Histoire de La Pomme de Terre 1
Histoire de La Pomme de Terre 1
Histoire de La Pomme de Terre 1
Ernest Roze
La Pomme de terre depuis son pays d’origine jusqu’après son introduction d’abord en Europe, puis en France.
La Pomme de terre envisagée aux points de vue biologique, pathologique, cultural et utilitaire.
CHAPITRE IV. — Histoire biologique de la Pomme de terre. — Aperçu historique sur ses différentes variétés
CHAPITRE V. — Les ennemis et les maladies de la Pomme de terre (Histoire, Description, Causes efficientes, Remèdes)
CHAPITRE VI. — Culture de la Pomme de terre. I. Culture et Propagation par les tubercules. II. Multiplication par le semis des graines. III. Hybridations
et Fécondations croisées. IV. La Greffe de la Pomme de terre. V. Plantations d’automne. VI. Procédé de la Coupure des fanes ou du Pincement des
tiges. VII. Procédé du Provignage des tiges. VIII. Culture des variétés industrielles ou fourragères. IX. Conservation des Pommes de terre. X. Choix
de variétés agricoles pour la plantation. XI. Culture des variétés potagères
CHAPITRE VII. — Utilisation de la Pomme de terre. 1° Utilisation des fanes et des fruits. 2° Utilisation des tubercules. § 1. Préparations alimentaires. §
2. Du Pain de Pommes de terre. § 3. De la Polenta de Pommes de terre. § 4. Du riz de Pommes de terre. § 5. Fromage de Pommes de terre. § 6.
Nourriture du bétail. § 7. Extraction de la fécule. § 8. Fabrication du sirop de fécule. § 9. Fabrication de l’eau-de-vie de Pommes de terre. § 10.
Préparation de la Dextrine ou Gomme d’amidon.
PREMIÈRE PARTIE
La plante qui produit les tubercules désignés sous le nom de Pommes de terre et que, par extension, on appelle du même nom, n’a été importée en
Europe que vers la fin du XVIe siècle, comme on le verra plus loin. Aujourd’hui qu’elle est à peu près cultivée sous tous les climats tempérés, qu’elle
concourt à l’alimentation générale de l’humanité, qu’elle entre aussi pour une forte proportion dans la nourriture des bestiaux et qu’elle est l’objet de
grandes cultures industrielles, on peut dire qu’elle est universellement connue. Or ce qu’il importe aussi de savoir, c’est qu’elle a été depuis longtemps
décrite par les savants qui s’occupent de l’étude des plantes, lesquels ont pris soin d’observer ses organes de végétation et de reproduction, de noter ses
caractères différentiels, pour la classer systématiquement en lui assignant la place qu’elle doit occuper parmi ses congénères dans la famille à laquelle elle
appartient. C’est ainsi qu’on est arrivé à reconnaître en elle une espèce du genre Solanum, qui fait partie de la famille des SOLANÉES avec plusieurs autres
genres (notamment ceux qui comprennent les Pétunia, les Tomates, les Tabacs, les Jusquiames, les Datura, la Belladone, les Coquerets, etc.), et qu’elle
porte depuis la fin du XVIe siècle le nom scientifique de Solanum tuberosum que lui a conservé Linné dans sa réforme générale de la nomenclature.
Bien que la Pomme de terre fût suffisamment connue au XVIIe siècle pour ses qualités alimentaires, sa culture fut loin de prendre une grande extension.
En France, ce ne fut guère même que vers la fin du XVIIIe siècle qu’on commença, grâce aux efforts persévérants de Parmentier, à l’apprécier à sa juste
valeur. En Angleterre, cependant, elle rendait déjà de très grands services, et lorsqu’on était arrivé, par des soins culturaux assidus, à obtenir de la Pomme
de terre des variétés plus productives, plus avantageuses à divers titres, on fut conduit à se demander si, par des apports nouveaux de la plante recueillie
dans son pays d’origine à l’état sauvage, on ne parviendrait point à découvrir de meilleures variétés que celles que l’on possédait. Plus récemment, et
lorsqu’à la suite de ces apports mêmes un fléau inattendu a failli presque anéantir, en 1845, toutes les espérances des immenses récoltes qui se faisaient
alors de la précieuse Solanée, on en vint aussi à désirer retrouver, dans son type sauvage, le moyen de se mettre à l’abri des atteintes de cette redoutable
maladie.
On savait, en Angleterre, que le Solanum tuberosum y avait été introduit par des tubercules apportés de la Virginie. Était-ce bien là son pays de véritable
origine ? On ne devait pas, en effet, tarder à reconnaître que la Pomme de terre ne se trouvait actuellement, dans cette région de l’Amérique du Nord, que
dans les endroits mêmes où on la cultivait. Les anciens indigènes ne la connaissaient pas : elle devait donc y avoir été importée et n’y croissait pas
spontanément. « Le Dr Roulin, qui a beaucoup étudié les ouvrages concernant l’Amérique septentrionale, dit A. de Candolle[1], m’affirmait jadis qu’il
n’avait trouvé aucune indication de la Pomme de terre aux États-Unis avant l’arrivée des Européens. Le Dr Asa Gray me le disait aussi, en ajoutant que M.
Harris, un des hommes les plus versés dans la connaissance de la langue et des usages des tribus du Nord de l’Amérique, avait la même opinion. Je n’ai
rien lu de contraire dans les publications récentes, et il ne faut pas oublier qu’une plante aussi facile à cultiver se serait répandue, même chez des peuples
nomades, s’ils l’avaient possédée. » On a, par suite, été conduit à supposer que la Pomme de terre avait pu être apportée au XVIe siècle dans la Virginie par
des navigateurs ou des pirates, qui avaient fait relâche ou naufrage sur ces côtes encore si peu connues.
D’un autre côté, on savait aussi que les Espagnols avaient constaté que la Pomme de terre était cultivée et consommée au Pérou au moment de leurs
conquêtes : c’était, par conséquent, dans l’Amérique du Sud qu’il y avait chance de rencontrer cette Solanée à l’état sauvage. Cherchons donc dans les
ouvrages des Historiens, Voyageurs ou Naturalistes qui ont parcouru cette partie de l’Amérique, les premiers débuts de son histoire. Pierre Cieça de Léon,
dans sa Chronique espagnole du Pérou (1550), fait le premier mention de la Pomme de terre. « Dans des lieux voisins de Quito, dit-il, les habitants ont,
avec le Maïs, deux autres plantes qui leur servent en grande partie à soutenir leur existence, savoir : les Papas, à racines presque semblables à des
tubercules, dépourvues de toute enveloppe plus ou moins dure ; lorsqu’elles sont cuites, elles ont la pulpe presque aussi tendre que de la purée de
Châtaignes ; séchées au soleil, on les appelle Chumo et on les conserve pour l’usage. Le fruit produit une tige semblable à celle du Pavot. L’autre est le
Quinüa plante de la hauteur d’un homme, à feuilles de la Blette de Mauritanie, à graine petite, blanche ou rouge, avec laquelle on prépare une boisson, ou
qu’on mange après cuisson, comme nous le riz [2]. »
Lopez de Gomara, dans son Histoire générale des Indes (1554), et Augustin de Zarate, dans son Histoire de la découverte et de la conquête du Pérou
(1555), parlent également de ces Papas, qui est encore le nom indien des Pommes de terre.
Jérôme Cardan, dans son curieux ouvrage, intitulé De Rerum varietate (Bâle, 1557), s’exprime aussi en ces termes sur le même sujet : « Sur le penchant
des montagnes, dans la région du Pérou, les Papas sont comme une espèce de Truffe, dont on se sert en place de pain, et qui sont engendrées dans le sol ;
c’est ainsi que la nature pourvoit sagement partout à tous les besoins. On les fait sécher et on les appelle Ciuno. Certaines gens ont trouvé moyen de
s’enrichir en transportant cette seule denrée dans la province de Potosi. On dit cependant que cette racine porte une tige semblable à celle de l’Argemone.
Ces Papas ont la forme de Châtaignes, mais ont le goût plus agréable : on les mange cuites, ou bien, comme je le disais, réduites en farine. On en trouve
également chez d’autres peuplades de cette Chersonèse, ainsi que chez les Habitants de la province de Quito. »
Le Père Joseph de Acosta, de l’ordre des Jésuites, qui fut le second Provincial du Pérou, où il débarqua en 1571, a publié à son retour en Espagne en
1591, à Barcelone, une Historia natural y moral de las Indias. Nous extrayons de cet ouvrage, d’après la traduction « en François » qu’en a donnée en 1598
Robert Regnault, Cauxois, les intéressants passages qui suivent.
« Ce que les Indiens appellent Andez, et ce qu’ils appellent Sierra, sont deux chaines de montagnes très hautes qui doivent courir plus de mil lieues à
veue l’une de l’autre, et presque esgalement. Il y a un nombre infini de vicugnes et de ces animaux qu’ils appellent Guanacos et Pacos, qui sont des
moutons… L’on y trouve aussi l’herbe ou arbre qu’ils appellent Coca, qui est tant estimé des Indiens, et la traite qu’on en fait y vaut beaucoup d’argent.
Celle qu’ils appellent Sierre, fait des vallées és endroits où elle s’ouvre, qui sont les meilleurs habitations du Peru, comme est la vallée de Xauxa et
d’Andaguaylas et de Yucay. En ces vallées il croît du froument, du mays, et d’autres sortes de fruits, toutefois ès unes moins qu’aux autres. Plus outre que
la cité de Cusco (qui estoit anciennement la cour des Seigneurs de ces royaumes), les deux chaines de montagnes que j’ay dictes se retirent et s’esloignent
davantage les unes des autres, et laissent au milieu une plaine et large campagne qu’ils appellent la province de Collae, où il y a un grand nombre de
rivières, et beaucoup d’herbages et de pâturages fertiles, et là est aussi le grand lac de Titicaca : mais encore que ce soit terre plaine, et à la mesme hauteur
et intemperature que la Sierre, et qu’il n’y ait non plus d’arbres ny de forests, toutesfois le défaut qu’ils ont du pain y est recompensé par les racines qu’ils
sement, lesquelles ils appellent Papas, et croissent dedans la terre. Ceste racine est le manger des Indiens, car les sechans et nettoyans ils en font ce qu’ils
appellent Chugno qui est le pain et la nourriture de ces provinces… »
Il ajoute un peu plus loin : «… En quelques endroits des Indes, il n’y croist de mays, ni de froment, comme est le haut de la Sierra du Peru, et les
provinces qu’ils appellent Golao, qui est la plus grande partie de ce royaume, où la température est si froide et si sèche qu’elle ne peut endurer qu’il y
croisse du froment, ny du mays au lieu de quoy les Indiens usent d’un autre genre de racines qu’ils appellent Papas lesquelles sont de la façon de turmes de
terre qui sont petites racines, et jettent bien peu de fueilles. Ils cueillent ces Papas, et les laissent bien sécher, au soleil, puis les pillans, en font ce qu’ils
appellent Chuno qui se conserve ainsi plusieurs jours, et leur sert de pain. Il y a en ce royaume fort grande traite de ce Chuno pour porter aux mines de
Potozi : m’on mange mesme ces Papas ainsi fraisches bouillies ou rosties, et des espèces d’icelles y en a de plus douce et qui croist és lieux chauds, dont ils
font certaines sauces et hachis, qu’ils appellent Locro. En fin ces racines sont tout le pain de ceste terre, tellement que quand l’année en est bonne, ils s’en
resjouissent fort, pource que assez souvent, elles se gellent dedans la terre, tant est grand le froid et intemperature de ceste région… »
Frezier, Ingénieur ordinaire du Roy, à qui l’on doit d’avoir introduit en France le Fraisier du Chili, dans la Relation de son voyage de la Mer du Sud aux
côtes du Chili et du Pérou, de 1712 à 1714, publiée en 1716, ne dit que peu de mots de la Pomme de terre, mais ce qu’il en dit ne manque pas d’intérêt. Il
s’exprime ainsi : « La nourriture ordinaire des Indiens du Chili, aux environs de La Conception, est chez eux des Pommes de terre ou Taupinambours,
qu’ils appellent Papas d’un goût assez insipide ; du Mays, etc. » Et plus loin : « Toutes les Légumes que nous avons viennent à La Conception en
abondance et presque sans peine ; il y en a même qu’on trouve dans les campagnes sans cultiver, comme des Navets, des Taupinambours de la Chicorée
des deux espèces, etc. ». C’est le premier ouvrage dans lequel se trouve employé en France le mot Pommes de terre, auquel l’auteur donne bien à tort
comme synonyme celui de Taupinambours. Mais il convient de noter ce qu’il dit au sujet de ces Papas qui, d’après ce qu’il en rapporte, croissaient sans
culture au Chili, dans la Province de Conception. C’est dans cette province que Mackenna, dans son opuscule intitulé Le Chili (1855), disait aussi que « la
Pomme de terre croit sauvage sur le sommet des montagnes de Nahuelbuta ».
Le P. Feuillée, dans son Histoire des plantes médicinales qui sont le plus en usage aux royaumes du Pérou et du Chily (1725), se contente de citer la
Pomme de terre sous son nom scientifique : Solanum tuberosum esculentum (G. Bauhin, Pinax),. vulgairement Papa, sans autres commentaires. Mais il
donne ensuite la description et une figure d’une seconde espèce qu’il appelle : Solanum tuberosum minus, Atriplicis folio vulgà Papa montana, « Cette
plante, dit-il, a pour racine un tubercule charnu, ovale, épais environ d’un pouce, garni dans sa partie inférieure de quantité de longues fibres cheveluës et
blanches ; la peau de ce tubercule est grisâtre et fort mince, celle-ci en recouvre une autre blanchâtre, épaisse d’une ligne et demie, au-dessous de laquelle
est une substance aussi blanchâtre, assez solide et d’un bon goût ». Cette espèce de Solanum dont il continue la description, n’a qu’un rapport assez éloigné
avec la Pomme de terre ordinaire. « Cependant, ajoute-t-il, les Indiens font un grand usage des racines de cette plante, et ils en mangent dans leur soupe et
dans tous leurs ragoûts. Je trouvai cette plante sur le penchant d’une montagne dans le royaume du Pérou à 17 degrez de hauteur du Pôle austral. Elle
diffère par ses feüilles de celles qu’on cultive dans les campagnes. »
Cette plante, d’après Dunal (Histoire naturelle, médicale et économique des Solanum, 1813), ne serait rien autre que le Solanum montanum de Linné, qui
ne peut donner lieu à aucune confusion avec le S. tuberosum.
Mais nous approchons de l’époque où la Pomme de terre va commencer à être appréciée à sa juste valeur, et la question de son origine ne tardera pas à
occuper les esprits. Déjà, l’abbé Molina avait cité à ce point de vue quelques faits assez curieux [3]. Nous trouvons, en effets ce passage dans la traduction
française de Gruvel (1789) : « Essai sur l’histoire naturelle du Chili par M. l’abbé Molina. Livre III, § XXIV. Herbes ou plantes alimentaires (Mogel Cachu
en Chilien). — La Pomme de terre (Solanum tuberosum). Cette racine[4] d’Amérique, qui porte le nom de papa, pogny[5], patata et dont l’utilité est
reconnue partout, occupe présentement les cultivateurs anglois et françois ; mais personne n’a mieux prouvé l’avantage de la culture de cette racine que M.
Parmentier, dans plusieurs mémoires qu’il a donnés à ce sujet. M. de Bomare regarde le Chili comme la patrie des Pommes de terre : elles y croissent
effectivement dans toutes les campagnes ; mais celles qui viennent sans culture, ou les sauvages que les Indiens nomment Maglia, font des bulbes très
petits, d’un goût un peu amer. On en compte deux espèces différentes, et plus de trente variétés, dont plusieurs sont cultivées avec soin. La première espèce
est la commune ; la seconde que l’on pourroit nommer Solanum Cari[6] d’après le nom du pays, porte des fleurs blanches, avec un grand nectaire au milieu,
comme les Narcisses ; sa racine est cylindrique, fort douce, et se mange ordinairement cuite sous la cendre. »
Ruiz et Pavon, dans leur Flora peruviana (1798-1802), s’étaient contentés de donner de la Pomme de terre une courte description que nous traduisons
ainsi : « Solanum tuberosum. Plante herbacée » haute de trois pieds, bisannuelle. Elle se trouve cultivée dans le Royaume du Pérou et du Chili, et se
rencontre sur les collines de Chancay, près des territoires de Jequan et Pasamayo. Elle fleurit en Juillet et Août. On appelle les Pommes de terre, en
péruvien Papas, en espagnol Patatas manchegas. La couleur des fleurs et celle des tubercules sont très variables. »
Dans le Voyage en Amérique de Humboldt et Bonpland (1807), Humboldt donne quelques détails sur les stations élevées où se cultive la Pomme de terre
et parle de l’ignorance où l’on est encore de son existence à l’état sauvage. « La Pomme de terre, dit-il, cultivée au Chili à 3, 600 mètres de hauteur, porte la
même fleur que celle que l’on a introduite dans les plaines de la Sibérie… Cette plante bienfaisante sur laquelle se fonde en grande partie la population des
pays les plus stériles de l’Europe, présente le même phénomène que le Bananier, le Maïs et le Froment. Quelques recherches que j’aie pu faire sur les lieux,
je n’ai jamais appris qu’aucun voyageur l’eût trouvée sauvage, ni sur le sommet de la Cordillière du Pérou, ni dans le royaume de la Nouvelle Grenade, où
cette plante est cultivée avec le Chenopodium Quinoa… Dans la Cordillière des Andes, depuis 3000 jusqu’à 4000 mètres, l’objet principal de la culture est
la Pomme de terre. »
Fig. 1. Amérique du Nord et Amérique du Sud.
Quelques années plus tard, Humboldt, dans son Essai politique sur le Royaume de la Nouvelle-Espagne, traite plus amplement le même sujet et y ajoute
des considérations philosophiques du plus grand intérêt. Nous croyons devoir en citer ici les passages les plus instructifs.
« Une plante à racine nourrissante, dit-il, qui appartient originairement à l’Amérique, la Pomme de terre (Solanum tuberosum) paraît avoir été introduite
au Mexique, à peu près à la même époque que les céréales de l’Ancien Continent. Je ne déciderai point la question si les papas (c’est l’ancien nom
péruvien sous lequel les Pommes de terre sont aujourd’hui connues dans toutes les colonies espagnoles) sont venues au Mexique conjointement avec le
Schinus Molle du Pérou, et, par conséquent, par la voie de la Mer du Sud ; ou si les premiers conquérants les ont apportées des montagnes de la Nouvelle-
Grenade. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’on ne les connaissait pas du temps de Montezuma, et ce fait est d’autant plus important, qu’il est un de ceux
dans lesquels l’histoire des migrations d’une plante se lie à l’histoire des migrations des peuples… Cela suffit pour prouver combien il est important pour
l’histoire de notre espèce, de connaître avec précision jusqu’où s’étendait primitivement le domaine de certains végétaux avant que l’esprit de colonisation
des Européens fût parvenu à réunir les climats les plus éloignés. Si les Céréales, si le Riz des Grandes Indes étaient inconnus aux premiers habitants de
l’Amérique, en revanche le Maïs, la Pomme de terre et le Quinoa ne se trouvaient cultivés ni dans l’Asie centrale, ni dans les îles de la Mer du Sud.
» La Pomme de terre nous présente un autre problème très curieux, si on l’envisage sous un rapport historique. Il paraît certain que cette plante n’était
pas connue au Mexique avant l’arrivée des Espagnols. Elle fut cultivée à cette époque au Chili, au Pérou, à Quito, dans le Royaume de la Nouvelle-
Grenade, sur toute la Cordillière des Andes, depuis les 40° de latitude australe jusque vers les 50° de latitude boréale. Les botanistes supposent qu’elle croît
spontanément dans la partie montueuse du Pérou. D’un autre côté, les savants qui ont fait des recherches sur l’introduction des Pommes de terre en Europe,
assurent qu’elle fut aussi trouvée en Virginie par les premiers colons que Sir W. Raleigh y envoya en 1584. Or, comment concevoir qu’une plante qu’on dit
appartenir originairement à l’hémisphère austral, se trouvait cultivée au pied des Monts Alleghanys, tandis qu’on ne la connaissait point au Mexique et
dans les régions montueuses et tempérées des îles Antilles ? Est-il probable que des tribus péruviennes aient pénétré vers le Nord jusqu’aux rives du
Rapahaunoc, en Virginie, ou les Pommes de terre sont-elles venues du Nord au Sud, comme les peuples qui, depuis le VIIe siècle, ont paru successive sur le
plateau d’Anahuac ? Dans l’une et l’autre de ces hypothèses, comment cette culture ne s’est-elle pas introduite ou conservée au Mexique ? Voilà des
questions peu agitées jusqu’ici, et cependant bien dignes de fixer l’attention du physicien. Embrassant d’un coup d’œil l’influence de l’homme sur la nature
et la réaction du monde physique sur l’homme, on croit lire, dans la distribution des végétaux, l’histoire des premières migrations de notre espèce
» Je ferai observer d’abord que la Pomme de terre ne me paraît pas indigène au Pérou, et qu’elle ne se trouve nulle part sauvage dans la partie des
Cordillières qui est située sous les tropiques. Nous avons, M. Bonpland et moi, herborisé sur le dos et sur la pente des Andes, depuis les 5° nord jusqu’aux
12° sud ; nous avons pris des informations chez des personnes qui ont examiné cette chaîne de montagnes colossales jusqu’à La Paz et à Oruro, et nous
sommes sûrs que, dans cette vaste étendue de terrain, il ne végète spontanément aucune espèce de Solanée à racines nourrissantes. Il est vrai qu’il y a des
endroits peu accessibles et très froids que les naturels appellent Paramos de las Papas (plateaux déserts des Pommes de terre) ; mais ces dénominations,
dont il est difficile de deviner l’origine, n’indiquent guère que ces grandes hauteurs produisent la plante dont elles portent le nom.
» En passant plus au sud, au-delà du tropique, on la trouve, selon Molina, dans toutes les campagnes du Chili. Les naturels y distinguent la Pomme de
terre sauvage dont les tubercules sont petits et un peu amers, de celle qui y est cultivée depuis une longue série de siècles. La première de ces plantes porte
le nom de Maglia, et la deuxième celui de Pogny. On cultive aussi au Chili une autre espèce de Solanum qui appartient au même groupe à feuilles pennées
et non épineuses, et qui a la racine très douce et d’une forme cylindrique. C’est le Solanum Cari qui est encore inconnu, non seulement en Europe, mais
même à Quito et au Mexique.
» On pourrait demander si ces plantes utiles sont vraiment originaires du Chili, ou si par l’effet d’une longue culture elles y sont devenues sauvages.
MM. Ruiz et Pavon disent avoir trouvé la Pomme de terre dans les terrains cultivés, et non dans les forêts et sur le dos des montagnes.
» Il est probable que des montagnes du Chili la culture des Pommes de terre a avancé peu à peu vers le nord par le Pérou et le royaume de Quito jusqu’au
plateau de Bogota, l’ancien Cundinamarca. C’est là aussi la marche qu’ont tenue les Incas dans la suite de leurs conquêtes.
»… Les Cordillières, après avoir conservé une hauteur imposante depuis le Chili jusqu’à la province d’Antioquia, s’abaissent tout d’un coup vers les
sources du Grand Rio Atracto. Le Choco et le Darien ne présentent qu’un groupe de collines qui, dans l’Isthme de Panama, a seulement quelques centaines
de toises de hauteur. La culture de la Pomme de terre ne réussit bien entre les tropiques que sur des plateaux très élevés, dans un climat froid et brumeux.
L’Indien des pays chauds préfère le Maïs, le Manioc et la Banane. En outre le Choco, le Darien et l’Isthme couvert d’épaisses forêts, ont été habités depuis
des siècles par des hordes de sauvages et de chasseurs, ennemis de toute culture. Il ne faut donc pas s’étonner que la réunion de ces causes ait empêché la
Pomme de terre de pénétrer jusqu’au Mexique.
»… Il se peut que des peuples sortis d’Aztlan se soient avancés jusqu’au delà de l’Isthme ou du golfe de Panama. Mais il est peu probable que par des
migrations du Sud vers le Nord, les productions du Pérou, de Quito et de la Nouvelle-Grenade aient jamais passé au Mexique et au Canada.
»… Parmi le grand nombre de productions utiles que les migrations des peuples et les navigations lointaines nous ont fait connaître, aucune plante
depuis la découverte des Céréales, c’est-à-dire depuis un temps immémorial, n’a exercé une influence aussi marquante sur le bien-être des hommes que la
Pomme de terre. Cette culture, d’après les calculs de Sir John Sinclair, peut nourrir neuf individus par acre de 5,368 mètres carrés. Elle est devenue
commune dans la Nouvelle-Zélande, au Japon, à l’île de Java, dans le Boutan et au Bengale, où, selon le témoignage de M. Bockford, les patates[7] sont
regardées comme plus utiles que l’Arbre à pain introduit à Madras. Leur culture s’étend depuis l’extrémité de l’Afrique jusqu’au Labrador, en Islande et en
Laponie. C’est un spectacle intéressant que de voir une plante descendue des montagnes placées sous l’équateur, s’avancer vers le Pôle, et résister, plus que
les Graminées céréales, à tous les frimas du Nord. »
Il semblerait, d’après ce qui précède, qu’on dût perdre tout espoir de retrouver la Pomme de terre à l’état sauvage. Un point seulement était établi, c’est
que le Chili devait être probablement son pays d’origine. Mais nous allons voir l’histoire de la Pomme de terre sauvage entrer dans une nouvelle phase, et il
s’en est fallu de peu que l’on se soit cru autorisé à considérer comme résolu ce difficile problème. — Nous traduisons ce qui suit d’un Mémoire, qui a fait
époque, de M. J. Sabine, lu le 22 novembre 1822 à la Société d’horticulture de Londres[8].
« Sur le pays d’origine de la Pomme de terre sauvage etc. — La possession d’échantillons spontanés de la Pomme de terre sauvage est restée longtemps
un desideratum : or, en raison de la grande importance et de l’usage extensif qu’a pris la culture des tubercules de la Pomme de terre, le sujet dont il s’agit
m’a paru digne d’attirer l’attention de la Société. Dans mes communications avec nos Correspondants de l’autre côté de l’Atlantique, ce point leur avait été
signalé comme un des problèmes les plus intéressants à résoudre. Aussi, n’est-ce pas sans une certaine satisfaction que je puis constater que nos tentatives
ont été couronnées de succès.
» De grands doutes se sont élevés quand il s’est agi de savoir dans quelles parties du Nouveau-Monde devait être assignée la station naturelle du
Solanum tuberosum ou Pomme de terre ; la question même est encore matière à discussion entre les Botanistes les plus célèbres. La plante cultivée a été
d’abord connue en Angleterre sous le nom de Patate de Virginie, je conçois, cependant, qu’il puisse rester quelque doute sur son origine, en ce que les
tubercules qui ont été trouvés par Sir Walter Raleigh dans cette colonie[9] et transportés en Irlande, pouvaient y avoir été préalablement introduits de
quelques-uns des territoires espagnols, situés dans les régions les plus méridionales de cette partie du globe ; si la Pomme de terre, en effet, avait été une
plante croissant spontanément dans quelques-uns des districts qui font partie maintenant des États-Unis, elle aurait été déjà découverte et signalée par les
Collecteurs botanistes qui ont parcouru et examiné avec soin les plantes de ces contrées.
» Le Baron de Humboldt donne pour certain que la Pomme de terre ne croit pas spontanément dans la partie sud-ouest de l’Amérique du Nord, et qu’elle
n’est pas autrement connue que comme une plante cultivée dans toutes les îles des Indes occidentales. Son existence à l’état sauvage reste donc fixée dans
l’Amérique du Sud, et il semble maintenant suffisamment prouvé qu’on doit la rencontrer à cet état, soit dans les sommités des régions tropicales, soit dans
les régions plus tempérées des côtes occidentales de la partie sud de cette division du Nouveau Monde.
» D’après Molina (Histoire naturelle du Chili), la Pomme de terre croît communément à l’état sauvage dans les campagnes du Chili, et elle est appelée
dans cet état par les indigènes Maglia : elle produit, lorsqu’elle n’est pas cultivée des tubercules petits et amers. De son côté, le Baron de Humboldt assure
qu’elle ne croît pas spontanément au Pérou, ni sur aucune partie des Cordillères situées sous les tropiques. Mais cette assertion est contredite par M.
Lambert, qui rappelle que don José Pavon a dit que ses compagnons de voyage, Dombey et Ruiz, ont recueilli avec lui le Solanum tuberosum à l’état
sauvage, non seulement au Chili, mais aussi au Pérou, aux environs de Lima, et qui ajoute que don Francisco Zea lui a affirmé qu’il l’avait trouvé de même
croissant dans les forêts de Santa-Fé de Bogota. La relation ci-dessus de Pavon se trouve rait confirmée par la présence, dans l’herbier de M. Lambert, d’un
échantillon récolté par Pavon au Pérou, sous le nom de Patatas del Peru.
» M. Lambert suppose même que la Pomme de terre doit croître spontanément aussi bien sur les côtes orientales que sur les côtes occidentales et
septentrionales de l’Amérique du Sud. Voici sur quoi se basait son opinion.
» Parmi les spécimens de l’herbier formé par Commerson, lorsqu’il accompagnait Bougainville dans son voyage autour du monde, se trouve une espèce
de Solanum, recueillie près de Montevideo. M. Dunal (de Montpellier) ayant considéré cet échantillon comme appartenant à une espèce distincte du
Solanum tuberosum, l’a nommée Solanum Commersonii et l’a décrite sous ce nom dans le Supplément à l’Encyclopédie[10], puis plus tard dans son
Synopsis des Solanum, Or M. Lambert conjecturait que cet échantillon devait appartenir au type de notre Pomme de terre, et cela, par suite de
renseignements qu’il avait reçus, d’abord de M. Balwin, un Botaniste américain, qui lui avait dit avoir trouvé le S. tuberosum à l’état sauvage, tant à
Montevideo que dans les environs de Maldonado, puis du Capitaine Bowles, qui avait résidé très longtemps à Buenos-Ayres, et qui lui avait assuré que la
Pomme de terre était une plante sauvage, commune dans les jardins et aux alentours de Montevideo.
» Les allégations ci-dessus confirment certainement l’existence, sur les bords du Rio de la Plata, d’une plante assez commune que M. Lambert croit
devoir identifier avec le spécimen de Commerson ; mais la preuve qu’il s’agit bien du S. tuberosum, à l’encontre de l’opinion de M. Dunal, ne repose que
sur les assertions du Dr Baldwin et du Capitaine Bowles ; il y manque ce témoignage plus probant, résultant de l’examen des échantillons de la plante, qui
n’ont pas été produits par l’un ou l’autre de ces Messieurs.
Fig. 2 à 5. — Solanum Commersonii de Dunal.
a, feuille de la tige ; b, sommité fleurie ; c, fruit ; d, tubercule
(3/4 de grandeur naturelle de la plante vivante).
« Afin d’élucider la question aussi bien que possible, je m’adressai à M. Desfontaines, Directeur du Muséum d’histoire naturelle au Jardin du roi à Paris,
pour lui demander la permission de faire dessiner l’échantillon original de Commerson, déposé dans l’Herbier confié à ses soins. Avec une libéralité et une
obligeance que je ne puis louer trop hautement, l’échantillon complet me fut immédiatement transmis. L’examen de ce dessin colorié que je mets sous vos
yeux et qui est une représentation parfaite de toute la plante desséchée, permettra, de trancher la question soulevée par la plante de Commerson. Je ferai
remarquer que l’échantillon a tout à fait l’apparence d’être nain et rabougri. L’étiquette qui y est attachée porte la suscription suivante : « Tomate
d’Espagne. — Les fleurs sont pâles. De la plage du pied du Morne de Montevideo, en mai 1767. » La dimension de la fleur est évidemment plus grande
que celle du S. tuberosum qui se trouverait dans un semblable état de dessiccation ; l’échancrure des divisions des fleurs et la largeur proportionnellement
plus grande de la foliole terminale présentent des différences frappantes avec les parties correspondantes de notre Pomme de terre. Une très légère
pubescence est perceptible sur l’échantillon qui, s’il avait été détaché d’un pied de S. tuberosum aurait probablement été beaucoup plus velu, comme c’est
le cas lorsqu’il est rabougri. On peut trouver aussi quelque peu singulier que Commerson, qui connaissait non seulement le S. tuberosum mais ses divers
noms, ait désigné son échantillon sous le nom de Tomate : cela donne presque la certitude qu’il ne le considérait point comme appartenant à la Pomme de
terre. D’après ces considérations, j’avoue que j’hésite à partager l’opinion de M. Lambert qui croit avoir une preuve suffisante de la croissance de la
Pomme de terre à l’état sauvage sur les bords du Rio de la Plata. Il est possible qu’elle puisse s’y rencontrer, mais son existence dans cette partie de
l’Amérique est loin d’être établie, alors que nous avons la quasi-certitude que la plante de Commerson n’est pas la Pomme de terre, et que M. Lambert ne
doute pas que les plantes qui ont été observées par son correspondant et ami soient différentes de celle de Commerson.
» Au commencement du printemps de cette année, M. Galdcleugh, qui a résidé quelque temps à Rio de Janeiro, comme Secrétaire de l’ambassade
anglaise à cette cour, et qui n’a cessé d’y rendre service à la Société d’Horticulture, est revenu en Angleterre, après avoir préalablement fait un voyage dans
cette région et visité les points principaux des côtes occidentales de l’Amérique du Sud. Dans ce qu’il a rapporté d’intéressant, figuraient deux tubercules
de la Pomme de terre sauvage qu’il m’a envoyés avec la lettre suivante.
» Montagne Place, Portman Square, 24 février 1822.
» Cher Monsieur,
» J’éprouve un certain plaisir à vous adresser ces échantillons de Solanum tuberosum ou véritable Pomme de terre sauvage de l’Amérique méridionale.
Elle croit en quantité considérable dans des ravins, non loin de Valparaiso, sur la côte occidentale de l’Amérique du Sud, par 34° 1/2 de latitude Sud, où
elle a été récoltée. Les feuilles et les fleurs de la plante sont en tous points semblables à celles de la Pomme de terre cultivée en Angleterre et ailleurs. Elle
commence à fleurir dans le mois d’Octobre, le printemps de ce climat, et n’est pas très prolifique. Les tubercules sont petits et d’une saveur un peu amère :
ils ont une pellicule qui est rouge sur les uns, jaunâtre sur les autres. Je suis porté à croire que cette plante doit croître sur une grande étendue de la côte, car
on la trouve dans le sud du Chili où elle est appelée Maglia par les indigènes, mais je n’ai pu découvrir si l’on en tirait quelque parti. Je suis redevable de
ces échantillons à un officier de marine de Sa Majesté, M. Owen Glandower, qui a quitté cette contrée quelque temps après moi.
» Je suis, etc.
» Alex. CALDCLEUGH. »
» Les deux tubercules ont été présentés à la Société et ils ont été dessinés avant leur plantation. S’il y en avait eu un troisième, j’aurais été tenté de
vérifier moi-même si la saveur en était réellement amère, comme l’assure M. Caldcleugh, ainsi que Molina. On les planta séparément dans de petits pots, et
ils ne tardèrent pas à germer ; leur croissance fut rapide, si bien qu’on fût obligé de les dépoter et de les déplacer, à environ deux pieds l’un de l’autre, dans
une plate-bande où ils devinrent très vigoureux et luxuriants de végétation. Ils ne produisirent d’abord que peu de fleurs, mais lorsque les tiges furent
buttées, ils prirent de la force et alors ils se couvrirent de fleurs, mais ne donnèrent point de fruits. Nous avons fait faire le dessin d’une branche par Miss
Cotton et nous l’avons fait graver. La fleur en était blanche et ne différait en aucune façon de celles de ces variétés de la Pomme de terre ordinaire qui ont
les fleurs de cette même couleur. Nous avons comparé les feuilles à celles de plusieurs variétés de la Pomme de terre cultivée et nous avons pu constater
que si celles-ci avaient en général la face supérieure plus rugueuse et inégale, avec des nervures plus fortes et plus apparentes sur la face inférieure, il n’y
avait en somme aucune différence entre elles. Les foliolules qui se développent de chaque côté de la nervure médiane, entre les grandes folioles des
feuilles, étaient rares, en aussi petit nombre que celles de quelques variétés de la Pomme de terre cultivée ; mais comme nous avons pu constater, chez
d’autres variétés, que leurs feuilles étaient privées de ces foliolules, il nous a paru que la présence de ces organes appendiculaires n’est pas un caractère
aussi essentiel qu’on l’avait supposé, et ainsi qu’on l’avait établi dans le Supplément de l’Encyclopédie.
» Le buttage des tiges avait exigé une grande quantité de terre, de manière à former une sorte de monticule qui s’élevait jusqu’à deux pieds de haut : or,
vers le mois d’Août, des rejets, provenant des racines et des nœuds des tiges ainsi recouvertes, se firent jour en grand nombre à travers la surface du
monticule, et dès qu’ils se trouvèrent exposés à la lumière ils émirent beaucoup de branches » portant feuilles et fleurs, si bien qu’à la fin les deux touffes
constituèrent une quantité de pieds, différents en apparence, se développant de tous côtés. L’aspect de ces grosses touffes faisait naître un doute sur
l’identité de la plante avec notre Pomme de terre ordinaire ; ce doute augmenta lorsque l’on constata, vers la fin du mois d’Août, qu’aucun tubercule ne
s’était formé sur les racines. Les rejets ne différaient pas cependant sensiblement de ceux qu’on observe sous terre sur la Pomme de terre cultivée : ils
étaient seulement en plus grand nombre et plus vigoureux.
» Mais nous venons de faire déterrer les plants, et je puis dire que tout doute à leur égard doit être écarté. C’est bien certainement le Solanum tuberosum.
Les tiges principales avaient une longueur de plus de sept pieds ; quant au produit, il était très abondant : on recueillit sur les deux plants environ six cents
tubercules. Ceux-ci sont de grosseur variable, quelques-uns aussi gros ou plus gros qu’un œuf de pigeon, les autres aussi petits que les tubercules-mères,
quelque peu anguleux, mais plus ronds qu’oblongs. Très peu d’entre eux sont blancs, d’autres son marqués de taches d’un rouge pâle ou de taches
blanches. Nous en choisîmes deux, parmi ces derniers, pour les faire dessiner. Leur saveur, après la cuisson, était exactement celle d’une jeune Pomme de
terre.
» Le compost employé pour le buttage des plants était très saturé d’engrais : j’attribue à cette circonstance la luxuriante végétation des tiges. Si l’on eût
employé de la terre ordinaire pour le buttage, elles ne seraient probablement pas devenues si fortes, et je présume que pendant cette grande émission de
tiges et de feuilles, il y avait retard dans la formation des tubercules, car la production de ces derniers n’a eu lieu que dans la dernière partie de la saison ; et
l’on ne peut pas dire qu’ils sont en parfaite maturité, parce qu’ils auraient pu devenir plus gros s’ils avaient commencé plus tôt à se développer.
» On pourra toutefois s’en servir utilement pour la reproduction (ou pour semence, s’il m’est permis de me servir d’une expression technique), et il y en
a en suffisante quantité pour qu’on puisse les traiter comme on le fait d’une récolte ordinaire de Pommes de terre. En tous cas, il sera nécessaire d’attendre
les résultats d’une autre année d’expérience pour nous permettre de nous rendre tout à fait compte des mérites et de la valeur de cette nouvelle introduction.
Du reste, nous avons déjà constaté des changements qui nous font bien augurer des effets d’une culture appropriée : la production très abondante des
tubercules, la perte de toute l’amertume de leur saveur naturelle, l’augmentation notable de leur volume ; ce qui, par suite, me porte à croire qu’à l’origine
de la culture de ce végétal, on ne s’était pas appliqué à donner des preuves de beaucoup d’art et de patience pour obtenir dans les jardins la production des
Pommes de terre.
Vingt-trois ans après, J. Lindley devait confirmer pleinement l’opinion de M. Sabine que la Pomme de terre sortie des tubercules de M. Caldcleugh était
bien le type sauvage du Solanum tuberosum. Il s’exprime, en effet, en ces termes[11], dans un mémoire dont nous traduisons ce qui suit.
« Nonobstant toutes les recherches qui ont été faites relativement à l’origine de la véritable Pomme de terre sauvage, des témoignages douteux et
contradictoires obscurcissent encore son histoire. Sans nous arrêter aux anciennes allégations aujourd’hui abandonnées, nous voyons que Meyen, dans sa
Géographie botanique cite, comme sa station naturelle, toute la côte occidentale de l’Amérique du Sud et assure qu’il l’a lui même trouvée à l’état sauvage
en deux endroits, sur les Cordillères du Pérou et du Chili ; puis, adoptant le témoignage des Botanistes espagnols, Ruiz et Pavon, il ajoute qu’elle croît
spontanément sur la Montagne de Chancay, tout en déclarant positivement, à ce qu’il semble d’après Humboldt, qu’elle n’était pas cultivée par les
Mexicains avant l’arrivée des Européens. Il n’est pas cependant absolument certain que les plantes trouvées par Meyen et les Espagnols aient été réellement
sauvages. M. Darwin a recueilli des preuves plus évidentes sur ce sujet, pendant le Voyage du Beagle. À la latitude de 45° Sud, sur la côte de l’Amérique
du Sud, se trouve un groupe d’îles, appelle par les Géographes l’Archipel des îles Chonos. « La Pomme de terre sauvage, dit M. Darwin, croît dans ces îles
en grande abondance sur le sol sablonneux à coquilles du bord de la mer. Les plus grandes tiges avaient quatre pieds de long ; les tubercules étaient
généralement petits, mais j’en ai remarqué un, de forme ovale, qui avait deux pouces de diamètre : ils ressemblaient à tous égards à ceux des Pommes de
terre d’Angleterre ; ils avaient la même odeur, mais après la cuisson ils se rétrécissaient beaucoup, et étaient aqueux et fades, sans aucun goût d’amertume.
Ils sont indubitablement ici indigènes ; ils croissent assez loin dans le Sud, d’après M. Low, jusqu’au 50° de latitude. Les Indiens sauvages de cette région
les appellent Aquinas. Le Professeur Henslow, qui a examiné les échantillons desséchés que j’ai rapportés ici, dit qu’ils sont semblables à ceux décrits par
M. Sabine, provenant de Valparaiso, mais qu’ils constituent une variété qui a été considérée par quelques botanistes comme suffisamment caractérisée. Il
est remarquable que la même espèce de plante puisse se trouver sur les montagnes stériles du Chili central, où une goutte de pluie ne tombe pas pendant
plus de six mois, et dans les forêts humides de ces îles méridionales ».
» Il ne peut y avoir là d’erreur. Un naturaliste, comme M. Darwin, ne peut pas ne pas reconnaître des Pommes de terre, lorsqu’il les a vues, et toute son
histoire de leur découverte est exactement celle d’une plante sauvage. Il est bien certain, toutefois, que dans le Chili même la Pomme de terre croît
spontanément, sous la latitude de Valparaiso, car elle a été décrite sous le nom de Maglia par Molina et d’autres ; et cette Pomme de terre, apportée en
Angleterre par M. Caldcleugh dans l’année 1822, qui a poussé dans le jardin de la Société, ne peut pas plus être distinguée de nos variétés cultivées que
celles-ci d’aucune autre. Il est vrai qu’elle en a été séparée botaniquement, soit comme une race, soit comme une espèce, sous le nom de Solanum
Commersonii[12], mais les échantillons de ce Maglia que j’ai ici, et qui ont été recueillis dans le jardin en 1825, appartiennent sans aucun doute à l’espèce
qui est présentement cultivée dans toute l’Europe.
» Le Dr Hooker (Flora antarctica) donne plus d’extension à la Pomme de terre sauvage en y comprenant le Pérou, Mendoza et Buenos-Ayres, le Maglia
gagnant entièrement à travers le continent et croissant aux environs de Buenos-Ayres, dans les haies. Cette dernière station est signalée sur l’autorité de feu
le Dr Gillies, mais comme il n’est pas tout à fait certain que la plante qu’il a trouvée dans cette localité soit réellement le Maglia, il semble préférable de
limiter l’habitat non douteux de la Pomme de terre sauvage entre les parallèles du 30° au 48° de latitude sud. »
Lindley, qui paraît avoir eu du type spécifique de la Pomme de terre une conception très large, quant à ses caractères distinctifs, lit, en effet, « que c’est
une erreur de croire que le Solanum tuberosum est inconnu à l’état sauvage au Mexique ». Il établit cette opinion, dans ce même mémoire, sur des cultures
faites avec des tubercules envoyés à la Société d’horticulture de Londres par M. Uhde, qui avait résidé pendant plusieurs années dans l’ouest du Mexique,
et qui avait étiqueté ces tubercules : « Pommes de terre mexicaines sauvages, recueillies à une altitude de 8000 pieds. » Or ces cultures avaient produit
divers types, entre autres une plante haute, à tiges et feuilles velues et blanchâtres, très stolonifère, sur les stolons de laquelle croissaient de petits tubercules
pas plus gros que des haricots. Lindley n’y voit qu’une simple variété du S. tuberosum, mais trouve dans ses cultures deux types très différents, qu’il ne
rattache pas à cette espèce, et qu’il décrit et nomme Solanum demissum et cardiophyllum. Peut-être cette diversité de types aurait-elle dû appeler davantage
son attention sur celui qu’il rattachait comme variété au S. tuberosum. Quoi qu’il en soit, il parle encore d’autres cultures faites avec un nouvel envoi de M.
Uhde, d’échantillons étiquetés : « Tubercules d’une Pomme de terre rouge, trouvés à l’état sauvage au Mexique, à 8000 pieds d’altitude, probablement
apportés du Pérou », et « Tubercules d’une Pomme de terre trouvée au Mexique, supposée être péruvienne », enfin « Pommes de terre rouges, semblables
aux Péruviennes. »
« Des plantes, dit Lindley, qu’on en avait obtenues, une avait des tubercules blancs en forme de rognons. Leur tige et leur feuillage ressemblaient tout a
fait à ceux de certaines variétés de notre Pomme de terre, mais elles différaient des autres qui avaient été envoyées du Mexique en même temps qu’elles. »
Lindley avait constaté, en même temps, que ces nouveaux types ne résistaient pas non plus aux atteintes de la maladie.
D’un autre côté, nous trouvons dans la Géographie botanique raisonnée d’Alphonse de Candolle (1855) la traduction suivante d’une lettre écrite du
Chili, en 1847, à Sir William Hooker par M. Cruckshands (Journal de la Société d’hortic. de Londres), Les observations de ce dernier nous paraissent avoir
eu pour objet la Pomme de terre Maglia dont il a été question ci-dessus.
« On objecte souvent, écrit M. Cruckshands, que dans les pays où la Pomme de terre croît à l’état sauvage, elle pourrait, comme on l’a remarqué pour
d’autres plantes en Amérique, avoir été introduite et n’être pas une espèce indigène. Il y a cependant beaucoup de motifs pour croire qu’elle est indigène au
Chili et que les pieds qu’on y trouve sauvages ne sont pas le produit accidentel des plantes cultivées. On les trouve ordinairement sur des pentes
rocailleuses et escarpées où l’on n’aurait jamais pu les cultiver, et où le transport accidentel que l’on présume avoir été fait n’aurait pas pu s’effectuer. Cette
Pomme de terre sauvage est très commune à Valparaiso, et je l’ai suivie sur la côte à quinze lieues au nord de cette ville ; mais je ne sais pas jusqu’où elle
s’étend, soit au nord, soit au midi. Elle habite surtout les falaises et collines du bord de la mer, et je ne me souviens pas de l’avoir vue à plus de deux ou
trois lieues des côtes. Il y a une circonstance non mentionnée dans les livres, c’est que la fleur est toujours d’un blanc pur, sans trace de cette teinte pourpre,
si commune dans les variétés cultivées, circonstance que je regarde comme une forte preuve de son origine spontanée (pourquoi ? dit M. de Candolle). Je
déduis une autre preuve de ce fait, qu’on la trouve souvent dans les endroits montueux, loin des cultures, et qu’on ne la voit pas dans le voisinage immédiat
des champs et des jardins où l’on cultive la Pomme de terre, à moins qu’un courant d’eau traversant le terrain ne puisse entraîner des tubercules dans les
lieux non cultivés. »
» M. Cruckshands, ajoute M. de Candolle, présume que les Pommes de terre sauvages des environs de Lima dont parlait Pavon, doivent leur origine à
cette dernière circonstance, au moins pour les parties basses, voisines de la rivière de Chancay, mais il ajoute que l’introduction est moins probable pour les
collines, aujourd’hui incultes. » Quoi qu’il en soit, nous voyons que la Pomme de terre Maglia se trouve être considérée, soit par les résultats de la culture,
soit par les observations des explorateurs, comme étant sans aucun doute le type sauvage du Solanum tuberosum. Nous exposerons plus loin les opinions
nouvelles qui se sont manifestées sur ce sujet. En attendant, nous ne croyons pas hors de propos de chercher dans les ouvrages d’autres voyageurs les
remarques qu’ils ont pu faire sur la Pomme de terre dans ces mêmes régions péruviennes et chiliennes.
Francis de Castelnau, dans son Voyage à travers l’Amérique du Sud (1843-1847), rapporte que l’on cultivait la Pomme de terre à Samaipata, petit bourg
situé sur le plateau qui se trouve au sommet de la montagne de Cincho, puis à Aiquilé, village placé au milieu d’une plaine dont la température moyenne est
de 19°, ainsi qu’à Chuquisaca, dont les environs étaient en général arides, alors que les vallées étaient assez bien cultivées à la charrue. D’après le même
voyageur, près de la ville de Puno, capitale du Département de ce nom qui fait partie du Pérou, et qui est située à 12,870 pieds anglais[13] au-dessus de la
mer, la Pomme de terre y était l’objet d’une grande culture, avec le Maïs, mais on n’y récoltait pas de Froment. À Aréquipa, ville qui est élevée à 7,850
pieds anglais[14] au-dessus de la mer, on évaluait à un dixième du sol cultivé la partie plantée en Pommes de terre.
De Castelnau nous apprend encore, dans son Chapitre où il traite de l’Agriculture au Pérou, qu’on y cultivait plusieurs variétés de Pommes de terre.
» C’est, d’abord, dit-il, la Maca qui a la forme d’une figue, qu’on a fait sécher afin qu’elle ne puisse fermenter ; elle se garde sans altération pendant
quelques années, si on la renferme dans un endroit sec ; on en extrait une espèce de jus dont l’odeur est assez désagréable pour ceux qui n’y sont pas
accoutumés, et que l’opinion générale considère comme un stimulant très actif. On cultive encore la Oca qui est plus grande que la Maca et très douce
lorsqu’elle a été séchée à la gelée et au soleil : elle devient même farineuse ; mais elle se gâte plus tôt que les autres variétés. Nous indiquerons enfin la
Masgua, variété de l’Oca, qui n’est pas aussi sucrée et dont la forme est aplatie.
» Avec l’Oca et la Masgua on prépare ce qu’on appelle la Caya : les tubercules sont placés dans un puits jusqu’à ce qu’ils y pourrissent, puis sont ensuite
exposés au soleil et à la gelée sur une couverture pour être séchés ; ils prennent alors une couleur noirâtre et répandent, quand on les fait cuire, une odeur
fétide très désagréable et semblable à celle du cuir pourri. Cette préparation est l’aliment journalier des Indiens.
» Le Chuno se fait avec quelques-unes des variétés de la Pomme de terre que nous avons citées plus haut ; le noir est le plus commun. Pour le faire, on
expose les Pommes de terre au soleil et au froid pendant quelques jours, en ayant soin de les remuer de temps en temps ; lorsqu’elles sont en partie
desséchées, on les pile pour en extraire tout le jus qui pourrait être demeuré en les exposant de nouveau à la gelée.
» Le Chuno blanc se fait d’une espèce de grosses Pommes de terre d’un goût amer, qui croît en abondance dans les Départements de Junin, de Cuzco et
de Puno. Le procédé de fabrication est celui-ci. Les tubercules sont mis dans un sac que l’on plonge ensuite dans l’eau après le coucher du soleil ; on l’y
laisse quinze ou vingt jours, puis on l’en retire ; mais avant le lever de cet astre on pèle les tubercules et on les expose à la gelée : on obtient ainsi en peu de
jours un beau Chuno blanc que les gens du pays appellent Moray. Les Indiens croient qu’il est tout à fait nécessaire à la réussite de l’opération que le sac
soit introduit dans l’eau après le coucher du soleil et en soit retiré avant son lever, afin qu’aucun de ses rayons ne frappe la matière, qui, sans cela,
deviendrait aussitôt noire.
» La Pomme de terre sèche (Papa seca) se fait avec la Pomme de terre ordinaire : on la cuit d’abord, puis on la pèle, et on l’expose à la gelée : au bout de
quelques jours elle est prête. Cet aliment, que dans certains endroits on nomme Chochoca, est, comme le Chuno sain et nourrissant, et on le donne même
aux malades. »
Weddell, dans son Voyage au sud de la Bolivie en 1845-1846, nous a transmis également quelques détails sur la Pomme de terre. D’après lui, à
Pomabamba, qui est élevé de 2,600 mètres au-dessus du niveau de la mer, et où la température moyenne est de 14° les Pommes de terre y prospéraient ;
mais toutes celles qu’il y avait vues étaient très petites, ce qu’il attribuait à la pauvreté du sol et au peu de soin qu’on donnait à la culture. À Tarija, qui est à
une altitude de 1,770 mètres et où la température moyenne est de 13° la Pomme de terre jaune et ronde était la seule variété qui paraissait sur le marché.
« Dans cette ville, dit-il, le Maïs et la Pomme de terre forment le fond de la nourriture des pauvres de la ville. Le pain de froment se rencontre assez
abondamment, mais comme il est assez cher, il n’y a que la classe aisée qui puisse s’en nourrir… Quant au Chupé ordinaire ou national, c’est une soupe
claire dans laquelle nagent des morceaux de mouton ou de bœuf, des Pommes de terre ou des oignons. Dans le Chairo, qui est le Chupé des Indiens de la
Puna, les Pommes de terre fraîches sont remplacées par des Pommes de terre gelées (Chuno). »
Le même voyageur, qui avait d’abord parcouru les Andes de la Bolivie et du Pérou, à la recherche des arbres dont on retire les Quinquinas, sur lesquels il
a publié de très beaux travaux, y a fait une nouvelle exploration en 1851. Le récit de son Voyage dans le nord de la Bolivie et dans les parties voisines du
Pérou (1853), contient de très instructives observations.
Nous dirons d’abord que Weddell constate la présence de la Pomme de terre à La Paz, qui est à une altitude de 3,730 mètres, mais où la température
moyenne est de 10° environ, à Sorata dont l’altitude est de 2,730 mètres, à Tusuaya, altitude de 3,570 mètres, à Guaynapata, altitude de 2,030 mètres, et
enfin à Puno, dont l’altitude est environ de 4,130 mètres, et où l’on plante la Pomme de terre en Octobre, c’est-à-dire dans la saison du printemps de cette
région. Il a noté également les prix d’un cent de Pommes de terre : à La Paz, la valeur équivalente était de 1 f. 20, à Sorata de 2 f. 10, et à Tipuani, ville de
mines, dans la région chaude de l’autre côté des Andes, de 3 f. 60 à 4 f. 80. Mais laissons parler notre savant et consciencieux explorateur.
« La température serait assez uniforme à La Paz, dit Weddell, si la pureté habituelle du ciel ne rendait, pendant les nuits, le rayonnement céleste très
considérable, d’où il résulte que les nuits sont ordinairement très froides, comparées aux jours. Cependant, bien qu’à La Paz le thermomètre descende
continuellement au-dessous du point de congélation de l’eau, les plantes n’y gèlent que rarement. Cela tient, comme je m’en suis assuré, à ce que, grâce à
l’élévation, le froid y est trop sec. Ce qui me fit faire cette remarque, pour la première fois, ce fut devoir que pour faire geler leurs Pommes déterre, dans la
préparation du Chuño[15], les Indiens étaient obligés de les arroser. »
Le résultat de ses visites au marché de La Paz, où l’on vient mettre en vente toute sorte de fruits et de légumes, a été consigné par Weddell, dans son récit
de voyage, de la façon suivante.
» POMMES DE TERRE ORDINAIRES (Papas dulces). Plus petites, en général que les nôtres. La variété qui se présente le plus souvent est de forme arrondie et
de couleur jaunâtre, rosée ou violâtre. La Pomme de terre est cultivée aux environs de La Paz et se vend à raison de 9 à 10 réaux (5 f. 40 à 6 f. ») le sac
(costal) de 5 arrobes (125 livres).
« POMMES DE TERRE AMÈRES (Papas amargas). D’un jaune pâle sale, d’une forme souvent un peu aplatie. Ce tubercule est cultivé dans les punas les plus
froides, et dans des terrains qui ne produisent absolument pas autre chose. L’âcreté qui le caractérise n’est pas forte, et cependant une coction prolongée ne
la chasse jamais. La cuisson n’enlève pas non plus sa dureté, qui est bien plus marquée qu’elle ne l’est chez les Pommes de terre en général. Il n’y a guère
que les Indiens qui mangent ce légume, et alors c’est ordinairement à l’état de Chuño, Chez les Aymaras il porte le nom de luki Je n’ai pas eu l’occasion de
déterminer si la plante que produit la papa amarga est botaniquement différente de celle qui donne la papa dulce. Cependant on pourrait presque déduire la
conclusion affirmative de la différence des climats auxquels chacune d’elles s’accommode.
» Un mot sur la préparation qui porte le nom de Chuño. Dans les parties élevées des Andes, il gèle à peu près toutes les nuits de l’année, et l’on n’y a pas
les moyens, comme chez nous., de préserver ses Pommes de terre de l’action de la gelée ; de là la nécessité de les manger le plus souvent gelées, sous peine
de ne pas en manger du tout ; seulement, au lieu de les laisser geler, on les fait geler en favorisant l’action du froid de telle sorte qu’aucune partie du tissu
des tubercules ne puisse y échapper ; puis on les sèche parfaitement. La Pomme de terre, devenue Chuño par ce traitement, se conserve indéfiniment, et elle
ne perd aucune de ses qualités nutritives ; peut-être même devient-elle plus facile à digérer qu’auparavant. Quant à son goût, il change du tout au tout, mais
je déclare que je n’y trouve, pour mon compte, rien de désagréable.
» On connaît deux variétés principales de Chuño de Pommes de terre : le Chuño negro et le Chuño blanco. Pour faire le premier, on étend les tubercules
à l’air, sur une couche mince de paille ; on les arrose légèrement, et on les expose à la gelée pendant trois nuits consécutives. En dégelant ensuite au soleil,
ils prennent une consistance spongieuse ; dans cet état, on les foule sous les pieds nus pour en faire tomber l’épiderme et pour en exprimer le jus ; puis on
les laisse exposés à l’air jusqu’à ce qu’ils soient parfaitement secs[16] : ils sont alors d’un brun très foncé.
» Pour préparer le Chuño blanco il faut, après la congélation des tubercules, les faire macérer pendant une quinzaine de jours dans une eau courante. On
creuse, à cet effet, des cavités peu profondes dans le lit d’un ruisseau ou d’une rivière, et on les remplit de Pommes de terre fraîchement congelées, de
manière que l’eau puisse couler librement par dessus ; elles prennent ensuite, en séchant, une couleur parfaitement blanche.
» Le goût du Chuño blanco est moins prononcé que celui du Chuño negro mais, quoique plus délicat, il n’est pas généralement préféré. Le Chuño negro
a un inconvénient qu’il faut signaler : c’est qu’il demande à être plongé dans l’eau pendant six à huit jours avant d’être employé, tandis qu’une macération
de trente-six heures suffit pour amollir le Chuño blanco.
» Au Pérou et dans les pays analogues, la conversion des Pommes de terre en Chuño a des avantages incontestables ; elle y est, comme on l’a vu, presque
indispensable. En Europe, où les circonstances sont bien différentes, on ne tentera probablement de faire du Chuño que par curiosité. Je ferai remarquer,
d’ailleurs, que cette fabrication y serait, en général, beaucoup moins facile que sur les plateaux des Andes, par suite de la difficulté que l’on éprouverait à
opérer la dessiccation des tubercules congelés, sans recourir à des moyens artificiels. À une grande hauteur, en effet, l’évaporation est rendue plus prompte
par la diminution de la pression atmosphérique, et elle est encore hâtée durant le jour par l’intensité de la chaleur solaire.
» Un autre moyen, employé en Bolivie pour conserver les Pommes de terre, consiste à les cuire, à les peler et à les sécher à l’air. On appelle cette
préparation Cucupa. »
Ces renseignements détaillés que nous donne Weddell sont précieux parce qu’ils achèvent de nous faire connaître ce Chumo, Ciuno, Chuno ou Chugno,
dont il a été si souvent question dans les passages que nous avons cités plus haut, d’après les premiers auteurs qui ont parlé des usages que faisaient les
Péruviens de la Pomme de terre.
Nous trouvons encore, dans le même ouvrage de Weddell, un passage fort intéressant au sujet d’une constatation qu’il a faite d’une Pomme de terre
sauvage. Voici ce qu’il nous apprend à ce sujet, dans le récit de son voyage de La Paz à Tipuani, par un chemin des plus scabreux, au milieu d’une
végétation tropicale, sur le versant oriental des Andes.
» Un orage se déclara pendant la nuit, et la pluie continua de tomber avec tant de violence le lendemain, que nous jugeâmes à propos d’attendre, pour
quitter notre abri, que le temps se remît. Pendant les intervalles de calme qui eurent lieu, dans l’après-midi, je fis une tentative de chasse dans les environs,
avec un Indien pour guide… Je rapportai de ma course un objet curieux : c’était une Pomme de terre, différente de l’espèce ordinaire. Elle croissait
abondamment dans un semis de Maïs, où je la pris, tout d’abord, pour celle que tout le monde connaît, bien qu’elle me parût avoir les fleurs plus grandes ;
et je m’étonnais d’autant plus de la voir en ces lieux, que tout le monde m’avait assuré qu’on ne la trouvait plus du tout, au-dessous de Guaynapata. On me
dit alors que ce n’était pas la Pomme de terre commune que j’avais ramassée, mais une espèce sauvage, connue sous le nom de Papa sylvestre ou Lilicoya,
qui levait spontanément dans les cultures ; et on m’assura que chaque fois que, dans ce ravin, on détruisait une forêt par le feu pour y faire des semis, il était
très rare que la Lilicoya n’y parût pas peu après. Les gens du pays expliquaient ce phénomène en supposant que, du temps de los gentiles (Indiens non
convertis au christianisme), c’est-à-dire avant la conquête, il y avait en ces lieux des cultures étendues, sur l’emplacement desquelles la forêt a repris son
empire, et que les germes de la Lilicoya s’y sont conservés jusqu’à nos jours, pour se montrer à la lumière, toutes les fois que des conditions favorables à
leur développement viennent à se présenter. Les tubercules de la Lilicoya sont de la grosseur de la Pomme de terre commune mais ils en diffèrent par la
saveur ; ils sont âcres comme les Papas amargas des Punas, et on les recueille très rarement pour cette raison, et surtout parce que la gelée n’est pas là pour
en corriger le goût. »
Claude Gay, membre de l’Académie des Sciences (Section de Botanique), qui a fait une longue résidence dans le Chili, dont il a publié en 1849, sous les
auspices du Gouvernement de ce pays, une Histoire physique et politique, traite dans sa Flora Chilena, qui fait partie de ce grand ouvrage, du Solanum
tuberosum. Voici ce qu’il dit dans une Note, qui fait suite à sa description de la Pomme de terre, et dont nous donnons la traduction.
« Après le Blé, nul doute que les Papas sont le produit le plus important et le plus précieux de notre Agriculture : on ne peut assez l’admirer comme une
des plus grandes faveurs que nous prodigue la Providence, et comme la plus belle conquête que l’Europe ait pu faire dans le Nouveau-Monde. D’une
culture simple et facile, elle peut végéter dans tous les pays, dans les plus chauds comme dans les froids ; craignant moins que le Blé et les autres légumes
les intempéries et les accidents atmosphériques, ce précieux tubercule s’est répandu rapidement sur toute la surface de la terre, et par ses abondantes
récoltes et ses excellentes qualités nutritives, il forme aujourd’hui le principal aliment des peuples, en contribuant singulièrement à leur bien-être et à les
préserver pour toujours des horreurs de la famine !
» Vers la fin du XVIe siècle, il fut introduit en Europe ; mais sa culture ne se répandit complètement qu’un siècle après, et depuis elle s’est propagée avec
la plus admirable rapidité. On ne connait pas avec certitude celui qui a eu l’insigne honneur de l’importer en Europe, bien que plusieurs auteurs l’attribuent
au gouverneur Walter Raleigh, non plus de quel pays elle provient, de même qu’on ignore l’origine d’une infinité de plantes précieuses qui se cultivent
depuis un temps immémorial. Malgré tout, dans un Mémoire que nous publions sur l’Araucanie, nous croyons pouvoir prouver que le Chili peut être
regardé comme la véritable patrie de cette manne céleste, vu le grand nombre de localités dans lesquelles on la rencontre à l’état complètement sauvage :
aussi, laissant de côté celles où elle se montre dans le voisinage de certaines villes ou de certains endroits habités, et où elle a pu émigrer sans doute des
champs cultivés, nous ne parlerons que des points où nous l’avons rencontrée, dans des parages les plus retirés, et en outre dans les anfractuosités de ces
hautes Cordillères que les hommes visitent rarement. Elle se rencontre également dans l’île de Juan Fernandez et dans l’Araucanie ; et, dans les Cordillères
voisines de celles de Malvarco, il existe une chaîne de montagnes où les Pommes de terre sont si communes que les Indiens et les soldats de Pincheira
allaient les récolter pour en faire leur principal aliment : la montagne y garde le nom de Poñis, nom araucanien des Papas.
» Avant la conquête, les Chiliens cultivaient ce tubercule et le trouvaient à l’état sauvage aux environs de Santiago ; puis, Valdivia dit expressément dans
ses Cartes que les Indiens se nourrissaient avec les Papas, qu’ils allaient récolter sur les collines. Depuis lors, cette culture s’est grandement propagée, et
aujourd’hui on en connaît plus de trente variétés, toutes portant un nom distinct. Dans le Sud, elles sont plus réputées à cause de leur bon goût ; mais, dans
le Nord, elles prospèrent avec une plus grande difficulté et leurs qualités sont en outre inférieures. »
Voici donc des affirmations très catégoriques et desquelles il nous semble résulter qu’il est bien difficile de conserver un doute sur la contrée d’origine
du Solanum tuberosum. Les cultures de la Pomme de terre qui ont été jadis commencées au Chili, se sont peu à peu propagées au Pérou et en Bolivie, dans
l’empire des Incas.
Les Espagnols, pendant leur conquête, n’ont fait que constater l’importance que ces cultures avaient prise chez les Indiens. Seulement, il faut croire que les
méthodes appliquées à la multiplication des tubercules, comme le faisait remarquer Lindley, laissaient fort à désirer, car la petitesse de ceux qui avaient été
importés, au XVIe siècle en Europe, n’était pas faite pour exciter l’enthousiasme ni leur assurer de prime abord une réputation incontestée. Quoi qu’il en soit,
il convient de noter ce que nous a appris Claude Gay, comme un des renseignements les plus probants sur l’histoire de l’origine de la Pomme de terre.
D’ailleurs, Weddell, dont la haute compétence en ces matières ne saurait être méconnue, va appuyer de nouveaux arguments l’opinion de cette origine
chilienne. Dans sa Chloris Andina, ou Flore de la région alpine des Cordillères de l’Amérique du Sud (1855-1857), ce savant explorateur fait suivre, des
observations suivantes, sa description du Solanum tuberosum.
« Habitat. — Chili : lieux incultes, dans les parties centrales des Cordillères de Talcarêgué et de Cauquenès. Cultivé dans presque toute l’étendue des
Andes, dans les régions froides et tempérées.
» Je n’ai jamais rencontré, au Pérou, le S. tuberosum dans des circonstances telles qu’il ne me restât aucun doute qu’il y fût indigène ; je déclare même
que je ne crois pas davantage à la spontanéité d’autres individus de cette espèce rencontrés de loin en loin sur les Andes extra-chiliennes et regardés
jusqu’ici comme en étant indigènes. Quand on réfléchit que dans l’aride Cordillère, les Indiens établissent souvent leurs petites cultures sur des points qui
paraîtraient presque inaccessibles à la grande majorité de nos fermiers d’Europe, on comprend qu’un voyageur visitant par hasard quelqu’une de ces
cultures depuis longtemps abandonnée, et y rencontrant un pied de S. tuberosum qui y a accidentellement persisté, le recueille dans la persuasion qu’il y est
réellement spontané. Mais où est la preuve ?
» En définitive, après avoir lu avec quelque attention ce qui a été dit sur l’origine de la Pomme de terre, je suis porté aussi à présumer que sa véritable
patrie est plutôt le Chili que le Pérou. Il ne peut y avoir de doute que la culture de la Pomme de terre au Pérou ne date de fort loin, puisqu’à l’époque de la
conquête, on en trouvait dans toutes les parties tempérées de l’Amérique occidentale, du Chili à la Nouvelle-Grenade et même au Mexique, et je suis fort
tenté de croire que c’est partout la même espèce ; car bien que la Pomme de terre que l’on cultive sur les hauts plateaux du Pérou soit caractérisée par une
certaine âcreté et résiste mieux à la gelée que celle que nous connaissons, il ne parait pas y avoir dans les caractères botaniques proprement dits de raisons
suffisantes pour la considérer comme espèce distincte plutôt que comme simple race. Peut-être la Papa amarga des Péruviens est-elle le produit de la
plante décrite par Dunal sous le nom de Solanum immite, mais ses caractères distinctifs sont assez faibles, lorsqu’il s’agit de plantes cultivées. »
Nous arrivons à une période de notre histoire, où la question d’origine de la Pomme de terre, bien que généralement admise en faveur du Chili, va
devenir plus problématique en ce sens que le zèle de nouveaux explorateurs va leur permettre de recueillir des spécimens assez voisins du Solanum
tuberosum pour les identifier avec lui, et cela dans de tout autres régions américaines que le Chili méridional. Voyons déjà ce que dit à ce sujet A. de
Candolle, dans sa Géographie botanique raisonnée (1855).
« Ruiz et Pavon, fait remarquer A. de Candolle, disaient avoir trouvé le Solanum tuberosum sur les collines des environs de Chancay, ville de la côte du
Pérou. Pavon écrivait plus tard à Lambert : « Le S. tuberosum croît sauvage aux environs de Lima, à quatorze lieues de cette ville, sur la côte ; je l’ai trouvé
moi-même au Chili. » Pavon envoya à Lambert des échantillons de la plante sauvage du Pérou. On peut douter cependant que ce fût bien le S. tuberosum,
car l’espèce ainsi nommée par Pavon dans l’herbier de M. Boissier est, suivant M. Dunal, une espèce voisine (très voisine) de la Pomme de terre, son
Solanum immite[17].
»… Meyen (Grundriss der Pflanzengeographie) dit avoir trouvé deux fois la Pomme de terre sauvage sur les Cordillères du Chili et du Pérou ; mais il
n’avait rapporté d’échantillons que de celles du Chili (Nees, Act. Acad. nat. cur.).
»… Une occasion m’a permis d’étudier le Solanum verrucosum[18], en grand. Il a été introduit dans l’agriculture d’un village du pays de Gex, près de
Genève, par de simples cultivateurs, qui l’avaient reçu du Mexique, et qui le multipliaient, en 1850-1851, comme exempt de maladie. Les tubercules en
sont tardifs, plus petits que ceux du S. tuberosum, d’un goût excellent, de chair jaune ; les tiges sont multiples d’un même tubercule, très droites, et sont
renflées près des feuilles ; les fleurs sont d’un rouge violet très vif, la baie est tachetée de blanc[19]. D’autres espèces du Mexique, ayant aussi des
tubercules, sont indiquées par les auteurs, mais aucune ne paraît rentrer dans le S. tuberosum. »
L’extrait suivant d’une publication américaine, The American Journal of sciences and arts de Silliman (1856), vient à ce propos corroborer cette dernière
opinion d’A. de Candolle. Nous le traduisons comme il suit.
« Pommes de terre sauvages dans le Nouveau-Mexique et le Texas occidental. — Nous avons reçu du Dr Myer, par l’intermédiaire du Chirurgien
général, un Mémoire détaillé sur la découverte dans le Texas occidental de ce qu’il a cru être le S. tuberosum à l’état sauvage ; ce mémoire était
accompagné de plusieurs tubercules et de la plante entière préparée et desséchée avec soin. Le Dr Myer a premièrement découvert cette plante sur les bords
du Rio Limpio, et s’est assuré ensuite qu’elle était çà et là partout disséminée dans toute cette région, puis dans le Nouveau-Mexique. Les tubercules,
quoique petits, étant à peine aussi gros qu*une noix, ont été recueillis, cuits et mangés par des officiers et des soldats, et ils ont été reconnus à la fois
agréables au goût et non malfaisants. Il vint naturellement à l’esprit du Dr Myer que sa découverte pourrait rendre certains services, que ces Pommes de
terre sauvages pourraient probablement augmenter de volume et gagner en saveur à la suite d’une culture prolongée ; et que, si la maladie bien connue de la
Pomme de terre était due, comme certains le supposent, à une attaque de Champignons microscopiques, ou bien à une faiblesse générale de constitution
résultant de la propagation de génération en génération par les tubercules, et de la rareté du renouvellement par les graines, ou de ces deux causes réunies,
un remède utile serait de recommencer la culture avec une plante sauvage. Or ces Pommes de terre indigènes de notre propre contrée fourniraient un type
excellent pour atteindre ce but, et l’on pourrait espérer les voir résister pendant longtemps à la maladie, sinon tout à fait.
» Telle est, en peu de mots, la substance de l’intéressant Mémoire du Dr Myer, que son Supérieur officiel, le Chirurgien général, nous a adressé pour le
publier. Mais la longueur de ce Mémoire ne nous a pas permis de l’insérer dans ce Journal. En outre, les faits et les suggestions qui y sont exposés n’ont
pas la nouveauté que le Dr Myer a naturellement supposé qu’ils pouvaient avoir. Nous n’avons pas voulu cependant passer sous silence ses louables efforts
et ses observations. Aussi, après avoir donné ce très court extrait des points principaux, qu’il avait traités dans son
Mémoire avec plus de détails, nous prendrons la liberté de faire remarquer :
» 1° Que la Pomme de terre sauvage en question est bien une Pomme de terre, mais non de la même espèce que le
Solanum tuberosum. On rencontre, en effet, dans cette région, deux espèces tubérifères de Solanum, L’une a une
corolle blanche à 5 divisions et des folioles oblongues-lancéolées ordinairement à la base : c’est probablement le S.
Jamesii de Torrey (lequel, si nous ne nous trompons, était signalé à tort comme étant annuel) ; l’autre, d’après les
échantillons envoyés par le Dr Myer, a une corolle bleue, quinquelobée, et des folioles ovales ou arrondies qui sont
souvent légèrement cordiformes à la base : cette espèce, si elle n’a réellement pas été décrite, sera bientôt publiée sous
le nom de S. Fendleri. Toutes les deux se distinguent du S. tuberosum par leurs folioles uniformes, ou seulement par la
petitesse de leurs paires de folioles basilaires, tandis que sur la Pomme de terre commune et les dix-huit formes affines
reconnues par Dunal comme espèces (mais peut-être seraient-elles toutes de simples variétés d’une seule espèce), une
rangée de folioles beaucoup plus petites se trouve interposée entre les plus grandes.
» 2e Ces Pommes de terre sauvages ont été connues il y a déjà quelque temps. En laissant de côté le Dr James, qui a
récolté celle qui porte son nom, il y a trente-six ans, sans savoir si elle était tubérifère, nous pouvons attribuer leur
Fig. 9 et 10. — Solanum Fendleri.
découverte au très excellent explorateur botaniste, M. Fendler, dont les collections faites, il y a neuf ans, dans la partie
Sommité fleurie, avec un pétiole stipulé et septentrionale du Nouveau-Mexique, renferment ces deux espèces avec leurs tubercules.
deux tubercules (1/4 grandeur naturelle).
Elles ont été également recueillies par M. Wright, en 1849, et se trouvent dans son inestimable collection faite entre
le Texas oriental et El Paso, par la route militaire ouverte alors à travers cette région. En 1851 et en 1852, elles ont été de nouveau récoltées dans
différentes parties du Nouveau-Mexique par M. Wright, le Dr Bigelow et les autres naturalistes attachés à la Commission mexicaine de délimitation,
lesquels ont reconnu les rapports assez étroits qu’elles avaient avec la Pomme de terre commune.
» 3e On a déjà fait plusieurs essais de cultures d’autres espèces très affines en vue de les substituer au S. tuberosum, mais sans obtenir les résultats qu’on
en espérait. M. A. de Candolle rapporte[20] que le S. verrucosum du Mexique avait été cultivé pendant deux ans en Suisse, près de Genève, sans être atteint
par la maladie qui avait détruit toutes les récoltes de la Pomme de terre commune dans le voisinage ; mais, la troisième année, cette espèce avait été
également attaquée. »
Enfin, nous trouvons dans l'Illustration horticole (1877) un très intéressant article de M. Édouard André, dont nous extrayons ce qui suit :
« La Patrie de la Pomme de terre. — … Pendant longtemps on ne put découvrir la véritable patrie de la Pomme de terre. Humboldt a déclaré qu’il l’a
vainement cherchée et qu’il n’a trouvé aucune Solanée tuberculeuse au Chili, dans la Nouvelle-Grenade, ni au Pérou ; Ruiz et Pavon, qui croyaient l’avoir
recueillie dans cette dernière contrée, n’avaient découvert que le Solanum immite. En 1822, M, Caldcleugh et M. Cruckshands virent le S. tuberosum à
l’état sauvage au Chili ; Meyer de même, et enfin Claude Gay.
» Il paraît donc démontré que le S. tuberosum n’existe spontané ni au Pérou, ni dans la Nouvelle-Grenade, sur le simple témoignage de Humboldt qui ne
l’y a pas rencontré.
» J’ai été plus heureux. J’ai trouvé le S. tuberosum authentique et spontané, loin de toute habitation, dans ces conditions qui ne trompent guère un
naturaliste, et sur trois points différents.
» La première fois, c’était au sommet du Quindio (Colombie), près du volcan de Tolima, à 3,500 mètres supra-marins et par 4° 34’ latitude nord. La
plante formait de petites touffes dans l’humus végétal de la forêt, presque sous bois, parmi les arbres rabougris de cette région alpine. Ses longs rameaux
étaient à moitié enterrés et blancs, et à leur extrémité les tubercules (ou plutôt les rameaux souterrains renflés) étaient de la dimension d’une petite noix
allongée, féculents, légèrement amers. Les fleurs étaient blanches, à peine lilacées, plus petites que dans nos variétés cultivées ; mais j’attribuai leur
exiguïté et leur décoloration à l’appauvrissement de la plante sous un climat aussi rigoureux, c’est-à-dire à 1,000 mètres seulement au-dessous des neiges
éternelles du Tolima.
» La seconde fois, c’était dans le Cauca, dans les boquerones ou taillis qui avoisinent le bourg de La Union, par 1° 33’ de latitude nord, c’est-à-dire fort
près de l’équateur. L’altitude, cette fois, était bien différente, et ne dépassait pas 1,900 mètres. Aussi, la plante se développait dans toute sa beauté, parmi
des taillis de Siphocampylus, Sciadocalyx, Ageratum, Alonzoa, Rubus, Lamourouxia, d’une végétation florissante et couverts de fleurs. C’était en mai de
l’année 1876. Les tiges du S. tuberosum que je recueillis se dressaient en se soutenant sur les arbustes voisins ; leur feuillage était vigoureux et de superbes
ombelles de grandes fleurs violet foncé les accompagnaient. Près des villages de cette région, la plante cultivée ne présentait pas du tout cet aspect, mais
formait des touffes courtes et rameuses comme dans les champs d’Europe. D’ailleurs, les pieds spontanés étaient nombreux, épars, loin de tout passage des
hommes qui auraient pu les semer par hasard, et ils donnaient bien l’aspect d’une plante « chez elle », comme elle a été semée par la nature.
» La troisième fois, enfin, c’était non loin de Lima, dans la montagne des Amancaës, où croissent les Amaryllis de ce nom, et où, parmi la plus pauvre
végétation, croît la Pomme de terre en abondance. Elle n’est pas moins répandue dans l’île de San Lorenzo, près du Gallao, port de Lima. Dans ces deux
localités, elle aurait pu être apportée par la main des hommes, mais ceux-ci l’eussent-ils implantée sur des rochers inaccessibles et dénudés où ils ne mettent
jamais le pied, n’ayant rien à y faire ? D’ailleurs, les semences de la Pomme de terre ne sont pas de celles que le vent emporte et dissémine facilement. Sur
les échantillons que j’ai rapportés du Pérou, les fleurs sont toutes lilas pâle, les tubercules petits, oblongs, peu savoureux. Je crois encore que la plante est là
dans sa patrie naturelle, mais je ne l’affirme pas absolument.
» Je pense donc que l’opinion de Humboldt ne suffit point pour déclarer que la Pomme de terre ne se trouve pas au Pérou, dans l’Équateur et la
Nouvelle-Grenade, et je crois fermement que de nouvelles investigations la feront rencontrer sur d’autres points de ces contrées. »
L’habile explorateur a-t-il eu raison de croire qu’il avait enfin mis la main sur d’authentiques spécimens de la Pomme de terre sauvage ? Son récit,
qu’anime l’enthousiasme de cette découverte, le ferait supposer. Cependant, nous allons voir ce qu’en ont pensé les phytographes, plus froids dans leur
jugement. Le très intéressant ouvrage d’A. de Candolle, déjà cité, L’Origine des plantes cultivées (1883), nous procure à la fois un résumé de tout ce que
nous avons fait ci-dessus connaître et une première opinion sur les résultats de l’exploration de M. Édouard André. Nous en extrayons ce qui suit :
» Il est bien prouvé qu’à l’époque de la découverte de l’Amérique la culture de la Pomme de terre était pratiquée, avec toutes les apparences d’un ancien
usage, dans les régions tempérées qui s’étendent du Chili à la Nouvelle-Grenade, à des hauteurs différentes selon les degrés de latitude. Cela résulte du
témoignage de tous les premiers voyageurs.
» Dans les parties tempérées orientales de l’Amérique méridionale, par exemple sur les hauteurs de la Guyane et du Brésil, la Pomme de terre n’était pas
connue des indigènes, ou, s’ils connaissaient une plante analogue, c’était le Solanum Commersonii qui a aussi des tubercules et se trouve sauvage à
Montevideo et dans le Brésil méridional. La vraie Pomme de terre est bien cultivée aujourd’hui dans ce dernier pays, mais elle y est si peu ancienne qu’on
lui a donné le nom de Batate des Anglais. D’après de Humboldt, elle était inconnue au Mexique, circonstance confirmée par le silence des auteurs
subséquents, mais contredite, jusqu’à un certain point, par une autre donnée historique.
»… Personne ne peut douter que la Pomme de terre ne soit originaire d’Amérique ; mais pour connaître de quelle partie précisément de ce vaste
continent, il est nécessaire de savoir si la plante s’y trouve à l’état spontané et dans quelles localités.
» Pour répondre nettement à cette question, il faut d’abord écarter deux causes d’erreurs : l’une qu’on a confondu avec la Pomme de terre des espèces
voisines du genre Solanum ; l’autre que les voyageurs ont pu se tromper sur la qualité de plante spontanée.
» Les espèces voisines sont le Solanum Commersonii de Dunal, dont j’ai déjà parlé ; le S. Maglia de Molina, espèce du Chili ; le S. immite de Dunai, qui
est du Pérou ; et le S. verrucosum de Schlechtendahl, qui croît au Mexique. Ces trois sortes de Solanum ont des tubercules plus petits que le S. tuberosum et
différent aussi par d’autres caractères indiqués dans les ouvrages spéciaux de botanique. Théoriquement on peut croire que toutes ces formes et d’autres
encore croissant en Amérique, dérivent d’un seul état antérieur ; mais, à notre époque géologique, elles se présentent avec des diversités qui me paraissent
justifier des distinctions spécifiques, et il n’a pas été fait d’expériences pour prouver qu’en fécondant l’une par l’autre on obtiendrait des produits dont les
graines (et non les tubercules) continueraient la race. Laissons de côté ces questions plus ou moins douteuses sur les espèces. Cherchons si la forme
ordinaire du S. tuberosum a été trouvée sauvage, et notons seulement que l’abondance des Solanum à tubercules croissant en Amérique dans les régions
tempérées, du Chili ou de Buenos-Ayres jusqu’au Mexique, confirme le fait de l’origine américaine On ne saurait rien de plus que ce serait une forte
présomption sur la patrie primitive.
» La seconde cause d’erreur est expliquée très nettement par le botaniste Weddell, qui a parcouru avec tant de zèle la Bolivie et les contrées voisines.
« Quand on réfléchit, dit-il, que dans l’aride Cordillère les Indiens établissent souvent leurs petites cultures sur des points qui paraîtraient presque
inaccessibles à la grande majorité de nos fermiers d’Europe, on comprend qu’un voyageur, visitant par hasard une de ces cultures depuis longtemps
abandonnées, et y rencontrant un pied de S. tuberosum qui y a accidentellement persisté, le recueille, dans la persuasion qu’il y est réellement spontané :
mais où est la preuve ? »
» Voyons maintenant les faits. Ils sont nombreux pour ce qui concerne la spontanéité au Chili.
» En 1822, A. Caldcleugh, consul anglais, remet à la Société d’horticulture de Londres des tubercules de Pommes de terre qu’il avait recueillis « dans
des ravins autour de Valparaiso. » Il dit que ces tubercules sont petits, tantôt rouges et tantôt jaunâtres, d’un goût un peu amer. « Je crois, ajoute-t-il, que
cette plante existe sur une grande étendue du Littoral, car elle se trouve dans le Chili méridional, où les indigènes l’appellent Maglia. » Il y a probablement
ici une confusion avec le S. Maglia des botanistes ; mais les tubercules de Valparaiso, plantés à Londres, ont donné la vraie Pomme de terre, ce qui saute
aux yeux en voyant la planche coloriée de Sabine dans les Transactions de la Société d’horticulture. On continua
quelque temps à cultiver cette plante, et Lindley certifia de nouveau, en 1847, son identité avec la Pomme de terre
commune. Les Pommes de terre décrites avaient des fleurs blanches, comme cela se voit dans quelques variétés
cultivées en Europe. On peut présumer que c’est la couleur primitive pour l’espèce, ou au moins, une des plus
fréquentes à l’état spontané.
» Darwin, dans son voyage à bord du Beagle, trouva la Pomme de terre sauvage dans l’archipel Chonos, du Chili
méridional, sur les sables du bord de la mer, en grande abondance, et végétant avec une vigueur singulière, qu’on peut
attribuer à l’humidité du climat. Les plus grands individus avaient quatre pieds de hauteur. Les tubercules étaient petits,
quoique l’un d’eux eût deux pouces de diamètre. Ils étaient aqueux, insipides, mais sans mauvais goût après la cuisson.
« La plante est indubitablement spontanée », dit l’auteur, et l’identité spécifique a été confirmée par Henslow d’abord
et ensuite par Sir Joseph Hooker, dans son Flora antarctica.
» Un échantillon de notre herbier recueilli par Claude Gay, attribué au S. tuberosum par Dunal, porte sur l’étiquette :
« Au centre des Cordillières de Talcarégué et de Cauquenès, dans les endroits que visitent seulement les botanistes et
les géologues ». Le même auteur Cl. Gay, dans son Flora Chilena, insiste sur la fréquence de la Pomme de terre
Fig. 11 et 12. — Solanum Maglia de sauvage au Chili, jusque chez les Araucaniens, dans les montagnes de Malvarco, où, dit-il, les soldats de Pincheira
Schlechlendahl. allaient les chercher pour se nourrir. Ces témoignages constatent assez l’indigénat au Chili pour que j’en omette
Sommité en boutons, avec deux fleurs d’autres moins probants, par exemple ceux de Molina et de Meyen, dont les échantillons du Chili n’ont pas été
épanouies, vues de face et de côté (3/4
grandeur naturelle). examinés.
» Le climat des côtes du Chili se prolonge sur les hauteurs en suivant la chaîne des Andes, et la culture de la Pomme de terre est ancienne dans les
régions tempérées du Pérou, mais la qualité spontanée de l’espèce y est beaucoup moins démontrée qu’au Chili. Pavon prétendait l’avoir trouvée sur la
côte, à Chancay et près de Lima. Ces localités paraissent bien chaudes pour une espèce qui demande un climat tempéré ou même un peu froid. D’ailleurs
l’échantillon de l’herbier de M. Boissier recueilli par Pavon, appar tient, d’après Dunal, à une autre espèce qu’il a nommée S. immite. J’ai vu l’échantillon
authentique et n’ai aucun doute que ce ne soit une espèce distincte du S. tuberosum. Sir W. Hooker cite un échantillon, de Mac Lean, des collines autour de
Lima, sans aucune information sur la spontanéité. Les échantillons (plus ou moins sauvages ?) que Matthews a envoyés du Pérou à Sir W. Hooker
appartiennent, d’après Sir J. Hooker, à des variétés un peu différentes de la vraie Pomme de terre. M. Hensley, qui les a vus récemment dans l’herbier de
Kew, les juge « des formes distinctes, pas plus cependant que certaines variétés de l’espèce ».
» Weddell, dont nous connaissons la prudence dans cette question, s’exprime ainsi : « Je n’ai jamais rencontré au Pérou le Solanum tuberosum dans des
circonstances telles qu’il ne me restât aucun doute qu’il fût indigène ; je déclare même que je ne crois pas davantage à la spontanéité d’autres individus
rencontrés de loin en loin sur les Andes extra-chiliennes et regardés jusqu’ici comme étant indigènes. »
» D’un autre côté, M. Ed. André a recueilli, avec beaucoup de soin, dans deux localités élevées et sauvages de la Colombie, et dans une autre près de
Lima, sur la montagne des Amancaës, des échantillons qu’il pensait pouvoir attribuer au S. tuberosum. M. André a eu l’obligeance de me les prêter. Je les
ai comparés attentivement avec les types des espèces de Dunal dans mon herbier et dans celui de M. Boissier. Aucun de ces Solanum, à mon avis,
n’appartient au S. tuberosum, quoique celui de La Union, près du fleuve Gauca, s’en rapproche plus que les autres. Aucun, et ceci est encore plus certain,
ne répond au S. immite de Dunal. Ils sont plus près du S. Colombianum du même auteur, que du tuberosum et de l'immite. L’échantillon du Mont Quindio
présente un caractère bien singulier. Il a des baies ovoïdes et pointues[21].
» Au Mexique, les Solanum tubéreux attribués au S. tuberosum, ou, selon M. Hensley, à des formes voisines, ne paraissent pas pouvoir être considérés
comme identiques avec la plante cultivée. Ils se rapportent au S. Fendleri, que M. Asa Gray a considéré d’abord comme espèce propre, et ensuite comme
une forme du S. tuberosum ou du S. verrucosum.
» Nous pouvons conclure de la manière suivante :
» l° La Pomme de terre est spontanée au Chili, sous une forme qui se voit encore dans nos plantes cultivées.
» 2° Il est très douteux que l’habitation naturelle s’étende jusqu’au Pérou et à la Nouvelle-Grenade.
» 3° La culture était répandue, avant la découverte de l’Amérique, du Chili à la Nouvelle-Grenade… »
Nous nous contenterons de noter ici qu’A. de Candolle, partageant l’opinion de Sabine et de Lindley, continue à considérer le Maglia, qu’il ne croit pas
être le S. Maglia des botanistes, comme étant un des types sauvages de la Pomme de terre.
En 1883, nous constatons l’apparition d’une nouvelle espèce de Solanum tuberculifère. M. Blanchard, jardinier en chef du Jardin botanique à Brest, l’y
avait cultivée, ou plutôt, comme il le dit, laissée au même endroit et cela pour cette raison qu’il lui était à peu près impossible de la détruire. Tous les ans, à
la fin de Juin ou au commencement de Juillet, il en faisait la récolte. Mais malgré tous les soins qu’il apportait à cette opération, il en restait assez en terre
pour que, l’année suivante, le champ s’en trouvât garni, tant elle est traçante. Cette espèce avait été découverte, en 1841, dans les dunes de la Plata par le Dr
Désiré Petit, qui en avait rapporté seulement des échantillons desséchés. Elle fut retrouvée dans l’île Goritti, à l’embouchure du Rio de la Plata, en face de
la ville de Maldonado, à 35° de latitude sud et 58° de longitude ouest, par le Dr Ohrond, qui en apporta des tubercules en France en 1882, lesquels furent
cultivés à Brest. Le Dr Ohrond avait remarqué que l’île Goritti est inhabitée, sablonneuse, à sables très meubles et fins, contenant une grande quantité de
débris de coquilles. Les tubercules avaient été trouvés à la surface du sable, au nombre de six, de la grosseur à peu près d’une aveline ; mais les recherches
faites dans les sables du lieu même et du voisinage, dans le but d’en découvrir d’autres, étaient restées vaines. Il s’agissait donc bien d’une Pomme de terre
sauvage. M. Carrière, après l’avoir cultivée à Montreuil, dans un terrain siliceux, la fit connaître dans un article de la Revue Horticole, intitulé : Nouvelle
espèce de Pomme de terre. Il en donna la description et des figures, et la nomma Solanum Ohrondii, jugeant très bien que tout en ayant des affinités avec le
S. tuberosum, elle en différait par des caractères assez nets pour constituer une espèce particulière.
Des observations qu’avait faites M. Carrière, il résultait aussi que sa végétation était presque continue, « C’est au point, dit-il, que l’on pourrait faire
deux récoltes là où le climat est chaud[22], et même, dans ces conditions ce serait presque une récolte permanente. Ainsi, à Montreuil, nous en avons planté
en Avril qui étaient mûres en Juin et replanté une deuxième saison en Septembre, qui fleurirent environ cinq semaines après la plantation. Elle présente
aussi dans sa végétation cette particularité que les drageons (tiges souterraines) qui donnent des bourgeons, fleurissent presque aussitôt qu’ils sont sortis du
sol. C’est aussi ce qui est arrivé pour celles que nous avons plantées en deuxième saison… Quant à la qualité, nos expériences s’accordent avec celles de
M. Blanchard. Ainsi, nous avons fait cuire les tubercules dans l’eau, dans le feu ou sur un fourneau dans de la cendre, et toujours ils se sont montrés d’assez
bonne qualité. La chair est d’une extrême densité : quelle que soit la cuisson, elle est si ferme qu’on peut la couper comme on le ferait d’un morceau de
terre glaise.
M. Blanchard, dans ses cultures de la Pomme de terre Ohrond, n’en avait obtenu que des tubercules pesant en moyenne 15 à 18 grammes ; quelques
autres pesaient de 70 à 72 grammes, un seul avait présenté un poids de 85 grammes. Nous pouvons dire tout de suite ici que les essais de culture qui ont été
faits depuis lors de ce nouveau Solanum n’ont pas donné les résultats qu’on en avait tout d’abord espérés. La plante s’est toujours montrée stolonifère et
productive de petits tubercules peu nombreux. Ceci même en accentue les différences qu’elle présentait d’abord avec le S. tuberosum et l’a fait à peu près
abandonner.
En 1884, Sir J. D. Hooker publiait dans le Botanical Magazine une description très détaillée et une belle planche du Solanum
Maglia, et les accompagnait des observations suivantes que nous traduisons en ces termes.
« La planche qui se trouve placée à côté de notre description représente avec tous ses caractères la plante dont les tubercules ont
été envoyées par Al. Caldcleugh, du Chili à la Société royale d’horticulture, en 1822, comme étant de ceux de la véritable Pomme
de terre sauvage, et qui a été ensuite trouvée par Darwin dans l’Archipel des îles Chonos et mentionnée dans son récit du Voyage du
Beagle. L’histoire de ces deux découvertes est bien connue. Les tubercules de M. Caldcleugh, du volume d’un œuf de pigeon et
même plus petits, avaient après la cuisson la saveur d’une Pomme de terre ordinaire. Cette plante et ses tubercules ont été
parfaitement décrits par Sabine dans les Transactions de la Société. Darwin a décrit ses tubercules comme étant ovoïdes, d’un
diamètre de deux pouces, et comme ayant exactement la même odeur et la même forme que la Pomme de terre ordinaire ; mais Fig. 13 et 14. — Solanum
lorsqu’ils étaient bouillis, ils se rétrécissaient et devenaient aqueux et insipides. Des tubercules de la même espèce ont été donnés à Ohrondii de Carrière.
Une sommité fleurie avec
Kew, en 1862, par le Dr Sclater : ils s’étaient développés dans le sol sablonneux d’un parc, sans engrais. Plantés à Kew, ils ne deux tubercules (1/2 grandeur
produisirent aucun tubercule en 1863 et 1864 ; mais ils en ont formé depuis, comme la planche les représente, la culture en ayant naturelle)
été continuée depuis cette époque.
« Néanmoins, il semble résulter des recherches de M. Baker, que le Solanum Maglia, qui est certainement une plante du rivage de la mer, n’est pas le
type originaire de la Pomme de terre, que l’on doit chercher dans le S. tuberosum qui s’y rattache étroitement et qui a pris naissance sur les Andes du Chili
et du Pérou… Les espèces affines du S. Maglia ont leur extension dans le Nord, au Nouveau-Mexique, où l’on a découvert les S. Jamesii et Fendleri, que
l’on a mis récemment en culture.
» Des expériences ont été commencées, sous les auspices de la Société royale d’Agriculture, pour améliorer les qualités de la Pomme de terre, surtout au
point de vue de sa force de résistance aux attaques de la maladie, en croisant le S. tuberosum avec ses espèces affines, parmi lesquelles se trouve le S.
Maglia, que l’on propose d’appeler désormais « La Pomme de terre de Darwin ».
» La plante dont nous donnons le dessin, et qui a été obtenue avec les tubercules du Dr Sclater, fleurit très bien chaque automne, mais produit des
tubercules aqueux, à peine mangeables. »
Dans la même année, 1884, M. Baker[23] publiait dans le Journal de la Société linnéenne de Londres un Mémoire intitulé : A Review of the Tuber-
bearing Species of Solanum, dans lequel il s’était proposé de passer en revue les espèces de Solanum qui produisent des tubercules.
« Il est d’un grand intérêt, dit-il, aux points de vue botanique et économique tout à la fois, de rechercher, parmi les nombreux types de Solanum qui
produisent des tubercules, quelle est leur individualité climatérique et géographique et quels sont leurs caractères différentiels et leurs rapports réciproques.
Comme il reste encore plusieurs points à éclaircir Je me propose, dans le présent Mémoire, de passer en revue les matériaux que nous possédons en
Angleterre, relativement à cette question. C’est à l’instigation du Comte Cathcart que j’ai entrepris cette étude, et, pour la mener à bien, j’ai examiné tous
les échantillons desséchés de Kew, du British Muséum et de l’herbier Lindley, j’ai étudié avec soin les types sauvages que nous cultivons dans le Jardin des
plantes herbacées à Kew et j’ai visité les très grandes cultures d’essais de MM. Sutton et Cie à Reading, dont la collection des types cultivés à l’état vivant
est probablement la plus complète qui existe, et auxquels je suis très reconnaissant de leur aide obligeante.. Je me propose, en premier lieu, de traiter en
détail les espèces et les variétés au point de vue géographique, puis de les décrire sommairement au point de vue de la botanique systématique, enfin de
faire quelques remarques générales sur l’économie résultant de ces faits. »
M. Baker répartit comme il suit les espèces de Solanum à tubercules, dont il donne des descriptions et signale les nombreuses stations :
I. CHILI. — Solanum tuberosum L., S. eutuberosum Lindley, S. Fernandezianum Philippi, S. Maglia Schlechtendahl, S. collinum Dunal ;
II. BRÉSIL, URUGUAY et RÉPUBLIQUE ARGENTINE. — S. Gommer, sonii Dunal, S. Ohrondii Carrière ;
III. PÉROU, BOLIVIE, ÉQUATEUR et COLOMBIE. — S. tuberosum L., S. Otites Dunal, S. Andreanum Baker, S. immite Dunal, S. Colombianum Dunal, S.
Valenzuelœ Palacio.
IV. MEXIQUE. — S. verrucosum Schlechtendahl, S. suaveolens Kunth et Bouché, S. stoloniferum Schlechtendahl, S.
demissum Lindley, S. utile Klotzsch, S. squamulosum Mart. et Galeotti, S. cardiaphyllum Lindley, S oxycarpum
Schiede.
V. ÉTATS-UNIS DU SUD-OUEST. — S. Fendleri Asa Gray, S. Jamesii Torrey.
Puis, pour conclure, M. Baker déclare que, parmi les vingt espèces ci-dessus nommées, il n’en reconnaît comme
certainement distinctes que six, savoir : S. tuberosum L., S. Maglia Schlecht., S. Commersonii Dunal, S. cardiophyllum
Lindley, S. Jamesii Torrey et S. oxycarpum Schiede. Par suite, il considère comme de simples formes ou variétés : 1°
du S. tuberosum, les S. etuberosum, Fernandezianum, immite, Colombianum, Otites, Valenzuelæ, verrucosum, debile,
stoloniferum, utile, squamulosum et Fendleri, et 2° du S. Commersonii, les S. Ohrondii et collinum. Enfin il admet
comme une espèce nouvelle et très distincte, le S. Andreanum, c’est-à-dire la plante que M. Ed. André avait recueillie à
La Union, puis il rattache au S. Otites Dunal celle du Quindio et au S. tuberosum, celle de Lima.
Ainsi, le résultat définitif du travail de M. Baker serait d’annuler à peu près tous les travaux de ses devanciers, en
tant que distinction d’espèces affines du S. tuberosum et du S. Commersonii, et de reconnaître pour la patrie de la
Fig. 15 à 17. — Solanum stoloniferum de Pomme de terre, non plus seulement l’Amérique du Sud, mais l’Amérique du Nord, puisqu’on en aurait découvert de
Schlechtendahl.
Sommité fleurie, avec deux tubercules (3/4 gr. simples formes ou variétés au Chili, au Pérou, dans la Bolivie, l’Equateur, la Colombie, le Mexique et les États-Unis.
nat.) La lecture du précédent Mémoire ne laissa pas que d’émouvoir vivement A. de Candolle. Il y répondit en 1886 par
une Note qu’il publia dans les Archives des sciences physiques et naturelles de Genève. Cette Note porte pour titre : Nouvelles recherches sur le type
sauvage de la Pomme de terre (S. tuberosum).
M. Baker avait accompagné son Mémoire de six planches représentant les six types distincts de Solanum à tubercules qu’il avait admis. La planche la
plus importante devait naturellement être celle qui était consacrée au S. tuberosum, espèce à formes si multiples qu’elle devait être préparée de façon à
pouvoir répondre à tous les doutes.
« À la première vue de cette planche de M. Baker, dit A. de Candolle, il me fut impossible d’admettre l’identité avec le S. tuberosum cultivé… La
principale différence entre le S. tuberosum cultivé et la planche de M. Baker se trouve dans la forme des lobes du calyce, aigus dans l’un, obtus dans
l’autre. Ceci m’a fait examiner sous ce point de vue, jusqu’alors trop négligé, des formes voisines rapportées quelques fois au S. tuberosum. Pour plus
d’informations je me suis adressé à M. le Prof. Philippi, de Santiago, et à M. le Prof. Hieronymus, maintenant de retour en Allemagne, afin d’obtenir d’eux,
si possible, des échantillons du Chili et de la République Argentine. Ces deux savants ont bien voulu me communiquer, le premier des fleurs de certains
Solanums du Chili, le second des exemplaires complets d’espèces en deçà des Andes. En outre, M. le Dr Masters a eu l’obligeance de recueillir pour moi
des informations sur les variétés cultivées de la Pomme de terre, ce dont je m’empresse de le remercier, ainsi que les honorables correspondants
susnommés. Grâce à leurs documents et aux échantillons de mon herbier, je crois pouvoir affirmer, avec plus de certitude qu’auparavant, quelles formes
indigènes ont été confondues avec le S. tuberosum, mais il n’en est pas résulté pour moi de changer d’opinion sur le type originel de la plante cultivée. »
« Quand on regarde, ajoute plus loin A. de Candolle, les figures publiées jadis par De l’Escluse (Clusius) et Gérard, on est surpris du peu de changement
qui s’est opéré dans les organes aériens de la plante. Clusius décrivait la Pomme de terre introduite du Pérou dans le midi de l’Europe au XVIe siècle, par
les Espagnols ; Gérard, celle introduite un peu plus tard en Angleterre et en Irlande, par Herriott, compagnon de Walter Raleigh[24]. Les feuilles, fleurs et
fruits sont identiques dans ces deux planches et dans la Pomme de terre aujourd’hui cultivée[25]. La forme et l’abondance des tubercules sont telles qu’on
les voit encore très souvent, mais les cultivateurs ont multiplié beaucoup de tubercules de forme, grosseur, couleur, saveur ou précocité diverses. Toutes les
variétés agricoles reposent sur cet organe variable, dont on a intérêt à conserver les modifications. Le calyce, dans les anciennes figures, est exactement
celui de la plante actuelle. Ses lobes sont des lanières allongées, pointues ou lancéolato-acuminées, quelquefois sur le même individu. La corolle variait
jadis du bleu à des teintes rosées et au blanc avec raies verdâtres, mais Clusius a eu soin de dire que des semis de fleurs colorées avaient donné quelquefois
des fleurs blanches, et de nos jours la couleur varie… »
« Darwin, dit-il encore, a soutenu que les organes ou les caractères persistent ordinairement de génération en génération quand ils ne sont ni nuisibles, ni
utiles à l’espèce. L’observation et le raisonnement font comprendre, en effet, qu’une condition nuisible s’oppose à la durée héréditaire d’une forme ou tout
au moins la rend problématique dans la lutte entre les êtres organisés, mais qu’une condition sans danger et sans utilité pour l’espèce ou, dans le cas de
plantes cultivées, pour l’homme, peut subsister en raison même de son insignifiance.
» Dans les Solanum à tubercules, le nombre et la forme des segments de la feuille, la forme des lobes du calice et leur attache sessile ou pétiolulée, la
grandeur ou la couleur de la corolle, la forme ou la grosseur des baies, le nombre des graines et quelques autres caractères n’ont pas de conséquences
physiologiques, attendu que la propagation se fait au moyen des tubercules, et qu’en même temps l’homme n’accorde à ces caractères aucune attention au
point de vue de son intérêt. S’il opère quelque sélection, c’est en soignant et plantant les plus gros tubercules, ce qui conduit à éliminer aussi les variétés
qui fleurissent et fructifient le plus, car la fécule se produit alors dans le haut de la plante au détriment des rameaux souterrains. Les autres caractères
paraissent avoir moins d’importance pour le produit et les cultivateurs ne s’en sont guère occupés.
» La règle générale est donc, si l’on veut chercher l’état primitif d’une espèce cultivée, de faire attention, surtout aux organes et aux caractères que
l’homme n’a pas intérêt à voir changer.
»… La grandeur, la forme et la pubescence des segments de la feuille varient plus dans les Pommes de terre cultivées que les lobes du calyce. Ceci est
conforme à ce qu’on pouvait prévoir d’après la règle invoquée tout à l’heure. Il est possible, en effet, que les surfaces foliacées influent sur l’abondance de
la fécule, ce qui a pu engager les agriculteurs à préférer telle ou telle modification des feuilles. Au contraire, les lobes du calyce ne pouvant influer en
aucune manière sur les tubercules, ils se sont conservés tels depuis trois siècles.
» Cherchons quelles sont les formes spontanées de l’Amérique méridionale qui ressemblent le plus au S. tuberosum cultivé.
» J’éliminerai d’abord les espèces ou variétés du Chili et des pays adjacents où les lobes du calyce sont obtus. C’est le cas, par exemple, du Solanum des
Andes chiliennes recueilli par Bridges que M. Baker rapporte avec beaucoup d’autres au S. tuberosum.
» Sa description des lobes du calyce n’étant pas tout à fait d’accord avec la figure, j’ai prié M. Baker de vérifier le caractère dans l’herbier de Kew. Il a
bien voulu m’envoyer une fleur, ou plutôt un calyce qui renferme un jeune fruit, tiré de l’échantillon même de Bridges. Ce calyce est exactement celui de la
figure, en particulier du fruit jeune dessiné à part. Les lobes sont ovales, obtus avec un bord arrondi, ondulé, portant quelquefois une courte dent (mucro)
qu’on ne voit pas dans la planche et qui n’existe pas sur tous les lobes de la même fleur. Tube et lobes du calyce, dans leur ensemble, n’ont pas plus de
0m,003 à 0m,004, tandis que dans la Pomme de terre cultivée ils ont au moins 0m,006 et ordinairement 0m,010 millimètres.
» D’après le dessin, la fleur est plus petite que dans la Pomme de terre, et surtout le calyce est plus court relativement à la corolle. En outre, les segments
principaux de la feuille sont plus étroits et les petits segments sont moins inégaux que dans la plupart des Pommes de terre cultivées. La pubescence est
moindre. Dans sa lettre du 11 janvier 1886, M. Baker convient que les lobes du calyce diffèrent notablement de ceux de la Pomme de terre cultivée. »
Le savant phytographe fait ensuite la révision de quelques autres espèces de Solanum voisines du S. tuberosum, et ajoute :
« Les Solanum de la République Argentine sont tous différents du S. tuberosum, d’après les nombreux échantillons de l’Herbier de M. Hieronymus qu’il
a bien voulu me communiquer.
»… Ceux du Mexique et des États-Unis ne peuvent pas être l’origine de la Pomme de terre cultivée puisque la culture de cette plante n’existait pas dans
l’Amérique septentrionale avant l’arrivée des Européens…
» Lindley et Baker rapportent au S. tuberosum d’autres formes du Mexique, qui paraissent s’en éloigner, et comme la culture de la Pomme de terre est
sortie de l’Amérique méridionale, je reviens aux formes de cette région qui ont pu en être l’origine.
» Lorsqu’on a éliminé celles à lobes du calyce obtus, et d’autres à calyce beaucoup plus court que la corolle, ayant d’ailleurs les segments des feuilles
moins nombreux que dans la Pomme de terre, on retombe sur le Solanum du Chili que Sabine, Lindley, Darwin et moi, avons jugé être le S. tuberosum à
l’état spontané : ou bien sur des formes du Chili, de la Bolivie et peut-être du Pérou que Baker a rapportées au S. tuberosum. »
A. de Candolle discute alors la valeur du rapprochement avec ce dernier type de quelques autres espèces, mais n’admet pas la distinction établie par M.
Baker et Sir J. Hooker entre le S. tuberosum et le S. Maglia.
« M. Hensley, ajoute-t-il, s’appuie sur la multiplicité des formes voisines du S. tuberosum en Amérique et sur les diversités des Pommes de terre
cultivées pour émettre l’hypothèse que cellesci proviendraient de plusieurs souches américaines. La plante cultivée varie cependant bien peu, excepté pour
les tubercules sur lesquels opère la sélection, et de plus, les Pommes de terre introduites au XVIe siècle, de deux pays fort éloignés, étaient semblables
d’après les planches et les descriptions de l’époque[26].
» En définitive, je ne vois pas de motifs suffisants pour changer l’opinion que j’ai émise autrefois et ensuite dans le volume sur l’Origine des plantes
cultivées, opinion qui était celle de Sabine, Lindley et Darwin, lorsqu’ils admettaient l’identité spécifique des S. tuberosum et du Maglia.
»… Plus on étudie ces espèces tuberculées, plus on est frappé des différences minimes qui les séparent. Ce ne sont pas des espèces analogues à celles de
Linné, mais plutôt des formes secondaires, comme on en reconnaît aujourd’hui dans les Rubus les Rosa, etc., sans vouloir cependant les qualifier de
variétés. On peut les dénommer comme des espèces pour mieux s’entendre, et les classer de différentes manières pour approcher d’une classification
naturelle, sans jamais être bien satisfait… »
D’un autre côté, dans la Revue horticole de 1884, M. Carrière disait : « D’après un botaniste anglais, M. Baker, qui s’est tout particulièrement occupé de
l’étude des Pommes de terre, le Solanum Ohrondii serait identique avec le S. Commersonii de Dunal, ce qui est loin d’être démontré. Dans un genre aussi
nombreux en espèces que l’est celui des Solanum, il est très difficile de déterminer celles-ci d’après une description, et même un échantillon d’herbier ; il
faut pour cela cultiver les plantes afin d’en bien suivre les caractères de végétation. »
Nous trouvons cette remarque très judicieuse. Nous avons nous-même cultivé le S. Ohrondii et nous pouvons dire qu’il ne rappelle en aucune façon le
célèbre S. Commersonii, figuré par Lindley, et dont l’échantillon original de Commerson est conservé dans les collections de notre Muséum d’histoire
naturelle.
Voici, du reste, quelques détails sur ce S. Commersonii qui se trouvent relatés dans une lettre de Bonpland à M. François Delessert, datée de La
Restauracion (Paraguay) le 2 octobre 1854, et qui a été publiée dans le Bulletin de la Société botanique de France, t. III, p. 162.
« Cette nouvelle espèce, dit Bonpland, se trouve à Montevideo, à Buenos-Ayres, à Martin-Garcia, dans toutes les Missions jésuitiques, sur la Sierra et sur
les bords de l’Uruguay, depuis les Missions jusqu’à Belem, le Salto et La Concordia. Tant au Paraguay que dans les Missions et à Santa-Anna, j’ai cultivé
ce Solanum dans l’espoir d’utiliser les tubercules, et n’ai rien pu obtenir. Les tubercules du Solanum Commersonii sont de couleur verdâtre, de la grosseur
d’un très gros Pois, et offrent constamment un goût âpre qui répugne. A Santa-Anna, les oiseaux mangent les tubercules du Solanum tuberosum, notre
Pomme de terre, mais ils respectent ceux du S. Commersonii. »
Quoi qu’il en soit, en 1886, M. Baker publiait un nouveau Mémoire sur les Formes sauvages des Solanum tubéreux[27] dans lequel il n’admet plus que
cinq espèces distinctes, en considérant alors le S. Maglia comme une simple forme du S. tuberosum. Ce dernier n’est plus pour lui qu’une sorte de type
idéal qu’il appelle S. eutuberosum, auquel se rattachent comme simples formes ou sous-espèces seize types secondaires, que les phytographes avaient
cependant nettement caractérisés comme espèces. Nous ne pensons pas que cette manière de voir simplifie en quoi que ce soit la question. En effets ces
seize formes elles-mêmes ne manifestant aucune tendance à reproduire le type général, c’est à ce type seul qu’il faudra toujours recourir pour retrouver la
véritable Pomme de terre sauvage ou S. tuberosum[28].
Toutefois pour le S. tuberosum, nous devons avouer que nous ne pouvons partager entièrement l’opinion de A. de Candolle. Nous sommes, en effet,
d’accord avec lui quant à l’origine chilienne de cette espèce. Mais nous avons été conduits à reconnaître que le S. Maglia, loin d’en être une simple forme
originelle, en est au contraire une espèce parfaitement distincte, comme l’avait établie Schlechtendahl. Darwin, dans son récit du Voyage du Beagle, en
1835, après avoir parlé de la Pomme de terre sauvage qu’il avait découverte dans l’Archipel Chonos et qui n’était autre que celle cultivée, décrite et figurée
par Sabine, c’est-à-dire le S. Maglia, terminait ainsi le passage où il est question de cette Pomme de terre sauvage : « Il est remarquable que la même plante
puisse se trouver sur les montagnes stériles du Chili central, où une goutte de pluie ne tombe pas pendant plus de six mois, et dans les forêts humides de ces
îles méridionales. » M. Baker faisait, avant de changer d’opinion, très judicieusement observer, à ce propos, que « la véritable explication de ce que disait
ainsi Darwin, avec une sagacité caractéristique, est évidemment que la plante des Chonos et celle des Cordillères du Chili sont chacune une espèce
distincte. » M. Baker a cru devoir depuis lors changer d’opinion, mais cela ne diminue en rien l’opinion assurément fort juste émise par Darwin.
Grâce à l’obligeance de M. Blanchard, qui a bien voulu nous envoyer, de Brest, des tubercules des Solanum Ohrondii, Fendleri et Maglia, nous avons pu
les cultiver et en suivre le développement. Or, nous sommes de l’avis de M. Carrière, les échantillons vivants nous en apprennent plus, pour la distinction
des espèces critiques, que les descriptions et les spécimens d’herbiers, surtout lorsqu’on les cultive à côté les unes des autres. Nous avons pu ainsi constater
que le S. Maglia est bien différent du S. tuberosum et cela à la première vue. C’est une plante très ramifiée, dont chaque rameau, pendant tout l’été, se
termine par une cyme de grandes fleurs blanches, au centre desquels se montrent cinq étamines d’un beau jaune, non pas rapprochées en colonne autour du
style comme sur les fleurs de la Pomme de terre, mais plus ou moins écartées ainsi qu’on le voit chez d’autres espèces de Solanum. Le style lui-même est
beaucoup plus long que celui du S. tuberosum, et chose importante à noter, les ovaires restent toujours stériles et le fruit en est inconnu. M. Blanchard, qui a
cultivé la plante à Brest pendant plusieurs années, après l’avoir reçue du Jardin de Chiswick, nous écrivait ; « Les tubercules du S. Maglia sont très petits et
très rares : ils sont remplacés par des stolons qui atteignent quelquefois deux mètres de longueur. Il arrive même que les tubercules sont parfois si petits
qu’on ne peut les découvrir dans le sol qui les recouvre. On pourrait la considérer comme une véritable plante ornementale, d’autant plus qu’elle peut se
multiplier de boutures comme un Géranium, Mais elle est extrêmement sensible aux atteintes de la maladie de la Pomme de terre, causée par le
Phytophtora infestans. » Il nous semble donc bien établi qu’il ne faut plus considérer le S. Maglia, comme pouvant être le type d’origine de la Pomme de
terre, d’autant que cette espèce a été, dans les cultures, très loin de se montrer aussi prolifique que le S. tuberosum, et qu’il n’y a plus lieu d’espérer qu’on
puisse jamais en tirer le même parti, pas plus du reste que des Solanum stoloniferum, Fendleri, Ohrondii, Jamesii et d’autres espèces de Solanum à
tubercules.
Avant de terminer ce chapitre, nous désirons cependant dire quelques mots d’une nouvelle Pomme de terre qu’on vient d’introduire en France. L’histoire
de cette introduction a été racontée avec détails par M. A. de St-Quentin dans la Revue horticole des Bouches-du-Rhône (1896). L’auteur de l’article fait
connaître que son oncle, M. Félix de St-Quentin, pendant un assez long séjour dans l’Uruguay, à Mercedes, avait recueilli puis cultivé un Solanum à
tubercules qui ressemblait quelque peu au S. tuberosum. Les habitants du pays la nommaient papilla, autrement dit Pomme de terre vénéneuse. M. Félix de
St-Quentin se hasarda néanmoins à la goûter après cuisson et la trouva fort bonne : aussi, au moment de son retour en France, s’empressa-t-il d’emporter
une caisse de tubercules de ce Solanum, dans l’espoir de la propager. Mais le voyage fut long, et les tubercules arrivèrent complètement avariés. C’est alors
que son neveu, s’intéressant à cette même plante, fit tous ses efforts pendant plus de trente ans pour l’introduire en France. Enfin, dans ces dernières
années, M. A. de St-Quentin réussit, par l’obligeante entremise du consul de l’Uruguay à Marseille, à recevoir des tubercules du Solanum en question. Du
moins pouvait-il croire qu’il en était ainsi. La culture de ces tubercules finit par être confiée à M. Heckel, Directeur du Jardin botanique de Marseille, qui
leur fit donner des soins assidus. La plante prospéra, se trouvant fort bien de cette chaude station ; elle émit de nombreux stolons, puis des tiges qui
fleurirent et même fructifièrent, et produisit des tubercules un peu plus gros que des avelines. Seulement les fleurs étaient blanches, et les tubercules assez
amers, tandis que le Solanum de M. Félix de St-Quentin avait les fleurs violettes et les tubercules d’un goût agréable. M. Heckel ne tarda pas à reconnaître
que la nouvelle plante qu’il cultivait était le Solanum Commersonii, dont Bonpland, nous l’avons vu plus haut, ne faisait pas un grand éloge[29].
Il est fort à présumer que cette nouvelle Pomme de terre ne remplacera jamais non plus notre Solanum tuberosum. Mais alors, on pourrait se demander,
après toutes les épreuves éliminatoires qui précèdent, quelle est donc la contrée d’origine de notre excellente Pomme de terre. Nous pensons qu’il convient
d’en revenir aux précieuses indications de Claude Gay. Laissons de côté l’île de Juan-Fernandez, assez éloignée du continent pour douter qu’on soit jadis
allé y chercher le S. tuberosum pour l’apporter au Chili, et tenons-nous en à ce passage de l’auteur de la Flore Chilienne : « Dans les Cordillières voisines
de celles de Malvarco, il existe une chaîne de montagnes où les Pommes de terre sauvages sont si communes que les Indiens et les soldats de Pincheira
allaient les récolter pour en faire leur principal aliment : la montagne y garde le nom de Poñis, nom araucanien des Papas. »
N’oublions pas non plus que le Solanum tuberosum est un type spécifique doué d’une variation presque indéfinie dans sa descendance. On a obtenu déjà,
par le semis de ses graines, plus d’un millier de variétés plus ou moins différentes les unes des autres, sans compter celles que les semeurs ont dédaignées
comme inutiles à conserver. Les graines des variétés obtenues en produisent également de nouvelles, et telle est la puissance de la vitalité du type qu’on se
demande où elle s’arrêtera. C’est, en effet, un de ces types de formation nouvelle, aptes à subir une évolution incessante, alors que les types spécifiques que
M. Baker regarde comme de simples variétés, s’en distinguent nettement par la faiblesse même de leur constitution naturelle qui leur interdit de se prêter à
toutes les exigences culturales.
En effet, ces espèces affines se font toutes remarquer par leur médiocre production, soit du nombre, soit de la grosseur des tubercules, soit même des
graines. Le S. tuberosum, au contraire, se maintient comme une plante toujours vigoureuse, alors qu’elle pouvait déjà, à l’état sauvage, fournir des
tubercules assez nombreux et assez gros pour servir d’aliment, comme nous le dit Claude Gay, ce qu’on n’a signalé chez aucune autre des espèces voisines.
Et comme la culture des Indiens devait être fort primitive, à en juger par les petits échantillons apportés en Europe et qui ont été loin d’attirer sur eux
l’attention, en passant de l’état sauvage à l’état cultivé, d’abord au Chili, puis au Pérou, la Pomme de terre n’a éprouvé que peu de modifications. Aussi
pouvons-nous terminer ce chapitre en disant que c’est à la suite d’une longue et sérieuse culture rationnelle, aidée par de successives sélections, que le
Solanum tuberosum a fini par devenir notre précieuse Pomme de terre actuelle, mais qu’aucune autre espèce de Solanum tubérifère n’est assez fortement
constituée pour la remplacer.
_____________
Nous venons de voir, dans le Chapitre précédent, que d’après les données historiques et les constatations faites par les explorateurs naturalistes, on peut
être conduit à admettre que le pays d’origine de la Pomme de terre sauvage devait être placé dans une région montagneuse qui se trouve située sur les
confins du Chili et de l’Araucanie. Elle aurait été l’objet de premières cultures au Chili même, puis au Pérou où les Incas n’avaient pas peu contribué à faire
donnera ces cultures une grande extension. Lors de la conquête du Pérou par Pizarre, vers 1533, les Espagnols constatèrent que c’était une des grandes
ressources de cette contrée à demi civilisée, mais ne furent pas autrement séduits par l’intérêt que devait présenter le précieux tubercule et du parti qu’on
pourrait en tirer en Europe, dans les cultures espagnoles. Il n’existe, en effet, à notre connaissance, aucun document historique qui fasse même mention de
l’introduction de la Pomme de terre en Espagne. Si elle a dû y être apportée, ce qui est indubitable, cela ne doit être dû qu’à l’effet du hasard, probablement
comme un reste de provisions alimentaires, faisant partie de la cargaison de quelques-uns des vaisseaux qui étaient chargés de porter à Charles-Quint les
trésors d’or et d’argent, bien autrement estimés, arrachés par Pizarre et ses compagnons aux Incas, victimes de leur rapacité. Nous verrons par la suite que,
dans tous les cas, on a des traces du passage de la Pomme de terre d’Espagne en Italie et de l’Italie dans les Pays-Bas. À partir de là, les documents
historiques ne font plus défaut, et nous pouvons la suivre pour ainsi dire successivement, passant des Pays-Bas en Autriche, d’Autriche en Allemagne, puis
de l’Allemagne en Suisse, et de la Suisse en France. Nous traiterons plus loin de cette histoire sous le titre de l’Introduction de la Pomme de terre sur le
continent européen.
Il y a eu, en effet, en Europe, deux introductions distinctes de la Pomme de terre : celle dont nous venons de parler, et celle qui, dans le même temps,
c’est-à-dire vers la fin du XVIe siècle, en a été faite en Angleterre. Le fait de ces deux introductions est d’autant plus remarquable qu’elles se sont effectuées
sous la forme de deux variétés bien connues du Solanum tuberosum, celle à tubercules jaunâtres et à fleurs violacées pour l’Angleterre, et celle à tubercules
rougeâtres et à fleurs violettes pour le continent européen. Si l’introduction qui en a été faite sur ce continent a débuté par l’importation en Espagne du
précieux tubercule, apporté directement du Pérou, la Pomme de terre a suivi une autre voie pour pénétrer en Angleterre. Comme nous le verrons, avec de
plus amples détails, on est porté à croire que son exportation directe de la Virginie, dans l’Amérique du Nord, peut être attribuée à une importation
momentanée, dans cette colonie anglaise, de tubercules transportés sur des vaisseaux espagnols qui auraient été pillés par des navires anglais. Car le
Solanum tuberosum n’étant pas indigène dans la Virginie, il fallait bien expliquer de quelque façon que ce fût son apparition dans ces parages à peine
explorés, en provenance du Pérou où il était cultivé depuis un temps immémorial.
Voyons donc quels sont les documents historiques qui permettent de suivre pas à pas ce qui s’est passé en Angleterre, à ce propos, vers la fin du XVIe
siècle.
§ 1. Introduction de la Pomme de terre en Angleterre. — En 1584, Sir Walter Raleigh avait reçu de la Reine Élisabeth une patente royale, qui lui
avait été octroyée à charge par lui d’organiser la colonisation anglaise dans un territoire de l’Amérique du Nord, nouvellement découvert, et qui en
l’honneur de la Reine et de son célibat fut appelé Virginie. Le point central où les débarquements se sont effectués paraît avoir été surtout l’île de Roanoak.
Plusieurs expéditions furent faites, mais sans résultats pratiques, jusqu’en 1588, et Raleigh se dessaisit de sa patente en 1590. Dans l’une de ces
malheureuses expéditions, des colons étaient restés en Virginie toute une année, dénués de toutes les ressources qu’ils avaient espéré y trouver pour s’y
établir, et n’attendant plus avec anxiété que l’arrivée du navire qui devait leur apporter des secours de toute espèce. Avant l’arrivée de ce navire, il advint
que l’Amiral Drake, de retour d’une expédition contre les Espagnols à Carthagène et dans leurs possessions des Indes occidentales, débarquait inopinément
en Virginie pour prendre des nouvelles des colons. Ceux-ci, qui n’avaient plus qu’un désir, celui de quitter la colonie, jugèrent prudent de profiter d’un
retour possible en Angleterre, et, avec le consentement de Drake, ils s’embarquèrent le 18 Juin 1586, et arrivèrent à Portsmouth le 27 Juillet suivant. Cette
année 1586 est jugée, en Angleterre, comme l’année d’introduction, dans ce pays, de la Pomme de terre, et voici sur quoi se base cette opinion :
Il existe un rapport de cette expédition, daté de Février 1587, dont le titre peut se traduire ainsi : « Relation brève et
véridique de la Découverte de la nouvelle terre de Virginie, des avantages qu’on y trouve et dont ou peut tirer profit, à
divers points de vue commerciaux ou autres, écrit par Thomas Hériot, au service de Sir Walter Raleigh et membre de la
Colonie, qui a été employé à cette découverte pendant douze mois révolus. » Or, dans la 2e partie de ce Rapport, qui traite
des productions que la Virginie est apte à fournir pour la nourriture et le bien-être de la vie des hommes, et dont les « colons
faisaient usage, comme les naturels, pendant le temps de leur séjour, ainsi que des productions qu’on obtient par semis et
labourage », se trouve un passage où il est parlé en premier lieu du Mays, puis des Racines, et qui se termine ainsi :
« Openhauk est une sorte de racines de forme arrondie, quelques-unes de la grosseur d’une noix, d’autres beaucoup plus
grosses, qui se trouvent dans les terres humides et marécageuses, croissant plusieurs ensemble, l’une à côté de l’autre sur Fig. 18. — La Virginie et les Carolines
des filaments, comme si elles étaient attachées à une corde. Quand on les a fait cuire ou bouillir, elles constituent un très bon aux États-Unis.
aliment ».
M. W. S. Mitchell, qui a publié en 1886 une étude historique très remarquable, intitulée : The origin of the Potato[1], et de laquelle nous avons extrait les
détails ci-dessus, reconnaît combien ces termes d’Hériot sont vagues, bien qu’ils soient généralement considérés comme devant se rapporter à la Pomme de
terre, d’autant plus qu’Hériot lui-même ne parle en quoi que ce soit, dans son Rapport, de l’introduction de l’Openhauk en Angleterre, et qu’on ne trouve
aucun document qui fasse mention de cette introduction.
Ce qui vient seulement appuyer cette croyance, c’est l’intervention dans la question d’un botaniste anglais, contemporain, John Gerarde, qui a publié, en
1596, un Catalogue des plantes cultivées dans son jardin, en y faisant figurer la Pomme de terre sous le nom de Papus orbiculalus, et qui a fait paraître, en
1597, un ouvrage descriptif, intitulé : L’Herbier de l’Histoire générale des plantes (The Herball of generall Historie of plants), dans lequel il donne une
figure et une description de la Pomme de terre, qu’il appelle alors : Batata virginiana sive Virginianorum et Pappus Potatoes of Virginia ; ce qui peut se
traduire par Patate de Virginie ou des Virginiens et Papas, Pommes de terre de Virginie. En rattachant à ces diverses dénominations le passage que nous
avons cité ci-dessus du Rapport d’Hériot, on en est arrivé à conclure que les tubercules de l’Openhauk, dont parlait Hériot, avaient été cultivés dans le
jardin de Gerarde[2], et que ces tubercules, d’après ce dernier, n’étant autres que ceux de la Pomme de terre, cette plante que l’on cultivait ainsi en
Angleterre en 1596, avait du y être apportée en 1586 de la Virginie.
Mais traduisons ici ce que nous dit Gerarde, dans son Herball[3] de sa Patate de Virginie, qu’il appelle ainsi, du reste, pour la distinguer de sa Patate des
Espagnols (Batata Hispanorum), c’est-à-dire de ce que nous appelons actuellement la Patate ou Batate (Convolvulus Batatas de Linné), très différente du
Solanum tuberosum qui est une Solanée, puisqu’elle appartient à la Famille des Convolvulacées. Ce qui n’empêche qu’en Angleterre on ne la distingue
encore actuellement du potato qui est le nom ordinaire, de notre Pomme de terre, qu’en l’appelant Sweet Potato ou Patate douce. Et cette ancienne
homonymie n’a pas peu contribué à faire naître de singulières confusions entre les deux sortes de Potatoes.
§ 2. Introduction de la Pomme de terre sur le continent européen. — Il a déjà été question plusieurs fois de Clusius, l’un des plus célèbres botanistes du
XVIe siècle. Il s’agit de Charles de l’Escluse, plus connu dans le monde savant sous son nom latinisé Clusius, né le 19 février 1526 à Arras, dans l’Artois,
qui faisait alors partie des Flandres et se trouvait sous la domination espagnole. Son père, Michel de l’Escluse, était seigneur de Watènes, près
d’Armentières, et conseiller à la cour provinciale de l’Artois ; sa mère, Guilliémine Quineault, fut une femme exemplaire par ses vertus et ses belles
qualités. Il était l’aîné des enfants et devait prendre, à la mort de son père, en 1573, le titre de Seigneur de Watènes ; mais il renonça alors à son droit
d’aînesse en faveur de son frère cadet, pour se consacrer entièrement à ses études scientifiques. À l’âge de vingt-deux ans, il obtint le diplôme de Licencié
en droit à l’Université de Louvain. Il alla ensuite passer trois ans dans les Universités allemandes et se fit inscrire à l’Université de Montpellier en 1551. Ce
fut là que se manifesta son penchant pour l’étude des sciences naturelles et en particulier pour la botanique. De retour en 1554 dans les Pays-Bas, il se lia
avec le célèbre Dodoëns qui venait de faire paraître son Cruydtboeck flamand ; De l’Escluse prépara une édition nouvelle en françois de cette Histoire des
plantes, qui parut en 1557 à Anvers chez Jean Loë : c’est bien certainement, dans notre langue, le plus ancien traité de Botanique descriptive. Avant d’être
appelé à Vienne, en 1574, par l’empereur Maximilien II, comme intendant des Jardins impériaux, De l’Escluse avait accompagné de nobles jeunes gens
dans des voyages d’instruction en France, en Espagne et en Portugal ; il en avait profité pour étudier avec beaucoup d’ardeur la végétation presque
inconnue des différentes contrées qu’il traversait. Il quitta Vienne dans l’été de 1588, pour se rendre à Francfort-sur-le-Mein, où il habita jusqu’à la fin de
Septembre 1593. Il se fixa alors à Leyde, où il avait été appelé par les Curateurs de l’Université pour enseigner la botanique dans la chaire de Dodoëns,
décédé en 1585. De l’Escluse mourut, seize ans après, en cette même ville, le 4 Avril 1609, dans sa quatre-vingt-quatrième année. Dans le cours des
nombreux voyages qu’il avait effectués, il s’était deux fois rendu en Angleterre, en 1579 et en 1581. En cette année 1581, il paraît avoir été mis en rapport,
à Londres, avec Francis Drake, d’après ses biographes. Il a fait paraître, en effet, en 1582, un petit ouvrage dans lequel il traite de plusieurs végétaux
exotiques, rapportés par cet Amiral des côtes occidentales d’Amérique ; mais il n’y est nullement question de la Pomme de terre.
Dans les ouvrages remarquables que De l’Escluse a publiés en langue latine, qui tous ont été imprimés à Anvers, par le célèbre Plantin ou son gendre et
successeur Moretus (de son vrai nom Mourentorff), et sur lesquels l’auteur est toujours désigné sous la dénomination latinisée de Carolus Clusius Atrebatis
(Charles de l’Escluse d’Arras), se trouvent décrites une quantité de plantes nouvelles qu’il avait recueillies dans diverses parties de l’Europe, et toutes
celles qu’il pouvait se procurer provenant de l’Asie, de l’Afrique et surtout de l’Amérique. C’est ainsi que la Pomme de terre a été l’une des plantes qui ont
plus particulièrement attiré son attention. Comme nous le verrons plus loin, c’est lui qui l’introduisit et la répandit en Allemagne : c’était donc plutôt à lui
qu’à Francis Drake que l’on aurait dû, à Offenbourg, élever un monument commémoratif, d’autant plus que la variété anglaise ne fut cultivée que beaucoup
plus tard sur le continent.
Fig. 20 Charles de l’Escluse (ou Clusius) à l’âge de 35 ans et à
celui de 79 ans. (Reproduction de la lithographie qui orne sa
biographie, par Charles Morren, 1853.)
Mais l’ouvrage dans lequel de l’Escluse donne une description très détaillée de la Pomme de terre, accompagnée des renseignements qu’il avait recueillis
à son sujet, n’ayant été publié qu’en 1601, il nous semble qu’il y a quelque intérêt à suivre l’ordre chronologique dans nos citations et à donner d’abord
connaissance de ce que dit de la Pomme de terre Gaspard Bauhin, dans son Phytopinax, imprimé à Bâle en 1596. C’est à ce botaniste également célèbre,
que l’on doit le nom scientifique de la Pomme de terre, Solanum tuberosum, nom qui a été consacré par Linné lorsqu’il a modifié la nomenclature de G.
Bauhin[23].
Voici comment ce dernier parle de la Pomme de terre dans son Phytopinax, dont nous traduisons l’article qui s’y rapporte.
« Solanum tuberosum.
» Cette plante a une tige longue d’une coudée et demie ou de deux coudées[24], semblable à celle de la Tomate, presque arrondie, striée, légèrement
velue, pleine de suc, verte et peu rameuse ; quelquefois cependant elle s’élève jusqu’à la hauteur d’un homme, et alors elle est très ramifiée, ce qui n’arrive
assurément pas lorsqu’elle est plantée dans un pot. Les feuilles sont plus longues qu’une palme[25], presque velues, d’un vert pâle, subdivisées en six, huit
ou plusieurs petites parties, comme si elles étaient découpées en feuilles spéciales, dont l’une est toujours placée à l’extrémité pour en terminer le nombre ;
elles sont oblongues-arrondies, entières, disposées rarement de manière à se faire opposition, et parmi elles il s’en trouve interposées d’ordinaire deux
autres six fois plus petites. Les rameaux se divisent communément en deux pédicules, dont chacun supporte plusieurs fleurs, les unes en boutons et trois ou
quatre épanouies ; elles ressemblent aux fleurs des Aubergines, et sont grandes, d’un bleu purpurescent, à l’instar d’un calyce qui ne serait pas divisé
jusqu’à sa base ; elles se terminent en cinq lobes aigus, parcourus par cinq lignes jaunâtres qui semblent les séparer par moitié ; au centre se trouvent
quatre[26] étamines roussâtres, comme chez les Aubergines. Aux fleurs succèdent des fruits ronds, suspendus un à un à de longs pédicules en forme de
grappe, ainsi que cela se voit dans la Morelle vulgaire[27] ; mais ces fruits sont plus volumineux, les uns d’une grosseur égale à une noix, les autres à peine
gros comme une noisette : tous portent du reste quelques sillons égaux, comme ceux des Tomates. D’abord verts, ils noircissent, et quand ils sont mûrs ils
deviennent d’un noir rougeâtre et renferment des graines petites, plates, rondes, brunes, semblables à celles de la Belladone. La racine[28] est arrondie, mais
irrégulièrement ; elle est de couleur brune ou d’un noir rougeâtre, et on l’arrache de terre l’hiver, afin qu’elle ne pourrisse pas tant elle est pleine de sucs, et
qu’on puisse la confier de nouveau à la terre au printemps, quoiqu’il arrive que laissée dans le sol, au printemps elle y repullule d’elle-même. Or, de la base
de la tige jusqu’à la racine, poussent çà et là de longues radicelles fibreuses, sur quelques-unes desquelles naissent de plus petites racines rondes. La racine
elle-même a l’habitude de pourrir lorsque la tige s’est trop développée.
» Nous avons cru devoir appeler cette plante Solanum, en raison de la ressemblance de ses feuilles et de ses fruits avec la Tomate, et de ses fleurs avec
l’Aubergine, ainsi que pour sa semence qui est celle des Solanum, et pour son odeur forte qu’elle a de commun avec ces derniers. Je reçus de la graine de
cette plante qu’on appelle Pappas des Espagnols ou d’autres fois des Indes : semée dans nos jardins, elle crût au point de former une sorte d’arbrisseau
ramifié ; il en fut de même dans le jardin du Dr Martin Chmielecius, chez qui elle produisit une fleur blanche. L’illustre Dr Laurent Scholtz, médecin de
Breslau (dans le jardin très soigné duquel elle s’était développée), m’en envoya, comme preuve de notre ancienne amitié, un dessin colorié, mais sans le
fruit ni les appendices des racines[29].
» Nous avons appris que l’on connaît aussi cette plante sous le nom de Tartuffoli[30] sans doute à cause de sa racine tubéreuse, car c’est le même nom
qu’on donne aux Truffes en Italie, où l’on en mange les fruits à la façon des Truffes… »
Nous ne nous arrêterons pas à présenter ici quelques observations sur ce qu’on vient de lire de G. Bauhin. Nous préférons les réserver, pour les
compléter, après que nous aurons terminé toutes nos citations des auteurs du commencement du XVIIe siècle.
__________
1. ↑ — Gardeners’ Chronicle, t. XXV.
2. ↑ — Dans le n° du 31 octobre 1895 du Journal of Horticulture, se trouve un article consacré à une conférence faite deux jours auparavant par M. Arthur Sutton, sur les Potatoes à la Société royale
d’horticulture de Londres. Nous trouvons dans cet article quelques détails sur Gerarde qui ne sont pas sans intérêt, « il est de toute probabilité, dit le rédacteur, que Gerarde a été le premier cultivateur
de la Pomme de terre, en Angleterre. On ne connaît pas exactement l’emplacement même où il l’a cultivée, mais cela se trouve approximativement établi par l’une de ses lettres adressée à son patron,
Lord Burghley, que Gerarde a ainsi datée : « de ma « maison, à Holborn, dans les faubourgs de Londres, ce 1er décembre 1597. » Mais Gerarde, dont le nom est écrit Gerrard dans un bail daté de 1604,
a eu à sa disposition un autre jardin, qui lui avait été loué avec des conditions particulièrement agréables en reconnaissance de son « habileté singulière, de son savoir et de son ingéniosité à planter et
conserver les plantes, herbes, fleurs et fruits de toute espèce ». Ce jardin, qui avait deux acres de superficie*, était situé près de Somerset House (Strand) et garanti par Anne, reine d’Angleterre,
moyennant la somme de cinq shellings comme redevance, et la rente annuelle de quatre pence pour 21 ans de durée ». « C’était donc, dit le rédacteur de l’article, deux pence par acre. Quel merveilleux
changement s’est opéré depuis lors ! Les deux acres de terre en question ne seraient pas loués maintenant pour deux pence par pouce superficiel. Il est à présumer, ajoute-t-il, « que Gerarde a cultivé la
précieuse plante dans le Jardin du Strand, mais pas bien longtemps, car il mourut cinq ans environ après la signature du bail.
*Cette superficie de deux acres peut être évaluée à 8,093 mètres carrés environ.
3. ↑ — Sous le titre de son Herhall, John Gerarde a fait imprimer son portrait. Il est représenté tenant à la main une sommité fleurie du Solanum tuberosum, comme pour indiquer que c’était, de toutes les
plantes, celle à laquelle il attachait le plus de prix.
4. ↑ — Herbe de Sainte-Barbe {Barbarea vulgaris).
5. ↑ — Corolle.
6. ↑ — Pétales.
7. ↑ — Battates ou Patates (Convolvulus Batatas).
8. ↑ — Il s’agit de Charles de l’Escluse d’Arras, plus connu sous son nom latinisé Clusius, dont il sera question plus loin.
9. ↑ — C’est la première fois qu’on voit paraitre ce terme de Pommes, qui devait plus tard, en France, servir à désigner le précieux tubercule sous le nom de Pomme de terre.
10. ↑ — Ceci est une erreur singulière, car la corolle dont il s’agit n’en a que cinq.
11. ↑ — La statue qui a été ainsi élevée à l’amiral Drake nous semble lui accorder plus de droits à la reconnaissance publique qu’il n’en a réellement. D’autant plus que c’est à Charles de l’Escluse, comme
nous le verrons plus loin, que l’Allemagne doit d’avoir possédé la Pomme de terre au XVIe siècle.
12. ↑ — Transactions of the Horticuliural Society, — Joseph Banks était un savant très considéré en Angleterre : il était Président de la Société royale de Londres. C’est grâce à ses puissantes sollicitations
que les collections d’histoire naturelle du savant français La Billardière, saisies dans l’île de Java par les Hollandais, qui étaient en guerre avec la France, furent restituées à cet explorateur par le
Gouvernement anglais, lequel avait fait acheter les vaisseaux qui les portaient. Joseph Banks les renvoya en France et poussa même la délicatesse jusqu’à éviter de les regarder ; il aurait craint, écrivait-
il à M. de Jussieu, d’enlever une seule idée botanique à un homme qui était allé les conquérir au péril de sa vie (Lasègue, Musée botanique de M. Benjamin Delessert).
13. ↑ — Si W. Raleigh n’a pas contribué de sa personne à apporter la Pomme de terre de la Virginie en Angleterre, il existe des preuves authentiques qu’il a cultivé le précieux tubercule dans sa propriété
de l’Oriel, à Youghal, comté de Cork, en Irlande. L’Association des jardiniers irlandais célébrait récemment le 3e centenaire de l’introduction de la Pomme de terre en Irlande, à Dublin, le 9 décembre
1896. Cette introduction, d’après J. Banks, y aurait été faite par les soins d’un ancêtre de Sir Robert Southwell.
14. ↑ — « Taratoufli veut dire aussi Truffes ».
15. ↑ — « Let in rain potatoes, and hail kissing comfits… » Pleuvez, Patates, qu’il tombe une grêle de dragées… (Les Joyeuses Commères de Windsor, de Shakespeare, Acte V, Scène 5).
16. ↑ — Quelques documents pour l’histoire de la Pomme de terre (1874).
17. ↑ — Loudon’s Encyclopedia of Gardening, Londres, 1828.
18. ↑ — Gardener’s Dictionary, 8° édition (1768).
19. ↑ — Nous avons traduit root, racine, par le mot Tubercule, A cette époque, en France comme en Angleterre, on appelait à tort les tubercules des racines.
20. ↑ — Miller entend-il parler d’une nouvelle importation de la Pomme de terre faite en Angleterre à cette date ? Il ne le dit pas. Or nous avons vu que la première introduction remontait à 1586.
21. ↑ — Le genre Solanum présente des étamines dont les anthères s’ouvrent par deux pores au sommet, et un fruit à deux loges ; dans le genre Lycopersicum, les anthères ont une déhiscence longitudinale
et le fruit a plusieurs loges.
22. ↑ — Il convient de prendre note de cette utile observation de Miller.
23. ↑ — G. Bauhin a, en effet, dans son Pinax Theatri hotanici, publié à Bâle en 1623, réuni sous des dénominations nouvelles toutes les dénominations diverses qui avaient été données aux mêmes plantes
par les auteurs qui l’avaient précédé. C’est un travail d’autant plus remarquable qu’il exigeait la connaissance approfondie des espèces et de toute leur synonymie.
24. ↑ — Environ de 60 à 90 centimètres.
25. ↑ — Environ 7 à 8 centimètres.
26. ↑ — Le texte latin porte quatuor. Nous verrons, par la seconde description qu’il eu donne dans son Prodromos Theatri botanici, qu’il en trouvera communément cinq (staminula.., communiter quinque).
27. ↑ — C’est la Morelle noire (Solanum nigrum).
28. ↑ — Il s’agit du tubercule.
29. ↑ — Il est à remarquer que les graines ou tubercules reçus par G. Bauhin et les deux autres médecins ne pouvaient provenir que des distributions faites par Clusius.
30. ↑ — Castor Durante, dans son Herbario nuovo (Venise, 1584), nous apprend que les Truffes (Tubera) portaient alors en Italie les noms de Tartufi et Turtufoli.
31. ↑ — La coudée étant évaluée à 0m,44, la longueur de la tige se trouvait avoir de 2m,20 à 2m,60 environ.
32. ↑ — A. de Candolle signale ce caractère comme la seule différence existant entre la Pomme de terre de De l’Escluse et nos variétés actuelles.
33. ↑ — Une once ou 30 grammes et demi, deux onces : 61 grammes.
34. ↑ — Ce fait que l’on obtenait alors, dans l’année même du semis, des pieds qui fleurissaient mais ne donnaient pas de tubercules, est très intéressant à constater. C’est en général le contraire qui se
produit aujourd’hui : on obtient souvent, dans les mêmes conditions, de petits tubercules et pas de fleurs.
35. ↑ — C’est une corruption du nom italien Tartufoli.
36. ↑ — Cette phrase et la précédente présentent un grand intérêt au point de vue de l’introduction de la Pomme de terre en Allemagne, et de sa réintroduction en Italie.
37. ↑ — Il s’agit de l’Ansérine Quinoa (Chenopodium Quinoa de Willdenow).
38. ↑ — Ce que dit ici Clusius prouve qu’il avait connaissance de la relation d’Heriot.
39. ↑ — Par ce terme de jardins (Hortus), il ne faut peut-être entendre que les jardins des Herboristes (Pharmaciens ou Droguistes de l’époque), qui existaient dans les grandes villes. Ces jardins étaient
alors généralement consacrés à la culture des plantes médicinales, et en même temps à celle des végétaux nouveaux, rares ou intéressants à divers titres. Les échanges de plantes entre les possesseurs de
ces jardins étaient fréquents.
40. ↑ — Voir : Huit lettres de Charles de l’Escluse (Journal de Botanique, 1895).
41. ↑ — Soit de Om,90 à 1m,30.
42. ↑ — Il s’agit de la corolle.
43. ↑ — Cette constatation serait intéressante a noter, si elle ne semblait pas copiée dans Ch. de l’Escluse.
44. ↑ — Cette assertion erronée a été reproduite sans contrôle par divers auteurs. On pourrait presque soupçonner qu’elle a été écrite de mauvaise foi, car G. Bauhin connaissait le Rariorum plantarum
Historia de Clusius, puisque sa description rappelle en partie celle de cet auteur.
45. ↑ — Charles de l’Escluse ne paraît pas avoir tenu compte de l’envoi de ce dessin, qu’il ne mentionne même pas. De là peut-être le motif de la rancune que lui en garde G. Bauhin, et qui a assez mal
inspiré ce dernier en trompant l’opinion sur la véritable origine de la Pomme de terre.
46. ↑ — C’est-à-dire de 0m,90 à 1m,30 environ.
47. ↑ — La petite palme des Anciens était longue de 4 doigts, c’est-à-dire d’environ 7 à 8 centimètres. Une palme et demie correspond à 10 à 12 centimètres environ.
48. ↑ — Cette observation est fort intéressante. Le fait qu’elle signale ne pouvait échapper à Clusius, si minutieux dans ses descriptions. Nous pensons qu’on peut lui donner cette interprétation, que la
plante, mieux cultivée, commençant à produire de plus gros tubercules, ne donnait plus autant de fruits.
49. ↑ — On remarquera combien ces tubercules avaient gagné en volume depuis le commencement du siècle, puisqu’il s’agit ici d’une longueur d’au moins 7 a 10 centimètres.
50. ↑ — Peut-être s’agirait-il en ce cas du Topinambour qui a été introduit en Europe vers l’année 1616, en provenance du Canada.
51. ↑ — Cenni storici sulla introduzione di varie plante nell’agricultura ed orticultura toscana (Aperçu historique sur l’introduction de diverses plantes dans l’agriculture et l’horticulture de la Toscane).
52. ↑ — Nous avons cité plus haut un extrait de l’ouvrage de Jérôme Cardan.
53. ↑ — Quelques documents pour l’histoire de la Pomme de terre (1874).
54. ↑ — « Le grand préjugé contre l’usage de la Pomme de terre comme aliment pour l’homme, disait Sainte-Beuve, venait de l’idée qu’elle était per le creature, c’est-à-dire pour les porcs. Bonstetten,
sachant le cas que le peuple faisait des Anglais à cause de leur grande dépense en voyage, imagina de faire lire dans les églises du baillage de Locarno une exhortation à cultiver les Pommes de terre, en
ajoutant que la Pomme de terre était chaque jour servie à la table du roi des Anglais. Neuf ans après, à Genève, un habitant de ces pauvres vallées vint le remercier de l’effet qu’avait produit sa predica,
son prône. La Pomme de terre, grâce à la recommandation, avait prospéré. » (Causeries du Lundi.)
55. ↑ — Ces renseignements nous apprennent que c’est à cette époque que la variété anglaise de la Pomme de terre, à peau jaunâtre, a été introduite sur le Continent européen.
56. ↑ — De’ Pomi di terra Ragionamento (Naples, 1783).
57. ↑ — Baldini s’est inspiré, pour écrire ce Mémoire, des ouvrages de Duhamel de Monceau, et en particulier des Éléments d’Agriculture de cet auteur, parus en 1762.
58. ↑ — « Zanon, Della coltivazione et dell’uso delle Patate », En Italie, la Pomme de terre s’appelle encore Patata.
59. ↑ — On sait que François de Neufchâteau avait proposé de nommer ainsi la Pomme de terre, en l’honneur de Parmentier. Mais ce synonyme n’est guère usité.
CHAPITRE III
Nous avons vu, dans le Chapitre précédent, que Gaspard Bauhin, dans son Phytopinax, imprimé à Bâle en 1596, avait parlé de la culture de la Pomme de
terre, appelée par lui, le premier, Solanum tuberosum, dans les jardins de cette ville. C’est de là, probablement, qu’elle s’est introduite dans d’autres
cantons en Suisse, et que de la Suisse elle est passée en France. Le premier auteur français qui s’occupe de la Pomme de terre est le célèbre agronome
Olivier de Serres. Il y consacre tout un article dans son Théâtre d’Agriculture et Mesnage des champs, dont la 1re édition a paru en 1600. La Pomme de
terre se trouvait donc en France, en même temps qu’en Angleterre, en Belgique, en Autriche, en Allemagne et en Suisse, ainsi qu’en Espagne et en Italie,
vers la fin du XVIe siècle.
Au Chapitre X du VIe Livre du Théâtre d’Agriculture, on peut lire cet article qui est intitulé CARTOUFLE, et dont voici la teneur même d’après l’ouvrage
d’Olivier de Serres.
« C’est arbuste, dict Cartoufle, porte fruict de mesme nom, semblable à truffes, et par d’aucuns ainsi appellé[1]. Il est venu de Suisse, en Dauphiné,
despuis peu de temps en çà. La plante n’en dure qu’une année, dont en faut venir au refaire chacune saison. Par semence, l’on s’en engeance, c’est-à-dire,
par le fruict mesme[2], le mettant en terre au commencement du printemps, après les grandes froidures, la lune estant en decours, quatre doigts profond,
désire bonne terre, bien fumée, plus légère que poisante : l’aer modéré. Veut estre semé au large, comme de trois en trois, ou de quatre en quatre pieds de
distance l’un de l’autre, pour donner place à ses branches de s’accroistre, et de les provigner[3]. De chacun cartoufle sort un tige, faisant plusieurs branches,
s’eslevans jusqu’à cinq ou six pieds, si elles n’en sont retenues par provigner. Mais pour le bien du fruict, l’on provigne le tige avec toutes ses branches, dès
qu’elles ont attaint la hauteur d’un couple de pieds ; d’icelles en faissant ressortir à l’aer, quelques doigts, pour là continuer leur ject ; et icelui reprovigner,
à toutes les fois qu’il s’en rend capable, continuant cela jusques au mois d’Aoust : auquel temps les jettons cessent de croistre en florissant, faisans des
fleurs blanches[4], toutes-fois, de nulle valeur. Le fruict naist quand-et les jettons à la fourcheure des nœuds, ainsi que glands de chesne. Il s’engrossit et
meurit dans terre, d’où l’on le retire en ressortant les branches provignées, sur la fin du mois de Septembre, lors estant parvenu en parfaicte maturité. L’on
le conserve tout l’hyver parmi du sablon deslié en cave tempérée ; moyennant que ce soit hors du pouvoir des rats, car ils sont si friands de telle viande[5],
qu’y pouvans attaindre, la mangent toute dans peu de temps. Aucuns ne prennent la peine de provigner ceste plante, ains la laissent croistre et fructifier à
volonté, cueillans le fruict en sa saison : mais le fruict ne se prépare si bien à l’aer, que dans terre, en cela se conformant aux vraies truffes, auxquelles les
cartoufles ressemblent en figure ; non si bien en couleur, qu’elles ont plus claire que les truffes : l’escorce non rabouteuse, ains lice et desliée. Voilà en quoi
tels fruicts diffèrent l’un de l’autre. Quant au goust, le cuisinier les appareille de telle sorte, que peu de diversité y recognoist-on de l’un à l’autre. »
Dans l’édition du Théâtre d’Agriculture, publié en 1805 par la Société d’Agriculture du Département de la Seine, et qui est accompagnée de très
nombreuses notes explicatives, le texte ci-dessus d’Olivier de Serres est annotée de la façon suivante par le célèbre Parmentier.
« Quoique la description de la Cartoufle ne se rapporte pas exactement au Topinambour (Helianthus tuberosus), tout porte cependant à croire que c’est
lui qu’Olivier de Serres a désigné ici, et non la Pomme de terre (Solanum tuberosum), comme plusieurs auteurs célèbres l’ont prétendu ; en effet, la plante
que décrit Olivier de Serres sous le nom de Cartoufle a le port d’un arbrisseau, elle s’élève à environ deux mètres[6] (cinq à six pieds de haut), pousse une
tige que l’on provigne avec toutes les branches, donne des tubercules qui ont l’apparence extérieure des truffes (tuber) et naissent à la fourchure des nœuds,
donne des fleurs qui ne fructifient point et sont de nulle valeur. Or la Pomme de terre n’a aucun de ces caractères, et elle étoit vraisemblablement encore
très peu connue en Europe, où elle ne faisoit que d’être importée à l’époque où le Théâtre de l’Agriculture a paru. »
Nous n’avons pas besoin de discuter les termes de cette Note, en ce qui touche les caractères communs à la fois à la Pomme de terre et au Topinambour,
quant à la hauteur de la tige et à la production des tubercules ; mais Parmentier fait dire à tort par Olivier de Serres, que les fleurs ne produisent point de
fruits, puisque l’auteur dit seulement qu’elles sont de nulle valeur, c’est-à-dire d’aucun intérêt, d’aucun usage. D’un autre côté, Olivier de Serres parle de
« jettons faisant des fleurs blanches », ce qui n’est pas le cas du Topinambour, dont les fleurs sont jaunes. Il n’est pas jusqu’au provignage, qui n’est pas le
fait du Topinambour, en raison de ses tiges raides et droites, mais qui était pratiqué en Bourgogne pour la Pomme de terre, d’après ce que nous apprend
Gaspard Bauhin (Prodromos Theatri botanici de 1620) dans ce passage déjà cité ci-dessus : « Les Bourguignons ont l’habitude aussi d’étaler les rameaux
sur le sol et de les recouvrir de terre dans le but d’augmenter le nombre des tubercules ». Enfin, ce qui achève de prouver qu’Olivier de Serres ne pouvait
parler du Topinambour, c’est qu’il n’a été question de cette plante en Europe, qu’en 1616, d’après ce qu’a établi A. de Candolle dans son ouvrage sur
l’Origine des plantes cultivées.
Mais ce qui semble devoir expliquer l’erreur de Parmentier, et cela ressort delà dernière phrase de sa Note, c’est qu’il n’était pas au courant de ce qui
avait été publié au XVIe siècle sur la Pomme de terre, et qu’il avait dû conserver sur son histoire les idées qu’il avait émises en 1781, dans son Mémoire
intitulé : Recherches sur les végétaux nourrissants qui, dans les temps de disette, peuvent remplacer les aliments ordinaires. « Originaire de la Virginie, y
dit-il, la Pomme de terre s’est naturalisée si parfaitement et avec tant de facilité en Europe, qu’on croirait à présent qu’elle appartient à notre hémisphère.
Les Irlandais la cultivèrent d’abord dans les jardins par pure curiosité, et ce ne fut guère qu’au commencement du XVIIe siècle, qu’ils essayèrent d’en faire
usage. Sa culture passa bientôt en Angleterre, puis en Flandre, en Allemagne, en Suisse et en France… » Or, d’après ces idées, comment croire, en effet,
que la Pomme de terre pouvait, avant 1600, être cultivée par Olivier de Serres, dans ses terres du Pradel, non loin de Villeneuve-de-Berg, petite ville du
Vivarais, en Languedoc, qui fait partie aujourd’hui du Département de l’Ardèche ?
Du reste, on peut lire, dans cette même édition du Théâtre d’Agriculture, deux passages qu’il nous parait intéressant de citer ici. Le premier est extrait de
l’éloge d’Olivier de Serres par François de Neufchâteau. « Le Linné de la Suisse, le célèbre Haller, dans sa Bibliothèque botanique, caractérise en peu de
mots, suivant son usage, le Théâtre d’Agriculture. Il dit que c’est un grand et bel ouvrage, d’un homme qui parle d’après son expérience, qui aime les
moyens simples et qui ne cherche pas des artifices dispendieux. Haller ajoute un autre trait non moins caractéristique de l’exactitude et des soins avec
lesquels Olivier de Serres a écrit, c’est qu’il est le premier agronome qui nous ait donné en détail l’histoire de la Pomme de terre, alors assez récemment
apportée d’Amérique ». Le second passage se trouve dans l’Essai historique sur l’état de l’agriculture en Europe au XVIe siècle, par le G. Grégoire, qui
s’exprime en ces termes : « D’après le célèbre Haller, on a cru qu’Olivier de Serres connoissoit la Pomme de terre et qu’il l’avoit décrite sous le nom de
Cartoufle. J’ai suivi, sur ce point, l’opinion qu’autorisoit le grand nom de Haller ; mais ce pourroit être une erreur. Notre collègue Parmentier, à qui il
appartient surtout de parler des Pommes de terre, parce qu’il est celui, de tous les agronomes, qui a le plus étudié ces racines utiles, et qui les a le plus fait
valoir, croit qu’on ne peut leur appliquer la description des Cartoufles, qui ne sont, selon lui, que les Topinambours. Il faut observer qu’Olivier de Serres
dit que cette espèce de truffes, qu’il appelle Cartoufles, était venue de Suisse, et qu’encore aujourd’hui, en Suisse, on donne à la Pomme de terre le nom de
Tarteuffel, qui approche beaucoup celui de Cartoufle ».
Ajoutons ici que ce mot Tarteuffel n’est en somme que la modification germanisée du nom italien Tartuffoli, sous lequel Charles de l’Escluse et Gaspard
Bauhin disaient qu’on désignait de leur temps la Pomme de terre, et que ce tubercule porte encore, en Allemagne, le nom de Kartoffel, qui se rapproche
singulièrement du mot Cartoufle employé par Olivier de Serres.
Mais après la constatation de l’introduction de la Pomme de terre en France, d’un côté par cet agronome dans le Vivarais, de l’autre par Gaspard Bauhin
dans la Franche-Comté et la Bourgogne, les documents historiques font défaut pour nous apprendre de quelle façon elle a pu se propager dans les régions
avoisinantes, sinon même être délaissée, puisque, comme nous l’apprend encore G. Bauhin, elle n’avait pas tardé à être accusée de donner la lèpre.
Voyons cependant, si courte que soit son histoire pendant le XVIIe siècle et la plus grande partie du XVIIIe, tout ce que nous avons pu trouver qui soit relatif
à la Pomme de terre, en France, pendant cette période caractérisée par la lenteur des progrès que faisait la culture du précieux tubercule. Examinons
d’abord ce qu’il en était à Paris, et ensuite dans les provinces.
Le Solanum tuberosum était une plante intéressante au point de vue botanique ; elle devait tout au moins attirer l’attention des curieux ou des savants,
grâce aux travaux descriptifs de Ch. de l’Escluse et des Bauhin. Ce Solanum ne figure pas dans le Catalogue des plantes du Jardin royal des plantes
médicinales (aujourd’hui le Muséum d’histoire naturelle de Paris) publié par son fondateur, Guy de la Brosse, en 1636. Mais en 1665, la Pomme de terre
était cultivée dans ce Jardin Royal, car sur le Catalogue publié cette même année par Joncquet, sous les auspices de Vallot, parmi les noms des plantes
cultivées dans l’Hortus regius se trouve notre plante sous ce nom : « Solanum tuberosum esculentum (Bauhin, Pinax), forte Papas Perüanorum (Clusius,
Hist.) » ce qui doit s’interpréter comme étant la Pomme de terre à fleur violette, car à la suite de ce premier nom se trouve : « Idem, flore albo », c’est-à-
dire la variété à fleur blanche. Ainsi donc, en 1665, voici que la Pomme de terre est enfin introduite dans Paris.
Elle se trouvait encore dans le même Jardin en 1689, d’après le Schola botanica ou Catalogue des plantes que démontrait depuis quelques années, aux
étudiants dans le Jardin royal, Joseph Pitton Tournefort, attribué à Sherard. La Pomme de terre y est indiquée en ces termes : « Solanum tuberosum
esculentum de G. Bauhin, Papas Americanum de J. Bauhin. Truffe rouge ». Ces deux derniers mots sont instructifs, en ce qu’il nous rappelle le nom de
Truffe (Tartuffoli des Italiens) et la variété à peau rougeâtre décrite par Ch. de l’Escluse et les Bauhin.
Tournefort, dans son Histoire des plantes qui naissent aux environs de Paris (1698), ne parle pas de notre Solanum, non plus que Bernard de Jussieu,
dans la 2e édition du même ouvrage publiée en 1725 ; mais il figurait, dans le petit Botanicon parisiense de Séb. Vaillant paru en 1723, en ces termes :
« Solanum tuberosum esculentum (Pinax). PATATE OU TRUFFE ROUGE ». Et l’on retrouve ce Solanum, indiqué sous le même nom dans le grand Botanicon
parisiense du même auteur, publié par Boerhaave en 1727, mais avec l’épithète marginale Us., ce qui signifie qu’elle était en usage ou cultivée, et qu’elle
pouvait se rencontrer dans les champs, aux environs de Paris.
Enfin, le Prodromus Floræ parisiensis ou Catalogue des plantes parisiennes publié par Dalibard en 1749, cite également notre plante sous le nom de
« Solanum tuberosum esculentum (Pinax). TRUFFE ROUGE ». On ne connaissait donc encore, à Paris, que la variété rouge de la Pomme de terre, et seulement
sous les noms de Patate ou Truffe rouge.
Nous avons vu, dans le Chapitre précédent, que Gaspard Bauhin avait parlé, en 1620, de la culture de la Pomme de terre dans la Franche-Comté : il
faisait même connaître cette singulière légende, d’après laquelle on délaissait cette culture dans la croyance que la Pomme de terre donnait la lèpre. Ce qui
venait en quelque sorte appuyer cette légende, c’est qu’on prétendait que le Parlement de Besançon avait rendu, en 1630, un arrêt confirmatif de cette
croyance. « Attendu, disait cet arrêt, que la Pomme de terre est une substance pernicieuse et que son usage peut donner la lèpre, défense est faite, sous
peine d’une amende arbitraire, de la cultiver dans le territoire de Salins ».
Or nous devons à l’obligeance de M. J. Tripard, membre de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon, et qui réside près de Salins, les
renseignements suivants, dont la clarté ne laisse rien à désirer.
« Il n’y a pas lieu, nous écrit M. Tripard, de s’arrêter à la légende qui croit pouvoir s’appuyer sur un arrêt du Parlement de Besançon, daté de 1630, car
en 1630 le Parlement n’existait pas à Besançon : il était à Dôle et fut supprimé en 1668 par le Roi d’Espagne. Le 16 juin 1774, il avait été rétabli à Dole par
Louis XIV ; après l’annexion de la Franche-Comté il fut transféré à Besançon.
« Les édits généraux ne font pas mention de cet arrêt : on comprend du reste qu’un édit sur la culture de la Pomme de terre devait appartenir à cette
Catégorie. Il n’a donc pas existé. D’un autre côté, j’ai feuilleté les arrêts de 1630, parmi les arrêts manuscrits qui sont conservés dans les archives du Doubs
et je n’y ai rien trouvé ».
Vers la fin du XVIe siècle, la Pomme de terre n’avait pas seulement été introduite dans la Franche-Comté. L’introduction en avait été faite également dans
les Vosges. M. René Ferry a bien voulu attirer notre attention sur ce que dit à ce sujet Gravier, dans son Histoire de St-Dié (1836), Il s’exprime ainsi : « La
Pomme de terre fut introduite dans les Vosges par les vallées de Schirmeck et de Celles au XVIe siècle, avec les opinions de Calvin qui s’y propagèrent et y
firent des progrès plus rapides que la Pomme de terre. Les Vosgiens font honneur de cette plante aux Suédois, parce qu’en effet sa culture ne se répandit
dans les Vosges que vers le milieu du XVIIe siècle[7], et que jusqu’alors elle était restée circonscrite dans les jardins et tout au plus dans quelques
chenevières. Quoi qu’il en soit, nous suivons ses progrès dans le pays à l’aide des sentences et arrêts qui ont marqué son itinéraire. » Ce fut le curé de la
Broque, Louis Piat, qui le premier exigea de ses paroissiens la dîme des Pommes de terre. Sur leur refus, une sentence du prévôt de Badonviller du 19
Octobre 1693 les condamne à livrer à leur curé le cinquantième du produit pour tenir lieu de la dîme. Cette sentence déclarait les habitants de la vallée de
Celles soumis à la même servitude.
» Le Val de St-Dié. si maltraité pendant les guerres du XVIIe siècle, remplaça la Vigne par la Pomme de terre, et la fit rentrer presque subitement dans la
rotation triennale par les versaines ou terres de repos. Le Chapitre de St-Dié, témoin de la misère du pays causée par les ravages de la guerre, fut plus
généreux que le curé de la Broque et n’exigea la dîme qu’après une culture libre de plus de 50 ans. Les habitants du Val invoquèrent la prescription et
l’affaire fut portée à la Cour souveraine. La Cour balança longtemps entre l’humanité et le droit du seigneur. Les citadins regardaient la Pomme de terre
comme un fruit vil et grossier, destiné plutôt à la nourriture des animaux qu’à celle de l’homme, et ils la rangeaient à côté du gland. Cependant un arrêt du
28 juin 1715, conforme aux conclusions du procureur général et fondé sur le droit divin, condamna les habitants du Val à payer la dîme des Pommes de
terre ou Topinambours sur le pied des grosses dîmes. Cet arrêt fit naître des troubles au moment de la récolte. Les pauliers furent maltraités et les récoltes
enlevées par les habitants. Un nouvel arrêt du 23 mars 1716 ordonna de livrer sur place le onzième du produit.
» La Pomme de terre ayant été adoptée successivement par les sujets des abbayes de Senones, Moyenmoutier et Etival, et par ceux des Dames de
Remiremont, ces quatre établissements religieux sollicitèrent en commun un arrêt de dîme. C’est alors que l’édit du prince, du 4 mars 1719, prévint
l’arrêt. »
Nous sommes reconnaissant à M. Chamoüin de nous avoir fait connaître que M. H. Labourasse a publié, en 1891, dans les Mémoires de la Société des
lettres, sciences et arts de Bar-le-Duc, 2e série, t. IX, un Mémoire très documenté, intitulé : Parmentier et sa Légende. Nous en détachons le texte de l’arrêt
du 28 juin 1715 et celui de l’édit du 4 mars 1719, dont il vient d’être question. Ces textes renferment d’assez curieux détails sur ce que l’on pensait alors de
la Pomme de terre et sur les ressources qu’on commençait à tirer de sa culture. Arrêt de la Cour souveraine de Lorraine et Barrois du 28 juin 1715, portant
règlement pour la dîme des Pommes de terre, à propos de la réclamation des habitants du Val Saint-Dié.
« Léopold, par la grâce de Dieu, Duc de Lorraine, Marchis, Duc de Calabre, Bar, Gueldres, etc…..
» Ouï Didier, avocat, qui a conclu à maintenir et garder les habitants du Val de Saint Diez dans la haute possession, en laquelle ils sont de mettre et
recueillir des Pommes de terre dont s’agit, dans toutes sortes de terres indistinctement, sans en payer la dixme….
» Ouï aussi Bourcier de Montureux, pour notre Procureur général, qui a dit :
«….. Quoique cette contestation, ne soit née qu’au sujet d’un fruit vil et grossier, qui semble plutôt destiné à la nourriture des animaux qu’à celle des
hommes, cependant cette cause ne laisse pas d’être de quelque importance, parce que ce fruit étant devenu fort commun dans toute la Vosge, surtout dans
le temps malheureux que l’on vient d’essuyer, elle intéresse d’un côté grand nombre de communautés, et de l’autre beaucoup de Décimateurs, pour lesquels
l’Arrêt qui interviendra servira de règlement.
» D’ailleurs, s’il est vrai qu’il y ait été apporté, comme on l’a dit, du fond des Indes ; s’il a mérité dans la Plaidoirie une description pompeuse, et d’être
comparé au fruit le plus rare, le plus précieux et le plus beau de tout le Paradis terrestre, sans doute qu’il n’est pas si méprisable que l’on croit ; en sorte que
sa destinée mérite par plus d’une considération, comme notre dite Cour voit, quelque attention de sa part.
» Il est vrai que ce fruit, qui est connu dans la Vosge depuis environ cinquante ans[8], se plante et sème vers les mois de Mars ou d’Avril, tantôt dans des
Potagers ou Vergers, tantôt dans des Chénevières, quelquefois dans des terres arables au lieu de grains, comme dans les terres de Mars ; mais bien plus
ordinairement cependant dans les terres de repos ou qui sont versaines (Jachères) selon le terme du pays, en sorte que dans ce cas cette Pomme se sème
dans les sillons mêmes qui servent de préparation à la semaille suivante.
» Ce fruit a cela de singulier que quoique la plupart de toutes les autres plantes ne se produisent que par leur semence, le Topinambour[9] se produit par
lui-même ; car on le coupe en plusieurs petits morceaux, que le Laboureur répand dans la raie qu’il a tracée avec sa charrue. Cette Pomme se nourrit et se
forme dans cette terre pendant tout l’été et se recueille au mois de Septembre ou d’Octobre, qu’elle fait place aux grains que l’on sème en cette saison…..
»….. La dixme des Pommes de terre est extraordinaire, puisqu’elle ne se perçoit qu’en peu d’endroits ; elle n’a point encore été levée, quoique connue et
en usage dans le Val Saint-Diez depuis plus de quarante ans.
»….. On a rapporté deux autres arrêts du Conseil souverain de Colmar, en croyant que l’on peut s y conformer d’autant plus que l’Alsace étant contiguë
à la Vosge, le Topinambour a été connu et est en usage à peu près en même temps dans l’un et dans l’autre pays.
»….. L’on ne doit donc pas avoir aujourd’hui plus d’égard à la requête des habitans du Val de Saint-Diez ; d’autant plus qu’il conste que dans ce Val,
comme dans toute la Vosge, l’on ne plante de ce fruit en quantité, que depuis vingt ou vingt-cinq ans[10], et qu’on en plantoit dans les commencemens si
peu, qu’on auroit eu pudeur d’en exiger la dixme : en sorte que cette petite quantité n’a déjà pu leur acquérir aucune possession valable….. Et si notre dite
Cour venoit aujourd’hui à décharger les habitans du Val du payement de la dixme de Topinambours qu’ils plantent dans leurs terres de grosses dixmes,
cette grande quantité qu’ils y mettent déjà aujourd’hui, et qu’ils ne manqueroient pas d’augmenter encore dans la suite, en changeant absolument la surface
de la terre, frusteroient les Décimateurs de tous leurs droits. Car outre que les habitants se verroient par là déchargez du paiement de la dixme, c’est qu’ils
tirent encore de ce fruit des avantages considérables pour eux. Le Topinambour multiplie infiniment ; ils en engraissent leurs bestiaux, ils s’en nourrissent
eux-mêmes…
» Notre dite Cour condamne les Parties de payer à l’avenir la dixme des Pommes de terre qu’ils planteront ou ensemenceront sur les terres sujettes à la
grosse dixme, soit qu’elles soient en versaine, ou en saison, sur le pied qu’elles payent la même grosse dixme ».
Voici maintenant la teneur de l’édit ou de l’ordonnance de 1719 qui devait régler cette question, si importante alors, de la dîme des Pommes de terre.
» Il s’agissait ensuite d’établir quelle espèce d’engrais convenait le mieux aux Pommes de terre. M. de Chancey a employé, pour éclaircir cette nouvelle
question, le même esprit de recherches et d’observations qui l’a dirigé dans la discussion de la première. Toutes les plantes fumées sont constamment plus
belles, plus vigoureuses que les plantes non fumées et plus hâtives ; mais en même temps le goût de leur fruit est généralement moins délicat que dans
celles-ci : ce qui fait que, dans certains Cantons, on achète plus volontiers les Pommes de terre des gens de la campagne que celles des jardiniers. Après
avoir essayé successivement, et dans des proportions différentes, plusieurs genres d’engrais, M. de Chancey s’est convaincu qu’ils avaient tous un égal
succès, et qu’il fallait bien se garder d’en employer une plus grande quantité que pour la culture des grains : au reste, il en est de la Pomme de terre comme
des autres plantes ; c’est au cultivateur exercé et intelligent, qu’il appartient spécialement de déterminer ce qui est propre à son sol, et de régler sa conduite
sur ses ressources locales.
» De ces observations en quelque sorte préliminaires, M. de Chancey passe à l’examen de plusieurs questions relatives à la culture des Pommes de terre
considérées sous tous les rapports. Faut-il planter ces racines par œilletons, par morceaux ou entières ? Doit-on préférer les grosses aux moyennes, et
celles-ci aux petites ? La méthode de les cultiver doit-elle varier à raison des espèces et du sol ? C’est encore l’expérience qui répond à toutes ces questions.
Quelques auteurs ont prescrit de mettre jusqu’à trois Pommes de terre dans chaque trou ; d’autres conseillent d’y mettre simplement l’œil détaché de la
racine ; d’autres sans pulpe. Dans le premier cas, on employe en pure perte beaucoup de racines ; dans le second, au contraire, on court le risque d’avoir de
chétives récoltes. M. de Chancey a entrepris, en 1784, une suite d’expériences qui confirment, comme je l’avais déjà annoncé, qu’il était avantageux de
partager les espèces de Pommes de terre longues, et moins les rondes, surtout lorsqu’il y a lieu de craindre les ravages du Ver du Hanneton. Malheur alors à
ceux qui n’ont planté que des morceaux pourvus seulement d’un œil : la plupart des pieds manquent, et ceux qui échappent au fléau destructeur dont nous
venons de parler, ne produisent pas abondamment. Quant à l’espèce de culture à suivre, il existe plusieurs méthodes dont la bonté est déjà constatée par des
expériences décisives ; mais ces méthodes varient entre elles ; dans les terres légères et sablonneuses, un simple labour suffit. Il faut défoncer celles qui
sont argileuses ; mais quelle que soit la méthode adaptée à la nature du sol, pourvu que la terre soit rendue aussi meuble qu’il est possible avant d’y déposer
la plante et tout le temps de son accroissement, le rapport sera toujours proportionné au travail.
» On s’est trompé en croyant qu’en coupant la tige et les feuilles de Pommes de terre un peu tard, et avant que le froid ou la maturité ne les flétrisse, on
risquait de nuire au produit des tubercules, et que ces feuilles données pour nourriture aux vaches, faisait tarir leur lait. Mes expériences ont prouvé qu’une
pareille assertion était sans fondement. M. de Chancey est du même avis, puisqu’il insiste sur l’avantage de les donner en fourrage au bétail ; mais les
tentatives qu’il a faites pour les réserver pour l’hiver et les conserver saines, ont été sans succès, soit qu’il ait voulu enlever à ce fourrage son humidité qui
est très considérable, soit qu’il les ait mises à macérer dans l’eau comme on le pratique pour les feuilles de Vigne. Il observe qu’on pourrait, dans certains
endroits, faire de l’eau-de-vie avec les baies ou fruits de la Pomme de terre, seules parties de la plante susceptibles d’une fermentation spiritueuse ; en vain
y soumettrait-on les racines, l’absence de la matière sucrée deviendra toujours un obstacle au succès de cette opération[40].
« Les Pommes de terre épuisent-elles, ou non, le sol ? La culture en est-elle avantageuse à celles des grains qui leur succèdent ? Pour répondre à ces deux
questions, il faut prendre en considération les différentes espèces de Pommes de terre, la qualité du terrain où on les plante, l’époque de leur plantation, la
manière de les cultiver, le genre de production qu’on fait venir ensuite sur le même sol.
»… Il s’ensuit que lorsque l’on a recueilli des Pommes de terre dans des terres à froment, on peut, en fumant de nouveau, les ensemencer de ce grain ; le
fumier est même quelquefois inutile, quand le sol est gras ; d’ailleurs, une expérience non interrompue de deux siècles prouve que les plus beaux prés et les
champs les plus productifs de l’Irlande doivent leur fertilité à la culture des Pommes de terre.
» Le Froment et les autres grains dont nous formons la base de la subsistance journalière, n’admettent point ordinairement parmi eux des plantes d’un
autre genre : du moins cette admission n’est pas exempte de reproches ; les succès que j’ai obtenus en cultivant le Maïs dans des planches de Pommes de
terre auxquelles ce grain communique un ombrage salutaire et une sorte d’humidité végétative, a déterminé M. de Chancey à faire le même essai. Un arpent
bêché, fumé et planté en Pommes de terre et Maïs, lui a fourni 1,005 boisseaux de tubercules, tandis que la même étendue de terrain servant de
comparaison n’en a rapporté que 753, sans compter, dans le premier cas, la récolte du Maïs, dont les pieds sont devenus aussi forts et aussi vigoureux que
s’ils avaient été seuls. On peut encore, en faisant succéder au Colsa, au Lin et au Seigle, les Pommes de terre, obtenir une double récolte du même champ :
mais on suppose que le fond soit excellent et la température très favorable ; car dans les endroits où les gelées blanches se manifestent dès les premiers
jours de Septembre, on ne doit pas s’attendre à jouir constamment de pareils avantages.
» Le deuxième Mémoire de M. de Chancey a pour objet les différentes manières dont les Pommes de terre se reproduisent. On sait que cette plante est du
nombre de celles à qui la nature a accordé la faculté de se régénérer, en les divisant ; c’est aussi ce qui a fait donner à la Pomme de terre le nom de Polype
végétal ; on la multiplie ainsi au moyen des yeux, des germes, de la bouture et du semis : cette dernière méthode est sans contredit la plus intéressante,
puisqu’à l’avantage de rajeunir l’espèce lorsque le germe est fatigué, elle joint celui de donner des espèces nouvelles qui, appartenant à notre sol et à notre
climat, seront susceptibles de s’abâtardir. La voie des semis a souvent été tentée par des cultivateurs distingués, mais sans aucun but particulier ; ils ne l’ont
même jamais bien suivie, sous prétexte qu’elle était longue, coûteuse et difficile pour la production ; cependant M. de Chancey a obtenu, au moyen de ses
semis, des Pommes de terre de l’espèce Grosse-blanche qui pesaient jusqu’à 21 onces[41] et des Rouges-longues, de 4 à 5 onces[42]. M. Hell qui a fait les
mêmes expériences en Alsace, et M. de Ladebat, en Guyenne, en ont également récolté beaucoup d’un égal volume ; ils ont remarqué que les pieds
transplantés donnaient généralement plus de bulbes que ceux qui ne l’avaient pas été. Les Cultivateurs qui se plaignaient de la dégénération des Pommes de
terre n’ont désormais qu’à recourir au semis s’ils veulent avoir des plantes plus vigoureuses, des tubercules plus gros, plus nombreux, plus sains et de
meilleur goût que ceux qu’on a ordinairement. Il n’est plus maintenant de Canton, si petit qu’il soit, dans le Royaume, où je n’aie envoyé de la graine au
moins par la voie du Courrier.
» L’examen des différentes espèces de Pommes de terre est aussi entré dans le plan du travail de M. de Chancey. Quelques auteurs les avaient fait
monter à plus de soixante ; mais il est facile de juger qu’ils ont compté dans ce nombre beaucoup de variétés. Les onze espèces de Pommes de terre que je
me suis procurées de l’Amérique, la première patrie de cette plante, et dont je distribue chaque année, depuis quatre ans, des échantillons, se sont soutenues
quant à leur port et à leur forme, dans les divers Cantons où on les a cultivées. Une seule envoyée, il y a quatre ans, à M. de Chancey, l’a mis à portée d’en
couvrir trois arpents et demi, dont le produit est destiné à être répandu dans le Lyonnais. Ce ne sera pas là le seul service dont ses concitoyens lui seront
redevables : il a engagé, il y a deux ans, quelques personnes charitables à faire cultiver des Pommes de terre au profit des pauvres : l’un a prêté son champ ;
l’autre a fourni l’engrais ; un troisième s’est chargé des frais de labour, de semence et de culture, et cela a suffi pour subvenir aux besoins pressants de bien
des familles : le même acte de bienfaisance a été renouvelé cette année. Puisse cette manière de soulager les malheureux avoir partout des imitateurs ! Tel
est le précis des deux Mémoires de M. de Chancey : sa passion favorite paraît être la culture des Pommes de terre ; et son motif, le bien qu’elle procurera à
la classe la plus indigente des citoyens. Je pense donc qu’en s’occupant ainsi de tout ce qui peut tendre au bonheur de l’humanité et aux progrès de
l’Agriculture, cet auteur patriote a acquis des droits à l’estime publique, et que ses travaux sont dignes de l’approbation de la Société ».
En 1888, on célébrait le centenaire de Parmentier, en inaugurant la statue que la reconnaissance publique lui avait élevée sur une des places de Neuilly-
sur-Seine, non loin de cette plaine des Sablons dont la culture de Pommes de terre, en 1787, est devenue historique. Le mémoire de Parmentier que nous
citons ici, puis le Rapport des commissaires de la Société d’Agriculture qui lui fait suite, extraits tous deux des publications de cette Société, feront mieux
saisir dans tous ses détails ce que signifiait cet essai de culture, dont les résultats ont été inespérés. Il ne faut pas oublier, non plus, que la Société
d’Agriculture s’y était complètement associée, et qu’elle a été faite en somme avec son concours.
MÉMOIRE SUR LA CULTURE DES POMMES DE TERRE A LA PLAINE DES SABLONS ET DE GRENELLE, par M. Parmentier. (Lu à la Séance publique du 19 Juin 1787.)
« L’année rurale 1785 a été remarquable par deux espèces de calamités qui n’ont épargné aucune de nos provinces : toutes ont éprouvé plus ou moins
sensiblement, et la disette de fourrages qui a entraîné la perte d’une partie des bestiaux, et la moucheture des blés qui, dans certains Cantons, a réduit au
tiers les récoltes en froment : le Gouvernement, justement alarmé de ces fléaux passagers, s’est empressé d’en arrêter les suites, en chargeant plusieurs
membres de la Société royale d’Agriculture, de rédiger des Instructions sommaires sur les différentes ressources qu’il était possible d’employer, selon les
Cantons et la nature du sol, pour remédier aux maux que l’extrême sécheresse occasionnait, et prévenir en même temps ceux que cette température
désastreuse présageait encore ; les efforts n’ont pas été infructueux, puisque beaucoup de propriétaires, au lieu d’être forcés, comme certains fermiers, de se
défaire de la plupart de leurs bestiaux, se sont trouvés en état d’en nourrir un plus grand nombre, et qu’ils songent à profiter de l’expérience acquise pour se
ménager des secours contre les mêmes inconvénients.
» Parmi les ressources indiquées, la Pomme de terre a été spécialement recommandée, et elle a rempli le plus complètement les espérances : ces racines,
quoique plantées bien après la saison, n’en ont pas moins prospéré dans des terrains où les menus grains avaient entièrement manqué, et les vides entre les
arbres, qui bordent quelques grands chemins neufs, en ont également fourni d’abondantes récoltes.
» Encouragé par ce succès presque inattendu, M. l’Intendant de la Généralité de Paris[43] a désiré qu’on essayât cette culture dans la Plaine des Sablons ;
en conséquence, deux arpens, pris au hasard dans ce vaste champ inculte, ont été labourés et plantés en même temps, sans aucune sorte d’engrais ; et
malgré les circonstances les plus contraires à l’expérience, puisque la Pomme de terre n’a pu être plantée que le 15 de Mai, c’est-à-dire six semaines après
l’époque ordinaire de la plantation, et que, pendant un mois et cinq jours, elle n’ait pas reçu une goutte d’eau, sa végétation n’en a pas moins été
considérable, au point de faire croire que le sol aride qu’elle recouvrait était un excellent fond, qu’il avait été disposé par plusieurs labours, amendé par les
meilleurs fumiers, et que tous les périodes de son développement avaient l’avantage d’être continuellement favorisés par la saison. Il est résulté de ces
essais 520 boisseaux de Pommes de terre[44], sans compter les pieds que la cupide avarice ou la curiosité ont fait arracher. La totalité de la récolte a été
donnée à la Société philanthropique ; cette première tentative n’ayant été, dans l’origine, qu’un essai, en quelque sorte préliminaire, il était important de la
répéter plus en grand sur le même terrain ; ainsi au lieu de deux arpens, on en a pris trente-sept : la Pomme de terre, divisée par morceaux, a été jetée dans
la raye derrière la charrue, à cinq pouces environ de profondeur, et à un pied de distance : on a laissé entre les rangées un espace suffisant pour permettre à
la petite charrue américaine l’exécution des différens travaux de culture, et démontrer à la fois ce qu’on peut épargner de soins, de temps et de frais par
cette méthode, tandis que le produit, destiné à être distribué aux pauvres des campagnes de la Généralité de Paris, concourra à inspirer au peuple du goût
pour un aliment si propre à sa constitution et à ses facultés.
» Mais il ne suffisait pas de prouver par un fait incontestable que le sol le plus aride était en état de rapporter des Pommes de terre, et que cette plante
pouvait être encore employée, avec grand profit après l’ensemencement de Mars, pour suppléer aux fourrages dans les années où l’on était menacé d’une
disette prochaine, il fallait multiplier les meilleures espèces, en créer même de nouvelles, rajeunir par les semis celles qui sont abâtardies, et présenter les
moyens certains d’empêcher partout leur dégénération. Dix sept arpens dans la Plaine de Grenelle vont encore remplir cet objet d’utilité, et la récolte que
M. l’Intendant a promise à sa Généralité, substituera bientôt aux mauvaises Pommes de terre qui existent dans nos marchés, les meilleures qualités ; il n’y a
plus même un coin dans le Royaume où la Société n’ait mis ses correspondans à portée de procurer cet avantage inestimable aux Cantons qu’ils habitent.
» Voilà donc cinquante-quatre arpens de terrain dont les noms seuls caractérisent la stérilité, et qui, de mémoire d’homme, n’ont rapporté aucune
production, consacrés aujourd’hui à donner une leçon d’Agriculture pratique, à faire plusieurs actes de bienfaisance, à naturaliser en France les nouvelles
espèces de Pommes de terre, et à fixer d’une manière irrévocable celles qui conviennent à chaque terroir, à chaque exposition, à chaque climat ; quel
exemple plus imposant pour les habitans de la Capitale, que d’avoir presque sous les yeux, les sables d’une terre aussi ingrate, couverts dans ce moment de
verdure, au mois de Juillet des fleurs, et renfermer en Automne, à quelques pouces de leur superficie, plusieurs milliers de sacs, d’une racine précieuse,
presqu’aussi substantielle que le pain, qui pendant six mois de l’année constitue la nourriture fondamentale de quelques Cantons, et qui a déjà concouru à
en sauver plusieurs de la disette.
» Je ne puis me dispenser de donner ici de justes éloges à M. Aubert, subdélégué, que M. l’Intendant avait chargé de me seconder dans cette entreprise ;
son zèle éclairé a infiniment contribué au succès de l’expérience, et il a acquis des roits bien mérités à la reconnaissance de la Société.
» Quoique la culture des Pommes de terre fasse aujourd’hui une des principales richesses de plusieurs nations agricoles, bien instruites en matières
rurales, il s’en faut encore qu’elle soit aussi généralement répandue qu’elle mériterait de l’être ; sans doute que les circonstances qui viennent d’en faire
apprécier l’utilité, serviront à réveiller l’attention de ceux des Agriculteurs qui comptent trop exclusivement sur leurs foins et leurs avoines ; mais il fallait
un grand exemple pour déterminer l’impulsion générale ; déjà une multitude d’hommes du premier ordre ont abandonné des terrains pour un certain temps
à quiconque y mettrait des Pommes de terre ; ils ont même procuré gratuitement la semence. L’Empereur a exempté pendant un grand nombre d’années ses
sujets Hongrais de certaines taxes, à condition qu’ils cultiveraient cette plante et qu’ils en formeraient une partie de leur nourriture, ainsi que celle de leurs
bestiaux ; enfin le Roi vient d’ordonner à deux de nos confrères d’admettre au nombre des plantes utiles rassemblées à Rambouillet sous les yeux de Sa
Majesté, les différentes Pommes de terre réduites maintenant à onze espèces particulières.
» La culture de la Plaine des Sablons est donc une des époques les plus mémorables dans l’histoire des travaux de la Société, elle peut même devenir la
source d’un très grand bien, puisque dans tous les pays du monde, il y a des terrains absolument nuls à l’Agriculture et qui pourraient fournir à nos besoins
réels. Quelle est la plante, en effet, dans la multitude innombrable de celles qui couvrent la surface du globe, plus digne de l’attention des bons citoyens,
que la Pomme de terre, soit qu’on l’envisage du côté de la culture ou qu’il s’agisse des ressources alimentaires que ces racines offrent aux hommes et aux
animaux pendant la saison la plus morte de l’année ; elles peuvent servir également en boulangerie, dans les cuisines et dans les basses-cours ; en un mot, il
n’existe pas de végétal plus propre à commencer les défrichemens, à vérifier les terrains que la charrue ne sillonne jamais ou qui ne rapportent pas, en
grains, la semence qu’on y a jetée : combien de landes ou de bruyères autour desquelles végètent tristement plusieurs familles, seraient en état de procurer
la subsistance, le superflu même à beaucoup de nos concitoyens toujours aux prises avec la nécessité, et qui souvent n’ont d’autres ressources pour vivre,
que le lait d’une vache ou d’une chèvre, et un peu de mauvais pain ; ces infortunés goûteraient pour la première fois les douceurs de l’abondance et, leurs
foyers rendus plus sains par l’influence bienfaisante d’une plante aussi vigoureuse en végétation, ils seraient moins susceptibles des maladies qui les
épuisent, et leurs enfants deviendraient plus robustes : alors, le voyageur charmé ne détournerait plus les regards de ces chaumières situées sur des champs
arides, dès qu’il en verrait le sol, fécondé par la Pomme de terre, annoncer pour l’avenir de riches récoltes et un préservatif assuré contre les funestes effets
de la cherté et les malheurs de la famine ».
Le Rapport suivant, qui a été lu à la Société d’Agriculture le 14 février 1788, nous fait connaître les détails et les résultats de cette culture devenue
historique ; à ce titre même, ce document est précieux.
« RAPPORT SUR LA CULTURE DES POMMES DE TERRE FAITE DANS LA PLAINE DES SABLONS ET CELLE DE GRENELLE, PAR MM. THOUIN, BROUSSONET, DUMONT ET
CADET.
» L’attention de M. l’Intendant de la Généralité de Paris sur tout ce qui peut encourager l’Agriculture et fournir aux gens de la campagne des récoltes
variées qui leur assurent une nourriture abondante, ainsi qu’à leurs bestiaux, s’est marquée l’année dernière, d’une manière signalée, par une expérience
faite en grand sous ses auspices, dans la Plaine des Sablons et dans celle de Grenelle, concernant les Pommes de terre.
» La Société nous a nommés, MM. Thouin, Broussonet, Cadet de Vaux et moi, pour suivre cette expérience, et lui rapporter quels en ont été les procédés
et les résultats.
» C’est à M. Parmentier, si connu pour les excellens ouvrages qu’il a publiés, et par ses travaux assidus sur le Froment, sur le Maïs, sur la panification et
sur la Pomme de terre, que l’on doit l’idée et la conduite de l’expérience dont nous allons avoir l’honneur de rendre compte à la Compagnie.
» Jusqu’ici l’on avait cru que la Pomme de terre voulait un sol au moins de qualité médiocre, et qu’elle devait être plantée vers la fin de Février ou dans
le commencement de Mars, époque où se font les semailles de l’Avoine, de l’Orge, des légumes farineux, en un mot, de ce qu’on appelle les Mars et
Tremois. Les laboureurs ont tant d’occupations dans cette saison, que souvent, faute de temps, lorsque la pluie, la gelée, ou quelque accident les contrarient,
ils sont obligés de laisser une partie de leurs champs sans l’employer. C’est leur rendre un fort grand service que de leur indiquer des cultures qui peuvent
être commencées quand les autres travaux de la campagne sont déjà finis.
» Les essais et les observations de M. Parmentier l’ont convaincu que la Pomme de terre, du moins une certaine espèce qui précisément est la plus
féconde, pouvait, avec succès, être plantée beaucoup plus tard qu’on ne le pensait. Il a de plus reconnu que le terrain le plus sec, pourvu qu’il fût de nature
légère, convenait à cette même espèce, et que toutes les autres s’en accommodaient plus ou moins, excepté les espèces rouges qui demandent un sol
médiocrement humide.
» La Pomme de terre est d’une grande fécondité. Un seul labour suffit pour préparer le terrain qui doit la recevoir ; un binage pour en butter la tige, cinq
ou six semaines après sa plantation, est le plus grand travail qu’elle exige. Il faut seulement avoir soin de la tenir nette et dégagée des herbes inutiles ; elle
fournit, comme on le sait, par ses racines tuberculeuses, un aliment sain, agréable au goût, qui s’apprête aisément, sans dépense, et qui convient aux
animaux comme aux hommes ; elle a de plus l’avantage de cacher sous la terre les productions qui la rendent utile, en sorte que la récolte que l’on attend,
dépend moins que toute autre de l’intempérie des saisons. Par ces diverses considérations, il est fort à désirer qu’une pareille denrée se multiplie partout de
plus en plus. Rien n’est plus propre à lui faire prendre faveur que la facilité qu’offre sa culture aux Laboureurs, de s’en occuper, pour ainsi dire, à leur
loisir, et d’y consacrer des friches abandonnées de tout temps.
» Ainsi l’espèce de découverte qu’a faite M. Parmentier sur une plante d’une utilité si grande, est véritablement importante à plus d’un égard, puisqu’elle
fournit aux gens de la campagne une culture qu’ils peuvent avancer ou remettre à leur gré, jusqu’à des temps où nulle autre ne pourrait être commencée, et
qu’elle leur donne de plus le moyen de mettre en valeur des fonds de mauvaise qualité qu’ils négligent, persuadés qu’en les travaillant, ils n’en tireraient
aucun parti.
» Pour rendre cette découverte utile aux Cultivateurs et les en faire profiter, il s’agissait de la divulguer par une épreuve éclatante, capable de servir
d’exemple et d’encouragement, en montrant, par un fait authentique, la justesse de la théorie.
» Dans cette vue, M. Parmentier a choisi, pour faire une expérience en grand et bien décisive, la Plaine des Sablons, et celle de Grenelle, où se trouvent
des terrains arides, de pur sable, stériles et délaissés depuis fort longtemps.
» On ne pouvait préparer la terre dans la Plaine des Sablons et la planter qu’après la revue que le Roi fait tous les ans de ses deux Régimens des Gardes
dans cette plaine, vers le milieu du Printemps, et qui, l’année dernière, s’est faite le 10 de Mai : circonstance qui ne permettant d’opérer que dans un temps
où la saison est déjà fort avancée, pouvait inspirer des doutes à des Cultivateurs ordinaires sur le succès de l’entreprise ; mais M. Parmentier, que ses
diverses tentatives et ses réflexions éclairaient et rassuraient, ne balança point à suivre son dessein.
» La revue faite le 10 de Mai, on a mis la charrue dès le lendemain sur un espace de trente-cinq arpents : ils n’ont reçu qu’un seul labour ; l’ouvrage, à
cause de son étendue, et par la difficulté d’avoir à point nommé les ouvriers, n’a été fini que le 25 du même mois. Deux chevaux tiraient la charrue ;
quelques charretiers en avaient mis trois sans nécessité, seulement par l’habitude où ils sont de manœuvrer avec un semblable attelage.
» A mesure que chaque arpent était labouré, on y plantait les Pommes de terre, en sorte que les labours et la plantation ont été terminés en même temps.
» On n’a fait aucune autre préparation ; on n’a point employé d’engrais, excepté sur un seul arpent, sur lequel des boues de Paris ont été répandues, dans
la vue de comparer son produit avec celui des autres arpens que l’on n’amendait point.
» La Grosse Pomme de terre blanche, tachée de points rouges à la surface et dans l’intérieur, commune dans les marchés de Paris, est celle qu’on a
plantée dans la Plaine des Sablons ; la végétation vigoureuse de cette espèce, qui croîtrait dans du verre pilé, pourvu qu’il fût souvent arrosé, l’a fait
préférer. On n’attendait point des autres espèces la même réussite, surtout des espèces rouges : celles-ci veulent, comme on l’a dit, un sol moins aride.
» Après la fleuraison de la plante, on l’a buttée avec la houe américaine : on n’a point eu besoin de sarcler le terrain ; il est si sec, que la seule verdure
qu’il ait produite est le feuillage de la Pomme de terre.
» La récolte s’est faite à la fin d’Octobre, quoique la plante ait été privée de la sève de Mai, et mise en terre, les labours étant tout frais ; quoique la
sécheresse ait régné longtemps, et qu’il soit ensuite survenu des froids constans, on a recueilli 621 sacs de Pommes de terre, de 16 boisseaux chaque,
faisant 9.936 boisseaux ou 828 setiers, qui, divisés par 35, nombre des arpens plantés, donnent pour chacun, l’un dans l’autre, près de 23 setiers 2/3 ou 23
setiers 8 boisseaux[45].
» Ce produit n’est pas le produit total des 35 arpens. Il n’est point possible d’énoncer la quantité véritable à laquelle il s’est monté ; celui des 621 sacs
doit être augmenté de ce que les maraudeurs ont enlevé furtivement dès le mois de Septembre et dans le courant d’Octobre ; de ce que les gens, chargés de
la récolte, ont pris pour eux-mêmes à la dérobée[46], et de ce qu’ils ont laissé par négligence dans la terre. Ce dernier article est certainement considérable.
Dix ou douze jours après la récolte enlevée, on voyait encore sur la place un nombre de Glaneurs qui fouillaient la terre, et qui ne perdaient point leur
temps.
» Comme le produit de ces 35 arpens devait être partagé gratuitement entre les Pauvres, on n’a point veillé soigneusement à ce qu’il n’en fût rien
détourné. La vigilance n’a point paru nécessaire en cette occasion, par une considération toute simple. On voyait que malgré ce qui serait soustrait, la
production avérée serait assez grande pour justifier l’entreprise et démontrer ce qu’on avait prétendu faire connaître. D’ailleurs, ceux qui s’appropriaient
subtilement de ces Pommes de terre étaient vraisemblablement pauvres ; par conséquent, du nombre de ceux à qui l’on destinait des distributions.
» Les 621 sacs de ces racines récoltées à la Plaine des Sablons ont, en effet, été donnés, partie à des Paroisses, partie directement à des Pauvres en
particulier, partie aux Sociétés philanthropiques.
» On avait porté, dans la plaine, pour la plantation des 35 arpens, 101 setiers, dont dix au moins, suivant ce que l’on nous a dit, ont été pillés tant par les
ouvriers que par d’autres. Ainsi le produit net de cette culture est de 520 sacs de 16 boisseaux chacun, en partant seulement du produit connu ; et le total du
produit connu se trouve être neuf fois et demi plus considérable que la quantité mise en terre pour la plantation.
» Dans l’arpent fumé, la fane avait plus de vigueur ; les Pommes de terre étaient un peu plus grosses, et le produit a surpassé d’un tiers environ celui des
autres arpens.
» Deux arpens qui l’année précédente, en 1786, avaient été plantés par forme d’essai, n’ont pas moins rapporté l’année dernière qu’en 1786.
» Quelques agronomes prétendent que la fane de la Pomme de terre ne plaît point aux moutons, et que, si par malheur ils y touchent, ils en sont
incommodés. M. Parmentier que ses expériences ont persuadé du contraire, a permis aux Bergers des environs de la Plaine des Sablons et de celle de
Grenelle, de conduire leurs troupeaux dans la partie qu’il avait plantée ; les moutons ont brouté la totalité du feuillage en peu de temps, et n’ont laissé que
les tiges. M. Parmentier assure qu’il n’en est résulté pour ces animaux aucun des accidens prétendus.
» On a fait sur cette plantation, en présence des Commissaires de la Société, l’essai du Petit cultivateur américain, sorte de petite charrue attelée d’un
cheval. Ils ont vu qu’avec cet instrument, on pourra butter suffisamment à peu de frais les plantes qui veulent être buttées. Il a pareillement été démontré
qu’on peut employer la charrue pour récolter les Pommes de terre : manière expéditive et qui diminue de beaucoup la dépense de la main-d’œuvre.
» Nous devons observer que les Pommes de terre qui ont cru dans le sable, semblables à cet égard au Blé moissonné sur des terres sèches, sont plus
farineuses, plus fermes, et d’une pesanteur spécifique plus considérable, que si des fonds humides les avaient produites. Celles de la Plaine des Sablons ont
plus de saveur que les Pommes de terre de même espèce que l’on achète dans les marchés n’en ont communément ; et soumises à la préparation par
laquelle on en extrait la fécule, elles en ont donné plus abondamment.
» L’expérience, dont nous venons de rendre compte, apprend que l’on peut différer de planter la Pomme de terre jusqu’au 25 de Mai, le 25 compris, jour
auquel les arpens façonnés les derniers ont été plantés ; car ces arpens ont autant rapporté que ceux qu’on avait plantés les premiers, c’est-à dire 10 ou 12
jours plus tôt.
» Elle nous apprend de plus que le terrain le plus aride ne doit point être abandonné, et qu’on peut y trouver une grande ressource en le plantant de
Pommes de terre, lorsqu’il est d’une nature légère. Le calcul le plus simple va mettre à portée d’en juger et d’apprécier en cela le mérite du travail de M.
Parmentier.
» Un boisseau de Pommes de terre, nous parlons toujours ici de l’espèce blanche, pèse 18 livres ; le boisseau de Froment pèse 20 livres ; le setier de
Froment pèse donc 240 livres, et celui de Pommes de terre 216 livres.
» Une bonne terre, ensemencée en Froment, rend par arpent six à sept setiers. Prenons sept setiers pour n’être point accusés de partialité. Un arpent de
terrain aride, sablonneux, dont on ne peut faire aucun autre usage, rend 23 setiers 2/3 ; à 216 livres le setier, c’est 5,112 livres pesant.
» Il faut trois livres pesant de Pommes de terre pour équivaloir à une livre de Froment ; par conséquent, 5,112 livres de ces racines font l’effet de 1,714
livres de Froment : poids que, dans la supputation présente, nous regarderons comme égal à celui de 1,680 que donnent 7 setiers de Froment ; la différence
de 1,714 à 1680 est trop petite pour mériter d’être marquée.
» Ainsi on tirera, dans certaines circonstances, sans grande dépense, d’un arpent du plus mauvais terrain, planté de Pommes de terre blanches, un produit
égal, soit en argent, soit en nourriture, à celui qu’on tirerait à grands frais d’un arpent de bonne terre ensemencée en Froment.
» La quantité de Pommes de terre nécessaires pour planter un arpent de mauvais terrain, et la quantité qu’il faut de Froment pour ensemencer la même
mesure de bonne terre, sont à peu près dans la même proportion avec la quantité de leur produit respectif.
» Mais les façons et les fumiers indispensables pour qu’un arpent de bonne terre rapporte 7 setiers de Froment, sont beaucoup plus chers que les façons
qu’exige un arpent sablonneux pour fournir 23 setiers 2/3 de Pommes de terre[47].
» Il résulte encore de ce que la Pomme de terre peut être plantée très tard avec fruit, que dans une année qui s’annoncerait par une sécheresse, telle que
celle de 1785, qui ferait craindre une disette de fourrage durant l’Hiver, on pourrait, en rassemblant tout ce que l’on trouverait encore de Pommes de terre
vers la fin de Mai, et les plantant, se procurer un supplément abondant de subsistance pour les animaux. » Tels sont les avantages des travaux de M.
Parmentier, et sur lesquels l’expérience qui vient d’être faite, ne saurait laisser de doute. On ne peut assez louer cet estimable citoyen de ses efforts
persévérans pour étendre et perfectionner la culture des Pommes de terre. On lui doit encore de l’avoir introduite dans des Cantons d’où les préjugés et
l’esprit de contradiction paraissaient l’avoir bannie pour toujours. Il ne s’est point contenté de publier des Traités, de donner des instructions particulières, il
a déterminé plusieurs Sociétés savantes à décerner des Prix pour l’encouragement de cette culture. Il a sollicité par lettres, et de vive voix avec la chaleur
d’un apôtre du bien public, une foule de Seigneurs Propriétaires de donner l’exemple, tant en faisant cultiver cette plante chez eux, qu’en ordonnant qu’on
en servît sur leurs tables ; son zèle ingénieux lui a suggéré des ruses innocentes, des stratagèmes officieux pour inspirer à leurs vassaux le goût de cette
nourriture. Ce sont ses soins sans relâche, ses exhortations non interrompues qui rendent aujourd’hui commune dans les marchés de Paris, cette denrée,
espèce de Manne, comestible sain, capable de suppléer non seulement le Blé, mais même le pain, surtout commode pour les Pauvres, par la facilité de le
cuire, et le peu d’apprêt qu’il demande. M. Parmentier mérite des témoignages de la reconnaissance publique.
» Les Pommes de terre plantées dans les 14 arpens de la Plaine de Grenelle, l’ont été vers le temps ordinaire, c’est à dire dans le courant de Mars. L’état
de leur produit ne nous a pas été remis. Les 14 arpens de cette plaine étaient consacrés à multiplier les nouvelles espèces, pour les distribuer aux Comices
agricoles, lors de leur première tenue, afin de propager la culture de ces plantes dans la Généralité de Paris.
» Ces nouvelles espèces jardinières sont au nombre de onze qui se sont soutenues pendant six années dans leur caractère spécifique, par là démontrées
variétés constantes contre le sentiment de quelques Naturalistes qui ne voulaient les regarder que comme de simples variétés accidentelles[48] ». Peut-être
ne sera-t-on pas fâché ici de prendre connaissance de quelques détails intimes sur cette Société d’Agriculture qui faisait de si louables efforts pour seconder
les vues philanthropiques de Parmentier. Arthur Young, dans le récit de son Voyage en France (1787-1789), a écrit quelques lignes à ce sujet. Voici
comment s’exprimait l’humoristique agronome, d’après une traduction anonyme de ce Voyage, parue en 1793.
« Le 12 Juin 1789. — J’allai à la Société royale d’Agriculture dont je suis membre, qui s’assemble à l’Hôtel de Ville : je votai et reçus un jeton, qui est
une petite médaille donnée aux membres toutes les fois qu’ils y vont, enfin de les engager à s’occuper des affaires de leur institution : c’est la même chose
dans toutes les Académies royales, etc., et ces jetons causent tous les ans une dépense considérable et fort mal employée, car quel bien peut-on attendre
d’hommes qui ne vont là que pour recevoir des jetons[49] ? Quel que soit leur motif, la Société paraît bien suivie : il y avoit trente personnes présentes ;
entre elles étoient MM. Parmentier, vice-Président, Cadet de Vaux, Fourcroy, Tillet, Desmarets, Broussonet, secrétaire, et Crété de Paluel, à la ferme
duquel je fus il y a deux ans, et qui est le seul de la Société qui pratique l’Agriculture. Le Secrétaire lit les titres des Mémoires présentés et en rend compte,
mais on ne les lit pas, à moins qu’ils ne soient particulièrement intéressans. Alors les membres lisent des Mémoires on font des Rapports, et quand ils
discutent et délibèrent, il n’y a pas d’ordre, mais ils parlent tous ensemble, comme dans une chaude conversation particulière. L’abbé Raynal leur a donné
1.200 livres pour un Prix sur quelque sujet important, et on me demanda mon opinion pour savoir ce que l’on proposeroit : Donnez-le, repliquai-je, pour
l’introduction des Navets ; mais ils pensent que c’est un objet que l’on ne sauroit atteindre ; ils ont tant fait, et le Gouvernement a tant fait en vain, qu’ils
regardent cela comme impossible. » Le 19 Juin 1789. — J’accompagnai M. Broussonet pour aller dîner chez M. Parmentier, à l’Hôtel des Invalides. Il s’y
trouvoit un Président du Parlement, M. Mailly, beau-frère du Chancelier, l’abbé Commerel, etc., etc. Je remarquai, il y a deux ans, que M. Parmentier étoit
le meilleur homme du monde, et qu’indubitablement il entendoit tous les détails de la Boulangerie mieux que personne, comme ses ouvrages le démontrent
clairement. Après dîner, nous allâmes à la Plaine des Sablons, pour voir les Pommes de terre de la Société[50] et les préparatifs qu’elle fait pour les Navets.
A cela je dirai que je conseille à mes confrères de s’en tenir à leur Agriculture scientifique, et d’en laisser la pratique à ceux qui l’entendent. Quel malheur
pour des Cultivateurs philosophes que Dieu ait créé du Chien-dent ! »
Mais après tous ces efforts pour encourager et propager la culture de la Pomme de terre, quels résultats était-on parvenu à obtenir à la fin du XVIIIe et au
commencement du XIXe siècle. Nous trouvons, à ce sujet, des renseignements fort instructifs dans le Mémoire déjà cité de M. Clos : Quelques documents
pour l’histoire de la Pomme de terre.
« L’importance de la Culture des Pommes de terre, dit M. Clos, paraît avoir été reconnue dans le Nord et le Nord-Est de la France, à l’époque où
Parmentier cherchait à la démontrer : elle avait dû y acquérir une assez grande extension ; car : 1° en 1809, le curé Aubry déclarait qu’à dater de 1760, elle
s’était considérablement augmentée dans les Ardennes, notamment dans le Canton de Bouillon, ajoutant qu’avant l’introduction de la Pomme de terre les
Hautes-Ardennes étaient souvent exposées à des espèces de famine, fléau qu’on n’y connaît plus ; 2° elle était même exportée en Angleterre par le port de
Dunkerque, si bien qu’en 1775 on crut devoir en défendre la sortie du Royaume, fait que j’emprunte au Mémoire déjà cité de M. Gourdon ; 3° de nombreux
documents témoignent de l’étendue de cette culture dans nos Départements de Nord-Est ; au rapport de Parmentier, vers la fin du XVIIIe siècle, les
Anabaptistes introduisirent sur les bords du Rhin, dans l’ancien Département du Mont-Tonnerre, la distillation en grand de la Pomme de terre fermentée, et
en tirèrent des produits fort importants.
» Voici des renseignements officiels extraits des Mémoires statistiques publiés par ordre du Gouvernement : A. — En l’an XII (1803) pour le
Département de Rhin et Moselle : « La Pomme de terre, qui est devenue un des mets du riche, est dans plusieurs Cantons la seule nourriture du pauvre ; on
en fait aujourd’hui une telle consommation que l’on doit s’étonner comment, avant sa culture, les pays un peu populeux ont pu nourrir leurs habitans ». B.
— En l’an XI (1802), pour le Département de la Moselle : « Elle est cultivée surtout dans l’arrondissement de Sarreguemines… Elle s’est prodigieusement
multipliée depuis 1794, où elle est devenue d’un grand secours dans la disette qui s’est fait sentir… Elle était même presque inconnue au milieu du dernier
siècle : elle a commencé à s’introduire dans les vignobles dont la population nombreuse, privée de plantes céréales, s’en était fait une précieuse ressource ;
elle est aujourd’hui répandue partout ; c’est le légume dont la consommation est la plus grande, en même temps qu’il sert de nourriture aux bestiaux et
d’engrais aux porcs. ». C. — En l’an XIII (1804), pour la Meurthe : « Quelques Cantons montagneux sont consacrés uniquement à la Pomme de terre… En
1789, la proportion des terrains plantés de Pommes de terre à ceux ensemencés en Fèves, en Pois, était comme 10 à 6, tandis que ce rapport est aujourd’hui
de 10 à 3. Cette faveur qu’a obtenue la culture de la Pomme de terre est l’effet du défrichement des Communaux, de la vente au détail des grandes fermes,
des diverses causes ayant multiplié le nombre des petits propriétaires dont ce précieux légume est la principale nourriture
». D. — En l’an XII, pour le Doubs : « La culture de la Pomme de terre augmente toujours, sensiblement… Outre la nourriture qu’elle fournit au
Cultivateur, la Pomme de terre sert aussi de nourriture aux bestiaux qu’elle engraisse… Les nombreux avantages que le Cultivateur a trouvés dans la
culture facile de la Pomme de terre paraissaient avoir beaucoup diminué la culture du Maïs, qui, plus exposé aux intempéries des saisons, laisse plus
d’incertitude sur la récolte, sans donner plus d’avantage par ses produits… »
» Enfin, on lit dans les Annales de l’Agriculture française, qu’en 1814, la Pomme de terre était cultivée en grand dans le Département de l’Aisne, où « sa
culture, ajoute l’auteur, a beaucoup augmenté depuis 20 à 30 ans, offrant à la classe indigente une ressource précieuse ».
» Toutefois, les Pommes de terre paraissent avoir pénétré assez tard dans le Cambrésis, car il est dit dans une Notice sur Beauvois, commune du
Département du Nord : « Ce ne fut que vers 1789 que des fabricants de toile, allant vendre du lin en Hollande, en rapportèrent quelques-unes dans leur
valise et en propagèrent peu à peu la culture ».
» En 1807, M. Feral de Rouville, rendant compte d’une culture de cent hectares dans la Commune de Rouville. (Loiret), écrivait :
« Dans le Canton que j’habite, personne avant moi n’avait cultivé la Pomme de terre en grand ; elles n’y étaient pas inconnues, mais quelques carrés
destinés à cette plante, choisis près des habitations et labourés à la bêche, n’étaient pas des données pour une culture étendue ».
» Sageret, à son tour, traitant à la même époque de l’Agriculture du pays compris entre Lorris et Montargis (Loiret), déclarait « que la Pomme de terre
était circonscrite dans les jardins, n’étant pas assez commune pour être à bas prix et ne servant guère à la nourriture des bestiaux ».
» Quant au Département de la Sarthe, M. Deslandes donnait, en 1809, le renseignement suivant : « Il y a cinquante ans que l’on connaissait à peine les
Pommes de terre : elles y furent répandues par les soins et l’exemple des grands propriétaires et surtout des curés. Leur culture fit de rapides progrès ; il n’y
a point de fermier qui n’en plante annuellement un douzième de ses terres ».
» La résistance à l’extension de ce tubercule semble avoir été plus grande dans l’Ouest de la France, à l’exception de la Seine-Inférieure, grâce peut-être
à l’influence de Parmentier, originaire de Montdidier. En effet, Lieutaud écrivait à Rouen, en 1783 :
« Cette plante, qui se cultive dans les jardins et dans les champs, donne des tubercules bons à manger ; ils sont également estimés des riches et des
pauvres : leur saveur est assez agréable, ils se digèrent aisément ».
» Mais je ne vois pas la Pomme de terre signalée parmi les plantes cultivées en grand nombre dans la Statistique du Département de l’Eure, publiée en
l’an XII.
» En 1818, Duhamel, dans son Mémoire sur le sol de l’Arrondissement de Coutances (Manche), disait : « La culture de la Pomme de terre s’est répandue
dans presque toutes les communes, et il n’en est pas où elle ne réussisse ; mais on ne la fait point en grand, et l’on n’y sacrifie que peu de terrain ».
» En 1806, P. de Candolle écrivait, dans son Rapport sur un voyage botanique et économique dans les Départements de l’Ouest :
« Les Pommes de terre sont, dans presque tous ces départements, cultivées seulement pour la nourriture des Bestiaux et pour l’usage de quelques
particuliers riches qui, moins soumis aux préjugés, aiment à s’en nourrir. Dans les environs de Quimper-Corentin, on trouve, au contraire, l’usage et la
culture de la Pomme de terre bien naturalisés, ce qui est dû aux efforts soutenus et sagement conduits par M. Ledéau. Elles sont introduites dans les
assolements du District de Quimper à la place du Blé noir. Le peu de Pommes de terre qu’on trouve dans les environs de Nantes y est cultivé de la même
manière ».
» C’est vers 1788 que la culture de la Pomme de terre pénétrait en Vendée, car Cavoleau écrivait en 1818 : « Il y a un peu plus de trente ans que, le Dr
Loyau et moi, nous avons commencé à cultiver la Pomme de terre dans les champs pour la nourriture des bestiaux. Cet exemple que l’on a vu d’abord avec
indifférence a cependant gagné insensiblement. Dans le commencement, les paysans se sont bornés à cultiver ce tubercule dans les jardins comme légume ;
ensuite, ils en ont nourri leurs cochons, puis leurs vaches, et maintenant ils l’appliquent à tous les usages dont il est susceptible dans l’économie rurale et
domestique. La culture de cette plante commence à être très étendue dans le Bocage. J’entends tous les jours proclamer ses louanges par les hommes les
plus ennemis des nouveautés, et il est reconnu que, dans les deux disettes qui ont suivi les mauvaises récoltes de 1811 et 1816, la Pomme de terre a sauvé
du désespoir une foule de malheureux. La culture n’en est sans doute pas encore aussi étendue quelle devrait l’être ; mais l’impulsion est donnée, et je ne
crois pas que rien puisse désormais l’arrêter ».
» La Statistique du Département des Deux-Sèvres, publiée en l’an XII, fournit les renseignements suivants : « Il y a 50 ans que les Pommes de terre ont
été introduites dans la Gâtine par M. Bouteiller, médecin à Châtillon : il en nourrissait ses chiens de chasse, sa volaille et ses cochons ; mais bientôt une
foule de préjugés et de petits intérêts s’élevèrent contre cette révolution. En 1784, Clément Cendré renouvela en grand les essais. Aujourd’hui la culture de
la Pomme de terre est connue dans tous les villages de la Gâtine. Il paraît qu’elle commença à s’établir dans la partie sud-ouest du Département des Deux-
Sèvres, voisine de celui de la Charente, en 1775, par les soins du Comte de Broglie, et de là elle se répandit dans le pays Mellois ; mais elle n’occupait
guère qu’un ou deux mètres carrés dans les jardins, lorsqu’en 1785 le citoyen Jard-Panvilliers y employa à peu près un hectare : l’abondante récolte qu’il
obtint et dont il engraissa sa basse-cour et une quantité de cochons, donna l’éveil aux autres cultivateurs qui s’empressèrent de l’imiter. Ce fut surtout dans
les années II et III de la République que la culture de la Pomme de terre s’étendit sensiblement. Le Dr Brisson, en 1784, l’introduisit dans le Canton de
Coulange, Arrondissement de Niort, où cette plante était absolument inconnue : il en fournit de la semence à plusieurs métayers et bordiers… Cependant
cette culture ne s’y fait toujours qu’en petit et reste dans un état languissant ».
» M. de Fayolle déclarait en 1809 que, dans la Dordogne, cette culture était inconnue à la majorité des cultivateurs avant 1785, ajoutant : « Maintenant
chaque année on voit augmenter la portion destinée à cette culture ».
» Quant au Lot, on lit dans la Statistique de ce Département :
« La Pomme de terre n’a vaincu que depuis peu d’années tous les obstacles qui s’opposaient à sa culture, quoique dès l’année 1789, M. H. de Richeprey
eût annoncé que ce tubercule était la seule production qui pût être une ressource certaine contre la famine. Encore en 1812, on connaissait à peine la
Pomme de terre sur le sol calcaire, et si quelques particuliers l’y cultivaient, ce n’était que comme plante potagère. Mais on sentit bientôt combien il était
avantageux de propager une plante qui n’est point attaquée par la grêle, par les brouillards, par les trop longues pluies, par les froids tardifs ».
» Dans le Gévaudan, disait M. Broussous, en 1809, l’adoption des prairies artificielles fut suivie de celle des Pommes de terre, qui y est devenue plus
générale et n’y a point rencontré d’obstacles. A son tour, Prost écrivait en 1821 : « La Culture de la Pomme de terre a fait des progrès considérables dans le
Département de la Lozère depuis une quinzaine d’années ».
» Dans les Cévennes, les Pommes de terre firent leur apparition vers 1774, si l’on en croit ce passage de Loiseleur-Deslongchamps de 1824 : « Ce n’est
que depuis une cinquantaine d’années qu’on les connaît dans les montagnes des Cévennes où elles sont aujourd’hui la base de la nourriture du peuple ».
» La Pomme de terre n’est guère qu’incidemment mentionnée dans la Description du Département du Tarn par Massol, en 1818, l’auteur se bornant à
dire qu’elle est cultivée dans les Cantons de Saint-Àmans-Labastide, de Mazamet et dans le bourg de Valence ; il spécifie cependant qu’on récolte
beaucoup de Pommes de terre dans le canton d’Angles.
» Enfin, voici des renseignements précis qui m’ont été fournis sur les premières tentatives, faites sur le versant septentrional de la Montagne-Noire, aux
environs de Sorèze. C’est vers l’année 1790 qu’on essaya la culture de la Pomme de terre dans quelques métairies ; mais elle restait confinée dans les
jardins ou autour des maisons d’habitation. En 1814, elle n’avait encore pris aucune extension, et elle gagna peu jusqu’en 1832 ; à cette date, un riche
propriétaire de la Montagne rassemble les paysans de ses dix métairies et leur enjoignit de cultiver en grand le tubercule, s’ils ne voulaient être remplacés.
Ce fut un excellent exemple.
» Le progrès avait été plus rapide dans des localités peu éloignées, car le baron Trouvé écrivait, dès 1818, dans sa Description du Département de
l’Aude : « La Pomme de terre est celle de ces cultures qui se pratique avec le plus de succès surtout dans la Montagne noire, dans l’Arrondissement de
Limoux et dans les Corbières. On dit que ce fut un mendiant qui la fit connaître et qui l’introduisit dans cette dernière contrée. Elle est devenue d’une
grande ressource pour les habitants ».
» Si, comme on l’a vu plus haut, la Pomme de terre était dès 1776 l’objet d’une culture en grand dans certaines parties des Pyrénées, elle était loin
d’avoir pénétré dans toutes. C’est ainsi que dans la vallée de Lourou (Hautes-Pyrénées), cette culture ne remonte pas au delà de 77 ans. « En 1795, un
Commissaire du Gouvernement fut chargé de faire ensemencer en Pommes de terre une certaine étendue de terrain proportionnée à l’importance de chaque
famille. Dans les commencements les habitants ne cessaient de se plaindre de cet ordre et suppliaient l’autorité de les dispenser d’y obéir ; entre autres
griefs, ils prétendaient qu’on leur faisait perdre une année de revenu, en chargeant leur terre d’une récolte inutile. On tint bon ; peu à peu les préjugés
tombèrent : la Pomme de terre devint une partie de la nourriture habituelle et passa de l’homme aux animaux. Aujourd’hui on regrette de ne pouvoir lui
consacrer plus de terrain [Agriculture française) ».
» L’exemple se propagea. Aussi, dès 1813, M. de Saint-André écrivait-il dans sa Topographie de la Haute-Garonne : « Le genre de production qui y
devient universellement une des premières ressources et dont le succès est certain, parce qu’il craint peu la rigueur des hivers, c’est la Pomme de terre, qui
est d’une qualité bien supérieure à celle de notre climat. On a appris à préférer la Blanche à la Rouge, et l’on y a introduit celle qu’on nomme de Hollande,
qui est plate, très blanche et très féculente, mais qui n’y paraît pas encore bien acclimatée. »
» Le département de Tarn-et-Garonne était aussi très avancé sous ce rapport, car Gatereau disait, en 1789, que « la Pomme de terre est cultivée dans les
champs. » Témoignage que confirmait Baron, en 1823, écrivant : « Cette plante est très cultivée. » Au commencement de ce siècle, M. Depère y avait
introduit la culture de ce tubercule dans le Canton de Mézin.
» En ce qui concerne les environs de Paris, je lis dans un Mémoire de Poiteau, de 1831 : « Dans ma jeunesse, il y a cinquante ans, on la méprisait encore,
et peu de personnes osaient en manger. »
» Ces citations ne confirment-elles pas l’assertion émise par M. Pépin, au sein de la Société centrale d’Agriculture, qu’encore au commencement du
siècle, la Pomme de terre était cultivée à Paris, surtout pour les animaux ? Et cependant, elle devait avoir alors de chauds partisans ; car, en 1793,
Chaumette annonçait le projet de planter ce fécond tubercule sur toute la surface des jardins du Luxembourg. »
Nous pourrons ajouter qu’à la même époque, la Convention nationale ne dédaignait pas de s’occuper de prescrire la culture de la Pomme de terre,
comme nous l’avons déjà vu, d’après M. Clos, au sujet des Hautes-Pyrénées. M. Hariot a publié une Note dans le Journal de la Société d’Horticulture de
France de 1893, de laquelle il résulte que le 23 nivôse, an II, la Convention avait publié un Décret chargeant le Représentant du peuple en mission près les
Côtes de Brest et de Lorient de faire cultiver la Pomme de terre dans les Départements du Finistère, du Morbihan, des Côtes-du-Nord et de l’Ille-et-Vilaine.
« Le citoyen Laignelot, dit M. Hariot, dans la crainte que les Instructions qui accompagnent ce décret ne puissent recevoir assez d’exécution, en ordonne la
traduction dans l’idiome celtique et la distribution dans chaque municipalité. Il arrête en outre que, dans ces quatre Départements, il sera cultivé au moins
un vingtième de terrain labourable de chaque fermier, en Pommes de terre, et sous peine d’une amende du double de l’imposition foncière de la totalité de
leurs propriétés ».
La même année, Parmentier faisait de son côté tous ses efforts pour activer la propagation de la Pomme de terre. M. Bienaymé, ancien bibliothécaire du
Ministère des finances, a bien voulu nous signaler le document suivant, publié par la Direction générale des Archives nationales en 1872. Il s’agit de la
Lettre suivante de Parmentier, avec une annotation explicative.
« A Paris, ce 24 Frimaire, l’an 2 de la République.
»…. Sa publicité me paraît urgente. Les autres plantes potagères qu’il est si important de propager sur le sol de la patrie pour doubler la ressource des
Mars, exigeront aussi des instructions particulières que nous nous empresserons, Villmorin (sic) et moi, de rédiger, si la Commission des subsistances le
juge à propos ; mais il n y a pas un instant à perdre.
(Signé) Parmentier. »
» — Le Mémoire joint à cette Lettre est en entier de la main de Parmentier, sur dix feuillets grand in-folio, écrits recto et verso. En marge de la première
page existe la Note suivante : « Sera imprimé au nombre de 10,000 exemplaires, envoyé aux Districts, avec ordre de le faire réimprimer en quantité
suffisante pour le faire circuler dans leurs Communes respectives ».
Arch. de l’Emp. Fe 256 (Administ. gén. : Agriculture).
Il ne paraît pas qu’il ait été déféré au désir de Parmentier, et que ce Mémoire ait été imprimé et distribué. Malgré toute l’impulsion qui était ainsi donnée
à la culture et à la consommation de la Pomme de terre, il est curieux de lire dans un ouvrage, qui plus tard devait tant servir à préconiser cette Solanée, ce
que disait, en 1805, le rédacteur du Bon jardinier.
« POMME DE TERRE (Morelle, Truffe, Patate, Solanum tuberosum). — Il n’y a point de légume sur lequel on ait tant écrit, et pour lequel on ait montré tant
d’enthousiasme. On en a fait du pain, trouvé excellent par les riches, des biscuits de Savoie, des gâteaux, des ragoûts de toutes les sortes, et puis on a dit :
Le pauvre doit être fort content de cette nourriture. Notez que les premiers pains faits avec la pulpe de ce tubercule étoient mêlés de bonne farine ; que les
ragoûts étoient bien assaisonnés, etc. Les têtes échauffées par les prédications des Économistes, ont employé des terres à froment à la culture de ce légume,
qui, anciennement, étoit à bas prix, et qui est devenu cher pour le peuple, surtout à Paris et aux environs. Ce n’est pas ici le lieu de réfuter tous les systèmes
imaginés sur cette matière. D’ailleurs, l’enthousiasme tombe et en même temps le prix de la denrée. Avant qu’on l’eût tant prônée, elle étoit d’un très grand
usage dans plusieurs Provinces, et le pauvre en avoit toujours fait sa nourriture ; ainsi, il étoit inutile de tant écrire sur ce sujet. Il est bon d’observer que,
quand une fois on en a planté dans un terrain, il en produit toujours, quelque chose qu’on fasse, parce qu’en relevant les tubercules il s’en échappe de très
petits qui forment d’autres Pommes dans la suite. Dans les différens écrits où l’on a présenté ce légume comme une nourriture saine et de facile digestion,
on n’a pas eu soin de distinguer le sol et le climat qui lui convenoit pour qu’il fût sain et de facile digestion. Les Patates auront ces deux qualités, si elles
sont cultivées dans un terrain sec et chaud ; mais elles seront lourdes et indigestes, si elles proviennent d’un sol froid et humide. Il semble que cette
observation étoit nécessaire à faire. »
On peut considérer cet Article comme une Note discordante qui se faisait alors entendre dans le concert d’éloges dont la Pomme de terre était l’objet, et
comme un dernier écho des préjugés de l’époque.
Mais le mouvement était donné, la culture de la Pomme de terre devait prendre chaque année une extension de plus en plus grande. Elle était à peu près
partout répandue en France, en 1845, lorsque l’invasion de la maladie menaça de la faire abandonner, alors même que tous les esprits commençaient à se
pénétrer de son utilité bienfaisante. On reprit heureusement courage, les attaques de cette déplorable maladie diminuèrent insensiblement d’intensité, et, de
nos jours où l’on est obligé de faire encore la part du fléau, on peut dire que la Culture de la Pomme de terre est, à tous les points de vue, plus florissante
que jamais. Voici ce que nous relevons dans l’Ouvrage déjà cité de M. Ch. Baltet :
« Après le Blé, la Pomme de terre tient le premier rang en France. Tout le monde en consomme. Les 4,500 hectares de 1789 sont arrivés à 1,512,136
hectares en 1892. La récolte, en France, dépasse aujourd’hui 136,000,000 de quintaux métrique, représentant une valeur de 600 millions de francs, y
compris les espèces fourragères ou à féculerie. Chaque Département cultive le précieux tubercule pour l’alimentation ou l’industrie. Treize Départements
ont affecté chacun plus de 30.000 hectares à la Pomme de terre, depuis Saône-et-Loire, avec 53,000 hectares, jusqu’à Maine-et-Loire ; 31,000 hectares, en
passant par la Dordogne, la Charente-Inférieure, la Sarthe, l’Ardèche, la Charente, le Puy-de-Dôme, les Vosges, l’Aveyron, la Loire, l’Allier, le Tarn, sans
tenir compte de la superficie territoriale. Quant au rendement, la moyenne étant de 90 quintaux à l’hectare, la tête appartient au Département des Ardennes,
163 quintaux à l’hectare ; puis le Nord, 162 ; les Vosges, 159 ; la Vienne, 153 ; Meurthe-et-Moselle, 141 ; les Bouches-du-Rhône, les Hautes-Alpes et
l’Ardèche, chacun 140 l’Aisne, 138 ; l’Oise, 137 ; la Meuse, 135 ; la Somme, 133 ; la Seine, 132 ; en partie de culture maraîchère ; puis le Rhône, le
Doubs, le Var, la Marne, les Côtes-du-Nord, le Pas-de-Calais, le Puy-de-Dôme et Belfort, arrivant avec 130 à 120 quintaux. Les plus faibles rendements
appartiennent au Cantal, à la Lozère, à l’Aude, aux Basses-Alpes, à la Charente-Inférieure, soit de 20 à 37 quintaux par hectare. La statistique de 1892
ajoute que les plus fortes évaluations, quant à la vente du produit, reviennent aux Alpes-Maritimes, à la Corse, au Vaucluse, à l’Aude, à la Savoie, au
Calvados, à la Manche, aux Basses-Alpes, aux Bouches-du-Rhône, à la Seine, aux Pyrénées-Orientales, au Gard, au Finistère, à l’Ille-et-Vilaine, à la Loire-
Inférieure, passant de 6 francs à 10 francs le quintal.
» Enfin, la Pomme de terre, élevée libre ou sous cloche, de tous les pays, dépasse, dans ses arrivages parisiens, le chiffre de 700,000 hectolitres, pesant
70 kilogr. chacun.
» L’Algérie ne reste pas en arrière. La Pomme de terre de primeur est pour elle une des cultures importantes d’exportation : elle a pour but d’arriver
pendant la première saison printanière de la France, à la majoration des prix. Les chiffres d’exportation s’élèvent annuellement aux environs de 3,000,000
de kilogrammes. »
On ne consomme pas en France tous les produits de cette importante culture de la Pomme de terre. M. Aimé Girard a constaté que leur exportation va
toujours en augmentant. D’après les chiffres que ce savant a fait connaître, le mouvement d’exportation des Pommes de terre représentait pendant les six
premiers mois de 1895 un chiffre en poids de 70 millions de kilogrammes, dont la valeur pouvait être estimée à une somme de 3,503,000 francs. Pendant
les six premiers mois de 1896, la France avait expédié : en Angleterre, 25,179,200 kilos de Pommes de terre ; en Belgique, 16,123,600 kilos ; en Suisse,
1,641,900 kilos ; en Égypte, 966,000 kilos ; au Brésil, 4,989,300 kilos ; en Algérie, 6,093,900 kilos ; en divers autres pays, 15,068,800 kilos ; ensemble,
70,062,700 kilos.
Quelle agréable surprise eût-ce été pour les promoteurs, au XVIIIe siècle siècle, de la culture française de la Pomme de terre, s’ils avaient pu prévoir qu’un
siècle après, cette culture devait prendre une telle extension et donner d’aussi remarquables résultats !
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1. ↑ — Ceci nous apprend que le nom de Truffes, donné aux tubercules de la Pomme de terre, date de l’époque même de son introduction en France.
2. ↑ — Par le fruit, il faut entendre tubercule. Le mot fruit, dans le sens de produit ou de production, est du reste employé de même par nombre d’auteurs des XVIIe et XVIIIe siècles.
3. ↑ — Nous avons vu aussi que, d’après G. Bauhin, le provignage des tiges de la Pomme de terre était en usage dans la Franche-Comté, à cette époque.
4. ↑ — On remarquera qu’il est question de fleurs blanches. Ce devait être une variation obtenue par semis de la variété primitive, qui avait les fleurs violacées.
5. ↑ — Au XVIe siècle, le mot viande était employé dans le sens général de nourriture.
6. ↑ — Nous avons vu plus haut, d’après les descriptions des Botanistes du XVIe siècle, que la tige de la Pomme de terre, à cette époque, s’élevait en effet a cette hauteur.
7. ↑ — Invasion suédoise pendant la guerre de Trente ans.
8. ↑ — L’Arrêt étant du 28 juin 1715, l’introduction de la culture de la Pomme de terre dans les Vosges daterait de 1665.
9. ↑ — Dans cet Arrêt, la Pomme de terre est également désignée sous le nom de Topinambour.
10. ↑ — La grande culture de la Pomme de terre ne remonterait par suite dans cette région qu’à 1690 ou 1695.
11. ↑ — C’est la première fois qu’il est question d’une variété jaunâtre, comme celle d’Angleterre.
12. ↑ — L’auteur, par fruits entend ici parler du tubercule.
13. ↑ — C’est-à-dire que le tubercule avait alors dix centimètres de long sur quatre de large, ce qui prouve qu’il avait déjà beaucoup augmenté de volume, depuis son arrivée en Europe.
14. ↑ — Il s’agit encore du tubercule.
15. ↑ — Il s’agit de même du tubercule.
16. ↑ — C’est la première fois que nous trouvons les Pommes de terre désignées sous leur nom actuel par un agronome. On se rappelle que Frezier s’était déjà servi de ce nom, en 1716.
17. ↑ — Le journal représentait, d’après Duhamel du Monceau, 80 perches carrées : la perche ayant 22 pieds-de-roi de longueur, et la perche carrée, 484 pieds carrés, c’est-à-dire 51 mètres carrés, chaque
journal avait une superficie de 4.080 mètres carrés et les quatre journaux, 16.320 mètres carrés.
18. ↑ — C’est-à-dire environ 43 hectolitres, et pour les 4 journaux 172 hectolitres, ce qui représenterait seulement 105 hectolitres à l’hectare. L’hectolitre (mesures combles) pesant environ 80 kilogr,
l’hectare aurait produit 8.400 kilogr.
19. ↑ — 50 seliers équivalant à 78 hectolitres et l’arpent de 100 perches de 22 pieds à environ un demi-hectare, le produit à l’hectare pourrait être évalué aujourd’hui après de 156 hectolitres, soit en poids
12.480 kilogr.
20. ↑ — Le boisseau ancien équivalant à 13 litres et l’arpent à environ un demi-hectare, le rendement n’aurait produit que 52 hectolitres, soit par hectare 104 hectolitres, ou en poids, 8.320 kilogr.
21. ↑ — C’est encore sous ce nom de Patates qu’on désigne les Pommes de terre dans la Bretagne et qui ne doit être que la reproduction du mot anglais Potatoes.
22. ↑ — « Le boisseau dont il s’agit pèse 60 livres lorsqu’il est rempli de froment. La corde est une étendue de terre de 4 toises en carré. »
23. ↑ — « Le boisseau de Rennes, rempli de bon froment, pèse environ 45 livres. »
24. ↑ — « Les Patates ne sont point des racines proprement dites. Ce sont des tubercules attachés aux racines propres de la plante. Mais on a mieux aimé se servir d’un terme court et que tout le monde
pouvoit entendre » que de s’astreindre à une précision inutile dans cette occasion, et qui n’eût servi qu’à embarrasser l’exposition des faits. »
25. ↑ — « On nomme Posson, dans quelques cantons, l’eau chargée de son, de navels, etc., dont on se sert pour rafraîchir ou pour engraisser le bétail. On en a formé le verbe Possoner. »
26. ↑ — Il doit y avoir erreur pour ces nombres. Mais les deux éditions de 1762 et 1779 indiquent bien ces chiffres de « 8 à 900 ». C’est évidemment une évaluation singulièrement exagérée.
27. ↑ — Cette allégation de Duhamel du Monceau est très instructive.
28. ↑ — Il a eu des confusions faites du Topinambour avec la Pomme de terre, mais ce synonyme a été peu employé.
29. ↑ — C’était la croyance de l’époque, que partageait du reste Parmentier.
30. ↑ — Cette lettre avait été reproduite d’après son texte même, en langue française, ainsi que le titre de la Feuille hebdomadaire de Normandie, dont il est plus loin question.
31. ↑ — L’abbé Terray (Joseph-Marie), Contrôleur général des finances, né en 1715, mort en 1778.
32. ↑ — Engel emploie souvent à tort le mot fruit pour tubercule.
33. ↑ — Il s’agit probablement de l’École du Jardin potager, par De Combles, dont il a été plus haut question.
34. ↑ — Soit par hectare 254 hectol., ou en poids 20.320 kilogr.
35. ↑ — Nous avons fait connaître plus haut ce qui avait motivé cette consultation médicale.
36. ↑ — Environ 133 hectolitres.
37. ↑ — L’arpent de Paris correspondait à un tiers environ de l’hectare, 70 setiers à 109 hectolitres et 75 setiers à 117 hectolitres, ce qui représentait au plus 350 hectolitres à l’hectare (en poids, environ
28.000 kilogr.)
38. ↑ — Soit par arpent, 78 hectolitres, ou 234 hectolitres à l’hectare (en poids, 18.720 kilogr.)
39. ↑ — Nous avons appelé l’attention sur cette croyance de Parmentier, à propos de son opinion sur la Cartoufle d Olivier de Serres.
40. ↑ — On verra, dans un autre Chapitre, par quels procédés on a réussi à fabriquer de l’eau-de-vie avec les tubercules de Pommes de terre.
41. ↑ — Un peu plus de 640 grammes.
42. ↑ — De 122 à 153 grammes.
43. ↑ — Il nous semble juste de consigner ici le nom de cet Intendant : c’était M. Bertier, maître des requêtes, qui fut Intendant de la Généralité de Paris, de 1768 à 1788.
44. ↑ — Soit environ 67 hectolitres, ce qui ne représentait qu’un peu plus de 100 hectolitres à l’hectare (en poids, 8,000 kilogr. environ).
45. ↑ — Environ 37 hectolitres par arpent, ou 111 hectolitres à l’hectare (en poids, 8,880 kilogr.). Les 828 setiers représentaient à peu près 1,292 hectolitres (en poids, 103,360 kilogr.).
46. ↑ — On sait ce que Parmentier pensait de ces vols, d’après ses biographes. Voici ce que disait, dans sa Notice biographique sur feu Parmentier, lue à la Société d’Agriculture le 9 avril 1815, M.
Silvestre, secrétaire perpétuel. « Il avait demandé des gendarmes pour garder sa plantation de la Plaine des Sablons, mais il avait exigé que leur surveillance ne s’exerçât que pendant le jour seulement ;
ce moyen eut tout le succès qu’il avait prévu. Chaque nuit, ou voloit de ces tubercules dont on auroit méprisé l’offre désintéressée, et Parmentier était plein de joie au récit de chaque nouveau larcin, qui
assuroit, disoit-il, un nouveau prosélyte à la culture et à l’emploi de la Pomme de terre ».
47. ↑ — Soit environ 37 hectolitres, ou 111 hectolitres à l’hectare (en poids, 8,880 kilogr.).
48. ↑ — Le mot espèces, dont on se sert dans tous ces mémoires, a pris aujourd’hui un sens plus précis. La Pomme de terre elle-même est un type spécifique, appelé Solanum tuberosum : toutes les sortes
ou formes qu’on en obtient par la culture n’en constituent que des variétés, sinon des variations ou des races.
49. ↑ — Cette boutade exprime bien l’opinion d’un Anglais qui ne comprenait pas l’utilité de cette rémunération égalitaire, assurant l’assiduité aux séances et rétribuant en même temps les services rendus.
La précédente Société d’Agriculture, qui n’était guère composée que de grands personnages du Royaume, plus honorifique qu’utile, s’était contentée de donner des prix et des encouragements, sans
publier quoi que ce fût qui laissât supposer qu’elle s’était occupée, dans ses réunions, de traiter aucune question agricole.
50. ↑ — Ce passage indique nullement que cette grande expérience de culture de la Pomme de terre se faisait avec le concours de la Société d’Agriculture.
DEUXIÈME PARTIE
Dans le premier chapitre de cette Histoire, nous avons cherché à faire connaître la patrie de la Pomme de terre, c’est-à-dire les contrées où elle vit à l’état
sauvage, sans le secours de la main de l’homme, pour s y développer et s y reproduire en toute liberté. Il nous semble utile défaire connaître comment elle
est naturellement constituée pour exercer ses fonctions vitales et quelle est la complexité de son organisme. Nous trouvons, du reste, cette partie spéciale de
son histoire traitée avec beaucoup de détails par un habile phytotomiste, Schacht, dans un Mémoire intitulé : La Pomme de terre et ses maladies[1] publié à
Berlin, en 1856, sous les auspices du Ministère d’Agriculture de Prusse. Nous nous servirons des passages de ce Mémoire qui nous paraîtront nécessaires
pour l’éclaircissement du sujet, tout en nous réservant de compléter ces extraits par nos propres observations. Nous passerons ensuite en revue les travaux y
relatifs dus à d’autres savants, et les constatations des anomalies plus ou moins singulières ou aberrantes qui ont été faites subséquemment sur les divers
organes de la Pomme de terre.
Considérée dans le cours de son existence, la Pomme de terre serait une plante annuelle, se reproduisant chaque année au moyen de ses graines, comme
beaucoup d’autres espèces non ligneuses, si elle ne s’assurait une sorte de persistance vitale par la formation de ses tubercules souterrains. Et c’est en cela
particulièrement qu’elle est devenue une plante économique, lorsqu’on a réussi à lui faire développer de plus en plus des tubercules volumineux, pour en
tirer le meilleur parti possible au point de vue de l’alimentation de l’homme et des animaux. Mais dans l’état de nature, la Pomme de terre ne produit pas de
gros tubercules, car ce n’est pour elle qu’un second moyen de reproduction, et c’est surtout par ses graines, comme toutes les espèces sauvages, qu’elle
assure sa conservation dans le temps. Par suite, il nous semble logique de commencer son étude biologique par celle de sa graine, qui, après la germination,
nous donnera une plantule d’où sortira, dans les conditions ordinaires de la vie, la plante adulte avec ses tiges, ses feuilles et ses fruits, ses racines et ses
tubercules.
Fig. 46. —
Germination de la
Pomme de terre.
Plantule de trois mois
(3/4 grand. nat.).
Fig. 47. — Germination de la Pomme de terre.
Extrémité d’une tige de plantule de quatre
mois (3/4 gr. nat.).
On pourrait se demander pourquoi la Pomme de terre présente cette série de formations foliaires, allant du simple au composé, pourquoi enfin cette
plante ne débute pas par des feuilles adultes et est obligée ainsi d’être astreinte à une succession de formes qui semblent tout d’abord anormales ? Cette
Solanée est loin d’être la seule plante à se trouver dans ce cas particulier : elle obéit donc à une loi qui veut que les êtres complexes n’arrivent à leur
complet développement qu’en passant par des phases successives qui rappellent celles des êtres qui les ont précédés dans le temps. Le genre Solanum est
un des genres les plus nombreux en espèces de l’époque géologique actuelle, puisqu’on en compte plus d’un millier, et de son côté le Solanum tuberosum
ou Pomme de terre est le type spécifique qui, dans la série des Solanum tubérifères, est de tous le plus complexe. Il résume donc en lui tous les
développements des types affines qui l’ont précédé dans leur apparition sur le globe, et les reproduit successivement dans ses périodes de formation[4].
Tige. — Si nous étudions anatomiquement le tissu de la tige, Schacht nous montrera qu’elle est revêtue à l’extérieur d’un épiderme,
constitué par des cellules en général prismatiques ou fusiformes, entre lesquelles s’ouvrent çà et là des cavités respiratoires fermées par
deux cellules accouplées, formant un stomate ; sous cet épiderme, se trouve une zone circulaire qui est l’écorce, laquelle entoure une autre
zone intérieure ou couche du faisceau vasculaire, qui repose sur une moelle centrale. Le tissu des tiges souterraines ou stolons ne diffère de
celui des tiges aériennes qu’en ce que l’épiderme y toujours dépourvu de stomates.
Fig. 49. —
L’épiderme de la
tige aérienne ; a,
cellules
épidermiques ; e,
un stomate (gr.
200/1). D’après
Schacht.
Fig. 50. — Coupe transversale de la partie extérieure d’une tige de Pomme de terre : a, épiderme ; e, stomate, avec sa cavité respiratoire f ; b, tissu sous-épidermique ; c, tissu cortical, avec ses dernières
cellules, l ; m, cambium ; n, faisceau vasculaire ; o, cellules ligneuses (gr. 200/1). D’après Schacht.
Feuilles. — D’après Schacht, le tissu des feuilles est composé de deux épidermes pourvus de stomates, entre lesquels se trouve une couche de cellules en
palissade reposant sur d’autres couches de cellules moins allongées, que traversent les faisceaux vasculaires des nervures. Il y a donc une respiration très
active à la fois par les deux faces foliaires et par l’épiderme de la tige.
Racine. — Quant à la racine, elle est constituée par un tissu serré de cellules allongées, entourant la couche centrale du faisceau vasculaire ; son
extrémité est protégée par une sorte de coiffe, appelée pilorhize, et son pourtour extérieur émet, comme nous l’avons vu, des poils simples assez courts qui
lui constituent autant d’organes d’absorption. C’est par là que les liquides nutritifs du sol passent dans les vaisseaux de la racine, puis dans ceux de la tige
et des nervures foliaires, pour se rendre dans les cellules des feuilles où ils achèvent de s’élaborer ; le surplus de ces liquides, à l’état de vapeur, s’échappe
définitivement par les stomates.
Fig. 52. — Épiderme de la face supérieure d’une feuille : n, cellules épidermiques ; e, un des stomates (gr. Fig. 53. — Épiderme de la face inférieure : a, cellules épidermiques ; e, un des stomates (gr.
200/1). D’après Schacht. 200/1). D’après Schacht.
De son côté, le plasma des cellules foliaires ainsi humidifié, a formé dans sa masse un certain nombre de globules de substance à demi fluide et verdâtre,
que l’on appelle grains de chlorophylle, dont la fonction est de concréter dans leur intérieur, au moyen de la lumière solaire et des sucs
élaborés dans la cellule, des granules de fécule ou d’amidon. Ce sont là les éléments nutritifs de réserve que la plante s’assimilera pour
développer ses fleurs et mûrir ses fruits, et redissoudre l’excédent sans emploi pour en remplir le tissu celluleux de ses tubercules.
Inflorescence. — Revenons à la tige que nous pouvons considérer comme un axe, susceptible parfois de se ramifier en axes
secondaires, mais dans l’un et l’autre cas terminant sa période végétative par la formation finale jeune un support florifère. L’ensemble
de ce bouquet floral est ce que l’on nomme son inflorescence. L’axe florifère, long de 3 à 4 centimètres, se dédouble à sa partie
supérieure en deux axes secondaires, sur chacun desquels se trouvent successivement insérés, à courte distance, les pédicules de 6 à 8
fleurs. Ces fleurs ne s’épanouissent que l’une après l’autre sur l’axe qui les supporte, d’après leur ordre d’insertion, de telle, sorte que
les terminales sont encore en boutons, lorsque les basilaires sont écloses. Mais comme la floraison n’est pas éphémère, il se trouve
d’ordinaire que toutes les fleurs d’un même axe sont ouvertes en même temps, les premières n’était pas encore flétries, lorsque les
dernières s’épanouissent à leur tour. Cette disposition peut favoriser les fécondations de fleur à fleur, soit par le vent, soit par les Fig. 54. — Extrémité
insectes. En fait, ce mode d’inflorescence, caractérisé par une double grappe de fleurs à éclosion successive, s’appelle une cyme, et se d’une racine : wm,
coiffe ; wh, poils
montre constant dans toutes les variétés du Solanum tuberosum. Un point important à noter, c’est que chaque pédicule de fleur est radiculaires (grossi
articulé, de telle sorte que la fleur peut se détacher en cet endroit de l’articulation, ce qui arrive en cas de non-fécondation. 30/1). D’après Schacht.
Fleur. — La fleur est composée de trois verticilles d’organes insérés de l’extérieur à l’intérieur autour d’un organe central qui constitue le pistil ou
organe femelle. Le premier verticille est le calyce à cinq lobes aigus, verdâtres ; le deuxième, d’une seule pièce également, est la corolle à cinq lobes
pétaloïdes, plus ou moins aigus, de couleur variant du blanc presque pur au violet foncé, suivant les variétés, lesquels s’épanouissent largement à la lumière
solaire, mais se plissent et se referment partiellement après le coucher du soleil ; le troisième verticille est constitué par les cinq étamines, d’un beau jaune,
disposées en opposition avec les lobes du calyce : chaque étamine se compose d’un court filet supportant une anthère à deux sacs distincts, qui s’ouvrent au
sommet par un pore, lequel, en s’ouvrant à la maturité de l’organe, permet aux deux loges de chacun des sacs de se mettre en communication avec l’air
ambiant.
Les grains de pollen ou utricules polliniques se forment dans ces loges et s’échappent au fur et à mesure de leur mise en liberté par les pores terminaux de
l’anthère. Cette disposition est à prendre en considération lorsqu’il s’agit de prélever du pollen pour opérer des fécondations artificielles. En effet, lorsqu’on
s’adresse à des étamines dont les anthères commencent seulement à montrer ouvert leur pore terminal, il y a peu de pollen en maturité, celui seulement de
la partie supérieure des loges de l’anthère, parce que celui qui est au fond des loges est incomplètement développé. Il convient donc de ne se servir que des
anthères ayant deux ou trois jours de déhiscence, dont le pollen est tout à fait prêt pour la fécondation.
Fig. 58. — Anthère d’une fleur épanouie, avec ses deux pores terminaux ouverts x (gr. Fig. 59. — Coupe transversale d’une anthère d’une fleur près de s’épanouir : r, une des loges de l’anthère ; z
8/1), D’aprés Schacht. connectif (gr. 25/1), D’après Schacht.
Pollen. — Schacht représente le grain de pollen sous la forme d’une utricule sphérique, renfermant dans son intérieur une sorte de liquide plasmatique
granuleux avec un noyau. On sait que c’est une cellule mâle chargée de féconder l’ovule dans l’organe femelle.
Fig. 60 à 65. — Grains de pollen d’une fleur de Pomme de terre, conservés sur l’eau pendant 24 heures, et dont cinq présentent des petites papilles (gr. 200/1.)
À la suite de l’examen que nous avons fait de grains de pollen de diverses variétés de Pomme de terre, nous avons pu constater qu’ils ne sont pas tous
constitués si simplement. Extraits d’une même anthère, ils se montrent d’abord plus ou moins bien développés, certains mêmes fort petits paraissent
avortés. Mais une anthère de fleur flétrie de Hollande rouge nous en a fourni quelques-uns qui nous ont paru intéressants à observer. Nous en avons vu, en
effet, à côté de plusieurs qui étaient sphériques, à surface parfaitement close, d’autres qui, de même forme, présentaient sur la surface, une, deux, trois,
quatre ou cinq papilles, ce qui faisait prévoir que chacun de ces grains de pollen avait la faculté d’émettre le même nombre de tubes polliniques
fécondateurs. Cette observation nous paraît avoir cet intérêt qu’elle explique que pour féconder le nombre assez grand des ovules (en moyenne 300), il
n’est pas besoin d*un aussi grand nombre de grains de pollen, si ceux-ci ont la faculté d’émettre plusieurs tubes fécondateurs. En effet, s’ils en émettent
trois, il n’en faut que cent, et avec cinq, il suffit de soixante. Or chaque loge d’anthère peut en produire environ une centaine, ce qui, pour les cinq anthères
à deux loges, représente un millier de grains de pollen. Il y a certainement là de quoi assurer la fécondation.
Fig. 66. — Coupe longitudinale du Pistil dans un bouton de fleur : w, stigmate ; sw, style ; fw, paroi de Fig.67. — Coupe transversale de l’ovaire d’un bouton de fleur. fu, paroi de l’ovaire ; st,
l’ovaire ; st, placenta sur lequel sont insérés les ovules sk (gr. 12/1). D’après Schacht. placenta sur lequel sont insérés les ovules sk (gr. 12/1). D’après Schacht.
Pistil — L’organe femelle ou pistil est composé d’un ovaire qui repose sur le sommet de l’axe floral et qui est surmonté d’un style, autour duquel se
dressent les anthères rapprochées deux à deux en forme de tube staminal, lequel tube est assez étroit dans sa partie supérieure pour ne livrer qu’un passage
suffisant à la colonne stylaire. Ce style se termine en un stigmate légèrement bilobé et peu renflé, de couleur verdâtre, qui se trouve place à une distance
plus ou moins rapprochée, suivant les variétés, des pores supérieurs des anthères. Quant à l’ovaire, il est ovoïde, presque sphérique et partage en deux loges
qui ont chacune un placenta spécial sur lequel sont insérés environ cent cinquante ovules. l’ovaire en contenant en moyenne trois cents. Mais il arrive
rarement qu’ils soient tous fécondés, si bien qu’à la maturité lorsqu’on recueille les graines, on n’en compte plus que le tiers, la moitié ou les trois quarts.
Cet ovaire, après la fécondation, grossit en même temps que les ovules qui se développent simultanément avec lui, et à la maturité des graines il se présente
sous la forme d’une baie sphérique, blanche ou rougeâtre dans différentes variétés. A cette époque, les placentas se sont ramollis et les graines paraissent se
trouver dans une pulpe humide, mucilagineuse, dont elles ont besoin d’être débarrassées pour se conserver à sec.
Fécondation. — Il nous paraît utile de dire ici quelques mots de la fécondation, sans nous appesantir cependant sur ce sujet qui demanderait des
explications difficiles à suivre. Mais il est nécessaire d’en posséder quelques notions pour se rendre compte de ce qui se produit de diversité dans les
plantules obtenues de graines résultant de fécondations croisées. Nous avons vu que chaque grain de pollen peut émettre plusieurs tubes fécondateurs. C’est
ce qui arrive lorsque ce grain pollinique est placé, par une cause ou une autre, sur les papilles stigmatiques. Chacun de ces tubes polliniques s’enfonce dans
le tissu du canal stylaire et, en s’allongeant successivement, pénètre dans un petit canal de l’ovule, destiné à le recevoir, pour se rendre au fond de ce canal
jusqu’à une grosse cellule qu’on appelle le sac embryonnaire. Après ce contact, a lieu l’acte fécondateur, c’est-à-dire que le plasma et le noyau terminal du
tube pollinique se mélange avec le plasma et le noyau principal du sac embryonnaire, et que par l’union intime des deux noyaux et le mélange des deux
plasmas, mâle et femelle, il se forme une cellule spéciale, d’organisation nouvelle, qui est le premier rudiment de l’embryon. Ce dernier se développe peu à
peu dans l’ovule, par des stades successifs d’évolution, et il arrive un moment où cet ovule, devenu la graine à sa maturité, laisse voir cet embryon
complètement constitué dans son intérieur, tel que nous l’avons décrit au moment de la germination.
Or que se passe-t-il dans la formation de cet embryon naissant ? C’est que d’un côté le plasma mâle, de l’autre le plasma femelle, issus tous deux du
plasma général de la plante, contiennent en puissance tous les éléments de son développement, parce qu’ils en sont l’émanation ultime. Leur union
génératrice dans l’embryon ne lui permettra donc que de reproduire les organes de la plante mère, et s’il se montre quelques variations dans les plantules,
elles seront seulement d’un caractère plus accusé. Mais tout autre serait le résultat si le plasma mâle ou le plasma femelle provenait, soit l’un, soit l’autre,
de variétés différentes. C’est ce qui arrive dans la nature lorsque des insectes portent le pollen d’une variété sur le stigmate d’une variété différente. C’est
aussi ce qui se passe, quand, au moyen de la fécondation dite artificielle et croisée, on opère de même, ou bien lorsqu’on essaie de faire des hybridations
entre espèces voisines d’un même genre. On facilite ainsi le mélange des plasmas sexués de deux types différents, et si la fécondation ainsi préparée réussit,
on obtient un embryon dont les facultés génératrices procèdent soit du père, soit de la mère, ou des deux à la fois. À une certaine époque, on ne connaissait
que les semis des graines produites naturellement sur les pieds que l’on cultivait. Mais depuis plus de trente ans, on a tenté de pratiquer la fécondation
croisée entre variétés de Pommes de terre différentes, et l’on est arrivé par cette méthode expérimentale à obtenir des produits de meilleure qualité, de plus
grande hâtiveté ou de plus forte productivité, en raison des croisements effectués entre types choisis à cet effet.
Fig 69. — Ovule d’une fleur épanouie : kh, son enveloppe ; es, sac embryonnaire ; km, ouverture ovulaire (ou Fig 68. — Jeune ovule de l’ovaire d’un bouton de fleur : kh, son enveloppe, kk, son
micropyle] par laquelle pénètre le boyau pollinique(gr. 200/1). D’après Schacht. embryon avec son sac embryonnaire es (gr. 200/1), D’après Schacht.
Les procédés que l’on emploie pour réussir ces fécondations expérimentales varient suivant les opérations que l’on se propose de faire. Il se peut qu’on
ne veuille pratiquer que la fécondation artificielle sur les fleurs d’une seule et même variété de Pomme de terre. Dans ce cas, il suffit de transporter le
pollen mûr[5] des loges des anthères sur le stigmate d’une ou de plusieurs fleurs de la même inflorescence, ou de fleurs particulièrement choisies sur des
inflorescences de pieds différents.
Fig. 70. — Fruits (ou baies) de la Pomme de terre, les uns entiers,
deux autres coupés longitudinalement, le fruit supérieur coupé
transversalement. Reproduction d’une photographie de la
Conférence intitulée Potatoes, par M. Arthur Sutton (1895).
On n’agit en somme de la sorte que pour faciliter la fécondation de la même plante, pour aider, s’il se peut, à la nature. Mais si l’on projette de faire un
croisement entre variétés différentes, il convient de prendre certaines précautions qui doivent empêcher la fécondation naturelle de s’effectuer. Il faut alors
enlever les étamines sur toutes les fleurs que l’on veut opérer, et cela avant la maturité des anthères, en ayant le grand soin de ne pas blesser le pistil, puis
faire disparaître toutes les fleurs de l’inflorescence qui ne sont pas susceptibles d’être utilisées, et, pour plus de sûreté, après l’opération, entourer d’une
gaze fine les fleurs artificiellement fécondées. On constatera quelques jours après, le succès de la tentative de croisement, en voyant l’ovaire grossir et se
développer ; l’insuccès se fera remar quer au contraire, par le détachement de la fleur de son pédicule.
Tubercules. — Mais la Pomme de terre n’est pas une plante qui ne se reproduit que par ses graines. Elle a un autre mode de propagation dont on a su
tirer parti ; c’est qu’elle est apte à former des tubercules souterrains, et il peut arriver que cette faculté lui soit même souvent nécessaire pour arriver de
semence à l’état adulte.
Nous avons vu, dans les Chapitres précédents, qu’on avait cru pendant fort longtemps que ces tubercules faisaient partie du système radiculaire de la
Pomme de terre, et qu’on ne les désignait que sous le nom de racines. On n’avait pas fait attention que les tubercules naissent sur des filaments particuliers
sortant de la partie souterraine de la tige, et qui en dépendent nécessairement. Dans son Histoire naturelle, médicale et économique, parue en 1813, Dunal
est le premier qui a signalé ce fait important. « On a coutume, dit-il, de désigner sous le nom de racines, ces tubercules qu’on trouve sous terre au bas de la
tige, ou à côté du bas de la tige de deux espèces de Solanum. Ces organes sont différents dans chacune de ces espèces. Dans l’une, le Solanum montanum,
ce sont des tubercules assez gros d’où s’élèvent les tiges et d’où naissent les racines ; tubercules qui sont uniques pour chaque tige et qui me paraissent faire
partie de celle-ci. Les tubercules souterrains de la Pomme de terre sont d’une consistance charnue, recouverts par une pellicule qui se détache aisément,
variant beaucoup de forme, de couleur et de grosseur. Ils sont irrégulièrement bosselés et présentent des cavités dans lesquelles sont logés de véritables
bourgeons. Ils diggèrent essentiellement des tubercules du Solanum montanum et de leurs analogues par la circonstance que nous venons de noter, qu’ils
sont comme de véritables tiges, munies d’un grand nombre de bourgeons et à cause de cela peuvent être divisées pour former des boutures. En outre, ils ne
font pas partie intégrante de la tige au bas de laquelle on les trouve ; ils se développent au contraire en très grand nombre tout le long, ou à l’extrémité des
filamens qui naissent du bas de la tige, filamens qui donnent aussi naissance à des radicules ».
En 1828, Turpin, dans son Mémoire sur l’organisation des tubercules du Solanum tuberosum, etc.[6], qu’il avait lu à la Société philomathique, avait
appuyé de nouvelles observations ce qu’avait fait connaître Dunal. En étudiant la germination d’une graine de Pomme de terre, il avait remarqué que de
l’aisselle des feuilles cotylédonaires et des trois premières feuilles suivantes, étaient partis des axes secondaires qui s’étaient
allongés et qui avaient pénétré dans le sol. L’axe de la troisième feuille s’était à peine enfoncé dans la terre ; elle s’était relevée et,
redevenue aérienne, s’était couverte de jeunes feuilles. Mais, dans sa partie souterraine, cet axe avait donné naissance à de petits
tubercules, comme avaient fait d’ailleurs les quatre autres axes qui étaient restés enfoncés dans le sol, et à l’extrémité desquels un
tubercule s’était également formé. De plus, des radicelles s’étaient développées sur les entre-nœuds de ces tiges axillaires, pendant
que l’axe principal se continuant dans la terre en cône radiculaire se couvrait de semblables radicelles, sans émettre lui-même aucun
axe tuberculifère. Il en concluait que tout le système des racines ne peut, dans aucun cas, produire ces tubercules que l’on nomme
des Pommes de terre ; que ceux-ci dépendent entièrement du système tigellaire, dont ils ne sont en réalité que des parties terminales
de tiges, qui s’épaississent parla prodigieuse multiplication des vésicules-mères du tissu cellulaire. Quant aux racines qui naissent
des bourgeons des tubercules, elles naîtront toutes de la partie extérieure des entre-nœuds, et comme, dans le cas précédent, ces
racines ne produiront jamais de tubercules.
Ainsi donc les tubercules de la Pomme de terre sont des dépendances directes de la tige et non de la racine. Mais comment se
forme chacun de ces tubercules ? D’après Schacht, le tubercule de la Pomme de terre est un renflement de l’extrémité d*un rameau
souterrain, et comme tel il est couvert de bourgeons. Lorsque ce tubercule est définitivement constitué, il présente çà et là à sa
surface de petites dépressions plus ou moins accusées, autour desquelles on distingue de rares écailles rudimentaires, parfois peu
visibles, et deux à trois bourgeons naissants. C’est ce qu’on appelle en terme technique les yeux du tubercule. « Dans chaque œil de
tubercule de la Pomme de terre, dit Schacht, se trouvent plusieurs bourgeons l’un près de l’autre. Celui qui est placé au milieu est le
Fig. 71. — Stolon ou tige
bourgeon principal : il pousse d’ordinaire le premier ; s’il n’existe pas ou se développe peu, les bourgeons de réserve se mettent souterraine de Pomme de
d’ordinaire à pousser aussitôt, pendant que le bourgeon principal s’étiolera ou même se détachera. Les bourgeons situés à la partie terre, portant de jeunes
antérieure des tubercules, c’est-à-dire à leur extrémité essentiellement organisée, poussent de préférence à ceux qui sont placés à tubercules en formation (3/4
de grand. nat.)
leur partie postérieure, c’est-à-dire sur la moitié qui se trouve en dépendance directe avec leur tige génératrice. Du reste, sur cette
dernière partie, les yeux existent d’ordinaire en très petit nombre et il ne s’y développe que de rares germes atrophiés. C’est pourquoi, lorsqu’on se sert
pour la plantation, au lieu de tubercules entiers, des morceaux de ces tubercules, il faut faire attention de ne pas choisir la moitié inférieure, parce qu’on
peut ne pas obtenir de germinations. Les germes, que le tubercule de la Pomme de terre développe tout d’abord, sont plus vigoureux que ceux qui se
forment après le retard des premiers ; par contre, après les premières germinations, on voit s’augmenter souvent le nombre des germes, qui sortent d’abord
des bourgeons de réserve, parfois même d’un œil, si ces bourgeons n’ont pas poussé une première fois. Après la deuxième germination, le nombre des
germes nouvellement émis ne dépasse pas celui des germes émis précédemment, mais ils sont d’ordinaire plus frêles. Après une troisième germination
obtenue dans un air humide, il arrive fréquemment que de nouveaux germes ne se développent plus ; toutefois, lorsque l’on place les mêmes tubercules
dans le sol, on les voit alors pousser de nouveau. Les germes qui sortent les premiers sont de tous les plus vigoureux. Si l’on met une Pomme de terre à
l’épreuve, on doit donc se servir de ses germes hâtifs, afin que ce soient les premières pousses vigoureuses qui donnent naissance aux jeunes plantes ».
Fig. 72, — Coupe transversale d’un tubercule rond de Pomme de terre : G, faisceau Fig. 73. — Coupe longitudinale d’un tubercule oblong de Pomme de terre : R, écorce ; G, couche du faisceau
vasculaire ; x, œil (grand. nat.). D’après Schacht. vasculaire ; M, moelle ; A, œil grand. nat.). D’après Schacht.
Il a été dit plus haut que le tubercule de la Pomme de terre était constitué par un renflement de l’extrémité d’un rameau souterrain et que le tissu des tiges
souterraines se composait à l’extérieur d’un épiderme, recouvrant une zone circulaire qui est l’écorce, et à l’intérieur de cette écorce d’une couche du
faisceau vasculaire reposant sur une moelle centrale. C’est aussi ce que l’on constate dans le tissu du tubercule, ainsi que le montre Schacht dans ses études
anatomiques. Seulement ici, alors que l’épiderme, l’écorce et la couche du faisceau vasculaire ne se sont pas accrus notablement, la moelle a pris
comparativement un développement considérable. C’est qu’elle est destinée, ainsi que l’écorce, à servir de magasin de réserve nutritive pour la formation
ultérieure des jeunes tiges qui sortiront des yeux du tubercule. Aussi les cellules du tissu cortical et médullaire présentent-elles de très nombreux grains de
fécule[7] qu’une coloration violette ou bleuâtre à l’aide des réactifs iodés permet très nettement de discerner au microscope.
L’étude de ces grains de fécule ou d’amidon, ou grains amylacés, a permis de constater qu’ils débutent tous par une très petite sphérule, au centre de
laquelle se montre une sorte de point central ou noyau. D’après Schacht, autour de la sphérule primitive se déposent successivement des couches nouvelles
amylacées qui se superposent, mais régulièrement, de telle façon que le noyau se trouve finalement tout à fait excentrique et que le grain de fécule prend
peu à peu une forme presque ovoïde, ce qui caractérise l’amidon de la Pomme déterre. Lorsque, sous le microscope, on fait passer à travers ce grain de
fécule qui est transparent, un rayon de lumière polarisée, on voit alors se produire sur ce grain une croix noirâtre : le point d’intersection des deux bras de
cette croix se trouve toujours placé sur le noyau central du grain d’amidon.
Fig. 77 et 78. — Grains de fécule vus sous la lumière polarisée :
a, grain naissant ; b, grain plus développé (gr. 800/1). D’après
Schacht.
Mais cette réserve amylacée se redissout lorsque, des bourgeons du tubercule, sortent les jeunes tiges de la future plante. On remarque alors que les couches
superposées des grains d’amidon disparaissent les unes après les autres, en solution dans les liquides séveux ; d’autres fois les grains se dissolvent en
s’amincissant longitudinalement ; mais, dans l’un ou l’autre cas, ils finissent par ne plus exister dans les cellules qui les renfermaient, et le tissu des cellules
devient flasque et mou.
Maintenant comment est constitué l’épiderme des tubercules, qui les protège contre les agents extérieurs ? Schacht nous le montre composé de deux
parties, dont la plus extérieure est formée par du liège : ces cellules subéreuses reposent immédiatement sur celles du tissu générateur, dans lesquelles se
trouvent le suc diversement coloré qui produit la teinte du tubercule, jaunâtre, rose, rouge ou violacée, suivant l’intensité de la matière colorante. Cette
couche de cellules du tissu générateur du liège se distingue des cellules du parenchyme cortical qui se remplissent de granules amylacés. La cuisson du
tubercule l’en détache aisément.
Lorsque l’on coupe un tubercule ou qu’un accident lui fait perdre une partie de lui-même, il se forme bientôt sur la blessure ou sur la partie coupée une
nouvelle couche subéreuse, aux dépens de l’amidon des cellules voisines, de telle sorte qu’au bout d’un certain temps un nouvel épiderme de protection
recouvre toute la surface de la partie disparue et la cicatrise.
On conçoit qu’au fur et à mesure de son développement, la couche subéreuse, qui constitue l’enveloppe protectrice du tubercule, prend successivement
plus d’épaisseur, jusqu’à ce qu’elle atteigne à sa maturité le degré d’épaississement normal. Il en résulte que le tubercule, lorsqu’il n’est pas encore mûr, est
moins bien protégé, et c’est un point qu’il faut se rappeler lorsqu’il se trouvera livré aux attaques des germes motiles, propagateurs du parasite qui cause la
maladie des Pommes de terre (Phytophtora).
Les tubercules exposés à la lumière verdissent ou brunissent, suivant qu’ils sont jaunâtres ou d’un rouge plus ou moins violacé. Cela tient à ce qu’il se
forme de la chlorophylle dans les cellules du tissu cortical sous-jacent de l’épiderme. La teinte verte de cette chlorophylle apparaît plus nettement à travers
l’épiderme plus ou moins pâle des tubercules jaunes ; la couleur rouge ou violacée des autres épidermes lui donne une teinte plutôt brunâtre. Ce
verdissement n’altère en rien la faculté germinative des tubercules ; mais on sait qu’on doit fortement s’en méfier au point de vue de la consommation, en
raison de la présence alors dans le tissu cortical, de la Solanine, alcaloïde vénéneux.
Tout en verdissant à la lumière, les tubercules ne laissent pas que de développer leurs bourgeons : les pousses ou futures tiges qui en sortent s’appellent
des turions ou stolons. Ces turions, lorsque le tubercule demeure dans un air sec, se forment lentement, s’allongent peu et présentent à leur base de petites
excroissances coniques, blanchâtres ou rougeâtres, suivant les variétés, qui sont les rudiments des futures radicelles. Ce turion n’a en effet, pour l’aider
dans sa formation, que le suc cellulaire des tissus du tubercule. Mais lorsqu’on place ce dernier dans une atmosphère humide, le turion en profite pour hâter
sa croissance et permettre aux radicelles de s’allonger. Toutefois, la formation des germes se fait plus rapidement lorsque le tubercule est conservé à la fois
dans l’obscurité et dans un air humide. Les radicelles se prolongent vite et les turions eux-mêmes s’allongent de plus en plus, surtout si dans l’obscurité, où
ils se trouvent placés, quelques rayons de lumière peuvent les éclairer faiblement. On sait qu’alors ils se dirigent toujours vers ces rayons lumineux. Si
l’obscurité est complète, les turions se dressent en s’allongeant démesurément jusqu’au point de s’atrophier ; mais, faute de lumière, ils ne peuvent
développer normalement leurs feuilles. Du reste, ces formations sont des anomalies : elles épuisent les tubercules sans nécessité, ce qui rend ceux-ci
impropres à la consommation et moins bien disposés pour le développement cultural. Aussi, les variétés trop hâtives à ce point de vue sont-elles de
conservation difficile, ce qui est à considérer, lorsqu’il s’agit de tubercules réservés pour l’alimentation. Ceux qu’on appelle tubercules de semence et que
l’on garde pour la plantation, peuvent se conserver dans un endroit obscur ou lumineux, mais à la condition que l’air soit aussi suffisamment sec.
Schacht établit en principe que la formation des tubercules de la Pomme de terre a lieu pendant l’absence de la lumière. Ce principe n’est peut-être pas
aussi absolu qu’il le dit, lorsqu’il ajoute : « On est parvenu à faire germer des tubercules dans une atmosphère humide, à la lumière, mais sans qu’il se
produise des tubercules nouveaux ; si au contraire on les conserve dans l’obscurité, il se produit alors des tubercules, sans même qu’il existe une tige verte
et des feuilles. C’est pourquoi il se forme, sur des Pommes de terre oubliées dans des caves obscures pendant l’été, des tubercules-caïeux ». Il est de règle,
en effet, que la Pomme de terre développe ses tubercules dans les profondeurs obscures du sol, où se trouve en même temps l’humidité nécessaire aux
fonctions vitales des racines, ce qui, joint à l’exposition lumineuse de la tige aérienne, facilite en tous points la croissance de la plante.
Mais on a constaté quelquefois que, dans des cas particuliers, des tubercules se formaient sur certains points de la tige, en pleine lumière. Bien que ces
tubercules aériens ne soient point comparables aux tubercules souterrains, la vigueur de la plante est telle que la genèse de ses tubercules ne dépend pas
absolument de
l’obscurité.
Nous trouvons dans le Mémoire de Schacht d’autres faits de formations tuberculifères. Un tubercule de Pomme de terre avait primitivement poussé des
turions dans un air humide et obscur ; placé dans le sable d’une caisse humide, après l’ablation de ces turions, il n’en avait pas d’abord produit de
nouveaux. Or, du 2 mai au 23 septembre, sans qu’il y ait eu aucune tige feuillée, il s’était formé des turions rudimentaires et de jeunes tubercules. Il cite de
même une autre Pomme de terre qui avait produit dans une caisse humide des turions pendant l’été : ces turions qui étaient restés rudimentaires et n’avaient
pas poussé de tige feuillée, avaient néanmoins, le 23 septembre, produit également de jeunes tubercules. Cette formation anticipée des tubercules, sans
croissance de tiges aériennes, se remarque aujourd’hui et non rarement dans les cultures de la variété Marjolin. C’est un des inconvénients que présente
cette très précoce variété, d’autant plus que ces tubercules hâtifs n’ont pas le volume normal que présentent ceux qui se sont développés en même temps
que les tiges.
Turions ou jeunes tiges. — Un bourgeon sur un tubercule est comparable en tous points à l’embryon contenu dans la graine, sauf qu’il est dépourvu de
feuilles cotylédonaires et que son appareil radiculaire est rudimentaire. Mais son développement est à peu de chose près le même : le bourgeon émet une
tige, puis des racines ; la tige se ramifie, puis se couvre de feuilles et l’axe se termine par une cyme florale fructifère. Seulement, où la différence apparaît,
c’est que le turion trouve dans le tubercule de riches aliments de réserve, et qu’il y puise des éléments de formation qui lui permettent en quelques mois de
produire fleurs, fruits et tubercules, alors que l’embryon arrive à peine, sans souvent fleurir, à la fin de sa première année de croissance, à développer des
tubercules en général assez médiocres. Ce résultat de l’influence des éléments nutritifs de réserve est très remarquable, et elle se fait sentir en particulier sur
le développement des premières feuilles du turion, car c’est à peine si les deux ou trois premières feuilles présentent une forme moins complexe que les
feuilles adultes, ce qui est loin, comme nous l’avons vu, d’être le cas de l’embryon dont la formation foliaire est si lente à se caractériser.
Dans sa croissance, le turion émet, surtout à sa base, plusieurs radicelles qui deviendront des racines, et sur lesquelles se montrent également des poils
radiculaires d’absorption, comme sur les radicelles de l’embryon. Les tiges, les rameaux, les feuilles, les fleurs et les fruits se développent successivement
comme nous l’avons vu plus haut, ainsi que les tubercules. Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons déjà exposé de leur organisation intime et de
leurs fonctions biologiques.
Après ces explications générales que nous venons de donner sur les manifestations vitales de la Pomme de terre, nous croyons qu’il y a intérêt à
enregistrer ici les diverses observations tératologiques ou physiologiques dont elle a été successivement l’objet. C’est ainsi que Bosc, dans le Dictionnaire
raisonné d’Agriculture y disait en 1822 : « On a plusieurs exemples de fleurs de Pomme de terre qui, au lieu de former une baie, ont formé un groupe de
petits tubercules pourvus de leurs yeux et qui mis en terre donnent naissance à un pied vigoureux. J’en ai vu en 1816, année très pluvieuse, qui offraient sur
une seule panicule plus de cent tubercules de différentes grosseurs, dont quelques-uns avaient près d’un pouce de long. Elles provenaient de la belle variété
appelée Corne de bufle ».
Plus récemment, en 1855, Germain de Saint-Pierre appelait l’attention sur une forme anomale de tubercules de Pomme de terre[8]. « Le hasard, dit-il,
avait fourni à M. le professeur Seringe les éléments d’une observation des plus intéressantes au point de vue de la structure des tiges : cet estimable
observateur avait rencontré, à la surface du sol, des tubercules de Pommes de terre développées sous la forme de rosettes de feuilles charnues, et qui
présentaient des formes intermédiaires entre les tubercules et les tiges normales. Pendant un des automnes derniers, désirant étudier, à mon tour, le fait
remarquable signalé par M. Seringe, je plaçai sur une table de marbre, dans une chambre un peu humide, mais aérée et éclairée, un certain nombre de
tubercules de Pomme de terre. Je m’absentai pendant deux mois ; à mon retour, au 1er décembre de la même année, je trouvai les tubercules flasques et
épuisés, mais ils étaient couverts d’une végétation nouvelle pleine de force et de vigueur. Ce n’étaient pas ces longues tiges étiolées, d’un blanc nacré et à
feuilles rudimentaires, longuement distantes, que l’on observe communément vers le soupirail des caves où séjournent des tubercules abandonnés. Ce
n’étaient pas non plus des tiges vertes et feuillées, comme celles qui se produisent dans les conditions ordinaires ; c’étaient des tubercules allongés en tiges
courtes ou des tiges à demi condensées en tubercules. Quelques-unes de ces productions présentaient l’aspect de bourgeons à axes charnus et à feuilles
tantôt rudimentaires^ tantôt à limbe foliacé. Dans certains cas, il s’était produit une tige feuillée dont les feuilles présentaient un petit tubercule à leur
aisselle. Dans d’autres cas, la production était fusiforme ; épaisse et charnue à la base, elle s’amincissait ensuite en une tige presque normale. Quelquefois
la base constituait un tubercule globuleux, puis le même axe se continuait brusquement en tige cylindrique. On voyait encore aussi un même axe
alternativement et par étage : globuleux, puis cylindrique, puis globuleux. Cette observation démontre une fois de plus que les tubercules du Solanum
tuberosum sont des tiges charnues et raccourcies, dont la partie libre des feuilles est rudimentaire et susceptible de se développer dans des conditions
particulières ».
Dans le journal botanique allemand, Flora, de 1885, M. Guembel a fait connaître un mode particulier de formation du tubercule de la Pomme de terre,
assez curieux pour être signalé ici. Le tubercule-mère était de la grosseur d’un œuf de poule ; il était fendu transversalement, et dans sa fente était un jeune
tubercule de la grosseur d’une noix. En dénudant la base de ce petit tubercule, M. Guembel y avait vu un pédicule qu’il avait suivi à travers le tubercule-
mère jusqu’à un œil ou bourgeon, dont une pousse latérale interne avait produit ce phénomène. Ainsi un jet sorti au printemps d’un œil de la Pomme de
terre, avait donné des pousses latérales dont une avait pénétré dans la chair du tubercule-mère, s’y était allongée quelque peu, et s’était ensuite renflée en
tubercule de manière à faire éclater enfin ce tubercule-mère. Nous verrons plus loin que des cas semblables se sont produits, mais par d’autres causes.
En 1861, M. Duchartre signalait à la Société botanique de France[9] une monstruosité fort singulière, sous le titre de Fleurs décandres du Solanum
tuberosum. On sait que la fleur de la Pomme de terre ne présente que cinq étamines : or, dans la monstruosité en question, il y en avait dix. Voici ce que
disait M. Duchartre de cette organisation anomale. « Je dois dire avant tout que cette organisation ne s’est pas montrée comme un fait isolé ; mais que je
l’ai trouvée dans toutes les fleurs adultes que portaient deux rameaux, et même dans des boutons encore très jeunes. Il paraît certain qu’elle existe comme
caractère général dans cette forme de Pomme de terre et qu’elle se multiplie sans modification par la plantation des tubercules. Le calyce de la fleur n’a
subi aucune altération : ses cinq lobes lancéolés se rétrécissent en une longue pointe terminale. Ce calyce enlevé, on a sous les yeux un corps complexe fort
remarquable : c’est une sorte de godet blanc et presque pétaloïde, haut seulement de 4 à 5 millimètres, qui ne peut être autre chose que le tube de la corolle
non prolongé en limbe ; le bord de ce godet corollin porte cinq étamines sessiles, parfaitement conformées, semblables aux étamines normales de la fleur
de la Pomme de terre, mais un peu plus renflées, qui alternent fort régulièrement avec les lobes du calyce et qui occupent dès lors la place des divisions de
la corolle. Entre ces étamines, et dans le même verticille, se trouvent cinq petits filets délicats et fort courts qui semblent être les seuls restes du limbe de la
corolle. Sur la face interne du godet corollin et près de son bord se trouvent cinq étamines alternes avec les premières, et dans lesquelles il est impossible de
ne pas voir les cinq étamines normales du Solanum tuberosum. Le pistil n’offre rien de particulier ni d’anomal. Ainsi, dans cette monstruosité, se présente
le fait extrêmement curieux d’une transformation des lobes de la corolle en étamines : or, si le changement des étamines en pétales s’opère fréquemment, je
ne sache pas qu’on ait encore signalé celui des pétales en étamines, et cette circonstance me semble donner un intérêt particulier à cette même
monstruosité ».
Le Gardener’s Chronicle de 1876 a publié la figure d’une fleur monstrueuse de Pomme de terre, qui était également une fleur décandre, c’est-à-dire dans
laquelle la véritable corolle était absente et se trouvait remplacée par un second verticille d’étamines. Ce fait anomal qui avait été observé en Angleterre, y
avait, paraît-il, été déjà signalé précédemment.
En mai 1881, M. Carrière exposait à la Société d’Horticulture de France les résultats suivants d’une expérience qu’il avait faite sur des tubercules de
Pommes de terre. Il avait pris, le 4 mars, de gros tubercules appartenant à quatorze variétés différentes, jaunes, violettes ou rouges. Non seulement il avait
pelé ces tubercules, mais encore il en avait enlevé une couche superficielle épaisse de 4 à 10 millimètres. Là où il semblait pouvoir exister des rudiments de
bourgeons, il les avait évidés en creusant. Enfin les tubercules ainsi préparés avaient été coupés en morceaux. Placés dans une cave, la plupart de ces
morceaux avaient séché ; mais sur certains il s’était produit un bourgeon et une pousse qui, dans quelques cas, étaient partis du centre même du tubercule.
M. Carrière concluait de ce fait remarquable que, partout où il existe une cellule végétale vivante, cette cellule peut prendre une vie énergique, se multiplier
par division et devenir un foyer de développement.
Il est difficile de s’expliquer la formation de bourgeons sur les cellules de la moelle du tubercule ; on comprendrait mieux le rôle que pourraient jouer
dans cette production les cellules de l’écorce interne.
M. Devaux a fait connaître, en 1891, à la Société botanique de France[10], les observations qu’il avait pu faire sur une hypertrophie des lenticelles de la
Pomme de terre. « La surface du tubercule de la Pomme de terre, dit-il, possède normalement des lenticelles assez nombreuses. J’ai pu m’assurer, par
l’étude anatomique et par des essais de porosité totale, que ces lenticelles sont ouvertes et amènent l’air libre aux tissus internes. J’ai, reconnu, d’autre part,
que ces lenticelles prennent un grand développement lorsque l’air extérieur est humide, surtout si cet air est chaud. Quand, au contraire, on plonge un
tubercule en entier dans l’eau, il ne tarde pas à être asphyxié ; c’est que dans ces conditions la pression des gaz internes diminue, et l’eau pénétrant par les
lenticelles injecte en partie les tissus. Il est possible cependant de faire vivre un tubercule de Pomme de terre dans l’eau, à la condition de ne le plonger
qu’incomplètement dans ce liquide. Mais c’est alors que les lenticelles prennent un développement très considérable. Cette hypertrophie des lenticelles
débute par un gonflement en forme de cône surbaissé, correspondant à chacune d’elles. Bientôt le sommet s’entrouvre visiblement et le tissu blanc sous-
jacent commence à paraître. Les crevasses s’élargissent de plus en plus, et bientôt toute la partie submergée du tubercule se trouve hérissée de lenticelles
énormes, ayant plus de 5 millimètres de diamètre et qui lui donnent l’aspect d’un tissu éclaté partiellement sous une forte pression interne. Chaque
lenticelle a un aspect d’un blanc brillant, dû à ce que de l’air est retenu entre les éléments cellulaires et que la lumière produit alors le phénomène de
réflexion totale. L’hypertrophie augmente souvent beaucoup, de longues crevasses partent de certaines lenticelles et vont rejoindre les autres, de sorte que
bientôt la peau ne forme plus que des lambeaux séparés, en forme d’îlots ; ces lambeaux se soulèvent du reste par leurs bords et peuvent même se détacher.
Alors le tubercule a perdu son enveloppe normale dans ces régions. Ces modifications paraissent mieux se produire à la lumière. Nulles ou très lentes à
basse température, elles sont rapides entre 20 et 30 degrés ».
Le même observateur avait fait, en 1890, une intéressante remarque sur la température dégagée par un amas considérable de tubercules de Pommes de
terre en germination[11]. Il avait pu constater que, dans le haut de ce tas de Pommes de terre, la température était de 39 degrés centigrades, alors que l’air
extérieur n’était que de 18 à 19 degrés, et que la partie inférieure du tas ne dépassait pas 20 degrés. Nous avons vu plus haut que, dans la Pomme de terre,
les bourgeons de la partie supérieure des tubercules étaient plus aptes à reproduire la plante que ceux de la partie inférieure, voisine de leur point d’attache.
M. Prunet, en 1892, a communiqué à l’Académie des sciences[12], les résultats d’une analyse physiologique qu’il avait faites sur des tubercules de trois
variétés de Pommes de terre. M. Prunet déclare n’avoir trouvé, avant la germination, presque ni sucre, ni diastase ; mais lorsque les tubercules germent, le
sucre et la diastase apparaissent d’abord dans les moitiés antérieures, ainsi que les éléments azotés, et cette proportion se maintient toujours en faveur de
ces moitiés, comparativement à ce que l’analyse décèle dans les moitiés postérieures. Toutefois, si l’on supprime les bourgeons du sommet des tubercules,
les principes immédiats et les substances minérales émigrent vers les bourgeons postérieurs. Il y a donc toujours une relation étroite entre les éléments
nutritifs et l’aptitude des bourgeons au développement.
En 1893, M. Prillieux présentait à la Société botanique de France des tubercules de Pommes de terre dans l’intérieur desquels s’étaient formés de
nouveaux tubercules. Pour expliquer cette anomalie, il disait que M. Schribaux avait proposé, pour empêcher de germer les Pommes de terre destinées à
l’alimentation, de les tremper dans de l’eau contenant 1,5 pour 100 d’acide sulfurique. Cette solution corrosive, sans nuire aux tubercules, en détruit fort
bien les germes, ce qui a été prouvé par des essais faits sur diverses variétés, la Saucisse, la Quarantaine de la Halle, le Magnum bonum, etc., qui peuvent
être ainsi conservées bonnes pour l’alimentation pendant l’été. M. Prillieux ajoutait que sur les tubercules de la variété Richter’s Imperator, la destruction
des yeux avait été incomplète ; il s’était alors formé à leur base des bourgeons qui s’étaient développés en pénétrant à l’intérieur du tubercule-mère et y
formant de nouveaux tubercules. Nous pensons que la destruction des bourgeons externes n’avait pas atteint les rudiments des bourgeons internes, protégés
par la peau des tubercules et que ce sont des bourgeons internes qui se sont développés de si singulière façon. M. Duchartre était d’avis que la partie
centrale et essentiellement vivante des bourgeons avait conservé son énergie vitale et trouvant, du côté extérieur, un obstacle mécanique à son
développement dans la couche superficielle durcie par l’acide sulfurique, elle s’était accrue du côté qui lui opposait la moindre résistance, c’est-à-dire dans
l’épaisseur de la substance du tubercule-mère.
En Juillet 1894, M. Duchartre présentait à la Société d’horticulture de France un pied de Pomme de terre Marjolin qui offrait cette
particularité remarquable que ses tubercules étaient venus hors de terre à l’aisselle des feuilles, tandis qu’il n’en avait pas développé
en terre. M. Duchartre donnait de ce phénomène les explications suivantes : « On sait qu’un tubercule de Pomme de terre n’est pas
autre chose qu’un rameau qui, généralement dans une portion de son étendue et vers son extrémité, développe considérablement ses
portions parenchymateuses, en même temps qu’il réduit fortement et annihile presque ses faisceaux fibro-vasculaires. C’est en terre
qu’il subit cette transformation, et c’est pour cela que le buttage, augmentant le nombre des rameaux souterrains, augmente aussi la
production des tubercules. Toutefois, si la tige de la Pomme de terre éprouve, dans sa partie inférieure, une blessure qui entrave la
marche normale de la sève, le liquide nourricier, dans sa marche descendante, étant retenu plus ou moins complètement par l’obstacle
qui résulte de cette blessure, s’accumule dans la partie aérienne de la plante et peut alors déterminer dans les rameaux nés à l’aisselle
des feuilles un développement analogue à celui qu’éprouvent normalement les rameaux souterrains, quand la sève nourricière peut
Fig. 82. — Tubercules leur arriver librement et en abondance. C’est ce qui avait eu lieu sur ce pied de Pomme de terre à tubercules aériens ».
axillaires développés sur
une tige aérienne de
Il ne nous reste plus qu’à signaler des cas plus fréquents de monstruosités que l’on observe sur la forme des tubercules. En général,
Pomme de terre, var la forme typique des tubercules d’une variété quelconque se maintient très bien dans leur production : ils ne varient guère que sous le
Imperator (3/4 gr. nat.). rapport du volume. Lorsque l’on fait la récolte, on constate que le même pied en fournit d’ordinaire des gros, des moyens et des petits,
ce qui résulte des époques différentes de formation et en même temps du plus ou moins de vigueur de la végétation des turions. Mais il arrive parfois que
certains tubercules, au lieu de se développer régulièrement, prennent des formes singulières : on en trouve qui se présentent soudés deux à deux ou réunis
par trois, ou bien formant une croix par des adhésions latérales. M. Arthur Sutton[13] en a signalé qui avaient une forme digitée, très curieuse. Il attribue la
production de ces anomalies à certaines obstructions que le tubercule rencontre dans le sol, et nous pensons qu’elles ne peuvent avoir d’autres causes.
Telles sont les observations sur lesquelles nous avons cru devoir appeler l’attention, et qui caractérisent quelques-unes des phases de l’histoire biologique
de la Pomme de terre.
Nous avons déjà fait remarquer que lors de l’introduction de la Pomme de terre en Europe, une variété jaunâtre avait été introduite en Angleterre, tandis
qu’une variété rougeâtre avait été apportée en Espagne, puis en Italie, et de là en Belgique, pour être envoyée à Vienne, en Autriche, d’où, par les soins de
Charles de l’Escluse, elle s’était répandue en Allemagne, pour ensuite passer en Suisse et de là en France. Cette variété à tubercules rouges et fleurs
violettes ne paraît avoir produit qu’une simple variation à fleurs blanches pendant tout le XVIIe siècle. La variété jaunâtre de l’Angleterre ne semble avoir
pénétré sur le continent européen que vers le commencement du XVIIIe siècle : elle se trouvait en France, en 1762, puisque Duhamel du Monceau la signale
avec la variété rouge. Cette dernière avait dû être, vers le même temps, portée en Angleterre, car Philip Miller, en 1768, la cite avec la variété anglaise. On
était loin alors de se douter de la force de variabilité du Solanum tuberosum !
Cependant, d’autres variétés existaient alors en Europe. Nous en trouvons la preuve dans l’article publié en 1777 par le célèbre agronome Engel dans le
Supplément à l’Encyclopédie, article dont nous avons déjà donné des extraits.
« J’indiquerai, dit en effet Engel, parmi plus de 40 espèces[14] que j’ai tirées de l’étranger, celles qui sont les plus remarquables. J’en eus, au printemps
1771, entr’autres les suivantes : 1° Une blanche de Strasbourg, fleur gris de lin, qui n’ayant produit au commencement d’Août que 8 pour un, se trouve en
automne considérablement multipliée. 2eLes Hollandoises, à fleur bleue, plus connues sous le nom de Sucrées d’Hanovre, fruit blanc, petit, étoient
mangeables à la St-Jacques[15], alors seulement 15 à 18 pour un, en Septembre environ 150, en Novembre jusqu’à 300 de leur grosseur ordinaire, sans
compter une infinité qui commençoient à se former à un fort tissu de racines, fleurissant pendant 10 à 12 semaines ; les tiges en Novembre aussi vertes et
succulentes qu’au milieu de l’été. Elles sont préférées généralement à toutes les autres pour le goût ; seulement leur petit volume dégoûte quelques-uns de
leur culture. 3ePommes de St-Jacques, précoces, de Weimar, blanches, très fécondes. Il s’en est trouvé à une plante 60 pommes de 5 morceaux, et à un autre
65 d’un seul œil. 4eDe Cassel précoces, blanches, picottées en rouge, le fruit assez gros. 5eJaunâtres de Frise, fleur purpurine, précoces. 6eDe Mannheim,
précoces, rouges, à la St-Jacques : le plus gros fruit ne pesoit que 4 onces, mais alors déjà 50 pour un, qui ensuite ont grossi. 7eDe la Franconie,
ressemblent aux Souris rouges d’Hollande ; le 5 Août 1771, il s’en trouva à une seule plante 50 pommes. 8e Autres rouges, du côté de Nuremberg fleur
d’un violet clair : de 32 morceaux on en a recueilli 9 boisseaux combles, le boisseau de 20 livres en froment. 9eJaunâtre de Cassel, fleur couleur de rose :
de 3 pommes plantées le 20 Avril 1771, on cueillit, vers la fin de Novembre, 63 de chacune. 10eAutre de Cassel, fleur blanche cendrée ; la peau extérieure
noirâtre, par là difficile à les distinguer de la terre en les recueillant ; la seconde peau violette, au dedans marbrée violet très beau ; le goût diffère de celui
des autres ; le plus grand produit en a été de 24 pour un.
» Je ne parle pas des Souris rouges d’Hollande, puisqu’elles paraissent être la même espèce que le n° 7 (fruits petits, mais au nombre de 120 pour un).
» Je ne parle non plus des trois espèces naturalisées en Suisse, dont l’une longue blanche et une autre longue rouge, toutes les deux d’un grand produit,
grosses et de bon goût, de même que les rouges rondes.
» Je vais donc faire mention encore de quelques-unes reçues seulement au printemps 1772. 1e Les nouvelles angloises y tiennent avec raison la première
place ; une feuille angloise hebdomadaire les indiquait comme étant arrivées récemment de l’Amérique, sous le nom de Yam-battates, pesant de 8 à 9 livres
la pomme… Chacun étant, et avec raison, si prévenu en faveur de ces Yam-battates, on peut juger si un ouvrage, qui a paru depuis peu, les en a dégoûtés ;
c’est le voyage que Young, grand curieux et cultivateur, a fait par les provinces septentrionales de l’Angleterre.
… Ayant donc découvert ces Pommes de terre, qu’il dit lui-même être encore inconnues, il en parle à peu près comme moi ; il dit en outre que cette
espèce supporte mieux le froid que les ordinaires ; qu’il a pu s’en procurer deux pièces ; qu’il avoit coupé l’une en deux, l’autre en 30 morceaux ; que des
deux premiers il avoit recueilli 222 livres en 700 pièces, et des autres 364 livres en 1,100 pommes ; et qu’il garantit ces faits comme témoin oculaire.
Que selon le calcul de M. Bailey, l’acre anglois, d’environ 45, 000 pieds, en devroit rapporter 5, 036 boisseaux, chacun de 60 livres (apparemment
angloises, de 14 onces) ; quelle multiplication prodigieuse et incroyable ! M. Young en dit le goût inférieur aux espèces communes…
» 2e J’ai fait venir de quatre espèces, qu’on cultive en Irlande : black-battates ou noires, russel ou rousses, yellow ou jaunes, et white ou blanches. J’ai
remarqué que de ces espèces irlandoises, vers la fin d’août, il s’en est trouvé de mangeables en bon nombre, et que les vers-hannetons ou vers-de-bled y ont
fait plus de ravage que parmi les autres, preuve qu’ils les ont trouvées préférables par le goût.
3e J’ai eu quelques Pommes de terre des montagnes de Foix, je les ai trouvées très belles et de bon rapport ; la peau en est fort rude.
» Je crois que ceci peut suffire pour faire connaître les meilleures espèces…
» Si M. Duhamel dit que les tiges de Pommes de terre sont de deux à trois pieds de hauteur, cela fait voir qu’il n’en a connu que des espèces communes :
les Angloises, les Hollandoises, et celles de graine en ont poussé dans une bonne terre de jardin qui ont eu six à sept pieds de haut ».
Nous pouvons noter, d’après ce que disait Engel, que l’on possédait déjà en 1772, diverses variétés de forme longue et ronde, avec toute la série des
couleurs qui les caractérisent encore aujourd’hui : blanche, jaune, rouge et même violet foncé, presque noir. Ce qui nous permet d’en conclure que nos
variétés actuelles dérivent bien de celles qui existaient alors.
D’un autre côté, la culture de la Pomme de terre avait fait aussi de grands progrès dans l’Amérique du Nord, puisqu’elle était en mesure, en 1783, de
nous fournir onze variétés nouvelles que, sur les instances de Parmentier, le Conseil du roi Louis XVI fit venir en France. D’après le rapport de Dumont à
la Société royale d’Agriculture, en 1788, ces onze variétés s’étaient maintenues six ans comme variétés constantes dans la culture de la Plaine des Sablons.
Lorsqu’il parle de ces variétés, en 1786, Parmentier ne cite les noms que de deux d’entre elles : c’étaient la Ronde blanche de New-York, et la Rouge longue
de l’Ile longue. Mais peut-être en avait-on déjà obtenu d’autres variétés par des semis, comme le conseillait déjà Parmentier en 1786. Toujours est-il que
cet ami de la Pomme de terre, dans son rapport à la Société royale d’Agriculture sur les mémoires de M. de Chancey, disait en 1787 à propos des
différentes espèces de Pommes de terre, et par ce mot espèces il faut entendre variétés : « Quelques auteurs les avaient fait montera soixante ; mais dans ce
nombre ils comptent beaucoup de variétés, » c’est-à-dire de variations. Nous n’avons pas d’éléments d’information qui nous permettent de nous expliquer
cette opinion de Parmentier. Nous savons seulement que l’on avait choisi, en 1788, pour la célèbre culture de la Plaine des Sablons, la Grosse Pomme de
terre blanche tachée de points rouges à la surface et dans l’intérieur, et que la même année M. de Chancey cultivait, aux environs de Lyon, la Blanche de
la Nouvelle-Angleterre, la Grosse blanche hâtive, la Rouge ronde de l’Ile longue, la Rouge longue de la Nouvelle Angleterre, la Petite Chinoise, l’Anglaise,
la Violette, la Longue des Montagnes des Vosges, la Souris de large de la Haute-Alsace.
Quelques années plus tard, en 1805, paraissait le Traité des végétaux qui composent l’Agriculture de l’Empire français, par Tollard aîné. L’auteur y dit, à
propos de la Pomme de terre : « Cette plante offre beaucoup de variétés qu’on connaît sous les dénominations de Grosse blanche ronde, Grosse blanche
longue, Blanche irlandaise, Jaune ronde aplatie, Rouge longue, Rouge dite Souris, Pelure d’oignon, Petite jaune, Rouge longue marbrée, Rouge ronde,
Violette, Petite blanche chinoise. Toutes ces variétés diffèrent par la forme et la couleur… Les Grosses blanches sont les plus productives ; les Rouges ont
moins d’eau, plus de saveur et se gardent plus longtemps que les Blanches, surtout la Rouge longue ; les Jaunes ont la pulpe plus fine, plus serrée, et sont
plus délicates que toutes les autres, et celles à préférer pour la table ; la Petite rouge hâtive est aussi très bonne. Elles se plantent à la fin d’Avril ou au
commencement de Mai. On les multiplie aussi par leurs graines : ce dernier procédé est long, mais il les donne plus délicates et fournit toujours des
variétés ».
Mais, de son côté, Parmentier revient sur cette question et s’exprime comme il suit, dans son article sur les Pommes de terre paru en 1809 dans le
Nouveau cours complet d’Agriculture théorique et pratique, qui fait suite au Dictionnaire de l’Abbé Rozier.
« Variétés. — On les fait monter à plus de soixante ; mais c’est sans doute pour avoir admis au nombre des espèces les nuances légères qui se trouvent
dans chacune des variétés ; en les restreignant à douze, je ne prétends pas les décrire toutes, mais bien celles qui se sont soutenues dans les expériences
auxquelles je les ai soumises pendant au moins vingt années.
» La voie des semis et un concours d’autres circonstances suffisent pour en constituer de nouvelles, ou pour perfectionner celles qui existent déjà. Le
moyen de les reconnoître ne seroit pas de continuer à les désigner selon les cantons européens d’où elles ont été tirées à l’époque de leur maturité, puisque
toutes viennent originairement de l’Amérique et que le moment de la récolte est différent. Il paroît bien plus naturel de les indiquer d’après le port de la
plante, la forme et le volume et la couleur des tubercules.
Grosse blanche tachée de rouge. — Feuilles d^un vert foncé, plus lisses et plus rudes en dessous ; tiges fortes et rampantes ; fleurs rouges, panachées de
gris de lin ; tubercules oblongs, conglomérés, marqués par des points rouges intérieurement. La plus vigoureuse. Réussit dans tous les terrains.
» Blanche longue. Feuillage foncé ; fleur petite, échancrée, parfaitement blanche ; tubercules conglomérés exempts de points rouges intérieurement,
bonne qualité, terre légère.
» Jaunâtre ronde aplatie. Feuille crépue, profondément découpée, d’un vert olivâtre ; fleur panachée ; souvent doubles tubercules qui s’écartent du pied
de la plante et filent au loin ; terre légère ; se délaie dans l’eau pendant la cuisson ; excellente qualité.
» Rouge oblongue. Ressemble par le port à la Longue blanche feuilles plus longues, plus droites ; tubercules d’un rouge foncé, intérieurement blancs ;
très productive ; chair ferme ; goût excellent ; terre forte.
» Rouge longue. Feuilles d’un vert foncé, drapées en dessous ; tige roussâtre, velue sur sa longueur ; tubercules raboteux à leur surface, garnis d’un grand
nombre de cavités ou yeux à bourgeons, marqués intérieurement d’un cercle rouge ; chair ferme, délicate, forme d’un rognon ; tardive ; abondante ; sol
gras.
» Longue rouge dite Souris. Feuilles verdâtres ; tige grêle, ronde, presque droite et rougeâtre ; tubercules pointus à une extrémité et obtus de l’autre, un
peu aplatis, ayant peu d’œilletons ; chair absolument blanche ; précoce ; d’une bonne qualité ; terrain gras. On l’appelle encore Corne de vache.
» Pelure d’Oignon. Feuilles petites et crépues ; tiges grêles et rouges par intervalle ; fleurs panachées d’abord, ensuite gris de lin ; tubercules oblongs,
aplatis, quelquefois pointus à une de leurs extrémités, ayant peu d’yeux ; hâtive ; bonne qualité ; terrains légers. On la nomme en quelques endroits Langue
de bœuf.
» Petite jaune aplatie. Semblable pour le port à la Pelure d’oignon ; tubercules forme de haricots ; bonne à manger ; s’enfonce beaucoup en terre. On lui
donne quelquefois le nom d’Espagnole.
» Rouge longue marbrée. Semblable à la Grosse blanche, féconde et vigoureuse ; tubercules d’un rouge éclatant intérieurement ; ne vaut pas pour la
qualité les Rouges oblongues et rondes déjà décrites.
» Rouge ronde. Variété de la Rouge oblongue ; plus précoce ; terrains sablonneux.
» Violette. Tige grêle et folioles vert foncé, très rapprochées les unes des autres, courtes et presque rondes ; fleurs violettes, foncées en dedans et moins
en dehors ; tubercules ronds et oblongs quand ils ont du volume, marqués de taches violettes et jaunâtres ; chair blanche ; bonne qualité ; terrain gras. On la
nomme Violette hollandaise.
» Petite blanche. Tige et feuilles grêles, vert clair, mais plus multipliées et plus verticales ; fleurs petites et d’un beau bleu céleste ; tubercules
constamment petits, irrégulièrement ronds et de mince rapport ; connue sous le nom de Petite chinoise ou Sucrée d’Hanovre. »
De son côté, Dunal, dans son Histoire naturelle, médicale et économique des Solanum publiée en 1813, laquelle n’a été qu’une sorte de Préface à son
grand travail descriptif des Solanées qui a paru en 1852 dans le Prodromus Regni vegetabilis, décrit, à la suite du Solanum tuberosum, les six variétés de
cette espèce alors principalement cultivées et qui étaient les suivantes.
« α. Blanche longue ou Blanche irlandaise. — Corolles blanches ; tubercules presque cylindriques, blanchâtres ; feuilles d’un vert foncé.
β. Grosse blanche tachée de rouge ; Pomme de terre à vaches. — Corolles presque rouges où panachées ; feuilles d’un vert foncé ; tubercules gros,
presque cylindriques, marqués détaches rouges.
γ. Rouge longue ou Pomme de terre rouge. — Corolles blanches ; feuilles d’un vert foncé ; tubercules oblongs, recouverts d’un épiderme rouge.
δ. Jaunâtre ronde. — Corolles panachées ; feuilles crispées ; tubercules jaunâtres presque ronds.
ε. Violette hollandaise. — Corolles violacées ; tubercules d’abord presque ronds, puis presque cylindriques, marqués ça et là de taches jaunâtres et
violacées.
ζ. Petite Chinoise ou Sucrée de Hanovre. — Corolles bleuâtres ; tiges et feuilles grêles ; tubercules petits, presque ronds ».
Si l’on compare les noms de variétés cités par Tollard, Parmentier et Dunal, on reconnaît que ce sont à très peu de chose près les mêmes, et on y retrouve
quelques-unes des dénominations employées par Engel en 1777 et par de Chancey en 1788. La liste de Parmentier, plus complète, peut donc être
considérée comme celle des variétés connues et cultivées au commencement du XIXe siècle. Mais soit que ces variétés aient changé de nom, soit qu’elles
aient été abandonnées et remplacées par d’autres, nous ne trouvons plus citées, dans la Liste des variétés introduites en 1815 dans la Collection de la
Société d’Agriculture, que la Petite Chinoise et la Violette.
Cette collection de la Société d’Agriculture ne comprenait pas moins de 177 variétés en 1846, sauf les doubles emplois. La Liste en a été publiée dans
son Bulletin de la même année, 2e série, page 175. À partir de 1815, cette collection a été conservée en culture à Verrières-le-Buisson, dans la propriété de
MM. de Vilmorin. La Liste des variétés qui la composaient en 1846 nous paraissant devoir être considérée comme un document historique assez important,
nous la reproduisons ci-après, tout en ne faisant suivre le nom de chaque variété que de sa date d’entrée dans la Collection. Cependant, comme beaucoup
d’entre elles ont disparu, soit par suite d’abandon, soit par suite de la maladie, en nous référant au Catalogue méthodique et synonymique des principales
variétés de Pommes de terre publié par M. Henry de Vilmorin en 1886, nous avons mis en italique les noms des variétés qui existaient encore à cette
époque, ce qui permettra de saisir le grand mouvement qui se fait tant pour la conservation que dans la disparition de ces variétés.
Cet accroissement dans le nombre des variétés a continué depuis 1846 d’une façon prodigieuse, puisque le Catalogue précité de M. Henry de Vilmorin en
comprend six cent trente, quarante ans après. Et encore faut-il tenir compte de ce fait qu’un changement notable avait été effectué dans l’ensemble de la
collection.
« En 1872, dit M. de Vilmorin, il restait environ 210 variétés. Le nombre aurait dû en être beaucoup plus grand si les ravages de la maladie n’avaient fait
disparaître, depuis 1845 jusqu’en 1872, les deux tiers au moins des variétés qui composaient anciennement la collection ». On peut donc évaluer à près
d’un millier le nombre des variétés que l’on a pu tirer du Solanum tuberosum, et l’on peut dire que l’on ne peut prévoir jusqu’où pourra être porté ce chiffre
déjà singulièrement élevé, en raison des moyens dont disposent les horticulteurs, c’est-à-dire le semis, la greffe, l’hybridation et la fécondation croisée entre
les variétés actuelles. Il n’y a pas d’exemple, dans le Règne végétal, d’une plante utile qui se prête aussi facilement aux réussites de variabilité auxquels on
tente de la soumettre !
Mais d’un autre côté, quel renouvellement dans toutes les variétés acquises ! Combien de délaissées ! Combien dégénèrent et disparaissent ! De celles
qui avaient été cataloguées en 1815, il ne reste plus guère, parmi les variétés estimées, que la Shaw, la Bonne Wilhelmine, la Truffe d’août, la Rouge de
Hollande, la Vitelotte qui tend à disparaître, la Violette qui parait être la plus ancienne de toutes, et enfin la Kidney ou Marjolin que la culture de primeur
conservera longtemps encore parmi les plus recherchées. De nouvelles obtentions ont peu à peu pris la place de nombre d’anciennes variétés abandonnées,
soit comme variétés horticoles ou agricoles. Essayons de constater l’apparition de quelques unes d’entre elles, au sujet desquelles il nous reste quelques
documents à faire connaître.
Nous puisons d’abord nos renseignements dans le Journal de la Société d’horticulture de France, dont nous nous contenterons de citer l’année de
publication. En 1872, ce Recueil nous apprend que la variété Early rose a déjà donné aux États-Unis, par la voie du semis, une nouvelle variété qui en
diffère surtout parce qu’elle est tardive au lieu d’être hâtive, comme celle de laquelle elle est issue, circonstance qui l’a fait appeler Late rose (Rose
tardive). C’est un retour, par la graine, à une forme ancestrale qui s’était trouvée modifiée, pour la précocité, dans l’Early rose. Toutefois cette obtention
nouvelle était signalée comme étant de meilleure qualité que cette dernière, et se conservant plus longtemps, en même temps qu’elle donnait une production
plus considérable.
En 1885, M. Arnould Baltard, rapporteur d’une Commission, donnait les détails suivants sur la Pomme de terre Joseph Rigault, ainsi nommée de celui
qui l’avait obtenue en 1879, et qu’un marchand-grainier de Paris avait mis au commerce en 1883. « M. Joseph Rigault, disait-il, s’était contenté jusqu’ici de
semis faits avec des graines provenant de fécondations naturelles ; c^est ainsi qu’il a obtenu la Joseph Rigault du semis d’un fruit récolté sur la Feuille
d’ortie qu’il suppose avoir été fécondée par la Têtard, parce que celle-ci était voisine et parce que les caractères de la Joseph Rigault ont beaucoup
d’analogie avec ceux de la Têtard : il est toutefois à remarquer que la fleur de la Joseph Rigault est rose, au dire de son obtenteur, tandis que celle de la
Feuille d’ortie et celle de la Têtard sont blanches ».
Il arrive parfois que des horticulteurs font des semis de graines de Pommes de terre, sans s’inquiéter des variétés sur lesquelles ils ont récolté les fruits.
Certes, le hasard peut faire que d’une graine inconnue il sorte un bon produit. Mais combien plus il y a d’intérêt à noter les variétés d’origine et à mieux
connaître par comparaison ce que l’on a obtenu. Ainsi un horticulteur, en 1891, présentait à la Société d’horticulture six variétés nouvelles qu’il s’était
procurées par le semis. La Commission nommée pour les examiner, car elles étaient remarquables à divers titres, n’a pu les faire connaître d’une façon
précise, et ces obtentions peuvent être perdues, ce qui est regrettable. Et nous ne faisons pas cette observation pour cet horticulteur seulement, mais pour
tous ceux qui ne paraissent pas se douter de l’intérêt particulier qui s’attache toujours aux questions d’origine.
Il arrive aussi quelquefois qu’on présente une même variété sous des noms différents, ce qui augmente bien inutilement la nomenclature. M. Henry de
Vilmorin a eu l’heureuse idée, dans son École de Pommes de terre de Verrières, de soumettre toutes les variétés qu’il possède à une culture comparative ; il
est parvenu de cette façon à établir une sorte de synonymie entre des mêmes types de noms différents, et à pouvoir éliminer des variétés similaires inutiles à
conserver. Son Catalogue méthodique précité est instructif à ce point de vue : nous ne pouvons qu’y renvoyer le lecteur. Mais nous citerons ici les noms
des variétés qu’il signale comme les plus importantes de la Liste. Ce sont, parmi les JAUNES RONDES : Bonne Wilhelmine, Shaw {ou Chave), Jaune ronde
hâtive, Ségonzac (dont la Saint-Jean n’est qu’un synonyme), Séguin, Paterson’s Victoria, Champion, Van der Veer, Jeanci (ou Jeuxey), Chardon, Flocon
de neige, Bresee’s prolific ; parmi les JAUNES LONGUES LISSES : Kidney ou Marjolin, Marjolin-Tétard, A feuille d’ortie, Marjolin tardive, Lapstone (ou
Anglaise), Dawes Machtless, Royal Ash-leaved Kidney, King of Flukes, Calico (Rubannée), Saucisse blanche ; parmi les ROUGES RONDES : Truffe d’août,
Farineuse rouge, Merveille d’Amérique ; parmi les ROUGES LONGUES LISSES : Rouge de Hollande, Kidney rouge Hat, Rognon rose ; parmi les ROUGES
APLATIES : Early rose (ou Rose hâtive). Saucisse (ou Généreuse) ; parmi les ROUGES LONGUES ENTAILLÉES : Vitelotte à chair blanche ; parmi les PANACHÉES
VIOLETTES : Blanchard ; parmi les VIOLETTES RONDES : Violette (peut-être la plus ancienne des variétés) ; et parmi les VIOLETTES LONGUES : Rognon Violet
(ou Quarantaine Violette).
Pour établir son classement, M. de Vilmorin s’est servi d’abord des anciennes divisions fondées sur la couleur et la forme des tubercules, puis il les a
sectionnées d’après les caractères fournis d’abord par les germes, ensuite par les fleurs. C’était tout ce qu’il pouvait faire, dans l’état actuel des choses, pour
éclaircir quelque peu la question de la distinction entre elles des très nombreuses variétés actuellement connues.
Dans le Développement d’une Conférence faite au Concours agricole général de Paris, le 30 janvier 1888 (2e édition, 1893), par M. H. de Vilmorin sur
les Meilleures Pommes de terre, nous trouvons certains renseignements qui trouvent leur place ici. « Le terme de trente ans, dit M. de Vilmorin, fixé dans
le rapport d’une récente enquête parlementaire anglaise, comme la durée moyenne de l’existence d’une Variété de Pomme de terre, me parait beaucoup trop
court. Je trouve, en effet, dans les races encore en faveur et communément cultivées aujourd’hui, quatre noms qui figurent depuis 1815 dans la Collection
de la Société d’Agriculture ; ce sont : la Bonne Wilhelmine et la Chave (ou Shaw) (jaunes rondes), la Kidney hâtive, qui a pris depuis lors le nom de Pomme
de terre Marjolin et qui demeure la meilleure des jaunes lisses pour la culture sous châssis, et la Rouge de Hollande, encore très appréciée, sous le nom de
Cornette rose, aux environs de Cherbourg. En outre de ces quatre variétés, auxquelles il conviendrait d’ajouter la Vitelotte, rouge entaillée, j’ai encore, dans
la même collection, d’autres Pommes de terre qui datent de 1815, mais qui ne se rencontrent plus actuellement dans la culture usuelle. L’une d’elles, la
Bleue des Forêts, rappelle par son nom le temps où la Ville de Luxembourg était le chef-lieu du Département français des Forêts. Voilà donc un bon
nombre de variétés qui ont près de quatre-vingts ans d’âge et dont plusieurs peuvent, sans exagération, être dites aussi vigoureuses qu’au premier jour. Ce
qui a dû, à mon sens, contribuer à accréditer la croyance à la durée éphémère des variétés de Pommes de terre, c’est la prompte décadence de bien des
variétés fort vantées et prônées, mais aussi rapidement délaissées qu’adoptées ».
M. de Vilmorin, dans cette même Conférence, avait signalé un fait qui par lui-même a une assez grande importance et dont il faut tenir compte, au point
de vue de la culture des variétés potagères.
« En Angleterre, disait-il, on opère d’une façon plus systématique qu’en France. La richesse en fécule, la franchise de goût, la résistance à la maladie et
le peu de développement des fanes sont les caractères que l’on recherche principalement. (Malheureusement nous ne pouvons pas toujours profiter’en
France des progrès réalisés en Angleterre, parce que la préférence de nos compatriotes, pour les Pommes de terre à chair jaune les rend souvent très
réfractaires à l’adoption des races à chair blanche, pour lesquelles les Anglais ont, au contraire, une prédilection marquée… »
« Mais s’il y a entente à peu près complète sur ce point, ajoutait-il plus loin, combien de divergences sur les caractères extérieurs recherchés dans les
diverses localités. Ici, les Pommes de terre rondes sont préférées ; ailleurs, ce sont les longues. Beaucoup de gens n’admettent que les jaunes ; d’autres
tiennent pour les rouges, d’autres encore n’admettent pour parfaites que les violettes ou les noires. Et puis l’époque de consommation a une grande impor
tance. Il faut des races hâtives, de demi-saison et tardives au point de vue de l’emploi comme au point de vue de la récolte ; des races qui soient bonnes à
manger à peine mûres et d’autres qui se conservent longtemps avec toutes leurs qualités pour être consommées à la fin de la saison. Comme dans les Poires
de table, il y a dans les Pommes de terre des variétés d’été, d’automne et d’hiver, de sorte qu’il est bon de ne pas se contenter d’échelonner les plantations,
mais, en outre, de cultiver plusieurs variétés différentes, si l’on veut avoir toute l’année des Pommes de terre bien à point. »
Quant aux meilleures Pommes de terre signalées par M. de Vilmorin dans sa Conférence, ce sont, pour les potagères : la Bonne Wilhelmine, la Jaune
ronde hâtive, la Modèle, le Séguin {ou De Lesquin), la Quarantaine plate hâtive, la Marjolin (ou Quarantaine, ou Kidney hâtive), l’Anglaise (ou Royal
Ash-leaved Kidney), la Victor, le Caillou blanc (ou Lapstone ou Boulangère), la Marjolin-Tétard, le Flocon de neige (ou Snowflake), la Feuille d’ortie, la
Belle de Fontenay, la Quarantaine de Noisy (ou Marjolin tardive), le Magnum Bonum, la Corne blanche, la Kidney rouge hâtive, la Rouge de Hollande,
l’Early rose (ou Rose hâtive), la Prolifique de Bresee, la Saucisse, la Pousse debout, la Vitelotte, la Blanchard, la Violette ronde, la Quarantaine violette, la
Négresse. Pour les Pommes de terre fourragères, la Shaw (ou Chave), et ses quasi synonymes, la Saint-Jean, la Segonzac, la Deuxième hâtive des environs
de Paris, la Chardon, la Jeuxey (ou Jeancé, ou Vosgienne), la Canada, l’Institut de Beauvais, la Merveille d’Amérique, la Meilleure de Bellevue. Pour les
Pommes de terre industrielles : l’Imperator (ou Richter’s Imperator), la Géante sans pareille, la Farineuse rouge (ou Red skin flour ball), l’Aspasie, la
Géante bleue (ou Blaue Riesen).
On nous permettra de faire remarquer que le premier classement des variétés avait été fait d’après la forme des tubercules et leur couleur. On avait ainsi
établi d’abord une sorte de gradation du blanc ou jaunâtre au rose, puis au rouge et au violet plus ou moins foncé ou presque noir, c’est-à-dire d’après une
abondance plus ou moins grande de la matière colorante rouge ou violacée qui se trouve dans le tubercule. Cette matière existe, on peut le dire, toujours
dans la plante, car lorsqu’elle ne se manifeste pas sur l’épiderme du tubercule, elle manque bien rarement d’apparaître soit dans les germes, soit dans les
fleurs, ce qui a permis à M. de Vilmorin d’établir, dans les premières grandes divisions, des sections basées sur ces deux derniers caractères. Comme il
existe cependant, dans les Pommes de terre jaunes, plusieurs variétés à germes blancs et à fleurs blanches, on pourrait les considérer comme les premières
de la série graduée des tissus imprégnés de matière colorante, laquelle se continuerait successivement jusqu’à la coloration intense de la section à
tubercules violets, offrant germes violets et fleurs violettes. On a cru, il y a quelque temps, que l’on pourrait préjuger de la couleur des fleurs d’après celle
des germes ; mais les sections de M. Vilmorin nous montrent que si, en effet, les germes blanchâtres (à l’obscurité), ou verdâtres à la lumière,
correspondent assez souvent avec la présence de fleurs blanches, il arrive également qu’on peut obtenir des fleurs blanches avec des germes roses, rouges
ou violets.
Actuellement, de nouvelles variétés commencent à se répandre, dont on ne fait pas toujours connaître les relations qu’elles peuvent avoir avec les
variétés préexistantes. En France, il semblerait qu’on se désintéresse de la création de variétés nouvelles. Cependant, M. Paul Genay, à Bellevue-
Chantehoux, en a fait connaître deux mi-tardives, assez estimées, la Canada blanche et la Meilleure de Bellevue. M. Lamare, à Bayeux, de son côté, en a
obtenu, par voie de sélection, après fécondation de fleurs par divers pollens, qui ne sont pas sans mérite. Le Bulletin de l’Association syndicale des
Agriculteurs de l’Arrondissement de Bayeux (Mars 1896) a fait connaître les huit suivantes : 1° Variétés agricoles à grand rendement : Syndicat agricole
(Junon par divers) ; Vaulaville (ibid.) ; Duc Guillaume (Imperator par divers) ; Belle de Bayeux (ibid.) ; Couespel (ibid.) ; De Caumont (Institut de
Beauvais par divers) ; 2° Variétés de table : Louise (Imperator par Royale) et Des Gourmets (Saint-Patrice par divers). Le même obtenteur possédait déjà la
Variété agricole Lamare et Madame Lamare, variété de table. M. Hyacinthe Rigaud, de son côté, a exposé tout récemment une belle variété rouge, Maxime
Cornu, d’échantillons reçus de M. le Professeur du Muséum.
En Angleterre, la maison Sutton, à Reading, a fait connaître, comme nouvelles variétés de table : Sutton’s Al, belle Pomme de terre précoce (1895) ;
Harbinger, très hâtive (1894) ; Ringleader ; Early Régent ; Triumph Windsor Castle ; Satisfaction ; Flourball et Magnum Bonum ; toutes obtentions assez
récentes, dues aux soins de MM. Clarke, attaché à la maison Sutton, et à M. Robert Fenn. Puis M. Findlay obtient, comme variétés de table : Up to date et
Lady Frances.
En Allemagne, on s’attache surtout à obtenir des variétés agricoles à grands rendements. M. Richter, l’obtenteur d’Imperator, a réussi à obtenir
également d’autres variétés estimées : Bismarck, Borussia, Allemannia, Kiepert-Marienfelde, Koppe-Wollup (Imperator X Perle), Kaiserin Augusta, Amor
(provenant de Reichskanzler), Glôbus, Juvel, Ovale Fruhblaue, Dr von Lucius, Dr von Eckenbrecher, Profr Œhmichen, Profr Mœrcker[17], etc. M. Paulsen
rivalise avec M. Richter pour ses excellentes obtentions, savoir : Juli, Kleopatra (Zwiebel X Eier), Ninon (provce de Daber), Rothauge (provce de Grosser
Kurfurst), Hebe, Helios {Imperator X Simson), Phœbus, Gloria {Athene X Simson), Jung, Baldur, Cupido, Viola, Pretiosa, Germannia, Hannibal, Adonis,
Amylum (Atkene X Simson), Sirius (provce d’Imperator), Ceesar (provce d’Athene), Karl der Grosse (provce de Juno), Montblanc (provce d’Imperator),
Blaue Riesen, Simson, Fürst von Lippe, Athene, Aspasia, Frigga, etc. M. Gimbal, marchant sur les traces de ses devanciers, a obtenu de son côté : D. von
Seydewitz, Président von Juncker, Neue Zwiebel, Wilkelm Korn, Comte Pünckler-Burghauss, et Max Eith.
D’un autre côté, on cultive, en Bohème, les variétés nouvelles suivantes obtenues par M. Dolkowski : Zagloba, Korczak, Prawdzic et Tarczala.
Enfin, MM. Haage et Schmidt, à Erfurt, ont dans ces dernières années mis au commerce, une collection de vingt variétés du Chili, très différentes les
unes des autres, dont ils ont obtenu des tubercules très présentables : Il nous a paru tout d’abord qu’il y aurait quelque intérêt à cultiver ces diverses
variétés, originaires des territoires où le Solanum tuberosum croît spontanément. Cette culture n’a pas produit tout ce que nous en attendions d’intéressant.
M. Lamare, à Bayeux, un de nos habiles semeurs, n*en a pas retiré non plus tout le profit qu’il en espérait, à ce qu’il a bien voulu nous déclarer. Cependant,
il ne faut pas trop dédaigner ces variétés chiliennes : il en est quelques-unes, assez productives pour faire croire qu’on pourra en tirer parti. Ce petit nombre
fleurit et fructifie et rendrait des services pour les fécondations croisées. Toute cette collection comprend les variétés dont les noms suivent : Americana,
Araucaria blanca, Araucaria musca, Bolera, Caballera, Cabritas ou Michunnes, Cauchau, Cauqui, Doyes, Francesa colorada, Francesa negra, Huaichal,
Inegu, Mangu blanca, Mangu negra, Murta, Pastanesa, Pillipicum, du Lac Llanguihue et Yacuyes.
Nous avons cultivé également des tubercules des variétés suivantes, provenant de la collection Vilmorin : Violette de Tarna, Violette de Matacuna,
Murta von Chili, du Paraguay. Ces variétés sont très peu productives et ne nous ont pas paru se signaler par des caractères particuliers.
Quatre autres variétés étrangères ont été citées par M. Arthur Sutton, dans sa Conférence précitée, comme curieuses à divers titres : ce sont Papa
amarilla du Pérou, Sud Africa, Rocky Mountains et Fir Apple. Nous sommes de l’avis de M. Sutton : ces variétés se recommandent à l’attention par des
qualités différentes et très singulières.
On voit, par tout ce que nous venons de dire ci-dessus, que notre Pomme de terre (Solanum tuberosum) est un type spécifique de grande puissance, qu’on
pourrait croire capable de varier à l’infini.
Nous regardons comme ennemis de la Pomme de terre les espèces du règne animal, dont il y a lieu de craindre les déprédations, lorsqu’ils s’attaquent
soit aux tubercules, soit à la tige et au feuillage pour en faire principalement l’objet de leur nourriture. Ses maladies, par contre, dépendent : 1° soit d’un
mauvais état de l’organisme sans cause extérieure connue, et par suite résidant dans la plante même, et provenant de certains arrêts de développement ou
d’affaiblissement général qui peut résulter de la mauvaise nature du terrain ou bien des agents atmosphériques ; et 2° de l’action nocive de parasites
végétaux appartenant tous aux Mycètes microscopiques ou Champignons minuscules, peu ou pas visibles à l’œil nu, dont on ne constate souvent que les
déplorables effets de la pénétration vitale dans les tissus de la plante, plus ou moins frappés de dessiccation ou de mortification. C’est dans cette dernière
catégorie que se trouve naturellement placé ce que l’on appelle communément La Maladie de la Pomme de terre, très redoutable à l’origine, moins grave
aujourd’hui, mais qui n’en constitue pas moins un véritable fléau dont les attaques sont heureusement moins difficiles à conjurer qu’autrefois.
Parmi les animaux, et en particulier les mammifères, contre la présence desquels il convient de se prémunir par des pièges ou d’autres procédés bien
connus, se trouvent les rongeurs dont Olivier de Serres avait déjà à se plaindre, au XVIe siècle, lorsqu’il disait dans son Théâtre d’Agriculture : « L’on
conserve le cartoufle tout l’hyver parmi du sablon délié en cave tempérée ; moyennant que ce soit hors du pouvoir des rats, car ils sont si friands de telle
viande[1], qu’y pouvans altaindre, la mangent toute dans peu de temps ». On se plaint beaucoup moins, à notre époque, des ravages que peuvent faire les
rats dans les celliers ou greniers où l’on conserve les Pommes de terre.
Mais, la présence de certains Insectes dans les cultures est certes plus à redouter. Les plus nuisibles sont ceux qui s’attaquent aux tubercules. Citons
d’abord la Courtilière, qui appartient à la famille des Orthoptères et à laquelle Linné a donné le nom de Gryllus Gryllotalpa. Cet Insecte, long de près de
cinq centimètres, est armé à chacune de ses deux pattes antérieures d’un court prolongement en dents de scie qui lui permet de fouiller le sol, d y creuser
des galeries et de couper ou même perforer les racines ou tubercules qu’il trouve sur son passage. L’huile que l’on verse dans ses galeries a pour effet de les
lui faire abandonner et sortir au dehors, probablement par crainte d’asphyxie. Ce moyen facilite sa destruction, sans parler de quelques autres moins
efficaces. Ce n’est pas que la Courtilière cherche un aliment dans les tubercules de Pommes de terre, car elle vit de larves et d’insectes. Mais, comme elle
ne se détourne pas d’un obstacle qui lui barre le passage sous terre, si elle peut le détruire, elle perfore le tubercule pour se frayer le chemin et ne pas
interrompre la continuation de sa galerie.
Un autre insecte dont les ravages sont plus à craindre est un Coléoptère bien connu sous le nom de Hanneton (Melolontha vulgaris Fab.) dont la larve,
appelée d’ordinaire ver blanc, ou parfois man ou turc, vit souterrainement pendant trois ans avant d’arriver à son état parfait, et, dans cette période, se
nourrit des racines ou tubercules hypogés qu’elle trouve à sa portée. Comme cette larve ne s’attaque pas qu’aux tubercules de la Pomme de terre, mais à
beaucoup d’autres plantes horticoles ou agricoles, il est naturel qu’on lui fasse une guerre acharnée par tous les moyens possibles. Faisons remarquer
seulement ici qu’il faudrait se garder d’employer certains de ces moyens d’attaque, comme le sulfure de carbone, pour la préservation des tubercules des
Pommes de terre, car il se pourrait que ces tubercules mêmes en fussent affectés. Mais il faut réellement compter avec les déprédations de cette larve, qui,
lorsqu’elle se trouve en grand nombre dans un champ, en compromet sensiblement la récolte.
Un Coléoptère américain, très redouté aux États-Unis il y a une vingtaine d’années, à cause des grands ravages qu’il avait commis dans les cultures de
Pommes de terre, a fait naître en Europe, en 1875, de vives appréhensions qui étaient d’autant plus fondées à cette époque
que la présence de cet Insecte avait commencé à être signalée en Allemagne. Il s’agit du Doryphora decemlineata de Th.
Say, du Colorado. M. Gh. Riley a publié à New-York et à Londres, en 1876, un Mémoire très détaillé sur ce Doryphora,
dont on parait être arrivé à se débarrasser aux États-Unis et qui n’a pas heureusement eu le temps de prendre possession de
nos champs, en Europe, mais qui ne doit pas moins figurer dans cette Histoire. Nous en dirons donc quelques mots, d’après
une Notice de M. Ch. Joly, parue dans la Science pour tous, en 1877.
Disons d’abord que les craintes de l’arrivée de cet Insecte avaient été telles que le Ministre du Commerce avait cru devoir
saisir de cette question la Société d’Agriculture de France, et que M. Blanchard, dans son rapport, avait conclu, au nom de la
Société, à l’interdiction de la réception en France des Pommes de terre venant de l’Amérique du Nord. Ce Doryphora,
d’après les observations de M. Th. Say, naturaliste attaché à une expédition dans les Montagnes Rocheuses, vivait alors sur
un Solarium sauvage du Colorado. De 1859 à 1874, il envahit les cultures de Pommes de terre des États-Unis et s’y Fig. 84 et 85. — Doryphora
decemlineata, Larve et insecte parfait
multiplia avec une rapidité extraordinaire, au point de faire considérablement surélever le prix du précieux tubercule. On
d’après Taschenberg. (Grosst 3/1).
s’expliquera cette redoutable multiplication, d’après les mœurs et le mode de propagation de l’Insecte. En effet, le
Doryphora decemlineata passe l’hiver à l’état parfait dans le sol, pour en sortir après la fonte des neiges. Les femelles pondent sur les jeunes plantes et
déposent sous les feuilles des tas de 10 à 40 œufs. Au bout de trois à quatre semaines, l’Insecte a pris toute sa croissance : il n’attaque que les fanes, jamais
les tubercules. Chaque année, on compte trois générations successives, et la production de chaque femelle varie de 500 à 1000 œufs. Ce Doryphora attaque
également les Tomates, parfois même les Choux et diverses autres plantes potagères. Concluons qu’il est vraiment heureux qu’on soit parvenu à se mettre à
l’abri des attaques de cet Insecte qui n’a pu envahir nos cultures et s’y installer, ainsi qu’il y avait, en 1874, tout lieu de le craindre, et conservons l’espoir
qu’il ne pourra plus tard non plus attirer sur lui l’attention.
Enfin, un autre Insecte devait également être signalé comme un nouvel ennemi de la Pomme de la terre. A. Rivière, qui l’avait observé en Algérie, le fit
connaître, en Octobre 1874, à la Société d’Horticulture de France. Le Dr Boisduval reconnut dans cet Insecte une espèce nouvelle de Lépidoptères, une
petite Tinéide du genre Bryotropha de Hunemann et lui donna le nom de B. Solanella. Dans le Journal de cette même Société, d’Août 1876, Rivière donne
de nouveaux et très grands détails sur les mœurs biologiques de cette Tinéide, qui a depuis, comme le Doryphora, cessé de fixer l’attention. Disons
seulement que ce qui était à redouter, de la part de ce petit Papillon ou Microlépidoptère, c’était sa larve qui, bien que dépassant à peine un centimètre de
longueur, perforait les Tubercules de Pommes de terre d’outre en outre, s’y creusait de nombreuses galeries en tous sens, les mettait ainsi dans un état
déplorable et les rendait hors d’usage. Cette larve s’enfermait ensuite dans de petits cocons, qu’elle tissait soit à l’extérieur, soit à l’intérieur des tubercules,
s’y transformait en Chrysalide, et en sortait à l’état de Papillon au terme de ses métamorphoses.
Aug. Rivière, dans son Mémoire, faisait espérer qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter beaucoup en France de l’introduction de ce Microlépidoptère, mais
ajoutait qu’on devrait prendre en Algérie des mesures de précaution. Ce qu’il énonçait à ce sujet nous semble avoir de l’intérêt, et nous insérons ici
quelques passages instructifs sur la Culture de la Pomme de terre en Algérie.
« Dans certaines parties de l’Algérie, disait-il, la végétation de la Pomme de terre a lieu du mois d’Octobre au mois de Mai : c’est donc pendant toute
cette période de temps que la plantation, la végétation et la récolte des Pommes de terre s’accomplissent… Sur le littoral algérien et particulièrement aux
environs d’Alger, la pomme de terre est cultivée sur une assez vaste échelle pour être livrée comme primeur à la consommation ; il y avait donc une grave
question à étudier, celle de savoir si les tubercules nouveaux étaient attaqués par les chenilles (ou larves) au moment de la récolte ; car, dans ce cas, il y
aurait eu un grand danger, pour les autres pays, à laisser sortir les Pommes de terre du territoire algérien. Mais les observations qui ont été faites jusqu’à ce
jour démontrent d’une manière certaine que les Pommes de terre cultivées comme primeurs en Algérie peuvent être exportées sans aucun danger, puisque
la chenille du Bryotropha Solanella n’attaque pas les nouveaux tubercules et qu’il n’y a que ceux qui ont été amoncelés en tas comme conserve alimentaire
ou pour la reproduction, qui le soient, vers l’automne.
» On doit, du reste, ne pas oublier une chose. Le tempérament de la Pomme de terre par rapport aux conditions climatériques de diverses parties de notre
Colonie où cette plante est cultivée, s’oppose à ce qu’elle produise des tubercules propres à la reproduction franche de la variété sur le territoire algérien ; il
est donc d’un usage général, pour obtenir de bons produits, de faire venir chaque année d’Europe, et particulièrement du nord de la France, des tubercules
reproducteurs. Jamais on n’exporte d’Algérie de vieux tubercules pour la reproduction ; agir ainsi, ce serait un double danger : celui d’introduire l’Insecte
où il n’existe pas, et, d’un autre côté, de livrer au sol des produits déjà dégénérés sous les influences climatériques, car c’est un fait certain que les Pommes
de terre cultivées dans des conditions défavorables marchent rapidement à la dégénérescence de la variété ; c’est ce qui arrive dans le plus grand nombre
des cas en Algérie, surtout dans les parties chaudes où il est encore possible de cultiver cette Solanée ».
En 1873, M. Prillieux signalait à la Société d’Horticulture de France une observation qu’il avait faite sur des Pommes de terre à germes filiformes dans
une assez grande étendue des cultures de Mondoubleau (Loir-et-Cher). Elles s’étaient montrées en quantité au printemps de 1872, parmi les tubercules
provenant de la récolte de 1871. Mais ces tubercules au moment de la récolte paraissaient mous et avaient l’apparence de ceux qui avaient été arrachés
avant la maturité. En suivant avec soin l’arrachage dans les champs, M. Prillieux remarqua que les pieds qui portaient des tubercules mous présentaient une
altération considérable de la partie inférieure de la tige. Ces tiges avaient été rongées en terre. L’écorce avait été d’abord attaquée en certains points et
détruite jusqu’au bois, puis la décomposition s’était propagée et avait gagné toute la tige. L’animal qui avait causé ces lésions lui avait paru être un iule de
couleur blanchâtre et marqué sur les côtés d’une ligne de taches pourpres : il avait été déjà observé par M. Guérin-Méneville
et rapporté par lui au Iulus guttulalus de Fabricius. M. Prillieux avait trouvé fréquemment ces animaux, tant dans les tiges
rongées que dans les tubercules à germes filiformes qui étaient demeurés en terre depuis le printemps sans pousser. Il
croyait donc pouvoir admettre que les lésions produites sur la portion souterraine des tiges avait eu pour conséquence l’arrêt
de développement des tubercules qui restaient mous au moment de la récolte, et ne donnaient au réveil de la végétation que
des germes grêles et trop faibles pour produire de nouveaux pieds.
La Pomme de terre compte encore d’autres ennemis dans le Règne animal, qui çà et là appellent l’attention des
observateurs. Ainsi, en 1888, M. J. Kühn a signalé à Halle, en Allemagne, des effets assez singuliers résultant du
développement excessif d’une Anguillule. La présence de cette Anguillule dans les tubercules de Pommes de terre aurait
produit une sorte de pourriture vermiculaire. Cette espèce d’Anguillule paraîtrait être identique avec le Tylenchus
devastatrix, qui cause de notables ravages sur le Seigle, l’Avoine et le Sarrasin. Elle vivrait aux dépens de la fécule des
tubercules dans lesquels elle se multiplierait, et produirait dans la pulpe des tâches noirâtres, assez semblables à celles qui
sont le résultat de l’action parasitaire du Champignon de la Maladie de la Pomme de terre. M. Kühn recommande de
détruire avec soin les tubercules ainsi attaqués par ces Anguillules, qui sont également à redouter pour les autres cultures[2].
On pourrait encore citer, comme animaux destructeurs à craindre pour les cultures de Pommes de terre, les Mollusques
gastéropodes, c’est-à-dire les Limaces et les Colimaçons. Nous avons vu parfois, au printemps, les feuilles des jeunes tiges
rongées, la nuit, par ces animaux à tel point qu’il n’en restait plus que les nervures principales. Ce peut être une cause
d’affaiblissement pour la plante et qui en arrête le développement. Mais, en général, lorsque la plante est adulte, les portions Fig. 86 et 87. — Tylenchus devastatrix
Kühn, mâle et femelle, d’après MM.
des feuilles qu’ils en dévorent sont assez faibles pour que nous dédaignions d’en parler[3], pas plus, du reste, que des rares
Debray et Maupas. (Grosst 100/1)
attaques des Aphidiens ou Pucerons, qui n’ont heureusement pas choisi la Pomme de terre comme une plante favorable à
leur parasitisme.
Occupons-nous maintenant des Maladies des Pommes de terre, sujet autrement intéressant. On est resté longtemps sans connaître les causes réelles de
plusieurs de ces maladies, que l’on regardait Comme dérivant de la plante même, d’une altération de ses tissus, de ses sucs propres, ou d’une
dégénérescence subite. Nous sommes mieux renseignés aujourd’hui sur ce sujet, même sur la Maladie de la Frisolée, dont il va être immédiatement
question.
Nous traiterons ensuite successivement des Maladies causées par divers autres parasites végétaux, soit qu’ils s’attaquent seulement aux tubercules, soit
que l’action parasitaire entraine à la fois la destruction des feuilles, des tiges et des tubercules.
Cette maladie, dont il a été plus souvent question autrefois qu’il ne l’est aujourd’hui, est ce qu’on a appelé la Frisolée, ou parfois même la Frisée, ou
d’autres fois la Rouille, ou bien encore la Cloque ou Crolle, dans les Flandres.
Bonjean, dans sa Monographie de la Pomme de terre (1846), nous donne quelques détails sur la Frisolée. « Cette maladie, dit-il, assez fréquente dans la
Grande-Bretagne, où on la connaît sous le nom de curly a fait parfois invasion dans quelques départements de la France, notamment dans les environs de
Metz ; on la rencontre plus souvent encore en Allemagne, mais très rarement en Savoie. Le Dr Putsche assure que les plantes qui en sont attaquées
paraissent souffrantes à l’extérieur. Les tiges sont lisses, d’une couleur brune tirant sur le vert, quelquefois bigarrées, souillées de taches couleur de rouille,
qui pénètrent jusqu’à la moelle ; en sorte que celle-ci n’est point blanche, mais roussâtre et visant au noir. Le limbe des feuilles n’est point plan comme
chez les individus en santé, mais rude, sec, ridé et crépu ; elles ne s’étalent pas au loin à l’entour des tiges, mais s’en rapprochent plus que de coutume, et
leur développement n’est pas en rapport avec la longueur de leur pétiole. Il en résulte que la plante pâtit, se ride, jaunit prématurément à l’automne, et
meurt au moment même où la végétation devrait être vigoureuse. Le petit nombre de tubercules que produisent ces plantes, mortes avant le temps, ont une
saveur désagréable, parce qu’ils ne sont point mûrs, et sont impropres à l’alimentation de l’homme, parce que, après avoir été mangés, ils laissent dans la
gorge une substance acre qui en lèse les parois, propriétés communes à beaucoup de végétaux récoltés avant maturité. Plusieurs faits prouvent que certaines
espèces de Pommes de terre sont plus exposées que d’autres à la Frisolée ; cette maladie fait moins de ravages dans les montagnes que dans les plaines et
dans les bas-fonds. Elle est héréditaire, et ce n’est que par une bonne culture que l’influence en est paralysée à la quatrième ou cinquième génération. Le
seul remède connu, c’est de renouveler l’espèce par des semis ou des importations de variétés nouvelles ».
Il semble, par suite, que la Frisolée serait une sorte de maladie organique, résultant peut-être de cultures dans des sols trop humides, et qu’elle se serait
déclarée dans ces conditions biologiques désavantageuses, certaines années trop pluvieuses peut-être. Elle ne serait héréditaire qu’en raison de l’atrophie
des tubercules, incapables de produire des plantes vigoureuses, surtout dans des sols ingrats.
Comme Bonjean le disait, cette maladie a occupé l’attention en Angleterre. Voici ce que nous trouvons sur ce sujet, dans l’Encyclopédie du Jardinage[4]
de Loudon (1828) : « La maladie appelée Curl (ou Frisolée) s’est montrée sur plusieurs points, en Angleterre, extrêmement fâcheuse et grave. Elle a donné
matière à beaucoup de discussions : ce serait une tâche ingrate que de faire connaître toutes les opinions différentes qui ont été émises à ce sujet ». Il en est
certainement toujours ainsi, lorsqu’on ignore la cause première d’un mal dont on ne constate que les effets. Quoi qu’il en soit, du reste, d’après les
renseignements qu’a bien voulu nous donner récemment M. Arthur Sutton, le Curl ne semble pas préoccuper actuellement les cultivateurs anglais : cette
maladie ne se développerait que dans certaines cultures, où l’on a fait usage des tubercules-semence de provenance américaine.
Nous avons été amené à découvrir assez singulièrement la cause de cette maladie de la Frisolée. Des tubercules qui présentaient dans leur parenchyme,
des taches roussâtres, parfois brunâtres, tout en conservant leur fermeté ordinaire, nous laissaient dans le doute sur l’origine du mal, car les cellules tachées
n’offraient à l’examen microscopique ni filaments de mycélium de Champignon, ni Microcoques, Bactéries ou Bacilles quelconques. Que signifiaient donc
ces taches et quel parasite les produisait ?
En 1853, dans un petit volume intitulé : Les maladies des Pommes de terre, des Betteraves, des Blés et des Vignes, Payen disait qu’il avait remarqué, à la
suite d’une très grave maladie des Betteraves, qui avait, aux environs de Valenciennes, fait perdre 20 millions de kilogrammes de sucre, que les racines
malades étaient envahies par une substance organique, rousse orangée, d’une consistance mugueuse, qui produisait les effets du parasitisme. Cette
observation n’attira pas autrement l’attention, parce que Payen lui-même ne paraissait pas se douter qu’il s’agissait réellement d’un organisme, d’un
parasite véritable, dont l’action vitale pouvait être à redouter.
Du reste, en 1846. Payen avait déjà dit, à la Société royale d’agriculture, en parlant de la maladie spéciale des Pommes de terre de 1845, que les effets
bien étudiés de la maladie avaient consisté dans l’invasion d’une substance rousse, ayant une composition semblable à celle des Cryptogames
microscopiques, laquelle ne pouvait être autre que cette même substance muqueuse parasitaire. Decaisne, de son côté, avait également signalé, à propos de
cette même maladie, une substance brune granuleuse, qui agglutinait fortement les cellules des tubercules et les pénétrait de manière à envelopper chacun
des grains de fécule, sans néanmoins faire subir à cette dernière la plus légère altération.
En 1892, MM. Viala et Sauvageau avaient trouvé dans les tissus foliaires desséchés de Vignes malades, un Champignon muqueux ou Myxomycète,
constitué par un simple mucus qui avaient envahi ces tissus. Ils le considéraient comme une espèce nouvelle du genre Plasmodiophora, créé par M.
Woronine pour un parasite du Chou. Leur Plasmodiophora Vitis avait, d’après eux, la faculté de traverser les membranes des cellules et d’en absorber le
contenu.
En 1894 et 1895, M. Debray étudia avec soin ce parasite sur des végétaux vivants : il en constata la présence dans la Vigne, puis dans 70 espèces de
plantes très diverses, et même dans des feuilles de Pommes de terre ; il le reconnut comme apte à vivre à l’état de mucus (ce qu’on appelle Plasmode en
Mycologie), ou bien à former des kystes, pour sa conservation, c’est-à-dire à condenser et à concréter son mucus végétatif sous des aspects divers. Il créa
un genre nouveau pour ce Myxomycète qui prit alors le nom de Pseudocommis Vitis. Quant à la maladie que caractérisent les effets parasitaires de ce
Champignon muqueux, elle s’appela la Maladie de la Brunissure.
Instruit par ces travaux préliminaires sur un parasite si singulier, d’une simplicité d’organisation telle que de très bons observateurs se refusaient à voir
en lui un véritable organisme, nous fumes tout de suite frappé des relations étroites qui existaient entre le contenu muqueux des taches roussâtres, éparses
dans la chair de nos Pommes de terre malades et ce Pseudocommis Vitis. Nous avons cultivé, sous cloche humide, des tubercules affectés de cette maladie,
et le développement des germes ne tarda pas à nous donner la certitude de la réalité de l’existence et de la vitalité de ce parasite nouvellement connu. En
effet, son mucus plasmodique, se frayant un passage à travers la chair du tubercule, pénétrait dans les germes et, les accompagnant dans leur mouvement
ascensionnel, manifestait bientôt sa présence sur l’épiderme des tiges et sur les jeunes feuilles, sous la forme de taches brunâtres ou roussâtres, dans
lesquelles l’examen microscopique nous permettait de retrouver un mucus identiquement semblable à celui des tubercules. Une autre expérience nous
apprenait de quelle façon ce Pseudocommis pouvait se multiplier et se répandre dans l’atmosphère, pour être transporté, avec les infimes poussières du sol,
au gré de tous les vents. Nous avions placé deux de ces tubercules malades dans une terre humide, en laissant les germes se développer dans un air sec. Au
lieu de se glisser alors dans les tiges et les feuilles de ces germes, le mucus plasmodique sortait des tubercules et venait s’épanouir à la surface de la terre
humide, englobant de très minuscules cristaux de silice ou se concrétant en kystes grumeleux microscopiques. Nous avons eu, depuis, l’occasion de
vérifier, sur diverses plantes, la présence de ces particules de mucus plasmodique et de ces kystes, et de nous assurer que c’était bien ainsi, au moyen de
cette dissémination effectuée par les courants d’air, que la maladie se propageait, un nouveau mucus produit par ces plasmodes ou ces kystes pénétrant par
une sorte d’imbibition dans les tissus végétaux sur lesquels ils avaient été transportés. Cette maladie est, du reste, très répandue, si répandue même que
lorsque les conditions d’humidité et de chaleur nécessaires favorisent l’extension et le développement du Pseudocommis, presque toutes les plantes en sont
plus ou moins attaquées. Certaines cependant paraissent résister à ses attaques ; mais un assez grand nombre hospitalisent ce parasite et ce n’est pas sans en
souffrir très nettement, car il mortifie tous les tissus qu’il envahit.
Voici maintenant comment nous avons été conduit à établir que le Pseudocommis était bien la cause efficiente de la maladie de la Frisolée. Des Pommes
de terre présentant dans leur chair les taches roussâtres ou brunâtres produites par le parasite, germèrent au printemps dans une chambre où nous les avions
conservées pendant l’hiver. Sur quelques-unes, tous les germes ne tardèrent pas à subir un temps d’arrêt dans leur développement : leur extrémité se colora
en brun noirâtre et bientôt durcit ; plusieurs germes, sur d’autres, présentèrent le même phénomène, mais ils étaient accompagnés, soit de germes plus ou
moins tachés de macules brunâtres, soit de germes sains. Or nous reconnûmes que les parties extrêmes noircies ou les taches brunes renfermaient nettement
les plasmodes du Pseudocommis[5]. Nous plantâmes, peu de temps après, un certain nombre de ces tubercules avec leurs germes malades : les résultats de
cette culture furent les suivants.
Fig. 88. — Pommes de terre ayant développé des germes dont
l’extrémité noircie et mortifiée a été envahie par le
Pseudocommis. (1/2 grand. nat.) D’après une photographie de M.
Le Saché.
Les Pommes de terre, dont le sommet de tous les germes était noirci ou mortifié par le parasite, ne produisirent aucune tige aérienne ; mais des stolons se
développèrent vers le milieu des germes et donnèrent naissance à trois ou quatre petits tubercules. D’autres Pommes de terre, très attaquées, mais
présentant à la fois des germes à sommet mortifié et deux ou trois germes sains, émirent des tiges rabougries, à feuilles crispées, plus ou moins maculées de
taches noirâtres ; le résultat fut maigre : deux ou trois petits tubercules. Plusieurs autres Pommes de terre, attaquées à des degrés différents, qui avaient émis
plus de germes sains que de malades, produisirent des tiges presque normales, avec des feuilles jaunâtres ou roussâtres, certaines avec des taches noirâtres.
Le rendement se rapprocha de l’ordinaire, mais dans une proportion qui nous parut concorder avec l’état préalablement maladif des tubercules plantés.
Tous ces résultats sont conformes avec ceux que l’on signalait comme caractérisant la maladie de la Rouille ou de la Frisolée. Il convient donc d’en
attribuer la cause au Pseudocommis. De plus, nous avons cultivé plusieurs autres Pommes de terre de variétés tardives, également attaquées par ce parasite,
mais dont les tubercules étaient plus malades que la plupart des germes qui paraissaient être sains. L’année avait été très humide, et c’est une particularité
dont il faut tenir compte. Il n’en est pas moins vrai qu’en Octobre la récolte se composait de moitié seulement de tubercules sains, l’autre moitié étant plus
ou moins attaquée par le Pseudocommis.
Tout ceci nous apprend qu’il y a un grand intérêt à ne pas planter de Pommes de terre quelque peu affectées de cette maladie. Mais comme l’on
préconise déjà la plantation des tubercules germes, il sera facile de se mettre à l’abri de la Frisolée, ou du moins des mauvaises récoltes qu’elle produit, en
rejetant delà plantation ceux dont les germes présenteront des taches brunâtres ou seront noircis à leur extrémité.
Nous croyons cependant ne pouvoir omettre de dire que le Pseudocommis, en dehors de la faculté dont nous avons parlé plus haut de produire une
contamination aérienne, en possède une autre également à craindre dans les cultures ; nous voulons parler de la contamination dans le sol, ce qui explique
qu’il peut arriver que des tubercules plantés très sains donnent parfois des tubercules de nouvelle formation attaqués par ce parasite. Mais, dans ce cas, les
mauvais résultats de la récolte ne sont nullement comparables avec ceux obtenus d’une plantation de tubercules malades[6].
Nous passerons successivement en revue les maladies suivantes qui n’affectent ni les tiges, ni les feuilles, mais seulement les tubercules. Ce sont : 1° La
Gale de la Pomme de terre ; 2° La Gangrène sèche des tubercules ; 3° La Gangrène humide des tubercules ; 4° Les Tubercules piqués ; 5° Le
ramollissement des tubercules ; 6° Le Rhizoctone de la Pomme de terre.
Disons d’abord quelques mots sur les parasites qui sont les causes efficientes des trois premières de ces maladies.
Il existe des végétaux microscopiques, les plus petits que l’on connaisse, qui exigent, pour être vus et étudiés, l’emploi des plus puissantes lentilles. Ces
microbes, que l’on est à peu près convenu de classer parmi les Bactériacées, se font redouter par leur action nocive, en raison même de leur rapide
multiplication et de la faculté qu’ils ont de se maintenir longtemps dans une sorte de vie latente, soit dans l’air où ils restent en suspension avec toutes les
poussières atmosphériques, soit dans le sol où ils séjournent jusqu’à ce qu’ils y rencontrent de nouveau les tissus organisés des plantes hospitalières qui
facilitent leur nutrition et leur reproduction. Leur rôle est le même, en définitive, que celui de ces espèce congénères, qui constituent les Microbes
pathogènes, également redoutables pour l’homme et les animaux.
Le mode général de multiplication de tous ces Microbes est la simple division d’eux-mêmes, un seul de ces organismes cellulaires, c’est-à-dire la cellule
même qui représente l’individu, se dédoublant spontanément pour en former deux autres, qui en produisent bientôt quatre nouvelles, et ainsi
successivement, suivant la progression 2, 4, 8, 16, 32, 64, etc., qui dépasse un million à la 21e partition collective. C’est ce que l’on appelle la scissiparité
continue. Certains de ces organismes microscopiques possèdent un autre mode de multiplication qui en assure plus longtemps la durée : leur cellule,
cessant d’être végétative, engendre dans son intérieur des germes ponctiformes ou spores, dont la faculté germinative se conserve alors que la cellule
procréatrice a déjà disparu.
Mais ne parlons ici que des Bactériacées dont nous aurons à nous occuper. Elles se présenteront sous deux formes distinctes. Les unes seront constituées
par des cellules à contour sphérique ou elliptique, dont le diamètre ne dépassera guère un millième de millimètre, ou même parfois n’en aura que la moitié,
et qui seront toujours immobiles et enveloppées d’un mucus protecteur. Ce seront les Microcoques, c’est-à-dire des espèces du genre Micrococcus. Les
autres Bactériacées, qui se rattachent aux genres Bacterium et Bacillus, auront des cellules plus longues que larges, cylindriques, en forme de bâtonnets :
ces cellules se diviseront dans le sens de la largeur, de façon que leurs articles bout à bout simuleront des chaînettes ; elles ne seront que rarement
enveloppées dans un mucus commun, mais seront douées souvent d’une mobilité singulière dans les liquides ambiants, laquelle parait être due dans
certains cas à l’action d’un ou deux cils vibratiles insérés à l’une ou à l’autre de leurs extrémités. Ces Bactéries et Bacilles, dont les éléments cellulaires
engendrent parfois des spores conservatrices, agissent aussi plus particulièrement en qualité de ferments. Mais, en somme, leur action nocive sur les
tubercules de Pommes de terre diffèrent notablement des Microcoques, qui sont la cause efficiente des premières maladies que nous allons décrire. Ainsi
les Bacilles ont la faculté de dissoudre la cellulose dont se compose la membrane cellulaire, pour en effectuer bientôt la complète résorption, tandis que les
Microcoques ne jouissent que de la faculté de pénétration dans les cellules pour vivre aux dépens de leurs matières protéiques, et cette simple pénétration
parasitaire suffit pour produire la mortification des tissus. Nous signalerons, du reste, à propos de chacune de ces maladies, le rôle que se trouvent y jouer,
soit les Microcoques, soit les Bactéries ou les Bacilles et l’on s’expliquera mieux tout ce que l’on peut craindre de ces infiniment petits.
l° La Gale de la Pomme de terre. — C’est en Angleterre qu’il est fait mention pour la première fois de cette maladie. Loudon, dans son Encyclopédie
d’Agriculture[7], en dit quelques mots : « La Gale (Scab), c’est-à-dire l’ulcération de la surface des tubercules, n’a jamais été expliquée d’une manière
satisfaisante. Quelques-uns l’attribuent à l’ammoniaque du fumier de cheval, d’autres à l’alcali, et certains à l’usage des cendres de charbon de terre. Ne
pas se servir de la semence malade et planter dans un autre sol sont les seuls moyens connus de prévenir la maladie ».
En 1842, de Martius disait à propos de la Gale de la Pomme de terre[8] : « La maladie qu’on nomme la Gale (Räude ou Krätze) a été principalement
observée, en Allemagne, dans les terrains calcaires de la Thuringe, dans la Bavière supérieure, et en Autriche. Elle a des rapports avec le développement
d’un petit Champignon d’une structure très simple, du genre des Protomyces. Elle affecte surtout les parties situées sous l’épiderme du tubercule ». Dans
son Mémoire publié la même année sous le titre de Kartoffel-Epidemie, à Munich, de Martius décrit cette maladie sous le nom de Porrigo tuberum Solani,
c’est-à-dire la Teigne de la Pomme de terre. Sa description et les figures qui accompagnent son texte ne nous paraissent pas avoir des rapports directs avec
la véritable Maladie de la Gale, qui est au contraire tout à fait épidermique. Nous ne nous y arrêterons donc pas.
Mais Schacht, dans son Mémoire sur la Pomme de terre et ses maladies (1856) déjà cité, nous paraît avoir beaucoup mieux traité cette question. D’après
lui, il existerait une maladie spéciale aux cellules subéreuses qui constituent l’épiderme des tubercules ; il se produit dans ce cas une sorte d’hypertrophie
des lenticelles, si bien que, sous l’apparence d’abord de petites taches, il se forme ensuite comme des dépressions ou des fissures, qui restent à découvert
dans la profondeur des cellules subéreuses. Schacht croyait pouvoir attribuer la cause de cette maladie à des matières particulières, qui resteraient à l’état
fixe dans le sol, en particulier à l’argile ferrugineuse. Il expliquait de cette façon que les Pommes de terre, plantées plusieurs années de suite dans le même
sol, devaient y contracter naturellement la maladie.
Divers auteurs, en Allemagne, avaient partagé l’opinion de Schacht ; d’autres, cependant, avaient réussi à la contredire, en établissant nettement par des
analyses des terres cultivées en Pommes de terre, que celles qui avaient produit des tubercules galeux contenaient moins d’un dixième pour cent d’oxyde de
fer que celles qui avaient donné des tubercules parfaitement lisses. Aussi le Dr Löbe[9] qui rapporte ce fait, croit-il pouvoir dire : « Il s’ensuit qu’on peut
avoir la certitude qu’un Champignon parasite est la cause véritable de la Gale, et que son action extérieure, aidée par beaucoup d’humidité et un engrais très
azoté, doit développer grandement cette Maladie. Toutefois, il est arrivé qu’on ne s’est pas rendu compte du rôle de ce Champignon parasite, lequel n’est
pas encore connu… ».
Fig. 89. — Pomme de terre galeuse. (1/2 grand. nat.) D’après une photographie de M, Le Sache. Fig. 90. — Autre Pomme de terre galeuse. (1/2 grand. nat.) D’après une photographie de M. Le Sache.
On ne paraissait plus s’occuper de cette singulière maladie qui, en somme, ne constitue qu’une attaque superficielle de l’épiderme des tubercules, sans
endommager leur parenchyme ni leurs germes, lorsqu’une maladie similaire prit un caractère extensif tel, aux États-Unis, qu’elle y attira forcément
l’attention.
Devant les plaintes des cultivateurs, dont se firent l’écho les Bulletins des Stations agricoles de plusieurs de ces États, des recherches et des expériences
furent faites en vue de découvrir la cause du Potato Scab et les moyens curatifs de le combattre ou d’en prévenir les effets regrettables.
En 1890 et 1891, deux savants américains annoncèrent avoir trouvé la cause de la Maladie. D’un coté, le Dr Thaxter l’attribuait à une sorte de Mucédinée
très simple, formant des chapelets de spores conidiformes, sphériques ou ovoïdes, hyalines ou légèrement colorées, et non cloisonnées qu’il appela
Oospora Scabies. D’un autre côté, le Dr Bolley déclarait que cette maladie provenait d’un Bacterium qu’il avait découvert dans les érosions profondes des
pustules galeuses, et qu’il avait réussi à cultiver à part, après l’avoir isolé. Le Dr Thaxter, du reste, ajoutait à l’appui de ses observations que, par des
expériences précises, il avait réussi à inoculer cette Maladie à des tubercules sains, sur l’épiderme desquels la Mucédinée avait gravé en creux l’initiale de
son nom. Ajoutons que, récemment, le Dr Bolley s’est rallié à l’opinion du Dr Thaxter, et qu’il résulte d’obligeantes communications, que nous a faites ce
dernier, que le Potalo Scab ne nous paraît pas constituer la même maladie que notre Gale de la Pomme de terre.
Quoi qu’il en soit, en 1896, ayant eu à notre disposition des tubercules galeux de la variété Merveille d’Amérique, l’idée nous vint d’essayer, s’il était
possible, d’observer la maladie à ses débuts. Nous résumerons ici les résultats des recherches et expériences que nous avons faites à ce sujet[10].
En cultivant dans un pot rempli de terreau, maintenu fort humide, un tubercule galeux de la variété Merveille d’Amérique et d’autres de la variété
précoce Marjolin, nous avons obtenu, sur ces derniers, une première attaque, en diverses places, de la maladie. Il s’était produit, en effet, sur l’épiderme de
ces tubercules de très petites pustules ponctiformes caractéristiques : autour de ces points d’attaque, les cellules épidermiques étaient brunies et mortifiées.
L’examen microscopique nous a révélé alors dans ces cellules et dans celles du tissu sous-épidermique la présence seule d’un Microcoque qui les avait
envahies et frappées de mort. Nous lui avons donné le nom de Micrococcus pellicidus, c’est-à-dire qui détruit la peau du tubercule. Nous avons fait plus
tard des observations sur des cultures dans le sol, et nous sommes arrivé au même résultat : la maladie de la Gale débute bien ainsi. Nous avons fait
seulement une autre remarque : c’est que ces premières attaques, qui se manifestent surtout dans l’épiderme des jeunes tubercules, constituent le ler stade de
la Maladie, car deux ou trois mois après, les pustules se montrent beaucoup plus larges, avec des érosions plus profondes, tout à fait caractéristiques du
mal, ce que nous considérons comme devant en être le 2e stade. Le dernier terme de la Maladie, qui est heureusement rare, apparaît lorsque la surface du
tubercule est recouverte entièrement de pustules élargies, qui se sont réciproquement rejointes. Nous avons toujours trouvé, sur les parois des cellules
voisines de celles qui avaient été déjà mortifiées dans l’épiderme, le Micrococcus pellicidus[11].
Du reste, nous croyons utile de mentionner ici que ce Microcoque ne se développe pas en grandes masses, comme certains de ses congénères. Il est
difficile par suite d’en constater la présence. Vivant au détriment des éléments plasmatiques des cellules qu’il traverse, il n’attaque pas leurs membranes
cellulosiques, et celles-ci ne se détruisent qu’après la mortification des cellules elles-mêmes.
Dans tous les cas, cet infiniment petit est extrêmement contagieux. Des Pommes de terre saines, plantées dans des champs où l’on a récolté des
tubercules galeux, en produisent également, et cette contamination par le sol peut durer jusqu’à ce que l’on change cette culture. M. Aimé Girard a fait,
dans ses cultures expérimentales, des observations tout aussi concluantes sur la continuité de la contamination par le sol. D’un autre côté, l’infection d’une
terre saine peut se faire par la plantation de quelques tubercules galeux. Ainsi, le jardin où nous avions, en 1896, installé quelques expériences, nous en a
fourni une preuve inattendue. Une demi-douzaine de ces tubercules malades avaient été plantés dans de grands pots, à plus de douze mètres d’autres plants
sains de Pommes de terre. Or, presque tous les tubercules récoltés dans ce jardin, appartenant à une centaine de variétés, au fur et à mesure de leur
arrachage, présentaient les signes caractéristique, soit du ler stade, soit du 2e stade de la Gale. Et cependant, les cellules de ce Microcoque sont entourées de
mucus ; elles sont par suite immobiles : comment donc peut-on expliquer cette transmission à distance ? Nous pensons que le transport doit se faire du
tubercule-mère aux tubercules de nouvelle formation par les mouvements mêmes qu’exécutent lentement dans le sol les racines et les stolons de la plante,
par les courants capillaires des eaux de pluie ou d’arrosage, enfin, à plus longue distance par les larves, les insectes et surtout les lombrics dont les anneaux
gluants et sétigères peuvent s’imprégner du mucus du Microcoque et le déposer dans les plants de Pommes de terre. La scissiparité continue de l’infiniment
petit achève d’en expliquer la facile et assez rapide dissémination.
Nous avons vu qu’en Angleterre on n’avait trouvé d’autre moyen de se mettre à l’abri de cette maladie que de changer le sol de culture et de ne planter
les Pommes de terre que dans des champs non contaminés. Cette maladie a été très commune en Angleterre. Elle est moins répandue en France et en
Allemagne. On ne s’en inquiète pas lorsque les tubercules ne la présentent qu’à son premier stade, en particulier sur les variétés hâtives. Mais les variétés
tardives qui en seraient affectées trop visiblement (2e et 3e stades de la Gale), celles surtout de consommation bourgeoise, peuvent être dépréciées.
Nous terminerons cet article de la Gale de la Pomme de terre en signalant le résultat des observations de M. Schilberszky, professeur à l’École royale
d’horticulture de Buda-Pesth[12]. Dans les cellules mortifiées du tissu sous-épidermique de Pommes de terre galeuses, il a constaté l’existence d’un
Champignon particulier qui appartiendrait à la famille des Chytridinées, et qui se développerait sans aucun mycélium, sa fructification étant endobiotique.
Il serait constitué, en effet, par une seule cellule sphérique, qui formerait dans son état adulte un conceptacle (ou zoosporange) d’un brun doré, renfermant
des spores motiles, destinées à reproduire immédiatement l’espèce, ou bien une fructification durable, résultant de la fécondation d’un œuf (ou
oosporange), destinée à conserver les germes de l’espèce pour l’année suivante. D’après ses observations, les spores motiles (ou zoospores) auraient la
faculté de pénétrer dans les cellules vivantes du parenchyme sain de la Pomme de terre, sans laisser de trace sur les membranes traversées, mais en
marquant leur passage parla mortification du tissu, qui prend alors une coloration brune caractéristique. M. Schilberszky a désigné cette nouvelle
Chytridinée sous le nom de Chrysophlyctis endobiotica, dont il annonce qu’il espère être en mesure de poursuivre l’étude biologique.
Bien que la découverte de ce parasite nous fasse connaître une autre maladie que celle de la Gale de la Pomme de terre, nous avons cru devoir l’y
rattacher, en attendant qu’il soit publié de nouveaux détails sur sa nature et sur son extension.
2e La gangrène sèche des tubercules. — Cette maladie est connue depuis assez longtemps. Il en a été question depuis plus d’un demi-siècle, en
Allemagne, où elle avait particulièrement appelé l’attention par des caractères plus fortement accentués qu’ils ne le sont aujourd’hui. Ce qui diffère la
gangrène sèche de la gangrène humide, c’est que les tubercules dont le parenchyme interne est atteint de mortification, tout en restant revêtus de leur
épiderme, ne se ramollissent pas sensiblement et peuvent même durcir dans certains cas, comme le fait s’était produit, en Allemagne, ce qui peut arriver
lorsque les tubercules gangrenés sont conservés dans un air sec et perdent leur propre humidité.
Dans un Mémoire présenté à l’Académie des Sciences le 16 Août 1842, par De Martins, et reproduit dans les Annales des Sciences naturelles, 2e Série, t.
XVIII, sous ce titre : Sur la gangrène sèche des Pommes de terre, observée depuis quelques années en Allemagne, l’auteur fait connaître les résultats de ses
observations sur cette maladie.
« Les Pommes de terre atteintes de cette affection, dit-il, deviennent dures comme des pierres, de sorte qu’on peut les frapper à coups de marteau sans
pouvoir les briser ; elles conservent cette dureté dans l’eau bouillante, et, suivant le rapport qui m’en a été fait, elles résistent même à l’action de la vapeur
dans les fabriques d’eau-de-vie. Il en résulte qu’on ne peut en tirer aucun parti.
» Lorsque l’affection a atteint ce dernier degré, les tubercules perdent tellement leur caractère naturel, qu’on a grand’peine à les reconnaître. Ce qui rend
cette maladie surtout à redouter pour l’Agriculture, c’est qu’à son début elle ne laisse apparaître, pour ainsi dire, aucune trace d’altération, quoique les
tubercules mis en terre ne soient plus susceptibles de pousser des tiges ; et si quelques-uns en produisent, celles-ci se flétrissent bientôt, et le laboureur se
voit totalement frustré dans ses espérances.
» Dans la Province bavaroise du Palatinat, cette maladie a causé de gross ravages en 1840, qu’en plusieurs cantons les récoltes ont été réduites au tiers.
Cette affection paraît s’être manifestée pour la première fois en 1830 dans plusieurs districts voisins du Rhin. Aujourd’hui on l’a observée surtout dans le
Palatinat, dans le Royaume de Saxe, dans le Mecklembourg, la Bohème et la Silésie. Elle apparaît comme une véritable épidémie, et, comme dans toute
maladie de ce genre, elle offre des caractères singuliers et difficiles à expliquer… On a cru pouvoir en attribuer la cause soit à une sécheresse excessive,
soit à une trop grande humidité et à des nuits froides, ou bien à un épuisement de la variété de Pommes de terre et à l’action d’une culture peu convenable.
Elle s’est montrée indistinctement sur toutes les variétés. On l’appelle Gangrène sèche (Trockenfäule, Slockfäule).
» J’ai examiné des tubercules gangrenés qui m’ont été envoyés de différens points de l’Allemagne, assez distans l’un de l’autre, et j’ai trouvé sur tous
une petite Mucédinée plus ou moins développée, à laquelle je donne le nom de Fusisporium Solani. Mes observations m’ont convaincu que la présence de
ce petit Champignon est la cause et non l’effet de cette affection, ainsi que plusieurs Agronomes et même des Botanistes distingués ont cru pouvoir
l’annoncer.
» Quant aux symptômes, ils présentent des caractères différens, selon le degré du développement que nous offre la maladie. Dans le principe, les
Pommes de terre n’en offrent extérieurement aucun indice, si ce n’est cependant à leur surface, qui se trouve parsemée de taches d’une couleur plus foncée
et réticulée, par l’effet de la dessiccation partielle de l’épiderme. Plus tard la Pomme de terre devient plus sèche encore, et présente à l’intérieur plusieurs
parties d’une teinte livide et noirâtre. On y découvre aussi des portions extrêmement minces, de couleur blanchâtre, rudimens du Fusisporium Solani, qui se
présentent alors comme tout autre Mycélium ou matière appelée, par les jardiniers, blanc de Champignon, sous la forme d’un tissu fibrilleux, ramifié,
extrêmement délicat. On voit ces rudimens du Champignon dispersés çà et là et en plus ou moins grande quantité dans l’intérieur de la Pomme de terre. Ce
parasite, à cette époque, ne tarde pas à prendre un accroissement très rapide ; il pénètre l’épiderme, et se présente à la surface sous la forme de petits
coussinets filamenteux blanchâtres, au sommet desquels se développe une quantité innombrable de graines ou spores, qui se dispersent très facilement. En
même temps, la Pomme de terre devient de plus en plus sèche, et acquiert une dureté telle, qu’on ne peut la diviser sans employer une force très
considérable. L’intérieur du tubercule ressemble alors à une espèce de truffe extrêmement compacte, dont la surface serait hérissée de petites protubérances
blanches, de la consistance de la craie, qui ne sont autre chose que les filets du Champignon unis en très grand nombre.
» Si l’on examine la structure intérieure de la Pomme de terre arrivée à cet état d’infection, on trouve le tissu cellulaire en partie desséché, flasque et
déchiré, et les sucs contenus dans les interstices des cellules altérés. La fécule présente un grand nombre de granules légèrement engorgés, souvent rugueux
et déchirés, et sur beaucoup d’entre eux des points extrêmement petits en forme de verrues irrégulières, plates, orbiculaires, convexes, lobées, etc. Ces
petits corpuscules, étrangers à la Pomme de terre saine, sont les commencemens du Champignon. S’il y a encore assez d’humidité dans les tubercules, ils se
développent très rapidement, se ramifient et forment le parasite dont j’ai parlé. On peut aisément suivre et saisir l’ensemble de ces phénomènes en mettant
une portion de Pomme de terre affectée dans l’eau. Le mycelium s’allonge alors et se présente sous la forme de filamens confervoïdes.
» Pendant le développement de ce petit parasite, la Pomme de terre perd une si grande partie de son humidité, qu’enfin elle n’en offre plus que 35 pour
100, tandis qu’à l’état sain elle en contient 73 pour 100, ou à peu près.
»… J’ai semé des graines du Fusisporium Solani[13] sur la surface intacte humectée d’une Pomme de terre saine, et provenant d’un pays où la maladie ne
s’était pas encore manifestée. Quelques semaines après, l’épiderme montrait des traces sphacéleuses, la Pomme de terre se flétrissait en perdant visiblement
une partie de ses sucs, et quelques mois après on vit sortir de son intérieur le Champignon sous la forme d’une éruption blanche.
»… Je présume que la graine de ce petit Champignon, funeste à l’organisation de la Pomme de terre, exerce une action toute particulière sur le tissu
cellulaire avec lequel elle se trouve en contact ; qu’elle altère le suc contenu dans la première cellule qu’elle rencontre, et qu’elle propage de là cette
altération d’une cellule à l’autre, de manière qu’en très peu de temps les sucs contenus dans tout le tissu de la Pomme de terre sont infectés et altérés de
manière à réagir sur le parenchyme, qui en éprouve des changemens morbides. Pour moi, ces sucs, répandus dans l’intérieur de la plante par voie
d’absorption, y agissent comme un virus sui generis.
»… La gangrène sèche est d’autant plus redoutable pour la culture, que la multitude des graines produites par le Fusisporium Solani est innombrable,
que ces petits germes peuvent se répandre partout, et qu’il est prouvé que les spores des Champignons conservent leur vitalité pendant fort longtemps.
» De tout ce qui précède, je conclus que la Mucédinée qui infeste aujourd’hui nos plantations de Pommes de terre peut malheureusement être regardée
comme un des plus grands fléaux de notre Agriculture… Il est donc du plus haut intérêt de trouver un moyen efficace d’arrêter la propagation de cette
plante parasite, et de détruire ses graines et son blanc. J’ai proposé, à cet effet, de garantir les récoltes encore saines, en évitant tout contact avec les
Pommes de terre affectées ; de détruire complètement ces dernières si elles sont tellement avancées dans leur maladie qu’on ne puisse plus en tirer parti ; de
nettoyer les caves où les spores du végétal nuisible peuvent être dispersées en quantités innombrables, et de soumettre enfin au chaulage les tubercules
destinés à la reproduction, avant de les confier au sol.
» Je dois ajouter qu’on a surtout observé la maladie dans les cantons où depuis quelque temps on a suivi le système de ne mettre en terre que des portions
de tubercules coupées en tranches munies de quelques yeux, et dans d’autres lieux où l’on a la funeste habitude de remplir les caves entières de cette
production précieuse avant qu’elle se soit suffisamment séchée, et sans l’exposer à un courant d’air convenable pour éloigner la fermentation ».
Fig. 91 et 92. — Fusisporium Solani de Martius. Ramuscules conidifères avec deux conidies mûres détachées. (Grosst Fig. 93. — Spicaria Solani de Harting. Ramuscules conidifères. (Grosst 400/1.)
400/1.) D’après De Bary. D’après De Bary.
Lorsqu’en 1845, la Maladie spéciale des Pommes de terre, que nous savons aujourd’hui causée par le Phytophtora infestans, mais dont on ignorait alors
la cause, s’est répandue en Europe, des tubercules plus ou moins altérés ont été jugés semblables à ceux attaqués de gangrène sèche. Harting qui, en 1846, a
publié un intéressant Mémoire, intitulé Recherches sur la nature et les causes de la Maladie des Pommes de terre en 1845, a très bien observé que les
tubercules malades, qui se trouvaient envahis par le Fusisporium Solani, ou par un autre Champignon qu’il a nommé Spicaria Solani, et même par d’autres
Mucédinées, n’étaient pas gangrenés par ces Champignons, car ceux-ci ne se développaient pas directement sur des tubercules sains, mais sur ceux qui
étaient déjà malades. Il croit donc devoir émettre des doutes sur l’opinion de De Martius, surtout en raison de plusieurs expériences qu’il avait faites et qui
lui avaient permis de constater que des inoculations de tissu malade à des portions de tubercules sains en avaient gangrené les tissus. On verra plus loin ce
qui peut, en effet, expliquer le succès de cette expérience.
Schacht, dans son Mémoire précité de 1856, bien qu’il distingue les deux gangrènes sèche et humide, ne les sépare pas de la gangrène produite par la
nouvelle Maladie. Il est, par suite, difficile de se faire une idée nette de ce qu’il entendait par la gangrène sèche.
Kühn[14] explique que la gangrène sèche se produit aussitôt après la récolte des Pommes de terre et se développe peu à peu pendant leur conservation
durant l’hiver, si bien qu’au printemps elle envahit les tubercules-semence après leur plantation : il en résulte que ceux-ci ou bien ne germent pas, ou bien
ne développent que des pousses souffreteuses ou maladives. Cette observation nous paraît juste. Mais quelle est la cause de la gangrène sèche comparée à
la gangrène humide ?
Les résultats des recherches que nous avons publiés en 1896 nous paraissent de nature à éclairer la question. La gangrène sèche est produite par l’action
parasitaire primordiale des Microcoques seuls ; la gangrène humide par celle plus complexe d’un Microcoque associé à un Bacille, ou même, mais plus
rarement, par le Bacillus Amylobacter seul. Cela provient de la diversité de leur action parasitaire. Les Microcoques ont la faculté de pénétrer de cellule en
cellule, en se multipliant aux dépens de leurs matières plasmatiques, mais ils n’attaquent ni leur membrane cellulosique, ni les grains de fécule que ces
cellules renferment. Le tubercule reste donc ferme et résistant, malgré cette action désorganisatrice, dont on ne s’apercevrait pas, si les tissus de l’épiderme
et du parenchyme frappés de mortification ne livraient passage à diverses Moisissures, telles que le Fusisporium Solani, le Spicaria Solani, qui trouvent un
terrain tout préparé pour leur envahissement. L’humidité du parenchyme, maintenue par l’épiderme persistant, favorise le développement de ces parasites,
et le tubercule ne se dessèche que lorsqu’il est placé dans un air sec qui lui fait perdre cette même humidité.
Nous traiterons ci-après de la gangrène humide qui détruit jusqu’aux germes du tubercule, tandis que la gangrène sèche n’y porte aucune atteinte. C’est
ainsi que, dans nos expériences, nous avons pu constater que des tubercules très gangrenés avaient, pour la plupart, très bien germé, et que certains avaient
émis de hautes tiges florifères et produit une assez belle récolte. C’étaient ceux qui avaient conservé toute ou partie de leur fécule, sans avoir été envahis
par des Moisissures, car ceux, au contraire, qui avaient subi les effets de second parasitisme, comme le disait Kühn, ou ne germaient pas, ou n’émettaient
que des pousses souffreteuses, et la récolte était nulle ou des plus maigres.
Ici encore, il s’agit d’une contamination assez singulière. Des tubercules ainsi gangrenés, conservés pendant l’hiver, nous ont offert au printemps trois
espèces de Microcoques, différents de forme et de dimension, mais très abondants tous trois dans les tissus des Pommes de terre malades que nous avons
examinées. L’un est le Micrococcus Imperatoris, dont nous avons constaté la présence surtout dans la variété Imperator et dans quelques autres ; l’autre est
le M. albidus, qui s’est montré dans un très grand nombre de variétés et qui nous paraît être de beaucoup le plus répandu. Le troisième est le M.
Delacourianus, qui produit dans les tubercules de la variété Royale une gangrène dure et noirâtre. La contamination s’effectue du tubercule-mère aux
tubercules de nouvelle formation, dans le sol, au moyen des larves et surtout des lombrics qui disséminent à distance le Microcoque immobile dans son
mucus, pendant que le mouvement souterrain des racines et des stolons, joint aux infiltrations capillaires des eaux pluviales, contribue de son côté à un
déplacement plus restreint du Microbe. Les tubercules attaqués ne présentent, au moment de la récolte, que des taches légèrement brunâtres, en général peu
apparentes. Le développement du Microcoque, ainsi introduit dans le tubercule, ne s’effectuera que plus tard, pendant l’hiver, surtout dans les caves
humides et tièdes, et ce n’est qu’au printemps que son action se révélera.
Il conviendra donc, pour se prémunir contre ces Microcoques, de laver ou tout au moins mouiller les tubercules-semence avant de les planter, pour
exclure tous ceux qui sont tachés ou même douteux à ce point de vue. Si la terre de culture n’est pas elle-même contaminée, on peut espérer ne pas récolter
de tubercules gangrenés et faire surtout une bonne récolte.
Fig. 94 et 95. — Micrococcus Imperatoris. a, Petite colonie de ce Fig. 96 et 97. — Micrococcus albidus. a, Petite colonie de ce Fig. 98 et 99. — Micrococcus Delacourianus. a, Petite colonie de ce
Microcoque (gross. 800/1). b, Cellules libres et scissipares (gross. Microcoque (gross. 800/1). b, Cellules libres et scissipares (gross. Microcoque (gross. 800/1). b, Cellules libres et scissipares (gross.
1200/1). Après fixation par une matière colorante. 1200/1). Après fixation par une matière colorante. 1200/1). Après fixation par une matière colorante.
Toutefois, à propos de ces tubercules tachés dont il faut se méfier pour la plantation, nous croyons devoir appeler l’attention sur un fait dont il n’a pas
encore été question. Il arrive parfois, en effet, que certains tubercules de variétés jaunes, examinés après la récolte, présentent un épiderme nettement
violacé sur le quart ou même sur la moitié de leur surface. Ces larges taches d’un violet assez foncé, presque noirâtre, pourraient faire croire qu’on a affaire
à des tubercules plus ou moins malades. Il n’en est rien d’ordinaire, car une coupe sous l’épiderme montre que le parenchyme est parfaitement sain. Nous
pensons que cet état des tubercules provient d’un buttage insuffisant, qui a permis aux rayons solaires d’effectuer leur action sur l’épiderme. En général,
cette action se manifeste par le verdissement ; mais dans le cas dont nous parlons, il se produit, en même temps qu’un développement de la chlorophylle,
une formation concomitante de matière colorante violacée. Il en résulte que, pour être consommés sans danger, ces tubercules ainsi colorés exigeront qu’on
les épluche assez profondément, d’autant plus que le parenchyme voisin de l’épiderme a lui-même alors quelque peu verdi ; mais ils pourront parfaitement
servir pour la plantation. À ce point de vue, il conviendra seulement de s’assurer que cette coloration violacée de l’épiderme ne recouvre pas en certains cas
des taches brunâtres dans le parenchyme, ce qui pourrait être l’indice d’une première attaque des Microcoques ou d’autres fois du Pseudocommis.
3e La gangrène humide des tubercules. — Nous avons dit plus haut que cette gangrène était produite par le Bacillus Amylobacter seul, ou bien par le
Micrococcus albidus associé à un autre Bacille qui nous a paru être le Bacillus subtilis. Dans le premier cas, cela résulte en été de l’immersion plus ou
moins prolongée des tubercules dans l’eau. Cette immersion peut permettre au Bacillus Amylobacter de s’introduire dans l’épiderme et de pénétrer de là
dans le parenchyme des tubercules. Son action est désastreuse, car il est l’agent d’une fermentation générale, qui liquéfie les membranes des cellules et leur
contenu, ainsi que les grains de fécule et jusqu’aux germes. L’épiderme seul subsiste, bien qu’en partie détérioré, et il ne reste bientôt plus qu’un tubercule
flasque et mou, dégageant une odeur infecte d’acide butyrique. Toutefois, cette action du Bacillus Amylobacter n’a plus lieu au-dessous de 20° et ne
pourrait être constatée qu’en été, dans les champs de Pommes de terre plus ou moins inondés.
Dans le second cas, et nous avons tout lieu de croire que c’est le plus général, une semblable fermentation se produit dans le parenchyme par l’action
combinée du Microcoque et du Bacille, et à une température même inférieure à 20°. Nous avons réussi à provoquer cette fermentation dans des tubercules
qui présentaient les mêmes taches que celles de la gangrène sèche. Mais, dans ce cas, l’influence de la température est à prendre en considération, car elle
active certainement encore le phénomène. Le résultat est le même que celui produit par le Bacillus Amylobacter, c’est-à-dire qu’il y a finalement
liquéfaction interne du parenchyme, de toutes ses cellules et de leur contenu, destruction des germes et dégagement infect d’acide butyrique. C’est donc
une perte totale des tubercules qui se trouvent atteints par cette maladie.
Fig. 102, — Une Pomme de terre piquée. (1/2 grand. nat.) D’après
une photographie de M. Le Saché.
4° Les tubercules piqués. — On appelle ainsi, à la Halle de Paris, des tubercules qui présentent çà et là, sur leur épiderme, de très petites perforations,
fermées d’une façon apparente par un tissu nouveau de cellules subéreuses. Or, autour de ces perforations on constate facilement qu’il existe dans le
parenchyme une zone concentrique, d’environ un demi-centimètre de rayon, qui est colorée en brun jaunâtre très pâle. Les cellules du tissu qui se trouve
compris dans cette zone se montrent ainsi frappées de mortification, sans cause apparente. On n’y observe, en effet, aucune trace de mycélium dénotant
l’invasion de ce tissu par une Mucédinée quelconque, et le contenu des cellules ne révèle la présence d’aucun autre parasite. Quant aux perforations, elles
semblent dues à des insectes ou à des iules. Certains tubercules présentent quelquefois une douzaine de ces perforations, mais le plus souvent moins. Cela
n’aurait certainement aucune importance, s’il n’avait été constaté que ces tubercules avaient un mauvais goût. C’est pourquoi ils sont dépréciés à la Halle,
et même refusés par l’Assistance publique. Nous avons constaté cette maladie sur deux variétés très estimées : la Saucisse et la Shaw (ou Chave) et sur
plusieurs autres. Or, ce n’a pas été sans une certaine surprise que nous avons pu constater qu’il s’agissait en ce cas du Pseudocommis, lequel pénètre dans
les tubercules piqués par leurs perforations et y produit ces zones brunâtres dont il a été question. Il est à craindre que la continuation de la culture des
Pommes de terre. dans les champs où l’on a précédemment récolté ces tubercules malades, ne reproduise les mêmes effets préjudiciables, comme pour la
maladie de la Frisolée.
Fig. 103. — Une Pomme de terre dont l’épiderme est en partie
couvert de Sclérotes du Rhizoctonia Solani, (1/2 grand, nat.)
D’après une photographie de M. Le Saché.
5eLe ramollissement des tubercules. — Nous signalerons brièvement une autre Maladie des Pommes de terre, qui a été constatée, en 1887, dans la
Norvège, par M. Brunsckorst. Elle serait due à l’envahissement du parenchyme des tubercules par un petit Champignon muqueux (ou Myxomycète), que
l’observateur appelle Spongospora Solani. Cette espèce microscopique, qui vit à l’état de mucus plasmodique dans les cellules des tubercules, les détruit
par son action parasitaire et peut ainsi en ramollir le parenchyme, sans qu’on puisse découvrir à l’œil nu une cause visible à ce ramollissement. M.
Brunschorst signale cette maladie comme étant assez répandue en Norvège. Il n’en a pas été question, à notre connaissance, dans d’autres contrées de
l’Europe[15].
6eLe Rhizoctone de la Pomme de terre. — Cette singulière Maladie, qui n’a pas par elle-même une bien grande importance, mais qui prend parfois de
l’extension, est en somme assez répandue sur certaines variétés de Pommes de terre. On a cru que Wallroth avait, le premier, fait connaître, on 1842, ce
Rhizoctone, sorte de Champignon, sous le nom de Erysibe subterranea, tuberum Solani tuberosi ; mais s’il a eu en vue de parler de ce Rhizoctone, il ne
semble pas qu’il l’ait bien connu, car il laisse entendre qu’il s’agit d’un Champignon enkysté qui forme ses germes sous l’épiderme des tubercules. Kühn,
dans son ouvrage précité, lui a donné le nom de Rhizoctonia Solani. Mais tout en le décrivant assez bien pour qu’on le reconnaisse, il l’a considéré comme
étant la cause de la Gale de la Pomme de terre, et a cru, de même que Wallroth, que ce Rhizoctone se comportait comme un véritable parasite, produisant
les pustules galeuses des tubercules. D’après nos propres observations, voici ce que nous pouvons dire de ce Rhizoctone.
Lorsqu’on observe de jeunes tubercules, affectés de cette Maladie, et qui ont été arrachés longtemps avant la maturité, on distingue à la loupe, appliqués sur
la surface de l’épiderme, des filaments noirâtres qui n’y pénètrent pas. Ces filaments, très ténus, s’y rencontrent en de certains points qui paraissent comme
des points noirâtres. Ils constituent l’état végétatif d’un Champignon, sorte de mycélium qui se concrète en ces points pour former ce que l’on appelle un
Sclérote, Si l’on suit le développement de ce Sclérote, on le voit peu à peu augmenter de volume et prendre l’aspect de protubérances noirâtres qui ont
quelquefois près d’un centimètre de diamètre[16]. Ils adhèrent assez à l’épiderme du tubercule pour résister au lavage ; mais ils cèdent brusquement
lorsqu’on leur donne de l’ongle un coup sec, et l’examen le plus minutieux fait reconnaître qu’ils n’ont nullement pénétré dans l’épiderme. Il s’agit donc ici
d’un mycélium de Champignon avec sclérotes, vivant tout à fait superficiellement sur le tubercule, sans le compromettre autrement que par l’aspect assez
déplorable qu’il lui donne au moment de la récolte.
Fig. 106. — Chapelets de cellules hyalines condensés en forme de grappe dans une cellule sous-épidermique de Pomme de terre galeuse, Fig. 107. — Chapelets des cellules hyalines de la fig. 106, libres et
et qui terminent un filament de mycélium paraissant appartenir au Rhizoctonia Solani, (Grosst 400/1.) dégagés de leur cellule hospitalière. (Grosst 600/1.)
Mais ce Rhizoctone, qui vit ainsi dans une sorte de symbiose avec la Pomme de terre, présente une autre phase bien curieuse dans son existence, lorsque
le tubercule est attaqué en même temps par la Maladie de la Gale. Nous venons de dire que Kühn regardait le Rhizoctone comme étant la cause de cette
dernière Maladie. C’est qu’en effet les filaments bruns superficiels du Rhizoctonia[17], qui n’ont pas la faculté de perforer l’épiderme des tubercules,
profitent de la mortification des cellules de cet épiderme et du tissu sous-jacent pour y pénétrer. Alors, ces filaments bruns se décolorent, deviennent
hyalins en s’enfonçant dans les cellules mortifiées ; puis ils se rétrécissent peu à peu, au fur et à mesure de leur pénétration, de telle sorte que leur diamètre
ordinaire, qui est d’environ 0,010 à 0,015 millièmes de millimètre, n’est plus que de 0m,005 à 0m,007, lorsqu’on les suit de cellule en cellule ». Or, c’est en
les suivant ainsi, qu’il nous est arrivé de rencontrer, dans nos préparations microscopiques, des filaments transformés en une sorte de chapelet composé de
renflements successifs ampulliformes. Ce chapelet remplit une cellule du tissu mortifié, de façon à rappeler assez bien une grappe de raisin blanc renfermée
dans un sac. Il est constitué par un filament rameux qui s’est successivement renflé en ampoules sphériques transparentes, très rapprochées, d’où cette
apparence de grappe qu’il forme.
Nous avons aussi rencontré des sclérotes de Rhizoctones dans des gangrènes sèches de Pommes de terre, et, dans des tubercules déjà attaqués par le
Phytophtora, nous en avons vu le parenchyme complètement envahi et noirci par le Rhizoctone.
Il n’est pas besoin de recommander de ne pas employer pour semence des tubercules, si peu sclérotifères qu’ils soient, car c’est par ces sclérotes que se
reproduit le Rhizoctone, comme nous en sommes assuré par expérience, après les avoir insérés dans les yeux de tubercules de Pommes de terre, mis en
culture. Il est probable que les filaments du mycélium de ce Champignon doivent avoir la faculté de se rendre du tubercule-mère aux tubercules naissants.
« On prépare ce mélange dans un tonneau et on arrose la surface du sol. On peut employer aussi ce mélange pour chauler la Pomme de terre elle-même
lorsqu’il s’agit de la planter. On peut employer la même composition sans eau pour en saupoudrer le sol. L’eau du ciel, la pluie, suffira pour la délayer
suffisamment, retendre dans la terre et agir sur le germe du mal. Le chaulage a pour but de tuer les semences des Champignon, absolument comme par un
chaulage semblable on détruit la Carie du Blé, le Charbon de l’Avoine et l’Ergot du Seigle ».
Nous avons dit plus haut que le Dr Montagne avait, antérieurement à Desmazières, donné un non scientifique au Champignon parasite, signalé comme
étant la cause de la maladie de la Pomme de terre. Voici, en effet, ce que nous trouvons dans le Journal LInsUluty n° 609 du 3 Septembre 1845 : Société
philomathiqiie de Paris, séance du 31 Août 1845, M. Montagne fait une communication sur la Maladie qui ravage les Pommes de terre. Nous en extrayons
ce qui suit :
« On s’accorde généralement à croire, dit le Dr Montagne, que cette affection est occasionnée par la présence d’un Champignon de la famille des
Mucédinées, et, ce qui est bien remarquable, par une Mucédinéo appartenant à ce même genre Botrytis dont fait également partie l’espèce qui sévit si
cruellement parfois sur les Vers à soie. Ce Botrytis qu’en raison de ses effets nous proposons de nommer Botrytis infestans, attaque surtout le dessous des
feuilles de la Solanée, qu’il recouvre entièrement comme d’une poussière blanche, et sa propagation est si rapide qu’en trois ou quatre jours au plus de
vastes champs sont dévastés et la récolte du précieux tubercule anéantie… Ce sont les terrains argileux et les lieux les plus déclives, et conséquemment les
plus humides, dans lesquels s’est propagée le plus rapidement la maladie en question… Quant aux effets délétères de ce parasite, il est difficile de les
peindre mieux que ne l’a fait M. Morren, dans le Journal belge l’Indépendant, article qui a été reproduit par le Journal des Débats du 21 Août dernier. La
maladie et ses causes y sont en effet bien exposées, et si ce savant eût pris la peine de nommer et de décrire le végétal microscopique qui cause tous ces
ravages, il ne nous serait absolument rien resté à ajouter à tout ce qu’il nous a déjà dit. Cependant M. Morren dit dans sa Note avoir retrouvé sur les
tubercules mêmes la Mucédinée qui envahit la face inférieure de toutes les feuilles de la plante. Nous n’avons rien observé de semblable…
» Mais ayant été à même d’étudier pendant sa vie le Botrytis qui fait le sujet de cette communication, nous croyons que les Mycologues nous sauront gré
de compléter la Note de M. Morren en l’introduisant dans la science sous le nom malheureusement trop mérité que nous lui avons imposé tout à l’heure.
» Botrytis infestans. (Suit la diagnose latine dort voici la traduction) : Touffes lâches, étalées, blanches, quelque peu ramifiées au sommet, à rameaux
noueux çà et là, plus ou moins dressés, à spores solitaires latérales et terminales, ovoïdes ou elliptiques, grandes, subapiculées, concolores, à noyau
granuleux ».
Il est donc équitable d’attribuer à Charles Morren la découverte du Champignon parasite de la Pomme de terre, de son action nocive sur la plante et ses
tubercules, de son extraordinaire propagation par les agents atmosphériques, et de reconnaître que Montagne lui a donné le premier un nom scientifique
qu’il a accompagné d’une diagnose pour le caractériser. Mais il est utile de faire remarquer ici que ce Botrytis infestans, qui sera plus tard mieux connu et
mieux nommé, est un parasite destructeur qui altère gravement les tissus de la plante nourricière qu’il a envahie, sans presque laisser d’autre trace de son
passage que des éléments de mortification. C’est ainsi que les tubercules attaqués ne décèlent pas à l’œil nu la présence de ce parasite, alors que d’autres
espèces de Champignons, agents de décomposition des tissus altérés, peuvent beaucoup plus visiblement manifester leur apparition sur les parties malades
ou atrophiées. Ceci explique jusqu’à un certain point pourquoi l’idée du parasitisme du Botrytis a pu être, en 1845, presque rejetée par de très bons esprits
qui ne l’envisageant alors que comme une suite, un effet de la maladie, se sont considérés comme autorisés à croire qu’on se trouvait en face d’une
affection spéciale, bien caractérisée, sans cause appréciable, mais résultant des influences météoriques ou d’une dégénérescence de la plante soumise à une
culture trop intensive.
Quoi qu’il en soit, Payen, entre autres savants, se montra partisan du parasitisme plutôt que d’une maladie particulière de la Pomme de terre. En 1845, il
entretint plusieurs fois l’Académie des sciences de ses recherches à ce sujet. « Une végétation cryptogamique toute spéciale, disait-il le 15 Septembre 1845,
se propageant des tiges aériennes aux tubercules, en est l’origine. Le Champignon microscopique dont les sporules ont suivi le liquide infiltré autour des
parties corticales surtout et de l’axe quelquefois, se développe dans les cellules en filaments anastomosés qui s’emparent de la substance organique
quaternaire et oléiforme, s’appuyant sur la fécule qu’ils enferment dans leurs mailles. Traversant d’ailleurs les méats intercellulaires d’une cellule à l’autre,
ils s’entrecroisent et rendent solidaires les parties du tissu qu’ils remplissent ; ils les retiennent consistants malgré la cuisson dans l’eau à la température de
100°. Les prolongements byssoïdes dirigés vers la périphérie vont au travers des parois des cellules attaquer toutes les matières assimilables qu’elles
renferment, azotées, huileuses et amylacées ; la fécule graduellement désagrégée, dissoute et absorbée, présente une série d’altérations rapides et nouvelles
dans l’histoire de ce principe immédiat. A l’ensemble de ces faits, on reconnaît donc l’action d’une énorme végétation parasite qui s’empare d’une portion
des tissus vivaces de la Pomme de terre, se logeant dans les uns, puisant dans les autres toutes les substances assimilables qu’ils renferment ».
Le 22 Septembre 1845, Payen faisait connaître à l’Académie les résultats d’une expérience assez singulière. « Dix tubercules attaqués, disait-il, furent
rangés sur un plateau autour de deux tubercules sains, d’une autre variété, dont un était coupé par un plan passant dans l’axe. Le plateau fut maintenu sous
une cloche dans un air presque saturé d’humidité, à une température de 20 à 28° C. Au bout de huit jours, on n’apercevait aucun signe de transmission ;
quatre jours plus tard un changement s’était manifesté à la surface de l’une des sections du tubercule coupé : cette section paraissait sèche et blanche
comme de la fécule en poudre ; les débris des cellules se retrouvaient parmi cette masse blanche inerte. Au delà et sur la limite de la masse blanche se sont
retrouvés des organismes de couleur orangé fauve, semblables à ceux qui semblent représenter la tête des Champignons. Ici l’invasion du parasite s’est
faite sans contact direct… »
il est surprenant que Payen n’ait pas reconnu que cette végétation fongique orangée n’avait aucun rapport avec le Botrytis infestans. Le Dr Eugène
Robert, dans une autre expérience qu’il fait connaître ; en 1845, à la Société centrale d’Agriculture, avait réussi à la rendre un peu plus concluante.
« J’ai arraché, écrivait-il, des Pommes de terre malades et parfaitement saines, et après avoir coupé les unes et les autres en deux, j’ai appliqué les
moitiés saines sur les moitiés malades et les ai enterrées ainsi accolées ou sous forme de tubercules coupés. Je viens de constater, au bout de huit jours, que
la maladie s’était transmise, La moitié saine offrait çà et là dans tout son contour et à la surface de la partie coupée, de petits gonflements brunâtres, de un à
deux millimètres d’épaisseur, qui, examinés à la simple loupe, m’ont paru être le résultat de l’isolement ou de soulèvement des grains de fécule, par suite
de la présence d’un tissu aréolaire tout particulier qui les enveloppe ».
Malgré tout, il faut bien avouer que toutes ces tentatives d’inoculation étaient peu probantes, d’autant plus que plusieurs autres mal conduites, qui avaient
été faites en vue de vérifier les résultats énoncés par Morren sur la facilité d’infection des feuilles, des tiges et des tubercules de la plante, n’avaient pas non
plus abouti. Ces échecs semblèrent donner gain de cause à l’opinion contraire d’une affection météorique. Decaisne, partisan déclaré d’une maladie
spéciale, publia en 1846 une réfutation de l’opuscule de Morren, sous le titre de Histoire de la maladie de la Pomme de terre en 1945. Dans cet ouvrage,
Decaisne s’efforça d’apporter à l’appui d’une thèse qu’il croyait être l’expression de la vérité, tous les arguments qui lui semblaient être des preuves
indiscutables de l’existence seule de la maladie » en dehors de tout parasite. Profitant habilement de la faiblesse des assertions expérimentales de ses
adversaires, et surtout de l’ignorance où l’on était alors de la biologie du parasite, il réussit même à ébranler les convictions des premiers partisans du
parasitisme. Il en résulta que l’idée contraire à la vérité des faits devint prédominante et qu’on s’y rallia généralement, si bien que la question du
parasitisme resta comme une de ces vues de l’esprit, une simple hypothèse sans valeur et sans fondements.
« Il faut le reconnaître aujourd’hui, dit Decaisne en terminant, l’opinion de M. Morren, qui a tant contribué à jeter l’alarme parmi les populations, repose
sur une erreur d’observation, et les raisonnements les plus subtils n’empêcheront pas que M. Morren, en persévérant dans son hypothèse, ne se trouve
complètement isolé… ».
Or, cet isolement ne résulta pas seulement du silence des partisans de l’opinion de Morren, cette opinion fut publiquement abandonnée par eux, et nous
en trouvons la preuve dans les extraits suivants de la Revue botanique de Duchartre (1845). A propos du Rapport fait par une Commission au Conseil
central de salubrité publique de Bruxelles, Duchartre avait déjà dit : « Nous ne nous occuperons que de l’opinion propre à la Commission dont M.
Dieudonné a été l’organe, et nous laisserons de côté la discussion à laquelle celui-ci se livre pour combattre surtout l’opinion qui consiste à attribuer la
Maladie des Pommes de terre à l’action contagieuse et destructive de Champignons parasites, de Botrytis, opinion qui a été d’abord émise en Belgique par
le Dr Van Oye, de Thourout, dans un article publié par le Journal L’Organe des Flandres, par Melle Libert, de Malmédy, et qui a été développée et soutenue
proprement par M. Morren, de Liège ».
Mais Duchartre citait plus loin la lettre suivante : « Vous m’avez demandé, lui écrivait Montagne, quelle était mon opinion touchant l’étiologie de cette
affection morbide qui attaque la Pomme de terre, et sur laquelle tant de savants ont déjà écrit. Si vous vous rappeliez ma réponse à l’interpellation qui fut
faite par notre honorable Président, M. Milne Edwards, après la lecture de ma courte communication à la Société philomathique, le 31 Août dernier, la
présente lettre deviendrait inutile. En effet, quoique les termes dans lesquels cette Note est rédigée puissent donner à penser que j’embrasse le sentiment de
M. Morren, je vous proteste, comme je l’ai fait alors, qu’il n’en est absolument rien, et que, à l’égard du Botrytis infestans, je suis incertain aujourd’hui, et
même aujourd’hui plus que jamais, s’il est la cause de la maladie ou seulement un accident concomitant résultant de l’affection pathologique des feuilles.
Tous les mémoires qui ont été publiés et que j’ai lus m’ont laissé dans le même doute philosophique. Le seul but que je me suis proposé a donc été de faire
connaître botaniquement et d’enregistrer dans la science, le Champignon, cause ou effet de la maladie en question. »
Enfin, Duchartre ajoute ce qui suit, à la suite d’Observations faites dans la Grande-Bretagne sur la Maladie des Pommes de terres. « Dans deux Notes
insérées dans le Gardener’s Chronicle, M. Berkeley se montre très porté à assigner un rôle important au Champignon parasite dont M. Montagne a reconnu
l’existence dans la Pomme de terre malade, et qu’il a nommé Botrytis infestans. Mais, des lettres, écrites tout récemment par l’habile Mycologue anglais à
M. Montagne, et dont ce dernier savant a bien voulu nous donner connaissance, montrent que M. Berkeley a modifié sa première manière de voir, et qu’il
est maintenant disposé à chercher la cause première de la maladie ailleurs que dans la Mucédinée parasite[21] ».
Et, en effet, il ne va plus être question pendant un certain nombre d’années du Botrytis infestans, alors que tous les ans on continuera cependant à se
préoccuper des ravages de la Maladie, qui, grâce à de certaines précautions, tendirent heureusement à s’atténuer. Mais voyons qu’elle a été la marche
progressive du mal dans les diverses contrées de l’Europe. Duchartre, dans sa Revue botanique (1845), s’exprime ainsi à ce sujet :
« La première apparition de la Maladie a eu lieu en Belgique et en Hollande, vers la fin du mois de Juillet. Presque en même temps, elle s’est étendue à
nos Départements du Nord ; au mois d’Août, elle sévissait déjà dans les environs de Paris, dans certaines parties de l’Allemagne. Bientôt elle s’est dirigée
vers le Centre et l’Est de la France ; mais, malgré un petit nombre de faits isolés, elle semble avoir épargné nos départements méridionaux. Dès la Mi-Août,
elle s’est déclarée dans l’Ile de Wight ; elle a passé la Manche et s’est montrée en Angleterre sur une grande étendue de terrain. Enfin elle a attaqué
l’Irlande, et ses progrès y ont été si rapides, qu’aujourd’hui la récolte des Pommes de terre y est regardée comme perdue ».
Le Times s’exprimait ainsi à ce sujet[22] : « La perte de la Pomme de terre serait aujourd’hui, pour les pays du Nord-Ouest de l’Europe, une bien plus
grande calamité qu’elle n’aurait été pour la génération précédente. Mais l’Irlande, plus que tous les autres, dépend absolument de cette récolte, non
seulement pour son bien-être, mais pour son existence. L’Angleterre, la Belgique et les autres points du Continent qui sont frappés de ce désastre, ont
d’autres ressources. La Pomme de terre n’est qu’une partie de la nourriture de leur population. Mais en Irlande la population n’a des provisions que pour un
an. Le paysan n’y compte qu’année par année. Il met en terre uniquement ce qu’il lui faut, en calculant juste, pour vivre une année. Si cela lui manque, il
faut qu’il souffre de la faim pendant un mois ou deux. Il peut être secouru par ses voisins ; mais, si tous sont dans le même cas, d’où leur viendra le
secours ? Une famine en Irlande est une des plus terribles calamités qui puissent être imaginées, comme de nature à interrompre le cours de la prospérité de
l’Angleterre et les bienfaits plus substantiels de trente ans de paix. Les circonstances actuelles menacent d’une aggravation du mal au-delà même des
horreurs habituelles. Il serait prématuré de suggérer un remède immédiat au désastre ; mais, quoi qu’on fasse, au nom du Ciel, que ce soit fait pour le
mieux ».
Et l’on sait que ces craintes pessimistes ne se sont que trop réalisées ! Léonce de Lavergne, quelques années après, en avait constaté les résultats
saisissants. « Quand le dénombrement décennal de la population fut fait en 1851, disait-il, au lieu de donner comme toujours un excédent notable, il révéla
un déficit effrayant : un million d’habitants sur huit avait disparu. Le huitième de la population était mort de misère et de faim. Cette épouvantable calamité
a fait ce que n’avaient pu faire des siècles de misère et d’oppression ; elle a vaincu l’Irlande. Le peuple irlandais, en voyant son principal aliment lui
échapper, a commencé à comprendre qu’il n’y avait plus assez de place pour lui sur le sol de la patrie. Lui qui avait jusqu’alors obstinément résisté à toute
pensée d’émigration comme à une désertion devant l’ennemi, s’est pris tout à coup de la passion opposée ; un courant ou, pour mieux dire, un torrent
d’émigration s’est déclaré. Il a fallu remonter jusqu’aux traditions bibliques pour trouver un nom à cette fuite populaire qui n’a d’analogie que dans la
grande migration des Israélites. On l’appelle l’exode comme au temps de Moïse. »
Nous trouvons dans les Comptes rendus annuels des travaux de la Société centrale d’Agriculture faits par Payen, quelques appréciations sur la marche
de la Maladie de la Pomme de terre qu’il est intéressant de connaître.
En 1846, Payen s’exprimait ainsi : « Un immense fléau vint, l’année dernière, frapper en Europe l’une de ses plus précieuses cultures importées du
Nouveau-Monde, semblables à ces événements providentiels dont la cause et la fin dépassent les limites de l’intelligence humaine ! Ce fut une affection
toute spéciale qui envahit par degrés, pendant quatre mois, en Allemagne, en Suède, en Belgique, en Angleterre et en France les grandes et petites cultures
de la plante originaire des Cordillères des Andes… Une influence spéciale, graduellement répandue du Nord à l’Ouest, du Centre à l’Est et au Sud de la
France, plus active là où l’humidité domine, où la fumure est abondante, mais agissant, presque partout, dans des circonstances diverses ; inaperçue
jusqu’alors, indépendante parfois des conditions météorologiques, suivant les observations précises de M. de Gasparin ; que cette influence désastreuse a
détérioré de 10 à 50 pour 100 de la récolte des champs de Pommes de terre.
» Attaquant d’abord les tiges aériennes affaiblies par l’influence des temps humides et sombres de 1845 ; portant, en général, ses atteintes sur les
tubercules aux approches de la maturité ; se propageant après la récolte ; ouvrant l’accès à tous les genres d’altération des corps organisés ; n’épargnant
guère que les variétés hâtives rentrées avant l’invasion du mal dans chaque localité. Rien de semblable ne s’était vu en France, même durant les années plus
humides, et notamment en 1816 ».
Payen disait aussi en 1847 : « La grande expérience subie en Amérique depuis 1843, et chez nous pendant les deux années dernières, s’accorde avec les
épreuves bien autrement rudes et graves sous lesquelles l’Irlande gémit encore ; elles conseillent de varier les cultures afin d’éviter, en tous pays, de fonder
la nourriture de l’homme sur la récolte trop exclusive d’une seule plante alimentaire, afin aussi d’élever la fécondité du sol par les meilleurs assolements ».
Enfin, Payen ajoutait en 1849 : « Les maladies qui attaquent les plantes semblent avoir généralement pour effet de limiter l’étendue du terrain occupée
par chacune des espèces végétales à la surface du globe ; de même que l’on a remarqué diverses causes de destruction venir frapper certains animaux ou
insectes lorsqu’ils se sont multipliés outre mesure, aucune des maladies des plantes ne s’est propagée aussi vite que celle qui affecte les Pommes de terre,
depuis six ans dans l’Amérique septentrionale et depuis près de cinq ans, en Europe et dans une partie de l’Afrique…
» Nous avions indiqué déjà le parti qu’on pouvait tirer de tous les tubercules atteints, en les faisant consommer à temps ou réduire en fécule sans les
enfermer en silos. Nous déclarions aussi que plusieurs variétés hâtives avaient plus de chances d’échapper aux atteintes du mal ; que même les variétés
tardives plantées tôt et récoltées avant la saison ordinaire de l’invasion partageraient, jusqu’à un certain point, ces chances favorables.
» Quant aux moyens de prévenir la Maladie par la régénération de l’espèce, nos premières observations ne permettent guère d’en espérer le succès. Les
expériences de M. Vilmorin et de plusieurs de nos correspondants ont montré, en effet, que les produits des semis de graines récoltées avant 1844 et venues
de diverses contrées ont subi les atteintes du mal en 1847 et en 1848. La méthode de culture hivernale[23] de M. Changarnier, en changeant l’époque de la
récolte ainsi devenue hâtive, a fait échapper les tubercules à l’invasion automnale de la Maladie. Cette méthode, expérimentée par plusieurs horticulteurs,
en France et en Angleterre, a donné les mêmes résultats favorables ; mais il convient de rechercher si la culture hivernale peut s’introduire économiquement
dans la grande culture ».
Toutefois, une autre question se posait dont on ne pouvait alors soupçonner l’importance, étant donné que la croyance à la Maladie spéciale avait à peu
près fait oublier l’influence du parasitisme, mais qui, aujourd’hui que les opinions se manifestent en sens contraire, ne laisse pas d’avoir un grand intérêt. Il
s’agissait de savoir, en effet, si le mal ne préexistait point dans les pays d’origine de la Pomme de terre avant d’envahir l’Amérique du Nord et l’Europe.
Or, nous trouvons à cette époque, en 1845 et 1846, deux documents fort instructifs sur ce point. Le 17 Novembre 1845, Boussingault communiquait à
l’Académie des Sciences la lettre suivante de M. Joachim Acosta sur la maladie des Pommes de terre dans la Nouvelle-Grenade.
« La maladie dont les Pommes de terre sont atteintes sur le plateau de Bogota, dans les années pluvieuses, et même tous les ans dans les lieux humides et
marécageux, est une espèce de Champignon ou excrescence qui se développe sur différents points et qui corrode plus ou moins profondément ces
tubercules. Cependant, ce qui reste, après avoir ôté les parties gâtées, est encore employé comme aliment, quoique cette substance soit alors loin d’être
aussi bonne comme nourriture, que le sont les Pommes de terre saines.
» Vous savez mieux que moi que les Pommes de terre sont indigènes sur les plateaux des Andes, et je ne doute point que la maladie dont je vous ai parlé
a toujours été connue ; mais jamais les Indiens n’en sont alarmés, quoiqu’ils se nourrissent principalement de Pommes de terre.
« Personne, mieux que vous, ne connaît la constitution météorologique de notre pays, et vous savez que des deux saisons de pluies que nous avons, il y
en a toujours une qui est plus abondante. Ainsi, lorsque les pluies continuelles et les inondations ont nui à la récolte première de l’année, la seconde vient
presque toujours compenser le déficit.
» Au moment de vous envoyer cette note, on m’apporte quelques Pommes de terre gâtées par la maladie qui s’est répandue dernièrement en Europe, et
que j’avais demandées pour pouvoir décider si c’est la même à laquelle elles sont sujettes dans leur terre natale. L’aspect extérieur de celles que je viens
d’examiner diffère de celles de Bogota, car elles ne présentent aucune espèce d’altération ou excrescence extérieure ; mais la nature de l’altération
intérieure me parait être identique ».
De son côté, Alcide d’Orbigny faisait lui-même une Communication sur le même sujet à la Société centrale d’Agriculture, en 1846. Nous extrayons les
passages suivants de sa Communication qui est intitulée : Note sur la Pomme de terre et sa maladie.
« L’Agriculture n’étant pas le sujet de mes études spéciales, je viens seulement vous parler de la Pomme de terre comme un voyageur qui, dans ses
longues et lointaines pérégrinations (dans l’Amérique du Sud), a cru ne pas devoir négliger d’apprendre, chez les peuples qu’il visitait, tout ce qui pourrait
un jour être utile à sa patrie.
» Si la culture du Blé et des autres Céréales a pu exercer une immense influence sur l’agglomération et la civilisation des peuples de l’Ancien Monde, on
doit également à la culture de la Pomme de terre et du Maïs sur les Cordillères de l’Amérique méridionale la réunion de ces grandes Sociétés qui bâtirent
les anciens monuments de la Bolivia, et servirent de souche au gouvernement monarchique et religieux des Incas. La Pomme de terre, connue des nations
aymaras et quichua sous le nom de Papa, y était cultivée depuis les temps les plus reculés, et a toujours formé la base de la nourriture de tous les habitants
des régions tempérées des Andes boliviennes et péruviennes. Les ouvrages des premiers historiens espagnols du temps de la conquête, tels que Garcilaso de
la Vega, etc. etc., le prouvent de toutes les manières, ainsi que les Pommes de terre sèches ou Chuñu que j’ai souvent rencontrées en fouillant des tombeaux
très anciens.
» Chez ces peuples civilisés des montagnes du Nouveau-Monde, l’Agriculture était tellement honorée, que le souverain lui-même ne craignait pas de
cultiver son champ. Ayant parfaitement senti que l’abondance des vivres pourrait beaucoup influer sur le bonheur et la tranquillité d’avenir de leurs sujets
et leur donner les moyens d’agrandir leur empire, les Incas mirent tout en œuvre pour encourager et perfectionner l’industrie agricole ; ils firent exécuter de
nombreux canaux d’irrigation qui amenèrent, de très loin, des eaux inutiles dans des vallées jusqu’alors sèches, inhabitées, et les rendirent si fertiles, que
celle d’Arequipa, par exemple, contient maintenant une grande ville de plus de 80,000 habitants ; ils employèrent le guano avec de grands avantages, et
cherchèrent, surtout dans les régions tempérées des montagnes, à multiplier la surface des terrains labourables, en construisant, sur les pentes abruptes, de
petites murailles parallèles en gradins, disposées de manière à retenir les terres.
» Dans un pays où l’Agriculture avait jadis atteint un haut degré de perfection, où plie était le domaine des classes aisées de la Société, il était impossible
que l’expérience d’un grand nombre de siècles ne les eût pas amenées à connaître parfaitement tout ce qui est relatif à la Pomme de terre ; aussi les
montagnards étaient-ils très instruits sous ce rapport[24]. Bien que les Espagnols aient considérablement diminué la population par suite de leurs guerres
intestines et du travail forcé des mines, qu’ils aient détruit beaucoup de canaux d’irrigation et abandonné de grandes surfaces de terre, où le voyageur
rencontre partout aujourd’hui d’anciennes traces de culture, ils n’ont pu anéantir chez les indigènes, toujours chargés de pourvoir à la subsistance du peuple
entier, ces connaissances agricoles de première nécessité dont l’oubli pouvait compromettre leur avenir et celui de la nation.
» Comme la Pomme de terre, empruntée aux cultivateurs péruviens, est venue seule en Europe, sans les connaissances agricoles qui la concernent, je me
félicite de pouvoir les faire connaître en donnant quelques détails, sur une maladie très connue au Nouveau-Monde, qui a détruit, momentanément en
Europe, la sécurité dans laquelle on vivait relativement à cette précieuse racine, maintenant une seconde providence contre les horreurs de la famine. J’ai
effectivement appris des habitants de la Bolivia le nom de la maladie de la Pomme de terre, les causes de cette maladie, les moyens de les prévenir, les
symptômes extérieurs de la maladie lorsque la plante en est atteinte, les moyens de la guérir avant que les tubercules ne soient attaqués…
» Nom de la maladie. — Les indigènes aymaras des environs de la ville de La Paz, en Bolivia, connaissent depuis l’antiquité la plus reculée, la maladie
qui a sévi, cette année, en Europe contre la Pomme de terre, et la nomment casagui. Cette maladie règne principalement sur le versant est de la Cordillère
orientale, où les pluies sont plus abondantes.
» Causes de la maladie. — L’expérience a prouvé aux cultivateurs boliviens que la maladie en question provient de l’excès d’humidité de la terre dû à
l’action prolongée des pluies et des temps couverts, à l’instant de la seconde période d’accroissement des Pommes de terre, c’est-à-dire au moment où le
tubercule a pris la moitié de sa grosseur ordinaire. Trop souvent les habitants des montagnes boliviennes en ont la preuve, quand, par exemple, ils cultivent
un champ au pied d’un coteau dont une partie est en pente et l’autre unie dans le fond de la vallée ; car alors il n’y a jamais que la partie inférieure du
champ, toujours la plus humide, qui soit susceptible de gagner le casagui, tandis que la partie supérieure, où l’eau ne peut séjourner, en est toujours
exempte ; néanmoins, ayant à lutter contre l’action glacée des vents du sud sur les coteaux et du casagui dans le fond des vallées, ils sèment ordinairement
dans deux conditions, afin d’avoir une bonne récolte sur les coteaux, lorsqu’ils n’éprouvent pas de grandes gelées, ou dans les plaines lorsque l’année n’est
pas pluvieuse. Pour eux l’excès de l’humidité est regardé comme la seule cause de la maladie des Pommes de terre : ce qui, du reste, serait en rapport avec
la surabondance des pluies éprouvée cette année en Europe.
» Moyens de prévenir la maladie de la Pomme de terre. — Les causes de la maladie étant bien connues, il est très facile de la prévenir, soit en
choisissant les meilleures terres, la configuration naturelle du sol la plus propre à cette culture, soit en disposant artificiellement le terrain de manière à les
préserver de la trop grande humidité. La Pomme de terre, on le sait, vient beaucoup mieux dans les terres légères ou les terres sablonneuses ; aussi les
Boliviens choisissent-ils celles-ci de préférence. Lorsqu’ils habitent des vallées assez tempérées pour ne plus redouter l’action des gelées, afin d’éviter le
casagui, ils sèment la Pomme de terre seulement sur les terrains en pente, où l’eau ne peut séjourner, en prenant le plus grand soin d’éviter les lieux trop
humides ou les terres trop argileuses…
» Des symptômes extérieurs de la maladie. — Si la maladie des Pommes de terre n’avait attaqué que le tubercule, il eût été difficile de s’en apercevoir et
d’y porter remède ; heureusement que, avant d’avoir fait ses ravages sur la racine, elle se manifeste très bien sur la plante elle-même. L’excès de l’humidité
produit effectivement sur les feuilles une espèce d’étiolement qui en change la teinte ; le vert glauque de la plante devient vert jaunâtre d’autant plus intense
que l’action de la maladie se fait sentir avec plus de force. Jamais un cultivateur bolivien ne se trompe sur leur aspect extérieur, et souvent un champ qui
occupe, comme je l’ai dit, le pied encore en pente d’un coteau et le fond de la vallée montre à la fois les deux teintes tout à fait tranchées qui indiquent
positivement au laboureur jusqu’où s’étend le mal redouté sur les parties les plus basses de la plantation.
» Une personne très distinguée de Bolivia, que je me plais à citer, M. don Antonio Acosta, consul général de cette république à Londres, en parcourant
l’Angleterre, a également reconnu comme moi, à l’aspect jaunâtre des champs, l’identité parfaite de la maladie des Pommes de terre d’Europe avec le
casagui des Boliviens.
« Des moyens de guérir la maladie avant que les tubercules de la Pomme de terre ne soient attaqués. — Les causes morbides de la maladie des Pommes
de terre étant déterminées, non seulement on peut les prévenir, mais encore les arrêter dans leurs progrès, et souvent même les faire entièrement disparaître,
lorsqu’on agit avec prudence et dans les circonstances les plus favorables. L’excès de l’humidîté causant le mal, il faut chercher à le combattre activement,
et c’est encore à quoi les cultivateurs boliviens réussissent parfaitement avec les moyens les plus simples et les plus faciles. Comme ils ont remarqué que la
terre battue par la pluie forme une croûte extérieure qui empêche l’humidité de s’évaporer, lorsqu’ils ont reconnu, à la couleur jaunâtre des feuilles de la
plante, que la maladie existe, ils attendent que la direction des vents régnants leur indique une série probable de beaux jours ; alors ils donnent un labour
profond au champ de Pommes de terre, de manière à laisser agir avec plus de force les rayons solaires sur la terre fraîchement remuée, ou déchaussent un
peu la plante ; s’ils obtiennent quelques belles journées, l’action morbifique s’arrête et ne se communique pas aux tubercules, qui seulement prennent
moins de volume, mais perdent la maladie, qui continuerait sa marche si on ne l’arrêtait dans ses rapides progrès… ».
Cette Note est très instructive à divers titres, surtout au point de vue historique. Quant aux moyens préventifs employés par les Boliviens pour diminuer
ou arrêter les progrès de la maladie, il ne paraît pas qu’on les ait mis à profit en Europe où d’ailleurs les cultures ne se font pas de la même façon que sur
les Andes.
A cette époque où la maladie sévissait le plus cruellement, on s’est fortement préoccupé de ne pas laisser perdre sur place la partie de la récolte qui se
trouvait avariée. Plusieurs savants se sont dévoués pour faire sur leurs personnes l’essai de la consommation des tubercules altérés, après cuisson préalable.
Ils en ont ainsi reconnu l’innocuité, masquée par une saveur des plus désagréables. Par suite, on n’a pas hésité à conseiller d’en faire usage pour le bétail.
Enfin, lorsque ces tubercules conservaient de la fécule, on réussissait encore à en retirer cette fécule ou à les faire servir à la distillerie. Ces pratiques, de
nos jours, n’ont plus grand intérêt. Aussi, sans nous y arrêter davantage, reprenons-nous l’histoire de la Maladie même et en particulier celle du parasite,
que l’on va bientôt reconnaître pour en être la véritable cause.
Nous ne nous arrêterons pas au Mémoire publié par Harting à Amsterdam, en 1846, sous le titre de Recherches sur la nature et les causes de la maladie
des Pommes de terre en 1845. Malgré des recherches nombreuses et très minutieuses, cet auteur n’est en somme arrivé qu’à signaler les différentes espèces
de Champignons qui peuvent se développer et vivre aux dépens du tubercule malade, alors qu’il en exclut le Botrytis infestans, qu’il baptise bien
inutilement du nouveau nom de Botrytis Solani. Ce mémoire, plus riche en citations qu’en découvertes, aboutit à cette conclusion « que la cause spécifique
de la maladie, si elle a existé, ne saurait être cherchée ni dans les végétaux parasites, ni dans les animaux parasites ».
C’était avouer qu’après tous les travaux de l’auteur, la solution de la question du Botrytis n’avait pas fait un pas. Payen, qui, on l’a vu plus haut, était
partisan d’une action parasitique dans cette affection spéciale, affirmait cette opinion dans un petit Traité sur les maladies de la Pomme de terre et d’autres
plantes cultivées paru en 1853.
« La maladie des Pommes de terre, disait-il, est occasionnée par une végétation parasite, sorte de moisissure légère, dont les semences, spores ou
sporules, d’une excessive ténuité, flottant dans l’air en nombre immense, à certaines époques, sont transportées par les vents à toutes les distances.
Disséminées irrégulièrement ainsi sur les champs en culture, elles se développent chaque année durant la même saison, au fur et à mesure que les
circonstances atmosphériques deviennent favorables dans chaque localité, et que la plante s’affaiblit naturellement vers l’époque de sa maturité…
» Le développement presque subit se manifeste aussitôt par la production de la moisissure qui attaque les feuilles et se montre dans leurs stomates. Sa
fructitication ou sa graine se reproduit rapidement en quantité prodigieuse ; l’air en mouvement entraîne de nouveau ces légers corpuscules comme les plus
fines poussières…[25].
< « La maladie des Pommes de terre, ajoutait Payen, se déclare en général dans les mois de Juillet, Août, Septembre et Octobre ; cependant les plus
grandes surfaces se sont généralement trouvées atteintes, en France, depuis le 15 Août jusqu’à la fin de Septembre de chaque année ; on n’en a observé que
des cas isolés en Juin, et à peine un ou deux seulement durant le mois de Mai ».
Ce sont aussi les mêmes périodes d’attaque que l’on observe aujourd’hui, ce qui prouve que rien n’est changé dans les époques de propagation du
parasite. Quoi qu’il en soit, le Botrytis infestans, cause du mal d’après Payen, n’était pas mieux connu en 1853 dans ses manifestations biologiques qu’en
1845. Un célèbre mycologue, qui a fait faire de grands progrès à nos connaissances, relativement surtout aux Champignons inférieurs, Tulasne, membre de
l’Académie des sciences, communiquait à cette Académie la Note suivante, le 26 Juin 1854. « Note sur les Champignons endophytes, tels que celui de la
Pomme de terre.
« L’étude du Botrytis infestans, disait-il, m’a montré, comme à d’autres observateurs, qu’il n’était point, autant que beaucoup l’ont cru, innocent des
taches qui apparaissent sur les feuilles et les tiges de la Pomme de terre, ni, par suite, étranger à la dessiccation prématurée de ces organes. Champignon
endophyte et parasite véritable, il se nourrit et donne ses premiers fruits aux dépens des tissus verts et pleins de vie, mais dont il épuise rapidement tous les
sucs. La dessiccation, puis la coloration en brun, des espaces qu’il a envahis, tant dans les feuilles que dans les tiges, ont parfois lieu cependant, sans que
ses rameaux conidifères[26] se soient montrés ; mais on peut facilement provoquer le développement tardif de cet appareil reproducteur, en humectant les
parties brunies dont il s’agit, qui sont le plus souvent toutes pénétrées de mycélium. Les tiges conidifères sortent généralement, soit isolées, soit groupées
en faisceaux, par les stomates de l’épiderme ; mais sur les côtes des feuilles et sur les tiges où ces pores sont rares ou nuls, de pareils arbuscules fructifères
rompent ou percent fréquemment l’épiderme pour se produire au dehors.
» J’ai observé ce Botrytis, non seulement sur la Pomme de terre commune, mais encore sur les Solanum etuberosum, stoloniferum, verrucosum, et sur les
Tomates dont il envahit les fruits aussi bien que les feuilles et qu’il rend ainsi improductives. Je sais plusieurs cultivateurs de ces dernières plantes qui n’ont
obtenu l’an passé qu’une récolte fort amoindrie par notre Champignon.
Fig. 108. — Coupe transversale d’une feuille de Pomme de terre, dans le tissu cellulaire de Fig. 109 et 110. — Phytophtora infestans. Deux ramuscules encore incomplètement développés, sortant par les
laquelle se montre les filaments du mycélium du Phytophtora infestons, dont une extrémité stomates d’un épiderme de feuille de Pomme de terre. (Gross. 200/1. ) Une conidie (ou zoosporange)
sort par un Stomate. (Gross. 170/1.) D’après De Bary. complètement formée à l’extrémité d’un rameau. (Gross. 300/1.) D’après De Bary.
» Parmi toutes les considérations qui ont pu dissuader les observateurs d’attribuer au Botrytis une grande part dans la Maladie de la Pomme de terre, il en
est une qui paraît avoir exercé beaucoup d’influence sur les esprits. Généralement, on assimilait ce parasite aux Moisissures qui naissent sur les corps
organisés en décomposition, et l’on en concluait naturellement qu’il ne pouvait précéder l’altération des tissus de la Pomme de terre, ni les occasionner,
puisqu’il fallait à ses premiers développements une matrice déjà désorganisée ; mais on se trompait à cet égard. Le Botrytis de la Pomme de terre appartient
à un genre de Champignons qui sont parasites au même degré, ou aussi essentiellement que les Urédinées[27], et qui ne sauraient conséquemment végéter,
du moins pendant la plus grande période de leur développement, qu’aux dépens de plantes vivantes. À ce caractère biologique qui les éloigne des
Mucédinées proprement dites ou les plus vulgaires, il s’en joint un autre très important, tiré de leur organisation et qui est demeuré tout à fait inconnu
jusqu’à présent.
» Quand M. Corda (en 1840) a proposé le nom de Peronospora pour distinguer de leurs homonymes les Botrytis parasites dont nous parlons, il n’a pu
justifier cette séparation, au point de vue organographique, qu’en signalant la continuité de leurs tiges fistuleuses dont, le plus souvent, aucune cloison ne
partage la cavité. Cette circonstance, fût-elle plus exempte d’exceptions qu’elle ne l’est réellement, ne serait encore que d’une médiocre importance, et elle
fut jugée de la sorte par d’autres observateurs que M. Corda ; cependant elle se trouve coïncider aujourd’hui avec un caractère de première valeur.
Effectivement, ce qui parait au dehors, chez un Botrytis endophyte ou Peronospora, n’est, à certains égards, que la moindre part de la plante, c’est-à-dire
un appareil secondaire de reproduction dont les fruits transparents correspondent à des conidies. Les spores ou graines proprement dites du parasite naissent
sous l’épiderme de la plante hospitalière, renfermées isolément en de grands utricules, épars ou groupés, et attachés par un court funicule aux filaments du
même mycélium dont procèdent les tiges aériennes et conidifères. La génération solitaire de ces spores au sein de conceptacles globuleux qui imitent ceux
des Truffes, constitue pour les Peronospora un caractère qu’ils ne partagent peut-être encore avec aucun autre genre de Champignons.
» Nous avons, mon frère et moi, parfaitement constaté maintes fois, cette fructification entophyte dans plusieurs espèces de Peronospora rapportées au
genre Botrytis par la plupart des auteurs, et qui déterminent toutes, soit dans les plantes sauvages, soit dans celles de nos potagers, ou chez les unes et les
autres à la fois, les mêmes désordres que présente la Pomme de terre atteinte par son Peronospora… Il ne m’a point encore été donné de voir les spores
endothèques de ce dernier, mais je doute à peine qu’elles aient été observées ; seulement, les descriptions et les figures, qui, si je ne me trompe, en auraient
été publiées jusqu’ici, sous des noms divers, n’offrent pas entre elles un accord qui exclue toute incertitude. Quoi qu’il en soit, les Peronospora s’ajouteront
désormais aux Champignons qui possèdent le plus manifestement plusieurs sortes de graines et contribueront efficacement à justifier les idées que nous
avons émises sur la multiplicité des organes reproducteurs dans la grande Classe des Fungi ».
En outre des observations nouvelles consignées dans cette Note par Tulasne, il est important de remarquer ce qu’il dit au sujet d’une seconde forme de
fructification qu’il avait découverte sur plusieurs espèces de Peronospora. Il ne doutait même pas, bien qu’il n’en ait pas constaté la présence sur la Pomme
de terre, que le Peronospora infestans ne dût lui-même posséder cette seconde forme de fructification. Nous pouvons déjà dire qu’on n’a pu jusqu’à présent
la découvrir, et pourtant, comme nous le verrons plus loin, ce ne sont point les recherches multiples des observateurs qui ont manqué. Il y avait, en effet, un
grand intérêt à s’assurer si le Peronospora infestans, comme beaucoup de ses congénères, avait la faculté, au moyen d’une spore dormante, de résister aux
froids de l’hiver pour reparaître au printemps, ce qui est le cas pour une autre espèce très voisine, nouvellement introduite en Europe et originaire des États-
Unis, le Peronospora viticola ou Mildew. Connaître, dans les tissus de la Pomme de terre, le siège habituel de cette spore dormante et le détruire, c’était
s’assurer contre le développement du Peronospora infestans, l’année suivante, et peut-être arriver à le faire disparaître complètement des cultures. On
conçoit donc qu’il était important de découvrir ce second mode de fructification, et c’est ce à quoi l’on s’est en conséquence vivement et longuement
appliqué, mais vainement jusqu’ici. L’exposé des derniers travaux qui ont été publiés sur ce sujet nous apprendra de quelle façon l’on a cru possible la
vitalité continue du Peronospora infestans dans les tubercules du Solanum tuberosum.
Mais continuons à passer en revue les divers Mémoires qui ont paru successivement, après 1854, et qui traitaient de la Maladie des Pommes de terre.
En 1856, le célèbre phytotomiste, Schacht, publiait à Berlin, sous les auspices du Ministre de l’Agriculture, un très curieux mémoire, intitulé La Pomme
de terre et ses maladies, accompagné de planches explicatives d’une fort belle exécution. Nous en avons, du reste, parlé dans un autre Chapitre. Mais tout
en donnant de bonnes figures du Peronospora infestans et de l’altération qu’il produit sur les feuilles du Solanum tuberosum, Schacht ne découvrit pas non
plus le mode de germination de ses spores ; toutefois, il les dessine avec soin et représente très nettement les filaments végétatifs du champignon dans le
tissu foliaire, ainsi que la sortie par les stomates des rameaux aériens portant les spores ou conidies. Il ne s’occupe ensuite que de montrer dans les
tubercules les autres Champignons déjà signalés par Harting, et de donner des conseils sur les moyens à employer pour se mettre à l’abri de la gangrène
sèche et de la gangrène humide, attribuées à l’action nocive de ces Champignons et dont il a été plus haut question.
L’année suivante, en 1857, le Journal allemand de botanique Flora faisait paraître dans ses colonnes un Mémoire de Speerschneider, intitulé :
Démonstration expérimentale de ce fait, que la pourriture des tubercules dans la Maladie des Pommes de terre est déterminée par la dissémination et la
germination des Spores du Champignon épiphylle. D’après les expériences de l’auteur de ce Mémoire, il résulte qu’il avait inutilement essayé d’inoculer le
Champignon à des tubercules dont la pelure était restée entière et bien fermée ; mais qu’il avait réussi à pratiquer cette inoculation sur d’autres tubercules,
privés, en quelques points de leur surface, de leur pelure subéreuse. Dans ces premières expériences, Speerschneider s’était servi de tubercules mûrs. Sur
des tubercules très jeunes, à pelure mince et délicate, l’inoculation se fit beaucoup plus facilement encore, même sans aucune blessure. Une autre
expérience eut un résultat plus intéressant. De jeunes tubercules à pelure mince avaient été plantés en terre peu profondément, et la terre avait été
recouverte à sa surface de feuilles de Pommes de terre couvertes de Peronospora que l’on prit soin d’arroser de temps en temps : au bout de 14 jours,
presque tous les tubercules furent trouvés malades et sur quelques-uns la présence du Peronospora se manifestait à leur surface. Citons ici les conclusions
fort importantes que l’auteur tire de ses expériences. « 1° Les filaments émis par les spores en germination du Peronospora pénètrent dans le parenchyme
des tubercules de la Pomme de terre. A la suite de cette pénétration, ce tissu devient malade et se détruit peu à peu. Le Champignon est donc la cause de la
maladie.
» 2e Ce n’est qu’au hasard que les spores du Champignon arrivent aux tubercules ; de là il est facile de s’expliquer pourquoi les pieds de Pommes de
terre, dont les fanes sont malades, peuvent porter des tubercules sains, et réciproquement.
» 3e La maladie des tubercules ne se déclare que sous l’influence de l’humidité, celle-ci étant indispensable pour la germination des spores.
» 4e Une pelure épaisse, comprenant de nombreuses assises de cellules subéreuses, empêche la pénétration des filaments émis par les spores du
Champignon. Ce fait explique pourquoi la maladie s’est déclarée avec facilité principalement sur les tubercules jeunes, à pelure mince, ou en des points
dénudés de leur pelure bien formée.
» 5e La maladie des tubercules doit partir toujours de la surface pour se propager ensuite de proche en proche dans l’intérieur.
» 6e Les fanes de la Pomme de terre doivent être toujours attaquées les premières par la maladie, avant que la pourriture puisse envahir les tubercules ».
Cette démonstration expérimentale venait donc confirmer tout ce qu’avait avancé Morren, qui avait douze ans auparavant tracé la seule et véritable voie
à suivre, mais jusque-là bien inutilement.
En 1858, M. Von Holle publiait dans le Botanische Zeitung un autre important Mémoire, intitulé : Sur le Champignon de la Pomme de terre. Ce
Mémoire est divisé en six paragraphes que nous résumerons comme il suit. I. Apparition et disparition du Champignon des Pommes de terre dans le
Hanovre pendant le mois d’Août 1851. Le 4 Août 1857, après une longue sécheresse, le temps devint chaud, pluvieux et orageux : le Champignon ne tarda
pas à faire son apparition. On observait, dès le 16 de ce mois, sur les tiges et les feuilles de la Pomme de terre les taches brunes qui sont l’indice le plus
apparent de la maladie ; le 19, on les voyait partout aux environs de Hanovre. Le 20 Août, le temps redevint sec et chaud, et le mal s’arrêta complètement
tant sur les tiges et les feuilles que sur les tubercules. Les taches des feuilles séchèrent et celles des tiges ne gagnèrent plus[28].
II. Présence du Champignon sur les fruits, la tige, les feuilles et les tubercules de la Pomme de terre. — Les taches brunes sur la tige et celles des
feuilles, à leur face inférieure, dénotaient facilement la présence du Champignon, pendant le temps humide. Elles ne le montraient plus, lorsque le temps fut
redevenu sec. On pouvait l’observer aussi sur les taches brunes des fruits malades. Quant aux tubercules atteints, le Champignon ne se montrait pas à leur
surface.
III. Anatomie du Champignon des Pommes de terre. — L’auteur décrit ici toutes les parties constitutives du Champignon tel qu’il se montre à la face
inférieure des feuilles attaquées. Les filaments végétatifs ou mycélium paraissent ne s’étendre que dans le tissu superficiel, couvert par l’épiderme. Sous les
points situés près des stomates, il se forme des branches dressées, soit isolées, soit réunies, sous l’ouverture stomatique. Ces branches, pourvues à la base
de renflements tubériformes, sortent par l’ostiole du stomate, et se ramifient de manière à prendre un port arborescent. D’ordinaire leur tige n’est pas
cloisonnée ; mais elle l’est aussi quelquefois par l’effet de l’humidité. Leurs rameaux sont épars, au nombre de 2 ou 3, rarement 4 et davantage. Les
ramifications dans le bas sont continues, mais vers le haut elles paraissent articulées, leurs renflements se raccourcissant vers leur extrémité.
IV. Développement tardif du Peronospora et sa germination. — L’auteur dit n’avoir jamais réussi à faire germer les spores du Peronospora. Malgré les
nombreuses tentatives qu’il a faites sur des feuilles de Pommes de terre malades tenues humides, il n’a jamais vu sur les innombrables spores qui y étaient
tombées le plus léger changement qui indiquât une germination.
V. Sur les causes de la Maladie de la Pomme de terre. — L’auteur ayant répété les expériences de Speerschneider, sans obtenir les mêmes résultats, est
porté par suite à se montrer moins affirmatif que ce dernier. Il n’ose déclarer que le Champignon est la cause première de la maladie, bien qu’il semble y
jouer un rôle important, car la chaleur et l’humidité, la nature du sol, la sécheresse, les fumiers, etc. peuvent agir sur la maladie pour l’arrêter ou l’aggraver.
VI. Existe-t-il des moyens pour détruire les spores du Champignon et par suite pour circonscrire la maladie.
— M. Von Holle reconnaît qu’il conviendrait d’abord d’empêcher par tous les moyens la propagation du Champignon. Mais quels moyens employer
pour agir sur le sol, sur la plante, sur les tubercules ? Il s’est servi sans résultat de l’eau de chaux, d’une forte lessive de cendres de bois, et même d’une
solution de potasse. Il croit qu’il serait bon de continuer des essais de ce genre.
N’est-il pas singulier de constater que jusque-là aucun expérimentateur n’ait réussi à faire germer les spores de ce Peronospora ? Dans quelles
conditions pouvait donc s’effectuer cette germination ? Car, enfin, il n’y avait pas à douter que la propagation du Champignon ne pouvait avoir lieu que par
ce moyen, et par quel secret la nature arrivait-elle à faire partout ce qu’il était impossible d’obtenir dans les préparations du laboratoire ? Pour comprendre
la succession des faits qui devaient enfin faciliter cette découverte, il nous faut remonter à l’année 1807. Bénédict Prévost publiait alors à Montauban, un
travail fort curieux surtout pour son époque, intitulé Mémoire sur la cause immédiate de la Carie ou Charbon des blés. Dans ce mémoire, l’auteur décrit la
germination de la Spore d’une Rouille blanche du Pourpier (Uredo Portulacæ de De Candolle qui est devenu le Cystopus Portulacæ de Léveillé). Voici ce
qu’il avait observé. « Une ou deux heures après l’immersion de cette spore, par une température de 12 à 16° Réaumur, l’extrémité la plus grosse et la plus
convexe s’ouvre de manière que le tout ressemble à une bouteille dont une bonne partie du col aurait été enlevée. Bientôt on voit paraître au dehors un
globule immédiatement suivi de 3, 4, 5 ou 6 autres, qui se réunissent au moment même, en un peloton, et qui se meuvent quelque temps ensemble, le
peloton se balançant ou tournant horizontalement sur lui-même, ou roulant dans le liquide. Les globules se séparent ensuite pour l’ordinaire, mais
quelquefois ils demeurent tous réunis… Ils ne laissent pas plus de doute sur leur nature animale que la plupart des animalcules que l’on a appelés
Infusoires… Petit à petit le mouvement de ces globules se ralentit ; ils se fixent tôt ou tard à la surface de l’eau, ou au fond. Ces derniers s’affaissent et se
rident… Ceux qui se fixent à la surface, prennent un peu de largeur, deviennent moins diaphanes… Ensuite ils poussent une petite tige grêle, un peu
tortueuse et ondulée, articulée ou granulée, au bout de laquelle il se forme un globule un peu plus petit que l’animalcule qui a produit la tige, laquelle a
alors une longueur égale à 6 ou 7 diamètres de gemme de Carie. Cette espèce de végétation animale s’arrête là, au moins pendant la température de 12 à 16
degrés où je l’ai observée ».
Fig. 114 à 120. — Cystopus candidus de Léveillé (Rouille blanche
des Crucifères) : a, trois supports de conidies en chapelet (ou
zoosporanges) ; b, partition du plasma dans un zoosporange ; c,
sortie des zoospores, 1er stade ; d, 2e stade ; e, deux zoospores
ciliées, vues de face et de côté ; f, une zoospore, après la cessation
de son mouvement dans l’eau, ayant perdu ses cils et se formant
en boule ; g, germination de la zoospore devenue sphéruliforme.
(Gross. 400/1.) D’après de Bary.
B. Prévost ajoute qu’il a vu sur le Chou une production à peu près semblable à celle du Pourpier, et qui lui a présenté des phénomènes peu différents. Il
s’agit de la Rouille blanche des Crucifères (Uredo candida de Persoon qui est devenu le Cystopus candidus de Léveillé).
« Ses globules [Sporanges], dit Prévost, qui contiennent les animalcules deviennent dans l’eau plus généralement sphériques. Ces animalcules sont un
peu plus anguleux, surtout au moment où ils se séparent. Au lieu de devenir plus grands, lorsqu’ils cessent de se mouvoir, il semble qu’ils soient alors plus
petits… Les tiges qu’ils poussent sont plus recourbées et plus granuleuses ; lorsqu’elles atteignent l’air en végétant, elles se terminent par une masse
allongée fort irrégulière. L’animalcule, lorsque cette espèce de végétation est avancée, n’est plus qu*un sac globuleux, si transparent qu’on l’aperçoit à
peine dans l’eau. On voit à l’intérieur un globule plus distinct, beaucoup plus petit, et qui diminue à mesure que la tige prend de l’accroissement ».
Fig. 121 à 125. — Phytophtora infestans. Formation des zoospores : à gauche, partition du plasma dans deux Fig. 126 à 131. — Phytophtora infestans. Germination, dans l’eau, des zoospores.
zoosporanges ; au centre, sortie des zoospores ; à droite, deux zoospores ciliées, vues de côté et de face. (Gross. Degrés successifs du développement de filaments de mycélium. (Gross. 400/1.)
400/1) D’après de Bary. D’après de Bary.
Plusieurs mycologues, et non des moins habiles dans ces expériences de germinations mycologiques, avaient essayé, mais en vain, de vérifier
expérimentalement les assertions de Bénédict Prévost. Il était réservé à un savant biologiste allemand, Antoine de Bary, de réussir là où d’autres avaient
échoué, et du même coup à obtenir la germination de ce même Cystopus candidus, et celle plus inattendue du Peronospora infestans. De Bary a publié ses
observations, en 1860, dans les Actes de la Société naturelle de Fribourg-en-Brisgaw : elles ont été traduites dans les Annales des Sciences naturelles de la
même année, sous le titre : Sur la formation de zoospores chez quelques Champignons. Dans ce mémoire, les animalcules de B. Prévost sont appelées des
Zoospores (spores animées ou spores motiles), et l’ancienne spore devient un Zoosporange ou conceptable contenant les Zoospores. Voici ce que De Bary
a pu constater.
« On place les zoosporanges (du Peronospora) dans une goutte d*eau sur le porte-objet du microscope et sous une lame de verre. Au bout de 3 heures
quelquefois, mais plus souvent après environ 5 heures, on voit tout le contenu du zoosporange partagé par des lignes fines et transparentes en un certain
nombre (9 à 16) de portions polyédriques dont chacune possède une vacuole centrale, arrondie et transparente. Bientôt après les parties du plasma les plus
voisines de la papille terminale se contractent tout à coup et s’isolent de la membrane enveloppante générale, pour s’appliquer de nouveau presque aussitôt
contre la papille. Celle-ci est poussée en dehors, puis devient promptement méconnaissable ; à sa place se forme dans la membrane du sporange un pertuis
arrondi par lequel passent rapidement, les unes après les autres, toutes les parts plastiques emprisonnées, et chacune de celles-ci devenue libre prend
aussitôt la forme d’une zoospore parfaite et commence de s’agiter. En peu d’instants toute la cavité du sporange est vide et les Zoospores sont toutes
disparues du champ visuel du microscope. La Zoospore parfaite est ovale ; elle est peu aplatie d’un côté, pointue par le bout qui se dirige en avant quand
elle se meut, et largement arrondie à l’extrémité opposée. Près de la pointe rostrale et immédiatement sous la surface du côté aplati existe une vacuole
arrondie, des bords inférieurs de laquelle naissent en un même point deux cils inégaux, l’un, le plus court, dirigé en avant dans la marche du corpuscule,
l’autre qui traîne après lui. Son mouvement dure environ une demi-heure et s’éteint dans les cercles que, avant d’entrer au repos, elle ne décrit plus qu’avec
lenteur. Devenue immobile, la Zoospore prend une forme régulièrement arrondie et s’allonge par un côté en un tube-germe ténu et courbé qui, en peu
d’heures, acquiert une longueur égale à 3 ou 4 fois le diamètre de la Zoospore…
» Sème-t-on les Zoosporanges sur des portions de la plante nourricière, alors si les autres circonstances sont également favorables, les Zoospores
s’appliquent et se fixent sur l’épiderme de ces fragments, elles donnent leurs germes accoutumés, et ceux ci, après avoir rampé un instant au dehors,
pénètrent dans les cellules épidermiques. Leur extrémité ainsi engagée acquiert aussitôt une épaisseur considérable et s’accroît ensuite en un tube qui
ressemble parfaitement aux filaments du Mycélium adulte du Peronospora, et s’insinue bientôt dans les profondeurs des tissus de la plante hospitalière.
» Tous ces phénomènes s’observent parfaitement, si les Zoosporanges du Peronospora sont placés dans l’eau sur une grande plaque de verre, en même
temps qu’on dépose au milieu du liquide un petit fragment bien vivant d’un turion de Pomme de terre. Dans ces circonstances on constate sans difficulté si,
et à quel instant, la formation des Zoospores a lieu ; puis, lorsque après 18 heures environ on vient à enlever au fragment qui est plongé dans l’eau un
lambeau de son épiderme, on y reconnaît aisément les germes pénétrant dans ses cellules. Les choses ne se passent pas autrement, mais d’une manière plus
constante encore, si les Zoosporanges sont répandus sur un sol convenablement humide ; la pénétration des germes s’effectue en ce cas aussi bien dans les
tiges normalement souterraines de la Pomme de terre que dans les portions enfouies de ses tiges aériennes ou foliifères…
Fig. 132 à 134. — Phytophtora infestans. À gauche, deux conidies produisant, en germant, un filament Fig. 135. — Phytophtora infestans. Deux zoospores semées sur un épiderme de tige saine de
de mycélium ; à droite, une autre conidie ayant produit une conidie de seconde formation. (Gross. Pomme de terre et ayant développé, au bout de 17 heures, un commencement de Mycélium. (Gross.
400/1.) D’après de Bary. 400/1.) D’après de Bary.
» Les zoospores s’engendrent aussi bien dans l’obscurité qu’à la lumière diffuse ; elles ne se produisent pas, au contraire, ainsi que je m’en suis
convaincu par mainte expérience, si le semis reçoit directement la lumière des rayons solaires, ou si, étant fait sur une lame de verre blanc, il est éclairé par
la lumière que réfléchit le miroir concave du microscope. Les semis, préparés dans ces dernières conditions, bien que protégés contre la dessiccation, ne
donnent jamais de zoospores. Place-t-on, au contraire, ces mêmes semis sous une cloche noircie, les zoospores se produisent en abondance…
» Enfin, il y a un autre mode de germination qu’offrent les conidies du P. infestans, et qui consiste en ce que la conidie émet de son sommet un tube-
germe simple ou ramifié. Je ne peux pas indiquer les conditions qui déterminent cette germination, car elle se rencontre quelquefois sur des semis dans
lesquels la plupart des conidies fournissent des zoospores. Cette circonstance, cependant, me parait prouver que ce n’est qu’un état particulier et en quelque
sorte anormal des conidies elles-mêmes qui couvre le phénomène en question ».
Relativement à ce dernier mode de germination signalé par cet habile observateur, il convient de faire remarquer que c’est le mode le plus habituel de
germination que l’on voit les conidies ou spores manifester. C’est dans tous les cas le mode germinatif de presque toutes les autres Péronosporées et qui
n’exige que l’action de l’air humide pour se produire. Le Peronospora infestans a donc deux moyens de propagation, soit par l’humidité de l’air seule, soit
plus ordinairement au moyen de l’eau.
Quoi qu’il en soit, on peut conclure de ces importantes constatations que l’eau est nécessaire à la production de ces zoospores-germes, qu’elles peuvent
pénétrer dans le sol pour infecter les parties souterraines de la plante nourricière, enfin qu’elles peuvent surtout la nuit pénétrer dans les tiges et les tissus
foliaires.
Dans un opuscule qu’il publia à Leipzig, en 1861, De Bary ajouta à ces observations des détails très circonstanciés soit historiques, soit biologiques. Cet
opuscule est intitulé : La maladie actuelle des Pommes de terre, ce qui la cause et ce qui peut la prévenir. Nous trouvons dans la suite des travaux de cet
habile observateur des résultats plus nouveaux à signaler.
Ainsi, en 1863, les Annales des Sciences naturelles publièrent un grand Mémoire d’une importance capitale pour l’étude des Peronospora, dans lequel
De Bary traite non seulement d’une manière complète de plusieurs groupes de Champignons entophytes, mais crée la famille des Péronosporées dont il
donne la diagnose et la description complète des espèces connues jusqu’à lui. Ce mémoire est intitulé : Recherches sur le développement de quelques
Champignons parasites. Nous en citerons ici quelques extraits qui se rapportent plus spécialement au Peronospora infestans.
« Ayant semé, dit De Bary, le P. infestans sur la Douce-amère {Solanum Dulcamara), je vis le mycélium s’étendre dans le parenchyme, mais les
rameaux conidifères ne vinrent que rarement et furent très ténus et très pauvres. Sur la Morelle noire (Solanum nigrum), je n’obtins pas de zoosporanges du
tout, quoique le mycélium du parasite eût pris possession du parenchyme des feuilles.
» Les tubercules malades de la Pomme de terre contiennent toujours le mycélium du Peronospora infestans, qui n’y fructifie jamais tant que la pelure du
tubercule est intacte. Mais quand, en coupant le tubercule, on expose le parenchyme occupé par le mycélium au contact de l’air, il se recouvre de rameaux
conidifères au bout de 24 à 48 heures. Des résultats analogues s^obtiennent avec les tiges de la Pomme de terre…
» Les conidies (ou zoosporanges) possèdent la faculté de germer dès le moment de leur maturation » Plus elles sont jeunes, plus elles germent
promptement. Elles peuvent conserver la faculté de germer pendant quelques jours ou pendant quelques semaines, quand elles ne sont pas entièrement
desséchées. J’ai vu des conidies du P. infestans produire des zoospores environ trois semaines après leur maturation ; elles avaient été conservées sur les
feuilles de la plante hospitalière qui ne se desséchaient que lentement.
» Le 9 Février, à cinq heures du soir, des conidies furent semées dans de l’eau répandue sur des lames de verre. On y mit des tiges coupées de Pomme de
terre et on les plaça dans une chambre chauffée. A sept heures quinze minutes, les zoospores étaient développées, et avaient poussé des tubes. Le matin du
10 Février, on les trouva pénétrées dans le tissu de la Pomme de terre ; le 11 Février, le mycélium était répandu abondamment dans les canaux
intercellulaires du parenchyme : on l’y trouve à une profondeur de six couches de cellules. Le 14 Février, le mycélium a parcouru le parenchyme entier ; de
nombreux rameaux conidifères s’élèvent à la surface. Beaucoup d’expériences semblables ont donné le même résultat. Je n’en citerai que deux. Des
sporanges, semés à midi, émettent les zoospores à une heure. A trois heures, on voit celles-ci fixées sur l’épiderme et les tubes-germes déjà enfoncés dans
la paroi des cellules. Le 4 Février, on sema des conidies sur des feuilles de Pomme de terre. Le 5, la pénétration des germes est accomplie ; le 8, l’une des
feuilles ensemencées offre l’éruption des rameaux fertiles ; le 9, ceux-ci paraissent sur les autres feuilles…
Fig. 136. — Phytophtora infestans. Ramuscule à conidies sortant
d’un morceau de Pomme de terre malade, conservé sous cloche
pendant 30 heures. (Gross. 200/1). D’après de Bary.
» Le Peronospora infestans est également vivace au moyen du mycélium contenu dans le tissu des tubercules malades. Quand, au printemps, une
Pomme de terre malade pousse des tiges, le mycélium monte dans celles-ci et se trahit bientôt par des taches noirâtres, qui, isolées d’abord, s’étendent
bientôt sur la surface entière de la pousse. La longueur des pousses occupées par le parasite, que j’ai obtenues en cultivant des Pommes de terre malades, ne
dépassait pas 8 à 12 centimètres. Cependant, je crois que, dans des conditions favorables, elles peuvent s’allonger davantage. Quoi qu’il en soit, le parasite
peut fructifier abondamment sur ces petites tigelles, et, par conséquent, se propager dans la nouvelle saison par des conidies provenant du mycélium vivace.
La faculté du mycélium d’être vivace explique donc comment le Peronospora qui en est doué peut revenir au printemps ou en été, quand même ses organes
reproducteurs sont incapables de vivre pendant l’hiver…
» Quand on sème le Peronospora infestans sur des feuilles saines de Pommes de terre, les germes entrent au travers de l’épiderme, le mycélium se
répand dans le tissu du point ensemencé, et, au bout de quelques jours, il y produit des fruits. Le tissu envahi par le parasite conserve d’abord son vert gris,
plus tard il devient un peu jaunâtre ; quand les conidies ont atteint leur maturité, le tissu se teint en vert sale, se ramollit, puis prend une couleur noirâtre et
se dessèche ou se pourrit. La tache noirâtre est ainsi formée. Les tubes du mycélium qui y sont contenus meurent avec l’altération signalée du parenchyme ;
mais ceux qui, dans la périphérie de la tache, touchent le parenchyme sain, s’étendent dans celui-ci pour lui faire subir les mêmes altérations qui viennent
d’être indiquées. C’est ainsi que le mycélium prend un développement centrifuge, et que ce développement détermine une extension pareille des taches
noirâtres. Quand on examine des fanes prises d’un champ quelconque, on y trouve toujours le même développement du parasite et la même extension des
taches. Toujours le mycélium occupe d’abord le tissu vert et sain, qui, la fructification du parasite étant achevée, se ramollit et brunit. On ne peut donc pas
douter que les taches des feuilles ne soient produites par le parasite qui y est entré. Et quant à la propagation rapide de la maladie, elle s’explique d’elle-
même par la grande quantité de sporanges que le parasite produit et par la rapidité de son développement, ainsi qu’il a été dit plus haut… Il est vrai que les
sporanges et les zoospores du parasite ont besoin d’eau pour prendre leur développement normal ; mais ces résultats de l’expérience s’accordent très bien
avec ce qu’on observe dans les grandes cultures, où les progrès de la maladie sont toujours d’autant plus rapides que le temps et l’exposition du champ
favorisent mieux les précipitations aqueuses de l’atmosphère, tandis que la sécheresse arrête le développement du parasite et les progrès de la maladie….
» Le Peronospora détermine immédiatement la maladie des tubercules aussi bien que celle des fanes, et cette supposition est parfaitement prouvée par
l’expérience. Quand on sème le Peronospora sur un tubercule sain, on voit les germes du parasite pénétrer dans les cellules superficielles, se répandre dans
le parenchyme périphérique, et produire les mêmes altérations qu’on observe sur les tubercules retirés du sol d’un champ…
» Comment le mycélium du parasite peut-il parvenir aux tubercules dans les cultures ordinaires de la Pomme de terre ? Il n’y a pas de doute que cela
peut avoir lieu à l’aide des sporanges. Quand on place des tubercules sains dans du terreau, à une profondeur de 1 à 2 centimètres ou de 1 décimètre et
davantage, et quand on sème des conidies du Peronospora à la surface du terreau arrosé de temps en temps, on voit, au bout de 8 à 10 jours, les tubercules
atteints de la maladie. Celle-ci commence dans le tubercule du côté qui est tourné vers le sol. Elle offre tous les symptômes qui viennent d’être exposés. Il
n’est pas nécessaire, dans ces expériences, d’humecter le terreau excessivement ; un arrosement modéré suffit. Quand on examine le terreau qui sert à
l’expérience, ou le sol d’un champ dont les fanes sont envahies par le Peronospora, on trouve aisément les conidies à une profondeur considérable. Ces
faits prouvent donc que les conidies sont amenées aux tubercules par l’eau qui pénètre dans le sol, que ce liquide détermine le développement des spores et
des germes dans le sol même, et que ceux-ci envahissent les tubercules pour y produire les altérations connues ».
Il pouvait sembler, après la lecture de cette savante description de la Maladie, que son histoire était bien connue. Mais un nouveau débat devait surgir
peu d’années après, au sujet des spores dormantes ou fructifications conservatrices du germe du Peronospora, que De Bary n’avait pas signalées sur le P.
infestans, alors qu’il les avait, après Tulasne, observées sur presque toutes les espèces des Péronosporées. Le 22 Juillet 1875, dans le Journal Nature, M.
Worthington Smith publiait une Note de laquelle il résultait qu’il avait réussi à découvrir ces spores dormantes, dans des tissus de la Pomme de terre altérés
par la Maladie et conservés en macération pendant une année entière. Plusieurs mycologues anglais avaient répété les expériences de M. Worthington
Smith et avaient été de son avis. Des dessins très nets furent publiés par l’auteur de la découverte dans le Gardener’s Chronicle, et des discussions assez
vives s’engagèrent à cette occasion à la Société Linnéenne de Londres, lesquelles furent en partie favorables à M. Worthington Smith. Ce serait sortir de
notre sujet que de reproduire les débats de cette polémique, et même de faire connaître ici les résultats des observations purement mycologiques de cette
découverte, d’autant plus qu’il fut reconnu par la suite que les spores dormantes en question, attribuées du Peronospora infestans, n’étaient en somme que
des fructifications normales d’une tout autre espèce de Champignon. Mais De Bary, en prenant une part active au débat, fut amené à publier en 1876 un fort
intéressant Mémoire dans le Journal de la Société royale d’Agriculture de Londres. Nous laisserons de côté tout ce qui, dans ce Mémoire, se rapporte à la
réfutation du travail de M. Worthington Smith[29], pour en extraire certains passages qui viendront compléter ceux que nous avons cités plus haut du
Mémoire de De Bary, paru en 1863. Nous ajouterons que, d’après une étude nouvelle du Peronospora infestans. De Bary avait reconnu que cette espèce
présentait un caractère particulier qui ne se rencontrait pas sur les autres espèces de Peronospora. Il s’agissait du mode de formation des conidies ou
sporanges à l’extrémité des rameaux fructifères de l’appareil reproducteur, lesquels montrent en effet une sorte de renflement allongé, qui est étranglé près
du rameau, et se termine par le sporange. Cette production, préalable à la formation de ce dernier, a paru à De Bary avoir une assez grande importance dans
la Classification des Péronosporées pour motiver la création d’un nouveau genre, qu’il a appelé le genre Phytophtora, On ne sera donc pas surpris de lui
voir désormais désigner le Champignon parasite de la Pomme de terre sous le nom de Phytophtora infeslans. De plus, l’étude de la formation des spores
dormantes ou secondes fructifications des Péronosporées avait fait de nouveaux progrès. On avait reconnu que les conceptacles globuleux, signalés par
Tulasne, n’était rien autre qu’une utricule sphérique femelle, que le filament végétatif qui lui donnait naissance émettait une autre branche plus ou moins
claviforme qui venait y adhérer, et que ce renflement claviforme constituait une anthiridie, dont le contenu représentant l’élément mâle venait en se
déversant dans celui de l’utricule femelle produire une fécondation. Le résultat de cette fécondation était la formation d’un corps sphérique plus ou moins
verruqueux, à membrane épaisse » pouvant par suite résister aux intempéries de l’hiver pour en laisser sortir au printemps le germe ainsi conservé. C’était,
autrement dit, un véritable œuf. On a, par suite, appelé oogone, organe de formation de l’œuf, l’utricule femelle, et oospore, l’œuf fécondé jouant le rôle de
spore dormante jusqu’au réveil du printemps. C’étaient des oogones, renfermant des oospores, que M. Worthington Smith avait cru avoir découverts dans
les tissus de la Pomme de terre malade, et qu’il avait rattachés au Peronospora infestans, alors que ces organes appartenaient à une autre espèce de
Champignon. Ces explications feront mieux comprendre les passages, suivants du Mémoire de De Bary, de 1876, que nous traduisons en ces termes.
«… Il est évident que nous ne sommes pas beaucoup plus avancés aujourd’hui que nous ne l’étions, il y a quinze ans, dans la connaissance de l’histoire
mycologique du parasite de la Pomme de terre. Les corps verruqueux en question pourraient-ils être ses oospores ? En vérité, leur apparition dans les tissus
de la Pomme de terre en Europe serait si extraordinairement rare, qu’on pourrait se demander si elles ne se rencontreraient pas plus fréquemment sur
d’autres plantes nourricières que la Pomme de terre, ou bien si cela n’a pas lieu dans d’autres climats que le nôtre. Il ne serait pas impossible, en effet, que
le fait eût lieu dans d’autres contrées ou sur d’autres espèces, et ce que nous savons d’après d*autres Champignons pourraient même rendre cela probable.
Mais en posant ces questions, je sors du domaine de la morphologie pour étudier les phénomènes de l’adaptation.
» Si l’on me demandait quelle pourrait être cette plante hospitalière, il me serait aussi peu permis de le dire maintenant qu’il y a quinze ans. On a observé
le parasite de la Pomme de terre sur d’autres espèces de la famille des Solanées qui croissent dans les jardins, mais sans que celles-ci présentent des
particularités différentes de celles qui se montrent sur la Pomme de terre ; de plus, le parasite s’y observe moins fréquemment. Sur le Solanum Dulcamara
ou Douce-Amère, il ne croît que dans une condition famélique, et on ne l’a pas encore remarqué sur d’autres espèces indigènes. Berkeley a signalé ce fait
que le Phytophtora infestans se rencontrait sur l’Anthoceris viscosa, une plante de la Nouvelle-Hollande qui appartient à la famille des Scrophulariacées,
très voisine de celle des Solanées. En s’appuyant sur cette observation, on pourrait se demander si la plante, sur laquelle le parasite de la Pomme de terre
formerait ses oospores, ne serait pas une de nos Scrophulariacées européennes, une des herbes sauvages de nos champs, telles qu’une Véronique ou une
Linaire. Les recherches spéciales qui ont été faites à ce sujet, pas plus que l’examen et la comparaison de tous les nombreux échantillons mycologiques
recueillis, depuis longtemps, n’ont jamais abouti qu’à un résultat purement négatif. Le Phytophtora n’a été observé sur aucune espèce indigène de
Scrophulariacées.
» Toutefois, je puis ajouter ici que j’ai trouvé, cette année, le parasite de la Pomme de terre sur une espèce exotique de cette famille, le Schizanthus
Grahami, sur lequel, si je ne me trompe, il n’avait pas encore été observé jusqu’ici. Il s’est montré sur cette plante ornementale, dans un jardin près de
Strasbourg, appartenant au Dr Stahl, vers la fin de Juillet, alors que les champs de Pomme de terre étaient excessivement attaqués par le parasite. On
remarquait, sur cette plante, les mêmes phénomènes de destruction des tiges, des feuilles, des bourgeons ; le développement du Champignon y était
extraordinairement luxuriant. Mais là, non plus, on ne découvrit point d’oogones. Cet exemple, de quelque valeur qu’il soit, nous fait connaître une
nouvelle plante hospitalière pour le Phytophtora, et nous indique en même temps la possibilité de retrouver d’autres espèces sur lesquelles il pourrait vivre
tout aussi bien, et même former des oospores. Le fait que le Schizanthus Grahami est une plante chilienne, et par suite indigène dans la même région que le
Solanum tuberosum et ses espèces affines, peut en lui-même ne pas être de grande importance ; toujours est-il qu’il y avait lieu de le signaler[30].
» Il n’est peut-être pas non plus très improbable que les oospores du Phytophtora, dans un climat différent de celui de l’Europe centrale, puissent être
observées sur des plantes nourricières qui ne les produiraient pas chez nous. Il conviendrait, étant donné cette supposition, de faire de nouvelles recherches
dans la patrie même de la Pomme de terre. Mais en attendant, nous ne pouvons émettre sur ce sujet que de pures idées spéculatives.
» Dans une publication précédente, j’ai peut-être été le premier à appeler l’attention d’une manière spéciale sur ce fait que le mycélium du Phytophtora,
de même que celui d’autres parasites vivant sur certaines plantes vivaces, pouvait être vivace lui-même dans les parties survivantes de la plante
hospitalière, c’est-à-dire pour la Pomme de terre, dans ses tubercules. J’ai plusieurs fois parlé de ce fait qui se prouve facilement par des expériences fort
simples et bien connues ; je n’en dirai donc ici que quelques mots.
» Sur de grandes quantités de Pommes de terre, on n’en trouve très souvent que quelques-unes qui soient malades, je veux dire renferment le mycélium
vivant du Phytophtora. Il n’y a pas lieu ici de discuter sur la préexistence du Champignon dans le champ où l’on aurait planté de ces tubercules malades. Je
ne dis pas que ceci ne peut pas arriver assez souvent ; mais, dans le cas même où il n’en serait pas ainsi, le Champignon pourrait encore, sans qu’on le sût,
se trouver dans les champs conservé dans des tubercules malades, parce que, comme je l’ai déjà dit, le mycélium forme directement dans le tubercule des
sporanges lorsqu’il est placé dans une atmosphère humide, et cette condition se trouve remplie pendant la température ordinaire du printemps. Ce fait se
vérifie aisément sur des sections fraîches ou sur des parties blessées d’un tubercule malade. Dans les celliers humides, les filaments qui développent les
sporanges peuvent se frayer un chemin à travers la pelure restée entière, et en particulier par les yeux. Il suffit que cette éruption se produise sur une seule
Pomme de terre, dans le cellier ou dans le magasin, pour que les sporanges une fois produits tombent sur d’autres Pommes de terre et y demeurent
adhérents. Si donc l’on plantait dans le sol ces tubercules tout à fait sains, les sporanges produiraient leurs germes, ceux-ci pénétreraient dans quelques-uns
de ces tubercules, et le mycélium se développerait lui-même dans leur intérieur. On en a la preuve au moyen d’expériences fort simples et depuis
longtemps bien connues.
» C’est ainsi que le Champignon vivant qui a survécu l’hiver a deux voies à suivre pour se développer, et qu’il peut se trouver dans les champs, avec la
semence. La dernière que nous venons d’indiquer est peut-être la plus ordinaire ; en tous cas, c’est la plus à redouter, parce que, malgré le plus grand soin
qu’on peut apporter dans le choix de la semence, on ne peut avoir la certitude d’avoir évité les germes de la maladie.
» Dans les deux cas, le Champignon est placé dans la terre avec le tubercule, et là il ne peut plus le quitter : le Champignon doit cesser de vivre et se
détruire dans et avec le tubercule, à moins qu’il n’ait réussi à monter dans la tige jusqu’au feuillage et à attaquer celui-ci…
» J’ai déjà appelé l’attention sur cet autre fait que les tubercules renfermant le Phytophtora, lorsqu’ils germent, émettent assez souvent des pousses dans
lesquelles passe le Champignon en sortant du tubercule. Dans ce cas, le Champignon, d’une croissance assez lente, finit par tuer les pousses qui, du reste,
pour la plupart, dénotent toujours qu’elles se trouvent dans un état maladif. Or, ces mêmes tubercules, comme on le sait, peuvent également émettre des
pousses saines. J’ai fait connaître de plus que, dans des circonstances spéciales, le Champignon dans ces pousses malades peut développer des sporanges
qui deviennent ultérieurement des centres d’infection de la maladie. Et ceci ne résulte pas de simples conjectures, mais de faits réels constatés dans des
expériences. Cependant, ces observations n’avaient pas été faites dans les champs, en plein air, mais dans le laboratoire, et je n’avais pas pu les confirmer,
pas plus qu’elles ne l’avaient été par d’autres, en plein air, dans les champs. La question était donc de savoir si ces résultats ne pouvaient être obtenus
qu’artificiellement, ou bien s’il était possible de les constater réellement enr plein champ, question qui ne devait se résoudre que par expérience. En
conséquence, en 1874, en poursuivant les recherches que j’avais entreprises à l’instigation du Conseil de la Société royale d’Agriculture de Londres, j’ai
expérimenté dans le jardin. Une Pomme de terre, avec une pousse assez bien développée et contenant le Phytophtora, y fut plantée au milieu d’autres
Pommes de terre qui présentaient un feuillage vigoureux et sain. La pousse malade était décolorée en de certaines places le long de la tige, mais elle n’en
continua pas moins à croître pendant quelque temps ; les parties brunes périrent peu à peu et graduellement, et se desséchèrent complètement ; mais
l’infection ne se propagea pas sur les plantes voisines, qui demeurèrent saines pendant tout l’été, bien que plusieurs tiges saines se fussent trouvées en
contact direct avec la pousse malade. L’examen microscopique fit voir que cette pousse malade contenait cependant le Phytophtora : placée dans un air
humide sous une cloche de verre, elle développa des sporanges, alors qu’en plein air on n’en avait observé aucun. Et pourtant, durant cette expérience, le
temps ne fut pas trop sec.
» Ce résultat négatif ne laissa pas que de me faire douter de la valeur de ma première assertion, et je fis part de ce doute à M. Jenkins, secrétaire de la
Société.
» Toutefois, cet insuccès dans une expérience si délicate ne pouvait servir de base pour juger définitivement la question. Je me décidai, en conséquence,
à répéter l’expérience, cette année (1875). Dans le mois de mars, cinquante Pommes de terre saines environ furent inoculées sur les yeux avec des
sporanges frais. Aucune preuve certaine ne permit de constater si l’infection avait eu lieu : le résultat final montra toutefois qu’elle avait réussi dans
beaucoup de cas, mais non dans tous. Le 2 avril, on planta les tubercules dans de la terre ordinaire de jardin, disposée dans un châssis ouvert à l’air, c’est-à-
dire dans une sorte de jardin minuscule qui, pour la facilité des soins à lui donner, se trouvait ainsi clôturé. Les tubercules émirent des pousses d’une
manière normale ; certains mêmes, reconnus pour être malades, produisirent sans aucun doute un feuillage sain. L’un d’eux, un Kidney rouge, se distinguait
particulièrement des autres, car les six pousses qu’il avait émises au-dessus du sol restaient dans un état pitoyable. Le 12 mai, ces pousses avaient bruni : je
coupais l’une d’elles et l’examen microscopique me permit de constater qu’il renfermait le champignon vivant ; du reste, la présence du parasite dans le
tubercule se trouva aussi confirmée plus tard. Les cinq autres pousses furent conservées telles quelles : elles ne manifestèrent aucun changement jusqu’au
17 mai, sans qu’il y eût apparition de sporanges. La nuit suivante, il tomba une pluie chaude : dès le matin du 18, les tiges et les pétioles des feuilles des
cinq pousses étaient abondamment couverts de filaments portant des sporanges mûrs. Sur le feuillage sain des autres pieds de Pommes de terre, on ne vit
pas trace du Champignon jusqu’au 20 mai ; mais le lendemain, au matin, deux folioles d’une feuille qui se trouvait à l’extrémité d’une branche, près des
cinq pousses malades, présentaient les taches caractéristiques du Phytophtora, et sur la face inférieure de ces folioles, aux endroits mêmes où se trouvaient
ces taches, il se produisit des sporanges. Aucun autre indice de la Maladie n’était visible à l’œil nu. A partir du 25 mai, les taches révélatrices du
Champignon se montraient en très grand nombre et ça et là sans ordre sur les tiges, les pétioles et les feuilles de toutes les plantes. Vers le même temps,
plusieurs tubercules malades émirent également de jeunes pousses, dans lesquelles monta le mycélium du Champignon : toutefois on ne put en suivre
ultérieurement le développement, parce qu’alors la Maladie avait fait partout de grands progrès. Certaines pousses étaient encore complètement saines à la
base : ils n’avaient donc pu recevoir l’infection de leurs tubercules, et cette infection n’avait pu se produire qu’au moyen des sporanges développés sur les
cinq pousses malades. Pour éclaircir tous les doutes sur ce point, on arracha entièrement plusieurs tiges et on les examina attentivement dans toutes leurs
parties. Deux Kidney rouge avaient leur tubercule-mère encore turgescent et libre de toute atteinte du Champignon ; la base des tiges l’était également,
tandis que sur leur partie supérieure on voyait les taches du Phytophtora apparaître en très grand nombre. Depuis lors jusqu’à la fin de Mai, il n’y eut rien
de remarquable dans le temps ; il était, en général, modérément humide. La période pluvieuse, sous l’influence de laquelle les champs ont ici tant souffert
du Phytophtora, ne vint que beaucoup plus tard. Or, au moment où cette expérience était terminée, je n’ai pu, dans de nombreuses excursions faites
spécialement en vue de constater la présence du Phytophtora dans les champs, en découvrir la moindre trace. Le jardin dans lequel avait été faite
l’expérience était situé dans la ville, loin des champs : c’était dans l’espoir qu’elle ne contribuerait pas à étendre l’infection jusque dans les cultures.
» Les résultats que je viens de faire connaître, ayant été constatés avec soin, le problème en question me semble aussi bien que possible résolu ; c’est-à-
dire que j’ai montré que les oospores n’ont pas été découvertes dans toute la région, et que le mycélium vivace doit faire écarter toute idée de la nécessité
de l’hivernage, qui est propre aux oospores chez d’autres espèces.
» Je puis en peu de mots appeler l’attention sur ce fait, que les phénomènes généralement connus et connexes à la présence du Champignon,
correspondent parfaitement avec les résultats auxquels je suis arrivé. Ceci peut ne pas paraître très net à première vue : en effet, tandis que la première
infection des plantes, dans les cultures, a lieu, comme nous le voyons, au printemps, la présence du Phytophtora n’est bien visible qu’en Juillet. Mais il faut
se dire que, dans la vaste étendue des champs, il peut n’y avoir qu’un fort petit nombre de foyers originels d’infection, puisqu’il y a comparativement peu
de Pommes de terre malades de plantées, et que, de plus, nombre de tubercules malades, qui ont été plantés en même temps, peuvent rester en dehors de
l’envahissement du Champignon qui ne développe alors de sporanges, ni sur eux, ni sur leurs pousses. Il faut évidemment une très grande quantité de
sporanges pour permettre au parasite de se répandre sur de très grandes surfaces. Il ne s’en produit d’abord qu’un nombre relativement petit dans le premier
foyer d’infection. Il en résulte que la première apparition du Champignon et la production de foyers secondaires d’infection peuvent se faire lentement et
sont difficiles à observer. Ce qui revient à dire que le Phytophtora a besoin d’un certain temps pour développer la quantité de sporanges reproducteurs qui
est nécessaire pour infecter de grands espaces. S’il n’en était pas ainsi, la Pomme de terre, dans les terrains humides ou dans les années pluvieuses, aurait
été attaquée au printemps et serait morte. Il n’est peut-être pas superflu de dire aussi que le cas serait presque le même, si le Champignon avait pu hiverner
au moyen d’oospores qui auraient germé au printemps. Si bien, qu’en supposant que leur présence fût rare, l’état de choses actuel ne se modifierait pas ; si,
au contraire, elles se montraient très fréquemment, une attaque générale et immédiate de la Maladie au printemps deviendrait inévitable.
» Je n’ai plus à ajouter à ce que je viens de dire, que de faire remarquer que la végétation du Phytophtora est connue pour être grandement hâtée et
accrue par l’humidité, et d’un autre côté pour être retardée par la sécheresse. C’est une règle, cependant, que la période de sa première apparition soit suivie
par la saison sèche de l’été. La période de sa grande extension coïncide ordinairement avec les premières pluies de l’automne, ou bien, comme on pouvait
le voir ici en 1875, avec une saison humide au milieu de l’été. Dans certaines localités, on constate même que les Pommes de terre sont infectées beaucoup
plus tôt, comme dans les vallées des régions montagneuses, où il y a régulièrement d’abondantes rosées et d’incessantes ondées. En conclusion, je crois que
l’on devra aussi porter l’attention sur les rapports étroits qui peuvent exister entre les phénomènes en question et ce fait que la Pomme de terre, dans ses
divers états de développement, fournit un substratum varié pour nourrir le Champignon. Je considère comme probable que le Phytophtora croît plus
aisément sur une plante adulte que sur de jeunes tiges et de jeunes feuilles. Il serait intéressant, mais difficile, de l’établir clairement par expérience. C’est
une question, toutefois, qui me conduirait au-delà des limites de la tâche que je m’étais imposée ici ».
Ces belles recherches et ces curieuses expériences de De Bary ont eu pour résultat de nous faire connaître pour ainsi dire complètement l’histoire du
Champignon parasite de la Pomme de terre. Peut-être cet habile observateur eut-il pu nous expliquer dans quel état particulier doit vivre le mycélium
vivace de son Phytophtora, lorsqu’il végète l’hiver dans les tissus du tubercule de la Pomme de terre sans les détruire complètement, car ce mode de vivre
ne lui est pas habituel, et le doute que l’on pouvait avoir sur cet état de repos inconnu avait excité les mycologues à en découvrir les oospores.
D’un autre côté, les causes de la Maladie étant connues, il restait à trouver les moyens de la combattre, ou plutôt de prévenir autant que possible les
attaques du Phytophtora. Le procédé le plus simple consista à cultiver des variélés de Pommes de terre précoces, c’est-à-dire dont la récolte pouvait être
faite en Juillet ou en Août avant la grande apparition du parasite. Mais ce procédé ne pouvait guère convenir que pour des variétés horticoles. Les variétés à
grand rendement, recherchées par l’Agriculture et l’Industrie, ont besoin de plus de temps pour mûrir leurs gros tubercules, et les récoltes ne peuvent s’en
faire utilement avant les mois de Septembre et d’Octobre. Il fallait donc tenter de combattre le parasite, d’en prévenir le développement.
Dans un Mémoire qui a pour titre : Moyens de combattre et de détruire le Peronospora de la Pomme de terre, et qui a été publié par la Société
d’Agriculture de France en 1887, un agronome danois, M. Jensen, fit connaître divers moyens d’arrêter les ravages de la Maladie. S’inspirant des travaux
de De Bary, il chercha d’abord à empêcher les sporanges du Phytophtora infestans de pénétrer dans le sol jusqu’aux tubercules. H constata que, dans une
terre forte, sur 100,000 sporanges, 600 ne pénétraient que jusqu’à 5 centimètres, et qu’aucun ne dépassait 15 centimètres. Il proposa donc de protéger les
plants de Pommes de terre au moyen d’un buttage de protection, c’est-à-dire en recouvrant les pieds avec une couche de terre d’environ 12 à 15
centimètres d’épaisseur. Des expériences pratiques, faites dans les champs, en attestèrent les très bons résultats, et prouvèrent que ce buttage ne nuit pas au
rendement. M. Jensen conseilla de pratiquer le buttage dont il s’agit avec inclinaison des fanes d’un seul coté, plutôt que de le faire sur les deux côtés, sans
inclinaison de fanes, ce qui laisserait les tiges dressées. S’occupant des soins donnés à l’arrachage, M. Jensen, dans le but de faire perdre aux sporanges qui
restent sur les feuilles toute leur vitalité, donna aussi le conseil de n’arracher que deux semaines environ après que les fanes ont séché, et de ne le faire que
par un temps sec et plus spécialement dans l’après-midi. Cet agronome fit en outre quelques expériences pour arriver à connaître l’influence exercée par
diverses températures sur le développement du Phytophtora. Il reconnut ainsi que les sporanges en étaient tués en général par une température de 25° C, et
sans exception par celle de 40° C, agissant sur eux pendant deux heures ; enfin qu’il ne se produit pas de sporanges à une température de 5° C et au
dessous. Quant au mycélium, il était tué dans les tubercules malades qui restaient exposés pendant quatre heures à une température de 40° C, laquelle ne
nuit en aucune façon à leur propre faculté germinative. M. Jensen recommanda, par suite, de désinfecter par ce procédé les tubercules de semence, et
montra par des expériences comparatives que cette désinfection pouvait être complète, que le nombre des pousses produites par les tubercules désinfectés
était égal, sinon supérieur à celui des pousses des tuber cules non désinfectés, et qu’enfin les tubercules chauffés étaient ceux qui poussaient le plus
rapidement. Ainsi, d’après l’agronome danois, grâce à l’emploi du buttage de protection, à l’arrachage tardif, à un emmagasinage convenable, on
obtiendrait une bonne conservation des Pommes de terre, et par la désinfection on réussirait à ne plus voir les tubercules développer le parasite. « Mais
rappelons-nous, dit M. Jensen, qu’à l’arrachage, en automne, on laisse toujours dans la terre, par mégarde ou par négligence, quelques tubercules parmi
lesquels il restera certainement quelques malades, et ces malades formeront de nouveaux foyers d’infection. D’ailleurs, la maladie pourrait être introduite
par les pays voisins. Nous ne saurions donc compter sur l’anéantissement complet du mal, même si la désinfection était pratiquée d’une façon absolue et
générale ».
Soit que les procédés de M. Jensen aient paru peu réalisables ou coûteux, ils ne furent guère mis en pratique par les cultivateurs, qui, du reste, n’aiment
pas les innovations utiles, qu’on leur conseille d’introduire dans leurs cultures. Puis bientôt, on chercha à se mettre à l’abri des premières attaques du
Phytophtora. On fit d’abord divers essais avec différents produits chimiques, dont les résultats furent presque insignifiants. Mais un autre parasite, très
redouté sur la vigne, le Peronospora viticola qui cause le Mildew avait été arrêté dans son extension par l’emploi d’un mélange de chaux et de sulfate de
cuivre. C’était presque, si l’on se le rappelle, le procédé chimique conseillé jadis par Charles Morren. Ce mélange employé soit à sec, soit délayé dans une
certaine quantité d’eau, et connu sous le nom de bouillie bordelaise, produisit de très bons effets préventifs contre les attaques du Mildew. Mais la
substance agissante, dans le mélange, fut reconnue comme étant surtout le sulfate de cuivre, à ce point que des échalas, badigeonnés avec des solutions du
sulfate seul, produisirent une sorte de protection, sur les ceps qui les entouraient, contre les attaques du Peronospora viticola.
Le 20 Août 1888, M. Prillieux faisait part à l’Académie des sciences des observations suivantes. « Depuis que l’on a bien constaté l’efficacité des
traitements au cuivre pour arrêter le développement du Peronospora de la Vigne, on a pensé que les mêmes remèdes pourraient probablement être utilisés
pour combattre la maladie de la Pomme de terre. Dès 1885, M. Jouet employait la bouillie bordelaise au traitement des Tomates malades qui sont, on le
sait, attaquées par le même Peronospora que la Pomme de terre… Aujourd’hui ce remède est d’un usage général dans les grandes cultures de Tomates du
Midi. Quant au traitement de la Maladie de la Pomme de terre, je ne connais pas encore d’expérience précise. À plusieurs reprises on a fait quelques essais
et l’on a pu citer des faits tendant à établir l’efficacité des sels de cuivre, mais les conditions des expériences n’avaient pas été déterminées de façon à leur
donner une valeur certaine… Cette année, la Maladie de la Pomme de terre s’est développée dans les champs de l’Institut agronomique, à Joinville-le-Pont.
Dès que j’en ai constaté l’apparition, j’ai résolu de profiter de l’occasion pour étudier dans une expérience en petit, mais faite avec précision et dans des
conditions exactement déterminées, l’action de la bouillie bordelaise sur la Pomme de terre malade.Le traitement fut fait le 5 Août, sur des pieds d’une
variété hâtive, la Quarantaine des Halles le mal était tout à fait à son début et cependant les taches noires apparaisaient déjà nombreuses sur les feuilles : 9
pieds furent traités avec de la bouillie bordelaise contenant, pour 100 d’eau, 6 de sulfate de cuivre et 6 de chaux. Le liquide fut répandu avec grand soin à
l’aide d’un pulvérisateur, de façon à mouiller toutes les feuilles ; 6 pieds voisins furent réservés pour servir de témoins. L’arrachage des Pommes de terre
eut lieu le 10 août. L’examen attentif des tubercules à leur sortie de terre a donné les résultats suivants :
Nombre de pieds Nombre de tubercules
Récoltés. Malades. Malades p. 100
pieds traités 115 0 0
pieds non traités 53 17 32,07
… Bien que restreinte à un petit nombre de pieds, cette expérience me semble tout à fait démonstrative. Elle devra encourager les cultivateurs à recourir
à l’emploi des traitements au cuivre pour se mettre à l’avenir à l’abri de la Maladie de la Pomme de terre. Je ne doute pas qu’ils n’obtiennent en grand un
succès complet, à condition d’appliquer le remède préventivement, ou du moins dès la première apparition du mal. » Des essais n’ont pas tardé à se faire
dans de grandes cultures et ces essais donnèrent également d’excellents résultats. Mais il n’est pas facile défaire prévaloir une bonne idée, même appuyée
sur des faits certains, et l’Histoire de la Pomme de terre n’est pour ainsi dire que la constatation de faits de ce genre, résultant le plus souvent de la méfiance
et de l’obstination des cultivateurs, réfractaires même aux résultats de l’expérience. Cependant, divers expérimentateurs ne laissèrent pas de préconiser
cette méthode préventive de combattre les attaques du Phytophtora, par des aspersions cuivriques sur la tige et les feuilles de la Pomme de terre. On
employa le sulfate de cuivre, soit, comme réactif précipitant, avec des cristaux de soude, pour produire la bouillie cupro-sodique, soit avec de la chaux
délitée, pour obtenir la bouillie cupro-calcaire, soit avec de la mélasse, pour composer la bouillie sucrée de M. Michel Perret[31]. C’est M. Aimé Girard qui
s’est le plus ardemment occupé de cette question. Il a publié, en 1892, dans son Mémoire intitulé : La lutte contre la Maladie de la Pomme de terre au
moyen des composés cuivriques, des résultats d’un grand intérêt. Nous en citerons ici plusieurs passages, pour mieux faire comprendre les idées de l’auteur
sur ce sujet tout d’actualité. « Lorsque, à la suite de la campagne de 1889, j’ai publié les résultats que venaient de me fournir les premiers essais
comparatifs, faits en grande culture, sur l’emploi, qu’avait conseillé M. Jouet, des composés cuivriques pour combattre la maladie de la Pomme de terre,
j’ai signalé un fait important et inattendu dont les lois de la physiologie végétale ont aussitôt fourni l’explication. Ce fait, c’est celui de l’augmentation du
poids de la récolte lorsque en face de la maladie, les cultures ont été soumises au traitement cuivrique.
» Dès 1889, j’ai pu voir cette augmentation s’élever, en certaines circonstances, jusqu’à 22 pour 100.
» La cause en est simple. C’est sur les feuilles que le Phytophtora infestans se développe d’abord ; bientôt il en détermine l’atrophie ; et, comme c’est au
milieu de celles ci que prennent naissance les sucres solubles qui plus tard doivent, dans les tubercules, se transformer en matière amylacée, on voit bientôt,
du fait de cette atrophie, se tarir la source où s’approvisionnent ces tubercules et le magasin cesser de se remplir par conséquent.
» Protégées, au contraire, contre le développement du parasite par les composés cuivriques dont le traitement les a couvertes, les feuilles restant vertes,
continuent à végéter, à former des matières sucrées, à grossir par conséquent les tubercules…
» J’ai pu comparer, en présence et en l’absence de la maladie, un certain nombre de variétés, et j’ai, dans ces conditions, établi expérimentalement que :
1° Lorsque la culture est atteinte sérieusement par la Maladie, le poids de la récolte sur les parties traitées est toujours supérieur au poids récolté sur les
parties non traitées. 2° Lorsque, au contraire, la culture reste indemne, le traitement, pour certaines variétés résistantes, au lieu d’augmenter le poids de la
récolte, le diminue dans une légère mesure : 5 à 6 pour 100 en général. La préservation de la feuille, en un mot, doit se payer d’une légère atténuation de
ses facultés productives. La nécessité de traiter préventivement les feuilles de la Pomme de terre par les composés cuivriques, n’en subsiste pas moins… En
effet, l’augmentation du poids de la récolte, du fait du traitement en face de la maladie, peut, dans certaines circonstances, atteindre des chiffres d’une
importance inattendue…
» Il n’y a pas, je crois, de variété de Pomme de terre absolument réfractaire à la maladie ; il n’y a que des variétés plus ou moins résistantes, et telle
variété qui résiste dans certaines conditions météorologiques, ne résistera pas si ces conditions changent à l’avantage du développement du Phytophtora
infestans… » La Maladie de la Pomme de terre, excepté peut-être dans quelques régions privilégiées, menace toujours nos cultures. Les pertes qu’elle peut
causer atteignent souvent la moitié de la récolte ; à aucun prix le cultivateur ne doit s’exposer à un pareil danger ; il ne doit pas se laisser séduire par le
léger bénéfice qu’il pourrait réaliser sur quelques variétés résistantes, si la Maladie ne les atteignait pas ; il doit toujours se garder contre elle, il doit
toujours traiter ses champs de Pommes de terre jusqu’au jour où la Maladie, incessamment combattue, aura complètement disparu des régions où elle sévit
actuellement. »
Si l’on songe que, lors de l’arrachage des Pommes de terre, on laisse d’ordinaire dans les champs des tubercules plus ou moins malades, il faudrait
s’attendre, l’année suivante, à voir ceux de ces tubercules restés enfouis et malades en partie, reproduire le Phytophlora sur les tiges qu’ils émettraient. Or
c’est ce qu’aucune observation précise n’a permis de constater. Du reste, les expériences de De Bary sont loin d’être probantes à ce sujet. Ses infections
faites au printemps sur plusieurs bourgeons des tubercules sains ne prouvent que la possibilité du fait de la montée dans la tige de la Pomme de terre du
mycélium du Phytophtora, qui s’éléverait ainsi dans la tige sortie de ce même bourgeon infecté. D’autres observateurs ont aussi fait remarquer que le
Phytophtora peut difficilement se conserver vivant dans les tubercules restés enfouis dans les champs, puisqu’il est tué à une température de zéro.
Quoi qu’il en soit, il convient de répéter ces traitements cupriques, si l’on désire mettre les cultures de Pommes de terre à l’abri des premières atteintes de
ce parasite. Mais, lors des récoltes, il ne faudra pas trop s’étonner de se trouver nonobstant en présence d’un certain nombre de tubercules malades, dont on
croit pouvoir rendre responsable le Phytophtora, tandis que ces tubercules ne sont aussi tachés et ramollis, que par le fait de la pénétration des
Microcoques ; il est difficile de se mettre à l’abri de ces derniers, attendu qu’ils ont la faculté de se conserver dans le sol, par une sorte de vie latente, et de
contaminer la terre dans laquelle on plante des tubercules qui en seront infectés. Le remède à employer contre ces Microcoques ne peut consister, en effet,
que dans le choix d’un nouveau sol, non déjà contaminé, pour les cultures de tubercules sains de Pommes de terre, et ces tubercules-semence ne pourront
être acceptés comme sains, que si le lavage ou le mouillage (lorsqu’ils ne sont pas trop couverts de terre) aura fait rejeter, avant la plantation, tous ceux
qu’un œil exercé reconnaîtra comme non tâchés ou non atteints d’une maladie quelconque.
À ce propos, nous croyons pouvoir compléter ici ce que nous avons fait connaître plus haut sur les résultats de l’action nocive des Microcoques dans les
tubercules de Pommes de terre. Nous avons découvert deux genres nouveaux de parasites, vivant à l’état de Champignons muqueux ou Myxomycètes, qui
s’attaquent, mais seulement après le passage des Microcoques dans le parenchyme, et tout particulièrement, aux grains de fécule respectés, soit par ces
premiers occupants, soit par les filaments mycéliens des Mucédinées, qui leur succèdent d’ordinaire. Nous avons créé, pour ces deux nouveaux genres, les
noms Amylotrogus (rongeur de fécule) et de Xanthochroa. Ce dernier ne s’est montré à nous que sous la forme d’un mucus d’un beau jaune, qui forme
ensuite des kystes d’un brun rougeâtre, entourant les grains de fécule déjà attaqués par un Amylotrogus, et les absorbant. Nous ne lui connaissons qu’une
seule espèce, le X. Solani. Le genre Amylotrogus, au contraire, dont le mucus ou plasmode est coloré en rose pâle, nous a présenté cinq espèces, savoir :
deux à plasmodes superficiels, les A. Uchenoides et vittiformis, et trois à plasmodes pénétrants, les A. filiformis, discoideus et ramulosus. Cette dernière
espèce, la plus commune de toutes, avait été entrevue par Payen (1853} et par Schacht (1856). Son mucus plasmodique débute par un très petit disque
ponctiforme, qui s’insinue dans le grain de fécule et y pénètre en développant des ramifications allongées, enchevêtrées les unes dans les autres, lesquelles
dissolvent la fécule en se l’appropriant, de telle sorte que le grain qui a hospitalisé ce parasite apparaît bientôt perforé en tous sens dans son intérieur. Nous
avons obtenu, par des cultures spéciales, de faire attaquer de même des grains de fécule de Blé par cet Amylotrogus. Ces grains, plus petits que ceux de la
fécule de Pomme de terre, n’en étaient pas moins rongés de même. Seulement, les plasmodes ont des ramifications plus ténues, ce qui paraît du à une
densité plus grande de la fécule[32]. Celle du Maïs a été semblablement attaquée.
Mais, pour en revenir à l’histoire du Phytophtora Infestans, il nous paraît utile d’ajouter ce qui suit à ce que nous avons dit plus haut.
Le résultat obtenu par De Bary, dans sa dernière expérience, de pouvoir constater le développement du Phytophtora sur un seul tubercule planté avec une
cinquantaine d’autres, dans un châssis, alors que toutes ses Pommes de terre avaient été artificiellement infectées au moment de la plantation, les soins
mêmes qui avaient pu être donnés à cette culture, ce résultat, disons-nous, ne laissait pas que de laisser du doute dans notre esprit, parce que ce savant
observateur en avait conclu que cela devait se passer ainsi dans les champs, en plein air. Le Phytophtora est, en effet, un parasite destructeur des tissus qu’il
envahit ; si les germes de son Kidney rouge n’avaient pas été tués, cela ne pouvait être dû qu’à leur développement rapide, assez rapide même pour que le
parasite n’eût que le temps de mortifier en longueur une légère surface de l’épiderme des germes en croissance. C’était ce que De Bary obtenait d’ordinaire
dans son laboratoire.
Nous désirions donc répéter cette expérience ou en faire d’autres semblables en plein champ. Mais nous n’avons pu mettre ce projet à exécution, par
suite d’une difficulté que nous n’avions pas prévue c’est qu’il nous a été impossible de conserver, plus d’un mois après la récolte, des Pommes de terre
attaquées par le Phytophtora, et cela pendant deux années consécutives, en 1896 et en 1897. Les tubercules, dans lesquels ce parasite a pénétré, se
présentent dans un état particulier de ramollissement : l’épiderme se plisse en se rabattant sur la chair devenue pâteuse, humide, mais non déliquescente, ce
qui provient d’un affaissement du tissu parenchymateux parcouru par les filaments du mycélium du Champignon, qui exercent une action dissolvante sur
les grains de fécule et perforent les membranes cellulaires.
En examinant, un mois après la récolte, des tubercules où nous avions remarqué la présence du Phytophtora, nous fûmes surpris de ne plus en trouver çà
et là que des traces. La chair pâteuse des Pommes de terre contenait, à la place, d’autres filaments mycéliens qui appartenaient à deux autres Champignons,
signalés déjà par De Bary : son Pythium vexans et l’Artotrogus hydnosporus de Montagne. Avec eux, se montrait, dans la plupart des cellules, une très
petite Bactérie, plus ou moins animée de mouvement, que nous avons appelé Bacterium lactescens, parce qu’elle vient constituer, à la surface de la chair
pâteuse du tubercule, un liquide laiteux qui simule un mucus de Microcoque. Cette Bactérie est d’abord sphérique (diam. 1/2 μ), puis elliptique (long. 3/4
μ), et devient immédiatement scissipare. Elle forme ensuite des chaînettes de 4 articles ou davantage, où se laissent voir très rarement ses spores. Nous
l’avons retrouvée plus tard, dans les tissus en décomposition, à l’état de zooglées, c’est-à-dire s’enveloppant d’une sorte de mucus protecteur, pareil à celui
des Microcoques, et qui doit en assurer la conservation.
D’autres espèces de Champignons apparaissent bientôt sur la chair pâteuse, de plus en plus ramollie, notamment de petits conceptacles d’une Sphériacée
noirâtre. Il s’y montre également, en très grand nombre, comme dans le parenchyme mortifié par les Microcoques, des Anguillules et des Acariens
(Tyroglyphus echinopus) de Robin. Mais, quant au Phytophtora, il n’en reste plus de traces. Si celle constatation de la disparition du mycélium de ce
parasite, dans les tubercules qu’il avait attaqués, se généralisait, il conviendrait de chercher une autre explication que celle donnée par De Bary à la
possibilité de la reproduction du Phytophtora par les Pommes de terre malades, plantées dans les champs. Nous sommes très porté à croire que ce qui
assure l’existence du parasite, c’est la facilité qu’il se trouve avoir, toute l’année, de pouvoir contaminer les cultures de Pommes de terre, l’été dans les
régions froides, l’hiver dans les régions chaudes de l’Europe et de l’Algérie.
Quoi qu’il en soit, s’il nous était permis de revenir en arrière et de nous demander quels étaient les effets produits, en 1845, par l’apparition soudaine du
Phytophtora dans les cultures de Pommes de terre, nous serions étonné de constater que ce nouveau parasite était loin, cette année-là, de causer à lui seul la
perte de tous les tubercules, plus ou moins atteints de pourriture. Lorsqu’on se reporte aux publications de l’époque et qu’on cherche à se rendre compte de
ce qui avait réellement eu lieu, en 1845, d’après les descriptions de ce que l’on appelait alors les caractères de la Maladie spéciale, on est surpris de la
divergence des opinions des auteurs sur ce sujet. Nous avons essayé d’éclaircir quelque peu cette question rétrospective et nous sommes arrivé à
reconnaître que les autres maladies internes des tubercules avaient dû, dans cette année désastreuse, causer autant de dommages que le Phytophtora. Le
Pseudocommis, les Microcoques et les Bacilles avaient produit en même temps de très grands effets destructeurs, lesquels venaient s’ajouter à ceux tout
nouveaux du Phytophtora : cela explique fort bien le triste état dans lequel se trouvaient les récoltes de 1845.Depuis lors, ces différentes maladies, par suite
de précautions prises, ont moins fait sentir leurs effets dans les cultures de Pommes de terre ; mais comme on n’était pas instruit de ce qu’il en était en
réalité, on s’est habitué à considérer le Phytophtora comme l’unique agent de destruction des tiges et des tubercules, et à confondre toutes les altérations
diverses de ces tubercules sous la seule dénomination de la Maladie des Pommes de terre. Or il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, comme en 1845, les
cultures peuvent tout aussi bien subir les attaques de ces parasites très différents (Pseudocommis, Microcoques, Bacilles et Phytophtora) dont l’action
destructive caractérise autant de maladies distinctes, et qu’il n’est pas sans intérêt de savoir qu’ils sont réellement les causes de ces maladies pour chercher
à les combattre[33].
Maintenant, si nous tenons compte de ce que nous avons dit plus haut sur les effets produits dans les tubercules par l’action parasitaire du Pseudocommis
Vitis de Debray, ou Champignon muqueux de la maladie de la Brunissure, à laquelle il faut attribuer ce que l’on appelle les Pommes de terre piquées, ainsi
que les taches roussâtres éparses çà et là dans tout le parenchyme, qui cause dans les cultures l’ancienne maladie de la Frisolée, les différentes maladies
internes dont peuvent être affectés les tubercules de Pommes de terre se classent de la façon suivante :
GANGRÈNE SÈCHE, produite : 1° par le Pseudocommis Vitis de De Bary ; 2° par les diverses espèces de Microcoques (Micrococcus Imperatoris, albidus,
Delacourianus) que nous avons fait connaître.
GANGRÈNE HUMIDE, produite : 1° par le Micrococcus albidus associé au Bacillus subtilis de Cohn ; 2° par le Phytophtora infestans de De Bary.
Si nous essayons ensuite d’établir l’importance du rôle que jouent tous ces parasites dans les cultures de Pommes de terre, d’après les observations que
nous avons pu faire sur tous les tubercules malades qui nous ont été obligeamment communiqués et que nous avons reçus de plusieurs provenances, ainsi
que sur ceux recueillis dans nos propres récoltes, nous serons conduit à ne pas estimer à moins de 50 pour 100 les tubercules attaqués par les Microcoques,
et à environ 25 pour 100 ceux envahis par le Pseudocommis. Le plus faible pourcentage est certainement celui du nombre des tubercules attaqués par le
Phytophtora, soit que cela provienne de l’effet dû aux traitements cupriques ou de celui du buttage, soit d’une atténuation dans les attaques des tubercules
par ce parasite, qui n’en persiste pas moins à se montrer, chaque année, sur les feuilles et les tiges de nos Pommes de terre. Les remèdes à appliquer contre
ces diverses maladies peuvent se résumer ainsi : Alternance des cultures ; Destruction de tous les tubercules malades après la récolte ; Plantation de
tubercules sains ; Traitements des tiges et feuilles par les composés cupriques.
On trouvera, dans le résumé qui suit, les caractères différentiels qui permettent de distinguer en examinant extérieurement et intérieurement les
tubercules malades, ceux qui sont affectés par l’une ou l’autre de ces quatre sortes de maladies. L’ensemble de ces altérations constitue ce que les
Cultivateurs appellent la Pourriture des Pommes de terre.
MALADIES INTERNES DES TUBERCULES DE POMMES DE TERRE REPRÉSENTÉES PAR LES FIGURES DE LA PAGE CI-CONTRE
Gangrène sèche.
1° Produite par le Pseudocommis. — Tubercules inodores, restant fermes et présentant des taches déprimées, sombres, ou des perforations entourées
dans le parenchyme d’une petite zone brunâtre (Pommes de terre piquées). Sous l’épiderme taché, dans la chair non ramollie, des macules plus ou moins
brunes ou roussâtres, qui se montrent parfois çà et là, avec une teinte plus claire dans tout le tissu. Ces tubercules portent au printemps des germes noircis à
leur sommet ou marqués de taches brunâtres. A noter que cette altération est souvent associée aux trois suivantes. (Fig. 147. Extérieur d’un tubercule. —
Fig. 148. Le même tubercule coupé longitudinalement.)
2° Produite par les Microcoques. — Tubercules inodores, assez fermes, plus ou moins tachés, mais présentant sur certains points un épiderme flasque,
qui ne résiste pas à la pression des doigts. Sous cet épiderme, et dans le parenchyme, îlots blancs, gris ou brunâtres, laissant voir, lorsqu’ils sont secs, les
grains de fécule brillants et pulvérulents. Quelquefois des cavernes, ou bien, dans les îlots gris, de petites masses noirâtres (Sclérotes de Rhizoctone), et
plus tard un grand développement de Moisissures (Fusisporium et spicaria). Desséchés, ces tubercules deviennent parfois très légers, ou bien durcissent et
deviennent cassants. Conservés dans une humidité constante, les tubercules, partiellement attaqués, permettent aux Microcoques de se développer et de
sortir même de leur épiderme. Donc, contact à éviter, dans les celliers, avec des tubercules sains. (Fig. 149. Extérieur d’un tubercule. — Fig. 150. Le même
tubercule coupé longitudinalement.)
Gangrène humide.
1° Produite par le Micrococcus albidus associé au Bacillus subtilis. — Tubercules mous, en partie ou en totalité, exhalant une odeur désagréable. Sous
l’épiderme, liquéfaction blanchâtre du parenchyme avec dégagement infect d’acide butyrique. Destruction lente et progressive, puis totale, des tubercules
en raison de l’humidité plus ou moins grande des milieux. Contact à éviter également avec les tubercules sains. (Fig. 151, Un de ces tubercules coupé
longitudinalemcnt.)
2° Produite par le Phytophtora infestans. — Tubercules inodores, présentant en partie ou en totalité un ramollissement humide très caractéristique.
Épiderme flétri se repliant sur le parenchyme déprimé, affaissé, pâteux, mais non déliquescent. Ce parenchyme reste ainsi pâteux sans se dessécher
entièrement, (Fig. 152. Portion d’un tubercule vue à l’extérieur. — Fig. 153. Cette même portion, coupée longitudinalement.)
1. ↑ — Le mot de viande, au XVIe siècle, était pris dans le sens d’aliment, de nourriture.
2. ↑ - Nous craignons qu’on n’ait pris ici l’effet pour la cause, car nous avons constaté la présence d’Anguillules dans beaucoup de tubercules ramollis par diverses maladies, ce qui nous fait croire que ces
Anguillules ne peuvent pénétrer que dans les tissus mortifiés des Pommes de terre, et non dans les tissus sains. Il en est de même de l'Acarus Solani (ou Tyroglyphus echinopsus Robin) qu’on ne
rencontre que sur les tubercules complètement malades.
3. ↑ — Par contre, une petite Limace noire a la faculté de pouvoir descendre dans le sol, jusqu’aux tubercules presque superficiels, et de les ronger au point d’y pratiquer d’assez profondes cavités.
4. ↑ — Encyclopædia of Gardening.
5. ↑ — Le parasite se conserve ainsi, l’hiver, dans les tubercules pour monter, au printemps, dans les germes, lorsqu’ils commencent à se développer.
6. ↑ — Nous avons fait connaître tous les résultats de nos recherches sur le Pseudocommis dans le Bulletin de la Société mycologique de France (1897-1898).
7. ↑ — Encyclopædia of Agriculture, Londres, 1825.
8. ↑ — Ann. des Sc. nat., 2° Série, t. XVIII.
9. ↑ — Die Krankheiten der Kultur-Pflanzen (1864).
10. ↑ — Voir, pour plus de détails, ce que nous avons publié en 1896 : Comptes rendus de l’Académie des sciences, Bulletin de la Société nationale d’Agriculture de France et en 1896-97 dans le Bulletin
de la Société mycologique de France.
11. ↑ — Nous avons retrouvé ce Microcoque dans de petites cavités, à fond noirci et de forme variable, qui se font quelquefois remarquer sur le collet des racines de Betteraves.
12. ↑ - Berichten der deutschen botanischen Gesellschaft, Berlin, ISOC »
13. ↑ — Il est à remarquer toutefois que ce Champignon a été également observé sur des Pommes de terre dont le tissu était déjà mortifié par la Maladie spéciale, ce qui ne laisse pas de faire naître des
doutes sur les résultats des expériences de De Martius. Nous y reviendrons plus loin.
14. ↑ — Die Krankheiten der Kulturgewächse (1859).
15. ↑ — Il ne faut pas confondre cette maladie avec le ramollissement des tubercules, qui est dû à l’action parasitaire du Phytophtora infestans ou du Pythium vexans de De Bary.
16. ↑ — Il ne faut pas confondre ces sclérotes du Rhizoctone avec d’autres corpuscules noirâtres, plus petits, formes par une anastomose de filaments de mycélium (ou stroma) appartenant à un autre
Champignon que nous appellerons provisoirement Helminthosporium nigrum. Sur son stroma noir, presque opaque, s’élèvent des filaments rigides, noirs, stériles, et parfois d’autres filaments noirâtres,
plus délicats, se terminant à leur extrémité en une spore obovoïde, allongée, noirâtre, à 4-5 cloisons. Ce petit Champignon parait vivre en parasite sur les cellules superficielles de l’épiderme des
tubercules de Pommes de terre.
17. ↑ — Ces filaments qui paraissent noirs sur les tubercules, vus par transparence au microscope, sont d’une couleur d’un brun rougeâtre.
18. ↑ — Ceci laisse supposer que la manifestation de l’existence du parasite était concomitante en Amérique et en Europe, en 1842. Mais les désastres que la maladie a occasionnés aux États-Unis, deux
ans avant qu’on la redoutât en Europe, nous conduisent à croire que ce parasite, probablement originaire des Andes, a dû commencer à se répandre dans l’Amérique du Nord avant de se répandre en
Belgique.
19. ↑ — Ce nom n’était pas heureusement choisi, parce qu’il caractérîsait déjà une maladie connue depuis longtemps. Puis Ch. Morren oubliait que les tiges et les feuilles étaient aussi bien malades que les
tubercules, sans pour cela se ramollir comme ces derniers.
20. ↑ — Il y a lieu de faire remarquer que rien ne prouve que cette contamination soit due au Champignon parasite qui cause la maladie spéciale dont parle Gh. Morren. Certaines Bactériacées produisent le
même résultat.
21. ↑ — Ce qui explique la divergence des opinions émises en 1845, c’est qu’on ne Connaissait pas les causes efficientes des autres maladies (Frisolée, Gangrènes sèches et humides) qui sévissaient en
même temps que la maladie nouvelle. De* caisnc, en étudiant des tubercules malades, n’avait pu y découvrir les filaments mycéliens du Botrytis. Il se refusait donc à croire, avec raison, a l’action
nocive de ce Champignon. Les Mycologues contemporains ont fini de même par se ranger à son opinion. Il a fallu que des observations précises aient permis plus tard de constater le rôle parasitaire : 1°
de ce Botrytis (ou Phytophtora) 2° des Bactériacées ; 3° enfin de ce Pseudocommis, parasite tout récemment connu, pour distinguer net tement les différentes altérations que peuvent subir les tubercules
de Pommes de terre. Cette distinction a une grande importance aux points de vue scientifique et économique, car ce serait vainement chercher des remèdes au mal que de le faire sans en connaître
d’abord les véritables causes.
22. ↑ — Bonjean, Monographie de la Pomme de terre (1846).
23. ↑ — Cette méthode de culture automnale ou hivernale avait été préconisée par Ch. Morren dans ses Instructions populaires précitées. Nous y reviendrons dans un autre Chapitre.
24. ↑ — Cependant, nous avons déjà fait remarquer que les résultats acquis par cette ancienne culture n’étaient pas brillants, eu égard à la petitesse des tubercules introduits en Europe au XVIe siècle.
25. ↑ — Il est vrai que Payen reconnaissait aussi une autre cause à la maladie des Pommes de terre, car il l’attribuait plus loin à une substance rousse parasite, assez mal définie, qu’il devait mieux
caractériser à propos d’une grave maladie des Betteraves, laquelle avait fait perdre 20 millions de kilog. de sucre, en 1851, aux environs de Valenciennes, et dont il parlait dans le même ouvrage.
C’était, suivant lui, une substance organique, rousse orangée, d’une consistance muqueuse, qui produit les effets du parasitisme. Or, cette substance parasitaire, qu’il signalait ainsi dans les Pommes de
terre et les Betteraves, n’était rien autre que le Pseudocommis. Il se trouve ainsi être le premier auteur qui ait signalé, sans en avoir une idée bien nette il est vrai, ce Champignon muqueux ou
Myxomyoète dont nous commençons seulement à connaître les effets destructifs dans nombre de végétaux.
26. ↑ — Les spores du Botrytis se nommaient aussi des conidies.
27. ↑ — C’est-à-dire les rouilles, comme celle du Blé.
28. ↑ — Nous avons observé identiquement les mêmes phénomènes, au mois d’Août 1895, aux environs de Paris.
29. ↑ — Il a été question, dans ce débat mycologique, d’un Champignon parasite que De Bary avait nommé Pythium vexans, et qui dans ses cultures apparaissait parfois à la place du Phytophtora, Nous
avons constaté plusieurs fois que, dans des tubercules ramollis, ce Pythium se trouvait associé à ce dernier, dans les tissus malades. Il en sera, du reste, question plus loin.
30. ↑ — Plus récemment, M. de Lagerheim (Revista Ecuatoriana, 1891) a signalé le Phytophtora comme attaquant, dans l’Équateur, les fruits comestibles du Solanum muricatum Ait. Il l’a observé sur le
Solanum caripense Kunth, à Quito, et sur le Petunia hybrida, à Upsal.
31. ↑ — Voici les proportions indiquées :
Bouillie bordelaise : Eau, 100 litres ; sulfate de cuivre, 2 kilos ; chaux, 2 kilos.
Bouillie bourguignonne : Eau, 100 litres ; sulfate de cuivre, 2 kilos ; cristaux de soude, 3 kilos.
Bouillie Michel Perret : Eau 100 litres ; sulfate de cuivre, 2 kilos ; chaux, 2 kilos ; mélasse, 2 kilos. Cette dernière paraît résister mieux que les autres à l’action des pluies.
32. ↑ — Voir, pour plus de détails : Bulletin de la Société mycologique de France (1897-1898).
33. ↑ — Nous avons traité cette question rétrospective, avec tous ses détails scientifiques, dans le Bulletin de la Société mycologique de France (1898).
CHAPITRE VI
L’on a dû remarquer que, dès le commencement de la culture en Europe de la Pomme de terre, il n’était question que de la plantation des tubercules.
Mais il arriva une époque où l’on regretta d’être dans l’obligation de prélever sur la récolte la quantité de tubercules exigée pour la culture de l’année
suivante. On chercha alors les moyens de diminuer le plus possible cette réserve obligatoire, et pour cela on se servit d’abord des plus petits tubercules,
puis de morceaux de tubercules, enfin de morceaux réduits à n’avoir plus qu’un seul œil ou bourgeon. On devait plus tard même se contenter d’utiliser les
pelures, assez épaisses cependant pour y conserver les yeux intacts. Et comme, au XVIIIe siècle, la production des Pommes de terre était relativement
médiocre, qu’on ne faisait pas d’essais de culture comparatifs, on croyait faire une bonne opération en ne prélevant sur la consommation de la récolte qu’un
nombre très faible de tubercules pour la plantation. Cependant, des avis contraires ne devaient pas tarder à être formulés.
Déjà, en 1768, Philip Miller s’élevait en Angleterre contre la méthode de ne planter que de petits tubercules coupés en morceaux, et préconisait au
contraire pour la plantation le choix des plus beaux tubercules. Plus tard, en France, dans son Rapport, lu en 1787 à la Société royale d’Agriculture, sur des
cultures expérimentales de M. de Chancey, Parmentier disait : « Quelques auteurs ont prescrit de mettre jusqu’à trois Pommes de terre dans chaque trou ;
d’autres conseillent d’y mettre simplement l’œil détaché de la racine ; d’autres sans pulpe. Dans le premier cas, on employe en pure perte beaucoup de
racines ; dans le second, au contraire, on court le risque d’avoir de chétives récoltes. M. de Chancey a entrepris en 1784, une suite d’expériences qui
confirment, comme je l’avais déjà annoncé, qu’il était avantageux de partager les espèces de Pommes de terre longues, et moins les rondes, surtout lorsqu’il
y a lieu de craindre les ravages du Ver du Hanneton. Malheur alors à ceux qui n’ont planté que des morceaux pourvus seulement d’un œil ! La plupart des
pieds manquent, et ceux qui échappent au fléau destructeur dont nous venons de parler, ne produisent pas abondamment ».
Il semble que, pour être logique, Parmentier aurait dû tout aussi bien proscrire la plantation par morceaux de tubercules. Mais les expériences faites à
cette époque ne pouvaient en aucune façon éclairer la question. Lorsque la culture de la Pomme de terre eut pris une plus grande extension, on se préoccupa
davantage des divers modes de plantation. Voici ce que disaient, en 1826, Payen et Chevalier, dans leur Traité de la Pomme de terre.
« Nous nous sommes assurés, par des essais comparatifs, qu’il ne pourrait y avoir généralement aucun avantage dans la substitution des morceaux, des
pelures, des germes, etc., aux tubercules entiers ; les faits que nous avons apportés à l’appui, dans le Mémoire qui fut honoré des suffrages de la Société
royale d’Agriculture, ont été confirmés depuis par des expériences renouvelées plusieurs fois.
» Ces moyens d’économie des tubercules ne sont applicables que dans les temps où les Pommes de terre seraient fort rares ; ils auraient plus de succès
dans les années humides que dans les années sèches : en effet, on conçoit que la plante ne recevant pas sa première nourriture d’un tubercule volumineux et
ne pouvant la puiser dans un sol desséché, doit végéter avec peine, pousser de faibles rejetons et donner peu de produits.
» La conservation des pelures avec les yeux des tubercules, peut-être utile pour envoyer au loin, sous un petit volume et un poids peu considérable, les
moyens de reproduction des variétés nouvelles…
» Il nous est également bien démontré aujourd’hui, que les tubercules coupés en quartiers, comme cela se pratique habituellement, donnent surtout dans
les années sèches, beaucoup moins de produits que les tubercules entiers ; qu’enfin, les Pommes de terre les plus saines et les plus grosses, rapportent
généralement les tubercules les plus nombreux et les plus gros ; que ces produits plus abondants indemnisent et bien au delà, des prix plus élevés que
coûtent les semenceaux ».
Voici l’une des expériences qu’ont faites à ce sujet Payen et Chevallier. Ils ont planté dans le même terrain, de cinq façons différentes, la même Variété
de Pommes de terre, la Patraque blanche, en rendant autant que possible toutes les autres conditions égales. Ils ont employé pour chaque plantation, et dans
six trous espacés d’environ 70 centimètres :
N° 1. Six Pommes de terre d’une grosseur moyenne.
N° 2. Six Pommes de terre plus petites.
Six morceaux de grosses Pommes de terre équivalant en
N° 3.
quantité les six petites.
N° 4. La pelure de six Pommes de terre moyennes.
N° 5. Les yeux de six Pommes de terre de la même grosseur environ.
Les tiges des trois premiers Numéros s’élevèrent rapidement et conservèrent pendant toute leur végétation une grande vigueur ; les plus belles cependant
se trouvaient parmi celles du N° 1 ; celles du N° 3 était généralement moins fortes. Les tiges des deux derniers Numéros étaient grêles et se soutenaient à
peine, la plupart même, parmi celles du N° 5, furent toutes courbées sous leurs poids. Les Pommes de terre furent toutes récoltées avec soin après leur
maturité ; leur produit, en tubercules, pesé exactement, a donné les résultats suivants :
N° 1. Pommes de terre moyennes 6 kil. 500 gr.
N° 2. — plus petites 6 kil. 100 gr.
N° 3. — en morceaux 5 kil. 590 gr.
N° 4. Pelures 500 grammes.
N° 5. Yeux 400 grammes.
On le voit, la question avait fait un grand pas. Mais le cas prévu par Payen et Chevallier, que l’on ne devait montrer de la parcimonie dans le choix des
tubercules que dans les temps où les Pommes de terre seraient fort rares, se présenta en 1846, lorsque les ravages de la maladie de la Pomme de terre eurent
fait perdre la plus grande quantité de la récolte. On recourut alors aux moyens extrêmes, et l’on fit usage pour la plantation, de pelures, d’yeux, de
morceaux et même de tubercules malades. On essaya même de la multiplication par boutures et par marcottes, ce qui demandait beaucoup de soins, mais ce
qui ne produisit pas moins encore une bonne quantité de tubercules. Au bout de quelques années, on put abandonner ces procédés peu rémunérateurs, et le
problème se posa de nouveau de savoir qu’elle était la meilleure méthode de plantation des tubercules : fallait-il choisir les plus gros, les moyens ou les
petits ? Nous trouvons dans le Journal de la Société d’Horticulture de France diverses Notes qui répondent assez bien à cette question. En 1872, Charles
Royer, connu pour ses études sur les organes souterrains des plantes, s’y exprimait comme il suit.
« Mes expériences, dit-il, m’ont donné des résultats qui sont en faveur des petits tubercules (je dis petits par opposition à gros ; mais il s’agit d’une
grosseur plus ou moins au dessous de la moyenne). Proportionnellement au poids de semence, la petite semence a la supériorité sur la grosse, outre qu’on a
l’avantage de conserver les gros tubercules pour l’alimentation ou pour la vente.
» Sans doute le rendement d’un gros tubercule est supérieure à celui d’un petit, et avec un nombre égal de tubercules pour les mêmes surfaces, la petite
semence ne peut lutter avec la grosse. Mais il faut observer que, dans ce cas, l’espacement qui convenait à de gros tubercules aura été trop grand pour de
petits, et que ces derniers n’auront pas occupé tout le sol. Pour l’occuper entièrement, ils devront être plus nombreux, c’est-à-dire se rapprocher du poids
total de la grosse semence, cas où celle-ci a une infériorité manifeste. Et s’il est vrai de dire que le rendement s’élève quand on augmente le poids de la
semence, il ne l’est plus d’ajouter que le poids de la récolte est en raison directe du poids des semences employées.
» Quand on se sert pour les mêmes surfaces du même poids en tubercules d’un volume différent, la supériorité de la petite semence me semble tenir à ce
que les pieds étant plus nombreux mais moins touffus, les tiges et les racines se nuisent beaucoup moins dans leur évolution.
»… On doit aussi se préoccuper de la maturité des tubercules de semence. A l’arrachage, il y a deux sortes de tubercules : les uns à peau rugueuse
souvent gercée, sont nés dans la première phase de la végétation, c’est-à-dire au printemps et au commencement de l’été, et ils ont eu tout le temps de
mûrir ; les autres ont une peau lisse et très mince et deviennent promptement flasques au grand air ; ce sont les tubercules de la seconde période de
végétation, c’est-à-dire d’Automne, auxquels a manqué le temps de mûrir complètement. Comme la plantation des tubercules n’est qu’un bouturage
souterrain, on comprend qu’il faille rejeter les Pommes de terre d’Automne, par la raison qui fait rejeter les boutures incomplètement aoûtées. »
La question est, en effet, plus complexe quelle ne le paraît à première vue, et il y a certains points qui, dans les évaluations, demandent à être pris en
grande considération. Ainsi, d’une Note publiée dans le même Recueil par M. Louesse, en 1868, il paraissait résulter qu’en raison d’expériences
comparatives faites sur la variété Marjolin et la Pomme de terre Hardy, la production proportionnelle la plus faible, relativement au poids des tubercules
plantés, avait été celle des Pommes de terre les plus grosses. Or, en 1869, M. Yuitry faisait remarquer que, dans des essais faits depuis 1860, il avait
reconnu que le poids des tubercules plantés exerçait une action notable sur leur produit. « Pour étendre le cercle de la comparaison, dit-il, j’ai doublé, puis
triplé le poids de la semence ; la comparaison a porté sur 200 pieds de chaque catégorie. Le poids des tubercules a été successivement porté de 14
kilogrammes à 28, puis à 42 : les produits se sont élevés à 94 — 130 — et 158 kilogrammes qu’il faut réduire en retranchant le poids respectif planté, à 80
— 102 — et 116 kilogrammes, d’où il résulte qu’en doublant le poids de la semence, le bénéfice net a été de 27 pour 100 ; de 45 pour 100 en le triplant. »
La même année, M. Louesse faisait connaître les résultats d’une deuxième série d’expériences sur la plantation de tubercules de différentes grosseurs. Il
s’était d’abord servi de la variété Hollande de Brie, très estimée alors par les cultivateurs. Voici les résultats obtenus par lui et dont il ne juge pas utile de
tirer des conclusions.
Troisième expérience (Plantation de moitiés de tuberc. en nombre égal, mais de poids différent) :
N° 7. 4 moitiés de gros (300 gr.) en ont produit 92 (dont 24 petits) pesant 5 k. 700.
N° 8. 4 moitiés de moyens (150 gr.) en ont produit 71 (dont 19 petits) pesant 6 k. 200.
N° 9. 4 moitiés de petits (75 gr.) en ont produit 49 (dont 22 petits) pesant 2 k. 300.
Ce qui nous paraît résulter de ces diverses expériences, c’est que le poids égal de la semence, faisant de beaucoup varier le nombre des tubercules, ne
peut être choisi comme un bon élément de comparaison. Mais, en général, les résultats sont plutôt favorables à la plantation des tubercules moyens.
Seulement, on pourrait objecter que ces expériences ne portaient que sur quatre plantations de tubercules de volume différent, et il ne faut pas avoir assisté
à un arrachage de Pommes de terre pour ne pas se rappeler combien souvent est variable le nombre des tubercules que l’on récolte à chaque pied, dans les
circonstances de culture ordinaire. C’est ce qui rend très délicates les appréciations que l’on peut faire sur toutes les données de ces expériences.
En 1893, M. Plumb, à la Station expérimentale de l’Université du Tennessee, a cherché à évaluer le produit d’un tubercule de poids variable, et a fait
porter ses recherches sur une série de tubercules pesant depuis 1 once jusqu’à 14 onces (environ 30 grammes 60 à 428 grammes 30). Il a obtenu une série
ascendante aussi bien pour la hauteur des tiges, pour la moyenne du poids de la récolte que pour le nombre moyen des tubercules produits à chaque touffe.
Ses expériences ont été faites avec la variété Early Rose.
Mais ce qui prouve bien que cette question est fort complexe, c’est que certaines expériences qui ont montré que plus est gros un fragment de tubercule
planté, plus considérable est le produit ; d’autres expériences ont prouvé que de gros tubercules entiers produisent des Pommes de terre plus petites que les
moitiés ou les quarts de tubercules, ou même des fragments ne portant qu’un seul œil. De même, le Dr Arthur, à la Station expérimentale de l’Université de
Purdue, qui a fait porter ses recherches sur le rôle que pouvait jouer le nombre des yeux sur les tubercules, dans le produit de la récolte, constatait qu’il y a
un rapport défini entre le poids du tubercule et le nombre des pousses qu’il donnera, et que le nombre des yeux sur les tubercules ou fragments plantés est
indifférent, tandis que le poids de ces tubercules ou fragments a une grande importance.
En somme, toutes ces expériences ont permis de constater des résultats intéressants, à peu près en dehors de la production comparative de tubercules
d’un assez grand nombre de variétés. C’est qu’il y a là, en effet, un autre élément d’appréciation. Dans le même terrain, avec les mêmes soins de culture, et
placés l’un à côté de l’autre, deux tubercules appartenant à deux variétés différentes produiront, le premier une demi-douzaine à peine de tubercules, et le
second près dune quarantaine. De plus, certaines variétés productives fournissent une récolte qui est plus abondante pour les unes que pour les autres. Le
choix des variétés est donc aussi fort important. Il ne restera plus qu’à combinera la fois le choix de la variété et la meilleure méthode de plantation pour se
donner l’espoir d’une très bonne récolte.
En 1885, M. Arnould-Baltard, rapporteur d’une Commission, exposait, dans le Journal de la Société d horticulture de France, des idées fort justes à ce
sujet. « La question du Rendement, disait-il, est l’une des plus difficiles à élucider, à cause du nombre considérable des éléments dont il faut tenir compte :
la quantité en nombre de semence employée, son poids, sa grosseur, la distance des touffes, la nature du terrain, les circonstances météorologiques, etc. En
outre, la comparaison doit se faire entre des variétés d’une hâtiveté presque égale, ou entre celles qui ont une même destination, soit à la culture maraîchère,
soit à la grande culture, et, dans ce dernier cas, le rendement en fécule doit être indiqué. » M. Aimé Girard a publié dans ses Recherches sur la culture de la
Pomme de terre industrielle et fourragère, les résultats de plusieurs expériences très bien suivies, dont il tire les conséquences suivantes :
« 1° Les tubercules de poids élevé, dit-il, donnent, en général, un produit plus abondant que les tubercules de poids faible ; mais cette règle n’est pas
absolue, et il n’existe pas de proportionnalité nécessaire entre le poids du plant et le poids de la récolte ; 2e Les tubercules de poids faible donnent
quelquefois une récolte égale à celle que donnent des tubercules de poids double et même triple ; les tubercules de poids égaux ne donnent pas toujours des
récoltes égales ; 3e Les tubercules provenant d’un même sujet étant sériés par ordre de poids, on constate toujours, dans la série de plants ainsi dressée, une
zone comprenant les gros et les moyens, englobant même quelques-uns des petits, et pour laquelle, à quelques exceptions près, la récolte ne varie que dans
des limites peu étendues. 4e Les très gros tubercules donnent quelquefois des récoltes moindres que les gros et les moyens. »
On doit reconnaître, par suite, combien la question est complexe. M. Aimé Girard en tire, plus loin, les conclusions qui suivent. « Choisir les petits
tubercules serait une imprudence, choisir les gros serait charger la culture d’une dépense inutile ; c’est aux moyens qu’il convient de s’adresser. Reste alors
à fixer ce qu’il faut entendre par tubercules moyens. Le poids, bien entendu, en doit être différent, suivant que la variété cultivée produit particulièrement
de petits ou de gros tubercules ; mais, d’une manière générale, on peut les définir en disant que ce sont ceux qui, par leur grosseur, représentent le type
moyen de la récolte, en laissant de côté les petits et les gros ».
M. Aimé Girard a résolu encore une autre question qui vient s’ajoutera la précédente. Il s’agissait de déterminer l’influence des qualités héréditaires de
chaque tubercule de plant sur la récolte qu’il fournit, et c’était un des côtés de la question sur lequel l’attention jusqu’alors ne s’était pas portée. « En
voyant, dit-il, des tubercules de même poids fournir des récoltes très différentes, j’ai du naturellement être conduit à penser qu’à chacun de ces tubercules
devait appartenir une puissance productive différente, puissance productive que, d’après les lois naturelles, on devait à quelques exceptions près, retrouver
dans sa descendance. J’ai été conduit, en un mot, à penser qu’à chacun des tubercules provenant d’un sujet à riche récolte devait appartenir, sinon
absolument, du moins dans une large mesure, la faculté de fournir, lui aussi, une récolte abondante, à penser également que, dans les tubercules provenant
d’un sujet pauvre, cette faculté ne devait pas se retrouver. L’expérience m’a montré qu’il en était bien ainsi ». Il conclut ensuite, de ses expériences, « que
le cultivateur doit prendre ses plants au pied des sujets qui, eux-mêmes, ont fourni un rendement élevé ».
Enfin, considérant « qu’à toute végétation vigoureuse correspond un rendement abondant ; à toute végétation grêle, au contraire, un faible rendement »,
M. Aimé Girard conclut définitivement en ces termes : « La question du choix du plant se trouve ainsi résolue : le cultivateur le doit prendre parmi les
tubercules moyens, que mettent à sa disposition les pieds les plus vigoureux de sa récolte ».
La Pomme de terre peut se reproduire de diverses façons, mais principalement par la plantation de ses tubercules ou par le semis de ses graines. Ce
dernier mode a été connu, dès son introduction en Europe. En effet, Charles de l’Escluse en parle déjà, en 1601, comme nous l’avons vu plus haut. « Je
n’ai, dit-il, jamais fait d’expériences sur les graines ; mais j’ai appris par d’autres personnes que, dans la même année, elles donnent aussi des fleurs dont la
couleur parait différer de celles de la plante-mère. Ainsi, mon ami Jean Hogheland m’écrivait que les pieds, qui étaient sortis de la semence que je lui avais
envoyée, avaient donné des fleurs toutes blanches, mais qu’il avait constaté que ces pieds qu’il avait déterrés à la même époque où l’on déterre ceux qui ont
été produits par des tubercules, n’avaient encore développé aucun de ces derniers, peut-être parce que les tiges n’avaient pas encore atteint leur maturité ».
Plus tard, Miller nous a fait connaître, dans l’édition de 1768 de son Gardener’s Dictionary, que le semis des graines était déjà pratiqué en Angleterre, pour
obtenir des Pommes de terre plus hâtives. « Dans ce but, dit-il, les jardiniers de Manchester ont fait choix des tubercules qui produisent leurs fleurs les
premiers, et les ont laissés mûrir leurs graines qu’ils ont semées avec grand soin. Or les plantes ainsi obtenues ont généralement été plus précoces que les
autres ; et en répétant souvent ce système, ils ont si bien augmenté la précocité des tubercules qu’ils sont arrivés à en tirer parti deux mois après la
plantation ». D’un autre côté, nous avons vu que Parmentier, en vue de la régénération de la Pomme de terre, avait conseillé d’employer le semis des
graines et donné tous les procédés à suivre pour essayer ce nouveau mode de reproduction.
Nous ne pouvons reproduire ici tout ce que nous avons déjà cité de Parmentier à ce sujet ; mais nous trouvons dans les Mémoires de la Société royale
d’Agriculture de l’année 1816, un document historique qui trouve ici sa place.
« Avis aux cultivateurs sur la manière de multiplier la Pomme de terre par le semis de ses graines, publié au nom de la Société.
» La facilité et l’abondance avec laquelle la Pomme de terre se multiplie par ses tubercules, l’ignorance où sont la plupart des cultivateurs de la
possibilité de l’élever de semence, l’opinion de quelques-uns sur la longueur et la difficulté de cette méthode, l’habitude enfin, ont empêché jusqu’ici de
faire usage de ce moyen de reproduction, qui est cependant celui de la nature. Quelques amateurs seulement, dans l’intention de se procurer des variétés
soit meilleures, soit plus appropriées à leurs besoins ou à leur climat, avoient fait quelques essais ; mais ce n’est réellement que dans ces derniers temps que
quelques membres de la Société royale et centrale d’Agriculture, et la Société elle-même, en ont fait un objet de culture suivie, et dont les résultats ont été
tellement satisfaisans qu’elle a cru devoir proposer des médailles pour encourager cette méthode. De nombreuses expériences, dont deux particulièrement
faites cette année, l’une à Paris, dans le jardin de M. Sageret, l’autre à Verrières, chez M. Vilmorin, en plein champ, et dans une terre qui n’a été préparée
qu’à la charrue, ont donné la conviction, que ce moyen n’est ni si long, ni si difficile qu’on l’avait pensé, et que ses produits peuvent offrir d’utiles
ressources en cas de disette, ou du moins et encore mieux, servir à la plantation, s’il arrivoit que le besoin forçât de consommer les tubercules qui y étoient
destinés ; et quand ils ne seroient bons qu’à cela, ce seroit encore beaucoup, puisque la quantité de tubercules nécessaire à la plantation d’un arpent ou
demi-hectare, est dans le cas de suffire à la nourriture de deux hommes pendant une année.
» Quoique en général les tubercules provenus de semis ne soient pas d’un gros volume, et que le produit total soit de beaucoup inférieur à celui qu’on
obtient par la méthode ordinaire, il n’est cependant point à dédaigner. D’après plusieurs expériences, on pourrait l’évaluer à 50 setiers par arpent[1], et il
seroit susceptible de s’élever plus haut au moyen d’une culture très soignée. En 1813, on a présenté à la Société un pied provenu du semis de la Grosse
jaune, consistant en 27 tubercules, dont un du poids de 10 onces, et en total du poids de 4 livres et demie ; on a même cité des exemples encore plus
remarquables, tels qu’un tubercule du poids de 25 onces[2] provenant du semis de la Grosse blanche commune. D’ailleurs, tous les tubercules obtenus de
semis jouissent d’une telle énergie vitale, que, quelque petits qu’ils soient, ils peuvent être employés avec avantage à la plantation.
» Ce n’est donc point ici un essai que l’on conseille aux cultivateurs, c’est l’emploi d’une pratique consacrée par l’expérience. Au surplus, s’ils
conservent à cet égard quelques doutes, s’ils craignent de voir leur récolte diminuée par l’emploi d’un procédé nouveau, que, sans préjudicier en rien à leur
plantation ordinaire, sans diminuer la quantité de terre qui y est annuellement consacrée, ils établissent, soit dans leur jardin, soit dans un coin de leur
champ, une pépinière en semis ; que les produits de ce semis soient plantés sur un morceau de terre que sans cela ils eussent négligé ou laissé en jachère, ils
n’auront point à se reprocher d’imprudence, et ils s’applaudiront au contraire d’avoir obtenu un surcroît de provisions inattendu. Utilité publique, intérêt
particulier, tout les engage donc à faire des semis de Pommes de terre ; mais comme cette graine n’est point encore dans le commerce, il faut que chacun
d’eux se procure la sienne, ce qui n’est pas bien difficile, puisqu’il ne s’agit que de ramasser les baies ou fruits, qui se perdent dans son champ. Il est urgent
de faire cette récolte, une partie de ces fruits est déjà tombée à terre, une autre est prête à tomber, et en peu de temps ils deviendroient la proie des insectes,
ou la pluie et la gelée les feroient disparoître. On devra choisir les plus murs : on les reconnaîtra à leur couleur blanche grisâtre, et à une odeur particulière
assez agréable qu’ils exhalent alors ; mais, faute de mieux, on les ramassera tels qu’ils se trouveront ; quoique imparfaitement mûrs, une partie de leurs
graines auront cependant la faculté de germer ; on en sera quitte pour, dans ce cas seulement, semer un peu plus dru, ce qui sera fort aisé, chaque fruit
pouvant contenir jusqu’à 300 graines. La récolte faite, on peut suspendre ces fruits par la queue dans un lieu sec, ou les y étaler sur des tablettes, et c’est le
parti que l’on devra prendre dans le cas d’une maturité imparfaite ; ils la compléteront ainsi insensiblement, et au printemps quand on voudra les employer,
s’ils sont secs, on les écrasera avec un léger marteau, les graines se sépareront aisément, ou bien on les mettra ramollir dans l’eau, et on les traitera comme
nous allons l’indiquer plus bas ; car cette méthode n’étant guère bonne que pour en préparer de petites quantités, en grand on devra préférer la suivante,
mais seulement lorsque les fruits sont bien mûrs. Les fruits, aussitôt après leur récolte, seront écrasés dans les mains, lavés à grande eau pour détruire la
viscosité de la pulpe qui entoure les graines, à l’aide si l’on veut d’un tamis ; l’eau passe à travers chargée du suc visqueux et y dépose la graine ; on l’y
ramasse, on l’étale sur une toile ou sur une feuille de papier gris, on la fait sécher à l’air ou dans un endroit sec, à l’abri des souris, qui en sont très friandes :
on la met ensuite en sac jusqu’au moment de la semer. Cette graine conserve pendant plusieurs années sa faculté germinative.
» Le choix des espèces[3] de Pommes de terre sur lesquelles on récolte la graine n’est pas indifférent ; quoiqu’elles soient sujettes à varier beaucoup parle
semis, cependant elles retiennent toujours quelque chose de leur race ; et comme il s’agit ici d’avoir le plus grand produit possible, on devra prendre les
graines sur les espèces les plus vigoureuses ; ainsi, sans cependant en proscrire aucune, on devra préférer celles indiquées dans le Catalogue de la Société,
sous les noms de Grosse blanche commune ou de Patraque blanche, Truffe d’Août, Berbourg, Bavière, La divergente, Mouffen, Beaulieu marbrée, La
Brugeoise, mais surtout les Grosses jaunes, telles que La Grosse Zélandaise, le Champion, l’Ox noble, la Patraque jaune et ses analogues, le produit par
semis des jaunes étant généralement plus constant et beaucoup plus régulier, tant en quantité qu’en qualité. On recommande encore de recueillir et de semer
séparément les graines de chaque espèce, autant qu’il sera possible, la récolte et la conservation des produits en était alors beaucoup plus commodes.
» Méthode de semis. — Quelques amateurs sèment la graine de Pomme de terre sur couche, et repiquent ensuite les plants dans leur jardin ; mais nous
avons constamment employé une méthode bien plus simple et bien plus économique que voici.
» Depuis Février jusqu’en Mai, suivant le climat et la saison, mais surtout lorsqu’on n’a plus de gelées à craindre (à Paris, vers la mi-Avril), sur un
terrain bien labouré et bien fumé, mais surtout bien ameubli et de nature légère, s’il est possible, on dresse des planches de 3 à 4 pieds de largeur ; on y
trace des rayons espacés l’un de l’autre de 2 ou 3 pieds et 3 ou 4 pouces de profondeur ; la graine s’y sème très claire, et se recouvre très légèrement d’une
ligne environ de terre ou de terrain, qu’on marche ou qu’on foule un peu ; au bout de quelques jours, si la saison est sèche, il est bon d’arroser de temps en
temps, si on le peut ; mais pour peu qu’il pleuve, on en est dispensé, et plusieurs de nos semis ont été élevés sans ce secours ; quand les plantes sont levées,
on les sarcle soigneusement ; on les éclaircit, on les bine à plusieurs reprises, en rapprochant un peu la terre de leurs pieds, prenant garde cependant de ne
pas trop les enterrer, ou du moins de ne le faire qu’au fur et à mesure qu’elles prennent de la force ; quand elles sont assez grandes, on les butte alors
complètement. La distance à laquelle on laissera les plantes devra dépendre de leur vigueur : 2 pieds, 2 pieds et demi d’éloignement en tous sens, seront un
espacement convenable ; au surplus on ne peut rien prescrire de positif à cet égard, les espèces vigoureuses exigeant plus de place que les espèces faibles,
surtout lorsqu’elles sont aidées par une saison favorable : il suffira de savoir que plus elles auront de liberté pour s’étendre, plus elles deviendront fortes, et
plus leurs tubercules seront gros. Il arrive souvent qu’elles ont autant d’apparence, et quelquefois qu’elles donnent autant de produit que celles plantées de
tubercules. Les pieds arrachés lors de l’éclaircissement peuvent être repiqués ailleurs si l’on veut ; ils reprennent aisément lorsque la saison est pluvieuse,
ou qu’on a soin de les arroser. Comme la végétation des Pommes de terre élevées de semis se prolonge beaucoup, et que la production des tubercules est
tardive, il faudra ne les arracher que le plus tard qu’on pourra, c’est-à-dire quand la gelée y forcera ; néanmoins s’il s’y en trouvoit de hâtives, on fera bien
de les arracher d’avance. Lors de la récolte, on devra, sur-le-champ, mettre à part pour la replantation de l’année suivante les pieds les plus vigoureux, les
plus abondans en tubercules, d’une belle forme et d’une bonne grosseur ; rejetant ceux qui sont trop petits en même temps et trop nombreux, trop traçans,
mal conformés ou ne paraissant pas sains : ces derniers surtout doivent être absolument exclus, car ils transmettent infailliblement leurs vices à leur
postérité. Il sera bon aussi de trier les différentes espèces et d’en faire des lots séparés ; la plantation de l’année subséquente en sera plus commode à
exécuter, la culture et la récolte des espèces mêlées étant plus difficiles, et la consommation ainsi que la vente beaucoup moins avantageuses. D’ailleurs, la
culture de ces espèces venues de semence n’exige aucun soin particulier, et devra être faite comme à l’ordinaire ; elles acquerront dans cette seconde année
toutes les qualités dont elles sont susceptibles ».
Nous croyons devoir ajoutera ces excellents conseils, émanant de personnes très compétentes, les passages suivants que nous extrayons des Nouvelles
instructions populaires sur la maladie de la Pomme de terre publiées en 1845 par Charles Morren, et qui se rapportent au semis des graines de cette
Solanée.
« Nul doute, dit Charles Morren, que, pour perfectionner nos variétés, il serait convenable d’en produire de nouvelles, mais je pense que le meilleur
moyen serait de semer et d’améliorer les bonnes races produites à la suite des semis, par des plantations raisonnées, comme on l’a fait en Angleterre…
» Il s’agit donc que les circonstances suivantes soient prises en mûre considération : — 1° Il faut choisir le lieu de production des fruits. 2° Il faut savoir
sur quelle variété on recueille le fruit. 3° Le fruit sain, non infecté, doit être préparé d’avance ; c’est-à-dire qu’il faut sur un bouquet de fruits n’en laisser
que deux ou trois pour bien les faire grossir et mûrir. 4° Ces fruits ne peuvent être arrachés que lorsque la fane saine est bien desséchée et qu’elle gît à terre.
5° On brise le fruit, on ôte la pulpe par le lavage et on recueille les graines propres et vigoureuses allant au fond de l’eau quand on les y jette. 6° On les
étend sur du papier, au soleil, pendant un jour. 7° On les renferme dans du papier noir, bien sec…
» On procède au semis en Mars, et on récolte les jeunes Pommes de terre en Octobre. Elles n’ont alors que la grosseur d’une noisette. L’année d’après,
elles deviennent grosses comme des noix, et la troisième année, on a d’excellents tubercules plus ou moins gros.
» Le semis se fait en plate-bande, en ligne ou à la volée.
» La première transplantation se fait à quinze pouces de distance en quinconce et on butte à temps, c’est-à-dire lorsque la plante atteint deux ou trois
pouces de hauteur.
» Dans un semis de cette espèce, voici ce qu’on observe. Les plantes ne laissent pas dessécher leurs fanes toutes à la fois. Il y a des fanes sèches un mois,
un mois et demi avant d’autres. Celles qui se dessèchent le plus vite sont désignées par des piquets. Ce sont les plantes les plus hâtives.
» On peut accélérer la précocité en prenant des fruits provenant des fleurs les plus précoces. C’est par ce moyen que Knight a obtenu les Pommes de
terre si hâtives de l’Angleterre.
» Une fois cette précocité fixée, et après tout, ce n’est pour la plante qu’un état de nubilité plus prompt, elle se perpétue par la plantation des tubercules.
» Un champ de semis, outre des variétés de formes, de couleurs, de goût, de fertilité, produit aussi des variétés plus ou moins hâtives, plus ou moins
tardives ».
M. Courtois-Gérard, qui est un habile praticien, donne de bons conseils sur le semis des graines, dans son petit livre, récemment publié, et intitulé : Du
choix et de la culture des Pommes de terre. Il émet toutefois cet avis que les semis de graines ne sont pas très utiles au point de vue du jardinage, parce
qu’ils produisent d’ordinaire des variétés tardives, et que dans les potagers on ne cultive guère que les variétés hâtives ou de seconde saison. Il dit alors que
cela résulte de ce que les variétés hâtives ne fleurissent que rarement, ou bien que, si elles fleurissent, les fleurs avortent, de telle sorte que, dans les deux
cas, on n’obtient aucune baie contenant des graines.
» Que faudrait-il pour qu’il en fût autrement, ajoute-t-il ? D’abord ne pas s’en remettre au hasard qui, s’il produit des fécondations accidentelles, ne peut
évidemment les produire qu’entre les variétés qui fleurissent exactement à la même époque ; ensuite cultiver les variétés hâtives de manière à les
contraindre à fleurir et à épanouir leurs fleurs précisément au moment où fleurissent les variétés dont on veut opérer le croisement ».
Ce que dit là M. Courtois-Gérard, est très juste, et ses deux derniers conseils sont excellents à suivre. Mais il n’indique pas la façon dont il faut s’y
prendre pour faire fleurir des variétés hâtives qui d’ordinaire ne fleurissent pas. On peut obtenir ce résultat en employant l’ingénieux procédé du célèbre
Knight. Nous le ferons connaître dans le paragraphe suivant.
Un de nos habiles semeurs, M. Lamarre, à Bayeux, a bien voulu nous donner connaissance des soins minutieux qu’il prend pour faire germer ses graines
de Pommes de terre et hâter le développement de ses plantules. Nous pensons qu’il y a intérêt à les reproduire ici.
« Je sème, nous écrit-il, en Février-Mars sur couche chaude sous châssis ou en serre tempérée, mais très près du verre. Je fais ce semis en petites terrines
recouvertes d’une plaque de verre, que l’on change de côté deux fois par jour. La levée est assez rapide. Il faut alors donner de l’air pour éviter
l’étiolement. Quinze jours ou trois semaines après, on peut procéder à un premier repiquage. Si le plant est faible, on mettra six plantules par godet de 7
centimètres de diamètre, à distances égales, contre les parois. Ces plantules mises sous cloches ou sous châssis, arrosées et ombrées, seront bonnes à être
séparées quinze jours plus tard, et placées chacune dans un godet distinct de même dimension. On les y laissera jusqu’à la mise en place, en pleine terre,
lorsque les gelées ne seront plus à craindre. Il conviendra alors d’espacer cette plantation, en conservant seulement entre les pieds une distance de 40
centimètres, ce qui permet de se rendre mieux compte du port de la plante et de ne pas commettre d’erreur lors de l’arrachage. Dans de telles conditions et
avec de bons soins culturaux, les jeunes plants atteindront tout leur développement dans la première année. Il convient lorsque l’on procède au premier, ou
tout au moins au second repiquage, de planter de façon à ce que les cotylédons se trouvent enfoncés au niveau du terreau, car c’est de l’aisselle de ces
cotylédons que partiront les premiers stolons sur lesquels se formeront les tubercules. Ces derniers se montrent à leur origine assez rapidement, lorsque la
plantule aura la force de les développer, car il arrive parfois qu’il ne s’en produit point. Dans ce cas, j’ai cru remarquer que les plantules trop faibles n’en
produisent pas non plus ultérieurement, ou bien ne présentent que des renflements tuberculiformes de peu d’importance.
» On ne peut juger, dès la première année, de la valeur de la récolte. Il y a lieu de réformer, pour la plantation de l’année suivante, tout ce qui dénote de
mauvaises qualités, les plantules trop coureuses ou peu fertiles, les petits tubercules ayant des yeux trop enfoncés ou de volume trop faible, sans compter
les malades, car il ne faut pas perdre de vue que ces plantules sont autant, sinon plus, sujets à la maladie que les plants adultes.
» Les plantations de la seconde année, avec les tubercules ainsi sélectionnés, procurent des résultats plus nets. On peut remarquer les pieds qui
développent des tiges vigoureuses et qui produiront une récolte satisfaisante. Mais on doit s’attendre à ce que les tubercules ne donneront pas tout ce qu’on
espère. Aussi juge-t-on mieux du produit, après la troisième année, car alors le développement est normal, et il ne restera plus qu’à faire une sélection
presque définitive des tubercules récoltés, d’après toutes les règles que l’on doit suivre pour se rendre compte de la véritable valeur d’une variété
nouvelle ».
On le voit, le semis des graines de Pommes de terre exige beaucoup de soins, de patience et d’intelligence pour être mené à bonne fin.
Nous avons expliqué, dans un Chapitre précédent, comment se trouve organisée la fleur de la Pomme de terre ou du Solanum tuberosum. Au centre de
ses deux enveloppes, le calyce et la corolle, s’élèvent cinq étamines presque soudées ensemble, formant une sorte de colonne creuse dans l’intérieur de
laquelle passe le style qui se termine au-dessus des anthères en un stigmate arrondi, verdâtre. Les anthères présentent ce caractère particulier, qui est du
reste commun à toutes les anthères des fleurs des espèces du genre Solanum, de s’ouvrir au sommet par deux pores : chacun de ces orifices permet aux
grains de pollen de s’échapper de chaque loge de l’anthère pour arriver sur le stigmate ; mais ce phénomène ne peut s’accomplir qu’au fur et à mesure que
les grains de pollen, par l’effet de l’action solaire, se trouvent élevés successivement, à leur maturité, jusqu’au pore terminal par lequel s’effectue leur
sortie. Bien que la séparation des grains polliniques ou leur isolement les uns des autres n’exige qu’un temps assez court, ils ne se trouvent pas tous
simultanément prêts pour la fécondation. Il en résulte une certaine difficulté pour en obtenir une grande quantité lorsqu’on veut pratiquer des fécondations
artificielles, c’est-à-dire porter directement sur des stigmates en état d’être fécondés, le pollen, extrait des anthères mûres. On est contraint, pour assurer le
succès de l’opération, de s’adresser à un assez grand nombre d’anthères, ce qui permet de réunir la quantité de grains de pollen nécessaire pour en couvrir
totalement le stigmate. D’un autre côté, lorsqu’on ne tient pas à favoriser simplement la fécondation des fleurs d’une même variété par son propre pollen, il
faut empêcher le pollen de la fleur à féconder d’agir de lui-même sur le stigmate. Pour cela, avant l’ouverture des pores des anthères, on détache les cinq
étamines de cette fleur pour ne lui laisser que le pistil avec le calyce et la corolle. Cette opération exige beaucoup de soins pour ne pas blesser, lors de cette
castration, le stigmate, le style et l’ovaire. Puis, lorsque l’on juge que le stigmate est arrivé à l’époque ordinaire de la fécondation, on y porte les grains de
pollen primitivement recueillis, ce qui peut se faire délicatement avec un petit pinceau. Enfin, si l’on veut se mettre à l’abri de tout transport étranger de
pollen, soit par le vent, soit par les insectes, on entoure les fleurs ainsi artificiellement fécondées avec une gaze légère qui leur permet de rester isolées
pendant quelque temps du monde extérieur, mais néanmoins de vivre dans l’air et de recevoir les rayons solaires. Tels sont les procédés à employer pour
pratiquer la fécondation artificielle.
Les produits qu’on obtient par cette fécondation artificielle entre espèces congénères s’appelant des hybrides, il est d’usage de désigner cette opération
sous le nom d’hybridation. On appelle fécondation croisée, l’opération qui a pour but de féconder artificiellement des variétés d’une même espèce entre
elles, et c’est celle qui se pratique le plus fréquemment pour obtenir de nouvelles variétés de Pommes de terre. Cependant, des tentatives d’hybridation ont
été faites entre le Solanum tuberosum et des espèces voisines. On a obtenu, il y a déjà quelque temps, une plante hybride qui se maintient par la culture des
tubercules, car elle est stérile, entre le S. utile et le S. tuberosum.
Nous trouvons dans un Mémoire de Schacht[4] une description de cette plante hybride et des remarques à son sujet. Nous en donnons ci-après la
traduction.
« Le Dr Klotsch, dit Schacht, par la pollinisation des fleurs d’une très vigoureuse variété de Pomme de terre avec le pollen du Solanum utile, a obtenu des
graines, en 1850, qui lui ont donné une plante hybride, laquelle a jusqu’ici parfaitement résisté à la maladie des feuilles et des tubercules. Klotsch croit
qu’en raison de l’âge récent de cette hybride, ses qualités particulières pourront s’améliorer. Le Solanum utile, semblable à notre Pomme de terre (Solanum
tuberosum), appartient aux espèces tuberculifères du genre Solanum ; ses fruits mûrs exhalent une odeur aromatique. La plante et les fleurs de cette hybride
rappellent assez bien celles de notre Pomme de terre ; pourtant la plante elle-même est en quelque sorte plus forte et colorée en vert plus foncé. Vers la fin
de Septembre de cette année, je l’ai vu ayant encore de très belles fleurs et sans apparence de taches noires, tandis que les Pommes de terre des champs, ce
jour-là même, se montraient comme étant depuis longtemps dépérissantes ; l’hybride et ses fleurs se sont conservées plus tard, jusqu’en Octobre[5]. Dans
les préparations microscopiques, les feuilles et la tige paraissent tout à fait organisées comme celles de la Pomme de terre ; le mode de villosité est aussi le
même, mais l’hybride la présente avec des caractères plus accentués qui dénotent une cuticule plus épaisse. Il en résulte qu’avec cette cuticule plus
fortement développée, la feuille et la tige de l’hybride se trouvent mieux protégées contre les influences extérieures que la Pomme de terre : c’est ce qui
explique que ses feuilles ne se fanent pas aussi vite que celles de cette dernière plante, qui perdent plus facilement leur humidité. Cette plante hybride
exige, d’après Klotsch, un sol bien profond. Les tubercules que j’en ai détenus s’étaient également développés dans une terre argileuse. Ces tubercules, de
grosseur moyenne, se trouvaient de deux sortes, blancs et bleus ; leur forme était très irrégulière, anguleuse arrondie, plus longue que ronde, et ils
montraient çà et là des dépressions, comme si dans le sol très compact leur développement avait dans ces parties rencontré quelque obstacle. La chair de la
variété blanche paraissait blanche ; celle de la variété bleue, jaunâtre. La consistance des tubercules était extraordinairement ferme ; ils étaient riches en
fécule. Les grains amylacés avaient leur structure normale, mais il semblait que la paroi des cellules qui renferment ces grains amylacés était plus épaissie
que d’habitude. Dans les tubercules cuits, on trouvait cette particularité encore plus manifeste, car les cellules alors complètement isolées paraissaient
entourées d’une membrane très épaisse ; les tubercules de cette hybride se laissent par suite mieux triturer après la cuisson que ceux de la Pomme de terre ;
la chair en est pour la même raison plus ferme et plus dure. De deux tubercules de la variété blanche que j’avais fait cuire, l’un s’était tant soit peu crevé :
la saveur m’en a paru très agréable. La peau n’en est pas particulièrement épaisse, mais elle est constituée pour être très ferme. Quant à la peau des
tubercules de la variété bleue, on remarque qu’elle est couverte de petites papilles tubéreuses, ce qui n’a pas lieu chez la variété blanche ».
L’obtention de cette hybride date déjà d’une quarantaine d’années et les résultats de sa culture ont été en somme peu satisfaisants. Grâce à l’obligeance
de M. de Vilmorin, qui l’a conservée dans sa collection, nous avons pu la cultiver et en suivre le développement. La plante fleurit très bien, mais les fleurs
restent stériles : les tubercules sont petits et ne paraissent pas susceptibles d’être pratiquement utilisés. On ne peut la considérer que comme exemple
curieux d’une plante hybride dont les tubercules assurent la conservation.
M. Blanchard parle, dans la Revue horticole (1885), d’essais d’hybridation qui avaient été faits sur le Solanum Ohrondii avec le S. tuberosum. À cette
époque, on avait constaté que le S. Ohrondii restait toujours stérile. Il était réservé à M. Heckel d’en obtenir des baies avec graines, en 1896, en faisant
cultiver la plante au Jardin botanique de Marseille. On peut dire qu’il y avait alors intérêt à essayer de féconder ce Solanum avec notre Pomme de terre, en
raison surtout des tentatives de cultures qui étaient faites avec le S. Ohrondii. Voici ce que dit M. Blanchard, à ce sujet.
« La fécondation de l’Ohrondine, comme la désignent les cultivateurs bretons, par elle-même, ne nous ayant pas réussi, nous avons été obligé d’avoir
recours au S. tuberosum, qui est l’espèce avec laquelle elle a le plus d’affinités. M. Pondaven en essaya plusieurs variétés et celle qui lui donna les
meilleurs résultats fut la variété connue en Basse-Bretagne sous le nom de Pomme de terre plate, qui est communément cultivée à Pont-l’Abbé, Roscoff,
Plougastel, etc. Il obtint de cette fécondation trois à quatre baies assez chétives qui, à l’exception d’une, disparurent au bout d’une quinzaine de jours : une
seule arriva à peu près à sa grosseur naturelle et donnait les plus belles espérances ; mais la plante qui l’a produite arriva au bout de sa période végétative
avant que le fruit ait atteint sa maturité. En voici la description : Pédicelle grêle, très allongé, réfléchi, articulé vers le milieu, velu. Baie ovale, oblongue-
obtuse, de 8 millimètres de long sur 3 mill. de large, brun vert olive, glabre ».
Le fruit normal du S. Ohrondii diffère de celui de cette hybride : il est allongé, presque cylindrique, d’un beau vert, et ne ressemble pas non plus à celui
du S. tuberosum. Il se rapprocherait plutôt de celui du S. Commersonii.
Plus récemment, de nouvelles expériences ont été commencées. M. Arthur Sutton sous l’inspiration de lord Cathcart, a fait en Angleterre des essais
d’hybridation entre le S. tuberosum et le S. Maglia, L’habile opérateur en a fait connaître les résultats dans son intéressante Conférence sur la Pomme de
terre, qu’il a faite à la Société royale d’horticulture de Londres, en Novembre 1895, et qu’il a publiée en 1896. Voici comment s’exprimait devant son
auditoire M. Arthur Sutton, dont nous traduisons les paroles.
« Lord Cathcart avait choisi le Solanum Maglia, comme étant probablement l’espèce la plus convenable pour être hybridée avec le S. tuberosum afin
d’obtenir une race de Pommes de terre qui pourrait être assez bien constituée pour résistera à la maladie….. Bien que plusieurs centaines de fleurs du S.
Maglia aient été fécondées artificiellement avec le pollen de diverses variétés de Pommes de terre, cinq seulement réussirent à l’être : le résultat a été cinq
baies avec leurs graines ; mais avec ces graines, il n’a été obtenu que deux plantules. Une seule de ces plantules a laissé entrevoir quelque promesse
d’avenir, la seconde ayant exigé d’être cultivée sous verre pour prévenir son dépérissement à l’air libre. Cette première plantule, tout en se présentant sous
la forme d’un S. Maglia perfectionné, est encore bien loin d’offrir un produit équivalent à celui d’une Pomme de terre ordinaire, soit dans son apparence,
dans son rendement et dans ses qualités. Et cependant cette plantule est aujourd’hui cultivée depuis huit ans ; mais en 1894 elle a été légèrement atteinte par
la maladie, à laquelle elle avait pour dire échappé jusque-là ». M. Blanchard avait constaté qu’à Brest le S. Maglia est éprouvé par la maladie, autant, sinon
plus que le S. tuberosum ; nous avons eu l’occasion de faire la même constatation : il est donc à présumer que, sous ce rapport, l’obtention ne sera pas de
grande valeur. Et comme, d’après M. Arthur Sutton, le produit obtenu n’est pas comparable à une Pomme de terre ordinaire, il n’y a pas grand espoir non
plus d’en voir sortir la race rustique et vigoureuse qu’on espérait.
Nous n’avons pas entendu dire qu’il ait été fait de nouveaux essais d’hybridation entre le S. tuberosum et d’autres espèces voisines, ou bien, s’il en a été
fait, que ces essais aient donné des résultats appréciables ou satisfaisants. Il est à croire, toutefois, qu’on pourra difficilement par ce procédé obtenir des
produits estimables. En effet, le S. tuberosum est un type vigoureux, à tendances variables améliorantes, d’une organisation assez puissante pour produire à
la fois des fruits et des tubercules volumineux, faculté qu’il ne perd que par suite d’une trop grande précocité dans la formation de ses tubercules ; les autres
espèces voisines, au contraire, sont de leur propre nature faibles, débiles, ou bien stériles, stolonifères, ne développant que de petits tubercules, peu
nombreux. Vraiment, la comparaison leur est tellement défavorable que l’on doit s’attendre, en les hybridant avec le S. tuberosum à diminuer la vigueur de
ce dernier, ou bien en hybridant le S. tuberosum avec elles, à créer inutilement des types nouveaux sans valeur culturale.
Tout autre se présente la fécondation croisée entre variétés du S. tuberosum. Les croisements y promettent d’abord des résultats plus faciles à obtenir et
plus productifs. On peut essayer, avec espoir de succès, d’améliorer de certaines variétés, de leur infuser pour ainsi dire un sang nouveau, de modifier leurs
tendances à ne produire que tard leurs tubercules, en leur donnant plus de précocité, de leur communiquer même des qualités qu’elles n’avaient point.
Malgré cela, les difficultés de l’opération de cette fécondation artificielle sont encore assez grandes et les résultats obtenus demandent à être patiemment
suivis et surveillés ; puis il faut savoir avec soin pratiquer dans les plantules du semis une habile sélection. Il n’est donc pas surprenant que nous ne
trouvions à citer parmi les heureux opérateurs de croisements que MM. Robert Fenn, Glarke et Sutton en Angleterre, MM. Bresee et Pringle aux États-
Unis, et MM. Richter, Paulsen et Cimbal, en Allemagne.
M. Robert Fenn ayant publié quelques-unes de ses impressions sur ses essais de fécondations artificielles, ainsi qu’un aperçu de ses obtentions, nous
croyons qu’on ne lira pas sans en tirer profit la traduction de certains passages de ses Mémoires. Voici ce que nous trouvons à extraire du Gardener’s
Chronicle de 1876 sur ce sujet.
« Je me suis occupé de la Pomme de terre, dit M. Fenn, depuis environ cinquante ans… Mais j’ai été longtemps sans trop savoir ce que je devais faire.
Nous n’avions alors aucune autorité à consulter, et l’on n’a pas de peine à se rappeler combien peu de personnes à cette époque avaient le souci de tout ce
qui concerne le perfectionnement de la Pomme de terre. Quoi qu’il en soit, il y a quelque vingt-cinq ans, je reçus d’un de mes amis et voisins quelques
tubercules d’une variété américaine Black Kidney, nouvellement arrivée de l’État de New-York à Woodstock. Cette variété était d’un grand produit, mais
elle me paraissait peu agréable pour la table. Dans le but de perfectionner ses variétés culinaires, j’ai fécondé avec son pollen notre vieille variété anglaise
Red Regent. Et c’est à la suite de cette expérience que j’acquis les connaissances suffisantes, pendant quelques années, pour être encouragé à procéder de
même, et à pratiquer successivement de nouveaux croisements. Il serait inutile de vous parler ici de tous ceux de mes essais qui ont eu des résultats
insuffisants, provenant en grande partie de la fécondation de variétés rondes avec des Kidney, et vice versa. On doit éviter de procéder ainsi, et je ne puis
dire que ces croisements, si bien suivis de bévues, m’ont mis en garde de suivre plus longtemps cette voie… Aussi, mes derniers croisements, je parle de
ceux de ces seize dernières années, ont-ils été faits d’après les principes que je crois les plus corrects, et ils ont eu pour but, depuis deux ans, de mélanger
les meilleures de nos vieilles variétés anglaises qui, dans le cours de la nature, sont, je ne puis pas dire épuisées, mais comme usées et presque éteintes par
la culture.
» Je suis donc excessivement satisfait d’avoir pu obtenir ce que je désirais, c’est-à-dire de conserver la qualité de nos vieilles variétés, tout en rétablissant
et augmentant leur productivité. De plus, dans ces deux dernières années, j’ai cherché à ouvrir une nouvelle voie en croisant le sang anglais avec celui de
quelques-unes des nouvelles races semi-américaines, avec l’espoir d’obtenir une productivité raffinée, combinée avec la bonne saveur de nos races
anglaises. Et en fait, je puis croire que j’arriverai à ces résultats, si j’en juge par les apparences actuelles ; mais il me faut une autre année au moins, avec
l’aide de la Providence, pour me permettre d’avoir à ce sujet une opinion définitive. Quant à mes derniers croisements semi-anglais, ceux mêmes qui me
donneront des fruits, elles exigeront encore trois années de plus. Nos jeunes et courageux obtenteurs de nouvelles variétés peuvent donc avoir la certitude
qu’ils ont entrepris une tâche qui n’est pas une sinécure, — une tâche qui exigera à la fois tout leur enthousiasme et toute leur patience, et je puis leur en
donner pour garants mon appréciation et mes encouragements. Malgré tout, nous pouvons éprouver une satisfaction intérieure en nous efforçant
d’améliorer nos variétés. Il est même tout à fait vrai de dire que tous, nous pouvons profiter de l’expérience. Aussi ne manquerai-je pas à l’avenir de faire
connaître une nouvelle variété de Pomme de terre sans oublier sa généalogie. Car ceci est une règle qu’adopteront, je pense, tous les obtenteurs de variétés
nouvelles, parce que c’est la meilleure méthode à suivre pour en donner une connaissance qui permette d’en tirer les meilleurs résultats. Je crois, par suite,
ne pouvoir mieux conclure qu’en développant les généalogies des variétés de Pommes de terre que j’ai volontiers mises au commerce, ainsi que de
quelques autres qui se sont glissées dans la circulation contre mes désirs.
» PURPLE BLUSH. Un croisement de 1857 entre l’Américain Black Kidney et l’Anglaise Red Regent. Tubercules entaillés avec la forme du Red Regent,
rouge, avec la peau de couleur pourpre de sa mère ; chair du Regent pour la couleur, mais de contexture moins bonne, et d’une saveur moins agréable. Je
n’ai jamais considéré cette obtention, non plus que le Cricket Bail, comme suffisamment bonne pour être livrée au commerce. Je ne l’ai conservée que pour
donner de la couleur à mes sélections d’exposition. Un prototype voisin de cette Pomme de terre, nommé Blanchard, a été mis dernièrement au commerce.
« CRICKET BALL. Un croisement de 1857 entre le vieux Red Regent et l’Américaine Black Kidney, Les tubercules ont la forme perfectionnée du Red
Regent et sont presque de la même couleur. La chair offre, pour la saveur, une amélioration sur les deux parents ; mais elle est malheureusement tachée
dans l’intérieur de raies pourpres, qui persistent et se transmettent à sa postérité. Aussi ai-je refusé de l’offrir au public, ce qui n’en a pas moins été pour
moi le sujet d’un grand désappointement. Il s’est glissé, malgré cela, dans les cultures de mon voisinage, et je l’ai vu exposé comme Red Regent : mais le
contenu révèle sa parenté.
» ONWARDS (Second Early[6]). Un croisement de 1863 entre le vieux Cambridge Kidney et l’ancien Fluke. C’est la seule et unique production que j’aie
conservée, et qui m’a donné confiance dans l’avenir. Elle n’est pas d’un grand produit, mais elle m’a servi comme une bonne race dont j’ai tiré un résultat
excellent. C’est une variété d’été, et j’étais persuadé, en dépit de moi-même, de la mettre au commerce.
» RECTOR OF WOODSTOCK (Seconde Early). Un croisement de 1867 entre Omvards et Early Red Emperor. C’est une bonne variété, et propre à une
culture générale dans un bon sol. Il a obtenu, en 1869, un Certificat de 1re classe de la Société royale d’horticulture.
» EARLY MARKET (First Early). Un croisement entre le vieux Early Ash-leaf et le Hegg’s Coldstream Early. Il exige une bonne culture potagère, étant
une variété strictement hâtive, et qui demande à être consommé dans un état précoce, car, bien qu’il soit de bonne garde et qu’il garde sa saveur, il devient
trop jaune pour être digne d’une bonne table. Il a obtenu un Certificat de 1re classe à Chiswick en 1873.
» EARLY WHITE KIDNEY. Un croisement de 1868 entre le vieux Early Ash-leaf Kidney et Mona’s Pride. C’est une variété très délicate et une bonne
modification de notre Early Kidney, par suite de la blancheur de sa chair. Il doit être l’objet d’une culture potagère. Certificat de 1re classe à Chiswick en
1873.
» LITTLE GEM (Early), Un croisement de 1868, de la même production que la précédente. Mais bien qu’il ait obtenu également un Certificat, je le garde
simplement comme une curiosité. C’est une très exquise Pomme de terre, mais elle ne constitue en somme qu’une variété d’amateur ou de connaisseur.
ALICE FENN. C’est un croisement de 1869 entre le vieux Cobbler’s Lapstone et le vieux Ash-leaf Kidney. Je ne l’ai obtenu qu’après plusieurs années
d’essais, par suite de la propension des deux parents à perdre leurs fleurs. À la fin, l’Ash-leaf produisit une baie qui m’a donné assez de semence pour
produire les prototypes de ce qui, je crois, constitue toutes les variétés d’Ash-leaf sous le soleil. Mais Alice Fenn est la seule variété que j’aie conservée de
toute la lignée, en raison de son excellente qualité. Elle est unique, et c’est strictement une variété d’amateur et de connaisseur. Cerficat de 1re classe à
Chiswick en 1873.
» BOUNTIFUL RED KIDNEY (Second Early). Un croisement de 1867 entre Onwards et Early Bed Emperor. Cette variété semble gagner en faveur dans le
public, plus que je ne le supposais. C’est une Pomme de terre qui a un excellent goût de noisette et une variété de bonne garde. Elle exige un sol riche de
jardin potager et provient de la même baie que Rector of Woodstock et English Rose. Certificat de 1re classe à Chiswick en 1874.
» ENGLISH ROSE (First Early). Un croisement de 1867. C’est la variété qui approche le plus des nouvelles variétés semi-américaines. Elle a une saveur
délicate, mais que l’on ne doit consommer qu’en pleine maturité. Elle demande à être privée d’un œil et à être cultivée dans le sol le plus riche d’un jardin
potager. Je la garde simplement pour sa couleur comme une variété de choix. C’est contre mon désir qu’on l’a mise au commerce, parce que le public en
général ne peut pas la cultiver avec assez de profit pour l’apprécier,
» GEORGE TEMPLE (First Early), Un croisememt de 1865 ou 1866 entre Turners Union Round et le Shutfort. C’est une forme délicate ou une variété
précoce, d’excellent goût, et tout à fait ornementale à cause de ses belles fleurs bleuâtres. Je ne ne l’ai pas mise au commerce, mais elle a failli obtenir un
Certificat à Chiswick ».
Dans une Revue rétrospective publiée, en 1884, dans le Journal of Horticulture and Cottage Gardener, M. Robert Fenn a fait connaître la
correspondance qu’il avait échangée avec M. Pringle, des États-Unis. Nous en traduisons ici des passages assez instructifs.
M. Trail, d’Edimbourg, paraît être le premier qui ait eu l’idée de faire des essais sur la Greffe de la Pomme de terre. En 1867, il partageait par le milieu
une soixantaine de Pommes de terre bleues ou blanches, et il associait l’une à l’autre chacune des moitiés des deux variétés, en ne laissant qu’un œil sur
l’une d’elles et détruisant tous les autres yeux, puis il plantait ces réunions de demi-tubercules ainsi préparées. Or la majorité des tubercules produits
appartenaient soit à la variété blanche, soit à la variété bleue ; mais quelques-uns cependant étaient en partie blancs et en partie bleus, et quatre ou cinq
étaient marbrés des deux couleurs.
Peu après, M. Taylor, du Yorkshire, faisait une opération un peu différente. Il prenait deux tubercules de variétés différentes dont il enlevait tons les
yeux, puis il pratiquait sur l’un d’eux une petite cavité et y insérait hermétiquement un morceau taillé pour la remplir et portant un ou deux yeux, détaché
d’un tubercule de l’autre variété : il opérait de même pour le second tubercule, puis fixait les morceaux avec des épingles et les liait même au besoin, et
plantait les tubercules disposés de la sorte. Il aurait obtenu par ce moyen des variétés nouvelles, surtout en greffant ainsi des rondes sur des longues, et
réciproquement.
M. Fitz-Patrick faisait, en 1868, une autre expérience. Il plantait trois variétés de Pommes de terre : une blanche, une noire et une rouge. Dans le courant
de Mai, lorsqu’elles commençaient à émettre leurs tiges, il les déterrait avec soin, en laissant les racines avec leur terre, accolait à chaque tubercule-mère un
autre tubercule de variété différente, les liait fortement tous deux, les entourait de terre molle et les replantait. Lors de la récolte, il obtenait des tubercules
noirs d’un coté, blancs de l’autre, ou moitié blancs et moitié rouges. Seulement, les variétés noires avec les rouges donnaient des tubercules marbrés des
deux couleurs, où le rouge dominait.
En 1868, M. Hildebrand remplaçait, sur plusieurs tubercules d’une variété ronde à peau lisse et blanche, tous les yeux par ceux pris sur des tubercules
d’une autre variété longue à peau rugueuse et rouge, et il opérait de même sur des tubercules de la seconde variété avec des yeux de la première. Le tout fut
planté, et les pieds se développèrent. Mais la récolte ne fournit que deux tubercules modifiés. Le premier, qui présentait une forme allongée et qui était
rouge et rugueux à une extrémité, avait le milieu bigarré de rouge et de blanc, et l’autre extrémité lisse et blanche. Le second tubercule incomplètement
développé ne différait du premier que par une couleur généralement plus blanche. Les deux tubercules en question, plantés en 1869, ne donnèrent aucun
résultat appréciable.
En 1872, M. Norbert, de Stuttgart, s y prenait d’une tout autre manière. Au lieu de chercher à greffer entre elles des portions de tubercules différents, il
obtenait, au moyen de boutures, de jeunes pieds de Pommes de terre sur lesquels il posait ensuite des greffes de variétés différentes. Toute la culture fut
faite en pots, et les résultats en furent presque tous satisfaisants. Beaucoup des tubercules obtenus offraient une coloration très prononcée, différente des
deux variétés unies par la greffe, surtout quand il s’agissait des variétés noire et blanche, mais moins accusée pour les variétés rouge et blanche.
D’un autre côté, Charles Royer, qui s’était beaucoup occupé de l’étude des parties souterraines des plantes, crut devoir s’élever contre l’idée que l’on se
faisait de la Greffe des tubercules de pommes de terre. Il disait, dans une Note publiée dans le Journal de la Société d’horticulture de France en 1874 :
« Un tubercule de Pomme de terre est du à la double hypertrophie de l’écorce et du cylindre central ; et c’est l’écorce qui contient le plus de fécule. Outre
une zone génératrice principale qui sépare ces deux parties, il se développe au sein de l’écorce une zone génératrice surnuméraire plus ou moins accentuée.
Les bourgeons sont toujours insérés sur la zone génératrice principale, et ils reposent chacun au fond d’une dépression, seuls points où l’écorce échappe à
l’hypertrophie, afin de ne pas recouvrir ni étouffer les bourgeons. Si l’on veut tenter la greffe sur un tubercule de Pomme de terre, il faudra donc faire une
entaille assez profonde pour pénétrer jusqu’à la zone génératrice principale. Mais ce résultat obtenu, l’opération n’en doit pas moins avorter, car le
tubercule est un corps sans vie, ses bourgeons exceptés ; et la zone génératrice y est inactive…. Il n’est pas rare cependant qu’un bourgeon qu’on a inséré
sur un tubercule vienne à se développer ; mais ce ne sera qu’avec le secours des racines que le bourgeon aura émises de sa propre base. Le tubercule, loin
de servir à la végétation, aura plutôt été nuisible, en s’interposant tout d’abord entre le sol et les jeunes racines du bourgeon ».
On peut dire que, théoriquement, cette opinion est juste. Cependant, après les résultats obtenus parles expérimentateurs, il convenait d’essayer de les
expliquer, et surtout ce qui paraissait un fait acquis, le passage de la matière colorante d’un tubercule dans la greffe, pour produire des tubercules à double
teinte ou marbrés. Il y a là, en effet, un phénomène curieux.
En 1876, Robert Fenn, qui s’est rendu célèbre en Angleterre par ses obtentions de variétés nouvelles de Pommes de terre, au moyen de fécondations
croisées, disait avec humour dans le Gardener’s Chronicle : « La Greffe de la Pomme de terre a été le sujet d’une controverse, lorsque j’ai parlé de mes
expériences sur elle. Je ne crois pas que nos savants anglais soient convaincus qu’elle soit possible, même aujourd’hui. C’est un fait, néanmoins, bien
qu’elle ne réussisse pas 99 fois sur 100, soit que le type originel se perde, soit que les greffes ne prennent pas. Dans mes expériences faites en vue
d’améliorer une variété par la Greffe, je n’ai eu qu’un seul succès en obtenant une forme plus naine et une précocité d’environ trois semaines dans sa
maturité, en comparaison du tubercule greffé. Mais le jeu de la Greffe de la Pomme de terre ne vaut pas le nombre d’années qu’elle exige, pour courir la
chance d’obtenir une heureuse modification ! »
On le voit, il s’agissait d’arriver à améliorer certaines variétés par la Greffe. C’est aussi le but que vont se proposer d’atteindre de nouveaux
expérimentateurs. En 1878, M. Vavin publiait, dans le Journal de la Société d’horticulture de France, un Mémoire sur la Greffe des Pommes de terre, dont
la partie historique nous a fourni les renseignements que nous avons donnés au commencement de cet article. Dans ce mémoire, M. Vavin expliquait son
procédé. À l’aide d’un cylindre métallique creux, formant emporte-pièce, il enlevait tous les yeux d’une Pomme de terre, en la traversant de part en part : il
obtenait de la sorte des cylindres formés de tissu cellulaire, sur chacun desquels se trouvait un bourgeon, et il introduisait ces cylindres dans de pareilles
cavités faites dans un autre tubercule avec le même emporte-pièce. « Je n’ai malheureusement pas toujours réussi dans mes essais, dit M. Vavin, mais il
s’opérait le plus souvent un changement très remarquable dans la forme et la couleur des types dont je m’étais servi : le plus souvent les métis sont
marbrés, panachés, rubanés ; dans certains cas, la coloration de chaque partie du tubercule est différente ; dans d’autres, la teinte est uniforme, homogène et
semble provenir du mélange delà couleur de chacune des variétés ; parfois, la Pomme de terre est jaune et ses yeux sont entourés d’une aréole rouge ou
violette ».
M. Vavin ajoutait qu’il avait obtenu, en 1867, une variété rubanée, qui produisait beaucoup, et faisait observer que les Pommes de terre obtenues par le
greffage sont généralement plus tardives que celles dont elles proviennent, mais que le rendement en est beaucoup plus considérable et la végétation plus
vigoureuse.
En 1886, le Gardener’s Chronicle publiait un article de M. Vorihington G. Smith sur la Greffe de la Pomme de terre. L’auteur y expose son procédé de
greffage, avec des dessins à l’appui : il y montre deux tubercules, l’un rond de la variété Early Regent sur lequel deux particules obconiques, ou deux troncs
de cône dont la base est à la surface et porte au centre un bourgeon, et dont le sommet se termine au centre du tubercule, seront détachées ; l’autre ovoïde
de la variété Early Ash-leaf Kidney présentant des cavités obconiques de même dimension destinées à recevoir les particules précédentes. La préparation
doit être faite de telle façon que les cônes et les alvéoles se placent les uns dans les autres avec une précision géométrique. Un double petit lien sert à fixer
cette préparation. « On doute, dit M. Worthinglon Smith, que l’amalgamation puisse se faire entre la chair des deux parents. Cette amalgamation me
semble possible en raison des faits suivants : 1° Le produit des tubercules greffés est quelquefois intermédiaire entre les deux parents ; 2° Le tubercule-
semence avec ses cônes végétatifs s’épuise complètement pendant la croissance de la plante, ce qui montre que pour ce développement toute la nourriture
de réserve de la chair des deux parents a été employée. »
En 1894, le Journal de la Société d’Horticulture de France insérait une Note de M. Gustave Martin qui faisait connaître une manière assez identique de
greffer les Pommes de terre. « Au préalable, disait-il, mise en végétation des tubercules sur lesquels on veut opérer, sujets et greffons. Détruire tous les
yeux du tubercule-sujet et recouvrir les plaies avec une couche légère de mastic Lhomme-Lefort ; creuser dans ce sujet deux ou trois cavités en forme de
trémie. Puis, détacher du tubercule-greffon les bourgeons développés en conservant à leur base une tranche de ce tubercule en forme de pyramide tronquée
de façon que, introduite dans la trémie creusée dans le sujet, elle y soit exactement contenue ; mettre deux ou trois greffons, suivant la grosseur du sujet.
Constater que l’adhérence est complète, que les épidermes sont bien au contact, puis recouvrir la commissure avec le mastic ; planter ensuite comme à
l’ordinaire ».
La même année, le même Recueil publiait une Note importante de M. Edouard Lefort, résumant les expériences que l’auteur avait faites depuis dix ans.
Son procédé consiste à se servir pour le greffage, non des tubercules, mais des tiges de la Pomme de terre. comme M. Norbert. Dans le cours de ses
expériences, M. Lefort avait obtenu, par son procédé, des sous-variétés d’Early rose à chair jaune, au lieu de chair blanche, et très précoces, en greffant la
variété Early rose avec les variétés Marjolin et Marjolin-Tétard. Il en avait obtenu même qui étaient panachées de jaune et de rose. Il avait ensuite uni par
la Greffe la variété Richter’s Imperator avec les mêmes variétés, ainsi qu’avec la Hollande, la Saucisse, la Blanchard et la Versaillaise. Il en avait obtenu
de bons résultats, notamment une Richter’s Imperator, à chair jaune, fine, notablement hâtive. Pendant le Congrès horticole de 1896, M. Lefort a exposé de
nouveau ses idées à ce sujet et s’est exprimé en ces termes.
« Cette Greffe, dit-il, se fait en Mars et Avril. L’on prend des tubercules donnant de grosses pousses qu’on laisse se développer et durcir à l’air ; on
choisit pour greffons des pousses de même grosseur, et on réunit celles-ci aux premières par la greffe en fente, en coupant la tige à une distance de 2 à 4
centimètres du tubercule. Pendant une quinzaine de jours, les pieds greffés doivent être tenus frais, sans arrosements, résultat que l’on obtient en les
couvrant de mousse que l’on rafraîchit tous les jours Se servir de terre glaise pour la greffe et non de mastic. Planter les tubercules dans des pots, sous
cloches ou sous châssis ; les tenir à l’étouffée les premiers jours, et donner de l’air ensuite ; un mois après, planter en place et maintenir encore sous cloche
pendant quelque temps.
» C’est sur la tige greffée que partiront les tubercules qui seront petits ou moyens la première année ; ce n’est que deux ou trois ans après le greffage que
l’on récoltera des Pommes de terre atteignant le volume normal et définitif.
» L’avantage de la Greffe est de pouvoir rendre les Pommes de terre industrielles, comestibles, sans qu’elles cessent de donner un grand rendement, et
aussi de les rendre plus précoces lorsqu’on les greffe sur la variété Marjolin. J’ai obtenu des variétés bien modifiées par la Greffe. L’une était Early rose,
dont la chair est devenue jaune et la tige basse, 20 à 25 centimètres ; le développement est si rapide, que la récolte se fait en deux mois et demie, après la
plantation. L’autre variété était la Richter’s Imperator, greffée sur Marjolin-Tétard, qui a pris une chair bien jaune ; elle est aussi très basse de tige, 30 à 35
centimètres, ce qui permet de planter très près, le plus à 50 centimètres de distance. Elle est très précoce et donne près de deux kilos par pied[9]. C’est une
récolte considérable, en Juillet. Le tubercule est un peu moins féculent que celui de la Richter’s Imperator. Cette année je présenterai à la Société
d’horticulture, la Pomme de terre Institut de Beauvais, à chair jaune, greffée sur Pomme de terre Hollande ».
Il serait à souhaiter que ces expériences fussent répétées par d’autres personnes, pour confirmer les avantages de ce procédé, dont les résultats, d’après
M. Lefort, sont véritablement intéressants.
Mais, d’un autre côté, la Pomme de terre ne pourrait-elle se greffer sur d’autres Solanées ? C’est ce qu’un jardinier de Bristol, nommé Maule, a déclaré
avoir réussi à pratiquer. Il annonçait, en 1876, avoir greffé le Solanum tuberosum sur les S. nigrum et Dulcamara, c’est-à dire sur la Morelle noire et la
Douce-amère, et avoir obtenu, chose incroyable, non seulement des tubercules aériens sur le jeune scion du S. tuberosum, mais d’autres tubercules sur les
racines de la Douce-amère ! Nous ne sachions pas que cette expérience ait été répétée et ait donné les mêmes résultats.
La même année, le Gardener’s Chronicle insérait une Note de M. Alexandre Dean faisant connaître la réussite d’une autre tentative de greffage, celle de
la Greffe par approche d’une tige de Pomme de terre sur une tige de Tomate. Il faisait cette opération au printemps, au moment où chacune des tiges ne
dépassait pas 0m,15 de hauteur. Au bout de peu de semaines, l’union des deux tiges était parfaitement opérée ; il coupait alors la tige de la Pomme de terre,
qui formait la greffe, au-dessous de la portion ainsi unie, et celle de la Tomate au-dessus de cette même portion : il en résulta qu’il eut de cette manière le
haut d’une tige de Pomme de terre nourrie à sa base par une tige de Tomate formant le sujet. Mais il surproduisit bientôt, sur cette tige de Pommes de terre,
des pousses renflées à leur base en sortes de tubercules arrondis, qui ressemblaient exactement à ceux qui se produisent parfois sur des tiges de Pommes de
terre dont la partie souterraine a été endommagée.
Nous avons appris que, depuis lors, cette expérience a été répétée avec le même succès. Mais M. Arthur Sutton obtint plus encore. Dans une conférence
qu’il fit, en Novembre 1895, à la Société royale d’horticulture de Londres, il montra, au moyen de photographies projetées sur un écran, une greffe de
Tomate sur une tige de Pomme de terre, et une greffe de Pomme de terre sur une tige de Tomate. Voici ce qu’il disait à cette occasion. « Un tubercule de
Pomme de terre fut planté dans un pot, le 22 mars ; lorsque la tige qui en sortit eut atteint 4 à 5 pouces de hauteur, on la coupa à un demi-pouce au-dessus
du sol, et l’on y inséra une greffe de Tomate le 8 Mai. Le résultat fut que la Pomme de terre produisit des tubercules dans la terre du pot et que la tige de la
Tomate s’était, de son côté, chargée de Tomates. Quant à l’autre greffe, c’est le même procédé renversé : la tige d’une Tomate fut coupée à un demi-pouce
au-dessus du sol, et l’on y inséra une greffe de Pomme de terre. La Tomate ne produisit que ses racines ordinaires ; mais la tige de la Pomme de terre donna
un groupe de fleurs, lesquelles produisirent cinq baies ».
On a pu remarquer que, depuis l’introduction de la Pomme de terre en Europe, l’habitude avait été prise de planter les tubercules au Printemps, en Mars
ou Avril habituellement. Lorsque la redoutable maladie a commencé, en 1845, à exercer cruellement ses ravages, on a eu recours à divers procédés pour
essayer de mettre la Pomme de terre à l’abri de ce fléau. L’on a cherché alors à hâter le moment des récoltes, et l’on a espéré y arriver soit en cultivant des
variétés précoces, soit en plantant les tubercules-semences à l’Automne, au lieu de le faire au Printemps. Les résultats obtenus par cette nouvelle méthode
de plantation ont été contradictoires, et l’on peut dire que la question est encore sujette à controverses. Il n’est pas, en tous cas, sans intérêt de suivre la
marche de cette idée nouvelle, et de voir se dégager actuellement l’opinion que l’on peut avoir de son utilité.
Dans ses Nouvelles Instructions populaires sur les moyens de combattre la maladie des Pommes de terre, etc., publiées, en 1845, par Charles Morren, et
que nous avons déjà citées, l’auteur préconise la plantation automnale ou hivernale à différents points de vue. « Evelyn, dit-il, une des grandes autorités de
l’Agriculture des îles Britanniques, envisageait en 1699 la Pomme de terre avec quelque dédain. « Plantez des Pommes de terre dans le plus mauvais terrain
de vos jardins, disait-il, levez-en en Novembre pour la nourriture d’hiver, n’en conservez pas ; il en restera toujours assez dans le sol pour repousser l’année
suivante ». Cette ancienne manière de voir d’Evelyn a produit aujourd’hui en Angleterre une culture, dite la Culture de Grey, du nom de son inventeur, qui
rend des services signalés… C’est en Irlande que l’opinion d’Evelyn a provoqué, il y a longtemps, une culture nouvelle, la culture pendant l’hiver. Un
agriculteur, James Goodiffe, y cultive la Pomme de terre depuis vingt ans, en hiver et en été, toujours avec succès. Il plante des Pommes de terre en
Septembre et même à Noël, il récolte depuis Février jusqu’en Mai, ce qui ne l’empêche pas de planter en Avril pour récolter en Été des variétés
successivement plus précoces et plus tardives. En un mot, c’est une récolte continue. La Pomme de terre blanche, dite White Kidney, réussit admirablement
dans cette culture.
» On a parlé de la profondeur où il fallait déposer les Pommes de terre pour ne pas les faire geler, et on objecte que, plantées trop profondément, elles ne
poussent pas. James Goodiffe a fait à cet égard une série d’expériences confirmées par d’autres agriculteurs ; il a voulu savoir la limite sous terre où cette
Solanée ne pousserait plus. Cette limite est rassurante, elle est à trois pieds de profondeur. Au-dessus de trois pieds, la Pomme de terre pousse des tiges qui
s’élèvent hors de terre ; mais dans la culture hivernale, James Goodiffe se contente d’un enfoncement de quatre à six pouces. Il donne une fumure et butte
comme à l’ordinaire. Il n’a pas souvenance que jamais une culture de ce genre ait manqué, et même tandis que plusieurs maladies attaquaient les cultures
d’Été, celles d’Hiver étaient à l’abri de leurs ravages. Il n’hésite nullement, encore en 1845, à recommander ce procédé à tous les cultivateurs de la région
où la Pomme de terre peut croître. Ce même agronome a cultivé la Pomme de terre en la plantant en Juin pour la récolter en Novembre, et cela aussi avec
un grand succès.
» À Birmingham, on s’est aussi occupé de la profondeur de la plantation ; M. Grey rapporte des faits curieux à ce sujet. On y plante à vingt pouces de
profondeur ; sur ces plants, les tubercules les plus profonds devenaient les plus gros, et parfois atteignaient quatre livres et quelques onces ; ceux de dessus
étaient les plus petits.
» Les fermiers du Flintshire plantent pendant tout l’automne ; les tubercules ne gèlent pas, viennent abondamment et sont d’un goût excellent.
» Un agronome de Stockton, M. Trotter, est d’avis que pour les terrains argileux la plantation automnale l’emporte de beaucoup sur celle du printemps.
Selon lui, le tubercule grossit plus, mûrit mieux et acquiert un goût meilleur. Il dit plus, c’est que la récolte est de quatre fois plus abondante. Les
expériences de M. Grey s’accordent, sur ce point avec celles de M. Trotter. Dans les fortes gelées, il couvre de litière les plantes, mais non tout le champ.
» M. Robert, d’Edimbourg, a publié un ouvrage fort curieux. C’est un physiologiste qui émet l’idée que l’œil des Pommes de terre est un œil dormant,
par conséquent il ne peut se développer qu’au Printemps qui suit l’époque de la formation. Ce fait explique pourquoi il faut employer comme tubercules-
semences des tubercules de la récolte antérieure. En un mot, pour planter en Automne 1845, il faut avoir des tubercules de 1844 qu’on eût plantés au
Printemps de cette année. C’est une plante retardée.
» Un célèbre professeur d’Agriculture, M. Low, d’Édimbourg, écrit dans un de ses ouvrages. « Dans quelques parties du Sud de l’Angleterre, des
Pommes de terre précoces sont plantées avant l’Hiver et sont alors bonnes à manger très tôt dans la saison qui suit. On les plante en Octobre ou en
Novembre, à neuf ou dix pouces de profondeur et on les couvre de litière ou de paille. En Mars, la végétation est complète et on obtient la récolte parfaite
en Mai. Parfois, en plantant en Octobre, la récolte peut être faite avant les gelées d’Hiver, et on peut alors les ôter pendant tout l’Hiver ».
» En France, MM. Changarnier et Chambray plantent des Pommes de terre, le 1er Août, à une profondeur de 28 à 30 centimètres, et à une distance de 50
à 60 centimètres. On sarcle quand les mauvaises herbes ont poussé ; on ameublit la terre ; on butte au premier froid et on coupe les tiges à 16 centimètres
du sol. La ligne est alors couverte d’une couche de fumier, et on place dessus de la terre pour détruire l’effet du vent. La récolte se fait en Février. Un
tubercule donne en moyenne 18 à 20 Pommes de terre ».
Charles Morren, s’inspirant ensuite de toutes ces expériences, engage les cultivateurs à se hâter de les mettre en pratique.
En 1848, MM. Gazin, Leroy et Brunet de Boulogne-sur-Mer, publiaient un ouvrage intitulé : Moyens de guérir la Maladie de la Pomme de terre par la
plantation d’Automne et d’obtenir des récoltes plus abondantes et plus hâtives. C’est un recueil de lettres adressées à la Société centrale d’Agriculture de
Paris, qui l’a couronné en 1849. Les auteurs citent un grand nombre d’observations favorables à la thèse qu’ils soutiennent. Nous en détacherons les
passages suivants.
« Il n’est pas étonnant, disent-ils, que l’on croie généralement que la Pomme de terre ne résiste pas à la gelée : on la plante À 8 ou 9 centimètres. Mais à
quelle profondeur trouve-t-on au printemps les tubercules qui ont échappé aux recherches des ouvriers ? À 15, 20, 25, 30 et 35 centimètres ; alors, non
seulement ils ont résisté aux gelées, mais, encore, ils se distinguent par une végétation vigoureuse. C’est un double enseignement que la Nature nous donne
et qu’elle renouvelle presque tous les ans. La plantation à une plus glande profondeur qu’à l’ordinaire n’a pas seulement pour effet de garantir la Pomme de
terre de la gelée : elle procure aussi une plus grande abondance. D’un autre côté, on a remarqué que plus les Pommes de terre avaient été enterrées, plus
elles s’étaient trouvées exemptes de la Maladie. La profondeur, à conditions égales, même lorsqu’on plante trop tard, est donc encore un moyen de
combattre le mal. Et si cette profondeur vous permet de planter avant l’Hiver, et, par conséquent, de récolter plus tôt, vous obtenez donc, à la fois,
abondance, qualité, précocité ».
Plus loin, les auteurs reprennent la question, après avoir cité de nouvelles expériences, et font suivre de réponses les objections que faisait, en Avril 1847,
à la plantation d’Automne M. Philippar. « Ce savant agronome, disent-ils, avait fait planter, le 17 octobre 1845, six variétés de Pommes de terre à diverses
profondeurs. Lors de la récolte, pas un tubercule n’a été attaqué. Malgré ce succès, M. Philippar formulait les conclusions suivantes : « Je ne pense pas que
l’AgricuIture trouve, surtout dans le climat où nous sommes, aucun avantage à faire des plantations automnales. Les tubercules trop enterrés ne produisent
rien ou trop peu de chose. Les tubercules plantés à la profondeur convenable doivent être garantis du froid par une couverture quelconque. Les produits ne
sont pas plus hâtifs ; ils ne sont pas plus abondants. On ne peut admettre cette plantation automnale qu’en horticulture, et en procédant sur les variétés
tuberculifères choisies à cet effet… »
Nous ne reproduirons pas les réponses faites point par point par les auteurs à M. Philippar. Des oppositions d’expériences à expériences ne sont guère
probantes, et établissent tout au plus que là où certains ont réussi, d’autres ont échoué. Plusieurs des objections de M. Philippar étaient fondées, puisque
depuis près d’un demi-siècle elles subsistent encore et que la plantation d’Automne n’a fait que peu de prosélytes.
Charles Morren, en préconisant la culture automnale, s’était surtout appuyé sur des expériences faites en Irlande et en Angleterre. Nous avons pensé qu’il
y avait quelque intérêt à connaître ce que pensaient les cultivateurs anglais de la plantation d’Automne. Nous avons trouvé quelques opinions exprimées à
ce sujet dans le Gardener’s Chronicle, en 1876. Voici d’abord un article assez explicatif sur ce point, publié en réponse à un Journal français qui faisait
l’éloge du procédé.
« Ce procédé de planter les Pommes de terre en Automne n’est pas nouveau, car il a été longtemps pratiqué avec succès par M. Radclyffe et d’autres
cultivateurs. C’est aussi un axiome universellement admis dans la culture des Pommes de terre que celles qui se trouvent plantées d’elles-mêmes produisent
d’ordinaire les meilleures récoltes. Quoi qu’il en soit, cependant, la plantation d’Automne est peu pratiquée, peut-être dans certains cas par la crainte des
effets de la gelée, dans d’autres par suite des inconvénients que présente l’emploi d’un sol trop dur ou trop froid, enfin parce que les bons résultats de la
plantation automnale n’ont pas été jusqu’ici suffisamment démontrés ».
D’autres articles, au contraire, font valoir le procédé, surtout au point de vue des bons effets qu’on en retire pour sauver les récoltes des atteintes de la
maladie. Mais un dernier article, dont l’opinion de l’auteur est tout opposée, nous a paru assez intéressant pour être traduit ici.
« Au commencement de la Maladie, en 1845, j’étais dans le Sussex, dit cet auteur, en face de l’Île de Wight… La violence des attaques était plus forte
alors que je ne l’ai vue depuis. Le cri général était que la constitution de la Pomme de terre était épuisée, et qu’on trouverait un remède en plantant à
l’Automne, et en conservant ainsi les tubercules dans leur élément naturel pendant l’Hiver. Cette nouvelle théorie avait été soutenue très chaleureusement
par le Dr Lindley, et très fortement préconisée par les rédacteurs du Gardener’s Chronicle, L’Automne de cette même année, dans le but d’éprouver les
effets de ce nouveau système de culture, je choisis une pièce de terre que je partageai en deux moitiés. Dans la première, aussitôt bêchée et fumée, je
plantai immédiatement trois variétés hâtives de Pommes de terre, parmi lesquelles se trouvait l’Ash leaf Kidney. La seconde moitié, au commencement de
Mars, fut préparée de la même manière, après quoi j’y plantai les mêmes variétés. Les premiers résultats ne furent pas satisfaisants, car les plants du
Printemps développèrent leurs tiges huit ou dix jours avant les plants d’Automne ; et, ce qui était plus grave, c’est que, parmi ces derniers, beaucoup de
ceux d’Ash leaf Kidney ne poussèrent pas du tout : en en cherchant la cause, je trouvai que ces derniers n’avaient formé que de petits tubercules, sans
produire de tiges. J’ai observé ce fait assez soutint depuis, et je crois pouvoir l’attribuer à ce que le sol est trop humide et trop froid pour faciliter le
développement d’une variété si délicate. Lorsqu’on fit toute la récolte en Août, l’avantage fut tout en faveur de la plantation de Printemps. Aussi n’ai-je
jamais eu recours depuis à la plantation automnale. Je pense que si ceux qui préconisent vivement la plantation d’Automne, faisaient une expérience
semblable, ils se trouveraient dans une meilleure situation pour inviter à suivre leur exemple. Le sol dans lequel on plante au Printemps activant le
développement, cela montre clairement que la terre fraîchement retournée se pénètre alors des rayons chauds du soleil plus rapidement que celle qui a été
refroidie par les pluies d’Hiver, le froid et la neige, alors surtout qu’on ne peut la retourner sans porter préjudice aux plantes vivantes qu’elle renferme ».
Malgré ce qu’en pense l’auteur de l’article, son expérience n’est pas absolument probante, car il a choisi des variétés qui ne se sont pas prêtées à ses
essais, et il passe légèrement sur le rendement ; de plus, il ne s’est occupé en aucune façon de la Maladie. D’autres expériences, au contraire, ont donné de
plus forts rendements et ont réussi à préserver les récoltes de la Maladie. Mais sa manière d’opérer était bien choisie, et c’est pourquoi nous avons cru
intéressant de la faire connaître. Il n’en est pas moins vrai, qu’en Angleterre comme en France, le procédé de la culture d’automne est peu suivi. Peut-être y
aurait-il de nouvelles expériences à faire, méthodiquement conduites, pour en établir nettement les bons ou les mauvais effets ?
Pour répondre en partie à cette question, nous avons essayé nous-même de faire une expérience sur une parcelle de terre, en plein champ. Le sol en était
argilo-sablonneux, mais en somme assez léger, surtout après le bêchage. La parcelle de terre fut divisée en onze plates-bandes, pour la plantation de onze
variétés, choisies comme hâtives, demi-hâtives et tardives. Cinq tubercules de chaque variété furent plantés sur un des côtés de chaque plate-bande, vers la
fin de Novembre, et cinq autres de la même variété et du même volume le furent au commencement d’Avril suivant, sur l’autre côté des plates-bandes. La
terre avait été au préalable convenablement fumée ; seulement un second bêchage fut donné à la moitié de chaque plate-bande en Avril, sur le côté réservé
à la plantation de Printemps, au moment de cette seconde plantation. Ajoutons que les plants d’Automne avaient été faits à 25 ou 30 centimètres de
profondeur, et que trois d’entre eux, sur chacune des plates-bandes, avaient reçu une bonne couverture de fumier. L’hiver fut assez doux, avec de faibles et
peu longues gelées. Des Pommes de terre oubliées dans le sol lors de la récolte précédente, dans une autre partie du champ, germèrent fort bien et
poussèrent d’elles-mêmes en même temps que celles plantées pour l’expérience. Donc, aucun effet de gelée ne s’était fait sentir sur la plantation, et
cependant la généralité des plants d’Avril montrèrent leurs tiges et les élevèrent au dessus du sol, alors que rien ne paraissait sur les plants d’Automne. Ce
retard ne fut pas en général regagné. Plus tard, l’aspect des tiges foliées ne fut pas non plus favorable à la plantation d’Automne. Quant à la récolte, celle
des pieds plantés en Novembre fut des plus médiocres, alors que celle des pieds d’Avril était des plus satisfaisantes. Mais ce qui nous a paru fort instructif,
c’est la facilité avec laquelle s’effectua l’arrachage de ces derniers en comparaison de la difficulté que présenta celui des plants d’Automne. La terre de la
partie des plates-bandes réservée à cette plantation s’était extraordinairement durcie, et il fallait de grands efforts pour la séparer. Cet inconvénient, qui
explique d’ailleurs en partie la médiocrité de la récolte, nous semble de nature à être pris en sérieuse considération.
Aussi ne voyons-nous pas quels avantages réels on pourrait obtenir d’une plantation d’Automne en plein champ, d’autant plus qu’il n’est nullement
prouvé que les tiges de Pommes de terre (qu’elle produit sont parfaitement à l’abri des atteintes du Phytophlora infestans et que les tubercules qui se
forment assez près de la surface du sol y échappent également.
D’un autre côté, M. Courtois-Gérard, dans son ouvrage précité, fait remarquer avec raison que le procédé de la culture hivernale n’a d’intérêt à être
employé que dans les Départements méridionaux et en Algérie. « Partout ailleurs, ajoute-t-il, il est prudent, pour ne pas éprouver de déceptions, de
continuer à planter les Pommes de terre au Printemps, comme par le passé ».
Ajoutons ici quelques mots sur un procédé de culture de la Pomme de terre, connu en 1875 et 1876 sous le nom de Procédé Tellier. Il s’agissait de
tremper les tubercules pendant une heure dans de l’eau fortement salée, puis de les planter au mois d’Août, pour en faire la récolte en Mars ou Avril. Avec
la culture ordinaire, c’est-à-dire plantation en Avril et récolte en Août, ce procédé constituait la culture non interrompue de la Pomme de terre.
Malheureusement, ce procédé a été loin de produire ce qu’en annonçait l’auteur. M. Rivière a fait connaître les résultats de ses expériences à ce sujet, dans
le Journal de la Société centrale d’Horticulture de France, en Mars 1876, et ces résultats ont été ou tout à fait nuls, ou des plus médiocres.
Toutefois, l’Agriculture moderne, en 1897, a fait connaître une nouvelle méthode de culture automnale et hivernale de la Pomme de terre, qui nous paraît
beaucoup mieux raisonnée. M. Leclerc. l’auteur de ce procédé, s’était inspiré de ce qu’avait indiqué Poiteau, en 1845, pour obtenir en pleine terre des
Pommes de terre de première saison. Il s’agissait de planter les tubercules au mois d’Août (avec du plan retardé) et de les abriter dès les premières gelées.
Les Pommes de terre étaient bonnes à arracher en Novembre et se conservaient jusqu’en Mars, comme des primeurs. M. Leclerc a expérimenté de la façon
suivante, avec les variétés hâtives Belle de Fontenay et Victor. Il récoltait ses tubercules, bien mûrs, vers la fin de Juin, et les disposait en clayettes, en les
laissant à l’air libre, à mi-ombre, et en les arrosant une fois par jour. Le 15 Août, il préparait une planche bien ameublée et copieusement fumée, et y
plantait ses tubercules qu’il recouvrait de bon terreau ou de fumier très consommé. Puis il arrosait, en cas de besoin, pendant les mois d’Août et Septembre.
Dès les premières gelées, il recouvrait la terre de 0m, 20 de feuilles ou de litière pour empêcher le froid de pénétrer. Il pouvait ensuite arracher, de
Novembre à Mars, et même Avril, et il déclarait que cette récolte n’offrait aucune différence, comme qualité et comme apparence, avec les produits de
châssis. Le point important ; pour réussir avec ce procédé, paraît être l’emploi exclusif de variétés hâtives et productives.
Ce procédé, on le comprend du reste, ne peut être appliqué que dans un jardin. Donnera-t-il toujours les mêmes résultats ? Cela peut dépendre du plus ou
moins de froidure de l’Automne ou de l’Hiver.
VI. — PROCÉDÉ DE LA COUPURE DES FANES OU DU PINCEMENT DES TIGES DE POMMES DE TERRE
En 1851, M. Bouchardat entretenait ses collègues de la Société centrale d’Agriculture des deux expériences suivantes.
» M. Dalmas, membre de la Société d’agriculture de Grenoble, avait, en Avril 1848, ensemencé 45 ares de Pommes de terre précoces. Au mois de
Septembre, il vit les fanes se noircir et se dessécher. Il fit de suite couper et enlever ces fanes sur une portion (environ les trois quarts) du champ ; sur
l’autre quart, il les fit arracher. Lors de la récolte, toutes les Pommes de terre dont les tiges avaient été arrachées furent trouvées saines et intactes, tandis
que les autres, dont les tiges avaient été simplement coupées, ont donné des tubercules dont la moitié était atteinte. En 1849 et en 1850, on arracha
complètement les fanes dès les premiers symptômes de la maladie ; pas une seule Pomme de terre ne fut attaquée, ni au moment de la récolte, ni ensuite
dans la cave, tandis que les voisins, qui n’avaient pas procédé de la même manière, perdirent les trois quarts de leur récolte.
» M. Tombelle-Lomba, agronome de la province de Namur, retranche, avec une faucille parfaitement afGlée, les fanes des Pommes de terre après
qu’elles ont fleuri, jamais avant, et ce point parait être de la plus haute importance. Quand l’opération est faite avec adresse et que l’instrument coupe bien,
les tubercules attachés au bout de la tige n’en éprouvent aucun dérangement. On enlève les fanes de Pommes de terre à mesure qu’elles sont coupées, après
quoi l’on répand sur toute la surface du champ une couche mince de terre, de l’épaisseur de 0m,02 ou 0m,03 seulement. Les Pommes de terre dont on a
retranché les fanes avec les précautions indiquées ont donné constamment des produits égaux, en qualité comme en quantité, à ceux qu’elles auraient
donnés sans ce retranchement, et elles n’ont ressenti aucune atteinte de la Maladie : elles sont arrivées régulièrement au volume normal de leur espèce à
l’époque ordinaire de leur maturité ».
Mais, d’un autre côté, M. Verrier, chef des cultures à la Ferme régionale de la Saulsaie, écrivait le 15 Novembre 1851 à la Société d’horticulture pratique
du Département du Rhône. « Le procédé de M. Tombelle-Lomba m’a été plus nuisible qu’utile. Les tiges de Pommes de terre ayant été coupées fin Juillet
ont empêché les tubercules de grossir davantage, et, au moment de l’arrachage (fin Août), ils étaient aussi malades que les autres et beaucoup plus petits.
En effet, cela est facile à comprendre : la partie aérienne servant à alimenter les racines, celles-ci cessent de croître dès que cette partie est supprimée ».
Il y a tant de données différentes dont il convient de tenir compte dans ces expériences, qu’il n’est pas surprenant de voir l’un échouer, là même où
l’autre a réussi. La nature du sol, les diverses variétés mises en culture, les dates d’apparition de la Maladie, celles de la coupure des fanes, sont autant de
sujets qu’il faut prendre en considération, et qui, par leur variabilité, peuvent expliquer soit des mécomptes, soit des succès. Du reste, ce procédé n’a été
que peu mis en pratique, ou s’il a été essayé, il a dû être abandonné. Cependant nous le retrouvons, mais sous une autre forme, étudié par M. Quéhen-
Mallet, qui semble n’avoir pas connu Iss expériences précédentes, et qui a publié les siennes dans le Journal de la Société d’Horticulture de France en
1868 et 1869. Notons d’abord que la question de la Maladie de la Pomme de terre a été ici laissée de côté.
« Le Pincement des tiges de la Pomme de terre. — Il y a environ vingt-cinq ans, dit M. Quéhen-Mallet, que j’ai vu l’opération suivante pratiquée dans
différentes contrées, notamment dans le département du Pas-de-Calais, canton de Guines. On coupait à la faucille les tiges des Pommes de terre qui avaient
poussé démesurément, à la hauteur de 0m,25 à 0m,35 du pied. Pratiquait-on ce travail antérieurement, et le pratique-t-on encore aujourd’hui ? C’est ce que
je ne puis dire : les uns coupaient les tiges pour essayer d’arrèter les progrès de la Maladie spéciale, d’autres parce que les tiges prenaient trop d’extension,
ce qui devait nuire au produit. Enfin, tous faisaient cette suppression pour donner à manger aux vaches. On assurait que ce raccourcissement des tiges
n’empêchait pas de récolter autant et même plus que sur les plantes qui n’avaient subi rien de pareil.
« Il est présumable qu’on n’agissait pas avec connaissance de cause, attendu qu’un pincement léger et parfois réitéré, suffit pour opérer un refoulement
de la sève, lequel donne, pour le produit en tubercules, un résultat meilleur que la suppression presque totale des tiges.
» J’ai eu l’idée, ces années dernières, d’exécuter un pincement sur la Pomme de terre. Cette année notamment, je l’ai pratiquée plus en grand sur
plusieurs variétés plantées à différentes expositions et dans différentes terres ; parfois même je l’ai réitérée.
Les pincements ont été faits au commencement de la pleine floraison, à une feuille ou deux au dessous de la fleur. Les pieds de Pommes de terre qui ont
subi le pincement et ceux qui avaient été laissés intacts étaient toujours placés à côté les uns des autres, et j’avais même donné la meilleure place à ceux que
je ne pinçais pas ».
M. Quéhen-Mallet fait suivre cette Note d’un tableau dans lequel il fait connaître les résultats de sa culture méthodique. Sur les sept variétés qu’il a
comparativement soumises ou non à son procédé, quatre lui ont donné à l’arrachage un poids plus considérable par suite du pincement, deux lui ont fourni
dans les deux cas une récolte presque identique, la dernière lui a offert un résultat moindre. Non content de cette expérience, M. Quéhen-Mallet la
recommença l’année suivante.
« Je crois devoir signaler, dit-il, les résultats qu’ont produits cette année les pincements opérés sur les tiges des Pommes de terre. J’ai remarqué que sur
celles qui ont été plantées tardivement, les pincements ont nui à la quantité ; mais les tubercules en étaient plus beaux. Un champ de Pommes de terre dont
on pincera les tiges, pouvant être planté un peu plus serré que les autres, produira davantage par ce seul moyen, abstraction faite de l’action du pincement.
La grande sécheresse tardive que nous avons eue cette année a fait repousser chez nous les Pommes de terre, par deux et trois fois. J’aurais mieux réussi à
coup sûr, si j’avais pu planter plus tôt ».
Le tableau, qui accompagne cette note, montre que l’opération a été faite sur huit variétés. À l’arrachage, cinq de ces variétés ont donné un poids de
récolte supérieur, par suite du pincement, deux un poids inférieur, une dernière un poids à peu près égal dans les deux cas. Ces résultats prouvent que les
résultats obtenus sont très complexes. Nous n’avons pas appris que ces expériences aient été poursuivies. Dans tous les cas, l’application du procédé ne
paraît pas avoir fait beaucoup de prosélytes ; mais il était utile de le faire connaître, parce que des tentatives expérimentales, faites consciencieusement, ne
doivent, selon nous, jamais être dédaignées.
En 1887, dans son Traité sur la culture de la Pomme de terre, M. Quéhen-Mallet revient de nouveau sur les avantages de son procédé. Il ne cite pas
cependant de nouvelles expériences à l’appui de son opinion. Il laisse seulement connaître que cette idée du pincement des tiges lui paraît excellente, en
raison des bons résultats que donne ce procédé pour les fèves et les pois. C’est résoudre bien facilement un problème de physiologie, assez délicat, celui de
savoir si le pincement favorise la formation des tubercules autant que celle des fruits. Et ce point est loin d’être indiscutablement établi.
Du reste, M. Aimé Girard, dans ses belles Recherches sur la culture de la Pomme de terre industrielle et fourragère (1891), a établi, par des expériences
précises, qu’il existait un rapport régulier entre la richesse de la végétation aérienne et l’abondance de la récolte des tubercules. Aussi, peut-il en conclure
qu’il ne faut pas arracher trop tôt. « Alors même, dit-il, que tout le feuillage latéral de la plante est fané, s’il reste encore au sommet des tiges un bouquet
terminal de quelques feuilles, on peut être certain que la plante travaille encore et que chaque jour, par ce petit bouquet terminal, elle fabrique une certaine
quantité de matière organique qui, spécialement destinée aux tubercules, peut, même en une quinzaine, augmenter sensiblement le poids et la richesse.
Mais aussitôt que ce bouquet terminal est fané à son tour, le gain devient nul et il convient de procéder à l’arrachage ». Que procure donc, en définitive, le
procédé du pincement des tiges ? Rien autre qu’un affaiblissement dans l’accroissement des tubercules, comme l’avait déjà reconnu M. Verrier, en 1851.
Lors de l’introduction en France de la Pomme de terre, on avait coutume d’employer ce procédé. Olivier de Serres, dans son Théâtre d’Agriculture et
Mesnage des champs, publié en 1600, disait à ce sujet : « De chacun cartoufle[10] sort un tige, faisant plusieurs branches, s’eslevans jusqu’à cinq ou six
pieds, si elles n’en sont retenues pour provigner. Mais pour le bien du fruict[11] l’on provigne la tige avec toutes ses branches, dès qu’elles ont attaint la
hauteur d’une couple de pieds ; d’icelles en laissant ressortir à l’aer, quelques doigts, pour là continuer leur ject : et icelui reprovigner, à toutes les fois qu’il
s’en rend capable, continuant jusques cela au mois d’Aoust : auquel temps les jetions cessent de croistre en florissant, faisans des fleurs blanches, toutefois
de nulle valeur. Le fruict naist quand-et les jettons[12], à la fourcheure des nœuds, ainsi que glands de chesne. Il s’engrossit et meurit dans terre, d’où l’on le
retire en ressortant les branches provignées, sur la fin du mois de Septembre, lors estant parvenu en parfaicte maturité ».
D’un autre côté, Gaspard Bauhin, dans son Prodromus theatri botanici (1620), disait également, d’après la traduction que nous en avons donnée plus
haut : « Les Bourguignons ont l’habitude aussi d’étaler les rameaux sur le sol et de les recouvrir de terre dans le but d’augmenter le nombre des
tubercules ».
Ainsi, pendant une vingtaine d’années, historiquement parlant, le procédé était resté en usage, d’abord, dans le Vivarais, puis, en Franche-Comté, en
Bourgogne. Nous ne trouvons plus de document qui en fasse mention plus tard, et l’on peut dire qu’il a été abandonné, soit que ses résultats n’aient pas été
rémunérateurs, en raison du travail particulier qu’il exigeait, soit même qu’il n’ait pas été aussi productif qu’on l’avait estimé à l’origine. Peut-être qu’à
cette époque où les tubercules restaient petits, alors que les tiges étaient vigoureuses, y avait-il néanmoins quelque avantage à provigner ces tiges. Mais,
depuis lors, que les tubercules ont pris de plus en plus un volume plus considérable, que les tiges ont diminué de grandeur, et qu’il y a lieu de ne pas exiger
d’elles d’autre fonction que celle de fournir aux tubercules les matériaux nécessaires à l’augmentation de la fécule, n’y a-t-il plus lieu de se servir de cet
ancien procédé. Ce n’est pas, cependant, que certaines variétés au grand rendement ne se signaient quelquefois par une production assez singulière, celle de
tubercules aériens, naissant aux aisselles des feuilles sur les tiges. Ce fait a été signalé par plusieurs observateurs, et nous avons été nous-même témoin
d’une production semblable de plusieurs de ces tubercules sur des tiges puissantes de la variété Richter’s Imperator. N’y a-t-il pas là une sorte d’indication
naturelle de la valeur de cet ancien procédé ?
Il en a été question, en Allemagne, en 1870 et 1871, à propos de ce que l’on appelait la Méthode Gülich pour la plantation et la culture de la Pomme de
terre. Cette méthode consistait à planter les tubercules à une grande distance les uns des autres ; puis, quand le pied avait végété fortement et donné
plusieurs tiges, à coucher celles-ci en terre, de manière à en faire en quelque sorte autant de marcottes. Un pied de Pomme de terre ainsi traité finissait par
garnir un carré d’environ 2 mètres de côté. Quant aux résultats que donnait cette méthode de culture, ils étaient assez difficiles à apprécier, et les avis
étaient assez partagés. Cette divergence dans les opinions des cultivateurs, qui avaient fait l’essai de cette méthode, provenait de l’inégalité même de ces
résultats. En somme, sur 86 expériences qui avaient été faites dans différentes localités en vue de reconnaître précisément les résultats de cette méthode de
culture, comparativement à la culture ordinaire, 8 ont donné des produits égaux de part et d’autre, 23 ont donné l’avantage au procédé Gülich, tandis que 53
lui ont été défavorables. Ces expériences ont prouvé que cette manière de cultiver la Pomme de terre est avantageuse seulement dans une terre forte et
humide, tandis qu’elle n’est nullement applicable aux sols légers et secs. Tout récemment, une nouvelle expérience a été faite en France, sans qu’on eut
connaissance de ce qui vient d’être dit à ce sujet. Elle a été publiée, en 1806, par la Gazette des campagnes. Voici ce que nous trouvons, en effet, dans ce
Journal.
« Le hasard a souvent mis sur la voie des découvertes importantes. Le récit suivant que fait M. J, B. Avignon, professeur d’Agriculture à Wassy, est une
nouvelle attestation de cette vérité.
« Il y a quelques années, dit M. Avignon, j’avais remarqué que la récolte de Pommes de terre était supérieure, dans une partie d’un champ où les tiges de
cette plante avaient été couchées par un roulage accidentel, effectué en traversant ce champ avec un rouleau pour se rendre dans une pièce voisine enclavée.
» L’année dernière, dans un carré de mon champ d’expériences, je vérifiais la valeur de ma remarque. Il est utile d’ajouter que les Pommes de terre de ce
carré avaient été plantées avec la même variété (Géante bleue) et dans les mêmes conditions. Le 17 Juillet, 10 mètres carrés furent piétines, opération qui
correspondait à peu près à un roulage. À cette date, cette Solanée était en pleine floraison. Les fleurs disparurent bientôt sans donner naissance aux baies
vertes globuleuses connues de tout le monde. L’extrémité des tiges se releva peu à peu. Le Phytophtora infestans ne sévit pas davantage sur les tiges
couchées que sur celles restées droites. La récolte eut lieu le 22 Octobre et le pesage donna le résultat suivant : le carré dont les tiges avaient été couchées
fournit un rendement, à l’hectare, de 26, 000 kilos : le carré resté comme témoin, 21, 000 kilos. D’où une différence de 2, 000 kilos en faveur du couchage
des tiges ou roulage. L’excédent de récolte ne peut guère s’expliquer autrement, je crois, que par le changement de destination que l’on fait subir à la sève.
En effet, une grande partie des éléments fertilisants (azote, acide phosphorique, potasse etc.). qui doit se fixer dans les tiges, les fleurs, les baies, à la suite
du roulage, se dirige aux tubercules et en accélère le développement. N’utilise-t on pas ce procédé pour activer le grossissement des bulbes des oignons ? »
Il serait donc possible que les variétés à grand rendement se prêtassent à l’emploi de ce procédé d’un provignage assez simple, s’il n’exigeait qu’un
piétinement ou qu’un roulage.
C’est pourquoi il nous a paru utile de le faire connaître, en rappelant, toutefois, que le provignage a déjà été pratiqué très anciennement, qu’il a même été
appliqué de nouveau dans ces dernières années, puis abandonné. Mais peut être qu’aussi, dans l’application de ce procédé, le roulage n’était pas employé
pour la culture des Pommes de terre en plein champ.
Parmentier disait, en 1809, dans le Cours complet d’Agriculture : « Cette culture n’est fondée que sur un seul principe, quelle que soit la nature du sol,
l’espèce ou la variété de Pomme de terre : il consiste à rendre la terre aussi meuble qu’il est possible avant la plantation et pendant toute la durée de
l’accroissement. Les diverses méthodes de culture pratiquées doivent être réduites à deux principales ; l’une consiste à planter à bras, l’autre à la charrue.
La première produit davantage, mais elle est plus coûteuse ; la seconde cependant doit toujours être préférée, lorsqu’il est question d’en couvrir une
certaine étendue pour la nourriture et l’engrais du bétail ».
Parmentier parle ensuite de la préparation du sol, de la plantation, des façons à donner à la culture et de la récolte. Il nous a semblé qu’il serait plus
intéressant pour le lecteur de comparer son opinion avec celle des agronomes qui ont traité ces mêmes questions dans le cours de ce siècle. Parmi les
ouvrages qui ont été publiés sur ce sujet, nous citerons quelques passages du Traité de la Pomme de Terre par Payen et Chevalier (1826), du Traité
d’Agriculture pratique de Magne (1859), des Recherches sur la Culture de la Pomme de terre industrielle et fourragère de M. Aimé Girard (1891), et du
Cours d’Agriculture pratique de M. Heuzé (1892). Ces passages nous paraissent devoir suffisamment compléter chacun des articles qui suivent.
PRÉPARATION DU SOL. — « Le sol le plus convenable, disait Parmentier, doit être formé de sable et de terre végétale dans les proportions telles, que le
mélange humecté ne forme jamais ni liant, ni boue : celui qui convient au seigle plutôt qu’au froment mérite la préférence, il cède plus aisément à
l’écartement que les tubercules exigent pour grossir et se multiplier. Telle est la condition sans laquelle le succès de la plante est fort équivoque.
» Deux labours suffisent assez ordinairement pour disposer toutes sortes de terrains à la culture des Pommes de terre : le premier très profond, avant
l’hiver ; le second avant la plantation. Il est bon que le sol ait 7 à 8 pouces de profondeur, que la racine soit placée à un pied et demi de distance, et
recouverte de 4 à 5 pouces de terre. Il faut planter plus clair dans les fonds riches que dans les terres maigres, et dans celles-ci plus profondément. Les
espèces blanches demandent à être plus espacées que les rouges qui poussent moins au dehors et en dedans. Toutes les espèces de Pommes de terre sont
tendres, sèches et farineuses dans les lieux un peu élevés, dont le sol est un sable gras ; pâteuses, humides, dans un fond bas et glaiseux. Il faut mettre les
blanches dans des terres à seigle, et les rouges dans des terres à froment ; la Grosse blanche dans tous les sols, excepté dans ceux trop compacts, où cette
culture est difficile et les produits de médiocre qualité. On leur restitue, il est vrai, leur premier caractère de bonté en les plantant l’année d’ensuite dans le
terrain qui leur est le plus favorable ».
« La Pomme de terre, disent Payen et Chevallier, vient dans presque tous les terrains ; ceux qui lui conviennent le mieux sont peu compacts, pas
humides, médiocrement fumés et surtout assez profonds.
» On peut alléger, pour cette culture, les terres trop fortes avec des cendres de houille, des terres sableuses, du fumier de litière à longue paille, etc. Les
terres trop sableuses seront améliorées par leur mélange avec de la marne, des argiles plastiques glaiseuses, des anciens dépôts d’égouts, etc. Tous les
fumiers conviennent ; les plus actifs se répandent à la superficie, les autres au fond du labour. Pour obtenir une récolte abondante, il faut préparer le sol
avec soin. On donne successivement deux labours légers destinés à meublir et aérer la terre ; un troisième, plus profond, sert quelquefois en même temps à
ouvrir les tranchées pour déposer les tubercules et à les recouvrir de terre ; mais si le sol est compact, ou donne un quatrième labour. La quantité et la
proportion de Pommes de terre obtenues indemnisera suffisamment des frais que cette dernière façon occasionne ».
Magne dit, de son côté : « La Pomme de terre vient dans tous les sols ; mais elle prospère très bien et donne d’excellents produits dans les terres franches
profondes, un peu sablonneuses. Elle se plait particulièrement dans les sols mixtes, un peu exposés au sud et au levant, riches en terreau et en substances
minérales solubles. Dans les sables arides, ses produits sont de bonne nature, mais peu abondants dans les années de sécheresse ; sur les sols argileux, trop
humides, elle réussit mal et ses tubercules sont aqueux et pauvres en fécule, difficiles à nettoyer et à conserver, insipides et peu salubres ; ils ne s’y
développent même qu’imparfaitement, lorsque la sécheresse trop forte resserre et fait crevasser la surface du sol.
» Dans une terre très profondément labourée, la Pomme de terre résiste beaucoup à la sécheresse comme à l’humidité. C’est surtout dans les climats secs
que la terre doit avoir été bien préparée par des labours faits avant l’hiver, et de 25 à 40 centimètres si c’est possible. Au printemps, on divise une autre fois
la terre, et souvent une troisième, en plantant les tubercules.
» Le bon fumier, chaud pour les terres grasses, et frais pour les terres légères, est l’engrais le plus approprié à la Pomme de terre. Elle en absorbe une
quantité égale au produit qu’elle donne, mais on ne doit pas craindre d’en mettre en excès. Peu riche en albumine, la Pomme de terre n’exige pas des
engrais fortement azotés ; elle réclame plutôt des principes carbonés ; les fumiers répondent très bien à ses besoins ».
« La Pomme de terre, dit M. Heuzé, est une plante à la fois exigeante et épuisante… Elle doit être cultivée, si on lui demande des produits abondants, sur
des terres bien fumées ».
M. Heuzé rapporte des expériences dont les résultats prouvent qu’on peut remplacer le fumier de ferme par des engrais riches en principes azotés ou en
alcalis. Dans les expériences citées, le guano, le sulfate d’ammoniaque, les nitrates de soude et de potasse ont donné des produits de beaucoup supérieurs au
fumier seul. Quant à la quantité de fumier à employer, M. Heuzé estime qu’il faut appliquer environ 100 kilogr. de fumier pour chaque 100 kilogr. de
tubercules que l’on croit pouvoir récolter.
D’après M. Aimé Girard, « la composition générale du sol n’exerce pas sur le rendement une influence aussi grande qu’on le croit généralement. Des
terres argilo-siliceuses, argilo-calcaires, calcaires, même argileuses, dit-il, peuvent donner de bons résultats. Mais il n’en est pas de même de la profondeur
et de l’ameublissement du sol ; leur influence est considérable, et l’on n’a pas lieu d’en être surpris lorsqu’on tient compte du grand développement
radiculaire de la Pomme de terre… C’est un préjugé très répandu que, sous le rapport de la préparation du sol, la Pomme de terre n’est pas une plante
exigeante. Nombre de cultivateurs, rencontrant, au moment de l’arrachage, les tubercules à fleur de terre, considèrent que, pour cette culture, point n’est
besoin de labourer le sol au-delà de quelques centimètres. Il suffit d’avoir considéré une fois le chevelu long et touffu de la Pomme de terre pour
comprendre à quel degré cette coutume est mauvaise, elle est cependant presque générale. J’ai démontré, ajoute-t-il, par des cultures comparatives qu’au
contraire des labours profonds sont nécessaires… L’engrais doit être abondant. Il faut à la Pomme de terre, et à la fois, de l’acide phosphorique, de l’azote
et de la potasse. Les formes les meilleures sous lesquelles ces agents fertilisants peuvent être donnés, sont : le fumier de ferme, le superphosphate de chaux,
le nitrate de soude et le sulfate de potasse… Dans un terrain de composition moyenne, on peut compléter une fumure ordinaire au fumier par l’emploi d’un
engrais chimique composé de :
Superphosphate de chaux riche 62 parties
Sulfate de potasse 23 —
Nitrate de soude. 15 —
100 parties
» Il conviendra de répandre le superphosphate de chaux et le sulfate mélangés, après l’enfouissement du fumier, avant le dernier hersage et de semer le
nitrate de soude seul, en couverture, quelques jours avant la levée ».
PLANTATION. — « Une seule Pomme de terre suffit, quel qu’en soit le volume, disait Parmentier, et quand elle a une certaine grosseur, il faut la diviser en
biseaux et non pas en tranches circulaires, et laisser à chaque morceau 2 ou 3 œilletons au moins, avec la précaution d’exposer un ou deux jours à l’air les
morceaux découpés, afin qu’ils sèchent du côté de la tranche, et ne pourrissent point en terre par l’action des pluies abondantes qui surviennent
immédiatement après la plantation. En un mot, il vaut mieux une petite Pomme de terre qui a bien mûri, que le plus gros quartier… Il est nécessaire de
proportionner à la nature du sol la quantité de Pommes de terre à planter ; plus il est riche par lui-même et ensuite par les engrais qu’on emploie, moins il
en faudra pour chaque arpent ; depuis 4 setiers jusqu’à 5, mesure de Paris, selon leur grosseur et leur espèce ».
« La plantation des tubercules, d’après Payen et Chevallier, a lieu ordinairement dans les quinze derniers jours du mois de Mars ou les premiers du mois
d’Avril (suivant les climats, les terrains et les saisons)… Lorsque le terrain est prêta recevoir les Pommes de terre, on ouvre un sillon à la charrue ; des
femmes ou des enfants suivent le laboureur, en déposant à la main les Pommes de terre (ordinairement coupées par quartiers, à moing qu’elles ne soient pas
beaucoup plus grosses que des noix) au fond du sillon, et à neuf pouces environ de distance ; le trait de charrue donné immédiatement après celui-ci sert à
déverser la terre sur les tubercules ; il ne reçoit pas de plant. Celui que l’on donne ensuite, est planté par les femmes ou enfants, de la même façon que le
premier, et ainsi de suite jusqu’à ce que toute la surface du champ ait été parcourue de cette manière. Chaque coup de charrue ayant au moins 14 pouces de
large, on voit que les rangées de Pommes de terre sont à 28 pouces, au moins, les unes des autres. On passe ensuite la herse et le rouleau, on recommence
trois ou quatre jours après, et deux fois encore avant que les pousses paraissent, en sorte que la terre est bien divisée et débarrassée de toutes mauvaises
herbes ».
Voici ce que Magne conseillait : « Le plus souvent on plante les Pommes de terre à la charrue, dans le dernier labour. Si les raies sont peu profondes, on
place les tubercules au fond et si elles le sont trop, sur le côté de la raie en faisant en sorte qu’ils soient couverts de 8 à 10 centimètres dans les terres légères
et de 6 à 8 dans celles qui sont fortes. Pour faire les plantations à la main, on se sert de la bêche ou d’une houe, et l’on s’applique à faire les trous en suivant
les raies du dernier labour. Souvent deux ouvriers sont employés à ce travail : le premier fait un trou, et quand le tubercule y a été placé par un enfant, il le
remplit avec la terre qu’il enlève pour en faire un second. D’autres fois on fait d’abord tous les trous, et on couvre les tubercules avec un coup de herse.
Cela permet de mettre les plantes plus régulièrement en lignes, et même en quinconce, ce qui facilite les sarclages. On écarte d’ordinaire les Pommes de
terre de 25 à 40 centim. et les rangées de 45 à 60, plus quand les tubercules sont gros que lorsqu’ils sont petits : on ne met donc des tubercules, que tous les
deux ou tous les trois sillons quand on plante à la charrue… De bonnes Pommes de terre moyenne, de 50 à 80 grammes, nous paraissent, dans la plupart
des cas, donner les résultats les plus lucratifs… Elles veulent être plantées très à bonne heure, aussitôt que les grands froids ne sont plus à craindre, à la fin
de Février et en Mars. À la vérité les jeunes pousses souffrent souvent de la gelée blanche, mais cela ne nuit pas à la plante ; les mêmes tiges continuent à
pousser ou il en vient d’autres, et, dans tous les cas, les tubercules, en partie formés avant les fortes chaleurs, mûrissent convenablement ».
« Doit-on choisir de préférence de gros tubercules, dit M. Heuzé, ou est-il utile de ne planter que des tubercules petits ou moyens ? Cette question a fait
naître bien des opinions, et elle a donné lieu à des expériences nombreuses. Quoi qu’il en soit, les plus gros tubercules sont ceux qu’on doit préférer… On
peut planter, ajoute-t-il, avec une charrue traînée par des chevaux, de 40 à 45 ares par jour ; avec des bœufs, on ne plante pas au-delà de 32 à 35 ares[13].
Les Pommes de terre sont plantées sur des lignes distantes les unes des autres de 0m,50 à 0m,65. Pour exécuter la plantation d’un hectare, on emploie en
moyenne de 22 à 25 hectolitres combles, suivant la grosseur des tubercules et l’espacement des touffes ».
« De son côté, M. Aimé Girard dit : « S’il est, chez les planteurs de Pommes de terre, une habitude bien enracinée, c’est celle qui consiste à couper les
tubercules de plant en deux ou trois fragments, de manière à obtenir d’un poids donné de semenceaux l’ensemencement le plus étendu possible. Cette
habitude est essentiellement mauvaise ; en opérant de cette façon on économise le plant, il est vrai, mais on diminue dans une importante mesure le
rendement à l’hectare. La théorie l’indique et la pratique le prouve… Je ne saurais trop le répéter, c’est seulement dans le cas où quelque circonstance
particulière l’y oblige, lorsque, par exemple, le cultivateur ne dispose que de tubercules de grosseur exagérée, qu’il doit se résoudre à couper ses tubercules
de plant. Toujours il trouvera avantage à planter entiers des tubercules moyens provenant de sujets vigoureux… Des études répétées sur la date de la
plantation m’ont permis de montrer que le cultivateur avait pour planter une latitude assez grande. Du milieu de Mars au milieu d’Avril la récolte n’est pas
sensiblement influencée par la date de la plantation ; mais j’ai montré qu’en tardant davantage on en diminue le poids… Les cultivateurs n’attachent en
général aucune importance à la régularité de la plantation ; j’ai montré qu’au contraire l’importance en était grande… La question de l’espacement des
tubercules de plant est capitale au point de vue du rendement : j’ai dû sur ce point lutter contre de vieux préjugés. L’espacement que l’expérience a montré
être le meilleur comprend des lignes écartées à 0m,60, sur lesquelles les tubercules sont plantés à 0m,50 l’un de l’autre : on compte alors 330 poquets à
l’are ».
Cette importante recommandation de M. Aimé Girard, de réserver une distance de 0m,50 entre les plants, vient tout récemment de recevoir une
approbation nouvelle, résultant de cultures expérimentales très précises faites en Allemagne par M. Westermeier. Voici le résumé des expériences de cet
agronome, qu’ont fait connaître d’ailleurs plusieurs journaux agricoles. D’après M. Westermeier, l’espacement le plus favorable au rendement (poids total
des tubercules par hectare) est celui qui correspond à une surface de 2,500 centimètres carrés par plant (0m,50 sur 0m,50) ; un espacement plus considérable
est inutile. L’espacement a plus d’influence sur la grosseur que sur le nombre des tubercules. Quand l’espacement grandit, l’augmentation de grosseur des
tubercules cesse avant leur augmentation en nombre. Comme l’emmagasinement d’amidon dépend uniquement des conditions d*éclairement, on conçoit
que les tubercules, dans les mauvaises années, soient d’autant plus pauvres en amidon qu’ils sont plus nombreux sur chaque plante ; il en est de même
lorsque l’espacement est plus grand qu’il n’est nécessaire ; dans les bonnes années, il paraît y avoir compensation.
Dans la grande culture, il n’est pas de petits détails qui n’aient leur importance. Si l’on indique 0m,60 centimètres d écartement entre les rangées, c’est
qu’il faut rendre plus facilement exécutables les travaux de sarclage et de buttage, et cela n’a pas de rapport avec l’espacement des plants.
FAÇONS À DONNER À LA CULTURE. — « Dès que la Pomme de terre a acquis 3 à 4 pouces, disait Parmentier, il faut la sarcler à la main ; et quand elle est sur
le point de fleurir, on la butte avec la houe, ou en faisant entrer dans les raies vides une petite charrue qui renverse la terre de droite et de gauche et
rechausse le pied : souvent une première façon dispense de la seconde quand le terrain trop aride ne favorise pas la végétation des herbes étrangères et que
l’année est sèche et brûlante ; il faut, dans ce cas, borner les travaux de culture à une simple surcharge. En buttant la plante, on expose les tubercules, à
mesure qu’ils se forment dans la terre amoncelée au pied, à recevoir les impressions immédiates de la chaleur et à s’y dessécher comme dans une étuve ».
« Lorsque la plupart des jeunes plantes, disaient aussi Payen et Chevallier, sont sorties de 4 à 5 pouces au dehors de la terre, on donne un léger laboura
l’aide d’une charrue à deux déversoirs, et, passant ainsi entre toutes les lignes, on opère en même temps un buttage qui rechausse, soutient et fortifie la
racine de la plante ; ce labour s’opère quelquefois à la main avec une houe. Le champ se recouvre bientôt d’herbes parasites ; on les enlève par un sarclage
ordinaire, que l’on répète plusieurs fois, à des intervalles plus ou moins courts, suivant que l’herbe repousse plus ou moins vite. On ne cesse les sarclages
que lorsque les plantes ont pris assez de développement pour ombrager toule la superficie du sol. »
Mais, de son côté, Magne s’exprime ainsi : « Aussitôt que les Pommes de terre commencent à sortir de terre, il faut leur donner un hersage afin de
niveler le sol et de détruire les mauvaises herbes. On ne craindra pas de couper les jeunes tiges : elles repousseront plus vigoureuses. D’ordinaire, si le
terrain est herbeux, on donne une seconde façon avec la houe à cheval, quinze jours ou trois semaines après. On renouvelle ensuite cette dernière opération,
ou bien on pratique le buttage. C’est une façon économique, très expéditive, et propre à détruire les plantes annuelles. En outre, en recouvrant les tubercules
qui ont poussé au contact de l’air, le buttage les préserve de la maladie. Il faut le pratiquer lorsque les plantes sont jeunes, et avec un buttoir étroit afin de
laisser contre les lignes plantées, des bandes épaisses de terre. De cette manière, on ne dérange pas la formation des tubercules et on n’expose pas les
racines à la sécheresse. On avait conseillé de couper la fane de la Pomme de terre pour nourrir le bétail ; mais l’opération serait tout à fait désavantageuse ;
le produit, qui d’ailleurs a bien peu de valeur comme fourrage, ne payerait pas la cueillette. »
« La première opération, dit M. Heuzé, que l’on exécute après la plantation consiste en un hersage énergique au moyen d’une herse à dents de fer. Ce
hersage doit être fait en Mai, lorsque les pousses apparaissent à la surface du sol. Puis, lorsque les tiges ont 0m, 15 à 0m, 20 d’élévation, on donne un binage
à la houe à cheval. Cette opération doit être renouvelée toutes les fois qu’elle est nécessaire, afin que le sol soit toujours propre et exempt de mauvaises
herbes. La Pomme de terre doit être buttée, surtout lorsqu’elle végète sur des sols secs ou peu profonds, et qu’elle produit ses tubercules à la surface du sol.
Dans le Midi, on arrose souvent les Pommes de terre après les avoir buttées. »
M. Heuzé pense, en outre, que la soustraction des fanes est plutôt nuisible, parce que cette opération diminue le produit des tubercules. Mais il croit que
la soustraction des fleurs pourrait bien ne pas être inutile dans la culture d’anciennes variétés, pour augmenter le produit et diminuer la faculté épuisante de
la Pomme de terre.
« On ne saurait trop recommander le soin à donner aux binages, dit aussi M. Aimé Girard ; toute plante adventice à laquelle on laisse son libre
développement diminue, dans une mesure appréciable, la récolte des sujets qui l’avoisinent ; si l’opération a lieu au moyen d’une sarcleuse à cheval, il faut
soigneusement faire reprendre à la main les entrepieds que cet outil n’a pu atteindre. Lorsqu’il s’agit de variétés telles que la Richters Imperator, la Red
Skinned, la Jeuxey, le buttage doit être élevé afin de bien couvrir les tubercules qui s’enfoncent peu. À l’écartement de 0m,60 entre les lignes, il est aisé de
donner cette façon à l’aide d’une butteuse à cheval ».
Il nous semble que le buttage pourrait être considéré comme utile à un autre point de vue, comme préservatif contre la maladie, ainsi que le disait Magne,
mais en l’exécutant avec plus de connaissance de cause. Nous avons vu, en effet, que les germes motiles du Phytophtora avaient la faculté de pénétrer dans
le sol pour atteindre les tubercules. Or l’une des pratiques de la méthode Jensen consistait d’abord dans un buttage de protection, assez épais pour arrêter le
passage des germes du parasite. Il conviendrait donc de le faire exécuter avant l’apparition du Phytophtora sur les feuilles des Pommes de terre, mais avec
toute la solidité que conseillait le célèbre agronome.
RÉCOLTE. — « C’est assez ordinairement dans le courant de Novembre, disait Parmentier, qu’il faut s’occuper de la récolte des Pommes de terre. Une
simple charrue suffit pour en déchausser par jour un arpent et demi, et six enfants bien d’accord peuvent aisément la desservir, munis chacun d’un panier ;
ils portent à un tas commun les racines dépouillées des filamens chevelus. La récolte à bras est bien moins compliquée : on peut bien dans les terres légères,
en saisissant les tiges et tirant à soi, enlever les racines en paquets ; mais dans les terres fortes, il faut se servir non pas d’une bêche ou d’une houe, mais
d’une fourche à 2 ou 3 dents ; on fait le triage des petites d’avec les grosses, on met de côté celles qui sont entamées pour les consommer des premières ».
« On se sert, pour l’arrachage des Pommes de terre, disaient à leur tour Payen et Chevallier, des bêches pleines ou à trois lames, de houes à une ou deux
lames, suivant l’habitude du pays et la nature du terrain. Quel que soit au reste l’outil que l’on emploie, il faut enlever chaque pied avec le plus de terre
possible, afin d’avoir tout à la fois la plus grande partie des tubercules ; on brise la motte, et des femmes ou des enfants ramassent les Pommes de terre ; on
donne encore deux ou trois coups de bêche on de houe pour reprendre les tubercules échappés la première fois ».
Magne donnait les conseils suivants : « Il faut attendre, pour arracher la Pomme de terre, que la fane soit flétrie, en partie desséchée ; la fécule en est
alors formée, et les tubercules, fermes au centre, possèdent toutes les qualités qu’on en peut espérer ; tandis que si on les tire avant leur maturité, ils sont
aqueux au milieu, peu sapides et nourrissants. On a même conseillé de les laisser en terre jusqu’au moment de les consommer ; mais dans nos climats, où
régnent souvent des froids rigoureux et des neiges parfois si longues, il est moins aventureux de les arracher ; seulement il faudra le faire aussi tard que
possible, excepté quand on craint des froids, des pluies continues, ou qu’on a besoin de rendre la terre libre pour l’ensemencemnt de la récolte qui va
suivre. Autant que possible il faut faire la récolte par un beau temps : lorsque la terre est bien égouttée et l’air sec, l’extraction est facile et moins
dispendieuse ; les tubercules se nettoient, se conservent bien, et peuvent être administrés sans avoir été lavés. Il serait même bien, si le temps le permettait,
de les étaler sur le sol et de les y laisser sécher, au moins quelques heures, afin de pouvoir les nettoyer plus complètement. Qu’on arrache les Pommes de
terre à la main ou à la charrue, ce qui est beaucoup plus expéditif, on doit avoir soin de les enlever toutes ; car celles qu’on laisserait, non seulement
seraient perdues, mais elles infesteraient les récoltes suivantes. On ne doit pas blesser celles qu’on veut conserver, crainte qu’elles ne viennent à se gâter et
à communiquer leur pourriture aux autres ».
« Autrefois, dit M. Heuzé, on arrachait les Pommes de terre vers la fin de Septembre et dans le courant d’Octobre. Depuis que l’on a remplacé les
variétés tardives par des races précoces, cette opération se fait depuis le 15 Août jusqu’au 20 Septembre. Quoi qu’il en soit, on doit opérer dès que les fanes
sont sèches et par un beau temps. Les tubercules arrachés par an temps sec se conservent mieux, et la terre qui adhère à leur surface est toujours en moins
grande quantité que lorsqu’on procède à l’arrachage pendant les pluies ou lorsque la terre est humide ». M. Heuzé décrit ensuite les divers procédés
d’arrachage, soit à l’aide d’une houe fourchue que l’on appelle crochet, soit à la fourche, soit enfin à la charrue, c’est-à-dire avec la charrue ordinaire ou le
buttoir. Il cite, à ce propos deux sortes de charrues particulièrement disposées pour faire plus rapidement et plus commodément cet arrachage.
Quant à M. Aimé Girard, il s’explique ainsi au sujet de la récolte : « Il convient d’en retarder l’époque jusqu’à ce que la végétation de la plante ait
entièrement cessé. On ne saurait, bien entendu, indiquera l’avance pour chaque variété, hâtive ou tardive, une date précise ; cette date est, dans tous les cas,
sous la dépendance des conditions météorologiques de la saison. Mais, d’une manière générale, on peut fixer les caractères extérieurs auxquels on reconnaît
le moment où les tubercules cessent de s’accroître, et où l’arrachage, par conséquent, doit avoir lieu. Ce moment, il faut, si l’on veut avoir le rendement
maximum, le retarder jusqu’à la dernière limite ; presque toujours, on arrache trop tôt, et le bénéfice ainsi perdu est quelquefois important. Alors même que
tout le feuillage latéral de la plante est fané, s’il reste encore au sommet des tiges un bouquet terminal de quelques feuilles, on peut être certain que la plante
travaille encore et que chaque jour, par ce petit bouquet terminal, elle fabrique une certaine quantité de matière organique qui, spécialement destinée aux
tubercules, peut, même en une quinzaine, augmenter sensiblement le poids et la richesse ; mais aussitôt que ce bouquet terminal est fané à son tour, le gain
devient nul et il convient de procéder à l’arrachage ».
« Il ne suffit pas de se procurer beaucoup de Pommes de terre, disait Parmentier en 1809, il faut savoir les conserver pendant l’hiver, époque où les
temps doux les font germer, et où les gelées, en les désorganisant, les rendent impropres à la nourriture des hommes et des animaux[14]. Leur durée dépend
autant de la perfection de leur maturité que de l’influence du local où on les serre. Dès que les Pommes de terre sont arrachées, il faut, si l’on n’a rien à
redouter des gelées blanches, les laisser se ressuer sur le terrain où on les a récoltées, ou bien sur l’aire d’une grange : Cette opération préliminaire, quand
on n’a pas dé gelées blanches à craindre, achève de dissiper l’humidité superficielle, détruit l’adhérence d’un peu de terre qui leur feroit contracter un
mauvais goût, et rend leur garde plus facile.
« Il est bien certain que quand la provision ne consiste que dans quelques setiers, la garde n’en soit très facile, parce qu’on peut la déplacer, la transporter
sur le champ de la cave au grenier, du hangar au cellier, dans des caisses, des paniers ou des tonneaux éloignés des murs ; mais quel que soit le lieu où l’on
serre les Pommes de terre, il convient de n’y point laisser pénétrer la chaleur, le froid, la lumière et les animaux ; de diviser la provision, autant qu’il sera
possible, soit par des planches, des nattes, de la paille ou des feuilles sèches ; mais pour les grandes quantités il faut d’autres procédés… »
Parmentier conseille alors de faire des tas coniques qu’on abrite avec de la paille recouverte de terre battue, et pendant les gelées avec du fumier ou de la
litière ; ou bien des silos garnis de paille longue et fermés par une sorte de cône ou de talus formant meule ; ou bien encore d’établir dans une grange une
resserre avec des claies de parcs à moutons ou des planches, entourée de pailles et de fourrages.
« Au printemps, ajoute Parmentier, lorsque le danger des gelées est passé, il faut s’occuper de mettre ce qui reste à l’abri de la germination, après avoir
mis de côté celles destinées à la plantation. Un moyen assez efficace pour les conserver jusqu’à ce qu’on récolte de nouvelles hâtives, c’est de les
transporter dans un grenier bien aéré, de les étendre sur le plancher les unes à côté des autres, et de les visiter quelquefois pour enlever les germes qui
poussent pendant les premiers jours du printemps[15] ».
La conservation des Pommes de terre, par les procédés indiqués ci-dessus ne paraissait pas s’effectuer avec trop de difficultés. Mais l’apparition de la
maladie spéciale n’a pas été sans troubler la quiétude que donnaient ces procédés. L’ensilotage ordinaire, disait Payen en 1845, serait l’un des plus mauvais
moyens de conservation, car la fermentation putride se propage avec une grande rapidité au contact d’un tubercule à l’autre, même jusque parmi les plus
sains : elle gagnerait ainsi toute la masse enfermée dans un silo ».
Bonjean, en 1846, expose qu’il avait fait des expériences avec onze substances différentes, et qu’il avait remarqué que les Pommes de terre placées dans
le sable pur, le sable et le charbon, le sable et la cendre de chaux, étaient les mieux conservées, et qu’en somme, le sable réunit toutes les conditions
désirables, si on a soin de l’employer parfaitement sec. N’est-il pas curieux de constater que c’était le moyen qu’employait au XVIe siècle Charles de
L’Escluse pour conserver ses tubercules ? Mais ce procédé n’est pas très pratique lorsqu’il s’agit de s’en servir pour de grandes quantités de Pommes de
terre.
« Elles se conservent, dit M. Heuzé, dans les caves ou les celliers ; mais quel que soit le procédé auquel on ait recours, on doit les visiter de temps à
autre, afin de s’assurer de l’état des tubercules. Si la masse offrait des signes de fermentation, il faudrait séparer immédiatement les Pommes de terre
altérées ».
En somme, les meilleurs lieux de conservation sont de grandes caves, non humides, très aérées, à l’abri de la gelée. L’emploi de paniers en osier, comme
ceux qu’emploie la maison Vilmorin, est aussi très pratique, en ce qu’ils facilitent la visite périodique des tubercules, lorsqu’on les dispose sur des tablettes.
On peut se servir aussi de casiers en sapin à claire-voie, qu’on appelle des claies ou clayettes, et qui se superposent aisément et se déplacent de même. Dans
tous les cas, l’obscurité de la cave est nécessaire pour bien conserver les tubercules de consommation, et les empocher de verdir. Au contraire, on peut
garder à la lumière les tubercules de semence, dont le verdissement n’a pas d’inconvénient, et parait leur être plutôt profitable.
Tout récemment, la conservation des Pommes de terre dans des silos a été conseillée de nouveau, d’après un procédé appliqué surtout en Autriche.
« Cette conservation, dit M. de Gironcourt (Agriculture moderne, 1896), s’effectue parfaitement dans des silos en terre, analogues à ceux que l’on établit
couramment pour la betterave. Il n’y a perte ni delà valeur nutritive, ni du bon goût naturel des tubercules. Ils ne germent pas ; à l’ouverture du silo, ils
paraissent comme fraîchement arrachés ». Le rédacteur de l’article explique dans tous ses détails ce qu’il y a lieu de faire pour établir ces silos dans de
bonnes conditions. Mais il parait surtout les recommander pour la conservation des Pommes de terre récoltées saines. Et malgré cela, il ne manque pas
d’ajouter : « Bien que la conservation des tubercules soit généralement bonne, il est utile de s’assurer de temps en temps à la main, ou mieux au
thermomètre, descendu dans les cheminées (d’aération), que la température ne s’élève pas au-dessus de 3 à 4 degrés ; ce serait l’indice certain d’une
fermentation commencée, risquant de faire pourrir la masse si l’on n’y portait remède. Ce remède est des plus simples : ouvrir le silo, le laisser revenir à
une température basse et refermer ensuite ».
Il est très possible que ces silos puissent rendre de grands services. Encore convient-il qu’on ne s*en serve que pour des Pommes de terre parfaitement
saines. Là, en effet, est une difficulté qui n’est pas de faible importance. La terre, qui, dans les saisons humides, reste adhérente aux tubercules, empêche
souvent d’en bien voir l’épiderme, et les maladies bactériennes sont de celles qui, dans ce cas, échappent le plus facilement à un examen rapide, et sont les
plus à craindre dans les ensilotages.
Mais on doit à MM. Vauchez et Marchal d’avoir fait connaître récemment un autre procédé très ingénieux, qui consiste à appliquer la chaleur dégagée
par la fermentation de fourrages ensilés pour obtenir la cuisson et la conservation économique de la Pomme de terre. En 1895, au mois de Septembre, ces
expérimentateurs plaçaient des tubercules crus et entiers dans un silo de Maïs. Retirées en Avril 1896, ces Pommes de terre, parfaitement conservées, ne
renfermaient plus que 55 d’eau, au lieu de 75 0/0 ; elles se déchiraient complètement à la main et les animaux les mangeaient avec avidité. En Mai 1896,
des tubercules crus furent placés dans un ensilage de fourrage vert (trèfle incarnat), dont la température peut atteindre 70°. On obtint des tubercules cuits
fortement aplatis. M. Aimé Girard leur a reconnu la constitution caractéristique des tubercules soumis au procédé de cuisson ordinaire, et a constaté qu’ils
ont parfaitement acquis la digestibilité qu’exige leur emploi dans l’alimentation du bétail. Ce nouveau procédé peut donc rendre de grands services à ce
dernier point de vue.
Ce choix a une grande importance, en raison du plus ou moins de production des variétés. À la fin du siècle dernier, on avait déjà reconnu que certaines
variétés étaient plus utilisables que d’autres pour la grande culture, et l’on avait déjà commencé à se rendre compte qu’il y avait un intérêt majeur à se
préoccuper du rendement. Ces tendances n’ont fait que s’accentuer avec le temps, et les désirs de l’Agriculteur se sont trouvés peu à peu avec ceux de
l’Industrie en conformité d’intérêts. Des évaluations expérimentales ont fini par s’établir dans les cultures soignées, et aujourd’hui telle variété est estimée
d’une façon précise, à la fois par son rendement en poids de tubercules à l’hectare et son produit net en fécule. Il y aura par suite toujours là un mouvement
à suivre, en raison de l’affaiblissement du produit des variétés existantes et de la force nouvelle dont seraient douées les variétés nouvellement créées.
Nous nous en tiendrons ici à ce qui se passe actuellement dans le mouvement de ces variétés, les anciennes n’étant plus intéressantes à connaître à ce
titre. En 1892, dans Les Plantes fourragères, M. Heuzé citait comme variétés de grande culture, recommandées aux Agriculteurs : la Shaw ou Chave), la
Ségonzac (ou Saint-Jean), la Rose hâtive (ou Early rose), la Patraque jaune (ou Grosse jaune), la Saucisse (ou Généreuse), la Chardon, la Magnum
bonum, la Van der Veer, la Champion (ou Champion d’Écosse), la Farineuse rouge (ou Boule de farine, ou Red Skinned flour ball), et la Patraque blanche
(ou Ex-Noble, ou Grosse blanche) dont on commençait à abandonner la culture. De son côté, en 1893, M. Henry de Vilmorin signalait dans sa Conférence
précitée, comme Pommes de terre fourragères à recommander pour leur bonne productivité, les variétés suivantes : la Chave ou Shaw (et ses quasi
synonymes, la Saint-Jean, la Ségonzac, la Deuxième hâtive des environs de Paris) ; la Chardon, la Jeuxey (Jeancé ou Vosgienne) ; la Canada ; l’Institut de
Beauvais ; la Merveille d’Amérique ; la Meilleure de Bellevue. Il citait ensuite comme Pommes de terre industrielles : la Richter’s Imperator, la Géante
sans pareille, la Farineuse rouge (ou Red Skinned flour ball) ; l’Aspasie, de M. Paulsen ; la Géante bleue (ou Blaue Riesen). M. H. de Vilmorin faisait
ensuite connaître les résultats suivants d’expériences comparatives, faites dans ses cultures expérimentales à Verrières, avec ces dernières variétés.
M. Aimé Girard, dans ses Recherches sur la Culture de la Pomme de terre industrielle et fourragère, que tout Agriculteur ne peut manquer de consulter
pour se rendre compte des meilleurs procédés à employer dans ses travaux, avait déjà publié, en 1889 et en 1891, les résultats comparatifs de ses cultures
expérimentales à Joinville-le-Pont et à Clichy-sous-Bois, obtenus en 1888. Nous en extrayons le tableau suivant qui nous paraît très instructif :
Rendement à l’hectare
Ce Tableau nous apprend que le rendement à l’hectare, bien que les cultures aient été l’objet des mêmes soins, varie dans d’assez notables proportions :
cela peut, en effet, dépendre de la nature du terrain, de l’exposition, de la qualité même des tubercules plantés, des maladies dont ils peuvent être atteints,
etc. ; ensuite que, nonobstant ces différences dans la productivité des mêmes variétés, il existe, entre les diverses variétés des différences très sensibles dans
le produit à l’hectare et dans celui de la fécule. Entre l’Imperator et la Chardon, la différence est de moitié !
On ne doit pas être surpris que M. Aimé Girard ait été frappé de ces résultats et ait été naturellement conduit à préconiser la culture de la première de ces
deux variétés, qui l’emportait pour le rendement sur toutes les autres.
« Parmi les variétés que j’avais cultivées dès 1885, dit M. Aimé Girard, il en était une particulièrement remarquable, qu’un cultivateur regretté, Boursier,
de Compiègne, avait à peu près à la même époque que moi, importée d’Allemagne, mais dont la connaissance était restée limitée à son voisinage. À cette
variété on donne le nom de Richter’s Imperator ; je l’avais vue, dans de bonnes conditions de culture, fournir à l’hectare 40,000 kilos et même 44,000 kilos
de tubercules riches, quelquefois, à près de 20 pour 100 de fécule.
« J’ai pensé que de si hauts rendements feraient sur l’esprit de nos cultivateurs une impression profonde, et j’ai été ainsi conduit à prendre cette variété
comme type pour la vulgarisation des procédés culturaux dont l’expérience m’avait fait reconnaître l’efficacité.
« Je trouvais ainsi l’avantage de faire connaître, à la fois, d’un côté la meilleure variété rencontrée jusqu’à ce jour, d’un autre les procédés nécessaires à
la production des hauts rendements.
« Sur la récolte faite en 1888 à Joinville, j’ai été autorisé par M. le Ministre de l’Agriculture à prélever 6,000 kilos de plant sélectionné par mes soins
pour en confier la culture à une quarantaine d’agriculteurs qui, répartis sur divers points de la France, voulaient bien apportera la poursuite de l’œuvre que
j’avais entreprise le concours de leur haute expérience.
« Ces 6,000 kilos ont été distribués par lots de 100 à 300 kilos, permettant par conséquent de planter, suivant les données indiquées par mes recherches
sur la culture de la Pomme de terre, des surfaces de 3 à 10 ares. C’est d’ailleurs vers des régions diverses, principalement vers le Nord, l’Est et le Centre,
que ces lots ont été dirigés. Les résultats obtenus par mes collaborateurs ont, en général, dépassé mes espérances… »
Il y a lieu de féliciter M. Aimé Girard d’avoir entrepris cette campagne, féconde en résultats productifs, en faveur de l’Imperator. Cette variété, du reste,
a des qualités intrinsèques qui la recommandent à tous les cultivateurs. Elle a figuré d’abord sur des Catalogues horticoles de bonnes maisons qui la
préconisaient comme variété potagère, en raison de sa chair légère, très féculente et de bon goût. On peut dire même qu’elle est supérieure à ce titre aux
autres variétés agricoles, qui presque toutes sont fades et se ramollissent par la cuisson. Mais les beaux résultats que nous avons cités plus haut avaient été
tous obtenus, avec l’Imperator, en terres fertiles. M. Aimé Girard a demandé à plusieurs de ses collaborateurs de vouloir bien en essayer la culture en terres
médiocres ou pauvres. Or les résultats de cette culture ont été encore très rémunérateurs : ils ont varié, comme rendement, de 17,000 à près de 20,000 kilos
à l’hectare, avec 17,16 à 19,92 pour cent de fécule, soit à l’hectare de 3188 à 5202 kilos de fécule. D’après des calculs établis par M. Aimé Girard, les
terres médiocres peuvent ainsi fournir une récolte d’Imperator d’environ 756 francs à l’hectare.
Toutefois cette excellente variété ne serait-elle pas appelée à dégénérer, si l’on continuait de la cultiver, même sur des sols différents, chaque année, en
se servant pour cela de tubercules pris dans la récolte précédente ? M. Aimé Girard, pour répondre à cette question, a cultivé pendant cinq années
successives, de 1886 à 1890, l’lmperator, en appliquant ce système. Les rendements obtenus ont été variables, mais celui de 1890 était supérieur à celui de
1886. M. Aimé Girard en conclut que c’est à la négligence apportée au choix du plant, que la dégénérescence dont on s’est plaint dans certaines cultures
doit être imputée : elle est accidentelle. Il serait, en effet, très surprenant qu’une bonne variété, d’obtention récente, pût dégénérer si rapidement.
Actuellement, l’Imperator conserve encore sa bonne réputation. Mais voici qu’apparaissent de nouvelles variétés allemandes, dont nous avons donné les
noms dans un précédent Chapitre, que l’on annonce comme pouvant rivaliser avec elle, ou même la surpasser. Il faut attendre que des essais comparatifs
soient établis de façon à ce que cette question soit clairement élucidée.
Nous croyons ne pouvoir mieux terminer ce paragraphe qu’en reproduisant ici le résumé des conseils, que donne M. Tibulle Collot, un de nos plus
intelligents Agriculteurs, dans une Note récente sur la Culture de la Pomme de terre. « Cette culture, dit-il, ne peut donner de grands rendements, et, par
conséquent, ne peut être lucrative qu’autant qu’on observera les conditions suivantes : Choisir des variétés nouvelles, appropriées au but que l’on poursuit.
Déterminer par essais répétés les races convenant le mieux au sol dont on dispose. Ameublir, par des façons culturales bien faites, les terres destinées à la
plantation. Ne pas ménager les engrais, et surtout les engrais phosphatés. Planter à des distances convenables. Tenir le terrain propre de mauvaises herbes
par des façons culturales, à la houe à cheval entre les lignes, à la main entre les poquets. Dans ces conditions, à moins d’une année absolument défavorable,
on est certain d’obtenir une récolte abondante et rémunératrice ».
XI. — CULTURE DES VARIÉTÉS POTAGÈRES
Ce qui a été dit plus haut, à propos de la Culture des variétés industrielles et fourragères, s’applique en grande partie à celle des variétés potagères. Celle-
ci ne se fait que sur une étendue de terrain beaucoup plus restreinte et n’exige que l’emploi des outils ordinaires du jardinage. Il ne s*agit pas non plus,
dans cette culture, de choisir des variétés à grand rendement, mais plutôt des variétés de table, dont la qualité l’emporte sur la quantité. On recherche en
général, pour le potager, à obtenir trois sortes de produits : des Pommes de terre de primeur, pour la consommation du Printemps, des hâtives pour celle de
l’Été, des tardives pour celle d’Automne et d’Hiver. Avant de parler de la culture de primeur, qui demande des soins particuliers, voyons de quels soins la
culture ordinaire des Pommes de terre peut être l’objet dans le potager.
« Cette culture est des plus simples, disent MM. Decaisne et Naudin dans leur Manuel de l’Amateur des Jardins (1871). On les reproduit par la
plantation des tubercules en rigoles, à 15 ou 16 centimètres de profondeur, dans une terre ameublie, légèrement fumée avant la plantation ou après une
fumure d’un an qui a déjà alimenté une récolte de légumes. Si on fume au moment de la plantation, on doit poser le fumier, par poignées, sur les tubercules
et non au-dessous. La distance à mettre entre les plantes est en moyenne de 50 centimètres ; elle varie cependant suivant que les races employées donnent
des touffes plus fortes ou plus faibles. Lorsque les pousses ont 18 à 20 centimètres, on sarcle et on butte en accumulant la terre autour de leur pied, pour
favoriser le développement des jets souterrains sur lesquels naissent les tubercules. Cet usage n’est cependant pas général. La récolte se fait quand les fanes
ont jauni, en tenant compte de l’époque de maturité qui diffère considérablement d’une race à l’autre… Après la récolte des Pommes de terre, on doit
mettre tout de suite en réserve les tubercules qu’on destine à servir de semence pour l’année suivante, et on choisit pour cela, sinon les plus gros, du moins
ceux d’une belle grosseur moyenne. Si on tenait à ne pas les planter entiers, il faudrait les couper trois semaines ou un mois après la récolte, en long plutôt
qu’en travers, afin de conserver des yeux aux deux fragments, qui doivent être à peu près égaux. La plaie se sèche assez promptement, et les tubercules se
conservent bien si on les tient au sec, dans des caisses à claire-voie ou dans des paniers suspendus. Il faut éviter de les mettre à la cave, à cause de la
chaleur qui les fait germer en Hiver et par là les épuise. On a remarqué que les tubercules coupés en deux au moment où on va les planter donnent toujours
des récoltes plus faibles que ceux qui l’ont été avant l’Hiver. L’époque de la plantation est, en moyenne, le milieu d’Avril pour le Nord de la France ; cette
époque avance de quinze jours à un mois ou même plus pour les diverses régions du Midi. En général on la fait presque partout trop tardivement, et avec
des tubercules déjà en partie épuisés par les pousses étiolées qu’ils ont faites dans les caves. La récolte non plus ne doit pas être tardive ; il faut arracher les
Pommes de terre dès que les fanes ont jauni ».
On conçoit que la culture de primeur exige beaucoup plus de soins. Elle se fait avec la variété anglaise Kidney, dite Marjolin ou Quarantaine, apportée
d’Angleterre en 1815, et qui paraît avoir servi à cette culture depuis 1840. On la dispose, pendant l’automne sur des claies : elle développe alors son
bourgeon terminal qui devient très vigoureux. On plante alors, dans le mois de Janvier, ses tubercules un à un dans des pots de 20 centimètres, le germe
dressé ; puis l’on enterre ces pots dans le terreau d’une couche tiède, que l’on couvre d’un châssis. On aère toutes les fois que la température le permet, et
l’on arrose suivant les besoins. La végétation se développe peu à peu, les tiges toutefois ne s’élèvent que médiocrement, et lorsque les feuilles inférieures
jaunissent, vers la fin de Mars, on peut récolter d’assez présentables tubercules. On peut opérer de même, mais sans pots, en plantant des tubercules-
semence dans le terreau même de la couche, vers le 15 Février. On récolte dans ce cas fin Avril ou au commencement de Mai.
Cette culture hâtive pourrait être pratiquée de même en Mars ; mais en Avril on peut cultiver en pleine terre, en abritant de la gelée si elle venait à se
faire sentir.
La Maison Vilmorin-Andrieux et Cie, dans son Traité des Plantes potagères (1883), résume ainsi cette culture forcée : « Elle se fait sous châssis et sur
couche plus ou moins chaude. On peut la commencer dès le mois de Décembre ou de Janvier, et continuer les plantations de mois en mois, jusque dans le
courant de Mars. On emploie surtout pour cette culture la Pomme de terre Marjolin hâtive, dont les fanes sont très peu développées. On peut commencer à
arracher des tubercules deux mois et demi ou trois mois après la plantation ».
La culture en pleine terre s’y trouve également résumée en ces termes : « Les Pommes de terre se plantent ordinairement dans le courant du mois d’Avril
en poquets espacés en tous sens de 0m,40 à m,20, selon le développement que prennent les différentes variétés. Les tubercules entiers, mais de dimensions
moyennes, sont les plus avantageux à employer comme semence. Ils doivent être recouverts, au moment de la plantation, d’environ 0m,10 à 0m,12 de terre.
On est dans l’usage de les butter lorsque les tiges sont sorties de terre d’environ 0m,15 à 0m,20, en même temps qu’on donne le second binage. Le buttage
n’est pas indispensable, mais il a l’avantage de faire que les tubercules sont mieux ramassés au pied de la plante, et que l’arrachage devient plus facile[17].
Les Pommes de terre mûrissent, ou du moins deviennent bonnes à consommer, suivant les variétés, depuis le commencement de Juin jusqu’à la fin
d’Octobre. Quand les tubercules destinés à la plantation ont pu être exposés d’avance à l’influence de l’air et de la lumière, la végétation en est
ordinairement d’autant plus vigoureuse et plus hâtive ».
Il est important de s’assurer que les tubercules-semence ne présentent aucun signe dénotant des maladies externes ou internes, qui pourraient
compromettre la récolte future en infectant les tubercules de nouvelle formation, ou qui seraient susceptibles de pourrir par l’action des parasites qu’ils
renferment. Un procédé qui serait peut-être difficilement applicable pour les plantations agricoles, étant donné le grand nombre de tubercules à employer, le
serait facilement pour les plantations des cultures potagères. Il consiste à laver, ou tout au moins à mouiller (s’ils ne sont pas trop couverts de terre) tous les
tubercules-semence avant de les enfouir dans le sol. Ce mouillage fait ressortir très nettement, sur l’épiderme des tubercules, les maladies dont ils peuvent
être déjà atteints et qui pourraient produire des avortements ou des contaminations ultérieures. En examinant très rapidement ces tubercules mouillés, on
rejetterait tous les malades, en particulier ceux attaqués par la Gale et le Rhizoctone ou présentant les taches brunâtres caractéristiques des pénétrations du
Pseudocommis ou des Microcoques, et l’on aurait ainsi l’assurance, si le sol n’est pas déjà contaminé, d’obtenir de meilleurs résultats de la plantation.
Choix de variétés pour la culture potagère. — Il n’est pas sans intérêt, pour cette culture, de faire choix des variétés qui, tout en donnant des produits
rémunérateurs, se distinguent plus particulièrement par des qualités spéciales dont l’art culinaire puisse tirer habilement parti. Nous avons vu que la
Marjolin était la variété naturellement désignée et employée pour les cultures de primeur. Mais son rôle ne peut aller plus loin, et pour la culture ordinaire il
convient de s’adresser à d’autres variétés, plus estimées sous beaucoup de rapports.
M. Henry de Vilmorin a publié, en 1893, la 2e édition d’un Mémoire fort intéressant sur ce sujet, intitulé Les Meilleures Pommes de terre. C’est le
développement d’une Conférence qu’il a faite le 30 janvier 1888 au Concours agricole général de Paris. On y trouvera beaucoup de renseignements fort
instructifs que nous ne pouvons reproduire. Nous rappellerons seulement ici cette juste et curieuse observation, que la préférence qu’ont les Français pour
les Pommes de terre à chair jaune les rend souvent très réfractaires à l’adoption des races à chair blanche, pour lesquelles les Anglais et les Américains
ont, au contraire, une prédilection marquée.
Les variétés recommandées par M. de Vilmorin pour la culture potagère sont les suivantes. Parmi les plus anciennes, très recommandablea encore, la
Bonne Wilhelmine (jaune ronde) et la Rouge de Hollande, qui datant de 1815, se sont très bien conservées jusqu’ici. Viennent ensuite, comme plus
nouvelles et généralement appréciées, parmi les jaunes rondes, une sous-variété de la Chave ou Shaw, la Jaune ronde hâtive, la Pomme de terre Modèle, la
Lesquin ou Séguin, la Quarantaine plate hâtive ; parmi les jaunes longues, la Marjolin hâtive ou Kidney hâtive ou Quarantaine de la Halle, la Royale ou
Anglaise, ou Royal Ash-leaved Kidney, la Victor, le Caillou blanc ou Boulangère, ou Lapstone, la Marjolin-Têtard, le Flocon de Neige ou Snowflake, la
Joseph Rigault, la Feuille d’Ortie, la Belle de Fontenay, la Quarantaine de Noisy ou Marjolin tardive, ou Hollande de la Halle, la Magnum bonum, la
Corne blanche ; parmi les rouges, la Kidney rouge hâtive, la Rose hâtive ou Early rose, la Prolifique de Bresee, la Saucisse, la Pousse debout ; parmi les
violettes, la Blanchard, la Violette ronde, la Quarantaine Violette et la Négresse. Nous citerons encore la Vitelotte, très estimée à juste titre mais qui est
devenu malheureusement beaucoup trop peu productive ; et nous nous permettrons d’ajouter à la liste ci-dessus, une ancienne variété jaune longue, la
Vierge, très productive et d’excellente qualité, ainsi que des variétés nouvelles, la Chancelor (jaune oblongue), la Garibaldi (rouge oblongue), la Juli de
Paulsen (longue à chair jaune), la variété Jaune d’or, de Norvège (ronde jaune) dont on dit le plus grand bien, enfin la Truffe, curieuse d’aspect par son
épîderme craquelé.
Du reste, les Catalogues courants des Maisons qui se livrent au commerce des Pommes de terre peuvent être, chaque année, consultés avec profit par les
amateurs : les Catalogues de Vilmorin, Andrieux et Cie, de Forgeot et Cie à Paris, de Léonard Lille à Lyon, des spécialistes comme les Joseph Rigault et
Hyacinthe Rigault à Groslay, Tibulle Collot, à Maizières, etc., fournissent tous les renseignements désirables ; la maison Haage et Schmidt, à Erfurt, publie
aussi un Catalogue de nombreuses variétés allemandes, dont certaines sont recherchées, et en Angleterre, le très important Établissement Sutton et Sons, à
Reading, fait paraître tous les ans la série des gains nouveaux obtenus dans ses cultures, les plus estimés sur les tables anglaises. Nous ne pouvons indiquer
ici toutes les Maisons bien connues des personnes qui ne cultivent que les variétés de premier choix.
Enfin, l’on pourra tenir compte des résultats que MM. Bussard et Coudon, ingénieurs-agronomes, ont fait connaître récemment, de leurs recherches et
expériences sur la valeur culinaire d’un certain nombre de différentes variétés de Pommes de terre. Nous dirons d’abord qu’ils ont été conduits à en
conclure que cette valeur culinaire est directement proportionnelle à la teneur en matières azotées totales que renferme la Pomme de terre, et inversement
proportionnelle à sa richesse en fécule. Voici comment se trouvent classées les variétés qu’ils ont analysées :
l° Variétés à saveur fine : Belle de Fontenay, Marjolin hâtive, Marjolin-Tétard, Fleur de pêcher, Chave, Royale, Semis B de M. H. Rigault. Ces variétés
renferment de 21 à 25 de matières azotées pour 100 de fécule ;
2° Variétés à saveur agréable : Quarantaine de la Halle, Hollande jaune, Hollande rouge, Violette longue, Vitelotte, Lesquin, Caillou blanc, Aurora. Ces
variétés contiennent de 16,9 à 18,8 de matières azotées pour 100 de fécule ;
3° Variétés passables : Pousse-debout, Victor, Rognon rose, Rother Salât, Saucisse, Flocon de neige, Merveille d’Amérique. Ces variétés renferment de
16 à 17 de matières azotées pour 100 de fécule.
Les variétés les moins recommandables ne contiennent plus que 8,4 à 15,8 de matières azotées pour 100 de fécule. Ce sont presque toutes des variétés
industrielles ou fourragères, telles que Éléphant blanc, Champion, Semis A de M. H. Rigault, Farineuse rouge, Géante bleue, Institut de Beauvais, Junon,
Magnum bonum, Early rose, Négresse, Richter’s Imperator. Ce n’est pas cependant que quelques-unes de ces dernières variétés n’offrent certaines qualités
culinaires qui ne sont pas à dédaigner.
Engrais. — Pour les variétés agricoles, nous avons parlé des engrais, à propos de la préparation du sol pour la culture. Nous dirons ici quelques mots des
engrais qui sont utilisés pour favoriser le développement des Pommes de terre potagères. On peut dire qu’en général, on se préoccupe dans la petite culture
de préparer le sol pour y cultiver d’abord des variétés de primeur, puis des précoces, de telle sorte que le terrain se trouve ensuite tout préparé pour y
installer d’autres cultures de légumes. Les plates-bandes, consacrées aux Pommes de terre moins hâtives, sont disposées de façon à pouvoir servir
également à des cultures automnales.
M. Courtois-Gérard conseillait de se servir, pour engrais, des fumiers des divers bestiaux, en donnant aux sols légers du fumier fermenté, avancé en
décomposition, et aux terres fortes ou compactes du fumier récent qui achève de se décomposer dans le sol.
M. Hyacinthe Rigaud, dans son Instruction sur la culture des Pommes de terre hâtives, où il fait connaître les procédés d’un cultivateur expérimenté, dit
avec raison : « La Pomme de terre figure entre les quelques plantes peu nombreuses dont on peut faire revenir la culture, plusieurs années de suite, sur le
même terrain, avec l’aide d’abondants engrais. Elle trouve dans les engrais qu’on lui donne tous les éléments indispensables à
une bonne végétation. Depuis les savantes recherches des chimistes agricoles, nous savons que chaque plante puise, dans le sol et
les engrais, des éléments distincts et les plus convenables à sa nutrition. Les plus favorables à la Pomme de terre sont la chaux, la
potasse et l’acide phosphorique. Les éléments minéraux sont plus agissants particulièrement sur le développement des tubercules,
tandis que les éléments organiques, qui contiennent beaucoup d’azote, poussent au développement des fanes. Quand l’azote
domine, c’est toujours au détriment des tubercules. »
Fig. 157. — Clayette.
Il en résulte que le terreau, qui rend de très grands services dans les jardins potagers, gagne, pour la culture des Pommes de
terre, à être mélangé avec des engrais minéraux phosphatés.
Germination des tubercules de primeur. — Nous avons dit plus haut qu’il était reconnu nécessaire, pour cette culture de primeur, de faire germer les
tubercules avant la plantation, et qu’on se servait pour cela de clayettes. M. Hyacinthe Rigaud, dans son Instruction précitée, nous en fait connaître
l’origine.
« Quand on a commencé, aux environs de Paris, dit-il, à cultiver en grand la Pomme de terre Marjolin, on s’est aperçu qu’il fallait beaucoup de soins
pour réussir avec cette variété, qui souvent produisait seulement des tubercules insignifiants autour du tubercule-semence. Alors on a jugé qu’il fallait les
faire germer antérieurement à la plantation. Dans certaines localités, on s’est servi de paniers ou de bourriches ; dans d’autres, on faisait germer sur des
tablettes. À Groslay, où je réside, on s’est servi d abord de clayettes d’osier. Puis, dans l’hiver de 1853-1854, un cultivateur se mit à fabriquer des boîtes en
bois, avec un fond à claire-voie. Un autre y mit des pieds ; enfin un troisième leur donna la forme définitive qui a depuis servi de modèle… Ce système
offre l’avantage très grand de pouvoir caser une quantité considérable de boîtes dans un espace très restreint… Maintenant, nous faisons germer avec ces
clayettes toutes les variétés de Pommes de terre, tardives comme hâtives, ce qui donne toujours de l’avance. Cet emploi de boîte n’est pas très onéreux,
comparativement à l’avantage qu’il procure ».
Récolte. — L’arrachage des Pommes de terre se fait habituellement et rapidement dans les jardins avec le boyau, qui est une sorte de houe à deux dents.
C’est une récolte intéressante, en ce sens qu’on pourrait presque l’appeler la recherche de l’inconnu. En effet, que va-t-il sortir du pied que l’on arrache ?
Par la force des tiges, comme par leur faiblesse, on peut, il est vrai, présumer à l’avance que la récolte sera productive ou médiocre. Mais que de doutes on
doit garder sur le résultat ! Les tubercules peuvent apparaître fort beaux, ou dans un triste état, piqués, rongés ou malades. Ils peuvent être nombreux, mais
petits, ou bien gros, mais alors rares. M. Edmond Couturier, dans l’Agriculture moderne (1896), nous semble avoir très bien exprimé cette idée. « La
récolte des Pommes de terre, dit-il, est sans contredit une des plus attrayantes. Je parle, bien entendu, de la récolte faite par le propriétaire lui-même, et par
des amis venus pour y participer en amateurs. L’attention y est continuellement tendue : on marche à la découverte, car on se trouve dans l’inconnu. À
chaque coup de crochet donné, on met à l’air un produit plus ou moins important par son abondance ou par sa beauté. Tantôt c’est un succès exceptionnel,
tantôt c’est une complète déception ».
La récolte faite, et autant que possible par un temps beau et sec, il ne restera plus qu’à faire le choix des tubercules-semence, pour l’année suivante, que
l’on disposera sur des clayettes. Quant aux tubercules de consommation, l’on devra les conserver différemment, c’est-à-dire à l’abri de la lumière pour
qu’ils ne verdissent pas, et prendre soin de détruire les pousses sur ceux qui viendraient à germer. Il appartient à chacun de prendre à ce sujet les mesures
les plus convenables pour assurer cette double conservation.
On se rappelle qu’il a été déjà question, vers la fin du XVIIIe siècle, d’utiliser les fanes de Pommes de terre, comme fourrage. Cet usage n’avait pas tardé à
donner lieu à certaines réprobations. Données vertes aux bestiaux, on avait remarqué qu’elles causaient des accidents parfois assez graves. Payen et
Chevallier[1], ainsi que Bonjean[2] recommandaient de les exposer pendant quelques jours au soleil, pour les dessécher et faire volatiliser le principe vireux
quelles recèlent, puis de ne les donner aux animaux qu’en y mêlant une petite quantité de sel marin.
D’après M. Heuzé[3], les vaches doivent seules consommer les tiges vertes de la Pomme de terre, et non les bœufs et les moutons. « Les vaches laitières,
dit-il, qui en mangent rationnellement, donnent toujours du lait en plus grande abondance, mais ordinairement plus caséeux ».
D’un autre côté, la question s’est posée de savoir si, pour se procurer ce fourrage, la coupe des fanes n’était pas plutôt nuisible que profitable à la Pomme
de terre. Payen et Chevallier citent à ce sujet une expérience devenue classique de Mollerat, qui a fait connaître les effets de cette coupe à quatre différentes
périodes : A, coupe immédiatement avant la floraison ; B, coupe immédiatement après la floraison ; C, coupe un mois plus tard ; D, coupe un autre mois
plus tard. Voici les résultats constatés en poids :
Produit d’un hectare.
A… 33,333 kilog. de fourrage vert pour 4,300 kilog. de tubercules.
B… 33,333 — 16,330 —
C… 35,700 — 30,700 —
D… 22,300 — 41,700 —
Il y a un si grand intérêt à retarder la coupe qu’il semble y avoir profit de l’abandonner.
Après la récolte, on peut utiliser les fanes des Pommes de terre comme engrais : de la sorte, elles restituent en partie au sol ce qu’elles lui ont enlevé.
Mais, dans ces derniers temps, on s’est avisé d’en tirer parti pour en faire du papier. C’est en Hollande, dans la province de Groningue, que des fabricants
de papier ont eu l’idée de se servir pour cela des grandes quantités de fanes qui résultaient de la culture intensive de la Pomme de terre dans cette Province.
Les premiers essais de cette fabrication nouvelle paraissent avoir donné déjà de très bons résultats. Il semble même que les fabricants n’aient plus qu’un
désir, ce serait de pouvoir augmenter considérablement leur stock de fanes de Pommes de terre, dont ils paient la tonne jusqu’à 5 fr. 60.
À une certaine époque, on avait aussi cherché à utiliser les baies de Pommes de terre pour en faire de l’eau-de-vie. Ces baies étaient alors fort abondantes
dans les cultures où elles se perdaient. Mais aujourd’hui que les variétés, les plus recherchées pour leur rendement, ont perdu la force nécessaire à la
production des fruits qui caractérisait les anciennes variétés ; que tout l’effort du cultivateur a pour but d’obtenir de plus gros tubercules, ce qui entraîne
physiologiquement la diminution de la force florifère et fructifère, et que les tiges par suite ou ne fleurissent point, ou ne portent que des fleurs caduques et
stériles, il ne peut plus être question de cette pratique d’autrefois, d’autant qu’on est parvenu à utiliser facilement dans le même but les tubercules de la
Pomme de terre.
Avant de passer en revue les divers usages que l’on peut faire de ces tubercules, il convient de se faire une idée de ce qu’ils contiennent.
Payen et Chevallier nous ont fait connaître, en 1826, les proportions de substance nutritive contenues dans plusieurs variétés de Pommes de terre. Le
tableau détaillé qu’ils ont publié à ce sujet n’a plus pour nous d’intérêt, car presque toutes ces variétés ont disparu de nos cultures. Mais nous pensons qu’il
y a lieu de relever leurs minima et maxima d’eau et de matière solide. C’est ainsi que sur 100 parties, la quantité d’eau variait de 64,25 à 79,50, et celle de
la matière solide de 20,50 à 35,75. Il y a donc, en moyenne, presque les deux tiers d’eau pour un tiers de matière solide.
Mais cette proportion est elle-même très variable quand on compare les récoltes faites sur des terrains plus ou moins humides. Les mêmes auteurs ont
cité les constatations suivantes, dont nous n’indiquons ici que les maxima et minima, sur 100 parties de variétés diverses :
Eau. Matière solide.
Terrain très humide de 74,50 à 87 de 13 à 25,50
Terrain humide de 77 à 84 de 16 à 23
Terrain sablonneux de 67,50 à 79,50 de 20,50 à 32,50
Ils ajoutent aussi qu’ils ont observé que la quantité d’eau qui existe dans les Pommes de terre, au moment de la récolte, est plus grande que celle que l’on
y rencontre quelques mois après.
Mais, indépendamment de l’eau que contiennent les tubercules, la matière solide qui l’accompagne en est la partie intéressante[4]. Que renferme-t-elle,
ou plutôt quelle en est la composition ? Vauquelin a publié les résultats de l’analyse qu’il en avait faite. Nous, les résumons ici.
Ce savant chimiste avait reconnu que les tubercules, appartenant aux diverses variétés qu’il avait analysées, contenaient des quantités différentes
d’amidon, et que les proportions variaient depuis 1/8 jusqu’à 1/4 ; mais il observa que tout l’amidon ne pouvait être retiré du parenchyme, et que celui-ci en
retenait toujours une certaine proportion qu’il a évaluée des 2/3 aux 3/4. De plus, sur toutes ces variétés, onze n’ont diminué que des 2/3 par la dessiccation,
et ce sont justement celles qui ont donné le plus d’amidon ; dix ont perdu les 3/4, et six près des 4/5 par la même opération.
Voici ce que Vauquelin a trouvé dans les matières solubles qui constituent les deux ou trois centièmes de la masse totale :
1° Matière animale particulière 0,004 à 0,005
2° Albumine colorée 0,007
3° Citrate de chaux 0,012
4° Asparagine 0,001
5° Résine amère, aromatique et cristalline
6° Phosphate de potasse
7° Phosphate de chaux Quantité indéterminée.
8° Citrate de potasse
9° Acide citrique, en partie libre, en partie combinée
Vauquelin comparait la saveur de la matière animale de la Pomme de terre à celle des Champignons comestibles. Ce seraient cette matière animale et la
résine aromatique qui, suivant leur proportion contenue dans les tubercules, leur donneraient un goût plus ou moins agréable.
Enfin, Bonjean résume ainsi, en 1846, les diverses analyses de la Pomme de terre :
1° Fécule, en moyenne 0,16
Matière animale particulière ; Résine amère aromatique ; Parenchyme ou matière fibreuse ; Solanine ; Asparagine ; Albumine colorée ; Principe sucré ; Principe gommeux ; Citrate de chaux ;
2° 0,09
Citrate de potasse ; Phosphate de potasse ; Phosphate de chaux ; Acide citrique libre ; Silice ; Alumine ; Magnésie ; Manganèse ; Oxyde de fer ; Iode ; Brome
Notons cette proportion de seize centièmes d’amidon ou de fécule qui rendent les tubercules de la Pomme de terre utilisables à divers titres.
En 1897, M. Balland faisait connaître à l’Académie des Sciences les résultats de son travail d’analyse sur la composition des Pommes de terre. D’après
lui, les variétés de la Pomme de terre s’étant multipliées d’une façon prodigieuse, il était difficile de les analyser toutes ; il a donc limité ses recherches aux
principales. Les premières analyses lui ont permis de constater que la proportion d’eau, trouvée dans les tubercules, est indépendante de leur grosseur et de
la variété, mais intimement liée à la nature du sol ; que la matière azotée était loin d’être uniformément répartie dans toutes les variétés ; que la composition
des petits tubercules ne diffère pas sensiblement des gros qui ont atteint tout leur développement.
Enfin, rapprochement intéressant, la proportion des matières azotées et amylacées, renfermées dans 3 kilos de Pommes de terre avant ou après cuisson à
l’eau, est sensiblement la même que dans un kilo de pain blanc ordinaire.
§ 1. Préparations alimentaires. — On a pu remarquer qu’à la fin du XVIe siècle, John Gerarde disait que les Pommes de terre pouvaient être préparées
de diverses façons par les soins d’un habile cuisinier ; que Charles de l’Escluse les trouvait non moins sapides et agréables au palais que les Navets eux-
mêmes ; qu’Olivier de Serres assurait que, quant au goût, le Cuisinier les appareille de telle sorte, qu’elles se rapprochent des Truffes. Ces éloges paraissent
être restés lettre morte pour le siècle suivant. Au XVIIIe siècle. De Combles nous apprend qu’on savait tirer parti du précieux tubercule au point de vue
culinaire. Mais quelle répugnance générale n’apportait-on pas encore à sa consommation !
Il était réservé à Parmentier d’en entreprendre, pour ainsi dire, la réhabilitation. Nous ne pensons mieux faire que de rappeler ici ce qu’il publiait à ce
sujet, en 1789, dans son Traité sur la culture et les usages des Pommes de terre.
« Usage des Pommes de terre en nature. — Elles se déguisent, disait-il, de mille manières différentes sous la main habile du Cuisinier, en perdant dans
les accommodages le petit goût sauvage qu’on leur reproche quelquefois. On en prépare des pâtes de légumes, des boulettes excellentes ; on les mange en
salade, à l’étuvée, au roux, à la sauce blanche, avec la morue, en haricot, en friture et sous les gigots ; on en farcit les dindons et les oies. Mais un moyen
simple d’en faire un mets délicat, sur le champ, c’est quand elles sont cuites et un peu rissolées à leur surface, de les ouvrir et d’y mettre du beurre frais, du
sel et des petites herbes hachées.
» L’extrême facilité avec laquelle la Pomme de terre se prête à toutes sortes de métamorphoses, m’a fait naître l’idée d’en composer un repas entier,
auquel j’invitai plusieurs amateurs éclairés, choisis dans les différens ordres[5]. Le dîné fut gai ; et si, comme on l’a souvent avancé sans preuves, nos
racines sont assoupissantes, lourdes et indigestes, elles produisirent sur les convives un effet absolument contraire. C’est ainsi, je crois, qu’il faut s’y
prendre, quand on veut combattre avec quelque succès les préjugés toujours prêts à s’armer contre les objets utiles, aussi bien que contre les nouveautés
agréables.
« Cuisson des Pommes de terre. — Le procédé de cuire les Pommes de terre à la vapeur de l’eau bouillante peut s’exécuter facilement… Il suffit que le
vaisseau qui contient les objets ne touche point à l’eau, et que la vapeur de ce fluide en ébullition y arrive fort chaude : ce vaisseau pourroit bien être tout
simplement un panier d’osier qui entreroit dans une marmite à quelque distance du fond et des parois : quand les Pommes de terre seroient cuites, on
pourroit les retirer au moyen de deux anses aussi d’osier attachées au rebord du panier. Déjà nos femmes de marché vendent ces racines comme des
châtaignes, après les avoir fait cuire à la vapeur de l’eau, au moyen d’une claie ou d’un grillage placé au-dessus de l’eau dans le chaudron garni d’un
couvercle qui ferme exactement[6].
» Usage des Pommes de terre non mûres. » — Il arrive souvent que le besoin ou l’amour des primeurs font arracher les Pommes de terre avant qu’elles
ne soient parfaitement mures, et qu’on les mange avec une sorte d’avidité, sans que leur usage soit suivi d’aucuns inconvénients. Les Anglois en sont si
friands, qu’on en voit dans les marchés de Londres, lorsque à peine ces tubercules sont formés, ainsi que beaucoup d’autres racines. On enlève les plus
grosses en fourrant la main sous le pied sans remuer la plante ; on couvre ensuite le trou avec le plus grand soin : elle n’en continue pas moins sa végétation
jusqu’au véritable moment de la récolte, mais il faut éviter d’opérer pendant les grandes chaleurs. Cette circonstance bien avérée prouve qu’elles sont déjà
douées alors de leurs propriétés et devroit rassurer les hommes chargés de veiller à la salubrité des aliments, et les empêcher de proscrire l’usage des
Pommes de terre, sous le simple soupçon que n’ayant pas atteint la perfection de leur maturité, elles peuvent, comme les grains dans ce cas, devenir
dangereuses à la santé ».
Ce procédé d’arrachage anticipé n’est plus employé, depuis qu’en Angleterre comme en France les variétés hâtives ont permis de faire des récoltes plus
tôt qu’autrefois, et surtout depuis que le Midi de la France et l’Algérie peuvent nous envoyer vers Pâques des Pommes de terre de primeur.
Mais, en 1809, dans le Dictionnaire raisonné d’Agriculture, Parmentier s’exprimait ainsi, à propos des usages de la Pomme de terre pour l’homme :
« De toutes les propriétés qui rendent les Pommes de terre recommandables aux habitants des villes et des campagnes, la plus précieuse est celle de leur
offrir un comestible tout fait ; ils peuvent aller dans leur champ déterrer ces racines à onze heures, et avoir à midi une nourriture comparable au pain.
» Les Cantons, qui ont adopté cette culture, attendent avec impatience la saison qui ramène ce légume sur nos marchés, et la privation d’un pareil bienfait
serait un véritable fléau pour eux. Il existe maintenant en Europe des pays entiers qui en font pendant l’hiver leur principale nourriture : eh ! pourquoi
l’aliment de ces racines serait-il plus grossier que celui des semences graminées ou légumineuses ? Il n’y a pas de farineux non fermentés qu’on puisse
manger en plus grande quantité et aussi souvent que des Pommes de terre ; mais elles ne sont pas seulement l’aliment le plus simple, le plus commode et le
plus salutaire pour l’homme, elles peuvent devenir le meilleur engrais pour le bétail ».
§ 2. Du Pain de Pommes de terre. — « La possibilité, dit Parmentier, entrevue par les Irlandois dès 1740, de transformer les Pommes de terre en pain,
c’est-à-dire d’augmenter la masse de celui qu’on prépare avec la farine de différens grains, a eu de nos jours une vogue étonnante ; chacun a prétendu au
mérite de l’invention, et tout le monde a cru réellement que ces racines, confondues dans la pâte ordinaire, avoient disparu à la faveur du pétrissage, de
manière à ne présenter après la cuisson qu’un tout homogène parfaitement levé, en un mot un véritable pain ».
Mais Parmentier n’était pas partisan de cette panification, et bien qu’il parle de cette sorte de pain, et même d’un biscuit de mer de sa façon, il ne laisse
pas de s’écrier en forme d’observation : « Puisque les Pommes de terre cuites dans l’eau ou à sa vapeur, et assaisonnées de quelques grains de sel, sont une
sorte de pain, très digestible, que la Providence offre tout fait aux hommes, qui nourrit également bien : qu’est-il nécessaire de soumettre ces racines à une
préparation compliquée et dispendieuse, qui ne fait que diminuer leur volume et ajouter au prix de l’aliment ? L’opération de les cuire est si simple, si
facile, si peu coûteuse ! Elle est préparée avec tant de succès chez des nations éclairées ! »
Aujourd’hui qu’aux récoltes en Blé de l’Europe viennent s’ajouter une bonne partie de celles de l’Amérique, la crainte des disettes est dissipée, à moins
toutefois que de mauvaises récoltes ou de trop faibles importations ne viennent la faire naître de nouveau. Elle ne l’était pas encore en 1845, après
l’apparition de la redoutable maladie des Pommes de terre, et Bonjean n’oublie pas de donner de nouveaux détails sur la panification de la Pomme de terre,
ou bien de sa fécule. D’après cet auteur, le pain de Pommes de terre pures peut se préparer avec parties égales de farine de froment et de tubercules cuits,
plus un peu de sel. Mêlée avec la farine de froment dans des proportions qui doivent avoir des limites, la fécule forme un excellent pain. C’est ainsi qu’une
partie de fécule et quatre parties de farine de froment fournissent un pain de bonne qualité et très nourrissant.
§ 3. De la Polenta de Pommes de terre. — Payen et Chevallier, en 1826, nous font connaître un procédé particulier de préparation à chaud de pâte de
Pommes de terre, écrasées après la cuisson, tamisées dans un vermicelloire, et la masse obtenue séchée à l’étuve. Lorsque la dessiccation de cette pâte était
terminée, on portait la substance, dite polenta, au moulin, et suivant le blutage on obtenait de la farine, de la semoule ou du gruau. D’après ces auteurs, les
prix nets de revient de cette sorte de préparation étaient remarquables. Ainsi, un kilo de ce gruau de première qualité, formant 16 potages, pouvait être
vendu au consommateur pour fr. 60, chaque potage revenant à moins de 4 centimes, et un kilo de ce gruau de seconde qualité ne valait que fr. 40, et chaque
potage 2 centimes 1/2.
§ 4. Du riz de Pommes de terre. — En 1824, M. Chauveau avait pris un brevet pour cette préparation, que Payen et Chevallier font connaître en ces
termes : « On prend la Pomme de terre, on la lave, on la retire de l’eau, on la met à égoutter, on la coupe par morceaux que l’on divise en les faisant passer
avec force à travers un tamis de laiton, placé au-dessus d’un moule de fer blanc à bords relevés ; le tubercule, pressé sur le tamis, tombe, divisé, et blanc
comme de la neige, sur le plateau ; on emplit celui-ci jusqu’à la hauteur des bords. Le plateau étant rempli, on le porte dans un four, qui doit être aussi
chaud que pour la cuisson du pain : on connaît que la matière a été assez chauffée lorsqu’elle se détache des plateaux ; on la tire alors du four, on la
concasse de suite dans un grand mortier ; lorsqu’on l’a obtenue en morceaux à peu près de la grosseur d’un macaron, on la porte dans un moulin semblable
à ceux employés à la mouture du tabac ; ces morceaux se divisent inégalement ; lorsque la matière a subi la mouture, on la passe dans différens tamis, et on
en tire du riz de trois espèces de grosseur, et de la farine de riz. La 1re grosseur s’appelle Riz de Pommes de terre ; la 2meSagou de Pommes de terre ; la 3me,
Semoule de Pommes de terre ; la 4me, Fleur de riz de Pommes de terre. Le riz peut remplacer le Riz ordinaire ; le Sagou s’emploie pour potages ; la
Semoule, pour préparer des bouillies aux enfants, et la Fleur de riz, plus délicate, de même ».
§ 5. Fromage de Pommes de terre. — En Lorraine, au XVIIIe siècle, on avait la spécialité de fabriquer ce Fromage. Il n’en est plus question aujourd’hui.
Pourtant, en 1826, Payen et Chevallier disaient encore : « L’addition de la Pomme de terre dans le fromage rend cette substance plus nutritive et d’une
digestion plus facile ; elle est usitée en Saxe, où on l’opère de la manière suivante : lorsque le lait est pris en caillé, et que celui-ci s’est égoutté pendant
quelques heures, on épluche des Pommes de terre bien cuites, on les divise le plus possible en les pilant dans une passoire en cuivre, et les forçant à passer
au travers des trous, et l’on pétrit la pâte de Pommes de terre, ainsi préparée, avec le caillé ; lorsque le mélange est bien intime, on laisse reposer pendant
deux ou trois jours ; alors on pétrit de nouveau toute la masse, et l’on met dans les formes ordinaires la pâte homogène qui en résulte ».
§ 6. Nourriture du bétail. — Parmentier disait à ce sujet, en 1809, en préconisant l’emploi des Pommes de terre pour engraisser le bétail : « Tous les
animaux s’accommodent indistinctement de ces racines ; elles peuvent remplacer tous les autres végétaux alimentaires, crues ou cuites[7] selon les
ressources locales, en observant toujours la précaution de les diviser dans le premier cas, et d’attendre dans le second qu’elles soient un peu refroidies ; de
régler la quantité qu’on en donne sur la force, l’âge et la constitution du sujet ; d’y ajouter du fourrage ou des grains, car l’usage d’une seule et même
espèce d’aliment n’aiguillonne pas l’appétit ; les mélanges plaisent à tous les êtres, ils redoutent la fatigante uniformité.
» Un boisseau pesant 15 à 18 livres environ, par jour, indépendamment du foin que l’on jette toujours dans le râtelier, nourrit très bien les bœufs destinés
à la boucherie ; il en faut un peu moins pour les vaches, qui alors donnent du lait en abondance ; cette nourriture soutient également les chevaux à la
charrue : dès qu’ils en contractent l’habitude, ils frappent du pied aussitôt qu’ils voient arriver le panier qui contient les Pommes de terre ; elle est propre
aussi aux moutons à l’engrais, aux boucs, aux chèvres, qui profitent beaucoup, aux cochons et aux oiseaux de basse-cour ; il n’y a pas jusqu’au poisson qui
ne trouve un aliment dans la Pomme de terre ; il suffit de la lui jeter en boulettes dans les étangs et les viviers ».
Du reste, depuis fort longtemps, les tubercules de la Pomme de terre, crus ou cuits, ont été donnés comme nourriture au bétail. « Lorsque Parmentier et
M. Cadet de Vaux, disent Payen et Chevallier, commencèrent leurs nombreux et utiles essais sur les Pommes de terre, ces tubercules, dédaignés des riches
et des pauvres, ne servaient pas même de nourriture aux animaux domestiques, si ce n’est au porc lui seul ; c’était, pour ce temps, une preuve de plus de la
gloutonnerie de cet animal ». D’après ces auteurs, il vaut mieux donner aux porcs ces tubercules cuits que crus, avec diverses eaux de lavage : ils
recommandent aussi d’en donner aux chevaux et préconisent pour les bœufs et les moutons la farine brute de Pomme de terre. D’après M. Heuzé, cet usage
s’est maintenu, car il dit que la Pomme de terre crue est très lactifère et convient aux vaches laitières, aux brebis nourrices, en l’alliant à des aliments secs,
paille ou foin. Il ajoute que la Pomme de terre cuite serait moins lactifère, qu’on l’emploie plus spécialement dans l’engraissement des bêtes bovines, des
moutons et des porcs, et qu’on l’utilise pour l’engraissement de la volaille.
Lorsque la Maladie spéciale, causée par le Phytophtora, a sévi, en 1845 et dans les années suivantes, sur presque toutes les cultures de Pommes de terre,
on a cherché à tirer parti des tubercules plus ou moins malades, et l’on a reconnu que les portions encore saines de ces tubercules pouvaient être sans
inconvénients données au bétail. Ce procédé peut être encore employé aujourd’hui, en retranchant des tubercules les parties atteintes par l’une quelconque
des maladies, dont nous avons fait plus haut connaître tous les détails.
Quant aux Pommes de terre gelées, on a trouvé également le moyen de les utiliser. On les fait dégeler rapidement dans de l’eau tiède, puis on les coupe
en tranches que l’on échaude avec soin et que l’on dessèche ensuite au four. On conserve ensuite le tout bien à sec, et on le fait consommer au fur et à
mesure par le bétail.
§ 7. Extraction de la fécule. — Parmentier, en 1789, traitait déjà cette importante question : « Pour obtenir cette fécule, disait-il, il faut : 1° laver les
Pommes de terre ; 2° les râper ; 3° extraire l’amidon ou fécule ; 4° la sécher à l’étuve. Quand les Pommes de terre sont bien lavées, on les jette toutes
mouillées dans la trémie du moulin : les racines une fois divisées, tombent dans un baquet placé sous le moulin, ayant la forme d’une pâte liquide, et qui, de
blanche qu’elle étoit d’abord, devient d’un brun foncé. À mesure que le baquet se remplit, on met la pâte qu’il contient dans un tamis de crin d’une
dimension égale à celle du baquet sur lequel il pose, et l’eau qu’on y verse entraîne avec elle l’amidon qui se dépose à la partie inférieure. Lorsqu’on
s’aperçoit à la couleur rougeâtre de la pâte, qu’il ne reste plus d’amidon, on la presse entre les mains. Dans le tamis est la matière fibreuse, que l’on peut
employer utilement à la nourriture des bestiaux. Le dépôt étant achevé, on jette l’eau qui le surnage, et on en ajoute de nouvelle tant qu’elle est colorée : on
agite le tout au moyen d’une manivelle, jusqu’à ce qu’elle forme un lait : on le transvase ensuite dans un autre baquet au-dessus duquel est un tamis de
soie ; et dès que la fécule est déposée on jette l’eau : on en ajoute deux ou trois pintes environ pour enlever la crasse qui salit la superficie, ce qu’on nomme
dégraisser. On agite de nouveau, on remplit le baquet deux ou trois fois d’eau ; c’est alors que l’amidon est blanc et pur. Puis on enlève le précipité bien
lavé, on le divise par morceaux que l’on distribue sur des tablettes à claire-voie garnies de papier : quand il est un peu ressué à l’air, on le porte à l’étuve. À
mesure qu’il se sèche, il perd le gris sale qu’il avoit au sortir de l’eau pour prendre l’état sec, blanc et brillant. Passé ensuite à travers un tamis de soie, il
acquiert une ténuité comparable au plus bel amidon ».
Ce mode d’extraction était assez simple. On conçoit qu’avec le temps et les nécessités de plus grandes opérations, les arts techniques ont singulièrement
amélioré ce procédé primitif, et nos féculeries actuelles ne laissent plus rien à désirer sous ce rapport Mais en somme, le principe est le même, et c’est ici
tout ce qu’il nous est nécessaire de connaître.
§ 8. Fabrication du sirop de fécule. — « La conversion de la fécule en sucre, disaient Payen et Chevallier, indiquée d’abord par Kirchoff, est restée
longtemps un procédé de laboratoire… Cependant l’utilité du sirop de Pommes de terre est suffisamment établie dans d’autres applications, pour que l’on
doive regarder cette nouvelle branche d’industrie comme très importante, l’une de celles auxquelles la Pomme de terre doit sa plus grande consommation ».
D’après Bonjean, Kirchoff, chimiste russe, a découvert qu’en faisant bouillir de la fécule avec de l’eau additionnée d’acide sulfurique, elle disparaissait
complètement, en donnant naissance à une liqueur sucrée. En effet, l’acide sulfurique convertit la fécule en matière sucrée par l’effet de la réaction qu’il
détermine entre les éléments de la fécule et ceux de l’eau… Pour saccharifier 25 livres de fécule, il faut employer 50 livres d’eau et une livre d’acide
sulfurique à 66 degrés. Pour procéder à la saturation de l’excès d’acide employé, on emploie la chaux caustique et le carbonate de chaux, qui forment avec
l’acide sulfurique un sel insoluble qu’il est ensuite facile de séparer du sirop par la filtration. On peut aussi saccharifier la fécule avec l’orge germée qui
renferme un principe appelé diastase, lequel possède la propriété de dissoudre des quantités énormes de fécule, deux mille fois son poids. En concentrant le
sirop de fécule jusqu’à 45° et le versant ensuite dans des cristallisoirs, il se prend en masse et constitue le sucre de fécule, qu’on vend dans le commerce
sous le nom de glucose.
« L’emploi le plus important du sirop de fécule, ajoutaient Payen et Chevallier, est dans la fabrication de l’alcool ; on fait aussi un assez grand usage de
ce sirop pour la préparation du vinaigre blanc. On peut le faire entrer aussi dans la composition de la bière ». Il serait trop long d’énumérer ici les autres
emplois dont est susceptible le sirop de fécule.
§ 9. Fabrication de l’eau de vie de Pommes de terre. — Parmentier a eu non seulement des doutes sur la possibilité de cette fabrication, mais des
craintes qu’elle ne se réalisât. « A l’égard de mes recherches, disait-il en 1789, pour développer dans ces racines la faculté fermentescible, quoique la chose
m’eût paru d’abord impossible, à cause du moteur qui leur manque, j’avouerai que je n’ai pas balancé à suivre avec l’attention la plus scrupuleuse, toutes
les recettes, tous les procédés annoncés, sans avoir jamais entrevu une apparence de réussite.
» Que penser donc des auteurs qui ont annoncé qu’il suffisoit de passer les Pommes de terre au moulin, et de mettre tout ce qui en provient dans des
futailles en fermentation pour avoir une liqueur spiritueuse ? Ces écrivains s’en sont rapporté sans doute à l’expérience des autres, et s’ils eussent pris la
peine de la vérifier par eux-mêmes, je ne serois pas forcé aujourd’hui d’en ontester le succès. J’ajoute enfin que la réussite obtenue en Angleterre, en
Allemagne et en Suisse, est due, ou à des matières sucrées jointes à ces racines, ou plutôt à leurs baies, qui, comme la plupart des fruits, renferment toujours
un corps muqueux, sucré et doux, plus ou moins développé. Les eaux de vie qui m’ont été adressées sous le nom d’Eau-de-vie de Pomme de terre, n’ont
rien de particulier que la saveur empyreumatique qui leur est étrangère. Je déclare que toutes sont originaires des baies.
» Si les Pommes de terre ne sauroient passer à la fermentation vineuse, je crois que cette circonstance, loin d’être déplorable, ne peut leur être que très
avantageuse : il eût été à craindre que le peuple de certaines contrées, déjà très enclin à l’usage des liqueurs fortes, ne changeât en poison ce que la Nature
lui présente en aliment soluble. »
On sait aujourd’hui que ces craintes de Parmentier ne devaient, par malheur, que trop bien se réaliser.
« Depuis longtemps, disaient en 1826 Payen et Chevallier, on sait que les Pommes de terre cuites, réduites en bouillie et mises à chaud, en contact avec
de l’orge germée et concassée, sont susceptibles de fermenter et de donner une grande quantité d’alcool. Ces résultats ont été fournis par la pratique de la
fabrication en grand de l’eau-de-vie de Pommes de terre… M. Kirchoff a démontré que la réaction du gluten sur la fécule convertit celle-ci, à l’aide de la
chaleur, en une substance soluble, sucrée, susceptible de subir, par son mélange avec la levure, la fermentation alcoolique ; dès lors, il fut facile d’expliquer
la formation de l’alcool dans l’opération des distillateurs de Pommes de terre ; on reconnut qu’il se formait d’abord du sucre aux dépens de la fécule, et que
la réaction de la levure produisait ensuite l’alcool ».
D’après Bonjean, lorsque la fermentation, qui se manifeste par une vive effervescence dans la liqueur, est terminée, ce qui a lieu dans l’espace de 3 à 5
jours, selon la saison, il faut se hâter de distiller, autrement la liqueur s’acidifie promptement, car quelques heures suffisent pour la convertir entièrement en
vinaigre. La distillation est fondée sur ce que la partie spiritueuse ou alcoolique d’un liquide quelconque fermenté, est beaucoup plus volatile que l’eau ; il
suffit donc de soumettre à l’ébullition, dans un alambic, la liqueur fermentée ; l’alcool plus volatil, se vaporise le premier, et l’eau reste. On obtient ainsi de
l’eau-de-vie ou alcool faible à 18 ou 20 degrés, qui, distillée de nouveau au bain-marie, peut fournir la moitié de son poids d’alcool à 32 ou 34 degrés. Cet
alcool a une forte odeur de Pommes de terre ; on le réserve principalement pour les usages industriels.
Mais n’était-il pas possible de parer à cet inconvénient de n’obtenir par la distillation qu’un alcool à odeur empyreumatique ?
« Quels que soient, disaient déjà en 1826, Payen et Chevallier, la méthode que l’on ait employée dans la préparation du moût de Pommes de terre, et les
soins que l’on ait pris pendant la fermentation, enfin l’appareil qui ait servi à la distillation, les produits alcooliques obtenus contractent toujours un goût
désagréable plus ou moins prononcé. Cet effet paraît tenir à la présence d’une huile essentielle préexistante dans les tubercules, et qui accompagne toujours
la fécule et les autres produits de la Pomme de terre. Il est du moins certain que cette huile a été obtenue en quantité notable dans la rectification des alcools
de fécule ; on a même étudié ses propriétés et reconnu son action délétère sur l’économie animale. Parmi les divers moyens essayés pour enlever le
mauvais goût à l’eau-de-vie de Pommes de terre, l’application du chlorure de chaux a paru offrir les résultats les plus assurés : il réagit, par le chlore qu’il
contient, sur les éléments de l’huile essentielle dont cette altération détruit les propriétés caractéristiques. La proportion nécessaire du chlorure de chaux est
très importante, car le plus léger excès de chlore laisse à l’eau-de-vie un goût tout aussi désagréable que celui que l’on voulait enlever… On délaye le
chlorure de chaux dans à peu près dix fois son volume d’eau, et après diverses décantations on obtient un liquide clair que l’on verse dans l’eau-de-vie de
Pommes de terre. On brasse bien le mélange : on laisse déposer pendant 10 ou 12 heures ; on redistille ensuite, et si l’on n’a pas excédé la proportion de
chlorure nécessaire, on obtient de l’alcool sans odeur et sans goût désagréables. »
§ 10. Préparation de la Dextrine ou Comme d’amidon. — Bonjean signale encore un autre produit que l’on prépare avec la fécule de Pommes de
terre. D’après cet auteur, la fécule, légèrement torréfiée, devient soluble dans l’eau froide à la manière des gommes. Biot et Persoz ont donné à ce produit le
nom de dextrine. C’est une matière d’apparence gommeuse, dans laquelle se transforme la partie interne de l’amidon, dans diverses circonstances, et entre
autres sous l’influence de la chaleur, des acides ou de l’orge germée.
La dextrine pure est blanche, insipide, sans odeur, très transparente sous forme de plaques minces, friable et à cassure vitreuse, lorsqu’elle est bien
desséchée. Elle se dissout très bien et en grande quantité dans l’eau, soit à froid, soit à chaud ; la dissolution concentrée prend l’état sirupeux et offre en se
solidifiant l’état amorphe de la gomme arabique.
Quant à son usage, Dumas distinguait la dextrine sirupeuse ou liquide, plus ou moins sucrée, obtenue par la réaction de la diastase, de la dextrine
pulvérulente ou fécule soluble et gommeuse. La première peut servir à la confection de la bière, ou pour édulcorer et gommer des tisanes, pour fabriquer
des pains de luxe dits de dextrine et de facile digestion, ainsi qu’à plusieurs autres usages industriels. La dextrine pulvérulente devient chaque jour plus
usuelle dans les apprêts, encollages, application des mordants, impression et gommage des couleurs, composition des bains mucilagineux à imprimer sur
soie, collage des papiers à lavis, etc. L’art chirurgical a su également en tirer un très bon parti, pour des bandages légers et solides.
Ainsi donc, qui aurait pu croire que cette Pomme de terre, originaire du Chili, restée presque à l’état sauvage au Pérou où elle était cultivée depuis un
temps immémorial, introduite avec peine en Europe au XVIe siècle, méprisée et dédaignée au XVIIe, médiocrement estimée au XVIIIe, prendrait au XIXe siècle
la place importante qu’elle occupe aujourd’hui dans toutes les transactions de la vie, dans les préoccupations de presque tous les peuples ? Et n’est-ce pas le
cas de dire, en terminant, avec Claude Gay, qu’on ne peut assez l’admirer comme la plus belle conquête que l’Europe ait pu faire dans le Nouveau-Monde ?
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Spedona
Jeffdelonge
Richardbl
Wuyouyuan
Pikinez
Phe
LBE
Zaran
Rical
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Abecido
Sapcal22
Marc
Zyephyrus
Acélan
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