Amoureuse Du Diable
Amoureuse Du Diable
Amoureuse Du Diable
J’ai la tête appuyée contre la vitre de ce bus qui m’emmène vers Monaco.
Cela fait deux ans que je ne suis partie nulle part. La vie d’hôtesse de caisse ne
laisse pas beaucoup de temps pour soi, et peu d’opportunités pour de
magnifiques voyages, excepté avec le CE. Je ne suis pas quelqu’un qui a l’esprit
de groupe, et me retrouver en tongs dans un pays étranger avec mes collègues,
très peu pour moi. Chaque mois, j’ai mis ce que je pouvais de côté pour me
payer une semaine dans un palace très prisé.
Spa, piscine, casino, rien ne manque, et je compte bien profiter de ce break
sous le soleil, loin de la grisaille de Paris. J’ai pris le train jusqu’à Nice et de là,
direction la ville des gens riches. Je vais faire tache parmi ces personnes
fortunées, moi qui ne le suis pas. Il m’a fallu deux ans pour économiser ce
voyage. Ma chambre supérieure avec vue sur la mer, qui a mes yeux est
exorbitante, ne doit être pour eux que de l’argent de poche.
Je ne dis pas qu’à Monaco tout le monde est aisé, il doit y avoir des gens
comme moi, même si c’est difficile à concevoir, car Monaco rime forcément
avec luxe. Je m’étais promis, après ce qu’il s’est passé, de faire un truc
extravagant, de déraisonnable que je n’aurais pas fait en temps normal.
Cela m’a fait réfléchir de rester immobilisée après mon accident de voiture.
Je n’ai pas toujours été caissière, non, avant pour gagner ma vie, j’écumais les
circuits de Nascar aux USA, parce que c’est ce que j’étais, une pilote hors pair,
sponsorisée par les plus grandes marques, adulée par un public en délire. Parfois,
je les entends encore quand je ferme les yeux, mais je me fais du mal, cette
époque est révolue.
Cette femme n’existe plus, je ne suis plus une aventurière, je ne connais plus
les montées d’adrénaline, l’odeur de l’asphalte, c’est fini. Il fallait que je
choisisse entre ma passion ou laisser mon nom sur une pierre, mais était-ce
vraiment une option ? Ma seule péripétie depuis ma sortie de l’hôpital est
d’avoir décidé de changer de vie, de balayer mon passé et mes blessures, et
d’organiser ce voyage en solitaire. Je vais bientôt fêter mes trente ans, et je
voulais un petit moment égoïste et frivole, ma mère m’y a encouragée. Le bus
s’arrête non loin de mon hôtel, je n’ai que quelques mètres à parcourir à pied.
Je descends et le chauffeur distribue les bagages. Je récupère le mien et je
vérifie sur mon téléphone ma réservation pour ne pas me tromper. Je fais
quelques pas et mes yeux sont attirés par ce petit bonhomme blond planté en
plein milieu de la route, quelques voitures l’évitent, ça klaxonne, bordel, qu’est-
ce qu’il fout là ? Sans réfléchir plus, je lâche tout ce que j’ai dans les mains et
cours vers lui pour l’attraper et l’attirer sur le bord du trottoir, pour le mettre en
sûreté.
Deux secondes plus tard, il se faisait happer par ce bus qui ne l’avait pas vu.
Je relâche mon étreinte, le petit est en pleurs. Je n’ai pas le temps de dire quoi
que ce soit qu’une femme crie en espagnol sur le garçon et moi, je me fais
bousculer par deux molosses en costumes noirs peu sympathiques qui me
l’arrachent des mains. Mon espagnol est rouillé, mais je comprends que c’est la
nounou du petit et qu’il lui a faussé compagnie. Le trio emmène le gamin sans
un mot ni un regard pour moi, je suis invisible. Sans me retenir je leur balance
un :
— De rien !
Putains de riches !
Je récupère mes affaires, et mon smartphone qui a l’écran fissuré. Parfait ! Je
sens que je vais me plaire à Monaco, les vacances commencent bien. J’arrive à
l’accueil de l’hôtel. Bien que ce ne soit pas la foule, j’attends. C’est au bout de
dix minutes que la femme qui s’occupe du check-in daigne enfin lever la tête
dans ma direction :
— Bonjour, madame, puis-je vous aider ?
— J’ai une réservation au nom de Marchal, Lilly Marchal.
— Bienvenue, madame Marchal.
— Mademoiselle, rectifié-je.
Elle se force à sourire poliment, je l’ennuie, ses mimiques la trahissent. Elle
pianote sur son terminal et elle me trouve enfin.
— Une chambre double avec vue sur la mer, petits déjeuners inclus pendant
sept jours, c’est bien ça ?
— Oui.
— Combien vous faut-il de clés ?
— Une seule suffira, merci.
Après de petites manipulations rapides, elle me la tend.
— Vous avez accès à la piscine, au spa, et à notre casino où une tenue de
soirée est exigée.
Je n’ai pas pensé à en prendre une, car je n’ai pas vraiment d’argent à
dépenser dans ces conneries. Elle s’aperçoit que je cogite.
— Si vous n’en avez pas, la boutique de l’hôtel en vend.
— Merci, mais je ne crois pas que j’en aurai besoin.
Elle me sourit, plus gentiment cette fois.
— Je ne suis pas censée vous dire cela, chuchote-t-elle, mais il y a un petit
magasin de vêtements un peu plus bas dans la rue qui vend de très belles tenues
à un prix raisonnable
J’ai l’air si miséreuse que ça ?
— Je m’appelle Brigitte, si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez
pas, je suis à votre service. Je vous ai mise dans la meilleure chambre de votre
catégorie.
— C’est très aimable à vous, merci.
— Je vous en prie, mademoiselle Marchal. C’est la 325. L’ascenseur est à
votre droite, troisième étage, et en quittant la cabine, c’est à votre gauche, bon
séjour.
Je hoche la tête pour la remercier de sa sollicitude et me dirige vers
l’ascenseur. Quand je sors de celui-ci, je cherche le numéro indiqué par Brigitte,
cette gentille rousse qui avait l’air si froide au premier abord et qui s’est révélée
très avenante au fond. Elle a vite remarqué que je ne faisais pas partie de la haute
société avec mon jean et mes Stan Smith qui datent un peu. Je trouve rapidement
ma chambre et je passe ma carte magnétique sur le mécanisme de la porte.
Abracadabra, elle se déverrouille instantanément.
Je découvre ma chambre blanche ornée de pointes d’orange ici et là. Je
dépose mon bagage dans l’entrée. Je visite mon pied-à-terre qui est moderne et
luxueux. Écran plat, peignoirs sur le lit, belle décoration, puis je me dirige vers
la petite terrasse qui donne sur la mer. J’admire le paysage. Je me gorge de l’air
iodé et je me dis que je vais me plaire ici. Me lever pendant une semaine avec
cette vue, cela va me faire un bien fou et cela me changera de ma tour à Paris.
Je pianote vite fait un SMS pour prévenir ma mère que je suis arrivée à bon
port. Je mets mon bagage sens dessus dessous pour trouver ce que je cherche. Je
me déshabille, j’enfile mon maillot de bain une-pièce et je serre autour de ma
taille un paréo. Je fourre dans mon sac de plage crème solaire, lunettes, livre. Je
prends le chemin de mon après-midi de farniente. Je ne tarde pas à me retrouver
en face des portes qui donnent sur la piscine presque olympique, je n’en ai
jamais vu une aussi grande. La terrasse est presque déserte, il n’y a que peu de
monde à cette heure-ci, ce qui me rassure.
Je chausse mes Ray-Ban, car le soleil tape. Je détaille les gens autour de moi
discrètement, tout en me dirigeant vers un transat. Je vais sans problème me
fondre parmi eux, personne ne saura que je ne suis pas une riche héritière ou une
personne pleine aux as. Je suis remplie de préjugés, je ne les connais pas ces
gens après tout, peut-être que certains bossent au Lidl du coin comme moi.
Je m’installe et je m’enduis de crème. Je sors mon thriller et je me laisse aller
en ne pensant à rien. Une ombre vient assombrir les pages de mon bouquin, je
lève la tête, c’est la femme du check-in, Brigitte, que j’ai à peine reconnue, car
elle n’a plus son uniforme.
— Tout se passe bien, mademoiselle Marchal ?
— Vous pouvez m’appeler Lilly, puisque je suppose que vous ne travaillez
plus.
— Je viens de terminer. Je voulais vous faire un petit coucou avant de rentrer
chez moi.
— C’est… gentil.
Nous sommes interrompues par un homme qui bosse aussi à l’hôtel et qui
m’apporte un pli.
— Salut Marc ! dit Brigitte.
— Brigitte… répond le groom en lui faisant un clin d’œil. Un message pour
vous, mademoiselle Marchal.
— Pour… moi, vous en êtes sûr ? Je ne connais personne à Monaco.
Il hoche la tête en m’invitant à prendre le courrier. Il nous laisse, sans
manquer de faire un merveilleux sourire à Brigitte qui le lui rend volontiers. Je
commence à le lire :
« Chère Mademoiselle Marchal,
merci d’avoir pris soin de mon fils William. J’aimerais vous inviter à dîner
au restaurant de votre hôtel, si vous me le permettez.
Sincèrement vôtre,
Léo Watts »
Son personnel n’a pas tardé à lui relater mon exploit du jour, même si je
considère que ce n’en est pas un. J’ai juste tenté d’éviter le pire, sans réfléchir
aux conséquences, car en y repensant, c’est moi qui aurais pu y passer. Je dois
faire une drôle de tête parce que Brigitte intervient :
— Tout va bien ? Ce n’est pas une mauvaise nouvelle, j’espère ?
— Une invitation, pour tout vous dire.
— On peut se dire tu, si vous voulez ? Je ne sais pas pourquoi, mais je t’aime
bien et puis on doit avoir le même âge. C’est interdit par le règlement, mais je
n’ai jamais été très bonne pour suivre les règles, pouffe-t-elle.
Moi aussi je l’aime bien cette Brigitte.
— Alors ? insiste-t-elle.
— Un certain Léo Watts qui souhaite que je dîne avec lui au resto de l’hôtel.
— Oh punaise, soupire-t-elle en s’assoyant sur le transat d’à côté.
— Vous… tu le connais ?
— Qui ne le connaît pas ? Il bosse dans l’import-export, je crois, mais c’est
un peu flou, c’est un homme mystérieux, toujours bien entouré, on ne l’approche
pas facilement. Qu’as-tu donc fait pour attirer son attention ?
— J’ai… j’ai sauvé son fils. Il a échappé à la surveillance de sa nounou et il
a déboulé sur la route. J’étais là au bon moment, rien d’extraordinaire. C’est
aimable de sa part de vouloir me remercier, m’inviter à dîner, mais je vais
décliner.
— Pourquoi ?
— Je n’ai pas besoin de récompense, et puis je suis venue pour me reposer et
faire le vide, pour être tranquille.
— Oh ! lâche Brigitte.
— Pardon, ce n’est pas ce que… Tu ne me déranges pas, essayé-je de la
rassurer.
Son sourire revient. Je peux être brut de décoffrage parfois, car je suis
quelqu’un de franc, et j’attends qu’on le soit avec moi, même si cette qualité
devient de plus en plus rare.
— Beaucoup de femmes tueraient pour avoir une invitation de monsieur
Watts.
— Ne me dis pas… Il est riche, beau, célibataire et il est adepte de jeux peu
conventionnels ?
Elle se met à rire, elle comprend tout de suite que je fais référence à
« monsieur Grey ».
— Tu as coché trois cases sur quatre. Il est séduisant pour un quadragénaire,
riche, célibataire aux dernières nouvelles, mais j’ignore s’il possède une chambre
rouge.
— Eh bien dans ce cas, je vais laisser la gent féminine de Monaco se le
disputer, je ne suis pas intéressée. J’irai au McDo du coin.
— Si cela te dit, je te fais visiter ce soir, et on va manger où tu veux. Moi
aussi, je dois faire attention. Mon studio me coûte une blinde. Je t’attends vers
19 heures dans le hall, cela te convient ?
— Faisons comme ça.
— Super !
— Je peux te demander d’envoyer un mot à monsieur Watts, afin de décliner
son invitation ?
— Pas de souci, je m’en occupe ! À toute Lilly !
— À… toute ! répliqué-je pour faire comme elle.
Elle part. Je ne pensais pas me faire une amie en venant ici, mais ce n’est pas
si mal après tout. Je reprends mon livre et y insère la lettre qui me servira de
marque-page. Le papier est assez joli, coûteux sans aucun doute, cela serait
dommage de le jeter. J’ai passé tout mon après-midi à lézarder à la piscine,
même si je ne m’y suis pas baignée. Je me prépare pour notre virée entre filles.
Je ne dois pas avoir beaucoup de points communs avec Brigitte, mais elle a été si
agréable avec moi que je n’ai pas pu lui dire non. Elle est en avance ou bien moi
en retard, mais elle est là à m’attendre comme promis.
— Salut Brigitte !
— Lilly, prête pour ta balade monégasque ?
— Tout à fait.
Tout en marchant, elle me raconte son parcours. Elle n’est pas plus friquée
que moi, et elle s’est retrouvée à bosser dans ce palace par hasard. Nous
atterrissons sur le port et j’admire les yachts qui sont tous plus beaux les uns que
les autres, une vraie compétition d’excellence.
— Cela fait rêver, n’est-ce pas ? me demande Brigitte.
— Pour être honnête… oui, ce n’est pas mal, rigolé-je. Mais je plains les
gens riches.
— Pourquoi ?
— Quand tu peux te payer tout ce que tu veux quand tu le veux, qu’est-ce
qu’il y a de plaisant là-dedans ? Tandis que lorsque tu bosses, que tu économises
et que tu obtiens ce que tu convoites, là oui, tu en retires de la satisfaction et tu
es fier de toi.
— T’es une putain de philosophe, toi !
Je souris.
— Je vais être honnête, le jour où je gagne le jackpot, peut-être que je
changerai d’optique.
Brigitte éclate de rire.
— On ne doit pas s’ennuyer avec toi. Tu ne m’as pas dit ce que tu faisais
dans la vie.
— Caissière… enfin « hôtesse de caisse », cela fait plus classe.
— C’est bizarre, je t’aurais vue dans un autre boulot !
— Comme quoi ?
— Je ne sais pas… Un truc où il faut posséder une paire de couilles, parce
que tu as l’air d’en avoir. Ce que tu as fait pour le petit Watts, peu de monde
l’aurait fait.
— C’est faux, je suis certaine que si quelqu’un d’autre avait été à ma place,
il aurait fait exactement la même chose.
— Pas si sûre… Les gens sont si individualistes, ils ne pensent qu’à leur
pomme à l’heure actuelle.
— J’essaye de voir le bon en chacun, même si ce n’est pas toujours évident.
Cela dit, j’aime être seule, ce qui est plutôt paradoxal.
— Tu as bien raison, parfois se recentrer sur soi fait un bien fou. Tu ne
regrettes pas de louper le dîner avec Watts ?
— Non, pas du tout, je me fous de ce type.
— Si j’étais à ta place, je n’aurais pas hésité une seule seconde.
— Comme tu en parles, il a l’air d’être canon.
— Il est hot, c’est clair, mais il dégage un truc en plus de… magnétique,
c’est troublant. Il est gaulé de chez gaulé le Watts, y’a pas photo. Par contre,
mon ex, Antonio, putain, lui c’était une tuerie au niveau du physique, et comme
amant, ouille, il t’en mettait pour la soirée, mais alors, con comme un balai !
Comme quoi, on ne peut pas tout avoir.
Je souris de sa fraîcheur et de sa spontanéité.
— Watts, c’est autre chose, continue-t-elle. Il dégage un sacré charisme. Tu
le vois, tu n’arrives pas à t’en détacher. T’as les yeux scotchés sur lui.
— Eh bien, je vais m’en vouloir de ne pas y être allée à ce dîner, et de ne pas
avoir été chez mon ophtalmo avant de venir, souris-je.
— Il est encore temps, panique-t-elle.
— Calme-toi, je plaisantais. Je suis là pour prendre des vacances, pas pour
me caser.
— Tu n’as pas d’amoureux ?
— Plus maintenant, et je n’en cherche pas un spécialement.
— Moi je bosse à Monaco pour me dégoter un jules, au contraire. Je me dis
qu’en travaillant dans un palace, je vais trouver un riche et bel héritier italien.
— Italien, en particulier ?
— Ah ouais, grave, je kiffe les ritals, ce sont des supers lovers, ils ont ça
dans le sang, avec les Français, je m’ennuie. Comme nous sommes près de la
frontière, je peux te dire qu’il en défile dans les parages, et de temps en temps,
j’en chope un.
Où est donc passée la coincée du cul qui m’a reçue à mon arrivée ? C’est
une tout autre femme que je découvre.
— Je te paye un resto ? lui proposé-je.
— Je n’ai pas trop faim, par contre une glace, je veux bien !
— À… l’italienne ? la taquiné-je.
Nous déambulons dans les rues, Brigitte me montre ses boutiques et ses
restaurants préférés. Je ne vois pas le temps passer et sans nous en apercevoir,
nous revenons presque à notre point de départ, nous ne sommes pas loin de
l’hôtel. Je ne peux faire un pas de plus, car elle me retient par le bras et
marmonne en serrant les dents :
— C’est lui, c’est lui…
— Qui ?
— Léo Watts, près de la Mercedes noire.
Je tourne la tête vers la voiture qui doit être à une dizaine de mètres devant
nous. L’instant est furtif, j’ai juste le temps de l’apercevoir avant qu’il ne
s’engouffre dans la bagnole. Grand, brun, les yeux presque transparents, costume
de luxe qui épouse à la perfection son corps. Brigitte avait raison, on ne peut pas
le louper, même à cette distance.
Chapitre 2
J’ai moins bien dormi que la veille. Après m’être préparée, je vais me
promener, j’ai besoin de m’aérer. Sans m’en apercevoir, mes pas m’emmènent
jusqu’à l’embarcadère, là où hier encore le yacht de Watts était amarré, mais ce
matin, l’emplacement est vide. Je me sens à la fois soulagée et… je ne sais pas
quoi d’autre à vrai dire. J’ai l’impression d’être une alcoolique qui avait un verre
sous le nez tout le temps et que maintenant que ce verre n’est plus là, la tentation
ne me dévore plus.
J’arrête d’y penser, dans deux jours je serai partie. Il faut que je prévienne
l’hôtel en revenant que je vais écourter mon séjour. Il est presque 10 heures et
j’ai zappé le petit déjeuner, je n’avais pas si faim que ça après tout. Cela dit, j’ai
besoin d’un coup de fouet, et j’entre dans un bar qui est désert, je commande un
cappuccino. Je vais m’asseoir près de la vitre pour regarder à la fois les bateaux,
les passants, le paysage, rien de plus. Je n’ai vraiment pas envie de réfléchir à
quoi que ce soit, surtout pas à Watts. La serveuse m’apporte ma tasse, je
l’entame.
— Mademoiselle Marchal ?
Je lève la tête et une femme rondelette, l’air sympathique, me sourit. Je reste
silencieuse, mais ça ne la rebute pas. Sans aucune invitation de ma part, elle
s’installe en face de moi. Décidément, dans cette ville, ils se croient tout permis.
Toujours sans gêne, elle interpelle la serveuse et lui demande un café bien serré.
Je ne sais pas qui c’est, mais je me méfie.
— Je suis Élisabeth Arnaud… Inspecteur Arnaud.
Elle fouille dans son sac et à l’abri des regards, elle me montre ses papiers,
elle est d’Interpol. Je m’enfonce dans mon siège et je ne bouge plus. Elle range
son portefeuille et glisse sur la table une grande enveloppe. La serveuse lui
dépose son café, sans prêter attention à nous.
— Ouvrez-la, je vous en prie.
Mes lèvres sont scellées. Je ne sais pas ce qu’elle me veut, mais je fais ce
qu’elle exige de moi. Je découvre le contenu, ce sont des photos de Léo Watts.
— Vous connaissez monsieur Watts, n’est-ce pas ?
— Pas depuis longtemps. « Connaître » est un bien grand mot, on s’est
croisés à peine deux fois.
— Vous étiez bien sur son bateau hier soir ? Je me trompe ?
— C’est un crime ? lâché-je sur la défensive en jetant les photos sur la table.
— Non… du moins… pas encore.
J’entends ses paroles, son visage est devenu dur. Je comprends que mes
alarmes avaient raison. Je suis dans la merde.
— Je vais quand même vous posez la question, mademoiselle Marchal.
Connaissez-vous le métier de Léo Watts ? demande-t-elle d’une voix presque
inaudible.
— Oui et non. On m’a dit qu’il était dans l’import-export, mais je vais être
franche, Inspecteur, cela ne m’intéresse pas du tout.
— Léo Watts n’est pas le genre d’homme qu’on aborde facilement, surtout
les étrangers. Il a un cercle de confiance et personne n’y entre. Cela fait quatre
ans qu’on essaye de l’approcher… mais impossible.
— Pourquoi vous me sortez tout ça ? Ce n’est pas top secret votre truc,
normalement ?
— Soyez dans votre chambre dans trente minutes, vous en saurez plus sur
lui.
— Je vous l’ai déjà dit, Inspecteur, je me fous de ce type !
— Vous avez l’impression que je vous donne le choix ? Ne soyez pas en
retard, dit-elle en se levant.
Je la regarde s’en aller, je reste bouche bée, elle n’a même pas touché à sa
tasse. Je suis dans un cauchemar, mais je n’arrive pas à me réveiller. Je termine
mon cappuccino, je paye, et je retourne vers l’hôtel où elle doit déjà poireauter.
Je me dirige vers ma chambre et elle est là, adossée au mur. Je ne dis rien,
j’ouvre la porte, elle m’emboîte le pas. Je jette ma carte magnétique sur le
bureau et j’attends ses explications. Elle regarde autour d’elle, comme si elle
venait en visite, et cela m’irrite. Finalement, elle s’installe dans un des fauteuils,
moi je préfère rester debout.
— Vous êtes ma porte d’entrée pour atteindre Léo Watts, Lilly.
— Qu’est-ce que vous attendez de moi au juste ?
— Que vous gagniez sa confiance.
— Pourquoi ferait-il ça ? Me la donner, puisqu’il est tout-puissant
apparemment.
— Parce que vous l’intéressez beaucoup.
— Cela m’étonnerait, je ne suis pas son genre de fille.
— Je ne parlais pas de sexe, mais de compétences.
— Mes… compétences ?
— Ne jouez pas à l’idiote, vous êtes… étiez un excellent pilote. C’est
exactement ce que Watts recherche en ce moment pour écouler sa cargaison. Le
hasard a voulu que vous passiez vos vacances à Monaco et que lui doive
remplacer son… chauffeur.
Où s’est enfui mon souffle ? Il faut que je m’assoie.
— Vous n’êtes pas curieuse de savoir quelle marchandise il a besoin
d’écouler, Lilly ?
— Je n’en ai rien à foutre de comment il gagne sa vie. Tout ça, c’est du
délire, putain ! m’exclamé-je. Je n’ai rien demandé à personne moi ! Vous
débarquez pour me débiter son CV. Je ne suis pas celle que vous cherchez et je
ne veux pas l’être !
Elle ne m’écoute pas et continue son speech.
— Des armes, ce fils de pute est l’un des plus grands dealers de cette foutue
planète. Personne n’arrive à lui mettre la main dessus.
— C’est votre problème, pas le mien.
— Vous vous trompez, vous devez nous aider à coincer ce salopard.
— Je ne suis ni flic ni espionne et par-dessus tout, je n’ai aucune envie de
participer à tout ce cirque ! m’emporté-je.
— Je suis désolée, Lilly, mais vous n’avez pas vraiment le choix, raison
d’État, invoque-t-elle. Il faut qu’on coince Watts coûte que coûte.
— Je refuse. Rien à carrer de votre raison d’État à la noix. Cela vous a
effleuré l’esprit qu’il pouvait me descendre s’il est aussi dangereux que vous le
dites ? Ou vous n’en avez juste rien à foutre ?
Ses doigts tapotent sur la table devant elle, je l’énerve.
— Vous savez pourquoi j’ai choisi ce job ?
— Parce que vous vous ennuyiez ? balancé-je, véhémente.
Elle sourit, mais je l’irrite de plus en plus.
— Mon père me répétait souvent cette phrase : « Le mal ne prolifère que si le
bien le laisse faire. » Je vais faire simple, Lilly. Il n’y a que les personnes bien
qui puissent arrêter les mauvaises. Léo Watts est le mal incarné. En vendant ces
armes, ils tuent des milliers d’êtres humains en se faisant une tonne d’argent.
Je ne la regarde plus, comment le pourrais-je ?
— Lilly, fait-elle plus douce. Vous êtes notre seule chance de le coincer. Des
lieux, des dates, des noms, c’est tout ce dont j’ai besoin. Avec mon équipe, on
fera le reste. Quand on aura ces informations, on l’arrêtera, et vous serez libérée
de vos obligations.
— Vous ne savez pas ce que vous me demandez.
— Si, j’en suis consciente, vous êtes la bonne personne, vous êtes celle qui
peut défier Watts et nous faire gagner. Vous avez du sang-froid, vous êtes maline,
et il ne se méfiera pas de vous. Vous êtes un atout parfait.
Elle croise les doigts à plat devant elle.
— Votre mère a un cancer, vous avez des difficultés financières. Même notre
système, aussi généreux soit-il, ne peut pas tout prendre en charge, alors si vous
m’aidez, je l’aiderai, elle. Vous n’aurez plus de souci à vous faire. Nouvelles
identités pour toutes les deux, pour éviter les représailles, on vous protégera. Et
puis, si vous n’en avez rien à faire de Watts, la tâche sera d’autant plus facile. Ce
n’est pas pareil quand on est impliqué émotionnellement, cela complique tout, et
ce n’est pas votre cas. Certaines femmes aiment ce type d’hommes, je peux le
comprendre, il est plutôt… attirant, mais Watts… c’est le Diable en personne.
Elle se lève et me lance :
— Je reviendrai demain matin.
— Et si je dis non ?
— Lilly… souffle-t-elle pour me signifier que ce n’est pas une option. C’est
un gros risque de s’approcher de Watts, mais une ouverture comme celle-là, je ne
sais pas quand elle se reproduira, même si on aura une autre occasion pareille.
Le petit que vous avez sauvé…
— Son fils ?
— Il n’a pas de fils. Watts l’a enlevé parce que son père n’a pas payé ce qu’il
lui devait.
— Il a… tué… le gamin ? bégayé-je.
— Non, mais il aurait pu, si son client n’avait pas payé sa dette. Watts a pris
la mer ce matin pour le lui ramener, mais je voulais que vous sachiez quel
homme il est, prêt à liquider des enfants, prêt à tout. C’est une pourriture et il
faut qu’on le stoppe. Je vous assure que j’ai essayé, mais il arrive toujours à
trouver un moyen de s’en sortir, il est intelligent et intuitif. Vous êtes notre
meilleure chance, Lilly.
Mon corps est glacé de haut en bas, je suis pétrifiée. Je ne suis pas certaine
que je respire encore, mais ce n’est pas la peur qui me tétanise.
— À demain, Lilly.
Je me décide à bouger après quoi ? Une heure peut-être ? Je ne sais pas, j’ai
l’impression de flotter, d’être sortie de mon corps, je suis abasourdie. De simples
vacances virent à un James Bond classé Z. C’est le téléphone qui m’extirpe de
mon état second, un SMS de Brigitte :
« Je suis un peu malade, je ne viens pas bosser aujourd’hui, on se verra
demain, bisous. »
J’en profite pour lui demander des renseignements :
« Comment était la soirée ? »
Elle me répond aussitôt :
« Super, mais je n’ai pas trouvé mon rital fortuné, je te laisse, je vais
vomir… »
Je n’insiste pas, elle a dû boire plus que de raison. Je m’attendais à quoi ?
Qu’elle me dise que Watts était un connard ? Ou au contraire, qu’il était
charmant ? Que tout ce qu’on m’a raconté était une plaisanterie ? Je me dirige
vers le minibar et même s’il est tôt, j’attaque une mignonnette de vodka. Je n’ai
pas la force de bouger. Je tire une chaise jusqu’à la terrasse et m’y installe. Je
reste en face de la mer pendant de longues minutes, puis j’appelle ma mère.
— Coucou M’man, comment tu vas aujourd’hui ?
— Je suis un peu fatiguée, la chimio m’épuise, heureusement que j’ai
Martine pour m’accompagner quand tu n’es pas là.
— Je vais bientôt rentrer, je songe à écourter mon séjour ici.
— Je ne veux pas que tu culpabilises pour moi, tout va bien, ne t’inquiète
pas !
— Ce n’est pas ça, M’man, je sais que Martine s’occupe bien de toi.
— Tu ne te plais pas à Monaco ?
— Ce n’est pas comme je l’imaginais.
— Qu’est-ce qui se passe, Lilly ? À ta voix, j’entends qu’un truc ne tourne
pas rond !
Décidément, Columbo est très forte.
— J’ai dû manger trop de caviar !
— J’avais bien aimé Monaco, ça doit être différent maintenant… C’était
quand Grace était encore vivante. Je vais séjourner au Maroc avec Martine
quelques jours, histoire de me changer les idées.
— Comment ça tu vas partir au Maroc ? Dans ton état ? Et avec quel argent ?
— Son fils a une maison là-bas, et puis j’ai besoin d’une nouvelle perruque.
Ici, elles sont trop chères. J’ai vendu quelques bijoux sur Le bon coin, j’en ai tiré
un bon prix.
— Maman, je ne suis pas sûre que ce soit bien raisonnable que tu fasses ça.
Réfléchis un peu, je reviens pour qu’on en discute.
— Ma Lilly… Je ne suis pas encore morte et je veux en profiter. Je sais que
ça arrivera bien assez tôt. Je pars dans deux jours, on ne se verra pas.
— Tu as attendu que je ne sois plus à Paris pour t’en aller aussi. Tu avais
prévu ton coup, chipie ! rouspété-je.
— Si je t’avais mise au courant, tu me l’aurais interdit, et tu sais que…
— Qu’il est interdit d’interdire, je connais la chanson. Laisse-moi au moins
te payer l’avion. Avec les nuits que je ne vais pas passer ici, je vais économiser
de l’argent.
— Hors de question ! Le billet est déjà acheté de toute façon. Si tu n’aimes
pas Monaco, rends-toi à Nice. Ces derniers mois ont été durs pour tout le monde,
même pour toi, Lilly. Tu as le droit de t’amuser un peu.
— Ouais…
— Je te ramènerai un petit truc de Marrakech.
— Toi en bonne santé, ça m’ira très bien.
— Je vais être dans un spa quatre étoiles, et ils ont des médecins aussi au
Maroc. Tout ira bien, ma Lilly, tente-t-elle de me rassurer. Je ne suis pas seule et
je suis tout excitée de voyager.
Qui suis-je pour l’en dissuader ?
— OK, mais au moindre souci tu m’appelles, promets-moi ?
— Je te le promets, croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer.
Ma petite Maman chérie, je crains malheureusement que le chemin que je
m’apprête à prendre m’y emmène bien avant toi.
— Je t’embrasse, ma petite Lilly. N’oublie pas de t’éclater aussi, même un
petit peu. Je m’en veux assez comme ça.
— De quoi tu parles ? Tu t’en veux de quoi ?
— Pour les courses… Tu as mis un terme à ta carrière pour rester avec moi
quand je suis tombée malade.
— C’est faux, c’est à cause de l’accident. On a eu cette discussion un millier
de fois.
— Lilly… Tu peux me dire tout ce que tu veux, mais toi et moi, on sait très
bien que tu as ça dans le sang ! C’est vrai que l’accident t’a choquée, mais au-
delà de ça ? Tu te retiens de retourner sur les circuits pour ne pas me laisser
seule.
— M’man, je pense que ce n’est pas le moment de parler de tout ça.
— Il n’y aura jamais de bon moment, ma chérie, mais il faudra un jour que tu
arrêtes de te mentir à toi-même et enfin redevenir celle que tu es.
Je ne souhaite pas en entendre plus.
— Appelle-moi quand tu seras au Maroc.
Je l’embrasse une dernière fois et je raccroche. Je pose mon téléphone à mes
pieds, les heures défilent, les nuages changent de forme, et je regarde le ciel
comme hypnotisée. Je ne peux pas décoller mes fesses de cette chaise. Même si
j’arrive encore à aider ma mère à payer ses frais médicaux, il faut être honnête,
les mois sont durs. J’ai cette phrase qui tourne en boucle dans ma tête : « Le mal
ne prolifère que si le bien le laisse faire. » Cela ne me quitte pas. Je n’ai pas peur
de Watts, même s’il est dangereux. La seule chose que je sache faire
correctement dans la vie c’est conduire à grande vitesse, mais l’espionnage, c’est
un talent que je ne possède pas. Je me décide à bouger pour m’affaler sur le lit.
Je fixe le plafond et je m’endors. Des coups à la porte viennent me réveiller, je
regarde l’heure sur mon portable, à peine 8 heures du matin. Je vais ouvrir et
l’inspecteur Arnaud est là. Elle s’invite à entrer.
— Vous avez pris votre décision ?
J’inspire avant de me lancer :
— Je veux que vous me garantissiez que même si j’échoue, vous prendrez
soin de ma mère.
Elle me fixe, un sourire aux lèvres, elle hoche la tête et à cet instant précis, je
sais que ma descente aux enfers ne fait que commencer.
Chapitre 5
Elle m’explique énormément de choses sur Léo Watts, je n’en retiens que la
moitié, mais le plus important c’est que je ne dois en aucun cas changer de
comportement.
— Surtout, Lilly, ne faites rien d’inhabituel qui pourrait éveiller ses
soupçons. Il est très intelligent, il s’en apercevra tout de suite.
— Ouais… soupiré-je.
— On ne se rencontrera plus, il me connaît et s’il nous voit ensemble, vous
êtes grillée.
— Si j’ai des infos, je fais comment pour vous les communiquer ? Parce que
si ce que vous me dites est vrai, surtout les premiers temps, il va me surveiller de
très près.
— Vous aurez un contact. Si vous avez quelque chose, il suffira de le lui
transmettre et j’aurai les infos rapidement.
— Et où je le trouve, ce contact ?
— Elle vous a déjà trouvée ! D’ailleurs, c’est elle qui nous a affirmé que
vous étiez notre chance d’approcher Watts.
— Elle ?
Je capte en une seconde.
— Brigitte… lâché-je, comme si je jurais.
— L’inspecteur Rossi, oui, confirme Arnaud.
Putain, je suis conne. J’aurais dû me douter que son amitié n’était pas sans
être intéressée. Je dois tirer une tête pas possible, car Arnaud le remarque.
— Ne lui en voulez pas, Lilly, elle n’a fait que son job. Elle vous aime
beaucoup, vous savez.
— C’est censé me rassurer ? je sors, énervée, en me faisant couler un café
avec ma super machine « What Else ».
— Cela fait un an qu’elle est en poste à l’hôtel, à cause de Watts qui y a ses
habitudes. Rossi est un très bon flic, vous verrez.
— Comment je procède avec lui ? demandé-je en avalant mon expresso.
— Laissez-le venir. Vous l’intéressez, il ne va pas vous lâcher. À un moment
donné, il va vous proposer de bosser pour lui. Le problème, c’est qu’on ne sait
pas quand. Il le fera lorsqu’il aura assez confiance en vous. Il connaît votre
talent, vous n’avez rien à prouver de ce côté-là.
— Vous vous trompez.
— Sur quoi ?
— Ce n’est pas sa confiance que je dois gagner, mais lui qui doit obtenir la
mienne.
— Vous êtes très intelligente, Lilly, vous allez faire des étincelles, sourit-elle
presque. Je dois partir. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, demandez à
l’inspecteur Rossi.
Elle s’en va, contente d’elle, et moi… je me sens piégée. Je me fixe dans ce
miroir au-dessus de la commode, je reconnais à peine la personne que j’y vois.
Ne dit-on pas que nous avons plusieurs vies dans une seule ? Après pilote de
course et caissière, me voilà espionne débutante. Je me réfugie sous le jet glacé
de la douche.
Ça m’a toujours donné un coup de fouet et ça me permet aussi de me
remettre les idées en place. Il n’y a plus à réfléchir, il n’y a plus de marche
arrière possible. Je dois faire tomber Watts avec ingéniosité, autre qualité dont je
suis totalement dénuée. Après avoir enfilé mon maillot de bain et mon paréo, je
descends pour me prélasser à la piscine. Je passe devant l’accueil, Brigitte est là,
je ne me prive pas de lui lancer un regard noir, car après tout, c’est à cause d’elle
tout ça. Je ne m’arrête pas, c’est elle qui me poursuit.
— Lilly ! m’appelle-t-elle.
Je m’immobilise et reste muette.
— Écoute, chuchote-t-elle, je n’ai rien fait d’autre que mon travail. Je ne
pouvais pas te mettre dans la confidence.
— Si tu le veux bien, nos relations ne seront que… professionnelles,
désormais.
— Lilly, ne le prends pas comme ça. Si tu avais été à ma place, tu aurais fait
exactement la même chose, dans ce genre de situation, on ne peut pas être amies.
— Tu fais bien de soulever ce point, parce que ça n’a jamais été mon
attention. Je ne suis pas venue ici me faire des… copines. Bonne journée ! dis-je
en enfilant mes lunettes de soleil.
Je vais m’allonger sur un des transats, prends mon livre que je ne lis pas, je
suis plus seule que jamais, mais j’en ai l’habitude. Depuis ma discussion avec
Arnaud, quarante-huit heures se sont écoulées, tout est calme. Je ne sors de
l’hôtel que pour aller me restaurer, évitant soigneusement Brigitte. Lorsque je
passe devant elle, je sens bien qu’elle a envie de venir me parler, mais mon
attitude l’en dissuade.
Au fond, je préfère que ce soit comme ça. Quand je reviens dans ma chambre
après mon dîner, je remarque tout de suite l’enveloppe bleue sur mon lit. On
entre dans cette chambre comme dans un moulin, ma parole ! Je la prends, elle
n’est pas légère, je l’ouvre et j’y découvre des jetons du casino de l’hôtel
estampillés dix mille euros chaque, il y en a dix en tout. Cette fois, il y a un mot
avec :
« Jouez pour moi, Lilly, misez tout sur le noir, c’est ma couleur préférée.
Léo. »
Cela me soutire un petit rictus. Je vais sûrement perdre ses cent mille euros à
la roulette, tant pis pour lui, car ces derniers temps, j’ai la poisse. Je vais faire un
tour à la boutique du palace. J’ai déjà la robe, il ne manque plus que des
escarpins noirs. Je ne me gêne pas pour choisir la paire qui me plait le plus sans
me soucier du prix. Je les fais mettre sur la note de l’inspecteur Rossi.
Après tout, si je suis dans cette merde, c’est à cause d’elle et du système. Je
remonte dans ma chambre, je me douche, je me maquille légèrement car je
n’aime pas trop ça, me coiffe, et j’enfile la robe que Watts m’a offerte. Avant de
descendre au casino, je n’oublie pas d’emporter avec moi les jetons qu’il m’a
confiés.
La salle de jeux est bien gardée, c’est déjà bondé. Je ne réalise pas que je me
promène avec une telle somme sur moi, même si dans mon ancienne vie,
j’empochais bien plus. Les primes, le salaire, la publicité… Certaines années, je
pouvais gagner jusqu’à douze millions de dollars par an.
Tout cet argent s’est envolé du jour au lendemain, parce que j’ai été d’une
naïveté affligeante. Mon conseiller financier m’avait recommandé de tout placer
sur des actions, mais il s’est barré avec la totalité de mon fric. J’ai été ruinée en
un claquement de doigts. Ma baraque était en location, je n’avais aucun bien que
j’aurais pu revendre. Même ma Ferrari était « prêtée » par mon sponsor, je ne
possédais rien à part des effets personnels. Après l’accident, ma situation a
empiré financièrement. Je devais la gagner cette course, à tout prix.
Aux USA, je ne pouvais pas assumer les frais médicaux de ma mère, le peu
de fric qui me restait a été aspiré pour mes soins. La banqueroute, l’accident, sa
maladie, tout s’est enchaîné sans me laisser le temps de me refaire, alors nous
sommes rentrées en France. La double nationalité à certains avantages. Mais ce
retour voulait dire aussi un train de vie différent. D’une villa de 500 m2, nous
sommes passées à un standard bien inférieur de 60 m2 dans le 13e
arrondissement de Paris.
J’ai pris le premier travail que j’ai trouvé, sans chercher à comprendre,
caissière ou autre chose, peu m’importait à l’époque. Alors oui, la grande vie, je
l’ai connue, et ces gens qui jettent leurs ronds en plastique, insouciants, ne
savent peut-être pas qu’on peut tomber de très haut et que cela fait mal. J’avance
presque en piétinant, cherchant du regard la roulette que je repère assez vite. Il y
a du monde autour et j’essaye de me faire une place parmi cette classe sociale à
laquelle je n’appartiens plus.
Je la regrette pour une seule chose : l’argent. Ma mère serait dans une
clinique privée avec les meilleurs traitements possibles à l’heure qu’il est, mais à
cause de ma lâcheté, de la peur qui me tenaille rien que de penser à reprendre un
volant, elle est dans un établissement public. Quand on tombe de cheval, il faut
remonter aussitôt, mais l’accident a été violent, traumatisant, et puis je sais que
ma mère apprécie que je sois là pour elle, malgré ce qu’elle prétend.
Je contemple avec un certain plaisir ces richards qui perdent plus qu’ils ne
gagnent. Je sens un parfum masculin fleuretant avec mes narines, des essences
de patchouli, de cèdre, j’ai toujours adoré Acqua Di Gio, je le reconnaîtrais entre
mille. Une respiration chaude caresse ma nuque, j’en frissonne, étrangement. Je
tourne la tête et Watts est là. Son corps est aimanté au mien, nous restons
quelques secondes comme cela, sans rien dire. C’est un moment inexplicable,
mais je le savoure, puis je redeviens lucide, il ne faut pas que j’oublie qui il est.
Il fait un pas de côté pour me dévisager de ses yeux océan. Il porte un
smoking qui a été fabriqué pour épouser la moindre parcelle de son anatomie.
Pas un bout de tissu n’est en trop ou en moins, sa tenue est en harmonie avec sa
stature. Il me sourit, puis son regard se tourne vers la table de jeu.
— La robe vous va à ravir, Lilly, toutes vos courbes sont mises en valeur.
— Je pensais que je n’étais pas votre style de femme.
— Ce n’est pas parce que je vous fais un compliment que cela signifie que
vous me plaisez, j’essaye d’être un gentleman en toute circonstance.
— Et quand les circonstances ne s’y prêtent plus, qu’est-ce que vous êtes ?
Un monstre ?
Il élude la question.
— Vous avez déjà joué, Lilly ?
— Vous avez peur pour votre fric ?
— Si j’avais peur, souligne-t-il, je ne vous aurais jamais donné ces jetons
pour vous divertir.
— Cent mille euros, c’est de l’amusement pour vous ?
— Une broutille plus exactement. Je n’attends pas un retour sur
investissement. Quoique, en y réfléchissant… se tourne-t-il vers moi. Vous
aimez parier, Lilly ?
— Non.
— Moi, énormément, j’adore prendre des risques, je pensais que vous aussi.
— Les risques sont dangereux et je les évite autant que possible.
Il secoue la tête, peu convaincu par mes arguments.
— Celui que je vous propose est plutôt raisonnable, sort-il de sa voix suave
et terriblement sexy.
— OK, je vous écoute.
— Misez la somme en totalité sur la couleur ou le chiffre que vous voulez. Si
vous gagnez, tout l’argent vous appartiendra, par contre, si vous perdez, vous me
devrez un service.
Nous y voilà, Arnaud avait raison, il n’a pas attendu longtemps avant de se
lancer.
— Je ne suis pas très en veine en ce moment, si j’accepte, vous allez
remporter votre pari, ce qui n’est pas très juste pour moi.
— Je ne suis pas de cet avis, au contraire, je vous trouve très chanceuse.
Vous êtes d’accord ?
Je n’ai pas le choix. Si je refuse, je ne pourrai pas me rapprocher de lui.
— Très bien, que voulez-vous que je joue ?
— Le tout pour le tout. Votre numéro fétiche est bien le onze, si je ne me
trompe pas ?
Le salaud est bien renseigné sur moi, c’était le chiffre de ma voiture.
— Rien ne vous échappe, constaté-je.
— Je me dois d’être précautionneux avec les personnes qui m’entourent.
Mon pauvre Léo, dans ce cas, t’as besoin d’une update, car tu es à la bourre
sur ce coup-là !
— Allez-y, Lilly, tout sur le onze.
Je sors les jetons de leur enveloppe, je m’apprête à les déposer sur le tapis,
mais Watts m’attrape le poignet puis souffle délicatement sur mes doigts qui
renferment les précieux ronds de couleurs. Je sens mon cœur s’affoler, adoptant
le même rythme que lorsque j’avais mes montées d’adrénaline.
J’ai l’impression qu’il va décoller sous son martèlement tant il est intense,
enivrant. Il hoche la tête pour m’indiquer de les déposer, ce que je fais. Le
croupier lance la roulette, je n’ose pas regarder, qui aime perdre ? Après
quelques secondes, les gens autour de la table s’excitent, applaudissent, Watts
sourit, encore. Il me prend la main et l’embrasse, sans détacher ses yeux des
miens.
— Bravo Lilly !
— J’ai… gagné ? demandé-je sans y croire.
— Vous êtes riche.
— Je ne comprends pas.
Et c’est vrai, puisque je ne connais pas les règles de ce jeu.
— Eh bien, trente-cinq fois la mise de cent mille euros, même si je ne suis
pas prof de maths, cela fait trois millions et demi d’euros, il me semble.
— C’est votre argent Léo, pas le mien, dis-je, presque sèche.
Sa main gauche glisse sur le rebord en acajou de la table, ce qui provoque un
léger bruit désagréable. Il se rapproche de moi dangereusement.
— Un pari est un pari, et sachez que lorsque je donne ma parole, je ne la
reprends jamais. J’ai beaucoup de défauts, mais celui-là n’en fait pas partie.
— Je n’en veux pas, insisté-je.
— Dans ce cas, faites-en cadeau à des associations, je n’en ai rien à faire, cet
argent n’est plus à moi, donc... dit-il en mettant les mains dans ses poches. Cela
dit, je pense que vous en ferez bon usage, pour Agnès.
Cela me fait perdre tous mes moyens, il est aussi au courant pour ma mère.
Sait-il pour mon pacte avec Interpol ? Demain, y aura-t-il mon nom en gras dans
les journaux parce qu’on m’aura retrouvée bouffée par des poissons ? Toutes ces
pensées traversent mon esprit, pourtant, elles ne m’effraient pas. Je n’ai aucune
idée de s’il est le Diable, mais à cet instant, lorsqu’il est près de moi comme ça,
bienveillant, quand il me parle de cette façon avec ses yeux enjôleurs, je
prendrais bien mon ticket pour l’Enfer.
Chapitre 6
Je n’ai pas dormi de la nuit, ce qui m’a permis de rassembler mes affaires et
de réserver un billet d’avion au départ de Nice. Un Uber m’y emmènera. Je suis
dans le hall de l’hôtel, je réclame ma note afin de la régler, mais on m’annonce
qu’elle est déjà payée. Je n’ai pas besoin de demander qui s’en est occupé. Je
traîne mon bagage derrière moi, Brigitte fait son apparition.
— Où tu cours comme ça ? me questionne-t-elle.
— Je rentre chez moi, prendre soin de ma mère.
— Elle ne va pas bien ?
— Tout est arrangé, mais je préfère être à ses côtés.
— Et à propos de « qui tu sais » … siffle-t-elle entre ses dents.
— Je n’ai pas de ses nouvelles depuis hier soir et je doute qu’il m’en donne.
Elle me tire par le bras pour que je la suive malgré moi dans une pièce qui
sert de local technique.
— Tu ne peux pas tout lâcher, Lilly, pas maintenant qu’il est ferré !
— J’ai d’autres priorités que Watts.
— Un deal, c’est un deal.
— Dans ce cas, tu informeras Arnaud que je ne suis plus sur le coup. Vous
trouverez une nouvelle poire.
Elle et son boss commencent sérieusement à me gonfler.
— Hors de question ! s’emporte-t-elle. Tu ne t’imagines même pas combien
de temps on a passé à travailler sur cette affaire, ce que ça nous a coûté, bordel !
Ne nous fais pas faux bond, Lilly, nous n’avons jamais été aussi près de lui.
— Écoute-moi bien, Brigitte, lancé-je en essayant de garder mon calme. Ma
mère a besoin de moi, et ton trafiquant d’armes est bien le cadet de mes soucis.
Je ne suis pas responsable de votre inefficacité à le coincer. Alors pour l’instant,
notre collaboration devra attendre.
— Il t’a achetée ?
— De quoi tu parles ?
— Je suis au courant de ton coup d’éclat au casino hier soir.
— C’est quoi le rapport ?
— Il t’a offert beaucoup plus d’argent que nous, afin de nous court-circuiter.
Il est loin d’être con, Lilly. Tu y as pensé ? Ne te laisse pas éblouir par sa fausse
lumière, c’est un fourbe.
— Dans ce cas, cela ne sert à rien de continuer s’il m’a découverte ! Tu crois
vraiment qu’il a truqué la roulette ? Qu’il a payé un des croupiers ? Sérieux,
écoute-toi !
— Je n’en sais rien… mais c’est une drôle de coïncidence, non ? Le Maroc,
ta mère, c’est lui.
— Putain, tu as l’audace de me demander avec un petit air innocent si elle se
porte bien, alors que tu étais au courant ? Le comble, c’est que tu n’as rien fait !
Tu ne manques pas d’air !
— On ne pouvait pas intervenir, Lilly, je t’assure, trop de risques pour ta
couverture.
Je l’écoute mais ça ne colle pas. Pourquoi il se donnerait tant de peine pour
moi ? C’est insensé. Bizarrement, elle, je ne la crois pas, je n’ai pas confiance.
— Je vais rater mon avion, je dois y aller.
— Attends ! Passe-moi ton téléphone.
— Pour quoi faire ?
— Je vais t’installer une application. Lorsque tu auras accès à son
smartphone, lance-là et arrange-toi pour que le tien soit à côté du sien. Le
logiciel va cloner son portable. Quand ça sera fait, tu pourras nous envoyer le
fichier généré. Ça sera peut-être suffisant pour qu’on te retire de l’affaire.
— Arnaud ne m’a jamais parlé de ça, et puis si c’était si facile de récupérer
des infos de cette façon, pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ?
— Parce qu’il faut au moins une dizaine de minutes pour faire la copie, et
être très proche. Nous n’avons jamais pu rester aussi longtemps près de Watts,
j’ai essayé sur le bateau de le coller, mais après ton départ, il a disparu. Sinon, tu
penses bien que cela aurait été fait. L’autre raison, c’est qu’Arnaud n’est pas au
courant, Lilly. Elle est plutôt de la vieille école et la high-tech la dépasse un peu.
Surtout, hésite-t-elle à avouer, je le fais pour toi. Tu seras moins exposée de cette
façon. C’est intraçable, il ne saura jamais que c’est toi. Ne me vois pas comme
ton ennemie, Lilly, je fais tout ce que je peux pour que cela se termine au plus
vite et que tu reprennes une vie normale… ou presque.
Je souffle et lui file mon iPhone à contrecœur. Je lui obéis uniquement pour
me débarrasser d’elle. Elle sourit puis le manipule avec dextérité. Ces gestes sont
précis et quelques minutes plus tard, elle me le rend.
— L’application se nomme « Règles mensuelles ». Si l’envie lui prend de
fouiller dans ton téléphone, il n’ira pas fouiner là-dedans. Une fois le clonage
fini, va dans l’appli, un dossier ultra compressé sera créé. Il suffira de me
l’envoyer par e-mail. J’en ai profité pour entrer mes coordonnées. Tu me
trouveras dans « Gynéco Bardel ». Une fois que cela sera fait, tire-toi de là et
contacte-moi, on verra la marche à adopter suivant la situation.
Je la fixe, muette, mais elle parle pour deux.
— Donne-moi des nouvelles dès que tu en as, insiste-t-elle.
— De ma mère ?
— Heu... non… de Watts, me réplique-t-elle comme si je lui avais sorti une
connerie.
Que ce soit Watts ou Interpol, ils m’utilisent. Qui est le pire des deux ?
Pendant tout le vol, je repense à ce qu’a dit Brigitte et je ne vois aucune raison à
ce que Léo se serve de ma mère, à quelle fin ? Il se donnerait beaucoup de mal
pour me séduire ou m’engager pour je ne sais quel job. C’est hallucinant, je
n’arrive toujours pas à croire Brigitte, je ne sais pas pourquoi.
J’atterris à Orly et je me dépêche de prendre un taxi pour CDG après avoir
récupéré mon bagage. L’avion de ma mère ne va pas tarder à se poser et je
patiente en martyrisant ma tasse de café. Je jette un œil à l’écran d’affichage, le
vol est à l’heure. Je me poste à la sortie, cela prend une plombe à cause des
douanes et je ne sais pas dans quel état je vais la récupérer. Les portes
automatiques s’ouvrent et je l’aperçois enfin, elle est décatie. Elle me voit et elle
se jette dans mes bras. Malgré tout ce qu’on a traversé ensemble, c’est la
première fois que je la sens si fragile.
— On rentre à la maison, tu vas manger et te reposer.
— C’était horrible, Lilly, sanglote-t-elle.
— C’est fini, ma petite Maman, tu me raconteras plus tard, quand tu seras
prête, OK ?
Elle acquiesce. Je la soutiens littéralement et nous prenons un VTC pour le
13e. Trois jours se sont écoulés, Agnès n’est pas sortie de sa chambre. Elle est
épuisée et traumatisée par son aventure marocaine. J’ai quand même réussi à lui
faire avaler un peu de soupe aujourd’hui. Dans son état, elle ne peut pas se
permettre de ne pas manger. Elle ne souhaite pas me raconter ce qui s’est passé.
Après l’accident, j’ai été pareille, je ne voulais parler à personne, combattant
mes démons intérieurs, seule. Je m’inquiète pour elle, j’ai demandé à ce que le
médecin vienne. En attendant son arrivée, je reste auprès d’elle, tentant une
dernière fois d’en savoir plus sur sa mésaventure, elle cède.
— Lilly, la prison était si lugubre, j’entendais des gens crier. Je n’étais pas
certaine de sortir de là, on m’a traitée comme si j’avais tué quelqu’un.
— Je t’ai promis de t’en sortir, non ? essayé-je de la rassurer. Et Martine ?
Comment ça s’est passé pour elle ?
J’étais tellement préoccupée par le sort de ma mère que j’ai en oublié celui
de son amie.
— Je n’étais pas avec elle, je me promenais seule au souk lorsqu’on m’a
arrêtée.
— Quand tu te sentiras mieux, passe-lui un coup de fil pour savoir comment
elle va.
On sonne à la porte, je vais ouvrir. Le docteur Duroc est là. Je n’ai pas besoin
de lui indiquer le chemin, il est venu plus d’une fois, même pour moi quand
j’étais plus jeune. Je le suis, mais il me demande gentiment de rester en retrait, il
préfère consulter Agnès sans personne autour. J’accepte et je comprends. Je
m’affale dans le canapé et je patiente en bouquinant des magazines sans intérêt.
Cela fait plus d’une demi-heure qu’il est avec elle, il n’est toujours pas ressorti
de la chambre. Finalement, après une bonne heure, mon attente s’achève. Je ne
peux m’empêcher de l’interroger :
— Alors, Docteur ?
— J’aimerais te dire que tout va bien, mais ce n’est pas le cas, Lilly. On peut
discuter ?
— Bien sûr.
Je l’invite à s’installer à la table ronde du salon et je m’attends au pire même
si on n’y est jamais vraiment préparé.
— Ta mère est mal en point, pas seulement à cause de son cancer, mais aussi
de son voyage au Maroc. Elle s’est fortement affaiblie et je crains que la garder
ici ne soit plus suffisant.
— Elle doit retourner à l’hôpital ?
— Je pensais plutôt à une maison de repos en dehors de Paris. C’est un ami à
moi qui tient l’établissement, elle y sera très bien traitée. Elle sera au calme, ils
sont spécialisés en oncologie. Elle y recevra les meilleurs soins. Je sais que vous
connaissez des difficultés financières, tu dois y réfléchir avant, mais si tu es
d’accord, je demanderai au directeur qu’il t’arrange pour le paiement. Lilly, dit-il
tout en douceur, je crains qu’Agnès n’en ait plus pour très longtemps, alors ce
centre est sa meilleure chance, même si je ne te promets pas qu’elle guérira
complètement. Son cancer est très avancé, mais cela lui donnera, peut-être,
quelques mois supplémentaires.
— Elle allait mieux pourtant… dis-je, la gorge nouée.
— Des contrariétés peuvent accélérer le processus, et pour être honnête, je ne
sais pas ce qui s’est produit récemment, mais ça l’a beaucoup choquée.
Nerveusement, je me pince la lèvre inférieure presque jusqu’au sang.
— … Vous en avez parlé avec elle ?
— Elle n’est pas contre l’idée de te soulager, mais elle a refusé à cause de
l’argent.
— Vous avez toujours été là pour nous et je vous en remercie.
Je fixe la fenêtre pour me perdre dans l’horizon parisien, pour réfléchir
quelques instants.
— Appelez votre ami, Docteur.
— Tu es sûre de toi ? Très peu de choses seront prises en charge par la
Sécurité sociale.
— L’argent n’est plus un problème désormais. Je veux que ma mère… ait
une fin avec le moins de souffrance possible, lancé-je en m’arrachant les mots de
la bouche tellement ils sont douloureux à prononcer. Alors si vous me dites que
c’est la meilleure option, je vous suis.
— C’est une sage décision, Lilly. Je te fais une ordonnance et j’appelle Jean.
— Quand sera-t-elle admise ?
— Le plus tôt sera le mieux, je vais essayer d’avoir une chambre pour
demain.
— OK.
Il prescrit des médicaments à ma mère et passe ce fameux coup de fil. Agnès
entrera en clinique la matinée suivante. Je remercie encore le docteur Duroc et je
vais voir ma malade.
— Je vous ai entendus discuter, Lilly.
— Tu n’es pas si mal que ça, à ce que je constate, tu as toujours des antennes
à la place des oreilles, rigolé-je.
— Comment vas-tu faire pour régler la note de cet endroit, si tu n’en as pas
les moyens ?
— Tu sais, comme d’habitude, je vais me prostituer. Comment crois-tu que
je te paye tes calissons tous les mois, poule de luxe ? la taquiné-je.
J’arrive à lui extirper un très léger sourire, c’est ce que j’espérais.
— Arrête tes bêtises, Lilly. Je m’inquiète, tu sais.
— C’est inutile, parce que figure-toi que maintenant, je suis pleine aux as.
J’ai joué au casino à Monaco et j’ai gagné une grosse somme. Fais-moi plaisir,
ne te préoccupe plus de ce petit détail et déploie toute ton énergie à guérir.
— Ma puce, dit-elle d’une voix presque inaudible, toi et moi on sait très bien
que le crabe m’a eue.
Les larmes me montent aux yeux, mes narines me picotent, mais je ne le lui
montre pas, si je tombe, qui la soutiendra, elle ?
— Je n’ai jamais été fan des crustacés, M’man, et le mot « fin » n’est pas
encore écrit, alors je ne veux plus rien entendre, tu vas te remettre, compris,
Agnès ? ordonné-je.
— Qu’est-ce que je ferais sans toi ?
— Que des conneries, comme d’habitude, mais nous sommes plutôt douées
dans la famille pour ça, apparemment. Je vais à la pharmacie, tu veux que je te
rapporte quelque chose ? Et ne me sors pas le pharmacien, parce que je t’ai dit
cent fois que les femmes n’étaient pas son truc.
— Non, je vais dormir un peu.
Je me suis loupée, pas de sourire. Je l’embrasse tendrement puis je descends
de ma tour pour faire ma course. Je lis cette foutue ordonnance où je ne
comprends rien à l’écriture du médecin et lorsque je relève la tête, mon cœur
bondit. Léo est assis sur le capot d’une Audi coupée noire, les mains dans les
poches de son pantalon de costume gris. Il se lève quand il me voit, et moi, j’ai
les baskets ancrées dans le trottoir.
— Qu’est-ce que tu fous là ? je lui sors peu aimable.
— Tu accueilles toujours tes amis de la sorte ?
— Je ne savais pas que nous étions amis.
— Toujours aussi sur la défensive avec moi.
— Je suis comme toi, Léo, je suis méfiante.
Il se rapproche assez pour que je sente de nouveau son parfum.
— Comment va ta mère ?
— Cela t’intéresse ?
— Pas vraiment, mais cela t’affecte et indirectement, moi aussi, du moins la
situation, cela me rappelle de mauvais souvenirs.
On ne peut pas lui enlever qu’il est franc.
— Monte dans la voiture ! m’ordonne-t-il.
— Je n’ai pas le temps pour les balades.
— On ne va pas bouger, je dois te montrer quelque chose.
Je regarde autour de moi et j’obtempère. Nous prenons place dans cette
voiture luxueuse. Il sort une enveloppe de sous son siège.
— C’est pour toi.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Je ne suis pas un ange, mais m’attaquer à une femme malade, ce n’est pas
mon genre, du moins quand ce n’est pas nécessaire. J’étais curieux de savoir qui
était derrière cette histoire et la réponse est là-dedans.
Je me hâte de découvrir le fils de pute qui a fait du mal à ma mère et quand
je vois la photo…
— Tu n’as pas l’air surprise, Lilly.
Effectivement, je ne le suis pas, j’avais un petit doute qui vient d’être
confirmé.
— Ses parents ne l’aimaient pas pour l’appeler Martine ? Parce que Martine
en prénom et Martine en nom de famille, faut être un peu dérangé… Bordel…
Martine Martine, se marre-t-il.
Je reste silencieuse, la mâchoire serrée, car si je l’avais sous la main je lui
referais le portrait à cette pouffiasse.
— Une vraie fille de pute ! ajoute-t-il. Elle se rapproche des gens en détresse
comme Agnès et quand elle a leur confiance… Elle n’en est pas à son premier
coup. Je parie que ta mère n’a plus eu de ses nouvelles depuis Marrakech ?
Je lui rends l’enveloppe. Brigitte m’a menti, ce n’est pas Léo qui est derrière
cette escroquerie.
— Qu’est-ce que tu comptes faire, Lilly ?
— La dénoncer à la police, qu’est-ce que tu veux que je fasse d’autre ?
— Les flics ? Tu n’as pas envie de la coincer et de lui faire sa fête ? dit-il
avec un sérieux glaçant. Lui faire regretter d’avoir fait du mal à ta mère ? Parce
que moi, à ta place, je n’hésiterais pas une seconde si c’était la mienne qui en
était la victime.
— Je ne suis pas toi, Léo !
— Qu’est-ce que tu en sais ? Tu refuses de me connaître, pourtant ce n’est
pas faute d’avoir essayé de t’en convaincre. Tout le monde a une part
d’obscurité, Lilly, même si on s’en défend. Le mal n’est pas forcément… mal,
Lilly, cela dépend du point de vue où l’on se trouve.
Je le scrute et malgré ses mots, je sens une bienveillance émaner de lui.
— Tu as raison, file-moi un flingue et je vais me la faire, cette garce ! dis-je
en riant jaune. Non… mais sérieux ? Qu’est-ce que tu me veux à la fin ? Le fric,
le sauvetage et maintenant ça ? Je ne suis pas conne, ce n’est pas uniquement
pour me foutre dans ton pieu que tu fais tout ça ! C’est quoi la véritable raison ?
— Je sais que tu n’es pas conne, cela dit tu manques d’intelligence sur un
point. Tu ne reconnais pas le regard d’un homme quand il a envie de toi. Et le
mien commence à avoir les rétines qui brûlent.
— Putain, le cliché ! Tu l’as sortie d’où cette phrase ? Je n’ai pas le temps de
m’amuser, va sauter une de tes pétasses, ça te dégorgera le poireau et tu me
foutras la paix !
J’ouvre la portière, mais il me passe par-dessus pour la refermer
brusquement. Je suis dans le siège, incapable de bouger, car il se tient dans cette
position de domination, son bras me maintenant en place contre le cuir.
— Tu as raison, Lilly, je veux bien plus de toi, mais ce n’est pas le moment,
ta mère est malade et cela doit être ta priorité. Quand elle sera mieux, on en
reparlera, rien ne presse, je suis patient.
Il se rassoit à sa place.
— File-moi ton téléphone ! commande-t-il.
— Non !
— File-moi ton portable, sinon je te le prends de force ! hausse-t-il le ton.
Pendant une microseconde, j’ai l’impression qu’il sait pour l’application,
mais quand je le lui donne, il pianote un truc et me le rend aussitôt.
— Maintenant, tu as mon numéro de téléphone, si tu as besoin de quoi que
ce soit, quoi que ce soit Lilly, répète-t-il, appelle-moi. Je reste à Paris pour
quelques jours.
— Pour les affaires… murmuré-je.
— Non, pour toi.
Chapitre 8
Cela fait une semaine que ma mère est en clinique. C’est un environnement
apaisant, avec des soins appropriés, mais son état de santé ne s’améliore pas. Je
viens tous les jours la voir, mais c’est loin de là où nous habitons et je pense
sérieusement à déménager. J’ai démissionné de mon boulot, je ne regrette rien, et
tout ça, je le dois à Léo.
S’il ne m’avait pas aidée, jamais je n’aurais pu mettre Agnès dans cet institut
spécialisé. Il est encore à Paris, il m’envoie des textos, auxquels je réponds une
fois sur deux. Je suis toujours sur mes gardes le concernant, mes alarmes ne se
sont pas éteintes, même s’il a été d’un soutien inespéré. Quant à Martine, je
n’arrive pas à la joindre pour avoir des explications, mais une chose est sûre, je
n’attendrai pas un jour de plus pour la balancer à la police.
Je n’ai rien fait jusque-là pour lui laisser le bénéfice du doute, mais son
silence la rend coupable, je crois ce que Léo m’a dit. Il est presque 19 heures et
je quitte ma mère, elle est fatiguée à cause de la chimio et moi, j’ai un train à
attraper. Dès que je mets un pied dehors, je reconnais la voiture. Il est là à
m’attendre. Ce n’est pas le Léo que j’ai rencontré jusqu’à présent, pas celui tiré à
quatre épingles dans des costumes de luxe, mais un homme sexy, en jean-
baskets, t-shirt blanc collant à un torse dessiné, look plus bad boy.
Son vêtement me laisse facilement imaginer ce qui se cache en dessous et ce
n’est pas déplaisant du tout. Je n’avais jamais remarqué jusque-là son bracelet
tibétain noir. Son apparence, dans ces fringues, est moins intimidante que
d’habitude. Il retire ses lunettes de soleil polarisées et me décoche son plus beau
sourire.
— Je constate que tu as ton téléphone en main, c’est qu’il marche toujours ?
Parce que vu que tu ne réponds presque… jamais à mes SMS, je me suis dit que
peut-être, tu étais à court de batterie, raille-t-il.
— J’ai été occupée, Léo.
— Comment va ta mère ?
— Cela t’intéresse, honnêtement ?
Il se gratte la tête.
— Curieusement… oui. Tu as bien fait de la placer ici, c’est une bonne
clinique.
— Merci monsieur le docteur pour ton approbation ! pesté-je.
De quoi je me mêle ?
— Tu ne peux pas être un peu moins sur la défensive, Lilly ? Je ne suis pas
ton ennemi.
J’ai déjà entendu ça quelque part.
— Je repars demain pour l’Italie, et j’espérais qu’on aurait dîné ensemble au
moins une fois.
— C’est vrai que je t’en dois un.
— Si tu le veux bien…
— Où sont tes sbires ?
— Je ne les trimballe pas partout avec moi, seulement quand je suis en
affaires. Cela dit, j’aurais peut-être dû les emmener, car tu es plus dangereuse
que tu en as l’air ! Monte ! dit-il en m’ouvrant la portière de l’Audi.
Je ne me fais pas prier et je m’installe dans le siège passager. Il prend place à
son tour et j’entends le cliquetis des portières s’enclencher, pourtant la voiture
n’a pas démarré.
— J’ai besoin de discuter avec toi, Lilly, et je dois prendre quelques
précautions avant.
Sa main s’aventure sur ma cuisse et je la dégage instantanément.
— Qu’est-ce que tu fous ? T’as fini de me tripoter ? Je ne rigolais pas la
dernière fois, Léo, à propos de tes couilles !
— Laisse-toi faire, crois-moi tu vas apprécier, m’assure-t-il de sa voix
envoutante. Peut-être que tu es un flic ?
Je me calme, son regard m’apaise. Mon cœur bat la chamade, mon pouls
s’accélère et je ne le repousse plus quand il promène ses doigts sur mon jean. Il
palpe avec lenteur mon mollet puis il remonte tout doucement vers ma cuisse.
Ma nuque se cogne contre l’appuie-tête en cuir. Ses yeux ne suivent pas ses
gestes, car ils sont sur moi. Mes joues s’enflamment lorsque sa main touche mes
côtes qui ne sont protégées que par ma chemise en coton rouge, autant dire rien.
Je sens la chaleur de sa peau contre la mienne à travers le tissu. Ma respiration
s’accélère quand il arrive au niveau de ma poitrine, je vois que ce jeu l’amuse
autant qu’il m’allume.
— Je peux ? me demande-t-il pour dégrafer les boutons de mon haut.
J’acquiesce. Il se rapproche encore plus de moi, au point que je sens son
souffle chaud sur ma chair. La paume de sa main s’aventure sur mon soutien-
gorge en dentelle rose, mais il n’en profite pas pour toucher mes seins. Malgré
tout, mes tétons se manifestent à son effleurement et durcissent. Il passe à l’autre
avec autant d’adresse, toujours en frôlant l’étoffe, puis refait le chemin inverse
sur mon flanc droit.
Je ferme les paupières, car c’est presque insupportable. J’ai oublié combien
la peau d’un homme pouvait mettre en ébullition mes hormones, mais là, je suis
un volcan sur le point d’exploser. Je respire fort, mais je me contrôle, ça, je sais
encore le faire. Sa tempe est si près de mes lèvres, son parfum m’enivre à m’en
faire tourner la tête, à réveiller mes sens, mais je me contiens. Par contre, pour
les battements de mon cœur, je n’y peux rien. Sa main s’égare sur l’intérieur de
ma cuisse et ses yeux reviennent sur moi.
— Ça y est ? T’as bien inspecté partout ? grogné-je en grimaçant.
— Non, il me reste encore quelques zones à explorer, mais je les réserve
pour plus tard, me balance-t-il, sûr de lui.
— Je ne coucherai jamais avec toi, Watts !
Oh… le gros mensonge, Lilly.
— Il ne faut jamais dire jamais, ma belle, réplique-t-il en retournant à sa
place.
— Tu avais peur que je planque un flingue ?
— Un micro plutôt.
Il se doute de quelque chose et ce n’est pas le moment de prendre mon
téléphone.
— Je vais jouer cartes sur table, Lilly. Mon intérêt pour toi est bien plus que
sexuel. J’ai besoin de quelqu’un qui a ton talent…
— … De pilote.
— Oui, d’un chauffeur expérimenté, qui n’a pas froid aux yeux, tu rentres
pile dans cette catégorie.
Je le fixe.
— Je me suis promis de ne plus toucher un volant après l’accident.
— Tu m’as dit que lorsque tu conduisais, tu te sentais libre. Depuis quand tu
n’as plus ressenti cette liberté, Lilly ? Tu t’es emprisonnée toute seule dans une
vie qui ne te convient pas. Je t’offre l’opportunité de retrouver tout ce que tu as
perdu lorsque tu étais pilote, mais en bien plus exaltant.
— Je suppose que c’est… illégal ?
Il tourne le bouton de l’autoradio pour mettre de la musique.
— Lilly, tout est meilleur quand c’est interdit. Évidemment, je ne parle pas
que du boulot, me taquine-t-il.
— Je passe, ce n’est pas pour moi. J’ai ma dose de problèmes, je n’ai pas
envie d’en rajouter et d’aller en prison pour quoi au juste ? Cocaïne ?
— Pour entrer dans la confidence, il faut me dire oui.
Son téléphone sonne et quand il voit qui le sollicite, il décroche. Il ne parle
pas, écoutant son interlocuteur avec attention, puis il raccroche.
— Je dois partir. Le dîner sera pour une autre fois.
Je n’attends pas qu’il me dise de descendre, ma main est sur la poignée et la
sienne vient l’enserrer, son corps est presque sur moi.
— Réfléchis-y, Lilly, sérieusement. Je te propose le kiff de ta vie.
— Bosser pour toi ou coucher avec toi ?
— Ah non, coucher avec le moi, c’est le surkiff, rigole-t-il.
Je ne peux m’empêcher de sourire.
— Tu es beaucoup plus belle quand tu souris. Je te contacte bientôt.
Il m’embrasse sur la joue le plus délicatement possible, mon cœur s’emballe
encore une fois. Ses doigts libèrent les miens, et avant que je ne parte, il me dit :
— J’allais oublier. Achète le journal demain, il y aura un article qui va
t’intéresser.
J’ouvre la portière et quelques secondes après l’avoir claquée, il démarre en
trombe. Je suis chez moi après un trajet interminable, je m’allonge sur le lit en
scrutant le plafond. Mes paupières se ferment, je revois son visage, ses gestes
exquis sur mon anatomie. Je les ressens encore et cela me donne des frissons.
Même quand il n’est pas là, il me fait de l’effet. Interpol m’a menti sur beaucoup
de choses, mais pas sur une.
Il s’intéresse aussi à moi pour ce que je sais faire le mieux : conduire. Je
pourrais lui dire non et juste cloner son téléphone, et cela serait fini pour de bon,
mais le problème, c’est que j’en veux plus. Il a éveillé ma curiosité et il a raison
sur un point. Quand je tiens un volant, je suis libre, je suis moi. Depuis que
j’habite Paris, je ne suis qu’une ombre, un mauvais reflet de ce que je suis. Mais
il y a Maman, et ce n’est pas le moment de déconner, même si Léo me propose
des choses que je souhaiterais avoir. Mais lui… c’est différent, j’aimerais le
posséder, je ne peux pas le nier.
Je me réveille assez tôt, j’ai peu dormi à cause d’Agnès, à cause de lui. Je
regarde par la fenêtre pendant que je me fais couler un café, et cette vue sombre,
déprimante, je ne la supporte plus. La mer me manque, pas spécialement celle de
Monaco, mais juste me réveiller et voir la mer, ça oui, c’est un luxe que j’ai
envie de me payer. Nous acheter un appartement à Nice ou à Menton, ou
pourquoi pas une maison en Corse ? Après tout, qu’est-ce qui m’en empêcherait
maintenant que j’ai de nouveau les moyens ?
J’avale mon expresso et je me rappelle les mots de Léo. Je me connecte à ma
tablette pour lire le journal comme tous les matins. Je le feuillette, rien de neuf.
Quand j’arrive à la rubrique des faits divers, l’article me fait l’effet d’une bombe.
Mme Martine Martine a été retrouvée morte dans la Seine. Un homicide. Elle a
été lestée avec des parpaings et jetée à l’eau. C’est vrai que cela me secoue, mais
pas autant que je l’aurais imaginé. Je m’assois tout de même pour décortiquer
chaque mot de chaque phrase.
Je sais que c’est Léo qui est derrière tout ça, mais je crois même que je
suis… contente. C’est horrible de penser ça, mais justice a été faite pour Agnès.
Après tout, si Léo n’était pas intervenu au Maroc, où serait ma mère à présent ?
Alors oui, je suis peut-être un monstre de penser qu’elle a eu ce qu’elle méritait,
mais je m’en fous. Léo est incontestablement un être maléfique, mais il n’en est
qu’encore plus attirant, c’est ça qui me fait le plus peur.
Parce que malgré tout ce qu’il est, ce qu’il fait, cela ne m’effraie pas. Suis-je
devenue mauvaise ? Ne l’étais-je pas déjà avant ? Je culpabilise pour Cameron,
parce que c’est moi qui l’ai tué, si on y repense bien. Tout est confus dans ma
tête, je ne distingue plus le bien du mal. Ce qu’il faut que je fasse ou pas. Ma
conscience me hurle d’aider Interpol, mais mon cœur, lui, me chante une autre
mélodie. Où commence l’enfer ? Une douche froide m’aidera à y voir plus clair.
Je saute dans la cabine et pousse la pression à son maximum. J’y reste un long
moment, mais je ne trouve pas ma réponse.
La seule chose qui me vient à l’esprit est d’aller voir ma mère et tout lui
raconter pour Martine. Je me suis tue jusqu’à présent, mais il est temps qu’elle
sache. Une fois habillée, j’appelle un Uber, je ne prendrai plus le train, c’est bien
trop long. Je fais un stop dans une pâtisserie du coin pour lui apporter des
religieuses au café, ses préférées. Peut-être qu’aujourd’hui, elle en mangera.
Je suis presque à sa porte, mon carton de gâteaux à la main. Une infirmière
est postée devant sa chambre, je m’avance, mais elle m’arrête. Elle essaye de me
parler, mais je ne l’entends pas. Mes yeux sont rivés sur le lit où ma mère est
allongée les mains sur la poitrine, ses paupières sont fermées. Je démarre au
quart de tour, je lâche mon paquet, je pousse la blouse rose sans la ménager.
Comme un film au ralenti, je cours vers elle. Je n’ose pas la prendre dans mes
bras, si je le fais elle va se briser comme du verre. Ma vue se brouille, puis je la
touche et sa peau est froide, si froide. Est-ce que je respire encore ? Je n’en suis
pas sûre, mon monde s’est arrêté de tourner, Agnès m’a quittée. Je soulève son
corps pour plaquer sa poitrine contre la mienne et je pleure en silence. On me
demande de la lâcher, mais je n’écoute pas, parce que je sais que si je le fais, ça
sera fini, je la perds pour toujours.
∞∞∞
Il pleut, je suis mouillée jusqu’aux os, les nuages pleurent pour l’enterrement
de ma mère. Il n’y a pas grand monde à part le prêtre, les employés des pompes
funèbres et moi. L’homme d’Église lit un passage de la bible, un de ceux que
préférait Agnès :
« Celui qui n’a pas connu le péché, il l’a fait devenir péché pour nous, afin
que nous devenions en lui justice de Dieu. »
Agnès avait la foi, moi, c’est fini, Dieu n’existe plus. Il m’a pris plus qu’il ne
m’a donné, je reprends mon amour, il ne le mérite plus. J’ai cru en lui, mais il
m’a trompée. La messe est dite. On scelle son caveau avec des derniers mots
funestes en lettres dorées. J’embrasse ma main puis la pose sur le marbre glacé.
Au revoir Maman… pour toujours. La douleur dévore mon cœur, mais je ne
pleure plus. La pluie est battante et un taxi m’attend pour me raccompagner à ma
tour.
Sur le chemin, je remarque un concessionnaire. Je demande au chauffeur de
s’arrêter. Je descends et entre dans le magasin en interpellant le premier employé
qui me tombe sous la main.
— Vous avez la dernière Porsche Cayenne ?
— Évidemment, madame, et…
Je le stoppe avant qu’il ne me gonfle avec toutes les explications techniques.
— Un essai, c’est possible ? balancé-je sèchement.
— Heu… oui. Je vais chercher les clés.
Il ne met pas longtemps avant de m’accompagner jusqu’à la bagnole qui est
garée sur le parking. Je lui arrache le trousseau des mains et m’installe derrière
le volant. J’ai une seconde de flottement, toutes les mauvaises choses me
reviennent en tête, mais cela ne me terrorise plus.
Un rouage s’est cassé en moi et je crains le pire. Le vendeur se précipite de
l’autre côté de l’allemande grise pour s’asseoir.
— Si vous voulez retrouver votre famille ce soir, je vous déconseille de
rester dans cette voiture, je l’avertis.
— Il est hors de question que je vous laisse partir avec ! s’indigne-t-il.
Sans le lâcher du regard, je démarre la bête en la faisant vrombir de mes
coups d’accélérateur à répétition.
— Arrêtez ça tout de suite, vous allez…
— Dégage de cette caisse, hurlé-je, extrêmement menaçante.
Ses yeux changent d’expression, il a peur, et même moi, je m’effraie. C’est
moi, mais je n’ai plus le contrôle de mes paroles et de mes gestes. Il descend du
véhicule en me lançant :
— Je vais appeler la police !
— Ne te gêne pas !
J’enclenche la première sans me soucier de savoir s’il est sur mon chemin ou
pas et je mets les gaz. Je m’étais promis de ne plus toucher une voiture, mais
aujourd’hui, plus rien n’a d’importance. Je passe les vitesses toujours avec
agilité, et dès que j’en ai l’occasion, je m’engage sur le périphérique. Le
compteur s’affole dans les tours, je zigzague entre les véhicules en me foutant du
danger, des gens, je ne cesse d’accélérer, il n’y a plus que la route et moi,
toujours plus vite, toujours plus loin.
Des gyrophares font leur apparition derrière moi, la police me colle au cul,
c’est le moment de savoir si j’ai encore quelque chose dans le ventre. Je
malmène le levier, ainsi que mes poursuivants, je pousse la Porsche au bout de
ses capacités, je suis en surrégime, mais cela ne me suffit pas. Je suis toujours au
top et l’adrénaline est de retour, elle me donne du souffle, je respire, j’avais
arrêté depuis la mort de ma mère. Le mur m’appelle, une seule mauvaise
manœuvre et je ne souffrirai plus, la paix, le silence, c’est tout ce que je
recherche. Je dévie de ma course, le mur de béton n’est plus qu’à une poignée de
mètres et mécaniquement, ma main droite s’alliant à mon pied gauche
manigance pour me faire piler avant mon destin fatal.
Lancée à plus de 200 km/heure, il ne serait pas resté grand-chose de moi. Je
n’ai pas le temps de reprendre mes esprits qu’on m’extirpe avec brutalité hors du
bolide pour me passer les menottes. Aujourd’hui n’est pas un jour comme un
autre…
Chapitre 9
Je suis dans cette cellule, assise, le front posé sur mes genoux, mes jambes
repliées contre ma poitrine. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis
enfermée. Quelques heures ? Une semaine ? Je ne suis pas seule, mais les autres
ne m’intéressent pas. Ma vie ne compte plus, alors que je sois ici ou ailleurs, cela
n’a plus vraiment d’importance.
La mort de ma mère a créé un trou béant et je ne sais pas si un jour il se
refermera, mais je n’ai pas envie d’attendre aussi longtemps pour le découvrir.
C’est dur, elle me manque trop. La porte s’ouvre, on m’appelle :
— Marchal ! crie le policier. Tu sors !
Je relève la tête et avec sarcasme, je lui balance :
— Je suis libérée sous caution ?
— Super ! Ce matin, j’ai affaire à une comique. Tu te crois aux USA ? Lève-
toi !
J’obéis. Je suis l’homme de loi jusqu’à un bureau où l’on me restitue mes
effets personnels.
— Pourquoi on me relâche ? Je n’ai pas droit à un avocat ? À un
interrogatoire musclé ? Des douches coquines entre détenues ?
Il m’ignore parce que je l’exaspère avec mes conneries. Je ne peux pas lui en
vouloir car je bats des records de bêtises, même moi je me mettrais des baffes
par moments.
— Pour les douches coquines, je vais peut-être pouvoir faire quelque chose !
dit une voix derrière moi que je ne reconnais que trop bien.
Je me retourne et Léo est là. Tiré à quatre épingles, élégant comme toujours
dans un costume bleu marine taillé à la perfection. Il fait un signe de la tête au
policier et celui-ci me dit que je peux partir. Avec le cataclysme que j’ai
déclenché, j’aurais dû être écrouée, il a dû intervenir une nouvelle fois. Je range
mes affaires dans mon sac à dos et passe devant lui, sans le regarder, sans le
remercier. Il me suit à la trace et une fois hors du commissariat, il m’attrape avec
brutalité par le bras et ne le lâche pas.
— Tu n’es pas content parce que je ne t’ai pas dit merci ? je lui sors en mode
garce.
— Qu’est-ce que t’as foutu, Lilly ? s’énerve-t-il. Tu voulais te tuer sur le
périph, c’est ça, hein ?
Je ne lui réponds pas, je serre les dents de rage, je suis si en colère contre lui,
contre le monde.
— Tu devrais te rebaptiser David Copperfield, Léo, tu es un vrai magicien.
Tu apparais et disparais à ta convenance. Je ne veux plus te voir, je n’ai pas
besoin de toi et de tes tours de passe-passe. Je suis grande, j’assume mes actes.
— Je suis désolé pour ta mère, je le suis vraiment, et je regrette de ne pas
avoir été là pour son enterrement, mais je ne le pouvais pas.
— Qu’est-ce que tu en as à foutre de toute façon ? Tu ne la connaissais
même pas ! lui balancé-je à la figure, acide. Je peux reprendre mon bras avant
que tu ne me coupes complètement la circulation du sang ?
Il respire fort, je le vois à sa poitrine qui se soulève. Il est furieux, ses traits
sont durs, et même l’eau de ses yeux n’arrive pas à les adoucir. Il relâche son
emprise mais reste sur ses positions en me barrant la route.
— Tu viens avec moi, monte dans la Mercedes, m’ordonne-t-il.
Maintenant qu’il le souligne, je remarque la voiture et ses sbires à l’intérieur.
Monsieur est là pour le business, apparemment.
— T’as un truc frauduleux à me proposer ? hurlé-je presque parmi ces
policiers qui vont et qui viennent.
Mon commentaire le met hors de lui. Il passe son bras derrière mon dos et
me serre contre lui. Il m’oblige à avancer vers la berline en marchant vite. À
notre arrivée, un des deux molosses ouvre la portière. Je pense quelques
secondes à crier au kidnapping, mais j’ai assez fait des miennes. Léo me jette
presque dans le véhicule et le contourne pour s’asseoir de l’autre côté. Une fois à
bord, on démarre.
— À la Madeleine, chauffeur, s’il vous plaît ! dis-je au conducteur en
badinant.
— Tu te crois drôle, Lilly ?
— Il paraît que je le suis, répliqué-je, toujours aussi désinvolte. Beaucoup
plus en ce moment, en fait.
— Tu souffres et tu ne sais pas comment gérer cette douleur. Avec le temps,
cela passera. Je ne te dis pas que tu vas oublier, mais ça sera plus facile, crois-
moi ! Je vais t’aider à ce que ce soit moins dur.
— C’est vrai que tu es un spécialiste, toi qui me connais à peine !
— J’ai aussi perdu ma mère, de la même maladie, et je… l’aimais autant que
toi, avoue-t-il pudiquement. Tu as été imprudente. J’ai fait des pieds et des mains
pour te sortir de cette situation sans qu’aucun rapport ne soit fait. Alors je pense
qu’un petit merci ne serait pas de trop.
Je l’ignore, absorbée par le paysage qui défile sous mes yeux, même si celui-
là n’a rien de si intéressant.
— Tu ne dis rien ? râle-t-il.
— En fait, si. Qu’est-ce que tu attends de moi ? Qu’est-ce que j’ai de si
spécial que tu te donnes autant de peine ? Parce que des pilotes expérimentés
sans états d’âme, ce n’est pas difficile à trouver.
— Je te veux toi, ce n’est pas une raison suffisante ?
— Si tu parles de conduite, il y a bien meilleur que moi, et si c’est pour le
sexe, je suis nulle au pieu, le pire coup du siècle.
— OK, puisque tu le prends comme ça…
Il détache sa ceinture de sécurité et son corps vient surplomber le mien. Sa
bouche se presse contre la mienne. Ses dents attrapent ma lèvre supérieure, la
titille, et sa langue, avec brutalité, capture la mienne. Je ne lui résiste pas et sans
le contrôler, ma main se pose sur sa nuque pour qu’il continue, ce qu’il fait.
Nous nous embrassons langoureusement, au point que mon intimité se réveille.
Sa bouche se détache, nous nous regardons, nous haletons, c’est le meilleur
baiser que je n’aie jamais reçu, mon cœur est d’accord avec moi. Léo repart à sa
place, réajuste sa cravate, puis remet sa ceinture.
— Je ne sais pas pour le cul, mais tes baisers sont… excitants.
C’est le mot exact, je le suis… excitée.
— Tu as besoin de te reposer, continue-t-il, de faire ton deuil au calme. Je
t’emmène en Italie pour quelques jours et après on parlera boulot.
— C’est pour ça que tu m’as embrassée ? Pour que je travaille pour toi ?
— Non, Lilly, parce qu’il fallait te donner un but, tu n’en as plus et tu pars en
vrille, c’est dangereux. Et surtout, admet-il en se raclant la gorge, je le désirais.
Sois honnête, tu n’as pas envie de moi à présent ? Bien plus que la première fois
qu’on s’est rencontrés ?
— Tu es un sale con !
Il sourit.
— Je sais, mais c’est ce qui fait tout mon charme.
— Qui te dit que j’ai envie de toi ?
— Ton corps, il répond au contact du mien.
— C’est physique, cela ne signifie rien, dis-je, sèche.
— C’est un début.
— Oh et puis quoi ? Tu vas aussi me sortir que tu es tombé amoureux de moi
pendant qu’on y est ?
— Non. Je pense sincèrement que l’amour se cultive jour après jour. Les
gens qui disent qu’ils s’aiment tout de suite, ce sont des menteurs. Pour aimer
quelqu’un, il faut apprendre à le connaître complètement avec ses qualités et ses
défauts. On aime dans le temps, pas dans l’instant.
— Et les femmes avec qui tu couches ? Elles représentent quoi pour toi ?
— Pas grand-chose. Elles le savent, et elles s’en accommodent. Des palaces,
de jolies robes, des bijoux, des soirées… Et quand j’en ai marre, on se dit au
revoir.
— Belle philosophie.
— C’est la mienne, pour l’instant.
— Si tu comptes m’appâter avec toutes ces conneries pour me mettre dans
ton lit, c’est loupé.
— Tu es différente, Lilly, je l’ai su tout de suite, donc je ne m’essayerai pas à
te faire cet affront.
— Je ne partirai pas avec toi en Italie tant que tu ne me diras pas ce que tu
me veux au juste. Tu m’enfumes avec tes belles phrases, tu tentes de te faire
passer pour un gentil, alors que tu ne l’es pas. Il est temps d’être un peu honnête
et de jouer cartes sur table.
— Très bien… On m’a volé une cargaison assez coûteuse et je veux la
récupérer.
— Qu’est-ce que j’ai à voir là-dedans ?
— Le camion qui m’a été subtilisé partira dans quelques jours pour la
Russie. Il est entreposé en Roumanie pour le moment. As-tu déjà entendu parler
du go fast ?
— Des convois illicites transportés par des bolides qui ne s’arrêtent pas.
C’est ça le job ? Prendre ta cargaison de drogues ?
— C’est un peu plus compliqué que ça… Imagine le même concept avec un
camion qui roule vite avec un ou deux types à bord armés jusqu’aux dents.
— Je ne suis pas une braqueuse, Léo ! De la drogue en plus, pour qui tu me
prends ?
— Je ne te demande pas de détourner le camion, j’ai une équipe pour ça. Je
veux juste que tu le ralentisses. J’ai besoin que ce satané bahut perde de la
vitesse afin que mes hommes puissent monter à bord. Tu sais manier les
véhicules comme personne.
— De la drogue, hors de question ! Va te faire foutre ! Laisse-moi descendre.
— Ce n’est pas de la came.
— Non ? dis-je, en faisant l’idiote. Alors quoi ? Un convoi de spaghettis de
haute importance ?
Il grimace. Je sais que ça lui coûte de le dire.
— Des armes.
— Ben tiens ! De mieux en mieux ! hurlé-je en jouant la surprise. Bien sûr
que je vais aider une raclure comme toi !
— Une raclure ? C’est un travail comme un autre, Lilly ! hausse-t-il le ton.
— Tu tues des gens, Léo.
— Moi ? Non ! Tu te trompes. Je procure le matériel et mes clients l’utilisent
à leur convenance.
— Tu vends la mort.
— Pas plus que ceux qui fournissent les cigarettes ou l’alcool. Les personnes
qui les achètent sont conscientes des risques et pourtant, cela ne les empêche pas
de consommer, et pire, les gouvernements laissent leur vente libre et légale. Tu
penses que je suis mauvais, Lilly ? C’est le système qui l’est. Je ne suis qu’un
petit maillon de la chaîne. Les pays ont besoin de types comme moi pour écouler
leurs marchandises. Les USA, Le Royaume-Uni, La France, et j’en oublie. Ce
sont eux les plus grands vendeurs d’armes de la planète. Je ne suis rien comparé
à ces puissances. Sauf qu’eux, personne ne les blâme. Non… Lilly, c’est le
système qui est corrompu, pas moi. Cette cargaison que je dois récupérer doit
être dans les mains des rebelles qui combattent les terroristes.
— Tu as le don de faire passer quelque chose de mal pour quelque chose de
louable. Tu es doué, il n’y a pas à dire.
— Tu sais ce que j’attends de toi. Tu y réfléchis et si cela ne t’intéresse pas,
tu seras libre de partir.
— Avec ce que tu viens de me confier, je ne le serai plus jamais… N’est-ce
pas, Léo ? Sois je te suis, sois moi aussi je vais nager avec les poissons dans la
Seine, comme Martine ? En m’avouant tous tes desseins, tu savais exactement ce
que tu faisais, et le choix, depuis notre première rencontre, je ne l’ai jamais eu.
Mon cœur bat à toute vitesse. Arnaud était loin de la vérité. Watts est plus
que dangereux, car il est extrêmement brillant. Il a toujours un coup d’avance et
s’adapte à chaque situation.
— C’est ce que j’admire chez toi, Lilly, tu es loin d’être con. Tu comprends
tout sans qu’on ait besoin de t’expliquer, c’est une qualité que j’apprécie.
Cette fois, c’est moi qui détache ma ceinture et plus vite que la lumière, je
fonds sur lui en attrapant ses burnes. Je les maintiens avec fermeté, mais sans
trop les presser, j’ai besoin qu’il respire encore.
— Tu pensais avoir affaire à qui, Léo, exactement ? Une petite oie apeurée,
aveuglée par ton argent et ton pouvoir ?
La voiture s’arrête brusquement. J’entends que l’un des hommes à l’avant
dégaine son arme. Je tiens la virilité de Léo entre mes mains, pourtant, il ne
bouge pas, silencieux, il me défie du regard. Je ne sais pas ce qu’il pense en cet
instant, mais moi, j’ai la tête vide, dénuée de toute lucidité. Je colle ma bouche à
son oreille et lui murmure, déterminée :
— Si je bosse pour toi, Watts, c’est parce que je l’aurai décidé, et non parce
que tu m’y auras obligée. Tu ne me fais pas peur, ni toi ni personne. Alors tes
menaces à peine voilées, garde-les pour impressionner tes poules ou tes
partenaires, pas moi, je n’ai plus rien à perdre.
— Je prends ça pour un oui ? sourit-il.
Je profite de la situation pour jouer avec ses boules en les manipulant avec
douceur. Ses joues se teintent de rouge, il apprécie. Il se redresse et à son tour, il
me chuchote :
— Décidément, Lilly, tu me plais de plus en plus. Je ne t’effraie pas, tu es
mon égale. Toi et moi, cela va être le feu d’artifice tous les jours.
Je relâche mon sulfureux étau et je retourne m’asseoir. Rien n’arrive à le
déstabiliser, c’est déroutant. Les deux bulldogs se calment et la Mercedes
reprend sa route. Je lis les panneaux, nous nous dirigeons vers l’aéroport de
Paris-Le Bourget.
— Le Bourget ? interrogé-je Léo.
— Mon jet nous y attend.
— Décidément, tu ne fais rien comme les autres.
J’ai besoin d’une porte de sortie plus que jamais. Je fais mine de chercher un
paquet de mouchoirs dans mon sac à dos et j’utilise l’application de Brigitte. Elle
aura largement le temps de cloner le téléphone de Léo. Mon futur est plus
qu’incertain, mais je sais une chose, c’est que quand je suis avec lui, la douleur
qui me dévore est un peu moins gourmande.
Chapitre 10
Nous n’avons pas parlé le temps du vol. Il était occupé au téléphone et moi,
j’étais perdue dans mes pensées. Une voiture nous attend quand nous atterrissons
à l’aérodrome. La seule chose que je peux lui soutirer pendant notre trajet, c’est
que notre destination est le lac de Côme, où il possède une maison. Le domaine
est immense.
Jardins en terrasses à perte de vue, une vraie forteresse de pierre dans le pur
style italien, alliant le moderne et l’ancien, surplombant le lac. Plusieurs voitures
sont garées à l’extérieur. Ferrari, Lamborghini, Porsche, Aston Martin,
Mercedes… Soit c’est un passionné de voitures, soit il est concessionnaire de
bagnoles de luxe.
Les portières s’ouvrent et son personnel de maison vient nous accueillir. Sans
qu’il ait besoin de dire quoi que ce soit, la gouvernante me prie de la suivre.
Apparemment, j’étais attendue. Je traverse cette magnifique villa au sol de
marbre blanc, aux rideaux beiges, aux meubles noir et crème. C’est très chic,
sobre et classe. On m’emmène jusqu’à mes appartements. Lit king size, tapis
recouvrant le parquet de bois, salon adjacent, terrasse privée avec vue.
C’est deux fois plus grand que mon appartement dans le 13e et toujours
décoré avec goût, dans les mêmes couleurs que les pièces que j’ai déjà visitées.
— Cela te plaît ? dit Léo qui s’assoit dans l’un des fauteuils en velours noir
près de la porte-fenêtre.
Je ne me suis même pas aperçue qu’il me collait au train.
— Ça fera l’affaire pour quelques jours, répliqué-je.
— Lilly, ici tu as le droit d’être qui tu veux, personne ne te jugera, moi le
premier. Lâche prise, arrête d’être sur la défensive, tu n’as rien à craindre avec
moi, de moi.
— Tant que je suis de ton côté ? Mais si je ne le suis plus ? Je te rassure, ce
n’est pas que je m’inquiète de mon sort en ce moment…
— Moi si, et je ne te ferai jamais de mal. Je me préoccupe de ton bien-être,
c’est pour cela que je t’ai emmenée ici.
— Tu es un beau parleur, Léo.
— Lilly, souffle-t-il, les mains croisées sur les genoux. Tu as le droit de ne
pas me croire, mais je ne te mens pas. Je vis dans deux mondes bien différents.
J’ai l’habitude de compartimenter au maximum pour ne pas les mélanger, mais
avec toi, je sais que je pourrais le faire. J’aurais la liberté d’être qui je suis sans
avoir besoin de tout cacher en permanence. C’est pour ça que je te porte autant
d’intérêt. Nous sommes faits du même bois. Nous aimons faire ce que nous
voulons, quand cela nous chante, sans aucune règle.
— Ce qui m’ennuie le plus, c’est ce que tu es capable de faire quand on ne
va plus dans ton sens.
— Tu parles de ta… Martine ?
— Entre autres.
— Ce n’est pas ce que tu voulais ? Qu’elle paye pour ce qu’elle a fait à ta
mère ?
— Je ne te cacherai pas que j’ai été…
— Contente ?
— Soulagée… mais peut-être qu’il y aurait eu un autre moyen.
— Quand un virus se propage, je l’éradique, Lilly. C’est ma façon de
procéder. Je ne me laisse pas emmerder par des gens qui pourraient me nuire.
Cette femme pigeonnait les seniors, quelque part j’ai rendu justice, personne ne
la regrettera.
Il dégrafe le bouton de sa veste de costume pour se mettre plus à l’aise.
— Si tu veux t’en aller, je ne t’en empêcherai pas, puisque mon manque de
moralité te heurte autant.
Je m’installe en face de lui, il n’y a que cette table basse en verre qui nous
sépare.
— J’ai accepté de faire ce job, Léo, je n’ai qu’une parole, après...
— Quand j’aurai gagné ta confiance, peut-être que tu me verras sous un
meilleur jour. Le bien, le mal, ce sont des notions qui ne sont séparées que par un
voile très mince. En me débarrassant de Martine, bien que ce soit… mal, j’ai fait
le bien.
Je reste silencieuse. Je ne peux ni l’approuver ni le contredire parce qu’il n’a
pas tort, au fond.
— Va dormir un peu avant la soirée, me conseille-t-il.
— Quelle soirée ?
— Je donne une fête pour des investisseurs. Tu n’es pas obligée d’y
participer, évidemment, mais j’aimerais tout de même que tu sois présente.
— e n’ai pas de quoi m’habiller, je ferais tache parmi tes invités.
— Tu as un dressing bien rempli, tu n’as qu’à choisir ce que tu veux.
Il se lève et me laisse. Je suis crevée, mais avant d’aller dormir un peu, je
vais faire un tour sur la terrasse. La vue y est magnifique, reposante, paisible.
J’inspire un grand coup et je pleure. Je pense à ma mère. Elle aurait aimé être ici,
elle aurait même apprécié Léo, je crois. Elle a toujours eu un petit faible pour les
bad boys. Je retourne à l’intérieur et je me lance littéralement sur le matelas.
J’attrape un oreiller qui sent bon la lavande et je m’assoupis. Ce sont les
vibrations de la musique qui me réveillent. J’agrippe difficilement mon
smartphone pour y lire l’heure, car je suis encore dans les vapes. Il est presque
21 heures, j’ai fait une longue sieste. Je n’ai pas beaucoup dormi depuis la mort
d’Agnès. Je commence à avoir faim et avant de me montrer, je vais prendre une
douche dans cette salle de bains grandiose.
Je reste un bon moment sous l’eau froide, cela me détend, même s’il est
difficile d’imaginer qu’on puisse être relax dans une situation pareille. J’enroule
une serviette autour de moi et je vais jeter un coup d’œil à la penderie, où rien ne
me convient. Sans aucun doute réserve-t-il ces fringues à ses pétasses à grosse
poitrine. Il n’y a quasiment que des robes aguicheuses.
Cela dit, je trouve quand même un Levi’s à ma taille et une chemise en satin
noir. Je me sèche les cheveux, me coiffe. Je ne m’attarde pas plus et je me laisse
guider par la musique. Les convives sont concentrés autour de la piscine à
débordement de la maison. Champagne, petits fours, lumières tamisées,
cocaïne… Je me demande ce que je fous ici, ce n’est pas mon monde et quand
mes yeux trouvent Léo en train de discuter, de rire, avec l’un de ses invités, je
comprends. Je suis magnétisée par cet homme et c’est à cause de ça que je me
retrouve dans ce pétrin. Si rien ne m’attirait chez lui, je serais probablement à
Paris, seule à me morfondre plus que je ne le fais en ce moment.
Il m’offre de m’ouvrir les portes de son univers, il m’offre une nouvelle vie.
Je n’ai pas le temps de cogiter plus sur mon existence que des gens commencent
à crier. Un type sorti de nulle part pointe une arme sur la tempe de Léo. Il est
agité, tout comme mon cœur, et prêt à passer à l’acte. Léo essaye de le calmer
même s’il n’y arrive pas.
— Espèce de salaud ! aboie l’homme. T’en prendre à un gosse !
Je ne suis pas Sherlock Holmes, mais je pige vite que ce mec doit être le père
du petit William.
— Écoute Andrea, on va s’asseoir et on en discute sans s’énerver, OK ?
Certains des gardes du corps de Léo évacuent les invités pendant que
d’autres pointent leurs flingues vers l’intrus. Ce type va le faire, il va le buter.
— Je suis d’accord avec vous ! hurlé-je. Ce mec mérite qu’on lui mette une
balle.
Sans lâcher sa cible, Andrea jette un œil en ma direction, en faisant bien
attention de ne pas décoller le canon de là où il se trouve. J’essaye de faire
diversion comme je peux.
— Ne faites pas ça ici parce que si vous appuyez sur la gâchette, la seconde
d’après ils feront feu sur vous, et vous ne raconterez plus d’histoires à William
pour qu’il s’endorme.
— Vous êtes dans le coup ? s’énerve-t-il.
— J’ai aussi été enlevée par Watts. William, je le connais parce que j’ai tenté
de le délivrer à Monaco, mais je n’y suis pas parvenue. Menez Watts dans un
endroit où l’on ne vous trouvera pas. Je me fous de ce que vous lui ferez du
moment que vous me sortez d’ici. Emmenez-moi avec vous !
Il transpire, il ne tient pas en place, il ne faut plus tarder.
— Qui me dit que vous ne faites pas partie de sa bande, hein ? Que vous me
racontez des conneries ?
— Regardez-moi ! fais-je en jouant la comédie. Je ne suis pas avec eux.
Allez, on prend une de ses bagnoles et on se casse d’ici !
Je tente de le convaincre même si je suis une piètre actrice, j’appuie mes
dires avec un sourire.
— OK ! File-moi la clé de ta Mercedes et ordonne à tes chiens de ne pas
nous suivre, qu’ils déposent leurs armes à terre.
Léo hoche la tête légèrement et un de ses sbires me donne les clés. Eux
obéissent à l’assaillant. J’ouvre la marche et Andrea traîne Léo avec lui tout en
faisant bien attention à ne pas le lâcher.
— Montez à l’arrière, comme ça vous pourrez le tenir en joue, je vais
conduire.
L’homme acquiesce et avant d’être poussée brusquement à l’intérieur de la
voiture, je glisse à Léo :
— Attache-toi.
Ses yeux, qui jusque-là n’étaient qu’incompréhension, s’illuminent. Je
m’installe derrière le volant.
— Destination ?
— Lecco !
J’entre les coordonnées dans le GPS et je démarre au quart de tour. Nous
voilà filant dans la nuit à toute vitesse, je pousse de plus en plus la Mercedes, je
m’interdis de penser. La route n’est pas facile, mais je n’ai pas besoin de la
connaître pour accomplir ce que je sais faire le mieux. Je surveille le rétro,
j’attends le bon moment, une opportunité pour délivrer Léo. Andrea l’injurie en
italien, il se rapproche de lui, et sans crier gare, il assène un coup de crosse à Léo
et lui pète le nez, il pousse un juron. Je serpente sur le bitume, ses virages, le
compte-tours s’affole et le moment que j’attends depuis la villa arrive. Andrea
est pile au milieu de la banquette, je freine en tirant à fond sur le frein à main. La
Mercedes s’immobilise brusquement en faisant crisser ses pneus et l’homme, tel
un boulet de canon, traverse tout l’habitacle ainsi que le pare-brise. Je me
protège avec les bras des éclats de verre. Léo m’a écoutée, lui, et a mis sa
ceinture, pas Andrea.
Une partie de son corps est toujours à l’intérieur tandis que sa tête est à
l’extérieur, coincée dans le pare-brise, ensanglantée. Je me détache et je sors en
courant pour aller vomir sur le bas-côté de la route. Même si je savais ce qui
allait se produire, le voir en vrai, c’est dégoutant. Je dégobille et quand je me
retourne, Léo vérifie le pouls de l’italien. Léo pisse le sang par les narines, mais
ça ne l’arrête pas. Il sort un mouchoir en tissu de sa poche et se tient le nez.
— Il est vivant ? demandé-je.
— Oui.
— Appelle la police ! lui suggéré-je.
— Dans ce milieu, on ne règle pas ses affaires en y mêlant les keufs.
— Qu’est-ce que tu vas faire alors ?
— Il ne vaut mieux pas que tu le saches, Lilly.
— Ne le tue pas, il a un fils.
Il me regarde et même dans l’obscurité, je peux percevoir de la fureur dans
ses yeux, pas après moi, mais à cause de ce qui vient de se passer. Léo aime
avoir le contrôle de la situation et là, il l’a complètement perdu, ce qui le met en
rogne.
— Nous sommes tous le fils ou la fille de quelqu’un. Ne te mêle pas de ce
qui ne te regarde pas !
— T’as raison, je n’aurais pas dû et à l’heure qu’il est, on n’aurait pas cette
conversation parce que tu serais MORT ! crié-je sur le dernier mot.
Je n’ai pas le temps d’argumenter plus que des phares de voiture nous
aveuglent. Léo se dirige vers eux, ce sont ses hommes.
— Monte avec Jean ! m’ordonne-t-il.
— Et toi ?
— Je te rejoindrai plus tard.
Je ne désire pas discuter avec lui davantage, car je veux me casser d’ici. Je
m’installe dans la BMW alors que deux de ses hommes en descendent pour
parler avec leur patron, je n’ose pas… non, je ne souhaite pas savoir ce que Léo
réserve à son agresseur. J’espère que le petit à une mère, car peut-être qu’il
n’aura bientôt plus de père.
Pendant qu’on me ramène à la villa dans un silence complet, je me repasse le
film au ralenti. Quand j’ai vu ce type prêt à le liquider, un truc s’est déclenché, je
ne voulais pas que cela arrive, je ne voulais pas le perdre. J’ai eu cette idée qui
me paraissait stupide sur le moment, mais elle a marché. Je ne souhaitais pas la
mort de cet homme même si c’était une possibilité. Mon unique objectif était de
sortir Léo de ses griffes, mon Léo.
Maman, qu’est-ce que je suis devenue ? Qu’est-ce que ce type m’a fait pour
me faire dévier du droit chemin ? Je ne crois plus en Dieu, mais je n’ai pas perdu
ma conscience, même si parfois, quand je suis avec lui, je m’en sens dépourvue.
Est-ce de l’amour que j’éprouve ? L’amour du risque ? Je ne peux nier que
pendant notre virée, j’ai ressenti cette adrénaline qui m’a tant manqué. Oui, je
l’avoue, j’ai adoré ça, suis-je mauvaise pour autant ? Une fois rendue dans ma
chambre, je m’aperçois que mes vêtements sont souillés de sang, même si sur le
noir, ce n’est pas évident à détecter.
Je sais que cela en est, les éclaboussures sur mon visage, elles, ne mentent
pas. Je m’arrache ces fringues et les jette à terre pour m’engouffrer dans la
douche et me purifier la peau, parce que pour l’âme, je crains qu’on ne puisse
plus rien faire. L’amour a une puissance insoupçonnée, il peut être bon et
mauvais à la fois. Je reste un long moment sous l’eau, une heure, plus ?
La peau de mes doigts est fripée. Mes doutes ont disparu, je n’ai plus de
remords pour ce que j’ai fait. J’enfile un peignoir et quand je sors de la salle de
bains, Léo est là à m’attendre. Il a un pansement sur le nez et les yeux cernés de
bleu. Même dans cet état, il n’est pas désagréable à regarder. Il s’avance vers
moi à pas de chat et pose la main sur le nœud de mon peignoir, mais j’attrape son
poignet pour l’arrêter, sans être brusque. Il me fixe sans retirer ses doigts de là
où ils se trouvent :
— Qu’est-ce que tu aimais faire après une bonne course ?
Je suis déconcertée, parce que j’ai l’impression qu’il lit dans mes pensées.
— L’adrénaline me donne toujours envie de… sexe.
— Cela tombe très bien dans ce cas !
Il tire d’un coup la ceinture et je me retrouve nue devant lui. Il me reluque de
la tête aux pieds, satisfait, mais c’est moi qui me jette sur lui pour l’embrasser.
Sauvagement pour goûter chaque parcelle de ses lèvres, puis je m’approprie sa
langue. Ses mains enserrent mon visage pour me rendre ma fougue. Il doit
souffrir, mais il ne le montre pas. Ses doigts se positionnent sous mes fesses et
ils me soulèvent comme une plume. J’encercle sa taille de mes jambes. Je pense
atterrir sur le matelas, mais c’est bien mal le connaître. Je me fais violemment
plaquer contre le mur, en apesanteur. Nous continuons à nous embrasser, mon
cœur s’emballe, et d’une seule main, il dégrafe le bouton du pantalon de son
costume et descend la braguette. Je sens sa virilité gonflée contre ma féminité en
ébullition, mais je le stoppe :
— Pas sans préservatif !
— Je suis sain, Lilly, je me retirerai à temps. Tu me fais confiance ?
J’halète. En temps normal, j’aurais refusé, mais depuis que je le connais, ma
normalité n’a plus lieu d’être. J’approuve. Il s’enfonce en moi avec bestialité, au
point que ma tête cogne doucement contre la cloison. Je sors un râle de
délectation qui vient de nulle part. Je n’ai jamais gémi de cette façon. Chacun de
ses déhanchés me fait taper dans le mur, mais je ne m’en plains pas, enfin si,
mais d’une manière délicieuse.
Mon être est envahi d’une vague de plaisir intense, mon corps ondule au
rythme du sien. Nous formons une parfaite combinaison et je cherche toujours
ma respiration. Il regarde avec avidité son sexe allant dans le mien, puis sa
bouche revient sur la mienne. Nous inspirons ensemble. Son dernier coup de
reins me cloue définitivement et ma tête vient se poser sur l’épaule de Léo qui
lui, est toujours habillé.
Il me fait redescendre sur terre avec douceur et me passe le peignoir qu’il
attrape au sol, puis il disparaît dans la salle de bains. Quand il revient, sa
braguette est remontée, il a désenflé.
— Je n’ai pas éjaculé, ne t’inquiète pas, mais je ne peux pas te promettre que
je pourrai me retenir à chaque fois.
— Pourquoi ? Il y aura des prochaines fois ?
— C’est à toi d’en décider, Lilly.
— Comment va ton nez ?
— Mon médecin est en bas, il m’attend, mais je voulais te dire merci pour ce
que tu as fait ce soir. C’était astucieux, mais dangereux.
— Ça ne serait pas arrivé si ta sécurité avait été plus efficace.
— Tu as raison, je vais y remédier, mais d’un autre côté, je me dis que ça en
valait la peine puisque je t’ai eue.
— Tu pourras inscrire un autre nom à ta longue liste.
Il ne répond pas tout de suite puis lâche :
— Je n’ai pas de liste, Lilly, parce que ça signifierait que les femmes avant
toi comptaient.
Je change de sujet, ses anciennes conquêtes m’indiffèrent. Parce que « cher
M. Watts, je vais être ta dernière », même si tu ne le sais pas encore.
— Et Andrea ? le questionné-je.
— Tu veux vraiment être au courant ?
— Non.
— Tant mieux, parce que tu n’aimerais pas la réponse. Je suis comme je suis,
Lilly, c’est le boulot qui est comme ça, même pour toi, je ne changerai pas les
règles, parce que si je le fais, les scènes comme ce soir risquent de se reproduire
et je ne le permettrai plus. Je veux que ce soit bien clair entre nous, compris, ma
belle ?
Je souffle, mais en restant muette. Je sais ce qu’il est, et je n’ai pas besoin
qu’il me le rappelle. Il s’approche de moi, caresse ma joue et m’embrasse le
front.
— Quoi que tu en dises, miss Marchal, tu es une sacrée pilote et un sacré
bout de femme. Va te coucher, et si tu es sage peut-être que je viendrai te border,
voire plus.
Il se dirige vers la porte et me sort :
— Tu es loin d’être un mauvais coup au pieu, même si c’était sur un mur
pour notre première fois, rit-il avant de me laisser.
Chapitre 11
Il est tard quand j’ouvre enfin les paupières. Je passe instinctivement la main
sur le côté, mais Léo n’est pas là. Je n’ai plus dormi de la sorte depuis… je ne
sais pas, au juste. Il s’est collé contre moi toute la nuit et m’a enveloppée de sa
chaleur. Son bras sur mon ventre m’enserrait tendrement, juste assez pour que je
ne bouge pas.
J’ai senti son souffle saccadé dans ma nuque, et à chacune de ses expirations,
mon cœur palpitait. Les draps portent encore son parfum. Je me lève et une fois
préparée, je descends prendre mon petit déjeuner. Des hommes en noir sillonnent
la maison, ce sont de nouvelles têtes. Il n’a pas perdu de temps pour renouveler
la sécurité.
Léo et moi, nous nous ressemblons. Quand j’étais sur la piste, lancée à toute
vitesse et qu’un des concurrents me barrait la route, il fallait improviser, réfléchir
rapidement pour contourner le problème. Nous sommes des gens d’action. Je
l’avais presque oublié. Ma vie à Paris m’a anesthésiée, mais depuis que je suis
avec lui, je suis enfin moi, dans une version différente, mais cette version-là, je
l’apprécie énormément. Je le retrouve attablé dans la salle à manger, avalant son
café, lisant le journal, toujours habillé avec classe.
Je m’assois en face de lui. On me demande ce que je désire boire en italien et
je réponds dans la même langue : un cappuccino. Léo pose son quotidien devant
lui, aucun doute que je l’intrigue :
— Tu parles italien ?
— Ainsi qu’espagnol, allemand, anglais, russe, mandarin, arabe et français,
bien entendu.
— Je suis impressionné.
— J’ai toujours été douée pour les langues.
— Oh... je suis au courant, mais il faudra que tu me donnes des cours
particuliers, fait-il, malicieux.
On m’apporte ma boisson et je remarque un des titres du journal, on y parle
d’Andrea, il est mort. Je me doutais de son sort, mais le voir noir sur blanc…
c’est autre chose. Léo s’en aperçoit et jette La Reppublica sur la chaise à côté de
lui. Il me sonde du regard, mais je ne laisse rien paraître.
— Tu as passé une bonne nuit, Lilly ?
— Excellente, j’adore mon nouveau doudou.
Il sourit tout en avalant le contenu de sa tasse.
— On a une réunion cet après-midi pour le job qu’on doit faire. Je vais te
présenter à l’équipe dont tu fais désormais partie. Ce soir, je t’emmène dans le
meilleur restaurant de la ville, leurs plats donnent des orgasmes gastronomiques.
Cela dit, fait-il en essuyant sa bouche avec la serviette, si tu ne peux pas tenir
jusque-là, je peux m’en occuper tout de suite.
— Je n’ai pas le temps, j’ai des trucs à voir, mais merci d’avoir proposé,
lancé-je en me levant de table.
Je sens ses yeux sur moi.
Eh oui, Watts, je ne suis pas une fille facile et tu vas me désirer à en perdre
la raison.
Je suis contente de moi parce que je l’ai mouché et il ne doit pas en avoir
l’habitude. Je me dirige vers l’extérieur, là où sont stationnées les voitures.
Malgré toutes ces beautés, une seule m’intéresse, la BMW noire. J’arrête le
jardinier qui passe et le prie de m’indiquer où se trouve le garage. Par chance, les
clés de l’allemande sont sur le contact. Je m’installe derrière le volant et la fais
ronronner.
Je l’emmène jusqu’au garage. J’en descends et je suis interloquée. Tout est
nickel, on pourrait manger par terre, pour un garage, c’est plutôt rare. Cela dit, je
n’ai pas le temps pour un passage en revue des lieux. Je n’ai pas menti à Léo, je
dois bosser sur la bagnole, la rectifier un peu. Si un gros camion vient faire la
poussette avec moi, il faut avoir du répondant, du moins assez pour leur donner
le temps de le détourner.
J’enfile une des salopettes bleues qui est accrochée aux patères et je fouille
dans la caisse à outils. Je relève la tête et Léo est là, droit comme un « i », les
mains dans les poches, en train de me fixer.
— Tu me fuis, Lilly ?
— J’ai du travail. Une berline contre un camion… Je n’ai pas envie de me
retrouver dans le décor au bout de cinq secondes.
— C’est quoi le plan ?
— Je vais renforcer l’arrière, changer le parechoc, les freins et quelques
petites modifications pour booster le moteur. Il me faudra de la puissance pour
tenir la distance.
— Tu es aussi mécano ?
— C’est mon ex qui m’a appris. Il faut connaître sa monture afin de la
manier avec agilité. Il y a une boutique d’accessoires ici ?
— Probablement, je vais me renseigner, mais tu n’as pas besoin de sortir, tu
me dis ce que tu veux et je te le fournis.
— Mes courses, je les fais toute seule comme une grande et sans baby-sitter,
fais-je en passant les manches de ma combinaison autour de la taille qui laisse
apparaître mon t-shirt.
— Je t’aide ? me propose-t-il.
— Tu t’y connais en voitures ?
— Non, pas trop, mais tu vas m’initier.
— Comme tu veux !
Il enlève sa veste avec précaution, sans la froisser, et la dépose bien à plat sur
l’établi. Il dénoue tout doucement sa cravate et je suis sous le charme de ce mini-
strip-tease improvisé. Il ne s’arrête pas là. Je m’appuie contre le coffre de la
BMW. Mes lèvres esquissent un sourire quand Léo commence à dégrafer un par
un les boutons de sa chemise bleu clair si bien repassée. Je découvre à la lumière
du jour une partie de son corps qu’il m’a cachée jusque-là.
Biceps et triceps parfaits, incroyablement bien dessinés et ses obliques en V
que je devine sous son boxer, lorsqu’il retire son pantalon… Waouh ! Je m’en
pince la lèvre inférieure. Il est sans aucun doute bien gaulé. Je m’approche de
lui. Je pose ma main sur son flanc droit où est tatouée une phrase en latin. Je
penche légèrement la tête pour pouvoir la lire, car elle est écrite à la verticale. Je
la traduis à voix haute : « Des ténèbres naît la lumière ».
— Tu parles même le latin ?
— J’ai quelques notions, mais sans plus. Qu’est-ce que cela signifie pour
toi ?
— Ma renaissance.
— Tu vas me balancer que tu as été un enfant malheureux et que ce boulot
t’a permis de t’en sortir ?
— Il n’y a pas que les gosses pauvres qui ont des problèmes. J’ai été élevé
par des parents aimants, je n’ai jamais manqué de rien, mais ce que je suis
devenu, c’est ce que j’ai toujours voulu être. Ce travail a juste révélé ce que
j’étais au fond de moi. Comme toi… Ta vraie nature est de piloter, et non pas de
scanner des articles en caisse. On ne peut pas lutter contre ce que l’on est, Lilly,
et ceux qui le font sont des cons.
— Tu penses que vouloir changer, s’améliorer est une connerie ?
— On ne change pas complètement, c’est ancré en nous, point barre. Merci
pour cette minute de psychanalyse, mais on a du pain sur la planche !
Il enfile une salopette et nous nous mettons au travail. Je modifie autant que
je le peux la BMW et Léo m’aide. J’aime avoir les mains dans le cambouis et
qu’il soit avec moi rend la tâche plus simple. On discute beaucoup, on rigole, on
se confie, même si sur certains sujets il reste mutique et je n’insiste pas. Je passe
un après-midi avec un mec dont je tombe de plus en plus sous le charme, parce
qu’il me montre de multiples facettes.
Léo Watts n’est pas seulement un trafiquant d’armes redoutable, il est aussi
un homme avec des sentiments et des craintes. Après m’avoir mis de la graisse
sur le visage, ce qui le fait beaucoup rire, il jette un œil à sa montre.
— Les gars seront là dans moins d’une heure. Faut qu’on se prépare.
Il se rhabille et me plante dans le garage, typique du personnage. Je referme
le capot de la voiture et je remonte dans ma chambre afin de prendre une douche.
Dans le dressing, les vêtements de la veille ont disparu. Plus de robes de pute,
mais uniquement des jeans, des t-shirts, des chemises et des Stan Smith de toutes
les sortes. Sans que je le lui dise, il a cerné ce que j’aime porter. Je prends la
direction du salon et je trouve Léo entouré de trois hommes. Un jeune asiatique
joli garçon, un autre avec des tatouages, chauve, des dents en or, et le dernier est
une pâle imitation de Léo, en costume de marque, mais en beaucoup moins beau.
— Je vous présente Lilly. Lilly, voici Akito, Romane et Jack.
Ils me dévisagent comme si j’étais une bête qu’on met aux enchères. Akito
vient vers moi pour me serrer la main.
— C’est donc toi la championne du volant ? Léo a oublié de nous dire que tu
n’étais pas moche à regarder.
— Il doit se la faire, sort Jack en reluquant ses ongles.
— Garde tes commentaires pour toi ! balance Léo.
— Tu ne te la tapes pas ? Ça serait étonnant ! réplique Jack en levant la tête.
— Plus exactement, il me saute, balancé-je. Ça te pose un problème ?
— Du moment que tu fais le job, je me fous qu’il te prenne par devant ou
par-derrière.
— Tu as bien besoin d’un costume Armani pour te donner la classe que tu
n’as pas ! je sors aussi sèche que le désert.
— 2012 ! dit Jack. J’étais à Daytona quand tu as gagné. Sacrée course, c’est
dommage que tu te sois retirée pour cette histoire de…
— Jack, arrête ! s’énerve Léo.
— Quoi ? Je lui fais des compliments, rien de plus.
— Si tu ne m’aimes pas… Jack, ce n’est pas mon problème, et on n’a pas
besoin de s’apprécier. Alors comme tu dis, tant que tu fais le job cela me
convient, mais ne t’avise pas de remuer la merde uniquement pour m’agacer
parce que ça va mal se finir ! le menacé-je en m’approchant assez pour qu’il
sente mon haleine sur son visage de fouine.
J’entends des rires étouffés, les gars se marrent, Léo inclus.
— Elle n’a pas oublié sa paire de couilles à la maison celle-là, sort Romane.
Jack sourit et me présente sa main.
— Ravie de faire ta connaissance, Lilly.
Je le considère quelques secondes et lui tends la mienne. Léo intervient :
— Ça suffit les conneries ! On sait qui a la plus grosse maintenant ! Au
boulot !
Léo déplie une carte papier sur la table. Un trait rouge y est déjà tracé. C’est
le trajet que le camion doit parcourir dans les montagnes roumaines. Une autre
ligne qui est en bleu, elle, indique là où il doit se saisir de la marchandise, cela
nous laisse une fenêtre de 10 km.
Pendant que je le ralentirai, Jack sera au volant pour aligner la vitesse de sa
voiture avec celle du camion, afin que Romane et Akito puissent monter à bord
et prendre le contrôle.
— Il n’y a pas de sécurité ? demandé-je. Si ce chargement a autant de valeur,
il va sûrement être protégé.
— Non, pas sur ce parcours. Le type qui me l’a dérobé ne veut pas attirer
l’attention sur le convoi et les montagnes sont tortueuses. Il faudrait être taré
pour aller le braquer, c’est pour ça qu’on va le faire, s’amuse-t-il. Il ne va pas
s’attendre à ce qu’on fasse le coup là où c’est le plus dangereux.
Léo continue ses explications, je l’écoute avec attention, il a tout d’un
meneur, son charisme rayonne dans toute la pièce. Je le fixe toujours en restant
concentrée, je devrais être effrayée par ses projets, par ce que je vais faire, pour
quoi je le fais, pourtant… J’ai des décharges électriques qui titillent mes
terminaisons nerveuses, je suis excitée comme avant une course importante, je
crois que c’est encore mieux.
Je me sens vivre, respirer de nouveau. Je pense à ma mère, à ce qu’elle dirait
de moi en me voyant. Elle a toujours souhaité que je sois heureuse, alors même
si cela n’entre pas dans le politiquement correct, je crois qu’elle approuverait
quand même. Le bonheur ne se contente pas d’une seule case, on le prend là où
il pose ses valises. Léo donne ses dernières instructions, on se reverra tous le
jour du casse et pas avant. C’est-à-dire pile dans une semaine. Ils disparaissent
en nous saluant, Jack n’oublie pas de me reluquer, sourire en coin, avant de
s’éclipser. J’aime bien Akito, Romane ne parle pas beaucoup, difficile de se faire
une opinion, et Jack me hérisse le poil.
— Alors ? m’interroge Léo.
— Alors quoi ?
— Qu’est-ce que tu penses du plan ? De l’équipe ?
— Ça a de l’importance ? Tu vas tout changer si un truc me dérange ?
— Toujours aussi intelligente, ma Lilly !
« Ma Lilly » … Punaise, je me contrôle sinon je vais défaillir.
— Tu essayes de me faire croire que je peux t’influencer, et j’apprécie tes
efforts, mais nous savons tous les deux que lorsque tu auras ce que tu veux, je ne
serai plus si… essentielle.
— Tu penses que je me sers de toi ?
— Totalement !
Il secoue la tête et grimace légèrement. Il se penche vers moi et me susurre :
— C’est vrai qu’on ne se connaît pas encore bien, mais sache que je ne borde
pas mes maîtresses, jamais.
Même si je suis flattée de sa confidence, le mot « maîtresse » m’écorche les
oreilles.
— Si pour toi je ne suis qu’une maîtresse, ne te donne pas autant de mal pour
me sortir au restaurant ce soir ! Je ne suis pas ta pouffe du moment.
— Qu’est-ce que tu peux être agaçante parfois ! s’irrite-t-il.
C’est le but, Watts !
Il attrape mon visage pour m’embrasser fougueusement. Il presse mon corps
contre le sien, ses lèvres se perdent dans mon cou, il est toujours aussi sauvage,
puis il revient sur ma bouche, plus doux cette fois.
—Tu me rends fou, Lilly ! m’avoue-t-il avec sensualité.
C’est le but, Watts !
— J’ai du taff, lâché-je.
Je sors de ma poche un papier que je lui donne. Il le lit :
— De la nitro ? dit-il en s’arrachant le pansement sur le nez.
— On ne la trouve pas en magasin, c’est instable, mais cela va booster
sérieusement la bagnole, surtout dans les montagnes, elle va avoir besoin de jus.
— C’est risqué d’utiliser ça, si c’est mal dosé… tu exploses !
— Tu m’as choisie parce que j’étais la meilleure, non ? raillé-je. J’y vais.
— Lilly !
Pour la première fois depuis que je connais Léo, je perçois de la crainte dans
son regard. Tiendrait-il à moi plus que je ne le suppose ?
Chapitre 12
Nous sommes sur la terrasse d’un restaurant italien qui surplombe le lac. Un
cadre magnifique, discret, avec bougies et musique classique, décoration
raffinée, c’est très… romantique. Léo, avant de partir, m’a déposé sur le lit une
jolie petite robe noire à fines bretelles et des Stan Smith de la même couleur.
L’endroit est chic, je ne regrette pas d’avoir enfilé ces fringues.
La petite touche personnelle m’a quand même soutiré un sourire sur le
moment, car il doit préférer les femmes à talons qu’en baskets, mais il s’adapte.
Le sommelier vient nous voir et sans même consulter la carte, Léo commande
une très bonne bouteille apparemment. Je n’y comprends pas grand-chose, du
moment que le vin est rouge, cela me convient.
Il me dévisage et son expression est douce. Il n’est pas souvent comme ça,
lui qui est si sûr de lui, si imperturbable d’habitude. L’homme revient avec la
bouteille et verse un fond dans le verre de Léo. Il le goûte du bout des lèvres et
hoche la tête. Il me sert également. Une fois le sommelier disparu, Léo entame la
conversation :
— Tu ne regardes pas le menu ?
— Tu as l’air de le connaître par cœur, prends ce qui est bon.
— Eh bien, miss Marchal, tu deviens plus docile ?
— Parce que je te laisse choisir mon plat ? J’appellerais plutôt ça de la
fainéantise aiguë, je n’ai pas envie de chercher.
Il rigole.
— Décidément, tu ne lâches jamais rien.
Nous sommes interrompus par une voix d’homme qui m’apostrophe par mon
prénom. C’est… Amir. Un ami égyptien qui était aussi l’un de mes adversaires
sur les pistes de course. Amir est un très beau mâle, avec ses yeux noisette, sa
chevelure sombre, sa peau hâlée. Il est ténébreux, il a du style, il faisait des
ravages auprès des femmes. Je me lève pour le serrer contre moi, cela fait une
éternité que je ne l’avais pas revu, et c’est bien le dernier endroit au monde où je
pensais le rencontrer.
— Tu es magnifique, Lilly ! me complimente Amir, plus charmeur que
jamais.
— Merci, et toi tu n’es pas mal non plus. Que fais-tu ici ?
— Tu te rappelles, je t’avais dit que je ferais le tour de la Botte un de ces
quatre, je me suis enfin décidé. Côme est ma dernière escale, après ça je rentre
au Caire.
Léo se racle la gorge.
— Oh… lâché-je confuse. Amir, je te présente Léo, un…
— Je suis son mec ! sort Watts en se levant, fixant avec lourdeur Amir.
— … Enchanté, Léo ! réplique mon ami en lui tendant une main que mon
mec secoue vigoureusement.
— Joins-toi à nous ! l’invité-je.
— C’est gentil, mais je suis avec des potes et de toute façon, nous sommes
sur le départ.
Je jette un œil derrière lui, effectivement, une bande de copains l’attend,
prête à s’en aller.
— Lilly, je n’ai pas changé de numéro de téléphone, n’hésite pas à me
contacter, histoire de rattraper le temps perdu, OK ? Je suis certain qu’on a une
tonne de choses à se raconter.
— Je le ferai, Amir. Peut-être même que je viendrai en Égypte te rendre
visite, depuis le temps que je rêve de voir les pyramides.
— Ça serait carrément génial !
Il m’enlace et me fait la bise, et Léo n’a droit qu’à un petit signe de la main
avant qu’Amir mette les voiles. Je me rassois, le serveur vient prendre notre
commande. Léo lui énumère nos plats sur un ton glacial, sans lui prêter attention.
Par contre, il me regarde avec insistance. Une fois qu’il a tout inscrit sur son
carnet, le serveur nous laisse.
— Qui est ce type ?
— Un ami. Nous courions souvent l’un contre l’autre.
— Tu te l’es tapé ? questionne-t-il avant d’avaler une gorgée de vin.
— Non… mais même si c’était le cas, ce ne sont pas tes affaires. Est-ce que
je te demande, moi, la liste des tes ex ?
— Comme je te l’ai dit, je ne retiens pas les prénoms, et je serais incapable
de te la donner, cette liste. Par contre, à partir de tout de suite, ça va changer.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Tu m’as fait comprendre que tu ne souhaitais plus de coups d’un soir,
quelque chose de sérieux, alors je t’offre l’exclusivité.
— … L’exclusivité ?
En disant ce mot, je suis à deux doigts d’éclater de rire, mais vu la tête qu’il
tire, je me ravise.
— Exactement. J’attends que cela marche dans les deux sens, que tu ne
fréquentes personne d’autre que moi.
— Oh, je vois… Ton égo de coq en a pris un coup à cause d’Amir parce que
lui aussi est un alpha ?
— Je vais te l’expliquer le plus clairement possible, Lilly. Si quelqu’un
s’approche encore un peu trop près de toi, je lui casse les deux jambes.
Je reste quelques secondes à scruter ses yeux pour découvrir si c’est une
blague, mais non, il est tout à fait sérieux.
— Donc… si une femme te colle, je lui saute dessus et lui arrache les
cheveux, et je lui crève les yeux ?
— C’est toi qui vois ! réplique-t-il, toujours froid.
— Toi et moi, ça ne va pas le faire, Watts ! Si tu voulais que je sois
prisonnière, il fallait me laisser derrière les barreaux. Tu te crois où ? Au Moyen
Âge, pour me sortir des conneries pareilles ? C’est pour quand la ceinture de
chasteté, pendant qu’on y est ? m’énervé-je.
— Lilly, je n’ai jamais été fidèle, mais avec toi… j’ai envie de l’être.
— C’est certain que si tu pètes les genoux à tous les mecs qui croisent mon
chemin, je ne risque plus d’avoir un grand choix à part toi. T’es complètement
cinglé ! Il n’est pas né le type qui me mettra en cage ! Je me casse, Watts !
Je me lève en trombe, il essaye de me retenir par le bras, mais je me libère et
file tout droit en direction du parking. Il est sur mes talons. Je m’apprête à
monter dans la voiture, mais Léo claque la portière.
— Tu me fais chier, Watts !
— Toi aussi, arrête de faire ta gamine !
Il m’embrasse avec brutalité, je me soustrais à son étreinte et le gifle
violemment. Il m’attrape le poignet droit puis le gauche et les plaque contre la
Mercedes. Ses lèvres viennent à l’assaut des miennes, les rares personnes sur le
parking chuchotent, mais Léo ne s’en préoccupe pas.
— Arrête d’être toujours contre moi, Lilly. Je cherche une alliée, pas une
ennemie. Tu n’as pas idée de ce que j’ai fait ce soir. C’est un grand pas pour moi.
Quand vas-tu enfin comprendre que je suis fou de toi ?
Il me relâche, j’ai du mal à respirer, mais cette fois j’attaque et c’est moi qui
m’empare de sa bouche. Il me presse contre la taule, la paume de sa main
s’aventure le long de ma cuisse et remonte ma robe.
D’un coup sec, il m’enlève sauvagement mon string et toujours avec
habileté, il descend sa braguette, relève ma cuisse gauche pour s’enfoncer en
moi.
L’obscurité du lieu nous confère une certaine discrétion, mais les râles qu’il
me soutire à chaque coup de reins, eux, le sont moins. Je m’accroche à sa nuque,
car je touche à peine le sol, et nous respirons dans le souffle de l’autre. Je suis
une vraie boule de feu, j’ai du mal à contenir tout le plaisir que je reçois.
Ses doigts tiennent avec fermeté mes fesses afin que je ne vacille pas sous la
cadence de ses hanches, puis il pose sa main sur le toit de la berline, gémit et se
retire avant l’explosion finale. Je suis essoufflée, nous le sommes tous les deux,
mais je ne peux m’empêcher de rouspéter, malgré l’orgasme qu’il vient de me
donner :
— Ça t’arrive de baiser dans un lit comme tout le monde ? râlé-je en
récupérant le reste de mon sous-vêtement que j’enfile comme je peux.
— Et toi, ça t’arrive de la fermer et de profiter du moment présent ? Si cela
te déplaisait tant que ça, pourquoi tu n’as pas crié au viol ?
OK, j’avoue, c’était inattendu et plus que top !
Il s’ajuste en remettant sa chemise dans son pantalon, resserre le nœud de sa
cravate et se passe les mains dans les cheveux, car je l’ai franchement décoiffé.
Ses doigts se posent sur mon visage et je me noie dans son regard océan.
— Tu ne veux pas que je sois complètement à toi, Lilly ?
— Bien sûr que si, mais ce n’est pas parce que je suis affectueuse avec un
homme que cela signifie quelque chose. Je ne tolérerai pas ce genre de pratique,
même pour toi.
Il pose son front contre le mien et vient mordiller de ses dents ma lèvre
supérieure avec douceur.
— Très bien… Des rapports amicaux, je peux l’accepter… mais rien de plus
parce que je t’assure que si c’est plus que ça, je ne réponds plus de rien. Dis-moi
que tu es à moi, Lilly, et à personne d’autre, supplique-t-il.
Son parfum m’enivre, Léo me tourne la tête et sans même y réfléchir plus,
les mots s’articulent tout seuls :
— Je t’appartiens.
Notre baiser s’éternise pour sceller notre pacte, nos cœurs battent, je sens le
sien frapper fort, tout comme le mien. Nous entrons dans le restaurant pour
prolonger notre orgasme avec la nourriture. Il retourne à la table et moi je vais
me rafraîchir aux toilettes. Je suis au-dessus de la vasque en porcelaine blanche
qui est fine et élégante. Quand je relève la tête, je reste figée quelques secondes,
surprise, mais sans le laisser paraître. Brigitte est derrière moi. J’étudie son
visage dans le miroir. Ce n’est plus la fille enjouée et fofolle que j’ai rencontrée
les premiers jours. Avec son chignon, elle fait bien flic. Je me retourne pour lui
faire face. Je pourrais avertir Léo, la dénoncer, mais si je le fais… notre pacte
volera en éclats et il n’y a rien de plus important que ça, il n’y a rien de plus
important que Léo à cet instant précis.
— Qu’est-ce que tu fous ici, Brigitte ? T’es dingue ou quoi ?
— Tu ne réponds pas à mes SMS, tu ne donnes aucune nouvelle, je me suis
dit qu’il était plus que temps que j’en prenne.
Elle s’adosse contre l’une des portes, le regard accusateur.
— Tu es passée de l’autre côté ? Il t’a eue ? Du fric, une bonne queue…
— Non, si je ne t’ai pas contactée, c’est parce que je n’ai rien.
— Ça doit être un sacré coup pour que tu en oublies ce qu’il est et ce qu’il
fait ! Plus l’argent que tu possèdes… Tu t’es laissé acheter, Lilly. Je t’avoue,
lâche-t-elle en se redressant, que jamais je n’aurais pensé que tu retournerais ta
veste. Je croyais vraiment que tu étais quelqu’un de droit, de juste, mais tout le
monde peut se tromper. Il t’a corrompue, c’est un de ses talents, il est doué pour
griller les cerveaux. Cela dit, il faut que tu saches une chose. Si tu ne coopères
pas, tu seras logée à la même enseigne que lui lors de son arrestation, parce
qu’un jour ou l’autre, c’est ce qui arrivera. Les pourritures comme lui se font
toujours coincer.
Je m’approche d’elle, plus déterminée que jamais, mais en gardant mon
sang-froid.
— C’est ta chef et toi qui m’avez poussée dans ses bras, je n’ai rien demandé
à personne. J’étais venue passer quelques jours à Monaco pour me reposer. Vous
ne m’avez laissé aucune alternative. Tu parles de corruption, Brigitte ? Je ne
l’étais pas avant de vous connaître, corrompue. C’est votre système qui a fait ce
que je suis aujourd’hui. Vous m’avez manipulée depuis le début. Dégage d’ici et
ne me menace plus jamais.
— Sinon quoi, Lilly ? rage-t-elle à deux centimètres de mon visage.
— Tu devrais essayer les lasagnes, il paraît qu’elles sont divines !
Je sors des toilettes, j’ai le cœur qui palpite, mais jamais je ne lui aurais
donné le fichier que j’ai sur mon téléphone. Si je n’avais pas croisé Léo, je serais
à Paris derrière ma caisse, à pleurer ma mère. Elle aurait détesté ça, que je
m’apitoie sur mon sort. Léo m’a offert une autre option, il m’a presque délivrée
de ma souffrance, il est mon antidote.
Je suis étrangement calme, je viens de dire merde à la police, mais non, je
n’ai pas peur, je suis même contente de l’avoir fait. Je rejoins Léo qui sirote son
verre de vin et m’installe à ma place.
— Je nous ai commandé des linguini alla vongole, c’est un vrai régal.
Comment va Brigitte ?
Là par contre, je suis saisie, mais une fois de plus, je ne le montre pas. Je
maîtrise à la perfection le poker face. Léo est bien trop intelligent pour que
j’essaye de lui mentir.
— Depuis quand tu es au courant ?
— Depuis le début. Je l’avais déjà repérée à l’hôtel bien avant ton arrivée.
Mais toi tu as été une fabuleuse coïncidence. Je t’avoue que je ne savais pas trop
quoi penser. Te permettre de continuer ta petite comédie ou bien me débarrasser
de toi ? Je me suis demandé ce qui te poussait à jouer les espionnes, et j’ai
compris… : ta mère. Ils t’ont proposé de t’aider financièrement. J’ai laissé faire
et j’ai bien fait.
— Et… tu t’es arrangé pour que je gagne à la roulette ! Je suis vraiment trop
conne !
Il m’attrape la main et la serre tendrement.
— Tu n’es pas conne, tu es humaine, Lilly. Si j’avais été dans ta situation,
une mère malade, et sans le sou, je ne me serais pas posé de questions non plus.
J’aurais fait pareil.
— Je ne t’ai pas trahi, Léo, bien que tout joue contre moi.
— Je le sais, comme je sais pour l’application sur ton portable. Tu as eu
plusieurs occasions de leur envoyer le fichier, mais tu ne l’as pas fait.
— Même pour ça tu es au courant ? fais-je, sur le cul.
— Je suis là où j’en suis parce que je suis quelqu’un de méfiant. C’est de
cette façon qu’on dure dans ce métier. Elle t’a coincée dans les toilettes pour
cloner ton portable, mais elle n’aura rien d’important. Mon smartphone... je joue
à Candy Crush dessus, c’est tout. Je ne l’utilise pas pour les affaires. Ils se sont
servis de toi comme moi je l’ai fait… un peu. Le casino, je suis coupable, pour ta
mère je ne le suis pas, et tout le reste, on l’a construit ensemble. Ce que je t’ai dit
sur le parking, je le pensais. Je veux que tu sois mienne comme moi je serai tien.
Ce qui signifie plus de mensonges entre nous.
Il soulève ma main pour y déposer un baiser.
— Lilly, ne t’avise plus de me faire un autre coup de ce genre parce que la
prochaine fois, je ne te le pardonnerai pas, même si je tiens à toi. Je ne souhaite
pas que tu me craignes, mais je préfère te prévenir, c’est tout.
— Toi aussi, Léo, fais-moi encore un coup de pute et je te jure que je vais te
les couper pour de bon. Ne crois pas que je t’ai cédé pour l’argent, mais parce
que je savais que tu étais le bon choix.
— Je suis de ton avis, je suis ce qui te convient le mieux, même si les
circonstances de notre rencontre sont particulières. J’aime avoir du répondant,
mais toi, c’est carrément du fil à retordre que tu vas me donner. Je ne te pensais
pas si…
— Dure ?
— Inflexible plutôt. Tu ne trembles pas alors que je viens de te menacer. Tu
es taillée pour cette vie à mes côtés, plus de doutes possibles.
— Les menaces, je connais. J’ai bossé dans un milieu d’hommes, machos à
l’extrême, le seul moyen de se faire respecter, c’est de montrer que tu es leur
égale et même plus, il faut s’imposer. Ma passion de la course m’a forgée, peut-
être trop parfois.
— Nous ne sommes jamais préparés à ce que la vie nous réserve. Plus ton
armure sera épaisse, plus tu seras protégée. Je savais ce qui allait se passer pour
ma mère, pourtant, quand elle est morte, j’ai chialé comme une Madeleine.
Depuis ce jour, je me suis promis de ne plus pleurer pour personne, tu devrais
faire de même. Nos expériences nous renforcent, la vie est la plus grande garce
que je connaisse.
Nos plats arrivent, on s’y attaque. Les pâtes sont un vrai régal.
— Si elle te recontacte, il faut que tu me le dises, Lilly.
— Elle sait que je suis de ton côté. Elle m’a dit que lorsque tu tomberas, je
tomberai aussi. Je fais totalement partie de ton monde, et il n’y a pas de marche
arrière possible.
— Je suis content de l’entendre, Lilly, toi et moi ce n’est que le
commencement.
Il est songeur. Je n’ai pas de mal à savoir à quoi il réfléchit.
— S’attaquer à la police serait une mauvaise idée, Léo.
— Je ne suis pas stupide à ce point, mais il vaut mieux pour elle qu’elle te
foute la paix. N’y pensons plus, nos pâtes refroidissent.
Chapitre 13
Léo est assis en face de moi dans ce jet qui nous ramène en Italie. Il est au
téléphone pour les affaires, moi je frissonne. Je repense à l’endroit où nous nous
sommes arrêtés en Roumanie, au milieu de nulle part, en bordure de la forêt. Je
n’ai pas eu besoin de le supplier pour qu’il me prenne. Il m’a embrassée sans
trop de ménagement, m’enlaçant de ses bras puissants.
Il m’a ordonné d’appuyer ma poitrine sur le siège de la moto, je ne m’y suis
pas opposée. Il était derrière moi, son entrejambe plaqué contre mes fesses.
Brutalement, mon Levi’s a atterri sur mes chevilles. Il n’y avait que ma culotte
de coton blanc qui mettait une barrière entre lui et moi. Ainsi que mon haut qu’il
s’est hâté de m’enlever également.
Ses mains se sont emparées de mes hanches pendant que ses lèvres baisaient
le creux de mes reins. J’ai tenu comme j’ai pu sur cette bécane en m’accrochant
là où je le pouvais. C’était incroyablement inconfortable, mais formidablement
bon aussi. Putain ouais, c’était plus que bon ! C’est comme ça que Léo aime, les
lits l’ennuient atrocement, alors que partout ailleurs, ça l’excite et le rend
insatiable. Il commence à me faire adhérer à son concept de s’envoyer en l’air
dans des endroits incongrus.
Il gère et assure comme un dieu, au point qu’il fait passer le mot « plaisir »
pour un mot désuet. Il faudrait inventer un autre terme pour Léo et ce qu’il me
provoque. Une fois ma peau rougie sous le feu de ses baisers, il m’a relevée afin
que je me tienne face à lui. Il m’a caressé la joue et a défait la boucle de sa
ceinture. Il a descendu légèrement son jean brut au niveau de ses obliques, juste
assez pour qu’on les voie, ainsi que quelques poils rebelles, mais pas plus.
Il m’a laissé un court moment pour vérifier si la moto était bien calée sur sa
béquille et il s’est allongé dos contre le réservoir. Il a descendu son boxer avec
ses pouces et son sexe était déjà au garde à vous. Il m’a fait signe de le rejoindre,
j’ai eu un doute sur mon aptitude, mon élasticité surtout à exécuter une telle
pirouette. Je ne l’ai pas fait attendre trop longtemps, car le connaissant, ce n’était
sûrement pas sa première fois sur une moto. Hardie, j’ai enlevé ma culotte en la
faisant virevolter avec mon pied toujours chaussé, et je l’ai rejoint.
Il m’a aidée à m’asseoir sur lui, le chevaucher plus exactement, et lorsqu’il
s’est enfoncé en moi avec bestialité, j’ai crié sans me retenir. Je me suis
cramponnée au guidon pour ne pas tomber, pour ne pas défaillir quand sa bouche
s’est harponnée à l’un de mes seins pour le sucer à travers mon soutien-gorge.
La Triumph a tremblé sous nos ébats, sous ses coups de reins féroces et
incessants, sous ses lèvres gourmandes. Un effet de vague m’a engloutie à cause
du désir et des frissons de plaisir qu’il m’a donnés. Tout mon corps n’était
qu’électricité, et lui en était le déclencheur. Ses ongles se sont enfoncés de plus
en plus dans ma peau, au point d’en avoir mal, mais je ne me suis pas plainte, au
contraire, j’en redemandais. J’étais son point d’ancrage afin qu’il se perde
encore plus profond en moi. Sa virilité me semblait grosse, forte, sans fin. Je l’ai
chevauché avec passion pour qu’il me prenne toujours plus violemment, et c’est
ce qu’il a fait, jusqu’à la limite qu’il ne fallait pas franchir… son explosion.
Il s’est détaché de moi quand il était sur le point de jouir et je me suis affalée
sur lui, en sueur, pour reprendre mon souffle. Il n’a rien dit. J’ai écouté le
battement affolé de son cœur pendant qu’il nettoyait à l’aide d’un mouchoir en
papier les dégâts que j’avais provoqués. Il m’a fait mettre pied à terre, on s’est
rhabillés, et on a repris la route jusqu’à l’aéroport où l’avion nous attendait.
Depuis que nous sommes à bord, nous n’avons pas parlé.
Je n’en ai pas envie, pas vraiment, car tous ces souvenirs de nous faisant
l’amour m’envahissent et me redonnent presque un nouvel orgasme en y
repensant. Je souris. Je me remémore cette pub pour ces bonbons, Kiss Cool
avec double effet. Léo est comme eux, il vous offre du plaisir une première fois,
et vous en file encore même sans vous toucher… C’est l’effet Léo Watts. Il me
sort de ma rêverie coquine.
— Tout va bien, Lilly ? demande-t-il en reposant son téléphone sur la table
devant lui.
Je hoche la tête en souriant bêtement.
— Tu souhaitais qu’on parle, alors parlons.
La réalité vient me foutre une claque, fini les songes érotiques. Son visage
est redevenu impassible. Je ne me démonte pas pour autant et me lance dans une
discussion que je n’ai pas vraiment envie d’avoir :
— Tu n’avais pas à flinguer les genoux de Jack pour moi, je suis une grande
fille, je me débrouille toute seule.
— Tu es avec moi, Lilly, et ce qu’il t’a fait dépasse le cadre de notre vie
privée. Le boulot, c’est le boulot, je n’aurais pas agi autrement s’il avait essayé
d’envoyer valdinguer Akito ou Romane. Il aurait juste conservé un genou valide,
rien de plus. Quoique son attitude aurait mérité que je sois plus radical.
Je m’enfonce dans mon fauteuil. Le type que j’ai en face de moi n’a plus rien
à voir avec mon amant fougueux. Il ne plaisante pas quand il s’agit de son
business et de moi.
— Lilly, je sais que je peux paraître sans cœur, mais dans ce job… souffle-t-
il avant de continuer, il ne faut montrer aucune faille, sinon tu es fini. Je ne
pouvais pas ne rien faire, et je ne le voulais pas non plus. Il fallait un exemple.
Jack a eu ce qu’il méritait, même s’il méritait beaucoup plus. Je l’ai épargné non
pas à cause de notre amitié, car je n’ai pas d’amis, mais par égard pour toi, pour
que tu ne me voies pas tuer quelqu’un, tu n’es pas encore prête pour ça.
— Tu as bien fait, car je ne souhaite pas assister à ce spectacle, pas tant que
je n’y suis pas obligée, et jamais si c’est possible. Comment as-tu su pour les
avances que Jack m’a faites ?
— Le bracelet, ce n’est pas seulement un tracker. Il possède une caméra et
un micro. En cas d’échec de localisation, cela permet d’avoir une idée de
l’endroit où je me trouve.
Sans attendre, je le retire de mon poignet pour le lui rendre.
— Tu devrais le garder, Lilly, je serais plus tranquillisé. Tu es mon bien le
plus précieux à présent.
— C’est tout ce que je suis pour toi ? m’irrité-je. Une pièce dans ta
collection ? Quel romantisme !
— Je ne suis pas romantique, Lilly, s’emporte-t-il en se levant de son
fauteuil. Roucouler, ce n’est pas mon truc et ça ne le sera jamais, tu comprends ?
se retourne-t-il vers moi. Ce que je vis et partage avec toi, je ne l’ai jamais fait
auparavant, l’exclusivité, n’en parlons pas. C’est nouveau, je fais de mon mieux
pour m’occuper de toi, même si j’ai une façon particulière de le faire. Alors oui,
quand je te sors que tu es mon bien le plus précieux, c’est une preuve que je tiens
à toi. Je pourrais mourir pour toi, Lilly, si tu me le demandais, parce que tu es
tout à mes yeux.
Il enfonce ses mains dans les poches de son jean tout en soutenant mon
regard. Je souris légèrement.
— Tu viens de roucouler, Léo, que tu le veuilles ou non !
Il serre la mâchoire et me balance :
— Tu fais chier, Lilly !
Il se casse à l’arrière de l’avion, eh oui, je sais, je suis une emmerdeuse, mais
je n’ai pas pu m’en empêcher, je suis une connasse. J’aurais pu la fermer et
apprécier le moment, sa déclaration, mais il fallait que je l’ouvre. Je me lève et le
rejoins au bar. Il se sert du whisky dans un verre de cristal.
Il sait que je suis là, mais il ne me regarde pas, il est toujours fâché. Je viens
coller ma poitrine contre son dos et le serre dans mes bras. Il boit comme si je
n’étais pas présente, du moins la première minute. Il pose son verre et se
retourne.
— Fais-moi encore chier avec tes répliques débiles et je te balance par-
dessus bord, compris, Marchal ?
— Tu ne le feras pas ! le défié-je.
— Rien n’est moins sûr, parce que lorsque tu es coincée sur le mode
pouffiasse, tu es insupportable. Il nous reste une bonne heure de vol, va te mettre
au pieu, je vais te faire passer l’envie de me tenir tête. Quand on reviendra, tu
iras chez la gynéco pour qu’elle te donne un moyen de contraception. J’en ai
marre de me retenir, et ça ne serait pas du tout le moment que tu tombes
enceinte. Même de toi, je ne désire pas d’enfants.
— Tu n’en veux… pas ?
— Des gosses ? raille-t-il. Putain, s’il y a un truc que je n’aime pas, ce sont
bien les gamins. Je les tolère, mais en avoir un à moi, hors de question !
Je le fixe, quelle idiote je suis ! Bien sûr qu’un type comme lui n’en veut pas,
avec la vie qu’il mène, dangereuse et égoïste jusqu’à maintenant, jusqu’à moi.
J’ai déjà de la chance que le peu d’amour qu’il ait, il me le donne.
— Je te sens déçue, Lilly.
— Non... stupide de te l’avoir demandé.
— Si tu en veux, je ne suis pas le bon mec.
— Je sais, Léo. J’ai mal à la tête, je vais lire un peu.
Je tourne les talons pour retourner à ma place. Il ne tarde pas à
m’accompagner en s’assoyant sur la table basse pour être près de moi, à ma
hauteur.
— Lilly, fait-il en posant sa main sur ma joue. Je ne mentais pas en te disant
que je donnerais ma vie pour toi, mais je ne veux pas te partager, c’est tout. Je
serais un piètre père, et cette vie que nous menons n’est pas faite pour construire
une famille. J’aime à croire que nous nous suffisons amplement et je ne désire
pas que ça change.
Je pose mes doigts sur les siens.
— Pendant quelques instants, j’ai oublié qui tu étais.
Il se redresse en me lâchant et fait une légère moue.
— Et qui suis-je, Lilly ?
— Le Diable, souris-je.
Il rit.
— Le Diable aussi a des sentiments, ma puce, même s’ils ne correspondent
pas tout à fait à tes attentes.
— Je n’ai pas dit ça, Léo, tu me combles plus que tu ne l’imagines. Je
n’échangerais pas ma vie actuelle contre l’ancienne.
— Je suis ravie de l’entendre, s’avance-t-il vers moi pour me donner un
baiser.
Il continue à me parler en étant toujours près de ma bouche, chaque parole
qu’il prononce me caresse les lèvres.
— Ces derniers jours, aujourd’hui en particulier, ont été éprouvants. On a
besoin de vacances. J’ai cru comprendre que l’Égypte te tenterait bien, moi
aussi. Une descente sur le Nil sur un bateau luxueux… Hum, ouais, l’idée me
plaît énormément, ma puce. Rien que toi, moi et les pyramides.
— J’adorerais, mais j’aimerais repartir quelques jours à Paris, sur la tombe
de ma mère, seule.
— Tu ne veux pas que je t’accompagne ?
— Non, je dois récupérer encore quelques affaires dans mon ancien
appartement et les donner à Emmaüs après un tri. J’ai besoin de ça, Léo. Je me
sens plus en paix pour lui dire au revoir correctement. J’étais en colère pendant
son enterrement, j’ai l’impression de ne pas lui avoir dit ce que j’avais à lui dire.
Son visage reste placide, c’est toujours aussi difficile de savoir ce qu’il
pense.
— Deux jours te suffiront ?
— Peut-être, mais cela risque de faire court.
— OK, je t’en laisse trois, mais pas plus, Lilly.
— Pardon ? m’indigné-je. Non mais ça va, l’époque de l’inquisition est
terminée je te rappelle ! Si j’ai besoin de plus de temps, je vais me passer de ton
accord. On parle de ma mère là !
— Ta mère est morte, Lilly ! hausse-t-il le ton. C’est fini, il faut que tu fasses
ton deuil une fois pour toutes. La vie que tu as choisie ne te permettra plus de
faire des escapades au cimetière à ta convenance. Cela te met en danger et moi
aussi par la même occasion. Ça sera la dernière fois que je t’autorise à t’y rendre.
Alors s’il te faut une semaine, OK, mais après, fais une croix dessus.
— Espèce de connard de mes deux ! crié-je en pressant fort ses burnes dans
ma main droite. Ce n’est pas toi ni un autre homme sur cette putain de terre qui
allez m’interdire d’aller au cimetière.
Un sourire se dessine sur ses lèvres, à croire qu’il aime souffrir. Il place ses
doigts sur mon cou, mais sans le serrer.
— Si tu veux que je te saute encore, Lilly, je te conseille vivement de
relâcher ton emprise sur mes bonbons avant de les réduire en miettes.
Je m’exécute, il souffle de soulagement, c’est vrai que je n’ai pas été tendre
avec ses boules. Cela dit, je ne décolère pas.
— Léo, que les choses soient claires, si j’ai envie d’aller me recueillir sur la
tombe de ma mère, il n’est pas né le connard qui m’en empêchera !
— Lilly… soupire-t-il. Je sais que tu as encore de la peine et je le
comprends, mais tu n’as pas besoin de te tenir devant un bloc de marbre pour te
la rappeler ou lui parler, parce qu’elle est là, montre-t-il mon cœur du doigt.
Je me lève pour me verser un shot de vodka. Il vient m’enlacer par-derrière,
pose sa joue contre la mienne et me dit :
— Je te laisse quelques jours parce que tu en as besoin, mais il faut que tu lui
fasses tes adieux, Lilly, pour de bon. Te rendre là-bas à intervalles réguliers nous
expose, il faut que tu le comprennes. Je veux bien faire des concessions, mais toi
aussi, tu le dois. La vie que tu as connue n’existe plus. Nous ne sommes plus
libres totalement.
J’avale mon verre d’une traite, je me retourne et le fixe.
— J’en ai conscience, Léo, j’essaye d’accepter tout de ton monde, de toi,
mais parfois cela me dépasse, c’est difficile.
Il attrape mon verre et le remplit jusqu’au bord pour se l’enfiler aussi
rapidement que je l’ai fait.
— Tu m’aimes, Lilly ?
Je me pince la lèvre inférieure, mais je ne lui réponds pas.
— Parce que moi, je t’aime… vraiment. Je ne l’ai jamais dit à personne,
parce que comme toi, à part ma mère, mon amour je ne l’ai jamais donné à qui
que ce soit. Alors, c’est pour cette raison que j’essaye de nous préserver. Je sais
ce qui arrivera si je baisse la garde, même pour te faire plaisir. Je veux vivre et te
sentir près de moi, pas à travers des barreaux. Je suis dur, mais je sais ce que je
fais, il faut me faire confiance.
C’est la première fois qu’il me dit « je t’aime » et la première fois qu’il le dit
à quelqu’un. Léo ne ment pas.
— Je te fais confiance, Léo.
— Tu m’aimes ?
— À l’infini ! Mais ne t’avise plus de m’interdire quoi que ce soit.
Il a un rictus, il sait que je n’ai pas peur de lui et il adore ça.
Chapitre 15
Cela fait quatre jours que je suis dans mon ancien appartement à trier, à
donner, à jeter tout ce que je ne souhaite plus garder. On s’est mis d’accord avec
Léo pour ne pas se contacter, afin qu’il respecte ma retraite. Cela dit, il a quand
même envoyé des textos pour savoir comment j’allais.
Si je prenais le temps de dormir, de manger. J’ai donné suite à ses SMS,
évidemment, mais lui qui se défend d’être romantique… il l’est. Il est aussi
protecteur et prévenant. J’ai toujours répondu positivement à ses messages pour
ne pas qu’il s’inquiète, parce que je sais que c’est le cas. Je suis son bien le plus
précieux après tout ! Ça, j’avoue, je l’ai encore en travers, mais c’est Léo.
Je n’oublie pas qu’il ne s’est jamais impliqué dans une relation sérieuse, il
est maladroit parfois. Il essaye. Je ne me suis toujours pas rendue sur la tombe de
ma mère, pourquoi ? J’appréhende de voir son nom écrit sur la pierre, encore. Je
voulais être là-bas, j’en avais besoin, mais à présent… J’en suis moins sûre,
pourtant je le dois. Rouler à plus de 200 km/heure, vivre avec un homme
dangereux ne me fait pas peur, mais me retrouver devant sa pierre tombale me
terrifie maintenant que mon esprit n’est plus embrouillé.
Lors de son enterrement, j’avais tellement mal que je n’ai pas pris
conscience de la chose, de l’après. Je pense que je n’ai pas réalisé sur le moment
qu’elle ne serait plus là, plus jamais, que je ne la reverrais plus. J’ai accepté tout
de Léo parce que c’était une fuite en avant, il a réussi à faire taire cette douleur
qui me ronge. J’ai remplacé un mal par un autre, mais cela ne me déplaît pas, au
contraire. S’il n’avait pas été là, où serais-je en ce moment ? Derrière ma caisse
en dépression, consultant un psy deux fois par semaine ?
Léo a été mon remède même si on le considère comme un poison pour ce
monde. Il n’a pas tout à fait tort, ma mère sera toujours avec moi, où que j’aille.
Je n’ai pas besoin d’une stèle pour me la rappeler et la chérir. Les bénévoles
d’Emmaüs emportent le dernier meuble que j’ai légué. L’appartement est vide.
J’ai même donné mes vêtements, les coupes de mes victoires, les souvenirs de
mon existence passée.
Je n’ai conservé que quelques photos. La plupart sont celles prises avec
Agnès, et certaines de ma voiture, histoire de ne pas oublier complètement. J’ai
gardé des bijoux et une chemise où son parfum est tenace. C’est tout ce que
j’emporterai. Lilly pilote, Lilly caissière, ont disparu. Il n’y a plus que Lilly la
hors-la-loi. Je suis à la fenêtre pour regarder une dernière fois cette triste vue de
Paris, je ne la regretterai pas. Je jette un ultime coup d’œil à cet endroit et avant
de refermer ce chapitre de ma vie, je commande un Uber.
En descendant les escaliers, je dépose les clés dans la boîte aux lettres du
syndic et je patiente sur le trottoir, mon transport arrive dans dix minutes. Une
demi-heure plus tard, je suis aux portes du cimetière. Après ma visite, j’irai au
Bourget où le jet de Léo m’attend. Sans vraiment m’en rendre compte, je suis
devant le caveau d’Agnès. Les lettres dorées sont toujours aussi étincelantes. Je
touche du bout des doigts son prénom et je m’assois par terre en tailleur. Je
commence à lui parler même si je sais pertinemment qu’elle ne m’entend pas.
M’man, si tu étais au courant de tout ce qui m’est arrivé depuis que tu es…
partie. Moi qui adore les shots d’adrénaline, avec Léo, je suis servie, ricané-je.
Tu l’aimerais beaucoup, je pense, même si ce n’est pas le gendre idéal, pourtant
j’en suis dingue. Je ne me l’explique pas moi-même, parce que ce n’est pas
l’homme et la vie dont j’avais rêvé. Malgré cela, je me sens à ma place. Ma
petite Maman, tu ne sais pas combien tu me manques, avoué-je les larmes dans
les yeux. C’est la dernière fois que je viens, mais je suis certaine que tu le
comprendrais si tu étais encore là. Tu m’aurais sûrement ordonné de partir loin
et d’être heureuse, n’importe où ailleurs. Je vais m’y employer, je te le promets.
Léo est à l’étage pour se rafraîchir et pour passer quelques coups de fil
également. Pendant son absence, je discute avec le médecin.
— Ça va aller, Lilly ?
— Très bien, Doc.
— Léo a l’air… de quelqu’un de bien.
— Vous mentez mal, souris-je.
— Je ne le connais pas assez pour le juger et je ne veux pas savoir ce que
vous trafiquez tous les deux, mais si tu y tiens tant, c’est sûrement pour de
bonnes raisons. L’amour en est une excellente.
— C’est vrai, ça en est une solide.
— Il n’est pas à 100 %. Il risque d’avoir des vertiges, peu d’appétit dans les
prochaines heures. Veille à ce qu’il se repose, ordre du médecin.
Léo nous rejoint et vient serrer la main de notre hôte.
— Merci pour tout, mais nous devons partir à présent.
Mon mec, même reconnaissant, n’aime pas parler avec des inconnus et va
toujours à l’essentiel.
— Faites bien attention à Lilly.
— Elle est la prunelle de mes yeux, réplique Léo.
J’étreins le doc pour lui dire au revoir et il me chuchote à l’oreille :
— Il n’est pas si mal.
Je ricane.
— Prenez-soin de vous surtout, pour moi, je ne m’inquiète plus.
— N’oublie pas l’ordonnance et les vitamines, dit-il en me tendant un petit
sac en papier.
Nous le laissons. Une Audi noire nous attend à l’extérieure, gardée par deux
mecs en tenues sombres. Un blond et un brun, beaux garçons, que je ne connais
pas. Nous nous dirigeons vers le véhicule, un des deux hommes m’ouvre la
portière, mais Léo n’est pas avec moi. Je le cherche. Le coffre de la voiture est
ouvert, je ne vois pas ce qu’il fait. Quelques minutes plus tard, il prend place à
mes côtés dans un costume neuf, gris, élégant, taillé pour lui. Il enfile ses
solaires, serre un peu plus les lacets de ses chaussures anglaises en cuir
fraîchement passées, puis nous démarrons. Même dans les pires moments, il est
toujours classe.
— Ils vont assurer notre sécurité pendant quelques jours, le temps que mes
gardes du corps nous rejoignent. Ce sont les tiens, Lilly. Georges et Paul, me les
désigne-t-il de la tête, du brun vers le blond. Où tu iras, ils iront aussi.
Je ne proteste pas, car dans le contexte actuel, c’est obligatoire. Il ne faut pas
que je me tracasse plus que nécessaire pour lui, ni lui pour moi. Ils sont nos
boucliers au cas où…
— Vraiment partout ? Hum… Cela risque d’être intéressant, me moqué-je.
— Si tu continues à me titiller, je vais en engager des biens moches, cela te
coupera l’envie de faire de l’esprit, fait-il froidement.
— OK, j’arrête. Où allons-nous ? fais-je plus sérieusement cette fois.
— Comme je te l’ai promis, en Égypte. Mon jet nous attend au Bourget et
pas que lui d’ailleurs.
— Comment ça ? Nous ne partons pas que tous les deux ?
— Nos « copines » sont là pour nous embarquer en garde à vue. Tu n’aurais
pas pu louer une voiture comme le commun des mortels, plutôt que de la voler ?
— J’étais pressée, je devais récupérer mon mec au plus vite.
Il me fixe, mais rien de coléreux n’apparaît dans ses yeux, au contraire. Je
pourrais faire les pires conneries du monde, j’ai l’impression qu’il me les
pardonnera toujours, même s’il affirme le contraire.
— Elles peuvent me mettre en prison pour ça ?
— Bien sûr ! Tu te crois au-dessus des lois, Marchal ?
— Avec toi, je n’ai plus de règles, je suis libre.
— Tu apprends vite… Ne t’inquiète pas pour elles, mon avocat est sur le
coup.
Nous arrivons à l’aéroport et Léo m’attrape la main en… public. Je ne me
rappelle pas qu’il l’ait déjà fait, non… jamais. Nous nous dirigeons vers l’avion
et elles sont effectivement là en train de parlementer avec un type très bien
habillé, un porte-document sous le bras.
Léo comprime mes doigts de plus en plus fort. Nous sommes à leur hauteur
et Brigitte me jette un regard noir. Je n’y fais pas plus attention que ça, nous les
dépassons en les ignorant. L’inspecteur Arnaud nous interpelle :
— Monsieur Watts, arrêtez-vous ! Je souhaite vous parler. Arrêtez-vous,
hausse-t-elle le ton, sinon je vais l’arrêter, ELLE !
Léo stoppe net. Il me lâche, enlève ses lunettes de soleil qu’il range
minutieusement dans la poche intérieure de sa veste. Impassible, il rebrousse
chemin et se poste juste devant elle. Elle tente d’ouvrir la bouche, mais il ne lui
en laisse pas l’occasion.
— Je pense que mon avocat vous a déjà tout expliqué. Mademoiselle
Marchal est venue me secourir alors que j’avais été kidnappé par monsieur
Collins. Votre subordonnée l’a secondée dans cette tâche. Si je ne me trompe,
tout a été sous le contrôle de la police de A à Z, n’est-ce pas ?
— Ne me prenez pas pour une idiote, monsieur Watts. Je suis au courant de
la cargaison, de tout, siffle-t-elle.
— Hum… La marchandise, c’est vrai. Armand ? appelle-t-il l’homme en
costard foncé.
— Oui, monsieur Watts ?
— Pouvez-vous indiquer à l’inspecteur où se trouve mon container…
d’armes.
— Bien entendu. Il est sur les docks au port de Marseille. Container
numéro FK4756.
J’hallucine. Comment peut-il se jeter dans la gueule du loup ainsi ! Arnaud
prend son téléphone. Dès qu’on décroche, elle demande à son interlocuteur de
vérifier l’information puis s’éloigne pour discuter sans être épiée. Brigitte ne me
lâche pas du regard, et moi je ne baisse pas les yeux et la fixe aussi durement
qu’elle le fait. Après quelques minutes, Arnaud revient.
— Il y a bien un container à votre nom en partance pour la Libye. Dès que je
l’aurai en ma possession, je vous mettrai personnellement les menottes, se
réjouit-elle.
— En attendant, rétorque Léo, nous avons un avion à prendre, alors si vous
voulez bien nous excuser.
— Vous n’allez nulle part, monsieur Watts. J’ai une équipe qui est en train
d’investir le port de Marseille. Je vous invite à patienter, le temps qu’on trouve
ce que l’on cherche, dit-elle sourire aux lèvres. Il est hors de question que je
vous laisse partir pour l’Égypte, Watts, maintenant que je vous tiens, je ne vous
lâche plus.
— Comme vous voulez… Nous pouvons aller nous asseoir et boire un café
ou vous dépêchez le RAID avant ?
— Ne jouez pas au plus malin avec moi, parce qu’à la fin de cette
magnifique journée, la seule qui rira, c’est moi.
Léo reste stoïque. Il m’invite à le suivre et nous nous installons dans la salle
d’attente. Il cherche quelques pièces dans sa poche de pantalon et va à la
machine à café pour nous acheter deux gobelets.
— Toujours sucré ? me demande-t-il avec son plus beau sourire.
— Oui.
Les inspecteurs Rossi et Arnaud ne sont pas loin, nous surveillant à travers la
grande vitre qui nous sépare, supervisées par l’avocat de Léo. Les gardes du
corps, eux, sont restés sur le tarmac, ordre de leur patron. Léo me donne ma
boisson et se pose près de moi. Il croise les jambes, il défait un bouton de sa
veste. Il est si calme, si sûr de lui, en un mot : lui.
— Léo, comment…
Il me coupe.
— Pas de questions, ne parle pas, sois patiente.
Une heure s’est écoulée et la pression monte un peu. J’en suis à mon
troisième café, tandis que Léo est toujours droit comme un « i » sur son siège.
Arnaud est au téléphone, la mine déconfite. Je sens que le vent tourne, mais
pourquoi ? Armand fait son entrée, suivi des flics.
— Vous pouvez partir et profiter de vos vacances, monsieur Watts,
mademoiselle Marchal.
— Merci Armand, lance mon homme, triomphant.
Il me présente sa main que je prends volontiers.
— Bien joué, Watts, houspille Arnaud entre ses dents, teigneuse.
— J’ignorais qu’on… jouait ! la nargue-t-il. Mademoiselle Marchal vous a
promis monsieur Collins et une cargaison d’armes, le contrat a été rempli. Où est
le problème ?
Il est si arrogant, mais… si sexy… bordel !
— Je vous souhaite une très belle journée à toutes les deux, lance-t-il en
mode « gros connard ».
— On se retrouvera, Watts ! balance Arnaud.
— Je l’ai déjà entendue quelque part celle-là, rit-il presque sans se contenir.
Cela m’amuse énormément, mais je ne le montre pas. Comment a-t-il fait ?
Le souffle des réacteurs déjà en route nous décoiffe. L’équipage de bord est aux
petits soins à notre arrivée et à peine assis, nous décollons. L’hôtesse, qui est une
bombasse brune, vient nous voir :
— Champagne, monsieur Watts ?
— Non, de l’eau pétillante. Lilly ?
— Un jus de fruits, merci.
— Je vous les apporte, dit-elle, charmante.
Elle s’éclipse. Aucun doute que Léo est un magicien pratiquant des tours de
passe-passe complètement bluffants.
— Alors ? Vais-je avoir droit à une explication ou je dois deviner ?
— Eh bien, tu leur as promis des armes, je leur en ai donné.
— Si c’était le cas, nous ne serions pas tranquillement en train de discuter.
Il pose ses coudes sur les repose-bras du fauteuil en cuir beige et croise les
doigts devant son torse.
— La cargaison comprenait de l’artillerie de la Seconde Guerre mondiale.
Tous inutilisables, car ils sont destinés à finir leur vie en accessoires de film.
Tout est légal. Tu leur as promis des armes, mais tu n’as pas précisé de quelle
sorte, et officiellement, c’est mon job de fournir les plateaux depuis… quelques
heures, dit-il en vérifiant sa montre.
Je me mords la lèvre inférieure. Il est… incroyablement doué dans son
métier. Il me voit admirative.
— C’est ça le secret, Lilly, s’adapter. Toujours avoir un coup d’avance sur
l’ennemi, même quand la situation est inextricable.
— Tu es malin, Léo, on ne peut pas te l’enlever.
— Nous faisons une sacrée équipe. Je ne me suis pas trompé sur toi, sur
nous…
L’hôtesse dépose nos verres sur la table toujours tout sourire et nous laisse.
— Tu devrais t’allonger Léo, tu n’as pas l’air en forme.
— Je suis un peu fatigué, c’est vrai, je vais aller faire une petite sieste. Tu
m’accompagnes ?
— Pour dormir, pas pour autre chose, OK ?
— Je ne peux rien te promettre, parce que pour ça, j’ai toujours de l’énergie.
Il trempe ses lèvres dans l’eau et passe le bout de sa langue sur celles-ci pour
les humecter. Mon cœur fait poum… poum… J’ai le sentiment qu’il ralentit de
plus en plus. Léo interrompt cet état de transe :
— J’aimerais de faire un cadeau un peu particulier, Lilly.
— Je n’en ai pas besoin.
— Écoute-moi, tu veux bien ? Je sais que c’est dur pour toi de ne pas être
près de ta mère… en quelque sorte. Alors je me disais que si tu n’étais pas
contre, si… elle ne l’était pas… la faire inhumer afin qu’elle puisse
t’accompagner. J’ai retourné ça je ne sais combien de fois dans ma tête pour
essayer de trouver la bonne formule, les mots adéquats, mais…
— C’est bon, Léo. J’apprécie ton geste, mais ma mère et moi, nous nous
sommes dit au revoir et partout où j’irai, elle sera avec moi. Je n’ai pas besoin de
tombe ou d’urne funéraire pour me la rappeler, tu n’avais pas tort à ce sujet.
— Je n’ai pas raison sur tout, souvent c’est vrai, plaisante-t-il, mais pas tout
le temps. Si tu changes d’avis, sache qu’un seul mot de toi, et je m’en charge.
— D’accord ! acquiescé-je, touchée par tant de prévenance.
— Une fois au Caire, je te donnerai ton nouveau téléphone. Il n’est pas
piratable et une application est faite pour me localiser, si ça devait se reproduire.
Tu auras dans ton répertoire le numéro d’Akito. Si tu as des problèmes, appelle-
le si je ne suis plus là.
— Léo…
— Laisse-moi finir, tu veux ? Je t’ai abandonnée sans repères, parce que j’ai
pensé connement que j’étais en sécurité et toi aussi. Même si tu t’es débrouillée
toute seule, tu auras besoin d’appui. Tu ne connais rien encore à ce monde cruel
et c’est de ma faute. Mais j’apprends, Lilly. Je te donnerai également un bracelet
semblable au mien. Ce qui vaut pour moi vaut pour toi. Il est hors de question
qu’on nous fasse du mal, plus jamais, je ne le permettrai plus.
— Très bien, approuvé-je. Et pour Jack ?
— Le problème est résolu, ne te préoccupe plus de ce trou du cul.
En un mot, il est mort.
— Lilly, j’ai conscience que parfois, tu doutes de mes sentiments à cause de
ce que je fais, de ce que je reflète. Je n’aime pas montrer ce que je ressens. Je ne
te demanderai jamais de devenir ma femme. J’ai toujours pensé que le mariage
était une cage dorée et je déteste être enfermé, et dans ce métier, il faut éviter,
mais…
Il s’arrête net de parler. Il enlève la veste de son costume et déboutonne la
manche droite de sa chemise pour la relever légèrement. Je perçois un nouveau
tatouage, discret, sur l’intérieur de son avant-bras. Je m’approche pour l’étudier
de plus près et ce sont deux « L » enlacés.
Cela fait déjà deux jours que nous nous prélassons dans ce superbe cinq
étoiles du Caire venant tout droit des Milles et une nuit. Notre bateau ne partira
qu’après-demain pour descendre le Nil. Nous ne sommes pas sortis de la
chambre depuis notre arrivée. Nous sommes bien trop occupés à prendre du
plaisir dans ce somptueux lit fabriqué pour les princes. Léo dort.
Je mange mon petit déjeuner sur la terrasse de notre suite, j’admire le
contour des pyramides qui se dessinent aux premières lueurs du jour, sublime…
J’avale mon café tout en réalisant ma chance. J’ai tout bonnement l’impression
de vivre la vie de quelqu’un d’autre. Cela dit, même si c’est le cas, je ne la lui
rendrai jamais.
Je m’étire de tout mon long, profitant des rayons naissants du soleil. Je dors
de moins en moins, mais cela me va. Peut-être qu’à un moment, je me serais
flagellée, rongée par la culpabilité, mais à cet instant, je ne me sens fautive de
rien…. Je pensais que la seule chose qui me rendait libre était de conduire à
grande vitesse, mais Léo m’offre un autre genre de liberté et celle-là est bien
plus enivrante. De là où je suis, je peux apercevoir notre lit, mais Léo n’y est
plus. Je me lève, je le trouve rapidement. Il est dans le grand salon en train de
téléphoner. Il jette violemment son smartphone contre le mur et sous l’impact, il
se fracasse.
— Qu’est-ce qui se passe ?
Il se tourne, surpris, il ne m’a pas entendue venir. Son visage est tiré.
— Rien, le boulot, dit-il, glacial. Je vais me doucher. On sortira après.
Il me frôle mais ne s’arrête pas. Je le regarde, ne sachant pas quoi penser.
Parfois, je n’ai aucune idée de comment l’aimer. Je souhaiterais le prendre dans
mes bras, le serrer pour le consoler, mais le voudrait-il ? Je crains que ce ne soit
pas le type de réaction qu’il attend de moi. Pourtant, je lui emboîte le pas, le
suivant jusqu’à la salle de bains décadente de dorures et de beauté. Il est là, les
deux mains appuyées sur le rebord de la vasque de marbre, la tête baissée. Il la
relève quand il sent ma présence, mais il ne bouge pas pour autant. Dans cette
position, tous ses muscles sont étirés, fins, gracieux.
Je viens me coller contre son dos nu, silencieuse. Il se retourne, me lève le
menton, le clair de ses yeux a viré au sombre. Il presse délicatement ses lèvres
sur les miennes, mais elles sont affamées et furieuses. Je tire sur le cordon de son
bas de jogging et je glisse mes doigts entre sa peau et son boxer pour l’en
débarrasser, mais il m’en empêche. Il me bloque les poignets de ses mains
puissantes, mais sans brutalité.
Il me fait tournoyer lentement toujours en m’embrassant et me plaque contre
le rebord du meuble. Il attrape mes fesses, me soulève et m’installe sur le marbre
froid. Cela ne me dérange pas, je suis bouillante. Tout en me baisant l’intérieur
des cuisses, il me déleste habilement de mon slip en dentelle rose. Il relève la
tête après quelques minutes qui ont été divines. Son regard est dans le mien,
rempli de braises, pétillant, mais toujours torturé. Cela m’agace de ne pas savoir
ce qui cloche.
— Léo, qu’est-ce qui…
— Chut ! On baise d’abord, on parlera ensuite…
Comme d’habitude… mais je ne m’en plains pas.
Pour me faire taire, enfin pas tout à fait, sa bouche se perd sur mes lèvres
inférieures, mes doigts s’agrippent au rebord du meuble, car son toucher me
déclenche des spasmes électriques. Sa langue joue avec ma perle de chair, je
gémis, je respire fort. Malgré ma détresse, il s’y acharne sans répit. Il la suce, la
mord délicatement. Ce délicieux supplice s’arrête quand il quitte mes cuisses
pour se redresser. Il descend son pantalon jusqu’au ras de ses fesses, ce qui laisse
apparaître sa virilité durcie par le désir.
Il attrape mes hanches, me tire contre lui pour que nos intimités se soudent
l’une à l’autre. Ce bout de lui en moi m’enflamme, fait bouillir mon sang, cogner
mon cœur, me prive d’oxygène. Ses mains se posent sur le creux de mes reins
pour me pousser encore plus contre lui, contre son intimité brûlante. Il ne
m’embrasse plus. Ses yeux sont focalisés sur ses va-et-vient plus vigoureux, plus
ardents, plus aventureux.
Mon bassin bascule, toujours porté par ses mains, ma tête tombe en arrière,
je respire comme je peux entre deux râles. Il me décolle du marbre pour me
plaquer contre le mur avec plus de bestialité cette fois. Mes jambes s’enroulent
autour de sa taille, mes ongles s’enfoncent dans la peau de sa nuque, il est
toujours absorbé par son sexe faisant du bien au mien. Son visage se soulève
enfin et ses lèvres viennent naturellement retrouver leur chemin sur les miennes.
Son dernier coup de reins me cloue à la faïence, nous extirpant à tous les
deux un petit cri de satisfaction. Il me repose par terre avec précaution. Il me
bloque la tête entre ses mains, ses yeux ne se sont pas apaisés, ils ont l’air…
tristes.
— On a baisé, Léo, maintenant on parle. Qu’est-ce qui te met dans cet état ?
— Rien d’important. De temps en temps, je craque et je pète un plomb sans
raison. Tu as eu peur ?
— Surtout pour le portable !
— Je ne le ferai plus, Lilly. J’essaye de toujours me maîtriser, en toute
circonstance, mais parfois je n’y arrive pas.
— Pourquoi tu ne veux rien me dire, Léo ?
— Parce que ce n’est pas important, rien qui ne puisse être arrangé. Ne te
prends pas le chou avec ça, OK ?
— Nous avons dit plus de secrets entre nous.
— Les mensonges permettent souvent de supporter cette vie, c’est pour cette
raison qu’on cache la vérité, pour ne pas sombrer. Tu viens te laver avec moi ?
— Tu me mens là ?
— Pour la douche ?
— Ne fais pas le con.
— Non, je ne te mens pas quand je te dis que ce n’est rien que je ne puisse
régler. Tu as confiance en moi ? me demande-t-il en m’embrassant.
J’acquiesce. Il me prend la main pour que je le suive jusqu’à la douche
italienne. La pluie tropicale se déverse sur nous et je crois que Léo… pleure. Je
ne suis pas certaine, c’est à peine perceptible à vrai dire. Il m’étreint avec
douceur. Il me lâche pour commencer à me laver avec application, plus que
jamais je comprends que je lui appartiens. Une fois fini, il se passe du gel
douche et il est moins tendre avec sa peau qu’avec la mienne. Nous ne nous
éternisons pas sous l’eau, car il souhaite qu’on prenne un peu l’air.
Nous nous habillons et quand nous avons terminé, nous sortons nous
promener, talonnés par nos anges gardiens. Une Jeep nous attend. Je m’y
engouffre, mais Léo discute avec Paul et ne monte pas avec moi. Il lui emprunte
son téléphone et se met à l’écart. Il réapparaît un bon quart d’heure plus tard. Il
prend place à mes côtés.
— Où allons-nous ?
— Voir les pyramides. Ça serait un peu con d’être ici et ne pas aller les
visiter. Let’s go ! ordonne-t-il à Georges qui démarre sans attendre.
Son regard est ailleurs, mais sa main fait des allers-retours sur ma cuisse. Je
ne sais même pas s’il s’en rend compte, car il donne l’impression de faire ça plus
mécaniquement que par plaisir. Après 45 minutes de trajet dans le silence le plus
complet, nous sommes presque au pied de ces merveilles. J’enlève mes lunettes
de soleil pour les admirer. C’est époustouflant. Nous descendons du véhicule.
— Un petit tour à chameau cela te tente, Lilly ?
— Pas vraiment…
— Tu ne sais pas ce que tu rates.
Il m’attrape sans que je m’y attende et me bascule sur son épaule comme si
je ne pesais rien. J’ai beau lui taper vigoureusement dans le dos pour qu’il me
pose, sans oublier de hurler aussi. Je crie à l’enlèvement, ce qui le fait
énormément rire, mais personne autour de nous ne bouge le petit doigt ! Je
touche terre uniquement quand nous sommes près d’une des bêtes qui n’est pas
trop ravie de notre présence. Malgré mes protestations, je me retrouve assise
derrière Léo, sur le dos du chameau. Il attrape mes bras afin que je l’enlace. Le
chameau est plus docile et nous partons faire un petit tour près des pyramides de
Gizeh, accompagnés d’un guide et de nos gardes du corps qui doivent eux aussi
apprécier la promenade.
Une fois sur place, l’Égyptien nous raconte l’histoire des pharaons et de ces
constructions, et je suis fascinée par les lieux. J’en oublie presque Léo qui n’est
pas très loquace. Il nous suit les mains dans les poches, comme s’il était blasé
par tant de beauté. J’essaye de ne pas trop y faire attention et je continue la visite
avec le guide. Après deux heures, je décide de rentrer à l’hôtel. Léo s’ennuie et
je sais bien que cette escapade était uniquement pour me faire plaisir. À peine
arrivé, il repart déjà.
— J’ai un truc à faire, je reviens dans pas longtemps.
— Quel genre de truc ?
— Lilly, ne cherche pas la petite bête, je ne suis pas d’humeur.
— Je suis au courant que tu n’es pas d’humeur. Tu as été absent toute la
journée. Il ne fallait pas te forcer à…
— Je voulais te faire plaisir ! s’emporte-t-il. Est-ce que tu peux prendre ce
qu’on te donne sans toujours tout analyser ? Bordel, t’es lourde des fois ! J’ai des
courses à faire, je reviens dans une heure ! me balance-t-il en claquant la porte
en bois sculpté.
Léo n’est jamais aussi changeant, il est tout le temps sous contrôle ou
presque. Là, je ne pressens rien de bon, c’est plus grave que ça en a l’air.
J’aimerais l’aider, mais comment ? Je ne peux qu’attendre et lui faire confiance.
Il avait une vie avant moi, même si je l’ai chamboulée, comme lui est venu
bouleverser la mienne. Je me résous à rester tranquille.
Je vais dans le minibar prendre une mignonnette de vodka et un verre, et je
m’installe sur la terrasse pour me gorger de cette magnifique vue. Le soleil qui
décline rend le ciel encore plus beau, toutes ces couleurs pastels m’enchantent.
Je suis toujours à l’extérieur quand Léo revient. Je ne lui prête pas attention,
après tout, je suis lourde, non ? Pourtant, malgré ma lourdeur, il vient me
rejoindre, tire une chaise et s’assoit à ma droite. Il pose sur la petite table un
iPhone dernière génération et une boîte bleue.
— Je m’excuse pour tout à l’heure, je ne voulais pas…
— Pourquoi tu ne me dis rien ?
— Parce que moi seul peux arranger cette histoire.
— Je ne sais pas ce qui se trame, mais tu n’es plus toi-même, tu perds ton
sang-froid.
— Je ne perds rien, Lilly, mais parfois, certaines décisions sont dures à
prendre, c’est tout. Le téléphone est pour toi, ainsi que ça, dit-il en poussant la
boîte en ma direction.
Je l’ouvre et découvre un bracelet tibétain très… stylisé. Les boules sont en
or et en argent. Disposées en alternance, incrustées de petits diamants. On voit
tout de suite que ce n’est pas du toc.
— Je l’ai fait faire sur mesure pour toi. J’ai pensé que tu serais moins
réticente à le porter si c’était un vrai bijou, en oubliant que c’est un tracker.
— Merci, soufflé-je.
— Ton poignet, me demande-t-il.
Je le lui tends et il accroche le bracelet. Je l’admire, c’est un travail
d’orfèvre, il doit valoir une sacrée somme.
— Je saurai où tu seras.
— Tout comme moi, répliqué-je en lui secouant le téléphone sous le nez,
mais il ne répond pas.
— J’ai réservé au resto de l’hôtel et nous embarquons juste après pour notre
croisière sur le Nil.
— Déjà ?
— Un petit changement de dernière minute, je sais que tu attends ça avec
impatience.
Je me penche pour l’embrasser et il me rétorque tout en rendant mon baiser :
— Il n’y a pas de quoi.
Nous passons une agréable soirée. Le cadre est feutré et discret, on y mange
bien. Léo est plus détendu, il sourit, il rigole même. Le voir ainsi, me rassure. Il
a dû avoir un coup de stress. En y repensant, c’est moi qui m’inquiète trop. Je
bois avec délectation mon verre d’un grand cru, mon regard dérivant sur les gens
qui se trémoussent sur la piste. Rien d’entraînant, c’est lascif, envoutant.
— Tu m’accordes cette danse, Lilly ? dit Léo en me présentant sa main.
— Je ne savais pas que tu aimais ça.
— On a tant de choses à apprendre l’un de l’autre… soupire-t-il. On y va ?
— Volontiers !
J’enlace ses doigts dans les miens et il m’entraîne à sa suite. Nos corps se
rapprochent, se collent, ses mains se nichent au creux de mes reins, et ses yeux
se rivent aux miens. Nous nous dandinons si lentement qu’on peut penser que
nous ne bougeons pas. Il m’étudie, je m’en aperçois.
— Pourquoi tu me regardes ainsi ?
— Toujours des questions, Lilly, laisse-toi vivre un peu, profite du moment.
J’abdique, apparemment ce n’est pas le jour des grandes discussions. Je pose
ma tête sur son épaule, pourtant il me donne une réponse inattendue :
— Je veux me souvenir de chaque trait de ton visage pour ne pas les oublier.
Je me redresse.
— En m’ayant sous les yeux tous les jours, tu souhaiteras peut-être justement
les oublier parce que tu les auras trop vus, rigolé-je.
— Jamais je ne pourrai m’en lasser, ma Lilly.
Il m’embrasse tendrement, longtemps, et quand je rouvre les paupières nous
ne sommes plus seuls. Arnaud est là avec Brigitte et des policiers égyptiens. Je
déglutis, je ne comprends pas. Léo ne réagit pas, pourtant il sait qu’elles sont
derrière lui. On lui passe les menottes et toujours rien, il ne bouge pas, il est
comme paralysé.
— Qu’est-ce que vous faites ? hurlé-je. Enlevez-lui ces putains de menottes !
Arnaud ne me répond pas, les flics l’emmènent, mais hors de question qu’il
parte avec eux. Je leur barre la route.
— Léo, dis-moi quelque chose.
— Ne fais rien, Lilly, pour une fois, écoute, s’il te plaît, ça va s’arranger.
L’inspectrice me pousse, je reste telle une statue, immobile, ne sachant pas ce
qui se passe. Le sol vient de se dérober sous mes pieds.
Chapitre 19
Je lui explique le plan même si je doute que c’en soit vraiment un.
— Il nous faudra deux voitures dopées et des armes.
— Pas de soucis pour les bagnoles, Lilly, mais pour les armes… putain…
c’est une autre histoire, siffle-t-il.
— Bien essayé, Amir, mais n’espère pas une rallonge de ma part. Ce que je
t’offre pour le travail est très généreux par manque de temps, sinon j’aurais
trouvé d’autres guignols qui auraient fait tout autant l’affaire et pour moins cher,
rétorqué-je sèchement.
— Charmant ! Je ne suis plus le super pilote aux merveilleux talents ?
— Tu es un homme chanceux qui va se faire du fric facilement alors arrête
de te plaindre.
— C’est ton point de vue au niveau de la facilité, cela reste quand même
dangereux même si je dois avouer que tu as pensé à tout.
— Je dois y aller, ne traîne pas pour trouver les voitures, parce qu’ils risquent
de le déplacer très vite. Appelle-moi quand tu auras tout ce que je t’ai demandé !
— Qu’est-ce que tu vas faire ?
— Me trouver un hôtel et faire le guet.
Je récupère tout mon bordel et salue la mère d’Amir au passage. Je dévale les
escaliers en faisant bien attention à ne pas me casser la gueule, car les marches
sont étroites et en mauvais état. J’interpelle le premier taxi qui se pointe. Le
chauffeur descend de son véhicule pour me donner un coup de main avec mes
bagages.
Je lui demande s’il y a un hôtel près du zoo. Je ne veux pas lui dire que c’est
l’ambassade qui m’intéresse et comme le parc animalier est juste en face, c’est la
couverture parfaite. Il me propose le Four Seasons. Je suis d’accord pour qu’il
m’y emmène. Pendant le trajet, je vérifie sur mon téléphone où il se situe
exactement, une seule rue le sépare de l’ambassade. Nous y sommes. Je donne
un billet au conducteur. L’hôtel est luxueux avec vue sur le Nil. Un groom vient
me délester de mes sacs et je me rends au comptoir pour réserver une chambre
sous un faux nom. Léo m’avait fourni une carte de crédit au nom de Dupont.
L’homme tape sur son clavier toutes les informations et me délivre une clé avec
le sourire.
À un autre moment, j’aurais apprécié ce magnifique hôtel, sa piscine
gigantesque, son panorama incomparable, on pourrait même s’attendre à croiser
Cléopâtre, car cela ressemble à un palais, mais... je n’ai pas le cœur à profiter des
jolies choses, à cause de cette nausée qui ne me quitte pas. J’arrive à ma
chambre et je laisse un pourboire au groom qui m’a apporté mes bagages. Je ne
m’attarde pas et j’attrape mon ordinateur pour étudier le trajet.
Je dois trouver une solution pour qu’on sorte de la ville à grande vitesse. On
va être coursés et j’ai besoin d’élaborer un plan B, C, voire Z si tous les plans
précédents foirent. Je n’ai pas droit à l’erreur. Les heures défilent, je gribouille
sur une feuille toutes les options, ce que je peux et ne peux pas faire. J’examine
la carte du Caire consciencieusement. Mes méninges sont à plein régime, mais je
dois admettre que Léo est le cerveau et moi les jambes. Je ne suis pas si
intelligente que lui pour élaborer de tels projets. Amir appelle :
— Alors ?
— J’ai les véhicules et les autres trucs que tu m’as commandés ! Mon frère
conduira la seconde caisse.
— Pointez-vous au Four Seasons près du zoo. Laissez les voitures dans la
rue transversale.
— On ne tarde pas.
Je raccroche et je regarde ma montre, il est presque 15 heures. Je vérifie
l’application et le point bleu n’a pas bougé. Je farfouille dans mes affaires et
j’attrape une casquette. Ça ira parfaitement avec mon jean et mes baskets.
J’enfile mes solaires et je sors de ma chambre pour aller me cacher non loin de
l’ambassade. Je me poste au coin de la rue, de là où je suis, je peux observer les
allées et venues sans être repérée par les caméras de surveillance.
J’ai envie de vomir, mais je me retiens. J’envoie un SMS à Amir afin qu’il
me rejoigne quand il sera arrivé. Je fixe cette porte comme si ma vie en
dépendait. Ce n’est pas loin de la vérité, quelque part mon futur ne tient plus à
grand-chose. J’ai menti à mon ami, je n’ai aucune idée de ce que je fais, je n’ai
qu’un but, embarquer Léo et nous tirer de là ! Le reste… Inch’Allah !
Je suis immobile, toujours focalisée sur mon objectif, quand Amir apparaît.
— On les a garées dans la rue d’à côté. S’il y a du mouvement, on pourra
bouger rapidement.
— Parfait… Tu as lu les instructions que je t’ai envoyées ?
— Lues et apprises sur le bout des doigts, je sais ce que j’ai à faire.
— Je n’ai pas besoin de toi pour l’instant, mais tiens-toi prêt, Amir.
— Appelle-moi quand ça sera le moment.
J’acquiesce. Il part et moi je continue à fixer cette foutue entrée. Je
commence à avoir des fourmis dans les jambes, je regarde mes pieds et quand je
relève la tête… Léo est là, encadré par des hommes habillés de noir. Lunettes de
soleil sur le nez, oreillettes, biscoteaux, toute la panoplie pour décourager les
plus braves. Léo discute avec un des types, mais il a l’air… décontracté.
Il semble être libre de ses mouvements. Où sont Arnaud et Rossi ? Un truc
cloche. Je dois faire vite pour ne pas louper son départ. Je me précipite là où sont
les voitures. Amir me donne les clés d’une Audi noire.
— Reste-là, je n’ai pas besoin de toi pour le moment !
— Lilly, t’es sûre ? Qu’est-ce qui se passe ?
— Si seulement je le savais !
— L’autre chose que tu m’as demandée est dans la boîte à gants. T’es
certaine que tu ne souhaites pas que je vienne en couverture ?
Je lui prête peu d’attention et je m’engouffre dans la caisse afin de
commencer ma filature. Je sors de la rue et reste à bonne distance de
l’ambassade. Trois Mercedes me dépassent et stationnent à la hauteur du groupe
d’hommes, de Léo. Tous ne tardent pas à monter à l’intérieur des allemandes.
L’un des types lui tient même la portière. Si je ne savais pas qui il est, j’aurais pu
le prendre pour un diplomate, car ces mecs font gaffe à lui, trop pour un
criminel.
Les véhicules démarrent et je les suis. Je ne connais pas toutes les routes du
Caire, même si j’en ai mémorisé une grande partie. Mon job pour l’instant est de
suivre ces berlines et de ne pas les perdre. Cela fait plus d’une heure que je roule
et je ne sais toujours pas où je me dirige. Nous sommes hors de la ville, c’est
certain, mais pour quelle destination ?
J’ai ma réponse très vite. J’approche d’un aérodrome privé et ultra sécurisé.
Les trois Mercedes passent le contrôle. Je ne peux pas aller plus loin sans attirer
l’attention. Ma nausée ne me lâche pas et se fait plus tenace que jamais, mais je
vais tenir. Je me gare près du grillage qui entoure l’endroit. Je jette un œil dans la
boîte à gants, et j’y découvre un pistolet. Je décide de ne pas le prendre. Sur le
tarmac il n’y a qu’un hélicoptère à l’arrêt. Je descends de l’Audi, j’essaye de voir
quelque chose. Les voitures déboulent en trombe sur la piste. Je m’approche plus
près du grillage. Léo sort de la seconde bagnole, entouré par ces types. Il serre
des mains, et sans le contrôler, je crie son prénom, une fois, deux fois. Mes
cordes vocales brûlent à force de m’égosiller de la sorte. Je ne suis pas si loin, il
devrait m’entendre. Il m’a entendue.
Sa tête se tourne vers moi, il me fixe quelques secondes puis, impassible, il
chausse ses Ray Ban. Il se dirige vers l’hélico qui à son approche est prêt à
décoller. Il monte avec un des hommes qui l’accompagnaient. Je regarde avec
stupéfaction l’engin prendre de la hauteur et me survoler. Il m’a vue, entendue,
pourtant il n’a rien fait, il n’a rien dit, alors qu’il le pouvait, qu’il aurait dû me
faire un signe.
On n’est pas si relax quand on doit être mis en prison. J’ai le sang glacé. Son
visage était dur, froid, indifférent. Dans ses yeux, je n’existais plus. Un 4x4
déboule en faisant de la poussière. Brigitte fait son apparition. Elle vient à ma
rencontre :
— Qu’est-ce que tu fous ici, Brigitte ? m’irrité-je.
— Je me doutais que tu tenterais quelque chose malgré mes avertissements.
Mais je dois reconnaître que tu avais raison sur une chose.
— Laquelle ?
— Watts n’a besoin de personne, il se débrouille très bien tout seul.
— Qui sont ces hommes ? Toi qui as l’air de tout savoir.
— Des gens bien placés qui l’ont fait sortir en un claquement de doigts. Ils
vous ont blanchis tous les deux. Ils ont évincé Arnaud par la même occasion. Il
est protégé, cette pourriture est protégée, répète-t-elle.
— Je… ne… bégayé-je.
Là, j’ai vraiment envie de vomir.
— Quoi ? Qu’est-ce que tu ne comprends pas, Lilly ? Qu’il ne t’ait rien dit ?
Qu’il ne t’ait pas emmenée avec lui ? Qu’il t’ait menti depuis le début ? Il ne
cherchait rien de plus qu’un pilote à Monaco et a passé du bon temps par la
même occasion. Il t’a sautée, t’as fait croire que tu étais importante, t’as fait
miroiter je ne sais quoi… Mais ma belle, c’est comme ça quand on pactise avec
le Diable, on est toujours déçu à la fin. On se fait enculer brutalement sans le
sentir. Je t’ai prévenue, pourtant.
— Tu te trompes, répliqué-je, des larmes discrètes dans les yeux, Léo n’est
pas comme ça !
Elle fait une petite moue en me contemplant.
— Je te plains car tu es tombée amoureuse du mauvais gars. Je sais ce que
c’est, je suis championne en la matière. Préserve-toi, Lilly, parce que sinon… tu
vas souffrir comme jamais. Quand on a le cœur en mille morceaux, on a
l’impression qu’on nous bouffe de l’intérieur.
Aucun son ne sort de ma bouche, parce que je réalise que peut-être, oui peut-
être, je me suis fait berner même si je n’ose y croire. Je sais qui est Léo, mais de
là à jouer avec moi comme il l’a fait, ça relèverait de l’Oscar. Je me retiens de
pleurer, cela serait ridicule si je le faisais. Brigitte a probablement tort.
— Qu’est-ce que tu comptes faire maintenant ? me questionne-t-elle.
— Rentrer à mon hôtel et me prendre une cuite.
— C’est un super plan ! dit-elle, enjouée. Je t’accompagne.
— Je ne t’ai pas invitée. J’ai envie d’être seule.
— C’est mieux d’être à deux dans ces moments-là.
— Brigitte, tu ne peux pas me lâcher ouais ! Tu me gaves à être toujours
dans mes pieds, t’as pas d’amis ou quoi ?
— Non, effectivement je n’en ai plus depuis que je fais ce métier. Quand je
m’en fais, je les perds aussitôt, à cause de mon job.
Elle fait référence à notre amitié. Je penche la tête en arrière en poussant un
petit cri.
— OK, on se retrouve au Four Seasons près du…
— Je sais, je t’ai filée de là-bas.
— Évidemment…
— T’es plutôt nulle pour ne pas te faire repérer, t’as encore des leçons à
prendre.
— Je ne suis pas James Bond, figure-toi !
— Putain, ça, c’est clair, rigole-t-elle, mais tu es un sacré bon pilote, Lilly, et
tu es loyale avec les gens que tu aimes, ce n’est pas si mal.
Je la scrute et je ne la déteste plus. Peut-être qu’au fond, je ne peux compter
que sur elle, même si j’espère désespérément que Léo me donnera de ses
nouvelles rapidement. Après tout ce qu’on a vécu ensemble, je ne peux me
résoudre à n’être qu’un trophée de plus dans sa collection. Je monte en voiture,
Brigitte fait de même et nous retournons au Caire, à l’hôtel. Sur la route, je
contacte Amir, comme convenu :
— Tu peux rentrer chez toi, c’est fini !
— Comment ça… fini ? Plus de sauvetage à faire.
— Non.
— C’est mieux comme ça après tout, et pour l’argent ?
— Je n’ai qu’une parole, je te payerai avant de partir du Caire, en liquide.
— Qu’est-ce que je fais des voitures ?
— Récupère celle que tu as, je garde la mienne pour l’instant, je serai de
retour d’ici peu.
— Et pour les autres… trucs ?
— Je conserve le mien.
Il me saoule avec toutes ses questions.
— Et pour…
— On verra plus tard, d’accord ? rétorqué-je, en ne cachant pas mon
irritation.
— OK.
Je raccroche et me concentre. J’essaye de ne pas trop penser. Une fois que
nous sommes garées, Brigitte et moi nous installons au bar de l’hôtel autour
d’une table. Elle commande des shots de tequila et de vodka.
— Même en service, tu bois ?
— Je ne le suis plus depuis une bonne heure déjà. J’ai ordre de reprendre
l’avion pour Lyon demain. Et toi ? C’est quoi tes projets ?
Je ne lui réponds pas, parce que pour être honnête, je ne les connais pas moi-
même. Le serveur nous apporte nos verres. À peine déposés, elle les attaque en
mélangeant les deux alcools. Je la regarde, s’enfilant les shots les uns après les
autres. Moi, rien ne passe à cause de cette boule au ventre.
— L’attendre serait une erreur, Lilly, il ne reviendra pas.
— Tu ne le connais pas.
— Détrompe-toi. Plus de deux ans à le filer, il y a certaines choses qui ne
m’ont pas échappé… soupire-t-elle sans finir sa phrase. J’ai de la peine pour toi,
qu’il t’ait dupée de la sorte, qu’il t’ait embarquée dans ses magouilles en te
faisant croire qu’il t’aimait.
Je pourrais l’envoyer chier, mais je suis au bout du rouleau, je n’en ai même
pas la force, parce qu’elle a peut-être raison et qu’il est plus que temps que
j’ouvre enfin les yeux.
— Alors ? insiste-t-elle.
— Je ne sais pas et arrête de me le demander, ça me saoule !
— La seule chose positive de cette histoire, c’est que tu as désormais un
casier vierge, inexistant plus exactement. Watts t’auras servi au moins à ça, à ce
qu’on ne puisse plus faire pression sur toi avec quoi que ce soit.
— Je n’ai jamais été inculpée pour la mort de mon ex.
— Arnaud n’était pas de cet avis, elle m’a confié que… laisse tomber, rote-t-
elle. Je crois que j’ai trop bu. Pfffiou… j’ai la tête qui tourne.
— Tu as dit que Léo était protégé, explique-moi !
— Quand des huiles se déplacent exprès pour te pourrir la vie et te foutre à la
porte parce que tu as coffré la mauvaise personne, tout laisse à penser qu’elle est
importante, non ? Maintenant, la question est pour qui ? C’étaient des gens
puissants, bossant pour différents gouvernements, je crois. Ils ont fait le ménage
autour de Watts à une telle vitesse que je peux t’assurer qu’ils sont bien placés et
qu’on ne doit jamais leur dire non. L’affaire est classée et nous avons eu l’ordre
de l’oublier définitivement. Ne t’en veux pas, Lilly, on a tous été des pions pour
lui, il sait jouer habilement, personne n’a rien vu venir, même Arnaud. C’est un
maître du jeu. Je ne pense pas qu’elle aurait imaginé être échec et mat par son
pire ennemi.
— Pourquoi elle lui en veut autant ?
— Il a tué son coéquipier il y a quelques années de ça, qui était aussi son
compagnon. On peut comprendre sa ténacité à essayer de le coffrer par tous les
moyens. J’aurais fait pareil s’il avait buté mon mec. C’était l’époque où il faisait
le boulot lui-même, m’avoue-t-elle complètement pompette.
J’ai du mal à respirer tout à coup, moi aussi la tête me tourne, pourtant ce
n’est pas moi qui viens de tomber du fauteuil, mais Brigitte. Elle est ronde
comme une queue de pelle. Le serveur arrive à la rescousse. Je lui demande de
m’aider à la monter dans ma chambre même si mes propres jambes se font la
malle.
Chapitre 21
Je suis assise dans le fauteuil qui fait face au lit. Je regarde Brigitte ronfler
joyeusement. Je l’ai aidée à vomir avant qu’elle ne sombre dans un semi-coma.
Je porte secours aux autres alors que j’ai du mal à rester à flots moi-même. Je
prends mon téléphone et lance l’application, le point bleu clignote sur la même
position, à l’ambassade de France, sauf que Léo n’y est plus et depuis
longtemps.
Encore un leurre. J’ai essayé d’appeler Akito, mais le numéro n’est plus
attribué. Je dois affronter la réalité, il m’a eue, il s’est servi de moi. J’ai envie de
pleurer, mais je me retiens, ce n’est pas la peine, même si mon cœur s’émiette.
Tous les indices prouvent que Brigitte a raison.
Je n’ai aimé que trois personnes dans ma vie et deux d’entre elles m’ont
trahie. Je me fais couler un café et je le bois tout en regardant à l’extérieur, le
Nil. Si j’avais Léo sous la main, je le noierais dedans en maintenant longuement
sa tête sous l’eau. Pourtant, je continue à espérer que ce ne soient que des
circonstances hors de son contrôle qui l’empêchent de me contacter, qu’il me
donnera une explication solide.
Un cri digne de Chewbacca se fait entendre, Brigitte se réveille. Je pose ma
tasse et je vais à son chevet, histoire qu’elle ne retombe pas comme une crêpe
sur le carrelage comme cette nuit. Elle pue l’alcool, mais elle a l’air d’être plus
lucide. Elle essaye de s’asseoir, je lui file un coup de main. Je la laisse quelques
secondes pour lui préparer une aspirine que je lui apporte. Elle la boit en faisant
la grimace et me rend le verre.
— Comment tu te sens ? demandé-je.
— Comme une merde… marmonne-t-elle. Quelle heure il est ?
Je vérifie ma montre.
— Presque 10 heures.
— Putain… s’agite-t-elle. J’ai mon vol dans moins de deux heures et mes
affaires sont à mon hôtel.
— Je vais t’accompagner, ça ira plus vite. Prends une douche ici parce que tu
chlingues. On partira dès que tu auras fini.
Malgré sa gueule de bois, elle se précipite dans la salle de bains pour se
rafraîchir. Son téléphone sonne, mais elle ne l’entend pas. Je vais le chercher,
c’est plus fort que moi. « Inspecteur Arnaud » est inscrit sur l’écran, je le fixe
comme hypnotisée. Il s’arrête de faire du bruit et le son d’un message laissé
retentit. Je l’écoute. Le ton de sa voix est agressif :
« On vous a promue à ma place, Rossi. C’est ce que vous vouliez depuis
longtemps, félicitations ! Je n’ai pas dit mon dernier mot, Watts ne va pas s’en
sortir comme ça… »
Je remets le smartphone là où il était et je me prépare un énième café.
Brigitte est prête et nous pouvons y aller. Son hôtel n’est pas loin. Je ne patiente
pas longtemps dans la voiture, quinze minutes plus tard, elle refait son apparition
avec un petit sac. Je me remets en route en direction de l’aéroport.
— Je peux te poser une question perso, Lilly ?
— Même si je refuse, je vais y avoir droit.
— Watts est canon, riche, puissant, mais c’est une pourriture de la pire
espèce, pourtant tu continues à l’aimer, pourquoi ?
— Ce n’est pas toi qui m’as dit un jour qu’on était toujours attirées par les
mauvais garçons ? je lui sors sans détourner les yeux de la route.
— Lui, il est classé dans la catégorie internationale !
— Le mal, le bien, parfois ce n’est pas facile de faire la différence et cela
dépend des points de vue. Le truc avec Léo, c’est que… m’arrêté-je.
— Ouais… Vas-y, je t’écoute.
— Je suis moi, je suis libre. Ta chef avait raison à propos de mon ex, de
Cameron.
Je la sens dubitative, mais je continue.
— Je n’ai jamais pu m’avouer ouvertement que tout ce qui s’est passé était
de ma faute, que j’y avais consenti. Ce n’était pas un accident, un mauvais
calcul. Je ne me suis jamais trompée dans mes choix de conduite. Quand je
dépassais les voitures, lorsque je les frôlais, que j’étais positionnée entre deux,
parfois, je savais exactement combien de millimètres il y avait entre ma
carrosserie et la leur. Avec Cameron, je savais que ça n’allait pas passer, pourtant
j’y suis allée quand même.
— Putain, Lilly, tu es en train de me confier que tu l’as tué…
volontairement ?
— Je… crois… que oui, balbutié-je. Je me suis toujours voilé la face en me
disant que c’était une erreur, que je souhaitais à tout prix gagner pour le fric,
mais inconsciemment, je voulais que tout ça arrive, même si je ne l’ai jamais
prémédité. Je n’ai rien fait pour que cela ne se produise pas. Ce n’est pas la
coupe qui me motivait, mais la vengeance, parce que je lui faisais confiance et
qu’il m’a trompée avec une autre. Si je n’avais pas rencontré Léo, je me serais
menti encore longtemps sur ce que je suis, sur ce que je croyais que j’étais, mais
je ne vaux pas mieux que lui. Je ne suis pas pire que lui non plus.
— Arrête tes conneries, tu ne vas pas te comparer en plus ! Tu m’aurais
avoué cette vérité si ton dossier était toujours ouvert ?
Je tourne la tête vers elle quelques instants, et je reviens sur la route.
— Bien sûr que non, sort-elle, tu es bien trop intelligente pour ça. Tu ne
risques plus rien… Bordel ! souffle-t-elle. Vous faites un couple d’enfer tous les
deux ! Et Watts ? Tu vas lui réserver le même sort qu’à ton ex ? Un petit coup de
volant et hop, dans le décor ? Ce n’est pas moi qui t’en blâmerais.
Je ne réplique pas parce que je ne souhaite pas lui donner raison, même si à
cet instant précis, je pense comme elle, Léo ne mérite aucune clémence. Nous
arrivons.
— Quelqu’un va venir récupérer le
4x4… Pour ton ex… soupire-t-elle.
Elle donne une petite tape sur ma main qui est restée sur le levier de vitesses.
— Je voulais… te dire, hésite-t-elle, appelle-moi… si tu as besoin.
— OK.
— Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ?
— Je n’en sais rien… Allez à Londres, à Istanbul ou au bout du monde. Je
n’y ai pas vraiment réfléchi.
Parce que mon univers s’est encore écroulé et il n’y a plus personne pour me
rattraper cette fois, Brigitte.
— Ne te laisse pas abattre, on se remet de tout, crois-moi, même des pires
choses. Promets-moi que tu ne vas pas l’attendre, que tu vas continuer ta vie, une
nouvelle sans embrouilles ? Qui sait ! Tu vas tomber amoureuse de quelqu’un de
bien.
— Les gens bien se méritent, et moi, je ne le mérite pas.
— Tu parles pour ton ex ? pouffe-t-elle. Peut-être que j’aurais fait pareil que
toi si j’en avais eu l’occasion, pourtant je suis flic. Nous sommes humains, on a
droit à l’erreur. On déconne parce qu’on a mal et on gère notre douleur comme
on peut.
— Vas-y, tu vas rater ton vol.
— À plus ?
— Ouais… À plus !
Je lui souris et elle sort de l’Audi.
∞∞∞
Trois semaines se sont écoulées. La première, je l’ai passée à voyager, à
regarder mon téléphone toutes les cinq minutes. Au bout du 7e jour, j’ai
abandonné. Je n’ai pas trop pleuré, enfin un peu, mais c’est parce que je suis
revenue sur la tombe de ma mère, j’en avais besoin, après ç’a été terminé, plus
aucune larme n’a coulé.
Cela fait quelques jours que je suis en Floride. J’ai loué une baraque au bord
de la mer, pas loin de Miami, mais pas trop près non plus. Ma chambre a de
gigantesques baies vitrées, je me réveille et m’endors au son des vagues, aux
lumières différentes du ciel. Pas un jour n’est pareil. Je me ressource en me
baladant sur la plage et en trafiquant ma nouvelle bagnole que je prépare pour
une course.
Pas celle de Daytona, mais les sauvages. Elles payent bien même si l’argent
n’est pas ma motivation. On est libres comme jamais et j’ai besoin de mon shot
d’adrénaline de temps en temps. Je ne veux plus suivre aucune règle, dans les
courses régulières il y en a trop. Les contraintes m’étouffent. Je suis dans le
garage de ma location. J’ai racheté cette Toyota GT86 rouge pour une bouchée
de pain. Son proprio a eu un accident avec, et les réparations étaient trop
coûteuses pour lui. Il me fallait une voiture comme ça, cassée comme moi.
Chaque pièce, chaque coup de clé que je mets dans cette bagnole, c’est un bout
de moi que je retape.
Elle sera à mon image, raccommodée, mais forte. Je me bats avec le
carburateur depuis presque deux heures maintenant. Je me suis fait des coupures
aux mains, cela saigne un peu, mais cela ne me gêne pas, la douleur physique
efface presque celle que j’ai à l’intérieur. Je transpire, il fait lourd en Floride. Je
sors la tête de sous le capot et me redresse.
Je perçois une odeur, ce n’est ni la graisse ni l’essence, rien en rapport avec
la mécanique, mais l’effluve d’un parfum que je ne connais que trop bien. Je
sens sa présence, mais je ne me retourne pas. J’attrape une clé coudée à ma
portée et je la serre.
— Salut Lilly, dit Léo de sa voix suave.
— Qu’est-ce que tu fous ici ? répliqué-je en contenant à peine mon
agressivité.
— J’ai vu de la lumière...
Je me retourne finalement parce que c’est plus fort que moi, mais je ne lâche
pas pour autant mon arme de fortune. Il est toujours aussi beau, rayonnant
encore plus dans ce costume de lin beige qui le rend sexy à souhait. Il enlève
doucement ses solaires pour m’étudier de la tête aux pieds.
— Ton look de garagiste m’excite beaucoup ! sort-il, sourire en coin.
— Tu vas moins rigoler quand je vais te défoncer la gueule dans cinq
minutes !
— Lilly, ne le prends pas comme ça, si je ne t’ai pas contactée plus tôt, c’est
que je ne le pouvais pas, que j’avais mes raisons.
— Tu étais sur Mars ? Ou un truc du genre ? Dans un pays où le téléphone
n’existe pas ? J’en ai marre de tes salades, Léo ! Je ne déconne pas, dégage sinon
on ne va pas te reconnaître à la morgue ! balancé-je en serrant les dents.
Il souffle, il n’a pas l’air surpris par ma réaction, peut-être un peu désemparé,
mais qu’est-ce que j’en sais après tout ?
— Je pensais que de se retrouver te ferait plaisir, même si je suis conscient
que j’ai beaucoup de choses à t’expliquer.
— Au Caire, à l’aéroport, tu m’as regardée dans les yeux et tu n’as rien fait,
rien dit, comme si j’étais invisible.
— C’était pour te protéger, Lilly, rétorque-t-il, impassible.
— Je ne veux plus entendre tes conneries, j’ai assez donné.
— Tu penses qu’Arnaud était dangereuse ? hausse-t-il le ton. Ce n’est rien à
côté des gens pour qui je travaille. Ils m’ont fait une fleur en effaçant ton
ardoise, mais pour eux, tu étais un petit caillou dans leur chaussure, tu vois !
Quelqu’un à éliminer parce que tu pouvais compromettre leurs affaires. Je les ai
convaincus que tu n’étais qu’une de mes greluches de plus, que tu n’étais pas
une menace. J’ai attendu que cela se tasse un peu pour venir te voir, afin qu’ils
t’oublient, Lilly. Qu’ils ne se doutent pas que tu me fais perdre la tête quand je
suis près de toi.
— Je ne t’ai pas manqué autant que ça ces dernières semaines !
— J’ai bossé au Pakistan et en Russie, j’étais pas mal occupé. T’appeler
aurait été une erreur même si ça m’a brûlé les doigts de le faire. Ils vont nous
foutre la paix tant qu’on ne fait plus de vagues. J’ai fait ce qu’il fallait pour
qu’ils comprennent que tu n’étais pas… importante. Ils sont passés à autre chose.
— Pas moi, Léo ! Va-t’en ! Ne reviens pas !
— Tu as entendu ce que je viens de te dire ? s’irrite-t-il. Tout ce que j’ai fait,
c’était pour te sauver la vie ! Pour qu’on en ait une !
Je le fixe en silence, prête à lui lancer cette putain de clé au visage.
— Tu m’as trouvée grâce au bracelet ?
— Si tu ne l’as pas enlevé, c’est que tu tiens encore à moi. Tu souhaitais que
je te retrouve.
— Un oubli de ma part, parce que très honnêtement, je ne pensais pas que tu
te repointerais un jour, fais-je en arrachant ce putain de bijou pour le balancer à
ses pieds.
Il se baisse pour le ramasser et le mettre dans une de ses poches.
— Je comprends que tu m’aies repris ta confiance. Comment je peux la
regagner ?
— En te cassant d’ici, barre-toi, Léo ! J’ai accepté énormément de choses de
ta part pour qu’on soit ensemble, parce que je le désirais. Je ne suis pas un
Kleenex qu’on jette. Dix secondes de ton temps, pour me dire que tu allais
revenir, auraient suffi. Je ne demandais pas plus, mais non… rien… craché-je,
amère. Je n’ai pas plus de valeur à tes yeux qu’une de tes anciennes putes. Si tu
avais vraiment des sentiments pour moi, tu n’aurais pas agi de la sorte, ce n’est
pas ça… l’amour.
— Tu as les épaules pour vivre cette vie, c’est pour ça que je suis tombé…
Je l’arrête avant qu’il ne continue.
— Ne t’avise pas de me dire que tu m’aimes, surtout, parce que je doute que
tu saches ce que c’est. Ce n’est pas marquer sur sa peau deux lettres entremêlées,
c’est bien au-delà de ça.
— Lilly, cette liberté a un prix et je dois rendre des comptes de temps en
temps. J’ai sauvé ta vie en me comportant de la sorte, je ne te mens pas. Le
business est bien plus important pour eux que nos misérables existences. Je suis
indispensable, mais pas irremplaçable.
Je campe sur mes positions et je remarque à ses traits qui se durcissent qu’il
n’aime pas ça. Il chausse ses lunettes et fait demi-tour. Il s’arrête en me tournant
le dos et me lance :
— Je suis à Miami pour toi, Lilly, rien que pour toi. Je ne désespère pas que
tu veuilles rentrer avec moi en Italie. J’ai loué une maison ici, je t’ai envoyé
l’adresse sur ton téléphone. Viens me voir, on discutera quand tu seras calmée et
décidée à écouter.
Devant mon silence, il n’insiste pas plus, et il s’en va. Je jette la clé par terre
avec force, je suis furieuse. Comment peut-il me faire ça !
∞∞∞
Je n’ai pas mangé ou fait quoi que ce soit depuis la visite de Léo. Il m’a bien
envoyé l’adresse par SMS, c’est à peine à un quart d’heure de là où j’habite. Je
voudrais courir le retrouver, mais j’ai aussi envie de lui fracasser la tête. N’a-t-il
aucune idée de ce que j’ai enduré à l’attendre ? Ce que j’étais prête à faire au
Caire pour lui ? Non. S’il m’aimait comme il le prétend, il ne m’aurait pas
laissée tomber, parce que moi, je ne l’ai pas abandonné.
Quitte à m’attirer les foudres des pharaons, voire pire. Je fixe le plafond
blanc de la chambre, les doigts croisés sous la nuque, en réfléchissant. Je me
lève, je n’arrive pas à penser, à dormir, alors je vais bosser sur la voiture, parce
qu’il n’y a que ça qui puisse me vider la tête. Après quelques derniers réglages,
je me décide à l’essayer, pour savoir si elle est d’attaque pour affronter de
féroces bolides.
La route que j’emprunte n’est pas très fréquentée, surtout à cette heure
tardive de la nuit. Ce qui me permet de voir ce qu’elle a dans le ventre et
d’exploser le compte-tours. J’appuie sur l’accélérateur et je fais bien attention au
bruit du moteur pour déceler le moindre problème. Je n’arrête pas de solliciter
les vitesses pour m’assurer que la boîte encaisse le choc sous de brutaux
changements de régime, mais ça tient. Ça ronronne, il n’y aura que les pneus à
remplacer pour qu’ils adhèrent mieux au bitume. Ma ballade m’a conduite pas
loin d’où Léo réside. Je me gare sur le bas-côté de cette petite piste de terre. Il
n’est qu’à cinq minutes d’ici, au bout du chemin. Mon cœur cogne dans ma
poitrine à m’en faire mal. Dois-je lui donner une autre chance ou faire demi-
tour ?
Chapitre 22
Deux jours sont passés et j’ai toujours la tête dans le moteur pour des
réglages de dernière minute. Dans quelques heures, j’ai une course sauvage, je
ne veux pas louper mon retour. Cette allée qui menait à Léo, je ne l’ai pas
empruntée. J’ai rebroussé chemin et je suis rentrée. J’ai avalé un somnifère avec
un verre d’alcool pour que la nuit m’engloutisse dans ses ténèbres afin de ne
penser à rien, pour ne plus penser à lui.
Je donne un dernier coup de clé au moteur et je termine. Je referme le capot
et je vais prendre une douche. Je reste longtemps sous le jet froid de l’eau, au
point que la peau de mes doigts se ride. Je sors et je m’enroule dans un drap de
bain. J’attrape une serviette pour me sécher les cheveux tout en me regardant
dans le miroir.
Décidément, rien n’y fait, l’image qu’il me renvoie ne plaît pas. Je me sens
perdue, sans Léo, sans ma mère. J’ai l’impression d’être creuse, inconsistante,
sans âme, sans rien. Il n’y a que les courses qui remplissent ce vide. J’ai
tellement envie de le revoir, tellement envie de lui, même s’il n’est pas bon pour
moi. Je me connais, je sais qu’à un moment ou à un autre je vais craquer. C’est
pour cette raison qu’il ne faut pas qu’il reste ici.
Ce mec est pire que l’adrénaline, une fois qu’on y a goûté, on a du mal à
s’arrêter. Il faut que je tienne, car je sais que derrière mon volant, une seule
chose comptera, la course et rien d’autre. Je me prépare. Jean, Stan Smith, t-shirt
blanc, blouson en cuir noir. Je suis prête. Je regarde l’heure, il est temps que j’y
aille. C’est n’est pas tout le monde qui peut intégrer ce genre de courses.
Ils se renseignent sur toi avant. Si tu as de l’argent pour payer ton ticket pour
y participer et une bagnole, c’est tout ce qu’ils demandent. Le gagnant rafle 10
000 $ et la caisse du concurrent. On nous donne le parcours à la dernière minute.
On ne peut rien prévoir, c’est notre talent à tenir un volant qui fait la différence,
ça, et le manque de règles, la capacité à s’adapter. Je monte en voiture, je
cherche ma playlist sur mon iPhone. J’adore Imagine Dragons. Je mets le son à
fond et je me rends sur le lieu indiqué par les organisateurs. Après une demi-
heure, j’y suis. C’est un parking au nord de Miami qui a été aménagé pour
l’occasion en un vrai showroom de voitures de compétition customisées.
Je roule doucement dans ce dédale de frimeurs qui exhibent leurs caisses et
leurs nanas. Ce n’est pas leurs néons de couleurs ou leurs enceintes surpuissantes
qui les feront gagner. Il ne faut faire qu’un avec son véhicule pour ressentir ce
qu’il ressent. Chaque vibration, chaque freinage, chaque piston qui s’agite…
Quand on a compris que c’est le prolongement de soi, la course est presque dans
la poche.
Je me gare là où on me l’indique. Je descends de ma Toyota. Mes adversaires
ricanent car pour eux, je suis une femme conduisant un tas de ferraille. Ils
s’imaginent que je ne peux pas gagner. Ce qu’ils ne savent pas encore, c’est
qu’ils ont toutes les chances de perdre contre moi. Ce sont des duels. Un contre
un. Plus au moins vingt kilomètres à parcourir en ville, au péril du danger. Il ne
faut pas se faire choper par les flics et n’accrocher personne si c’est possible. Ce
sont les seules et uniques règles. Cela me convient.
Les premiers concurrents se préparent. Leur virée va être retransmise en
direct sur les téléphones. Un drone va suivre tout le parcours afin qu’on ne rate
rien. Ils s’élancent, et tous ont le nez rivé sur leur écran. Je me fous de savoir qui
court contre qui, qui l’emporte. Je n’aurai d’intérêt pour mon adversaire que
lorsque ça sera mon tour. Deux heures plus tard, c’est à moi, je suis la dernière à
passer.
Je m’installe dans ma voiture pour me mettre sur la ligne de départ.
L’organisateur de la course, Enrique, hispanique, chauve à moustache, est devant
mon capot, un foulard rouge à la main. Nous attendons mon rival qui se fait
désirer. J’entends le ronflement d’une sportive, une Porsche cayenne noire qui se
place à ma hauteur, sur ma droite. Je tourne la tête, la vitre teintée du conducteur
descend et quand je vois qui se dévoile, mon cœur fait un bond. Léo est derrière
le volant, arborant son look de bad boy. Je souffle, j’ai les nerfs en pelote. Je sors
comme une furie de ma Toyota pour le retrouver et lui dire deux mots. Je me
penche à sa hauteur :
— Qu’est-ce que tu fous là ? Tu me suis ?
— Tu ne te manifestes pas, j’en avais marre d’attendre, j’ai pris les devants.
— Tu comptes faire quoi au juste ? Courir contre moi ?
— Si c’est la seule solution pour que tu m’écoutes…
Je me relève, effarée. J’interpelle Enrique.
— Trouve-moi quelqu’un d’autre, ce type ne sait pas tenir un volant, c’est un
bouffon !
— Je n’en ai rien à foutre, il a payé son droit d’entrée. S’il veut perdre sa
bagnole, c’est son problème.
— Tu prends vraiment n’importe qui ! rouspété-je.
Je me retourne et Léo est descendu de sa voiture, assis sur le capot,
terriblement sexy dans son jean slim qui dessine chaque muscle de ses cuisses
athlétiques et son t-shirt col en V noir qui fait ressortir ses pectoraux… J’ai du
mal à cacher qu’il me plaît, mais je le dois. Je reviens sur mes pas pour lui faire
face.
— Tu as conscience que tu ne peux pas gagner ?
— On verra bien… Si je gagne, on va pouvoir enfin l’avoir cette
conversation ?
— Tu ne l’emporteras pas, affirmé-je. Justement, je voulais une Porsche, cela
tombe bien !
Il se relève puis avant de s’installer dans sa voiture me balance :
— Je suis toujours optimiste. Je préfère essayer et me louper plutôt que de ne
rien tenter, me lance-t-il de son sourire charmeur.
Il claque la portière et démarre l’allemande.
Très bien, tu l’auras voulu ! Tu vas mordre la poussière.
Je m’engouffre dans ma Toyota et fais vrombir le moteur tout en fixant mon
adversaire. Mes yeux reviennent sur la route, Enrique est entre les deux bagnoles
et avant de lâcher à terre le foulard qui donne le top départ, il nous crie :
— Tous les coups sont permis !
Nous voilà lancés, Léo et moi, dans les rues de Miami à toute vitesse. Je suis
déjà pied au plancher et laisse sur le carreau Léo que je vois dans mon rétro. Bye
bye babe. Même avec sa Cayenne dernier cri, qu’est-ce qu’il croyait ? Je ne me
préoccupe plus de lui et je zigzague entre les voitures sur Collins Avenue en
évitant les piétons peu prudents qui s’aventurent trop près de ma caisse.
Je me maîtrise, malgré mon adversaire, la pression, le risque. C’est ça que je
sais faire le mieux, filer comme le vent parce que je suis libre quand je conduis.
L’avenue est bondée, mais peu importe, c’est le jeu. Les sirènes des voitures de
police ne tardent pas à retentir, j’ai deux patrouilles de flics à mes trousses. Elles
sont dopées pour rattraper des bagnoles comme la mienne, mais ils n’ont pas les
techniques du conducteur et c’est ce qui fait la différence. Ce n’est pas le
véhicule qui compte, mais celui qui est derrière le volant. J’appuie un peu plus
sur l’accélérateur, je grille un feu puis deux, toujours en contrôlant mon rétro
intérieur et les deux extérieurs.
Ils perdent du terrain, mais rien n’est gagné. Dans ces duels sauvages, il y a
peu de règles, mais quelques consignes. L’une d’elles est de ne jamais conduire
les flics ni au départ ou à l’arrivée d’une course. J’emprunte des rues parallèles
pour les semer, pour ne pas les mener à ma destination finale. J’entends crier
quelques piétons, car je les effleure de trop près, mais je ne les touche pas.
J’ai toujours le compas dans l’œil. Mon cœur bat vite, pas à cause de la peur,
mais à cause de l’excitation. Ma respiration est saccadée, l’adrénaline est à son
paroxysme. Je prends à gauche, puis à droite, en donnant des coups de volant
brusques. Le bruit des sirènes se fait de plus en plus distant, je gagne du terrain.
L’arrivée doit se faire non loin de Greynolds Park, là où il y a des résidences
chics. Le point de chute est une de ces villas où une partie des spectateurs, du
staff, et des concurrents qui ont déjà couru attendent. Je ne suis plus très loin si
je me réfère à mon GPS, qui m’a accompagnée en même temps que le groupe
Imagine Dragons.
Le son de la musique couvre un peu ceux de l’extérieur. Cela me permet
aussi de me concentrer. Plus de lumières rouges et bleues dans mes rétros, pas de
Porsche non plus, je donne tout ce que j’ai pour atteindre ma destination finale
en espérant quand même que Léo ne se soit pas fait coffrer. Après tout, pourquoi
je m’en fais ? Pourtant, c’est plus fort que moi, je m’inquiète.
Quand on aime, on se préoccupe de l’autre. Cette phrase, il devrait aussi la
tatouer sur la peau. J’arrive sous les applaudissements de la foule qui m’acclame
comme si je venais de sauver le monde. C’est jouissif, car cela fait du bien, mais
terriblement superficiel également. C’est comme si on me congratulait parce que
je mange du chocolat alors que j’adore ça. Je sors de la japonaise, on me félicite,
on me tape dans le dos. Le jardin est paré de lumières discrètes, de palmiers
gigantesques, d’allées de cailloux blanc et noir. C’est classe. Je suis le
mouvement des gens qui m’entraînent à l’intérieur de cette villa somptueuse où
tout n’est que luxe et démesure.
Cette maison est curieusement bâtie. C’est un rectangle parfait construit
autour de son élément principal, la piscine. Les reflets de l’eau sublimés par les
lumières des spots illuminent les pièces qui sont toutes parées ou presque de
baies vitrées gigantesques. On peut aussi bien voir de l’extérieur que de
l’intérieur de celles-ci. Je traverse le couloir pour me retrouver là où est la
piscine, là où est la fête, là où tout le monde boit et se déhanche.
Chaque fin de course est l’occasion de se lâcher, de célébrer comme si c’était
le Nouvel An. La musique est à fond, l’ambiance est bruyante, j’essaye de me
frayer un chemin parmi ces inconnus pour atteindre le bar, mais je me fige
lorsque j’aperçois Léo un verre de champagne à la main. Il discute avec une
blonde à forte poitrine, portant un minishort qui lui sert presque de string. Elle
est vulgaire et collante. Elle est scotchée à son bras, telle une tique sur la peau
d’un chien. Il sait que je suis là, il n’a pas loupé mon entrée et il ne me lâche pas
du regard.
Sa blonde ne l’intéresse plus. J’imagine qu’il essaye de me rendre jalouse et
il réussit. Pourtant, je trace sans grand égard pour lui. Je demande un shot de
vodka au mec derrière le comptoir. Je descends le verre d’une traite, je sens son
parfum flotter dans l’air, il est près de moi. Sans le regarder, je lui balance :
— Tu as triché pour être arrivé avant moi ?
Sans attendre une réponse, je demande un autre shot, ce soir l’alcool est mon
allié.
— J’ai déclaré forfait. Je n’ai jamais eu l’intention de te battre, car soyons
honnêtes, je ne le pouvais pas.
Je tourne la tête vers lui, sans bouger mon corps pour autant.
— Honnête ? C’est un mot que tu connais ? Tu as élargi ton vocabulaire ?
Je reviens à mon verre qui coule aussi vite dans ma gorge que le premier. Il
dépose une photo devant moi. Une belle brune aux cheveux longs, les yeux
hypnotisants, comme ceux de Léo.
— C’est ta nouvelle greluche ? je sors, acerbe.
— C’est ma sœur… C’était… ma sœur, Sophie, dit-il, la voix troublée.
Je me retourne complètement pour lui faire face. Il s’approche de moi, il
n’est qu’à quelques centimètres à peine.
— Elle travaillait avec moi avant toi, Lilly. Ils pensaient qu’elle était un
danger le jour où elle est tombée amoureuse. Elle a déconné une seule petite fois
parce qu’elle n’était pas concentrée. Ça a fait foirer le deal. Rien d’irréversible,
j’aurais pu arrangé le coup, s’ils m’en avaient laissé le temps. Deux jours après,
je l’ai retrouvée morte chez elle, dans sa baignoire. Il y avait une seringue par
terre. Elle n’a jamais pris de drogues de sa vie. Officiellement, elle a fait une
overdose. Elle était un grain de sable, Lilly. Je ne voulais pas que cela se
reproduise, je ne voulais pas perdre une autre personne à laquelle je tiens plus
que tout. Alors oui, je t’ai fait du mal, mais c’était pour ton bien. Je sais
maintenant comment ces gens fonctionnent, je les court-circuite quand j’en ai le
pouvoir.
Son corps se colle au mien, son souffle chaud caresse mon oreille et il
chuchote :
— Si tu penses que tu as signé avec le Diable, tu te trompes, c’est moi qui ai
pactisé avec lui et je ne peux plus m’échapper. Soit je fais ce pour quoi je suis
payé, soit je meurs. Alors que toi, tu as le choix, parce que je me démène pour
que tu l’aies.
Il fait un pas en arrière, ses yeux ne quittent pas les miens pendant quelques
instants, puis il s’en va. Sa blonde le talonne, mais il la repousse sans
ménagement. Elle reste là, les bras ballants, et ne tarde pas à se trouver une
nouvelle proie. Mon cœur bat la chamade, je prends la photo et fixe cette femme,
la sœur de Léo. Je la range dans ma poche, je m’apprête à le suivre quand
Enrique s’interpose :
— Voilà tes clés ma belle, elle est à toi ! dit-il en agitant sous mon nez le
trousseau de la Porsche que je prends. Tu as fait une très belle course, il n’avait
aucune chance contre toi.
Il me tend une enveloppe où mes gains se trouvent. Je la range de mon
blouson.
— Refais-moi un show comme ce soir et je double la mise, me balance-t-il,
tout sourire.
— Je conduis, je ne me donne pas en spectacle.
— Les gens sont ici pour se divertir, alors appelle ça comme tu veux, mais ils
en ont eu pour leur argent. Ça va attirer encore plus de monde. Je t’inscris pour
la semaine prochaine ?
— On verra, je te contacterai. Je ne peux pas utiliser la Toyota pour le
moment.
— Mon équipe va s’en occuper. On va te changer les plaques, on a
l’habitude. On te la rapportera dans quelques jours.
— Merci, fais-je en lui tapant sur l’épaule avant de filer.
Je me lance à la recherche de Léo dans cette baraque qui est immense. Je
vérifie toutes les pièces une par une, surprenant quelques couples en pleine
action, sans pour autant avoir à m’excuser de mon intrusion, car ils ne m’ont pas
remarquée. J’écume l’étage également, toujours rien, il s’est envolé. Je
redescends parmi ces gens qui font la fête, je dois encore jouer des coudes
jusqu’à la sortie. Une fois dehors, je cherche la Porsche au milieu des autres
voitures garées. Il y en a un paquet, et ne la trouvant pas, j’appuie sur le bouton
de la clé. Celle-ci répond à mon appel et s’illumine. Je monte à bord et je ne
m’attarde pas. Je fais ronronner le moteur de la Cayenne et file en direction de la
maison qu’il a louée.
Chapitre 23
La maison est dans la pénombre. Pas de voiture, aucun signe que Léo est ici.
Je descends de la Porsche et je tente ma chance. Je frappe à la porte, sous les
coups, celle-ci s’entrouvre. Je ne suis pas rassurée, mais c’est plus fort que moi.
Je la pousse et je m’introduis à l’intérieur à pas feutrés, en regardant partout
autour de moi.
Il fait sombre et j’ai du mal à distinguer quoi que ce soit. Une main m’attrape
le bras, on me plaque contre le mur. Un souffle… son souffle vient frapper mon
visage, son parfum me grise. Je ne peux pas bouger.
— Tu veux qu’on discute, Lilly ?
— On baise d’abord, on parlera ensuite.
Malgré l’absence de lumière, je perçois son sourire, le reflet de ses yeux.
Mes lèvres rencontrent les siennes et il m’embrasse comme jamais il ne l’a fait
auparavant. Nous, telles des ombres chinoises dans l’obscurité teintée de bleu et
de noir, moi acculée contre ce mur, le corps de Léo contre le mien, ses paumes
posées sur la cloison au-dessus de moi. Je suis emprisonnée entre ses bras, c’est
d’une sensualité déconcertante.
Cela me fait penser au baiser de Top Gun, sauf que le nôtre est mille fois plus
hot et passionné. Ses doigts s’attaquent à mon Levi’s qui en moins de deux se
retrouve sur mes chevilles, accompagné de ma petite culotte en dentelle. Il
s’accroupit pour m’en débarrasser, et je l’aide en soulevant mes pieds l’un après
l’autre. Il se relève et dégrafe un à un les boutons de son jean slim brut troué, je
sens son regard peser sur moi. Sa main droite me tient le menton et d’un coup
sec, je décolle sous le coup de rein violent qu’il vient de m’asséner.
Il est en moi, il se déhanche avec vigueur, il ne me ménage pas, il se
cramponne à ma peau. Je respire à peine. Les battements de mon cœur
s’excitent, je n’entends qu’eux, ainsi que mes gémissements qui sortent sans que
je les contienne. Son corps se joint au mien, son bras se place sous ma cuisse
pour la soulever, pour s’immiscer un peu plus profondément dans ma chair. Son
haleine est aussi saccadée que la mienne, je transpire, il me donne un baiser si
passionné que nos dents s’entrechoquent. Cela ne le perturbe pas, il se détache
puis me retourne pour me replaquer contre le mur et me prendre par-derrière.
Mes paumes sont scotchées à la cloison, et sa main cherche la mienne, nos
doigts s’entrelacent. Son souffle vient caresser ma nuque, et moi, sous son sexe
affamé, je tressaille. Malgré le tissu de nos hauts qui nous sépare, je sens chaque
muscle de son torse qui se contracte sous ses assauts endiablés, enflammés. Ses
doigts s’agrippent de plus en plus fort aux miens. Je tourne légèrement la tête,
ses lèvres attrapent les miennes pour les dévorer.
Ses coups de reins sont plus rapides, son souffle plus court, je ne touche plus
terre. Je suis dans un état second, il gémit fort, il se relâche, il me repose par
terre, c’est fini, nous avons atteint le 7e ciel en même temps. Mon cœur vient
d’exploser. Je suis toujours immobilisée à la paroi, sa tête s’appuie un instant sur
mon épaule, puis il me retourne pour que mes yeux soutiennent les siens. Il
m’embrasse tendrement. La bête sauvage qui m’a baisée a laissé la place à un
homme plus doux.
— Ça m’a manqué nos corps à corps, admet-il en se rhabillant.
— T’es bien un mec ! Vous ne pensez qu’au cul !
— Eh… c’est toi qui l’as voulu, j’étais prêt à discuter avant pour une fois.
— … Ouais, souris-je, car il n’a pas tort. Où je peux trouver la salle de
bains ?
— Tu en as une au bout du couloir, m’indique-t-il.
Je l’entends faire du bruit à côté de moi, et comme par magie, la maison
s’illumine. Elle a de hauts plafonds, et tout est… vide. Pas de meubles, pas
d’effets personnels, rien.
— T’es sûr que tu as loué cette maison ? Tu n’es pas entré par effraction ?
Devant son silence, je comprends :
— Tu n’avais pas prévu que je résiste autant, n’est-ce pas ?
— Cette baraque est à quelqu’un que je connais. Il ne l’utilise pas. Il ne saura
même pas que je suis venu.
— Encore un mensonge ? Putain, Léo tu ne peux pas t’en empêcher ! Et la
fille de la photo ? Tu l’as piquée dans un cadre en inventant une belle histoire
autour ?
— Calme-toi ! Je ne t’ai pas menti pour ma sœur ! Tout est vrai. On s’en tape
que la baraque soit louée ou pas ! Ce n’est pas ça le plus important. Eh oui, je
pensais que tu me serais tombée dans les bras un peu plus vite.
— T’as de la chance que je n’ai rien sous la main à te balancer dans la
tronche parce que tu le mériterais !
Il éclate de rire.
— Je ne comprends pas ce qu’il y a de si drôle.
— Nous ! On se chamaille comme si nous étions un vieux couple.
— Ouais… eh ben ce genre d’engueulade, je m’en passerais bien tu vois !
Il s’approche de moi, glisse son index dans mon jean et le tire pour que je me
colle à lui.
— Je t’aime, Lilly, comme un fou, tu n’as pas idée. Je ferais tout pour toi. Ne
pense pas que je te mente, mais tu n’as pas besoin d’être au courant de tout, pour
ta… protection, souligne-t-il.
— Depuis que je sais que tu n’es pas complètement libre de tes mouvements,
je ne me sens plus en sécurité à tes côtés.
Il recule d’un pas, ses yeux s’assombrissent.
— Rien ne t’arrivera, Lilly, je t’en fais la promesse.
— Je ne suis pas sûre que ce soit un risque que je souhaite prendre.
— Tu m’aimes ? demande-t-il.
Je réfléchis quelques secondes avant de lui donner ma réponse.
— Plus que tout.
— Fais-moi confiance dans ce cas, je te dis la vérité.
— Je te fais confiance, mais je ne supporterai plus un coup comme celui du
Caire. Les relations en dilettante, je t’ai prévenu, ce n’est plus pour moi. Je t’ai
donné mon cœur pour que tu le mettes en pièces, pour m’en reconstruire un
nouveau à notre image. Ne le détruis pas encore une fois, Léo.
Ses mains se posent sur mon visage tel un doux étau pour le réconforter de sa
chaleur.
— Je ne te blesserai plus jamais, je ne t’abandonnerai plus jamais, Lilly, je te
le jure.
Il m’enlace fort contre lui. Notre étreinte dure une éternité. Pas de sexe, pas
de geste déplacé, juste nos bouches qui ne cherchent qu’à s’aimer. Après
quelques dernières promesses qu’il me fait, nous laissons cette maison vide pour
rejoindre la mienne. Nous passons le reste de la nuit dans le lit à discuter. Il
m’explique tout ce qu’il fait, ce qu’il compte faire, plus de secrets, plus de
mensonges entre nous.
Il me raconte l’histoire de sa sœur, de ce qu’il a ressenti au moment de sa
mort. Quand il prononce encore une fois son prénom, une larme coule sur son
visage. Je le prends et l’étreins. Il se met en position de fœtus et reste contre mon
ventre comme ça jusqu’à ce que nous nous endormions.
Léo aussi a besoin d’être protégé parfois. Les premiers rayons du soleil
viennent me réveiller. Il n’est plus blotti contre moi, il n’est plus dans le lit non
plus. J’enfile un t-shirt et un bas de jogging. Je suis l’odeur du café qui se
dégage. Je le surprends dans la cuisine, torse et pieds nus, ne portant que son
jean de la veille, préparant des œufs et des saucisses, un torchon sur l’épaule. Je
souris, car il ressemble à un de ces beaux mecs qu’on voit sur les calendriers
sexy.
Je m’assois au comptoir, il sait que je suis là, mais il continue à préparer le
petit déjeuner, et moi je me délecte en le reluquant. Mes yeux n’arrivent pas à se
détacher de sa peau, de ses tatouages, celui en particulier qui porte nos initiales.
Il se retourne puis dépose une assiette bien garnie devant moi. Méthodiquement,
il place les couverts au centimètre près, ainsi qu’un verre de jus d’orange. Je
saisis un peu mieux pourquoi il déjoue souvent les plans de la police. Il est
méticuleux et ne laisse rien au hasard. Il porte de l’attention aux détails
insignifiants, c’est ce qui fait sa force. Il a un esprit brillant même s’il est
difficile à suivre.
— Je ne te connaissais pas ce talent !
— T’emballe pas, ce sont les rares choses que j’arrive à préparer sans que je
fasse tout brûler. La cuisine n’est malheureusement pas un art que je maîtrise.
On ne peut pas être bon en tout.
— Je te le confirme, à part conduire, j’ai l’impression de ne savoir rien faire
d’autre, dis-je en piquant ma fourchette dans une des saucisses.
Dans un grand bruit qui me fait presque sursauter, il lâche la poêle dans
l’évier.
— Je ne veux plus t’entendre te dévaloriser de la sorte, Lilly ! s’irrite-t-il en
posant ses mains sur le comptoir, ce qui fait ressortir les muscles ciselés de ses
bras. Tu n’es pas uniquement un bon conducteur. Tu te réinventes pour les gens,
tu t’adaptes pour les rendre heureux. Tu l’as fait pour ta mère, pour moi. Qui
aurait le courage de faire ça ? Pas beaucoup de monde, crois-moi ! C’est dur de
s’oublier pour le bien de l’autre. C’est pour ça que…
— Que quoi ?
— Que je… t’aime.
Ça me rappelle vaguement une chanson de Johnny…
Je souris discrètement sinon je vais me faire engueuler.
— Je veux que tu saches que rien n’est plus important que toi, continue-t-il,
même si je ne pourrai jamais te passer officiellement la bague au doigt.
— Au début de notre relation, j’avais déjà compris que le mariage, tu n’en
étais pas fan.
— Encore plus depuis que je suis avec toi.
Heu… merci…
— Parce que si tu devenais ma femme, tu serais un moyen de pression sur
moi, et ça, je ne le veux pas. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas t’offrir ça.
Il fouille dans une de ses poches pour en sortir une bague. Il contourne le
comptoir pour me rejoindre. C’est un petit solitaire monté sur un anneau en or
blanc.
— Elle appartenait à ma mère. Elle m’a toujours dit de la donner à celle qui
ravirait mon cœur. Je t’ai trouvée, Lilly, alors que je ne l’espérais plus, que je ne
cherchais plus. Je n’ai pas besoin de me tenir devant un prêtre pour te souffler
que je te protégerai, que je te serai fidèle, que je serai là pour toi, dans la
pauvreté ou la richesse, en bonne santé ou malade, me déclare-t-il d’une traite.
Pendant tout son speech, qui m’a rendue incroyablement muette, il ne m’a
pas regardée. Ses yeux étaient hypnotisés par le bijou. Il relève enfin le visage,
en tenant avec fermeté la bague.
— Tu veux bien que je te l’enfile, Lilly ?
— On parle toujours du solitaire, Léo ? je sors en m’empêchant de rire.
— Bordel ! rouspète-t-il en me fusillant du regard.
— Pardon, pardon, fais-je en décollant mon cul du siège. Je ne m’attendais
vraiment pas à ça. Toi qui es contre tous ces trucs gnangnan.
Il ne dit rien, suspendu à mes lèvres, espérant une réponse. Je lui tends ma
main gauche, son sourire revient. Délicatement, il passe le diamant à mon
annulaire. Je perçois une certaine émotion de sa part, il tremble un peu. Cela
signifie énormément pour lui, j’en prends conscience dès lors que le bijou est à
mon doigt.
Je le regarde et la pierre brille de mille feux. Je respire profondément pour
l’embrasser. Mes mains se baladent sur son dos pendant toute notre étreinte. Je
repense à Monaco, à la première fois que je l’ai vu. Jamais je n’aurais imaginé
que je me lierais à cet homme hors norme. On se sépare. Il me caresse la joue,
puis encercle ma taille de ses bras puissants.
— Nous n’avons toujours pas fait cette croisière sur le Nil. Ça sera en
quelque sorte notre lune de miel.
— Je n’ai pas gardé de bons souvenirs d’Égypte.
— Raison de plus. Lorsqu’on tombe de cheval, il faut remonter au plus vite.
— Je ne déteste pas la Floride, le climat est pas mal.
— Très bien, alors on change de destination. On ira dans les Caraïbes.
Qu’est-ce que tu en dis ? Plage, baise et farniente à volonté !
— Pendant combien de temps ? Deux ? Trois jours ?
— J’ai réservé tout mon mois, seulement pour toi. J’ai énormément de
choses à me faire pardonner, dit-il en remuant les sourcils pour me soutirer un
sourire.
— Les Caraïbes… C’est tentant, en effet.
— Bahamas, Jamaïque, République dominicaine... c’est toi qui choisis.
— Je vais y réfléchir. Laisse-nous le temps de respirer un peu. Nous n’avons
pas toujours besoin d’être en mouvement. Enlève ton jean, l’eau à cette heure ici
est plus qu’agréable. Les bains matinaux sont les meilleurs.
— Pour ma part, je préfère ceux de minuit.
Je l’entraîne dehors. Arrivés sur le sable, nous nous déshabillons et piquons
une tête dans la mer. Nous profitons une bonne heure de ce cadre paradisiaque.
Léo est plus doux que jamais. C’est un homme avec beaucoup de facettes, et là,
tout contre lui, embrassant les perles salées qui déferlent sur ses lèvres, j’en
découvre une autre. Il sait se montrer vulnérable, avenant. À la fois protecteur et
sans défense.
Pendant un court moment, quand il se défait du poids qu’il porte sur ses
épaules, il est un homme différent, un homme heureux. C’est peut-être ça qu’il
aime tant chez moi. Cette sérénité que je lui apporte, il peut être lui avec moi. Il
n’a pas besoin d’être fort et sans faille tout le temps. J’étudie son regard
transparent, il est beau à en mourir, il est l’enfer sur terre, même le paradis ne
dégagerait pas autant de magnificence en cet instant.
La damnation ? Je suis plutôt pour, même si vivre avec un type tel que Léo
n’est pas de tout repos. Mais lorsqu’il me tient tout contre lui, comme il le fait
maintenant, j’oublie tout. Nous retournons à la villa pour prendre une douche et
après celle-ci, nous nous assoyons sur la terrasse pour boire un café et admirer
les vagues de l’océan qui meurent au contact du rivage. Il fixe l’horizon et tout
en avalant sa tasse, il me dit :
— Tu ne travailleras plus avec moi, c’est fini, Lilly.
— Pourquoi ?
— C’est la seule façon de te préserver et ta sécurité est primordiale pour moi.
Il est hors de question que l’épisode du Caire se reproduise. Je ne mêlerai plus
boulot et vie privée. Je t’assure que personne ne saura ce qui se passe dans notre
intimité, dit-il en tournant la tête en ma direction. Je vais être beaucoup plus
précautionneux à l’avenir. Plus personne ne te menacera.
— J’adore bosser avec toi.
— Non, Lilly, tu kiffes la compétition, les courses, l’adrénaline, et je ne vais
pas t’en priver. Tu pourras t’éclater aussi près de la maison. Il paraît qu’il y a des
duels qui s’organisent de temps en temps.
— J’aime Côme, et je ne vois aucune raison de ne pas y retourner, mais pas
tout de suite.
— OK… Et à propos du boulot ? De ce que je t’ai dit ? s’inquiète-t-il.
— Je suis d’accord, en procédant de la sorte ce n’est pas seulement moi que
tu protèges, mais toi également et pour moi aussi ta sécurité est importante.
— Je suis soulagé que tu ailles dans mon sens.
— Tu avais peur que je te fasse une scène ?
— Non, que tu me balances un truc à la tête, car apparemment ça à l’air
d’être une passion chez toi, rigole-t-il.
Je le regarde en souriant, c’est vrai que nous avons tous les deux de sacrés
caractères.
∞∞∞
Cela fait quelques jours que nous sommes à la Barbade. Plages laiteuses,
baignades, sexe et mojitos. C’est notre emploi du temps depuis notre arrivée ici.
Nous logeons dans la suite d’un palace, et Léo… est l’homme presque parfait. Je
prends quelques photos de nous, car je n’en ai pas. Je vais les garder
précieusement sur mon téléphone. Les couleurs des Caraïbes le rendent encore
plus sublime. Il faut que je les fasse tirer sur papier. J’encadrerai celle où nous
nous enlaçons sur la terrasse du restaurant, nous semblons si heureux, parce que
nous le sommes. Il ne s’est absenté qu’une fois pendant la nuit, pensant que je
dormais, pour bosser, je suppose.
Je ne lui en veux pas, personne ne change complètement. Il a bien fait de me
pousser à venir, car je n’étais pas trop enthousiaste au début, j’aime le climat de
la Floride. Il m’a travaillée au corps pendant deux jours entiers pour que je cède.
Je lui ai fait promettre de retourner à Miami après notre escapade, j’ai d’autres
courses de prévues quand on rentrera. Léo ne s’y est pas opposé. Il m’a juste dit
qu’il faudrait qu’on reparte en Italie bientôt, car c’est là-bas, chez nous.
Chapitre 24
Notre court séjour est terminé, nous sommes de retour en Floride. J’ai deux
courses sauvages de planifiées puis nous retournerons en Europe. Il déteste
Miami, il n’attend qu’une chose, mon feu vert pour rentrer en Italie. Enrique m’a
proposé plusieurs duels intéressants, mais pour Léo, je n’ai accepté que ces
deux-là. Juste pour le fun.
Ce soir, il m’emmène dîner dans un grand restaurant. Je suis sous la douche,
profitant de sa pluie tropicale, je me sens bien et apaisée, je passe mes doigts
dans mes cheveux pour évacuer l’eau. Depuis la mort d’Agnès, je me sentais
vide, Léo est venu combler ce vide. Nous avons vécu les mêmes choses avec nos
mères, nous aimons l’action, c’est l’homme qu’il me faut.
Quand l’amour frappe à notre porte, avons-nous le luxe de refuser ? Je ne me
pose plus de questions depuis longtemps, c’est lui, un point c’est tout. Je me
passe une serviette autour du corps et je me sèche les cheveux. Je me fixe dans le
miroir, et je ne me dégoute plus. Je vois une femme forte, qui a traversé de
nombreuses épreuves et qui s’en est sortie malgré les difficultés. Peu importent
les moyens, c’est le résultat qui compte.
Je sors de la salle de bains et une boîte en carton noir est posée sur le lit. Cela
me rappelle vaguement une certaine toilette à Monaco qu’on m’a offerte. J’ouvre
l’emballage et j’en sors une robe blanche, forme bustier, plissée sur le jupon,
sertie de cristaux qui jouent avec le soleil et qui dispersent des reflets féeriques
sur les murs de la chambre.
Je vire ma serviette puis je la passe, et elle me va comme un gant. Je ne lui ai
jamais donné ma taille de vêtements, pourtant, il tombe toujours juste. Pendant
que je « m’admire » devant la glace de l’armoire, Léo fait son apparition en
smoking blanc, papillon noir, agitant une paire de talons aiguilles de la même
couleur que la robe, et tout aussi brillants.
— J’ai oublié de les mettre avec ta tenue, elle te plaît ?
— Elle est magnifique. Quand as-tu eu le temps de l’acheter ?
— L’argent ouvre les portes, Lilly. Et… internet aussi, s’amuse-t-il. Tu veux
que je te les passe ? indique-t-il de la tête la paire de chaussures qu’il tient.
J’acquiesce.
— Très bien, jolie princesse, assois-toi sur le lit.
Je m’exécute. Il s’agenouille, il est littéralement à mes pieds. Il prend un des
escarpins mais il ne me le passe pas tout de suite. Sa main se balade sur ma
jambe, tout en me regardant avec un sourire diabolique aux lèvres. Il fait des va-
et-vient en effleurant ma peau du bout de ses doigts, cela me donne la chair de
poule. Il s’en aperçoit et ça le fait encore plus sourire. Il se décide enfin à
m’enfiler la chaussure qui me va à la perfection. Je tourne mon pied dans tous
les sens. Léo s’attaque à l’autre jambe avec le même rituel et termine de me
chausser. Ses mains remontent petit à petit ma robe au-dessus des genoux.
— Oh… mais qu’est-ce que je vois ? On a omis de mettre sa petite culotte ?
Je ris.
— Je n’ai pas pu résister, je voulais l’essayer avant ton retour.
— Cet oubli est fâcheux… pour toi.
— Non, Watts. On a réservé, on va être en retard, et en plus, tu vas la
froisser.
— Mon ange, avec ce que je compte te faire, je ne vais rien froisser à part le
tissu qui se situe au niveau de mes genoux.
Sa tête plonge entre mes cuisses, et je sens instantanément que sa bouche
mange mon clito. Sa langue le lèche, ses lèvres l’aspirent, le relâche à plusieurs
reprises, et moi je suffoque. Pourtant, j’écarte les cuisses afin qu’il ait le champ
libre pour me donner encore plus de plaisir. Deux doigts s’immiscent dans mon
intimité avec brusquerie, s’agitant aussi vite qu’un sexe d’homme en rut. Ils
s’activent de plus en plus rapidement, de plus en plus fort, sa langue ne relâche
pas son emprise sur ma perle de chair, je suis en feu, à bout de souffle.
Mes paumes sont ancrées dans le matelas, afin que je ne bouge pas, que je ne
tombe pas sous ses assauts incessants, indécents, insolents, mais tellement
divins. Cela dure une éternité, deux orgasmes coup sur coup, et lorsque je suis au
bord du troisième, il relève la tête. Hors de question qu’il me laisse comme ça,
ma main se colle à sa nuque pour qu’il reparte finir ce qu’il a commencé. Il ne
conteste pas, il est toujours plein d’énergie et comme pour m’achever, un doigt
supplémentaire s’introduit plus profondément encore.
Il est tout aussi vivace que les deux autres. Je gémis son prénom. Mon cœur
bat à tout rompre, je manque d’oxygène, mais je l’ai eu ce putain de troisième
orgasme. Il refait surface, les cheveux ébouriffés, sa braguette gonflée par le
désir. Je n’ai qu’une envie, c’est de lui rendre sa faveur. Je descends sa fermeture
éclair avec hâte et libère son sexe enflé, prêt à exploser sous la pression. Je le
mets avec délicatesse dans ma bouche et je le pompe vigoureusement. J’aime
aussi cette façon de l’avoir en moi, il est si chaud. Ses mains sont sur ma tête, me
caressant les cheveux pendant que je lui soutire de petits râles. Avec ses coups de
hanches, il m’aide à le goûter encore plus langoureusement.
Il se retire brusquement pour aller se réfugier dans la salle de bains pour « se
finir ». Il n’aime pas « s’étaler » sur moi. Il trouve ça irrespectueux et même
avec ses greluches, il ne le faisait pas. Je me relève pour aller le rejoindre et me
rafraîchir par la même occasion. Lui est devant le miroir en train de réajuster son
nœud papillon. Il ne me prête pas attention. Je me lave les dents, puis je me
remets un peu de rouge à lèvres rose. Il s’adosse au bord du lavabo et il me dit :
— Jette un œil au premier tiroir sur ta droite.
Il fait bien de préciser, car ce meuble est bien fourni en rangements. Je
l’ouvre et découvre une bouteille de parfum. Parisienne d’Yves Saint-Laurent.
Sans le contrôler, une larme coule sur ma joue, c’était le préféré de ma mère. Léo
s’approche de moi en panique.
— Pourquoi tu pleures ? Si tu ne l’aimes pas, on va le changer, ne te mets
pas dans tous tes états pour ça.
— Non… je l’adore, fais-je en essuyant ma joue. C’était le favori d’Agnès.
— Je ne le savais pas, je suis désolé.
— Ce n’est pas grave, au contraire, lui souris-je.
J’enlève la cellophane puis m’en asperge légèrement. Je sens l’odeur sur ma
peau, son odeur. Je pensais que cela me ferait mal de le humer de nouveau, en
fait, cela me fait du bien, j’ai l’impression qu’elle est avec nous.
— Finalement, ma gaffe n’en est… pas une ?
— Non, rassure-toi ! J’ai passé le cap, je peux vivre avec son absence, et ce
grâce à toi.
— OK, susurre-t-il, en me caressant la joue. On a tant à apprendre l’un de
l’autre, mais on a toute la vie pour ça.
Il me serre contre lui et après quelques minutes, nous nous mettons en route
pour le restaurant à bord de ma Porsche, en direction de Miami. Je le laisse
conduire, il est trop sexy derrière le volant, j’ai tout le loisir de l’étudier à ma
convenance. Nous arrivons et le serveur nous prie de le suivre pour que nous
nous installions. Le cadre, la nourriture, Léo. Ce soir, il est le parfait prince
charmant, oui, tout est parfait. Entre deux gorgées de champagne, avant qu’on
nous apporte le dessert, il me dit :
— Je dois retourner à Monaco quelques jours pour le boulot. Je suis désolé,
Lilly. J’ai repoussé autant que j’ai pu, mais je dois m’y rendre au plus vite. Un
gros chargement à gérer.
— Je vois… soufflé-je.
— Tu peux rester ici et me rejoindre plus tard. Je sais que tu as encore des
courses et que c’est important pour toi.
Je trempe mes lèvres dans le liquide jaune et je pose ma flûte.
— Ce beau dîner était donc pour m’annoncer la nouvelle en douceur ?
— J’ai choisi un lieu public au cas où tu aurais envie de t’en prendre à moi
physiquement, se marre-t-il. Tu adores faire voler les objets. J’aurais préféré
rester ici avec toi, dit-il plus sérieusement.
— C’est faux, tu n’aimes pas trop Miami.
— Je préfère l’Italie, c’est vrai.
— Puisqu’on est en pleine leçon de géographie, tu ne m’as jamais dit où tu
étais né.
— Oxford. Ma mère était Anglaise, et mon géniteur… français, paraît-il.
— Il est toujours en vie ?
— Je n’en sais rien et je m’en fous. C’était un coureur de jupons. Il a voulu
se taper une petite Anglaise. Pour ma part, je n’ai plus de père depuis longtemps.
Et le tien ? Tu n’en parles jamais non plus.
— Il a dû se barrer avec le tien probablement.
— Ouais… probablement.
On nous apporte nos desserts. Une crème brûlée pour moi, et un cheesecake
new-yorkais pour lui. Je regarde à l’extérieur, fixant la mer au soleil couchant. Je
ne me lasserai jamais d’un tel panorama.
— Cela te contrarie que je parte, Lilly ?
Je tourne la tête pour lui parler.
— Non, pas ça, je comprends, c’est ton boulot.
— OK ! fait-il en s’essuyant la bouche. Qu’est-ce qui te préoccupe dans ce
cas ?
— On sait peu de choses l’un sur l’autre. Notre relation a été enflammée
depuis le début. On a vécu dans le moment. Je sais que ce n’est pas
indispensable de tout connaître, mais c’est quand même important et…
Il me coupe.
— Et tu te dis que depuis le début, je n’ai pas pris la peine de te poser des
questions sur toi ou de t’en dévoiler un peu plus sur moi, c’est ça ?
Je hoche la tête.
— Très bien, soupire-t-il en jetant la serviette sur la table. Tu aimes les
douches froides qui te revigorent, et parfois des bains chauds à l’odeur de
lavande, cela t’apaise. Tu kiffes jouer les mécanos quand tu ne tiens pas un
volant. Tu pleures à chaque fois que tu regardes Le Roi Lion, et tu as dû lire une
centaine de fois au moins La forme de l’eau. Les coins cornés des pages ne
mentent pas. Ton acteur préféré est Hugh Jackman. À la seconde où tu entends
les premières notes d’une des chansons d’Imagine Dragons, tu ne peux pas
t’empêcher de chanter… mal. Tu te relèves la nuit pour manger à la cuillère de la
confiture ou alors des nounours en guimauve enrobés de chocolat, parfois les
deux en même temps, ce qui est franchement dégoutant.
— Léo… je sors stupéfaite, mais il continue sa tirade.
— Je n’ai pas fini, Lilly. Tu regardes le soleil se lever et se coucher quand tu
le peux. Bien que tu sois blindée, tu ne dépenses pas à tort et à travers, tu fais des
dons réguliers pour la lutte contre le cancer. Mais le plus important, c’est que tu
es tombée amoureuse de moi, alors que je ne le mérite pas.
Il plonge sa cuillère dans le bout de gâteau qui reste dans l’assiette pour le
finir. C’est sa bouche qui est pleine, pourtant, c’est bien la mienne qui est
scellée. J’ai toujours pensé qu’il se foutait un peu de tout ça, parce que cela
faisait trop romantique. Je me trompais. Il a été attentif aux petits détails encore
une fois.
— À ton tour ! me demande-t-il en avalant son cheesecake. Qu’est-ce que tu
sais de moi ?
— Pas grand-chose, tu interdis quiconque de te connaître vraiment. Tu portes
toujours ce masque que tu ne laisses que rarement tomber.
— Pas avec toi, je n’ai jamais été aussi à nu que depuis notre rencontre. Ce
n’est pas grave, si tu n’as pas autant de trucs à…
— Chut… Léo, l’intimé-je de se taire, un doigt sur mes lèvres. Ton dessert
préféré est le cheesecake, tu ne prends que ça quand nous sommes au restaurant.
Tu n’aimes pas regarder la TV, tu te forces à le faire pour moi. Tu aimes le luxe,
l’argent, l’architecture, la musique classique et Lady Gaga. Tu adores baiser dans
des endroits peu conventionnels. Tu détestes de ne pas avoir le contrôle, tu aimes
être au-dessus des autres pour montrer que tu es le plus intelligent. Tu préfères
les chats aux chiens et malgré ton côté macho, tu respectes les femmes.
Je cherche d’autres choses à ajouter pour l’impressionner, mais il ne m’en
laisse pas l’occasion.
— Tu vois… peu de monde en sait autant que toi, Lilly. On se connaît bien
plus que tu ne le penses, mais je suis d’accord avec toi, on va s’efforcer de
creuser un peu plus, après tout tu es ma femme, à présent.
Ces mots sonnent comme un poème dans ma tête, je suis sa femme, rien qu’à
lui et à personne d’autre. Ce qui me conforte encore plus dans mon choix de le
suivre.
— Je vais venir avec toi à Monaco, Léo. On partira pour Côme quand tu
auras terminé de bosser.
— Et les courses ?
— Je n’ai pas de contrat avec Enrique, je peux m’en passer pendant quelque
temps, je ne suis pas si accro que tu le penses. Je m’en suis bien privée pendant
des années, alors quelques semaines, ce n’est rien.
— Tu es sûre ? demande-t-il en fronçant les sourcils.
— Certaine.
Un sourire se dessine sur son visage.
— Je vais faire préparer le jet. On ne restera que deux jours tout au plus à
Monaco. Après ça, on prendra le yacht pour se rendre à la maison. Une
minicroisière improvisée jusqu’à Gênes, un coupé Mercedes nous y attendra et
tu nous y conduiras.
— Tu avais prévu que je t’accompagne, n’est-ce pas ?
— C’est ce qui fait mon charme… Toujours avoir un coup d’avance, rit-il. Il
sort de sa poche mon bracelet-tracker. J’aimerais que tu le portes, Lilly. Je
m’inquiéterai moins. Je l’ai fait réparer.
Je suis d’accord avec lui. Il me l’accroche au poignet. Je l’admire, c’est vrai
qu’il est très joli.
Chapitre 25
Le trajet en jet est passé vite. Pour tout dire, j’ai occupé mon temps à dormir
et Léo à travailler. C’est définitivement plus rapide que les vols commerciaux.
Nous sommes descendus dans un hôtel différent de celui où nous nous sommes
rencontrés. Ce palace est bien plus luxueux. Il est niché dans les hauteurs de la
principauté, le panorama est à couper le souffle. Depuis notre arrivée il y a deux
jours, je ne sors que très peu du lit à cause du jet lag qui m’assomme.
J’entends à peine aller et venir Léo qui lui est très actif. Il bosse, donc d’un
côté ce n’est pas si mal que j’occupe mon temps ainsi, à récupérer, après tout ce
sont de petites vacances. J’ai la tête dans le brouillard. Je raccroche les wagons,
la suite, Monaco, je suis en France. Je passe la main sur le côté du lit, mais une
fois encore, Léo n’est pas là. Je tâtonne la table de nuit pour y chercher mon
téléphone. Je soulève péniblement les paupières, il est presque 9 heures du mat’.
Pas mal… Je commence à me régler, moi qui jusque-là ne me levais pas avant au
moins 14 heures. Je m’assois au bord du matelas en faisant de petits
mouvements de la tête pour me décoincer les cervicales. Presque deux jours à
piquer du nez dans l’oreiller, je suis engourdie. On s’est à peine dit deux mots
avec Léo. Je le sentais quand il rentrait dormir, il se collait à moi, mais pas plus.
Je me bouge pour aller me doucher sous une eau bien froide pour me
rafraîchir les idées. Une fois fait, je me lave les dents, mets un coup de déo et je
m’habille. J’enfile mon jean, une chemise blanche et mes Stan Smith. Ce matin,
je vais prendre le petit déjeuner dans la salle du restaurant. Côtoyer du monde va
me faire recoller à la réalité, j’en ai besoin. Je dois dire que cette fois, j’ai du mal
à encaisser le décalage horaire.
J’emprunte l’ascenseur et j’en sors, pour faire la queue avec les autres.
Quand je vois ce monde qui attend, je regrette instantanément mes plateaux-
repas dans la chambre. C’est mon tour après un quart d’heure. Une sympathique
jeune femme vient m’installer à une table, près de la fenêtre. Être dans une suite
donne certains privilèges, dont celui de profiter d’une magnifique vue. Elle me
demande ce que je désire comme boisson chaude et je lui réponds du café,
évidemment. J’admire quelques instants le paysage avant de me ruer vers le côté
sucré du buffet. J’attrape la plus grande assiette et j’empile toutes les
viennoiseries que je trouve.
Un vieux monsieur près de moi à l’air effaré par ma gourmandise, je lui fais
une grimace en guise d’un « De quoi je me mêle ! » J’ai la dalle et tout semble si
bon, je ne vais pas m’en priver. Au passage, de ma main libre, je récupère
quelques petits pots de confiture que j’enfouis dans mes poches, puis je me sers
un jus d’orange. Je rapporte toute ma récolte sur la table et je m’assois pour m’y
attaquer, je suis une goinfre.
Mon café y est déjà versé dans une tasse. Je perçois les regards sur moi, de
cette clientèle ultra chic avec laquelle je dénote à cause de mes habits, mais je
m’en tape. Une des choses que Léo m’a apprises, ne pas faire attention aux gens
qui n’ont pas d’importance. Pendant que je dévore un croissant en raclant un pot
de confiture de pêche avec ma cuillère, Léo s’installe sur la chaise en face de
moi. Il est tiré à quatre épingles comme toujours, dans un costume marine, taillé
pour lui. Cette couleur fait ressortir encore plus le bleu transparent de ses yeux.
Il est élégant et sexy. Ma serveuse ne tarde pas à faire son apparition sourire aux
lèvres pour lui demander ce qu’il désire. Je suppose que si on lui posait la
question à elle, elle répondrait sûrement… lui.
— Un Earl Grey et le journal, s’il vous plaît, dit Léo.
— Bien monsieur, fait-elle en bavant sur lui.
Je continue à manger en ignorant ce petit flirt à sens unique qui me ferait
presque rire.
— Où sont les bulldogs ce matin ?
— Ils vont nous rejoindre. Une petite urgence de dernière minute. T’en as
laissé aux autres ? se moque-t-il de moi. Parce que le responsable de salle se
plaint que quelqu’un à dévaliser tout le côté boulangerie.
— Oh… mais tu es très drôle ce matin, Watts.
— Remarque… je te préfère comme ça, car j’ai cru dormir avec une morte
ces derniers jours. J’ai même pris ton pouls à un moment donné, je m’inquiétais
vraiment, sort-il en se marrant.
Je souffle en secouant la tête.
— Qu’est-ce que t’es con, je te jure.
— Je suis au courant, tu me le dis tout le temps.
La jeune femme revient avec un plateau en argent. Elle dépose sur la table
une théière, une tasse, du sucre, du lait et des journaux. Une grosse pile de la
presse du jour.
— Je ne savais pas lesquels vous lisiez, donc je vous les ai tous pris, dit-elle,
béate.
— Merci.
Elle est plantée comme une cruche près de Léo, mais devant son dédain
évident, elle nous laisse.
— Tu fais toujours autant d’effet aux belles Françaises.
— Comme si j’en avais quelque chose à faire !
Je souris, ravie de sa réponse.
— On va rester ici encore longtemps ?
— Un jour, pas plus je pense. Je devrais finir dans la soirée. Le yacht est
prêt.
Il se sert son thé puis déplie son journal pour le lire. Fin de la discussion. Je
continue à manger et à remplir mon ventre de viennoiseries. Une fois le petit
déjeuner terminé, nous prenons l’ascenseur pour la suite. Léo veut se changer
avant de repartir. Nous sommes seuls dans la cabine. Il en profite pour m’acculer
contre la rambarde dorée et me tenir prisonnière entre ses bras. Il m’embrasse
tendrement.
— Tu as déjà fait ça dans un ascenseur ?
— Heu… non, et vu ce que je me suis enfilé, mon chéri, je t’assure que ce
n’est pas le moment pour les galipettes. J’ai besoin d’un cachet pour digérer.
Il rigole.
— OK, mais la prochaine fois, tu n’y coupes pas.
— On en reparlera, fais-je en tirant sur sa cravate pour qu’il m’embrasse.
— Je t’aime, Lilly Watts.
— Moi encore plus, Léo Watts. D’ailleurs, j’ai une petite surprise pour toi.
Je défais le bouton de ma manche de chemise et je lui fais découvrir le
tatouage sur mon poignet droit. Pendant qu’il dormait, j’ai pris le sien en photo
quand nous étions à Miami. Il l’attrape dans sa main et l’étudie.
— Quand l’as-tu fait ? demande-t-il, presque étonné.
— Juste avant que l’on ne parte pour Monaco, quand tu t’es absenté un
après-midi entier, j’en ai profité. J’y pensais depuis un moment déjà. C’est
exactement le même que le tien.
Il me regarde puis il embrasse le tatouage.
— Tu sais que c’est important pour moi.
— Oui, je le sais, Léo.
— Moi aussi j’ai un cadeau. Je t’ai envoyé un lien sur ton e-mail.
J’essaye d’attraper mon iPhone, mais il m’en empêche.
— Quand nous serons dans la chambre, Lilly, fait-il avec douceur.
Un son nous indique que la cabine est arrivée à notre étage, les portes en
laiton s’ouvrent. Il m’embrasse une nouvelle fois, il se retourne, je lui emboîte le
pas, il se fige. J’aperçois l’inspecteur Arnaud visant Léo d’une arme. Sans avoir
le temps de penser, de réfléchir, il se met devant moi en écartant les bras pour
faire bouclier. Le bruit assourdissant de coups de feu résonne. Léo s’écroule sur
moi. Je ne comprends pas. Ma tête fait des allers-retours entre lui et Arnaud qui
se fait appréhender par nos gardes du corps qui la désarment. Léo est sur moi, il
essaye de chuchoter quelque chose, bien qu’il n’arrive plus à respirer :
— Rappelle-toi… de… nous… Lilly. De… notre… amour…
Ce dernier mot sort comme un râle. Ma chemise blanche est tachée de sang,
de son sang. Léo ne bouge pas, Léo ne bouge plus. Je suffoque. Je le serre fort
contre moi en répétant son prénom. Paul essaye de me faire relâcher mon
étreinte, mais je le repousse en criant et en le frappant de toutes mes forces :
— Vous étiez où putain ?!
Georges, qui est plus costaud, vient à sa rescousse et m’extirpe de la cabine.
Je me débats, mais rien n’y fait, je continue à hurler, je suis hystérique. Paul
surplombe Léo qui est immobile. Deux trous sont visibles dans sa poitrine. Je ne
respire plus, je ne perçois que mon cœur qui tambourine dans tout mon corps.
George, qui me tient, parle avec Paul, mais je ne l’entends pas. Paul, qui est près
de Léo, fait un non de la tête, Léo est mort.
∞∞∞
Cela doit faire des heures que je suis assise dans la salle de restaurant. Deux
policiers m’interrogent, mais je ne réponds pas, je suis sous le choc, je suis
gelée, j’ai mal à la tête, j’ai envie de pleurer, de vomir. C’est un cauchemar, je
vais bien me réveiller à un moment ou à un autre, ouais, c’est ça, rien n’est vrai.
Je me pince, mais non, je ne rêve pas, tout est bien réel, j’ai mal, putain qu’est-ce
que j’ai mal à en crever, c’est insupportable. Léo est mort.
J’ai les mains glacées, mon cœur cogne, j’ai envie de mourir aussi. Je ne
reverrai plus Léo, c’est fini. Il ne me prendra plus dans ses bras, je ne sentirai
plus ses lèvres sur les miennes. On me parle, je n’écoute pas. Mes yeux sont
rivés sur mon tatouage, sur nos initiales. J’ai froid, j’ai très froid. Comme un
flash dans ce chaos, je sors mon téléphone pour aller vérifier l’e-mail que Léo
m’a envoyé. Je l’ouvre et un lien s’y trouve. Je clique dessus, il me mène sur le
cloud de Léo. C’est une vidéo. Je la lance.
Les flics continuent à me parler, mais je ne les vois pas, je ne les entends pas.
Léo est sur cette vidéo. Il arbore son look bad boy. Il a quelques difficultés avec
sa caméra, il la replace, car elle n’arrête pas de tomber. Une fois qu’il réussit à la
régler, il s’assoit et pose sur ses cuisses une… guitare. Je ne savais même pas
qu’il en jouait. J’ai du mal à avaler, les larmes se font sentir. Il commence à
parler.
— OK… soupire-t-il. Lilly, je suis nul pour dire ce que j’ai sur le cœur, ce
que je ressens pour toi. J’ai toujours voulu me lancer parce que… oh et puis
merde, je crains pour ce genre de trucs. J’ai écouté la dernière chanson de Lady
Gaga, I’ll Never Love Again, celle de A Star Is Born. Toutes les paroles que j’ai
entendues, ce sont celles que j’aurais aimé te dire, Lilly, parce qu’elles me
correspondent totalement, elles reflètent ce que je ressens quand je suis près de
toi, alors je vais le faire maintenant.
Il accorde sa guitare avec minutie et commence à jouer et à fredonner les
premières notes de I’ll Never Love Again :
Don't wanna feel another touch…