Universite de Kinshasa: Année Académique 2023-2024

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ii

UNIVERSITE DE KINSHASA

B.P.127 KINSHASA XI

FACULTE DES SCIENCES SOCIALES, ADMINISTRATIVES ET

POLITIQUES
DEPARTEMENT DES SCIENCES POLITIQUES ET ADMINISTRATIVES

MIGRATIONS TRANSFRONTALIERES ALTERNANTES ENTRE GOMA ET


GISENYI
Une équation des politiques sécuritaire et sociale congolaises

Par Jacques Israël AKILI MULIRI


Licencié en Sciences Politiques et Administratives
Mémoire présenté en vue de l’Obtention du
diplôme d’Etudes Supérieures en Sciences Politiques
et Administratives

Promoteur : Professeur Arsène MWAKA BWENGE


Co-Promoteurs : Professeur José MVUEZOLO BAZONZI
Professeur Philémon MUAMBA MUMBUNDA

Année académique 2023-2024


i

RESUME

Les migrations transfrontalières alternantes entre les villes de Goma (République Démocratique
du Congo) et Gisenyi (Rwanda) font l’actualité de l’espace de la Communauté Economique des
Pays des Grands Lacs. Ce phénomène qui tire ses racines de l’histoire de la sous-région, concerne
les navettes régulières à la frontière Goma-Gisenyi effectuées par des personnes de nationalité
congolaise employées à Goma ayant choisi de résider à Gisenyi depuis deux décennies. Cette
période qui correspond à la crispation du climat politique entre la RDC et le Rwanda est liée à
l’amplification de ce phénomène migratoire. Cette étude met en exergue les politiques sécuritaire
et sociale congolaises à Goma afin d’expliquer la survenue et le développement des migrations
transfrontalières alternantes entre Goma et Gisenyi.

Mots clés : Migrations, Migrations transfrontalières, Migrations transfrontalières alternantes,


politiques sécuritaire et sociale, Goma-Gisenyi.

SUMMARY

Alternating cross-border migration between the cities of Goma (Democratic Republic of Congo)
and Gisenyi (Rwanda) is making the news in the Economic Community of the Great Lakes
Countries. This phenomenon, which has its roots in the history of the subregion, concerns the
regular shuttles at the Goma-Gisenyi border made by persons of Congolese nationality employed
in Goma who have chosen to reside in Gisenyi for two decades. This period, which corresponds
to the tension in the political climate between the DRC and Rwanda is linked to the amplification
of this migratory phenomenon. This study highlights Congolese security and social policies in
Goma in order to explain the occurrence and development of alternating cross-border migration
between Goma and Gisenyi.

Keywords: Migrations, cross-border migrations, alternating cross-border migrations, security


and social policies, Goma-Gisenyi.
ii

EPIGRAPHE

« Car moi le Seigneur, je sais bien quels projets je forme pour toi ; et je te l’affirme : ce ne
sont pas des projets de malheur mais des projets de bonheur. Je veux te donner de l’avenir
et de l’espérance ».

Jérémie 29 : 11 (Bible français courant)


iii

DEDICACE

A mon père Paul KULIMUSHI et ma mère Ciza MULIRI,

Je dédie cette dissertation

Jacques Israël AKILI MULIRI


iv

REMERCIEMENTS

Mon parcours académique et scientifique m’a révélé une vérité qui s’est
imposée dans ma vie : la bonne volonté ne suffit pas toujours pour réaliser les rêves de la
vie. Seul un choix soutenu et appuyé peut conduire à caresser les rêves de la vie. A la
fleur de l’âge, j’ai chéri la carrière enseignante à l’université. J’ignorais encore le prix que
ce choix d’honneur et de prestige m’imposerait. Devenir Chercheur-Enseignant à
l’université était au début un prestige, un refuge, un confort pour un jeune homme issu
des milieux ordinaires et modestes.

Ce parcours s’est vite révélé comme un véritable chemin de la croix, un


calvaire pour moi. Je remercie beaucoup le Seigneur Jésus-Christ en qui j’ai cru dès mon
adolescence, pour qui j’ai tout abandonné à la fleur de l’âge et qui m’a donné tout son
amour et toute son affection. Il a su mettre sur mon chemin de bonnes personnes au bon
moment qui ont été et continuent d’être utiles pour moi.

Arsène MWAKA BWENGE, que j’ai entendu parler pour la première fois
dans une émission de Radio Okapi, est devenu pour moi un père. Par ses observations
scientifiques, il m’a montré que moi aussi je pouvais devenir… Son apport a dépassé la
casquette de maître scientifique pour devenir un coach et un mentor sur ma destinée. Je
lui reste reconnaissant.

Toute ma gratitude s’adresse aussi à toute l’équipe de mon encadrement,


notamment les Professeurs José MVUEZOLO BAZONZI et Philémon MUAMBA
MUMBUNDA pour leurs remarques et observations scientifiques qui ont contribué à mon
processus de maturation scientifique.

Je rends hommage au personnel du Département des Sciences Politiques et


Administratives ainsi qu’à tous les enseignants et chercheurs du Centre d’Etudes
Politiques de l’Université de Kinshasa pour m’avoir accueilli dans cette grande alma
mater pour mon cycle de doctorat. Je pense aux Professeurs Jules Kassay, Jean Lyongo,
v

etc., Aux dames et messieurs Christel Mpongo, Cesarine Mbimbi, Mass Bokakandani,
Matthieu Mbavazi, etc.

Toute ma reconnaissance s’adresse également à tous les membres du corps


académique et du personnel scientifique de la Faculté des Sciences Sociales,
Administratives et Politiques de l’Université de Goma. Ils sont devenus une famille pour
moi. Que les Professeurs Phidias Ahadi, Déodatus Nyahutwe, Jaribu Muliwavyo, Déo
Chimerhe trouvent ici l’expression de ma gratitude. Il en est de même des Chefs de
travaux et Assistants Albanz Kabaya, Blandine Zaina, Hélène Nzeza, Seth Shukuru et
d’autres collègues dont les noms ne sont pas mentionnés ici.

Je tiens à remercier les membres de ma famille biologique. Ils m’ont toujours


vu « embrouillé » dans la lecture des livres mais sans revenus financiers ; ils ne se sont
point lassés de moi. Je retiens qu’ils me disent toujours : « ça va aller », « Vas-y, tu vas
arriver… ». Chère grande sœur, chères petites sœurs, cher grand frère, chers petits frères,
sachez-le, vos noms sont gravés dans mon cœur.

Je m’en voudrais si je ne dis pas ma reconnaissance aux Pasteurs Patrick


Kahongya et Jolie Masika, mes encadreurs dans la foi et qui sont devenus des parents
pour moi. Vous m’avez toujours poussé à aller de l’avant et vous n’avez cessé de me
montrer que c’est encore possible dans ma vie.

Je tiens à remercier toute la famille Baguma Lulihoshi pour son appui


multiple depuis plusieurs années. Plus particulièrement Papa Joël Lebel Baguma, un
intellectuel rigoureux qui a su mettre sa plume et son savoir-faire pour la relecture de ce
travail.

Que tous mes frères et sœurs dans la foi qui ont toujours été des modèles pour
moi en charité, en humilité et en foi trouvent ici l’expression de ma parfaite
reconnaissance. Que le Pasteur Baraka Katembo, le frère Lobiko Lobin, Maman Esther
Kumba, soient bénis pour leur assistance.
vi

Que tout homme et toute femme que Dieu a mis sur mon parcours pour me
soutenir accepte ici toute ma gratitude. Je pense à Son Excellence Kitsa Mahali et à son
épouse Immaculée Kenda, au Pasteur Augu Ruta Kambale qui m’ont soutenu dès mon
adolescence. Que les Pasteurs Rodal et Noella Kolangas, Pasteur Patient Kajyambere,
ainsi que Messieurs et Dames, Ruffin Matabishi, Hervé et Grace Lemfuka, Amani et
Grâce Buligho, Lady et Rachel Kabwe, Justin et Clarisse Kantole, Steve Makwin, Mony
Morongani, Guélord Kalonji, Dv Bateko, Olivier Mabanze, Justin Kabwe, Bijou Rachel,
Josué Wasso, Smith Tembeya, Boris Salumu, Williams Bokonda et tous ceux dont les
noms ne sont pas mentionnés ici reconnaissent par ces mots l’expression de toute ma
gratitude pour leur apports dans ma vie. Je sais personnellement ce que vous avez été
pour moi.

Enfin, je remercie la sœur Bénie Mafuta, qui crut en moi à un moment


difficile de ma vie et accepta volontiers d’être mon amie. Sa présence dans ma vie est
d’une grande valeur ajoutée.

Jacques Israël AKILI MULIRI


vii

ABREVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES

- ACT : Association des petits Commerçants Transfrontaliers


- AFDL : Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo/Zaïre
- AIDLF : Association Internationale des Démographes de Langue Française
- ALENA : Accord de Libre-échange Nord-Américain
- AML : Aire Métropolitain de Lille
- BIAC : Banque Internationale pour l’Afrique au Congo
- BEED : Bureau d’Etudes et d’Expertise sur le Développement
- BIT : Bureau International du Travail
- CAE : Communauté de l’Afrique de l’Est
- CEDEAO : Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest
- CIMNOKIVU : Compagnie immobilière du Nord-Kivu
- CEEAC : Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale
- CEN-SAD : Communauté des Etats Sahélo-Sahariens
- CEPGL : Communauté Economique des Pays des Grands Lacs
- CER : Communauté Economique Régionale
- CNDD-FDD : Conseil National pour la Défense de la Démocratie-Forces de défense de
la démocratie
- CNCD : Coordination Nationale des Conseils de Développement
- CNSS : Caisse Nationale de Sécurité Sociale
- CODESRIA: Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales en
Afrique
- CREDDA : Centre de Recherche sur la Démocratie et le Développement en Afrique
- COMESA : Marché Commun de l’Afrique Orientale et Australe
- COVID 19 : Corona Virus Disease 2019
- CRDE : Centre de Recherche en Développement et éducation
- DGDA : Direction Générale des Douanes et Accises
viii

- DGM : Direction Générale de Migration


- EFO : Ecole de formation des officiers
- FAR : Forces Armées Rwandaises
- FARDC : Forces Armes de la République Démocratique du Congo
- Fonhab : Fonds national d’habitat
- FPR : Front Patriotique Rwandais
- ICCN : Institut Congolais de Conservation de la Nature
- IRC : International Rescue Committee
- IFRI : Institut Français des Relations Internationales
- INSS : Institut National de Sécurité Sociale
- ISTA : Institut Supérieur des Techniques Appliquées
- MGL : Minière des Grands Lacs
- MIB : Mission d’Immigration de Banyarwanda
- MERCOSUR: Marché Commun du Sud de l’Amérique
- MONUSCO: Mission des Nations Unies pour la Stabilisation au Congo
- MSI : Management International Systems
- M23 : Mouvement du 23 Mars
- OCC : Office Congolais de Contrôle
- OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Economique
- OGEFREM : Office de Gestion des Frets Multimodal
- OI : Organisation Internationale
- OIM : Organisation Internationale pour les Migrations
- ONG : Organisation Non Gouvernementale
- ONU : Organisation des Nations Unies
- ONUSIDA : Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida
- OTRACO : Office des Transports au Congo
- OUA : Organisation de l’Unité Africaine
- Parmehutu : Parti du Mouvement de l’émancipation Hutu
- PEDRO : Political Economy Dynamics of Regional Organisations
ix

- QG : Quartier General
- RCD : Rassemblement Congolais pour la Démocratie
- RDC : République Démocratique du Congo
- RDF : Rwanda Defense Force
- REGIDESO: Régie de distribution d’eau
- RTNC : Radio Télévision Nationale Congolaise
- RRA : Rwanda Revenue Authority
- SADC : Communauté de Développement de l’Afrique Australe
- SDAU : Schéma Directeur d’Aménagent Urbain
- SNEL : Société Nationale d’électricité
- SOCODEE : Société Congolaise de Distribution d’Eau et d’Electricité
- SOCOPA : Société Coopérative des Produits agricoles
- TRAPAK : Transformation du Pyrèthre au Kivu
- UA : Union Africaine
- UE : Union Européenne
- ULPGL : Université Libre des Pays des Grands Lacs
- UK : Université Kongo
- UKV : Université Président Kasavubu
- UKAID : Foreign Aid Agency for the United Kingdom
- UMA : Union du Maghreb Arabe
- UNAZA : Université Nationale du Zaïre
- UNIGOM : Université de Goma
- UNIKIN : Université de Kinshasa
- URSS : Union des Républiques Socialistes Soviétiques
- USAID : United States Agency for International Development
- VIH/SIDA : Virus de l’Immuno déficience Humaine/ Syndrome d’Immuno Déficience
Acquise
- WWW : World Wide Web
- ZLECA : Zone de Libre-échange Economique Africaine
1

0. INTRODUCTION GENERALE
0.1. Objet d’étude
Les migrations transfrontalières alternantes entre les villes de Goma à l’Est de
la RDC et Gisenyi à l’Ouest du Rwanda font l’actualité de l’espace de la Communauté
Economique des Pays des Grands Lacs (CEPGL). Il s’agit des navettes régulières entre les
personnes habitant à Gisenyi au Rwanda mais qui gagnent leur pain quotidien à Goma en
RDC. Plus de quinze mille personnes traversent la frontière Goma- Gisenyi chaque matin
et chaque soir1.

La première catégorie de ces migrants transfrontaliers est de nationalité


rwandaise. Ils viennent à Goma pour des raisons de survie et de scolarité. Il s’agit de
petits commerçants transfrontaliers qui vendent des vivres à Goma, des handicapés
transporteurs des marchandises, des vendeurs de téléphones portables dans des boutiques
au centre-ville, des employés des restaurants et hôtels, des ouvriers à bon marché dans les
chantiers immobiliers à Goma. Il s’agit aussi des élèves et des étudiants rwandais qui
fréquentent des écoles et universités à Goma.

La deuxième catégorie est de nationalité congolaise. Ils sont avocats au


barreau de Goma, fonctionnaires de l’Etat à Goma, agents des entreprises publiques,
pasteurs congolais, humanitaires œuvrant à Goma et des jeunes congolais à la recherche
d’emploi à Goma mais qui ont préféré habiter à Gisenyi. C’est cette deuxième catégorie
des navetteurs qui constitue l’objet de cette étude.

1
Entretien avec un agent de la Direction Générale des Migrations (DGM) ayant requis l’anonymat, Goma,
Petite barrière, 19 janvier 2020. Entretien avec un agent de la Direction Générale des Douanes et Accises
(DGDA) ayant requis l’anonymat, Goma, 15 septembre 2022, Entretien avec le chef de division de la police
des frontières à la DGM/Nord-Kivu à Goma, 22 septembre 2022.
Le chiffre de quinze mille personnes correspond aux statistiques des traversées à la frontière pendant et après la
Covid-19. Avant la Covid-19 ce chiffre est de 35 000 à 40 000 mille personnes par jour. (Bureau du COMESA,
antenne de Goma/petite barrière ; C. Kimanuka et M. Lange, La traversée. Petit commerce et amélioration des
relations transfrontalières entre Goma (RDC) et Gisenyi (Rwanda), International Alert et APIBA, Goma, 2010).
2

0.2. Problématique et hypothèse


Le phénomène des migrations transfrontalières alternantes entre Goma et
Gisenyi est à situer dans la dynamique migratoire de l’espace de la Communauté
Economique des pays des Grands Lacs (CEPGL). Cette dynamique concerne l’échange
des biens et des personnes dans l’espace CEPGL constitué par la République
Démocratique du Congo, la République du Rwanda et la République du Burundi.

Ces échanges ont une histoire. Les sources orales précoloniales renseignent
des échanges de nature économique entre les personnes habitant les territoires qui
constituent aujourd’hui la sous-région des grands lacs2. Les archives de l’administration
coloniale mentionnent des migrations des personnes sous forme de main d’œuvre entre
les peuples du Congo-belge et du Ruanda-Urundi3.

C’est à ce point de vue que ce phénomène a préoccupé les chercheurs des


horizons divers. Des historiens, des géographes, des politologues, des sociologues, des
anthropologues et des économistes cherchent à savoir pourquoi les migrations
transfrontalières alternantes demeurent courantes dans les espaces transfrontaliers4. Dans
la tentative d’explication de ce phénomène, les chercheurs mentionnent deux facteurs
principaux : les facteurs socio-professionnels et les facteurs socio-scolaires/académiques.

2
J. de Heinzelin, cité par B. Hakiza Rukatsi, L’intégration des immigrés au Zaire. Le cas des personnes originaires du
Rwanda, Kinshasa, Edition Etat et Société, 2004, p.47 ; J. Vansina, Le Rwanda ancien, Paris, Karthala, 2001,
p.1 ; I. Ndaywel è Nziem, Histoire du Zaïre. De l’héritage ancien à l’âge contemporain, Bruxelles, Duculot, p.49 ; J.-
B Murairi Mitima, Les Bahunde aux pieds des volcans Virunga (RD Congo), Paris, l’Harmattan, 2005, pp. 185-200.
3
Ces échanges étaient essentiellement liés à la main d’œuvre rwandaise mobilisée pour le travail dans les
plantations de thé, de café, etc. et des entreprises minières dans le Katanga ( B. Hakiza Rukatsi, op. cit., p.47.).
4
A titre illustratif on peut citer E. Augris et A. Piot, « Migrations : De l’antiquité au XXème », in l’éléphant N°9,
janvier 2015 ; E. Piguet, « Les théories des migrations. Synthèse de la prise de décision individuelle », in Revue
européenne des migrations internationales, vol. 29/n°3, 2013, [en ligne],
http://journals.openedition.org/remi/6571, consulté le 21 Juillet 2020 ; J. Jori, La mobilité scolaire
transfrontalière dans la région de Szeged, Thèse de doctorat inédite, Géographie, Université des sciences et
technologies de l’Ille, p.10., M. Antoninis, Migration, déplacement et éducation. Bâtir des ponts, pas des murs, Paris,
UNESCO, 2019, p.9 ; E.-J. Tambwe, « Incidence de la frontière Goma-Gisenyi en 2004 sur l’éducation » in O.
Sematumba (sous la dir.) , Les frontières : Lieux de division ou passerelles d’échanges ? Impact de la fermeture de la
frontière Goma-Gisenyi, Goma, Pole Institute, Fissures n°005, janvier 2005, pp.32-37 ; M. Doevenspeck et M.
Mwanabiningo N., « Faire face à l’incertitude : La frontière entre le Congo et le Rwanda comme une
ressource », in Annales de géographie, 2012/2, n°684, pp. 151-171.
3

Les facteurs socio-professionnels des migrations transfrontalières alternantes


sont liés à la différenciation emploi-résidence entre régions transfrontalières. D’une part,
une région qui offre des opportunités d’emploi mais sans main d’œuvre disponible ou
suffisante. D’autre part, une région de résidence ou de domicile mais dépourvue
d’opportunités professionnelles suffisantes. C’est le fondement de la migration de main
d’œuvre qui a fait l’objet de plusieurs études5.

Les facteurs socio-scolaires et académiques des migrations transfrontalières


alternantes sont liés à l’attrait des systèmes éducatifs entre régions transfrontalières. C’est
dans ce contexte que les études sur les migrations transfrontalières scolaires/académiques
analysent la mobilité scolaire à travers l’espace, le temps de l’histoire afin d’en
comprendre les raisons, les stratégies familiales, les réseaux d’acteurs et des lieux
existant de part et d’autres des frontières6. Pendant la deuxième République, plusieurs
enseignants de l’est du Zaïre (RDC) donnent cours dans les écoles des pays voisins
(principalement le Rwanda). En plus, plusieurs étudiants en provenance de ces pays
voisins venaient étudier dans les écoles et universités de la RDC à Goma7.

Au-delà de cet état de connaissance qui garde toute sa pertinence, cette étude
ouvre une piste nouvelle dans le champ d’étude des migrations transfrontalières
alternantes. Alors que la nécessité de l’emploi, de l’école et de l’université suppose des
relations cordiales et pacifiées, cette étude examine ces mouvements migratoires en
période de trouble, d’inimitié et de méfiance sur le plan de la sécurité entre les deux
Etats. C’est un contexte paradoxal.

C’est depuis plus de deux décennies que la République Démocratique du


Congo et le Rwanda connaissent des relations politiques et diplomatiques tendues et
belliqueuses. Il s’observe une crispation du climat politique et diplomatique entre la RDC
et le Rwanda8.C’est dans ce climat que les congolais résidant à Gisenyi et employés à

5
E. Augris et A. Piot, op.cit. ; E. Piguet, op.cit.
6
J. Jori, op.cit. , p.10 ; M. Antoninis, op.cit. , p.9.
7
E.-J. Tambwe, op.cit.
8
Suite à la résurgence de la rébellion du M23 en juin 2021, le Président de la République Démocratique du
Congo déclare à la tribune des Nations Unies en septembre 2022 que la RDC est agressée par le Rwanda. Bien
4

Goma traversent chaque matin les postes frontaliers de la grande et de la petite barrière.
Certains participent aux manifestations anti Rwanda à Goma et rentrent habiter le soir à
Gisenyi au Rwanda9.

Pour les autorités congolaises, résider au Rwanda et travailler en République


Démocratique du Congo est de plus en plus découragé10 et même interdit pour les
fonctionnaires de l’Etat et les agents des entreprises publiques congolaises. Le 27 août
2022, le Directeur provincial de la DGM/Nord-Kivu, exécutant une injonction de sa
hiérarchie interdit les traversées quotidiennes de quelques agents de la Direction
Générale des Douanes et Accises/Nord-Kivu entre Goma/RDC et Gisenyi/Rwanda11.

Malgré ce contexte, un nombre estimé entre 1000 et 200012 personnes de


nationalité congolaise résidant à Gisenyi fait des navettes quotidiennes à la frontière
Goma-Gisenyi. Ce qui parait comme un paradoxe et laisse le chercheur perplexe. Cette
étude battit son fondement heuristique sur la question suivante : Comment expliquer le
phénomène de migrations transfrontalières alternantes entre Goma et Gisenyi dans un
contexte de méfiance mutuelle et de crispation du climat politique entre la RDC et le
Rwanda ?

A titre d’hypothèse, le point de vue de cette étude situe le phénomène des


migrations transfrontalières alternantes Goma-Gisenyi dans l’insuffisance de l’offre des
politiques sécuritaires et sociales congolaises à Goma. L’inadéquation de la politique
sécuritaire (protection des personnes et de leurs biens) et sociale (logement, desserte en

avant cette déclaration, des manifestations « anti-rwanda » ont lieu à Goma au mois de juin 2022 avec des
escalades verbales qui finissent par créer un incident sécuritaire et diplomatique le 17 juin 2022. Un militaire
des FARDC traverse la petite barrière à Goma et tire sur les policiers rwandais. Il sera lui-même abattu par un
militaire de RDF commis à la frontière au Rwanda. En réaction, le gouvernement congolais prend la décision
de fermer la frontière à partir de 15 heures locales, au lieu de 22h.
9
Le Dr Patrick Bala est coordonnateur de l’Union sacrée au Nord-Kivu. Il est congolais mais réside au
Rwanda. Il participe aux manifestations « anti-rwandais » à la fin du mois de juin 2022 à Goma. En rentrant à
Gisenyi au Rwanda, il est arrêté par les services de sécurité rwandais à Gisenyi. Il est libéré une semaine plus
tard après une négociation entre la RDC et le Rwanda.
10
Entretien réalisé avec le Maire adjoint de la ville de Goma, Goma, 22 décembre 2020.
11
Lettre n°06/DGM/NK/424/2022 portant interdiction des traversées quotidiennes de quelques agents de la
DGDA/ Nord-Kivu entre Goma/RDC et Gisenyi/Rwanda (Archives privées).
12
A l’absence des statistiques officielles sur la question, les agents des services des migrations mentionnent que
le nombre des congolais résidant à Gisenyi et travaillant à Goma serait situé entre 1000 et 2000. (Entretien
réalisé avec le chef de Division de la police des frontières de la DGM/ Nord-Kivu, le 22 septembre 2022).
5

eau et en électricité), est l’élément qui participe à la structuration des migrations


transfrontalières alternantes entre Goma et Gisenyi dans ce contexte peu cordial.

0.3. Intérêt de l’étude


Cette étude revêt un triple intérêt : personnel, scientifique et pratique. Sur le
plan personnel ce travail est l’œuvre d’un intellectuel en formation qui est né dans le
quartier Mapendo/ Birere à Goma. Ayant passé toute ma jeunesse dans cette ville, j’ai
assisté aux échanges réguliers entre la ville de Goma en RDC et la ville frontalière de
Gisenyi au Rwanda. Ce travail est une opportunité pour moi de saisir la portée exacte des
échanges transfrontaliers par les migrations transfrontalières alternantes entre Goma et
Gisenyi en vue de trouver des explications rationnelles à un phénomène qui préoccupe la
communauté.

Sur le plan scientifique, ce travail se veut être une modeste contribution au


débat scientifique sur les migrations et les échanges entre les Etats de l’espace CEPGL.
L’acception de cette étude est d’autant plus importante qu’elle s’enrichit des apports de la
science politique, de la science administrative, de l’histoire, de la sociologie politique, de
l’analyse des politiques publiques, de la géographie politique et de l’étude des relations
transnationales.

Sur le plan pratique, comme l’a bien souligné Mboko Dj’adima, la science est
faite pour la société.13 Cette recherche est une contribution à l’agenda de la paix et du bon
voisinage dans l’espace CEPGL. L’éclairage apporté à ce phénomène permet de mettre en
exergue la corrélation entre les politiques publiques et les migrations transfrontalières
Goma-Gisenyi. Ce travail est autant utile aux fonctionnaires de l’Etat concernés engagés
dans la gestion des migrations transfrontalières et au pouvoir public dans l’allocation des
politiques sécuritaire et sociale adéquates à Goma. Ces praticiens peuvent trouver ici
certaines pistes d’éclairage pour améliorer les services quotidiens qu’ils rendent à la
population.

13
Mboko Dj’andima, Principes et usages en matière de rédaction d’un travail universitaire, Kinshasa, Editions
CADICEC-UNIAPA/Congo,2004, p.21.
6

0.4. Démarche méthodologique


Dans cette étude nous recourons à la méthode dynamiste dans l’acception de
Georges Balandier qui consiste à considérer la réalité sociale à travers l’histoire et
faisant d’elle une partie intégrante de la nature même de la société.14 Par ailleurs la
collecte des données a été réalisée grâce à la technique documentaire, l’entretien qualitatif
et l’observation libre désengagée. La présentation, la description et l’application de la
méthode dynamiste de Georges Balandier sont présentées dans le premier chapitre de
cette étude.

A ce stade, nous précisons que cette réflexion recourt à deux sources : écrites et
orales. Les sources écrites sont constituées des publications scientifiques et non
scientifiques, des rapports d’activité des organisations non gouvernementales œuvrant à la
frontière et qui s’intéressent à la migration entre Goma et Gisenyi. Les documents
officiels sont constitués par les rapports d’activités de la Mairie de Goma, les données
disponibles des services migratoires, des rapports de la police nationale congolaise sur la
sécurité à Goma, les rapports de la Regideso, de la SNEL et d’autres sociétés travaillant
dans le secteur de l’électricité à Goma. Nous précisons que les données de l’Office
Congolais de Contrôle du Nord-Kivu nous ont été utiles dans l’analyse des échanges
transfrontaliers entre Goma et Gisenyi.

Les sources orales dans cette étude sont constituées essentiellement par 56
entretiens qualitatifs du terrain que nous avons réalisés entre 2019 et 2023. Ces échanges
ont été réalisés dans la ville de Goma en RDC, dans les villes de Gisenyi et Kigali au
Rwanda avec les congolais habitant à Gisenyi et exerçant leurs activités professionnelles à
Goma. D’autres entretiens l’ont été avec les responsables des services des migrations, des
douanes ainsi que les agents et autorités publiques intervenant dans le secteur de la
sécurité, du logement, de l’eau et de l’électricité à Goma. Ces échanges ont porté sur les
mobiles profonds ayant poussé les congolais à habiter à Gisenyi, sur leurs perceptions par

14
F. Esiso Asia Amani, A. Sabiti Makinga et J. Waliala Apataki , « Georges Balandier et l’avenir de la
méthode dynamiste dans les recherches en sciences sociales », in IJRDO – Journal of social science and humanities
research, vol.5, issue 4, April 2020, pp.124-136.
7

rapport au climat politique entre la RDC et le Rwanda ainsi que leur appréciation par
rapport aux politiques sociale et sécuritaire fournies par la RDC à Goma.

0.5. Choix et délimitation du sujet


La migration transfrontalière alternante entre Goma et Gisenyi constitue un
phénomène dont la présence suscite la curiosité d’un chercheur en formation. Témoin des
turbulences politiques entre le Rwanda et la RDC, il assiste quotidiennement aux
échanges réguliers entre Goma et Gisenyi. Dans un climat d’incertitudes politiques et de
suspicion réciproque entre la RDC et le Rwanda, être congolais employé à Goma et passer
nuit à Gisenyi suscite des interrogations. Ce fait mérite d’être exploré, expliqué et
interprété à l’aide de la théorie, de la méthode et des outils offerts par la science politique.

Le point spatial de cette étude est la ville de Goma en République


Démocratique du Congo dans sa dynamique frontalière avec la ville de Gisenyi au
Rwanda. En effet, située à la porte de l’est de l’Afrique, la ville de Goma est un enjeu de
taille pour l’économie de la RDC et la paix de la sous-région des grands lacs. Elle a été la
capitale successive de deux rébellions armées qu’a connues la RDC en 1996 et 1998.
Gisenyi est considérée ici comme un faux jumeau de Goma de l’autre côté de la frontière.
Elle partage certains points de l’histoire avec Goma. Elle est la porte des enjeux
sécuritaires, politiques et économiques entre le Rwanda et la RDC qui engagent la ville de
Goma.

Sur le plan temporel, cette étude s’étend de 2000 à 2020. C’est en pleine
rébellion du Rassemblement Congolais pour la Démocratie que la route est tracée. Bien
que les habitants de Goma et de Gisenyi effectuent des échanges réguliers depuis des
lustres, c’est à cette époque que les dirigeants du RCD et autres fonctionnaires étatiques
préfèrent habiter à Gisenyi bien que travaillant à Goma. Dans les années suivantes, le
phénomène a pris de l’ampleur ; il concernait déjà plus d’un millier de personnes.

Sur le plan théorique, cette étude relève de la science politique et se présente


comme une modeste contribution à la connaissance de la géopolitique de l’espace
8

CEPGL. Pour le besoin de l’analyse et d’interdisciplinarité, elle fait recours à la


géographie, à la géopolitique et à d’autres disciplines des sciences sociales connexes.
Etant donné que les migrations transfrontalières alternantes entre Goma et Gisenyi
soulèvent la question de l’efficacité des politiques sécuritaire et sociale de la RDC à
Goma, ce travail a un penchant particulier sur l’analyse des politiques publiques.

0.6. Difficultés rencontrées


La réalisation de cette étude s’est heurtée aux écueils d’ordre méthodologiques
parmi lesquels nous mentionnons :

 La sensibilité des données sur les migrations : En République Démocratique du


Congo, les données sur les migrations ont un caractère sécuritaire. Ce qui rend leur
accessibilité difficile. Cette barrière a été contournée grâce à notre détermination,
notre sincérité, notre simplicité, ainsi que notre rapprochement avec certains des
agents des services publics à la frontière Goma-Gisenyi.
 Le caractère impénétrable des données sur la ville de Gisenyi : Au Rwanda, tout
est suspect ! Une recherche scientifique menée en science politique, (une discipline
qui n’existe pas au Rwanda), est d’emblée perçue comme une tentative de
camouflage pour dissiper les données sécuritaires du pays. Mais cette limite a été
contournée d’abord par la recherche documentaire ainsi qu’à l’appui de certains
amis et frères vivant à Gisenyi et à Kigali qui nous ont renseigné sur les politiques
sécuritaire et sociale à Gisenyi.
 La réticence de certains enquêtés : La recherche scientifique que nous avons
menée a suscité plusieurs questionnements auprès de certains enquêtés. Nous
avions eu à faire face au désintéressement et à la réticence d’autres enquêtés.
Cependant, malgré cette difficulté nous avions réalisé nos entretiens auprès
d’autres enquêtés qui ont été accessibles et dont la liste est en annexe.
9

0.7. Subdivision de l’étude


Cette dissertation scientifique est subdivisée en cinq chapitres. Le premier est
consacré à l’étude des migrations transfrontalières alternantes. Il aborde l’usage des
concepts fondamentaux de la recherche, pose le fondement théorique et méthodologique
dans lequel s’insère l’étude. Il se clôture par la revue critique de la littérature et fait une
synthèse sur l’état de connaissance de l’objet en étude.

Le deuxième chapitre traite de la dynamique des migrations transfrontalières


alternantes entre la RDC et le Rwanda. Etant donné que le phénomène en étude n’est pas
isolé, ce chapitre tente de situer les migrations transfrontalières alternantes dans la
dynamique migratoire de l’espace CEPGL. Dans cette optique, ce chapitre fait une
rétrospective sur les mouvements des populations d’avant la colonisation, pendant et après
la colonisation pour comprendre les migrations transfrontalières actuelles entre Goma en
RDC et Gisenyi au Rwanda.

Le troisième chapitre aborde le contexte des migrations transfrontalières


alternantes entre Goma et Gisenyi. Il démontre que les migrations transfrontalières entre
Goma et Gisenyi se développent dans un contexte marqué par la crise des relations
politiques et diplomatiques entre la RDC et le Rwanda. Ce contexte est aussi marqué par
l’intensification des échanges des biens et des personnes entre Goma et Gisenyi.

Le quatrième chapitre analyse l’équation de la politique sécuritaire à Goma en


et les migrations transfrontalières alternantes Goma-Gisenyi. Ce chapitre tente d’expliquer
le développement du phénomène en cours entre les deux villes par la détérioration du
climat sécuritaire congolais à Goma dont les causes seraient à situer dans la déliquescence
de la sécurité régionale et l’absence d’une politique publique sécuritaire de la ville.

Le cinquième chapitre présente l’équation de la politique sociale à Goma et les


migrations transfrontalières alternantes entre Goma et Gisenyi. Gisenyi offre un logement
décent à des prix abordables comparativement à Goma. En plus, l’électricité et l’eau y
sont disponibles à tout moment. Ce qui attire encore les congolais à rester à Gisenyi.
10

Chapitre I :
ETUDE DES MIGRATIONS
TRANSFRONTALIERES ALTERNANTES GOMA-GISENYI

Concepts, Théories, méthodologie et état de l’art

Ce chapitre aborde l’usage des concepts fondamentaux de la recherche et pose


le fondement théorique et méthodologique dans lequel s’insère l’étude. Il se termine par
une revue critique de la littérature sur les migrations transfrontalières alternantes pour
dresser un état de connaissance sur l’objet d’étude.

I.1. Usage de Concepts clés


La compréhension et l’usage des concepts de migration transfrontalière, de migration
transfrontalière alternante et de politiques sécuritaire et sociale s’avèrent d’une
importance capitale pour saisir la portée heuristique de cette étude.

I.1.1. Migration transfrontalière

La mobilité humaine dans les espaces géographiques préoccupe au plus haut


niveau la théorie des sciences sociales. Les auteurs des horizons divers ont essayé de
donner leurs points de vue sur le concept de migration transfrontalière. Qualifié de
migration internationale, migration inter-régionale, migration intra régionale, ce concept
mobilise un champ d’étude multidisciplinaire en quête d’identité15 qui est sous le feu des
projecteurs de l’actualité16. La compréhension du concept de migration transfrontalière
exige au préalable de circonscrire les termes migration et transfrontalier.

 Le concept de migration

La migration est l’un des vieux concepts en sciences sociales et humaines. Il


est à la une dans les études contemporaines en science politique, en relations
15
L. Coulombe, « Les migrations transfrontalières un champ d'études en devenir », in Études internationales, 24
(1)203–212, [en ligne]: https://doi.org/10.7202/703137ar , consulté en août 2022.
16
P. Ahadi Senge, Etats de l’Etat africain. Des déficiences fonctionnelles aux perspectives d’un horizon possible, Paris,
l’Harmattan, 2019, p.27.
11

internationales, en histoire, en géographie, en sociologie et en démographie. Selon les


cas, il renvoie aux mouvements des personnes et des biens sur une ligne frontalière entre
deux entités distinctes, qu’elles soient à l’intérieur d’un même espace étatique ou entre
deux espaces étatiques différents. Au point de vue étymologique, le mot vient du latin
migratio ou migrare dérivé du verbe migrare, migrer, s’en aller d’un endroit, changer,
partir, émigrer17. Il fait référence au déplacement massif d'hommes, de populations qui
passent d'un pays dans un autre pour s'y établir18. Boniface Hakiza constate que ce sens
étymologique évoque la notion de la mobilité géographique et renvoie au déplacement
entre deux espaces. Ces espaces peuvent être des pays, des régions, des villes, etc.19.

Le lexique des sciences sociales définit la migration comme étant un


déplacement volontaire d’un groupe d’individus quittant leurs pays définitivement ou
pour une longue durée en général dans l’espoir de trouver du travail 20. Par ailleurs,
évoquant la définition classique de la migration, Hervé Dominach et Michel Picouet
considèrent la migration comme un mouvement de personnes traversant une certaine
limite afin d'établir ailleurs une nouvelle résidence21. Tel que nous le constatons, la
migration est d’abord un « déplacement » ou une « mobilité » d'une population, qu'il soit
professionnel ou spatial. Relayant ce point de vue, M. Picouet suggère que la migration
revêt premièrement l’idée d’une mobilité géographique ou spatiale d’une population22.
L’Organisation Internationale des Migrations(OIM) préfère ainsi au terme migration celui
de mobilité, qui rend mieux compte des multiples formes des déplacements temporaires.
Ces déplacements font référence aux migrations circulaires d’élites économiques ou
politiques ainsi que les migrations saisonnières, de plus en plus nombreuses23.

17
La Toupie, Dictionnaire de politique, [en ligne] : https://www.toupie/Dictionnaire/Migration.htm , consulté
en août 2022.
18
Dictionnaire Grand Robert de la langue française, 2005.
19
B. Hakiza Rukatsi, op. cit. p.21.
20
Idem.
21
H. Dominach et M.Picouet, Les migrations. Que sais-je ? Paris, P.U.F, 1995, p.9.
22
M. Picouet , Sources et analyses des données démographiques. Application à l’Afrique d’expression française et à
Madagascar, Madascar, Institut National d’Etudes Démographiques, 3ème éd., 1977, p.4.
23
J.-P. Chauzy cité par M. Beaujeu, « vers une gouvernance mondiale des migrations : Enjeux, réalités et
perspectives », in Centre d’Information et d’Etudes sur la Migration Internationales, [en ligne] :
https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2009-1-page-147.htm, consulté le 10 Juillet 2020.
12

 L’adjectif transfrontalier

Le transfrontalier est ce qui concerne les deux cotés d’une frontière24.


Lorsqu’il concerne les échanges entre deux Etats, il s’appelle coopération transfrontalière
qu’elle soit publique ou privée. Dans les espaces où il existe, le transfrontalier ou échange
transfrontalier est un outil d’intégration de proximité. Il participe au renforcement des
relations entre communautés et territoires frontaliers25. L’adjectif transfrontalier
caractérise un phénomène qui concerne les deux cotés d’une frontière mais son sens varie
selon le substantif qu’il qualifie. Au sens faible, l’adjectif transfrontalier désigne la
traversée d’une frontière et le développement de relations transfrontalières à travers cette
limite politique. Il suppose donc l’existence d’une limite mais aussi de sa relative
perméabilité26.

Il introduit par ailleurs une notion de proximité et concerne les relations entre
deux espaces contigus. Au sens fort, l’adjectif transfrontalier caractérise au contraire le
développement d’un phénomène qui transcende la discontinuité politique. Il donne
naissance à une entité nouvelle, qui intègre dans un même ensemble des entités autrefois
séparées. La notion d’espace transfrontalier dépasse ainsi en intensité le simple échange
entre deux espaces frontaliers : il se caractérise en effet par des échanges structurés,
durables et par un certain nombre de traits communs27.

S’accrochant à la définition d’Albert Raasch28 , cette dissertation établit une


corrélation entre le transfrontalier et les phénomènes de franchissement des frontières,
qui sont multiples sur le plan du contenu. Au-delà du débat politique sur les frontières,
sur leur fonction, sur leur maintien ou leur ouverture, sur leur abolition et leur
restauration, il est aisé de démontrer la sensibilité d’un large public au phénomène de la

24
Dictionnaire Larousse ,2005.
25
L. Medina et M. Mountaga Diallo, « La coopération transfrontalière comme outils d’intégration régionale :
Analyse croisée dans les suds (Amérique centrale, Afrique de l’Ouest) » in Belgeo 4/2020 [en ligne]
:http://journals.openedition.org/belgeo/43693, consulté le 6 septembre 2022.
26
« Transfrontalier », [en ligne] : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/transfrontalier consulté le 6
septembre 2022.
27
Idem.
28
A. Raasch, « Les transfrontaliers : Considérations linguistiques » in Nikol Dziub (sous la dir. de), Le
transfrontalier. Pratiques et représentations, Paris, Ed. Universitaires de Reims, 2020, pp 10-12.
13

frontière29. Tantôt il signifie la circulation des personnes et de leurs biens dans les
espaces frontaliers nationaux différents, tantôt il renvoi au phénomène des travailleurs
transfrontaliers, tantôt il renvoie à la coopération régionale dans sa globalité. A ce point
de vue, le concept de migration transfrontalière est intimement lié à celui de la migration
alternante que nous présentons ci-dessous.

I.1.2. Migration transfrontalière alternante

Une forte proportion des migrations transfrontalières s’effectue désormais sur


une base temporaire pour des fins de travail, d’étude ou de refuge (protection ou exil de
courte durée ou moyenne durée)30. Ces déplacements journaliers entre lieu de travail et
lieu d'habitation sont qualifiés tantôt de mouvements pendulaires, tantôt de migrations
alternantes, tantôt de navettes31. Les migrations transfrontalières alternantes se distinguent
largement des migrations permanentes à cause de leurs temporalités. Elles se déroulent
sur des espaces frontaliers contiguës et consacrent l’alternance entre le lieu de travail et le
domicile. C’est à ce titre qu’elles sont appelées migrations pendulaires.

Cependant, le mouvement d'une population dans l'espace est un phénomène


très divers : la distance parcourue à l'occasion de déplacements peut aller de quelques
centaines de mètres à plusieurs kilomètres et le séjour au lieu de destination peut être de
quelques heures ou de plusieurs années. Il est donc nécessaire de distinguer les
déplacements effectués à l'occasion des activités de la vie quotidienne et ceux qui
entraînent un séjour prolongé ou définitif au lieu de destination32. Les migrations
transfrontalières alternantes se présentent comme des déplacements effectués pour les
activités quotidiennes. Les déplacements effectués à l’occasion des activités quotidiennes
de la vie sont ceux qui concernent essentiellement les navettes entre le lieu de résidence et
le lieu de travail, ceux qui ont trait aux différentes courses quotidiennes (shopping), des
29
A.Raasch, op.cit.
30
L. Coulombe , op.cit.
31
C. Mougenot, Le problème des migrations alternantes, in Espace géographique, Tome 14, n°3, Province de
Luxembourg (Belgique), 1985. pp. 206-212., Kuasu Mikandu Luvwezo Makiona, Activités socio économiques et
migrations alternantes dans Selembao, Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de Licencié en
enseignement, Option Géographie, UNAZA, juin 1974, p.6.
32
M.Picouet, op.cit., p.4.
14

visites (même de plusieurs jours), des voyages d'affaires ou d'agrément, des vacances,
etc.33.

Les migrations transfrontalières alternantes se développent de plus en plus dans


différentes régions du monde. Elles sont facilitées par l’intégration régionale, la diffusion
des technologies ainsi que par le partage des ressources entre les régions contiguës. Elles
sont intéressantes à connaître d'une part à cause des problèmes de trafic qu'elles peuvent
engendrer près des centres spécifiques d'emploi ou de résidence. D'autre part, à cause de
leurs implications sur l'aménagement de l'espace de l'existence ou de la non-existence de
ces courants34.

Du point de vue de cette dissertation, il importe de faire une distinction entre


migration alternante ou migration journalière et migration transfrontalière alternante. La
migration alternante concerne le déplacement des personnes entre le lieu de travail et le
lieu de résidence dans un même espace étatique. Par contre, La migration transfrontalière
alternante concerne le déplacement entre le lieu de travail et le lieu de résidence dans les
espaces frontaliers appartenant à des Etats différents.

Le concept de migration transfrontalière alternante englobe le travailleur


migrant, le petit commerçant qui se déplace entre deux frontières étatiques différentes et
le touriste qui traverse l’autre côté de la frontière pour des raisons de divertissement.
L’accent est mis sur l’espace sociogéographique régional concerné par les navettes
quotidiennes. Ce sont des mouvements des populations autour des corridors frontaliers
entre deux régions voisines différentes que ce soit à l’intérieur d’un même territoire ou de
deux territoires étatiques différents.

Il sied de préciser que les migrations transfrontalières alternantes se


développent dans un triple contexte : un contexte de mobilisation des territoires frontaliers
dans le cadre du régionalisme, un contexte socioéconomique favorisant les navettes

33
M.Picouet, op.cit., p.4.
34
Commissariat Général du Plan et de la Productivité, Etude du phénomène des migrations alternantes, Rapport
final, Paris, juin, 1970, p.1.
15

domicile-travail entre deux entités régionales et un contexte marqué par un déséquilibre


de l’offre d’emploi qui favorise les migrations de main d’œuvre.

 Un contexte de mobilisation des territoires frontaliers dans le cadre du régionalisme

Les migrations transfrontalières alternantes se développent dans un processus


de mobilisation des territoires frontaliers dans le cadre du régionalisme. La mobilisation
territoriale est un processus de construction territoriale qui tente de rassembler les
territoires appartenant à des zones d’influences différentes pour la réalisation des projets
d’intérêt commun. La mobilisation des territoires est en quête de l’intégration régionale
qui se définit selon Marei et Richard comme « l’accroissement et l’approfondissement
d’interactions entre les unités territoriales initialement distinctes mais contiguës »35.

Placer l’espace et les frontières au cœur de l’analyse de l’intégration régionale,


revient à déplacer le regard pour étudier les recompositions territoriales par les marges,
vouées à devenir des interfaces de contact dans le cas des intégrations36. Dans une
perspective régionaliste, Reitel considère que l’intégration régionale a en effet pour
objectif de « diminuer les effets pénalisants » des frontières qu’ils soient physiques,
législatifs ou douaniers37.
38
Selon Schulz et al. , nous assistons à l’heure actuelle à un régionalisme qui
prend des formes hétérogènes, holistiques et multidimensionnelles. Ce régionalisme
implique à la fois les Etats, les marchés et les sociétés, et couvre des aspects économiques,
culturels, politiques, sécuritaires et environnementaux. Il ne se limite plus à un cadre
strictement interétatique et intergouvernemental, mais il implique de plus en plus des
acteurs infranationaux (locaux et sous régionaux) grâce à l’intensification des flux
transfrontaliers et interrégionaux, d’une part, à la tendance généralisée vers la
décentralisation, de l’autre.
35
Marei et Richard cité par L. Medina et M. Mountaga Diallo, op.cit.
36
Idem.
37
Ibidem.
38
Schulz et al. cité par W. Bakhos, Régionalisation et renouvellement des politiques territoriales dans un contexte de
mondialisation. Le cas de la coopération décentralisée et transfrontalière en Méditerranée entre 2000 et 2011, Thèse de
doctorat inédite, Aménagement, Faculté des études supérieures et postdoctorales, Université du Québec,
décembre 2014, p.1.
16

Ce double mouvement permet aux collectivités territoriales, aux populations et


aux autorités régionales de tisser entre elles des relations directes qui dépassent les
frontières strictement nationales. Cette mobilisation des territoires frontaliers favorise les
migrations transfrontalières. Ces migrations transfrontalières prennent des formes diverses
notamment des formes pendulaires ou alternantes.

 Un contexte socioéconomique favorable aux navettes domicile-travail entre deux


entités régionales distinctes

Les migrations transfrontalières alternantes se présentent comme une vie entre


deux entités différentes. Les personnes concernées partagent leurs 24 heures entre deux
agglomérations différentes. Une première entité où ils passent la nuit et une autre où ils
passent la journée. L’inverse est aussi vrai. Il s’agit d’une mobilité des personnes dans une
entité voisine pour des raisons professionnelles et qui rentrent dans une autre pour la
résidence.

Les migrations transfrontalières alternantes sont essentiellement constituées par


des navettes journalières régulières. Pour Francis Marcouiller39, ces déplacements
répétitifs du lieu de résidence sont motivés par des fins de travail, d’étude ou de loisir. Ce
phénomène qui prend de l’importance de nos jours, modifie la structure démographique et
socio-économique des villes.40. A l’intérieur d’un même Etat, les navettes domicile-travail
sont fréquentes dans les pays développés. Cette dynamique est l’effet de plusieurs facteurs
comme l’ont si bien démontré les travaux de Thierry Eggerrickx et al41.

Dans les pays développés, les villes se dépolarisent, la population fait des vaŔ
et-vient dans les villages environnants, tout en restant attachés à ses activités urbaines. La
frontière entre l’urbain et le rural, entre les citadins et les campagnards devient de plus en
plus floues. Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. Parmi ceux-ci Thierry

39
F. Marcouiller, Les migrations pendulaires à Montréal : Analyse de l’offre de service des transports collectifs, Mémoire
inédit, Géographie, Faculté des études supérieurs, Université de Montréal, 2011, p.13.
40
M. Aglietta, D. Blanchet et D. Héran, Démographie et économie, Rapport du Conseil d’Analyse Economique,
Paris, 2002, p.7.
41
T. Eggerickx et al., Démographie, aménagement du territoire et développement durable de la société belge, Université
de Liège/laboratoire de démographie, p.2.
17

Eggerrickx et al. citent la détérioration du cadre urbain, l’augmentation du niveau de vie,


l’individualisme et la poussée des mouvements verts42.

Dans les pays en voie de développement, les navettes entre le lieu de domicile
et du travail sont plus poussées par des raisons d’ordre économique. A cause de la
recherche du travail ou de l’accès au logement à moindre coût, les habitants des entités ou
des villes voisines sont obligées de faire des navettes. Dans ce cas, l’entité voisine
remédie aux insuffisances économiques et sociales de l’autre entité. Ce phénomène est
visible que ce soit à l’intérieur d’un même Etat ou entre deux Etats voisins. C’est le cas de
Goma en RDC et Gisenyi au Rwanda, Cyangugu au Rwanda et Bukavu en RDC,
Gatumba au Burundi et Uvira en RDC.

 Les migrations transfrontalières alternantes se développent dans un contexte de


déséquilibre d’offre d’emploi qui favorise les migrations de main d’œuvre

Les migrations transfrontalières alternantes sont de plus en plus manifestes


dans le cadre de la mondialisation. Elles sont l’effet du déséquilibre en termes d’offre
d’emploi entre différentes régions que ce soit à l’intérieur d’un même Etat ou entre Etats
souverains. Elles ont un lien avec es migrations de main d’œuvre qui sont vieilles que
l’humanité.

Chaque année, des millions d’hommes et de femmes quittent leur foyer et leur
pays dans l’espoir d’améliorer leur sort et celui de leur famille. La plupart sont poussés
par la perspective de salaires plus élevés et de possibilités accrues, mais certains sont
contraints d’émigrer pour échapper à la famine et à la pauvreté, survivre à des
catastrophes naturelles et à la dégradation de l’environnement et fuir la violence due aux
conflits ou des persécutions.43

Dans la plupart des cas, les migrations de main d’œuvre s’effectuent d’un pays
en développement vers un pays développé. Les migrations de travailleurs des pays en

42
T. Eggerickx et al., Op.cit., p.3.
43
Conférence Internationale du Travail, Une approche équitable pour les travailleurs migrants dans une économie
mondialisée, Bureau international du Travail, Rapport VI, Genève 2004, p.3.
18

développement à destination des pays industrialisés ont augmenté au cours des dernières
décennies. De 2008 à 2017, la proportion des travailleurs migrants parmi les jeunes de 15
à 35 ans sur le continent africain croît en fonction de 5,8% du nombre total de la
population active44.

L’offre de main d’œuvre favorise les migrations transfrontalières alternantes.


Le déséquilibre du développement des régions favorise les navettes journalières d’un
endroit vers un autre. L’accès à un emploi décent pousse les hommes et les femmes à faire
des mouvements dans d’autres aires géographiques pour l’amélioration de leurs
conditions de vie et l’augmentation de leurs revenus.

En progression constante depuis la fin des années 90, les migrations domicile-
travail engendrent des déplacements de plus en plus contraignants pour la majeure partie
des personnes actives. Elles interpellent directement les politiques d’aménagement du
territoire et environnementales mises en œuvre par les acteurs publics 45. Julien
Gingembre et John Baude soulignent que les déplacements domicile-travail entre deux
territoires, en l’occurrence deux unités urbaines, sont supposés suivre une loi analogue à
celle de la gravitation entre deux planètes.

Selon ce modèle empirique, fréquemment utilisé avec des résultats probants, le


nombre de ces déplacements dépend de la taille du marché du travail dans ces deux
territoires et de la distance qui les sépare. Plus l’unité urbaine à distance compte
d’emplois, plus les flux dans sa direction sont importants, toutes choses égales par
ailleurs. De même, plus l’unité urbaine du domicile compte d’actifs résidents ayant un
travail et donc plus ce « réservoir » de main d’œuvre est important, plus les flux au départ
de ce territoire sont conséquents. Enfin, plus la distance qui sépare les deux unités
urbaines est grande, moins les mobilités sont nombreuses46. Ceci illustre le cas de Goma

44
African Union, Rapport sur les statistiques de main d’œuvre en Afrique, 2ème édition, Addis Abeba, 2017, p.41.
45
G. Rolos et R. Vandierendonck, « Les migrations domicile-travail », in Dynamiques métropolitaines, n°1, Lille,
octobre , 2011,pp.1-2.
46
J.Gingembre et J. Baude,« Les mobilités domicile-travail dans les réseaux d’agglomérations »,in EchoGéo, n°27
/2014, [en ligne] : http:// journals.openedition.org/echogeo/13773 ; DOI : 10.4000/echogeo.13773 , consulté en
Septembre 2020.
19

qui compte près de 1 millions cinq cents mille habitants47 avec plusieurs opportunités
d’emploi. Gisenyi a 136 831 habitants48 sans beaucoup d’opportunités d’emploi. La
différence entre ces deux villes est la différence de l’offre des politiques sécuritaire et
sociale.

I.1.3. Politiques sécuritaire et sociale

Les politiques sécuritaire et sociale sont des politiques publiques. Selon Yves
Meny et Jean-Claude Thoening49, une politique publique se présente comme un
programme d’action gouvernementale dans un secteur de la société ou dans un espace
géographique. Elle est constituée par un ensemble de mesures concrètes qui forment la
« subsistance » de cette politique50. La politique publique concerne un ensemble de
décisions et de mesures des autorités publiques dans des domaines divers de la société.
C’est à ce point de vue qu’il existe des politiques de logement, des politiques de
l’agriculture, des politiques de sécurité, etc.

L’usage du vocabulaire de politiques sécuritaire et sociale est clarifié ici en vue


d’en saisir la portée exacte dans notre dissertation.

a) La politique sécuritaire

Une politique sécuritaire est l’ensemble de décisions et mesures des autorités


publiques dans le domaine de la sécurité. Parlant de la sécurité, nous retenons qu’elle est
un concept polysémique, transversal et multidimensionnel. C’est avant tout une posture de
l’esprit, une sensation, un sentiment. Selon Montesquieu, la sécurité est la tranquillité
d’esprit qui provient de l’opinion que l’on se fait sur sa sureté51. Au sens classique du
terme, la sécurité est une situation dans laquelle une personne ou une chose n’est exposée
à aucun danger, aucun risque d’agression physique ou morale, d’accident, de vol ou de

47
Rapport de la Mairie de Goma, exercice 2020.
48
Republic of Rwanda, Western province Rubavu district, Summary of Rubavu District developpement strategy 2018-
2024, Rubavu district, 2018,p.5.
49
Y. Meny et J-C. Thoening cité par P. Muller, Les politiques publiques, Paris, PUF, 10ème édition, 2013, p.11.
50
Idem.
51
Z. Moulaye et M. Niakaté , Gouvernance partagée de la sécurité et de la paix. L’expérience Malienne, Abuja,
Friedrich-Ebert-Stiftung, 2012, p.8.
20

détérioration52.

Dans sa dimension subjective, la sécurité apparaît comme un sentiment, une


perception et une volonté. En tant que volonté, elle veut réduire les menaces contre la paix
provenant de l’extérieur. Elle est le prolongement de la construction de la société de l’état
de la nature vers les temps modernes. A cause de cela, elle est retenue dans la tradition
classique, comme base du contrat social. Pour Thomas Hobbes, l’individu abandonne une
part de sa liberté pour la remettre au souverain qui lui assure ainsi sa sécurité53.

La conception moderne holistique de la sécurité englobe des domaines aussi


variés que la sécurité individuelle, la sécurité collective, la sécurité sociale, politique,
économique, juridique, judiciaire, financière, alimentaire, sanitaire, humanitaire et
environnementale. Il est admis que la sécurité est à la fois une question de perception
(protection de l’Etat, des citoyens et de leurs biens), et d’action et désigne un ensemble
fonctionnel d’institutions de supervision et des services opérationnels interdépendants
(ministère de la défense, ministère de la sécurité)54. C’est le fondement de la notion de la
politique sécuritaire.

La politique sécuritaire est constituée des dispositifs légaux, organisationnels,


financiers, symboliques, qui ont pour objectif la protection des personnes et de leurs
biens. Ces politiques comportent un aspect préventif, visant à empêcher le passage à l’acte
mais aussi un aspect répressif au travers de la définition des infractions et de la mise en
œuvre des sanctions55.

Par ailleurs, une politique de sécurité se présente comme une description


officielle de la manière dont un Etat vise à assurer sa propre sécurité et celle de sa
population. Elle reflète la compréhension à l’échelon national des menaces et des risques
qui pèsent sur la sécurité collective. Elle concerne aussi les valeurs et principes qui

52
Z. Moulaye et M. Niakaté , op.cit.
53
Hermet G. et al., Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, 7ème édition revue et augmentée,
Paris, Armand collin, 2010, p. 439.
54
Moulaye Z. et Niakaté M, op. cit.
55
J. De Maillard , « Les politiques de sécurité », in Olivier Borraz et Virginie Guiraudon ( sous la dir. de),
Politiques publiques 2, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, pp. 57-77.
21

doivent guider l’Etat pour maintenir la sécurité de l’Etat et la sécurité humaine56.

L’objectif de la politique de sécurité est de définir une vision nationale


d’ensemble sur laquelle l’élaboration d’autres documents tels que la stratégie de sécurité
nationale ou le plan sous-sectoriel de la sécurité pourront s’appuyer. Les politiques de
sécurité peuvent se présenter comme une série de documents déjà existants qui constituent
une politique cohérente et intégrée. Elles sont toujours définies par leur objet et non par le
nom qu’elles portent. Elles peuvent s’intituler « plan », « stratégie », « concept », ou
encore « doctrine » de sécurité57.

Une politique de sécurité nationale qui repose sur les principes de la bonne
gouvernance du secteur de sécurité constitue une base solide pour la sécurité de l’Etat. La
sécurité humaine en dépend également. Dans la cadre de cette étude, nous retenons le
point de vue du centre démocratique du contrôle des armées qui soutient que les
politiques de sécurité nationale servent cinq fonctions principales58 :

- Définir une vision large de la sécurité nationale tenant compte des besoins divers
de la population. Une politique de sécurité nationale nécessite une analyse
approfondie de toutes les menaces qui pèsent sur la sécurité de l’Etat et la sécurité
humaine. C’est dans une perspective de partenariat avec les acteurs
gouvernementaux de la sécurité et les acteurs non étatiques que les politiques de
sécurité abordent dans une même tribune le défi de sécurité intérieure et
extérieure.
- Elaboration d’une politique plus efficace autour d’une vision commune de
sécurité. Les politiques de sécurité nationale permettent aux différents acteurs
d’aligner leurs réponses politiques ou leurs décisions opérationnelles à une vision
centrale d’objectifs à court et à long terme. Parce qu’elle optimise les
contributions de tous les acteurs de la sécurité, une politique de sécurité nationale

56
Centre pour le Contrôle Démocratique des Forces Armées, les politiques de sécurité nationale, Série de
documents d’information sur la réforme du secteur de sécurité, Suisse, Genève, 2015, p.2.
57
Idem.
58
Ibidem, p.4.
22

permet d’accroitre l’efficacité du secteur de la sécurité.


- Renforcement de la responsabilité du secteur de la sécurité. Une politique de
sécurité nationale permet une meilleure utilisation des ressources selon les valeurs
et les objectifs communs en évitant les redondances et en minimisant les failles.
Cela nécessite que le budget affecté à la sécurité soit à la fois viable, réaliste et
équilibré par rapport à d’autres priorités nationales. Une politique de sécurité
nationale contribue également à renforcer la responsabilité, en fournissant une
référence claire à l’aune de laquelle les résultats peuvent être évalués.
- Instaurer un consensus national sur la sécurité. Un processus consultatif
d’élaboration des processus de sécurité nationale favorise le dialogue national et
la coopération entre les différents groupes professionnels et la population. Une
telle discussion peut promouvoir le consensus sur les valeurs fondamentales de la
prestation, de la gestion et du contrôle de la sécurité par l’Etat. En outre, ces
approches participatives contribuent à améliorer la confiance du public dans la
prestation de la sécurité de l’Etat.
- Renforcer la confiance et la coopération à l’échelon régional et international.
Une politique de sécurité nationale cohérente, transparente et accessible au public
adresse un message aux partenaires régionaux sur les valeurs, les préoccupations
et les intentions d’un Etat en matière de sécurité et de défense. Cette forme de
communication ouverte aide à prévenir les conflits et à faciliter la coopération
internationale.
b) La politique sociale

La politique sociale couvre un vaste domaine et définit dans une large mesure
une société. Cette politique exprime non seulement l’effort collectif d’une communauté
pour protéger ses membres le plus faibles et satisfaire les besoins sociaux de tous59.

Thérèse Join-Lambert, définit la politique sociale comme une « une


‘’invention’’ nécessaire pour rendre gouvernable une société ayant opté pour un régime
59
Bureau International du Travail, « politiques sociales et protection sociale » in Revue internationale du Travail,
vol.139, n°2, Genève, 2000, p.4.
23

démocratique, dans le cadre d’un système économique libéral60 ». La politique sociale est
liée à la volonté providentielle de l’Etat. Elle présente un visage ‘’humain’’ de l’Etat.

En tant que mode d’intervention de l’Etat, les politiques sociales apparaissent


comme un « ensemble d’actions mises en œuvre progressivement par les pouvoirs publics
pour parvenir à transformer les conditions de vie d’abord des ouvriers puis des salariés
et éviter les explosions sociales, la désagrégation des liens sociaux 61. Cette définition qui
est restrictive, insiste essentiellement sur l’amélioration des conditions de travail des
employés.

En tant qu’instrument de l’Etat, la politique sociale a pour objectif premier


d’organiser la société et les rapports entre ses membres. La politique sociale est au cœur
de nombreuses problématiques. Elle participe à la vie quotidienne du citoyen ou de
l’administré. Jean-Jacques Rousseau estime que la société doit à l’individu une protection
sociale, en contrepartie de l’aliénation de sa liberté individuelle au profit de l’ordre social
établi62.

Jean-Francois Bickel propose une définition large de la politique sociale. Pour


lui, on parle de la politique sociale quand ses actions ont un impact direct sur le bien-être
des citoyens en leur procurant services et revenus. Le noyau de la politique sociale se
compose de l’assurance sociale, de l’assistance publique, des services collectifs de santé
et de la politique de logement63. A ce titre, la politique sociale est « l’usage du pouvoir
politique dans le but de supplanter, compléter ou modifier les opérations du système
économique afin d’obtenir des résultats que le système économique n’atteindrait pas tout
seul 64».

Comme on peut le constater, l’expression politique sociale englobe des


domaines variés. Ces domaines se sont accrus avec l’émergence de l’Etat providence et
60
M.-T Join-Lambert cité par S. Dauphin, « Le champ des politiques sociales », in Informations sociales,
n°157/1, Paris, 2010, pp. 6-7.
61
Idem.
62
C.-Robert, Politiques sociales, Paris, Ed.Vuibert, 2020, p.20.
63
J.-F Bickel , Introduction à l’analyse des politiques sociales, Cours ronéotypé, Université de Fribourg, 2009-2010,
p.5.
64
J.-F Bickel , op.cit.
24

l’accroissement de l’interventionnisme de l’Etat. Ce domaine sont les assurances sociales,


la protection sociale des travailleurs, les politiques de formation, l’insertion sociales des
catégories défavorisées, le logement, le bien-être, etc.

Dans le cadre de ce travail, l’expression politique sociale est employée pour


désigner essentiellement la politique du bien-être et du logement. La notion du bien-être
associée à celle de la santé renvoie à la « capacité physique, psychique et sociale d’une
personne à agir dans son milieu et à accomplir les rôles qu’elle entend assumer, d’une
manière acceptable pour elle-même et pour le groupe dont elle fait partie »65.

Le maintien et l’amélioration de la santé et du bien-être reposent sur un partage


équilibré des responsabilités entre les individus, les familles, les milieux de vie, les
pouvoirs publics et l’ensemble des secteurs d’activités de la vie. L’idée selon laquelle la
santé et le bien-être sont des responsabilités partagées fournit une appréciation plus juste
de la réalité66.

La politique du bien être doit permettre l’accès à l’eau et à l’électricité. Ces


besoins du bien-être sont essentiels pour la vie en société. La vie des citoyens en dépend.
L’eau et l’électricité sont des indicateurs de la vie en société. Elles doivent faire l’objet
d’une politique sérieuse pour garantir la paix sociale.

La politique de logement vise à garantir aux citoyens les conditions décentes


de résidence ainsi qu’un habitat conformes aux normes. D’abord centrées sur la situation
des ouvriers et la lutte contre l’insalubrité, la politique du logement a pris, depuis l’après-
guerre, une dimension supérieure, fondée à la fois sur la satisfaction des besoins de tous et
l’appui économique au secteur du bâtiment67.

L’enjeu social de la politique de logement renvoie à la notion de « besoin en


logement » : La « norme » est que tout le monde doit être logé et bien logé. Elle vise à

65
Gouvernement du Québec, La politique de la santé et du bien-être, Bibliothèque nationale du Québec, 1998,
p.11.
66
Idem.
67
Guerrand Roger-Henry, Propriétaires et locataires. Les origines du logement en France ( 1850-1914), Paris, Ed.
Quintette, p.1.
25

lutter contre le mal-logement. Selon la fondation Abbé Pierre, on parle de mal logement
lorsque les personnes sont privées de logement personnel, lorsqu’elles vivent dans des
conditions de logement très difficiles68.

La politique de logement poursuit trois objectifs :

- Encourager l’accès à la propriété ;


- Mettre à la disposition des personnes de condition modeste un logement du
secteur locatif ;
- Promouvoir l’assainissement du patrimoine immobilier69.

Dans cette étude nous considérons la politique sociale comme un programme


du pouvoir public pour garantir aux citoyens un minimum de vie « décente ». Dans un
monde libéral et capitaliste, la politique sociale vient suppléer à la montée des inégalités
sociales. Le citoyen moyen devrait avoir accès à l’eau, à l’électricité, ainsi qu’aux
conditions d’habitation justes et équitables.

I.2. Cadre théorique et méthodologique


La migration transfrontalière alternante est un phénomène pluridisciplinaire.
L’étude en cours qui est une contribution à la géopolitique de l’espace CEPGL, étudie les
migrations transfrontalières alternantes en lien direct avec les politiques sécuritaire et
sociale d’une entité administrative.

Par ailleurs, étant donné que le phénomène en étude est en constante mutation,
cette dissertation mobilise la théorie dynamiste et la méthode dynamiste de Georges
Balandier en vue d’expliquer et comprendre les migrations transfrontalières alternantes
entre Goma et Gisenyi. En outre, l’étude fait recours à l’approche séquentielle des
politiques publiques pour mettre en évidence le lien entre les migrations transfrontalières
alternantes Goma-Gisenyi et les politiques sécuritaire et sociale congolaises à Goma.

68
Guerrand Roger-Henry, op.cit.
69
M. Durez-Demal, « La politique du logement social », in courrier hebdomadaire du CRISP 1983/20-21, n°1005-
1006,1983, pp. 1-38.
26

I.2.1. La théorie dynamiste

La théorie dynamiste considère le mouvement comme facteur de base de toute


société. Celle-ci ne peut être comprise hors du mouvement. La connaissance des systèmes
dans leur dynamique nous empêche de considérer la société comme stable et immobile.
Elle existe, continue et change par le mouvement70. La notion du mouvement qui est
inhérente à toute société nous renseigne que les sociétés changent, s’adaptent et se
développent. C’est à ce point de vue que la sociologie dynamiste de Balandier focalise
son attention sur la société comme espace de lutte interne et externe71. C’est une analyse
en termes des forces et d’énergie, des tensions et des mouvements qui permet de saisir de
manière adéquate des changements variés et rapides du monde contemporain qui font
naître des inquiétudes pour l’avenir72.

Ainsi pour expliquer le phénomène des migrations transfrontalières alternantes


entre Goma et Gisenyi, la théorie dynamiste de Georges Balandier nous paraît appropriée.
Cette théorie qui est du courant fonctionnaliste analyse les transformations sociales en
cours sur une durée indéterminée.

Appliquée dans cette étude, la théorie dynamiste explique les migrations


transfrontalières alternantes entre Goma et Gisenyi dans un contexte régional dynamique
des échanges frontaliers entre les Etats de l’espace Grands Lacs. Comme le précise
Balandier, la vocation de la théorie dynamiste n’est pas de comprendre la cohérence des
systèmes sociaux, mais de mettre en évidence l’histoire et le changement73.

Elle s’intéresse à toutes les forces qui agissent de l’intérieur du système ou de


l’extérieur sur ce système pour sa remise en cause comme pour son soutien 74. Ainsi, les
migrations transfrontalières alternantes entre Goma et Gisenyi qui se déroulent dans la

70
G. Balandier, Sens et puissance, Paris, P.U.F, Juin,2004. [en ligne] : fibra.over-blog.com.over-blog.com/…-
/lecture du chapitre-dynamique-sociale-in sens-et-puissance. , consulté le 22 juillet 2019.
71
Idem.
72
C. Rivière, L’analyse dynamique en sociologie, Paris, P.U.F, 1978, pp. 7,8.
73
J. Otemikongo Mandefu Yahisule, Guerre des méthodes en sciences sociales. Du choix du paradigme épistémologique
à l’évaluation des résultats, Paris, l’Harmattan,2018, p.39, 183.
74
J. Otemikongo Mandefu Yahisule, op.cit.
27

sous-région des grands lacs s’inscrivent dans la dynamique migratoire historique de


l’espace CEPGL que nous allons aborder dans le chapitre suivant.

I.2.2. La méthode dynamiste de Balandier

L’application de cette méthode à l’étude des migrations transfrontalières


alternantes Goma-Gisenyi nous exige à considérer trois opérations intellectuelles telles
que spécifiées par Jean Otemikongo Mandefu 75 :

- Poser la réalité sociale comme un système complexe, composé, un système des


systèmes. Cette opération a deux implications pour l’objet de notre recherche.
D’une part, être employé à Goma en République Démocratique du Congo et
résider à Gisenyi au Rwanda apparait comme un manquement au principe de la
souveraineté dans la définition classique de l’Etat76. D’autre part, malgré le
refroidissement des relations politiques et diplomatiques entre les deux pays, le
phénomène perdure. Ce qui met en évidence la complexité du phénomène.
- Mettre en évidence des dynamismes résultant nécessairement des relations entre
niveaux sans lesquelles aucune formation sociale ne pourrait exister. La lecture
de l’histoire récente de l’espace CEPGL nous renseigne que les conflits d’identité
et de nationalité sont létales pour la coopération inter-régionale. Malgré la
contradiction politique et diplomatique entre la RDC et le Rwanda, les migrations
transfrontalières alternantes entre Goma et Gisenyi se développent en lien avec
les politiques sécuritaire et sociale congolaises à Goma.
- Confronter des logiques et des pratiques c’est-à-dire des formes de praxis qui se
manifestent dans diverses circonstances où se trouvent engagés les agents sociaux
pour mettre en évidence la dynamique sociale sous forme de conformité, des
stratégies, des manipulations et des contestations. Le phénomène de migrations
transfrontalières alternantes entre Goma-Gisenyi nous met en face de deux ordres

75
J. Otemikongo Mandefu Yahisule, op.cit, p.184.
76
Dans sa définition classique, l’Etat est constitué par un territoire souverain, une population et un
gouvernement. Cette population est censée résider sur un territoire bien déterminé.
28

politiques (RDC et Rwanda) qui structurent les migrations transfrontalières


alternantes.

I.2.3. Approche séquentielle des politiques publiques

Cette étude emprunte l’approche séquentielle de l’analyse des politiques


publiques de Charles Jones pour appréhender les migrations transfrontalières alternantes
Goma-Gisenyi en lien avec les politiques sécuritaires et sociales congolaises à Goma. Il
s’agit d’analyser l’offre des politiques sécuritaires et sociale congolaise à Goma selon la
grille séquentielle de Charles Jones. Cette procédure se réalise en cinq étapes 77 dont
l’ordre de classification n’est pas universel:

 L’identification du problème

C’est la phase où le problème public est intégré au travail gouvernemental. Elle


s’ouvre par la définition des critères pour l’inscription du problème à l’agenda public. Il
s’agit ici de déterminer les indicateurs objectivement vérifiables permettant de considérer
la sécurité des personnes et de leurs biens à Goma comme un problème de société. Dans
quelle mesure les actes de vandalisme, des tueries dans certains quartiers de Goma
intéressent la société globale ? Il en est de même du manque de logement décent, d’accès
à l’eau et à l’électricité permanente par toutes les couches de la population dans la ville de
Goma.

 Le développement du programme

C’est la phase du traitement proprement dit du problème. Elle exige à l’autorité


publique à examiner les pistes de solutions, les stratégies mises en œuvre par les pouvoirs
publics pour résoudre le problème de l’insécurité, d’accès à l’eau, à l’électricité et au
logement par la population de la ville de Goma.

77
C. Jones cité par P. Muller, op.cit., p.12.
29

 La mise en œuvre

C’est la phase de l’implémentation du programme qui consiste à l’application


des décisions retenues par la phase précédente. L’autorité est appelée à inventorier les
mesures d’application ou les pistes des solutions au problème identifié.

 L’évaluation du programme

C’est la phase préterminale de mise en perspective des résultats du


programme. Après l’application des mesures prises dans la phase précédente, l’autorité
publique doit procéder au contrôle de son action, en vue de relever les incohérences et les
écarts éventuels à combler.

 La terminaison du programme

Elle constitue la phase de clôture de l’action entreprise par l’autorité publique. Elle
suppose l’existence des résultats qui confirment qu’une politique publique a réellement
été menée. Elle sous-entend la transformation de la situation de la communauté.

I.3. Les migrations transfrontalières alternantes dans la littérature


Les migrations transfrontalières alternantes qui constituent l’objet de cette
étude préoccupent les chercheurs de différentes disciplines. Des géographes, des
historiens, des politologues, des sociologues ont abordé la question sous un angle divers.
La synthèse de ces études, nous renseigne que les migrations transfrontalières alternantes
entre régions sont les fruits des facteurs socio-professionnels et des facteurs socio-
scolaires/académiques. Cette étude contribue à ce débat, en soutenant que les migrations
transfrontalières alternantes peuvent aussi être dictées par la différenciation des politiques
publiques entre deux régions voisines.

I.3.1. Les facteurs socio-professionnels des migrations transfrontalières alternantes

Les facteurs socio professionnels des migrations transfrontalières alternantes


sont liés à la différenciation spatiale en termes d’opportunités d’emploi. C’est cette
30

logique qui sous-tend le concept de migration de main d’œuvre pour justifier les
migrations alternantes et les migrations transfrontalières alternantes.

Le principal indicateur est la différence entre le lieu de résidence et le lieu du


travail. Ce sont des migrations volontaires. Elles sont le fruit de la décision individuelle
et souveraine de l’individu. Elles sont motivées par des raisons d’ordre économique ou
social et sont facilitées par la proximité et la contiguïté entre deux pays. Comme signalé
ci-haut, Elles sont transfrontalières car elles se déroulent dans deux espaces appartenant à
deux ordres politiques différents. Elles sont alternantes, car elles mettent en exergue la
différence entre le lieu de résidence et le lieu de travail.

L’étude des migrations transfrontalières alternantes s’interrogent sur les


principales raisons qui poussent un individu à faire des navettes journalières entre deux
espaces différents ou entre deux régions différente : l’amélioration des conditions
socioprofessionnelles.

L’amélioration des conditions socioprofessionnelles se révèle comme la


principale tendance évoquée dans dans la littérature motivant une personne à faire des
navettes régulières entre deux espaces frontaliers. Cette tendance insiste cependant qu’une
différence nette soit faite entre le lieu de résidence, le lieu de travail ainsi que les
conditions régionales qui favorisent ces navettes journalières.

a) Le lieu de résidence

Les études sur les navettes journalières entre les espaces frontaliers distinguent
le lieu du travail du lieu de résidence. Celle-ci est le lieu où le navetteur a établi sa
famille. Dans la plupart des cas c’est le pays de sa nationalité où il détient également des
intérêts sociaux, des biens ou des avantages symboliques à sauvegarder. Les navettes
domicile-travail permettent d’appréhender les territoires attractifs où se situent les pôles
d’emplois importants et les territoires plus résidentiels d’où partent les actifs78.

L’attachement au lieu de résidence facilite dans une certaine mesure les


78
Agence d’urbanisme de la région de la Seine, Migrations alternantes, Agence d’Urbanisme de la Région du
Havre et de l’Estuaire de la Seine, 2017, p. 1.
31

migrations transfrontalières alternantes. Ayant un ancrage historique dans son milieu de


résidence, l’individu qui se déplace ne consent faire un déménagement vers le lieu où se
trouve ses activités économiques.

b) Le lieu de travail

Le mode de vie des premiers hommes fondé sur la cueillette et la chasse


favorise la mobilité humaine entre régions voisines. C’est le constat d’ Etienne Augris et
Allix Piot qui précisent que les régions voisines ont toujours noué un contact depuis
l’antiquité.79 Les ressources différenciées entre région ont facilité ces échanges. C’est
dans cette logique qu’il convient d’inscrire le troc qui est documenté sur le continent
africain80.

Les prémisses d’un modèle théorique de décision migratoire peuvent déjà


être identifiées chez Adam Smith (1776) et chez Friederich Ratzel (1882). Ces auteurs
estiment que les populations se déplacent d’un territoire vers un autre pour un but de
survie et de gain économique81. A ce point de vue la raison économique et professionnel
paraît être la motivation la plus ancienne pour laquelle les personnes se déplacent dans les
espaces frontaliers. Parmi les causes ayant favorisé les migrations en Europe, il faut
mentionner les impôts élevés, un environnement social défavorable, un climat peu
attractif, etc82.

En Afrique, les migrations transfrontalières alternantes ont des origines


lointaines. Famine, recherche des terres arables, échanges des marchandises sont les unes
des causes qui ont facilité les déplacements des populations en Afrique. Une civilisation
caractérisée par la chasse et la pêche, ainsi qu’une cueillette sélective de graminées

79
E. Augris et A. Piot , « Migrations : De l’antiquité au XXème », in l’éléphant ,n°9, janvier 2015,pp.1-2.
80
E. Vignati, « Le sel et le fer au cœur des échanges, de la circulation, et du commerce dans la région des
Grands Lacs à l’époque précoloniale », in les cahiers d’Afrique de l’est/The East African Review, 52/ 2019, pp 241-
284.
81
E. Piguet, « Les théories des migrations. Synthèse de la prise de décision individuelle », in Revue européenne des
migrations internationales ,vol. 29/n°3, 2013, [en ligne]: http://journals.openedition.org/remi/6571, consulté le
21 Juillet 2020.
82
Idem.
32

83
(céréales) s’y développait déjà . L’Afrique a connu des dynamiques migratoires
internes et autonomes, au moins jusqu’au VIIe siècle de notre ère, qui marque le début
des interventions des puissances étrangères84.

Dans la plupart des cas, les moteurs économiques de chaque région attirent les
migrants. Le Nigeria en Afrique de l'Ouest en est un exemple. Les variations des
migrations s'expliquent essentiellement en termes de besoins économiques dont la
demande en main-d'œuvre est favorisée par des politiques de laisser faire, d'accès facile
au territoire85.

c) Le contexte régional favorable

Les migrations transfrontalières alternantes se développent dans un contexte


régional favorable. Ce contexte est celui de la proximité géographique, de la croissance
économique et la régionalisation des échanges. Entre 1970 et 1985, le Gabon est devenu
un pourvoyeur d’emploi pour plusieurs pays africains. De nombreux migrants à la
recherche du bien-être ont élu domicile au Gabon pour travailler dans les chantiers des
grands travaux à Libreville86.

Dans le cadre de la proximité géographique, les migrations sont basées sur des
affinités culturelles ou les rapports historiques entre les territoires de pays d’accueil et
d’arrivée. Ces réseaux personnels, institutionnels, industriels ou technologiques se
multiplient et se complexifient autour des migrations de travailleurs. Ces migrations
s'effectuent encore souvent à l'écart des structures étatiques87.

En République Démocratique du Congo, prenant le cas des communes de


Selembao, de Ngaliema, de Kintambo et Gombe, Kuasu Mikandu Luvwezo constate qu’il
existe une relation étroite entre les activités socio économiques et les migrations

83
G. Mass, « Histoire des migrations humaines », in Cahier de village de Forez n° 165, Paris, Montbrison, 2018,
pp.1-32.
84
Idem.
85 L. Coulombe, op.cit.
86
P. Kadem, Les migrations internationales en Afrique centrale. Lois, politiques et pratiques, Une étude de la fondation
Open Society Initiative For West Africa, New york, p.10.
87
L. Coulomb, op.cit.
33

journalières. La commune de Selembao se reveille à 4 heures du matin et progressivement


ses rues se peuplent jusqu’à 7 heures du matin. Il s’agit des travailleurs et fonctionnaires
de l’Etat qui se rendent dans les communes voisines de la Gombe, de Ngaliema, de
Limete et de Limete. Il s’agit des femmes qui vont dans des marchés lointains à l’instar de
Gambela pour attendre les camions transportant les marchandises provenant de la
province du Kongo-central88.

La perspective économique a le mérite de poser la question de la migration


alternante comme objet d'un choix de la part des agents individuels : la migration
alternante peut donc apparaître comme l'enjeu d'une stratégie qui s'élaborerait à partir
d'une série de contraintes, telles que la distribution spatiale des emplois et de leur valeur
économique ou encore la nature ou le coût des moyens de transport89.

Pour le cas de l’Est du Congo et de l’espace CEPGL, J. Pabanel note que la


perméabilité des frontières de l’Est de la RDC a favorisé les mouvements des populations
étrangères à des fins diverses vers l’est du Congo90. Il mentionne plusieurs mouvements
clandestins des populations rwandaises vers le Kivu d’une manière régulière. Ces navettes
clandestines régulières sont facilitées par 4 éléments :

- La perméabilité de la frontière entre le Rwanda et la RDC qui facilite le passage


des marchandises ou des personnes vers le Kivu ;
- La pression démographique et la faiblesse des entreprises d’exploitation agricole au
Rwanda ;
- La crainte devant les conflits ethniques. Lors de moments de tension comme en
1973, la population tutsie ne se sentant pas en sécurité se réfugie dans les pays
limitrophes. En 1994, c’est la population hutu qui se déverse dans le Kivu ;
- Le quatrième élément est d’ordre social. La présence d’un segment de la famille en
émigration est un support éventuel pour une future émigration d‘une autre partie de
la famille. L’existence de populations rwandaises ayant eu une intégration

88
Kuasu Mikandu Luvwezo Makiona, op.cit., p.6.
89
C. Mougenot, op.cit.
90
J.-P. Pabanel, « La question de nationalité au Kivu », in Politique africaine n°41, 1991, pp. 31-40.
34

administrative a constitué un appel vers l’émigration plus propice que dans d‘autres
pays où le statut d’étranger constituait un obstacle91.

Boniface Hakiza Rukatsi, fait mention du recrutement des ouvriers des


plantations du Kivu dans les régions voisines. Etant donné qu’il n’avait pas toujours de
main d’œuvre suffisante dans les contrées où le colonisateur trouvait les ressources qui
l’intéressait, ce dernier fut obligé de recruter une proportion souvent très élevée de ses
travailleurs dans d’autres régions92. Les ouvriers étaient répartis en trois catégories sur
base de la distance entre leurs village d’origine et le lieu de leur travail. Les ouvriers qui
se rendaient à moins de 25 km de leur village étaient considérés comme travaillant sur
place. Ceux qui parcouraient une distance de 25 à 100km étaient considérés comme des
travailleurs à petite distance93.

I.3.2. Les facteurs socio-scolaires/académiques

Les facteurs socio-scolaires/académiques des migrations transfrontalières


alternantes concernent l’attrait que les systèmes éducatifs exercent sur les régions
transfrontalières. Ce phénomène est présent dans plusieurs régions du monde. C’est le cas
des villes de Juárez au Mexique et El paso au Texas aux Etats Unis, où plus de 300
élèves du secondaire font des allers-retours chaque matin et soir, en traversant la frontière
pour aller étudier au Texas, aux Etats-Unis94.

Au niveau européen, la mobilité scolaire/académique s’inscrit dans un vaste


programme de coopération universitaire transfrontalière. Le campus européen qui a vu le
jour en 2015 permet aux universités de développer de larges partenariats et faciliter la
mobilité estudiantine. Il s’inscrit dans le cadre d’une longue coopération entre les
universités du Rhin supérieur qui se sont constituées en réseau transfrontalier.95

91
J.-P. Pabanel,op.cit.
92
B.Hakiza Rukatsi, op.cit., p.56.
93
Idem.
94
K. McGee et M. Gutiérrez, Mexique : Aller à l’école dans un autre pays, traverser la frontière tous les jours,The World,
Texas, Novembre, 2015.
95
F.-B. Waïss, A. Galicher et M.-G Maillard, Les activités transfrontalières des universités, Inspection Générale de
d’Administration de l’Education Nationale et de la Recherche, Paris, 2017, p.15.
35

Sur le plan africain, l’histoire des étudiants africains partis se former à


l’étranger a suscité depuis une vingtaine d’années un intérêt croissant de la part des
chercheurs en sciences sociales96. Ces études portent sur les profils d’étudiants, des
parcours de formation et de destination d’études dans des contextes historiques différents.
En ce qui concerne les mobilités estudiantines transfrontalières, les chercheurs soulignent
le paradoxe des mobilités dites « mondialisées » et qui restent tributaires de la politique
transfrontalière mise en œuvre97.

Depuis les indépendances, les migrations estudiantines sont le plus souvent


conçues comme des projets à durée bien déterminée et qui doivent se réaliser à cheval sur
deux territoires, le pays d’accueil et le pays d’origine. De ces points de vue, ces mobilités
sont considérées comme des circulations d’étudiants entre pays d’origine et pays où ils
étudient98. C’est ainsi qu’après l’indépendance, il y a des étudiants et des travailleurs qui
quittent la ville voisine de Brazzaville pour étudier et travailler à Kinshasa99.

A l’Est de la RDC, les mobilités estudiantines et universitaires entre la RDC et


le Rwanda constituent jusqu’à nos jours une actualité dans la région. Des étudiants et les
des élèves quittent les villes voisines de Gisenyi pour étudier à Goma. Il en est de même
des enseignants qui quittent Goma pour aller enseigner à Gisenyi et à Butare au
Rwanda100. Cette même mobilité est visible entre la ville de Bukavu au Sud-Kivu en RDC
et la ville rwandaise de Cyangugu101. Les facteurs socio scolaires qui influencent les
migrations transfrontalières alternantes sont liées à la fois à la proximité géographique et
à la qualité de l’enseignement.

a) La proximité géographique

96
A. Tarradellas et R. Landmeters, « Les mobilités des étudiantes et étudiants africains : une histoire
transnationale de l’Afrique depuis la décolonisation », in Diasporas [en ligne] :
,https://journals.openedition.org/diasporas/6089, consulté en Février 2023.
97
A. Tarradellas et R. Landmeters, op.cit.
98
Idem.
99
Information recueillie auprès de Mr Jean Lyongo, Professeur à l’université de Kinshasa ,Centre d’Etudes
Politiques/UNIKIN, Février 2023.
100
Certains de nos collègues de l’Université de Goma ont enseigné à Gisenyi entre 2008 et 2015.
101
Information recueillie auprès de Mr Kefa Banywesize, Enseignant congolais au Rwanda, Kigali, décembre
2022.
36

La proximité géographique favorise les traversées quotidiennes des élèves et


étudiants pour raisons d’étude. Sur le plan académique, il se développe une coopération
transfrontalière des universités qui sont dans des espaces plus ou moins homogènes
construits par la géographie, tantôt consolidés par l’histoire.102 C’est pour ce faire, qu’il
se développe en Europe des programmes opérationnels interrégionaux.

La proximité géographique facilite un paysage foisonnant des multiples


initiatives transfrontalières portant principalement sur la formation, la recherche et la
mobilité étudiante. Ces coopérations concernent un nombre variable d’étudiants et
chercheurs103. C’est dans ce contexte que l’université de Haute-Alsace installée à
Mulhouse à l’Est de la France reçoit 151 étudiants engagés dans les mobilités
transfrontalières entre Mulhouse, Colmar et d’autres villes de l’Allemagne et de la
Suisse104.

Les étudiants internationalement mobiles se définissent comme « les étudiants


ayant franchi une frontière nationale pour étudier ou pour entreprendre d’autres activités
relatives aux études, pour une partie ou au moins un programme d’étude ou pour une
certaine période de temps, dans le pays dans lequel ils se sont déplacés »105. Le terme
étudiant mobile peut être employé en lieu et place d’étudiant internationalement
mobile106.

La proximité géographique considère la distance à parcourir pour quitter de la


région d’origine vers une région d’accueil. La trajectoire est d’abord une route, un
itinéraire. Elle sous-entend un point de départ et un point d’arrivée. Le trajet est aussi
important que l’atterrissage. C’est ainsi que la géographie s’inscrivant dans le champ des
sciences humaines et sociales comme une science transversal, permet de façonner

102
F.-B. Waïss, A. Galicher et M.-G Maillard, op.cit., p.9.
103
Idem, p.15, 27.
104
Ibidem., p.15.
105
C. Cédric et G., « Marcel, Mobilité étudiante est-elle un facteur de croissance » ? in Varii, Quel Etat pour
quelles performances économiques ?, Charles le roi, CIFoP, Paris, 2009, p.48.
106
Idem.
37

l’approche singulière des mobilités étudiantes et académiques107.

En ce qui concerne les pays de l’espace CEPGL, la proximité géographique


entre certaines villes transfrontalières a favorisé la mobilité des étudiants. Entre Goma et
Gisenyi la zone neutre est de 13m. Le rapprochement géographique entre ces deux villes
crée aussi un rapprochement scolaire et académique. Les usagers de la frontière entre ces
deux villes ne sont pas seulement des commerçants et des travailleurs journaliers. Ce sont
aussi des étudiants et enseignants qui font des va-et-vient entre ces deux villes108.

b) La qualité de l’enseignement

La qualité de l’enseignement est l’un des facteurs socio-scolaires qui


influencent les mobilités transfrontalières académiques et scolaires. Depuis le début du
second millénaire les jeunes sont de plus en plus attirés par un enseignement susceptible
de leur garantir un bel avenir professionnel. Il peut arriver que certaines options
recherchées se trouvent dans une région transfrontalière. En plus, une région peut offrir
des formations de courte durée et qui peuvent attirer les habitants des contrées
transfrontalières.

Pour garantir la qualité d’enseignement, les établissements d’enseignement


supérieur sont amenés à chercher des équilibres à trois niveaux : l’institution, les
formations et les acteurs. Ces établissements composent avec leurs contraintes internes et
leurs potentiels internes pour à la fois développer une culture de l’auto-évaluation,
maintenir une offre de formation de qualité et soutenir l’enseignement et
l’apprentissage109.

A cause de la qualité d’enseignement, les pays d’Afrique du Nord attirent une


part non négligeable de la mobilité académique intracontinentale. Le Maroc et la Tunisie
figurent parmi les principaux pays de destination des étudiants de l’Afrique sub-

107
V. Jolivet, « La notion de trajectoire en géographie, une clé pour analyser les mobilités ? » in EchoGéo, 2007
[en ligne] : http ://journals.openedition.org/echogeo/1704 , consulté en Février 2023.
108
M. Doevenspeck et N. Morisho Mwanabiningo, op. cit.
109
L. Endrizzi, « La qualité de l’enseignement : Un engagement de l’établissement avec les étudiants ? » in dossier de veille
de l’IFE ,n°93, juin, Ecole normale supérieur de Lyon, 2014, p.1.
38

saharienne francophone. Le Maroc accueille à lui seul près de 15 000 étudiants


subsahariens, faisant du royaume du Maroc, le deuxième pays d’accueil du continent
africain. En première place se trouve les étudiant du Mali dont le nombre va en
croissant110.

A cause de son système d’enseignement supérieur qui est en partenariat avec


plusieurs universités étrangères, le Ghana attire plusieurs étudiants étrangers et
principalement ceux des pays voisins. Près de 12 416 étudiants étrangers venus du
Nigeria, du Gabon, de la Côte d’Ivoire, du Congo et du Benin se retrouvent au Ghana. Il
partage avec le Nigeria un même cadre de reconnaissance des diplômes et une
coopération universitaire dans le cadre du Commonwealth111.

L’enseignement de la RDC qui tarde à retrouver ses lettres de noblesse,


n’impose plus totalement son influence vers les pays voisins. Par absence des partenariats
progressistes et d’un appui public significatif, les établissements d’enseignement
supérieur et universitaire de la RDC évoluent dans une logique de « survie de
l’institution »112. Dans ce contexte, la coopération et la mobilité transfrontalière étudiante
demeure faible.

Elles sont moins réactives face aux recommandations et aux propositions


internationales de réforme en matière d’organisation des études, de contenu des
enseignements et de gouvernance institutionnelle. La promotion internationale fonctionne
comme un mode de promotion scientifique individualisé dépourvu d’impact
institutionnel113. La qualité de l’enseignement attire plusieurs étudiants étrangers et
transfrontaliers.

Cependant, à l’absence des écrits scientifiques en la matière, on observe que


les institutions supérieures et universitaires de la RDC accueillent les étudiants étrangers à
110
Campus France, Mobilités et coopérations universitaires en Afrique subsaharienne, Paris, Campus France, 2019,
p.27.
111
Idem, p.26.
112
M. Poncelet et al., « A la marge de l’internationalisation de l’enseignement supérieur...mais au cœur d’un
marché universitaire national : l’université de Kinshasa (République Démocratique du Congo) »,in Revue Tiers
Monde 2015/3, N° 223, pp 91-110.
113
Idem.
39

des proportions différentes. La faculté de Médecine de l’université de Kinshasa, réputée


meilleure en Afrique centrale, accueille les étudiants d’origine camerounaise114 et
congolaise ( Brazaville). Cette tendance est visible aussi dans les universités du Kongo
central( UK à Kisantu et UKV à Boma).

Les facteurs socio scolaires académiques des migrations transfrontalières


alternantes notamment la proximité géographique et la qualité d’enseignement restent des
facteurs indéniables des migrations transfrontalières alternantes. Les universités arrimées
au système LMD et au processus de Bologne permettent une mobilité régionale étudiante
entre 48 pays de l’Europe. Cela permet la création d’un espace européen d’enseignement
supérieur destiné à faciliter la mobilité des étudiants et du personnel et à rendre
l’enseignement supérieur européen plus inclusif, accessible et attrayant115.

Cette réalité reste visible à la frontière Goma-Gisenyi. Plusieurs étudiants


rwandais apprécient l’enseignement supérieur de la RDC à cause du système congolais
qui est réputé universel. La ville de Goma compte plusieurs universités et instituts
supérieurs qui reçoivent régulièrement les étudiants venant du Rwanda. En 2007,
l’Université du CEPROMAD (UNIC) à Goma comptait plus de 35% d’étudiants
rwandais. Le CIDEP comptait 20,6% d’étudiants rwandais116. L’Université de Goma
compte près de 80 étudiants rwandais en 2023117.

I.3.3. Les politiques sociale et sécuritaire en lien avec des migrations


transfrontalières alternantes

Au-delà de ces aspects socioprofessionnels et socio scolaires/académiques


présentés dans la littérature comme facteurs de la migration transfrontalières alternantes,
l’offre des politiques publiques de sécurité et du bien-être apparaît comme un facteur des
114
Propos recueillis auprès des enseignants-chercheurs de Centre d’Etudes Politiques, Université de Kinshasa,
févier 2023.
115
European Education Area, Le processus de Bologne et l’espace européen de l’enseignement supérieur, ( en
ligne) www.education.ec.europa.eu, consulté en février 2023.
116
E.-J. Tambwe, « Incidence de la frontière Goma-Gisenyi en 2004 sur l’éducation » in Onesphore
Sematumba, Les frontières : Lieux de division ou passerelles d’échanges ? Impact de la fermeture de la frontière Goma-
Gisenyi, Pole Institute, Fissures n°005, janvier 2005, pp.32-37.
117
Apparitorat central de l’UNIGOM, Liste des étudiants inscrits, Année académique 2022-2023.
40

migrations transfrontalières alternantes. C’est le point d’ancrage de cette étude. Dans un


contexte politique et diplomatique plutôt tendu, une catégorie des congolais employés à
Goma préfère passer la nuit dans la ville voisine de Gisenyi au Rwanda.

L’insuffisance de l’offre des politiques sociales et de sécurité favorisent ces


navettes journalières. Dans ce contexte, les migrations transfrontalières alternantes
apparaissent comme une « passerelle » entre les populations appartenant à deux pays
voisins qui entretiennent des relations glaciales et bellicistes. C’est la principale
contribution de cette étude à la littérature sur les migrations transfrontalières alternantes.
41

Chapitre II :
PANORAMA DE LA DYNAMIQUE DES MIGRATIONS
TRANSFRONTALIERES ALTERNANTES DANS L’ESPACE
GOMA-GISENYI

Les migrations transfrontalières alternantes Goma-Gisenyi s’inscrivent dans la


dynamique des migrations et échanges de l’espace CEPGL. Or, l’histoire de l’espace
CEPGL s’articule autour de la migration et des échanges réguliers entre peuples de la
sous-région. C’est dans une perspective dynamique et historique que ce chapitre
appréhende les migrations transfrontalières dans l’espace CEPGL qui revêtent des formes
diverses. L’une des formes qui est mise en exergue dans cette étude est la migration
transfrontalière alternante dont le point d’ancrage est Goma et Gisenyi.

En vue d’analyser la question dans sa globalité, ce chapitre étudie trois temps


des migrations transfrontalières qui sont les principaux repères de l’histoire des
migrations transfrontalières de l’espace CEPGL. Il s’agit du temps précolonial, du temps
colonial et du temps postcolonial des migrations transfrontalières dans l’espace CEPGL.

II.1. Le temps précolonial des migrations transfrontalières de l’espace Goma-


Gisenyi
Comme le souligne J.de Heinzelin, l’espace CEPGL contemporain, fait partie
des zones dont l’occupation remonte à plusieurs milliers d’années118. Les recherches faites
à Ishango dans la vallée du Semliki montrent que vers 7.000 ans avant Jésus Christ, la
région fut habitée par une population qui utilisait les objets lithiques ou en os. Cette
population vivait de la pêche et éventuellement de la chasse119.

L’étude des « migrations transfrontalières » dans la région, fait l’objet d’une


controverse entre historiens, historiographes et archéologues. Cette controverse est
renforcée par la contradiction entre récits oraux et écrits des événements qui se sont

118
De Heinzelin, J. cité par B. Hakiza Rukatsi, op. cit. p.47.
119
Idem.
42

déroulés dans la région. Pour Sandrine Piaget, les liens entre l’oral et l’écrit ont fait
couler beaucoup d’encre et de salive120. Cependant, depuis le début du siècle, les
structuralistes et les sociolinguistes soulignent la validité de l’oral et de l’écrit dans
l’écriture scientifique121. C’est dans cette perspective que la grille d’analyse de ce chapitre
combine à la fois le témoignage oral des acteurs connaissant l’histoire de la région et les
écrits des spécialistes sur la région.

La zone géographique appelée Communauté Economique des Etats des Grands


Lacs fait partie des zones incluses dans les territoires que les historiens et géographes
conviennent de nommer royaumes inter lacustres122. A l’absence des frontières tracées
entre ces royaumes dirigés par les Mwami, l’on s’accorde pour situer ces royaumes au
bord des grands lacs africains dont le lac Kivu, le lac Tanganyika, le lac Idi Amin (Lac
Victoria), le lac Edouard (ancien lac Mobutu).

Ces royaumes sont aux pieds des hautes montagnes volcaniques appelées
chaine de Birunga/Virunga. Ces montagnes sont : Karisimbi (4.507 m), Mikeno (4.437
m), Bisoke/Visoke (3.707 m), Shabinyo/ Sabinyo (3.501 m), Kahinga/Gahinga (3.475 m),
Muhabura/Muhavura (4.127 m), Ninawongo/Nyiragongo (3 462m) et Nyamurairi/
Nyamulagira123 (3 063)124.

Les récits historiques et archéologiques ainsi que des témoignages indiquent


qu’il existait bel et bien des échanges réguliers entre les royaumes de la région. Ces
échanges contribuent jusqu’à ce jour au mouvement et au métissage interne des peuples
de la sous-région et ont contribué à la construction moderne du concept de migration
transfrontalière de la sous-région. La région du Kivu a toujours été une terre d’accueil

120
S. Piaget, « Interrelations entre oralité, écriture et culture », in Travaux neuchâtelois de linguistique de
linguistique, Paris, 2002, pp.25-45
121
S. Piaget, op. cit.
122
Les royaumes inter lacustres correspondent à la région actuelle des Grands lacs africains. Il s’agit d’une
dénomination géopolitique qui désigne les pays africains bordés par les grands lacs africains qui sont la
République Démocratique du Congo, le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda, le Kenya, la Zambie et le Malawi.
123
L’emploi d’une dénomination par lieu géographique renvoie au fait que la première dénomination est la plus
ancienne. La seconde est la plus récente et utilisée par les populations immigrées.
124
J.-B. Murairi, op. cit. , p.20.
43

pour les populations d’origine rwandaises. Elle leur a offert tout ce dont ils avaient
besoin : espace, bétail, champ, etc125.

Jan Vansina prévient que l’histoire sociale qui sous-tend la dynamique des
déplacements précoloniaux dans les territoires de l’actuel RDC, Rwanda et Burundi doit
être moins narratif et plus analytique126. Les données archéologiques indiquent qu’après
l’âge de fer ancien, il y eut une immigration lors de l’apparition de la céramique W au
Rwanda ancien. Une grande mobilité de la population est mentionnée surtout parmi les
éleveurs et les élites127.

Dans l’espace des royaumes inter lacustres anciens, il n’y avait pas de limites
dans le sens des frontières actuelles. Les peuples et le mwami se déplaçaient
régulièrement dans des espaces géographiques voisins. Ils s’arrêtaient seulement à
l’endroit où les gens ne parlaient plus sa langue128.

Aux 17ème et 18ème siècles, les éleveurs se déplaçaient d’une région à une autre
sous la pression des facteurs climatiques et politiques. Suite à de grandes crises
climatiques, des populations se retrouvaient en fuite, mais retournaient dans leurs
territoires dès que la crise était passée. On emmenait le bétail pendant la grande saison
sèche (juin, juillet) vers des pâturages éloignés sur les hauteurs couvertes de forêt. Cette
transhumance était fort importante et c’est pourquoi les éleveurs recherchaient des
pâturages proches des hautes terres129.

Retenons que le déplacement des populations dans les royaumes inter lacustres
est lié à l’apparition de l’agriculture et de l’élevage. Ce premier mode de subsistance
exigeait des fréquents changements de résidence à la recherche des terrains propices à
l’approvisionnement en viande, en poisson et en légumes130. A l’absence des données

125
Entretien avec un notable de la communauté Hutu du Nord-Kivu à Goma ayant requis l’anonymat,
novembre 2022.
126
J. Vansina , Le Rwanda ancien, Paris, Karthala, 2001, p.1.
127
Idem, p.32, 33.
128
Entretien avec Mr Kimbere Kithaka, Enseignant de l’université de Goma et ancien chef de groupement de
Tongo (Chefferie de Bwito territoire de Rutshuru, Province du Nord-Kivu), Goma, Novembre 2022.
129
J. Vansina , op.cit., p.39.
130
I. Ndaywel è Nziem, op. cit., p.49.
44

exhaustives sur les mobilités des populations dans les royaumes inter lacustres avant la
colonisation, et en fonction de la délimitation (Goma-Gisenyi) de cette recherche, nous
retenons dans cette dissertation deux facteurs majeurs qui ont facilité les mouvements des
populations dans l’espace transfrontalier des grands lacs. Ces facteurs sont les guerres
expansionnistes de Rwabugiri au Rwanda ancien et le commerce ancien sur le lac Kivu.
Ces deux facteurs qui ont des répercussions majeures sur l’histoire migratoire de la région
permettent la compréhension des migrations transfrontalières entre Goma et Gisenyi.

1) Les guerres expansionnistes de Rwabugiri

Isidore Ndaywel estime que l’histoire ancienne qui s’est égrenée au bord des
Grands lacs, à l’ombre des volcans était avant tout aristocratique131. Ces aristocraties
organisées autour de la personnalité du Mwami ont connu des périodes troubles. Mêlées
des conflits entre pasteurs, agriculteurs et élites des différents royaumes voisins, ces
périodes ont entrainé de forts mouvements des populations.

Ces guerres étaient des instruments principaux du pouvoir. Elles étaient


essentielles pour importer des nouvelles richesses pour doter les élites et
les rois. Ces richesses consistaient surtout en bétail, mais incluaient aussi
des femmes et des enfants esclaves ainsi que de l’ivoire destiné à alimenter
le commerce étranger de plus en plus important132.

En 1867, Sebizoni nommé Kigeri Rwabugiri, devient chef de la dynastie


133
Nyiginya (Rwanda ancien) . Entre 1867-1897, il contribua à l’intensification des
mouvements des populations dans la sous-région. Avec une politique expansionniste pour
des raisons économiques, il opéra des expéditions et razzias dans les royaumes et
dynasties voisins. Il attaque le buhunde, le Butembo chez le Yira, le Buhavu à Idjwi, le
Bushi dans le Kabare, etc134.

Rwabugiri, fut l’un des ennemis les plus dangereux des autres royaumes

131
I. Ndaywel è Nziem, op. cit., p.224.
132
J. Vansina, op.cit. p.231.
133
Idem, p.211.
134
Ibidem, pp.218-219.
45

voisins vers la fin du 19ème siècle. Il s’empara du Bwisha qu’il divisa en 4 ‘provincettes’,
en vue de l’affaiblir et mieux dominer ensuite ses vassaux. Au Bushi, il tenta d’imposer
deux jeunes princes sur les trônes de Kabare et de Ngweshe, sans passer par
l’indispensable confirmation des Gardiens de la Tradition. Du coup, les Bashi se
soulevèrent et firent mordre la poussière au Mwami du Rwanda. Cependant, le Mwami du
Rwanda pouvait engager plusieurs combats à la fois à cause de sa force militaire
supérieure aux autres royaumes135.

Quelques années avant sa mort, Rwabugiri renforça ses positions dans la partie
basse du Buhunde, le long du lac, y nommant deux nouveaux chefs de guerre : Sebitekete
et Munyaninzi. Puis il partit en campagne contre le roi Ndale au Buhavu, et poussa ainsi
sa marche jusqu’au Bushi. Les peuples hunde, shi et havu subirent l’agressivité de leur
voisin hégémoniste136.

Sans former un véritable front militaire commun, les troupes bashi, bahavu et
bahunde firent subir à Kigeri IV une défaite humiliante. Sur le front du Buhunde, l’armée
du Roi Mupfunyi anéantit les régiments commandés par Sebitekete et Munyaninzi : le
premier y mourut mais le second parvint à fuir. Vers 1895 (1897), dans une campagne au
Bushi, Rwabugiri fut grièvement blessé dans une embuscade. Il fut réembarqué en
catastrophe pour retraverser le lac Kivu, mais rendit l’âme dans la pirogue qui le ramenait
chez lui au Rwanda137.

Cette période trouble a entrainé de fortes mobilités des populations d’origine


Nyiginya (Rwanda ancien) vers d’autres royaumes de la sous-région. Lorsque Rwabugiri
faisait des razzias dans les royaumes environnants, il arrivait que l’on capture certains de
ses soldats et on les utilisait dans l’élevage du gros bétail. Ce serait le cas des populations

135
J.-B. Murairi Mitima, op. cit. p.94.
136
Idem.
137
Ibidem.
46

appelées communément banyamulenge138 dans le bubembe et d’autres populations


d’origine rwandaise dans l’île d’Idjwi139.

Ces populations ainsi capturées pouvaient alors s’accroître par transhumance


humaine. Chaque personne pouvait appeler ses frères et connaissances qui pouvaient
travailler dans l’élevage de la vache. Il arrivait aussi que Rwabugiri lui-même installe une
résidence secondaire dans une localité conquise en vue de la sauvegarde de ses intérêts
économiques dans la région. C’est le cas de l’ile d’îdjwi où Rwabugiri a érigé deux
résidences durant son règne140.

Dans ce contexte, des centaines des populations pouvaient rester chez le


Mwami. Elles travaillaient dans la sécurité, l’agriculture ainsi que diverses autres tâches
liées au besoin du palais du Mwami dans la région. Ces populations pouvaient se lier par
mariage avec les populations autochtones. Ce qui fut le cas, pour certaines populations à
Idjwi. Lorsque Rwabugiri fut tué par le Bushi, certaines des populations de son royaume
restèrent à Idjwi.141

Il arrivait aussi que Rwabugiri installe l’une de ses femmes dans un territoire
conquis. Lorsqu’il attaque Jomba et le soumet à son autorité, il y aurait installé l’une de
ses femmes qui est venue avec ses frères, ses serviteurs et ses servantes 142. C’est cette
dynamique qui explique l’origine actuelle des populations Tutsis congolais des
groupements de Jomba, de Kisigari, de Rugari, de Busanza, de Bweza, de Bukoma et de
Binza en chefferie de Bwisha, territoire de Rutshuru, qui ont migré entre le 17ème et le
18ème siècles.

138
Sur l’origine des banyamulenges il existe deux hypothèses : A l’origine, ils seraient des soldats de Rwabugiri
capturés dans le Bubembe et considérés comme esclaves commis à l’élevage du gros bétail. Ils se seraient
ensuite développés par transhumance humaine. Une autre hypothèse les presente comme des éleveurs venant
offrir leurs services chez les bubembe entre 1850 et 1900. Ils s’installèrent sur la colline appelée Mulenge et s’y
multiplièrent (Entretien avec Mr Kimbere Kithaka, Enseignant de l’université de Goma et ancien chef de
groupement de Tongo en Chefferie de Bwito, territoire de Rutshuru, Province du Nord-Kivu, Goma, novembre
2022).
139
Idem.
140
J. Vansina, op. cit., p.218.
141
Entretien avec Mr Kimbere Kithaka, Enseignant de l’université de Goma et ancien chef de groupement de
Tongo (Chefferie de Bwito territoire de Rutshuru, Province du Nord-Kivu), Goma, novembre 2022.
142
Idem.
47

Au sujet de Jomba et Kisigari, plusieurs récits historiques concordants notent


que ces groupements furent d’abord occupés par les populations du Buhunde143. C’est vers
la fin du 17ème siècle que les peuples du royaume Nyiginya voisin viennent s’y établir144.

Le Gisigari au centre et le Bukumu au sud ont reçu les premiers immigrants


venus du Rwanda. En ce temps-là, les Bahunde, après avoir évincé les pygmées
(premiers occupants), formaient la population autochtone (...) Les
Banyarwanda ne sont pas les premiers occupants de cette région (le Bwisha).
Les familles Hunde s’y seraient établies les premières, après avoir traversé la
plaine de lave de Nyamulagira ou les plaines sablonneuses de la Rwindi et de
la Rutshuru ou encore la région volcanique du Kamuronza, en direction du
Bukumu145.

Vers la fin du 19ème siècle, peu avant l’occupation belge du Kivu, Mgr
Kanyamachumbi, dont les écrits sur la région suscite de vives polémiques reconnaît que
le peuplement d’une partie du territoire de Rutshuru par les populations d’origine
rwandaise est récent. Avant et après Kigeri IV dit Rwabugiri, les autres rois du Rwanda
n’ont pas exercé leurs influences sur le Bwisha146.

2) Le commerce ancien sur le lac Kivu

La région inter lacustre, appelée par la suite région des grands lacs, a connu des
échanges commerciaux dès avant la colonisation. Ce commerce appelé dans la littérature
réseau commercial du Kivu se réalisait entre les royaumes inter lacustres, le Maniema et
la côte orientale. Ce commerce était constitué non seulement des caravanes des arabes
pour la recherche d’esclaves, mais encore par un petit commerce de colportage effectué
par les rwandais dans la région inter lacustre147. Ce commerce consistait en l’échange
des biens et des objets d’arts entre les différents royaumes voisins. Cette dissertation

143
P. Pagès, cité par J.-B. , Murairi Mitima, op.cit., p.51.
144
Semadwinga Ntare cité par J.-B., Murairi, Idem.
145
Ibidem.
146
P. Kanyamachumbi cité par J.-B. Murairi, op.cit., p.52.
147
J. Vansina, op.cit., p.222.
48

reste focalisée sur les échanges entre le Rwanda ancien et les autres royaumes inter
lacustres qui constituent le Kivu actuel.

Comme le reconnaît le père Pages, les Banyarwanda ne cessèrent pas de faire


des échanges commerciaux avec les peuplades du Congo qui leur fournissaient des
pioches et des anneaux de fibre végétale appelés ubutega. Leur achat donne lieu à un va-
et-vient incessant entre ce pays et le Rwanda148.

L'économie du Rwanda ancien reposait sur deux piliers : L’agriculture et


l'élevage. Pour travailler la terre, les paysans utilisaient la houe dont les quantités
produites étaient inférieures aux besoins. L'élevage du Rwanda était performant en raison
des conditions naturelles favorables et des soins constants que les éleveurs apportaient au
bétail. Par contre, les régions situées sur la rive occidentale du lac Kivu avaient un sous-
sol riche en minerai de fer et produisaient les houes dont la quantité était largement
supérieure à la demande locale149.

Les habitants de Nyiginya venaient acheter un fil que les bahunde appelait
Butega. Ce fil tissu fabriqué à base des feuilles séchées des bananiers servaient à
confectionner des bracelets recherchés au Rwanda.150. La cuvette congolaise ainsi que les
royaumes du Nord et du Sud-Kivu manquaient par contre de bétail et c'est de cette
complémentarité qu'est né le circuit commercial centré sur le lac Kivu151.

Ce commerce permettait l’échange des biens entre le Buhunde, le Bushi, le


Buhavu et le royaume du Rwanda voisin. Il se déroulait au bord du lac Kivu. A l’absence
de la monnaie il se faisait sur base du troc. Les bétails étaient échangés contre les œuvres
d’art, les bracelets ainsi que les produits vivriers.

148
P. Pagès, cité par J.-B., Murairi, op.cit., p.51.
149
B. Lugan, « Les Pôles commerciaux du lac Kivu à la fin du XIXe siècle », in Revue française d'histoire d'outre-
mer, Tome 64, n°235, 2ème trimestre, 1977. pp. 176-202.
150
Entretien avec Mr Kimbere Kithaka, Enseignant de l’université de Goma et ancien chef de groupement de
Tongo (Chefferie de Bwito territoire de Rutshuru, Province du Nord-Kivu), Goma, novembre 2022.
151
B. Lugan, op.cit., pp. 176-202.
49

a) Les régions engagées dans les échanges/commerce transfrontalier

Du côté de ce qui constitue la République Démocratique du Congo, ce sont les


royaumes qui s’étendent à l’Ouest et au Sud du lac Kivu qui sont engagés dans le
commerce frontalier précolonial. Ces royaumes sont le Buhunde, le Bushi et le Buhavu.
Ils échangeaient des biens avec les régions rwandaises de Kinyaga et du Bugoyi qui sont
des plaques tournantes du commerce rwandais précolonial.

 Le Buhunde, le Bushi et le Buhavu dans le commerce avec le Rwanda

Le Buhunde dispose, à son apogée, d’une énorme superficie, s’étendant


depuis les hauteurs dominant l’actuel lac Edouard jusqu’aux rives sud-ouest du lac Kivu.
En se basant sur des détails de la tradition orale du Buhunde, certains soutiennent que la
pointe sud et une grande partie de la rive orientale du lac Kivu en faisaient partie. Ce qui
donnerait un espace d’une longueur d’environ 400 km sur une largeur de quelque 240
km.152 Il exerce l’autorité sur les territoires actuels de Masisi, la chefferie de Bwito dans
le Rutshuru et la chefferie de Bukumu dans le territoire Nyiragongo.

Le Bushi s’étend sur une superficie de 4.600km2 et comprend les territoires


actuels de Kabare et de Walungu dans la province du Sud-Kivu. Il est limité à l'Est par la
rivière Ruzizi, le lac Kivu et le Rwanda. A l'Ouest il est limité par les montagnes
forestières et le Bulega. Au Nord, par la rivière Nyabarongo, le Buhavu et le Bunyakiri.
Au Sud par la rivière Lumvivi et le Bufuliru. A cette époque, il couvre aussi une partie du
territoire de Mwenga, de Kalehe et de Bukavu ( Bagira)153.

Le Buhavu s’étend de Kalehe à Idjwi. Le Mwami de Buhavu habite à Kalehe


qui se situe au Nord de la ville de Bukavu et au sud du territoire de Kabare. Kalehe
administre deux collectivités-chefferies dès l’époque coloniale : Buhavu et Buloho
subdivisées chacune en groupements. Ces entités sont habitées par quatre tribus/ethnies
majoritaires à savoir les bahavu, les barongeronge, les batembo et les rwandophones hutu

152
J.-B., Murairi, op.cit., p.89.
153
Chubaka Bishikwabo, « Le Bushi au XIXème : Un peuple, 7 royaumes », in Revue française d’histoire d’outre-
mer, Tome 67, N°246-247, 1980, pp. 89-98.
50

et tutsis. Les tribus minoritaires y sont les bashi, les barega, les bahunde et les

pygmées154.

L'ensemble géographique constitué par le Kivu offre une certaine unité. C'est
ainsi que la côte rwandaise et les rivages du Buhunde, du Buhavu ainsi que toute l'île
Idjwi présentent un régime des pluies à peu près homogène avec une grande saison des
pluies s'étendant de la mi-septembre à la fin du mois de mai, entrecoupée durant le mois
de janvier d'une brève saison sèche plus ou moins sensible selon les années. La grande
saison sèche dure environ quatre mois, de la fin du mois de mai jusqu'à la mi-
septembre155.

Dans le domaine des productions agricoles les différences sont sensibles entre
le royaume du Rwanda et les royaumes du Kivu. Les populations rwandaises pratiquaient
l’élevage mais dépendaient dans une large mesure des cultures vivrières des royaumes
voisins du Kivu. Ils étaient engagés dans les échanges de proximité avec le Bushi, le
Buhavu, le Buhunde où les récoltes étaient souvent excédentaires156.

Ces populations apportaient les haricots et le sorgho. En échange, ils


recevaient les bétails en fonction des quantités échangées. Les populations rwandaises
recherchaient aussi les houes, les bracelets et autres objets d’artisanat qu’elles se
procuraient au Kivu. Les colporteurs rwandais traversaient et venaient dans les régions
environnantes pour se procurer de ces matériels157.

 Le Bugoyi et le Kinyaga au Rwanda ancien

La plaine du Bugoyi et ses régions densément peuplées avaient à l'époque


précoloniale une double vocation :

154
E. Mushagalusa Mudinga, « les conflits fonciers à l’est de la RDC : Au délà des confrontations entre
rwandophones et autochtones à Kalehe », [ en ligne] : https://medialibrary.uantwerpen.be ».pdf., consulté en
mars 2023.
155
B. Lugan, op.cit. pp. 176-202.
156
Idem.
157
B. Lugan, op.cit.
51

- Celle d'une région « réserve » dont la production vivrière était échangée au

moment où la région connaitrait la pénurie en vivres. Les habitants des villages


environnants se rendaient alors dans les marchés du Bugoyi avec du petit bétail
qu'ils troquaient contre des vivres. En plus des grands marchés réguliers à
Bugoyi, des marchés occasionnels s’y tenaient et étaient surtout des lieux
d'approvisionnement en vivres pour les simples particuliers158.

- Celle d'une plaque tournante mettant en rapport les pôles économiques


complémentaires formés par le Rwanda central, riche en bétail et la partie nord du
lac Kivu manquant de viande mais disposant d'articles d'artisanat, et surtout de
bracelets recherchés dans tout le Rwanda.

Le Kinyaga est important dans les échanges périphériques entre une partie du
Rwanda et le Bushi. Sa position géographique, en fait l'intermédiaire obligé du commerce
transfrontalier. Il se trouve sur la route de ravitaillement du Rwanda central. Il sert
d’itinéraire pour l’approvisionnement du minerai de fer et des pioches du Bushi vers le

Rwanda. Les articles transportés par les colporteurs banyakinyaga se retrouvent en

principe dans le Sud et l'Est du Rwanda159.

b) Les produits échangés dans le commerce frontalier


 Le bétail, pour le Rwandais

Les peuples du Rwanda ont toujours la réputation d’être les grands éleveurs
des gros et des petits bétails. Les banyarwanda, surtout les tutsi possédaient beaucoup de
têtes de bovins. L'élevage du petit et du gros bétail était réservé à l'aristocratie tutsi ou à
quelques riches Hutus. L’élevage florissait en raison des conditions naturelles favorables
et des soins constants que les pasteurs apportaient au bétail. Il s’agit de la vache, de la

158
B. Lugan, op.cit.
159
B. Lughan, op. cit.,pp. 176-202.
52

chèvre, du mouton et quelques fois des poules160.

Avec la chèvre, les habitants d'Idjwi, du Buhavu ou du Buhunde donnaient,


selon la grosseur de l'animal, de deux à trois charges de haricots. Dans certains cas, les
animaux étaient alors abattus sur place, découpés et transportés en quartiers. Mais les
chèvres et moutons étaient embarqués vivants les pattes liées. Le désir de se procurer des
chèvres poussait parfois les originaires de la rive ouest du Kivu à aller jusqu'aux régions
éloignées du Rwanda où ils en obtenaient en échange de bracelets161.

 La production agricole, les bracelets, les houes, pour les peuples du Kivu
Dans les royaumes anciens du Kivu, la production agricole était constituée :

- Des céréales dont le maïs, l’éleusine, le riz et le sorgho ;


- Les haricots et petit-pois ;
- Les légumes vertes (feuilles des courges, de haricots, de la colocase, etc.) ;
- Les tubercules parmi lesquelles il y avait les patates douces, les colocases, l’igname,
le manioc ;
- Les bananes et ses variations ;
- Les oléagineux ;
- Les cultures non alimentaires162.

La fabrication des bracelets et des ornements consistait à chauffer une barre de


cuivre (mulinga) et l’étirer sur plusieurs dizaines de mètres jusqu’à ce qu’elle devienne
filiforme. Pour fabriquer les bracelets en cuivre pur (bitàle), il fallait stopper l’étirage au
moment où le métal brûlant atteignait la grosseur souhaitée. On fabriquait aussi des butées
en utilisant des fines lamelles de siyo enroulées des nœuds finement exécutés163. La
fabrication des houes, des pioches, des flèches, des épées, des couteaux et d’autres armes
de chasse et de guerre était possible car les habitants de la région inter lacustre avaient

160
B. Lughan, op.cit.
161
Idem.
162
J.-B. Murairi, op.cit., pp. 185-187.
163
Idem.
53

accès au fer et au cuivre164.

II.2. Le temps colonial des migrations transfrontalières


Après la conférence de Berlin en 1885, les principales puissances européennes
ont occupé l’Afrique. Dès 1902, le royaume de Belgique sous l’autorité de Léopold II
débute avec la politique de la mise en valeur coloniale. Les principales migrations
transfrontalières dans la sous-région qui font l’objet de cette dissertation, sont les
migrations organisées par le pouvoir colonial.

Ces migrations intéressent cette étude car elles consacrent les déplacements
transfrontaliers selon la compréhension moderne du terme et concernent la main d’œuvre.
Elles sont planifiées et organisées par l’autorité coloniale belge pour pourvoir aux besoins
en main d’œuvre dans les hautes terres du Kivu. Cette dimension historique des
migrations définit le peuplement des espaces au Kivu qui pèse toujours sur les mémoires
et les évènements de la sous-région165.

Ces déplacements étaient faits pour des raisons d’insalubrité publique, pour
l’encadrement administratif des populations, pour des mobiles scientifiques des colons ou
de surpopulation du territoire d’origine. Cette dernière raison couplée avec celle de la
main d’œuvre est la base de ce que les historiens ont qualifié de transplantation des
populations du Ruanda dans l’ex-congo belge166.

A la fin de la première guerre mondiale lorsque les belges revendiquèrent le


droit de continuer à occuper le Ruanda-Urundi, leur objectif était de faire de ce dernier
territoire un complément du Congo. Le Ruanda-Urundi était perçu comme une source de
la main-d’œuvre et des vivres pour les entreprises minières installées au Katanga. Dès les
premières années du mandat belge sur le Ruanda-Urundi, l’administration belge voulut
assigner au ‘’ territoire à mandat’’ un rôle plus important que celui de simple réservoir de
164
Ibidem.
165
A. Gouichaou . cité par J. Akili Muliri et B. Masemo Zaina, « Le pacte de Marrakech à l’épreuve des
expériences migratoires dans l’espace CEPGL. Essai d’analyse des enjeux sociopolitiques et économiques des
mouvements des populations entre la RDC, le Burundi et le Rwanda » in Annales de l’Université de Goma, XII,2,
2022, pp. 49-67.
166
Hakiza Rukatsi, op.cit., p.64.
54

main d’œuvre et de vivres pour le Congo167. Ce rôle est celui du peuplement permanent
des régions à vocation agro pastorale dans les Rutshuru et le Masisi.

L’objet principal de la transplantation des familles rwandaises dans le Nord-


Kivu fut celui d’accroître la rentabilité économique du Kivu. D’après E.Vanderstraeten,
immédiatement après la guerre de 1914-1918, la demande de matières premières
s’accroît dans des proportions considérables, les prix rémunèrent largement les
entreprises168.

A cette époque, la Minière des Grands Lacs (MGL) ouvre plusieurs chantiers
dans la vallée de la Semliki. Ce sont les populations à peine soumises de Rutshuru et de
Masisi qui fournissent une bonne partie de vivres et de main d’œuvre aux exploitants
miniers.. C’est aussi à cette époque où l’on enregistre de nombreuses demandes de
concessions agricoles dans le District du Kivu169.

Pour dispenser les colons de la contrainte de recruter au loin, l’administration


coloniale décida de transférer des milliers de familles du Rwanda au Kivu. Lorsque les
colons procèdent à la transplantation des rwandais dans le Kivu, c’est l’Etat (sous-entendu
ici pouvoir colonial) et le Comité National du Kivu (CNKi) qui ont la compétence de la
gestion des terres vacantes de la région. Ils se proposèrent d’attribuer 1.250.000 ha, soit
12.500 km2 à des familles qui devaient provenir du Rwanda170. Ces familles sont
subdivisées en deux catégories : les transplantés de 1937 à 1940 et ceux de 1951 à 1954.

 Première catégorie : Les transplantés de 1937 à 1940

Cette catégorie est constituée par une population à majorité tutsi. Ils ont été
dirigés dans l’actuelle région de Masisi. D’après le rapport AIMO 1938, au 30 juin 1938,
le pourcentage d’hommes transférés étaient de 72% de Tutsi contre 28% des hutus171.
Cependant, certains témoignages et récits oraux notent que le pouvoir colonial n’a pas su

167
Hakiza Rukatsi, op.cit., p.65.
168
E. Vanderstraeten cité Hakiza Rukatsi, idem, p.68.
169
Idem.
170
Ibidem., p.72.
171
Hakiza Rukatsi, op.cit., p.79.
55

toujours contrôler le nombre exact des personnes transplantées. Dès qu’un groupe de
personnes était installé à un endroit, il pouvait faire appel clandestinement à d’autres amis
et connaissances de son milieu d’origine172.

C’est en 1937 que débute effectivement l’opération de transplantation des


populations du Rwanda dans le Kivu. A la suite d’un accord entre le CNKi et
l’administration coloniale, 453 hommes, 79 femmes et 159 enfants accompagnés de 1115
têtes de gros bétails arrivent à Nyamitaba dans le territoire de Masisi. Ces populations
étaient constituées des Hutus et des Tutsis. Au 31 décembre 1938, 658 hommes, 381
femmes et 834 enfants avaient été installés dans la région du Nord-Kivu. Ils émigrèrent
avec 3013 têtes de gros bétails (bovins). En 1939, la région du Nord-Kivu reçut 76
familles provenant du Rwanda, tandis qu’en 1940, elle reçut 776 hommes173.

 Deuxième catégorie : les transplantés de 1941 à 1954

Cette immigration était assurée en grande partie par la mission d’immigration


des Banyarwanda (M.I.B) qui reçut en 1948, la compétence d’assurer le bon déroulement
des migrations des populations d’origine rwandaise. Toutefois, durant les années 1941 et
1942, il y eut respectueusement 421 et 228 familles installées au Nord-Kivu. Entre 1943
et 1944, à la suite de la maladie de la pomme de terre et de la famine qui s’en suivit, le
Rwanda connut un exode massif de plus 400.000 personnes174.

Ces personnes se réfugièrent en grande partie dans les colonies anglaises


(l’Ouganda, la Tanzanie, le Kenya). Mais le Nord-Kivu en accueillit plus de 3.000
hommes installés dans le territoire de Masisi175. Au 31 Décembre 1944, le nombre de
personnes transférées à Gishari dans le Masisi était estimé à 24.801 personnes. Ce nombre
était constitué de 6.050 hommes, 5410 femmes et 13.341 enfants. Entre 1949 à 1952, la
M.I.B. transplanta 12.526 familles à Mokoto dans le Masisi et Mushari en territoire de

172
Entretien avec Mr Kimbere Kithaka, Enseignant de l’université de Goma et ancien chef de groupement de
Tongo (Chefferie de Bwito territoire de Rutshuru, Province du Nord-Kivu), Goma, Novembre 2022.
173
Rapport AIMO 1938, Province de Constermanville cité par Hakiza Rukatsi, op.cit. p.79.
174
De Meire cité par Hakiza Rukatsi, Idem.
175
, Rapport AIMO Province de Constermansville 1943 cité par Hakiza Rukatsi, op.cit. p.80.
56

Rutshuru. En 1953, la M.I.B réussit à transférer du Rwanda vers les territoires de


Rutshuru et de Masisi 6.239 familles176.

Retenons que le chiffre officiel établi par l’administration coloniale ne


correspondait pas toujours à la réalité du terrain. En effet, pour une certaine catégorie de
migrations, surtout celles opérées entre 1941 à 1953, le comptage se faisait par famille.
Or, l’administration coloniale ne prenait pas soin de déterminer si une famille pouvait
avoir combien de personnes. Dans cette logique, on pouvait avoir une famille de 5
personnes, de 10 personnes, de 12 personnes ou plus. Et, il n’existait pas d’indicateur pour
déterminer à quelle famille pouvait appartenir un individu177.

Les tableaux suivants nous présentent le total des personnes et des familles
Banyarwanda transplantées au Nord-Kivu entre 1937- 1945.

Tableau n° 1 : Nombre des personnes installées dans la région de Masisi en 1937-1945


Année Hommes Femmes Enfants Total Gros bétail
1937 453 79 159 691 1.115
1938 638 381 834 1.873 3.013
1939 734 460 970 2.164 3.188
1940 1.510 1.306 2.440 5.256 3.294
1941 1.931 1.638 3.637 7.206 3.971
1942 2.169 1.893 4.530 8.592 2.770
194 3 3.718 3.403 8.176 15.297 3.020
1944 6.050 5.410 13.341 24.801 2.888
1945 6.175 5.502 13.773 25.450 2.814
Total

Source : Rapport AIMO, Province de Constermansville (1937-1945) cité par B. Hakiza Rukatsi,
op. cit.

176
Rapport AIMO Province de Constermansville 1943 cité par Hakiza Rukatsi, op.cit., p.80.
177
Idem.
57

Tableau n° 2 : Nombre des familles rwandaises immigrées au Nord-Kivu en 1937-1949


Année Nombre des familles
1949 2.777
1950 7.814
1951 9.337
1952 12.526
1953 18.765
1954 21.418
Total 72 637

Source : Rapport AIMO, Province de Constermansville (1937-1945) cité par B. Hakiza Rukatsi,
op. cit.

Ces tableaux ne reprennent que les principales migrations officielles des


populations d’origine rwandaise vers la province du Nord-Kivu à l’époque coloniale. A
cela il faut ajouter les mouvements des populations entre le Congo-Ruanda-Urundi qui
n’étaient qu’une seule entité à l’époque du Congo-belge. C’est à ce titre que nous pouvons
faire mention des déplacements temporaires des travailleurs qui quittent le quartier appelé
actuellement Birere pour aller travailler à Gisenyi pour les colons178. Bien qu’il semble
présentement difficile de documenter ces mouvements informels des populations, il est à
retenir que ces populations circulaient librement dans ces entités.

Pendant la colonisation, le mouvement de la population eut un caractère


pendulaire à certains endroits. C’est le cas du territoire de Rutshuru, l’Ouganda et le
Rwanda d’une part, le territoire de Beni et l’Ouganda d’autre part. Le rapport AIMO de
1928 signale que dans le Rutshuru les ‘’clans Abacyaba et abagesera’’ dont l’habitat
chevauche la frontière passent et repassent suivant plusieurs circonstances notamment la
main d’œuvre179.

178
Entretien avec Papa Muhindo à Goma, notable de la communauté hunde à Goma et connaissant
l’historique entre Goma et Gisenyi, 22 décembre, 2022.
179
Rapport AIMO Province de Constermansville 1928 cité Hakiza Rukatsi op.cit, p.86.
58

II.3. Le temps postcolonial des migrations transfrontalières


Les migrations transfrontalières post coloniales correspondent aux périodes
troubles qu’ont connu les Etats de l’espace CEPGL après les indépendances. La
République Démocratique du Congo, la République du Rwanda et la République du
Burundi ont accédé à l’indépendance dès les années 1960. Depuis cette époque, les
mouvements des populations dans cet espace, se confondent avec des situations de crise et
de fragilité politiques. Il convient aussi de préciser que les migrations transfrontalières de
l’espace CEPGL sont aussi liées à la politique d’intégration régionale prônée par la
CEPGL dont l’accord est signé le 20 septembre 1976.

1) Les mouvements des populations liés à la fragilité politique post indépendance

Les Etats de l’espace CEPGL ont accédé à l’indépendance dans un contexte


difficile. C’est depuis cette époque que la tragédie politique de la sous-région s’est révélée
au grand jour. La crise politique d’un Etat a toujours affecté les autres Etats. Le Congo
accède à l’indépendance le 30 Juin 1960, le Rwanda et le Burundi accèdent à
l’indépendance le 1er juillet 1962.

Le 30 Juin 1960, le Congo-belge accède à l’indépendance et devient


République du Congo. Cependant, l’ingérence étrangère, la manipulation de la nouvelle
classe politique, le manque de maturité politique viendront ruiner une nouvelle
République naissante. Comme le précise Benoît Verhagen, dès après l’indépendance, le
Congo est la scène des guerres civiles, des invasions et des occupations par les armées
étrangères180.

C’est à cet effet que nous assistons à la mutinerie de l’armée, la crise


institutionnelle et constitutionnelle, la contradiction entre le Président de la République et

180
B. Verhagen cité par Mbuyi Kabunda, « La République Démocratique postcoloniale : Du scandale
géologique au scandale des guerres à répétition », in Mbuyi Kabunda et T. Jiménez (sous la dir), La RDC. Les
droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’Etat, Barcelona, Fundació Solidaritat UB et Inrevés,
2010, p.34.
59

le Premier ministre. A cela s’ajoutent les sécessions du katanga et du Sud-Kasai, le coup


d’Etat et la décomposition de l’Etat par des rebellions et des conflits paysans181.

Avec à l’appui de l’Armée Nationale Congolaise (ANC) et de la mission de


l’organisation des Nations Unies au Congo (ONUC), les sécessions katangaise et du Sud-
Kasaï capitulent182. Les rebellions du Kwilu-Kwango et de Stanley ville étant contenues,
il y eut un nouveau gouvernement de salut public présidé par l’ancien sécessionniste du
Katanga Moise Tshombe. Cependant, en début 1965, les élections législatives donnent la
Convention Nationale Congolaise (CONACO) de Moise Tshombe largement vainqueur.

Cette victoire entraîna des nouveaux conflits entre le Président de la


République Joseph Kasavubu, et le Premier Ministre M. Tshombe. C’est alors que le
Général Mobutu en profita pour faire un coup d’Etat le 24 novembre 1965. Ce fut un
nouveau cap pour le pays qui sera bientôt rebaptisé Zaïre. Cependant, malgré les discours
prometteurs des autorités de ce qui est alors qualifié de ‘’ Deuxième République’’, la
nouvelle République va sombrer dans une déliquescence politique qui ruina les quelques
acquis positifs hérités de la colonisation.

Cette situation presque chaotique de la RDC n’a pas laissé intact les
mouvements des populations. Dans la partie est du pays qui intéresse cette étude aux vues
de sa proximité avec les Etats membres de la CEPGL, une crise ethnique va éclater. C’est
la guerre de Kanyarwanda que connut la province du Nord-Kivu entre 1963 et 1965.

La guerre de Kanyarwanda est un conflit interethnique entre les populations


d’origine rwandaise du Nord-Kivu (Hutu et Tutsi) et les autres tribus autochtones
notamment les Nande, les Hunde et les Nyanga. Ce conflit éclate au moment où les tribus
autochtones assistent à une montée en puissance des populations venues du Rwanda dans
le Nord-Kivu. Nonobstant les déplacements internes occasionnés par ce conflit, le régime

181
B. Verhagen cité par Mbuyi Kabunda, op.cit., p.34.
182
Ndaywel è Nziem, op.cit., p.597..
60

du Président Kayibanda au Rwanda, hostile au Tutsi a envoyé des populations hutus


rwandais se battre aux cotés des hutus congolais183.

Le Rwanda et le Burundi voisins ne feront pas exception. Dès 1961, le Rwanda


accède à l’indépendance. Comme le fait remarquer Bernard Lugan, le Rwanda accède à
l’indépendance dans le traumatisme184. Cette indépendance déclarée le 1er juillet 1962,
ouvre la voie à la démocratie qui vient remplacer l’aristocratie tutsi dominante depuis des
lustres. Cette indépendance prend à contre-pied, les valeurs traditionnelles, les élites tutsis
minoritaires devant mathématiquement abandonner le pouvoir au Hutus dont les femmes
avaient été plus fécondes que les leurs185.

Les élections communales de juin 1960 donnent une majorité écrasante au Parti
du mouvement de l’émancipation Hutu (ParmeHutu)186. Le 28 janvier 1961, à Gitarama,
Grégoire Kayibanda, chef du gouvernement autonome créé en octobre 1960, proclame la
République par les nouveaux bourgmestres. Le mwami s’enfuit. Les élections législatives
et le referendum de septembre 1961 entérinent le changement de régime et la prise du
pouvoir par le parmehutu, avant l’indépendance qui intervient le 1juillet 1962187.

Cependant, le gouvernement de M. Grégoire Kayibanda renforça le clivage


ethnique, jusqu’à faire une sorte de « revanche » sur l’élite tutsi. Non, seulement que le
gouvernement était à 90% hutu, mais également les tutsi ne pouvaient plus accéder
librement à l’école, ni à l’enseignement en nombre égal comme chez les hutu. Cette
situation entraine une persécution et des massacres de longue ampleur des tutsi en 1964 et
1973. Des dizaines de milliers des tutsis fuient dans les Etats voisins notamment en
Ouganda, au Burundi et au Zaire188.

183
E. Rusamira , « La dynamique des conflits éthniques au Nord-Kivu : Une reflexion prospective », in Afrique
contemporaine 2003/3/ n°207, pp. 147-163.
184
B. Lughan, op. cit., , p.1.
185
Idem.
186
Encyclopédie Universalis, Histoire du Rwanda, [en ligne] : https//www.universalis.fr., consulté en Octobre
2022.
187
Idem.
188
Ibidem.
61

Cette situation entraina des mouvements des populations dans le Kivu, qui
devint une nouvelle fois une terre d’accueil pour les populations d’origine rwandaises189.
C’est à cette époque que les réfugiés rwandais tutsis ont été accueillis provisoirement dans
le vieux bâtiment de Goma, Kinyumba, devenu université de Goma.

Quand nous étions des adolescents, nous allions quelques fois


visiter les tutsis qui sont dans le Kinyumba de Katindo. Nous leur
apportions de l’eau à boire et eux nous donnaient des haricots.
Et la population chantait : « Batutsi bana yala mu étage ya
Katindo »190.

On estime qu’environ plus de mille tutsi ont vécu dans le Kinyumba entre 1960
et 1980191. Parmi les familles des Tutsi accueillies dans le Kinyumba, certaines se sont
vite émancipées et ont eu un rôle important à jouer sur le plan économique et politique de
la province du Nord-Kivu. Parmi ces familles, on cite la famille Bisengimana,
Rwakabuba, Gahiga, Rwayitare et Karuretwa192.

Cinq zones sont particulièrement affectées par la présence des populations


d’origine rwandaise : celles de Goma, de Karisimbi, de Rutshuru, de Walikale et surtout
de Masisi. D’après M’Pambia Musanga Bekaja, les estimations actuelles de la population
rwandaise au Kivu en 1983 s’élève à 800 000 personnes, ce qui les place en troisième
position après les Nande et les Bashi193.

Mais ces chiffres, pour aussi fiables qu’ils soient, ne traduisent


qu’imparfaitement la réalité du problème. Ils ne prennent en compte que la population
étrangère congolaise d’origine rwandaise194.

189
Entretien avec un notable de la communauté hutu congolais à Goma, Octobre 2022.
190
Entretiens réalisés avec certains habitants de Goma ( ayant requis l’anonymat) qui ont visité les populations
tutsis dans le Kinyumba vers les années 1970 à Goma, aujourd’hui Université de Goma.
191
Entretien réalisé avec un habitant du quartier Katindo vers les années 1980 (ayant requis l’anonymat),22
décembre 2022.
192
J. Stearns , Du CNDP au M23. Evolution d’un mouvement armé à l’est du Congo, Nairobi, Institut de la vallée du
Rift, 2012, p.13.
193
J.-P., Pabanel, op.cit., pp 23-40.
194
J.-P., Pabanel, « la question de la nationalité au Kivu », in politique africaine n° 41,1991 ,pp 23-40.
62

Tableau n° 3 : Population rwandaise présente au Congo en 1990


Div. Population
administrative
Zones Congolaise Etrangère Totale % population
étrangère
Beni 651.990 1. 013 653.003 0,15
Goma 50.008 9.256 59.264 15,6
Karisimbi 52.788 5.834 58.622 9,95
Lubero 767.835 3.325 771.960 0,43
Masisi 172.166 320.811 492.977 65,0
Nyiragongo 24.939 - 24.939 -
Rutshuru 381.077 100.849 481.926 20,92
Walikale 166.411 23.094 189.505 12,2
Total 2.267.214 464.182 2.731.396 17

Source : Service de migration/République du Zaïre, 1990 (cité par J.-P. Pabanel, op.cit., p.36).

Selon les estimations officielles, plus de 464 000 personnes sont étrangères au
Nord-Kivu. La majorité de ce nombre est d’origine rwandaise. La proximité, la
perméabilité des frontières entre le Rwanda et la RDC à l’est facilitaient ces déplacements
des populations rwandaises vers la RDC. Ces déplacements étaient soit spontanés, soit liés
à une crise politique au Rwanda. Le tableau ci-haut révèle également la forte presence
rwandaise dans le territoire de Masisi (65% des tutsis) et dans le Rutshuru (20% de hutus)
déjà en 1990, avant le génocide rwandais.

Avec l’arrivée, en juillet 1994, de plus d’un million de réfugiés hutu rwandais
dans l’est du Congo, de nombreuses zones rurales devinrent inhabitables pour les Tutsi.
Des dizaines de milliers d’entre eux s’enfuirent vers Goma et le Rwanda, abandonnant
ainsi leurs biens et leur bétail, et plusieurs centaines furent tués195. D’autres tutsis étaient
des pasteurs et responsables dans certaines églises de la CEPAC à Goma, mais ils

195
J. Stearns, op.cit., p.13.
63

partirent pour le Rwanda sans en avertir les fidèles196.

La situation du Burundi est similaire à celle du Rwanda. Ayant acquis


l’indépendance le 1er juillet 1962 comme le Rwanda, le Burundi va sombrer dans les
assassinats, les massacres entre hutus et tutsis. La colonisation a exacerbé les tensions
sociales au Burundi comme au Rwanda. La distinction opérée par l’administration
coloniale entre une élite apte à diriger et une masse populaire destinée à progresser dans
les limites du monde rural, se confond avec une différenciation ethnique de plus en plus
prononcée197.

Cette situation engendre des massacres et les conflits entre les Hutus et les
Tutsi au Burundi. Dès ce jour, la situation politique du Burundi se cristallisa. Assassinats
des leaders politiques, massacres et génocides ont fait partie du vécu quotidien de la
population. De 1962 à 1966, le Burundi est une monarchie dirigée par le Roi Ntare V.
C’est avec le coup d’Etat de Michel Micombero, un tutsi, que le Burundi devient une
République. Il est lui-même renversé en 1976 par le chef d’Etat-major de l’armée
burundaise198.

Dès ce jour, l’histoire du Burundi reste dominée par des coups d’Etat et des
massacres des populations jusqu’aux négociations d’Arusha ayant conduit aux élections
présidentielles de 2005 qui ont consacré la victoire du Conseil National pour la Défense
de la Démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD) de Pierre
Nkurunziza199.

2) Les mouvements des populations liés au processus d’intégration régionale dans le


cadre de la CEPGL

A la création de la CEPGL les migrations entre la RDC, le Rwanda et le


Burundi ont la forme d’échanges économiques informels, des migrations de main

196
Témoignage de Papa Paul Kulimushi , membre de la 8ème CEPAC/Ruzizi, Goma vers les années 1994.
197
A. Laroque, Historiographie et enjeux des mémoires au Burundi, Thèse de doctorat inédite, Histoire, Université
Panthéon-Sorbonne, Paris I, 2013, p.276.
198
République Française, Histoire du Burundi, Division de l’information, de documentation et de recherche,
2015.
199
Jacques Akili et Blandine Masemo Zaina, op. cit. pp. 50-68.
64

d’œuvre, des déplacements touristiques ou déplacements de résidence entre les


populations de la sous-région. A cette époque, les populations de la sous-région pouvaient
se fréquenter en traversant seulement la zone neutre et sans présenter aucun document200.

La convention du 20 septembre 1976 dispose à son article 2, alinéa 3 que la


CEPGL doit promouvoir et intensifier les échanges commerciaux, la circulation des
personnes et de leurs biens.201. Pour répondre à cet objectif, trois organismes spécialisés
ont été institués : l’Energie des Grands Lacs (EGL), la Banque du Développement des
Etats des Grands Lacs (BDGEL) et l’Institut de Recherche Agronomique et Zootechnique
(IRAZ)202.

Dans le processus de la construction de la CEPGL, Goma est déjà identifié


comme un point stratégique pour toute initiative visant à établir une coopération sous
régionale. C’est dans ce cadre qu’une déclaration a été faite à Goma le 20 mars 1967 par
les partenaires de la sous-région et qui est l’un des jalons ayant servi à la signature par
les chefs d’Etat de la sous- région de la convention portant création de la Communauté
Economique des Pays des Grands lacs203.

Avec la création de la CEPGL, les échanges entre Goma et Gisenyi sont non
seulement légalisés mais encore encouragés. Au-delà de cet objectif de circulation des
personnes, des biens et des services, il y a lieu de signaler qu’un rapprochement
progressif des autorités locales commençait à être observé d’en bas et au-delà des
mécanismes d’intégration conçus au niveau intergouvernemental. On pouvait observer
des discussions et des échanges circonstanciels entre préfets et commissaires des entités

200
Entretien réalisé avec une habitante de Goma ders années 70 qui traversait la zone neutre entre Goma et
Gisenyi pour le petit commerce, Goma, novembre 2022.
201
Accord cadre portant création de la Communauté Economique des Etats des Grands Lacs, 20 septembre
1976.
202
Idem.
203
Préambule de la convention portant création de la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs,
Gisenyi, 20 Septembre 1976.
65

voisines autour des échanges et des problèmes que les citoyens éprouvaient dans leurs
déplacements.204

Cette dynamique a jeté une passerelle qui garantit les migrations


transfrontalières alternantes au sein de l’espace Grands Lacs. Des milliers des populations
font le va-et-vient entre la RDC, le Rwanda et le Burundi. Au total 4 points de traversée
favorisent les flux entre les Etats de l’espace CEPGL. Il s’agit de la frontière Uvira
(RDC) et Gatumba (Burundi), Cibitoke (Burundi) et Bugarama (Rwanda), Bukavu
(RDC) et Cyangugu (Rwanda), Goma (RDC) et Gisenyi (Rwanda).

Ces quatre points frontaliers sont des corridors qui facilitent la libre circulation
des personnes et de leurs biens au sein de l’espace CEPGL. Les populations font des allers
et retours d’un Etat à un autre sans visa et sans se soumettre à des longues procédures
administratives. Il fallait seulement avoir un petit jeton pour entrer et sortir dans l’un des
Etats de l’espace CEPGL. Cette mesure qui fut d’application jusqu’en février 2020 (pour
des restrictions sanitaires liées au Covid-19), était liée au bon voisinage et ne concernait
que les villes frontalières voisines.

La CEPGL a pu capitaliser cet atout qui a survécu à la conflictualité et au


manque de confiance entre dirigeants qui ont dominé les rapports interétatiques dans la
décennie 2000-2010. Néanmoins la circulation des personnes et des biens dans des Etats
mal gérés et caractérisés par de fortes démographies ont eu à cristalliser de vieux
problèmes d’insécurité transfrontalière et de nationalité des personnes provenant des
ethnies situées à cheval entre différents territoires nationaux205. Les migrations
transfrontalières, qu’elles soient temporaires, définitives ou alternantes sont liées à un
contexte social, politique et économique d’une région.

204
A. Mwaka Bwenge, « D’une CEPGL à une autre : Quelles alternatives dans les stratégies actuelles
d’intégration et de coopération pour le développement ? »in Codesria, pp 79-100.
205
A. Mwaka Bwenge, op.cit.
66

Chapitre III :
CONTEXTE DES MIGRATIONS TRANSFRONTALIERES
ALTERNANTES ENTRE GOMA ET GISENYI
A en croire Stephen Castles, le devoir de la science sociale
est d’analyser le comportement collectif de l’homme et la
manière dont ce comportement se rattache aux structures et
aux institutions de la société, au contexte historique
changeant des sociétés et aux types de caractère
prédominants dans chaque société. Aucune science sociale
ne peut être comprise sans comprendre d’abord le contexte
plus général dans lequel elle se déroule (…).206

Les migrations transfrontalières alternantes congolaises entre Goma et Gisenyi


ont pris une emphase particulière dès le début du 20ème siècle. Tel que démontré dans le
chapitre précédent, elles ne sont pas isolées du contexte géopolitique de la sous-région.
Certes, l’environnement politique et économique volatile entre la République
Démocratique du Congo et le Rwanda a une influence négative sur les migrations
transfrontalières entre Goma et Gisenyi207, mais n’a pas enrayé les migrations
transfrontalières alternantes congolaises entre ces deux villes.

Ce chapitre s’ouvre par la présentation des catégories socioprofessionnelles


des migrants transfrontaliers alternants entre Goma et Gisenyi avant d’analyser le
contexte politique et économique dans lequel se déroulent les migrations transfrontalières
alternantes.

206
S. Castles, « Méthodologie et méthode : Enjeux conceptuels », in M. Berriane (sousbla dir.de) les recherches
sur les migrations africaines. Méthodes et méthodologies innovantes , Paris, l’Harmattan,pp. 23-43.
207
Entretien avec un congolais employé à Goma et habitant à Gisenyi ( ayant requis l’anonymat), Mardi 25
octobre 2022.
67

III. 1. Catégories socioprofessionnelles des congolais travaillant à Goma et


résidant à Gisenyi
Les migrations transfrontalières alternantes entre la ville de Goma et le secteur
de Gisenyi constituent un mouvement socioprofessionnel bilatéral et réciproque. Chaque
matin, des milliers des populations d’origine rwandaise traversent la frontière et se
rendent à Goma pour des raisons professionnelles. Ils sont petits commerçants,
manutentionnaires, responsables des dépôts des vivres à Goma ainsi que des travailleurs
journaliers dans les chantiers de construction à Goma. C’est à ce titre que Goma est un
pourvoyeur d’emploi pour la province de l’ouest du Rwanda. Ce premier aspect
n’intéresse pas cette étude.

Réciproquement, il existe une catégorie socioprofessionnelle des congolais


travaillant à Goma et domicilié à Gisenyi. Ces professionnels congolais traversent chaque
matin la frontière communément appelée petite barrière ou grande barrière selon le point
de traversée. Ils se conforment aux obligations légales imposées aux résidents congolais
du Rwanda et détiennent les documents exigés par les services des migrations de deux
Etats.

Tableau n° 4 : Nombre de congolais habitant au Rwanda (2022)


Selon l’ambassade de la RDC au Selon l’association de la diapora congolaise au
Rwanda Rwanda

13.000 personnes Entre 40.000 et 60. 000 personnes

Source : Données recueillies auprès du responsable de la diaspora congolaise au Rwanda


(entretien du jeudi 2 mars 2023)
Tableau n°5 : Nombre de congolais employés à Goma et habitant à Gisenyi
Estimation de la DGM Estimation de certains congolais résidant à Gisenyi

1000 à 2000 personnes Plus de 2000 personnes

Source : Entretiens avec des agents et responsables de la DGM/Nord-Kivu et avec certains congolais
employés à Goma et résidant à Gisenyi, 2020-2022.
68

Mener la vie entre deux villes n’est pas toujours une chose aisée. Cette
affirmation est étayée par un avocat congolais résidant à Gisenyi : « Habiter à Gisenyi
exige une véritable discipline. Si on n’a pas tous les documents, c’est très compliqué, on
peut même risquer de passer la nuit en dehors de son toit208.» Les conditions
administratives requises pour qu’un congolais obtienne une résidence à Gisenyi sont209 :

- Un casier judiciaire délivré par l’ambassade de la République Démocratique du


Congo au Rwanda ;
- Un permis de séjour délivré par le service rwandais d’immigration ;
- Une attestation de service pour s’assurer que vous avez un revenu à la fin du
mois ;
- Trois photos d’identité ;
- Un passeport ou une attestation tenant lieu de passeport ;
- Un document d’identification du Nyumba kumi au Rwanda communément
appelé ’’Icyemezo’’ ;
- Avoir une convention écrite avec le bailleur.

Nonobstant ces conditions, il s’observe un mouvement régulier des citoyens


congolais qui, pourtant, gagnent leur vie à Goma. Leur nombre est estimé à plus de deux
mille cinq cents personnes entre 2010 et fin 2019210. Avec l’apparition de la pandémie de
la Covid-19, le nombre a sensiblement baissé. Il a connu un rebondissement avec la levée
des mesures de restrictions sanitaires atteignant 2000 à 2500 personnes211. Les anciens
résidants de Gisenyi rentrés à Goma ont regagné leurs anciennes résidences à Gisenyi212.

Dans l’optique des résultats recueillis à l’aide des entretiens qualitatifs et de


l’observation sur le terrain, trois catégories socioprofessionnelles des congolais ont habité
ou habitent à Gisenyi entre 2000 et 2020 : les autorités du Rassemblement Congolais pour

208
Entretien réalisé avec Me Gloire, avocat au barreau de Goma et résidant à Gisenyi, 1er décembre 2020.
209
Entretien avec un avocat au barreau de Goma et résidant à Gisenyi (ayant requis l’anonymat) , Goma, 19
Novembre 2020.
210
Plusieurs congolais habitant au Rwanda admettent ce chiffre.
211
Entretien avec un agent de la DGM ayant requis l’anonymat, Goma, le 23 Décembre2020.
212
Séance d’observation réalisée à la grande barrière, lundi 28 décembre 2020.
69

Démocratie (RCD), les agents des entreprises publiques et des services de l’Etat à Goma,
les avocats ainsi que des personnes tierces à majorité jeunes ayant le goût du prestige.

1) Les responsables et officiels du mouvement rebelle RCD

Le RCD, comme mouvement rebelle naquit à Goma le 2 août 1998. A ses


débuts, le mouvement est constitué des militaires congolais et ceux de l’armée patriotique
rwandaise. La branche politique du mouvement est constituée de plusieurs congolais, des
anciens réfugiés rwandais appelés ‘’banyamulenge’’ et des rwandais. Le RCD apparaît
comme un montage rwando-ougandais pour faire pression sur son ancien allié Laurent
Désiré Kabila. Le mouvement rebelle établit sa capitale à Goma.

C’est à ce titre que la ville de Goma devient le siège des institutions du RCD et
la résidence des responsables politiques, militaires et administratifs du mouvement. A la
même époque, naquit à Gisenyi le ‘’quartier RCD’’, peu après le début de la rébellion,
en 1999. Il fut comme un plan B, ou une zone de refuge des responsables du RCD au cas
où l’aventure ne tenait pas213.

En cas de guerre à Goma, ce quartier était considéré comme une zone de repli
stratégique, car le Congo ne devrait pas mener une guerre au-delà de ses frontières. C’est
pourquoi, tous les chefs des départements, les responsables des services de sécurité et
d’autres services générateurs des recettes avaient élu domicile dans le quartier RCD à
Gisenyi214.

Après la réunification nationale et l’intégration des membres du RCD dans les


institutions nationales, le quartier RCD est resté un point stratégique d’infiltration, de
manipulation et d’anticipation des autorités rwandaises pour le contrôle de l’est de la
RDC215. Les principales autorités du CNDP, du M23 ont des résidences dans le quartier

213
Entretien avec une personnalité (ayant requis l’anonymat), Kinshasa, Mercredi 25 Janvier 2023.
214
Idem.
215
Ibidem.
70

RCD à Gisenyi. C’est le cas de Bosco Ntaganda, détenu et condamné par la Cour Pénale
Internationale (CPI) dont la famille reste dans le quartier RCD à Gisenyi216.

Ce quartier connut son extension lors de la conférence sur la paix, la sécurité et


le développement au Nord et au Sud Kivu (Conférence Amani) tenue à Goma en 2008.
Cette conférence qui avait pour mission de proposer les solutions pour la paix et le
développement au Kivu a réuni plusieurs délégués provenant de la RDC et des pays
étrangers. A l’instigation des autorités rwandaises, certains délégués craignant pour leur
sécurité à Goma, traversaient la frontière chaque soir pour passer la nuit à Gisenyi. Les
représentants du mouvement rebelle Congrès National pour la Défense du Peuple
(CNDP), résidaient dans le quartier RCD et traversaient le matin pour participer à la
conférence.

Lors de la conférence Amani de Goma en 2008, le Rwanda a


envoyé de très belles filles rwandaises qui parlaient au moins
5 langues (Kiswahili, lingala, français, anglais et
Kinyarwanda). Ces filles étaient envoyées dans les hôtels où
logeaient les négociateurs congolais venus de Kinshasa. Au
cas où un officiel congolais tombait dans ce guet-apens, il y
avait de fortes chances qu’il prenne ladite fille comme
deuxième bureau. Et dans ce cas, la fille l’obligeait à lui
construire une maison dans le quartier RCD à Gisenyi217.

2) Les avocats

Lorsque j’ai habité à Gisenyi, il y avait plusieurs avocats. Les


avocats préfèrent Gisenyi pour leur sécurité. Ils préfèrent aussi
les services de l’eau et de l’électricité à Gisenyi, mais la sécurité
est la principale raison qui les pousse à résider à Gisenyi218.

216
Jeune Afrique, numéro du 7septembre 2015.
217
Entretien avec une personnalité (ayant requis l’anonymat), Kinshasa, Mercredi 25 Janvier 2023.
218
Entretien téléphonique avec un avocat au barreau de Goma ( ayant requis l’anonymat), 2 février 2023.
71

Le tiers des congolais résidant à Gisenyi que nous avons eu à interroger est
constitué des avocats. Ils sont conscients que la sécurité de la ville de Goma est précaire,
ils préfèrent ainsi résider à Gisenyi. Etant donné que l’insécurité à Goma est généralisée,
les avocats figurent parmi les potentielles victimes. Il faut aussi noter que les problèmes
judiciaires sont souvent sources de l’insécurité à Goma.

Malgré que les formalités douanières s’avèrent quelquefois longues et


ennuyeuses, la sécurité, le coût du loyer, l’accès facile à l’électricité et à l’eau poussent
les avocats parmi tant d’autres congolais à habiter à Gisenyi 219. Il y a des moments où le
contrôle est drastique à la douane et retarde les migrants transfrontaliers qui sont obligés
de se ranger à la file d’attente220.

Cependant en tant qu’avocats, nous nous sentons à l’aise à cause de la


sécurité dont nous bénéficions 221». Le bourgmestre adjoint de la commune de Goma
pense que les avocats devaient rester à Goma. « Que ce soit à Gisenyi ou à Goma, partout
il y a de l’insécurité. Ce n’est pas une raison qui peut pousser quelqu’un à aller habiter à
l’étranger »222. Pour le Maire Adjoint de la ville de Goma « les migrants alternants sont
priés d’habiter à Goma et participer à la recherche de solution pour le problème de la
sécurité dans la ville »223.

3) Les agents des services publics et des entreprises publiques de l’Etat

Les fonctionnaires de l’Etat qui ont résidé à Gisenyi ont été encouragés à le
faire par la dynamique RCD, CNDP et M23. Au-delà des raisons liées à l’insécurité, au
loyer, à l’eau et à l’électricité, certains de ces cadres du secteur public, ont une raison
politique et/ou ethnique qui les poussent à habiter à Gisenyi.224

219
Entretien avec un avocat au barreau de Goma ( ayant requis l’anonymat), 2 février 2023.
220
Idem
221
Entretien avec un avocat au barreau de Goma et résident à Gisenyi (ayant requis l’anonymat), Goma, 19
Novembre 2020.
222
Entretien avec le Bourgmestre adjoint de la commune de Goma à son bureau de travail, Mardi , Goma, 22
décembre 2020.
223
Entretien réalisée avec le Maire Adjoint sur la question de la sécurité dans la ville, Mardi 22 décembre 2020,
Mairie de la ville de Goma.
224
Radio Okapi, La DGM interdit aux fonctionnaires étatiques de résider à l’étranger, 11 septembre 2019.
72

Les cadres résidant à Gisenyi sont premièrement agents du gouvernorat de


province ou des membres des cabinets des départements du RCD. Ils sont deuxièmement
des hauts cadres des entreprises publiques de l’Etat à Goma (OCC, DGDA, OGEFREM,
225
CNSS/INSS) .Troisièmement, certains agents et membres des services de sécurité
comme l’ANR et la DGM226.

C’est dans ce contexte que le Directeur de la DGM a rédigé deux


correspondances ayant un objet similaire. Le 10 septembre 2016, il adresse à tous les
responsables des services étatiques et para- étatiques du Nord-Kivu une lettre interdisant
tous les fonctionnaires de l’Etat congolais de résider à l’étranger. De même, par sa
correspondance du 31 août 2022, il rappelle la même mesure aux agents de la DGDA.

« Nous avons l’honneur de vous saluer et de vous informer qu’il


est observé que quelques agents de la DGDA Nord-Kivu
traversent la frontière quotidiennement entre Goma (RDC), leur
lieu de travail, et Gisenyi au Rwanda, où ils ont élu domicile. En
effet, suite au rapport d’un service ami en possession, le
Directeur Général de la DGM nous charge de vous rappeler des
instructions pertinentes qui interdisent aux agents de l’Etat
congolais de résider dans les pays étrangers »227.

4) Les jeunes ayant le goût du prestige et du tourisme

Gisenyi/Rubavu a le statut de ville touristique du Rwanda. Pendant plus de dix


ans, elle a la réputation d’une ville propre, calme et où il fait beau vivre. Avec une
population qui s’élève à 150 000 habitants, et une plage de sable fin de 1000 mètres,
Gisenyi est une petite ville où le transport est accessible à tous. Elle apparaît comme une
petite ville touristique et attrayante à cause de sa quiétude et des hôtels de luxe à moindre

225
Entretien avec un agent de la DGDA dont la famille a habité à Gisenyi entre 2017 et 2018, Kinshasa,
Mercredi 18 janvier 2023.
226
Selon un agent discret de l’ANR, certains agents de la DGM et de l’ANR ont habité à Gisenyi avant
l’instauration de l’état de siège. Mais depuis l’état de siège, aucun agent de la DGM ou de l’ANR habite à
Gisenyi.
227
Correspondance du Directeur provincial de la DGM/Nord-Kivu du 31 Août 2022.
73

prix. Avec 5 dollars on peut payer une nuitée dans certains hôtels à Gisenyi228.

Son ambition touristique s’inscrit dans le programme touristique du district de


Rubavu dont il est le chef-lieu. Ce district est l'un des 7 de la province de l’Ouest, selon la
réforme de 2006. Il a une superficie de 388,3 Km2. Il est bordé à l'est par le district de
Nyabihu, à l'ouest et au nord par le République démocratique du Congo et au sud par le
district de Rutsiro et est à 152 km de la ville de Kigali. Sa situation géographique et ses
caractéristiques connexes, telles que le lac Kivu, aident le district à être une entreprise et
un pôle touristique (notamment à travers le commerce transfrontalier avec la ville de
Goma en RDC). Il est composé de 12 secteurs administratifs, 80 cellules et 525 villages
(Imidugudu)229.

Les précipitations du district de Rubavu varient entre 1200 mm et 1500 mm par


an. La partie Nord-Ouest du District a un sol très riche, mais peu profond, de cendres
volcaniques et de laves décomposées, tandis que les terres du sud-est ont des sols
profonds mais pauvres, souvent acides, argilo-sableux et lessivés par les hautes érosions.
Profitant de sa proximité avec la RDC, la situation géographique de Rubavu et l'accès au
lac Kivu offre un énorme potentiel pour le tourisme. Le tableau suivant présente le
potentiel touristique du district de Rubavu qui attire plusieurs personnes230.

228
Témoignage d’une femme congolaise ayant requis l’anonymat, Kigali, Mardi, 27décembre 2022.
229
Rubavu district, Summary of Rubavu District development strategy 2018-2024, Rapport Rubavu District,
december 2018, p.3.
230
Idem, pp.3, 7.
74

Tableau n° 6 : Opportunités touristiques de Gisenyi/Rubavu


Tourisme Opportunités

Rubavu/Gisenyi  Existence de sites touristiques (Lac Kivu, Parc National des


Virunga Grottes et forêt naturelle de Gishwati) ;
 6 hôtels et de nombreux homes d’accueil pour recevoir les
visiteurs et touristes à Gisenyi ;
 Plusieurs offres culturelles (clubs de danse, etc.) ;
 Aéroport de Gisenyi ;
 Belles îles et collines le long de la ceinture du lac Kivu ;
 Source d’eau chaude et eau géothermique ;
 Beau temps à tout moment de l'année.

Source : Summary of Rubavu district developement strategy , 2018.

Ces atouts touristiques, ont fait de Gisenyi un pôle touristique pour la jeunesse
de Goma. Chaque samedi, on peut voir des jeunes de la ville de Goma traverser la
frontière pour se rendre à la plage. D’autres vont à la plage pour prendre des images des
clips vidéos dans le cadre de leurs activités artistiques. Pour les activités récréatives,
certains jeunes de Goma préfèrent aussi la plage de Gisenyi.

Certains congolais qui habitent à Gisenyi apprécient aussi la manière réservée


des rwandais. Un peuple réservé mais bien réfléchi.

Au temps de soulèvement de la population au Congo, au


Rwanda, nous sommes dans la quiétude. Il est difficile que la
situation dégénère au Rwanda, car l’Etat contrôle tout. C’est
pourquoi lors des manifestations anti Monusco, certains
congolais se sont réfugiés à Gisenyi231.

231
Entretien avec un pasteur congolais (ayant requis l’anonymat), habitant au Rwanda, Goma, 18 août 2022.
75

III.2. Un contexte de crispation politique entre la RDC et le Rwanda


Les migrations transfrontalières alternantes entre Goma et Gisenyi se déroulent
dans un contexte de crispation politique entre la RDC et le Rwanda. Cette crispation
politique est marquée par la résurgence des rébellions pro rwandaises à l’est de la RDC et
la fermeture quasi inattendue de la frontière Goma-Gisenyi.

1) Résurgence des rebellions pro rwandaises à l’Est de la RDC

Après la prise du pouvoir par l’Alliance des Forces Démocratiques pour la


Libération, le Président Laurent Désiré Kabila décide de rompre avec ses parrains de l’Est
dont le Rwanda. Cette décision prise dans un contexte de fragilité sécuritaire, suscite le
mécontentement des anciens alliés du nouveau pouvoir de Kinshasa qui ont des intérêts
économiques et géopolitiques à sauvegarder à l’Est du Congo. Ce qui pousse le Rwanda à
maintenir son contrôle sur cette partie de la RDC par les rébellion du Rassemblement
Congolais pour la Démocratie (RCD), le Congrès National pour la Défense du Peuple
(CNDP) et le Mouvement du 23 Mars (M23).

a) Le Rassemblement Congolais pour la Démocratie

Le dimanche 2 août 1998, c’est la naissance du RCD. C’est par la déclaration


du Général Sylvain Buki, (alors commandant du 10ème bataillon des Forces Armées
Congolaises, basé à Goma), qu’il est annonce sur les ondes de la Voix du peuple
(RTNC/Goma), « qu’une partie de l’armée vient de décider de déchoir le Président
Laurent Désiré Kabila. Tuna mu ondowa madarakani 232» précise-t-il en swahili. A partir
de ce jour, toute la partie Est de la République Démocratique du Congo est contrôlée par
cette nouvelle rébellion qui a pour objectif principal, le renversement du pouvoir de Mzee
Laurent Désiré Kabila.

Deux jours après cette annonce, le Président Kabila accuse le Rwanda et


l’Ouganda d’être à l’origine des troubles dans son pays et d’y participer. Il menace
d’exporter la guerre au Rwanda, si les agresseurs ne se retirent pas. Le RCD accuse le

232
Déclaration du Commandant Sylvain Buki le 2 août 1998, RTNC/Goma, 1998.
76

Président Kabila de népotisme, de corruption, de despotisme, mauvaise gouvernance, de


haine et de tribalisme233. Dans 3 mois, la rébellion du RCD parvint à rallier tous les
bataillons de l’est du pays. En plus de deux Kivu, il contrôle la Province Orientale, le
Maniema et une partie du Katanga.

Ayant raté l’offensive sur Kinshasa, grâce à l’appui des pays membres de la
Communauté de développement de l’Afrique Australe (SADC) dont a bénéficié le
pouvoir de Kinshasa, le RCD se renforce à l’est du pays pendant 5 ans avec l’appui du
Rwanda. Marquée par des dissensions internes, le mouvement se divise en plusieurs
branches jusqu’aux négociations de Sun city en 2002.

b) Le Congrès National pour la Défense du Peuple

Après la signature des accords de Sun City en Afrique du Sud, en 2002, les ex-
belligérants du RCD et d’autres factions armées, ont convenu de mettre sur pieds une
transition politique de deux ans au terme de laquelle, il y aura adoption d’une nouvelle
constitution et organisation d’élections libres, démocratiques et transparentes. C’est le
système 1+4 de 2003 en fin 2005 en République Démocratique du Congo.

Cependant, alors que la transition suit son cours normal, l’est du pays est en
ébullition. Le 16 mai 2004 une guerre éclate à Bukavu. Le Général Budja Mabe,
Commandant de la 10ème région militaire (Sud-Kivu) est en conflit avec son second, le
colonel Jules Mutebutsi. Ce dernier est appuyé par Laurent Nkunda et d’autres officiers de
la 8ème région militaire basée au Nord-Kivu. La ville de Bukavu tombe entre les mains des
insurgés du 2 au 9 juin 2004234. C’est le début de la mutinerie de Laurent Nkunda qui se
transforme plus tard en rébellion du CNDP appuyée par le Rwanda.

Le CNDP se fixe comme objectif de protéger la communauté Tutsi de la RDC


qui se considère comme minoritaire et se sent « menacée » par les autres communautés.

233
Immigration and Refugee Board of Canada, la Rébellion d’Août 1998 et les groupes touchés, Canada, décembre,
1998,p.5.
234
O. Sematumba, « Fermeture de la frontière Goma-Gisenyi », in Pole Institute, Les frontières : Lieux de division
ou passerelles d’échanges ? Impact de la fermeture de la frontière Goma-Gisenyi, Pole Institute, Fissures n°005, janvier
2005, p.5.
77

Nkunda lui-même déclare le 6 août 2006 à Nyamitaba devant la population locale que :
« ceux qui ont essayé de tuer les banyarwanda dans les années 60 sont de retour. Ceux
qui sont au pouvoir sont mauvais. Ils viennent dire aux gens de tuer vos enfants ; que
certains devraient vivre et que d’autres ne devraient pas vivre. Nous devons tous être
vigilants. Les Banyarwanda ont aussi droit de vivre dans ce pays »235.

Le CNDP se fixe en outre l’objectif de lutter contre l’activisme des Forces


Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR), une menace contre le pouvoir de
Paul Kagame. Il demande au gouvernement congolais de travailler au retour de 55 000
réfugiés tutsi congolais vivant au Rwanda236.

Ces revendications du gouvernement rwandais, révèle le CNDP comme un


groupe armé travaillant à la solde du Rwanda. Ses exigences sont exactement celles du
gouvernement du Rwanda envers la RDC. C’est à juste titre que le CNDP apparaît comme
une affaire montée en toutes pièces par le Rwanda pour atteindre ses objectifs à l’Est du
Congo. C’est la thèse de l’agression étrangère de la RDC par le Rwanda.

c) Le Mouvement du 23 Mars

Dès le début de l’année 2009, les pourparlers sérieux entre le CNDP, les
autorités de Kinshasa et de Kigali eurent lieu à Nairobi et à Goma (hôtel Ihusi). Ces
négociations aboutirent à la signature d’un nouvel accord entre les parties prenantes le 23
mars 2009. Cet accord qui comprend 45 dispositions repartis sur 15 articles, reconnaît le
principe de la transformation du CNDP en parti politique avec comme conséquence
directe la cessation de tout mouvement politico-militaire.

Selon cet accord, le gouvernement congolais devrait libérer les prisonniers du


CNDP, faciliter la transformation du CNDP en parti politique, favoriser et sécuriser le
retour des réfugiés tutsi congolais en RDC. Le gouvernement congolais s’engage aussi à
assurer l’intégration des civils membres du CNDP au sein des institutionsadministratives

235
Extrait de l’allocution de Laurent Nkunda à Nyamitaba, le 6 Août 2006.
236
J. Stearns, Du CNDP au M23, évolution d’un mouvement armé dans l’est du Congo, Institut de la vallée du
Rift/Projet Ujamaa, , Nairobi/Kenya, 2012, p.29.
78

et politiques locales et nationales ainsi que faciliter l’intégration des forces du CNDP dans
les forces armées de la République Démocratique du Congo237.

Deux ans après, en mai 2011, les ex-militaires du CNDP intégrés au sein des
FARDC, font une mutinerie et crée une nouvelle rébellion qu’ils appellent Mouvement du
23 mars. Ils quittent Masisi et s’installent sur les collines de Runyonyi dans le territoire de
Rutshuru à la frontière rwandaise. Dès cette année, il y a des combats réguliers entre les
FARDC et le M23.

Vers la fin de 2012, le M23 avance sur plusieurs positions et arrive à prendre
Goma pendant au moins une semaine. Une forte pression internationale pousse le M23 à
se retirer de Goma et se replie dans le territoire de Rutshuru. Cependant, en début 2013,
les FARDC appuyées par la brigade de la MONUSCO vont lancer une contre-offensive
contre le M23 et le mouvement sera complètement défait car les FARDC ont récupéré
toutes ses positions initiales.

A partir de novembre 2021, alors que le gouvernement congolais fait face aux
groupes armés locaux et étrangers et pour lesquels, il a instauré l’état de siège en mai
2021, le mouvement du 23 mars réapparaît et se positionne à Runyonyi. Il lance des
combats contre les positions des FARDC et ne parvient pas à avancer. Cependant en
début juillet 2022, le M23 appuyé par le Rwanda prend la cité de Bunagana, et d’autres
localités dans le territoire de Rutshuru et de Masisi.

2) Fermetures de la frontière Goma-Gisenyi

La frontière entre Goma et Gisenyi s’étend à une distance de 5 à 6 km. Elle va


du poste frontalier de la grande barrière, passe par la petite barrière jusqu’aux cimetières
de Gabiro. Cette frontière figure parmi les plus mouvementées de la sous-région des
Grands lacs car elle est devenue la principale porte d’entrée en RDC des produits du port
de Mombasa (Kenya) et de Dar-es-Salam (Tanzanie). Cependant, à cause de la volatilité

237
République Démocratique du Congo, Accord de paix entre le gouvernement et le Congrès National pour la
défense du Peuple, Goma, 23 Mars 29.
79

de la situation sécuritaire, cette frontière a fait l’objet de fermetures de la part des deux
Etats.

Pendant la période en étude, la frontière Goma-Gisenyi a fait l’objet d’une


mesure de fermeture à 3 reprises :

 La fermeture des frontières Goma-Gisenyi en juin 2004

A la suite de la prise de la ville de Bukavu par les militaires de Laurent Nkunda


du 2 au 9 juin 2004, une crise diplomatique éclate entre la RDC et le Rwanda. La
première mesure fut celle du Rwanda qui décide de fermer toutes ses frontières avec la
RDC à partir du 5 juin 2004. Cette frontière restera fermée pendant 1 mois, soit jusqu’au 3
juillet 2004. A la suite de cette crise, Mr Antoine Ghonda Mangalibi, alors ministre
congolais des affaires étrangères, se rend à Kigali pour tenter de dénouer la crise avec le
Rwanda238.

 La fermeture de la frontière Goma-Gisenyi en décembre 2012

Le Mouvement du 23 mars qui naît officiellement le 23 mars 2009, entreprend


la guerre contre la RDC en 2011 dans le territoire de Rutshuru. C’est en novembre 2012,
qu’il s’empare de la ville de Goma après de violents combats avec les FARDC. La
première décision prise par le gouvernement fut la fermeture unilatérale de la frontière
Goma-Gisenyi. Dans ce contexte, les congolais qui habitent à Gisenyi ne pouvaient plus
faire des mouvements jusqu’à l’ouverture de la frontière après le retrait des troupes du
M23.

 La fermeture de la frontière Goma-Gisenyi à partir de 15 heures juin 2022

A partir de juin 2022, la ville de Goma connaît de violentes manifestations de


la population exigeant le départ de la Monusco pour inefficacité dans la guerre de la RDC
contre le M23 soutenu par le Rwanda. Le 17 juin 2022, un militaire FARDC traverse le
poste frontalier de la petite barrière et tire sur quelques policiers et agents de l’ordre
rwandais, faisant 5 morts du côté rwandais. Les services de sécurité rwandais répliquent et

238
O. Sematumba, op. cit.
80

tuent le militaire congolais239.Cette situation accroît le sentiment anti rwandais à Goma.


C’est pour ce faire que les services de migrations de la RDC décident de fermer la
frontière à partir de 15 heures au lieu de 18 h et 22 heures dans les conditions normales.

Nonobstant ce contexte tendu entre la RDC et le Rwanda, le phénomène des


migrations transfrontalières alternantes entre Goma et Gisenyi est toujours d’actualité.
Cependant, il faut souligner que la mesure de la fermeture de la frontière à 15 heures a
découragé certains congolais qui sont rentrés à Goma. Ils attendent que la mesure de
fermeture de la frontière à 15 heures locales soit levée pour reprendre leurs navettes
normales240.

III.3. Un contexte d’intensification des échanges


Faire des traversées entre Goma et Gisenyi n’est pas
compliqué si on a des documents de voyage exigés par les
services de migrations. Les pays membres de la CEPGL doivent
encourager les migrations entre eux, car ils doivent
promouvoir la politique de bon voisinage. Le bon voisinage
prouve que nous sommes en bonne relation. Pour traverser à la
petite barrière, il faut avoir un petit jeton que l’on donne
gratuitement. Avec le temps, ceux qui ont des passeports
devaient aller traverser par la grande barrière. Aussi ceux qui
ont des cartes d’électeurs qui ne sont pas délivrées à Goma
devaient avoir un passeport ou un laissez-passer de la CEPGL
délivré par la DGM241.

239
Selon les témoignages de plusieurs congolais présents à la petite barrière le vendredi 17 juin 2023, le
lieutenant Mokili Kingombe Munyololo Bebe a traversé le poste frontalier communément appelé petite barrière
aux environs de 9h et tiré sur les policiers rwandais et les agents des migrations rwandais dont deux seraient
décédés sur place et trois plus tard. Il est lui-même abattu plus tard par les services de sécurité rwandais.
Cependant, pour dissimuler l’information, le gouvernement rwandais, parle de deux policiers blessés.
(Communiqué du gouvernement rwandais du 17 juin 2022).
240
Témoignage d’un congolais résident à Gisenyi (ayant requis l’anonymat), Gisenyi 26 décembre 2022.
241
Entretien réalisé avec un congolais migrant à la petite barrière, novembre 2020.
81

Les migrations transfrontalières alternantes entre Goma et Gisenyi se déroulent


dans un contexte économique favorable qui contraste avec le contexte politique. C’est
l’intensification des échanges des biens et des personnes entre Goma et Gisenyi. Ces
échanges sont un facteur positif des migrations transfrontalières alternantes entre Goma et
Gisenyi.

Deux postes frontaliers constituent des points d’entrée et de sortie entre la ville
de Goma en province du Nord-Kivu/RDC et le secteur de Gisenyi, district de Rubavu
dans la province de l’Ouest au Rwanda : la grande barrière et la petite barrière. Selon le
projet Mupaka Shamba Letu (la frontière, notre gagne-pain), ces deux postes frontières
sont les plus fréquentés d’Afrique en ce qui concerne le commerce transfrontalier
informel242.

Entre 2000 et 2020 les échanges entre Goma et Gisenyi s’intensifient. Il s’agit
des flux réguliers des biens et des personnes entre ces deux villes frontalières. Ces
échanges sont réciproques. Ils concernent le transfert des biens et le mouvement des
personnes de Goma vers Gisenyi et vice-versa.

1) Les échanges frontaliers de Goma vers Gisenyi

Goma et Gisenyi sont en interaction permanente. Depuis l’époque coloniale,


Goma est engagé dans les échanges avec Gisenyi. Lorsqu’en 1906, le poste de Goma est
fondé en face du poste allemand Gisenyi243, les quelques habitants de Goma et Gisenyi se
fréquentent. Quelques indigènes habitent alors le quartier appelé Birere et traversent
chaque matin pour travailler pour les blancs qui habitent à Gisenyi244. Les premières
habitations de Goma furent construites par la compagnie immobilière du Nord-Kivu
(CIMNOKIVU) vers les années 1920245.

En 1930, Goma est le site des travailleurs du Chemin de Fer de l’Etat (CFE) ;
242
Projet Mupaka Shamba Letu, Cartographie des petites et moyennes entreprises dans la région des grands lacs, Alert
International,Bukavu, 2020, p.12.
243
Rapport d’activités de la Mairie de Goma, Goma, 2015.
244
Entretien avec Papa Muhindo, notable de la ville de Goma, 22 novembre 2022.
245
Consortium MSI, International Alert et IRC, Goma, prise dans ses tendances protéiformes. Analyse systémique des
conflits, Projet SPR-AKM, Goma, 2019, p.19.
82

Goma est alors le point d’aboutissement du réseau VICI-Congo. Il reçoit les matériels de
construction et les produits agricoles provenant de Bukavu et les partage dans la région y
compris Gisenyi. Avec la construction du port de l’Office de Transport au Congo
(OTRACO), de l’ouverture des usines qui traitent les produits agricoles, comme la Société
Coopérative des Produits Agricoles (SOCOPA) et la Transformation du pyrèthre au Kivu
(TRAPAK) (qui traite le pyrèthre et le thé), Goma fournit les produits de première
nécessité à Gisenyi246.

Après l’indépendance, les échanges sont dynamisés entre Goma et Gisenyi


dans le cadre de la convention portant création de la CEPGL. Cette organisation qui a
favorisé la libre circulation des personnes et de leurs biens dans la sous-région, a renforcé
le lien entre Goma et Gisenyi. Avant 1990, le Nord-Kivu joue son rôle de véritable
grenier de la RDC et de la sous-région. Goma exporte à Gisenyi les produits alimentaires
notamment les haricots, les bananes plantains, les arachides, la pomme de terre, l’huile de
palme, la farine de maïs, le sorgho, des légumes et des fruits247.

Certains produits échangés de Goma vers Gisenyi dépendent des saisons


agricoles et des besoins des consommateurs. D’autres produits qui proviennent de Goma,
sont transformés à Gisenyi, puis retournent à Goma pour y être revendus. C’est le cas par
exemple du maïs sec. Il existe aussi un système de troc par lequel les petits commerçants
rwandais emmènent des produits vivriers et les échangent contre des habits d’occasion
qu’ils ramènent à Gisenyi248.

Il est à noter que les produits alimentaires qui sortent de Goma vers Gisenyi ne
sont pas enregistrés par la DGDA. Ils relèvent du petit commerce frontalier qui est défini
comme une « activité commerciale génératrice de revenus dont la valeur des transactions
commerciales journalières ne dépasse pas 100 dollars américains (USD) par

246
Consortium MSI, International Alert et IRC, op.cit., p.19.
247
Entretien téléphonique avec Papa Muhindo, ancien habitant de Goma, 28 février 2O23.
248
C. Kimanuka et M. Lange, La traversée. Petit commerce et amélioration des relations transfrontalières entre Goma
(RDC) et Gisenyi (Rwanda), juin 2010, Alert International et APIBA, Goma, p.16.
83

commerçant»249.

Au-delà de l’échange des biens, plusieurs personnes quittent Goma et se


rendent à Gisenyi pour des raisons professionnelles et commerciales. Ceux qui y vont
pour travailler sont essentiellement des enseignants de l’école secondaire et de
l’université. Ceux qui y vont pour le commerce, sont des petits commerçants congolais
qui emmènent des produits alimentaires à Gisenyi et reviennent avec d’autres produits
alimentaires en vue de les revendre à Goma.

Tableau n° 7 : Répartition des commerçants Goma-Gisenyi par nationalité


Point/traversé Nbre Nté Congolaise % Nté Rwandaise %
Pte barrière 626 179 29% 447 71%
Gde barrière 192 33 17% 159 83%
Gabiro 187 108 58% 19 42%
Total 1005 320 32% 685 68%

Source : C. Kimanuka et M. Lange, International Alert, P.13 (2012).

Aux vues ce de tableau, 32% des commerçants transfrontaliers sont de


nationalité congolaise. Ils quittent Goma vers Gisenyi en vue d’acheter quelques produits
alimentaires et les revendre à Goma. En cas de pénurie à Gisenyi, d’autres traversent avec
les maïs, les haricots et les revendent à Gisenyi. Une enquête effectuée entre 2020 et 2022
par le centre de recherche sur la démocratie et le développement en Afrique œuvrant au
sein de l’ULPGL révèle que 48% des petits commerçants qui traversent la frontière entre
Goma et Gisenyi sont congolais. Tandis que 62% sont rwandais.

Par ailleurs, entre les années 2000 et 2009, Goma exporte une quantité
considérable de minerais vers Gisenyi. Ces données sont enregistrées aux divisions
provinciales de commerce extérieur et des mines, mais ne font pas l’objet de cette étude.

2) Les échanges transfrontaliers de Gisenyi vers Goma

Anciennement appelée Kisenyi, la ville actuelle de Gisenyi serait habitée par

249
C. Kimanuka et M. Lange, op. cit. p.4.
84

des populations proches des Kumu du territoire de Nyiragongo avant la colonisation.


Lorsqu’en 1906, le poste allemand fut fondé à Gisenyi en face du poste belge à Goma,
Gisenyi fournit régulièrement une main d’œuvre aux entreprises belges CIMNOKI,
SOCOPA, OTRACO, nouvellement créées à Goma250.

Après l’indépendance les habitants de Goma puisaient de l’eau à boire à


Gisenyi. En effet, l’eau de Gisenyi avait la réputation d’être propre par rapport à celle de
Goma. C’est pourquoi plusieurs habitants des quartiers Mapendo, Mabanga, Murara,
Virunga, Majengo, s’approvisionnent en eau de boisson à Gisenyi. Ce phénomène est
encore présent jusqu’à nos jours dans la ville de Goma où un bidon d’eau puisée à Gisenyi
coûte 1000 FC. A Goma, une distinction nette est faite entre mayi ya Rwanda (dont un
bidon de 20 litres coûte 1000 francs congolais) et mayi ya lac dont un bidon de 20 litres
revient à 100 francs congolais. Au temps du Président rwandais Habyarimana, entre 1970
et 1990, Gisenyi fournissait à Goma les pagnes appelés hollandais et le carburant251
provenant de Mombasa (Kenya).

Lors du génocide rwandais de 1994, Goma reçoit plus de 1 million de réfugiés


rwandais, ayant traversé la frontière. Au début, ils sont restés dans les camps des réfugiés
érigés dans le quartier Mugunga. Avec la succession des évènements, certains ont trouvé
des habitations en ville fuyant l’insécurité dans le camp des réfugiés.

Après l’éruption volcanique de janvier 2001, la ville de Goma acquiert une


main d’œuvre abondante d’origine rwandaise pour les travaux de construction dans les
différents chantiers. En plus, de nombreuses femmes, petites commerçantes rwandaises,
vendeuses des légumes, des fruits, de l’eau traversent chaque jour la petite barrière pour
vendre leurs produits à Goma.

« Il existe depuis toujours des flux entre Goma et Gisenyi, mais dès
2010, les échanges se sont intensifiés. Cette situation serait due à
l’augmentation de la production agricole des produits vivriers au
250
Cette main d’œuvre fait partie des travailleurs journaliers qui n’étaient pas toujours répertoriés par
l’administration coloniale.
251
Entretien avec Papa Muhindo, notable et ancien habitant de la ville de Goma, jeudi 2 mars 2022.
85

Rwanda voisin. Etant donné que ce pays n’a pas un débouché suffisant
pour faire écouler ses produits agricoles, la ville de Goma qui est plus
peuplée sert de marché pour l’économie agricole rwandaise »252.

Les femmes commerçantes rwandaises communément appelées « mabuja », en


kinyarwanda, ou « mère boss », sont nombreuses et se sentent libres de vendre leurs
produits alimentaires à Goma. Elles craignent les coûts élevés des taxes à payer à Rwanda
Revenu Authority (RRA), les tracasseries policières rwandaises ainsi qu’une faible
clientèle à Gisenyi. Pour ce faire, ils préfèrent vendre à Goma.

« A Gisenyi tu ne peux pas vendre au bord de la route, et même si


tu veux aller au marché, trouver une place au marché exige
beaucoup d’argent. Et même si tu es au marché, il n’y a pas assez
de clients. C’est pourquoi je préfère venir vendre mes tomates à
Goma»253. Je suis rwandais, je traverse chaque jour la frontière
pour venir vendre mes bidons ici à Goma254.

La ville de Goma est devenue attrayante à cause de la libre circulation de


toutes les populations quelles que soient leurs origines. La ville de Goma deviendra un
grand pôle commercial dans la sous-région des grands lacs255.

Avec un jeton remis par les services des migrations aux deux côtés de la
frontière, les migrants traversent la frontière régulièrement. Cette dynamique a tellement
pris de l’ampleur que la circulation des populations entre Goma et Gisenyi a atteint
avant le Covid-19 plus de 60 000 personnes par jour256. Alert international identifie plus
de 22 000 petits commerçants qui font des navettes régulières entre Goma et Gisenyi en
2012257. Les échanges économiques entre Goma et Gisenyi concernent une grande
variété des produits agricoles, non agricoles et divers. Parmi ceux-ci, nous pouvons faire

252
Entretien réalisé avec un agent de la DGM (ayant requis l’anonymat) à la petite barrière à Goma, octobre
2019.
253
Entretien réalisé avec une femme de nationalité rwandaise résident à Gisenyi et qui fait du petit commerce à
Goma, octobre 2019.
254
Entretien avec un transporteur rwandais à la petite barrière à Goma,14 juillet 2022.
255
Entretien réalisé avec le Maire Adjoint de la ville de Goma, Monsieur Juvénal Ndabereye, le 22 décembre
2020 à Goma.
256
Entretien avec un agent de la DGM (ayant requis l’anonymat), juillet 2019.
257
C. Kimanuka et M. Lange, op. cit. p.4.
86

mention des légumes, des légumineuses, des tubercules, des fruits, de la viande, des
poissons, de l’huile, du lait, des fournitures scolaires, de la farine, des matériels
électriques et matériels de construction258. La majorité de ces produits proviennent du
Rwanda vers la RDC en passant par Goma. Une femme commerçante au marché de
Birere à Goma précise que les aliments qui sont produits au Rwanda et envoyés à
Goma sont les ognons, l’ail, le haricot (pigeon vert), le choux, l’aubergine ainsi que la
viande de bœuf259.

Tableau n° 8 : Fréquence des produits alimentaires de Gisenyi vers Goma


N° Produits alimentaires Fréquence sur le marché
1 Légumes, légumineuses et tubercules 30%
2 Fruits(avocats, ananas, orange, pastèques) 23%
3 Viandes, poissons, fretins 19%
4 Huiles (arachides, tournesol, olive) 2%
5 Lait et produits laitiers 11%
6 Matériels de construction 4%
7 Fournitures scolaires 3%
8 Accessoires consommables (biscuits , etc) 5%
9. Farine (manioc, maïs, sorgho, etc.) 8%
10 Epices et autres accessoires de cuisine 8%
11 Matériels électriques 1%
Source : CREDDA-ULPGL (2022)

Selon l’organisation I-peace, plus de 5 000 personnes traverseraient


quotidiennement la frontière entre la RDC et le Rwanda dans les deux sens pour échanger
des produits alimentaires de base260. Cependant, malgré cette multiplicité des échanges
transfrontaliers, plusieurs commerçants frontaliers évoluent dans l’informel qualifié de
« chora-chora » sur la frontière entre Goma et Gisenyi. Ce phénomène de clandestinité est
en partie facilité par la porosité des frontières entre Goma et Gisenyi qui facilite cette
collaboration clandestine avec les services de sécurité congolaise et rwandaise.
Il sied de préciser que les biens manufacturés que Goma reçoit à partir de la
petite et de la grande barrière ne sont pas fabriqués au Rwanda. Etant donné les conditions
258
Centre de Recherche sur la Démocratie et le Développement en Afrique, Commerce transfrontalier RDC-
Rwanda : Impact sur la paix et la sécurité alimentaire, CREDDA-ULPGL, mars 2022, p.40.
259
Entretien avec une femme congolaise commerçante au marché de Birere à Goma, 2 août 2022.
260
Projet Mupaka Shamba Letu, op.cit., p.12.
87

sécuritaires précaires de l’axe Bunagana-Goma (territoire de Rutshuru en RDC) les


opérateurs économiques qui importent les marchandises du port de Mombasa préfèrent la
route du Rwanda.
Selon le bureau provincial de l’Office Congolais de Contrôle, plus de 25% des
importations au Nord-Kivu (dont la plupart est acheminé à Goma) concernent les produits
alimentaires261. L’agriculture vivrière pratiquée dans la province ne parvient pas à
satisfaire les besoins alimentaires de la population. Chaque mois, la province du Nord-
Kivu importe le riz, l’huile végétale, le poisson, le soja, la viande, la farine, le sucre, etc.
des pays de l’Asie et de la sous-région. Ces produits transitent par le Rwanda.
Tableau n° 9 : Les produits alimentaires importés au Nord-Kivu ( via Gisenyi-Goma)
Mois Produits importés Kg Pays d’origine
Janvier Huile 6644 Kenya
Farine de Maïs 1667 Rwanda
Poissons 2482 Rwanda
Sucre 27500 Kenya
Mai Riz décortiqué 6250 Japon
Tete de poisson 7000 Pakistan
Farine de Froment 6250 Belgique
Farine de Froment 12500 Chine
Décembre Riz 2500 Pakistan
Poisson tilapia 6600 Chine
Farine de froment 6250 Rwandaa
Riz décortiqué 5975 Pakistan
Poisson frais 7500 Chine

Source : Echantillon du bureau de l’OCC/Nord-Kivu, Goma 2022.

261
Entretien avec le chef de service import de l’Office Congolais de Contrôle (OCC)/ Nord-Kivu à Goma, Mai
2022.
88

Chapitre IV:
LA POLITIQUE SECURITAIRE A GOMA ET LES
MIGRATIONS TRANSFRONTALIERES ALTERNANTES

« Dès que les balles crépitent à Goma, je file à Gisenyi où


beaucoup de congolais se sont récemment installés, même s’ils
travaillent à Goma. La vie y est moins chère, les banques ne
risquent pas de faire faillite, tous ceux qui ont un peu d’argent
à Goma, y ont un compte. Mais surtout, au Rwanda, il y a de la
sécurité »262.

Ce chapitre se propose de faire une brève analyse de la situation sécuritaire de


la ville Goma en vue d’en questionner la politique sécuritaire. Il clôture par un bref regard
sur la situation sécuritaire de Gisenyi, qui est l’attrait principal des résidents congolais
employés à Goma.

IV.1 : Analyse de la situation sécuritaire à Goma


Depuis l’afflux majeur des réfugiés rwandais en 1994, la ville de Goma vit
dans un climat d’insécurité permanente. Avec un appareil sécuritaire dépourvu des
moyens nécessaires et une démographie galopante, Goma fait face à une situation
d’insécurité chronique. L’analyse de la situation sécuritaire de la ville de Goma se fait ici
sous un angle dynamique. Selon la réalité vécue sur le terrain, l’insécurité urbaine à Goma
est généralisée. Elle est protéiforme et est l’œuvre des acteurs divers. Elle est liée à une
double cause relevant à la fois de la fragilité étatique et des conditions socio-économiques
de la ville.

262
Déclaration d’un jeune bloggeur congolais relayée par Maria Malagardis, Rwanda-RDC : De Gisenyi à Goma,
deux pays toujours liés par un destin sanglant, Journal la libération, 5 avril 2019.
89

1) A Goma, l’insécurité urbaine est généralisée

La ville de Goma connaît une insécurité urbaine qui ne se définit pas. Elle est
vécue au quotidien par la population. Que ce soit dans les rues, les quartiers, les marchés,
les maisons, l’insécurité fait le quotidien de la ville. Elle se manifeste par le banditisme
urbain, les vols, les assassinats, le kidnapping et les enlèvements. Toute la communauté de
la province du Nord-Kivu et de la ville de Goma est concernée par l’insécurité
quelquefois comme « acteurs » ou comme « victimes »263

Dans notre milieu, nous ne nous sentons pas en sécurité. C’est


difficile de passer deux nuits successives sans avoir entendu des
coups de balles ou sans que l’on ne ravisse des objets de valeur à
la paisible population. Il y a deux mois que je n’ai pas entendu
des crépitements des balles dans notre quartier car les troupes de
la Police Militaire ont déménagé264.

La population ne circule pas librement dans tous les quartiers à toutes les
heures. Les quartiers Ndosho, les villages de Turunga et Buhene sont les plus
caractéristiques. La population y est fréquemment tracassée. Par ailleurs, dans le quartier
Kyeshero, les éléments de la police nationale congolaise contribuent à un climat
généralisé d’insécurité.265

La circulation dans la ville de Goma demeure très risquée dans beaucoup de


quartiers, surtout à des heures tardives. Les quartiers les moins éclairés la nuit restent les
plus dangereux. A certains endroits, les jeunes organisent eux-mêmes des patrouilles
suite à l’incapacité des agents de l’ordre à en assurer. La ville de Goma connait un
niveau zéro de la sécurité des personnes et de leurs biens266.

263
Pole Institute, « La sécurité, base du développement durable au Nord-Kivu : Quelle stratégie mettre en
place ? » in Pole institute, fissures, N°007, Goma, Avril, 2007.
264
Institut National des Statistiques, Etude qualitative sur la consolidation de la paix et la reconstruction en RDC,
INS/Nord-Kivu, 2018, p.6.
265
Idem.
266 266
Institut National des Statistiques, op.cit.
90

L’insécurité est le plus notable des problèmes que connaît la ville de Goma.
Elle se pose principalement sous deux volets :

 Les tracasseries et les meurtres nocturnes dans les rues et dans les ménages par
des hommes armés ;
 Les vols et tracasseries dans les artères principales de la ville par les enfants de la
rue267.

2) Goma connaît un cycle d’insécurité aux formes diverses

Depuis plus d’une décennie, la ville de Goma s’illustre par une montée du
cycle d’insécurité caractérisé par des phénomènes violents. Assassinats, kidnapping,
enlèvements, exécutions sommaires, braquages des banques font écho à Goma. Ces faits
qui sont l’œuvre des acteurs divers revêtent également des formes diverses : les voleurs à
main armée, les « oso oso », les « maibobo », les « 40 voleurs » qui ont des modes
opératoires différents ; notamment le vol à main armée , vol avec des armes blanches, vol
de groupe (40 voleurs, oso oso) ; d’autres encore font recours à une grosse pierre appelée
« katarina » pour fracasser la porte de la maison, alors que les autres procèdent par le
« kidnapping » qui se solde soit par l’exigence d’une rançon soit par l’assassinat de la
victime, et parfois par les deux.

Lundi 7 décembre 2020, il est 8h à l’université de Goma, au Campus du lac


appelé Kinyumba. Les étudiants sont en colère et exigent des agents de l’administration de
l’université la fermeture de tous les bureaux. Quelques étudiants qui sont déjà dans la
salle d’examen pour la seconde session sont sommés de libérer les auditoires sans
condition sous peine d’être battus par leurs collègues. Pourquoi ? Plus de sept personnes
ont été tuées par balles la semaine d’avant par les policiers à 19h, dans le quartier Ndosho.

267
J. Akili Muliri, La Gestion de la ville de Goma face aux exigencies d’une administration du développement, Mémoire
de licence inédit, Sciences Politiques et Administrtives ,UNIGOM, 2008-2009,p.57.
91

Tous les étudiants de la ville de Goma décrètent deux jours de grève pour faire pression
sur les autorités urbaines et provinciale en vue de poursuivre les criminels268.

Malgré les efforts du pouvoir public pour y faire face, la question de l’insécurité connaît
une résurgence dans la ville de Goma. Pour la seule année 2019, 50 cas d’assassinats ont
été documentés par les services officiels269.
Tableau n° 10 : Cycle d’insécurité à Goma en 2019
Mois Cas Cas Mort Incend Accident Mort Mort Kidn Autres
d’Assassinats par ies de circula par par appi cas des
Noyades pendai Kidnap ng Morts
son ping
Janvier 4 - - - - 1 3 3
Février 15 - - 1 - - 5 4
Mars 7 1 2 6 2 - 1 14
Avril 1 17 2 2 2 - 6 7
Mai 1 - 23 2 - - 2 5
Juin 2 1 - 1 - - 2 5
Juillet 6 1 7 7 - - - 5
Août 2 - - 1 - - - 2
Septembre 2 2 - 2 - - - 2
Octobre 1 - - - - - - 2
Novembre 2 - - - - - - 28
Décembre 7 - - 1 - - - 2
TOTAL 50 22 11 23 4 3 19 79

Source : Rapport de la Mairie de Goma, 2019

Ce tableau est un échantillon de la situation pratique dans la ville de Goma


pour la seule année 2019. Par ailleurs, les indicateurs de l’insécurité dans la ville sont les
cas d’assassinats, les morts par noyades, les incendies, les accidents de circulation, les
morts par pendaison, et les kidnaping.

268
Du 7 au 8 Novembre 2020, les étudiants de la ville de Goma sont en grève pour dénoncer l’insécurité dans la
ville de Goma.
269
Rapport d’activité de la Mairie 2019, p.15.
92

La population de la ville est consciente qu’elle est constamment exposée aux


problèmes d’insécurité. Bunduki ziko mingi mu mungini (il y a beaucoup d’armes dans la
ville), il y a des soldats indisciplinés errant ici et là pour le lotoko (boisson
traditionnelle)270. D’autres armes sont prises en location au camp Katindo par des malfrats
qui les utilisent la nuit contre les paisibles citoyens. Dans ce contexte les congolais sont
tués par les armes achetées par leurs contributions fiscales271.

Pour éradiquer le banditisme urbain, la population de Goma devrait collaborer


avec les services de sécurité pour que cette situation ne perdure pas272. En février 2022, le
commissariat urbain recense 94 cas de banditisme urbain contre 95 cas d’infractions
criminelles au mois de mars, 45 cas de banditisme urbain au mois d’avril et 13 cas au
mois de mai 2022273. Cette situation maintient la population de Goma dans une psychose
permanente.

Tableau n° 11 : Formes d’insécurité urbaine à Goma (Février 2022)


N° Cas identifiés Fréquence
1. Vol simple 31
2. Coups et blessures volontaires 14
3. Abus de confiance 12
4. Escroquerie 7
5. Vol qualifié 5
6. Association des malfaiteurs 6
7. Menaces simples 3
8. Kidnapping 2
9. Fumeurs de chanvre 12
10. Viol 1
11. Recel des biens volés 1
Total 94
Source : Statistiques du commissariat urbain PNC Goma 2022

270
Déclaration d’un jeune de la ville Goma lors de l’assassinat du militant Christian Buuma le vendredi 20
janvier 2023 au quartier Keyshero à Goma.
271
Entretien réalisé avec l’ancien Maire de la ville de Goma, Kubuya Ndoole Naasson, Goma, 9 novembre
2022.
272
Entretien réalisé avec le Colonel Job Alisa, Commandant PNC de la ville de Goma, Goma, 14 juillet 2022.
273
Entretien réalisé avec le chargé des statistiques à la PNC/Goma, Goma 13 juillet 2022.
93

3) Goma connaît une insécurité aux acteurs diversifiés

Plusieurs études portant sur la sécurité dans la ville de Goma concluent que les
principaux acteurs de l’insécurité dans la ville sont les bandits armés, les agents de l’ordre
indisciplinés ainsi que les enfants vivant dans la rue (les maibobo, les antigang, les
Ososo).274 D’autres études estiment que neuf principaux acteurs causent l’insécurité à
Goma275 :

- Les enfants de la rue ;


- Les militaires démobilisés ;
- Les bandits armés ;
- Les groupes armés ;
- La population désœuvrée ;
- Certains agents de l’Etat ;
- Certains politiciens ;
- Certains agents de l’ordre ;
- Certains déplacés internes

Pour la Mairie de Goma et le bureau de la commune de Goma, les acteurs de


l’insécurité sont276 :

- Les militaires indisciplinés et en divagation provenant des camps Katindo,


Munzenze et Kituku ;
- Les éléments des groupes armés démobilisés ;
- Les enfants vivant dans la rue appelés Mai bobo et leurs ramifications (Ososo,
antigang, …) ;
- La population qui collabore avec les groupes armés.

274
Ces études ont été mené par Pole Institute, par l’Institut National des statistiques et par les chercheurs des
horizons divers. Ces points de vue sont aussi confirmés par les rapports d’activités de la Mairie de Goma.
275
Institut National des Statistiques, Etude qualitative sur la consolidation de la paix et la reconstruction en RDC.
Rapport synthèse : Nord-Kivu, Sud-Kivu et Ituri, INS, 2019, p.6.
276
Entretien réalisé le Maire adjoint de la ville de Goma, Mr Juvénal Ndabereye, Goma, 22 décembre 2020.
Entretien réalisé avec et le Bourgmestre adjoint de la commune de Goma, Mr Cyprien Sebihogo, Goma, 22
décembre 2020.
94

4) Goma, connaît une insécurité à double cause

Les causes de l’insécurité à Goma sont nombreuses. Aux vues de l’observation


désengagée que nous avons mené à Goma et des entretiens avec les personnes ressources,
les causes de l’insécurité à Goma peuvent être classifiées en deux ordres : la fragilité de
l’Etat et les conditions socioéconomiques de la ville.

a) Les causes liées à la fragilité de l’Etat

Les causes liées à la fragilité de l’Etat concernent premièrement la défaillance


de l’Etat dans l’encadrement des militaires et d’autres membres des services de sécurité.
Avec des militaires sous-payés, moins payés et mal encadrés, la ville de Goma est
exposée à la débrouillardise des militaires.

« Je suis sergent de deuxième classe, j’ai été à l’école de


formation des officiers (EFO), je suis affecté au QG du Mont
Goma. Pendant toutes ces années, je ne trouve pas ma solde à la fin
du mois. J’ai un numéro matricule. Quand nos soldes arrivent, nos
commandants nous disent que nous on n’est pas concerné.
J’apprécie les reformes sécuritaires du Président Félix
TSHISEKEDI, et maintenant je me rends à la RTNC/ Goma, pour
dire à un journaliste d’en parler pour que les autorités du pays en
soient informés 277».

D’autres agents de sécurité sont moins formés ou mal formés et n’ont aucun
sentiment de redevabilité vis à vis de l’Etat. Ils prestent selon leur volonté car ils ne sont
ni mécanisés, ni payés. D’autres ont une ancienneté de 4 à 10 ans dans le service sans
avoir un numéro matricule de l’Etat. Ils ne possèdent pas de carte d’identification des
agents de l’Etat. Certains sont engagés dans des emplois civils tout en ayant le statut de
militaire278 .

277
Entretien sous couvert d’anonymat avec un militaire FARDC, décembre 2020 au Mont Goma à Goma.
278
Entretien sous couvert d’anonymat avec une nouvelle unité de l’Agence Nationale de Renseignement,
Goma 2020.
95

La fragilité de l’Etat est liée deuxièmement à la présence des groupes armés279


dans les périphéries de la ville et à la porosité des frontières Goma-Gisenyi. Les groupes
armés auraient des relations avec certaines personnes qui accomplissent des crimes en
leurs noms. Cette situation rend le criminel à l’aise en cas de crime, car il peut fuir et ne
pas être repéré par les forces de sécurité.

Cette fragilité se manifeste troisièmement par la présence des camps militaires


dans la ville de Goma ; le Camp Katindo, le camp Munzenze et le mini camp de Kituku. Il
s’observe une entrée-sortie des militaires et des civils non contrôlés dans ces camps
militaires. En fait, certains militaires sans solde et indisciplinés pillent la population et se
rétractent dans ces camps de fortune car ils savent qu’ils ne pourront pas être identifiés.

La fragilité de l’Etat est liée quatrièmement au climat d’insécurité semé par les
militaires démobilisés et blessés de guerre. Ils sont dans des artères principales et
rançonnent la population280. Sur la route Goma-Sake, les ex combattants des groupes
armés qui se sont rendus, se révoltent par moment, comme c’est le cas entre juin et juillet
2021. Par manque de prise en charge nécessaire par le gouvernement, ils insécurisent la
population.

b) Les causes liées aux conditions socio-économiques de la ville de Goma

Elles sont liées aux conditions de vie de la population de la ville. A Goma on


peut dormir pauvre et se réveiller riche sans être agent d’une entreprise quelconque. Cette
mentalité est liée aux activités illicites des minerais qui permettent à certains habitants de
la ville de s’enrichir facilement. Avec l’activité intense des ONG, les jeunes ont pris le
goût à un gain facile. C’est pour ce faire que d’autres sont impliqués dans des réseaux
mafieux.

279
Lors de la visite à Goma du Ministre délégué à la défense, Mr Sylvain MUTOMBO en mi-décembre 2020,
la population de Goma est informée que le camp Katindo sera déplacé bientôt au site de Katebe situé à 40Km
de la ville de Goma dans le territoire de Masisi. Sur ce site de 50ha sera construit un camp militaire moderne.
Deux autres camps de secours rapides seront construits à Rusayo et Kibati dans le territoire de Nyiragongo.
280
Entretien réalisé avec et le Bourgmestre adjoint de la commune de Goma, Mr Cyprien Sebihogo, Goma, 22
décembre 2020.
96

Paradoxalement, aux alentours de la ville de Goma on trouve des bidonvilles.


Ces milieux péri-urbains se développent régulièrement dans la ville. Ils regorgent
beaucoup de délinquants, d’enfants en crise d’éducation et qui ont érigé des foyers de
dépravation des mœurs, d’alcoolisme et de débauche. La commune de Goma a démoli
plus de 32 maisons de tolérance à Kituku lors des bouclages qui ont eu lieu dans ce
quartier entre le mois de juin et de juillet 2020.281

Il faut aussi mentionner le chômage de la jeunesse, la vente et la


commercialisation des boissons traditionnelles fortement alcoolisées communément
appelées ‘’kipande, kargazoke, lutuku, mandale’’. Le manque d’encadrement de cette
jeunesse et la non interdiction de la vente de chanvre causent l’insécurité dans la ville.

A cela s’ajoutent les règlements de compte relatifs aux conflits fonciers, et aux
transactions entre la population et les changeurs de monnaie. Des cas d’assassinats des
changeurs de monnaie dans la ville sont parfois dus au non remboursement de leurs
crédits par leurs créanciers. Il convient aussi de mentionner les jugements illégaux des
cours et tribunaux lors des procès criminels.282 Certains quartiers de la ville manquent
d’éclairage public, ce qui favorise les activités criminelles la nuit.

IV.2 : Face à l’insécurité, quid de la politique sécuritaire ?


La ville de Goma figure parmi les villes les plus insécurisées de la République
Démocratique du Congo. Les activités y débutent à 6 heures du matin et se clôturent à
18h. A la tombée de la nuit chacun est pressé de rentrer à la maison. Les taxi-bus et les
motos se bousculent. Pour ceux qui communient à l’église, lorsqu’il fait 17h30, les fidèles

281
Entretien réalisé avec et le Bourgmestre adjoint de la commune de Goma, Mr Cyprien Sebihogo, Goma, 22
décembre 2020.
282
Au sujet des jugements rendus par les organes judiciaires à Goma dans les procès criminels, le Maire Adjoint
de la ville de Goma mentionne le cercle vicieux judiciaire du problème d’insécurité à Goma. Il note que lorsque les
criminels est arrêté, la population a peur de le poursuivre au parquet pour le charger juridiquement. Dans le
processus de l’instruction, faute des éléments de preuve suffisants, le juge peut soit renvoyer le dossier à une
date ultérieure soit classer l’affaire sans suite. Ce dernier cas crée encore un sentiment de vengeance de la part
du présumé malfaiteur (Entretien réalisé le Maire adjoint de la ville de Goma, Mr Juvénal Ndabereye, Goma,
22 décembre 2020).
97

s’impatientent comme si la cloche a déjà sonné.283. Goma est une belle ville, mais tout
peut arriver à tout le monde à tout moment284.

La ville de Goma a 18 quartiers exposés à l’insécurité. Le centre-ville où


résident les autorités politico administratives est exposé à l’insécurité au même titre que
les quartiers périphériques de la ville. Le mardi 3 novembre 2020 à 10h, toute la ville
devient sombre et tombe dans un désarroi. Mr Nsimba Ngezayo Filipo vient d’être
assassiné en plein centre-ville aux environs de 8h alors qu’il déposait ses enfants à l’école.

Lorsque la mauvaise nouvelle envahit les réseaux sociaux, c’est une terreur
généralisée dans la ville.285 Dix ans plus tôt, c’est son oncle paternel, un autre Ngezayo
qui fut assassiné dans des circonstances presque similaires. Ce fut au centre-ville dans
une ‘’zone sûre’’ car en proximité avec la résidence du Gouverneur de province et du
parquet de grande instance.

Comme mentionné ci-haut, ces exemples sont légion. Cette recrudescence de


l’insécurité serait expliquée par l’absence de la politique sécuritaire dans la ville. Une
politique sécuritaire décrit la manière dont un Etat vise à assurer sa propre sécurité et
celle de sa population286. Elle sous-entend un ensemble de décisions de l’autorité publique
compétente en vue de prévenir et garantir la sécurité des personnes et de leurs biens. Trois
indicateurs renseignent l’absence de la politique sécuritaire à Goma : l’absence de
remèdes à une insécurité aux racines régionales, la défaillance/absence de la police de
proximité et l’immobilisme face à l’extension du territoire de Nyiragongo vers Goma.

1) Absence de remède à une insécurité urbaine aux racines régionales

La déliquescence sécuritaire de la RDC pendant plus de deux décennies est un


obstacle à la politique sécuritaire efficace à Goma. En 1996-1997 et 1998-2003, Goma fut
successivement la capitale de l’AFDL et du RCD. En juillet 1994, Goma a accueilli la

283
Déclaration d’un Pasteur à Goma devant les fidèles, Goma, quartier mabanga , 2022.
284
Déclaration d’un kinois habitant de Kinshasa, la capitale de la RDC en visite à Goma en novembre 2022.
285
Mardi 3 novembre, assassinat de l’homme d’affaire Nsimba Ngezayo en plein centre-ville de Goma vers
8heures.
286
Centre pour le contrôle démocratique des forces armées, Les politiques de sécurité nationale, Genève, 2012, p.2.
98

majorité d’1 million des réfugiés hutus rwandais venus du Rwanda. Les camps de réfugiés
de Mugunga est alors un centre d’entrainement militaire des ex. FAR et des milices
interahamwe qui tentent de déstabiliser le nouveau régime du Rwanda. C’est l’argument
le plus éloquent qui pousse le Front Patriotique Rwandais (FPR) à intervenir en RDC et
plus spécifiquement à Goma.

Le FPR de Paul Kagame, sous-couvert de l’AFDL, a violemment démantelé les


camps des réfugiés de Mugunga287, occasionnant ainsi une autoroute de violence et de
l’insécurité dans la ville. Certains éléments des ex. FAR se sont volatilisés dans la ville
avec leurs effets militaires. C’est à Goma et dans le parc des Virunga qu’ils se sont
constitués en Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda, FDLR. Ces derniers,
se sont investis dans l’économie locale et travaillent dans la fourniture de la braise à la
ville de Goma288.

Le marché de la braise communément appelé Kitranti dans le quartier Bujovu à


Goma serait alimenté par les FDLR. Ceux-ci sont propriétaires des motos-taxis et
engagent des motards qui travaillent pour eux dans la ville. En plus, ils collaborent aussi
avec certains opérateurs économiques qui leur servent de relais. En cas de conflit entre
un élément FDLR et ses collaborateurs, il arrive qu’il opère un massacre dans la ville et
rentre la même nuit dans le parc289.

La rébellion du RCD a accru l’influence rwandaise à Goma. Pendant 5 ans,


l’élite politique, militaire et économique de la ville était assujettie et associée au Rwanda.
Par ailleurs, les élites intellectuelles, religieuses étaient obligées de prêter allégeance au
Rwanda ou à défaut d’être assassinées ou enlevées. Le cas de la mort du père Isidore

287
Maarten Hendriks et Karen Büscher, L’insécurité à Goma : Expériences, Acteurs et réponses, Rift Valley Institute,
Nairobi, 2019, p.15.
288
Entretien réalisé avec un notable de la ville de Goma, Goma 9 novembre 2022.
289
Idem.
99

Munyanshongere, prêtre de l’église catholique assassiné par un soldat rwandais le 9


janvier 2000 près de Goma en est une illustration290.

Après la réunification nationale et la transition politique de 2003, Goma n’a


pas coupé le cordon ombilical avec l’insécurité causée par des groupes armés interne et
externe. Pendant les années de la rébellion du CNDP, la ville de Goma fut dans un climat
sécuritaire tendu dû aux affrontements réguliers entre les FARDC et le CNDP ou entre
ceux-ci et d’autres groupes armés locaux dans les territoires environnant la ville. C’est à
cette époque que l’ancien Président des étudiants de l’université de Goma, Mr Amza
Omar et Mr Bwana Chui, un cadre de l’OCC, ont été assassinés à Goma en 2009.

Le 20 novembre 2012, le Mouvement du 23 mars, créé en 2009, attaque Goma


et s’empare de la ville avec le soutien de l’armée rwandaise. Cette guerre occasionna deux
faits majeurs qui seront une épine contre la sécurité de la ville. Le premier est l’évasion de
1700 détenus dont 500 militaires de la prison centrale de Munzenze 291. Le second fait est
l’infiltration de quelques éléments du M23 dans la ville après leur retrait officiel le 1er
décembre 2012. Ils ont rendu la vie difficile à Goma pour montrer que la ville était mal
gouvernée292.

Les jours qui ont suivi le retrait du M23 de la ville de Goma se caractérisent
par une grande insécurité urbaine. Le cas le plus emblématique fut le braquage de la jeep
de la Banque Internationale pour l’Afrique au Congo, BIAC. Le 18 décembre 2012, une
jeep provenant de l’aéroport de Goma et transportant plus de 1 million de dollars
américains appartenant à la BIAC est attaquée sur la route allant de l’aéroport de Goma au
rond-point Rutshuru. Le principal meneur de cette attaque, un nommé Sankara, ancien
prisonnier de Munzenze s’enfuit au Rwanda293.

290
Rapporteur spécial des Nations Unies sur les violations des droits de l’homme en territoire occupés par le
RCD. (République Démocratique du Congo, Ministère des droits humains, la guerre d’agression en République
Démocratique du Congo. Trois ans de massacres et de génocide à « huit clos », Kinshasa, octobre, 2001, p.23.
291
Interview du maire de la ville de Goma Naasson Kubuya sur RFI, 7 Décembre 2012.
292
Interview du Gouverneur du Nord-Kivu Julien Paluku sur Jeune Afrique ,18 Décembre 2012.
293
Entretien réalisé avec l’Ancien Maire de la ville de Goma, Kubuya Ndoole Naason, Goma, 9 novembre,
2022.
100

Depuis, la ville de Goma vit dans un état d’insécurité criante dont les enjeux
dépassent les ressources et la compétence de l’autorité urbaine. Les enquêtes ne sont pas
menées, et lorsqu’elles le sont, elles n’aboutissent jamais. Le procès pour assassinat du
Chef de travaux Christian Gakuru de l’université de Goma, (par un motard qui le ramenait
chez lui), le samedi 16 avril n’a jamais rendu ses conclusions. Concernant le meurtre du
Professeur Alexis Tshimombo de l’ISTA/Ndolo, visiteur à l’ULPGL, en février 2019,
l’autorité urbaine a affirmé ceci : ‘’ les enquêtes sont en cours, deux suspects ont été
arrêtés294’’, mais jusqu’aujourd’hui la question est restée lettre morte. Face à cette
situation, la communauté estudiantine de la ville constate un silence de l’Etat même
lorsqu’on tue les scientifiques295.

Conscient que la sécurité à Goma et dans le Nord-Kivu dépasse la compétence


des seules autorités provinciales et urbaines, le Chef de l’Etat a décrété l’état de siège
dans le Nord-Kivu et en Ituri à partir du 3 mai 2021. Cette mesure exceptionnelle
permettrait au gouvernement central de gérer l’enjeu sécuritaire provincial et urbaine qui a
une dimension sous régionale. La mesure de l’état de siège démontre qu’il y a un énorme
problème à l’est de la RDC. Il faudra faire suivre cette décision par des actions bien
réfléchies et planifiées pour ne pas avoir le même problème d’ici cinq ans296.

2) Absence d’une police de proximité

La police de proximité est une approche de gestion et de fonctionnement de


la police qui vise à assurer un rapprochement entre les services de la police et la
population297. Elle doit tenir compte du nombre d’habitants par quartier ainsi que des
zones considérées comme dangereuses (zone rouge de la ville) en vue d’assurer une
bonne répartition des effectifs de la police.

294
Africa News, Les autorités sommées de faire la lumière sur la mort d’un professeur d’université à Goma, 13 Février
2019.
295
Idem.
296
Réaction du Président Rwandais Paul Kagame sur la décision du Chef de l’Etat congolais de mettre sous
état de siège les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri.( RFI et France 24, Mardi 18 Mai 2021).
297
Entretien avec un officier supérieur de la PNC Nord-Kivu ayant requis l’anonymat, Goma 14 juillet 2022.
101

La ville de Goma compte deux communes avec 18 quartiers. Les 18


quartiers sont Himbi, les volcans, Mabanga sud, Mabanga Nord, Majengo, Katindo,
Mugunga, Lac vert, Kyeshero, Murara, Kahembe, Katoyi, Kasika, Virunga, Ndosho,
Mikeno, Bujovu et Mapendo298. Ces quartiers ont une densité de la population qui va en
croissant. Malheureusement, tous les quartiers n’ont pas de postes de police. Quand ils
existent, ils sont dépourvus de la logistique et des effectifs nécessaires pour faire face aux
cas d’insécurité. Le quartier Kyeshero est le plus peuplé de la ville de Goma. Il a une
population qui s’élève à 200 000 habitants, un seul poste de police avec 10 hommes pour
des patrouilles nocturnes299.

Tableau n° 12: Population par quartier et effectif de police à Goma


Commune Quartier Population Nombre des policiers
déployés
Goma Les volcans 17 726 habitants 2 à 5 policiers
Himbi 84 051 habitants 2 à 5 policiers
Katindo 35 049 habitants 2 à 5 policiers
Keshero 119 255 habitants 24 policiers
Mapendo 33 739 habitants 2 à 5 policiers
Lac vert 15 776 habitants 2 à 5 policiers
Mikeno 34 242 habitants 2 à 5 policiers
Karisimbi Mabanga Nord 44 964 habitants 2 à 5 policiers
Mabanga Sud 63 676 habitants 2 à 5 policiers
Majengo 104 939 habitants 2 à 5 policiers
Murara 38 420 habitants 2 à 5 policiers
Kahembe 28 560 habitants 2 à 5 policiers
Bujovu 48 846 habitants 2 à 5 policiers
Katoyi 127 201 habitants 2 à 5 policiers

298
Rapport d’activités de la Mairie de Goma, 2020.
299
Entretien avec un officier supérieur de la PNC Nord-Kivu ayant requis l’anonymat, Goma 14 juillet 2022.
102

Kasika 72 000 habitants 2 à 5 policiers


Virunga 25 053 habitants 2 à 5 policiers
Ndosho 150 890 habitants 2 à 5 policiers
Mugunga 30 570 habitants 2 à 5 policiers
Total 1 074 957 habitants 36 à 109 policiers

Source : Mairie de la ville de Goma (2020) amélioré par nous quant à l’effectif des policiers

3) Immobilisme face à l’extension du territoire de Nyiragongo vers Goma

Le territoire de Nyiragongo est l’un des six territoires que compte la province
du Nord-Kivu. Il possède une seule chefferie, la collectivité chefferie de Bukumu. Il est
limité au nord par la chefferie de Bwisha (territoire de Rutshuru), au sud par la commune
de Karisimbi (ville de Goma), à l'est par le Rwanda, à l'ouest par le parc national de
Virunga. Nyiragongo est dépourvu de l'eau de surface. Ses habitants sont obligés de
parcourir de longues distances pour chercher de l’eau à Goma.

Depuis 15 ans, plusieurs villages de la chefferie de Bukumu se déversent sur


Goma tout en gardant le statut de zone rurale. On observe également une diversification
de la population de ces villages qui n’est plus exclusivement de l’éthnie Kumu. Avec
l’afflux majeur des populations venant principalement de Masisi, de Rutshuru, de Lubero
et du Sud-Kivu, ces villages du teritoire de Nyiragongo s’urbanisent tout en étant
rattachés au territoire Nyiragongo. Le territoire de Nyiragongo possède une population de
200 000 habitants qui fréquentent régulièrement la ville de Goma pour les besoins de
survie.
103

Tableau n°13 : Population du territoire de Nyiragongo par groupement


GROUPEMENTS Hommes Femmes Garcons Filles Total
BUHUMBA 1 283 1 403 2 332 2 637 7 785
BUVIRA 592 655 1 450 1 855 4 557
KIBATI 1 880 1 754 3 058 3 008 9 710
KIBUMBA 1 683 2 124 4 284 4 569 12 652
MUNIGI 3 654 2 918 7 232 7 232 21 126
MUDJA 3 489 3 832 7 347 8 367 23 035
RUSAYU 592 892 808 743 2 975
Total Chefferie 13 113 13 705 20 629 28 472 81 815

Rapport d’activité du territoire de Nyiragongo, 2011.

Le rattachement de fait de Turunga, Buhene, Bugamba, Kanyanza, Mudja,


Ngangi, Kiziba à la ville de Goma pose un problème d’administration à l’autorité urbaine.
Avec une population, en croissance, sans augmentation des effectifs de police, ces
villages deviennent des sources d’insécurité permanente pour la ville de Goma.

Tableau n° 14 : Villages du territoire de Nyiragongo rattachés de fait à la ville Goma


Nom du Chefferie
village
Mudja Bukumu
Buhamba Bukumu
Kanyanza Bukumu
Ngangi 1, 2, 3 Bukumu
Buhene Bukumu
Turunga Bukumu
Bukumu

Source : Nos recherches

Il existe un lien entre l’insécurité à Goma et la sous-administration des villages


de Buhene, Turunga, Mudja, Kanyanza et Ngangi. Ces agglomérations sont devenues des
104

poches de résistance à l’autorité urbaine à Goma. Toutes les actions de revendication et de


manifestation violente ont comme point de départ Turunga et Buhene. Plusieurs cas
d’insécurité et de banditisme urbain proviennent de Buhene et Turunga300.

Du point de vue administratif, ces entités sont « apatrides ». Elles ne sont ni


contrôlées par le Mwami, ni administrées par le maire de la ville de Goma. Malgré la
sensibilité sécuritaire de ces entités, les services de la police y sont moins présents. Par
moment, la population assure elle-même sa sécurité par l’entremise des jeunes du quartier.
Etant donné que la mission de la PNC est nationale, elle est obligée d’être prévoyante et
réactive301.

En début 2021, un conflit sanglant éclate à Buhene entre les populations Kumu
et Nande. Les Nande qui sont considérés par les Kumu du territoire de Nyiragongo
comme ‘’ bakuya-kuya’’ (non autochtones) avaient organisé les manifestations contre la
Monusco. La manifestation fut tribalisée et politisée au point d’être considérée comme
une affaire des Nande. Ce fut un conflit tribal qui occasionna des morts et des blessés302.
Lorsque le Gouverneur de Province Carly Nzanzu voulut s’y rendre pour calmer la
situation, il fut bloqué par une résistance populaire. C’était une preuve devant toute la
province que Buhene n’est pas administré. Seul l’éruption volcanique de mai 2021 a mis
fin à ce conflit303.

IV.3 : Bref regard sur la situation sécuritaire de Gisenyi


Depuis la réforme administrative intervenu au Rwanda en 2006, Gisenyi est un
secteur du district de Rubavu, province de l’Ouest. Frontalière avec la ville de Goma, elle
est construite aux pieds des volcans de la chaine de Virunga. Avant et après la réforme de
2006, Gisenyi conserve son statut de chef-lieu de la province et capitale du district de

300
Entretien avec le Colonel Job Alisa, Commandant PNC ville de Goma, 14 juillet 2022.
301
Idem.
302
Entretien réalisé avec un notable du village de Buhene ayant requis l’anonymat, Janvier 2023.
303
Idem.
105

Rubavu. Aujourd’hui elle est intégrée avec les anciennes provinces de Cyagungu et de
Kibuye dans la province de l’ouest304.

Cette ville du Rwanda connaît une histoire sécuritaire tumultueuse. En 1994,


les organisateurs du génocide rwandais s’y sont repliés avant de rejoindre la RDC.
Lorsque le FPR attaque le Rwanda en 1990, les premiers signes du génocide des Tutsi se
font sentir à Gisenyi. A cette époque, les responsables politiques du Rwanda sont en
majorité originaires de Gisenyi. Le président Juvenal Habyarimana, son épouse Agathe
Habyarimana, le colonel Théoneste Bagosora considéré comme le « cerveau du
génocide », sont originaires de Gisenyi305.

Quand l’avion du président Habyarimana est abattu le 6 avril 1994, le


gouvernement intérimaire est composé des originaires de Gisenyi. C’est eux qui
commandent et supervisent les massacres des Tutsi et des Hutu modérés. En juin 1994,
c’est à Gisenyi que se réfugie le gouvernement intérimaire face à l’avancée du FPR. Plus
de 1 million des populations s’y réfugient avant de rejoindre Goma306.

Malgré cette histoire compliquée, Gisenyi s’est reconstitué, pansant ses plaies
du génocide et de l’insécurité. Gisenyi est une petite ville paisible. Pas de banditisme
urbain, pas de tracasseries policières. Chacun est chez soi et personne ne peut inquiéter la
sécurité des habitants307. La population de Gisenyi est estimée à plus de 100 000
personnes en 2021308, soit moins de 10% de la population gomatracienne.

La situation sécuritaire du secteur de Gisenyi n’est pas la meilleure, mais elle


est contrôlée et maitrisée. L’Etat est présent partout, ce qui réduit le risque de l’insécurité.
Les congolais qui sont à Gisenyi sont en sécurité, car on peut se promener à n’importe

304
Carte géographique de Gisenyi, [en ligne] : http//www.mapnall.com, consulté en février 2023.
305
M. Malagardis, op.cit. p.1.
306
M. Malagardis, op.cit. p.1.
307
Témoignage recueillis auprès d’un rwandais ayant gardé l’anonyme, Gisenyi, janvier2023.
308
Gisenyi, Rwanda-statistics, [en ligne] : https : www. ZhjiWorld.com. Consulté en Mars 2023.
106

quel moment de la nuit309. Je n’ai jamais entendu un cas de cambriolage d’une maison ici
à Gisenyi310.

Ce climat de paix est le résultat d’un programme de gouvernance et de


leadership transformationnel prôné par les autorités locales en vue de réconcilier les
communautés locales. Ce programme s’étend sur 6 ans et axé sur 10 priorités :

- Promouvoir l'unité et la réconciliation entre les Rwandais à travers « "Ndi


Umunyarwanda et abarinzi b'igihango » (rencontre entre le rwandais et l’agent de
sécurité) qui sont menées dans tous les villages du district de Rubavu ;
- Renforcer et promouvoir l'égalité des sexes en augmentant le nombre de projets et
programmes genre de 5 à 47 d'ici 2024 ;
- Promouvoir la paix et la sécurité en renforçant la police communautaire et la
prévention de la criminalité. Cela se fait par la formation des membres de la police
communautaire ;
- Initier des patrouilles professionnelles (irondo ry'umwuga) et les équiper des
infrastructures de travail, des uniformes et des voitures de patrouille, entre autres ;
- Redynamiser les campagnes de lutte contre la drogue et la criminalité et l’érection
des commissariats de police dans chaque secteur ;
- Œuvrer pour l'unité des Africains et le développement de la région en organisant
des rencontres avec des autorités des pays voisins ;
- Respect des droits de l'homme et des libertés civiles en promouvant des alternatives
règlement des différends par la formation des comités de médiation (abunzi) ;
- Intensifier la lutte contre la corruption et l'idéologie du génocide à tous les niveaux
en créant des clubs anti-corruption pour la paix et l'unité ainsi que des campagnes de
sensibilisation et construction de centre de développement "Ubutore" ;
- Renforcer la responsabilité et la productivité des institutions publiques et le service
en ligne par la construction des bureaux de l’Etat dans tous les secteurs et

309
Entretien avec un congolais résident à Gisenyi, novembre 2022.
310
Idem.
107

rendre possible la livraison des services publics en ligne, s'assurer que tous les
projets à mettre en œuvre disposent d'études de faisabilité ;
- Renforcer les clusters fonctionnels, c'est-à-dire toutes les parties prenantes du district
en vue d’augmenter les revenus propres du district grâce à l'application de la
nouvelle taxe foncière ;
- Augmenter la participation, l’engagement et les partenariats des citoyens dans le
développement du pays.

Ces mesures sont renforcées par les stratégies de la décentralisation locale et


facilitent l’action du pouvoir public dans les communautés locales. La sécurité locale
commence à partir du chef de cinq maisons, passe par celui de 10 maisons, jusque chez le
chef de secteur en passant par le chef du village.

Le chef de dix maisons contrôle tout mouvement des entrées et des sorties dans
sa petite circonscription. S’il y a un nouveau venu dans une famille, le chef de famille
devra informer le chef de cellule de l’identité, du lieu de provenance et de la durée du
séjour du nouveau venu. C’est à partir de la base que la sécurité est construite à Gisenyi.
Tout commence par le chef de 5 maisons appelé Isibo. Celui-ci se charge de la sécurité à
la base. Il a un comité composé de trois personnes dont un chargé de sécurité, un chargé
de l’information et un chargé du social. De son côté il donne rapport au chef de dix
maisons (Nyumba kumi appelé encore Umudugudu). Celui-ci a aussi un comité composé
d’un chargé de la sécurité, un chargé de l’information et un chargé du social311.

Cependant, Gisenyi demeure une ville sous surveillance et l’une de plus


dangereuse aux yeux des autorités rwandaises. Le Rwanda y renforce régulièrement la
sécurité à cause de sa proximité avec Goma et des incidents au niveau des frontières 312.
Quelques cas isolés de banditisme et de vol urbain sont toujours mentionnés à Gisenyi313.

311
Entretien réalisé avec un congolais habitant au Rwanda ayant requis l’anonymat, 26 décembre 2022.
312
Observations lors de nos traversées de Goma vers Gisenyi.
313
Entretien réalisé avec un congolais résident à Gisenyi, Gisenyi, 2022.
108

Chapitre V :
LES POLITIQUES SOCIALES A GOMA ET LES MIGRATIONS
TRANSFRONTALIERES ALTERNANTES
« J’habite Gisenyi depuis six ans, j’étais
encore étudiant quand j’ai emménagé ici. Je ne suis
pas prêt d’habiter à nouveau au Congo, car le
gouvernement congolais n’arrive pas à réunir toutes
les conditions sociales pouvant nous empêcher
d’envier la ville de Gisenyi. Même si le
gouvernement congolais fermait la frontière à
12H00 je resterais ici à Gisenyi et travaillerais à mi-
temps à Goma. J’y étais resté comme ça quand la
même frontière fermait à 18H00. 314. »

Ce chapitre questionne les politiques sociales de la ville de Goma en vue d’en


déceler la corrélation avec les migrations transfrontalières alternantes entre Goma et
Gisenyi. En effet, malgré le climat politique et diplomatique précaire entre la RDC et le
Rwanda, le coût du loyer, l’accès à l’eau et à l’électricité attirent certains congolais dans
la ville frontalière de Gisenyi.

La première section de ce chapitre est consacrée à l’examen de la politique de


logement, la deuxième analyse la politique d’adduction d’eau dans la ville de Goma. La
troisième quant à elle, se consacre à la politique d’électricité à Goma.

314
Déclaration d’un congolais habitant à Gisenyi cité par Kabega, La ville de Goma perd ses habitants au profit de
Gisenyi, article disponible [ligne] : https://habarirdc.net/ville-de-goma-perd-ses-habitants-profit-gisenyi-
rwanda/ consulté le 5 Janvier 2020.
109

V.1 : Non application de la politique de logement à Goma


La politique sociale de logement englobe l’ensemble des mesures et des efforts
visant à améliorer les conditions d’habitat et d’habitation en vue de promouvoir les
logements décents et améliorer l’accès au logement à tous les citoyens membres de la
collectivité. La politique du logement a comme principal objectif d’aider les membres de
la collectivité à disposer d’un logement qui correspond à la fois à leurs besoins et à leurs
capacités financières315. A cet objectif essentiel sont associés d’autres buts notamment la
facilitation de l’accession à la propriété par les habitants, la promotion de la mixité ou la
diversité sociale ainsi que l’amélioration des sources d’énergie316.

Tenant compte de ces objectifs, nous pensons que la politique de logement est
l’ensemble des règles fixant les conditions d’habitation et de résidence des citoyens, à
identifier les besoins en logement et d’hébergement des membres de la communauté, ainsi
qu’à déterminer la nature des rapports bailleurs/locataires au sein de la collectivité.

La politique de logement est une politique publique. A ce titre elle doit être
décrite dans un programme qui définit clairement les conditions de son organisation. Elle
doit également préciser la qualité du citoyen ou de la personne qui peut en bénéficier, les
droits et les devoirs réciproques du bailleur et du locataire.

Pour être efficace, elle doit être codifiée, c’est-à-dire être circonscrite dans une
loi ou un règlement. Pour son application efficace elle doit être déléguée aux autorités
locales dans le cadre de la décentralisation. Pour plus d’efficacité, elle doit faire l’objet
d’un partenariat public-privé pour encourager l’investissement et l’initiative privée.

En République Démocratique du Congo la politique du logement est définie


par le ministère de l’urbanisme et de l’habitat. Elle est règlementée par 4 textes
juridiques :

- La loi n° 15/025 du 31 décembre 2015 relative aux baux à loyer non professionnel ;

315
B. Rolland, les politiques de logement en France, l’OCDE, 30 Mai 2011, [en ligne] : l’adresse https://www.oecd-
ilibrary.org/docserver/5kgc42svvr5f-fr.pdf?, consulté le 16 Décembre 2020.
316
Idem.
110

- La loi n° 15/003 du 12 février 2015 relative au crédit-bail ;


- L’Arrêté ministériel n° 052/CAB/MIN-UH/2018 portant instauration d’un contrat
de bail type en République Démocratique du Congo ;
- L’Arrêté ministériel n° 015/CAB/MIN.URB-HAB/LSIL/2007 du 28 septembre
2007 scindant les services des divisions provinciales du ministère de l’urbanisme et
de l’habitat ;
- Le Décret n°18/033 portant création, organisation et fonctionnement d’un
établissement public dénommé Fonds national de l’habitat en sigle « Fonhab ».

Le problème de la politique de logement à Goma est lié à son applicabilité. Cette


faiblesse se traduit sur le terrain par l’ignorance de la législation en matière de logement
ainsi que le coût du loyer qui devient un avantage pour Gisenyi.

1) L’ignorance de la législation en matière de logement

Mimi X nimepokea pesa 300dol. (trois cents dollars


américains) toka ndugu Y, na hizo pesa ni za miezi sita
6 (sita) yaani kuanziya le 06/6/2020 mpaka le
06/12/2020...Mimi X na pokeya tena 5 mois kwa bwana
Y, 250 dol (deux cents cinquante dollars)317.

Bien que l’entente entre le bailleur et le locataire soit libre, les parties ignorent
les dispositions légales en la matière. La loi n°15/025 du 31 décembre 2015 relative aux
baux à loyer non professionnels exige que le contrat ainsi conclu détienne le visa de la
division provinciale de l’habitat. Le bail est un acte écrit, librement conclu par les parties
établi soit par acte notarié soit par acte sous seing privé318.

Cette disposition est en souffrance à Goma pour deux raisons majeures : la


culture de bail à l’oralité et le non enregistrement du contrat au service de l’urbanisme tel
que l’exige l’alinéa 2 à l’article 3 de la loi précitée. Cette situation tient à l’ignorance de la
loi et au manque de vulgarisation des textes légaux en la matière.
317
Contrat de bail entre un locataire et un bailleur à Goma, consulté en février2022.
318
Article 15 de la loi n° 15/025 du 31 décembre 2015 relative aux baux à loyer non professionnels.
111

Lorsque j’ai loué la maison pour la première fois, le


bailleur m’a dit que le coût du loyer s’élevait à 70
dollars le mois. J’ai remis la garantie locative de 6
mois au bailleur qui n’était pas sur place. Il m’a fait
ensuite un sms me précisant qu’il a reçu la garantie
locative. Quelques temps après, j’ai aménagé dans la
maison. On devait faire une décharge mais on ne l’a
plus fait. Je ne connaissais pas toutes les dispositions
légales en la matière319.

La loi N° 15/025 du 31 décembre 2015 relative aux beaux à loyer non


professionnels définit clairement les droits et les obligations des deux parties (le bailleur
et le locataire appelé aussi preneur). Le loyer, les modalités de son paiement, les pierres
d’achoppement dans les rapports entre les parties, y sont clairement définis. Elle impose
aussi la procédure de conciliation comme préalable à tout règlement judiciaire.

L’article 3 de la loi précitée fixe la forme du bail ou du contrat de bail. Il est


défini comme un acte écrit, librement conclu par les parties, établi soit par acte notarié
soit par acte sous seing privé. L’alinéa 2 de l’article précise que dans les trente jours de sa
conclusion ou en cas d’avenant, les parties au bail ou le cas échéant l’agence immobilière,
présentent en trois exemplaires le contrat ou toute modification pour enregistrement au
service compétent.

Aux termes de l’arrêté ministériel n° 015/CAB/MIN.URB-HAB/LSIL/2007 du


28 septembre 2007 scindant les services des divisions provinciales du ministère de
l’urbanisme et de l’habitat ; la division de l’habitat par son bureau Habitat est chargé de la
fourniture des éléments nécessaires relatifs à la politique de l’habitat.

Il s’agit du recensement des besoins en logements sociaux, les opérations


immobilières, la promotion de l’assistance à l’auto-construction, l’inventaire des agences

319
Déclaration d’un locataire qui a aménagé une maison dans le quartier Himbi en fin 2015.
112

immobilières et des producteurs des matériaux de construction, le suivi de la bonne


exécution de la législation en matière des baux à loyer.

Par ailleurs, par son bureau de la gestion immobilière, la division de l’habitat


est aussi chargé de la gestion des immeubles du domaine privé de l’Etat, la tenue des
statistiques et du recensement des maisons en location, le recouvrement des loyers, les
expertises des immeubles en location ainsi que leur entretien et maintenance, l’examen
des demandes de logement et de préparation des projets de contrats320.

Le rapport Habitat de la République Démocratique du Congo de 2015, précise


qu’autrefois les institutions bancaires octroyaient les crédits pour renforcer et améliorer
l’accès au financement du logement des populations dans toutes les villes congolaises ;
mais aujourd’hui, malgré la prolifération des banques, cette politique n’existe plus.

Le logement est produit par l’auto-construction non assistée par le pouvoir


public. Seul l’emploi salarié reste la principale source de financement de l’habitat
individuel. Il n’existe plus en RDC de filière organisée pour la production de logements
sociaux. Celle-ci, laissée à l’initiative individuelle des ménages, se fait par plusieurs
stratégies populaires d’auto-construction.321

2) Faiblesse du contrôle étatique sur les baux à loyer résidentiel

La faiblesse du contrôle public sur les baux à loyer résidentiel se manifeste par
cinq indices :

- Le non-respect du montant légal pour la garantie locative ;

- La culture de l’auto-construction ;

- Le non-respect du caractère écrit du contrat de bail ;

- L’absence du visa de l’Etat sur le contrat de bail ( là où il existe) ;

320
Arrêté ministériel n° 015/CAB/MIN.URB-HAB/LSIL/2007 du 28 Septembre 2007 scindant les services
des divisions provinciales du ministère de l’urbanisme et de l’habitat.
321
Ministère de l’aménagement du territoire, urbanisme et habitat, Habitat III R.D.Congo, Rapport final,
Kinshasa, octobre 2015, p.32.
113

- Le coût élevé du loyer par rapport à Gisenyi ;

a) Le non-respect du montant légal de la garantie locative

Le montant légal de la garantie locative doit être proportionnel à trois mois du


loyer pour le bail résidentiel322. Cette disposition n’est pas appliquée dans la plupart des
cas à Goma. Le preneur (locataire) se soumet à la volonté du bailleur. Celui-ci fixe la
garantie locative à 6 mois de loyer323. Cependant, certains contrats conclus pour les
habitations du centre-ville respectent le montant de trois mois pour la garantie locative324.

b) La culture de l’auto-construction

L’auto-construction consiste à l’érection des résidences à volonté sans aucune


orientation de l’Etat. A Goma, chacun construit comme il veut, selon ses moyens et selon
les dimensions de sa parcelle. A l’absence d’une politique de logement, les habitants de
la ville de Goma développent une culture d’auto-construction325.

c) Le non-respect du caractère écrit du contrat de bail

La loi n° 15/025 du 31 décembre 2015 insiste sur le caractère écrit du contrat


de bail326. Plusieurs locataires à Goma n’ont pas de contrat de bail écrit. Certains se
contentent d’une simple entente verbale, d’autres demandent seulement au bailleur une
petite décharge où il reconnait avoir perçu une somme d’argent de la part du locataire.

d) Absence de visa de l’Etat sur le contrat de bail

Le modèle du contrat de bail est déterminé par l’Arrêté ministériel n°


052/CAB/MIN-UH/2018 portant instauration d’un contrat de bail type en République
Démocratique du Congo. Ce modèle de contrat fixe la nature des relations entre le
bailleur et le locataire, les modalités de la garantie locative, le prix du loyer, les modalités
de résiliation du contrat de bail.

322
Article 18 de la loi n° 15/025 du 31 décembre 2015 relative aux baux à loyer non professionnels.
323
Témoignage d’un ancien locataire à Goma, décembre 2022.
324
Observation faite auprès d’un bailleur du centre ville, 2015.
325
Entretien réalisé avec Mr Claude Kifutwe, chef de bureau Habitat à la division provinciale de l’Habitat à
Goma, le 21 décembre 2020.
326
Article 3 de la loi n°15/025 du 31 décembre 2015 relative aux baux à loyer non professionnel.
114

L’article 3 de la loi n° 15/025 du 31 décembre 2015 relative aux baux à loyer


non professionnels demande aux parties contractantes endéans 30 jours de faire
enregistrer le contrat de bail aux services compétents. Aux termes de l’article 5 de
l’arrêté ministériel n° 015/CAB/MIN.URB-HAB/LSIL/2007 du 28 septembre 2007
scindant les services des divisions provinciales du ministère de l’urbanisme et habitat ;
cette compétence est dévolue à la division provinciale de l’habitat.

Elle vérifie si le contrat conclu par les parties est conforme à la loi en vigueur
en RDC. Cependant, les bailleurs et les locataires n’enregistrent pas leurs contrats. Cette
situation serait due soit à l’ignorance soit à une volonté de se soustraire à la justice de la
part du bailleur et du locataire327.

e) Coût élevé du loyer à Goma

Au sujet du prix du loyer, nous constatons que les prix du loyer sont élevés à
Goma. L’observation de la situation des loyers à Goma nous conduit à faire la
catégorisation suivante par rapport au loyer à Goma :

- Les loyers de la première catégorie peuvent être situés dans le centre-ville


et dans le quartier Katindo gauche au bord du lac sur la route Musée (Njia
ya Chini) ;
- Les loyers de deuxième rang peuvent être situés dans le quartier Himbi
ainsi qu’à Katindo gauche entre njia ya Chini et la Route Sake ;
- Les loyers de troisième rang sont à situer dans les quartiers Kyeshero,
Mabanga Nord et Mabanga Sud ;
- Les loyers de quatrième rang sont à situer dans les quartiers Katoyi,
Mugunga et Turunga.

327
Entretien réalisé avec Mr Claude Kifutwe, chef de bureau Habitat à la division provinciale de l’Habitat à
Goma, le 21 décembre 2020.
115

Tableau n° 15 : Catégorisation des loyers à Goma


Catégorie du loyer Quartiers Nature/Qualité de la Estimation du
maison prix du loyer
1ère Catégorie Centre-ville de Goma, et Maison en dur, Villa 250 dollars à 1000
route Musée au bord du ou appartement dollars
lac
2ème Catégorie Q. Himbi et Q. Katindo Maison en dur, villa, 80 dollars à 600
Gauche appartement, maison dollars
en planches
3ème Catégorie Q. Kyeshero, Mabanga Maison en dur ou 50 dollars à 200
Nord et Mabanga Sud Maison en planches dollars
4ème Catégorie Q. Katoyi, Q. Mugunga Maison en dur ou en 20 dollars à 200
et Turunga planches dollars

Source : Nos recherches

Les entretiens que nous avons réalisés à ce sujet auprès des congolais qui
habitent à Gisenyi nous présentent une situation différente à Gisenyi.

3) La politique de logement à Gisenyi

 Une politique de logement progressiste

La politique de logement progressiste insiste sur la construction des logements


avec un minimum d’hygiène. Ces constructions doivent être en dur avec des installations
hygiéniques à l’intérieur. La salle de bain, la toilette doivent répondre à un minimum de
bien-être. L’eau doit être permanente et chaque ménage doit être abonné à un système
d’évacuation des immondices et des ordures ménagères.

Selon les Actes de la Conférence Nationale sur la réduction de la pauvreté et la


bonne gouvernance face aux défis de l’urbanisation durable et du logement au Rwanda,
l’urbanisation accélérée, non planifiée et non maîtrisée a déséquilibré l’armature urbaine.
116

Elle concentre à Kigali, la capitale, près de 45% de la population urbaine et


70% des activités de production de richesse et a considérablement affaibli le niveau de
desserte des services de base qui sont devenus médiocres. Près de 80% de la population
vit dans des quartiers précaires328.

Selon la définition de ONU-HABITAT, la population est dite habiter un


quartier précaire, si : (i) elle n’a pas accès à l’eau potable, (ii) elle n’a pas accès à
l’assainissement, (iii) elle habite une structure non permanente, (iv) elle ne dispose pas de
suffisamment d’espace par personne, (v) elle ne jouit pas de la sécurité résidentielle.

Cette précarité accentue le phénomène de pauvreté dans ces quartiers. En effet,


41,5 % des ménages des centres urbains secondaires vivaient, sous le seuil de la pauvreté,
en 2005. Les principales causes de cette pauvreté urbaine sont (i) les faiblesses
institutionnelles, (ii) l’insuffisance des investissements en infrastructures, (iii) l’absence
d’une planification économique qui intègre le développement urbain dans sa globalité.
Face à ce défi, le Gouvernement s’est doté d’une stratégie du secteur "urbanisme et
habitat" qui vise, entre autre objectifs, la réhabilitation des quartiers communément
appelés "utujagari", variablement qualifiés de précaires, illégaux, non cadastrés,
spontanés, informels, anarchiques, etc329.

La politique du logement de la ville de Gisenyi se trouve dans le document du


gouvernement Rwandais appelé vision 2020. Cette vision consiste à faire du Rwanda un
pays où plus de 30% de la population est concentré dans les villes avec un taux de 60%
d’accès à la sécurité résidentielle, où les ressources naturelles sont rationnellement gérées,
les terres protégées contre l’érosion et toute autre forme de dégradation, où
l’assainissement a réduit le taux des maladies liées à la dégradation de l’environnement.

Cette vision nécessite que, déjà en 2010, chaque ville ait un schéma
directeur d’aménagement urbain (SDAU) à jour et des plans particuliers d’aménagement

328
Gouvernement du Rwanda, PNUD et UN Habitat, Document d’amélioration des quartiers précaires des villes de
Karongi et de Rusizi en Province de l’Ouest, Gouvernement du Rwanda, 2010, p.1.
329
Idem.
117

ainsi que des infrastructures de base réalisées dans la plupart de ses quartiers 330.Cette
politique a permis à la ville de Gisenyi de promouvoir une politique de logement
progressiste qui insiste sur une catégorie des constructions avec un minimum d’hygiène
(cuisine, installations hygiéniques adéquates à l’intérieur de la maison).

f) Le contrat de bail, une exigence pour le loyer à Gisenyi

Selon les données que nous avons recueillies auprès des résidents à Gisenyi,
dès qu’il y a entente entre le bailleur et le locataire ils préparent un contrat qu’ils signent.
Ils vont ensuite le présenter au Chef de quartier/chef du village (umudugudu) qui y appose
son visa. Le processus avance jusque chez le chef de la commune qui y appose également
son visa.

C’est alors que le locataire peut aller présenter le contrat à l’ambassade de la


RDC au Rwanda pour obtenir un visa de résidence331. Cette exigence permet à ce que le
locataire soit protégé contre le changement sans raison du montant du bail par le bailleur.
Le bailleur ne peut pas revoir le prix du bail à son gré.

g) Des prix des loyers abordables

Comparativement à Goma, la situation des loyers paraît abordable à Gisenyi.


Les maisons du même standing ont un prix réduit de moitié par rapport à Goma. Le
tableau suivant nous présente les estimations du loyer selon les zones (quartiers) de
Gisenyi.

330
Gouvernement du Rwanda, PNUD et UN Habitat, op.cit. p.3.
331
Interviews réalisés avec quelques résidents congolais à Gisenyi en décembre 2020
118

Tableau n° 16 : Catégorisation des loyers à Gisenyi


Catégorie du Quartiers Nature/Qualité de Estimation du prix du

loyer la maison loyer/mois

1ère Catégorie Quartier RCD Maison en dur, 150 à 250 dollars


Villa ou
appartement
2ème Catégorie Quartier Majengo Maison en dur 50 à 100 dollars
moins luxueuse
3ème Catégorie Quartier Mbungari Maison simplement 30 à 50 dollars
habitable
4ème Catégorie Quartier Mudugudu Maison simplement 15 à 30 dollars
habitable

Source : Nos recherches

V.2 : Absence d’une politique de l’eau à Goma


Lors du recensement scientifique de juillet 1984, la zone de Goma comptait
118.984 habitants332. Au moment de l’érection de la zone de Goma en ville (par
l’ordonnance-loi n° 88-031 du 20 juillet 1988), la ville n’a pas 200 000 habitants. C’est au
début de 1980, qu’une première station de la Regideso est érigée à Goma.

La ville de Goma a alors un seul robinet (chez Mako) situé à Birere près de la
Mosquée. Le quartier Birere qui était le plus peuplé n’avait aucun autre robinet. Cette
situation nous révèle l’absence d’une politique de l’eau dès l’installation des
infrastructures de la Régideso à Goma. Seul le quartier office appelé Brazza avait des
robinets mais à usage domestique333.

332
République du Zaïre, Recensement scientifique de la population, Kinshasa, décembre 1984, p.37.
333
Entretien réalisé avec un ancien habitant de la ville de Goma, 9 février 2023.
119

De nos jours, l’absence de la politique de l’eau à Goma se manifeste par la


faible desserte en eau dans tous les quartiers de la ville ainsi que la faible capacité de
production et de distribution d’eau par la Regideso.

1) Faible desserte en eau à Goma

Goma connaît une pénurie d’eau. Certains quartiers de la ville totaliseront


cinq ans sans être desservis par la Regideso. C’est le cas des quartiers Himbi, Katoy,
Kasika et Mabanga. Au moins 300 000 personnes n’ont pas accès à l’eau potable à
Goma334. La ville de Goma a dix-huit quartiers avec une seule source d’eau : le lac Kivu.
Les installations de la Régideso ne sont plus capables de desservir toute la population.
Elles sont inadaptées, car elles étaient érigées pour une population de près de 200 000
habitants. Aujourd’hui, la ville a près de 1 millions cinq cents d’habitants.

Dès sa création, les habitants de Goma puisaient de l’eau au lac Kivu et à


Gisenyi (Rwanda). Les habitants de Mabanga et Katindo puisaient l’eau au lac Kivu,
tandis que ceux de Birere allaient puiser de l’eau dans la rivière rwandaise connue sous le
nom de Sebeya, à Gisenyi335. Goma n’avait pas d’eau potable. Ce qui justifie la tradition
de la population de Goma à consommer ce qu’on appelle « mayi ya Rwanda » (l’eau du
Rwanda). Cette eau est réputée potable et propre. D’autres ménages à Goma ont
développé un commerce autour du mayi ya Rwanda.

Un bidon de 20 litres d’eau de robinet à Goma (mayi ya lac) coûte 100 francs
congolais, celui de l’eau du Rwanda est à 1000 francs congolais. Pour plusieurs ménages,
l’eau du robinet à Goma est utilisée pour la vaisselle et autres soins ménagers, tandis que
celle du Rwanda est réservée à la boisson. Cette représentation populaire à Goma que
l’eau de Gisenyi est propre pousse certains congolais à habiter à Gisenyi.

334
Déclaration d’un militant de la société civile, Radio Okapi, 4 octobre 2021.
335
Idem.
120

2) Faible capacité de production et de distribution

La Régie de Distribution d’Eau, centre de Goma, exploite l’eau par le pompage


d’eau du lac Kivu qui a un volume total de 569 Km3. Il couvre une surface d’environ
2.700 Km2, avec une profondeur moyenne de 240 m et une profondeur maximale de 489
m. La distribution se fait à partir de trois stations de pompage (station de pompage de
Mont Goma I, station de pompage de Keshero et station de pompage Turquoise). Elle
dispose aussi de deux stations de re-pompage refoulant dans un réseau de 73,6 Km
linéaire (station de re-pompage Tennis, station de re-pompage de Birere)336.

Depuis près de deux décennies, la ville de Goma connaît une pénurie aiguë
d’eau filtrée et nettoyée. Son infrastructure de production et son réseau de distribution
d’eau filtrée et nettoyée se sont avérés dépassés à desservir toute la ville de Goma, de près
de 2 million d’habitants337. La faible distribution d’eau dans la ville de Goma est causée
par l’insuffisance des matériels de la Régideso et le nombre réduit d’abonnés à la
Regideso.

3) L’insuffisance des matériels techniques à la Régideso

La Regideso parvient à desservir la population de la commune de Goma à


cause de sa proximité avec le lac Kivu. Mais la population de la commune de Karisimbi
en pleine croissance est privée des services de la Regideso, se contentant de l’eau de la
pluie ou de l’eau non traitée emmenée par les véhicules ou les vélos.

Dans son rapport d’activité de 2015, la Mairie de la ville de Goma reconnaît


que la REGIDESO n’arrive pas à desservir la population de tous les quartiers de la
Commune de Karisimbi en eau potable. Les quelques bornes fontaines construites dans
les quartiers de Majengo et Katoyi par Mercy Corps, USAID et UKAID n’arrivent pas à

336
E. Muhindo Kambumbu, étude de faisabilité d’une centrale électrique à Gaz méthane en vue d’alimenter les
installations de production d’eau potable de la Régideso/centre de Goma, Mémoire inédit, en ingénierie de l’eau et de
l’environnement, option Electricité, Institut environnementale d’Ingéniérie de l’eau et de l’environnement,
Ouagadougou, Année 2010, p.8.
337
P. Ahadi Senge, Nene Morisho et Aloys Tegera, « La gouvernance de l’eau », in pole Institute, Dossier,
octobre 2020,p.6.
121

satisfaire la demande en eau par la population de ces quartiers. Pendant la saison sèche,
les robinets sèchent et la population ne sait plus à quelle autre solution recourir.

Pour les autres quartiers, Kahembe, Bujovu, une grande partie du quartier
Katoyi, le quartier Mugunga ne sont pas desservis en eau ni par la REGIDESO, ni par
Mercy Corps et ses alliés. Ce qui rend la vie très difficile dans ces quartiers, car l’eau
c’est la vie338. En vue de pallier cette insuffisance d’eau, la Régideso représentant l’Etat
congolais a conclu un partenariat avec l’ONG Mercy Corps en vue de l’érection des
bornes fontaines dans les quartiers qui n’ont pas accès à l’eau.

Selon le Maire Adjoint de la ville de Goma, ce partenariat est d’une grande


utilité pour la ville car Mercy Corps a installé plusieurs réservoirs d’eau (des tanks) dans
la partie nord de la ville (et au Mont Goma pour le Centre-ville de Goma339. Ces travaux
qui ont débuté depuis le mois de novembre 2018 sont en phase intensive dans les
différents chantiers de la ville de Goma à savoir Mont Goma pour la construction d’un
réservoir de 5000 mètres cubes ; Bushara pour la construction d’un réservoir de 5000
mètres cubes ainsi que l’installation de nouveaux tuyaux et les connecter aux tuyaux
existants du réseau de distribution d’eau à Goma340. Selon le chef de service de production
de la Regideso à Goma, cette entreprise entend accroître ses moyens pour desservir toute
la ville sur base de son schéma hydraulique341.

4) Faible taux d’abonnement de la population à la Regideso

La Regideso a pour mission de produire, traiter et distribuer l’eau potable à la


population342. Le nombre d’abonnés à la Regideso pour la ville de Goma s’élevait en 2019
à un total de 17 470 soit près de 25 % du nombre des ménages de la ville343. Entre 2014
et 2019, la Regideso a enregistré plus de 3000 nouveaux abonnés344.

338
Mairie de Goma, Rapport d’activités 2O15, p.129.
339
Entretien réalisé avec le Maire adjoint de la ville de Goma, 22 décembre 2020.
340
Communiqué de presse de Mercy Corps et Regideso , juillet 2019.
341
Entretien réalisé avec le Chef de division production de la Regideso à Goma, juillet 2019.
342
Entretien réalisé avec le chef de service de production de la Regideso à Goma, le 21 décembre 2020.
343
Entretien réalisé avec le chef de service commercial de la Regideso, Goma, décembre 2020.
344
Entretien réalisé avec le chargé des ventes à la Régideso, Goma, 13 Janvier 2021.
122

Tableau n°17 : Evolution du nombre d’abonnés à la Regideso (2014-2019)


Année Nombre d’abonnées
2014 14.575
2015 15. 210
2016 15.589
2017 16.243
2018 16.740
2019 17.470

Source : Tableau constitué à partir des données de la Régideso, 2019

L’abonnement à la Regideso dépend de plusieurs facteurs. Parmi ces facteurs,


nous pouvons faire mention du pouvoir d’achat et de la disponibilité des matériels par la
Regideso.345 Cependant, bien que l’abonnement à la Regideso soit ouvert à tous, plusieurs
personnes préfèrent puiser de l’eau chez les voisins ou aux bornes fontaines du quartier346.

Un autre facteur est le sens que la population donne à la Régideso. Selon


l’observation que nous avions faite à Goma, souvent l’abonnement à la Regideso est
réservé à ceux qui ont un niveau de vie supérieur par rapport à d’autres habitants. Dans le
quartier Birere où nous avions grandi, sur plus de 50 ménages, seulement un ménage était
abonné à la Regideso. Les autres ménages puisaient de l’eau régulièrement auprès du
ménage abonné à la Regideso.

La pénurie d’eau potable demeure un « problème de société » à Goma. Elle a


suscité indignations, blâmes et soulèvements populaires en cette dernière décennie. La
gravité de la situation a occasionné des manifestations des mouvements citoyens qui
désormais inscrivent la question d’eau sur leur agenda. « Goma veut de l’eau »347. Le taux
de desserte d’eau potable à Goma serait de 20%348. Alors que la ville est entourée de cours
d’eau, y compris le lac Kivu, les Gomatraciens ont eu à subir une féroce pénurie d’eau potable

345
Entretien réalisé avec le chargé des ventes à la Régideso, Goma, 13 Janvier 2021.
346
Idem.
347
Slogan du mouvement citoyen LUCHA à Goma pour réclamer de l’eau.
348
Une pétition de 3500 signatures de la population est déposée par la LUCHA au Gouverneur de province en juillet
2014 dans laquelle la population réclame plus d’adduction d’eau dans la ville.
123

durant de longs mois. Il faut des séances de sensibilisation de tous les concitoyens sur le
problème de pénurie chronique d’eau potable, puisque l’accès à l’eau potable est un droit
fondamental de tout citoyen.349.

Encadré 1 : Abonnement à la Regideso à Goma


Pour être abonné à la Regideso, il faut tout d’abord qu’il y ait des extensions des tuyaux de
la Regideso dans votre quartier ou sur votre avenue. Il faut ensuite que le potentiel client
fasse une demande de raccordement à la Regideso moyennant une somme de 200 dollars
américains. Il doit aussi payer la taxe de raccordement d’eau à la Mairie de la ville. Ensuite
l’équipe des experts de la Regideso fait une descente sur terrain pour faire le devis en y
ajoutant les frais de location du compteur de la Regideso. Avant tout raccordement, le
prochain client doit d’abord signer la police d’abonnement qui est un document par lequel le
client reconnait avoir pris connaissance du règlement de la Regideso.
Source : Entretien avec le chargé des ventes à la Regideso Goma , 13 Janvier 2021

V.3 : Absence d’une politique d’électricité à Goma


C’est depuis 1973 que Goma a une première source d’énergie électrique.
Elle est alors alimentée par la centrale thermique de faible intensité érigée aux pieds du
Mont Goma. La centrale est alors placée sous la tutelle de la Direction des Forces de l’Est
dont la base est à Kisangani. En effet, jusqu’en 1972, la SNEL est productrice,
transporteuse et distributrice d’énergie électrique à l’instar d’autres sociétés d’Etat. Ces
sociétés sont la REGIDESO, les Forces de l’Est, les Forces du BAS CONGO, la Société
Générale Zaïroise des Forces Hydro-électriques (SOGEFAR) et la Société Générale
Africaine d’Electricité (SOGELAEC)350.

349
Mvuezolo B., J., « L’apport des mouvements citoyens « Lucha » et « Filimbi » dans la lutte pour la
démocratie en RDC » in Africa drive for democracy, Conférence à Arusha, juillet 2023 ( à paraître).

350
Entretien avec le gestionnaire du personnel de la SNEL, Direction provinciale de Goma, 20 décembre 2022. Voire aussi
Rapport annuel de la SNEL/ Nord-Kivu, exercice 2021.
124

Goma connaît des problèmes sérieux d’alimentation électrique. C’est une


ville qui a connu une urbanisation rapide. Les infrastructures de la SNEL étant inadaptées,
la ville de Goma connaît une faible, voire une minime desserte en électricité. Cette
situation dénote une absence de la politique d’électricité à Goma dont les indicateurs
sont :

- Des sources d’énergie diversifiées mais inadaptées à la croissance de la ville ;


- Une structure administrative inadaptée à l’urbanisation de la ville ;
- Un accroissement du nombre des clients sans accroissement des matériels
stratégiques ;

1) Des sources d’énergie diversifiées mais inadaptées à la croissance de la ville

Au 1er juillet 1984, la population de Goma est estimée à 118.974 habitants351.


La centrale thermique érigée 10 ans plus tôt par le pouvoir public a pour but d’alimenter
une population estimée à 50 000 habitants dans l’hypothèse où la population a connu une
croissance de 50% dans dix ans. A partir du 10 mai 1985, intervient l’inauguration de la
ligne haute tension Katana Ŕ Goma destinée à alimenter la ville à partir de la centrale
hydro-électrique de Ruzizi352.

A partir de cette date, Goma fut alimentée pour la première fois en énergie
électrique produite par la centrale hydroélectrique de Ruzizi 1. C’est alors que l’unité de
Goma fut hissée au rang du centre de distribution de Goma sous la gestion de la SNEL,
Direction Régionale du Kivu ayant son siège à Bukavu. Au début des années 1990, après
l’érection de la centrale hydroélectrique de la Ruzizi 2, Goma fut à nouveau alimentée en
énergie électrique, par son raccordement à la Ruzizi 2353. Cependant, celle-ci ne produit
que 40 méga watt (MW) destiné à alimenter le Rwanda, le Burundi, la ville d’Uvira, la
ville de Bukavu et la ville de Goma. Alors que Goma a besoin de 100 MW pour desservir
la population, elle ne reçoit que 5 à 6 MW.

351
République du Zaïre, Recensement général de la population, juillet 1984, p.37.
352
Rapport annuel de la SNEL/ Nord-Kivu, exercice 2021, p.2.
353
Idem.
125

Le 20 juillet 2009, sur décision du Comité de Gestion de la SNEL à Kinshasa,


la Direction Provinciale du Nord-Kivu fut créée après scission de la Direction Régionale
du Kivu en deux directions provinciales (Nord-Kivu et Sud-Kivu-Maniema).

Avec la loi n° 014/011 du 17 juin 2014 relative au secteur de l’électricité en


République Démocratique du Congo, la production, la distribution et la commercialisation
de l’électricité sont libéralisées. Cette innovation semble avoir produit les effets
escomptés à Goma. En effet, depuis 2021 trois sociétés d’électricité ont vu le jour dans la
ville de Goma.

Il s’agit de la société Virunga énergie, spécialisée dans la production et la


distribution de l’électricité à partir des barrages électriques érigées dans le parc de
Virunga, la société congolaise de distribution d’eau et d’électricité (SOCODEE)
fonctionnant en partenariat avec Virunga énergie et la société Nuru qui produit l’énergie
électrique à base des panneaux solaires.

Tableau n° 18 : Source d’énergie électrique à Goma


Année Source d’énergie Entreprises Estimation de la
responsables population
1973 Centrale Directions des 50 000 habitants
thermique/Goma forces de
l’est/Kisangani
1978 Centrale SNEL/ Direction 70 000 habitants
thermique/Goma générale du Kivu
1985 Ruzizi 1 SNEL/ Direction 120 000 habitants
régionale du Kivu
2009 Ruzizi 1, 2 SNEL/ Direction 1 500 000 habitants
provinciale du
Nord-Kivu
2021 Ruzizi 1 et 2, SNEL/Nord-Kivu, Plus de 1 500 000
centrale de Matebe, Virunga Energie, habitants
Panneau solaire SOCODEE, Nuru.
Source : Nos enquêtes
126

De 1973 à 2021, avec des sources d’énergie diversifiées, Goma a connu des
avancées significatives dans l’électrification de la ville, mais n’a pas réussi à résoudre le
problème d’accès à l’électricité par les ménages ainsi que par les entreprises de la ville. La
SNEL reste le plus grand fournisseur des entreprises publiques, des hôpitaux, des
instances officielles ainsi que de plus de 60% des ménages de la ville. Les nouvelles
entreprises sont bien accueillies par la population, mais ne sont qu’à une phase
préliminaire de leur projet. Leur collaboration avec la SNEL n’est pas encore établie, car
elles se livrent à une concurrence déloyale354.

2) Accroissement du nombre des clients sans infrastructures

Selon le rapport d’activités 2021, la SNEL, centre de Goma dispose des


matériels stratégiques suivants :

- 67 cabines électriques publiques ;


- 1 groupe électrogène pour la ville ;
- Une centrale thermique inactive ;
- 93 km de la moyenne tension ;
- 141 km de basse tension ;
- 22 véhicules ;
- 36 motos355 ;

Ces matériels ne sont pas suffisants au regard de la croissance de la clientèle à


la SNEL Goma. Avec la croissance urbaine à Goma, la clientèle de la SNEL connaît une
croissance rapide.

354
Entretien réalisé avec le chef de centre Gestion technique de la SNEL à Goma, 20 décembre 2022.
355
Rapport annuel de la SNEL/ Nord-Kivu, exercice 2021, p.8.
127

Tableau n° 19 : Evolution nombre des clients de la SNEL/ Goma (1985-2019)


Année Nombre de clients

1985 80 clients

1995 2300 clients

2000 8 840 clients


2014 25 091
2019 30 559

Source : Tableau constitué à partir des données de la SNEL, 2022

La distribution du courant dans la ville de Goma connait de multiples


problèmes étant donné qu’elle n’est pas capable de produire l’énergie électrique
satisfaisante pour tous ses clients au même moment et à toutes les heures, raison pour
laquelle elle procède au délestage en priorisant les points et milieux stratégiques,
notamment les hôpitaux, les usines de la REGIDESO, l’aéroport International de Goma,
la RTNC, entreprises d’intérêt social, économique et sécuritaire, etc356.

La faible desserte en électricité par la SNEL est expliquée par la vétusté des
matériels qui place la ville de Goma dans un système de délestage. Le délestage consiste à
opérer une préférence entre les quartiers, entre les instances officielles et les clients
domestiques dans la desserte en électricité.

Les instances officielles privilégiées à Goma sont :

- Les hôpitaux de la ville ( Hôpital povincial, Hôpital Heal Africa, Hôpital de


Virunga , Hôpital de Kyeshero et Hôpital de Ndosho) ;
- Les prisons ;
- Le bureau et la résidence du gouverneur ;
- Les hôtels ;
- L’aéroport ;

Idem., voire aussi l’entretien réalisé avec le chef de centre Gestion technique de la SNEL à Goma, 20
356

décembre 2022.
128

- L’Assemblée provinciale ;
- L’Hôtel du gouvernement provincial.

La plupart des instances officielles sont prises en charge par l’Etat. Certains
sont dans un régime de collaboration entre l’Etat et l’entreprise concernée et peuvent
bénéficier des exonérations.

3) Une structure administrative inadaptée à l’urbanisation de la ville

Le besoin en électricité de la ville de Goma se pose sous deux volets : non


électrification de certains quartiers ainsi que le système de délestage régulier dans la ville.
Néanmoins, avec la libéralisation du secteur d’électricité, certains quartiers de la ville
accèdent actuellement à l’électricité, même si la SNEL demeure le principal fournisseur
de l’électricité à Goma. En effet, c’est sur elle que la ville de Goma peut compter à long
terme.

Certaines entreprises, jadis abonnées à la SNEL, ont tenté de rompre avec la


SNEL pour s’abonner aux sociétés privées. Mais, ayant constaté que l’énergie produite
par ces sociétés privées était insuffisante, elles ont de nouveau souscrit leur réabonnement
à la SNEL. C’est le cas de Heal Africa qui est rentré à la SNEL car l’énergie produite par
SOCODEE n’était pas suffisante pour faire fonctionner les matériels de troisième
génération357.

Ayant pour tâche de produire, de transporter et de distribuer l’électricité à


Goma, la SNEL devrait se doter des structures administratives permanentes pour assurer
le contrôle et le bon fonctionnement de ses services. Ses agents sont utiles pour le
recouvrement des factures et pour lutter contre l’utilisation frauduleuse de l’énergie
électrique (kudahula).

L’organigramme de la SNEL/Goma prévoit 656 postes à occuper, mais il n’y a


que 144 agents, soit un taux d’occupation de 21,95 % ; raison pour laquelle la société fait

357
Entretien réalisé avec le chef de centre Gestion technique de la SNEL à Goma, 20 décembre 2022.
129

recours à la main d’œuvre occasionnelle (journaliers) pour l’atteinte des objectifs lui
assignés. L’effectif des journaliers utilisés mensuellement varie entre 80 et 105358.

Tableau n° 20 : Personnel permanent par sexe et par catégorie socioprofessionnelle


en 2021
Sexe Cadre de Cadre de Maîtrise Exécution Total Pourcentage
Direction collaboration

Masculin 02 26 27 40 95 70,84%

Féminin 00 08 07 26 41 29,16%

Total 02 34 34 66 136 100 %

Pourcentage 2,09% 25,70% 25,70% 47,23% 100%

Source : Rapport mensuel de la SNEL/ Goma, novembre 2021.

Ce tableau indique que la SNEL/Goma compte 144 agents permanents dont


ceux de sexe féminin représentent 28,16 % de l’effectif total et les hommes 70,84 %. Le
manque d’effectifs est une des sources de blocage de la SNEL dans le relèvement des
différents défis de l’électrification de la ville de Goma.

358
Rapport annuel de la SNEL/ Nord-Kivu, exercice 2021, p.8.
130

CONCLUSION GENERALE

Les migrations transfrontalières alternantes entre Goma et Gisenyi s’inscrivent


dans la dynamique des échanges transfrontaliers entre les pays de l’espace CEPGL. Ces
échanges qui sont emblématiques pour la sous-région, sont un phénomène social qui
structure la géopolitique régionale. C’est à ce point que les migrations transfrontalières
alternantes entre Goma et Gisenyi ont attiré l’attention de cette étude. Dans un contexte de
crispation du climat politique et de méfiance mutuelle entre la République Démocratique
du Congo et le Rwanda, cette étude a voulu comprendre pourquoi une catégorie des
congolais employés à Goma préfère habite à Gisenyi. Chaque matin, des personnes de
nationalité congolaise préfèrent traverser la frontière pour aller travailler à Goma tout en
élisant leurs domiciles ou résidence à Gisenyi.

Pour aborder ce phénomène, cette étude a scruté les politiques publiques


congolaises à Goma. C’est à ce point que l’hypothèse de cette étude a postulé que l’offre
des politiques sécuritaire et sociale congolaises à Goma serait l’élément moteur qui
explique les migrations transfrontalières alternantes dans ce contexte de crispation du
climat politique et d’intensification des échanges frontaliers entre Goma et Gisenyi.

Au plan méthodologique et théorique, le schéma dynamiste de Georges


Balandier a été d’un apport intellectuel important dans le processus de la compréhension
et de l’explication du phénomène. Abordés dans le cadre de la dynamique des échanges
frontaliers de l’espace CEPGL, les migrations transfrontalières alternantes entre Goma et
Gisenyi ne sont pas un phénomène statique. Elles se construisent dans un contexte social,
économique et politique précis. La démarche dynamiste nous a conduit à considérer les
migrations transfrontalières alternantes Goma-Gisenyi comme une réalité sociale
complexe qui met en évidence les évolutions spatio-temporelles qu’a connu le
phénomène. L’approche séquentielle de l’analyse des politiques publiques nous a été
131

d’une grande utilité dans l’analyse de l’offre des politiques sécuritaire et sociale
congolaises à Goma.

Structuré autour de cinq chapitres, le développement de l’étude part du


cadrage conceptuel et théorique à l’analyse des politiques sécuritaire et sociale
congomaises à Goma. Les concepts des migrations transfrontalières alternantes, des
politiques sécuritaire et sociale ont été circonscrits afin de déterminer leurs portées
théoriques dans notre dissertation. Bien que relevant de la science politique, cette étude a
bénéficié des apports de la géographie, de l’histoire, des relations internationales et de
l’analyse des politiques publiques. Elle est une contribution à la connaissance des
migrations et échanges de l’espace CEPGL. A ce titre, elle relève de la géopolitique de
l’espace CEPGL.

S’appuyant sur l’observation directe, les entretiens directs et la recherche


documentaire, cette recherche a abouti aux résultats structurés autour de trois arguments
principaux que confirment notre hypothèse :

 Le phénomène des migrations transfrontalières alternantes entre Goma et Gisenyi


s’inscrit dans la dynamique historique des échanges dans la région qui constitue
de nos jours, l’espace CEPGL. C’est avec la rébellion du Rassemblement
Congolais pour la Démocratie, (RCD) en 1998, que le phénomène se structure.
Les officiels du RCD, les membres de l’administration au temps du RCD qui
travaillent à Goma, choisissent d’élire domicile à Gisenyi pour des raisons
politiques. Après la réunification du pays, le phénomène s’intensifie. Pendant
deux décennies, des fonctionnaires de l’Etat, les agents de l’administration et de
certains services de sécurité, des avocats et des personnes tierces travaillant à
Goma choisissent d’habiter à Gisenyi. Un nombre estimé à 2000 personnes de
nationalité congolaise habite à Gisenyi et traverse la petite barrière la grande
barrière pour venir travailler à Goma et rentrer à Gisenyi le soir.
 Le phénomène des migrations transfrontalières alternantes entre Goma et Gisenyi
se déroule dans un contexte politique et économique précis. Sur le plan politique,
132

le système des migrations transfrontalières alternantes entre Goma et Gisenyi se


déroule dans un contexte de crispation du climat politique entre le Rwanda et la
République Démocratique du Congo. Pendant plus de deux décennies, le Rwanda
et la RDC connaissent des moments politiques tendus. Les autorités politiques
congolaises découragent les congolais et interdisent aux agents de l’Etat d’habiter
au Rwanda étant donné le climat politique et sécuritaire qui prévaut entre ces
deux pays. Sur le plan économique, le phénomène des migrations
transfrontalières alternantes se déroulent dans un contexte d’intensification des
échanges entre Goma et Gisenyi. Ce qui parait paradoxal, considérant le climat
politique entre ces deux Etats.
 Les migrations transfrontalières alternantes entre Goma et Gisenyi sont
expliquées par les politiques sécuritaire et sociale congolaises à Goma. D’une
part, Goma est une ville qui connaît un cycle chronique d’insécurité : kidnapping,
enlèvements, assassinats, banditisme urbain font toujours l’actualité de Goma. En
plus, le prix élevé du logement, la desserte en eau et en électricité moins
suffisante à Goma encouragent certaines personnes à résider à Gisenyi. D’autre
part, Gisenyi est une ville à réputation touristique où les gens se promènent à
n’importe quelle heure de la journée et de la nuit. Bien plus, le logement réputé y
est réputé décent, avec une desserte en eau et en électricité suffisante. Goma
paraît comme une ville d’opportunités, tandis que Gisenyi est une ville de paix359.

Ce travail ne prétend pas épuiser le débat sur les migrations transfrontalières


alternantes entre Goma et Gisenyi. En effet, Il s’agit d’un phénomène dynamique qui se
déroule dans un monde plein d’incertitudes. Mais il ouvre une piste de recherche future
sur la question et permet aux intellectuels de s’interroger par exemple sur la perception
des congolais habitant à Gisenyi sur la politique du Rwanda envers la RDC ou sur les
échanges économiques entre Goma et Gisenyi qui paraissent au temps actuel n’est pas
être avantageux la RDC. Le débat n’est pas clos.

359
M. Doevenspeck et M. Mwanabiningo N., op.cit.
133

BIBLIOGRAPHIE

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Année 2009-2010.

VI. Textes officiels


1. Loi n° 15/025 du 31 décembre 2015 relative aux baux à loyer non professionnels.
143

TABLE DES MATIERES

RESUME.............................................................................................................................. i

SUMMARY ......................................................................................................................... i

EPIGRAPHE ...................................................................................................................... ii

DEDICACE ....................................................................................................................... iii

REMERCIEMENTS ........................................................................................................ iv

ABREVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES ........................................................... vii

0. INTRODUCTION GENERALE .................................................................................. 1

0.1. Objet d’étude ............................................................................................................. 1


0.2. Problématique et hypothèse ....................................................................................... 2
0.3. Intérêt de l’étude ........................................................................................................ 5
0.4. Démarche méthodologique ........................................................................................ 6
0.5. Choix et délimitation du sujet .................................................................................... 7
0.6. Difficultés rencontrées ............................................................................................... 8
0.7. Subdivision de l’étude ............................................................................................... 9

Chapitre I: ETUDE DES MIGRATIONS


TRANSFRONTALIERES ALTERNANTES GOMA-GISENYI ............................... 10

I.1. Usage de Concepts clés ............................................................................................ 10


I.1.1. Migration transfrontalière .................................................................................. 10
I.1.2. Migration transfrontalière alternante ................................................................. 13
I.1.3. Politiques sécuritaire et sociale .......................................................................... 19
I.2. Cadre théorique et méthodologique ......................................................................... 25
I.2.1. La théorie dynamiste .......................................................................................... 26
I.2.2. La méthode dynamiste de Balandier .................................................................. 27
I.2.3. Approche séquentielle des politiques publiques ................................................ 28
144

I.3. Les migrations transfrontalières alternantes dans la littérature ................................ 29


I.3.1. Les facteurs socio professionnels des migrations transfrontalières alternantes 29
I.3.2. Les facteurs socio-scolaires/académiques ......................................................... 34
I.3.3. L’inadéquation des politiques sociales et de sécurité en lien avec des migrations
transfrontalières alternantes ........................................................................................ 39

Chapitre II : PANORAMA DE LA DYNAMIQUE DES MIGRATIONS


TRANSFRONTALIERES ALTERNANTES DANS L’ESPACE GOMA-GISENYI
............................................................................................................................................ 41

II.1. Le temps précolonial des migrations transfrontalières de l’espace Goma-Gisenyi 41


II.2. Le temps colonial des migrations transfrontalières ................................................ 53
II.3. Le temps postcolonial des migrations transfrontalières .......................................... 58

Chapitre III : CONTEXTE DES MIGRATIONS TRANSFRONTALIERES


ALTERNANTES ENTRE GOMA ET GISENYI ......................................................... 66

III. 1. Catégories socioprofessionnelles des congolais travaillant à Goma et résidant à


Gisenyi ............................................................................................................................ 67
1) Les responsables et officiels du mouvement rebelle RCD ................................... 69
2) Les avocats ........................................................................................................... 70
3) Les agents des services publics et des entreprises publiques de l’Etat ................ 71
4) Les jeunes ayant le goût du prestige et du tourisme ............................................. 72
III.2. Un contexte de crispation politique entre la RDC et le Rwanda ........................... 75
1) Résurgence des rebellions pro rwandaises à l’Est de la RDC .............................. 75
2) Fermetures de la frontière Goma-Gisenyi ............................................................ 78
III.3. Un contexte d’intensification des échanges .......................................................... 80
1) Les échanges frontaliers de Goma vers Gisenyi .................................................. 81
2) Les échanges transfrontaliers de Gisenyi vers Goma ........................................... 83
145

Chapitre IV: LA POLITIQUE SECURITAIRE A GOMA ET LES MIGRATIONS


TRANSFRONTALIERES ALTERNANTES ............................................................... 88

IV.1 : Analyse de la situation sécuritaire à Goma .......................................................... 88


1) A Goma, l’insécurité urbaine est généralisée ....................................................... 89
2) Goma connaît un cycle d’insécurité aux formes diverses .................................... 90
3) Goma connaît une insécurité aux acteurs diversifiés .............................................. 93
4) Goma, connaît une insécurité à double cause ......................................................... 94
IV.2 : Face à l’insécurité, quid de la politique sécuritaire ? ........................................... 96
1) Absence de remède à une insécurité urbaine aux racines régionales ................... 97
2) Absence d’une police de proximité .................................................................... 100
3) Immobilisme face à l’extension du territoire de Nyiragongo vers Goma .......... 102
IV.3 : Bref regard sur la situation sécuritaire de Gisenyi ............................................. 104

Chapitre V : LES POLITIQUES SOCIALES A GOMA ET LES MIGRATIONS


TRANSFRONTALIERES ALTERNANTES ............................................................. 108

V.1 : Non application de la politique de logement à Goma ......................................... 109


1) L’ignorance de la législation en matière de logement........................................ 110
2) Faiblesse du contrôle étatique sur les baux à loyer résidentiel .......................... 112
3) La politique de logement à Gisenyi .................................................................... 115
V.2 : Absence d’une politique de l’eau à Goma ........................................................... 118
1) Faible desserte en eau à Goma ........................................................................... 119
2) Faible capacité de production et de distribution................................................. 120
3) L’insuffisance des matériels techniques à la Régideso ...................................... 120
4) Faible taux d’abonnement de la population à la Regideso ................................. 121
V.3 : Absence d’une politique d’électricité à Goma .................................................... 123
1) Des sources d’énergie diversifiées mais inadaptées à la croissance de la ville . 124
2) Accroissement du nombre des clients sans infrastructures ................................ 126
3) Une structure administrative inadaptée à l’urbanisation de la ville ................... 128
146

CONCLUSION GENERALE ....................................................................................... 130

BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................... 133

TABLE DES MATIERES ............................................................................................. 143

ANNEXES : .................................................................................................................... 147


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ANNEXES :

1. Guide d’entretien

2. Liste finale des personnes interviewées (1)

3. Liste finale des personnes interviewées (2)

4. Poste frontalier Goma-Gisenyi (Petite barrière)

5. Acteurs de l’insécurité à Goma

6. Carte de l’espace CEPGL


a

Annexe 1

UNIVERSITE DE KINSHASA

Faculté des sciences sociales Administratives et Politiques


Département de science politique et administrative

MIGRATIONS TRANSFRONTALIÈRES ALTERNANTES GOMA-GISENYI

Les politiques sociales et sécuritaires congolaises questionnées

GUIDE D’ENTRETIEN (destiné aux migrants transfrontaliers alternants)

Cet entretien vous est proposé en vue de contribuer par votre point de vue à la
réalisation du travail de DEA que nous menons sur les migrations transfrontalières
alternantes entre la ville de Goma en RDC et la préfecture de Gisenyi au Rwanda. Vos
réponses contribueront à la production des connaissances sur les relations de bon voisinage
entre les Etats membres de la CEPGL.

I. Identification de l’interviewé
1. Prénom, Nom, Post nom (ou anonymat) ......... ........

2. Lieu de résidence (Entre 2010-2020)......... ..............

3. Profession exercée ou occupation exercée ..... .........

4. Lieu d’exercice de la profession/métier ou activité .......

5. Etat civil................................................................
b

II. Questions proprement dites

1) Depuis quelle année habitez-vous (ou aviez-vous) habiter à Gisenyi ?

2) Pourquoi avez-vous choisi d’y habiter ici ?

3) Qu’est-ce que vous aviez appréciez à Gisenyi contrairement à Goma ?

4) Vous sentez-vous à l’aise de travailler à Goma et rester à Gisenyi ?

5) Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ?

6) Comment vous sentez-vous dans les moments des tensions politiques entre la RDC
et le Rwanda ?
c

7) Quels avantages les migrations transfrontalières offrent-elles à l’espace CEPGL


(Rwanda – RDC – Burundi) ?

8) Pensez-vous que les migrations domicile-travail seraient une opportunité d’une


citoyenneté régionale dans la sous-région des Grands Lacs ?

Je vous remercie de votre accueil.


d

Annexe 2

UNIVERSITE DE KINSHASA

Faculté des sciences sociales Administratives et Politiques


Département de science politique et administrative

MIGRATIONS TRANSFRONTALIÈRES ALTERNANTES GOMA-GISENYI

Les politiques sociales et sécuritaires congolaises questionnées

GUIDE D’ENTRETIEN (destiné aux services : PNC, DGM, REGIDESO, SNEL,


Socodee, Virunga SARL, Nuru, COMESA, Division de l’urbanisme et habitat)

Cet entretien vous est proposé en vue de contribuer par votre point de
vue à la réalisation du travail de DEA que nous menons sur les migrations
transfrontalières alternantes entre la ville de Goma en RDC et la préfecture
de Gisenyi au Rwanda. Vos réponses contribueront à la production des
connaissances sur les relations de bon voisinage entre les Etats membres de
la CEPGL.

III. Identification de l’interviewé


6. Prénom, Nom, Post nom (ou anonymat)
7. Lieu de résidence
8. Profession exercée ou occupation exercée
9. Lieu d’exercice de la profession/métier ou activité
10. Etat civil
e

IV. Questions proprement dites

1. Comment votre service arrive-t-il à accomplir sa mission ici à


Goma ?

2. Quels sont les différents obstacles que vous rencontrez dans


l’accomplissement de votre mission ?

3. A quels problèmes spécifiques êtes-vous confrontés, en rapport


avec les échanges transfrontaliers entre la RDC (Goma) et le Rwanda
(Gisenyi) ?

4. Quelles pourraient être les solutions à ces différents problèmes


soulevés ?

5. Quelles propositions concrètes pourrez-vous faire en vue d’améliorer


les migrations transfrontalières dans la zone CEPGL (Rwanda-RDC-
Burundi) ?

6. Avez-vous des recommandations spéciales pour favoriser le bon


fonctionnement des services frontaliers ?

Je vous remercie de votre accueil.


f

Annexe 3 : Liste finale des personnes interviewées

N° de Identité Service/ fonction Lieu de Lieu du Nationalité Mois de l’enquête


l’enquête résidence travail
Enquête n°1 Anonymat Agent DGM Goma Goma Congolaise Janvier 2020
Enquête n°2 Anonymat Agent DGDA Goma Goma Congolaise 15 septembre 2022
Enquête n°3 Anonymat Chef de Div./Police Goma Goma Congolaise 22 septembre 2022
des frontières
Enquête n°4 Mr J. Ancien Maire adjoint Goma Goma Congolaise 22 décembre 2022
Ndabereye de Goma
Enquête n°5 Anonymat Notable de la Goma Goma Congolaise Novembre 2022
communauté hutu à
Goma
Enquête n°6 Mr K. Enseignant et chef Goma Goma Congolaise Novembre 2022
Kithaka coutumier hunde
Enquête n°7 Papa Notable de la Goma Goma Congolaise 22 décembre 2022
Muhindo communauté hunde
Enquête n°8 Ananymat Notable de la Goma Goma Congolaise Octobre 2022
communauté hutu
g

Enquête n°9 Anonymat Notable de la ville de Goma Goma Congolaise 22 décembre 2022
Goma
Enquête n°10 Anonymat Notable de la ville de Goma Goma Congolaise 22 décembre 2022
Goma
Enquête n°11 Anonymat Pasteur Goma Goma Congolaise 22 décembre 2022

Enquête n°12 Anonymat Notable de Goma Goma Goma Congolaise Novembre 2022
Enquête n°13 Anonymat - Goma Goma Congolaise 25 octobre 2022
Enquête n°14 James Responsable de la Kigali Kigali Congolaise 2 mars 2023
Tabazane diaspora congolaise
au Rwanda
N° de Identité Service/ fonction Lieu de Lieu du Nationalité Mois de l’enquête
l’enquête résidence travail
Enquête n°15 Anonymat Avocat au barreau de Gisenyi Goma Congolaise 19 novembre 2020
Goma
Enquête n°16 Me Gloire Avocat au barreau de Gisenyi Goma Congolaise Décembre 2020
Goma
Enquête n° 17 Anonymat Agent DGM Goma Goma Congolaise 23 décembre 2020
h

Enquête n°18 Anonymat Notable de la ville de Goma Goma Congolaise 25 janvier 2023
Goma
Enquête n°19 Anonymat Avocat au barreau de Gisenyi Goma Congolaise 2 février 2023
Goma
Enquête n°20 Anonymat Entrepreneur Gisenyi Goma Congolaise Août 2022
Enquête n°21 Anonymat Avocat au barreau de Gisenyi Goma Congolaise 19 novembre 2022
Goma
Enquête n°22 Mr C. Ancien bourgmestre Goma Goma Congolaise 22 décembre 2020
Sebihogo de la commune de
Goma
Enquête n° 23 Anonymat Agent de la DGM Goma Goma Congolaise 18 jnvier 2023
Enquête n°24 Anonymat Agent de l’ANR Goma Goma Congolaise Janvier 2023
Enquête n° 25 Anonymat Ménagère/évangéliste Kigali Kiglai Congolaise 27 décembre 2022
Enquête n°26 Anonymat Pasteur Gisenyi Goma Congolaise 18 août 2022
Enquête n°27 Anonymat Commerçant à la Goma Goma Congolaise 18 juin 2022
petite barrière
Enquête n°28 Anonymat -- Gisenyi Goma Congolaise 26 décembre
Enquête n°29 Anonymat -- Goma Goma Congolaise Novembre 2020
i

Enquête n°30 Papa Notable de Goma Goma Goma Congolaise 22 novembre 2022
Muhindo
Enquête n°31 Papa Notable de Goma Goma Goma Congolaise 28 février 2023
Muhindo
Enquête n°32 Papa Notable de Goma Goma Goma Congolaise 2 mars 2023
Muhindo
Enquête n°33 Anonymat Agent DGM Goma Goma Congolaise Octobre 2019
Enquête n°34 Anonymat Petite commerçante à Gisenyi Goma Rwandaise 0ctobre 2019
la petite barrière
N° de Identité Service/ fonction Lieu de Lieu du Nationalité Mois de l’enquête
l’enquête résidence travail
Enquête n°35 Anonymat Transporteur à la Gisenyi Goma Rwandaise Octobre 2019
petite barrière
Enquête n°36 Anonymat Agent DGM Goma Goma Congolaise Juillet 2022
Enquête n°37 Anonymat Commercant à Birere Goma Goma Congolaise 20 août 2022
Enquête n°38 Anonymat Chef de service OCC Goma Goma Congolaise Mai 2022
Enquête n° 39 Mr Ancien Maire de Goma Goma Congolaise 9 novembre 2022
Kubuya Goma
j

Ndoole
Enquête n°40 Col. Job Commandant PNC/ Goma Goma Congolaise 14 juillet 2022
Alisa ville de Goma
Enquête n°41 Anonymat Chargé des Goma Goma Congolaise 13 juillet 2022
statistiques
PNC/Goma
Enquête n°42 Anonymat Militaire FARDC Goma Goma Congolaise Décembre 2020
Enquête n°43 Anonymat Agent NU/ANR Goma Goma Congolaise Décembre 2020
Enquête n°44 Anonymat Notable ville de Goma Goma Congolaise 9 novembre 2022
Goma
Enquête n°45 Anonymat Notable de Goma Goma Congolaise Janvier 2023
Buhene/territoire de
Nyiragongo
Enquête n°46 Anonymat Humanitaire à Goma Gisenyi Goma Congolaise Novembre 2022
Enquête n ° 47 Anonymat Pasteur Goma Goma Congolaise Février 2023
Enquête n°48 Mr Claude Chef de bureau Goma Goma Congolaise 21 décembre 2020
Kifutwe Habitat
Enquête n°49 Anonymat Chef de Goma Goma congolaise Juillet 2019
k

production/Regideso
Enquête n°50 Anonymat Chef de service Goma Goma Congolaise 21 décembre 2020
Distribution/
Regideso
Enquête n°51 Anonymat Chef de service Goma Goma Congolaise Décembre 2020
Commercial/Regideso
l

N° de Identité Service/ fonction Lieu de Lieu du Nationalité Mois de l’enquête


l’enquête résidence travail

Enquête n° 52 Anonymat Chargé des ventes Goma Goma Congolaise 13janvier 2021
Regideso

Enquête n°53 Mr Josué Gestionnaire du Goma Goma Congolaise 20 décembre 2022


Kibi personnel SNEL

Enquête n° 54 Anonymat Chef du centre Goma Goma Congolaise 20 décembre 2022


technique SNEL

Enquête n°55 Mr Imara Enseignant de l’école Goma Goma Congolaise 5 mars 2023
Kalindye secondaire/Bugamba

Enquête n° 56 Mr Jimy Agent du bureau du Goma Goma Congolaise 31 janvier 2023


Balume village Buhene
n

Annexe 4 : Poste frontalier Goma-Gisenyi


o

Annexe 5 : Acteurs de l’insécurité à Goma ( Institut national des Statistiques,


2019,p.6.)
p

Annexe 6. Carte de l’espace CEPGL

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