Nature morte
Une nature morte est un genre artistique, principalement pictural
qui représente des éléments inanimés (aliments, gibiers, fruits,
fleurs, objets divers...) organisés d'une certaine manière dans le
cadre défini par l'artiste, souvent dans une intention symbolique.
Charles Sterling en propose la définition suivante :
« Une authentique nature morte naît le jour où un peintre
prend la décision fondamentale de choisir comme sujet et
d'organiser en une entité plastique un groupe d'objets.
Qu'en fonction du temps et du milieu où il travaille, il les
charge de toutes sortes d'allusions spirituelles, ne change
rien à son profond dessein d'artiste : celui de nous imposer
son émotion poétique devant la beauté qu'il a entrevue
dans ces objets et leur assemblage. » Les Tournesols, peinture de Vincent
van Gogh.
— (La Nature morte de l'Antiquité à nos jours,
1
1952) .
Il existe des styles picturaux voisins de la nature morte, comme la nature morte inversée ou les vanités.
Histoire et types de natures mortes
Le terme n'apparaît qu'à la fin du xviie siècle. Jusque-là, seule l'expression « cose naturali » (« choses
naturelles ») avait été utilisée par Giorgio Vasari pour désigner les motifs peints de Giovanni da Udine. En
Flandre, vers 1650, apparaît le mot stilleven pour des « pièces de fruits, fleurs, poissons » ou « pièces de
repas servis », ensuite adopté par les Allemands (« Stillleben ») et par les Anglais (« still-life »), qui se
traduirait par « vie silencieuse ou vie immobile ». En Espagne, l'expression relative aux natures mortes est
bodegón, qui dérive du terme bodega (« lieu de rangement alimentaire »), suivi d'un augmentatif. Par
extension, il désigne l'antichambre de cave de tavernes modestes et les natures mortes composées de
récipients et d'aliments dans ce type de pièce. Au milieu du xviie siècle, l'expression « vie coite », traduite
du hollandais, reste marginale. L'Académie, attachée à la hiérarchie des genres, classe en dernier les peintres
de fleurs et de fruits. Un siècle plus tard, « nature morte » — expression attestée en 1736 — condense ce
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jugement, en remplaçant coite, c'est-à-dire tranquille, silencieuse, par morte . Diderot, dans ses Salons,
parle de « natures inanimées ».
Préhistoire
Selon Laurence Bertrand Dorléac, on peut considérer les haches gravées dans la pierre du Cairn de
Gavrinis comme la première nature morte de l'histoire, vers 3500 av. J.-C. Avant cela, la plus ancienne
représentation d'objet connue est actuellement la corne de bison de la Vénus de Laussel, vers 25000
av. J.-C.
Après les haches de Gavrinis, on peut voir des natures mortes dans les pictogrammes mésopotamiens et les
objets miniaturisés produits par cette culture, notamment dans le cadre d'offrandes ; mais on en retrouve
surtout en Égypte, par exemple avec les peintures de frises d'objets dans les sarcophages du Moyen Empire.
Un objet votif de la XIIe dynastie représente une table avec quatre pains, deux vases et des animaux
destinés à être mangés.
Laurence Bertrand Dorléac attire notre attention sur la multiplicité des natures mortes de la Préhistoire : « le
chariot du Val Camonica imaginé à l'âge de bronze, les longues barques à rames dans les peintures rupestres
de Norrköping, la tiare des Hittites, le disque solaire et le croissant lunaire des Carthaginois, l'urne-cabane
des Étrusques, le tabernacle, la menorah et le Livre des Juifs, les plantes des Minoens, les clochettes des
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Scythes, le bustier de la déesse aux serpents des Crétois, etc. »
Antiquité
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D'autres natures mortes apparaissent durant l'époque hellénistique , mais il ne nous en reste que des
descriptions, aucune peinture n'ayant survécu. Selon Pline l'Ancien, le plus célèbre des natures-mortistes de
cette période était Piraïcos (ive et iiie siècles av. J.-C.). Il peignait des boutiques de barbiers et de
cordonniers, des ânes et surtout des victuailles, sans doute en tableaux de chevalets. On parle alors de
rhopographie (représentation de menus objets) et de rhyparographie (représentation d'objets vils), qui ont
des connotations péjoratives. Pourtant, Piraïkos, toujours d'après Pline, connaît un véritable succès et ses
peintures, perçues comme mineures, se vendent mieux et plus cher que celles de ses contemporains plus en
vue.
Malgré cette vision critique de la part de ses contemporains, la nature morte de l'Antiquité possède déjà une
autre ambition que celle du seul plaisir mimétique. « Il est clair que les natures mortes hellénistiques et
romaines qui représentaient des mets prêts à être consommés comportaient une allusion épicurienne »,
comme le précise Charles Sterling. On trouve ainsi assez fréquemment des mosaïques de natures mortes
telles que la mosaïque des Xenia, ainsi que des vanités dans les atriums et les tricliniums d'été romains, où
les convives invités aux repas retrouvaient ainsi rappelé le carpe diem horacien.
Moyen Âge
Au Moyen Âge, on peint surtout des objets symboliques. Avec l'hégémonie catholique, la représentation
d'objets comme seul sujet d'une œuvre disparaît au Moyen Âge. À cette époque, « l'esprit réaliste s'effaça
au profit d'un langage emblématique compris de toute la chrétienté. Les objets, en se soumettant au sujet
d'une composition, concourent au développement du thème religieux ; ils ont une importance primordiale
dans la signification de certaines scènes bibliques ; ils les situent, ils les datent, ils caractérisent les
5
personnages » (Michel et Fabrice Faré, catalogue d'exposition ). Ces objets ne sont donc plus là pour leur
existence propre, mais pour ce qu'ils symbolisent, et c'est une des principales raisons qui font que les
spécialistes s'accordent souvent à considérer qu'il n'y a pas eu de nature morte durant cette période.
Il faut attendre les théologies de saint François d'Assise, et de saint Thomas d'Aquin, le retour de la
philosophie aristotélicienne ainsi que les théories de Roger Bacon et Guillaume d'Ockham pour voir le
catholicisme se réconcilier avec les sensations et l'expérience de la nature, et pour que réapparaisse un
certain intérêt pour l'objet en tant que tel, au travers des œuvres de Giotto (fresque en trompe-l'œil de 1305)
représentant un lustre en fer forgé à la chapelle des Scrovegni à Padoue, en Italie) et de Duccio di
6
Buoninsegna . Il faudra toutefois attendre encore deux siècles pour voir s'imposer la représentation d'objets
comme sujet d'une peinture.
e
xvi et xviie siècles
Dans le monde moderne, la nature morte naît au xvie siècle en Italie,
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avec notamment Fede Galizia et la Nature morte avec perdrix et
gants de fer de Jacopo de' Barbari, peinte à l'huile sur bois en 1504,
qui est considérée par de nombreux historiens comme le chef-
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d'œuvre qui ouvre une nouvelle ère de l'art de la nature morte .
Aux xvie et xviiie siècles, la nature morte prend tout son essor en
Flandre et en Hollande ; au nord, on se consacre à la peinture
bourgeoise et au sud, aux œuvres religieuses. Ce genre se
développe et se fixe à partir du début du xviie siècle, dans les Écoles
du Nord (Flandre et Hollande notamment sous la forme du
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« déjeuner monochrome » ), toujours très enclines à représenter un
réel cru. Elle se propage ensuite en Europe, et en France
particulièrement. En 1650, aux Pays-Bas, apparaît le terme
stilleben, pour les Anglais still-life, en Espagne bodegones, et en Nature morte, détail, peinture de
France « nature morte ». Willem Claeszoon Heda (1635),
Rijksmuseum Amsterdam.
Ce retour de l'intérêt pour le monde matériel et quotidien, que l'on
trouve dans les domaines de la marqueterie, des objets d'art et de la
peinture, s'inscrit dans l'héritage de l'Antiquité gréco-romaine, mais
aussi dans les pensées nouvelles, l'évolution du christianisme et le
développement du capitalisme, qui leur confèrent de nouvelles
8
significations .
Pour montrer que le genre des choses est aussi noble qu'un autre,
des artistes figurent des natures mortes en gros plan sur des
paysages qui ne servent plus que de décor. Les choses s'imposent Nature morte avec ustensiles de
10 cuisine, Martin Dichtl (1639-1710).
comme de véritables personnages de la scène .
À partir de la seconde moitié du xvie siècle, les artistes représentent
souvent les choses qui s'accumulent, s'échangent ou s'achètent dans un monde capitaliste ouvert aux
échanges de marchandises ou de monnaie. Elles contribuent à dévoiler les vies, les croyances et les
sentiments. Les choses se mêlent aux figures humaines, mais aussi religieuses. Le récit chrétien est renvoyé
au second plan, en miniature, les paysans derrière les fruits et légumes qu'ils récoltent. Un nouveau statut en
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majesté s'impose pour les choses ordinaires qui contribuent à définir et à ordonner l'espace social .
Nombreuses furent alors les natures mortes de fleurs. Les Grandes découvertes et l’arrivée en Europe de
plantes (et autres merveilles naturelles) inconnues suscitèrent un énorme intérêt pour la nature qui amena à
l’accumulation de spécimens (dans des cabinets de curiosité et des jardins botaniques), puis à leur
classification, à la création de catalogues, puis d’ouvrages de botanique, et donc à l’apparition de
l’illustration scientifique. On commença à apprécier ces objets pour eux-mêmes, dépouillés de toute
association religieuse, morale ou mythologique.
Les spécimens collectionnés, échangés, vendus servirent de
modèles aux peintres qui en donnèrent des représentations réalistes.
La passion pour l’horticulture créa un marché, dès le début du
e
xvii siècle, pour les natures mortes de fleurs (peintes à des fins
esthétiques), et pour les miniatures (révélant une approche plus
scientifique). Parmi les premiers peintres fleuristes privilégiant le
naturalisme, on peut mentionner les Flamands ou Néerlandais Jan
Brueghel l'Ancien (1568-1625), Roelandt Savery (1576-1539) ou
Ambrosius Bosschaert l'Ancien (1573-1621), puis Jean-Michel
Picart (1600-1682), qui fut au début de sa carrière au service d’un
« curieux » (amateur de curiosités) célèbre : Henri de Bourbon-
Verneuil. Le Français (né à Lille) Jean-Baptiste Monnoyer (1636-
1699) est connu en particulier pour Fleurs, fruits, et objets d'art
(1665), tableau représentant des objets tels que ceux conservés dans
les cabinets de curiosité, le tout orné d’une sorte de guirlande de
Juan de Arellano, Guirlande de
fleurs et de fruits. Dans Le Livre de toutes sortes de fleurs d'après
fleurs, Oiseaux et Papillon, vers
nature (vers 1670-1680 ?), il présente des arrangements floraux 1650-1670, musée du Louvre.
dans lesquels les fleurs sont figurées de manière exacte et précise.
Dans la seconde moitié du siècle, des peintres espagnols, dont Juan
de Arellano, qui est à la tête d'un atelier prospère à Madrid, se spécialisent en peignant presque
12
exclusivement de luxuriants bouquets, des guirlandes et des couronnes de fleurs .
Au xviie siècle, en Espagne, les natures mortes se présentent souvent sous la forme de vanités à la morale
catholique. Par opposition, l'Europe du Nord protestante refuse les sujets religieux et se consacre à la
peinture bourgeoise, au travers des paysages et de la nature morte. Cette dernière devient alors un outil au
service des deux principales puissances religieuses du moment.
Pourtant, derrière ces messages pieux prodigués par les natures mortes, se cache un véritable intérêt
mimétique. Les objets représentés conservent certes leur symbolique religieuse, héritée des textes chrétiens,
mais, contrairement à la période médiévale, l'aspect esthétique de la peinture prend une importance
primordiale et la nature morte est l'occasion de prouver l'habileté de l'artiste.
e
xviii siècle
Au xviiie siècle, en France, la représentation d’objets passe du symbolisme à l’esthétisme et vice versa.
Dans les textes de Diderot consacrés à Chardin, le plaisir mimétique pur, inavoué au xviie siècle dans les
vanités, s'affirme pleinement et la représentation d'objets dans la peinture y est constamment partagée entre
le plaisir de la mimesis et celui de la symbolique. Cette dualité de la nature morte est illustrée dès l'Antiquité,
et aussi par son premier classement de genres, qui place la nature morte tout en bas de l'échelle, tout en
considérant Zeuxis comme un peintre de génie pour être parvenu à peindre des grains de raisin qui trompent
jusqu'aux oiseaux.
À la fin du siècle, Watelet daigne consacrer un article à la nature morte dans son volume de l'Encyclopédie
méthodique consacré aux beaux-arts, et écrit de Chardin qu'il « a peint de la manière la plus ragoutante et la
plus vraie, la nature morte : il ne devait rien à l'imitation, aux conventions d'aucun artiste, et semblait avoir
inventé l'art », pour conclure après quelques éloges techniques, qu'il a été « un très-grand peintre dans un
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petit genre . ».
La nature morte se place ainsi à la charnière entre le désir artistique
de rivaliser avec la Nature, hérité de l'Antiquité et redécouvert à la
Renaissance, et l'expression de l'artiste par la façon de la
représenter, qui va dominer le siècle suivant. Chardin est avec
Poussin et Claude Lorrain l'artiste français antérieur au xixe siècle
14
qui a eu le plus d'influence sur la peinture moderne .
e
xix siècle
Au xixe siècle, Delacroix sut se différencier des autres peintres de
nature morte. Ces peintres firent valoir à leurs yeux l‘art et la
science. La valeur symbolique de l’objet se perpétua selon les
époques et devint une constante mathématique de la peinture
française. Un outil sur lequel on peut se fonder pour mesurer le Nature morte avec carafe et fruits
degré d’évolution de la société, de la culture, de la religion… On (1750), peinture de Jean Siméon
peint des objets de la vie courante, contrairement à la période néo- Chardin (1699-1779) Staatliche
classique (grosso modo la période 1700 à 1850) où l’on peint des Kunsthalle Karlsruhe.
objets des Antiquités romaine et grecque.
« Les artistes du xixe siècle, à part Delacroix, n'inventent guère de nouveaux arrangements.
Manet même héritera de ces formules non sans les pénétrer, il est vrai, de son génie. »
« D'autres occupations s'adressent aux gens heureux du siècle. Ils sont nombreux à se
convaincre du progrès des idées et des mœurs. Renonçant aux œuvres de mort, à la guerre
comme à la chasse, ils s'appliquent à la vie de l'esprit. Les peintres de nature morte feront
valoir à leurs yeux l'art et la science, en mêlant habilement les attributs. Ainsi, la valeur
symbolique de l'objet, par-delà les siècles, ne se perd pas totalement. Elle se perpétue, se
modifie selon les époques. Elle apparaît comme une constante de la peinture française de
nature morte. Les trophées des arts et des sciences retiennent le souvenir des lointaines
allégories et des anciens emblèmes du Moyen Âge. Leur sens évolue seulement. Le
désordre des cabinets d'amateurs, des tables encombrées de livres et de papiers, représentés
en peinture, n'évoque plus la mélancolie des vaines recherches. Les objets symbolisent
désormais la fièvre de connaître ! »
— Ibidem, p. 18.
Mais si cette citation résume une partie de la représentation de la nature morte du xixe siècle, elle n'indique
pas toute l'ampleur de l'évolution que connaît ce genre à cette période.
C'est essentiellement parce que la nature morte était perçue comme un genre mineur trop mimétique durant
les précédents siècles qu'elle n'a pas été investie des significations et des aspirations complexes associées à
d'autres genres estimés, tels que la peinture d'histoire ou le portrait, et qu'elle put ainsi devenir un véritable
instrument avant-gardiste de recherches formelles au xxe siècle. Cette transition de la nature morte comme
genre mineur à celle d'outil plastique quasi-incontournable du xxe siècle se fait par le biais de Cézanne qui,
le premier, et avant les cubistes, expérimente au travers de la nature morte de nouveaux systèmes
perspectivistes/représentatifs.
e
xx siècle
Ce qui définit les avant-gardes du xxe siècle est essentiellement le
choix des sujets : de simples ustensiles domestiques, des fruits (non
exotiques) et, de façon plus générale, des objets simples de la vie
courante. Les messages extra-picturaux de la peinture des Anciens
sont supprimés et la bougie se transforme en lampe à gaz, etc.
Étrangement, la nature morte traverse tout l'art du xxe siècle, alors
que ce genre est perçu par la plupart des gens comme étranger à l'art
contemporain. Le genre a évolué et la représentation des objets n'est
plus étroitement liée à une symbolique chrétienne, comme elle le fut
au xviie siècle, mais la signification de la nature morte a évolué avec
celle de l'objet. Il n'est dès lors pas surprenant de retrouver les
natures mortes aussi bien chez les surréalistes, que dans le pop art,
où il symbolise à lui seul une « société de consommation ».
Nature morte de fleurs, de
Avec le cubisme, le futurisme ou le dada, les codes de la coquillages, de tête de requin et de
pétrifications (1819), Antoine Berjon
représentation du réel éclatent. Les objets sont observés en tous
(1754-1843).
sens, sous plusieurs angles et simultanément. Le lien avec le monde
n'est plus rendu par homologie, par sa représentation fidèle à la
réalité, mais par l'intrusion du journal, de tissus, de plastiques ou des
déchets. Les artistes donnent une forme à la série, au bruit, à la
vitesse, au chaos de la société moderne où, les êtres et les
marchandises se confondent, en particulier les femmes qui
15
fusionnent avec les objets domestiques de leur cuisine .
Quoi qu'il en soit, la nature morte est aujourd'hui partagée entre son
lourd passé et son omniprésence au sein même de l'art
contemporain. Si l'on voulait ouvrir le débat, il serait dès lors tentant
de réfléchir sur le ready-made en tant que nature morte Nature morte aux pommes et aux
oranges, Paul Cézanne (1895-1900).
contemporaine. Car si cette forme artistique ne répond pas à la
définition de Charles Sterling citée en introduction, elle n'en reste
pas moins la mise en valeur d'un objet anodin par le biais de l'art, et certains commissaires d'exposition
n'hésitent pas à associer le ready-made à la nature morte, comme le démontre l'exposition Objects of Desire:
The Modern Still Life, organisée par le Museum of Modern Art de New York, en 1997. La question de la
nature morte reste donc aujourd'hui encore, ouverte.
La femme dans la nature morte
Depuis longtemps, des femmes sont reconnues pour avoir enrichi la nature morte qui prise le territoire
domestique. Si les femmes désirables se mélangent dangereusement à leurs marchandises dans les marchés
peints des xvie et xviie siècles, elles fusionnent avec leurs objets quotidiens à partir du xxe siècle. À partir de
la seconde moitié des années 1960 notamment, les femmes artistes comme Louise Bourgeois, Niki de Saint
Phalle, Judy Chicago ou Miriam Schapiro inventent des formes nouvelles pour raconter leur condition, où
les objets jouent un rôle central. Alina Szapocznikow dresse sur la coupe de son Dessert III (1971) des seins
16
coupés .
Écoles
École flamande
e
xvii siècle
Au xviie siècle, parallèlement à la peinture de paysages
et d'intérieurs, apparaît des représentations d'objets
inanimés peints pour eux-mêmes. D'abord sous forme
d'études (de fleurs, de fruits, etc.), les arrangements
simples d'aliments prennent le nom de déjeuner et, pour
des représentations plus fastueuses, de banquet. Les
natures mortes de poissons rencontrent alors un vif
succès, ornant les murs des notables d'Amsterdam et
d'Utrecht, comme celle de Willem Ormea (Nature morte
17
aux poissons) . Ce n'est que vers 1650 qu'apparaît le
terme stilleven pour désigner des natures mortes. Nature morte avec un rafraîchisseur à vin, Frans
Snyders, Gemäldegalerie Alte Meister.
Les natures mortes prennent peu à peu tous les objets
décoratifs ou domestiques comme sujets à représenter.
Elles reflètent bientôt le luxe croissant des classes moyennes. Ainsi, les tapis persans remplacent les nappes
blanches et les poteries chinoises la faïence. Ces tableaux prennent preneurs auprès d'une clientèle fortunée
qui décore ses demeures avec ce reflet de leur niveau de vie.
Les natures mortes de cette époque sont davantage que des représentations soignées d'objets. Elles
incorporent souvent un message, dont le plus familier est celui de la vanité des choses terrestres et le
18
caractère éphémère de la vie, d'où le terme vanité souvent accolée aux natures mortes flamandes .
La nature morte flamande se caractérise par :
ses compositions amples ;
l'accumulation décorative des objets, à mettre en rapport avec l'abondance et la prospérité
des Pays-Bas, espagnols à cette époque ;
l'utilisation de grands formats.
L'atelier de Pierre Paul Rubens emploie de nombreux peintres de natures mortes, dont le style calque plus
ou moins celui du maître. Ses principaux représentants sont :
Pieter Boel
Jan Brueghel dit « de Velours » (1568-1625)
Jacob van Es
Frans Snyders
Jan Davidszoon de Heem
Willem Kalf
e
xviii siècle
e
L'art de la nature morte flamande se perpétue au xviii siècle, et essaime dans toute l'Europe. Abraham
Brueghel diffuse son style à Naples, par exemple.
École espagnole
Les natures mortes espagnoles s’inspirent en première instance de la
tradition flamande — l'art hispano-flamand —, avec qui l'Espagne
avait d'étroites relations politiques, culturelles et économiques.
Cependant, ces natures mortes — ou bodegones —, tiennent à la
fois de la nature morte et de la scène de genre.
« Apparus à Séville et à Tolède, les bodegones, qui
rassemblent des éléments de natures mortes et de scènes de
genre, constituent l'un des rares genres profanes de la
peinture espagnole. Ils montrent des gens du peuple dans les
activités quotidiennes, comme aller chercher de l'eau,
cuisiner, manger et boire. La représentation des personnages
est tout aussi soignée que celle des objets et des aliments,
avec une attention particulière aux valeurs tactiles et au rendu
des surfaces. »
— Karin Hellwig, « La peinture du xviie siècle en Italie, en
Espagne et en France », in L'Art baroque, éd. Citadelles, p. 413.
Nature morte, Juan Gris (1913).
Initiée avec Juan Sánchez Cotán et Francisco de Zurbarán durant le
siècle d'or espagnol, elle évolue au xviiie siècle avec des peintres
tels que Luis Paret y Alcázar et Luis Egidio Meléndez qui abandonnent la morale catholique pour le
naturalisme et le souci du détail.
Francisco de Goya rompt cette tradition pour se concentrer sur la mort. Il rejette le concept traditionnel de la
vie et revient à l'esthétique de Rembrandt. Ses toiles sont de claires métaphores de la mort ; les animaux
morts sont des victimes aux corps présentés de façon directe et cruelle. La mort, l'existence éphémère et le
fatalisme imprègnent ses œuvres (Nature morte avec des côtes et une tête d’agneau, Nature morte à la
19
dinde, etc. ).
Le genre retrouve de sa vigueur au xxe siècle, avec des toiles de Juan Gris, Pablo Picasso (Nature morte à
l'épée de matador, Nature morte à la chaise cannée, etc.), Joan Miró (Nature morte au vieux soulier), mais
surtout Salvador Dalí, avec une abondante production faisant référence à ses prédécesseurs (Siphon et
bouteille de rhum avec bouchon, La Corbeille de pain, Nature morte vivante, etc.).
École hollandaise
e
xvii siècle
On oppose souvent école flamande et hollandaise. En
effet, dans les Pays-Bas du Nord, le système politico-
économique fait que les mécènes sont souvent des
bourgeois — fortunés ou non —, et non pas de riches
aristocrates. La nature morte, thème bourgeois par
excellence, prend donc une grande importance, et se
caractérise par :
de petits formats ;
peu d'objets, mais assemblés dans une
composition savante, avec souvent un
Nature morte avec coupe Nautilus, Willem
couteau posé de manière transversale afin
Claeszoon Heda (1654).
de creuser la profondeur, et/ou une assiette
posée en déséquilibre sur un rebord ;
une observation minutieuse, un goût pour le
rendu précis des matières ;
une forte connotation moralisatrice, plus ou
moins à décoder. Ainsi, un citron épluché en
spirale peut représenter le temps qui passe,
tout comme un verre à moitié plein, tandis
que le sucre marque l'ambiguïté entre la
douceur et le danger, le verre couché montre
que tout a été consommé et fait référence à
la mort…
Les peintres hollandais produisent parfois des tableaux
de manière quasi-mécanique. Chacun a sa spécialité : les L'Étal de boucher, une nature morte inversée de
fleurs, les livres, les repas interrompus… On note un fort Pieter Aertsen, 1552.
développement de la vanité, qui se caractérise par la
présence d'un crâne, d'une horloge ou d'un sablier,
références au temps qui passe et à la vanité des possessions.
Sous l'influence de Rembrandt, figure majeure de l'École hollandaise, des nouveautés stylistiques se mettent
en place : clair-obscur intense, touche qui se libère, augmentant le mystère et la dimension lyrique de
l'œuvre.
Les grands représentants de la nature morte hollandaise sont :
Pieter Aertsen (1508-1575)
Frans Snyders (1579-1657)
Pieter Claesz (vers 1597-1660)
Willem Claeszoon Heda (1594-vers 1680) et son élève Maerten Boelema de Stomme
(1611-1644)
Jan Davidsz de Heem (1606-1684)
Abraham Hendriksz van Beyeren (1620-1690)
Willem Kalf (1622-1693)
École française
e
xvii siècle
Nicolas Baudesson (1611-1680)
Lubin Baugin (1612-1663)
Jean-Baptiste Belin (1653-1715)
Meiffren Conte (v. 1630-1705)
Pierre Dupuis (1610-1682)
François Garnier (vers 1600-entre 1658 et
1672)
Johann Michael Hambach, actif à Cologne
de 1672 à 1686 Nature morte avec chandelier « des travaux
Jacques Linard (1597-1645) d'Hercule » et deux aiguières, Meiffren Conte.
Louise Moillon (1610-1696)
Jean-Baptiste Monnoyer (1636-1699)
Jean-Michel Picart (1600-1682)
Sébastien Stoskopff (1597-1657)
e
xviii siècle
Jean Siméon Chardin (1699-1779)
Alexandre-François Desportes (1661-1743)
Jean-Baptiste Oudry (1686-1755)
Lubin Baugin, Le dessert de
Anne Vallayer-Coster (1744-1818)
gaufrettes.
e
xix siècle
20
Édouard Manet (1832-1883) , dont les natures mortes représentent environ un cinquième
21
de son œuvre .
e
xx siècle
Jean-Claude Chauray (1934-1996)
Frank Lean (1919-2001)
Galerie
Natures mortes
Vase avec fleurs, Jan Nature morte, Luis Eugenio Nature morte allégorique
Davidsz de Heem. Meléndez. avec le buste de Francis Ier
d'Este de Bernini,
Francesco Stringa.
Nature morte avec Composition avec verseuse Nature morte au flambeau
instruments de musique et en cristal de roche, chope d'argent, Meiffren Conte.
fruits, Cristoforo en ivoire, coupe en
Munari (en). serpentine et orchidée,
Blaise Alexandre Desgoffe
(1830-1901).
Panaches de mer, Nature morte violon et Nature morte aux prunes et
Lithophytes et Coquilles, musique, William Michael aux abricots, Pierre Dupuis,
Anne Vallayer-Coster. Harnett. musée des beaux-arts
d'Agen.
Motte de beurre, Antoine Camilla Friedländer (1856-
Vollon, National Gallery of 1928), Nature morte aux
Art, Washington. objets chinois et au violon.
Notes et références
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ipedia.org/w/index.php?title=Bodegones&oldid=cur) » (voir la liste des auteurs (https://fr.wikipedi
a.org/w/index.php?title=Bodegones&oldid=cur&action=history)).
1. Tel que le cite Turco 2012, p. 22.
2. Sterling 1952, p. 39.
3. Laurence Bertrand Dorléac, Pour en finir avec la nature morte, Paris, Gallimard, 2020
(ISBN 978-2-07-288609-6 et 2-07-288609-0,
OCLC 1225128789 (https://worldcat.org/fr/title/1225128789), lire en ligne (https://www.worldc
at.org/oclc/1225128789))
4. iiie et iie siècles av. J.-C.
5. Michel Faré et Fabrice Faré, La Nature morte, de Jan Bruegel de Velours (1568-1625) à
Chaïm Soutine (1893-1943), Bordeaux, Galerie des Beaux-Arts, 1978, « Vie silencieuse de
la nature morte », p. 7.
6. Vers 1255-1260 ; † vers 1318-1319.
7. Notice de mutualart.com (https://www.mutualart.com/Article/Old-Mistresses--Tracing-the-Origi
ns-of-S/73210A36A14C79C4).
8. Les choses. Une histoire de la nature morte, p. 66
9. « Nature morte (http://www.larousse.fr/encyclopedie/peinture/nature_morte/153562) », sur
larousse.fr.
10. Laurence Bertrand Dorléac (sous la dir. de), Les Choses. Une histoire de la nature morte,
p. 120.
11. Les choses. Une histoire de la nature morte, p. 74
12. Charlotte Chastel-Rousseau, Les choses. Une histoire de la nature morte, p. 114.
13. Claude-Henri Watelet, Beaux-arts, t. 2, Panckoucke, coll. « Encyclopédie méthodique »,
1791 (lire en ligne (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6568639g)), p. 137.
14. Sterling 1952, p. 80.
15. Les Choses. Une histoire de la nature morte, p. 218.
16. Laurence Bertrand Dorléac (sous la dir. de), Les choses. Une histoire de la nature morte,
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17. Aude Prigot, Les choses. Une histoire de la nature morte, p. 130.
18. Hans Konig, Vermeer et son temps, Pays-Bas, Time -Life International, 1973, 192 p., p. 99-
102.
19. Robert Hughes, Goya. Artysta i jego czas, Varsovie, WAB, 2006 (ISBN 83-7414-248-0,
OCLC 569990350 (https://worldcat.org/fr/title/569990350)), p. 76 et 248.
20. Les choses. Une histoire de la nature morte, p. 170 et s.
21. George Mauner, Manet : the still-life paintings. p. 12.
Voir aussi
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media.org/wiki/Category:Still_life_paintin
gs?uselang=fr), sur Wikimedia Commons
Bibliographie
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Arts, 1978, catalogue d'exposition.
Laurence Bertrand Dorléac, Pour en finir avec la nature morte, Paris, Gallimard, coll. « Art
et Artistes », 2020.
Laurence Bertrand Dorléac (sous la dir. de), Les choses. Une histoire de la nature morte,
Paris, Lienart éditions, 2022, 447 p. (ISBN 978-2-35906-383-7).
Anne-Marie Charbonneaux, Les Vanités dans l'Art contemporain, Paris, Flammarion,
2005, 231 p.
Hubert Comte, Natures mortes de l'Antiquité à nos jours, la vie silencieuse, Paris,
Casterman, 1992, 142 p.
Michel Faré, La Nature morte en France. Son histoire et son évolution du xviie au
e
xx siècle, Genève, Pierre Cailler, 1962.
(en) Margit Rowell, Objects of Desire : The Modern Still Life, New York, Museum of Modern
Art, 1997, 231 p., catalogue d'exposition, distribué par Harry N. Abrams.
Meyer Schapiro, Les Pommes de Cézanne. Essai sur la signification de la nature morte,
Paris, Gallimard, 1982. Style, artiste et société, traduction par Blaise Allan, Daniel Arasse,
Guy Durand, Louis Évrard, Vincent de la Soudière et Jean-Claude Lebensztejn.
Charles Sterling, La nature morte de l'antiquité à nos jours, Paris, Tisné, 1952
Charles Sterling, La Nature morte de l'Antiquité au xxe siècle, Paris, Macula, 1985 (1re éd.
1952), p. II, nouvelle édition révisée.
Jean Turco, La Nature morte : l'art de l'éclairage, Paris, Pearson Education France,
7 décembre 2012, 192 p. (lire en ligne (https://books.google.fr/books?id=lCjnRWhxG8AC&pg=PA22))
Articles connexes
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Nu (genre artistique)
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Vanité (peinture) Le physautotype La Table servie,
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attribuée à Nicéphore Niépce. 1832
ou 1833. Le premier témoignage
conservé du « 8e art ».
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