Allaoua Amara, Empire Islamique, Cahiers de Civilisation Médiévale, 2021

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Cahiers de civilisation médiévale

Xe-XIIe siècle
253 | 2021
Varia

Gabriel MARTINEZ-GROS, L’Empire islamique VIIe-


XIe siècle

Allaoua Amara

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/ccm/6893
ISSN : 2119-1026

Éditeur
Centre d'études supérieures de civilisation médiévale/Université de Poitiers

Édition imprimée
Date de publication : 1 janvier 2021
Pagination : 83-86
ISBN : 978-2-490783-08-3
ISSN : 0007-9731

Référence électronique
Allaoua Amara, « Gabriel MARTINEZ-GROS, L’Empire islamique VIIe-XIe siècle », Cahiers de civilisation
médiévale [En ligne], 253 | 2021, mis en ligne le 01 mars 2021, consulté le 10 janvier 2024. URL : http://
journals.openedition.org/ccm/6893 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ccm.6893

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers
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Gabriel MARTINEZ-GROS, L’Empire islamique VIIe-XIe siècle, Paris, Passés composés/Humensis, 2019.
Gabriel Martinez-Gros aborde dans cet ouvrage l’histoire de l’Islam en Occident du XVIIIe au XXe s.
l’histoire des cinq premiers siècles de l’Islam depuis C’est au cours de cette période qu’émergent en Europe
la mort du prophète jusqu’à la prise du pouvoir par les les premières histoires universelles dans lesquelles
dynasties non arabes au XIe s. Dans son introduction, l’Islam tient une place en raison de son poids démo-
il rappelle les principes de la philosophie du temps chez graphique et de son ancienneté. Considérée comme
les historiens qui multiplient les sources pour élaborer l’une des trois ou quatre civilisations de l’histoire
leurs problématiques et leurs démonstrations. Mais humaine, la civilisation de l’Islam est parmi les rares
dans le cadre de cette histoire progressive, il insiste écrivant leur propre histoire. Mais, dans cette écri-
surtout sur l’indispensabilité de l’anachronisme pour ture de l’histoire universelle en Europe, l’Occident
l’historien afin de traduire les discours du passé en est présenté comme la norme de la réussite face
termes intelligibles pour ses lecteurs. À la lumière à un Islam symbolisant celle de l’échec. Pour les
de la théorie de l’histoire élaborée par Ibn Khaldûn historiens du XIXe s., les croisades et la reconquista
et des travaux contemporains, ce livre propose de marquent l’inflexion décisive entraînant la reprise en
répondre aux questions de la survivance de l’Islam Europe du progrès après un temps assumé par l’Islam.
au siècle des conquêtes et de sa réussite à changer Les grandes invasions turques et mongoles annoncent
les signes de sédentarités impériales établies avant pour ces historiens le début du long déclin de l’Islam
les siens, comme la langue et la religion. Le recours et la fin de sa contribution positive à l’histoire du
à l’instrument de la pensée d’Ibn Khaldûn est justifié progrès humain. Diverses raisons sont avancées
par la grille de lecture originale qu’il propose sur pour expliquer ce qu’ils appellent l’effondrement
ce passé. Ce choix est, nous dit-on, argumenté par de l’Islam, comme le refus de la philosophie, la divi-
le fait qu’il est nourri des exploits de la génération sion ethnique entre Arabes et Persans. Mais cette
du prophète et ses compagnons, et des fastes et des perception se modifie après les années 1930 avec
désastres de l’âge de l’Empire abbasside, qui illustre l’approfondissement de la connaissance de l’Islam
les grands noms de la civilisation islamique. et l’apogée de la présence coloniale. Les œuvres
L’ouvrage se compose de deux parties totalisant d’Arnold Toynbee et de Fernand Braudel affirmant
huit chapitres que je vais brièvement présenter. la pluralité des civilisations marquent cette époque,
Les trois chapitres de la première partie introduisent car l’Islam ne s’arrête pas à l’invasion mongole
le thème principal de l’ouvrage à savoir l’Empire de 1258, mais il se poursuit avec, notamment,
islamique. Le premier met en exergue l’écriture de les Ottomans et les Séfévides. En outre, les travaux

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de Hamilton A. R. Gibb et de Marshall G. S. Hodgson Après le rappel des grandes transformations


insistent sur le rôle du monde « irano-sémitique » effectuées sur la langue arabe par les sédentaires,
dans l’histoire de l’Islam. Cette historiographie de G. Martinez-Gros reprend la thèse de H. A. R. Gibb
civilisations est caractérisée par le marxisme et l’islam et M. G. S. Hodgson dans laquelle il est dit que le
y devient une révolte sociale contre l’aristocratie premier Islam retrouve la géographie de l’ancien
mecquoise. Cependant, les travaux des années 1980 monde irano-sémitique, s’étendant du Nil à l’Oxus.
remettent en cause les études antérieures et consi- Ainsi, Bagdad, la capitale des Abbassides, est située
dèrent que l’Islam est au départ une tribu qui devient à quelques kilomètres de Babylone, première masse
par la suite un empire et enfin une religion, sous des populations sédentaires de l’histoire, désarmée
l’impulsion de l’héritage gréco-romain sur les terres et fiscalisée, prête à abriter le centre d’un pouvoir
les plus peuplées de la Méditerranée. En remontant le « étranger ». Cette orientation des études vers
temps, G. Martinez-Gros rappelle la contribution de l’Antiquité est là pour montrer que l’Islam présente
deux auteurs musulmans dans l’écriture de la propre les traits les plus achevés d’une civilisation impé-
histoire de leur monde, al-Tabarî et Ibn al-Athîr. riale, plus nettement que l’Empire romain à son
Le deuxième chapitre est consacré à la théorie poli- apogée, et que l’Islam naît à la jonction des deux
tique d’Ibn Khaldûn, qui est le point de départ de plus vieux espaces sédentarisés, le Croissant fertile
la réflexion développée dans le présent ouvrage : mésopotamien-syrien et l’Égypte. Les empires
l’opposition de badawî et de hadarî. En rejetant le reposent sur les mêmes territoires sédentarisés où les
sens donné à ces deux mots (nomade et agriculteur) populations sont désarmées et fiscalisées. La preuve
par un bon nombre de spécialistes de l’Islam, avancée pour soutenir cette thèse se trouve dans les
il propose plutôt une définition politique et fiscale : espaces marqués par les conquêtes, qui s’arrêtent
le premier désignerait la catégorie qui vit hors du à l’est aux limites de la domination iranienne des
contrôle de l’État tandis ce que le second signifierait Parthes et des Sassanides à leur apogée, et qui suivent
la catégorie soumise à l’État et à l’impôt. Le vocable à l’ouest, les anciens territoires romanisés. Si les
badawî est employé sous la transcription de bédouin bédouins ont le monopole de la violence, les séden-
– et de barbare parfois – tandis que hadarî est traduit taires de ces territoires soumis, même s’ils sont exclus
par sédentaire. Dans cette perspective, l’État est des décisions politiques, ont celui de la production
d’abord défini par sa fonction fiscale et ses sujets intellectuelle. De ce fait, les bédouins entrent dans
(les sédentaires) payent régulièrement l’impôt. l’Histoire lorsqu’ils prennent possession d’un terri-
Les bédouins, au contraire, ont la force de refuser la toire sédentarisé. Après avoir conquis un territoire
coercition fiscale. Le mécanisme fiscal est donc au tenu par les Byzantins et les Perses, ces bédouins
cœur de l’existence du pouvoir politique, qui a besoin arabes se sédentarisent à leur tour et font appel aux
d’une force armée pour lever les impôts et garantir la ethnies bédouines (les Berbères, les Turcs), pour
soumission des sujets. Il n’y a pas d’État sans cette assurer dans leur empire la fonction de violence tout
répartition des fonctions productives et non violentes en préservant la fonction du califat. L’a. pense que
d’une part, violente d’autre part. C’est la perception l’Islam construit sa sédentarité sur les territoires de
du pouvoir où les dynasties se fondent et se conso- l’Empire perse, et les élites persanes y tiennent un
lident dans la première génération de leur existence, rôle central. Les traductions et le détournement vers
atteignant leur floraison dans la deuxième, vieillissant un nouveau lit du vieux fleuve « irano-sémitique »
et agonisant dans la dernière, soit une durée de vie remontent à l’Empire achéménide.
de 120 ans pour les trois générations. L’État, l’impôt La deuxième partie du livre est composée de
et la ville (la société sédentaire) sont les créateurs cinq chapitres dans lesquels est appliqué le partage
et les piliers de la civilisation, qui consiste en une des générations proposé par Ibn Khaldûn. Dans la
constante diversification des activités, des compé- théorie de ce dernier, l’histoire dynastique est divisée
tences et des savoirs. Ce progrès de la civilisation est en trois générations (jîl) de 40 ans, formant une vie
parallèle au déclin de la vigueur guerrière. La religion de 120 ans. C’est la durée assignée d’une monarchie
est historiquement liée à l’émergence d’un pôle de dynastique, fondée sur l’esprit de clan (‘asabiyya),
travail intellectuel représenté par les oulémas. Tel est avant de se consolider, d’atteindre sa floraison et enfin
le résumé de la lecture de la pensée d’Ibn Khaldûn que vieillir et agoniser. En suivant ce partage de géné-
G. Martinez-Gros nous propose, insistant surtout sur rations, G. Martinez-Gros divise les cinq premiers
le fait que ce ne sont pas les bédouins conquérants qui siècles de l’Islam en quatre vies et chacune de
nous informent, mais bien les sédentaires bâtisseurs ces vies en trois générations. La première géné-
de l’empire, de la langue et de la religion. ration de chacune des quatre vies manifeste toute

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la vigueur bédouine des origines sauvages, que la 840 au moment où Bagdad abrite le plus grand centre
dynastie naissante s’efforce de maîtriser. Quant à de la pensée inspirée de la philosophie grecque et du
la deuxième génération, elle abandonne la violence Mutazilisme. Ce transfert du centre du califat vers
initiale et jouit de l’équilibre d’un gouvernement l’Irak permet à l’Islam de recouvrir le plus vieux
encore viril et d’une sédentarité qui s’affirme, domaine impérial des perses achéménides et des
marquant l’âge des constructions et des productions successeurs d’Alexandre le Grand. La sédentarisa-
intellectuelles. La sédentarisation est en fait un des tion de la deuxième génération (820-860) détache
concepts centraux de cette théorie d’Ibn Khaldûn. la définition du dogme religieux des prérogatives
Enfin la troisième génération se caractérise par le du pouvoir impérial. Les Shiites vaincus à Bagdad
déséquilibre de la lignée dynastique, entraînant la reprennent les révoltes (Zanjides, Qarmates) dans
ruine des sujets et l’appel des forces neuves pour la les marges de l’empire, provoquant de nouvelles
défendre, mais qui va plus tard la renverser. sécessions territoriales. Des polarisations géopoli-
D’après ce partage des siècles, la première vie de tiques commencent à se manifester : al-Andalus et
l’Islam (660-780) installe la monarchie omeyyade le Maghreb occidental, l’Ifrîqiya et l’Égypte, l’Irak
entre 660 et 700, et désarme et sédentarise les conqué- et l’Iran occidental, Transoxiane et Khurasân.
rants arabes d’Irak, regroupés dans les deux villes- La troisième vie (900-1020) de l’histoire de l’Islam
camps fondées, Kûfa et Basra, entre 700 et 740 sous correspond au Xe s. que Louis Massignon a coutume
le règne du calife ‘Abd al-Malik. Cette sédentarisation de considérer comme étant le siècle ismaélien de
par le pouvoir omeyyade renvoie ces conquérants l’Islam. Le shiisme supplanté à Bagdad se manifeste
donc à la vie civile et ceux qui refusent de déposer contre le sunnisme dans l’Occident musulman avec
les armes, accusés de soutenir les révoltes de Mukhtâr la fondation des Fatimides. La deuxième génération
(684-687) et d’Ibn al-Zubayr (683-693), trouvent (940-980) de cette vie installe la tutelle des Bouyides
refuge au Khurasân, premier dépotoir d’empire. à Bagdad et, désormais, ces derniers affrontent à
Ces événements sont interprétés comme une oppo- partir de 980 les Fatimides sur l’Euphrate, dans un
sition entre deux entités géographiques, la Syrie endroit marqué antérieurement par les luttes entre
d’un côté et l’Irak de l’autre. Faire de l’arabe, les Byzantins et les Perses. Trois califats (abbasside,
parler des bédouins, une langue d’État et plus tard fatimide et omeyyade de Cordoue) revendiquent le
de culture, est vu comme une consécration impé- gouvernement de la communauté islamique et ils
riale de cette langue, rompant avec le modèle des entendent conquérir la totalité du monde islamique.
invasions barbares. Les exilés au Khurasân vont Enfin, la quatrième vie (1020-1100) est surtout
reprendre le contrôle du pouvoir entre 740 et 780 en marquée par la prise du pouvoir à Bagdad par les
assurant le triomphe des Abbassides. Ceci est rendu peuples nouveaux, les Seldjoukides, qui installent
possible grâce aux alliances contractées avec les le sultanat à côté du califat. Ibn Khaldûn décrit la
forces bédouines de l’est de l’empire, les Turcs ou fin de l’empire des Arabes au milieu du XIe s. Cette
Sogdiens, qui dominent la deuxième vie entre 780 et victoire des Seldjoukides en Orient, acquise dès 1060,
900. Cette première vie dans sa première génération trouve un équivalent en Islam d’Occident avec les
de conquêtes et de guerres civiles (660-700) forme Almoravides du Sahara. Ainsi, le centre de gravité du
l’Empire de l’islam, en constitue le centre irakien Maghreb se déplace vers la région occidentale pour
dans sa deuxième génération (700-740) et fragmente la première fois depuis l’Antiquité carthaginoise.
l’esprit de clan (‘asabiyya) des Arabes dans la troi- Ce partage des siècles est fondé sur la théorie
sième génération (740-780). Cette dernière est carac- d’Ibn Khaldûn et le récit détaillé de l’histoire des
térisée par la fondation des dynasties dissidentes à premiers siècles de l’Islam que ce dernier rapporte
l’égard du califat abbasside comme les Omeyyades dans les volumes III et IV de l’édition de Beyrouth
d’al-Andalus et les trois dynasties indépendantes de son histoire, al-‘Ibar. Le tome III raconte l’histoire
du Maghreb ; les Rustumides, les Midrarides et les des deux califats omeyyade et abbasside, affirmant
Idrissides. l’unité du monde musulman et du califat qu’il incarne.
La deuxième vie (780-900) est donc marquée par Le volume IV énumère au contraire toutes les dynas-
la reprise du pouvoir par les exilés du Khurasân, ties rebelles qui sont nées du califat et opposées à
soutenus par les auxiliaires sogdiens. Cette nouvelle lui. Cependant, la lecture donnée à plusieurs aspects
force bédouine issue de l’Asie centrale s’affirme sous comme la religion, la langue et les sciences, s’inspire,
le règne du calife Hârûn al-Rashîd (786-809) et ses à mon avis, plutôt des études anglo-saxonnes que de
successeurs, prenant le contrôle des armées aux l’ouvrage d’Ibn Khaldûn lui-même. Aussi, l’ouvrage
dépens des Arabes. Elle se sédentarise entre 820 et d’Ibn Khaldûn est une représentation de cette histoire

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islamique, marquée par la centralité du califat et pensée d’Ibn Khaldûn. Enfin, nous retiendrons que
du sunnisme en général, ignorant et marginalisant cet ouvrage, très structuré et agréable à lire, constitue
les autres tendances de l’Islam. Néanmoins, qu’on une synthèse riche de réflexions.
soit d’accord ou non avec ce partage des siècles
et les nombreuses thèses évoquées, l’ouvrage de Allaoua AMARA
G. Martinez-Gros n’a rien de classique et présente Université Émir Abdelkader – Constantine /
une vue d’ensemble de l’histoire des cinq premiers UMR 5648- Ciham Lyon
siècles de l’Islam, dont l’a. a su mettre à profit la

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