJlisson et du
Styx ; et 1''Enrôlas , maintenant Vasïli-Potasmo , ou Fleuve Royal .,
cpi n'est qu'un écoulement de quelques marais , dont le lit est res-
serré entre des bois d'oliviers , et des rochers d'un très-beau mar-
bre ,et qui, après s'être dirigé vers le midi, tombe dans la mer
Ionienne. On trouve encore dans les deux péninsules d'autres riviè-
res . telles que, Yllyssus, le Céphise , YInachus et autres, qui doi-
vent toute leur célébrité aux fictions des poètes , et qui ne sont
que des torrens ou des ruisseaux dont on apperçoit à peine quel-
ques traces, lorsqu'ils ne sont plus alimentés par les pluies ou par
la fonte des neiges (i). Tels sont encore les marais et les lacs.,
excepté pourtant celui de Copa'is que nous venons de citer. Par-
mi ces lacs, on doit néanmoins quelque distinction au Stympha-
lus , aujourd'hui Vulcimis , fameux par ses oiseaux dont la des-
truction fut une des expéditions d'Hercule.
<w. Le sol de la Grèce et de ses îles est composé en grande par-
tie de matière calcaire (a) ; et comme il renferme les espèces les
plus pures de cette substance, telles que les marbres et les pierres
calcinées , aussi bien que les espèces mixtes , comme les terres et les
pierres faciles à entrer en effervescence , il s'ensuit que la Flore
Grecque consiste assez généralement en plantes qui sont propres à
la nature de ce sol, et qui croissent également en d'autres climats,
fiches et fie urs. môme en Italie. De ce nombre sont; Yacanthus carduifolius , acan-
the à feuilles de chardon sauvage ; le chicorium spinosum , la chi-
corée épineuse; la sauge pomif ère ; Y astragale tragacanthe , d'où,
on extrait la gomme à'adragant ; et le cistus ladaniférus , le ciste
ladanifère qui croît particulièrement dans l'île de Crète. Ce der-
zù-bustes. nier est un arbuste reeommandable par l'élégance de sa forme, et
la bonne odeur de la gomme appelée ladanum , qui suinte de ses
feuilles et de ses bourgeons. Voy. la planche 7 } fig. 4- On recueille
cette gomme en frappant la plante avec de petits cordons de cuir

(1) Chandeler, Voy. en Grèce etc.


(2) Pinkerton } vol. III.
.
de la Grèce. /|3

gutour desquels elle s'attache en forme de glu. I/Hélicon est par-


semé à sa base d'herbes de toutes sortes , et de jolis arbustes par-
mi lesquels on distingue Yarbutus andrachne , ou arbuste à pani-
cule. Il est d'un aspect riant et pittoresque , et il est presque tou-
jours couvert de fleurs et de fruits en même tems : Voy. le n.° 5
de la môme planche. Uopuntis , appelé vulgairement aujourd'hui
le figuier d'Inde , abonde dans le territoire d'Jrgos: cette plante
est composée d'articulations ovales et serrées, de la longueur d'un
pied plus ou moins, et d'un pouce de largeur , qui croissent les
unes au dessus des autres, et forment entre elles un tissu comme
une espèce de réseau.
Les arbres les plus communs en Grèce et dans les îles voisi- 4rhrPt,
nés sont, le sapin ordinaire, le pin melése , le cèdre , le chêne à
cochenille, avec les fruits duquel on fesait Técarlate avant que l'ar-
bre de la cochenille fût généralement connu, le chêne appelé
proprement Grec qu'on trouve aussi répandu en Italie, le platane
d'orient , le sycomore, le mûrier , le cyprès, le laurier et autres.
Parmi les arbres fruitiers les plus nombreux sont , les oliviers dont
il y a des forêts entières, le myrte à larges feuilles , le myrte com-
mun, l'oranger , le figuier « la vigne, le grenadier, le noyer, le
cerisier et le chaiaigner. La palmier et autres plantes qu'on voit
figurées, dans les anciens monumens de la Grèce, sont aujourd'hui
fort rares dans cette contrée.

Le régne animal n'y offre que très-peu de particularités : les A***™


quadrupèdes, les oiseaux et les insectes y sont à peu près les
mêmes que dans toutes les autres parties méridionales de l'Europe.
Certains cantons de la Grèce étaient renommés par la beauté et le
grand nombre des chevaux qu'ils produisaient, ce qui avait fait don-
ner à ces cantons le surnom de i**»»ittiTts , qui veut dire amateurs
de chevaux. Le jakal animal féroce et vorace se fait voir quelque-
fois en Grèce : on y trouve aussi des loups , des ours et des renards-
Parmi les quadrupèdes dont on se sert, ou qui sont de quelqu'uti-
lité à l'homme 3 les plus communs sont, le bufle, le bœuf, le cerf,
le chevreuil , le mouton , le lapin , la belette , le lièvre , et des
cJiiens de presque toutes les races.
La Grèce nourrit en outre une quantité de volatiles sauvages Vo^Vn-
et domestiques de toutes les espèces. 11 y a aux environs de M égare
une espèce de poule singulière, que Chandler(i) croit très-ancienne

(i) Chandeler, Tom. III. pag. 455, et suiv.


44 Topographie
dans ce pays, mais qui est particulière à la Perse et à la Virginie;
on lui a donné îe nom moderne de Cu-nu , parce qu'elle est sans
croupion , et manque par conséquent des plumes qui devraient for-
mer sa queue. Les Grecs avaient un autre oiseau célèbre parmi
eux qu'ils appelaient Porphyrion , et dont font mention Aristote,
Diodore de Sicile et autres : étranger à leur sol , ils le fesaient
venir de la Lybie et des îles Baléares: il fesait l'ornement des
palais et des temples où on le laissait errer librement comme un
hôte digne de ces lieux, par la noblesse de son port 3 la douceur
de son naturel , et la beauté de son plumage. Voy. la planche 8
fig. 3. Parmi les oiseaux de rapine, le plus remarquable est la
chouette, ou. pour mieux dire le hibou cornu aux ailes noires,
qu'on appelle encore le grand hibou; c'est le même que celui
tf^thZcs. qu'Edward a décrit sous le nom de grand hibou d'Athènes. Voy.
fig. 4- Il a ^a force et la voracité de l'aigle, et ne craint pas,
lorsqu'il est pressé par la faim, d'assaillir les lièvres et même les
agneaux. Ha lier assure avoir vu de ces oiseaux s'attaquer avec des
aigles et en rester vainqueurs (i). Les Epefviers, les Faucons , les
Vautours et autres espèces d'oiseaux de proie sont très-communs
surtout dans les lies (a). Parmi les reptiles on doit distinguer le
serpent d'Epidaure , consacré à Esculape , qui est jaune, fort gros,
facile à apprivoiser et n'est point venimeux: il se défend vigou-
reusement avec sa queue lorsqu'il est attaqué. Voy. la même plan-
che fig. 5.
faissaw. Le peu (\e profondeur des mers qui baignent les cotes cle la
Grèce, les sables et le gravier qui en forment presque par tout îe

(i) Que la chouette dont il s'agit , et connue ordinairement sous le


nom de grand hibou soit réelement le grand hibou d'Athènes , et par con-
séquent la vraie chouette de Pallas , c'est ce qu'il est facile de reconnaî-
tre par la grande ressemblance qu'on observe entre celle-ci , et la chouette
qui est représentée dans les anciens monumens comme l'emblème de cette
déesse, ainsi qu'on peut le voir au n.° 2 de la planche io, copié d'après
les vases d'Hamikon. En effet Démosthénes avait l'habitude de dire que
Minerve Poliade fesait ses délices de trois bêtes affreuses qui étaient , la
chouette, le dragon et le peuple: ce qu'il n'aurait pu dire, si la première
eut été la chouette commune. C'est donc un erreur de la part des artis-
tes , que de représenter Minerve avec la petite chouette , qui est cette
dernière.
(a) Sonnini , Voy. etc. T. II. J>ag. 177.
jgg^
de la Grec è. 45

fond , et la multitude d'Iles et de rochers dont elles sont parse-»


niées , font que leurs eaux fourmillent de poissons de toutes sortes.
La scale , célèbre chez les anciens, est très-commune dans l'Ar-
chipel: elle a les dents larges, de grandes et minces écailles, et
elle est d'une couleur bleue tirant sur le noir , excepté sous le
ventre qui est blanc : elle vit dans les fentes des rochers , et for-
me sdit'on , une espèce de société soumise à un chef qui la gou-
verne. Le Rouget de l'Archipel, appelé par Linnée mullus bar- &>uget.
batus , était aussi en grande réputatiou chez les anciens. Ce poisson
était un morceau friand pour les Romains; leur sensualité allait
même jusqu'à le faire cuire sur la table tout vif et à petit feu
sous des cloches de verre, afin que les conviés pussent jouir du
plaisir de le voir prendre insensiblement une teinte ronge, avant
de le manger. Voy. la planche 8 , fig. 1. Une autre poisson éga-
lement renommé dans ces mers., c'est la Mu rén e , espèce de serpent Murène
de la longueur de 9 à 12 pieds sur un et demi de tour, dont Son-
nini donne la description, et qu'on voit représenté sous le n.° 2.
On l'appela encore serpent de mer, non seulement à cause de sa
forme , de la vivacité et de la sinuosité de ses mouvemens , mais
encore en raison de sa beauté et de la variété des couleurs qui
brillent sur tout son corps. Dans le tems où le luxe fut porté chez
eux au plus haut point , les Romains étaient dans l'usage de tenir-
une quantité de ces poissons dans les réservoirs de leurs jardins ,
et de livrer à leur voracité les esclaves qui avaient commis quelque
faute. Nous nous bornerons à cette courte description de l'histoire
naturelle de la Grèce, car les animaux, les végétaux et autres
productions qui s'y trouvent , se rencontrent également en Italie
et dans les antres contrées du midi de l'Europe.
Mais dans le régne animal , l'espèce qui sous cet heureux Phomm*
climat se montre sous des formes plus belles , et dans un état d'or-
ganisation plus parfait que partout ailleurs , est celle de l'homme.
Il n'y a pas lieu de s'en étonner, si l'on réfléchit que de la tem-
pérature du climat dépendent en grande partie la conformation
du corps humain , ainsi que le développement de ses facultés in-
tellectuelles. M.r de Buffon (1) observe que les Grecs de la partie
septentrionale sont très-blancs, et que ceux de la partie méridio-
nale et des îles ont le teint brun. Il paraîtrait que dans des tems

(t) Vol. XX. Edit. Somnni, pag. s5i«,


■4^ Topographie

très-éloignés rie nous, les habitans de ces contrées étaient d'une


très-haute stature 3 et que par une des conséquences de la civili-
sation et de la mollesse qu'elle introduisit peu-à-peu dans leur ^enre
de vie , leur stature s'est réduite insensiblement à celle des hommes
les mieux conformés. Les bustes et les médailles dés anciens nous
les représentent avec de grands yeux , et des sourcils très-élevés.
On retrouve encore dans les Grecs modernes la même vivacité de

physionomie, avec l'élégance des formes et les belles proportions


de leurs ancêtres (i). « La nature, dit Winkelmann (a)', après
avoir passé par tous les degrés du chaud et du froid, s'est fixée dans
la Grèce comme dans son centre où régne une température moyen-
ne, entre l'hyver et l'été. Plus elle s'approche de ce centre, plus elle
annonce de franchise et de sérénité, et plus ses opérations se ma-
nifestent généralement par des formes gracieuses et spirituelles , par
des traits décidés et caractéristiques. Entourée sans cesse d'un air
pur et serein , tel qu'Euripide décrit le climat d'Athènes , elle
n'est point gênée dans son activité par les brouillards et les vapeurs ;
et portant plutôt le corps à sa maturité , elle s'élève avec force dans
des statures avantageuses, surtout dans la taille des femmes
On ne doit point ajouter foi à ce que disent les scholiastes de la
longueur démesurée des tètes ou des visages des habitans de l'Eu-
bée (3). „ Nous avons représenté à la planche 7 diverses têtes ,
d'après lesquelles on pourra se former quelqu'idée des traits carac-
téristiques de celles des anciens Grecs. Le n.° a est une tête d'As-
pasie , célèbre courtisanne de Milet, qui sut s'élever au point de
régir avec Périclés les destins d'Athènes. La fig. 1 est une tête
d'Alcibiade en qui la nature réunit les plus rares talens avec les
plus belles formes. Le docte antiquaire Visconti est d'avis que cette

(t) M.r Dongîas, dans son essai sur les Grecs anciens et modernes,
est d'avis que c'est dans les îles de l'Archipel plutôt que sur le continent,
que le sang de cette nation paraît s'être conservé dans sa plus gande pu-
reté. V. Bib. Britan. Tom. 57 , pag. 479.
(2) Histoire de l'art. Vol. 1 , pag. 317.
(5) Ces observations doivent s'entendre particulièrement du climat
d'Athènes , car on trouve dans les Recherches philosophiques de Paw ,
qu'en divers cantons de la Grèce , l'hyver est très-rigoureux, et l'été brû-
lant. Vol.I, part. \, pag. 84. Les relations de cet écrivain sont confir-
mées à cet égard par les voyageurs modernes. Ponqueville , en parlant de
l'Arcadie , dit qu'en hyver il y tombe beaucoup de neige.
de la Grèce. /^
image n'est point celle du héros dans la fleur de la jeunesse , mais
déjà sur le déclin de l'âge. Ses traits ont bien en effet quelque
chose de noble et môme encore des grâces, mais on y remarque
aussi l'empreinte des chagrins et du malheur. Ces deux têtes sont
prises de l'Iconographie Grecque du même antiquaire. La figure
sous le n.° 3 est encore une tête d'Alcibiade dans sa jeunesse , et
a été dessinée sur une cornaline du cabinet de Fabius Ursin (i).
Nous donnerons en outre dans ce traité , des dessins d'autres monu-
mens , au moyen desquels on pourra encore mieux juger du carac-
tère de la physionomie des anciens Grecs; et nous ferons con-
naître celle des
les tems modernes.Grecs de nos jours, d'après des figures prises dans

Jusqu'ici nous n'avons fait que tracer une esquisse rapide de Description
l'état physique de la Grèce. L'ordre des matières exige maintenant S6°sraphu'1^
que nous disions quelque chose de sa division politique et géogra-
phique. Cette contrée, comme nous l'avons déjà observé, est entre-
coupée de montagnes et de rivières qui la partagent en cantons
distincts et séparés les uns des autres. Nous allons donc examiner
sa géographie sous trois aspects qui sont ; la géographie des tems
héroïques , ou la géographie d'Homère ; la géographie des tems his-
toriques ;et la géographie des colonies.
La géographie d'Homère se trouve dans la seconde partie du Géographie
second livre de l'Iliade, où le poète passe en revue les différens d^ontére-
peuples qui prirent les armes contre Troie. Il n'y est point parlé
des Macédoniens ni des Epirotes ; et les seuls peuples dont il fait
mention sont ceux, de Y Etoile, de la Phocide , de la Béotle , de
la Locride , de l'Argolide, de la Laconie , de la Messénie,de YAr-
cadie , de la Thessalie, des grandes îles de Samos et de Cépha-
lonie, de VEubée , de la Crète, de Rhodes , et des petites îles qui
sont disséminées tant dans la Mer Egée ou l'Archipel , que dans la
mer Ionienne à l'occident du Péloponnèse. Il ne parle point de
VAttique, mais seulement d'Athènes, peut-être parce que les diver-
ses tribus que comprenait ce canton avaient été réunies ensemble
par Thésée, et ne formaient, comme l'observe également M.r Cou-
sin qu'une seule peuplade. Les épithétes dont se sert ce poète cé-
lèbre pour caractériser chaque j)ays et chaque ville , donnent une

(i) Imag. ex Bibl. F. Ifrsini , n°. 4.


4$ Topographie
juste idée de leur situation , de la qualité de leur sol , et de leurs
richesses (i).

Géographie Après la géographie d'Homère il en vient trois autres qui ap-


hhtorùjues. partiennent aux tems historiques ou certains , savoir ; celle de Stra-
bon ,de Pausanias , et de Ptolémée. Notre plan ne nous permettant
pas d'entrer dans le détail des notions contenues dans ces différens
ouvrages , nous nous bornerons , à l'exemple de Chantreau, à présenter
dans le tableau suivant, l'ancienne géographie des Grecs comparée
avec la moderne , d'après les descriptions que nous en ont laissées
ces anciens géographes (a). Nous avons cru à propos de joindre à
ce tableau une carte topographique de l'ancienne Grèce, prise de
l'Atlas de Lesage.

(i) « Le dénombrement des deux armées qu'on lit dans le second livre
de l'Iliade présente la première carte géographique de la Grèce et de la
côte d'Asie , tracée avec une précision admirable. L'ouvrage de Strabon
n'est en partie qu'un commentaire et une apologie de cette carte: et Wood
qui a traversé l'Archipel avec un Homère et un Strabon à la main , ne
cesse d'exalter l'exactitude du poète dans ses descriptions topographiques. »
Cesarotti Raison. Histor. critique sur les œuvres d'Homère I.rc part. 3 l'IL.e sec
(r?) Science de l'Histoire Vol. II. pag. 564.
49

de la Grèce.

TABLEAU
DE LA GÉOGRAPHIE COMPAREE DE LA GRECE.

Division ancienne. Noms modernes peuples Noms anciens Noms modernes


des Pays. qui les des principales villes.
habitaient.
{ Amhracia .... Larta.
Epirus , 1' Epire Basse Albanie .... Molosses . . [Nicopolis Prevesa-Vecchia.
Cynos-Cephalae. ( ruinée )
Pliarsalus .... Farsa.
Thessalia 3 la Thessalie. Sangiakato di Larissa. E,arissa Larissc.
Magne si a . . . . La mie.
Pherae Ienizara
Livadie
• 'Acarnania , Acarnanie , idem . sans villes d'importance.
JEtolia , l'Etolie . . . . Calydon Ai ton.
Locris , la Locride . . . idem Locriens . f Amphissa .... Salone.
\ Naupactus .... Lépante.
Doris } la Doride . . . . idem elle d'importance.
avait quatre petites villes de peu.
Phocis , la Phocide . . . idem Plwcéens De//?//*' (Delphes) Gastri.
( Thebae (Thébes) Striva.
| Cheronaea . . . . ( ruinée )
Boeotia > la Béotie . . . idem ......... Béotiens. < lueuctra idem.
i Platea idem.
[ Aulis idem.
Megaris , la Mégaride idem Megare. Mégare.
idem Athéniens. Marathon .... Mara zona
Athènes.
Attica , l'Attique . . . fAtlienae
Eleusis ...... Lepsine.
Corinthia , Corinthus . .
la Corinthie Corinthe.
Cenchraea . .
Port de Corinthe.
Sicyonia ,
Achaja , la Sicyonie. partie du Duché
l'Achaïe -l de Clarence Achéens Sycion Basilique.
divisée en Achaja
propria autre partie
l'Achaïe , du Duché f Patrae . Patras.
propre . . . de Glarence \ Dymae . Clarence.
[ Egiu m , Vostiza.
Mycenae. . . Argos.
Charia.
Argolis } l'Argolide ... Sacanie Argiens . Epidaurus .. ..
Hermione Cherronesi.
( ruinée )
Nauplia . . . ,
Napoli de Romanie
Laconia 3 la Laconie . Lacedëm oniens, j Sparta .... Misitra.
Tzaconie opartiates . . \ Epidauria . . Malvasia.
Mosseniga.
Messene , la Messénie.
Pylnuacsus Mes.se. n.
Navarino.
Elis, l'Elide autre partie f Elis Belvédère.
du Belvédère < Olympia . . .. .
ia. (Langanizo.
Messen
[ÎIiisa ruinée )
Arcadia , TArcadie Megalopolis .
Arcadiens. . ! Mantinea . , Leontari.
, Goriza.

Tels étaient les pays de l'ancienne Grèce sur le continent. Il faut maintenant y ajouter les îles nom-
breuses répandues dans ses mers, et dont les principales sont; Lesbos , à présent Métélin; Chio ; Samos ;
^oos , actuellement Stanchio ; Pathmos , appelée encore Patino ; YEubée aujourd'hui le Négiepont;
Rhodes -, Chypre ; Corcyre maintenant Corîou , ainsi que plusieurs autres dont on peut voir les noms
ûans la carte géographique sous le n.° 6.
Europe. Vol. /, q
5o Topographie
Colonies
Grecques, Mais, soit par un effet de leur penchant à la nouveauté et
au changement , soit par suite de l'accroissement excessif de leur
population ou de leurs guerres intestines , soit enfin qu'ils fussent
pressés par le besoin d'aller chercher ailleurs des moyens de sub-
sister, comme il était déjà arrivé à d'autres peuples, les Grecs
envoyèrent des colonies , non seulement dans les îles voisines , mais
même jusques sur les côtes de l'Italie, des Gaules, de l'Asie et de
l'Afrique. On raconte qu'avant la guerre de Troie , Iolas neveu
d' Hercule , avait amené de Thébes, ville de Béotie , en Sardaigne une
colonie Grecque , qui y fut assaillie et presqn'entièrement détruite
par les Phéniciens et les Carthaginois (i). Vers la fin de la guerre
de Troie, quelques Athéniens vinrent bâtir la ville d'£7ée dans
l'Asie mineure , presqu'en face de File de Lesbos. Cette ville de-
Colonie
vint dans la suite un port fameux , et l'arsenal de la grande ville
de Doriens.
de Pergame. Les Doriens qui habitaient entre le Parnasse et la
Thessalie , réduits à l'impossibilité de pourvoir aux besoins de leur
nombreuse population . expédièrent une colonie composée d'une
jeunesse choisie, qui alla s'établir, partie dans File de Rhodes,
et partie sur le continent voisin. Cette colonie , à laquelle se réu-
nirent ensuite des Cariens venus de Crète, jetta les fondemens des
villes de Gnide et d'Halicarnasse.
Colonie Mais de toutes les émigrations des Grecs depuis la guerre de
des Eolieus.
Troie , la plus fameuse est celle des Eoliens qui , partis de la
Laconie sous la conduite de Pentlle fils d'Oreste , se rendirent maî-
tres de l'île de Lesbos aujourd'hui Mètèlin , et y bâtirent la célè-
bre ville de Milylène. Guidés par les fils de Pentile , les Eoliens
firent de nouvelles entreprises, et ils construisirent sur le conti-
nent 3 entre la Mysie et la Phrygie, la ville de Cumes ainsi que
plusieurs autres, qui, avec l'île de Lesbos, formèrent ce qu'on ap-
pela depuis YEolie. Après la mort de Codrus dernier Roi d'Athè-
Colonie
nes, environ uSa ans avant l'ère vulgaire 3 sou fils Nélée quitta
des Auidens. Y Attique avec une forte colonie , et vint se fixer sur la côte mari-
time d'une partie de la Lydie. C'est à cette colonie qu'est due la
fondation de plusieurs villes considérables, telles que, Phocée ,
Smyrne , Colophon , Ephcse et Milet. De tons ces divers établisse-
mens réunis , il se forma peu-à-peu une nouvelle Grèce , qui prit le
nom de Grèce Asiatique, et dont voici le tableau.

(i) Pluche Concorde de la Géographie.


de la Grèce. 5i

TABLEAU

DE LA GÉOGRAPHIE COMPAREE DE LA GRECE ASIATIQUE,

Noms anciens. Observations. Noms modernes. Noms


anciens modernes
des principales villes.

Fesait partie de la
Mœsie. Elle fut
appelée Eolie, du
nom des Eoliens
DéPf d , Eloea. .
qui, après la guer- auiourd nui du n Castro.
Eolia, l'Eolide. re de Troie , vin- Gouvernement n; Fokia.
rent du Pélopon- de Kutaieh.
nèse s'établir dans
l'Asie mineure.
L'île de Lesbos
en fesait partie.

Ainsi appelée de
lone, lequel après
avoir établi les/o-
niens dans YAt- Smyrna . :
Clazomenae Smyrne^oulsmir,
Vourla.
tlque , vint avec Appartient au
Gouvernement Theos. . . .
Seagi.
Ulonie. une petite colonie de Kutaieh , Colophon. . Alto-Bosco.
en Asie. Nélée y Phocoea . . Fokia-Vecchia.
Sangiagato
d'Aidinlli.
transporta depuis Aïa-Salouk.
une autre colonie Ephesus . .
plus nombreuse
que
te. la précéden-

Se divisait en Ca-
rie proprement
dite , et en Do-
ride , ainsi appe-
lée des Doriens
Haîicarnassus. BodrouiiiQ,
qui vinrent
établir. Elle prit s'y auxAppartient
à'ASangiakats
idinlli f Mile tus. . . . Milet.
La Carie. Gnidus ....
encore le nom de Gnido.
et de
Pentapole, de ses Myndus . , , Sari-Pietro.
Mentechek.
cinq villes prin-
cipales, dont trois
étaient dans File
de Rhodes qui en
fesait partie.
5a Topographie
Colonies
Grecques Dès les tems les plus reculés 3 des colonies Grecques étaient
en Sic iie.
venues s'établir dans la Sicile. Les plus célèbres sont celles qui
jettèrent les fondemens de Messine et de Syracuse. Messine s'ap-
pelait auparavant Zanclé , nom sicilien qu'elle avait emprunté, selon
Thucydide , de la forme de son port qui ressemblait à une faulx.
Chassés du Péloponnèse par les Spartiates s les Messénierts , aidés
d' Auassila , Messénien lui même et tyran de Reggio, débarquèrent
en Sicile , et s'emparèrent de Zanclé , qui prit depuis lors le nom
de Messana. Cette événement date d'environ 94 ans après la fon-
dation de Rome. Néanmoins la plus considérable de toutes les co-
lonies Grecques qui passèrent dans cette ile , fut celle qu'y con-
duisit Arcade Corinthien , quelques années après la fondation de
Rome , et environ sept siècles et demi avant l'ère vulgaire. Arcade
ayant débusqué les Siciliens de la petite ile à'Ortygie , fit cons-
truire quelques ouvrages autour du lac de Syracus pour en former
un port : ce qui fit donner le nom de Syracuse à la petite ville
que renfermait cette île. Autour de cette ville, Arcade en fit en-
core bâtir quatre autres petites , qui ayant été entourées dans la

Colonies
suite d'une même muraille, prirent ensemble le nom de Syracuse.
Grecques Avant l'établissement de ces colonies en Sicile , d'autres s'é-
eu Italie.
taient déjà fixées dans le midi de l'Italie. Plusieurs des héros Grecs
n'ayant pu rentrer dans leurs domaines à leur retour de la guerre
de Troie , prirent le parti d'aller se chercher une autre patrie ,
et se dispersèrent principalement dans l'Italie méridionale, dont
le climat est à peu-près le même que celui de la Grèce. Le ter-
ritoire qu'ils occupèrent comprenait tous les pays situés entre celui
des Salentins (maintenant la terre d'Otrante), et le détroit', et
on l'appela la Grande Grèce , parce qu'au rapport de Pline (1), il
parut aux Grecs qui s'y étaient réfugiés d'avoir trouvé un pays plu*
vaste , plus beau et plus heureux que celui qu'ils avaient quitté.
Diomtâe et Tdoménée furent les principaux fondateurs de ces co-
lonies. Le premier ayant trouvé ses états dans le plus grand dé-
sordre à son retour du siège de Troie , quitta Argos } et vint avec
Philoctecte et quelques autres chefs s'établir à la pointe de l'Italie.
Effrayé du soulèvement qu'il avait excité parmi ses peuples , en
sacrifiant impitoyablement son propre fils à Neptune, Jdomenée
Roi de Crète se réfugia , avec un bon nombre de sujets qui lui
étaient restés fidèles, sur la côte orientale de cette péninsule, à
peu de distance du golphe de Tarente. Voici également le Ta-
bleau comparé de la Grande Grèce.

(1) Lib. III. c. 5. et 10.


DE LA Gréece. 53
TABLEAU COMPARÉ
DE LA GRANDE GRECE.

Division Peuples
ANCIENS MODERNES
ancienne. Noms modernes. qui l'habi- DES VILLES PRINCIPALES.

Venusia . . Venosa.
Apulia. La Gapitanate.
Dauniens. Cannae . . Cannes.
On croit que c'est là Messapiens. Tarentum . Tarente.
que Dioméde établît
sa colonie , et fonda
la ville de Venusia ,
dont le premier nom
fut viphrodisia , ou la
Ville de Venus. Frè-
re t fait descendre les
Apuliens des Libur- re
|
niens , peuples qui
étaient passés de l'il-
lyrie en Italie environ
seize siècles avant l'ère
vulgaire.
de Bari . . Brutiens. Croton. Crotone.
Brubium. La Terr d'Otrante.
Locri. . Mota di Burzano.
Fréret prétend que le
nom de Brutium dé- Regium Reggio.
rive des mots celti-
ques ber, bret , arbre ,
forêt , parce que ce
pays était ancienne-
ment couvert de forets.

Les deux Galabres. Elea Castello a mare.


a l a b ria. .
C ia Le Lucaniens étaient Lucaniens.
can Sybaris . . . f _ ,
{Lu
Samnices d'origine, et bâtie sur
on croit que leur nom les ruines
dérive de Lucanus , j détruites.
ou de Lucius leur an- de Thurium,
Sybaris
Salentins. Rudiae. . .
cien fondateur , ou ( Villes détruites. )
bien encore du mot Brindes.
Luc ou Lu g , qui, en Calabrais. Brundusium.
langue samnite , veut
dire eau , parce que
leur nouveau pays é-
tait arrosé d'eaux de
toutes parts. La Cala-
bre fut peut-être ainsi
appelée, du mot orien-
tal calab , qui signifie
poix , parce que cette
contrée produit une
quantité de pins dont
on tire la Résine.
^4 Topographie
Colonies
anns les Gaules Mais plusieurs siècles avant l'ère vulgaire, il y avait déjà des
et aiikurs. Grecs établis dans les Gaules, en Chypre et en Afrique. Quelques
marchands Phocéens, cinq cents ans avant la naissance du Christ
vinrent de L'Ionie jusques aux bouches du Rhône, et bâtirent la
ville de Marseille. Environ à la même époque, la Lyhie, province
d'Afrique, voyait déjà fleurir la belle colonie de Cyréne, capitale
de la Cyrénaïque. Teucer , chassé par son père de Salamine, ville et
lie tout près à' Athènes , vint s'établir en Chypre f où il fonda une
nouvelle Salamine , avec d'autres villes s telles qu' Amathonte , Pa-
phos et Tdalion, qui devinrent célèbres dans la suite, par le culte
qu'on y rendait à Venus (1).
Macédoine; Aucune province cependant n'avait encore été réunie à la Grèce
9à'ia Grée* proprement dite, jusqu'au tems de Philippe II le Macédonien. En-
voyé ,quoique fort jeune encore , par son père Amyntas en otage
à Thébes , il y étudia les mœurs Grecques , et conçut dès lors le
projet d'asservir la Grèce entière. A peine monté sur le trône de
Macédoine., toutes ses pensées se tournèrent vers cette entreprise;
et en effet, après une guerre sanglante et des événemens divers,
il parvint, par la victoire qu'il remporta à Chéronée vers l'an 338
avant l'ère vulgaire , à se rendre l'arbitre de toute la Grèce : de-
puis cette époque, les Macédoniens ne furent plus regardés par
les Grecs comme un peuple barbare, et leur pays fit partie inté-
grante de l'empire Grec. La conquête de Philippe, ou la réunion
de la Macédoine à la Grèce , fut consolidée ensuite par la valeur

(1) Il n'est nullement hors de probabilité que le6 Grecs ayent poussé
leurs colonies jusques dans le Nord. Voici ce que rapporte à ce sujet le
docte Lanzi dans son Mémoire sur les vases antiques , pag. 42. « J'en
donne pour preuve une lettre écrite par M.r Luaff Chevalier Moscovite à
M.r Jacques Byres Anglais, qui, il y a peut-être 20 ans, m'en commu-
niqua à Rome un fragment de la teneur suivante : On a trouvé aux en-
virons de Coliran dans une grotte artificielle une inscription en carac-
tères inconnus aux Chinois , aux Tartares et aux Japonais , et qu'on na
vu déchifrer. Un peu plus loin dans la grotte , qui est une galerie de 200
toises j on a découvert deux vases dont l'un était d'argent, d'une forme
parfaitement grecque , avec des bas-reliefs d'un beau travail , et Vautre
était étrusque ; qu'est ce que cela signifie au fond de la Sibérie ? Je
ne suis point éloigné de croire qu'il n'y ait eu jadis par là quelque co-
lonie Grecque, comme il y en eut à Tomes, dont le dialecte conservait
encore du tems d'Ovide quelques restes d'hellénisme, »
de la Grec e. 55

et les exploits do son fils Alexandre. Ce dernier s'étant fait nom-


mer généralissime des troupes, dans une assemblée des villes G ree-
crues qu'il avait convoquée à Corinthe , il prit avec lui l'élite de l'ar-
mée , et secondé par une fortune constamment heureuse , il porta ses
armes victorieuses en Asie et en Afrique; s'empara de la Syrie, de
la Perse, de la Médie et de l'Egypte; et fonda dans les pays
qu'il avait conquis, des colonies et des villes auxquelles il donna
les coutumes et les lois de la Grèce. Après sa mort, qui arriva à
Babylone, ses Généraux se partagèrent ses conquêtes, et avec eux
commencèrent les nouvelles dynasties des Antiochiens , des Séleuci-
des 3 des Ptolérhées , et autres Princes, tant en Perse , qu'en Svrie
et en Egypte. Depuis lors, le costume des principales villes de Concrètes
l'Afrique et de l'Asie fut presqu'entièrement Grec. Ainsi tout ce *Akxa"d:e-
que nous dirons par la suite de celui de la Grèce proprement dite,
devra s'entendre aussi, non seulement des colonies Grecques, mais
encore des divers contrées de l'Asie et de l'Afrique qui furent
subjugées par Alexandre.
Il nous reste maintenant à dire quelque chose de la population depopulation
la Gr
de la Grèce tant ancienne que moderne. Quant à la première, les
auteurs même les plus renommés présentent d'étranges contradic-
tions. Quelques-uns d'entre eux donnent cà la Grèce une popula-
tion en quelque sorte innombrable; d'autres la réduisent au point
que leurs calculs sont démentis par les faits seuls. Cette question
difficile ne pourrait donc être décidée que d'après l'autorité des
monumens; car si le témoignage des écrivains nous parait quelque-
fois justement suspect , il n'en est pas ainsi des monumens , dont
la vérité parle aux yeux. Les Pyramides de l'Egypte attestent
d'une manière évidente l'immense population de ce pays dans des
tems reculés. Le Colysée , où cent mille hommes pouvaient as-
sister aux spectacles à Rome, nous donne une idée bien plus posi-
tive de l'étonnante population de cette ville, que toutes les relations
qui traitent de la puissance Romaine. Mais on ne rencontre point
dans la Grèce de ces monumens gigantesques , et il ne parait pas
que les villes, même les plus considérables et les plus florissantes,
y fussent d'une étendue à contenir un nombre d'habitans aussi pro-
digieux. Athènes était sans contredit la ville la plus grande de
toute la Grèce, et n'avait de rivale que Sparte, du tems de Thu-
cydide. Mais qui est ce qui voudra ajouter foi au rapport d'Athé-
née qui assure , que la première de ces deux villes comptait dans
56 Topographie
ses murs vingt un mille cytoyens (i), dix mille étrangers, et qua-
tre cent mille esclaves? Jamais les productions du sol de TAt-
tique, déjà peu fertile par lui même, ni les approvisionnemens
que le commerce maritime pouvait tirer du dehors, n'auraient pu
suffire aux besoins d'une pareille population 3 surtout à l'époque où
Athènes était le siège de la délicatesse , du luxe et de la magni-
ficence. Aussi a-t-on lieu de présumer qu'Athénée a mis par erreur
un chiffre de trop, au moins dans le nombre qui représente cette
multitude d'esclaves. Pausanias,, en parlant de la loi Achéenne
qui concernait tout le Péloponnèse , dit que tous les Achéens en
état de porter les armes , y compris même un grand nombre d'es-
claves qui avaient obtenu la liberté, ne formaient pas plus de quinze
mille hommes. Diodore de Sicile assure que tous les Etoliens pro-
pres au service militaire, du tems d'Antipater, ne fesaient que dix
mille combattans. Or on peut poser en fait, d'après ces données , que
l'ancienne Grèce proprement dite, contenait, dans son plus grand
lustre, neuf cent vingt mille habitans libres, et quatre cent soi-
xante mille esclaves ; et que par conséquent toute sa population
pouvait s'élever à environ un million et trois cent quatre vingt mille
habitans , nombre qui n'excède guères celle de la Grèce moder-
ne (a), d'après ce qu'en ont écrit les voyageurs, et comme nous
le verrons en son lieu.
Dans cette description topographique de la Grèce, nous n'avons
remarqué que les choses les plus importantes , notre but n'étant pas
d'entrer dans un examen plus détaillé de tout ce qui concerne
l'histoire naturelle, la statistique, et enfin la géographie de cette
contrée. Nous avons cependant indiqué les sources ou nous avons
puisé, pour l'utilité de ceux de nos lecteurs qui voudraient acqué-
rir des connaissances plus étendues sur ces différentes matières , et

(i) Par citoyens on doit entendre, selon le témoignage des plus


doctes écrivains , les hommes libres , et propres à porter les armes.
(2) Quant à l'acienne population de la Grèce , on peut lire le Dis-
cours de David Hume sur la population des nations anciennes. L'auteur
y traite la question avec beaucoup d'érudition , et avec la plus fine cri-
tique. On peut lire encore l'Essai de F. S. Nortli Dongias , au sujet de
quelques points de ressemblance entre les Grecs anciens et modernes
(Londres, i8i3 in 8.°). Ce serait trop nous écarter de notre objet, que
de nous arrêter plus long tems sur cette question. Nous aurons néanmoins
occasion d'en parler ailleurs.
de la Grèce. 5?

nous nous réservons de leur donner d'autres renseignemens à ce


sujet., surtout lorsque nous aurons à parler de l'agriculture. En at-
tendant, nous avons cru de faire une chose qui leur serait agréable,
que de leur présenter ^ à la planche 9, une vue d'Athènes, telle
qu'elle se montre aujourd'hui aux voyageurs (1). On jugera aisé-
ment ,d'après cette vue , de l'état ou se trouve actuellement , non
seulement cette ville jadis si célèbre , mais encore la Grèce en-
tière ;et les artistes y trouveront un modèle à suivre , dans toutes
les imitations qu'ils auraient à faire, d'un sol et d'un horison sem-
blables àceux de la Grèce. On voit sur un rocher la citadelle
anciennement appelée par les habitans Acropolis , qui veut dire
ville haute, et était ainsi distinguée d'Athènes, ou de la ville
basse: on la regardait comme le lieu le plus sacré de la ville ,
et elle renfermait les plus beaux temples, ainsi que le trésor et
les archives de l'Etat. Elle sert encore à présent de forteresse;
mais elle ne conserve presque plus rien de son état primitif, ni de
son ancienne magnificence. Les murs , ainsi que les édifices , en sont
construits, en plusieurs endroits, avec des fragmens de colonnes , de
corniches et autres morceaux de sculpture , dont le bizarre assem-
blage offre l'image déplorable de la barbarie et de la destruction.
Vers le" milieu s'élève le Parthénon , ou temple de Minerve : entre
une tour moderne qui sert aujourd'hui de prison , et un bâtiment
carré qui est un magazin militaire, on retrouve des restes des cé-
lèbres Propylées , ou des portes d'Acropoîis , qui étaient des arcs
magnifiques consacrés à Mercure. A quelque distance de la cita-
delle, du côté de l'occident, est le mont Anchesme 3 au haut duquel
est bâtie une petite église dédiée à Saint Georges, sur les ruines
même du temple de Jupiter Anchesmien : au pied du mont, et près
du mur de circonvallation on apperçoit un tombeau Turc : à l'orient,
et sur le même plan qu5 Acropolis, mais hors des murs, on découvre
une colonne qui était surmontée anciennement d'un grand trépied :
plus bas en gagnant la plaine , on voit les ruines du théâtre de
Bacchus. Les colonnes d'ordre corinthien qui paraissent dans la cam-
pagne sont des restes gigantesques du temple de Jupiter Olympien ;
derrière s'élève l'arc d'Adrien; entre cet arc et la colline se trouve
l'Athènes moderne , et on découvre au fond une partie du mont
ffymète.
(1) V. Stuart. Antiq. of 'Athènes. Vol. II.
JEwope. Vol. I. g
COSTUME DE LA GRÈCE
TEMS MYTHOLOGIQUES OU FABULEUX.

Ancien
coutume
.Il n'est x
personne qui
L
ne sache1 aujourd'hui
i •
, que les peuples de•
propre de tous tous les pays ont eu plus ou moins , dans le principe, un costume qui
leur a été commun , et dont la nature et le besoin leur ont donné
les premières leçons. Des herbes, des racines et des fruits formaient
leur unique nourriture ; ils cherchaient dans des grottes , dans des
cavernes , dans des troncs d'arbres , un abri contre l'intempérie des
saisons 3 et un asile contre la fureur des bêtes féroces; le soupçon,
la vengeance et la crainte étaient les principaux mobiles de leurs
actions. Ainsi l'histoire des commencemens d'une nation, est,, pour
ceux qui ne recherchent ni les dates, ni les noms, celle de toutes
les autres à leur berceau (i). On peut donc se figurer, que le cos-
tume des premiers habitans de la Grèce , aura été à peu près le
môme, que celui des peuples les plus sauvages de l'Afrique et de
l'Amérique. Malgré les soins continuels qu'exigeait leur conserva-
tion ,et le besoin où ils étaient de lutter sans cesse contre une na-
ture ingrate et barbare , ils auront néanmoins conservé comme ces
derniers quelques idées confuses de religion , qu'ils auront reçues
idées par tradition de leurs premiers pères. Les Pélasges, qui étaient les
A''auiï}efs plus anciens peuples de la Grèce , avaient , au dire d'Hérodote ,
de leursDœux. ^ notions de quelques divinités ; mais ils ne savaient pas encore
les distinguer par des noms propres. Leurs connaissances à cet égard
se seront bornées à savoir, qu'il y avait des êtres dont la puissance
gouvernait toutes choses. La première révolution qui s'opéra chez
les Grecs , ou leur passage de l'état de barbarie à l'état social ,
est dû , selon le même auteur , aux colonies étrangères , et par-
ticulièrement àcelles venues de l'Egypte. Ce fut d'elles qu'ils ap-
prirent àdistinguer les dieux du premier et du second ordre , et
à fonder des lois , des coutumes et des institutions sur des princi-
pes raisonnes de religion. Il résulte donc du témoignage de cet
écrivain, qu'avant l'arrivée de ces colonies, les Grecs avaient déjà
quelqu'idée passable de l'être suprême; et que par conséquent ce

{i) Batteux Hist. des causes premières , pag. 88.


Costume de la Grèce. 5o,
sont les opinions de ces mêmes étrangers , qui les ont égarés en
matière de religion.
L'établissement de ces colonies serait donc l'époque, d'où de- La Grèce
Vf aient commencer nos recherches sur le costume des Grecs. Mais cZT'Homè%.e
que peut'on dire de ces tems éloignés dont il ne nous est resté au-
cun monument ? La raison veut , qu'à défaut de cette ressource 9.
nous ayons recours aux plus anciens historiens , dont les écrits sont
parvenus jusqu'à nous. Or, combien de siècles n'ont pas dû s'écouler
depuis l'arrivée de ces colonies, jusqu'au siècle d'Hésiode et d'Ho-
mère ,qui sont les plus anciens écrivains de la Grèce ? Quelles étaient
les opinions, les lois et les coutumes des Grecs dans ces siècles re-
culés? Si nous consultons les œuvres d'Homère, d'Hésiode, et au-
tres poètes ou historiens de l'antiquité 3 nous n'y voyons que le
cahos informe de la mythologie. IL est bien vrai que ces écri-
vains n'ont dû faire autre chose , que de recueillir dans leurs ouvra-
ges les traditions populaires , surtout en ce qui avait rapport à
la religion , dont l'influence fut toujours si puissante sur l'esprit
des peuples doués d'une imagination vive et prompte , tels que
l'étaient les Grecs. Nous considérerons donc cette époque, anté-
rieure au siècle d'Hésiode et d'Homère s comme celle des tems
mythologique et fabuleux; et prenant pour guides les auteurs les
plus renommés, nous allons chercher si, parmi les nuages épais qui
couvrent ces tems éloignés ^ il est possible de découvrir quelque trait
de lumière, à la faveur duquel nous puissions reconnaître quelques
faits d'une vérité non équivoque. Malgré que les traditions qui nous en
sont parvenues soient d'une origine très-obscure, et ne nous offrent
presqu'aucun caractère d'authenticité , elles ne sont cependant pas
pour cela tout-à-fait dépourvues d'un certain degré de probabilité :
car si les écrits dans lesquels elles sont rapportées, ne sont point
réeîement des auteurs dont ils portent les noms , elles n'en doivent pas
moins passer pour très-anciennes , puisqu'elles sont données pour tel-
les par des auteurs qui sont eux mêmes de la plus haute antiquité.
Et quand elles seraient encore, comme l'observe M.r Batteux , d'une Cherche*
date plus récente, elles seraient toujours d'une grande autorité, ™m£Ê£&.
comme étant composées de matériaux appartenans à des tems très-
reculés (j). Hésiode et Homère nous font voir dans leurs œuvres

(i) Hist. des caus. premier, pag. 97. Cet auteur ajoute que ceux qui
regardent comme supposés les hymnes d'Orphée , les attribuent à un cer-
"6o Costume
le système de la mythologie déjà solidement établi. Ils y exposent
les choses telles qu'ils les ont trouvées , et telles cju' elles étaient
crues de leur nation, ensorte que leur autorité pourrait suffire en
quelque manière à la partie historique de nos recherches ; mais
comme la partie philosophique exige que nous remontions à une
époque plus éloignée , nous aurons recours aux conjectures , pour
découvrir l'origine de la mythologie et du polythéisme , qui ont
eu tant d'empire sur le costume des Grecs.
deMontfaLon ^e célèbre Montfaucon est d'avis, qu'on ne peut dire rien de
positif sur les commencemens de l'idolâtrie , ni déterminer l'épo-
que à laquelle ses différens cultes se sont propagés sur la terre (i).
INembrod passe , aux yeux de quelques-uns , comme le premier .
homme auquel il a été rendu des honneurs divins, et qui, sous les
noms de Bel ou Baal 3 a eu des autels dans tout l'orient. Les pre-
mières idoles dont il est fait mention dans l'histoire sacrée sont
celles de Thare , d'où elles passèrent dans la famille de Laban.
L'auteur que nous venons de citer croit voir une des principales
causes de l'idolâtrie , dans les statues élevées chez divers peuples de
l'antiquité qui n'avaient que de faibles notions de la divinité, à
des hommes qui s'étaient illustrés par de grandes actions,, par quel-
que découverte utile à l'humanité , ou qui s'étaient acquis par leurs
vertus la considération de leurs semblables. Chaque peuple se créeait
Sentiment, deg dieux à sa fantaisie; et comme dit le prophète Isa ïe , du même
bois qui servait à le chauffer, l'homme se lit des statues qui de-
vinrent l'objet de son culte , et dans lesquelles il plaça tonte sa
confiance (a).

desF,T,sZ!ide Quelques écrivains, d'un nom même assez marquant , après avoir
%MJïaBÏiîe employé toute leur sagacité à trouver quelques rapports entre la

tain Onomacrite Athénien , qui vivait 600 ans avant l'ère vulgaire. L'an-
cienneté de cette date n'est pas moins respectable, que ne le serait celle
même d'Orphée.
(1) Montfaucon. & 'Antiquité expliquée. Tom. I. Par. I. pag. XCII.
(2) Isaïas, Chap. 45, i5. L'auteur du livre de la Sagesse indique
comme une des sources de l'idolâtrie la douleur d'un père qui a perdu
son fds par une mort prématurée. Pour se consoler de cette perte , il fait
faire une image de ce fils chéri , et lui rend, au sein de sa famille, des
honneurs qui ne sont dus qu'à la divinité. Ce culte se propage bientôt
du foyer de cette famille dans toute la ville , et d'un dieu privé il se
fait ainsi peu-à-peu une divinité publique.
de la Grèce. 61
Bible et la Mythologie 3 ont prétendu que plusieurs des événement
rapportés dans l'histoire sacrée _, ont. été empruntés de la Mytho-
logie ;et que par conséquent , quelques-uns des Dieux et des Héros
de cette dernière, ne sont que des persounages illustres dont parle
l'ancien testament (i). Par exemple, le Tubalcain de la Cénêse ,
serait, selon eux, le Vulcain des poètes Grecs: opinion des plus
étranges , qui n'est appuyée d'aucune autorité , et ne repose que
sur des simples conjectures (a). Les Juifs formaient une nation trop
méprisée de ses voisins, et trop ignorée des peuples de l'antiquité ,
pour que les Phéniciens 3 les Egyptiens et les Grecs ayent pris
chez elle aucune idée de religion ni de mythologie. Cette nation
était d'ailleurs si jalouse de ses dogmes et de ses cérémonies reli-
gieuses qu'elle
, se fesait un devoir le plus scrupuleux d'en dérober la
connaissance aux étrangers ; et il ne parait pas en effet que les Grecs
en eussent la moindre notion , avant la conquête d'Alexandre (3).
L'abbé Bannier pense (A) qu'on doit regarder la mythologie Opinion
comme un grand et précieux dépôt d evenemens remarquables , ar-
rivés dans les tems les plus reculés , immédiatement après 3e dé-
luge , et rétablissement des enfans de Noè en diverses contrées ; et
il croit fonder son système sur une base solide , en Pétayant de la
doctrine de certains pères de l'Eglise , et de savans écrivains tels
que, Boccard , Vossius , Einsius , le père Tournemine et autres.
Ainsi, c'est avec le plus grand sérieux qu'il parle, du Roi Tems0

(i) Vossius , Seldéne , Boccart et autres ont prétendu expliquer l'ori-


gine et le sens de diverses fictions mythologiques par de savantes re-
cherches sur les racines des langues Hébraïque et Phénicienne.
(2) L'éditeur de Daniel selon la version des septante , ouvrage pu-
blié à Rome en 1772 est aussi de cette opinion. Il va même jusqu'à pré-
tendre qu'Homère a pris plusieurs choses de la. Bible ; et il croit voir la
chute des Anges dans la fable à'Até , Déesse de l'injure lancée hors de
l'Olympe par Jupiter , et l'histoire de Joseph dans celle du Béllerophon.
(5) Dans les premiers siècles du Christianisme , il y en eut encore qui
entreprirent de prouver que les Grecs étaient une nation , non seulement
d'origine récente } mais encore qui tenait des Juifs les principes de sa mo-
rale et de sa législation. On s'imaginait favoriser ainsi la religion Chré-
tienne ,tandis qu'au contraire on l'exposait d'avantage aux attaques de
ces ennemis , en employant des moyens aussi futiles pour la soutenir. Li-
sez Larcher dans son Com. sur Hérodote. Vol. VII , pag. 289 et suiv.
(4) Explication histuriq. des Fables.
6^ Costume
du Prince Ciel , de la Princesse Terre, et des Capitaines Tithon
et Taurus. On voit que tout ce système ne tient qu'à des conjec-
tures vagues et incertaines, et n'est appuyé de l'autorité d'aucun
écrivain de l'antiquité, ensorte qu'on est autorisé à le regarder.
Bien plus comme un jeu de l'imagination , que comme le résultat
de méditations solides et raisonnées.

les divinités De-Pluche


toutesL'ingénieux
deSe'nZke rapporte à l'astronomie l'origine de
anciennes (r). Les premières sociétés, ou pour
mieux dire , les premières familles qui se formèrent après le dé-
luge 3furent instruites par le besoin à observer le cours des astres ,
Je retour des saisons , les chaugemens des vents , et enfin tous les
phénomènes de la nature qui intéressent la vie de l'homme. Quel-
ques-uns de ces phénomènes , ou événemens naturels s étaient pré-
cédés ,ou accompagnés du vol de certains oisseaux , ou d'un autre
aspect de la Lune et du Ciel ; d'autres avaient quelques point de
ressemblance avec des animaux , ou autres objets terrestres déjà
connus. L'inondation du Nil, par exemple, est toujours précédée
de VEpervier , lequel quitte alors la partie septentrionale de ces
contrées , pour s'envoler vers l'Ethyopie , lorsque le vent du nord
pousse vers cette dernière les nuages amoncelés. Ainsi l'image de
cet oiseau à été employée pour indiquer l'approche des déborde-
mens de ce fleuve , et avertir les Egyptiens de retirer de leurs
champs tout ce qu'ils voulaient mettre à l'abri de l'eau. Ils avaient
encore observé , que cette inondation était précédée de même de
l'apparition d'une étoile à Fhorison , un peu avant l'aurore. Le lever
de cet astre était pour eux d'une si grande importance, qu'ils le
prirent pour le commencement de leur année , et en firent dériver
F,gm-es
symboliques ni
de leurs fêtes
la succession t /•!
(a). Or,
religieuses • •
ne point« ler con-
pour t «»i
?&* Egyptiens, londre avec les autres étoiles, ce qui serait sans doute arrive, s ils
l'eussent représenté en peinture , ils trouvèrent à propos de lui
donner une figure, qui eût quelqu'analogie avec le bienfait qu'ils
Cn recevaient. Ils imaginèrent donc de le désigner sous la forme
d'un homme avec une tète de chien , parce que cet animal avertit
par ses aboyemens de l'approche de quelqu'un ; c'est pourquoi ils
donnèrent à cette figure le nom d?Anubis0 qui veut dire l'a boyeur ,

(i) Histoire du Ciel. Vol. I. pag. 3 et suiv. Spectacle de la Nature


Lausanne. 1739., vol. IV. png. 3o6 et suiv,
(a) Porphyr, de NympJiar. antro.
DE LA GrÉC!\ 63

la canicule. Telle fut, selon cet auteur, l'origine de l'écriture ou


des signes symboliques usités en Egypte, et en d'autres contrées de
l'orient. L'utilité de ces signes pour le peuple lui en rendit bientôt
l'intelligence familière ; mais leur usage ne se borna point à l'in-
dication de certains objets pris dans la nature , on s'en servit encore
pour exprimer des notions abstraites de politique et de morale.
Cependant on inventa des caractères alphabétiques , dans la combi-
naison desquels on trouva un moyen plus facile et plus prompt de
communiquer ses pensées, que ne pouvait l'offrir l'usage des signes
symboliques (i). Tous les peuples qui se piquaient de quelque sa-
voir j et par conséquent les Egyptiens avec eux, se hâtèrent d'adop-
ter cette nouvelle invention. Depuis cette époque, l'écriture sym-
bolique cessa d'être cultivée , et ne se vit plus que sur les anciens
monumens : le peuple oublia peu-à-peu leur véritable signification ,
et on finit par regarder ces figures emblématiques , comme des objets
de culte religieux , ou tout ou moins comme des monumens histo-
riques qui attestaient les actions mémorables des anciens héros. La ,symW.ç
superstition , toujours prompte à se glisser parmi le peuple , vint c^pemu!on.
confirmer cette croyance , que la doctrine des prêtres entretint de-
puis avec le plus grand soin. On voit par ce système, que M.r De-
Pluche attribue en grande partie aux Egyptiens l'origine de la My-
thologie. Nous ne disconviendrons pas qu'elle n'ait en effet une de
ses principales sources dans les figures symboliques des Egyptiens;
mais nous ne saurions être entièrement de son avis, sur la manière
de l'expliquer, d'après le sens qu'il lui pîait de donner à ces si-
gnes emblématiques.
Nous ne croyons pas non plus devoir adopter l'opinion de si les colonies
certains écrivains tant anciens que modernes, qui croyent que les f°lVo"'J'?e
Grecs ont emprunté
A des Egyptiens
o- xtoute leur religion.
oSans doute cul!e ';'%"""
eu G-vece.
crue les colonies Egyptiennes 3 en portant dans la Grèce leurs
usages et leurs mœurs , y auront aussi transporté avec eux quelques-
nnes de leurs divinités. Mais d'autres peuples non moins anciens , et
non moins civilisés que les Egyptiens , envoyèrent aussi des colonies
dans cette contrée. C'est pourquoi elle avait des divinités et des
cérémonies religieuses, dont les unes lui étaient venues de la Phé-
nicie , d'autres de l'Etrurie , et beaucoup , comme l'observe Monl-

(i) Ce n'est pas ici le lieu de rechercher quel a été l'inventeur des si-
gnes alphabétiques: nous en parlerons en traitant du costume des Chaldéens.
64 Coutume
faucon (1), avaient pris naissance dans le sein de cette même Grèce ,
dont le génie fut si fécond en fictions de tout genre. Il ne suffit
pas d'appercevoir quelque ressemblance dans le culte des divinités
des nations différentes, pour en conclure aussitôt qu'elles se sont
communiquées leurs idées religieuses : car en raisonnant ainsi , on
pourrait dire également, que les Péruviens et les Mexicains ont pris
aussi leur culte des Egyptiens, ou les Egyptiens des Mexicains et
des Péruviens, parce que les monumens des uns et des autres, pré-
sentent des figures emblématiques du zodiaque, ainsi que de di-
vers objets physiques et moraux , comme on peut le voir dans le
voyage du célèbre Humboldt. D'habiles écrivains ont prétendu trou-
ver effectivement des rapports frappans, entre les divinités Indien-
ConformUé nés, et celles de la Grèce et de Rome (2). Cette conformité, qu'on
le divers
uaiions remarque aussi entre les idoles et les signes symboliques usités chez
des peuples, de costumes bien différens, et séparés par de grandes
distances, ne peut avoir, selon nous, d'autre cause que l'identité
des besoins et des passions qui se font sentir aux hommes , dans des
circonstances semblables. Avec les mêmes facultés physiques et in-
tel ectuel esles
, hommes agiront plus ou moins de la même ma-
nière lorsqu'ils
, y seront déterminés par les mêmes motifs ; et ils
exprimeront leurs idées par des signes, qui seront à peu-près les mê-
mes. C'est pour cela sans doute, que les arts encore au berceau ,
chez les Egyptiens, les Etrusques, les Grecs et les Romains, aussi
bien que chez les Péruviens, les Mexicains, et les Indiens, mon-
trent tant de ressemblance dans leurs productions, surtout en peinture
et en architecture. Aussi le Chevalier Boni a-t-il eu raison de dire ,
que les lois d'après lesquelles l'homme agit? sont 9 à parité de cir-
constancespartout
, les mêmes (3).
Système De tous les systèmes modernes , celui qui a obtenu le plus de
de Dupuis.
crédit, bien qu'il ne soit fondé que sur une simple hypothèse , est
sans contredit le système de Dupuis (4). Ce philosophe établit pour
principe de sa doctrine, que Dieu est l'univers , ou que l'ensemble de
tous les corps est le Dieu universel. Dès que les hommes ont voulu

(1) U antiquité expliqué vol. I. pag. IX. et ailleurs.


(2) Lisez le Mémoire du célèbre Hastings inséré dans les Recherches
.Asiatiques , et Desbrosses Dieux fétiches.
(3) Idole de Fiésolanum , pag. 9.
(4) Origine de tous les Cultes } ou Religion universelle etc.
de la Grèce. 65
raisonner sur la cause de leur être et de leur conservation , ils ont
adoré les divers membres de ce grand corps. Pour que ces membres
lui devinssent sensibles , et offrissent quelqu'attrait à son imagina-
tion l'homme
3 les représenta sous diverses formes, auxquelles il donna
les noms de différentes divinités. Or ces divinités n'étant rien autre
chose que la nature même , ou l'univers , leur histoire sera celle de
la nature; et comme elle ne présente d'autres événemens que les
phénomènes qui lui sont propres , les actions de ces divinités ne
seront que ces mêmes phénomènes exposés allégoriquement. Ainsi
le plus sûr moyen d'expiiquer la Mythologie , est de rapporter
aux effets des causes naturelles , toutes les fictions qui ont pour objet
la divinité. Voilà en quoi consiste le fameux système sur l'origine
des cultes. Il eut aussitôt pour sectateurs zélés, Volney (i), Rabaud
de Saint-Etienne , l'auteur des Fêtes et des Courtisannes de la
Grèce (a), Noël (3) , le rédacteur de la partie Antiquités de l'En-
cyclopédie, et autres. Ce système repose tout entier sur la physique
et l'astronomie.
, , Seloni Dupuis
i ,i • cet
les peuplesi n'ont jamais adoré, LeSoidi,
divinité " 7
"
et n adorent encore dans leurs ditierens cultes , que le soleil 3 ses d^ toutes
attributs, ou les divers rapports que cet astre vivificateur et bien-
fesant a avec tous les, autres corps célestes , et avec la nature entière.
On peut expliquer , dit'il , allégoriquement les exploits des héros du ^
de la fable , par le passage du soleil d'une constellation à l'autre.
Les mouvemens du ciel donnent l'interprétation des histoires d'Her-
cule et à'Osiris: les poèmes de Linus, d'Orphée, et autres poètes
de l'antiquité, ne sont que des allégories, sous lesquelles est figurée
îa nature , mère de tous les êtres.
Fausseté
Nous ne nous permettrons pas d'entrer dans une discussion ap
profondie du système de cet écrivain , pour ne point trop nous écar- de />',
ter de notre sujet. Il a été depuis peu savamment combattu par
M.r Palmieri (4). Nous nous bornerons à faire quelques observa-
tions sur son ensemble. Dabord , on ne peut pas le regarder comme
tout-à-fait nouveau , car ce n'est autre chose que le Panthéisme , on

(i) Les ruines ; ou méditations sur les révolutions des empires,


(2) Mr. Chaussard.
(5) Dictionnaire de la Fable.
(4) Analyse raisonnée des systèmes et des fondemens de l'athéis-
me et de l'incrédulité. Gênes 181 1 et suiv.
Europe. Vol. I. g
66 Costume
le système de Spinosa : ainsi tous les argumens qui ont été dirigés
contre les Panthéistes et les Spinosistes , peuvent être également
employés à le réfuter. L'autorité des écrivains que cite Dupuis , n'est
d'aucun poids dans la thèse qu'il soutient, en ce que leurs disser-
tations ne tendent qu'à prouver , que les anciens , et surtout les Egyp-
tiens ,adoraient les astres. Ces mêmes écrivains sont d'ailleurs d'une
époque bien éloignée des tems, auxquels on veut rapporter les pré-
tendues allégories mythologiques. Nous voulons bien convenir que
dans les tems les plus reculés , les Grecs rendaient peut-être aussi aux
astres un culte religieux , comme l'atteste même Platon ; nous ajou-
terons même que certaines fictions mythologiques, semblent bien avoir
quelques rapports avec l'astronomie, selon l'opinion de Lucien (i);
mais nous nierons toujours qu'on puisse démontrer , que la Mytho-
logie n'est autre chose que le culte de l'univers considéré comme
divinité, et qu'avec ce système on puisse expliquer toute espèce
de théogonie.
Contradictions
entfi
En second lieu : les anciens philosophes se contredisent eux

rZiosofhes. mêmes, lorsqu'ils disputent sur l'origine et la généalogie de leurs


Dieux. Cicéron fa) , en parlant de l'opinion des anciens Grecs ,
dit que Jupiter est la même chose que le Ciel , et il cite à ce
sujet plusieurs passages d'Ennius , des Augures et d'Euripide. Dio-
dore de Sicile affirme au contraire (3), sur la foi de plusieurs au-
teurs de l'antiquité, que Jupiter était «i«^», le souffle qui anime
tout ce qui vit ; et quant aux autres Dieux , il nous en donne une
toute autre idée que Cicéron. On peut donc conclure de cette
étrange diversité d'opinions, qui régne parmi les anciens écrivains
sûr certains sujets de la fable , que ces fictions n'appartiennent
point à l'a Mythologie considérée dans son origine; mais qu'elles
ont été imaginées par ces mêmes écrivains, pour couvrir ce que les
relations fabuleuses avaient de ridicule et d'absurde; et que par
conséquent les idées les plus bizarres et les plus extravagantes à

(i) Lucian. De Astrologia tom. I. pag. 992. Licet potissimum, ex


Homeri poetae Hesiodique carminibus intelligere priscorum fabulas cum
astrologia consentire Nam quaecumque de Veneris et Martis
adulterio dixit , deque detectione haud allunde , quam ex hac sclenUa
Sipnt confecta,
(2) Lib. II De Nat. Deorum.
(3) Liv. I. pag. 10.
de la Grèce. 6*7
cet égard , sont réelement originelles et inhérentes à la Mytho-
logie (1).
Après cette courte exposition des principaux systèmes mytho- inuùihè
logiques , il n'est pas besoin sans doute de beaucoup de raisonne- mtthfiùgiyZa
mens , pour démontrer qu'aucun d'eux ne peut être considéré com-
me la source unique et véritable de l'idolâtrie et du polythéisme,
et bien moins encore comme une doctrine certaine , qui donne la
clef des mystères étranges et infinis de la Mythologie Grecque.
Voici ce que dit Dupais lui même dans sa Préface contre les in-
venteurs de pareils systèmes , sans s'appercevoir que ses réflexions ,
pouvaient s'appliquer au sien propre : « La plupart de ceux qui
ont écrit sur les antiquités religieuses , ne nous ont donné que des
notions fausses ou incomplètes. Ils avaient, avant d'écrire, une opi-
nion faite , et ils n'ont travaillé que pour rassembler des preuves
propres à lui donner quelque vraisemblance. Alors leurs études ,
leurs efforts, n'ont servi qu'à les égarer, en ne leur montrant que
ce qu'ils voulaient voir. Ils avaient déjà un système , et ils ont étu-
dié l'antiquité , afin de trouver de quoi l'établir. „ Ainsi donc ,
tout système de Mythologie , selon l'observation d'un écrivain judi-
cieux ,est comme un lit de Procuste , aux dimensions duquel , à
force de tortures et de mutilations, toutes les différentes interpré-
tations jmême contraires entre elles , doivent s'adapter. A combien Erreurs qui
d'erreurs et d absurdités na pas donné lieu cette espèce de manie,
de vouloir expliquer au hazard tous les mystères de la Mythologie?
Chaque écrivain a prétendu découvrir dans les fictions des anciens,
l'objet qu'il s'était proposé dans ses études. Le Physicien y a vu
des allégories aux secrets de la nature; le politique, les principes
d'un bon gouvernement; le philosophe, la plus belle morale; Fal-
chymiste , tous les secrets de son art: chacun d'eux enfin a regardé
îa Mythologie comme un pays de conquête , où il s'est cru en
droit de faire une incursion , selon ses idées et son propre inté-
rêt (a). Concluons donc , avec le Comte Carli dans son prologue sur
l'Expédition des Jrgonautes , que « c'est afficher un esprit de sys-

(1) C'est avec raison que S. Augustin s'exprimait ainsi contre la doc-
trine de ces philosophes : Sed cum conantur vanissimas fabulas , slve ho~
minum res gesbas velub naturalibus interpretationïbus honorare } alias
homines acubissimi banbas pabluntur angusbias ,ub eorum quoque vaniba-
ùem dolere cogamur. De Civ. Dei. 7. 18.
(2) EncycL mèbhocl. Antiq. Mibologie. Tom. IV. pag. 236.
68 Costume

terne, c'est à dire un art propre à tout expliquer, sans rien en-
seigner ,que de vouloir envisager l'antiquité sous un seul point de
vue, en rapportant tout à l'histoire sacrée, à la morale, ou à la
physique, et en croyant voir partout du mystère. Comment une
seule clef peut'elle nous ouvrir la porte à toute la Mythologie ,
qui est un composé de choses si disparates, inventées, amplifiées
et enseignées par des personnages divers , à des époques et dans des
tems différens ? „

SSaUe Quelle sera donc l'origine de la Mythologie Grecque ? Com-


Mntotgie ment a-t-elIe pu jetter d'aussi profondes racines chez un peuple,
drecçue. dont le génie s'éleva au premier rang dans- les arts et dans les
sciences? Nous ne croyons pas nous tromper eo disant, qu'elle a
eu autant de causes et autant de sources différentes , qu'on en a
vu dans tous les systèmes dont nous venons de parler.
deTcotnics. Pour ce • qui concerne les Grecs dont il s'agit ici, il y a lieu
de croire que leurs premières connaissances en Mythologie leur
auront été apportées par les colonies qui sont venues s'établir chez
eux , ainsi que nous l'avons remarqué plus haut , et comme l'at-
teste également Diodore de Sicile. Réduit encore à des mœurs ru-
des et presque sauvages , n'ayant que le sentiment de ses propres
besoins , et d'autres notions que celles qu'il tenait de ses ancêtres
sur la nature et l'être suprême , doué d'une imagination active ,
entraîné aux passions par tempérament et par Feffet du climat,
ardent pour tout ce qui portait l'empreinte de la nouveauté et
du merveilleux , ce peuple dut accueillir avec transport les leçons
de ses nouveaux hôtes. Les mêmes raisons durent lui faire regarder
ces étrangers comme des êtres extraordinaires , comme des demi-
dieux envoyés par l'être suprême pour réformer ses mœurs , pour
lui enseigner les arts et les sciences , et comme pour le régéné-
rer ; ou comme des enfans de la terre d'une nature immortel ie
et supérieure à la sienne, dont il ignorait l'origine et la patrie.
De là les fables de Prométhée , d'Hercule, d'Apollon, des Titans
et autres semblables. Ne vit'on pas les mêmes choses chez les
Mexicains, les Péruviens et autres peuples de l'Amérique, lors-
que les Européens parurent pour la première fois dans ce conti-
nent; avec cette différence pourtant, que les Grecs ne renoncèrent
point, selon toutes les apparences, aux connaissances qu'ils avaient
déjà, et dont l'amalgame avec les nouvelles idées qui leur furent
communiquées depuis , dut produire un assemblage bizarre de tra-
ditions fabuleuses ?
de la Grèce. 69

Dès les premiers pas qu'ils auront fait dans la civilisation, ^gJ"j»J
les Grecs se seront sans doute montrés jaloux de cette apparence
d'antiquité qu'ils ont ensuite recherchée avec tant d'ardeur; et ils
n'auront certainement rien négligé pour voiler aux yeux de la
postérité l'état de barbarie dans lequel leurs ancêtres vécurent
pendant long tems , sans frein et sans lois , et à la manière des
brutes. Ils auront en conséquence imaginé d'être descendus , dans
les siècles les plus reculés, de héros enfans de ces mêmes Dieux,
qui auront eu commerce avec quelque nymphe , ou mortelle hono-
rée de leurs faveurs. Voilà une autre source de la Mythologie chez
cette nation. De nouvelles circonstances , et par conséquent de nou-
velles fables seront venues successivement fortifier cette opinion ,

qui ne pouvant être transmise par l'art de l'écriture dont l'usage


n'était point encore connu, se sera perpétuée par la voie de la
tradition , où même de quelque monument symbolique.
Plusieurs de ces fables auront peut-être encore pris leur source ign.
des voyageurs.
dans les relations de voyageurs ignorans et souvent menteurs. Pri-
vés des lumières nécessaires pour bien juger des choses , ces voya-
geurs se seront laissés séduire, et auront séduit également, par des
récits exagérés ou peu réfléchis, leurs compatriotes, toujours prêts
comme eux à se passionner pour tout ce qui tenait du merveilleux.
Les fables qui ont été débitées dans les derniers tems par quelques-
uns de nos plus célèbres voyageurs au sujet des géans de la côte des
Palagons? n'ont sans doute pas eu une autre origine. C'est peut-être
d'après les relations de quelque voyageurs , que les champs Elysées
furent placés dans les heureuses contrées de la Bètique. Ajoutons ignorance
à toutes ces causes, l'ignorance des Grecs en fait de navigation, navigation.
Ils ne savaient parler de l'océan que comme d'une immense région
couverte de ténèbres, dans laquelle le soleil se plongeait tous les
soirs avec un fracas épouvantable , pour aller se coucher avec Thétis.
Si quelque vaisseau avait eu l'audace de franchir le détroit qui
sépare l'Italie de la Sicile, le bruit se répandait aussitôt qu'il
s'était trouvé entre deux rochers battus par les flots impétueux, qui
étaient Charybde et Sylla , deux monstres affreux qui engloutis-
saient les navigateurs.
Ce défaut de connaissances en physique , en chronologie et ignorance
eu histoire, dut être pour les Grecs la source d'une infinité de C^Ê/"£'L"'"e,
relations fabuleuses. On attribua à des causes animées une foule e/i7f/îLfJL.
d'effets dont on ne connaissait pas la raison ni le principe. Les
7° Costume
vents furent regardés comme des divinités malfesantes , qui déchaî-
naient les tempêtes sur la terre et sur la mer; et l'arc-en-ciel fut
pris pour une déesse gracieuse, vêtue d'un manteau de diverses
couleurs. Les Grecs n'ayant commencé que fort tard, comme nous
l'avons déjà observé, à faire usage de l'écriture, et à déterminer
les époques principales de leur histoire, ils ne pouvaient guère»
embrasser dans leur mémoire , que les événemens de quatre ou cinq
générations , au delà desquelles ils n'appercevaient plus qu'un la-
byrinte obscur de traditions confuses sur les divinités , de Saturne,
de Jupiter, du ciel et de la terre. Ils inventèrent donc une gé-
néalogie de Rois, de Dieux et de Héros qui n'existèrent jamais;
à mesure que leurs relations s'étendaient avec d'autres peuples, par
la guerre a par le commerce ou autrement , ils transportèrent en
même tems dans leur propre histoire ce qui appartenait à ces peu-
ples ,et en firent ainsi un mélange monstrueux de choses réeles
et imaginaires.

Jaa^TJil. IST°US ne devons Pas n0ïl Plus passer sous silence l'opinion de
M.r d'Hancarville à ce sujet , comme présentant beaucoup de vrai-
semblance (i): « Long tems avant que la peinture, la sculpture , et
l'art d'écrire fussent connus des Grecs, pour rappeler le souvenir
des événemens qui les intéressaient, celui de leurs Héros, et de
leurs Dieux, ils donnèrent les noms des uns et des autres aux ter-
ritoires, aux mers, aux fleuves de leurs pays, aux villes qu'ils
construisirent, aux montagnes , et aux fontaines qui leur parurent
distinguées par quelques singularités. Leur imagination brillante,
et plus encore les fictions de leurs anciens poètes, leur représen-
tèrent ces mêmes objets comme étant protégés par les divinités
dont ils portaient les noms; quelquefois même ils leur attribuèrent
les actions de ces divinités. De pareilles idées ne pouvaient qu'être
accueillies avec transport, par un peuple dont la vanité croissait en
raison des progrès qu'il fesait dans la civilisation. „ Voilà une des
autres sources de la Mythologie. Ainsi , dit encore le même au-
teur, les rochers du mont Sypile d'où sortaient plusieurs fontaines ,
étaient Niobé même entourée de ses enfans, accablée de tristesse,
changée en pierre, et pleurant encore les malheurs de sa famille.
Nous reviendrons sur l'opinion de cet écrivain, lorsque nous aurons
à parler du culte et de la sculpture des Grecs.

(i) Vases d' Hamilton etc. T. III.


de la Grèce. 71
Enfin plusieurs de ces fables peuvent encore être dérivées du Équivoque
dans la
sens équivoque que présentent une foule de mots dans les langue
orientales , et même dans la langue Grecque. Ainsi il est assez vrai-
semblable que
■ quelques poètes auront feint que Venus était sortie
de l'écume de la mer , parce que le mot A'<pPc<r/n , nom que les
Grecs donnaient à cette Déesse , vient de *<p°>s , qui veut dire écu-
me. Il suit donc de toutes ces observations 3 comme nous l'avons déjà
dit, que la Mythologie Grecque n'a pas eu qu'une seule origine,
et que parmi les causes qu'on peut lui assigner, les principales sont;
l'orgueil et la vanité de cette nation; son ignorance dans l'histoire,
dans la chronologie , dans les langues , dans la physique et en géo-
graphie; et les notions diverses qui lui ont été apportées par les
étrangers.
Dans tout ce que nous avons dit jusqu'ici , nous n'avons encore Mfyt&oh idèrëe
envisagé la Mythologie que sous le rapport des recherches philoso- connue partie
phiques auxquelles elle a donné lieu : nous allons la considérer ldslortq
maintenant comme partie historique de ce premier période de la
Grèce. Pour ne point nous engager dans un labyrinthe d'où il nous
serait difficile de sortir s nous ne ferons que marcher sur les traces
d'Hésiode et d'Apollodore. Le premier, au dire d'Hérodote, fut
contemporain d'Homère, et, selon d'autres écrivains, le précéda de
quelques années (r) : ainsi il appartient à la plus haute antiquité. Sa
Théogonie contient toutes les traditions qui étaient le plus en vo-
gue de son tems ; mais il n'y parle guère que de l'histoire des
Dieux , et ne dit que quelques mots des anciens Héros. On trou-
vera,dans le tableau suivant, la généalogie des Dieux suivant le sy-
stème de cet écrivain , et nous croyons qu'il suffira pour donner à
nos lecteurs une idée de la théogonie des Grecs. Nous l'avons pris
de l' Histoire universelle de François Bianchini , ouvrage plein d'é-
rudition dont
, se sont servis avantageusement plusieurs écrivains
ultramontains des plus renommés , surtout ceux qui ont imaginé
les nouvelles théories mythologiques et historiques, et dont les opi-
nions ont été tant vantées par quelques-uns de nos compatriotes,
qui , à la honte de leur patrie , ne se montrent admirateurs outrés
des productions étrangères, que parce qu'ils ignorent les richesses
qui lui sont propres.

(1) Volney, Chronologie des douze siècles etc , e Blair-Tabl. Chrono-


log'ques.
7a Costume
Après Hésiode, Apollodore Athénien a décrit, dans sa Biblio-
thèque les
, actions des Dieux et des Héros ; et on ne peut nier que
la théogonie de cet écrivain ne conserve une espèce de liaison en-
tre les diverses ramifications de la descendance des Titans et des
premières divinités. Mais en avançant, sa narration devient si em-
brouillée et présente tant de lacunes , qu'il serait bien difficile
de trouver un fil pour s'y reconnaître. Le savant Clavier s'est ef-
forcé de remplir ces lacunes , à l'aide de fragmens qu'il a su dé-
couvrir dans divers auteurs de l'antiquité , et son ouvrage a répandu
beaucoup de lumières sur celui de l'historien Grec , qui ne nous est
parvenu que très-imparfait. UHeyne a éclairé l'édition qu'il a faite
du même historien par des tables généalogiques 5 dans lesquelles il
a tâché de classer en diverses souches la génération des Dieux
et des Héros. Mais ce serait trop nous écarter de notre sujet , que
de vouloir exposer ici dans tout son jour la doctrine de ces deux
habiles commentateurs. Ce n'est que dans les Dictionnaires de la,
fable , et autres ouvrages de ce genre , auxquels nous renvoyons nos
lecteurs (i), qu'il faut chercher des notions plus étendues sur la
vie , les aventures , et en général sur l'histoire des Dieux et des
Héros. Nous aurons bien aussi à entrer dans plus de détails à cet
égard , en nous aidant des monumens qui y auront rapport , lorsque
nous en serons à l'article de la religion. Néanmoins pour terminer
cette époque , qu'on peut appeler le premier période du costume
des Grecs , nous joindrons ici le tableau de la dynastie des Rois d'Ar-
gus jusqu'à l'invasion des Héraclides , copié d'après les anciennes théo-
gonies, et rédigé avec la plus grande précision par M.r Palaméde
Carpani notre collègue , pour l'usage de Messieurs les Pages du ci-
devant Royaume d'Italie ; et nous le donnons d'autant plus volon-
tiers, que la ville d'Argos eut pour fondateur Inachus qui amena en
Grèce les premières colonies , et que l'histoire de sa race est plus
féconde qu'aucune autre en événemens fabuleux ou mythologiques.
Après les siècles des Dieux viennent ceux qu'on appelle lierai-
Te"ls. ques dans lesquels on distingue quelques faits historiques , malgré
mythologiques.
les fictions et les absurdités dont ils sont enveloppés (a). Nous re-

(i) Parmi les livres qu'on peut consulter à ce sujets les meilleurs,
selon nous sont ; les Dictionnaires de Millin et de Noël , X Iconographie
de Ripa , les Images de Cartari , et le Dictionnaire de Sabathier.
(2) Toute la Mythologie peut se diviser en deux générations, l'une
des Dieux , et l'autre des Héros. Au commencement: , dit Critias dans-
SUCCESSION DES ROIS

Inachus , venu

Io , Prêtre
ca'die
Jupiter, e
donne 1
selon q
vient et
et seloij
elle est

Epaphus ( ensi

Lil

Egyptus , peut-être Sésostris Roi d'

12 Lyncée., un des
tue Danaùs et 5o
luifils d'Eg]
succède.

i3 Abas é^
et fo

i4 Proetus chassé d'Àrgos par son frère ,

ibie épouse 22 Agamemnon Mené'


phius Roi épouse Hélène
la Phocide. Clytemnestre de T;
\_ veuve
e épouse Electre. de Tantale.

Iphigénie. Electre. 240reste. Henj


par Pyrrl

25 Tisaméne Roi d'Argos , Mycéne et


Europe Vol. I. P»g. 7a.

SUCCESSION DES ROIS D'ARGOS JUSQU'A L'INVASION


>ES HÉRACLIDES
OCÉAN ET THÉTIS.

Inachus, venu de la Phénicie dans le Péloponnèse, fonde Argos


, épouse sel
3 AP]
fille de l'Océan, selon d'autres Isméne , et est ensuite
changé
2 Phoronée Rc
quele.ques-uns Mélisse
fleuv
Io , Prêtresse de Junon , est aimée de Egialée.
Jupiter, poursuivie par lui en Ar-
cadie , est changée en Vache. Elle 1
d'Argos, changé en fleuve.
donne le nom à la mer Jonienne ,
vient en Afrique où elle se marie ,
selon quelques-uns avec Télégon ,
et selon d'autres avec Osiris. Enfin
L
5 Cryasus ou
4 A
elle est adorée sous le nom d'Isis. 6 Phorjws.
Rois d'Argos
Epaphus (ensuite Dieu Apis) épouse Memphis. Triopas.
7
Libye épouse Neptune. > Crotor, Pyrasus.
1 îs. peu connus.
8
Bélus Roi en Afrique.
ni u:
10 Gelai
1
9 Sthéni

Egyptus , peut-être Sésostris Roi d'Egypte.' 1 1 Danaiis chassé d'Afrique enlève


le trône d'Argos à Gélanor.
12 Lyncée, un des 5o fils d'Egyptus , J_
tue Danaùs et lui succède. Hyperméstre , une des 5o Danaïdes ,
J_ sauve son mari Lyncée.

i3 Abas épouse Ocalea. Est Roi sage ,


et fonde Aba en Phocide.

1,4 Prœtus chassé d'Argos par son frère , i5 Acrise épouse Euridice fdle de Lacédémc 1,
va en Lycie près Jo bâtés. Il y épouse 1
Sthénobée, ou Anthèe , ou Antiope.
Danaé et Jupiter en pluie d'or.
Retourne en Argolide , se fait Roi 1
de Tyrinthe. Poursuit Bellérophon. 16 Persée épouse Andromède fille de Ce]
Roi d'Ethyopie, et fonde Mycéne.

Les 5 Prcetides , Mégapenlue


maniaques. Roi de Tyrinte.

JUPITER ET LA NYMPHE PLOTTA. 18 Sthénélus.


17 Electryon successeur de Persée. Alcée épouse Hyppoméde
1 1 ' 1
Tantale Roi de Lydie. Alcméne épouse Amphytrion. Amphytrion
Ravisseur de Ganiméde. 19 Eurysthee
Est aimée de Jupiter st fait Roi de Thébes ,
Fait cuire une épaule de Pélops. Hercule
persécute et est mère d'Hercule. I et tue Electryon.
1 son cousin.
Pélops donne le nom au Péloponnèse.
épouse Hipppdamie.
Erope

Plisthéne 21 Thyeste 20 Atrée Hercule Thébain ,


recommande succède à Atrée , Roi d'Argos femme d'Atrée
ses fils est chassé exclus du trône d'Argos
est tué auquel elle porte
à Atrée. en dot pour le crime d'Amphytrion.
par Egisthe. Epouse JJéjanire.
Agamemnon. le trône d'Argos. Aime Auge , Iole etc.

par
Tantale épouse 23 Egisthe
tue Atrée Télephe fils d'Auge Hyllus ayant envahi le Pélo-
Clytemnestre et d'Hercule ponnèse se retire à caiise de
fille de Tyndare et ensuite devient Roi de Mcesye la peste. Trois ans après il
Ploî de Sparte, Agamemnon: et est blessé par Achille. revient et est tué en duel :
mais il est tué régne à Argos ,
et est tué pour cette raison les Héracli-
par Agamemnon. des ne font plus guerre au Pé-
par Oreste. loponnèse pendant 100 ans.

Anaxibie épouse 22 Agamemnon Ménélas épouse


Strophius Roi Hélène autre fille
I de la Phocide. épouse
Clytemnestre de Tyndare. .
A
?ylade
-
épouse Electre.
veuve
de Tantale.

26 Héraclides envahissent le Péloponnèse.


Iphigenie. Electre. 24 Oreste. Hermione ravie
par Pyrrhus ,épouse d'Oreste. Eurysthee et Proclus ,
Cresfonte Temenus fils d'Aristodême ,
Roi Roi d'Argos. et Puoi de Sparte.
de Mycéne.
a5 Tisaméne Roi d'Argos , Mycéne et Sparte , vaincu par les Héraclide:
Europe. Vol. I. Pag. 72.
» E.

Nérée ^ cinquante Nymphes marines , sa-


Doris J voir , Protée etc. v. 240.
Isis. v. 266.
Thaumantis , Aelio et Occipéte, Harpies.
Ceto > Grées, ou Gorgones, qui sont
Phorcys ' Méduse etc.
24 Fleuves principaux , savoir, le Nil etc. v. 3 38
Trois mille Fleuves moins considérables
41 Nymphes des Fleuves principaux , parmi
lesquelles Stix. v. 35o. mère de

la Force , la Vigueur , la Victoire, le Zélé.


3ooo nymphes des Fleuves moins considérab.
L'ancien Scholiaste de Pindare , XIX.e
Olymp. , dit qu'il y a trente mille Nymphes
e de Jupiter. . Océanitides. N

) Deucalion

XAOS
CHAOS.
"V. 116.
re femme Minerve III.e , on la figure née du cerveau de
fille de Ura- Jupiter même v. 886.
I.e femme. ( Heures.
Eunomie
Justice.
Paix
Parques ( Moïpat ) qui sont Clothon , etc. On les
dit encore filles de l'Ere be et de la Nuit.
u Eurynome III.e f.e les Grâces , Aglaya, Euphrosyne , Thalie»
^ Sat. II ,e f> Proserpine.
d'Ur. IV .e f.e les 9 Muses, v. 917.
de Cœus, VI.e f.e Apollon.
Diane , Apnfiis.
le Sat. VII.e f.e Jeunesse , H/S*.
Mars , Apus.
Lucine , KimIùviu..
Vulcain , ntpctunos.
Atl. VIII.e f.e Mercure , h,.^.
Dionysus ou Bacchus de Sémélé.
Hercule d'Amphytrion.
Europe. Vol. I. Pog. -)i-

GÉNÉALOGIE DES DIEUX D'HÉSIODE.

OCÉAN, a*.'*,.? v. i32. ■>


Nérée
Doris \J cinquante Nymphes
voir , Protée etc. marines,
v. 240. sa-
Thétys. T,«,f. }
)Latone
Astérie, , v.
VI.0410.femme de Jupiter, v. Isis. v. 266.
Thaumantis, Aello et Occipéte, Harpies.
Hécate, ou Rhée. v. 4'8 et 467. Ceto 1 Grées, ou Gorgones, qui sont
(URANUS,
ou Ciel. Rhée , femme de Saturne, v. 467.
I v. 127. (i) Phorcys ' Méduse etc.
Thémis , II.» femme de Jupiter. 24 Fleuves principaux , savoir, le Nil etc. v. 3 38
Mnémosyne , V.° femme de Jupiter. Trois mille Fleuves moins considérables
Phébé. 4>oi/3n. Borée
4i Nymphes des Fleuves principaux , parmi
lesquelles Stix, v. 35o. mère de
ciufese r
SNotetll
Lu
e la Force, la Vigueur, la Victoire, le Zélé.
' Pallas , père de Pallas , V.» Minerv de Cicéron.
3ooo nymphes des Fleuves moins considérab.
L'ancien Scholiaste de Pindare , XI -X."
. Perséis Olymp. , dit qu'il y a trente mille Nymphes
' Atlas - Maïa VIII.0 femme de Jupiter.
v.
e. 37g.I Menezius V. Océanitides. x
J JAPET. unETos , de qui ÎZé phyr
.;.... 1 ... ; } Prométhée ) Deucalion

(j Epiméthée
Thérmére , v. 41 i-etc.
Hypérion , de qui Jone
Brontés , Stérope et Argés , appelés Cyclopes. Thia } Circé. v. 966.
L'Aurore
Le Soleil \ Oetus
£°.ttu,s i Echidna mère de plusieurs 1 *&. et Sphinx La Lune
Gigés > Gérion.
monstres,v. v.3og.
3og. f.° de l ' ' et Cetus.
Electre
i des Ethiopiens. Phaëton. Egiz.
Callirhoe , v. 287. I. Idra , Memnon R<
La héu-
Chimère.
Crysare-Gérion. • Vesta, urh v. 453.
f.e de Neptun.
XAOS Cérés , An/n'rsf v. 4. — Pin ton le riche.
CHAOS, Amour z?°i IV.e femme de Jupiter — Pluton , v. 968.
\ v. 120. Junon Km , VII,8 femme de Jupiter.
v. 116.
AiU , Pluton. • de Métis
f de I.» femme
Métis ,, I.re Minerve III.» , on la figure née du cerveau de
femme
de nus
Thémis , fille
. et IIe de Ura- (
femme.
Jupiter même v. 886.
Heures.
v SATURNE , kîonoz , de qui
1 Eunomie
Justice.
n.«,<f«,. NEPTUNE -- Triton I Parques ( M»7f*. ) qui sont Clothon , etc. On les
Vénus. Aif f »tf/n , III.e femme de Jupiter. I dit encore filles de l'Erébe et de la Nuit.
de Vénus ou Eurynome III.0 f.° les Grâces , Aglaya, Euphrosyne, Thalie.
Tartare - Typhée - Vents umides. de Cérés de Sat. II.» f.e Proserpine.
z,h. JUPITER, de qui naquirent ...... \ de Mnemos d'Ur. IV.0 f.° les 9 Muses, v. 917.
' Le
ETHER
Jour de Cicéron qu'on dit père d'URANUS de Latone de Cœus , VI.0 f.0 Apollon.
Diane , Apnfiis.
\ Paix
I1 Le Destin, v. 210.
La Parca de Junon de Sat. VII.0 f.° Jeunesse , h/3b.
Mars , Aftis.
i La Mort
1 Le Sommeil Vulcain
Lucine , ,■B.i^tlvia.
n<p«.ims-
Erébe. I Momus de Maïa d'Atl. VIII.e f.e Mercure , H>fo.
v ia3. I Le Travail de Séméle Dionysus ou Bacchus de Sémélé.
l Les Héspérides d'Alcméne Hercule d'Amphytrion.
Nuit. J Les Destins Mo7f«<
v. ia3. 1 Les 3 Parques , savoir ; L'Oubli
f Clothon , Lachésis et Atropos. La Fatigue, v. 227.
J Némésis La Peste
f! La
L'Amitié
Fraude La Douleur
La Vieillesse Les Combats
V La Discorde ou Dispute Ef«, de qui Les Massacres
Les Batailles
La Victoire
La Licence et la Perte
Le Serment , ou Orcus ,

La lettre y. indique les vers d'Hésiode.


de la Grèce. 7a
marquerons avec Heyne que ces faits ne remontent pas à plus de
cinq générations avant la guerre de Troie s et que par conséquent
on ne trouve au delà de cette époque, aucun événement qui soit
rapporté par Homère dans le sens de narration historique (1). La anquième «s«
première génération qui précède la prise de Troie est la guerre ""ZVt?*^
Thébaine, à laquelle prit part Tydée père de Dioméde ; la se-
conde est l'expédition des Argonautes; la troisième est celle d'Her-
cule ,de Nelée père de Nestor , et dWnée père de Tidée et de
Méléagre; la quatrième est celle d'Amphytrion et â'Alcméne; et
la cinquième est celle de Persée et de Pélops, l'un et l'autre fils
de Jupiter. Le généalogie de Priant offre également cinq généra-
tions. Car Priam eut pour père Laomédon : celui-ci fut fils à'Ilus,
qui naequit de Troes fils d' Ericthon , lequel eut pour père Dar-
danus fils de Jupiter et d'Electre fille d'Atlas.
Mais parmi ces diverses époques, trois particulièrement sont Epoque
remarquables. La première est l'expédition des Argonautes con- hîZrïqZl.
duits par Jason à la conquête de la toison d'or, environ 79 ans
avant la prise de Troie, et ia63 ans avant l'ère vulgaire (a). La
seconde est la guerre des sept chefs contre Thébes , qui eut lieu
laaS ans avant cette ère (3). La troisième est la prise de Troie,
environ 1184 ans avant la même ère (4). Comme ces trois époques
comprennent les faits les plus marquans dans les fastes de l'an-
cienne Grèce, et qui ont fourni à la poésie et aux beaux arts les
sujets de composition les plus célèbres , nous croyons qu'il importe
de nous y arrêter un peu, afin d'en éclaircir l'histoire par l'exa-
men critique de quelque monument qui y ait rapport,

Platon, les Dieux régnèrent sur la terre dans les lieux qui leur échu-
rent par le sort. Voilà la Théogonie , ou génération des Dieux. Les hom-
mes bons et sages , selon le même Gritias , qui prirent à tâche d'imiter les
Dieux , formèrent VHérogonie , ou génération des Héros.
(1) Hom. Carmina. Tom. VIII. Excursus IV. pag. 83i.
(2) La même année Adraste Roi d'Argos célébra pour la première
fois les jeux Pythiques.
(3) Nous nous sommes servis des Tables chronologiques de Blair
pour déterminer les années de ces époques.
(4) Troie fut incendiée par les Grecs dans la nuit du s3 au 2.4 du
mois de Targelion , qui correspond à celle du n au 12 juin , d'après les
marbres RArondei, 408 ans avant la première Olympiade selon Apollo-
dore. Les marbres & Arondel _, connus encore sous les noms de marbres
Europe. Vol, I, i0
74 CoSTÏÏME

EXPÉDITION DES ARGONAUTES.

fs Argonautes furent ainsi appelés du mot Argos , nom du


aDU'crsite
opinions vaisseau
. qu'ils montèrent pour aller en Colchide à la conquête de
.l'£OS.
su\f mot ^a toison d'or. Apollonius, Diodore de Sicile et autres sont d'avis,
que ce vaisseau prit le nom à' Argus ou à9 Argos , de celui qui en
fut le constructeur. D'autres prétendent que cette dénomination
dérive du mot Grec *n** , qui veut dire vite , léger (i), d'autres
enfin la font dériver d' Argos, nom de la ville où il fut construit (a).
Quelle que soit l'étymologie de ce mot , l'opinion était , que le
même navire avait été fait sur le dessin et sous les auspices de Mi-
nerve , que sa proue était du bois des chênes de la forêt de Do-
clone qui parlaient et rendaient des oracles > et le reste , de bois
coupés sur le mont Pélion. C'est pourquoi on lui avait, encore
donné les noms de sacra , loquax , falidica , ainsi que ceux de
pelia et peliaca.

de Paros et d' Oxford , sont le plus ancien et le plus beau monument


de chronologie qui existe. Ils furent découverts dans file de Paros par
Thomas Petre , que Lord Howard Comte d'Arondel avait envo)ré dans
le Levant, pour y faire l'acquisition des monumens de l'antiquité les plus
précieux , et le dépôt en a été confié à l'Université d'Oxford où ils se
trouvent maintenant. Ils indiquent les époques les plus mémorables de
la Grèce , depuis Cécrops fondateur d'Athènes jusqu'à l'Archonte Dio-
gnéte , ce qui forme une suite de i3i8 ans.
(i) Quidam Argo a celeritate dictarn volunt. Servius. Comm. in IV.
Virg. Eclog.
(2) Quelques-uns s'en tenant aux deux vers rapportés par Cicéron
dans le premier livre de ses Tusculanes , comme étant d'un ancien poëte
latin , ont donné une autre étymologie au mot Argos. Ces vers , qui sont
d'Ennius , sont les suivans :

■Argo } quia Argivi in eà delecti -viri


Vecti _, petebant pellem inauratam arietis.

On regarde néanmoins généralement comme apocriphes , malgré le senti-


ment de Virburge , ces expressions quia Argivi , car dans toutes les édi-
tions d'Ennius on lit ; Argo , qua vecti Argivi delecti viri.
de la Grèce. «5
Le chef de cette expédition fut Jason , et avec lui partirent rw
cinquante deux princes, la fleur des héros de la Grèce. Ils s'em- desArs°"nu
barquèrent à Pagase promontoire de la Magnésie en Thessalie,
passèrent à Lemnos, et de là dans la Samothrace. Après avoir
traversé l'Hellespont et côtoyé l'Asie mineure, ils entrèrent dans
le Pont-Euxin par le détroit des Simplegades (1), et abordèrent à
Aea^ capitale de la Colchide (a). Le but de leur: voyage étant
rempli , ils se rembarquèrent , non sans courir quelques dangers ,
renvinrent presque tous heureusement dans leur patrie. On trouve
dans Apollonius , dans Apollodore, dans Ovide, et dans Valerius
Flaccus (3), des notions détaillées sur cette expédition et sur les
héros qui y prirent part.
On fait ordinairement deux questions au sujet de cette entre- Opinions
prise fameuse. On demande d'abord quelle était la forme du vais- "ïJltZ
seau dont il s'agit. La plupart des écrivains sont d'avis qu'il était Al6"s
long, et ressemblait à nos galères. La construction devait en être
fort simple et même grossière dans ces premiers tems , où l'art de
la navigation était encore dans son enfance ; et en effet le scho-
liaste d'Apollonius rapporte que, selon l'opinion commune, ce
vaisseau fut le premier a qui on donna une forme longue., ou le
premier navire de quelqu'importance et armé en guerre qui parut:
ce qui est encore attesté par Diodore. Pline assure la même chose
sur la foi de Philostéphane (4). Que ce navire ne fût pas d'un vo-
lume bien considérable, c'est ce dont on ne peut guères douter, d'a-
près l'ancienne tradition qui le fait porter sur les épaules même
des Argonautes , depuis les bords du Danube jusqu'à la mer Adria-

(1) Deux îles , ou plutôt deux rochers près le détroit de Constanti-


nople : ils sont si près l'un de l'autre qu'ils semblent se toucher et s'en-
trechoquer ce
; qui a fait imaginer aux poètes , que c'étaient deux monstres
.marins funestes aux navigateurs.
(2) Aujourd'hui Mingrélie , à l'extrémité orientale de la mer Noir,
entre la Circassie , la Géorgie et l'Aladulie.
(5) Lisez sur cette fameuse expédition le X.e tome des œuvres du
Comte Carli. Milan, 1785, Monast. de S. Ambsoise. Ce savant auteur
a traité son sujet en quatre livres , dans lesquels sont éclaircis divers
points sur la Navigation , Y Astronomie , la Chronologie et la Géogra-
phie des anciens.
(4) Longa nave Jasonem primum navigasse , Pkilost-ephanus au*
céor est, Plin. liv. 7. c, 58.
^76 Costume
tique. On croit encore qu'il était de l'espèce de ceux appelés
*T*n*Ml'ft à cinquante rames, comme on peut le conjecturer d'après
certains passages d'Orphée , d'Apollodore , de Pindare et autres.
Médaille où ea On le voit en effet représenté avec des rames , sur une médaille qui
représenté i i t er i i • .. ^ -,
ce navire, se trouve dans le 1. tome des Antiquités Grecques de Gronove ,
de laquelle le Comte Carli a donné une copie dans son ouvrage,
et dont nous présentons l'image à la planche 10, fig. i. La lé-
gende de cette Médaille est Arro MAr-NHTnN , Argos des Magnésiens ,
autre nom des Argonautes , soit parce qu'ils étaient tous de la Ma-
gnésie ,soit parce que Jason était né à Giolchos , ville de cette
contrée , soit enfin parce que le vaisseau avait été construit à Pa-
gase , qui était également une ville et un promontoire de la Ma-
gnésie. Après son expédition , Jason consacra à Neptune son na-
vire , qui fut ensuite transporté au ciel , et mis au nombre des
constellations.
objet On demande en second lieu quel était îe but de cette fameuse
de l'ex édition £ a• •
des Argonautes expédition, et ce qu on doit entendre par la toison d'or. Selon
la tradition mythologique, Athamante fils d'i?oZe, eut de Néphéle
un garçon et une fille appelés Phrysus et Hellê. Néphéle ayant
été métamorphosée en nuage, Athamante épousa Inus ou Jnon.
Cette dernière, dans la vue de se débarasser de ses beaux-fils,
persuada aux femmes de YEoiide de broyer le grain avant de le
semer, en leur promettant de recueillir par ce moyen une mois-
son plus abondante. Ce conseil artificieux fut la cause d'une
horrible famine dans toute la Thessalie. Les prêtres de Delphes
qui avaient déjà été gagnés par Inon , dirent que la famine ne ces-
serait, que quand Néphéle aurait immolé un de ses enfans. Phrysus
fut designé pour être sacrifié. Mais Néphéle , les enveloppa tous les
deux d'un nuage , et les fit monter sur un bélier dont la toison était
d'or, pour les enlever de la Grèce. En traversant la mer Assénienne ,
Hellê tomba clans l'eau et se noya , ce qui fit donner à cette mer
le nom d' Hellespont. Arrivé à Cole , Phrysus sacrifia le bélier à
Mars , épousa Calciope fille â'Hecta Roi de Colchide , et suspen-
dit sa toison à un arbre de la forêt. Or l'expédition des Argo-
nautes avait pour but la conquête de cette toison.
Srsiême Nous ne rapporterons pas ici l'interprétation que Du puis ,
.de Dupuis n _ _ , . rr„ .
a autres. Ptabaud de saint Ltienne, etf i-ii
autres philosophes il'
modernes donnent a
cette histoire en disant, qu'elle est une allégorie des personnages
;et des signes emblématiques du firmament^, qui courent après !.$
de la
Grèce. 77
bélier dans îe zodiaque , lorsque cette constellation revient sur
Hiorison : nous avons vu le cas qu'on doit faire des systèmes de ces
philosophes. Nous nous abstiendrons également de parler des ex-
plications presque ridicules ou puériles qu'on trouve dans Hera-
clite, Palefate, Suidas et autres (i) dont M.r Carli fait mention tZ'Ëusu
dans son ouvrage. D'autres, et particulièrement Eustaze, pensent 0ifl
avec plus de probabilité, que les Argonautes avaient pour objet
dans leur expédition , de rapporter de l'or que les torrens de la Col-
chide roulent avec leurs sables , et qu'on ramasse avec des peaux
de mouton , comme cela se pratique encore en quelques endroits sur
les bords du Rhône et du Rhin. Strabon et Justin semblent confir-

mer l'opinion à°Eustaze. Le premier dit positivement , qu'à l'exem-


ple de Phrysus , les Argonautes allèrent en Coîchide pour s'enri-
chir dans cette riche contrée (a). C'est pour cela aussi que Vale-
;rron ,
ïius Flaccus fait dire à Jason , qu'il allait à Colchos pour s'enri-
chir des dépouilles des Scythes (3). Il y a peut être encore plus
de probabilité dans l'opinion de Varron et de Pline, qui préten- de2?eVa
Pline de.

dent <jue la toison âJor n'était autre chose que la belle laine de
Colchos, et que par conséquent l'expédition des Argonautes ne
doit être considérée que comme une expédition de commerce. Tel
est aussi le sentiment de Le Clerc et antres écrivains distingués,

(i) Heraclite dit que ce mouton était une homme appelé #/»*«*; Ckrios,
qui veut dire aussi Mouton , et qu'on lui donna l'épithéte d'or à cause
de sa fidélité. Palefate croit que ce personnage était le trésorier d'Atha-
mante , lequel avait entre autres choses sous sa garde une statue d'or.
Suidas prétend que ce n'était autre chose qu'un livre couvert d'une peau
de mouton , dans lequel on apprenait à faire de l'or. Bochart s'efforce
d'expliquer toute l'histoire des Argonautes par des conjectures étranges
sur l'étymologie de mots Phéniciens.
(a) Strab. Liv. I.
(3) Liv. IV. Que la Coîchide fût riche autrefois en or et en argent,,
c'est ce qu'on peut déduire de ce passage de Pline : Jam regnaverat in
Colchis Salauces et Esuprobes , qui terrain virginem nactus , plurimum
argentin aurique eruisse dicitur , in suap.te génie, et alioquin i)elleri-
bus inclyto regno. Hist. nat. liv. 53 , chap. 3. Que si cette contrée ne
présente plus aujourd'hui aucuns trésors , on ne doit pas en conclure pour
cela qu'elle n'en renfermait pas avant la guerre de Troie. Combien de
pays jadis renommés par leurs richesses , qui sont à présent pauvres et
misérables? Que de mines d'or, maintenant épuisées , qui jetaient ancien-
nement d'un rapport immense ?

>
7*-* Costume
jNous ne saurions pourtant adopter à cet égard l'opinion d'un au-
teur moderne, qui a prétendu prouver, avec un grand étalage
d'érudition , que la toison d'or indique les draps de soie que Jason
rapporta de la Colchide en Grèce, et que par conséquent les Grecs
eurent, dans les tems reculés, des relations commerciales avec la
Chine (i). Les raisons qu'il donne sont d'un si faible argument.,
l'interprétation qu'il fait de certains passages des auteurs Grecs et
Latins est si arbitraire, et la première connaissance qu'on a eue
de la soie en Europe est si éloignée de Fépoque de l'expédition
des Argonautes ^ qu'il lui sera bien difficile de trouver quelqu'un
de son avis. (a). On peut donc regarder cette expédition comme le
premier voyage qui ait été entrepris pour des intérêts de commer-
ce ; et cette opinion nous parait au moins la plus problable de
toute celles qu'a fait naitre cet événement fameux , qui forme la
première époque des tems héroïques.
d'où doit-on Néanmoins, avant de donner la description d'aucun monument
lesmonumpns relatif à cette époque et à celles qui suivent, nous observerons
eoHcenians les -, -i -■ . , .
tems héroïques, deux choses que nous ne devons point laisser agnorer. La premiè-
re, c'est qu'à défaut de monumens qui appartiennent aux siècles
héroïques, nous serons obligés , non seulement de recourir à des tems
postérieurs, mais encore à sortir quelquefois de la Grèce, pour
rechercher en Italie ceux qui peuvent avoir rapport à l'histoire et
à la Mythologie des Grecs : car après les monumens Egyptiens ,
les plus anciens sont ceux qui ont été trouvés en Etrurie et dans
le Latium. Nous verrons même que le souvenir de certains événe-
mens particuliers à la Grèce, s'est moins conservé dans les ouvra-
ges des Grecs, que dans ceux qui ont été improprement appelés
Vases
improprement
Etrusques. _ .
Et en effet,
. . ,
les,,,«-,
peintures . qui embellissent les vases et
appelés autres objets d antiquité de 1 Etrurie , sont pour la plupart dans
Etrusques. ta * i • ,-,
le goût et représentent des sujets Grecs. « Il semble , dit Winckel-
m&nn (3), que Fart du dessin a été professé chez les Tyrrhéniens,
ou en Etrurie par des Grecs; c'est ce qu'on peut conjecturer de
l'établissement que firent quelques colonies Grecques dans ce pays,
et plus encore du penchant qu'on voit dans les artistes Etrusques
à ne retracer , pour ainsi dire , que des sujets de la fable ou de

(i) Panth. Chin. par Jos. Hager.


(2) Nous reviendrons sur ce sujet à l'article du commerce des Grecs.
(5) Monumens anciens inédits, Rome., 1767 , vol. I. pag. XXVI.
de la Grèce. 7g
l'histoire Grecques dans la plupart de leurs ouvrages. „ Les plus ha-
biles écrivains s'accordent tous sur ce point avec Winckelmann (1).
Nous nous étendrons d'avantage sur ce sujet , lorsque nous traiterons
du costume des anciens Etrusques. On ne sera donc pas surpris, si
lorsque la Grèce ne nous présente aucuns monumens , nous y sup-
pléons par d'autres, pris dans des antiquités Etrusques, et qui sont
analogues à son histoire.
Probabilité*
En second lieu , c'est que malgré que les monumens dont nous du costume
invoquerons le témoignage soient postérieurs aux tems auxquels ils se
représenté
dans
rapportent, ils n'en retracent pas moins fidèlement le costume propre les ancien*
monument
aux personnages qu'ils représentent, et tel qu'il était alors, ou tel
qu'on le croyait avoir été à l'époque où ils furent faits. Il ne
faut pas croire pourtant que dans ces sortes d'ouvrages, les artistes
Grecs ne se permissent point quelque licence, surtout lorsqu'il s'a-
gissait de représenter l'image de leurs Dieux , de leurs héros, ou de
quelqu'autre personnage illustre. Par exemple, leur goût pour le
nu et pour les formes élégantes , leur a fait représenter souvent
leurs généraux et même leurs magistrats sans aucune sorte d'ha-
billement, ou seulement avec quelque draperie jettée autour de
leurs épaules ou de leurs reins. Or, comment est il probable, que
Méléagre soit parti nu pour la chasse, tel qu'il est représenté dans
la statue du Musée de Paris? Achille ne sera sans doute pas in-

(1) Trois choses semblent aujourd'hui évidemment prouvées à l'égard


des Etrusques: i.° que les beaux arts ont été apportés en Etrurie par des
colonies Grecques qui vinrent s'y établir environ trois cent ans avant le
siècle d'Homère ; z.° que la plupart des ouvrages Etrusques représentent:
des sujets tirés de la Mythologie et de l'histoire Grecque , dont on ne
retrouve aucune trace dans les monumens qui nous sont venus de la
Grèce ; 5.° que les peuples de l'Etrurie , selon le témoignage de gens
érudits , jouirent d'une longue paix, pendant laquelle il purent s'appliquer
aux beaux arts qu'ils avaient appris des Grecs , tandis que ceux-ci en proie
à des troubles violens , devaient naturellement être détournés des occu*
pations paisibles. On peut donc regarder justement comme Grecs une grande
partie des monumens Etrusques. V. Winckelmann Histoire de l'art etc.,
et Monumens anciens inédits. Guarnacci , Origines Italiques. Caylus,
Recueil d'antiquités , et plusieurs autres , du nombre desquels sont d'Han-
carville et le savant Heyne dans sa belle Dissertation sur les Etrusques ,
qui a été insérée dans le premier volume page 653. Addition G. de
Winckelmann , Histoire etc. édition de Paris , 1802. Voy. après où il est
question du gouvernement de l'ancienne Grèce.
80 Costume
tervenu au Conseil des Rois, dans l'état de nudité où on îe voit
dans les bas-reliefs du Capitole. Cet état n'aura certainement pas
Lihené été non plus celui de Laocoon
des artistes IjÉs-i-'iiip
offrant un sacrifice à Neptune
Grecs dans maigre qu il soit tel dans le fameux groupe qui le représente. En-
le costume. r j , r -, . , rT1 , .', , n
Un, a après les soins que prend Ulysse échappe du naufrage pour pa-
raître avec décence devant la fille d'Alcinoùs , on ne doit pas pré-
sumer que Jason restât nu à la cour d'Aete ou de Créonte, ni dans
les entretiens qu'il avait avec Médée ou avec Creuse, malgré qu'on
le voye tel dans tous les bas-réliefs où il est représenté. Lisez à
ce sujet la belle Dissertation de M.r Visconti dans la Décade phi-
losophique (1).Il sera néanmoins facile aux artistes, lorsque la
décence et les circonstances l'exigeront, d'habiller ces personnages
sans s'écarter du costume des tems , en leur donnant la forme de
vêtement qui leur est propre , et dont ils trouveront la description
dans cet ouvrage.
Manumens La fig. r de la planche 10 qui représente le vaisseau des Ar-
tle la maison
Albaiii
représentai Jang gonautes, est copiée d'après un bas-rélief eu terre cuite existant
Ja maison
le navire dans la maison de plaisance du Cardinal Albani (2). Le mât qu'il
Argos. porte peut donner une idée des bois du mont Pélion avec lesquels
ce vaisseau fut fabriqué. Argos travaille à sa construction aidé
par Minerve. On croit voir la Déesse arrangeant la voile sur l'an-
tenne. Celui qui l'aide, en soutenant cette voile, est Tiphis le
pilote. La partie du navire à laquelle Argos travaille est sans
doute la poupe, car Pallas l'ayant placée au rang des constella-
tions 3cette partie, ainsi que le mât et la voile, étaient les seules
choses qu'on voyait de ce navire. L'édifice voisin pourrait être le
temple d'Appolon , qui était bâti sur le promontoire de Pagase où
ce vaisseau fut construit (3).
Le n.° 3 de la même planche est pris d'un vase Etrusque de
la belle Collection du Chevalier Hamilton (4). Il représente Mé-
dée qui, pour venger Jason dont Pelias avait fait périr le père et

(1) i5 Floréal, an 12.


(2) V. Winckelmann, Monum, anciens pag. IX. et Origine de V Art.
Tom. I. pag. 29.
(3) Ce bas-relief fut trouvé dans le mur d'une vigne en face de la
porte Latine à Rome , où il était incrusté avec deux autres , et tenait
lieu d'une brique ainsi que divers autres fragmens précieux du même genre,
(4) Peinture des vases antiques } èdit. de Flor. 1800. Vol. I. plan-
che VIII.
î) È là Grèce. 8i
an frère promet aux filles du même Péîias de rajeunir leur père
en le coupant par morceaux qu'elles feraient bouillir ensuite dans
une chaudière, où elle aurait jette une liqueur contenue dans la
coupe qu'on voit dans la main gauche d'une des deux filles.
La planche il est copiée sur une des peintures antiques et Mcdèe et Jason.
inédites des vases de Millingen. Médée, assise au pied d'un arbre,
présente au dragon le breuvage soporifique. Le monstre en ressent
déjà les effets. Jason, profitant du moment heureux qui s'offre à lui ,
s'avance pour le tuer. Près du héros est "Venus qui, à la prière de
Junon avait allumé dans le cœur de Médée une violente passion
pour Jason. La Déesse a l'air d'encourager Médée à l'entreprise ,
et de lui représenter que le moment est favorable pour son exécu-
tion. A côté de Médée est un jeune homme ailé. Ses formes n'ont
tien d'élégant ni d'aimable, et il n'a aucun des attributs de l'A-
mour; son regard annonce les funestes auspices sous lesquels s'est
faite l'union des deux amans, et l'épée qu'il tient dans Pune de ses
mains, fait allusion aux événemens tragiques qui devaient en être
la suite. Millingen croit que cette figure est le mauvais Génie de
Medée , connu sous le nom de ax**™?. Jason porte un casque et
une épée , et n'a pour vêtement qu'une chlamyde autour d'un bras,
qui lui sert de bouclier. L'habillement de Médée est celui des
Amazones et des peuples de l'Asie. Ce costume lui convient beau-
coup mieux que celui qu'on lui voit dans d'autres monuraens : car
selon Strabon , Médée donna son nom et le genre de son vêtement
au peuple de l'Asie chez lequel elle s'était réfugiée. Venus est ha-
billée ;et cette manière de la représenter est certainement la plus
ancienne: l'espèce de socle sur lequel elle est, indique l'enceinte
sacrée où se passe l'action. Ce monument est un des plus rares et
des plus précieux que l'antiquité nous ait transmis.
Ces trois monumens nous paraissent suffisans , pour satisfaire la
curiosité des amateurs du costume antique , et servir de modèle aux
artistes qui voudraient retracer dans quelqu' ouvrage l'expédition des
Argonautes. *

Les sept Chefs contre Théhes.

Après l'expédition des Argonautes, l'événement le plus mai- Première


quant que nous présente l'histoire des tems héroïques est la pre- àfrteîes.
mière guerre de Thébes, connue sous le nom des Sept Chefs contre
■ Europe, Vol. I. h
8a Costume

Thébes. C'est aussi à cette époque que l'histoire de la Grèce com-


mence àse rapprocher de Ja vérité, et à se dépouiller du carac-
tère fabuleux dont sont empreints tous les événemens qui lui sont
antérieurs. « Les lois de la guerre et de la paix, dit un illustre
écrivain, allaient se perfectionnant peu-à-peu dans la Grèce, et
suivaient dans leur développement les progrès de la philantropie : la
guerre de Thébes, la première entreprise remarquable qui suivit
l'expédition des Argonautes, nous laisse appercevoir que les peu-
ples, aussi bien que les individus, avaient déjà commencé à respecter
les vertus qui sont les plus nécessaires à la félicité publique (i). „
Le mépris affiché pour un ancien oracle , les crimes involontaires
d'GEdipe , et la férocité de ses enfans , entraînèrent la famille
royale de Thébes dans cet abîme de calamités si célèbres , qui , de-
puis Eschyle jusqu'à Alfieri ont fourni une source inépuisable d'ar-
gumens à la Muse de la tragédie. Etéocle et Polynice , tout deux
fils du malheureux (Edipe, après les disgrâces infinies de leur pè-
re, convinrent d'occuper successivement, chacun pendant un an,
le trône de Thébes. Etéocle, qui, en sa qualité d'ainé , avait com-
mencé àrégner la première année , ne voulut point , lorsqu'elle fut
expirée, céder sa place à Polynice. Celui-ci ayant épousé Argie
fille d'Adraste Roi d'Argos, engagea son beau père à l'aider de ses
armes pour revendiquer ses droits envers Etéocle. Soutenus des ren-
forts que leur amenèrent Tydée , Capanée et trois autres chefs, les
deux Princes marchèrent contre Thébes à la tète d'une armée nom-
breuse , et l'assiégèrent avec fureur. Etéocle fit plusieurs sorties
vigoureuses contre les assiégeans et les repoussa. Enfin après divers
combats sanglans , l'armée des alliés périt presque toute sous les
murs de cette ville avec les vaillans capitaines qui la comman-
daient, àl'exception d'Adraste. Pour mettre fin à cette guerre,
Mon Etéocle et Polynice en vinrent à un combat singulier, et se tuèrent
mdePoiynke. l'un et l'autre (a). Créon qui 3 après la mort d'Etéocle s'était
fait Roi de Thébes , défendit qu'on donnât la sépulture aux deux
Princes dont les cadavres étaient gissans au dehors de la ville. Mais

(i) Gillies, John. History of ancient Greece. London- Sùrehati 1786 ,


yol. I. pag. 16.
(2) Quiconque voudrait avoir des notions plus détaillées sur cet évé-
nement ,n'a qu'à lire l'ouvrage du P. Antonioli intitulé ; Ancienne pierre
précieuse Etrusque expliquée, avec deux dissertations. Pise 1767 in 4-°
de la Grèce. 83
îa belle et sensible Argie, qui pleurait la mort de son cher Po-
îynice avec autant d'amertume qu'elle l'avait tendrement aimé pen-
dant sa vie , s'en vint la nuit dans le camp pour y chercher le
corps de son malheureux amant. Elle était parvenue à le trouver, Argie

et AriUgone.
et l'arrosait de ses larmes, lorsqu'Antigone fille d'QEdipe , sortie
de la ville pour enlever les cadavres de ses frères, survint dans le
même lieu; s'étant reconnues l'une et l'autre, elles confondirent
leurs larmes , et placèrent ces deux Princes infortunés sur le même
bûcher. Créon en ayant été instruit , ordonna qu'elles fussent enseve-
lies toutes vives. Adraste , aidé du secours de Thésée et des Athéniens ,
revint ensuite sous les murs de Thébes. Thésée tua Créon, et con-
traignit les Thébains à permettre aux Grecs de rendre à leurs
morts les honneurs de la sépulture. Environ dix ans après cet évé-
nementles
^ fils de ces sept Chefs s'étant ligués entre eux, entrepri-
rent une nouvelle expédition contre Thébes afin de venger la mort
de leurs pères; ce qui leur fit donner le nom d'Epigones (i). Ils Ep'igmes.
tuèrent Laodamante fils d'Etéocle , forcèrent les Thébains d'aban-
donner leur patrie, et démolirent les murs de la ville après en
avoir emporté un riche butin. Cette expédition est connue dans
l'histoire sous le nom de seconde guerre de Thébes.
Premier
Le n.° i de la planche 12, est pris d'un scarabée Etrusque en monument
de la guerre
corniole du musée Stoschano (a). Il représente Tydée , Polynice , de Thébes.
Amphiaraùs, Adraste et Parthénope , cinq des sept héros de cette
expédition qui tiennent conseil entre eux. Les trois premiers noms
sont écrits de droite à gauche , et les deux autres de gauche à Prix de ce
droite. Ce monument est non seulement le premier qu'on connaisse monument.
sur cette guerre fameuse , mais il doit encore être regardé comme
le plus précieux reste que nous ayons de l'art Etrusque en ce gen-
re, et même de l'art en général (3). La forme des lettres et la
composition des mots diffèrent beaucoup de l'écriture ordinaire
des Etrusques, et semblent plutôt appartenir à la langue pelas ge ,
que les savans croyent avoir été la mère des langues Etrusque et

(1) Descendais , du grec y*U*it*t , qui veut dire naître , être engen-
dré , parce que les chefs de cette seconde expédition étaient nés des sept
qui commandèrent la première.
(2) Descr. des Pier. gr. du Gab. de Stosch. pag. 644.
(3) Winckelmann , Hist. de ï 'Art. Vol. I.er pag. 225 , et monum.
antiques , vol, I.er pag. 140.
°4 Costume
Grecque. La gravure en est d'une beauté et d'une finesse qui sur-
passent toutes les idées qu'on pourrait s'en former à une époque
aussi reculée , malgré qu'on n'y trouve point cette variété de com-
position dont le mérite ne s'est acquis que dans des tems posté-
rieurs (i). Une des choses qui frappent le plus dans cette pier-
re, c'est la position de Parthénope les genoux croisés l'un sur
l'autre., tel que Polignote représenta depuis Hector à Delphes, et
serrant de ses mains son genoux gauche , attitude qui peint par-
faitement l'homme absorbé dans une affliction profonde : il est en-
veloppé dans son manteau , comme Priam est dépeint dans Homère ,
c'est à dire que la draperie est tellement appliquée sur ses mem-
bres qu'elle en dessine toutes les formes. Le bouclier d'Adraste
mérite encore d'être remarqué par sa forme ovale avec deux en-
tailles semi-circulaires , comme on en voit aux boucliers retracés sur
les médailles d'Argos.
Awphiaraûs. Les ii. % , 3 et 4 de la même planche représentent un fait qui
appartient aussi à l'expédition de Thébes. Amphiaraûs un des sept
Chefs et devin fameux , était persuadé que les chefs de cette entre-
prise devaient tous périr sous les murs de cette ville, excepté Adraste:
il s'efforçait par conséquent d'eu détourner ses compagnons, pour
échapper lui même à cette destinée. Mais, par un engagement so-
lennel qu'il avait pris avec Adraste, il s'était obligé de suivre
les conseils de sa femme Eryphile dans toutes les questions qui
pourraient s'élever entre eux. Flattée par l'appât d'un collier d'or
dont Polynice lui fit présent , Eryphile décida que son mari deva it
aller à la guerre.
Le monument est copié sur une des peintures des vases anti-
ques du Chevalier Hamilton (a). Les deux figures n.° a sont Am-
phiaraûs avec l'habillement et le bâton de devin, et Eryphile don-
nant son avis en faveur d'Adraste. Le n.° 3 représente Amphiaraûs
méditant sur le parti qu'il cloit prendre. On apperçoit un génie
qui lui présente un casque , et le détermine à mourir victime de

(i) La description de cette pierre fut publiée pour la première fois


par Gori, mais avec peu d'exactitude. Winckelmann ÇPier. grav. de
Stosch. endroit cité ) finit ainsi ce qu'il en dit : « Cette pierre est donc ,
entre toutes les autres pierres gravées } ce qu'Homère est parmi les poètes :
aucun cabinet ne peut se vanter de posséder un ouvrage en gravure aussi
précieux, »
(2). Tom. premier planche XXI. , édit. de Florence.
de la Grèce. • 85

sa parole. Le n.° 4 est Eryphile menacée par son fils Alcraéon &
auquel son père avait recommandé le soin de le venger.
Les artistes trouveront encore à acquérir des connaissances pré-
cieuses dans les gravures de Flaxman, où sont représentés , avec un
soin et des travaux infinis, tous les sujets des tragédies d'Eschyle ,
du nombre desquelles est aussi celle des sept Chefs contre Thé-
bes (r).

Guerre de Troie.

Ce serait tropL
nous écarter de notre objet
J , que
* de vouloir trai- SUT NoOoua
la querpc:

ter ici toutes les questions agitées entre les érudirs au sujet de cette ^ Troili-
guerre fameuse. Nous croyons d'ailleurs qu'il est parfaitement inu-
tile .d'en retracer l'histoire 5 en ce qu'il n'est personne d'un esprit
un peu cultivé, et ami des beaux arts, qui n'ait quelque teinture
des œuvres divines d'Homère et de Virgile. Nous nous bornerons
donc à exposer succinctement quelques notions préliminaires, qui
seront comme autant de corollaires aux recherches laborieuses que
les écrivains les plus savans ont faites sur la guerre de Troie , nous
accompagnerons ces notions de quelques monumens qui ayent rap-
port aux événemens les plus remarquables de cette guerre.
On ne, .peut
» 1
plus
« .
douter , aujourd'hui
. ,
que la .guerre
, ,
de Troie.ne Vérité
de la guerre
soit une vente de lait, maigre que le plus ancien écrivain qui en de Troie.
ait traité soit un poète, qui est Homère. On ne doit donc point
regarder l'Iliade et l'Odyssée comme de simples productions d'un
génie poétique, mais encore comme un recueil précieux des tradi-
tions les plus antiques de la Grèce. Plusieurs des événemens qui
sont exposés dans ces deux poëmes célèbres , sont confirmés non
seulement par les relations de Thucydide, de Pausanias et autres
historiens Grecs , mais encore par tous les monumens les plus anti-
ques ,et entre autres par les marbres à'drundel (a). Il faut pour-
tant savoir y distinguer ce qui est réelement historique de ce qui

(i) Compositions front the tragédies of Aeschylus designed by John,


Flaxman , engraved hy Thomas Piroli. London etc. Plusieurs de ces
compositions nous semblent prises sur celles des vases d'Hamilton , avec
lesquelles elles ont en effet beaucoup de ressemblance.
(2) Voy. l'histoire universelle d'une société de gens de lettres An-
glais tet Gillies. Hïstory of An, Greece, Vol. I.er pag. 3o et suiy.

1
80 Costume

n est que simple fiction , on des ornemens qu'il a plu au poète


d'y ajouter, pour leur donner ce caractère de merveilleux qui
tient aux choses surnaturelles, et qui doit dominer dans l'épopée.
Faits
historiques. On peut donc réputer comme historiques les faits suivans rapportés
dans l'Iliade; i.°, que la Grèce était divisée à cette époque en
plusieurs petites principautés; 3.0, qu'Agamemnon Roi de Mycé-
ne,.de Sicyone et de Corinthe , était le Prince le plus puissant
d'entre les Grecs, et qu'il avait été élu pour commandant en chef
de l'expédition contre Troie; 3.°, on doit également retenir pour
vérités historiques les noms des diverses, nations et des différent
Princes qui s'allièrent aux Troyens, l'art militaire et les machines
de guerres usitées à cette époque , les noms des conducteurs de la
flotte , leur caractère , la situation des pays et des villes , ainsi
qu'une foule d'autres choses qu'il serait trop long d'indiquer ici (1).
Postes En second lieu, ce ne fut que cent ans au moins après Ho-
mère, et depuis la publication de ses ouvrages; que l'histoire de la
guerre de Troie commença à être chantée par les poètes cycliques,
qui , à l'exemple d'Homère , se mirent à traiter en poésies épiques
non seulement les événemens rapportés dans l'Iliade, ainsi que
ceux qui l'ont précédée et suivie, mais encore, comme le prétend
Proclus dans Phocius , toute la mythologie , depuis les noces du

ciel avec la terre , jusqu'au terme des voyages d'Ulysse (fi). C'est
pourquoi les savans distinguent ordinairement deux cycles poétiques 9
ou deux périodes d'événemens mythologiques et historiques : le pré-
cède mkycpe. mier s'appelle cycle, mityqim ou fabuleux, et comprend tous les
tems de la fable, depuis la généalogie des Dieux jusqu'à la ruine
Cycle Troyen. de Troie ; et le second, qui est le cycle Troyen , comprend tous
les événemens de la guerre de Troie , tant vrais que fabuleux.
Ces deux espèces de cycles ont donné naissance à deux sortes de

(1) Dion Chrysostome est peut-être le premier qui, dans un discours


qu'il adresse aux Troyens , s'est efforcé de prouver, que le siège et la ruine
de Troie ne sont qu'une fable. Les érudits sont néanmoins d'avis que ce
discours n'est qu'un ouvrage sophistique , composé par Dion pour faire
pompe de son esprit. Les Chants héroïques de Philostrates sont du même
genre, et méritent la même confiance.
(2) Lisez à ce sujet , entre autres écrivains , Schwarzius Altdorf in
Diss. de poetis cyclicis , et Fabr. Bibl. Gr. t. I.er pag. 281 , et surtout le
savant Heyne dans son Virgile Vol. II, De auctoribus rerum Trojanarum
pag. 352 , troisième édit. Leipsik etc.
15 e la Grec e. 87

poètes et de chants cycliques , selon qu'ils ont préféré de s'attacher


à l'un plutôt qu'à l'antre. Le premier a été chanté par Enmolus Poètes
Corinthien qui vivait vers le commencement des Olympiades, et par et prosateurs
Aretinus de la même ville; le second par un autre Aretinus , par
cycliques.
Lesque 3 par Stasinus de Chypre et autres. Bien que ces poètes , au-
tant qu'on en peut juger par les fragmens qui nous restent de leurs
œuvres, par l'imitation qu'en a faite Quintus de Smyrne , et par les
argumens des vers Cypriens , aient cherché à marcher sur les traces
d'Homère , ils ne laissent pas cependant de s'en écarter beaucoup ,
en s'égarant dans un labyrinthe de généalogies nouvelles, d'histoires
particulières à certaines villes de la Grèce , et de fictions de leur
invention. Ces écarts furent encore bien plus communs, lorsque les
fables et les anciennes chroniques commencèrent à être traitées
en prose par les écrivains cycliques. Alors tout frein fut, pour ainsi
dire, rompu; et il n'y eut plus de tradition fabuleuse ou populaire 9
qui n*ait été donnée par quelqu'un de ces écrivains pour vérité his-
torique. Vinrent ensuite les Philosophes, les Sophistes et lesRhéteurt
qui corrompirent à Fenvi les anciennes traditions , soit par d'é-
tranges interprétations , comme firent Pythagore , Heraclite et Xé-
nophon , soit pour faire pompe de leur talent en jettant des doutes
sur les événemens historiques de la guerre de Troie , comme Dion
Chrysostôme. Cette passion des Grecs, de donner aux relations de leur
antiquité les couleurs de la fables, s'affaiblit en eux lorsqu'ils eurent
subi le joug de la domination Romaine , et cette époque fut aussi
celle de la décadence de la bonne poésie et des beaux arts parmi
eux. On vit paraître après divers écrivains, qui prirent dans les ou- irom>e*u*
vrages des anciens poètes cycliques , divers sujets pour de nouveaux «rt^.
de Iroie.
poèmes ; et à ceux-ci en succédèrent d'autres qui 3 des notions re-
cueillies par eux dans les œuvres des anciens grammairiens , des . 'arSU.

historiens et des philosophes Grecs , composèrent des épitomes ou


livres contenans tout ce qui avait rapport à la guerre de Troie.
Du nombre des, premiers sont Quintus Calabrus de Smyrne, Try-
phiodore , Colutus et autres (i). Parmi les auteurs qui ont traité
d'une manière historique de choses relatives à la guerre de Troie 0
en y ajoutant tout ce qu'ils ont trouvé sur ce sujet dans les ouvra-

(1) Quint Calab. Praetermissa ah Homero.


Tryphiodorus-Zte Trojae eversione carmen.
Colutus-Zte Raptu Helenae carmen.
SB C 0 3 T U M E

ges des poètes , clés grammairiens et des anciens historiens , on doit


mue Cretois, compter le Cretois Ditté (i). L'écrivain qui s'est caché sons ce nom,
quelqu'il soit, n'était certainement pas sans érudition, et souvent
même il donne à connaître d'avoir eu sous les yeux les tragédies
Grecques. Les Grecs modernes ont emprunté de lui beaucoup de
choses , entre autres Jean Mulela , Gédrénus , Tzetza et Constantin
Darèie Manassé. Nous citerons enfin l'opuscule de Daréte Phrygien , au-
jPkrjrgien. , ., . , JO '
teur suppose, sous le nom duquel semble avoir voulu se déguiser
quelque sophiste malhabile qui a voulu discourir de la guerre de
Troie à la manière des déclamateurs (a). Mais en voilà assez sur
les écrivains qui ont parlé de cette guerre. Ceux qui voudraient
acquérir des connaissances plus étendues sur cette matière, peuvent
lire la Bibliothèque Grecque de Fabricius, et les doctes discussions
de Heyne sur l'Iliade d'Homère , et l'Enéide de Virgile.
Traditions Troisièmement. L'abus que firent les écrivains cycliques de la
sur <■ ta guerre tradition relativement à,la guerre de Troye 3 et le tgoût %passionnét
le Iroie .
qu eurent en tous tems les Grecs pour la nouveauté et le merveil-
leux donnèrent
, naissance à une infinité de récits fabuleux , dont
quelques-uns ne furent inventés que dans la seule vue de flatter
la vanité d'un peuple s ou la superstition d'un autre. C'est de là
qu'est venue , selon quelques écrivains, la tradition de l'arrivée d'E-
née en Italie, et de la fondation de son nouveau royaume dans le
Latiuni ; tradition qui avait tant d'attraits pour les Romains, et que
Virgile a si sagement ménagée dans son Enéide (3). Telle a été peut-
être aussi l'origine de la fable du fameux cheval dont les Grecs se
servirent pour prendre la ville de Troie : invention vraiment pué-

(i) Tout ce qu'on a dit de la personne de ce Cretois est fabuleux.


C'est encore un point de discussion de savoir, si l'histoire de Troie que
nous avons sous le nom de cet auteur _, a été écrite originairement en Grec
ou en Latin , et si la traduction latine qu'on attribue généralement à
Q. Septimus ou Septimius 3 auteur du troisième ou du quatrième siècle
de notre ère , ne doit point être regardée comme le texte original.
(2) Il n'y a également rien que de fabuleux dans ce qu'on rapporte
au sujet de ce Daréte. L'opuscule qui porte son nom , et qu'on connait
sous le titre De excidlo Trojae , fut attribué pendant quelque tems , sans
aucun espèce de raison , à Cornélius Nepos ; mais on l'a rendu depuis à
son véritable auteur , qui est un certain Joseph Iscanus , écrivain des siècles
modernes.
(5) V. Heyne. Disquisitio II. De rerum in Aeneide etc.
de la Grèce. 0*9
rlle et dénuée de toute vraisemblance , mais que Virgile a exposée
avec un art qui lui prête le charme du merveilleux, et la rend
extrêmement intéressante. On en retrouve quelques traces dans les
fragments des poètes cycliques , et entre autres de Lesché et d'Arc-
tinus (i). Nos conjectures à cet égard paraissent d'autant mieux
fondées 3 qu'on trouve à-peu-près la même origine aux histoires
de nos poètes romanciers , qui 9 dans leurs contes de fées et de che-
valiers errans, n'ont fait que copier les traditions populaires, ou
les vieilles chroniques des Troubadours.
Quatrièmement. L'aveu que fait Homère dans son invocation Jg« d'Homère^
aux Muses , que ni lui ni ses contemporains ne savent rien de cer-
tain sur les capitaines qui prirent part à la guerre de Troie, et que
tout ce qu'il en va dire il ne le tient que par tradition; la re-
marque qu'il fait souvent d'une grande décadence dans l'espèce
humaine des siècles postérieurs à cette guerre jusqu'à ses jours;
l'état de ïa langue et de la versification dans ses poëmes et la su-
blimité de leur composition 3 tout concoure à prouver que ce père
des poètes vécut plusieurs siècles après la prise de cette ville. C'est
pourquoi nous trouvons une grande prohabilité dans le témoignage
des marbres d'Arundel , qui fixent son existence à environ trois
siècles après cette époque. Quoiqu'il soit à cet égard , il est cer-
tain que les ouvrages d'Homère, au dire des critiques, doivent être
considérés comme le monument le plus authentique que nous ayons
de l'histoire des premiers tems de la Grèce, et c'est aussi celui
qui peut nous fournir les notions les plus intéressantes sur l'ancien
costume des Grecs (a).
Après ces considérations , nous croyons à propos maintenant de
présenter aux artistes quelque monument, qui puisse leur servir de

(i) Pausanias parle ainsi de cette fable: « Ge fameux cheval de bois


était sans doute une machine de guerre propre à abattre les murs , à moins
quon ne veuille supposer que les Troyens étaient des hommes d'une
ignorance et d'une stupidité qui exclut jusqu'à l'ombre de toute raison. »
C'est ce qui a fait croire à quelques-uns , que cette machine en "bois se
terminait en une tête de cheval faite en fer ou en bronze , semblable à
«elle à qui on donna clans la suite le nom de bélier.
(2) Ceux qui désireraient avoir, comme dans un seul corps, tout ce
cjui a été dit et écrit sur la personne d'Homère et sur ses ouvrages , peu-
vent lire le VIe vol. des œuvres de Cesarotti , édit. de Pise , 1812, ainsi
que Pope, An Essay on the Ufe , TVriùngs etc. of Homer , et le sa-
vant Heyne que nous venons de citer.
Europe. Vol. I. , ia
90 Costume
modèle dans les ouvrages où ils voudraient traiter quelque sujet ap-
partenant àla guerre de Troie , ou à des faits qui y ont rapport. La
Sept héros planche i3, représente un grouppe de sept héros principaux qui
Ue la guerre
de Troie. eurent une grande part dans cette guerre, et le dessin en est pris
d'une des plus belles compositions de M.r Tischbein. La tête du
tllysse.
milieu est celle d'Ulysse , et a été copiée sur un ancien buste de
marbre de grandeur naturelle qui appartient maintenant à Milord
Bristol. Son principal caractère est dans le bonnet de navigateur ,
lequel est orné de fleurs, de feuilles de lotos, de génies ailés , et
vers le bas d'une frange sinueuse qui imite le profil des ondes. La
sagesse du héros, sa prudence et sa politique sont admirablement
peintes dans son œil pénétrant et plein d'intelligence „ ainsi que
dans toute sa physionomie.
ÏHomècle.
A la droite d'Ulysse est Diornéde. La tête est prise d'un buste
en marbre un peu au delà de la grandeur naturelle , lequel appar-
tient au Musée Clémentin. Elle porte l'expression d'un courage
mâle , de la force du corps , et montre de la fierté , de Faudace ,
de l'ingénuité et de la franchise dans son aspect. Son front large
annonce de la fermeté et de la vigueur.
La tête de Paris se reconnaît à la beauté de sa figure , à ses
cheveux frisés , et à son casque Phrygien. Elle est copiée sur
celle de la statue qui se voit au même Musée , et qui existait au-
paravant dans le palais d'Altemps. Son caractère est celui d'un
jeune homme efféminé, mais qui n'a pas encore entièrement perdu
le courage et la force virile. La fleur de la jeunesse brille sur ses
■Ménélas. joues arrondies et vermeilles.
La dernière tète à droite est prise d'un buste en marbre 9
ouvrage admirable et d'un caractère sublime qui appartient encore
à ce Musée. C'est celle de Ménélas : sa physionomie est l'image de
la bonté et de la compassion. Le casque est d'un travail magnifi-
que : sur sa partie supérieure est figuré en bas-relief un combat
de centaures. Les aigles qu'on voit sculptées par le bas , sont deve-
nues monstrueuses sous le ciseau d'un sculpteur moderne qui a voulu
restaurer cette partie considérablement endommagée par le tems.
M.r Tischbein est d'avis que ces figures étaient anciennement des
gryphons , dont pouvait être décorée la courroie qui servait à at-
tacher ce casque sous le menton.
Jganwnma- L'autre tête vis-à-vis celle de Ménélas vers la gauche repré
sente Agamemnori le Roi des Rois : elle est modelée sur un buste
i.
ïe la Grèce; 91

en marbre d'une grandeur au dessus du naturel , ouvrage d'un style


également sublime , qui a été transporté il y a déjà quelque tems
de Rome en Angleterre. On y reconnaît précisément le caractère
de physionomie de l'aîné des Atrides , et une certaine ressem-
blance avec la tête de Jupiter. Le héros a. dans le buste original
une poitrine large , comme on représente ordinairement celle de
Neptune ; sa barbe est très-épaisse, et sa chevelure frisée comme
la crinière d'un lion , symbole de la force et du courage. Il a
l'œil perçant de l'aigle , ses muscles saillans et animés portent l'em-
preinte d'une mâle fierté; l'orgueil, la colère et l'ambition se
lisent sur son front ; il est enfin tel que le dépeint Homère :
Agamemnon parait au milieu d'eux , semblable au taureau dont le
front superbe s'élève au dessus du troupeau qui le suit ; et parmi
tant de héros , Jupiter a imprimé dans toute sa personne une no-
blesse et une majesté telle , ^y'on le prendrait pour Mars à son
riche baudrier , pour Neptune à sa caste poitrine , et pour le Sou-
verain des Dieux lui même au feu qui brille dans ses regards et
dans tous ses traits (1).
A côté d'Agamemnon, on voit la tête d'Achille qui est celle Achm,
d'un jeune homme d'une grande beauté. Son regard annonce une
gravité mâle , accompagnée d'une réflexion profonde et décidée. La
fierté du héros semble comprimée par les passions de son cœur , et
son air a quelque chose de mélancolique et de pensif. Son état est
peut-être l'effet de la douleur qu'il ressent de la mort de son cher
Patrocle : car , comme l'observe fort, bien Ftfeyne , la perte de la
charmante Briséis avait moins affligé son âme, qu'enflammé sa co-
lère. Son casque, qui est d'un travail précieux, est surmonté d'un
gryphon et d'une sphinx (a).
Entre Achille et Ulysse, est une tète prise d'un monument qui mst«r,
se trouve dans la maison du Marquis Vivenzio à Nola. M.1' Tisch-
bein croit voir en elle celle de Nestor, ce sage vieillard dont le
profond savoir , fruit d'une longue expérience , savait démêler et dis-
(1) Iliad. lib. II. Trad. de Monti.
(2) M.r Tischbein assure que cette même tête se retrouve dans trois
monumens de l'art de l'antiquité , savoir; dans une statue de la maison
de plaisance Borghese , dans un ouvrage découvert en 1772 à six milles
de Rome, et qui fut emporté par le Général Schouwalow à Petersbourg,
et dans un autre ouvrage de la collection de M.r lieiner ancien secrétaire
privé de la Reine de JNaples.
9a Costume
poser en ordre les fils obscurs des événemens passés. Cette tête sem-
ble avoir conservé un air de jeunesse trop remarquable , comparati-
vement àcelles des autres héros; mais il faut se rappeler aussi, que ,
si Nestor était un vieillard, c'était un vieillard robuste et vigoureux.
Il faudrait entrer dans de trop longs détails, pour analiser tou-
tes les beautés de composition que présente l'assemblage de toutes
ces têtes. Nos lecteurs pourront consulter à ce sujet les explications
de Heyne sur les figures des héros d'Homère dont Tischbein a
donné les dessins.

®ïe&oT Le n-° I de la planche 14, offre le sujet si connu d'Enée


emportant son père Anchise sur ses épaules , et conduisant par la
main le petit Ascagne , précédé de Mercure qui lui sert de guide.
C'est un des tableaux de la Table Iliaque, monument précieux du
premier siècle de notre ère, qui fut trouvé au milieu des ruines de
Rome par Archange Spagna, grand amateur des objets d'antiquité (1).
ekssadre. Le n.° 2 représente Cassandre , prophetesse infortunée , que
le furieux Ajax traîna par les cheveux devant l'autel de Pallas.
Il ne faut, pour l'intelligence de cette scène, que rappeler ces
beaux vers de Virgile (a).

Ecce trahebatur passis Priameia virgo


Crinïbus a templo Cassandra adytisque Minervae ,
Ad coelum tendens ardentia lumina frustra.

Ce monument a été copié sur une peinture d'un vase antique a


dont M.r H. Meyer a donné , il n'y a pas long tems , une savante
description , et que M.r G. A. Bôttiger a expliqué avec la mê-

(1) On trouve représentés sur cette table presque tous les principaux
événemens de la guerre de Troie. Il semble que i'artiste ait voulu y ras-
sembler tout ce qu'il a pu recueillir , non seulement dans Homère , mais
encore dans Virgile , et même dans les poètes cycliques. V. Fabretti. Exr
plicabio veteris Tabellae anaglyphae Homeri Iliadem , atq. ex Stesi-
choro Arctino et Lesche Ilii excidium continentis , et Begerus : Bellum
et excidium Trojanum etc. La matière dont est formée cette table est
un composé de chaux et de sable si habilement travaillé , qu'il parait être
une pierre de la plus grande dureté. Vitruve dans son liv. 7 ch. 3 parle
de cette composition comme d'un invention des Grecs.
(2) Aeneid. Hb. II. v. 4°5-
de la Grèce. g3
me érudition , dans un livre élégamment imprimé à Weiraar en
1794 (0-
Le n.° 3 retrace l'image du sacrifice d'Ipïiigénïe en Àulide ; Sacrifier
il est copié sur une portion de bas-relief d'un vase antique en d,IPh''semc-
marbre, qu'on voyait autrefois dans les jardins des Médicis à Ro-
me (a), et qui fait partie maintenant du Musée de Florence. Iphi-
génie s'est assise par terre auprès de l'autel de Diane , et pleure sur
sa destinée. Selon l'usage le plus généralement suivi dans les anciens
bas-reliefs, les assistans sont debout, posture que tenaient ordinai-
rement ceux qui se trouvaient présens à quelqu' événement doulou-
reux. I/Heyne n'est pas éloigné de croire , que le héros qu'on voit
tout pensif en face d'Iphigénie ne soit Achille , et que les figures
qui sont à côté de lui ne soient celles de Ménélas et d'Agamem-
non qui a la tôte enveloppée dans son manteau, ou peut-être même
du grand prêtre Calchas. L'autre héros qui est derrière la jeune?
fille , est probablement Pa troc le ou Dioméde.
Le n.e 4 est la copie d'une belle gravure tracée sur un jaspe Achille
et Ifeslor*
du Musée de Florence. L'Heyne croit encore y reconnaître trois
des neuf capitaines Grecs, tirant au sort dans une urne à celui
d'entre eux qui ira le premier attaquer Hector, comme il est dit
dans le VII. e livre de l'Iliade. Nous regardons néanmoins comme
plus probable l'opinion du savant antiquaire Antoine François
Gorio (3), qui voit dans cette pierre Achille offrant en présent à
Nestor cette urne précieuse. Et en effet, la colonne sur laquelle?
on distingue deux sphinx., semble indiquer le tombeau qu'Achille
avait élevé à Patrocle, en l'honneur duquel il avait encore fait
célébrer des jeux solennels. Après la distribution des prix aux vain-
queurs il
, restait un vase que le héros présenta au vieux Roi de
Pylos , comme un témoignage des honneurs funèbres qu'il avait fait
rendre à son ami. Achille est celui qui va pour prendre l'urne s
ou qui vient de la déposer. Nestor , à la barbe vénérable , est de-
bout devant Achille 3 armé d'une lance, d'un bouclier et d'une

(i) Ce sujet eut tant d'attraits pour les artistes de l'antiquité , qu'au
dire de Pausanias , il fat représenté non seulement par Phidias dans le
trône de Jupiter , mais encore auparavant sur l'urne de Cipséle > et ensuite
par Polignote dans le temple de Delphes et ailleurs.
(2) Admirancla Pwmae. Tab. 18. 19.
(5) Mus. Florent, tom. IL tab. XXIX.
94 Costume
épée. Le jeune guerrier en face de Nestor, est probablement un
des capitaines qui sont entrés en lice pour la course des chars ; c'est
peut-être Antiloque fils de Nestor lui même, qui y avait remporté
le second prix (i).
Pénélope Nous croyons à propos de présenter encore à nos lecteurs un
autre monument dont le sujet se rapporte à l'Odyssée; et nous le fai-
sons avec d'autant plus de gré , que ce sujet étant d'un genre gra-
cieux ,il forme un contraste agréable avec les précédons, et peut
donner une juste idée de l'habillement des femmes Grecques dans
ces tems héroïques. Il est pris d'une des peintures des vases d'Ha-
snilton qu'on voit à la i5.e planche de l'édition Italienne, et re-
présente Pénélope qui a fini de s'habiller : derrière elle est une
femme qui porte ailleurs le miroir dont s'est servi la Princesse ,
tandis qu'une autre lui apporte, dans un des pans de sa robe, les
choses dont elle a besoin pour continuer un ouvrage commencé par
ees mains. On lit au-dessus de ce vase le mot grec k*a? qui veut
dire k*a6? , ou beau , qu'on trouve écrit dans la plupart des vases
antiques d'un travail achevé. Cette peinture a fourni à Angélique
Kaufifman
tableau (a). , à quelques changemens près , le sujet d'un fort beau

On pourrait citer encore beaucoup d'autres monumens qui


ont rapport à la guerre de Troie. Mais comme ils sont tous d'une
époque bien postérieure à cet événement fameux , et l'occasion
d'en parler devant se présenter d'autres fois ,- on ne trouvera pas
Mauvais que nous terminions ici ce second période de l'histoire
Grecque , qui est celui des tems héroïques. Outre la Table Iliaque
dont nous venons de parler, les artistes pourront encore consulter
au sujet de cet événement les antiquités du Musée de Florence ,
les monumens inédits de Winkelmann , les vases d'Hamilton etc. ,
ainsi que les belles compositions de Flaxman. Les fouilles d'Her-
culanum ont aussi procuré quelques monumens , mais qui ne sont
pas de nature à pouvoir être bien instructifs ni d'une grande uti-
lité pour les artistes.

(0 Voy. Iliad. liv. XXIII., vers. 6i5. Text. gr.


(2) Ceux qui voudront faire la comparaison de cette Pénélope avec
celle qu'on voit dans l'ouvrage intitulé , Costume des peuples antiques etc.
qui s'imprime à Brescia , s'apperceveront aisément que l'auteur de cet
ouvrage a composé une Pénélope à sa fantaisie _, et sans consulter aucun
ïnonument digne de foi.
de la Grèce. q$

GOUVERNEMENT DE LA GRECE.
'ancienne

ancienne Grèce , dit ' Montesquieu (i), ne nous présente Etat du


que des peuples peu nombreux et divisés 3 pirates sur la mer, in- faZT
gouvernement.

T'
justes sur la terre , sans police et sans loix. Les belles actions d'Her- Grece'
cule et de Thésée font voir l'état où se trouvait ce peuple naissant.
Il semble que la religion seule leur tenait lieu de lois civiles. Et
en effet, que pouvait elle faire de plus que ce qu'elle fit pour donner
de l'horreur du meurtre ? Elle établit qu'un homme tué par vio-
lence était d'abord en colère contre le meurtrier , qu'il lui inspi-
rait du trouble et de la terreur, et voulait qu'il lui cédât les lieux
qu'il avait fréquentés; on ne pouvait toucher le criminel ni con-
verser avec lui sans être souillé ou intestable (<a) ; la présence du
meurtrier devait être épargnée à la ville, et il fallait l'expier (3). „
Il semble par conséquent , qu'aux terns d'Homère , l'opinion commune?
des Grecs était que les Dieux intervenaient dans les actions humai-
nes ; c'est ce qui est formellement attesté dans l'Iliade et dan»
l'Odyssée , et surtout au commencement du premier de ces deux
poèmes, où le poète affirme que, Jovis perficiebatur consilium (4)«
La Grèce , comme nous l'avons déjà remarqué, doit à des Monarchie.
colonies étrangères les premiers pas qu'elle a fait , de l'état de gow'J'nemL
barbarie vers la civilisation. Mais outre la colonie Egyptienne qui J^SSk
vint s'établir en Grèce sous la conduite de Cécrops , il en arriva
encore plusieurs autres de la Phénicie et autres contrées de l'o-
rient (5). C'est là le motif pour lequel la Grèce ne passa que fort

()) De V Esprit des Loix. Gén. 1749? pag. 388,


(2) V. l'Œdipe Colon, de Sophocle.
(3), PLato. De leg. lib. IX.
(4) V. Heyne. Homeri Carmin a. Lips. 1802. Excursus etc. vol. IVW
-pag. 170.
(5) « L'honneur de policer la Grèce était réservé aux colonies , qui
d'Egypte et de Phénicie passèrent dans cette partie de l'Europe quelque
tems après les Titans. Dans l'espace de deux siècles , tout au plus , on'
voit arriver successivement dans la Grèce plusieurs étrangers , qui, à la tète
de différens peuples , s'emparèrent des cantons où ils avaient abordé , et
s'y érigèrent en souverains. Ces nouveaux chefs firent alors dans la Grèce
ce que nous savons s'être pratiqué originairement, et se pratiquer encore
journellement dans l'Amérique : ils ramassèrent quelques familles errantes
96 CoU'VERKEMEST
tard sous la domination d'un seul homme , et c'est pour cela aussi
qu'elle fut divisée en plusieurs petits états libres et indépendana
les uns des autres : division à laquelle dut contribuer la disposition
naturelle du sol de ce pays, ainsi que nons L'avons observé dans la
description topographique que nous en avons donnée. Les peuples
de ces différens petits états n'ont pu adopter d'autre forme de gou-
vernement que celle de la monarchie , parce que les chefs qu'ils
avaient suivi n'en connaissaient pas d'autre , et parce qu'il semble
beaucoup plus facile d'obéir à la volonté d'un seul qu'à celle de
plusieurs. Les notions de république supposent des lumières et des
circonstances, qu'il n'est guères possible de concevoir chez un peu-
ple naissant (1). Aussi Platon , Aristote et Tullius attribuent-ils à
Diverses cette cause la division de la Grèce en petites monarchies. Cespre-
mlnarchies n"ers ^-ois ne possédaient qu'une ville, ou un très-petit territoire;
et ils étaient en même tems pontifes , juges et capitaines (fi). Néan-
Conseii moins leur pouvoir était tempéré par un conseil de sages ou d'ari-
des sages. . . . . " .,
ciens , qui , pourtant n avait que voix consultative. Ce conseil est
appelé dans Homère ^«W* yspô»r«» , conseil des vieillards , et on y
délibérait d'abord de tout ce qui devait être ensuite proposé au peu-
ple , ou aux armées. Telle est l'idée que , de ces sortes de monar-
chies, nous offre Homère dans la Béotie, ou seconde partie du deu-
xième livre de son Iliade; et telle est aussi celle que s'étaient for-
mée les Grecs du gouvernement des Dieux , dont Jupiter était le
père et le Souverain.
Parmi les chefs qui condusirent des colonies en Grèce, les
plus renommés sont ^ Ogygés , Inachus , Cècrops, Cadmus , Léleje
et Danaùs; et ce furent eux qui, à des époques peu éloignées les
unes des autres , fondèrent les royaumes d'Athènes , d'Argos , de
Sparte et de Thébes. Mais on ne doit les considérer, aussi bien que
leurs successeurs 3 que comme les chefs de petites republiques. Ainsi
les anciens gouvernemens de cette contrée n'étaient, à proprement

et dispersées dans les bois et clans les campagnes , leur persuadèrent de se


réunir et de vivre en société , bâtirent des maisons , instruisirent leurs
jiouveaux sujets dans les arts les plus utiles et les plus nécessaires , leur
donnèrent des lois, et les assujettirent à une forme de gouvernement. »
jGoguet. Orig. etc. vol II. liv. I.
(1) V. Barthélémy. Voy. d'Anac. vol. I, pag. 5o. Paris 1790.
(2) Arisc. de Rep. lib. III. chap. 14.
de ià Grèce, 07
d' 'oligarchie
Monarchie
mêlée
parler, qu'un mélange de monarchie, d'oligarchie. et de démo-
cratie. Les grands avaient beaucoup d'autorité , et les droits du
et de
peuple étaient très-étendus. On lit dans le VIIIe livre de l'Odys- démocratie*
sée , qu'Alcinoùs Roi des Phéaoiens se déclare le treizième des
chefs qui commandaient au peuple. « La description que fait Ho-
mère de la forme de ces mêmes gouvernemens , donne assez à con-
naître que les Rois proposaient au peuple ce qui avait été résolu
dans le conseil (1). „ Il semblerait par conséquent, que l'autorité
des anciens Rois de la Grèce , consistait particulièrement dans le
commandement des troupes eu tems de guerre, et dans l'intendance
suprême sur tout ce qui tenait à la religion (a). Ces Rois étaient des oracles
jéutoritê-
dans le
encore dans la dépendance d'une autre autorité , qui était celle
des oracles quelque fût leur origine (3). Chez les peuples encore gouvernement.

barbares , la religion se change aisément en superstition gros-


sière et ridicule. Le plus fort et le plus rusé fait de cette arme
l'instrument de sa politique, pour gouverner à son gré l'esprit
et les passions du plus faible, et l'erreur devient ainsi une maxime
de législation. Les sauvages môme de l'Amérique ont leurs devins et
leurs oracles, qu'ils consultent dans toutes leurs entreprises. Quant
aux Grecs , la décision des oracles précédait toujours toutes leurs
délibérations publiques et privées, et les Rois même étaient obli-
gés de s'y soumettre. L'Iliade et l'Odyssée sont remplies d'exem-
ples qui confirment cette opinion. Revenus
Les revenus et les richesses des Souverains consistaient , comme des Rois,
ceux des particuliers, en champs , en bois et en troupeaux. Les droits
même qu'ils imposaient pour les frais de la guerre et les besoins de
l'état , ainsi que les tributs qu'ils exigeaient des peuples conquis , ne
se percevaient point en argent, mais en denrées et en objets de
toutes sortes, parmi lesquels il ne faut point oublier les esclaves.
Sceptre
Il est également certain que chez les anciens Grecs , le scep- héréditaire-

tre était un héritage qui se transmettait de père en fils, et en gé-


néral àl'aîné (4). On trouve des preuves indubitables de cet usage

(1) Tn moral. 1. 3. c. 5. Voy encore Denis d'Halic. 1 2.


(2) Aristot. Polit. 1. 3. e. 14. Hom. passim. Plut. Cicer. etc. , et un
grand nombre d'autres.
(3) Nous parlerons de l'origine et de la nature des oracles à l'article
de la religion.
(4) Odyss. 1. 1 v. 387. liv. 16. v. 401. Ariet. Polit. 1. 3. c. 14. Thu-
cyd. etc. etc
Europe- Vol I. o
98 Gouvernement
dans plusieurs passages d'Homère , et surtout dans la généalogie
qu'il fait du sceptre d'Agamemnon (1). Il arrivait néanmoins quel-
quefois que, par des circonstances particulières, le sceptre ne pas-
sait point à l'héritier légitime. Par exemple s celui d'Agamemnon
était passé de Pélops à son fiîs Atrée, et de celui-ci à son frère
Thyeste qui aurait dû le transmettere à son fils Egiste ; mais celui-
ci étant né d'un inceste, le sceptre retourna à Agamemnon fils
d'Atrée (a). Il n'était pas rare aussi que , pour des motifs de supersti-
tion on en privât le véritable héritier. Homère dans l'Odyssée fait
demander par Nestor à Télémaque , si ses peuples ne lui sont point
devenus contraires , ensuite de quelque réponse défavorable de la
part de l'oracle ? (3)
Habillement Tels ont dû être sans doute les privilèges des monarques dans
des Rois.
ces tems héroïques. Mais , avant d'en venir aux lois positives et aux
divers gouvernemens qui s'établirent en Grèce , après qu'elle eut été
régénérée par les colonies étrangères , il ne sera pas hors de pro-
pos de dire ici quelque chose de la manière dont s'habillaient ces
anciens Monarques , suivant le peu de monumens que nous en avons.
Nous nous dispenserons pour le moment d'entrer dans un examen
détaillé des diverses parties de l'habillement en général, nous reser-
vant d'en parler plus au long, lorsque nous en serons à cet article r
et à celui de l'ameublement.
Pourpre- La pourpre marine formait un des attributs des Rois de la
Grèce (4). Homère , en parlant d'un morceau d'ivoire teint en
pourpre , jouli ouvrage d'une femme Méonienne ou Carienne, com-

(1) Iliad. 1. 2. v. 46. et 101.


(2) V. Heyne. vol. 4. Excursus ad librum II. Iliad. Excurs. J.
(5) Odyss. 1. 3. v 2i5 et 1. 16. v. 96.
(4) Les Grecs connaissaient deux sortes de pourpre , savoir ; la pour-
pre marine ou animale , et la végétale. La première , qui parait la plus
ancienne, était d'un rouge violet, et se tirait d'une espèce de coquillage,
ce qui lui avait fait donner le nom de marine Nous aurons occasion de
revenir sur cet objet. En attendant, nous ne pouvons dissimuler notre éton-
nement sur l'équivoque que prend à cet égard l'auteur de l'ouvrage in-
titulé, Costume des peuples anciens et modernes , qui s'imprime à Brescia,
en affirmant à la pag. i55, que par la pourpre marine un doit entendre
le bleu céleste. Mais ce n'est par là la seule erreur qui se trouve dans
cet ouvrage , et malheur aux artistes qui voudraient y chercher de vrai»
«îodèles.
D È L A G R i C E. tyg

me propre à servir de mors pour un cheval , dit qu'il est un ob-


jet d'envie pour une foule de cavaliers: mais qu'on le tient en
réserve dans la vue d'en parer le cheval de quelque Monarque (i).
Voici comment le même poète (a) décrit l'habillement d'Agamem-
non : il vêtit la tunique moelleuse , belle , neuve , et jetta le grand
manteau par dessus ; il attacha à ses pieds délicats ses jolis bro-
dequins, passa à son coté son épée suspendue à un baudrier garni
de plaques en argent > et prit le sceptre paternel qui est à jamais
incorruptible. Le même héros, (3) poussant ses soldats au combat,
tenait dans sa main vigoureuse un manteau de pourpre , afin , dit
le Scholiaste , qu'il leur servît de signal pour le reconnaître.
Mais c'est comme attribut distinctif de la royauté que le scep-
tre doit surtout être regardé. Les Etymologistes donnent au sceptre
le nom de regia virga ou baculus , du mot grec <r*ipfaTt<rt«i parce que ,
comme nous l'apprend encore Homère (4), il servait aux Rois pour
s'appuyer
Ovide (S) et comme pour s'arrêter : ce qui fait dire encore à

— Jupiter sceptroque innixus éburno. —

Homère vante singulièrement ce sceptre d'Agamemnon , ouvrage,


de Vulcain , que le héros avait hérité de ses ancêtres ; il ajoute
qu'il avait été fait du tronc d'un arbre coupé sur les montagnes ^
et que le tranchant du fer le dépouilla de ses feuilles et de son
écorce Latins
Rois (6). C'est
: encore ainsi que Virgile (7) parle du sceptre des

Olim arbos , nunc artificis manus aère decoro


Inclusit j patrïbusque dédit gestare Latinis.

(1) Iliade 1. 4. v. i4i.


(2) Iliad. 2. y. 42. Dans les citations que nous ferons des passages
d'Homère et autres écrivains Grecs , nous nous en tiendrons le plus sou-
vent àla traduction littérale , pour qu'on juge mieux de l'esprit de l'ori-
ginal et de la nature des choses.
(3) Iliad. 8. v. 221.
(4) Odyss. 1. 17. v. 196. et ailleurs,
(5) Métam. I.
(fi) Iliad. 1. 1 v. 255.
(7) Enéide liv. 12. v. 210,
100 Gouverne m est

tépfrL' 0n 1H dans Jastin l'historien («), que les sceptres des an-,
iuiqm* ciens n'étaient autre chose que des lances : Per ea adhuc ternpora
Reges hastas pro diademate habebant , quas Gratci **Urf« dixere.
Narn et ab origine rerum pro Diis immortalibus Vêler es hastas co-
luere. Les Rois prenaient le sceptre en main dans toutes les fonctions
publiques qu'ils avaient à remplir. Il est dit dans le IILe livre de
l'Odyssée, que Nestor devant offrir un sacrifice à Minerve, s'assit le
matin devant la porte de sa demeure, le sceptre en main,, entouré
de ses enfans , de sa femme et de plusieurs autres personnes. C'est'
ainsi qu'Agamemnon se présente aux chefs de l'armée pour les ap-
peler au conseil : de môme Ulisse voulant empêcher les Grecs d'a-
bandonner les rivages de Troie, affronte Agamemnon, prend le
sceptre de ses mains , et parcoure les vaisseaux des loricati Achi-
vi (a). Aristote dit que les Rois fesaient encore usage du sceptre
lorsqu'ils administraient la justice , et que l'acte seul de le lever
en l'air avait la force du serment et en tenait lieu (3). C'est ce qui
fait qu'Homère donne un sceptre à Mi nos juge des enfers , et que
Virgile dit (4) :

Hoc Priami gestamen erat , cura jura vocatis


More daret populis , sceptrumque , sacerque tiaras.

et Formi;
matière Le sceptre,
l 'bien qu'il
*■ fût en bois,
■ ' se terminait ordinairement
du seepire. en haut par un ornement en or semblable à une tête de clou. On
lit même dans Homère et autres écrivains, que le sceptre était quel-
quefois tout d'or. Tel était selon le même poète celui de Minos et de
Tyersias. Et en effet il dit dans le premier livre de l'Iliade, v. i5.
que Chrysés tenait en main la guirlande d'Apollon z^h *■>« «ï"p?,
qui lance les flèches au loin , entrelassée autour de son sceptre d'or.
Nous observerons même que, dans les tems les plus reculés, la mas-
sue tenait lieu de sceptre: car Pindare, 01. VIL v. 5i, dit que
Tlepoléme tua Licinius avec un sceptre d'o'ivier d'une extrême
dureté. On voit aussi parmi les antiquités dHerculanum certains
sceptres à trois pointes , qui ont à-peu-piès la forme d'une chaiv

(1) Histoir. liv. 42.


(2) Iliad. 1. 2. v 186.
(5) Polit, chap. 14.
(4) Eneïde 1. 7. v. 246.
H e la Grèce. îoï
rue; et Pierius Valerianus, dans ses hiéroglyphes, prétend que tell©
était celle du sceptre chez les anciens.
Servius est d'avis que les anciens Rois de la Grèce portaient smdeaa.
en outre le diadème. Mais Homère ne parle point de cette mar-
que distinctive, comme particulière à la royauté, et il semble au
contraire ne l'accorder qu'aux Dieux, comme 'l'observe Pline (i).
Les Rois ne ceignaient leur tète que d'un bandeau de peu de lar-
geur , et qui était en général couleur de pourpre; et telle fut
en effet la couleur du bandeau royal dont Minerve fit présent à
Paris , en signe du pouvoir suprême qu'elle lui offrait. Ce bandeau
était de la plus grande simplicité, tissu en fil de laine, dont la
couleur n'était pas toujours de pourpre ou violette , mais quelque-
fois plus ou moins blanche. Pline voulant décrire le cercle blanc
'mages
qu'on voyait sur la tête d'un serpent de la Gyrénaïque , le com-
pare au bandeau royal ; Candida in capite macula , ut quodam
diademate insignem Hi).
D'après ces notions préliminaires , nous présentons ici" deux i,
des âais-.
portraits d'anciens Rois de la Grèce, prises des peintures des vases
d'Hamilton (3); et pour qu'on saisisse encore mieux toutes les beautés

(i) Quant aux attributs de la Royauté du tems d'Homère, il faut


lire Everard Phéitius , Antiqiiitatum Homericarum , liv. 2. c. 4- dans
Gronove. Thesaur. Graecar. stntiquitat. vol. VI. Nous verrons que le
diadème royal proprement dit , ne fut en usage qu'au tems d'Alexandre.
(2) Liv. 8. c. 21. et liv. 11. c. 16.
(5) Vol. II. planche 4*. et vol. III. planche 45. Nos lecteurs ne se-
ront peut-être pas fâchés de trouver ici quelques éclaircissemens sur l'an-
tiquité et le mérite des vases d'où ces figures sont prises. Les plus anciens
et les plus renommés sont ceux qu'on découvrit le siècle dernier, dans le
fouilles qui furent faites entre Capoue et Nola. Ils sont remarquables par
la finesse de la terre dont ils sont fabriqués , par la beauté du vernis ,
par l'élégance des formes , et surtout par le goût qui régne dans leurs pein-
tures dont
, le style et la manière annoncent une excellente école. Ils ont
par conséquent beaucoup plus de prix que ceux qui ont été apportés des îles
de la Grèce , et semblent être les mêmes vases dont Pline fait tant d'éloges
au '2 e chapitre de son 17. e livre. Or Suétene (dans G. Jul. César, chap.
81 ) rapporte que «les habitans de la colonie envoyée à Capoue par Ju-
les César, voulant se construire des maisons dans la campagne , se mirent à
démolir d'anciens sépulcres , vêtus tissima sépulcra ; et que leur ardeur à
poursuivre ces démolitions était d'autant plus grande, qu'ils y fesaient de tems
à autre la découverte de vases d'un travail antique. » Pour parvenir à con--
IG25 Gouvernement

de composition qni offrent ces peintures , ainsi que l'action des per-
sonnages qui y sont représentés , nous avons cru à propos d'y réunir
par fois les figures des autres personnages qui ont part à l'action,
en leur donnant la position qu'elles ont dans l'original. Le n.° i de
la planche 16 offre l'image d'un Roi habillé à-peu-près comme l'A-
gameranon d'Homère; quant à l'action qui est exprimée ici , on ne sau-
rait guères la déterminer. La planche 17 est la copie d'une pein-
uijrsse
et Alcinoùs. t.ure,
t ■ 1 quet tl M. D'Hancarville
•> explique ains : «Il me semble voir ici
dit-Jl, Ulysse s entretenant avec Alcinoùs, tandis que la femme et
la fille de ce dernier , à l'ombre d'un parasol à la manière des Thes-
sâliens , écoutent la réponse du héros à la proposition que le Roi
semble lui avoir faite d'épouser Nausicaa. On reconnaît Ulysse à la
forme de son bonnet, à son manteau, et à la tunique brodée dont

naître de quelle nature étaient ces vases , il n'y avait pas d'autre moyen
que de chercher dans les mêmes lieux quelqu'un de ces anciens sépul-
cres , qui fut échappé aux recherches de cette colonie. On. trouva en
effet dans le dernier siècle , et même il y a peu d'années , plusieurs
tombeaux qui correspondent , non seulement à ce qu'en dit Suétone ,
mais encore qu'une foule d'autres raisons doivent faire regarder comme
des monumens d'une antiquité très-reculée. Ces tombeaux diffèrent beau-
coup de ceux des anciens Romains : ils sont fabriqués sans chaux et avec
des pierres carrées et si grosses , que deux mulets ou deux bœufs pour-
raient à peine les traîner ; en un mot ils sont d'une construction semblable
à celle des murs de Tyrinthe ville qui fut ruinée par les Grecs , et de
îa porte de l'antique Mycénes., ouvrages qui passaient l'un et l'autre pdur
«voir été faits par les Cyclopes , et qui marquent l'époque la plus an-
cienne dans l'art de bâtir. On n'y apperçoit ni inscriptions , ni portes >
ni fenêtres , de sorte que pour savoir ce qu'ils renferment , il faut abso^
lument les démolir. Enfin les caractères imprimés sur les vases qui ont été
trouvés dans ces tombeaux sont entièrement Grecs. Si donc ils étaient déjà
vetustissima du tems de Jules César , il faudrait remonter à une antiquité
bien reculée pour déterminer l'époque de leur construction , c'est à dire
jusqu'à celle où les Grecs vinrent s'établir en Italie. Ainsi ces vases sont
probablement antérieurs au régne de Numa Pompilius : ils furent jugés
d'un grand prix sous César même, non à cause de la matière dont ils
sont faits : car à l'exception d'un petit nombre qui étaient en bronze , tous
les autres étaient en terre cuite , mais en considération de leur antiquité ,
et de la beauté de leur travail : ce sont enfin des monumens inappré-
ciables par la certitude et l'authenticité des notions qu'ils nous donnent
«n ce qui concerne le costume et les arts. Nous reviendrons sur cet ar-
ticle lorsque nous traiterons des beaux arts.
ïï è la Grec ë. ïoS
Nausicaa lui avait fait présent; et dans ces parties de son habille-
ment comme dans tout le reste 3 on distingue aisément le luxe des
Phéaciens. „ Winkelma nn présente dans ses Monumens antiques ,
sous les n. 64 et 65 s le bas-relief d'une cuvette en marbre blanc „
que l'on conservait autrefois dans la maison de plaisance Albani ,
lequel représente Eurysthée Roi d'Argos et de M'ycénes, auquel Eurysthée
Hercule était subordonné. L'habillement d'Eurysthée semble y être
tel que le dépeint Euripide., et diffère peu de celui dont nous ve-
nons de donner la description.
Quant aux Reines, nous ne pouvons en dire que fort peu de cho- Reiaer.
ses: car , à l'exception de la pourpre et du diadème, leur vêtement
était le même que celui du reste des femmes Grecques dont nous par-
lerons en son lieu , si ce n'est qu'il était plus ample et plus riche.
Elles ont dans certains monumens la tète ceinte d'un simple bandeau,
et dans d'autres le diadème proprement dit, ou une lame de mé-
tal triangulaire ou ronde, qui s'appliquait ordinairement sur les che-
veux au dessus du front. Nous avons vu dans la planche précédent©
les figures de Nausicaa , et de la Reine sa mère. Les numéros 1 et
n de la planche 18 représentent deux Reines , qu'il est aisé de re-
connaître pour telles , à la richesse de leur habillement , et au
siège qu'elles occupent dans les peintures des vases d'où elles sont
prises (1). L'une d'elle se regarde dans un miroir que tient devant
elle une de ses femmes. On trouve dans Winkelmann un bas-relief
en terre cuite qui représente le rapt d'Hélène. Cette femme celé- Rapt A'mièaé.
bre habillée, dit cet auteur, plus en matrone qu'en femme élégante
et lascive comme la dépeint Homère > fait un mouvement avec la,
main comme pour se couvrir le visage , ou qui annonce qu'elle vient
de se le découvir : la tranquillité de son maintien indique qu'elle
consent à quitter son mari et à se faire enlever , comme l'atteste le
poète Sresicore. Paris , vêtu à la Phrygienne, la conduit sur un char 9
selon l'usage , de la maison de son père à la sienne propre. Il est
même dit dans Euripide que Ménélas transporta Hélène sur un
quadrige (2). l'habillement d'Hélène, dans ce monument, ne dif-
fère pas beaucoup de celui des Reines que nous venons de décrire.
Le trône , pris dans le sens que nous y attachons ordinaire- Trône*.
ment, ne devint un attribut de la Royauté que dans des tems bien

(1) Antiq. etc. d'Hamilton t. I. 128; II. 89.


(•2) Les figures Homériques de Flaxman sont également conformes à
celles que nous venons de présenter.
*°4 Gouvernement
postérieurs à Homère, et même aux conquêtes d'Alexandre. Ho-
mère semble avoir réservé aux Dieux seuls la magnificence du
trône (i). Le mot. (*,„.,) signifie en effet un siège magnifique,
qui pourtant n'était pis seulement propre aux Rois,
à toutes les personnes distinguées par leur naissance mais encore
ou leurs ri-
chesses. Ce siège avait des bras et un marche-pied (a). Il est bon
néanmoins d'observer que les anciens Rois de la Grèce , étaient
clans
l'usage de rendre la justice ou d'écouter leurs peuples , assis sur
un
banc de pierre 9 qui portait également le nom de trône. Ii y avait
de ces sièges à la porte des Princes et des Grands. Ainsi l'on voit,
dans Homère, Nestor assis sur le banc de pierre sur lequel son père
JVélée, le sceptre en main, avait coutume de rendre la justice (3);
Trônes
de pierre. et le trône de Toanthe Roi de Lemnos, au dire d'Apollonius, était
aussi en pierre (4). Du même genre est le siège que M.r Chissul (5)
a découvert sur la côte de l'Ionie, et dont nous présentons le des-
sin au n.° i de la planche 19. Stuart assure qu'on trouve encore
plusieurs de ces sièges ou trônes de marbre parmi les ruines d'Athènes.
Les uns sont de la plus grande simplicité, et les autres ornés de
sculptures. Voy. les numéros 2, 3 et 4. Le n.° a de la planche 16
est tiré d'une peinture d'un des vases de Millingen. On ne saurait
dire précisément quel est le Prince qui est assis ici. Cependant,
d'après les autres figures qui composent ces peintures , et les per-
sonnages qui les accompagnent , on pourrait conjecturer que ce
Prince est Aéte Roi de Colchide , à qui Phrysus ou Jason présente
la toison d'or, ou bien Pélias à qui le même Jason, de retour à
lolcos, fait hommage de cette précieuse dépouille. Le Roi est riche-
ment vêtu, et tient un sceptre qui se termine en une figure d'aigle.
Le trône est orné de bas-reliefs , dont la disposition rappelle les
trônes d'Apollon à Amyclée 3 et de Jupiter à Olympie , décrits
l'un et l'autre par Pausanias. Une esclave semble vouloir approcher
un siège , destiné peut-être au héros qui doit s'entretenir avec le
Roi. Il est à remarquer que, dans les tems héroïques, les Rois et les
Princes étaient servis par des femmes qui, le plus souvent, avaient

(1) Nous en parlerons à l'article des usages religieux.


(2) V. l'Hérodote comm. par Larcher. vol. I. pag. 192. Note 29.
(3) Odyss. liv. 3. v. 406. et suiv.
(4) Argon, liv. 1. y. 667. V. l'edit. de Rome 1791, vol. I. pag. 204.
(5) Antiq. Asiat.
de la Grèce. io5

été prises à la guerre. Et en effet lorsque, dans l'Odyssée, Télé-


raaque se présente à Nestor , ce Prince ordonne à ses femmes es-
claves d'apporter un siège à cet hôte illustre. Tous les soins inté-
rieurs de la maison chez ces Princes, étaient l'ouvrage , non seule-
ment de ces esclaves, mais encore des épouses, des filles et des
sœurs de ces hauts personnages. La cuisine seule , peut-être parce
qu'elle avait quelque chose de cruel et de sanguinaire , était réser-
vée aux hommes, et ces Princes eux mêmes y prêtaient leur mi-
nistère. C'est ainsi qu'on voit dans l'Iliade, Patrocle servant en quel-
que sorte de valet de chambre et de cuisinier à Achille.
Le peu d'attributions qu'avaient ces anciens Rois, et leur ex- Cortège
t renie simplicité , fesaient qu'ils n'étaient suivis que d'un très-petit
cortège lorsqu'ils paraissaient en public. Télémaque, héritier du
royaume d'Ithaque, sort dans l'Odyssée pour se rendre au conseil,
sans autre suite que deux chiens qui l'accompagnaient ; et dans
Théocrite , le Roi Augias a, pour tout cortège, Hercule et son pro-
pre fils. Ainsi Virgile, par respect pour cet usage antique (i), dé-
crit en ces termes la sortie d'Evandre avec Enée :

Nec non et gemini custodes limine ah alto


Procedunt , gressumque canes comitantur herilem,
Filius huic Païïas, olli cornes ibat Achates.

Cependant les Rois étaient suivis à la guerre de certains minis- atà&u*


très appelés Hf4***rù s comme on peut le voir dans l'Iliade. C'est ainsi
que Patrocle accompagnait Achille, Mérion Idoménée, Lycophron
Ajax; et ces ministres 3 au dire d'Esichius , étaient comme leurs
compagnons d'armes ou leurs écuyers. Parmi les personnages char-
gés des fonctions publiques , on distinguait entre autres les c rieurs
publics, ou les hérauts *V*^, qui étaient employés à divers ser- Béram
vices auprès du Roi. Us convoquaient le peuple en son nom, com-
mandaient lesilence, lui présentaient son sceptre, et étaient en-
voyés par lui en message ou en ambassade ; ils l'accompagnaient
dans ses voyages et dans ses expéditions , et recevaient les marques
du plus grand respect partout où ils allaient. Ils portaient le ca-
ducée dans leurs missions, comme le symbole du ministère pacifi-
que qu'ils^enaient remplir: ainsi Jason montra son caducée en dé-

(i) Homer. Odyss. liv. III. v. 489.


Europe. Val- î; €t
106 Gouvernement
barquant sur les rivages de Colchos (i). Les hérauts portaient quel-
quefois lalance et le caducée pour déclarer la guerre ou propo-
ser la paix (a). Tel est le héraut qu'on voit sur un vase de terre
cuite dans le cabinet du sacré Collège à Rome , et dont Winkel-
mann a aussi donné le dessin (3). Il porte une espèce de chapeau
plat et rabattu sur ses épaules, qui était la coiffure des voyageurs.
Voyez la planche 19 num. 5. Mais nous aurons encore occasion de
parler de ces hérauts à l'article concernant l'art militaire.
L'autorité royale, comme nous venons de le voir, était tem-
pérée par un conseil de sages (zj). Ce conseil s'assemblait ordinai-
rement sur les places, ou dans des lieux publics et élevés. Tous
les membres y étalées assis, excepté celui qui devait haranguer.
Ainsi Télémaque dans le II.e livre de l'Odyssée, après avoir assemblé
les anciens d'Ithaque , s'assied sur le trône de son père , et au mo-
ment de parler se lève et prend le sceptre. On y traitait, non seule-
ment des affaires publiques, mais encore de choses privées. Dans
le même poème , Télémaque se plaint en plein conseil des violenceg
et des outrages des Procis, et ceux-ci craignent qu'il n'y révèle
les trames qu'ils avaient ourdies contre lui.
jurisprudence La Grèce n'avait donc d'autre jurisprudence à cette époque
Grecs. que quelques coutumes, qui avaient force de loi. Outre ce que nous
avons dit plus haut touchant l'homicide , on voit que dès les tems
héroïques , il avait été établi des peines pour d'autres délits. L'adul-
tère était puni d'une peine pécuniaire (5). Néanmoins le divorce
était permis lorsque les époux le croyaient fondé sur des raisons
légitimes (6). Il parait aussi que les alliances illicites n'avaient rien
de déshonorant, car dans le huitième livre de l'Odyssée, Ulysse se
vante d'être né d'une concubine. Et en effet, les enfans naturels

(1) Argonaut. Apoll. IH. v. 197.


(2) Polyb. liv. IV.
(3) Mon. anciens pag. xxxt.
(4) Il semble aussi que dans ces tems anciens les femmes prenaient
part à ces assemblées publiques. C'était une tradition que dans le con-
seil tenu à Athènes par Gecrops , pour savoir lequel des deux divinités,
de Minerve ou de Neptune donnerait son nom à la nouvelle ville , la
Déesse l'emporta d'une seule voix , qui fut celle d'une femme. Varro apud
]^dugusb. de Civit. Dei liv. XVI II. ch. 9. Voy. aussi Goguet.
(5)
(6) Odyss. liv. VIL
Pau% liy, VIII.chag.
et Diod. liv.' XII.
2Cj. Voy. aussi Pollux.
se la Grèce. 107

participaient comme les enfans légitimes à l'héritage de leur père,


et l'aîné n'y avait pas une part plus grande que les autres. Cepen-
dant il y avait de grands privilèges attachés au droit d'aînesse. Ces Mteti&
privilèges consistaient dans les témoignages de considération et de
respect que les autres frères devaient rendre à leur aîné. Jupiter,
dans le XV.e liv. cfe l'Iliade, fait dire par Iris à son frère Neptu-
ne ,qu'en sa qualité d'aîné il lui est supérieur. Les mendians , les
oisifs et les vagabonds étaient regardés comme des gens infâmes,
ainsi qu'on le voit par plusieurs passages d'Homère. Mais les lois
principales concernaient l'agriculture (1). Parmi les sages institu-
tions de ces anciens gouvernemens , la plus remarquable est celle
qu'on attribue à Triptolême , par laquelle il était défendu à qui
que ce soit de posséder plus de terrein qu'il n'en pouvait cultiver.
Aussi était-ce une tradition des plus anciennes, qu'en enseignant
l'agriculture aux hommes 3 Cérés leur avait en même tems donné
des lois: c'est pourquoi Ovide dit:

Prima Ceres .
Prima dédit lea.es , Cereris sumus omnia munus (a).

Tout ce que nous avons dit jusques-ici regarde la Grèce en


général; mais par un effet nécessaire des particularités que nous
avons déjà, remarquées dans la disposition de son sol, de la diver-
sité des mœurs et des usages qui y furent introduites par les colo-
nies ,et enfin de la variété des systèmes de législation qui y fu-
rent établis postérieurement aux tems héroïques , cet état se divisa
bientôt en plusieurs peuples, malgré l'identité de langage qui les
unissait entre eux. Ainsi la Grèce, resserrée dans un petit terri-
toire 3et divisée de lois et d'intérêts privés, serait devenue peu-à-
peu le théâtre des guerres civiles, ou la proie du plus hardi d'en-
tre ses Princes , et peut-être de quelque conquérant étranger. Am-
phictyon Roi des Thermopyîes , devenu maître de toute l'Afrique,
obvia à ces inconvéniens , en créant un conseil qui fut appelé dans
la suite, Conseil des Amphictyons. Cette assemblée était composée Conseil des
des députés des principales villes de la Grèce, pour qui c'était AmPhi^oas'
«ne tache d'infamie des plus grandes, que d'en être exclus, comme

(1) Voy Goguet Part II liv. I. chap. IV. art. VIII.


(2) Métam. liv. V, y. 54.1. etc.
I08 GoUVERNEMEMT

il arrivait quelquefois. Elle se réunissait ordinairement deux fois


l'année, savoir; au printems, et en automne. Celle du printems se
tenait à Delphes, comme l'attestent deux décrets que Demosthéne
et Strabon nous ont conservés (i); et celle d'automne aux environs
d'Anthéle dans le temple de Cérés , qui pour cette raison fut ap-
pelé Amphictyonide. Bien que cette fameuse assemblée semble n'avoir
eu d'autre objet que celui de protéger le temple de Delphes, et
de rendre la justice aux personnes qui accouraient en foule de tous
les points de la Grèce pour consulter l'oracle d'Apollon, néanmoins
elle devait beaucoup contribuer à entretenir l'union parmi ces di-
vers peuples, que des intérêts de religion mettaient pour ainsi dire
en contact les uns avec les autres au moins deux fois par an. Or
si on ne veut point regarder cette réunion comme une confédéra-
tion des peuples de cette contrée , on ne peut disconvenir au moins
que cette institution, qui établit entre eux un lien aussi étroit 9
n'ait été l'ouvrage d'une sage politique (a). TN'ous citerons encore
(i) Demos th. pro Corona. Strab. liv. IX.
(2) Les érudits avaient toujours considéré le Conseil des Amphictyons
comme une assemblée composant les états généraux de la Grèce , et par
conséquent comme une confédération purement politique , où se traitaient
les grandes affaires de guerre et de paix , et qui avait pour but de tenir
toute la Grèce réunie comme en une seule république. Cette opinion a.
été complètement réfutée par Sainte- Croix dans un ouvrage qui a pour
titre Des anciens Gouvernemens fédératifs. Les différens peuples de cette
contrée étaient dans un état de guerre perpétuelle entre eux; et pourtant
on ne vit jamais le conseil des Amphictyons interposer son autorité pour
ramener la paix , pas même dans la guerre qui dura si long temps entre
les Athéniens et les Spartiates. Jamais on ne lui envoya d'ambassadeurs.
Philippe même fut proclamé généralissime des Grecs à Corinthe. « Si
l'assemblés des Amphictyons,, dit Sainte-Croix, avait été vraiment une
diète fédérative , ne serait-ce pas elle qui aurait fait cette élection ? Phi-
lippe l'aurait certainement préférée à toute autre , car elle lui aurait as-
suré la pluralité des suffrages , en mettant ainsi à sa disposition ceux de
tous les peuples de Thessalie, aussi bien que les deux vœux accordé aux
habitans de la Macédoine ». Nous ne pourrions , sans trop nous écarter
de notre sujet, rapporter ici tous les raisonnemens que ce savant auteur
employé pour démontrer , que l'unique objet de cette assemblée était de
protéger le temple de Delphes. Lisez en outre le commentateur d'Héro-
dote Paris
( Crapelet, 1802) vol. IV. pag. 270 , et vol. V. pag. 418. etc.
Ce peu de mots suffira pour faire appercevoir à nos lecteurs , que Goguet et
De Real , écrivains doués d'ailleurs de beaucoup d'érudition, ont erré sur ce
poinj: cQjrmie sur d'autres. t eA adoptant trop légèrement l'opinion commune;
bè la Grèce. roi)
les jeux olympiques comme une autre institution politique, qui avait olympique.
pour but, en rassemblant ces divers peuples à certaines époques,
de conserver entre eux les rapports de mœurs et d'intérêts natio-
naux qui leur étaient communs. Mais nous parlerons en son lieu
de ces jeux et de ceux qui les instituèrent. Le conseil des Am-
pli ictyons , les jeux olympiques et la Ligue Achéene dont nous Ligue Aahêea»,
discourerons ensuite, sont peut-être les seules institutions qui ten-
dissent àne faire de tous les peuples de la Grèce qu'un seul corps
politique.
L'ordre des choses nous conduit à r parler maintenant du gou-
c Gwuwnemeaa
des divers

vernement et des différens systèmes politiques adoptés par les divers dep^'PQr
de la Grées*
peuples qui composaient cette nation. Nous ne ferons mention à cet
égard que des principaux, et de ceux qui sont l'ouvrage des plus
célèbres législateurs, laissant à part tout ce qui ne présente que
des doutes , ainsi que toutes les questions de généalogie et de chro-
nologie ,comme étrangères à la connaissance du costume qui forme
l'objet de nos recherches. Nous diviserons donc la Grèce selon ses
trois principales constitutions politiques ; et prenant pour guides
les écrivains les plus accrédités, nous traiterons successivement des
gouvernemens d'Athènes, de Crète et de Sparte, qui ont servi de
modèle à ceux de presque tous les autres peuples de la Grèce (i),
sans omettre ceux de ses colonies dont nous dirons aussi quelque
chose.
ATHÈNES.

J d Athènes
L'histoire ne nous offre rien de certain sur l'état de TAttique 'Gawememmà
avant l'arrivée de Cecrops. J- Ce n'est donc qu'à
* partir de cette épo-
x ■* enparcommençant
Lecrops,
que que doivent commencer nos recherches. On prétend que Ce-
crops vint dans cette contrée avec une colonie Egyptienne vera
l'an i856 avant l'ère vulgaire, ou selon les tables chronologiques
de Blair, 780 ans avant la première olympiade, et qu'il y fonda
la ville d'Athènes. C'est lui qui le premier fit dresser un autel à
Jupiter et institua des cérémonies religieuses ; et comme le peuple
de l'Attique n'avait encore que des notions imparfaites sur la société
conjugale , la première loi qu'il établit fut celle par laquelle il
défendit à l'homme d'avoir plus d'une seule femme (a). Il partagea

(1) V. Goguet vol. I. et II. De Real. Science du Gouvernement ete.


(a) Varro apud August. de Givit. Dei 1. 18. c. g. Suida t. 3. pag. 189.
110 Gouvernement
les habitans en quatre tribus , et leur apprit à ensevelir les morts
et à répandre du grain sur leur tombe., comme on lit dans Gicé-
ron (i). Il créa en outre diverses magistratures pour l'administration
de la justice , dont la plus renommée fut Y Aréopage , tribunal éta-
bli peut-être à l'imitation de ceux d'Egypte, et qui devint si cé-
lèbre dans la suite , que les Souverains étrangers même envoyaient,
quelquefois le consulter.
'oirëopagê. Dans les premiers tems , l'Aréopage ne jugeait que des causes
de meurtre. Ses membres étaient élus parmi les citoyens les plus
sages de la ville , mais on ne sait rien de positif sur leur nom-
bre (a). Ses assemblées ne se tenaient point hors de la ville, comme
Je prétend Esichiusj mais au milieu d'Athènes sur une colline qui
était en face de la citadelle , ainsi qu'on peut le présumer de cette
observation d'Hérodote, que les Perses s'étaient campés sur une émi-
Tience qui était vis-à-vis de la citadelle 3 et que les Athéniens ap-
pelaient Aréopage. Lucien et Valérius Maximus s'accordent en cela
avec Hérodote. Cette colline prit encore le nom de colline de Mars ,
ensuite de l'ancienne tradition populaire d'un jugement qu'y avait
rendu l'Aréopage en faveur de Mars, meurtrier du fils de Neptune,
et d'un sacrifice que les Amazones y avaient offert au premier de
ces Dieux. L'édifice où s'assemblait ce tribunal était de la plus gran-
de simplicité: le toit en était fait de fange et. de chaume, et on le
voyait encore dans cet état du tems d'Auguste selon le témoignage
de Vitruve : Athenis Areopagi tectum e luto (3). Oreste
y fit dresser un autel à Minerve. On y voyait en outre deux blocs
d'argent massif taillés en forme de sièges,, sur l'un desquels s'as-

(i) De legib. lib. II. L'usage de brûler les cadavres fut introduit dans
îa suite chez les Grecs , comme on le voit dans Homère.
(2) Nous ne savons également rien de certain sur l'étymologie du
mot aréopage. Ceux qui voudraient s'instruire de toutes les recherches
qui ont été faites sur ce fameux tribunal , n'ont qu'à lire la savante dis-
sertation de M.r l'abbé De Carnage dans les Mémoires de Académie R.
des Inscriptions. Vol. VIL
{3) Vitruv. 1. V. c. 1. Le Spon dans son Voyage en Grèce ( t. IL
j>ag 199 ) observa sur la colline de l'Aréopage des débris de pierres énor-
mes taillées à pointe de diamans, et en demi-cercle. Il est d'opinion que
ces pierres formaient les fondemens de l'édifice , dans lequel était enclavé
l'Aréopage. Smart a tracé aussi dans sa carte topographique d'Athènes le
lieu qu'occupait ce tribunal,
»e ia Grèce, fîf

seyait l'accusateur, et l'accusé sur l'autre. L'un était consacré k


Y'Injure , et l'autre à Y Impudence ^ divinités allégoriques auxquelles
Epiménide fit élever dans la suite des autels et des temples, comme*
l'atteste Cicéron dans son second livre des lois. (Edipe avait encore
son tombeau dans l'enceinte de l'Aréopage (i).
Dans les commencemens, ce tribunal ne s'assemblait que les trois Quanti
derniers jours de chaque mois; mais les nouvelles attributions qui lui
furent données, surtout du tems de Solon 3 et la multiplicité des af-
faires, l'obligèrent insensiblement à tenir ses séances tous les jours (a).
La fréquence de ces assemblées devenant trop pénible pour les vieil-
lards, àcause du chemin escarpé qu'ils devaient faire pour s'y
rendre, on les transporta par-fois dans un quartier de la ville, ap-
pelé le portique royal , qui était exposé à toutes les intempéries de Portïgro
l'air. Les juges y étaient enfermés dans un cercle formé par une toyali
espèce de fil ou de corde: ils ne s'assemblaient que de nuit, dans
la vue, dit Lucien, de se garantir de toute distraction: usage qui
fit dire à Athénée que leur nombre ni leur figure n'étaient con-
nus de personne. Le tribunal étant réuni , un héraut fesait faire si-
lence et ordonnait au peuple de se retirer. Aucune affaire n'y était Comment
traitée de préférence aux autres , et c'était le sort qui décidait de les a/ffiret
1 ordre dans lequel chacune d'elles devait être présentée, ainsi que tra^^
du juge qui était commis à son examen. Dans les premiers tems.,
c'étaient les parties qui exposaient elles même leur différend avec
toute la simplicité possible, et l'art de l'éloquence était absolument
banni de ce tribunal; mais dans la suite il se relâcha un peu de
cette sévérité , et permit qu'on se servît devant lui d'avocats même
payés, auxquels il était pourtant défendu d'employer dans leurs dis-
cours ni exorde ni aucun ornement oratoire. L'accusateur commen-
çait sadélation par invoquer contre lui, en témoignage de la vérité,
la vengeance des Eumenides ; et pour rendre encore plus terrible à
ses yeux la formule de ce serment 5 en le fesait asseoir sur les débris
sanglans des victimes qu'on venait d'égorger (3). Les suffrages se don-

• (i.) V. Pausan. in Att.


(2) L'autorité de l'Aréopage s'étendit avec le tems jusqu'aux choses
de religion. En effet Socrate lui même , accusé d'impiété , subit la sentence
de mort que HAréopage avait rendue contre lui, comme l'atteste Diogéne
Laerce. C'est pour cette raison aussi que l'Apôtre Saint Paul fut conduit
par devant ce tribunal.
(3) Poil. 1. VIII. c. 10. Dinarq. Oraù. in Demost. Démosthenes w
ûrat. Aristocrate, Antiph. de caecle Herodis.
lia Gouvernement
naient par îe moyen de certains coquillages marins , auxquels on
substitua ensuite de petits morceaux de cuivre appelés Spondyles ,
d'une même forme, avec cette différence, que ceux qui devaient in-
diquer le vœu de condamnation étaient noirs et percés au milieu ,
et que les autres étaient blancs et sans trou. Chaque juge prenait
une de ces marques avec le pouce , l'index , et le doigt du milieu ,
et la posait dans une des deux urnes qui étaient placées vis-à-vis
l'une de l'autre dans le lieu le plus retiré de l'assemblée. L'une
s'appelait l'urne de la mort ««ir»»* , et était de cuivre; et l'autre
qu'on nommait l'urne de la miséricorde *'xi»v était en bois. Tout
cela se fesait dans le plus grand secret; mais les trente tyrans vou-
lurent 9pour se rendre les arbitres des décisions de FAréopage ,
True chaque juge vint déposer son vœux sur une table qui était de-
vant eux (i). Le traitement des juges était très-modique, et se ré-
duisait quelquefois à une seule obole : ce qui fait que , dans Lucien ,
Mercure témoigne sa surprise , de ce que des vieillards aussi sages ,
vendissent à si vil prix la peine qu'il prenaient de monter si haut (a).
Parmi les jugemens qui acquirent tant de célébrité à Txlréopage ,
Jugement
dans
d'Orla este.
cause celui qu'il rendit dans la cause d'Oreste mérite d'être distingué. (3).
Oreste fut accusé devant ce tribunal d'avoir tué sa mère : les voix
étant divisées en deux avis contraires parfaitement égaux, il devait
par conséquent être condamné à la mort9 lorsque Minerve, touchée
de son malheur , se déclara pour les juges qui l'avaient absous en joi-
gnant son suffrage au leur. Oresie fut sauvé par ce moyen ; et en
mémoire de cet événement, toutes les fois que les voix étaient éga-
les des deux côtés , il passa en usage d'absoudre l'accusé j à la fa-
IJslrêopage
veur de celle qu'on appelait la voix de Minerve.
subsistait L'Aréopage subsistait encore du tems que la Grèce était sou-
encore mise à la domination Romaine. Car outre ce qui est dit dans les
au tenu où
la Grèce
était soumise
actes des Apôtres de la harangue de Saint Paul par devant ce tri-
ù la domination
bunal,Gellius et Valerius Maximus rapportent encore le fait sui-
Romaine.
vant. Une femme accusée d'avoir tué son mari et son fils fut con-
duite en présence de Dolabella proconsul en Asie. Elle avoua son
crime , en disant qu'elle avait eu les plus fortes raisons pour le com-

(i) Démosth. Orat. in Neaeram. Lysias. Orat. in Ageratum.


(2) Lucien, in bis accusato.
(3) En l'an 375 de l'ère Attique , sous le régne de Démophon XII. â
Athènes.
d^ la Grèce. ii"S
mettre. « T'avais, dit-elle, de mon premier mariage un fils que je
chérissais , et que ses vertus rendaient digne de toute ma tendresse.
Mon second mari , et le fils que j'ai eu de lui l'ont assassiné s c'est
pourquoi je me suis crue autorisée à priver de la vie ces deux mons-
tres de cruauté. Vous pouvez maintenant me punir de ce crime ,
dont je ne me repentirai jamais. M Dolabella proposa la cause à son
conseil , qui n'osa point prononcer de sentence. L'Aréopage auquel
elle fut portée décida, après une longue délibération, que l'accu-
sateur et l'accusée comparaîtraient de nouveau en jugement au
bout de cent ans.
Le gouvernement fondé par Cecrops ne subit aucun changement Gom-ememem
jusqu'à Thésée, dixième Roi d'Athènes, qui vivait environ 12,35
ans avant l'ère vulgaire: outre l'Aréopage, Cecrops institua encore
d'autres tribunaux dans divers cantons de l'Attique. Or on lit dans
Thucydide, que depuis ce législateur jusqu'à Thésée, les Athéniens
vivaient épars dans des bourgades de l'Attique , dont chacune avait
son Prytanée et ses Archontes ; mais que ces magistratures furent sup-
primées par Thésée , homme d'une grande prudence et très-puissant,
qui les transporta à Athènes , où il établit un Sénat avec un seul
Prytanée (i). On peut donc tirer de ce passage de Thucydide Prjtantti
ces deux conséquences ; l'une , que l'institution du Prytanée est
due à Thésée; et l'autre, que le Prytanée et le Sénat ne for-
maient qu'une seule et même magistrature (a). L'attribution du
Prytanée dans son origine , était de juger des choses inanimées qui
avaient occasionné la mort de quelqu'un : institution précieuse qui
tendait à accroître dans les citoyens l'horreur du meurtre (3).

(i), Thucydide liv. II. parag. i5. V. aussi Piutarque dans la vie de
Thésée. Il en est qui croyent que ce nom vient des mots grecs *vfU rapuo*,
parce qu'on conservait dans le Prytanée le feu inextinguible ; d'autres le
font dériver de ^«r t*^i7«v5 parce qu'on y tenait le dépôt des grains publics.
V. Suidas , et VEbymolog. magnum. V. encore Gronove Thés. Graecar.
antiquitab. Vol. IV. col. 846. et suiv.
(2) Au sujet du Prytanée on peut encore consulter , outre Gronove,
le savant Corsini Fastl attici. Pars. I. , Dïssert. II. parag. XXVII. pag.
10 1. Dissert. VI. parag. IV. V. pag. 265. etc. V. aussi l'Hérodote com-
menté par Larcher , vol. I. pag. 440. et suiv. et vol. IV. pag. 309. et suiv.
(5) C'est peut-être dans le même but , c'est-à-dire pour distraire les
esprits de tout sentiment inhumain, que Cecrops avait défendu d'offrir
aux Dieux en sacrifice rien de ce qui avait eu vie.
Europe. Vol. I. i5
1 14 Gouverne m ENf
Mais dans la suite , et particulièrement du vivant cïe Solon , son
dfcézte autorité fut augmentée de beaucoup. Elle embrassait en même tems
magistrature, l'administration suprême de la justice , la distribution des vivres ,
la police générale de l'état, et celle de la ville en particulier,
les déclarations de guerre, la conclusion de la paix, la nomina-
tion des tuteurs, et enfin le jugement de toutes les causes qui avaient
été portées par devant les tribunaux subalternes 3 et dont on avait
appelé à cette cour supérieure.
Thésée donna Au moyen de cette magistrature , dans laquelle étaient admis
a Athènes un ~ l
gouvernement des citoyens de toutes les classes, Thésée avait donné à Athènes
presque J
démocratique, la forme d un gouvernement presque démocratique. C'est pourquoi ,
dans les tems que la population d'Athènes était partagée en quatre
tribus, on tirait de chacune cent individus au sort, et ces quatre
cents citoyens composaient le Sénat; mais le nombre de ces tribus
ayant été porté à dix par Clisthéne , dans la IV.e année de la
LXVII.e olympiade, celui des citoyens à élire dans chaque tribu
fut réduit à cinquante : ce qui porta à cinq cent le nombre des
membres composans le Sénat , comme on le voit par plusieurs pas-
sages des orateurs Grecs. Ces dix tribus ayant encore été augmen-
tées de deux autres dans la Ill.e année de la CXVIII.6 olympiade,
les sénateurs se trouvèrent enfin au nombre de six cent (i). Cha-
que tribu avait tour-à-tour la primauté sur les autres. L'élection
des sénateurs se fesait au sort. On appelait Prytanes les cinquante
d'entre eux qui étaient en fonction , et Prytanie les trente cinq
Prytanes 3 jours que durait leur service (a). Les Prytanes se divisaient en cinq
et EpistaTes. classes , chacune de dix Prytanes, qui s'appelaient Proédres. On
choisissait sept de ces derniers, auxquels on donnait le nom ÏÏEpis-
tates , chacun desquels avait successivement la présidence sur le reste
des Prytanes et des Proédres (3). Un sénateur ne pouvait être Epis-

Ci) "V. Plutar. in Demetrio.


(2) Il est bon d'observer que l'année des Athéniens était lunaire, et
n'avait par conséquent que 554 jours. Or , lorsque les tribus étaient au nom-
bre de dix , chacun d'elles ayant la primauté pour trente cinq jours , il en ré-
sultait un excédent de quatre jours à la fin de l'année. Ces quatre jours étaient
entre les quatre tribus que le sort avait désignées les premières pour la
primauté , qu'elles conservaient par conséquent pendant trente six jours.
(3) Hérodote , Therpsicore , liv. V. parag. LXXI. , appelle les Pry-
tanes des Naucrariens , terme dont le sens a été pendant long tems un
sujet de, dispute parmi les. érudits. Chaque tribu d'Athènes était ancien-
de la Grèce. ii5
tate deux fois dans la même année , dans la crainte où étaient le*
Athéniens que l'autorité dont il était revêtu , trop long tems pro-
longée ,ne devint dangereuse pour leur liberté dont ils furent tou-
jours extrêmement jaloux. Le même motif avait fait rendre annuelle
la charge de sénateur, tandis que celle de membre de l'Aréopage
était à vie. Les Prytanes réunissaient le sénats expédiaient les af-
faires qui lui étaient soumises 3 convoquaient le3 assemblées du peu-
ple ,et en avaient la présidence. Les Proédres proposaient l'objet
sur lequel on avait à délibérer, l'Epistate recueillait les voix, et
prononçait d'après le vœu de la pluralité. Nul ne pouvait devenir
sénateur, ou membre du Prytanée , avant l'âge prescrit, que Liba-
nius appelle fi»*x*»vt*n ,'ajk/* , l'âge du sénateur, et que Larcher croit
être le même que celui qu'on exigeait pour être juge , c'est-à-dire
l'âge de trente ans, comme on le voit parle serment d'Héliaste (ï).
Les Prytanes étaient nourris aux frais du public dans une salle
du Prytanée, qui portait le nom de Tholus , peut-être parce qu'elle Satk
était voutee (a). Le même traitement y était assure aux citoyens appelée
qui avaient bien mente de la patrie ; et on y conservait en outre
le feu sacré , le froment et les armes. Lorsqu'on envoyait une co-
lonie dans quelque pays , on tirait pour elle du Prytanée les ar-
mes,les vivres et le feu. Cette colonie ne pouvait prendre de feu
ailleurs; et si par hazard il venait à s'éteindre, il lui fallait re-
courir de nouveau au Prytanée pour en avoir. Ce feu sacré n'était
autre chose qu'une lampe qu'on tenait toujours allumée (3). C'est
pourquoi le Prytanée était consacré à Vesta; et aux premières ma-

nement divisée en cantons, ou peuplades , A3^a«. Les Nauerariens ré-


glaient les contributions de chacun de ces cantons. Il y avait par tribu douze
Nauçrarîes, dont chacune devait fournir à l'état deux cavaliers et un
navire , d'où dérive peut-être l'étymologie de ce mot. Pour nous nous som-
mes d'avis , qu'après la réforme faite par Thésée , les Nauerariens furent éga-
lement concentrés dans le Prytanée. C'est aussi le sentiment de Larcher
et autres savans écrivains.
(0 ArSuin in Orat. Demos th. contra Androt. et Demos th. advers.
Tim ocrât.
O) Poliux Onomast. liv. VIII. c. i5. Segm. i55. pag. 972. et Har-
pocrat. pag. 88.
(3) C'était un proverbe célèbre chez les Grecs que le Aix„,v h itfvruii,?,
ou la lampe dans le Prytanée y pour désigner une chose abondante , et
qui ne tarissait jamais Le soin de cette lampe était confié à certaines fem-
mes veuves , qu'on appelait pour cela Prytanide*.
n6 Gouvernement
gistratures seules, c'est-à-dire aux Archontes, aux Rois ou aux
Prytanes même, appartenait le droit de lui offrir des sacrifices (i).
Outre les images de Vesta et autres divinités telles que la Paix ,
Jupiter , Minerve etc. , on plaçait encore au Prytanée celles des
plus grands personnages d'Athènes. On y voyait les statues d'As-
ti loque , de Thémistocle , de Miltiade et autres, dont les Athé-
niens eux mêmes, au moyen d'inscriptions postérieures et menson-
gères firent
, un instrument de la plus vile adulation , en les dédiant
à un Romain ou à un Thrace. Une partie du froment qu'on y
conservait était employée à alimenter les Prytanes , et ceux qui
avaient bien mérité de la patrie ; le reste était distribué , à cer-
tains jours, à des familles pauvres et honnêtes. On portait encore
au Prytanée la dixtne de la viande des victimes: Moris erat coquis^
dit le Scholiaste d'Aristophane , ut décimas immolatorum Prytani-
bus durent.
*<" p^paÎM A l'exemple d'Athènes , toutes les principales villes de la Grèce
de leurfniéce eurerlt nn Prytanée , et Syracuse entre autres en eut un qui fut
a» Prytanée. célébre (n). L'Empereur Adrien 3 jaloux d'imiter en tout les Grecs,
avait fait construire dans sa maison de plaisance à Tibur un édi-
fice,auquel il avait donné le nom de Prytanée (3). M.r Guilletière
dit que , de son tems , on voyait encore près de l'Archevêché , les
ruines du Prytanée d'Athènes; mais Thucydide assure positivement
que l'ancien Prytanée fut détruit par un tremblement de terre ar-
rivé la sixième année de la guerre du Péloponnèse (4) , et il ne
reste à présent aucun vestige de cet édifice , comme on peut le voir
par les relations de Spon et de Stuart.
..Archontes. La troisième des grandes magistratures d'Athènes, est celle des
Archontes (5). Son institution est d'autant plus mémorable , qu'elle
fut le commencement d'une nouvelle forme de gouvernement après la
mort de Codrus. Ce Prince avait généreusement sacrifié sa vie pour

(i) Aristot. Politiq. liv. VI. chap 18.


(2) Cicer. in Verrern , de signis. parag. 53. Les villes de la Grèce
avaient presque toutes un Prytanée , par cela même qu'elles professaient
le culte de Vesta. C'est ce qui fait dire à Pindare , au commencement de
sa première Ode Neméene : O f^esta , JîLle de Rhée } qui as en héritage
les PryCanées etc.
(3) Spartianus in vita Hadriani c. XXVI.
(4), Relli Péloponnes. liv. III.
(5) Afx*'. Commandant, de *?%»?'*' , incipio , impero ec.
ce la Grèce. jj*
la patrie dans la guerre contre las habifans du Péloponnèse (i).
Les Athéniens qui aspiraient depuis long tems à une démocra-
tie absolue, trouvèrent dans les querelles de Médon et de Nilée
fils de Codrus pour la succession au trône , un motif de plus pour
changer de gouvernement; ils abolirent donc la monarchie , pro-
clamèrent Jupiter Roi unique et suprême, et confièrent l'autorité
publique, ou le pouvoir exécutif, à un corps de magistrats qu'il t
appelèrent Archontes. Cette magistrature fut d'abord à vie , et le
même Médon , fils aîné de Codrus , fut élu premier Archonte vers
l'an ii3ii avant l'ère vulgaire. (2). Médon conserva cette dignité
pendant 37 ans, et eut douze successeurs tous de sa race, dont le
dernier fut Eschile qui la posséda a3 ans (3). A près cette dynastie,
les Athéniens toujours extrêmement jaloux de leur liberté, et crai-
gnant jusqu'à l'ombre de la Monarchie dans la durée de cette ma-
gistrature,en bornèrent le terme à dix ans. Le premier Archonte Archontes
décennal fut Carops fils d'Eschiîe. Il entra en charge dans la qua-
trième année de la VI. e olympiade, ou ^Sa. ans avant l'ère vul-

(1) L'oracle de Delphes avait prédit aux habitans du Péloponnèse


qu'ils seraient vainqueurs des Athéniens , s'ils fesaient ensorte que Codrus
Roi d'Athènes ne pérît point dans cette guerre. Instruit de cette prédic-
tion ,Codrus travesti en mendiant , ou selon d'autres en simple soldat ,
attaqua un des ennemis et le tua. Transportés de fureur , les compagnons
du mort se jettérent sur le Roi déguisé, et le massacrèrent. A cette nou-
velle ,les Péloponnésiens s'enfuirent précipitamment , et la -victoire resta
aux Athéniens. Codrus fut le dix septième et dernier Roi d'Athènes, et
son régne dura 21 ans. V. Eusebii Chronicon, livr. dernier pag. y6. etc.
(2) A légaid des Archontes , nous avons suivi la Chronologie de Lar-
cher , qui est un ouvrage vraiment classique. Cet illustre auteur , en s'ap-
puyant de l'autorité des plus grands écrivains , et au moyen de calculs
très-exacts , a vérifié , ou au moins réduit à la plus grande probabilité , les
ep.ocru.es de l'histoire Grecque. Il s'est servi surtout pour cela des Faste»
Attiques de Corsini. V. l'Hérodote commenté par lui , tom. VIL
(5) Eschile eut pour successeur dans la charge d'Archonte Alcméon t
qui ne la conserva que deux ans. A la troisième année de l'Archontat
d'Eschiîe , qui fut 776 avant l'ère vulgaire , commença l'Olympiade de
Corébe , ainsi appelée parce que Corébe d'Elée avait remporté cette année
là le prix aux jeux olympiques. Cette olympiade passe généralement pour
la première , comme étant celle dont les Grecs ont fait la base de leur
chronologie. A compter de cette époque , nous continuerons à rapporter
les années de l'olympiade, avant celies qui ont précédé la venue du Christ.
Ji8 Gouvernement

gaire. Il n'y eut que sept Archontes décennaux, et dans ce nom-


bre est compris Hyppoméne quatrième Archonte, malgré qu'il ait
été déposé de sa charge dans la neuvième année (i).
Mais les Athéniens trouvèrent encore excessive et dangereuse
cette autorité de dix ans. Us en réduisirent donc la durée à un
an seulement; et pour qu'il ne restât plus la moindre trace de
Monarchie, ils portèrent à neuf le nombre de ces Archontes an-
nuels. Le premier d'entre eux s'appelait simplement V Archonte 9
ou Y Archonte Eponyme; le second Y Archonte Roi; le troisième le
Polémarque ; et les six autres Tesmothétes ou Législateurs. Le nom
de l'Archonte Eponyme se trouve presque toujours désigné fidèlement
dans la chronologie d'Athènes , parce que c'était de lui que l'an-
rfrckonies
annuels. née prenait son nom. Les Archontes annuels entraient dans l'exer-
cice de leur charge au commencement de janvier, et l'Àrchontat
correspondait par conséquent à quelqu'année que ce fût de la pé-
riode Julienne, on de l'ère qui a précédé la venue du Christ (a).
Le premier Archonte annuel fut Créon , qui entra en charge la
quatrième année de la XXIlI.e olympiade, ou 684 ans avant l'ère
vulgaire (3). Les Archontes se tiraient au sort: ils étaient obligés
de subir un premier examen dans le Sénat, puis un autre devant le
peuple. On leur demandait si , depuis trois générations, ils étaient des-
cendans de citoyens Athéniens des deux côtés 3 paternel et mater-
nel; à quelle tribu ils appartenaient; s'ils étaient parens d'Apol-
lon et de Jupiter LIercéen (4)5 s'^s n'avaient jamais manqué de
respect à leurs parens; s'ils avaient combattu pour la patrie; s'ils

(1) Mémoir. de l'Académ. des Bell. Lettres t. XLVI. pag. 61.


(2) Les Athéniens conservèrent l'usage de commencer leur année par
un mois qui répondait à notre janvier , iusqu'à la réforme du Calendrier
faite par Méthon , l'an 4682 de la période Julienne , 4^2 ans avant l'ère
v Igaire. Depuis cette époque , l'année Athénienne commença avec l'année
olympique.
(3) Marmora Oxoniens. Epoch XXXIII.
(4) Il n'y avait pas d'Athénien qui ne se vantât d'être en parenté
avec Apollon et Jupiter. On jugeait par la réponse que fesait l'Archonte
à cet égard , si l'individu était réelement Athénien. V. Aristophane dans
sa comédie des Oiseaux. Néanmoins l'usage vint peu à-peu de nommer
à la dignité d'Archonte } même des citoyens de nouvelle date , pourvu toute
fois que leur mère fût Athénienne d'origine. V. Plutarq. Symphosiaq.
.11 y, I. , et Probl. liy, L Probl. 10, et liv. X dern. Probl.
fis la Grèce. î rg

étaient assez riches pour soutenir l'éclat de leur dignité; et enfin


s'ils étaient sains de corps. Les nouveaux Archontes se rendaient au
forum, on au portique royal, où, devant une pierre sacrée à ce
destinée, ils juraient d'observer les lois, de ne recevoir aucun pré-
sent,de n'user d'aucune partialité dans leurs jugemens , et s'enga-
geaient en outre â faire dresser à leurs frais, dans le temple de
Delphes, une statue en or de leur grandeur, dans le cas où ils man-
queraient àleur serment.
Parmi les fonctions des Archontes, il y en avait qui étaient ^ Fonction
communes à tout le corps, et d'autres particulières à chacun de des Arohontc'i'
ses membres. Du nombre des premières étaient, la condamnation des
malfaiteurs à la peine capitale, la nomination des magistrats infé-
rieurs la
j surveillance sur la conduite de tous les autres magistrats, et
la destitution de ceux qui s'étaient montrés indignes du choix que
le peuple avait fait d'eux. L'Archonte Eponyme avait la présidence
sur les autres , et donnait son nom à Tannée comme nous venons
de l'observer (î). Sa jurisdiction s'étendait sur tous les citoyens
Athéniens, sur les contestations entre mari et femme, sur les fem-
mes qui avaient accouché après la mort de leur mari , sur les te-
stamens, les legs, les dotations, les orphelins, et enfin sur tous les
citoyens sujets à l'ivresse ou à quelqu'autre vice grossier. Mais s'il
était trouvé ivre lui même , il était aussitôt condamné à mort. Il
avait en outre l'inspection des fêtes , et surtout de celles qu'on ap-
pelait Dionysies s ainsi que celle des jeux publics et des spectacles.
Il tenait son tribunal à VOdeum (a). Fonctions
de l'Archotttï;
L'Archonte Roi siégeait sous un portique, qu'on appelait pour
cela portique royal , et décidait les causes entre les prêtres et les
Roi.
familles sacrées: il jugeait les citoyens accusés de profanation, avait
la présidence dans la célébration des mystères d'Eleusis, de Bac-
chus et autres cérémonies religieuses, et offrait les sacrifices publics
dans les cas où il s'agissait d'invoquer les Dieux pour la prospérité
de l'état. C'était encore à lui qu'appartenait l'examen des procès
pour cause d'homicide , et d'en référer â l'Aréopage. Son épouse
portait le nom de Reine , et elle pouvait intervenir dans quelques-
unes des fonctions de son mari , à moins qu'elle n'eût été veuve.

(i~\ Zvâtvfiôs t de eVafo^ <*£*., surnom.


(2) Odeum du mot grec *<&» , chant : c'était le nom d'un espèce de
théâtre qui ne servait que pour le chant et les concours de musique , com-
me nous le verrons ensuite.
1^^ Gouvernement

avant de l'épouser, ou qu'elle ne fut point issue d'une ancienne


famille d'Athènes. Le Polémarque avait l'inspection sur les étran-
gers , sur tous les habitans d'Athènes qui n'avaient pas encore ac-
quis le droit de citoyen, et avait la présidence dans les affaires
de guerre (i). C'était lui en outre qui offrait les sacrifices à Mars,
et à Diane dgrotcre, ou chasseresse. On renouvellait tous les ans
ces sacrifices en mémoire de la victoire remportée à Marathon. Il
avait aussi la préséance Sans les jeux funéraires, qui se célébraient
en l'honneur des citoyens morts pour la défense de la patrie , et
rendait chaque année l'hommage solennel consacré à la çloired'Ar-
modius et d'Aristogiton , qui avaient délivré Athènes de la ty-
rannie d'Hipparque. Enfin il était chargé de veiller à ce que les
enfans des citoyens morts au service de la patrie fussent entretenus
Us aux dépens du public (a). Les Thesmotétes , ou les six autres Ar-
chontes recevaient les accusations de calomnie, de subornation et
d'impiété : ils jugeaient les contestations entre les marchands , dé-
féraient l'appel au peuple dont ils recueillaient les suffrages, et
avaient la direction des tribunaux ou des magistratures inférieures:
:ils accusaient dans l'assemblée du. peuple les citoyens qui avaient
tenté de suborner ou de tromper les juges , ratifiaient les traités
de paix , et s'opposaient aux projets de loi qui pouvaient être con-
traires au bien public (3).
Après que les neuf Archontes avaient rendu compte de leur
administration, ils étaient admis dans l'Aréopage, quoi qu'en di-
sent certains écrivains qui prétendent que cette prérogative n'était
réservée qu'aux Thesmotétes seulement. C'était aussi les seuls ma-
gistrats qui fussent exempts d'impositions publiques.
kSucèefsïmn non La succession des Archontes Eponymes ne souffrit jamais d'in-
J^Archomes terruption et se fit toujours avec régularité, malgré les fréquentes
Eponymes. évolutions dont Athènes fut le théâtre. Le savant Corsini 3 dans
ses fastes Àttiques , ne compte pas moins de mille cent soixante
neuf de ces magistrats , depuis Créon jusqu'à Théogéne , c'est-à-

(1) On disait Hù\ipws de v'tMptt , guerre, et de *^* avoir la direction.


(2) Il était accordé quelquefois un conseiller à chacun des trois pre-
miers Archontes t surtout lorsque leur grand âge ou le défaut d'expérience
ne leur permettait pas de satisfaire pleinement aux devoirs de leur place.
Ces conseillers s'appelaient vfiJfn t ou assesseurs
(3) Le mot ««•/*«0«r*« dérive de t*/** loi, et rfh/** poser.
"7^

JÂAUA À À À À À A' ± A À. A. A. 1 ^ À. X A J
DE LA G .RÉ CE. 121

dire jusqu'à la CCGXX.e olympiade, vers l'an 494 de notre ère ,


sur quoi on peut encore consulter les antiquités Grecques de Gro-
nove. Plusieurs autres villes delà Grèce eurent encore, sous les Em-
pereurs Romains , pour magistrats suprêmes deux Archontes, dont
les fonctions étaient les mêmes que celles qu'exerçaient les Dé~
cèmvirs dans les colonies et les villes municipales (r). Nous re-
marquerons en outre que plusieurs de ces Empereurs prirent quel-
quefois le titre d'Archontes Athéniens, ainsi qu'on peut le voir dans
les mêmes Fastes , dans Gronove et autres écrivains.
Les Archontes avaient pour marque distinctive une couronne Marque
de myrte ou de laurier qui leur ceignait f /•»■
le iront s \
(aj. ri I '
Celui qui• desdistinctive
Arckont^..
aurait osé offenser un Archonte ayant sa couronne, était condanné
à deè peines infamantes, comme s'il eût outragé la patrie même.
On voit dans les peintures des vases antiques du chevalier Hamilton
deux figures, que l'illustre commentateur de ces beaux monumens
croit être celles de deux Archontes dans l'exercice de leurs fonc-
tions (3). La fig. n.° 1 de la planche ao avec un bâton tortu re-
présente l'Archonte Eponyme, examinant un jeune homme qui
avait probablement demandé d'être initié au sacerdoce : c'est la
conjecture qu'on pourrait tirer de l'autel qu'on apperçoit , lequel
a la forme d'une colonne , et ressemble en cela à celui qui était
destiné à cette cérémonie dans le Forum d'Athènes. Le bâton tortu Marque
était précisément le signe distinctif de l'Eponyme , comme le bâ- de riîpoLjma:
ton droit était celui des autres Archontes. L'Archonte Roi est aussi
présent à cet examen, comme ayant l'inspection particulière sui-
dai) On trouve aussi par fois dans les anciennes médailles , des femmes
sous la dénomination d 'Archontes \ Il est même des auteurs du bas empire
qui donnent ce nom à certains fonctionnaires tant laïcs qu'ecclésiastiques ,
et le plus souvent aux grands de la cour des Empereurs de Constantinople.
Ainsi on appelait Archonte des Archontes , ou grand Archonte } le pre-
mier dignitaire de l'état après l'Empereur ; Archonte des églises , Ar-
chonte de V Evangile un archevêque , un evêque ; Archonte des murail-
les le surintendant des fortifications etc. etc.
(2) V. Meurs, in Thesaur. Antiq. Graec. tom. IV. col. 1109, et alibi.
Il ne nous a pas été possible néanmoins jusqu'ici de trouver dans les mo-
numens aucun Archonte avec cette couronne.
(3) Ces deux monumens sont pris de la première édition de Florence
de 1800 etc. , et nous avons cru à propos de les rapporter en entier , pour
qu'on juge mieux de la composition et de l'action des divers personnages
êjui y sont représentés.
Europe. Foi. L tQ
iaa OonVERHEMEKï
tout ce qui avait rapport au culte. Le n.° a représente probablement
un Archonte Roi entre ses deux adjoints ou assesseurs (i). J| tient
en main le bâton accoutumé, qui était commun également à tous
les autres juges (a). On voit dans le personnage , ou l'adjoint qui
parle ayant un bras nu, une preuve que tel était l'usage de celui
qui haranguait (3). Ces deux monumens sont les seuls dans lesquels
nous avons reconnu les marques distinctives des Archontes, ainsi que
de tous les autres magistrats; et nous nous abstiendrons d'en citer
d'autres , pour ne point tomber dans l'erreur de Spallart et autres
écrivains, qui ont donné comme authentiques des monumens d'une
origine incertaine ou pris du costume Romain } en les rapportant
faussement à celui des Grecs.

fafhprudence ^ous avons vu jusqu'ici les principaux magistrats d'Athènes


des Grecs. creés à diverses époques , et même avant que cette ville célèbre
eût un code de lois écrites. Ces magistrats n'eurent pendant long
tems pour code de jurisprudence que leur propre sagesse , avec un
petit nombre de lois qu'ils tenaient de leurs ancêtres, et que l'usage
ou la tradition avaient conservées. Il est même prouvé que les an-
ciens législateurs de la Grèce eurent recours au chant, pour mieux
graver leurs lois dans l'esprit du peuple , et les transmettre pi us
sûrement à la postérité. C'est pourquoi les Grecs donnaient éga-
lement le nom de wF,t aux lois et aux chansons (4). C'est donc

(i) Dans les fonctions sacrées dont l'exercice lui appartenait , l'Ar-
chonte Roi se fesait assister de deux adjoints choisis par lui. Mais pourtant
ils ne pouvaient être admis à cet honneur , qu'après avoir passé au scru-
tin dans le sénat des 5oo , et subi un examen par devant un juge à ce
destiné. V. Poil. liv. VIII. sect. 92.
(a) Poil. liv. VIII. sect. 16. On lit dans YEtymologiste , que le bâ-
ton droit était porté par ceux qui avaient une -prééminence , et par les
juges. C'est pourquoi on notait dans Athènes , comme marques d'un esprit
altier , et qui voulait paraître au-dessus des autres , ces trois choses-ci ;
marcher vite , parler haut, et porter un baron. V. Démosth advers.
P antaenet. , et le Casaubon , Théophraste , Char, chap. 7. Des formes et
usages divers des hâtons.
(3) Prassagoras dans une comédie d'Aristophane suggère aux femmes
qui allaient à son école, d'imiter aussi en cela les orateurs. Aristoph.
Prassagoras , vers. 267.
(4) Graecarum quippe urbium multae ad lyram leges , decrçtaque
publica recUalian^ Martian, Gapella de Nupt, Philolog. etc.
dé ha Grèce. ia3

St Dracon , â ce qu*it semble , que les Athéniens sont redevables


de leur premier code de lois écrites (i). Ce peuple, d'un carac-
tère inconstant et léger, jaloux à l'excès du pouvoir qu'il déférait
à ses magistrats, qu'aucune guerre n'inquiétait, et resserré dans
les limites d'un petit territoire, portait dans son propre sein les ger-
mes de la discorde. Ses besoins et ses vices allaient croissant avec
ses connaissances. Enfin se voyant exposée aux plus grands malheurs
et à une révolution imminente , Athènes sentit la nécessité de con-
fier pour quelque tems le pouvoir suprême à un seul homme, qui
fut assez sage pour lui donner un code de lois analogues à sa po-
sition ,et telles que l'observation en fût inviolable et sacrée. Cet Dracon.
homme fut précisément Dracon , le soixantième des Archontes an-
nuels (a). Il publia ses lois la quatrième année de la XXXIII.6 olym- Sévérité
piade ;mais leur sévérité était telle qu'elles punissaient de mort la de Dracon
moindre faute: ce qui fit dire à Démades, qu'elles étaient écrites
avec le sang. Un homme convaincu de vivre dans l'oisiveté, ou
d'avoir volé quelques légumes , était réputé aussi criminel qu'un
assassin ou le plus grand scélérat. Ces lois devaient subir le sort de tout
ce qui porte un caractère de violence, et elles ne durèrent en ef-
fet que vingt six ans (3). Fatigués delourjoug, et sans en décla-
rer l'abolition , les Athéniens s'abandonnèrent à la licence la plus Cliiloji. -
effrénée. Chilon un des citoyens les plus marquans, et qui s'était
acquis une grande réputation aux jeux olympiques où il avait rem-
porté leprix ne la double stade, tenta de s'emparer du pouvoir
suprême. Il échappa au supplice par la fuite, mais ses complices
furent mis à mort par l'effet d'une trahison sacrilège. Cet événe-
ment fut suivi de toutes sortes de désordres et de calamités, aux-
quelles sejoignit encore la perte de Nysée et de Salamines , qui

(i) Nous ne nierons pourtant pas pour cela , que les Athéniens ayent
eu des lois écrites même avant Dracon. Démosthéne (m Naeram} parle
d une loi de Thésée qui était gravée sur une colonne. Nous voulons dire
Seulement
lois écrites. , qu'avant Dracon ils n'eurent point un code , une collection de
(2) Clément. Alexandr. Stromat. lib. I. pag. 366.
(5) La mort de Dracon fut tragique et glorieuse. S'étant montré un
jour au théâtre , il y fut accueilli au milieu des plus vives acclamations ;
et pour lui donner un témoignage spécial de leur amour et de leur res-
pect ,les spectateurs lui jettérent de tous côtés une si grande quantité de
-vêtemens, qu'il fut étouffé dessous.
1^4 Gouvernement

tombèrent au pouvoir des Mégariens. La peste, dont "Lucien fait


un tableau si pathétique dans son sixième livre de rerum natum 9
mit le comble à la désolation de Athéniens. Dans leur extrême dé-
Çpimënide. tresse, ils appelèrent à leur secours Epiménide, devin de Crète ,
qui avait su par son art en imposer à tonte la Grèce. Il purifia
]a ville, et y rétablit la tranquillité (i). Mais à peine fut-il parti ,
que les factions se rallumèrent avec encore plus de fureur, et
Athènes se vit bientôt réduite une autre fois à cette extrémité 9
où il faut de toute nécessité qu'un état périsse , ou qu'il s'abandonne
à la sagesse et à la direction d'un seul homme. Solon qui s'était
déjà rendu recommandable par la douceur de son caractère , par
son éloquence et par l'heureux stratagème dont il se servit pour
délivrer Salamine de l'invasion des Mégariens, fut choisi d'une
voix unanime pour législateur et pour Souverain; mais il ne voulut

Solon , et sa
accepter que la dignité d'Archonte (a).
■ canslituLion. Solon commença sa réforme par l'abolition des lois de Dracon,
dont on ne conserva que celles qui concernaient l'homicide ; et
comme les troubles publics avaient eu leur principale cause dan*
l'extrême inégalité des fortunes entre les citoyens , dont les uns
étaient immensément riches, et les autres réduits à la plus grande
pauvreté , il voulut d'abord affranchir le grand nombre des débi-
teurs du payement de leurs dettes, et rendre la liberté aux escla-
Division
ves , ce dont il donna le premier l'exemple. Il donna à Athènes
de la
une constitution démocratique , et divisa la population en quatre
population classes. Les trois premières comprenaient les riches, auxquels étaient
tribus, réservées exclusivement les charges et les dignités. Ces trois classes
furent divisées dans la proportion des richesses de chaque indivi-
du (3). La quatrième classe était composée des artisans et des mer-

(i) Qu'on lise ce que dit Hérodote, Thersic. liv. V. parag. LXXI.
édit. de Larcher , au sujet de ce devin fameux. Il éleva , à cette occasion ,
quelques autels aux Dieux inconnus , qui subsistaient encore du tems
de Saint Paul , et qui fournirent à cet Apôtre le sujet de l'éloquent dis-
cours dont il est parlé dans les Actes des Apôtres.
(2) Ce fut la seconde année de la XLVI e olympiade , 594 ans avant
l'ère vulgaire. V. Plutarq. dans Solon , eu Diog. Laerb. liv. I. segm. 62.
Solon fut le quatre vingt seizième Archonte annuel.
(3) La première classe se composait des riches, dont le revenu se
montait à cinq cent mesures de grain et autres productions ; la seconde ,
de ceux qui eu recueillaient trois cents mesures^ et qui pouvaient en tems
o e la Grèce, ino
.ccnaires. Malgré que les citoyens de cette dernière classe fussent
exclus des emplois, ils n'en avaient pas moins le droit de voter
dans les assemblées générales, droit qui rendit bientôt le peuple
l'arbitre absolu des délibérations publiques. Solon releva l'autorité Jutorité
. de t-'Jràop.'igr
de l'Aréopage, et donna au Sénat l'organisation dont nous venons de relevée
parler. Il confia à l'Aréopage le soin de veiller à l'éducation des
enfans ,' et voulut qu'on les instruisît dans les sciences spéculati-
ves , afin qu'accoutumés de bonne heure au raisonnement, ils pus-,
sent, dans un âge plus avancé, étudier avec plus de fruit l'histoi-
re, la politique et les lois. Il puisa un moyen d'instruction non
moins utile , dans le goût des Athéniens pour les plaisirs , en don-
nant pour sujet des représentations théâtrales les funestes effets
des dissensions et des désordres de toutes sortes, qui font la ruine
des états. C'est depuis cette époque, qu'on vit mettre en scène le*
belles actions et les vertus des grands hommes, ainsi que les pas-
sions et les vices du peuple et des magistrats. Ce sage législateur
établit en outre une juste proportion entre les délits et les peines;
mais il n'en prononça aucune contre le parricide , ne croyant pas
que la nature pût produire de monstre capable de commettre un
tel forfait. L'extrême rigidité des Athéniens en tout ce qui tenait
au culte, fit qu'il ne leur donna que peu de lois en matière de
religion. Il ,conserv) , celles deT Dracon
. 1contre
1 • r» les i
• oisifs, • x. en
• rédui-
1 Lot
tes contre*
oisifs*
gant cependant à une simple peine d inlamie la punition de ce
délit; et il y ajouta ce sage règlement, pris des institutions Egyp-
tiennes, qui obligeait chaque individu à se présenter tous les an»
devajit un magistrat pour y justifier de ses moyens d'existence. Si
ces moyens étaient contraires à l'honnêteté , il était condamné pour
la première fois à une amende de cent drachmes (i), et à la troi-
sième il encourait la peine d'infamie.
Mais, parmi les lois dont Solon fut l'auteur , on doit citer par- toir&tit*
ticuliérement celle qu'il regardait comme le palladium de son édi-
fice politique , et qui était conçue en ces termes. « Si l'esprit de
faction vient à diviser le peuple en deux partis , au point de le
faire courir aux armes , celui qui dans cette circonstance ne se

de guerre entretenir un cheval à leurs frais ; et le troisième , de ceux qui


n'en
Plut, avaient que deux cent. V. Aristob. Politiq. liv. II. chap. XII. et
dans Solon.

(i) go francs.
ï^6 G-OUVERNEMEMT
prononcera pour aucun des deux partis, et qui chercherait ainsi à
se soustraire aux malheurs de la patrie, sera condamné à l'exil
perpétuel et à la confiscation de ses biens. „ L'expérience de tous
les siècles a justifié l'utilité de cette loi: car on a toujours vu dans
les révolutions politiques, les individus qui étaient demeurés specta-
teurs timides ou indifférens de la lutte de deux partis contraires ,
se repentir, mais trop tard, de leur neutralité, après que la fac-
tion victorieuse avait renversé le gouvernement, et imprimé sur leur
front Panathême de la proscription et de la mort (i).
lois de Soion, Nous nous bornerons à ce peu d'observations sur les points les
Jnt'ZrLs. plus remarquables de la législation de Solon , notre tâche n'étant
pas d'entrer dans de plus grands d'étails sur cette matière (a). Ses
lois furent écrites sur des cylindres de bois encadrés dans un châs-
sis où ils étaient mobiles. On plaça d'abord ces cylindres dans
V Acropolis , c'est-à-dire dans la citadelle, qui était l'endroit le pins
fort d'Athènes; puis on les transporta au Prytanée , pour qu'il fût
libre à tout citoyen d'y venir consulter les lois. Plutarque assure que
de son tems on voyait encore quelques-uns de ces cylindres. Les
Athéniens s'engagèrent par serment à ne rien changer aux lois de
Solon pendant dix ans; mais ce sage législateur qui connaissait, la
légèreté et l'inconstance de ses concitoyens, crut à propos d'allé-

(i) Anquetil, Précis de l'Histoire univ. tom. I. pag. 408.


(2) Parmi, les lois ciAriles de Solon , nous citerons les suivantes comme
des plus remarquables. Une riche héritière qui se trouvait avoir été trom-
pée après le mariage , par la connaissance actuelle de quelque défaut na-
turel et antique dans la personne de son mari , pouvait se remarier avec
le plus proche parent de celui-ci. Toute espèce d'injure contre les gens
décédés était défendue. Pour encourager l'industrie et les manufactures , et
suppléer à l'insuffisance des productions territoriales , Solon voulut que le
père qui n'aurait pas fait apprendre un métier à son fils, ne put préten-
dre de lui aucun secours lorsqu'il serait dans le besoin. L'adultère pris
sur le fait pouvait être tué impunément } et il était défendu à sa com-
plice de porter aucun ornement , et de paraître dans les sacrifices publics.
L'exportation des produits du sol , excepté l'huile , était interdite. Il
n'était point permis au tuteur d'habiter sous le même toit avec la femme
de son pupille. Le soldat coupable de lâcheté , était exclus des lieux pu-
blics comme personne infâme. Les injures particulières étaient réputées une
offense contre la société entière. Tout Athénien avait droit de citer en
jugement celui qui en avait offensé un autre. V. Anquetil au même en-
droit ,et Roberston Hist, of Greece etc.
fis la Grec k. iiïj

guer le prétexte de vouloir aller s'instruire chez divers peuples ± ^yage


et surtout chez les Egyptiens , de leurs différens usages, pour entre- éeSoiow
prendre un voyage dont l'unique motif était de se soustraire à la
nécessité d'opérer quelque changement dans sa législation (j). De
retour au bout de dix ans, il ne voulut plus se mêler d'affaires de
gouvernement , et fixa sa demeure sur la colline de Mars., content
de présider l'Aréopage.
Les lois de Solon étaient si sages, que les Romains en firent S'w*e
îa base de leur jurisprudence. Il semblerait que le concours de
l'Aréopage et du Sénat à leur maintien,, aurait dû garantir Athènes
de toute agitation et de nouveaux troubles , car ces deux corps po-
litiques avaient pour attributions; le premier de veiller à l'intégrité
de la constitution , et de contenir l'ambition des riches; et le second
d'empêcher que le peuple ne s'abbandonnât aux excès d'une licence
dangereuse. Et pourtant Athènes n'en devint pas moins plus que jamais
le théâtre des plus funestes dissensions. Les politiques croyent voir Caractère
la cause de ces désordres , d'abord dans le caractère même des Athé-
niens, singulièrement jaloux d'une liberté mal entendue, dans leur
goût pour le luxe et les plairirs , et dans leur facilité à se laisser
corrompre, et à céder à l'ascendant des citoyens ambitieux ; et en
second, lieu dans la licence et l'autorité eccessive du peuple ^ qui
rejettait souvent les mesures les plus salutaires qui lui étaient pro-
posées par le Sénat. C'est ce qui donna lieu un jour à Anacharsis
de dire à Solon même: « Je vois avec étonnernent chez vous leâ
sages n'avoir que le droit de proposer, tandis que les fous y ont
celui de décider (aj. A ces causes il faut encore joindre l'esprit
de faction qui dominait souvent dans le Sénat, et qui était en
quelque sorte inévitable , dans un corps dont les membres étaient si

(i) Hérod. vol. I. Clio. liv. I. parag. XXIX.


(2) Lisez Goguet sur les vices du Gouvernement d'Athènes, III.e part,
liv I. chap. V. art. I. etc. et De Real , Science du Gouvern. pag. 226.
Montesquieu , en parlant du caractère des Athéniens et des Spartiate?
s'expiime ainsi : « Les Athéniens montraient de la gaieté en tout ; une
plaisanterie , un bon mot t avaient pour eux les mêmes charmes à la tri-
bune comme sur la scène. Le caractère des Lacédémoniens était au con-
traire grave , sérieux , avide , taciturne. On n'auroit pas plus gagné à en-
nuyer un Athénien , qu'à vouloir amuser un Spartiate. » On trouve encore
dans Théophraste une fort belle peinture du caractère Athénien , et Bar-
thelmy s'en est avantageusement servi dans son voyage du jeune Ana-
charsis.
'&8 GoùVe r a~ e m ekï
nombreux. « L'expérience , dit Goguet , a toujours prouvé , que
les tètes des grands hommes se rapetissent , pour ainsi dire , lors-

qu'elles sont réunies entre elles; et que là où il y a plus de sao-es ,


on trouve moins de sagesse (i). „ Aussi Solon eut-il occasion de
dire, que s'il n'avait pas donné aux Athéniens les meilleures lois
possibles, c'était au moins celles qu'ils étaient le plus dans le cas
de supporter.
traitement
se* magistratsOn.,.
ne peut qu'être
, , surpris
. „ en-,
effet du °grand nombre d'indivi-
Aihënims. dus qui étaient, employés dans 1 administration publique. Ils étaient
tous salariés par l'état; mais leur traitement était si modique , qu'il
nè suffisait pas à un juge pour vivre même décemment (a) : ce qui
donnerait à présumer , que les magistrats avaient d'autres moyens de
nepem pourvoir à leur entretien. On ne pourrait également rien dire de
citoyens.
positif au sujet des richesses de trois premières classes de citoyens.
L'agriculture ne pouvait pas fournir de grandes ressources, dans un
territoire aussi restreint et aussi ingrat que celui de l'Attique , où
les productions de la terre étaient souvent insuffisantes pour les pre-
miers besoins. Il paraîtrait donc que l'état tirait ses revenus; pre-
mièrement dés productions du sol 5 c'est-à-dire de la vente des bois
et de l'argent des mines ; secondement (3) de3 amendes et des con-

(i) Aristophane ( Equit. act. 2 ) représente le peuple d'Athènes sous


limage d'un vieillard plein de sens dans sa propre maison , mais enfant
et dénué de raison dans ses assemblées publiques.
(2) Le salaire d'un juge pour une sentence était ordinairement de
trois oboles , qui valent trois sous de notre monnaie. V. Lucien Dlcaste-
ria , et Sigonius De Pœp. AtJien , Larcher et autres. Mais aussi on accor-
dait aux magistrats et aux citoyens qui avaient bien mérité de la patrie ,
des honneurs et des récompenses d'un autre genre. Tels étaient par exem-
ple les suivans \ ïïpoo-eâpla , le droit d'occuper une des premières places
dans les spectacles et dans les banquets publics ; Exâv 3 l'inauguration d'une
statue dans un lieu public ; lLri(pavjoi des couronnes qui était décernées tantôt
par le sénat et tantôt par les tribus; Aré/leia, l'immunité de toute charge,
publique, qui ne s'accordait pourtant que fort rarement ; et Zizla de airoç ,
froment , l'entretien aux frais de l'état dans le Pry tanée. V. Potter. endr.
déjà cit.
(3) Les principales peines, non seulement chez les Athéniens., mais
encore dans les autres états de la Grèce , peuvent se réduire aux suivan-
tes ,savoir ; Zqpia la peine pécuniaire ; Kri^ia l'infamie , ou l'ignominie qui
entraînait la privation de tout droit politique ; Aovùèia l'esclavage , par le
quel le coupable était réduit à la condition d'esclave ; Sr/y^ara l'impression
de la Grèce. 12,9

jfîscatio'ns prononcées par les tribunaux; troisièmement du commerce,


et sourtout du produit des manufactures; quatrièmement des taxes
extraordinaires qu'on imposait en cas de besoins urgens ; cinquiè-
mement enfin du butin fait à la guerre, ainsi que des contribu-
tione levées sur les peuples vaincus ou confédérés. Cette dernière
source de richesses fut en môme tems une des causes pour lesquelles
la république était presque toujours en guerre (1). Selon n'établit lae^f"tulnlâ
conslïuaiotb
aucune loi sur les régies d'équité à observer envers les autres peu- de Solon.
ples, ni sur les motifs qui rendent la guerre injuste ou légitime:
autre cause d'instabilité dans la constitution [d'Athènes. Lorsqu'un
générai s'était acquis une grande réputation , il n'avait pas de
peine à s'emparer du pouvoir suprême; et cette usurpation lui de-
venait encore d'autant moins difficile, que les Athéniens se laissaient

de certains caractères au moyen d'un fer rouge , spécialement sur la partie du


■ eorps qui avait eu le plus de part au délit , peine qui ne s'infligeait qu'aux
esclaves et aux citoyens les plus pervers ; St^/1»? , colonne , espèce de pi-
lori , parce qu'on écrivait le délit du criminel sur la colonne à laquelle
il était exposé à la dérision publique ; Aeo-fioç la prison, ou les fers ; Kvtpov ,
le collier de bois , ainsi appelé du mot xéicta qui veut dire courbe , parce
qu'il tenait, courbée la tète du coupable \ navo-ixàvcq , machine ronde qui em-
brassait le cou du criminel , de manière à lui empêcher de porter les mains
à sa bouche ; XoiviÇ , les ceps dans lesquels on lui serrait les pieds ou les
cuisses; Havlç autre espèce de pilori auquel il était attaché nu; <bvy^ , l'exil
à perpétuité, et la confiscation des biens ; Qàvaroç , la peine de mort qui
s'infligeait de diverses manières , savoir ; fyxpûç , quand on tranchait la tête
au criminel ; ~Bpo%oç , la corde , lorsqu'on le pendait à une colonne , ou à
une potence comme cela se pratique parmi nous , genre de mort le plus
infâme , et dont l'usage est très-ancien , ainsi qu'on le voit dans Homère ,
Odyss. liv. XXII. v. 465; ®âp{iaxov , le poison, qui était ordinairement la
cigùe ; 'Kpyipvoç, le précipice d'où on jettait le criminel ; Tôpœava ou rojtarx ,
les coups , le bâton dont on leî frappait jusqu'à la mort ; lixavpàç, la croix ,
dont parle Thucydide dans son livre premier : c'étaient deux morceaux
de bois joints ensemble transversalement , et qui , au dire de Lucien , re-
présentaient lalettre T : le coupable y était étendu , les mains clouées sur
le morceau de bois horisontal , et les pieds également cloués sur le morceau
vertical; Bôopaâpov , la fosse dans laquelle on l'enterrait ; enfin AiâofioXia,,
la lapidation , supplice très-usité et très-ancien , comme on peut le voir
dans Homère , Iliade liv. III. v. 5-j. V. Potter. Àrchaeol. Gr. liv. I. c. a5.
(1) Du tems d'Aristide, les contributions rapportaient 460 talens;
Périclés les accrut d'un tiers, et elles furent enfin portées à i5oo talens.
Y- Robertson a l'endr. déjà cit.
Europe- Fol. 1. jj
1 3o Gouvernement

éblouir aisément par les prestiges de l'éloquence, par le faste, et


tromper par les artifices quelquefois les plu?- puérils. Il ne faut
donc pas s'étonner , si , après avoir reçu les lois de Solon , Athènes
tomba presqu'aussi tôt sous la tyrannie de Pisistrate (i). Celui-ci
laissa le pouvoir suprême en héritage à ses deux fils Hipparque et
Jàfe nvelles
Hippias. Le premier fut tué par Aristogiton et Harmodius, aux-
factions.
quels cette action valut les honneurs divins _, comme nous l'avons re-
marqué. Hippias vengea cruellement la mort de son frère. Fatigués
de son joug, les Athéniens le chassèrent et lui jurèrent une haine
éternelle, ainsi qu'à tous les descendans de Pisistrate. Mais les fac-
de Reforme
Clisthéne. tions ne tardèrent point à renaître. Clisthéne et Isagore , tous deux
citoyens puissans , cherchèrent à usurper l'autorité souveraine, en
se déclarant, l'un pour la démocratie, et l'autre pour l'aristocratie.
Clisthéne, riche et soutenu de la faveur du peuple, l'emporta sur
son rival: il divisa les quatre tribus (a) en dix, changea les noms
que quelques-unes avaient emprunté des enfans d'Ion, comme celles
de Géleon, (VEgicore, à\4rgade et à'Ople , et leur en substitua d'au-
tres pris de divers héros de FAttique , dans le nombre desquels il
voulut aussi comprendre Jjax , comme ayant été d'un pays voisin
et allié des Athéniens (3).
Ostra
Clisthéne introduisit l'ostracisme, sous le prétexte apparent
d'empêcher les citoyens ambitieux d'aspirer au pouvoir suprême 0
mais dans l'intention réele de se délivrer lui même de ses puissans
rivaux (4). Mais il eut précisément le sort , que nous voyons dans

(i) Solon morut dans l'exil où il s'était condamné volontairement


après l'usurpation de Pisistrate , et on lui décerna dans Athènes l'honneur
d'une statue. Pisistrate mourut après son second exil , l'an 5â8 avant l'ère
Hérodot. Les
vulgaire. Pisistratides régnèrent 55 ans au dire d'Aristote , et 36 selon
V. Larcher.
(2) Par cette augmentation de tribus, Clisthéne porta un coup fatal
à la constitution d'Athènes , en donnant ainsi le rang de citoyen à une
foule d'étrangers , de fugitifs et même d'esclaves. V. G illies Hist. of Greece.
vol. I. pag. 464.
(3) Hérod. Therpsic. liv. V. parag. LXVI. La division de la popula*
tion d'Athènes en dix tribus , eut lieu l'an 4 de la LXVII.e olympiade ,
environ 509 ans avant l'ère vulgaire.
(4) En attribuant à Clisthéne rétablissement de l'ostracisme , non*
n'avons fait que nous conformer à l'opinion d'Elien , comme ont fait Ro-
hertson et autres* Nous n'ignorons pas cependant , que le sentiment des
t>E la Grèce. î3r

l'histoire, avoir été souvent celui de divers autres législateurs qui


voulurent établir des peines en matière civile s et fut le premier
condamné à l'ostracisme (i). Au moyeu de cette mesure, les cî-l
toyens, que leur trop de crédit ou de richesses rendait dangereux à
3a patrie, étaieut condamnés à un exil de dix ans, qui n'empor-
tait ni l'infamie ni la confiscation des biens. Chaque citoyen écri-
vait sur une tablette de terre cuite, le nom de celui dont il voulait
la condamnation; et comme ces tablettes étaient faites en forme de
coquille , on donna à la foraiule môme de cette condamnation le
nom de oarpax^wv du mot oçrpaxbv , qui veut dire testula , tablette , ou
de ocreàv qui signifie os. Ces tablettes se mettaient dans un vase ou
dans une urne , et la décision se prenait d'après la pluralité des
voix. Pour que l'ostracisme eût son plein effet , il fallait d'abord
que le nombre des votans ne fût pas au dessous de six mille; en
second lieu qu'ils n'eussent pas moins de LX ans chacun. Leur sa-
laire était de trois oboles , ou d'une demi draine.
o Cette institution. j dePif " ef-fe\
i ostracisrng.

dont le but semblait être de mettre la liberté publique à l'abri


de toute atteinte 3 devint bientôt pour le peuple , et même poul-
ies simples particuliers , un moyen de persécution contre les citoyens
qui avaient le plus mérité de la patrie. C'est ainsi que furent ban-
nis de l'Attique, Aristide dont le seul délit était d'avoir mérité
le surnom de Juste , et Thémistocle pour s'être acquis trop de gloire
par les armes. Mais l'ostracisme, qui ne devait être dans son prin-
cipe qu'un exil honorable pour les citoyens devenus trop puissans
par leurs richesses ou leur crédit , tomba enfin dans l'avilissement
par la condamnation d'Hyperbolus , homme du peuple, et d'une
naissance abjecte et méprisable. Cet homme était parvenu par son AboMon
éloquence hardie et populaire, de l'état de marchand de cloches deCosLracism'

écrivains est partagé à cet égard. Diodore de Sicile dit , que l'ostracisme
fut institué après l'expulsion des Pisistratides d'Atk4ïies. On lit dans Plutar-
que , que le premier condamné à l'ostracisme fut Hipparque fils de Timarque
beau-frère d'Hippias. Héraclide de Repub. l'attribue au même Hippias fils
de Pisistrate. Phocius lui donne pour auteur Achille fils de Lyson. Suidas
et Eusébe en font remonter l'origine jusqu'à Thésée. On peut cependant
regarder comme chose certaine , qu'il n'est fait mention de l'ostracisme }
pris dans son vrai sens , que depuis la réforme de Glisthéne. V. Meurs.
Attiq. lection , liv. V. chap. 18. Gillies. Hist. of Greece : ce dernier sem-
ble d'avis, que l'ostracisme a été établi à deux époques différentes,
(i) Aelianus liv. X1JL Var. Histor. chap. 24.
i 3j2 Gouvernement
au pouvoir suprême. Devenu ainsi un démagogue turbulent et am-
bitieux il
, ne tarda pas à s'attirer le mépris et îa haine des Athé-
niens. Tel est souvent le sort des états démocratiques , d'être gou-
vernés par des gens de la lie du peuple y dont tout le mérite con-
siste dans une coupable audace. Il subit donc la loi de l'ostracis-
me (i); mais les Athéniens en furent tellement pénétrés de honte ,
qu'ils l'abolirent pour toujours. Thucydide a peint en peu de mots
cet Hyperbolus, ainsi que le siècle où il vivait (a). « Hyperbolus
d'Athènes s dit-il , homme pervers , avait été banni par la voie de
l'ostracisme , non parce que son pouvoir ou son mérite fussent à crain-
dre , mais parce que tout était corrompu dans la république "(3). }>
Après l'expulsion de cet homme , Athènes fut gouvernée pendant qua-
tre mois par un conseil de quatre cents citoyens , appelés pour cela
ffus'Tet TetpxéffLoi (4). Mais à peine l'ordre y était-il rétabli y qu'il fut trou-
-imcédémomens j^ ^e nouveau d'une manière encore plus terrible , par la con-
quête que firent de cette ville les Laeédémoniens , au printems de
la /f.e année de la XCIIT.6 olympiade, 4°4 ans avant l'ère vulgaire,
Alexias étant Archonte : conquête qui mit fin à la fameuse guerre
du Péloponnèse. Lysandre, général des Spartiates, donna alors à
Athènes un gouvernement composé de trente magistrats , si connus
sous le nom des trente tyrans. Mais huit mois étaient à peine écoulés ,
que cette tyrannie fut détruite par le valeureux Trasibule. Le
gouvernement démocratique fut rétabli , et l'amnistie réunit tous
les citoyens. Cependant la jalousie et l'ambition ne perdirent rien
de leur activité dans Athènes. Les généraux et les orateurs se dis-
putaient entre eux le pouvoir suprême; mais ils ne purent, ni les
uns ni les autres , sauver la ville de la supériorité des forces du
conquérant Macédonien.
&S
Sous
Romains.
Après
x
la■ lis;ue
°
Achéene , les
-
Athéniens
■. ,
respirèrent
. ..
encore
quelque souffle de liberté; mais quelle barrière pouvaient-ils opposer

(i) Ceci arriva la première année de la XCII.e olympiade, 412 ans


avant l'ère vulgaire.
(2) Thucydid. lib. VIII. parag. 73.
(3) L'ostracisme n'était pas seulement en vigueur à Athènes , mais
encore dans toutes les villes de la Grèce qui avaient adopté le gouver-
nement démocratique , comme on peut le voir dans Aristote ( Polit, liv.
III. chap. i3 ). Les habitans d'Argos , de JVIilet et de Mégare lavaient
également proclamé.
(4) Diodor. de Sicàl lib. XIII. parag. 34. et Harpocrat. voc, T*r/>*Kà««.
© E" £ A G R Ê C È. I 33
désormais à la politique et à la puissance des Romainâ, qui allaient'
envahissant tout le monde? De tous ces grands capitaines qui avaient
sauvé tant de fois PÀttique et la Grèce entière, il ne restait plus-
que les noms. Sylla mit le siège devant Athènes qu'il pressa vigou-
reusement. Envain les Athéniens lui envoyèrent leurs vdéclamateurs
pour émouvoir sa sensibilité. L'érudition pédantesque des Sophistes
avait succédé à l'éloquence des Périclés et des Démosthénes. Us
parlèrent de Thésée , des grands hommes d'Athènes , et de leurs
anciens exploits contre les Perses, sans dire un seul mot du sujet
de leur ambassade. " Gardez pour vous, leur répondit Sylla ^ ces
fleurs de rhétorique. La République ne m'a point envoyé pour en-
tendre le récit de vos antiques provesses , mais pour punir votre
rébellion. „ A cette réponse, les Athéniens répartirent par des
mots piquans , par des satires et d'insoîens libelles contre le Gé-
néral Romain , unique héritage qu'ils avaient conservé de leurs an-
cêtres. Sa vengeance fut terrible , on massacra jusqu'aux femmes ff
et aux enfans. Athènes vit luire par fois sous les Empereurs Ro-
mains quelques rayons d'espérance , qui semblaient lui promettre le
retour de son ancienne splendeur ; mais leur éclat ne fut qu'appa-
rent et passager.
Il semblera peut-être à quelques-uns de nos lecteurs, que nous
nous sommes trop étendus sur le gouvernement d'Athènes. Nous
voudrions , pour notre justification , qu'ils eussent toujours présent
tes ces paroles de Cicéron : Adsunt Àthcnienses , unde hurnanitas 9
doctrina , religio , fruges , jura , leges ortae , atque in omnes terras
distrïbutae putantur (i). Athènes fut toujours regardée comme la
plus célèbre des villes de la Grèce , tant par le génie de ses ha-
bitans , que par le haut degré de perfection où les sciences et les
arts y furent portés , au point que le même Cicéron eut à dire s
de son tems , lorsque les beaux jours de la Grèce étaient déjà sur
leur déclin , tant la réputation de cette ville était encore fameuse :
ut jam fractum prope ac dehilitatum Graeciae nomen hujus urbis-,
lande nitatur (a).

(i) Orat. pro Flaôco.


(2) Or. 1^9.
I04 Gouvernement

CRETE.

ïtSÏT La Crétfî eut une fomie de gouvernement à une époque très-


reculée 9 et peut-être avant toutes les autres contrées de la Grèce :
car les habitans des îles qui étaient les plus voisines de l'Egypte
et autres pays où les peuples étaient déjà réunis en société, et ins-
truits dans les arts et les sciences, durent participer avant ceux
du continent aux découvertes et aux lumières des nations déjà civi-
lisées (i). Les lois de Crète servirent même de modèle à celles de
Sparte et autres villes Grecques. Elles furent dictées par Minos ,
premier de ce nom , célèbre dans les fastes héroïques par ses ex-
ploits , et. plus encore dans la mythologie, pour avoir été fait
par Jupiter juge aux enfers avec son frère Rhadamante (a). Il fut

(i) L'île de Crète , aujourd'hui appelée Candie , est située entre la


mer Egée ou l'Archipel , et la mer de Lybie à présent celle de Barbarie.
Elle a plus de soixante lieues de longueur d'orient en occident. Elle était
autrefois trés-peuplée , comptait avec orgueil une centaine de villes dans
«on sein , et se vantait de posséder le tombeau de Jupiter. Selon Héro-
dote liv.
( I. paragr. 170 ), ses habitans étaient barbares dans les tems les
plus reculés. Ils s'appelaient, au dire de Diodore de Sicile } Ethéocrétes ,
ou vrais Cretois. Ils se donnaient pour Autocthones , c'est-à-dire originaires
de File; et c'est peut-être là ce qui leur fit prendre pour type dans leurs
monnaies des serpens entortillés , comme on peut le voir par le n.° 3 de
la planche 20. Sans doute que la croyance où l'on était alors que les ser-
pens s'engendrent de la terre , donna aux Cretois l'idée de prendre cet
emblème, comme une allusion à leur origine fabuleuse, et ce avec d'autant
plus de raison que, d'après certaines traditions mythologiques , l'opinion s'é-
tait établie que les serpens s'étaient changés en hommes dans l'île de Crète.
Voy. à cet égard le Begerius , De Nummis Cretensium serpentiferis , et
Rasche, Lex. Num. vol. II. Leur plus ancien Roi s'appelait Cré s , d'où
l'île prit probablement son nom de Crète. Elle fut occupée par les Pelas-
ges , et ensuite par les Doriens ; et après le retour des Héraclides , des
habitans d'Argos et des Spartiates vinrent s'y établir. Ceux qui désireraient
avoir des notions plus détaillées au sujet de cette île, n'ont qu'à lire l'ou-
vrage de Meurs intitulé Crète \ et quant à sa fameuse constitution , il faut
lire l'excellent Mémoire de M.r de Sainte-Croix sur la législation Cretoise ,
lequel se trouve à la suite de l'ouvrage qui a pour titre : Des anciens
Gouvernemens Frédératifs du même auteur.
(2) Ce Minos, selon le tableau chronologique de Larcher , nacquit
vers l'an i548 avant l'ère vulgaire. On ne sait trop sur quel fondement -f
de la Grèce. i33

regardé comme le plus sage des législateurs de l'antiquité', et l'opi%


nion était qu'il avait reçu ses lois de Jupiter même (j). On pré-
tend qu'il se retirait habituellement dans un antre de l'île , où. il
s'entretenait avec le père des Dieux : Jovis arcanis Miaos admis-
sus , éloge le plus grand , qui , selon Platon , pût être fait à un
Souverain (a). Minos semblait s'être proposé deux lins principales
dans son système de législation , l'une de rendre ses sujets propres
au métier des armes, et l'autre d'établir entre eux l'union la plus
parfaite. Ses lois furent gravées sur des tables de bronze, qu'on
voyait encore du tems de Platon.
La constitution de la Crète fut aristocratique, car le pouvoir
suprême résidait dans les Cosmes , ainsi appelés du mot kôciwq ,
qui veut dire ordre , parce qu'ils étaient chargés du maintien du
bon ordre dans la république. Ils étaient au nombre de dix , et
celui d'entre eux qui avait, comme Prince, la prééminence sur les
autres, s'appelait nporoxoçpoç, ou le premier Cosme , ainsi que l'at-
testent d'anciennes inscriptions. On les prenait au sort dans les fa-
milles les plus illustres , comme nous l'apprend Aristote. La durée
de leurs fonctions était d'un an ; et à l'exception du sénat , toutes

Denina et autres écrivains , font honneur de la constitution de Crète à Mi-


nos second , fils de Lycaste , et célèbre par ses expéditions maritimes.
Apollodore , Strabon et Plutarque ont confondu les deux Minos , et n'ei*
ont fait qu'un même personnage. Tel est le destin des grands hommes
qui ont paru dans les tems fabuleux. Leur vie est toujours enveloppée des?
nuages de l'antiquité et de fictions poétiques. Minos premier fut fils de
Jupiter et d'Europe ; il épousa Ithone fille de Lysssus , de laquelle il eut
Lycaste père de Minos second. Au sujet de la distinction à faire entrç
ces deux Minos , il faut lire l'Hist. de l'Acad. R. clés Inscript, etc. tom. III.
pag. 45. , ainsi que l'Hérodote de Larcher tain. VII. pag. 55g et 54 1.
(i) Gic. Tuscul, Qtiaesùion liv. II. Pausanias in Laconicis. Nemes..
de Nat. Hom. cap. XXXIX.
(•a) Certains écrivains , entre autres M.1' De Real , sont d'avis que Mi-
nos composa son code de tout ce qu'il avait trouvé de plus recommandable
dans les institutions politiques de l'Egypte. D'autres prétendent qu'il ne fie
qu'imiter Moyse , dont il pouvait avoir appris les lois de sa mère qui était
Phénicienne. Nous laisserons le choix de ces opinions à la sagaeité de nos
lecteurs, nous bornant à rappeler ici ce que nous avons démontré ailleurs,
qu'il ne faut pas trop légèrement regarder les lois et les coutumes d'un
peuple , comme dérivées ou prises de celles d'un autre peuple à cause de
quelque ressemblance qu'elles peuvent avoir avec elles.
i3S Gouvernement
les autres magistratures de la Crète étaient également annuel les., se-
lon le témoignage de Polybe et autres: en quoi devrait être recti-
fiée l'Encyclopédie méthodique où il est dit, peut-être sur la foi
de De Real , que les Cosmes conservaient leur charge jusqu'à la
mort. Il leur était libre au contraire de s'en démettre, et ils pou-
vaient même en être destitués par le peuple ou par leurs collègues.
Leur marque distinctive principale consistait dans la longueur de
leur chevelure et de leur barbe qu'ils ne coupaient pas (i). Les
autres magistratures étaient sous leur surveillance : ils maintenaient
un certain équilibre entre les deux corps de l'état, et avaient le
commandant suprême des armées en te rus de guerre.
Sénateurs. Dans les affaires d'une importance majeure , les Cosmes pre-
naient l'avis du Sénat. Ce corps était composé de trente citoyens,
et formait proprement le conseil public qu'on appelait reparla ;
c'est pourquoi le Sénateurs avaient pris le nom de G é roules , du mot
grec yepèp , qui veut dire vieillard. La délibération des affaires
publiques en général appartenait de droit au Sénat , qui , selon Aris-
tote, n'était tenu de rendre compte à qui que ce soit du motif
de ses décisions. Le membres en étaient élus parmi les citoyens
qui avaient déjà été Cosmes, et leur charge était à vie. Les che-
valiers formaient encore un ordre distingué dans l'état. Us avaient
part aux soins de l'administration , et se servaient du cheval à la
guerre (a).
Soc;ê-és Les citoyens étaient distribués en espèce de sociétés appelées
<et banquets- r , 1 t •
sraipei.ai et c est pour cela que Jupiter même était appelé en Crè-
te, staipéîoi Sodalitius. Il y avait dans chaque ville deux maisons
qui étaient destinées à ces sociétés , l'une pour les citoyens , et l'au-
tre pour les étrangers ou les voyageurs , envers lesquels Minos voulait
qu'on usât de la plus grande bienveillance. Dans l'une de ces deux mai-
sons, qui s'appelait Andreior , étaient dressées les tables publiques,
où venaient manger ensemble tous les citoyens. La nourriture y était
très-frugale, on y buvait peu devin, et la même coupe servait pour
tous. Une femme non moins distinguée par sa vertu que par sa nais-
sance présidait au banquet. Elle choisissait ce qu'il y avait de meil-
leur sur la table * et l'offrait publiquement à ceux d'entre les convives
qui s'étaient rendus les plus recommendables par leur valeur ou leur

(i) Seneca Rli. lib. IV. Controv. XXVII.


(>j V. Strab. lib. Xs
»e la Grèce. i3y
sagesse; elle était assistée de quatre citoyens a sou choix, lesquels
avaient eux mêmes pour aides deux esclaves pour porter le bois^
et qui s'appelaient par cette raison calophores, ou porteurs de bois.
Chaque citoyen était obligé d'apporter dans ces sociétés la dixme
de ses récoltes, et recevait des magistrats une portion des revenus
publics. Ainsi tous les citoyens étaient nourris aux frais de l'état.
Après le repas, les vieillards s'entretenaient des affaires de la ré-
publique. La conversation roulait toujours sur quelque point de
Fhistoire nationale , ou sur les actions des grands hommes ; et les
jeunes gens s'instruisaient à cette école de tous les intérêts de la
patrie , et s'enflammaient d'émulation au récit des belles actions de
leurs ancêtres.

Les enfans étaient nourris et élevés tous ensemble, pour qu'ils Education
se formassent de bonne heure au même genre de vie et aux mêmes
maximes. Ils étaient sous la direction de quelques citoyens des plus
distingués par leur naissance et leur sagesse, qu'on appelait Kyelô.-
têç, du mot^e/lj?, qui veut dire troupeau; parce qu'ils gouvernaient
le troupeau des enfans. Leur vie était sobre et austère. On les ac-
coutumait àse contenter de peu, à souffrir le chaud et le froid >
à courir sur les lieux escarpés et difficiles , à combattre en trou-
pes ,à supporter courageusement les coups qu'ils se portaient réci-
proquement, às'exercer à une sorte de danse guerrière à laquelle
on donna dans la suite le nom de pyrrhique , et dont l'invention
était en effet attribuée aux Cretois, comme l'attestent Diodore ,
Denis d'Halicarnasse et autres : on leur donnait aussi quelque no-
tion des lettres, mais très-superficielle : ils s'appliquaient à l'étude
des lois, qui se chantaient sur une espèce de musique grave, ani-
mée et propre à faire naître des transports belliqueux : enfin on
Jeur apprenait à jouer de la fuite et de la lyre, instrurnens au son
desquels on les menait au combat. Mais leur occupation la plus or-
dinaire était de s'exercer à lancer des flèches 3 en ce que la nature
■du sol de l'île, couvert de bois et de rochers, ne permettait d'y faire
qu'une petite guerre d'archers et de troupes légèrement armées.
Parmi ceux de ces enfans qui étaient parvenus à l'âge de pu-
berté ,on choisissait les plus robustes et les plus propres au mariage.
Cependant l'épouse ne venait à la maison du mari, que lorsqu'elle
était jugée capable de gouverner une famille. Le mariage était permis
même entre frère et sœur; et , dans ce cas, l'époux recevait pour dote
la moitié de la portion qui revenait à sa sœur de l'héritage paternel.
Eujope. Fui. I. tg
I 38 G 0 V V E R N E M E IM?
ÎclDéfauts de
constitution Parmi les institutions de Mi nos , Platon fait sur tout l'éloge
de ûlinos.
de celle qui défendait aux jeunes gens d'élever aucun doute , ni de
proposer aucune question sur les lois de l'Etat. Cependant, si d'un
côté il importe que les peuples obéissent aux lois tant qu'elles
existent, on ne peut nier aussi de l'autre qu'il né leur soit utile
d'écouter les leçons de l'expérience sur ce qu'elles pourraient avoir
de défecteux , pour y faire les cliangemens nécessaires. Une pareille
maxime ne peut être considérée au contraire que comme un vice
dans la législation de Minos. Il voulut en outre que la population
fût proportionnée à l'étendue de l'île; et pour qu'elle n'excédât
point ce ternie, il permit non seulement le divorce, mais encore
il fut le premier à introduire parmi les Grecs uii genre d'amour
honteux et contraire au vœu de la nature (i), autre défaut encore
plus condamnable dans sa constitution.
Vices
des Cretois, Malgré ces lois, il n'y eut pas dans la Grèce de peuple plus
débauché, plus séditieux, plus avare et plus sordide que les Cre-
tois (a). Ils étaient continuellement en guerre les uns contre les
autres, et ne se ralliaient que quand il s'agissait de repousser les
attaques d'un ennemi extérieur: ce qui, selon Plutarque, a donné
naissance à ce proverbe des Grecs sincrctuer , pour exprimer la
réunion de divers partis contre une faction ou un ennemi. Mais

(i) Lisez à ce sujet Héraclide Poriticus De politiis Graecorum --


Videntur autem primo ( Cretenses ) usi congressibus cum puerls ma-
sculis amoris causa , neque in eo est apucl illos allquid turpibudinis.
JSarti si quos amare instituant , obtinenb , abducunt eos in montent , aut
in agros suos , ibique convivunt ad dies sexdginata ( ulterius enim non
ïicet J. Tuni vefo amator veste eum donatum demibtit , addens praeter
alia doua etiam bovem. V. Gronov. vol. IV. col. 617. D , et vol. VI. col.
2824. E, et Meurs Creta , chap. i3.
(2) Les Cretois, par l'effet d'un autre vice de leurs institutions politi-
ques, étaient singulièrement amis de l'oisiveté. Ils laissaient à des esclaves le
soin de toutes leurs affaires. Ces esclaves étaient divisés en trois classes ,
savoir ; les Ghrysonetes qui servaient dans les villes ; les Périécicns qui
étaient employés aux travaux de l'agriculture ; et les Clarotes lesquels
étaient originaires de l'île , que la guerre ou le sort avait réduits à l'es-
clavage , et qui tenaient une espèce de milieu entre les citoyens et les
esclaves, en ce qu'ils participaient aux droits des premiers et aux devoirs
des seconds. Ils célébraient chaque année à Gydonie une fête en l'hon-
neur de Mercure , pendant laquelle l'entrée de la ville était interdite aux
citoyens. Cette fête était, une espèce de jubilé peu différent de celui des
ïïuifs.
de la Grèce. i 39
le vice principal dont les Cretois sont taxés par tous les écrivains
est celui du mensonge. Les Cretois sont toujours menteurs, dit Cal-
limaque dans son ode à Jupiter; et c'était encore un autre proverbe
fameux parmi les Grecs que celui-ci %6ç Kofjra %p??Ti&iv , cum Cre-
iensi cretlssare , c'est-à-dire mentir comme les Cretois, ou avec les
Cretois, défaut dont les accuse aussi S. Paul (1).

9 P A RT E.

L'origine de Sparte nous est inconnue, et de tous les peuples Amiqvm


de la Grèce, les Spartiates sont ceux dont l'histoire se perd entiè- ° ''ane'
rement dans la nuit des tems. La cause de notre ignorance à cet
égard , vient sans doute du mépris que ce peuple afficha toujours
pour les sciences et les lettres (a). Cependant, au milieu de ces
épaisses ténèbres , un rayon de lumière s'est échappé jusqu'à nous
d'une inscription de la plus haute antiquité, trouvée dans un tem-
ple qu'on voyait encore il n'y a pas fort long tems à Àmiclée en
Laconie (3). Cette inscription porte que le temple fut élevé en
l'honneur d'Onga , qui était la Minerve des Béotiens et des La-
coniens^ par Eurotas Roi des Icthéocrates. Or ces Icthéocrates
étaient précisément les anciens hahitaus de la Laconie , comme
nous l'apprend Esichius dans l'explication savante qu'ils nous donne
sur la formation du mot grec ïxTeoxpareïç ; et d'ailleurs Eurotas est

(1) Ad Tit. chap. I. v. 12. Dixit quidam ex Mis proprius ipsorum


propheta: Cretenscs semper mena aces , malae bestiae , ventres pigri.
Le Cretois dont parle l'Apôtre est le poète Epiménide. On lisait ancien-
nement cet épitaphe sur le tombeau de Minos , Mivoç rov Aïoç Tafîoç ,
qui veut dire Sépulcre du Dieu Minos. Le tems ayant effacé le nom de
Minos, les Cretois y substituèrent celui de Jupiter , et firent croire que
c'était là le tombeau du père des Dieux,, imposture à laquelle l'Apôtre
fait allusion.

(2) Si l'on en devait croire quelques traditions antiques et incertaines,


l'origine de Sparte ou de Lacédémone remontrait jusqu'au tems de Moyse.
L'historien Joseph rapporte que de son tems les Lacédémoniens se glori-
fiaient d'être descendons d'Abraham ( Antiq Jud. liv. XII. ch. l\. XIII,
ch. 5. et Bell. Jud. liv. II. ch. itj. ) Il faut lire, sur cette prétendue affi-
nité entre les Lacédémoniens et les Juifs, les savantes dissertations de Calmet.
(5) Mémoir. de l'Aeadém. des Incript. etc. tom. XV. pag. 4o3. Cette-
.inscription a * selon Larcher, plus de 53oo ans d'antiquité.
i4° Gouvernement
connu pour avoir été le troisième Roi de Sparte après Lelex , qui ,
selon quelques anciens écrits, vint s'établir en Laconie avec plu-
sieurs familles Egyptiennes. Mais Lacédémon fils de Jupiter et de
Sérnélé, ou, selon d'autres, de la nymphe Taygéte , ayant épousé
dans la suite Sparte fille d'Eurotas, les Icthéocrates prirent le nom
de Lacédémoniens ou Spartiates (i). Ces notions suffisent pour nous
première
djriasUefaire connaître d'une manière certaine l'époque
X T. de la rpremière
&> Spam, dynastie qui a régné en Laconie , ainsi que l'origine des premiers
habitans qui sont venus s'y fixer. Sous Eurotas et ses successeurs,
le gouvernement de Sparte fut monarchique, et tel que nons avons
décrit ceux des tems héroiques. Parmi les Rois de cette dynastie,
les plus illustres dont font mention les fastes de cette époque sont,
Tyndare, Castor et Pollux frères d'Hélène, Ménélas et Amycla.
Seconde L'histoire nous a transmis des
Uljriaslte. renseignemens
O plus
1 positifs
J sur
la seconde dynastie des Rois de Sparte, qui est celle des Héra-
clides. Larcher en a savamment développé la chronologie dans le
Vll.e vol. de son Hérodote. Aristodème, Téméne et Cresphonte fils
d'Aristomaque et descendans d'Hercule, firent la conquête du Pélo-
ponnèse, comme étant l'héritage de leurs ancêtres, vers l'an 1 190 avant
Père vulgaire (a). Aristodème , à qui était échue en partage la La-

(1) Les Laconiens conservent encore le nom d'Iethéocrates dans di-


verses inscriptions, même sous les premiers Piois de la seconde dynastie.
V. Mémoir. etc. à Pendr. cit.
(2) Hercule laissa en mourant ses droits sur le Péloponnèse à Illus ,
l'aîné des enfans qu'il eut de Déjanire. Illus et ses frères , aidés des se-
cours de Thésée et des Athéniens , s'emparèrent en effet du Péloponnèse ;
mais une peste horrible et le vœu de l'oracle de Delphes les obligèrent
bientôt à abandonner leur conquête. Peu d'années après, Illus rentra dans
cette contrée et y perdit la vie dans un combat singulier qu'il engagea
avec le plus brave de l'armée ennemie. Son fils Cléodée fit une troisième
tentative , mais avec aussi peu de succès ; et Aristomaque fils de Cléodée
ne fut pas plus heureux dans la même entreprise. Enfin Aristodème , Thé-
inéne et Cresphonte, après plusieurs batailles, et favorisés par l'oracle de
Delphes , se rendirent maîtres de tout le Péloponnèse , environ 80 ans après
la prise de Troie. Ils avaient parmi leurs troupes un corps de Tyrrhéniens
commandés par Arconde. Nous remarquerons que c'est alors que les Grecs
connurent pour la première fois la trompette tyrrhénienne. V. Apollod.
Biblioth. liv. II. chap. VII. et VIII. Scholiastes vêtus in Sophoclis Aja-
oem , vers 17. Les descendans d'Hercule sont désignés dans les relations
des historiens sous le nom à'Héraclides , du mot YipaXfX^ç , nom d'Her-.
Çiile chez les Grecs , qui signifie gloire de Junon,
DE LA G'HÊCR ïtfl
dfconie , laissa en mourant deux enfans jumeaux nouveaux-nés. Lé
peuple voulait donner le sceptre à l'aîné des deux frères; mai*
dans l'impossibilité où l'on était de le reconnaître, on consulta
l'oracle de Delphes, qui répondit que les deux en Pans devaient ré-
gner ensemble. On leur donna les noms d'Euristhone et de Proclés,
et ils furent la souche des deux dynasties ou maisons des Euristhé-
nides et des Proclydes. Mais Agis, second Roi de la ligne Euris-
thénide, s'étant acquis une grande renommée par ses exploits , ses
descendans prirent le surnom d'Agides (i). La ligne des Proclydes
prit aussi celui d'Euripontide , d'Euripont qui fut le troisième de
ses Rois y lequel s'était également rendu célèbre par ses grandes
actions.
Ainsi, sous les Héraclides, Sparte eut à la tête de son gouver-
nement deux Rois, dont l'autorité suprême passa à leurs descendans
pendant plusieurs siècles : exemple peut-être unique dans les fastes
du monde. Les premiers Rois de cette dynastie se rendirent recom-
mandables par leur sagesss , et furent chéris de leur peuple. Ils
s'occupaient particulièrement du soin de rendre la justice à tous
les citoyens sans aucune distinction. Cette forme de gouvernement
était connue chez les Grecs sous le nom d'îwnom/e , qui veut dire, bouomîe
égale distribution de la justice. Ces premiers Rois appelèrent aux
affaires du gouvernement les citoyens les plus distingués par leur
sagesse et leurs vertus , et partagèrent avec eux les fonctions du
pouvoir suprême. Mais, comment l'harmonie aurait-elle pu durer
toujours dans un tel gouvernement, dont les rênes se trouvaient
entre les mains de deux Princes, de caractère et d'intérêts sou-
vent opposés ? Le peuple même , toujours enclin à l'esprit de
parti , devait nécessairement , selon les circonstances , se décla-
rer pour l'un plutôt que pour l'autre. Les révolutions sont inévi-
tables dans tous les états où les Princes se laissent séduire par le
désir de rendre leur autorité absolue, et les peuples par l'amour
de l'indépendance. Euripont neveu de Proclés et fils de Sous , avait
singulièrement relâché les ressorts de l'autorité royale , dans la vue

(i) Un des principaux exploits d'Agis était la prise à'JElos. Il avait


soumis toutes les villes voisines de Sparte , celle RElos seule lui opposait
une résistance opiniâtre. Il la prit enfin après un long siège , et en ré-
duisit les malheureux habitans au plus dur esclavage. C'est cle là que pri-
rent leur origine les Elot.es ou Ilotes , esclaves dont le nom est très-connu
dans la constitution de Sparte.
■14- GOUVERNEMENT
de se rendre agréable au peuple , qui se livra bientôt à la plus
grande licence. En vain les Rois tentèrent depuis de reprendre
leur premier pouvoir. L'Etat aurait sans doute succombé sous le
cboc des factions , sans la réforme salutaire que Lycurgue vint y
introduire.

-Lyeurgue. Lycurgue fils d'Eunome cinquième Roi de la dynastie des Eu-


ripontides, était frère puiné de Polydecte, mais d'un second lit ([).
Polidecte qui, en qualité d'aîné, avait remplacé son père sur là
trône, mourut avant d'avoir aucun enfant mâle. Le sceptre passa
donc à Lycurgue; mais la Reine ayant été reconnue enceinte,
Lycurgue déclara qu'il se démettrait aussitôt de la couronne, si elle
accouchait d'un enfant mâle. L'ambitieuse Reine fit des vaines ten-
tatives pour l'engager à l'épouser, en l'assurant qu'elle saurait se dé-
barasser de sa grossesse. Elle accoucha en eiïet d'un garçon. On
Tutenr le porta de suite à Lyeurçue , qui le présenta au peuple en disant*
bpartmtes voici votre Roi ; et 1 ayant placé sur le siège royal , il
lui donna le nom de Carilaûs , qui signifie cher au peuple. Au bout
de huit mois, Lycurgue déposa le sceptre } sans cesser cependant
de régner comme tuteur Au ieune Prince. La générosité de ce pro-
cédé lui attira l'affection et les respects du peuple; mais il ne fut
point pour cela à l'abri des persécutions secrètes de la jalousie et
des hommes puissans. Pour écarter de lui tout supçon , il quitta le
pays, avec la résolution de n'y revenir, que lorsque Carilaûs serait
Ses voyages, en âge de régner , et aurait eu des en-fans. Il voyagea en àsie et en
Egypte, et s'arrêta particulièrement en Crête, charmé des lois de
Minos, qui lui parurent les plus propres à ses vues pour la régé-
nération de sa patrie. Pendant son absence , Sparte fut agitée plus
que jamais par les factions: les choses y furent portées à une telle
extrémité, que les citoyens de toutes les classes, et les deux Rois
eux mêmes, demandèrent instamment le rappel de Lycurgue. Il re-
akm retour Y**t.t en effet sous les auspices de l'oracle de Delphes, qui le décla-
rait le réformateur de Sparte , et ne tarda point à donner sa fameuse
constitution, laquelle fit des Spartiates un peuple tout-à-fait nou-
veau, et qui n'avait rien de commun que le langage avec le reste

(i) Lycurgue naquit vers l'an 0,2.4 avant l'ère vulgaire : il publia
ses lois en l'an 866 , la troisième année de la V.e olympiade d'Iphitus ,
et mourut en l'an 840 , la première année de la XII.e olympiade. V. l'Hé-
rodot. corara, par Larcher , ainsi que les tables chronologiques de Blair,
DE LA GrÉCÈ. 1^3
des Grecs. Les institutions de Licurgue sont si connues, que nous
nous bornerons à rappeler ici les principales, d'après les relation»
d'Hérodote, de Gillies , et de Robertson.
L'autorité des deux Rois fut restreinte en détroites limites. Çornûaute*
Pendant la paix, ils ne pouvaient rien faire sans l'approbation du
Sénat ; mais en tems de guerre , ils exerçaient un pouvoir absolu
sur toute l'armée. Néanmoins leur conduite militaire était sujette
à une rigoureuse censure , et souvent ils étaient condamnés à des
peines très-graves.
Le Sénat , qu'on doit regarder comme la plus sage des insti- Le sénat,
tutions de Lycurgue , tempérait par son autorité celle des Rois et
ciel le du peuple. Il était composé de trente membres appelés Gé-
Tontcs , y compris les deux Rois qui en étaient les présidens , et
dans ce corps résidait toute la puissance législative. Le lieu où il
tenait ordinairement ses séances était une salle, ou plutôt une grande
cabanne , qui n'était couverte que d'un toit de paille et de joncs ,
pour que la magnificence du local ne fût point un sujet de dis-
traction dans les délibérations.

L'autorité du peuple fut également très-restreinte. Il choisis- Le peuple. -


sait les membres du Sénat, et ratifiait ses décrets, qui, sans cela
ne pouvaient avoir aucune force; mais il ne pouvait proposer aucun
projet, ni s'assembler sans un décret du Sénat. Ainsi la constitu-
tion de Sparte réunissait en soi les trois formes de gouvernement,
monarchique, aristocratique et démocratique.
Cependant le Sénat jouissait d'un pouvoir trop considérable , £e* àphan*
qui , avec le tems, aurait pu avoir les plus funestes effets. Cet incon-
vénient donna lieu à l'institution des Ephores , dont l'autorité s'éten-
dait surjes Rois et le Sénat lui même (i). Ces magistrats , au nombre

(i) On les appella TLtpôpoi , du mot êfiopd& , qui veut dire foi-
s en
re, parée qu'ils étaient chargés d'observer la conduite des Rois et des
Sénateurs. Certains écrivains attribuent l'institution des Ephores à Théo-
pompe , qui régna environ i3o ans après Lycurgue. C'est aussi l'opinion
d'Aristote, de Plutarque , de Cicéron et de Valerius Maximus. On pour-
rait cependant leur opposer le témoignage d'Hérodote , qui les a tous pré-
cédés , et qui ayant fait à cet égard les recherches les plus soigneuses ,
ne mérite pas peu de confiance sous ce double rapport. L'opinion d'Héro-
dote est encore appuyée de celle de Xénophon , lequel ayant demeuré
long tems sur les terres de Sparte, avait eu par conséquent tout le loisir
d'étudier les lois de son gouvernement. Or ces deux auteurs attestent éga-
1 44 Gouvernement
de cinq , étaient élus chaque année le huit d'octobre (1), et pris
parmi le peuple. Le premier s'appelait Ephore éponyme, et donnait
5on nom à l'année , comme l'Archonte èponyme à Athènes. Les
Ephores avaient beaucoup de rapports avec les Cosmes de Crète:
revêtus d'une autorité, supérieure en quelque sorte à celle des Rois
même 0 ils ne se levaient point devant eux, et ne leur donnaient
aucune marque de soumission. Cléoméne fils de Léonidas, et tyran
de la dynastie des Agides, les fit massacrer vers l'an 22.6 avant l'ère
vulgaire, et depuis lois il n'en est plus fait aucune mention dans
l'histoire (a).
«Ordre erjuestre-
Enfin Lycurgne donna aussi à Lacédémone un ordre équestre,
sur le modèle de celui que Minos avait établi en Crète, avec cette
différence pourtant, que les chevaliers Cretois avaient des chevaux,

Distribution et que ceux de Sparte n'en avaient pas (3),


des terres. Jusqu'ici nous avons vu les institutions de Lycurgne quant à la
forme du gouvernement. Mais c'est à régler la vie privée des citovens
qu'il visa particulièrement , persuadé que les meilleurs lois restent
sans effet , si l'obéissance qu'ils leur doivent n'est point en eux le
fruit de l'éducation. Il commença donc par distribuer entre tous
les citoyens les terres de la république , qui formaient auparavant
l'apanage d'un petit nombre d'entre eux. Le territoire de la La-
conie fut divisé en trente mille portions égales, et les productions
de Sparte en neuf mille. Chaque portion de terre devait donner
des Kgfliè
fortunes. une récolte suffisante pour l'entretien d'une famille. De cette ma-
nière Lycurgne vint à établir dans sa république une parfaite égalité
Proscription clt; fortunes. Ensuite, pour ôter aux citoyens tout sujet de jalousie
des richesses.
et d'ambition 3 il proscrivit la magnificence dans le vêtement, dans

lement que l'institution des Ephores est due à Lycurgue , et Platon sem-
ble aussi s'accorder avec eux sur ce point ( Epit. VIII. ). Barthélémy a
cherché à concilier ces deux opinions dans son voyage d'vVnacharsis, vol.
IL pàg. 5^7 , et dans la note pag. 63o : nous renvoyons donc nos lecteurs
à cet ouvrage.
(1) Dodwell de Cyclis. Dissert. VIII. Sect. V.
(a) Outre les Ephores , Pausanias fait mention des cinq Momophila-
gjues , ou gardiens des lois , qu'on appelait encore Bidiéniens. On ignore
quel a été fauteur de cette institution. Cependant Larcher l'attribue à
Lycurgue. Il parait que ces magistrats étaient aussi chargés de présider
,aux jeux et aux exercices de la jeunesse.
(3) Hérodot. , Clio , liv. VIII., parag. 124. et Strab. liv. X. etc.
de la Grèce. 1^5

les meubles et dans l'architecture des maisons, défendit l'usage de


l'or et de l'argent, et ne permit que celui des monnaies de cuivre.
Il interdisit dans la même vue l'exercice des arts libéraux , et tout
spectacle , et ne voulut d'autre amusement que la chasse et les exer-
cices du corps. A l'exemple de Minos , il institua des tables publiques Tables
auxquelles étaient admis tous les citoyens sans aucune distinction. ef//-«|«&*.
Ces tables étaient distribuées par quinze personnes, dont chacune
était tenue d'y apporter une quantité de provisions déterminée, et
tout mets de luxe ou recherché en était banni. Celui dont on fe-
sait l'usage le plus fréquent et le plus estimé , était une espèce de
sauce faite avec le jus de la viande et certaines racines, qu'on ap-
pelait sauce noire (i).
Mais, de toutes les institutions de Lycurgue, la plus fameuse Education.
et la plus sage peut-être est celle qui concerne l'éducation des enfans,
et dans laquelle il semble avoir voulu étendre sa sollicitude jusques sur
leur formation. Il prit donc les précautions les plus efficaces pour
que les mères fussent saines et robustes , et voulut pour cela , que ,
dès leur bas-âge, les jeunes filles fussent exercées à la lutte, à la
course, à lancer le javelot, et enfin à tous les jeux de force qui
peuvent concourir à donner au corps tout le développement et toute
la perfection dont il peut être susceptible. Ce genre d'éducation
avait encore la plus heureuse influence sur l'âme, qui se formait
ainsi peu-à-peu aux vertus les plus héroïques (a). Les jeunes filles
ne pouvaient se marier avant d'avoir acquis toute la vigueur de la
jeunesse. Les mariages étaient clandestins, et avaient l'air d'un rapt Mariages.
plutôt que d'une union légitime. De cette manière , les embrasse-

(i) Gicëron rapporte dans ses questions tusculanes que Denis tyran
de Sicile , curieux de goûter de cette sauce noire , fit venir exprés un cuisi-
nier de Sparte , et qu'ayant montré un extrême dégoût après l'avoir à peine
touchée des lèvres , il en témoigna son mécontentement au cuisinier , le-
quel lui répondit , quil y manquait V assaisonnement. Denis lui ayant
demandé quel était cet assaisonnement , ce sont _, lui répondit le cuisinier ,
les fatigues de la criasse , les courses sur les rives de l'Eurotas , la faim
et la soif des Lacédémoniens.
La sauce noire , selon Meurs , était une espèce de jus ou de ragoût ,
fait avec de la viande de cochon , dans lequel il entrait du vinaigre et du
sel : c'est aussi ce qu'en dit vithénée.
(2) Nous nous dispenserons de citer ici aucun exemple de ces vertus
des mères Spartiates , en ce que tous les livres en sont remplis,
Europe. Vol. /. iq
*4^ Gouvernement
mens des époux étaient rares , difficiles et de peu de durée : ce
qui modérait en eux l'ardeur de leurs premiers feux 3 et les empê-
chait de s'énerver. Un des usages les plus célèbres qu'il y eût à Sparte
était celui qui, à certains jours de fête, obligeait les jeunes gens à
faire pour ainsi dire, la conquête de leurs épouses, en triomphant
d'elles à la course , à la lutte , et autres jeux gymnastiques. Dans
ces fêtes , les jeunes filles , qui vivaient tout le reste du tems , re-
tirées et loin du commerce des hommes, paraissaient presque nues,
et dans toute la pompe de leurs charmes.
Les enfans nouveaux-nés étaient soumis à l'inspeetion du ci-
toyen le plus ancien de la tribu , lequel fesait mourir aussitôt ceux
en qui il appercevoit quelque vice de conformation , ou des symptô-
mes d'une faible complexion. On n'emmaillottait jamais les enfans;
abandonnés à la nature , ils croissaient pleins de force et de vi-
dîlï"fZ. Sueur- °n avait som de choisir leurs nourrices parmi les femmes
les mieux conformées, les plus habiles et les plus diligentes (i).
Arrivés à l'âge de sept ans , ils passaient de la maison paternelle
sous la direction d'un magistrat appelé Paidonome, qui veut dire
instituteur des enfans (a), lequel était chargé de les accoutumer à
une vie sobre et extrêmement dure , à souffrir les excès du froid
et du chaud, à marcher nu-pieds, et à supporter, la tête nue et
rasée , toutes les intempéries de l'atmosphère. Lorsqu'ils avaient at-
teint leur douzième année , ils entraient dans la classe des jeunes
gens , où ils étaient soumis à un genre de vie encor plus austère.
Là , on leur inspirait l'amour de la patrie , comme l'unique affec-
tion de leur cœur , et on les élevait dans les maximes qui étaient"
les plus propres à les enflammer de zélé pour l'honneur et la gloire
de la nation. Leur première leçon était celle-ci: ne jamais fuir ,
vaincre ou mourir. Les exercices militaires formaient leur principale
occupation. Ils combattaient l'un contre l'autre avec un acharne-

(1) Les nourrices de Sparte étaient recherchées avec empressement


de tous les autres peuples de la Grèce. On prétend qu'Alcibiade avait
été allaité par une Spartiate.
(2) V. Gronov. IV. 471. E.
Au moyen de cette institution _, Lycurgue parvint à ne faire des
Spartiates qu'une seule famille. Les enfans, après avoir abandonné la
maison paternelle , ne connaissaient souvent d'autre mère que la républi-
que , ni d'autre père que les Sénateurs. Mais , comme l'observe fort-bien
Pe Real , Lycurgue détruisit ainsi la nature en voulant la perfectionner.
d e la Grec e. \^j
ment, qui allait quelquefois jusqu'à la mort. Les vaincus se fesaient
une gloire de couronner les vainqueurs. Le vol leur était permis ,
pourvu qu'ils le commissent de manière à n'être point découverts ,
et cela dans la vue de les rendre plus adroits et plus entrepre-
nans. On les instruisait aussi dans la langue ; mais la méthode qu'on
employait pour cela ne tendait qu'à les former à un style rapide
et concis , qui prit dans la suite le nom de Laconisme.
La patience des enfans était soumise à des épreuves publiques Epreuves
devant l'autel de Diane appelée Orthia (i), où ils étaient fouettés
jusqu'au sang , et quelquefois jusqu'à la mort. Plutarque rapporte
qu'un enfant de Sparte , dans la manche duquel était tombé un
charbon ardent durant un sacrifice, se laissait brûler le bras sans
faire le moindre mouvement d'impatience ni de douleur, jusqu'au
moment où les assistans en furent avertis par la mauvaise odeur.
On lit encore dans le même auteur, qu'un autre enfant, qui te-
nait caché dans son sein un petit renard qu'il avait dérobé , souf-
frit de s'en laisser déchirer le ventre jusqu'à en mourir , plutôt que
de laisser appercevoir son vol.
Ainsi la constitution de Lycurgue fit des Spartiates un peuple
presque unique dans son espèce, totalement différent des autres par
ses mœurs , ses idées , ses affections , et même par ses qualités par-
ticulières d'esprit et de cœur. Mais rien ne contribua peut-être
autant à isoler ce peuple de tous les autres, que la Sénélasie, ou Loi s&âaai».
la loi qui excluait de la Laconie tous les étrangers, de quelque
nation qu'ils fussent (a). Plutarque , en vantant la sagesse de cette

(i) Diane debout, de opOôo , erigo , j'élève.


(2) De Izivôç , étranger , et èMo , chasser. Un passage d'Hérodote ,
Clio liv. l.er § 65 , a fait croire à quelques-uns que Lycurgue avait au
contraire aboli la Sénélasie. Il parait néanmoins , qu'en parlant de la rus-
ticité sauvage qui rendait les Lacédémoniens ennemis de toute relation
sociale avant la réforme de Lycurgue , Hérodote ne fait allusion qu'à
leurs divisions intestines : car il y a plusieurs exemples qui prouvent ,
qu'anciennement les étrangers étaient admis à Lacédémone. Ainsi Ménélas
y accueillit Paris avec Télémaque , et les Spartiates eux mêmes accor-
dèrent aux Miniens le titre de citoyens. Aristote , Politic. liv. II. , parle
de la facilité avec laquelle on pouvait acquérir ce droit à Sparte. Il est
donc à présumer que cette loi fut créée sous Lycurgue. Et en effet , elle
porte , pour ainsi dire , l'empreinte du caractère de ce législateur , et res-
semble assez à ses autres lois , par sa singularité aiusi que par sa rigueur.
148 Gouvernement
loi , observe que Lycurgue l'établit , non clans la crainte que les
étrangers ne vinssent à se donner des constitutions semblables à la
sienne, et à s'élever par conséquent à des vertus sublimes, comme
l'avait avancé Thucydide, mais plutôt pour empêcher que la per-
versité des mœurs étrangères n'eût une influence funeste sur celles
de Sparte. Cependant, malgré la sagesse de toutes ces institutions,
Défauts les politicrucs ont reproché des défauts très-graves à la constitution
le la législation * i , * r . & . .
de Sparte, de ce législateur. La liberté qu avaient les maris infirmes ou trop
vieux de prêter à d'autres hommes leurs femmes, et de les repren-
dre ensuite , est certainement une institution contraire à la saine
morale , et qui tend à rompre un des liens les plus étroits de
l'amour filial et paternel. La loi qui ordonnait la destruction des
enfans d'une faible complexion ou mal conformés , était barbare
et contraire à la loi naturelle. Que d'enfans ne voit-on pas , dont
le tempérament , délicat dans les premières années , acquière en-
suite la plus grande vigueur à l'âge de puberté, ou même dans un
âge plus avancé ? Que n'a-t-on pas à dire de l'inhumanité plus que
sauvage , avec laquelle les Spartiates traitaient les Ilotes qui culti-
vaient leurs terres, et subvenaient par conséquent aux besoins de
leur existence ? Les Ilotes étaient assujettis au plus rude esclavage,
et en butte à toutes sortes d'outrages: ils étaient insultés, et frap-
pés sans aucun sujet et impunément, quelquefois même on se fesait
un passe-tems de les poignarder. On n'a pas d'exemple d'une cruauté
plus atroce que celle du jeu de la Criptie , ou de Yembuscade , à
l'occasion de laquelle les jeunes Spartiates, armés de poignards, al-
laient se cacher la nuit dans les bois et dans les lieux de la cam-
pagne les plus retirés , d'où , semblables à des bêtes féroces , ils
se précipitaient sur les malheureux Ilotes, et surtout sur ceux qui
leur paraissaient les plus forts et les plus hardis , dont ils fesaieut
un horrible massacre.
Lycurgue introduisit encore à Sparte certaines maximes dont
on ne saurait guères expliquer le motif, et qui portent même l'em-
preinte de l'ignorance et de la superstition. Telle était entre au-
tres celle qui défendait aux Spartiates, dans leurs expéditions mi-

Xénophon , Plutarque , Philostrates et autres écrivains illustres sont aussi


de cet avis. Il y eut néanmoins des étrangers distingués par leur mérite ,
qui furent reçus à Lacédémone même depuis cette loi. Lycurgue lui même ,
au rapport de Strabon et de Plutarque , y appela Thaïes de l'île de Crête.
DE LA GeÉCE, l^g
litaires , de se mettre en marche avant la pleine Inné , ce qui fut
cause qu'ils arrivèrent trop tard à la bataille de Marathon : telle
était encore celle d'après laquelle les Ephores observaient le ciel
dans une nuit de chaque année , et s'ils voyaient tomber une étoile s
c'est-â-dire glisser dans l'air un feu follet, ils en accusaient leur&
Rois, et les punissaient, comme ayant mérité le courroux des Dieux.
Malgré toutes ces imperfections, les lois de Lycurgue n'en
ont pas moins fait l'admiration des anciens politiques (i), et c'est
d'elles surtout qu'Aristote et Platon ont emprunté ce qu'ils ont écrit
sur la législation dans leurs traités de la république. Sparte fut
invincible tant que ses lois conservèrent leur vigueur primitive ; et
il n'est pas douteux qu'elle ne fut redevable qu'à elles, d'être moins
sujette aux révolutions que les autres villes de la Grèce.
Lycurgue n'avait point voulu permettre que ses lois fussentde Lycurgue
z,
écrites en aucune manière. Tous les enfans les apprenaient de mé- non écrites.
moire ,en sorte qu'il n'y avait pas de Spartiate qui pût les ignorer.
La constitution de Lycurgue se conserva presque intacte pendant plus
de six siècles; ma is le luxe s'étant introduit insensiblement à Lacé-
démone après l'invasion d'Àtbénes par les Spartiates , il entraîna
avec lui les mêmes calamités qu'il produisit dans Rome après la
conquête de la Grèce. Dès lors les Spartiates commencèrent à rou-

(i) Les Spartiates avaient juré de n'abroger aucune des lois de Ly-
curgue avant qu'il ne fût de retour à Sparte. Ce législateur étant allé
consulter l'oracle de Delphes , et ayant reçu de lui la réponse que La-
cédémone serait heureuse tant que ses lois y seraient en vigueur, résolut
de n'y plus retourner, pour que les Spartiates ne pussent jamais se dé-
gager de leur serinent. Il passa à Chrysa où il se tua , ou selon Plutarque ,
se laissa mourir de faim. Les Lacédémoniens ayant appris sa mort , lui éle-
vèrent un temple et un autel , sur lequel ils lui faisaient chaque année des
sacrifices comme à un héros. Hérodote atteste que ce temple existait en-
core de son tems. Hérod. Clio. liv. Ler § 66. Le même tribut d'hommages
est rendu à Lycurgue par Macchiavelli. De tous les législateurs qui se
sont distingués , dit-il , par de semblables constitutions , celui qui a mé-
rité le plus d'éloges c'est Lycurgue , qui en Sparte donnant des lois
aux Rois , aux principaux citoyens et au peuple , il fonda un état , dont
V existence se soutint en paix et avec éclat pendant plus de huit cents
ans. Il arriva le contraire du gouvernement démocratique que Solon
établit à Athènes , et qui fut de si courte durée , qu'avant de mourir
il vit naître la tyrannie de Pisistrate. Des Discours etc. liy. I.er pag. 24 ,
édit. des Classiques Italiens.
i5o Gouvernement
gir de leur ancienne simplicité. Les mœurs se corrompirent, le
vice leva sa tête orgueilleuse et triomphante , et les lois tombè-
rent dans le dernier mépris. Vinrent ensuite les dissensions 3 les
troubles > les crimes de tout genre, funestes précurseurs de la ruine
prochaine des empires (i). Ces vicissitudes, ajoute Larcher, s'étaient
déjà vues en d'autres tems et en d'autres lieux: ce qui ne s'était
encore jamais vu , ce fut le triste spectacle d'un Roi jugé et traîné
au supplice par ses propres sujets. Les Spartiates furent les premiers
à donner ce terrible exemple à l'univers. Agis, le troisième de ce
nom, de la dynastie des Euripontides, et Prince en qui brillaient
les antiques vertus de la république, avait tenté de faire j-revivre
les lois de Lycurgue : la mort en fut sa récompense (a). Après un
tel forfait, Sparte devint la proie des plus cruels tyrans } qui se suc-
cédaient les uns aux autres avec autant de rapidité que de violen-
ce (3). Plongés dans l'avilissement, et déchirés par des divisions
et des révolutions continuelles , les Spartiates tombèrent enfin sous
le joug des Achéens , qui les obligèrent à abroger toutes les lois de
Lycurgue; et ils restèrent dans cet état, jusqu'à l'époque où les uns
et les autres se virent engloutis, avec la Grèce entière., dans le
goufre de la puissance Romaine.
Fases
représentons
Nous terminerons nos recherches sur le# gouvernement
Y
de Sparte,
Hercule. par la description de deux monumens qui font partie de la collec-
tion des vases d'Hamilton. Le premier ( voy. la planche ai n.° i )
représente un fait qui appartient aux tems héroïques , ou à l'épo-
que qu'Hercule parcourait le Péloponnèse. Hercule assiste à un
sacrifice expiatoire : son port et son aspect annoncent l'état de fré-
nésie dans lequel il se trouvait. Déiphobe Roi d'Amiclée , ville
de Laconie , qui avait donné au héros l'hospitalité, est dans l'atti-
tude d'un homme qui parait désirer la guérison du malade : il tient
de la main gauche le sceptre , ou bâton recourbé à son extrémité

(0 ^°y- 'A ce sujet les belles réflexions de Larcher dans son Héro-
dote ,tom. VIL , pag. 729.
(2) Ce fait arriva vers l'an s35 avant l'ère vulgaire. La dynastie des
Agides finit avec Agesipolis , le troisième de ce nom , qui ayant été chassé
par Lycurgue le tyran , et parti sur un vaisseau pour venir en Italie im-
plorer le secours des Romains , fut tué par les pirates environ 200 ans
avant la même ère.
(3) Nous verrons que malgré les tyrans et les calamités auxquelles
Lacédémone a été en proie , les Spartiates ont conservé jusqu'à nos jours
quelques restes de leur ancien costume.
dé la Grèce. i5i

supérieure ; son front est ceint d'un simple bandeau , et le reste,


de son habillement est également de la plus grande simplicité. La
femme qui fait la libation est l'épouse de Dèiphobe : elle tient
d'une main un bâton , ce qui indique qu'elle est prête à suivre le
mari , aussitôt qu'elle aura versé la liqueur sur la flamme. Le scep-
tre,la couronne, les vêtemens sont tels que devaient les avoir les
anciens Rois de la Laconie , selon le sentiment de3 érudits (i).
Le n.° a de la même planche est pris d'une parère de la ^ase relatif
même collection, et se rapporte à un événement de la dynastie des Euripontide*
Euripontides (a-). Après la mort d'Agis , deuxième de ce nom,
Lysandre fit nommer Roi Agésilas son ami , au préjudice de Léo-
tichide fils d'Agis., mais dont on suspectait la légitimité, à cause des
liaisons secrètes que Timée femme du Roi décédé avait eues avec
Alcîbiade. Le devin Tisaméne , ou selon d'autres Diopite, s'étant
marié avec Timée, trama une conspiration contre Agésilas. Cette
conjuration devait s'exécuter par le moyen de Cinadon homme des
plus entreprenans ; mais Agésilas en ayant été instruit par les E-
phores , il fit appeler Cinadon , et après lui avoir remis une note
des Ilotes et autres individus qui devaient être incarcérés 3 il l'adressa
au gouverneur de la jeunesse , pour effectuer leur arrestation à
l'aide des jeunes guerriers que celui-ci lui aurait donné. Ces jeunes
gens mirent au contraire Cinadon lui même en arrestation chemin
fesant , et après l'avoir obligé à déclarer ses complices, ils le re-
conduisirent àSparte.
Les deux figures qu'on voit en bas sont celles de Lysandre et
d'Agésilas, qui, étant boiteux, tient d'une main sa béquille. On
apperçoit encore en haut le même Agésilas avec la béquille : la
position dans laquelle il tient une de ses jambes, ne laisse plus au-
cun doute sur l'identité de sa personne. Le jeune homme qui est
en face est Cinadon; il tient le scytale (S), et semble prêt à exé-

(i) V. Hamilton, êdit. de Florence vol. 2. Planche XXI.


(2) Ibid. Planche LX.
(3) Le scytale était une bande de peau ou de parchemin , qui se rou*
lait sur un bâton, de manière à ce que ses deux bouts, à 1 endroit où ils
venaient se joindre, formassent une spirale. On écrivait sur cette spirale,
ensuite on déroulait le parchemin , et on l'expédiait à sa destination. La
personne à laquelle le scytale était adressé avait un bâton égal à l'autre
sur lequel on appliquait le même parchemin pour réunir les lettres qui
se trouvaient divisées. On ne fesait usage du scytale que pour transmettre
des ordres secrets. Voy. Aul. Gell, liv. XVII. chap. g.
1 5a Gouvernement
cuter les ordres du Roi, et à se rendre chez le gouverneur de la
jeunesse. Dans l'espace du milieu est Timée veuve d'Agis : elle parle
avec Tisaméne ou Diopite , que son vêtement , sa couronne , et sur-
tout son long bâton dénotent évidemment pour un devin (r). Ce
monument nous parait des plus précieux , comme étant d'une haute
antiquité , et peut-être l'unique ou au moins le plus authentique ,
où l'on trouve représentés un Roi et une Reine de Sparte depuis la
constitution de Lycurgue.

GOUVERNEMENT DES COLONIES GRECQUES.

Il ous avons déjà dit que du sein de la Grèce sortirent plu-


sieurs colonies qui allèrent s'établir en diverses contrées de l'Eu-
rope ,de l'Asie et de l'Afrique, et nous avons également indiqué
les causes de ces fréquentes émigrations fa). Une chose bien re-
marquable sans doute , c'est qu'un peuple dont le territoire n'était
pas plus grand que le quart de l'Italie,, ait pu fournir presque de
tout tems un aussi grand nombre de colonies , dont quelques-unes
passèrent jusques dans les régions les plus lointaines (3). Ces colo-
nies durent transporter avec elles , et transmettre à leurs descen-
dais les lois et les usages du pays d'où elles étaient sorties. On est
d'autant plus fondé à le présumer, qu'on retrouve chez les Grecs
d'Asie et d'Italie , les mêmes mœurs , les mômes rites religieux ,
le même goût pour les arts et la même perfection dans les monu-
mens qui en sont l'ouvrage, comme dans la Grèce proprement dite ;
c'est ce dont il n'est pas permis de douter, à la vue de ceux de
ces monumens qui subsistent encore aujourd'hui. Ainsi donc, tout
ce que nous avons dit des anciens gouvernemens de la Grèce, peut
aussi s'étendre en général à toutes les colonies qui en sont sorties.
Croît,™ Mais dans la suite des tems , certains peuples de la grande Grèce
^ gui fondée. prirent insensibleraent un costume distinct, et d'autres reçurent de

(i) Ce devin avait fait parler les Dieux contre la personne d'Agé-
annoncé qu'un ancien oracle défendait aux Athéniens d'avoir
un Roiet boiteux.
silas,

(2) V. Topographie de la Grèce pag. 5o. Ceux qui désireraient avoir


des notionset plus particulières sur les colonies de la Grèce , n'ont qu'à lire
les belles savantes recherches de Larcher dans ses commentaires sur
Hérodote vol. VII. pag. 4o5. etc.
(3) V. Goguet. Origine ec. vol. III. pag. 5j.
delà Grèce. i53
leurs législateurs des constitutions particulières. La ville de Gro-
tone , fondée par Myscelus chef d'une colonie d'Achéens , se ren-
dit célèbre par la longévité et la vigueur de ses habitans s chez
qui la force du corps et l'ardeur du courage tenaient lieu de loi et
de raison. On croit que les Crotoniates étaient redevables de la
simplicité de leurs mœurs à Pythagore, qui bannit de leur ville
toute espèce de luxe 3 en induisant les femmes à consacrer à Junon
leurs habillemens somptueux , et en les portant à regarder la pudeur
comme le plus bel et le plus précieux ornement de leur sexe (r).
A trente milles environ de Crotone s'élevait Sybaris, égale- Sybaris
ment fondée par une colonie d'Achéens , et qui se rendit fameuse
par l'étrange contraste des mœurs de ses habitans avec celles des
Crotoniates. En effet les Sybarites étaient parvenus à un tel degré
de mollesse , qu'ils avaient,, par une loi , banni les coqs des murs de
leur ville , pour n'être point éveillés par les chants nocturnes et
perçans de ce volatile. Une autre loi y avait de même interdit
l'exercice des arts qui occasionnaient un bruit incommode et dé-
sagréable Le repos , la bonne chère , la volupté et les plaisirs les
plus rafinés formaient toute l'occupation des Sybarites. Mais il ne
tardèrent point à subir le joug des Crotoniates , qui , sous la con-
duite du fameux athlète Milon , en firent un horrible carnage , et
détruisirent presqu'entièrement leur ville. Cinquante ans après cet
événement , un certain Thessalus rassembla le peu de Sybarites qui
étaient échappés à la ruine de leur patrie , et rebâtit leur ville;
mais elle fut détruite de nouveau par les Crotoniates. Six ans après ,
les Athéniens y envoyèrent une colonie, à laquelle ils donnèrent
le nom de Thurius (a). Mais la population de cette nouvelle ville ,
composée en partie de Sybarites et de ces nouveaux hôtes , fut bien-
tôt agitée par des divisions intestines, qui ne finirent que par l'ex-
pulsion des premiers. A cette époque , les Thuriens s'étant érigés
en gouvernement démocratique , et devenus puissans par l'alliance
(i) Justinus. Liv. XL. chap. 4.
(2) La ville de Thurius fut fondée Tan I er de la LXXXI.V." olym-
piade. Hérodote l'historien , âgé de 40 ans , et Lysias âgé seulement de i3 ,
lequel devint dans la suite un orateur célèbre , firent partie de la colo-
nie qui y fut envoyée d'Athènes. Cette nouvelle ville fut appelée Thu-
rium , du nom d'une fontaine appelée Thuria , connue aujourd'hui sous
le nom d'Eau -parlante. Biodore de Sicile en met la fondation deux ans
après cette époque.
Europe. Fol. 1, 20
i^4 Gouvernement
clés Crotoniat.es , divisèrent la ville en dix tribus , auxquelles ils don*-
nèrent le nom des divers peuples d'où elles étaient sorties.
L'auteur de leur constitution fut Charondas disciple de l'école
de Pythagore , qui vivait vers l'an 44^ avant l'ère vulgaire , selon
les tables chronologiques de Blair. Les institutions politiques de ce
législateur peuvent se réduire aux suivantes : il exclut du Sénat et
des charges publiques tous ceux qui avaient contracté un second
mariage , après avoir eu des enfans du premier , persuadé que des
pères aussi peu attachés à leurs enfans, ne le seraient pas d'avantage
aux intérêts de la patrie ; il bannit entièrement l'espionnage , qu'il
regardait comme la cause de toutes les dissensions publiques et pri-
vées, et condamna ceux qui en seraient coupables à être promenés
par les rues, la tête couronnée de tamarin , ce qui était réputé pour
Carnation une des p{Lls grandes marques d'infamie : il salaria des instituteurs
dus en/ans. publics pour que l'instruction 3 rendue ainsi gratuite , en devint aussi
plus générale, et ordonna que les enfans fussent appliqués de bonne
heure à l'étude des belles lettres , pour orner leur esprit et disposer
leurs coeurs à la vertu: il voulut que la tutéle et l'éducation des
orphelins fussent confiées aux parens maternels , desquels ils n'avaient
rien à craindre pour leur existence , et laissa l'administration de
leurs biens au plus proche parent du côté paternel, qui avait un
certain intérêt à en prendre soin, comme étant son héritage en cas
Peines que le pupille vint à mourir : au lieu de punir de mort les sol-
infamantes dats coupables de désertion et de lâcheté , il les condamna à pa-
raître pendant trois jours dans les places publiques avec des robes
de femme : pour obvier à l'abrogation des lois , il ordonna que qui-
conque voudrait proposer quelque changement dans la constitution ,
Mort vint dans l'assemblée la corde au cou , et fût étranglé sur le champ ,
dans le cas que sa proposition fût rejettée (i). Charondas ne survé-
C/faroridaS-
cut pas long tems à ses lois : un jour qu'il revenait de sa maison
de campagne ayant son épée , qu'il avait prise pour se défendre
en chemin contre les voleurs, il trouva du tumulte dans la ville;
l'étant avancé pour l'appaiser , un citoyen lui fit le reproche de
violer la loi qu'il avait établie lui même , en venant haranguer
ainsi armé: non , lui repondit-il , je ne viole point la loi, mais je
la icelle de mon propre sans , et de suite il se perça de son épée.
Xuicuous. Dans le même tems que vivait Charondas , Zaleucus législateur

(i) Diod. SicuL liv. XII. JuAt. Lips. Monit. et Exemp. Pol. liv,
3QI. chap. g.
de la Grèce. i55
des Locriens et comme lui disciple de Pythagore , se rendit égale-
ment célèbre (i). 11 ne nous reste de lui qu'une espèce d'intro-
duction àses lois, et que Scaliger appelle divine. Zaleucus com-
mence par démontrer l'existence d'un Dieu , dont il déduit les
preuves de l'ordre admirable qui régne dans la nature : il défend
que les baines soient éternelles 3 et recommande aux juges de ne
point sévir contre les accusés, avant d'avoir rendu leur jugement.
Il eut recours à un singulier
CJ expédient
l. pour bannir le luxe de
x Son «**»»•
pour bannir

la ville , ce fut de ne permettre qu'aux courtisannes de porter & luKe-


des ornemens en or et des vêtemens brodés , et d'interdire aux
hommes l'usage des anneaux d'or et des étofes de Milet , excepté
à ceux qui tenaient une conduite malhonnête (fa). Par ce moyen ,
et sans avoir besoin d'user d'aucune violence , Zaleucus parvint à
préserver ses citoyens des dangers du luxe et de la mollesse.
Nous ne pouvons ajouter, à ce que nous venons de dire, rien Cotonies
de particulier sur le gouvernement de la Grande Grèce , et nous en 6icile-
n'avons que fort peu de choses à y joindre sur celui des colonies
Grecques qui s'étaient établies en Sicile. De toutes les villes que
renfermait cette lie, la plus considérable est Syracuse qui, dès son
Syracuse-
origine , étendit sa domination sur tout le pays \ mais la fondation
et les premiers siècles de cette ville , ainsi que l'origine et les com-
mencemens des autres villes de la Grèce, se perdent dans la nuit
des tems fabuleux. Pour ne point laisser imparfaite cette partie
des événemens qui se rapportent à la Grèce, et pour plus de briè-
veté en même tems , nous avons jugé à propos de donner ici un
abrégé des notions historiques que Vincent Mirabella a extraites
des ouvrages d'auteurs Grecs et Latins concernant Syracuse (3).

(i) La ville de Locres , ainsi appelée pour avoir été fondée par une
colonie Grecque venue de la Locride, était située au nord du promontoire
Zephyrius , appelé aujourd'hui cap Burzano
(2) Pollien parle d'une loi qui était en vigueur à Milet, et semble
avoir quelques rapports avec celles de Zaleucus. Les jeunes filles de Mi-
let étaient devenues sujettes à un mouvement de fureur qui les portait à
s'étiangler. Sur la proposition d'une sage matrone , il fut ordonné par une
loi , que les cadâ-vres des jeunes filles qui se tueraient ainsi , seraient expo-
sés nus dans la place publique Cette mesure suffit pour les guérir toutes
de cette étrange manie. Voy. De-Réal. Science du Gouvern. etc. pag 236.
(3) Des anciennes Syracuses. Palerme , Aiccaido, 1717. 4-° II. e vol.
pag 5. Voy. en outre De Republica Syracusana Urbvnis Hemmii in.
.(ironov. "VI. e vol. col. 63 1. et suiy.
r56 GotTVËRNEMEïîT

mcisshuàes
des Syracusains
a,'...,
Les Syracusains se gouvernèrent d'abord selon les lois et les
institutions des _JDoriens
.
, sous ,, . , ,,
1 autorité ,
d un seul; mais a, ,la mort
d'Archias (i), ce gouvernement fit place à celui des notables,
qui dura jusqu'à ce que, par l'effet des séditions et des discordes
civiles, il vint à se concentrer dans la personne de Gélon premier
Roi de Syracuse (a). Son régne fut suivi de ceux de Géron et en-
suite de Trasibule, dont l'audace, l'orgueil et la cruauté devinrent
si insupportables aux Syracusains , qu'ayant pris les armes ils abo-
lirent la tyrannie , et recouvrèrent la liberté. Ayant rétabli le gou-
vernement des notables , ils se rendirent fameux par les armes ,
et se défendirent contre les attaques d'ennemis puissans, et en par-
ticulier contre les Athéniens, sur lesquels ils remportèrent une
victoire célèbre. Enorgueilli de ces succès, le peuple de Syracuse
Pétalisme. voulut introduire dans le gouvernement la loi du Pétalisme (3) ,
qui condamnait à l'exil tous ceux dont on écrivait les noms sur
certaines feuilles: cette loi entraîna la ruine de la république:
car les Carthaginois ayant fait une irruption en Sicile durant les
Tyrannie troubles civils dont elle fut la cause , Denis , qui dans ces cir-
&e Denis.
constances avait été le sauveur de sa patrie , n'eut pas de peine
à s'en rendre le maître absolu, et il la gouverna pendant qua-
rante deux ans avec le titre de Roi : il laissa la couronne à son
fils appelé aussi Denis , de la domination duquel Dion de Syra-
cuse voulut délivrer son pays, et qu'il vainquit dans une bataille;
le môme Denis étant rentré ensuite dans ses états , il en fut chassé
<Je nouveau par Timoléon de Corinthe, et Syracuse encore une fois

(i) L'Archias, dont est ici question, est le même que l'Arcadien
dont nous avons parlé dans la Topographie de la Grèce , et il était de la
descendance des Héraclides.
(2) Les fastes et les événemens les plus certains de la Sicile datent du
tems de Gélon. Il s'empara de Syracuse la première année de la LXXIV.6
olympiade , 484 ans avant l'ère vulgaire. Vaillant capitaine non moins
que politique habile , il se fit admirer de ceux même des Syracusains qui
étaient encore chauds partisans de la liberté. Voy. Hérod. tom. III pag 3o,i,
(3) Le pétalisme eut la même origine à Syracuse que l'ostracisme à
Athènes , c'est à dire qu'il fut l'ouvrage de la jalousie du peuple , con-
tre les citoyens qui étaient devenus trop puissans par leurs richesses ou
par leurs grandes actions. Mais le pétalisme était encore plus funeste
et plus cruel que l'ostracisme , car à Syracuse il ne fallait que montrer
dans la main une feuille d'olivier, pour envoyer en exil un personnage
des plus marquans : ce qui la privait souvent de ses meilleurs citoyens. Le
mot pétalisme dérive du mot Grec xêraùov , qui veut dire feuille.
il la Grèce, i 57

recouvra sa liberté. Mais elle n'en jouit pas pendant long tems , car
vingt deux ans après, tandis qu'elle avait à se défendre contre les
entreprises des ennemis du dehors , elle succomba sous l'effort des
factions qui s'étaient renouvellées avec plus de fureur que jamais s
et dont Agatoclc, homme puissant, sut profiter, pour s'emparer du Jgaiocie,-
gouvernement: après sa mort, les Syracusains se voyant assaillis
par les Carthaginois, appelèrent à leur secours Pyrrhus Roi des
Epirotes; mais ce dernier ayant été vaincu par les Romains et
obligé de s'enfuir, ils se jettèrent d'eux mêmes entre les bras de
Géron un de leurs concitoyens et en firent leur Roi: la guerre Géron.-
que ce nouveau Monarque soutint seul contre les Romanis se termina
par un traité de paix, qui rendit le repos à la République pen-
dant quelque tems : ce qui arriva du vivant d'Archiméde. Après
sa mort , Géron eut pour successeur son neveu Jérôme que les Ro- Jérôme.
mains regardèrent comme leur ennemi, à cause du penchant qu'il
montrait pour la faction Carthaginoise; mais peu de teins après il
mourut à Léontium -, , victime
. -,d'une conspiration
T"» ' 1 1• • de ses
)( proches., ,Sy- Syracusepar
conquise
racuse se gouverna depuis iors en République, jusqu a ce que s étant les Romain*.
laissée entraîner de nouveau par la faction Carthaginoise , elle arma
contre elle la jalousie des Romains: Marcellus mit le siège devant
ses murs avec une armée formidable , et après trois ans de travaux
et de combats inutiles, il la prit enfin par trahison, et la soumit
à la domination Romaine l'an 5^2. de la fondation de Rome, aia
ans avant l'ère vulgaire. „
Parmi les grands hommes qui ont illustré Syracure , Dioclés est Diodes,
le seul qu'on puisse regarder comme législateur. Diodore nous le
dépeint comme un homme de mœurs austères, d'une éloquence
prompte, et d'une politique sage et éclairée (1). Cinquante ans
après s'être délivrés de la tyrannie de Trasibule , et avoir défait
les Athéniens par terre et par mer, les Syracusains s'abandonnè-
rent aux factions les plus funestes (a), et à un tel excès de li-
cence, que ne connaissant plus de frein , ils se virent bientôt en
proie à la plus affreuse anarchie. Ce fut alors, au rapport du
même Diodore, que Dioclés qui appartenait à une des familles

(1) Il est étonnant que les auteurs de la nouvelle Biographie fran-


çaise Paris
( , Michaud , 1801 et suiv ) , ne fassent aucune mention de
ce législateur , qui pourtant est si célèbre dans les fastes de Syracuse.
(2) La défaite des Athéniens eut li«u l'an 4 de la XCI.e olympiade ,
4i3 ans avant 1ère vulgaire.
1 58 Gouvernement
les plus distinguées de Syracuse , entreprit de réformer le gouver-
nement ,en créant des lois qui furent ensuite adoptées par toutes
Sa constitution, les autres villes de la Sicile. La constitution de Diodes fut démo-
cratique ;mais il serait trop difficile d'en expliquer la forme , car
on n'en trouve que des notions faibles et obscures dans les anciens
écrivains. Il parait, d'après ce que dit Diodore dans le commen-
cement de sa relation sur ce qui concerne Agatocle , qu'il y eut un
Sénat composé de six cents citoyens, mais il est bien rare qu'on
en trouve ailleurs quelque mention. Le peuple avait le pouvoir su-
prême, et se réunissait fréquemment en assemblées. Il nommait ses
premiers officiers tant de paix que de guerre , mais les juges et au-
Sa mort. tres magistrats étaient tirés au sort (i). On prétend que Dioclés a
fini ses jours par une mort semblable à celle de Charondas. Il avait
défendu par une loi que personne se présentât en armes dans la
place publique ; s'y étant montré lui même l'épée à la main , en
revenant de repousser l'ennemi qui s'était avancé jusques sous les
murs de la ville, il fut vivement apostrophé par un simple citoyen ,
auquel il répondit , « vois combien je suis fidèle observateur de la
loi „ , et en m?me tems il se perça le sein (a). Mais comme cela
devait être , on ne vit pas durer long tems un état de choses où
la liberté populaire était portée à l'excès , et où par conséquent
l'audace et l'emportement des esprits exagérés pouvaient tout , et
presque rien les conseils des hommes sages. Aussi, huit ans s'étaient
à peine écoulés depuis la réforme de Dioclés , que Syracuse re-
tomba sous la tyrannie des Denis.
Colonies
Grecques Les colonies qui passèrent de la Grèce , et surtout de l'Ionie
in Asie.
dans l'Asie mineure , devinrent plus célèbres dans l'histoire que cel-
les qui vinrent s'établir en Italie -et en Sicile. Placées dans un pays
vaste , agréable et fertile „ et au bord d'une mer qui leur ouvrait

(t) Athénée dans son XII. e livre affirme, sur la foi de Philarque ,
qu'il fut proclamé à Syracuse une loi semblable à celle de Zaleucus , par
laquelle il était défendu aux femmes de bonnes mœurs de porter des
vêteméns de pourpre et brodés ; et il ajoute que cette loi défendait aussi
aux hommes d'être trop recherchés dans leur habillement , et aux femmes
de sortir de chez elles après le coucher du soleil , à moins que ce ne
fussent des courtisannes.
(2) Diodore rapporte dans son XIII. e livre que les Syracusains avaient
élevé à Dioclés un temple , que Denis fit abattre dans la suite lors de la
construction des murs de la ville.
D E LA CrÉCE. r 5q
des communications faciles avec les peuples les plus civilisés et les
plus puissans, elles s'élevèrent dans le sein d'une longue paix au
plus haut degré de splendeur, tandis que l'ancienne Grèce leur
mère patrie était déchirée par les factions , ou menacée par les
barbares (i). Mais les fastes de ces colonies sont encore plus in téres-
sans sous le rapport des arts , des sciences, du commerce et de la re-
ligion que
, du côté de la législation et de la politique. L'histoire ne
nous apprend rien de leur gouvernement , sinon que divisées dès
Leur
leur origine en petits royaumes, elles conservèrent la forme du gou-
vernement monarchique , selon les idées qu'elles tenaient de leur gouvernement.'
pays natal. Les Ioniens , les Eoiiens et les Doriens , ou Grecs de
l'Asie, passèrent dans la suite de l'état monarchique à une démo-
cratie organisée à-peu-près comme celle d'Athènes, qui se maintint
jusqu'à ce que l'autorité suprême devint enfin le prix des intri-
gues, des violences et de la trahison de quelque citoyen puissant.
Parmi les tyrans qui ont dominé dans ces colonies, ceux de Milet
sont les plus fameux.
Les Grecs Asiatiques furent en outre victime de la politique
de Sparte : car dans le traité conclu entre les Lacédémoniens et les
,eurs revers*
Perses, il fut solennellement stipulé que toutes les villes Grec- L
ques de l'Asie resteraient dans la dépendance du Roi de Perse, dont
elles portèrent le joug, jusqu'à l'époque des conquêtes d'Alexandre,
qui leur rendit leur liberté et leurs anciens droits. Après la mort
d'Alexandre, ces mêmes Grecs énervés par le luxe et les vices
sans force et sans courage, n'opposèrent aucune résistance aux ar-
mées des Séleucides, successeurs du conquérant Macédonien, et
devinrent sujets des Rois de Syrie. Les Romains leur rendirent de
nouveau la liberté, c'est à dire cette liberté qu'ils avaient accor-
dée aux Grecs Européens , assujettie à des conditions dures , et
plus apparente que réelle. Mais s'étant révoltés contre les Romains
pour embrasser le parti de Mithridate Roi de Pont, et ce Monar-
que , après une guerre longue et sanglante, ayant enfin succombé
Accablés
sous les armes de Syila, ils se trouvèrent exposés à toute la vengeance
du proconsul irrité, lequel les condamna à payer des contributions par Sylith

si énormes, et leur imposa des lois si rudes, qu'ils ne purent jamais


.recouvrer depuis leur ancien éclat ni leur prospérité passée
(a).

(i) Gillies. Hist. of Greece , vol I pag. 76, et Hérod. Glio. liy. I. 142.
(2) Appien dans Mitrhidat. et Plut, dans Sylla.
160 Gouvernement

Nous nous bornerons à ce peu d'observations sur le gouvernement


des colonies Grecques, gouvernement qui est plus ou moins appli-
cable àtoutes les autres colonies fondées par ce peuple , tant en
Europe qu'en Afrique.
Forum Nous ne croyons
iC Athènes.
pouvoir mieux terminer ce que nous avons
dit jusqu'ici sur le gouvernement de la Grèce en général , qu'en
présentant à nos lecteurs deux dessins , que , d'après Vitruve , Pal-
ladio nous a donnés du forum d'Athènes, place fameuse, où se ren-
daient les sages pour s'entretenir de questions philosophiques , les
oisifs pour critiquer les magistrats et jaser de politique et de guerre,
et où enfin s'agitaient les grands intérêts de la république et du
gouvernement. La planche 2,2 offre le plan , et la planche a3 ''élé-
vation du forum Nous nous contenterons maintenant d'en indiquer
les parties, nous réservant d'en parler plus au long lorsque nous

(1) Palladio {Livres de l'Architecture etc. Venise etc. De France-


schi 1670 ) parle ainsi du forum des Grecs: Les Grecs ( d'après ce que
nous dit Vitruve dans le I.er chapitre de son V.e livre*) construisaient
dans leurs villes des places de forme carrée, lesquelles étaient entourées
de portiques vastes et doubles , soutenus par des colonnes très-rappro-
chées , et qui n'étaient qu'à la distance d'un diamètre et demi, ou tout
au plus de deux diamètre de colonne les unes des autres. La largeur
de ces portiques était égale à la longueur des colonnes , ensorte que ,
comme ils étaient doubles , l'endroit pour se promener était de la lar-
geur de deux fois cette longueur , et par conséquent très-spacieux et fort
commode Ces premières colonnes , qui , ( eu égard au lieu où elles se
trouvaient ) , devaient être , à mon avis , d'ordre corinthien , en suppor-
taient d'autres d'un quart plus petites , qui soutenaient deux portiques
supérieurs assez élevés pour pouvoir y rester et s'y promener commo-
dément ,et pour 'voir les spectacles qui se donnaient dans la place pour
cause de dévotion ou d'amusement. Tous ces portiques dévoient être dé-
corés de niches avec des statues , genre d ornement dont les Grecs étaient
très-amateurs. Près de ces - places , ( malgré que dans la description
qu'il nous en donne , Vitruve ne fasse aucune mention de leurs alen-
tours ,) devaient se trouver le palais , la cour de justice , les prisons et
tous les autres lieux .... qui tiennent à la place : ce qui est d'autant
plus probable , que , ( comme il l'observe au VIIe chapitre du premier
livre ) , les anciens étaient dans rasage de bâtir, aux environs des places,
les temples consacrés à Mercure et à Isis , comme les divinités qui pré-
sidaient au commerce et aux marchandises ; et en effet on en voit en-

core deux sur la place de Pola ville dis trie , d'une forme, d'une gran-
deur et d'un genre d'architecture parfaitement semblables.
de la Grèce. i6ï

traiterons de l'architecture Grecque. En voici donc la description


en peu de mots: A, place; B, portiques doubles; C, basilique;
D, temple d'Isis; E, temple de Mercure; F^ cour (i); G, por-
tique et petite cour au devant de la monnaie; H, portique et
petite cour en avant des prisons ; I , porte du vestibule d'où l'on
entre dans la cour ; K , corridors autour de ce local.

PREMIÈRE SÉRIE DE L* ICONOGRAP HIE GRECQUE»

; PORTRAITS

des sept Sages , des Princes et des Législateurs.

-1_Jes sept sages tant vantes dans 1 histoire Grecque doivent Recherches suF
•i■ ,
être encore considères .,- i
comme législateurs: car, a, 1i3 • de
exception i les sept toge*--
Thaïes , tous ont été , ou à la tête de quelqu'Etat , ou se sont
appliqués à donner aux hommes des leçons de morale et de po-
litique (a). Mais nous ne savons rien de positif sur leur nom ni
sur leur nombre ; et il serait, fort difficile de vouloir déterminer
les maximes propres à chacun d'eux (3). Néanmoins les person-
nages qui ont été décorés de ce nom sont, selon l'opinion la plus
commune, Périandre Roi de Corinthe , Solon législateur d'Athè-
nes ,Bias né à Priéne en lonie , Thaïes de Milet , aussi Ionien ,

(i) Les cours étaient les lieux où s'assemblaient les sénateurs , ou


les principaux magistrats ; et les basiliques , d'autres lieux où les magistrats
rendaient la justice à eouvert , et où se traitaient les affaires les plus im-
portantes de l'état.
(2) De-Réal, Scien. du Gouv. etc. tom I.er pag. 226, observe judicieu-
sement ,que les maximes tant vantées des sept sages , lorsqu'on vient à les
examiner froidement , et sans prévention pour l'antiquité , ne sont que
des préceptes vulgaires ; et même que plusieurs de ces prétendus sages
ont été de cruels tyrans.
(5) Voy. l'Iconographie Grecque de Visconti vol. I,er pag. 102. D'après
ee qu'on lit dans Diogéne Laerce y on pourrait fixer à l'an 5o4 avant l'ère
vulgaire , l'époque où l'on commença à désigner sous le nom de Sages-
certains personnages , qui } par leurs sentences morales, s'étaient rendus
célèbres dans les villes Grecques d'Europe et d'Asie.
e. Vol L
162 Gouvernement et Lois
et le premier qui enseigna en Grèce la philosophie naturelle , Cléo-
bule de Rhodes, Pittaque de Mytiléne, et Chilon de Sparte (1).
Nous allons maintenant donner une idée particulière de chacun
de ces grands hommes, et nous y joindrons même leurs portraits,
que nous croyons devoir faire précéder des réflexions suivantes,
dont on pourra faire l'application à ceux de tous les anciens per-
son ages que
, nous représenterons successivement dans le cours de
ce traité.
Recherches sur
les portraits
des anciens.
L'homme a un penchant naturel et dominant qui le porte à
chercher les moyens de conserver l'image des personnes , qui ont
mérité son estime et son affection. C'est à ce penchant que nous
sommes redevables des premières notions de l'art de la peinture et
de la sculpture (a). " Ce goût alla toujours croissant, dit l'illustre
Visconti, à mesure que les essais devinrent moins grossiers, et que
l'art s'avança vers la perfection. L'imitation en plein relief fit
croire à l'homme étonné , qu'il avait acquis la puissance de soustraire
à l'empire de la mort les formes fragiles et variables des êtres vi-
vans. Ces êtres, ainsi représentés, devimeut en quelque sorte immor-
tels (3). C'était une opinion reçue dans les beaux jours de la Gré-
ce , que l'usage de transmettre à la postérité les images en relief
de personnes chères ou distinguées , remontait jusqu'aux siècles hé-
roïques. Appollodore parle de la statue d'Hercule exécutée par
Dedalus du vivant de ce héros, et fait mention du fameux palla-
dium ,comme de la statue d'une vierge, qui avait été liée d'une
amitié très-étroite avec Minerve (4). »
Portraits
Les images des anciens Grecs étaient, pour la plupart des ou-
pli peinture- vrages en plastique, en toreutique ou en sculpture. Elles étaient
déposées dans les temples et dans les édifices publics, où chaque
citoyen pouvait de même placer la sienne ou celle de toute autre per-
sonne ,sans avoir besoin pour cela de recourir à l'autorité publi-
que. Dès les tem9 les plus reculés , les images des simples parti-

(1) Antipater Sidon. Analecta, ep. LX. Hygin. Fab 221. Auson. Lud.
VII. Sidon Apollin. Carm XV. A la place de Périandre, Platon met un cer-
tain Myson du mont Oeta. Nous nous dispenserons de rapporter ici l'his-
toire fabuleuse et si connue du trépied d'or , qui , selon Ausonius et Va-
lerius Maximus , a donné le nom de Sages à ces sept personnages.
(2) Plin. liv, XXXV. §. 5. 43 et 44-
(3) Visconti Iconogr. grec. Disc, prélimin.
(4) Apollod. liv. II. c. 6. §. 3. et liv. III. c. 12. §. 3.
de la Grèce.. i63
culiers fesaient un des principaux ornemens des sépulcres; et sou-
vent même , parmi celles des morts , on voyait aussi les images de
leurs parens ou de leurs amis encore vivans , ou celle de quelqu'hom-
me célèbre qui avait été de la même profession que le défunt. C'est
ainsi que , près d'Athènes , on voyait les tombeaux de l'orateur Iso-
crate , et de Theodétes poète tragique , décorés des images de poètes
et orateurs divers (i). L'art monétaire nous a aussi conservé les por-
traits de plusieurs grands personnages de l'antiquité : car malgré
que les monnaies les plus anciennes de la Grèce , portent en gêné- Portraits
les
rai pour type , les images et les emblèmes des divinités tutélaires , monnaies.
ou certains caractères symboliques des peuples ou des villes où elles
ont été frappées, il y eut néanmoins des villes Grecques, même
dans les tems les plus reculés, qui retracèrent sur leurs monnaies
les images d'hommes illustres auxquels elles avaient donné le jour.
Par exemple , celle d'Homère fut prise par plusieurs peuples pour
type de leurs monnaies, et les Mytileniens donnèrent aux leurs
celle de Sapho (a). Mais , depuis qu'à l'exemple des Rois de Perse,
Alexandre voulut que ses monnaies ne portassent d'autre empreinte
que son propre portrait figuré en Hercule, il passa en usage, dans
les Etats monarchiques , de représenter sur les monnaies l'effigie
du Souverain régnant. Si nous avons maintenant un grand nombre
de portraits, historiques surtout, c'est précisément aux monnaies que
nous en sommes redevables ; et ces portraits portent en eux le plus
haut degré d'authenticité , pour avoir été exécutés d'après les or-
dres de quelqu' autorité publique 3 et par des artistes contemporains
des Princes qu'ils ont représentés (3). Après les monnaies et les mé-

(i) Cet usage se retrouve aussi chez les Romains. La statue du poète
Ennius avait été placée dans le mausolée des Scipions sur la voie Ap-
pienne : les images de Sophocle et de Ménandre furent découvertes près
de Rome dans le tombeau d'un poète. Ces images étaient pour la plupart
en marbre , en plein ou en bas-relief,, et n'offraient souvent que le buste
du personnage représenté. Visconti est même d'avis que la dénomination
de buste dérive du mot bustum , qui dans la basse latinité voulait dire
sépulcre , peut-être de combustum , brûlé , parce qu'anciennement on était
dans l'usage de brûler les cadavres.
(2) Strab. liv. XIV. pag. 646. Pollux , Onomasù. liv. IX. num. 84.
(3) « Dans ce» monumens solides, (dit encore Visconti au même en-
droit,) qui en raison de la matière dont ils sont faits , de leur forme cir-
culaire etde leur peu d'étendue , sont moins faciles à se détériorer , noua
164 Gouvernement et Lois
Portraits
éir les camées. dailles viennent les camées et les gravures en pierre dure ; maïs ,
dépourvus pour la plupart d'inscriptions ou d'emblèmes analogues
au personnage qui y est représenté , ils ne peuvent être que d'un
Authenticité
faible secours dans l'étude de l'iconographie antique.
des anciens En second lieu , il faut observer que les portraits des grands
■t portraits. hommes de la Grèce, même ceux qui ont été faits long tems après
la mort du personnage dont ils offrent l'image, ne laissent pas de
présenter assez généralement un autre genre d'authenticité , dans
l'usage où l'on était d'en faire un grand nombre de copies, qui
étaient destinées à servir d'ornement , non seulement dans les édi-
fices publics et privés , mais encore sur les ecus votifs les vases
et les bas-reliefs , ainsi que sur les patères en terre cuite 3 et
autres ustensiles domestiques ; en sorte que ces copies se renou-
vellant ainsi d'âge en âge, se transmettaient d'une génération à l'au-
tre avec une espèce de respect religieux. Ainsi donc , en supposant
que le tems nous ait ravi les portraits qui ont été faits du vivant des
personnages qu'ils représentent , il est à croire que dans les copie9
faites postérieurement et qui sont parvenues jusqu'à nous , les ar-
tistes auront cherché à imiter de leur mieux, si non les originaux,
au moins les copies les plus authentiques et les plus estimées de
leur tems , qui leur auront servi de modèle.
Médailles
Contournées.
C'est pour cette raison que Visconti regarde jusqu'à un cer-
tain point comme authentiques quelques portraits, qui ne se trou-
vent que sur les médailles appelées contournées, et frappées à l'épo-
que de la décadence des arts , c'est-à-dire dans les IV.e et V.e siè-
cles de l'ère vulgaire. Rome et Constantinople avaient encore à cette
époque des collections de monumens antiques et rares en tout genre,
qui offraient aux graveurs de médailles des modèles précieux à
imiter , et sur lesquels ils ont en effet exercé leur talent avec suc-
cès, comme on à lieu d'en être convaincu par la comparaison de
certains portraits représentés sur les médailles contournées , avec
ceux qu'on voit encore aujourd'hui dans des monumens de la plus
haute antiquité. La même raison a encore porté ce savant anti-
quaire, àaccorder un certain degré d'authenticité à d'autres por-
traits d'une date encore plus récente , qui nous sont conservés dans

trouvons les portraits de tous les Empereurs Romains , ainsi que ceux de
la plupart des Rois postérieurs à Alexandre , lequel a été , selon moi , le
premier Souverain, qui, de son vrvant, ait fait imprimer son effigie sur
les monnaies. »
DE LA GrIcE. 1 65
des miniatures dont sont décorés quelques anciens manuscrits , pourvu Miniatures.
toutefois qu'elles ne soient point évidemment un ouvrage de fantai-
sie, et qu'on reconnaisse dans le costume ou autres accessoires un
caractère d'originalité tel , qu'on puisse raisonnablement présumer
qu'elles ont été faites sur des copies plus antiques , et d'une époque
plus rapprochée des vrais originaux. Il ne faut donc pas en croire
trop légèrement M.r Mongez , aux yeux duquel les portraits que
représentent ces anciennes gravures, n'offrent , pour ainsi dire, au-
cun caractère d'authenticité (i).
Il est une troisième et dernière observation que nous ne de- Ponraip
vons pas passer sous silence ; c est 1 erreur ou sont tombes même des
auteurs distingués , en prenant pour les portraits d'anciens person-
nages Grecs, les effigies gravées sur des médailles et en pierres du-
res; et voici comment. Par une suite de l'usage où étaient la plupart
des villes de la Grèce 3 de donner à l'année le nom de leur pre-
mier Magistrat ou de leur premier Archonte , souvent aussi les artis-
tes gravèrent son nom et son image sur leurs médailles. Mais comme
il y avait eu divers personnages portant le même nom, il arriva,
îors de la restauration des arts et des lettres , que les têtes de
ces magistrats furent prises pour celles des grands hommes qui avaient
porté le nom dont ces médailles étaient décorées : or c'est ainsi
que certains antiquaires ont cru voir dans quelques-unes d'elles la
tête du philosophe Socrate , tandisque que ce n'était que celle d'un
magistrat inconnu qui avait eu le même nom. Il en est de même
des portraits qu'on trouve sur les camées et les pierres dures. Le
nom qui y est gravé est le plus souvent celui de l'artiste s et rare-
ment celui du personnage qui y est représenté. Par exemple on
prit pour le législateur d'Athènes (a) certain Solon graveur , dont
le nom , qui fait au génitif coaqnoc , et par abbréviation coaok se
lit sur divers camées. C'est pourquoi dans le choix que nous avons
fait du petit nombre de portraits insérés dans ce traité, nous n'a-
vons pris que ceux qu'une saine critique nous a fait regarder com-
me authentiques, ou à-peu-près comme tels; et nous nous en sommes
rapportés pour cela presque toujours au jugement du célèbre anti-
quaire M.r Visconti , lequel est à tous égards le savant le plus
distingué que nous ayons dans cette science.

(i) Encyclop. méthod. antiqiût. I.eF vol. pag. g.


(2) Mongéz endroit cit.
166 Gouvernement et Lois

e Portrait
Périandre. •D'après ces1 considérations
1 , nous commencerons par Périandre
-i
qui passe pour le plus ancien des sept sages , quoique tous les au-
tres ayent été ses contemporains. Il était fils de Cypséle , et régna
à Corinthe pendant près de quarante quatre ans : il e9t regardé
comme un des premiers législateurs qui ayent donné aux hommes
des régies de gouvernement (i). Son image nous a été conservée
dans le buste , ou hermès en marbre ( voy. le n.° i de la plan-
che 2,4) , monument précieux du Musée Vatican , qui fut décou-
vert en 1780 aux environs de Tivoli , dans les excavations de la
maison de campagne de Cassius , avec Thermes de Bias , et des
fragmens de celles de Solon, de Thaïes, de Pittaque et de Cléo-
bule. Le sculpteur a donné à son regard un caractère ferme et
Selon.
résolu. Le n.° a représente Solon , et est pris d'un buste en mar-
bre de la galerie de Florence. Le sage a la tête ceinte d'un cordon ,
symbole de son apothéose: le bout de son pallium ou manteau lui
retombe sur l'épaule gauche : sa physionomie annonce le calme et
la force de l'âme. Suit , sous le n.° 3 , l'image de Bias dans un buste
en marbre , qui a également été découvert dans les excavations
faites à Tivoli. Le sage de Priéne s'était rendu célèbre par l'élo-
quence avec laquelle il servit les intérêts de sa patrie, par l'activité
de sa bienfesance, et par l'inaltérable égalité de sa conduite.
Il expira à la tribune entre les bras de son neveu, à la fin d'une
harangue qu'il prononça pour un de ses amis. Le n.° 4 représente
Thaïes. Thaïes, le fondateur de la secte Ionique, et le père de la philo-
sophie Grecque , dont nous aurons occasion de parler ailleurs. Ce
philosophe fut le premier qui, au dire d'Hérodote, conçut le pro-
jet d'un état confédéré , système qui fut d'abord rejette par ses
concitoyens , mais qu'on regarda dans la suite comme un bienfait
de la plus sage politique. Cette hermès fait partie du Musée du
Vatican, et fut trouvée dans les fouilles du mont Celius. La mé-
fittaque. daille n.° 5 offre l'effigie de Pittaque. Cette précieuse médaille en
bronze, qui est l'unique, appartenait dans le XV.e siècle au cé-
lèbre Fulvius Ursin : elle passa ensuite dans la collection Gotofredi
à Rome , et de là dans le cabinet de la Reine Christine. Pie VI
en fit l'acquisition pour en enrichir la collection du Vatican, d'où

(1) L'opuscule, ou dialogue de Plutarque , intitulé le Banquet des


sept Sages , où sont représentés ces parsonnages illustres, assis à un banquet
solennel ehez Périandre, doit être regardé comme une espèce de roman y
plutôt que comme un morceau historique.
de la Gré* ce. 167
elle est enfin allée au Musée de Paris. Pittaque donna des lois à
Miîyléne, et y exerça la dictature pendant dix ans, au bout des-
quels ilvécut tranquille et honoré de ses concitoyens, sans être con-
traint de se condamner à un exil volontaire , comme avaient fait
Lycurgue et Solon. Il mourut à Mityléne, âgé de plus de soixante
et dix ans, Tan 570 avant l'ère vulgaire. Le fragment de Mosaïque
qu'on voit au ri,0 1 de la planche 2,5 , retrace , bien que grossière-
ment, le portrait de Chilon (ij. Ce sage était de Sparte, et il vi- çw&»
vait à l'époque où la législation de Lycurgue était dans toute sa
vigueur. Il obtint la dignité de premier Ephore l'an 556 avant
notre ère (2,); il vécut long tems constamment honoré de ses con-
citoyens, et mourut aux jeux olympiques entre les bras de son fils
qui y avait remporté le prix du pugilat.
Nous ne pouvons retracer ici le portrait de Cléobuîe, le cin- ciéoiuie
'.\ ») . , -, ... , et Pisïstrate
quieme d entre les sages , les monumens qui devaient nous le trans-
mettre ainsi que celui de Pisistrate ayant été la proie du tems.
L'illustre Visconti nous avertit cependant que l'on conserve dans
le Musée du Vatican les piédestaux en façon de hermès sur lesquels
posaient ces images , et où on lit encore les noms de Cléobuîe et
de Pisistrate. A l'exemple de cet antiquaire, nous remplirons cette
lacune par le portrait d'Esope (3). Esope , dit-il, né en Phrygie, e<oj>^
esclave à Athènes , puis à Samos , est le premier qui se soit acquis
un nom durable dans l'apologue, espèce de contes moraux inventés
en orient dès la plus haute antiquité. Ses fables, ses sentences et
ses réponses ingénieuses lui valurent sa liberté , et le firent mettre
en quelque sorte au rang des sept sages , dont il était contemporain.
Il fut accueilli avec distinction à la cour de Crésus ; mais son bon-

(1) Ce morceau de mosaïque se trouve à Véronne dans la Bibliothèque


de la Cathédrale , à laquelle il en a été fait présent par le Prélat Bianchini ,
qui l'avait acheté à Rome , où il avait été découvert au commencement
du siècle parmi les ruines de rAventin. On y lit la fameuse sentence
qu'on atribue à Chilon : rNQQi cayton: Connais toi toi même. Ce fragment
semble avoir été détaché du pavé de la Bibliothèque du Pollion sur
rAventin. On sait que Pollion avait orné sa Bibliothèque des portraits
des hommes illustres.
(2) Corsini. T. A. tom. III pag. io3.
(3) Les Athéniens avaient fait sculpter par Lisyppe l'image d Esope ,
et l'avaient placée après celles des sept sages. Phœd. EpiJog liv. 2; ver. 1.
Aesopi ingenio statuant posuere Attici.
1 68 Cou Versement et Lois

heur n'y fat pas de longue durée. Après s'être élevé par son génie et
son savoir, de l'état le plus abject à une condition honorable, il
périt à Delphes , victime de la plus noire calomnie , qui le fit pré-
cipiter comme sacrilège de la roche Iampea., (i) l'an 56o avant
l'ère chrétienne (a). Le n.° a représente lliermès d'Esope , dont on
voyait autrefois l'original dans la maison de plaisance Albani à
Rome. La forme de cette hermès ou therme , observe encore le
même Antiquaire , usitée chez les anciens nour les portraits des hom-
mes illustres, la gibhosité et les défauts de conformation du per-
sonnage figuré dans ce monument, avec son ventre saillant et sa tête
pointue, tel enfin qu'on représente Esope , ne permettent aucune-
ment de douter que ce ne soit là l'image du fameux auteur d'apo-
logues. Les défectuosités de sa personne y sont compensées par une
certaine vivacité de physionomie, qui diffère extrêmement de celle
que les anciens donnaient ordinairement aux portraits qu'ils fe-
saient des nains et des bouffons , dans la figure desquels on apper-
cevait toujours quelque chose de ridicule et même de stupide.
Zaïeucm Les portraits des deux législateurs de la Grande Grèce Za-
•gf; Cliarondas. x «»
Jeucus et Cliarondas devraient aussi trouver ici leur place; mais ils
ne sont point parvenus jusqu'à nous. La médaille d'argent des Lo-
criens d'Italie rapportée par Faber, par F. Ursin et par Gronove ,
sur laquelle certains antiquaires ont cru voir le portrait de Zaleu-
eus , est reconnue aujourd'hui comme fausse; et la même erreur a
été le partage de quelques autres érudits, qui ont pensé découvrir
l'effigie de Cliarondas dans une tête chauve et barbue, gravée sur de
petites médailles d'argent qui ont été frappées à Catane en Sicile.,.
Les figures que représentent ces médailles sont celles de Silène et
de Pan, comme le démontrent évidemment les accessoires et^autrea
indications analogues (3).

(i) V. Larcher , Chronoï. cP Hérodote, ch. 19%


(2) Cet auteur , Iconogr. gr. , vol. 3 pag. 121 , combat victorieuse-
ment le scepticisme de ceux, qui ont douté de Inexistence d'Esope.
(3) Visconti endr. cit. pag. i25 N. Cet auteur est d'avis que la tête
couronnée de la médaille Locrienne est celle de Jupiter qu'on voit sur
les médailles authentiques des Locriens , et que le nom de cette divinité
zeuî à été changé en celui de z*Ae««<.s. Quant à ce prétendu portrait de
Cliarondas dans les médailles de Gatane , que Gronove rapporte dans son
ouvrage , nous remarquerons qu'il est représenté tantôt avec des cornes x
et tantôt avec des oreilles de bouc , qui sont les signes caractéristiques,
de Pan. et de Silène.
de la Grèce. i 69
Cëcrops „
Les portraits de Cécrops, de Minos , de Codrus et autres an- Minos ,

ciens monarques et législateurs , rapportés par Gronove , ne méri-


CodruS'
tent pas plus de foi : on n'a aucune raison solide pour croire à
leur authenticité, et ils n'ont eu souvent pour archétype que le
caprice de l'artiste, ou la crédulité de quelqu'antiquaire, qui s'est
imaginé de voir les images de ces grands personnages dans quelques
têtes antiques , idéales ou même inconnues. Pour ne point tomber
dans les mêmes erreurs à cet égard , nous nous sommes fait une loi
de ne donner ici que les portraits dont l'authenticité est avouée par
une saine critique , ou au moins appuyée de grandes probabilités.
Tel est celui de Lycurgue qu'on voit au n.° 3 de la planche a5 , Lyturgue.

et qui est pris d'une tête en marbre de la collection Farnaise. La


différence sensible qu'on apperçoit dans la conformation de l'œil
gauche et des parties environnantes , en la comparant avec le côté
droit du visage , indique que , par ce défaut de symétrie , l'artiste
a voulu caractériser un homme qui n'avait qu'un œil : or Lycurgue
en avait en effet un de moins, qu'il avait perdu dans une émeute
populaire. La chevelure inculte est négligée, telle que le compor-
tait l'austérité des mœurs Spartiates, et l'armure qu'on voit en par-
tie sur l'épaule droite, décèlent bien le législateur, qui avait fait
de la bravoure militaire la base de sa constitution (1). Au portrait
de Lycurgue, de l'immortel fondateur de la grandeur Spartiate,
joignons celui du tyran Cléoméne III.e, fils de Léonidas IIe Roi de cièommein.
Sparte, et le dernier de la famille royale des Agides. Il avait
changé la forme du gouvernement par le massacre des Ephores, et
l'empoisonnement du jeune Roi de la famille des Euripontides qu'il
devait avoir pour collègue. Son image se voit sur un médaillon en
argent frappé à Sparte , qui fut apporté de ]a Grèce à Paris par
M.r l'abbé Fourmont , et publié par la première fois dans l'His-
toire de l'Académie des belles lettres (a). Le revers représente Mi-
nerve Chalciaecos, ou Minerve au temple de Bronze^ protectrice
de Sparte. Eckel et Visconti donnent des raisons plausibles sur
l'authenticité réele de ce portrait (3).

(1) On conserve dans le Musée du Vatican une statue de Lycurgue,


dont la tête ne diffère guères de celle de la collection Farnése que nous
venons de rapporter. Voy. Mus. Pio-Clem. , tom. III. plan. i3.
(2) Tom. XL. pag g3.
(3) Eck. Doctr. Num. tom. II. pag, 282. et Vise. Iconogr. gr. vol. II.
pag. q4 et suiv.
Europe- Fol. J-.
170 Gouvernement
ï&icks. Parmi les hommes d'Etat qui se sont rendus fameux dans toute
îa Grèce 3 on doit placer au premier rang Périclés, qui fut pen-
dant quarante ans l'arbitre de la république d'Athènes. Profond
scrutateur du cœur humain et politique habile , il sut conserver
adroitement son autorité , par le sage emploi qu'il fit des trésors
de la Grèce , et surtout de l'éloquence rare dont la nature l'avait
doué. Athènes parvint sous lui au plus haut degré de splendeur dans
les sciences et dans le beaux arts: il mourut de la peste qui dé-
sola cette ville l'an 4a9 avant l'ère Chrétienne, et le troisième de
la guerre du Péloponnèse. Son portrait , n.° 5 , regardé comme
authentique par Visconti , a été copié sur une belle hermès en
marbre, découverte il n'y a pas long tems aux environs de Tivoli,
dans les ruines de la maison de campagne de Cassins , d'où il est
passé dans le musée du Vatican (i). „ La profondeur des pensées,
la finesse du jugement, et une fermeté de caractère inébranlable,
sont, au dire du même antiquaire, les qualités dont l'artiste a voulu
graver l'empreinte sur le front , dans les yeux et sur les lèvres du
personnage que représente cette image. 11 est à remarquer que la
forme du crâne de Périclés , qui , selon Plutarque était oblong et
trop élevé , se trouve cachée ici sous le casque ; et que cet artifice
a été employé par tous les artistes de cette époque , pour voiler ce
défaut dans les portraits de leur grand protecteur (a). A coté de celui
de Périclés on devrait placer le portrait d'Aspasie fameuse courti-
sanne de Milet, qui de cet état sut s'élever au point de se rendre,
avec ce grand personnage, l'arbitre des destinées d'Athènes. Mail
nous l'avons déjà donné sous le n.° i de la planche 7.
Nous terminerons cette première série de l'Iconographie Grec-
que par la planche 36 , où sont retracés les portraits des Prince*
et des Rois de Sicile , qui , par leurs grandes actions , ont mérité
une place distinguée dans l'histoire. Les médailles qui les repré-
sentent sont toutes authentiques, et prises en grande parties de l'ou-
vrage du célèbre antiquaire dont nous venons de parler. La médaille

(1) Dans Thermes on lit au bas du portrait en grec, et en carac-


tères majuscules l'inscription suivante: Périclés fils de Xantippe Athé-
nien. On a découvert dans les mêmes ruines prés de Tivoli une autre
image de Périclés qui a été transportée en Angleterre : elle est gravée sur
un cul de lampe qu'on trouve dans le ll.e tom. , chap. 5 des antiquités
d'Athènes par Stuart.
(a) Plutarch. Périclés etc.
%e

CweiL
DE LA GeÉCÊ. - 171
d'argent n.° 1 représente Hiéron , qui gouverna Agrigente depuis Hiêronl
Tan 487 jusqu'en 472 avant l'ère vulgaire, et que Pindare fait de-
scendre de héros Thébains. La faction des Emmérides, qui formait
dans cette ville un corps politique , dont les membres étaient étroi-
tement unis entre eux par les liens de certaines cérémonies religieu-
ses,l'avait élevé au pouvoir suprême, et il en fit un usage égale-
ment utile à sa patrie et à la Sicile entière, en délivrant cette île
du joug des Carthaginois, au moyen de l'alliance qu'il fit avec Gélon
chef de Syracuse. Cette médaille se trouve dans la collection Ca-
relli de Naples. L'écrévisse qu'on voit sur le revers, et qui s'appe-
lait xpay&v eu grec, était devenu l'emblème d'Âgrigente, à laquelle
les Grecs donnaient pour cela le nom d'Àcragos. Le bandeau qui
ceint le front du personnage , annonce qu'on le mettait au rang
des anciens héros.

Les n.os 2, et 3 offrent le portrait de Gélon. Après s'être rendu Gélo,i-


par la force l'arbitre de Gela sa patrie, Gélon entreprit la con-
quête de Syracuse , et y entra en vainqueur à la tète de la fac-
tion des riches que le peuple en avait chassés. A la bataille d'Hy-
mère il défit l'armée Carthaginoise commandée par Amilcar, qui
était bien de trois cent mille hommes: il en employa les prison-
niers à l'agriculture et aux ouvrages publics, au lieu de cette po-
pulace inconstante et séditieuse , que l'intérêt public l'avait porté à
expulser tout à fait de la Sicile. S'étant présenté ensuite sans ar-
mes dans l'assemblée du peuple, il y rendit compte des actes de
son autorité, et fut spontanément proclamé Roi. Il se consacra en-
suite tout entier au bien de la Sicile, à laquelle il fit en quelque,
sorte changer de face, en y créant d'utiles institutions (1). Il
mourut d'hydropisie l'an 478 avant l'ère vulgaire. Les deux mé-
dailles, dont l'une est en argent et l'autre en bronze, représentent
ce Prince à deux âges un peu différens , et ont été décrites par
Mionnet (fi). Dans celle du n.° a, on voit derière la tête et dans
le champ de la médaille une massue , qui pouvait bien être l'em-
blème de ses triomphes dans les jeux olympiques , idée que semblent
confirmer les chars de victoire qu'on apperçoit sur le revers clés

(1) Gélon inséra dans son traité avec les Carthaginois un article, qui
les obligeait à l'abolition de l'usage barbare où ils étaient de sacrifier des
gnfans. Voy. Montesquieu , Esprit des lois , liv. X chap 5,
(2) Description de médailles etc. tom. I. Rois de Sicile ,na % et. 5,-
i7a Gouvernement
deux médailles, ainsi que la lettre E qui est au dessous des che-
vaux du n.° a. Elles portent l'une et l'autre une légende en Grec,
qui , sur l'une , signifie : Les Syracusains ( à la mémoire )de Gélon ^
et sur l'autre simplement ( à la mémoire ) de Gélon.
méroni. Le n.° 4 représente Hiéron I.er frère de Gélon (i). Sous ce
Prince le trône de Syracuse acquit un nouvel éclat. Il fut ami
des lettres et des arts; et malgré son ambition, et les autres dé-
fauts que lui impute Diodore (2), on l'a toujours regardé comme
le modèle des Princes. Il avait fondé la ville d'Etna, dans la-
quelle ilobtint les honneurs héroïques , qu'ont avait coutume de
rendre, selon le témoignage du môme écrivain , aux fondateurs
d'une ville qui ne renfermait pas moins de dix mille habitans.
Cette médaille est en bronze , et porte à son revers les mèmer
emblèmes que celle de Gélon.
La médaille d'argent, n.° 5, a tous les caractères que nous avons
remarqués dans celles de Gélon et de Hiéron , d'où l'on peut con-
clure avec quelque vraisemblance , qu'elle a été frappée à la môme
époque et au même atelier que les premières, c'est à dire à Syra-
cuse sous Hiéron II. La légende Grecque qui est sur le revers si-
Pkiiisie. gnifie : ( à la mémoire ) de la Reine Philiste. On retrouve le nom
de cette Philiste sur diverses médailles , ainsi que sur quelques
monumens Paléo graphiques de la Sicile ; mais les antiquaires ne
sont pas encore d'accord entre eux sur la place à assigner à cette
Reine dans l'histoire et la chronologie. De toutes les opinions qui
ont été émises à cet égard , la plus probable selon nous est encore
celle de Visconti , qui croit que cette image est celle d'une Phi-
liste fille de Hiéron I.er , de laquelle descendait vraisemblablement
Hiéron II., et que ce dernier fit frapper cette médaille avec celle
du premier Hiéron. Le char de victoire fait peut-être allusion
aux triomphes que le père et l'oncle de cette femme avaient rem-
(i) Il y eut deux Hiéron. Le premier, qui était fils de Dioméne ,
jégna io ans , et mourut l'an 467 avant Lère vulgaire : le second régna
54 ans , et mourut l'an 2i5 avant la même ère. Le portrait que présente
la médaille dont est question est celui de Hiéron Ier, malgré que, selon
toutes les régies de la bonne critique , elle ait été frappée sous Hiéron II
qui voulut par là honorer la mémoire de ce grand homme. Voy. l'ouvrage
du même Mionnet, ( Rois de Sicile n.° 20 ) , et Visconti Iconogr. Grec,
vol. IL pag. i5 et suiv.
(2) Diodor. XL § 67.
be la Grèce. 173

portés dans les jeux de la Grèce. La palme qu'on voit dans le


champ de la médaille derrière la tète , et la lettre A au dessous
des chevaux, sont des signes emblématiques ou de la ville où elle
a été frappée, ou du magistrat qui présidait à l'établissement où
elle a été faite (1). La chevelure de cette Reine va disparaissant
sous le diadème et sous son voile, genre de coiffure que les artistes
de l'antiquité donnaient souvent à la mère des Dieux. Nous avons
rapporté d'autant plus volontiers cette image , qu'elle peut fournir
à nos artistes une idée de l'habillement des Reines Grecques dans
les plus beaux jours de la Sicile. Tel est le petit nombre des mé-
dailles que nous avons , et sur lesquelles les images des Rois de Si-
cile ont un caractère certain d'authenticité : car les autres mé-
dail es ,et entre autres celle de Denis l'ancien , où Mirabella croit
voir le portrait de ce tyran (fi) , sont toutes supposées , ou ne re-
présentent que des divinités tutélaires. Nous n'étendrons donc pas.
plus loin cette première série de l'iconographie Grecque.

SECONDE SÉRIE DE L I C ONO GRJ P H IE GRECQUE*

La Grèce sous les Rois de Macédoine.

or, la dissimulation, la ruse et la politique insidieuse de toicademe


Philippe Roi de Macédoine d'un côté, et de l'autre la mollesse, de u GrJee,
la discorde, l'abandon des anciennes constitutions, et l'adulation
vénale des orateurs, avaient déjà porté le coup le plus funeste à la
liberté des Grecs. Envain Démosthénes et un petit nombre d'au-
tres, en qui survivait encore l'amour des premières vertus, fesaient
tous leurs efforts pour soutenir l'édifice chancelant de la puissance

(1) Visconti observe que les Grecs, n'ayant pas de noms de famille,
fesaient un grand usage de cachets pour se distinguer les uns des aurres.
« Je ne crois pas , dit il , qu'il existe de monument qui prouve mieux cet
usage , et qui soit plus propre à expliquer les emblèmes et les caractères
qu'on trouve sur les anciennes médailles , que la célèbre inscription: ou
table en bronze d'Héraclée : on y lit les noms des magistrats de cette
ville ; et chaque nom est accompagné de son signe emblématique ou du
type de son cachet , et de quelques lettres qui probablement y étaient
gravées. » On peut lire encore ce que dit à ce sujet Mirabella , Des an-
ciennes Syracuses , vol. IL, part. II. pag. 12a.
(2) Mirabella, ibid. Médaille XXXI.
ï 74 Gouvernement
h MaSdZieri. nat*onaie- Philippe, en suite d'une convention entre son père Amyn-
tas et le Thébain Pélopidas, avait été envoyé comme otage à Thé-
bes. Il y fut élevé dans la famille d'Epaminondas , où, pour le
malheur de la Grèce, il apprit l'art de la guerre à l'école de ce
grand capitaine. Monté sur le trône de Macédoine , et sûr de
l'obéissance de ses sujets, il tourna ses vues du côté de la Grèce,
dont la faiblesse , fruit, de la corruption des mœurs et de l'esprit
de faction qu'il y avait remarqués, lui firent sans doute regarder
la conquête comme peu difficile. Les traîtres qu'il soudoyait à tout
prix dans chaque état l'aidèrent dans l'exécution de son projet (i).
Ses premiers mouvemens le rendirent maître des Thermopyles et
de la Phocide , dont les villes, par un acte de sa volonté, furent
réduites en simples villages. Ensuite il obtint d'être admis solen-
nellement dans le conseil des Amphyctions , avec le privilège de
deux voix dans les délibérations. Les Thébains et les Athéniens
tentèrent vainement d'opposer une barrière au torrent des phalan-
ges Macédoniennes ; ils furent enfin vaincus à la fameuse bataille
de Chéronée , et Philippe aurait dès lors achevé son entreprise ç
s'il eût su profiter de la victoire , et n'eût pas regardé comme une
chose imprudente et prématurée de pousser les Grecs à une résis-
tance désespérée. Cette crainte fut sans doute ce qui le détermina
à se faire proclamer par tous les Etats chef suprême de toutes
les troupes Grecques , pour une expédition qu'il méditait contre
les Perses, et qu'il aurait peut-être exécutée, s'il n'avait point été
Mon tué par Pausanias jeune Macédonien dans la XLVIl.e année de
& Philippe. ,,, J . .,, . .
son âge , et doo ans avant I ère vulgaire.
4iexanàre. L'entreprises que Philippe n'avait pu terminer fut heureuse-
ment conduite à sa fin par son fils Alexandre (fi). Celui-ci nacquit
à Pella en Macédoine 356 ans avant l'ère vulgaire: il descendait
des Héraclides du côté paternel, et des Eacides du côté de sa

(i) Les Spartiates furent les seuls qui surent se préserver de la con*
tagion de Tor de Philippe. Pausanias comparait cette contagion à la peste
qui avait dévasté toute la Grèce dans la guerre du Péloponnèse. Les fié-'
ehes d'Apollon , dit un écrivain illustre , furent moins funestes aux Grecs
dans les champs de Troie que l'or répandu par Philippe dans leurs pro-
pres foyers. Voy. Sainte- Croix. Exam. etc.
(2) Nous ne rapporterons d'Alexandre que ce qui a nos une relation im-
médiate avec les événemens de la Grèce , en renvoyant lecteurs pour
le reste au grand ouvrage de Sainte- Croix , Examen critique d&s atir-
siems. historiens iï Alexandre-le-grandK
î)e là Grec e. i^5
trière Olympie* c'est pourquoi il se vantait d'origine divine, comme
issu d'Hercule , d'Achille et de Jupiter. Son père lui donna pour
précepteur Aristote, qui se proposa d'en faire un grand Boi, en Son éducations
quoi il réussit parfaitement : car dans le transport de son admiration
à la vue des progrès rapides que fesait son fils, Philippe ne put
s'empêcher de s'écrier , d mon fils , cherche un autre Royaume qui
soit digne de toi , car désormais la Macédoine ne peut plus le con-
tenir. Après avoir pris les rênes de l'Empire à l'âge de vingt aus,
et vengé la mort de son pète, il subjugua les Illyriens et les Thra-
ces. La prise de Théhes , qu'il détruisit entièrement ,jetta une telle Ses première*
épouvante parmi les Grecs, qu'ils se soumirent tous à lui , et l'élu- enirei]nses-
rent pour leur Généralissime contre les Perses leurs mortels enne-
mis. A vingt deux ans il passa PHelïespont, et plein de confiance
dans le succès de ses armes, il distribua entre ses amis tous les do-
maines de sa couronne, ne gardant pour lui que l'espérance. Les llJepjfè'
batailles du Granique, de l'Issus, et d' Ai -belles , les sièges d'Hali-
carnasse et de Tyr s et une foule d'autres exploits, rélevèrent
au trône de l'Asie dans l'espace de cinq ans : la fondation d'Ale-
xandrie, larestauration de villes fameuses, et la ruine de plusieurs
autres, forment une des plus belles parties de l'histoire Grecque,
et peut-être la relation la plus importante des expéditions militai,
res de l'antiquité. Parvenu au plus haut degré d'élévation qu'un
homme puisse atteindre, Alexandre ne s'endormit point au milieu
cle ses triomphes; mais poursuivant sa marche victorieuse à travers
d'immenses régions 3 il excita l'admiration et la terreur chez tous les
peuples, et poussa ses conquêtes jusqu'aux bords de l'Hydaspe et
de l'Indus. Salué fils de Jupiter par l'oracle d'Ammon , il sut
mettre à profit cette flatterie pour s'attirer l'admiration des peu-
ples , et accomplir le grand projet qu'il avait conçu, et qui peut-
être ne pouvait s'effectuer par la force seule des armes. Ce projet
était de ne former, des peuples de l'Asie et de la Grèce, qu'une
seule nation et un seul empire, capable d'assurer la tranquillité
des peup!es dont il serait composé, et de contenir dans une certaine
dépendance les nations étrangères dont il serait environné. Mais
la mort l'empêcha de réaliser cette grande entreprise: frappé d'une
fièvre violente à Babylone , il y mourut à l'âge de 3a ans , 3o3 Sa mon,
avant l'ère chrétienne (i).

(1) Voy. Larcher sur l'opinion de la mort d'Alexandre. Hérod. vol.


YII , pag. 7o8.
176 Gouvernement
Conduite Alexandre, après avoir soumis les Grecs, ne voulut point leur
d'Alexandre # m \ 1» 1 \ •
envers la Grèce imposer de joug ; et , à 1 exemple de son père , il tint au con-
traire envers eux une conduite pleine de noblesse et de générosité.
En partant pour l'Asie , il leur laissa la faculté de se donner telle
forme de gouvernement qu'il leur plairait ; et dans la destruction
de Thébes, il voulut même ne paraître que comme le simple exé-
11 se venge cuteur de leurs décrets. Il ne se montra pas moins grand dans la
vengeance qu'il tira des Lacédémoniens , qui lui avaient refusé leur
vœu pour le commandement suprême des troupes Grecques : car
ayant envoyé à Athènes, après la bataille du Grauique, trois cents
armures prises sur les Perses 3 pour y être consacrées à Minerve-Po-
liade , il voulut qu'on mît au bas cette inscription : Alexandre fils
de Philippe , et les Grecs , excepté les Lacédémoniens , des dépouil-
les des barbares qui habitent l'Asie. Mais il humilia encore d'avan-
tage leur orgueil à l'occasion du soulèvement du Péloponnèse, dont
ils avaient été les instigateurs. Après la défaite d'Agis , qui , avec
une armée de Spartiates, était accouru au secours des rebéles, Ale-
xandre exigea que Lacédémone lui envoyât quelques otages sous
le titre d'ambassadeurs , et se mît entièrement à sa discrétion. Il
ne montra pas moins d'empressement à paralyser l'énergie des peu-
ples de l'Elide et de l'Achaïe , qui avaient pris les armes contre
lui , en fesant dans le Péloponnèse des levées d'hommes plus consi-
dérables que dans aucune autre contrée de la Grèce. De cette ma-
nière il ôta à ses ennemis les moyens de lui nuire, en les associant
sans qu'ils s'en doutassent à l'accomplissement de ses vastes projets.
À» affection Alexandre conserva toujours une affection particulière pour la ville
Vour Athènes, g^fofa^ ? à lac[Uelle il ne refusa rien de tout ce qu'elle lui de-
manda durant le cours de son expédition; il lui fit même restituer,
non seulement les statues d'Harmodius et d'Aristogiton , mais en-
core les simulacres de ses Dieux qui lui avaient été enlevés et trans-
portés àSuse. Connaissant néanmoins l'esprit de légèreté et de sé-
dition qui dominait dans ses habitaus, il eut toujours soin, suivant
la maxime politique de son père, de fomenter la faction Macé-
donienne dans les murs de cette ville, en s'assurant, au prix de
For, l'appui de ses premiers citoyens (1). Cette conduite artifi-
cieuse soumit la Gréée entière au joug des Macédoniens sans qu'elle
s'en aperçût.

(1) V. Plut, in Alex. Aescliin. contr. Ctesipîi. Diod. Sic. Arrien. et


S. Croix. Examen etc. pag. 461.
de la Grèce. 177
Caractère
d'Alexandre.
Nous n'entrerons point ici dans une dissertation approfondie
sur le caractère d'Alexandre. Nous laissons aux Rhéteurs et aux
Sophistes la liberté de l'élever au rang des demi-Dieux , ou de
l'abaisser au nombre des tyrans et des fléaux de l'humanité. Il nous
semble néanmoins qu'Aristote a tracé un fidèle portrait de ce grand
homme , qui avait été son disciple , dans le passage suivant dont
Rutilius Lupus nous a donné la traduction latine : Jlexandro Ma-
cedoni , neque in déliherando consilium , neque in praeliendo virtus
neque in beneficio benignibas deerat , sed dumtaxat in supplicio cru-
delitas. Nam cum aliqua res dubia accidisset , apparebab sapien-
tissimus ; cum autem confligendum esseb cum hosbibus , forbissimus-,
cum vero praemia dignis tribuendum , liber alis simus : ab cum uni-
madverberidum , clementissimus (1).
Tels furent le caractère et la vie d'Alexandre , dont le génie Ses erreur.
aurait pu changer la face de l'ancien monde , et y faire régner le
bonheur. Mais , comme l'observe fort-bien Gilles , l'esprit d'amélio-
ration est passager et demande des efforts suivis , tandis que les
causes de destruction sont infinies et permanentes (a). En négli-
geant d'assurer la succession à son trône , le héros Macédonien laissa
un champ ouvert aux guerres sanglantes, qui ont si long temps
désolé le monde après lui. On rapporte même qu'ils les prédit Politique
dans les derniers momens de sa vie , en disant : Mes funérailles
d'Alexandre,
seront de sang. Ses Généraux usèrent de la pilus astucieuse politi- ans Généraux
que, pour paralyser les droits que ses en fans et ses frères avaient
à lui succéder (3). Perdicas , à qui il avait donné l'anneau revêtu

(1) Rutil. Lup., de fig. sentent.. L. I. §. 18. Voy. l'ouvrage cité


de Sainte Croix, pag. ao3. Voyez aussi l'Iconographie de Visconti , qui fait
à propos l'observation suivante, tom. II. pag. Zz: « Cet éloge , qu'Aristote
nous a laissé d'Alexandre est d'autant plus digne d'attention, qu'il a sans
doute été écrit après sa mort: ce qui me fait regarder comme injuste le
reproche d'adulation, que Ronchenius, d'après Tertullien, fait à ce sujet
au philosophe.
(2) Hist. of Greece. Vol. II. pag. 678.
(3) Alexandre eut , de Barsine fille de Darius , selon quelques écri-
vains , et d'Artabaze selon d'autres , un fils appelé Hercule , qui ne vé-
cut que fort peu de tems ; de la belle Pwxane fille d'Oxiarte Bactrien ,
un autre fils posthume qui eut son nom, et porta pendant quelque tems
le titre de Roi; et de Cléoplie Reine d'une partie des Indes un troisième,
qui fut également appelé Alexandre , et succéda au trône de sa mère. Il
Europe, fol. J. a3
1 7& CouVernement
du sceau royal , prit la Régence de ses vastes états : les troupes et
les provinces furent partagées entre Antigone , Ptolémée , Crater
et autres généraux, qui, ayant été auparavant les égaux de Perdi-
cas , se trouvaient humiliés d'être devenus ses inférieurs. Chacun
d'eux voulut se faire un état indépendant et absolu par la force des
armes: ils enrôlèrent de nouvelles troupes, cherchèrent à se ravir
réciproquement les pays dont ils s'étaient emparés , formèrent entre
eux et rompirent tour à tour les alliances les plus formidables. Du-
rant ces débats , les enfans et les parons d'Alexandre périrent tous mi-
sérablement dans les prisons où ils avaient été renfermés, ou dans
les divers pays où ils étaient dispersés. L'histoire n'offre plus qu'une
Leurs guerres suite affreuse de calamités et de forfaits. Les provinces étaient en
entre eux. • 3 ■» i ' • i t 1 • 1 1
proie a 1 ambition des généraux qui se les arrachaient successive-
ment , et en fesaient un théâtre permanent de désolation, d'épou-
vante et de carnage. Perdicas fut massacré par ses propres soldats ,
Alcéte se donna la mort , Eumènes fut tué par ordre d'Antigone.
Enfin la bataille d'Issus en Phrygie, où ce dernier conquérant, le
plus redoutable de tous, périt sous une grêle de dards, mit un
terme à cette lutte sanglante; et l'empire fut divisé entre Ptolé-
mée ,Cassandre, Lysimaque et Seleucus. La Macédoine et la Grèce
tombèrent au pouvoir de Cassandre.
fia Grèce sous Notre
les successeurs ni but n'étant pas de tracer il'histoire
• i de ces événemens, mais
d'Alexandre, bien celle du costume, nous nous abstiendrons d entrer dans de plus
longs détails sur les successeurs d'Alexandre. Il nous suffit d'avoir
indiqué, en quelque sorte, le fil de l'histoire, pour lier ensemble
tous les faits qui appartiennent à la Grèce. Ceux qui voudraient ac-
quérir de plus amples notions à cet égard , pourront consulter ,
parmi les anciens, Q. Curtce , Arrien, Justin, Diodore de Sicile
et Plutarque; et parmi les modernes Sainte-Croix,, l'Histoire uni-
verselle de la société des gens de lettres d'Angleterre , et surtout
avait en outre trois frères , savoir ; Ariclée fils de la danseuse Philine j
Ptolémée fils è? Arsinoé qui était déjà enceinte , lorsque Philippe , père
de cet enfant , la maria avec Lagus ; et Caraunus fils de Cléopatre , la
rivale d'Olympie : il eut encore une sœur appelée Tessa , qui fut l'épouse
de Cassandre. Certains écrivains prétendent , qu'au mépris des droits de
ses propres enfans , Alexandre partagea avant sa mort les pays qu'il avait
conquis entre ses plus grands généraux 5 mais ce n'est pas à nous d'entrer
dans cette discussion. Lisez encore l'ouvrage de Sainte Croix , pag. 568
et suiv.
de la Grèce. 179

l'histoire du monde par l'illustre Gillies (1). Nous observerons seu-


lement ànos lecteurs, que dès cette époque , la langue aussi bien que
les usages des Grecs, passèrent comme par adoption chez tous les peu-
pies qui étaient tombés au pouvoir des successeurs d'Alexandre (2),
C'est ce qui arriva particulièrement en Syrie et en Egypte, où les
Séleucus, les Ptolémées et leurs descendans affectèrent d'allier dans
la magnificence de leurs cours , les arts et l'élégance des Grecs ,
avec la pompe et le luxe des orientaux. Mais, comme l'observe en-
core Gillies, ils avaient plus d'ostentation que de goût , et leur pré-
tendue libéralité était continuellement en opposition avec l'escla-
vage dans lequel ils retenaient les peuples; aussi tombèrent-ils bien-
tôt dans la mollesse, dans l'avilissement et dans un état de nullité
parfaite. Les intrigues des femmes, des Eunuques et de ministres
efféminés ne nous offrent rien qui mérite de trouver place dans
l'histoire Grecque.
La Grèce proprement dite nous laisse pourtant encore aper- Elle conserva
cevoir sous les successeurs d'Alexandre quelqu'étincelïe des vertus °es &M"
antiques ; mais cette étincelle pourrait se comparer à la faible
lueur d'une lampe qui s'éteint. Elle avait toujours plus ou moins
conservé , avec une liberté apparente , ses constitutions et ses lois.
Alexandre ne s'en était jamais déclaré le Souverain maître, et il
semblait s'être contenté du titre modeste de protecteur; mais il
est bien rare que la protection d'un grand Prince n'entraîne pas
l'esclavage du peuple qui en est honoré. Ses successeurs suivirent

(1) The Us tory of the world from the reign of Alexander to


thaù of Augustus comprehending the lutter âges of Europaa Greece
etc. London , Cadel , 1807, vol. IL in 4.0
(2) Les usages Grecs se répandirent après cette époque jusques chez
les autres nations , au point qu'il n'y avait personne dJun peu d'éducation
qui ne voulut passer pour Grec. La langue Grecque devint celle , non
seulement des savans, mais encore de tous ceux qui se piquaient d'être
du bon ton et bien élevés. Elle passa en usage en Italie , à Carthage
même chez les Juifs. Cette presque universalité des mœurs et des maniè-et
res Grecques fut le résultat des conquêtes d'Alexandre, dont les armées
et les garnisons ne s'alimentaient que de recrues qui arrivaient continuel-
lement de la Grèce , et plus encore des inombrables colonies Grecques
qui se dispersèrent en Europe , en Asie et en Afrique , ainsi que de la
gaieté , de l'amabilité du caractère de cette nation , de la perfection de
sa langue, et de sa supériorité dans les arts.
18© Gouvernement
pendant quelque tems sa politique ; mais aussi ils déployèrent les
mêmes principes de tyrannie , comme l'avait fait Alexandre envers
les Athéniens , toutes les fois que quelqu'un des peuples de !a Grèce
chercha à secouer le joug , et à se soulever au premier rayon d'es-
Phocion. pérance qui venait le flatter. Phocion était peut-être le seul qui
aurait pu faire revivre dans la nation les vertus de ses ancêtres ,
et la tirer de l'état de léthargie où elle était plongée. Il réunissait
en lui la pénétration politique de Thémistocle à lahravoure militaire
de Miltiade. Mais l'esprit des Athéniens était déjà trop corrompu :
ce peuple inconstant et léger, après avoir embrassé le parti de ce
grand homme, lui préféra ensuite des hommes vils et abjects, sans
autre motif que celui d'une basse jalousie. Il fut condamné par
Cassandre
«L Demetrius
une assemblée tumultueuse à boire la ciguë. Cependant Athènes
J'halére.
avait joui , sous l'autorité de Cassandre et les auspices de Demetrius
Phalère , de tons les avantages que peut procurer un gouvernement
bien constitué. Demetrius, à qui Cassandre avait confié les rênes
de cette république , avait tenté d'y remettre en vigueur les ancien-
nes lois, d'en reformer tous les abus, et de ramener les citoyens à
la vertu, à la concorde, à la soumission , et enfin à la gloire de
ses ancêtres. Sa récompense fut comme celle de Phocion , d'être
cruellement persécuté par ses propres concitoyens : son ingrate pa-
trie l'envoya en exil, et on renversa les trois cent statues qu'on lui
avait élevées : exilé et condamné à mort par contumace , il trouva
un asile honorable en Egypte à la cour de Ptolémée Soter protec-
teur magnanime des arts et des sciences (i).
Incursions Tandis que la Grèce se trouvait en proie à tant de troubles
^es Gaulois. et de revers sous la domination des conquérans Macédoniens, elle
se vit tout à coup menacée d'une catastrophe, dont le danger rap-^
procha un instant tous les peuples de cette contrée , et qui aurait
pu produire les plus heureux effets , comme cela était arrivé chez
d'autres nations, si l'amour de la patrie et l'honneur national n'a-

(1) Les Athéniens étaient arrivés à un tel degré de lâcheté , qu'ils


ne rougirent point d'accumuler les honneurs les plus extravagans sur De-
metrius Poliorcète et son père Antigone , en donnant à chacun d'eux le
titre de Dieux tutélaires , et en portant solennellement en procession leur»
images. Après avoir chassé Cassandre de l'Attique, Demetrius obtint det
Athéniens pour son habitation le temple de Minerve , qu'il souilla par
toutes sortes de profanations. Que pouvait-on espérer d'un peuple tombé
dans un tel état d'abjection ?
6! là Grèce, 181

valent pas été totalement éteints dans l'âme des Grecs. Les Cel-
tes ou Gaulois, sous la conduite de Brenuus, firent une irruption en
Grèce avec une armée formidable; mais à peine eurent-ils franchi
les Thermopyles qu'il furent battus. Ce premier échec n'empêcha
pourtant pas qu'une de ces hordes barbares, au nombre de qua-
rante mille hommes, ne s'avançât en Etolie où elle commit toute
sortes d'atrocités, sans le moindre égard pour les vieillards et les
enfans à la mamelle. Revenus de leur première épouvante, et ren- Victoiré
des Etoliens.
forcés par d'autres Grecs , les Etoliens l'attaquèrent avec tant
d'impétuosité , qu'il ne s'en retourna que vingt mille aux Ther-
mopyles ,où se trouvait encore ie nerf de leurs forces. Ces barba-
res tentèrent néanmoins une autre expédition contre Delphes, dans
la vue de piller le temple fameux qui existait dans cette ville ;
mais les Grecs accourus de toutes parts à sa défense détruisirent
Mort
entièrement l'armée ennemie, et Brennus lui même se voyant blessé de Brennus
et sans espoir de salut, se donna la mort d'un coup de poignard (i).
Si, après cet avantage signalé, les Grecs avaient su conserver l'énergie
qui les avait réunis dans le danger dont ils venaient de se délivrer „
peut-être auraient-ils pu recouvrer leur ancienne liberté, et se-
couer tout-à-fait le joug étranger qui pesait sur eux ; mais dans
cette entreprise , chacun avait suivi l'impulsion de l'intérêt privé
plutôt que celle du bien public ; c'est pourquoi s le danger passé ,
la corruption et les divisions intestines reprirent leur cours.
De tous les peuples de la Grèce, les Achéens furent les seuls Ligue
Achéetme.
qui , nourrissant encore quelqu'étincelle des antiques vertus, osèrent
chasser les Macédoniens, et s'ériger de nouveau en république. Ils
avaient eu anciennement pour Roi un fils d'Oreste appelé Tisamé-
ne , qui, chassé de Sparte après le retour des Héraclides, s'était
rendu maître de l'Achaïe, où ses descendans continuèrent à ré-
gner jusqu'à Ogygés (a). Mais le gouvernement des enfans d'Ogygés

(i) L'irruption des Gaulois en Gréée eut lieu la seconde année de


la CXXV.e olympiade , 27g ans avant l'ère vulgaire. Lisez cet événement
dans Pausan. liv. X. ch. 22 et 23.
(2) Les Achéens étaient ainsi appelés , parce qu'ils descendaient
d'Achus fds de Xutus et petit-fils d'Helenus. Avant ie retour des xiéracli-
des ils habitaient le pays d'Argos ; mais chassés de là par les Héraclides
quatre vingt ans avant la prise de Troie , ils se réfugièrent chez les Io-
niens dans le Péloponnèse , et s'y emparèrent des douze yilles dont Po-
lybe fait mention au 8.e chap. du II.e liv. de son ^histoire. Il est a re-
18a Gouvernement

étant devenu despotique, les Achéens l'abolirent et adoptèrent la


forme du gouvernement républicain, qu'ils conservèrent jusqu'aux
tems de Philippe et d'Alexandre , malgré que l'état de leurs af-
faires eût varié selon les différentes révolutions qui s'étaient opé-
Les Achèem rées en Grèce. Cette republique se composait de douze ville , qui
MalèLnLis. étaient, Patras, Dyma, Phare, Tritée , Léontium , Egire , Pellé-
ne , Egios , Bura , Celinée , Oléne et Elice : ces villes existaient
encore du tems de Polybe, à l'exception d'Oléne et d'Elice que
la mer avait englouties. Après Alexandre , et avant le CXXIV.6
olympiade , la discorde s'insinua chez les Achéens par l'entremise
surtout des Macédoniens; de sorte que renonçant à la loi commune
pour se donner des institutions capricieuses et opposées entre elles,
chaque ville prit une forme de gouvernement conforme à l'intérêt
de ses citoyens le plus puissans et des factions différentes. Deme-
trius et Cassandre surent mettre à profit ces divisions, et après
eux Antigone Gonatas qui fut comme la souche de la plupart des
tyrans , dont la cruauté affligea toutes les villes de la Grèce.
Ces trois principaux chefs placèrent une garnison de Macédo-
niens dans certaines villes de l'Achaïe, et assujétirent les autres
au joug de quelques tyrans qui étaient dans leur dépendance. En-
fin vers la même olympiade, et dans le tems que Pyrrhus fit son
incursion en Italie , les villes de l'Achaïe commencèrent à se sou-
Réunion lever, et à renouer entre elles leur ancienne alliance. Dyma., Patri,
des villes
jlchéennes- Tritée et Phari furent celles qui donnèrent l'exemple de cette réu-
nion. 11 fut bientôt suivi, non seulement par les autres villes de
l'Achaïe, mais encore par toutes celles du Péloponnèse, sous les
Jralus. auspices du sage et valeureux Aratus, qui délivra du joug des tyrans
Sicyone sa patrie, et la réunit à la république Achéene , ainsi
que Mégare et Corinthe , qui était , par sa position , la plus forte
et la plus importante des villes Grecques. La vertu et la fermeté
'miopomène. du généreux Philoporaéne de Mégalopolis, achevèrent , par la réu-
nion de Sparte, l'ouvrage de cette ligue.

marquer qu'Hérodote , Polybe et Pausanias ne sont pas parfaitement d'ac-


cord entre eux sur le nombre de ces villes. Cependant Hérodote et Stra-
bon le sont parfaitement, en substituant Ege et Ripa à la Léontium
et à la Gérinée de Polybe. Chaque ville était le chef lieu d'un district ,
et avait quelques bourgs dans sa dépendance. Il faut lire sur la ligue
Achéenne Polybe et les Fastes de V A 'choie illustrés Théoph. Siegfr.
iBayeri dans le V.e yol. des actes de l'Académie de Pétersbourg,
de la Grèce. i83
Les villes dont elle se composait avaient les mêmes lois , les Constitution
k i «i i , de la ligue
mêmes monnaies 3 les même poids et mesures, et les mêmes magistra- Achëenne.,
tures; et l'unité de leur administration était telle, que l'Achaïe*
entière semblait ne faire qu'une seule ville. Polybe observe qu'il n'y
eu jamais de république , où la liberté , l'égalité et la bonne foi
ayent régné avec plus d'empire. Les anciennes villes ne jouissaient
d'aucune prérogative , qui ne fût commune à celles qui étaient en-
trées les dernières dans la ligue (i), Chacune avait ses magistrats
particuliers , et se gouvernait par ses propres lois. Mais il y avait Assemblée
une assemblée générale composée de tous leurs députés , qui se réu-
nissait ordinairement deux fois l'année en hyver et en autonne ,
est le plus souvent à Egios , qui était peut-être la plus ancienne s
la plus riche et la plus peuplée de toutes le villes PAehaïe. Ce-
pendant cette assemblée se tint aussi , dans les derniers tems de
la république, à Corinthe s ville que sa position , comme nous ve-
nons de le dire , rendait très-forte.
C'est, dans le sein de cette assemblée générale que se fesait Stratège
l'élection du Stratégue0 ou du commandant en chef des troupes, dont
l'autorité s'étendait encore sur les affaires politiques et administra-
tives, mais pourtant avec des restrictions déterminées par les lois.
Sa charge était annuelle : elle pouvait néanmoins lui être continuée
ou conférée de nouveau. L'assemblée avait le droit de déclarer la
guerre, de faire la paix, de former des alliances, de les rompre.,
et de créer des lois générales. Elle choisissait les magistrats com-
muns à toute la nation, nommait les ambassadeurs, et recevait ceux
des autres états. Son président était le Stratégue , auquel on don- Démiurges,
nait comme pour adjoints dix autres magistrats appelés Démiurges ,
qui étaient élus par elle à la pluralité des suffrages. Les affaires se
discutaient d'abord entre les Démiurges , et ensuite étaient portées à
l'assemblée, qui devait avoir prononcé dans le terme de trois jours ,
passé lequel elle était dissoute. Ses décrets , après avoir reçu la
sanction du serment , étaient gravés sur des pierres ou sur des colon-
nes s et exposés dans les lieux sacrés. Une des villes de la ligue

(i) M.r de Folard dit dans ses commentaires de Polybe , que la ré-
publique Achéenne pourrait être mise en parallèle avec celle d'Hollande ;
et en effet , on remarque entre ces deux républiques une singulière con-
formité d'événemens , de conduite , de courage , et de gouvernement. Hist
de Polybe etc. Amsterd. 1774 in 4-° vol. III. pag. 2Ô2. Nota (a).
1 04 Gouvernement
qui refusait de se soumettre aux délibérations de l'assemblée., ou
d'envoyer son contingent de troupes en tems de guerre, pouvait
y être contrainte par la force des armes. Cette ligue avait une
Loi tressage. ]0i remarquable, et bien propre à maintenir la paix et l'union entre
les villes qui la composaient; c'était celle qui empêchait qu'aucune
d'elles ne pût envoyer directement, et de son propre mouvement,
des ambassadeurs à l'étranger. Nous passons sous silence, pour plus
de brièveté, une foule d'autres lois non moins admirables, qu'on
peut voir dans Polybe et dans Tite Live (i). Nous ne devons pour-
tant pas omettre de dire que plusieurs peuples de la Grande Grèce,
et entre autres ceux de Crotone, de Sybaris et de Caulon , avaient
adopté la constitution de Achéens , qu'ils perdirent ensuite sous la
tyrannie de Denis, et l'oppression des Barbares leurs voisins (2).
desJalousie
Romains ., La ligue Achéenne
. était arrivée en• \ peu> d'années
> i
à un si haut
r
contre point de gloire et de splendeur, et avait déployé des forces si im-
les Achéens. l , i. , • , ■ -i ■ , . i
posantes, quelle devint un objet de jalousie et de craintes pour la
république Romaine: c'est pourquoi, malgré qu'ils se fussent, servis
des Achéens dans plusieurs de leurs entreprises, et surtout dans la
guerre de Macédoine contre Philippe V., ou Philippe fils de De-
metrius, les Romains firent tout leur possible pour rompre ou au moins
affaiblir cette union formidable. Les querelles des Lacédémoniens
qui s'étaient retirés de la ligue, et les ravages que les Achéens
commettaient sur leur territoire, fournirent enfin aux Romains une
occasion favorable pour réaliser les projets de leur astucieuse po-
litique. Le Sénat de Rome ayant été invité par les Spartiates à
venir à leur secours 3 il leur répondit qu'il enverrait des commis-
saires pour vérifier les faits, et venger leurs torts. Ces commissaires
ayant convoqué à Corinthe une assemblée générale des chefs de
toutes les villes de la Grèce, ils leur donnèrent lecture d'un dé-
cret, par lequel le Sénat ordonnait qu'on retranchât de la ligue
toutes les villes qui ne fesaient pas partie de l'Achaïe proprement
dite. Ce décret irrita tellement les Achéens, qu'ils massacrèrent
tous les étrangers , et les commissaires Romains eux mêmes n'au-
raient point été épargnés , s'ils n'eussent trouvé le moyen de s'éva-
der à la faveur du tumulte. A peine reçue à Rome la nouvelle de

(1) Lisez encore IJbbon Emmïus Descriptio Relpubl, Achaeorum ,


Gronovii Thés. vol. IV.
(2) Polyb. liv. IL chap. VII.
DELA G RÉ CE. l85
cet événement , le sénat confia au consul Mummius le soin de la
guerre Achaïque , dont les suites furent si funestes pour la Grèce
entière. La ruine de Corinthe entraîna la dissolution de la liçrue
Achéenne; et depuis lors, toute la Grèce fut soumise à la puis-
sance des Romains , et gouvernée par leurs magistrats.
Revenant maintenant à notre objet , nous allons rechercher les iconographie
■i . i• • / i i des Rois
images des personnages qui se sont distingues dans le gouvernement de Macédoine.
de la Grèce sous les Macédoniens. Nous n'avons aucun portrait des
Rois de Macédoine avant Alexandre , et on ne regarde aujour-
d'hui que comme idéales les têtes, qu'Eckhel et autres numismati-
ciens nous ont données pour celles d'Archelaùs, de Pausanias et
d'Amyntas IL : l'antiquité ne nous a également transmis aucun
monument qui ait rapport aux tems de la ligue Achéenne. Nous
nous en tiendrons donc à quelques portraits d'Alexandre et de ses
successeurs, et à un petit nombre d'observations sur la forme des
habillemens royaux à cette époque du gouvernement de la Grèce.
La vanité, dit l'illustre Visconti , l'enthousiasme , la reconnaissan- d? Alexandre*
p«w&
ce, l'adulation, l'amour des arts et la gloire, la curiosité, la supersti-
tion même multiplièrent à l'infini les portraits d'Alexandre durant
sa vie, et après sa mort. A pelle l'avait peint de tant de manières, qu'il
serait impossible d'en déterminer le nombre. Lysippe et ses élèves
îe représentèrent en bronze , et Pirgotéle grava son image sur une
quantité de camées. Les temples consacrés à ce héros, les jeux insti-
tués à son honneur en Grèce , dans l'orient et ailleurs, en avaient
rendu l'image aussi commune que celle des Dieux (i). Or il est
impossible que de tant de monumens il n'en soit pas resté quel-
qu'un, et surtout que le tems ait dévoré les innombrables copies

(i) De tous les Rois et les hommes illustres des tems historiques ,
dit Winkelmann , ( Hist. de l'Art Paris etc. tom. II , pag. 3o6 ) , Ale-
œandre est le seul qui ait eu le privilège d'être représenté sur des bas-
reliefs. L'histoire même de cet homme surprenant en explique la rai-
son ; c'est que le grand nombre de faits éclatans
lui ayant donné en quelque sorte le merveilleux dont elle est remplie ,
de la poésie , elle res-
semble àun récit d'aventures héroïques. D'ailleurs les arts amis de
tout ce qui est extraordinaire , ne pouvaient trouver un sujet plus ana-
logue àleur objet, que la vie de ce fameux conquérant, dont les ex-
ploits connus du monde entier, n'étaient pas moins importuns que les
gestes d'Achille et les aventures dU lisse. Voj. encore Pline liv. XXXV.
chap. 10. sect. 36. § io.
£urope. Fol. /. 3'
1 86 Gouvernement

que l'on doit présumer en avoir été faite?, par une conséque
nce
nécessaire du goût général des anciens pour l'imitation (i). Nous
avons en effet un monument authentique et précieux en ce p-enre, qui

a été trouvé en 1779 prés de Tivoli, dans l'emplacement qu'o'ecu-


pait la maison de plaisance des Pisons. Ce monument 5 ( voy. la
planche 27 n.° 1 ), est un henné en marbre penthèlique, repré-
sentant l'image d'Alexandre, et portant l'inscription suivante qui
est en Grec , et a été en partie effacée par le tems :

Alexandre Macédonien fils de Philippe (3).

Caractère
du portra Selon
it le témoignage
t de Piutarque et d'Elien , on distingue or-
d'Akxandre. dniairement a trois caractères les portraits du héros Macédonien :

(1) On. rapporte, qu'à la vue d'une image d'Alexandre qui était
consacrée dans le temple d'Hercule à Cadix , Gésar éprouva une telle im-
pression que , laissant là l'Espagne , il se rendit précipitamment à Rome ,
où il se jeta à corps perdu dans les troubles qui agitaient la république,
et commença sa grande carrière qu'il termina par la conquête du monde.
Sveù. Jul. Caes. § 5. Trabellius Pollion dit que dans le IILe siècle de l'ère
vulgaire , c'était encore une opinion généralement répandue chez les Ro-
mains ,que ceux qui portaient sur eux l'image d'Alexandre en or ou en
argent , étaient heureux dans toutes leurs entreprises. Aussi cette image se
voyait elle sur les anneaux , les bracelets , et tout ce qui tenait à la pa-
rure ;et les grandes actions de ce héros étaient également représentées
sur les meubles et les vaisselles les plus précieuses. Cet usage passa même
jusques chez les Chrétiens , qui portaient comme une espèce d'amulette
l'image d'Alexandre sur des médailles en cuivre. S.1 J. Chrysost. Ad illuni
Cailiecumenos .
(2) Visconti observe que la forme de cette inscription , le marbre
penthèlique dont l'hernie est fait, et la conformité de style qu'on y aper-
çoit avec celui des hermes de Périelés et des sept sages, qui furent éga-
lement découverts à Tivoli , offrent la preuve que celui dont il s'agit
fut fait à Athènes, vers les derniers tems de la République Romaine.
« Les sculpteurs d'Athènes, dit-il, stimulés, comme le sont à présent
ceux de Carrara , par la quantité et la beauté des marbres de Pentelos
et de l'Hymette t ne laissaient pas de faire revivre encore sous le ciseau
tout ce que les arts de la Grèce leur présentaient d'intéressant, et leurs
ouvrages étaient ensuite envoyés à Rome pour l'ornement des maisons de
plaisance et des jardins des maîtres du monde » . Cette image , malgré
qu'elle ne soit qu'une copie , n'en doit pas moins être regardée comme
authentique , parce que celles des grands hommes passent de copie en co-
pie à la postérité la plus reculée , et leur physionomie reste ainsi gravée
dans l'esprit; des peuples et surtout des artistes,
a7:
de la Grèce. 187
i.° à sa chevelure qui se relevait au mi^u du front, et retombait
en arrière, a.0 au gonflement du muscle mastoïde, qui lui tenait
la tête penchée vers l'épaule ; 3.° à la physionomie , qui malgré
un certain air de beauté, avait quelque chose de terrible, et déno-
tait un naturel porté à la colère : car ses yeux brillaient de beau-
coup d'éclat, et la vigueur de son âme se peignait dans la vivacité
de leurs mouvemens; sa face avait une sorte de ressemblance avec
celle du lion (j). Ces trois caractères ressortent éminemment dans
l'image dont il s'agit. Le sculpteur, dit l'illustre Visconti, unique-
ment occupé du soin de rendre avec la plus grande vérité les traits de
la physionomie , a négligé tous les accessoires. Il a même omis le
diadème, mais il l'a marqué en quelque manière par une rainure cir-
culaire qu'on voit imprimée sur les cheveux du derrière de la tète.
Le n.° a représente un camée antique, ouvrage vraisemblable- Camêex.
ment de Pirgotéle. On retrouve dans le portrait qui y est retracé
tous les caractères du précédent, malgré que le personnage y pa-
raisse d'un âge plus avancé (a). Sa tête est ceinte du diadème, or-
nement dont Alexandre se para le premier chez les Grecs à l'imi-
tation des Rois de l'Asie , et que ses successeurs prirent ensuite
comme marque distinctive de la dignité royale.
Parmi le g;rand nombre de médailles qui furent frappées du Médailles
. '. d'Alexandre.
vivant même di^»i Alexandre,
1 on en trouve plusieurs
1 • «*
ouv 1»1 effigie de ce
monarque présente les trois caractères que nous venons d'indiquer.
M.r Visconti est même d'avis que ce conquérant est le premier en
l'honneur duquel il a été frappé des médailles portant son image ,
étant encore vivant. « Une innovation 'de ce genre, ajoute cet il-
lustre antiquaire, convenait plutôt à Alexandre qu'à aucun de ses
successeurs 3 et cela d'autant plus, qu'ayant été mis au rang des

(1) Divers écrivains ont assuré } d'après Freinsemius , qu'Alexandre


avait le nez aquilin* Leur assertion ne repose cependant sur aucun témoi-
gnage certain , et se trouve même en contradiction avec les monumens ,
qui nous représentent le nez de ce héros comme légèrement arqué vers
le milieu. Il y a plus de vraisemblance dans l'opinion de ceux qui lui
donnent des cheveux blonds, car Elien ( Trar, hist. liv. XII. chap. 14 _,
le dit positivement. Voici le portrait qu'en a fait Solin , chap. IX. Forma
supra hominem augustiore , ce/vice celsa , laetis oculis et illus tribus }
malis ad gratiarn rubesoentibus , reliquis corporis partions non sine
majestate quadam decoris. Victor omnium , vino et ira victus.
(2) Ce camée se trouvait dans le cabinet de l'ex-Impératrice Joséphine.
î 88 GoUVERKEME NT

Dieux avant sa mort, son portrait pouvait être gravé sur des médail-

Babillé
les, sans enfreindre l'usage qui ne réservait qu'aux Dieux seuls cet
honneur. On voit aussi des médailles où Alexandre est représente
e.n Hercule.
vêtu d'une peau de lion, et avec les attributs d'Hercule, genre
d'adulation qui le flattait beaucoup, car il aimait à paraître quel-
quefois en public, habillé à la manière de ce demi-Dieu, dont
sa race descendait. Teî est le médaillon sous le n° 3. La tête est
recouverte de la peau de lien, et les cheveux ont sur le front la po-
sition que nous avons remarquée daus l'herme sous le n°. i. Le revers
présente Jupiter assis. Les lettres grecques P. O. qu'on voit au des-
sous du siège de ce Dieu , et de la fleur qui est devant cette figu-
re ,signe emblématique de Rhodes , attestent que ce médaillon a été
frappé dans cette lie (i). Nous ne dirons rien ici de la statue équestre
d'Alexandre qui a été découverte dans les ruines d'Herculanum , ni
de celle trouvée à Gabies qui est fort-belle quoique petite , parce
que la forme de l'habillement et les marques dLtinctives qu'a le
héros dans l'une et l'autre, tiennent plus du costume militaire que
du civil. Nous remettons donc à en parler à l'article de la milice,
et nous y joindrons encore aux autres monumens relatifs à cette
partie le beau bas-relief rapporté par Sainte-Croix dans sou Exa-
men critique des historiens d'Alexandre, lequel représente la ba-
taille d'Arbelles.
Démétrius Le n.° 4 °ffre l'image de Démétrius Poliorcète fils d'Antigo-
Poliorcète.
ne 5 le plus hardi et le plus ambitieux des capitaines d'Alexandre.
Démétrius étant encore fort jeune , remporta une victoire navale
Flatté
près de Chypre sur la flotte de Ptolémée fils de Lagus. Depuis
par les Grecs.
lors Antigone ceignit le diadème d'Alexandre, et le fit prendre
également à son fils. Non content du titre de Roi, il osa encore 0
au milieu de la Grèce et dans Athènes même , se faire proclamer
Dieu et adorer comme tel. Les Grecs lui donnèrent en effet ainsi
qu'à son père, le nom de Dieux sauveurs ou tutélaires , ainsi, que
nous l'avons observé , et il voulut que ce titre servit de formule
dans les actes publics, et fût invoqué par les Athéniens dans leurs
sermens. On lui donna encore le surnom de Poliorcète , ou maître
dans l'art des sièges , parce que nul ne savait mieux que lui dis-

(i) Ce tétradraclime , ou médaillon se voyait dans le cabinet de la


Bibliothèque R. de Paris. Y, Mionaeç toiu. i.ec Rois dû Macédoine , num.
#69 , 353 et 564. pi. 5«
de la Grèce. 189
poser les machines de guerre contre les murs cPune ville ou d'une
forteresse. S'étan't rendu maître de la Macédoine , il voulut aussi
entreprendre la conquête de l'Asie; mais après une longue suit©
de défaites , il fut contraint de se rendre prisonnier de Seleu-
cus , chez lequel il mourut épuisé de débauches à l'âge de 54
ans. La petite statue que nous rapportons ici fut découverte dans
les ruines d'Herculanum , et a été improprement attribuée à Se-
leucus Nicator par les antiquaires de Naples. La ressemblance-
parfaite de la physionomie de cette statue avec celle des portraits
de Démétrius dans les médailles que nous avons de lui , a juste-
ment autorisé M.r Visconti a reconnaître en elle l'image du fils
d'Antigone. « Démétrius, dit-il , est ici représenté avec la chlamy- UahV.id etp
de et la chaussure d'un chasseur; mais les cornes d'un jeune taureau ^amm'-
attachées à son front lui donnent l'air d'un nouveau Bacchus „.
Quant au costume de chasseur, Alexandre ne le dédaignait pas lui
même dans les portraits qu'on fesait de lui, et Démétrius devais
d'autant plus l'aimer qu'il était passionné pour la chasse. Sa main
appuyée sur la cuisse tenait probablement deux javelots, tel , qu'au
dire de Plutarque, il s'était présenté au retour de la chasse à son
père , dans le moment où ce dernier recevait un message de la parti
de ses compétiteurs (1).
La médaille n.° 5 porte l'effigie de Philippe V. Roi de Macé- PhutPf)e pr.
doine , et fils de Démétrius. Ainsi qu'Alexandre il réunissait en
lui, du côté de sa mère Thia, le sang d'Achille à celui des Hé-
raclides. Cet honneur le rendait fier et avide de gloire et de
conquêtes. La fortune lui fut singulièrement favorable dans les pre-
mières années de son règne , grâces à l'état de faiblesse où se trou-
vait alors la Grèce , et aux embarras qu'occassionnaient aux Ro-
mains leurs guerres avec les Carthaginois. Sa sagesse dans le manie-
ment des affaires, et ses talens dans l'art militaire furent obscurcis
par des vices grossiers , et surtout par des actes de cruauté qu'il

(1) Démétrius était d'une beauté presque divine , si Ton en doit croire
Diodore et Elien. Il aimait tellement les beaux arts, qu'au dire de Pline ,
il ne voulut pas entrer dans Rhodes de vive force , dans la crainte qu'un
tableau de Protogéne ne vint à être endommagé dans la chaleur du com-
bat. Aussi ne dit-on pas être étonné de la multitude des portraits qu'en,
ont fait, comme à l'envi, les artistes Grecs. Tisicrates en fit un grand
nombre en bronze ; et les peintres Théodore et Diogènes qui vivaient £
sa cour , le reproduisirent dans plusieurs de leurs ouvrages.
*90 Gouvernement
exerça même contre sa famille. Ses guerres avec les Romains ses
terminèrent par une paix honteuse, et par la ruine de ses propres
Etats. Convaincu , mais trop tard , de l'innocence de sou fils Dé-
métrius qu'il avait condamné à la mort, il tomba dans une noire
mélancolie , qui le conduisit au tombeau Fan 178 avant l'ère vul-
&m portrait gaire. Une particularité remarquable dans le portrait de ce Prince
cl particularité. , , , ,, , , L '
c est la barbe, a cause de la défense qu'avait faite Alexandre à
ses troupes de la laisser croître. Cet usage devint même général, non
seulement parmi les Princes de la Macédoine , mais encore chez
les lettrés de la Grèce. On doit donc conclure de ce portrait,
ainsi que de ceux de Persée et autres Princes de cette époque, que
sous le règne de Philippe, l'usage de porter la barbe longue se re-
xiouvella : circonstance dont les artistes doivent avoir bien soin de
se rappeler. La légende Grecque qui est au revers signifie , du
.Roi Philippe: la massue d'Hercule et la couronne de chêne, em-
blèmes du Roi des Dieux , en forment le type par allusion à la
double origine de Philippe , qui se disait issu d'Hercule et de
Jupiter.
JSwidice Heine Pour rendre cette planche encore plus complète, nous y join-
Miccdoint. drons, sous le n.° 6, la médaille qui fut frappée en honneur d'une
Euridice Reine de Macédoine. Ce royaume a eu cinq Princesses
de ce nom, mais on ne sait pas précisément laquelle est ici repré-
sentée. La légende Evpyfoxet&v indique néanmoins que cette mé-
daille fut frappée à Euridicée , ville à laquelle cette Reine avait
probablement donné son nom, les successeurs d'Alexandre surtout
ayant été dans F rasage de donner aux villes les noms de leurs mères
ou de leurs épouses. L'ajustement de la tête est à peu-prês le mê-
me que celui de Philistis, dont nous avons donné la description.
Le trépied du revers est un symbole des sacrifices et des jeux so-

Reine. lennels, qui avaient sans doute été institués en l'honneur de cette

LA GRÈCE PROVINCE ROMAINE.

„, , il ous sommes arrivés au terme des


Décadence beaux Jjours de la Grèce.
de la Gré™. Çette nation , jusques là si fameuse, ne va plus désormais se pré-
senter ànous que comme une matrone surannée , qui conserve en-
core quelques traits de sa beauté primitive , mais dont la physio-
nomie les
3 formes et même Fesprit , altérés par le tems et par ses
de la Grec ë. xgt

propres vices , n'offrent plus qu'une idée confuse cle ses premiers
charmes, et semblent indiquer une de ces femmes ridicules, qui sur
les portai ts de leur première jeunesse cherchent encore quelqu'ap-
pât à leur vanité. Nous serons donc très-laconiques dans ce qui
nous reste à dire sur l'état politique de la Grèce , postérieurement
à l'époque de sa splendeur. Pour mettre plus d'ordre et de clarté
dans cette partie , nous la diviserons en trois périodes dans les-
quelles nous considérerons la Grèce; d'abord, sous les Romains,
ensuite sous l'empire d'Orient , et enfin sous la domination des Turcs.
La chute de Corinthe porta le dernier coup à la liberté de la EtalGréées.
de la
Grèce: le gouvernement populaire fut aboli dans toutes ses villes; loi Romains.^
les impositions y furent les mêmes que dans toutes les autres pro-
vinces soumises à la puissance Romaine , toute assemblée nationale
fut défendue , et les gens riches n'eurent pas même la faculté
d'acheter des terres hors de leur pays. La Grèce enfin fut réduite
à l'état de province Romaine , et eut pour magistrat suprême un
Préteur qui lui était envoyé de Rome tous les ans; et comme les
Achéens s'étaient acquis dans ces derniers tems une grande célé-
brité ,on donna à la Grèce entière le nom (YJcJtaïe, Les Ro-
PrîoMdgi
mains conservaient néanmoins tant d'égards pour: cette contrée ,
que peu d'années après en avoir fait la conquête, ils adoucirent
la rigueur de son sort , en lui laissant l'élection de quelques ma-
gistrats,et en lui accordant plusieurs privilèges qui ne l'avaient sonTLcZ^
'.eoii.
jamais été à aucun autre province (i). Cette considération des Ro- qui lui
mains pour les Grecs n'a rien de surprenant: car malgré son avilis-
sement }et l'extinction de cet esprit d'émulation qui avait été au-
trefois Saprincipale cause de sa grandeur , elle exerçait encore une
souveraineté presqu'absoîue dans les beaux arts comme dans les
sciences. Il n'y avait pas de Romain, jaloux de se distinguer par desVêtirai,Romains

la politesse de ses manières et par son savoir, qui ne se vantât d'avoir PÎZ £"ïUw
fait ou achevé son éducation dans quelqu'une des villes Grecques ,
et surtout à Athènes qui était regardée comme la patrie des scien-
ces et des muses (a). D'un autre côté , Rome voyait sans cesse ar.
(i) Voy. Polyb. liv. II. dhap. 62. Ubbon. Emm. dans Gron. Thés/
yol. IV. et Dav. Hume Discours -politiq. vol II. pag. 270. Amsterd. 1764,
(2) Germanicus accorda à Athènes un licteur , ce qui était une mar-
que distinct! ve de souveraineté Ce privilège lui fut confirmé par Tibère
et ses successeurs , jusqu'à Yespasien qui le lui Qta % en disant que les
Athéniens n'étaient pas faits pour la liberté^
192, Gouvernement
river dans ses murs des hommes de lettres et des artistes de la Grèce ,
dont plusieurs, après s'être acquis le plus grand crédit dans les mai-
sons des grands par leurs lumières ou leur habileté dans un art
quelconque , s'en retournaient chez eux comblés d'honneurs et de
richesses. La passion des Romains pour tout ce qui était Grec
vint à un tel point , que plusieurs personnages des plus distingués
affectaient , non seulement les usages 3 mais encore prenaient des
noms Grecs : ce qui a donné lieu à ce bon mot si connu de Ve-
nosius : Grœcia capta ferum victorem cepit , et artcs intulit agre-
sti Latio.
tfâuutim
des (jiecs Cette supériorité
*■ dans les arts et dans les sciences, ' et cet em-
tnrers Amoine. pire du ]30Q ton qui prit dans la suite le nom d'atticisme , étaient
bien propres à nourrir chez les Grecs ce noble orgueil , qui dans
une nation , malgré l'avilissement où on l'a réduite , nait du senti-
ment de son propre mérite , et du souvenir de son antique gloire.
Mais la Grèce était devenue alor» l'école de la flatterie. Que ne
firent point les Athéniens en l'honneur du triumvir Marc Antoine ?
Ils poussèrent l'adulation jusqu'à chanter ses louanges dans les spec-
tacles publics. Faut-il s'étonner après cela s'il se vantait d'être ap-
pelé amant
Y de la Grèce? Lorsqu'il se porta à Ephèse, les fem-
mes vinrent à sa rencontre habillées en Bacchantes, et accompa-
gnées de chœurs de jeunes garçons travestis en Faunes et en Satyres.
L'air retentissait de ces acclamations, au nouveau , au gentil, à
l'aimable Bacchus. Cet esprit d'adulation alla toujours croissant sous
Supers Néron, les Empereurs Romains. On rapporte que les Grecs ayant envoyé
à Néron , comme fameux joueur de harpe , des ambassadeurs avec
la couronne destinée aux vainqueurs dans l'art de jouer de cette
instrument, cet Empereur les invita à un repas de cérémonie, à la
suite duquel ils le supplièrent de vouloir bien leur donner qnelqu'es-
sai de son talent: s'étant rendu à leurs prières, il en reçut tant
d'applaudissemens, qu'il ne put s'empêcher de dire lui même, qu'il
n'y avait que les Grecs qui eussent une bonne oreille , et qu'eux seuls
s'entendaient en musique et en harmonie. Il les paya bientôt après
de cette flagornerie: car s'étant rendu en Grèce avec une suite
tellement nombreuse , an dire de Dion , qu'il aurait pu subjuguer
tout l'orient _, si les gens qui la composaient eussent portés d'autres
armes, que des harpes , des flûtes, des masques et autres instru-
mens de théâtre , il y fit pompe aux jeux olympiques de son ha-
bileté en musiquej dans la danse , dans la pantomime et dans là
de la Grèce. 193
course,- des chars. Fier de sou triomphe,
L il restitua à îa Grèce La Gréc'e
recouvre

son indépendance, et fit lui même, dans les jeux isthmiques de sa liberté.
Corinthe, l'office d'un héraut public, en proclamant la liberté des
Achéens. Mais tout en caressant les Grecs d'une main, Pséron les
dépouillait de l'autre de tout ce qu'ils avaient de plus précieux en
peinture, en sculpture, et en monumens des beaux arts: ce qui
a donné lieu de dire à quelques écrivains, qu'il fit plus de mal à
la Grèce comme umi , que ne lui en avait fait Xerxès, en y en-
trant comme ennemi et en conquérant (1).
La Grèce ne conserva la liberté crue x Néron lui avait rendue sousLa yespasiel
Grèce
que jusqu'au règne de Vespasîen. Elle fut de nouveau réduite en et ^w*<
province Romaine sous ce dernier Empereur , et ne s© releva plus
jusqu'au tems d'Adrien , qui tournait particulièrement vers Athènes
toutes ses sollicitudes. Il avait été Archonte l'an IV de la CCXXII.6
oliympiade (a). Parvenu au trône du monde, il rendit aux Athéniens
leurs anciens privilèges , rétablit à ses propres frais les deux ports
du Pyrée et de Munichia , fit achever le temple de Jupiter olym-
pien, et augmenta la ville d'un nouveau quartier, qui, de son nom,
prit celui d' Àdrianopolis : enfin il fit tant pour Athènes, qu'il en
fut regardé comme le nouveau fondateur , ce dont rendent témoi-
gnage les inscriptions et les monumens qu'en y voit encore (3).
Les Grecs, à leur ordinaire % n'omirent aucun genre de flatterie
pour témoigner à cet Empereur toute leur reconnaissance : car ou-
tre l'arc de triomphe qu'ils érigèrent en son honneur à Athènes
ils se firent encore une gloire de mettre au rang des Dieux le
charmant Antinous son favori , auquel ils consacrèrent des statues,
des temples 3 des prêtres et des feux solennels.
Mais de tous les Empereurs Romains , celui qui fit le- plus pour La -Grée* m»
la Grèce fut le grand Constantin, en régénérant sou état politique, Censlaniirt-
(1) Néron fit éclater aussi en Grèce sa cruauté , dont Philo-strates nous
rapporte le trait suivant Un acteur , dans une tragédie qui se joua aux
jeux isthmiques s'était attiré par son chant les plus grands applauclisse-
înens; mais plus habile dans son art que dans celui de la flatterie, il re-
fusa de modérer sa voix qui couvrait entièrement celle de 1 Empereur
lequel le fit étrangler de colère sur la scène même , en présence de toute
la Grèce. Quoi de surprenant d'après cela, si Néron remportait toujours
la palme dans les jeux publics ?
(2) Sporti anus , Vita Aihiani , ohap. XIX.
(5) V. Smart , Antiq. of Ath. vol. III.
Ewope. yol. I. ^
194 Gouvernement
et en y établissant un nouvel ordre de choses, qui la mit dans
le cas, si non de faire revivre les jours de son ancienne splendeur,
au moins de se distinguer de nouveau, et de jouer un rôle impor-
tant sur la scène du monde. Soit animosité contre les Romains
qui étaient offensés de ce qu'il avait embrassé la religion chré-
tienne fi), soit dessein de faire pompe de son pouvoir en fon-
dant une ville égale à Rome même,, qui était regardée comme îa
première merveille du monde (a) , Constantin fit bâtir sur les
ruines de Bysante , petite ville de la Thrace vers les confins de
la Grèce, une ville à laquelle il donna le nom de Constantino-
Fondation de pie (3). 11 en traça lui même l'enceinte, dans laquelle il enferma
,xm$tantmoV . gept c0]jmes comme à Rome. Cette nouvelle Rome, (
car elle
prit aussi ce nom) fut construite avec une telle célérité, que
les fondemens en ayant été jetés le 26 novembre, l'an 827 de
l'ère vulgaire , son achèvement fut solennellement proclamé le
11 du mois de mai suivant (4). Constantin n'épargna rien pour
rendre sa ville en tout semblable à Rome. Il l'orna de temples
magnifiques, de places, de fontaines, d'un cirque, de deux palais
impériaux , même d'un capitole , et embellit tous ces monumens

(1) Zosime, liv. II. pag. 686.


(2) Eutrope , pag. 488 , et Soz. liv. II. chap. III. pag. 444.
(3) Il n'est guères possible de déterminer l'époque de la fondation
de Bysante , et l'on ne sait pas avec plus de certitude qu'elle est la co-
lonie Grecque qui vint s'établir la première dans cette position , qui est
sans contredit la plus agréable , et la plus heureuse de l'univers pour
ïe commerce. Certains historiens prétendent que ce sont des Miiésiens ,
d'autres des Mégariens , ceux-ci des Athéniens , et ceux là des Spartiates.
L'alliance ou la possession de cette ville fut un sujet continuel de san-
glantes querelles entre Athènes et Sparte. Philippe de Macédoine la
soumit à sa domination. Alexandre sut en tirer de grands avantages pour
la conquête de l'Asie. Bysante avait acquis sous les Romains un nouvel
éclat ; mais l'an 197 de l'ère vulgaire, elle paya chèrement l'imprudence
d'avoir embrassé le parti de Pescennius Niger l'un des émules de Sévère.
Cet Empereur se vengea cruellement du siège qu'elle lui fit soutenir, et
qui arrêta pendant trois ans ses armes victorieuses: il en fit démolir les
murs et les principaux édifices , et la mit dans la dépendance de la pe-
tite ville de Périnthe. V. Dufresne du Gange Hisù. Byzantlna : Descripcio
urbis constantinopolicanae e variis scriptaribus contexta etc. et Melling.
Voyage pittoresque à Constantinople.
(4) Art, de vérifier les dates vol. I. pag. 3go.
de -là Grec e. 1^5
de superbes statues tirées cle la Grèce et de l'Italie, U y créa en
outre un sénat 3 dont il eut soin cependant de borner l'autorité à
l'administration de la justice seule, sans lui donner la moindre in-
fluence dans les affaires publiques. La fondation de cette ville fut
sans doute une entreprise glorieuse pour Constantin : les Grecs et
les Romains vinrent bientôt en foule s'y fixer; mais si le but de
cette entreprise fut de se venger de Rome , sa vengeance fut bien
funeste non seulement à cette dernière ville, mais encore à tout
l'empire Romain. " Lorsque le siège de l'empire, dit Montesquieu,
eut été transféré en orient , Rome y passa presque toute entière :
les Grands y conduisirent leurs esclaves , c'est à dire presque tout
le peuple , et l'Italie se vit dépeuplée de ses babitans n. Cette dé-
solation d'un pays, qui était auparavant le centre des forces de
l'empire, facilita les invasions des barbares, et accéléra la ruine
de l'empire d'occident.

EMPIRE DES GRECS, OU EMPIRE D'ORIENT.

Division
as transportant le trône du monde dans sa nouvelle ville , de L'empire,.
Constantin avait déjà donné un choc fatal à la puissance Romai-
ne; mais il lui porta un coup bien plus funeste encore, par le par-
tage qu'il fit de l'empire entre ses trois fils Constantin, Constance, Fondation
ded'orient.
l 'empira
et Constant. Néanmoins la fondation de l'empire des Grecs, ou d'orient,
n'eut lieu que sous l'empereur Valentinien l'an 36^ de l'ère vulgai-
re (i). Valentinien, mu par un sentiment d'amour fraternel , plutôt
que par des vues d'intérêt public et les conseils d'une prudence éclai-
rée , partagea , la même année, l'empire avec son frère auquel il céda
la partie de l'orient, gardant pour lui celle d'occident. C'est à cette
époque que prit naissance l'empire des Grecs, plus fameux par la
mollesse , par l'hypocrisie , par la cruauté , par les fureurs théologi-
ques, que par les vertus et les exploits des Princes qui en occupèrent
le trône. Valent était lui même sans connaissances, sans talens mi-
litaires, et partisan outré des Amena. On rapporte qu'au sujet de
l'incertitude que manifestait encore Valentinien sur le choix de
son frère pour collègue à l'empire , un de ses officiers lui ré pou -

(i) Art de vérifier les dates. T. I. pag. 3q5 , et Blair , Tab. Chronol.
N.° 16.
*9^ Gouvernement
dit : <i Si vous voulez User de partialité pour votre famille , voua
nommerez votre frère ; mais si vous avez à cœur le bien de vos
Caractère peuples , vous vous donerez un tout autre collègue „. Valent n'ac-
h lKaZ?u' quit en effet que la triste célébrité des Princes faibles, qui ont
tourmenté les consciences de leurs sujets par leurs opinions : il se-
conda l'opiniâtreté d'Arrien , et fut l'instrument de ses cruelles
persécutions contre les catholiques.
aiiêodose. Parmi les successeurs de Valent, on en compte bien peu qui
pgra ' se soient montrés vraiment clignes du diadème impérial. Il ne fau
pourtant pas confondre dans ce nombre Théodose, qui, par ses
opérations militaires et politiques, et plus encore peut-être par son
extrême piété , et son zèle pour la religion chrétienne , mérita le
surnom de grand, Mais après sa mort, l'empire alla toujours en
déclinant,, et dans la longue série des Empereurs Grecs, à peine
aperçoit-on de loin en loin quelqu'étincelle de vertu et de grau*-
£a Grèce sous deur.
les successeurs . « ,L'histoire
A. -,de , l'empire
,,, - ... . s dit ,Montesquieu
des , Grecs <■%».— n'est
de Théodose, plus qu un tissu de rebellions, de séditions et de perfidies. Les sujets
n'avaient pas même l'idée de la fidélité qu'ils doivent au Prince; et la
succession des Empereurs fut si souvent interrompue, que le titre de
porphlgnorète , c'est-à-dire venu à la lumière dans l'appartement des-
tiné à l'accouchement des Impératrices, fut un honneur si relevé,
qu'il réussit à bien peu de Princes d'en être décorés. Il n'est pas
de délit qui n'ait été tenté pour arriver à l'empire : on y parvint
par le moyen des soldats , du clergé , du sénat , des gens de la
campagne, des habitans de Constantinople , et de ceux des autres
villes Une vénération telle quelle pour les ornemens impé-
riaux attirait aussitôt les regards sur celui qui osait s'en revêtir.
C'était un crime que de porter ou de teuir chez soi une étoffe de
pourpre; mais dès que quelqu'un se montrait avec cette parure,
il avait tout-à-coup une foule de suivans , car le respect s'attache
ordinairement plus à l'habillement qu'à la personne (i);>. L'asceu*
dant des femmes, le pouvoir des eunuques , la minorité et l'inexpé-
rience des Princes , la courte durée des règnes , et les atteintes
que portaient successivement au corps de l'état , non seulement les
Décadence incursions des barbares, mais encore la perfidie des Princes alliés 7
^eë'eT'e voilà les causes principales qui ont insensiblement amené la chute
4e l'empire des Grecs. De ce cahos , comme de celui des succès»

(r) Montesquieu, Grandeur eu décadence des Piom. ch. XXI.


ht la G iie cë. 197
seurs d'Alexandre sortirent d'autres états , mais de peu d'importan- ■
cCj et qui disparurent presqu'aussitôt dans les conquêtes des Arabes.
On a lieu néanmoins d'être surpris que l'empire des Grecs Gaum
ait pu se soutenir aussi long tems parmi tant de catastrophes. Mou- <e durJ!fue"
tesquieu en donne les raisons suivantes comme les principales; d'a-
bord les discordes civiles des Arabes, qui, après avoir fait la cou-»
quête des provinces de l'empire des Grecs en Asie, et des contrées
de la Perse , se divisèrent en factions à la suite de leurs sanglantes
querelles ponr le Califat ; en second lieu le feu grégeois qui avait
été inventé par un architecte nommé Callinique , et fut pendant
plusieurs siècles entre les mains des Grecs un instrument terrible ^
avec lequel ils consumaient les vaisseaux de leurs ennemis,, surtout
ceux des Arabes, ce dont nous aurons occasion de parler ailleurs;
troisièmement les richesses immenses que le commerce et les ma-
nufactures entassaient à Constantinople, qui était devenue la Reine
des mers , dans un tems où les Goths d'un côté , et les Arabes de
l'autre , avaient tari partout les sources du commerce et de l'indus-
trie ■;quatrièmement enfin les Barbares des bords du Danube, qui
après s'être fixés d'une manière stable , n'étaient plus aussi dange-
reux ,et servaient même comme de rempart contre les incursions
des autres. Ainsi l'empire se trouva étayé par des causes particu-
lières dans
, le môme teras que la faiblesse des gouvernemens , leur
perversité et les convulsions instestines i'ébranlaient jusques dans ses
fondemens : de la même manière que nous voyons aujourd'hui se sou-
tenir certains états , malgré leur épuisement et les revers politiques
qu'ils ont essuyés.
Mais tandis que d'un côté les Turcs , après avoir conquis la Conquête
Perse, s'avançaient à grands pas, et en hordes innombrables d'orient
en occident; de l'autre les Croisés, entraînés par un zèle héroï-
que, d'Europe en orient, étaient forcés de passer sur les terres de
l'empire. Dans cette situation, les Empereurs Grecs voyaient leurs plus Expéditions
belles provinces de l'Asie devenues la proie des Turcs, qui avaient
déjà poussé leurs conquêtes jusqu'au Bosphore , en même tems que l'ap-
proche des Chrétiens leur causait les plus vives alarmes. Pour dé-
tourner ces derniers de leurs entreprises, ils eurent recours aux ar-
ides des âmes viles et lâches, savoir à la perfidie et à la trahison.
Les Français et les Vénitiens animés d'un esprit de vengeance , et
peut-être plus encore par des vues d'intérêt , d'ambition , et par
un faux zèle , formèrent une croisade contre lès Grecs» Ils n'eurent
, Français
Les _ . y T9^ Gouvernement
eis emparent
tes Vénitien*
de a combattre qu'un. peuple efféminé et sans valeur (^ i). S'étant em-
Consianiiiiopia. parés de Constantinople , ils y proclamèrent pour Empereur un
comte de Flandres (a). Les Grecs se réfugièrent dans la Paphla-
gonie et en Colchide , où d'un côté les montagnes leur servaient de
boulevard contre îes Turcs , et de l'autre la mer contre les Latins.
Empire Là, David et Alexis, frères et Princes de la maison des Comnènes „
et de fondèrent les deux petits états de Nicée et de Trébisonde. Mal-
■ST/ébisonde, , , , . . - ^ , . , „
gre crue la domination des Latins a Constantjnople n ait duré que
soixante ans , elle n'en fut pas moins le dernier coup qui anéantit
fout-à-fait l'empire d'orient : car durant cet espace de tems 3 le
commerce passa entièrement aux villes d'Italie , et Constantinople
perdit ainsi la source de ses richesses , seul avantage qui lui restait
de sa puissance passée. Lorsque Michel Paléologue reprit cette
ville en 1264, il y trouva la marine dans un état si déplorable,
qu'elle manquait même de petits navires pour l'entretien des com-
munications avec îes îles de l'Archipel , qui étaient encore dans
la dépendance de l'empire Grec. A. ©ette époque, les Turcs, des-
cendans féroces de ces mêmes Huns qui avaient jadis si cruellement
ravagé l'empire Romain, s'étaient déjà répandus dans toute l'Asie,
et menaçaient même l'Europe (3). Quel rempart pouvait-on opposer
Constantinople à leurs hordes redoutables ? L'empire , resserré dans les faubourgs de
Vara/eTSTurcs, Constantinople , était près de sa lin 3 semblable au Rhin qui n'est plus
qu'un ruisseau lorqu'il vient se perdre dans la mer (4). Envahi les
Princes d'occident envoyèrent au secours de Constantinople une ar-
mée de cent trente mille hommes. Bajazet qui tenait déjà cette
malheureuse ville étroitement assiégée, défit dans une seule bataille

(1) Les latins ( c'était le nom qu'on donnait aux Européens qui
avaient pris Constantinople ) regardaient les Grecs avec un tel mépris ,
qu'après la guerre , ils n'en voulurent recevoir aucun dans leurs troupes ,
de quelque condition qu'ils fût.
(2) Baudouin I.er qui fut couronné Empereur dans l'Eglise de sainte
Sophie le 16 mai en 1204.
(3) On rapporte que les Turcs , dans leurs premières incursions sur
le territoire de la Grèce , enchantés de la beauté des femmes , se dégoû-
tèrent des leurs qui étaient laides et mal habillées; et que c'est à cette
passion pour les femmes Grecques, qu'il faut attribuer en partie le féroce
enthousiasme qui les entraînait à la conquête du siège de l'empire. Voy.
Michel Ducas , histoire de Jean Manuel etc. , chap. IX.
(4) V, Montesquieu endroit, cit.
i5E la G ré (3e. 199
l'armée des alliés: c'en était fait d'elle, si Bajazet n'eut pas da
porter toutes ses forces contre Tamerlan qui Pavait inopinément
attaqué. Mais cette expédition fut renouvetlée avec plus de succès
par Mahomet II, la huitième année du règne de Constantin XII
on de Constantin Paléoîogue. La ville, dont la garnison n'était que de
huit mille hommes, se défendit avec un courage héroïque contre
une armée des pins formidables. Mais à la fin, le bouillant fanatisme mietomia
des Turcs triompha de la mémorable résistance des Grecs, et la deMahometit
malheureuse Constantinople fut emportée d'assaut le 29 mai de l'an
i453. Constantin y périt les armes à la main dans la cinquantième
année de son âge. Les Barbares la saccagèrent, et y commirent
pendant trois jours tout ce que l'on peut imaginer de plus cruel
et de plus affreux. Telle fut la fin de l'empire d'orient. Constan-
tinople, fondée par Constantin le grande après avoir été pendant
près de onze siècles le siège de l'empire des Grecs, succomba sous
un monarque qui portait le même nom que son premier Empereur,
de la même manière que l'empire d'occident, fondé par Auguste ,
finit dans la personne d'un Auguste. Démétrius et Thomas, frères
de Constantin Paléoîogue, se soutinrent encore quelque tems dans
le Péloponnèse , c'est à dire jusqu'à l'an i458 que Mahomet s'en
rendit maître. Trébisonde était encore au pouvoir des Grecs, et
avait pour Roi David Comnène ; mais Mahomet finit aussi par
s'en emparer, et conduisit David à Constantinople , où il le fit
mourir (1).
Nous ne dirons rien ici de l'état politique de l'empire Grec, Gomûmim
parce que les Empereurs Romains transplantèrent à Constautino- de g,'"?.'"*
pie, non seulement la plupart des usages de Rome, mais encore
tout !e système de son gouvernement; c'est pourquoi il faudra se
rappeler à cet égard tout ce qui sera dit, en son lieu dans cet

(1) Art de vérifier les dates , vol. I.er pag. 455. Les principales fa-
milles qui régnèrent à Constantinople pendant les onze siècles que dura
l'empire Grec , sont ; la Théodosienne , la Justiniane , Y ' Héraclienne ,
Y Isaurienne , la Phrygienne , la Macédonienne , celles des Ducas : des
Comnen.es, àPsaac Y Ange , des Comtes de Flandres , des Courtenay
des Briennes , des Cantacuzènes , et des Peléologues. Il existait encore
il y a peu de tems , quelques rejetons de ces anciens familles. Louis XVI
a reconnu par des lettres diplomatiques les descendans des Comnénes.
Cette famille a donné six Empereurs à Constantinople , onze à Trébi-
sonde., dix Prorogé rondes ou chefs à la Laconie î et trois à la Corse.
30$ GoUVERKEMERT

ouvrage sur la législation de l'empire Romain. ISous observerons seu-


lement, que c'est aux Empereurs Grecs que nous sommes redevables
de la collection des lois , qui ont été adoptées dans la suite chez

Code.
toutes les nations de l'Europe sous la dénomination de Code , ou
Code Romain. Le i5 février de l'an 4^6, Théodose le jeune pu-
blia son code, qu'il composa de toutes les constitutions des Empe-
reurs Romains depuis Constantin jusqu'à lui; et il abrogea toutes les
lois qui ne s'y trouvaient pas comprises. Ce code servit ensuite de base
à la législation des Goths , des Lombards et des Francs. Mais Justi-
nien Ler ayant remarqué que plusieurs lois y avaient été omises , et
que le code même était presque tombé en oubli dans le petit nom-
bre de provinces qui fesaient encore partie de l'empire d'occident p
cet Empereur chargea Tribonius son chancelier de faire une com-
pilation de toute la jurisprudence Romaine depuis Adrien jusqu'à
lui. Cette collection fut publiée le 16 avril de l'an 5ao, , sous le
nom de Code par exellence. C'est encore du même Empereur que
Digesic. nous tenons , le Digeste > qui est un recueil de divers fragmens
de jurisconsultes Romains, dont les écrits ne composaient pas moins
ïns Ululions.
de deux milles volumes; les Institutions qui contiennent les pre-
Novelles. miers éîémens de la jurisprudence , et les Novelles qui forment
le recueil de ses dernières lois. Mais, comme nous venons 'de le
dire , toutes ces constitutions et ces lois, appartiennent plutôt à la ju-
risprudence Romaine qu'à celle de l'empire des Grecs; c'est pour-
quoi nous remettons à en parler plus au long, lorsque nous traite-
rons du gouvernement des Romains.
Marques
disthiclives Nous n'avons guères de particularités à offrir à la curiosité
■des Empereurs
Grecs. de nos lecteurs, en ce qui concerne l'habillement, les ornemens ,
et les marques de la dignité des Empereurs Grecs: car, à. l'ex-
ception de quelques temples, tous les édifices remarquables de
Constantinople furent ou rasés par les Barbares, ou abandonnés à
la faux du tems , dont ils ont été la proie. Les Turcs élevèrent
ensuite sur les ruines de l'ancienne ville d'autres édifices d'archi-
tecture Arabe : ce qui acheva la destruction des statues , des pein-
tures et des bas-reliefs qu'on y voyait encore. Néanmoins , pour ne
j'en laisser à désirer dans cet ouvrage , nous produirons le petit
nombre de tnonumens que nous avons pu recueillir dans les auteurs
des annales bysantines. Avant tout , nous devons avertir le lecteur
de deux choses; la première, c'est que le costume des Empereurs
Grecs et de leur cour , est en grande partie le même que celui des
de la Grèce. 2,0 f

Fomains, dont nous traiterons amplement à l'article de l'empire Ro-


main : c'est pourquoi nous ne ferons mention ici que de ce qui est par-
ticulier aux Empereurs d'orient , ce qui se borne à fort peu de chose.
La seconde est que nous présenterons les images de ces Empereurs
sans aucune altération , et tels qu'ils se trouvent dans les monumens ,
ensorte que la dureté des contours, la sécheresse dans l'expression
des physionomies , et les autres défauts de peinture qu'on pourra
y remarquer, ne devront point nous être imputés, mais bien aux
tems où les originaux de ces images ont été faits , c'est à dire à
l'époque de ,la Tdécadence des beaux arts et de toutes les institu- Rareté
tions .libérales.
., ,
E , impossibilité
. . , . . . ,-
ou,
nous sommes d1 5 affirmer
a-> •
rien -,
de des monumens.

positif sur l'authenticité de la plupart de ces figures, fait que nous


nous abitiendrons de placer les portraits des Empereurs Grecs dans
la série de notre Iconographie. Nous ne nous étendrons pas beau-
coup non plus sur la description des habits impériaux, pour laisser
à l'oeil du lecteur et de l'artiste le soin d'en distinguer les diverses
parties et le caractère particulier : car il serait aussi difficile que
fastidieux et inutile d'entrer dans de longs détails à cet égard.
Nous observerons en troisième lieu , qu'à défaut d'autres monu- etMosaïques
miniatures.
mens , nous avons dû quelquefois avoir recours aux mosaïques ,
bien que du moyen âge, ainsi qu'aux miniatures qui se trouvent
dans les anciens écrits. A l'aide de ce dernier moyen , de l'avis
même de l'illustre auteur de l'Iconographie Grecque, nous pouvons
retrouver, non sans quelqu'apparenee d'authenticité, les images vé-
ritables de plusieurs personnages de l'antiquité, par les raisons que
nous en avons déjà données, quoique le savant Mongez dise du
contraire. On sait qu'à l'époque où les arts étaient florissans dans
ces mêmes tems , il était d'usage d'orner les livres de miniatures
allusives aux sujets qui y étaient traités. Ceux qui firent copier
ces livres dans des tems postérieurs , durent nécessairement faire
aussi copier les miniatures, pour ne rien laisser à désirer sur l'exac-
titude de leur travail. Que si l'on veut malgré cela élever encore
quelques doutes sur la ressemblance des physionnomies que repré-
sentent ces miniatures, on ne devra pas moins leur accorder un
grand degré d'authenticité, quant à la vérité du costume qui y est
retracé, n'y ayant pas de probabilité que l'artiste ait voulu s'écar-
ter de l'usage alors établi , et blesser ainsi l'opinion généralement
reçue. Les mêmes raisons veulent qu'on ait encore beaucoup de
confiance dans l'authenticité du costume , qui est représenté dans
Europe. Fol. I. 26
202 Gouvernement

certains monumens, quoiqu'exécutés hors du pays auquel ce costume


est propre.
Constantin
et Hélène. Le n.° i de la planche 38 offre les images de Constantin le
grand et de sa mère Hélène , lesquelles sont tirées d'un manuscrit
qui fut transporté de Constantinople à Paris 3 et a été déposé ,
après la mort du savant Du-Cange , dans la Bibliothèque du Roi.
Ce manuscrit est anonyme, et renferme plusieurs opuscules sur l'ori-
gine et les affaires de Constantinople , ainsi que sur les Empereurs
et les Patriarches d'orient (i). On voit par le catalogue qu'il donne
des Empereurs , qu'il fut écrit vers l'époque du règne de Michel
Paléologue à Constantinople, c'est-à-dire entre Tan 1261 et l'an
1283 (2). De chaque côté de ces deux images est écrit en Grec:
le Saint et grand Constantin Roi — la Sainte Hélène sa mère. Mais
comme les actions de cet Empereur et de sa mère, personnages des
plus célèbres dans les fastes de la chrétienté, sont une source fécon-
de de sujets de composition pour les artistes modernes, nous croyons
joindre ici deux autres portraits de l'un et de l'autre, lesquels ont
été copiés sur des monumens d'une plus haute antiquité, et encore
plus certains. Le il° 2 représente la tête de la mère de Constantin
portant un riche diadème; elle est prise des médailles de Ban-
Statue
de Constantin- duri (3). La statue en bronze n.° 3 , se voit encore à présent sur
la place de Barletta dans la Pouille : l'avis des érudits les plus dis-
tingués est qu'elle représente Constantin, et fait probablement partie
du grand nombre de celles qui furent fabriquées à Constantinople
sous les premiers Empereurs d'orient (4). En confrontant les deux

(1) Banduri , Imp. Orient,. Praef. pag. VI.


(2) Il est à remarquer que le dessus de la couverture de l'original
porte l'empreinte des aigles impériales à deux têtes.
(3) Numismata Imperat. etc. ad Palaeologos usque. T. II. pag. 288.
Tab. II.
(4) Voyez Winkelmann , Histoire des arts etc. Rome , 1783 etc.
T. II. pag. 4a5. N. (A). Le savant abbé Fea observe que les Empereurs
Grecs firent ériger particulièrement à Constantinople un nombre presqu'in-,
fini de statues , la plupart en bronze , soit pour eux mêmes , soit à des
membres de leur famille , à leurs prédécesseurs ou à leurs Généraux. Ces
statues ont disparu presque toutes dans les nombreux désastres qu'a es-
suyés cette ville. « La seule en bronze } dit-il , de toutes celles qui ont
été faites en Italie, autant que je sache , et peut-être l'unique au mon-
de j est la statue qu'on voit encore à présent sur la place de Barletta en
DELA G RÉ CE. 203

figures de Constantin et d'Hélène qu'on voit sous les n.°a et 3, avec


celles de la miniature n.° i , on s'apperçoit aussitôt du changement
de costume qui eut lieu à la cour d'Orient, du moment que la re-
ligion chrétienne devint la dominante dans l'empire. La médaille
ainsi que la statue semblent appartenir aux tenis qui ont. précédé
la conversion de Constantin ; c'est pourquoi il faut bien faire at-
tention lorsqu'il
, s'agit du costume de cet Empereur, à ne pas con-
fondre ces deux époques
11 celle de Constantin
très-distinctes ,' ido- Deux époques
du costume
lâtre , et celle de Constantin chrétien. Dans la première, il doit de Constantin,
être habillé à la manière des Empereurs Romains; mais dans la
seconde , sa parure doit avoir toute la richesse du luxe oriental ,
parce qu'à cette dernière époque il voulut lui même que ses vête-
mens fussent enrichis de perles et de pierres précieuses , et que
son diadème en fût entièrement tissu; et pour se distinguer encore

Pouille , et qui a environ vingt palmes de hauteur. Les habitans de cette


ville prétendent qu'elle représente Constantin; et je le croirais aussi d'a-
près la comparaison du dessin que m'en a donné M.r D E manuel Mola
directeur des écoles royales etc } avec les statues de Constantin décrites par
Winkelmann .... M.r le baron de Riedstl , qui , clans son Voyage en
Sicile et dans la Grande Grèce .... la prend pour un Jules César,
n'avait pas bien présente la physionomie de cet Empereur ni celle de
Constantin , et n'aura pas fait attention à la forme de l'habillement qui
est des tems du bas empire. »
Voici ce que dit encore le même commentateur de cette statue dans
le III e vol. pag. 404 « Elle passe dans l'esprit même des habitans les
plus éclairés de Barletta pour être celle de Constantin. Le vulgaire l'ap-
pelle Héraclius. Mais outre qu'elle n'offre aucune ressemblance avec la
physionomie qu'a cet Empereur sur les médailles , où il est représenté
avec la barbe et des traits tout différens ., il est impossible que vers le
milieu du VII.e siècle , c'est-à-dire à l'époque de la décadence totale des
arts , on ait pu faire une statue aussi grande , aussi belle , et d'un travail
aussi considérable , à moins de dire que , selon l'usage presque général
alors , on ait dédié à Héraclius , à l'occasion de quelqu'événement parti-
culier la
, statue consacrée à la mémoire d'un autre Empereur , sans avoir
égard à la ressemblance. Le même M.r Mola me fit observer que la croix
est moderne, et que la statue porte sur la tète une comonne de laurier:
ce que je ne trouve pas fréquemment dans les médailles représentant des
Empereurs chrétiens , qui l'ont pour la plupart en pierres précieuses. Les
deux statues des fils de Constantin ou de Constantin lui même , qu'on
voit sur la montée du capitole , semblent avoir la couronne de chêne ».
Nous parlerons des autres statues de cet Empereur à l'article des beaux arts.
û04 Gouvernement

d'avantage des Empereurs Romains, il quitta la barbe qu'ils avaient


reprise depuis Adrien. On ne peut donc regarder que comme un
anachronisme, la barbe qu'on lui voit dans la miniature que uous
venons de rapporter. Et en effet l'usage de se la raser se maintint
chez les Grecs depuis la bataille d'Arbelles jusqu'au règne de Jus-
tinien , c'est-à-dire jusqu'au sixième siècle de l'ère vulgaire, où re-
vint celui de la porter dans toute sa longueur , comme nous le ver-
rons ailleurs (i).
STiéodose
le Grand. Le n.° 4 est la tète de Théodose le Grand prise d'une mé-
daille de Banduri. Cet Empereur voulut que la religion chrétienne
fût la seule professée dans son empire , à l'exclusion de toute autre.
Les têtes des n.°* 5 et 6 sont également prises des médailles du
Maurice
Phoeas. même antiquaire. La première est celle de Maurice Phoeas, qui
régna depuis l'an 602 jusqu'en 6io , et se fit renommer par sa
cruauté et l'assassinat du pacifique Empereur Maurice, et de tonte
sa malheureuse famille. La seconde représente celle de l'Impé-
Irène. ratrice Irène , épouse de Léon IV , qui régna seule depuis 797
jusqu'en 80a. Elle se rendit célèbre parmi les Chrétiens Grecs,
pour avoir embrassé leurs opinions sur le culte des images ; mais
elle ne le fut pas moins par les assassinats et les forfaits qu'elle
commit pour s'emparer du diadème : c'est la première femme qui
ait régné seule dans l'empire d'orient. Mongez observe que la gros-
sièreté de l'art clans les médailles de cette époque , ne permet guè-
res de juger de la beauté tant vantée de celle Princesse. Le n.° 7
Manuel
Palëologue.
Jean
représente l'Empereur Manuel Paléologue , qui régna depuis 1891
Palëologue. jusqu'en i4^5. Les deux portraits sous le n.° 8 sont ceux de Jean
Paléologue, qui y est peut-être représenté à deux âges différens.
Il était fils de Manuel , et régna depuis i4a5 jusqu'en 1448: il se
rendit célèbre par le Concile qu'il fit convoquer à Florence pour
y traiter de la réunion des deux églises grecque et latine , et fut
le pénultième Empereur d'orient. Ces trois portraits peuvent être
regardés comme authentiques, tant à l'égard de la ressemblance,
que pour la vérité du costume; car, comme nous l'avons dit plus
haut, le manuscrit d'où ils sont tirés appartient aux teins du même
Jean Paléologue.

(1) Plutarque rapporte, qu'avant la bataille d'Arbelles, Alexandre fit


couper la barbe à ses soldats, pour empêcher que l'ennemi ne pût les
saisir par là. Depuis lors , la barbe ne fut plus conservée que par les
Ephores , dont elle devint même une marque distinctive , et il ne fut plus
permis aux Spartiates de porter que les moustaches.
de la Grèce. a,o5

Les mosaïques des n.os i , 2, et 3 de la planche 29 ne forment qu'un Justinien


et Théodose.,
Seul ouvrage , et représentent l'Empereur Justinien avec sa femme
Théodore , qui assistent à la consécration de l'église de Saint Vital
à Ravenne (1). L'Empereur sous le n.°i a le front ceint d'un ri-
che diadème et de pierres précieuses, qui pendent avec ses cheveux:
il est vêtu d'une tunique blanche , et de la chlamyde impériale
de couleur violette , et tient d'une main une coupe d'or , qui était
peut-être le présent que les Empereurs étaient accoutumés de faire
aux églises à l'occasion de leur dédicace. Le n.° a offre les por- Ministres
traits de deux ministres ou courtisans, qu'on voit dans ce morceau et courtisans,.

de mosaïque à la droite de l'Empereur: ils portent comme lui une


tunique blanche avec une chlamyde de même couleur, qui est at-
tachée sur l'épaule droite, et leurs cheveux flottent sur leurs épau-
les. Nous ne rapporterons point les figures des ecclésiastiques et
des soldats que présente le même ouvrage , comme n'étant d'aucune
utilité pour notre objet. Le n.° 3 offre le côté opposé de cette mo-
saïque ,et nous allons le décrire en entier. On y voit l'Impératri-
ce 3 la tête ceinte d'un riche diadème, d'où tombent le long des
joues et sur les épaules de longues files de perles: son manteau est
aussi violet , et a un large bord en or avec des broderies : sa rob©

(1) Cette consécration fut faite par l'évêque saint Maximin en l'an
547. Giampini parle au long de ce précieux morceau de mosaïque dans
ses Vetera monumenta etc. pag. 73. On en trouve aussi la description dans .
les auteurs de l'histoire Bysantine , et M.r Séroux et ' Agincourt le rapporte
en partie dans son histoire de Fart ( Peinture pag. 16 ) : on le voit dans
le chœur de Saint Vital à Ravenne. Winkelmann dit ( vol. IL pag. 420
édit de Reina ) , que sur cette mosaïque , on -peut se former une idée de ce
qu étaient les statues équestres en bronze de Constantin et de sa femme
Théodore qui étaient autrefois à Cons tantinople , car elle fut faite dans le
même tems que ces statues. Il est bon d'observer cependant que la pre-
mière de ces deux statues était vêtue en Achille , comme le dit Pro-
cope , avec des semelles attachées au pied , les jambes nues ou à l'hé-
roïque. On ne doit point s'étonner que nous ayons cité ici une mosaïque
faite en Italie : car Ravenne , comme tout le monde le sait , fut pendant
long tems sous la puissance des Empereurs Grecs. Nous dirons même à
cet égard , que l'Italie n'ayant pas de peintres dans les tems du bas-em-
pire ,on les y fesait venir de la Grèce ; et comme ils ignoraient les usa-
ges des lieux où ils travaillaient , ils continuaient à donner à leurs Saints
l'habillement Grec de cette époque , comme nous le verrons ensuite. Voy.
Giampini pag. 14, et Léon d'Ostie , Chronic, Monast. Cassinensis.
206 Gouvernement

qui est sous le manteau est d'un blanc un peu luisant : de riches
agrafes semblent orner sa poitrine et ses épaules, et elle tient dans
Femmes, une de ses mains un vase fait de pierres précieuses. La première
des femmes qui sont à sa gauche a le manteau blanc et la robe
violette : de sa poitrine descendent jusqu'aux pieds deux écliarpe3
ou bandes d'étoffe parsemées de pierreries : la seconde a la robe
tressée de fleurs en vert et en or avec de longues manches : la
troisième a le manteau blanc , et la robe aussi à fond blanc avec
des fleurs vertes entrelacées; la quatrième porte le manteau écar-
late avec la robe blanche brodée de fleurs en or. La première des
deux femmes qui sont à la droite de l'Impératrice a la tunique
blanche, et la seconde de couleur violette. L'habillement de ces
Femmes leur couvre le corps , de manière à ne laisser voir que la
tête , le cou et les mains.
Basile II.
Le n.° 4 représente l'Empereur Basile II. qui régna avec Cons-
tantin X, depuis l'an 976 jusqu'en io2,5. Il est au moment de re-
cevoir les bénédictions du Ciel et les hommages de la Terre : ce
portrait est tiré des miniatures d'un pseautier grec en parchemin
du X.e siècle } qui appartenait autrefois au monastère de la Vierge
appelée Cospicua à Constantinople , et se trouve aujourd'hui dans
la Bibliothèque de Saint Marc à Venise (1); son authenticité mé-
rite par conséquent beaucoup de confiance. L'Empereur y est ha-
billé militairement; mais outre le diadème qui est enrichi de pierres
précieuses, il a encore le hoqueton , le sceptre et autres marques
distinctives de la dignité impériale.
Habillement
impérial.
De toutes ces figures il nous sera facile maintenant de déduire,
comme autant de corollaires, les diverses parties de l'habillement
qui composaient le costume des Empereurs. La première marque
Diadème.
de cette dignité était le diadème. Nous avons déjà vu qu'après
avoir vaincu Darius, Alexandre quitta le diadème des Rois de
Macédoine, qui n'était qu'un simple bandeau d'étoffe blanche,
pour prendre celui des Monarques de la Perse , composé d'une
bande de lin blanc avec une raie rouge, sur lequel il plaçait quel-
quefois des cornes de bélier comme fils de Jupiter Àmraon : nous
avons vu aussi que Constantin ajouta au diadème les perles et les

(0 V°y- Morelli , Bibllotheca manuscripta Graeca et Labina , Bas-


sani ,Pxemoncl. 1802 , pag. 53. Cette figure est encore rapportée par
M.r Séroux d'Agincourt. Ibid. pag 33 , pi. 47.
tf ,J?)tarr/f/.' l'r.
de là Grèce. aoy
pierreries. Les successeurs de cet Auguste adoptèrent non seulement
cette sorte de diadème 3 mais encore tout le faste des anciens Rois
de Perse. Claudien , dans la description qu'il fait des trésors et des
ornemens impériaux que les enfans de Théodose se partagèrent
après sa mort dit fi) :

Et vario lapidum distinctas igné coronas.

Agathias , en parlant des marques de royauté , que les Empereurs


envoyaient en présent aux Rois des Laziens , peuples qui habitaient
les derniers rivages de la mer Noire, fait mention d'un diadème en
or enrichi de pierres précieuses (a). Il faut pourtant bien se garder
Couronn*
de confondre le diadème des Empereurs avec la couronne royale.
Celle-ci n'était qu'un simple cercle en or^ tandis que le diadème royale.
impérial était comme une double couronne : car celle qui devait
ceindre le front était surmontée d'une autre, avec laquelle elle était
jointe par une garniture enrichie de pierreries , et d'un beau tra-
vail (3). Ce diadème était quelquefois orné de têtes en bas-relief
Diadème de
et en or , ou d'espèce de camées. Tel est celui de Constantin II Constantin IL
qu'on voit au n.° i de la planche 3o , et qui est pris des pierres
gravées de la Galerie de Florence. On plaça aussi une croix sur le
haut du diadème 5 comme on peut le voir par celui de Phocas de Phocas.

( planche 2,8 n.° 5 ) , usage qui prit son origine de l'Empereur


Justin, d'après le témoignage des médailles. La forme du diadème
de cet Empereur nous rappelle encore le xa^isXavxtov , appelé par
les écrivains du bas empire Camelaucum , et qu'ils croyent sembla- camelaucum.
bîe à la mitre ou cidaris des Perses (4): on en voit le dessin sous

(1) In pr. Consuls Stilich. , lib. II., v. 92.


(2) Hisb. Jusbiniani , lib. II pag. 60.
(5) V. Ciampini , Prêtera Monimenba. Pars I. pag. m.
(4) Le Camelaucum était une espèce de bonnet fait de poil de cha-
meau ,d'où il a pris ce nom. Il est encore en usage chez les moines du
lerant, et ressemble un peu au bonnet carré de nos ecclésiastiques Voici
la description qu'en fait Allazius (De utriusq. Ecclesiae consensione , lib.
III. cap. 8 num. 12 ). Capub operiunb Camelauco } quod capitis begmen est
ex lana nigricanbe , ut nabura illam dedlb , textum , robundum , albi-
budine semipalmare , in formam conchae finiens , quae capub ingredi-
bur , non undequaque Tobundabur ■; sed ubi aures sunb , plagulae ungunbur ',
quibus aurium incommodis medenbur. Ainsi de ce Camelaucum pendaient

iL
2o3 Gouvernement
Diadème
avec le casque. le n.° a, pris des Las-reliefs de l'arc de Constantin (i). Le dia-
dème se joignait quelquefois tellement avec le casque, qu'ils ne
formaient ensemble qu'un même tout , ainsi qu'on le voit par le cas-
que n.° 3 qui forme la coiffure de l'Empereur Héraclius , célèbre
dans les fastes de l'église, pour avoir enlevé la croix à Cosroès Roi
de Perse : ce qui fait que ce diadème s'appelait g aléa diademata.
TNous avons remarqué dans le portrait de Justinien, que son diadème
Ornement
du Diadème. est orné de fils de perles et de pierres précieuses qui lui tombent
sur les épaules. La même chose se voit dans ceux de Constantin,
d'Irène et de Basile dont nous avons aussi fait mention ; et l'on
en a une preuve encore bien plus claire dans le diadème de Justi-
nien sous le n.° 4- Cet usage fut généralement adopté par tous les
Empereurs , de manière cependant que plus on s'éloigne de l'épo-
que de Constantin , et plus ces diadèmes ainsi que tous les autres
ornemens impériaux vont perdant de leur ancienne simplicité, et se
surchargent d'or, de perles, de pierreries et d'ornemens de tout gen-
re, selon l'esprit particulier à cette époque où les beaux arts étaient
entièrement tombés : ce dont il est aisé de se convaincre, par le seule
confrontation de ces figures entre elles. Nous ne devons pas passer ici
Sonmt sous silence la forme extravagante du camelaucum ou bonnet, n°5 ,
Patiohgue. qu'on voit sur une grande médaille de Jean VIII Paléologue , frappée
en Italie , et citée par Baucluri et Du-Cange (a). Les Empereurs
avaient encore quelquefois autour du corps une autre marque de
leur dignité, c'était un cercle d'or ou de lumière, appelé par les

des espèces de bandes de même étoffe, ou d'une autre plus fine, pour cou-
vrir les oreilles ; ce qui a peut-être donné l'origine aux queues des mitres
de nos évêques.
(i) Constantin Porphignorète {De Adm. Imper, cap. i3 ) dit que
cette espèce de bonnet avait été apporté par un ange à Constantin , et
que les Empereurs ne le portaient que dans les grandes solennités.
(2) Ce médaillon est un ouvrage de Victor Pisano ou Pisanello pein-
tre de Vérone ; qai, au rapport de Vasari , fit en médaillons de jet une
quantité de portraits de Princes de son tems et autres. Voici ce que dit
Monseigneur Giovio du médaillon et de l'artiste de dans une lettre qu'il écrit
au Duc Cosimo. J'ai encore une belle médaille Jean Paléologue Em-
pereur de Constantinople avec ce chapeau bizarre à la Grecque, que les
Empereurs étaient dans l'usage de porter ; elle a été faite par Pisano à
Florence lors du concile d'Eugène auquel assista cet Empereur : elle a
pour revers la Croix du Christ soutenue par deux mains , qui représen-
tent sans doute les deux églises grecque et latine.
de' la Grèce. 209
antiquaires nimbus. Cet attribut n'appartenait anciennement qu'aux WfoOm;
Dieux , " et entre autres à Apollon. Pline rapporte que Galigula
fut le premier des mortels qui osa s'en décorer; mais Antonin le
Pieux est le premier des Empereurs qu'on voit sur les médailles avec
cet ornement. Les Empereurs et les Impératrices du bas-empire
en ont toujours la tête parée ; et , comme l'observe Mongez , les
artistes ne doivent point l'oublier lorsqu'ils veulent représenter un
Empereur de cette époque. L'origine de cet ornement dérivait
■d'une aveugle et basse adulation , de la part des Romains , qui vou-
laient indiquer par là que les Augustes étaient admis au conseil
des Dieux (1).
Nous ne voulons pas finir cet article sans faire mention de Couronne
la couronne de fer , qui , selon les chroniques de Monza , après
avoir servi pendant long tems au sacre des Empereurs Grecs, passa
de Gonstantinople à Rome, d'où le Pape Saint Grégoire le Grand
l'envoya en présent à Théodolinde Reine des Lombards, qui fesait
sa résidence à Monza. Si de pareilles assertions pouvaient être ad-
mises il
, s'en suivrait ; d'abord , que la couronne de fer dont il
s'agit n'était originairement que le diadème des Empereurs de Cons-
tantinople ; en second lieu qu'elle a été faite avec un des clous
qui ont servi au crucifiement du Christ: ce qui lui a fait donner le-
pithète de de fer. Or quant à la première conséquence , il suffit de Différence
comparer la couronne de Monza n.° 6, avec celle que portent les Ife^eSwT
Empereurs dans les divers monumens que nous venons de rapporter 3 cdls "nPenale-
pour avoir la preuve évidente que celle-ci diffère considérablement

(1) Il convient de rapporter à ce sujet ce passage de Pignorius , que


le P. Kircher a transcrit sans en citer l'auteur. Consuevib Daedala anbi-
quibas res hominum opinione religiosas , et augusbis quibusdam veluti
no bis insignire , quasi ipsis aliqua dignibas accéder eb. Inber lias maxi-
me nobilis fuib orbis quidam capibi aliquando circumscripbus , venera-
tionis index eb majesbabis , quae humanam excedereb. Hune ego Impe-
raboribus , quos veberes supra fasbigium morbalibabis elabos suspiciebant ,
provinciis orbis Romani , urbibus pritnariis , aninialibus ebiam Deorum,
circumposibum nobavi : et quod ad Augusbos perbineb , extant mimis-
mata aerea Antonini PU , et Consbanbii illius . qui Arrianis favens
cabholicam Ecclesiam perburbavib. Eb Ravennae in aedibus S. Vibalis
manenb adhuc anbiquissim,ae ex opère musiuo Jusbiniani , eb conjugis ima-
gines ,quarum capita balis circxdus ambib. Cet usage passa des gentils aux
peintres chrétiens , qui entourèrent d'une auréole les têtes de leurs saints.
Europe. Foi. J. 3
aïo Gouvernement

âe la première. D'ailleurs , dans le grand nombre des médailles de


Constantin rapportées par Du-Fresne et autres , on ne voit jamais cet
Empereur avec une couronne semblable à celle de fer ; mais bien
tantôt avec un casque , tantôt avec une couronne dé laurier, ou
avec un diadème bien différent. Ce diadème est le plus souvent com-
posé d'un double rang de pierreries jointes ensemble par des ban-
delet es ,qui descendent jusques sur les épaules. ;Nous ne pouvons
accorder beaucoup de crédit aux conjectures du P. Allegranza, qui
voudrait nous persuader que Constantin portait la couronne de fer
sur le diadème Impérial 9 ou sur la cime de son casque, parce que
les médailles sur lesquelles il étaye son assertion, ne laissent aper-
cevoir aucune trace de cette couronne sur le casque, ni sur le dia-
dème (i). Quelle que soit au reste la forme de cette couronne de
fer , on aura toujours droit de demander aux partisans de cette
opinion , sur quel monument ils se fondent , pour croire qu'un or-
nement aussi précieux soit passé de Constantinople en Italie. Il n'y
a aucun écrivain qui en parle , et nous n'avons aucunes relations sur
l'époque où l'on prétend que cette translation a eut lieu : le même
Saint Grégoire n'en dit pas un mot dans ses épitres. Il n'est guè-
res vraisemblable non plus, que les Empereurs de Constantinople
fissent assez peu de cas du trésor le plus précieux que leur avait
laissé Constantin , pour le laisser transporter ailleurs. Si donc la
couronne de Monza n'est pas celle que Constantin a transmise à ses
successeurs , il s'ensuit qu'il n'est pas aisé de prouver qu'elle ren-
Diadême
avec lIl est bien vrai qu'un
ferme un des clous de la passion. *- de ces clous
le. saint clou, avait servi à. former le diadème qu'Hélène envoya à son fils : car

(i) Frisi , Mémoires historiques de Monza. Vol. 2 pag. 161 et suiv.


Nous reviendrons sur ce sujet lorsque nous traiterons du costume des Lom-
bards, et nous rechercherons alors la véritable origine de la couronne de
fer. Nous nous bornerons à observer ici; i.° que les partisans de la cou-
ronne de fer n'ont pas démontré jusqu'ici d'une manière solide , que cette
couronne est la même que celle qu'ont portée Constantin et ses succes-
seurs; 2.0 que l'authenticité du saint clou, qu'on dit en former la garni-
ture intérieure , est encore extrêmement douteuse. Lisez Muratori : Anec-
dota , quae ex Ambrosianae Bibliothecae Codicibus etc. Tom. II , pag.
267 et suiv. L'examen que nous avons fait du manuscrit de Bosca , qui
est conservé dans la librairie du Chapitre de Monza } et qui à pour but
de prouver l'authenticité de la couronne de fer } nous a encore confirmé
d'avantage dans l'opinion de Muratori.
de la Grèce., an

Saint À mb roi se dit positivement que, quaes'wit Helena Clcwos , qui-


bus crucifixus est Dominus , et itwenit. De uno cZapo fraenos fieri
praecepit , de altero dladcma intexuit .... Misit itaque filio suo •-
Constantino diadema gemmis insignitum , quas pretiosior ferro in-
nexas Crucis redemptionis dwinae gemma connecteret. Misit etfrae-
num. Utroque usus et Constantinus , et fidem transmisit ad posteras
Reges(iy On ne sait trop ce qu'est devenu ce diadème, et ce n'est
pas à nous d'entrer dans ces recherches. Nous ajouterons seulement,
que le Diacre Paul , qui vivait à la cour des Rois Lombards , et
qui a traité au long de leurs usages et de tout ce qui les concerne y
ne fait aucune mention de la couronne de fer , ni du saint clou
de Monza ; et qu'au contraire il dit , qu'Hélène de clavis , quibus
manus Chris ti fuerunt perforatae , alios in galeam misit Imper a-
toris , filii capitis providentiam gerens , ut jacula bellica submove-
ret, alios fraeno equino permiscuit (a). Le même écrivain assure en
outre, que dans le sacre des Rois Lombards, on ne fesait point usage
du diadème } mais d'une lance ou sceptre qu'on leur présentait ,
selon l'usage anciennement établi , comme la marque distinctive de
l'autorité royale. C'est de quoi nous parlerons ailleurs.
Le sceptre est la seconde marque distinctive de la dignité im- Sceptre.
périale. Tout le monde sait que celui des Empereurs Romains portait
à son extrémité supérieure un aigle, comme celui que Romulus avait
reçu des Etrusques. Les Empereurs Grecs placèrent sous les pieds Seèvres
de ,.,
l'aigle .
un petit
j globe d'or, et tout leur sceptre était fait, à ce
a la c'°<* '
ei le globe.

qu il parait, du même métal. Le camée qu'on voit sous le n.° 7,


et qui se trouve dans le Musée de Florence (3) offre la forme de

(1) Oratio de obitu Theodosii , num. 47.


{2) Hisù. miscel. liv. II. Rufîn prêtre d'Aquilée et contemporain de
Saint Ambroise , Socrate le Scclastique , Théodoret évêque de Cyrus , et
Sozoméne^ qui dans le V.e siècle , presque cent ans après la mort de Con-
stantin écrivirent
, en grec l'histoire ecclésiastique , assurent tous qu'Hé-
lène plaça le saint clou non dans le diadème , mais dans le casque de
son fils. L'assertion de ces écrivains pourrait peut-être se concilier avec
celle de Saint Ambroise , si l'on voulait admettre , chose qui n'est pas
invraisemblable , qu'Hélène plaça ce clou dans un diadème fait en forme
de casque.
(3) Nous avons suivi l'opinion des célèbres éditeurs du Musée de
Florence,, qui croyent voir sur ce camée le portrait de Constantin , malgré
que d'autres savans le prennent pour celui de Vespasien.
^ia GouVE RNIMEKT
ce sceptre. Phocas substitua la croix à l'aigle , et son exemple fut
suivi par les Empereurs qui lui succédèrent. On trouve aussi quel-
Croi±. quefois les Empereurs représentés avec une croix dans la main droite,
et le sceptre dans la gauche. C'est ainsi que parait Michel Paléo-
logue dans une peinture d'une ancienne église de Constantinople
consacrée à la Vierge. Voy. la planche 3i, n.° i. Le sceptre des Em-
pereurs Grecs subit néanmoins quelques changemens , comme l'at-
teste celui de Basile, planche 29 n.° 4, et celui d'Eudoxie dans
la planche suivante. Les tableaux faits dans les siècles postérieurs
Narlex
ou. icrum* présentent
tvt 1
souvent, i
à la • place du sceptre, le labrum et le nartex.
JNous parlerons du premier a l'article de la milice. Le nartex , ou
ferula , était une espèce de baguette , ou pour mieux dire , de
bâton, qui, à son extrémité supérieure, se terminait par un ou
plusieurs carrés composés d'une frange d'or, et enrichis de pier-
reries au sommet des angles, dont la disposition souvent ne diffé-
rait guères de la figure d'une croix. On voit trois de ces sortes de
bâtons sous les n.os a , 3 et 4 de la planche 3i. Le n.° 2 offre
l'image de Théodore femme de Michel Paléoiogue s copiée sur la
peinture dont nous venons de parler, qui se voit à Constantinople.
Les n.° 3 et 4 représentent celles de Manuel Paléoiogue et de sa
femme Hélène , prises d'une miniature qui décore un manuscrit
des œuvres de Denis l'Aréopagite , dont cet Empereur fit lui mê-
Crioie. rne présent au monastère de Saint Denis eu France (1). Le globe,
signe emblématique du pouvoir souverain sur toute la terre , lequel
était ordinairement surmonté d' une Victoire , passa des Empereurs
Romains à ceux de l'orient , dans les portraits et les statues que les
artistes firent de ces derniers, avec cette seule différence, que du
tems de Théodose , le globe était surmonté d'une croix. Tel était
en effet celui que tenait d'une main une statue équestre de Jus-
tinien , qu'on voyait à Constantinople : car Procope , en parlant de
cette statue , dit : non gladium , non hastam , aliudve gestat ar-
morum genus , sed prucem globo impositam (a). Nous traiterons , à

(1) Voy. Du-Fresne. De Imp. Constantinop. etc. Numismat. Disser-


èatio. Dans les portraits de Théodore et d'Hélène , les deux diadèmes
méritent d'être observés à cause de l'extravagance de leur forme , qui at-
teste en même tems la décadence du bon goût avec celle de l'élégance
et de l'antique simplicité.
(2) L. De Aedib. chap. II.
d£ la Grèce. a i3

l'article de la religion, des autres objets qui distinguent les Em-


pereurs Grecs dans les anciens monumens.
Les Monarques de Bysante substituèrent, à la simplicité de la
chaise curule, la richesse et la magnificence du trône des Rois de Trôna,

Perse , dont on trouve dans Athénée la description suivante. « Le


trône sur lequel étaient assis les Rois de Perse , lorsqu'ils adminis-
traient la justice, était en or: il était porté sur quatre petites
colonnes du même métal, et enrichies de pierreries,, (i). On lit
dans Arrien qu'Alexandre avait un trône semblable, et que ses
amis s'asseyaient à ses côtés, sur des lits qui avaient des pieds d'ar-
gent. Voici la description que le poète Corippe fait du trône de
Justin II successeur de Justinien : « Le trône impérial fait l'orne- de. Justin
Trône là
ment du palais. Quatre colonnes précieuses soutiennent une coupole
en or massif, qui représente la voûte céleste. Cette riche coupole
s'élève au dessus de la tête de notre immortel Empereur, et couvre
son siésje composé de pourpre , d'or et de pierreries. Quatre pieds
recourbés en arcs flexibles lui servent de supports; quatre Victoi-
res en bronze déployent leurs ailes , et portent une couronne de
laurier (a) „. Le n.° 5 représente ce trône , dont le dessin est de
M.r Alexandre Sanquirico. Les annales Bysantînes font mention de
plusieurs autres trônes, la plupart en marbres précieux, et avec des
ornemens en or et en bronze: un des plus remarquables était ce-
lui qu'on voyait dans l'Hyppodrome , et dont Cristophe Bondelmont
parle en ces termes : Hippodromi viginti quatuor erant altissimae
colwnnae , ubi Imperator cum Principibus residebat (3).
Parasol ,
Les Empereurs Grecs empruntèrent encore des Rois de Perse
éventail etc.
et de l'orient l'usage des parasols, des chasse-mouches, et des
éventails. Nous nous dispenserons de donner ici la description de
ces divers objets , au sujet desquels le lecteur pourra consulter l'his-
toire du costume des Perses et des Lyciens comprise dans cet ou-
vrage. Les mêmes Monarques semblent encore avoir pris de l'orient
l'usage de se faire accompagner avec des torches et des flambeaux
allumés dans les cérémonies publiques , usage dont nous aurons aussi
occasion de parler ailleurs.

(i) Voy. le Costume Persan.


(2) Coripp. De laudïb. Justini , liv. III. v. 194.
(5) V. Du-Fresne. Constantinop. Christ, pag. 104 , et P. Gylii , De
Constantinop \ Topographia etc. liv. II. chap. XIII.
214 Gouvernement
Habillement
des Empereurs
Grecs.
Quant à l'habillement des Empereurs Grecs , voici la descrip-
Tunique. tion que nous en ont laissée les historiens Bysantins. La tunique
ordinaire était recouverte de la tunique impériale, qui était blan-
che ,enrichie de broderies en or et de belles franges , et retenue par
une ceinture qui l'empêchait de descendre plus bas que le jarret.
Le poète
termes : Corippe , dans l'éloge de Justin le jeune , en parle en ce
tunicaque plus inducitur artus
Aurata se veste tegens , qua candidus omnis
Enituib .
SubstricLoque sinu vestis dwina pependit
Poplite fusa tenus , pretioso candida Lïmbo (1).

chiamyde. Par dessus cette tunique impériale était une longue chlamyde de
pourpre marine , qui tenait par une large agrafe en or , avec des
chaînes du même métal, et parsemée de pierreries (a)

Caesareos liumeros ardenti murice texit


Circumfusa chlamys ,
Aurea juncturas morsu perstrinxlt adunco
Fibula , et a summis gemmae ni tuer e catenis (S)

Les Empereurs Grées étaient très-jaloux de cet ornement , et ne


le quittaient jamais pas môme dans les teins de deuil : ils permi-
rent bien aux Rois du Bosphore l'usage de la chlamyde blanche (4) S
mais il leur défendirent par un décret spécial de porter celle de
Chaussure, pourpre. Leur chaussure était rouge aussi, ainsi que les cordons qui
servaient à l'attacher 3 et le plus souvent faite d'une espèce de ma-
roquin appelé cuir de Perse (5).

(1) H. Cresconius Corlppus. De laudibus Jus tini etc. Romae-Framesius


1777 in 4.0 liv. II. v. 100 et suiv.
(2) Par pourpre marine il faut entendre , comme .nous l'avons ob-
servé ailleurs , celle qu'on tirait des coquillages marins. Nous parlerons
de cette pourpre à l'article où nous traiterons de la matière et des cou-
leurs des vêtemens grecs. Voyez cependant Amatius de Restitutione purpu-
rarum, , et Rosa , Délie porpore e délie materie vestiarie presso gli Antichi;
(3) Corippus. Ibid. v, 118.
(4) Agatk. Hist. Justin. II. pag, 60.
(5) V. Corip. Ibid. lib. II. v. io5.
de la Grèce. ai5'
Les Impératrices Grecques rivalisaient avec leurs époux en RaMiemeni
luxe et en magnificence. On les voit représentées dans les monu- impératrices
Grecques.
mens avec les mêmes marques distinctives que les Empereurs , et
vêtues tantôt d'une chlamyde parsemée de perles , et attachée par
de larges et riches agrafes, tantôt d'une espèce de tunique ou man-
teau enrichi de perles et autres ornemens précieux , et ouvert ou
divisé sur les deux côtés depuis la coude jusqu'en bas , usage qui
semble avoir eu lieu , surtout dans les siècles les plus rapprochés de
nous. Voyez les n.os i et 3 de la planche 3i. La première de ces
deux figures est copiée sur un ancien dyptique , et les érudits la
prennent, avec assez peu de fondement , pour celle de l'Impé- Placidies
ratrice Placidie. Le n.° a représente la célèbre Impératrice Eu- Eudoxùz.
doxie femme de Basile le Macédonien, qui régna depuis l'an 867
jusqu'en 886. Cette figure est copiée sur une miniature d'un ancien
manuscrit des œuvres de Saint Grégoire de Nazianze , qui se trouve
dans la Bibliothèque de Paris (ij. Eudoxie a tout le costume im-
périal de
: la main droite elle tient un long sceptre, au bout du-
quel est une fleur, et porte le globe dans la gauche : une pelisse
chamarrée d'or et de pierres précieuses enveloppe en partie sa tu-
nique de pourpre , et lui pend du bras gauche : ce genre d'habil-
lement n'était pas seulement propre aux Impératrices, mais encore
aux nobles matrones, lesquelles avaient le droit de se parer d'une
semblable pelisse dans les jours de solennité (a) : les souliers sont Héiène^
d'une espèce de maroquin rouge, et parsemés de pierreries. L'ha-
billement d'Hélène mère de Constantin, qu'on voit sous le n.° 3, est
plus simple et diffère peu de celui de la fig. n.° 1. 11 est pris d'une
miniature d'un manuscrit précieux existant dans la même Biblio-
thèque ,qui semble être du tems de Basile le Macédonien, et
traite de l'invention de la croix. Hélène y est représentée en deux
endroits différens. Ce qu'il y a encore de remarquable dans cette
miniature , c'est la forme du trône ou siège , ainsi que les figures
de deux personnages, qu'on ne sait trop si ce sont des courtisans,
des pages , des clercs ou des licteurs : car les Impératrices se fe-
saient aussi accompagner par des licteurs. L'obligation où nous se-
rons de traiter amplement ailleurs des vêtemens impériaux, nous
dispense de rechercher ici de quelle matière ils étaient composés.

(1) V. Du-Cange. Familiae Augustae Byzantlnae , pag. 140,


(2) V. Du-Cangv-DisserÉ. de Numism. Impp. etc. N.° YIIL
âI6 Gouvernement
Nous observerons seulement que 9 du tems de Justinien , c'est-à-dire
dans le sixième siècle de l'ère vulgaire 3 il s'établit en Grèce , et
surtout à Athènes, à Thèbes et à Corinthe diverses fabriques d'é-
iFiafoie toffeS de SOie' et ^ue cette denrée qui ■> xm siècle auparavant, se
vendait au poids de l'or, fut bientôt substituée à la laine, au
chanvre et au lin, et déploya son luxe dans les cours et dans les
cérémonies publiques. Et en effet le poète Corippe, en parlant des
préparatifs qui avaient été faits pour le retour de Justin, dit que:

Serica per cunctas pendehant vêla columnas.

çhevelwe. Quant à la manière dont les Impératrices Grecques arrangeaient


leurs cheveux , on la trouve presque toujours la même dans les mé-
dailles, quoiqu'il y ait lieu de croire cependant que le caprice
de la mode lui aura fait subir de tems à autre quelques change-
ments. Nous renvoyons encore nos lecteurs pour cet article au cos-
tume des Impératrices Romaines. La chevelure des Empereurs Grecs
semble aussi avoir suivi les variations de celle des Romains. Il pa-
rait néanmoins par les monumens, que depuis Justinien , ils furent
dans l'usage de la porter coupée eu rond , et flottante autour du cou.
Faste Malgré que les Empereurs Grecs professassent la religion du
des Empereurs
_., . . itlîi 1111 •« 11
Grecs. Christ , qui est celle de la douceur, de rhumilite , et de la ver-
tu, ils n'en avaient pas renoncé pour cela au faste, à la pompe,
à la vanité , et en un mot à l'orgueil qu'ils avaient comme hérité
des Empereurs Romains; et quoiqu'ils n'osassent plus se faire met-
tre au rang des Dieux , ils n'en conservaient pas moins l'usage de
Adoration. y adoration. Voici ce que dit à ce sujet Procope en parlant des
innovations introduites par Justinien et sa femme Théodore: " Au-
trefois lorsque
, les sénateurs se présentaient devant l'Empereur ,
ceux qui étaient patriciens s'inclinaient vers le sein droit du Mo-
narque squi leur baisait la tète avant de se retirer: les autres se
retiraient en fléchissant le genou udroit» Mais sous Justinien , tous
les sénateurs, patriciens et autres., se prosternaient à terre en
abordant l'Empereur et l'Impératrice, et leur baisaient les pieds,
que les deux augustes personnages leur présentaient à cet effet ,
après quoi ils se retiraient. Théodore ne refusa point cet hon-
neur, et l'accorda même aux ambassadeurs de Perse Au-
paravant, quiconque s'approchait de l'Empereur ne l'appelait que
par ce seul nom , et donnait à son épouse celui d'Impératrice. Les
de la Grèce. 317
Grands de l'empire prenaient celui de leur dignité. Mais celui
<Jui en adressant la parole à Justinien et à Théodore , n'aurait pas
ajouté aux titres d'Empereur et d'Impératrice ceux de seigneur et
de madame ( AW««*» , JW«r«»), et qui,, en parlant avec les Grands,
ne se serait pas servi de l'expression d'esclaves ( &'a*< ) , aurait passé
pour un homme grossier, impertinent, et coupable d'une faute grave;
il était chassé de la cour, comme un homme indigne d'y paraî-
tre (1). „ Corippe , en parlant de Justin II, dit aussi:
et popïite flexo
Plurima divinis supplex dabat oscula plantis.

Ce langage d'adulation alla toujours croissant, à mesure que l'em-


pire marchait à sa décadence, et on en vint à joindre aux titres
d'Empereur et de Seigneur 3 toutes les qualifications qui pouvaient
flatter davantage l'orgueil humain.
Il nous reste encore à parler de deux choses , savoir ; des Grands Grand*
1 71/T- il 15'j_.i 1 et Ministres.
ou des Ministres de la cour d orient , et du couronnement de ses
Empereurs ; mais ce que nous en dirons maintenant se réduira à
peu de chose , tant parce que nous devrons nous en entretenir en-
core à l'article du culte Grec , que parce que les objets qui y ont
rapport, seront traités plus amplement dans l'histoire du costume
de l'empire d'occident. Jusques à la chute totale de ce dernier
empire, les Empereurs Grecs semblent avoir conservé dans leur
cour toutes les dignités qu'il y avait à celle des Empereurs Ro-
mains; il parait même qu'ils n'avaient pas donné lieu à de grands
changemens dans l'habillement et les décorations des Grands et
des Ministres. Mais au commencement du bas empire , les digni-
tés et les distinctions se multiplièrent à l'infini à Gonstantinople :
on quitta presque généralement la toge : les officiers de la cour
étalèrent leur luxe sur leurs tuniques, en les chargeant de bande-
lettes de pourpre et autres étoffes brodées en or et en argent ; et
ces riches ornemens finirent par devenir particuliers aux courtisans
seuls, en vertu d'un décret de l'Empereur même, qui défendait
à toute autre personne de les porter.
Codin Guropalata ne compte pas moins de 81 officiers com- leur nombre..
posant la cour de Gonstantinople de son tems (a). Certains manus-

(1) Procop. Hist. Arcanae cliap. XXX.


(2) Georges Codin vécut vers la fin de l'empire d'orient , et fut ap-
Europe. Vol. !■ 28
ai8 Gouvernement

crits^ rapportés dans l'histoire Bysantine, font monter ce nombre


jusqu'à 95 s dont chacun avait ses fonctions et ses décorations par-
ticulières. Nous observerons à cet égard 9 que Constantin lui même
avait conféré divers titres aux Princes des pays les plus
anciens
et les plus renommés de la Grèce , tels que ceux de Grand Duc
d'Athènes, de Prince du Péloponnèse, et de Grand Primicier
de
la Béotie (1). Or quelques-uns de ces titres étaient passés aux di-
gnitaires dela cour de Constantinopîe. Mais les Empereurs Grecs,
non contens de ces dignités, ni de plusieurs autres qui étaient en-
core passées de Rome à Constantinopîe lors du partage de l'em-
pire ,voulurent encore y en ajouter d'autres qui étaient usitées
dans les cours de Perse et d'orient, dont ils imitaient le luxe.
Comme il serait aussi ennuyeux qu'inutile d'entrer dans Je détail
de toutes ces dignités, nous nous bornerons à faire mention ici des
Despote. principales. La première donc, et la plus importante était celle
du Despote ( Ain-lw ). C'était ordinairement le collègue et le suc-
cesseur de l'Empereur, dont il était
on lui donnait le titre de Majesté , souvent le fils ou le gendre:
et il recevait la couronne des
mains de l'Empereur ; mais cette couronne n'était qu'un simple
cercle en or, surmonté de deux demi-cercles avec une croix en
haut. Hors les jours de solennité , il portait une espèce de chapeau
qui était fait en forme de parasol , et parsemé de pierreries : il
avait pour vêtement une tunique et un manteau de pourpre avec
des broderies en or, dont les dessins représentaient des fleurs et
des feuillages : ses souliers étaient de deux couleurs, blanc et écar-
late, avec des aigles figurées en pierres précieuses aux talons et sur
les côtés : la selle de son cheval était des mêmes couleurs et en-

pelé Curopalaba, probablement du nom de la charge qu'il avait à la cour.


Le Curopalaba , nom dérivé peut-être des deux mots cura palatii , était
chargé de la garde et de la surveillance du palais impérial,, dont Luit-
prand parle ainsi dans sa chronique. Rerumper Europam g'esbarum livre V.
Consbanbinopolibanum. palabium non pulchribudine solum , verum etiam
forbibudine omnibus quas unquam videriyn, munibionibus praesbab ; quod
etiam jugi militum stipatione non minima observabur. Moris ibaque eb
hoc , posb. mabubinum diluculum , mox omnibus patere. Posb berbiam,
vero diei horam , emissis omnibus , dabo signo , quod esb Mis , usque
in horam nonam cuncbis adibum prohibere. On ne saurait guéres si ce
signe Mis, veut dire Missa ou Missio. Voy. Meurs au mot m/«*.
(1) V. Nicephori Gregorae Hisbor. liv. VII,
de la Grèce. fi 19

richie des mêmes ornemens. Cette dignité ne fut créée qu'après


le règne d'Alexis Comnène , c'est-à-dire vers le milieu du XLe
siècle.
Grand
Les autres dignités principales peuvent se réduire aux suivan- Domestique.
tes. La première était celle du Grand Domestique (MsV«A»iKi';m.f|
C'était lui qui avait , non seulement la direction de l'administra-
tion publique , mais encore le commandement des troupes en l'ab-
sence de l'Empereur: ses attributions étaient celles des Préfets du
Prétoire à Rome ; il avait un grand bonnet rond en écarlate avec
des nœuds en or à tête de clou, des bandelettes tissues en pourpre
et en or , et des pendans de chaque côté du cou : il portait le
sceptre et le bâton d'ivoire avec des nœuds en or; son vêtement
consistait en une tunique ample appelée mif «•*»•* , rouge , dou-
blée de blanc , avec une broderie qui représentait le portrait de
l'Empereur, et une chaîne d'or et de pierreries qui en bordait
la partie supérieure : son manteau et ses souliers étaient de couleur
orange. Il servait l'Empereur à table dans les jours de solennité ,
et portait devant lui son épée et son étendard dans les cérémonies.
On trouve déjà quelques traces de cette dignité dès les premiers
tems de l'empire Grec. Prolostralor.
La seconde était celle du Protostrator ( np*TesTp-«r«? ) , qui était
comme le chef ou le premier des palefreniers : c'était une espèce
de grand écuyer, qui avait la surveillance des écuries de l'Empe-
reur, et tenait la bride de son cheval dans les grandes cérémonies.
Il portait aussi un bonnet rond , rouge et brodé en or : ses souliers
étaient de peau verte , sa tunique de soie teinte en pourpre , et
son manteau de même couleur avec des broderies et des franges en
or: les nœuds de sou bâton ou sceptre étaient en or par le haut,
et en argent par le bas.
La troisième de ces dignités était celle du Grand Logothète Logothèlc.
( '/ty*c Aoyoêlrvç ) dont il est fait mention dès le règne de l'Empereur
Anastase vers la fin du V.e siècle. Elle répondait à celle de Grand
Chancelier , et réunissait les attributions des deux Ministères de
la justice et de la police. L'habillement de ce dignitaire était le
même que celui du Protostrator, mais il ne portait pas de sceptre ;
et son bonnet, qui était de drap écarlate broché en or, avait la for-
me pyramidale. Primicier.
La quatrième dignité était celle de Primicier de la cour (*,.**
^wnfi^ïf) qui était le Grand maître des cérémonies: il portait
aaG Gouvernement
un grand bonnet broché (i)enor, et une riche tunique de couleur
d'or et orange, avec des broderies qui représentaient sur le devant
l'Empereur assis sur un trône magnifique en or , et sur le derrière
l'Empereur à cheval : son bâton était en argent et sans aucun or-
^Mutres dignités, nement. Il y avait en outre le Préfet cubiculariorum ( r«» «i^i*. )
qui équivalait au Grand Chambellan, le Grand Chasseur, le Grand
Logothète ou ministre du trésor public, le Protocomte, ou premier
Comte , et enfin presque toutes les dignités qui existent à présent
dans les cours modernes. L'habillement des ministres et des courtisans
était à peu-près le même pour la forme , comme on a pu en ju ger
par celui des grands dignitaires que nous venons de citer ; et il n'y
avait de différence à cet égard que dans la couleur, et le plus ou moins
de richesse et de magnificence. Les auteurs Bysantins font encore
Erfam mention d'enfans auliques ou honoraires ( n**tt*pt,*.»,-9 adolescents* puer
honorarius ) qui étaient comme des espèces de pages , au nom-
bre desquels on n'admettait que des jeunes gens, qui eussent quel-
que relation de parenté ou d'affinité avec la famille impériale, ou
qui appartinssent au moins à des Grands de la cour. Leurs fonctions
étaient de servir l'Empereur et l'Impératrice à table , de leur placer
le tabouret sous les pieds , de marcher devant eux , et enfin de faire
tout le service auquel nous les voyons destinés dans les cours mo-
dernes. Ils restaient toujours nu-tête dans les appartemens, tandis que
les Grands d'un âge avancé y avaient la permission de se couvrir.
Eunuques. ]1 ne faut pas non plus oublier les Eunuques dont fourmillait la
cour Bysantine, lesquels avaient aussi leurProfo, c'est-à-dire Prince
ou chef. Ils remplissaient les fonctions les plus communes dans le
palais, et formaient par conséquent le troupeau des domestiques;
souvent aussi les Empereurs s'en servaient pour des missions secrètes,
et ils en firent quelquefois leurs plus intimes confidens. Mais en voilà
assez sur cet article. Ceux qui voudraient se procurer des notions
plus étendues sur ce sujet , et auraient le tems et la patience de faire
pour cela les recherches nécessaires , pourront consulter les œuvres
de Georges Codin Curopalata, et de Constantin Porphirogénéte (a).

(i) Les écrivains Bysantins nous représentent généralement le bon-


net des Grands de la cour comme une espèce de toupie , ou de turban
fait en forme de cône , couvert en soie de diverses couleurs , et plus ou
moins riche selon la dignité du personnage qui le portait. Les latins ap-
pellaient ces bonnets pilei turbinati.
(a) Godinus etc. De ofjiciis magnae Ecclesiae et Aulae Constan-
tinopoliùanae liber ^ gr. lat. ed.Jac. Goar. Parisiis , 1648 in fol.0 Const
be la Grèce. aaï

-..-
Le même Codin Curopalata nous a encore
.._-, /-it
laissé une ample Couronnement.
-1-r-ç des Empereurs,
description du couronnement des empereurs Grecs. Le nouvel Em- Grecs.
pereur commençait par envoyer sa profession de foi écrite de sa
propre main au Patriarche, qui l'attendait avec le clergé dan*
l'église de Sainte Sophie: ensuite il montait au Triclinium , qui
était une salle magnifique située au bout de VJugustée , d'où l'on
voyait l'année et le peuple assemblé (i). De là, plusieurs séna-
teurs jetaient , par ordre de l'Empereur, à la multituda des mil-
liers à'épicombes , ou petits morceaux d'étoffe dans lesquels étaient Epico®best
enveloppées quelques pièces d'or et d'argent. Après cela , l'Empe-
reur assis sur son bouclier, et porté par des membres de sa famille ,
était présenté par le Patriarche 9 accompagné des premiers dignitai-
res, à la foule du peuple qui l'accueillait au milieu des acclama-,
tions. Cette cérémonie achevée, on le conduisait dans l'église de
Sainte Sophie, où après s'être revêtu d'une simple tunique rouge et
blanche, et le front ceint d'un bandeau, ou d'une simple couron-
ne, ou seulement couvert d'un bonnet selon son gré , il montait
dans une espèce de chambre ou tribune en bois tapissée en rouge ,
et construite à ce dessein à l'entrée de l'église. Alors commençait
la liturgie, durant laquelle le Patriarche et les anciens du clergé,
en habits pontificaux, et avant qu'on entonnât l'hymne Trisagio fa) Trisagfr,
montaient à Vambone qui était un autre sorte de tribune. A un
signal que fesait le Patriarche , l'Empereur s'y rendait aussi , et
se découvrait la tête , après que le premier avait fini de réci-
ter la prière analogue au sacre. Le Patriarche oignait alors avec
l'huile sainte, et en forme de croix, la tête de l'auguste person-
nage ,en chantant à haute voix le mot Ày«« sanctus , que le cler-
gé et le peuple répétaient trois fois. Le Patriarche lui posait en-
suite le diadème sur la tête en chantant Agn* , c'est-à-dire di-
gnus , que répétaient encore le clergé et le peuple (3). Les prières Counmwmem
finies , l'Empereur descendait de Vambone par un escalier opposé impl-ll-iees*
Porphyr. JLïbri duo de caeremoniis Aulae Byzantinae , gr. lab. opéra. 1. 1.
Reiskii , Lipsiae , iy5i , in fol.°
(i) \J Augusbée était une vaste place, carrée, entourée de portiques
et d'édifices magnifiques , et qui servait comme de cour à l'église de
Sainte Sophie et au palais impérial.
(2) Ainsi appelé , parce qu'on répétait trois fois le mot hyioç, sanctus.
(3) Si le père de l'Empereur était présent , il plaçait la couronna
sur la tête de son fils avec le Patriarche»
32,2, Gouvernement

à celui par où il était monté, et 'qui était vis-à-vis le tabernacle:


en descendant il plaçait lui même sur la tête de son épouse un
diadème différent du sien , qui lui était présenté par les plus pro-
ches parens de l'épouse même, ou par deux eunuques. Après l'avoir
reçu , elle s'inclinait devant son époux comme pour l'adorer , et
confesser qu'elle était sa sujette : puis ils montaient l'un et l'autre
sur le trône élevé dans la tribune en bois , l'Empereur tenant le
sceptre , et l'Impératrice une palme. Après l'hymne Trisagio ,
et la lecture de l'évangile s l'Empereur , précédé de trois chan-
tres , portant chacun une pique ornée de morceaux d'étoffe en
soie , les uns rouges , les autres blancs et tous de forme ovale ,
et accompagné de ses licteurs ou massiers, et d'une garde de cent
jeunes gens de la première noblesse , se revêtait devant la balustrade
du sanctuaire d'une chlamyde de couleur d'or, prenait la Croix de
la main droite , et de la gauche le nartex : là il recevait le salut
du Patriarche, l'encens des diacres, et s'arrêtait pendant la messe
jusqu'après l'élévation , qu'il montait à l'autel pour prendre part
à la sainte table. A la fin de la liturgie , il baisait la main du
Patriarche et des évèques qui avaient assisté à la cérémonie; et
après s'être montré de la tribune des Catéchumènes à la foule des
spectateurs , il se rendait à cheval au palais impérial , avec le cor-
tège des Grands qui l'entouraient à pied. Pendant plusieurs jours
ce n'étaient que fêtes et banquets à la cour , et l'on fesait des lar-
gesses au peuple en argent et en comestibles. Telles étaient les cé-
rémonies qui avaient lieu pour le couronnement du tems de Codin,
dont le témoignage s'accorde en cela avec celui de Jean Gantacu-
zène. Quelques-unes semblent même avoir été déjà en usage sous
Justinien , car le poète Corippe en fait mention.
Aigle
Jeux têtes.
Avant de terminer cette x partie du gouvernement
D _
de l'empire
i ' a
Grec, nous croyons à propos de dire un mot de l'aigle â deux tê-
tes , qui est l'arme de l'auguste maison d'Autriche, et qu'on trouve
quelquefois sur les monumens Bysantins. ( Voy. la planche 3o n.° 8 ).
Pendant plusieurs siècles, les Empereurs Grecs n'eurent pour armes
que l'aigle , qu'ils avaient reçue des Empereurs Romains. L'image
de ce roi des oiseaux fut conservée sur les enseignes impériales , long
tems après qu'on vit flotter celle de la Croix sur les étendards mi-
litaires. La croix qui se portait devant l'Empereur était en or massif,
et religieusement gardée avec les objets précieux du trésor sacré.
Mais il n'est guères facile de fixer l'époque à laquelle on cora-
de la Grèce. aa3

mença à représenter l'aigle avec deux têtes. Selon Du-Cange , le


monument le plus ancien où elle se trouve , c'est le bouclier d'un
soldat qui se voit sur les bas-reliefs de la colonne Trajanne. Mais
l'usage n'en devint habituel que dans les derniers tems de l'empire
Grec , c'est-à-dire lorsque les Empereurs de Constantinople , à l'e-
xemple de ceux de Rome, adoptèrent celui des armoiries. Et en
effet , le premier monument qu'on trouve dans les antiquités By~
santines avec l'aigle à deux têtes , est une pièce de monnaie de Monument
Théodore Lascar le jeune , dont Octave Strada donne la descrip- à"deaxaîitL
tion 3 avec une miniature du manuscrit Àugustain des chroniques de
Georges Pachiméride , qui est citée par Jérôme Volf (i). Georges
Franze , dans la description qu'il fait de l'entrée solennelle de
Jean Paléologue à Venise, dit qu'on voyait sur la poupe du vais-
seau où était l'Empereur l'image de Faigle à deux têtes entre
celles de deux lions , et que les matelots la portaient encore à
leur bonnet. Ismael Bulialdo s homme très-érudit , assure que , de
son tems , on voyait dans le palais qui conserve encore le nom de
Constantin , des images de boucliers avec l'aigle à deux tètes ,
et qu'on y lisait les deux lettres Grecques iia , que Du-Fresne
regarde comme les deux premiers élémens du mot Paléologue. En-
fin nous avons le sceau en cire d'une épitre du Despote Démétrius
Paléologue à Charles VI Roi de France , sur lequel est représen-
tée l'aigle à deux têtes avec deux couronnes. ( Voy. la même fi-
gure ).Il semblerait ^ d'après toutes ces observations, que cette aigle
ne commença à figurer parmi les marques distinctives de la dignité
impériale, que sous les Lascars et les Paléologues, dont elle était
peut-être î'armoirie de famille (a). Nous reviendrons sur ce sujet
à l'article du gouvernement de l'empire d'occident. En attendant, oinionturtm
nous remarquerons ici , que certains erudits ont cru apercevoir , dans **&*&<***>**■
l'aigle à deux têtes, un signe emblématique du partage de l'empire
entre deux Princes , qui avaient leur résidence , l'un en orient et

(i) Nous ne pouvons assurer cependant si cette monnaie , dont parle


encore Du-Fresne d'après le témoignage de Strada , et qui est en outre
rapportée dans la Collection des écrivains Bysantins , peut être regardée
comme authentique. L'aigle à deux têtes se voit dans le coussin qui est
sous les pieds de l'Empereur.
(2) V. Du-Fresne, De Imperat. Coustantinop. etc. Numismat. Dis-
sertatio §. XI. Rasche , Lexlc. univ. Rei numariae T. V. P. I. pag. io5o.
Eckel. Doctrina nw.rtor. veter. P. II. vol. VIII. pag. 267.
32,4 Gouvernement

l'autre en occident (i). Cette opinion est encore celle de Trissin


dans le second livre de son poème de l'Italie délivrée : Le grand
empire qui ne fesait qu'un seul corps avait deux chefs 3 Vun dans
l'ancienne Rome } qui régnait sur les pays d'occident , et Vautre
dans la nouvelle , appelée vulgairement la ville de Constantin s qui
était la capitale de tout l'orient. Voilà pourquoi l 'aigle d'or , qui est
l'arme de l'Empire , fut et est encore représentée sur un champ
rouge avec deux têtes.
Mais cette opinion ne repose que sur de simples conjectures :
car ce ne fut que dans les derniers tems des Empereurs Bysantins,
que l'aigle à deux têtes devint une des marques distinctives de la
dignité impériale, c'est-à-dire depuis la chute de l'empire Romain
avec Augustule. Nous n'avons pas cru devoir parler de la domina-
tion des Latins, des Français, des Vénitiens et autres peuples,
parce qu'elle ne fut que passagère , et n'apporta aucun changement
dans les usages ni dans le gouvernement de l'empire Grec.
GOUVERNE MEîCT DE LA GRECE MODERNE.

, la?taX
de ,
(xièce J-l ous avons parcouru l l'histoire de la Grèce depuis
. * les tems
mode,™. les plus reculés , jusqu'à l'époque fatale où elle est tombée sous
le joug des Mahométans ; et nous avons vu comment , d'une fai-
ble origine , elle s'est élevée au premier rang parmi les nations
les plus civilisées, puis de quelle manière, après une foule de ca-
tastrophes, elle est passée sous la domination des Romains. Considé-
rant ensuite son état sous l'empire d'orient , nous l'avons vue sous
des formes nouvelles livrée au luxe, à la mollesse, et plongée dans
une si honteuse létargie , qu'elle ne nous a plus offert , au lieu d'une
auguste matrone, que l'image d'une chétive femmelette. Après tant
de vicissitudes, elle gémit à présent sous l'oppression des Turcs , et
ne conserve plus qu'un triste souvenir de sa grandeur passée. Con-
eovveniement
Ottoman. tente d'avoir gardé en partie ses usages, orgueilleuse encore d'un
vain nom, son unique héritage, elle s'est accoutumée peu-à-peu à
souffrir le poids de ses chaînes. Dans les îles de l'Archipel, dit un
illustre écrivain, tu ne vois qu'un peuple vil en proie à la misère,
à l'ignorance et à l'esclavage : dans les villes de terre ferme tu ne
trouves que des esclaves riches et superbes. Les différentes con-

(i) Bellarminus , De translat. Imp. Rom. lib. I. cap. VII. §. 2.


de la Grèce. .2^5
trées de îa Grèce , sont maintenant gouvernées par des Pachas, Pavkq.
dont l'avidité et la tyrannie l'emportent souvent sur celles des Pré-
teurs que Rome envoyait autrefois aux nations vaincues et tributai-
res. A Athènes, un Papas ignorant et superstitieux harangue ce papas.
peuple , qui jadis n'était sensible qu'à l'éloquence des Eschines et
des Démosthénes: tristes reliquiae Danaum(i). Les Athéniens n'ont
conservé des vertus et du caractère de leurs ancêtres , qu'une adresse Athinieay.
merveilleuse à contrarier les vues d'avarice , qui portent quelque-
fois un gouverneur inhumain à aggraver le malheur de leur po-
sition. Pendant le séjour que M.,s Stuard et Revett firent parmi
eux, ils parvinrent, par des trames conduites avec beaucoup d'ha-
bileté à
3 se débarrasser successivement de trois gouverneurs, dont
deux furent môme incarcérés, et réduits à l'état le plus déplo-
rable. A part cette aptitude à la ruse et aux intrigues, les Athé-
niens sont, aussi bien que les autres Grecs, vains, ambitieux et
lâches. Ceux d'entre les Grecs modernes, qui se croyent au des-
sus des autres par leur naissance ou leurs richesses, prennent les
noms d' Archonte ou d'Archontes se ; mais ces titres frivoles ne leur Archonte.
donnent aucun privilège (a). Les Spartiates montrent encore un Archoutesse.

reste de la fierté de leurs ancêtres ; mais contens généralement de Spartiates-


chanter leurs anciens exploits, ils mènent le plus souvent une vie
errante, et parcourent le pays en troupes de brigands, plutôt qu'en
corps militaires bien ordonnés. Cependant il existe encore de ces mê-
mes Spartiates un peuple, dont l'énergie est faite pour réveiller en
nous les plus grandes idées. Nous voulons parler de ces Grecs , con-
nus dans le levant sous le nom de Maniotes , et qui, retirés au sein Manioc.
de leurs montagnes, n'ont jamais été soumis par les Turcs (3). « Là,
" sur les monts Taigéte , dit Choisseul , ces hommes intrépides ar~
» mes pour la cause commune, robustes , sobres , invincibles, libres
« comme au tems de Lycurgue , défendent contre les Turcs cette
« liberté qu'ils osèrent soustraire à tous les efforts de la puissance
« Romaine. Envain les Turcs ont souvent .envoyé contre eux des

(i) Guys, Voy. littér. de la Grèce. T. I. pag. 18.


(2) Guys etc. Ibid. pag. 104. Hobhouse , L. G. A journey through
Albania etc. during the years 1809 and 1810. London , Cawthorn , i8i3
gr. in 4.0 fig.° Letter XIX. et ailleurs.
(3) Napoléon en traversant la Méditerranée pour se rendre en Egypte
écrivit aux Maniotes une lettre par laquelle il donnait les plus grands
éloges à leur généreux patriotisme. V. Hohhocye ibid.
Europe. Vol. I. *_
â2Ô Gouvernement

« armées formidables ; une poignée d'hommes libres a triomphé de


" milliers d'esclaves. G'est là que se sont réfugiés , après la ruine
« de Constautinople , les Comnènes , les Paléologues , les Phocas ,
«■ et les Lascars , autrefois maîtres d'un peuple avili , et mainte-
« nant membres d'un peuple libre. Là , restent ensevelies des ac-
« tions héroïques, dignes d'être transmises à la postérité par la
« plume des Thucydides et des Xénophons : là existe encore, et je
«' l'ai vu moi même s un de ces chefs de Maniotes , qui ayant pris
" les armes à l'arrivée des Russes, et s'étant enfermé dans une tour
« avec quarante hommes , soutint un siège contre six mille Turcs 9
« et se défendit pendant plusieurs jours ; les assiégeans étant enfin
« parvenus à mettre le feu à son asile , en virent sortir tout san-
« glans et couverts de blessures deux hommes, un vieillard et son
"fils Ces peuples , habitans des montagnes , sont les seuls
« qui puissent mériter le nom de Grecs , et élever les autres à
« l'honneur d'en être dignes „.

MILICE DE:

Système suivi J-J histoire nous a fait connaître les divers gouvernemens qui
par nous ' 1 ' 1 I r~\ ' •• 1 -• r r
jusqu'à pèsent, se sont succèdes dans la C^-rece, ainsi que les principaux evenemens
qui ont rendu cette contrée si célèbre. Nous avons fait ensorte jus-
ques ici de ne rien affirmer, qui ne pût être prouvé par l'autorité

T '
des monumens } conformément au plan que nous nous avons adopté
dans cet ouvrage. Cependant, sans nous engager dans une infinité
de questions qui nous auraient trop éloignés de notre but , nous
n'avons pas laissé de nous opposer quelque fois aux opinions les plus
accréditées, et même de remarquer, comme en passant, les erreurs
dans lesquelles sont tombés quelques écrivains des plus estimés (i).

(1) G'est ce que nous avons fait , à l'égard des questions géologiques ,
dans notre Discours préliminaire sur le globe terrestre,, et successivement
dans nos recherches sur la Mythologie Grecque , dans l'explication que nous
avons donnée de divers monumens de l'antiquité , et enfin dans nos con-
sidérations sur la couronne de fer. Nous croyons même à propos d'ajouter
ici , qu'on pourrait faire sur ce dernier sujet trois questions , qui seraient ;
la première , si la couronne de fer n'est point toute autre chose que le
diadème de Constantin dont parle saint Ambroise ; la seconde , si elle
servait anciennement au couronnement des Rois d'Italie ; la troisième , si
cette couronne renferme réelement un des clous de la passion du Sauveur.
de la Grèce. aa?
Nous suivrons constamment la même marche, toujours guidés par
ce précepte de .Cicéron : ne plus ei tribuas quam res et Veri-
tas ipsa concédât. Prenant donc la milice des Grecs pour sujet
de nos premières recherches, nous entrons d'abord dans le vaste
champ des guerres appartenantes aux tems héroïques , dont la trom-
pette du divin Homère fait encore retentir le bruit à nos oreilles.
•« «- . , Deux époques
Majs ces guerres sont encore moins mémorables que celles des de fa miiioa
Grecque,

Nous avons, ce nous semble, suffisamment prouvé, bien qu'en passant,,


qu'il ne faut pas confondre la couronne de fer avec le diadème des Em-
pereurs Bysantins : nous ferons voir ailleurs que son origine date des tems
modernes, et qu'avant le dixième siècle il n'en est fait aucune mention.
Qu'on ne croye pas , que ce
des choses nouvelles , ni que que nous avons dit de cette couronne soient
nous voulions nous faire un mérite , de les
avoir publiées: car nous n'avons fait en cela que répéter ce qu'en ont
dit des écrivains qui sont trés-connus parmi nous. Notre opinion à cet
égard est également celle de Muratori dans ses observations sur les mo-
numens et les annales d'Italie, que le lecteur pourra consulter outre
les Anecdotes Ambrosiennes dont nous avons déjà parlé ; c'est aussi celle
de Prosper Lambertini dans sa Relation lue à la Congrégation des Rites ,
sur le culte qui peut être dû à la couronne de fer ( De cultu coronae
ferrae etc. Rornae 1717 ) ; du Président Jean Renaud Carli ( Antiqui-
tés Italiques , lV.e partie , pag. 55' et 67 ) ; des illustres auteurs des An-
tiquités Longobardico- Milanais es ( I.** vol. pag. g5 et 96 ) ; de Verri ,
et enfin du savant Bernardin Zanetti ( Du Règne des Lombards en.
Italie , Venise i753 , pag. 139. Note XXV). Nous pourrions augmenter
de beaucoup d'autres le nombre de ces autorités , si nous n'étions retenus
par la crainte d'ennuyer nos lecteurs. La seconde des trois questions que
nous venons de poser appartient à des tems postérieurs à la domination
des Lombards, c'est à dite à ceux des Empereurs des Francs et des Ger-
mains, qui, après Charlemagne , montèrent sur le trône de l'Italie; et
nous prouverons, en traitant du costume de cette éqoque , que plusieurs
furent sacrés Rois d'Italie avec la couronne de Monza. La troisième ques-
tion peut se faire indépendamment même de la première, car le fer qui
garnit l'intérieur de cette couronne pourrait bien être en effet un des
clous de la passion , malgré qu'elle soit toute autre chose que le diadème
de Constantin. Mais ce serait trop nous écarter de notre sujet que de vou-
loir entrer dans ces recherches. Nos lecteurs pourront consulter l'ouvrage
de Just Fontanini , Dissertatio de corona ferrea etc. , qui a pour objet
de prouver l'ancienneté de la couronne de Monza, et l'authenticité delà
relique qu'on prétend y être jointe; et nous leur laisserons faire la com-
paraison des raisons qu'en donne cet illustre prélat , avec celles rapportées
dans les ouvrages des écrivains que nous venons de citer.
ztâ Milice
tems historiques , où les Grecs , non par le nombre des phalan-
ges , mais à force d'art et de bravoure , firent front aux armées
des plus grands conquérans. Ainsi nous diviserons en deux époques
ce que nous avons à dire sur la milice des Grecs ; la première
comprendra les tems héroïques, et la seconde les tems historiques.
Nous jetterons ensuite un coup d'œil sur l'art militaire de l'empire
d'orient et de la Grèce moderne : car en passant sous la domina-
tion de nations étrangères, les Grecs adoptèrent les usages militai-
res, et partagèrent les destinées de leurs maîtres.

MILICE DES TEMS HEROÏQUES.

Observations générales.

âe fataGrëce Avant les tems héroïques , les Grecs étaient un peuple sau-
RVht!ZTs vaSe et kart>are, comme le furent tous les hommes avant de se
réunir en société, et de se donner une forme quelconque de gou-
vernement. Ilne faut donc chercher rien de remarquable , ni qui
soit digne de notre admiration dans ces siècles obscurs, dont Thucy-
dide nous fait une peinture effrayante au commencement de son
histoire , et en parlant desquels Plutarque, dans la vie de Thésée ,
s'exprime en ces termes. « Il n'y avait point de pays qui ne fût
« infesté de voleurs et de brigands , ou exposé à leurs attentats : car
" cette époque avait produit des hommes d'une dextérité de main ,
» d'une agilité à la course et d'une audace extraordinaire, qui n'em-
« ployaient ces dons de la nature à rien d'utile ni de juste, mais
« qui au contraire se plaisaient à faire des insultes et des surpri-
« ses, et ne fesaient usage de leurs facultés que pour commettre des
« actes de violence et de cruauté, ne cherchant qu'à usurper, à vkn
" 1er, et à corrompre tout ce qui se présentait à eux, et regardant
« la justice, la pudeur, l'équité et l'humanité comme des choses de
« nulle considération pour quiconque pouvait les fouler aux pieds „.
Mais à l'époque des tems héroïques, les habitans de la Grèce pas-
sèrent de cet état d'indépendance et pour ainsi dire de férocité,
à celui de société , dans lequel ils se donnèrent des lois et s'uni-
Premier iumnt rent par de nouveaux liens. Voilà, dit un illustre écrivain . le pre-
*« l'héroïsme. . . , ,,1 , _ ,
mier instant de 1 héroïsme (i). L enthousiasme produit par de nou-

(i) Piochefort. Mémoire sur les moeurs des siècles héroïques . Hist.
d$ l Ace ad. Roy. des Inscript, etc. T. XXXVI. pag. 398 et suiy.
de la G r i d e. aa^
relies sensations, les jouissances d'une vie plus heureuse , Pexempîe,
l'émulation, le développement des vertus sociales, qui étaient étouf-
fées auparavant par l'intérêt privé , furent les causes qui concou-
rent à élever l'âme , et à allumer en elle cette ardeur puissante
et créatrice , qui peut seule enfanter les grandes choses. Mais cet
héroïsme , qui changea les mœurs de la Grèce , ne pouvait pas Décadence
' * & _ / r t l de l'héroïsme
conserver long-terris sa première vigueur. Il devait nécessairement dutem»
s affaiblir en proportion des progrès que fesait P la
,. civilisation
.,.. , et d'Homère:

de l'accroissement que prenaient les nouvelles passions : cette dé-


cadence se fesait déjà sentir dans le siècle d'Homère , car ce poète
se plaint souvent du changement qui s'était opéré dans les mœurs.
Après la prise de Troie , les divers peuples de la Grèce , deve-
nus inquiets et turbulens , commencèrent à se brouiller entre eux
et à se désunir, savoir; les Héraclides , en redemandant à maiu
armée leurs anciens domaines; les peuples de Plonie, en abandon-
nant leur patrie; et d'autres en allant en chercher une dans les
pays même où ils avaient fait la guerre pendant si long tems. Nous Epoques
fixerons donc l'origine des tems héroïques au règne de Thésée, qui , hdroîquel*
après avoir détruit une foule de voleurs et de brigands, auxquels la
force seule tenait lieu de loi, donna le premier à l'Âttique la forme
d'un gouvernement bien constitué Ci). À l'époque du règne de Thésée
appartient aussi celui de Minos , qui, au rapport de Thucydide,
opéra dans les mœurs des Grecs une heureuse révolution, dont l'ef-
fet fut d'établir plus de conformité dans les usages, plus de sûreté
dans le commerce et la navigation, plus d'ordre dans les villes , et
une meilleure méthode dans la manière de les construire et de les

fortifier contre les attaques de l'ennemi. Les tems héroïque, propre-


ment dits, doivent donc se compter depuis le règne de Thésée jusqu'à
la destruction de Troie, ou depuis l'an i3i7 jusqu'à l'an 1370 avant
l'ère chrétienne , selon la chronologie de La relier.
Le premier sentiment des Grecs, et celui qui les touchait le Àmow
plus vivement dans
, les tems héroïques
);,■', C ', était 1 l'amour de 1
la patrie ; *sentiment
-frémi™'
et ce sentiment n était pas renierai e , pour chaque peuple en par- de rhéroïsme.
ticulier, dans les limites du pays qu'ils habitait, mais il s?étendait

(i) M.r Pwcheforù ( ibid. pag. 482 ) observe judicieusement-, qu'avant


le règne de Thésée , la Grèce ne se présente que comme un pays de
fictions , habité par des poètes et des fabulistes , et qui pourrait être corn*-
paré à ces de
extrémités régions
leurs inconnues
cartes, p que les géographes ne font qu'indiquer aux
a3o Milice

encore à toute la Grèce. Cet amour devint l'esprit général de la


nation : amour bien différent, dit M.r de Rochefort, de celui qui
fît dans la suite de tous les peuples de la Grèce autant de nations
particulières, divisées d'intérêts, et ennemies les unes des autres
hors des circonstances où le danger commun les réunissait , pour
accroître , après qu'il était passé , leurs haines et leurs divisions.
Ce zélé ardent pour la patrie peut en quelque sorte être comparé
au sentiment qui liait entre eux nos anciens chevaliers : car les
héros de la Grèce avaient nomme eux un même esprit, de mêmes
lois , et une même religion. Ils formaient , au moyen de cette al-
fraternité
d'armes.
liance cimentée par la foi du serment , une espèce de confrérie
armée, dont les membres étaient toujours prêts à voler au secours
les uns des autres. Cette ligue, pour ainsi dire sacrée, s'offre à
nous sous des traits bien frappans; dans la coalition des sept chefs
contre Thébes; dans celle de tous les Rois de la Grèce pour re-
tirer, par la force des armes , la belle Hélène des mains du Troyen
qui l'avait ravie; et dans le conseil des Amphictyons qui prési-
dait à toutes les entreprises de la nation , malgré que l'objet pri-
mitif de son institution fût, comme nous l'avons déjà observé, de
Lois
veiller à la sûreté du temple de Delphes.
i la guerre- La guerre n'avait plus le caractère du brigandage ni de la
surprise dès les tems héroïques , et ses opérations étaient subor-
données àdes lois sacrées et au droit des nations. Elle était tou-
jours précédée de ces préliminaires inviolables, dont l'usage ne se
trouve établi que chez les peuples déjà civilisés. On envoyait à
l'ennemi des ambassadeurs pour demander la réparation des torts
dont on avait à se plaindre , avant de recourir à la force et au
sort des armes. Avant de mettre le siège devant Thébes , Polinice
envoyé Tydée à son frère Ethéocle, pour l'engager à le laisser ré-
gner à son tour , ainsi qu'ils en étaient convenus. Ulysse et Mé-
nélas furent également envoyés à Troie pour réclamer Hélène , et
la guerre ne fut commencée que d'après le refus que firent les
Troyens de rendre cette beauté fatale. Les alliances, les trêves,
les conditions de paix, en un mot tous les traités, n'avaient d'au-
tre garantie que la bonne foi, les promesses, et l'invocation des Dieux
en présence desquels ils étaient scellés par des libations , par des
sacrifices, par des sermens solennels, et par des imprécations terri-
bles qui se prononçaient au pied de leurs autels. La conclusion
de ces traités se fesait devant des Hérauts en qualité de minis-
de la Grèce. a3r
très des Dieux et des hommes, motif pour lequel on les regardait
comme des êtres sacrés et inviolables. Homère nous fournit des
exemples fameux de ces sortes de cérémonies. Ce respect pour le
droit des nations détourna toujours les Grecs d'un usage presque
commun à tous les peuples barbares, qui était de se servir d'ar-
mesc
empoisonnées (i). On ne
-itrouve
i-idans l'Iliade aucune ,-,-,
.,/N •• . trace -i
de Aucun usage
de.-: armes
cette funeste coutume; et il est dit dans I Odyssée qu lms , dans empoisonnées.
la crainte d'offenser les Dieux , refusa à Ulysse le poison qu'il
lui avait demandé pour en frotter la pointe de ses flèches , ce
qui dénote assez Fhorreur qu'avaient les Grecs pour un usage aussi
contraire au droit des gens (a). Une antre preuve des progrès que

(i) Voy. Potter , Archéologie Grecque. Qelques écrivains pensent


que le droit public était encore bien peu connu dans les siècles héroïques ,
où il parait , selon eux , que le parjure , les rapines et les pirateries étaient
encore en honneur. Féizius lui même , dans ses Antiquités Homériques } se
montre de cette opinion , sur la fausse interprétation qu'il donne à l'éloge
qu'Homère fait d'Antolique dans le XIX.e livre de l'Odyssée , où le sens
naturel des mots cpxcs , et KMwrixfvvn n'indique point l'habitude de ce héros
à la fraude et au parjure , mais selon les plus savans interprètes , la Rdé-.
lité dans les sermens et l'art des stratagèmes usités à la guerre. La même chose
doit se dire de l'esprit de ruse tant vanté dans Ulysse. Si le parjure eût alors
été en honneur , à quel propos Homère aurait-il représenté les Euméni-
des punissant les parjures aux enfers ? Si le vol et la piraterie eussent été
regardés comme des professions honorables , ce poète n'aurait certaine-
ment pas fait dans l'Odyssée la description des peines atroces et sans cesse
renaissantes auxquelles Sisyphe, fameux brigand , était condamné dans le
Tartare ; il ne montrerait pas , dans le même poème , le sage Nestor de-
mandant àTélémaque et à ses compagnons, d'où ils viennent , s'ils voya-
gent pour quelqu'affaire } ou si , comme les pirates , ils exposent continuel-
lement leur vie pour troubler celle des autres ; enfin il ne donnerait pas
dans le IV. e livre de ce poème l'épitlïète de scélérats à ceux qui exercent
le métier de pirates , et qui se contentant de charger leurs vaisseaux du
butin qu'ils font sur les rivages , n'osent point s'y arrêter , dans la crainte
du courroux des Dieux. Ce n'est que dans les tems historiques , que le
vol commença à être regardé chez les Spartiates comme un exercice , et
une preuve de ruse et de dextérité. V. Roçheforb dans sa dissertation citée
plus haut.
(2) Nous ne pouvons être en cela de l'avis de Goguet , qui cite le
passage de l'Odyssée, ( liv. I.er v. 260), comme une preuve certaine,
que dans les tems héroïques , les Grecs étaient généralement dans l'usage
d'empoisonner leurs armes.
^3a Milice
Conscriptionce peuple fesait dans la civilisation
militaire. ...,..- , c'est l'espèce x de conscriti
non militaire dont est question dans l'histoire des teras héroïques.
A cette époque, les citoyens n'étaient plus tous indistinctement
appelés à la profession des armes , mais on prenait au sort dans
les familles nombreuses l'individu qu'elles devaient donner à l'ar-
mée. Et en effet , lorsque Mercure , dans l'Iliade , se présente à
Priam allant à la tente d'Achille ? il lui dit qu'il est fils de Po-
lyctor, et qu'il a suivi Achille 3 après avoir tiré au sort avec ses frè-
res , pour savoir lequel d'entre eux irait au siège de Troie (i). Les
Les héros Grecs commençaient déjà à préférer les jouissances de la paix sous le
GZcLapaix? to'lt de leurs Dieux domestiques , aux travaux et aux fureurs de la
guerre. Ulysse avait voulu se faire passer pour insensé , et le fils de
Pelée , déguisé en jeune fille , s'était caché à la cour du Roi Lycomè-
de , l'un et l'autre pour ne point aller à la guerre de Troie. On voit
encore dans Homère Echepole , qui fait présent à Agamemnon d'un
superbe coursier, pour ne point être compris dans cette expédition ,
et pour qu'on le laisse jouir tranquillement des grandes richesses
qu'il avait à Sicyone (a). Il n'était donc plus honteux alors de cher-
Comiats
singuliers.
cher
-> ,
à se soustraire
,
à la guerre.
,, ,
Le même
,
principe semble
,
avoir
donné naissance a 1 usage de terminer les guerres par des combats
singuliers ^ au moyen desquels les Pvois épargnaient la vie de leurs
sujets, en fesant dépendre de leur propre valeur, ou de celle
de quelque champion , le succès d'une guerre , qui le plus souvent
n'avait point pour objet le bien de la nation , mais seulement
leur intérêt privé. C'est ainsi qu'Ethéocle et Polinice convinrent
de décider 3 par un combat singulier , de leur droit à la suc-
cession du trône de Thébes. De même, la guerre de la Grèce con-
tre l'Asie se serait terminée par un duel entre Paris et Ménélas , si
les Troyens avaient observé les conditions du traité qu'ils avaient
conclu pour cet effet avec les Grecs. « Ces défis particuliers ,' dit
« M.r Rochefort , ressemblent aux combats et aux duels de nos
« chevaliers, non seulement par les. preuves de valeur , mais encore
« par les traits de générosité, auxquels ils donnaient lieu. Qui ne
« croirait voir un fragment de l'histoire de nos anciens chevaliers,
« dans la description que fait Homère du combat entre Hector et
« Ajax ? Ces deux fiers rivaux , après avoir combattu avec une va~

(i) Iliad. liv. XXIV.


(a) *liad- liv. XXIII.
de la Grèce. a 33
« leur digne de leur nom 3 sont séparés par deux Hérauts, qui ,
« dans cette circonstance, fesaient l'office de nos juges de duel;
« mais en se séparant , les deux héros voulurent se laisser une
« preuve de leur estime réciproque : Hector donna à Ajax son
« épée, et celui-ci fit présent à Hector de son baudrier 3 ou du
« ceinturon de son épée. Les Hérauts accoururent pour séparer ces
" deux vaillans guerriers , en leur observant qu'il fallait céder à
« la nuit qui s'approchait. Cet usage de ne point combattre de nuit
« existe encore chez divers peuples , et se trouvait établi chez les
« anciens Mexicains : car il formait alors une des maximes fonda-
« mentales du droit des gens, maxime, qui, selon le scoliaste de
« Thucydide , était rigoureusement observée même par les pirates. „
Le droit et les lois de la guerre, dans les tems héroïques de la région
la Grèce, avaient pour fondement principal la religion. Aussi était- f°dudroÏÏ
ce une opinion généralement reçue, que les Dieux intervenaient e a à'"e/re*
dans les guerres , et prenaient part aux combats. De cette opinion
naissaient le respect qu'on avait pour les morts , et le soin qu'on pre-
nait de leur sépulture. La seconde guerre de Thèbes vint en effet, de
ce que Créon avait défendu qu'on ensevelit ceux c[ui avaient péri
sous les murs de cette ville. Ce devoir était sacré et si inviolable ,
que malgré !a fourberie et la trahison des Troyens , les Grecs n'eu-
rent point de répugnance à se réunir à eux, pour rendre les hon-
neurs funèbres aux morts des deux armées. La religion était en-
core le motif de l'empressement et de l'ardeur des guerriers à s'em-
parer des armes de l'ennemi qu'ils avaient vaineu , parce que ces
dépouilles étaient consacrées aux Dieux protecteurs , et devenaient
par conséquent un monument de la gloire et de la piété des vain-
queurs. Ainsi Ulysse consacre à Minerve les dépouilles de Dolon , et
Hector fait vœu de suspendre dans le temple d'Appoîlon les armes de
celui qui osera l'affronter. Cependant les droits de la guerre étaient
alors extrêmement rigoureux envers les vaincus. Les villes ennemies Cruauté envers

s vaincus.
étaient incendiées et détruites jusqu'aux foudemens : les peuple* h
étaient massacrés ou mis en esclavage; les Rois égorgés, et leurs
cadavres jetés aux chiens et aux vautours; les enfans taillés en piè-
ces, et les Reines chargées de chaînes ou condamnées aux plus
vils emplois. Hector dit à Andromaque dans le VLe livre de l'Ilia-
de , que la chute d'Iîion la réduirait à s'entendre commander d'our-
dir la toile, ou d'aller puiser de l'eau à la fontaine de Mes-
séide ou d'Hypérée ; et on lit dans le XXIl.e livre les terribles
Europe. Vol, 1 30
z%4 Milice
prédictions de Priam et d'Hécube sur leur destinée future et celle
de toute leur famille , dans le cas où la ville de Troie viendrait
à tomber au pouvoir des Grecs. On trouve un affreux exemple de
cet usage dans la vengeance d'Achille, qui immola douze guerriers
Troyens sur la tombe de Patrocle , et. accabla d'outrages le cadavre
d'Hector , auquel il voulut que chaque soldat fit une insulte , ac-
compagnée d'un coup de dard ou de pique.
Solde Les Grecs, dans les tems héroïques, fesaient la guerre à leurs
des guerriers*
irais et sans aucun traitement. L'unique avantage qu'ils pouvaient
retirer de leurs exploits, était dans les dépouilles et le butin pris
sur l'ennemi , qui se partageaient équitabiement. Ce partage se fe-
sait par le chef suprême de l'armée , auquel par conséquent cha-
que soldat portait tout ce qu'il avait-pris à la guerre. C'est pour
cela que , dans l'Iliade, Achille se plaint, qn' Agamemnon auquel
il avait remis les dépouilles de vingt trois villes , n'en avait jamais
fait une juste distribution. Les chefs étaient dans l'usage de pro-
mettre,avant le combat, une portion choisie et plus considérable
du butin de l'ennemi, aux soldats qui se distingueraient par leur
valeur. Ainsi Àgamemnon promet à Teucer un trépied , un char
attelé de ses chevaux, ou une jeune fille des plus belles, selon son
choix , dans le butin qui se ferait à la prise de Troie. Il y avait
aussi des occasions, où les guerriers qui s'étaient illustrés par quel-
que action d'éclat, recevaient dans les banquets, comme marque
de distinction et d'honneur, une portion de viande plus considérar
ble et meilleure que celle des autres (i). Les esclaves faits à la
guerre pouvaient obtenir leur rançon avec de l'or ou autres objets
précieux. Chry-és, dans l'Iliade, offre à Agamemnon de riches pré-
sens pour racheter sa fille, et c'est aussi ce que fait Priam (2). On
pourrait citer une infinité d'autres exemples à l'appui de cet usage.
Conseils Nous avons déjà vu ailleurs que, dans les assemblées publiques,
d,
l'autorité des anciens Rois était balancée par la volonté des peu-
ples. Elle l'était également dans le commandement des armées.
Àgamemnon, le Roi des Rois, était bien le chef suprême de l'ar-
mée campée devant Troie, et il avait même le droit de vie et de
mort dans les batailles (3), où le commandement appartenait à lui

(1) V. Iliad. VII. v. 3a 1.


(2) V. Feith. Antiq. Homèr. liv. IV cliap. XVI.
(3) Homère , clans le II e chant de l'Iliade fait dire à Agamemnon :
S'il arrive que je voie quelqu'un rester sur les vaisseaux pour se tenir loin
du combat , celui-là , rien ne pourra la sauver des oiseaux et des chiens.,
de la Grèce. a35

seul; mais hors de là, il ne pouvait rien sans l'avis du conseil. Ho-
mère distingue trois sortes de conseils de guerre. Le premier était
général, et formé de tous les soldats composans l'armée. Le second
et le neuvième livre de l'Iliade noos offrent deux exemples de ce
conseil , à l'occasion de la proposition qui y fut faite par Aga-
memnon de retourner en Grèce. On reconnaît encore dans les

invectives d'Achille et de Dioméde cette liberté avec laquelle les


capitaines se permettaient de parler contre le chef suprême dans
ces assemblées publiques. Le second conseil n'était composé que
des capitaines, et on n'y traitait que de choses particulières, ou
-des besoins de l'armée. Ainsi dans le dixième livre de l'Iliade,
les Grecs étant assiégés clans leur camp par les Troyens, Aganiem-
non réunit en conseil les chefs , pour délibérer avec eux sur les
moyens de repousser l'ennemi. Enfin le troisième était le conseil
privé, qui se tenait dans la tente du chef suprême, et auquel
n'étaient appelés que les hommes les plus distingués par leurs lu-
mières et leur sagesse, ainsi qu'on le voit pratiqué en diverses oc-
casions par Agamemnon (i).

Tactique des tems héroïques.

Jusqu'ici nous n'avons parlé qu'en termes généraux de l'art


militaire des Grecs dans les tem- héroïques: il nous reste mainte- Foptificati^,
nant àtraiter de leurs fortifications, de leurs moyens de défense
de leurs armes, et de l'ordre qu'ils observaient dans les batailles.
A commencer par les fortifications, Arfetôte et Diodore nous ap-
prennent, que les anciennes villes de la Grèce n'étaient pas même
entourées de xnurt , mais que les rues en étant sinueuses et fort-
étroites , il était facile d'y arrêter l'ennemi avec peu de troupes ,
et même de l'écraser en fesant pleuvoir sur lui des dards et des
pierres du haut des toits (fa). Eustase observe également, que les
fondateurs des premières villes eurent la précaution de les bâtir
sur des lieux escarpés , pour qu'elles fussent moins exposées aux in-

(i) Les délibérations des Grecs étaient souvent accompagnées d'un


banquet; et quelquefois on décidait des choses les plus importantes au
milieu des plats et des coupes. V. Feith. Ibid. liv. III. c. V. et Go°-uet.
T. II. pag. 2^6 édit. de Naples.
(2) Arist. De Republ. liv. VII. chap. XL Diod. liv. IV,
•â36 Milice

suites de l'ennemi (i). On prétend qu'Amphion et Zétus , qui ré-


gnaient àThébes vers l'an 2,890 avant l'ère vulgaire, furent les
premiers à donner l'exemple des fortifications , pour avoir entouré
leur ville de murs, et l'avoir flanquée de tours, en ne laissant d'ac-
cès dans son enceinte que par sept portes (a) , parce qu'étant d'une
étendue considérable, elle offrait à l'ennemi plus de moyens de la
surprendre. Les autres villes Grecques ne tardèrent pas d'en faire
autant, et la renommée vanta les murs d'Acrocorinthe et de l'A-
cropolis d'Athènes. Ces fortifications étaient simples, mais solides
au point que dans plusieurs endroits de la Grèce on en voit en-
core des restes. Les plus célèbres de ces constructions étaient les
murs de Mycènes , qu'on croyait être l'ouvrage des Cyclopes, et d'où
Murs prirent le nom de murs cyclopéens tous ceux qui furent construits
clopéem.
après dans ce genre. Selon la description qu'en fait Pausanias , ils
étaient faits avec des pierres ou avec des masses de roc irréguiières ,
et si énormes , qu'au dire du même auteur, deux bœufs n'auraient
pas suffi pour mouvoir la plus petite. Les vuides qu'elles laissaient
entre elles étaient remplis par d'autres pierres plus petites, mais
sans y employer de chaux ni aucun ciment. Ces murs étaient or-
dinairement crénelés, et avaient quarante pie.ds de haut sur vingt
cinq d'épaisseur (3); ainsi il n'est pas étonnant que ce genre d'ar-
Tows. chitecture colossale ait pu résister aux injures du tems. Des tours
carrées et rondes flanquaient cette enceinte : les premières s'éle-
vaient aux angles , et à environ cinquante pieds de distance les unes
des autres lorsque les murs étaient droits ; et les secondes domi-
naient sur les angles lorsque ceux-ci étaient (rès-aigus (4)- Ces tours

(t) Eustath. ad Iliad. A. V. encore Poter. Arcliael. Gr. liv. I. chap. VIII.
(2) Hom. Odys. liv. XI. v. 261 et suiv.
(5) Cette description s'accorde parfaitement avec celle que donne So-
phocle dans les Trachlnies. Tels sont aussi les restes des murs cyclopéens ,
qu'on voit encore en Grèce et en Italie.
(4) Pour avoir des notions précises sur les fortifications des anciens
Grecs et les murs cyclopéens, il faut lire la belle dissertation de [Guil-
laume Hamilton dans \ Archéologie : or Miscellaneous Tracts , relating
ùo Antiqutiy etc. London , 1806, vol, XV. pag. 3î5.
Nous avons déjà observé ailleurs , que les principes des arts fu-
rent les mêmes presque chez tous les peuples , parce que leur position et
leur besoins furent les mêmes. Les restes des murs bâtis par les Incas ne
diffèrent guères des cyclopéens. Ypj. l'Atlas pittoresque du voyage de
de la Grèce. 2,37
étant saillantes , ou portées en dehors , elles défendaient le flanc
des murs , et donnaient aux assiégés l'avantage de pouvoir combat-
tre l'ennemi d'un point plus élevé., sans avoir beaucoup à craindre
de lui. Telles étaient les fortifications des forts ou citadelles que cuadvik»
l'art avait élevées dès les teras héroïques , et qui formaient com-
me une espèce d'appendice aux villes. C'était là qu'on renfermait
les choses précieuses et sacrées, et que se retiraient les prêtres
et les magistrats dans les tems de danger. Ces citadelles étaient bâ-
ties sur des rochers , sur des collines , ou sur le flanc des monta-
gnes,de manière à ce qu'elles pussent dominer sur la ville. La
plus fameuse était celle de Mycènes, qui avait une quadruple en-
ceinte de murs , et à la porte de laquelle on voyait deux figures
de lion en pierre. On y garda pendant long-rems les trésors d'A- mum
cyclojjsens
dans
trée. L'ancien Latium, dont les premières villes furent bâties, se- le LatiuiU.

lon la tradition , par les Pélasges et autres peuples d'origine Grec-


que , offre encore des monumens imposans de cette architecture
militaire. Et en effet, Denis rapporte que les Aborigènes, après avoir
chassé, au bout d'une longue guerre, les anciens habitans du La-
tium ,s'établirent eux mêmes dans ce pays , où ils vécurent d'abord
dans les montagnes sans enceintes de murs; mais qu 'ensuite les Pé-
lasges avec quelques Grecs réunis à eux , ayant subjugué les peu*
pies circonvoisins , fortifièrent plusieurs châteaux ...... le même
peuple occupa ensuite ces contrées en changeant seulement de nom,,
sans changer celui cV Aborigènes , qu'il conserva jusqu'au tems de
la guerre de Troie, époque à laquelle le Pioi Latinus lui donna
le nom de Latins. Le même auteur ajoute que les écrivains Ro-
mains les plus erudits étaient également d'avis, que ces peuples
-étaient panis de la Grèce plusieurs siècles avant la guerre de
Troie, Il est donc ainsi démontré , que l'époque de la fondation et
la forme des œuï's cyclopéens dans le Latium , appartiennent aux
teins dont nous parlons (j). JJ aspect de ces murs, dit l'illustre Ma-

Humboldt. Ce qu'on voit encore de l'ancien mur caucaséen entre la mer


Caspienne et la mer Noire , ressemble beaucoup aussi aux ouvrages de
l'architecture cyclopéene. V. Theophill Sigefridi Bayeri Opuscula ad
Historiam antiquam etc. Halae , 1770, 8.° De mura caucaseo , pag. g4
et suiv.
(1) C'était une opinion établie chez les Latins,, que leurs anciennes
villes avaient eu Saturne pour fondateur. Tertullien observe à ce sujet
dans s.on Apologie , chap. X. > que ., selon l'ancienne tradition de Diodore
a"38 Milice
rianne Candidi Dîonigi, en parlant de ceux de Ferentino, compo-
sés de masses informes et colossales , et de pierres noirâtres d'une
rusticité majestueuse , semble être le portrait de leurs antiques fon-
dateurs. Ces murs soutiennent dans presque tout leur contour l»
penchant de la montagne (i). Les murs cyelopéeos du Latium nous
Pênes. retracent encore la figure des portes, dont quelques-unes sont qua-
drangulaires 3 peu larges , et ont des architraves ; d'autres ont la for-
me d'un angle , qui est désignée sous le nom de tiers çrigu , comme
on le voit par la porte de Cwitavecckia d'Arpino, laquelle ne
diffère gnères de celle de Tyrinte , dont Dodwell a donné le des-
sin clans son Voyage en Grèce (a). Maintenant nous croyons à pro-
pos de présenter à nos lecteurs, ( planche 33 ) , l'intérieur d'une ville
de construction cyclopéene, tracé d'après l'idée que nous venons
de donner de l'architecture militaire des anciens. Nous avons suivi,
dans la composition de cette planche, le système de Palladio, de
Cassas, de Lavallée et autres artistes célèbres, qui, d'après les des-
criptions que les anciens écrivains nous ont laissées de ces construc-
tions, et les restes qu'on en voit encore en divers lieux, ont ima-
giné et exécuté le pian de l'édifice en entier.

et autres écrivains , Saturne n'était point un Dieu , mais un homme , qui


après fait de grandes choses , était venu de l'Attique en Italie. Il ne
serait donc pas hors de probabilité, qu'il eût apporté de la Grèce dans
le Latium' la forme de murs qui était en usage dans cette première con-
trée ,à l'époque des tems héroïques.
(i) Voyages dans certaines villes du, Latium , qu'on dit avoir été
fondées par le B.oi Saturne. Rome 1S09 et suiv. Ces anciens peuples ,
dit l'auteur , ne visaient qu'à l'utilité et à la solidité , et nullement à
Vélégance ni à la beauté. J'imagine , que , selon la configuration des
masses qu'ils employaient , ils en taillaient les côtés en lignes droites
pour en former autant de polygones , et les joindre ainsi , bien que san?
ordre , avec les pierres inférieures et latérales. Lorsque ces pierres no
pouvaient pas bien s' assembler , on remplissait avec d'autres plus petites
les interstices qu'elles laissaient entre elles // est à remarquer
pourtant qiûon encastrait ces pierres les unes avec les autres , quelle que
fût V irrégularité de leur forme , de manière à les lier fortement entre
elles : ce qui formait de tout l'édifice un corps , dont la construction
pouvait même résister aux tremblemens de terre.
(2) A la Table Iliaque , dont nous avons déjà fait mention , on voit
des portes arquées ; mais il est bon d'observer que cette table appartient
au premier siècle de l'ère vulgaire , et que par conséquent il ne faut pas
«'étonner si on. y trouve cette espèce d'anacronisme,
de la Grèce. 2,89
L*arcliitecture militaire dont nous venons de parler, et les pierres Mécanique
énormes qu'elle employait dans ses ouvrages , prouvent clairement que haroquct.
les Grecs connaissaient la mécanique, sans le secours de laquelle ils
n'auraient pu mouvoir des masses aussi pesantes , et encore moins
les élever à de grandes hauteurs, et les y fixer avec un art éton-
nant. Ajoutons à cela, que les murs cyclopéens montrent dans leur
construction l'application des lois de la Statique , car ils sont plus
larges à leur hase , et vont en se rétrécissant par le haut , selon
les règles de l'art. Ces murs , hien qu'ils ne fussent point entourés
d'un fossé, suffisaient néanmoins pour mettre les villes à l'abri de
toute surprise de la part de l'ennemi , et même en état de sou-
tenir un siège de plusieurs années (1): car dans ces anciens tems , Makhmes
inconnues
on n'avait encore aucune connaissance des machines militaires , dont dans les tems
héroïques*
l'usage ne fut introduit en Grèce qu'à l'époque de la guerre du
Péloponnèse, comme nous le verrons dans la suite. Homère, si at-
tentif et si exact à rapporter les moindres circonstances de la guerre
de Troie, ne fait nullement mention de machines, pas même d'é-
chelles, dont les Grecs auraient pu se servir pour escalader les murs
de cette ville (a).

(1) Goguet observe judicieusement, qu'Homère n'aurait pas imaginé ,


dans le XVI.e livre de l'Iliade , qu'après avoir repoussé les Troyens à la
suite d'une action vigoureuse , Patrocle monta furtivement sur les murs de
Troie , s'il eut fallu traverser un fossé pour y arriver ; ou au moins il n'aurait
pas manqué de faire mention de cette circonstance. Nous ne pouvons pourtant
pas être de l'avis de cet écrivain , lorsqu'il dit que les murs de Troie étaient
probablement en terre. Homère n'en parle nullement , et ces murs n'auraient
certainement pas passé pour avoir été bâtis par Neptune et par Apollon ,
s'ils n'eussent été qu'une simple fortification en terre, Nous croyons au
contraire qu'ils étaient de construction cyclopéene , et que c'est pour cela
qu'ils eurent la réputation d'être l'ouvrage de deux divinités , selon l'opi-
nion qu'on avait de tous ceux cpii furent les premiers à entourer les villes
de murs. En effet , si cette enceinte eût été en terre , et d'un plan né-
cessairement incliné , comme le suppose Goguet , non seulement Patrocle ,
mais encore toute l'armée des Grecs aurait pu aisément l'escalader. An-
dromaque ne dirait point à Hector , dans le VI e livre de l'Iliade , de pla-
cer les troupes prés le figuier sauvage „ où il est facile de pénétrer dans
la -ville , en passant par dessus le mur , endroit qui est précisément celui
où les deux Ayax , Idoménée , les Atrides et le lils de Tydée avaient
déjà fait cette tentative. Voy. l'Iliad, liv. VI. v. 433 et suiv.
(2) Quelques-uns pensent crue l'usage des échelles et des machines
de guerre était connu dés les tems de la guerre de Thébes ; et ils ap-
a4o Milice
La vraie
tac lin i.iG Nous venons de voir les moyens qu'employaient les anciens
peu connue. Grecs pour la défense des villes. Mais ta longueur de leurs guer-
res et de leur sièges prouve qu'ils ne connaissaient encore que
les premiers élémens de la tactique et de la fortification. Et en
effet on ne trouve nulle part dans Homère s que les Grecs eus-
sent tracé aucune ligne de cireonvallation autour de Troie , ni dis-
posé leurs troupes de manière à la serrer de tous les côtés, et à la
forcer à se rendre. Pendant les dix années que dura ce siège fa-
meux ,non seulement la ville ne manqua jamais de vivres , mais
encore elle reçut toujours librement les secours que lui envoyaient
ses alliés. L/espace qu'il y avait entre ses murs et le camp des Grecs
était, si vaste, que les troupes des assiégeans et des assiégés pou-
vaient quelquefois s'y mettre en bataille sans le moindre danger.
Homère ne parle jamais d'une action générale 3 dont l'issue put
décider du sort de l'une ou de l'autre des deux armées. On ne voit
jamais que des affaires partielles 3 où les deux partis tantôt se por-
tent en avant et tantôt sont repoussés : point d'opérations en grand ,
point de mouvemens généraux qui annoncent un plan où un sys-
tème raisonné. Les chefs ne se distinguent point par le comman-
dement des troupes, mais par leur bravoure, et par le nombre des
ennemis qu'ils ont tués. Quelquefois trois ou quatre guerriers des
plus impétueux répandent la terreur devant eux , et jettent le dé-

puyent leur opinion sur le trait qu'on rapporte de Gapanée , qui fut ren-
versé d'un coup de foudre en voulant escalader les murs de la ville en-
nemie. Mais cette interprétation n'est qu'une faible conjecture , commune
à ceux, qui, à l'exemple de Bannier , croyent toujours voir quelque al-
légorie dans les traditions mythologiques. Car, si les machines de guerre
n'étaient point encore connues à l'époque de la guerre de Troie , comment
pouvaient-elles l'être lors du premier siège de Thèbes ? D'autres de , comme
nous l'avons dit plus haut , ont cru voir dans le fameux cheval Troie
une machine destinée à abattre les murs de cette ville : opinion que ,
sur la foi de Pausanias , Pline même semble avoir embrassée ■ mais Ho-
mère ,dans le VI. e livre de l'Odissèe v. 272 , dit clairement , que ce che-
val ne fut qu'une ruse grossière pour surprendre Troie , et non pour en
renverser les murailles. C'est donc à tort que Stace, dans ce vers

Murorum tormenta Pylos , Messenaque traclunb ,

affirme que les villes de Pylos et de Messène ont fourni les machines
pour le siège de Troie, V. Heyne , Vkg. liv. II. Excursus III et VII.
DE LA GeÉCE. 2/jl

gordre dans tonte l'armée ennemie. Néanmoins les Grecs avaient su du camp.
Description
choisir pour leur camp une position heureuse 3 qui rendait difficiles
à l'ennemi les moyens de le surprendre. Ce camp avait devant lui
le Scamandre , qu'il fallait traverser pour aller vers la ville ; il était
divisé par des rues en plusieurs quartiers : au milieu , et en avant
le quartier d'Ulysse, était le forum âyopà , où se trouvaient les au-
tels des Dieux , et les magasins des vivres , et où l'on administrait
la justice: entre ces quartiers, il y avait des espaces vuides où se
célébraient les jeux funèbres , et dans l'un d'eux fut élevée la tombe
de Patrocle. Les vaisseaux fasaient partie du campement , ayant
été tirés à sec selon l'usage des anciens : ils formaient deux li-
gnes; l'une, du côté de la ville, qui se composait des vaisseaux
les premiers arrivés; et l'autre, au bord de la mer, qui compre-
nait ceux qui étaient arrivés les derniers. Il parait: que les Grecs
n'avaient pas pensé d'abord à fortifier le front de leur camp, croyant
sans doute avoir suffisamment pourvu à sa sûreté , en confiant la
garde des deux points les plus exposés, à deux de leurs plus bra-
ves guerriers, qui étaient Achille et Ajax. Mais ayant été re poussés
jusques dans le camp par les Troyens à la suite d'un combat san-
glant iils se mirent , d'après les conseils de Nestor , à construire de- tion
vant eux un mur de circonvallation (1). Dabord ils dressèrent en Circonvalla-
du Camp.

face des vaisseaux un bûcher commun à toute l'armée , et après y


avoir brûlé les cadavres de tous ceux qui avaient péri dans le com-
bat, ils élevèrent au même endroit un tombeau, ou monument en for-
me de monticule , d'où ils tirèrent un retranchement fait avec des
pierres, des troncs d'arbre et eu terre, auquel Homère donne le
nom de *eï%oç , qui vent dire mur. Ce retranchement était flan-
qué, de distance en distance, de tours crénelées , d'une construction
semblable, à celle du mur (2). Les combattans se plaçaient aux
ouvertures de ces créneaux , où tout le bas de corps était à cou-

Ci) Iliad. VIL v. 327, 343 et 344.


(a) Il est parlé au XII.e livre de l'Iliade des crénaux des tours, aux-
quels le poète donne le nom de xpoaoou qui veut dire en latin pinnae.
Quelques-uns, du nombre desquels est Goguet , ont cru que ces tours
étaient en bois, trompés peut-être par le 36.e vers du même livre , où il
est dit, que les coups retentissaient sur les bois des tours; mais le son
ou retentissement dont parle le poète, doit se rapporter, non aux tours
en bois, mais aux poutres qui fesaient partie des ouvrages en pierre dans
lesquelles elles étaient entremêlées. V. Heyne, Iliad, liy. VII Excurs.l.
Europe, f^ol. J. a
242 Milice
vert ; et l'on avait construit dans le même dessein , tout le long
du mur, des parapets avec des retranchemens. Le mur n'entourait
pas tout le camp des Grecs , mais s'étendait en ligne droite sur
le front, et entre les deux positions qu'occupaient Achille et Ajax :
sa hauteur n'excédait pas celle d'un homme, car Sarpédon put
en arracher les créneaux avec ses mains; il n'avait qu'une seule
porte, par laquelle pouvaient passer les chars même des guerriers.
Il régnait tout le long du retranchement un fossé, d'où avait été
tirée la terre qui avait servi à la construction de ce rempart ; et
ce fossé était garni de pieux, qui formaient une palissade élevée.
Il y avait entre le retranchement et le fossé une espace qu'occu-
pait la cohorte de garde, ou la troupe destinée à veiller pendant
la nuit : un autre espace assez considérable s'étendait encore entre
le retranchement et les vaisseaux , où se passa une action des plus
Cahanes
ou baraques. chaudes entre les Grecs et les Troyens. Les soldats n'étaient pas cam-
pés sous des tentes, comme l'ont cru quelques auteurs, mais sous des
espèces de cabanes ou baraques faites avec des planches ou avec
des pieux entrelacés de branchages. Ces baraques étaient revêtues
de terre en dehors, et couvertes en jonc. Celles des Princes étaient
plus spacieuses , et d'une construction plus soignée , comme devant
servir à l'habitation de plusieurs personnes , et entre autres des
femmes de service. La demeure d'Achille était précédée d'une cour
entourée d'une palissade , avec de fortes portes en sapin , après la-
quelle venaient l'habitation des domestiques, le portique et le ves-
Vivres, tibule (1). Le camp des Grecs était abondamment pourvu en vivres
de toutes sortes, qu'on y transportait des îles voisines de l'Archipel.
On lit, entre autres passages, dans le VII.e livre de l'Iliade, que
les vaisseaux étaient arrivés de Lemnos chargés de vin (a). Ces

(1) Virgile, pour se conformer à l'usage de son siècle, plutôt qu'à


celui des tems héroïques , a commis un anachronisme dans le vers 469 du
livre II de son Enéide.
Nec procul hinc Rhesi niveis tentoria velis.
(2) Thucydide assure que , pendant le siège de Troie , les Grecs
envoyèrent des détachemens dans la Chersonnèse de Thrace pour y semer
et faire la récolte ; mais on ne trouve nulle part dans Homère , qu'il se
soit jamais éloigné du camp le moindre corps de troupes, pour quelqu'objet
que ce soit ; et il y est parlé au contraire des convois chargés de vivres ,
qui arrivaient de tems à autre. Voy. l'Iliad. liv. IX. v. 71 etc.
de la Grèce. 2,43
transports maritimes pouvaient s'exécuter alors d'autant plus faci-
lement, que l'art de faire la guerre par mer n'était pas encore
connu, à ce qu'il semble, à l'époque des tems héroïques. Et en
effet, Homère ne parle d'aucun combat naval, malgré que les des-
criptions qu'il en aurait pu faire lui offrissent une source féconde
de beautés nouvelles pour ses poèmes, et que les Troyens eussent
une marine composée d'un grand nombre de vaisseaux , dont se
servirent Enée et Anténor pour se sauver avec toute leur suite.
• La principale
i force. de l'armée Grecque
, consistait
, dans ses Diverses
.... sortes
de trouves.
chars et dans ses guerriers pesamment armes: ces derniers n étaient
pourtant qu'en très-petit nombre, car la plupart des soldats ne fe-
saient usage que de la lance, ou d'armes propres à être lancées avec
la main. Il y en avait bien peu également qui se servissent de Parc
et de flèches, malgré qu'il en soit fait mention dans les exercices des
Mirmydons ( ISiad. IL ), et dans les jeux funèbres ( Uiad. XXII. ).
Les Locriens fesaient usage de l'arc et de la fronde, comme on
le voit par le XIIl.e livre de l'Iliade. Une longue pique, un bou-
clier , un casque et des cuissards composaient l'armure pesante. Armure
Ceux qui combattaient sur des chars portaient des armes encore Pesante'
plus fortes. On les appelait toaeïç ou cavaliers , tandis que les au-
tres soldats, quelque fût le genre de leur armure, se désignaient
sous le nom de xpvkéeç fantassins ou piétons (1). Les chars étaient c/w

(1) Dans les tems héroïques il n'y avait pas encore de cavalerie propre-
ment dite. Néanmoins , quelques érudits ont cru voir la preuve du contraire
dans trois différens endroits des œuvres d'Homère. Le premier est dans le
liv. XX. de l'Iliade , où il est dit que Dioméde , aux instances de Minerve ,
monta sur les chevaux de Rhésus, et les conduisit aux vaisseaux des Achëens
laissant le char auquel ils étaient attelés, dans la crainte des Troyens. Le se-
cond est dans le liv. XV , où vVjax est comparé à un homme habile à
sauter d'un cheval à un autre , qui, ayant su atteler le premier quatre
chevaux de front , les poussa vers la grande ville par la voie publique :
exercice dont la difficulté prouve , que l'art de monter à cheval était déjà
porté à un haut degré de perfection. Le troisième est dans la description du
bouclier d'Achille , où le poète raconte que les assiégés ayant été surpris
par
l'ennemi montèrent sur des chevaux. Les deux premiers passages
ne
lent" dire autre chose sinon , que l'art de monter à cheval était connu veu-
dés les tems d'Homère ; mais on ne peut guéres en conclure, que,
les guerres héroïnes on fit usage de la cavalerie proprement dite. dans Ho-
mère n'aurait certainement pas oublié d'en parler, surtout s'agissant d'une
chose qui pouvait donner un nouveau lustre à son poème. Dioméde monte
*44 Milice
a deux roues ,. légers ., bas , et faits de manière à pouvoir y mon-
ter aisément par derrière. Les cavaliers , qui étaient en même
tems princes et capitaines, ne combattaient pas toujours de la mê-
me manière: tantôt ils s'élançaient avec leur char au milieu des
phalanges ennemies, et se fesaient jour à travers le plus fort de la
mêlée; tantôt ils en descendaient pour combattre à pied , sans s'en
éloigner, afin de pouvoir y remonter aussitôt qu'ils se trouvaient
vivement pressés par l'ennemi. Il y avait toujours deux guerriers
sur le char , l'un appelé nvio^oç qui combattait , et l'antre nommé
TcapaBârriç qui conduisait les chevaux. On voit par les vers i56
et 167 du XX.e livre de l'Iliade (i), qu'on savait déjà harnacher
les chevaux dans les tems héroïques. On mettait encore sur le char
les armes de l'ennemi qui avait été terrassé, et l'on y plaçait éga-
lement le cadavre du héros qui le montait, lorqu'il avait péri
sur les chevaux de Pihésus , mais par Tordre de Minerve , et pour em-
pêcher qu'ils ne fussent pris par l'ennemi , et non dans l'intention de
s'en servir pour combattre. Pour mieux représenter Ajax sautant d'un
vaisseau à un autre , il le compare à un homme habile dans V art de
sauter d'un cheval sur un autre ; mais une simple comparaison ne peut
pas tenir lieu de preuve ; elle n'a d'autre mérite que celui de fournir au
poète un moyen de rendre ses descriptions plus sensibles au peuple dont
il emprunte les idées , afin de faire ressortir d'avantage les objets qu'il
veut graver plus fortement dans l'esprit des lecteurs. Dans la description
du bouclier d'Achille , Homère emploie l'expression dont il se sert ail-
leurs pour désigner les cavaliers sur les chars , comme nous le verrons
plus bas. Nous reviendrons sur ce sujet à l'article de la milice des tems
historiques. On ne peut nier du reste que l'usage de ces sortes de chars
ne dût être sujet à beaucoup d'inconveniens. Un fossé , une haie , une
grosse pierre , un terrein inégal pouvaient aisément les faire verser , ou
les arrêter. Des deux guerriers qui étaient sur le char , il n'y en avait
qu'un qui combattait , ainsi l'autre n'était d'aucune utilité : ces chars
étaient attelés de deux, de trois et même de quatre chevaux, autre dé-
pense aussi superflue que nuisible pour l'armée. Il faut avouer pourtant _,
que dans les combats d'Homère , on ne voit guéres que des chars à deux
chevaux, et il parait même que le quadrige n'était en usage que dans
les jeux.
(i) Il parait que l'usage de ferrer les chevaux n'était pas connu de
même alors , quoique disent du contraire Eustase , et d'après lui Madame
Dacier. En effet , Homère n'en parle en aucun endroit , et Xéuophon.
n'aurait pas oublié d'en faire mention dans son traité sur la manière de
soigner les chevaux.
de la Grèce. 2Zj5
dans la mêlée. Ce char avait un timon, au bout duquel
1 était .un Forme
des chars-

joug, semblable, dit Winckelman , à celui dont on se sert aujour-


d'hui pour atteler les bœufs. L'extrémité de ce joug se terminait
en une espèce de volute, et imitait le cou d'une oie (i). Mais
il n'est pas aussi facile de faire connaître les autres parties du
char j ni les harnois des chevaux, en ce que les sculpteurs en ont
extrêmement négligé les proportions , et ont poussé quelquefois
l'oubli jusqu'à en représenter l'attelage sans harnachement (a). On
voit seulement que ces chars étaient ouverts par derrière, et que
par devant ils avaient une espèce de parapet qui n'était pas plus
haut que la croupe du cheval. Ainsi leur forme ne différait guère*
de celle des chars usités dans les jeux et les courses , dont nous
parlerons ailleurs.
On n'observait aucun ordre dans les combats, ainsi que nous Dispositif
lavons déjà dit , et jamais on n eu venait a une aliaire générale.
Les chars n'étaient point réunis en un seul corps, ou rangés sur une
même ligne; mais chaque chef, monté sur le sien s combattait à la
tête de sa troupe , jusqu'à ce que les guerriers se trouvassent cou-
fondus pêle-mêle dans la chaleur de l'action. Homère parle néan-
moins,en deux endroits, de dispositions particulières à, donner
à l'armée sur la proposition de Nestor (3). Dans le premier , livre
II de l'Iliade, ce sage et prudent vieillard conseille à Agamemnon
de distribuer les troupes par nations et par tribus, afin qu'elles
puissent s'entre-secourir plus facilement , et qu'il soit plus aisé
de distinguer le brave d'avec le lâche. Dans le second , liv. IV ,
le môme Nestor range l'armée, et place, les chars sur le front,
les meilleurs fantassins à l'arrière-garde , et entre ces deux lignes
les troupes d'une valeur suspecte, pour qu'elles se trouvassent ainsi
dans la nécessité de faire leur devoir : disposition qui , sans doute ,
n'est pas très-savante , mais dont on doit pourtant louer la sa-
gesse ,à cette époque des premiers essais de l'art militaire. Le
334-e vers de ce dernier livre offre une circonstance bien digne
de remarque ; c'est qu'en parlant d'une troupe d'Acbéens qu'on
attendait pour commencer le combat 3 le poète se sert du mot

(i) Winckel. Monum. ant. pag 5i.


(2) Lens. Le Costume etc. pag. 100.
(5) Ménesthée , général des Athéniens , est encore désigné dans l®
ll;e livre de l'Iliade , comme très-habile en tactique militaire.
M6 Milice

xipyoç, tour, que Politi traduit par phalanx et quadratum ag-


men: interprétation d'après laquelle, et selon l'idée qui naît du
mot tour, on pourrait présumer, que dès les tems d'Homère, on con-
naissait cette disposition de troupes, à laquelle on donne aujour-
Commande- d'hui le nom de bataillon carré. Le signal du combat
de fa
marche, et de la retraite , ne se donnait point, à ce qu'il pa-
rait , au s*>n ou au bruit d'un instrument quelconque , mais c'était
la voix du capitaine q«i le fesait entendre : car Homère, ce peintre
si fidèle des mœurs et des usages de son tems, ne fait aucune
mention de trompettes, de tambours ni de timbales; il ne parle
pas même d'étendards , ni d'aucune espèce d'enseignes militaires.
C'est pourquoi, une voix forte et sonore était alors regardée comme
une qualité essentielle et précieuse dans un commandant (i). Il suit,
de tout ce que nous venons de dire, que l'art militaire, ainsi que
nous l'avons remarqué plus haut, était encore bien imparfait dans
les tems héroïques, et même que la ruine de Troie doit se mettre
au nombre de ces victoires, que les Grecs, d'après un ancien pro-
verbe, appelaient à la Cadmée , puis qu'au lieu d'être avantageuse
aux vainqueurs, elle eut au contraire pour eux les effets les plus
funestes (a).

Combat pour
le cadavre f^ Nous avons jusqu'ici
vu i '
ce qu'était l'art militaire chez les
de Pau-ode Grecs dans les tems héroïques. Avant d'aller plus loin dans nos re-
par Homère, cherches , nous croyons à propos de présenter à nos lecteurs , à
la planche 34, l'image d'un des combats les plus célèbres de la

(1) Goguet observe judicieusement que, dans le II. e livre de l'Iliade,


Homère donne à Ménélas l'épithéte de /S«»v »?*$!*, qui veut dire que ce
héros avait une voix propre à être entendue de loin : car le mot /Soi
dérive du verbe £««* qui signifie boo , clamo , c'est-à-dire je mugis ,
je resonne , je crie. La voix des commandans Troyens pouvait se faire en-
tendre d'autant plus facilement,, que les Grecs au contraire gardaient un
profond silence dans leurs marches , et en allant au combat. V. l'Iliad. III.
y. 8 , et IV. v. 429.

(2) On appelait victoire à la Cadmée , celle dont le résultat n'était


pas moins fatal aux vainqueurs qu'aux vaincus ; et ce qui donna lieu à
ce proverbe , furent peut-être les suites de la première guerre de Thé-
bes , où les Thébains ou Gadméens , après la mort d'Ethéocle et de Po-
lynice , remportèrent sur les Grecs une victoire qui fut bien funeste à
leurs descendans. V. Erasmi Pioterd. Adagiorum Chiliades , Oliva. Rob.
Steph. i558^ fol. pag. 56i.
de la Grèce. 2,47
guerre de Troie , tracée d'après les passages des XVI.e et XVII.*
livres de l'J^ade , où les Grecs et les Troyens se disputent le ca-
davre de Patrocle. Pour rendre le sujet de cette planche plus in-
tel igibleil
, convient de rapporter en peu de mots la description
que fait Homère de l'événement qui y est représenté. Patrocle était
étendu sur le sol, tout étourdi d'un coup qu'Apollon lui avait porté.
Euphorbe , l'un des ennemis , qui le premier avait blessé le héros
derrière le dos , étant accouru pour lui enlever ses armes , fut tué
par Ménélas. Celui-ci se retira à l'approche d'Hector , qui emporta
ces armes , et renvoya les siennes à Troie. Ménélas revient avec Ajax
pour sauver le corps de l'ami d'Achille, et le couvre de son bou-
clier. Ranimés à la voix d'Hector 3 les Troyens se pressent autour
du fils de Télamon. Ajax , toujours plus obstiné à la défense du
cadavre de Patrocle , terrasse plusieurs ennemis ; mais craignant
qu'Hector n'amène contre lui des forces encore plus considérables,
il charge Ménélas d'appeler à son secours les plus vaillans d'entre
les Grecs. A la voix de Ménélas accourt l'autre Ajax fils d'Oïlée,
avec Idoménée , Mérion , et une foule d'autres guerriers. La vic-
toire allait se déclarer en faveur des Troyens; mais Ajax fils de
Télamon soutient avec intrépidité le choc des ennemis, et fait mor-
dre la poussière à Hippotoùs , qui déjà fesait des efforts pour en-
traîner le corps de Patrocle. Schedius, le plus brave d'entre les
Phocéens, est percé d'un coup de lance qu'Hector dirigeait contre
Ajax. Ménélas tue Phorcine qui cherchait à défendre Hippotoùs.
Hector commence à se retirer avec les siens : les Grecs dépouillent
les cadavres de Phorcine et d'Hippotoùs, et déjà la victoire leur sou-
riait, lorsqu'Enée poussé par Apollon rallume le courage des Troyens ,
et perce de sa lance Léocrite compagnon de Licoméde. Le combat
se prolonge jusqu'à la fin du jour. Les défenseurs du corps d'Hector
ainsi que leurs antagonistes succombent de fatigue, et sont tout souillés
de sueur, de sang, et de poussière. Mais Minerve ordonne à Mé-
nélas de ne point abandonner le corps du héros; il brandit sa lance,
et tue Produs l'ami d'Hector. Celui-ci revient également au com-
bat ,après avoir fait de vains efforts pour s'emparer des chevaux d'A-
chille. Polydamas renverse Pénélée chef des Béotiens: Hector blesse
Leïtus , et tue Cerenus l'ami de Mérion et le conducteur de son
char. Enfin Ménélas, voyant la victoire prête encore à se déclarer
pour les Troyens , sort de la mêlée pour dire à Antiloùs , fils de
Nestor , de porter à l'invincible Achille la fatale nouvelle de la
M8 Milice
mort de Patrocle, et retourne ensuite au combat. Alors Ajax l'invite
à retirer, avec Mérion , le cadavre de Patrocle du lieu où il était :
ce qui est exécuté à la vue des Troyens même , malgré les cris et
les menace? de ces derniers , et malgré une nuée de dards qu'ils
font pleuvoir sur les deux héros.
La planche dont il s'agit est l'ouvrage de M.r Pelage Palagi , pein-
tre habile , et digne émule des plus grands maîtres que compte notre
siècle. Le costume des personnages qui y sont représentés a été co-
pié sur les peintures des vases antiques d'Hamilton , de Mil fin et de
Millingen. Mais l'artiste ne pouvant réunir dans un seul cadre toutes
les circonstances de cet événement , qui dans le poème arrivent dans
des lieux et à des tems difféiens, a dû. choisir celles qui pouvaient
entrer dans un même sujet , et se borner à la représentation des
principaux personnages, sauf quelques changemens qui étaient né-
cessaires, pour mettre plus de variété dans les positions, dans les
costumes et dans les armes. Par exemple, il n'a pu se dispenser de
rétrécir les dimensions qu'avaient les boucliers dans les tems héroï-
ques, et d'y ajouter ces espèces d'attaches, ou courroies, dont on
se servait pour les fixer au bras, postérieurement à la guerre de
Troie , et cela pour que leur trop d'étendue ne masquât point en
quelque sorte tout le tableau , et n'empêchât pas d'en distinguer
Jes personnages et toutes les parties. C'est ainsi en effet que sont
représentés ces boucliers , non seulement dans les collections de
vases , mais encore sur tous les monumens antiques, malgré que les
événemens qui y sont retracés appartiennent aux tems héroïques
ou au siècle d'Homère. On voit ici Hector, qui, revêtu des ar-
mes d'Achille, et piqué des sarcasmes que lui lance Glaucus chef
des Lyciens , retourne sur le champ de bataille avec un gros de
Troyens, pour enlever le cadavre de Patrocle. Ménélas , les deux
Ajax, Idoménée , Mérion et autres guerriers moins renommés, dé-
fendent le corps du héros. Celui d'Euphorbe tué par Ménélas est
étendu nu par terre. Mérion tient embrassé par les cuisses le ca-
davre de Patrocle, pour le soustraire à la fureur des Troyens, tan-
dis que Ménélas lui fait un rempart de son bouclier, et va pour
porter de la main droite un coup de sa lance terrible. L'ami d'A-
chille est nu aussi , et dépouillé de ses armes, qu'Hector a emportées.
A côté de Ménélas est Teucer , à l'arc redoutable, décochant un
dard contre le chef Troyen : derrière lui est Idoménée , la tête ca-
chée dans son casque , qui va pour décharger un coup de sa massue
de la Grèce. 3^9
ferrée sur un des chevaux d'Hector. Ajax , le terrible fils de Té-
lamon , a aussi le visage couvert de sou casque ; il oppose son bou-
clier à la lance d'un guerrier Troyen, et lui porte de la droite un
coup de hache : l'autre Ajax regarde fièrement l'ennemi , prêt à
plonger son glaive dans te sein de celui qui oserait s'approcher du
corps de Patrocle (1). Hector couvert des armes d'Achille s'élève
sur son char, et va pour porter un coup de lance à Ajax fils d'Oï-
lée : un gros des siens l'accompagne ; derrière eux sont deux Ly-
ciens, dont l'un est Glaucus prêt à décocher la flèche homicide (a).
Armes.

On à vu à la planche ci-dessus les différentes espèces d'armes


qui étaient en usage dans les tems héroïques. Cependant 9 pour que
cette partie de la milice Grecque soit encore plus complète , nous
allons entrer dans un examen détaillé de ces mêmes armes, et don-
ner de chacune d'elles une exacte description. Nous les diviserons
donc en deux espèces, à l'exemple de Poter 3 de Phéitius , des
Académiciens d'Herculanum et autres écrivains distingués , savoir ;
en armes défensives, et en armes offensives. Il est bon d'observer -*
défensives.
d'abord , à l'égard des premières 3 que les Grecs , selon le témoi-
gnage du Scholiaste d'Euripide, en fesaient particulièrement usage,
en quoi ils différaient des Barbares , qui ne songeaient qu'au mas-
sacre et à répandre la «erreur. Aussi les héros d'Homère ne pa-
raissent-ils jamais sur le champ de bataille que bien armés et toujours
prêts à la défense. Les législateurs Grecs avaient décrété des peines
contre les soldats qui jettaieut leur bouclier, tandis qu'il n'en était
infligé aucune à ceux qui avaient perdu leur lance ou leur épée ,
et cela pour leur apprendre qu'un soldat doit pourvoir à sa sûre-
té, avant de chercher à frapper l'ennemi, comme l'observe Plu-
tarque dans la vie de Pélopidas (3). Or ces armes défensives étaient

(1) Le costume de cette figure est pris de la planche 49 des vases


de Millingen.
(2) Le costume de ces deux guerriers est copié sur la planche 22 de
la même Collection Le même sujet se voit souvent répété dans les an-
ciens monumens , et on le trouve encore dans la Table Iliaque , ainsi que
sur un beau vase en marbre du Musée Etrusque, T. I.er, pi. 134.
(3) Potter. Archael. Gr. liv. III. chap. IV.
Europe. Vol. I. 0
a5o Milice
de diverses sortes , selon les différentes parties du corps auxquelles
La tête
défendue avee elles devaient servir. D'abord , « il est aisé de concevoir, dit M.r
la dépouille
des animaux. « de Caylus (i), que si la défense ou la conservation de la tète
« fut un des premiers objets qui fixa l'attention des hommes , les
« dépouilles des animaux furent aussi regardées comme un des pre-
« miers dons de la nature pour satisfaire à ce besoin. Ces dépouilles
« utiles à la conservation de l'homme, devinrent bientôt , par une
« conséquence nécessaire, un témoignage authentique de leur bravoure
<« et de leur force. C'est pourquoi les Rois les plus anciens, comme
« on peut s'en convaincre par ceux de l'Egypte, n'avaient point
« d'autre marque extérieure de leur autorité. Il faut conclure de
« cette remarque, que les monumens dans lesquels on voit les hom-
« mes porter pour coiffure des dépouilles d'animaux, sont les plus
« anciens, ou au moins qu'on doit les regarder comme des copies
« d'un usage qui a précédé ceux du même genre .... Il est en-
« core facile de voir que la tête de l'animal a servi de défense à
« celle de l'homme, et que si tous les animaux féroces, carnivores
« ou à cornes ont été employés à cet usage dans l'antiquité, la peau
« du lion dut être préférée à celle de tout autre. Outre qu'on a
« toujours regardé comme honorable l'entreprise de le dompter ....
« la grandeur de sa peau offrait un moyen facile et commode pour
" se couvrir une praode gartie du corps , et pour la nouer par les
« pattes sur la poitrine , comme on le voit dans une infinité de
« monumens. Si les hommes se firent dans la suite des casques de
« métal, ils gardèrent néanmoins pendant long tems les oreilles
« de l'animal , et les adaptèrent aux côtés de leur bonnet „. Ces
Origine ,
antiquité ,
diverses
observations de Caylus nous indiquent en même tems l'antiquité du
casque, ainsi que l'origine de ses diverses formes et des différentes
du casque.
formes parties qui le composaient. Homère donne en effet souvent aux casques
les noms de divers animaux , et il se sert fréquemment de Pépithète
de xwèri , qui veut dire de chien, ce qui annonce que le casque
était fait de la peau de cet animal (a). Il en est de même du mot
g aléa , autre nom qu'on adonné au casque, et qui dérive de yaÀtf 9
ou belette, parce que la peau de cet animal était encore employée

("ï) Recueil d' Antiquit, T. III. pag. 62.


(2) Eustase ( ad Iliad. III. y. 336 ) traduit l'épithéte *v*>n qu'Homère
donne au casque j par le mot *T«pi6> »»««, chien aquatique , ou de fleuve :
et Salvini explique l'interprétation d'Eustase en disant , que le canis flu-*
viatilis est celui qui -va à la chasse dans les fleuves.
D E L A G a É C E. û5 I

au même Usage. On trouve que du tems d'Homère môme , où les


casques de cuivre étaient déjà très-communs, il est fait mention
d'armures de ce genre , non seulement comme étant faites de peaux,
mais encore qui imitaient la figure des animaux d'où on les avait
prises. Tel était le casque d'Ulysse , que le poète nous décrit ainsi :
sa peau rude était renforcée au dedans par un épais tissu de cor-
dons ,et parsemée au dehors d'une quantité de dents de sanglier ,
disposées en forme de guirlandes : le haut en était garni d'un feu-
Bonnets
tre solide (i). On voit ensuite quelques casques de peaux d'animaux
des héros-
remplacer ceux de métal. Ce n'était d'abord que de simples bon-
nets, et tels semblent être pour la plupart les casques que les artis-
tes de l'antiquité ont donné pour coiffure aux héros dont ils nous ont
laissé les images. Voy. les planches n, i3 et 16. Ulysse est le plus
souvent représenté avec un simple bonnet, très- ressemblant avec
celui qu'on donnait ordinairement à Yulcain et aux Dioscures , et
qui avait â-peu-près la forme de la moitié d'un œuf coupé par le
milieu (a). Tel est encore le casque que porte ce héros à la plan-
che i3. Les bonnets furent agrandis dans ia suite au point d'en-
velopper presque toute la tête , jusqu'à ce que l'addition de nouvelles
parties et d'ornemens divers leur fit prendre une autre forme plus
agréable , et plus propre à parer les coups. Les casques proprement
dits, dont l'usage était déjà très-répandu du tems d'Homère s offrent
deux parties bien distinctes dans leur composition. La première est le
Frontal.
frontal, qui s'étendait en avant du visage pour couvrir le front. Les
Grecs lui donnaient le nom de ,««■*«*■<»» qui veut dire front: ils la
désignaient aussi sous celui de yù-m ou suggrundium, comme étant
en quelque sorte pour le casque et la tête, ce que la gouttière est
pour les toits des maisons, ainsi que l'écrit Winkelmann d'après
la remarque de Pollux: cette partie était fixée dans le casque et im-
mobile ,en quoi il faut bien la distinguer de la visière mobile , dont
on ne trouve aucune trace dans les tems héroïques ; elle avait la for-
me d'un triangle aigu, ou d'une section conique, ensorte qu'en abais-
sant seulement son casque en avant , le guerrier pouvait se couvrir

(i) Iliad. X. v. 261. Traduction du Cliev. Monti.


(2) Winckelmann n'est pas éloigné de croire, que le pylée cVUllsse ,
qui a tant de ressemblance avec les bonnets des marins qu'on voit sculptés
dans les anciens monumens , et surtout dans ceux des Etrusques , et
même encore avec ceux des levantins de nos jours , puisse être un em-
blème des longs voyages que ce héros fit par mer. Monum, anc pag. 208,
s5a Milice

ïa figure presqu'en entier. C'est pour cela qu'on donnait quelquefois


au frontal la forme d'an visage, qui avait deux ouvertures vis-à-vis
des yeux s pour que le guerrier pût apercevoir son ennemi , et
souvent une troisième en avant de la bouche pour donner issue à
la respiration. Tels sont, pour la plupart, les casques qu'on donne
ou C/fw
cimier, à Minerve dans les anciens monumens. La seconde partie de cette
armure est la crête , ou îe cimier,, qui en formait la partie supé-
rieure; etqui, du terns d'Homère, était composée de longues queues
de cheval dont les crins étaient hérissés (i). Cette forme est celle
du casque qu'on voit au n.° a de la planche 35, que nous avons
pris des vases Grecs de Millingen. Il est posé dans l'original au
haut d'une colonne dressée sur le tombeau d'Agameranon , qui porte
en lettres Grecques le nom du héros. Voyez aussi les casques dans
la scarabée , planche 10(2). Le cône du cimier, ou la crête propre-
ment dite , était quelquefois en or ou de quelqu'autre matière pré-
cieuse : ainsi que la partie inférieure et flottante du casque, ou la
crinière, cette crête était souvent teinte en rouge , ou autre couleur.
fVCasque
Achille. C'est
T, . pour
. mi qu'Homère
cette* 1raison . donne au casque
t • 1 v, 11 i fabriqué
, • par
Vulcain pour Achille , entre autres epithetes celle de $*tê*Mh s va-
riegalam , que Salviui traduit par le mot peinte (3). La crête se
portait haute, luisante et flottante pour effrayer l'ennemi (4). Telle
était encore celle du casque d'Achille , que le poète décrit ainsi : Son
grand casque hérissé de crins brillait sur son front comme une étoi-
le , et sa crête dorée s'agitait sur le cône quelle couvrait (5). Le
casque delà belle statue Grecque d'Achille , qu'on voyait autrefois
dans la maison de plaisance Pinciana, ou Borghèse , ne diffère guè-
res du précédent (6); et tel nous semble être aussi celui du n.° 1,
que nous avons pris des vases de Millingen (y). On voit dans le X.e

(1) La crinière était contenue dans une espèce de canneilure , appelée


fthis. Le casque avait quelquefois deux , trois et jusqu'à quatre criniè-
res. V. Millin. Peinp. des Vas. etc. Vol. I.er pag. 41. N. (9).
(9) On prétend que les Gariens ont été les premiers à prendre; le
cimier : sur quoi on peut lire Hérodote et Strabon.
(5) Iliad. XVIII. v. 6x1.
(4) lliad. III. v. 557.
(5) Iliad. X. v, 58 1. Traduction du Cliev. Monti.
(6) Sculptures de la maison de plaisance Borghèse. Pwine. PagliarinJ ,

, vol.
1796 (7) n.° 9. La peinture du vase représente un combat entre A-
PI. I.XLIX.
cjiille. et Memnon. Achille y est désigné par son nom.
de la Grèce. 253
Casque

livre de l'Iliade, v. 2$7, que les casques n'avaient pas tous, la cri- des jeunes ira lis.

nière ni le cône , et que ceux des jeunes gens n'étaient qu'en cuir
et sans crinière : motif pour lequel , en parlant du casque que Dio-
inède, le plus jeune des héros, avait reçu de Trasiméde en place du
sien , le poète dit qu'il était fait de cuir de taureau, sans frontal
et sans cimier , et ajoute qu'on l'appelait **t»n#l barbu , et que c'était
là la coiffure des jeunes guerriers. Nous croyons distinguer la même Casque
d'Amphion,
forme dans le casque d'Amphion , n.° 3 de la planche 35, qui est
pris d'un has-relief de la maison de plaisance Borghèse ; et tel est
aussi celui qu'a encore Dioméde dans une pierre précieuse que
possède le musée Stoschiano. Eustase nous apprend que les casques
d'Ajax.
s'attachaient avec une courroie , qu'Homère appelle ô%tus , et qui Casque
passait sous le menton (1). Voy. le n.°4, où est représenté le casa-
que d'Ajax fils d'Oïlée , copié sur une pierre gravée des Monumens desCasque
siinplej
antiques de Winkelmann (2). Les casques des simples soldats étaient soldats.
sans crête et sans crinière, et se terminaient insensiblement en un
bouton, ou en pointe, comme on le voit par celui d'Amphion,
ou en une surface lisse et convexe , comme celui du n.° 5. Ce pe-
tit casque de bronze est recommandable , dit M.r de Caylus , pour
l'exactitude de la forme et la précision du travail ; il nous montre
quelle était anciennement la forme particulière de cette arme chez
les Grecs Fai fait dessiner ce petit monument avec
tout le soin possible. (3). La planche 3^ offre, dans la bataille qui
y est représentée , l'image de plusieurs autres casques d'une forme Bonnet
singulière. Nous observerons pourtant , avant de finir cet arti- et doublure
ous Le casque:,
cle, que pour empêcher que la tête ne fut blessée par les cas-
ques de métal , on mettait par dessous un bonnet qui descendait
jusqu'aux oreilles, et était de laine au rapport d'Ammien Marcel-
lin : usage dont on trouve quelque trace dans Homère ( Iliad. X.
v. 2Ô5 ). Le casque était quelquefois garni intérieurement d'une espèce
(1) Eust. Iliad. III. v. 371.
(2) On voit également dans plusieurs monumens des casques avec la
courroie qui passe sous le menton, et Spallarcl en présente un qui est
pris d'un bas-relief de Grotta Ferrata près Fraseati. Versuch ùber das
Kostuni cler vorzùgltchsten Volker etc. Wien 1796. Ers t. Theil. F. n.° 6.
(3) Recueil cl' Antiquités Egyptiennes , étrusq. , grecq. etc. Tom. III.
pag. 235. Ce petit casque a deux pouces de long , sur un pouce et trois,
lignes de haut. Il semble avoir été fait pour un voeu , ou pur varier le.s
attributs de Minerve dans les petites statues des Dieux Lares.
âJ>4' Milice
de doublure, ou d'épongé (i). On peut donc conclure de tout ce que
nous venons de dire : premièrement , que la visière mobile n'était
point connue dans le tems héroïques ; secondement, que les artistes
du meilleur siècle de l'art n'ont jamais représenté les héros de l'an-
tiquité avec des casques garnis de joues ou comme d'appendices
pour couvrir ou défendre les joues (a); troisièmement, que l'u-
sage des panaches, ou des crêtes faites de plumes était également
inconnu.
Nous mettrons au rang des armes défensives Je la seconde espèce ,
celles qui étaient destinées à couvrir ou à préserver le corps du soldat.
Nous avons vu plus haut , que les anciens héros n'avaient pour armure
que la peau des animaux qu'ils avaient tués , et qu'ils portaient ces
dépouilles comme une marque de leur courage et de leur force : ce dont
les poètes nous offrent des exemples multipliés. Mais dans la suite,
ces mêmes guerriers ne dédaignèrent pas de se revêtir d'une armure
plus noble et plus solide, à laquelle on donna le nom de kJ/*ef ,
ou cuirasse. Elle était composée de trois parties. La première s'ap-
Ses parités.
Baudrier: pelait ft/rp» , ou le baudrier, qui était une ceinture faite de la-
mes de métal ; elle serrait le ventre au dessons de la cuirasse , et
était garnie en laine pour ne point blesser la peau. Homère dit
que la flèche lancée par Pandare contre Ménélas 3 après avoir tra-
versé toute l'armure du héros, s'amortit dans sa ceinture et n'atta-
qua que ta peau : elle pénétra jusqu'à la ceinture qu'il portait
pour lui servir de défense, et comme de plastron contre la pointe
des dards ; mais pourtant le trait la perça de part en part , et effleura
la peau du héros (3). La seconde, appelée le thorax, était la cui-

(i) Winckelmann ( Monum. anc. pag. 208 ) observe quon voit en


effet , dans un casque antique de bronze , que Von conserve dans le mu~
sée du sacré Collège à Rome, un morceau de la doublure de feutre qui
y est encore attachée ; et que dans plusieurs casques des statues de
P allas , on apperçoit derrière la nuque , autour du cou et au dessus de
l'oreille , une espèce d'étoffe ou de toile qui fait ourlet, avec certaines
attaches qui y sont adaptées pour le lier sous le menton , lesquelles sont
relevées et rentrées sous le casque.
(2) Il est à remarquer pourtant que ces appendices étaient déjà en
usage du tems d'Homère , car ce poète dit dans le XVII.e livre de l'Ilia-
de , vers 294 , que le casque d'Hippotoùs tué sur le cadavre d'Hector
avait les joues en cuivre.
£3) Iliad. IV. v. 137. Traduction de Salvini.
de La Grec e. «255
fasse proprement dite, et enveloppait entièrement le corps du guer-
rier. Elle était composée de deux pièces, dont l'une couvrait la
poitrine et le ventre , et l'autre les épaules et les reins : ces deux
pièces étaient jointes sur les flancs avec des boucles ou des agraf-
fes (i). Telle était, selon Pausanias , la cuirasse d'airain qu'on
voyait sur un autel , dans le fameux tableau de Polignotes représen-
tant la prise de Troie. Les cuirasses étaient faites de diverses ma-
tières :il y en avait de lin ou de chanvre tors, tressé en petites Cuirasse*
cordes ; et c'est pour cela qu'il est fait mention de cuirasses bilices
et trUices, du nombre des fils ou des petites cordes mises à côté les
une des autres. Ainsi, Ajax fils Oïlée est appelé par Homère dans
le II.9 livre de l'Iliade v. 5f2,8 xti»4»'p%t% , portant la cuirasse de Un(n).
Mais le plus souvent les cuirasses étaient en cuivre ou d'un autre mé-

(i) L'endroit où se joignaient les deux parties de la cuirasse laissait un


passage ouvert à l'épée de l'ennemi : ce qui le fesait regarder comme le
plus faible , et le plus dangereux de l'armure.
(2) La cuirasse de lin ou de chanvre semble avoir été particulière-
ment en usage pour la criasse , à cause de sa légèreté , et de la résistance
que l'épaisseur de son tissu opposait à la dent et aux griffes des bêtes fé-
roces. On s'en servait rarement à la guerre , selon le témoignage de Pau-
sanias. Les Grecs avaient emprunté des Egyptiens cette espèce d'armure.
Hérodote , dans Polymn. § LXIII , parle aussi des cuirasses de lin , et dit
qu'elles étaient usitées parmi les Assyriens. Il faut lire au sujet de ce
passage de l'Historien Grec la m.e note de Larcher, où est décrite laxma-
niére dont le lin était préparé à cet effet. Hi casses , dit Pline , Hist.
Nat. liv. XIX. chap. I. ( nempe a lino ) vel ferri aciem vincunt. Aussi la
légèreté de ces cuirasses les fit-elles préférer dans plusieurs pays à celles
de fer. Cornélius Nepos , dans la vie d'Hyphicrates , dit que mutant genus
loricarum , et pro ferreis . atque aeneis lineas dédit. Quo facto expédi-
tions milites reddidit. Cependant l'Heine , au 55o.e v. du liv. II de l'Ilia-
de , est d'avis que l'usage des cuirasses de lin était particulier aux ar-
chers ,et que le nom de linothorax sous lequel Ajax y est désigné doit
être regardé comme intrus , en ce que ce héros ne combattait point avec
l'arc, mais avec la lance. On voit en plusieurs endroits des vases d'Ha-
milton et de Millin , des guerriers avec la cuirasse de lin , quoiqu'armés
d'une lance : ce qui prouve que l'épithéte ci-dessus à été réelement donnée
à Ajax par le poète , et n'est point supposée. La planche 5o du II. e vol.
de Millin présente deux guerriers , dont la cuirasse semble être faite de
divers morceaux de toile , placés les uns sur les autres , et tissus ou en-
trelassés de fils de lin , de manière à former une espèce de matelas pro-
pre à garantir le corps contre la pointe ou le tranchant des armes.
^56 Milice
de métal.
tal réduit en lames, formant quelquefois plusieurs couches, de ma-
nière à les rendre impénétrables à la pointe de quelqu'arme que
ce fût. II parait qu'à des tems encore plus reculés, on se servait de
de cuir. cuirasses faites de peaux aprêtées avec art, ou changées en cuir. Cay-
lus parle d'une petite statue de Mercure revêtue d'une cuirasse ,
qui, par les revers qu'on voit à la partie antérieure du cou 3 montre
clairement que l'artiste a voulu indiquer la matière , ou le cuir dont
il a pensé qu'elle était faite (i). On ne trouve nulle part dans Ho-
mère, qu'à l'époque des tems héroïques, les Grecs se servissent
de cuirasses faites de bandes circulaires , à écailles ou à crochets , et
Eustase n'en dit rien non plus dans la longue description qu'il nous
a donnée des cuirasses (a) Les anciens monumens ne nous offrent
également cette espèce d'armure , que chez les peuples appelés
barbares" par les Grecs. La cuirasse couvrait le buste du guerrier
jusqu'au bas des flancs. On y adaptait un large ceinturon appelé
Ceinturon.
ièf-x. , qui descendait jusqu'aux genoux, et était fait avec des ban-
delettes de cuir ou de quelqu'autre matière souple , pour ne pas
gêner le mouvement des cuisses et des jambes. Ce ceinturon for-
mait la troisième partie et le bas de la cuirasse. Par dessous
Tiuiiijiie. celle-ci était la tunique dont nous parlerons ailleurs , et qui ne
différait de l'ordinaire qu'en ce qu'elle était plus petite. Il semble
Caleçons-
qu'on portait encore sous cette tunique des espèces de caleçons :
car Ulysse, en gourmandant Tersite dans le II. e livre de l'Iliade,
le menace de le dépouiller du manteau , de la tunique, et du vê-
tement qui couvre les parties honteuses : sur quoi Eustase observe ,
dans les réflexions que lui suggère ce passage , que le poète em-
ploie une périphrase , peut-être parce que la langue Grecque n'a-
vait uas encore de mot propre pour indiquer cette sorte de vête-
ment, que les Romains désignaient sous celui de hracca ou femora-
lia , et que les Grecs appelèrent dans la suite *,»ivf{i». M-r Mon-
gez croit que ce vêtement pouvait être semblable à celui qu'on
voit aux soldats Romains dans la colonne Trajanne , où ils sont re-
présentés avec des caleçons qui leur arrivent jusqu'à mi-jambes , et
$e lient autour du mollet. Mais malgré le peu de différence qu'on

(i) Rec. d'Antiquités etc. T. II. pag. 279. Quelques-uns sont d'avis
que le nom de lorica donné par les latins à la cuirasse , dérive du mot
lorum , cuir , précisément parce que les plus anciennes cuirasses étaient
en cuir. V. Potter. Arch. graeca.
(2) Ad. IV. Iliad. pag. 991 et suiv,
DKBondffi"àixe«
de la Grec e. 2^7
remarque entre l'habillement militaire des Romains et celui des
Grecs , l'opinion de cet écrivain ne semble guères pouvoir se con-
cilier avec Pétymologie du mot , «.»gv^iT« qui dérive du verbe «wr^.»,
dont le sens est., lever ses vêtemens et montrer sa vergogne. Il est à
présumer, selon nous, que le vêtement dont parle Homère, n'était
qu'une espèce de tablier qui enveloppait les cuisses , ou bien en-
core la partie inférieure de la tunique qui s'attachait aux reins ,
pour ne pas embarasser le guerrier. L'autorité des monumens vient
en cela à l'appui de notre opinion. On voit à la planche XXXIX
du IL vol. des vases de Millin un jeune guerrier, qui se met la cui-
rasse par dessus sa tunique, laquelle est ceinte en deux endroits,
et laisse à découvert le bas des cuisses. Une femme , d'un air pensif
et affligé , lui présente de la main droite le casque et une bande-
lette ,et de la gauche le bouclier. Nous avons copié ces figures
sous les n.os 3 et 4 de la planche 87, telles qu'elles sont dans le
monument. Nous nous sommes contentés de donner, sous les n.os 6
et 7 de la planche 35 , les dessins de deux cuirasses pris l'un et Figures
l'autre des vases d'Hamilton; parce que cette armure ayant presque de cuirasse
toujours la même forme dans les monumens , et nos lecteurs pouvant
en voir un grand nombre dans la planche qui a pour sujet le com-
bat, où les Grecs et les Troyens se disputent le cadavre de Patro-
cle , il aurait été superflu d'en présenter une plus grande quantiîé
d'exemples. Dans la première, on ne voit pas les deux parties de
la cuirasse attachées sur les côtés, mais elles semblent au contraire
jointes ensemble sur la poitrine et aux reins par une espèce de
bande. On distingue dans l'une et l'autre , non seulement la tunique,
qui dépasse le bas du ceinturon , mais encore le manteau ou la
chlamyde, qui est attachée dans l'une sur la poitrine, et dans l'au-
tre sur le ventre: car la chlamyde était une des marques dïstincti- chiamyde.
vos de l'état militaire; elle se portait en tems de guerre sur îa cui-
rasse ,et en tems de paix sur la tunique. Sa forme en général était
celle d'un carié long: sa largeur était le plus souvent égale à la
distance qu'il y a du cou à la moitié des jambes d'un homme de
haute stature, et elle avait en longueur le double de sa largeur (1).

(1) Il faut bien distinguer la chlamyde de la clena qui avait beau-


coup plus d'ampleur que la première , était d'un tissu épais et poilu , et
servait pour cela de couverture ou de tapis pour dormir. V. N'orner Iliad.
XXIV. v. 649. Odys III. vers. 346 etc. La chlamyde était généralement
Europe. Fol I 33
a58 Milice

Elle servait encore d'arme défensive, lorsque le guerrier était sur-


pris par l'ennemi sans son bouclier. Alors il la roulait autour de son
bras gauche pour parer les coups de son adversaire. D'autres fois
j^afe. la chlamyde s'attachait avec une agrafe par les deux angles, ou
les deux bouts de l'une des deux lignes les plus longues ; mais le
plus souvent elle était fixée à deux autres points de la même
ligne , et à environ aux deux tiers de sa longueur. Du reste , de
quelque manière que ce vêtement fût attaché , on le laissait jouer
librement, ensorte que l'agrafe se trouvait tantôt sur la poitrine,
et tantôt sur l'une ou l'autre épaule. Toutes ces particularités de-
viendront plus sensibles à l'inspection des figures n.° i de la plan-
che 87, qui sont prises d'un monument décrit par Winckelmann ,
et ont pour sujet la restitution du cadavre d'Hector aux Troyeus (1).
On voit, dans la figure du plus jeune des deux guerriers , la moitié
de la chlamyde qui descend sur la poitrine jusqu'au genoux, et
dans l'autre cette moitié qui va le long du dos. Dans ces deux
figures , la chlamyde n'est point attachée par les angles , qui tous
les quatre sont libres , mais par deux points de la ligne supérieure.
Le n.° a représente une chlamyde déployée dans le sens de la po-
sition de ces deux figures. La lettre A indique le premier angle
supérieur; B le premier point où est placée l'agrafe; C le second;
D le second angle supérieur; E le second angle inférieur; et F
le premier angle inférieur.
jambards. Les jambards , appelés par les Grecs «n^T/ss , ocreœ formaient
la troisième espèce des armes défensives. Mongez observe judicieu-
sement à ce sujet , qu'il serait difficile de décrire la forme de
la chaussure militaire des Grecs , en ce que les personnages des
tems héroïques sont généralement représentés nus, et qu'outre cela,
les pieds de la plupart des statues antiques ont été restaurés. C'est
pourquoi il faut avoir recours aux bas-reliefs , où il n'est guères
facile de distinguer les parties de l'habillement. Nous remarque-
rons donc en premier lieu 'qu'Homère, en parlant de l'armure des
jambes , employé toujours le pluriel «m^-TJW , et que par conséquent

carrée ,, comme nous venons de le dire : cependant on la trouve quelque-


fois dans les monumens, et surtout dans les statues des héros, de forme
ovale , et agraffée avec un bouton sur la poitrine , ou sur l'épaule gauche.
(1) Monum. anù. n.° i36. Voyez encore V Encyclop. méthod, Anbicf.
vol. I. pag. 24. PL 55.
DE LA G B. É C E. 259
les guerriers des teras héroïques se servaient de deux jambards , à
la différence des siècles postérieurs où s'entroduisit l'usage de n'en
porter qu'un seul. En second lieu, il ne faut pas confondre cette
armure avec la chaussure, car il y avait entre Tune et l'autre une
grande diversité , puisque la première se mettait quelquefois par
dessus la seconde , ce dont nous parlerons ailleurs. Les jambards
étaient faits en plaques de métal , et ne couvraient que le de-
vant de la jambe depuis le genou jusqu'au coude-pied : on les atta-
chait par derrière avec des courroies ; et ils étaient j ainsi que le
casque, garnis d'un feutre ou d'épongé très-fine pour ne point bles-
ser. Hésiode, dans le bouclier d'Hercule, v. iaa , parle des jam-
bards faits d'un cuivre resplendissant. Homère dit en plusieurs
endroits qu'lis étaient en étain , et que tels étaient ceux que
fit Vulcain pour Achille , (1). Au lieu de courroies pour se les
attacher aux jambes , on se servait quelquefois de boucles ou d'a-
graffes en or et en argent. Nous observerons enfin que les jam-
bards laissaient à découvert, non seulement les doigts, mais encore
tout le dessus du pied. Il semble que cette armure était particulière
aux Grecs, auxquels Homère donne toujours Pépithéte de bienchaus-
sés. Le n.° 5 de la planche 3^ représente Achille, avec un esclave Jambards
qui lui attache le jambard à la jambe droite, et sur ses brodequins
ou sa chaussure ordinaire. Ces deux figures sont prises d'un bas-
relief de la maison de plaisance Borghèse , publié par Winkelmann,
lequel représente le fils de Thétis se revêtant de ses armes pour al-
ler venger la mort de Patrocîe (a). Le n.° 6 est copié d'un vase de castor.
grec de la Bibliothèque du Vatican , et représente Castor s'attachant
un jambard. Il a le pied appuyé sur son bouclier, et le corps en-
core nu, parce que les guerriers commençaient à s'armer par les
jambes (3). Les jambards qu'on voit au n.° 1 de la planche 38 3 sont
pris d'une statue grecque de la maison Borghèse 3 et Lens en fait

O) Iliad. XVIII. y. 612.


(2) Les auteurs de l'Encyclopédie méthodique ont représenté ces
deux figures dans une position tout-à-fait contraire à celle qu'elles ont
dans l'original. V. Antiq. T. L. PI. LVI. n.° 1 , et Winckel. Monum.
ant. n.° i32.
(3) Ce guerrier n'est pas représenté non plus avec fidélité. dans la
même Encyclopédie. Montfaucon a publié aussi ce monument , mais sur
un dessin trés-incorrect , c'est pourquoi l'explication qu'il en donne s'éloi-
gne de la vérité.
a6o Milice

aussi mention (i).


Winckelmann (a). Le n.° a est extrait d'un bas-relief publié par
Bouclier. La dernière et la plus importante des armes défensives était
le bouclier , appelé par les Grecs i*»\s , de la particule d , et du
verbe mt%m , qui veut dire extendo , en ce que le guerrier déten-
dait en avant de lui contre les coups de l'ennemi. Cette arme était
tellement en honneur chez les anciens Grecs, que leurs héros n'ont
souvent dans les monumen? que le casque , l'épée et le bouclier.
Aussi la perte en était-elle regardée comme une tache d'infamie (3).
Dans les premiers terns, les boucliers étaient faits de petites bran-
ches d'osier entrelacées, forme à laquelle Virgile fait allusion dans
ce passage du YlLe livre de l'Enéide :

.flectuntque salignas
Jmbonum crates

et l'on prétend que tels étaient les boucliers de Prsetus et d'Acrise,


dont parle Pausanias. A ces boucliers d'osier, on en substitua dans
la suite qui étaient faits avec de petites planches de figuier , de
saule, de hêtre, ou de queîqu'autrc espèce de bois très-léger (^).
Mais cette partie de l'armure était ordinairement en cuir de bœuf,
et c'est pour cela qu'il est si souvent fait mention dans Homère de
boucliers de ce genre inrliu piu*< , (5). On mettait les unes sur les au-
tres plusieurs de ces peaux, qu?on avait soin d'entremêler ou de re-
couvrir de plaques de métal , de quoi Homère nous fournit plusieurs
exemples. Le bouclier était plus ou moins rond, et sa hauteur éga-
lait pour le moins celle d'un homme , ensorte qu'il couvrait tout
Parties le corps. On y distinguait deux parties principales, qui étaient;
($,11 bouclier.
xUxôs , ou le contour du bouclier; et i^*x^, appelé par les latins
umbo , qui en était le centre ou la partie la plus bombée et la plus
saillante , laquelle servait non seulement à repousser ou à rendre

£i) Costumes etc. fig. 3i.


(2) Monum. ant. n.° 6.
(3) Hérodote, Melpom. § GLXXXI, dit que les Grecs reçurent des
Egyptiens le casque et le bouclier. On remarque en effet une grande res-
semblance entre les boucliers des Egyptiens , et ceux des Grecs dans les
teins héroïques,
(4) Plin. ffisù. Nat, liv. VI chap. XL
(5) Le mot latin scutum dérive du gver ; e- , ci ri signifie aussi cuir.
de la Grèce. 261

nuls les coups des armes offensives , mais encore à heurter l'ennemi
et à le mettre en désordre. Mais il n'est pas aussi facile d'expli-
quer la manière dont les Grecs se servaient de cette arme dans les
tems héroïques : car on ne trouve nulle part dans Homère qu'elle
eût un manche , ou des attaches , ou quelqu'autre chose par où on
pût la saisir. Ce poète donne même à entendre clairement en plu-
sieurs endroits, que le bouclier s'attachait au cou avec une bande
de cuir qu'il appelle ni»/»«. Par ce moyen , le guerrier , au mo-
ment de combattre , le fesait glisser sur l'épaule gauche 3 et le te-
nait avec le bras gauche contre la poitrine : dans la marche il se
remettait derrière les épaules , et battait sur les talons. C'est pour
cela qu'Homère donne l'épithète de talare au bouclier d'Achille ,
et dit que ce bouclier tomba des épaules de Patrocle avec la ccm>
roie , lorsque ce héros fut blessé par Apollon (1).
Les boucliers , et surtout ceux des Princes ou des héros 3 por* Ornement
raient ordinairement à leur surface extérieure des figures d'aigles ,
de lions et autres animaux généreux qui y étaient sculptées 3 ou
l'image de quelque divinité, ou bien encore le tableau d'une par-
tie quelconque de la nature ou de quelqu'une de ses opérations :
usage qui , selon Hérodote , doit son origine aux Cariens. Ainsi
Ton voyait sur le bouclier d'Agamemrion une Gorgone; sur celui Bouclier
d'Ulysse un d'auphin , emblème de la navigation ; et sur celui d'Js«'»e»w°n.
de Parthénope un sphinx serrant un homme entre ses griffes. Le
n.° 8 de la planche 35 représente le bouclier de l'aîné des Atrides.
Il est pris d'un bas-relief qui a été trouvé dans les fouilles près de
Frascati , et a pour sujet, selon Winckelmann , la translation du
cadavre d'Hector. Mais il convient , pour en rendre l'intelligence
plus facile , de rapporter ici les propres paroles de cet illustre a n^
tiquaire : " On voit ce bouclier , comme celui d'Agamemnon ,
" décoré au milieu , ainsi qu'il était d'usage , d'une tête de Mé-
«« duse ; et cela à limitation de celui de Pallas, au milieu du-

(1) Iliad. XVI. v. 802. Voici ce que dit Goguet du défaut de ces
boucliers , et de la difficulté de les manier. Cette arme ne pouvait être
que d'une faible utilité } et devait causer beaucoup d 'embarras et d'in-
com odité ,eu égard surtout à son volume immense. Comment un sol-
dat pouvait-il se battre ? à peine était-il en état de se remuer. Il ne
devait pas avoir les mouvemens libres. D'ailleurs on perdait la princi-
pale utilité du bouclier , qui parlait avoir été particulièrement destiné à
parer les coups qui menaçaient la tête.
a6a Milice

« quel la Déesse plaça cette tête , qu'on suppose encore avoir été
« ainsi employée, pour donner plus de courage aux guerriers, qui
« en effet se croyaient, en la portant, à l'abri de tout événement
« sinistre; ensorte qu'elle était pour eux une espèce d'amulette .
« Les têtes de Méduse qu'on voit sur les boucliers et autres armu-
« res, sont ordinairement applaties et tirées dans le sens de leur
« largeur, comme celle d'un visage qu'on aurait écorché. On trouve
*< une preuve de la haute antiquité de cet ornement dans la notice
« qui nous est parvenue sur le bouclier, qu'en partant de Troie,
« Ménélas suspendit dans le temple d'Apollon , appelé Branchide
« chez les Milésiens , auquel il en fit hommage : il y est dit que
« Pitagore le trouva réduit en putréfaction, en ce qu'il était de
<« peau , à l'exception de la tête de Méduse en ivoire qui était au
" milieu. Cet ornement est blanc également dans les boucliers qu'on
« voit représentés sur deux vases en terre cuite de la Bibliothèque
« du Vatican , sans doute pour indiquer que cette partie de l'ar-
(i mure présentait un ouvrage en ivoire : . cet ouvrage étant d'une
" matière différente que celle du bouclier, il est à présumer qu'il
« y était fixé par des clous (i). „
Bouclier Mais de tous les boucliers héroïques, le plus célèbre est ce-
lui dont il est parlé dans le XVilï.e livre de l'Iliade, et que le
poète feint d'avoir été fabriqué par Vulcain pour Achille. Nous
croyons à propos d'en donner le dessin à la planche 36 , en pre-
nant pour guide la description savante qu'en a faite M.r Quatremère
de-Quincy (2). Les événemens et les usages qui y sont représentés
n'appartenant pas tous à l'art militaire, nous n'en exposerons les dé-
tails que successivement et à mesure que les occasions s'en présenteront
dans cet ouvrage , nous bornant pour le moment à ne décrire que
les parties de ce bouclier qui ont rapport à l'art militaire , et à
ne faire que la simple énumération des autres. Ce ne sera pas nous
écarter non plus de notre but , que de remarquer en passant les
questions presqu'infinies auxquelles il a donné lieu parmi les cri-
tiques et les savans. Ceux qui voudront voir ce sujet traité à fond
pourront consulter , parmi un grand nombre d'autres écrivains ,
Dacier , Pope, Goguet , Caylus, Cesarotti , Lessiugs, Hancarvilie,

(1) "Winckel. Monum. ant. pag. 181.


(2) Le Jupiter Olympien , ou l'Art de la Sculpture antique etc.
Paris , De Bure Frères etc. x8i5. gr. in fol.0
de la Grèce. a65
Gébelin , et le célèbre Heine ; ils y trouveront examinée aussi la
question de savoir, auquel des deux boucliers d'Homère et d'Hé-
,.
siode on doit accorder
i
la
i•
priorité de l'invention

(i). Nous ajouterons
l
Besaription.
go1 en fait
seulement, que ce boucher est extrêmement important pour la con- Homère-
naissance des arts et des usages de cette époque : car on y voit à
quel point était parvenue chez les Grecs au tems d'Homère la sculp-
ture polycrome , ou l'art de graver sur les métaux de grandes com-
positions ,et de leur y donner une expression vive au moyen de
certaines couleurs (a). Homère raconte donc que Vulcain mit am

(x) M.r Quatremére prend argument de la multiplicité même des»


objets que présente le bouclier d'Hercule , pour prouver qu'Hésiode , si
tant est qu'il en soit l'auteur , doit être considéré comme postérieur à Ho-
mère. «Les sujets , dit-il , qui composent la presque totalité du bou-
clier d'Achille, et qui , comme on le verra _, se bornent à huit, forment
la moindre partie de celui d'Hercule. L'analyse graphique de ce dernier _,
lui donne au moins vingt sujets , où il se trouve des repétitions , des re-
dondances une
, grande multiplicité de ligures , et un luxe d'objets ac-
ces oires que
, le dessin ne parviendrait pas à réduire dans l'espace pre-
scrit. Je ne sais si je me trompe , mais il me semble qu'il est dans l'esprit
de l'écrivain postérieur d'amplifier la matière plutôt que de la restreindre ,
de mettre le plus à la place du mieux,, et de donner en quantité ce qu'il
ne peut donner en qualité ; d'où Ton pourrait inférer , que des deux
descriptions de bouclier, la plus nombreuse en objets et en détails doit être
la moins ancienne , et que si le bouclier d'Hercule est d'Hésiode , il sert
à prouver qu'Hésiode fut postérieur à Homère. »
(2) Je ne vois dans l'histoire ancienne , dit Goguet , aucun fait:
qui soit plus propre que le bouclier à" Achille à faire connaître l'état et
les progrès des arts dans ces tems reculés. Sans pailler du mérite et de
la variété du dessin qui règne dans cet ouvrage , il faut d'abord con-
sidérer l'amalgame des divers- métaux tels que le cuivre , l'ètain , l'ar-
gent et For qu Homère fait entrer dans la composition de ce bouclier.
Hem arquerons ensuite que dès lors on connaissait l'art de représenter
par Vaction du feu sur les métaux et par le moyen de leur mélange
la couleur de chaque objet. Ajoutons à cela le talent de la gravure et
de la ciselure , et il faudra convenir que ce bouclier était un ouvrage
extrêmement compliqué Voyons néanmoins si l'industrie des
modernes nous fournit quelqu ouvrage qui puisse nous aider à compren-
dre ce genre de composition. Rappelons nous ces pièces d'orfèvrerie qui
se fes aient il y a quelques années , et où , par le moyen de l'or et de
l'argent combinés ensemble de diverses manières sur un champ plane et
uni , on présentait V image de différons objets. Tout l'art de ce travail
264 MurcE
feu Varain dur } Vêtain , Vor précieux et l'argent ; qiCïl plaça en-
suite sur le billot une grosse enclume , et saisit d'une main le mar-
teau pesant , et de Vautre la tenaille. Il commença par donner au
bouclier une forme ample et solide , et en travailla soigneusement
toutes les parties ; il l'entoura ensuite d'un cercle laminé , à tri-
ple rang , et d'un éclat éblouissant , et y adapta une attache en
argent pour le porter. Ce bouclier avait cinq plis , et il V embel-
lit de plusieurs omemens faits avec autant d'habileté que de sa-
gesse. Le poète passe ensuite à la description de chacune des par-
ties de ce bouclier , ou plutôt des événemens qui y sont représen-
tés. Pour en rendre le sujet plus intelligible , nous suivrons au
lieu du poète, M.r Quatremère dans celle qu'il en a tracée, en
observant pourtant à nos lecteurs , que dans la planche ci-dessus ,
les parties du bouclier sont exactement disposées selon Tordre qu'el-
le* diverses les ont dans Homère. Le n.° 1 représente la culture des champs ;
parties.
îe n,°i la moisson; le n.° 3 la vendange; le n.°4 les troupeaux de
bœufs; le n.°5 les pâturages ; le n.° 6 la danse dédalienne ; le n.° 7
la ville en paix (1); le n.° 8 la ville en guerre; le n.°9 le ciel; et

consistait dans un nombre infini de petites pièces rapprochées et appli-


quées sur la surface de la pièce principale , lesquelles étaient toutes gra-
vées ou ciselées. La couleur et les reflets de la lumière -produits par la
combinaison de ces métaux avec le dessin , détachaient en quelque sorte
les objets du champ de V ouvrage , et les fesaient ressortir d'eux mê-
mes. Telle est à-peu-prés Vidée qu'on peut imaginer qu Homère a prê-
tée à Vulcain pour la fabrication du bouclier d' Achille. Le champ en
était en cuivre , mais parsemé de petites pièces de divers métaux ciselées
et gravées. Donnons-en quelques exemples. Si Fttlcain se pro-
pose de représenter une vigne chargée de grappes de raisin noir ou
mûr , l'or en forme le tronc , et ces branches ont pour appui des échalas
d'argent. Il est probable que les grains de raisin étaient faits de petits
morceaux d'acier poli et bien bruni. Un fossé du même métal entoure
cette vigne , et une palissade en étain lui sert de haie .... Une sem-
blable composition ne permet point de douter que , du tems de la guerre
de Troie , l'art de V orfèvrerie n'eût déjà été porté à un très-haut degré
de perfection chez, les peuples de V Asie , où Homère place toujours le
séjour des arts et des artistes célèbres.
(1) Parmi les sujets qui composent le n.° 7 , on doit distinguer celui
qui concerne proprement le Gouvernement, et l'administration de la justice.
De l'autre côté , dit le poète , le peuple se portait en foule à la place.
Là deux hommes se disputaient au sujet de l'amende pour un
de la Grec e. 260

le n.° 10 V'océan. Mais comme nous ne devons nous occuper ici que
de ce qui regarde la milice , nous allons rapporter littéralement
ce que dit Homère de la ville en guerre, qui fait le sujet du n.° vuie
8^ L'autre ville était étroitement cernée par deux armées qui V as-
en guerre
siégeaient ,et dont les guerriers étaient revêtus d'armes éclatantes .
Le conseil des assiégeans était divisé d'opinions* Les uns voulaient
que la ville fût mise au pillage , les autres quon fît le partage de
tout ce qu'elle renfermait. Mais de leur côté les assiégés n'étaient
pas disposés à se rendre , ils se préparaient au contraire en secret
pour un coup de main. Les femmes et les en fans étaient restés sur
les remparts avec les vieillards retenus par l'âge, pour en faire la
garde. Les autres s'étaient mis en marche, précédés de Mars (t de
P allas , qu'il était aisé de reconnaître à leurs vêtemens tout brillans
d'or , à l'éclat de leurs armes , et surtout à la hauteur et à lu n a-
jesté de leur taille , tandis que les guerriers étaient d'une stature
un peu inférieure. Arrivés à un lieu qui leur paru propre à C em-
buscade qu'ils méditaient , et qui était l'endroit où les troupeaux ve-
naient s'abreuver , Us s'y cachèrent enveloppés dans l'airain resplen-
dissant dont leur armure était faite. Ils avaient à l'écart deux es-
pions ,pour observer la marche des troupeaux de moutons et de bœufs.
Un de ces troupeaux vint en effet, suivi de deux pasteurs, qui

homme tué. L'un , en s' adressant au peuple , soutenait de la lui a-voir


payée, l'autre au contraire le niait Les hérauts contenaient le
peuple. Mais les vieillards étaient assis sur des pierres luisantes dans
le cercle sacré , et leurs sceptres étaient dans les mains de ces hérauts.
seyant repris chacun leur sceptre , ils s'avançaient et donnaient l'un
après l'autre leur opinion. Au milieu d'eux il y avait deux talens d'or,
■pour celui dont V avis serait trouvé le plus juste. Ce passage offre trois
choses à remarquer quanta l'usage. La première , c'est que la justice n'était
administrée que par des -vieillards. Il était bien naturel , dit M.r Bitaubé
d'avoir recours à la prudence des vieillards , dans un terris où il n'y
avait point de lois écrites : maintenant il faudrait y recourir par la
raison tout-à-fait contraire , c'est à dire -parce que nous en avons de
trop. La seconde remarque , c'est que le lieu où se rendait la justice était
circulaire , et regardé comme sacré. Sophocle l'appelle le trône circulaire
du for. La troisième enfin , c'est que durant tout le tems que les juges
entendaient les parties, ils restaient assis et ne tenaient point leur sceptre ,
et qu'ils le reprenaient des mains des hérauts lorsqu'ils se levaient pour-
prononcer leur jugement : ce qui devait inspirer au peuple plus de respect '
pour l'exercice de leur ministère.
Europe Vol. I. 3/
s66 Milice.
jouaient de la musette , ne se doutant nullement de Vemhuscade
qui les attendait. La troupe se jetta aussitôt sur les bœufs tar-
difs et les blanches brebis , et les ayant séparés des deux pasteurs ,
elle tua ces derniers. Les assiégeans qui étaient en conseil ayant
entendu un grand bruit du côté des troupeaux , montèrent de suite
sur leurs chevaux au pied léger , et se mirent à la poursuite des
aggresseurs qu'ils ne tardèrent pas à rejoindre (i). S'étant arrêtés
Bataille. les uns et les autres , il s'engagea sur les bords du fleuve un com-
bat , dans lequel ils se portaient des coups avec des lances d'ai-
rain. Là se trouvaient la Rixe , le Tumulte et la Parque homicide
qui ranimait la vie d'un guerrier blessé , qui en tenait un autre
non encore atteint, et en traînait par les pieds un troisième tué
au milieu du carnage ; ses épaules étaient enveloppées d'un vête-
ment souillé du sang des guerriers. Ces spectres se mouvaient mm-,
me des êtres vivans ; ils combattaient et entrainaient avidement avec
eux les cadavres de ceux qui périssaient dans la mêlée. Le Lut
de cet ouvrage ne nous permet pas de nous arrêter sur les beautés
poétiques dont cette description est remplie; nous remarquerons
seulement qu'elle pourrait fournir à un peintre le sujet d'une grande
et terrible composition.
justification
les éditeurs au,
Peut-être
-i , , ,
que quelques-uns de nos -. lecteurs
,•> . 1 .. ,
trouveront ,
,
étrange
,
sujet de cetu et déplacée 1 idée que nous avons eue de leur donner une planche,
pianc ie. fo^ aucun monument de l'antiquité ne nous a fourni le modèle.
Nous leur répondrons par les deux observations suivantes; la pre-
mière ,c'est qu'au défaut absolu de monumens on est bien forcé
de recoprir aux écrivains, et de chercher dans leurs ouvrages le
costume des tems où ils vivaient. Or l'Iliade et l'Odyssée ne doi-
vent pas être seulement considérés comme des poèmes , mais encore

(i) Quelques érudits ont cru pouvoir conjecturer de ce passage , que


dès la guerre de Troie on connaissait l'usage de la cavalerie proprement
dite. Mais les commentateurs observent que le mot i<p' ^w» qui yeut dire
sur les chevaux , doit être pris pour une synecdoche selon la coutume
d'Homère , et que par conséquent il ne faut pas entendre par ce mot des
chevaux , mais bien des chars. V. Heyne Var. lect. et Obss. ad Iliad.
liv. XVIII. v. 53:}. M.r Quatremère prenant également à la lettre l'ex-
pression dont se sert Homère, fait aussi entrer dans le bouclier d'Achille
des cavaliers au lieu de chars : ce qu'avait fait de même Boivin avant lui.
Nous n'avons pas cru devoir corriger la composition de M.r Quatremère sur
celle de notre, planche , persuadés que nous avons suffisamment remédié
à cet anachronisme par l'observation que nous en fesons à nos lecteurs-.
delà Grèce. 2,67

comme l'histoire des opinions, des usages, des arts, des sciences et
des mœurs propres au teros d'Homère, ou dont la tradition avait
jusques là perpétué le souvenir. C'est pourquoi le poète que nous avons
cité plus haut , donne avec raison à l'immortel auteur de ces deux poè-
mes le nom de , Premier peintre des relations historiques de l'antiquité.
Pourquoi ne uous serait-il donc pas permis de suppléer au manque
de monumens, et d'emprunter les secours du dessin , de la gravure ,
et de la peinture, pour la représentation des ohjets ou des choses ,
dont le poète nous offre non seulement la description, mais encore
pour ainsi dire le modèle? Et n'est-ce pas ainsi qu'ont fait Flax-
man , Bartolozzi , Tischbeîn et une foule d'autres artistes renommés ,
tant d'Italie qu'ultramontains ? La seconde observation, c'est que les
monumens même que nous avons concernant des faits qui ont eu
lieu durant la guerre de Troie , appartiennent à des tems posté-
rieurs au siècle d'Homère; de sorte que les auteurs de ces ouvrages
n'ont fait que suivre les traces du poète dans la représentation des
événemens historiques qu'ils y ont figurés. Nous ne croyons donc
pas qu'on puisse nous faire un reproche, d'avoir voulu, à leur
exemple, donner la description graphique de certains faits, dont
l'antiquité ne nous a laissé aucun monument.
Les armes dont nous avons fait mention jusqu'à présent, n'é- -*■««
taieot à proprement parler que défensives: il nous reste mainte- °Jfenswes'
liant à discourir des armes offensives. Anciennement, les peuples
ne se servaient, pour attaquer, que des armes que leur fournissait la
nature, telles que les pierres, les massues, le feu, les cornes et
les ongles. On ne connaissait pas alors ces machines fatales , dont
une cruelle nécessité, et la coupable soif de l'or et de la gloire
firent inventer l'usage. C'est ce qui a fait dire à Horace, en par-
lant de ces tems reculés ,

Unguibus et pugnis., dein fustibus, atque ita porro


Pugnabant armis , quae post fabrlcaçerat usus (1).

11 est encore un autre passage très-connu dans le V.e livre de Lu-


crèce 3où ce poète s'exprime ainsi :
Arma antiqua m,anus , ungues , dentesque fucre ,
Et lapides, et item siharum fragmina , rami ,
Et jlammae , atque ignés . ,

(1) Sermon, liv. I. sat. III.


a68 Milice

Massue. Ainsi la massue est l'arme propre des héros appartenans aux tems
fabuleux, et la plus ancienne; l'antiquité de son origine est peut-
être ce qui l'a fait prendre pour signe emblématique de la tragé-
die , comme on le voit souvent dans les monumens. Cette arme était
tantôt de cuivre, ou de fer, et tantôt garnie de pointes, surtout à
son extrémité. Telle est la massue que tient dans sa main droite
une statue de Mars transportée d'une peinture antique dans les mo-
numens de Winckelmann : voy. le n.° 3 de la planche 38. De fer
était aussi celle d'Aréitoùs , surnommé dans Homère le clavigère,,
parce qu'il ne fesait usage d'aucune autre arme que de la massue (i).
Mais depuis que la nature a dû céder aux efforts d'une sagacité
ingénieuse et barbare } dans l'art de créer de nouveaux instrumens
pour moissonner la vie des hommes, la massue a fait place aux
lances, aux dards, aux épécs, aux flèches et aux javelots.
p^ue ou lance. Dans la pique ou la lance, nous avons deux parties à distin-
guer ;la première , c'est le fut qui était de bois , et le plus sou-
vent de frêne. C'est pour cela que Pline, en parlant de cet arbre,
dit: Procera haec ac turcs, pennata et ipsa folio , multumque Ho~
mcri praeconio , et Jchillis hasta nobilitata (a). La seconde est la
cime qui était en cuivre, ayant la figure d'un dard, ou pour mieux
j)çuiie peinte, dire, de deux pyramides tronquées, jointes ensemble par la base,
dont les côtés étaient tranchans, et le sommet très-aigu. Du tems
d'Homère cette arme avait quelquefois deux pointes, l'une à cha-
que bout du fût , avec cette différence pourtant , que celle d'en
bas était plus étroite et moins longue que celle d'en haut. Voy. le
n.° 9 de la planche 35 , où est représentée une lance des tems
d'Homère, prise des monumens de Winckelmann. La pointe d'en bas
servait à ficher la lance enterre après le combat (3). Quelquefois le
guerrier agitait sa lance en plusieurs sens de manière à frapper avec
ses deux pointes (4)- La lance levée, droite, et comme immobile
était le signal pour parlementer, ou demander une suspension d'ar-
mes (5). Néanmoins la lance ordinaire, c'est à dire celle des sim-
ples soldats, n'avait pas de pointe à son extrémité inférieure, ainsi

(i) Iliad. VII. i36 et suiv..


(2) PUn. Hlstor. liv. XVI, chap. XIIJ.
(5) Iliad. X. v. *5i.
(4) Iliad. XV. v. 278.
H) Iliad. III. v. 77 e VII. v. 54.
de la Grèce, 269

qu'on le voit au n.° 10 de la planche 35, (pi est pris des monu-
mens de Winckelmann. Outre tout ce que nous venons de dire des
lances en général , il est encore à remarquer que les anciens écri-
vains en distinguent de deux sortes; les unes servaient à combattre
de près ., et les Àbans (1) sont célèbres dans Homère par leur adresse
à les manier; les autres se lançaient de loin contre l'ennemi, et
peuvent se ranger par conséquent dans la classe des dards et des D"râ.
javelots. Et en effet il est parlé dans le VIII.6 livre de l'Odyssée
d'un certain Thrasoa , qui se vantait d'être plus sûr d'atteindre un
Lut avec sa lance, qu'aucun autre ne pût le faire avec une flèche.
Mais il n'est pas facile d'indiquer la différence qu'il y avait entre
ces deux espèces de lances. Il parait que celles-ci étaient moins
longues, plus légères et sans pointe au talon. Cette espèce de dard
ou javelot était quelquefois attaché vers le milieu à une corde ou
courroie, pour donner plus de facilité à le lancer. Voy. le n.° 11 de la
planche 35 pris des vases Grecs de ïischbein. Les héros de la guerre
de Troie en portaient ordinairement deux. La lance proprement
dite ne dépasse guères dans les monuraens la tête du guerrier. Ainsi
sa longueur ordinaire pouvait être d'environ un mètre et 95 c. , ou Longueur
de deux mètres et 11 c. , c'est-à-dire de six pieds, à six pieds et delala»c3'
demi (2,). On voit pourtant aussi des lances fort-lougues, dont l'usage
était particulier aux guerriers qui combattaient sur des chars; et
telles étaient, à ce qu'il semble, celles dont se servirent les Grecs
pour défendre leurs vaisseaux, et qu?on appelait pour cela novrôi (3).
Il y en avait aussi -d'extrêmement pesantes , et de ce nombre était
celle d'Achille, qui, au rapport d'Homère, ne pouvait être maniée
par ancun autre héros (4)- Les combats s'engageaient ordinairement
à la lance , et les guerriers ne se servaient de leur épée que lors-
que la première s'était brisée , ou après l'avoir lancée contre l'ennemi.
L'épée n'était pas plus longue que le bras d'un homme. Elle fyfy
allait en s'élargissant un peu vers les deux tiers de sa longueur , et
0) lliad. IL y. 544.
(2) V. gncyclop. méthod. Antiq. PI. f. I- pag. 5i.
(3) Du verbe xovteÎv } qui veut dire, pousser le navire pour le faire
aller en avant.
(4) En tems de paix la lance se gardait soigneusement dans un étui,
ou dans une armoire. On lit dans le premier livre de l'Odyssée, v. 529,
que Télémaque ayant' pris la lance de Minerve, la mit dans une belle
armoire, qui renfermait d'aujres lances à'Uljsse le souffrant.
^7© Milice
se terminait en une pointe peu aiguë. Telle est la forme qu'a celle
des héros Grecs, dans les peintures des vases antiques et dans les
bas-reliefs: Voy. les n.os 4 et 5 de la planche 33; on pouvait s'en
Garde. servir pour frapper d'estoc et de taille. La garde se terminait
par un pommeau, qu'on appelait f»»arç<r* qui veut dire champi-
gnon, parce qu'il en avait le plus souvent la ligure (1), ainsi que
le bout du fourreau, qu'on désignait aussi sous ce nom. Ce four-
reau était d'une largeur partout égaie. Le n.° 12, de la planche
35 représente une épée dans son fourreau : Winckelmann l'a co-
pié d'une pierre antique, sur laquelle ce savant antiquaire croit
voir Achille retiré dans son camp. On y aperçoit cette épée accro-
chée au tronc d'un arbre. Les héros la portaient suspendue à un
Baudrier, baudrier qui leur passait par dessus une épaule. Elle leur pendait
ainsi sous l'aiselle gauche dans une position fort-peu inclinée, en-
sorte que la garde touchait la mamelle du même côté. Le ceintu-
ron était une espèce d'écharpe , ou même une simple bande de
cuir, comme il semble qu'était celui de l'épée, dont Achille fit
présent à Dioméde (3). Cette écharpe était nouée par un des bouts
vers le bord ou l'ouverture du fourreau , et s'y rattachait par l'au-
tre bout, après avoir passé par dessus l'épaule droite. C'est ainsi
que les guerriers portent ordinairement l'épée dans les statues an-
tiques, et Winckelmann en prend argument pour recommander
aux artistes de ne point s'écarter de cet usage (3). Au fourreau
Poignard. était encore souvent suspendu un poignard, dont les Grées, à ce
qu'il semble , se servaient rarement dans les combats , et qui plu-
tôt leur tenait lieu de couteau pour leurs besoins particuliers : on
en trouve un exemple dans le III.6 livre de l'Iliade où il est dit,
qu'Atride ayant tiré avec ses mains le couteau qu'il portait toujours
pendu au fourreau de son épée , il coupa le poil de la tête des
agneaux. Il n'est guères facile de déterminer la forme de ces poi-
gnards, àcause de la petitesse des dimensions qu'ils ont dans les
monumens , et de la peine qu'on a à les y distinguer. Homère dit
dans le XV. e livre de l'Iliade, que tes beaux couteaux dont les
Grecs et les Troyens firent usage dans le combat qu'ils se donné-

(1) V. Winckelmann. Mon. ont. pag. 167 chap. VIII.


(2) Iliad. XXIII. v. 8a5.
(3) Il faut lire encore Montfaucon sur l'origine de l'épée , et la ma-
nière dont la portaient les Grecs , Anùq. expl. T. IV. , pag. 58 et suiv.
de la Grèce. 371
rent près des vaisseaux , avaient le manche noir et un pommeau. Il
fait encore mention au même endroit , des haches à un où deux à J^f"f[iï
tranchans , et distingue clairement les unes des autres. Les premiè- tranches.
res l'avaient simple , et les secondes double. Le n.° 6 de la plan-
che 38 présente l'image d'une de ces dernières , avec un long man-
che ; elle est prise des Monumens antiques de Winckelmann. Celle
du n.°7 à manche court, est copiée des monnaies de Ténédos,
auxquelles elle servait de type (1). Nous nous bornerons à ce peu de
mots sur les haches, parce que leur usage, ainsi que celui des mar~
teaux tant simples que doubles , n'était pas seulement propre aux
Grecs, mais encore aux Amazones, et autres peuples barbares.
Il nous reste maintenant à parler des arcs , des flèches et des
carquois, objets dont nous ne dirons que fort-peu de chose, parce
qu'ils sont très-connus , et que leur forme est commune à ceux de pres-
que tous les peuples anciens. Nous voyons que les Grecs se servaient
particulièrement de deux espèces d'arc ; la première était l'arc Arcs,
scythique , qu'Hercule, selon la tradition, avait reçu de Teutar
berger de Scythie (a). Il était très-courbé à ses extrémités et peu
au milieu , ce qui lui donnait en quelque sorte la forme de la let-
tre 2 5 ou du sigma des Grecs. Et en effet on lit dans Athénée,
qu'un berger , pour désigner les lettres qui composaient le mot Thésée ,
dit que la troisième ressemblait à l'arc d'un Scythe. Tel est pré-
cisément l'arc qu'on voit au n.° 8 de la planche 38, qui est pris
d'une pierre précieuse du musée de Florence (3), où Hercule est
représenté tuant à coups de flèches les oiseaux stymphales^ c'est
aussi la forme de celui que tient encore ce héros, dans deux anciens
bas-reliefs de la maison de plaisance Albani. Les arcs de la seconde
espèce étaient légèrement courbés à leurs extrémités, et si peu au

( 1 ) Gessn. I. Tab. 70, , n.° 7.


(2) Lycopliron , Cassand. v. 56 et gi 5. Theocriti Scholiastes.
îdyll. XIII. Certains auteurs sont d'avis que l'arc Scythique avait la forme
d'un demi cercle > et allèguent pour raison que l'ancien sigma des Grecs
s'écrivait comme un G ; mais dans le marbre sigée rapporté par Chishul ,
et qui est de la plus haute antiquité , le sigma est tracé comme une li-
gne sinueuse , ou comme le sigma moderne , et ressemble par conséquent
à l'arc qu'a Hercule dans les monumens. Ajoutons à cela que le Pont-
Euxin a été comparé par les anciens à un arç Scythique, à cause de l'ir-
régularité tortueuse de ses rivages.
(3) Mus. Flor. Gemmae. Vol. I. Tab. 38, n.° 1.
af& Milice
milieu, que souvent ils ne s'écartaient guères de la lio-ne droite.
Tel est en général l'arc d'Apollon, comme ont le voit par celui
du n.° 9 de la planche 38, qui est pris de la statue capitoline de
Leur madère, ce Dieu , citée aussi par Winckelmann. Les arcs étaient faits en
bois , et quelquefois de cornes de chèvre , suivant l'ancien usage
des Scythes: celui de Pandare , dont on trouve la description dans
le lV.e livre de l'Iliade, était en corne; mais les bouts de l'arc où
€orde. s'attachait la corde étaient ordinairement en or. La corde était faite
de crins de cheval, comme on peut le voir dans Esichius, ou de
nerfs de bœuf coupés dans leur longueur en filamens très-minces (i).
Pour bander l'arc on tirait la corde vers la mamelle droite, à la
manière des Amazones, tandis que de nos jours, dit Eustase , on
la tire vers l'oreille droite. Telle est en effet l'attitude qu'Homère
donne à Pandare , lorsqu'il le représente décochant une flèche
Flèches. contre Ménélas. Les flèches étaient de jonc , ou d'un bois très-léger.
On y distingue deux parties , savoir; la pointe qui était le plus
souvent en cuivre , et armée de petites dents, ou crochue; et le
bout opposé ou talon, par lequel la flèche se lançait, et qui était
garni de plumes en guise d'ailes , pour donner à la flèche plus de
force et de vitesse , et empêcher qu'elle ne déviât dans son vol.
Voy. le n.° io de la planche 38 , pris de celle qui a le n.° 77
Carquoh. dans le II.e vol. des vases de Mil lin. Les carquois étaient chez les
anciens, de matières et de formes si diverses, qu'il serait trop dif-
ficile de vouloir désigner dans ce nombre ceux qui étaient parti-
culiers aux Grecs. Il en est de ronds , et qui se terminent en pointe
avec différentes sortes d'ornemens : d'autres ont un couvercle qui
recouvre les flèches; plusieurs ressemblent à un obélisque dressé sur
son sommet ; enfin on en voit qui renferment x non seulement les
flèches 3 mais l'are lui même, et sont faits en forme de bourse.
Voy. le n.° 11 de la planche ci-dessus, représentant le carquois
de Philotecte , d'après une pierre précieuse du musée Stoschiano.
Le carquois se portait avec l'arc sur l'épaule. C'est ainsi qu'Ho-
mère ,dans le I.er livre de l'Iliade , fait descendre de l'Olympe
Apollon d'un air plein de dépit, portant sur son épaule son arc
et son carquois fermé de tous côtés. Ce poète fait encore mention
Frondes. des frondes (2), qui étaient en laine, et assez semblables aux nô-

(1) Iliad IV. v. 122.


(2) Iliad, XIII. Y. 69,9.
de l a Grèce. a^S
très: car les Grecs donnaient le nom de fronde au diadème, dont la
partie du milieu se relève sur le front a comme était celai de Ju-
non (i). Enfin les héros fesaient encore usage de pierres , qu'ils Pierres.
lançaient avec une force capable de briser l'armure et les membres
de l'ennemi. Homère dit qu'elles étaient quelquefois d'une gros-
seur si énorme , que deux hommes de son tems n'auraient pu les
porter (a).

,
Il est -,
aisé, de
, voir
, , par tout ce.que nous, venons
-, d'exposer
«T-r . • ,-t.
que Matière
des armas.
les armes des héros étaient en cuivre , métal qu Homère indique Cuwre.
presque toujours pour être la matière dont elles étaient faites. Hé-
siode dit aussi qu'elles étaient de ce métal , dont on fesait encore
usage dans la construction des maisons,, parce que le fer n'était pas
connu (3). Pausanias en offre une foule d'exemples , qu'il est inu-
tile de rapporter ici. Plutarque dit, dans la vie de Thésée, que Ci-
mon fils de Miltiade, trouva dans le tombeau de ce héros à Saros

ses armes d'airain (4) parmi ses ossemens. A l'appui de toutes ces
observations ou peut encore citer ces deux vers de Lucrèce :
Posterius ferri çis est aerisque reperla ;
Sed prlus aeris erat } quarn ferri cognilus usus.

Homère parle aussi en plusieurs endroits de l'étain. Ce métal com- Eudlu


posait en partie la cuirasse d'Agamemnon , dont le poète donne la
description dans le XI.e livre de l'Iliade ; et c'était également la
(i) Encycl. mëth. Antiq. PL vol. I. pag. 33.
(2) Iliad. V. v. 3o2. Relativement à la force extraordinaire et à la vi-
gueur des héros Grecs , il faut lire les belles et savantes Observations sur
certain^ passages d'Homère par le Chevalier L. Lambertiy pag 68 et suiv.
(3) Oper. et Dier. v. 149.
(4) Ce serait néanmoins s'abuser, que de croire d'après cela que l'usage
du fer n'était nullement connu du tems d'Homère : car en parlant du
bruit que le pieu enflammé fit dans rœil d'Ulysse , le poète , ( v. 3go et
suiv. du IX. liv. de l'Odyssée ) , le compare au bruissement d'une Mche
rouge que le forgeron plonge dans l'eau , et il ajoute que telle est pré-
cisément laforce du fer , en se servant du mot <nJip<>v , qui est le nom
de ce métal dans la langue Grecque. Mais alors il devait être encore
fort rare , comme nous le ferons voir ailleurs ; et peut-être servait-il
plus à la fabrication des instrumens de l'agriculture et des métiers, qu'à
faire des instrumens de guerre : car il serait bien possible que le poète
n'eût voulu faire allusion ici qu'à une hache particulière aux forgerons
ou aux agriculteurs.
Europe. Vol. I. 32
274 M IL IC B
matière dont étaient faits les jambards que Vulcain fabriqua pour
Or; argent. Achille. L'or et l'argent étaient aussi employés à relever l'éclat
des armes , ainsi que nous l'avons vu plus haut ; mais les guerriers
qui portaient des armures faites de ces métaux précieux , sont dé-
signés comme des hommes mous et efféminés. Ainsi Homère , dans
le ii. e livre de l'Iliade, compare à une femmelette Amphimaque
qui était venu au siège de Troie avec des armes tout éclatantes d'or.
Guerriers Nous terminerons cette partie de l'art militaire par la planche 89,
où sont représentés deux chars d'une forme semblable à celle que nous
avons décrite à la pag. 348. Cette planche est l'ouvrage de M.r Ange
Monticelli ? peintre auquel nous avons beaucoup d'obligations 3 qui
Fa copiée, avec son talent ordinaire, sur les vases antiques d'Ha-
milton , et les monumens de Winckelmann. On y voit les bou-
cliers selon l'usage des tems héroïques, ayant une courroie lon-
gue et coulante , avec laquelle les guerriers pouvaient se les sus-
pendre au cou , ou le rejeter derrière leurs épaules. Les chars y
sont représentés sous deux aspects , l'un de front , et l'autre par
derrière , pour qu'on puisse mieux voir la manière dout on y mon-
tait ,et la position dans laquelle y étaient les combattans. Le peintre
a feint qu'un des chevaux s'est abattu , pour qu'on pût distinguer
plus aisément Je timon. Le lecteur trouvera dans cette planche à
se former une idée précise des différentes armures, des brides des
chevaux , du timon des chars , ainsi que de tous les autres objets
qu'elle renferme , et qui y sont représentés avec la plus grande
clarté.

Milice des Grecs dans les tems historiques.

L'esprit militaire des Grecs , dans les tems héroïques , ne


différait pas beaucoup , ainsi que nous l'avons déjà remarqué , de
celui de nos chevaliers errans; et la tactique militaire n'avait pas
encore fait de grands progrès à cette époque , car l'issue des ba-
tailles ydépendait plus de la valeur des combattans, que de l'art
La Grèce et de l'habileté des chefs. Mais peu de siècles après la guerre de
de Tactique. Troie , la Grèce vit se former dans son sein une foule de guerriers,
aussi distingués par leurs taîens militaires que par leur valeur, et
qui , au rapport de Plutarque dans la vie de Timoléon , étaient
recherchés dans les armées des autres nations. Du reste des peuples
crui étaient allés à la guerre de Troie , il se forma un grand nom-
de la Grèce. 275
bre de petites républiques, qui, bien que pressées, pour ainsi dire,
les unes contre les autres , n'en avaient pas moins des lois et des
constitutions différentes. L'esprit de rivalité qui s'ensuivit, excitait
quelquefois entre elles des guerres sanglantes pour la moindre cause.
L'occupation d'un bourg, d'un champ, d'une plage devenait le
sujet, non seulement d'une querelle, mais de combats opiniâtres.
A ces dispositions hostiles se joignait encore l'amour de la patrie, qui, ci/ïa°Zirie.
dans les tems historiques, était devenu chez les Grecs une manie
plutôt qu'un sentiment vertueux. Elevés dès l'enfance dans l'art mi-
litaire, et les guerres continuelles qu'ils se fesaient leur fournissant
l'occasion de s'y exercer toujours d'avantage , ils ne tardèrent pas
à surpasser tous les autres peuples , non seulement en tactique , en
discipline et en expérience, mais encore en audace et en cou-
rage. Faut-il s'étonner après cela qu'une poignée d'hommes belli-
queux, ait souvent battu des armées nombreuses et fourmidables? De
tous
d. . .
les peuples 1 ,
de la Grèce, ...,.,.
les Spartiates . furent
,
celui
...
qui se Ardeur
guerrière
istingua le plus par son esprit militaire : aussi toutes ses institutions des Spartiates.
et ses lois avaient elles la guerre pour objet , et il comptait autant
de soldats que de citoyens (1). Ce n'est pourtant pas à dire pour
cela qu'ils courussent témérairement au devant des dangers et de
la mort; mais, dit Plutarque dans la vie de Pelopidas, il leur était
également agréable de vivre ou de mourir, pourvu que l'un ou Vau-
tre eût un motif louable, ainsi que V atteste cet Epicéde , où l'ora-
teur s'exprimait ainsi : Ils moururent ; et la vie comme la mort ti' avait
de prix à leurs yeux , qu 'autant quelles étaient alliées l'une et
l'autre à la vertu. Lycurgue fit preuve d'une grande sagacité , lors- &;ence
qu'il voulut que les jeunes gens ne fussent pas seulement exercés desXarZtes..
au maniement des armes , mais encore qu'ils apprissent , dans ces
assemblées populaires dont il fut l'instituteur , toutes les ruses de la
guerre , et la science difficile de bien couduire une armée: c'est
pourquoi les Lacédémoniens , dit encore Plutarque , plus habiles
qu' 'aucune autre peuple dans l'art de la guerre, s'exerçaient par-
ticulièrement ne
à pas se désunir et se confondre lorsque leur or-
dre de bataille venait à être rompu, et à savoir faire en mê-
me tems le capitaine et le soldat ; ensorte qu'en quelqu' endroit
qu'Us fussent attaqués , chacun fût aussi propre à commander qu'à

(1) Voyez ce que nous avons dit du gouvernement de Lacédémone


et des lois de Lycurgue.
£76 Milice.
combattre. Il était résulté de là que, non seulement les Rois bar-
bares et les républiques étrangères cherchaient à avoir dans leurs
armées quelque corps Lacédémonieu , comme on le raconte de
Çyrus le jeune , de Crésus Roi de Lydie , de plusieurs Souverains
çje l'Egypte, ainsi que des Thraces et. des Carthaginois; mais encore
que les autres républiques de la Grèce même 3 dans les grands
dangers qui les menaçaient , avaient recours aux Spartiates com-
me à la puissance tutélaire de leur liberté et de leur gloire. Lors-
que la nation se réunissait contre quelqu'ennemî puissant , les Spar-
tiates formaient ordinairement le nerf de l'armée , et en prenaient
des
Valeur comme de droit \e commandement
Athéniens. . . . ,
(1). Les Athéniens étaient
.. ,
les
seuls qui pussent rivaliser de courage avec eux ; mais ils leur
étaient inférieurs en talens militaires. Et en effet les Athéniens
disputèrent aux Spartiates , avec un sort tantôt heureux et tan-
tôt contraire, la primauté de la Grèce, jusqu'à l'époque où la ce*-
lèbre victoire remportée par Conon près de Gnide , leur assura
Leur habileté l'empire de la mer. Contens de leur supériorité dans la guerre sur
dans la guerre *■ . » » , , . , , . *" , .
de mer. terre 3 les Spartiates laissèrent depuis lors aux Athéniens la gloire
de savoir bien conduire des flottes, et, selon l'expression de Xéno-
phon , de triompher sur mer de tous les autres peuples. La position
de FAttique, en grande partie au bord de la mer, invitait d'elle
même les Athéniens aux entreprises maritimes : les Lacédémoniens
au contraire , qui en étaient plus éloignés, ne s'occupaient que de la
guerre de terre, à laquelle ils étaient exercés dès l'infance, parce
que Lycurgue leur avait interdit toute expédition qui pût les en*
traîner dans des pays éloignés (a). Chez ces deux peuples fameux,
la milice formait un art ou une science, qu'on appelait, <r??*?*)yU
x/art où la science du capitaine. On lit dans le III.0 livre des choses
rtJufnZude mémorables de Socrate, que ce philosophe s'entretenant un jour avec
et en s^iéme. jft £jg ^Q j>érïc\és , après avoir condamné l'audace de certains ca-
pitaines qui se mettaient à la tète des armées sans avoir la capacité
nécessaire pour cela , parle au jeune homme en ces termes : Je suis bien

(1) Tout ce qui est dit ici des Lacédémoniens doit être pris dans un
sens général : car la Grèce a encore eu d'autres républiques qui sont par-
venues àce degré de prééminence par l'effet de quelqu'événement heu-
leux , témoins les Thébains qui , sous la conduite d'Epaminondas et de
Pélopidas , s'élevèrent tout à coup , de l'état le plus abject , aux honneurs
du premier rang , et eurent pour quelque tems une brillante existence.
(2) Poùer. Arch. gmeca, liv. III. c. I.
DE LA GeÉCE. 2-77

persuadé que tu ne ressembles point à ces sortes de gens , et que tu


pourrais rendre compte également , du tems que tu as mis à t'ins-
truire dans l'art de la guerre, comme de celui que tu as employé
aux exercices du corps: f imagine encore que lu auras appris de
ton père plusieurs stratagèmes , et qu'en outre tu en auras recueilli
toi même autant qu'il t'aura été possible. Vegezius , en parlant des
Lacédéraoniens dans la préface de son troisième livre, s'exprime
ainsi : L'histoire des anciens peuples nous apprend que les Athéniens
et les Lacédémoniens donnnèrent des lois à la Grèce Mais
Athènes ne se distingua pas seulement par les armes , elle cultiva,
aussi les arts et les sciences , tandis que les Spartiates firent de la-
guerre leur étude particulière. On prétend que ces deux peuples ont
été les premiers à nous instruire des événement militaires , sur les-
quels ils nous ont laissé des mémoires , et qu'ils parvinrent bientôt
à soumettre à des règles fixes , et a réduire en principes , ce qui ne
semblait dépendre auparavant que de la bravoure et du hazard. De
là vint rétablissement de leurs écoles de Tactique , où l'on ensei-
gnait aux jeunes gens les ruses de la guerre et les différens ordres
de bataille. Les autres peuples de la Grèce prirent exemple sur
les Spartiates et les Athéniens , et l'art militaire devint pour tous
une étude, à laquelle ils donnaient souvent la préférence sur tou-
tes les autres. Notre but n'étant pas de faire un traité de cette
science 3 mais seulement de rechercher tout ce qui peut caracté-
riser le costume , et de le démontrer par les monumens 3 nous nous
dépenserons d?entrer dans trop de détails sur ce sujet ; et nous
bornant aux choses les plus importantes , nous ne ferons qu'effleu-
rer ce que les anciens en ont écrit,
Commençant donc par les Lacédémoniens s nous observerons infanterie
que leur principale force consistait dans l'infanterie pesamment ai> Pol^arE*'
mée, que Lycurgue avait partagée en six Polemarchies , lesquelles
avaient beaucoup de rapport avec ce qu'on appelle aujourd'hui ba*
taillons (j). Le chef de chacun de ces corps s'appelait Polémarque,
et avait sous lui quatre Locages , qui étaient à la tête d'autant de
compagnies , dont chacune comprenait quatre Erpomothies. L'JEno?* Eaomoihieg.

(i) V. Hist. de V Académie R. des Inscriptions etc. T. XL. Mé-


moire sur la guerre considérée comme Science par M. Joly de Maizeroy
Les mots Polémarchie et Polémaraue dérivent du mot noùë^èa? praeliort
je fais la guerre.
278 Milice
mothie était de trente hommes, qui formaient quatre files. Ainsi la
troupe commandée par le Locage se composait de cent vingt hom-
mes ; et il avait sous lui deux officiers , dont chacun commandait
deux Enomothies. Telles sont les divisions que donne Xénophon dans
son livre de la république de Sparte, et qu'indique Thucydide dans
son récit sur la première bataille de Mautinée. Cependant le nom-
bre des soldats composans les Polémarchies pouvait être plus ou moins
considérable, selon la nature du besoin, mais sans qu'il en résultât
jamais la moindre altération dans le système de leur organisation. Xé-
nophon parle aussi de l'ordre que les troupes observaient dans leurs
Campemens. campemens , qui étaient ordinairement de forme circulaire, à moins
que l'armée ne fût appuyée à une montagne , ou à un fleuve (1).
Lycurgue avait aussi créé un corps de cavalerie, qui était partagé
Ouiami. en six divisions appelées Oulami (a) , dont chacune formait un
escadron. Une loi expresse donnait le commandant en chef de tou-
te l'armée à l'un des deux Rois, selon le témoignage de Xénophon.
Pouvoir La division des pouvoirs à la guerre inspirait tant de craintes, qu'il
à ta gulne. était défendu aux deux Rois d'y aller tous les deux à la fois. Au
commencement, l'autorité des Rois était libre et absolue; mais de-
puis le reproche fait à Agis d'avoir accordé mal à propos une trêve
aux habitans d'Argos , il fut décidé que cette autorité serait su-
bordonnée àun conseil composé d'un certain nombre de personnes.
Le Roi était en outre sous la surveillance des Ephores , dont deux
ne l'abandonnaient jamais durant la guerre.
-jrmèe Les Athéniens fesaient consister aussi leur principale force
t e/uens. jang jeg Groupes pesamment armées. On lit même dans Hérodote ,
qu'à la bataille de Marathon , ils n'avaient ni cavaliers ni archers:
ce qui les fesait tourner en ridicule par les Mèdes , dans l'armée
desquels il y en avait un si grand nombre. On ne vit d'archers et
de cavaliers dans les troupes Athéniennes, qu'après la défaite de Xer-
xès , et encore au nombre seulement de trois cent de chaque sorte,
selon le témoignagne d'Eschine. L'état d'Athènes étant divisé en
Stratèges, dix tribus : il y avait aussi dix Stratèges ou capitaines à la tête des
troupes 5 chaque tribu étant jalouse d'avoir le sien particulier. Ces

(1) Lycurgue avait prescrit qu'on donnât aux camps la forme circu-
laire ,afin d'éviter les angles du carré qui sont inutiles % et même une
cause de faiblesse. V. Xenop. de Lacaed. Repub.
(2) Qvhch^àç confecCum agmen , troupe serrée.
de la Grèce. 279
dix capitaines avaient tour à tour le commandement en chef, e£
pour un jour : comme ils étaient égaux en pouvoir , il était arrivé
souvent que cinq étaient d'un avis et cinq d'un autre , ensorfe que
les délibérations les plus importantes se trouvaient ainsi paralysées.
Pour remédier à cet inconvénient, on adjoignit aux dix capitaines
un Polémarque , dont le suffrage avait la prépondérance dans les Polémarqn
conseils de guerre. Les premiers étaient nommés par le peuple , et
leur emploi ne durait qu'un an ; c'est pourquoi il n'y avait guères
d'opérations militaires, qui ne fussent toujours achevées par de nou-
veaux chefs. Il ne faudrait pas beaucoup de raison nemens pour prou-
ver le vice d'un pareil système , et combien la constitution mili-
taire des Athéniens était inférieure à celle des Spartiates. Aussi
Plutarque cite-t-il dans ses Jpophtêmes ce mot célèbre de Philippe »
père d'Alexandre le Grand : j'admire , dit-il , le bonheur des Athé-
niens je
; ne leur ai trouvé dans toute ma vie qu'un seul général 9
qui est Parménion ; mais, pour eux, ils savent s'en trouver un
tous les ans. Les Stratèges étaient obligés de rendre un compte ri-
goureux de leur conduite; c'est pourquoi il fallait, pour être ap-
pelé au commandement des troupes , avoir des enfans et un champ
dans le territoire de l'Àttique , afin d'offrir une garantie suffisante
dans tout ce que l'homme peut avoir de plus cher et de plus pré-
cieux. Il y avait cependant des cas extraordinaires où l'on donnait
le commandement de l'armée à un seul capitaine , qu'on appellait
Avroxpàt&p , ce dont on trouve plusieurs exemples dans Plutarque.
Ainsi Aristide commandait en chef à la bataille de Platée, et cet
honneur fut décerné par le peuple à Phocion quarante cinq fois.
CommanoLe-
vient générai
Après les Stratèges venaient les Tassiarques , qui étaient aussi au et absolu..

nombre de dix , comme les tribus : c'était à eux qu'appartenait le


droit de donner les places dans l'armée , de commander l'infante-
rie 3de régler les marches , d'assurer les logemens , et de chasser
des rangs les indignes et les coupables. Les Stretèges avaient sous
leurs ordres deux Hipparquès , ou commandans de cavalerie, et Hipparquès cm,
ceux-ci les Philarques , qui commandaient un certain nombre d'hom-
mes à cheval , avec la faculté d'accepter ceux qui leur convenaient,
de les congédier et de les renvoyer selon les circostances. Nous ne
voulons pas finir cet article sans dire quelque chose de l'armée na-
Flotte,
vale. Celui qui la commandait en chef s'appelait Stolarcos 3 qui
veut dire préfet de la floite. Sa nomination était au choix du peu-
ple. Mais ce préfet n'était pas toujours seul, comme nous le voyons
a8o Milice

par l'exemple d'Alcibiade , de Nicias et de Lamaohus , qui étaient


revêtus d'une autorité égale dans la flotte Athénienne devant la
Sicile (i). La durée du commandant n'était pas non plus fixée
et elle se déterminait suivant les événemens de la guerre. Chaque
vaisseau avait son capitaine qui en prenait le nom. Ainsi les capi-
Triécarqucs. taines des trirèmes s'appelaient Triêcarques. Il y avait en outre sur
la flotte plusieurs autres officiers, dont l'emploi était d'observer les
vents et les astres, de régler la marche des vaisseaux, et de com-
mander aux nochers (a)-.
Il suit de tout ce que nous venons de dire, que les armées Grec-
ques n'étant pas composées d'un grand nombre de soldats , elles ne
pouvaient obtenir de succès qu'à force d'art et de valeur. La victoire
remportée par Miltiade avec dix mille hommes sur l'armée des
Perses, qui n'en avait pas moins de cent mille d'infanterie et dix
mille de cavalerie, convainquit encore d'avantage les Grecs , qu'une
petite armée composée d'hommes pleins d'honneur, intrépides, et
Jjien commandés, n'a rien à redouter d'un autre plus formidable,
où ces conditions essentielles ne se trouvent point (3). C'est pour-,
quoi , à force de combiner les différons genres de force , de com-
parer les chocs avec les résistances , et de chercher à connaître
les règles et les proportions d'après lesquelles on pouvait détermi-

(i) Nous parlerons des vaisseaux et de la tactique maritime à l'arti-


cle de la Marine.
(2) V. Potter. Arch. graeca , liv. III. chap. XIX.
(3) Les Grecs de l'Ionie , sujets de la Perse s'étaient révoltés. Da-
rius , après les avoir soumis de nouveau, voulut se venger des Athéniens,
qui leur avaient donné des secours. Deux de ses généraux, Datys et Àr-
tapherne entrèrent en Eubée avec deux cent mille hommes, et brûlè-
rent la ville d'Erétrie. Datys passa ensuite dans l'Attique. Les Athéniens
attendaient un renfort des Lacédémoniens ; cependant le danger allait
toujours croissant , et il était déjà question de livrer bataille sans attendre
ce secours, ou de se renfermer dans la ville. Il fut décidé, sur la propo-
sition de Miltiade , qu'on attaquerait l'ennemi. L'énorme supériorité des
Persans en nombre n'intimida pas ce grand homme , et n'inspira aucune
crainte à ses troupes , qui étaient composées d'hommes choisis , et déter-
minés à périr plutôt que de porter des fers. Elles avaient en outre la plus
grande confiance dans leur discipline , et dans l'habileté de leurs chefs.
Miltiade prit position dans un lieu ressére , et dont les accidens ne per-
mettaient pas à l'ennemi de s'y étendre. Les Persans furent défaits , et
cest de cette fameuse journée que date la gloire militaire des Grecs.
de la Grecs. â&r

net* le degré de puissance , que les causes physiques et morales peu-


vent exercer sur le nombre, sur l'ordre et sur la forme, ils par-
vinrent àcréer un corps formidable , connu sous le nom de Pha-
lange (i), où l'infanterie pesamment armée, l'infanterie légère et
la cavalerie étaient réunies dans les rapports les plus naturels et
les plus convenables aux tems , aux armes ^ et à la manière de corn-

ai) L'invention du calcul pour la formation de la phalange est due


à Miltiade , à Xénophon , à Agésilas , à Epaminondas et autres grands
capitaines , et non à Philippe de Macédoine. Voy. Mezeroy ibid. pag. 5a6.
Philippe ne fit que perfectionner la phalange , en lui donnant un aspect
plus formidable , et en en fesant un corps stable et permanent. Voici la des-
cription que fait Arrien de la phalange Macédonienne ( Tactica c. XV. ),
La phalange Macédonienne présentait à l'ennemi une image terrible, non
seulement sous le rapport du combat, mais encore par son aspect. L'homme
avec ses armes ny occupait pas un espace de plus de deux coudées. La
longueur de la surisse ( c'était le nom de la lance Macédonienne ) était
de seize coudées , dont quatre se perdaient entre les mains et la tête
de celui qui la tenait , et les douze autres s''étendaient au delà du pre-
mier rang. Ceux du second n'en perdaient que deux coudées , et poussaient
leur lance en avant jusqu'à dix autres coudées. Ceux du troisième rang
la portaient à huit et encore plus , ceux du quatrième à six , enfin ceux
du sixième à deux seulement. Ainsi chaque homme du premier rang
avait de chaque côté six lances , qui s'avançaient au devant de lui à
des distances inégales , et dont la résistance en lui servant comtne de
soutien , augmentait encore l'action de ses propres forces. Ceux du
sixième rang aidaient ceux qui les précédaient , sinon avec leurs lan-
ces , au moins par leur propre poids , et imprimaient ainsi au choc de
la phalange une vigueur à laquelle l'ennemi ne pouvait résister , en
même tems qu'ils mettaient les derniers dans l'impossibilité de fuir. Dio-
dore de Sicile ( liv. XVI. ) nous apprend que Philippe imagina de per-
fectionner l'organisation de la phalange sur les anciens principes de guerre ■>
qui , depuis la guerre de Troie , étaient encore suivis , en prenant pour
guide l'exemple des héros , dont l'usage était de combattre pressés les
uns contre les autres , et tenans leurs boucliers joints ensemble. Selon
le même Arrien , la phalange Macédonienne était composée cle seize mille
trois cent quatre vingt quatre hommes pesamment armés ; d'un corps de
Yélites, dont le nombre était la moitié de celui des premiers; et d'un
corps de cavalerie,, aussi moins nombreux cle moitié que celui des vélites.
La composition de cette phalange était calculée clans de telles proportions ,
qu'elle pouvait se diviser par deux jusqu'à l'unité , et doubler ou res-
serrer son front selon que le besoin l'exigeait.
Europe. Vrl. 1. 3g
a8a Milice
Diverses battre. Nous nous dispenserons de parler ici du coin* des colonnes.
Ae ia phalange, du clsêau , ûa carré et antres figures que la phalange pouvait pren-
dre devant l'ennemi , selon le besoin et les circonstances , et dont
on trouve la description dans Arrien, dans Elien, dans Xénophon ,
et dans Végéce : nous dirons seulement que la phalange avait en
outre l'avantage de réparer facilement ses pertes ; car elle pouvait
remplir de suite les vuides qu'y laissaient les morts et les blessés ,
en leur substituant d'autres soldats qui se succédaient du sein de
ses files profondes et bien serrées (1). Aussi, n'est-il guères permis
de douter que les phalanges Grecques auraient vaincu, ou au moins
lassé les légions Romaines , si les divisions de cette nation , et au-
tres causes morales, dont nous avons déjà parlé, n'eussent occasionné
des révolutions , qui firent passer la Grèce et l'Asie sous le joug de
la puissance Romaine.
Traitement Dans les tems héroïques, les soldats fesaient la guerre à leurs
des soldats.
dépens; mais après que l'ambition et le désir des conquêtes eurent
entraîné les armées Grecques au delà de leurs frontières , l'Etat
fut obligé de venir au secours des soldats en leur assignant un
traitement. A Sparte, Lysandre, au rapport de Plutarque, avait
fait augmenter la solde des troupes qui devaient marcher avec lui
contre Cyrus. Cette mesure devint d'autant plus nécessaire à Athè-
nes , que les habitans de cette ville étant, presque tous artisans,
n'avaient pas d'autre moyen de subsistance que leur travail et leur
industrie (a). Pour subvenir aux frais de leur solde et autres dépen-

(1) La phalange , dit Arrien , Tactlca c. XIII. , demande quel-'


quefois à être ordonnée en long avec une certaine aisance , selon que
le terrein le permet , et qu'on le trouve avantageuse : d'autres fois on
la resserre pour lui donner plus de consistance , et imprimer plus de
force à son choc contre l'ennemi. C'est ainsi quEpaminondas disposa
les Thébains à la bataille de Leuctres , et les Béotiens à celle de Man-
tinée } en fesant de ces troupes comme une espèce de coin , qu'il poussa
avec violence dans les rangs des Lacédémoniens . On se sert du même
moyen , lorsqu'il s"1 agit de repousser les attaques de l'ennemi, et on l'em-
ployé avec succès contre les Sarmates et les Scythes. On voit par ce pas-
sage d'Arrien , que la phalange était une espèce de machine , qui présen-
tait plusieurs fronts et prenait diverses formes , selon que l'exigeaient le
lieu } le tems et la position de l'ennemi.
(2) Dans la république d'Athènes , le fantassin avait deux oboles par
jour , et le cavalier une drachme. Nous parlerons ailleurs de la valeur
des monnaies Grecques.
de la Grèce. â83

ses de guerre , il y avait à Athènes un trésor pubblic , à l'insuffi-


sance duquel on suppléait , en teras de détresse , par de dons et même
par le produit de la vente des vases sacrés et des ornemens des temples
et des autels. Lorsque la guerre était déclarée 3 on érigeait dans le
forum un tribunal , où les Tassiarques et les Hipparques présen-
taient aux Stratèges, ou au Polémarque le rôle des citoyens qui avaient Conscription,
lage de la conscription, c'est-à-dire de dix huit jusqu'à soixante
ans. L'ordre avec lequel se fesait cette conscription était tel , que
personne ne pouvait se plaindre d'y avoir été appelé plus souvent
qu'à son tour. A Lncédétnone , où tout citoyen était soldat, les Epho-
res fesaient proclamer l'âge de ceux qui devaient prendre les armes,
ainsi que celui des individus qui devaient composer le corps des ar-
tisans attachés à l'armée: car les Lacédémoniens étaient dans l'usage
d'établir dans leurs camps des ateliers de tons les arts et métiers
qui leur étaient nécessaires , tandis que les Athéniens et autres peu-
ples n'emportaient avec eux que les choses les plus indispensables,
dans les bagages qui suivaient l'armée sous la garde d'une escorte (i). Sacrifice
Au moment de marcher à l'ennemi , les Grecs fesaient des li-
bations etdes sacrifices aux Dieux, et entonnaieut ensuite le Paea-
na, ou l'hymne de Mars. Après la victoire, ils chantaient le Paea- Hymne,
na d'Apollon (a). Les Spartiates surtout fesaient précéder leurs
(i) Le soldat Grec portait avec lui ses vivres pour plusieurs jours.
Ces vivres consistaient ordinairement en viande salée , en fromage , en
olives , en oignons et autres choses semblables. A cet effet , il avait une
espèce de corbeille ou de carnassière en osier , appelée yvliov , ayant la
forme d'un vase long et très-étroit aux deux bouts. V. Svidas , Potter ,
et le Scholiaste d'Aristophane.
(2) Le Paeana était proprement l'hymne d'Appollon ; et on le nom-
mait ainsi , soit en raison du sujet itala , qui veut dire je guéris , parce
que ce Dieu présidait à la santé; soit par analogie au mot ira'uiv x. qui
signifie battre , parce qu'Apollon avait battu et vaincu le serpent Python ;
mais dans la suite on donna le nom de Paeana à tous les cantiques qu'on
chantait de même en l'honneur des autres divinités ; et on lit dans Xéno-
phon,, que les Spartiates chantaient aussi le Paeana à la louange de Nep-
tune. Ce peuple avait encore un autre hymne , qu'il entonnait à la guerre
en l'honneur de Castor et Pollux. Les Thébains et les Macédoniens , au mo-
ment d'en venir aux mains avec l'ennemi , invoquaient Mars , non par des
chants , mais en poussant de grands cris , selon l'usage des tems héroï-
ques. V. Hist. de V ' Acaclém. R. des Inscriptions etc. T. XL. Mémoire
sur la guerre considérée comme Science par M, Joly de Maheroy,
z$4 M 1UCE
opérations militaires de tant de cérémonies religieuses , qu'ils né-
gligeaient quelquefois les choses les plus pressantes pour les celé*
df^'flTtùus ^re1' ^s ne se mettaient jamais en campagne avant la pleine lune ,
comme nous l'avons déjà observé , ni avant que leur Roi n'eût im-
molé àJupiter conducteur et aux autres Dieux un grand nombre
de victimes. Si les auspices étaient favorables , le Périfore ou por-
Feu sacré, teur du feu , prenait sur l'autel un tison allumé, et marchait à la
tête de l'armée jusqu'à la frontière. Là, on fesait de nouveaux
sacrifices à Jupiter et à Minerve; et après avoir encore pris les
auspices, l'armée se remettait en marche, toujours précédée du feu
sacré. Les sacrifices se fesaient aux premiers rayons de l'aurore ,
usage qui semble dénoter dans les Lacédémoniens l'intention d'être
les premiers à invoquer l'assistance des Dieux , comme le pensent
Hérodote et Xénophon. Arrivé près de l'ennemi, on immolait une
chèvre s ensuite les flûtes commençaient à jouer : aussitôt , chaque
combattant, par une loi expresse de Lycnrgue , devait avoir une
couronne. Les jeunes gens, qui étaient désignés pouf engager le com-
bat, avaient seuls le droit de pousser un cri de joie, et de faire
éclater les transports de leur ardeur guerrière. Les autres soldats,
depuis ¥ Enomotarque jusqu'au dernier guerrier, gardaient un pro-
Silence.
fond silence. Toute 1' armée brûlait de vaincre , et l'amour de la
patrie enflammait tous les cœurs. L'habillement même du soldat
inspirait une espèce de terreur, étant violet, c'est-à-dire d'une cou-
leur tirant sur le sang , qui par conséquent ne permettait pas de
distinguer si celui qui le portait était blessé (ij.
Signes du
Le commandement se fesait de diverses manières dans les ar-
commandement
mées Grecques : tantôt c'était le capitaine qui le donnait à haute
yoix i tantôt-il s?annonçait au son de la trompette, au bruit d'un
bouclier, ou par des signes du corps, de la main, de l'épée ou
d'une pique (a). Au signal du combat , les soldats abaissaient la
lance ( qui , hors de là , se tenait appuyée à l'épaule droite ) ,

(i) V. Plurarq. Instib. Lac. Dans les antiquités d'Herculanum tom.


VII. planche III , on voit la Pallas de Sparte portant de même un vête-
ment de couleur violette.
(2) On prétend que l'invention de plusieurs signaux militaires est
due à Palamède , un des guerriers qui assistèrent au siège de Troie : Or-
dinem exercitus , dit Pline liv. VII. chap. 56 , signi dationem , Cesseras ,
yigilias Palamedes inveniù trojanp beÏÏQr
de la Grèce. s85
. Signaux

et s'avançaient lentement et bien serrés contre l'ennemi. Mais com-


me il pouvait arriver que le désordre de la mêlée , le bruit des avec Le feu-

combattans et des chevaux, la poussière, l'éloignement et une foule


d'autres circonstances rendissent impraticable ou inutile l'u?age de
ces signaux , on y suppléait par des feux de matières ligneuses ou
bitumineuses , qu'on allumait de distance en distance, lî parait que
ce moyen était déjà connu du tems d'Homère, comme l'indique le
an.e vers du XVII.6 livre de son Iliade; et qu'on l'employait en-
core pour la communication des nouvelles d'un lieu à un autre,
et même à de grandes distances : ce qui était une suite de l'ob-
servation qu'on avait faite , que la lumière consistant dans le mou-
vement d'une matière plus subtile que l'air, elle se propage avec
plus de vitesse et toujours en ligue droite (i). M;iis à l'époque dont
nous parlons , ces signaux ne se bornaient pas simplement à fin-*-
dication d'une action: on était déjà parvenu, au dire de Polybe „
à en former un langage de convention, par le moyen duquel on
exposait tout un événement , sans rien laisser de vague ou d'incer-
tain dans l'esprit de ceux auxquels on voulait parler. Il serait trop
long d'entrer ici dans le détail de toutes les opérations qui se fe-
saient successivement, pour établir ce genre de correspondance en-
tre les personnes qui voulaient se communiquer leurs idées ; c'est
Mêiho
pourquoi nous nous contenterons d'en exposer le plan matériel. D'a-
bord on rangeait toutes les lettres de l'alphabet sur quatre à cinq £jJXufseia
respojidanue
militaire.
colonnes s ou lignes disposées parallèlement les unes au dessous
des autres; secondement, celui qui devait donner le signal, com-
mençait par désigner le rang de la colonne, où il fallait chercher

(i) Escliile nous donne la preuve la plus convaincante de cet usage dans
sa tragédie d'Agamemnon Après avoir annoncé la prise de Troie , Clytem-
nestre est priée par le Choeur de dire comment elle a su cette nouvelle , à
quoi elle répond ainsi : nous en sommes redevables à Vulcain; l'éclat de ses
feux est; arrivé jusqu'à nous : un signal a fait allumer un autre signal.
Les premiers feux qui ont été aperçus sur le mont Ida , ont fait allu-
mer ceux du mont consacré à Mercure dans Vile de Lemnos, L'éten-
due des eaux qui sépare cette ile du mont Alhos à été b tentât éclairée
par des flammes } et le mont de Jupiter a été aussitôt couvert d'autres
feux De longues traînées de lumière , sont arrivées jusques sur
le mont Arachnê (c'était l'endroit le plus prés d'Àrgos, et du palais des
Atrides \ Voilà comment nous est parvenue la grande nouvelle que je
vous annonce, y. Aesch. Agam. vers. 289 et suiv.
a86 Milice

ïa lettre, qu'il voulait indiquer: cette colonne se désignait au moyen


d'un, de deux ou trois flambeaux, qu'on élevait toujours à la gau-
che , selon que la colonne était la première, la seconde ou la troi-
sième ,et ainsi de suite; troisièmement , l'attention de l'observateur
étant ainsi fixée,, on indiquait la première lettre de la colonne par
un flambeau, la seconde par deux et la troisième par trois, de
manière que le nombre des flambeaux répondît parfaitement au
numéro qu'avait la lettre dans cette même colonne. On écrivait alors
la lettre indiquée, et continuant ainsi, on parvenait à former des
syllabes, des mots et des phrases entières. Celui qui fesait le signal
avait en outre un instrument géométrique , auquel étaient adaptés
deux tubes , afin de pouvoir connaître la droite ou la gauche de
celui qui devait donner la réponse (i). Avant de terminer ce pa-
ragraphe, nous croyons à propos de dire un mot d'un moyen que
le gouvernement employait , pour transmettre aux Généraux les or-
dres qu'il voulait tenir secrets. On se servait pour cela de courriers
armés à la légère , qu'on appelait Haspo^pô^oi , c'est-à-dire cour-
Coumers tiers diurnes , crui
diurnes. l avaient l'esprit
l fécond en stratagèmes,
... et savaient
se soustraire à la vigilance de l'ennemi. Tel était ce Fidippe , dont
parle Cornélius Nepos dans la vie de Miltiade. On remettait à ces
courriers l'ordre, écrit de manière à ne pouvoir être lu que de
la personne à laquelle il était adressé. Les Lacédémoniens avaient
Scutal. pour cela leur fameux <™ura/l??, ainsi appelé, du mot axiroç , qui
veut dire peau, parce qu'ils consistait en une espèce de parchemin
blanc , de la longueur de quatre coudées, qui se roulait autour d'un
bâton de la manière suivante. On prenait deux bâtons noirs, d'une
dimension parfaitement égale. On remettait un de ces bâtons au
Général au moment de son départ pour l'armée , et l'autre restait
près des magistrats. Lorsqu'il y avait une communication à faire
au Général, on roulait autour de ce bâton un parchemin long,

(i) Le témoignage de Polybe , historien judicieux sans contredit et


exempt de tout supçon de mensonge , est confirmé par celui de Jules
l'Africain , de Tite-Live , de Végéce et de Plutarque , qui s'accordent tous
à dire , que les Romains fesaient aussi usage de semblables signaux. On ne
peut nier d'après cela, que l'invention des télégraphes , qui a tant fait de
bruit de nos jours , ne fût anciennement connue des Grecs. Il faut lire
à ce sujet le beau discours de l'abbé Sallier. Mémor. de Littérat. de V A-
cadém. Roy. des Inscriptions etc. Tom. XIII. pag. 400-
de la Grèce. 287
mince, et fesaot beaucoup de plis, sur lequel on écrivait la chose
qu'on voulait communiquer. On levait ensuite ce parchemin , qui alors
ne présentait plus que des mots tronqués, confus, et dénués de sens ,
et on l'envoyait ainsi au Général , qui , eu l'appliquant sur son bâ-
ton , retrouvait chaque mot dans l'ordre qu'il avait été placé, et
lisait ainsi ce qu'on lui avait écrit (1).
Les Grecs fesaient encore usage d'une marque appelée Çùvâ^/ia 9
qui distinguait la sentinelle , et que les soldats portaient avec eux en
tems de guerre , pour se reconnaître dans la mêlée. Sur cette marque
était écrit un augure , ou le nom de quelque divinité , ou même celui
du Général en chef. Mais elle donnait lieu souvent aux incouvéniens.

les plus fâcheux, soit par les retards qu'elle pouvait occasionner au
moment d'une action, soit par les facilités qu'elle offrait à la trahi-
son, comme il arriva, au rapport de Thucydide, dans le combat entre
les Athéniens et les Syracusains. Les sentinelles étaient de deux sor- Sentinelles,
tes, les unes diurnes et les autres nocturnes: il y avait des capitaines
ou préfets qui parcouraient le camp de nuit , pour s'assurer de leur
vigilance. Quelquefois encore on sonnait tout-à-coup une petite clo-
che appelée niman , à laquelle les sentinelles étaient obligées de ré-
pondre par un cri: sur quoi on peut voir Svidas et Aristophane dans
les Grenouilles. Il était défendu aux sentinelles de Sparte d'avoir un
bouclier, pour que la privation de cette arme défensive les rendît plus
attentives à ne pas se laisser surprendre par l'ennemi. Svidas , et le
Scholiaste de Thucydide, mettent encore au nombre des signes du
commandement les enseignes militaires , qui , levées , étaient le si- Enseigne»,
gnal du combat, et baissées celui de la retraite. Nous avons vu
dans Homère , qu'Agamemnon agita en l'air un morceau de pour-
pre pour rallier les soldats. Dans les tems historiques , l'enseigne
consistait en une espèce de casaque de pourpre ou autre cou-
leur , attachée au bout d'une pique (a). Cette casaque portait
l'image de quelqu'animal , ou autre objet allégorique à la ville
à laquelle elle appartenait. Ainsi Athènes avait sur ses ensei-
gnes une chouette et un olivier, parce qu'elle était consacrée à
Mercure ; à Thébes c'était un sphinx en mémoire du fameux
monstre tué par (Edipe ; à Mécènes la lettre M des Grecs, et à

(1) V. Potter. Arch. Gr. liv. III, cliap. XIV. Pindarl Scholiast.
Ode VI. Olymp. Plut, in Lysandro.
(2) Voy. Potter, ainsi que Polybe vers la iin de son second livre.
'a88 « Milice
Lacédémone le A (i). Nous avons déjà vu, qu'à l'époque des teim
Trompettes, h 'roïques , on ne connaissait pas l'usage de la trompette dans les
combats, car Homère n'en fait mention que dans les comparaisons
qu'il prend du costume de son teras , comme le fait observer Eus-
tase (a). Or ce Scholiaste nous apprend, que les trompettes en
usage chez les Anciens (3) étaient de six sortes différentes , sa-
voir; la trompette de Minerve, celle d'Osiris , celle des Calâ-
tes, la Paphlagonique , la trompette des Médes , et la Tyrrhé-
nienne. Cette dernière parait avoir été celle qui était la plus usi-
Trompeue tée chez les Grecs (4). On raconte qu'ils la tenaient d'un Tyrrhé-
jnwiuenne. ^^ nomm£ Arcondas, qui était venu au secours des Héraclides ,
environ quatre vingts ans après la prise de Troie. Cette trompette
était longue, droite, avec une ouverture très-large, et elle rendait

(i) Les anciens monumens ne nous offrent aucune trace delà forme
des enseignes militaires : car il ne faut point prendre pour telles , comme
nous le verrons ailleurs , les banderolles qu'on aperçoit entre les mains
de quelques cavaliers dans les peintures des vases Grecs. Gonon et Cléo-
anène firent aussi usage d'un manteau rouge attaché au bout d'une lance
en guise de signal. V. Polyen. Sbrategem. , Conon. et Plutarch. in Cleo-
mene. Gurtius rapporte aussi qu'Alexandre , pour suppléer au son de la
trompette que ses soldats n'entendaient pas bien , perticam quae undique
conspici possit , supra praetorium statua. Ex qua signum eminebab
pariter omnibus conspicuum , et il ajoute que observabatur ignis noctu ,
fumus inberdiu, Liv. V. chap. 2. §. 7.
(2) Eustat. Tom. II. pag. ii5g lign. 54 et suiv. édib. de Rome.
(3) Avant l'invention des trompettes , on se servait de conques mari-
nes ou de buccins. Quum vero a Tyrrhenis , dit Tzetzè , Comment, in
Lycophr. Cassandram , invenbae fuere tubae , tum vel buccinandi con-
„ suetudo per cochleas cessavib. Ce Scholiaste croit néanmoins que la trom-
pette était en usage dés la guerre de Troie , induit en erreur sans doute
par le 219e vers, du VI. e livre de l'Iliade., où Homère prend une com-
paraison du son de la trompette. L'opinion de Tzetzé est combattue par
Politi , qui, au contraire, loue Lycophron de ce que apposite ad personam
Cassandrae loquentis , Heroicorum , seu Trojanorum temporum morem
sitnpliciter repraesenbaverib , cum , ante inventant bubam , concha seu
buccina utebantur. Quod enim Homerus tubae ebiam apud Graeeos
meminerib , non pro Trojanis certe bemporibus , sed pro bemporibus suis
ipse esb locubus. Ad Iliad. E. pag. 1288 num. 6.
(4) Diod. de Sic. liv. V. Sophocl. Scholiast. dans Ajac. , v. i5. Clé-
ment d'Alexandrie Stromabum liv. I.er On pourrait encore joindre au té-
moignage de ces écrivains celui de plusieurs autres.
de la Grèce. 2,89
un son aigu et clair, auquel Ulysse dans Sophocle compare la voix
de Minerve (1). Nous pensons que telle est celle dont se sert le
guerrier représenté à la planche XXXVIII des peintures des vases
Grecs de Millingen , vêtu d'une chlamyde et d'une tunique riche-
ment brodée , pour ranimer le courage des Grecs dans une bataille
contre les Amazones. Voy. le n.° 1 de la planche 4° (a)« ^ est
encore fait mention tlans Végéce d'une autre espèce de trompette,
Buccin.
qu'il dit être de cuivre ou autre métal, et se replier sur elle même
en forme de cercle (3). Mais comme cet auteur parle de la milice
Romaine, nous ne samious guères décider, si ce qu'il dit à ce sujet
peut toujours s'entendre des Grecs: car nous n'avons trouvé jusqu'à
présent dans les monumens , rien qui puisse résoudre cette ques-
tion. Nous ne pouvons donc rien dire de positif sur la forme de la
trompette de Minerve , qu'Eustase a été le premier à nous désigner.
Néanmoins nous croyons à propos , pour complément de nos recher-
ches, de représenter au n.° a, une trompette spirale, qu'on voit Trompette.
dans les peintures des vases d'Hamilton, et qui pourrait bien être sPirale-
le buccin des Grecs (4)- Dans l'original , le guerrier qui porte la
trompette précède un quadrige. Il tend la main droite , en signe
d'hospitalité ou d'amitié , à un vieillard qui est assis sous un por-
tique. Au bout de cette trompette pend un morceau d'étoffe ou de
toile , dont on ne peut distinguer précisément la matière (5).

(1) Ajax Flagell. vers. 16.


(2) On voit une trompette semblable à la planche 5o T. IV des va-
ses d'Hamilton,, édition originale. Or ces trompettes sont parfaitement éga-
les à celles qui se trouvent dans le Musée Etrusque : d'où l'on doit con-
clure ,que celle qui vient d'être décrite , est réelement la Tyrrhénienne.
("5) Tuba , quae directa est appellatur Buccina , quae in semé-
tlpsam aereo circula flecûbur. Liv. III et V. Quant au buccin , on peut
consulter Bartolini De bibiis veterum etc. liv. III. , et Bonnani , Cabinet
Harmonique , pag. 5i , édit. de Rome 1723
(4) Vol. IL planche 106 , édition originale. Les guerriers qui accom-
pagnent lechar , ont la tête couronnée de laurier. Cette circonstance donne
à penser, qu'il s'agit ici d'" vainqueur revenant des jeux olympiques.
Dans cette hypothèse, le 6,. rier qui a la trompette, et qui précède le
char , pourrait bien être le porteur de la nouvelle de la victoire rempor-
tée par le fils du vieillard , dont il serre la main droite.
(5) On retrouve cette même ligure à la planche VI. du Musée Etrus-
que , prise d'un vase de Dempster ( Etruria B.eg. vol. I. planche 48 ).
Bonarotti est d'avis , que la peinture de ce vase représente Beiione Déesse
Europe. Vol. I, 3_
29° Milice
Divers autres
instrument
Certains peuples de la Grèce fesaient encore usage
o de divers
de mmk/ue autres instrumeos pour s'animer au combat. Clément d'Alexandrie
dit que les Arcadiens combattaient au son du chalumeau à sept
tuyaux, les Cretois à celui de la lyre, les Lacédémoniens à ce-
lui de la flûte (i), et les Siciliens au son du luth à deux cor-
des. Le témoignagne de Clément pourrait être confirmé par l'au-
torité de plusieurs autres écrivains, si le sujet que nous traitons
n'était pas aussi connu. Les Grecs étaient tellement persuadés des
effets merveilleux de la musique, qu'ils regardaient cet art comme
«ne partie essentielle de celui de la guerre. Aux sons des instru-
mens militaires il mêlaient souvent le chant d'hymnes et de chan-
sons guerrières. Il n'est rien de plus propre en effet à élever Pâme
et à enflammer le courage, qu'une poésie mâle et sublime, accom-
pagnée de l'harmonie du chant et des sons. Telle est l'opinion que
nous donne Horace de l'effet que produisaient les vers d'Homère
et de Tyrtée sur l'ame des guerriers:

. . Post hos insignis Homerus


Tyrtaeusque mares animos in martia bella
Versïbus exacuit (aj

des Etrusques _, précédant la pompe d'un guerrier -victorieux. Voici com-


ment la décrit Passeri : Illa currum briumphantis ducis , et pompam
praecedit, gale a , pictaque tunica insignis. Sinistra tenet tubam , in
pïures spiras circumvolutam , e qua dependet pannus , cujus fimbria in
plures radios dissecta est. Mais on a vu aux pag. 78 et 101 de ce volume,,
que les vases , improprement appelés Etrusques , appartiennent plus à la
Grèce qu'à l'Etrurie. L'habillement des figures de ce même vase est en-
tièrement Grec. C'est pourquoi nous ne croyons pas avoir émis une opinion
bazardée ,
bien être celle en disant que laAu trompette
des Grecs. qu'on
reste , si les Grecsvoit représentée
tiennent ici , peut
des Tyrrhéniens
l'usage de cet instrument, il s'ensuivra toujours, que les trompettes qu'on
voit dans les monumens Etrusques , peuvent nous fournir l'idée , ou une
image de celles des Grecs. On trouve à la planche 178 du Musée Etrus-
que, des buccins faits en forme de corne , (voy. la figure 3 de la planche 40).
(1) In Paedagogo , liv. II. pag. 164 édit. 1641- Nous parlerons de
la forme de ces instrumens à l'article des beaux arts.
(2) De Art. poet. v. 4.01. « Si, dit M.r De-Maizeroy , nous notions
pas trop dominés par l'habitude , et par cet esprit de prévention qui nous
fait dédaigner les anciens usages , il y en aurait plusieurs dont nous pour-
rions faire une heureuse application. Nos ancêtres , qui n'étudiaient pag
de la Grèce. 2,9 i
Tout le monde sait que , dans la seconde guerre de Messènes , les La- dg tf/^sique
cédémoniens , succombant à leur accablement, ne furent enfin re- militaire.
devables de la victoire qu'à Tyrtée. On trouve de semblables exem-
ples dans Thucydide , dans Xénophon et dans Polybe. Le son des
flûtes allégeait la fatigue des marches longues et précipitées, raf-
fermissait les cœurs timides, et, parla régularité de sa mesure, ré-
glait les pas et les mouvemens des troupes, de manière à eu former
une espèce de danse (1). Le poète Philocore dit, dans Athénée , que
les Lacédémoniens entraient en bataille d'un pas qui était mesuré
sur le mètre des hymnes de Tyrtée, et ajoute qu'eux seuls avaient
conservé l'usage de la danse pyrrhique , comme un exercice guer-
rier (fa). Cette danse , dont quelques auteurs font remonter l'origine
jusqu'à l'époque du siège de Troie , était , dit-on , un des amuse-
mens auxquels se livrait la jeunesse Grecque, pour charmer les en-
nuis de ce long siège; elle consistait à marcher en cadence, et à
manier l'épée, la lance et le bouclier en mesure et avec une espèce
d'harmonie (3). Elle avait en outre l'avantage de donner au corps de Dame
la force et de l'agilité , et aux membres tout le développement pos-
sible. On lit dans Strabon que Minos fut le premier à l'établir en pyrrhique.

les anciens , ont néanmoins reconnu comme eux la nécessité d'exciter le


courage des guerriers. Les moyens quJils employaient pour cela , quoique
très-imparfaits , étaient pris dans la nature même. Les Francs poussaient
dans les commencemens des cris confus , comme tous les autres peuples
barbares. Chaque troupe eut depuis un cri particulier .... Ils se mirent
aussi à chanter ; et tel était , par exemple , le chant de Roland , qui cé-
lébrait les louanges de Charlemagne. Guillaume le conquérant le fit en-
tonner par son écuyer Taillefer à la bataille de Hasring , dans laquelle
il défit Harold son compétiteur au trône d'Angleterre. Gustave Adol-
phe .... était dans l'usage de faire entonner à ses soldats, avant la ba-
taille une chanson guerrière et animée qu'il avait composée lui même ».
(1) Il est à remarquer que l'usage des flûtes et des hautbois,
comme instrumens de guerre , était connu des Troyens : car Homère dit
qu'Agamemnon entendait
de ces instrumens. avecX.dépit
Iliad. liv. s'élever dans le camp Troyen le son
v. i3.
(2) Les Lacédémoniens se servirent aussi quelquefois de la trompette ,
pour transmettre à l'armée les ordres du chef qui la commandait. C'est
ce qu'ils firent dans le combat de Sélosie , entre Cléomène et Antigone,
V. Polyb. liv. IL chap. 64.
(3) Hector semble aussi faire allusion à la danse guerrière dans le
yill.e liv. de l'Iliade,, ou il dit qu'il meut ses pieds au son de Mars.
S9a Milice
Crète, cent ans avant la guerre de Troie ; et que Pyrrhus fils d'A-
chille dont
, elle prit le nom , ne fit qu'imiter ce législateur en
l'introduisant parmi ses troupes. Cette danse était d'un usaee si
général et si fréquent, qu'elle servait non seulement d'exercice mili-
taire dans les camps, mais encore de divertissement dans les théâtres 3
comme l'attestent les monumens les plus authentiques. Nous en avons
tracé une image à la planche 41, d'après une des peinture des
vases d'Hamilton , dont Baxter a aussi fait mention (1). L'armure
que Pun des guerriers porte sur sa poitrine parait être composée
de trois plaques circulaires et métalliques , et attachée au buste
avec deux courroies qui se croisent sur les épaules , et descendent
jusqu'au ceinturon sur l'aine : deux autres courroies embrassent la
cuirasse au dessous de la poitrine , et c'est ainsi que les Romains
la portèrent dans la suite.
C'était encore un usage consacré chez les Grecs , d'offrir aux
Dieux des sacrifices après la victoire: sur quoi il est bon d'observer
avec Plutarque, dans ses institutions Laconiques , que les avantages
remportés sur l'ennemi par la force des armes, se célébraient à
Sparte par le sacrifice d'un coq seulement , tandis que pour ceux
qu'on avait obtenus par la prudence ou la ruse , et sans effusion de
sang, on immolait un bœuf au Dieu Mars: distinction par laquelle
on vouloit exprimer, que les victoires qui ont coûté le moins de
perte doivent toujours être préférées (a). On vit aussi les Grecs
Trophée. élever des trophées sur les lieux où ils avaient vaincu : ce n'était
d'abord qu'un tronc d'arbre , auquel étaient suspendus un casque ,
un bouclier, une cuirasse et quelques lances brisées. Ce tronc était
le plus souvent un pied d'olivier, dont l'emblème signifiait que toute
guerre doit avoir la paix pour objet. La simplicité des mœurs ne per-
mit pas de long-tems d'élever des trophées d'un autre genre : aussi
blamat-on la vanité des peuples, qui commencèrent à en construire
en bronze et en marbre (3). L'inscription qui les décorait était

(1) Edit de Florence, vol. Ier planche 60. Baxter Th An Illustra*


tlon of the Egyptian , Grecian etc. costume etc. London _, Setchel , 1814 ,
in 4.° PL 22
(2) Porter. Archaeol. gr. liv III. ehap. XII.
(3) Les Eléens furent peut-être les premiers d'entre les Grecs à
élever un trophée en bronze , à la suite dune victoire qu'ils avait rem-
porté sur les Spartiates. ( Voy. Plutarq. Ouaest. Rom. et Pausan. Eliae,
de il a Grèce. 293

sans faste, et n'indiquait que le nom des vainqueurs et des vaincus,


ou celui de la divinité à laquelle le monument était consacré. Quel-
quefois aussi on bâtît des temples et des autels, en l'honneur des
victoires qu'on avait remportées. Ainsi les Doriens célébrèrent leur
triomphe sur les Achéens, par l'érection d'un temple à Jupiter; et
de même Alexandre , à son retour de son expédition de l'Inde ,
fit dresser , au rapport d'Arrien , des autels dont la hauteur sur-
passait celle des tours les plus élevées.
Les récompenses accordées aux gens de guerre dans les tems Récompenses?
historiques, ne différaient guères de celles qui étaient en usage
dans les siècles héroïques; elles se composaient de la part que
chacun d'eux avait dans le partage des dépouilles et des esclaves pris
sur l'ennemi. Le droit de la guerre était encore alors barbare et
cruel: les vaincus étaient condamnés à l'esclavage, et les villes con-
quises ruinées de fond en comble: conséquence naturelle, dit Go-
guet , des maximes républicaines qui dominaient à cette époque
chez les Grecs, et leur inspiraient une féroce antipathie con-
tre l'ennemi. Il parait, néanmoins, cjue l'usage de consacrer aux ^f^fff
Dieux une partie des dépouilles ennemies, fut plus généralement ZnsacilL
suivi. On lit dans Hérodote que , d'une portion du butin fait sur aux Di™x'
l'armée innombrable des Parses, Pausanias fit faire à l'Apollon de
Delphes un trépied en or , au Jupiter Olympien une statue du
môme métal de dix coudées de haut, et une de sept à Neptune (i).
Les armes enlevées à l'ennemi étaient également consacrées aux
Dieux et suspendues dans les temples (a). Les guerriers fesaient
même hommage des leurs propres à quelque divinité , lorsqu'ils pas-
saient du tumulte des camps au repos de la vie privée. Mais avant
de placer ces armes dans les temples , on avait soin de les mettre
dans un état } qui ne permît point aux citoyens de s'en servir dans
les révoltes et les séditions populaires; ainsi l'on ôtait aux boucliers
la courroie par où l'on pouvait les saisir (3). L'oubli progressif des

(i) Calliope , liv. IX. chap LXXX.


(2) Il n'y avait que les Spartiates , au rapport d'Elien , Var. Hlst.
liv. VI chap. VI. , auxquels il était défendu de dépouiller les cadavres
ennemis de leurs armes : défense au sujet de laquelle Cléoméne fit cette
réponse « Qu'il ne convient pas de consacrer aux Dieux les dépouilles
des lâches , ni d'en enrichir un Spartiate ».
(3) Aristophan. Equib. Act. II. Se. IV.
^94 Milice
anciennes maximes fit élever ensuite aux grands capitaines des statues
et des colonnes , avec des inscriptions qui annonçaient leurs exploits.
Néanmoins cet honneur ne fut accordé qu'à un très-petit nombre.
Cimon l'obtint entre autres, et il fut refusé à Miltiade ainsi qu'à
Themistocle. On rapporte môme , que certain Socar répondit en
pleine assemblée à Miltiade , qui ne demandait qu'une simple cou-
ronne pour prix de ses victoires: O Miltiade , tu obtiendras ce
triomphe , lorsque la victoire ne sera due qu'à toi seul. On était
pourtant dans l'usage à Athènes , de placer à la forteresse , comme
dans un lieu sacré, les armes des braves, qui prenaient alors le sur-
nom de Cécropides , c'est-à-dire de citoyens nés de l'ancienne et
véritable race Athénienne. La valeur se récompensait aussi quel-
quefois par le don d'une armure complette, comme l'eut Alcibiade,
pour prix de son expédition contre Potidas dans sa première jeu-
Entrêe nesse. Malgré que le triomphe ne fût point usité chez les Grecs ,
des vainqueurs, les vainqueurs ne laissaient pas de faire une entrée solennelle dans
leurs villes, avec une couronne sur la tête, en chantant des hym-
nes, et en brandissant la lance. Ils étaient suivis des vaincus , dont
les dépouilles étaient données en spectacle au public. Il y avait à
Athènes des lois concernant les militaires qui avaient perdu un
membre à la guerre, ainsi que pour les enfans de ceux qui avaient
sacrifié leur vie pour la patrie. Ils étaient entretenus les uns et les
autres aux frais du trésor public, mais les seconds jusqu'à l'âge de
majorité seulement ; lorsqu'ils y étaient parvenus , on leur donnait
un armure 3 puis ils étaient présentés au peuple par un héraut ,
et congédiés avec honneur. Ces bienfaits assuraient à ceux qui en
jouissaient, le droit d'occuper les premières places dans les specta-
cles et les assemblées publiques (i). Mais, si d'un côté la bravoure
Punition était généreusement récompensée , de l'autre la lâcheté n'était pas
des lâches. moins sévèrement punie. Les déserteurs étaient mis à mort : le
soldat qui s'était caché , ou qui avait abandonné son poste ou son
rang était condamné, par une loi de Charondas, à rester pendant
trois jours assis dans le forum en habits de femme. Il lui était dé-
fendu de porter désormais une couronne, d'entrer dans les temples,
et de paraître aux assemblées publiques (a). La perte du bouclier

(i) V. Hesychium et Svidam , Vôc. Adivaxoi. et Veschitiem in


Ctesiphontem V. etiam Laertium in Solone.
(2} Demosthenes Timocratea. Aeschines in Ctesiphontem.
de là Grèce. 2ç5

emportait la peine d'une forte amende, et même de la prison ; c'est


pourquoi on punissait aussi d'une amende , celui qui avait faussement
accusé quelqu'un d'avoir jeté son bouclier. A Sparte surtout , on
traitait avec beaucoup de rigueur ceux qu'avaient donné quelque
preuve de faiblesse et de crainte , et il y avait une loi qui fesait
au soldat un devoir de vaincre ou de mourir. Le lâche ne pouvait
paraître en public qu'avec des habits sales et déchirés, et la barbe
coupée seulement à moitié ; on peut voir à cet égard la vie d'Agé-
silas dans Plutarque. Il était permis à tout le monde de l'outrager
et même de le battre ; et le mariage contracté avec lui était frap-
pé d'infamie. Le deshonneur dont le lâche était couvert s'étendait
sur toute sa famille; et sa mère même n'hésitait pas , au premier abord,
de le tuer de ses propres mains, pour échapper à cette ignominie,

Armes , machines , cavalerie des tems historiques.

Les détails dans lesquels nous sommes entrés sur les armes des
tems héroïques s ne nous laissent que peu de chose à dire mainte-
nant sur celles des tems historiques ; car , à la réserve de leur plus ou
moins de grandeur, ces objets n'ont éprouvé que fort-peu de varia-
tion. A commencer par les casques , on remarque qu'ils conservèrent Casques,
toujours à-peu-près la même forme ; mais les changemens qui se
firent clans leurs diverses parties et leurs ornemens furent si mul-
tipliés ;,qu'il serait difficile de les classer par ordre. Ajoutons à cela
l'embarras où l'on est, de pouvoir distinguer les casques Grecs des
Romains. Dans les monumens des tems historiques , on trouve quel-
quefois des casques avec le frontal qui parait avoir été mobile. Tels Frontal
mobile •

sont ceux des n,os 4 et 5 de la planche ^o , qui sont pris; le pre-


mier des pierres gravées du Cabinet de Florence, et le second des
Monumens antiques de Winkelmann. Ce docte antiquaire croit
voir ici Amphiaraùs un des sept héros de la ligue contre Thébes ,
lequel était à la fois poète et prêtre d'Apollon. Dans cette hypo-
thèse l'auteur
, de ce petit monument qui est en terre cuite, au-
rait donné au casque un frontal qui n'est point propre aux tems
héroïques: anachronisme dont on trouve plusieurs exemples dans les
anciens monumens, ainsi que nous l'avons déjà observé. Quelque soit
au reste le personnage ici représenté , le casque dont-il s'agit nous
offre plusieurs particularités dignes de remarque : la première, c'est la
feuille de laurier placée le long de la crinière } qu'elle semble cou-
^96 Milice
ronner. En outre, le casque de notre bas-relief ', dit Winkelmarm lui
même , parait expliquer le mot TpitpdXsia , TpvtpâXeia 3 employé par
Homère, dont le sens équivaut au triplex juba , qui, dans Virgile ,
caractérise le casque de Turnus : car on y aperçoit deux rangées de
crins droits et coupes , entremêlés d'autres crins longs , qui retombent
en arrière , et qui , dans le casque que Stace donne à Hyppomèdon ,
étaient blancs. La F allas gravée par Aspasius (i) porte un casque
semblable. On voit distinctement dans ce casque, ainsi que dans le
précédent, et autres dont cet ouvrage retrace les diverses formes,
que le frontal n'est qu'un appendice qui y est joint par deux gou-
pilles fixés aux extrémités, à l'aide desquels le guerrier pouvait le
lever ou l'abaisser à son gré, à peu-près comme le devant de cer-
tains bonnets usités de nos jours. Nous voyons en effet que cette
espèce de frontal avait conservé chez les Grecs le nom de yeïaaov ,
suggrundium 9 parce que, comme nous l'avons dit à la page i5o,
et comme l'observe encore Henri Etienne son usage était le mê-
me que celui des gouttières adaptées aux toits des maisons. Or ,
comment le frontal , fait ainsi qu'on le voit dans les casques dont
nous parlons, aurait-il pu faire la fonction de gouttière, s'il n'avait
point été construit et placé de manière à pouvoir s'abaisser au be-
soin ?Ces raisons nous paraissent suffisantes , pour démontrer qu'il y
a tout lieu de croire, que l'usage du frontal mobile existait aussi à
l'époque dont il s'agit (fi). Quelquefois le casque avait encore deux

(i) Monum. anc. n.° 108. seconde partie pag. i43.


(2) V. Henr. Steph. Thésaurus linguae graecae. Cet auteur nous
donne l'étymologie suivante du mot yeïatrov : Suggrunda , s eu suggrun-
dium ,idest pars tecti prominens , qua stillicidia a parietibus arcentur ;
et peu après il ajoute : metaphorice capitur pro eo omni quod suggrun-
darnm in modum propendeb , c'est aussi dans ce sens qu'on donnait le
même nom aux sourcils. Cet espèce de frontal est appelé visière mobile
dans l'Encyclopédie méthodique. Il est à remarquer , qu'après avoir assuré
( Antiq, Myth. T. V. pag. 85g ) que les casques des Grecs étaient or-
dinairement sans visière mobile , les auteurs de cette Encyclopédie en re-
présentent, dans le I.er tome des planches, plusieurs qu'ils indiquent comme
étant à visière mobile. Nous avons cru plus à propos de désigner ces cas-
ques avec le frontal , qui semble a'voir été mobile : car on ne peut for-
mer à cet égard que des conjectures , à cause de la difficulté qu'il y a
de distinguer dans les monumens, comment cette espèce de frontal était
fixé au casque.
de la Grèce. 397
plaques de chaque côté, qui servaient à défendre les oreilles et Casque»
les joues. Voy. le n.°6 pris des Monumens antiques de Winckel- les plumes <ac%
mann. On trouve en outre après la guerre de Troie des casques
avec des plumes, sans qu'on puisse déterminer l'époque où cet usage
s'est introduit. Une des Minerves du Capitole a son casque orné
de plumes, ainsi qu'une autre Minerve gravée sur une patère du
Musée Etrusque. Nous avons représenté sous les n.os 7 et et 8, pris
des vases d'Hamilton , deux de ces casques , et l'on en peut voir
deux autres avec des ornemens semblables à la planche /\3. Mais
nous ne finirions point cet article , si nous voulions faire remarquer
toutes les variétés qui ont eu lieu dans les casques. Nous dirons Casques avec
,5 'j.11 * r-^i 1 tes oreilles ,
seulement qu on en voit dans les monumens concernans la Grèce les cornes et*,
avec des oreilles longues et semblables à celles du cheval , et au-
tres quadrupèdes., avec des ailes, avec des cornes (1), et même
d'une forme peu différente de celle des casques de nos anciens
chevaliers. Le luxe qui avait remplacé l'antique simplicité les avait
tellement surchargés d'ornemens et de richesses, qu'on ne les regar-
dait plus comme une armure défensive , mais comme un objet de pa-
rure et de magnificence. Néanmoins celui des Lacédémoniens s'était Casques
Macédoniens
conservé dans son premier état, puisqu'au dire de Thucydide, il " 'dé*'"'
ne garantissait pas suffisamment la tête de la pointe des flèches. ele.

Ce casque ressemblait aux bonnets des Dioscores et d'Ulysse , et


le Scholiaste de Thucydide est d'avis qu'il était simplement de
feutre (a). Les Macédoniens, quoique pesamment armés , ne cessèrent
pas non plus d'avoir le leur en cuir. C'est pour cela , qu'au rapport
de Diodore , Alexandre fut légèrement blessé à la tête, parce que
Cw
son casque n'offrait pas assez de résistance aux coups. On lit pour-
tant dans Plutarque,, que le casque de ce conquérant était garni, à
sa partie inférieure, d'un collier de pierres précieuses. Cette coiffure
guerrière n'empêchait même pas que les Rois ne portassent en même le diadl

(1) On lit dans Plutarque que le casque du Roi Pyrrhus était sur-
monté de deux cornes de bélier. On voit dans le Musée Capitolin ( Tora.
III. pi. 48 ) une statue , que quelques antiquaires ont prise pour celle du
$oi Pyrrhus , et dont Spallart a tiré un superbe casque , qu'il donne com-
me authentique. Mais il a été solidement réfuté par Winckelmann , Echel que
et Visconti. Ce dernier antiquaire croit reconnaître au contraire le Dieu
Mars dans cette statue. Lens et Roceheggiani , partageant l'opinion vul-
gaire l'ont
, aussi rapportée comme représentant le Roi Pyrrhus.
(2) Lens. Le costume etc. par Q. H. Martini pag. 77 et 78.
Europe, F^qI. If 3§
29B Milice
tems le diadème ; car Alexandre ayant blessé Lysimaque au front
en poursuivant l'ennemi, délia son diadème pour bander sa plaie (1),
On vit ensuite les Empereurs Bysantins avec des diadèmes galeati^
ou des casques qui ont à leur partie inférieure un diadème , enri-
chi quelquefois de perles et de pierres précieuses, usage dont nous
avons déjà parlé à la page 206. Mais ce fut principalement sous-
Huxeiani les successeurs d'Alexandre que la richesse, le luxe et la magni-
des successeurs fïcence furent étalés , non seulement dans le casque 3 mais en-
d' Alexandre. iAin it
core dans toute 1 armure : les ,
deux camées ,.
précieux rapportés sous
les n.° 1 et a de la planche fa nous en fournissent un exem-
ple. Nous avons déjà donné à la planche 10 n.° 4 du costume des
Egyptiens, copie du beau camée représentant Ptolémée II Phi-
ladelphie savec Arsinoè fille de Lysimaque , sa première fem-
me. « Les ornemens du casque et de l'armure , dit Visconti dans
son Iconographie Grecque , y sont dignes de remarque. Un grand
serpent ailé déploie ses replis sur la partie la pins convexe du
casque: c'est le serpent de Gérés, divinité que les Grecs d'Ale-
xandrie confondaient avec l'Isis des Egyptiens. L'astre Sothis , ou
la canicule, consacré par Memphis à celte Déesse, brille au des-
sus de la tête du serpent. Ce casque est ceint d'une couronne de
laurier. La belle chevelure de Philadelphe , qu'un poète Grec
contemporain chanta dans ses vers, retombe en boucles ondoyantes
sur son cou (a). La divine égide faite eu écailles, et garnie de ser-
pens , lui tient lieu de cuirasse: on y voit le masque de la Gorgo-
ne ï et un autre masque barbu avec des ailes aux tempes : c'est
sans doute l'image de Phobos, Dieu de la terreur, qu'Homère avait
déjà placé sur cette fatale armure (3) , qui eut des temples à Ro-
me , et que les Grecs regardaient comme le fils et le compagnon
de Mars „ (4). Le camée n.° 1 qui se voit dans le cabinet Impé-
rial de Vienne , n'est pas moins admirable. Il représente égale-
ment Philadelphe , mais moins jeune : ce qui donne à penser que

(1) Justini Hist. Liv. IV. chap, III.


(2) Théocr. Idyl. XVIII. v, io3.
£3) Iliad. V. v. ySg.
(4) Ce camée est en pierre sardonico-onix. Il appartenait jadis au
«abinet des Princes Gonzaga de Mantoue., d'où il passa ensuite dans celui
de la Reine Christine de Suéde ; il avait déjà était publié dans les Musées
Odescalco et Romain } comme représentant les portraits d'Alexandre et de
sa mère Olympie : il se trouvait en dernier lieu dans le cabinet de l'Im-
pératrice Joséphine. Voy, Visconti Jcon. gr. vol. III. pag. zoq.
de la Grèce. 299
la tête de femme qu'on voit à côté, puisse être celle d'Arsinoé
sa sœur, qu'il épousa dans un âge plus avancé (1). Les choses à
remarquer dans ce casque sont , les appendices ou les joues qui
couvrent la barbe, et sur lesquelles est figurée la foudre 3 symbole
de la puissace royale ; et une autre appendice qui descend sur
le cou 3 portant Fempreinte d'une tête de Pan , qu'il est aisé de
reconnaître à ses cornes de bouc , et à sa barbe agreste. Cette
tête équivaut à celle du Dieu de la terreur , car Pan était re-
gardé chez les Gentils comme la divinité d'où tiraient leur ori-
gine ces terreurs , qu'on appelait paniques. Le n.° a représente
le beau buste de Minerve en jaspe rouge , qui appartient aussi Casque
au Cabinet Impérial de Vienne. Stosch , Winckelmann et Eckel **" *WW"
mettent ce camée au nombre des plus parfaits , qui soient jamais
sortis de la main des anciens sculpteurs. Il porte en lettres grec-
ques le nom de l'artiste , qui est Aspasisus. Ce casque ne pourrait
être ni plus riche, ni plus magnifique. Le cimier est surmonté d'un
sphinx étendu; plus bas on voit un Pégase et un griphon. Pausa-
nias rapporte que le casque de la fameuse Minerve d'Athènes, ou-
vrage admirable de Phidias, portait aussi un sphinx et un griphon.
Minerve avait dompté le Pégase avant d'en faire présent à Bellé-
rophon , motif pour lequel ce cheval fut mis au nombre de ses at-
tributs. On donna encore à cette Déesse le surnom d'équestre, pour
avoir combattu , dans la guerre des géans , sur un char traîné par
des chevaux : ce à quoi semblent faire allusion les cinq chevaux
représentés sur la partie du casque qui couvre le front.
Les Macédoniens conservèrent également l'usage des cuirasses Cuirasses de u,
de lin à plusieurs doublures ; mais cette armure n'était point ca^-
pable de parer les coups : car on lit dans Plutarque , qu'Alexandre ,
malgré la double cuirasse de lin dont il était couvert, courut le dan-
ger d'être percé d'une flèche 3 qui pénétra bien avant dans son ar-
mure. De même Iphicrate , comme nous l'avons observé , s'a perce-
vant que les cuirasses des Athéniens étaient trop pesantes, parce
qu'elles étaient en fer ou en bronze, les fit faire en lin (2). Nous

(0 Voy. la description que fait l'illustre Ekel de ce camée merveil-


leux , aussi en sardonico-onix. Choix des Pierres gravées , etc. PI. X.
(2) L'usage des cuirasses de lin commença dès les tems héroïques ,
comme nous l'avons vu plus haut. Il faut lire à ce sujet la dissertation
Sigismond Lebrecht Hadelich : De lineis veterum Heroum thoracibusde,
et de insigni illorum, praestantia in re militari. Actor. Acad, Mogunt.
Tom, II. pag. 672.
3oo M ici ce
aurons occasion de voir de ces cuirasses, lorsque nous parlerons des
exercices gymnastiques et des jeux olympiques. En attendant, nous
en présenterons une image dans le guerrier,, qu'on voit à la plan-
che 43, debout, et s'appuyant sur une lance à laquelle manque la
pointe, peut-être par une négligence de l'artiste. La forme même ,
et les plis de la cuirasse que ce guerrier porte par dessus sa tu-
nique 3dénotent clairement que le tissu en est de lin ou de chan-
vre (1). L'armure de l'autre guerrier qui est assis mérite également
notre attention. Elle consiste en une tunique simple et unie , à
laquelle sont attachées, par le moyen de courroies qui tombent des
épaules, trois morceaux de métal ronds et concaves, qui semblent
destinés à défendre le sein et la poitrine. Quelquefois on trouve
dans les monumens des cuirasses sans aucun ornement, et faites
avec tant d'art , qu'elle laissent apercevoir le nu. Telle est proba-
blement celle que nous avons rapportée au n.° 9 de la plauche
40, et qui est prise des vases de Milfin. Cette belle cuirasse est
d'autant plus remarquable, qu'on y distingue en outre les couleurs
Changement
introduit
variées
.
de la doublure (a). Le même Iphicrate introduisit encore
, •» • i - i i• T •> • < /
par iphkrate. un changement dans I usage des bouchers. L ancien , appelé aspis ,
était grand, pesant et difficile à manier; il y substitua la pelta ,
ce qui eut lieu vers l'an III de la CI Olympiade , environ 374 ans
avant l'ère vulgaire (3). Il est bon néanmoins de rapporter l'obser-
vation que fait Arrien au sujet de cette innovation , qui est que
©plites , les Grecs avaient trois sortes de troupes savoir ; les Oplites , les
Peiiastcs. Psiles et les Peltastes. « Les oplites, dit-il, ou troupes pesantes, por-
taient une cuirasse, un bouclier long et une pique. Les psiles au

(1) Cette peinture est prise de la planche X.LI. vol. i.er des vases
de Miilin. Ce commentateur habile est d'avis , que le personnage qu'on y
voit représenté, est Issipile donnant à boire à deux héros de la première
guerre de Thébes. Ce ne serait pas là le seul exemple que nous ayons
d'un fait héroïque , exprimé sous des traits qui ne convienent peut-être
pas au teins où il eut lieu. Miilin observe que le petit corps circulaire
qu'on aperçoit dans le champ de la peinture , représente un gâteau sa-
cré ,ou un de ces emblèmes religieux ou mistiques , qu'on rencontre sou-
yent sur les vases, pour indiquer qu'ils ont servi aux initiations.
(2) On trouve encore une cuirasse semblable à la planche LV. du
i.er vol. des vases d'Hamilton , édition de Naples.
(3) Au sujet des HèXtai , pehae , voy. la note n.° 17 de Larcher
gnj le premier livre de l'Expédition de Çyrus dans l'Asie supérieure,
de la Grèce. Soi

contraire n'avaient ni cuirasse, ni bouclier long, ni casque ni jam-


barts. Ils ne se servaient que d'armes propres à être lancées, telles
que Tes flèches , le javelot, et les pierres qu'ils jettaient avec la
fronde ou avec la main. Les peltastes étaient des troupes plus lé-
gères que les oplites , et plus pesantes que les psiles. Leur pelta ,
ou bouclier, était plus petit et plus léger que Vaspis -, leur javelot
moins grand et moins lourd que la pique , et plus pesant que
le javelot des psiles „. Mais depuis l'innovation dont nous venons
de parler, il n'est plus fait mention des oplites dans les troupes
Grecques, et il semble même qu'elles n'étaient généralement com-
posées alors que des psiles et des peltastes. Il parait aussi , qu'à
l'exemple d'Iphicrate^ Cleomène II Roi de Sparte opéra des ohan-
gemens utiles dans l'armure des Lacédémoniens : car on lit dans
Plutarque , qu'après avoir augmenté le nombre des citoyens de cet
état par l'incorporation des habitans les plus distingués des pays
voisins, ce Roi créa un corps de quatre mille piétons, qu'il exerça
au maniement de la sarisse à deux mains, ou de la lance longue, au
lieu de la lance ordinaire, et à porter le bouclier, non avec des attaches,
mais passé dans le bras. Or ces troupes n'auraient pu se servir en d'An
même tems de la sarisse et du bouclier, si ce dernier n'eût été
beaucoup plus petit que celui dont les anciens fesaient usage (i).
Le n.° 10 de la planche 40 représente un bouclier d'Argos, qui Boudin»
portait également le nom d'aspis. Il est pris des monumens anti-*

(1) M.r l'abbé Fourmont , dans le voyage qu'il fit au levant en 1729
et 1730 , découvrit parmi les ruines du temple d'Apollon à Amiclée , ville
de Laconie , située au pied du Taigéte , trois boucliers Spartiates , dont
deux étaient sculptés en relief sur une pierre d'un gris obscur , et le troi-
sième sur une pierre presque noire. Ils étaient de forme ovale , qui cepen-
dant se terminait en pointe aux extrémités de sa longueur , à l'exception
du troisième , dont une autre pierre sur laquelle il était posé comme un
trophée , ou comme un monument sépulcral , ne permettait guéres de dis-
tinguer lapartie inférieure. Le premier de ces boucliers avait 3 pieds et
8 pouces de longueur , sur 2 pieds et 8 pouces de largeur , et 6 pouces
d'épaisseur. Il n'avait qu'une seule écbancrure t ce qui donne à présumer
que le guerrier ne s'en servait que de la main droite. A l'une des extré-
mités était gravée la lettre a , et à l'autre la lettre k, qui _, selon M.r Four-
mont , indiquent le mot aaiun. Au milieu était une massue , sur un des
côtés de laquelle on lisait en Grec Archidamus , et cle l'autre Agesilavi
filius. Voy. Y Histoire de V Académie Royale des Inscriptions etc. Tom^
?LVI. pag' 10 1.
Sôa Milice
ques de Winckelmann , et laisse distinguer suffisamment la disposi-
tion des anses ou liens , par le plus grand desquels , qui est vers
le milieu du bouclier, le guerrier passait son bras , et saisissait avec
la main l'autre plus petit qui est vers le bord (i). Au contraire
dans les boucliers ovales > le plus grand de ces liens se trouvait
ïdta. au bord , et non au centre. La pelta était un bouclier petit , léger
et facile à manier ; elle avait d'un côté une échancrure , qui lui
donnait la forme d'une demi-lune. Ce bouclier était particulier aux
Amazones et aux Thraces , avec cette différence , que celui des
Amazones n'avait qu'une échancrure , tandis que celui des Thraces
en avait deux. Il est inutile que nous en retracions ici la figure ,
après ce que nous en avons dit en parlant des Amazones. Nous
observerons seulement que les Grecs , ainsi que les autres peuples
Emblèmes snr de.l'antiquité
ies boucliers. .. - 3 portaient . sur
. Ainsi,. . leurs
. .boucliers
, ' . l'emblème de leur pa-
trie ou de leur nation. les Athéniens avaient pour la plupart
sur le leur une chouette, les Mycéniens un lion, les troupes d' A r-
gos un loup , les Macédoniens et les Thessaliens un cheval , et les
Siciliens la Triquetra , qui était une figure composée de trois jam-
bes, représentant les trois caps ou promontoires de la Sicile. Au
lieu de cet emblème, on ne voyait quelquefois que la lettre initiale
du nom de la ville à laquelle le guerrier appartenait; c'est pour-
quoi on lisait la lettre A sur les boucliers de Lacédémone , et la
lettre A sur ceux d'Argos: d'autres fois aussi ces lettres s'y trouvent
réunies avec les emblèmes (a).
Surisse, Quant aux armes offensives, nous n'avons rien à ajouter à ce
Macédonienne, que nous en avons dit en parlant des tems héroïques , car leur for-
me n'a pas changé dans les tems historiques , et la différence des
unes aux autres ne consiste peut-être que dans leur plus ou moins
de grandeur. Par exemple , la sarisse ou lance Macédonienne avait
quatorze coudées de longueur , qui valent 6 mètres et 82 cent. , et

(1) Le monument est en marbre , et appartenait à la Maison de plai-


sance Albani. Il représente un héros à genoux , tombé en défaillance et
moribond. V. Monum. ant. num. 109.
(2) Tydée avait un bouclier auquel , d'après la description qu'en fait
Escmle , étaient suspendues des sonnettes pour effrayer l'ennemi par leur
son. On ne finirait pas si l'on voulait faire mention de tous les objet9
étrangers qui furent ajoutés aux boucliers en guise d'ornement , ou pour
d'autres motifs. Voy. les ouvrages de Winkelmann , de Hamilton , de
Millin etc.
de la Grèce. 3o3
ressemblait par conséquent à celle appelée Contus j dont on se
servait sur les vaisseaux pour en repousser l'ennemi , comme nous
l'avons déjà observé. Ce serait ici le lieu de parler des tentes 3 des for- Tmtm
tifications et des machines de guerre. Mais, d'abord pour les ten-
tes, nons n'avons aucun monument authentique, d'après lequel nous
puissions nous en former une idée précise. Il est néanmoins proba-
ble qu'elles ne différaient pas de celles des autres peuples, et que
par conséquent elles étaient composées de toile ou de peau , comme
celles qu'on voit sur la Table Iliaque, malgré l'anachronisme qui
les y a fait placer , et que nous avons remarqué plus haut : d'un
autre côté il est également à présumer que les Grecs , surtout du
tems d'Alexandre , imitèrent le luxe Asiatique dans leurs tentes :
car Trebellius Pollion , en parlant d'Hérode fils d'Odenate Roi
de Palmire , dit que c'était l'homme le plus efféminé; qu'il af-
fichait tout le luxe de l'orient et de la Grèce ; que ses tentes étaient
dorées et ornées de figures en broderie , et qu'enfin il imitait en»
tout la magnificence des Perses.
Les Grecs n'avaient encore fait que très- peu de progrès dans Fortifications t
l'art de fortifier et de défendre les villes. Il suffit de savoir qu'Ito- "ZhùïarT/*
me ville des Messéniens dans le Péloponnèse , soutint contre les
Spartiates un siège de dix neuf ans, et qu'elle ne dut point cette
longue résistance à ses fortifications , mais à l'ignorance des assied
geans (i), et à l'avantage de sa position sur un mont escarpé (a).
A cette époque, l'architecture militaire ne différait guères de la
cyclopéenne dont nous avons déjà parlé, et n'avait peut-être gagné
que dans la coupe des pierres dont les murs étaient bâtis , comme
on le voit par les restes de Larisse , par les descriptions que nous
avons du Pyrée et de l'Acropolis d'Athènes , sur lesquels nous
reviendrons à l'article de l'architecture. Il parait néanmoins que
l'art et l'expérience avaient appris , dans les derniers tems, à donner
aux tours une disposition qui était fort-ingénieuse , et à profiter des
avantages du terrein. TSious ne pouvons mieux faire à cet égard ,
que de rapporter ici ce qu'on lit dans Dion Cassius au sujet du siège
de Bysance par Septime Sévère: « Les Bysantins firent des choses
" extraordinaires, non seulement du vivant de Negro , mais encore

(i) La prise de cette ville mit fin à la première guerre de Messéne j


la seconde année de la XIV.e olympiade de Corèbe , 723 ans avant notre ère;
(2) Paus. liv. IV. cliap. IX. Voyez Goguet, III. e Partie, liv. V. art. I.er
3o4 Milice
« après sa mort. Leur ville , qui se trouvait dans la situation la
<t plus favorable, et par rapport à la terre ferme qu'elle a de cha-
« que côté , et par rapport à la mer qui passe au milieu 3 était par
« la nature même du Bosphore extrêmement forte. Bâtie sur un
« lieu éminent du rivage, elle dominait la mer, qui coule comme
« un torrent et baigne le promontoire Ses murs avaient
<c un parapet en grosses pierres, de forme carrée, et liées ensemble
« par des crampons de fer: en dedans il y avait un retranchement
« et autres ouvrages, dont l'ensemble ne semblait faire qu'un seul
« corps avec le mur, sur lequel on pouvait se promener librement et
« à couvert. De distance en distance s'élevaient de hautes tours, sur
« les côtés desquelles il y avait des petites portes placées les unes en
« face des autres. Il résultait de là, que ceux qui avaient escaladé
« le mur se trouvaient pris entre ces tours, parce que n'étant point
<« disposées sur une ligne droite , mais suivant la courbure du rem-
« part , et très-près les unes des autres , ceux qui osaient s'enga-
« ger trop loin se voyaient bientôt enveloppés de toutes parts. Du
", côté de la terre le mur était très-élevé, mais il n'en était pas
« ainsi du côté de la mer, où les rochers sur lesquels ce mur était
<« assis, et l'agitation des flots présentaient une fortification natn-
« relie. Les deux ports de cette ville étaient fermés avec des chai-
« nes Sa force et sa sûreté ne consistaient pas seulement
« dans ses remparts , mais encore dans les machines de toutes sortes
« dont ils étaient garnis, parmi lesquelles il y en avait qui lan-
ftçaient de grosses pierres et des poutres contre l'ennemi qui s'en
« approchait, et d'autres qui fesaient pleuvoir au loin sur lui une
<tgrêle de pierres, de dards et de flèches .... Il y avait aussi
<t de ces machines armées de crochets qu'on lançait soudainement,
« et qui retirés précipitamment enlevaient les machines et les vais-
<i seaux de l'ennemi (i). „
On voit par ce passage que, dans les derniers tems, les Grecs
savaient tirer parti des avantages du terrein. Peut-être que ces rocs
escarpés qui s'élèvent dans la Thessalie, et auxquels les Grecs mo-
Météores. dernes ont donné le nom de Météores, furent ce qui retarda le
plus les Macédoniens et les Romains dans leurs conquêtes. Leur po-
sition et leur forme offraient un asile sûr, d'où, une poignée d'hommes
y armés pouvait inquiéter la marche et les opérations d'une armée nom-

(i) Cassii Dionis Histor. Rom. Hamb, 1862 liv. LXXIV. §. 10 et ji,
ce la Grèce. 3o5

breuses. Aujourd'hui c'est une retraite de moines; dans les fems de


persécution et de révolte ces rocs forment des positions inaccessibles ,
et des boulevards imprenables , que les armées Turques ne peu-
vent réduire que par famine. Les Grecs des terns historiques n'avaient £%«.
pas fait non plus de grands progrès dans Fart militaire, et n'étaient
guères portés à entreprendre des sièges longs et difficiles; leur ca-
ractère inquiet et bouillant leur fesait préférer de décider toutrà-
coup leurs guerres par une bataille, plutôt que de supporter les in-
commodités etles fatigues d'un siège. Plutarque dit, dans la vie de
Lysandre, que Lycurgue avait même défendu les sièges aux Lacédémo-
niens, comme étant une opération sans gloire et indigue d'eux. Il ne
faut donc pas s'étonner, si, après la bataille de Platée, ils ne purent
jamais franchir une fortification en buis, derrière laquelle Mardo-
nius s'était retiré avec ses Perses (i). Toute la science des Grecs ,
en f.it de sièges , consistait à entourer la ville ennemie d'une pa-
lissade ou d'un retranchement, pour se mettre à l'abri de toute
surprise de la part des assiégés , et à en faire autant du côté par
où il était à présumer que la ville put recevoir des vivres ou des
secours. C'est ainsi que, dans la guerre du Péloponnèse, Thucy-
dide éleva autour de Platée un double mur, l'un du côté de la
ville, et l'antre du coté d'Athènes, pour mettre ce point à l'abri
de tout danger 9 et serra entre ces deux murs l'armée des as-
siégeais. Le seul stratagème dont nous voyons qu'on fit quelque-
fois usage dans ces opérations militaires, était de chercher à in-
cendier la ville as-i^gée. Thucydide
dit que les Péloponnésiens
essayèrent de brûler Platée s au moyen d'un grand amas de bois
qu'ils entassèrent devant ses murs, et qu'ils embrasèrent avec de la
poix et du soufre. On prétend qu'Alcibiade usa d'un semblable
moyen contre Syracuse (a). On fesait encore un autre usage du feu
contre les villes assiégées: car Apollodore suggère d'approcher des
murs ennemis des caisses pleines de charbon allumé, et dont l'ac-
tivité soit sans cesse entretenue par l'action du soufflet. Végèce
parie d'un expédient encore plus simple et plus désastreux : c'était de

(i) V. Hérodot. Kv. IX. cliap. LXIX.


(2) Les anciens fesaient encore usage, dans leurs guerres maritimes,
de navires remplis de matières inflammables, qu'ils poussaient ensuite sur .
l'ennemi. C'est ce que firent les Tyriens contre Alexandre. Voy. Arrieft
liv. II. cliap. XIX,
Europe. Vol. I, ;j9
3o6 Milice
saper les fondemens des murailles après les avoir étayées par deâ
pièces de bois , et de mettre le feu à ces étais qui entraînaient
^bientôt dans leur chute celle du mur qu'ils soutenaient.
Machines Ce serait ici le lieu de parler des machines militaires, mais
militaires.
». < i tj 1
deux raisons nous empêchent d entamer pour le moment ce sujet :
la première j c'est que nous n'avons que des notions vagues et très-
confuses sur ces machines, car à réserve de la colonne Trajane , il
ne nous est parvenu aucun monument qui nous en ait conservé la
forme (i); la seconde c'est qu'elles ne diffèrent point de celles qui
étaient en usage chez les Romains, et dont Yifruve et Ammien
Marcellin nous ont donné la description. Nous renvoyons donc nos
lecteurs à l'article de l'art militaire des Romains, où nous traite-
rons des machines de guerre des anciens (a). Nous observerons seu-
lement ici , qu'on ne sait rien de certain sur l'époque où les
Grecs commencèrent à en faire usage : Thucydide assure qu'on
s'en servit pour la première fois dans la guerre du Péloponnèse ;
d'antres prétendent que ce fut Périclés qui les employa le premier'
dans la guerre de Samos (3). Quant aux machines inventée par
Archiméde, nous en parlerons à l'article des sciences et de la
marine. Les mêmes raisons nous déterminent à ne rien dire pour
chars armés \e moment des chars armés de faux.
de faux. i-n Ils n'étaient • i proprement usités
que chez les barbares et surtout les rersans, et il ne nous est reste
aucun monument qui nous en retrace l'image. Nous savons pour-
tant, d'après les descriptions qu'on en trouve dans les anciens écri-
yains, que ces chars avaient deux grandes roues, et que leur circon-
férence, ainsi que l'extrémité de l'essieu, étaient armées de faux. Le
bout du timon présentait également deux longues pointes; et de
grosses lames tranchantes défendaient le derrière du char, pour em-

(i) Les auteurs de l'Encyclopédie méthodique donnent , à la pag. 107 ,


la figure d'une balestre , que Cyriaque d'Ancone avait fait dessiner en
Grèce sur un ancien monument. Mais cette figure nous semble manquer
de l'authenticité qui serait à désirer : les parties qui composent la machine
ne sont pas suffisamment distinctes , et l'on ne voit point comment se fe-
sait le maniement de l'arc.
(2) Au sujet des trois machines militaires des anciens , savoir ; la Ca-
tapultela
, Balestre etc. on peut encore consulter la savante Dissertation
de M.r Siberschlag dans l'Histoire de l'Académie Royale des Sciences et
belles Lettres de Berlin. Année mdcclx.
(3) Voy. Potter. Arch. gr. liv. III. chap. X.
de la Grèce. %cj

pêcher l'ennemi d'y monter. Mais Alexandre, dans sa guerre contre jkjgjjjjjj
Darius, trouva le moyen de paralyser l'effet de ces armes meur- contre les chars
t 1 t • armés de faux.
11
trières, eu donnant l'ordre à ses phalanges de s ouvrir et de lais-
ser passer en silence les chars qui les portaient, s'ils étaient pous-
sés contre elles avec fracas; et au contraire de les acceuillir à
grands cris , et de chercher à épouvanter tes chevaux , et à les
blesser à coups de dards, s'ils s'avançaient sans bruit (i). Curtius
dit que le premier expédient eut un heureux effet : car les Macé-
doniens ayante par une évolution subite, enveloppé les chars, as-
saillirent les chevaux avec leurs longues piques, et mirent l'armée
entière en déroute. Le second expédient n'eut pas moins de succès ,
au rapport de Diodore } dans une autre occasion: les chevaux épou-
vantés par le bruit des armes et les cris des Macédoniens se re-
tournèrent contre • l'armée des Perses, et y portèrent le désordre
et le carnage. Alexandre sut aussi rendre inutile le secours des
éléphans dans les combats. Lorsque dans la guerre contre Porus Etàpkans
Roi des Indes, les Macédoniens .virent pour la première fois ces les combats.
animaux terribles, qui formaient la première ligne de l'armée en-
nemie ,ils en furent tellement épouvantés, qu'ils ne purent conser-
ver l'ordre dans leurs phalanges. Diodore compare cette file d'élé-
phans aux remparts flanqués de tours d'une ville fortifiée : ce qui
donne à présumer qu'ils portaient sur leur clos des tours garnies de
soldats , comme chez les Ethiopiens et les Indiens. Majs Alexandre
s'aperçut bientôt de la faiblesse de ces machines ambulantes : An-
ceps auxïlii genus , disait-il à ses soldats effrayés à l'aspect des
éléphans , et in suos acrius furit. In hostem enim imperio , in suos
pavore agitur (2). Ils les fit d'abord attaquer avec des lances for-
tes et longues; mais voyant que la phalange ne pouvait tenir con-
tre le choc de ces animaux monstrueux , il fit marcher contre
eux ses troupes légères, qui les accablèrent d'une grêle de traits.,
les effrayèrent, et rétablirent ainsi l'ordre dans les rangs. Le hé-
ros Macédonien employa un moyen encore plus efficace , pour

(i) His ita ordinatÀs , praécepib ub , si falcatos currus cuin fre-


mibu Barbari emibberent , ipsi laxatis ordinïbus impebum occurrenbhun
silenbio exciperenb : haud dubius sine noxa transcursuros , si neino se
opponereb; sin au&em sine fremibu immisissenb , eos ipsi clamore terre
renb , pavidosque equos telis ubrimque suffoderenb. Q. Gurt. liv. IV.
ebap. XII. §• 35.
(2) Q. Gurt. liv. VIII. chap. XIV. §. 1.6.
3o8 Milice

se débarasser des éléphans qu'on lui opposait, et faire tourner leur


force au détriment de l'ennemi , ce fut de les faire blesser aux
pieds avec des haches , et à la trompe avec des glaives recourbés
comme des faux (i). Cela n'empêche pas cependant que les succes-
seurs d'Alexandre n'introduisissent l'usage de ces animaux dans leurs
armées; et l'on en vit chargés de tours parmi les troupes de Pyr-
rhus et d'AntiochuSj dans leurs guerres contre les Romains (2).
cwaierie II ne nous reste pi us à parler maintenant que de la cavalerie
v'opdue1.mt proprement dite. Nous avons déjà observé que l'art de monter à
cheval , quoiqu'encore ignoré dans les tems héroïques , était néan-
moins connu du tems d'Homère. Il semble même qu'il était déjà
porté à un certain degré de perfection 5 au moins dans l'Asie mi-
neure ,où ce poète composa vraisemblablement ses ouvrages. Or il
se présente ici trois questions à résoudre: premièrement, à qui doit-
on l'invention ou l'introduction de cet art en Grèce? secondement ,
quand l'usage de la cavalerie a-t-il commencé dans les années Grec-
ques ? troisièmement, quel était le caractère propre de cette cava-
Fabie
des Centaures, îerie ? Laissant de côté ce que, d'après une simple tradition vul-
gaire, Iginus, Pline et Pausanias ont rapporté sur l'ancienneté de
i'équitation, dont les deux premiers font honneur à Bellérophon , nous
prendrons pour commencement de nos recherches les Centaures ,
peuple de la Thessalie , qui a été généralement regardé comme
l'inventeur de cet art: d'où est née, selon quelques érudils, la fa-
ble de leur figure monstrueuse. Pindare semble avoir été le pre-
mier à peindre les Centaures comme des monstres moitié hommes
et moitié chevaux: ce qui les a fait passer pour être les inventeurs
de I'équitation. Mais les Centaures étaient représentés d'une toute
autre manière dans les monumens antérieurs à ce poète. Dans la
description qu'il fait du combat des Centaures avec les Lapithes ,
retracé sur le bouclier d'Hercule, Hésiode ne met d'autre diffé-
rence entre les uns et les autres , sinon que les Lapithes portaient

\m casque et une cuirasse, tandis que lesdeCentaures n'avaient aucune


arme défensive. Homère, en parlant ce combat, donne aux
Centaures l'épithète de sauvages, de monstres couverts de poil, de
féroces montagnards , expressions qui n'indiquent autre chose que
la rudesse et la férocité de ce peuple ; d'où il faut cenclnre que

(i) O. Curt. liv. G. et Diod. liv. XVII. chap. 9.


fa) V. Fiorus liv. I.cr chap. XVIII. et T. Live liv. XXXVII. §. 40.
r> e la Grèce. 3o9
la fable des Centaines, comme moitié hommes et moitié chevaux,

est postérieure an siècle d'Homère et d'Hésiode , qui n'auraient


certainement pas manqué d'en embellir leurs poèmes , si elle leur eût
été connue. On lit eu outre dans Pausanias , que sur le fameux c^;7;^u^,
coffre des Cipsélides, dont les bas-reliefs appartenaient au huitième de/ec,co^w<
siècle avant l'ère vulgaire, on voyait le Centaure Chiron représenté
avec des pieds d'homme , et semblable , non à un homme qui est
en croupe sur un cheval, mais qui conduit cet animal par la bride.
Ainsi la figure de ce Centaure n'avait rien de commun avec Part de
monter à cheval : elle indiquerait tout au plus un homme qui panse
ou conduit les chevaux, de la même manière que la figure du Sa-
tyre 5monstre aux pieds de bouc , annonçait un pâtre ou gardien
de chèvres. D'après toutes ces remarques , on ne peut guères accor-
der aux Centaures, ou Thessaliens, l'honneur d'avoir été les pre-
miers à monter à cheval (i). Peut-être que la grande célébrité
accordée aux chevaux et aux cavaliers Thessaliens dans les tems
héroïques, fut ce qui donna lieu à la fable des Centaures, rappor-
tée depuis par tous les poètes postérieurs à Pindare.
On ne peut guères non plus adopter l'opinion de ceux qui ^J^^'ff
font remonter à une haute antiquité l'art de Féquitation chez les re%és*^és
Grecs, lorsque les monumens nous représentent les Tyndarides,
c'est-à-dire Castor et Pollux , à cheval. L'antiquité de ces mo-
numens ne va pas au de là de la guerre de Messène , car le
sculpteur Baticle fut le premier qui représenta les Tyndarides
à cheval dans un bas-relief d'Amyclée. Il est bien vrai qu'Homère
donne à Castor iepîthète de iartéiapûç , dompteur de chevaux?
mais il appelle aussi du même nom les Troyens qui combattaient
sur des chars, et nous avons déjà vu dans quel sens il faut enten-
dre chez ce poète le mot de cavalier. Dans les jeux funèbres de

(i) Le mot Centaure 3 qui dérive du grec Ke^téo , je combats , et


ravpcç , taureau , signifie proprement bouvier, nom qui fut donné aux
compagnons d'Ixion , parce qu'ils reconduisirent avec l'aiguillon à leurs
étables les bœufs, que la piqûre des taons avait rendus furieux. « Ce ne
fut , dit Fréret , que du tems de Xénophon , qui vivait environ soixante
ans avant Pindare , qu'on commença à prendre la fable des Centaures
comme un emblème de X èquitation ; je ne saurais dire néanmoins si cette
opinion était ancienne : car pour appliquer la fable à l'art de monter à
cheval , Xénophon change le nom de Centaure, qui ne veut dire autre
chose que bouvier, en celui à'Hyppocenbaure inconnu à tous les anciens
poètes. »
3iO Milice
Pélias , qui étaient figurés sur le coffre des Cipsélides, on vovaifc
Poilux parmi ceux qui se disputaient le prix à la course des chars.
Pausanias rapporte, d'après une tradition des Eléens , que, dans
les jeux funèbres de Pélops t Castor remporta le prix de la course
à pied, et Poilux celui du pugilat. Enfin Pindare, qui parle si
souvent des Tyndarides , ne leur donne ni chevaux ni chars, et
les fait toujours courir à pied , en quoi il vante singulièrement leur
légèreté et leur vitesse. Ces considérations nous portent à regarder
comme vraisemblable la conjecture de Fréret , qui n'est pas éloigné
de croire que les Tyndarides , devenus après leur apothéose les
protecteurs de la navigation, aient eu pour emblème le cheval ma-
rin, qu'on joignait aussi aux statues de Neptune, comme étant ce-
lui de la navigation ([). Ainsi il n'est pas hors de probabilité que
les poètes et les artistes, oubliant peu-à-peu l'ancienne tradition ,
aient fini pas substituer le cheval terrestre au cheval marin , lors-
qu'ils ont voulu représenter Castor et Poilux. On ne peut ajouter
^iJlbauaieni également que peu de foi à l'assertion d'Hérodote , que les Amazo-
ii'ckëLi. nes ^u Thermodon combattaient à cheval dès les tems héroïques;
car Homère \\en dit pas le mot, quoi qu'il parle souvent de ces
femmes guerrières, et de l'audace avec laquelle elles avaient poussé
leurs incursions jusqu'aux portes de Troie. Il suit donc de tout ce
que nous venons de dire, qu'on ne peut encore déterminer à qui
est due l'invention ou l'introduction de la cavalerie en Grèce.
Premier Le premier exemple que nous ayons des courses à cheval date
exemple ' i
des courses de la XXXI1Ï.6 olympiade
à cheval. „
, ou de l'olympiade
, '.,. .
de Chorèbe
r . -,
, 648
ans avant 1ère vulgaire, et îi^o après l innovation laite dans les
jeux olympiques par Iphitus, époque à laquelle l'usage de ces cour-
Monumens ses y fut introduit (2). Le plus ancien monument, où l'on a vu des
équestres. cavaliers proprement dits, semble avoir été l'énorme masse qui por-
tait la statue d'Apollon dans le temple d'Amyclée (3). Les reliefs

(1) Piecherches sur l'ancienneté , et sur l'origine de l'art de Vèqui-


tation dans la Grèce. Hist. de V Acad. R. des Inscriptions. T. VII,

3i 1 Pausan.
pag. (a) et sui-v. liv. V. 394.
(3) Cette statue , au dire de Pausanias liv. III. 255 , était très-an-
cienne ,et si grossièrement faite , qu'elle se ressentait entièrement de
l'enfance de la sculpture ; elle ressemblait moins à un corps humain qu'à
un gros cylindre : il n'y avait que le visage , les mains et les pieds qui
eussent une forme humaine; elle était en airain } et avait trente coudées
de hauteur.
de la Grèce. 3iï

de cette masse étaient l'ouvrage de Baticle, et représentaient iea


Tyndarides , Anaxias et Mnuasinus leurs enfans, tous à cheval. On y
voyait aussi Méga petit et Nicostrates fils de Mené las , mais l'un et
l'autre sur le même cheval. Baticle vivait vers le teins de Crœsus ,
de Solon , de Thaïes et autres sages de la Grèce; et l'on peut par
conséquent fixer l'époque de ce monument à-peu- près à l'an 56a
avant l'ère vulgaire. Les antiquités Grecques nous offrent peu d'au-
tres raonumens de cavaliers proprement dits; et îa raison en est,
comme l'observe Pline, que l'usage des statues équestres était fort-
rare chez les Grecs (i).
Nous n'entrerons point ici dans la question de savoir, de quel
peuple les Grecs ont appris l'art de monter à cheval , c'est à dire

(i) Plin. liv. XXXIV. chap. HI. Il semble qu'on peut déduire des
monumens et du témoignage des anciens écrivains , que l'usage des chars
chez les Grecs était antérieur à l'art de monter à cheval. Lucrèce est d'un
sentiment contraire dans ces vers du V.e livre.

Eb prius esb reperbum in equi conscenclere cosbas }


Et moderarier hune fraeno dexbraque uigere }
Quam bijugo curfu belli tenbare pericla.

Ce poète regardait donc l'art de conduire un char comme plus difficile


que celui de monter à cheval. » Mais , comme l'observe judicieusement
Frère t , quand l'opinion de Lucrèce serait encore certaine , les raisonnemens
ne prouvent rien contre les faits , et il n'est pas toujours vrai qu'on ait
commencé par ce qu'il y avait de plus simple. Les inventions sont géné-
ralement dues au hazard , et le hazard n'est point assujéti aux procédés
méthodiques de la Philosophie; mais ces réflexions sont indifférentes dans
la question dont il s'agit , car il est faux que l'art de conduire un char
soit plus compliqué que celui de monter à cheval : l'ardeur du cheval le
plus impétueux est arrêtée , ou pour le moins retardée par le poids du char
auquel il est attelé : il est évident que la manière la plus simple et la
plus facile de se servir des chevaux , et par laquelle on a dû commencer
a été celle de les atteler à un poids, et de les obliger à le traîner. Le
traîneau doit avoir été le plus ancien de tous les chars ; placé ensuite sui-
des rouleaux, ou des cylindres de bois, qui se changèrent dans la suite
en roues il s'éleva peu-à-peu de terre , et parvint enfin à formel-
le char des anciens à deux et à quatre roues. Ces chars, à en juger par
ce que nous en ont laissé les écrivains et les monumens de l'antiquité ,
ne différaient pas beaucoup de nos charettes , et n'exigeaient pas un grand
savoir de la part de ceux qui les conduisaient. »
3 12.. Milice

bi c'est des Scythes ou des Cimmériens , cette question étant tout-à-


fait étrangère à notre objet: on peut d'ailleurs consulter à cet égard
la savante Dissertation de !M.r Fréret qui se trouve dans le VIÏ.e
Première vol. de l'histoire de l'Académie des Inscriptions. Ainsi l'époque la
de ia°oaZ.hrie plus ancienne, où nous voyons qu'il est fait mention de la cavalerie
leogue. ^^ |es Grecs } ne remonte pas au de là de la première guerre de
Messène, qui eut lieu vers l'au 74^ avant l'ère vulgaire. Les Lacédé-
moniens et les Messéniens avaient bien à cette époque quelque corps
de cavalerie , mais dans un si mauvais état qu'elle ne pouvait leur
être d'une grande utilité: car Pausanias, de qui nous viennent tou-
tes les relations concernant cette guerre, dit que les peuples du
Péloponnèse connaissaient bien peu l'art de monter à cheval. 'C'est
donc à tort que certains écrivains ont prétendu, que l'origine de
cet art était d'une date plus ancienne en Laconie, en s'appuyant
du témoignage de Philostrate de Cyrène , qui assurait que Lycur-
gue avait formé les cavaliers Spartiates en compagnies de cinquante
Ouiams. hommes chacune , appelées Oulams, Mais ces cavaliers n'étaient
autre chose qu'un corps de soldats distingués par leur bravoure, et
nous n'avons aucun moyen de prouver d'une manière solide qu'ils
combattaient à cheval. Hérodote et Thucydide en parlant d'eux
s'expriment ainsi; les trois cents hommes d'élite , qu'on appelait à
Sparte cavaliers: mots qui donnent à présumer que ces soldats
n'avaient que le nom de cavaliers , de la même manière peut-être
qu'Homère qualifie ainsi ceux qui combattaient sur des chars. Stra-
bon observe en effet, que selon les réglemens de Lycurgue , ceux
qu'on appelait à Sparte cavaliers , combattaient à pied. On ne
trouve dans les institutions de ce législateur célèbre rien qui ait
rapport à l'art de i'équitation , en quoi les Spartiates , même de-
puis que l'usage en fut introduit eu Grèce, se montrèrent toujours
bien inférieurs aux autres Grecs. La cavalerie ne fut jamais qu'en
très-petit nombre dans tous les états de la Grèce. Il n'y en avait
point aux batailles de Marathon et de Platée, parce que la Thes-
salie , d'où se tiraient ordinairement les chevaux , était occupée toute
entière par les Perses , quoiqu'à la dernière de ces batailles Far-
inée Grecque fût au moins de cent dix mille hommes. Dans la guerre
du Péloponnèse, la cavalerie ne formait tout au plus que la qua-
rantième partie de l'armée des Grec;. Cette cavalerie était tirée de
la Thessalie, et le traitement des hommes qui la composaient était
de la Grèce. 3i3
si considérable que les républiques les plus opulentes ne pouvaient
en fournir qu'un petit nombre (i).
Il serait encore inutile de .
vouloir faire des recherches
.
sur l'es- espèce
De qudie
étaient
pèce de chevaux dont se servaient les Grecs. Nous observerons seu- les chevaux.
ïement , d'abord; qu'on voit dans les monumens des chevaux entiers
et coupés ; secondement que les chevaux représentés sur les monu-
raens Grecs, sont plus sveltes et plus beaux que ceux qu'on voit sur
les monumens Romains ; troisièmement que les uns et les autres ont
le cou robuste et bien fait, ce qui ajoute encore à l'élégance de
leur encolure (a). Dans les premiers de ces monumens , ces chevaux
ont quelquefois la crinière coupée; c'est ainsi que sont représentés
les chevaux du tyran Dioméde , dévorant le jeune Abdère, sur un
beau camée de Stosch publié par Winckelmann ; et tels sont égale-
ment les fameux chevaux de la place Saint Marc à Venise. Cet usage
avait lieu surtout dans les tems de deuil , et de calamité. Ainsi
les Thessaliens coupèrent la crinière de leurs chevaux à l'occasion
de la mort de Péîopidas. Il est bon d'observer encore, que les pein-
tures de l'antiquité donnaient aux chevaux la couleur la plus analo-
gue àl'action qu'ils voulaient représenter. Philostrate, dans la descrip-
tion qu'il fait d'un tableau représentant Pélops et Enomaùs , dit
que les chevaux du second étaient noirs 3 pour dénoter qu'on de-
vait s'en servir à une trahison , tandis que ceux de Pélops étaient
blancs. Toutefois l'usage de ferrer les chevaux fut inconnu aux Usage déferrer
Grecs et aux Romains. Fabrettî qui avait examiné attentivement tncLnu'àceue
les chevaux de presque tous les anciens monumens , dit que le seul éP°9ue-
pied qu'il ait vu ferré se trouvait dans un bas-relief du palais Maf-
(i) Le sol de la Grèce généralement sec et aride ne fournissait aux
chevaux qu'une nourriture rare et chétive , ce qui fait qu'ils y étaient en
petit nombre et fort-chers. Pline observe qu'il n'y eut jamais en Grèce
de chevaux indigènes ni sauvages. Les anciens poètes regardèrent comme
un présent de Neptune les chevaux les plus généreux et les plus propres
à la guerre , voulant peut-être indiquer par là , que ces chevaux avaient
été conduits par mer de la Lybie et de l'Afrique en Grèce. Les chevaux
amenés en Grèce y dégénéraient aussitôt faute de nourriture qui leur
convint. La Thessalie était le seul pays qui pût en avoir _, encore y
étaient-ils rares et d'un entretien dispendieux , comme on peut en juger
par le traitement qu'on donnait aux cavaliers Thessaliens.
(2) Pollux veut que le cou du cheval se courbe doucement comme
celui du coq , et qu'il ne soit pas droit comme le cou du bouc. Liv. I.CJ'
Segm. 189.
Europe. Kol. J. ,jO
3i4 Milice
fei , représentant une chasse de l'Empereur 'Gallien; mais Winckeî-
mann a reconnu que ce pied était une restauration moderne. Ainsi
Selle. l'on peut assurer qu'avant le dixième siècle on n'avait pas encore
vu de chevaux ferrés (i). On ignorait également l'usage de la selle
et des étriers. « L'éducation, dit Goguet , l'exercice et l'habitude
avaient appris aux cavaliers de cette époque à se passer de ces
secours „. On montait les chevaux a nu , comme le font aujourd'hui
les Africains: on apprit ensuite des peuples de l'Asie à étendre
sur leur dos quelque draperie, ou la peau de quelqu'anima!. Mais
ce n'est que vers l'an 340 de l'ère vulgaire , qu'il est fait mention de
la selle proprement dite. Zonara raconte que vers cette époque , Cons-
tant fils de Constantin le Grand, clans un cambat qui eut lieu entre
lui et Constantin son frère et son compétiteur à l'empire, pénétra
jusqu'à l'escadron que celui-ci commandait, et le renversa de selle.
Cependant les bas-reliefs de la colonne Théodosierme sont le plus
ancien monument où. l'on aperçoive des arçons. On y voit des che-
vaux étroitement harnachés , avec des selles trè-hautes, assez sembla-
bles à celles de nos anciens chevaliers, et ayant les deux arçons
bien distincts. Voy. la planche 47-
Introduction
des étriers.
Après la selle vinrent les étriers , dont les bas-reliefs de la mê-
me colonne nous offrent encore les premiers modèles. On prétend
même que le Traité de Tactique composé par l'Empereur Maurice
vers la fin du sixième siècle de notre ère, est le premier ouvrage
Manière
de monter où il soit parlé d'étriers. Et en effet avant leur invention , les ca-
à eheval.
valiers Grecs et Romains s'exerçaient à s'élancer à cheval avec
agilité, en se servant pour cela d'un cheval de bois (a). Ceux à
qui leur inhabileté dans cet exercice , leur âge ou leurs infirmités
ne permettaient point d'y monter d'eux mêmes, se fesaient aider
de quelqu'un , ou montaient sur quelque pierre , ainsi qu'on peut le
voir dans un bas-relief du Parthénon. 11 y avait encore pour ceux-
ci des chevaux qui étaient dressés à se mettre à genoux , comme
J'atteste Plutarque , dont le témoignage est encore confirmé par
Jes ornemens d'une lampe trouvée dans les fouilles d'Herculanum (3).

(1) V. Encyel. met. PL antiq. I.er vol. pag. 35. Les anciens étaient
néanmoins dans l'usage de ferrer leurs mulets , en leur enfermant le pied
dans une espèce de sabot. Ibid.
(2) Nous parlerons ailleurs de ces cavaliers qui savaient manier à' la
fois plusieurs chevaux , sautaient de l'un à l'autre , et qu'Amen appelle
Amfibbi.
(3) Lampes et candélabres pag. 114.
^.&.mc,x//'^CT.
de la Grèce. 3 15

Xénophon enseigne aussi dans son traité de l'équitation la manière


de monter à cheval avec le secours de la lance. Cet usage est re-
tracé dans une pierre précieuse du Musée Stoschiano dont parle
Winckelraann , et que nous avons cru à propos de représenter sous
le n.° i de la planche 44- " 0° Y vcnt un guerrier tenant de la
« main droite la bride d'un cheval , avec sa lance appuyée à l'é-
« paule droite , et posant son pied droit sur un morceau de fer
'«horizontal , qui tient à la partie inférieure du manche de la
" lance (i) „. Nous nous bornerons pour le moment à repré-
senter à la planche 4-5 deux cavaliers, pris des peintures des va-
ses antiques de Millin , nous réservant de donner ailleurs plu-
sieurs autres exemples de ce genre. Le n.° i représente un jeune
homme , qui , vraisemblablement retourne vainqueur des exercices
guerriers; il porte une lance de peu de longueur, à laquelle est
suspendue une chlamyde, qui est le prix de sa valeur. Un femme
vêtue d'un riche manteau va pour offrir une boisson an cheval et
au cavalier. Le n.° 2. est ainsi décrit par Millin. « Le guerrier
<« qu'on voit dans cette peinture tient d'une main ses deux lances,
« et de l'autre son cheval par la bride: la palme qui est près de
« son bouclier suspendu au mur, et le bandeau placé vis-à-vis de
" lui, donnent à présumer qu'il a remporté le prix dans quelqu'exer-
« cice. Les brins de myrte épars à terre sont relatifs aux mystè-
« res, et c'est probablement un initié qu'on voit ici. Ce triomphe
« allégorique annonce que le cavalier a soutenu courageusement
" les épreuves auxquelles il a été soumis, et qu'il en est sorti vain-
" queur. La forme de sa cuirasse, celle de sa ceinture, et le seul
« brodequin qu'il porte, méritent aussi une attention particulière,,.
Nous ne nous arrêterons point à parler des variétés que pouvait
présenter la cavalerie des Grecs, attendu que nous n'avons point
de monumens qui nous en instruisent: d'ailleurs cette cavalerie ne
fut divisée en corps que très-tard , et à l'exemple de celle des Ro-
mains ,dont nos lecteurs pourront à cet égard consulter les usages.
Nous observerons seulement, quant à "la forme des armures, qu'il
n'y avait point de différence entre l'infanterie et la cavalerie, et
que cette dernière était de deux espèces , l'une pesante et l'autre lé-
gère. La première était armée d'épées et de lances plus longues que
celle de l'infanterie, et combattait de près; la seconde fesait usage du
javelot , de l'arc et des flèches; elle combattait de loin , et ne portait
point d'armes défensives. On peut voir le Traité d'Arrien à ce sujet.
(1) Winckelra, Monura. ant. pag. 265.
3i6
LES GUERRIERS.

TROISIÈME SÉRIE DE L ICO NOGR.AP HIE GRECQUE.

PORTRAITS

de Miltiade 3 de Thémistocle et de Pyrrhus.

Rareté -L 1 ous pourrions exposer ici une longue suite de portraits de


de portraits ... j->, . , , . . . . ,. .
authentiques, capitaines Orecs qui se sont signales par des exploits militaires , si
nous voulions nous conformer dans nos recherches aux iconographies
des Fulvius Ursini, des Faber, des Gronove et autres écrivains.
Mais depuis qu'une critique plus éclairée nous a appris que les por-
traits de Gimon , d 'A ratas, de Phocion , de Xénophon , d'Epami-
nondas, de Lysandre , et de tant d'autres capitaines célèbres sont
tous controuvés, et pour la plupart l'ouvrage d'artistes du XVI.e siè-
cle, il ne nous en reste qu'un très-petit nombre qu'on puisse re-
garder comme vraiment antiques 9 et d'une authenticité certaine.
Prenant donc pour guide l'illustre Visconti, dont nous ne pouvons
assez admirer l'érudition ni déplorer la perte, nous donnerons seu-
lement les portraits de Miltiade et de Thémistocle : ceux d'Alci-
biade, de Périclés, d'Alexandre et de quelques-uns de ses succes-
seurs ayant déjà été tracés précédemment dans cet ouvrage. Nous y
joindrons celui de Pyrrhus Roi des Epirotes, qui avait pris Alexan-
dre pour modèle dans ses entreprises militaires, et se vautait même
de lui ressembler de physionomie.
Miiûade. Miltiade fils de Cimon est cité par Pausanias comme le plus
ancien des bienfaiteurs de la Grèce. Il comptait parmi ses ancêtres
Aiax et les Eacides. Quoique citoyen d'Athènes, il avait obtenu la
souveraineté du Chersonèse , que les Scythes et les Perses l'obligè-
rent d'abandonner. A son retour à Athènes , il fut un des dix capi-
taines élus par le peuple, pour commander l'armée contre les Per-
ses. A la fameuse journée de Marathon } il eut senl le commande-
ment des troupes , du consentement de ses collègues. L'ennemi fut
défait, et laissa environ sept mille morts sur le champ de bataille.
Mais le héros de Marathon ne put se soustraire à l'envie de ses
concitoyens , qui lui refusèrent la couronne d'olivier , unique ré-
compense qu'il avait demandée pour prix de sa yictoire. Moins
de la Grec e. 3j7

heureux dans l'expédition maritime qu'il fut chargé de conduire


contre l'île de Paros , il fut condamné à cinquante talens d'amende 3
et n'ayant pu la payer , il mourut en prison de ses blessures. On
lui éleva néanmoins des statues, dont la plus fameuse était celle
que Phidias exécuta en marbre, et qu'on voyait dans le temple
d'Apollon à Delphes, L.'herme n.° 1 , planche 46 , qui apparie- $°n forme.
nait auparavant au Musée de Paris offre le portrait de Mittiade*
On retrouve la même sérénité de regard 3 la même disposition des
cheveux et de la barbe dans le buste de ce guerrier publié par
Fulvius Ursinus } au bas duquel on lisait cette inscription en ca-
ractères Grecs et carrés : Miltiade , fils de Cimon , Athénien (1).
« Le casque qui sert de coiffure à cette tête , dit Visconti , con-
firme notre opinion sur le personnage qu'elle représente: car la
partie qui descend sur le cou présente en relief le taureau furieux
de Crète 3 qui du tems de Thésée dévastait les campagnes de Mara-
thon ,où il fut terrassé par ce héros, et qui fut ensuite désigné dans
la mythologie sous le nom de Taureau de Marathon. Les habitans
de ce bourg de l'Attique le prirent dès lors pour signe embléma-
tique de leur pays , et lui consacrèrent une image en bronze dans
la citadelle d'Athènes. Cet ornement du casque est donc ici carac-
téristique, et sert à faire reconnaître dans le buste le vainqueur
de Marathon (3) „. On retrouve encore ce portrait dans une cor-
naline antique, qui existe dan? le cabinet de M.r De la Turhie à
Turin, dont Visconti fait aussi mention, et que nous avons repré-
sentée sous le n.° a. La chlamyde semble ici attachée sur l'épaule
gauche contre l'usage ordinaire ; mais il est à remarquer que les
anciens lytoglyphes n'avaient pas toujours la précaution de graver
en sens contraire , pour que la gravure présentât ensuite les objets
sous leur aspect naturel.
Thémistocle doit être regardé comme le plus grand capitaine TUmûtociè.
d'Athènes. Sans la bravoure et les ruses militaires de ce grand hom-
me , toute la Grèce serait tombée sous le joug des Perses. Ii com-
mença par donner aux Athéniens une force maritime, comme le
seul moyen qu'il avait reconnu propre à sauver la patrie contre

(0 ®n ignore ce qu'est devenu l'original de cet herme en marbre et


d'un autre du même guerrier , aussi en marbre , qui avait été découvert
gur le mont Celius à Rome.
(2) Arch. Gr. T. I. pag. i3i.
318 Milice

l'armée immense de Xèrxès. Pour réussir dans son projet , il lui


fallut séduire les oracles, gagner ses collègues et le commandant
en chef de la flotte de toute la Grèce coalisée; il dut même pous-
ser la feinte , jusqu'à se faire passer pour traître aux yeux de l'en-
nemi, afin de l'engager à attaquer les Grecs dans le seul endroit
où ils pouvaient vaincre, sans oser attaquer. Les Perses furent
complètement battus , et Athènes prit l'empire sur toute la Grèce.
Mais le vainqueur de Sala-mines eut pour récompense l'exil, au-
quel lecondamna l'ostracisme. Il se réfugia à la cour d'Àrtaxerxès
fiis de Xerxès , qui le combla d'honneurs et de richesses. La mort
le sauva de la dure nécessité de prendre les armes contre son pays;
il mourut à Magnésie, ville d'ïonie, âgé de soixante cinq ans.
Ses neveux firent transporter secrètement ses cendres à Athènes ,
et leur donnèrent la sépulture dans un roc entouré de la mer à
l'entrée du Pyrée (r). Les Magnésiens élevèrent à ce grand homme
plusieurs statues: la peinture et la sculpture ont plusieurs fois fait
revivre ses traits , et ses descendans avaient même consacré son image
dans un tableau exposé au Parthénon , où on le voyait encore du terns
de Pausanias , c'est-à-dire dans le deuxième siècle de l'ère vulgaire.
âcThZiillocie Ija cornaline n.° 3 présente encore , selon M.r Visconti , un portrait
un/cômioie. ^e Thémistocle. « Près de la tête, dit-il, ou voit un dauphin:
cet emblème de Neptune et de la mer donne à présumer , que
le héros Grec représenté sur cette pierre, s'était distingué dans la
marine , et l'imagination vole aussitôt à Thémistocle , qui est rée-
llement le personnage le plus illustre dans la marine militaire des
anciens. Le scholiaste de Thucydide écrit en effet que les Athé-
niens avaient donné à Thémistocle le surnom de lSïâvua%oç , c'est-
$ on herme. à-dire héros de la guerre navale. L'herme du Musée du Vatican,
n.° 4 i est encore un portrait de Thémistocle. Visconti n'est pas éloi-
gné de croire que ce buste appartenait à l'herme qui fut trouvé sans
tête par Fulvius Ursin , et qui portait en lettres Grecques le nom
de Thémistocle. Quoiqu'il en soit , cette image a certainement
beaucoup de ressemblance avec celle dont nous venons de parler.
Pyrrhus Roi d'Epire fut un des plus grands capitaines de l'an-
Prrrhus. tiquité. Ânnibal avait pour lui la plus haute estime , et Cicéron
parle avec éloge d'ouvrages écrits par lui sur l'art de la guerre.
Mais il ne fut pas également grand dans l'art de gouverner les peu-

Ci) Voy. Hérodote liv. VIII. Thucydide liv. Ier Diodore de Sicile
liv. II. Cornélius Nepos, et Plutarque,
de la Grèce. dicj
pies. Persécuté de la fortune presque dès son berceau, il conquit,
perdit et reconquit l'Epire , royaume qui loi appartenait par droit
de succession. L'ambition des conquêtes et l'inconstance de ses vues
lui firent abandonner plusieurs fois les avantages du sort et les rênes
de ses états , pour courir après la gloire chez les nations étrangères.
Il fut deux fois maître de la Macédoine,, et se la vit enlever deux
fois. S'étant allié avec les Tarentins, sous le prétexte de vouloir
mettre un frein à l'ambition des Romains , il conquit la Grande
Grèce presque toute entière; mais rebuté delà valeur d'un ennemi
que les Grecs n'avaient pas encore assez connu 5 il porta ses armes
dans la Sicile, qui l'appelait à sou secours contre les Carthaginois.
Devenu odieux aux Syracusains , qu'il traitait en sujets plutôt qu'en
alliés, il éprouva une suite de revers qui l'obligèrent à tourner ses
forces contre la Grèce : enfin , au milieu de la mêlée qui eut lieu dans
les rues d'Argos entre ses troupes et celles d'Àntigone Gonatas réunies
aux Grecs, à Ja suite d'une surprise qu'il avait tentée contre cette
ville, 'il fut mortellement blessé d'une tuile que lui lança une vieille
femme du haut de sa maison , pour sauver son fils. Alexandre II. lui
succéda en Epire l'an 37a avant l'ère vulgaire. Nous avons déjà vu
que la fameuse statue capitoline , qu'on avait prise pendant long-
tems pour l'image de Pyrrhus, était celle du Dieu de la guerre. Médailles
M.1' Visconti a découvert dans le Cabinet de la Bibliothèque de de Pr'rhus-
Paris une médaille précieuse ( n.° 5 ) , où, d'après des raisonnemens
de la plus grande probabilité, il croit reconnaître le portrait de
ce Monarque. « La légende , dit-il , Basileos Pirrou ( monnoie ) du
Roi Pyrrhus le prouve assez. On voit en outre sur un des côtés de
cette médaille la tête d'un guerrier avec un casque. Théfis montée
sur un cheval marin, et portant à son fils Achille le bouclier fa-
briqué par Vulcain , forme îe type du revers. Le rapport de ce
type avec Pyrrhus issu du sang des Eacides , et descendant d'Achil-
le, semble être de toute évidence; et comme la tète du guerrier
qui est gravée sur l'autre côté de la médaille a tout l'air d'un por-
trait je
, crois qu'on peut , avec la plus grande vraisemblance 5 la
regarder comme celle de Pyrrhus „. Ce savant commentateur ap-
puyé ensuite son opinion de conjectures non moins solides, et ajoute
qu'il n'est pas hors de probabilité que cette médaille ait été frappée
chez les Bruses , peuple de la Grande Grèce , qui s'était ligué
avec Pyrrhus contre les Romains (1).

(1) Ieonogr. Qr. Vol. II. pag. 84.


3ao Milice

Milice de V empire d'Orient et des C-recs modernes.

ZêZâmuL La ïig"6 Achéene dont nous avons déjà parlé , doit être con-
Grecque. g^érée comme le dernier effort de la valeur des Grecs, et presque
comme la lueur pâle et tremblante d'un flambeau prêt à s'étein-
dre. Tombée sous la domination des Romains,, la Grèce perdit tout
son courage et toute son énergie ; elle vit d'un œil tranquille les
vainqueurs s'emparer de ces positions inexpugnables, qui avaient été
jadis la sauve-garde de sa liberté et de sa grandeur; et elle de-
meura spectatrice indifférente des combats sanglans que se livrèrent
dans son propre sein ces mêmes conquérans, pour l'empire du monde
qu'ils se disputaient entre eux. Elle ne se reveilla pas de cette pro-
fonde létargie , lors même que Bysance devenue la capitale de l'empire
d'Orient, fit oublier l'éclat et la puissance de l'ancienne Rome. Bien
plus, c'est que depuis cette époque elle ne conserva plus rien de
Grec que le langage: car elle prit, pour ainsi dire., tout le costume
des Romains, ainsi que leurs usages: la même imitation s'introdui-
sit dans sa tactique militaire et dans son armée, où les descendans
des Tbémistocles , des Léonidas , et des Epaminondas combattaient
dans les mêmes rangs à côté des Latins et des Barbares. Ainsi nous
n'avons rien à dire de la milice des Grecs depuis leur assujétisse-
ment à la puissance Romaine ; et nous ne pourrions ajouter que bien
peu de cbose sur celle de l'empire Grec, sans être obligés d'anti-
ciper sur ce que nous en avons à dire à l'article du costume des
Romains, auquel nous renvoyons uos lecteurs. D'un autre côté, le
a Manque manque presque total de monumens relatifs à ces deux époques
ne nous permet pas de nous arrêter long-tems sur ce point, notre
but étant d'offrir dans cet ouvrage des images et des figures, plutôt
que des dissertations ou des recherches, qui n'auraient que peu ou
point d'importance. Nous nous dispenserons encore de parler des
changemens , que la tactique et le costume militaire des derniers
tems de l'empire Grec ont subis dans les tems modernes et de-
puis l'invention de l'artillerie, attendu que nous n'avons aucun mo-
nument qui en rende témoignage, et que d'ailleurs Se costume mi-
litaire devint presque uniforme par toute l'Europe à cette époque
et depuis les croisades , comme nous aurons occasion de l'observer
en son lieu. Cependant , pour ne pas laisser une, trop grande la-
cune dans cette partie de notre ouvrage , nous avons cru à propos
de la Grèce. 3a ï
de représenter à la planche 47 , comme pour complément de nos
recherches, un fragment
° de la colonne Théodosienne ,'où l'on voit rri€olJonn' .
Theodasienne.

les différens costumes militaires des premiers siècles de l'empire


Grec. On prétend que cette colonne fut élevée à Gonstantinople par
l'Empereur Arcadius, en l'honneur de Théodose le jeune. Elle ne
diffère guères de la colonne Trajane qu'on voit encore à Rome,
et présente également dans ses bas-reliefs un triomphe, que les
érudits croient avoir été remporté par le même Empereur sur les
Scythes et les Goths(i). Quant aux dessins que nous avons des bas-
reliefs de cette colonne, nous observerons d'abord que c'est au pein-
tre Gentil Bellini , Vénitien, que nous en sommes redevables, et GmtUBeiUni
. . . . t * lève le dessin
voici comment. A la vue de quelques tableaux de Jean Bellini que de la colonne
l'ambassadeur de la république de Venise avait apportés avec lui
pour l'ornement de son palais de Gonstantinople, Mahomet II, ne
pouvant contenir son admiration } demanda avec les plus vives instan-
ces qu'on lui envoyât ce peintre. L'ambassadeur en écrivit aussitôt
à son sénat. Mais Jean ne voulant pas interrompre les ouvrages qu'il
exécutait alors dans le Palais de Saint Marc, et se trouvant d'ail-
leurs dans un âge déjà très-avancé, proposa de faire partir son frère
Gentil à sa place. Cet artiste reçut de Mahomet l'accueil le plus
gracieux, et le portrait qu'il fit de ce Monarque par le moyen
d'une glace, le rendit à ses yeux et à ceux de toute sa cour l'ob-
jet de la plus haute admiration : enfin les Turcs, qui n'avaient au-
cune idée de peinture, le regardèrent comme un être surnatu-
rel. A la faveur de l'estime dont l'honorait Mahomet , "Gentil
examina tous les monumeus des arts qui existaient encore à Gon-
stantinople ;et la colonne Théodosienne ayant particulièrement
fixé son attention 3 il obtint d'en pouvoir lever le dessin. Cet ou-
vrage précieux fut d'abord transporté à Venise, d'où il passa, après
bien des vicissitudes , à l'Académie de peinture et de sculpture de
Paris. G'est de ce dessin que nous avons pris celui de la porte

(1) Il faut lire au sujet de cette colonne et des événemens qui y


sont représentés la Dissertation du P. Claude François Menetreio : Co-
lumna Theodosiana , quant vulgo hist.orlatam vocant , ab Arcadio Imper.
ConstantinopoLi erecbam in honorem Imperatoris Theodosii Junioris a
Gentile Bellino delineata. Lisez aussi Banduri , Imperium orientale ; T. IL
pag. 5o8 et suiv. Cette colonne fut renversée par Bajazet II pour cons-
truire un bain à sa place. V. Hobhouse - A Journey through Albania
etc. pag. o,55.
Europe. VoL L jr
Saa Milice

Porte d'or. d'or , que fit élever Théodose le Grand , après avoir défait le
tyran Maxime. Cette porte est d'une construction singulière, et
n'a rien de commun avec les arcs de triomphe qu'on voit à Rome.
L'Empereur va pour passer dessous. On le reconnaît à son sceptre,
à la richesse de l'équipage de son cheval, et à l'aigle dont son cas-
que est orné; mais on ne peut assurer précisément si ce personnage
est Théodose même, ou Gratien , que le premier avait élevé à l'em-
pire ,et qui avait vaincu les Allemands et les Goths; il est pré-
cédé du préfet ou capitaine des gardes qui est aussi à cheval. Nous
laisserons à la curiosité des lecteurs le soin d'examiner les costumes
militaires et les armes que présente ce dessin, ainsi que l'analogie
ou la différence qu'on y observe avec ceux dont nous avons déjà
donné la description.
Cataphraeies. Il y avait dans les armées de l'empire d'orient un corps de ca-
valerie, connu sous le nom de Cataphractes ^ qui était très-renommé.
Sa formation vient proprement des barbares. Les Romains, au dire
de Tite-Live, virent pour la première fois cette espèce de cavale-
rie dans les troupes d'Antiochus. Constance , fils de Constantin, fut
le premier à en introduire l'usage dans les armées de l'empire.
Nous croyons à propos de rapporter ici la description qu'en fait
Héliodore. « C'est (le cataphracte) un homme d'élite, et qui doit
« être très-fort ; il a pour coiffure un armet qui n'a qu'une seule
" ouverture , et ressemble par devant à un visage d'homme : cette
« armure lui couvre la tète toute entière , à l'exception des yeux,
» depnis le sommet jusqu'à la nuque. De la main droite il porte une
« longue lance armée au bout d'un fer aigu; de la gauche il gouverne
« les rênes de son cheval. Une épée peud à sa ceinture, et tout
« son corps est enveloppé d'une cuirasse. Voici comment cette cui-
« rasse était fabriquée. On formait, avec du cuivre ou du fer , des
« plaques carrées, de la grandeur d'une palme en tous sens : on dispo-
«< .sait ces plaques les unes à côté des autres depuis le haut jusqu'en
« bas, de manière que le bout et les côtés de celles de dessus s'ap-
» pliquaient sur celles de dessous et des côtés , et ainsi de suite. A
" l'endroit où se rapprochaient les jointures, il y avait de petits cro-
« chets en forme de hameçon , auxquels était agrafée une espèce de tu-
« nique couverte d'écaillés de poisson , qui ceignait le corps du cavalier
" sans l'incommoder, et sans le gêner dans aucun de ses mouvemens.
« Cette tunique avait des manches, et descendait du cou jusques
« sur les genoux ; elle était ouverte entre les cuisses , c'est-à-dire
de la Grèce. 3a3
« à la partie qui posait sur les épaules du cheval. Telle était la
« forme de cette cuirasse, dont la solidité pouvait résister aux flè-
« ches et aux coups les plus violens. Les jambiers qui prenaient de-
« puis le pied jusqu'au genou , tenaient à la cuirasse , et au bout
« étaient attachés des souliers aussi en fer. L'armure du cheval était
« la même; sa tête était couverte d'une têtière en fer, et de cha-
« que côté tombait de ses épaules jusqu'au ventre une couverture en-
" trelacée de fer, qui lui servait de défense, et ne l'empêchait pas de
« courir en plaine. Le cavalier ainsi armé se trouvait comme soudé
« sur son cheval : le poids de son armure ne lui permettant pas
« d'y monter lui même , il y était placé par d'autres. Au signal du
« combat, il lâchait les rênes, et dans sa course précipitée contre
« l'ennemi, il ressemblait à un homme de fer , ou à une statue mo-
« bile fabriquée au marteau. Un cordon attaché au cou du cava-
« lier retenait la lance à l'endroit ou le fer est long et droit , et
« à celui de sa courbure un autre cordon la retenait près des cuis-
« ses du cheval , et servait en même tems dans le combat à rendre
« l'animal docile à la main du cavalier, lequel n'avait besoin alors
« que de tenir sa lance droite , et de la pousser avec force devant
« lui, pour que le coup en fût plus rude et plus meurtrier. Rien
" ne résistait à l'impétuosité de son choc , et souvent d'un seul coup
« il abatait deux ennemis (i)„. Nous n'avons aucun monument qui
nous retrace l'image des Cataphractes des empires Grec et Romain ;
mais comme Constance avait introduit dans son armée cette espèce
de cavalerie à l'imitation des barbares, et pour qu'il ne reste rien à
souhaiter à nos lecteurs sur ce point, nous avons cru devoir leur
présenter à la planche 44 ■> n-° a 5 quelques Cataphractes de milices
auxiliaires de l'empire Romain , qu'on voit dans les bas-reliefs de
la colonne Trajane. Il est à remarquer ici que le cavalier n'a point
3e visage couvert, et que ses mains sont également nues; il n'a mê-
me point de pique.
Nous ne devons pas omettre non plus de faire mention du La- Labarum.
barum , espèce d'étendard, que Constantin le Grand avait donné
aux armées des deux empires pour enseigne militaire. C'était une

(1) Héliodore , sur les choses éthyopiques , trad. de Léonard Ghini.


Vlnegla , Gabr. Giolito , i56o , 8°, liv. IX. pag. a35 et suiv. On ne trouve
dans le G'ossaire de Dufresne d'autre explication du mot cataphractus t
que celle de thorace ferreo indutus.
3a4 Milice
longue pique, décorée quelquefois de divers objets, et portant vers
son extrémité supérieure un bâton transversal , d'où pendait une
draperie couleur de pourpre , enrichie de pierreries et entourée
d'une frange. Au milieu était figurée en broderie la croix, ou
Je monogramme composé des deux lettres Grecques X. P. qui
indiquent le nom du Christ , et d'autres fois les deux autres
a. a , qui signifient que le Christ est le principe et la fin de
toutes choses. On trouve aussi des labarum qui avaient la forme
d'un éventail. Voyez les deux médailles de Constance , ( planche Ap ,
n.° 3 ) rapportées par Banduri. On prétend que Constantin donna
à ses troupes cette espèce d'étendard, après avoir vu dans les airs,
en marchant à la tète de ses troupes contre Maxence , une croix
sur laquelle ou lisait ces mots en Grec: en tottq nika. In hoc ( signo )
vinces , et qu'il choisit cinquante guerriers des plus braves et des
plus pieux de son armée pour le porter tour-à-tour. Les savans croient
voir dans ces guerriers ceux que le Code Théodosien désigne sous
le nom de Prœpositi laborum (i).
Feu grégeois. Enfin, et pour compléter ce que nous avions à dire de l'art mi-
litaire de l'empire de Bysauce, nous allons rapporter les notions que
nous ont transmises les écrivains sur le feu grégeois , auquel Constan-
tinople fut plusieurs fois redevable de son salut. Nous avons vu pré-
cédemment que les anciens ont toujours cherché à faire usage du
feu dans leurs guerres. Il parait néanmoins que c'est des peuples
de l'orient qu'est venue l'idée de produire des embrasemens par le
moyen du pétrole, anciennement appelé naphte , et d'autres matiè-
res bitumineuses qui abondent dans ces contrées. Dion raconte que
l'Empereur Sévère fit de vains efforts pour prendre une ville située
sur les confins de la Perse, parce que les assiégés brûlèrent, avec
du naphte qu'Un lui jetaient, ses machines , ainsi que les soldats qui
en étaient atteints : ce qu'une ville de Médie avait déjà fait trois
siècles auparavant contre Lucullus. Ammien Mareellin, Procope et

(i) Peut-être làbarorum. Le labarum proprement dit était l'étendard


des Barbares. C'est pourquoi , quand on le trouve sur les médailles des
Augustes qui ont précédé Constantin, au lieu de le prendre pour une en-
seigne Piomaine , il faut le regarder comme celle de quelque nation bar-
bare vaincue par l'Empereur , en l'honneur de qui la médaille a été frap-
pée. Ainsi il serait inutile de rechercher dans la langue grecque ou latine
Tétymologie du mot labarum. V. Du-Fresne De Imperator. Constanùnop.
etc. Numismatïbus Dissertatio , pag. 3g.
de la Grèce. 3ï>,5

autres anciens écrivains nous assurent, que l'huile, appelée incen-


diaire, se fesait en Médie et en Perse ([). L'usage de ce feu passa
aussi chez les Arabes : car au dire de l'historien Elmacin , ils l'em-
• ployèrent à un siège de la Mecque , et Jean de Vitry rapporte
qu'ils achetaient à un très-haut prix les eaux d'une fontaine , avec
lesquelles, au moyen de quelques ingrédiens qu'ils y mêlaient ,
ils fesaient le feu grégeois. Il paraîtrait que ce fut d'eux que l'ar-
chitecte Calliuique , venu de Baîbec en Grèce vers le milieu
du VII.e siècle, apprit la composition de ce feu; et qu'à la fa-
veur de ses hôtes dans ce dernier pays, il composa ou peut-être
perfectionna celui qui dans la suite fut appelé feu grégeois. Les
écrivains Bysantins l'appellent tantôt feu artificiel , tantôt feu de
mer , mais plus communément encore feu fluide. Il existe un opus-
cule qu'on attribue à certain Marc Greco , lequel vivait, dit-on ,
vers l'an noo, où sont indiqués 1 les ingrédiens
~ qui
x entrent dans Matières
composant

la composition du feu grégeois, ainsi que la manière de le prépa- & feu grégeois.
rer : ces ingrédiens sont du soufre, de la poix, du pétrole, du
tartre, du sel décrépité; et le procédé est de faire bouillir le tout
ensemble , et d'y mêler de Vétoupe (a). Gallinique fit usage pour la
première fois de cette composition dans un combat naval, entre
Constantin Pogonate et les Savrazins, près de Cysique sur PHelles-
pont. L'effet en fut si terrible, que la flotte ennemie, portant envi-
ron trente mille hommes, fut entièrement détruite par les flammes.
Les successeurs de Constantin
.
l'employèrent
,
ensuite . dansTplusieurs Le fou grégeois
,
de leurs
,.
guerres,
,...
et toujours
.
avec
i,
beaucoup
i,
de succès. Le soin
,
par- , misdesau secrets
nombre
ticuher qu ils prirent toujours d en cacher le secret nous donne a de PEtau

(i) Le chevalier Venturi, que nous avons suivi dans nos recherches
sur le feu incendiaire, dit que c'est peut-être à l'usage de ce feu qu'il
faut attribuer , ce que Philostrates regarde comme l'effet d'un prodige inoui,
savoir ; qu'Hercule et Bachus s' étant engagés dans un combat avec
un peuple de l'Inde favorisé du ciel , ils furent assaillis par des tour-
billons de feu et des foudres qui tombaient d'en haut sur les armes de-
leurs troupes. On peut lire à cet égard le savant Mémoire qu'il a fait in-
sérer dans le VI. e tome de la Bibliothèque Italienne , pag. 343 et suiv. ,
ainsi qu'un autre Mémoire lu par lui à l'Institut R. le 8 juin i8i5.
(2) Sur la composition du feu grégeois il faut lire en outre Alberto
M. De mirabilibus mundi , Valturio , Biringuccio , Cardan et autres , qui
pourtant n'ont fait que copier ou répéter ce qu'ils ont lu dans l'opuscule
de Marc Greeo.
32,6 Milice

présumer, que le feu de Callinique était d'une autre composition,


et plus meurtrier que celui qu'où connaissait en orient; et en effet
le feu grégeois fut mis par Constantin Porphirogenètes au nombre
des secrets de l'Etat. Cet Empereur, dans un ouvrage qu'il a écrit
sur le gouvernement de l'empire, dit à son filsRomanus, que si ja-
mais les Barbares viennent lui demander le feu grégeois , il leur
réponde que c'est un secret qu'il ne peut communiquer, parce que
l'Ange qui l'apporta à l'Empereur Constantin lui défendit de le
faire connaître à d'autres, et que ceux qui ont osé violer cette dé-
fense ont été dévorés par le feu du ciel. Les précautions de Por-
phirogenètes ne purent empêcher cependant que les Barbares ne
parvinssent à trouver d'eux mêmes, ou à découvrir par d'autres le se-
Le% Barbares cret de cette composition. Le P.Daniel, dans son Histoire du siège
*n usageUSSl de Damiette qui eut lieu vers l'an 12.49 sous Saint Louis, rapporte
que les Turcs en firent alors un usage terrible. Ils lançaient , dit-
il, ce feu par le moyen d'un mortier, et quelquefois avec une ar-
balète singulièrement construite , qu'on tendait avec une machine
dont la force était supérieure à celle de toute puissance humiine.
Mais l'invention de la poudre et de l'artillerie , si funeste au genre
humain , a fait tomber dans l'oubli le feu grégeois. Les effets de
]a poudre à canon ont bientôt surpassé ceux d'une composition ,
qui ne pouvait se lancer qu'avec des tubes de cuir dans lesquels
on soufflait , ou avec des arbalètes, ou enfin avec d'autres machines
très-imparfaites , tant l'homme a été ingénieux à créer de nou-
veaux moyens , pour abréger son existence déjà si fragile et si cour-
te , et sujette à une infinité de disgrâces!
Miiias Après les notions que nous avons données précedamment sur les
tockmes. Grecs modernes , il ne nous reste plus que fort-peu de choses à dire
de leur milice et de leurs usages militaires. Confondus aujourd'hui
avec les hordes de l'empire Ottoman, ils ne nous présentent rien
qui ne soit commun avec les armes et l'habillement militaire des
Turcs. On peut comparer la Turquie d'Europe à un pays, où les
eaux d'un torrent impétueux ont renversé les maisons, déraciné les
forêts, et recouvert le sol d'un sable aride , qui laisse à peine aper-
cevoir la trace des anciennes habitations, et quelques restes de vé-
gétation dans des troncs d'arbres et des buissons dispersés ça-et-là
sur sa surface. Il serait sans doute aussi étrange qu'inutile de vou-
loir chercher dans les misérables débris d'un peuple avili depuis
tant de siècles, quelqu'étincelle de son "ancienne valeur, ou quel-
de la Grèce. &&$

qu'usage militaire qui le distingue de la nation sous le joug de la-


quelle il est opprimé. « La Morée , dit M.r Pouqueville, lors que Morée
je me trouvais daus cette province qu'on croyait la plus mena-
cée , outre une flotte formidable qui la protégeait , était encore
défendue par un corps de troupes de six mille hommes ....
Je vis arriver ces malheureux , qu'on avait ramassés dans plusieurs
villes de l'empire, la plupart sans armes, et presque mourans de
faim .... Quoique sans aucune discipline, les Albanais, ( habi- Aihanai
tans de la Macédoine et de l'Epire), montraient néanmoins un
certain ordre dans leur milice. Chacun de leurs corps était divisé
en chiliades , ou milliers commandés par un Bimbachi , ou chef de
mille hommes, qui avait pour marque distinctive une tunique sem-
blable àcelle des Diacres , avec de longues épaulettes qui lui ar-
rivaient jusqu'au coude. Il y avait en outre des capitaines , et des
lieutenans , dont chacun commandait un nombre indéterminé de sol-
dats. Chaque homme , au moment de son enrôlement , recevait à titre
d'engagement une somme, avec laquelle il était obligé de pour-
voir aux frais de son habillement, de son armement et de son en-
tretien .... Il est aisé d'imaginer ce que doit être une troupe ,
où il n'y a ni contrôles, ni caisse, ni solde fixe li). Ce n'est
qu'un ramas d'hommes, composé de gens braves et courageux,
mais sans discipline , sans ordre et sans tactique militaire. Les paysans
Albanais se font distinguer entre autres par leur agilité, leur vi-
gueur , et leur habileté à manier le fusil et le sabre ; ils sont
d'une force et d'une hardiesse étonnantes lorsqu'ils combattent corps
à corps ; mais s'ils ont le malheur d'être enfoncés par un corps
de troupes réglées , leur défaite est générale et complette „. Ce-
pendant les Albanais se sont acquis par leur bravoure , et par la
forme même de leur habillement militaire, une grande réputation
parmi les Turcs; ce sont eux qui composent la garde des Pashas (a)
en Morée , en Egypte, en Syrie, ainsi que dans les autres provinces Soldai,
Alh,
de l'empire. Le n.° 1 de la planche 48 représente un soldat Al- anais.

(1) Pouqueville. Voyage en Morée etc. Paris, i8o5. T. I. p. 241 et suiv.


(2) M.r Holland a vu dans Tile de Lipari un régiment Albanais , qui
avait été long-tems au service du Roi des deux Siciles. Ce régiment fut
dissous dans l'hiver de 18 12. Les troupes qui attaquèrent l'armée Aglaise
à Rosette dans la dernière expédition d'Egypte , étaient composées en
grande partie d'Albanais. V. Holland , Travels in the Jonian Jsles. etc.
X^ondon , i8i5, pag. n3.
3i>B M r ne k
banais: nous avons tâché de conserver dans ce portrait , non seule-
ment l'habillement , mais encore les traits et rouf le caractère de
physionomie qu'il a dans l'original , que M.r Hobhouse a fait peindre
sur les lieux même, et sur lequel nous l'avons copié. Les albanais
Dame ont aussi conservé une espèce de danse pyrrhique. « Deux hommes
des Albanais, c'est ainsi que s'exprime M.r Pouqueville , armés d'un poignard
s'avancent à pas mesurés, en agitant leurs armes d'abord contra
eux mêmes , et ensuite l'un contre l'autre : des sauts et des tours de
force caractérisent cet exercice militaire .... En voyant cette
danse, je me crus transporté dans l'ancienne Sparte, dont elle rap-
pelle les jeux : j'avoue que je fus presque saisi d'effroi, lorsqu'à l'im-
pétuosité des mouvemens je vis succéder une espèce de délire et
de fureur (i) „. Une autre danse qu'on prendrait aussi pour Spar-
tiate, et qui est également en usage chez les Albanais, est celle
qu'ils appellent danse des voleurs. On vit chez les anciens Grecs,
au rapport de Xénophon , une danse d'un genre à peu-près sem-
blable, àleur retour de leur expédition en Perse. Cette danse s'exé-
cute ordinairement en présence des Pashas, dans une salle éclai-
rée d'un petit nombre de bougies jaunes, dont la lumière presque
sépulcrale, donne une couleur pâle et équivoque aux spectateurs
et aux objets sur qui elle se réfléchit. Les danseurs ayant le bras gau-
che passé autour du cou , et tenant chacun la main droite dans la
ceinture de l'autre, se donnent alternativement des secousses, et
tournent en rond à pas mesurés s qu'ils accélèrent insensiblement ,
jusqu'à ce que leur mouvement ait pris toute la rapidité possible.
Lorsque cette espèce de rotation est à son plus haut degré de véhé-
mence, on entend des cris sauvages, qui se mêlent par intervalle
aux sons bruyans d'une musique barbare. Vient alors quelquefois la
danse pyrrhique dont nous venons de parler. Après cela, les danseurs
feignent d'aller à la poursuite des voleurs, et de les arrêter, et fer-
itparûates ment le spectacle par une espèce de triomphe. Mais les Spartiates
modernes, tiennent encore du caractère de leurs illustres ancêtres. Ils sont
fiers et orgueilleux : souvent on les entend entonner le chant de
guerre, et invoquer le secours de quelque puissance amie qui vienne
briser leurs fers. La couleur sombre de leurs vêtemens , la bâche

dont ils sont armés, leur air taciturne, et le mépris farouche qu'ils
montrent pour leurs oppresseur? , décèlent en eux des âmes fières

(i) Pouqueville. Ibid. pag. 276 et 276,, et Holland. ifcid. pag. 80,
de la Grèce. Bù-.g
et ardentes , qui n'attendent qu'un moment favorable pour secouer
le joug;, et rendre tout son éclat à cette superbe Sparte, dont ils
se vantent encore d'être les enfans (i). A côté des Spartiates et
des Albanais il faut mettre aussi les Gariens , dont le pays fournit Carient.
beaucoup de soldats. La Carie 3 dès les tems les plus reculés, ne
connaissait pas d'autre métier que celui des armes. Ses habitans ,
nés en quelque sorte pour la milice, s'enrôlaient habituellement;
au service de quiconque leur offrait un engagement. Qenus , dit
Pomponius Mêla, us que eo quondam armorum , pugnaeque amans ,
ut aliéna etlain bella mercede ager&t. Les descendans des Cariens
ont conservé en cela tout le caractère de leurs ancêtres. Soldats de
profession , ils abandonnent volontiers leurs foyers pour suivre l'éten-
dard du P.jslias , de l'usurpateur ou de l'aventurier quelconque qui
leur offre une meilleure solde. C'est pourquoi ils changent souvent
de maître, et se vantent de ne consulter dans toutes leurs actions
que leur propre intérêt: redoutables à leurs tyrans même, ils jouis-
sent d'une liberté à laquelle aspirent en vain les autres peuples de
la Grèce. Leur état ou leur condition se distingue à la forme de leur
turban qui est noir, et à la couleur des rubans ou cordons dont il
est orné: voy. les n.os a , 3 et 4 de la planche 48, ainsi que le
cavalier de la même nation qui y est représenté. Ces trois figures
sont prises de la Ç;3.e planche du voyage de Choisseul.

RELIGION DES GRECS.

Ici s'ouvre un vaste champ, où les amateurs des beaux arts et Grecqu
Vann
de l'archéologie peuvent donner carrière à leur génie, et faire une Mythologue
abondante moisson de connaissances aussi utiles qu'agréables. La re-
ligion ,ou plutôt ia mythologie des Grecs présente une suite con-
tinue d'idées ingénieuses, d'images riantes, de sujets sublimes, d'em-
blèmes, d'allégories, et autres objets aussi admirables parleur goût
que par leur variété. « Tout est en action , dit un illustre écrivain 9
tout respire dans ce monde enchanté , où les êtres spirituels ont
un corps, et les êtres matériels un âme; où les champs, les bois,
les fleuves, les élémens ont leurs divinités particulières : personnages

(1) Voy. ce que nous avons déjà dit au sujet des Maniottes , pag. 224
et ailleurs.
Europe, Vol I. /' /p
030 Religion
chimériques sans doute, mais qui, pour nous, sont devenus réels et
animés , par le rôle qu'ils jouent dans les ouvrages des anciens
poètes , et les allusions que ne cessent d'y faire encore les écrivains
modernes „. Aussi n'a-t-on jamais fait que de vains efforts, toutes
les fois qu'on a voulu renverser les Dieux de l'Olympe, et enlever
aux Muses l'empire de la poésie et des beaux arts. Nous avons parlé
assez au long, à l'article des tems mythologiques ou fabuleux, de
l'origine de la Mythologie Grecque, et des allégories que certains
écrivains ont cru y apercevoir sous les images et [m divers attributs
des Dieux; c'est pourquoi nous nous dispenserons d'entrer dans de
dïfdïvlnïiés nouveaux détails à ce sujet (i). Nous ne voulons pas non plus passer
Grecques, en revue la multitude infinie des divinités Grecques , notre but n'étant
pas de nous arrêter à des recherches de pure curiosité et tout-à-fait
inutiles , mais de recueillir dans les monumens et les ouvrages des
anciens tout ce qui peut nous donner une juste idée du costume de
cette nation, et de n'en prendre que ce qui peut tourner au profit
des arts. Les mêmes raisons nous engagent à passer sous silence
l'histoire particulière de chacune de ces divinités: car il n'est per-
sonne d'un esprit un peu cultivé, qui n'ait acquis quelques connais-
sances de Mythologie dans les nombreux recueils que nous en avons.
DUnsion Nous traiterons donc: premièrement, des divinités et de leurs atfri-
de cette pâme, j^g . secorK]ement , des temples, des autels et des ustensiles sa-
crés; troisièmement, des prêtres, des rites et des sacrifices; qua-
trièmement, des mariages, des funérailles et des fêtes religieuses;
cinquièmement des mystères; sixièmement enfin, des jeux et des
spectacles sacrés. Nous passerons ensuite à quelques observations sur
la religion des Grecs modernes.

Divinités et leurs attributs.

Religion Hérodote, le plus ancien des historiens delà Grèce, est celui
es easges, , nous donne les notions les plus exactes sur la religion des Pe-
lages, ou des anciens Grecs. » Les Pelages (2), dit il, lésaient

(0 Voy. Paë>- ^S et suïv. Au tems d'Hésiode, le nombre des divi-


nités Grecques se montait déjà à trente mille. Op. et Dies , liv. Ier v. 2.^0.
(2) Hérod. Euterp. §. 52 et 53. M.r Larcher est d'avis que ces Pé-
lasges sont probablement ceux qui vinrent s'établir dans l'Atticiue, 1209
ans avant notre ère , et qui en furent chassés 47 ans après.
de la Grèce. 33r

« hommage aux Dieux de tout ce qu'on pouvait leur offrir, comme


« je l'ai appris à Do loue, et leur adressaient des prières; mais ils ne
« leur donnaient aucun nom ni surnom, car ils ne les avaient jamais
« entendu nommer individuellement. Ils les appelaient Dieux en
« général , à cause de l'ordre qu'ils observaient dans les différentes
" parties de l'univers (1) . . . . On a ignoré pendant long-tems l'ori-
(i gine , ainsi que la forme et la nature de chacun de ces Dieux,
« et s'ils- avaient existé de tout tems : ce n'est que d'hier, pour ainsi
« dire , que nous en avons connaissance. Homère et Hésiode ne vi-
« vaient guères que quatre cents ans avant moi. Or ce sont eux ,
« qui les premiers ont traité en vers de la Théogonie; qui ont
« parlé des surnoms des Dieux, de leur culte , de leurs fonctions ;
« et qui nous en ont tracé des images: les autres poètes, qui disent
« les avoir précédés, au moins à mon avis, ne sont venus qu'après
« eux „. On distingue en effet chez les anciens Grecs trois religions Trois religion
différentes, qui sont clairement énoncées dans la Théogonie d'Hé- ' "cTecs!"*
siode. La première est celle où le Ciel et la Terre sont désignés
comme souverains de l'univers. Le poète leur donne un grand nom-
bre d'enfans , qui sont les Dieux d'Hérodote , auxquels on n'a point
assigné de noms , qui ne tombent point sous nos sens , et dont cha-
cun préside à un des corps célestes. La seconde religion est celle
où Saturne, qui n'était d'abord que la planète de ce nom, en-
leva au Ciel son empire , et commença à régner avec les autres
planètes, qui toutes alors prirent uu uom. La troisième enfin est
celle de Jupiter et de ses frères, auxquels on a donné des fem-
mes , des enfans et une descendance , qui , avec d'autres divinités
inférieures, ont peuplé le ciel, la terre, la mer et les enfer*. C'est
à ces trois sortes de religions, et aux différens règnes de ces Dieux ,
que fait allusion Eschile dans la réponse que Prométhée adresse à
Mercure, qui venait de donner contre lui des ordres cruels:

Naperum imperium novitii obtinetis , quinetlam putatis


Vos incolere arees nulli dolori perçias : non ex his ego

(i) Le mot Qeéç , Dieu , dérive de qs , d'où -vient TÎOfMi , je fais:


ainsi Dieu est celui qui a tout fait et tout ordonné. Platon fait dériver
ce même mot Qeâç de Ho , qui veut dire je cours , à cause du mouve-
ment perpétuel des astres , qui furent les premiers objets de l'adoration
des anciens peuples de la Grèce. Voy. Larclier , Hérod. Tom. IL pag. 282.
33a Religion

Reges duos excidisse vidi ?


Et hune jam regnantem tertium aspiciam
Turpissimè et citissimè. Nunquid iibi videor
Metuere et formidare novos Deos ? (i)
Idoles ,
inconnues L'observation d'Hérodote, que les Grecs ne connaissent , pour ainsi
dan7iTsUtcms dire, que d'hier l'origine, l'immortalité et la forme de leurs Dieux,
nous autorise donc à croire, que dans le culte des tems héroïques,
l'usage de représenter les Dieux sous des figures humaines et de
faire des idoles n'était pas connu, quoiqu'il régnât dès lors dans
l'Asie mineure l'idolâtrie la plus grossière. Et en effet Homère ,
historien aussi exact que grand poète, ne parle jamais d'images,
de statues , ni d'aucun autre emblème de la divinité (2,). Son système
thèoLogique
Système
théologique nous montre clairement que Jupiter avait déjà obtenu
d'Homère.
l'empire de l'Olympe; mais on ne lui avait encore élevé aucune sta-
tue, pas même sur l'autel que les Grecs lui avaient dressé dans leur
camp. Tout ce qu'on raconte des entreprises de Dioméde , d'Ulysse
et d'Ajax pour enlever le fameux Palladium , n'est qu'une fiction
des poètes cycliques , ou des poètes postérieurs à Homère. Les as-
sertions d'Apollonius de Rhodes, de Pausanais , de Diodore de Sicile
et autres, ne peuvent être d'aucune force contre l'argument négatif
qu'il est permis de tirer du silence d'Homère sur ce point: car si
les Grecs des tems héroïques avaient professé le culte des statues ,
et si leurs Rois en avaient érigé à quelques divinités, ce poète
si attentif à rapporter tout ce qui tient à la religion, aurait d'au-
tant moins négligé d'en dire quelque chose, qu'il aurait pu trouver
dans ces détails même un moyen facile de répandre plus d'agrément
et de variété dans ses poèmes. Lorsqu'il parle de sacrifices ou
d'autels élevés en l'honneur des Dieux , il ne fait jamais mention
(i) Aesch. Prom. v. 201 et suiv. On peut lire , au sujet des trois
religions des Grecs , les belles dissertations de M r De-la-Barre dans les
XVI. e et XVIII. e tome de VAcad. R. des Inscriptions etc.
(2) M.r De-Rochefort observe judicieusement , qu'Homère distingue
toujours le costume des Grecs de celui des autres nations , et surtout des
peuples de l'Asie mineure } chez lesquels le culte des idoles était déjà en,
usage. Ce poète parle bien en effet des hommages que les Troyens ren-
daient àla statue de Minerve , mais nulle part il ne laisse apercevoir cju§
£e même culte fut établi chez les Grecs.
de la Grèce, 333

d'idoles ni de statues quelconque: or le silence d'un auteur aussi


exact , doit avoir à cet égard toute la force et l'évidence d'une preuve
affirmative,
ai comme .l'observe
-, /-^ fort-bien M.r ..>
f » • . , -| de Rochefort.
-, Ajoutons Comment
les anciens
cela, que les anciens Grecs étaient clans 1 usage de se prosterner Grecs
devant les personnes auxquelles ils demandaient quelque grâce , tan- lelrs'nZux.
dis qu'ils restaient debout et se contentaient de lever les mains
vers le ciel , lorsqu'ils adressaient aux Dieux quelque prière. Les
peuples idolâtres se prosternaient au contraire devant leurs divini-
tés pour les adorer; et comme ils avaient fait leurs statues à l'image
de l'homme, ils s'imaginaient ne pouvoir les honorer plus dignement ,
qu'en leur rendant un hommage semblable à celui qu'ils rendaient
aux plus grands personnages (i). Ainsi donc, toute la religion des
Grecs clans les tems héroïques reposait sur ce principe, qu'on voit
dominer partout dans les poèmes d'Homère : Vïnfluence de Dieu,
sur les actions humaines. Cest pour cela que ce poète a placé à
la tête de son Iliade cette fameuse sentence, d'après laquelle il
attribue à la volonté de Jupiter tous les événemens qu'il va raconter:
Ainsi s'accomplisse la volonté de Jupiter. Adorer comme cause pre- Leur croyance.
mière l'Etre Suprême , et comme causes secondaires ses nombreux
agens répandus dans l'univers; les invoquer; leur offrir des sacrifi-
ces; croire que ces êtres supérieurs daignent s'entretenir avec les
hommes , et particulièrement avec les Rois et avec les personna-
ges qui se sont illustrés par leurs vertus et leur courage ; regarder
les songes et les phénomènes célestes comme des avertissemens des
Dieux ; voilà eu quoi consistait toute la théologie Grecque à cette
époque fameuse. De ce même principe , et de la tradition confuse
des trois religions dont nous venons de parler, dérivait peut-être l'opi-
nion que s'étaient formée les Grecs de certaines actions déshono-
rantes et même brutales qu'ils imputaient à leurs Dieux , et qu'ils
vénéraient, sans cependant les imiter. Les artistes doivent donc bien
se garder de faire entier dans leurs compositions sur les rites ou la
mythologie des Grecs, aucune statue ni emblème quelconque de la
divinité. Qu'on n'objecte point à cela les images des diviniïés qu'on
voyait figurées sur le bouclier d'Achille, car cet ouvrage n'était pas
de ia main de l'homme, ni un objet de culte.

(i) Voy. encore la Dissertation de M.r Rochefort. Cet auteur observe


que les Romains même ne connurent que fort-tard le culte des statues ,
qui, au dire a> Saint Augustin, ne fut introduit, chez eux que 170 ans.
après la fondation de Rome. Voy. August. De Clvib, Del.
3B4 Religion
Superstitions Mais l'imagination ardente de ce peuple , et ses rapports de cora-
eprises°s merce avec les Egyptiens et les nations de l'Asie ayant altéré dans
plûptT te suite la simplicité de sa religion, il n'y eut aucune sorte de
superstition auquel il ne se livrât La Grèce se vit couverte de sta-
tues,d'images et de simulacres de tous genres: des faiblesses, des
vices honteux, de grossières extravagances devinrent des, objets de
culte, et servirent d'argument aux compositions de Part. Il s'écoula
néanmoins baucoup de tems depuis l'époque de la troisième reli-
gion, jusqu'à celle où les Grecs commencèrent à représenter leurs
Déitêssous Dieux sous des formes humaines. Leurs premiers essais en ce genre
de depîe"rcSy
colonnes etc, ne
. furent d'abord-i, comme • onp'a vu i
chez les
t anciens
L i Arabes et les
t
Amazones, que des p?erres nuoraies, des colonnes et des pierres de
figure carrée , conique ou pyramidale, telle que fut la fameu-e Vé-
nus de Paphos, dont Tacite dit dans le IL9 livre de son Histoire:
slmulacrum Deae non effigie humana, ; continnus orbis laliore ini-
lio , tenuem in ambitwn , rnetae modo exurgens. Les trente di-
vinités qu'on voyait encore dans la ville de Fera en Areadie du
tems de Pausauias , n'avaient pour effigie que des pierres grossiè-
rement sculptées. " Telles étaient, ajoute Winkelmann , la Junon
<t de Thespis et la Diane d'Icare: la Diane Patro, et le Jupiter
<i Milichius à Sycione .... n'étaient que des espèces de co-
« lonnes. Bacchus fut adoré sous la forme d'une colonne : l'amour
« même et les Grâces étaient figurés par une simple pierre. C'est
« de là que vint le mot xiov , qui veut dire colonne, dont on se
<i servait encore dans les plus beaux jours de la Grèce, pour dési-
« gner une statue. Castor et Pollux furent représentés à Sparte par
« deux morceaux de bois parallèles, joints ensemble par deux traver-
« ses aussi en bois; et cette configuration primitive est encore celle
« qu'a aujourd'hui le signe des Gémeaux dans le Zodiaque „ (1).
Hermès On plaÇa ^ans *a sulte sur ces pierres des espèces de têtes , pour
indiquer d'une manière plus distincte les divinités qu'elles représen-
, alors elles prirent le nom d'Hermès. Pausanias assure qu'on
taient et
voyait de son tems à Athènes une Vénus Urauie ainsi représentée (a).

(i) Winkelmarm, Histoire etc. Tôm. I.er pag. 6 et suiv. édition de


Rome. Tout ceci est également confirmé par Hérodote , Lucien , Tertul-
lien , Eusèbe et autres écrivains. V. Potter. Arch. gr. Liv. IL chap. IL
et Feith. Antiquit. homér Liv. IL chap. IV.
(2) Nous reviendrons sur cet objet à l'article des beaux arts f et nous
j parlerons plus particulièrement des hernies } ainsi que du passage qui
s'en fit peu-à-peu aux statues entières.
de la Grèce. 335
Vers le milieu rie ses hernies on indiqua le sexe, puis on leur donna Origine
des idoles.
à la partie supérieure des formes un peu plus approchantes des natu-
relles. Vint en fin Dédale, qui, selon Harpocration , sépara dans
les hermes une jambe de l'autre 3 et mit ainsi la dernière main aux
simulacres des Dieux. Depuis lors , on les représenta dans diverses posi-
tions ,tantôt droits , tantôt assis, ou ayant l'air de se mouvoir (i). Le
bois fut la matière dont les Grecs se servirent d'abord pour faire les
statues de leurs Dieux. On y employa ensuite l'ivoire, et enfin di-
verses espèces de métaux habilement combinés avec l'ivoire même et
autres matières précieuses , comme nous le verrons plus loin. La pein-
ture rivalisa de gloire avec la sculpture , et prit dans la religion Archétype
le sujet, de ses compositions les plus gracieuses et les plus nobles.
Les Grecs représentaient leurs divinités de diverses manières des Grecs
dans la
et les modelaient sur l'idée qu'ils s'en étaient formée, surtout d'a-
représentation
de leurs
près les descriptions qu'ils en trouvaient dans Homère. Us figuraient divinités.
donc Jupiter avec un visage majestueux et une longue barbe , Apol-
lon avec de longs cheveux et sans barbe, Mercure presqu'encore
enfant, Neptune avec une chevelure bleue, Minerve avec des yeux
couleur d'azur etc. Nous renvoyons en cela nos lecteurs aux ou-
vrages d'Iconologie, et aux dictionnaires mythologiques. Mais le
principal caractère qui distinguait les formes des Dieux de celles de
l'homme, était un air de sublimité qui dominait daas toutes leurs
images, et qui excitait dans l'esprit des peuples un sentiment mêlé des images
Sublimité
d'admiration et de respect. « Les objets les plus sacrés du culte
« public, dit Winkelmann en parlant des artistes de la Grèce, sor- des Dieux.

" taient de leurs mains ; et pour qu'ils inspirassent plus de vénération ,


« il fallait bien qu'on les crût modelés sur des formes d'une nature
" plus élevée , et qu'ils eussent je ne sais quoi de divin , pour répon-
« dre à l'idée sublime qu'avaient donnée des figures des Dieux les
« premiers fondateurs des religions 3 qui étaient poètes, et dont

(i) Arnobe s'exprime ainsi clans son H.e livre sur la


donnait aux divinités : Ergo , si hoc ita est, et in sedentibusposition qu'on
signis Deunt
sedere dicendum est , et in stantibus s tare , in procurrentibus currere ,
jacularier in jacentibus ùela. Néanmoins Winkelmann ( Monum. anc!
I.™ Part pag. 7i ) est d'avis, que les artistes les plus anciens représen-
taient les Déesses assises : « car , dit-il , on voyait assises dans le temple
« de Junon à Elide les statues des Heures , qui étaient l'ouvrage de Don-
ci elyde disciple de Dypène etSchillis, les plus anciens artistes Grecs qui
« nous soient connus ».
336 pt E l r g i o w

« l'imagination féconde avait cherché à se surpasser elle-même dans


« l'exécution de ces sortes d'ouvrages. Et quelle idée pouvait-on se
« former plus analogue à des Dieux corporels , et plus attrayante pour
Leurétemelle.
jeunesse u l'homme, quel
celle d'une ,Jjeunesse éternelle et .d'une fraicheur
« inaltérable, dont le souvenir nous natte encore si agréablement,
« lors même que nous touchons au terme de la vie ? Cette idée con-
« venait parfaitement à l'immutabilité de la nature divine: d'ail-
« leurs cet air de jeunesse et de beauté dans les Dieux , était plus
» propre à inspirer cet amour et cette tendresse qui portent dans
« l'âme l'ivresse du bonheur , dont le sentiment , bien ou mal enten-
« du, a toujours été l'objet de toutes les religions (i) „. Ce ton de
fraicheur et de noblesse avait pourtant ses gradations , selon le rang
de chaque divinité , son sexe et les différons degrés dont le beau idéal
peut être susceptible, le grand talent des artistes était donc de sa-
voir donner à leurs Dieux , cet air de jeunesse et de vigueur, quel-
que fût l'âge, que la tradition ou l'opinion commune leur supposait.
Aussi « continue Wiukelmano , n'aperçoit-on rien de bas ni de vul-
« gaire dans les images des Dieux (a). On remarque au contraire que
Leur « les artistes Grecs ont donné à chacune de ces divinités des traits
ressemblance.

« particuliers et tellement invariables, qu'on croirait que cette uni-


« for mi té leur était prescritte pas une loi. Le Jupiter qui se voit sur
«■ les monnaies, ioniques et doriques, est parfaitement semblable à
« celui des monnaies Siciliennes. Les têtes d'Apollon, de Mercure,
« de Bacchus , de Liber Pater , et du jeune comme du vieux Her-
« cule , sont absolument les mêmes sur les monnaies , les camées

a et les statues (3) „. Pour rendre l'idée de la spiritualité de leur


Leur vitesse
à la course.
être , on les représentait comme extrêmement légers à la course.
Homère compare la marche de Junon à la rapidité de la pensée
d'un voyageur , qui repasse en un instant dans son esprit tous les

(i) Winek. Histoire de l'art, du dessin. Tom. I.er pag. 9.89.


(a) On connaît l'opinion d'Epicure au sujet des Dieux , que ce phi-
losophe disait avoir , non un corps , mais près qu'un corps , non du sang >
mais presque
et XXV. du sang. V. Gic. De Naù. Deor. Liv. /.«■ Chap. XVIII.

(3) Les plus célèbres d'entre les artistes Grecs se vantaient d'avoir
emprunté leurs modèles des divinités mêmes , en feignant qu'elles leur
étaient apparues sous les formes qu'ils leur prêtaient. Ainsi Praxitèle di-
sait avoir fait l'Amour, tel qu'il l'avait vu auprès de la belle Phryné>
Anthol. Liv. IV. Chap. XII. N. §9.
djs la Grèce. 33^

pnys qu'il a vus: Phérécide le Syrien donnait aux Dieux, au lieu


de jambes, deux serpeus , pour exprimer par là que leurs mouve-
mens sont si prompts et si légers, qu'ils ne laissent aucune trace.
Tels sont les caractères pour ainsi dire communs à toutes les divi-
nités. Nous verrons quels sont leurs attributs particuliers , dans la
description que nous ferons successivement de chacune d'elles.

Déité des Grecs.

Homère
■r-. . ,. .-, , ,
dans le III. e livre
, de,son Iliade,
,.,P. nous Areprésente
. les Quatre classe*
ds Divinités.
Dieux distribues en quatre classes lorsqu il tait paraître Agamem-
non appelant en témoignage de son serment, d'abord le Grand Ju-
piter, puis le Soleil , les Fleuves, la Terre et les Dieux qui punis-
sent les morts. Cette idée est fondée sur l'opinion où étaient les
Grecs, que l'univers était divisé en quatre parties, à chacune
desquelles était assignée une classe de ces Dieux, qui, pour cette
raison, se distinguaient en déités célestes, aquatiques, terrestres et
souterraines ou infernales. Mais comme une dissertation particulière
sur chacune d'elles serait aussi longue qu'inutile , nous nous borne-
rons à parler des principales , de manière pourtant à mettre nos
lecteurs dans le cas de distinguer nettement celles qui appar-
tiennent à chacune de ces classes. On comptait douze Dieux priu- Divinités
cipaux, qu'on appelait maximi , et dont le culte, au raport dTIé- suPen^res\
rodote , avait été transmis aux Grecs par les Egyptiens. Ces divi-
nités étaient Jupiter, Junon , Neptune, Cérès , Mercure, Vesta ,
Vulcain , Phébus , Mars, Pallas , Vénus et Diane. Après elles ve-
naient les divinités inférieures , dont le nombre était infini , corn- Divinités
me nous l'avons observé plus haut , puis la troupe des Demi-Dieux Dlnî-hYeux.
et des Héros. Quoiqu'elles eussent toutes un séjour particulier qu'el-
les préféraient à tout autre, nous les voyons cependant, selon (es
idées mythologiques, se rassembler souvent sur le mont Olympe,, qui
est pris quelquefois par les poètes pour le ciel même , ou comme
le lieu où les Immortels tenaient leur conseil (r). Nous commence-

(i) Il faut lire au sujet de l'Olympe la savante conjecture de M.r Mai-


ran , qui se trouve aussi dans les œuvres de Cesarotti., Florence , Molini ,
et Landi. T. I.er II. e Part. pag. 282. Cet auteur présume que l'aurore bo-
réale est ce qui a fait imaginer aux Grecs , que Jupiter et les autres Dieux
tenaient leur conseil sur l'Olympe. «L'Olympe dont il s'agit , dit-il,
Europe. Fol. I. 43
338 Religioet
rems donc par présenter à nos lecteurs ces Divinités principales, que
nous avons réunies à ce dessein dans la planche 49: nous entrerons
ensuite dans une dissertation détaillée sur chacune d'elles en parti-
Olympe
culier ,et nous parlerons enfin des Demi-dieux. Ou pourra aussi ,
ou conseil
des Dieux, d'après cette planche , se former une idée du conseil des Dieux ,
ou de l'Olympe , tel que la mythologie et les poètes nous l'ont re-
présenté. Les figures qui la composent ont été copiées sur des
camées, et des bas-reliefs antiques, sur le fameux autel en rotonde
du Musée Capitoîin , sur celui de la Maison de plaisance Albani,
sur des monnaies, des vases Grecs et des ouvrages sortis de la main
des plus grands maîtres (1).
Jupiter
el J unon. On voit à la partie la plus élevée Jupiter et Junon assis sur un
trône. On reconnaît aisément le Monarque de l'univers à son front
large, et à sa chevelure ondoyante comme la crinière du lion:
d'une main il tient un sceptre, et de l'autre la foudre: un de ses
pieds est posé sur un globe , emblème de la domination qu'il exerce
sur tout le monde, et l'aigle ministre de ses volontés est à son
côté. Junon a la tête ceinte d'un diadème; elle tient aussi un
sceptre : un voile magnifique descend de sa tète sur ses épaules
■ Bébé,
Ganimède , et sur ses flancs: son paon est à ses pieds. D'un côté sont Hébé
les Gi aces.
et Ganimède qui présentent l'ambroisie à Jupiter, et de l'autre
les Grâces filles de ce Roi des Dieux réunies en un groupe élé-
gant : elles sont représentées nues, pour indiquer que la simplicité

car il y en a plus d'un dans la Grèce , consiste en une chaîne de hautes


montagnes, qui s'étendent au nord de la Thessalie et au midi de la Ma-
cédoine ,et vont déclinant à l'ouest de l'Achaïe , de Ja Phocide , et de
tout ce qui compose la Grèce proprement dite, YHellas , et l'ancienne
Grèce , pays fécond en idées poétiques et fabuleuses. L'aurore boréale,
qui n'est jamais trop élevée à cette latitude , et qui décline le plus sou-
vent à l'ouest, y aura donc apparu immédiatement au dessus de ces
montagnes, ou comme adhérente à leurs sommets. Or, l'arc lumineux et
rayonnant , que ce phénomène forme à son extrémité, aura été pris par le
vulgaire étonné , pour une marque non équivoque de la présence des
Dieux; le segment obscur qu'on voit quelquefois au dessous, pour un
nuage majestueux qui dérobait les Immortels aux yeux des profanes ; et
les rayons de lumière couleur de feu qui s'en échappaient , pour la fou-
dre lancée par Jupiter. Plus ce phénomène aura été rare , plus il aura
excité d'étonnement , et plus la tradition en aura conservé le souvenir
§ans contradiction ni doute .... »
(1) V. Winkelmann. Monum. inédits N.° V. et VI. Le dessin de.
pette planche est de M.r Ange Monticelli,
de la Grèce. 339
et la beauté forment leur caractère, et que par conséquent elles
n'ont pas besoin de vêtement ni d'aucun attribut qui les distin-
gue, quoique les anciens Grecs leur aient toujours dontié un ha-
billement. Au dessus de Jupiter et de Junon était Igye Déesse
Les Jsye.
Heures.
de la santé, qui est ie don le pins précieux du ciel. On peut la
regarder comme la sœur des Heures (i), qui forment ici deux grou-
pes à chaque côté de la partie la plus élevée, parce que la santé
des mortels dépend ordinairement de la salubrité des saisons. Elles
étaient aussi filles de Jupiter, et se voyaient représentées sur son
trône avec les grâces. Igye tient d'une main la coupe de la santé ,
et de l'autre le sceptre , comme étant la divinité qui préside à la
médecine. Autour de Jupiter et des Déités qui l'environnent e=t
Zodiaque.
Iris ,
le Zodiaque , emblème du ciel et du tems , tel qu'il est figuré sur
une des pierres gravées de M.r Mariette (2). D'un côté au dessous Zéphire }
des Heures est Zéphire, et de l'autre Iris. Au desous de Jupiter De & tin.
parait le Destin , à qui tous les Dieux sont soumis. Il tient l'urne
où sont renfermées les destinées des mortels: à sa droite sont les Les Parques ,
Parques , ses suivantes , et à sa gauche est Némésis , Déesse redou- JYémdsis,
table ,qui , du haut des cieux , veille sur le monde , préside à la Pan 3

punition des médians* et tire de l'urne fatale les biens et les


maux. Après les Parques viennent, Pan avec ses pieds de bouc; Morphée ,

Morphée la tête couronnée de pavots; Saturne appelé par les Grecs Saturne.
Chronos, ou le tems, qui est courbé sous le poids des ans, et tient
Mars , ,
Pluton
dans sa main la faux, pour indiquer qu'il moissonne les tems et Proserpine ,
Bacchus ,
préside à l'agriculture; Proserpine portant un diadème comme Reine Bellone ,
de l'Averne; Pluton avec son trident; Bacchus avec son rhyrse; Cérès
Mars, Bellone, Cérès, Cybèle ou Rhée couronnée de tours et as-
sise sur un trône , tenant en main dtes clefs , emblème des trésors Cybèle ,

qu'elle cache dans le sein de la terre , dont elle est aussi le sym-
(1) Winkelmann. Monum. inédits pag 6a.
(2) « C'est une grande coraline du Cabinet du Roi parfaitement
circulaire ,, d'un pouce et dix lignes environ de diamètre , où l'Olympe
est indiqué par un Jupiter qu'on voit en face , et qui est assis sur son.
trône , ayant sous ses pieds un grand arc aplati et sensiblement ellipti-
que, dont la largeur est partout uniforme, comme l'est presque toujours
celle du bord de l'Aurore boréale Le Dieu tient le foudre de la main
gauche , et une lance ou long sceptre de la droite . , . . sur le contour
de la pierre est tracée une zone ou couronne concentrique , où sont mar-
qués les douze signes du Zodiaque ». Mairan , Conjecture sur l'Olympe etc. »
34° Religion

mpZl, boîe 5 l'Océan , Neptune , Hercule , Briarée au cent bras , qui


ffIrZ%3. fut destiné par Jupiter à la garde de l'Olympe , pour prix des
services cp'il lui avait rendus dans la conjuration de Junon , Mi-
nerve et Neptune, comme le raconte Homère. Après Némésis sont
MnémoUshL' Ies Muses avec leur mère Mnémosiue la tète couverte d'un voile
Pomonce/ riche. Suivent Pomone tenant d'une main une serpette, et de l'au-
Vertumne, tue une branche avec ses fruits ; Vertumne avec sa corne d'abon-
Mercu'e dance, Floreavecdes guirlandes de fleurs, Mercure, Apollon,
iw"' Diane, Minerve, Vulcain qu'on distingue à son bonnet et à son
*PZai', marteau SLlr lequel il a les mains, l'Abondance, et enfin Vénus
L'abondance,
y anus, avec l'Amour. Tel est le tableau que■» nous présente
I la cour des
Amour. Immortels. Nous passerons maintenant à la description de chacune
de ces Divinités , en prenant pour règle les monumens et le témoi-
gnage des écrivains les plus accrédités : ce qui nous obligera quel-
quefois ànous écarter de l'ordre et de la disposition des figures
que présente cette planche.
0/ï%; ^ commencer par Jupiter, le plus grand monument que les
Grecs eussent élevé à ce Dieu , était le fameux colosse , ouvrage
sublime de Phidias, composé d'or et d'ivoire, de la hauteur de soi-
xante coudées, qui se voyait à Olympie. Ce célèbre sculpteur avait
pris pour modèle idéal le Jupiter d'Homère, qui est représenté
assis sur l'Olympe et faisant trembler l'univers d'un mouvement de
sa paupière (i). Piine dit qu'aucun artiste ne put jamais imiter

(i) L'admiration des Grecs pour le Jupiter de Phidias était telle,


qu'ils régardaient comme malheureux quiconque ne l'avait pas vu : Quae
dementia^ dit Epictéte dans Arrien , Liv. I. Chap. VI. } àd Olympia pro-
ficisci vos , ut Phidiae opus spectetis , ac si quis ante obitum non wi-
âerlt pro infortunato se ipsum reputare ? Les joints qui liaient l'ivoire
employé clans cet ouvrage admirable s'étant dilatés aven le tems , il fat
restauré pas Damophon sculpteur de Messène. Caligula voulait le faire
transporter à Rome , mais il en fut dissuadé par les architectes , qui dé-
clarèrent qu'on ne pouvait déplacer sans danger cette masse , parce qu'elle
était composée d'or et d'ivoire. Sous Julien l'apostat et Théodose le Grand ,
les artistes accouraient à Olympie pour en lever le dessin Le dernier
Empereur la fit ensuite transporter à Constantinople , où elle fut la proie
d'un incendie. On donnait à Jupiter le surnom d'Olympique , parce qu'il
régnait sur l'Olympe. Une autre statue de dix coudées de hauteur , et
t toute en bronze , lui avait été encore élevée à Olympie par tous les peu-
ples de la Grèce j, qui avaient combattu à Platée contre les Perses. Voy.
l'Hérodote de Larchefj Tom, VI. pag. i4j.
de la Grèce. 34 i
cette statue incomparable \Jovem Olympicum* écrit-il, quem nemo
aemulatur. " On distinguait dans cette grande composition, dit
M.r Quatremère j deux objets qui partageaient l'admiration et les suf-
frages des spectateurs. Si d'un côté on était frappé de la beauté ma-
jestueuse du Dieu, delà grandeur de son caractère, et delà subli-
mité de l'idéal appliqué à l'imitation du corps humain; de l'autre
on ne pouvait se lasser d'admirer l'ordre, le goût, et la variété
répandus dans tous les ornemens qui formaient la décoration du
trône, et servaient d'accessoires au colosse „. Voici la description
qu'en fait Pausanîas. Le Dieu , fait en or et en ivoire , est assis Statue
sur son trône ; sa tête est ornée d'une couronne qui parait être une Ofy-mpÊn.
branche d'olivier ; il porte dans sa main droite une Victoire , qui est
aussi en ivoire et en or , avec un bandeau et une couronne ; de la
gauche il tient un sceptre d'un ouvrage admirable, et composé de
toutes sortes de métaux : l'oiseau qui s'élève sur son casque est un
aigle. Sa chaussure est également en or ainsi que sa chlamyde , sur
laquelle sont tissues des fleurs de toute espèce , et en particulier des
lys. Son trône est tout éclatant d'or et de pierreries : l'ébène et Son trône.
l'ivoire y sont prodigués , et des figures d'animaux le décorent de
toutes parts. Diverses statues contribuent à son embellissement : à Ses omemem.
chacun des quatre pieds du siège sont quatre Victoires qui ont l'air
de danser , et deux autres au dessous : sur chacun des quatre pieds
de devant est un jeune Thébain enlevé par un Sphinx. Au dessous
de ces Sphinx , Apollon et Diane percent de leurs dards les enfans
de Niobé. Entre les pieds passent quatre planches transversales , qui
les unissent. On voit encore sur celle qui est en face sept figures :
il y en avait une huitième qui a été effacée on ne sait pourquoi.
Ces figures représentent des combats d'athlètes selon l'ancienne cou-
tume . ... Le jeune homme qui se ceint la tête avec un ruban ,
passe 3 à la beauté de ses formes , pour être Pantarque d'Elée, que
Phidias aimait tendrement. Ce Pantarque remporta la palme du
pugilat parmi les autres jeunes gens , la LXXX.e Olympiade. On
distingue sur les autres planches les compagnons d'Hercule com-
battant contre les Amazones. Les combattans des deux partis sont
au nombre de XXIX: on remarque Thésée parmi eux. Le trône
n'est pas soutenu par quatre pieds seulement , mais encore par
des colonnes de même hauteur. S'il était permis de pénétrer dessous ,
comme sous celui d'Apollon à Amydêe , je n'aurais pas manqué
d'en examiner aussi les ouvrages intérieurs. Mais ce trône est entouré
34^ R E L IG 1o n
d'wrae espèce de cloison en forme de mur , giti en. défend V accès aux
spectateurs. La partie de cette cloison du côté de la porte , n'est peinte
quen bleu. Le pinceau de Panène a décoré les autres côtés. Parmi les
sujets qu'l y a représentés est Atlas soutenant le ciel et la ferre ,
avec Hercule qui vient le soulager de ce fardeau. On y voit aussi
Thésée avec Pirithoàs. Suivent en outre les images de l'ancienne
Grèce et de Salamine ( cette dernière tient dans une main quel-
ques proues de navires ) , le combat d'Hercule contre ?e lion de
Némèe , le viol de Cassandre par Ajax , Hippodamie fille d'Mno-
machus avec sa mère -, Prométhée enchaîné , Hercule qui le regarde ,
enfin Penthésilée mourante avec Achille qui la soutient, et deux
Hespérides apportant des pommes du jardin , dont on dit que la
garde leur était confiée. Tout au haut du trône , et au dessus de
la tête du Dieu , Phidias a représenté d'un côté les trois Grâces ,
et de Vautre les Heures, que les poètes prétendent être aussi filles
de Jupiter. LIomère en parle en effet dans son Iliade , et dit qu'elles
avaient été mises comme en sentinelle à la garde du palais des
Base. Dieux. Sur la base, ou le marchepied, appelé par les Grecs ipaviov
ou soutien des pieds , il y a des lions d'or , entre lesquels est une
sculpture qui représente le combat de Thésée contre les Amazones ,
combat ,. qui fut le premier dans lequel les Athéniens se signalèrent
Piédestal. contre des peuples étrangers. .Le piédestal sur lequel repose cette
masse porte en outre divers autres emblèmes en or, qui servent
comme de complément à Vouvrage. On voit le soleil prêt à monter
sur son char , puis Jupiter et Junon : près d'eux est une Grâce à
laquelle Mercure tend la main : Vesta présente de même la sienne
à Mercure. Après Vesta vient V Amour , accourant pour recevoir Vé-
nus qui sort de la mer , et à qui la Déesse de la persuasion offre
une couronne. On y trouve aussi Ap lion avec Diane , ainsi que
Minerve et Hercule. Tout en bas on aperçoit Amphytre et Neptune,
La Lune , à ce qu'il me semble , anime un cheval à la course ,
quoique quelques-uns soient d'opinion que cette Déesse fut traînée
par des mulets et non par des chevaux , sur la foi d'un conte qui est
répandu dans le vulgaire. Je sais que plusieures personnes ont es-
Dimemions. sayé de donner les dimensions de la statue de Jupiter ; mais elles ne
semblent pas les avoir déterminées avec beaucoup d'exactitude, car
elles sont bien inférieures à ce quelles paraissent aux yeux du spec-
tateur. On tient pour certain qae Phidias reçut du Dieu lui-même
un témoignage éclatant de satisfaction: car l'ayant prié de lui faire
de la Grèce. 34-3
connaître par quelque signe si son ouvrage lui était agréable , la foudre
vint, dit- on , aussitôt frapper un endroit du pavé , où l'on voyait de
mon tems un vase de bronze qui y avait été placé en mémoire de ce
prodige. Le pavé vis-à-vis la statue est en marbre noir , et entouré
d'une espèce de cordon en marbre de Par os qui forme un rebord,
où s'arrête l'huile qu'on verse à terre , pour empêcher que Vivoire
ne soit endommagée par l'humidité dont est imprégné le sol maré-
cageux d'Olympie. Le peuple de l'Elide consacra à. la fabrication
du temple et de la statue de Jupiter les dépouilles qu'il avait faites
sur les Pisèens et leurs alliés .... Que cette statue soit l'ouvrage
de Phidias , c'est ce dont on ne peut douter d'après cette inscription
quon lit au bas: Phidias fils de Carmides Athénien m'a fait (i).
Cette description de Pausanias, et le grand nombre de médail- de Jupiter

les antiques, surtout celles de l'Elide où le Jupiter Olympien, qui Olympien,


est dans une position presque semblable à celle que lui a donnée
Phidias , ont déterminé M.r Quatremère à représenter dans son grand
ouvrage (a) cette statue colossale assise sur un trône dans le temple
d'Olympie; et c'est à-peu-près dans cette position que nous l'avons
aussi représentée à la planche 5o. Cet écrivain nous démontre 3 pre-
mièrement, que le fond du trône était en bois (3); que le colosse
même avait pour ainsi dire une âme en bois, dans laquelle toutes
Ouvrage
ses pièces étaient comme encadrées; et que cet ouvrage était du
toreuliepe.
genre de ceux que les Grecs appellaient toreutiques , et auxquels
nous donnons le nom de marqueterie; secondement, que selon
l'usage constamment suivi dans les statues crise lefantine 3 c'est-à-dire
composées d'or et d'ivoire, les parties nues, telles que la tête, la poi-
trine, les bras et les pieds étaient en ivoire, mais que le manteau
qui , dans les statues des Dieux, ne couvrait que les cuisses et les jam-
bes,( à cette différence près, que celles de Déesses étaient pour
l'ordinaire entièrement habillées ), ainsi que les autres parties de
leur vêtement, étaient en or; troisièmement, que la couronne d'oli^

(i) Pausanias. Liv. V. Chap, IL


(2) Jupiter Olympien, pag. 268 et suiv. Visconti prétend que ce se-
rait peut-être moins s'écarter de la vérité , que de supposer , que le Ju-
piter Olympien de Phidias , si vante par toute V antiquité , aura fait:
naître peu-à-peu dans les artistes une telle envie de l'imiter, qu'ils
auront fini par regarder comme une espèce de délit tout ce qui pou-
vait s'en éloigner. Mus. Pio-Clément. T. VI. pag 2.
(5) Dion Chrysostpme met le cèdre au nombre des bois que Phidias
fit entrer dans la fabrication de son Jupiter. Oraù, 12.
344 Religion
vier dont était ceint le front de Jupiter, et les fleurs de son man-
teau étaient d'un travail polycromc, c'est-à-dire de l'espèce de
ciselure dont nous avons parlé dans la description du bouclier
d'Achille: quatrièmement, à la suite de raisounemens déduits de
la hauteur du temple (1), de la grandeur des autres colosses , et de
diverses autres circonstances rapportées dans les anciens auteurs ,
M.r Quatremère conclut par conjecture, que le Jupiter de Phidias
Hauteur pouvait avoir 44 pieds de hauteur, considéré debout sur son trône,
du colosse.
et 33 seulement comme assis; que la partie du trône qui s'élevait,
audessus de la tète du colosse devait bien en avoir de 48 à 5o; et
enfin que la largeur du siège entre les bras , n'avait pas moins de
12 à i3 pieds en carré.
Caractère,
distinctif Outre ce nom d'Olympique donné à Jupiter, il yen avait en-
de Jupiter. core d'autres qui servaient à le caractériser suivant ses divers attri-
buts. Les plus connus sont ceux de Sérapide , de Dodonien , â'Egio-
chus , &' Amman et de Fulminant (a). Winkelrnann prétend que dans
les têtes de Jupiter , quelqu'il soit, on voit toujours les mômes ca-
ractères quile dsitinguent des autres divinités , etlque par conséquent
on doit le représenter avec un regard toujours serein , les cheveux
relevés sur le front , retombans en tresses de chaque côté , et formant
de petites boucles, V orbite de Vϕl grande ? gracieusement arrondie ,
et moins longue quelle ne Vest ordinairement , pour donner plus d'ou-
verture àTare. Cet écrivain croit encore que les artistes Grecs cher-
chaient àexprimer dans la figure de Jupiter toute la physionomie
du lion (3). Mais M.r Visconti observe que , quoique ces caractères
■physionomie.
Sa
(1) Strabon , dans le VIII. e livre de sa Géographie, dit que Phidias
avait fait son Jupiter assis , et que sa tête touchait presque le sommet du
temple , de sorte qu'en se levant il en aurait forcé le plafond.
(2) Nous avons omis ici par brièveté plusieurs autres noms moins
Jupiter
Eleuthère. importans , tels que ceux d' Aetophore , à'Ercëe , à'Idéen , de JSicéphore ,
de Phissien etc. qu'on rencontre dans les auteurs Grecs , et pour lesquels
on peut avoir recours aux Dictionnaires de Mythologie, et surtout à la
Galerie mythologique de MiUin.
(3) Le poète , dit- il , Histoire etc. T. I er pag. 3o6 édit. de Rome ,
semble avoir voulu faire allusion à cette image du lion , secouant sa
crinière , et fronçant sa paupière dans les accès de sa fureur , lors-
l'Olympe au moindre mouve-
qu'il sa peint
ment denous Jupiter
chevelure de ses trembler
ou fesant sourcils. Le même . écrivain dit encore,

page 286 : non content du choix qu'il a fait des plus belles formes
humaines , et de l'harmonie qu'il a mise dans l'exécution de son ouvra-
M
de h a Grèce. 345
se rencontrent souvent dans les têtes de Jupiter, on ne peut pas dire
cependant qu'ils constituent absolument les traits propres et distinc-
tifs de sa figure. Et en effet , le regard de ce Roi des Dieux ne pouvait
pis être serein, lorsqu'on le représentait comme Tonnant et Vengeur.
« Le Jupiter Eleuthère , dit le même antiquaire , a une si longue barbe
Eleulhèra.
Jupiter
« dans les monnoies de Syracuse où son effigie est supérieurement
« faite, qu'il diffère entièrement de la ressemblance qu'on lui donne
« ordinairement. L'autre Jupiter, non moins beau , qu'on voit sur les
« médaillons desProlémées, a la chevelure si négligée,, qu'au jugement
« de Wiukelmann, on le prendrait, plutôt pour un Pluton: mais l'ai-
" gle et la foudre du revers lèvent tout doute à cet égard. Le Jupiter Jupiter
Helléniea.
« Hellénlen est lout-à-fait sans barbe, tant il est difficile de fixer en
« cela de règles certaines, auxquelles , soit à cause de la distance des
" tems et des lieux où ils ont vécu , ainsi que de la diversité des éco-
« les qu'ils ont fréquentées, soit par l'effet des superstitions et des
" traditions différentes qui leur ont servi de guide , les anciens artis-
« tes n'ont jamais pu se conformer „. Il parait néanmoins que les sa-
vaus commentateurs du Musée Chiaramonti sont de l'avis de Winkel-
raann: car ils assurent également que dans les têtes de Jupiter on
observe généralement un caractère , qui , par une espèce de conven-
tion entre les artistes, était devenu particulier au Souverain de
l'Olympe. « La sérénité de son front, disent-ils , est l'image de celle
« du ciel, et se distingue dans toutes ses têtes, quoiqu'il soit plus ou
« moins ombragé de cheveux bizarrement arrangés .... Ses che-
« veux , auxquels Homère donne Pépithète à'ambrosii , sont partagés
« eu grosses tresses 3 mais ils laissent toujours apercevoir sur le front
« le trait caractéristique de Jupiter, judicieusement remarqué par
« Wiukelmann, pour n'être pas particulier à lui seul, mais encore
« à toute sa descendance (1) „. C'est d'après ces considérations , que
nous allons passer à L'examen des divers portraits de Jupiter, qu'on
voit représentés à la planche 5i suivant ses principaux attributs.
Sérapis.
Le n,° r est le Jupiter Sérapis , dont le culte était passé de
Jupiter
la Grèce en Egypte. Parmi le grand nombre d'images qu'on trouve

ge , l'artiste a voulu encore l'embellir de tout ce que présente de majestueux


le plus noble des animaux , en sorte qu'outre Vidée qu'il parait avoir eue
de faire apercevoir dans une figure humaine quelques traits de ressem-
blance avec celle d'un animal , il a encore cherché à relever et à enno-
blir par cette ressemblance même la figure de l'homme ec de la divinité.
(1) Muée Chiaramonti. Vol. I. pag. 16.
Europe, fol. I. M
34*5 Religion
de ce Dieu dans les Musées et dans les livres d'Archéologie, nous
avons choisi celle-ci , à cause de certaines particularités qu'elle pré-
sente, et parce qu'elle appartient à un bel ouvrage qui est peu connu
en Italie (1). C'est une petite statue en bronze, de la grandeur de
cette image, qui fut découverte à Paramitie près Janîna en Epire : il
lui manque les deux bras , avec la jambe gauche ; mais on a reproduit
cette jambe ainsi que le pied dans la gravure originale. Le reste est
parfaitement conservé et d'un beau travail : les artistes y trouvent un
Boisseau,
modèle de draperie, qui réunit à la richesse beaucoup d'élégance et
de simplicité. La tête est surmontée du boisseau ? qui est le caractère
distinctif de Jupiter (2), et que les commentateurs regardent comme
le symbole de l'abondance, d'après l'opinion qui fesait aussi passer
ce Dieu pour le soleil , de qui la terre emprunte toute sa fécondité (3).
Couronne C'est pour cela qu'on voit quelquefois les têtes de Jupiter Sera pis
de rayons. entourées de rayons, comme celle quo nous donnons sous le n.° 2, ,
qui est de cette espèce de marbre appelée par les sculpteurs petit
grec, et dont nous avons pris le dessin dans le VI. e tome du Musée
Pio-Clémentin. Ces rayons sont en bronze et d'un ouvrage moderne,
ainsi que le boisseau; mais lorsque ce buste fut découvert, on voyait
au ruban qui ceignait la chevelure sept fleurs , qu'on pouvait re-
garder comme autant de rayons, qui en formaient une espèce de
couronne (4). Les images de Sérapis présentaient aussi quelquefois

(1) Spécimens of An tient Sculpture Aegyptian _, Ebruscan , Greek


and Roman selectecl from différent, collections in Great Britain by tbe
Society of Dilettanti , London , 1809. Vol. I. PL LXtII.
(2) Millin est d'avis que le boisseau n'est autre chose qu'un reste
du fût de la colonne , sous la figure de laquelle ce Dieu était ancienne-
ment adoré. Gai. mytholog. Vol. I. pag. 2o5.
(3) Visconti observe que la couronne radiée était autrefois un des
emblèmes du Soleil , ou de quelqu'un , qui , selon la mythologie , lui ap-
partenait de très-près. Il remarque en outre , que les poètes donnaient
à ces couronnes douze rayons ; mais que les artistes préférèrent le plus
souvent le nombre sept, comme suffis an t pour un ornement de tête,
et peut-être plus agréable à la vue , en ce que les rayons sont moins
pressés , et que la parure est aussi plus simple. Quelques écrivains ont
pensé d'après cela, que le nom de Sérapis vient du mot grec sairein }js
purifie , j'embellis , parce que le Soleil purifie et embellit tout.
(4) Ou trouve dans le XLI. tome de Y Académie des Belles Lettres ,
î.feie PI. N. II, une médaille frappée à Alexandrie sous le règne d'Antonin ,
au milieu de laquelle est un Jupiter Sérapis avec le boisseau ; il est
çntouré des sept planètes et du Zodiaque,
DE LA G R JE C E. 3^7

celle d'un Cerbère : ce qui fait qu'on le trouve aussi désigné chez
les Mythologistes sous le nom de Pluton Sérapis. Mais , comme
l'observe Visconti , les Plutons absolument Grecs en diffèrent encore
par l'habillement. Le n.° 3 est la tête de Jupiter Dodonien , sculp-
tée en marbre Grec, et dont nous avons emprunté la copie du
Musée Chiaramonti. On a donné à ce Dieu le surnom de Dodonien ,
Dodoniea.
par allusion à fautique forêt de Dodone qui lui était consacrée , Jupiter

et dont les chênes rendaient des oracles. C'est pour cela qu'il a
la tête couronnée de chênes , de la même manière que l'avait
l'aigle comme Roi des oiseaux. Le camée n.° 4 représente Ju-
piter Egiochus , c'est-à-dire qui porte l'Egide, arme redoutable
dont se servit ce Dieu pour se défendre contre les Géans. Cette Jupiter
Egïocus.
Egide était faite avec la peau de la Chèvre Amalthée , et par-
semée en outre de serpens et de Gorgones. Jupiter la porte ici sur
l'épaule gauche, et sa tête est également couronnée de chêne (1).
La médaille n.° 5 présente une tête de Jupiter Ammon , Divinité
Ammon.
Jupiter
originaire de Lybie ou d'Egypte, que les Grecs avaient aussi ac-
cueillie chez eux. Cette médaille est prise lde Spanhemius., et rap-
portée par Millin (2)1 ces deux auteurs croient qu'elle a été frappée
à Mitylène. Les cornes qui s'élèvent en croissant sur son front, sont
regardées par quelques-uns comme l'emblème du bouc , sous la figure
duquel on dit que Jupiter apparut à Bacchus dans les déserts de l'A-
rabie 3 et dont il prit encore la forme lorsqu'il fut assailli par
Tiphée; mais d'autres prétendeut que ces cornes indiquent seulement
la force des rayons du soleil, qui en effet sont très-ardens dans la Ly-
bie: ce qui a fait croire à quelques auteurs qne Jupiter Ammon n'est
autres chose que le soleil (3). Le d.° 6 offre l'image de Jupiter
Tonnant', voici la description que Bacci a donnée de ce précieux Japiler
Toaaant.
camée. « Jupiter y est représenté avec un air majestueux, mais
« bouffi de colère , monté sur un char attelé de quatre chevaux ,
" et tenant dans la main droite un sceptre orné d'une fleur à son

(1) Ce précieux camée appartient à la Bibliothèque cle Paris , et a


été l'objet d'une savante dissertation de M. Visconti.
(2) Spanhemius. Dissertât, de praestantla et usu Numismatum etc.
Londini, 1706. T. I. pag. 297. Millin. Gai. mythol. T. I. N.° 46.
(3) Il en est qui prétendent que l'épithète Ammon dérive du mot
grec «^.-,qui veut dire sable , parce que le temple de ce Dieu s'élevait
au milieu des sables de la Lybie ; d'autres le font dériver du nom d'un
berger appelé Ammon , qui , le premier , bâtit un temple à Jupiter.
34S Religion
« extrémité, et foudroyant de la gauche deux géans qui ont par le
« bas la forme de serpens. Il serait difficile d'imaginer des chevaux
« plus fiers et plus fougueux, de caractériser la physionomie de Ju-
« piter d'une manière plus digne de lui, et de donner aux géans un
« aspect plus terrible que celui qu'ils montrent dans leurs contorsion? ,
« et dans leurs figures menaçantes, tournées du côté du Dieu qui les
« foudroie (i) iy L'un des deux géans, qui est probablement Por-
phyrion et le plus redoutable , semble encore défier le fils de Sa-
turne avec un tronc d'arbre dont il est armé; l'autre est déjà étendu
à terre, et on lit près de lui le nom d'Athénion auteur de ce ca-
mée. Nous avons cru à propos de traiter un peu au long des images
de Jupiter, comme étant le premier et le Souverain des Dieux. Nous
serons plus concis en parlant des autres divinités.
Sunon. On voit au n.° r de la planche 5a la statue de Junon du
Musée Pio-Glémentin (a). « La grâce des contours, dit le célèbre
«< Visconti , la beauté et la majesté du regard de cette Déesse , qui
f« lui firent donner le surnom de po»mç.9 l'élégance et la légèreté
<ç des draperies, le fini du travail dans toutes ses parties, décèlent
<« dans cet ouvrage la main d'un grand artiste de la Grèce
« Ce beau marbre n'est pas moins intéressant pour la connaissance
a des anciens usages et de l'habillement , que sous le rapport de la
<i sculpture. L'ornement qui ceint le front est digne d'attention. Cette
Son diadème. " espèce de couronne, appelée vulgairement diadème, était pré-
« cisément celle que portaient les femmes Greques , qui selon Gre-
<i vius leur donnaient le nom de çxepâv-at 9 et que les Latins dési-
« gnaient sous celui de couronnes. Mais celles qui s'élargissaient
« vers le milieu et se rétrécissaient sur les côtés, avaient une déno-
te mination particulière, que nous ont conservée Pollux et surtout
« Eustase qui en a fait la description; elles s'appelaient ^fev^ovvt ,
» ou fronde , parce qu'au dire de ce savant Scholiaste, elles étaient
« larges sur le front, et étroites sur les côtés où étaient les rubans
« pour les attacher. J'ai cru qu'un ornement qu'on voit sur les têtes
a de tant de statues et de bustes de femmes, et qui n'a jamais été
(t bien examiné, pouvait mériter un peu d'attention. On n'en doit
» pas moins aux plis de la tunique 9 et au bas de la robe de des-

(j) Eacci , Memorie degli antichi incisori. Vol. I. XXX.


(2) Statue presque colossale , de la hauteur de treize palmes Romains.
&£§ bras sont de réparation moderne. Mus. PiQ-Clém. T, Let ?l IU
de la Grèce. 3^9

« sus, qui est orné d'une espèce de broderie rapportée pour plu*
« d'élégance. Ces plis çroWeç , étaient appelés par les Grecs stoïides ,
« et les robes ainsi pliées çToûiB&Toi: Xénophon fait mention d'une
« de ces robes, qui descendait jusqu'aux talons. Pollux dit qu'elles
« étaient de lin , et que la ceinture dont on les serrait leur fesait
« prendre ces plis. Les Grecs donnaient à la garniture d'en bas le
« nom de ^èa , instita , et les Latins celui de segmentum etc. „.
Emblèmes
Les médailles et autres anciens monumens représentent cette Dées- de Junon

se, tenant d'une maiu une patère, et de l'autre un sceptre, em-


blèmes de la Reine des Dieux (i). Le fameux autel triangulaire,
qu'on voit à la maison de plaisance Borghese, offre l'image d'une
Junon , tenant des deux mains une tenaille s symbole de la guerre,
parce qu'on donnait quelquefois aux aimées Greques la forme d'une
grande tenaille. On a reconnu néanmoins cette figure pour être celle
de la Junon martiale. Le n.° 2 est la Junon de Samos. Elle a la de Junon
Sa inos.
tête voilée et surmontée du boisseau, avec deux paons à ses pieds;
elle est dans le temple qu'on disait avoir été élevé par les Argo-
nautes ,et où on l'avait encore représentée les mains soutenues par
deux lances ou troncs (2).
Le n.° 3 est une statue d'Igée ou Igie, Déesse de la santé:
elle est prise de l'ouvrage de la Société des Amateurs de Londres :
Jgée.
le style en est simple, grand et élégant: c'est peut-être la copie
de quelqu'un des beaux ouvrages de Phidias (3). Cette Déesse se
voit dans quelques anciens monumens couronnée de laurier , et te-
nant un sceptre de la main droite, comme souveraine de la méde-
cine. Elle a sur son sein un serpent , qui déroule ses replis, et al-
longe la tête pour boire dans une coupe quelle tient dans la main

(1) Winkelmann caractérise ainsi la Reine des Dieux. Junon , outre


son diadème relevé en avant , est encore aisée à reconnaître à ses grands
yeux , et à L'expression hautaine de sa bouche , dont les traits lui sont
tellement propres , qiûà un simple profil qui nous reste d'une tête de fem-
me sur un camée endommagé du musée Strozzï , on pige ausitôt par L'air
de la bouche que c'est l'image de Junon, Histoire des Arts du Des. T.
I.r pag. 3 16. édit de Rome.
(2) De camps , Select Numism. 83.
(3) Les illustres commentateurs observent que dans cette statue,
toute belle qu'elle est , les deux mains ont été restaurées, ainsi que le
bras droit jusqu'au coude, avec la tête et une partie du corps du serpent,
La statue est en marbre et de grandeur héroïque.
3oo Religion
Bêlé.
gauche. Le n.° 4 représente Hebé caressant l'aigle (1). Elle porte
ordinairement une couronne de fleurs, et tient une coupe d'or,
comme chargée de verser le nectar aux Dieux , et de nourrir d'am-
broisie l'aigle de Jupiter. Le n.° 5 est un camée représentant Ga-
Ganimède. mmède enlevé par l'aigle du Roi des Dieux. Sur une bande , qui
figure la terre , est un chien aboyant contre l'oiseau ravisseur , et prêt
à se lancer sur une plume qui lui tombe de l'aile droite: le jeune
homme semble se débattre pour se débarrasser de ses serrés (û). La
Mèius. pierre n.° 6 offre une gravure de Phébus sous la forme du fameux
coîoss ■ de Rhodes, qui avait soixante-dix coudées de haut; d'un
côté on voit ce Dieu la tête entourée de rayons, emblème du
soleil , dont il était l'image : les monumens le représentent de la
même manière. Le colosse tient d'une main une lance, et de l'au-
tre un fouet symbole de la vélocité du char de Phébus (3). Il est
bon d'observer qu'Apollon et Phébus , quoique n'étant qu'une même
divinité, avaient néanmois des attributs différens : car sous le nom
de Phébus j on n'entendait que le soleil proprement dit, c'est pour-
quoi on ne rapportait qu'à Phébus, et non à Appollon , certains at-
tributs tels que le char lumineux , le zodiaque et autres sembla-
■Apzttan bles. L'autre pierre gravée n.° 7 représente Apollon de Delphes.
Il est debout sous un laurier, et soulève d'une main le serpent
Python qui présidait, dit-on, à l'oracle de Delphes : sur l'autel est
un corbeau, oiseau qui était aussi consacré à Apollon (4).
Cybète. Le n.° 1 de la planche 53 offre l'image de Cybèle, quia pour
emblèmes, une coron ne de tours ou de feuilles de chêne , par allusion
au gland dont les hommes fesaient anciennement leur nourriture;
et te tambour, qui, selon quelques écrivains, lui est donné comme
signe symbolique du globe terrestre, ayant au milieu la figure du
lion qui lui était particulièrement consacré. On la trouve encore
représentée sur un char traîné par des lions: sur quoi on peut con-
sulter les traités de Mythologie. Elle est ordinairement habillée de
vert, pour faire allusion à la végétation de la terre. De la main gau-

(1) Winkelmann , Cabinet de Stosch. N.° 174 ; Schliclitegroll , Pier-


res gravées, XXXIII. Millin. Gai. myth. 2x8.
(2) Schliclitegroll. Pierres grav. de Stosch XXXI.
(3) Mus. Florent. T. I. Tab. LXIV. 9.
(4). Ibid. PL LXVI. 6. Le laurier pourrait bien faire aussi allusion
à l'ancien temple d'Apollon ? qui était fait avec des feuilles de cet arbre,
D E L A G R É C E. 35 I

che elle tient des épis et des pavots, symboles de la fécondité qui
appartiennent aussi à Gérés ; mais on ne saurait rien dire de posi-
tif au sujet de la tête, fjr/^lle porte dans l'autre main (i). Le ca-
mée n.°2 présente à son milieu Neptune , qu'on reconnaît de suite Neptune.
à la vigueur de ses membres, à la fierté de son regard, et à la
position dans laquelle il est représenté, tenant un pied sur la cime
d'un roc , pour faire allusion à la puissance que ce Dieu exerce
aussi sur la terre , qu'il ébranle quelquefois d'un coup de son tri-
dent. Le cheval lui était particulièrement consacré; mais quant
aux autres figures qu'on voit sur ce camée, nous ne saurions don-
ner également aucune explication (a). La pierre n.° 3 porte l'image Minerve
de Minerve Polyade , protectrice d'Athènes; elle a l'air de marcher
sous un portique : de la main gauche elle tient la lance et le bouclier, Poîyade.-

et de la droite une branche d'olivier, emblème de la victoire qu'elle


fl'Iùieri'»
remporta sur Neptune, au sujet du nom adonnera Athènes (3). Le
camée n.°4 présente cette Déesse couronnant Bacchus , parce qu'ayant et Bacchus-,
été chargée, selon les idées mythologiques, de l'éducation de ce
Dieu pendant son enfance 3 elle le rendit si vaillant, qu'elle se
l'assoccia pour commander avec elle dans la guerre contre Saturne
et les Géans. C'est là le motif pour lequel Bacchus est représenté
ici avec un paquet de flèches dans la main gauche (4). La pierre
u.° 5 nous montre Vu'cain; il a pour coiffure une espèce de bon- P«fo«'it»

(i) Eckel, Choix des Pierres gravées du Cab. Imp. etc. PI XII.
Cet illustre auteur nous avertit que ce camée est d'une belle exécution ,
mais que le graveur a outrepassé toute proportion dans les mains.
(a). Ibid. PL XIV. Le graveur n'a également donné aucune grâce
aux chevaux dans ce camée , qui est aussi d'un beau travail.
(3) Mus. Flor. T. IL PL LXXVII. 3. Nous observerons en outre,
que les Grecs donnaient à Minerve un air mâle et imposant , qui , au dire
de Furnuto , se manifestait encore dans la couleur de ses yeux qui étaient
bleus. Le même auteur ajoute , que son image était toujours accompagnée
de serpens et de chouettes , auxquels elle ressemblait par la couleur de
ses yeux : ce qui la fesait surnommer Glaucopide , c 'est-à-dire qui a
les yeux bleus comme la chouette. Visconti , Mus. Pio-Glément. I. 12 dit
aussi , que les anciens qui avaient fait une étude particulière des pro-
priétés ,observaient que cette couleur était précisément celle des yeux
des animaux les plus belliqueux et les plus féroces ; et que par cette
raison ils latoute donnaient
des Dieux armée ,àetP ne
allas , qui était" sortie de la tête du père
respirant que les combats et le carnage*
(4) Eckel. etc. PL XIX.
d5a Religion*
net semblable à celui qu'on donne ordinairement à Ulysse; sa tu-
nique est relevée, comme il l'a le plus souvent dans le monumens
et les médailles des anciens, pour être moins gêné dans ses travaux;
il tient de la main droite un marteau comme nous le représente
Homère, et de la gauche, au lieu des tenailles qui sont ici à ses
pieds, un flambeau allumé, symbole du feu dont quelques-uns lui
attribuent la découverte, et peut-être même du mariage auquel Eu-
ripide l'a fait quelquefois présider. Athènes lui rendait le même
culte qu'à Prométhée et à Pallas, avec lesquels il partageait éga-
lement les honneurs décernés aux Lampadophores , ou porteurs de
flambeaux, à la suite de jeux dans lesquels (es jeunes gens, après
avoir allumé chacun un flambeau à cet autel , couraient par toute
la ville, et se disputaient à qui arriverait le premier, et sans avoir
éteint son flambeau, à un but indiqué, où le vainqueur recevait
un prix (i). Le n.° 6 est la copie du bas-relief du fameux sarcopha-
ge* Muses, ge capitoliu, où sont représentées les neuf Muses. Nous ne pouvons
mieux parler de ce monument qu'en rapportant la savante descrip-
tion qu'en a faite Visconti, et dans laquelle il a rectifié plu-
sieurs erreurs, que sa sagacité lui avait fait remarquer dans la plan-
che du IV.e tome du Musée Capitoliu , où ce bel ouvrage est retracé.
ciio. a La Muse sous le num. i, dit-il, sera Clio tenant en main un
« livre 3 emblème de l'histoire. Le num. 2, est Thalie, Muse de la
« comédie; elle a pour emblèmes le masque mimique, qu'on dis-
" tingue à sa figure grotesque, la houlette qui fait allusion à la poésie
« pastorale, et le cothurne , qui ne rehausse point la stature cora-
Erato. a rne dans la tragédie. Le num. 3 est Erato; elle a sur la tête
" une espèce de coiffe ou de réseau, telle que nous en remar-
a quons dans les portraits de Sapho, la nouvelle Erato de la Gré-
« ce .... ; elle est représentée ici à la fois comme Muse de l'a-
Euterpe (l raour et de la philosophie. Le num. A indique Euterpe : des flûtes
« forment son caractère distinctir. Le. num. o représente rolymme
« concentrée en elle-même comme Muse de la mémoire; elle était
« aussi la Muse de la fable et de la pantomime, motif pour lequel
a on la voit aussi avec un masque à ses pieds dans un bas-relief
Therpncore. « du palais Mattei . . . . Au num. 6 est Therpsicore avec sa lyre.
&ûrlme! « Le num. 7 est Calliope avec ses tablettes, sur lesquelles elle écrit
Mécène. (ç dps vers> Le num^ 8 m0lltre Urauie avec sou globe. Eufiu Mel-

(1) Mus. Florent. T. II. XL. 5,


de la Grèce. 353
« pomène parait au num. 9 : elle manque dans la gravure capitoline
« de ses grands cothurnes, qui forment ici le caractère distinctif de
« la tragédie, ainsi que l'a déjà observé Winketmann dans la com-
« paraison qu'il a faite de l'habillement de cette Muse avec celui
« d'un Hercule protagonista-t r^glque , dans un beau bas-relief de
« la maison de plaisance Panfili , rapporté dans ses Monum. ant,
« inédits sous le num. 189. Son habillement théâtral ceint d'une
« grande écharpe , son masque héroïque, et son attitude même, sont
« autant d'objets à remarquer (1) „. Ces figures ont beaucoup de
ressemblance avec les statues des Muses qui existent dans le Musée
Pio-Clémentin , et avec les images qu'on en voit dans le fameux
bas-relief de l'apothéose d'Homère.
On voit à la planche 54 n.° 1 Diane armée pour aller à la
chasse (a). Dans la peinture originale elle est suivie des Nymphes
ses compagnes, dont elle ne se distingue que par le croissant qu'elle
porte sur la tête, leur habillement étant à peu-près le même que
celui de la Déesse. Au n.° 2, est Proserpine en longue tunique et
avec un grand peplos ou espèce de manteau; elle a la tête ceinte
d'un diadème parsemé de pierreries, avec un collier et des bracelets
ornés de perles. Le n.° 3 offre l'image de Cérès couverte d'un voile Cerès.

riche, telle qu'on la voit ordinairement dans les monumens : on


doit une attention particulière à l'instrument aratoire qu'elle porte
sur une épaule, et qui consiste en un gros bâton, dont le bout
est armé de six espèces de tranchans. C'est peut-être là l'instru-
ment qui servait de charrue avant les progrès de l'agriculture ; Iris.
et il indique que Gérés en est l'inventrice (3). Le n.° 4 repré-
sente Iris planant dans les airs au milieu d'un cercle rayon-
nant: d'une main elle tient un flambeau, et de l'autre le. dard
que, selon Non nus , elle porta à Lycurgue par ordre de Junon ,
et avec lequel , au dire d'Homère , ce Roi de Thrace chassa les

(1) Musée Pio-Clémentin. Tom. I.« pi. B. Ce bas-relief est rapporté


aussi dans le Musée Napoléon. Tom. I.er pi. 22.
(2) Millin , Peintures des 'vases etc. II. pi. LXXVII.
(5) Ces deux figures sont prises des peintures d'un vase , non moins
célèbre par sa beauté , que par le sujet qui y est représenté , et dont M.r Vis-
conti nous a laissé une savante dissertation. Ce précieux monument retrace
l'institution des mystères d'Eleusis : l'action parait empruntée toute entière
de l'hymne à Gérés , qu'on attribue à Homère. Millin ibid. pi. XXXI,
Ce vase appartient à la Galerie du Prince Stanislas Poniatowski.
Europe. Vol. I. 45
«J04 Religion
Ménades (r). Elîe a quelquefois clans une de ses mains le caducée
comme messagère des Dieux. Le n.° 5 est pris des vases du Millin.
Vénus
et Amour. Cet illustre antiquaire croit voir ici la Vénus céleste, qui était
aussi la Vénus conjugale ; et dans l'enfant qu'elle embrasse, l'Amour.
Cet embrassement est tel qu'on le trouve décrit dans les poètes Ero-
tiques. La Déesse est assise sur un tertre émaillé de fleurs, et vê-
tue d'un ample manteau parsemé d'étoiles : des pendans d'oreille ,
un collier et des bracelets composent sa parure, l'enfant est nu
Latwie. et n'a pour tout ornement qu'une fi!e de perles ou de grains (a).
Le n.° 6 représente Latone portant entre ses bras Apollon et Diane
encore à la mamelle. On la voit dans la peinture originale fuyant un
serpent monstrueux, que la jalouse Junon avait animé contre elle (3).
des Une
Grâces.
Au n.° 7 est une des Grâces richement habillée , comme l'étaient
les Grâces dans les anciens monumens qu'a vus Pausanias (À), Le
jeune homme qui va pour l'arrêter est le Dieu du sommeil, qui,
selon Homère, était amoureux de la plus jeune de ces trois Déesses.
Morphee.
Nous observerons ici que les anciens avaient deux Morphées, l'un
vieux et faible, et l'autre jeune et robuste. Ce» Dieu porte attaché
au bras un bandeau, emblème de la force, par allégorie à la sé-
duction et à la puissance de ses charmes auxquels personne ne
Neptune.
peut résister. Le n.° 8 est Neptune, qui est pris d'un bas-relief en
terre cuite et d'un style très-ancien, rapporté par Baxter (5); il
est vêtu du peplos ^ qui était un manteau ample et d'une étofle
fine , plus usité des femmes que des hommes et souvent riche-
ment orné: il se repliait autour du corps, et s'attachait avec une
boucle ou une agrafe. Les têtes de Neptune avaient beaucoup de
ressemblance avec celle de Jupiter son frère. Winkelmann ob-
serve néanmoins que la barbe du premier est plus frisée , et que
ses cheveux sont différemment arrangés sur son front ; il ajoute que

(1) Cette image est copiée sur les peintures d'un vase , dont le su-
jet est le châtiment de Lycurgue Roi de Thrace , qui avait grièvement
offensé Bacchus. Millingen , Peinture etc. pi. ï.
(2) Millin etc. T. I. pi. LXV.
(3) Tischbein , Pitture de' n a si antichi. T. III. pi. IV.
(4) Tischb. ibid. pi. XXVII. On ne voit que deux Grâces dans la
peinture d'où est prise cette image ; et en effet , les Athéniens et les
Lacédémoniens , au dire de Pausanias , n'en reconnaissaient anciennement
que deux.
(5) Baxter, An illustration of the Egyptian , Grecian , Roman
etc. costume pi. V.
de la Grèce. ' 355
ce Dieu se distingue surtout par la largeur de sa poitrine et la
vigueur de ses formes ; et que c'est pour cela qu'il n'est pas repré-
senté sur les pierres gravées avec la tète seule comme les autres
Dieux, mais encore avec le buste. Le n.° 9 est pris d'un vase du
Musée Vatican 3 qui a déjà été publié par Passer i : il offre le
haut du 11
corps d'uue furie , dont
i
les cheveux
t • i
sont entrelacési

de ser- des Une
Furies..
pens; elle en serre un autre de la main droite, et tient de la gau-
che un flambeau. C'est aussi sous ces traits qu'on représentait la
Discorde (r).

Le n.° x de la planche 55 est l'image de Saturne, auquel les Saturne.


Grecs donnaient encore lé nom de Chronos, ou le Tems. II est cou-
vert d'un manteau qui Jui descend depuis la tête jusqu'au genou ,
et tient d'une main une espèce de faux avec laquelle il avait mu-
tilé son père Uranus 3 et dont l'invention appartient aux tems les
plus reculés : le voile ou manteau dont il est revêtu est un em-
blème allégorique de l'obscurité des tems (a). On le voit représenté
quelquefois dans les médailles avec un globe sur la tète, symbole
de sa planète, et tenant un crocodile de la main droite, emblème
du tems qui dévore tout. Le bas-relief n.° a représente le trône Son trône.
de Saturne , monument fameux en marbre penthélique , d'environ
deux mètres de longueur sur une hauteur de huit centimètres , que
]'on conserve depuis long-tenis dans la salle des antiquités du Louvre
à Paris. Il se trouve sur le fonds d'une architecture, qui semble
presque d'ordre composé. Le riche voile qui est étendu le long du
trône, dénote aussi l'obscurité dont les tems sont enveloppés. Une
sphère est sur la banquette: le zodiaque qui est tracé dessus indique
les révolutions des corps célestes et des saisons. Il y a deux Gé-
nies de chaque côté du trône; les deux qui se trouvent à la gau-
che du spectateur portent avec effort une espèce de faux énorme,
qui a presque l'air d'un instrument d'agriculture à laquelle prési-
dait Saturne. Les deux autres Génies sont mutilés , et leur position
semble annoncer qu'ils portaient le sceptre de cette Déité , dont
on voit encore un fragment (3). Il ne manque pas de monumens de

(i) Millingen , Peintur. anbiq. etc. pi. XXIII.


(2) Winkelmarm. Pierres gravées de Stosch. , p. 24. N.° 5. Millin,
Gai. myth. T. I. N.° 1. Acad. des Inscr. T. I. p. 279.
(3) Monum. antiq. du Musée Napoléon. T. I. p. 1 3. Millin, Monum.
inédit.
tion deT.
ce I.monument.
art. 20. C'est M.r Visconti qui a donné la première descrip-
356 Religion

ce genre, qui représentent les trônes de Neptune, d'Apollon, de


Vénus et de Mars (i). Il est bon d'observer que les Grecs étaient
dans l'usage de mettre quelquefois à la place de la divinité, le
trône sur lequel ils la croyaient assise, et invisible aux mortels. Le
n.° 3 est pris du grand ouvrage de M.r Quatremère , que nous avons
déjà cité plusieurs fois. C'est une image de la statue colossale d'A-
àAnîitfée. P°^on à Amiclée, d'après la description que nous en avons de
Pausanias. Le style de cette statue était des plus antiques 3 et appar-
tenait à l'époque où les ermes commencèrent à présenter des for-
mes humaines. Ce colosse s'élevait sur le tombeau d'Hyacinthe,
qui avait la figure d'un autel ou d'un piédestal ; on y entrait par
une petite porte pratiquée à l'un des côtés à l'époque des fêtes
Hyacinthines , pour y faire des libations funèbres avant de sacrifier
au Dieu. Pausanias dit, qu'à l'exception de la tête, des mains
et des pieds, il l'essernblait à une colonne de bronze. Il était coiffé
d'un casque: d'une main il tenait un arc, et de l'autre une lance.
On le revêtait tous les ans d'une tunique blanche : ce qui corri-
geait les difformités de cette masse , et fesait une espèce d'illusion à
la vue. Dans des tems postérieurs dont on ne saurait guères fixer
Son trône, l'époque, on donna au colosse un trône, ouvrage deBaficle, de ce
genre de sculpture en or, en ivoire et en bois précieux appelé
toreutique , et assez semblable au trône du Jupiter d'Olympie dont
nous avons parlé plus haut (a). La Minerve du Parthénon , la sta-
tue et le trône de Bacchus à Sycione, des trois grandes Déesses
à Mégalopolis, d'Esculape à Epidaure , ainsi que d'autres divi-
nités, étaient aussi des ouvrages toreutiques. Le n.° 4 est une pierre
piuici gravée du Musée de Florence, où est représenté Plutou ou le Ju-
et Minerve, ~ ' '
piter Sérapis et infernal , avec Minerve. Cette Déesse va pour faire
une libation sur un autel, tandis que Pluton semble indiquer par
un signe que les flammes, en s'élevant vers le ciel, annoncent
Cerbère. un lîeureux présage. Près de lui est Cerbère délié de ses chaînes,
tel qu'on le voit ordinairement dans les monumens , quand il est
en présence de ce Dieu (3). Les tètes de Pluton ont toujours quei-

(1) On voit encore plusieurs de ces trônes , savoir; un dans la


maison de plaisance Ludovisi à Rome ; un autre qui semble être de Sa-
turne dans l'église de Notre-Dame des miracles à Venise , et deux de
Neptune dans le chœur de l'église de S.1 Vital de la même ville.
(2) Quatremère, pag. 196 et suiv.
(3) Mus. Florent, T. IL tab. LXXII. N.° ?..
delà Grèce. 35?

que ressemblance avec celles de ses deux frères Jupiter et Neptune;


mais Pluton a le regard plus sévère, les cheveux plus épais, et la
barbe plus touffue et plus crépue.
Nous avons vu jusqu'ici les principales Déités de la Grèce;
et comme nous l'avons dît plus haut, il serait aussi fastidieux que
superflu de vouloir donner ici une image particulière de chacune Dèitès

d'elles. Ajoutons à cela maintenant que, de plusieurs, les anciens qui n 'étaient
Grecs ne uous ont transmis que le nom. C'est ce qui est arrivé
à'Fnyo, Déesse de la guerre, laquelle fut dans la suite adorée des
leur nom.
que par

Romains sous le nom de Bellone. Nous n'avons également qu'un


faible indice d' Hsstla , ou Vesta Déesse du feu, dans les hymnes ouHesVesta.
tia
attribués à Homère; elle présidait proprement au feu domestique,
Dieux
et était par conséquent l'emblème de la vie civile ou sociale. Nous
croyons inutile par la même raison de parler des Dieux inconnus ,
inconnus.

auxquels le Athéniens rendaient un culte, et qui fournirent à saint


Paul le sujet de l'éloquent discours qu'il prononça dans FAréopage Divers attributs
sur le vrai Dieu (1). Nous aurons occasion de parler de quelques au- des divinités.
tres divinités dans les articles suivans. En attendant, nous croyons
à propos d'ajouter à tout ce que nous avons dit précédemment les
observations suivantes. Premièrement , le trône était généralement Troue.
un attribut des grandes divinités, dont chacune, selon Callima- des grandes
tiéitës.
que et autres anciens écrivains, avait son trône ou un siège par-
Symbole
ticulier dans l'Olympe: le trône seul était un emblème de la
divinité, lors même qu'il n'y avait point de Dieu assis dessus. Se- Sfendon
condement, les grandes Déesses ont pour la plupart le sfendon ou ou Diadème*

(i) Nous remarquerons ici qu'il y avait plusieurs de ces Dieux incon-
nus ;qu'ils n'avaient que des autels , et point de simulacres. Et en effet
S.' Paul ne parle que de l'autel qu'il avait vu en passant avec cette ins-
n , Dieu inconnu. On raconte, qu'à l'occassion d'une maladie con-
criptioAu
, Athéniens appelèrent à leur secours Epiménide de Festos ,
tagieuseles
célèbre devin. Cet Epiménide purifia la ville de la manière suivante ; il
conduisit avec lui un certain nombre de brebis blanches et noires , et quand
il fut prés de l'Aréopage , il les laissa libres , et ordonna en même tems
qu'on les suivît, et qu'on immolât chacune d'elles au Dieu •iïpoffiixovTi ,
qui veut dire convenable, dans le lieu où elle aurait été arrêtée. Voilà
pourquoi on rencontre encore aujourd'hui dans l'Attique des autels, qui
ne portent le nom d'aucune divinité Ces autels furent élevés pour con-
server la mémoire de cette expiation , et , comme le dit Pausanias , ils fu-
rent consacrés aux Dieux inconnus. V. Marcher. Hérocl. T. IV. pag. 3i6.

//
358 Religion
diadème. Troisièmement 3 les Déités se représentaient quelquefois
Ailes. avec des ailes , et cet attribut se donnait même à Minerve, à Diane
et à Vénus. Celles qui avaient quelques rapports avec le tems ou
avec l'air avaient toujours des ailes. Ainsi la Nuit était figurée avec
des ailes brunes, l'Aurore avec des blanches , l'Iris avec des ailes
d'or etc., ce dont on trouve une foule d'exemples dans les peintures
Voile flouant. d'Herculanum. Quatrièmement, le voile flottant en forme
d'arc sur
la tête était particulier aux divinités de la mer, et c'est ainsi qu'on
voit souvent représentés sur les marbres , sur les pierres gravées et
les médailles, les Fleuves, les "Néréides, et même la Vénus marine,
comme pour exprimer par cette disposition du voile l'action du
vent qui l'agite (j). Cinquièmement, les divinités, principales surtout ,
avoient quelquefois le nimbe dont nous avons déjà parlé , et que
les peintres figuraient sous la forme d'un disque , d'une lune ou
de rayons : souvent même on le représentait par une lumière , qui
semblait sortir du corps de la Déitée. Sixièmement , le nimbe
Aureoh. s3mple, appelé auréole , était encore le symbole des Dieux qu'on
croyait issus de Jupiter. Septièmement enfin, chaque Dieu avait ses
Couleurs vêtemens
CLCS "GC6ÎTIGÎIS d'une couleur analogue
C à ses attributs. « On donna, ) dit
des Dieux. a Winkelmann, la couleur rouge à Jupiter (a). Neptune aurait
" dû avoir le vert de mer, qui était la couleur dont on représentait
« l'habillement des Néréides : c'était aussi celle des bandelettes
« dont étaient ornées les victimes qu'on sacrifiait aux Divinités ma-
« rines : on peignait de la même couleur la chevelure des fleuves
« personnifiés dans les ouvrages des poètes; et tel était en général
« l'habillement des Nymphes dans les peintures antiques , que le
« nom même de fNw?^, Ibptpu ) leur vient des eaux. Apollon a le
« manteau bleu ou violet, et Bacchus qui devrait l'avoir couleur de
« pourpre, est souvent vêtu de blanc. Marzian Cappella habille
« de vert Cybèle comme Déesse de la terre, et mère de la végéta-
" tion : Junon , que le même écrivain nous représente avec un voile
« blanc, devrait avoir ses vêtemens de couleur bleu-céleste, par
« analogie à l'air dont elle est le symbole. Le manteau jaune con-
« vient à Gérés , comme étant de la couleur des épis mûrs, ce qui
« lui a fait donner l'épithète de jaune par Homère. Dans le dessin
« colorié d'une peinture antique de la Bibliothèque du Vatican ,

(i) V. Le Pitture antlche d1 Ercolano. Vol. V. pag. 69.


I: v.On79.donnait à Pluton la couleur noire. Glaudian. De raptu Proserp.
Liv. (a)
de la Grèce. 35g
« publié par mol (i), Pallas a le manteau, non de couleur céleste 8
« nomme dans les autres figures qui la représentent, mais de cou-
rt leur de feu, peut-être pour indiquer son esprit belliqueux; cette
« couleur était aussi celle que les Spartiates adoptaient en tems de
« guerre. Quelques peintures d'Herculanum nous représentent Ve-
rt nus avec une draperie flottante de couleur d'or, parsemée de
« nuances d'un vert foncé, peut-être par analogie à son épithète
« d'aurea. On voit encore dans le dessin de la peinture Vaticane ,
" dont nous venons de parler, une Naïade avec une robe de des-
« sous couleur d'acier ou vert de mer, sous laquelle Virgile a aussi
« peint le Tibre; mais sa robe de dessus est verte, telle que les
" Fleuves l'ont ordinairement chez les poètes: ainsi ces deux cou-
rt leurs sont le symbole de l'eau, avec cette différence que le vert
« semble plus particulier aux eaux qui coulent à travers les herbesfa). „
Pour terminer ce premier article de la religion des Grecs ,
nous rapporterons à la planche 56 une peinture, qui a rapport à
l'histoire Mythologique des Demi-Dieux. Elle est prise du premier Demi-Dieux.
volume des vases de Mil lin , et a pour sujet l'onzième des travaux
d'Hercule , ou l'enlèvement des fruits du jardin des Hespérides par Jardin
ordre de son frère Eurysthée, ministre de la colère de Junon. Cette
précieuse peinture représente donc le jardin de ces Nymphes fa-
tales. Au milieu s'élève l'arbre fameux qui produisait des pommes
d'or (3), et autour ^e son tronc est entortillé le terrible serpent,
auquel la garde en était confiée (4). -Les Mythologistes racontent
qu'Hercule se saisit de ces pommes, après avoir donné au monstre
une boisson qui l'endormit d'un profond sommeil. Le héros est re-
présenté dans d'autres monumens prêt à tuer ce gardien redouta-

it ) Monum. ant. inécl. num. u3


(2) Winkelm. Histoire etc. T. I. pag. 4o3.
(5) Nous croyons inutile de rapporter ici les explications extravagan-
tes , que les grammairiens et les sophistes, tant anciens que modernes , ont
imaginées au sujet de cette fable. Il suffira de dire, que les uns y ont
vu la désobéissance d'Adam , et d'autres l'enlèvement des troupeaux des Cha-
nanéens par Josué. L'opinion la plus probable est celle qui faii dériver
cette fable de la découverte des oranges , mêlée à une tradition antique ,
qui pLçait à l'occident la cour et les jardins du Soleil.
(4) Apollonius donne à ce serpent le nom de Laclone , et dit qu'il
avait cent têtes, et ne fermait jamais les yeux au sommeil; mais les ar-
tistes ne le représentent ordinairement qu'avec deux têtes , et c'est ainsi
qu'on le voit sur un vase de la premièie collection d'Hamilton,
36o Religion
Lie ; mais ici ce sont les Hespérides elles-mêmes qui lui offrent les
pommes : circonstance qui semble faire allusion à la tradition , d'après
laquelle Hercule aurait reçu d'Atlas ces fruits admirables, qu'il
transporta en Grèce, pour avoir sauvé les filles d'Hespérus de la
fureur du tyran Busiris (i). Au dessus de ces figures est écrit en
Héraclès. caractères Grecs le nom de chacune de ces Nymphes. Héraclès
Hercule tient un pied sur un roc , position qui indique son ar-
rivée dans un pays étranger: la peau du lion de Némée enveloppe
ses épaules , et est nouée par les pattes sur sa poitrine : son car-
quois pend à son côté; de sa main gauche 3 qui est appuyée sur sa
massue, il tient l'arc, et va pour prendre de la droite les pommes
que cueille une des Nymphes: sa tète est ceinte d'un bandeau orne
d'une petite lune. Les Hespérides sont au nombre de cinq. Ka-
Kakpso. lupso , ou Calipso donne à manger au dragon; elle est assise sous
une espèce d'arbuste : sur son pied droit est Vlynix , espèce d'oiseau
de diverses couleurs , dont la langue ressemble à un petit serpent s
Hermésa.
et qui servait aux enchantemens. Hermésa est celle qui cueille les
pommes: près d'elle est un oiseau palmipède , ou avec les pieds
Àntîiéia.
plats,, qui est peut-être le cygne, dont le chant serait probablement
alîusif à celui des Hespérides. Atithéia 5 qui est derrière Calipso
a dans une main une espèce de ruban, symbole de l'initiation (car
ces peintures sont pour la plupart des allusions aux mystères reli-
Aïogis.
gieux ),et dans l'autre une des pommes. Aïolis regarde d'un œil
émerveillé ce qui se passe , et a la main gauche appuyée sur sa
Néaïsa. sœur Anthéia. Derrière Hercule est Néaisa , portant un petit vase,
qui a pareillement rapport à l'initiation. Ces cinq sœurs sont vêtues
d'une tunique courte, qui est recouverte d'une plus longue. Hermésa,
A logis et Néaïsa ont en outre le peplos. Ces vètemens sont parsemés
de points on d'étoiles , avec un bord qui a presque la forme d'un
échiquier. Le mot Asspiirias , qui veut dire Hespérides, est écrit
au dessus de Calypso. On voit en haut quatre Déités à demi-figure.
Les anciens peintres de la Grèce semblent avoir adopté ces espèces
de bustes ou de demi-figures pour la partie du tableau qui est au
dessus de l'action principale, afin d'y introduire les personnages
qu'on doit supposer à quelque distance , et qui ne sont que specta-
teurs invisibles de l'événement. Us suppléaient en outre par là à
la perspective , dont ils n'avaient aucune connaissance. C'est pour-

(i) Diod. de Sic. IV. 27.


de la Grèce. 36i

quoi M.r Millin est d'avis que les quatre Déités qu'on voit ici peu-
vent se considérer comme placées dans l'Olympe , ou sur quelque
lieu élevé où elles se plaisaient. Ainsi la première figure à gau-
che, et près de l'arbre, est Junon , Hara ou Héré; elle est voilée r Junon.
parce qu'étant une des Déesses garnélies , elle préside aux mariages:
il est bien naturel qu'elle prenne part à l'action , car elle avait
eu ce fameux arbre en présent le jour de ses noces avec Jupiter ,
d'ailleurs la Déesse ne doit point être indifférente au succès qu'aura
Hercule dans cette entreprise. Vis-à-vis d'elle, et de l'autre côté de
l'arbre, est Mercure revêtu de la chlamyde; il porte le caducée, Mercure,
etlepétase, ou chapeau des voyageurs qui retombe sur ses épau-
les. Près de Junon est Pan, suffisamment caractérisé par la ne-
brida ou peau de faon , qui est nouée par les pattes sur sa poitrine
comme une chlamyde; il a des cornes de bouc, une barbe épaisse,
le visage velu, les narines gonflées, les oreilles pointues et la physio-
nomie d'une brute. Il a été vraisemblablement placé ici comme
fils de Mercure , et protecteur du pays riche en troupeaux où
l'action est supposée se passer. Donakis^ une des Nymphes aimée Donakis.
de Pan, est derrière Mercure; elle a comme Junon la tête ceinte
d'un bandeau parsemé de perles. Cette peinture est d'autant plus
précieuse , qu'on lit au bas de l'arbre le nom de l'artiste qui l'a
faite, chose qui est extrêmement rare. Assteas e graphe , Astée
peignait.

Temples , autels , instrumens sacrés.

De tous tems les peuples ont été dans l'usage de rendre le


culte à la divinité dans des lieux ouverts , en plein air et particu-
lièrement sur les montagnes. On lit dans la Bible , que les idolâ-
tres, voisins de la Judée, sacrifiaient à leurs Dieux sur des lieux
élevés. Dieu ordonna à Abraham de lui sacrifier son fils sur une consac,

haute montagne. C'est pour cela que, chez les Grecs, les monts les aux Du
plus élevés étaient consacrés à Jupiter , à Saturne et autres Divi-
nités. On trouve dans l'hymne à Apollon, dont Homère passe pour
être l'auteur, que les sommets des montagnes étaient également con-
sacrés àce Dieu (i). Ce culte parait être dérivé' de l'opinion où

(i) Lisez à ce sujet Poter , Arch, graeca, et Comment, in Ljco-


phronis Cassandram vers. 42.
Europe. Fol, I. ^Q
36s Religion-
étaient les anciens , que la cime des monts étant plus près du ciel ,
il était plus facile que leurs prières parvinssent de là jusqu'aux
Dieux. Le même usage se conserva long-tems chez les Perses, com-
me le rapporte Hérodote. C'est ce qui fit que lors de leur invasion
en Grèce, ils brûlèrent tous les temples, dans l'idée que c'était une
impiété que de renfermer entre des murs la divinité, qui n'avait
d'autre demeure et d'autre temple que le monde entier , et à la-
quelle par conséquent l'espace devait être un champ libre et ou-
de?'Z?pies. bâtir
vert v1)-
des II n'est guère?
temples, ni defaci!e de fixer l'époque où l'on commença à
dire quel fut celui qui en éleva le pre-
mier. Templorum-, dit Aruobe 3 si quaeris audire qui s prior fuerit
fabricator aut Phoroneus Jegyptius , aut Merops tibi fuisse mon-
strabitur , aut , ut tradit in Admirandis Varro, Jovis progenies
Aeacus (a). Eusèbe , Lactance et Clément d'Alexandrie sont d'avis
que les temples doivent leur origine à la piété superstitieuse, qui
porta les peuples à élever des monumens somptueux en l'honneur de
leurs parens , de leurs amis ou des hommes morts qui avaient bien
ad lépufcL mérité de la patrie. Ainsi le temple de Pallas , dans la forteresse de
qi/uJTême
chose che. Larisse , n'était d'abord que le sépulcre d'Acrise , de même que
les anciens*
celui de Minerve Polyade à Athènes n'était anciennement que
le tombeau d'Eriehtone. Aussi trouve-t-on , comme l'observe judi-
cieusement Potter, que, dans les anciens écrivains, les mots employés
proprement pour désigner un sépulcre ou un monument, servent
quelquefois aussi pour indiquer un temple. C'est dans ce sens que
Licophron fait usage du mot Tvupov en parlant d'un temple de
Junon (3). L'Enéide nous en offre aussi un exemple , lorsque le
poète y dit :
tumulum anliquae Cereris 3 sedemque sacratam
Venimus (4).

Il n'y a donc rien de surprenant, d'après la remarque de Potter,


que les monumens et les tombeaux aient été dans la suite convertis
en temples, puisque l'usage était chez les anciens de faire les priè-
res, les sacrifices et les libations près d'un tombeau, queîqu'eût été
d'ailleurs la condition de celui dont il renfermait la cendre.

(1) Cic. De legibus , liv. II.


(2) Arnob. Contra gentes , liv. VL
(3) Lycophr. Cassandra vers. 6j3,
(4) AeneicL II. 742.
de la Grèce. 363

Il paraîtrait, d'après plusieurs passages d'Homère et. autres écri- m Lit


vains de l'antiquité, que dans les siècles héroïques les temples des héroïque*. *
Grecs étaient construits en bois. Hérodote en parlant des Gelons
dit que leurs temples étaient faits de cette matière comme ceux
des Grecs. C'est à ce genre de construction sans doute qu'il faut at-
tribuer les incendies fréquens, dont nous voyons que tant de temples
furent alors la proie en Grèce: ce qui n'arrivait que bien rarement
en Asie, en Egypte, et en Etrurie (i). L'usage des colonnes en bois
semble encore s'être conservé dans les temples, depuis qu'on commença
à les bâtir en pierres et en briques: car Pausanias rapporte que de
son teras il y avait encore à Elide un temple dont le toit s'appuyait
sur des colonnes de chêne, et il ajoute qu'on voyait dans cette ville Leur s impiété.
une colonne du même bois , qui était derrière le temple de Junon (a).
On ne trouve point dans les écrits des anciens que ces temples fus-
sent décorés d'aucun ornement d'architecture: il parait même qu'on
n'avait nulle connaissance des arcs, des frises, ni même des bases
et des chapiteax dans les colonnes. Hésiode ne parle des colonnes
que comme d'un simple support , ou comme d'un objet quelconque
qui était fixe, et auquel on pouvait attacher ou suspendre quelque
chose (3). Mais lorsque cet art fut sorti de l'enfance chez les Grecs, Magnificence
le luxe et la magnificence furent recherchés dans la construction inta££tG
des temples et des maisons des particuliers, et l'on se persuada que les Umpks-
rien ne pouvait être plus agréable aux Dieux, que le soin qu'on
prenait d'embellir les édifices qui leur étaient consacrés. Les Spar-
tiates seuls différaient en cela du reste des Grecs: une loi de Ly-
curgue leur prescrivait d'honorer les Dieux ayec le moins de faste
possible. Ce Législateur interrogé sur le motif de cette loi répondit,
qu'il l'avait faite pour que le culte de la divinité ne fût jamais
négligé, dans la crainte que l'avarice ou le besoin ne fussent une
cause de relâchement envers elle, dans un pays où l'on fesait con-
sister toute la dévotion dans la somptuosité des temples et des rites ;
et parce que rien ne pouvait lui être plus agréable , selon lui , qu'une
piété sincère , simple et sans aucune pompe.

(i) V. Lebbera sulV origine , ed antichità deW archibetbura al chia-


rissimo ababe Fea giureconsulbo , V autore delV opéra inbibolaba Rovine
clell' antica città di Pesbo. Cette lettre se trouve aussi insérée dans le
IIIe vol. de l'Histoire de Winkelmann , édit. de Rome.
(2) Paus. liv. V. chap. XVI et liv. VI, chap. XXIV.
(3) Theogon, vers. 5a2. et 77g.
364 Religion

etLdimenZL. ^es temp'es des Grecs étaient généralement d'une figure carrée,
de manière pourtant que leur longueur était le double de leur lar-
geur. C'est d'après cette forme que Vitruve a établi en principe,
qu'un temple qui a cinq entre-colonnemens sur le devaut , doit en
avoir le double sur les côtés. Telles étaient les proportions du temple
de Jupiter à Girgente en Sicile. Pausanias ne fait mention dans son

voyage, que d'un très-petit nombre de temples ayant une voûte ou une
ïnvïûtl. coup0'®- De ce genre étaient, celui qu'on voyait à Athènes à côté du
Prytanée,un autre à Epidaure près le temple d'Esculape, et un
troisième à Sparte où Jupiter et Vénus avaient chacun une statue (i).
Winkelmann observe « que ces temples carrés n'avaient en général
point de fenêtres , et ne recevaient de jour que par la porte , pour que
Temples leur intérieur, qui était éclairé par des lampes , présentât un aspect
uiwninès. plus auguste (2); et il ajoute que les temples en rotonde étaient
éclairés par le moyen d'une ouverture circulaire pratiquée en haut,
comme on le voit dans le Panthéon (3). L'opinion de ce savant an-
tiquaire sur ce point est néanmoins sujette à une grande difficulté
relativement aux temples carrés: ceux qui avaient cette forme chez

(1) Les Grecs donnaient aux édifices en ronde l'épithéte de Tholoi,


pour indiquer qu'ils étaient comme d'un seul jet. L'Abbé Fea observe
que les édifices à coupole étaient d'un usage très-commun chez les Grecs.
11 ajoute néanmoins que ces coupoles étaient fort-basses , et avaient plu-
tôt l'air de voûtes rondes , que de coupoles de la hauteur et de la forme
de celles qui ont été faites dans les tems modernes. Les plus anciens
monumens qui nous donnent quelqu'idée des rotondes des Grecs sont ,
la Tour des vents , et le monument élevé' à Lysicrate qui sont tous les
deux à Athènes. Voy. le Roy et Stward.
(2) Le Bar. Riedesel , Voy. en Sic. Liv. I. -pag. 40 , observe aussi
que l'ancien temple de la Concorde à Girgente , qui ne présente aucun
indice de fenêtres , ne pouvait recevoir de jour que par la porte. Il dit
néanmoins dans un autre endroit , d'avoir vu dans le couvent de S.1 Ni-
colas un petit temple domestique très-bien conservé , qui avait une petite
fenêtre à l'antique.
(3) Winkelmann lui-même , Histoire etc. T. III. pag. 42 , ne peut
s'empêcher de convenir que quelques-uns de ces édifices , mêmes carrés ,
étaient surmontés de ces espèces de coupoles , auxquelles les modernes
ont donné le nom de lanternes. « On voit , dit-il;, cette lanterne et une

« coupole sur le tambour d'un temple carré , dont l'image est tracée sur
« le plus grand sarcophage que nous ayons de l'antiquité , lequel se trouve
k aujourd'hui dans une yigne de la maison Moïrani près la porte de S.1 Sé>
u ha g tien »,
de la Grèce. 365
Jes Romains pouvaient bien être à la vérité suffisamment éclairés
par la porte, en raison de leur peu d'étendue; mais on ne peut
pas en dire autant de ceux des Grecs , dont quelques-uns étaient
fort-grands et à deux rangs de portiques ou de colonnes : ce qui
fait supposer à M.r Quatremère, qu'ils recevaient aussi le jour par
une ouverture, ou espèce de lanterne, comme nous le verrons bientôt.
Les temples carrés, dans des tems encore plus rapprochés de nous, Leur plafond.
étaient plafonnés en bois. Celui d'Apollon à Delphes l'était en
cipiès, d'autres l'étaient en cèdre. Les temples de Sainte Sophie
et des Apôtres à Gonstantinople avaient également leur plafond en
bois (r). Leur intérieur était divisé en trois nefs. Tel était celui
de Pailas à Athènes. Selon Lucien, Porphyre et autres écrivains,
les temples des anciens avaient la façade tournée à l'orient, pour
qu'ils fussent éclairés des premiers rayons du soleil. Iginus dit que Luer position.
telle était en effet la position des temples dans les premiers tems;
mais après il observe que cet usage fut depuis abandouné , et que
la façade de ces édifices fut tournée à l'occident. C'est aussi le
précepte que donne Vitruve: « Les temples, dit il, pour être si-
« tués convenablement , doivent être tournés, à moins qu'on n'ait
« des raison qui en empêchent , de manière à ce que la statue
« qui est au fond regarde le couchant , et que ceux qui vont à
« l'autel pour y faire des offrandes s des sacrifices, ou simplement
« leur prière aient en face l'orient et la statue , qui paraîtra
« ainsi avoir le yeux fixés sur eux: c'est pourquoi les autels doi-
« vent toujours être tournés vers le levant. Si cependant la nature
« du lieu ne le permettait pas , il faudrait faire ensorte alors que,
" de ce temple, on découvrit la plus grande partie des édifices qui
" l'environnent; ou, s'il est situé sur le bord d'un fleuve comme
« ceux d'Egypte, qu'il regardât ce fleuve; ou enfin s'il est près
« d'une voie publique, que les passans puissent le voir et s'incliner
« devant sa façade (a) „.

(i) Nous avons dit que les temples carrés avaient généralement le
plafond en bois , car on ne peut pas nier qu'il n'y eût de ces temples
dont le plancher était voûté , comme l'était celui de Pailas à Athènes.
y. Winkelmann.
(2) Vitruv. Liv. IV. chap. V. Le Bar. Riedsel , en parlant du tem-
ple de la Concorde à Girgente dit , que la porte du sanctuaire est tournée
en effet vers le couchant ; mais que pour y entrer , il faut monter à la
colonnade par le côté opposé., et en faire le tour.
ELIGION
366
Architecture
R.
des
les klffét
divinités
■> parce que ces
Divinités se montrent aux mortels à découvert et brillans de
lumière
Dans ceux élevés à Vénus, à Flore, à Proserpine et aux
Nymphes
des fontaines, il recomande l'ordre Corinthien, comme le plus
gra-
cieux et le plus analogue aux charmes et à l'élégance de ces Divi-
nités. «Pour Junon , Diane, Bacchus et autres Déités, ajoute-t-il
« on prendra le milieu, en fesant mage dans la construction de
« leurs temple de l'ordre Ionique qui leur convient, en ce qu'il
« participe de la gravité du style Dorique, et de la grâce du
Division
des temples « Corinthien „. Le même auteur divise ensuite les temples selon
selon
leurs formes. leurs formes ou leurs figures. La première , qui est la plus simple
Temples et appelée Naàç èv Trapâaratriv par les Grecs, est celle des tem-
en parasiasin.
ples qui avaieut des pilastres à leurs angles, ou aux extrémités
des murs formant l'enceinte du sanctuaire , et qui avaient deux
colonnes entre ces pilastres. Leur frontispice ou tambour devait
être en hauteur le neuvième de toute sa largeur (i). La seconde
Prosuies.
forme était celle des temples appelés Prostiles (a), ils n'avaient de
colonnes que sur le devant , et tel était le temple Dorique de Gérés
Anfiprostiles.
à Eleusis. À la troisième appartenaient les temples Anfiprostiles
ou à double prostile , qui avaient devant et derrière le même nom-
bre de colonnes et le même frontispice ; à la quatrième les temples
Périptères. Périplères (3) , qui étasent entourés d'un portique formé de colonnes,
dont cinq sur le devant , et onze de chaque côté et assez éloignées
de l'édifice, pour qu'on pût se promener commodément sous le port i-
Dipières. qUe . £ ja cinqUième les Diptères , ou à deux rangs de colonnes sur
les ailes: ces colonnes étaient au nombre de huit sur chaque front,
et doubles le long des côtés du sanctuaire, Tel était le temple de
Diane à Ephèse , d'ordre Ionique. Cette forme était aussi à-peu-
Pseudodiptères. près celle des temples appelés Pseudodiptères , ou faux Diptères.
Ils avaient huit colonnes sur chaque front, et quinze sur les côtés,
y compris celles des angles: disposition qui, dans ce dernier sens,
semblait former un double rang de colonnes» C'est ainsi qu'était

(i) Cette forme est encore appelée par Vitruve in antis. Il parait
néanmoins qu'elle était plus particulière aux Romains qu'aux Grecs.
(2) De ftpo , avant , et çrvùoç , colonne.
(3) De vtepi , autour , et %%ef>ov , ala , c'est-à-dire ailé autour.
de la Grèce. 367
Je temple de Diane à Magnésie. Enfin on appelait Jpètres les tem- ipfetres.
pies qui avaient dix colonnes sur chacun des deux fronts , et dans
l'intérieur un double rang de ces mêmes colonnes posées les unes
sur les autres, et assez distantes du mur pour former une espèce
de portique. On donnait à ces temples le nom A'Ipètres (1), parce
des temples
qu'ils étaient sans toit. Après avoir traité des sept formes de temples, Espèces

qu'il nomme genres ou principes , Vitruve passe aux cinq espèces


de temples qui sont, dit-il; le Picnostile , ou à colonnes pressées;
le Sistyle où elles le sont moins; le Dlastyle où elles sont plus
éloignées; V Jréostyle où elles le sont encore davantage, et Y Eustyle Eustyle.

dont l'entre-colounement est d'une juste proportion (3) „. Vitruve


propose cette dernière espèce comme la meilleure. « L'entre-colon-
neroent doit y être, continuc-t-il , de la largeur de deux colonnes
et quart: celui du milieu, tant sur le front que sur le derrière,
doit seul avoir trois colonnes de largeur, pour en faciliter l'accès
et donner un aspect imposant à sa façade, ainsi qu'au peristile qui
règne autour du sanctuaire „. Après avoir ainsi déterminé la pro-
portion de P Eustyle ? ou de Pentre-colonnement moyen , on pourra
calculer aisément les dimension des autres espèces, dont la diversité
ne consistait que dans le plus ou le moins d'espace qui régnait entre
leur? entre-colonnemens.
L'extérieur des temples, et surtout le frontispice , était ordiuai- Frontispice.
rement décoré de statues, de bas-reliefs, et de toutes sortes d'or-
nemens d'architecture, qui représentaient les divinités ou leurs prin-
cipaux gestes (3). Sur celui d'un temple de Saturne, dont parle

(1) De STtairpaç , qui veut dire lieu découvert.


(2) La diversité des genres , selon Vitruve , résulte de celle des co-
lonnes et des pilastres dans leur position par rapport au temple : la di-
versité des espèces nait de celle des entre-colonnemens. Il est inutile
d'observer sans doute , que l'espèce se trouve toujours dans le genre , c'est-
à-dire que dans chaque genre il y a une proportion spéciale d'entre-colon-
nemens. Ainsi le temple Dyptère peut être Eupyle , Sistyle etc. On peut
voir dans l'édition de Vitruve par Galiani des exemples des genres et
des espèces. Nous croyons également inutile de donner l'étymologie des
mots dont se sert cet auteur , parce qu'il ne faut avoir qu'une légère
teinture du grec pour en comprendre le sens.
(3) On a beaucoup disputé sur l'origine des frontispices et sur le
véritable sens du mot aeroç , aigle , qui est le nom qu'on leur donne en
grec. Quelques-uns ont cru apercevoir dans la forme triangulaire du fron-
368 Religion
Macrobe, on voyait ries Tritons sonnant de la trompette marine.
La naissance de Pallas était représentée sur la façade antérieure du
temple que cette Déesse avait à Athènes , et sur celle de derrière
son fameux défi avec Neptune. Ces ouvrages étaient des artistes les
plus célèbres. Phidias avait fait les bas-reliefs du Parthénon ; et
les douze travaux d'Hercule retracés sur le frontispice du temple
de ce Dieu à Thébes , étaient un des chefs-d'œuvre de Praxitèle.
Les corniches des frontispices de forme aiguë, ou terminée en
Architrave. pointe , étaient, également décorés de fleurs, de feuillages et autres
petits ornemens. L'architrave avait aussi les siens propres, qui se
plaçaient ordinairement dans les métopes de la frise. Ou suspendait
quelquefois aux métopes les boucliers pris à l'ennemi (i); et c'est
de cet usage qui vint celui d'y représenter des boucliers en bas-
relief, usage qui subsiste encore dans l'ordre Dorique. Les exploits
de Thésée étaient sculptés sur les métopes de son temple à Athè-
nes. Des crânes de bœuf ou de bélier, ou des instrumens à l'usage
£CumpL des sacrifiées figuraient également dans les bas-reliefs. On montait
aux temples par des gradins , qui étaient ordinairement très-hauts.
Ceux qu'on voit encore autour de l'ancien temple de Girgente n'ont
guères moins de trois palmes Romains d'élévation , et il ne parait
pas que ceux du temple de Thésée leur soient, inférieurs. Ces gradins
étaient à la vérité incommodes quand il s'agissait de les monter;
mais comme les temples n'étaient pas assez grands pour contenir
la foule , ils servaient de station et de siège à ceux qui ne pouvaient
pas y entrer (2).

tispîce l'image d'une aigle ayant les ailes déployées. Winkelmann est d'avis
que dans les commencemens on aura placé un aigle sur le frontispice des
temples , parce qu'ils étaient tous consacrés à Jupiter , et que c'est de là
qu'est venue la dénomination que leur ont donnée les Grecs. Béger parait
être de ce sentiment.
(1) Pausanias raconte qu'on voyait suspendus dans le temple d'Apol-
lon à Delphes deux boucliers d'or , faits [avec les dépouilles qu'on avait
prises aux Perses après la bataille de Marathon.
(2) L'usage de ces gradins , par où l'on montait aux temples tant sa-
crés que profanes, était très-commun chez les anciens. On voit sur la Ta-
ble iliaque la mère et les sœurs d'Hector assises et pleurant sur les gra-
dins dont est entouré le sépulcre du héros. Pausanias rapporte que le
palais , où s'assemblaient les députés de la Phocide près de Delph es , avait;
des gradins qui servaient de sièges.
de là Grèce. 36g
Intérieur
L'intérieur de ces temples était généralement divisé en deux des temples.
parties. La première était la celle c'est-à-dire le sanctuaire l'ha-
bitation du Dieu, ou le temple proprement dit, qui s'appelait
vaoç, et où se trouvaient le simulacre et l'autel de la Divinité à
laquelle le temple était consacré; la seconde était le Pronaos ou
vestibule , c'est-à-dire la partie antérieure du temple , avant d'en-
trer dans le sanctuaire où l'on plaçait quelquefois l'autel et le si-
mulacre de la divinité, surtout quand il s'agissait de faire des sa-
crifices en présence du peuple. Quelques-uns de ces temples avaient
deux vestibules l'un à la partie antérieure, et l'autre à la partie
postérieure, et ce dernier est ce que les Latins appelaient Posticum.
Dans le Pronaos était un vase en marbre ou de bronze rempli
d'eau lustrale , dont on aspergeait ceux qui étaient admis aux sa-
crifices età la célébration des rites. Quelquel-uns de ces temples
n'avaient que le sanctuaire absolument nu : dans d'autres cet édi-
Pleroma.
fice était entouré d'une colonnade appelée pteroma , qui veut dire
en quelque sorte forme d'ailes, et cette colonnade était simple,
ou double ou même faux double , de la manière que nous avons
dit qu'elle était usitée dans la construction de certains temples.
Il y avait dans d'autres , entre le sanctuaire et le posticum un
lieu clos , appelé opisthoclome , où l'on conservait les offrandes du Opisihodomo.
peuple, et quelquefois le trésor de la ville ou de l'état. On don-
nait ce nom au trésor public d'Athènes , précisément parce qu'il Peintures
était derrière le sanctuaire du temple de Minerve. Le mur du pro- du Pronaos.
naos à l'entrée du temple était souvent orné de peintures : celles
qui décoraient le temple de Pallas à Platée représentaient Ulysse
vainqueur des Procis. Ces temples étaient quelquefois au milieu d'une
enceinte sacrée, qu'on appelait. kpov , mot dont on se servait aussi
pour désigner un édifice sacré. Hérodote distingue en plusieurs en-
En ec in te
droits cette enceinte du temple qui y était renfermé. Cet espace sacrée.
était entouré de murs et comprenait des cours, un bocage, des fon-
taines ,souvent même les habitations des prêtres , et enfin le tem-
ple. Pausanias rapporte que dans l'enceinte sacrée du temple d'Es-
cuîape à Epidaure , il y avait un théâtre qui l'emportait sur tous
ceux de la Grèce et de Rome par la beauté de ses proportions (i).
Omemens
L'intérieur des temples était orné de tableaux et de peintures intérieurs.
plus grands maîtres : on y voyait des statues en or 5 en ivoire et des en
47

(0 V. l'Hérodote de Larcher. T. ï. pag. 489.


Europe, fol. I.
%7° Religion
ébène qui représentaient des Divinités , des Héros et quelques grands
personnages; et la piété des peuples les enrichissait de dons pré-
cieux, et de vœux de toute espèce. Les Grecs les avaient tellement
Vénération
en vénération, qu'au dire d'Arrien , ils n'osaient y cracher ni s'y
les temples, moucher. Dion nous apprend qu'ils y entraient quelquefois les ge-
noux plies. Dans les tems de calamité publique les femmes se pros-
ternaient souvent sur le pavé, et le balayaient avec leurs cheveux.
Les temples étaient un asile sacré , d'où il n'était pas permis de
po
desiVomhre tirer même
temples par
l force ceux qui
A •s'yJétaient réfugiés.
O Le nombre
infini. en était infini. « Si l'on considère , dit Caylus , que Pausanias
n'a pas parcouru toutes les villes de la Grèce , et si aux beaux
restes de sculpture dont il fait mention , on ajoute les sept cent
treize temples qu'il a vus, sans compter les autels, les chapel-
les, les trésors des provinces, les portiques, les trophées, les tom-
beaux ,les rotondes et tous les monumens répandus à profusion dans
les villes et les bourgs, on aura de la peine à croire que l'époque
à laquelle il fit ses voyages ait été précédée de trois siècles, pen-
dant lesquels les Romains ne firent que ravager et dépouiller ce
beau pays de tout ce qu'il avait de plus précieux (i) „.
Temple Après ces observations sur l'origine, la forme et la distribution
'olympien, des temples de la Grèce, nous allons parler de la restauration du
plus fameux, qui était celui du Jupiter Olympien : chose que nous
croyons d'autant plus à propos, que nous avons déjà donné la des-
cription de la statue colossale qu'on admirait dans ce temple. Dans
cette vue nous commencerons par exposer ici celle que nous en a
Ses dimensions, laissée Pausanias (a)." Ce temple, dit-il, est d'ordre Dorique; il
« est entouré de colonnes , et bâti en pierres du pays. Sa hauteur
" jusqu'au frontispice est de 63 pieds ; il en a q5 de largeur , et
« a3o de longueur. Libon d'EIée en fut l'architecte. Il n'est point
" couvert en tuiles, mais en pierres du mont Penthélique de la
« même forme. On dit que l'invention de cette espèce de toit est
" due à Bizé de Naxos A chaque extrémité du fronton
« est un grand vase en bronze doré ayant la forme d'un pot , et
« au milieu du frontispice s'élève une Victoire aussi dorée. Il y
" a au dessous de cette statue un bouclier en or , sur lequel est re-
« présentée une tète de Méduse. Ce bouclier porte une inscription ,

(1) Caylus, Rec. d'antiq, T. IL pag. 108.


(2) Paus. Lib. V, Cap. &,
de la Grèce. 3<j ï

a où sont indiqués les noms de ceux qui l'ont donné en offrande ,


« et le motif de ce don La bande qui passe sur le cou-
« tour des colonnes soutient vingt-un autres boucliers dorés, qui
« y furent suspendus par Muromius Général Romain , après qu'il
« eut terminé la guerre contre les Achéens , pris Corinthe et chas-
« se de cette ville ceux de ses habitans qui étaient de la faction Do-
« rienne. Le fronton du devant présente l'image des préparatifs de Fronton
« la lutte entre Pélops et Enomaùs pour la course des chars. Le milieu du devant.

« du lympan est surmonté de la statue de Jupiter. A la droite de


« cette statue est Enomaùs le casque en tête , et près de lui Sté-
« rope son épouse, une des filles d'Atlas: Myrtile , cocher d'E-
té nomaùs, est assis sur le devant du char qui a quatre chevaux : près
« de lui on voit deux hommes dont on ignore les noms, mais qui
« semblent mis là par Enomaùs, pour la garde des chevaux et du
« char. On distingue vers l'extrémité le Cladée , fleuve qui était le
« plus révéré des Eliens après l'Alcée. Les figures à la gauche de-
« Jupiter sont d'abord Pélops , Hyppodamie et le cocher de Pé-
" lops, ensuite ses chevaux, et deux hommes préposés à leur gar-
« de. Ici le frontispice va en se rétrécissant , et dans cet espace
« est représenté le fleuve Alcée. A Trezène , on donnait le nom
« de Sferos au cocher de Pélops , mais l'Essagète d'Olympie l'ap-
» pelle Cilla. Le frontispice que nous venons de décrire est l'ou-
" vrage de Péon né à Menda ville de la Thrace. Celui de la Fronton

» façade de derrière a été fait par xAlcamène, contemporain de de derrière.

« Phidias, et après lui le plus grand statuaire de la Grèce. Cet


« artiste y avait représenté le combat des Centaures et des Lapitbes
« aux noces de Pirithoùs. Le héros est au milieu du tableau. Près
« de lui sont, d'un côté Eurytbion , qui lui enleva son épouse, avec
« Gênée qui se bat contre le ravisseur; et de l'autre Thésée qui
« frappe les Centaures à coups de hache. On voit un de ces der-
« niers enlevant une jeune fille , et un autre qui s'est saisi d'un
« beau jeune homme. Je crois qu'Alcamène est l'auteur de cet ou-
« vrage: car il avait appris dans les œuvres d'Homère, que Piri-
« thoùs était fils de Jupiter , et que Thésée était is-u de Pélops
" au quatrième degré. Plusieurs des travaux d'Hercule sont également
« retracés dans le temple d'Olympie. On voit dans un bas-relief Portes,

« qui est au dessus d'une des portes la chasse du sanglier d'Arca-


« die , ainsi que les combats d'Hercule contre Dïomède Roi de Thra-
» ce , et contre Gérion dans File d'Erythée ; le héros y est aussi
373 Religion
« représenté remplaçant Atlas sous le poids du ciel, et nettoyant le
« pays des Eléens de la fange dont il était couvert. Le bas-relief
« qui était au dessus de la porte de l'oplsthodome montrait Hercule
" arrachant à une Amazone son bouclier , enlevant la biche de
« Diane , renversant le taureau de Gnosse , tuant à coups de flè-
« ches les oiseaux Stynphalides, assommant l'hydre et terrassant le
« lion de Némée. En entrant dans le temple par les portes de bron-
" ze, on voit à droite, et vis-à-vis une colonne, Tphitus couronné
" par son épouse Eucbirias, comme l'indiquent les vers élégiaques
Naos. a qu'on lit au bas de ce monument. L'intérieur du naos est décoré
<i de colonnes et de portiques qui vont jusqu'au sommet , et sous
« lesquels il faut passer pour arriver à la statue de Jupiter. Il y
« a aussi un escalier en limaçon qui conduit jusqu'au haut du tem-
« pie »,. Ainsi cet édifice devait être de l'espèce de ceux que VU
truve désigne sous le nom de Périptère Eustyle.
Plan
du temple La fig. n.° 1 de la planche 57 offre la plan de ce temple.
M.r Quatremère observe qu'à en juger d'après la description qu'en
a faite Pausanias , le plan ou le dessin , à quelques petites différences
près, était le même que celui du Parthénou à Athènes (1). L'inté-

(1) « Les colonnes et les portiques intérieurs (dit M.r Quatremère y


Jupiter etc. pag 25o, ) qui décoraient le temple d'Olympie , sont si con-
formes àce que présentait l'intérieur du Parthénon , où Spon et Weler
ont encore vu ces portiques , et où Stuard a remarqué la place des co-
lon es ,qu'on peut , sans crainte de se tromper , rétablir comme nous
l'avons fait le plan intérieur sur celui de Minerve à Athènes ».
La distribution et les proportions du temple de Jupiter Olympien,
étaient à-peu-prés- les mêmes que celles du Parthénon à ce que nous as-
sure M.r Quatremère , et pourtant les dessins qu'il nous en donne ne
s'accordent nullement avec cette opinion. Libon , qui avait été l'architecte
de ce temple , était antérieur de fort-peu de tems à Périr lis , c'est-à-dire
à l'époque de la belle architecture Grecque , et de la construction du Par-
thénon par Ictinus et Callicrate. Les Grecs , comme on le voit par les
restes de ce temple et autres monumens , ne donnèrent jamais plus du
tiers de la colonne à la corniche de l'ordre dorique : les métopes à
l'endroit des triglyphes étaient carrées, à l'exception de celles qui étaient
sur les angles dans les parties latérales : l'espace qui séparait les colonnes
et les entre-colonnemens fut conservé : les colonnes des angles y étaient
plus grosses que les autres , et les entre-colonnemens plus rapprochés sur
ces mêmes angles: ce qui donnait à l'édifice plus de solidité. Voyons
maintenant combien M.r Quatremère s'est écarté de ce système. Il donna
D TT, LA OrÈOE. 3^3

rieur du temple d'OIympie était par conséquent divisé en deux parties,


savoir; l'opisthodome , qui devait avoir environ 60 pieds sur 40 (j)j
et le naos composé de deux rangs de colonnes à double étage , qui
formaient tout autour deux portiques , l'un en bas et l'autre en haut.
Le naos , selon le même auteur, avait environ ç5 pieds de long dans
l'intérieur, et il y en avait un peu plus de 60 entre ses colonnes. Sa
largeur d'un mur à l'autre était à peu près de 60 pieds, et l'espace
compris entre les colonnes de 2.0 à 34 pieds (2). C'est dans cet empla-
cement crue devait se trouver le trône de Jupiter. Voici maintenant indication
. , , > l des parties,
l'indication de chacune de ses parties; n.° 1 , Colonnade du pteroma ,
ou des ailes: 2,, Portique extérieur: 3, Escalier pour monter au
sommet: 4* Colonnade intérieure du naos: 5, Portique intérieur
du naos : 6, Plan du trône: 7, Enceinte de la balustrade du
trône: 8, Opisthodome: 9, Pronaos: 10 Postïcum ou pronaos
de derrière. Les figures sous le n.° 2, de la même planche repré- rue du temple
sentent lte temple vu en face^et de profil avec son toit. On aperçoit et de profil.
au sommet l'ouverture par où la lumière pénétrait dans l'intérieur :
car il n'est pas à présumer qu'un édifice aussi vaste, où se trou-
vaient tant de monumens précieux , et qui était le plus grand
ouvrage de Phidias , ne fût éclairé que par des lampes. Qu'on Cammm
éclairé.
n'apporte point pour preuve du contraire, que les temples car-
rés des Romains ne recevaient de jour que par la porte , car il
s'en fallait de beaucoup qu'ils fussent aussi longs que ceux des
Grecs , et l'ouverture de la porte suffisait seule pour les éclai-

à la corniche de son temple les deux cinquièmes de la colonne , et aux


métopes le quart et d^mi de la largeur ; et pour rendre ces dernières éga-
les entre elles , il place les triglyphes où bon lui semble : ses colonnes
sont toutes égales , et le même espace régne entre ses entre-colonnemens 3
excepté que celui du milieu est plus large , ce qui n'a jamais eu lieu
chez les Grecs , et n'est soutenable en aucune manière. Le désir de ne
pas nous écarter de la belle architecture Grecque , et en même tems de
nous conformer , autant qu'il est possible , à la description et aux dessins
de M.r Quatremére , nous a fait rectifier dans les figures que nous pré-
sentons ,ce qui nous a paru contraire au bon goût de cette architecture.
(i) Pieds de Paris. Le pied Grec était de onze pouces et quatre li-
gnes et demies.
(2) Dans cette dimension , qu'établit M.r Quatremére , on a supposé
que le temple d'OIympie était de quatre pieds moins grand que le Par.
îbénon.
3y4 Religion
rer ([). Properce compare la clarté du temple d'Olympie à celle
des cienx , Jovis Elaei Coelum imitata domus. Or , comment aurait-
on pu donner tant de jour à cet édifice, s'il ne l'avait reçu que
parla porte? Quelques écrivains ont dit, pour résoudre cette diffi-
culté , que le temple d'Olympie était de l'espèce que Vitruve ap-
pelle ipètre , et que par conséquent il devait être sans toit ; d'où
ils ont encore inféré, que tels étaient tous les temples qui avaient
deux rangs de colonnes dans l'intérieur. lis ont même prétendu
trouver un argument en faveur de leur opinion dans ce passade de
Vitruve même, où il est dit, qu^ la partie du milieu du temple
était sans toit et tout-à-fait à découvert, médium, sub d'wo et sine
teclo. Mais cette hypothèse donne lieu à une difficulté encore plus
grande que la première: c'e^t qu'ils n'est guères vraisemblable qu'un
édifice aussi magnifique, dont l'intérieur était composé de matières
précieuses, et orné de peintures délicates, fût ainsi exposé aux
Hypoièse
de intempéries
ùLuart. l de l'atmosphère.
L Cette difficulté n'est '
point échapée
' en
effet au célèbre Stuart , qui pour s'en tenir littéralement aux paro-
les de Vitruve, et remédier en même tems à cet inconvénient,
a imaginé que l'intérieur de ce temple , ainsi que celui du Par-
thénon , était recouvert d'un voile riche , ou d'un pavillon qui
s'étendait sur l'ouverture: cet écrivain croit pouvoir appuyer son
opinion du témoignage de certains auteurs , au dire desquels le sanc-
tuaire du temple d'Athènes aurait été recouvert d'un ample et ri-
che peplos , et celui d'Olympie du parapetasma , qui était aussi
une espèce de tente ou de pavillon. Maïs le parapetasma ainsi
que toutes les couvertures de ce genre étaient tendus verticale-
ment, parce qu'ils avaient pour objet de cacher eu certaines cir-
constances l'aspect des idoles et du sanctuaire : ce qui fait dire à
Pausanias que, dans le ttmple d'Olympie, on les abaissait jusques sur
le pavé, tandis que dans celui d'Ephèse ils étaient levés jusqu'au
plafond (a). Il résulte au contraire de ce passage de Pausanias que

(i) Les temples des Romains peuvent passer pour de grands édifi-
ces ,à ne considérer que leur masse extérieure ; mais ils deviennent bien
petits en comparaison de ceux des Grecs , lorsqu'on en juge par l'étendue
de leur intérieur. Le temple d'vlssise a le péristile le plus grand après
celui du Panthéon ; mais l'intérieur du sanctuaire n'a que 40 pieds de lar-
geur ,et pouvait par conséquent être suffisamment éclairé par la porte.
Antolini Temple d'Assise.
(2) Paus. Liv. V. Ghap. XII.
DE la- Grec e. 375

le temple d'Ephèse, qui était ipètre , avait un plafond , et Pline


parle en effet du bois dont ce plafond était fait (1) : d'où l'on
doit conclure que les temples désigués par Vitruve sous la dénomi-
nation d'ipètre , n'étaient pas tous sans toit ou entièrement à dé- Plafond
couvert. Outre ces conjectures , qui suffiraient seules pour démontrer du et temple
toit
d'OIympie.

que le temple d'OIympie n'était pas sans couverture , on a des ar-


gumens positifs qui prouvent que cet édifice avait effectivement un
plafond et un toit. Strabon , en parlant du colosse auquel le tem-
ple était dédié , dit que le Dieu , quoiqu'assis , paraissait toucher le
plafond avec sa tête; et il ajoute un peu plus bas que, s'il s'était
levé j il aurait enfoncé la couverture. Il semblerait donc , d'après ce
passage de Strabon , que la partie du temple où était placée l'idole
avait d'abord un toit , puis un plafond recourbé ou arqué , parce
qu'il n'aurait point écrit r» *tpv$î r?r h°èy;-, qui veut dire jusqu'au
sommet du plafond , si ce plafond avait été tout-à- fait plat. Le mot
sommet indique de sa nature le point le plus élevé d'un arc ou d'une
courbe. Pausanias assure même que le temple d'OIympie avait un
toit ou couverture en marbres penthéliques taillés en forme de tui-
les. Or comment concilier le témoignage de Strabon et de Pausa-
nias avec ces mots de Vitruve, médium sub divo et sine tecto? On Ouverture
ou fenêtre
verticale
ne le peut certainement qu'en supposant , qu'au milieu du plafond, dans le plafond
il y avait une grande ouverture, qui correspondait à une sembla- et dans le toit-

ble pratiquée dans le toit. Vitruve ne dit pas en effet tout l'inté-
rieur ,mais seulement le médium, le milieu', ce qui donne à croire
que la partie du milieu était seule à découvert. Gette supposition
devient d'autant plus probable, que les temples qui avaient deux
rangs de portiques dans l'intérieur, étaient plus propres à suppor-
ter un plafond eu bois, qu'une voûte en pierre, surtout si l'on ré-
fléchit au talent particulier qu'avaient les anciens pour les ouvrages
en bois, et la construction de plafonds mobiles, dont les pièces
étaient jointes ensemble avec un art infini , et pouvaient se sépa-
rer à volonté. Il ne serait donc pas hors de vraisemblance , qu'avec
un pareil moyen , les Grecs fussent parvenus à pratiquer au sommet
de leurs temples les plus grands, des espèces de fenêtres verticales,
qui pouvaient s'ouvrir et se fermer selon que le besoin l'exigeait (a).

(1) Plin. Liv. LXVI. Chap. XL.


(2) Quatremère , endr. cit. et Mém. de l'Institut , Classe d'hisb. et de
Ubtêrab anc. T. III. De la manière donb ébaienb éclairés les bemples,
des anciens.
376 R E L I C I 0 îf
Tout ceci est confirmé par un exemple que M.r Quatremère em-
Temple
de Cérès prunte d'un édifice, dont ïa construction date de la même époque
à Eleusis. que celle du temple d'Olympie. « Je parle, dit-il, du temple de
« Gérés à Eleusis, commencé par Ictinus, continué par Cérèbe et
« Métagène , et dans le comble duquel Xénocle pratiqua les fenê-
« très. Le premier de ces artistes , selon Vitruve , avait seulement
« fait le sanctuaire, immani magnitudine. Le second, au dire de
«■ Plutarque y avait construit le premier rang de colonnes , et le troi-
« sième le second rang Voilà par conséquent un temple,
« qui étant intérieurement à deux rangs de colonnes , et ayant ,
« selon l'opinion commune, un des principaux caractères que Vi-
« truve nomme ipètre , aurait dû, d'après le sentiment des eriti-
« ques modernes, être à découvert et sans toit dans son intérieur.
" Or ce temple qui , selon la première opinion .... n'aurait reçu
« la lumière que par la porte, et, selon la seconde, aurait dû
« avoir l'intérieur de son naos tout à découvert, ce temple, dis-je, ne
« satisfait à aucune des deux hypotèses. Plutarque dit positivement que
« Xénocle pratiqua un œil ou une ouverture au comble .... fo-
" ramen in fastigio aclyti extruxit. Le verbe xopvfioo indique ici 3
« non seulement le lieu élevé qu'occupait Vopolon ( le trou ou Fou-
« verture), mais encore il en rend sensible la construction. Le
« mot xopvqHi signifie sommité : ainsi donc fastigiare foramen si-
« gnifie pratiquer une ouverture à la sommité ou au comble. Ce
« seul exemple est d'une autorité suffisante pour nous faire croire,
« que les anciens savaient pratiquer des fenêtres dans les combles,
« et pour en supposer l'existence là où il semble qu'elles étaient
« indispensables „. Nos lecteurs ne seront pas fâchés que nous
nous soyons un peu arrêtés sur une recherche qui intéresse une des
parties les plus importantes du costume Grec , et peut répandre un
grand jour sur la construction des anciens temples. L'ouverture dont
nous venons de parler est encore indiquée à la planche 5o , qui
représente l'intérieur du temple. On y voit en outre les colonnes
à double rang , le plafond cintré, et le parapetasma ou tente , qui
dérobait le sanctuaire à la vue des profanes.
Prcmaos
de devant
Le n.° 1 de la planche 58 offre le plan du pronaos de devant
du temple
& 01 fin pie. du temple d'Olympie, avec la restauration de son frontispice sur
lequel sont représentés les préparatifs pour la course dont parle
Pausanias dans le texte que nous venons de rapporter. Les boucliers
de Mummius sont retracés sur l'architrave. Quoique Pausanias ne
de la Grèce. 3^
nous ait point indiqué dans sa description le nombre des colonnes,
qui décoraient les façades et les côtés de ce temple , néanmoins ,
sur l'observation qu'il fait que son architecture était d'ordre Dori-
que, et d'après les dimensions exactes qu'il donne de sa longueur, de
sa largeur et de sa hauteur s on peut assurer sans crainte de se
tromper, qu'il était octostyle 3 c'est-à-dire qu'il avait huit colonues
sur chacun de ses fronts. On voit au n.° a le posticum ou pronaos Postiau».
de derrière , dont la coupe est présentée de manière à laisser voir la
partie qui est au dessous du péristîte. Au milieu est indiquée la
porte de Vopisthodome , sur laquelle , comme sur celle du naos ,
d'après la description de Pausanias, étaient représentés les travaux
d'Hercule. Le combat des Centaures et des Lapithes était retracé
sur le frontispice , et l'ouvrage de Polyclète.
Après cette dissertation sur la structure des temples de la Grè- jiaeis
ce , il nous reste à parler des autels , et des ustensiles sacrés ; et et ZTJs!"
comme ces objets ne présentent que fort-peu de différences avec
ceux des Romains, nous n'en donnerons ici que des notions très-suc-
cinctes (i). Les autels variaient dans leur forme , car on en voit
dans les monumens de triangulaires, d'ovales, de ronds et de car-
rés : ces deux dernières formes surtout sont les plus communes sur
les médailles et les marbres antiques. Il est certain néanmoins, que Leur forme
ces autels , dont l'extrémité supérieure arrivait ordinairement un etdmeusi0n'
peu au dessus de la ceinture de celui qui y fesait le sacrifice, dif-
féraient enhauteur, selon le rang des divinités auxquelles ils étaient
consacrés (a). Ceux des Divinités célestes étaient extrêmement éle-
vés. Celui de Jupiter Olympien , au dire de Pausanias , avait vingt-

(i) Le mot Autel chez les Romains indiquait un lieu un peu ex-
haussé de terre , et sur lequel on immolait aux Dieux supérieurs : motif
pour lequel on l'appelait altare , du mot hauteur , altitudine. On appe-
lait Arae , les autels moins élevés , sur lesquels on sacrifiait générale-
ment aux Divinités terrestres Varron ( cité par Servius sur l'Ecl. V. )
donne superis altaria , terrestribus aras , inferis focos. Mais ces mots se
trouvent néanmoins employés souvent dans le même sens. Les Grecs ap-
pelaient les autels B&^ioi , sans aucune distinction.
(2) V. Sauhrt , De sacrif. Gap. XV. La hauteur commune des au-
tels était de deux à trois pieds Grecs. Nicomaque de Gérase dit , que les
autels les plus anciens , et surtout les ioniques , étaient plus hauts que
larges; et que la dimension de leur base n était pas la même que celle
de leur corniche ou de leur sommité.
Europe. Fol. I, tu
BjS Religion
deux pieds de hauteur. Ces autels devaient par conséquent être en-
tourés de gradins. Ceux des Divinités terrestres étaient moins hauts:
Vitruve veut même que ceux de Vesta , de la Terre et de Mer la
soient très-bas. Les autels consacrés aux Héros s'élevaient à peine
au dessus du sol, et n'avaient, selon le Scholiaste d'Euripide, qu'un
seul gradin. Les Divinités souterraines ou infernales avaient pour
autels certaines fosses, dans lesquelles on fesait couler le sang des
victimes. Porphire ajoute, qu'à l'Univers, aux Nymphes et autres
Divinités de ce genre, on sacrifiait dans des antres, qui leur te-
naient lieu de temples et d'autels. Selon les préceptes de Vitruve ,
les autels devaient être tournés vers l'orient, et toujours moins hauts
que les idoles. Lorsque le moment du sacrifice était arrivé , on
ouvrait la porte du naos , pour que le peuple pût voir l'autel et
la victime : car il n'y avait que les prêtres et les premiers ma-
Leur madère. gistrats qui pussent entrer dans le sanctuaire. Dans les tems recu-
lés, les autels consistaient en un monceau de terre, ou étaient
faits de gazon, simplicité dont les poètes font souvent l'éloge. Ces
sortes d'autels s'élevaient sous des arbres consacrés à la Divinité à
laquelle ils étaient dédiés, ou bien on les parait du feuillage de
ces arbres. A la terre dont ils étaient construits on substitua des
pierres, des briques, des marbres et enfin les métaux les plus
précieux. Il y avait d'autres autels qui étaient faits de la cendre
des holocaustes, tel que celui de Jupiter Olympien dont nous avons
parlé plus haut: l'autel d'Apollon à Délos était en cornes, et ce
Dieu passait pour avoir fait cet ouvrage merveilleux avec les cornes
des chèvres sauvages , que Diane sa .sœur avait tuées sur le mont
Cornes
des autels. Cynîhius. Anciennement les autels carrés avaient aussi des orne-
mens en corne; mais bientôt le luxe succédant à la simplicité 3 on
substitua aux cornes véritables des figures de cornes faites de mé-
taux précieux. Ces ornemens servaient à plusieurs usages; on y
attachait les victimes , et l'on y suspendait les instrumens sacrés ,
les couronnes votives et autres objets semblables : les dévots qui avaient
le plus de ferveur les embrassaient même des deux mains, lorsqu'il
Deux espèces
leur était permis d'en approcher pour faire leurs prières.
délite/s, Il y a aussi deux espèces d'autels à distinguer, quant à leur usage
et à leur objet, Les premiers s'appelaient 'ûnvpoi , apuroi, c'est-à-
dire sans feu , et on n'y fesait jamais de sacrifices avec le feu
ou effusion de sang. Tel était celui que Cécrops avait élevé dans
FAttique à Jupiter P et sur lequel on ne fesait que des offrandes
de la Grèce. 379
de gâteaux , ce législateur ayant défendu , au rapport de Pausanias,
qu'on y sacrifiât aucun être vivant; et tel était encore un autre
autel qu'on voyait à Délos près de celui de cornes dont nous venons
déparier, et qui, selon Laerce , reçut l'offrande de Pithagore , aux
yeux duquel le sacrifice d'un animal quelconque était un crimes
Les autels de la seconde espèce s'appelaient 'fampet 5 c'est-à-dire
ardens: on y brûlait les victimes, qui, pour cette raison portaient
le nom de èV^*,
La consécration des autels , ainsi que des idoles et des temples àlTtmu?
se fesait solennellement. La plus ancienne cérémonie de ce genre des aulels ete'
consistait en une offrande d'une marmite pleine de légumes bouillis.
Une femme habillée de diverses couleurs portait cette marmite sur
sa tète. Cette offrande passait pour être très-agréable aux Dieux ,
parce qu'elle se fesait en mémoire de ce qu'ils s'étaient nourris eux-
mème de ces alimens sur la terre (1). Mais il s'introduisit peu-à-peu
dans la célébration de ces cérémonies de nouveaux usages, qui va-
riaient selon la nature des Divinités. En parlant de la consécration
d'une idole de Jupiter, Athénée raporte, qu'on s'y servait d'un vase
neuf et à deux anses, à l'une desquelles était attachée une petite
couronne de laine blanche, et à l'autre un ornement semblable en
laine jaune; que dans la suite on couvrit ce vase, et qu'enfin on
répandit devant l'idole une libation appelée ambroisie, qui était un
mélange d'eau , de miel et de toutes sortes de fruits. Cependant l'usage
le plus général dans ces consécrations, était de les accompagner de
prières et de sacrifices, d'orner de couronnes les statues et les autels ,
de les oindre d'huile, d'y apposer le nom de la Divinité à laquelle
ils étaient dédiés, d'y joindre quelquefois des imprécations terribles
aux Dieux de l'Averne contre ceux qui auraient osé les profaner, et
enfin de les célébrer par des banquets et des fêtes magnifiques. La
consécration des arbres se fesait d'une manière à-peu-près sembla-
ble : ce dont nous avons un exemple remarquable dans la XVIII.6
Idylle de Théocrite , où les vierges de Sparte promettent de consa-
crer un arbre en l'honneur d'Hélène : « C'est nous qui les premières,
« pliant en couronnes la fleur du lotos, irons la suspendre sous l'om-
« bre du platane: c'est nous qui les premières, portant dans un
« vase d'argent , des essences parfumées , les verserons goutte à goût»
« te, sous l'ombre du platane: et sur l'écorce , ( afin que les voya-

(1) Aristopîi. Scholiast. Pluto Act. V..Scen. III.


38o Religion

Autels « geurs le lisent ) nous écrirons en langue Dorienne : Respectez-moi ,


portatifs.
« je suis L'arbre d'Hélène „. Les Grecs se servaient aussi d'autels por-
tatifs, qui étaient pour la plupart en bois ou en métal. On les pla-
çait sous \e pronaos, lorsqu'il s'agissait de faire quelque sacrifice en
présence du peuple, ou bien on les transportait partout où l'exi-
geaient lebesoin public et l'accomplissement des rites de la reli-
gion ; et comme les actes les plus important de la vie civile étaient
presque toujours précédés de cérémonies religieuses, il y avait sur
les vaisseaux, ainsi que dans les maisons particulières, de ces autels,
et même de petits temples destinés à cet usage. Dans une des pein-
tures des vases de Mil lin représentant un combat des Amazones avec
les Grecs, on voit près de l'image de Diane un petit temple d'une
forme semblable à celui d'Ephèse, et avec un mancbe de figure
presque circulaire au dessus du toit : ce qui dénote clairement
Autel. qu'il y avait là un temple portatif de représenté.
Deux raisons nous ont déterminé à ne donner à la planche 5o,
les dessins que de six sortes d'autels différens; la première, c'est qu'il
n'y a aucune différence entre ceux des Grecs et des Romains ; et
la seconde , parce que nous nous proposons d'en rapporter d'autres
exemples dans les articles suivans. Le n.° i représente un autel
carré, copié d'après un vase en terre cuite de la Bibliothèque du
Vatican, et rapporté aussi par Winckelmann. Ce qu'il y a déplus
remarquable dans cet autel est le trou pratiqué dans le tympan,
feTnL'uons Par °" sortaient les liqueurs employées aux libations. « Cette par-
ei les offrandes a ticularité, dit Winckelmann, n'a pas encore été observée, et
« ne se trouve point dans le petit nombre d'autels à l'usage de sa-
<i crifice qui sont parvenus jusqu'à nous: je dis petit nombre, parce.
« que la plupart de ceux qu'on regarde comme tels ne sont que
« des cippes sépulcraux : ainsi on ne me fera point un reproche
a d'avoir proposé un monument, qui nous apprend comment s'écou'
« laient de dessus les autels les libations dont on les arrosait (i) ».

(i) Winkeïm. Monum. ant. n.° 181. Cet auteur observe que « Mont-
faucon , en rapportant deu* autres yases en terre cuite , a pris les rigoles
des autels qui y sont représentés , dans l'un pour une flèche , et dans
l'autre pour un cordon tendu par un anneau » ; et il ajoute un peu
plus bas que, «d'après ce que dit Nicomaque de Gèrase , savoir, que
les autels les plus antiques , et surtout les ioniques n'avaient pas au-
tant de largeur que de hauteur , ni la base égale à la corniche , comme
dans l'autel dont il s'agit , on ne peut pas croire que ce vase soit d'une
de la Grèce. 38 i

Le n.° a est un autel , sur lequel on voit une offrande de fruits. Le


n.° 3 est un autel jamais-ensanglanté de l'espèce de ceux, sur lequels AuteL
on' brûlait les victimes, comme l'annonce la flamme qui brûle dessus:
ces deux autels sont pris des Lampes antiques de Passeri. Le n.° 4
est un autel rond d'une très-belle forme; il a été rapporté par Autel rond,
M.r Choiseuil-Gouffier, qui en fit la découverte à l'île de Santorin
dans une cbapelle de Saint Etienne, bâtie parmi les ruines de Tera,
ville jadis florissante, et qui n'est plus aujourd'hui qu'un misérable
village (1). Nous le représentons ici avec les dimensions, que cet il-
lustre voyageur lui donne dans son ouvrage. Le n.° 5 est un autel
sur lequel on voit la victime qui est déjà immolée. Cet autel appar- Autel
tient au Musée du Vatican , et a aussi été rapporté par Roccheggiani.
Le n.° 6 enfin est un autel rond et décoré de belles figures en bas-
rilief. Cet autel mérite d'être particulièrement remarqué, parce qu'il wee feuslfanaux
laisse voir les, _ canaux , où l'on Jposait la il
poêle pour la consomma- pJmrsacrifices,
des la ]}fle
tion des sacrifices ; il a été découvert dans les fouilles de la maison
de plaisance Panfili , et rapporté par Roccheggiani comme le pré-
cédent. Il y a encore ici trois choses à observer; la première s c'est
que la hauteur des autels ronds devait être de deux diamètres et
demi environ de leur grosseur (2); la seconde, que ces autels étaient
quelquefois ornés de rubans ou de bandelettes de laine de diverses
couleurs; la troisième, que les bases des candélabres détachées du
fût, ont été prises souvent pour des autels triangulaires , non seule-
ment par les artistes , mais encore par des antiquaires même : ce
à quoi doivent faire bien attention ceux qui étudient le costume
Grec , pour ne pas tomber dans l'erreur.
Nous ne dirons également que peu de chose des instrumens et instrument
et ustensiles
des ustensiles sacrés, parce qu'on les trouvera représentés dans les plan- sacrés.
ches que nous publierons successivement sur tout ce qui concerne

antiquité aussi reculée , et moins encore conclure avec Saumaise , que les
autels étaient pour l'ordinaire de forme carrée ou cubique , puisque l'évi-
dence prouve le contraire.
(.) Voy: en Grèce, T. I. pag. 37. «Au fond de la chapelle, dit
l'auteur, est un autel orné de têtes de cerf et de guirlandes , à côté d'une
belle statue de femme ». Il n'y a rien qui y annonce le Christianisme , ex-
cepté une petite image enfumée de la Vierge, que les Grecs ont placée
dans ce lieu, après avoir mutilé cette statue, dans la vue de la rendre
plus propre à porter une lampe.
(2) Winckelm. Monum, anb. pag. 252.
38a Religion
les sacrifices et les cérémonies religieuses. Nuis ne voulons pas
non plus imiter ces écrivains, qui, pleins d'admiration pour tout
ce qui a un caractère d'antiquité, ont cru apercevoir des ustensi-
les sacrés dans tous les vases, et presque dans tous les monumens
qu'ils ont eu occasion d'examiner. Ajoutons à cela qu'il n'y avait
que peu ou point de différence entre ceux des Grecs et des Ro-
Trépieds. mains. Nous commencerons par les trépieds _, dont l'usage était très-
commun , et la forme extrêmement variée „ et nous ne parlerons
que de ceux qui servaient aux fonctions religieuses. Le plus célè-
bre de tous était celui qui se trouvait dans le temple de Delphes,
et sur lequel la prêtresse d'Apollon, appelée Phébade ou Pythie, se
Trépied plaçait pour rendre ses oracles (i). Hérodote rapporte, qu'avec le
ÏÊeiph™. dixième du produit des dépouilles enlevées aux Perses,, les Grecs
firent un trépied en or, qu'ils consacrèrent à Apollon de Del-
phes; et il ajoute que, de son tems , on voyait encore ce trépied, qui
reposait sur un se .peut de bronze à trois têtes. Il résulte de ce
passage d'Hérodote, que ce serpent était une chose tout-à-fait dis-
tincte du trépied , dont il n'était même que le support ; et que
par conséquent les antiquaires qui ont cru que ce trépied avait la
forme d'un serpent, se sont trompés d'une manière évidente. Le té-
moignage d'Hérodote s'accorde à cet égard avec celui de Pansanias*
qui dit que le trépied d'or consacré par les Grecs après la bataille
de 'Platée, était supporté par un dragon eu bronze (2). Zozime rap-
porte que Constantin le Grand plaça dans J'Hyppodrome le trépied
de Delphes, qui renfermait en lui la statue d'Apollon. Sozomène
de Salamine ajoute, que ce trépied était le même que celui que les
Grecs avaient consacré à Apollon, après la victoire qu'ils rempor-
tèrent sur les Perses. Or Eusèbe dit clairement que le trépied de
Delphes, placé par Constantin dans l'Hyppodrome , était entouré
d'un serpent qui l'enveloppait de ses replis (3). Il faut donc con-

(1) Les trépieds, et en général tous les ustensiles à trois pieds étaient
particulièrement consacrés à Apollon. On a beaucoup disputé sur l'origine
de cette espèce d'ustensiles. Quelques-uns la font dériver du préjugé , d'après
lequel les anciens regardaient comme mystériux et sacré le nombre trois.
Sosibe dit que le trépied fut consacré à Apollon, comme le symbole des
trois cercles , dans lesquels les anciens supposaient le ciel divisé , ou parce
que ce Dieu était appelé Soleil dans les cieux , Liber ou Bacchus sur
la terre , et Apollon aux enfers V. Bulenger, De oraculis et vatibus.
(2) Pausan. In Phoc. Lih. X,
(3) Gyllius. Constantinop. Topographie, Liv. II. Chap. XlU.
de la Grèce. 383

dure de là que le trépied d'or, sur lequel montait la Pythie pour


rendre ses oracles, était porté sur une espèce de base ou de co-
lonne spirale , qui se terminait par trois têtes de serpent. Nous en
avons donné le dessin sous le n. i de la planche 60, tel que Vhe-
ler, Banduri et Montfaucon l'ont représenté. Les replis du serpent
en forment !a base , qui va en s'élargissant par le bas. Ses trois
têtes se séparent en haut à des distances égales, et présentent une
espèce de triangle propre à servir de support à un trépied. Ces Trépied
ustensiles
de soliditéétaient de différentes
dans leur formes
base et leurs : les
côtés; les uns avaient
autres beaucoup
ne semblaient formes'.

soutenus que sur de petites verges de métal ; il y en avait qui


étaient chargés d'ornemens ; quelques-uns étaient de la plus grande
simplicité; on en voyait enfin qui paraissent avoir servi d'autels,
comme l'indique la flamme qui brûle dessus; et tels étaient en gé-
néral à ce qu'il semble les autels portatifs , sur lesquels se fesaient
ordinairement les sacrifices en plein air. Voy. les trépieds sous les
n.os 2, 3 et 4 de la même planche, dont le bel ouvrage de M.r Tho-
mas Hope nous a fourni les modèles (1). Le n.° 5 est pris des mo-
numens antiques de Winckelmann. Ce trépied semble appartenir au Trépied avec
culte d'Apollon: car les sphinx qu'on voit au bout des supports,, dessPhinx-
et sur la conque qu'Homère appelle le ventre du trépied (2) , pour-
raient bien être une allusion à l'obscurité des oracles, qui, le plus
souvent, n'étaient pas moins énîgraatiques que ceux du sphinx.
M.r Motigez est d'avis que les figures de femme sculptées sur la
base offrent un sens allégorique aux théories de Délos. Les n.os 6 et
7 représentent deux trépieds richement décorés, provenant des an-
tiquités d'Herculanum , auxquelles appartient aussi le u.° 8 dans
lequel est à remarquer le jeu de vis et de charnières placé entre Trépied
les pieds , et au moyen duquel le trépied peut être replié sur lui-
même , et transporté ou placé là où l'on veut.
Parmi les ustensiles sacrés il faut compter aussi les candélabres Candélabres.
ou chandeliers, à l'égard desquels nous observerons d'abord , qu'il n'y
avait aucune différence entre les chandeliers destinés au culte reli-
gieux et
, ceux qui servaient à l'usage civil ou domestique. Nous n'avons
aucun exemple de candélabres faits comme les nôtres pour porter
des cierges. On en conserve plus de cent dans le Musée d'Hercuia-

(1) Costume of the ancients. London , 1 8 12. Vol. II. Plates 2o3, 21 8.1
(2) Odvss. VIII. 437.
S&f Religion
nunij, et il s'en trouve un grand nombre d'autres dans les diverses
collections d'antiquités ; mais jusqu'à présent on n'en a découvert
aucun , qui eût une douille ou un trou à son extrémité pour y met-
Lew forme, tre le cierge. Ils se terminent tous en une espèce de vase propre
à contenir de l'huile , de l'encens , du bitume et autres matières
combustibles et odorantes, ou en une surface plate et large faite
pour y recevoir une lampe , ou même les poêles destinées à re-
cueillir ces matières, et quelquefois encore les libations. Pausa-
nias raconte que ceux qui venaient consulter l'oracle de Mercure
à Patras, ville d'Achaïe, commençaient par mettre de l'encens sur
l'autel , et versaient ensuite de l'huile dans les lampes des candé-
labres ,attendu que cet oracle ne donnait ses réponses que de nuit.
On voit dans les monumens plusieurs exemples de candélabres, sur
lesquels brûle une large flamme qui en embrasse tout le bassin ou
Leur matière, le sommet (1). Ces candélabres étaient ordinairement en métal et
d'un travavail admirable, ainsi que nous l'apprend Cicéron dans ses
Oraisons contre Verres. On voit à la planche 61 plusieurs de ces
ustensiles. Le n.° i représente un beau candélabre en marbre, ap-
partenant autrefois au palais Barberini , et rapporté aussi par Win-
ckelmann. Sur l'un des côtés de sa base est gravée l'image de Ve-
nus tenant en main une fleur, emblème des jardins qui lui étaient
aussi consacrés, comme on le voit par un passage de Philostrates:
Mars et Pallas sont représentés sur les deux autres côtés. Les can-
délabres,sous les n.os a , 3 , 4 et 5 sont pris de l'ouvrage deHope,
que nous avons cité plus haut. Le n.° 2, est surmonté d'une lampe
ou poêle mobile avec son manche pour la prendre , et un couver-
cle qu'on voit ici levé. Le n.° 6, où sont figurées deux Pallas , est
pri9 d'un vase en terre cuite de style Grec, que possédait autrefois
le chevalier Piranesi. Ces deux derniers candélables sont aussi rap-
des°ca7dë!abres Vort^s Par Poccheggian i. Winckelmann observe que presque tous
les candélabres d'Herculanum n'ont qu'un pied , qui se divise gé-
néralement en trois griffes de lion. Au dessus du pied est un dis-
que partagé en plusieurs bandes, où l'on voit sculptés en bas-relief des
ornemens de tout genre. Le calice, ou l'extrémité supérieure, est
ordinairement décoré de fleurs , de feuillages , quelquefois de figu-
res d'animaux également en bas-relief. Le pied du plus grand can-
délabre de la collection d'Herculanum a un palme et demi Romain

(1) Winckelm. Monum. ant. pag. 186.


QfJtmif.
de la Grège. 385

de diamètre, et sept et demi de hauteur. « L'inspection de ces can-


délabres, dit Winchelmann, nous donne la clef d'un passage de
Vitruve , où cet auteur blâme le mauvais goût de son siècle , en
parlant de colonnes extrêmement minces et semblables au fût d'un
candélabre, dont l'usage était à la mode (1). Le n.° 7 représente
■un des candélabres d'Herculanum , qui semble être un ouvrage
Grec, et probablement des fabriques d'Egina (2). Il a environ deux
pieds et demi de France de hauteur: nous avons cru à propos d'en
présenter séparément le disque sous le n.° 8, et le calice ou la par-
tie supérieure sous le n.° 9 , pour qu'on en puisse mieux distinguer
la forme et les ornemens.
Parmi les ustensiles sacrés nous compterons en troisième lieu Lampes
les lampes, dont un grand nombre est parvenu jusqu'à nous. Les
antiquaires les ont divisées en trois classes sons la dénomination
de lampes sacrées, domestiques et sépulcrales; mais, comme l'ob-
serve Montfaucon , il serait bien difficile d'assigner à chacune d'elles
une classe particulière: il parait même que la variété de leur
forme dépendait totalement du caprice des artistes, ou du goût des
personnes qui leur donnaient la commisssion de les faire. Néan-
moins, on peut regarder comme appartenant à la classe des cho-
ses sacrées celles qui portent la marque de leur destination , ou
l'empreinte. de quelque divinité. La plupart de ces lampes sont de
formes bizarres et d'un travail soigné, comme on le voit par celles Lewfom
qui nous restent. « Dans le nombre de celles en terre cuite , dit
Winckelmann en parlant de ceux de ces ustensiles trouvés dans les
ruines d'Herculanum, il en est une , et c'est la plus grande de tou-
tes, qui a la forme d'un navire à sept becs de chaque côté, propres
à recevoir un nombre égal de mèches. Le vase dont on se servait
pour verser l'huile dans ces lampes de terre ressemble à une petite
nacelle ronde , dont le pont est fermé : son bec se termine en pointe ,

(1) Winckelm. Lettre sur les Découvertes d'Herculanum. Dresde ,


1764 > pag. 55.
(2) On a découvert près d'Herculanum une maison magnifique , qui
semble avoir appartenu à quelque haut personnage , grand amateur des
ouvrages Grecs , parce qu'elle était remplie de statues et autres objets faits
par des artistes de cette nation. On a trouvé aussi dans cette maison des
candélabres en bronze avec le pied couronné d'un disque. V. Antiquités
d'Herculanum gra v. par Th. Piroli , avec une explication par S. - Ph.
Chaude. Paris, 1806. Vol. VI. PL 43.
Europe. Fol. ï. 4g
386 Religion
et la partie opposée est une espèce de plat concave avec un trou
au milieu, par lequel on fesait couler dans la petite nacelle l'huile
Leur matière, dont on remplissait la lampe (i) „. Les lampes étaient ordinaire-
ment en terre cuite ou en bronze (2). « La lampe de bronze , dit
Arthémidore , ( vue en songe ) est le présage des biens les plus so-
lides et des plus grands maux; la lampe en terre cuite moins „.
An bronze on joignait quelquefois du plomb pour donner plus de
poids à la lampe , comme nous l'apprend le Scholiaste d'Aristo-
phane dans les Nuées. Pausanias et Anastase font mention de lam-
pes en or; Athénée et Saint Augustin parlent de celles d'argent.
Passeri en rapporte une en verre: il parait néanmoins que les lampes
de ce genre sont particulières au moyen âge; elles avaient beau-
coup de rapport avec les nôtres (3). 11 y en avait aussi en fer et

(i) Winckelm. ïbid. Clément d'Alexandrie et Eusèbe attribuent aux


Egyptiens l'invention des lampes. Il parait néanmoins que l'usage des
lampes proprement dites n'était pas connu du tems de la guerre de Troie.
On lit dans le XVIII.e livre de l'Odyssée que la nuit étant venue , les
Procis allumèrent dans le palais trois lumières pour qu'elles y répandis-
sent la clarté ; qu'ils disposèrent autour du bois sec , dur } brisé avec le
fer , et y mirent le feu. Télémaque est conduit dans sa chambre par
Euriclée , qui le précède avec deux flambeaux allumés.
(a) Par le mot Grec lampe , que les latins exprimaient par celui de
lur.erna , on entend généralement la lumière d'huile. C'est pourquoi , et
en même tems pour plus de brièveté , nous avons cru à propos de ne
faire aucune distinction entre la lucerna simple , que les Grecs appelaient
Mzw , et les lampes proprement dites , qui se posaient sur les candéla-
bres ,ou se suspendaient par une petite chaîne. Nous observerons seule-
ment que chez les Grecs il est aussi fait mention de la lanterne , qu'ils
appelaient xv^^z^ , parce que la lampe y était renfermée ; elle était le
plus souvent en corne , et faite de manière à empêcher que la lumière
ne s'éteignît à l'air libre. Quant aux diverses étymologies de ces mots
lampe , lumière et autres semblables, il faut voir le VlII.e tome des An~
tiquités d'Herculanum pag. I. Note (i) , et page 263 Note (i).
(3) Voy. Codin , Qrig. Çonstantinop. pag. ioo , et Jean Filopono Aris-
tot. Anal. II. Les lampes de verre s'appelaient chandelles. V. Du-Cange
Gloss. gr. laù. dans x#*Ji*# t candela et ignis sacer. Varron fait aussi dériver
du mot latin candela celui de Candelahrum ; mais nous n'avons aucun mo-
,
nument d'après lequel nous puissions nous former une idée exacte de l'u-
sage des chandelles proprement dites. On peut conjectuter néanmoins que
le mot candela voulant dire chez les Grecs et les Romains un feu sa-
cré s on appela candélabres les ustensiles sur lesquels ce feu était placé.
de la Grec e. 887
en plomb: Licefus en rapporte trois en marbre (r). Mais les plus
communes sont celles en bronze et en terre cuite. L'usage de ces
dernières doit avoir précédé celui des lampes en bronze comme
étant d'un travail plus facile (a). Cette antériorité des ouvrages en
terre cuite à ceux de bronze, a fait soupçonner aux savans d'Hercu-
lanum et autres auteurs, d'après l'autorité d'Athénée et de Casaubo-
no , que de là peut être dérivé le nom de xepâ^ia, , qui a été
aussi donné aux vases d'or et d'argent; de la même manière que
celui de à?ua,jsa<rrpa a fourni la dénomination des vases en métal des-
tinés à contenir les parfums.
Lampes
La planche 6a présente les dessins de plusieurs lampes prises
du Musée d'HercuIanum. Le ti.° 1 est une lampe en terre cuite diverses
à une seule mèche : on voit tracées dessus trois figures assises savoir ,
Jupiter au milieu. Minerve à droite, et Junon à gauche. Ces trois
déités se trouvent souvent ensemble dans tes anciens monumens. Au
lieu de sceptre Junon tient la corne d'abondance , peut-être comme
la Déesse qui préside aux royaumes et qui donne les richesses ;
elle est encore ainsi représentée sur une lampe de Bellori. On re-
marque dans cette dernière,, le manche qui est extrêmement simple,
et ordinairement très-varié dans les lampes; la languette où est le
trou d'où sortait la mèche, et enfin, dans Je cercle, l'autre trou
par où Ton mettait l'huile , et qui était plus ou moins éloigné du Lampe*
centre , pour éviter la confusion dans les figures. Les n.os a et
3 présentent sous deux aspects une lampe en terre cuite à douze à douze
mèches.
mèches; elle a pour ornement deux feuilles de chêne d'un joli tra-
vail :d'où Ton peut conjecturer qu'elle servait au culte de Jupiter
ou de Junon, à qui le chêne était consacré comme aux divinités Lampe
tutéiaires des villes. On voit au milieu du n.° a une espèce de dou-
ble barre par laquelle on suspendait la lampe. Le n.° 4 repré-
en forme de
sente une lampe de bronze ayant la forme d'une petite barque , petite barque»
avec un manche élégant qui se termine en tête de cigne : ornement
qui fait présumer qu'elle appartenait au culte de Vénus. On trouve
dans les Musées beaucoup de ces lampes, avec un manche repré-
sentant lecou et la tête d'animaux consacrés à quelque divinité,
comme l'était le cheval à Neptune , le dauphin à ce même dieu
ainsi qu'à Apollon, la panthère A Bacchns, le lion à Hercule et à

(1) Lucern. VI. 94. pag. n 36.


(2) plin. Liv. XXXV. chap. 12. et Goguet IL 5.
388 R E Ll GIOST

lampe hmcne. Cybèle. La lampe bUicne ou à deux mèches, n.° 5 5 est peut-être
Tunique au monde, et la plus remarquable de tout le musée d'Her-
cuîanum , à cause de la particularité qu'elle a, outre l'élégance
Mèche. de sa forme , d'avoir conservé sa mèche. Nous observerons cependant
que cette mèche ne se trouvait point dans le bec , comme on la
voit dans la figure, mais dans l'intérieur de la lampe, autour de
laquelle s'était formée une croûte de cendre ou de terre, qui la
couvrait toute entière. Exempte dans cet état de toute humidité et
de l'influence de l'air extérieur, cette mèche a pu se conserver
ainsi, de la même manière que les bonnets de laine qui servaient
de doublure à certains casques trouvés dans les fouilles de Pompeïa ,
et qui étaient parfaitement intacts. Elle est de lin à la vérité pré-
paré et un peu tors, mais non filé, de sorte quen la doublant ,
elle dent à former une corde imparfaite à deux brins , selon Fex-
l pression des académiciens d'Herculanum (i). Les n.os 6 et 7 repré-
santent deux de ces espèces de supports auxquels on suspendait
Lampadaires, les lampes, et qu'on appelait vulgairement lampadaires. Nous ne
ferons que rapporter la description qu'on en trouve à la page 3o5
du VIÎI.e vol. de ce Musée. « Le lampadaire en bronze n.° 6 est
« d'une forme vraiment curieuse et même bizarre; il ressemble en

(1) Voici comment s'exprime l'Académie d'Herculanum sur la matière


dont la mèche était composée. Que le lin fut; la matière la plus générale <■
Vient usitée pour les mèches dès la plus haute antiquité ,c est ce dont il
n'est guères possible de douter , si Von admet que V usage de la lampe a
pris naissance en Egypte , et que cette plante est originaire de ce pays.,.
D'un autre côté, le coton qui, au rapport de Pline , se cultivait ancien-
nement sur les confins de V Arabie et de V Egypte , n'est connu en Eu-
rope que depuis environ quatre siècles , c est-à-dire depuis l'introduction
que les Arabes ont faite de sa culture en Espagne. La même Académie
ajoute que les anciens se servaient aussi de chanvre pour leurs mèches ,
et que le bout de mèche qui reste encore dans un des lampes de son
Musée est précisément de cette matière. Elle pense même que la mèche
des lanternes devant se tenir droite dans un lamperon , il fallait qu'elle
fut d'une substance un peu rigide comme le chanvre. Mais les anciens
ne tirèrent pas seulement de ces deux végétaux , le lin et le chanvre ,
la matière de leurs mèches , ils firent aussi servir à cet usage } selon
le témoignage de Dioscoride ( liv. V^I. 106 ) , et de Pline ( liv. J£J£P*.
^3, le bouillon-blanc, appelé par les Grecs ^xé^af } par les latins ver-
bascum , et même le papyrus comme il résulte clairement d'un passage
de Végèce Ç J)e re yeterinaria lib. I. 5? ).
de la Grèce. 38g
« quelque sorte à une colonne torse cannelée , ou plutôt au tronc
" d'un arbre noueux ; garni de branches et de feuilles _, dont le piédes-
« tal cylindrique s'appuie sur une plinthe carrée, quia pour support
« des griffes de lion. De son sommet se détachent en dehors trois
« branches d'une forme non moins bizarre , d'où pendent de cha-
« que côté de jolies lampes à limaçon , dans l'une desquelles l'escargot
<i sort un peu de sa coquille , et dans l'autre y est entièrement
« renfermé. Le piédestal est tout aufour orné d'un feston et de
« deux têtes d'e bœuf; et tous ces ornernens , aussi bien que ceux
<« de Viconographie de la plinthe sont à Tanna , ou à la Damas-
« quine en argent. Le lampadaire ( n.° 7 ) a la forme d'une co-
« lonne appuyée sur une plinthe ou plan quadrilatère, qui est égale-
« ment supporté par des griffes de lion posées sur un socle. Sa base,
« ses cannelures et son chapiteau ont pour ornement un petit masque,
« qui se trouve entre ses deux volutes. Ou voit au dessus du cha-
« piteau quatre jolis crochets ornés d'arabesques et recourbés en
« dehors, pour y suspendre autant de lampes „. Le n.° 8 repré- Pincettes
et moucheltes.
sente une petite pincette pour moucher , et le n.° 9 un instrument
crochu qui servait aussi de mouchcttes , et peut-être encore à attiser
le feu pour le faire brûler davantage. On trouve beaucoup de ces Lampe

sortes d'instrumens dans le musée d'Herculanum, et quelquefois ils


tiennent à la lampe même par une petite chaîne. Le n.° 10 offre Lampe
Je dessin d'une lampe pendante prise de l'ouvrage de Hope. Le pendante,

n.° 11 représente une petite lampe portative en bronze,, qui a aussi


été rapportée par Roccheggiani. Nous n'avons fait ici qu'effleurer portative,

l'article des lampes , car la multitude de formes différentes qu'on


en trouve dans les musées ne permet pas de les compter toutes. Il
suffira de savoir qu'il n'y a peut-être pas d'animal, de végétal, ni
de figure extravagante , que les anciens n'aient imité dans leur fa^
brication. On peut voir à cet égard les œuvres de Montfaucon, de
Passerij de Eellori, de Ficoroni , de Piranesi , et surtout le hui-
tième volume du musée d'Herculanum.
Ustensiles
Il ne nous reste plus maintenant à parler que des ustensiles sacres.
dont on fesait usage pour les sacrifices , les libations et autres cé-
rémonies religieuses. Malgré la description qu'on eu trouve à l'ar-
ticle des sacrifices et des rites, dont nous rapporterons bientôt les
raonuraens , malgré la conformité qui existe à cet égard entre les
costumes Grec et Romain , nous avons cru à propos de rapporter
les principaux à la planche 63 , pour qu'on en pût mieux exami-
Religîok
390
Vase pour
les libations. ner les différentes sortes , la forme et toutes les parties. Le n.° 1
Paièree.
qui est tiré du musée Capitolin et cité aussi par Iloccheggiani ,
représente un vase pour les libations , avec la patère dans laquelle
on versait du vase la libation. On voit un grand nombre de ces pa-
tères dans les musées. La plupart de celles qui ont été trouvées dans
les fouilles d'Herculanum semblent être d'un métal blanc , et sont
façonnées avec beaucoup d'art tant au dedans qu'au dehors; elles
sont de forme circulaire et presque plates, et n'ont qu'un petit
creux pour contenir la libation ou le sang des victimes, usage au-
quel elles étaient encore destinées. Leur dimension variait aussi selon
l'emploi qu'on en fesait. On voit gravées sur les unes les images des
divinités auxquelles elles étaient consacrées; les autres représentent
quelque fait mythologique , et toutes sont plus ou moins chargées
de gravures. Il y en avait aussi avec le manche, telle que celle du
Cassolette
do parfums n.° a , que nous avons prise de l'ouvrage de Hope. Le n.° 3 re-
présente une cassolette où l'on conservait les parfums pour les sa-
crifices ,et que les latins appelaient acerra; elle est prise d'un bas-
relief du musée Capitol in. On trouve aussi chez les Grecs le Thy-
Encensoir.
miaterion , ou encensoir , qui était ordinairement d'or ou d'argent , et
dans lequel on fesait brûler de l'encens ou autres aromates. On lit
dans Hérodote qu'Evelton en avait offert un de la plus grande beauté
dans le temple de Delphes. Denis d'Halicarnasse dit que cette espèce
d'ustensile se portait dans les pompes solennelles. Cependant il ne
nous est parvenu aucun monument d'après lequel on puisse en déter-
miner précisément la forme. Montfaucon en rapporte un qui avait
déjà été publié par M.T De la Chosse; mais il doute lui-même qu'il
ait appartenu au culte des Gentils. Celui qu'a publié Roccheggiani,
et que nous rapportons ici sons le n. 4 paraît être néanmoins une
espèce d'era-ce^soir , si on ne doit pas le regarder plutôt comme une
simple acerra : il appartenait au musée Gualtieri, d'où il a été trans-
Wase des-
Bacchanales. porté àParis. Le n.° 5 est un vase dont on se servait dans les mystères
ou rites de Bacchus, et est pris des peintures d'Herculanum. Les n.os 6
Flambeaux. et 7 représentent deux flambeaux qui sont pris, l'un de l'ouvrage
de Hope, et l'autre du musée Capitolin. Ces flambeaux étaient ex-
trêmement usités dans les cérémonies sacrées, même en plein jour:
leur forme était conique , et ils étaient composés de plusieurs mor-
ceaux de bois joints dans leur longueur , et quelquefois serrés par des
cercles placés à une distance déterminée. C^ux qu'on voit sur les
monuraens sont souvent du double de la hauteur des personnes qui
de la Grège. 391
les portent, ou des spectateurs. Celui du n.° 7 est fait de manière
à pouvoir être fiché en terre , e* semble par conséquent appartenir
à l'espèce des flambeaux dont on fesait usage dans les fêtes noc-
turnes. Le n.°. . 8. t
présente uni instrument
1 • •
dont
t
se servaient
<■- 1
les an- instrument
Pour immoler.
ciens pour saisir les cornes de la victime; le n. g est la massue avec les victimes..
laquelle on l'assommait; le n.° 10 la hache ; le n.° 11 le stylet pour
l'égorger; le n.° 12, le couteau pour la découper; et enfin le n.° i3
un étui pour renfermer ces deux dernières sortes d'instruraens.
Nous ne croyons pas devoir finir cet article sans dire un mot Bois sacrés..
des bois et des champs sacrés. Il est souvent parlé dans les écrits
des anciens de bois ou de bosquets, au milieu desquels se trouvaient
des chapelles ou des autels consacrés à quelque divinité: le nom
«As-eï ; qui veut dire bois, fut même donné à tous les sanctuaires:
Poetœ, dit Strabon , propter consitarum arborum juxta templa per-
pétuant consuetudinem .-, *k<rvi xaÀovoi ta iepà izâvxa^ omnia loca sacra,
lucos appellant , etiamsi careant arboribus ( 1 ). On prétend que ce £««/ origine*
fut Cadmus qui apporta de l'orient en Grèce l'usage de consacrer
les bois aux Dieux , usage qui fut commun à presque tous les peu-
ples de l'antiquité, comme l'atteste aussi la Bible. On donne plu-
sieurs raisons de son origine. Les uns la font dériver de l'état des
premiers hommes qui habitaient les forêts et les lieux solitaires :
car la plupart des institutions sacrées de l'antiquité avaient leur
source dans les institutions civiles , dont les hommes fesaient l'ap-
plication aux Dieux même. Sicutl hominibus domos , dit Pottero ,
ita Diis templa : sicut hominibus mensas, ita Dits altaria erigebant
sacrificia Deorum dapes habebantur , et quae humano victui inservie-
bant , in Deorum quoque sacris adhibitas fuisse legimus (a). D'au»
très aperçoivent la raison de cette origine dans l'attrait que les
bois ont naturellement, surtout dans les pays chauds, où les arbres
offrent, sous l'épaisseur d'un feuillage verdoyant, une ombre d'au-
tant plus agréable, que les bosquets sacrés n'étaient plantés pour
ainsi dire que d'arbres touffus, bien rangés et d'un bel aspect,
tel qu'était, au dire d'Hérodote, le bocage dans lequel était le
fameux temple de Diane. D'ailleurs le silence des bois était pro-
pre à inspirer aux hommes une religieuse terreur, et à les per-
suader qu'ils étaient le séjour des Dieux; ce qui à fait dire à Pline

(1) Strab. Geog. liv. IX.


(2) Potter. Archael. gr. Uv. II chap. II
%a Religion
en parlant des forêts : Haec fuere Numinum templa , priscorum
ritu sïmpllcia rura etlam nunc Deo praeecellentem arborum dicant.
Nec ma gis auro fulgentia atque ebore simulacra , quam lucos et
in ils ùlentia ipso, adoramus (i). Ces bois sacrés continuèrent en-
core d'être un objet de vénération , long-tems après que la simpli-
cité d'un culte presque champêtre eut fait place à la construction
de temples somptueux , et à toute la magnificence dont furent ca-
pables dans la suite, des villes parvenues au plus haut degré de
splandeur et d'opulence. Il était par conséquent défendu de cou-
per aucun arbre dans ces bosquets , et tout le monde connaît la
peine à laquelle fut condamné Erisithion , pour avoir tenté de cou-
Asiu dam les per des arbres dans une forêt consacrée à Cérès (z). Ces retraites
étais sacres. . ^ ' '
ainsi que les temples et les autels étaient inviolables, et deve-
naient un asile pour les coupables , quelque fut leur crime (3). Mais
cet usage ayant donné lieu à des abus dangereux 3 il fut convenu
qu^on y laisserait mourir de faim les criminels qui s'y seraient réfu-
giés. A cet effet, on fermait sur eux les portes du temple, pour
que personne ne pût leur y porter à manger ni à boire : quelque-
fois on entourait les autels de fagots , et on menaçait ces criminels
d'y mettre le feu pour les obliger de s'en retirer. C'est ainsi qu'Her-
mione menaça de brûler l'autel de Thétis , près duquel Androma-
que s'était réfugiée (4)- Outre ces bosquets , il y avait encore des
champs sacrés, champs consacrés aux Dieux, comme on le voit dans Homère, dans
Pausanias et autres écrivains. C'était daus ces champs que se pre-
naient les fruits destinés eu offrandes dans les cérémonies religieu-
ses (5). Il y avait aussi des terres, entièrement vouées à quelque
divinité, et qui étaient, pour ainsi dire, condamnées à une éternelle
stérilité. Tel fut le territoire de Cirra , qu'un décret des Amphi-
trions frappa de proscription ; et telles furent encore les campagnes
situées
d'Eleusisentre Mégare et l'Attique, qui étaient consacrées à la Déesse
(6).

(i) Plin. Naù. Hist. liv. XII chap. I.


(2) Callim. Hymn. in Cererem.
(3) Plutarq. in Solone , et Pausan. in Atticis , et Achaicis.
(4) Eurip. Androm. , vers. 256.
(5) Plaio. De legibus lib VI
(6) Aeschin. In Ctesiph. Thucyd. liv. I.
de la Grèce, . 3g3

Prêtres , rites et sacrifices.

De tous les peuples de l'antiquité il n'y en a aucun, chez qui Honneurs


les ministres du cuite n'aient été comblés de biens et d'honneurs. mPréuvt.
Mais ce fut particulièrement en Grèce que les prêtres furent
honorés comme ayant seuls le droit , non seulement d'offrir aux
Dieux les prières et les sacrifices dans toute la république , mais
encore de déterminer la forme des cérémonies du culte et l'espèce
des victimes à sacrifier; d'instruire le peuple dans les préceptes de la
religion, comme l'observe Platon; d'expliquer les oracles,, et sou-
vent de décider, par leurs conseils, de la guerre et de la paix. Les
fonctions du sacerdoce se trouvaient même réunies anciennement à

celles de la royauté. C'est ce qu'on vit à Athènes après que le gou-


vernement eut chaugé de forme : le titre de Roi fut conservé à
l'un des Archontes , à cause de la juridiction qu'il exerçait sur les
sacrifices et les cérémonies religieuses. En prenant les rênes du pouvoir
suprême, lerdeux Rois de Lacédémone étaient revêtus de la dignité de
pontifes de Jupiter , comme d'un titre qui donnait encore plus de
poids et d'éclat à la majesté royale. C'est pour cela que les prêtres
n'étaient sujets à aucune autorité dans l'exercice de leurs fonctions.
Tiresias , dans Sophocle, déclare hardiment à (Edipe qu'il ne dépend Leur «ît£o/i'"-
pas de lui , mais seulement d'Apollon le Dieu qu'il sert. Hérodote
raconte que Telin, un des ancêtres de Gélon Roi de Syracuse, n'eut
besoin, pour faire rentrer dans Gela les citoyens qui en étaient
exilés, que de se présenter au peuple, et de réveiller en lui le
respect qu'il lui devait comme prêtre. Ces ministres sacrés s'avan-
çaient quelquefois sur les champs de bataille la tète couronnée de
laurier, avec un flambeau à la main droite, et par leur seule pré-
sence suspendaient les hostilités. Dans le tumulte des factions et
des rixes populaires, ils avaient le droit de maudire et de décla-
rer infâmes ceux qui avaient troublé l'ordre public, et leur malé-
diction frappait quelquefois un peuple entier. Philippe, père de
Persée, et tous les Macédoniens furent maudits par les prêtres
d'Athènes (1).

(i) Tit Liv. liv. XXXI chap. 44- Voy. le Tome XXXI. de l'His-
toire de L'Académie Royale des Inscriptions etc. Sur les honneurs ac-
cordés aux Prêtres , dans les religions profanes.
Europe. Fol. I. tfo
3g4 Religion
ctVmuàïtude ^ serait bien . difficile de parler de tous les ordres des prêtres
de prêtres, répandus dans la Grèce, car ce pays doit moins se considérer com-
me un seul et même état , que comme un assemblage de plusieurs
républiques, de mœurs et de constitutions tout-à-fait différentes,
et unies entre elles par une religion, qui était, à la vérité , partout
la même quant au fond, mais dont la variété dans les formes et
les rites , avait une grande influence envers ses ministres. La ma-
nière dont ils étaient élus, leurs fonctions, leurs prérogatives,
leur grade , leurs devoirs présentaient des différences marquan-
tes selon la diversité des lieux. Dans une ville de FAchaïe le sa-
cerdoce de Jupiter se conférait à ceux qui avaient reçu de la
nature la plus belle physionomie et les plus belles formes: ailleurs
on ne l'accordait qu'à la naissance. A Thèbes , le pontife d'Apollon
Ismenius devait réunir la vigueur et la force à la naissance et à
la beauté. Dans certains pays la chasteté était un obstacle au sa-
cerdocedans
, d'autres elle était indispensable. Chez les Mésseniens ,
un prêtre qui avait perdu un fils ne pouvait plus continuer l'exer-
cice de ses fonctions. A Elatée, c'était un enfant qui présidait au
culte de Minerve. A Egide, la Terre avait un temple dont la prê-
tresse devait être veuve , et renoncer au mariage pour le reste de
ses jours. A Argos, la prêtresse de Junon jouissait d'une grande au-
torité 3et donnait son nom aux années. Mais les ministres de Gi-
bèle et de Bellone n'étaient honorés que d'une populace ignorant
et superstitieuse (i). Quelques-uns de ces prêtres étaient constam-
ment attachés au service d'un temple , et avaient une demeure
fixe; d'autres étaient errans , comme les divinités qu'ils servaiente,
et traînaient partout avec eux les misérables objets de leur culte
et de leur fanatisme: enfin, dit l'illustre Bougainville , il n'est
pas possible de faire un pas dans la Grèce , sans rencontrer une
foule de variétés relativement à la religion et à ses ministres (a).
Prêtres
$ Athènes. Quoiqu'il ne soit guères possible de ramener à un seul point tout
ce qui concerne le sacerdoce des républiques de la Grèce , nous
trouverons néanmoins à nous fixer une règle générale à cet égard ,
si 9 comme l'ont fait d'autres écrivains, nous voulons nous en tenir

(i) Pausan. liv. IV. chap. 54. liv. VII. chap. 24 , 25 et 27. liv. IX.
chap. 10. liv. X. chap. 34 Thucydicl. Hist. liv. II.
(2) Bougainville , Mémoire etc. concernant les Ministres des Dieux
à Athènes. Hist. de VAcad. R. des Inscriptions etc. T. XVIII. pag. 60 etc.
de là Grège. 3o,5

à la seule ville d'Athènes , qui devait servir en cela de modèle à


toutes les antres villes de la Grèce. Et en effet « Athènes, dit
lecrivain que nous venons de citer, était le centre de la religion
Grecque, et pour ainsi dire le temple de la Grèce entière. 11 n'y
a jamais eu de peuple plus occupé que les Athéniens du culte de
ses Dieux: l'encens fumait sans cesse sur leurs autels, et il n'y
avait peut-être pas dans toute leur année un seul jour qui ne fût
sanctifié par quelque fête. Le culte de leurs principales divinités
s'étendait dans toute la Grèce , et souvent même au delà de ses li-
mites. Athènes enfin renfermait dans l'enceinte de son territoire
le sanctuaire de la gentilité,, le fameux temple d'Eleusis „. Ainsi
donc, pour nous former une idée suffisante des ministres de la re-

doceligion
chezdes Grecs, nous n'avons qu'à rechercher ce qu'était le sacer-
les Athéniens.
Alliance

D'abord, la constitution politique d'Athènes ne s'opposait point du sacerdoce


avec
à ce que les prêtres ne fussent en même tems élevés aux plus hautes les emplois
dignités delà république. Xénophon, historien et philosophe, était à
la fois prêtre et grand capitaine. Il remplissait une fonction de son politiques.

ministère sacré, lorsqu'il reçut la nouvelle de la mort de son fils à


la bataille de Mantinée. Muratori rapporte une inscription qu'il y
avait sur une colonne de marbre à Athènes, où il était parlé d'un
Archonte qui réunissait à sa dignité l'emploi de chef des Lampa-
dophorcs de Gérés Eleusine. On trouve dans Gruter et dans le tré-
sor du même Muratori plusieurs exemples de cette alliance de
la magistrature avec le sacerdoce. Le ministère sacré n'empêchait
pas que le prêtre n'embrassât aussi la profession des armes , et
que la même main ne pût verser le sang des victimes et celui
àes ennemis de l'Etat. Cal lia ministre de Cérès fut un des guer-
riers qui se distinguèrent le plus à Platée. Les Lacédémoniens firent
élever trois tombeaux pour ceux de leurs concitoyens qui étaient
morts dans cette journée; le premier pour les prêtres, le second
pour les autres Spartiates, et le troisième pour les Ilotes: ce qui
prouve que ce n'était pas seulement chez les Athéniens, que les em-
plois civils et militaires pouvaient s'allier au sacerdoce. Il parait
néanmoins que cette dernière dignité était incompatible avec les
professions lucratives et mercenaires. C'est pourquoi les prêtres avaient
des émoîumens attachés à leurs fonctions. Outre un traitement Traitement
des p relies
proportionné à leur grade, ils avaient pour eux une portion des
victimes, et le logement dans l'enceinte sacrée où était le temple.
3ç6 Religion

C'est ce dont nous avons un témoignage non équivoque dans ce


passage de l'oraison d'Eschine contre Ctésiphon. A Athènes , dit
cet orateur , quiconque exerce une fonction publique , quelque petite
quelle soit , doit rendre compte de l'exercice de ses fonctions ....
La loi veut que les prêtres et le prêtresses , en un mot tous ceux
qui ne reçoivent qu'un modique traitement , et dont l'emploi est de
faire des vœux au ciel pour votre salut. , soient tenus d'en rendre
compte. Ce traitement se composait , d'abord du produit des amen-
des auxquelles étaient condamnés les citoyens et même les ma-
gistrats pour cause de prévarication ou d'irrégularité en affaires
administratives , amende dont une partie appartenait aux Dieux
ou à leurs temples (i); secondement des terres consacrées aux Di-
vinités, dont quelques-unes donnaient un revenu qui était affecté
au service des Dieux. Telles furent les terres que Xénophon avait
consacrées à la Diane d'Ephèse, après sa glorieuse retraite des dix
mille; elles étaient arrosées par un ruisseau qui les rendait propres
à tous les genres de culture , et les animaux destinés aux sacrifices
paissaient dans les prés qui en fesaient partie. Au milieu s'élevait
un temple fait sur le plan de celui d'Ephèse, lequel était entouré
d'un bocage sacré , et de jardins plantés d'arbres fruitiers. A l'en-
trée était une colonne portant cette inscription : Terre consacrée à
Diane. Cette terre était affermée, et le fermier en payait la dixme
à la Déesse: le surplus du prix de son bail était employé aux
réparations du temple, et aux frais du culte. Nicias avait donné
Dons ,
volontaires une
, propriété
A semblable
. au temple,,
d'Apolloni à•Délos. Le traitement
\ t • • , *
contributions des prêtres &t toutes les autres dépenses relatives a leur ministère
pou/ie cuite, se payaient encore avec les offrandes des dévots, les dépouilles des
©fuserais j les contributions, les produits des traités ou des conven-
tions (a), et enfin avec les délégations que la république don-
nait sur les prémices des fruits et sur l'état pour l'entretien du
Administration
des revenus culte. . On
, voit néanmoins
. , . , . par
. le témoignage
. ■ - . . d'Eschine
_.. « que les pré-
pour h cuite, très n étaient point dépositaires ni administrateurs des revenus sa-
crés; ils n'étaient chargés que d'offrir les prières, les hommages
des peuples et les victimes aux Divinités dont ils étaient les mî^

(i) Démost. in Timoc. Xénoph. liv. I. Ellen.


(2) Thucydide rapporte que les Lépréaites payaient tous les ans un
talent à Jupiter Olympien, en vertu d'un traité d'aillance fait dans une
guerre entre eux et les Eléens.
ds la Grèce. 3g7
.nistres. Aristote, en parlant des personnes attachées au service des
temples, fait mention des gardiens de l'argent appartenant aux
Dieux (i). Il parait que cette administration était confiée à des
gens de la plus grande intégrité, qui devaient pourvoir en mê-
me teras aux dépenses ordinaires du culte , et à l'entretien des
temples et des prêtres (a). C'est uu point de discussion parmi les Les prêtres
savans, de savoir si les prêtres formaient en Grèce comme à Rome pSuZTSîr*

un corps à part dans l'Etat, et un tribunal ayant la juridiction " P*r''


sur tout ce qui concernait le culte. Nous nous contenterons, pour
l'éclaircissement de cette question , de résumer les savantes observa-
tions qu'a faites JVI.r De Bougainvïtle à cet égard (3). A Athènes
les piètres ne composaient point un ordre séparé 9 ni un corps réuni
sous les mêmes lois, et avec un chef dont l'autorité s'étendît sur
tous ses membres. La dignité de souverain ou de grand pontife y
était inconnue; et les prêtres fesaient séparément le service des
temples, sans être unis entre eux par aucun lien. Il y avait bien
dans les temples des Divinités principales un grand nombre de prê-
tres et de ministres subalternes, en raison de la grandeur de celle
qu'on y adorait ou de l'importance du culte, sous la direction d'un
chef qui avait le titre de \p%i£po<rvvi?ç ou grand prêtre (4); mais
les prêtres d'une Déité n'avaient aucune relation avec ceux d'une
autre , et aucun d'eux n'avait d'autorité sur ses collègues. Enfin , on
ne connaissait point à Ahtènes de pontife qui eût le titre de chef
ni aucune prééminence dans toutes les cérémonies du culte indis-
tinctement. Or si les prêtres ne formaient point un corps visible Ih -n'avaient
et distinct, ils ne pouvaient pas former non plus un tribunal, parce juridiction.
que ne connaissant que les lois et les usages du temple auquel ils
appartenaient, ils ignoraient entièrement les réglemens particuliers
au service des autres temples: ce qui a fait dire à Sigonius , qu'une
des propriétés du sacerdoce était de n'avoir ni puissance ni juridic-
tion. Ainsi les prêtres n'étaient donc pas juges à Athènes en ma-
tière de religion ; ils n'avaient pas le droit de rechercher, et encore
moins de punir les coupables de sacrilège, d'impiétés, de profanations,

(1) Arist. Politiq. liv. VI. chap. 8.


(2) Voy. ce que nous avons dit plus haut sur Vopistodome.
(3) Histoire de VAcad. M. des Inscriptions etct T, XVIII. pag. 7S
et suiv.
(4) Arist. Politiq, Ibid.
3q& Religion
de blasphèmes et autres délits contre la religion (i). Ils ne pouvaient
môme pas, sans un ordre du peuple ou du sénat, lancer leur malé-
diction ou i'anathème contre les impies ; et ce ne fut qu'en vertu d'un
pareil ordre, qu'ils anathématisèrent Alcibiade. Le décret qui en-
joignait d'abattre les statues de Philippe père dePersée, et de re-
garder comme impurs et profanes les lieux où il avait été élevé
des monumens à la gloire de ce Prince , ordonnait en même tems
aux prêtres d'Athènes de le maudire ainsi que ses enfans, ses trou-
pes et ses Etats 3 dans tous les vœux qu'ils feraient pour le salut
Tribunaux de cette ville. En examinant divers passages des écrivains les plus
pour le culte. r J. O r -
accrédités, et entre autres de Platon, de Dérnosthène , d'Eschine
et d'Athénée , on voit qu'il y avait quatre tribunaux par devant
lesquels l'Archonte Roi portait les causes en matière de religion.
Tribunal Le premier était le tribunal des Héliasies , composé de mille et
des Héliastes. L _ *
quelquefois de quinze cents membres (2,). C'est devant ce tribunal
que fut traduite la fameuse Phryné, qui était accusée d'avoir profané
les mystères d'Eleusis : nous savons par Athénée qu'elle dut à sa
beauté et à ses larmes d'échapper à la peine qu'elle avait en-
courue. Les juges se servaient de fèves blanches et noires pour don-
ner leur avis. Les noires avaient un trou et indiquaient la condam-
nation les
; blanches étaient entières et portaient le signe de l'ab-
solution. Ces fèves étaient distribuées dans deux urnes, l'une en cuivre
qui contenait les blanches , et l'autre en bois où étaient les noires.
L'Archonte qui présidait au jugement comptait les unes et le autres,
et celle des deux espèces qui en renfermait le plus , déterminait la
condamnation ou l'absolution de l'accusé : l'égalité des suffrages

(1) Xénopohon , dans son Apologie de Socrate , ne dit point qu'il y


eût des prêtres parmi les juges de ce philosophe. Les Ministres des Dieux
ne paraissaient que rarement dans les tribunaux, et seulement comme ac-
cusateurs. C'est en cette qualité que Gallias prêtre de Gérés , vêtu de ses
habits sacerdotaux , se présenta dans le sénat , et y porta son accusation
contre Andocide.
(2) Le tribunal des Héliastes était le plus nombreux qu'il y eût à
Athènes , et se couvoquait par les Thesmothètes \ il était chargé de l'in-
terprétation des lois , et de la répression des atteintes qui pouvaient y être
portées Le mot Héllaste dérive , selon quelques-uns du grec **.t%# , qui
veut dire j'unis en grand nombre ; et selon d'autres du mot iX'°Sj qui si-
gnifie soleil , parce que les Héliastes s'assemblaient dans un lieu ouye-t
et en plein jour.
de La Grèce. 3qq
était en sa faveur. Lorsque le jugement emportait la peine capitale,
on remettait le coupable au tribunal des Onze s , qui était chargé
du soin de son exécution (i). Le second tribunal pour les affaires Tribunal
de religion était l'assemblée du peuple. On avait recours à ce " peup ° '
moyen dans les cas extraordinaires et non prévus par la loi , comme
il arriva à l'occasion de la condamnation d'Alcibiade. Le sénat du sénat.
formait le troisième de ces tribunaux pour le jugement des délits qui
blessaient les mystères d'Eleusis. Il s'assemblait à Eleusis même le
lendemain de la grande fête, et prenait connaissance de tout ce
qui y était arrivé ; il écoutait les plaintes des prêtres et des parti-
culiers,et prononçait son jugement, qui était sans appel. Enfin les
Eumolpides, par une distinction particulière à cette famille, plutôt <fc, Eumoipides
que par une prérogative du sacerdoce, formaient le quatrième tri-
bunal, qui exerçait une espèce de juridiction sur les cérémonies de
la fête de Cérès , dont ils étaient les ministres; mais leur autorité
ne s'étendait qu'à de légères transgressions , et à de petites fautes
qui n'étaient point susceptibles d'être portées au tribunal du peuple
ou des Héliastes (a). Il est donc bien certain que les prêtres ne
formaient point corporation, et n'exerçaient aucune juridiction à
Athènes ni dans aucune autre ville de la Grèce : ils y jouissaient
néanmoins de beaucoup d'honneurs, et occupaient le poste le plus
distingué dans les spectacles et dans les festins. Athénée rapporte
que dans un banquet solennel , un philosophe épicurien , qui se
trouvait par hazard revêtu d'une dignité sacerdotale, eut la pre-
mière place, de préférence à un stoïcien, que son grand âge et sa
réputation rendaient également recommandabie.

(i) Les Onze, et %,f,M } étaient élus par le peuple. Chacune des dix
tribus fournissait un juge à ce tribunal , auquel on attachait un écrivain ou
secrétaire , y,w*r8is , ce qui formait le nombre de onze. Ce tribunal était
chargé
étaient de l'arrestati
rendues on des
contre eux. coupables, et de l'exécution des sentences qui
(2) L'Aréopage même n'était pas un tribunal immédiat et absolu
dans les affaires de culte. Solon lui avait bien donné aussi quelques pouvoirs
sur la religion , mais ces pouvoirs ne le rendaient que dépositaire des lois.
Il n'était donc chargé que de veiller à ce qu'il ne fût point introduit dans
l'état un nouveau culte , ni aucune cérémonie qui ne dérivât de l'ancienne
religion ; mais son autorité ne s'étendait point aux transgressions , ni aux
délits contre le culte dominant. Socrate ne fut jugé par ce tribunal
comme un novateur, dont les maximes tendaient à introduire dans l'état que
une religion contraire au polithéisme. S.* Paul y fut traduit pour le
mê-
me motif. Voy. les mémoires déjà cités de M.r de BougainyiUe.
4^0 Religion
Election
(.l€S pi CCI es»
Le sacerdoce chez les anciens se tirait ordinairement au sort. 5
on se conférait au choix, c'est-à-dire aux vœux du peuple (i). C'est
ainsi que les Troyens nommèrent Théano prêtresse de Minerve

Lhé^dîi^T se!on ,e témoignage d'Homère. Mais cette dignité était le plus


à Athènes, souvent héréditaire che? les Grecs, et par conséquent inhérente à
certaines familles. Celles qui en étaient revêtues à Athènes fessent
remonter leur généalogie, jusqu'au tems où Thésée avait réuni en
une seule ville tous les bourgs de PAttique , c'est-à-dire à l'époque
où chaque bourg ayant des usages et des magistrats particuliers ,
avait aussi un culte qui lui était propre, et auquel présidait une
famille destinée à en remplir les fonctions. Ce caractère sacerdotal
se conserva dans ces familles, même après qu'Athènes eut été cons-
tituée en république. Il y en avait plusieurs auxquelles il avait été
transmis en héritage par les fondateurs de certaines fêtes, ou par
ceux qui les avaient introduites en Grèce. Quelques-uns le tenaient
de leurs ancêtre?, auxquels il avait été conféré par les anciens
Rois, qui étaient eu même tems chefs delà religion et l'Etat. C'é-
tait en mémoire de cette prérogative royale, que le second des Ar-
chontes avait, ainsi que nous l'avons observé plus haut , le titre de Roi,
comme chargé de la surveillance surtout ce qui concernait le culte.
Roi et Reine Ce magistrat portait une couronne: son épouse s'appelait la Reine
des sacrifices, et dans les grandes cérémonies elle fesait les fonc-
tions des épouses des anciens Monarques. Plutarque, dans la vie de
l'orateur Licurgue surtout , rapporte plusieurs particularités sur les
familles sacerdotales. Il y dit entre autres choses, que ces familles
ne s'alliaient qu'entre elles, par le mariage ; d'où il arrivait que la
même personne réunissait quelquefois en elle deux sacerdoces. C'est
ce qui se voyait à Athènes dans la famille des Eumolpides, qui
étaient prêtres héréditaires de Cérès Eleusine comme descendans
d'Eumoipus; et dans celle des Eutteobutades ministres de Minerve
et de Neptune, qui avaient aussi hérité de leurs fonctions comme
neveux de Butés ancien Prince du sang royal , et le premier pon-
tife qui avait dédié un temple à Acropolis à ces deux divinités.
Formules On ne pouvait néanmoins exercer le sacerdoce, même par droit
pour * 1
au^admission d'hérédité , qu'après avoir rempli certaines formalités
sacerdoce' prescrittes
*■par
l
la loi. D'abord il fallait que le candidat fût inscrit, non seulement
dans la Curie à laquelle il appartenait, mais encore dans le rôle

(i) Platon, liv. IV. De legibus, Denys. d'Halicar. Antiquib. liv. II.
de la Grège. ^oi
de la population , ou du Bourg où il fesait sa demeure ( t). Le candidat
après avoir satisfait à cette formalité, et justifié qu'il appartenait
à une famille sacerdotale, pouvait aspirer à la dignité de prêtre,
pourvu qu'il n'eût exercé aucune profession mercenaire ou ignoble;
qu'il fût robuste 3 bien conformé, exempt de défauts et sain de
tous ses membres; qu'il eût l'exercice de toutes ses facultés morales ,
et fût d'une conduite irréprochable. La seconde formalité était la
consécration , qui était accompagnée de prières , de vœux et de sacri-
fices. Les prêtres prononçaient leurs vœux devant Y Archonte
Roi , et Engagement
les prêtresses devant la Reine des sacrifices, comme nous l'apprend dewélres-
Démosthènes in Neaeram. Parmi les engagemens que prenait le
prêtre au moment de sa consécration , le principal était de mener
une vie chaste , sobre et tempérante. Euripide assure qu'il était
prescrit aux ministres du Jupiter de Crète de s'abstenir non seule-
ment de viande, mais encore de tout mets bouilli et recherché.
On rapporte même que les prêtres de Cibèle avaient recours à la
mutilation , pour que leur chasteté fût à l'abri de tout danger. Les
Jérofantes d'Athènes, avant la célébration des grandes cérémonies ,
fesaient usage du suc de ciguë ou autres plantes, pour amortir en
eux le feu de la concupiscence. On lit dans Eustase (a) que les prêtres
se couchaient sur l'herbe appelée vyv&ç, ou agno casto , comme étant
contraire à la génération. II n'y avait point de loi cependant qui
les obligeât au célibat : seulement il leur était défendu, à ce qu'il
parait, de contracter un second mariage, comme on le voit par ce
passage de Servius dans ses commentaires sur le IV. e livre de l'Enéï-
de au sujet des prêtresses, quod antiqui repellebant a sacerdolio bis
nuptias.
On ne peut rien dire de positif sur les divers ordres de prêtres, /w, •rdn.
chaque Dieu en ayant plusieurs selon le lieu et les circonstances. d° prifr"'

(i) Les Athéniens , comme nous l'avons déjà observé \ étaient divisés
en tribus: chaque tribu était composée de trois curies , et chaque curie
subdivisée en trente familles. Le mot famille ne doit pas se prendre ici
dans le sens rigoureux de personnes unies entre elles par les liens du sang.
Il signifie^ un corps politique composé de diverses familles , qui , par leur
incorporation dans une même curie, avaient contracté entre elles une es-
pèce de société : la réunion de toutes ces familles en formait une générale
sous le nom de Peuple ou de Bourg. Du tems de Thésée on comptait à
Athènes quatre tribus , douze curies et trois cent-soixante familles.
(2) Ad. Iliacl. VI. pag. 768. Edit. Basil.
Europe^ Vol. I. g
402" Religion
Nous ne ferons que remarquer ici les principaux. Nous avons vu
plus haut que le caractère des grands prêtres qui avaient la préé-
minence sur les ministres inférieurs, variait à Athènes suivant les
Grands prêtres, différentes Divinités. Dion Chrisostome les appelle Archontes des
prêtres. Il y en avait, deux chez les Opuntes; l'un qui présidait aux
ministres des Dieux de l'Olympe, et l'autre à ceux de Petifer et des
Demi-Dieux (i). A Delphes on en comptait cinq , dont l'un présidait
aux oracles et s'appelait A(p^top , surnom qui fut donné par Ho-
mère à Apollon, et qui veut dire, celui qui rend les oracles. 4 près
îféocores. ]es grands prêtres viennent dans les écrits des anciens les Néocores ,
les Parasites et les Chéruces. Les INéocores étaient chargés de la
garde des temples, du soin de les tenir propres, d'empêcher qu'ils
ne fussent profanés, et de pourvoir à l'achat et à l'entretien des us-
tensiles sacrés. Cet emploi était bas et vil dans son origine (a) ; mais
peu à peu il devint important, surtout depuis que la somptuosité
des temples exigea, pour le remplir, des personnes ri hes et dis-
tinguées, et que les dépenses du culte, des fêtes et des jeux pu-
blics intéressèrent tout un peuple. C'est ce qui arriva particuliè-
rement à l'époque où les Grecs asservis à la domination Romaine,
élevèrent aux Empereurs des temples et des autels , et se crurent
honorés d'en être nommés Néocores. Mais alors ces Néocores exer-
çaient,selon Théodoret, deux antres fonctions; la première était
d'asperger avec l'eau lustrale ceux qui entraient dans le temple;
la seconde de faire la même aspersion sur les mets qu'on servait
à la table des Empereurs, et d'être comme les Aumôniers de
ces Monarques. Il n'en fut pas de même du nom de Parasite ,
dont la noble origine fut dégradée par l'application qu'on fit de ce
nom à l'homme d'une condition basse et méprisable. Vue loi de
parasites. Solon avait mis les Parasites au rang des dignitaires les plus dis-
tingués, et Athénée parle d'une autre loi qui fixait leur demeure
dans l'enceinte sacrée. Ou appelait donc Parasites chez les an-
cieus Grecs les ministres, à qui appartenait le soin de choisir et
aéruces. (je garder le froment destiné à l'usage du culte (3). Les Chéruces

(i) Alex, ah Alex. Génial. Dier. lib. II cap. VII.


(2) Le mot JSéocore indique par lui même que cet emploi était igno-
ble dans son origine II dérive de m»f , qui veut dire temple, et de *«^7» ,
qui signifie balayer.
(3) Telle est la définition qu'Athénée, Esichius et Suidas donnent
au Parasite. Ce jnot est composé de la particule *-«/« , dessus , et «r#» ,
de la Grège. ^c3

n'étaient proprement que des hérauts ou des crieurs publics (i). Il


y en avait à Athènes de quatre classes, qui se vantaient toutes
de descendre de Chémce fils de Mercure, et de Pandore fille de
Cécrops; la première était celle des Hérauts des mystères; la se-
conde, des Hérauts des jeux publics; la troisième , des Hérauts des
processions religieuses ; et la quatrième , des Hérauts ou crieurs pu-
blics. A.ces quatre classes , ainsi désignées par Pollux , on peut ajouter
une cinquième, qu'Ulpien nomme les Hérauts de la guerre. Ces
Hérauts accompagnaient les ambassadeurs, et les remplaçaient mê-
me en certains cas extraordinaires; ils portaient pour marque dis-
tinctive le caducée. La plus noble de toutes ces classes était celle
des Hérauts des mystères; et en effet Athènes avait une loi qui
prescrivait, que deux hérauts des mystères iraient tous les ans faire
les fonctions de Parasites dans le temple de Délos. Il parait , par
un passage de Ciidemne, qu'on lit dans Athénée , que les Chéruces
des mystères fesaient encore l'office de ces ministres sacrés appe-
lés par les Romains Poppi et Victimaires , qui étaient chargés
d'immoler la victime, de l'ouvrir, de la découper et de la faire
cuire. Le même auteur ajoute qu'ils remplissaient encore l'emploi Jérofanies.
à'échanson dans les banquets sacrés. A Athènes les Jérofantes , con-
jointement avec les grands prêtres, présidaient aux mystères d'Eleu-
sis , et à ceux de la grande mère et de Bacchus. Il y avait encore
les Orgiofantes qui présidaient aux orgies : espèce de sacerdoce au Orgiofantes.
sujet de laquelle il faut voir Montfaucon. Le mariage 3 comme
nous l'avons observé plus haut , n'était point un obstacle au sacer-
doce. Ilparait même que dans les tems héroïques, il n'était pas non

froment, comme gardien du filment. Potter parle d'un passage de Dio-


dore de Sinope rapporté par Athénée , duquel il résulte que certains
Grecs , qui étaient riches et puissans , voulurent avoir aussi leurs Para-
sites à, l'imitation d'Hercule, qui avait de ces sortes de ministres dans
tous les lieux de l'Attique. Ces Parasites n'avaient rien autre à faire qu'à
flatter les maîtres au dépens desquels ils vivaient, et rendirent par là
méprisable un nom, qui auparavant était sacré et singulièrement respecté.
Pott. Arch. gr. lib. II. cap. IV. Hist. de l' Acad. des Inscrip. T. XXXI.
pag. fii.
(i) Quelques-uns prétendent que les Chéruces tiraient leur nom du
verbe «*pr7m, qUi veut dire promulguer , parce qu'entre autres choses ils
étaient chargés d'annoncer les tems de la célébration des fêtes. Voy.
Athénée , Celius Rôdighino , Potier etc.
4<>4 Religion
Prêtresses. p]ns interdit aux prêtresses: car on lit dans le II.8 livre de l'Iliade,
qu'à Troie, Theano femme d'Anthénor, présidait comme prêtresse au
temple de Minerve. Eustaze est néanmoins d'avis que dans la suite,
Jes vierges étaient à peu-près les seules qui fussent initiées aux mys-
tères sacrés. Et en effet,, chez les Thespiens, les prêtresses d'Her-
cule étaient, au dire de Pausanias , obligées de garder la chasteté ;
à Trezène, selon le même écrivain, la prêtresse de Neptune cessait
son ministère lorsqu'elle venait à se marier. Les auteurs Grecs font
Congrégation encore mention de jeunes vierges consacrées à quelcrue Divinité „
de vierges. J c il 7
qui formaient une espèce de congrégation. Telles étaient celles de
Minerve à Athènes. Elles n'étaient que quatre: on les recevait de-
puis l'âge de sept ans jusqu'à onze: deux d'entre elles, prises dans
es familles les plus distinguées, étaient chargées du soin honorable
de broder le voile de la Déesse (1). Mais de toutes les prêtresses de
Pythie la Grèce la plus célèbre était la Pythie de Delphes. Voici ce que
dit Diodore de Sicile de l'origine de cette espèce de sacerdoce.
Il y avait à Delphes un gouffre, ou une grande crevasse à la sur-
face de la terre. Un berger s'étant aperçu que ses chèvres, dès
qu'elles s'approcbaient de ce gouffre, se mettaient à sauter et à
bêler d'une manière étrange , eut la curiosité de s'en approcher
lui-même : l'esprit divin dont il fut tout-à-coup saisi lui fit pré-
dire l'avenir. Le bruit de cet événement s'étant répandu, il ac-
courut beaucoup de personnes sur le lieu, et autant il y en eut
qui regardèrent dans le gouffre, autant furent animées de l'es-
prit prophétique. Mais quelques-unes s'y étant laissé tomber dans
les transports violens dont elles étaient agitées, on s'empressa de
prévenir ces accidens, en désignant une femme, qui seule aurait
îe droit de rendre les oracles comme prêtresse d'Apollon; et pour
qu'elle ne courut pas le risque de tomber elle-même dans le pré-
cipice, on inventa une machine à trois pieds sur laquelle elle s'ap-
puyait au moment où l'esprit prophétique venait s'emparer d'elle.
Cette machine est le fameux trépied. D'abord, le ministère de la
Pythie ne fut conféré qu'à de jeunes filles; mais une d'elles ayant
été violée par un homme qui était venu consulter l'oracle, ou prit
le parti de ne L'accorder dans la suite qu'à une femme qui n'au-
rait pas moins de cinquante ans.
Habillement Dans les tems héroïques, l'habillement des prêtres ne différait
** r ues' gHèreg de celui des Rois. Mais dès que leur ministère vint à être

(i) Chaussard, Fêtes et Courlis, de la Grèce etc.


de la Grèce. 4°^
considéré comme une charge distincte de toutes les autres, ils
eurent un costume qui leur était propre. Tels étaient leur long
et riche manteau , ainsi que la tunique qui leur descendait jus-
qu'aux pieds. L'orateur Lysias reproche à Andocide d'avoir imité
et révélé les mystères étant couvert de longs vêtemens ; et PIu-
tarque raconte que le devin Àristandre , qui précédait à cheval
Alexandre à la bataille d'Arbelles, portait un manteau ample et
blanc, et avait la tête ceinte d'un bandeau doré. Les vêtemens véiemem
amples, lonçs et de couleur blanche formaient donc une des mar- longs , amples,
et blancs.
» . .
ques distinctives clés prêtres. Ces ministres sacrés les laissaient flotter
librement et traîner à terre dans l'exercice de leurs fonctions. Les
prêtres d'Athènes portaient dans ces circonstances des habits somp-
tueux et magnifiques, semblables, au rapport d'Athénée, à ceux
qu'Eschile avait inventés pour les acteurs de la tragédie. Ceux de
Sparte les avaient au contraire simples et sans faste, tels qu'ils
convenaient aux mœurs de ce peuple. Ils avaient eu outre les cheveux longs.
cheveux longs. Arthémidore dit que « c'est un heureux augure
que de rêver d'avoir une longue et belle chevelure, comme la por-
tent les Prêtres, les Rois, les Magistrats et les Acteurs „. On lit
aussi dans Hérodote que les prêtres, de quelque nation qu'ils fus-
sent, avaient les cheveux longs, à l'exception de ceux d'Egypte
qui se rasaient la tête. La chevelure longue était donc le second
caractère distinctif des prêtres. Ils se ceignaient le front d'un ban- Bandeau
deau de la même forme, que le diadème royal, mais avec cette °u "'*"'
différence, que la partie de devant ne [se relevait pas en pointe,
c'est-à-dire ne devenait pas plus haute au milieu comme dans le
diadème proprement dit. Philostrates, en parlant d'une statue de
Milon, dit: « Les Crotoniates honorèrent cet athlète, en lui con^
férant le sacerdoce de Junon. Il ne faut par conséquent pas s'étonner
que la tête de cette statue soit ceinte d'une bandelette ( pitpw ),
puisque, comme je viens de le dire, il était prêtre (i)„. Saumaise ,
d'après Esichius , détermine ainsi la différence qu'il y avait entre
le bandeau des Rois et celui des prêtres. « Ils portent le çrpocpiov ,
dont les Latins ont fait stroppus et Festns struppus: ce dernier au-
teur ajoute que la marque distinctive des prêtres était le bandeau
roulé, fascia torlilis. Ce bandeau était généralement blanc et de
Jaine. Dans les fonctions solennelles 3 les prêtres portaient en ou- Couronnes.

(i) Apollon. Vita , lib. IV. cap. 28.


4c6 Religion
fre des couronnes ordinairement faites des feuilles de l'arbre con-
sacré àla Déité dont ils étaient les ministres. Ainsi ces couronnes
étaient de laurier dans les sacrifices d'Apollon , et de peuplier
dans ceux d'Hercule. Ils se fesaient aussi, dans les cas imposans ,
une espèce de voile de teur manteau dont ils tiraient une partie
chaussure, sur leur tête. La chaussure des prêtres était blanche également.
Eustaze en parle en plusieurs endroit de son histoire tflsmène
et Isménie , sans cependant en décrire la forme. C'est la chaus-
sure qu'il donne à son héros comme Chéruce. Appien rapporte de
même que le triumvir Antoine passa l'hiver en Egypte saus aucune
marque de sa dignité, et portant une chaussure blanche appelée
phecaso , à l'usage des prêtres Grecs et Egyptiens (ij. Les prêtres
de Sparte étaient les seuls qui célébrassent nu-pieds les cérémonies
ciefs. du culte. Il est en outre parlé dans les anciens écrivains de prêtre*
qui tenaient, d'une main des clefs, comme gardiens du sanctuaire et
interprèles de la volonté des Dieux : c'est ainsi qu'Euripide repré-
sente Cassandre comme devineresse et prôtresse d'Apollon (a). Obser-
vons enfin que dans les tems héroïques, les grands prêtres étaient

(i) M.r Mongès observe judicieusement que les prêtres Egyptiens


n'ayant jamais fait usage de peaux d'animaux pour leurs vètemens , on
peut conclure de ce passage d'Appien , que la chaussure des prêtres Grecs
n'était pas de laine , mais de lin ou de coton. Le même auteur remarque
encore , qu'il y avait une grande conformité entre les figures religieuses
des Grecs et celles des Etrusques : ce qui venait de ce que ceux-ci tenaient
des Grecs leur origine , ou pour le moins leur civilisation.
(2) Il est aussi fait mention dans la mythologie de Dieux clavigères.
Telle était Hécate , qui portait la clef de l'enfer. Euripide , dans son Hyp-
polite , donne l'épithète de clavigère à l'Amour même , comme gardien
du lit de Vénus. Winckelmann rapporte une pierre antique sur laquelle
est gravé l'Amour, tenant de la main gauche une massue, et portant
de la droite des clefs attachées ensemble avec un anneau. Cet antiquaire
observe néanmoins que , suivant le commentaire du Scholiaste d'Euripide ,
les Ephésiens , par ce mot K/l^eç , ou clefs , entendaient aussi les couron-
nes. Monum. anb. pag. 4<>-
Il arrive assez souvent de voir , dans les décorations et représentations
théâtrales , les prêtres Grecs avec une éùole , ou espèce de bandelette qui
leur tombe du cou jusqu'aux genoux, comme chez les prêtres du culte
Catholique. C'est un anachronisme que les artistes doivent avoir soin d'évi-
ter : car l'étole des Gecs et des Romains n'était autre chose qu'une tuni-
des vètemens et de leurs dif-
sortes. nous le verrons à l'article
férentesque
que ,ainsi
6
de la Grèce. 4°7
revêtus d'une autorité presque royale , et portaient aussi le scep-*
tre ou la lance pure. On lit dans le premier livre de l'Iliade, qu'en
9e présentant aux Grecs, le prêtre Chrysés avait dans ses mains la
mitre et le sceptre d'Apollon.
Nous avons présenté à la planche 64 six figures de prêtres Figures
seulement , nous réservant d'en donner d'autres aux articles suivans.
Le n.° 1 représente un prêtre d'ancien style, pris de la col-
lection de Hope. Le n.° 2, est une prêtresse de Cérès , tirée de la Prêtresse.
même collection; elle tient d'une main le flambeau, et de l'autre
un petit vase à peu près de la forme d'un outre : ce qui donne à
présumer qu'elle assiste en ce moment aux mystères de la Déesse»
Le même auteur montre une autre prêtresse de Cérès, tenant d'une
main une poignée d'épis, et de l'autre soulevant son manteau. La
parure de sa tête est remarquable par le diadème dont elle est
ceinte , et cet ornement tient souvent la place du simple bandeau
sur la tête des autres prêtresses: c'est pour cela que nous avons cru
devoir en rapporter la partie supérieure sous le n.° 3. La demi Prétresse
de Cibèle.
figure n.° 4 représente Cibèle ou une prêtresse de celte Déesse :
car les ministres sacrés étaient quelquefois décorés des attributs de
leur Divinité. Cette figure est prise d'un bas-relief appartenant
au musée Capitolin; et quoique le style n'en soit pas très-ancien
ni tout-à-fait Grec, nous avons cru à propos de la placer ici , com-
me pouvant jeter un grand jour sur les attributs de cette Déesse }
et sur les auteurs qui eu ont écrit. " La tète de notre Cibèle , dit
« Winckelmann en parlant de cette figure, est ceinte d'une brau-
" che d'olivier, comme les prêtres et les prêtresses étaient repré-
« sentes. A cette couronne on voit suspendus trois petits boucliers
« ronds en forme de médaillons , avec un petit buste en relief sur
« chacun d'eux : celui qui pend sur le front porte l'image d'une
« tête ayqnt la barbe, qui semble être un Jupiter: les deux autres,
« qui tombent sur les tempes , présentent en gravure un petit buste
«* d'Atis, l'amant de Cibèle: cette Déesse en a un autre petit sur
« sa poitrine Ce dernier parait être celui que portaient les
« prêtres de Cibèle , et qui s'appelait le pectoral npoçryâifiov , comme
« on le voit dans le portrait d'un de ces prêtres. Il a la tête re-
« couverte d'un pan de son manteau, qui lui forme comme un voile,
« et l'on aperçoit par dessous deux files de perles qui pendent der«-
« rière les oreilles, .... Son cou est ceint d'un collier, dont les
0 deux bouts se terminent en têtes de serpens, qui tiennent une
zjjo8 Religion
« espèce de pierre précieuse : ce collier est de la grosseur de ceux
« qui, selon Lucien, excédaient celle d'une anguille. Le serpent
« d'or que les enfans des Athéniens portaient autour du cou aura
« été semblable à ce collier. On voit dans sa main droite une espèce
« de manche qui réunit trois branches d'olivier, au dessus du-
« quelles pendent deux espèces de sistre. De la gauche elle tient
« une coquille cannelée, dans laquelle est une pomme de pin, l'un
« des emblèmes de Cibèle, par allusion au pin sous lequel Atis se
« coupa les parties génitales : autour de ce fruit sont éparses des
« amendes s que cette Déesse fît naître du sang d'Atis. Cette co-
« quille semble être le cratère mystique , appelé Képvoç, tel qu'était
« celui que la même Déesse, connue aussi sous le nom de Rhée ,
« tenait en main , et d'où elle a pris celui de Kepvotp&poç Oeâ. De son
" épaule gauche pend sur le côté un fouet avec trois cordons, dans
" lesquels sont enfilés des astragales de chevreau , semblable au
« fouet dont se frappaient les prêtres de Cibèle selon la description
Prêtre « qu'en fait Apulée (i)»,. Le n.° 5 représente un prêtre de Bac-
et Faune. chus avec un raune, ou peut-être un initie aux mystères ou adora-
teur de ce Dieu; il est pris d'un vase du musée Britannique, et
rapporté aussi par Baxter: le Faune est nu; mais il a sur le visage
Canéphore. un masque armé de cornes. La Canephore ou porteuse de corbeilles
dans les cérémonies sacrées n.° 6, est aussi rapportée par Hope , et
l'on en voit une semblable dans la galerie de Dresde.
Aux rites sacrés, mot sous lequel nous entendons ici les céré-
monies concernant le culte des Déités , appartiennent les lustrations ,
Lnstration. les prières , les vœux et les libations. La lustralion n'était à pro-

(i) Cette figure n'ayant pas sur la tête les tours qu'on voit ordinai-
rement dans les images de Cibèle , il est à présumer que c'est plutôt le
portrait d'une grande prêtresse de cette Divinité. Mongez croit aussi voir
en elle un Archigal , car les prêtres de Cibèle étant presque tous eu-
nuquesil
, n'est pas aisé de prononcer sur le sexe de cette figure. On
ne peut pas non plus la regarder comme particulière à la religion des
Romains , parce que ce peuple avait reçu des Grecs le culte de Cibèle.
Et en effet Denis d'Halicarnasse , qui fut antérieur d'un siècle à 1ère
vulgaire , dit que jusqu'à l'époque où il vivait , le sacerdoce de ce culte
bizarre n'avait été exercé que par des étrangers. On voyait aussi quel-
quefois représentés avec un fouet à la main les Dieux , ou Génies appelés
par les Grecs A^ef /x**** , qui chassent les maux , et par les Latins Aver-
runci , mot dont l'origine semble être Egyptienne.
delà Grèce. z|oq

prement parler qu'une lotion , à laquelle les Grecs et tous les


peuples de l'antiquité attribuaient la propriété de laver les souil-
lures de l'âme et du corps. On la fesait particulièrement avant de
s'approcher du sanctuaire, ou de vaquer à la célébration des céré-
monies religieuses , dans l'opinion qu'il fallait apporter une extrê-
me pureté à l'accomplissement de toutes les fonctions qui tenaient
à la sainteté de la religion. Ainsi dans le IX.e livre de l'Iliade ,
Nestor devant faire une prière aux Dieux pour l'heureux succès
de l'ambassade envoyée à Achille, ordonne qu'on lui apporte de
l'eau pour se laver les mains, et qu'on fasse silence ; et dans le
XVI. e Achille se lave les mains avant de prier pour le salut de
Patrocle. La même pureté devait aussi régner dans les vêtemens ;
c'est pourquoi il est dit dans le VI. e livre de l'Odyssée, que Péné-
lope priait vêtue d'une robe fraîchement lavée. On se servait ordi-
nairement d'eau salée pour les lustrations , dans la persuasion où
étaient les anciens, au dire de Pror.lus, qu'elle renfermait une par-
tie ignée propre à purifier. Ainsi dans le II. e livre de l'Odyssée ,
Téléraaque se met à prier Minerve après s'être lavé les mains
dans l'eau de la mer. Les lustrations se fesaient quelquefois aussi
avec du soufre et du feu , comme on en trouve divers exemples dans
Homère. Achille purifia avec du soufre le cratère dans lequel il
devait faire la lustration ; et Ulysse purifia de la même manière
sa maison , ainsi qu'il est dit dans le XXII. e livre de l'Odyssée.
C'est à ces différentes lustrations qu'Ovide fait allusion dans ce vers :

Terque sérient flammam , ter aqua , ter sulphure lustrât.

Il y avait un grand nombre de cas où cette cérémonie était iu^ée Usages


nécessaire. iMle servait a purifier les hommes qui avaient trempé leurs
mains dans le sang, ou qui s'étaient rendu coupables d'adultère,
d'inceste ou de queîqu'autre crime énorme. Nul guerrier ne pouvait,
au sortir d'une bataille } être admis aux cérémonies sacrées avant de
s'être purifié (i). La lustration avait lieu encore dans les calamités pu-
bliques, telles que la peste, la famine , et autres circonstances graves

(i) On était dans l'usage, à Athènes, de faire passer par une robe de
femme ceux qu'on avait crus morts pendant quelque tems. C'était une es-
pèce de purification , au moyen de laquelle ils étaient régénérés. V. Pott.
Arch. gr. lib. II. cap. IV,
Europe. Fol. I. 5a
4io Religion
qu'il serait trop long de rapporter ici (i). Les souillures qu'elle
enlevait étaient jetées à la mer, ou enfouies dans la terre comme
Aspersion, des choses immondes. On ne pouvait se présenter à la célébration
des sacrifices qu'après s'être aspergé d'eau lustrale , qui se conser-
vait, comme nous l'avons observé plus haut, dans un vase placé à
l'entrée du temple, ayant à côté une branche de laurier ou d'olivier,
qui servait d'aspersoir (2). C'est pour cela qu'un prêtre criait par
intervalles que les profanes s'éloignassent , c'est-à-dire ceux qui ne
s'étaient pas purifiés ("3). Tbéophraste fait mention de deux autres
purifications. La première, dont il est parlé dans Lucien, consis-
tait à se frotter le corps avec un oignon; la seconde était de porter
en procession un petit chien ; et celle-ci , au rapport de Plutarqué,
était usitée dans presque toute la Grèce.
Prières. On priait les Dieux en levant les yeux et les mains vers le
ciel, qui était regardé comme la demeure des immortels, ou vers
la mer si la Déité était marine. On trouve plusieurs exemples de
cet usage dans Homère et autres écrivains de l'antiquité. Celui de
se tenir la tête couverte en priant parait aussi avoir existé chez
presque tous les anciens peuples. Dans V Arnphitrion de Plaute ,
un des personnages dit en parlant à un autre; qu'il avait coutume
d'invoquer les Dieux la tête couverte, et les mains pures. Apulée,
Adorations, dans le IV. e livre des Métamorphoses, décrit aussi le signe dont se
servaient les anciens pour exprimer le sentiment de leur adoration
envers leurs divinités: Frappés , dit-il, de la beauté merveilleuse
de Psiché , ils lui rendaient des hommages divins comme à Vénus
même , en portant leur main droite à la bouche, et tenant le pre-
mier doigt joint au pouce , qui était étendu. Les anciens étaient

(1) On lit dans le I.er livre de l'Iliade , que, pour appaiser le cour-
roux d'Apollon , Agamemnon ordonna qu'on fit une lustration générale
dans l'armée. Pausanias dit qu'elle eut pour objet de purifier les Grecs de
la peste qui les avait affligés.
(a) Dans certains endroits il était défendu , non seulement aux escla-
ves et aux gens de service , mais encore aux enfans illégitimes d'assister
aux cérémonies religieuses ; ils avaient néanmoins accès dans le temple
d'Hercule , parce que ce Demi- Dieu était regardé comme bâtard.
(3) Voy. l'hymne de Gallimaque à Appollon , vers 2. Le lieu sacré
était quelquefois séparé du profane par une corde. C'est pour cela que
Démosthéne , en parlant contre Aristogiton , appelle «/rE^y/V,^/™* . qui veut
dire séparés par une corde } ceux qui avaient été exclus des rites sacrés,
de la Grèce. 411
encore dans l'usage de s'agenouiller en priant, et de baiser la bou-
che ,les genoux et les pieds des images de leurs Déités. Cicéron ,
dans sa quatrième oraison contre Verres , en parlant d'un Hercule en
bronze que ce pubiicain avait enlevé aux Agrigentins , dit n'avoir
jamais vu de statue plus belle que celle-là , quoique rictum ejus ac
menium paullo sit attritius . quod in pre.cïbus , et gratulationibus
non soJum id venerari , verum étiam osculari soient. Les Grecs
avaient en outre coutume , avant de prier , de se ceindre la tête et
le cou de feuilles de laurier ou d'olivier , pour faire allusion à la
victoire, au bonheur, à la joie, à la paix et à la bienveillance
dont ces arbres étaient les emblèmes. On entortillait de laine ces
feuilles, en mémoire de la simplicité et de l'innocence des premiers
hommes. Il faut voir l'Archéologie Grecque de Potter au sujet de
ces différens usages. Dans les grandes calamités , les femmes cou-
raient eu poussant des hurlemens , comme des forcenées , autour des
simulacres et dans les temples , dont elles nettoyaient le pavé avec
leurs cheveux. Elles se couvraient d'un grand voile pour prier, et eu
couvraient quelquefois les images même de leurs Divinités. L'usage des
vœux était également familier aux Grecs, comme un moyen propre
à fléchir en leur faveur la volonté des Dieux. Ainsi Nestor dans
l'Iliade fait à Minerve le vœu de lui sacrifier neuf taureaux, si
les Grecs retournent heureusement dans leur patrie. Winckelmann
rapporte une birème exécutée en marbre, et il ajoute, « qu'on pour-
« rait regarder ce monument comme un vœu fait par un guerrier
« dans le temple de la Fortune à Préneste , pour la remercier de
« lui avoir sauvé la vie dans un combat naval , à l'exemple des an-
« ciens qui étaient dans l'usage de dédier des barques et des navi-
" res dans leurs temples: ou dit même de Jason qu'il avait consa-
« cré à Neptune le navire Argos (1) „. On fesait également hom-
mage aux Dieux des figures des membres humains, dont on croyait
avoir obtenu d'eux la guérison. A cette espèce de vœux appartien-
nent un doigt publié par Fabretti, sur lequel est gravé un nom
qui est peut-être celui du donateur , et un pied avec le serpent
d'Esculape, qu'on voit dans le musée de Kircher. M.r Fauvel vice-
Consul à Athènes 3 et correspondant de l'Institut de Paris écrivait
en 1806 , d'avoir trouvé dans les fouilles d'Athènes une statue d'ïgie ,
avec un grand nombre de vœux en marbre , le torse d'un homme ,
la partie antérieure du corps d'une femme, des oreilles, des yeux,

- ' (0 Winckelm. Monum. antic. pag, 280.


4r"2 Religion
des pieds , des mains et autres choses semblables. Ces objets n'ont
cependant pas tous un caractère propre et distinctif , et pour cela
nous nous abstenons d'en représenter aucun. Montfaucon en adonné
une planche entière; mais il y a lieu de douter qu'ils soient authen-
tiques, àl'exception du doigt de Fabretti et du pied d'Esculape ,
dent nous venons de parler.
Libations. La libation était anciennement une cérémonie tout-à-fait dis-
tincte des sacrifices (i). Selon Porphyre, elle ne se fesait d'abord
qu'avec de l'eau: bientôt on y substitua du miel, puis de l'huile, et
enfin du vin: car plus on remonte dans l'antiquité, plu? on trouve
que le culte des Dieux était simple et peu dispendieux (a). Dans
les tems héroïques, les libations se fesaient souvent avec du vin,
comme on le voit dans plusieurs passages d'Homère. Néanmoins on
conserva encore, à l'égard de quelques Déités, l'usage des libations
appelées sobres^ c'ést-à-dire à l'eau, ou â l'eau mêlée avec du vin,
au miel ou autres liqueurs. A Athènes on fesait , au rapport de
Suidas, des libations sobres aux Nymphes, à Venus Uranie , aux
Muses , à l'Aurore et an Soleil. L'autel de Jupiter même Traroç 9
qui veut dire suprême: n'y était jamais arrosé de vin ni de sang.
Pour les libations on fesait usage de verres ou de coupes, qui étaient
ordinairement en or chez les riches. Le plus fameux de ces vases
est celui dont Achille se servait exclusivement pour faire ses liba-
tions à Jupiter, ainsi qu'il est. dit dans le XVï.e livre de l'Iliade.
Cette cérémonie consistait à verser légèrement des bords du vase,
une partie de la liqueur qu'il contenait en l'honneur de la Déité 3
et à boire le reste, qui se partageait quelquefois avec tous les assis-
tans. Les libations sobres se fesaient le plus souvent sans feu; c'est-
à-dire que la liqueur se répandait par terre , ou sur un autel sans
feu : telle est celle qui est offerte aux Euménides dans un monu-
ment rapporté par Winckelmann. Les libations étaient toujours ac-
compagnées de prières. Les Grecs croyaient encore qu'avec des
ou £SaUons, parfums ou fumigations on pouvait honorer les Dieux. Le vieux

(i) Le mot libation dérive du. Grec Xeipe.w , qui veut dire répandre,
auquel , selon Isidore , correspond le mot latin Libare , répandre , ver-
ser etc.
(2) De Abstin. lib. JI. Sacrorum libaminum maxima pars apud
veteres sobria fuit : sobria autem vocanlur , quae ex aaua constant',
postea ex melle Jîebant , auod ab apibus elaboratum est in promptu ;
huic oleum suççessiù ; et ppst omnia vinum adhiberi soliturn est,
de la Grèce. 41 3
Phénix, datas le IX.e livre de l'Iliade, en parlant des moyens d'ap-
paiser le courroux des Dieux, joint aux libations et aux prières les
parfums odoriférans. Pline est cependant d'avis, que l'encens n'était
point encore en usage au tems de la guerre de Troie: lliacis tem~
poribus , dit-il, thure non supplicabatur : Cedri tantum et citri suo-
rum fructicum in sacris fumo convolutum ardorem verius , quant
odorem noverant (i). Arnobe, qui pense de même , ajoute que les
anciens ne font aucune mention de l'encens dans leurs écrits. Aux
libations et aux parfums il faut encore réunir les gâteaux , ou fa- Gdieaux.
rines salées appelées par Homère dvûai et ovXo%vt(u , et par les La-
tins molae , dont l'offrande était regardée comme infiniment agréa-
ble aux Dieux. Elles étaient généralement faites d'orge moulu, et
de sel. Ces gâteaux ou farines étaient tellement en vénération } au
dire de Pline, qu'on en fesait usage dans tous les sacrifices, et
qu'on en saupoudrait les autels et même les ustensiles sacrés. Le
scholiaste d'Homère fait dériver l'origine de ce rite , de l'usage où
l'on était dans les tems les plus reculés, de ne faire aux Dieux que
des offrandes de grains et de fruits.
Nous avons représenté à la planche 65 une libation , qui a Libation prise
été copiée sur les vases antiques d'Hamilton. " Le premier person- d'Handîcon.
« nage à main gauche, dit l'illustre commentateur,, est celui qui
« fait la cérémonie , comme l'indique la branche d'olivier qu'il
« tient dans la main gauche: car on voit, par la description que
« fait Stace dans le Xll.e chant de la Thébaïde de l'autel de la
« Clémence élevé dans Athènes, que pour adresser des prières aux
« Dieux il fallait avoir une branche de laurier ou d'olivier, qu'on ap-
« pe liait uesr^tai. On y attachait le plus souvent des bandelettes appe-
rt lées Vittaeet Stemmata. La coupe qui se tenait de la main droite,
« était destinée à recevoir une portion du vin dont on fesait la li-
" bation: on la buvait aussitôt , comme cela arrivait quelquefois, ou
" bien on l'emportait chez soi, comme une chose sacrée, et pro-
« pre à préserver de maladie ou de toute autre disgrâce Le
« second personnage est un Prospolos ou serviteur , qui tient de la
« main gauche une espèce de plat contenant de l'orge mêlé avec du sel,
« et de la main droite un verre plein de vin. Le prêtre commençait
" par faire le tour de l'autel, en répandant de l'orge en grain ou
« en farine, et en aspergeant le plus souvent d'eau lustrale l'autel

(i) ffist. lib. XIII. cap. T.


4J4 Religion
m ainsi que les assistans. De l'autre côté de la colonne est le prê-
« tre, qui porte un vase aussi plein de vin pour être versé sur l'au-
« tel en récitant une prière, ou en chantant un hymne au son de
« la double flûte dont joue le quatrième personnage. La musique
« et la danse accompagnaient toujours les sacrifices solennels chez
« les anciens: le plus usité de tous les instrumens était la flûte;
" et comme ceux qui en jouaient avaient une portion des victimes ,
« plusieurs d'entre eux vivaient de cette seule rétribution : ce qui a
« donné lieu à ce proverbe } dont on se sert en pariant d'un parasite :
« vivre en joueur de flûte . L'autel qu'on voit dans cette planche
« n'est autre chose qu'une colonne dorique, au pied de laquelle,
« et du côté qu'on ne voit pas , est une escara ou poêle dont on
« se servait lorsque la nature du sacrifice l'exigeait; et du côté
« qui est visible est un souflet pour allumer le feu. Cet autel était
« probablement dédié à Apollon, qu'on adorait dans certains pays
<« sous le nom de Gennetor. Chacun offrait à ce Dieu une libation
« à l'anniversaire de sa naissance ; et c'eût été un délit, que d'ôter
« ce jour là la vie à un animal quelconque (i) „. Nous croyons
que ce seul exemple suffira , pour donner à nos lecteurs une idée
exacte de la manière dont se fesaient les libations, d'autant plus
qu'il s'agit d'un rite dont on trouve des représentations dans tou-
tes les collections.
Sacrifices. Nous nous dispenserons également de toutes recherches sur
l'origine des sacrifices , leur institution n'étant pas moins ancienne
que les premiers peuples. Nous nous bornerons seulement à répéter
que, chez les Gentils, les sacrifices tenaient lieu d'un banquef sa-
cré , auquel on croyait qu'intervenaient les Dieux ; et comme ces
mêmes Gentils prêtaient à leurs divinités les passions des hom-
mes , ils ne fesaient usage dans leurs sacrifices que d'animaux
Victimes
humaines. choisis , et d'assaisonnemens propres à flatter le goût. Les sacrifi-
ces humains semblent avoir été défendus chez les Grecs par la re-
ligion et les lois: car on croyait que Lycaon avait été changé en

loup par les 'Dieux, pour avoir immolé une victime humaine. On

(i) Peintures des vases antiques etc. édition de Florence', vol. i.


planche 27. Cette libation est une de celles qui se fesaient sans feu. La
planche 55 des mêmes Peintures présente une libation avec l'autel , sur
lequel s'élève la flamme. Le commentateur est d'avis que cette libation
est faite à Vesta , en l'hbnneur de qui le feu devait brûler sans cesse.
[Vesta avait des autels dans presque toutes les maisons,
de la Grèce. ^iS
trouve néanmoins parmi eux quelques exemples de cet usage bar-
bare. Plutarque rapporte que, pour obtenir un 'heureux succès dans
îa guerre contre Xerxés , Thémistocle avait immolé aux Dieux phi-
sieurs Persans. Aristomène de Messène sacrifia aussi à Jupiter Ito-
roéte trois cents hommes , du nombre desquels était Théo pompe Roi
de Sparte. On raconte également qu'en Arcadie on fit périr par les
verges un grand nombre de vierges en l'honneur de Bacchus. Qui
ne connaît les sacrifices d'Iphigénie , de Polixène, et des douze
jeunes Troyens immolés par Achille aux funérailles de Patrocle ?
Mais ces sacrifices ne doivent être considérés que comme des actes
d'une vengeance féroce , ou des événement commandés par des cir-
constances impérieures , et non comme les effets d'un usage constant
et général. Les victimes devaient être jeunes , saines , intactes et Qualité*
sans défauts tant intérieurement qu'extérieurement. Diomède , dans des victi"'es'
le X.e livre de l'Iliade , fait vœu à Pallas de lui sacrifier une gé-
nisse d'un an , qui n'ait pas encore porté le joug. Les Athéniens
reprochaient quelquefois aux Spartiates d'offrir en sacrifice des vic-
times défectueuses. Suidas désigne six espèces d'animaux comme Leur espèce.
les plus usitées dans les sacrifices, savoir; le bœuf ou le taureau,
la brebis , le cochon , le chevreau , le coq ou la poule , et l'oie.
Cependant Homère ne parle que des quatre premières espèces,
comme celles qui servaient le plus ordinairement à la nourriture
des Héros. Le bœuf passait pour être la victime la plus agréable
aux Dieux: d'où vint l'usage du mot fiovSvreJv , booe placare (i),qui
s'étendait aux sacrifices de tous les autres animaux. Cela ne veut
pas dire cependant qu'on les sacrifiait à toutes les Déités indistincte-
ment : car chacune d'elles au contraire avait le sien , qui lui était
particulièrement consacré. Ainsi on immolait à Jupiter le bœuf ou
le taureau , à Bacchus le bouc 3 à Minerve la génisse ou la brebis, aux
Dieux de l'Averne la vache , à Esculape le coq etc. etc. La vie- Leur sexe
time devait être en outre du sexe, et du naturel de la Divinité à el naLureL
laquelle elle était offerte. C'est pour cela qu'on ne sacrifiait à Mars

(i) Une loi de Solon défendait aux Athéniens de sacrifier des bœufs,
parce que ces animaux étaient les plus utiles à l'Agriculture , et comme
les compagnons de l'homme. Elien assure cependant que cette loi ne con-
cernait que les boeufs élevés à la charrue. Cet animal était tellement en
honneur chez les anciens pour les sacrifices , que les pauvres qui n'avaient
pas le moyen d'en immoler un véritable , en offraient un de farine, qu'on
appelait le septième bœuf. Voy. les Antichità d'Erculano. Bronzi etc.
pag. a3 n,° 4.
4i6 Religion
que des animaux Belliqueux et féroces, tels que le taureau. On n'im-
molait également aux Dieux de PÀverne que des victimes noires (i\
Les cornes des bœufs et des taureaux étaient dorées. Entre autres
preuves de la magnificence des Athéniens, Platon cite le povç >;pv<roxè-
Ornemens povç , ou le bœuf aux cornes dorées. Le bélier , le bouc et les autres qua-
âes victimes- - , _ , 1 _. t ' *
drupede , étaient pares de couronnes faites avec les feuilles de l'arbre
consacré à la Déité, en l'honneur de laquelle se fesait le sacrifice.
On pouvait immoler plusieurs victimes en même teras à une seule
Divinité. La renommée a rendu célèbres les sacrifices appelés E%a-
■tô^fzai 3 dans lesquels on immolait cent bœufs, comme l'indique le
Hécatombe, mot même. Cependant Vhécatombe se composait quelquefois de cent
victimes d'une autre espèce. II est parlé dans le I.er livre de l'Iliade
d'un hécatombe de taureaux ou de chèvres, et dans le XXII. e d'un
hécatombe d'agneaux premiers-nés. Les érudits n'ont pas même tou-
jours été d'accord sur le nombre de victimes composant Vhécatombe :
car Eustaze dit qu'il y avait des auteurs, selon lesquels elle était
seulement de vingt-cinq quadrupèdes, qui fesaient cent pieds, et
que d'autres la prirent pour un nombre considérable et indéfini
d'animaux. Les victimes inférieures , telles que les brebis, les agneaux
et autres animaux semblables étaient conduites à l'autel saus être
attachées ; mais le taureau , la vache et autres de cette espèce se
tiraient avec une corde entrelacée autour de leurs cornes. Cette corde
devait être longue, et arrangée de manière à ce que la victime ne
parût point conduite avec violence.
Cèiémomes
4ss sacrifices, „ Homère
___. „ , dans
T_.r „ . les
., -. l.er
■ et, II. e
,livres 1de i
l'Iliade,
• . ainsi
i que, /dans
les III. et IV. de l Odyssée, donne la description des cérémo-
nies relatives aux sacrifices, qui, au dire de Denis d'Halicar-
nasse , ne différaient nullement de celles qui étaient en usage de
son tems chez les Romains. Premièrement, les sacrificateurs se la-
vaient les mains avec l'eau lustrale, qui se fesait en plongeant dans
l'eau un tison ardent pris sur l'autel. Secondement , on répandait sur
la tête ou sur le dos de la victime la farine ou mola salsa , dont
nous avons parlé plus haut; et cette cérémonie était ce que les
latins appelaient proprement immolare. Troisièmement, on arrachait
ou on coupait de la tête de la victime quelques poils, qu'on jetait

(i) Les sacrifices étaient quelquefois relatifs à la profession des per-


sonnes par qui ils étaient faits. Ainsi , selon Athénée , les pêcheurs étaient
dans l'usage d'immoler un thon à Neptune , après une pêche abondante
de la Grèce. 4'7
sur l'autel : ce qui est appelé dans Homère la première libation.
Quatrièmement, on commençait les prières, sans lesquelles on ne
pouvait faire aucun sacrifice. Cinquièmement, on fesait l'immolation
proprement dite, qui consistait à frapper la victime avec une hache
ou une massue, et à lui percer la gorge avec un couteau. On avait
soin, en égorgeant la victime, de lui tourner la tête verè le ciel,
lorsque le sacrifice était fait à une Déité céleste; on la tenait au
contraire baissée vers la terre , quand le sacrifice se fesait en l'hon-
neur des héros et des défunts. On recueillait le sang dans uu vase
appelé par Homère a^iviov. Après avoir écorché la victime on Fou- inspection
vrait , et l'on en examinait bien les entrailles. Si elles étaient es "utltmei
trouvées saines, d'une belle couleur, en bon état et à leur place,
c'était un signe d'heureux augure ; si au contraire elles paraissaient
affectées de quelque vice ou de maladie , on les regardait comme
d'un sinistre présage. Cette inspection ne se fesait que sur le foie,
que les Grecs appelaient pour cette raison le trépied des divina-
tions (i). Les cuisses recouvertes de la graisse des intestins, avec
une petite portion de chacun des membres de la victime saupou-

(i Clément d'Alexandrie donne pour origine aux augures qui se ti-


raient de l'inspection des entrailles des victimes , une tradition fabuleuse sur
la mort et les cendres de la sibylle de Delphes. On prétendait que les
herbes dont la culture .était entretenue avec les cendres du corps de cette
sibylle, communiquaient le don de prophétie aux animaux qui en fesaient
leur nourriture. Mais il est plus probable que cet usage vient de celui où
étaient les anciennes colonies , d'examiner les entrailles des animaux dans les
pays où elles voulaient se fixer, pour juger par leur état de la bonté ou
de l'insalubrité de l'air qu'on y respirait.
La divination par Yignispice , ou inspection des flammes sur l'autel,
était également d'un usage antique et célèbre chez les Grecs La combus-
tion qui donnait plus de fumée que de clarté , la flamme qui se partageait
en deux sens opposés , le feu qui semblait ne pas se diriger vers un seul
point , étaient autant d'indices de funeste présage. Homère parle des Py-
romantes ou Ignispices dans l'Iliade et l'Odysée. Thésée dans les Sup-
plians d'Euripide cite la pyromancie au nombre des avantages, que les
états bien constitués tirent de la religion. Nous , dit-il , nous acquérons par
le feu sacré la connaissance des choses douteuses ou cachées , et les de-
vins par les entrailles des victimes et par le vol des oiseaux. V. Bu-
lenger De ratione divinationis etc. lib. III. cap. X. et Visconti , Obser-
vations sur deux mosaïques antiques historiées, Parme R. Typogr. 1788,
in 8.° fig°
Europe. Fol. I. 53
4*8 Religion
drées de farine et humectées de vin, étaient présentées en offrande
à la Déité : on fesait rôtir le reste pour servir au banquet sacré.
Les sacrifices étaient généralement accompagnés de musique. On ne
s'y servait , comme on le voit par les monumens, que d'instrumens
à vent, tels que la flûte simple et double, et les trompettes droi-
tes et recourbées. L'autel sur lequel on offrait la victime était jon-
ché de verveine ou autres herbes qu'on croyait particulièrement con-
sacrées àla divinité. Les assistans qui prenaient part au sacrifice, ex-
cepté dans ceux qu'on fesait aux Euménides, devaient tous porter une
couronne d'olivier: il fallait également tenir de chaque main une
Lieu et tems branche d'olivier
des sacrifices. ,
pour prier.
'l ,
On ne fesait *
pas seulement des .sacri-
tices dans les temples et les lieux sacres, mais encore sons le toit do-
mestique: cedont on trouve plusieurs exemples dans Homère. L'heure
à laquelle il pouvaient être faits était néanmoins marquée: pour les
divinités de l'Olympe c'était au lever du soleil, ou même en plein
jour; et pour celles de l'Avertie , à l'approche et quelquefois dans le
milieu de la nuit : les premières parce qu'elles étaient regardées comme
amies de la lumière, et les secondes des ténèbres. Mais en voilà assez
sur les sacrifices , car on n'en finirait pas si l'on voulait rapporter tou-
tes les particularités, que la diversité des pays et des divinités avait in-
Figures troduitcs dans la religion des Grecs. Nous terminerons donc cet article
aufTarijices. par l'indication de quelques figures relatives aux sacrifices. Le n.° a
de la planche 65 représente un taureau destiné à être immolé. Des
bandelettes lui pendent des cornes et de la tête: on voit entre ses cor-
nes un ornement qui semble être une patère : cette figure est prise
d'un bas-relief de la maison de plaisance Medicis. Le n.° 3 est l'image
d'un ministre avec les instrumens du sacrifice; elle a été copiée sur un
autre bas-relief conservé à Berlin , lequel a pour sujet une proces-
sion de personnes qui semblent aller à un sacrifice. Enfiu le n.° 4
est pris d'un vase de la Collection de Hope , et représente une
femme jouant de la double flûte: sa position est précisément celle
qu'on voit dans les monumens aux joueurs d'instrumens qui assistent
aux cérémonies religieuses
DE LÀ CrÈCE. 4r9

Mariages.

L'union de l'homme et de la femme est la première et la Mariage,


plus simple de toutes les sociétés, et celle que la providence a des- ba£slûul°0T
tinée à la réproduction de l'espèce humaine. C'est pourquoi un
des premiers soins des législateurs a été de créer pour le mariage
des lois, qui ont pour ainsi dire fait de cette institution le fonde-
ment de l'état politique des peuples. C'est ce que fit Cécrops
dans l'Attique , dont il fut le premier législateur. Il ne crut pas
de moyen plus propre à faire naître le goût de la vie sociale,
et à répandre les bienfaits de la civilisation dans ce pays encore
barbare, qu'en lui donnant une constitution dont le mariage fût
la base (i). Son exemple fut suivi depuis par tous les législateurs
de la Grèce. Mais ce penchant irrésistible, qui porte l'homme Etal
à s'unir à la femme, exerce sur lui un empire d'autant plus puissant , ^Zh^fété
plus doux et plus attrayant, que les mœurs sont plus simples et naissantes.
moins dépravées. Les lois positives n'ont fait que remédier aux
suites de la corruption qui allait toujours croissant dans la société ,
à mesure des progrès qu'elle fesait dans la civilisation. Et en ef-
fet, l'état du mariage n'est nulle part plus doux, plus heureux, ■Ktgas
et plus respecté, que chez les peuples, où les bonnes mœurs ont
plus de force, que n'en ont ailleurs les lois et les constitutions.
Le grand Bacon observe judicieusement, que lorsqu'il n'y aura plus Marii
dans tes sociétés
de peuples barbares, et que le perfectionnement de la civilisa- da*i
rfectionnéés.
tion et des arts aura amolli l'espèce humaine, les hommes, escla-
ves du luxe, renonceront au mariage, dans la crainte de ne pas
avoir les moyens d'entretenir une famille; et nous ajouterons, pour
jouir plus librement des agrémens et des plaisirs que leur offrent
le luxe et la débauche. Eu s'écartant de la simplicité des mœurs
primitives, l'homme est parvenu à un degré de licence et de per-
versité, qui lui a fait éluder les lois de la nature, et considérer le
mariage comme un joug incommode , et comme un état incompati-
ble avec son propre bonheur. Tel est le tableau que nous présente

(i) Nonnus. Denis, liv. XLI. yers. 382 et suiv.


42<5 Religion
l'histoire des mœurs de la Grèce , depuis l'époque de ses siècles
héroïques jusqu'à celle de sa plus grande civilisation.
Mariages Dans ces premiers terns , les hommes dociles à la voix de la
YJroïauiT* nature , recherchaient dans la société d'une épouse un allégement
aux peines dont est semée la vie humaine (i). Homère, dont les
poèmes nous ont conservé les préceptes de morale sanctionnés par
le témoignage des peuples qui y sont cités , met dans la bouche
d'Achille, les vers suivans : « L'homme prudent et sensible conserve
« tonte sa tendresse à la femme dont le sort lui fit présent (a) „.
Quelle peinture séduisante et enchanteresse ne fait-il pas de la fé-
licité conjugale, dans les souhaits qu'Ulysse adresse à la fille d'Al-
cinoûs ? « Que les Dieux t'accordent tout ce que tu peux souhai-
« ter de plus heureux , un époux chéri , d'aimables enfans et les
" douceurs d'une tendresse réciproque: car il n'est pas de félicité
« plus grande , que celle de deux époux animés des mômes sen-
« timens dans le soin de leurs intérêts domestiques : les pervers
« sont en proie à de noirs soucis, dont les bons et surtout les
« époux , se félicitent d'être exempts (3) „. Ce fut une institution
sagement imaginée que celle des cérémonies religieuses, dont les
anciens législateurs voulurent que le mariage fût précédé , comme
pour rendre ce lieu encore plus saint et plus inviolable (4). C'était
même une opinion établie chez les Grecs, que la MuseErato,
à laquelle on attribuait l'invention de la danse , avait institué
ces cérémonies ; et en effet elles étaient accompagnées de dan-
Déitês gawéiips. ses. Les principales divinités telles que Jupiter, Junon et Vé-
nus étaient censées y présider: Minerve même et Diane, toutes
vierges qu'elles étaient, les honoraient de leur protection. Pausa-
nias atteste qu'à Lacédémone , on voyait une statue antique avec
cette inscription Aeppoiirviç Upaç 3 de Vénus Junon. Les mères des
jeunes Lacédémoniennes promises en mariage lui fesaient des of-
randes et des sacrifices. Les Athéniens rendaient anciennement
les mêmes hommages au ciel
et à la terre , de la faveur desquels
ils fesaieut dépendre le bonheur des époux et la fécondité du ma-

(1) V. Les moeurs des siècles héroïques par M, De Rocheforè,


Hist. de l'Acad. Roy. Mémoires. Tome XXXVI.
(2) Iliad. IX. vers. 543.
(3) Odyss. VI. vers. 180.
(4) Thucydid. liy. II,
de là Grèce. 42 i

liage (i): c'est pour la même raison peut-être qu'il était aussi
en honneur à la Muse Uranie. Les Parques et les Grâces rece-
vaient de même leur portion d'hommages dans cette cérémonie ,
en considération du pouvoir qu'on leur attribuait d'unir les cœurs ,
et de conserver l'amour entre les époux (a). Le nombre des divinités
qui présidaient aux mariages, selon les différeus pays de la Grèce ^
pourrait s'accroître encore de beaucoup d'autres , qu'on appelait
gamelles , du mot yapoç, qui veut dire noces (3). De ces Dieux
gamélies le plus renommé est Hy menée. C'était, selon le Scoîiaste Hyménée.
d'Homère, un beau jeune homme Grec, auquel on avait décerné
de grands honneurs, pour avoir sauvé par sa valeur plusieurs jeunes
filles d'Athènes de la lubricité et de la cruauté d'une horde de
Pelasges (4)- Les poètes lui donnèrent dans la suite une origine
divine, en le déclarant fils, les uns de Bacchus et de Vénus 3 les
autres d'Apollon et de Calliope : quelques-uns ne nommèrent que
sa mère, qu'ils dirent être Uranie ou Therpsicore (5).
Convaincus que toute la force d'un état consiste dans le nombre lesLôù contre
célibataires.
de sa population , les Grecs avaieut décerné des peines sévères, non
seulement contre ceux qui répugnaient au mariage, en les regar-
dant comme des hommes sans amour pour la patrie et qui refusaient
de contribuer à sa grandeur, mais même contre ceux qui tardaient
trop long-tems à prendre une compagne , ou qui la prenaient inha-
bile à leur donner des enfans ; c'est pour cela qu'à l'inculpation
à'agamie ils ajoutèrent, comme le dit Pollux, celles (Yopsigamie
et de cacogamie (6). Démosthène nous apprend dans Dinarque , qu'à
Athènes il était défendu d'élever à aucune dignité celui qui n'avait

(i) Proclus in Timaeum Platonis Comment. Y.


O) Pollux. liv. III. chap. III.
(3) Les Etymologistes font dériver le verbe ya{iea,je prends femme ,
de la racine yaa , qui veut dire [engendre : le but du mariage étant
la génération des enfans. C'est pour cela que les divinités tutélaires du
mariage
terme. s'appelaient téléies , du mot grec rêloç , qui signifie fin , but t
(4) Ad Iliad. 2. vers. 495. Certains Etymologistes font dériver le
mot Hyménée de ces expressions â%o rov i^io» vaiew , qui signifient co-
habitation ,parce que les époux vivent ensemble ; d'autres du mot éptyv j
qui signifie la ceinture virginale.
(5) Procl. ap. Phot. Bibl. pag. 5a4. Alciphr. liv. I. Ep. i3.
(6) Filangieri: Scienza délia legislazione.
4^2- Religion
ni femme ni enfans , ni propriété, uniques gages, dans l'esprit de
ce peuple, de la sagesse, de îa prudence et de la moralité de ceux
qu'il choisissait pour magistrats et pour veiller à ses intérêts (i).
Les lois de Sparte avaient encore poussé plus loin la prévoyance et
la rigueur à cet égard: car au dire d'Elien, il suffisait d'avoir trois
enfans pour être dispensé du service de garde , et d'eu avoir cinq
pour être exempt de toute charge publique. Après avoir observé
dans la vie de Licurgue que les jeunes Lacédémoniennes s'exer-
çaient nues à la gymnastique , afin d'exciter encore davantage les
jeunes gens à se marier, Plutarque ajoute que ce grand législateur
avait attaché une marque d'infamie à ceux qui n'avaient pas voulu
prendre femme. « Il leur était défendu de paraître aux exercices
« de ces jeunes filles, et les magistrats les obligeaient ensuite de
« faire tout nus le tour de la place, en chantant une chanson faite
<« contte eux-mêmes, et dans laquelle ils se déclaraient justement
« punis, pour n'avoir point obéi aux lois. Ils étaient privés en outre
« du respect et des honneurs que les jeunes gens devaient rendre
« aux vieillards. Aussi n'y eut-il personne qui blâmât le refus que
« certain jeune homme fit à Dercillidas, tout grand capitaine qu'il
« était, de lui céder sa place, en lui disant: as-tu engendré quel-
« qu'un qui puisse aussi me la céder un jour? „ (2,). Diodore de
Sicile rapporte qu'Epaminondas Général des Thébains , au moment
de mourir du coup mortel qu'il avait reçu , répondit à Pélopidas
qui lui disait; ami tu meures sans enfans: non, j'en laisse deux à la
patrie , la victoire de Leuetres et celle de Mantinée.

YaàuUè™ ^s ^es tems héroïques l'adultère passait chez les Grecs pour
îe crime le plus infâme et le plus odieux. Les terribles catastro-
phes d'Atrée et Thyeste , d'Egiste et autres qui ont été mises en
scène pour l'exemple et l'effroi des adultères, argument sublime et
inépuisable d'actions tragiques, nous offrent une preuve de l'horreur
qu'inspirait aux Grecs la violation du lit nuptial. L'enlèvement
d'Hélène épouse de Ménélas alluma dans la Grèce entière le feu
de la vengeance, et entraîna la ruine de Troie. Les adultères étaient
lapidés, ou avaient les yeux arrachés (3). Les lois n'étaient pas

(i) Potter. Areh. gr. liv. IV. chap. XI. et Montfaucon . T. VI. pag. 2i3.
(2) Voy aussi Stobeo , De laud. Nuptlarum , Sermon. LXV. et
Athénée Deipnosoph. liv. XIII.
(3) Iliad. III. vers. 67. Natalis Cornes , Mytholog. etc.
de la Grège. ^2,3
moins sévères à leur égard dans les tems historiques. Zeleucus chez
les Locriens les avait condamnés à cette dernière peine (i): en Crète
on les enveloppait de laine, comme par allusion à leur mollesse,
et dans cet état on les conduisait au milieu des huées publiques
en présence des Magistrats , qui les condamnaient à l'ignominie (a).
Il serait trop-long de rapporter ici les divers genres de peines dont
on punissait l'adultère dans chacune des républiques de la Grèce.
Nous parlerons seulement des Athéniens. Dans les premiers tems ils sMrkS
n'avaient aucune loi contre ce crime. L'Archonte Hippomène , de- des ^uer'fenr
scendant de Codrus, condamna sa propre fille et son amant à traîner fadultér°<
un char: ce qui ayant occasionné la mort de ce dernier, il fit en-
fermer sa fille avec le cheval dans une prison, où elle mourut de
faim (3). Dracon publia dans la suite une loi qui mettait l'adul-
tère à la discrétion de celui dont l'honneur avait été outragé, et
il lui était permis de le mutiler, de le tuer, ou d'en tirer toute
autre espèce de vengeance que bon lui semblait (4). Cette loi fut
confirmée par Solon, qui prononça en outre des peines pécuniaire?
selon les circonstances du délit. Les femmes surprises en adultère
étaient condamnées à l'esclavage, ou bien il leur était défendu de
porter des vêtemens riches et élégans, et si elles osaient paraître
en public avec un habillement recherché , il était permis à qui que
ce soit de les insulter et même de les frapper.
L'histoire Greque ne nous offre aucun exemple de polygamie PoiISamic.
proprement dite. M.r de Rochefort observe à ce sujet, qu'Homère
qui est toujours très-attentif à distinguer le costume des Grecs de
celui des Barbares , donne bien plusieurs femmes à Priam , mais
une seule aux Grecs. C'est pourquoi, après avoir dit dans son cin-
quième livre que le Spartiate Anaxandride eut deux femmes en
même tems , Hérodote se hâte d'ajouter que cela était contraire à

(1) Voler, Max. liv. VI. chap. V.


(2) Coel. Rhodig. Lect. Antiq. liv. XXL chap. XLV.
(5) Heraclid, De Polibic. Abhen.
(4) Voici ce que dit Potter au sujet de quelques-unes de ces pei-
nes : nimirum membri virilis pilis avulsis , cineribus ardentibus pars
ista adspergebatur , et rapum vel rnullus , aut quidvis simile in anum
aduherorum intrudebatur , unde inposterum evproctoi dicebantur Arch.
gr. liv. IV. chap. XII.
4%4 Religion
l'usage (i). Néanmoins les Grecs se permettaient quelquefois de par-
tager leur tendresse conjugale avec quelqu'esclave ou concubine;
mais l'épouse était toujours traitée par eux avec égard comme la
femme légitime , tant à cause de la dot qu'elle avait apportée, que
par respect pour les lois civiles et religieuses qui avaient sanctionné
le mariage. Le divorce était également très-rare parmi eux, et il
parait avoir été défendu par la religion et les lois dès les tems
héroïques. C'est pour cela que dans Euripide, Médée transportée
de colère dit à Jason qui l'avait répudiée : « Quel motif t'excite
" à fouler ainsi mes droits aux pieds? Ne t'ai-je pas rendu père?
« Est-ce le désir de te voir des enfans que te fait courir dans les
" bras d'une autre épouse ? Cruel ! Non , et tu le sens biens , ta
" noire perfidie n'a point d'excuse
rt Croit-il, le traître, qu'il n'y ait plus de Dieux clans l'Olympe,
« ou que d'autres lois aujourd'hui gouvernent le monde ? . . . .
Les Cretois s'écartèrent dans la suite de ces principes vertueux,
et en vinrent au point de répudier leurs femmes pour le moindre
prétexte. Le divorce n'était pas moins fréquent à Athènes, chez les
femmes aussi bien que chez les hommes. Il ne pouvait néanmoins
avoir lieu qu'après que les époux avaient exposé leurs raisons à l'Ar-
chonte, et obtenu son approbation. Dans ce cas le mari était obligé
de restituer à la femme sa dot , et de pourvoir convenablement à
Diisoiuûon son entretien (2.). A une époque où les mœurs étaient devenues moins
•d'j. mariage. x . ,
austères, le mariage pouvait se rompre par le seul tait du consen-
tement des époux, et il leur était permis d'en contracter un se-

(1) La pluralité des femmes semble néanmoins avoir été permise dans
certaines circonstances , à la vérité fort rares , telles qu'une guerre san-
glante ,une peste ou quelqu'autre calamité funeste à la population ; c'est
pourquoi on lit d'Euripide qu'il haïssait mortellement les femmes , pour
avoir été tourmenté par deux à la fois : fatalité qu'on dit aussi avoir été
commune à Soorate. Gellius , Noct. A th. liv. XV. chap. XIX.
(2) Plut, in Alcibiad. et Demosth. in Neaeram. Ariston Roi de
Lacédémone fut le premier qui donna chez les Grecs l'exemple de la po-
lygamie et du divorce. N'ayant point eu d'enfans de sa première femme ,
il en prit un autre -, ce mariage n'ayant pas été plus heureux que le pre-
mier ,il en prit une troisième , et répudia la seconde. Il est bon d'obser-
ver néanmoins qu'Ariston fut père de Demaratus , qui vivait du tems de
Darius , c'est-à-dire à une époque où les mœurs des Grecs étaient déjà
très-corrompues. V. Potter , et De Roche fort loc. cit.
de la Grège. 42^
cond. Flutarque nous cite un exemple de cet usage dans la vie de
Périclés 9 qui ne pouvant vivre avec sa femme pour cause d'incom-
patibilité de caractère, la céda du consentement d'elle-même à un
autre mari. Il n'était pas défendu néanmoins aux époux de contrac- Secondes note*
ter un second mariage après la mort de l'un d'eux. Mais ces exemples
étaient rares chez les veuves dans les tems héroïques, tant la femme
avait de respect pour le serment de fidélité qu'elle avait fait à son
premier époux ! Ce fut ce respect pour l'opinion et pour le lit
conjugal, qui empêcha Pénélope de céder aux instances et aux me-
naces des Procris. Nous passerons ici sous silence certains usages li-
centieux qui eurent lieu chez les Grecs à l'époque de leur plus
grande dépravation ; et nous tirerons également, un voile sur les
lieux de prostitution qui furent permis par Solon même à Athè-
nes, et dont il répugnerait à une âme honnête de faire ou d'enten-
dre la description. Nous observerons seulement qu'il ne faut pas
toujours regarder comme la preuve d'un usage général , ce qu'on ra-
conte des déréglemens et du libertinage de certaines femmes: car
il n'est pas de peuple, quelle que soit d'ailleurs la sagesse de
ses institutions et de ses mœurs, qui ne soit contraint souvent de
tolérer les vices et la conduite scandaleuse de certaines personnes,
que le frein de la religion et des lois ne peut contenir. Ainsi ce
serait s'abuser étrangement, que déjuger d'après les mauvaises actions
de quelques particuliers, du costume général d'une nation.
Par la môme raison on ne doit point considérer comme d'un Mariage
usage général, ou comme non défendus par les lois chez les Grecs, entreprîmes
les mariages entre proches parens , tels que celui de Cimon avec Parens-
Elpiuice sa propre sœur. Ces mariages étaient en horreur, et pas-
saient pour être usités seulement chez les Barbares (i): la même
exécration était attachée aux unions incestueuses , lors même qu'el-
les n'étaient qu'un effet du destin. C'est ce dont nous offrent un
exemple terrible les funestes catastrophes d'dEdipe et de Phè-
dre (a). On ne peut pas nier cependant qu'il n'existât chez les

(i) V. Euripid. in Andromaq. vers. 173.


(2) L'exemple de Jupiter et de Junon , dit M.r De-Rochefort , l'un
et l'autre enfans de Saturne, et cependant mariés,, n'autorisait pas les Grecs
à l'inceste. Les actions des Dieux étaient toutes mystérieuses , et n'avaient
aucune influence sur les mœurs de l'espèce humaine. Les hommes ne
Europe. Vol. J. §|
4a^ Relicio»
Begrds Lacédémoniens «ne certaine liberté pour le mariage entre narens
de para/ilé. ti-I'PI W
11 était détendu entre ascendans et desceudans eu ligne directe, et
permis entre collatéraux: ainsi le neveu pouvait épouser sa tante
et la tante son neveu, ce dont on trouve un exemple dans le V.*
livre d'Hérodote où il est dit, qu'Anaxandride s'était marié avec îa
fille de sa propre sœur. Le mariage était permis aux prêtres même
dans les tems héroïques. Chrjfsés prêtre d'Apollon était père de la
'la£e charmante Chryséis. Le jeune Anthénor avait pour épouse ïhéano
aïix
prêtres, prêtresse de Vulcain. Les jeunes frites regardaient comme une grande
disgrâce d'être condamnées à un célibat perpétuel , état dont se
plaint amèrement Electre dans Sophocle. Ce n'est que dans les
tems historiques qu'on voit les prêtresses obligées à mie continence
pe inviolable.
Mariage

défendu
Les mariages ne pouvaient se contracter chez les Grecs qu'entre
personnes d'une même ville ou «l'une même république (r), tant
était sacré pour eux le droit de cité! C'est pourquoi les lois d'Athènes
condamnaient à un esclavage perpétuel les en fans nés de mariages
mixtes.

te mariage
.Âge poin- II n'est pas aisé de déterminer l'âg* auquel on pouvait se marier.
Cet âge variait à ce qu'il parait, selon les Constitutions de cha-
que état. A Sparte il fallait pour cela que le corps de l'homme
eût pris tout son accroissement et acquis toute sa force , ce qui
donne à présumer qu'il n'y avait point d'âge fixe pour contracter
ce lien (a). II parait qu'à Athènes il fallait avoir trente-cinq ans:
car Selon, qui avait partagé la vie humaine en dix semaines, disait
que ce n'était qu'à la cinquième que l'homme était propre à en-
gendrer des enfans sains et vigoureux (3). Hésiode fixe l'âge du ma-

raisonnaient pas alors comme le Careas de Térence , qui , à la vue d'un


tablau représentant Jupiter changé en pluie d'or pour s'approcher de Da-
paé , s'écrie :
At quem Deurn ! Qui coeli summa sonifci concutib ?
Ego homuncio hoc non facerem ?

(i) Potter. Arch. gr. liv. IV. chap. XI,


(2) Xenoph. de B.epubl. Lacaedemon.
(3) Censorinus. De die Natali. chap. XIV. Aristote fixe à XXX VII
ans l'âge le plus propre à la génération , et Platon à XXX. Voy. à ce sujet
l'Hérodote de Larcher., vol. VIL pag. 3o,8 et 485.
dé la Grège, 437

riage pour les femmes à i5 ans (i), Aristote à i3 3 et. les ancien-
nes lois d'Athènes l'avaient porté jusqu'à 2,6.
Le consentement des parens était nécessaire pour que le ma- Consentement
riage fût légitime. C'est pour cela que Héron, selon Musée, dit a
Léandre qu'elle ne pouvait point l'épouser, parce que ses parens
ne le voulaient pas. Achille refusa d'accepter pour épouse la fille»
d'Agamemnon , en disant (n): Si les Dieux me permettent de revoir
mes Pénates , c'est Pelée lui-même qui me choisira une épouse
Les filles qui n'avaient plus ni père ni mère, devaient obtenir
l'assentiment de leurs frères , de leurs oncles ou de leurs plus pro-
ches parens. Quelquefois le mari même, sur le point de mourir, pro-
mettait sa femme en mariage à un autre. Ainsi le père de Démos-
thène., avant de succomber sous le poids de ses infirmités, promit
sa femme Gléobuîe à A phobus avec une dot considérable.
Avant leur civilisation les Grecs achetaient leurs femmes, d'où Dot.
Aristote conclut qu'anciennement leurs mœurs étaient extrêmement
barbares (3). Mais c'était un usage établi dès les tems héroïques,
que les femmes devaient apporter à leur mari une dot proportionnée
à leur fortune et à leur naissance (4). A mesure que le luxe fit
des progrès, cette dot devint plus considérable: ce qui fut la cause
de deux inconvéniens ; l'un, que le nombre des mariages diminua,
et l'autre que les épouses riches prétendaient de commander au mari.
Pour que le défaut de fortune ne mît point d'obstacle au mariage (5)
Lycurffue
3 ° abolit à Lacédémone l'usage ° de la dot. Selon en fit de foh
de Lycurgue
même à Athènes, en ordonnant que les jeunes filles n'apporteraient <* de Soto»
en mariage que trois robes, et quelques ustensiles de ménage.
Cependant 3 pour conserver ies fortunes dans chaque famille, ce
dernier législateur avait prescrit en outre que les filles uniques se
marieraient avec leur plus proche parent. Mais les lois de l'un et de
l'autre n'eurent pas grand'force à cet égard : car on lit dans PIu-
tarque que, du tems de Lysandre, les hommes ne regadaient guè-

(t) Oper. et Bies. liv. II. vers. 5i6.


(2) Iliad. liv. IX, vers. 3g3.
(3) Politic. liv. II. chap. VIII.
(4) Euripid. Andromaq vers. 147.
(5) Justin. Hlstor. liv. III. chap. III. Plutarq. "Apophthegm.. La*-
conicis. Aelian. Var. Uistor. liv. VI. chap. VI.
42.8 Religion
res aux charmes et à la vertu d'une femme, et ne fesaient atten-
tion qu'à sa dot. Il faut lire à ce sujet Phéitius et Potter.
Cérémonies
Après avoir dit, en parlant du fameux bouclier d' Achille 8
nuptiales.
Mariage
que le Dieu dont H était l'ouvrage y avait représenté deux villes ,
du lems
d'Homère.
peuplées d'hommes de langage et de visage différens , Homère ajoute
que, dans l'une ou célébrait un mariage, dont il fait la descrip-
tion suivante : Dans Vune on célébrait un mariage au milieu des
réjouissances et des festins. L'épouse , au sortir du lit nuptial , était
accompagnée, dans les rues à la lueur des flambeaux , et avec des
transports d'allégresse. Des chœurs de jeunes gens chantaient des
hymnes en l'honneur â" Hyménée , et formaient des danses au son des
flûtes et des hautbois , tandis que les femmes , debout sur Je seuil de leurs
portes, contemplaient d'un œil émerveillé la pompe de cette fête (1).
Mariages Mai? dans les tems héroïques, les cérémonies du mariage n'étaient pas
des Spartiates
les mômes dans toute ta Grèce. Les Spartiates, dit Plutarque dans la vie
de Lycurgue, "se procuraient leurs femmes par le rapt, non lorsqu'el-
« les étaient dans un âge encore tendre , mais à la fleur et dans toute
« la force de la jeunesse. La fille ainsi enlevée était remise à une
« femme qui présidait aux mariages: cette femme lui rasait aussitôt
« les cheveux autour de la tête, et après lui avoir donné un man-
" teau et mis une chaussure d'homme, elle la laissait seule et sans
« lumière sur un tas de fourrage. Venait ensuite l'époux, que l'usage
« du vin et les plaisirs n'avaient point amolli, mais que la frugalité
« des repas publics, à laquelle il était accoutumé dès l'enfance, avait
« rendu sobre et robuste; il lui déliait, aussitôt sa ceinture, et la
« prenant dans ses bras il la portait au lit. Après être resté peu
« de tems avec elle , il se retirait modestement pour aller passer
« le reste de la nuit au lieu ordinaire avec les autres jeunes gens.
« Il continuait ensuite de vivre avec eux comme auparavant, et
a n'allait trouver sou épouse qu'en cachette, et en prenant bien
« garde de ne pas être aperçu dans la maison où elle était. L'épouse
« de son côté ne négligeait aucun moyen de se ménager des entre-
nt vues avec lui , et il leur arrivait souvent d'avoir des enfans avant
et de s'être vus de jour ,}.
Les autres peuples de la Grèce ajoutèrent de nouveaux rites à
Mariages
des autres
ceux des tems héroïques , et donnèrent plus de solennité aux cérémo-
peuples.
nies du mariage. Il parait néanmoins, qu'à quelque petite différence

(1) Iliad, liv. XVIII. vers. 490.


de la Grège. 4^9
près, tous s'étaient conformés en cela aux usages d'Athènes. D'abord Tem
il n'y avait point d'époque fixe dans l'année pour la célébration esmariases'
des mariages. Les Athéniens choisissaient l'hiver et surtout le mois
de janvier, comme le tems où les pluies répandaient la fécondité
sur le sol de l'Attique : motif pour lequel ils l'appelaient Game-
lion (i). Mais un autre époque, qui était regardée comme des plus
propices à cette cérémonie, c'était celle de la conjonction du soleil
et de la lune, et qui donnait lieu aux fêtes appelées Théo garnie , ou
Noces des Dieux (a), à cause d'un ancien préjugé qui accordait à
la lune la vertu de rendre les épouses fécondes. Avant le mariage Sacrifices
on fesait des sacrifices, des offrandes et des libations aux divinités ^offrandes
gamélies , et surtout à Diane, à laquelle les jeunes filles présen-
taient des paniers de fruits et de fleurs, afin que, comme Déesse
de la chasteté, elle ne leur fût point contraire dans le nouvel état
où elles allaient passer (3). Par la même raison les hommes ne pou-
vaient point se marier à Athènes, avant d'avoir fait dans i'Acropolis
un sacrifice à Minerve, Déesse de la virginité. La veille de leur
mariage les époux fesaient hommage de leur chevelure à Diane, à
Minerve, aux Parques ou à quelqu'une des Déesses gamélies , dont
il croyaient avoir reçu un bienfait ou une faveur quelconque (4).
On avait soin , dans les sacrifices qui se fesaient à cette occasion , Augures.
d'ôter le fiel du corps des victimes, et de le jeter derrière l'autel,
cette partie de l'animal passant pour être le siège de la malignité
et de la colère (5). Les prêtres examinaient ensuite les entrailles.
S'ils y apercevaient quelque chose de sinistre présage, le mariage
était interdit comme contraire à la volonté des Dieux. Il en était
de même lorsque quelqu'autre signe de mauvais augure venait à se
manifester dans le temple durant la cérémonie. Le vol de deux
colombes était du plus heureux présage, parce que ces oiseaux
étaient regardés comme l'emblème de l'amour conjugal; mais on
avait une opinion funeste de la corneille qui paraissait seule: car

(i) Olympiodor. in Mebeora Arisbobelis. Eustathius in Iliad. XVIII.


(2) Eurip. Iphigen.in Aul.yers. 717. Pind. Isthm. Ode VIII. vers. o,5.
(5) Theocrit. Idyll. II. vers. 66. Cette cérémonie s'appelait ieavy<popeïv ,
porter les corbeilles : motif pour lequel ces jeunes filles s'appelaient en-
core Canéphores.
(4) Pollux. Onomasb liv. III. cliap. III. Pausan. In Abbicis etc.
(5) Goel. Rhodigin, Lect. Anbiq. liy. XXVIII. chap. XXI.
^3o Religion
c'était une preuve qu'elle avait perdu son compagnon fidèle , ces
oiseaux ayant l'habitude de voler toujours ensemble (i).
Habillement
L'habillement des époux était neuf et plus ou moins somptueux
nuptial.
selon leur condition. L'épouse portait un collier de pierres précieu-
ses et un riche manteau broché en or. Les vôtemens des persounes
qui assistaient au mariage n'étaient pas moins brillansj et c'était
ordinairement l'épouse qui leur en fesait présent (a). Les époux
avaient leurs cheveux parfumés d'essences, et pour coiffure chacun
une couronne composée de pavots , de roses, de myrte ou autres feuil-
Cortège
lages consacrés à Vénus (3). La maison où se fesait la cérémonie

dès époux.
était également ornée de guirlandes. Une jeune fille précédait l'é-
pouse, tenant un crible, une navette, ou tout autre ustensile à
l'usage des femmes: l'épouse portait elle-même un vase de terre
plein d'orge, par allusion à l'engagement qu'elle prenait de veiller
aux soins du ménage (4)- Vers îe commencement de la nuit on con-
duisait l'épouse sur un char de la maison paternelle à celle de l'é-
poux, comme pour cacher, à la faveur des ténèbres, la pudeur vir-
ginale (5). A l'un de ses côtés était assis l'époux , et de l'autre son
plus proche parent ou l'ami le plus intime. Des chœurs de chan-
teurs et de danseurs accompagnaient le char. Arrivé à la maison
de l'époux on en jettait les ptanches sur le feu s pour indiquer que
lepouse ne retournerait plus à la maison paternelle (6). A la porte on
posait quelques figues et autres fruits sur la tête des époux , com-
me un présage de l'abondance dont ils allaient jouir , selon l'opi-
nion du Scoliaste d'Aristophane.
Banquet
Il y avait ensuite un repas splendide auquel on donnait l'épi-
gamélie. thète de gamélie. Un enfant couronné d'aubépine et de chêne en-
trait avec un panier plein de pain , et allait chantant ïcpvyov xaxov.
sïpov arieivov , f ai fui le mal, j'ai trouvé le mieux, fesant ainsi al-

(i) Alexand. Ab. Alex. Génial. Dies.


(2) Aristoph. in Plut. vers. 529.
(3) Les Béotiens portaient des couronnes faites d'asperge sauvage ,
qui était épineux et agréable au goût , pour exprimer que les .amans ne
peuvent s'approcher d'abord que difficilement des jeunes filles ; mais qu'ils
trouvent ensuite beaucoup de douceur à les posséder comme épouses.
(4) Pollux. Onomastic. liv. I. chap. XII. et liv. III. chap. III.
(5) Euripid. in Helen. vers. 328. Svidas in Ze-Sfoç. Lucian. De Conv.
(6) Chez les Rhodiens , le cortège de la noce était précédé d'uncrieur
public, qui proclamait à haute voix le nom de l'épouse.
BE la Grèce, ^3ï
îusion au changement qui avait substitué le pain au gland pour la
nourriture de l'homme, et à l'avantage qu'a la société conjugale
sur la vie sauvage. Alors commençaient les danses, les chants et les Danse*
réjouissances -, taudis qu'un jeune homme se promenait autour de la
compagnie avec un gâteau fait de sésame , plante à laquelle on attri-
buait lavertu de féconder (i). Après les danses les époux étaient con-
duits au lit nuptial , qui devait être recouvert d'une riche étoffe ou Lit nuptial.
de rares pelletteries, et parsemé de fleurs odoriférantes (a). L'épouse
se lavait auparavant les pieds avec de l'eau de Callirohé, une des
fontaines sacrées de l'Àttique, dont les Athéniens se servaient à
cet effi t(3). On l'accompagnait ensuite au lit précédée de flambeaux ,
à l'un desquels la mère avait eu soin d'attacher une bandelette
ou un ruban (^). Il était encore d'obligation pour les époux à
Athènes , après qu'ils étaient renfermés dans leur chambre , de manger
ensemble un coin , comme l'emblème de la douceur qui doit régner
entre les époux (5). Après cela , l'époux détachait la ceinture de
l'épouse et la dépouillait de ses vètemens. Pendant ce tems les
chœurs de jeunes garçons et de jeunes filles chantaient des hymnes Hymne
it ' ' T-r -i 1 1 Dr mi - de l'nyméiiê&f
a Hymenee. Un des plus proches parens de 1 époux veillait toute
la nuit sur le seuil de la porte , pour empêcher que personne ne
vint troubler le sommeil des nouveaux époux (6). Dès l'aube du
jour ils étaient éveillés par les mêmes chœurs , qui chantaient de nou-
veau l'hymne à Hyménée (7). Les réjouissances et les festins du-

(1) Scoliast. in Aristoplianis Pacem. Athenaeus Deipnosoph. liv. X.


(2) Les anciens Grecs ne fesaient point usage d'anneau à l'occasion
du mariage. Les poètes ont imaginé que Jupiter avait permis à Hercule
de rompre les chaînes de Prométhée , à condition que ce dernier porterait
tout le reste de sa vie un anneau de fer , auquel serait attaché un mor-
ceau de la roche du Caucase, où il était enchaîné Quelques écrivains ont
cru que cet événement avait donné naissance à l'usage des anneaux. Mais
Pline observe que l'histoire de Prométhée n'est pas moins fabuleuse que
celle de Midas , et que de son tems on ignorait encore l'origine de cet
usage. Et en effet , il n'en est jamais parlé dans Homère.
(3) Gatull. De nuptiis Pelei et Thebidis. Apollon. Argonaut. liv. lVfi
■vers. 1 1 41.
(4) Liban. Déclamât. XXXVII. Sénèq. Theb. Act. IV. vers. 63,
(ô) Plutarq. in Solone , et in Conjugal. Praeceptis.
(6) Pollux Onomast liv. III. chap. III.
(7) Théocrite , dans Y Hpibhalame d'Hélène fait dire aux époux pas
le chœur des jeunes garçons et des jeunes filles ; « Dormez dans le sein
43a Religion
raient plusieurs jours, pendant lesquels les parena et les amis Pe-
saient aux époux toutes sortes de présens. Telles étaient les céré-
monies qui accompagnaient le mariage chez le Grecs. Nous allons
faire connaître maintenant quelques autres rites de moindre impor-
tance, dans la description des planches suivantes où sont représen-
tées ces diverses cérémonies.
JYoces
de Thélis Le bas-relief de la planche 66 a pour sujet les noces de Thé-
avec Pelée.
tis avec Pelée (i). Voici la description qu'en donne Winkelmann.
« Pelée est le héros qu'on voit assis et nu de la ceinture en haut,
« à côté duquel est Thétis, dont les pieds sont posés sur une espèce de
« banquette, marque distinctive de sa dignité . . . . , qui m'a mis
a sur la trace du sujet de ce marbre. Thétis a le visage couvert
«■ d'un voile, comme si elle avait tiré une partie de son vêtement
" sur sa tète , à la manière des nouvelles mariées, selon que nous
Pudeur a les dépeignent Théocrife et Catulle, lorsqu'on voulait les repré-
l'épouse* a senter affligées ou cachant leur pudeur Le lendemain du
« mariage, l'épouse quittait le voile et se montrait à visage décou-
Prësens
« vert: ce qui fesait appeler ce jour chez les Grecs Anacalupterla ,
des Dieux, « ou le jour de dévoilement Les Dieux parurent avec leurs
« présens aux noces de Péiée comme à celles de Gadmus. Mais l'ar-
« tiste n'y a représenté que celui de Vulcain _, lequel ne pouvait
" se dispenser de donner cette marque de reconnaissance à Thétis
«qui lui avait sauvé la vie, lorsque Jupiter le précipita de l'OIym-
a pe dans l'île de Leranos. C'est pourquoi il présente à Pelée le
« bouclier et l'épée qui ne trompa jamais son courage , et qui donna
" origine à ce proverbe : Il est plus glorieux que ne Vest Pelée de
<■<■ son épée Pallas qui vient après Vulcain offre aux époux
« un casque et une lance Ptoiémée Ephestion cite les noms
" des autres divinités qui honorèrent de leur présence le mariage

a l'un de l'autre Amour et désirs enchanteurs , puis reveillez-vous avec le


« jour. Loin de vous tout souci. Demain nous reviendrons dés que le
« chantre des bois , secouant son plumage sur la branche où il a reposé ,
« aura fait retentir de ses premiers accens les échos du matin. Et toi Hy-
« menée , Hyménée , réjouis-toi du bonheur de ces époux. »
(i) Ce bas-relief est aussi rapporté par Montfaucon , mais sans com-
mentaire qui explique le fait qu'on y voit représenté. Winckelmann ,
dans ses Monumens antiques, a été le premier qui en a cherché la
vraie signification. Le bas-relief fait partie d'un sarcofage de la maison
de plaisance Albani,
■I

f
m r= ^JL iijAî^
%t LA CaIg£ 453 .

§ dont il s'agît. Jupiter donna des ailes à Thétis; Vénus une coupe
à Pelée, sur laquelle était gravé un petit amour: Neptune lui fit
présent de deux chevaux fameux par leur nom , et Junon de la Heures .
chlamyde .... Pallas est suivie des quatre Heures , ou Déesses
des Saisons, filles du Soleil, et en même teras Déesses de la et saisons*.
beauté 3 que Nonnus fait aussi intervenir aux noces de Cadmus ?
et par qui Môschiou fait préparer le lit de Jupiter et d'Europe :
« ce sont elles qui portent les présens pour la table. La première,
ffifâ.
« qui représente l'hiver, est plus habillée que les autres; elle porte
« un lièvre et un oiseau attachés à un bâton , et traîne après elle
un sanglier, emblème de la chasse pour laquelle l'hiver est la
i saison la plus favorable. Elle précède les autres, parce que cette
saison est aussi la plus propre aux mariages .... Après elle
AatonffTe.
vient l'Automne , qui est moins vêtue, tenant par une patte de
* devant une chèvre, et portant un panier de fruits qu'on appelait
carpoi oraioi , ou fruits mûrs , qui étaient de l'été et de i'automne. Eté.
'(■ Suit l'été , légèrement habillé et avec une guirlande , puis le Prin-
"< terns, qui semble porter dans un pan de son vêtement des petits
pois écossés , production particulière à cette saison, et qu'on
{ voyait alors sur les tables des Grecs, comme aujourd'hui sur les nô-
« très .... Le Printems porte sur sa physionomie et dans son
'< maintien un air innocent et virginal , et tient les yeux modestement
baissés , tel que les poètes nous dépeignent les femmes non ma-
riées ;il a la chevelure nouée sur le haut de la tête comme les
jeunes filles .... Après les Heures vient Hyménée fils de ïherp- Hyménëe.
sicore 5 ayant une longue chevelure retroussée , et une couronne
de fleurs comme le dépeint Ovide : il est éclairé par Hes pénis
HespéruSS-
< également couronné de fleurs, et portant un flambeau renversé,
par allusion au tems des cérémonies et des fêtes nuptiales , qui
« se fesaient ordinairement le soir .... La divinité qu'on voit du
côté droit avec un diadème , repoussée par un petit amour , pour-
« rait représenter la Discorde 5 qui > pour se venger de l'affront de
'« n'avoir point été invitée à ces noces, jeta dans la salle du fes-
;< tin la pomme d'or , qui devint dans la suite la cause de tant de
« querelles et de la guerre de Troie. On ne voit pas néanmoins
que cette figure ressemble beaucoup à la Déité de ce genre, dont
« Homère et Virgile nous ont tracé le portrait .... d'où l'on
c pourrait conclure que le sculpteur a peut-être voulu représenter Thé '/>lis..

'« ici la Déesse Thémis , qui empêcha Jupiter, Neptune et Apol-


Europe. Vol. I. 55
434 R KL 16 ï 0 3?
« Ion de caresser Thétis , dont ils étaient amoureux, dans la crain-
" te qu'il n'en naquît un fils plus grand que son père (1) „. Au
dessous du bas-relief on voit les deux côtés du sarcophage, sur
l'un desquels est un Neptune avec un monstre marin , et sur l'au-
tre un Amour à cheval sur un dauphin , et portant une espèee de

âe tfoces
Pénélope
parasol.
/-. , La planche» 67 représente les noces
, de Pénélope
-,. et d'Ulysse,
et d-Uiysse. (Quelques-unes des hgures sont prises des vases d Hamilton , et d au-
tres des anciens bas-reliefs de Winckelmann et de Zoega , auxquels
appartiennent également les parties accessoires, ainsi que l'archi-
tecture de cette composition pittoresque. La cérémonie est celle
qui se fèsâït immédiatement avant de conduire les époux à l'ap-
farfums. partement nuptial. Ulysse couronné de myrte, et coiffé de son
bonnet accoutumé , présente à Pénélope un vase contenant les es-
sences dont il s'est déjà parfumé , et qu'il a destinées aussi pour
elle. La robe de l'épouse est parsemée de points disposés trois à
trois: nombre qui, selon la remarque de M-FS Hancarville et Ita-
linski , et d'après les idées de Platon, d'Aristote et de Plutar-
EmLMmes que , passait pour sacré , et pour être V emblème de la perfection et
afecsn ae- de la création , peut-être parce qu'en multipliant ces trois nombres
par eux-mêmes , on venait à former un solide: tout ce qui a la for-
me de matière ou d'un corps étant jugé avoir les trois dimensions.
L'enfant qui lave les pieds de l'épouse représente le Génie de la
fécondité, et exprime en outre le grand objet de l'institution du
mariage. Le parasol , que Pénélope tient d'une main, était, ainsi
que le marchepied ^ la marque d'une naissance illustre et d'un haut
■Paranjmphe. rang. Le paranymphe , ou, selon certains auteurs, le -prêtre, va
pour présenter la pomme aux époux. La femme qui préside au
mariage tient en main le ruban , avec lequel on attachait la che-
velure de ['épouse avant quelle entrât au lit; et. c'était ordinaire-
ment la mère qui s'aquittait de ce soin. Le héros debout devant
les époux, et qui tient un sceptre en main, est Icare père de
Pénélope. L'action se passe dans le Parastadium , qui, d'après la
description que nous a donnée Vitruv des maisons des Grecs, étalé

(x) Winkelmann. Monum,. pag. i5r. N.° III. Ce monument est aussi
rapporté par Zoega, Bossi-rilievl antichi , LU. et par Millin. Gai. my-
lliolog. N.° 55 ï. PL CLII.
DE LA GnÈCE. 4^
un corridor ouvert , communiquant avec le péristîle ou le baîeon ,
et qui se trouvait entre les deux chambres à coucher.
La planche 68 est prise des peintures d'un vase qui a été trouvé Se&>nd0
dans les ruines d'Athènes , et dont M.r Wagner, artiste d'un talent
distingué, a communiqué le dessin à M.1 Millingen : la copie qu'on
en voit ici est parfaitement conforme à l'original. Le sujet qui y est
représenté peut être considéré comme divisé en trois parties. Dans
celle de gauche est l'épouse couverte du voile nuptial, que le pa-
ranymphe et la femme qui préside au mariage accompagnent à la
maison de son époux. J- Lorsqu'un
-l homme se remariait, . le paranvm- RUesr
particulier^

phe seul accompagnait l'épouse, contre l'usage ordinaire, qui vou- aux veufs.
lait qu'elle le fût par l'époux et le paranymphe. Il semble par
conséquent que le sujet dont il s'agit ici est un mariage en secon-
des noces. Et en effets l'époux qu'on voit dans la partie de droite
a une barbe épaisse, et parait déjà avancé en âge. A la lance
qu'il tient en main on le reconnaît pour un guerrier. Il est à la
porte de sa demeure, attendant l'arrivée de l'épouse , tandis qu'une
femme a l'air de l'agacer par des plaisanteries, comme cela arrive
dans ces sortes d'occasions. On voit au milieu deux Déesses gamé-
liesj avec Apollon tenant une feuille de laurier, et Diane qu'on
distingue à l'arc et au carquois qu'elle porte. L5habillement des per-
sonnages est ample et riche, comme il était usité à Athènes, dont
le climat est assez froid en hiver. M.r Millingen observe à cet
égard , que la même sorte de vètemens se retrouve sur les vases de
la fabrique de Nola , qui était une colonie Athénienne. La pein-
ture que nous venons d'examiner est d'autant plus précieuse encore ,
qu'elle présente sur les mariages certaines particularités , qu'on cher-
cherait eu vain dans les autres monumens.
Le principal but que se proposaient les Grecs en se mariant,
était , comme nous l'avons observé plus haut , d'avoir des enfans. Dans
cette vue, les époux fesaient des offrandes et des sacrifices aux di-
vinités qui présidaient à la génération. Ces divinités étaient connues'
des Athéniens sous le nom de Tritopatori , qui veut dire troisièmes »««*
pères; mais il n est gueres laciie de déterminer 1 origine de ce
nom, ni de dire précisément quelles étaient les Déités qu'on appe-
lait ainsi. C'est pourquoi nous renvoyons nos lecteurs à Suidas, au
grand Etymologique, à Favorin, à Esichiin et à Porter. Les fem-
mes' en couche invoquaient la Déesse Elithyla , qu'on appelait
aussi (bQff.popoç , ou qui apporte la lumière, laquelle était la même
4^6 Religion
que la Lucine des Latins (i). Potter est d'avis que, sous le nom
à'Elithya on entendait toutes les Déesses qui présidaient aux accou-
chemens, entr'autres Junon et ses filles, comme on le voit par un
Déesses passage du XLe livre de l'Iliade. A côté de Junon on doit
tute'atres Iplacer

mcouchvnens Lune5 qui ■> a« rapport des anciens philosophes, avait beaucoup
d'influence sur la génération de l'espèce humaine: on peut y join-
dre aussi Diane et Proserpine, parce que c'était la même Déesse qui
était honorée sous ces trois noms. On invoquait ces Divinités pour
en obtenir un accouchement exempt de douleurs : ce qui était re-
gardé comme une marque de la faveur céleste, et la preuve d'une
chasteté particulière. C'est pour cela que dans sa XVII.e Idylle,
Théocrite dit que ce fut par l'effet d'une bénédiction divine,
que Bérénice enfanta Ptolémée sans douleur: la naissance de ju-
meaux ou de plusieurs enfans dans une même couche , était consi-
dérée aussi comme un bienfait des Dieux (a). Les femmes en
couche tenaient en main une branche de palmier , dans l'opi-
nion que cet arbre avait la vertu de les soulager, et parce qu'il
était regardé comme un signe de victoire et d'allégresse (3). Nous
4£couc7ieuses. observerons ici, que les hommes seuls pouvaient assister les femmes
en couche, à cause de la défense qui était faite aux femmes d'exer-
cer aucune partie de la médecine. Une certaine Agnocide fut môme
citée par les médecins devant l'Aréopage , pour avoir accouché
plusieurs femmes, étant déguisée en homme. Mais- la loi qui inter-
disait aux femmes cette faculté fut abolie dans la suite, et il leur

fut permis de faire les sages-femmes, comme nous l'apprend lginus.


A peine l'enfant était-il né, qu'on le lavait dans de l'eau très-
propre. A Sparte on se servait pour cela de vin , pour juger de la
constitution physique du nouveau-né. Ou le donnait ensuite à la
nourrice qui l'emmaillotait : cet usage n'était point connu à Sparte,
dont les institutions différaient en cela comme en tant d'autres choses
de celles des autres Grecs (4).
<$erecau. A Athènes on enveloppait l'enfant dans une étoffe , sur la-
quelle était brodée la tête de la Gorgone, par allusion au bou-

(i) Anthol. li?. III. chap. XXIII. èpigr. IX. Nonn. in Dionys,
liv. XL! Théocr. ldyll. XVII vers. 6o.
(2) Plaut. Amphitr. Act. V-.
(3) Théogn. Gnom. vers. 5.
(4) Voyez ce que nous avons dit du gouvernement, pag, 145.
r*E la Ghègë: ^07
elier de Minerve, qui, était la Déesse tutélaire d'Athènes. 'Le*
Spartiates ne donnèrent jamais à leurs nouveaux-nés d'antre ber-
ceau qu'un bouclier ([). Chez les autres peuples de la Grèce, le
berceau avait la forme d'un crible, à cause de l'idée d'abondance
et de richesse qu'on attachait à cet instrument, selon le témoignage
du Scoliaste de Calîimaque. Ce poète dit que Jupiter fut mis par
sa mère Némésis sur un crible d'or. Dans les grandes familles d'A-
thènes, on posait les enfans sur des dragons ou des serpens d'or ,
en l'honneur d'Eridhone un de leurs anciens Rois, qu'on disait
avoir eu les pie.ds comme des serpens, et avoir été confié par Minerve
à la garde de deux dragons (a). Le cinquième jour après l'accou- Jgrêgaim
chenient , la sage-femme, ou la personne qui en tenait lieu, s'étant " " '
lavé les mains, prenait l'enfant, et le portait autour du foyer: par
cette cérémonie il était comme agrégé à la famille, et mis sou.:
la tutèle des Pénates, auxquels le foyer servait d'autel: on célé-
brait ce jour par des réjouissances et des festins , et l'on y fesait
des présens à l'accouchée. Si le nouveau-né était un garçon , on
décorait la porte de la maison d'une couronne d'olivier: si c'était
une fille, on y suspendait des bandelettes de laine pour indiquer
le genre d'occupations auquel la femme était destinée (3). Le hui-
tième jour on donnait ordinairement un nom à l'enfant (4) , et cette
nouvelle cérémonie était encore accompagnée de fêtes. C'était au jyont.
père à donner ce nom , qui était souvent celui de quelqu'un de ses
ancêtres, ou d'un personnage distingué par ses vertus. Quelquefois
il désignait le caractère, ou une action éclatante d'un des ayeux
de l'enfant. Homère dit dans le XîX.e livre de l'Odyssée qu'Ulysse,
Oiïwo-evç , fut ainsi appelé par allusion à la colère qui dominait
Antolicus un de ses ayeux. Le nom se prenait aussi de la coraple-
^ion, du teint, de quelque marque , ou d'un accident quelconque

(1) Théocrite dit dans sa XXV. Idylle , qu'Alcmème coucha ses deux
fils Hercule et Iphite sur un bouclier d'airain , qu'Amphitrion avait enlevé
à Ptérélas.
(2) Euripid. Joue , vers. i5 , et 1427.
(3) Athén. Deipnosoph. liv. IX. chap. II.
(4) Aristote explique dans Harpocration le motif pour lequel on ne
donnait un nom à l'enfant que le huitième jour après sa naissance
: cest ,
Oit-il , parce qiûon avait alors V espoir au il vivrait : car les enfans d'une
complexion faible et malsaine meurent ordinairement avant
le septiè- J
me jour.
4-38 " Religion
que pouvait présenter le corps de l'enfant. (Edipe fut ainsi nommé
parce qu'il avait les pieds troués. Le fils d'Achille fut appelé Pvr-
rhusj parce qu'il avait les cheveux roux. Piutarque observe daus
la vie de Coriolan , que c'était un usage commun chez les Grecs et
les Romains , d'ajouter au nom de la personne , dans un â^e un peu
Sumom. avancé , un surnom qui fît allusion à certaines choses: par exemple;
aux actions , comme « Soter ( Sauveur), et CaUimique (de la belle vic-
« toire ); à la figure , comme Fiscon ( Ventru) et Qripo ( Nez-crochu ) ;
« à la vertu , comme Evergètes ( Bienfaiteur), et Philadelphe (Aimant
« ses frères); à la bonne fortune, comme Endémon (Bienvenu): ce
« dernier surnom fut donné au second Battus. Certains Rois ont pris
« aussi leur surnom de mots piquans qui leur étaient appliqués , tels
« qu'Antîgone 3 qui fut appelé le Dosone , ( Que donnera-t-il ?) parce
« qu'il s'épuisait en promesses et ne donnait jamais rien), et Ptolé-
« mée qui fut surnommé le Lamire ( Babillard ) „. Le quarantième
jour, après lequel les dangers de l'accouchement étaient passés,
Tessaracostos. on célébrait une fête qui prenait son nom, Tèssaracèstos , de ce
même nombre de jours. Après s'être purifiée par l'ablution d'usage ,
l'accouchée se rendait au temple de Diane pour y faire des sacri-
fices ,en actions de grâces de son heureuse délivrance (i). Les mères
consacraient en outre à cette Déesse leurs ceintures après leurs pre-
mières couches: ce qui lui fit donner le nom de Avcn&v}? , qui
délie les ceintures , sous lequel, au rapport du âcoliaste d'Apollonius,
elle eut un temple à Athènes.

Rites funèbres.

pûur Fiapeci 11 n'est pas de


les morts: peuple, isauvage
i-et barbare
i i /qui fl
ne se soit
,/. fait
.. un
devoir de rendre aux morts les honneurs de la sépulture: c'était une
tache d'infamie chez les Grecs que de manquer à ce devoir sacré.
Soîon avait décerné des peines sévères contre ceux qui fesaient

quelqu'outrage à la cendre des morts (2). Aussi ces honneurs s'ap-

(1) Gensorin. De dis JV "aboli chap, XI.


(2) Démost. Orat. in Leptirt, Plutarq. in Solone. Diodore de Si-
cile est d'avis que Pluton fut l'instituteur des cérémonies funèbres chez
les Grecs; qu'il y reçut pour cela des honneurs divins, et fut regardé
dans la suite comme le Souverain des enfers , selon l'usage qui fesait met-
tre alors au rang des Dieux tous ceux qui s'étaient distingués par quel-
qu'invention. V, Potter, Arch, gr, liv, JPT. chap. I,
i> e la Grèce. 4%
pelaient-ils chez les Grecs dhcam^ orna , et chez les Romains justa ,
sancta , comme pour exprimer l'obligation où étaient les vivans de
s'acquitter de ce soin envers les trépassés. On ne doit pas être à l'égard
des Grecs
étonné de l'empressement des Grecs à cet égard , à cause de l'opi- OpitHOIt
des morts?
nion où ils étaient, que les âmes de ceux dont les corps n'a-
vaient point reçu la sépulture ne pouvaient entrer dans les champs
Elysées (i), et que par l'effet de cette disgrâce, elles étaient
condamnées à errer pendant cent ans hors du séjour do repos
assigné aux mortels. Les poètes anciens font souvent mention de
morts , qui viennent réclamer l'accomplissement de ces devoirs
de piété envers eux. La plus terrible imprécation qu'on pût for-
mer contre quelqu'un , était de souhaiter que son cadavre fût privé
de la sépulture ; et l'impossibilité de rendre cet honneur aux naufra-
gés ,fesait regarder ce genre de mort comme le plus affreux de
tous. C'est pourquoi les navigateurs qui se trouvaient en danger de
naufrage s avaient soin d'attacher à leur corps ce qu'ils avaient de
plus précieux , comme pour être la récompense de celui qui leur
donnerait la sépulture, lorsque les flots auraient jeté leur corps Leur

sur le rivage (a). Celui qui aurait négligé ce soin envers un cada- sollicitude
vre qui se trouvait sur son passage, était exclus du commerce des à donner
la sépulture
hommes, ainsi que des cérémonies religieuses^ et on le regardait aux morts.

comme un être immonde et sacrilège, jusqu'à ce qu'il eût apaisé


les Dieux Mânes par les expiations prescrittes en pareil cas. S'il
n'avait pas le tems de s'arrêter , il lui suffisait de jeter par trois
fois une poignée de terre ou de poussière sur la tête du mort.
C'était encore un grand malheur que de mourir en pays étranger (3) 5
et pour y remédier, les pàrens ou les amis du défunt s'empressaient
de faire transporter ses cendres dans sa terre natale. Une des
peines auxquelles on condamnait les t\rrans , les traîtres à la pa-
trie , et les ennemis publics et privés , était d'empêcher qu'ils

(1) Homère , lllad. XXIII. , et Oàyss. IX. 66. 72.


(2) V. Meurs, in Lycophron. Cassanclram vers. 367.
(5) Antholog. ïiv. III. chap. XXV. épigram. LXXV. Sophocl. im
Electr. vers. n34. Il est aussi parlé dans les anciens écrivains du funus
larvatum qu'on fesait , au dire de Morestello , à ceux qui avaient péri
sous des ruines, ou dont le visage avait été tellement défiguré par quel-
qu'autre accident, qu'il fallait le couvrir d'un- masque V. les Piùture an t.
ai Ercohmo. T. IV. pag, 3 16. Note (4).
ÂtqO ' Pi E L I C I O S
Criminels eussent la sépulture clans leur patrie. Les Athéniens ne se conten-
prives de la
sépulture. tèrent pas de donner la mort à Phocion, qu'ils soupçonnaient cou-
pable de trahison , ils firent encore jeter son cadavre hors des con-
fins de l'Attique. Les sacrilèges, les criminels condamnés à une
peine infamante , étaient également privés de l'honneur des funérail-
les , et leurs cadavres étaient enterrés en cachette. On en fesait de
même à l'égard des suicides , qu'on regardait comme des ennemis
de Ta patrie, pour s'être lâchement donné la mort (i). On enterrait
sans pompe et dans un lieu à part ceux qui avaient été tués par
la foudre , pour ne point souiller de leurs cendres la sépulture com-
mune ,dans la persuasion où l'on était qu'ils avaient attiré sur eux
le courroux du ciel (a). Enfin le respect pour les morts était porté
à un si haut point, que dans les examens qui se fesaient aux can-
didats pour être admis aux emplois publics, on leur demandait
s'ils avaient satisfait aux devoirs des funérailles envers leurs pro-
ches ;et Fou notait d'infamie celui qui , avant la fin de son deuil,
s'était livré aux amusemens et à la joie. Aussi Démosthène fit-il un
reproche à Eschine , d'avoir assisté à un sacrifice solennel , vêtu
d'une tunique blanche et couronné de guirlandes, avant que le terns
-'MerpTùTt
du deuil qu'il portait pour la mort de sa fille unique ne fût expiré.
' -tt laurier Les Grecs étaient dans l'usage de placer devant la porte de
à la porte la chambre des mourans une feuille de nerprun et de laurier (3),
des mourans.
dans l'opinion où ils étaient que le premier de ces arbustes avait
la propriété de chasser les démons ou les mauvais génies; c'est pour-
quoi on l'appelait aùefyxaxoç ^ l'arbre qui chasse les maux : le second
avait pour objet d'apaiser le Dieu de la médecine, parce qu'on
était persuadé qu'Apollon ne pouvait point faire de mal aux lieux
où était consacré le souvenir de sa chère Daphné. Nous observe-
rons cependant qu'on attribuait à ce Dieu les morts subites des

(i) Aristote. Eth. Nicomaq. Uv. V. chap. II. Philostrat. in Heroicis ,


Hérodot. Uv. IX. chap. LXX. Platon (Z)e legib. lib. IX. ) semble néan-
moins excuser la faute de ceux qui se donnaient la mort, pour échapper
à l'infamie ou à des malheurs graves et inévitables.
(2) Euripid. Suppl. vers. g35. Arthémidor. Uv. II. chap. VIII. Plutar.
'Sympos. On avait même en exécration les lieux qui avaient été frappés
de ia foudre , comme si Jupiter avait imprimé sur eux une marque de
son courroux -, et ils étaient entourés d'un mur ou d'une haie , pour que
personne ne pût en approcher. V. Plutarq. dans Pyrrhus.
(3) Laert. Vita Bionis Borïsthenitae Uv. IV. segm. 5?.
de la Grèce. 44 *
hommes, et à Diane celles de femmes: opinion à laquelle Homère
fait allusion dans plusieurs endroits de ses ouvrages , et que nous trou-
vons inutile de rapporter ici (i). On croyait aussi, que les person- Mon violenté-
ries décédées de mort violente passaient immédiatement sous l'em-
pire des Divinités infernales, et que par conséquent nul ne pouvait
être dégagé des liens de la vie , par ce genre de mort 9 qu'on ne
lui eût auparavant arraché un cheveu , qui était consacré à ces
divinités. Euripide met en scène la mort armée d'un glaive, laquelle
vient couper le cheveu d'Alceste, qui s'était dévouée au trépas pour
son mari Admète. Cette opinion semble tirer son origine d'un rite
usité dans les sacrifices, et dont nous avons déjà parlé, qui était l'of-
frande qu'on fesait à la Divinité, comme prémices du sacrifice, d'une
touffe de poils arrachés , ou coupés sur le front de la victime. Quel-
ques-uns croyaient également que la Mort présentait de la même
manière aux Dieux infernaux un cheveu de celui qui se sacrifiait vo-
lontairement. Les malades eo danger de mort adressaient leurs priè-
res à Mercure , comme à celui qui était chargé de conduire les
âmes au delà du Stix (a). Les parens et les amis du mourant s'ap-
prochaient de lui en silence pour lui donner et recevoir de lui le
dernier adieu; ils le pressaient dans leurs bras, le baisaient, et Dernier adieu.
cherchaient à recueillir sur leurs lèvres son dernier soupir. A l'ins-
tant de son trépas, on frappait des ustensiles en bronze, dont le
bruit, selon l'opinion commune, et au rapport du scoliaste de Thu-
cydide, mettait en fuite les spectres, les démons et les mauvais
génies. La mort et tout ce qui y a rapport passait chez les Grecs
pour être de mauvais augure. Ils tâchaient néanmoins d'en rendre
l'idée moins triste et moins affreuse , en l'exprimant simplement
par le verbe aicoyhevdai , qui répond au denasci des latins, ou par
d'autres mots analogues aux verbes dormir , quitter la vie , partir ,
reposer et autres semblables, qui étaient aussi usités chez les an-
ciens Chrétiens.

(i) Cette croyance semble avoir pris son origine de l'influence que
les anciens attribuaient aux planètes sur les choses humaines : car Apol-
lon et Diane étaient la même chose que le Soleil et la Lune. V. Héracl.
Ponde. De Allegor. Hom. ed Heustath. ad Iliad. XIV. 2o5 et XIX. 5g.
(2) Mercure est quelquefois désigné dans la théologie Grecque comme
celui qui pèse les âmes, parce qu'on lui attribuait la fonction de peser
les vertus et les vices des morts.
Europe. Vol I. 56
443 Religios
Désirs envers
la morts. - Le premier devoir qu'on. s'empressait
. de rendre au mort étaiÉ
de lui fermer les yeux, d abord pour ne pas laisser exposé aux re-
gards des spectateurs un objet hideux; et en second lieu, parce que
c'était un vœu presque général chez les anciens, d'avoir les mem-
bres bien rangés en mourant : soin qui regardait le plus proche
de ses parens (i). C'est pour cela que, dans le onzième livre de
l'Odyssée, Agamemnon se plaint de ce que, lors de son passage à
la cour de Pluton^ Ciitemuestre ne lui a pas fermé les yeux et
la bouche. On couvrait ensuite le visage du défunt. Hyppolite près
de mourir, prie son père Thésée, dans Euripide, de lui rendre
ce dernier devoir. Avant que les membres eussent perdu tout-à-fait
leur couleur naturelle., on les étendait dans toute leur longueur,
et c'était aux esclaves de l'un et de l'autre sexe qu'appartenait ce
soin (a). On lavait le cadavre, et ron l'oignait avec de l'huile et des
Leur vëiemcni. parfums odoriférans (3). Après cela on l'enveloppait d'abord dans
un simple manteau , puis on le revêtait d'une belle et riche chla-
myde blanche, emblème de l'innocence (4)- Ainsi Socrate, avant
de boire la cigùe , se fit apporter par Apoilodore la tunique et
un manteau précieux, pour mourir en habit de funérailles (5). Eu-
fin on ornait le mort de guirlandes et de feuilles vertes et odori-
férantes, ce qui signifiait qu'il avait honorablement achevé sa car-
êmes des rière. Nous remarquerons encore ici une autre différence dans les
Lacédémoniens ■
usages des Lacédémoniens à cet égard. A Sparte, le législateur avait
ordonné que les personnages distingués par leurs vertus ou leurs
exploits militaires, fussent revêtus après leur mort d'une tunique

(i) Suétone cite un exemple mémorable de cet usage dans ces paro-
les d'Auguste : Die supremo , petlto speculo , capillum sibi comi , ac ma-
las labentes corrigi praecepit.
(2) Euripid. in Hippol. 'vers. 786.
(3) Pline dit dans le cliap. I. du XIII. e livre de son histoire natu-
relle ,que les Grecs ne commencèrent à se servir de parfums que du
tems d'Alexandre , qu'ils en apprirent l'usage des peuples de la Perse.
Homère même, en parlant de celui d'oindre les cadavres , ne fait men-
tion que de l'huile. Mais Athénée , Deipsonoph. liv. XV. , prétend que
l'huile d'Homère est la même chose que le (ivpov , ou le parfum pro-
prement dit , et que Solon en avait permis aux Athéniens l'usage , qui
n'était interdit qu'aux esclaves.
(4) Homer. Iliacl XVII. 3o2. Odyss. II 96.
(5) Laertius in Socrate. Aelianus Var. U'ist. liv. I chap. XVJ.
de la Grège. 44^

rouge, qui , comme nous l'avons vu plus haut , était l'habit militaire
de ce peuple; et que les autres citoyens fussent enterrés nus. Le
même législateur avait en outre défendu pour eux l'usage des par-
fums, pensant que ce serait une contradiction ridicule, que d'ha-
hiller richement et de parfumer après leur mort , ceux qui avaient
souverainement méprisé pendant leur vie le luxe et la mollesse (i).
Quant aux personnages marquans, qui mouraient en pays étranger,
leurs cendres étaient recueillies dans une urne et transportées dans
leur patrie pour y recevoir les mêmes honneurs, comme il arriva
de Deraetrius et de Philopomène, selon que nous l'apprend Plutar-
que. Après que le cadavre avait été arrangé, comme nous venons de
le dire, ses plus proches parens le posaient d'abord à terre; en-
Litière
suite ils le mettaient sur un brancard , ou sur une litière appelée ou brancard.
(pèperpov , les pieds tournés vers la porte, pour indiquer par là,
selon le sentiment du Scoliaste d'Homère, qu'une fois sorti de la
maison il n'était plus pour y rentrer. Jusques là on le gardait soi-
gneusement, pour qu'il ne lui arrivât aucun accident. Achille 3 dans
le XïX.e livre de l'Iliade, veille le corps de Patrocle, pour em-
pêcher qu'il ne soit entamé par les mouches et les vers. Quelques
momens avant l'heure de la sépulture, on mettait dans la bou-
che du cadavre une pièce de monnoie pour payer son passage à Monnoie
et gâteau poiCr
Caron, et on plaçait dans sa main un gâteau fait de fleur de farine les morts»

et de miel , pour calmer la fureur de Cerbère. On attachait encore


à ia porte de la maison une touffe de ses cheveux, pour avertir les
Cheveux
l eau lustrale
passans que la famille qui l'habitait était en deuil. Enfin on y pla- sur la porte.
çait un vase d'eau lustrale, pour que ceux qui avaient touché ou
seulement vu le cadavre pussent se purifier en sortant. C'est pour
cela que dans l'Alceste d'Euripide, le Chœur ne peut croire à la
mort de cette tendre épouse 3 en ne voyant aucun de ces signes à
la porte de la cour.
La planche 69, qui est prise d'un bas-relief du musée Capi- Mon
de Wèl&agre..
tol in (a), offre divers exemples de ces cérémonies, dans la mort
de Méléagre qoi y est représentée. Les Mythoîogistes ne s'accor-
dent point sur les entreprises et les disgrâces de ce héros. L'artiste
semble avoir suivi ici le récit qui se trouve dans le VIlI.e livre

(t) Aelian. Var. Hist. liv. VI. ehap. VI.


(1) Ce bas-relief et le suivant décorent les deux façades d'un sarco-
phage. V. Mus. Cap. Tom. IV. Tab. 35 et 40.
444 Religion
des Métamorphoses d'Ovide. Selon ce poète, (ïïnêe Roi de Calédc-
nie ayant fait, dans une année d'abondance, des sacrifices à tous
les Dieux , excepté à Diane , cette Déesse , pour s'en venger , envoya
un sanglier monstrueux qui dévasta toutes les campagnes. Méléagre
son fils, accompagné d'autres héros, et d'Atalante fille de Jasius Roi
d'Argos , alla à la chasse de ce sanglier, et l'ayant tué, il en
donna la peau et la hure à cette héroïne. Offensés de cette pré-
férenceTossée
, et Plésippe frères d'Aîtée mère de Méléagre, as-
saillirent lehéros, et furent tués par loi. Altée dans sa fureur
oublie d'être mère , et ne respire plus que vengeance. A la naissance
de Méléagre , les Parques avaient mis sur le feu un tison , auquel
elles attachèrent la destinée de ce Prince; et s'étant mises à filer
la -trame de ses jours, elles avaient prédit qu'ils dureraient au-
tant que ce tison. Altée l'ayant promptement retiré du feu, n'eut
rien de plus empressé que de le garder pour conserver la vie
de son fils. Transportée de fureur, elle remet au feu le tison fa-
tal. Méléagre se sent aussitôt dévoré d'une flamme intérieure 3 qui
le consume insensiblement , comme le tison avec lequel il s'éteint.
La partie de gauche du bas-relief représente la mort de Tossée et
de Plésippe, et la vengeance d'Altée. Méléagre tient sa chlamyde
retroussée sous les bras gauche à la manière des chasseurs, qui } com-
me l'observe Oppian, étaient ou tout-à-fait nus, ou n'avaient que
ce seul vêtement , pour être plus libres et plus agiles à la chas-
se (i): cette chlamyde leur servait même comme de bouclier con-
tre les bêtes féroces (a). Plésippe est étendu à terre mortelle-
ment blessé, »et cherche encore à arracher des mains de Méléagre
les dépouilles du monstre. Tossée a tiré son épée , et va pour
attaquer Méléagre, qui l'attend de pied ferme un couteau à la
main. Le rocher qu'on aperçoit est placé là , pour indiquer que
cet événement tragique s'est passé dans les forêts de la Calé-
donie : derrière ce rocher est Tisiphone , qui tient de la main
gauche un serpent , qu'elle lance contre Méléagre (3). Derrière

(r) On voit dans certains monumens Méléagre en cothurne comme


les chasseurs , qui portaient des brodequins pour ne pas se blesser les pieds ;
mais l'artiste l'a représenté ici les pieds nus , forçasse ne ignavus moIUs-
que videretur , comme l'observe l'illustre commentateur du Musée Capitoîin.
(2) Pollux , Qnomast. liv. V. ehap. 5. segm. 18. Varro , liv. IV.
(5) Tisiphone était la première et la plus méchante des Furies; c'était
elle qui inspirait aux hommes la fureur de la vengeance. On la représen-
bé la Grèce. 4^5
Tossée on voit un autel avec le feu , sur lequel Altée , agitée de
même par une furie , tient le tison de la main droite , le visage
tourné en arrière, et le bras gauche levé , comme pour se déro-
ber la vue de cet affreux spectacle. A la partie opposée est Mé-
ïéagre
• ,
étendu
»
sur
.
un lit..-]
Le vieil Oînée
,i
appuyé /■>,
sur un bâton i tortu. . moribond
MéUagre
assiste aux derniers soupirs de son malheureux fils : autour du lit w le lu.
sont les sœurs du héros, fondant en larmes, les cheveux épars , le
sein découvert et avec tous les signes de la plus arnère douleur. A
coté du lit on voit lepée , le casque et le bouclier, qui, au dire
de Pollux et d'Oppian , étaient les armes dont se servaient les chas-
seurs. Winckelmann rapporte un monument antique , où Méléa-
gre est aussi représenté avec un casque : les chasseurs ont de même
le bouclier, dans les peintures du sépulcre des Nasons observées
par Bellori (i). L'artiste a figuré sur ce bouclier la tête d'une
Gorgone, peut-être pour signifier que Méléagre n'était pas seule-
ment brave à la chasse , mais aussi à la guerre : car ce fut un
des compagnons de Jason dans l'expédition des Argonautes ; peut-
être a-t-iî voulu par là , comme le suppose Esichius, faire allusion
à la cruelle fin de ce héros, qui était représentée sur la plupart
de sarcophages sous l'emblème de la Gorgone. Une femme lui sou-
tient la tête de la main gauche , et de la droite lui met dans la
bouche la pièce de monnoie qui doit lui servir à payer son pas-
sage pour traverser le fleuve infernal (a). Derrière (ffiuée est une fera»

tait avec des serpens de la main, gauche^ et tenant de la droite un flam-


beau ,un bâton et quelquefois un fouet. On peut voir à cet égard la sa-
vante dissertation de M.r Boettiger , les Furies , d'après les Poètes et
les Artistes anciens , Paris , Delalain etc. 1802, Nous croyons néanmoins
à propos de rapporter ici un passage de cet écrivain , qui est digne de
remarque : Ce qui a été dit jusqu'ici suffit pour justifier cette assertion
de Lessing , que les artistes de l'antiquité n'ont jamais représenté les
Furies sous les formes effrayantes , que leur a données Eschile ; et les
artistes modernes devraient à cet égard imiter les anciens dans leurs
ouvrages. La licence poétique , que le créateur de la tragédie chez les
Grecs pouvait se permettre à l'époque où il vivait , ne doit pas servir
d'autorité aux poètes tragiques de nos jours , qui travaillent pour un
public beaucoup plus éclairé et plus poli que celui d' Eschile.
(1) Monum. ant. Tab. L XXXVIII. Bellor. Tab. XV. XVII et
XXXVIII Part. II.
(2) Nous avons suivi ici l'opinion du savant Commentateur du Musée
Capitolin. Cependant Bellori et Montfaucon , dans la description qu'ils ont
&ép Religiok
y ■?. vêtue d'une simple tuniqe, et debout, qui tient les mains ren-
* -^rsées en arrière, dans l'expression de la plus vive douleur et
fixe sur le mort des regards avides : c'est peut-être Cléopatre son
épouse dont parlent Homère , Apollodore et Pausanias. L'autre
femme assise, qui a un air triste et rêveur, et un chien à côté
d'elle, est Atalante, qui, au dire d'Oppian , blessa le sanglier la
première. Elie a, comme les chasseuses, les cheveux noués sur le
sommet de la tête , les bras nus , la tunique relevée , le carquois ,
l'arc , avec des caleçons qui lui arrivent jusqu'à mi-jambe , et qui
sont liés avec une grosse attache (i). Enfin on voit Némésis, qui
était chargée de tenir note des actions des hommes et d'en juger.
Elle a un pied sur la roue, emblème qu'on lui a donné, parce
que, dans les mystères des Egyptiens et des Perses, et selon l'opi-
nion d'A.nacréon et de Plutarque , la roue était le symbole du
cours et des vicissitudes de la vie humaine.
Transport Après toutes ces cérémonies, on transportait le cadavre au lieu
du cadavre. . ., , _
de la sépulture, ce qui s appelait exipopa (a). Il n est pas aisé
de déterminer le terns qu'on devait le garder dans la maison. En
lisant dans le XXIV.e livre de l'Odyssée, qu'Achille fut pleuré
pendant dix-sept jours et dix-sept nuits, et que le dix-septième
jour son corpi3 fut brûlé, plusieurs écrivains ont cru que les cada-
vres restaient le même espace de tems dans le sein des familles (3).
Servius dit au contraire, qu'on les brûlait le huitième jour après
leur mort, et que le neuvième on enfermait leurs cendres dans le
tombeau. Mais ceci ne doit s'entendre que des funérailles des
Princes et des magistrats, dont la célébration se fesait avec beau-
coup de pompe. On lit dans le IT.e livre des Argonautes de Valerius
Flaccus, que les funérailles se fesaient anciennement le troisième
ou le quatrième jour après la mort :

donnée d'un bas-relief où le même sujet est représenté , ont cru recon-
naître dans l'objet que la femme présente au héros , un remède au lieu
d'une pièce de monnoie. Mais la forme de cette pièce nous parait trop
évidente pour en douter ; et en effet elle convient bien davantage à l'état
de Méléagre , qui a ici les yeux fermés , et semble n'exister plus.
(i) V.
vrfEneid. Pollux34o., Ouomasù, liv. V. chap. III. segm. 18. et Virg'd.
I. vers.
(a) De est(pèpELV , efferre , transporter, emporter hors. V. Kirchmann.
et Pott. Arch. gr. liv. IV. chap. IV.
(3) Alexan. ab. Alexand. Génial. Dier. liv. III. chap. VII.
D3Ë LÀ OïlÈCE, ^Ar-

Ab vero ornantes supremo funus honore ,


Très totos condunt lugubri murmure soles .
Magnifiée tumulant quarto

Mais les pauvres étaient inhumés dès le lendemain de leur mort9


comme l'annonce cet épigramme de Callimaque: Qui peut se flat-
ter de prévoir l'événement du lendemain ? lorsque nous , o Carmi !
qui te voyions encore hier plein de vie, nous sommes réduits au-
jourd'hui àpleurer sur ton tombeau. Non : une douleur plus amère
que la nôtre n'a point déchiré le cœur paternel de Diophon (i).
On transportait le cadavre en plein jour au lieu de sa sépulture, Tems
la nuit étant regardée comme funeste à cette cérémonie, à cause da transP9ri~'
des Furies et des mauvais génies, qui, dans l'opinion du peuple,
fuyaient la lumière , et infestaient la terre durant les ténèbres. II n'y
avait que les funérailles des jeunes gens , et de ceux qu'une mort pré-
maturée avait frappés, qui se fesaient à l'aurore , pour ne pas expo-
ser à la lumière du soleil l'image d'une perte qui causait les plus
vifs regrets à la patrie (a). L'usage de porter des torches à ces cé-
rémonies funèbres s'est conservé depuis dans celles qui se fesaienfc
en plein jour : ce qui a donné lieu à ce proverbe employé par les
Grecs en parlant des vieillards, qu'ils s'approchaient chaque jour
du flambeau de leur vie. Il n'en était pourtant pas ainsi à Athènes,
où le transport des cadavres se fesait toujours avant le lever du
soleil (3). On se servait pour cela d'un brancard ou d'une litière (4),
et à Sparte d'un bouclier. Il ne parait pas cependant qu'on fît usage
de brancard dans les tems héroïques: car on lit dans Homère que Pa-
trocle fut transporté par les Myrmidons sur leurs bras , et qu'Achille
soutenait sa tête (5). Le convoi était composé des parens et des amis

(1) Anthol. liv. III. chap. VI ëpigram. 58. Edition de Naples , 1792.
(2) C'est à cet usage que les interprètes de la mythologie attribuent
l'origine de la fable de tant de jeunes gens enlevés par l'Aurore , parce
que quand un jeune homme bien fait et de belle espérance était enlevé
par une mort prématurée , on disait , pour adoucir le sentiment de cette
perte , que l'Aurore s'était éprise d'amour pour lui. V. Héracl. Pontic.
de Allegor. Hom.
(3) Démost. Orat. in Macart. Cic. De legib. lib. IL
(4) Euripid. Alcesb. vers. 607.
(5) Iliad. XXIII. ,56.
44^ Religion
du défunt; et si c'était un magistrat ou quelque grand personnage,
il s' y joignait un nombre considérable d'hommes et de femmes
sans cependant que les deux sexes y fussent confondus l'un avec
l'autre (i). Les assîstans y étaient tous en habits de deuil. Les fu-
nérailles de ceux qui s'étaient distingués par leur courage ou leurs
vertus n'étaient point accompagnées de cette marque de douleur:
on les célébrait au contraire avec pompe , comme si les âmes de
ces personnages avaient déjà pris leur place au rang des Dieux.
Plutarque rapporte que les obsèques de Timoléon furent suivis de
plusieurs milliers d'hommes et de femmes habillés en blanc, et avec
des couronnes , comme pour un jour de fête , et que celles d'Ara-
tus furent célébrées par des chants et des danses. On voyait en ou-
tre à ces pompes funèbres des chars et des hommes à cheval. Le
cadavre était le plus souvent à la tête du convoi : venaient ensuite
les parens du défunt, et à quelque distance d'eux le reste des as-
sîstans, d'abord les hommes qui avaient, la tête découverte , et après
eux les femmes. Si le mort était un guerrier , les soldats portaient
leurs armes renversées vers la terre. Au moment où l'on emportait
le cadavre hors de la maison , la famille lui donnait le dernier
adieu (a).

Ces cérémonies , lorsqu'on voulait les célébrer avec plus de


pompe, étaient accompagnées du sou des flûtes, et de chœurs d'hom-
mes et de femmes , qui exprimaient leur douleur par des larmes
et des chants funèbres : usage qu'Homère désigne par le mot spv^vn
de bpiqvEiv , qui veut dire se plaindre? pleurer, I! parait néan-
moins que cet appareil funèbre n'avait pas lieu aux funérailles des
enfans, dans lesquelles, au dire de Potter , on jouait au contraire
de la flûte phrygienne , dont les sons inspiraient la joie et l'allé-

Pompes De tous les peuples de la Grèce, les Athéniens


gresse. furent celui
des Athéniens, chez lequel on rendit le plus d'honneurs à ceux qui étaient morts
en combattant pour la patrie. Thucydide en donne la description

(i) Cependant, il n'y avait que les parens du défunt, qui pussent ,
en certains lieux , assister à son convoi , et cela peut-être pour éviter le
désordre et des dépenses excessives. Pittacus en avait même fait une loi
à Mytilène. Solon avait aussi prescrit à Athènes , qu'aucune femme , à
l'exception des parentes du défunt, ne pourrait intervenir à ses funé-
railles à, moins d'être âgée de soixante ans.
(2} Euripid. ^ilcesL vers. 609.
de la Grèce. 449
dans son second livre. Trois jours avant la pompe funèbre, on expo-
sait le cadavre sous une tente , où chacun venait lui rendre les
derniers devoirs; on l'enfermait ensuite dans un cercueil de cyprès,
puis on le mettait sur un char pour l'emporter. Chaque tribu avait
son char et son cercueil; il y avait encore un autre cercueil , qui ne
servait que de cénotaphe en mémoire de ceux dont on n'avait pas re-
trouvé le corps. Une foule de citoyens et d'étrangers accompagnait
le convoi. Les parens du défunt pleuraient pendant ce tems sur le
lieu de la sépulture: c'était, une espèce de cimetière situé dans le
plus beau faubourg de la ville, où avaient été enterrés tous ceux
qui étaient morts à l'armée, à l'exception des guerriers qui avaient
péri à Marathon , auxquels on avait donné la sépulture sur le champ
de bataille même. On recouvrait de terre ie cadavre, et le persoo- Eloge fanèbft
nage le pins distingué, ou le plus éloquent de l'assemblée, récitait
l'éloge du défunt. Périclés s'acquitta de ce soin envers les citoyens
qui étaient morts à la guerre de Samos ; et son discours fit une
telle impression sur les esprits, que toutes les femmes coururent l'em-
brasser, et lui posèrent une couronne sur la tête, comme cela se
pratiquait envers les athlètes qui revenaient vainqueurs dans leur
patrie. Thucydide nous a aussi conservé , dans son second livre, l'orai-
son funèbre que prononça le même Périclés, après la première cam-
pagne de !a guerre du Péloponnèse (i).
Mais une des cérémonies les plus pompeuses qui aient jamais été Bûrhev

faites en ce genre, ce sont sans contredit les funérailles qu'Alexandre d 'Eijhesl^-


fit célébrer en l'honneur d'Ephestion. Diodore de Sicile raconte
que, pour construire le bûcher destiné à ce guerrier, on abattit
dix stades, ou cinq cents toises des murs de Babylone: puis il
ajoute, que ce bûcher était de forme tétragoue ; que chaque côté
était partagé en six zones, sur lesquelles on voyait des proues de
navire représentées en or, des archers et autres hommes armés, des
tapis de pourpre , des torches , des couronnes d'or au milieu , un

(i) Les Athéniens avaient porté à l'excès le luxe dans leurs funé-
railles. Xénophon , qui réunissait toutes les vertus morales aux plus grands
talens militaires , tint un jour ce langage à ses enfans : Lorsque je serai
mort , gardez-vous de renfermer mon corps dans Vor ou ï'argent , mais
rendez-le à la terre. Quoi de plus désirable , que d'être mêlé à la terre,
qui produit et conserve de si belles choses ? Paroles pleines de sagesse ,
et dignes de cet illustre philosophe,
Europe. Vol. I. 5j
4^0 Religion \
aigle au sommet et un dragon à la base ; qu'on y avait figuré des
chasses d'animaux de toute espèce , des combats de centaures , de
lions et de taureaux; et que tout le bûcher était décoré de tropbées ,
qui attestaient les victoires des Macédoniens, et la défaite des Bar-
bares. Cet immense catafalque avait plus de cent-trente coudées de
hauteur; il était recouvert de troncs de palmier, et sur le haut il
y avait des figures de Sirènes faites de manière à pouvoir contenir
les musiciens , qui devaient chanter l'éloge du défunt. Le même his-
torien assure que la construction de ce bûcher coûta plus de douze
mille talens, qui font plus de soixante-dix millions de notre mon-
ciwr fM,èbre naie. A côté de ce monument de magnificence on peut placer le
char funèbre, sur lequel fut transporté de Babylone à Alexandrie
le cadavre du héros Macédonien: « machine étonnante, dit un
illustre écrivain, tombeau des grandeurs et des vanités humaines,
où gissait le corps immobile et glacé de ce conquérant redoutable,
dont l'esprit ardent et inquiet avait troublé le repos de la moitié
de la terre, et se disposait déjà à troubler le reste „. Deux ans
furent employés à la construction de cette machine, dont le poids
était si considérable, qu'il fallut y atteler soixante-quatre mulets
pour la traîner. Nous nous bornerons à ce peu de mots sur ces deux
monumens funèbres, dont il serait trop-long, et même fastidieux 9
de donner une description détaillée. Il n'y aurait même pas d'uti-
lité à les représenter ici, attendu que leur dessin et leur cons-
truction devaient plutôt tenir du goût Persan ou oriental , que
de la perfection de celui des Grecs. Ceux qui désireraient néan-
moins avoir des notions plus étendues à cet égard, pourront consulter
ïe XXXI.e tome de l'histoire de l'académie des Inscriptions, ainsi
que le savant ouvrage de Sainte-Croix (i). Nous nous dispenserons
également d'offrir à nos lecteurs le dessin d'un convoi funèbre: car
d'après les observations critiques de M.r Foggiui, les funérailles qui
font le sujet des bas-reliefs rapportés par Montfaucon et Santo Bar-
toli, ne semblent point être dans le costume des Grecs ni des Romains.
Il n'y a également rien de bien intéressant pour nous dans le bas-
relief Capitolin , où le même Foggini croit voir les obsèques de Mé-
Mcher. léagre, et qui du reste n'est pas d'un beau style. Nous avons cru
devoir néanmoins extraire de ce monument la figure n.° i de la

(i) Exam. cjitiq. des anciens Historiens d'Alexandre le-Grand.


sec. édition , pag. 468, et 5ii.
ïs la Grèce ^5 r

planche 70 , comme propre à donner l'idée d'un bûcher , sur


lequel une femme se dispose à faire une libation funéraire. Cette Uhaûon
femme tient dans la main droite un vase rond, extrêmement plat,
funéraire*
qui semble destiné à contenir les parfums qu'elle doit jeter sur le
feu; elle a dans la gauche un autre vase, ou pour mieux dire, une
fiole, dont le cou est très-étroit, et qui ressemble beaucoup aux
prétendus vases lacrymatoires (1). Le n.° a de la même planche est
pris d'un vase d'Harnilton , et représente une femme qui va célé-
brer une cérémonie funèbre. M.r Ttalinski est d'avis que cette
femme est Erigone fille d'Icare, qui, à la nouvelle de la mort
de son père, se pendit de désespoir. « On voit, dit-il, Erigone
« près de la colonne, qu'elle avait fait dresser sur le cadavre de
« son père; elle y a attaché un bandeau De plus elle a
« parsemé le sol de branches de myrte, et fait une libation. Après
« s'être acquittée de ces devoirs sacrés, elle se dispose à s'éloigner
« du lieu où est renfermé l'objet de sa douleur, et tient déjà dans
« sa main l'instrument qui doit y mettre fin. Comme elle n'est ni

(1) Nous disons aux prétendus vases lacrymatoires , car il est bien
reconnu aujourd'hui que ces vases étaient destinés à tout autre usage qu'à
celui de recevoir des larmes. >■> Ceux qu'on trouve dans les urnes cinérai-
res et dans les tombeaux , dit M.r Mongez , sont en verre , ou en terre
cuite. Leur grandeur varie de cinq centimètres à trois décimètres. Ce
fut vers la fin du XV.e siècle qu'on imagina que ces vases avaient servi
à recueillir les larmes des parens et des femmes payées pour pleurer aux
funérailles , et on leur donna un nom analogue. J'ai fait voir dans ua
mémoire que j'ai lu à l'Institut la frivolité de cette opinion , qui semble
n'avoir jamais eu d'autre fondement , que l'explication littérale de ces phra-
ses métaphoriques des épitaphes , comme celle-ci , cum lacrymis ponere.
Cette opinion fut renouvellée depuis , et pour la confirmer on a eu re-
cours à un bas-relief, qui existait avant la révolution dans l'église de la
Charité à Clermont en Auvergne , et sur lequel on voyait un personnage
assistant à des funérailles , qui tenait sous ses yeux un prétendu lacry-
toire. Mais , d'après l'examen que des antiquaires et des artistes ont fait
du dessin de ce bas-relief ( la pierre ne s'étant plus retrouvée ), il a été
reconnu que ce n'était point un ouvrage antique , mais bien du XVI. e
siècle , et comme une conséquence de l'opinion que j'ai combattue , ( ainsi
que l'avait déjà fait Schœffling et Paciaudi .... Je persiste donc à
croire avec ces deux érudits , que les vases appelés lacrymatoires , ont
servi àcherscontenir les essences et les parfums , qu'on répandait sur Içs bû-
ou les tombeaux.
^5a Religion
« Reine, ni Princesse, ce qu'on lui voit à la tête n'est point un
« diadème, mais un de ces rubans, dont se servaient les darnes
« Athéniennes pour lier leurs cheveux , et qui s'appelaient cy-
<i clades (i) „. Selon cet auteur, la chose qu'a cette femme dans la
main serait la corde avec laquelle elle avait résolu de se pendre;
mais Baxter ne voit dans cette espèce de corde qu'une tresse de
cheveux, qu'elle a arrachés de sa tête, ou que les femmes étaient
dans l'usage de déposer sur le tombeau de ceux dont elles pleuraient
la mort. I! y a encore ici deux choses à remarquer quant au cos-
tume ;îa première, c'est le péplum dont la femme a la tète envelopr-
pée ; la seconde, est la tunique noire. On ne trouvera pas moins
beau, ce semble, le costume de la figure n.° 3, qui représente
une femme allant pour remplir une fonction funèbre. Cette figure
appartient aussi aux vases antiques, et se trouve également dans l'ou-
vrage de Hope.
Deuil. Les Grecs s'interdisaient, pendant tout le tems de leur deuil!
les festins, la musique, la danse, les promenades publiques, et
tout ce qui pouvait donner en eux l'idée d'amusement ou de gaie-
té; ils se dépouillaient de toute espèce d'ornemens et de parure ,
et se revêtaient d'habits noirs, et d'une étoffe grossière. C'est pour
cela que Périodes se vantait de n'avoir fait prendre le deuil à
personne. Souvent ils se rasaient la tète , ou s'arrachaient les che-
veux ,qu'ils jetaient sur le cadavre ou le bûcher , ou qu'ils dé-
posaient sur le tombeau du défunt : cérémonie dont l'accomplis-
sement s'étendait jusqu'aux animaux. Et en effet, on lit dans
Pintarque, qu'à la mort de Pé'opidas, les Thessaliens coupèrent leurs
cheveux , ainsi que les crinières de leut's chevaux (a). Alexandre

(i) Vases etc. Vol. II. PI. 3o. édit. de Florence.


(2) Observons cependant, qu'en certains pays c'était un signe de joie
que dé se raser la tête; et que dans d'autres, les femmes en deuil por-
taient les cheveux longs et épars sur les épaules. C'est ce qui fait dire à
Potter , qu'il faut en cela avoir égaid aux usages particuliers des divers
peuples : car c'était en général une marque d'affliction , que de se raser
ou de s'arracher les cheveux soi-même , et au contraire un signe d'allé-
gresse de se les faire couper avec art et symétrie par un autre. Mais chez
les peuples qui étaient dans l'usage de porter les cheveux courts , c'était
une marque de deuil de les laisser croître ; et au contraire c'était un si-
gne d'affliction de se les faire couper , chez les peuples qui les portaient
jiiabituellement longs. Ainsi, après la prise de Tyrèe par les Spartiates^
be la Grèce. q53
ne se contenta pas de faire tondre les crinières des chevaux et des
mulets de son armée , à l'occasion de la mort d'Ephestion , il vou-
lut encore qu'on abattît les merlons des murs, pour que ces villes
elles-mêmes, selon la réflexion de Plutarque , eussent l'air de s'être
dépouillées de leur chevelure , et de déplorer la perte d'un aussi grand
personnage. A la mort des magistrats et des citoyens les plus mar-
quans , les assemblées publiques , les amusemens et les réjouissances
étaient défendus comme dans les jours de fête; et les gymnases,
les bains, et les temples môme étaient fermés. On était également
dans l'usage de se couvrir la tète de cendres, de se frapper la poitri-
ne ,de s'égratigner les joues , de se rouler dans la poussière , et môme
de se déchaîner contre les Dieux , contre leurs simulacres et leurs
autels, pour mieux exprimer l'excès de sa douleur. Ou ne pou-
vait paraître en public que la tète enveloppée dans i?n voile ou
dans le manteau, ni marcher qu'à pas lents et mesurés (i). Enfin ,
à ces marques d'affliction se mêlaient des cris lugubres, parmi
lesquels on répétait quatre fois l'interjection £ , d'où le Scoliaste
d'Aristophane fait dériver le mot hsyoi , qui veut dire elegiae ou
plaintes.
Les cadavres étaient enterrés, ou brûlés. Cette coutume sem- ou sépulture,
combustion.
ble néamoins avoir varié selon la diversité des teins , des lieux , et
des opinions religieuses. Le Scoliaste d'Homère croit que l'usage
d'enterrer les morts est bien antérieur à celui de les brûler, qui
a été introduit par Hercule; et il n'est pas douteux que cet usage
n'ait continué à être suivi , mèrne à l'égard de ceux dont ils est
parlé dans les historiens et les poètes, comme ayant été consumés par
les flammes. Dans les tombeaux que l'on découvre journellement aux
enviions d'Athènes, on trouve souvent des squelettes entiers étendus
sur un lit de feuilles d'olivier ; quelquefois même on rencontre dans
le même cimetière des tombeaux avec des squelettes entiers , et

le gouvernement d'Argos , de qui dépendait cette ville , ordonna à tous


les citoyens de se raser les cheveux jusqu'à ce qu'elle eût été reprise ; et
les Spartiates au contraire , qui portaient les cheveux courts , se les lais-
sèrent croître pour morguer leurs ennemis. Hérodot. Ivv, I. chap. 82. Plut,
in Lysand. Alexan. ab. Alex, Génial. Dier. liv. V.
(1) Les Spartiates ne montraient pas beaucoup de douleur à la mort
de leurs proches ; mais à celle de leur Rois , - ils s'attroupaient hommes ,
femmes et esclaves tous ensemble , et se fesaient des blessures au front:
avec des aiguilles , à l'usage des Barbares,
4^4 Religion
d'autres qui ne renferment que des vases où sont des cendres et
des ossemens (i). Athénée cite, liv. Xï chap. ï, un passage d'un
ancien écrivain , qui s'exprime ainsi : après que le mort est étendu
à terre, et couché sur un Ut de feuilles très-épais , on place à côté
de lui divers mets , quelques vases pour boire , et sur sa tête une
couronne. Quoiqu'il en soit , il parait néanmoins que du terns de
la guerre de Troie , on était généralement dans l'usage de brûler
les cadavres. Eustaze en donne deux raisons dans le I.er chant de
l'Iliade; la première, c'est que le feu purgeait le corps de la souil-
lure qu'il avait contractée par la mort; la seconde, parce que l'âme
dégagée par l'action du feu de toute matière grasse et inerte, pou-
vait s'envoler plus aisément au ciel , ou passer aux champs Elysées :
opinion qui était fondée sur la propriété que les anciens attribuaient
à cet élément, de dépouiller l'âme humaine de toute matière abjecte
s?TSnt et corromPne- Les bûchers , sur lesquels on brûlait les cadavres 3
tbs cadavres, et que les Grecs a ppela ient Tîvpai , étaient faits de diverses matiè-
res et de différentes formes, selon que les tems , le lieu et autres
circonstances l'exigeaient. On plaçait le corps sur le haut du bû-
cher, et quelquefois on brûlait avec lui des animaux et même
jusqu'à des esclaves. On versait sur la flamme du miel, de l'huile,
des aromates et des essences odoriférantes. On avait soin de frotter
le cadavre avec la graisse des animaux, pour qu'il fût plus facile-
ment consumé. Les parens et les amis du défunt montaient sur le
bûcher: c'était un devoir pour eux de souffler le feu, et de faire
dessus de continuelles libations; ils s'approchaient le plus qu'ils
pouvaient des flammes, et saluaient le mort en l'appelant à grands
cris par son nom. Homère nous fournit les détails les plus intéres-
sans à ce sujet dans le XXXIÏF.6 livre de l'Iliade , où il fait la
description des funérailles de Pat roc le : on éleva un grand
bûcher qui avait cent pieds sur toutes faces , sur lequel on éten-
dit le corps du défunt : on immola devant des brebis noires et de
jeunes taureaux , qui furent aussitôt dépouillés de leur peau : l'in-
vincible Achille en prit la graisse , et en frotta le cadavre de la tête
aux pieds ; puis il entasse ces victimes s et fait une libation d'hui-
le et de miel contenus dans deux urnes funéraires. Il fait choi-
sir en outre quatre de ses plus beaux coursiers , et deux cerviers
parmi les neuf qui assistaient à la table de leurs maîtres , leur

(x) Lettres de M. JPauvel , Journ. Encyclop. Mars , 18x2.


de la Grèce. ^55
tranche ta tète avec son épée , et les jette sur le bûcher : trans-
porté de fureur il immole avec eux douze des plus illustres prison-
niers Troyens 3 et lance leurs corps sur le bois ammoncelé ; enfina
le cœur gonflé de soupirs et les yeux en pleurs il y porte la flam-
me , et appelle par son nom Vami qu'il a perdu : adieu , Patrocle ,
adieu , puissent ces honneurs réjouir ton ombre le noir Tartare !
On jetait aussi suc le bûcher les vêtemens du défunt, avec tout ce
qu'il avait de plus précieux, et de plus cher durant sa vie(i): on y
jetait même ses armes lorsque c'était un guerrier. Aux funérailles
des grands capitaines, les soldats fesaient trois fois le tour du bû-
cher en allant de droite à gauche, ( la marche en sens contraire
étant un signe d'alleg cesse ), et en poussant de grands cris accom-
pagnés du son des trompettes. Après que tout était consumé, on étei-
gnait les charbons avec du vin , dont on lavait aussi les ossemens et
les cendres du mort, qui étaient recueillis par ses plus proches pa- Comment
rens, et de
difficile sur reconnaître
lesquels ensuite on répandait
ses restes de l'huile.
de ceux des Il n'était
autres hommes pas °i«r0Tm«*
et des
animaux qui avaient été brûlés avec lui, parce que, à part les
prétendus suaires d'amiante et d'autres matières „ le corps de celui
en l'honneur duquel on célébrait les funérailles, était placé, com-
me nous l'avons déjà observé, au milieu du bûcher, tandis que ceux
des autres l'étaient sur les côtés. Ainsi, dans le même livre de
l'Iliade , Achille ordonne qu'on éteigne d'abord le bûcher avec du vin
rouge . ... et qu'ensuite on recueille les ossemens de Patrocle , qu'il
est bien aisé de distinguer , parce qu'ils se trouvent au milieu du bû-
cher ; et que ceux des autres hommes et des chevaux , qui ont été
brûlés avec lui , sont à une des extrémités. On renfermait ces os-
semens et ces cendres dans des urnes de bois, de terre, de marbre,
ou de quelque métal précieux selon la dignité du défunt; puis on Urnes
recouvrait l'urne d'un voile , et on l'ornait de fleurs et de guirlan- flaires.
des. Si le cadavre devait être enterré en entier , on l'étendait dans
son tombeau le visage tourné vers le ciel, et la tête à l'orient. On
renfermait quelquefois dans le même tombeau ou dans la même
urne , les ossemens de deux , trois et même quatre personnes , que les
liens du sang ou de l'amitié avaient étroitement unies pendant leur

(i) Lycurgue avait ordonné par une loi, qu'on ne pourrait jeter sur
le bûcher qu'un seul vêtement rouge, avec quelques branches d'olivier.
^56 Religion
vie. Ainsi Admète demande, dans Euripide, d'être rais dans le
tombeau d'Alceste son épouse.
Platon nous apprend que , chez îes anciens Grecs , chaque mai-
Emplacement son avajf ses sépulcres dans son enceinte. Mais dans les tems nos-
des se/nUcres. l ~ r
térieurs, l'usage pvévalut d'enterrer les morts hors des villes, et
particulièrement le long des routes (i). On élevait néanmoins dans
les endroits les plus marquans des villes , et même dans les temples,
des tombeaux à ceux qui avaient bien mérité de la patrie : PIu-
tarqne et Xénophon nous en citent plusieurs exemples. Chaque fa-
mille avait sa sépulture particulière , où l'on regardait comme une
disgrâce de ne pas être enterré. Résolus de vaincre ou de mourir
dans la guerre des Messéniens , les Spartiates s'attachèrent au bras
droit une espèce de billet ou de tablette , sur laquelle était inscrit
3e nom de leur famille , pour que le corps de chacun d'eux pût
être facilement reconnu après la bataille, et transporté dans la sé-
pulture de ses ancêtres (2). Dans des tems plus éloignés, les sé-
ékur forme, pulcres n'étaient que des fosses creusées en terre , sur lesquelles on
élevait une colonne, on qu'on recouvrait simplement d'un tas de
terre ou de pierres en forme de cône ou de monticule, lorsqu'elles
renfermaient le corps de quelque personnage marquant. Mais l'art et
la magnificence s'introduisirent aussi peu-à-peu dans la construction
des tombeaux. On les fit de diverses formes, et quelquefois d'une
telle çrandeor , que les parens du défunt pouvaient y entrer pour
pleurer sur son urne ou sur son cadavre, comme l'atteste Pétrone
dans l'histoire de la matrone d'Ephèse (3). On voit même par di-
verses inscriptions Grecques, dont Montfaucon (4) à rapporté quel-
ques-unes ,qu'on pratiquait quelquefois dans ces tombeaux des
appartenons semblables à ceux qu'habitaient les vivans. Voici la
traduction latine d'une de ces inscriptions , qui a été trouvée dans
un tombeau à Smyrne. Behla hasce structuras et thecas , et

(1) Il faut pourtant excepter de cet usage les Spartiates, auxquels


Lycurgue avait permis d'enterrer leurs morts dans la ville , et même au-
tour des temples , pour leur ôter tout sujet de superstition , et pour ac-
coutumer la jeunesse à ne point avoir peur à la vue clés cadavres , et mê-
me à fouler aux pieds les tombeaux.
(2) Justinus, lib, III. cap. V.
(5) Les sépultures souterraines s'appelaient en grec Hypogaea , qui
.veut dire cavernes , arcs , voûtes.
(4) Tom. V. pag. 67 et suiv.
de la Grec; É. 4^7
tumulum eocaedificari jussit , nec non habitacuta- adjacentia 3 nempe
domum. 3 scalam } cubiculum^ medianum, triclinium , et ossuaria ....
Excitavit autem sïbi , conju^i suo Syntrophio , et jfîZiw dtcfoG ne-
potibus suis. Vale et tu. On voit au u.° i de la planche 71 un de
ces tombeaux, avec les niches où se plaçaient les urnes qui renfer-
maient les cendres et les ossemens des défunts; la découverte en a
été faite , il y a déjà plusieurs années , dans les environs de Co-
rinthe. Une autre inscription nous apprend que les chambres et les
niches pratiquées dans ces tombeaux, étaient quelquefois communes
à diverses familles. Les épi ta plies portant l'indication des familles
à qui appartenaient ces sépultures étaient déposées dans les archi-
ves publiques, c'est pourquoi on lisait dans une inscription de Smyr-
ne, qui était en Grec: cette épitaphc a été déposée dans l'archive
de Smyrne. Souvent , lorsque le tombeau était souterrain , la par- Tombeau
tie qui s'élevait au dessus du sol présentait la forme d'un temple, de ' umpL.
On eu voyait encore des images sur les cippes et autres monu-
mens sépulcraux , après que les lois eurent réprimé les excès du
luxe dans les funérailles; et ces images représentaient un petit tem-
ple formé par deux colonnes qui soutiennent un tympan , et s'élè-
vent sur un petit piédestal (1). Dans l'entre-colonnement on distin"
gue ordinairement l'image de la personne à laquelle le monument
a été élevé , avec les attributs qui lui étaient propres ; le guerrier
était, représenté avec ses armes et des chevaux, le chasseur avec des
chiens, et les femmes avec des miroirs et autres objets particuliers
à leur sexe (a). Ou peut voir un de ces petits temples au n.° a de

(1) On peut voir plusieurs de ces petits temples dans les peintures
des vases antiques , et même dans les bas-reliefs.
(2) Pausanias nous apprend que la forme des tombeaux variait chez
les différens peuples de la Grèce. Il en cite néanmoins plusieurs , qui sont
semblables à celui que nous venons de décrire. Cet auteur parle aussi des
images qu'on était dans l'usage de tracer sur les tombeaux , et dit ; que
sur celui de Gorëbe près Mégare , le plus ancien des sépulcres en mar-
bre , ce personnage était représenté tuant Pœna ; que , sur la route de Fa-
réra à Athènes, on voyait un tombeau , que Praxitèle avait décoré de la statue
d'un guerrier avec son cheval; que, sur celui d'Echemus près de Tergée ,
était figuré le combat d'Echemus et d'illus ; que deux guerriers morts sur
le champ de bataille étaient également représentés à cheval sur un tom-
beau près Mégare; enfin, que le monument était quelquefois décoré de pein-
tures ,comme l'était celui de Senodicas. Pline fut aussi mention d'un tom-
beau près de Sycione , qui avait été peint par Nicomaque. V. Millingen.
Europe. Vol. I. 5§
^58 Religion
ïa planche 71 , qui représente le tombeau , ou le monument héro'i
que d'un guerrier: le dessin en est pris d'un vase du Musée Vati-
can, qui a été aussi rapporté par Millingen, Au milieu est l'ima-
ge du défunt, qui est vêtu d'une simple chlamyde, et tient en
main le pylée , ou le bonnet. Son bouclier et ses jambiers , sont
suspendus au mur; et l'on voit à ses pieds sa ceinture, avec une
branche de laurier ou de myrte. Le champ du tableau est orné
d'une fleur, d'un pain sacré et d'une bandelette, qui étaient les
Sarcophage, offrandes d'usage envers les morts (1). Le n.° 1 de la planche 73
représente la partie intérieure d'un sarcophage en pierre grise rap-
porté par Choisseul , qui l'a remarqué près les ruines de Thelmîsse ,
autrefois ville de la Carie, selon le témoignage de Cicéron et d'E-
tienne le Bysantin. Les parties latérales en sont beaucoup plus lar-
ges que celies de devant et de derrière. On y aperçoit une ouver-
ture carrée , par où l'on y introduisait sans doute le cadavre , et qui
se fermait probablement avec une pierre. Ce monument nous prou-
ve , ainsi que plusieurs autres rapportés par le môme auteur, que
les anciens étaient dans l'usage de donner à leurs tombeaux la for-
me de leurs maisons. On reconnaît même dans un des sarcophages
Sépulcres
tClll-GS en pierre l'imitation d'un édifice en bois, où l'on distingue les mo-
dms ic roc. diilons et les petites planches (a). On trouve aussi près de Telmisse

(1) Les offrandes aux morts consistaient en gâteaux de miel et de fa-


rine TteXavoi , en fruits , en fleurs de toute espèce , et particulièrement en
roses, lys et amaranthes, en persil, en branches de myrte et de lau-
rier ,en bandelettes ou rubans de laine , et généralement en quelle que chose
que ce pût être , pourvu qu'elle fut analogue à l'état , à l'âge et aux oc-
cupations du défunt. V. Millingen. Ibid.
(2) « Dans ces urnes de marbre, dit Choisseul pag. 117, qu'on ren-
contre sifréquemment en Italie , on distingue le toit avec ses divisions ,
ainsi que la porte , qui est fermée tantôt entièrement , tantôt à demi , et
quelquefois occupée par le Génie de la mort : voilà la raison pour laquelle ,
dit l'auteur des Mémoires , où nous avons puisé cette remarque ( l'abbé
Barthélémy, Mém. de Litt. , Tom. XXVIII. pag. £89), les tombeaux sont
appelés dans les poètes et les inscriptions maisons éternelles ; et c'est
peut-être aussi dans ce sens qu'on doit entendre ce passage d'Horace ;
Jam te premet nox , fabulaeque mânes,
Et çlomus exilis plutonia.
Lib. I. Od. IV,
_| tftty

Q$J/;nl- F
de la Grèce. ^5o,
on roc, dans lequel on a taillé de grands sépulcres plus ou moins
décorés, dont le style dénote des ouvrages Cirées dans le goût des
Egyptiens et des Perses. Le n.° a de la planche 7 a représente un
de ces sépulcres , avec les dimensions que Choisseul lui a donnée»
dans son ouvrage. Il a beaucoup de ressemblance avec ceux qu'on
voit encore sur le mont Naxi-Rustan (1) près de Persépolis. « L'ordre
qui règne dans ce monument, dit l'illustre auteur, ne nous permet
pas de le croire très-ancien; mais pourtant on y voit l'effort qu'on
a fait, pour lui donner un caractère sévère et convenable à l'usage
auquel il était destiné. Les corniches né sont composées que de piè„.
ces carrées, les modillons sont très-forts, la frise est supprimée, et
l'architrave est formée de deux corps extrêmement pesans: les trois
masses qui couronnent les angles du fronton ajoutent encore de la
gravifé au monument, et approchent davantage du style Egyptien.
Le désir de les imiter dut être en outre soutenu d'une grande pa- ;
tience , pour tailler dans le roc vif de pareils édifices. La porte, qui
est parfaitement sculptée, n'eut jamais d'autre ouverture qu'une des
petites planches on parties inférieures, par laquelle on a pénétré dans
le roc, pour y former une chambre d'onze pieds et trois pouces de
longueur, sur neuf pieJs et deux pouces de profondeur, et cinq
pieds et dix pouces de hauteur: autour de cette chambre règne une
banquette de trois pieds et deux pouces de longueur , sur deux pieds
et neuf pouces d'élévation L'entrée du tombeau semblait se
fermer avec une pierre, qui s'encastrait dans des rainures faites pour la
recevoir, et dont la superficie extérieure repondait aux petites plan-
ches que nous avons remarquées à la porte. Sur la petite planche gauche
de cette porte est une inscription Grecque, mais tellement endom-
magée par le tems , que, malgré toutes les peines que nous nous
donnâmes pour la laver, il nous fut impossible de la déchiffrer „.
L'entrée étroite de ce monument semblerait indiquer qu'il n'était
pas destiné à renfermer des sarcophages , dont on ne voit aucun ves-
tige, mais seulement les cadavres , ou les urnes qui contenaient leurs
cendres, et qu'on plaçait peut-être encore sur la banquette dont
il vient d'être parlé.
Ce serait trop nous écarter du but de notre ouvrage , que de vou- Grand nombre,
loir rapporter ici tous les sépulcres et les sarcophages qu'on voit dans e *«/"»«" «*•
les antiquités Grecques: car il n'est point de voyage au Levant, ni

(0 Voy- Ie Costume des Perses. Asie, Vol. III. pag.


460 Religion
de collection Archéologique, où l'on ne trouve clés monumens sépul-
craux. Il est même à remarquer , qu'une grande partie des bas-
reliefs conservés aujourd'hui dans les musées les plus célèbres, appar-
tient aux sarcophages; et de ce nombre sont ceux que nous avons
représentés au n.° 2, de la planche 53 , et à la planche 66, ainsi
que beaucoup d'autres que nous devrons encore rapporter successi-
Tomheau vement. Nous croyons néanmoins devoir dire quelque chose du fa-
meux tombeau de Mausole, que fit élever Arthémise Reine de la
Carie. Nous aurions une description exacte et détaillée de ce monu-
ment dans l'ouvrage de Philon le Bysautin, intitulé de Mirabilibus ,
s'il était parvenu jusqu'à nous (1). Cependant nous tâcherons, d'après
ce que Pline en a écrit (fa), d'en donner quelqu'idée à nos lecteurs,
« Scopas, dit cet écrivain, eut pour rivaux contemporains dans son
« art Briassis, Timothée et Léocare, dont il convient de parler en
« même tems , parce qu'ils consacrèrent ensemble leur ciseau à
« gloire de Mausole petit Roi de la Carie , qui mourut la seconde an-
« née de la cent-sixième Olympiade. C'est particulièrement le talent
<i de ces artistes, qui a fait mettre ce monument au nombre des
« sept merveilles du monde. Son étendue est de soixante-trois pieds
« du nord au midi; il en a moins aux deux façades, sa circonfé-
(t rence est de quatre cent-onze pieds, et sa hauteur de vingt-cinq
« coudées. Il est entouré de trente-six colonnes, et cette colonnade
.« s'appelle Ptèron. La sculpture est, à l'orient, de Scopas; au nord,
a de Briassis ; au midi,, de Timothée; et à l'occident , de Leocare.
« La reine Arthémise, qui avait ordonné la construction de ce
« monument, mourut avant qu'il fut achevé. Ces artistes ne lais-
» sèrent pas néanmoins de le continuer jusqu'à sa fin, pour l'hon-
« neur de leur art et leur propre gloire; ils semblent même en-
« core aujourd'hui s'y disputer la palme du mérite. Leur nora-
fi bre s'accrut d'un cinquième artiste , lorsque sur le Ptéron il

(1) Ce monument avait été aussi décrit par Satyre et par Pythée:
V. Vitruv. liv. VIL
(2) Histor. natur. liv. XXXVI. chap. 5. Le Comte de Caylus avait
déjà interprété ce passage de Pljne ; mais M.r de Choisseul remarqua plu-
sieurs erreurs dans le dessin que ce savant antiquaire en avait liât faire :
erreurs , qui me semblent, dit-il, -provenir d'une édition vicieuse à la-
quelle il donna la préférence. La dissertation de M.r de Caylas sur le.
tombeau de Mausole se trouve dans le XXVII.e Tome des Mémoires dç
littérature etc.
!de la Grèce. /,6i

« fut élevé une pyramide d'une hauteur égale à celle de la par-


ti tie inférieure de l'édifice , et composée de vingt-quatre gra-
« dins, qui vont en se rétrécissant jusqu'au sommet, dont un qua-
" drige en marbre, ouvrage de Pithis, forme le couronnement. Cette
« dernière partie, jointe au reste , donne à tout l'édifice cent pieds
(i d'élévation „. Toute cette masse avait donc la figure d'un pa-
ral élogramdont
e, les principales façades avaient 63 pieds de
longueur ; elle était flanquée de 36 colonst-es , qui devaient être
comprises dans cette dimension , selon l'usage où étaient les an-
ciens de compter dans l'étendue de la façade des temples, non
seulement le côté du sanctuaire ou naos, mais encore la largeur
des deux colonnades latérales appelées Ptéron. « Pline, ajoute
M.r Choisseul, dit que la circonférence totale était de ^n pieds;
mais un parallélogramme, dont les grands côtés auraient 63 pieds,
serait bien loin de donner une pareille circonférence : il y avait donc
nécessairement un soubassement, qu'on peut dire suffisamment connu,
car son étendue est déterminée, et sa hauteur est le complément
des cent pieds, qui est celle de tout l'édifice. Je le suppose fait
en gradins, parce que tout ce qui approche de la forme pyramidale
devient plus probable dans cette espèce d'édifices, auxquels elle
était propre, et dont le style tirait son origine des Egyptiens „.
C'est d'après ces conjectures que M.r Choisseul a tracé Je plan du pianetfacaèk
tombeau de Mausole, dont on voit le dessin avec une des grandes d" MaïlsoZ
façades sous le n.° 3 de la planche 72. Le même écrivain a remar-
qué une grande analogie entre ce monument et un autre qu'il a
également examiné en Carie près les ruines de Milasa ; et il ajoute,
que la position de celui-ci à peu de distance du premier, peut raison-
nablement faire soupçonner qu'on ait eu l'intention de rappeler dans
sa construction la forme et le style du fameux tombeau de Mau-
sole , quoique d'une date bien postérieure à ce dernier et d'un
ordre d'architecture tout différent, qui est le Corinthien, lequel
était alors inconnu en Asie, et peu usité dans la Grèce , où on
ne l'employait que dans la construction, des temples des divinités,
qu'on croyait aimer particulièrement le luxe et l'élégance (1). Aux

(t) « Il ne reste plus aucun vestige du tombeau de Mausole , malgré


tous les soins que prit Arthémise pour rendre éternel ce monument de
sa douleur: peut-être que sa forme et sa solidité l'auraient préservé des
injures du teins : il faut donc croire que c'est le besoin d'en employer les
^6n Religion
Cénotaphes, monumens sépulcraux il faut encore ajouter les cénotaphes , ou
tombeaux vides, c'est-à-dire qui ne devaient point renfermer de
cadavres. Il y en avait de deux sortes; les uns étaient destinés à
ceux qui avaient été ensevelis en d'autres lieux, et tels étaient ceux
d'Achille, de Tirésias , d'Euripide et d'Aristomène etc. dont parle
Pansanias; les autres étaient pour les naufragés, et pour ceux qui étant
morts en pays étranger ou ennemi, n'avaient pu y recevoir les hon-
neurs de la sépulture. On croyait qu'à la faveur de ces simulacres
de tombeaux , les âmes de ceux auqueîs ces honneurs n'avaient pas
été rendus , pouvaient passer dans les champs Elysées, pourvu qu'on les
eût appelées trois fois. On trouve un exemple de cet usage dans le
IV/, livre de l'Enéide, où le héros Troyen dit avoir rempli ces
devoirs envers Déiphobe.

Tune egomet tûmulum Rhaet.eô in littore inanem


Constïtid , et magna mânes ter voce vocavi.

Théocrite nous apprend dans sa XXIV. e Idylle, que' les tombeaux


1-ascS ,
honoraires se distinguaient des autres par un morceau de* bois, ou
un débris de navire appelé inpiov , qu'on mettait dessus.
et lampes L'article des funérailles doit embrasser aussi les vases et les lam-
sépulcrales* pes sépulcrales, Les vases étaient de deux sortes ; les uns servaient à
renfermer les ossemens et les cendres des morts; les autres n'étaient
destinés qu'à figurer dans les tombeaux. Les vases ou urnes de
la première espèce étaient de formes très-variées, et faits quel-
quefois de manière à pouvoir contenir un cadavre entier s ou au

Matière
moins tous ses ossemens, qu'on avait soin d'y ranger dans leur po-
des urnes sition naturelle. Les plus communs cependant étaient les urnes ci-
sépulcrales. néraires; elles étaient en or, en argent, en cuivre, en marbre, en

matériaux qui l'a fait détruire. On n'a aucun indice sur l'époque de sa
destruction -, mais il ne serait peut-être pas téméraire d'en accuser les ca-
valiers de S.1 Jean, qui plus habiles dans le métier de la. guerre que dans
la connaissance des arts, ne songeaient qu'à se mettre en état de défense
cpptre les attaques des Musulmans. Il pourrait bien se faire que le château
(de "Rhodes) ait été construit et souvent réparé avec ces décombres pré-
cieuses. On voit en effet plusieurs statues employées comme matériaux dans
la construction de ses murs ; et Thévenot dit avoir vu dans l'intérieur
plusieurs bas-reliefs et quelques inscriptions : il ne m'a pas été possible
d'obtenir de l'Aga la permission d'y entrer ». Choias. Tom. I.cr pag. i5S.
de la Grèce. ^63
terre cuite ou autre matière, selon la dignité , la classe ou l'état du
défunt. Achille 3 dans Homère, renferme les ossemens de Pafrocle dans

un vase d'or; et, selon Plutarque , l'urne du Roi Demetrins était du


même métal. Les urnes en terre étaient pour les gens pauvres ou du bas *
peuple, et généralement plus grandes , parce qu'elles devaient renfer-
mer les cendres de plusieurs personnnes, et quelquefois d'une fa-
mille entière. Elles étaient pour 1' ordinaire hautes et étroites vers Leur forma
le cou: plusieurs se terminent en pointe par le bas: quelques-unes et ornemsns.
ont des manches, et les autres n'en ont pas: la plupart sont sans or-
nernens; on en voit cependant avec^dès figures d'hommes ou d'ani-
maux (i). Nous n'avons cru devoir représenter ici ,. sous le n.° 3 de
la planche 71, qu'un seul exemple de ces urnes, attendu le grand
nombre qu'on en voit dans toutes les collections d'antiquités: nous
aurons cependant occasion d'en rapporter d'autres* ailleurs. Cette
urne, qui appartient à la Bibliothèque Barberiui , est également ci-
téefpar Bartoli et Montfaucon; elle est d'un marbre précieux avec
des figures en bas-relief: on l'a trouvée pleine de cendres dans le tom-
beau d'Alexandre Sévère et de Mammée. La beauté de sa forme
et des figures fait présumer qu'elle est un ouvrage Grec ; et la con-
formité d'usages qui existait à cet égard entre les Grecs et les Ro-
mains, autorise à penser qu'on aura bien pu employer un vase de
fabrique Grecque à cet objet. Le bas-relief retrace toute la fable
de Jupiter et Leda avec diveres autres figures , parmi lesquelles on
distingue une femme assise sous un arbre, et tenant de la main
droite un flambeau renversé vers la terre. Cette figure est peut-être
l'emblème de la mort: car on voit souvent sur les tombeaux , de ces
images allégoriques ou Génies , qui tiennent un flambeau de cette
manière, ou qui font pour l'éteindre contre terre.
Les vases de la seconde espèce sont du nombre de ceux dont nous
Vases
avons parlé à la page et dont nous traiterons encore à l'article des '^Jjf™"*
Arts. A cette sorte de vases appartiennent
11 encore ceux de terre '„ ™f«rmow
point de cèdres
qui font partie des collections de Hamilthon , de Millin , de Mil-
lingen et autres antiquaires. Ils sont en grand nombre et de formes
extrêmement variées: car ceux qu'on plaçait dans les tombeaux
étaient; premièrement } les vases qui avaient contenu le vin, le
lait, l'huile, et les parfums dont on avait fait des libations sur le

(1) Voy. Montfauçon Antiq. etc. Tom. IX. Beger. Bonanni etc.
464 Religion
mort pendant la cérémonie des funérailles (1); secondement, au-
tant qu'on peut le conjecturer, les vases où était l'eau lustrale qu'on
mettait à la porte de la maison où se trouvait le défunt; troisiè-
mement, les vases qui avaient servi dans le banquet, que les parens
et les amis du mort donnaient après les obsèques; quatrièmement, les
vases auxquels le défunt tenait le plus, tels que ceux qui lui avaient
été décernés comme prix dans les jeux gymnastiques , ou dont on
lui avait fait présent le jour de ses noces , ou qu'il avait reçus de
l'amitié ou à titre d'hospitalité, et en général tous ceux sur lesquels
on lit Fépithète Ea?,oç et K«/tç, qui accompagne le plus souvent
le nom de la personne à laquelle le présent a été fait (2). Outre
ces vases, il en est d'autres qui paraissent avoir été particulière-
ment destinés à être placés dans les sépulcres. Tels sont probable-
ment ceux sur lesquels on voit représentés des tombeaux, des liba-
tions, et des offrandes funéraires: souvent même on distingue dans
le nombre de ces dernières, des objets symboliques et relatifs à l'ini-
tiation aux mystères. Les vases se trouvent tantôt rangés avec ordre
dans les tombeaux, et tantôt placés pêle-mêle , et quelquefois mê-
me brisés : ce qui provient peut-être de la qualité de ces vases,
ou de l'usage auquel ils servaient. On voit représentés sous le n.° 4
de la planche 71 plusieurs vases de terre, ainsi que des fioles de
verre et un plat aussi de terre vu de profil et de front 3 avec deux
petites idoles ou Pénates de terre, divers ustensiles domestiques, et
Une inscription sépulcrale gravée sur le marbre. Ces différens objets

(1) M.1' Millingen observe qu'on trouve presque toujours les cadavres
avec un lecithus , ou vase d'huile ou de parfums sur la poitrine , selon
un usage dont fait mention Aristophane.
(2) Ces vases se posaient quelquefois sur les tombeaux. On lit dans
Vitruve (liv. IV. chap. V. ) un témoignage marquant de cet usage. Virgo ,
dit-il _, civis Corinthia jam matura nupùiis , implicita morbo decessit :
-post sepulturam ejus , quibus ea viva , poculis delectabatur , nubrix col-
lecta et composita in calatho pertulit ad monumentum et in summo col-
locavit : et uti ea permanerent diutius sub divo , tegula texit. On trouve
quelquefois des vases d'une autre espèce hors des sépulcres , et qui sont
probablement ceux qu'y laissaient les parens et les amis du mort après
s'en être servis pour quelque libation ; et en effet , il est bien à présu-
mer que ces vases étaient abandonnés sur les tombeaux , à cause de l'idée
d'impureté qu'on attachait à tout ce qui avait été employé à quelque cé-
rémonie expiatoire ou funèbre.
delà Grèce. 465
ont été trouvés dans les anciens tombeaux de Mégare, et sont rap- tampe*
sépulcrales.
portés par Stuart dans ses Antiquités d'Athènes,
Il y avait plusieurs manières d'honorer les tombeaux ; d'abord
en tenant des lampes allumées dans les ipogées, qui étaient des sé-
pulcres faits en forme de maison souterraine , ou en plaçant ces
lampes également allumées dans les tombeaux même, avec les autres
objets qu'on était dans l'usage d'y enfermer. Ces lampes avaient la
figure d'un œil, peut-être par allusion à l'âme qui est la lumière
du corps , et dont la lampe est l'emblème (1). Voy. les deux
lampes au n.° 4 de la planche 70, qui sont prises des antiquités
d'Herculanu'm. Elles n'avaient, selon Pétrone, qu'une seule mèche;
c'est-pourquoi Dion , en parlant du souper funèbre donné par Do-
rnitieu , dit qu'il y avait une petite lampe comme celle qu'on sus-
pend dans les sépulcres (2). Les tombeaux étaient en outre décorés
de rubans, de touffes de cheveux et de toutes sortes de fleurs et
de plantes , surtout (Tache , et de guirlandes faites avec des bran-
ches d'arbustes odoriférans, parmi lesquels le myrte tenait le pre-
mier rang. On y sacrifiait aussi des victimes funèbres , telles que

(1) Schiliterus , de Decim. Sar. ,pag. 21 5. Brunings. Anb, Gr. chap, 3x


§. 12. N.° 3. Paul. II. ad Corinth. IV. 7.
(2) On doit regarder aussi comme fabuleux ce qu'on raconte des
lampes qui ont été trouvées encore allumées à l'ouverture d'anciens sépul-
cres et
, qu'on a appelées pour cette raison lampes perpétuelles ou inextingui-
bles. Cette opinion prit son origine de la découverte qui fut faite à Rome ,
en i54o , du prétendu tombeau de Tulliola fille de Cicéron , dans lequel oa
trouva , dit-on , une lampe qui s'éteignit au premier contact de l'air. Mais
on n'a aucun témoignage digne de foi , qui confirme cet événement. On
ne peut pas mettre beaucoup de confiance dans ceux de Pausanias et de
Solin , au dire desquels , il y avait des lampes sacrées qui brûlaient pen-
dant un an , attendu que leur assertion n'est fondée que sur les rapports
d 'autrui, et qu'il est bien probable que ce prétendu phénomène fût l'ef-
fet de quelque supercherie. La moindre notion de physique suffirait pour
faire rejeter toutes les chimères de ce genre : car il n'y a pas d'huile qui
ne se consume par la combustion , ni de mèche qui puisse brûler long-
tems sans aliment: l'amiante même cesse de brûler lorsqu'il en manque.
Il n'est pas douteux que les prêtres auront eu soin d'entretenir secrète-
ment la mèche de lin , dont parle Pausanias , et qui restait allumée pen-
dans un an dans la lampe d'or que Callimaque avaient consacrée dans le
temple de Minerve. V. Montfaucon , Antiq. etc. Vol. X. pag. 208. et
Encyclop. method. Antiquités Tom. III. Articl. Lampes.
Europe. Vtl. I. 5g
466 Religion
des génisses et des brebis noires et stériles , et avec les mêmes cé-
rémonies qui étaient en usage dans les sacrifices qu'on fesait aux
Divinités infernales, pour exprimer par la couleur noire et la sté-
rilité de ces victimes, que la lumière et la fécondité sont bannies
Libations. du séjour des morts. Mais ces sacrifices étaient d'un usage encore moins
fréquent , que les libations de sang , de miel , de vin , de lait , d'eau
et de parfums odoriférans , qu'on fesait sur les tombeaux, et qui
Jeux funèbres, étaient toujours saupoudrées de farine d'orge. Si le défunt s'était illus-
tré pendant sa vie par de grandes actions , surtout à la guerre, on
récitait son éloge funèbre , et l'on célébrait des jeux solennels devant
son tombeau. Tels furent ceux qu'Achille fit célébrer en l'honneur
de Patrocle , et qui accompagnèrent depuis les funérailles de Mil-
tiade , de Brasidas et de Timoléon. Dans les prix qu'on distribuait
aux vainqueurs, on n'omettait jamais les couronnes d'ache ., herbe
consacrée aux morts , parce qu'on la croyait née du sang d' Arche-
more : motif pour lequel on en fesait aussi des couronnes aux vain-
queurs dans les jeux Néméens } qui avaient été institués à la mort
lustrations. de cejeune prince. Après les funérailles on fesait les lustrations, dans
l'idée d'impureté qu'on attachait, non seulement aux personnes qui
y avaient assisté, mais même aux lieux où le cadavre avait séjour-
Banyuets. né (i). Venait ensuite le banquet que donnait la famille du dé-
funt, pour que le deuil se terminât par des réjouissances. Athénée,
en parlant de cet usage , nous apprend que les mets qui tombaient
accidentellement de la table étaient consacrés au mort: on les por-
tait ensuite sur son tombeau , dans l'opinion où l'on était qu'il pou-
vait les goûter. Les convives devaient être en tunique blanche. La
célébration de toutes ces cérémonies se fesait le neuvième ou le tren-
tième jour après les funérailles, et on les renouvellait à l'arrivée
des parens ou des amis qui n'avaient pu s'y trouver : ce renouvel-

(i) Les lustrations pour les morts ne différaient point de celles dont
nous avons déjà donné la description. Il est néanmoins parlé dans Plu-
îarque d'une lustration particulière pour ceux qui , frappés d'une mort
apparente , étaient revenus à la vie après leur funérailles , ou qui crus
morts en pays étranger , étaient retournés dans leur patrie après qu'on
avait fait leur cénotaphe. On commençait par les bien laver , puis on les
emmaillottait comme les enfans qui viennent de naître. Il n'y avait que
les Spartiates qui traitaient de niaiseries les lustrations funéraires , et ils
plaçaient même à côté des temples les ossemens des grands personnages
qui avaient bien mérité de la patrie. V. Pott. Arch. gr. liv. IV. chap. VIII,
£> s la Grèce. 467
ïement , au rapport d'Athénée et d'Esichius , avait même lieu tous
les ans au mois d'Antestérion. Ces anniversaires étaient appelés, Ne- Anniversaires
pépiai parce qu'ils tombaient aux fêtes de Némésis , Déesse, qui.,
selon Moscopule et Suidas, présidait aux cérémonies funèbres. Ce
dernier écrivain, et môme Esichius, Favorinus et autres, assurent
qu'on donnait quelquefois à ces jours le nom de Tevema, parce que
certains honneurs funèbres, proprement appelés Nexvma, se célé-
braient avec les mêmes cérémonies que les jours de naissance. Nous
avons rapporté jusqu'ici tout ce qu'il y a de plus important dans
les rites funèbres des Grecs. Ceux qui désireraient s'instruire plus
amplement sur cette matière , pourront consulter les traités qu'en
ont donnés Potter et Nicolaï (1).
Nous ne voulons pas cependant terminer cet article , sans dire Aooihéose
quelque chose de V apothéose ou déification, qui prit son origine eq. ou défk*UoK*
Grèce , d'où elle passa ensuite chez les Romains. Dans les com-
mencernens, l'apothéose se bornait à mettre au nombre des héros
les hommes qui avaient rendu de grands services à la patrie. Le
premier exemple qu'on trouve de cet usage dans les tems historique?
est peut-être celui de Brasidas, qui est rapporté par Thucydide.
Brasidas, célèbre capitaine de Sparte, ayant été tué près Àm-
phi polis, fut inhumé avec pompe par ses soldats dans le lieu le
plus éminent de la ville, où l'on fit ensuite le marché. Les habi-
tans élevèrent une enceinte autour de son tombeau; ils lui rendirent
les honneurs réservés aux héros, décidèrent qu'il lui serait célébré
tous les ans des jeux et des sacrifices^ et le considérèrent toujours
comme le fondateur de leur colonie. Tels furent sans doute les hon-
neurs qui accompagnèrent, comme nous venons de le dire , les funé-
railles de Miltiade et de Timoléon. Mais dans la suite des tems,
et lorsque les mœurs se furent corrompues, l'adulation en vint au
point de mettre, non plus seulement au nombre des héros, mais au
rang des Dieux même les grands capitaiues, les chefs illustres 3 en un
mot tous ceux qui s'étaient distingués parmi leurs concitoyens : genre
de dérèglement dans lequel les Athéniens surpassèrent tous les autres
peuples de la Grèce. Tels furent encore les honneurs rendus à
Ephestion par Alexandre. Non content d'avoir fait célébrer les
funérailles de son ami avec toute la pompe imaginable, ce con-
quérant voulut encore l élever au rang des Dieux. Les peuples s'eu-

(1) De Graecorum lue tu , lugentiumque ritihus variis.


468 Religion
pressèrent aussitôt de lui bâtir des temples, de lui dresser des au-
tels et de lui offrir des sacrifices. Toute l'Asie célébra des fêtes en
l'honneur du nouveau Dieu , et les sermens les plus solennels se
firent en son nom. Alexandre et ses successeurs obtinrent ensuite
les mêmes honneurs. Les apothéoses entrèrent aussi dans le domaine
des beaux arts , et l'histoire nous en a conservé plusieurs exemples.
Vnotiiéose
$ Homère*
Le plus célèbre de tous est l'apothéose d'Homère, qui fait le sujet
d'un bas-relief en marbre sculpté par Archeîaùs de Prienne ; et
nul mortel sans contredit ne fut plus digne d'être mis au rang des
Dieux que celui , Che le Muse lattar più ch'altri mai. Nous nous
sommes bornés par conséquent à représenter , à la planche 78 , cette
seule apothéose , plutôt comme un des chefs-d'œuvre de l'art, que
comme un monument historique des cérémonies usitées des Grecs
dans leurs apothéoses, qui ne consistaient guères qu'en jeux solen-
nels, en sacrifices, en acclamations et en magnificences. Ce monu-
ment fut découvert en 1668 sur la voie Appienne près Albano, dans
un lieu appelé autrefois ad Boùllas } maintenant Fratocchie , et
appartenant aux Princes Colonna. L'Empereur Claude y avait une
maison de plaisance: ce qui a fait naître l'idée au P. Kircher, que
ce monument a été élevé par ordre de cet Empereur, qui était
grand amateur de la littérature Grecque , et surtout des ouvrages
d'Homère. Le même écrivain, ainsi que Cuper, Spanheim, Nicolas
Hinsius , Gronove, Welstein , Schotti et Montfaucon , ont mis toute
leur érudition à illustrer cette apothéose, sans jamais en donner
une explication , qui ne fût toujours sujette à quelque difficulté (ij.

(1) Les contradictions des antiquaires, dans les illustrations qu'ils ont
données de ce monument^ sont une preuve des difficultés et des erreurs
auxquelles l'archéologie a toujours été sujette. Nous croyons même à pro-
pos de rapporter ici ce qui a été dit au sujet de ce monument par les
auteurs de l'Encyclopédie méthodique. // n'est pas de V étude des monu-
mens antiques } ùomme de l'étude des autres sciences. C'est un champ
'vaste , ouvert aux conjectures de ceux qui veulent s'y donner carrière ;
et quelqu'opp osées qu'elles soient entre elles , pour peu qu elles soient
ingénieuses , et qu'on sache les appuyer de quelques autorités des an-
ciens , elles ne manquent guères de procurer à leurs auteurs la ré-
putation qu'ils espèrent: réputation qu'acquièrent bien plus difficile-
ment ceux qui s'attachent à des sciences, qui demandent quelque chose
de plus que des conjectures et des vraisemblances. Le célèbre monu-
ment de l' apothéose d'Homère en est un exemple très-convaincant. Plu-
de la Grège. ^6g

C'est au célèbre Ennius Quirinus Visconti qu'il était peut-être ré-


servé d'interpréter ce fameux bas- relief , d'une manière qui satisfît
pleinement tous les vœux. A l'aide des critiques qui avaient déjà
été faites sur les autres commentateurs de Winkelmann son maître y
il a touché le but, que personne n'avait encore atteint avant lui.
Nous ne ferons donc que rapporter ici les propres paroles de cet
illustre antiquaire. « La figure [n.° i représente Jupiter avec le Jupitet.
Calliope.

« sceptre, le diadème et l'aigle: le n.° a est Calliope tenant en


« main ses tablettes (i), la première d'entre les Muses, et celle
<« qui a le plus de rapport avec Homère La figure n.° 3, Clio.
<i qui tient un volume, est Clio la Muse de l'histoire : celle du n.°
« 4, Ç1" semble gesticuler de la main droite, et tient une lyre de
Thalie.
" la gauche est Thalie , Muse de la comédie et des banquets: la ges-
« ticulation est allusive à la première, et la lyre aux seconds. Le
Ealerp».
«■ n.° 5 représente Euterpe avec ses pipeaux et ses flûtes. La Muse
» n.° 6 est Melpomène ou la tragédie, qui est voilée et en cothur- Melpomène i
« nés , ainsi que l'autre figure qu'on voit dans le plan inférieur avec
H l'épigraphe TPArûAIA : le cothurne tragique se fait remarquer pour
« la première fois aux pieds de cette figure , et en détermine le
« sujet. La figure dansante au n.° 7 est Erato, Muse des amours et Eralti

a de !a danse: on ne sait trop à qui appartient la lyre qu'on voit


« entre Erato et Euterpe ; si c'est à Erato, notre bas-relief s'ac-
« corde en cela avec plusieurs autres monumens , et entr'autres avec
« les peintures d'Herculanurn et les statues que nous possédons; si
« c'est à Euterpe, cette lyre est un emblème tout à fait nouveau,
« qui pourrait indiquer avec les flûtes, que cette Muse préside à la
Therpsicore ,
Uranie ,
« musique. Le n.° 8 est Therpsicore avec la lyre et l'archet ; le
« n.° 9 Uranie avec un globe , et le n.° 10 Polymnie Muse de la
Polymnie,
« mémoire, enveloppée dans son manteau. Le n.° 11 représente Apol-
« Ion Citharède ou Musagète , vêtu de la tunique ortostadie , tenant Citharède,
Apollon.
« de la main droite un archet, et de la gauche sa lyre: à ses pieds
" est le rideau de Delphes, son arc et son carquois. Près de lui *
» au n.° la, est la Pythie: ce qu'elle tient dans la main droite
« n'est point un volume , mais un plat , sur lequel elle présente
Pyihie.

sieurs savans antiquaires l'ont expliqué , chacun selon ses vues. Leurs
explications , quoique fort différentes les unes des autres , leur ont fait
honneur à tous. Antiq. mytol. etc. Vol. I. pag. 240.
(1) Tablettes revêtues d'une couche de cire,, appelées en Gxecpinacides,
4'jo Religion
'< au Dieu les offrandes: je crois que c'est Phémone , une des plus
i anciennes dans ce ministère, et qui a eu part à l'invention du
« vers hexamètre. Ces deux figures se trouvent dans l'antre Co-
« ryce , d'où, les Muses ont pris aussi le nom de Nymphes Corycides
'<• La figure n.° i3, qui est devant le trépied est, selon Spanhe-
'« mius et Schott 3 Bias compatriote d'Archelaùs fils d'Apollonius,
* dont ce bas-relief est l'ouvrage, comme L'indiquent ces mots qu'on
< lit au dessous de la figure de Jupiter APXEAAOS ATIOAAQNIOT
EIIOIHSE nPIHNETS, Archelaùs de Priennc fils d'Apollonius fecit.
'* Le trépied sur lequel il s'appuye est un présent que lui fit l'ora-
Olcne Lfcien.
'« cle. J'ai exposé à la planche XXVIII les motifs qui me font présu-
« mer que ce peut être Olène Lycieu, fondateur de l'oracle de Del-
phes figuré
, sous l'emblème du trépied , et qui chanta le premier en
« vers hexamètres (1). On voit dans le plan inférieur sous un portique
Womère.
« orné de tapisseries OMHPOS ou Homère, n.° 16 , qui est assis sur un
trône comme une Divinité, à laquelle plusieurs figures allégoriques
« aux vertus et aux talens offrent des sacrifices; il est couronné par
1»' Univers.
'« l'Univers sous la figure d'une femme, qui est elle-même couron-
* née de tours ( n.° 14 ) , avec l'épigraphe OIKOÏMENH qui est au
Tems. « dessous: au n.° i5 est le Tems avec ses ailes XPON02 , qui garde
L'Iliade } '< soigneusement les œuvres de ce poète immortel. Au pied du
« trône sont assises, sous le n.° 17, l'Iliade 3 IAIAS, ayant une épée
lîOdjssêe.
<■ en main, et sous le n.° 18 l'Odyssée, OAIZ2EIA, avec un aplus-
tre de navire. Autour du marche-pied on voit des rats , par al-
'« lusion à la Batrachomiomachie , ou, comme d'autres le préten-
dent, aux censeurs d'Homère. Devant la figure du poète est un
;< autel rond , orné de bucranes et de festons, sur la plinthe du-
i quel on voit deux lettres Greques , qui semblent être AA , ou
AA . Dans le premier cas, c'est, selon Schott, le chiffre du sculp-
teur Archelaùs fils d'Apollonius; dans le second, ces lettres pour-
raient indiquer le nombre XXXI, pour distinguer ce bas-relief
des autres ouvrages du même sculpteur, ou d'autres marbres ap-
parten'ans à une même personne, comme on en a plusieurs exem-
ples. Près de l'autel est un bœuf qui est la victime; et au n.° 19
est représentée, en habit de ministre avec un vase sacré et la patère ,
La Fable.
la Fable sous la figure d'un jeune homme, par rapport au genre

(1) Voyez l'explication de cette même planche n.* XXVIII. dans le


I.er volume du Musée Pio-Clémenùn.
DE LÀ CrÈCÊ. âfi l
« du mot MÏ0O2 écrit au bas, qui est masculin , et qui veut
« dire fable. Elle sacrifie à Homère comme au plus grand écri-
« vain du Cycle mythique. Au n.° 20 est l'Histoire tenant un vo- L'Histoim
«Tiurae avec l'épigraphe ISTOPIA , qui est une règle essentielle au
« poème épique, et plus qu'à tout autre particulière à Homère,
« qui en est le premier auteur chez les Grecs : motif pour lequel
« il est représenté avec Hérodote dans un hermés double du Mu-
<« sée Pio-Clémentin. Au n.° 2,1 la Poésie IIOIHSIS assiste au sacri- La Poésie.
« fice , tenant deux flambeaux élevés: on y voit aussi, n.° 22 , la
« Tagédie TPArOAIA , qui a un vaste champ dans les poèmes La Tragédie.
« d'Homère; elle a la tête voilée, et des cothurnes aux pieds. La
« Comédie , KÛMÛAIA , qui a de même à moissonner dans ces poèmes, l* Comédie.
" est représentée au n-° a3 dans une attitude semblable , mais avec un
« costume différent. Enfin on voit dans un même groupe, au n.° 24,
« $Y2I2 , la Nature sous l'emblème d'un enfant , que les opinions La Nature.
« et les mauvaises mœurs n'ont pas encore gâté; au n.° 2-5, APETH,
« la Vertu qui lève la main comme pour exhorter; au n.° 26, La Venu.
« MNHMH , la Mécoire toute concentrée en elle même; au n.° 27 , La Mémoire.
« niSTIS, la Fidélité, tenant un doigt collé sur ses lèvres , et dans l* Fidéiué.
« la main gauche Un cahier d'écritures ou de mémoires, par allusion
« à l'exactitude d'Homère dans les relations qu'il nous a laissées
« des actions et des mœurs antiques; et au n.° 2.8, la Sagesse 3 La Sagesse.
« 20&IA , qui est couverte d?un voile, et avec une main au men-
« ton , comme absorbée dans la méditation. Il est à remarquer que
« les quatre dernières épigraphes sont l'une au dessous de l'autre ,
«•.et non deux à deux , comme dans les autres copies de ce marbre
« précieux 3J.

Les fêtes.

lrïstotë nous apprend qu'on ne connaissait d'autres jours de iomt de fêtes


fête chez les Grecs, que ceux qui étaient consacrés par l'usage aux chez^sr^cees
festins et aux réjouissances après la moisson et la vendange (1). Ces
festins avaient pour objet d'offrir aux Dieux les prémices des récol-
tes 3 qu'on regardait comme des effets de leur libéralité. C'est pour-
quoi on les appelait Qoivai , ou eeovai, parce qu'on les fesait en leur
honneur. Mais le nombre des Divinités s'étant prodigieusement ac-

(1) Àristot. Ethic, ac Nicomach, Uv. VIII. chap. IX.


^2, Religioh
cru dans la suite, et le goût du luxe, fruit de la corruption des
mœurs , ayant succédé à l'antique frugalité , les jours de fête se
multiplièrent à l'infini , et se célébrèrent avec une somptuosité qui
ne connut plus de bornes. Les sacrifices et les banquets furent ac-
compagnés de jeux , de processions et de rites superstitieux > où
Division étaient représentés les gestes des Dieux et des héros (i). On peut
Voiscïassèl. diviser en trois classes les fêtes de la Grèce : la première est celle
des fêtes qui étaient communes à toute la nation \ la seconde com-
prend celles qui étaient particulières à chaque peuple de la con-
fédération; età la troisième appartiennent les fêtes domestiques
ou privées. Du nombre des premières étaient les fêtes , dont l'insti-
tution étaient fondée sur les besoins d'une association politique, et
sur des rapports d'industrie et de commerce. Les fêtes dédiées aux
Divinités du premier ordre, et celles consacrées par l'usage étaient
d'une obligation générale dans toute la Grèce, et leur célébration avait
lieu au printems, à la moisson et aux vendanges ; elles étaient insti-
tuées en l'honneur de Gérés et de Bacchus , et le peuple y venait en
plus grand nombre qu'à toutes les autres (2). Les fêtes qui se cé-
lébraient en l'honneur d'Apollon à Delphes, et de Jupiter à Olym-
pie , étaient , par une institution politique , communes en quelque
sorte à toute la nation : on y accourait de tous les pays de la Grè-
ce, et l'on pourrait les appeler pour ainsi dire les fêtes de la confé-
dération Grecque. A la seconde espèce appartenaient les fêtes, que
chacun des peuples qui la composaient célébrait en l'honneur de
ses Déités tutélaires, ou des héros avec qui il croyait avoir une rela-
tion particulière, ou en mémoire des grands événemens qui avaient

(1) V. Potier. Arch. gr. liv. II. chap. XIX. ainsi que Meursirrs et
Castellano in Thés antiq. graec. etc.
(2) Les fêtes appelées Adoniennes , qui se célébraient en l'honneur
de Vénus , étaient communes à presque toutes les villes de la Grèce ; elles
duraient deux jours , dans le premier desquels on portait en procession ,
au son des flûtes et en grande pompe , les statues d'Adonis et de Vénus.
On y célébrait aussi les cérémonies et les sacrifices particuliers a.'x rites
funèbres, en mémoire de la mort d'Adonis, et l'on y portait des vases
remplis de toutes sortes d'herbages et surtout de laitue , par allusion au
lit de laitue , sur lequel on croyait que Vénus avait déposé Adonis expi-
rant. Le second jour était consacré à la joie , en reconnaissance de la fa-
veur que Proserpihe avait accordée à Vénus en rendant à la vie son cher
Adonis , et en lui permettant de passer avec lui la moitié de chaque année.
de r, à Grèce. 4? 3
illustré son propre pays. Telles étaient les fêtes aphrodisiennes ou Fàes
-r-r r i i fi / 1 />•■.» i < t» i aphrodisiennes*:
de venus , donf la célébration se lésait a Amathoute et a Paphos.
Cynîre, clans la famille de qui on prenait les prêtres de cette
Déesse , en avait été le fondateur. Un des rites les plus remarqua-
bles qui accompagnaient cette solennité , était celui qui obligeait
les candidats à faire hommage d'une pièce de monnoie à Vénus
comme prostituée , eu échange de laquelle on leur donnait une
mesure de sel , par allusion à la naissance de cette Déesse fille
de la mer , et un cpaûùov , pour indiquer qu'ils étaient consacrés
au culte d'une Déesse lascive. Telle était encore la fête de la fé- Fêta
dération des Ioniens, que les habitans de sept villes de cette na- ' x e/""" *
tion célébraient en l'honneur de Neptune dans un désert près de
Micala ; et du même genre était aussi celle que les Spartiates cé-
lébraient en l'honneur de Brasidas, un de leurs héros. Les fêtes
nuptiales, généthliaques et funèbres, dont nous avons déjà parlé,
composaient la dernière des trois classes que nous venons d'indiquer.
Les Athéniens avaient plus de divinités , et par conséquent Fête»
- , .-.. , ii,-,. , ' , des Athéniens.
plus de letes que tous les autres peuples de la Grèce : aussi n y
avait-il presque pas de jour chez eux , qui ne fût un jour de
fête ...
(i). Démosthène, parle
. , , d'une
.loi qui , . défendait
À , toute
, sorte
, de, Loi
aux relative
féies,
travail dans ces solennités , qui suspendait le cours même de la
justice et du commerce, qui interdisait toute marque de deuil, et
enjoignait aux citoyens de se livrer uniquement aux plaisirs et à
la joie. Les fêtes avaient à Athènes une magnificence , qui pouvait
les faire comparer à des représentations théâtrales. Les frais en
étaient à la charge du trésor public. Les trésors des trente tyrans Dépense*
expulsés par Trasibule furent destinés à cet objet. La république v°w k'SiUs'
étant rentrée dans son premier état de démocratie, les citoyens les
plus riches dont on redoutait l'opulence, furent souvent obligés de
donner une grande partie de leurs biens pour les fêtes publiques.
Mais ce serait infinitum opus , dit Potter, que de vouloir faire rénu-
mération de toutes tes fêtes de la Grèce , attendu qu'il n'y avait
presque pas d'homme qui eût bien mérité de la patrie, auquel on
n'eût décerné des honneurs de ce genre. Nous ne pouvons donc
mieux faire à cet égard, que de renvoyer nos lecteurs aux ouvra-
ges de Meurs } Castellano , Potter et Montfaucon , où ils trouveront
les principales fêtes des Grecs , décrites avec beaucoup d'érudi-

(i) Xénoph, De Piep. Athen.


■ope. Vol.
Europe. F"el. I.
I. Q0
474 H E L I G I o ts
tion (i). Nous nous Bornerons à donner ici le détail de deux de
ces principales fêtes qui sont, les Panathénées et les grandes Dyo-
nisiaques ; et nous dirons aussi quelque chose des fêtes de Diane
à Ephèse.
Les fêtes qui furent instituées par Ericthone ou Orphée en
l'honneur de Minerve, Déesse tutelaire d'Athènes, furent appe-
lées AS^vaca, jusqu'à l'époque de la réunion de tous les bourgs de
l'Attique par Thésée, où elles furent renouvellées et augmentées
sous le nom de Tlava^vata, ou Panathénées. Dans le commence-
ment ,leur durée était d'un seul jour; elle fut prolongée ensuite
de plusieurs autres, et la célébration s'en fit avec toute la pompe
et la magnificence imaginables. Il y en eut en outre de deux sortes:
Petites les grandes Panathénées , qui avaient lieu tous les cinq ans, et
anathenees. commençaieQt au XXII du mois Hécatombéon (a); et les petites
Panathénées , qui se fesaient tous les trois ans, ou, selon quel-
ques-uns tous les ans, et commençaient le XX ou XXI du mois
Targélion (3). Il y avait trois combats auxquels présidaient dix
personnages, qui étaient élus par les dix tribus de l'Attique. Le
Comhat soir du premier jour on fesait le combat des flambeaux , où figu-
*m /lambeaux. rajent d'abord des hommes à pied , puis des hommes à cheval. Les
concurrens étaient placés à des distances égales, entre l'autel de
Prométhée et les murs de la ville. Le premier allumait le flam-
beau sur l'autel , et le portait en courant au second , qui le transmet-
tait de même au troisième, et ainsi de suite. Celui qui le laissait
éteindre ne pouvait plus concourir. Il fallait, pour remporter le prix ,
avoir parcouru toutes les stations. Le second combat était celui des
.combats divers. Athlètes , qui avait lieu dans le Stade : on peut rapporter à cette

(i) 11 faut lire aussi l'ouvrage de Chaussard , Fêtes et Courtisannes de


la Grèce. Supplément aux Voyages d' Anacharsis et d 'Anthénor.
(?,) ExaTOfipaioy _, le premier mois des Athéniens , qui commençait
au solstice d'été , et ainsi appelé à cause des hécatombes qui se fesaient
dans ce mois ; il répond à la fin de juin , et à la première partie de juil-
let. V. Svidas et Potter.
(5) fèapyviXiav , l'onzième mois des Athéniens, qui correspond à ce-
lui d'avril , et dans lequel on célébrait les fêtes d'Apollon et de Diane,
ou , selon quelques écrivains , du Soleil et des Heures. On appelait ces
fêtes Targhélies , parce qu'on y portait dans certains vases appelés bar-
gheloe les prémices des moissons. La principale cérémonie avait lieu le
dernier jour du mois,
■ùt Là G île Ce. 4?S
lutte la danse Pyrrhique , qui était exécutée par des enfans armés ,
en mémoire du triomphe de Minerve sur les enfans de Titan. Le
troisième était un exercice de musique , dont Périclés était l'ins-
tituteur, et dans lequel on chantait les louanges d'Harmodius et
d'Aristogiton , qui avaient délivré la patrie de la tyrannie de Pi-
sistrate , ainsi que celles de Trasibule, auquel les Athéniens étaient
redevables d'être affranchis du joug des trente tyrans. A ce genre
d'exercice appartenait aussi le chant et la pantomime du chœur dont
nous parlerons bientôt, avec les quatre compositions poétiques, dont
la dernière était du genre de la satyre. Chacune de ces fêtes était
euivie d'un combat naval simulé, qui se donnait près le promontoire
Sunium. Le prix qu'on donnait au vainqueur dans tous ces jeux
était un vase d'huile, ( dont il devait disposer comme bon lui sem-
blait sur le lieu même, attendu qu'il n'était pas permis de le trans*
porter hors de là), et une couronne faite avec des branches des
oliviers de l'Académie, qui étaient particulièrement consacrés à
Minerve. Ces fêtes se terminaient par un grand sacrifice, pour le-
quel chaque bourg de l'Attique fournissait un bœuf. Il fallait , pour
assister à ces solennités, être en robe blanche et propre.
Grandes
PaaaihéuéeSj
Les grandes Panathénées se célébraient à peu près de la mê-
me manière que les petites , mais avec plus de magnificence. On
y portait en procession le péplum ou voile de Minerve, qui était
tissu exprès pour cette fête par la main de jeunes filles de la plus
grande distinction. C'était une espèce de rohe blanche , sans man-
ches, et brochée en or. On y voyait représentés les gestes de la
Déese contre les Géans, avec les images de Jupiter, des héros
et des personnages qui s'étaient illustrés par de grandes actions,.
C'est pour cela qu'on appelait les hommes d'un haut mérite àÇioi
TtsTckov , c'est-à-dire dignes d'être représentés en broderie sur la Procession.
robe de Minerve. La procession se fesait de la manière suivante.
On gardait dans le Céramique hors de la ville une espèce de
navire , qui était destiné à cette solennité, et au mât duquel était
attaché le péplum eu guise de voile: ce navire était traîné, à
l'aide de machines cachées, jusqu'au temple de Cérès Eleusîoe ,
et de là jusqu'à l'Acropole, où on le plaçait sur la statue de
Minerve , qui était couchée sur un lit de fleurs. La procession
était composée d'hommes et de femmes de tout âge et de tou-
tes les conditions. A la tête marchaient les vieillards des deux
sexes y portant des branches d'olivier ; ils étaient suivis des jeunes
47^ ' Religion
gens garnies de lances et de boucliers , et accompagnés des étran-
gers établis dans l'Attiqne , ayant en main un vase en forme de
petite barque, qui indiquait leur qualité d'étrangers. Venaient
ensuite les femmes avec les vdpia-pôpoi, c'est-à-dire les femmes de
ces mêmes étrangers, qui portaient des seaux : après elles on voyait
une troupe de jeunes garçons , qui chantaient des hymnes en l'hon-
neur de la Déesse^ la tète ceinte de couronnes de millet, et vêtus
de robes de laine brune, en mémoire de Goprée qui fut tué, en
voulant écarter de l'autel les bergers d'Hercule. Suivaient les Cané-
phores^qui étaient choisies parmi les jeunes filles du plus haut rang;
et après elles, celles d'une condition inférieure, qui portaient des
parasols et de petits sièges. La procession était fermée par des trou-
pes d'enfans en robe blanche. On ouvrait aussi les prisons dans ces
solennités : on distribuait des couronnes d'or aux citoyens qui avaient
bien mérité de la patrie, et l'on chantait les poèmes d'Homère,
d'après un usage qui fut introduit par Hipparque fils de Pisistrate.
Nous observerons enfin qu'on fesait dans ces Panathénées , ainsi que
dans les petites , des vœux et des sacrifices en l'honneur des Pla-
téens, en reconnaissance de la bravoure avec laquelle ils avaient
combattu pour les Athéniens à la bataille de Marathon. A ces fêtes
Nomofuiaces. présidaient les Nomofulaces , ou gardiens des lois, le front ceint
d'une bandelette blanche ; et les préparatifs s'en fesaient dans un
lieu destiné à cet effet , en dedans de la porte Pyrée, et près du
temple de Cérès.
imagedcs
Panathénées. ■«-» . -,Les
-i , ,» planches et 7^toffrent•l'imagerde r
, . , ^4 5 < n • des fêtes
la procession
dans ia fnse Panathénées, telle qu on la voyait représentée sur la frise exte-
u±ar icnon. rjenre ^j décorait le plafond du périptère du Parthénon : ouvrage
admirable pour ce qui regarde l'art, et de la plus haute importance
pour le costume (r). Nous suivrons les traces de Stuart dans la descrip-
tion que nous allons en donner. Le n.° i de la planche 74 repré-
sente deux jeunes gens , prêts à monter à cheval , avec d'autres ca-
CavaVicrs. valiers qui sont déjà en marche. La frise , sur une longueur de plus

(1) Nous avons tracé ces planches d'après les dessins de Stuart , en
ayant soin cependant de les comparer avec les marbres de Lord Elgin
( London , Th. Dar vison , 1818 ) , et en y ajoutant les restaurations qui
ont été faites à ces marbres. La frise a 3 pieds 4 pouces de hauteur , ec
se prolonge tout autour de la façade extérieure du mur du sanctuaire , en-
sorte qu'elle a au moins Ô20 pieds de longueur. V. les Antiquités d'Athè-
nes de Stuart , édit. franc. Tom, II. pag. 26.
ÈE la Grèce. 477
de 60 pieds de chaque côté, comprenait les cavaliers dont une par-
tie du cortège était composée. Leur habillement présente trois dif-
férences remarquables: les uns portent la chlamyde et la tunique;
les autres la tunique sans la chlamyde , et les troisièmes n'ont pour
tout vêtement qu'une draperie flottante. Stuart ne nous a donné que
quatre autres dessins de cette cavalerie , n.os 2, s 3 , 4 et 5 , qui lui
semblent comprendre tous les différens costumes qu'on trouve dans
l'original. Le premier et le dernier de ces numéros appartiennent
au côté septentrional du temple , et les deux autres au côté méri-
dional. Les cavaliers sont précédés des conducteurs des chars 3 n.° 6, Conducteurs
7 et o. Un remarque dans le dernier un jeune homme , qui est
peut-être un vainqueur à la course des chars, et près de lui un
homme qui va pour le couronner. L'espace qui est entre ce dernier
numéro et le premier de la planche suivante offre un grand vide,
occasionné par la destruction totale de cette partie de la frise, le
n.° 1 de la planche 75 représente trois scaféphores , ou hommes qui Scaféphores,
portent les navettes, il y a dans l'original une autre lacune con-
sidérable,jusqu'au sacrificateur et au taureau n.° a, qui appar-
tient au front septentrional de la gouttière, formant .l'angle de la
frise entre le nord et le raidi. Le n.° 3 présente l'autre front de
cette gouttière angulaire, et par conséquent l'extrémité septentrio-
nale de la façade orientale du temple : on y voit deux jeunes fem-
mes qui portent des patères. Au n* 4 sont les Hydriaphores , ou Hydriaphores.
porteuses d'eau avec des amphores , précédées d'une femme qui ap-
proche la main à un candélabre , comme pour aider ceux qui le
portent. Après une autre grande lacune la frise se montre en une
seule masse, qui est la plus étendue et occupe presque tout Je mi-
lieu de la façade orientale: on y voit un Dieu ou une Déesse-, qui
sont peut-être Neptune et Gérés , avec deux autres figures , dont
l'une est un jeune homme qui présente une draperie piiée en plu-
sieurs doubles, ou qui aide à la soutenir avec l'autre figure, qui a
l'air d'un homme occupé à l'examiner bien attentivement. Stuart
croit que cette draperie pourrait bien être le péplum. On voit en- PeP!«m.
core dans' la même raassse la prêtresse, qui pose une corbeille Mlrç**
sur la tête d'une jeune fille, et lui donne une torche, taudis
qu'une autre femme a déjà sur la tête une corbeille semblable,
et tient une tablette à la main (1). De ce nombre sont trois Déi-

(1) Ce sont peut-être les deux Canéphores , dont parle. Pausanias


47S Religion"
tés, qui sont peut-être Junon et Vulcain qu'on voit assis , et Tris
qui est debout devant eux. Vulcain semble être signalé ici par une
chaussure beaucoup plus haute et plus grosse que l'autre. Le n.° 6
présente aussi une grande partie de la même frise sculptée dans
une seule masse : on y voit assis Jupiter 5 les Dio^cures et un héros
Hiérophantes, qui semble être Thésée. Les figures en pied ont l'air de Hiéro-
phantes, qui expliquent aux initiés quelque mystère : car il parait,
d'après un passage de Proclus cité par Meurs , que certains mys-
tères fesaient partie de cette solennité (i). Le n.° 7 est une pièce
de la frise contigue à la précédente: on y voit un autre Hiéro-
phante avec un initié , ensuite diverses femmes , qui sont peut-être les
Ghadephores Ckadéphores , ou porteuses de parasols, qui semblent ouvrir la pro-
cession. Les sacrificateurs et les victimes, n.° 8, se trouvent sur le
côté méridional du temple. Le n.° 9 représente quelques cavaliers
qui sont du même côté , et dont l'habillement est différent de celui
des cavaliers qu'on voit sur le côté septentrional. Nous croyons à
propos de joindre ici les deux groupes, n.os 10 et 11, que les édi-
teurs Français de l'ouvrage de Stuart ont fait copier sur les des-
sins originaux de M.r de Nointel , et qu'on trouve aussi rapportés
à la I.re planche du III.0 vol. des antiquités de Montfaucon. Ils
servaient d'ornement à deux métopes de la frise extérieure du tem-
I^Minervl pie , qui ont été détruites. La petite statue entre les deux femmes
en hois. bo jIs est probablement la copie de l'image que les Athéniens
croyaient tombée du ciel „ et que l'on conservait dans le temple
de Minerve Poliade. II n'est guères vraisemblable en effet, qu'on
plaçât sur le lit de fleurs, dont parle Esichius , la statue colossale
de la Déesse, qui était un des ouvrages les plus admirables de Phi-
dias; il est plus naturel de croire que c'était la petite statue de

Att. c. 27. « Près du temple de Minerve Poliade , dit-il , habitent deux


vierges , que les Athéniens appellent Canéphores , ou porteuses de cor-
beilles. Ces vierges passent un certain tems au service de la Déesse ; et
le jour de sa fête , elles vont au temple dans la nuit , et y reçoivent des
mains de la prêtresse de Minerve les corbeilles , qu'elles mettent sur leur
tête , sans qu'elles , ni la prêtresse sachent ce qu'elles contiennent ».
(1) «La fête dés Panathénées semble destinée à présenter l'image
de l'ordre parfait,, qui s'étend de l'âme divine au monde matériel, et
en même tems l'action distincte et particulière des divers élémens : car Mi-
nerve est en même tems la Déesse de la sagesse et de la guerre ». Vw-
«lus ,A Comment. I. sur le Timée.
© £ LA G R È c e. ^79
bois qu'on mettait sur ce lit de fleurs , et qu'on la portait! ainsi au
Parthénon , pour y être exposée aux regards et à la dévotion de
ceux qui accouraient à cette cérémonie mystérieuse. Nous termine-
rons ici la relation de ces fêtes célèbres : ceux qui désireraient le|
connaître plus en détail pourront consulter l'ouvrage que Meurs a
publié sur ce sujet.
Les Dyonisiaques , ou fêtes de Bacchus, se célébraient dans Dyoftisia<jues.
toute la Grèce, mais plus particulièrement encore à Athènes; et
l'on en trouve dans le voyage d'Anacharsis une belle description 9
qui est tirée en partie de l'Archéologie de Potter. Ces fêtes étaient
de diverses sortes, savoir; les antiques, les nouvelles, les grandes s
]es petites j les urbaines, les champêtres , celles d'automne, celles
du printems , celles de nuit, celles de jour etc. Ainsi le culte de
Bacchus embrassait tons les tems , tous les lieux , et se reproduisait
comme la Nature sous diverses formes. Nous ne parierons ici que
des grandes, dont la célébration avait lieu au printems, époque à
laquelle les Athéniens recevaient le tribut de leurs alliés. On y fesait
aussi une procession , où l'on représentait le triomphe de Bacchus
après sa conquête de l'Inde. Les Bacchantes y paraissaient sous des Procession,-
cléguisemens divers et extravagans. On y voyait les Faunes 3 les Saty- % lBac&.
res s Pan et Silène montés sur des ânes , ainsi que des hommes habil-
lés en femmes, avec des robes parsemées de taches blanches , et qui
leur descendaient jusqu'aux talons. Les uns traînaient des boucs pour
les immoler; d'autres portaient des figures obscènes suspendues à de
longues perches, et chantaient des hymnes licencieuses: on en voyait
qui déchiraient les entrailles palpitantes des victimes en appelant
Bacchus par des cris affreux, qui serraient des serpens dans leur
mains , les entrelaçaient dans leurs cheveux , et s'en ceignaient le
corps au grand effroi des spectateurs. Les individus des deux sexes
et de tout rang y étaient presque tous masqués, et vêtus de peaux
de faon ou de chevreau , de panthères ou autres bêtes féroces , avec
des couronnes de pampres ou de lierre, ivres ou feignant de l'être 3
et mêlant fleurs cris au bruit des cymbales, des sistres et au-
tres instrumens de musique , les uns s'abandonnant à des accès de
fureur, les autres formant des danses militaires, dans lesquelles
ils portaient des vases au lieu de boucliers , et maniaient en guise
de lance leurs thyrses , dont ils frappaient les spectateurs. Au mi-
lieu de cette troupe de forcenés marchaient avec ordre les chœurs
des tribus. Les Canéphores , prises dans les familles les plus dis-
4^0 R E L I g r o HT
tinguées de la ville, et le front embelli par la pudeur, por-
taient sur leur tête les corbeilles sacrées, qui contenaient avec les
prémices des fruits, des gâteaux de diverses formes, des grains de
sel , des feuilles de lierre et autres emblèmes mystérieux. Il y avait
Licnophores. aussi les Lichnophores , ou pourtours du crible sacré de Bacchus ,
rite usité dans toutes les fêtes et dans tous les sacrifices qui se fe-
saient en l'honneur de ce Dieu. Ces solennités étaient en outre ac-
compagnées de spectacles et de jeux, dans lesquels on mettait d'au-
tant plus de magnificence, qu'au dire de Suidas 3 leur nombre pro-
gressif déterminait celui des années.
Cuite Nous ne rapporterons qu'un seul monument concernant le fêtes
e combun' Dyonisiaques , comme nous venons de le faire pour les Panathénées :
ému étendu. caj, gj pon von|ajt parler de tous les bas-reliefs, des camées ,et des
peintures qui ont rapport aux Bacchanales, et que nous ont laissés
les Grecs et les Romains, leur description exigerait plusieurs volu-
mes. 11 suffira de dire à cet égard , que le culte de Bacchus a tou-
jours éîé le sujet favori des artistes de l'antiquité , et que c'est de
là qu'est pris le plus grand nombre des peintures de leurs vases.
La planche 76 représente une Bacchanale, qui est sculptée sur
une de ces tines appelés A^voi chez les Grecs , et lacus on labra
Tme avec une chez les Romaius, et dont on se servait dans la vendange (r). Les
Bacchanale. ,. n , , . , . ' . -*-* - t-»
dix figures les plus grandes représentent cinq Jb aunes et cinq Bac-
chantes dansans. Les Faunes ont les cheveux hérissés, des cornes
naissantes et des queues courtes: au dessous de leur mâchoire pen-
dent deux espèces de glan<îes, pour indiquer peut-être qu'ils sont
de l'espèce de la chèvre; il portent tous des couronnes de pin (2),

(1) Ce bas-relief est rapporté par Visconti , Mus. Pio-Clémentin 7.


IV. Planeh. 29 et 3o. Il sert d'ornement à un grand bassin en marbre ,
qui fut découvert en 1777 , dans les fondemens de la sacristie du Vati-
can. « Le bord supérieur de ce bassin , dit Visconti , décoré de beaux
ovoles qui semblent l'avoir terminé sans couvert , les deux têtes de lion
qui servent; d'embellissement à deux ouvertures par où pouvait s'écouler
le jus des grappes, sa forme elliptique même et sa capacité, donnent
lieu de présumer qu'il était destiné à l'usage des vendanges plutôt, qu'à
servir de sépulcre la variété et l'élégance qu'on remarque dans
les figures des danseurs, peuvent les faire regarder comme des copies fidè-
les d'originaux admirables, que le tems nous a ravis.
(2) Le pin était cher à Pan dieu des Satyres et des Faunes, et
c'esi pour cela qu'il fut aussi introduit dans les cérémonies de Bacchus.
bs la Grèce. 4&1
et autour de leurs membres des pardalides , ou peaux de panthères
et de tigres. Leurs thyrses , ain?i que ceux des Bacchantes leurs com-
pagnes, laissent voir au bout le fer à découvert , tels qu'on les trouve
décrits dans les guerres de l'Inde. Les flûtes à double tuyau, les hou-
lettes les
, préféricoles et les cymbales qu'on y voit , sont les attri-
buts ordinaires des adorateurs de Bacchus. «Quatre des Bacchantes,
dit Visconti , se tiennent sur la pointe du pied dans l'action d'une
danse, dont le mouvement animé et violent est encore plus sensible
dans quelques-unes, à la position de leur tête renversée en arrière, et
dans toutes aux ondulations de leur vêtement. La première joue des
cymbales, et la troisième des timbales en dansant , tandis que la se-
conde relève délicatement le bord d'un manteau court , qui se renfle
sur ses épaules. La tunique à la Spartiate de la troisième, sans cou-
ture sur les fl.incs , se ramasse d'un côté dans la rapidité du mou-
vement, et lui laisse, par une idée bizarre de l'artiste, presque tout
le reste du corps nu. La quatrième semble exécuter le genre de
danse appelé Cemophoros , en tenant de Ja main gauche le crible Cemophoros;
mystique , dans lequel on voit le phallus couvert d'un voile (i). La
dernière figure, qui semble la Coryphée du thyrse , est peut-être Coryphée.
Nysa , la nourrice de Bacchus, dont la figure colossale et mobile
d'elle-même par le moyen d'un secret mécanisme, était pompeuse-
sement portée à Alexandrie sur un char, avec le même habillement
qu'on lui voit ici; elle s'y levait de tems en tems debout, pour ver-
ser du lait de Va fiole qu'elle tenait dans la main droite , et se ras-
seyait ensuite sur son siège: notre figure a cela de différent, qu'au
lieu de thyrse, elle tient dans la main gauche un grand flambeau,
dont l'usage était commun aux fêtes de Cérès comme à celles
de Bacchus. Les crânes de bouc sculptés au bas du monument font
allusion aux sacrifices qui se fesaient au tems des vendanges. Les
Génies montés sur des panthères sont des Génies Bacchiques, et
les deux grandes têtes de lion indiquent les rapports de cet animal
avec les fêtes Dyonisiaqnes : car le lion, qui était consacré à la mère
des Dieux, passa ensuite dans les cérémonies du culte de Bacchus,

On raconte que dans la pompe que célébra Ptolémée Philadelphe en


l'honneur de Bacchus , il y avait cinq cents jeunes filles portant des cou-
îonnes d or , qui imitaient des feuilles de pin.
(i) Le crible, appelé par Virgile mystlca vannus Iacchi ( Géorg. I.
v. 166),, avait servi de berceau à Bacchus, selon l'usage antique.
Europe. Fol. 1. 61
'48a Religion
qui se confondit avec celui de Cibèle; il est en outre l'emblème
des transports de fureur qui agitaient les Ménades , et leur donnaient
une force au dessus de celie des animaux les plus redoutables: motif
pour lequel elles se vantaient, dans un épigramme Grec, de revenir
de la chasse avec les têtes des lions qu'elles avaient terrassés „.
Fêtes de Diane Les fêtes qui se célébraient à Ephèse en l'honneur de Diane dif-
P se. £^raîent peu (je ce||es qUe nous venons cje décrire ^ mais ce qui les
rendait fameuses était moins la majesté des cérémonies, que la haute
réputation de l'idole de la Déesse, la magnificence de son temple,
et le grand nombre de personnes qui y accouraient de toutes les
parties de la Grèce. Ces fêtes étaient accompagnées de danses , de
banquets, de jeux de toute espèce, de sacrifices et d'offrandes de
gâteaux faits avec du miel et du fromage, et dont quelques-uns
avaient la figure d'un cerf: on y fesait aussi des initiations. La
pompe commençait par une procession précédée de flambeaux, dont
la clarté imitait celle de la Lune: venaient ensuite des musiciens ,
des chevaux, des chiens,, des hommes armés pour la chasse , et enfin
des choeurs de jeunes filles élégamment vêtues qui fermaient le cor-
tège. Ces jeunes filles et les hommes bien nés pouvaient seuls entrer
dans le temple (i), qui était un des plus beaux édifices de la
Temple Grèce , et passait pour une des merveilles de l'univers. Il fut incen-
dié vers l'an 356 de notre ère par un certain Erostrate , qui ne se
porta à cet excès que dans la vue d'immortaliser son nom. On
le rebâtit quelques années après sur les mêmes fondemens , en y
employant les colonnes qui en fesaient auparavant le principal or-
nement (a). On assure que les femmes d'Ephèse donnèrent tout ce

(i) Svidas. Pollux, L. VI. c. XI. Atlien. L. XIV. Hesych. Etymol.


Achilles Tatius L. VII,
(2) Pline 3 liv. XXXV. chap. XIX. parle ainsi de ce temple : Ma-
gnifwentiae vera admirabio extab templum Dianae Ephesiae ducentis ,
vel ut alii volant , quadringentis viginti annis factutn a tota Asia : in
solo id palus tri fecere , ne terrae motus, aut hiatus timeret. Rursum ne
in lubrico atque instabili fundamenta tantae molis locarentur , calcatis
ea substravere carbonibus , dein velleribus lanae. Universo templo est
longitudo quadringentorum viginti quinque pedum , latitudo ducentorum
viginti. Columnae centum viginti septem a singulis regibus factae ; sexa~
ginta pedum altitudine , et ex iis triginta sex caelatae. Selon Vitruve
l'architecture de ce temple était d'ordre Ionique : Primumque aedes , dit-
jl , Ephesi Dianae Jonico génère ab Ctesiphonte Gnpssio : et Jilio eju$
de la Grèce. ^83

qu'elles avaient de plus précieux pour son rétablissement. Ce nou-


veau temple, selon les savantes conjectures du Marquis Poleni ?
était de même grandeur que l'ancien, dont Pline nous fait connaî-
tre les dimensions. Ainsi il devait avoir 4a^ pieds grecs ( envi-
ron i3o mètres) de longueur, sur 2,20 ( 67 mètres et 2, décimè-
tres) de largeur, et 60 ( 17 mètres 8 décimètres) de hauteur: le
plafond, qui était en cèdre, était soutenu par lùq colonnes d'ordre ioni-
que, dont trente-six étaient ciselées, et les portes étaient en cyprès (ij.
Ou voit sons le n.° 1 de la planche 77 un médaillon d'Adrien , repré-
sentant le temple de Diane à Ephèse, avec huit colonnes élégan-
tes, dont les bases sont ornées de statues: au milieu est l'image de
la Déesse , et Ton voit sur le fronton deux petites figures fesant
un sacrifice sur un autel (z). Ce temple renfermait une statue co-
lossale, non moins célèbre que l'édifice même; sa forme était pas-
sée de l'Egypte en
,.,,,, Grèce. à uue époque
, très-reculée,
, -~„ , et dans cette
. deStatue
Diane.
solennité on la découvrait aux yeux du peuple. C était un ouvrage
de ceux qu'on appelait polychrome , dont nous avons déjà parlé. Cette
statue était une figure hiéroglyphique , sous laquelle était repré-
sentée la Nature , avec des attributs peu différons de ceux cVfsis ,
qui avait la même signification chez les Egyptiens. Vitruve croit
que le fond , ou Vâtne , en était de cèdre: Piine le fait d'ébène, et
d'autres écrivains de bois de vigne. Le Consul Mucianus , cité par
Pline (3) , dit qu'elle avait des ouvertures par où l'on fesait couler
dans sou intérieur de l'huile de nard , ut medicatus humor alat ,
teneatque juncturas. C'est d'après ce témoignage, que M.r Quatre-
mère croit pouvoir conjecturer, que les hiéroglyphes , ou les parties
allégoriques rapportées sur ce simulacre, étaient d'ivoire: cependant
il paraîtrait, d'après Xénophon , qu'elles étaient d'or, car cet écri-
vain dit qu'il avait consacré dans son petit temple de Chiilon une

Metagene est ins tituba : c/uam postea Demetrlus ipsius Diaiiae servus ,
et Poenius Ephesius dicuntur perfecisse. On lit dans Pline que ce temple
fut rebâti sept fois.
(1) Il faut voir, au sujet de ce temple fameux, le savant mémoire
du Marquis Poleni , inséré dans les Actes de l'Académie de Cortona : Saggi
dj, Dissertazioni , tom. I. part. II. n.° i5 et 14.
(2) Venturi , Mus. Alb. L. XIV. Est aussi rapporté par Millin _,
Gall. Myth. XXX. 109. Dans l'exergue on lit JE$ECliiN , monnoie des
Ephé siens.
(3) Liv. XVI. chap. 40.
4^4 Religion
statue de Diane semblable à celle d'Ephèse , avec cette seule dif-
férence que celle-ci était d'or, et la sienne de cyprès.
detfuaTue Qu'elle que fût la matière dont cette statue était faite, les
de Diane. images qui nous en sont parvenues , soit sur des inarbres , soit sur
des pierres précieuses ou des médailles, portent toutes un grand nom-
bre de mamelles sur la poitrine et même sur les flancs (i) ,, et ne dif-
fèrent entr'elles que par le nombre ou la nature des emblèmes (a).
Plusieurs de ces statues ont le visage et les mains d'un marbre noir,
et le reste du corps eu marbres de différentes couleurs: ce qui
donne a présumer, que la Diane d'Epbèse avait en effet le fond , ou
Yâme, en ébène ou en bois noir. Le corps était ordinairement par-
tagé par bandes, qui le fesaient paraître comme emmailloté. Ces
bandes présentaient les attributs ou les emblèmes de la Déesse.
Le n.° a de la plancbe 77 est une image de Diane . gravée sur
une cornaline , qui a été publiée par Dominique Rossi, et dont
Alexandre Maffei a donné la description (3). On y voit toutes
les bandes couvertes de mamelles. Le savant commentateur n'est
pas éloigné de regarder ces bandes comme les signes hiérogly-
phiques des globes célestes , sur lesquels se meuvent les planètes.
C'est pour cela , ajoute-t-il , que dans le fameux coffre de Cyp-
selus , Diane a à sa droite le lion (animal qui, selon les mytho-
îogistes, participe de la nature du Soleil ) , et à sa gauche une

(1) Voici ce que dit S.1 Jérôme., d'ans l'explication qu'il donne delà
lettre de S.1 Paul aux Ephésiens , au sujet des mamelles qu'on voit dans
toutes les statues de Diane : Dianam , dit-il , multimammiam colebant
Jlphesii ; non hanc venatricem , quae arcum tenet , atque succincta
est, sed illam multimammiam , quant Graeci TtoXvfiaarov vocant , ut
scilicet ex ipsa quoque effigie mentirentur , eam omnium hestiarum et
viventium esse nutricem. Que la Diane d'Ephèse ne fût qu'une représen-
tation emblématique de la Nature , c'est ce qu'attestent clairement les
inscriptions Grecques gravées au pied de deux de ses statues , et rapportées
par Montfaucon. Elles signifient , l'une ; la Nature toute pleine de va-
riétés ,mère de toutes choses ; et l'autre , la Nature pleine de variétés.
(2) Barthélémy est d'avis , que les images de la Diane d'Ephèse
sont d'autant moins anciennes qu'elles sont plus chargées d'ornemens.
«Sa statue, dit-il, ne présente d'abord qu'une tète, des bras, des pieds
et un corps en forme de gaine. On y a ensuite appliqué les emblèmes
des autres divinités, et surtout ceux qui caractérisent Isis , Cybèle, Cérès t
etc. » Voy. du jeune Anacharsis etc. Tom. VI, pag. 5oi. Paris , 1790.
(5^) Gemrne antiche figura te etc. Vol, II. PI. 62,
»e là Grège. z|85

panthère, moins dans la vue d'indiquer la vertu du soleil sur la-


terre 3 que pour exprimer celle des autres planètes , qui , selon le
sentiment de Probus , sont figurées par la peau de la panthère à
cause de la variété de ses taches , dans lesquelles d'autres ont encore
prétendu reconnaître la terre , de qui nous tenons tant de produc-
tions différentes Ainsi, le voile dont est couverte la tête
delà Déesse , peut faire allusion, soit aux ténèbres de la nuit 9
qu'éclairent les rayons de la Lune ; soit à Vinfluence bienfesante des
rosées qui se répandent à sa clarté , et contribuent si efficacement
à la fertilité de la terre ; soit enfin aux opérations secrètes de la-
nature. La couronne murale qui ceint son front annonce le règne
de la nature ; elle a ici les pieds nus et dégagés de toute entrave,
au lieu de les avoir chaussés eZ'ocrées comme dans les autres statues
que nous avons d'elle : ce qui peut être considéré comme V expression de
sa bonté et de sa tendresse maternelle envers les hommes, ainsi que Va
observé Ménétrier à l'égard de la statue de cette Divinité qu'on voit dans
le palais Barberini. Les cerfs , selon les Mythologistes sont l'emblème
de la vélocité de la Lune dans son cours 9 et quelquefois on en fait
un des attributs de Diane, comme Déesse deja> chasse ; en suppo-
sant qu'elle représente ici la nature , ces animaux pourraient en-
core se rapporter à elle comme emblèmes de l'éternité , parce qu'ils
vivent long-tems. Les bras de cette statue sont appuyés sur deux
supports, comme cela se pratiquait à cette époque de L'enfance de
l'art, où les artistes n'osaient pas encore détacher les bras du corps
de la statue, ainsi qu'on le voit pat' ce passage de Minucius Félix,
Diana Ephesia mammis multis , et verubus extructa. Le n.° 3 est
une statue de Diane d'Ephèse du Cabinet de Brandebourg citée
par Montfaucon. Elle a sur la poitrine une écrevisse couronnée par
deux génies. Certains antiquaires croient voir dans cette écrevisse
l'emblème du zodiaque, avec lequel la Lune a beaucoup de rapports:
d'autres la regardent comme une allusion à la position maritime
d'Ephèse. La première, la quatrième et la cinquième bandes sont
parsemées de têtes de cerfs grossièrement faites: la seconde présente
des têtes de lions, et la troisième de panthères; Je voile qui la
couvre est l'emblème de l'obscurité qu'elle dissipe, ou de
la pudeur
qui lui est si chère. La Diane du Musée Pio-Clémentin porte sur
sa tête une tour, comme les images de Cybèle (i); elle a derrière

(i) Dans quelques images de Diane on voit sous la tour une cou-
486 Religion
la tête une espèce de nuage ou d'auréole, qui est pput-être l'em-
blème du disque lunaire, sur lequel on voit des animaux ailés, qui
semblent être des aigles ou des griffons; elle a deux lions sur cha-
que épaule, et sur la poitrine divers signes du Zodiaque, tels que
le taureau , les gémeaux } le cancer , et quatre femmes dont l'une a
des ailes: ces femmes sont peut-être des emblèmes des quatre saisons
ou des heures; elle tient en outre deux guirlandes, composées l'une
de divers fruits, et l'autre de gland dont les hommes ont fait leur
première nourriture. Le reste du corps, depuis les mamelles jusqu'aux
pieds, est divisé en compartimens où sont représentés des bœufs,
des cerfs, des lions, des griffons et des victoires: des abeille et des
fleurs sont semées sur les côtés, et une partie du vêtement sort de
dessous la gaine ou l'enveloppe, de manière à laisser à découvert
îa partie antérieure des pieds (i),

Les mystères.
Difficulté 11 y à une relation si étroite entre les fêtes et les mystères,
le/mystèrZ, que les uns se confondent souvent avec les autres. Et en effet, les
initiations aux mystères feraient parties des cérémonies religieuses,
et l'objet le plus important des grandes solennités. Mais comment
soulever (e voile qui les dérobait aux yeux des profaues ? L'obscurité
dont ils sont enveloppés a donné lieu à une foule de systèmes, qui
n'ont peut-être contribué qu'à en rendre la connaissance plus diffi-
cile (a). Les anciens écrivains , et surtout les Apologistes de l'église,

ronne de fleurs , surtout de roses et d'immortelles , peut-être par allusion


à la forme et à l'éclat du disque de la lune. V. Plin. liv. XXI. chap. a5.
•t Lil. Gyrald.
(i) Mus. Pio-Clément. i. 32. Au sujet de Diane voyez Ménétrier,
et le VII. e vol. du Trésor de Gronove.
(2) Suidas fait dériver letymologie des mystères ., de ces mots d^o tov
uvbiv ro çrôfia , qui veulent dire fermer la bouche , parce qu'il était dé-
fendu sous des peines terribles de révéler les secrets qu'ils cachaient.
L'accusation faite à Esehile d'avoir révélé quelques mystères dans ses tra-
gédies faillit, comme on le sait , lui coûter la vie. Ce sujet a été traité
au long par Claséne, Boulenger , Eggeling , Meurs et Ménétrier, dont
on trouve les ouvrages dans le VII.e Tome du Trésor de Gronove. A ces
auteurs on peut joindre Paw , Boulanger ( Anbiq. dèvoil. ) , Fréret , War-
burton et Gébelin. Mais l'ouvrage le plus intéressant à voir sur cette
matière est celui du Baron de Sainte-Croix , Mémoires pour servir à
l'histoire de la religion secrète des anciens peuples etc. C'est celui que
nous avons particulièrement pris pour guide dans nos recherches.
se la Grèce. ^87
nous ont néanmoins laissé quelques indices , qui peuvent nous aider à
pénétrer le secret de ces mystères, sans qu'il nous faille pour cela re-
courir des
à hypothèses, ou à des conjectures incertaines. On demande
d'abord , quelle était l'origine des mystères. Les plus anciens étaient
ceux des Cabires , lesquels avaient été institués dans la Samothrace des Cabires.
Mystères

à l'époque où les Pelasges habitaient cette île. Strabon nous ap-


prend qu'on
, appelait anciennement Cabires les prêtres Pelasges , qui
introduisirent en Samothrace le culte religieux. Ce culte n'eut dans
le commencement que deux Déités ; le Ciel , appelé en langage mys-
térieux Axieros , qui veut dire digne d'amour ou vénérable, et la
Terre, Axiokersos, ou digne épouse. A ces deux Déités on donna dans
la suite une fille appelée Axiokersa , et enfin on y joignit un Dieu
d'un ordre inférieur, connu sous le nom de Cadmillus. Cette première
altération du culte chez les Samothraces vint , de ce qu'ils avaient
adopté les Divinités des Egyptiens et des Phéniciens (1). En conti-
nuant d'admettre les traditions et les cérémonies étrangères, ce peu-
ple se servit du nom de ses premiers prêtres , c'est-à-dire des Cabires Déités
pour désigner ses anciennes divinités, qu'il confondit ensuite avec Cabiriques,
celles de la Grèce. L'une de ces divinités devint Cérès, l'autre Pro-
serpiue 3 la troisième Pluton , la quatrième Mercure selon le lan-
gage des profanes, tandis que pour les initiés celle-ci était l'Horus
de l'Egypte ou Vlacchus d'Eleusis. La 'doctrine orphique pénétra
même dans la suite jusqu'en Samothrace, et depuis lors les Déités
Cabiriques y furent confondues avec Vénus, avec Pothon et avec
Phaéton. Axieros devint Phaéton , le Ciel ou la Lumière; Axio-
kersa Vénus ou la Terre fécondée , et le jeune Cadmillus Pothon
ou Cupidon. Les Dioscures furent aussi mis au nombre des Divinités
Cabiriques: leur présence fut reconnue par les marins comme un
signe d'heureux augure : le feu sacré, qu'on appelle aujourd'hui feu
Saint Elme, n'était autre chose que l'apparition des Dioscures,
comme Déités Cabiriques. Athènes et plusieurs autres villes adop-
tèrent leculte de Samothrace; mais cette île conserva long-tems
le droit des initiations, dont elle tirait beaucoup de richesses
(a).
(1) Diod. de Sic. liv. III. §. 55. Voyez aussi Jablonski Proleg. pag. 60.
(2) Strabon parle des Cabires comme étant les ministres d'Hécate: quel-
ques écrivains les prennent pour les ministres de la mort; les uns les font
fils de Vuîcain , d'autres les confondent avec les Pénates. Bochart tire de
ce nom l'étymologie du mot Arabe Cabir , qui veut dire puissance.
en effet, les Latins donnaient aux Cabires les noms Et
même DU socil. de DU patentes et
4^8 Religion
Dactyles ,
Curetés ,
Les Dactyles , les Curetés , les Corybantes et les 'Telchines ont
Corybantes
Telchines. beaucoup de rapports avec les Gabires, tant par la conformité de
leurs cérémonies religieuses, que par l'antiquité de leur institution.
Ces prêtres semblent aussi n'avoir été dans le commencement que
les ministres du cuite du Ciel et de la Terre, et avoir eu beaucoup
de part à la civilisation des divers pays de la Grèce; mais leur
religion primitive s'étant insensiblement altérée , par la multiplicité
toujours croissante des Divinités, par le changement des mœurs et
l'introduction de cultes étrangers , leurs successeurs firent de l'an-
cienne doctrine un secret, qui devint l'objet des initiations aux
mystères en Crète, en Phrygie,à Rhodes et autres lieux. Il arriva
de là , comme des Cabires, que ces prêtres furent confondus par les
profanes avec les Dioscures et les Lares, et qu'on en fit, desimpies
ministres qu'ils étaient de l'ancien culte, des Divinités tutéiaires.
Mais tous ces mystères furent en quelque sorte éclipsés par la
21 y bières
îi'Eleusis,
célébrité de ceux d'Eleusis , qui conservèrent seuls cette déno-
mination ([). Les marbres de Paros semblent faire remonter l'é-
poque de leur institution au règne d'Erecthée, c'est-à-dire vers
l'an 1897 avant l'ère vulgaire (a,). Thucydide , Plutarque, Apol-
lodore , Pausanias et autres écrivains parlent d'une guerre , qu'Erec-
thée Roi de 1'A.ttiqne eut à soutenir contre Eumolpus, qui com-
mandait àEleusis. Les Eleusiens se soumirent enfin à Erecthée,
à condition, dit Pausanias, que le sacerdoce de Cérès et de Pro-
serpine serait conservé à Eumolpus et à ses descendans. Mais l'his-
toire de Cérès doit être envisagée sous deux aspects , savoir ; celui
de l'antique tradition dans toute sa simplicité, et celui de la tra-

(1) Les mystères d'Eleusis prirent comme les autres la dénomination


d'Orgies et de Téletes. Le mot orgie vient du grec opyn , qui veut dire
Bacchus , qu'on désignait parti-
rites de avec
fougue, peut-être se les
nom, que
culièrement sous ceparce célébraient une espèce de fureur; ou ,
comme le prétend Clément d'Alexandrie, par allusion à la colère que
Cérès fit éclater contre Jupiter , qu'elle accusait d'avoir favorisé l'enlève-
ment de Proserpine. Du mot opyiu s'est formé celui de opyialeiv , dont se
sert Platon pour dire sacrifier. Les initiés s'appelaient opyiaçrai , et les
profanes aovpyiaçroi. Le mot Télete vient de re/loç , qui signifie fin ,
perfection , achèvement , parce que les initiés prenaient ce nom après
avoir été initiés aux mystères les plus secrets , qui étaient comme le com-
plément des initiations.
(2) V. Sainte-Croix, Mémoires etc. Sect. III. art. I.
Ht LA G R k fi E. zj8c}

dition entre-mêlée de fables. Selon la tradition seule, Cérès n'est Cérès selon.
que l'Isis des Egyptiens, le principe passif, ou la Terre, mère
commune du genre humain (1). La connaissance de cette Déité
fut apportée en Grèce par les iilles de Danaus , qui introduisirent
son culte dans le Péloponnèse, d'où, selon les mêmes marbres de
Paros, il ne passa dans PAttique que vers l'an i5ii. Les premiers
habita os de la Grèce ne vivaient que de gland et de fruits : l'ac-
croissement dela population aurait bientôt rendu cette nourriture
insuffisante à leurs besoins , si l'agriculture ne leur avait été ensei-
gnée avec le culte de Cérès. L'introduction de cet art amena le
partage des biens , et fit naître les lois. Ces hommes grossiers com-
mencèrent alors à regarder la terre comme le moyen d'une meil-
leure existence , et la Déesse qui la représentait fut bientôt à leurs
yeux la législatrice du genre humain (a). Triptolème , sous les aus-
pices de Cérès, transporta l'usage de l'agriculture, de PAttique
dans tout le reste de la Grèce. Mais la fable ne tarda point à se
mêler à la tradition. Cérès, sous la figure d'une vieille femme, par- Cdrès
courut diverses contrées, un flambeau à la main , pour chercher sa sslon lu fabh
fille Proserpine. Arrivée chez les Eleusiens , au dire de Callima-
que , elle s'assit trois fois au bord de la fontaine de Callirhoè, toute
couverte de poussière , et n'ayant bu ni mangé depuis long-tems.
La pierre qui lui avait servi de siège fut appelée Âgelasta , qui
veut dire triste. Cérès entra ensuite dans le palais de Celée Roi d'E-
leusis, où elle rencontra la vieille Jambe , qui la fit rire par ses

(1) «Hérodote, dit Sainte-Croix, Diodore et tous les anciens auteurs


attestent l'identité de ces deux Déesses: identité que l'étymologie de leurs
noms rend encore plus certaine. Les Egyptiens avaient donné à la pre-
mière le surnom de Mouth , qui veut dire mère : mot qui ne diffère
guéres du Mau-Tho , dont les Cophtes se servent pour désigner la mère
du monde. Les Grecs appelaient la seconde Demeter, ou la Terre-mère
qui est l'interprétation littérale du mot Isis , et est conforme à la doctrine
des mystères)-). Plutarque et Lactance nous apprennent en outre, que
l'histoire des courses de Cérès pour chercher Proserpine , que Pluton avait
enlevée , ne diffère en rien de ce qu'on racontait en Egypte d'Osiris , d'Isis
et de Typhon.
(2) Les Grecs appelèrent Cérès Thesmophora , et Thesmotheta , ou
Législatrice. Selon Esichius , ce mot signifie encore la justice et les ora-
cles ,dans l'opinion où étaient les Grecs que, dés le tems de Deucalion ,
Cérès avait eu le don de prédire l'avenir.
Europe. Vol. 1- g2
490 Pt ELI G 10»
plaisanteries grossières. Ayant été choisie pour être la nourrice Je
Déraoplion fils de Celée et de Métanire 3 elle tenait de nuit l'enfant
sur le feu pour faire consumer sa substance mortelle , lorsque la
mère effrayée à cette vue poussa un cri si fort, que la Déesse laissa
tomber cet enfant dans les flammes , où il fut aussitôt réduit en cen-
dres. Pour se consoler de cette disgrâce, Gérés se chargea d'élever l'aîné
des fils de Celée , auquel elle donna un char attelé de dragons , et
l'envoya pour apprendre aux hommes l'art de semer le froment. Tel est
le récit que fait à ce sujet Apoliodore: récit qui s'accorde, à quel-
que différence près, avec ce qui est rapporté plus au long dam
l'hymne à Gérés qu'on attribue à Homère (i). II est dit dans cette
hymne qu'après avoir repris sa forme naturelle, Gérés ordonna à
Celée de lui élever un temple pour l'institution de ses mystères;
et l'auteur ajoute que la Déesse ne quitta ce temple , que quand
Jupiter voyant la terre frappée de stérilité, et craignant de per-
dre les hommages des mortels, lui fit annoncer par Isis qu'elle re-
verrait sa fille: ce qui appaisa son ressentiment contre ce Dieu,
Proserpine qu'elle accusait d'avoir favorisé l'enlèvement de Proserpine (a). Les
les mystères courses de cette Déesse ayant pour but de retrouver sa fille, celle-
ci avait aussi beaucoup de part dans les mystères d'Eleusis. Pro-
serpine avait eu pour père le Jupiter fils de l'Ether , qui, selon
Cicéron , est né dans l'Arcadie: allusion qui prouve assez claire-
ment, que le culte de Gérés et de Proserpine avait régné dans cette
partie du Péloponnèse. Les aventures de la fille de Cérès sont trop
connues pour que nous ayons besoin d'en parler ici. Nous observe-
rons seulement que s de l'avis des écrivains les plus érudits, on

(i) M.r De-Boze a publié un bas-relief, sur lequel les aventures de


Gérés sont représentées , telles qu'Apollodore les a rapportées.
(2) L'allégorie parait fort-claire dans ce dernier récit, « Le poète ,
dit Sainte-Croix , donne évidemment à entendre , qu'après une longue
sécheresse , la terre recouvra sa fécondité au moyen d'une pluie abon-
dante ». Clément d'Alexandrie et Arnobe rapportent certaines circonstan-
ces peu décentes, qu'ils avaient lues dans les anciennes poésies Orphiques,
et qui devaient avoir lieu dans la célébration des mystères. Une de ces
circonstances est, que Baubo ou Baubone , femme d'Eleusis , offrit à Cé-
rès une boisson faite avec de l'orge-; que la Déesse ayant refusé de la
prendre à cause de son extrême tristesse , Baubone irritée de ce refus lui
leva sa robe jusqu'au sexe qu'elle mit à nu ; et que la Déesse , au lieu
de se fâcher de sa témérité , ayala aussitôt cette boisson.
de la Grèce. 49 t
aperçoit une identité parfaite entre l'histoire de Proserpine et celle
d'Osiris, que les prêtres Egyptiens regardaient comme la substance
spermatique ou fécondante; et que par conséquent l'inhumation de
ce Dieu, qu'Isis allait cherchant de tous côtés, ne signifie autre
chose que la semence qui est cachée dans le sein de la terre. Et
en effet , selon le langage des nouveaux Platoniciens , Proserpine
était l'emblème de tous les germes (i). Ainsi , la Terre ou la matière
reçoit dans son sein tous les germes dont Proserpine est le symbo-
le; c'est pourquoi cette Déesse fut appelée Chtonia , qui veut dire
proprement terrestre , mais qui, par métonymie, signifia depuis
infernale. Le culte de Gérés a beaucoup de relation avec celui du
jeune lacchus , que la plupart des anciens écrivains désignent sous lacôhan
le nom de fils de Proserpine, et que quelques-uns ont, par inadver-
tance, confondu avec le Biochus de Thèbea. Cet lacchus tire aussi
son origine de l'Egypte, et n'est peut-être qu'Osiris même, selon
l'usage où étaient les Grecs, tantôt de confondre dans une seule
plusieurs Divinités étrangères, et tantôt de faire d'une seule, autant
d'autres divinités , qu'elle avait d'aventures ou d'attributs difFérens. Ci-
céron donne pour père à laccus le Jupiter d'Arcadie (2). Ainsi donc le
culte d'Iacchus remonte en Arcadie à l'époque de celui de Gérés-,
dont il n'est jamais séparé (3). Aussi Pindare appelle-t-il lacchus l'ad-
joint de Cérès (4), et Strabon son Génie et le directeur de ses mystè-
res (5). Il est quelquefois représenté avec des cornes , peut-être pour
avoir enseigné aux hommes à atteler les bœufs à la charrue ( 6). Le
plus souvent oti le voit dan^ les bras de sa mère qui lui donne le sein ,
probablement par allusion à la terre qui nourrit l'homme de ses
fruits (7). Nous avons cru à propos de nous arrêter un peu sur le

(1) Porphyr. ap. Euseb. Praep. liv. III. pag. 109.


(2) Selon Diodore de Sicile et Clément d'Alexandrie, le fils de Pro-
serpine fut mis en pièces par les Titans , et ensuite rappelé à la vie par
Gérés. Ce récit semble n'être qu'une allusion à la mort d'Osiris, qui avait
été également massacré par Typhon ( Voy. le costume des Egyptiens}.
(5) De Nat. Deor. liv. III. §.21.
(4) Isthm. Od. VII.
(5) Geogr. liv. X. Clem. Alex. Protr. pag. 54.
(h) Diod. liv. III. § 63.
^(7) Bochart dit que le nom à1 lacchus est d'origine Phénicienne,
et signifie un enfant à la mamelle. Fréret , suivant l'opinion des gram-
mairiens Grecs , fait dériver ce nom des cris Iàcchè , Iacché , que les ini-
tiés et les Bacchantes répétaient tour-à-tour. Et en effet le mot ian%eÏP
Teut dire élever la voix et faire grand bruit.
49a R E L IG IO S
culte de ces trois Déités , pour arriver plus facilement à Pexplica-
tion des mystères.
Cérémonies
des initiations On _ demande
..... en second
*-. lieu qu'elles étaient les cérémonies usi-
m Samothrace. tees dans les initiations. Dans les mystères de Sarnothrace, elles com-
mençaiant par la purification, et par la confession que le Candidat
fesait de ses péchés à un prêtre appelé Koes , qui veut dire Auditeur se-
lou Fréret , et auquel il devait promettre d'être meilleur à l'avenir.
Les eufans, d'après ce que dit Plutarque dans la vie d'Alexandre ,
étaient exempts de cette confession. Après avoir été purifié, le
Myste ou Candidat, ayant une couronne d'olivier et une ceinture
de pourpre (i), allait s'asseoir sur une espèce de trône, autour du-
quel les assistans ou les initiés fesaient le cercle en se tenant par
la main, et en chantant des h y m mes accompagnées de danses. Cela
fini, on commençait la pompe itiphallique , qui, selon Hérodote,
était une allégorie à la mort cabirique (a). Ces cérémonies se cé-
lébraient de nuit, et l'on choisissait même un antre pour quelques-
unes , afin d'être plus à l'abri de la curiosité des profanes. Il sem-
ble, d'après un passage d'Hérodote, qu'on instruisait les initiés de
traditions historiques concernant les Pelasges et leur religion, et
surtout le culte des Me retires Phallephores. Nous ne dirons rien des
Dactyles, des Curetés, des Corybantes et des Telchines , dont les
initiations ne devaient guères différer de celles des Cabires, et
dans lesquelles la monstruosité fut poussée ensuite au point de les
rendre méprisables aux yeux même des Grecs (3). Les initiations

(i) On dit qu'Ulisse fut le premier à porter cette ceinture, et qu'avant


lui les candidats n'avaient que de simples bandelettes de pourpre. On at-
tribuait àcette espèce d'ornement la propriété de sauver les initiés des
plus grands périls. Agamemnon appaisa la rébellion de ses troupes , en se
présentant à elles sans autre marque distinctive que ses orntmens cabi-
iiques. Schol. Homer. I, 334 et XVI. ioo.
(2) Cadmillus, le plus jeune des Cabires, fut tué par ses frères,
qui s'enfuirent ensuite emportant dans un panier ses parties naturelles.
Sa tête fut enveloppée dans une étoffe de pourpre , et son corps ayant
élé transporté en Asie sur un bouclier, fut enterré au pied de l'Olympe.
Ce récit a beaucoup de rapport avec les aventures d'Osiris et d'Orus, ainsi
qu'avec celles de l'Iacchus d'JEleusis , que les profanes confondaient aussi
avec Cadmillus.
(3) Les successeurs des anciens. Corybantes arrivèrent au point de se
pi utile r , et de porter en triomphe les preuves dégoûtantes de leur fré*-
de la Grèce, /(q3
aux mystères d'Eleusis furent les seules qui conservèrent leur célé-
brité ,c'est pourquoi nous en parlerons plus particulièrement.
Nous avons déjà vu combien il y avait d'espèces de prêtres inhiatiim
chez les Athéniens. Commençons par observer maintenant, que d'E{eusts-
les ministres de Cérès formaient deux ordres distincts, l'un su-
périeur et l'autre inférieur. Le premier ordre se composait du
Hiérophante , du Dadouque , du Hiérocèryx , et de YEpïbome (i).
Les noms de Hiérophante et de Mystagogue étaient communs au
même prêtre , qui présidait aux cérémonies secrètes, et initiait
les candidats dans la connaissances des mystères. Le Hiérophante Hiérophante.
d'Eleusis ne pouvait être pris que daus un âge avancé , et après
avoir passé par les autres degrés du sacerdoce. Du moment où il
entrait en fonction il s'engageait à garder une chasteté perpé-
tuelle , et dans cette vue il se frottait le corps avec du suc de
ciguë. Le trône sur lequel il était assis , la magnificence de ses
vêtemens , la gravité de son maintien , la noblesse de sa physiono-
mie, sa longue chevelure, et sa voix douce et sonore le fesaient
aisément distinguer des autres prêtres. Le Dadouque se reconnaissait Dadouque.
particulièrement aux bandelettes qui lui ceignaient la tête, et for-
maient une espèce de diadème (2,). C'était lui , avec le Hiérophante
qui entonnait les hymnes, et invoquait Cérès et Proserpine pour le
salut du peuple. Dans les processions, le Dadouque précédait les ini-
tiés tenant à la main un flambeau, d'où il a empruuté son nom;
il était en outre chargé de présider aux purifications. Le Hiéroce- Hiérocèryx.
ryx , ou Héraut sacré, éloignait les profanes du temple de Cérès,
et dirigeait dans les processions les Lampadophores , ou porteurs de
lampes, comme on le voit par un bas-relief dont Spon et Wheler
font mention. L'Epibome, ou assistant à l'autel, veillait à tout ce Epibome.
qui a rapport aux sacrifices; et l'on croit pouvoir conclure d'un
passage d'Apulée, que dans les processions il portait, comme les
prêtres d'ïsis , un ou plusieurs petits autels. Outre les bandellettes

rtésie , courant ainsi nus par les rues en mémoire de la mutilation qu'avait
subie Atys , à cause de la jalousie de la Terre sa mère , c'est-à-dire de
Rhée ou de Cybèle.
(0 Cyriac. ^incon. -pag. 96. Mu>utor. Thesàur. etc. pag. 571. Corsin.
Jnscr. Attic. pag. 27. Pocock pag. 57. Ghandl. etc. etc. V. Sainte-Croix etc.
(2) Plutarque dit , dans la Vie d'Aristide, que le Dadouque Callias fut
pris pour un Roi à la bataille de Marathon, à cause de la forme de ses
"bandelettes cpi représentaient un diadème.
494 ' Religiok
sacrées, dont ils avaient le front ceint, ces prêtres portaient tous
des couronnes d'if et de myrte , avec un manteau de pourpre et
une clef qui leur pendait derrière les épaules, comme l'emblème
Piètres
du secret inviolable qu'ils devaient garder sur les mystères (i).
inférieurs. L'ordre inférieur des prêtres comprenait Wîacchogogue , qui prési-
dait aux Mystes dans la procession d'Iacchus; i'Hydrane, qui pu-
rifiait les Candidats; le Spondopohore , qui était chargé des liba-
tions; lePyrphore , qui portait le feu; le Licnophore , qui tenait
le crible mystique, ainsi que plusieurs autres ministres cités par
Pollux et Esichius, et dont il est fait mention dans les inscriptions
que Spon et Chandler ont recueillies. Gérés et Proserpine avaient
Prêtresses,
aussi leurs prêtresses, auxquelles on donna anciennement le nom de
Métropoles, et dans la suite celui de Mélisses (a). Ces prêtresses
étaient sous la direction d'une Hiérophantide prise dans la fimille
des Philléides , à laquelle appartenait le droit d'initier les fem-
mes, qui, selon S.f Epiphane3 devaient se présenter nues à cette
cérémonie.
Division
des mystères,
Les mystères se distinguaient aussi en petits et en grands. Les
premiers se célébraient dans le mois à\4ntesterion ou de janvier
à Agra , petit bourg à trois stades d'Athènes, où il y avait un pe-
tit temple sur les bords de Pllyssus. C'est dans les eaux de cette
rivière que se fesaient les purifications, qui étaient toujours pré-
inuuaions
aux petits cédées
1,1 d'un i jeûne i
(3). Le Didouque
i •fesait ensuite
• .mettre . au Candi-
mystères. dat les pieds sur les peaux des victimes, qui avaient ete immolées
à Jupiter Meilichios et Ctesios. Après cela , le Mystagogue , pour

(i) Soph. Oedip. Col. v. 1049-46.


(2) Le nom de Metropolis leur vint , de ce que Cérès était regardée
comme la mère des villes; et celui de Mélisse, ou du miel qui était
l'emblème de la mort , comme le fiel Tétait de la vie , en ce que Pro-
serpine présidait à la mort , ou de Melissa , qui veut dire abeille, sym-
bole de la chasteté.
(5) Une loi d'Eumolpus excluait des mystères d'Eleusis les barbares ,
les étrangers , les enfans illégitimes , les traîtres à la patrie et les escla-
ves. Les homicides pouvaient y être admis au moyen d'une purification ,,
qui consistait à se frotter le corps avec le sang d'un jeune cochon , qui
était la victime destinée aux sacrifices mystérieux. On exigeait en outre
que les candidats n'eussent commis aucun délit , et qu'ils fussent chastes
dans leurs discours. Leur âme , selon Porphyrius , devait égalemeut être
exempte
la mort. de toute passion violente , comme s'ils eussent été à l'article de
© e la Grèce. 49(t>
Rassurer du secret, exigeait du Candidat le serment le plus ter-
rible. Clément d'Alexandrie donne à entendre quelque part, qu'on
lui expliquait certains termes énigmatiques, qui avaient presque
tous rapport à l'agriculture , et qu'on lui prescrivait aussi de ne pas
manger son propre cœur , c'est-à-dire de ne pas s'affliger. Ces cé-
rémonies étaient suivies de l'intronisation et de danses, comme dans
les initiations de la Samothrace. Dans les petits mystères, les initiés
ne prenaient que le nom de Mystes , tandis que dans les grands
mystères on leur donnait celui d' Epoptes ou contemplateurs: aussi
appelait-on ceux-ci Têletes , qui veut dire fin ou perfection; et
les Mystes, au dire de Plutarque dans la vie de Démosthène , ne
pouvaient y être admis , qu'au bout d'un an au moins après leur ini-
tiation aux petits mystères.
Plutarque nous apprend dans la vie d'Alexandre , que les grands initiation,
mystères commençaient au quinze du mois de Boedromion ou d'août , "myftèï'et
et duraient, selon Meurs, pendant neuf jours. Le premier on ras-
semblait les Mystes. Le second jour, ces candidats se rendaient en
procession au bord de la mer, dont les eaux étaient réputées lustra-
les (i), pour s'y purifier. Le troisième était consacré au jeûne et
à des gémissemens mystérieux, par allusion aux gérnissemens de Gé-
rés et de Proserpine, pendant lequel tems les Candidats étaient
couchés sur des lits mystiques , entourés de bandelettes de pour-
pre (^). La quatrième on célébrait les sacrifices et les danses mys-
tiques, dans un pré émail !é de fleurs autour de la fontaine Calli-
rohé (3). Le cinquième on ferait la procession des flambeaux , dans
laquelle les initiés, après se les êtres passés de l'un à l'autre , en-
traient dans le temple précédés du Dadouque, qui portait un flam-
beau plus grand , emblème de Phosphore ou Lucifer. Le sixiè-

(i) Athénée dit que Phryné , courtisanne célèbre , choisissait ordinai-


rement le tems de cette procession pour se baigner dans la mer , affec-
tant ainsi de se montrer nue et les cheveux fiottans , comme Vénus sor-
tant du sein des ondes.

(2) Clément d'Alexandrie rapporte que l'initié prononçait ces paroles:


je me suis introduit dans le lit nuptial , par allusion à Pluton ; puis il
ajoute que tous ces rites étaient vraiment dignes de la nuit, voulant dé-
noter par là leur indécence et le tems de leur célébration.
(3) Clément d'Alexandrie ajoute qu'il n'était pas permis cle toucher
les parties génitales des victimes: la raison en est aisée à deviner, et
les initiés ne devaient pas l'ignorer, V. Sainte-Croix, pag. 196.
^ÇjG Rkligios
me était dédié à Iacchus : l'image de ce Dieu couronné de myrte ,.
et tenant dans la main droite un flambeau } y était portée depuis
le Céramique jusqu'à Eleusis. Elle était suivie du crible, emblème
de la séparation des initiés d'avec les profanes,, et du calathos ou
corbeille mystique : ustensiles dans lesquels on mettait les objets
nécessaires aux mystères, tels que le vin, le miel, l'huile et la
farine d'orge dont on fesait une boisson appelée T&vxeov , qui veut
dire boisson mélangée , et en outre le sésame , le sel , et quel-
ques pains en forme de pyramide, des grenades, et enfin une
espèce de phallus. Les initiés répétaient sans cesse et à grands cris
le nom d'Iacchus. Le septième jour ils retournaient à Athènes..
Arrivés sur le pont du Céphise., les profanes qui les y attendaient
en foule leur adressaient des railleries piquantes, et le plus sou-
vent indécentes (i). Les initiés leur répondaient par d'autres sarcas-
mes, et le vainqueur était couronné de bandelettes. Le huitième jour
était appelé Epldawic , et se célébrait en l'honneur d'Esculape ,
qui n'ayant pu participer à l'initiation du sixième jour, obtint qu'on
la répétât pour lui: ce qui continua à se faire depuis lors, pour
tous ceux qui arrivaient trop tard. Enfin le neuvième jour s'appe-
lait Plémochoé , du nom d'un vase de terre, dont le fond était
plat, et qui n'avait qu'un seul manche. Les prêtres remplissaient ce
vase de vin , dont ils fesaient une libation à Proserpine en le versant
dans des trous faits en terre, et disposés les uns au levant et les
autres au couchant; ils accompagnaient cette libation de paroles
mystérieuses, en tournant leurs regards d'abord vers le Ciel comme
le père , puis vers la Terre comme la mère de tous les êtres. Le
lendemain on célébrait les jeux gymniques institués par Pandion
II fils de Gécrops, et qui servaient comme de complément à la
cérémonie des mystères. On admettait aussi les enfans à ces jeux ,
et le prix des vainqueurs était une mesure d'orge (a).
Epoptée. JJEpoptée, ou grande initiation, se fesait le sixième jour après
la procession d'Iacchus. Le Hiérocéryx commençait les cérémo-
nies par les proclamations. On demandait à chaque candidat s'il

(i) C'est delà qui vient le mot y epvpi&LV , qui veut dire railler sur
un pont. Scurrili et petulanti jôco petere et obtrectare. Valcken. ad
Ammon. L. III. chap. i3.
(2) Marm. Oxon. Epoch. 17. Schol. Pind. Isthm. Od. I. Olymp. Od. IX.
Inscr. in Marm. Oxon. pag. 83.
be la Grèce. 497
avait mangé du pain : sa réponse affirmative le fesait aussitôt chas-
ser comme profane; mais s'il répondait, non , j'ai bu de la boisson
mélangée , il donnait à entendre par là d'avoir participé aux pe-
tits mystères, et on l'admettait aux grands. Il devait se présen-
ter nu : dans cet état on l'enveloppait d'une peau de faon , qui se
serrait autour de ses [reins en forme de ceinture : cette cérémo-
nie , qui se fesait en secret , était une allusion à l'état sauvage des
premiers hommes, et en même tems à la vie corrompue et mortelle
des profanes. Le Myste, après qu'on lui avait ôté cette peau, pre-
nait une robe de laine teinte en pourpre : on le couronnait de
myrte 3 et on le fesait asseoir sur un lit orné de bandelettes de
pourpre. Après cette cérémonie on l'appelait {taxapioc , qui signifie
heureux (i). Les portes du temple étaient toujours fermées, et les
Mystes restaient dans le pronaos en attendant qu'on les ouvrît : pen-
dant ce tems, des sons horribles, des fantômes qui avaient la figure
de chien, et mille images monstrueuses que la lueur des éclairs
et les éclats de la foudre rendaient encore plus terribles, rem-
plissaient leur âme de trouble et d'épouvante. Enfin le Mystagogoe
ouvrait les portes; la statue de Cérès paraissait environnée d'une
lumière flamboyante produite par un artifice ; les ténèbres se dis-
sipaientl'initié
; adorait la Déesse : on le conduisait ensuite dans
des prés fleuris où il se voyait entouré de chœurs de musiciens , de
danseurs et de fantômes agréables (a); après quoi il était déclaré
Epopte ou contemplateur (3).
On demande en troisième et dernier lieu, qu'elle éfait la doc- Doctrine
secrète.
trine secrète des mystères. Nous avons traité plus haut assez au

(i) Le ?nyrte et la pourpre étaient regardés comme les emblèmes


de l'âme après la mort , dans l'opinion où l'on était que les âmes des
initiés devaient habiter un bois de myrthe , et des champs parsemés de
rosés : c'est pour cela que le myrte et la pourpre furent pris pour les
emblèmes de la mort , et c'est de là que vînt l'usage de jeter des bran-
ches de myrte et de roses sur les tombeaux.
(2) Dion. Crys. Or. XII. Tertul. adv. Valent. Themist. ap. Stob.
Sera. CCLXXIV. Schol. sup. Oedip. Col. v. 675.
(6) VEpoptée , au rapport de Sénèque , avait certaines cérémonies,
dont l'honneur était réservé aux personnes qui assistaient pour la seconde
fois aux mystères ( Séneq. NaC. Quaest liv. VII. chap. 3i ). Telle était,
à ce qu'il semble , l'inauguration du Phallus , dont parlent Théodoret ,
Clément d'Alexandrie et Tertullien. Ce dernier assure que les Valentiniens
avaient aussi adopté cette cérémonie.
Europe. Vol, 1. q§
4ç)8 Religion
long du sens mystérieux que cachaient les initiations aux mystères
de Samothrace. Nous aurions également la clef de ceux d'Ephèse ,
' si le terns ne nous avait pas ravi les livres qu'on attribue à Or-
phée et à Musée , aiusi que ceux d'Eumolpus , d'Arignote le py-
tagoricien et de plusieurs autres , dont parlent les Pères de l'église.
Ces mystères ne furent pourtant pas toujours tellement secrets, que
les profanes n'aient pu avoir quelque connaissance de leur doctrine.
Les Eclectiques et les nouveaux Pytagoriciens se fesaient initier dans
tous les mystères, et en parlaient continuellement dans leurs écrits.
Le pytagoricien Numenius les avait révélés aux profanes. Tous ces
ouvrages existaient du tems des Pères de l'église , qui les avaient
recherchés avec beaucoup de soin (i). En examinant de plus près
la question , nous voyons dans Diodore de Sicile } que les cérémonies
des mytères étaient les mêmes à Athènes qu'en Egypte , d'où Or-
phée les avait transportées en Grèce, et que la fable de Gérés
ne différait de celle d'Isis que par les noms. Le témoignage de
cet historien semble conforme à l'opinion d'Hérodote. Or les céré-
monies de l'Egypte n'étaient que l'expression symbolique d'une
Cosmoeonie espèce de Cosmogonie religieuse, avec laquelle on rendait raison
religieuse. ^e l'origine du monde , de la manière dont il est gouverné par
les Dieux, des vicissitudes de la nature, et enfin des causes du
bien et du mal , ou de l'admission des deux principes. On lit dans
Plutarque., qu'à son retour de l'Egypte, Solon confirma ces rites
symboliques, supprima toutes les cérémonies barbares et purifia
la ville. Les purifications furent considérées dans la suite comme
le prélude des mystères (2). Platon dit que, par ces purifications, on
était absous des délits pour la vie et après la mort. Cette doctrine
était fondée sur le dogme de la Métempsycose , dans l'esprit du-
quel les anciens philosophes croyaient que l'âme pouvait èiie cou-
pable de quelque délit même avant la naissance, comme on le voit
clairement par un fragment des oeuvres de Cicéron , que S/ Augustin

(i) Porpliyrius dit qu'Origène connaissait le sens des mystères. Eu-


sèbe assure que S.1 Clément d'Alexandrie en était parfaitement instruit.
Justin et Athénagore laissent apercevoir dans leurs écrits qu'ils y avaient
été initiés. Or il n'est pas difficile que quelques-uns des initiés , après
s'être convertis au christianisme , aient révélé les secrets de ces mystères
aux Apologistes. Et en effet Théodore , montre qu'il n'ignorait pas ces
secrets. V. Sainte-Groix , pag. 344-
(a) Clam. 4le&. Strom. liv. V. Schol 4risC. ad Plut. v. 846.
de la Grège. ^99

nom a conservé. C'est pourquoi les Mystagogues prétendaient que les


profanes seraient précipités après leur mort dansun bourbier, et ([ne
les initiés habiteraient au contraire un lieu de délices dans le royaume
de Pluton (i). L'idée des deux principes donna naissance aux Génies.
Platon et Plutarque nous apprennent que les initiés connaissaient la
nature de ces Génies, et qu'où leur enseignait également que les
Dieux se servaient d'êtres célestes et terrestres pour l'exécution de
leurs volontés. Ainsi l'histoire de Gérés, de Proserpine , et d'Iaochus ,
qui a eu son origine en Egypte , puis a été altérée en Grèce, et diffère
par conséquent des traditions populaires, formait, selon Clément
d'Alexandrie, le sujet des mystères; et après que les Mystes aux-
quels on l'enseignait avaient été reçus Epoptes , on leur en donnait Diffèrent
•slagosues.-
l'explication physique et morale, selon les divers systèmes de phi- f/ySt systèmes des
losophie qui se succédèrent du tems des Mystagogues. Lorsque la
doctrine des Eclectiques ou nouveaux Platoniciens prévalut parmi
eux , les Dieux ne furent plus considérés dans les mystères que comme
des forces nécessairement unies à la matière: aussi ses sectateurs di-
saient-ils que les mystères de Samothrace , d'Eleusis etc. instruis
saient plutôt sur la nature des choses que sur celle des Dieux (a).
Selon ce système , le Dadouque aurait été l'image du soleil , et les
Mystes celle de l'univers (3). Il faut donc conclure de là que les
mystères n'étaient , dans leur origine , que de simples pratiques ou
cérémonies légales ; et que dans la suite on y joignit une doctrine
secrète concernant l'agriculture, l'établissement des lois et l'intro-
duction d'un nouveau culte religieux , qui menaçait les profanes de
éternel (4)-dans l'autre vie, et promettait aux initiés un bonheur
châtimens

(i) Plat. Phaedon. Diog Laerù. liv. V. chap. II. Schol. A ris t. Ran.
v,. 775. Nous ne voulons pas prétendre par là cependant , que le dogme
des récompenses et des peines après la mort fit partie de la doctrine secrète;
car il était déjà répandu en Grèce dès les tems d'Homère et d'Hésiode.
Peut-être que la seule origine de ce dogme , c'est-à-dire la métempsy-
cose , était considérée comme un mystère , qui devait d'ailleurs être aus-
sitôt révélé aux Mystes , ou aux initiés dans les petits mystères.
(2) Cicér De Nat. Deor. L I. § 42. S.1 Clément d'Alexandrie
( Strom. L. IV. ) assure aussi que VEpoptée était une espèce de Physiologie.
(5) Ap. S. Epiph L. III chap. 9. T. I. pag. iogo,
(4) Outre l'ouvrage de Sainte-Croix sur les mystères d'Eleusis, il faut
encore lire celui de Meurs intitulé Eleusinia , etc. , ainsi que l'ingénieux écrit
de Warburton , The Divine Légation of Moses. Ge dernier écrivain range
5oo Religios"
Thesmophories. Quelques écrivains , entr'autres le célèbre Millîn , sont d'avis
que les principales fêtes de Cérès étaient les Thesmophories , ou les
fêtes de Cérès législatrice: ce qui don aérait à présumer que les mys-
tères les plus secrets en fesaient partie; d'autres ont confondu les
Thesmophories avec les fêtes Eleusienues. Néanmoins la nature de
ces fêtes, et les assertions des écrivains les plus accrédités ne per-
mettent pas de douter qu'elles ne fussent particulières aux fem-
mes exclusivement, quoique les cérémonies n'en différassent guè-
res de celles d'Eleusis. Les hommes n'étaient point admis dans les
Thesmophories , et les fonctions sacerdotales y étaient remplies par
les Mélisses dont nous avons parlé plus haut (i). On les célébrait dans
le mois de Puanepsion , ou d'octobre, et elles duraient cinq jours.
Les femmes accompagnaient jusqu'au Thesmophorion , ou temple
de Cérès Thesmophore , le Calathos mystérieux, qui était traîné
par quatre chevaux blancs, et entouré de jeunes filles portant
des cribles tissus en or. Après un sacrifice expiatoire, les initiées
portaient de là jusqu'à Eleusis sur leur tête et en procession le
livre des lois, en invoquant à haute voix C alli génie , qui, selon
l'opinion de Villoison , signifie le mère de la belle Proserpine , ou
la mère des fruits et des moissons. Les Thesmophories se célébraient
aussi de nuit. Chaque femme y avait un flambeau allumé, qu'elle
éteignait et rallumait aussitôt. Le Ctéis était l'objet de la vénéra-
tion publique dans ces cérémonies, et rappelait au souvenir des
inîiées l'aventure de Baubone : d'où l'on peut conclure que toute
décence en était bannie (n).

néanmoins au nombre des dogmes secrets celui de l'unité de Dieu ; et


Larcher avait adopté son opinion dans sa première édition d'Hérodote.
M.r Hancarville ( Collection ofEtruscan etc. p. IV. p. 39 ) est aussi d'avis
qu'on enseignait aux initiés le dogme de l'unité de Dieu, et cela dans
la supposition peu fondée où il est que ce dogme a précédé le Sabéismc
chez les Grecs. Mais comment admettre son existence dans un pays où
le polythéisme était établi , et où par conséquent il aurait été en oppo-
sition manifeste avec le culte public , avec la politique , et avec l'intérêt
des gouvernemens et des prêtres? Ajoutons à cela que les Apologistes de
l'Eglise n'en disent pas un mot , malgré le grand avantage qu'ils auraient
pu tirer de cet argument contre la superstition même des Gentils.
(1) y. Acad. des Inscript. Tom. XXXIX. Recherch. sur les Thes-
mophories.
(.2) Thèodoret. Serm. VII. et XIJ. T. IV. Apollod. £. I. çjiap. V,
\dristoph. Thesmoph. v. §37-3.8,
MAWAUAWAWAWWAUAWAWAVAWAWAWAMMIV
Gaffo GalGna /.-,<■
TSKSSMSSmSSSKM
de la Grèce. Soi
Maïs en voilà assez sur les mystères. Voyons maintenant quel-
ques monumens qui s'y rapportent. Le premier, ( plan» h* 77 n.° 4),
est le revers d'une médaille de Demetrius I.er , frappée la [58.*
année de l'ère des Séleueides, c'est-à-dire i55 ans avant le Christ.
Vaillant et Eckel ne sont point d'accord sur le sens de son type:
il était peut-être réservé au célèbre Visconti d'en donner l'expli-
cation véritable. « J'y reconnais, dit-il, Cérès , appelée en Grec
Dcmêter , d'où s'est formé le nom de Demetrius que les ancêtres
de ce Prince ont illustré „. La Déesse qui, en enseignant aux Cêrès frugîfèt*
h., . . n • , 19 li 1 et légiféra.
ommes I agriculture a perfectionne l ouvrage de leur civilisation,
tient de la main gauche une corne d'abondance remplie des pro*
d potions qu'elle a fait naître, et de Ja droite le burin avec le-
quel elle grava les lois qu'elle donna aux hommes; elle est repré-
sentée ici en même tems comme fru gif era et légiféra, c'est-à-dire
cultivatrice et législatrice ; le pied de son trône est décoré de
figures bizarres : ce sont les serpens ailés qui ont transporté son char
d'un bout de la terre à l'autre. Ces monstres immortels ont par en
haut le corps et le vêtement de femmes (1). Le n.° 5 de la même
planche est un camée de la Bibliothèque de Paris, sur lequel est
représentée Cérès conduisant ïriptolème dans son char traîné par
des serpens ailés,, Triptolème tient dans un pan de sa robe la se- Cèrès
mence qu il doit répandre sur la terre, et Cerès porte le cahier ou
volume renfermant les lois sur les propriétés: belle allégorie, dit
Miliin, sur la nécessité d'allier la législation à l'agriculture (2).
Pour compléter ce que nous avions à dire au sujet des mystè- Cérémonies
res', nous rapporterons ici ( pi. 78 et 79 ) une des plus belles pein- £ieusce"
tures des vases de l'édition originale d'Harnilton , où sont repré-
sentées les cérémonies d'Eleusis (3). Nous observerons de nouveau
que, dans la célébration des mystères, les prêtres figuraient les
Déités au culte desquelles ils étaient attachés, ainsi que les dif-
férens personnages auxquels se rapportent les événemens mytholo-
giques. Apulée, qui avait été témoin des fêtes de Bacchus , dit
avoir vu dans les travestissemens qui y étaient usités, âes hommes
ayant pour chaussure des pantoufles dorées, avec de riches vête-

(1) Iconogr. Gr. vol. IL pag. 324- PI XLVI N° a5.

pag. O)
276. Miliin. Gall. T. I. pag.'ôo. N.° 2.2.0. Acad. des bell. lettr. T. I.
(3) Collection of Etruscan } Greeh etc. Antiquités etc. T. III,
PL 47.
502 Religion

mens et des ornemens précieux , les cheveux relevés sur le sommet


de la tête, adextis capite crinibus , et imitant la mollesse des femmes
dans leurs mouvement Gès'homnaes n'étaient que les images de-- Gé-
nies. De môme les deux sexes se travestissaient dans les mystères
d'E'eusis, de manière à exprimer toutes les actions de Gérés, de
Proserp'me et d'Iacchus. Ce qui fait particulièrement le prix de
cette peinture, c'est qu'on y voit comment étaient représentés les
événemens qui ont donné naissance à ces mystères , au sujet des-
quels Pausanias dit qu'il n'était point permis à ceux qui n'y étaient
pas initiés d'en avoir connaissance, ni même d'oser s'en instruire
par curiosité (i). Les oliviers, dans les deux planches, indiquent
le lieu de la scène qui est l'Attique, vers l'extrémité de laquelle
se trouvait Eleusis. Au milieu de la planche 78 on voit le Puteale ,
ou couvercle ayant la forme d'un vase renversé, qui couvrait le
puits ou la fontaine CaUlrohé , autour de laquelle les jeunes fil-
les se rassemblaient pour danser et chanter des hymnes en l'hon-
neur de Gérés. C'est au bord de ce puits , qu'au dire de Callima-
que, la Déesse s'assit à trois fois différentes, lorsqu'accablée de
douleur pour n'avoir pu retrouver sa fille, elle alla se réfugier chez
les Eleudens, et selon d'autres chez le vieux Celée. La Mélisse, ou
femme initiée qui la représente, annonce dans son maintien la
plus grande tristesse. Le Génie qui est à côté d'elle est l'Amour,
qu'on reconnaît à l'indication et à la boîte mystique de Vénus, que
tient une femme qui est derrière lui, et plus encore à son arc
qu'il a l'air de présenter à la Déesse, comme l'unique cause de son
accablement, dont il semble lui demander pardon. Près de Cérès
est la vieille qu' Apollodore appelle Iambé , Clément d'Alexandrie
Baubo , et Nicandre Métcinire. Pour consoler la Déesse, la bonne
vieille lui offrit quelque chose à manger, qu'elle refusa: le vase

(1) Quelqu'un pourrait peut-être demander comment , malgré les dé-


fenses rigoureuses sur la révélation de ces mystères , on les avait néan-
moins représentés sur les vases ? Cette question , selon Hancarville , peut
se résoudre en supposant que ces peintures sont l'ouvrage de quelques
initiés. Il n'est pas hors de vraisemblance non plus , que l'obscurité même
du sujet et des allégories, ait pu être regardée comme un moyen suffisant
d'en tenir le sens caché aux artistes même qui les exécutaient sur le
modèle qu'on leur en donnait; de la même manière que, de nos jours,
les Francs-Maçons se servaient , pour leurs décorations , de peintres qui
en ignoraient le langage symbolique ,, et ne pouvaient par conséquent
en donner l'explication.
de la Grèce. Se3"
renversé qu'on voit à ses pieds indique l'offre et le refus. Cette vieille
chercha à distraire la Déesse de sa douleur en se mettant presque nue
devant elle, ce qui la fit rire en effet. C'est en mémoire de cette
action bizarre que le JPecten, Kr^ç , qu'Apulée appelle Mundum
muliebre fut mis comme un objet sacré dans les corbeilles de Cérès 9
de la même manière qu'on tenait le Phallus dans celles de Bacchus.
Ce Pecten est désigné comme étant dans une espèce d'étui qui est
à côté du vase renversé (i). Hyona , femme d'EIeusius et mère de
Celée j qui reçut Cérès dans sa demeure, est représentée sous la figure
qu'on voit assise à côté de Jambe ou Métanire. Celui qui parle à
Cérès est Dioclés, un des jeunes gens qu'elle avait instruits, et
qui, dans un hymne qu'on attribue à Homère , dont Pausanias nous
a conservé un fragment, est appelé izlrfr^oc , fraenator equorum :
la lance indique qu'il possédait ce.t art, parce que les anciens se ser-
vaient de cette arme pour monter à cheval -, comme nous l'avons ob-
servé ailleurs. C'est pour cela qu'on en voit toujours une dans les mains
de Castor, qu'on croyait présider à l'art de î'équitation. Dans le
haut de la peinture est Cérès , qui montre au jeune Triptolème 9
un bassin plein de froment, dont elle lui avait enseigné l'usage,
ainsi que l'art de le cultiver. A la planche 79 Cérès assise présente
une couronne à Euuiolpus,, qui tient une ceinture, emblème des
lois qu'elle a données aux hommes. Derrière elle, une femme porte
une couronne de sésame et une feuille d'olivier, qui, avec Vindi-,
cation de Minerve dans la bulle placée sous la boîte mystique,
comme dans celle qui est au dessus d'Eumolpus , indiquent le ter-
ritoire d'Athènes. Au dessous de Cérès on voit ^indication de Bac-
chus dans le globe: celle de la Déesse considérée comme Diane,
se trouve au dessus de la boite mystique. Les ceintures et les bas-
sins de froment, que tiennent les femmes et le Génie, dénotent peut-
être les cérémonies mystérieuses dont l'exercice appartenait à la
famille des Eumolpides. Hancarville croit voir dans la figure car-
rée , qui est presqu'au dessous de la Déesse , la fameuse pierre Age-
lasto, AyeXas-roç Hhp% , qui veut dire risus expers saxum ,, sur la-
quelle se reposa Cérès, et à laquelle Ovide fait allusion dans ces
deux vers du IV.e livre de ses Fastes ;
Hic primum sedit gelido maestissima saxo ,
Illud Cecropidae nunc quoque triste çocant.

(1) Les Syracusains fesaient le Pecten avec une pâte composée de


miel et de sésame , qu'Atliénie désigne sous le nom de Mv^oi.
5o4 Religion

Jeux et spectacles sacrés.

Quatre espèces Les priucipaux jeux ou spectacles publics étaient au nomhre


de jeux. -, i i • t
de quatre: on les appelait tepoi, ou sacres, parce qu ils avaient été
institués à la gloire des Dieux ou des héros, qui avaient obtenu les
honneurs de l"apothéose. Le poète Archias les désigne clairement
dans cette épigrame: La Grèce a quatre jeux qui sont tous sacrés:
deux sont consacrés à des hommes , et les deux autres à des Dieux :
ceux-ci sont Jupiter et Apollon: ceux-là Palémon et Archemore. On
y donne pour prix des couronnes d'olivier , de pommier , d'ache et
cinq comhats. de pin ( c ). Ces jeux étaient accompagnés de cinq sortes de combats
qui étaient, la course, le saut, le disque, le dard et la lutte (a).
La course. L'habileté à la course était uue qualité singulièrement estimée
chez les Grecs , en ce qu'elle donne aux hommes plus d'aptitude aux
exercices militaires. Aussi Homère donne-t-il toujours à Achille l'épi-
thète de vite à la course. On prétend que, pour se rendre plus pro-
pres à cet exercice, les Grecs fesaient usage de certains médieametis
qui leur desséchaient la rate , dont ils regardaient l'existence comme
incompatible avec les mouvemens du corps où il fallait de la force
et de la célérité. La course se fesait dans le Stade (3). Le signal
du départ se donnait au son de la trompette. A la course des hom-
mes exempts de toute entrave , succédait celle d'hommes armés
d'un bouclier, d'un casque et en brodequins: venait ensuite la
course à double stade, et enfin celle où les concurrens devaient
parcourir douze fois de suite la même carrière dans toute sa lon-
gueur (4)- La course des hommes à cheval et montés sur des chars

(i) Anthologie. Naples , impr. Pi. 1788, liv. I. Epigr. 1.


(2) V. Anthol. Ibid. Epigr. 8.
(5) vinciennement les courses se fesaient en pleine campagne: on
destina ensuite à cet exercice un lieu entouré d'une palissade , à laquelle
on substitua à la fin une enceinte de pierres. Le lieu de la course s'ap-
pelait Stade , parce que sa longueur était originairement d'une stade , ou
de i25 pas géométriques. Le stade se nommait aussi Hippodrome , des
mots iissros , qui veut dire cheval , et ifoftas , qui signifie course.
(4) Pausanias _, liv. V. chap. 24 , parle en outre d'une course que les
jeunes filles d'Elide fesaient à Olympie en l'honneur de Junon , et à
laquelle présidaient seize illustres matrones choisies parmi les huit tribus
des Eléens. Les jeunes filles s'élançaient dans la carrière à demi nues,
de la Grèce. 5o5

se fesait aussi, dans le stade, qu'on appelait pour cette raison Hip-
podrome. Les plus riches citoyens se piquaient d'avoir les chevaux
les plus légers à la course. Des villes, des républiques et des Sou-
verains aspiraient souvent au prix de l'Hippodrome ; et dans cette
vue i!s recherchaient les plus habiles cavaliers, pour leur don-
ner leurs chevaux à monter (i). Ces cavaliers couraient quelque-
fois avec deux ou plusieurs chevaux , en sautant de l'un à l'autre
au moment où ils franchissaient le but. Ces chevaux s'appelaient
en latin desultorii , et les cavaliers dcsul tores ; nous avons dit ail-
leurs quelque chose de ces derniers. Il fallait pour cet exercice
beaucoup d'adresse et d'habitude, attendu qu'on ne s'y servait ni
de selle ni d'étriers, dont l'usage n'était pas encore connu. Les
chars étaient attelés de deux, trois, quatre chevaux et plus encore ,
tous rangés de front. Ils devaient parcourir douze fois l'Hippodro-
me. L'art des conducteurs consistait particulièrement à tourner au-
tour de la borne , où le passage était très-étroit et d'autant plus
difficile , qu'il fallait le franchir douze fois de suite. L'amour de
la patrie , et le désir de l'immortalité enflammaient leurs cœurs
d'une généreuse ardeur. Ils n'étaient vêtus que d'une simple tuni-
que fa). Les vainqueurs n'étaient couronnés que le dernier jour des
fêtes ou des jeux , et en attendant on leur donnait une palme.
Dans l'exercice du saut , les athlètes se chargeaient d'un poids Le saut.
de métal, qu'ils tenaient sur leur tête, sur leurs épaules ou dans
leurs mains. Ces masses étaient de diverses formes, mais le plus
souvent ovales et recourbées au milieu ; elles étaient en outre per-

et les cheveux flottans sur leurs épaules. Celle qui avait remporté le prix
recevait une couronne d'olivier ; et il lui était permis de placer son por-
trait dans le temple de Junon : honneur qui la flattait encore beaucoup
plus que la couronne.
(i) Philippe, Roi de Macédoine , fut si enchanté d'une victoire rem-
portée en son nom dans l'Hippodrome , qu'il pria la Fortune de tempé-
rer ses faveurs par quelque disgrâce : car, vers la même époque, Parménion
un de ses Généraux battit les Illyriens , et sa femme Olympie acoucha
d'Alexandre.
(a) Pausanias , liv. I.er chap, 20 , rapporte qu'il y avait dans l'Hip-
podrome d'Olympie un dauphin en bronze au milieu de la carrière , avec
un aigle du même métal sur un autel ; et qu'au moment où le signal de
la course était donné, le dauphin disparaissait sous terre, tandis que l'ai-
gle déployait ses ailes, et s'élevait en l'air à. la vue des spectateurs.
Europe. Vol. I. 6j
5o6 RlîLIGlOK

cées de plusieurs trous , ou entourées d'une courroie;, par où l'on


pouvoit les saisir; il y en avait même qui avaient une ouverture
assez grande pour y passer les pieds. Il parait que les athlètes se
servaient de ces masses comme d'un contre-poids pour se mieux di-
riger en sautant. On voit au n.° 3 de le planche 80 un de ces
sauteurs j qui est pris des peintures des vases d'Hamilton (1). C'était
encore un sujet de vanité pour l'athlète, de faite voir de quelle vi-
gueur il était capable, malgré le poids dont il était chargé. L'éten-
due du saut était marquée par une butte de terre. Cet exercice
Le disque, se fesait au son de la flûte. Le disque était une masse de fer, de
cuivre ou môme de pierre fort- pesa nte , d'une surface lisse et par
conséquent difficile à saisir; il avait ordinairement la forme d'une
lentille, motif pour lequel Dioseoride donne à ce légume le nom
de {jiffxoç (a). L'athlète monté sur une petite élévation pratiquée
à cet effet dans le stade, agitait circulairement le disque qu'il te-
nait à la main , et le lançait de toute sa force : on marquait aussi-
tôt le lieu de sa chute, et l'athlète qui l'avait lancé le plus loin
obtenait le prix. Le disque représenté au n.°4 de la planche 80 a
été copié sur un bas-relief de la maison de Plaisance Albani , qui a
été aussi rapporté par Winckelmann; son diamètre est le tiers de
la hauteur des figures de ce bas-relief, c'est-àrdire d'environ c,
raètr. , S96 , ou 22 pouces , et son contour est orné de cannelures. Le

(i) Hancarville ( Collection etc. T. IL p. 164 et 166 ) est d'avis


que cette figure -et autres semblables représentent la danse des hommes
nus , appelée Gymnopédie , et que l'instrument qu'on -voit dans les mains
du sauteur est une espèce de castagnettes , appelées l^içraç. Mais l'at-
titude de la ligure même , qui est celle d'un homme prêt à s'élancer _,
ainsi que la forme clés instrujnens , annoncent un athlète pour le saut ,
et c'est aussi le sentiment de Mercurial , et des auteurs de l'Encyclopé-
die méthodique.
(2) Homère distingue deux espèces de disque : celui de métal qu'il
appelle Eo/Loc , ou masse; et celui de pierre qui était percé , et qu'il
nomme Aiffxoç . On a trouvé à Herculanum un disque de bronze , qui
a o, métr. 217 , ou 8 pouces de dianiétre , et o, mètr. 064, ou 2 pouces
d'épaisseur-, il a au milieu un trou oblong de o, métr. o54 , ou 2 pouces,
qui va en se rétrécissant d'un côté , et dans lequel on passait le pouce ,
pour mieux saisir le disque } et le lancer avec plus de force. Visconti
( Mus. Pio-Clément. vol. III. pag. 35 , note [e] ) observe avec raison , contre
l'avis des Scholiastes d'Homère , de Ligorius et de Mercurial , que les monu-
mens ne présentent, aucun disque ainsi percé , et avec une attache de cuir,
de la Grège. 5cj

n.9 5 de la même planche offre rl'itnage du fameux Dioscobule du Dioscobui*


Musée Pio-Clémentin. « La beauté des proportions dans les mem-
« bres de l'athlète, dit l'illustre Visconti ; la simplicité et le natu-
« rel de son attitude, ayant le pied droit porté en avant, prêt à
« lancer le disque qu'il tien» encore de la main gauche, avant de
« le passer dans la droite qui doit le lancer; l'attention peinte
m laas sa physionomie , spaûum jam immane parantis , qui semble
« mesurer de l'œil U carrière qu'il pourra faire parcourir au bronza
« pesant, ou le but qu'ont atteint ses coucurrens 3 tout donne à
« cette figure une noblesse et une vérité d'expression , qu'il est dif-
« fieile de trouver dans au -une autre de ce genre. Le disque, ainsi
« que le décrit Lucien, n'a ni trou, ni anse, ni attache
(i Tels étaient probablement les trois grands disques de bronze
« avec lesquels s'essayaient les athlè'es à Oympie, où cet exerci-
" ce fesait partie du Quinquerziurn ou Pentathlum qu'on gardait
« dans le forum des Sucions L'athlète est absolument
" nu La ténia ou bandelette qui lui ceint le front semble an-
" noncer qu'il a remporté le prix , ces sortes de diadèmes étant
« la marque honorable dont on décorait ordinairement les vain-
queur^ „.L'exercice d» dard , appelé en Grec Vi-^iç , et en Latin Exercice
Jaculatio „ se fesait avec nue pique ou autre instrument sembla-
ble , (jui se lançait avec la m 'm on à l'aide d'une courroie; et
quelquefois il se tVsait aussi avec la flèche , ou bien encore avec le
dard, qu'oa lanç-iit de même à l'aide de l'arc. Il y avait dans le
stade ua but de marqué, q 'il fallait atteindre pour remporter
le prix.
La lutte était de deux espèces, savoir; le pugilat, appelé Lutte ,, pugilat.
par les Grecs tvvjim-xp , et la lutte proprement dite, qu'ils nom-
maient T(x/l>\ Dans le pugilaf, les athlètes se battaient à coups
de poing. D'abord ils combattaient les mains et les bras nus : vint
ensuite l'usage des cestes , ou armures de cuir, qui enveloppaient
les mains jusqu'au coude,, et quelquefois jusqu'aux épaules (j). Le
n.° 6 de la planche 80 représente un bras armé du ce-te , lequel a
été dessiné sur les bronzes d'Herculanuin. Les athlètes qui se des-
tinaient au pugilat fesaieut ensorte de se rendre gras et nerveux ,

(1) Glém. d'Alexandrie , Strom I. pag 7)on , assure que l'usage du


Zeste fut introduit par Amieus Roi des Bébnces , qui vivait du teins des
Argonautes.
5o8 Reliciost
pour être moins sensible aux coups de leur adversaire (i). Les couple!
se tiraient au sort ; et s'il y avait nombre impair, l'athlète qui restait
seul devait se battre ensuite contre les vainqueurs des autres. Les
athlètes déployaient dans ces exercices toute la force et l'adresse dont
ils étaient capables. Quelquefois ils restaient plusieurs heures à se
regarder, chacun épiant le moment où son adversaire se montre-
rait en quelqu'endroit à découvert; tantôt ils agitaient les poing*
avec un extrême rapidité pour se mettre à l'abri de toute atteinte,
et tantôt ils s'attaquaient brusquement par une grêle de coup- : il arri-
vait quelquefois que l'un esquivait adroitement l'effort de sou ad-
versaire, pour le faire tomber de lui-même. Les combattaus se reti-
raient meurtris et couverts de blessures , et l'on en emportait souvent
de la lice qui vomissaient le sang, et à demi-morts: spectacle in-
digne d'un peuple humain et civilisé, et d'autant plus atroce, qu'on
admettait à ce genre de combat des adultes de la première jeu-
nesse (a). Cet exercice était à la vérité le moins estimé, et les
athlètes étaient le plus souvent de la basse classe du peuple. On
Lutte tirait également au sort les couples pour la lutte comme pour le
fr°PduT.en pugilat. La lutte n'avait d'abord pour but que de disputer de la
force du corps, et de voir lequel des deux adversaires renverserait
l'autre; mais Thésée, au rapport de Pausanias , fit ensuite de la lutte
un art, qui était assujetti à certaines règles. Il fallait, peur rem-
porter le prix , avoir renversé trois fois son adversaire. On voyait
les lutteurs tantôt immobiles le front appuyé l'un contre l'autre,
tantôt se secouer violemment et s'entrelacer comme des serpens, puis
reprendre haleine un moment, se saisir de nouveau , tomber ensem-
ble ,se rouler sur l'arène et se serrant la gorge pour obliger l'ad-

(i) Les Latins donnèrent par dérision aux femmes grasses l'épithête
de vugiles , pour dire propres au pugilat. Terent Eunuch. Ac. II. Se. III.
Si quci est habiUor paulla , pugilem esse ajunb.
Quelques écrivains parlent de Yamphotide , qui était une espèce de ca-
lotte dont
, il semble que les athlètes se servaient quelquefois pour se
mettre le crâne et les oreilles à l'abri des coups ; mais on n'en trouv©
aucun exemple dans les monumens.
(2) Elien rapporte qu'un aLliléte qui avait eu la mâchoire brisée d'un
coup rie son adversaire , au lieu de se retiter du combat eut le courage
d'avaler ses dents : ce qui obligea son rival à s'avouer vaincu. On peut voir
la belle description que Barthélémy fait de ces combats dans son voyage
d'Anaeliarsig.
de la Grèce. 009
versaire à lever un doigt en signe de sa défaite (1). Le pugilat se
fesait quelquefoi avec la lutte, et cet exercice prenait alors la
nom de Paner ne, avec cette différence pourtant, que les combat-
tans n'avaient >as les bras armés de cestes (fi). Il était défendu %
sous des peines rigoureuses, de tuer son adversaire tant dans la lutte
<jue dans le pugilat. Il y avait un autre jeu, appelé Peniathlo y
où les concurrent disputaient le prix dans les cinq genres d'exerci-
ces que nous venons de rapporter. Pour l'obtenir, il fallait que
l'athlète eût remporté la palme, au moins dans les trois premiers
exercices pour lesquels il s'était présenté. Le lieu où se feraient ces
jeux s'appelait aussi Palestre, du mot -yraXaicrrr , qui veut dire lutte (3).
La planche 81 offre le spectacle du Pancrace (à). " Les deux Athlètes
V r 1 d" Pariée
« jeunes
,. n
gens,( dit .
Visconti dans .l'explication
.
qu'il donne
.
de ce bas- du =.«<•«
Pio-Uêmeritiiir*
« rehet , qu on voit nus, et qui semblent se mouvoir avec autant
" de vigueur que de souplesse pour s'attaquer et se défendre, ne
<f sont point , à mon avis, des athlètes pour le pugilat, mais pour le
« pancrace. Diverses circonstances me les font considérer comme
" tels : la première, c'est que leurs mains et leurs bras ne sont point
» armés du ceste , instrument terrible et propre au pugilat; la se-
<i conde , c'est de voir qu'ils ne cherchent point à se frapper,
<« mais plutôt à en venir aux mains et à se renverser: action qui
« appartient an pnnernre ., <î'aprés la loi qui défendait aux athlè-
te tes de se battre à coups de poing dans la simple lutte, et de
« chercher à se renverser dans le pugilat , . . . . La manière
" dont il était permis aux athlètes de s'attaquer dans le panera-
it ce, prête évidemment à l'attitude de celui de droite, l'iuteu-
a tion de se servir des pieds La position de leurs bras
a levés indique parfaitement cette espèce d'escrime , où les deux

(1) L'athlète dans le pugilat et la lutte n'était réputé vaincu, que


quand il avait crié ou levé le doigt. C'est ce qui fait dire à Plutar-
que , que lçs Spartiates détestaient ces sortes d'exercices ? à cause de l'in-
famie qu'ils trouvaient à se déclarer vaincu , et à céder la palme à son
adversaire.
(2) Potter , Arch. gr. liv. II. chap XXII. , relève une erreur
de Jérôme Mercurial , qui distingue le Pancrace en deux espèces; l'une,
où les athlètes se tenaient debout ; et l'autre où ils se routaient dans
l'arène , tandis que ces deux exercices n'en fesaient qu'un seul.
(3) Nous parlerons du Stade et de la Palestre à l'article de Tarchitecture,
(4) Mus-ee Pio-Cjém.entin, vol. V. pi. XXX.VJ*
5lO R ELIGT03T

«■ champions fesaient pompe de tonte leur adresse et de leur hi-


- " bileté, et qui s'exprimait en Grec par ces mots qui lui étaient
« propres ( mpaç aetpm)^ lever les bras. L'art des combittans , dan*
« cet exercice, consistait particulièrement à se tenir sur (a défen-
«■ sive , et la gloire du vainqueur était (Ve.a sortir 3atn avoir été
Touffe « touché. „ L'illustra corn nentateor nous avertit d'une particularité
des lutteurs, dont on t rouve peu d'exemples ailleurs „ c'est la tonffe de cheveux
qui parait nouée sur le cou des deux athlètes , et dont l'usage a été
probablement adopté; parmi les lutteurs, pour éviter d'être saisis par
les cheveux dans la chaleur du combat (i). «Tandis que la victoire,
« continue Visconti , se montre encore douteuse eture ces deux
« athlètes, on en voit un à droite , occupé à s'arranger sur la
« tète la couronne qu'il- vient de recevoir de l'agonothète : à côté
« de lui est un héraut en robe retroussée , et le front également
<t ceint d'une couronne, lequel sonne de la trompette pour procla-
« aier ensuite le nom du vainqueur .... L'hermès qui est près
" des deux combattans est l'emblème accoutumé îles palestres, et
« de tous les lieux destinés aux jeux gymniques „.
de AMètes Qn vojt à.
Pancrace |a lplanohe 8j, les fameux Athlètes du 'Musée de
deduFlorence.
m usée Florence. Ce groupé
. a toujours été regardé par les artistes com-
me une merveille de l'art. Quelques-uns ont pensé que c'était un
ouvrage de Céphissodore; d'antre* , avw plu« 4e probabilité, l'at-
tribuent àMiron: car, parmi les beaux ouvrages de ce dernier
artiste, Pline cite ses Delphlcl Perithathli Pancratiastae , dont il
parle avec les plus grands éloges (2). Et en effet , rien de plus
difficile et de plus étonnant, que l'art avec lequel le sculpteur
a su introduire son ciseau entre les parties du corps où les athlètes
se touchent, et, malgré la multiplicité des enlacemeiis que forment
leurs bras , leurs cuisses et leur< jambes , porter son travail à un
aussi haut degré de perfection (3); Pour donner une plus juste idée
de Ce monument, nous rapporterons le passage suivant de Philostrate.
Les athlètes dans le Pankrace ont un genre de laite assez dange-
reux; c'est qu'un des deux lutteurs doit renverser sur le dos son ad-

(1) On ajouta à la statue de Néron cette touffe de cbe veux, cirrus à


Vertice , pour donner à cet Empereur le caractère d'un lutteur. V. Musée
Pio-Oém. Ibid. Noté (6) et Suétone , Nero , § 55.
(2) Liv. XXXVI chap V.
(5) Mus. Florent. Seat. Antiq. pi. LXXIII. et LXXIV.
î)e Li Grèce, 5 ri

oersaire , ce gwi ra'erf pas facile, et le tenir enlacé dans celte po-
sition, de manière à l'obliger à demander quartier. Il faut pour cela
qu'il sache le saisir , et V enchaîner pour ainsi dire dans tous les
sens. Il est permis en outre aux lutteurs de se donner du croc-en-
jambe 5 et de se forcer la ihain 3 pour se procurer un moyen de se
surprendre et de se renverser. Ils peuvent même se frapper et se
mordre, pour arriver à ce but (i).
Les athlètes combattaient nus : motif pour lequel on donnait Nuàue
, , » »,, . | , , . . • des athlètes.
a leurs combats 1 epithete de gymniques, du mot yv^ivoç , qui veut
dire nu : la même raison avait fait appeler gymnases les lieux où
se donnaient ces exercices. C'est encore pour cela qu'il était dé-
fendu aux femmes d'assister aux jeux Olympiques; et celle qui du-
rant ces jeux aurait traversé l'AIphée, au bord auquel était, le Stade
où on les célébrait, étail , au rapport de Pausanias , précipitée du
haut d'un rocher. On dit qu'en instituant les jeux Olympiques,
Hercule avait lui même ordonné que les athlètes y paraîtraient nus.
La nature même de la plupart de ces jeux , jointe à la chaleur du
climat, et au terus.de leur célébration, qui était toujours au solstice
d'été, rendait cette précaution nécessaire. .Néanmoins, dans les
premiers teins de cette institution , les athlètes avait soin de ca-
cher ce que la pudeur défend de montrer; et pour cela ils se
servaient d'une espèce d'écharpe ou de ceinture , appelée dans Ho-
mère l<d(ji.a, et dont on attribuait l'invention à Palestre fils de Mer-
cure (a). Mais cet usage ne dura , selon Denis d'Halicarnasse ,
que jusqu'à la LXXV.e Olympiade, époque à laquelle les Spartia-
tes , au rapport de Thucydide, commencèrent à venir tout-à-fait
nus dans la palestre (3). Ce qui donna lieu, dit-on, à ce change-

rai) Iconum. Lib. II. de Arrhichio Athleta. Le même Philostrate


observe que les Spartiates seuls avaient pris l'usage de se mordre , de se
pocher les yeux , de s'enfoncer les doigts dans les flancs et de se serrer
la gorge. On lit dans Plutarque, qu'un Spartiate se voyant en danger d'être
renversé par son adversaire qui l'avait pris à la gorge , lui mordit le bras ;
et que celui-ci ayant crié : Tu mords comme les femmes , l'autre lui ré-
pondit ; Non pas comme les femmes , mais comme les lions.
(2) Iliad. XXIII. 687. Odyss. XVIII. 65.
(3) 11 faut voir au sujet de la nudité des athlètes le premier volume
de YHist. de VAcad. R. des Inscriptions etc. pag. 10,1 , où Mr. Bauclelot
donne l'interprétation la plus plausible d'un passage de Denis, en subs-
tituant la LXXV.e Olympiade à la XV.»
5ifà Religion

ment d'usage fut l'aventure d'un athlète à la course, nommé Orsip-


je, dont la ceinture se détacha, et qui s'étant embarrassé dans ce
lien en courant, tomba et resta mort sur la place. Acante Laeé-
démonien fut le premier qui parut ainsi nu aux jeux Olympiques.
Néanmoins, les Asiatiques , au rapport de Thucydide, n'adoptè-
rent jamais cet usage , qui n'existait pas uon plus chez les Romains
du tems de Denis d'Halicarnasse. Il faut avouer pourtant que cette
nudité absolue n'avait lieu que pour la lutte, le pugilat, le pancra-
ce, et la course à pied. On voit souvent dans les anciens monumens
les Dioscobnles vêtus d'une tunique, quoique celui du Musée Pio-
Clémentin soit tout-à-fait nu. Les conducteurs de chars, comme
nous l'avons dit plus haut , portaient aussi une légère tunique , et
les champions pour le jet du dard ou de la lance étaient habillés
militairement. Eustase remarque à ce sujet qu'Homère, observateur
scrupuleux des convenances, ne fait paraître Agamemnou qu'à ce der-
nier genre d'exercice dans les jeux de la pompe funèbre de Patrocle ,
pour ne pas l'exposer, en le dépouillant de ses vêtemens royaux,
à perdre de sa dignité aux yeux des Grecs. La nudité facilitait en
outre aux athlètes l'usage des onctions , qu'ils regardaient comme
un moyen propre à donner à leurs membres plus de souplesse et
de vigueur. Ces onctions se fesaient avec de l'huile seule ou mêlée
avec de la cire et de la poussière , de manière à en former une espèce
de pâte appelée ceroma (i). Les athlètes se fesaient frotter par des
gens employés à la Palestre, qu'ils appelaient aXemrm et les Latins
unctores , ou bien ils se rendaient ce service réciproquement. Après
cette opération, ils se roulaient quelquefois dans la boue (^), et le
plus souvent se frottaient de poussière et de sable , comme on le voit
par un passage de Lucien , pour donner à leur adversaire plus de
prise , et empêcher que l'huile ou la seur ne fît glisser la main (3).

(i) Plin. Histor. naturel, liv. XXXV. chap. XII.


(2) Il parait que le sol de la Palestre , où se fesaient la lutte et le
pugilat était fangeux , tant pour donner aux athlètes plus d'à plomb , que
pour rendre leurs chutes moins dangereuses. C'est pour cela que certains
philologues font dériver le mot to>.h de «-»*«;, qui veut dire fange.
(3) La poussière de la palestre s'appelait «<pi , qui veut dire toucher,
manier ; c'est pourquoi, en parlant du prix remporté sans combattre, on
disait vaincre »*ùim , sans -poussière , c'est-à-dire sans peine et sans fati-
gue : ce qui arrivait quelquefois à certains athlètes d'une telle réputa-
tion , que personne n'osait entrer en lice avec eux. C'est ainsi , selon
de la Grèce. 5i3
Outre ces J
ieux il yJen avait d'autres d'un genre
ni plus gai , qui Coursé
flambeaux,
se célébraient dans les grandes solemnités (i). Telle était la course
des flambeaux , dont nous avons parlé à l'article des Panathénées.
Elle se fesait particulièrement à Corinthe et à Athènes, non seu-
lement aux fêtes de Minerve, mais encore à celles de Vulcain , de
Prométhée et de Pan. La course qu'on voit représentée à la plan-
che 81 , et dont le dessin est copié sur les peintures des vases d'Ha-
rnilton (a) , est conforme aux descriptions qu'en donnent Pausanias et
le Scoliaste de Pindare (3). « A l'Académie , dit Pamanias } on
" trouve un autel de Prométhée , qui est le point de départ pour
« la course avec les flambeaux. Ces sortes de courses sont compo-
« sées de trois hommes , ayant chacun un flambeau allumé > qui
« courent à qui arrivera le premier à un but marqué : le pre-

Pliae, que triompha aux jeux Olympiques Diosyppe , célèbre lutteur } qui ,
aux jeux Néméens , eut au contraire beaucoup de peine à remporter la
victoire : Alchimachus pinxit Dioxippum , qui P ancratio Olympia f
citra pulveris ùacùum ( (juod vocanc aconiti ) vicib: coniti Nemaea. Ibid.
chap. XI.
(i) On voit , par tout ce que nous venons dédire, que les combats
des gladiateurs , genre de spectacle tout-à-fait particulier aux Romains ,
n'étaient point en usage parmi les athlètes de l'ancienne Grèce. Persée ,
selon Tite-Live , avait seulement fait connaître ces combats aux Macédo-
niens ils
; ne furent introduits en Grèce que cinquante ans environ avant
l'ère vulgaire par la colonie Romaine qui s'était établie à Corinthe , après
que César eut relevé les mujcs rie nette ville. Depuis cette époque, pres-
que tous les peuples de la Grèce adoptèrent cei- adieux spectacle , que
les Romains avaient emprunté des Etrusques. Peut-être que la seule dif-
férence qu'il y avait entre les spectacles des anciens Grecs et des Ro-
mains consistait , en ce que les premiers n'avaient point de gladiateurs :
car environ i5o ans avant la même ère , les Romains avaient déjà admis chez
eux les combats de la course , du pugilat , de la lutte , du disque etc.
Il y avait aussi une grande différence entre les gladiateurs et les athlètes.
Ceux-ci étaient des hommes libres, qui n'auraient jamais voulu s'avilir à en-
trer en lice avec des esclaves ; ils combattaient volontairement et pour la
gloire, et jamais à mort: leur maintien et leurs mouveraens avaient une
dignité et une noblesse , telles qu'il convenait à des disciples et à des
rivaux de Mercure et d'Hercule , comme les appelle Denis d'Halicarnasse.
Les gladiateurs au contraire étaient des esclaves , des barbares ou des hom-
mes vils et infâmes , qui se battaient jusqu'à la mort.
(2) Pitture e v.asi antichi etc. édition de Florence , vol. IL pi. 2 5.
(3) Paus. liv. I. chap. 3o. Pind. Olym. Od. XIII.
Europe, VoL î, SS
5i4 Religion
« mîer qui l'atteint est déclaré vainqueur „. La course semble
avoir lieu à Goriuthe , et dans le tems de la fête à'EUozia , surnom
que les habitans de cette ville avaient donné à Minerve, en l'hon-
neur d'Ellotis ou Ellotide prêtresse de cette Déesse , dans le temple
de laquelle cette prêtresse fut brûlée lors de la prise de Corinthe par-
les Doriens (i). Voici la description que Ie3 savans commentateurs
nous donnent de cette peinture « Le premier coureur est arrivé au but
avec son flambeau éteint, qu'il a jeté à terre: son maintien annonce
le dépit. Le second est proclamé vainqueur, et le Génie qui repré-
sente laVictoire lui attache un bandeau au bras .... Le personnage
en robe de magistrat est un Athlothète , on juge du combat; la cou-
ronne qu'il porte, semble faite d'une plante marine appelée Alga
tinctoria, parce que Corinthe était sous la protection spéciale de
Neptune. Les couronnes des trois jeunes gens sont de feuilles de
palmier , et ressemblent à celle dont parle Apulée , en disant que ,
durant la cérémonie de l'initiation , l'initié portait une couronne
de palmier , dont les feuilles formaient des espèces de rayons autour
de sa tête. Pausanias observe de même que dans les jeux publics ,
les concurrens portaient le plus souvent des couronnes de palmier, (a).
Les âmes douces et sensibles se plaisaient encore davantage
aux jeux soéniques , et à ceux où l'on disputait du prix de la poé-
Jeuxsc4niqv.es, sie , des beaux arts et même de la beauté. Les jeux scéniques se
fesaient au théâtre et avaient pour objet le chant ,et la danse.
Quelquefois les chanteurs et les danseurs se partagèrent en chœurs,
à la tête de chacun desquels il y avait uu homme , âgé au moins
de quarante ans, qui s'appelait Choregue , et devait en faire les
frais. Aristide, Epaminondas et autres personnages illustres se fe-
saient un honneur d'avoir été élus Choregues. Aux Panathénées cha-
cune des tribus de l'Attique envoyait un chœur avec un Chore-
gue à Athènes. Le Choregue choisissait les acteurs, qu'il prenait le

(i) Nous nous sommes attachés à l'opinion la plus généralement


adoptée parmi les philologues sur le mot Ellozia. On peut voir dans Pot-
ter les diverses autres étymologies qu'on lui a données , Arch. gr. liv. II.
chap. XX.
(2) Parmi les jeux innocens , et dont le spectacle était de pur agré-
ment on
, peut compter celui des coqs dont parle Elien, l'w. II. chap. XV^llI^
qui se fesait tous les ans dans le théâtre d'Athènes , en mémoire des chants
de cet animal , que Thémistocle regarda comme un heureux présage de la
YÏQtoire qu'il remporta sur les Perses,
de la Grèce. 5i5
pins souvent dans la classe de jeunes gens ; il avait soin de se procurer
un boa joueur de flûte pour accompagner leurs chants , et un maî-
tre de danse habile pour régler leurs pas et leurs mouvemens. Le
prix était ordinairement un trépied , qne les vainqueurs consa-
craient dans quelque temple 3 ou dans un édifice élevé à ce dessein.
On ..,..,,
lit dans la chronique ,de S.' Eusèbe que,| dès
. la XCVI.e
i Olym-
.» entreConcours
les joueurs
piaoe , il avait ete ouvert un concours pour les joueurs de cor et les œhuirumens

hérauts , et que les conourrens montaient tour-à-tour à cet effet et e* l6,autf*


sur un autel , qui était dressé à l'entrée du stade. Pollux parle d'une .
inscription qu'on voyait au bas de la statue d'un certain Archias,
qui avait remporté le prix aux jeux Olympiques : cette inscription si-
gnifiait: JVe jouant pas du cor, et n'ayant pas la corde au cou ,
parce que les hérauts portaient autour du cou une corde dont ils
avaient soin , selon Saumaîse , de se serrer la gorge avant d'emboucher
le cor , afin d'empêcher qu'il ne leur crevât quelque veine dans les
efforts qu'ils fesaient pour, en tirer les sons les plus torts. C'est pour-
quoi Winckelraann croit qne l'éloge donné à l'héraut, dans l'inscrip-
tion que nous venons de rapporter, était , dans un concours ouvert
aux jeux Olympiques à qui ferait le plus de bruit , de l'avoir rem-
porté sur ses rivaux par sa voix seule, sans avoir besoin de cor ni
de corde. Les simples 1concours pour
L le prix
l de la poésie
1 et de la „
Concours

musique vocale et instrumentale, sans chœurs, se fesaient à l'Odéon ( r). entre tes poètes,
Elien rapporte que , dans la XCLe Olympiade, Euripide et Xé-
noclès disputèrent entr'enx le prix du drame. Selon Athénée ,
Cléomène entra en liée aux jeux Olympiques , pour réciter quelques
vers p^P^'nrai d'Euipé.Jocie. Mais ces exercices avaient particulière-
ment lieu aux jeux Py hiques , qui se célébraient près de D-l plies.
Ou y représentait le combat d' Apollon avec le serpent Python;
et le chant y était divisé en cinq parties, et accompagné du son
des flûtes. Ce combat y était encore figuré par une daine, qui se cw<™«
divisait également en cinq parties. Dans la première, Apollon me- pour La duaie-
surait de Pceil l'ennemi qu'il allait atiqner; dans la seconde, il
provoquait le monstre; <\\n* la troisième il engageait le combat,
durant lequel le mètre iambiguë exprimait le son éclatant des trorn-

(i) Les poètes et les chanteurs disputaient à la fois le prix du chant


et de la musique ifistrumenlale ; et pour cela ils s'accompagnaient de la
iyre. Hésiode fut vaincu , dit-on , dans les jeux Pyihiques , pour n'avoir pas
bien su jouer de cet instrument,
516 Religion

pettes , et le grincement des dents du monstre blessé par les flèches


du Dieu; dans la quatrième , le mètre spondaique qui accompagnait
les libations et les sacrifices annonçait la victoire d'Apollon; enfin
dans la cinquième , l'action se terminait par une danse gaie, où le
Dieu était représenté dansant lui-même, en mémoire du triomphe qu'il
Concours avait remporté
littéraires. _ .
(i). Il. y avait aussi des concours littéraires de tout
1. ,
genre. Corgias Leontin , au rapport de Philostrate, fut le premier
qui s'annonça pour improviser des discours en public, sur quelque
sujet que ce put être ; et Suidas nous apprend qu'Hérodote se ren-
dit célèbre aux jeux Olympiques, par la lecture qu'il y fit des
neuf livres de son Histoire. Delphes s Gorinthe et Olympie étaient

CYâCpZnur°eu.r *e tnéatre d'un semblable concours pour la peinture. Ce fut aux


jeux Olympiques, selon Lucien, que se présenta iEtion , peintre
fameux , avec son tableau des noces d'Alexandre et de Roxane. Les
juges prononcèrent en sa faveur; et pour comble d'honneur, Pro-
xénidas, qui présidait au concours, ajouta aux autres prix la main
de sa fille qui était à côté de lui, et dont on admirait les charmes.
ourTnbTauiè ^n disputait aussi du prix de la beauté dans les jeux publics ,
comme l'indique ce passage du XIII.e livre d'Athénée : Je n'ignore
pas non plus le concours , qui fut anciennement ouvert à la beauté
des femmes, par le Cypselus qui fonda une ville sur les bords de
V Alphée. Quelques Parrashiens. qui vinrent s'y fixer , ayant consacré
un bois et un autel à Cérès Eleusine , voulurent qu'on célébrai en
son honneur une fête , où les femmes disputeraient du prix de la
beauté , qui fut décerné d'abord à Vêpuusc du même Cypselus. Ce
concours a lieu encore de nos jours , et les femmes qui s'y pré-
sentent s'appellent Chrysophones (a). Mais nous n'en finirions pas

(i) V. Jul. Scaliger. Poetices liv. I. chap. XXIII. et Pollux liv. VI.
chap. X. sect. V.
(2) Plusieurs écrivains parlent de ce concours , comme on peut le
voir dans Winckelmann , Storia délie arti del disegno. T. I. p. 242 et
suiv. , et dans Mengs , qui s'exprime ainsi à cet égard à la pag. 96 de
son premier volume. On pourrq.it citer une foule d'exemples du cas que
cette nation délicate fes ait de la beauté ; mais qu'il nous suffise de sa-
voir que , dès les premiers tems , il y avait à Elide un concours ou les
femmes se disputaient cette prérogative , et des juges qui décernaient le
prix à la plus belle. Des concours semblables étaient ouverts à Sparte ,
à Naxos et autres lieux. Les concurrentes devaient exposer leurs mé-
rites devant des peintres et des sculpteurs , qui étaient les juges compétent
de la Grège. 5 17

si nous voulions faire mention de tous les genres d'exercices qui


avaient lieu dans les jeux de la Grèce , et surtout si la pudeur nous
permettait d'entrer dans les bosquets et dans les retraites du Gnide9
où la volupté môme avait ses concours, ses lois et ses prix (1).
Les jeux athlétiques datent d'une époque très-ancienne : car Antiquité,
dès l'origine des sociétés, les hommes durent voir combieu les exer- athiJguts.
cices du corps pouvaient contribuer à leur santé , au développemet
de leurs membres et de leurs forces , et accroître leurs moyens d'at-
taque et de défense à la guerre. Dans le XXIII.6 livre de l'Iliade ,.
où l'on trouve la description des jeux qu'Achille fit célébrer à la
mort de Patrocle, il est dit que Nestor avait combattu dans sa jeu-
nesse aux exercices que les Epéens donnèrent à Buprase , à l'occa-
sion des funérailles de leur Roi Amarincée. Il paraîtrait, d'après
cela, que ces jeux furent consacrés par la religion dès l'origine de
leur institution. La politique s'en servit ensuite comme d'un moyen
d'émulation, propre à inspirer le goût des beaux arts, et à réunir
par un sentiment commun d'honneur national les divers peuples de
la Grèce , qui était divisée en états , dont chacun , comme nous

en matière de ce genre; et ces juges avaient sous les yeux les plus heauoù
modèles pour leur servir de règle dans cet examen. Anacréon dit , que
la Nature ayant épuisé tous ses trésors dans la formation de V homme
et des autres animaux , auxquels elle a départi la force , l'intelligence ,
V 'agilité, , f.f. autres qualités précieuses , et n ayant plus rien à donner à
la femme , elle lui Jîû présent Je la beauté, qui vaut mieux seule, que
tout ce qu'elle a accordé à l'homme Knfin ce peuple galant
porta la délicatesse du sentiment à cet égard, jusqu'à imaginer que les
âmes renfermées dans de beaux corps avaient beaucoup plus de peine
à s'en séparer, que celles qui habitaient dans des corps mal conformés :
et qu elles n'en sortaient que par une gradation insensible , comme
pour les laisser endormis dans un sommeil doux et paisible. Philostrat.
Icon. liv. I. chap. IV. M.r Errante , peintre renommé , a représenté le con-
cours de la beauté dans un grand tableau qu'il a fait pour M.r le Comte
Sommariva : ouvrage qui se voit maintenant dans la belle maison de cam-
pagne ,que M/ Sommariva possséde sur le lac de Como , et qu'on peut
regarder comme un temple consacré aux beaux arts. Voyez l'épitre qui a
été publiée à ce sujet en 1807 à Milan par l'Imprimerie des éditeurs des
Classiques Italiens.
(i) A la fête d'Apollon de Philésie , qui se célébrait à Mégare prés
du tombeau de Dioclés , on donnait un prix à quiconque savait imprimer
le baiser le plus âoux.Suidas , Antholog. liv, VI. c. VIII, Athén. liv. XUI,
5 18 Religion

l'avons déjà observé , avait ses lois et 9es gouvernemens differens.


Mais, dans le nombre de ces exercices publics , les jeux Pythiques ,
Néméens , hthmiques et Olympiques méritent une attention parti-
culière. L'origine de tous ces jeux est encore enveloppée d'épaisses
ténèbres ; et ce serait se perdre en vaines conjectures, que de vou-
jeMrPydiiques. loir remonter aux époques de leur institution. Les jeux Pythiques
se célébraient près de Del pbes , et en l'honneur d'Apollon , qui , se-
lon Ovide, en fut l'instituteur. Ils avaient lieu tous les quatre ans:
on y disputait le prix dans des exercices analogues aux attributs
de ce Dieu, tels que le chant, la musique instrumentale et la
danse ; et l'on y ajouta dans la suite des combats d'athlètes. Les
vainqueurs y recevaient pour prix quelques pommes, que l'on con-
sacrait d'abord à Apollon; mais Pindare nous apprend qu'on leur
y donnait aussi des couronnes de branches de laurier cueillies sur
Jeux Néméens. le Parnasse. Les jeux Néméens se célébraient tous les trois ans à
Némée. Les Gymnasiarques ou présidens devaint être citoyens de Co-
rinthe, d'Argos ou de Gléon ; ils y paraissaient en habits de deuil ,
en mémoire d'Ofelte , appelé aussi A relie more, lequel était fils
de Lycurgue , et qui fut tué par un serpent, étant encore enfant.
Les vainqueurs devaient également être en deuil ; le prix qu'ils y
recevaient était une couronne yVache , herbe qu'on croyait être née
du sang d'Arehemore , et par conséquent consacrée aux cérémo-
nies des funérailles. Les jeux fsthmiques avaient pris ce nom de
Jeux l'Isthme de Corinthe où on les célébrait. On prétend qu'ils furent
bHwuqus. jurtitoéa par Glaucus, en l'honneur <)o Palômon appelé aus,i M di-
certe; mais qu'étant tombés dans l'oubli, ils furent renouvelles par
Théf-ée en l'honneur de Neptune. Il était défendu aux Eléens d'in-
tervenir àces jeux , à cause des imprécations lancées contre eux
par Molioue épouse d'Actor. On y donnait aux vainqueurs une cou-
ronne de pin , qui fut changée dans la suite en une couronne
«Tache , comme aux jeux Néméens , avec cette différence que Tache
devait être sèrhe dans ceux-ci , et verte dans les autres. Voyez
Pausanias, liv. 1er des Corinthiens.
Jeux Mais, de tous ces jeux, les plus célèbres étaient les Olympiques ,
ympiques. ^^ ^^_ allons nous entretenir particulièrement. Il parait, d'après
Pausanias, que les Eléens eux-mêmes n'étaient pas d'accord sur
l'origine de ces jeux. Selon l'opinion la plus commune, l'Hercule
d'Ida passait pour en être l'auteur: c'était une tradition reçue
chez les Eléens, qu'aussitôt après la naissance de Jupiter en Elide >
de la Grèce. 5 19
époque à laquelle Saturne avait déjà un temple à Olympie, sa
rnère Rhée confia le soin de son éducation à cinq Dactyles, qu'elle
avait fait venir pour cela de Crète en Elide. Hercule, l'aîné
d'entr'eux , institua une course, dans laquelle il proposa pour prix
uue couronne d'olivier. Il y fut vainqueur lui-même , et donna à
ces jeux le nom d'Olympiques, dont il voulut que la célébra-
tion se fît tous les cinq ans, parce que ces Dactyles étaient cinq
frères. Sfrabon rejette ce récit comme fabuleux , et croit que
l'institution des jeux Olympiques est postérieure à Homère, en ce
que ce poète n'en fait jamais mention. Quelle que soit leur ori-
gine ,nous savons qu'ils étaient suspendus du teins de Pélops , lequel
les renouvella en l'honneur de Jupiter. Après Pélops ils tombèrent
de nouveau dans l'oubli , jusqu'à Iphytus contemporain de Licur-
gue le législateur. La Grèce était alors en proie aux guerres civi-
les, et désolée par la peste. Iphytus ayant consulté l'oracle de Del-
phes sur le moyen de remédier à ces terribles calamités, en reçut
pour réponse qu'il fallait rétablir les jeux Olympiques. Il est aisé
de reconnaître, dans cette réponse, la sagesse et la politique de ce-
lui qui l'obtint: car l'unique moyen de réunir les factions de la
Grèce, plus dangereuses encore que la peste, était sans contredit
d'en détourner les esprits par la magnificence des spectacles , et
de faire naître en eux l'émulation et le désir de la gloire. Iphy-
tus rétablit en effet ces jeux vers l'an 884 avant l'ère vulgaire.
Jasius de Tégée y remporta la victoire (1)^ et dès lors il fut
résolu qu'on les célébrerait lous les quatre ans: intervalle de tems
qui a donné naissance à la période Olympiade. Mais ce ne fut
qu'à la XXVIII.6 Olympiade après la restauration d'Iphyîus, en-
viron 776 ans avant l'ère vulgaire , qu'on commença à inscrire les
noms des vainqueurs sur des registres publics. Cette Olympiade fut
considérée pour cette raison comme la première ; et c'est de cette
époque que les Grecs firent dater leur ère et leurs calculs chronologi-
ques. On l'appelle communément l'Olympiade de Chorèbe , parce
que , selon Eusèbe et les marbres de Paros } ce citoyen d'Elée y
remporta le prix de la course 9 la troisième année de l'Archontat
d'Eschile.

(1) Phlegontis Tralliani de Olympiis fragm, ex éd. Meursii , in


collectione operum , êom. VII. pag. 12.S. Eusebii Chronic. lib, I. Pausan.
libh VIII, } cap. XLVIII.
02,0 Religion

Jufs
et règlement Les jeux Olympiques se célébraient au solstice d'été de la
dam les jeux
première année de chaque Olympiade, et duraient cinq jours. Ou
Olympiques.
en fesait l'ouverture par un grand sacrifice à Jupiter, et l'on y
observait le même ordre que dans ceux dont nous avons parlé plus
haut. Ils étaient présidés par des juges appelés Hellanodices , dont le
nombre a varié selon les tems, jusqu'à la CVIII.e. Olympiade qu'il fut
fixé à dix , nombre qui était encore le même du tems de Pausanias.
On pouvait néanmoins appeler de leurs décisions au sénat d'Olyrn-
pie, par qui elles étaient quelquefois annulées (i). Le rang des
athlètes et leur disposition par couples y étaient tirés au sort. A
cet effet, on mettait dans une urne d'argent, consacrée à Jupiter
de petites boules de la grosseur d'une fève , dont deux portaient la
lettre A , deux la lettre B, deux la lettre G, et ainsi de suite se-
lon l'alphabet Grec, et le nombre de ceux qui s'étaient présentés
pour combattre. Après avoir fait leur prière à Jupiter, les athlètes
tiraient chacun une de ces boules. Il leur était défendu de regar-
der la lettre qu'elle portait. Il y avait près de l'urne un héraut
tenant une baguette à la main, pour en frapper ceux qui auraient
enfreint cette défense. Un des Hellanodices , qu'on appel lait Ali-
tarque , prenait la boule des mains des athlètes, qui se rangeaient
successivement en cercle autour de lui; et après l'avoir examinée,
il mettait ensemble ceux qui avaient tiré la même lettre. Si le
nombre des athlètes était impair, celui dont la lettre n'était point
accompagnée , devait combattre contre le vainqueur: circonstance
qui lui était favorable, en ce qu'il n'avait a/Taire qu'à un homme
déjà fatigué, tandis qu'il était encore, lui , dans la plénitude de ses
forces. Le sort réglait également le lieu que les concurrens pour la
course devaient prendre dans la file qu'ils formaient au point d'où

(i) Hérodote, Euterp. liv. IL §. i55 , rapporte que les Eléens com-
muniquèrentpar
, le moyen de leurs ambassadeurs, à Psammis Roi d'E-
gypte les
, réglemens qu'ils avaient établis pour les jeux Olympiques , dans
la persuasion où ils étaient que les Egyptiens , qui passaient pour le plus
sage des peuples, n'en pourraient faire de meilleurs. Les juges à l'exa-
men desquels ces réglemens furent soumis par l'ordre de Psammis , de-
mandèrent aux ambassadeurs, si les Eléens étaient aussi admis à concou-
rir dans ces jeux. Sur la réponse affirmative des ambassadeurs , les juges
déclarèrent que cette circonstance était contraire à toutes les lois de l'équi-
té ,parce qu'il était impossible qu'ils ne favorisassent pas leurs concitoyens
au dépens des autres Grecs.
de la Grèce. 5a r

ils devaient partir. Outre les Hellanodices il y avait d'autres ma-


gistrats et des officiers inférieurs : sur quoi l'on peut consulter YJgo
nostique de Du Faur. Le premier d'entr'eux était le Gymnasiar-
que , qui avait une autorité absolue pour ce qui concernait la police
des gymnases , et l'ordre à observer parmi les athlètes. Il portait en
signe de son autorité le sceptre ou la lance; et Pausanias donne à
entendre, qu'il était même revêtu du sacerdoce (i).
La première condition qu'on exigeait de ceux qui se présen- Condition
^ ,. 1 • ^, • , . ,-, n pour ëire admit
taient pour entrer en lice aux jeux Olympiques , était qu ils tussent «« concours.
Grecs d'origine , c'est-à-dire descendans d'Eole , de Dorus ou de Cutus
fils d'Hellenus, et petit-fils de Deucalion. Alexandre lui-même,
quoique, descendant de Péiée et d'Achille, et malgré sa dignité de
Roi de Macédoine et de Général des Grecs , dut se soumettre à la
preuve de l'Hellénisme , avant de pouvoir introduire ses chevaux dans
le stade. C'est pourquoi on y voyait quelquefois de simples citoyens
disputer le prix aux plus grands Princes, et aux Monarques mê-
me de la Macédoine 3 de l'Egypte, de Syracuse et de Séleucie.
Chorèbe , au dire d'Athenée, n'était qu'un cuisinier. Les Grecs
ne connurent jamais de titre au dessus de celui de citoyen de la
Grèce et d'homme libre; ils regardaient les autres peuples comme
des barbares, et n'avaient que du mépris pour les vains titres de
noblesse, dont quelques individus d'entr'eux étaient décorés. Après
cette vérification de la qualité de citoyen , les Hellanodices requé-
raient des concurrens la preuve d'avoir fait les exercices nécessaires à
la profession agonostique , d'être en état de paraître en lice avec hon-
neurù>)
( , et enfin de n'être souillés d'aucune tache d'infamie. Les
athlètes devaient justifier de toutes ces qualités par serment, qu'ils
prêtaient dans le sénat des Eléens devant la statue de Jupiter, ap-
pelé pour cette raison opxioç , laquelle tenait un foudre dans cha-

(i) Il faut voir encore, au sujet des différens magistrats et officiers


<3es Gymnases, la savante Dissertation de M.r Van-Dale, de Gymnasiarchis,
(2) Parmi les exercices auxquels les athlètes devaient s'être préala-
blement livrés j était celui de remuer avec la houe pendant trente jours
l'arène du stade , pour renforcer par ce travail leurs bras et leur poitrine.
(Test à cet usage que fait allusion ce passage de Festus : Rutrum tenentis
iuypnis est effigies in Capitolio , ephebi , more Graecorum , arenam
rue nuis } exercitationis gratia. Winckelmann y Monum pag. 3o, , parle de
camées et de médailles , où l'on voit l'Amour avec la houe , idée , dit-il ,
du prélude pour la palestre.
Europe. Fol. 1. m
5aa Religion
que main , pour épouvanter les parjures. Ils étaient également obli-
gés de promettre par serment de s'abstenir de toute supercherie 5
et de tout acte de brutalité dans les jeux.
Prix. Le cinquième jour on distribuait les pris aux vainqueurs. La
cérémonie commençait par de pompeux sacrifices dans un bois con-
sacré àJupiter, d'où les vainqueurs une palme à la main et pré-
cédés des Hellanodices , se rendaient en triomphe au théâtre au
milieu des applaudissemens d'un peuple immense, et au son des
flûtes. Là , on entonnait un hymne allusif à cette pompeuse cérémo-
nie: ensuite le président posait sur la tète des champions une cou-
ronne faite avec les branches d'un obvier sauvage, qui était der-
Hojmturs rière le temple de Jupiter (i). Les honneurs qu'on rendait aux
auxllYuqueurs vainqueurs dans les jeux Olympiques étaient au delà de tout ce
w'"mpiques.X qu'on peut imaginer. On les y élevait au rang des Dieux : Palma-
que nobilis , dit Horace , Terrarum Dominos evehit ad Deos. Cicéron
nous apprend que le prix de la palme, dans les jeux Olympiques,
était plus glorieux , que ne l'ont jamais été à Rome les honneurs
du triomphe ou du consulat. Le vainqueur à la course des chars
donnait son nom à l'Olympiade. Les vainqueurs jouissaient en outre de
grands privilèges. On leur élevait dans le stade autant de statues
qu'ils avaient remporté de victoires ; leur nom ainsi que celui de
leur père étaient inscrits dans les fastes publics (2,) , et les poètes
les plus célèbres chantaient leurs louanges. On les reconduisait dans
leur patrie sur un char de triomphe; il arrivait même quelquefois
qu'on les fesait entrer dans la ville par une brèche faite exprès
dans la muraille, comme pour indiquer, selon l'avis de Plutarque,
qu'une ville qui avait d'aussi vaillans hommes n'avait pas besoin de

(1) Certains passages , dans les anciens auteurs, donnent à présu-


mer qu'on distribuait quelquefois aux vainqueurs des couronnes de lau-
rier On voit même , par les monumens , qu'ils recevaient aussi pour
prix des vases etc. V. Winckelmann , Millin etc. A une époque an-
térieure on leur donnait des trépieds en métal , des chevaux , des ta-
lents d'or , des taureaux , de belles esclaves etc. Voy. le XVIII. livre de

ftliade.
(q.~) Il n'y a pas encore long-tems qu'on voyait à Athènes une inscrip-
tion, qui, sans doute, avait été faite par ordre du peuple en honneur d'un
athlète mort , lequel y était qualifié de héros. Euthyme de Locres et Théa-
géne de Taso , qui avaient été vainqueurs dans les jeux Olympiques , re-
çurent les honneurs divins.
de la Grège. 5a3

remparts (i). A Athènes , une loi de Solon leur accordait une gra-
tification de cinq cents drachmes , et dans la suite ils furent en-
tretenus dans le Prytanée au frais du trésor public. A Sparte ils
avaient le droit de combattre à côté du Roi. Leur gloire rejaillis-
sait même jnsques sur la ville où ils avaient pris naissance: aussi
vit-on des villes montrer le plus grand désir, que quelqu'un de
ces vainqueurs voulût s'en déclarer citoyen. Parmi le grand nombre
d'exemples qu'on pourrait en donner, nous nous contenterons du sui-
vant. Denis , tyran de Syracuse, voulait engager , pour une somme con-
sidérable, lepère d'un vainqueur aux jeux Olympiques à se déclarer
citoyen de Syracuse; mais le jeune homme dédaignant l'or du tyran,
s'écria qu'il était de Milet, et fit graver sous sa statue cette inscrip-
tion :Antipatro , fils de Clinopatro , Milésien , le premier d'entre les-
Ioniens , remporta la palme aux jeux Olympiques. Il y avait en con- Maures
séquence dans chaque ville un lieu d'exercices, auquel présidaient de gymnastique
les citoyens les plus distingués , et où venaient se former les athlètes.
Tyrtée, poète célèbre, et plus célèbre encore pour avoir obtenu
des Spartiates le commandement dans la guerre contre les Messé-
niens, n'était qu'un simple maître de gymnastique à Athènes. Le
même motif avait fait également décerner des prix aux jeunes garçons
et même aux en-fans , comme L'attestaient diverses statues , parmi le
grand nombre de celles qui fesaient l'ornement d'Olympie (a). Les
statues des athlètes étaient ordinairement ce qu'il y avait de plus
Jjeau en ouvrages de sculpture: car outre la force et l'agilité que

(i) Nobiïibus Atldebis , qui Olympia , Pythia , Isthmia , Nemaea


vicissent , Graecorum majores ita magnos honores constituerunt , uti
non modo in conventu s tantes cum palma et corona ferant Laudes , sed
etiam cum revertuntur in suas civïtates cum Victoria , triumphantes
tjuadrigis in moenia et in patrias invehantur. Vitruve liv. IX. Praef.
init. S.1 Jean Chrysostôme dit, Homèl. jo ad Antioch. , que l'athlète
vainqueur était précédé dans son triomphe de torches allumées.
(2) Selon Pausanias , les prix pour la lutte et la course des enfans
furent établis dans la XXXVU e Olympiade ; on leur accorda encore dans
la suite ceux du pugilat, du pancrace et du pentathle Mais par une loi
des Eléens, le pugilat et le pancrace leur furent défendus, peut-être
parce que ces deux exercices violens exposaient leurs corps encore tendres
à de trop grands périls , ou parce qu'ils leur donnaient une vigueur pré-
maturée, qui, selon Aristote, les énervait, et ne leur laissait qu'un tem-
péramment faible dans la jeunesse et l'âge viril.
5a4 Religion
eet exercice donnait à toutes les parties du corps , il eu dévelop-
pait encore et en perfectionnait les formes. Aussi les artistes pou-
vaient-ils choisir les plus beaux modèles de leur art dans les jeux
Olympiques (i).

p^tno'stTue ^ ^aut conver,ir pourtant que l'agonostique était bien déchue


de son auoienne splendeur du teins d'Euripide , car ce poète parle
des athlètes d'une manière bien désavantageuse dans une pièce sa-
tyrique intitulée hixôlvxoç ■zpsro^ dont Galenus et Athénée nous ont
des athlètes, conservé le fragment suivant. « Parmi les maux infinis qui régnent
'< en Grèce, dit-il, il n'en est pas de plus funeste que le métier
« d'athlète. D'abord ces sortes de gens sont incapables de mener
« une vie honnête. Et en effet , comment un homme qui n'écoute
« que son intempérance , et s'est rendu l'esclave de son ventre , se
« déterminerait-il à travailler pour procurer la subsistance à sa
« famille? Ces athlètes sont du reste incapables de supporter la pau-
« vreté , et de se soumettre aux caprices de la fortune: le man-
« que de bonnes mœurs fait qu'ils changent difficilement de ca-
« ractère, même dans l'adversité. Tant qu'ils sont jeunes, l'éclat de
« leur renommée soutient l'opinion qui les fait admirer comme le

(i) Les athlètes ne mangeaient guères que de la -viande de bœuf ou


de cochon rôtie , du fromage et du pain sans levain ; et la qualité de
cette nourritute , jointe à la vie sobre qu'ils menaient avant d'entrer en
lice, devait singulièrement contribuer à les rendre robustes. C'est cette so-
briété qui leur a fait donner par S,1 Paul , et par quelques pères de l'église
l'épithéte d'abstinentes. Mais hors des gymnases , ces athlètes fesaient
pompe au contraire d'une espèce de gloutonnerie. Galenus dit qu'un athlète
passait pour être frugal, quand il n'avait mangé que deux livres de viande,
et du pain en proportion. L'assertion de cet auteur à cet égard rend pro-
bables les différens récits qu'on a faits de l'appétit dévorant des athlètes.
Le fameux Milon de Grotone se contentait à peine de vingt livres de
viande, d'une même quantité de pain, et de trois congés ou mesures de
vin , qui fesaient quinze pintes , pour son repas. Tout le monde sait qu'un
jour il porta sur ses épaules dans toute la longueur du stade un taureau
de quatre ans, et qu'après l'avoir assommé d'un coup de poing, il le man-
gea tout entier dans un jour. Cette énorme quantité de nourriture tenait
les athlètes dans un état presque continuel d'assoupissement , et Platon dit
qu'en effet ils passaient toute leur vie à dormir. Galenus, après avoir ob-
servé q\iun gros ventre ne va jamais avec un esprit subtil , dit ailleurs
que les athlètes, uniquemunt occupés de leur ventre, s'aperçoivent à
peine d'avoir une âme , et semblent ignorer qu'elle soit douée de raison,
de la Grèce, 5a5

« plus bel ornement de la patrie. Mais lorsqu'ils sont vieux , ils


« ressemblent à un habit usé qui montre la corde Je ne puis
« par conséquent approuver ces nombreuses assemblées , qui ont pour
« but de donner de l'éclat à ces frivoles amusemens . . . , Et en effet ,
« qu'un homme soit habile à la lutte, léger à la course, qu'il
« sache lancer un disque, appliquer un coup vigoureux sur la joue
« de son adversaire, de quelle utilité la couronne qu'il s'est ac-
« quise dans ces exercices peut-elle être à la patrie ? Repoussera-t-il
« l'ennemi avec son disque, ou le mettra-t-il en fuite par sa vi-
« tesse à la course, armé d'un bouclier? „ (r). Plutarque compare
les athlètes aux colonnes des gymnases, moins par les qualités du
corps, que par celles de l'esprit; et il déclare même que rien n'a
plus contribué à énerver et à dégrader les Grecs 3 que leur goût pour
la gymnastique, qui les avait rendus tellement indifférens pour les
exercices militaires, qu'ils préféraient le titre de bon athlète à celui
de vaillant soldat (a). Enfin Galenus fesait si peu de cas de la gym-
nastique,qu'il refusait de la mettre au nombre des beaux arts, et
lui disputait même ce nom, en alléguant qu'elle l'avait usurpé, pour
en imposer plus facilement au peuple à l'aide de ce titre spécieux (3).
Nous pourrions joindre encore à ce chapitre plusieurs autres Course
des char*'
observations, à la vérité de peu d'importance, et qui ne donne-
raient guères plus de lumières sur le sujet dont il s'agit M). Nous
le terminerons donc par la description de la planche 8/x , où l'on
voit une course de chars représentée. Cette planche est prise du
1I.C vol. des Peintures des vases antiques d'Hamilton, édition de
Florence, PI. XXV11L, et nous ne ferons que rapporter les ex-
pressions de ce savant commentateur. « Ce furent trois femmes, dit-
« il , qui remportèrent le prix de la course des chars dans les jeux
« Olympiques, savoir , Eurilconide, Telistica et Cinisca. Les deux
« premières ne concoururent point en personne, leurs chars étaient

(i) In Protreptico , chap. X,, et Deipnos. Liv. X. chap. II.


(2) De tuend. valetudine.
(3) Ad Thrasybul. chap XXXVI.
(4) Ceux qui désireraient voir cette matière traitée plus amplement
pourront, outre les ouvrages que nous venons de citer, consulter les
Dissertations de Burette et de Belley dans les I.er et IH.e tomes de
l'histoire de Y Académie Pioyale des inscriptions et belles lettres , ainsi
que celles de Gédoyn , de la Barre et Banier , ibid. torn. IX. , et de
Villoison ibid. tom. XXXV Ht,
5a6 Religion
« abandonnés aux deux chevaux dont ils étaient attelés. La plan-
« che représente donc la troisième, qui guide elle-même un qua-
rt drige (i). C'était la sœur du grand Agesilas. Flatté de l'estime
« particulière que les Grecs montraient pour ceux qui entretenaient
« des chevaux destinés à ce genre d'exercice , il engagea sa sœur
« à monter sur un char pour disputer le prix. Elle le gagna; et
« en mémoire de cette victoire, les Spartiates lui élevèrent un mo-
rt nument près de la promenade publique, dans le bosquet des pla-
« tanes (a). Cette princesse consacra à Jupiter Olympien des chevaux
« de bronze, que Pausauias dit avoir vus sous le portique du tem-
« pie d'Olympie; ils n'étaient pas de grandeur tout-à-fait naturelle.
<« Valckenar, dans ses notes sur la XV.e Idille de Théocrite , cite
« une épigramme qui fesait allusion à ces chevaux de bronze. La
« colonne indique le terme de la carrière (3). Cinisca l'a dépassé,
« comme l'annoncent les deux branches de laurier, dont l'une est
« sous les pieds des chevaux, et l'autre au dessus des mains de la
« Princesse. Leur disposition exprime clairement l'objet que s'était
« proposé Agesilas , qui était de donner à entendre à ses concitoyens ,
«« que ces succès, dont ils s'enorgueillissaient tant , ne prouvaient au-
" tre chose que la vitesse des chevaux, et l'habileté de leur guide (4).

Religion des Grecs modernes.

: Sainteté Le
l'ancienne flambeau
_
de l'évangile
,
brilla dans la Grèce avant d'éclai-
a
ise Grecque, rer l'Italie. De la chaire de S. Pierre, qui s'éleva d'abord à An-
tioche , sa lumière se propagea dans tout le Levant. On ne peut
imaginer rien de plus grand ni de plus vénérable dans les premiers
siècles de l'ère Chrétienne que l'église Grecque , qui eut pour fon-
dateurs les Apôtres mômes , et pour soutiens les Basiles , les Grégoires ,
les Chrysostômes et autres Pères, dont les noms sont célèbres dans les
fastes de la religion. Mais l'église Grecque ne tarda pas à éprouver
les revers, qui amenèrent insensiblement la ruine de l'état politique.

(1) Plutar. Apoph. Laconic. Paus. 1 C. On voit dans quelques monu-


mens les chars attelés de plus de quatre chevaux. Saintnon , dans son grand
voyage des deux Siciles , en rapporte un qui est attelé de vingt chevaux.
(2) Paus. Laconic. cliap. XV.
(5) Paus. Eliac. liv. V. chap. XV.
(4) Plut. Apoph. Lacon. tom. VI. pag. 746, èdit. Reisk.
de la Grecs. 62,7
En proie pendant long-tems aux systèmes et aux disputes de ses
philosophes, la Grèce trouva enfin dans la morale de l'évangile ce
que ces philosophes avaient cherché vainement. Mais l'esprit de
controverse, rebelle au joug de la foi et aux vérités de l'évangile,
s'efforça d'accorder, avec les dogmes du Christianisme, l'ancienne doc-
trine des deux principes, c'est-à-dire du bon et du mauvais génie:
erreur à laquelle les Grecs n'ont j'amais renoncé (i), et qui a été Les Grecs
chez eux la source d'une foule d'hérésies et de sectes, dont l'aveu- du merveilleux.
glement a perpétué dans leur église le goût du merveilleux et de la
fable. L'histoire des Empereurs, qui, depuis Constantin s'occupèrent
plus de disputes théologiques que d'affaires politiques, n'est à pro-
prement parler que l'histoire des guerres civiles et des troubles, qui
déchirèrent l'église Grecque jusqu'à son entière scission de l'église
Latine. L'orgueil des Patriarches de Constantinople , qui s'étaient
arrogé le titre fastueux d'Evêques universels, l'ignorance qui allait
toujours croissant chez les Grecs, la subtilité ridicule de leurs dispu-
tes, leur jalousie et leur vanité, le mépris qu'ils fesaient des Latins ,
voilà quelles fuient les premières causes de cette funeste division.
de Phocius
Ce ne fut néanmoins que vers le milieu dû lX.e siècle que Sckhme
fut arboré l'étendard du schisme par Phocius, qui, quoique laïc ,
avait été élu Patriarche de Constantinople le jour de noel de l'an
858. En six jours il reçut tous les ordres, fruit de sa lâche adula-
tion envers l'Empereur Michel III, homme faible, ignorant et vi-
cieux, qui avait déposé et exilé le Patriarche Ignace , pour se ven-
ger des reproches que lui fesait ce vertueux prélat sur le scandale
de sa vie. Phocius joignait l'art de la dissimulation et de l'hypo-
crisie la plus rafinée à beaucoup d'esprit et de connaissances , que
relevait encore en lui le talent de l'éloquence. Il poussa la té-
mérité jusqu'à lancer une excommunication contre le Pape, et à le
faire déposer dans un conciliabule qu'il tint à Constantinople en
866. Il prit alors le titre de Patriarche œcuménique , et déclara
hérétiques tous les Evèques de l'église d'occident, qui resteraient
en communion avec le siège de Rome (&). Mais d'un côté la mo-

(i) Guys, Voy. litter. de la Grèce. Tom. I. Lettr. XI.


(2) Fleury, Hist. Eccles. H ne faut pas ajouter foi à l'histoire du
schisme des Grecs _, qu'on trouve dans l'ancienne Encyclopédie , attendu
qu'elle est l'ouvrage d'un incrédule célèbre , qui n'a jamais respecté les
vérités de l'église , et n'a laissé échapper aucune occasion de la calom-
nier. Encycl. met. Théologie. Tom. IL pag 127.
5a8 Relicio»

dération des Papes, et de l'autre l'intérêt des Empereurs d'orient


avaient empêché que le schisme n'eût son entier effet: ce qui n'ar-
Schisme
de Cerularius. riva que vers le milieu du XI.e siècle. Michel Cerularius, élu Patriar-
che de Constant inople sous le règne de Constantin Monomacus et
le Pontificat de Léon IX, fît aux Latins un sujet d'inculpation
de la célébration de l'Eucharistie avec le pain azime , du jeûne
du samedi 3 de la communion avec les Juifs, et de plusieurs au-
tres erreurs supposées. Le Pape répondit , et accusa à son tour
les Grecs d'hérésie, en justifiant l'église Latine. Il envoya même à
Constantinople quelques légats, qui excommunièrent le Patriarche.
Celui-ci riposta par un anathême qu'il lança contre les légats. De-
venu enfin redoutable aux Empereurs même, Isaac Comnène le dé-
posa et l'envoya en exil , où il mourut de chagrin l'an io5q.
Croisades.
Vers la fin du XI.e siècle commencèrent les croisades , qui
envenimèrent encore davantage la haine des Grecs contre les La-
tins. Ces derniers s'étant emparés de Constantinople mirent à la
tète de cette église des prélats Latins. Les Grecs transportèrent à
Tentatives
de Michel
Palèologue
Nicée le siège de leurs Patriarches. L'Empereur Michel Paléolo-
gue ayant repris cette ville en 1260 , tenta de rétablir l'union
la réunion.
avec l'église Romaine. A cet effet il envoya des ambassadeurs
pour au second Concile de Lyon , qui se tint en 12.74. ^s ambassa-
deurs présentèrent une profession de foi telle que le Pape la vou-
lait, avec une lettre de vingt-six Métropolitains de l'Asie, portant
leur adhésion aux articles , qui avaient été jusqu'alors la cause de
la scission des deux églises. Mais le clergé et les moines de la com-
munion Grecque paralysèrent les efforts de l'Empereur. À cette
époque les Turcs s'avançaient dans l'Asie mineure , et poussaient
l'empire des Grecs vers sa ruine. D^jà ils menaçaient Constantino-
ple ,lorsque l'Empereur Jean Paléologue , peut-être dans la seule
vue d'obtenir du secours des Latins, vint en Italie aveo le Patriar-
Concile
e Florence. che Joseph et plusieurs Evèques Grecs. Ils assista avec eux au Con-
cile de Florence, qui eut lieu l'an 1^9 sous Eugène IV , et signa
la même profession de foi avec les Latins. Mais comme cette réu-
nion n'était qu'une conséquence d'intérêts politiques , elle n'eut pas
l'effet qu'on en attendait. Le reste du clergé, les moines et le peu-
ple protestèrent contre ce qui s'était fait à Florence , et plusieurs
des Evêques même, qui avaient souscrit à la réunion , se retractèrent.
Les Grecs, toujours mutins et ennemis des Latins, aimèrent mieux
subir le joug des Turcs que de se réunir aux premiers. Mahomet II
de la Grèce. 5zg
s'étant rendu maître de Gonstantinople en i453, détruisit totalement
l'empire des Grecs. Le Turc a laissé aux Grecs le libre exercice Etat
de leur religion; mais le Patriarche et les Evèques ne peuvent met- toLïesTwet:
tre le pied sur leur juridiction, qu'au moyen d'une permission du Grand
Seigneur, qu'ils n'obtiennent qu'au poids de l'or: faveur des effets de
laquelle l'insatiable avarice des ministres de la Porte ne manque pas
de les frustrer, toutes les fois qu'il se présente quelqu'un pour l'ache-
ter à plus haut prix. Les Grecs gémissent maintenant dans les fers
d'un esclavage réel , et pourtant l'ignorance et la misère où est plongé
le clergé, semblent ajouter encore à leur antipathie et à leur haine
contre l'église Romaine. Laissant à part les nombreuses dissensions
qui ont agité l'église Grecque, ainsi que les diverses sectes de Grecs
sidiismatiques qui se sont propagées en Asie, en Afrique, en Rus-
sie et ailleurs, et qui ne diffèrent entr'elles que par quelques cir-
constances accidentelles , nous nous bornerons à exposer en peu de
mots les dogmes qui sont regardés comme propres aux Grecs schis-
matîqpes, après quoi nous parlerous des cérémonies et des rites
particuliers à l'église Grecque (i).

(i) On comprend , sous le nom A" église Grecque, non seulement cette
partie de la Chrétienté , qui fait usage du grec littéral dans sa liturgie,
mais encore les églises où le culte se célèbre en langue esclavonne, quoi-
qu'elles aient toujours conservé les coutumes et la discipline de l'église
Grecque proprement dite. Parmi les Chrétiens des rites Grec et Esclavon ,
il en est, et c'est le plus petit nombre, qui reconnaissent l'autorité du
Pape, et qu'on appelle pour cela Grecs unis. Ceux du rite esclavon se
trouvent dans les états de la maison d'Autriche, en Prusse, en Russie,
et surtout dans les pays qui composaient anciennement la Pologne. Les
Catholiques du rite Grec proprement dit, sont répandus dans l'orient,
dans la Turquie Européenne , et même en Italie , particulièrement dans
certaines contrées du royaume de Naples. Les Grecs de l'Italie ont un
Archevêque , qui réside à Rome dans le collège de S.* Athanase. La Corse
a aussi une colonie Grecque Catholique , sur laquelle Saussin , l'abbé de
Germanes et autres écrivains nous ont donné des notions intéressantes.
Cette colonie est le reste des Lacédémoniens , de ces braves Maniottes ;
dont six cent, obligés de céder aux forces Ottomannes qu'ils avaient vail-
lamment combattues, abandonnèrent leur terre natale et se réfugièrent
à Gêne-, en 1676. La république de Gênes leur donna un asile en Corse ,
et leur y procura du bétail et des instrumens d'agriculture , à l'aide des-
quels leurs descendons sont parvenus, à fertiliser les plaines de Vico prés
d'Ajaccio. En 1776, c'est-à-dire un siècle après leur établissement } iU
Europe. Vol, 1. ,3
53o Religion
Pour ce qui est des dogmes, nous allons rapporter le cata-
logue qu'en a donné Caur.us gentilhomme Vénitien et Archevêque
de Corfou (i), en l'accompagnant cependant d'observations, mi-
ses au bas de la page, qui nous ont paru nécessaires pour éclaircîr,
modifier et quelquefois même rectifier les opinions de ce prélat ,
Dogme»
des Grecs dans
.-, les , endroits
-, où il
i nous
, • a semblé
t s'écarter
t tde la vérité. i.° Les
sthumatiqu.es. Grecs schismatiques baptisent de nouveau les Latins qui entrent
dans leur communion (a). z.° Ils diffèrent l'administration du bap-
tême jusqu'à l'âge de trois, quatre, cinq et même dix-huit ans (3).
3.° Ils n'admettent point au nombre des sept sacremens la confir-
mation ni l'extrême-onction (4). 4° ^s n,ent l© purgatoire, quoi?.

étaient au nombre d'environ huit cent cinquante individus. Ils consacrent


avec le pain fermenté, baptisent par immersion, et suivent la liturgie de
S.1 Basile dans leurs fêtes solennelles, et dans les autres celle de S.1 Jean.
Chrysostôme. Leurs prêtres portent la barbe et sont mariés. Grégoire ,
Hist. des sectes Religieuses , Paris, 18 14 , Toni. IL pag. 270 et suiv.
Les Grecs proprement dits, c'est-à-dire les Grecs de la Turquie Europénne,
sont généralement schismatiques , et reconnaissent le Patriarche de Cons-
tantinople pour leur chef.
(1) Ce catalogue fut envoyé par Caucus à Grégoire XIII Souverain
Pontife. V. Picart. Cérémonies , eu Coutumes Religieuses de tous les peu-
ples du Monde. Tom. III. pag. 28 et suiv. Nous avons cru devoir nous
en tenir à ce catalogue , comme le plus sévère , et par conséquent le
moins susceptible de partialité. On verra , par les notes dont nous l'ac-
compagnerontqu'il
, n'y a pas une grande différence entre la croyance
des Latins et celle des Grecs schismatiques.
(2) L'assertion de Caucus à cet égard est trop générale. Le renouvel-
lement du baptême des Latins n'a pas toujours lieu chez les Grecs. De
l'aveu des Grecs eux-mêmes , et d'après le témoignage d'écrivains dignes
de foi, ce renouvellement est moins l'effet d'une maxime ou de la croyance
commune , que du caprice des Papas , et de leur haine contre les Latins.
(3) Les Grecs schismatiques semblent regarder comme sacrilèges tou-
tes les cérémonies religieuses des Latins. C'est peut-être aussi pour cela qu'ils
condannent également leur Messe , et qu'ils ont soin de laver leurs au-
tels lorsqu'un prêtre Latin y a célébré.
(4) Il ne parait pas bien avéré que les Grecs n'admettent pas la
confirmation et l'extrême-onction au nombre des sacremens. La différence
des cérémonies et du tems où les Grecs administrent ces deux sacremens
est peut-être ce qui a induit Caucus en erreur à cet égard. Il n'y a rien
de certain en cela, si ce n'est , qu'à la différence des Latins, ils donnent
la confirmation aussitôt après le baptême , comme cela s'est toujours pra-
de tÀ Grèce. 53i

gae priant pour les morts. 5.° Ils ne reconnaissent nullement la su-
prématie du Souverain Pontife > et nient conséquemment que l'église
Romaine soit la véritable église Catholique ; et ils excommunient tous
les ans au jeudi Saint , le Pape et les Evoques Latins. 6.° Ils nient que
le Saint-Esprit procède du Père et du Fils: néanmoins ils croient à
la divinité du Saint-Esprit, et administrent le baptême au nom des trois
personnes; mais dans le signe de la Croix ils portent la main de droite
à gauche. f.° Ils ne reconnaissent point la présence du Saint Sa-
crament dans la Messe des prêtres Latins, qui consacrent avec le
pain azime , selon l'ancien usage de l'église Romaine, qui a été
confirmé par le Concile de Florence. 8.° Ils prétendent que les pa-
roles,dans lesquelles les Latins font consister leur consécration,
ne suffisent pas pour opérer la transubstantiation , et qu'il faut pour
cela y ajouter d'autres paroles , et des bénédictions prescrittes par
les Pères. 9.0 Ils soutiennent qu'on doit communier les en fans sous
les deux espèces, quoiqu'ils ne puissent encore avoir aucune idée
de la sainteté du sacrement: c'est pourquoi ils leur donnent la com-
munion aussitôt après le baptême, et accusent d'hérésie les Latins
qui sont d'une opinion contraire ; ils prétendent en outre qu'il est
d'institution divine d'administrer aux laïcs la communion sous les
deux espèces. io.° Ils disent que les fidèles une fois parvenus à
l'âge de raison , ne peuvent plus être obligés à faire tous les ans la
communion à Pâques, et que toute liberté de conscience doit leur
être laissée à cet égard. n.° Ils ne montrent aucune vénération
ni aucun respect pour l'hostie consacrée non seulement lorsqu'ils
la portent aux malades, mais même pendant le sacrifice divin; ils
la mettent dans une espèce de bourse, ou datas une petite boîte
qu'ils suspendent à un mur, tandis qu'ils allument des lampes de-
vant leurs images (c). 12.0 Ils croient que l'hostie consacrée le jeudi

tiqué dans l'église d'orient. Aussi est-ce pour cela que chez les Grecs ,
les simples prêtres ont le pouvoir de donner la confirmation. Il est cer-
tain également qu'ils n'attendent pas les derniers instans de la vie pour
recevoir l'extrême-onction ; les malades viennent la demander eux-mêmes
à l'église , croyant que S.1 Jacques dans son Epitre parle des malades , et
non de ceux qui sont à l'article de la mort. Nous tenons même de quel-
ques Grecs très-dignes de foi , que nous avons consultés sur ce point , qu'ils
mettent la confirmation et l'extrême-onction au nombre des sacremens.
(1) Il parait reconnu aujourd'hui que les Grecs admettent la Tran-
ssubstantiation dans l'eucharistie. Cela est attesté par la plupart des écri-
53a Religion
saint a plus de mérite que celles qui le sont les autres jours. i3.*
Ils nient l'indissolubilité du mariage , et le rompent en effet pour
des prétextes quelquefois frivoles; ils taxent par conséquent d'er-
reur l'église Romaine, dans laquelle le mariage fie peut être dis-
sous, pas même pour cause d'adultère. i^.° Us condamnent comme
sacrilège le mariage en quatrièmes noces. i5.° Ils ne célèbrent point
les fêtes de la Vierge, des Apôtres ni des autres Saints les jours
qu'elles le sont dans l'église Catholique, et rejettent le culte de
plusieurs Saints quoique très-ancien; ils réprouvent le culte des
images en statues ou en bas reliefs, tout en exposant dans leurs,
églises des tableaux de Saints, et autres peintures sacrées. 16. ° Ils
nient que l'usure soit un péché mortel. 17.0 ils ne comptent pas
le sous-Diaconat an nombre des ordres supérieurs. 18.0 Ils ne re-
connaissent les Conciles œcuméniques que jusqu'au septième, qui
est le second de Nicée , lequel fut convoqué contre les adversaires
du culte des images. 19. ° lis nient que la confession auriculaire

vains catholiques et protestans. « M.r Smith, protestant de l'église An-


ce glicane , ( Picart , ibicl. pag. 42 ) , après avoir voyagé en Grèce , a
« écrit une lettre sur Y état actuel de l'église Grecque , dans laquelle
« il n'a pu s'empêcher de convenir , que la Transubstantiation est re-
« connue par les Grecs, et même que dans une confession de foi pu-
« bliée depuis peu au nom de toute l'église Grecque , le mot (xerovaioatç ,
« qui répond au mot Latin Transnbs tan tiatio , est employé. Voici com-
« ment est conçue cette confession. « A peine le prêtre a récité la prière ,
appelée l'invocation du Saint-Esprit , que s'opère la Transubstantiation j
que le pain devient le vrai corps de Jésus Christ, et le vin son vrai sang'%
et qu'à la place de ces deux substances , il ne reste que les espèces ou
la simple apparence. Quant à l'adoration de l'Eucharistie , quelques pro-
testans prétendent que le culte des Grecs se rapporte moins aux espèces
consacrées, qu'à Jésus Christ qui est au ciel. Mais Gabriel, Archevêque de
Philadelphie , dans un livre qu'il a écrit sur cette matière contre les La-
tins ,lève toute espèce de doute sur l'adoration de l'Eucharistie par les
Grecs. Il établit deux cultes dans le sacrifice de la Messe. Le premier
n'est qu'une simple vénération qui se rend au pain et au vin , lorsque
ces deux espèces ne sont encore que bénies. Mais le second , qui a lieu
après la consécration , est une véritable adoration. Le même prélat indique
même le tems où se fait la dernière et la véritable adoration, qui est l'instant
de la consécration des espèces, et celui où le prêtre, se présentant à la
porte du sanctuaire crie £. tous les fidèles de s'approcher avec foi , amour
et respect.
D£ la Grèce. 533

soit de précepte divin , et prétendent qu'elle n'est que de droit posi-


tif ou ecclésiastique. Ils donnent par conséquent aux laïcs la commu-
nion ,sans exiger qu'ils se soient confessés auparavant, leur opinion
étant que la foi est la vraie et la seule préparatiou nécessaire pour
recevoir l'Eucharistie (i). ao.° Ils n'admettent point le jeûne des qua-
tre tems des Latins , ni ceux qu'observent ces derniers la veille des
fêtes du Seigneur, de la Vierge et des Apôtres, ai.0 Ils accusent
les Latins d'hérésie , parce qu'ils mangent des viandes étouffées et
autres mets prohibés par l'Ancien Testament. Tels sont , selon Cau-
cus, les points de doctrine sur lesquels les Grecs diffèrent des La-
tins. Nous avons laissé de côté plusieurs autres articles du même
auteur , qui sont évidemment controuvés : nous avons préféré ce-
pendant son témoignage à celui de Léon Allazius et autres écri-
vains ,qui nous ont paru un peu trop portés à concilier les deux
communions.

L'esprit de superstition, qui est un des effets nécessaires de Svpersiiiîom


l'ignorance des peuples et de leur décadence, se fait particulière- moderne*.
ment remarquer dans l'attachement, peut-être opiniâtre , des Grecs
modernes à leurs anciens usages. Nous n'en citerons qu'un seul exem-
ple : ce sont certaines fêtes qu'ils célèbrent dans les champs, et
dont les cérémonies rappellent les Bacchanales des anciens, et
îe culte religieux qu'ils rendaient quelquefois à un bosquet ou
à une fontaine (a). Ils ont encore dans des cavernes , ou dans des
bois, des eaux expiatoires 3 où ils vont en foule, et dont ils boivent
avec une espèce d'avidité à certains jours de l'année : puis ils at-
tachent aux pierres et aux arbres près de ces fontaines des mor-
ceaux de toile où d'étoffe , en reconnaissance de la guéridon qu'ils
croient y avoir trouvée. Le sort tiré par un enfant est le présage
certain de mille événemens heureux. Le pétillement d'une chan-

(i) L'assertion de Caucus à cet égard nous parait purement gratuite.


Peut-être étend-il à toute la nation , par conjecture , une erreur particulière
à quelques individus ? Peut-être encore suit-il l'opinion de quelques théo-
logiens Calvinistes, qui, dans le désir de faire voir qu'il existe une cer-
taine conformité de foi entre leur secte et les Grecs schismatiques , attri-
buent àces derniers leurs propres erreurs. Ce qu'il y a de certain , c'est
que la confession auriculaire se trouve établie chez les Grecs schismati-
ques dés les tems de S.1 Basile. V. Cristoph. Angel. De statu hodierno
Graecorum , cap. XXII.
(2) Guys. J^ov. Huer, de la Grèce , T. I. Lettr. XL
534 Religion
délie qui brûle , annonce l'arrivée d'uue personne qu'on attend
avec impatience (i). Les mots prononcés au hazard , surtout par
les enfans , sont recueillis cQmme des oracles. Le Grec qui craint
une disgrâce, croit pouvoir s'en préserver en se crachant sur la
poitrine. S'il veut se venger de quelqu'un par une espèce de malé-
diction il
, crache contre lui (a). S.' Jean Chrysostôme parle des
sistres et des fils couleur de pourpre que les Grecques de son tems
attachaient aux mains de leurs enfans, pour les préserver de tout
accident fâcheux ; il parle également de l'emploi qu'elles Pesaient
de la boue, des bains, des cendres, de la suie et autres objets,
pour éloigner d'eux Vœiî malfesant. Les Grecques modernes sus-
pendent encore aujourd'hui au cou des enfaus une gousse d'ail, un
talisman ou quelqu'autre amulette (3) pour les soustraire à cet œil

(i) Cette superstition était très-commune chez les anciens. Ovide en


fait mention, dans son épitre de Léandre à Héro :
Sternuit et lumen ( posito nam scribimus Mo )
Sternuit , et nobis prospéra signa dédit.
Ecce merum nutrix faustos instillât in ignés
Crasque erimus pîures , inquit ; et ipsa bibit.
(2) Thëophraste , dans ses caractères , nous donne une idée des supers-
titions des anciens Grecs. // a la faiblesse , dit Théophraste , de purifier
à tout moment la maison où il habite. Il lui répugne de s"1 asseoir sur un
tombeau _, d'assister aux funérailles et d entrer dans la chambre d'une
femme qui vient d' accoucher ; lorsqu'il a fait quelque rêva il couru
aussitôt consulter l'interprète .... enfin s'il voit une homme attaqué
d'èpilepsie , il tressaille d'horreur , et se crache sur la poitrine pour
écarter de lui le malheur , dont il se croit menacé par cette rencontre.
L'Empereur Grec Constant II avait fait équiper une flotte pour se rendre
en Italie; indigné de ce que le peuple de Constantinople, qui s'était sou-
levé contre lui , ne voulait point laisser embarquer avec lui ses enfans
et l'Impératrice , il cracha contre la ville , et fit aussitôt mettre à la voile
pour aller mourir à Syracuse. Les superstitions rapportées pas Théophraste
se retrouvent encore chez les Grecs actuels, et les Papas ont conservé
le pieux usage des purifications , qui leur est très-lucratif.
(5) Cet œil malfesant , qui est l'Arimane des anciens , est un dé-
mon ennemi de tout bien , et dont le seul nom fait trembler les plus
courageux. Selon les Grecs , cet esprit , ou cette puissance invisible ,
s'afflige de la prospérité , gémit des bons succès , s'irrite des moissons
abondantes , de la fécondité des troupeaux , et va même jusqu'à murmu-
rer contre le ciel de la beauté et des grâces d'une jeune fille. D'après
cette opinion , on se garde bien de féliciter un père d'avoir de jolis en-
de la Grèce. 53d
malfesant.
,
Les Grecs de nos '
.
jours n'ont pas
,
moins
. .
de crédulité
.
Leur •ré&uiuê
dans les songes.
que les anciens dans les songes. Ils ont pour les expliquer , certaines
formules qu'ils tiennent par tradition de leurs ancêtres, et qui
sont l'héritage de quelques vieilles femmes, pour qui cet art n'est
pas une ressource médiocre (i). L'usage du serment ne leur est Serment.
pas moins familier qu'aux anciens Grecs. Ils en font pour les cho-
ses les plus indifférentes: ce qui a fait dire à Guys, que la foi
des Grecs , à bon droit sera toujours suspecte (a). Les libations LUsUom,

fans. .... Tout bâtiment Grec est pourvu d'une gousse d'ail renfer-
mèe dans un petit sac, comme un préservatif contre les tempêtes; eu
ce petit sac est suspendu au bâtiment , aussitôt que le capitaine , qui eti
est le propriétaire, Va épousé en y attachant une couronne de laurier;
Pouqueville , Voy. en Morée. Tom. I. chap. XXV.
(i) La cre'dulité dans les songes était presque générale chez les an-
ciens ,et l'on connaît assez le culte qu'ils rendaient à certaines Déités
appelées DU somnia tores. Voyez l'explication des songes dans le Roman
Grec de Théagène et Cariclée. Quelques vieilles sibylles , quelques sorciè-
res décharnées , reste impur de ces magiciennes , dont la Thessalie a
toujours eu à foison sont encore en possession , dans toute la Morée ,
du droit d' expliquer les songes , d'interpréter les signes , et de commen-
ter tous les délires de Vimagination Il est aisé de juger quel
doit être , sur V esprit ardent des femmes Grecques , l'empire de ces mi-
sérables aventurières , connues parmi nous sous le nom de Bohémiennes
ou Egyptiennes. Pouq. ibid.
(2) Guys, Voy. etc. Lett. XXIII. Pouqueville ( ibid. ) dit qu'en
Morée , les plus hardis , jurent par leur âme , et par la tête de leurs
enfans , mais sans jamais oser prononcer le nom du Diable. S'ils font
contre quelqu'un cette imprécation ordinaire , que le Diable t'emporte ,
ils tournent ainsi leur phrase : que celui qui est dehors et loin d'ici
t'emporte. Cette modification ridicule n'a cependant pas lieu dans les
églises, où. le Diable ne peut entrer. Ainsi dans un lieu saint , continue
le même voyageur, j'ai entendu quelques Papas donner leurs ouailles
au Diable , se provoquer , s'injurier avec le nom du Diable toujours dans
la bouche , et s'adresser mutuellement V imprécation d'être emportés par
celui, dont ils dosaient proférer le nom hors de ces mêmes églises ....
Parmi les signes de malédiction usités des Grecs , te plus terrible est
la vue des cinq doigts en même tems. Cet usage nous explique un pas-
sage de V Andria de Térence , où un personnage dit, en Jesant un ges-
te: Ecce tibi dono quinque. Le nombre de cinq passe pour être de si
mauvais augure, qu'on n'oserait le prononcer dans une conversation ^
sans le faire précéder d'une excuse. Il ne serait guéres facile de re-<.
monter à l'origine d'une pareille extravagance.
536 Religion
sont encore usitées crez eux. M.r Peysonel , Consul Français à
Smyrne, dans une lettre qu'il écrit à Guys le 3 octobre 1768,
dit avoir été témoin de cette cérémonie à l'occasion de la mise en
mer d'une chaloupe Grecque, " Avant , dit-il, de mettre la main à
« l'œuvre, le constructeur fit apporter du vin, et prenant le vase
<t il en arrosa la proue de la chaloupe, en fesant des vœux pour
« la prospérité du voyage et du propriétaire, puis il but et fit
« boire tous les assistans. Je vis enfin une libation dans toute les
« formes „. La même cérémonie a lieu à la fin des banquets et
dans les convois funèbres (1).
Il résulte de tout ce que nous venons de dire: premièrement,
qu'à l'exception des erreurs de dogme sur la procession du Saint-
Esprit , et du manque de soumission au Saint Siège, la croyance
des Grecs schismatiques ne diffère pas beaucoup de celle des La-
Fwmarques tins et des Grecs orthodoxes; secondement, que l'aversion des pre-
r°'ïe^GrtcT' miers pour l'église Latine, vient peut-être uniquement d'un or-
modcmes. gUeji invétéré, et d'une jalousie mal entendue, qui a peut-être son
origine dans l'arrogance de Photius et des autres Patriarches; troi-
sièmement ,que les actes de superstition dont on les accuse, doivent
être attribués en grande partie au caractère même de la nation ,
sur qui l'imagination et la crédulité exercent toujours le même
empire. Ajoutons à cela, qu'il n'est pas de peuple, quelque civi-
lisé qu'il soit, qui n'ait ses superstitions; qu'il est même certaines
gens du vulgaire , dans la communion catholique, chez qui l'on voit
encore en usage des pratiques de ce genre, et qu'il serait témé-
raire de juger de tonte une uation par un individu. « Du reste,
« comme l'observe Guys , ce serait mal connaître les Grecs que
« de s'en former une idée en prenant à la lettre ce que Tournefort
« et autres voyageurs en ont rapporté, attendu qu'ils ne les ont
. « vus de près que dans les îles de l'Archipel, où régnent une
« ignorance et une pauvreté , qui n'ont pu que leur donner une
« opinion désavantageuse du reste de la nation. S'ils les avaient ob-
<i serves avec plus de soin, ils en auraient conçu nue tonte autre
" idée; ils auraient trouvé parmi eux, quoiqu'en petit nombre, de
« saçes Evêques, des prêtres instruits, et des hommes de goût et
a de génie. J'ai vu chez un Grec nommé Dra go , homme riche
« et éclairé 9 une bibliothèque choisie „. Quant à la morale, les

(1) Mémoir. de V Acad. des Inscriptions. Tom, I. pag. 35 1.


de la Grèce. 53?

Grecs suivent tous celle du Dé<;alogue et de l'Evangile, et les im-


putations que leur fait Caucus à cet égard sont exagérées. Aussi,
le Saint Siège , malgré leur schisme , les a-t-il toujours traités comme
enfans de l'Eglise, m me depuis le Concile de Florence. Paul III
appela à celui de Trente les Patriarches Grecs. On lit dans l'his-
toire de Pallavie.ini, que les Pères, dans une session de ce Concile 3
déclarèrent que les Grecs devaient être considérés comme appelés,
afin que leur absence ne blessât pas l'universalité des décisions.
Grégoire XIII leur envoya des légats comme aux Catholiques, pour
les engager à recevoir la rectification du Calandrier Romain (i).
Venons maintenant à la discipline ecclésiastique des Grecs, Discipline

qui n'offre presque d'autre différence entre les schismatiques et


les unis , sinon que chez les derniers l'élection des Patriarches et
des Evéques est faite par le Pape, et que la simonie est portée à
l'excès chez les Grecs qui sont sujets de l'empire Ottoman. Le
Patriarche de Constantinople
11 est élu à la pluralité des suffrages dans Election
~ du Patriarche g
un synode composé des Archevêques et des Evéques. Mais cette rftî Evéques
élection, la plupart du tems est simoniaque, attendu que ta préfé-
rence est donnée à celui d'entre les candidats, qui est le plus gé-
néreux envers le Grand Seigneur: ce qui fait qu'il n'est pas rare
de voir plusieurs Patriarches en même tems (a). Le Patriarche doit
en outre se montrer reconnaissant envers les Prélats qui lui ont
donné leurs soutirages , ce dont il se dédommage ensuite en fesant
des Evéques } qui, à leur tour, en font autant avec les Papas >
auxquels ils vendent les ordres sacrés et les paroisses. Les Papas

de leur côté, qui n'ont ni traitement fixe ni casuel (3), se récu-

(i) Grégoire } Hisb. des sectes Religieuses. Tom. II. pag. 287, et
Àrcudius, De concordia etc. Liv. IV. ehap. V. tit. i3.
(2) M.r de Nointel , ambassadeur de France à la Porte , dit qu'en 1671
il y avait quatre Patriarches vivans De la Perpétuité de la Foi, Tom 111.
(3) Le clergé, (dit Caucus in Hist. de Graecor. erroribus , avec qui Pou-
queville et autres voyageurs s'accordent), est forcé de vendre les mystères
divins dont il est dépositaire. Et en effet , nul ne peut être admis à la
confession , recevoir l'absolution, faire baptiser ses enfans , se marier , ni
obtenir une excommunication contre quelqu'un , ( car les Papas lancent
l'anathème pour le plus léger motif ), s'il n'a fait auparavant son prix
avec les Papas ». Enfin v la cupidité de ces ministres envers leurs parois-
siens est poussée au point , qu'ils ne jettent pas une goûte d'eau bénite
.sais en avoir été payés d'avance.
Europe. Fol. I. S3
538 Relicio*

pèlent sur le bas peuple, auquel ils font payer l'administration


des sacremens. Le mariage est prohibé aux Patriarches et aux Eve-

Entretien
ques , mais il est permis aux prêtres avant leur ordination, d'après
eu clersè- un usage antique et général de l'église d'orient (i). Le clergé sécu-
lier pour l'entretien desquels l'église Grecque n'a pas de fonds, n'a
d'autre ressource pour vivre que dans le produit des taxes et la li-
béralité des fidèles. Chaque paroisse est obligée de pourvoir à l'en-
tretien de son curé ; ^t à cet effet chaque famille donne un tant
par an en argent ou en denrées. L'Evéque tire également son trai-
tement d'une imposition sur son diocèse, dont il tient, ou pour
Mœurs
mieux dire, dont il achète l'investiture du Pacha ou du Vizir qui
des Evêques, gouverne la province. La simplicité des mœurs et du logement des
Evêques rappelle celle des pasteurs de l'église primitive. " Le luxe,
« dit Pouqueville, ne les entoure que dans les cérémonies du culte.
« Sans cesse sous la surveillance des Turcs qui les détestent , ils
" sont obligés, lors même qu'ils ne s'en feraient pas un devoir,
« de mener une vie exempte de tout reproche. S'ils perdaient un©
" fois l'estime publique, ce serait envahi qu'ils chercheraient à
« recouvrer la bienveillance des Pachas , dont ils ont souvent oc-
« casion d'appaiser la colère. On les voit parcourir leur diocèse
" à pied, ou montés sur un âne, la crosse en main .... Empres-
" ses non seulement à consoler leur troupeau, mais encore à le pro-
« téger par tous les moyens qui sont en leur pouvoir, ils se ren-
« dent les médiateurs de toutes les contestations qu'il convient de

(i) Voici ce que dit Tournefort au sujet du mariage des prêtres Grecs.
« Il est permis aux prêtres de se marier , mais une seule fois en leur vie ,
et pourvu qu'ils le fassent avant leur ordination. A cet effet , le Diacre
qui est dans cette intention doit déclarer à un Papas en confession , qu'il
est vierge, et qu'il veut se marier avec une vierge Après avoir
reçu cette déclaration , le confesseur en instruit 1 Evêque Le Dia-
cre est marié , et reçoit l'ordre de la prêtrise; mais alors il ne peut plus
contracter un second mariage. Aussi a-t-on soin de lui donner la fille la
plus belle et la plus robuste du pays , et dont le tempérament promette
une longue vie ». Mais ccuk qui entrent dans les ordres sans s'être mariés
gardent toujours le célibat. Le peuple qui accorde souvent son estime
aux privations, a plus de respect pour ces prêtres que pour ceux qui sont
mariés ; mais les turcs qui ne jugent que l'homme , les surveillent avec
plus de rigueur. Malheur à eux s'ils étaient surpris avec une femme. Pou~
quev. Tom. I. Lett. XXVIII.
de la Grèce. 53g
« dérober à la connaissance des Turcs .... Mais ces hommes évan.

" géliques viennent-ils à être blessés par quelqu'Evèque voisin dans


« les droits de leur diocèse ? L'homme alors se manifeste. Ils per-
« dent l'esprit pacifique qui leur attirait des hommages, oublient
« leur dignité et s'abandonnent aux excès les plus scandaleux. Une
« des choses les plus difficiles à un Evoque Grec , c'est de mainte-
« nir l'ordre et la discipline dans le bas clergé , et parmi ces Pa-
" pas ignorans et fanatiques, dont le plus grand nombre est d'une
« dépravation de mœurs qui déshonore le sacerdoce „.
Les moines jouissent de beaucoup de considération chez les Moine*
Grecs. Leur vie est extrêmement austère (i). Ils ne mangent jamais
de viande , sans cependant avoir fait vœu de cette abstinence , ne
dorment que quatre heures , et quelques-uns deux seulement , et
vont trois fois le jour prier à l'église. Ceux qui ne se sont pas ap-
pliqués àl'étude travaillent de leurs mains , ensorte qu'il n'y a pas
de couvent , où l'on ne trouve des ouvriers en tous genres. Les moi-
nes Grecs, quoique de diverses espèces, tirent tous leur origine de
S.1 Basile, qu'ils regardent comme leur père, et dont ils observent
rigoureusement la règle. Les uns, appelés Cénobites, vivent en
communauté sous la même discipline. Les autres, qu'on nomme
Cdiôpç>v${ici , vivent à leur gré, comme l'indique leur nom; avant de
prendre l'habit ils payent au couvent une somme pour la cellule , le
pain et le vin, et sont exempts de tout exercice pénible. Il en est
qui portent l'ancien nom d' Anachorètes , et qui vivent dans une par-
faite solitude; ils habitent une petite cellule dans un lieu presque
désert, cultivent un petit espace de terrein qui fournit à leur sub-
sistance ,et ne vont au couvent dont ils font partie que les jours
de fête pour y assister à l'office divin. Ces moines sont tous connus
sous le nom de Calogers (2). Ils n'ont jamais subi de réforme , Gaiogers
ce qui fait qu'ils portent encore leur habit primitif. Voici la des-
cription que Bonanni et Picart nous donnent de leur habille- Leur

ment ordinaire. Il consiste en une tunique longue de laine noire


vêlement--

(i) Metroph. Critopnl. , Epit. Doctr. Ecclés. Orient.


(2) Quelques-uns sont d'avis que le nom de Calogers ne se donnait
anciennement qu'aux moines les plus vénérables par leur âge , leur re-
traite et l'austérité de leur vie. C'est pourquoi ils font dériver le nom
de Caloger de hu?*oç , qui signifie beau, et y%p<*ç. , qui veut dire vieil-
lesse.
5^0 Religion
ou de couleur de poil de chameau , qu'ils se ceignent sur les reins.
Sur cette tunique ils portent une robe également noire , dont les
manches ont environ trois palme» de largeur, qui est ouverte par
devant, avec une frange ou une bordure en bas couleur foncée , et
qui peut se boutonner. Ils ont pour coiffure un bonnet noir de feut-
tre ou de laine, qui leur couvre les oreilles, avec un grand capu-
chon auquel sont attachées deux bandelettes d'environ quatre dojgts
de largeur, qui leur tombent sur les bras, et dans lesquelles ils
voyent une image de la croix. Ils portent la barbe et les cheveux
longs (i). Voy. la planche 86 n.° i: cette figure est également rap-
portée par les savaus auteurs de l' Histoire des ordres monastiques ,
religieux et militaires (s). Ces écrivains observent que dans l'ordre
des moines Grecs il y a trois différentes classes; la pemière, qui
est celle des Novices appelés vulgairement Àrchars ; la seconde
celle des Profès , appelés aussi Microchèrnes ; la troisième celle des
Mcgalochèmes , qui sont les plus parfaits; que chacune de ces clas-
ses a son habillement particulier, et que cet habillement ne dif-
fère du séculier, que par certains accessoires ou marques distiuctives
qui lui sont propres. Les novices portent sur leur tunique une
espèce de robe qui leur descend jusqu'au genou , et un bonnet
rond qui leur couvre les oreilles; au lieu de sandales qui sont la
chaussure des autres classes, ils ont des pantoufles pointues comme
tous tes orientaux. Au bout de trois ans ils prennent l'habit de
profès, qui s'appelle encore petit habillement. Il a pour caractère
distinctif une large ceinture qui serre la tunique sur les reiri3 ,
une calotte qui couvre la tète et les oreilles, un manteau, une
espèce de capuchon qui enveloppe la tête, et des sandales qui
sont à*- peu-près dans le genre de celles des Franciscains déchaussés.
L'habillement des Mégalochèmes , qu'on appelle aus-i habit grand
et angéljque , se compose des vétemens que nous venons d'indiquer ,
et de plus de Vanablo > qui est un morceau d'étoffe de la grandeur
d'une palme, lequel e.-t suspendu entre les épaules et sous la tuni-
qne , par le moyen de cordons attachés aux quatre coins, et dans
lesquels passent les bras. Cette espèce de décoration porte l'image
d'une croix ou quplqu'autre représentation relative à la passion du

(i) Bonanni , OrrI/n Bellgiosor etc. Cabalogus , Pars. I N.° XCIII. ,


(a) Histoire des Ordres Monastiques etc. (par h P. Helyot, con-
tlp-uèe par le P. M'apcimil. BuUqÇ.
de la Grèce. f?4i
Christ. Leur manteau, qui est très-ample, leur enveloppe le haut
du corps, et se termine en un capuchon avec une pointe très-aiguë:
et avec cinq croix en rubans de laine, savoir; une sur le front, une
sur la poitrine, une sur le dos, et deux sur les épaules.
Les moines ont tout leur tems partagé entre l'office divin et les tra- ^J^4
vaux de l'agriculture: outre leur abstinence de la viande , ils ont quatre
carêmes, particuliers à l'église Grecque, qu'ils observent scrupuleu- Carêmes.
sèment. Le premier et le plus long de ces carêmes est celui qui
précède la Pâque , et dure huit semaines. La première, il leur est
permis de manger du poisson, des œufs, du lait et du fromage; mais
les sept autres semaines l'usage de ces mets leur est interdit, à
l'exception cependant des espèces de poissons qui n'ont pas de sang,
telles que les coquillages et autres semblables. Ils ne mangent que
du pain, des fruits, des légumes accommodés à l'huile, et ne boi-
vent que de l'eau. Leur second carême est celui des Apôtres; il
commence huit jours après la Pentecôte, et dure plus au moins, se-
lon le calendrier des fêtes mobiles: l'usage du vin et du poisson y
est permis. Le troisième est celui de l'Assomption , et dure quatorze
jours, durant lesquels il est encore défendu de manger du poisson,
excepté le dimanche et le jour de la Transfiguration. Le quatrième
est celui de l'Avent, qui dure quarante jours , avec les mêmes pres-
criptions que pour celui des Apôtres. Outre les jeûnes de carême,
et ceux des mercredi et vendredi de chaque semaine , qui sont com-
muns àtous les Grecs, les moines en ont d'autres que nous nous dis- Officiers.
penserons d'indiquer ici (i). L'office des Cénobites se fait à des heu-
res réglées, depuis minuit jusqu'après le coucher du soleil. Celui
de minuit, qu'on appelle pour cela Blesongeiicon est un office particu-
lier à chaque couvent , et ne dure pas moins de deux heures. Quant
aux offices du jour ils sont tellement longs, qu'il ne faut pas moins
de six heures pour les lire, et ils forment sis gros volumes in foglio,
la plupart imprimés à Venise. Les moines font leur lecture ordi-
naire du texte de l'Evangile, et des homélies des Sains Pères.

(i) Le médecin Spon , en parlant des jeûnes et des jours maigres


des Grecs dit, qu'ils n'ont guères dans toute l'année que cent trente jours ,
où il Leur soit permis de manger de la viande; et que non seulement
les vieillards et les en/ans, mais même les malades ne sont pas exempts
de ces Jeûnes, qui rendent les Grecs secs et bilieux ... Malgré cela ,
ajouie-t-il, les Grecs sont emportés , colères parjures et blasphémateurs, ,
54$ Religiotit
Cowm». Les couvens sont répandus en Morée , dans l'île de Patmos, et dans
TArcadie. Mais les plus renommés, et où la discipline est moins aus-
tère, sont ceux du mont Athos ,, qui emprunte encore du grand nom-
bre de ces couvens le nom de Montagne Sainte ayio tope. Ce sont
aussi les plus riches et les plus puissans, et leur moines appartiennent/
aux familles les plus distinguées: les Calogers destinés à devenir Pa-
triarches etEvêques viennent y faire leurs études et leur carrière
monastique. Il arrive par conséquent que ces couvens , au lieu d'être
l'asile de la paix et de la concorde , sont au contraire un foyer d'in-
trigues etde divisions. Jaloux de parvenir aux plus hautes dignités
de l'église, ces solitaires emploient souvent en soins artificieux et
en simonie , un tems qu'ils devraient consacrer à la prière. Il existe
Météores, encore quelques autres couvens connus sous le nom de Météores ,
que leur situation inaccessible sur des rochers escarpés dans un dis-
trict de la Thessalie , à environ trente lieues de Jannina , rend
peut-être encore plus fameux que ceux du mont Athos. On ne peut
y monter que par une échelle de cordes, ou dans un panier que
les moines tirent à eux avec une espèce de cabestan. Voy. la plan-
che 85, où est représentée une vue de la Thessalie avec un de ces
couvens (i). Leur construction n'est pas moins misérable que la vie
des moines qu'ils renferment. C'est là que sont relégués les Patriar-
ches que le Divan a déposés. Les moines de la Grèce vivent du
revenu de quelques biens fonds que possèdent leurs couvens, dont
quelques-uns du Mont- Athos sont fort-riches; ou, à défaut de pro-
priétés, du travail de leurs mains, et des aumônes qu'ils reçoivent des
fidèles. Dans cette vue les supérieurs ont soin , surtout dans les tems
de carême., de charger leurs religieux de quelque mission évangé-
lique , qui ne manque jamais de tourner au profit du couvent (n).

(i) Le sujet de cette planche est pris du voyage fait par Henri
Holland dans les îles Ioniennes , en Albanie , en Thessalie , et en Ma-
cédoine etc. durant les années 1812 et i8i3.
(2) M.r Pouqueville , ibid. , rapporte d'avoir rencontré un jour en
Morée un de ces Missionnaires , accompagné de plusieurs prêtres , qui
revenait d'une maison où il avait administré l'extrême-onction à une fa-
mille entière composée de gens tous en santé. Ayant demandé la raison
d'un usage aussi étrange , on lui répondit que ce n'était qu'une simple
précaution qu'avait prise cette famille , parce qu'elle ne trouverait pas
tous les jours pour cela un homme aussi saint que celui qui lui avait ad-
ministré lesacrement.
de la Grèce. $45
On trouve aussi en Grèce quelques couveiis de religieuses , qui Reiigîaeitu
observent également la règle de S.' Basile. Ces religieuses, ainsi
que les Calogers , sont assujéties aux jeûnes, aux prières et à toutes
les rigueurs de la vie monastique, et vivent sous la direction d'une
Abbesse choisie par elles parmi les plus âgées et les plus sages du
monastère. Elles sont en outre sous la juridiction d'un abbé de
Calogers, qui leur donne un de ses moines pour directeur spirituel.
Après avoir satisfait aux devoirs de leur état, elles s'occupent d'ou-
vrages àl'aiguille et de broderie. Les Turcs ont pour elles beau-
coup de respect , et vont dans leurs couvens pour y acheter des
ceintures et autres objets faits par elles. Les plus riches ont une
servante pour leurs besoins, et quelques-unes prennent en outre
avec elles une jeune fille } qu'elles élèvent dans la piété, et dans
la pratique des devoirs de la religion. Toutes portent le même ha- Lew-
billement, qui est simplement de laine, et consiste en une tuni-
que noire , et en un manteau de même couleur. Elles ont les bras
et les mains couverts jusqu'au bout des doigts et les cheveux rasés.
Chacune a son habitation à part, qui se compose de quelques cel-
lules au rez-de-chaussée et au premier étage (i). On rencontre
encore à Constantinople quelques femmes nommées aussi Calogères ,
et qui restées veuves portent en tête un voile noir, eu signe de la
résolution où elles sont de ne plus se remarier.
Passant ensuite à la liturgie nous commencerons par les sa- Litw-gts,
cremens; et laissant à part toutes les cérémonies qui sont commu-
nes aux deux églises, nous ne parlerons que de celles qui sont
particulières à l'église Grecque. Dans le baptême, le prêtre prend Baptême.
l'enfant à l'entrée de l'église., l'élève sur le seuil de la porte ou
devant une image de la Vierge , et fait sur lui plusieurs signes de
croix: après les exorcismes d'usage , il le plonge trois fois dans le
bassin , en nommant à chaque immersion une des personues de la

(i) Il n'y a maintenant en Grèce que fort peu de couvens de re-


ligieuses encore
, la discipline en est-elle très-relâchée, Ils occupaient au-
trefois les plus beaux sites de la Morée ; mais dans la dernière guerre
jls furent tous incendiés par les Albanais V. Pouqueville ibid. Tourne-
fort dit que la plupart des Calogères sont des Magdelaines mitigées ,
qui sur le retour font vœu de pratiquer des vertus, qu'elles ont fort
négligées dans leur jeunesse, Elles se retirent enfin dans un monas*
£ère , pour y mener une vie un peu moins scandaleuse } sous les yeuoz
d'une supérieure.
5^4 Religion
Trinité: rite dont îe sens est pour les Grecs, la mort, la ressur-
rection et l'immortalité du chrétien. Les parens ont la précaution,
avant le baptême, de faire tiédir l'eau du baptistère, et de le
Confirmation, parsemer de fleurs odoriférantes. Aussitôt après le baptême, le
prêtre administre à l'enfant la confirmation, dont la formule est
celle-ci : Voici le sceau du don du Saint-Esprit. En prononçant
ces paroles, le prêtre fait à l'enfant des onctions en forme de croix
sur le front, les yeux, le nez, la bouche, les oreilles , les mains et
les pieds. Sept jours après le baptême, l'enfant est porté de nouveau
à l'église pour y recevoir V ablution : cérémonie dans laquelle le
prêtre lave la chemise de l'enfant , et lui essuyé le corps avec une
Confusion, éponge (i). La confession des Grecs ne parait différer de celle des
Latins que par une simonie qui est souvent poussée au dernier ex-
cès , et par quelque pratiques superstitieuse dont l'ignorance des
Papas a introduit l'usage (il). Les prêtres sont obligés de se confes-
ser une fois par mois, et les laïcs une fois par an au commence-
ment du grand carême de Pâques.
Mariage. Le mariage est pour les Grecs modernes , comme il l'était chez
les anciens Grecs, un des devoirs les plus sacrés du citoyen; et
?"; ils sont d'autant plus jaloux de le remplir, qu'avec une nombreuse
postérité ils espèrent pouvoir secouer un jour le joug de leurs bais
bares conquérans. Ils ont conservé presque toutes les cérémonies
usitées chez leurs ancêtres à l'occasion du mariage. Mais avant d'en
venir à la partie civile de cet engagement, il convient de faire
connaître les rites du sacrement. Les époux se présentent au prê-
tre, l'homme à droite, et la femme à gauche. Le prêtre fait sur
eux quelques signes de croix, leur donne en main un cierge al-
lumé, les encense en fesant la croix, et ensuite les conduit au
temple. On place sur la sainte table deux anneaux , l'un en argent

(i) Picart, vol. III pag. 70, parle d'un usage religieux des Chrétiens
de Syrie , qui a beaucoup de rapport avec le baptême. « Les Chrétiens de
tout genre, dit-il', Grecs, Nestoriens , Cophies etc. "vont se baigner tout
nus par dévotion dans îe Jourdain , en honneur de Jésus Christ et de son
baptême. Là , sans aucune distinction de sexe ni de sectes les hommes
et les femmes entrent pêle-même dans le fleuve , et se font verser de
l'eau sur la tête. Les plus dévots y trempent des linges, d'autres y rem-
plissent d'eau des bouteilles, et même en emportent de la vase etc. ».
(2) Picart, ibiâ. , pag. 11 5. Ricaut dans la Préface de l'état de
l'Eglise , Christoph. Angélus, De statu Graec. Allatius etc.
de là Grège. 54S
du côté droit, et l'autre en or du côté gauche. Après les prières
d'usage entre le chœur et le diacre, pour le bonheur , îa concorde
et la fécondité des nouveaux époux 3 le prêtre prend les deux
anneaux , et prononce trois fois ces mots : j'unis le tel et la telle ,
serviteur et servante de Dieu au nom du Père etc. Après avoir
fait avec ces anneaux un signe de croix sur la tête des époux,
il met l'anneau d'or au doigt de l'homme, et celui d'argent au
doigt de la femme. Un paranymphe ou témoin fait ensuite îe
changement des deux anneaux , tandis que le prêtre récite une lon-
gue prière, où la vertu et la dignité de l'anneau nuptial, sont
mystiquement comparées à celle des anneaux de Joseph, de Trn-
mar etc. Cette prière finie, le prêtre en commence une autre ,
en même tems qu'il pose sur la tête de chacun des époux une cou-
ronne de pampres, ornée de rubans et de dentelles (i). Enfin il
leur présente une coupe de vin dont ils boivent l'un et l'autre (a),
après quoi il leur ôte les couronnes et leur donne la bénédiction.
Les mariages en troisièmes noces sont permis dans l'église Grecque ,
mais ceux en quatrièmes sont regardés comme une polygamie et
frappés d'excommunication (3). ,iu mariage»
Venons maintenant aux usages civils du mariage, qu'il im- ' .^ «-w/i
porte de faire précéder de quelques circonstances dont JBpon à
été témoin à Athènes (zj)- Les jeunes filles ne sortent point de la
maison avant îe jour de leur mariage , ensorte que les jeunes gens
qui les recherchent ne peuvent entier en relation avec elles, que
par îe moyen d'une parente ou d'un tiers qui ait accès dans la mai-
son , et à la foi duquel ils doivent s'en rapporter (5). Ainsi l'amant

(î) Tournefort , Voy. au Levant , Lettre III.


(2) On lit dans l'histoire du bas empire ( T. IL pag. 355 ) qu'au
mariage de l'Empereur Maurice avec Cotistantine fille de Tibère son pré-
déces eur }on avait élevé dans le vestibule du palais, derrière un ri-
deau, un trône magnifique d'où l'épouse devait se montrer au peuple.
Le rideau tombe , l'Impératrice parait à côté de son époux , les spectateurs
entonnent le chant de l'hyménée , et l'eunuque , qui avait accompagné la
princesse , verse du vin dans une coupe , qu'il présente aux deux époux.
(3} Piicaut , État de l'église Grecque } Chap. i5.
(4) Spon , Voyages. Tom, II. pag. i83. Ediz. 1679.
(5) Ces femmes 3 qui conservent encore l'ancien nom de Proxénètes ,
sont d'autant plus nécessaires , que les jeunes filles étant toujours renfer-
mées dans le Gynaeceon , un homme ne peut se déterminer à prendre
Europe. Fol. I. 6D
546 Religion
Baiïihmtnt ne peut voir sa prétendue qu'après qu'elle est devenue son épouse.
de l'épouse. La veille de la célébration du mariage, la femme se fait voir en
public marchant lentement et avec gravité, et va comme en triom-
phe au bain , soutenue par ses plus proches parentes. Avec la mê-
me lenteur et la même gravité elle est conduite par deux de
ses proches à l'église , et de là à la maison de l'époux , précé-
dée du flambeau d'Hyménée , et accompagnée d'un cortège qui
fait éclater sa joie aux chants d'un épithalame , et au son des flû-
tes et des tambours (1). Parmi les ornernens extravagans dont eMe
est parée, elle porte une énorme couronne de filigrane et de per-
les, dont le volume embarrassant l'oblige à se tenir droite comme
un jonc. Les cérémonies nuptiales sont accompagnées d'une danse ,
dont nous donnerons ailleurs la description. L'épouse n'y parait que
voilée. Ricaut ajoute qu'elle est conduite dans cet état par ses pa-
rens à la chambre nuptiale, où l'époux levant d'une main trem-
blante le voile qui la couvre, voit pour la première fois son visage,
Faeilltd
des divorces. et lui fait un baiser. Le tremblement de l'époux n'est que l'effet
de la crainte où il est de découvrir un visage difforme ou désagréa-
ble : ce qui arrive assez souvent. Mais l'engagement est déjà con-
tracté, et ne peut plus être rompu que par le divorce. C'est sans
doute à cet usage qu'il faut attribuer la facilité avec laquelle on
Usages d'une l'obtient dans l'église Grecque, moyennant un droit qui se paye
/superstition
#nùque, au Patriarche, La planche 87, n.° 2,, représente une épouse en
habits de noces , et assise sur une espèce de soplia (2).
Voici encore quelques circonstances qui nous rappellent cer-
tains usages particuliers aux anciens Grecs. Arrivée à la maison du
mari l'épouse y est introduite, appuyée sur les bras de ceux qui

celle qui lui est proposée que sur le rapport d'autrui ; et dés qu'amenée
devant lui le voile qui la couvre est tombé , il se trouve engagé dans
des liens qu'il ne peut plus rompre.
(1) On trouve dans l'ouvrage de Guys ( Voy. etc. T. I. pag. 243 ).,
une gravure qui offre l'image d'une noce , où l'on aperçoit quelque res-
semblance avec celle , qui , au dire d'Homère, était représentée sur le
bouclier d'Achille. Dans les campagnes , l'épouse est conduite à la mai-
son du mari sur un char traîné par des buffles. Pouqueville nous a aussi
donné une belle description d'un de ces mariages champêtres. T. I.
ichap. XXIX.
(2) Cette figure est prise de l'ouvrage de Picart Cérémonies etc.
I. III. pag. i32.
de la Grèce. 547

l'accompagnent, de manière à ce que ses pieds ne touchent point


le seuil de la porte. Ensuite, pour preuve de sa virginité, elle doit
passer sur un crible sans le rompre. Les Grecs sont toujours dans
l'usage d'orner , le jour des noces , les portes de leurs maisons , de
rubans, de couronnes de fleurs et de feuillages, et d'appeler dans
la salle du festin, qui se donne à cette occasion , des danseurs et des
sauteurs pour égayer les convives: usage dont nous parlerons ail-
leurs.*
L'épouse donne à chacun de ces derniers, et même à ceux de Présem
eé/jouss;
qui viennent simplement pour lui faire visite, une poignée de dra-
gées*: ce qui est peut-être une imitation des présens de noix et
d'amandes que fesaient les anciens dans cette circonstance , pour
exprimer que l'épouse renonçait à tous les goût» de l'enfance. L'au-
teur de l'Origine des lois assure, qu'il est encore d'usage chez les
Grecs d'acheter en quelque sorte l'épouse par des présens qui se
font à ses païens; mais on ne doit voir en cela maintenant qu'une
simple cérémonie: car il n'est pas de Grec qui prit une femme pour
épouse , si elle ne lui apportait pas une dot proportionnée à sou Dot,
état (1). La plus grande partie de cette dot consiste ordinairement
en pierreries et en habits somptueux , comme cela était chez les
anciens Grecs (fa). La nouvelle épouse porte encore, comme alors,
dans la maison du mari le nom de Nimphe.
Comme nous avons fait suivre, dans la description du cos-
tume des anciens Grecs , l'article du mariage de celui des funé-
railles, le même ordre exige, en traitant du costume des mo-
dernes, que nous passions du sacrement du mariage à V Extrême-
Onction i appelée en Grec Euchelaion, c'est-à-dire huile de la prière.
Conformément à ce que nous avons dit plus haut à ce sujet, et
d'après le témoignage de Tournefort , l'extrême onction se donne ;

(1) Guys Voy. litt. etc. T. T. pag. 2Z7 N. (2) raconte qu'un Patriar-
che Grec avait depuis peu lancé une excommunication contre les pères
qui donneraient en dot à leurs filles plus de trois mille piastres , ou plus
de trois mille écus.
(2) « Ces ornemens d'or ( dit Hermione dans Andromaque ) dont
a ma tête est parée , et tous ces vêtemens que j'ai , ne sont pas des pré-
« sens d'Achille ni de Pelée ; je les ai apportés de Sparte , et ils m'ont
« été donnés par Ménélas mon père avec une dot considérable , pour
« que je pusse parler en toute liberté ». Clitemnestre dit également dans
l'Iphigénie. en Aulide : « Qu'on tire des chars les présans que j'apporte
pour la dot de ma fille »,
5^8 Religion
i.° aux pénitens et â ceux qui se sont rendus coupables de quel-
que péché mortel, et dans ce cas elle s'appelle aussi Jpomuron ,
parce que , selon les Grecs, elle a son origine dans la parabole de
la Samaritaine: motif pour lequel ils mêlent à l'huile un peu de
vin, comme le lit le Samaritain pour panser les blessures du voya-
geur qui avait été assailli par les voleurs; a.0 aux malades, aux
infirmes et aux mourans; et celle-ci, qui est proprement l'extrême-
onction, est ordinairement administrée par l'Evêque assisté de sept
prêtres (i). Les onctions se font d'abord par l'Evêque en forme de
croix sur le front, le menton , Jes joues, le dos et la paume des
mains du malade; et pour cela il se sert d'une plume, ou d'un peu
de coton attaché au bout d'une petite baguette qu'il trempe dans
l'huile sainte. Les sept prêtres répètent ensuite successivement la
même cérémonie, et le plus distingué d'entre eux pose l'Evangile
sur la tête du malade, tandis que les autres lui tiennent les mains.
Picart rapporte que ces onctions se font aussi aux morts , et à-peu-

(i) C'est ce qui devrait se faire aussi dans la liturgie Grecque. L'Evê-
que devrait être assisté de trois prêtres pour donner la confirmation. Mais
pette règle est souvent violée , car la confirmation se fait quelquefois par
un seul et simple prêtre. Les moines du mont Athos , selon Tournefort ,
avares et simoniaques comme le sont tous les ecclésiastiques Grecs, soit
par l'effet d'une corruption invétérée , soit à cause de la misère et de
la profonde ignorance du peuple, parcourent toute la Grèce , et vont
anême jusqu'en Russie u pour y vendre leurs saintes huiles. Ils entrent
dans les maisons , écoutent les confessions et administrent Pextrême-onc-
tion même aux gens en santé : ce qu'ils exécutent en fesant au pénitent
sur l'épine du dos un nombre d'onctions égal à celui des péchés qu'il
a confessés , à condition pourtant que leur huile et leur tems ne seront
pas perdus. La moindre de ces onctions se paye un écu; celle qui se fait
pour les péchés de la chair est beaucoup plus chère. . , . . Ceux qui
mettent plus de régularité dans cette cérémonie se servent de l'huile con-
sacrée ,et prononcent à chaque onction ces paroles du pseaume ia3 le fd
a été rompu , et nous avons été délivrés. Plus bas le même auteur répète que
Jes Grecs administrent l'extrême-onction plus souvent aux gens en santé
qu'aux malades. Quant à ces derniers, continue-t-il , ils se servent d'huile
commune et non bénite pour les onctions, qu'ils leur font au front, aux
joues, au menton, et aux mains; ils répandent ensuite de cette huile
dans toute la maison, en récitant quelques prières, et en traçant avec
le coton, qui en est imbibé de grandes croix sur les murs et sur les poi>
fies, tandis qu'on chante le pseaume 90 ». Tourne/. Voy. Lettre 1IL
b« tÀ Grèce. 549
près de la même manière. Chacun des sept prêtres prend un mor-
ceau de papier imbibé d'huile , cm*il allume , et croit purifier , par
cette espèce de sacrifice, l'âme du défunt, et la délivrer des pei-
nes qu'elle a méritées : usage superstiteux qui rappelle les lustra-
tions des anciens. La consécration de l'huile pour l'extrême-onction
se fait le mercredi saint par l'Evèque, et pour toute Tannée : le
jeudi saint , le Patriarche ou l'Evèque donne l'onction en public
à tous les fidèles, selon un usage qu'on croit établi dès les tems
de S.1 Jean Damascène.
La cérémonie dont nous venons de parler nous conduit natu- Funérailles.
Tellement à celle des funérailles. Ces dernières paraissent commen-
cer à l'agonie du mourant, et Ricaut en traite au long dans son
ouvrage sur FEtat de V Eglise Grecque. On y lit entr'autres choses,
que le prêtre ceint la tête du malade avec le voile dont on couvre
le calice , et qu'il lui fait avaler un peu d'eau bénite , où l'on a
fait infuser quelques herbes odoriférantes, et qui a été consacrée
par l'attouchement d'u Crucifix ou d'une image de la Vierge.
Cette eau est regardée ^omme un remède propre à guérir les ma-
ladies de l'âme et du corps. Cest encore un usage établi chez les.
Grecs , de chercher à rendre la santé aux malades , en fesant à
Dieu ou à quelque saint l'offrande d'un œil, d'un bras, d'une jambe
etc., en or ou en argent. Aussitôt que l'agonisant est expiré , toute
la maison retentit de sanglots et de cris. « Le corps du défunt ou
de la défunte, dit Ricaut, est d'abord soigneusement lavé, selon
l'ancien Usage : on le revêt ensuite de ses plus beaux habits ( car
les morts sont portés au tombeau le visage découvert), puis on l'étend
sur le pavé ayant deux cierges allumés , l'un à la tête et l'autre
aux pieds (1). La femme, si c'est le mari qui est mort, les en-

(1) Les Grecs modernes s'aquittent avec empressement des devoirs


des funérailles : usage dont ils paraissent avoir hérité de leurs ancêtres ,
chez qui c'était un outrage fait aux morts que de les laisser long-tems
sans leur donner la sépulture. S'il s'agit d'une jeune fille, on l'habille
ayec élégance , et on lui ceint la tête dune couronne de fleurs. Lors-
qu'on l'emporte , les femmes jettent des fenêtres des roses et des eaux
de senteur sur son corps. Les anciens ornaient les morts de couronnes de
fleurs , pour indiquer qu'ils avaient enfin surmonté les dégoûts et les pei-
nes de cette vie: motif pour lequel ils donnaient au défunt le titre
de E<rTE(pav0[ipvov , qui veut dire couronné. Aristophane fait dire à une
femme : Prends cette couronne , et joins-y cette autre : Caron t'attend^
55g Religion
fans , les domestiques , les parens et les amis entreut dans la cham-
bre où est le cadavre, les habits déchirés, s'arrachent les che-
veux ,se frappent la poitrine , et se mettent même le visage en
CéKPoè sang avec leurs .
funèbre, ongles ;>.
, . L'heure
, ,, des .
funérailles arrivée,
A le convoi
.
se met en marche précède d une croix. « Les prêtres et les dia-
cres , continue Ricaut , qui l'accompagnent en récitant les prières
prescrittes par l'église, fout brûler l'encens, et demandent à Dieu
qu'il lui plaise recevoir dans le séjour des élus l'âme du défunt (i).
La femme ( Ricaut parle toujours des funérailles d'un mari ) suit
les tristes restes de l'époux qu'elle chérissait s les yeux en pleurs ,
et dans une si grande affliction , qu'à en juger .... par ses lar-
mes et à ses cris , on croirait qu'elle veut forcer son âme
Pleureuses. à suivre celle de son époux „. Le convoi est aussi accompagné
de femmes appelées pleureuses qu'on loue à cet effet, et qui se
sont tellement exercées à ce métier, qu'elles imitent parfaitement
les gestes et les transports de la plus vive douleur (a). Après la

Telles sont les couronnes nuptiales et funéraires qu'on voit sur un bas-
relief de M.r de Peyssonel , où Memius mort et couronné par son fils ,
et par quelques-uns de ses plus proches parens , couronne sa femme
Neiopolis qui était morte avant lui. Voyez Caylus , Antlq. Grecques ,
Pi. 74 , et Guys, Voyage etc. T. I. Lett. XVIII, Périclés qui, au dire
de Plutarque , n'avait pas versé une seule larme à la mort de la plupart
de ses enfans et de ses plus proches parens que la peste avait moisson-
nés, répandit un torrent de larmes lorsqu'il dut poser la couronne de
fleurs sur la tête du dernier de ses enfans , que la mort venait de lui
enlever.
(1) L'usage de cette prière et de quelques autres donne à présumer
que si les Grecs n'admettent point un Purgatoire dans le sens des Ca-
, reconnaissent au moins un lieu , où les âmes des élus sont
tholiquesils
plus au moins retenues , avant de pouvoir entrer dans le séjour des bien-
heureux. Ce lieu , selon les Chrétiens d'orient , n'est autre chose que
Y En fer , c'est-à-dire une noire et horrible prison , où sont renfermées
les âmes des pécheurs , et d'où les moins coupables peuvent être tirées
par la miséricorde divine. V. le livre de Pierre Arcadius de Corcyre ,
Utrum àetur Purgatorium , et an illud sit per ignem. Romae Typ.
Congreg. de Prop. 1717 in 4°
(2) Relativement à ces pleureuses , voyez Pouqueville Voyage en Mo-
rée etc. T. I. chap. XXX. où il fait la description des funérailles d'un
Geronte ou Codia-bachi. S.1 Jean Chrysostôme reproche aux Grecs de
son terns leurs pleureuses, et la vaine ostentation d'un deuil le plus sou-
de Là CaicE. 55 r

célébration de l'office des morts à l'église , chacun des assistant


baise d'abord le crucifix , puis le mort à la bouche et au front ;
on mange ensuite un petit morceau de pain , et l'on boit un verre
de vin, en fesant des vœux pour le repos de l'âme du défunt,
et pour la consolation de sa famille. La cérémonie se termine or-»
dinairement par un festin que donne le plus proche parent du mort ft
comme cela se pratiquait chez les anciens Grecs. '
Telles sont en général les cérémonies qui accompagnent les Beievtptïm
funérailles; mais la célébration s'en fait avec plus ou moins de enterrement.
pompe, en Grèce comme ailleurs, selon la condition du défunt,
et les moyens de sa famille. Tournefort , en parlant des obsèques
d'une riche dame de Milo , dont il fut témoin , dit que le convoi
était précédé de deux jeunes paysans, dont chacun portait une croix
de bois: venait ensuite un Papas en tunique blanche, et accompagné
de quelques autres Papas avec des étoles de diverses couleurs. La dame
était revêtue de ses habits de noce, et avait le visage découvert.
Le mari suivait le corps d'un air profondément affligé , et soutenu
par des personnes de marque qui tâchaient de le consoler, quoique
pourtant quelques-uns des spectateurs dissent tout bas que son épouse
était morte des chagrins qu'il lui avait causés. Après le mari ve-
naient successivement une fille de la défunte, qui était grande et
bien faite , ses sœurs et quelques-unes de ses parentes, les cheveux
épars, et soutenues aussi par leurs amies. Cet écrivain observe , qu'au
lieu des habits noirs que nous prenons dans ces sortes d'occasions,
les femmes Grecques se mettent au contraire leurs plus beaux vê-
temens, sans que ce contraste les empêche de se livrer à tous le3
transports de la douleur la plus violente. Lorsque le convoi fut
arrivé à l'église, les Papas récitèrent à voix haute l'office des
morts, tandis que des prêtres du bas clergé récitaient tout bas au
pied du cercueil quelques pseaumes de David. L'office fini, on
distribua douze pains et autant de flacons de vin à des pauvres
qui étaient à la porte de l'église. Chacun des Papas eut dix sous
de Venise, et l'Evèque qui avait accompagné le corps reçut un
écu et demi. Après cette distribution, l'un des Papas mit sur la
poitrine de la défunte un fragment de vase de terre , sur lequel

vent affecté. Serm. 62 in Joann. Ces pleureuses sont en outre chargées


de faire l'éloge du défunt en l'accompagnant de fréquentes apostrophes
qu'elles adressent tantôt au cadavre et tantôt aux spectateurs.
55a Religion

on avait gravé avec la pointe d'un couteau l'image de la Croix


avec ces lettres initiales I. N. B. I. , qui signifient en latin Je-
sus Nazarenus Rex Judœorum. Cette cérémonie fut suivie du der-
nier adieu à la défunte. Telles sont les principales circonstances
que remarqua Tournefort (i). Le tems de deuil chez les Grecs,
est long, surtout pour les parens qui pleurent la mort d'un en-
fant: usage dont Torigine est très-ancienne chez ce peuple. On lit
en effet qu'Eschine fit un crime à Deraosthène d'avoir paru en pu-
blic, sept jours après la mort de sa fille, la tête couronnée de
fleurs, et habillé de blanc comme les jours de fête; tant il est
vrai que les Grecs, de quelque côté qu'on veuille les envisager ,
sont toujours les mêmes. Nous avons omis dans la description des céré-
monies qui accompagnent les fenérailles des Grecs modernes, quel-
ques circonstances d'une moindre importance , que les curienx trou-
veront rapportées au long dans le grand ouvrage de Picart.
Sépultures. Les sépultures des Grecs, comme chez les Turcs et les autres
peuples de l'orient, sont hors des lieux habités, et le long des
grands chemins (a). Quoique non entourées de murs, elles n'en

(i) Tournefort , Voy. au Levant, Lett. 3, observe que le jour des


funérailles on ne célèbre pas la messe des morts; mais que les jours sui-
•vans il s'en dit une quantité dans diverses églises à sept sous de Venise
l'une. Il ajoute qu'à la fin de la cérémonie on fait une distribution de
pain, de riz bouilli, de vin et de fruits secs. Cet usage, connu sous le
nom de ffvrepva, , est très-ancien chez les Grecs , et se renouvelle avec
plus de solennité le vendredi qui précède le carême de l'avent , le ven-
dredi saint, et le vendredi avant la Pentecôte , qui sont les jours consacrés
dans l'église Grecque à la commémoration des morts. Ricaut et Tourne-
fort rapportent en outre que neuf purs après les funérailles , les parens
du défunt envoient à l'église un grand bassin de froment bouilli , avec
des amendes , des rasins secs , des grenades , du sésame et des herbes
odoriférantes alentour. Au milieu du bassin est un pain de sucre sur-
monté d'un bouquet de fleurs artificielles. Cette offrande, appelée Colyra ,
est faite pour rappeler aux fidèles la résurrection des morts , suivant
ces paroles du Rédempteur chap. XII de l'Evangile de S.1 Jean: Dico
vobis , nisi granum frumenti cadens in terram mortuum fuerit , ipsum
œolum manet; si aubem mortuum fuerit , multum fructum affert. On lit
dans le voyage deGuys,Tom. I.er pag. 282 , une belle description des fu •
nérailles d'un jeune et riche Grec , mort aux environs de Constantin ople.
(2) De cette manière la demeure des morts est séparée de celle
des vivans. Il était rigoureusement défendu, chez les anciens Grecs , d'en-
be la Grèce. 553

sont pas moins un asile inviolable et sacré. Les fosses sont recou-
vertes d'une pierre, avec une épitaphe et quelques orneraens qui
indiquent l'état et la profession du défunt. Ces épitaphes respirent
encore une simplicité antique. Il y a de ces tombeaux qui sont
décorés de petites colonnes, sur lesquelles est gravé le nom de celui
qu'ils renferment. L'usage s'est perpétué de les entourer de jeunes
ormeaux, qui forment avec le tems de jolis bosquets. Ils rappellent en
quelque sorte ce qu'Homère fait dire à Andromaque, que les Nym-
phes des montagnes entourèrent d'ormeaux le tombeau d'Action. Aux
fêles de Pâques, que les Grecs célèbrent par des réjouissances,
des festins et des danses publiques, il est un jour où ils vont eu
foule à leurs cimetières, pour y pleurer leurs parens , leurs amis,
et peut-être môme la perte de leur liberté (i). Mais à ces mar-
ques de douleur, il n'est pas rare de voir succéder des danses où
règne la plus grande gaieté (a).
Nous avons déjà dit quelque chose de l'eucharistie , et nous Sacrement

en parlerons encore à l'article de la messe. Nous passerons mainte- de r ordre.

nant au sacrement de l'ordre; et sans nous arrêter aux petites va-


riétés que l'ignorance ou l'esprit
de nouveauté ont introduit dans
quelques églises Grecques 3 nous allons donner , d'après Ficart, un

terrer les morts dans les temples ni dans les villes , et cet usage est
aujourd'hui généralement observé chez tous les peuples civilisés. Il est
dit également dans les douze tables des lois Romaines : Hominem mor-
tuum in urbe ne sepelibo , neve urito. Strabon , Gèograph. liv. 16, en
parlant des Arabes s'exprime ainsi: Morbua corpora haud magis quant,
stercus putant; ( quo sensu Heraclibus âixlb , cadavera hpminum magis
abjicienda foras , quam stercora ) ; quapropber Pièges etiam in sberqui-
liniis defodiuntur.
(1) Guys dit que les femmes Grecques se bornent maintenant à s'ar-
racher les cheveux sur les tombeaux de leurs parens et de leurs amis ,
tandis qu'autrefois elles coupaient leurs longues tresses , comme pour faire
au défunt un sacrifice de l'ornement dont elles sont le plus jalouses.
(2) Cet usage nous rappelle le fameux paysage peint par le Pous*
sin , où l'on voit des bergères d'Arcaciie suspendre tout-à-coup leurs
danses champêtres à l'aspect du tombeau d'une de leurs compagnes
■morte à la fleur de son âge , sur lequel elles lisent cette inscriptioa
«impie qui fait évanouir leur gaieté.: Et in Arcadia ego. Pouquev. Voyag
etc. T. I. Lebb. XIX.
554 Religion
abrégé succinct de ce qui est rapporté à ce sujet dans le pontifical
Grec d'Habert , et dans VEuchologion , ou Rituel de Goar. Les
ordres mineurs chez les Grecs sont ceux, de Lecteur, de Chan-
Ordination tre , et de Sous-diacre. Dans l'ordination, le lecteur se présente
à l'Evêque la tète nue, et avec l'habillement de clerc, c'est-à-
dire, en habit noir et modeste, et si c'est un moine, avec l'habit
appelé dans le pontifical manclyas , lequel est une espèce de man-
teau qui descend jusqu'aux pieds (i). L'évèque bénit trois fois le
candidat , auquel on coupe ensuite les cheveux en forme de croix ,
en même tems qu'on lui fait la tonsure cléricale. Après cela le
candidat, s'il n'est pas moine, reçoit de l'Evêque le Phenolium ,
mot par lequel on entend généralement la chasuble, mais qui, se-
lon Arcudius, n'est qu'une espèce de tunique ou de robe longue.
L'évèque fait de nouveau trois fois le signe de la croix sur la
tête du candidat , lui impose les mains et prie pour lui : ensuite
il lui met entre les mains l'Ecriture Sainte, où le nouvel ordonné
Oràinaiwi ^°^ ''re quelque verset. Il n'y a d'autre différence entre l'ordi-
du, chamre. nation du lecteur et celle du chantre, si ce n'est que celui-ci
chante ce que l'autre ne fait que lire. Le Chantre qui aspire
Ordination au Sous-Diaconat se présente à l'Evêque avec le Phenolium , ou
iuSous-duure. avec je Mandyas ë\ c>est un moine. Il reçoit alors le
Sticharium,
espèce de tunique blanche faite de lin, qui correspond à l'aube
ou au surplis des Latins, et se serre avec une ceinture ou un cor-
don. L'Evêque se fait ensuite apporter un bassin plein d'eau avec
une serviette 5 et après avoir fait trois fois le signe de la croix sur
la tête de l'ordinand , en lui imposant les mains et en récitant
des prières, il lui met la serviette sur l'épaule gauche, et lui
donne le bassin. L'ordinand baise ensuite îa main droite à l'Evêque,
et lui verse de l'eau sur les mains. Après cette cérémonie, il re-
çoit la bénédiction , et récite trois fois le Trisagium , hymne ainsi
appelé parce qu'il commence par le mot anoç , ou saint, qui se
répète trois fois. Les fonctions du Sous-Diacre consistent princi-

(0 Voici la description que donne Goar du Mandyas dans le Ri-


tuel Grec. Mandyas .... exterior est monachorum vestis , ex hume ris
ad pedes usque defiuens totum corpus ambit , et a parte solum ante*
riori est aperta : quant quidem Pontifices retinent , quia sunt e mona-
chorum coetu assumpti.
de la Grège. 555

paiement à présenter au célébrant l'eau pour se laver , et la ser-


viette pour s'essuyer. IL est eu outre chargé d'allumer les lam-
pes , et de veiller à ce que tout soit propre et à sa place dans
l'église.
Dans l'ordination du Diacre, on commence par lui ôter la ser- ord'nmiaa.
viette qu'il porte sur l'épaule. L'ordinand , revêtu de la Daïma- du Diacre,
tique, qui est aussi une espèce de tunique blanche, et porte en
effet cette dénomination dans certaines variantes des Actes de

S.tCyprien, s'agenouille ensuite devant la sainte table, et reçoit


de FEvèque l'imposition des mains, accompagnée de prières ana-
logues. L'Evèque lui place ensuite VOrario en travers de l'épaule
gauche, et lui remet l'éventail dont se sert le diacre pour chasser
les insectes de la sainte table pendant la messe, puis il lui donne
un baiser. Les autres diacres viennent aussi embrasser leur nou-
veau confrère, qui entre aussitôt en exercice. Les fonctions du dia-
cre dans l'église Grecque sont à-peu-près les mômes que dans
l'église Latine. ... L'ordination du ...
Prêtre se fait de la manière..sui- „ ,
Ordiiiatiou
vante. Deux diacres conduisent l'ordinand aux portes saintes, et du ftftw-
l'y remettent entre les mains des prêtres. Le Protopapas, ou celui
qui, par ancienneté, vient après lui, l'accompagnent trois fois au-
tour de l'autel en chantant l'hymne des martyrs (j): cérémonie qui
se fait également dans les deux ordinations précédentes. L'ordi-
nand se met ensuite à genoux: l'Evoque lui fait plusieurs fois le

(i) Les prêtres , dans l'église Grecque comme dans la Latine , se


divisent en séculiers et réguliers. Les Papas ne sont à proprement parler
que des prêtres séculiers; et ils ne peuvent parvenir qu'à la dignité de
Protopapas , ou de Curés- Archiprêtres. Celle d'Evêque , d'Archevêque
et de Patriarche ne se confère en général qu'aux moines qui sont prêtres 9
ou aux prêtres réguliers. Ces derniers deviennent ensuite moines sacrés
( Hièromonaques , ) et alors ils ne célèbrent la messe que dans les grandes
solennités. Le service journalier de l'église dans les couvens se fait par
■conséquent par quelque Papas II y a également divers grades dans ces
couvens. ~V Archimandrite , ou pasteur , qu'on appelle aussi Hegumeno
ou chef, en est l'abbé; le supérieur du couvent est pris au choix, et
ses fonctions ne durent que deux ans. Les Archimandrites sont sous la
juridiction de YEscarque , dont le .grade a beaucoup de rapports ave^c celui
de Général des moines Latins. Quant aux diverses significations du mot
S£**j>jgO£ il faut consulter Kabert Pentif. etc. pajg* 586.
556 Religion
signe de la croix sur la tête , et lui impose la main droite en pronon-
çant ces paroles: la Grâce Divine, qui guérit toujours les choses in-
firmes ,et perfectionne celles qui sont imparfaites , élève à l'ordre
de la prêtrise le Révérend Diacre IV. : prions donc etc.: cette for-
mule, à quelques variétés près, sert aussi pour le Diaconat. Les
devoirs du prêtre, tels que la célébration de la messe, la prédica-
tion etc. sont rappelés dans une de ces prières. L'évoque l'ayant
fait lever lui met sur l'épaule droite la partie de dessous de YOra-
rio (i) , puis il lui donne V E pimanicium ou manipule (a), et
l' Epitrachelium , ornement de lia ou autre matière, dont le prê-
tre , selon Habert , s'enveloppe la tête ou simplement le cou , et
qu'Erasme dans la liturgie de S.1 Chrysostôme désigne sous le nom
de Cervicale , d'autres sous celui de Collier et même d'étole (3), et

(i) h' Orario est à proprement parler la marque distinctive du dia-


conat ,et consiste en une espèce d'étole , ou bande blanche , sur laquelle
est écrit ou brodé trois fois le mot ayioç , qui signifie saint , et se
porte en travers des épaules de droite à gauche. Le diacre qui en est
revêtu en lève un des bouts de la main droite , pour inviter au silence
ou demander attention. Le mot orarium , quoique latin , fut aussi adopté
par les Grecs , et dérive du mot os , ris , qui veut dire bouche , parce
qu'il servait à l'essuyer chez les Latins. Voici comment Habert s'explique
à ce sujet, Pontif , pag. n. ^ commuai igitur Orario , sacrum nuncu-
patum est, quod erat etiam apud veteres non intégra ac tota vestis ,
prout quidam autumarunt , sed instita quaedam ac fascia oblongior hu-
mero sinistro diaconi imposita , supra Dalmaticam , ut docet S. Ger-
tnanus in Theoria ; quam deoctra prehendere diaconus consueverat , cum
solemniter aliquid ageret , loqueretur , ac nuntiaret : ad modum scilicet
orariarum , quibus in altum sublatis favere , seu favoris signum obten-
dere dicebatur populus , ut est apud Aureliani Imperatoris historicum.
(2) Les prêtres Grecs portent deux manipules , l'un au bras droit
sur lequel est représentée en peinture ou en broderie l'image du Sau-
veur ,et l'autre au bras gauche. Ge n'est maintenant qu'aux Pontifes
qu'il est permis de porter ces deux ornemens. Le manipule des Grecs
s'appelle aussi jxavdvhiov , ou serviette , et les pètres s'en servaient an-
ciennement pour s'essuyer la sueur, et pour nétoyer les vases durant la
célébration des saints mystères.
(5) Y? é tôle sacerdotale dont il s'agit ici est plus large que V orario :
et n'offre point le mot ayioç. Le prêtre la porte croisée sur la poitrine,
et le Diacre laisse flotter Yorario. On entendait par le mot ètole chez les
de là Grèce. 58y.
qui est l'amict des prêtres latins. Enfin le nouveau prêtre est re-
vêtu du Phenoïium proprement dit, c'est-à-dire de la chasuble.
L'Evêque termine la cérémonie par baiser l'autel , ce que font aussi
les prêtres, qui baisent en outre la main droite et une joue à l'Eve-
que, après quoi ils s'embrassent entr'eux.
Le prêtre qui doit être promu à la dignité d'Evêque, est remis Ordination
par ses confrères entre les mains de deux prélats, appelés apxiepeiï ,
ou pontifices primaril dans le Pontifical. Après les cérémonies pré-
liminaires ,qui sont les mêmes que dans les ordinations précéden-
tes jle Chartophylaoc , ou Y Archiviste , présente au Patriarche, ou à
son défaut à l'Evêque consacrant le Contacium , qui est un petit
recueil d'actes, de formules et autres choses semblables concernant
le sacre d'un Evêque (1). Le Patriarche prend de la main gauche
le Contacium 3 et mettant la main droite sur la tête de l'ordînand
il lit la formule du sacre, puis il lui pose sur la tête le livre
d'Evangiles ouvert 3 pour lui faire entendre qu'il est sous le joug de
l'Evangile (a). Les Evêques assistans , dont le nombre n'est point
déterminé dans l'église Grecque pour cette ordination, touchent
tous ensemble ce livre. Cette cérémonie n'a lieu cependant qu'après
que ces mêmes Evêques ont touché la tête de l'ordînand , tandis que
le Patriarche fait trois fois sirr lui le signe de la croix. Après avoir
récité les prières d'usage , que nous nous abstenons de rapporter
pour plus de brièveté , et remis l'Evangile sur l'autel 3 le Patriar-

anciens Grecs et les Latins une robe de femme ou de matrone ; et lors-


qu'ils parlaient d'ornemens sacrés, ils comprenaient sous cette dénomina-
tion toute espèce d'habits sacerdotaux : c'est également dans ce sens que
le mot ètole est pris au chap. 2.8 de l'Exode.
(1) Voy, Habert pontif. pag. 5g. Peut-être que le Contacium n'est
plus usité aujourd'hui. L'état présent des Grecs a ouvert la porte au dé-
sordre et à la négligence dans toutes leurs élections. C'est pourquoi nous
n'avons fait mention ici que des principales cérémonies concernant les
ordinations d'après le Pontifical, non comme elles sont présentement _,
mais comme elles devraient être; et nous en ferons de même pour celles
que nous rapporterons au sujet de la messe. Voy. Picart Torn. III.
pag. i3a.
(2) On trouve dans le Pont. Gr, , pag, 5g, un beau morceau de
S.1 Jean Chrysostôme sur cette cérémonie.
558 HeligIon

che donne le Pal/iwn à l'ordinand (i). Toutes ces cérémonies sont


accompagnées des chants du choeur, et suivies du baiser de paix dont
nous venons de parler à l'ordre de la prêtrise; et elles se termi-
nent par des bénédictions , dans le nombre desquelles les Empereurs
donnaient aussi la leur. Le nouvel Evoque reçoit la bénédiction du
Patriarche, et s'assied ensuite à sa droite sur le siège épiscopal (a).
Nous passons sous silence plusieurs autres cérémonies moins impor-
tantes, qu'on peut voir dans le pontifical d'Habert , et dans l'En-
coiogie ou Rituel de Goar , pour nous arrêter à d'autres circons-
Bénédiction
■épiscopale. tances, d'un plus grand intérêt pour le costume. Premièrement , les
Evêques, dans l'église Grecque, ne donnent point la bénédiction
de l'autel, mais sur la porte du sanctuaire, et aussitôt après la
communion générale; et les assistans la reçoivent sans fléchir le ge-
nou (3). L'Evêque en la donnant ne fait pas seulement le signe
de la croix, mais encore il plie les doigts de manière à représenter
ie nom de Jésus Christ , en figurant les lettres IG. XG. Secondement,
les Grecs ne font aucune onction dans la consécration des Prêtres et
P Siemens des Evêques. Troisièmement , outre le pallium et les autres vêtemens
4.VLX Evêques ,
propres sacerdotaux dont nous venons de faire mention, il en est deux autres
au Patriarche
et aux
particuliers aux Evêques, savoir; V Epigonaùum , appelé Super gon-
metropoiiums. naie (jang ja version de la Liturgie de S.! Ghrysostôme, lequel est une

(i) Dans l'église Grecque les Evêques ont tous le droit de porter
ïe pallium. Les Grecs lui donnaient le nom de £h[LO<popiov > mot qui
signifie en Latin humerai ou ornement à couvrir les épaules ; il est en
laine , et regardé comme l'emblème de la brebis égarée que trouva le
Seigneur , et qu'il rapporta au bercail sur ses épaules. L'ancien pallium ,
tel qu'il est usité aujourd'hui chez les Grecs , a la forme d'une longue
bande parsemée de croix ou d'images sacrées. Il pend le long du dos et
sur la poitrine , et descend au dessous du genou.
(2) Selon le Pontifical Grec , le trône de l'Evêque était anciennement
placé prés de la sainte table, ou de l'autel. C'est pourquoi S.1 Athauase
( Epist. ad solllar. ) cite parmi les choses sacrées la sainte table de bois ,
le trône et les cscabelles ou bancs , c'est-à-dire les sièges des prêtres
qui. assistent l'Evêque.
{5) Apud Graec&s tamen non ita frequens est gcnufiexio^ et quia
mos antiquus standi in diebus dominicis aliisque solemnibus observatur^
in quibus benedici solet , raro aut nunquam ad benedictionem susci-
pieMdam populus ^enujlectit. Habert, Pontifie, pag. Soi,
de la Grèce. 55o,

espèce de draperie carrée qui pend des reins sur les genoux, et repré-
sente, selon le Pontifical, le linge avec lequel le Rédempteur essuya
les pieds à ses Apôtres ; et la chappe , appelée chez les Grecs Mandyas 5
nom commun aux autres vêtemens sacerdotaux comme on l'a vu
plus haut, laquelle a la forme de celle des Latins, mais diffère
de celle des simples prêtres par certaines bandes rouges et blan-
ches appelées rivières , qui sont tissues dans toute sa longueur.- Ces
bandes se voient également quelquefois sur la tunique et autres vê-
temens des Evêques (i). Nous remarquerons aussi que celle des
Evêques est toute panemée de croix , et se nomme pour cela Polys^
taurium , qui veut dire tissue à plusieurs croix. Les Patriarches et
les Archevêques ou Métropolitains portent en outre une espèce de
camisole courte et sans manche appelée aaxxoç , ou sac , par allu-
sion au sac ou à la robe dont le Rédempteur fut revêtu par dé-
rision. Le Polystaur'ium du Patriarche 3 outre ces croix, est encore
parsemé de triangles, qui signifient la pierre angulaire , ou Jésus
Christ.
Les ornemens sacrés dont nous venons de parler sont à-peu-près Anneau,
les mêmes que chez les Latins. On pourrait nous demander mainte- "^L'oT"
nant si les Evêques Grecs portent comme ceux-ci l'anneau, la croix
sur la poitrine > la mitre et le bâton pontifical. Selon Pachimère ,
les Evêques d'orient qui se présentèrent au Pape Grégoire X en
qualité d'ambassadeurs,, étaient décorés de ces ornemens. Cepen-
dant j,l'usage n'en parait pas général parmi eux, excepté le bâton,
et la croix qui, selon Goar s se donne à l'Evêque après le pallium9
laquelle est remplie des reliques, et suspendue à une petite chaîne,
qui pour cela s'appelle eyolmov. Les Evêques Grecs étant pris parmi
les moines n'ont pour coiffure que leur capuchon: ce qui fait qu'à
la consécration, au lieu de la mitre on leur donne l'Evangile, se-
lon la Liturgie de S.1 Chrysostôme (a).

(i) On trouve dans le Rituel Grec que ces bandes signifient la


grâce de la prédication } et qu'on leur a donné le nom de rivières , par
allusion à ces paroles du Christ dans l'Evangile Qiti crédit in me , flu-
mina de ventre ejus fluent aquae vivae.
(2) Les Patriarches d'Alexandrie portent néanmoins la mitre , peut-
être en mémoire du Patriarche S.* Cyrile , qui avait présidé le concile
d'Ephése à la place du Pape Célestin , et s'y était montré avec tous les
56o Religion

oïtificlu L'usage du bâton pontifical , qui est comme l'emblème de la


sollicitude paternelle et de l'autorité spirituelle, est encore très-
ancien chez les Grecs ; il n'est pas porté seulement par leurs
Evêques, mais encore par les Archimandrites et les Exarques fdes
monastères ; et Godin nous assure qu'il était anciennement con-
féré par l'Empereur. Cependant le bâton monastique est ordi-
nairement plus petit que l'épiscopal , et en ébène incrustée d'ivoire
au lieu d'être en argent. Son extrémité supérieure , où pose la main ,
est surmontée d'uu morceau d'ivoire ou autre matière, placé en tra-
vers en forme de croix , et dont les deux bouts se recourbent en
haut comme des crochets , ou sous la figure de serpens qui se regar-
dent l'un l'autre. Les Prélats Grecs portent ce bâton en voyage et
même lorsqu'ils vont se promener. Voy. la planche 86 n.° i, où
est représenté le Patriarche de Gonstantinople au pied de son trône,
sans l'habit pontifical , et donnant sa bénédiction. On voit encore
au n.° 7 de la planche 89 ce Patriarche en habit de voyage.
11 est néanmoins à remarquer que, dans certaines fonctions , l'Evo-
que porte un bâton fort-long, et qui se termine par une espèce de
pomme , dont on peut voir la figure au n.° 1 de la planche 86 ,
qui représente un Evêque allant à la bénédiction des eaux. Le
Patriarche ( n.° 7 ) est remarquable par les deux capuchons placés
l'un sur l'autre qui lui couvrent la tête , et ont la même forme
que ceux des rcsoines. Il porte le Mandyas , et tient d'une main
îe chapeau sur lequel est brodée une croix en or.
i» Election
Palsiarehs.g003 }es Empereurs
*■ Grecs l'élection du Patriarche se fesait de
la manière suivante. Les Archevêques et les Evêques présentaient
à l'Empereur trois candidats, parmi lesquels il nommait le nou-
veau Patriarche. Le candidat élu était conduit devant l'Empereur ,
qui était assis sur son trône, revêtu des ornemens impériaux, et
entouré de toute sa cour. Un des Grands le prenant par la main,
l'accompagnait devant l'estrade sur laquelle s'élevait le trône. Alors
«o héraut présentait le bâton pontifical à l'Empereur, qui, les
yeux fixés sur le Patriarche , prononçait à haute voix ces paroles :

ornemens du Pontife de Rome. Quelques écrivains assurent aussi que le


patriarche de Constantinople , pour affecter peut-être une dignité sem-
blable àcelle du Pape , porte la tiare surmontée d'une couronne et de
quatre «roix. V. Goar j Rituel, pag. a5o^
ôe la GrIce. 56 1

En vertu du pouvoir qui nous a été donné par la Très-sainte Tri-


nité , vous êtes nommé Archevêque et Patriarche œcuménique de Cons*
tantinople , nouvelle Rome. Ces mots étaient suivis d'acclamations B
pendant lesquelles le Patriarche s'avançant au pied du trône rece-
vait des mains du Monarque le bâton pontifical, et allait ensuite
se placer sur le siège ou espèce de trône, qui lui était destiné vis-
à-vis celui de l'Empereur. Après de nouvelles acclamations, le Pa-
triarche ,monté sur un cheval couvert d'une grande housse blanche,
et suivi des Grands de la cour en habits de cérémonie , était con-
duit au temple de Sainte Sophie. Là, en présence de l'Empereur Son sacre.,
il était sacré par l'Archevêque d'Héraclée, qui, dans les premiers
terns de l'église , avait été métropolitain de Bysance , appelée depuis
Constantinople. Le sacre se fesait à-peu-près avec les mêmes céré-
monies que celui des Evêques , excepté que devant le Patriarche %
comme devant les Empereurs , on portait une torche on une lampe
allumée: cérémonie qui a lieu également dans toutes les fonctions-
patriarchales. Ce Patriarche , comme nous l'avons vu plus haut , ne
peut prendre possession de sa charge qu'au moyen de sommes con-
sidérables qu'il
, est obligé de payer au Grand Seigneur et à ses
ministres (i). Mahomet II, qui rit la conquête de Constantinople,

(i) Voici quelques particularités rapportées sur cet article par Picarfe
Tom. III. pag. 76, et par le P, Simon, Biblloth. Critique tom, I. chap. a3.
Le Patriarche Metodius , déposé en 1670 par l'effet des intrigues de Par-
thenius , trouva le siège patriarchal endetté d'une somme de plus de trois
cent mille écus. Il en remboursa deux cent mille les deux premières année3
de son pontificat, c'est-à-dire depuis 1667 jusqu'à 1670. Parthenius, qui
lui succéda , fut obligé d'en payer cent mille au Grand Seigneur et aux
ministres , et ses brigues lui en coûtèrent cent mille autres. Ainsi son
élection vint à lui coûter deux cent mille écus, qui, avec les cent mille
dont Metodius était encore redevable , et les intérêts énormes de tout le
capital , formaient la dette totale de l'église. Dans ces sortes d'occasions t
le Patriarche fait des emprunts au 40 et même au 5o pour cent d'intérêt j
et les Turcs, à peine remboursés, s'empressent de provoquer la nomina-
tion d'un autre métropolitain pour lui offrir de l'argent au même prix.
Le revenu du patriarchat de Constantinople est d'environ quarante
mille écus par an. Cette somme provient, i.° de la nomination, ou pour
mieux dire de la vente des Evêchés et des bénéfices vacans ; 2.0 d'une
rétribution annuelle des Èvêques , des curés , des monastères , et même
des simples prêtres , qui , à Constantinople , payent au Patriarche un éeu
Europe. Vol J. ni
56a Religion
avait accordé de grands honneurs à Gennadius, premier Patriar-
che de Bysance après la conquête. Il lui remit lui-même le bâton
pastoral, lui fit présent d'un riche pailium, d'un cafetan de zi-
beline, qui dans le levant est la tunique des Grands, d'un cheval
blanc , et lui assura une pension considérable. Il lui permit en
outre d'aller à cheval par la ville, et de porter la croix d'or sur
le chapeau patriarchal , lui donna même quelqu'autorité sur le
temporel des Grecs. Trois Patriarches jouirent successivement de
ces privilèges. Ioasaf, le dernier d'entr'eux , fut déposé par ordre
de Mahomet, qui lui fit en même tems raser la barbe: ce qui est
une marque d'infamie pour les moines et les Evêques Grecs. Il eut
pour successeur un certain Marc Chilo Carabes, homme ignorant et

par an ; 3.° de la même taxe sur les mariages des Grecs dans la même
ville , taxe qui est du double ou du triple lorsqu'il s'agit d'un mariage en
secondes ou troisièmes noces; 4.0 de la succession des prêtres qui meurent
Sans enfans, et dont le Patriarche est héritier de droit; 5.° des legs de tout
genre , que lui font quelques riches avant de mourir ; 6° de plusieurs
autres petites sommes provenant des aumônes, des carêmes et autres
causes ^semblables. Toutes ces ressources formeraient un revenu considé-
rable ,si le produit ne devait pas en passer par tant de mains , avant
d'arriver dans celles du Patriarche.
Après lui , le plus riche est le Patriarche de Jérusalem. Ce prélat se
fait tous les ans une forte somme au moyen du Feu Saint , qui est une
cérémonie où il y a plus de bizarrerie que de dévotion. C'est une opinion
établie chez les Grecs que , tous les ans au samedi saint, Dieu envoie
du ciel un feu dans le saint sépulcre. Les Grecs s'y portent en foule pour
.allumer à ce feu sacré un cierge ou une lampe. Mais nul ne peut entrer
dans cette enceinte qu'en payant une somme convenue au Patriarche. L'em-
pressement des dévots pour y entrer est tel, qu'ils se jettent les uns sur
les autres, s'injurient, se battent et renversent le Patriarche et les Evê-
ques de sa suite. Les efforts de la garde Turque sont vains pour appai-
ser le tumulte , et la cérémonie ne se termine pas sans qu'il y ait du
sang de versé, et même quelque dévot de tué. On peut voir la descrip-
tion qu'en donne Picart à la pag. 143 de son III. e vol. Le plus pauvre
des Patriarches Grecs est celui d'Antioche. Le Patriarche dAlexandrie
jouit d'un grand crédit dans l'ordre ecclésiastique , et se fait craindre par
sa censure. Il est, ainsi que celui de Jérusalem, moins exposé que celui
de Constantinople à l'avarice des Turcs ; aussi régne-t-il plus de liberté
4&AS leur ékction.
de la Grèce. 563

plein d'orgueil , qui , pour parvenir au Patriarchat , consentit non


seulement à renoncer à la pension , mais même à payer un tri-
but au Grand Seigneur, lequel, dans son indignation, révoqua
tous les privilèges qui avaient été accordés à l'église Grecque.
Depuis lors, le Patriarchat ne fut plus qu'un objet de conquête,
qui s'obtenait par l'intrigue, par la bassesse, et par la plus infâme
simonie. Néanmoins le Grand Seigneur est encore dans l'usage de
donner au nouveau Patriarche une haquenée, un capuchon noir,
nn bâton pontifical et un cafetan brodé. Ce Patriarche, suivi de
son clergé, d'officiers Turcs et d'une escorte de Janissaires, se rend
à l'église Patriarchale , à la porte de laquelle il est reçu par les
Métropolitains, qui ont chacun à la main un cierge allumé (i), et
l'introduisent dans l'église. L'Archevêque d'Héraclée , revêtu de ses
habits pontificaux , le prend par la main , le conduit à la chaire
patriarchale, et le présente au peuple comme son Patriarche cano-
niquement élu. Après diverses prières , le même Archevêque lui re-
met la croix et les autres ornemens Pontificaux, aux acclamations
réitérées de la multitude. La cérémonie se termine par une Messe
qui est célébrée avec toute la pompe qu'on y met dans les plus
grandes solennités (i). La cour du Patriarche se compose de plu-
sieurs dignités spirituelles et temporelles, dont Picart et Goar don-
nent le détail.

(i) Les Janissaires et les officiers Turcs accompagnent l'élu , moins


comme un Patriarche que comme un esclave. Arrivés à la porte de l'église ,
ils font lire quelques décrets , portant l'ordre de le reconnaître, de pour-
voir à son entretien , et de payer les dettes , sous peine de la baston-
nade ,de la confiscation des biens et de l'interdiction.
(2) Cyrile Lucar , dans une de ses lettres que l'auteur des Monu-
mens authentiques de la religion des Grecs a fait imprimer en 1708 ,
dit que le Patriarche élu se tient debout au milieu de l'église sur une
draperie où est représenté un aigln en peinture ou en broderie. La drape-
rie qui est sous ses pieds signifie qu'il doit mépriser et fouler de même
aux pieds la gloire du monde. L'aigle dont le vol est rapide et élevé,
l'avertit qu'il doit également s'élever au ciel par de saintes méditations.
Nous observerons en passant que les Grecs croient voir un sens mysti-
tique dans les moindres cérémonies religieuses : ce qui ne contribue pas
peu à les entretenir dans leur superstition. Un de leurs Evoques, par exem-
ple , prétendait qu'il y avait cinq Patriarches dans le corps de leur église ,
parce qu'il y a cinq sens dans le corps de l'homme.
564 Religion
Esiise. Avant de passer à la cérémonie de la Messe , nous croyons à
propos d'entrer dans quelques détails sur la forme des églises des
Grecs et de leurs autels , nous réservant d'en parler plus au long
et d'en présenter les dessins, lorsque nous traiterons de l'architec-
ture de ce peuple, Tournefort , en pariant des églises de Constan-
tinople , où l'on en comptait quarante du tems de Christ Angelo ,
dit « quelles sont généralement construites en forme de croix Grec-
«« que , c'est-à-dire carrées. Le chœur est toujours du côté de l'orient.
tt On voit encore d'anciennes églises qui ont deux nefs avec le toit
« en dos d'âne. Le clocher, qui est maintenant inutile, attendu
« qu'il n'y a plus de cloches, s'élève entre les deux toits sur le
« frontispice (i). Les Grecs ont conservé l'usage des coupoles qui
« est fort-ancien s et ne réussissent pas mal dans leur construc-
« tion. .... Quant aux églises des monastères , elles sont toujours
« situées au milieu des cloîtres La nef est maintenant la
« partie la plus grande dans ces églises : les fidèles y restent de-
a bout ou assis sur des espèces de sièges adossés au mur , et faits
« de manière qu'ils ont l'air d'y être en pied fa)j,. Près du sanc-
tuaire est le lieu destiné aux chantres et au clergé , excepté pen-
dant la messe ; ils y occupent dans l'ordre de leur hiérarchie trois
rangs de stalles, dont deux sur les côtés et vis-à-vis l'une de l'autre,
et la troisième en face du sanctuaire. La première de ces stalles,
Chaire dans la file de droite en entrant par le sanctuaire, est la chaire
çpiçecpule. épiscopale ; elle est plus élevée , plus ornée et plus grande que les
autres, comme le sont proportionnellement celles des autres digni-
taires : on y voit en outre un pupitre, sur lequel on lit les Saintes
écritures. La nef est séparée du sanctuaire par une cloison qui est

(i) L'usage des cloches chez les Grecs ne remonte pas au delà de
l'an 895, époque où un patricien de Venise en envoya quelques-unes en
présent à l'Empereur Michel , qui les fit placer sur la tour de Sainte So-r ,
phie. Avant cette époque on se servait de pièces de bois , de verges ou
lames de métal , qu'on frappait avec des marteaux pour appeler les fidèles
h l'église : usage fort-ancien , dont il est fait mention dans les Actes du
VII.e Concile œcuménique. Les Grecs ont dû le reprendre depuis que les
Turcs leur ont défendu de se servir des cloches , dont ils croient que le
son trouble le repos des morts. Voy. au n.° 5 de la planche 86 ces es-
pèces de cloches , telles qu'elles existent chez les Galogers.
£2) '£ournefort t J^oyag. au Levant. Lettre ///.
de t Crece. 565
peinte et dorée. Cette cloison a trois portés: on appelle la porte Forte»
r i i • 71 t du sanctuaire;
it
• celle
sainte i
du •!•
milieu qui•est en lace de la sainte tablQ ou du
maître-autel , et elle ne s'ouvre que dans les grandes solennités ,
lorsque le Diacre sort pour lire l'Evangile , ou quand le Prêtre
accompagné du Diacre porte les espèces pour la consécration ,
ou enfin pour la communion qui se fait à ^on entrée. Les deux
portes latérales , moins grandes que la première, sont vis-à-vis les
deux autels des côtés, dont nous parlerons plus bas. Le sanctuaire
est la partie la plus élevée dans l'intérieur de l'église , quoique
pourtant il n'y eût anciennement qu'un seul degré pour y monter.
Il a au fond la forme d'un demi-cercle, au milieu duquel est le
trône épiscopal , avec des sièges alentour pour le clergé durant la
célébration de la Messe. Il y a trois autels dans le sanctuaire.
On voit sur le plus grand , qui est au milieu , des chandeliers , la
Croix et le livre des Evangiles, qui dans le rite Grec reste tou-
jours au milieu de l'autel , et devant lequel brûle sans cesse une
lampe. Cet autel s'appelle sainte table, et ne sert que pour le Sainte table*
service divin. Aux termes du Rituel, il n'a proprement que la figure
d'une table à manger, soutenue par quatre pieds ou espèces de co-
lonnes qui renferment des reliques de martyrs, ensorte que le des-
sous en est parfaitement libre: construction qui explique de quelle
manière, au rapport de Socrate l'historien, Alexandre, Patriarche
d'Alexandrie, avait pu se mettre en prière sous la sainte table le
visage penché vers la terre, et comment cet espace vide pouvait offrir
un asile. Le Rituel place aussi sous la sainte table le sacrarium,
ou la piscine destinée à recevoir l'eau qui a servi au prêtre pour
se laver les mains, et à nétoyer les linges et ustensiles sacrés (i).
La sainte table se trouve sous une espèce de tabernacle ou de cou- TahemacU.
pôle soutenue par quatre colonnes (a) , auxquelles étaient attachés
anciennement les rideaux ou les courtines dont eile était en vélo p~

(i) On lit dans Godin , que Justin avait fait fabriquer en or et en


pierres précieuses la piscine de Sainte Sophie à Gonstantinople , et qu'on
montait à la sainte table par des degrés recouverts en lames d'or.
(2) Godin donne le nom de Ciborium à cette espèce de voûte ou de
coupole , et ajoute que Justinien avait fait construire en argent le ciborium
et les colonnes qui lui servaient de support dans l'église de Sainte Sophie,
Telle est la forme du maître-autel de l'église de S.1 Ambroise à Milan.
566 Religion
pée : on y voyait aussi alors une colombe en or, ou une petite
tour en argent, où l'on conservait l'Eucharistie, qui est déposée
maintenant dans un endroit appelé aproipopiov 9 consacré à cet usa-
ge, et qui est derrière l'autel. A droite de la sainte table est l'au-
Proihesis. teï nommé Upo^ecnç , ou table de la proposition , sur lequel
se font
l'offrande et la bénédiction du pain et du vin , et qui est en face
d'une des petites portes du sanctuaire (i). A gauche, est l'autel
Diaconicon. appelé kiaxovbnov , ou la table des Diacres, qui répond à la cré-
dence des Latins, sur lequel on dépose les vases, les livres sacrés
et les habits sacerdotaux , et qui est vis-à-vis de l'autre petite porte
du sanctuaire.
Ces notions préliminaires sur les églises et les autels des Grecs
étaient indispensables , pour donner plus de clarté à ce que nous
allons dire au sujet de îa Messe. Nous suivrons en cela strictement
la Liturgie de S.' Chrysostôme , et nous ne nous arrêterons qu'aux
choses les plus essentielles , pour ne pas tomber dans de fréquentes
et fastidieuses répétitions, qui seraient inévitables, s'il nous fallait
entrer dans des explications sur les prières multipliées qui se font
avant, pendant, et après la Messe, et particulièrement sur le sens
mystique que les Grecs y attachent. Les préparations du sacrement
Cérémonies
préparatoires semfont sur %
l'autel de la Prolhesis.
»>i Le Diacre y t porte le pain 3 le
1 t * i>
de la ivietse. vm , la patène et le calice. Apres les saluts et la bénédiction , le
prêtre prend de la main gauche le pain destiné à l'offrande, et de
îa droite le couteau avec lequel il fait une croix sur la partie con-
vexe du pain , qu'il coupe ensuite également en forme de croix en
vonsécra^on. quatre endroits, où l'on a imprimé avec un sceau les lettres initia-
les ÏC, XC, N, K: ces lettres, dont le sens est fyçoiç Xpiroç Nixà,
Jésus Christ vainquit , font allusion aux trois croix élevées par Cons-
tantin dans sa nouvelle ville, et sur chacune desquelles on lisait
ces paroles (a). Voy. les n.°* 3 et 4 de la planche 88 , qui sont

(1) On ne célèbre qu'une seule Messe par jour dans les églises Grec-
ques ,c'est pourquoi on n'y voit qu'un autel pour le sacrifice divin ; et si
pour un motif quelconque on y en construit un second , il est totalement
isolé , ou entouré d'un mur , et forme comme un oratoire , ou un supplé-
ment fait au corps de l'église. L'usage d'un seul autel chez les Grecs est très-
ancien , et Eusèbe l'appelle (lovoysrèç SrvaiaçTvpiov. V. Goar. Rit pag. i5.
(2) Les Grecs , comme nous l'avons observé , font usage du pain fer-
menté pour l'eucharistie. Ce pain est quelquefois carré , mais plus sou-
dé là Grèce. 56^
pris du Rituel Grec (i). Le prêtre enfonçant le couteau dans le
côté gauche du pain , au signal que lui en fait le Diacre avec1
YOrario 3 l'élève en disant , sa vie a été prise de la terre , puis il
le pose sur la patène , après quoi le Diacre lui dit , immolez Sei-
gneur : aussitôt il entame avec le couteau le côté droit du pain ,
en mémoire de la blessure qu'un des soldats ouvrit avec sa lance
dans le côté du Rédempteur; et le Diacre, par allusion au sang
et à l'eau qui sortirent de cette blessure, verse immédiatament l'eau
et le vin dans le calice. On tire ensuite par ces ouvertures la mie
du pain , dont on fait un morceau carré qui sert à la consécration.
Le célébrant prend un second pain , qu'il bénit en l'honneur d»
la Vierge, puis il en prend un second , un troisième 3 un quatriè-
me etc. dont il fait la môme chose en l'honneur de S.1 Jean Bap-
tiste ,des Prophètes etc. : cérémonie qu'il répète encore avec d'au-
tres pains ou fragmens de pain pour le Patriarche , pour l'Evêque
de son diocèse, pour les prêtres, et même pour les morts. Après
cela il vient encenser Vastérisque (a.) , les linges qui enveloppent

vent rond et un peu convexe sur un des côtés, de manière qu'en enle-
vant la croûte avec les quatre parties coupées , on voit celle du milieu
ou la mie presque sous la forme de l'agneau divin , qui est prêt d'être
immolé. Le couteau s'appelle Aopei? , ou lance , en mémoire de cell»
qui perça le côté du Rédempteur. Le pain, selon Durand cité par Goar,
devrait toujours être rond , comme étant l'image des deniers donnés à
Judas pour prix de sa trahison. D'après le Rituel, ce pain ne peut être
apprêté que par des vierges , par les femmes des prêtres , ou bien par
les Diaconesses ou femmes des Diacres , pourvu qu'elles ne soient ni leg
unes ni les autres dans leurs cours. Les femmes des prêtres et des diacres
ont dans l'église une place distinguée , et prés du sanctuaire. Il est à ob-
server que les femmes en général y occupent le côté gauche en entrant.
Les premières se font encore remarquer par la modestie de leur habille-
ment } et par un voile blanc qui leur ceint la tête. Quant aux anciennes
Diaconesses , qui formaient aussi un ordre sacré et hiérarchique chez les
Grecs, il faut lire Goar. Rit. pag. 219 et suiv. Nous observerons encore
qu'avant la consécration réelle, les pains s'appellent dons consacrés : nom
qui se donne à tout autre pain présenté par les dévots à la Prothèsis ,
et qui se distribue au peuple après la Messe.
(1) Nous avons cru aussi à propos de représenter dans la même
planche, sous les n.os 5 et 6 , la ligure du pain dont les Grecs Cophtes
font usage dans l'Eucharistie.
(2) Selon Tourne fort } V Astérisque est une croix d'argent ou autre
568 Religion
le calice et la patène (i) , et un autre linge plus grand appelé
Aer , qui sert à couvrir les deux espèces. Viennent ensuite les priè-
res qui accompagnent l'offertoire , après lesquelles le célébrant en-
cense la Prothésis ; puis ayant fait d'autres prières et récité le
psaume L, il encense également le chœur, la sainte table et le tem-
ple. Telles sont les cérémonies préparatoires qui se font sur la
Prothésis (a).

La translation de l'offrande ou des espèces, de la Prothésis à


la sainte table , se fait au chant de l'hymne appelé Chérubique ,
cérémonie que le Patriarche Germain , qui vivait dans le VIÏI.C
siècle, regarde comme une allusion à la venue du Christ de Be-
thanie } et à son entrée dans Jérusalem. Les Grecs ont pour cette
cérémonie une vénération extraordinaire , et qui va quelquefois au
Cérémonie ^à ^e ce^e <7u'i'3 devraient avoir pour la consécration même; elle
%* ia Messe, est précédée de plusieurs autres que voici. Après les révérences

métal , dont les bras sont recourbés de manière qu'en la posant sur la
patène , ou le bassin , où se trouvent les morceaux de pain destinés à la
consécration , elle tient soulevé le voile qui les couvre, et empêche qu'au-
cune parcelle n'y reste attachée.
(i) La patène, êtsxos , des Grecs est plus grande que celle des La-
tins, et a la forme d'un bassin, dont les bords sont un peu relevés. Au
milieu sont gravées ou tracées en relief les lettres initiales IG, XC, N , K.
(2) La véritable consécration ne se fait que sur la sainte table ,
quoi qu'il soit parlé de sacrifice et d'immolation dans les cérémonies
préparatoires: ce qni a fait donner par quelques-uns au pain de la
Prothésis le nom de corps mort de Jésus Christ. Les Grecs , et mê-
me quelques-uns de leurs Patriarches ont poussé l'exagération du sens
mystique ou des allégories, jusqu'à nommer corps de la Vierge le pain
ou la portion de pain , qui est bénite sur la Prothésis en son honneur.
Certains érudits, surtout parmi les Protestans , ont cru voir dans la divi-
sion du pain un usage emprunté des Gentils , qui partageaient leurs vic-
times en plusieurs portions, dont ils gardaient une pour la Déité. Il était
bien plus naturel de faire dériver cet usage des agapes ou banquets sa-
crés, que fesaient entr'eux les premiers Chrétiens. Dans les monastères du
mont Athos , un des religieux avant les repas, met devant L'image de
la Vierge un petit morceau de pain sur une assiette. Après la bénédic-
tion de la table., on apporte ce morceau de pain à l'abbé qui le goûte,
*t le passe ensuite aux autres religieux, dont chacun en mange un peu,
en récitant une prière en l'honneur de la Vierge.
delà Grèce. 56g
d'usage devant la sainte table, le Diacre, la tète inclinée devant
Je célébrant, et tenant son orario des trois premiers doigts de la
main droite lui dit, il est tems de sacrifier au Seigneur , bénissez etc.
Après les bénédictions, dont le Diacre et le chœur ont aussi cha-
cun la leur, on fait les prières pour la paix, pour le salut des
fidèles, pour le Patriarche, pour l'église , pour les Souverains etc.
Elles sont suivies de la prière secrète, de plusieurs antiennes, des
réponds (i), et de la bénédiction de Ventrée sainte , c'est-à-dire
de l'orient. Après les saluts ou marques de vénération envers l'E-
vangile qui est posé sur l'autel , les Chantres entonnent les tro-
paires , qui sont des chants en l'honneur du saint , dont on célèbre
la fête. Ou chante ensuite le Trisagium; puis le Diacre rient sur
la porte sainte et dit: soyez attentifs, à quoi le célébrant ajoute,
paix à tous. Le Diacre, précédé de l'encensoir et de cierges allu-
més, sort du sanctuaire tenant le livre d'Evangile, et monte à
VAmbone pour en faire la lecture (a). Après l'Evangile on fait les
prières pour les Cathécumènes. Le célébrant déploie ensuite sur la
sainte table le corporal , qui est un voile cane , sur lequel s'opè-
rent les saints mystères. Cette cérémonie est suivie de la translation
des deux espèces de la Prothésis au maître-autel. Le Diacre tient
d'une main l'encensoir, et porte sur une épaule VAer, et sur sa
•tête la patène avec le pain: le calice est porté par le célébrant.

(i) Parmi les antiennes nous remarquerons celle que les Grecs ap-
pellent Tritecto , qui répond à la tierce ou la sexte de l'office des Latins ,
celui des Grecs étant divisé en neuf chants , dont deux , le troisième et
le sixième qui forment le Tritecto , appartiennent à la Messe.
(2) VAmbone , ainsi appelé àicb rov a'va/îaiveiv à cause des deux esca-
liers par lesquels on y monte , l'un à i'orient et l'autre à l'occident , est
une espèce de tribune assez grande pour contenir plusieurs personnes f c'est
même là que se fesait le couronnement des Empereurs par les Patriar-
ches, et les chantres l'occupaient dans les grandes solennités. Mais son
usage était particulièrement destiné à la lecture de l'Evangile , aux ho-
mélies et aux publications. On en vit aussi dans les églises Latines , telles
que celles qui existent encore dans les églises de S.1 Ambroisp à Milan ,
et de S.1 Jean à Monza. Anciennement Yambone était hors du sanc-
tuaire ,et le plus souvent au milieu de la grande nef: les Grecs y sus-
pendent quelquefois une croix garnie de cierges allumés , selon un usage
qui est très-ancien chez eux.
Europe. Vol. J. yg
570 Religion
Ils sortent ensemble de la Prothésis suivis du bas clergé , s'avancent;
processionnelleraent par l'église, au milieu d'un peuple qui donne
les démonstrations de la plus étrange vénération , et. entrent dans
ïe sanctuaire par la porte du milieu. Les espèces posées sur l'autel ,
le célébrant en fait l'offrande secrètement. Après diverses prières
accompagnées de révérences multipliées , on récite le symbole et
la formule que les Latins appellent Prœfatio , et qui a pour objet
Consécration, de disposer le peuple à être attentif. Le Diacre lève l'astérisque ,
agite sur les espèces sacrées l'éventail , dont on voit la figure sous
le n.° a de la planche 88: le célébrant les bénit en prononçant les
paroles que le Christ adressa dans la dernière Cène à ses Apôtres,
lesquelles sont proprement les deux formules de la consécration com-
me pour les Latins , et fait l'élévation des deux espèces. Après l'in-
vocation au Seigneur pour qu'il fasse changer les espèces en son
corps et en son sang, car les Grecs ne paraissent pas bien persua-
dés que la formule des Latins soit suffisante pour la consécration •
après diverses autres cérémonies rapportées dans le Pontifical et
les encensemens prescrits à l'autel et aux diptiques (1), on fait de
nouveau la commémoration des vivans et des morts. Le Diacre s'étant
ceint Yorario en forme de croix, et se plaçant à la droite du célé-
brant l'invite
, à partager le pain : ce que fait ce dernier en le
divisant en quatre portions, dont il met une dans le calice, tandis
Communion, que le Diacre y verse un peu d'eau tiède. Le célébrant présente
au Diacre une des portions qui restent , et communie ensuite lui-
même sous les deux espèces; puis il donne le calice au Diacre,
pour qu'il participe aussi au sang de J. C. Après quelques prières
et autres cérémonies , le Diacre prend de nouveau le calice, met
dessus la patène, qu'il recouvre de Y astérisque et du voile ; et s'avan-
çant dévotement vers la porte sainte, il le découvre et le montre
au peuple en prononçant ces paroles : Approchez-vous dans la crainte
de Dieu et avec foi etc. Le célébrant donne au peuple la béné-r
diction, et lui administre la communion sous les deux espèces,

(1) Les diptiques étaient des tablettes ou espèce de registres , sur


lesquels étaient inscrits les noms de tous les fidèles vivans et décédés. Il
j en avait de diverses sortes. Il faut voir sur cela Habert Pontif. Graec.
pag. i56 et suiv-. Nous en présenterons quelques dessins à l'article des
p.eaux Arts.
DE LÀ C S È G E. 571

qu'il présente ensemble dans une cuillère appelée Labis par leg
Grecs , et qu'on voit représentée sous le n.° 7 de la planche ci-
dessus (1). Selon le Pontifical , une portion du pain eucharistique,
«oupée en forme de croix , et humectée du sang divin , est mise
à part pour les malades. La communion finie , le célébrant re-
tourne à l'autel , où après avoir fait ses actions de grâces , et
replacé la patène sur la tête du Diacre , il revient avec lui à la
Prothésis.
Après la Messe , le Prêtre sort du sanctuaire , récite quelques nutrib&ion

prières, auxquelles le chœur répond par une antienne qui corn- du pa"1 benb*
prend tout le psaume XXXIV. , et fait au peuple la distribution
du pain béni , qui est resté dans la Prothésis, et d'où ont été
prises les parties destinées à la consécration (a). Enfin il dontie au
peuple la bénédiction , retourne à la Prothésis où il lave à trois
reprises le calice, ensuite de quoi il passe à la table ou autel ap-
pelé Diaconicon , et se dépouille des ornemens sacrés. Il n'est pas
nécessaire sans doute d'observer que la célébration de la Messe se
fait avec plus ou moins de magnificence , selon la nature de la fête,
ou la dignité du célébraut. La cérémonie , au rapport de Ricaut ,
est suivie de la lecture de la vie de quelque saint , qui tient lieu
de sermon ou d'homélie, l'usage de la prédication, selon Tourne-
fort , étant à-peu-près aboli chez les Grecs. Le peuple est assis pen- 'Manière

(1) Tournefort décrit ainsi la communion des Laïcs, « Le Papas met


le Rituel sur la tête du fidèle qui veut communier, et récite les prières
pour le pardon des péchés , tandis que celui-ci dit à voix basse : Je crois ,
o Seigneur , et je confesse que vous êtes vraiment le fils du Dieu vi-
vant ,descendu sur la terre pour sauver les pécheurs , dont je suis le
plus grand.
(2) Ce pain est appelé par les Grecs Avridopov , qui veut dire en
Latin donum dono relatum , ou don provenant d'un autre don. Ils le
nomment encore pain divin et pain céleste, et le regardent comme une
représentation de la Sainte Vierge. Ils font remonter l'usage de la distri-
bution du pain béni jusqu'au tems des Apôtres, et croient en voir la preuve
dans tous les endroits de l'ancien Testament , où il est parlé de la fraction
du pain. Ils le portent aux malades et lui attribuent la vertu d'expier les
péchés véniels ; ils ne le mangent qu'à jeun, et ne le révèrent pas moins
que l'Eucharistie , dont ils le croient l'ombre ou la représentation. V. Ri-
caut Etat
, de V Eglise Grecque , chap. IX.
572 Religion
dant cette lecture , et pour les prières il se tient debout et tourné
à l'orient. Lorsque les fidèles ont pris leur place dans l'église, ils
se découvrent la tête et font le signe de la croix , en tenant joints
ensemble les trois premiers doigts de la main droite, voulant ex-

Trinité, primer par là l'unité de Dieu dans les trois personnes de la sainte
Année Les Grecs commencent leur année ecclésiastique au premier
septembre, qu ils célèbrent par des danses et dans des transports
Filet. d'allégresse, persuadés que ces premières demostrations de joie sont
d'un heureux présage pour toute l'année. Leur plus grande fête
est celle de Pâques. Ce jour-là, et jusqu'à la Pentecôte, ils sont
dans l'usage de s'annoncer réciproquement la résurrection du Christ
en se saluant, et en s'embrassant trois fois, les deux premières sur
les joues, et la troisième sur la bouche (1). La semaine sainte est
consacrée aux exercices de pénitence et à la visite du saint sépul-
cre ,à peu près comme cela se pratique chez les Latins. Le deux
septembre les ordres religieux seuls célèbrent la fête de S. Jean
Baptiste, appelé par les Grecs le tempérant, comme ayant été le
premier, d'après le nouveau Testament , à donner l'exemple du jeûne.
Le vingt-six du même mois est consacré à la mémoire de S- Jean
î'Evangéliste. Les Grecs croient encore que ce saint a été enlevé
au ciel comme Hénoc et Elie. Mais ce serait abuser de la patience
des lecteurs, que de vouloir rapporter ici toutes les fêtes des Grecs.
Christophe Angelo n'eri compte que trente-six comme les plus solen-

(1) Les jours de fête se partagent chez les Grecs en prières et en


divertissemens de tout genre, qui finissent ordinairement par des violen-
ces et des scandales. Les moines ont aussi ces jours là leurs amusemens.
Tournefort rapporte que , pendant tout le dîné , un d'eux fait resonner
an vase de cuivre en le frappant à des intervalles égaux et en cadence ,
avec le manche d'un couteau , tandis que les autres moines en accompa-
gnent les sons de leurs voix aigres et nasales. Pouqueville ? en parlant
de la fête de Pâques , que précède leur carême le plus rigoureux , dit :
Le Grec alors redevient homme, et reparait le même. Les agneaux bénis
la veille et destinés au banquet sont mis à la broche , bien frottés de
graisse et d'origan : la table est dressée en plein air, on fait bombance toute
îa journée , et le vin coule sans mesure. La joie et les chants , avant-
ico'ureurs de l'iyress.e , annoncent que le Grec a oublié les disgrâces de son
^tat présent».
il»
de la Grèce. 57a
nelles, dont douze sont en l'honneur de J. C. et de la Vierge , et
les vingt-quatre autres en Phonnenr de S.' Jean Baptiste, des Apô-
tres et des Martyrs. Mais la Liturgie Greque en présente un nom-
bre bien plus considérable : sur quoi on peut consulter le Calendrier
Grec dans les ouvrages de Ricaut et de Picart , ou mieux encore
le Ménologe Grec (1).
Nous venons d'exposer tout ce qu'il y a de plus important £rU^SM
dans la religion des Grecs modernes. Quant aux ornemens sacrés, la Grecs.^
gravure nous en donnera une idée plus juste , que ne pourrait le
faire la plus exacte description. Nous ne ferons donc qu'indiquer
simplement ici les figures que nous en avons recueillies. Nous avons
déjà parlé de celles qui portent les n.°< 1 , 3 et 4 dans la plan-
che 86. Le n.° a de la même planche représente un Papas avec
tous ses ornemens et avec sa chape. Le n.° 1 de la planche 87
offre l'image d'un Protopapas ou Archiprêtre. Le n.° 3 est un Papas
dans son costume ordinaire: nous avons déjà fait mention de l'épouse
qu'on voit au n.° a : ces deux planches sont prises de l'ouvrage de
Picart. Te n.° 1 delà planche 88 représente le Caloger , dont nous
avons déjà décrit le vêtement : nous avons également parlé des
u.os 2 , 3 , 4 , 5 , 6 et 7 qui sont pris du Rituel Grec. Le n.° 8
qui en vient aussi, et rapporté de même par Picart, représente un
Patriarche ou un Evêque en habits pontificaux. Le Prélat tient
dans ses mains deux candélabres, .dont l'un à trois et l'autre à deux
cierges, et qui s'appellent pour cela, le premier rpùeyptov et le
second e>ix>ipi~. Lorsqu'il célèbre la Messe, il lève fréquemment
ces deux candélabres, et s'en sert aussi pour bénir l'Evangile et
le peuple. Le candélabre à trois cierges fait allusion aux mys-
tères de la Trinité et de l'Unité: celui à deux cierges est l'em-
blème de la nature divine et humaine de Jésus Christ. Au dessus
de cette figure, qu'on voit dans le Rituel, est écrit en Grec 'Me-
todïus le saint 1 et comme presque toutes celles qui viennent après,
au dessus desquelles est également écrit le nom de quelque saint
du calendrier Grec, elle est copiée sur d'anciennes peintures, où
étaient représentées des images de saints. Au n.° 1 de la planche

(1) Menologium Graecorum , j tissu Basilli Imperatoris Graece


edltum , munificenbia etc. Benedicti XIII. in très partes dlvisum e'ta,
Urbini } 1727, fol.0 fig.8
&74 Religion
89 est an Pontife avec le sac dont nous avons parlé plus haut,
et
qui se parte flottant au commencement et à la fin de la Messe
comme la chasuble du prêtre (1) : on lit dessus ces mots Samson
le saint. Les n.°s a, 3, 4 et 5 sont tirés d'un manuscritdu tems
de Basile le Macédonien, qui se trouve à la Bibliothèque de Paris,
et contient les ouvrages de S.f Grégoire de Nazianze. Le deux pre-
mières figures représentent deux Evêques ; l'une avec cette ins-
cription, Grégoire le Saint, père du, théologien, et l'autre avec.
celle-ci , Saint Grégoire le théologien. La troisième porte le nom
de S.' Césaire. La quatrième est une image de femme avec le
nom de Sainte Gorgone. Le n.° 6 est pris du Rituel, et repré-
sente un Pontife en Dalmatique, qui anciennement ne différait guè-
res de la chasuble : sur cette figure est écrit Germain le Saint.
La n.° 7 tiré de même du Rituel , est le Patriarche dont nous
avons déjà donné le portrait, avec cette inscription , le Patriar-
che Beccos."l\ a de remarquable le chapeau avec la croix sur la
forme, ainsi que l'espèce de coiffure monastique en double qui lui
couvre la tête. C'est encore dans le Rituel qu'on à pris les n.os 8
9 et 10. Le premier représente un Papas, ou piètre séculier dans son
costume journalier. De son bonnet pend un morceau d'étoffe violette
semblable à-peu-près à la queue d'une colombe , que les Grecs
regardent comme l'emblème de la puissance sacerdotale, qui dérive
du Saint Esprit; il est suivi du clerc ou de son fils portant le pain
béni. Le n.° 9 est l'image du Diacre sous deux aspects opposés.
Le Diacre va pour prendre part à l'Eucharistie, et se ceint à
cet effet la poitrine avec Porario , qu'il portait auparavant flottant et
passé en travers de l'épaule gauche : cette figure a pour inscription,
Cyrille le Saint. Le n.° 10 représente le Diacre Macaire le. Saint,
portant le pain de la Proihesis à la sainte table. Nous n'avons pas
fait mention des couleurs des ornemens sacrés, les Grecs n'ayant

(1) Goar , en parlant de cet habillement s'exprime ainsi : Illa vero hoc
pacto in officii fine demissa , dimissionis populi , omnisque conventus
soluti indlcium est. Nunc autem in ingressu sacerclotem procedentem
vircutnamhiens , Chris tum humana carne tectum , ejusque visibilem et
manifestum in terras adventum , neenon et virtutum donorumque cae-,
Jestium apparatum , quo circumarnictus mundi oculis innotuit , reprae-
isentat. Rit. pag. 24.
»î La Grèce. 5j&
maintenant aucune règle fixe à cet égard. Il semblerait pourtant,
d'après le Rituel, qu'ils aiment beaucoup le blanc et le rouge,
comme les couleurs les plus estimées dans le Cantique. Ils font
usage de la première selon le même Rituel , tous les jours de l'an-
née, et du rouge en carême et pour les funérailles, cette couleur
étant chez les Grecs une marque de deuil et de pénitence (i). Pour
compléter cet article, nous avons représenté à la planche 90 l'in-
•térieur de l'éslise
° de l'Apocalypse
r J I dans ^ l'île de Pathmos.
^ Elle est Eglise de
P Apocalypse.
à moitié chemin d'une montagne escarpée, à l'entrée d'une grotte ,
qu'on croit avoir servi d'asile à S.1 Jean l'Evangéliste lorsqu'il écri-
vit l'Apocalypse, et est deservie par les Calogers (a).
Nous ne croyons pouvoir mieux terminer l'article concernant;
la religion des Grecs modernes, qu'en rapportant ici quelques frag-
raens de l'onzième lettre de M.r Guys , qui présentent en quelque
sorte l'abrégé de tout ce que nous venons de dire à ce sujet.
« Que vous dirai-je , M.r, de la religion de ce peuple? Elle a dû
sans doute éprouver les mêmes révolutions, que l'Empire Grec. Elle
est couverte, ainsi que toute la nation, des ténèbres épaisses de
l'ignorance et défigurée par un amas des superstitions; elle n'a con-
servé fidèlement que les cérémonies, les ornemens, et les solemni-
tés, comme autant de signes auxquels on devait la reconnaître.

« Comment en un plomb vil Vor pur s'est-il changé (3) ?


« La religion d'un peuple conduit par des prêtres qui , pour la
plupart, à peine savent lire, ne peut être qu'un culte extérieur et
informe, une sombre et foible lueur qu'on aperçoit à la place de ce
flambeau dont fut autrefois éclairée la Grèce , et qui dissipa les
folles erreurs, ou les ténèbres du Paganisme.
« L'ignorance du clergé annonce donc et entretient nécessaire-
ment celle de la nation. L'appareil des fêtes et des cérémonies suf-
fisent au peuple, et ce peuple esclave , à qui les Turcs ont laissé
ses églises, ses autels et ses monastères, ne demande et ne voit rien

(1) Goar , Rit, pag. 97, rapporte à ce sujet le passage suivant de


Siméon le Thessalonieien : Alba surit Ma propter gratlae puribatem et
lucem: saepius autem jejuniorum tempore assumunlur purpurea , eo quod
peccatores oporteab lugere , et propter occisum pro nobis Jesum Christum.
(2) V. Choiss. Voy. pittor. de la Grèce. PI. S7.
(3) Rac, A thaï.
Sjô RelicioN
au fle-là. Cette nation , mère de polythéisme, n'ayant pas changé de
génie, a dû multiplier les objets de la dévotion des nouveaux chré-
tiens,lorsqu'elle a eu le bonheur de connaître le vrai Dieu. Livrée
anciennement aux opinions et aux erreurs de ses philosophes , elle
avait enfin trouvé dans l'Evangile et dans la morale chrétienne, ce
que la philosophie cherchait inutilement , en égarant les espris
L'histoire de Empereurs, qui, depuis Constantin, furent souvent
plus occupés de disputes théoiogiques que d'affaires politiques de
l'Empire , n'est proprement que l'Histoire des troubles et des guerre9
civiles de la religion , jusqu'à la séparation de l'église Grecque et
de la Latine, occasionnée par l'ambition du Patriarche Michel Ce-
rularius , sous le Pape L^on IX. Enfin, le Clergé Grec, nourri
dans les guerres Eccelésiastiques et dans des controverses éternelles ,
se tut devant le dernier conquérant de la Grèce. Mahomet II ,
content de nommer un Patriarche , en usant des droits de la souve-
raineté, laissa par grâce à des peuples abattus et soumis , le culte de
leurs pères, et fit cesser toutes les disputes que le fanatisme militaire
des Musulmans ne comportait pas: car Mahomet, despote absolu,
qui se prétendait inspiré, n'ayant établi sa religion que par la ter-
reur de ses armes „ ordonnait de croire , et ne voulait point d'argumens.
« Comment , sous de tels maîtres , les moitiés et les prêtres Grecs,
toujours tremblans, et n'ayant plus d'occasions de s'exercer à la dis-
pute, ou de s'instruire pour combattre les erreurs anciennes et nou-
velles ,auraient-ils pu cultiver la théologie et les lettres ?
<i Des jeûnes austères et fiéquens , l'usage de prier en commun ,
et de s'assembler à l'église avant le lever du soleil; la crainte de
3'excommunication , et de n'être plus admis dans l'assemblée des
fidèles; enfin le plus grand respect pour le Patriarche et les Evêques ,
sont autant d'usages, que les Grecs ont retenus des premiers Chrétiens.
» Mais, pour remonter plus haut , il faut voir les fêtes religieu-
ses qu'ils célèbrent à la campagne ; elles vous rappelleront et les
Bacchanales, et les dévotions des anciens pour une fontaine sacrée 9
pour une antique forêt, objets de vénération et de culte ».

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