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CONCEPTS ET MÉTHODES EN DIDACTIQUE DES

MATHÉMATIQUES, UNE INTRODUCTION À LA


TRADITION FRANÇAISE
Sylvain Gravier, Ghislaine Gueudet, Viviane Durand-Guerrier, Denise Grenier

To cite this version:


Sylvain Gravier, Ghislaine Gueudet, Viviane Durand-Guerrier, Denise Grenier. CONCEPTS ET
MÉTHODES EN DIDACTIQUE DES MATHÉMATIQUES, UNE INTRODUCTION À LA TRADI-
TION FRANÇAISE. 2022. �hal-03636739�

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CONCEPTS ET MÉTHODES EN DIDACTIQUE DES
MATHÉMATIQUES, UNE INTRODUCTION À LA
TRADITION FRANÇAISE

Ce fascicule est destiné aux lecteurs souhaitant être initiés à la pratique de la


recherche en didactique des mathématiques.
Dans le premier chapitre, nous allons décrire de façon synthétique les trois cadres
théoriques les plus utilisés en didactique des mathématiques de tradition française (pour
plus de détails, voir Artigue et al. 2019).
A travers l’exemple de l’enseignement des nombres décimaux, nous montrerons, dans le
second chapitre, comment ces cadres théoriques permettent de donner des éléments de
réponses aux questions de recherche.
Les références bibliographiques sont disponibles en fin de document. Pour des
définitions plus détaillées des concepts abordés nous renvoyons au glossaire en ligne
établi par Nicolas Balacheff : https://dico-ddm.blogspot.com
CHAPITRE I : CADRES THEORIQUES
TROIS EXEMPLES MAJEURS

Sylvain GRAVIER
Directeur de Recherche au CNRS - Institut Fourier

Ghislaine GUEUDET
Professeure à l’Université Paris-Saclay - UR Etude des Sciences et Techniques
Cadres Théoriques

Introduction

La didactique des mathématiques est un domaine scientifique qui étudie la construction,


la transmission et la diffusion des mathématiques. Elle a aussi pour objectif d’identifier, du
côté des mathématiques elles-mêmes, ce qui pourrait faire obstacle à l’apprentissage.
Son champ d’application recouvre l’ensemble des lieux de transmission du savoir
(mathématiques). Il est important que ses résultats soient mis à disposition des praticiens
de l’enseignement ou de la diffusion des mathématiques. En particulier, ce qui parait
naturel à l’expert du domaine peut ne pas l’être pour l’élève et conduire à de mauvaises
interprétations. Une étude didactique fondée sur une analyse épistémologique aide à « se
déprendre de [cette] illusion de transparence des objets » (Artigue 1990) enseignés.

Les questions de recherche en didactique des mathématiques peuvent concerner d’une


part des aspects descriptifs pour l’analyse des systèmes éducatifs ou de médiation. Par
exemple :

• Comment se développent les connaissances scientifiques dans et hors l’école ?


(D1)

• Quelle est l’adéquation entre le savoir enseigné ou diffusé, le savoir appris et le


savoir de référence pour un domaine mathématique donné (algèbre, géométrie,
analyse e.g.) ou un concept bien identifié (symétrie, proportionnalité, fonction) ?
(D2)

D’autre part, la didactique des mathématiques développe des outils visant l’amélioration
de l’enseignement et de l’apprentissage des mathématiques. Ces derniers peuvent être
notamment utilisés dans le cadre de la formation des enseignants ou des médiateurs.
Pour faire écho aux questions de recherche précédentes, il s’agit dans cette perspective
de répondre par exemple aux questions :

• Comment rapprocher le savoir enseigné du savoir de référence ? Quelles sont les


conditions et contraintes sur les situations d’apprentissage qui assurent ou qui
sont nécessaires à un tel rapprochement ? (O1)

• Quelles articulations curriculaires assurent ‘au mieux’ la durabilité des savoirs


appris ? (O2)

Les questions (D2) et (O1) qui mettent en regard savoir de référence et savoir enseigné,
relèvent d’une problématique fondamentale de la didactique identifiée comme la
transposition didactique (Chevallard 1985). La didactique des mathématiques a
développé des cadres théoriques à la fois descriptifs (réponses aux questions (D1) et
(D2)) et opérationnels (pour les questions (O1) et (O2)). Les questions de recherche de la
didactique nécessitent le développement de cadres théoriques ayant un fort ancrage
épistémologique notamment pour décrire le savoir de référence et une composante
cognitive pour comprendre l’évolution de la connaissance de l’élève.

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Cadres Théoriques

1. Théorie des Champs Conceptuels (TCC)

Objet :
Ainsi que la définit Vergnaud (1989), fondateur de cette théorie, il s’agit d’“une théorie
psychologique et didactique, qui essaye de prendre en charge la question du
développement et de l’apprentissage à long terme des connaissances.”

Hypothèse :
L’hypothèse sur laquelle repose cette théorie est le point de vue développemental qui
affirme que pour apprendre on doit s’appuyer sur ce que l’on a déjà construit en le
questionnant pour construire du nouveau. Il ne s’agit pas ici d’éradiquer le savoir
antérieur mais d’identifier les domaines de validité de celui-ci en vue de construire des
nouveaux savoirs.

Afin de mettre en œuvre cette hypothèse, la TCC propose des outils de description du
savoir acquis qui donnent des éléments de réponse aux questions (D1) et (D2).

Principe :
La TCC s’intéresse simultanément à l’activité en situation et au développement des
connaissances sur le long terme. L’emploi du terme “connaissance” ici est lié à
l’orientation psychologique de cette théorie, qui s’intéresse aux conceptions des
individus.
La TCC souligne que certaines connaissances (la forme opératoire de la connaissance) se
développent et se manifestent en situation. L’élément de base pour l’analyse de l’activité
du sujet en situation est la notion de schème: “organisation invariante des conduites du
sujet pour une classe de situations” (idem). Pour les concepts mathématiques, on
privilégiera les invariants opératoires qui sont des éléments essentiels des schèmes.
Parmi les concepts et théorèmes étant des invariants opératoires, la TCC s’attache à
décrire ceux qui sont utilisés de façon implicite que l’on appellera alors les concepts-en-
acte et théorèmes-en-acte. Ainsi ils permettent de saisir la conception d’un concept
mathématique chez l’élève. Artigue (1988) propose une adaptation de ce modèle pour
décrire les conceptions d’un élève. Un tel concept mathématique peut être décrit via un
triplet d’ensembles (S, I, R) où :
• S est l’ensemble des situations mettant en jeu le concept.
• I est l’ensemble des invariants opératoires.
• R est l’ensemble des représentations symboliques du concept, de ses propriétés,
des situations et des algorithmes.
Ainsi un champ conceptuel est un ensemble de situations, de schèmes et d’invariants
opératoires, et de formes symboliques associées.

Méthode :
L’intérêt pour l’analyse de l’activité amène à observer l’élève en situation ; de plus cette
observation devra se déployer sur le temps long, pour suivre le développement sur le
long terme. Par exemple, lors d’une première mise en situation, on pourrait identifier
l’application par l’élève de théorèmes-en-acte. Des modifications de la situation
permettent alors à l’élève d’évaluer le domaine d’application de ces théorèmes en acte
jusqu’à l’obtention de nouvelles connaissances. Par ailleurs il s’agit d’articuler
l’observation avec une analyse logique, qui permet d’établir une typologie des situations,
des invariants opératoires et des formes symboliques associées.
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Cadres Théoriques

2. Théorie Anthropologique du Didactique (TAD)

Objet :
L’analyse des processus de transposition didactique vise à expliquer pourquoi et
comment un savoir donné vit dans une certaine institution, et/ou se transforme en
passant d’une institution à l’autre. Identifier les choix possibles (au-delà des choix
existants dans les institutions) et formuler des propositions qui permettent de faire exister
des alternatives.

La TAD aborde (D2) en étudiant les différences entre le savoir d’une institution savante
(par exemple les mathématicien.nes) et celui d’une institution d’enseignement. Elle
aborde (O1) et (O2) notamment à travers la notion de praxéologie (voir ci-dessous).

Hypothèse :
Les savoirs sont façonnés par les institutions dans lesquelles ils vivent et cela influe sur la
manière de les enseigner et de les apprendre.

Principe :
La vie des savoirs dans les institutions est nommée “écologie des savoirs”.
L’un des buts de la TAD est de comprendre et décrire cette écologie, ce qu’elle fait en
particulier en ayant recours à la notion de praxéologie. Une praxéologie comporte quatre
éléments : un type de tâches T, une technique τ pour accomplir ce type de tâches, une
technologie θ qui est un discours justifiant la technique, et une théorie Θ (notion qui inclut
la notion commune de théorie sans s'y réduire).
Lors du passage d’une institution à une autre, les praxéologies associées à un même
savoir sont modifiées. Lorsque l’institution-cible est une institution d’enseignement, ce
phénomène de modification est nommé “transposition didactique”.

Méthode :
Pour comprendre quelles praxéologies existent dans une institution scolaire, on peut
analyser les programmes officiels, les manuels scolaires et autres ouvrages, les cours
donnés par les professeurs. Pour accéder à ce qui serait possible, une analyse
épistémologique est nécessaire (émergence historique et évolution du savoir,
praxéologies dans l’institution savante, dans des institutions utilisatrices). Cette analyse
permet en particulier de construire un modèle praxéologique de référence : ensemble
structuré de praxéologies “idéal”, auquel on peut comparer l’ensemble des praxéologies
existantes dans l’institution scolaire à laquelle on s’intéresse.

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Cadres Théoriques

3. Théorie des Situations Didactiques (TSD)

Objet :
Élaboration de situations d'enseignement et d’apprentissage consistantes avec un savoir
visé désigné a priori.

Cette théorie contribue à l’étude des questions (O1) et (O2) car elle propose un cadre
d’analyse de la construction du savoir à partir de situations d’enseignement et
d’apprentissage.

Hypothèse :
Il n’existe pas de situation d’enseignement et d’apprentissage sans intentionnalité.

Principe :
La notion de situation mathématique désigne « les conditions sous lesquelles les êtres
humains produisent, communiquent et apprennent les connaissances que nous
reconnaissons comme mathématiques » (Brousseau 2011). Une situation didactique est
une situation d’enseignement construite autour d’une situation mathématique proposée à
l’élève et gérée par l’enseignant. La situation didactique doit permettre d’organiser des
moments adidactiques c’est-à-dire sans intervention de l’enseignant.

Méthode :
La méthodologie de la TSD repose sur une description fine de situation didactique allant
jusqu’à la mise en œuvre expérimentale. Cette description constitue l’analyse a priori de
la situation. Une situation didactique simule une situation mathématique pour l’élève avec
une intentionnalité d’apprentissage.

L’analyse a priori repose sur trois temps : une analyse mathématique décrivant les
stratégies de résolution de la situation mathématique, une analyse didactique permettant
de préciser l’intentionnalité d’apprentissage ainsi que des hypothèses sur les conceptions
des apprenants et enfin une description des conditions d’expérimentation. Une analyse a
posteriori mise en perspective avec l'analyse a priori permet d’identifier, après
expérimentation, les résultats obtenus: validation des hypothèses, identification des
obstacles et des difficultés, stratégies de résolution mises en oeuvre,…

L’analyse mathématique permet d’identifier les savoirs et compétences en jeu dans la


résolution de la situation mathématique. Parmi ceux-ci, lors de l’analyse didactique, on
pourra préciser les savoirs et compétences visés dans la situation didactique.
Le retour à l’analyse mathématique permettra de préciser les stratégies mettant en œuvre
ces savoirs et compétences. Il s’agira alors de préciser les conditions et variables de la
situation mathématique qui conditionnent la réalisation de ces stratégies. Ces variables
sont des variables didactiques de la situation didactique et sont un élément d’expression
de l’intentionnalité didactique.

Afin de proposer des éléments de réponse à la question (O2), Brousseau introduit dans la
TSD la notion de « situation fondamentale ». Une situation fondamentale est constituée
d’un ensemble de situations didactiques décrivant un concept et ses usages dans
différentes approches. La description du concept et de ses usages repose sur une étude
épistémologique.
10
Cadres Théoriques

Conclusion

A travers cet aperçu de cadres théoriques majeurs de la didactique des mathématiques,


on identifie les dimensions épistémologiques et cognitives de ces recherches ainsi que
leur nature descriptive ou opérationnelle. Bien entendu, ces approches interagissent, par
exemple, partant d’un concept désigné la question de transposition peut être traitée
selon le processus suivant :
L’analyse épistémologique de ce concept permet de le positionner dans le savoir de
référence (D2). La description de praxéologie (TAD) basée sur les programmes et les
manuels permet de décrire le savoir enseigné attaché à ce concept (D2). Une situation
didactique (TSD) décrit des conditions pour l’apprentissage de ce concept et la mise en
œuvre en classe (O1). Enfin l’analyse d’expérimentations permet d’obtenir une description
fine de la conception (TCC) des élèves ce qui donne un aperçu du savoir appris (D2).

Nous espérons que ce fascicule permettra de contribuer, si ce n'est à mettre en oeuvre


un tel processus, du moins à soutenir les premiers pas du lecteur dans la recherche en
didactique !

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CHAPITRE II : USAGES DES THEORIES DIDACTIQUES SUR
L’EXEMPLE DES NOMBRES DÉCIMAUX

Viviane DURAND-GUERRIER
Professeure Emérite de l’Université de Montpellier - Institut Montpelliérain Alexander
Grothendieck

Denise GRENIER
Maitresse de Conférences retraitée de l’Université Grenoble Alpes - Institut Fourier
Usages des théories didactiques sur l’exemple des nombres décimaux

Introduction
Les nombres décimaux sont enseignés dès l’école primaire et utilisés tout au long du
second degré. Ils jouent un rôle fondamental dans la compréhension et les usages des
nombres rationnels et des nombres réels. Ils jouent également un rôle important en
physique via la mesure et en informatique. De nombreux travaux de recherche mettent en
évidence que des difficultés persistent jusqu’en début d’université, voire au-delà (Vergnac
& Durand-Guerrier 2014, Vivier 2015, Vivier & Durand-Guerrier 2016). L’enseignement et
l’apprentissage des nombres décimaux ont fait l’objet de travaux didactiques dès le
début des années 1980s et jusqu’à récemment (Grivard & Leonard 1981, Brousseau
1998, Bronner 1997, Roditi 2008, Tempier 2013).
Les nombres décimaux constituent un domaine pertinent pour montrer les apports des
différentes approches didactiques qui sont présentées dans cette école thématique, pour
comprendre les difficultés récurrentes des élèves et faire des choix raisonnés de
curriculum, de situations didactiques et d’évaluation.
Dans ce texte nous noterons, selon les usages, D l’ensemble des nombres décimaux et
Dn l’ensemble des nombres décimaux pouvant s’écrire avec au plus n décimales non
nulles après la virgule.
Nous analyserons ici essentiellement les tâches de comparaison dans D, sources de
difficultés récurrentes à l’école primaire, au collège et au lycée.
L’objet de ce texte est de montrer sur l’exemple du type de tâche*1 « comparaison des
décimaux » différents usages des principaux concepts des trois théories présentées dans
le premier chapitre. Nous n’aborderons pas l’intégralité des concepts ; par exemple, dans
le cas de la Théorie des Situations Didactiques, nous ne parlerons pas de situation
fondamentale, ni de stratégie. D’autre part, les cadres théoriques interviennent de
manière imbriquée comme c’est le cas dans les pratiques effectives de recherche et de
formation. Enfin, les aspects mathématiques présentés au début du chapitre jouent un
rôle tout au long du chapitre.

1. Trois approches du nombre décimal

Nous rappelons ici trois approches qui mettent en avant des aspects épistémologiques
différents du nombre décimal positif ou nul. Les règles de comparaison sont spécifiques
de ces approches et des écritures associées.
1 – Nombres décimaux comme fractions décimales (sous ensemble de ℚ)
Les nombres décimaux sont introduits comme nombres rationnels qui peuvent s’écrire
comme quotient d’un entier et d’une puissance de 10 . Pour comparer deux nombres
décimaux écrits sous cette forme, on les écrit sous un même dénominateur, puis on
compare les numérateurs entiers.
Dans une écriture réduite, le numérateur et le dénominateur sont premiers entre eux : le
numérateur n’est pas un multiple de 10 , et l’exposant de la puissance de 10 du
dénominateur est le minimum des exposants positifs possibles. Cette écriture est alors
unique. Les entiers correspondent à l’exposant 0 . En utilisant la division euclidienne, on
obtient une nouvelle écriture : partie entière (quotient du numérateur par le dénominateur)
+ fraction décimale non entière (reste dans la division euclidienne). Si les parties entières
sont égales, on compare les fractions « restes » avec mise au même dénominateur.

1 Les expressions en italique suivies d’un astérisque (*) renvoient au Glossaire en ligne de Balacheff pour le
lecteur qui souhaite une définition précise.
15
Usages des théories didactiques sur l’exemple des nombres décimaux

2 – Nombre décimaux comme extension du système de numération en base 10


des entiers
Un nombre décimal est écrit comme somme de termes de la forme ak.10 k , où a est un
entier naturel compris entre 0 et 9, et k un entier relatif.
La partie décimale correspond aux exposants strictement négatifs ; la partie avec les
exposants positifs ou nuls donne la partie entière. Pour comparer deux nombres sous
cette forme, lorsque les deux parties entières sont égales, on compare chiffre à chiffre de
gauche à droite tant que les chiffres sont identiques. La longueur de la partie décimale ne
joue aucun rôle dans cette comparaison.
3 – Nombres décimaux comme expansions décimales ayant un nombre fini de
décimales non nulles (sous ensemble de ℝ)
Pour un nombre entier, toutes les décimales sont nulles ; le nombre peut s’écrire sans
virgule. Pour un nombre décimal non entier, il existe un rang minimum n non nul au-delà
duquel toutes les décimales sont nulles ; un tel nombre appartient à l’ensemble Dn. On ne
modifie pas un nombre appartenant à Dn en ajoutant des zéros à droite du chiffre de rang
n. Deux techniques* de comparaison peuvent être associées à cette écriture lorsque les
parties entières sont égales. La première est une comparaison chiffre à chiffre analogue à
celle mentionnée dans le point 2 : on compare de gauche à droite les chiffres de même
rang ; le processus s’arrête au bout d’un nombre fini d’étapes. La deuxième, analogue à
celle mentionnée dans le point 1, s’appuie sur une mise au format de l’écriture de ces
nombres : on ajoute si nécessaire des zéros à droite pour qu’ils soient écrits avec le
même nombre de chiffres après la virgule.

Les trois approches décrites en introduction peuvent être présentes plus ou moins
explicitement dans les conceptions que construisent les élèves du nombre décimal.
L’écriture en expansion décimale étant naturellement présente dans la vie quotidienne,
notamment avec une mise au format systématique (affichage des prix, mesures de
longueur, mesures de poids, etc.), il est donc incontournable de la prendre en charge en
classe. Dans la réalisation des tâches de comparaison (mais aussi d’autres tâches), selon
l’approche choisie, les techniques appropriées et leurs justifications sont plus ou moins
accessibles pour les élèves. Il nous semble donc nécessaire de considérer dans
l’enseignement, dès l’école primaire et jusqu’en début d’université, plusieurs approches
pour une conceptualisation consistante et opératoire du nombre décimal.

2. Premiers éléments sur la construction des nombres décimaux par les élèves

Pour analyser les difficultés fréquentes et durables sur les nombres décimaux, la
didactique des mathématiques dispose d’outils théoriques. La Théorie des Champs
Conceptuels (Vergnaud, 1990) propose des outils d’analyse des concepts construits par
les élèves (voir Chapitre 1). Dans ce paragraphe, nous nous appuyons principalement sur
deux invariants opératoires : théorème-en-acte* et concept-en-acte*.
Pour la tâche de comparaison des décimaux, de nombreux travaux de recherche (par
exemple Grisvard & Léonard, 1981 ; Bronner 1997) ont montré que, indépendamment
des programmes, les réponses fausses d’élèves du primaire au lycée, et sans doute
beaucoup de réponses exactes, sont conformes à l'application d'un algorithme en deux
étapes :
- d’abord, une comparaison des parties entières, basée sur l’ordre dans ℕ , qui aboutit à un
classement partiel ;
- puis, si les parties entières sont égales, la comparaison des parties décimales conforme
dans de très nombreux cas, à l'un des deux théorèmes-en-acte ci-dessous (R1 est très
majoritaire) :
16
Usages des théories didactiques sur l’exemple des nombres décimaux

Théorème-en-acte R1 : le nombre dont la partie décimale forme le plus grand « entier » est le
plus grand.
Exemples : 12,113 > 12,4 car 113 > 4
12,8 > 12,4 car 8 > 4
Théorème-en-acte R2 : le nombre qui a le plus grand nombre de décimales est le plus
petit.
Exemples : 12,98 < 12,9
12,04 < 12,4
R1 et R2 ont chacun leur propre domaine d'application (domaine où il permet de
conclure, même de manière erronée), mais aucun des deux ne permet d'obtenir un ordre
total. Chacun d’entre eux a un domaine de validité (sous-domaine du domaine
d’application où il donne une réponse exacte) ; pour chacun de ces deux théorèmes-en-
acte, celui-ci est non vide. Ainsi, R1 donne une réponse exacte lorsque les deux nombres
décimaux à comparer sont dans le même Dn ou sont écrits sous le même format ; R2
donne une réponse exacte si les entiers formés par les parties décimales vérifient l’ordre
lexicographique.
On peut regrouper R1 et R2 dans un seul théorème-en-acte : « Pour comparer deux
nombres décimaux écrits sous forme d’expansion décimale finie, on compare les
nombres qui composent la partie entière ; s’ils sont égaux, on compare les parties
décimales ». Il reste à préciser comment on compare les parties décimales. Dans la vie
courante et dans les pratiques de classe, R1 donne souvent une réponse correcte, ce qui
explique sa pérennité. Pour le faire évoluer, il est nécessaire de faire rencontrer aux élèves
des cas où il est utilisé hors de son domaine de validité, pour discuter les conditions de
son application et introduire le théorème-en-acte correct.
R1 et R2 sont reliés à l’écriture « en expansion décimale », la virgule séparant les parties
entière et décimale. Cette écriture pourrait être associée pour certains élèves au concept-
en-acte de nombre décimal sous la forme « entier-virgule-entier » qui peut expliquer les
erreurs fréquentes repérées dans des recherches didactiques pour d’autres types de
tâches, comme, par exemple :
12,7 + 5,6 = 17,13
Ajoute un dixième à 2,9 ; réponse : « 2,10 parce que tu ajoutes 1 à 9 ».
« Il n’y a pas de nombres entre 2,74 et 2,75 car il n’y a pas de nombre entre 74 et 75. »
Une analyse de la transposition didactique* au fil des réformes permet de comprendre
comment ces approches et les difficultés éventuelles associées sont prises en compte ou
non dans les programmes, les documents d’accompagnement et les manuels.

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Usages des théories didactiques sur l’exemple des nombres décimaux

3. Les nombres décimaux dans les programmes (cycles 3 et 42 en 2020,


et classe de seconde3 en 2019)

La Théorie Anthropologique du Didactique (Chevallard, 1991) offre des outils pour


l’analyse des programmes et des manuels, en particulier la notion de transposition
didactique* ; écologie des savoirs ; praxéologies*. Ils permettent de répondre aux trois
questions suivantes. 1/ Quelle introduction des nombres décimaux suivant les époques ?
(Chambris, 2008) –2/ Dans quels domaines sont-ils ou pourraient-ils être travaillés
(mesure, arithmétique : lien avec la division euclidienne, autres) ? 3/ Quels types de tâche
et quelles techniques sont explicités et quelles sont les justifications (technologies et
théories) lorsqu’il y en a ?
L’étude de la transposition didactique pour les cycles 3 et 4 et la classe de seconde nous
révèle ce qui peut se construire ou non sur les nombres décimaux et plus généralement
sur les nombres réels. Nous en donnons ci-dessous les traits saillants.
Aux cycles 3 et 4
L’approche choisie est celle des nombres décimaux comme expansions décimales ayant
un nombre fini de décimales non nulles (approche 3 de notre introduction). L’écriture en
expansion décimale est appelée « écriture décimale », pour la distinguer de la « fraction
décimale » ; cette approche est majoritaire tout au long du primaire et du secondaire,
mais d’autres formes d’écriture apparaissent au lycée, notamment avec l’introduction de
l’écriture scientifique et du calcul formel.
La reconnaissance par l’institution que la construction des nombres décimaux par les
élèves ne va pas de soi est attestée, dès le cycle 3, par un long paragraphe dans le
« document d’accompagnement » (MENJS 2021). Au cycle 4, il est demandé
« d’approfondir la connaissance des divers types et ensembles de nombres ; [...]». « Les
élèves rencontrent les nombres réels comme abscisses des points d’une droite graduée,
et plus largement comme nombres permettant de mesurer des grandeurs. Ils les
comparent, ils apprennent qu’il existe des nombres irrationnels, les encadrent par des
nombres décimaux ou rationnels. »

En seconde
L’objectif d’approfondir la connaissance des divers types et ensembles de nombres est
repris à l’identique de ce qui est demandé au cycle 4, et il est complété par : « Ils [les
élèves] comprennent que calculatrices et logiciels font des calculs approchés. En liaison
avec un approfondissement de l’étude des multiples et diviseurs, ils consolident la
pratique du calcul sur les fractions. »
La définition choisie : « Un nombre réel est l’abscisse d’un point de la droite graduée »
met en avant les liens assez naturels entre nombres et mesures de différentes grandeurs,
et la correspondance biunivoque entre la droite numérique et l’ensemble des nombres
réels. Ce choix de transposition didactique nous semble pertinent car il se situe en
continuité (et non en rupture) par rapport au vécu des élèves sur les nombres. Il est aussi

2MENJS (2020) Bulletin Officiel n°31 du 30 juillet 2020. Annexe 2 : Programme d'enseignement du cycle de
consolidation (cycle 3), Annexe 3: Programme d'enseignement du cycle des approfondissements (cycle4)
https://www.education.gouv.fr/bo/20/Hebdo31/MENE2018714A.htm
3MENJS (2019) Bulletin Offciel Spécial n°1 du 22 janvier 2019. Programme de mathématiques de la classe
de seconde générale et technologique.
https://www.education.gouv.fr/bo/19/Special1/MENE1901631A.htm
18
Usages des théories didactiques sur l’exemple des nombres décimaux

cohérent avec les choix faits par Cantor et Dedekind dans leur construction de
l’ensemble des nombres réels : en effet, leurs théories respectives garantissent
l’existence de cette correspondance biunivoque entre l’ensemble des nombres réels et
les points de la droite munie d’une origine et d’une unité de longueur. Ceci est à l’œuvre
dans les va-et-vient entre registre numérique et registre graphique en Analyse tout au
long du lycée et à la transition lycée-université (par exemple dans l’utilisation du
théorème des valeurs intermédiaires).
L’objectif de ce programme en ce qui concerne les nombres réels est ambitieux. Une
analyse des moyens prévus pour remplir cet objectif révèle que certaines questions
fondamentales ne sont pas développées dans les documents officiels. On peut faire
l’hypothèse que ces questions ne seront pas traitées par les enseignants. Nous
mentionnons ci-dessous les principaux éléments que nous avons identifiés, et des pistes
qui pourraient être envisagées.
➢ L’introduction des nombres réels comme abscisses de points sur la droite graduée
s’inscrit dans la continuité de la relation entre l’ordre des points sur la droite et
celui sur les nombres décimaux. Le théorème de Thalès permet théoriquement de
construire sur la droite les points d’abscisse rationnelle ; l’introduction du guide-
âne (réseau de droites parallèles) est un outil pour cela dès la fin de l’école
primaire. Le théorème de Pythagore permet théoriquement de construire des
points d’abscisse irrationnelle algébrique, notamment pour les racines carrées
d’entiers qui ne sont pas des carrés parfaits. Ceci permet une première approche
de l’incomplétude de l’ensemble des nombres décimaux et de l’ensemble des
nombres rationnels.
A
ak.10 k, « écriture décimale ») sont bien

➢ Les trois écritures (fraction décimale k ,
10
présentes à des niveaux différents dans les programmes actuels, cependant leur
mise en relation n’est pas toujours évidente. Le choix didactique de les travailler
dans des moments différents est compréhensible, mais risque de laisser dans
l’ombre les distinctions entre la nature d’un nombre et ses différentes écritures.
➢ De nombreux théorèmes permettant de caractériser les différents types de
nombres sont implicites ; les arguments de preuve sont absents. Nous dirons que
la variable didactique « type d’un nombre » est oubliée. Elle est pourtant
fondamentale pour l’objectif annoncé de leur construction. Ainsi, dans la rubrique
« Approfondissements possibles », il est indiqué « Observation, sur des
exemples4 , de la périodicité du développement décimal de nombres rationnels, du
fait qu’un développement décimal périodique correspond à un rationnel. » (BO
spécial annexe de janvier 2019 page 7). Or, il est possible de justifier ce résultat en
s’appuyant sur la division euclidienne étendue aux décimaux, qui est disponible
dès le cycle 4.
➢ D’une manière générale, le travail sur les entiers est isolé de la construction des
autres nombres réels : dans le thème de la division euclidienne, son usage pour le
codage des nombres décimaux non entiers n’est pas travaillé ; les liens entre
l’écriture avec quotient et reste et l’écriture en fraction décimale sont rarement
envisagés, alors même qu’un travail sur les fractions est mentionné dans ce
thème, en lien avec multiples et diviseurs. Ce travail permettrait pourtant de
distinguer les rationnels non décimaux par les écritures décimales illimitées
périodiques (Perrin, 2005). Il s’agit ici d’une occasion manquée de préparer à
l’existence de nombres irrationnels.
➢ Les écritures impropres des nombres décimaux sont évoquées dans le programme

4 C’est nous qui soulignons.


19
Usages des théories didactiques sur l’exemple des nombres décimaux

de seconde, mais elles ne peuvent se comprendre que si les décimaux sont


introduits comme sous-ensemble des réels définis par les expansions décimales
illimitées. Or cette approche n’est plus présente dans les programmes depuis
longtemps. Cette propriété des nombres décimaux ne peut donc pas être justifiée
et elle est peu opérationnelle. En termes d’écologie des savoirs, nous dirons
qu’elle ne peut pas vivre dans le milieu créé par les choix de transposition
didactique des programmes actuels au lycée.
Remarque. Il faut noter qu’à partir de la classe de seconde on se place dans les réels qui
sont « déjà là » sans que ceci ne soit explicité.

4. Un exemple d’analyse praxéologique dans un manuel ancien


On s’intéresse dans ce paragraphe au type de tâche « ordonner les nombres décimaux »
et aux techniques et technologies associées dans un manuel ancien : MATHS CM2 -
calcul et géométrie – Nathan - Collection Chapuis 1991, chapitre « Les nombres
décimaux : comparaison », page 60.
Dans ce manuel, seule l’écriture décimale est présentée. La technique décrite correspond
au théorème-en-acte R1 (parties décimales dans le même Dn ) ; elle est donnée sur un
exemple de prix (de raquettes), donc dans son domaine de validité ; elle permet de
résoudre l’exercice qui suit (les plus longues cornes) contextualisé sur des mesures de
longueurs données dans D2 , à l’exception d’une mesure entière (voir annexe). Puis, dans
une rubrique qui s’apparente à ce qu’il faut retenir, qui suit ces deux exemples, on peut
lire :
« Pour ordonner des nombres décimaux :
• Compare d’abord leurs parties entières : 8,9 > 6,4 car 8 > 6
• Si les parties entières sont identiques, compare les parties décimales : d’abord le chiffre
des dixièmes : 8,9 > 8,7 car 9 > 7 puis le chiffre des centièmes: 8,94 > 8,93 car 4 > 3 et
ainsi de suite.
Quelques pièges à éviter : le nombre qui possède le plus de chiffres n’est pas forcément
le plus grand.
• 7,9 et 7,899, comme 7,9 peut s’écrire 7,900 alors 7,9 > 7,899
• 13,989 et 14, comme 14 > 13 alors 14 > 13,989
• 0,009 et 0,01, comme 0,01 peut s’écrire 0,010 alors 0,01 > 0,009. »

Une analyse en termes de praxéologies permet de mettre en évidence les points


suivants :
• La synthèse concerne le type de tâche « ordonner des nombres décimaux » et les
techniques décrites concernent le type de tâche « comparer deux nombres décimaux ».
La technique donnée en premier est celle qui s’appuie sur la technologie de l’ordre
lexicographique, alors que dans les deux seuls exemples présentés, les nombres
renvoient à des situations de la vie courante ; ceux-ci sont donnés avec deux chiffres
après la virgule et mettent en œuvre R1, qui n’est pas énoncé (et pour cause). La
technologie implicite est « R1 dans D2 » muni de l’ordre standard.
• Dans la section « Quelques pièges à éviter », trois exemples sont donnés sans aucun
discours technologique. Les premier et troisième exemples illustrent la technique liée à
R1, mise en œuvre dans D3 ; le piège n’est pas explicité. Le second exemple attire
l’attention sur le fait que la longueur de l’écriture décimale des nombres à comparer
n’est pas un critère ; cela aurait été plus pertinent si les nombres avaient eu la même
partie entière.

20
Usages des théories didactiques sur l’exemple des nombres décimaux

• Dans la partie « Travaux et exercices » qui suit (page 61), une grande variété d’exercices
est proposée qui permet d’explorer a priori les deux techniques et pour la première son
domaine de validité. Néanmoins, on peut faire l’hypothèse que ce qui a été présenté
dans la partie introductive (page 60) ne permet pas un travail autonome des élèves.
Bien que nous n’ayons pas fait les analyses praxéologiques des manuels actuels, nous
faisons l’hypothèse que la prise en compte explicite dans le document
d’accompagnement du cycle 3 de la complexité du type de tâche « ordonner des
nombres décimaux » et des techniques et technologies associées pourrait se refléter
dans les manuels contemporains. Ces analyses sont en cours et seront publiées par
ailleurs.

5. Quels moyens d’action ?

La Théorie des Situations Didactiques nous offre des outils pour cette analyse, en
particulier les notions de situation didactique*, contrat et milieu didactiques*, rétroaction
du milieu*, variable didactique*. Dans cette section nous développons deux points ; 1/
l’identification de variables didactiques pertinentes concernant les nombres décimaux ;
2/ un exemple de situation permettant d’interroger le domaine de validité du théorème-
en-acte R1.
Remarque. Brousseau (1998) utilise l’expression modèle implicite d’action plutôt que
théorème-en-acte.
1. Identifier les variables didactiques et proposer des activités permettant de travailler
l’ensemble des choix pertinents des valeurs de ces variables.
Deux variables didactiques jouent un rôle fondamental dans cette tâche de
comparaison : les ensembles Dn auxquels appartiennent les nombres à comparer, et leur
écriture. Prenons deux exemples :
E1. « Ranger par ordre décroissant : 5,64 ; 4,56 ; 4,46 ; 6,45 ; 4,65 ; 6,54. »
(Delta 6e maths 2021,ex. 70b p.36)
36 689 5
E2. « Range dans l’ordre décroissant : 3,7 ; 3,702 ; ; 3+ ; 3+ » (les
10 1000 10
cahiers de Sesamath, 6ème, 2021 ex.7b, p.8)
E1 sera réussi par tous les élèves qui ont acquis l’ordre dans ℕ. En effet, la technique de
comparaison des entiers appliquée aux parties entières ou lorsque celles-ci sont égales,
aux nombres formés par les décimales, permet de réussir cet exercice. La technologie
associée est « R1 dans D2 ».
E2 nécessite d’avoir compris à la fois l’ordre dans 𝔻 pour des nombres appartenant à
des Dn différents et le passage d’une écriture fractionnaire à une écriture décimale.
Ces mêmes variables permettent de distinguer les effets potentiels des exercices
d’encadrement ci-après :
E3. « Complète avec un nombre décimal : a. 3,4 < … < 3,5 b. 6,15 < … < 6,16 » (Les
cahiers de Sesamath 6e 2021, partie de l’exercice 3, p.8)
E4. « Complète les inégalités avec un nombre décimal comportant autant de
décimales : 5,3 < … < 5,5 ; 13,6 < … < 13,8 ; 1,25 < … < 1,27 ; 37,06 > … > 37,04 ;
0,4 > . . . > 0,2 ; 1,141 > . . . > 1,139. » (MATHS CM2- Calcul et Géométrie - collection
Chapuis – Nathan 1991)
E3 nécessite de changer de sous-ensemble Dn , alors que E4 se résout en traitant les
parties décimales comme des entiers. De plus, comme on doit rester dans le même Dn, il
n’y a qu’une réponse possible pour chacun des couples de nombres proposés.
21
Usages des théories didactiques sur l’exemple des nombres décimaux

Pour permettre aux élèves de reconsidérer ces concepts-en-acte et ces théorèmes-en-


acte, on peut mettre en œuvre des situations locales comme celle décrite ci-dessous.

2. Une situation pour interroger en classe le domaine de validité du théorème-en-acte R1


R1 : « Pour comparer deux nombres décimaux, on compare d’abord les parties
entières puis, si elles sont égales, on compare les parties décimales, comme si
c’étaient des nombres entiers ».
Nous présentons un contexte classique de comparaison des aires pour lequel
l’application de R1 conduit à une prédiction erronée.
➢ Phase 1. Comparer l’aire de deux rectangles P1 et P2 dont les mesures des côtés
sont respectivement en cm : 4,5 et 3 pour P1 ; 5,3 et 2,3 pour P2.
Dans cette phase, on ne fournit ni dessin ni matériel. Le calcul de l’aire donne 13,5
cm2 pour l’aire de P1 et 13,25 cm2 pour l’aire de P2. L’application du théorème-en
acte R1 conduit à affirmer que l’aire du rectangle P1 est plus petite que l’aire du
rectangle P2. Les nombres ont été choisis tels que les valeurs des produits soient
en dehors du domaine de validité de R1. Ce choix est associé à la variable
didactique binaire : Format des produits des deux nombres (les produits ont le
même format, ou pas).
➢ Phase 2. On propose aux élèves de dessiner les deux rectangles sur du papier
millimétré et de comparer géométriquement leurs aires. Les élèves peuvent
découper et mobiliser la conservation des aires par décomposition/recomposition.
La conclusion est alors que l’aire du rectangle P1 est supérieure strictement à l’aire
du rectangle P2. À ce stade de l’activité, les élèves peuvent décider par eux-
mêmes que le résultat obtenu dans la phase 2 n’est pas en accord avec leur
prédiction en phase 1. Il y a ici une rétroaction du milieu qui leur permet de
percevoir par eux-mêmes cette contradiction. Notons qu’ici le milieu contient des
éléments matériels (papier millimétré, paire de ciseaux) et des éléments cognitifs :
le théorème-en-acte sur les aires « Si trois domaines deux à deux disjoints A, B
et C d’aires non nulles sont tels que B = A ∪ C , l’aire de B est supérieure
strictement à l’aire de A » ; la capacité à mettre en œuvre l’inférence associée :
le découpage montre que l’antécédent est vérifié ; ceci permet de conclure.
➢ Phase 3. Retour sur les calculs de la phase 1
On commence par vérifier que les calculs des deux produits sont corrects - ceci
permet de questionner le théorème-en-acte mobilisé et de mettre en œuvre des
techniques alternatives (comparaison chiffres à chiffres ou mise au format). Dans le
cas de la mise au format, ceci revient à introduire une condition d’application du
théorème-en-acte R1 pour la comparaison des décimaux : pour comparer deux
nombres décimaux écrits au format, on compare les parties entières ; si elles sont
égales, on compare les nombres formés par les parties décimales.
➢ On peut terminer par l’institutionnalisation d’une « métarelation » entre nombres
décimaux et mesures : les règles de comparaison des décimaux doivent fournir
des résultats en adéquation avec les résultats empiriques, dès lors que ceux-ci ne
sont pas ambigus. Ceci contribue à mettre en évidence les raisons d’être des
techniques retenues pour la comparaison des décimaux.
Remarque. Pour que le théorème-en-acte de comparaison des aires joue son rôle, il faut
que l’élève l’identifie comme un résultat sur lequel il peut s’appuyer ; autrement dit qu’il
ne remette pas en question l’invariance des aires par découpage et recomposition
(travaillée dans les programmes du cycle 3) mais bien le résultat du calcul.

22
Usages des théories didactiques sur l’exemple des nombres décimaux

Conclusion

Les difficultés récurrentes avec les nombres décimaux persistent jusqu’en début
d’université. Nos analyses didactiques montrent qu’elles sont liées à la nature même de
ces nombres, à la pluralité des approches et des représentations possibles. Un enjeu de
l’enseignement devrait être l’articulation entre les trois approches que nous avons
mentionnées au début de ce texte. Ces obstacles de nature épistémologique* sont
insuffisamment pris en charge dans les choix de transposition didactique actuels au
collège et au lycée, et ce malgré une certaine reconnaissance de ces difficultés. Nous
avons proposé au fil du texte des analyses et quelques pistes pour se saisir des
opportunités présentes dans les programmes. Ceci dans la perspective d’une
construction solide des différents types de nombres permettant une entrée réussie dans
les enseignements scientifiques dispensés à la transition lycée-université.

23
Usages des théories didactiques sur l’exemple des nombres décimaux

Annexe

Début du chapitre « Les nombres décimaux : comparaison » manuel MATHS CM2 1991

24
RÉFÉRENCES
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• Artigue, M., Bosch, M., Chaachoua, H., Chellougui, F., Chesnais, A., Durand-Guerrier, V.,
Knipping, C., Maschietto, M., Romo-Vázquez, A., & Trouche, L. (2019). The French Didactic
Tradition in Mathematics. In W. Blum, M. Artigue, M. A. Mariotti, R. Sträßer, & M. Van den
Heuvel-Panhuizen (Éds.), « European Traditions in Didactics of Mathematics » (p. 11‑56).
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• Chevallard, Y. (1985). La transposition didactique - Du savoir savant au savoir enseigné.
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• Chevallard, Y. (1991). La transposition didactique avec un exemple d'analyse de la
transposition didactique. La Pensée Sauvage Editions.
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Première approche. First conference of International Network for Didactic Research in
University Mathematics, Mar 2016, Montpellier, France
COMITÉ SCIENTIFIQUE ET D’ORGANISATION

Président de l'école thématique


Sylvain GRAVIER CNRS - IF (UMR 5582)

Comité scientifique
Grégoire CHARLOT Université Grenoble Alpes - IF (UMR 5582)
Viviane DURAND-GUERRIER Université de Montpellier - IMAG (UMR 5149)
Marie-Line GARDES Haute Ecole Pédagogique du canton de Vaud (Lausanne) - Suisse
Sylvain GRAVIER CNRS - IF (UMR 5582)
Denise GRENIER Université Grenoble Alpes - IF (UMR 5582)
Ghislaine GUEUDET Université Paris-Saclay - UR EST

Comité d'organisation
Hamid CHAACHOUA Université Grenoble Alpes- LIG (UMR 5217)
Grégoire CHARLOT Université Grenoble Alpes - IF (UMR 5582)
Mickael DA RONCH Université Grenoble Alpes - IF (UMR 5582) - HEP du Valais - Suisse
Viviane DURAND-GUERRIER Université de Montpellier - IMAG (UMR 5149)
Michèle GANDIT Université Grenoble Alpes - IF (UMR 5582)
Sylvain GRAVIER CNRS - IF (UMR 5582)
Denise GRENIER Université Grenoble Alpes - IF (UMR 5582)
Rémi MOLINIER Université Grenoble Alpes - IF (UMR 5582)

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