Chapitre 1 Les Eleves Preferent Travailler Avec Les Outils Modernes Tandis Que Les Enseignants Sont Accroches A Leurs Vieux Outils

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Les élèves préfèrent


travailler avec
les outils modernes
tandis que les
enseignants sont
accrochés à leurs
vieux outils

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Le mythe
Il est fréquent d’entendre que les élèves d’aujourd’hui ont envie
de travailler avec les outils numériques car c’est leur culture et
que les usages du numérique dans la société sont très répandus.
Les perceptions que les élèves ont des outils numériques pour
leurs apprentissages seraient donc forcément positives. Les
élèves considèreraient que ces outils sont efficaces, motivants
et adaptés à leurs besoins. Cette assertion fait également écho
au mythe des digital natives, qui sera abordé dans le chapitre 12.
Dans le présent chapitre, nous considèrerons uniquement les
perceptions que les élèves ont des outils technologiques et non
le fait qu’ils seraient mieux adaptés à la nouvelle génération.
Nous interrogeons aussi les perceptions de ces technologies
par les enseignants, qui y seraient globalement défavorables.
Il ne s’agit donc pas ici de questionner l’effet des technologies
sur l’apprentissage et les motivations des élèves mais plutôt de
comprendre comment les élèves et les enseignants perçoivent
ces outils. Nous essaierons également de comprendre comment
se construisent ces perceptions.

Bilan des travaux scientifiques


Perceptions des outils numériques chez les apprenants
Différentes études se sont intéressées aux attitudes et percep-
tions que les apprenants, jeunes et moins jeunes, pouvaient avoir
des technologies nouvelles pour la classe et plus largement pour
les apprentissages.
L’ensemble des travaux semble relativement bien converger
sur cette question des perceptions des technologies par les
apprenants. Ils aboutissent généralement au constat suivant :
oui les outils numériques sont perçus plutôt positivement par les
apprenants ; cependant, ces perceptions ne sont pas homogènes

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au sein des populations d’apprenants et varient selon diffé-
rents facteurs. Par exemple, une étude menée auprès de 383
étudiants (Al-Emran, Elsherif & Shaalan, 2016) a interrogé leurs
attitudes vis-à-vis des apprentissages mobiles (M-Learning)
impliquant donc des outils technologiques mobiles (tablettes,
ordinateurs portables, smartphones). Les auteurs ont utilisé des
affirmations de type « la technologie mobile est un outil utile
pour mes études » pour évaluer les attitudes des étudiants. Dans
l’ensemble, la moyenne des scores d’attitude des étudiants est
plutôt positive. Cependant, des disparités existent entre étu-
diants. Par exemple, les étudiants possédant déjà une tablette et
un smartphone à titre personnel ont des attitudes plus positives
que ceux qui ne possèdent pas ces outils. Des différences entre
pays ont également été constatées. D’autres types de facteurs
expliquant des différences d’attitudes ont été mis en évidence
par Ardies, Maeyer, Gijbels & Keulen (2015). Leur étude portait
sur 2 973 lycéens belges et a révélé des différences d’attitudes
entre élèves selon le genre ou le type de métiers des parents
(métiers impliquant l’usage de technologies ou non). De manière
intéressante, l’étude a montré qu’il y avait une baisse des atti-
tudes positives entre la première année et la seconde année
d’étude des lycéens, ce qui supposerait alors que les pratiques
en contexte scolaire influenceraient les attitudes des élèves.
Plus spécifiquement, une revue de littérature a été menée sur
les perceptions que les élèves de l’enseignement primaire
et secondaire ont des tablettes tactiles pour l’apprentissage
(Mulet, Van De Leemput & Amadieu, 2019). Quarante-et-une
études internationales publiées entre 2000 et 2018 ont été
examinées. Dans l’ensemble, les résultats ont confirmé que les
élèvent avaient des perceptions positives des tablettes pour
l’apprentissage. Ces outils sont généralement perçus comme
faciles à utiliser et adaptés aux besoins d’apprentissage (c’est-
à-dire qu’ils permettent d’être rapide et efficace). Les tablettes
sont plutôt perçues comme facilitant l’apprentissage et rendant
les cours plus amusants et agréables. Les élèves les jugent utiles

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dans le sens où elles apportent des ressources supplémentaires
au cours et où ce sont des outils personnalisables. Néanmoins,
cette revue de littérature a pu mettre en évidence plusieurs
éléments pouvant modérer ces perceptions.
Tout d’abord, la perception de la facilité d’utilisation de ces outils
dépend de la nature de la tâche et de l’adéquation de l’outil avec
ces tâches. Des tâches comme la recherche d’information sur
Internet ou la gestion de documents amènent des perceptions
de facilité d’utilisation, tandis que tâches de production d’écrit
entrainent des perceptions plus négatives. Les élèves préfèrent
parfois utiliser des outils traditionnels tels que les livres ou le
papier et le crayon, selon les tâches.
Également, les perceptions des élèves sont parfois moins posi-
tives lorsqu’ils font face à des difficultés techniques, qui peuvent
entrainer une perte de temps et entraver l’apprentissage.
Enfin, selon les études, certains élèves jugent négativement les
tablettes car une utilisation prolongée de l’outil conduit à des
inconforts physiques (fatigue visuelle, douleur aux yeux, maux de
tête, etc.) ou encore parce qu’elles peuvent devenir une source
de distraction qui les détourne des tâches d’apprentissage. En
somme, les résultats mettent en évidence le fait que les percep-
tions sont complexes, parfois ambivalentes et peuvent différer
selon les élèves, les tâches et les contextes d’apprentissage.

Comment les enseignants perçoivent-ils les technologies ?

Nous soutenons, dans différents chapitres de cet ouvrage,


l’idée que le rôle des enseignants dans les environnements
d’apprentissage mobilisant des outils numériques est majeur.
Les enseignants tiennent une place centrale dans l’intégration
de technologies en classe et impactent les perceptions des
apprenants relatives aux technologies (Montrieux, Vanderlinde,
Courtois, Schellens & De Marez, 2014). Il est par conséquent
tout aussi fondamental de s’intéresser aux perceptions des
enseignants qu’à celles des élèves.

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Certains travaux conduits sur les perceptions des enseignants
ont révélé une grande hétérogénéité dans cette population.
Dong (2016) a par exemple montré que la moitié des 316 ensei-
gnants de maternelle interrogés à Shanghai estimaient que les
technologies numériques pouvaient être utiles pour les premiers
apprentissages et le développement des jeunes apprenants,
voire utiles pour leurs enseignements. Plus d’un tiers des ensei-
gnants restaient sur des perceptions assez neutres, et enfin une
minorité sur des perceptions plutôt négatives (par exemple
effet négatif des écrans sur la fatigue visuelle des enfants). On
retrouve également cette hétérogénéité sur les perceptions de
l’utilité de ces technologies pour l’enseignement dans une étude
de Ifenthaler & Schweinbenz (2013).
En revanche, ce n’est pas parce que des enseignants sont
convaincus que les outils peuvent être utiles à l’apprentissage et
à l’enseignement qu’ils s’engagent dans leur utilisation (Weitz et
al., 2006). Des perceptions positives ne sont donc pas suffisantes
pour prédire l’usage réel en classe. Les enseignants ne savent
pas toujours comment utiliser efficacement les outils numériques
dans leur pédagogie et leur perceptions positives peuvent par-
fois être construites à partir de croyances plus que d’expériences
d’usage avec les outils (Ifenthaler & Schweinbenz, 2013).

Un exemple
Si les perceptions des outils numériques varient entre élèves, elles
peuvent aussi varier chez un même élève au cours du temps. Or
peu de travaux se sont intéressés, jusqu’à ce jour, au caractère
dynamique des perceptions des élèves au cours des usages des
technologies en classe. La nouveauté peut être un facteur de
satisfaction pour les étudiants mais celle-ci s’estompe avec le
temps et la pratique. Il faut donc considérer les perceptions des
apprenants sur une durée longue, impliquant des usages des
technologies, et non simplement lors de l’introduction de celles-ci.
Deux études ont été menées par Mulet et al. (2019), l’une dans un

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collège, l’autre dans un lycée. L’objectif de ces deux études était
de comprendre comment évoluaient avec le temps les perceptions
des tablettes en classe en interrogeant les élèves à l’aide de ques-
tionnaires, avant introduction des tablettes en classe, puis après
plusieurs mois d’usage en classe. Une nouvelle fois, les résultats
ont confirmé des représentations très positives des tablettes chez
des lycéens et des collégiens avant l’introduction des outils en
classe. Mais chez les lycéens, ces perceptions positives chutaient
après plusieurs mois de présence des tablettes en classe. Les
difficultés techniques et d’organisation des activités pédago-
giques avec les tablettes semblent être la principale explication
de la détérioration des perceptions. À l’inverse, l’étude menée en
collège a révélé que les perceptions demeuraient stables voire
évoluaient positivement en fin d’année. Ici, à l’inverse de l’étude
dans le lycée, l’intégration des tablettes était faite et la pratique
d’activités avec tablettes était implantée dans l’établissement
depuis plusieurs années. Il semble également que la diversité des
activités pédagogiques avec les tablettes a contribué à maintenir
et améliorer les perceptions positives.
En somme, ces travaux montrent que les perceptions très posi-
tives avant l’introduction des technologies en classe sont très
sensibles aux contextes et aux usages des outils en classe. Les
perceptions antérieures à l’introduction des outils reflètent
davantage des attentes. Comme pour toute technologie « inno-
vante », les individus créent facilement des attentes idéalisées
quant aux capacités de ces technologies et aux possibilités
qu’elles offrent. La réalité des usages et des contextes d’usages
conduit généralement les individus à réviser leurs perceptions
initiales. Dans le cas des situations d’apprentissage, plusieurs
facteurs peuvent réduire l’enthousiasme des apprenants, à
savoir les difficultés techniques et organisationnelles ou encore
la fréquence et la nature des activités d’apprentissage.

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Conclusion
Les résultats présentés ici ne concernaient que les perceptions
des utilisateurs (apprenants et enseignants). Un utilisateur peut
tout à fait considérer qu’une technologie est plus utile pour lui
qu’un outil plus traditionnel alors que ses performances objec-
tives avec cette technologie seraient plus faibles, et vice versa.
Dans l’ensemble, les travaux cités ici indiquent que les outils inno-
vants ont tendance à être perçus positivement par les apprenants
qui y voient des potentialités pour leur apprentissage ou leur
motivation. Néanmoins, ces perceptions ne sont pas totalement
naïves et les apprenants sont généralement capables d’identifier
les limites et contraintes des outils concernés. En outre, ces per-
ceptions évoluent et dépendent beaucoup des activités mises
en œuvre en classe. Elles sont donc d’abord liées à la nouveauté
de l’outil introduit, mais, très vite, elles se construisent sur la
base des expériences d’utilisation de l’outil. Ceci met en avant le
rôle central des activités pédagogiques sur les perceptions des
outils. Si l’on entend souvent que les outils peuvent jouer sur
les motivations et l’engagement des apprenants dans les tâches
d’apprentissage (voir chapitres 7 et 8), on s’aperçoit ici qu'il faut
avant tout considérer que les activités jouent sur les perceptions
que les apprenants ont de ces outils numériques.
Par conséquent, ces conclusions nous alertent sur la nécessité
d’être très prudent avec les retours positifs des apprenants dans
les premiers temps d’utilisation des outils. Elles nous incitent à
réfléchir à des tâches pertinentes pour les objectifs d’appren-
tissage et adaptées aux apprenants.
En revanche, les études conduites sur les perceptions des
enseignants mettent clairement en évidence l’hétérogénéité
des perceptions. Il est intéressant de mieux comprendre les
raisons de cette hétérogénéité. Mais les enseignants n’ont pas
de perceptions négatives générales vis-à-vis des technologies.

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