35 - Cerveau & Psycho N°35 Émotion
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Cerveau Psycho
Les émotions
Comment
les déchiffrer
➜ Facebook et l’amitié
France métro. : 6,95€, Bel. : 8,20€, Lux. : 8,20€, Maroc : 85 DH, Port. Cont.: 7,90€, All.: 9,90€, CH :15 FS, Can. : 10,95$, USA : 9$,TOM S. :1170 XPF
sur Internet
➜ Les enfants et leur
ami imaginaire
➜ Les secrets
de la motivation
➜ D'où vient
l’attrait pour
les coïncidences ?
- OCTOBRE 2009
M 07656 - 35 - F: 6,95 E - RD
3:HIKRQF=[U[^Z]:?a@k@n@f@a;
SEPTEMBRE
Cerveau Psycho
Éditorial Françoise PÉTRY
Cerveau Psycho
www.cerveauetpsycho.fr
Pour la Science,
8 rue Férou, 75278 Paris cedex 06
Standard : Tel. 01 55 42 84 00
Directrice de la rédaction – Rédactrice en chef :
Émotions
Françoise Pétry
Cerveau & Psycho
Rédacteurs : Sébastien Bohler
Pour la Science :
Rédacteur en chef adjoint : Maurice Mashaal
et liberté
Rédacteurs : François Savatier, Philippe Ribeau-Gesippe, Dans une monarchie bien réglée, les sujets sont comme des poissons
Bénédicte Salthun-Lassalle, Jean-Jacques Perrier, dans un grand filet : ils se croient libres, et pourtant ils sont pris.
Émilie Auvrouin
Dossiers Pour la Science : Mes pensées, Montesquieu
Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin
Rédacteur : Guillaume Jacquemont
ous avons généralement l’impression que nous
N
Génies de la Science :
Rédactrice : Marie-Neige Cordonnier sommes libres, que nos actes résultent de notre
Directrice artistique : Céline Lapert volonté. Mais cette liberté n’est qu’illusion selon
Secrétariat de rédaction/Maquette :
Annie Tacquenet, Sylvie Sobelman, Pauline Bilbault,
Spinoza qui affirmait : « Les hommes sont
Raphaël Queruel, Ingrid Leroy, Pascale Thiollier-Dumartin conscients de leurs désirs et ignorants des causes
Site Internet : Philippe Ribeau-Gesippe. qui les déterminent. » Quelles sont ces causes ? Entre autres, les
Marketing : Heidi Chappes gènes, l’environnement, les émotions. Les émotions font la loi.
Direction financière : Anne Gusdorf
Direction du personnel : Marc Laumet Tant les expériences de psychologie que l’imagerie cérébrale
Fabrication : Jérôme Jalabert, confirment leur rôle sur le fonctionnement de l’organisme et dans
assisté de Marianne Sigogne et Emmanuelle Feuillu
Presse et communication : Susan Mackie
nos relations à autrui (voir le Dossier sur les émotions, page 45).
Directeur de la publication et Gérant :
Marie-Claude Brossollet Comment interviennent-elles dans la communication ?
Conseillers scientifiques : Philippe Boulanger
et Hervé This Notamment par le biais de l’imitation. Diverses expériences
Ont également participé à ce numéro : Bettina Debû, montrent que,chez des sujets observant une personne qui rit,les
Hans Geisemann
muscles du rire s’activent. Inversement, si l’on empêche un sujet
Publicité France
Directeur de la publicité : Jean-François Guillotin de contracter ses muscles du rire, d’une part, il se sent triste et,
([email protected]) assisté de Nada Mellouk. d’autre part,il ne perçoit plus cette émotion chez autrui.L’imitation
Tél. : 01 55 42 84 28 ou 01 55 42 84 97
Télécopieur : 0143 25 18 29
sert à communiquer et à comprendre l’état affectif d’autrui.Peut-
on maîtriser ses émotions ? Des expériences réalisées avec une
Service abonnements
Ginette Grémillon : Tél. : 01 55 42 84 04 méthode d’imagerie en temps réel révèlent qu’un sujet peut
Abonnements pour la Belgique : edigroup Belgique Sprl - 5 moduler l’activité d’une zone cérébrale associée à une émotion
place du champ de Mars - 20th floor - 1050 Bruxelles - tel.
070/233 304 - [email protected] négative,par exemple une douleur,ce qui en réduit la perception.
Abonnements pour la Suisse : edigroup sa - 39 rue Peillonnex
ch 1225 Chene Bourg - tel. 022/860 84 01 - [email protected]
Si l’on peut « manipuler » ainsi son activité cérébrale, com-
Diffusion de Pour la Science
Canada : Edipresse : 945, avenue Beaumont, Montréal, ment croire que l’imagerie cérébrale puisse être d’un quelconque
Québec, H3N 1W3 Canada. secours pour confondre un accusé qui ment ? Les images révè-
Suisse : Servidis : Chemin des châlets, 1979 Chavannes - 2 - Bogis
Belgique : La Caravelle : 303, rue du Pré-aux-oies - 1130 Bruxelles.
lent l’activité du cerveau, mais aussi l’éventuelle présence de
Autres pays : Éditions Belin : 8, rue Férou - 75278 Paris Cedex 06. lésions ou de tumeurs. Ces dernières modifient parfois le com-
Commande de dossiers et de magazines : portement des individus (voir Voyage vers l’amoralité, page 82).
08 92 68 11 40 (de l’étranger, (+33) 2 37 82 06 62) L’imagerie cérébrale pourrait être utilisée par des avocats plai-
Toutes les demandes d’autorisation de reproduire, pour le public dant la non-responsabilité de leur client. Mais elle devra faire la
français ou francophone, les textes, les photos, les dessins ou les
documents contenus dans la revue « Cerveau & Psycho », doivent preuve de sa fiabilité avant d’entrer dans les tribunaux (voir
être adressées par écrit à « Pour la Science S.A.R.L. », 8, rue Férou, Neurosciences et justice, page 76).
75278 Paris Cedex 06.© Pour la Science S.A.R.L.
Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et de
représentation réservés pour tous les pays. Certains articles de ce L’homme libre doit être capable de maîtriser ses émotions
numéro sont publiés en accord avec la revue Spektrum der Wissenschaft
(© Spektrum der Wissenschaft Verlagsgesellschaft, mbHD-69126,
et ses passions. Alors sommes-nous libres ? Au moins de sou-
Heidelberg). En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit rire, même de se forcer à sourire, pour déclencher chez soi une
de reproduire intégralement ou partiellement la présente revue émotion positive et chez autrui un réflexe d’imitation qui
sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploi-
tation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins - 75006 Paris). enclenchera une émotion positive, laquelle sera reproduite par
le jeu des miroirs émotionnels...
Coraline,
l’enfance Cerveau Psycho
© 2008 LAIKA Inc. Focus Features
sans repères
88
Les émotions
au cœur
du cerveau
72 Psychologie
Cinéma : décryptage psychologique Serge Tisseron
Coraline, l’enfance sans repères 12
Ce film est le reflet d’une jeunesse désorientée.
G Le cerveau psychopathe :
Idées reçues
en santé mentale 92
Dossier Les schizophrènes sont dangereux
Analyses de livres 94
Émotions G Au nom du seigneur :
Un monde d’émotions Robert Soussignan la religion au crible de l’évolution
Les émotions sont-elles innées ou déterminées culturellement ? 46 Scott Atran
G Remettre du rire dans sa vie.
Alain Lieury
Comment rester motivé… ou le devenir ? 90
Soixante ans de psychologie livrent les clés de la motivation.
Ldes’asciences
ctuacognitives
lité
Sébastien BOHLER
Aristote,
le perroquet épicurien
O ui, les animaux peuvent ressentir
du plaisir, mais aussi en avoir
conscience. Un perroquet du nom
d’Aristote, élevé à l’Université Laval de Québec,
a réussi récemment à exprimer son plaisir de
son maître avait prononcé le mot
bon au moment où il le grattait.
Mais vint le jour où Aristote, goûtant
pour la première fois une cuillerée de
yaourt, annonça de lui-même : « Yaourt
goûter une cuillerée de yaourt. bon. » Il avait associé le qualificatif bon
Cette prouesse est le fruit d’un long entraî- à un nouvel aliment qui lui procurait
nement. D’abord, le maître d’Aristote lui a appris du plaisir. C’était la preuve qu’il avait
la signification de certains mots, tels que compris que le terme bonsert à exprimer
« gratte » ou « cacahuète ». Le perroquet a le plaisir, indépendamment de sa cause.
ensuite appris à associer le verbe donner à Une expérience anecdotique ? Pas
ces mots, pour obtenir les gratifications corres- tant que cela. Car les recherches en
pondantes en disant : « Donne gratte » ou psychologie montrent que la capacité
« Donne cacahuète ». Puis un jour, le maître, d’exprimer ses émotions positives est
pendant qu’il le grattait, lui dit : « Bon ». Dès une des clés pour vivre plus heureux.
Jean-Michel Thiriet
lors, Aristote associa le fait d’être gratté au Une maxime très épicurienne pour
mot bon, et déclara : « Gratte bon. » Mais on le perroquet Aristote.
pouvait toujours penser qu’il avait appris cette M. Cabanac, Do birds experience sensory pleasure ?, in Evol.
expression par simple association, du fait que Psy., vol. 7, p. 40, 2009
l’Université de Boston, ont consisté niline au sein des synapses : nement des neurones, et les plaques
à inactiver, chez la souris, le gène normalement, cette molécule amyloïdes qui les compriment.
de la préséniline dans les neurones assure la libération d’un impor- C. Zhang et al., Presenilins are essential for regulating
d’une zone essentielle à la mémo- tant neuromédiateur d’un neurone neurotransmitter release, in Nature, vol. 460, p. 632, 2009
décrit des personnes naturelle- bistouri,mais l’étude a montré que le niveau d’ex-
ment honnêtes, insensibles aux traversion augmente encore après l’opération !
assauts de la tentation. Dès lors,un seul moyen pour suivre cette spirale
J. Greene et J. Paxton, in PNAS édition en ligne avancée. d’extraversion : retourner voir le chirurgien.
Serge Tisseron
Coraline,
l’enfance sans repères
Serge Tisseron
psychiatre, psychanalyste,
Étrange œuvre cinématographique que Coraline,
docteur en psychologie, qui a connu un vif succès sur les écrans en ce début
est directeur de recherche
à l’Université Paris X, d’année. Plus de parents dans ce conte, plus d’histoire
à Nanterre.
ni de moralité à proprement parler. Derrière ce schéma
narratif, ne se cache-t-il pas une crise de transmission
des valeurs entre adultes et enfants ?
1. La vie de Coraline
se déroule dans un décor
terne et un environnement
affectif déstructuré, où les
parents jouent des rôles
indifférenciés et guident
peu leur fille.
Â
parents... à la différence que tout y est plus beau,
un film d’horreur parfois aussi cruel et disons-le, magique. Les libellules de bois atta-
que Shining de Stanley Kubrick, aussi chées au-dessus du lit de Coraline volent en liber-
décoiffant que Sleepy Hollow de Tim té, le jardin est somptueux et la nourriture succu-
Burton, et dont le rythme stressant lente. En plus, Coraline y trouve deux parents en
n’a rien à envier à Terminator… Mais c’est aussi un tous points semblables aux siens, mais aussi
film magnifique et merveilleux, et une véritable
parabole sur les bouleversements qui affectent
En Bref affables et souriants que les vrais sont moroses.
Bien sûr, ils ont deux gros boutons ronds cousus à
aujourd’hui les relations entre les générations. • Le film Coraline la place des yeux, mais comme ils sont absolument
propose aux enfants exquis, Coraline décide d’aller les retrouver
un monde où le héros chaque soir. Et, dans cette maison magique de ses
L’enfance livrée à elle-même tâtonne, plutôt qu’il nuits, elle rencontre aussi le dompteur du premier
ne raisonne. Il ne lui
Dans ce film américain réalisé par Henry Selick étage et les deux actrices du sous-sol, également
est guère proposé
et sorti le 10 juin 2009, Coraline s’ennuie dans le transfigurés : la petite pièce de l’un est devenue un
de clés pour résoudre
nouvel appartement où elle a emménagé avec ses les difficultés.
cirque merveilleux tandis que la cave des autres est
parents. Et on la comprend ! La maison est une un féerique et somptueux théâtre à l’italienne.
• Cette situation fait
sévère bâtisse du genre de celles qu’on trouve dans Peu à peu, évidemment, Coraline va découvrir
écho à la situation
les stations balnéaires du siècle dernier, à que tout a une contrepartie : il faut, tout d’abord,
des adolescents qui
Deauville ou Knokke-le-Zoute… mais isolée au aujourd’hui, dans leur
accepter de se faire coudre des boutons sur les
milieu de la campagne. Seule consolation, l’étage majorité, ne font plus yeux ! Puis d’autres concessions suivront, jusqu’à
supérieur est occupé par un dompteur de souris, confiance aux adultes découvrir que la charmante mère de ce second
tandis que le sous-sol abrite deux anciennes trapé- pour leur donner monde est en réalité une sorcière qui se nourrit
zistes qui vivent dans le culte nostalgique de leur des clés sur le chemin des enfants qu’elle parvient à séduire. Pour lui
brillante carrière passée. Autant dire que les ren- de la vie. échapper, Coraline ne pourra alors compter que
contres avec ces étranges personnages n’ont rien • Pour réintroduire des sur son intelligence, un chat qui parle, rencontré
d’ennuyeux ! Mais Coraline s’ennuie quand clés dans l’éducation en chemin, et un garçon un peu attardé qui se
même. Et elle s’ennuie d’autant plus, que ses des enfants, il faut leur révélera pourtant de bon conseil. Elle devra en
parents sont toujours occupés à travailler chacun réapprendre à vivre outre sauver ses propres parents que la sorcière a
dans leur coin sur leur ordinateur. Tellement avec leur corps au pris en otage, car l’une des leçons de ce film est
même que la mère de Coraline n’a plus le temps travers des punitions et que non seulement les adultes ne peuvent pas faire
de cuisiner. Le réfrigérateur ne contient aucune des gratifications, par grand-chose pour les jeunes, mais que c’est en
surprise, et Coraline s’assoit chaque jour à table une proximité accrue plus eux qui doivent leur venir en aide. Et comme
avec morosité. Mais une après-midi, en explorant avec les parents. les adultes sont de surcroît incapables de recon-
la vieille bâtisse à la demande de son père qui naître ce qu’ils en ont reçu, Coraline sera en défi-
espère ainsi s’en débarrasser, elle découvre une nitive condamnée à ne pouvoir raconter ses aven-
petite porte située au ras du sol… tures extraordinaires – et pourtant bien réelles –
À sa demande pressante, sa mère finit par l’ou- qu’au chat devenu son ami. Les figures parentales
vrir. Hélas, elle ne donne que sur un vilain mur de ne sont décidément d’aucun secours, fût-ce pour
brique. Pourtant, la nuit tombée, trois petites sou- tendre l’oreille. C’est en cela que Coraline n’est
ris sauteuses se chargent de réveiller Coraline et de guère un conte de fées, malgré les apparences.
la ramener vers la porte mystérieuse. Cette fois-ci,
elle est ouverte ! Un étrange passage mène à un
appartement en tout point semblable à celui de ses
© 2008 LAIKA Inc. Focus Features
© 2008 LAIKA Inc. Focus Features
a voulu cacher la clé ? En tout cas, la logique qui y ment s’y prendre. Nous voici bien loin du conte de
prévaut n’est ni celle des contes de fées ni celle des fées où un personnage guide en général le héros
rêves, mais plutôt celle… des jeux vidéo. sur le bon chemin. Dans Coraline, les objectifs sont
fixés, mais jamais les moyens.
Vers une culture Il n’est donc pas étonnant que le spectateur de
du tâtonnement ce film soit invité lui aussi à découvrir au fur et à
mesure, et par ses propres moyens, les règles d’un
Dans les contes de fées, les personnages ont le monde incompréhensible. Par exemple, il voit au
mode d’emploi des objets qu’ils trouvent. Par cours du film la Lune se voiler progressivement et
exemple, le Petit Poucet sait à quoi vont lui servir les comprend seulement peu à peu que cette étrange
pierres qu’il ramasse, tout comme il connaît le mode éclipse est due à un gigantesque bouton de culot-
d’emploi des bottes de sept lieues qu’il dérobe à te qui anticipe ceux qui seront bientôt cousus sur
l’ogre. Dans Coraline, tout est différent, mais exacte- les yeux de Coraline…
ment comme dans les jeux vidéo. D’abord, les objets D’une certaine façon, ce film où l’héroïne doit
surgissent de façon imprévisible. Prenons le cas de tout découvrir par elle-même rejoint les aventures
l’anneau triangulaire percé d’un trou rond qui sera de Harry Potter. Rappelons que dans cette série, le
si utile à la fillette pour remporter son pari contre la vieux Dumbledore, qui incarne une figure paternel-
méchante sorcière… La façon dont cet anneau lui le puissante et sage, connaît l’usage des objets qu’il
arrive n’indique rien sur la manière de s’en servir. confie à Harry, mais ne le lui donne pas afin que
La scène se passe chez les deux anciennes celui-ci le découvre par lui-même. Coraline fait un
actrices. L’une d’elles propose des bonbons si vieux pas de plus : les adultes ne possèdent pas le mode
qu’ils sont tous collés les uns aux autres. Impossible d’emploi des objets qui les entourent, et en plus ils
d’en prendre un sans les emporter tous, et le sala- ne savent pas qu’ils ne l’ont pas ! Mais n’en rions pas
dier qui les contient avec eux ! Coraline refuse trop vite, car ce monde est le nôtre…
donc poliment de se servir... La vieille actrice s’em- Ainsi, Coraline n’est pas loin de renoncer à
pare aussitôt de deux aiguilles à tricoter et frappe attendre quoi que ce soit de ses parents. Sa situation
frénétiquement les bonbons. Puis, du fond du réci- fait ainsi écho à la nouvelle culture des adolescents,
pient qui contient maintenant une poudre de une culture des pairs où la solution aux difficultés
sucre, elle tire un anneau qu’elle donne à Coraline. vient du partage des compétences avec ceux qui
Elle le prend sans savoir à quoi il lui servira, et c’est ont leur âge, bien plus que d’une aide des adultes.
seulement plus tard qu’elle aura l’idée de le poser Une récente étude de l’Université de Berkeley a
sur son œil, et en découvrira le pouvoir : faire d’ailleurs révélé que les jeunes n’attendent plus
apparaître en rouge sur fond gris les objets dont grand-chose des adultes en termes d’apprentissa-
elle doit s’emparer pour vaincre la sorcière. ge. Ils sont même enclins à penser que leurs cama-
Observons maintenant le comportement de l’hé- rades sont mieux placés que leurs géniteurs pour
roïne. Dans les contes de fées, le héros est invité à leur faire découvrir ce qui leur sera utile dans la
réfléchir avant d’agir. Que sa stratégie soit person-
nelle ou suggérée par une fée ou quelque divinité, il
en a toujours une. Par exemple, dans Le Chat Botté, Un précédent : Hansel et Gretel
le chat qui va voir l’ogre sait très bien qu’il va le
Dans le conte des frères Grimm, Hansel et Gretel sont deux enfants attirés
mettre au défi de se transformer en souris… afin de
par une maison en pain d’épices où habite une effroyable sorcière, laquelle
pouvoir le dévorer ! Et la princesse de Peau d’Âne n’a pour objectif que de les manger. Ce monde rappelle l’univers merveilleux
reçoit de la fée sa tante le conseil de demander à son de Coraline où une mère initialement affable se transforme en horrible sorciè-
père la peau d’un âne producteur de richesses afin re. Toutefois, la perspective est tout autre : dans le conte des frères Grimm, les
de le dissuader de vouloir épouser sa fille. enfants doivent échapper à la sorcière pour retrouver leurs parents. En outre,
Mais Coraline, elle, n’a pas de stratégie. Par ils usent de stratégies « intelligentes ».
exemple, lorsque le chat lui suggère de défier la
sorcière en lui proposant un jeu, elle n’a aucune
idée de la manière dont elle peut gagner l’épreuve.
Pourtant, elle accepte. Et lorsqu’à la dernière étape
du combat, elle se trouve à court d’imagination,
elle lance le chat qu’elle a dans les bras au visage de
la sorcière. À ceux qui pourraient penser que
c’était mûrement réfléchi, elle donne un démenti
cinglant. Dans la dernière partie du film, elle s’ex-
cuse en effet auprès du chat d’avoir agi ainsi. C’est
parce qu’elle n’avait aucune autre idée, avoue-t-
elle… Enfin, quand les fantômes des enfants morts
conseillent à Coraline de cacher la clé de la porte
de l’autre monde pour que la sorcière ne commet-
te jamais plus aucun crime, c’est sans lui dire com-
Psychologie
sociale
Destin
ou coïncidence ?
Deux présidents emblématiques des États-Unis ont été assassinés
à 100 ans d’intervalle et leur histoire présente plusieurs points
communs. Pourquoi notre cerveau est-il irrésistiblement attiré par
de telles coïncidences, y cherchant des marques du destin ?
Les psychologues décryptent les mécanismes de cette attirance.
I
Abraham Lincoln est élu au congrès en 1846,
est enseignant-chercheur présidents des États-Unis, John Fitzgerald devient président en 1860. Il est assassiné d’une
en Sciences cognitives
Kennedy et Abraham Lincoln, ont eu des balle dans la tête pendant sa présidence, un ven-
à l’École nationale
supérieure des destins tragiques étonnamment ressem- dredi, alors qu’il est près de son épouse. Son vice-
télécommunications. blants. John Fitzgerald Kennedy est élu au président Johnson, né en 1808, lui succède.
congrès des États-Unis en 1946, puis devient prési- La coïncidence est frappante. Elle ne s’arrête pas
dent en 1960. Il est assassiné d’une balle dans la tête là : les noms des deux présidents comportent sept
pendant sa présidence, un vendredi, alors qu’il est lettres ; John Wilkes Booth tira sur Lincoln dans
près de son épouse. Le vice-président Johnson, né un théâtre avant de se réfugier dans un entrepôt,
en 1908, lui succède. alors que Lee Harvey Oswald tira sur Kennedy
depuis un entrepôt, puis se réfugia dans un ciné-
ma (theatre en anglais) ; les noms complets des
deux assassins comportent 15 lettres ; ceux des
successeurs respectifs, Andrew Johnson et Lyndon
Johnson, en comportent 13 ; Kennedy fut tué dans
une voiture de marque Lincoln, etc.
Doit-on objectivement s’étonner d’une telle
coïncidence, penser qu’elle révèle une causalité
cachée, un bégaiement du destin ou une quel-
conque connexion magique ? Évidemment non. Il
est facile d’établir des analogies entre deux vies
remplies d’événements connus. Pour le montrer,
Kevin Kern et Kathren Brown ont établi un paral-
lèle à peu près aussi étroit entre deux autres pré-
sidents des États-Unis pris au hasard, Harry
Truman et Millard Fillmore.
Le caractère objectif de la coïncidence n’est pas
ce qui importe ici. Concentrons-nous sur la fasci-
nation elle-même. Pourquoi sommes-nous à ce
point sensibles aux coïncidences ? À bien y regar-
der, l’étonnement suscité est bien plus remar-
quable que l’événement qui le cause. On pourrait
croire qu’il s’agit encore d’un « biais », d’une fai-
blesse de notre esprit qui se laisse piéger par les calcul (notamment, une énumération de points
apparences d’une causalité sans fondement,
comme l’ont prétendu les psychologues et écono-
En Bref communs et des aspects divergents, que nous réa-
lisons le plus souvent de façon non consciente),
mistes américains Daniel Kahneman, Paul Slovic • Les coïncidences nous un calcul dont on ne voit pas comment il pour-
et Amos Tversky en 1982. Il n’en est rien. Bien au troublent, et pourtant elles rait être appris par tâtonnements. Voyons en quoi
contraire, le processus cognitif qui nous permet n’ont, statistiquement, pas consiste ce calcul.
de repérer les coïncidences est un appareil d’une moins de chances de Le concept de complexité, qui permet de com-
précision jusque-là insoupçonnée, qui ouvre de se produire qu’un fait prendre les coïncidences et bien d’autres phéno-
nouvelles perspectives sur une classe de « calculs » « normal ». mènes cognitifs, est né dans les années 1960. Il est
dont notre cerveau semble capable. • Les coïncidences sont même né trois fois, comme fruit des réflexions indé-
d’autant plus marquantes pendantes des mathématiciens Ray Solomonoff,
que la complexité Andrei Kolmogorov et Gregory Chaitin, même si ce
Une fascination universelle de production d’un dernier croit en voir les prémices dans la pensée de
pour les coïncidences événement (sa probabilité Gottfried von Leibniz au début du XVIIIe siècle…
de se produire) diffère
L’intuition paraît infaillible lorsqu’il s’agit de Qu’est-ce que la complexité d’un objet ? C’est
de la complexité de
juger une coïncidence. On imagine facilement que le minimum d’information nécessaire pour le
description (faible quand
la coïncidence de notre exemple aurait été encore on connaît la personne
reconstituer sans ambiguïté. L’objet est simple
plus forte si les deux présidents étaient morts au impliquée). quand ce nombre est faible, complexe quand il est
même âge ou avaient porté le même prénom. important (voir la figure 2). Prenons l’exemple de
• Nous voyons
Comment le savons-nous ? Sans doute, dira-t-on, une intention cachée
la complexité des nombres. La complexité d’un
parce que de tels détails renforcent l’analogie derrière ces répétitions, nombre rond, par exemple 1 000 000, est moindre
entre les deux situations. Vrai, mais insuffisant. car le fait de supposer que celle d’un nombre pourtant plus petit,
On s’accordera sur le fait qu’un écart de 100 ans des intentions derrière tel 8 773. Le premier s’écrit au moyen d’un 1 suivi
entre les prises de fonction de Lincoln et Kennedy des ressemblances de six 0 ou encore 106. En revanche, décrire le
est meilleur qu’un écart de 93 ans, bien que l’ana- aiderait l’être humain second nombre nécessite à première vue d’énu-
logie soit aussi forte dans les deux cas. La mention à déjouer les pièges mérer ses quatre chiffres. De surcroît, les chiffres 0
de la marque de la voiture dans laquelle Kennedy tendus par autrui. et 1 ne présentent pas une forte complexité. Au
fut assassiné rompt l’analogie ; pourtant elle amé- contraire, les chiffres 7 et 8 sont plus complexes.
liore la coïncidence. Enfin, le fait que le parallèle Ainsi, 100 est plus simple que 93. On commence à
concerne deux présidents parmi les plus célèbres entrevoir que, si l’on suppose que le cerveau est
des États-Unis plutôt que deux présidents obscurs plus attentif aux données de faible complexité, il
du Guatemala est un ingrédient essentiel dans va être attiré par un écart de 100 ans (entre les
l’intérêt de l’histoire (sauf, peut-être, pour les lec- décès de Lincoln et celui de Kennedy). Reste à
teurs guatémaltèques). Or l’analogie serait tout expliquer cette attirance du cerveau pour les
aussi bonne dans le second cas. faibles complexités (nous y reviendrons).
Avant de chercher une explication, deman- Pour l’instant, examinons la façon dont le cer-
dons-nous comment nous « savons » ce qui fait veau jauge la complexité d’une situation. Si l’on
que tel élément contribue de manière positive ou revient sur le parallèle des deux décès présidentiels,
négative à la qualité de la coïncidence. L’avons-
nous appris quand nous étions enfants ? Y a-t-il
quelque chose dans l’éducation des enfants qui
leur permet de découvrir les classes de situations
dignes d’être regardées comme des coïncidences ?
En d’autres termes, le phénomène serait-il cultu-
rel avant d’être cognitif ? Trois observations ren-
dent une telle hypothèse peu crédible. D’abord,
les coïncidences fascinent sous les tropiques
comme aux pôles : généralement associées à la
pensée magique, elles ne laissent jamais personne
indifférent. De plus, il semble qu’il n’y ait place
pour aucune variation lorsque l’on juge de la
qualité d’une coïncidence, ce qui serait étonnant
si le phénomène était soumis aux aléas de la cul-
ture et de l’apprentissage. Enfin, le processus
cognitif sous-jacent repose sur un authentique
© Brooks Kraft / Sygma / Corbis
Psychologie
Analyse
des œuvres caritatives, l’histoire de Michael Dans le même temps, il n’était pas difficile de
Jackson restera celle de la lente « psychopathologi- voir que la couleur de sa peau s’éclaircissait de En Bref
sation » d’une star planétaire. plus en plus. La raison invoquée par Michael
Pourtant, le « cas » Michael Jackson ne se laisse Jackson pour de tels changements de couleur fut • Michael Jackson était
probablement atteint
pas approcher facilement. Il n’existe pas un dia- qu’il souffrait d’une maladie rare, le vitiligo. La
d’un spectre assez large
gnostic simple et unique qui permette de rendre fouille au corps qu’il dut subir en 1993 a confirmé
de maladies mentales :
compte de son profil complexe. Du reste, l’analyse que Michael Jackson souffrait effectivement de dysmorphophobie,
strictement clinique n’est pas facilitée lorsqu’on problèmes dermatologiques, et le diagnostic de hypochondrie,
dispose essentiellement de la presse à scandale vitiligo était peut-être correct. C’est en 1986 dépendance à
pour se documenter ! On a parlé de dépendance à qu’aurait été diagnostiquée cette maladie rare, qui la chirurgie esthétique.
la chirurgie, aussi bien que d’hypocondrie (le syn- éclaircit partiellement la peau en rendant l’indivi- • Son existence s’est
drome du malade imaginaire), de dysmorphopho- du très sensible à la lumière. Pour cacher les caractérisée par un
bie (la conviction que certaines parties de son taches blanches que produit cette maladie, besoin maladif de rester
corps sont laides ou disgracieuses), de « syndrome Michael Jackson disait se maquiller pour se blan- confiné dans le monde
de Peter Pan » (le refus de vieillir), d’anorexie, ou chir. Pourtant, le mystère demeure. Certains sont de l’enfance, et par
de trouble obsessionnel compulsif. convaincus que sa blancheur a été obtenue par la peur du monde
d’autres moyens. Quant au nez, il aurait nécessité des adultes.
une opération suite à un accident de danse surve- • À ses débuts, il a
La dysmorphophobie nu en 1979. L’opération n’aurait pas donné entiè- parfaitement orchestré
Certains de ces diagnostics sont probablement re satisfaction, et il en aurait fallu une deuxième. les mythes entourant son
corrects, mais on n’en a aucune certitude. Peut-être C’est tout ce que l’artiste admettra. Finalement, la existence, car il désirait
de nouveaux documents vont-ils surgir prochaine- rumeur se répandit que Michael Jackson voulait faire de sa propre
ment, mais pour l’heure on ne connaît aucun dos- devenir blanc, ou du moins ressembler à un personne un spectacle et
sier médical qui étaie sérieusement de telles thèses. Blanc. Selon d’autres sources, il aurait cherché à une source de rumeurs,
Cela n’a pas empêché des spécialistes du monde se féminiser, ou à se distinguer le plus possible de jusqu’à donner naissance
à un phénomène
entier de prendre fréquemment la parole pour son père qui le tyrannisait…
de foire... qui
commenter les frasques du chanteur. Le tableau Pourtant, le malaise corporel dont semblait
l’a dépassé.
qui s’en dégage est celui d’un être extraordinaire- souffrir Michael Jackson n’était qu’une partie d’un
ment complexe et étrange, même s’il faut le problème plus profond. Il aurait été un grand
prendre avec réserve. angoissé, un hypocondriaque et un obsessionnel-
Ce qui frappe le plus chez Michael Jackson, ce compulsif... souffrant, de surcroît, d’anorexie.
sont évidemment les transformations corporelles, Tous ces troubles ont en commun de faire partie
surtout du visage. Pour l’expliquer, deux concepts du spectre des troubles obsessionnels compulsifs,
médicaux sont souvent avancés. Le chanteur c’est-à-dire de troubles mentaux et de la person-
aurait souffert de dysmorphophobie, ainsi que nalité qui se caractérisent par des perturbations de
d’une dépendance à la chirurgie esthétique. la volonté, de la perception de soi et de la réalité,
Qu’est-ce que la dysmorphophobie ? Une affec- ainsi que par des comportements impulsifs, par-
tion mentale où le sujet a une conception erronée fois autodestructeurs, visant à réduire l’anxiété
de son apparence physique et s’inquiète de détails que suscitent des pensées intrusives désagréables.
esthétiques insignifiants qui prennent des propor-
tions obsédantes dans son esprit. À l’extrême, la Une galerie
maladie peut prendre la forme d’automutilations.
Les dysmorphophobiques font des visites fré-
de pathologies mentales
quentes dans les cliniques de chirurgie plastique, Il est certain que Michael Jackson souffrait de
éveillant la suspicion des médecins. nombreuses angoisses, et était probablement
On ignore ce que Michael Jackson n’aurait pas dépressif. Les circonstances de sa mort sont enco-
aimé dans son apparence originale, mais il déci- re floues, mais qu’il en soit venu à se rendre
da de recourir plusieurs fois à la chirurgie esthé- dépendant d’un produit aussi dangereux et puis-
tique dans les années 1980. Dans l’ordre : le nez, sant que le propofol (un anesthésique général) en
puis les pommettes, le menton, le front, les lèvres dit long sur son niveau de désespoir : mieux que
et enfin les yeux. L’addiction à la chirurgie le sommeil et ses cauchemars envahissants, l’anes-
découle du sentiment de bien-être et de confian- thésie – le sommeil sans sommeil – lui permettait
ce retrouvée qui suit l’opération. Mais le résultat d’entrer dans un néant feutré et d’échapper à ses
finissant souvent par paraître insatisfaisant au conflits et paradoxes.
malade, celui-ci se plaindra à chaque modifica- Michael Jackson apparaissait fréquemment le Sebastian Dieguez
tion de nouveaux petits détails à corriger, amor- visage couvert d’un masque chirurgical, selon lui est neuropsychologue
çant un cercle vicieux qui entretient l’addiction. pour se protéger des microbes. Il semblerait en au Laboratoire de
fait qu’il ait développé des obsessions et des pho- neurosciences cognitives
Pourtant, la plupart de ces patients, comme sans
du Brain Mind Institute
doute Michael Jackson, sont bien incapables bies associées à la peur d’être contaminé. Il avait de l’École polytechnique
d’expliquer ce qu’il y a de choquant, selon eux, également une peur constante d’être agressé ou fédérale de Lausanne,
dans leur propre apparence. kidnappé, ce qui révèle un thème paranoïaque en Suisse.
M ichael Jackson constitue sans aucun doute un cas unique dans les
annales du comportement humain. C’est un personnage fragile qui a
construit son propre mythe en sacrifiant son identité. L’heure des comptes n’a
que le chanteur a donné à sa propriété (construite
sur le modèle d’un parc d’attractions), n’est autre
que l’île imaginaire dépeinte dans Peter Pan, où
pas encore sonné, mais au-delà des conflits de famille et des fréquentations
les enfants ne grandissent jamais. « Je suis Peter
douteuses, on peut réfléchir sur ce qui peut créer un tel monstre planétaire qui
Pan dans mon cœur », déclara-t-il lors de sa
finit par mourir dans la déchéance. Il n’y est pas parvenu tout seul. Jackson
devint, pas tout à fait contre son gré, le lieu où l’Amérique et le monde entier
fameuse interview avec le journaliste Martin
pouvaient projeter tous les excès dont personne ne veut prendre la responsa- Bashir. Un psychiatre, Stan Katz, qui a pu évaluer
bilité. Les révélations vont maintenant se multiplier et prendre des aspects l’artiste lors de son deuxième procès, en retira la
démesurés dans les prochaines années. Le phénomène devrait, avec le temps, conviction que Michael Jackson était resté bloqué
rendre ridicules les légendes et mythes circulant sur Elvis Presley ou Marylin au stade d’un enfant de dix ans, et qu’il ne corres-
Monroe, ce qui était en partie son but. Quant à sa popularité, il avait proba- pondait pas au profil habituel d’un pédophile. Les
blement vu juste en affirmant en 2007 : « La musique a été mon exutoire, mon pédophiles utilisent les jouets pour attirer les
cadeau à tous les amoureux de ce monde. À travers elle, ma musique, je sais enfants, rarement pour y jouer eux-mêmes.
que je vais vivre pour toujours. » S’entourer d’enfants est rapidement devenu la
principale préoccupation de Michael Jackson, au
point de reléguer la musique au second plan. Pour
omniprésent dans ses vidéos clips, qui du reste comprendre cette évolution, il faut se tourner vers
comprennent d’autres thématiques intéressantes l’enfance de l’artiste. Il rejoint ses frères dans les
telles que l’enfance, la métamorphose, l’abandon et Jackson 5 en 1964, âgé d’à peine six ans. Dans les
l’évasion. Michael Jackson le reclus, vivant entouré années suivantes, devant le succès incroyable de cet
d’enfants, était manifestement terrorisé par le enfant qui a vite pris la tête du groupe, la compagnie
monde réel. C’est sans doute avec préscience qu’il de disques Motown n’hésite pas à mentir sur son âge
lança le canular du caisson hyperbare, selon lequel en le rajeunissant systématiquement de deux ans,
il dormait enfermé dans une sorte de sarcophage afin de mieux attendrir le public. On entend sou-
où régnait une pression supérieure à la pression vent dire que Michael Jackson se sentait proche des
atmosphérique, de manière à éviter la pénétration enfants et de leur monde afin de compenser l’enfan-
de tout agent infectieux. Même si l'information ce qui lui aurait été volée. Tout porte en effet à croi-
était fausse, elle révélait le fantasme d'être séparé du re qu’il fut très perturbé par son enfance, et on peut
monde et d’être maintenu jeune et en bonne santé. y voir la raison de son comportement : s’il se dégui-
Dans les années 1980, il commença à perdre du se, se transforme, se masque, et régresse, c’est pour
poids de manière inquiétante, et dans les
années 1990 à consommer nombre de produits
pharmaceutiques (sédatifs et antidouleurs). Les
images ne sont pas rares où l’on voit un Michael
Jackson titubant, apparemment désorienté, telle
une bête traquée, notamment lors de son procès
en 2005. Personne n’a oublié ces images terribles du
chanteur, qui n’était plus que le spectre de lui-
même, en pyjama, ne pouvant tenir debout sans
quelqu’un pour le soutenir.
Michael Jackson,
créateur de son propre mythe
On ne peut pas comprendre Michael Jackson en
l’observant isolément. Il disait lui-même, sans
doute avec sincérité, qu’il n’existerait pas sans son
public. On ne peut donc envisager le comporte-
ment de ce chanteur qu’à la lumière de son hyper-
célébrité, même s’il convient de tenir compte
d’éventuels troubles comportementaux ou médi-
caux. Sans cette surexposition, qu’il cherchait en
vain à contrôler et à manipuler à son avantage, il
n’y aurait pas, à l’évidence, de « cas » Michael
Jackson. Les opérations chirurgicales, les costumes,
le maquillage, les comportements infantiles, les
folles rumeurs, ne sont pas des dérapages. Tout cela
fait partie du mythe Jackson au même titre que la
Psychologie
et vieillissement
Un esprit sain
dans un corps sain
À mesure que l’espérance de vie augmente, se pose
Christopher Hertzog
est professeur une question : comment vivre longtemps
de psychologie
à l’Institut de en bonne santé physique et mentale ?
technologie de Géorgie.
Arthur Kramer, L’exercice physique préserve les muscles,
professeur de
psychologie et mais aussi les capacités cognitives.
de neurosciences, dirige
le Centre d’imagerie
biomédicale de
l’Université de l’Illinois.
Robert Wilson est
professeur de sciences
neurologiques et
comportementales au
Centre médical
de l’Université Rush
de Chicago.
Ulman Lindenberger
dirige le Centre
de psychologie
de l’Institut Max Planck
pour le développement
à Berlin.
C
s’interroger : pendant combien de temps une
d’exercice physique, les muscles En Bref personne âgée peut-elle acquérir de nouvelles
ramollissent : l’exercice préserve la capacités ? Ces dernières peuvent-elles avoir une
santé du corps. Mais ce que l’on • L’intelligence n’est pas influence positive sur la cognition ? Les résultats
ignore généralement, c’est que seulement une question acquis sur un petit nombre de sujets sont-ils
l’exercice préserve aussi la santé du cerveau. de gènes. Les activités généralisables au plus grand nombre ?
Exercice ne signifie pas ici stimulation de ses neu- physiques et mentales Les expériences les plus récentes confirment
préservent l’acuité
rones par l’apprentissage d’une langue, la pratique que l’entraînement cognitif apporte des bénéfices
cognitive au cours
des mots croisés difficiles ou une tâche intellec- notables aux personnes âgées, et que ces effets
du vieillissement.
tuellement stimulante. Les chercheurs découvrent sont relativement durables. Il y a une dizaine
que l’exercice physique est aussi essentiel à la • Malheureusement, d’années, l’Institut américain d’étude du vieillis-
le déclin cognitif avec
bonne santé mentale. sement a financé une étude à grande échelle des
l’âge est inévitable. Mais
Aujourd’hui, on accepte l’idée qu’il faut exercer effets de l’entraînement sur 2 500 personnes âgées
il peut être ralenti.
sa machinerie cognitive en s’adonnant à des « jeux de plus de 65 ans. Elles devaient bénéficier d’une
• On découvre que
de l’esprit », mais plusieurs études ont montré que dizaine de sessions d’entraînement cognitif.
l’exercice physique
ce n’est pas suffisant si l’on veut conserver son En 2002, la psychologue Karlene Ball et ses col-
préserve les facultés
acuité mentale. Il faut pratiquer des activités qui cognitives. Rester en
lègues, de l’Université d’Alabama à Birmingham,
nous obligent à réfléchir, avoir une activité phy- forme préserve le corps ont publié les premiers résultats.
sique régulière, préserver son réseau social et et l’esprit. Les participants avaient été répartis au hasard
même avoir une attitude positive. Tous ces fac- en deux groupes : les uns étaient placés dans un
teurs préservent l’efficacité du fonctionnement groupe d’entraînement, où ils pratiquaient des
cognitif à mesure que l’on vieillit. exercices stimulant la mémoire, le raisonnement
Qui plus est, le cerveau âgé est plus plastique ou la vision, tandis que les autres ne bénéficiaient
qu’on ne le croit souvent. On doit oublier l’expres- d’aucun entraînement. La comparaison des résul-
sion longtemps admise : « Ce n’est pas à un vieux tats des deux groupes a révélé d’importants effets,
singe qu’on apprend à faire des grimaces. » Bien que
généralement les personnes âgées apprennent plus
lentement que les jeunes et n’atteignent pas leur
niveau d’expertise, elles peuvent améliorer leurs
performances cognitives en faisant un petit effort.
Or la proportion des personnes âgées dans les
pays industrialisés ne cesse de croître : en 1950, les
personnes âgées de plus de 65 ans représentaient
11 pour cent de la population française ; en 2000,
elle atteignait 16 pour cent, et, selon les prévi-
sions, elle devrait dépasser 23 pour cent en 2030.
Permettre aux personnes âgées de vieillir en plei-
ne possession de leurs facultés cognitives et en
forme physiquement est évidemment un objectif
pour elles-mêmes – leur qualité de vie serait
meilleure –, mais aussi pour la société, car les
coûts de la prise en charge pour perte d’autono-
mie seraient réduits.
Entraînement cognitif
Comment garder sa vivacité d’esprit tout au
long de sa vie ? Les philosophes de l’Antiquité se
posaient déjà cette question. Cicéron disait :
« C’est l’exercice seul qui soutient la vivacité de
1. La pratique des mots
l’esprit et lui conserve sa vigueur. » Les psycho- croisés et autres sudokus
logues se sont penchés sur la question au début est nécessaire, mais
Absolut / Shutterstock
des années 1970, et ont montré que l’on pouvait pas suffisante pour
améliorer notablement les performances des per- retarder la diminution
sonnes âgées en bonne santé. On a commencé à des capacités cognitives.
et des améliorations spécifiques des performances, contrôler leur façon de penser. Il semble agir sur
c’est-à-dire que seule la capacité stimulée avait des habiletés plus générales utiles dans de nom-
progressé. Qui plus est, de nouveaux tests réalisés breuses situations où il faut réfléchir. Par exemple,
cinq ans après l’entraînement ont révélé que les la psychologue Chandramallika Basak et ses col-
bénéfices acquis lors de l’entraînement étaient lègues, de l’Université de l’Illinois, ont récemment
toujours présents. montré que l’entraînement à un jeu vidéo de stra-
tégie en temps réel, qui exige de planifier et de
contrôler l’action, améliore non seulement les
Bénéfices à long terme performances au jeu, mais aussi les performances
Lors d’autres études, les psychologues se sont aux tâches qui nécessitent planification et contrô-
intéressés aux fonctions exécutives, par exemple à le exécutif. D’autres résultats suggèrent que les
la façon dont une personne planifie une tâche, psychologues commencent à comprendre com-
vérifie à quoi il faudra faire attention, et se ment entraîner des habiletés de plus haut niveau
concentre au cours du processus. Les résultats susceptibles d’avoir des effets plus généraux sur le
sont encore plus impressionnants. Contrairement fonctionnement cognitif.
à l’entraînement focalisé sur des habiletés spéci- Mais il n’est pas nécessaire de se soumettre à ce
fiques, par exemple les stratégies de mémorisa- type d’entraînement spécialisé pour se protéger
tion, cet entraînement vise à aider les personnes à du déclin cognitif. Les activités quotidiennes telles
que la lecture peuvent y contribuer. Nous avons
examiné les données de plus d’une dizaine
d’études sur l’enrichissement cognitif. En 2003, le
neuropsychologue Robert Wilson et ses collègues,
Évolution des capacités au fil du temps de la Faculté de médecine de l’Université Rush à
Chicago, ont recruté plus de 4 000 personnes
L’influence de l’humeur
À l’évidence, il n’existe pas de remède miracle
ni de vaccin qui protégerait du déclin cognitif
Tâche Tâche Tâche Rapidité
exécutive de contrôle de repérage spatial quand on vieillit. En revanche, toutes les études
montrent qu’il existe des mesures de prévention
efficaces. Les responsables de la santé devraient
promouvoir les activités intellectuelles qui ont un
sites de connexion des neurones qui reçoivent et réel effet chez les personnes âgées. Il faudra trou-
envoient les signaux de communication. Les ver comment concilier le sport, l’activité profes-
environnements enrichis augmentent aussi le sionnelle et la vie personnelle, malgré les
nombre de cellules gliales, qui contribuent à la contraintes qu’impose le travail. En mettant à
santé des neurones, ainsi que le réseau capillaire disposition des salariés des équipements sportifs,
cérébral, apportant l’oxygène aux cellules. Les sur le lieu de travail ou à proximité, sans doute
environnements enrichis stimulent le développe- contribuerait-on à enrichir leur style de vie et, de
ment de nouveaux neurones et créent une casca- cette façon, ils feraient plus de sport.
de de modifications moléculaires et neurochi- Dans le même temps, il faut bien comprendre
miques, telle l’augmentation des neurotrophines que nous avons encore beaucoup à apprendre sur
– des molécules qui protègent le cerveau et favo- la santé mentale au cours du vieillissement, et que
risent la croissance des neurones. l’intérêt de l’exercice mental n’est pas avéré.
Certaines entreprises commercialisent des jeux
Pas seulement des puzzles sur ordinateur et d’autres supports pour l’entraî-
nement cérébral. Ces produits coûtent cher alors
et des pompes qu’aucune étude scientifique sérieuse n’a confir-
Faire des puzzles et des pompes est utile – mais mé leur intérêt. La plus grande prudence est de
d’autres facteurs stimulent aussi la santé mentale. mise face à de tels produits, qui ne présentent pas
Ainsi, s’impliquer dans des groupes sociaux amélio- les caractéristiques requises pour préserver la
re la cognition et semble contribuer à retarder l’ap- santé mentale au cours du vieillissement.
parition des démences. Pour étudier l’influence des Les études en cours nous réservent certaine-
réseaux sociaux, les psychologues tentent d’évaluer ment des surprises quant à l’évolution des capaci-
l’isolement ou au contraire l’appartenance à un tés cognitives chez les personnes âgées. Peut-être
réseau. Pour ce faire, ils demandent aux sujets s’ils découvrirons-nous que ces capacités cognitives
participent à des activités favorisant les interactions peuvent être préservées au cours du vieillisse-
sociales (les associations caritatives, par exemple), ment, et qu’il existe des moyens d’optimiser les
avec combien d’amis et de parents ils sont réguliè- performances des personnes âgées. Les progrès de
rement en contact – ce qui reflète la taille de leur la médecine s’accompagneront d’une augmenta-
réseau social –, et s’ils vivent seuls ou en couple. tion de la longévité grâce à des traitements plus
Même si les données concernant les liens entre efficaces contre diverses maladies, notamment les
l’état d’esprit et les fonctions cognitives sont démences. Aux psychologues de trouver comment
rares, les attitudes positives semblent avoir un améliorer la qualité de vie des personnes âgées, en
effet bénéfique. Ainsi, les personnes optimistes, démontrant que les attitudes et les comporte-
agréables, ouvertes aux autres et aux expériences ments positifs peuvent stimuler les capacités
nouvelles, consciencieuses et motivées auraient cognitives au cours du vieillissement, et en identi-
plus de chances de bien vieillir, de mieux profiter fiant les comportements, tel l’exercice physique,
des occasions qui s’offrent à elles, de faire face qui peuvent aider à bien vieillir. I
Psychologie au quotidien
Facebook :
l’amitié en réseau ?
Nicolas Guéguen est Un inconnu apparaît sur votre écran et se présente
enseignant-chercheur
en psychologie sociale comme votre ami. De quel type de relation s’agit-il ?
à l’Université
de Bretagne-Sud, Les liens créés sur le Web menacent-ils le lien social ?
et dirige le Groupe
de recherche en sciences Non. D’après divers sociologues
de l’information et de
la cognition, à Vannes. et psychologues, ils le complètent.
O
tion. Cela est paradoxal car, en réalité, naguère, les
jamais eu autant d’outils de com- technologies ont permis de favoriser les interac-
munication qu’aujourd’hui, mais tions personnelles : le cheval, puis le train, puis la
que, pour autant, nous ne sommes voiture sont certainement des éléments ayant favo-
plus capables de communiquer risé ces interactions. Avec l’arrivée d’Internet et de
comme autrefois. Bref, beaucoup pensent que les la téléphonie mobile, la sphère des rencontres
En Bref outils de la communication tuent la vraie commu- sociales s’est étendue géographiquement, notam-
nication entre les personnes. Mythe ou réalité ? ment parce que l’information circule sans que l’on
• Grâce aux réseaux
L’idée ne date pas d’hier et le vieux téléphone n’ait à se déplacer. Alors où est le problème ? Est-ce
sociaux virtuels,
fixe a fait l’objet des mêmes critiques. Il semble en parce que l’on communique plus vite et plus loin
les internautes ont
aujourd’hui cinq fois plus
effet que le modèle de la communication en face- que l’on communique plus mal ? Sommes-nous
d’amis « virtuels » à-face paraisse le modèle le plus riche d’un point réellement dans l’illusion relationnelle loin des
qu’il y a 30 ans. de vue qualitatif, social et psychologique et que les « vraies » interactions sociales d’antan ?
moyens d’interaction à distance ne permettent pas
• Les discussions sur
Internet facilitent
d’atteindre cette qualité. Ce modèle est d’ailleurs Cinq fois plus d’amis
la communication partagé par des gens qui utilisent beaucoup les
nouvelles technologies. Darius Shan, de
qu’il y a 30 ans !
entre groupes sociaux
différents (hommes, l’Université de Hong Kong, a montré que des Depuis les années 1990, les chercheurs s’inté-
femmes, catégories internautes qui consacrent une part importante de ressent à la communication entre personnes via
socioprofessionnelles), leur temps libre à naviguer sur la toile considèrent, les ordinateurs, mais il est vrai que c’est l’explo-
là où des barrières majoritairement, que les relations en face-à-face sion de l’Internet et son couplage avec la télépho-
apparaissent en sont de meilleure qualité que celles que l’on a via nie mobile et l’arrivée des réseaux sociaux sur le
situation réelle. Internet ou les réseaux électroniques et, cela, que Web qui ont, tout récemment, stimulé la
• Les amis virtuels offrent l’on interagisse avec une connaissance personnelle recherche dans ce domaine. L’objectif est d’éva-
des opportunités ou avec un inconnu. Les personnes estiment que luer l’impact de ces technologies sur les relations
personnelles et l’interaction directe permet de mieux déceler ce sociales. Les travaux, dans ce domaine, révèlent
professionnelles. que pense réellement son interlocuteur, ce qu’il des résultats souvent inattendus.
Pour les internautes ressent, et ainsi de mieux repérer et comprendre Avant de parler de qualité, évoquons la quanti-
«inhibés», ils augmentent certaines caractéristiques de sa personnalité. té. Un des premiers constats de l’analyse de l’im-
les chances de faire
Les nouvelles technologies mobiles et Internet pact des nouvelles technologies de communica-
des rencontres dans
sont certainement les moyens à qui l’on reproche le tion est qu’elles augmentent le nombre des rela-
la vie quotidienne.
plus cette diminution de la « vraie » communica- tions sociales. À la fin de l’année 2009, on estime
qu’un habitant de la planète sur deux possédera un rage, mais également ceux qu’ils ont sur le Web,
téléphone mobile tandis qu’il y a actuellement près soit près de cinq fois plus de gens qu’il y a 30 ans.
de 1,6 milliard de personnes ayant une connexion Si les nouvelles technologies augmentent la
Internet. De fait, jamais la simple capacité statis- quantité de nos relations sociales, qu’en est-il de la
tique à interagir avec d’autres n’a été aussi impor- qualité de ces relations qui semble être la principa-
tante, et les travaux des chercheurs le confirment. le critique ? Là encore, les recherches en sociologie 1. Pour fuir le réel ?
Stacy Thayer, de l’Université du Suffolk à Boston et en psychologie montrent qu’un certain nombre Ce n’est pas parce
aux États-Unis, rappelle à juste titre, d’une part, de critiques ne sont pas forcément fondées. Selon qu’on passe beaucoup
que le nombre d’amis ou de relations que des l’une d’elles, ces technologies nous isoleraient du de temps sur des réseaux
sociaux que l’on néglige
jeunes déclarent avoir est aujourd’hui bien plus monde social le plus proche. Or il faut se garder du
les contacts réels. D’après
important qu’il y a 30 ans et, d’autre part, que la paradoxe de « dilution géographique ». des études de sociologie,
technologie Internet et la téléphonie mobile sont Si Internet donne accès à toute la planète, on les plus gros utilisateurs
les principaux vecteurs de cette évolution. observe également des effets paradoxaux sur les d’Internet sont aussi
Lorsqu’on demande à des adolescents de citer des relations plus locales. Ainsi, le professeur de com- ceux qui font le plus
noms d’amis, ils mentionnent ceux de leur entou- munication Keith Hampton, de l’Université de de rencontres « réelles ».
Ivanova Inga / Shutterstock / Cerveau & Psycho
Pennsylvanie, a révélé qu’Internet est bien loin contraintes de la vie quotidienne (les études, les
d’isoler les gens de leur entourage immédiat : il a Record emplois, la vie familiale) ont interrompues.
montré que les plus gros utilisateurs d’Internet Le président américain
renforcent leurs relations sociales réelles avec les Barack Obama a
personnes de leur entourage immédiat, ou en 6,3 millions d’amis sur
Moins de barrières sociales
amorcent de nouvelles… sa page Facebook. La supposée pauvreté relationnelle d’Internet
Ainsi, l’internaute cherche à savoir ce qui existe Il s’agit, à ce jour, conduit souvent à se montrer peu critique envers
dans son entourage aussi bien virtuel que réel, ce du plus grand nombre la communication dans la vie réelle et le mode
qui s’y fait, et notamment s’il y a des gens partageant d’amis virtuels jamais d’établissement des relations sociales ordinaires.
des intérêts communs dans son environnement enregistrés. Selon certains sociologues, les nouvelles technolo-
géographique immédiat (par exemple, dans des gies de la communication pourraient, au contrai-
communes proches de la sienne). Le processus d’in- re, favoriser des relations sociales de meilleure
teraction s’amorce alors via des Chat, des courriels, qualité. Internet aurait l’avantage de sélectionner
et enfin par des relations en face-à-face. De fait, des des relations plus en phase avec soi-même alors
amitiés ou des relations sociales suivies sont nées de que, dans la vie réelle, cela peut se révéler plus dif-
ces pratiques. Sans le Web, il est vraisemblable que ficile du fait que les relations sont imposées :
ces relations sociales n’auraient jamais eu lieu ou école, travail, voisinage… Le sociologue Gustavo
auraient nécessité plus de temps et d’efforts. Par Mesch, de l’Université de Haïfa en Israël, a consta-
conséquent, loin d’isoler l’individu de son environ- té que les adolescents participant à des réseaux
nement social immédiat, Internet favoriserait la sociaux sur Internet tendent à avoir des amis qui
communication locale interpersonnelle... Outre leur sont plus similaires (mêmes passions, même
cette communication locale, Internet favorise égale- apparence, mêmes intérêts, préférences musi-
ment la restauration des relations sociales interrom- 2. Et si demain, Internet cales…) que les adolescents cantonnés à la vie
pues de longue date. La sociologue Corinna Di devenait votre ami ? réelle. Or, comme on le sait, la similarité est un
Gennaro, de l’Université de Harvard, a constaté que Les rencontres virtuelles facteur favorisant les amitiés durables…
restent avant tout
des relations sociales anciennes sont restaurées via Selon les sociologues, Internet, en raison des
un moyen de développer
le Web ; certains sites, tels Les copains d’avant, favo- un sens du contact informations disponibles sur les internautes, per-
riseraient la reprise d’interactions avec des per- humain, qui se mettrait d’entrer plus vite et plus efficacement en
sonnes que l’on a appréciées à des périodes impor- matérialise généralement relation avec des personnes que l’on juge sem-
tantes de la vie. Des amitiés que les aléas et les dans la réalité. blables à soi. Dans la vie réelle, l’obtention de ces
PHOTOSANI / Shutterstock
Psychologie
du développement
L’ami imaginaire
Environ un enfant sur trois a pendant un temps variable
un ami qui n'existe que dans son imagination. Cela n’a rien
d’inquiétant. Au contraire, ces compagnons qui aident
l’enfant à traverser une période difficile
témoignent de sa créativité.
En Bref
• Environ 20 à 30 pour
P n’a rien d’extraordinaire à l’époque du
Web : beaucoup d’internautes partici-
pent à des Chats, ont des blogs et
échangent des informations très per-
sonnelles avec des amis virtuels. Mais que faut-il
penser d’un enfant qui cherche un ami imaginai-
re – joue avec lui, lui parle et vit même avec lui
cent des enfants et comme si c’était un membre de sa famille ? Ce
adolescents ont à un phénomène, qui se manifeste surtout entre trois
moment ou un autre un et sept ans, est assez fréquent. La plupart des
compagnon imaginaire. parents sont inquiets lorsqu’ils prennent conscien-
• Les amis imaginaires ce de « l’ami imaginaire », le nom donné par les
remplissent différentes psychologues à ce compagnon invisible. Une mère
fonctions, selon l'âge écrit ainsi sur un forum sur Internet :
et les circonstances. « Notre fils, âgé de cinq ans, parle depuis trois
Ils favorisent surtout jours avec “son amie Pia”. Elle n’existe que dans son
la capacité à se mettre imagination, mais semble être bien réelle pour lui.
à la place de l'autre
Il se comporte comme s’il pouvait la voir ! Sa sœur,
et les capacités
qui a trois ans de plus que lui, ne nous avait pas
de communication.
habitués à ça. Bien que son amitié avec Pia semble
• En général, les enfants lui faire du bien, nous sommes inquiets. Faut-il le
maltraités ne s'inventent
laisser dans cette illusion ou essayer de le
pas d’amis imaginaires ;
convaincre qu’elle n’existe pas ? »
les traumatismes ont
plutôt tendance à brider
Les parents inquiets peuvent se tranquilliser.
la créativité de l'enfant et Tous les travaux de recherche sur le phénomène
son comportement de jeu. aboutissent à la même conclusion : il n’y a aucune
raison de s’inquiéter ! Les amis imaginaires n’ont
guère été étudiés – peu de psychologues s’y sont Inge Seiffge-Krenke un moment ou à un autre de leur développement,
intéressés au cours des 100 dernières années – , étudie la psychologie mais que, le plus souvent, les parents ne le remar-
mais tous les résultats concordent pour dire que les du développement quent pas ; et les enfants eux-mêmes l’oublient et,
à l’Institut de psychologie
amis imaginaires remplissent une fonction positive ne s’en souviennent plus quand ils sont plus âgés.
de l’Université
et favorisent le développement des enfants. de Mayence. Les compagnons invisibles sont souvent des
Les compagnons invisibles sont étroitement enfants du même âge que l’enfant. Mais ce sont
liés à l’environnement de l’enfant : pour les plus parfois des animaux, des magiciens ou des super-
jeunes, l’ami imaginaire est généralement un héros. La plupart d’entre eux ont la même taille que
copain de jeu, qui peut également être présent à l’enfant, mais d’autres sont suffisamment petits
table, au moment des repas. L’enfant l’appelle par pour pouvoir être cachés dans la poche et emportés
son nom et l’ami l’accompagne souvent toute la partout – comme le kangourou invisible Pantoufle
journée. Certains psychologues pensent que de Anouk dans le film Le Chocolat (2001), de Lasse
presque tous les enfants ont un ami imaginaire à Hallström, avec Juliette Binoche et Johnny Deep.
Peluches courageuses
et poupées insolentes
Beaucoup d’enfants donnent aussi vie à une
peluche ou à une poupée à laquelle ils sont parti-
culièrement attachés, et lui attribuent une person-
nalité. Ainsi, les peluches visibles tel Hobbes – le
tigre en peluche de la série Calvin et Hobbes –
deviennent aussi des compagnons imaginaires.
Toutefois, dans cet article, nous nous référons sur-
tout aux amis qui ressemblant à un être humain,
mais qui sont invisibles.
L’une des premières descriptions du phénomè-
ne est une étude datant de 1895, réalisée par la
pédagogue Clara Vostrovsky, de l’Université
Stanford. Elle y décrit une amie qui eut, jusqu’à
l'âge adulte, plusieurs amis imaginaires. Depuis,
quelques études ont montré que les compagnons
imaginaires sont très répandus : selon les résul-
tats, entre 18 et 30 pour cent des enfants ont, à un
moment ou un autre, un ou plusieurs compa-
gnons invisibles.
Les parents, enseignants et thérapeutes sont
souvent troublés non seulement par le fait que
l’ami imaginaire est présent pendant longtemps,
parfois pendant des années, mais également par
le réalisme avec lequel les enfants semblent voir
leur compagnon devant eux. Pourtant, les enfants
savent très bien que leurs amis ne sont pas réels et
qu’ils n’existent que dans leur imagination. Par
conséquent, le phénomène des amis imaginaires
est parfaitement distinct des cas pathologiques
que l’on rencontre, par exemple, dans les psy-
choses. L’enfant ne se sent jamais à la merci de
son compagnon imaginaire – au contraire, il peut
l’habiller, le changer et le manipuler à volonté.
L’enfant détermine également la durée de son
1. L’ami imaginaire amitié imaginaire.
donne parfois le courage Dans une analyse de journaux intimes publiée
à l’enfant de en 2000, j’ai constaté que le confident imaginai-
se surpasser, par re porte souvent un nom. De plus, il a un sexe et
exemple de sauter des
une apparence physique bien définis, et des traits
obstacles toujours plus
de caractère marqués. Cependant, l’enfant ou
Shutterstock / Cerveau & Psycho
hauts. Il a parfois
une apparence humaine, l’adolescent peut changer ces caractéristiques à
parfois c’est un animal, volonté au cours du temps. Dans les journaux
ou, pourquoi pas, intimes que j’ai étudiés, j’ai trouvé quelques des-
un robot ! criptions très précises des amis imaginaires.
Voilà un extrait des notes d’une jeune fille de Ainsi, une fillette de dix ans se sentait très seule.
15 ans : « Kathrin est une fille aimable et gra- Anne Frank Sa mère était hospitalisée depuis deux ans pour
cieuse. Elle est très mignonne quand elle est heu- et Kitty une dépression grave et l’enfant était souvent
reuse. Elle a les yeux noirs les plus beaux que j’ai seule. Dans cette situation, elle s’était inventé un
Le journal d’Anne Frank
jamais vus, incroyablement expressifs – parfois frère imaginaire qui dépendait complètement
(1929-1945) est
comme des étoiles, puis comme la mer Morte, mondialement connu. d’elle et dont elle prenait soin comme une mère
tellement profonds, calmes et tristes. Cela, c’est Son père, Otto Heinrich – tout comme elle aurait probablement souhaité
ce que peut voir une amie de l’extérieur. Mais Frank a publié qu’on s’occupe d’elle. Elle restait souvent allongée
moi, à travers ses yeux, je peux voir aussi l’inté- les mémoires de sa fille, sur son lit pendant la journée à parler avec son
rieur, savoir ce qu’elle pense. Mais en fait, je morte dans le camp frère invisible. Lorsque la mère est rentrée de l’hô-
connais mal sa vie intérieure. Par exemple, je ne de concentration pital, il a disparu sur le champ.
sais pas vraiment si elle croit en Dieu. Que dire de Bergen-Belsen. Parfois le compagnon imaginaire des enfants et
encore de Kathrin ? Elle est intelligente, ambi- De juin 1942 des adolescents les aide à surmonter des senti-
tieuse, passionnée, toujours prête à aider les jusqu'à sa déportation, ments de solitude, de perte ou de rejet. Il offre à
autres, parfois un peu difficile à comprendre ; en août 1944, Anne l’enfant une relation où il trouve de l’amour et le
parfois, elle se comporte comme une mère poule s'était cachée des nazis soutien dont il a besoin. Cela lui procure aussi une
avec quelques membres
avec tout le monde. Mais c’est comme ça qu’elle compagnie – indépendamment des circonstances
de sa famille dans une
est, sinon, elle ne serait pas Kathrin. Il y a des extérieures et de l’environnement où il grandit. En
maison d'Amsterdam.
moments où j’ai l'impression qu’elle fait tout à la Son père fut le seul
conséquence, les compagnons disparaissent sou-
perfection et je suis heureuse quand je trouve à revenir des camps. vent dès que l’enfant trouve des amis réels ou s’est
une erreur. De plus, elle ne parle pas beaucoup et Pendant ces années, accommodé d’une situation nouvelle.
elle met longtemps à accorder sa confiance à Anne s’est confiée à son Cette fonction du compagnon explique proba-
quelqu’un. Elle semble discuter souvent avec Dieu amie imaginaire Kitty. blement aussi pourquoi les personnes âgées ont
qui semble être un soutien pour elle. » parfois des amis imaginaires – bien que ce phéno-
mène n’ait presque pas été étudié jusqu’à présent.
Pour traverser Le psychiatre canadien Kenneth Shulman a rap-
porté en 1984 trois cas de patients âgés de plus de
les moments difficiles 80 ans et qui venaient de perdre leur conjoint.
Les compagnons imaginaires peuvent remplir Tous les trois faisaient revivre leur partenaire dans
diverses fonctions : certains enfants ou adoles- leur imagination, mais ils n’aimaient pas en parler
cents imaginent ces amitiés inhabituelles lors- à d’autres personnes. Ce que K. Shulman inter-
qu’ils se sentent seuls, comme le montre une prétait comme un signe qu’ils étaient conscients
étude américaine réalisée en 2004 par l’équipe de du caractère fictif de ce compagnon.
Marjorie Taylor, de l’Université de l’Oregon. Les Le psychologue du développement Jean Piaget
psychologues ont interrogé 152 enfants de mater- (1896-1980) a également observé le phénomène
nelle et ont trouvé qu’environ 70 pour cent des de l’ami imaginaire lors de ses études sur le déve-
enfants de cinq et six ans ayant un ami imaginaire loppement cognitif des enfants. Il l’a interprété
étaient des premiers-nés ou des enfants uniques. comme une forme particulière de jeu symbolique.
On crée, tout seul ou avec d’autres, une autre réa-
lité : les enfants aiment faire « comme si » – par
exemple dans des jeux de rôle. Piaget a rapporté le
Parfois le compagnon imaginaire cas du compagnon imaginaire de sa propre fille de
des enfants et des adolescents les aide trois ans, Jacqueline. Pendant deux mois, il a acca-
paré toute son attention, l’a aidée dans tout ce
à surmonter des sentiments qu’elle apprenait, l’a encouragée à obéir aux
de solitude, de perte ou de rejet. règles, et l’a consolée lorsqu'elle était triste. Puis,
subitement, il a disparu.
études publiée en 2000, portant sur 241 adolescents, enfants commencent à tenir un journal intime,
a abouti à un résultat similaire : les adolescents qui une façon très personnelle d’exprimer leur créati-
ont des amis imaginaires présentent davantage vité et leur imagination. Pour cela, il faut d’abord
d’habiletés sociales, telle l’empathie, que les enfants qu’ils aient acquis une notion précise de l’intimi-
du même âge sans compagnon imaginaire. té : les très jeunes enfants ne font pas encore la dif-
Des études sur le comportement de jeu confir- férence entre informations « privées » et informa-
ment indirectement que ce sont surtout les enfants tions « publiques ». Ce n’est qu’à partir de l’âge de
mûrs et psychologiquement stables qui ont des dix ans environ qu’ils comprennent ce que signifie
amis imaginaires. Ainsi, parmi d’autres, le socio- le privé. C’est seulement à partir de ce moment-là
logue britannique David Finkelhor, de l’Université que les informations qui les concernent ou concer-
de New Hampshire à Durham, aux États-Unis, a nent autrui sont sciemment tenues secrètes.
montré que les enfants jouent d’autant moins Environ 40 pour cent des filles se confient à un
qu’ils se sentent mal à l’aise physiquement et psy- journal intime – proportion beaucoup plus faible
chologiquement. La maltraitance, le manque de chez les garçons du même âge.
soins ou d’affection brident l’imagination et font
disparaître l’envie de jouer : ces enfants ne s’inven- Du compagnon de jeu
tent généralement pas d’amis imaginaires.
Les amis imaginaires peuvent aussi apparaître
au confident
lorsque les enfants ont des difficultés à se plier aux Lorsque l’enfant grandit, la perception de soi et
règles des adultes. Le compagnon imaginaire se la description des personnes importantes chan-
permet alors ce qui est interdit à l’enfant. Évidem- gent, ainsi que les compagnons imaginaires. Les
ment, ce sont les nouveaux amis qui sont en cause enfants âgés de quatre à six ans, par exemple, se
lorsque les parents découvrent que la boîte de bis- caractérisent souvent eux-mêmes par leurs carac-
cuits a été vidée : « C’est pas moi, c’était Dris ! » téristiques physiques ou par leurs actions : « Je suis
Les enfants punissent même leur complice invi-
sible pour « leurs » méfaits – ce qui, bien évidem-
ment, n’empêche pas leur ami de récidiver. 2. L’ami imaginaire est
souvent un soutien moral
Les compagnons imaginaires remplissent une
précieux. Il aide l’enfant à
fonction similaire lorsqu’ils servent de conseiller affronter des situations
moral aux enfants. Lorsqu’ils sont en maternelle, nouvelles, un changement
les petits ont encore besoin d’un interlocuteur pour d’école, voire la rentrée
s’assurer qu’ils ont agi correctement. Un ami ima- des classes.
ginaire remplit parfois cette fonction. En général,
les compagnons apparaissent à des moments où les
enfants font de grands bonds dans leur développe-
ment cognitif. Ils offrent aux enfants en développe-
ment la possibilité d’exprimer des sentiments et des
impulsions qu’ils doivent contrôler, parce que,
maintenant, ce sont des « grands ».
En règle générale, les amis imaginaires apparais-
sent vers l’âge de trois ans, car les enfants doivent
d’abord être capables de bien faire la différence
entre eux-mêmes et autrui avant d’inventer un
partenaire. Il faut aussi qu’ils aient bien intégré
une image stable d’une autre personne, par
exemple de la mère. En 1988, le psychologue Paul
Harris, de la Faculté de médecine Harvard à
Boston, a étudié si 221 enfants faisaient bien la dif-
férence entre imagination et réalité. C’est seule-
ment à partir de trois ans qu’ils ne font plus de
confusion entre personnes réelles et inventées,
Gehirn und Geist - Andreas Rzadkowsky / Shutterstock - Lynne Carpenter
blond », « J’aime jouer avec des voitures ». Ce entretient de « vrais » échanges. Le besoin accru
n’est qu’à l’adolescence qu’ils commencent à se d’un alter ego explique pourquoi à l’adolescence
décrire par leurs caractéristiques psychologiques et ce sont surtout les jeunes confrontés à la solitude
morales : « Je suis timide » ou « Je suis généreux ». qui se créent des compagnons imaginaires : pour
L’élaboration de cette connaissance de soi dépend 3. Pendant se consoler et se sentir moins seul.
de la relation à autrui, qui prend de plus en plus l’adolescence, les filles
Mes analyses et les entretiens que j’ai eus avec
aiment bien confier leurs
d’importance avec l’âge. expériences et leurs
plusieurs centaines d'adolescents ont montré que
Tout comme les amis réels, les compagnons réflexions à un journal les amis imaginaires apparaissent souvent dans les
imaginaires se transforment au cours du dévelop- intime. Elles y écrivent journaux intimes des adolescents. L’adolescent
pement, comme je l’ai montré en 2008 en analy- souvent à un ami ou à une s’engage dans un dialogue avec son compagnon
sant plusieurs études à long terme. L’âge de la amie imaginaire. invisible : il l’appelle par son nom, lui raconte le
détail des événements et termine en lui disant
« Au revoir ». Dans notre étude, c’était le cas pour
un tiers des garçons et plus de 60 pour cent des
filles tenant un journal intime. Les adolescents se
posaient beaucoup de questions sur leur relation
avec leur compagnon imaginaire, qu’ils formu-
laient par écrit au moyen de questions ou de com-
mentaires. Souvent, ils invitaient leur copain ima-
ginaire à donner son point de vue.
De toute évidence, ils avaient une image très
précise de leur compagnon imaginaire. Tous les
d’adolescents ne décrivaient pas leur ami avec
autant de précision que la jeune fille mentionnée
et son amie Kathrin. Mais au cours des entretiens,
ces adolescents décrivaient volontiers l’apparence
physique (« Elle aussi, elle est grosse », « Il est plus
grand que moi ») et les conditions de vie de l’ami
imaginaire (« Elle a les mêmes problèmes que
Regisser / Shutterstock
Dossier
46
Un monde
d’émotions
52
Raphael Queruel / Shutterstock
Mieux vivre
ses émotions
Vivre en paix
58
Le cerveau
avec ses émotions au cœur
des émotions
P
our les uns, elles gâchent la vie, perturbent la réflexion, poussent aux
excès. Pour les autres, elles donnent du piment à l’existence, favori-
sent l’intuition et « l’instinct ». Tout cela est vrai. Les émotions ont
deux faces, l’une rayonnante et l’autre sombre. Le procès des émo-
tions a connu de multiples rebondissements, où Platon a été sans
64
conteste le procureur le plus impitoyable, et les psychologues évolutionnistes Du visage
des avocats zélés. Mais quel est le résultat de ce match millénaire, où tout tour-
ne autour de questions simples, mais essentielles : les émotions sont-elles nos à l’expérience
alliées ou nos ennemies ? Faut-il les combattre ou les vivre pleinement ? subjective
Pouvons-nous les tourner à notre avantage ?
Sur les clichés d’imagerie cérébrale, les émotions apparaissent sous la
forme d’une mosaïque, où chacune est créée par une zone spécialisée, et où
des réseaux distribués modulent le ressenti subjectif et la capacité de parta-
ger ses émotions avec autrui. Nous sommes des êtres émotionnels par essen-
66
ce, il serait vain de le nier.
Voire. Le cerveau n’est pas le jouet des émotions, il dispose même de
modules permettant de les réguler. Un joli clin d’œil à Descartes, qui, dans
Les passions de l’âme, définissait le libre arbitre comme la capacité de prendre Les dérèglements
conscience de ses émotions, puis de juger – d’après le contexte où elles se mani- des émotions
festent – s’il est profitable d’y céder ou d’y résister. L’affect, finalement, est
une chose trop sérieuse pour être confié aux émotions. L’intelligence émo-
tionnelle s’impose de plus en plus comme l’avenir de l’homme : identifier ce
que l’on ressent, l’exprimer, le comprendre, le moduler pour l’utiliser au
mieux, telles sont les clés qui permettront peut-être un jour de vivre en paix
avec ses émotions. S. B.
Dossier
Un monde d’émotions
Robert Soussignan
ue serait une vie sans émotions ?
Q
est maître de conférence
à l’Université de Reims Les émotions colorent les expé-
et membre du Centre riences de notre vie quotidienne
européen des sciences et nous informent sur les événe-
du goût à Dijon. ments auxquels nous attachons
de l’importance, qu’il s’agisse de la joie éprouvée à
la naissance d’un enfant ou de la tristesse que
cause la perte d’un proche. Elles s’accompagnent
de manifestations corporelles (l’augmentation du
rythme cardiaque, les sécrétions hormonales, les
expressions du corps ou du visage) et comporte-
mentales (approche, fuite ou lutte). Elles nous
permettent de nous adapter aux événements et de
réguler la physiologie de l’organisme. Elles influent
aussi sur la perception du monde, la mémoire épi-
sodique, la prise de décision, les jugements, et
constituent un puissant vecteur de communica-
tion d’informations à autrui.
Or, même si la plupart des chercheurs s’accor-
dent sur le rôle qu’elles jouent dans nos existences,
ils sont paradoxalement partagés sur leur nature,
leur classification, leur nombre, leur caractère uni-
versel et le type d’informations transmises par les
réactions corporelles... Lorsqu’on parle d’émotions,
à quoi fait-on référence ? Combien en dénombre-
t-on ? En existe-t-il de plus puissantes ou de plus
nuancées ? Comment les hiérarchiser ? C’est toute
la question du spectre des émotions.
Gemenacom / Shutterstock
joie). Une alternative à cette approche a été propo- Bibliographie contraction des muscles du front et l’élévation des
sée plus récemment par les partisans des théories de sourcils), et lorsque les possibilités de contrôle sont
l’évaluation cognitive, que nous détaillerons plus K. Scherer et al., Are facial faibles (cela provoque la contraction des muscles
loin. Les objectifs de cette théorie sont de rendre expressions of emotion de la mâchoire avec l’étirement des lèvres et l’ou-
compte de la multitude des émotions humaines, de produced by categorical verture de la bouche). D’autres actions musculaires
affect programs or
leur délimitation ainsi que des divers facteurs qui sont toutefois possibles en fonction des circons-
dynamically driven by
font naître les émotions différenciées. appraisal ?, in Emotion, tances. On voit donc que, de façon générale, les
Les approches psycho-évolutionnistes contem- vol. 7, pp. 113-130, 2007. actions musculaires qui produisent une expression
poraines des émotions ont été fortement influen- P. Niedenthal, faciale résultent du traitement cumulé des mul-
cées par les travaux de Duchenne de Boulogne, Embodying emotion, tiples dimensions mises en jeu dans l’émotion.
auteur en 1862 d’un traité intitulé Le mécanisme de in Science, vol. 316,
l’expression faciale humaine, et surtout par les tra- pp. 1002-05, 2007. Les émotions de base
vaux de Charles Darwin. Ce dernier publia en 1872 R. Soussignan, Duchenne
L’expression des émotions chez l’homme et les animaux, smile, emotional experience
sont-elles universelles ?
où l’on trouve déjà l’idée d’une correspondance and autonomic reactivity : Voilà qui permet de comprendre qu’un même
étroite entre émotions et prototypes d’expressions A test of the facial feedback événement puisse déclencher des expressions
faciales. Ainsi, la peur se caractérise par des sourcils hypothesis, in Emotion, faciales différentes (pour telle personne, un évé-
vol. 2, pp. 52-74, 2002.
relevés et droits, des yeux écarquillés, une bouche nement peut être nouveau, et pour telle autre
entrouverte et des lèvres tendues. J. Russell, Is there universal familier), mais aussi que des événements diffé-
recognition of emotion from
Il ne fait pas de doute que des mimiques dis- rents puissent provoquer la même expression.
facial expression ? A review
tinctes reflètent des émotions différenciées et com- of the cross-cultural studies, Par exemple, la psychologue Linda Camras de
muniquent des informations sur les intentions de la in Psychological Bulletin, l’Université de Chicago a observé des mouve-
personne qui les exprime. Par exemple, vers l’âge de vol. 115, 102-141, 1994. ments faciaux liés à l’émotion de dégoût (fronce-
un an, les bébés sont capables de distinguer les P. Ekman, An argument for ment du nez et fermeture des narines, retrousse-
expressions faciales de joie ou de peur de leur mère, basic emotions, in ment de la lèvre supérieure, ouverture béante de
pour savoir si une situation ambiguë est dangereuse Cognition and Emotion, la bouche) chez des bébés en réponse à une
ou non : selon l’expression qu’ils ont décodée, ils vol. 6, pp. 169-200, 1992. grande variété de stimulus (insertion d’un objet
adoptent une attitude d’approche ou d’éloigne- dans la bouche, bain, aspiration nasale) considérés
ment. En revanche, restent controversés les facteurs comme intrusifs, mais pas nécessairement dégoû-
de déclenchement des émotions faciales, la nature tants. Dans ce cas, une même expression faciale (le
de leurs liens avec les émotions, et les informations dégoût) est produite par des situations différentes
précises que ces expressions véhiculent. chez le bébé et chez l’adulte.
© Images.com / Corbis
réactions corporelles jouent un rôle de premier
plan dans les prises de décision. La théorie de
l’émotion incarnée, décrite par la psychologue
américaine Paula Niedenthal, considère quant à
elle que les perceptions, les pensées ou les rappels
d’événements émotionnels nous font involontai- Où en sommes-nous aujourd’hui dans la clas- 3. Le sourire
rement revivre l’émotion concernée. sification des émotions ? Il semble que l’éventail est une expression
Une chose est certaine : la perception subjective des émotions primaires soit partagé par les êtres universelle, qui a
de l’émotion et ses manifestations corporelles ont humains de la planète entière, et qu’il inclue la une caractéristique :
partie liée. À tel point que les mouvements faciaux joie, la tristesse, la peur, la colère et la peur, et par- la contraction des muscles
modulent le sentiment subjectif de l’émotion, selon fois la surprise. Néanmoins, il serait exagéré d’af- zygomatiques.
l’« hypothèse de rétroaction faciale ». Pour le mon- firmer que l’expression de ces émotions résulte
trer, nous avons enregistré le rythme cardiaque et la entièrement de programmes moteurs innés.
sudation de personnes exposées à des séquences
vidéo suscitant des émotions positives ou négatives,
tout en leur demandant de tenir un crayon dans leur
Vers une vision unifiée
bouche : selon les cas, elles devaient ou non étirer les Au contraire, la concrétisation de ces affects
commissures des lèvres, ce qui leur faisait reprodui- semble dépendre de « filtres » cognitifs, de
re – ou non – un sourire. Tous les sujets ont été inter- séquences d’appréciation des stimulus qui nous
rogés à l’issue de l’expérience, et l’on s’est aperçu que entourent, et ces filtres sont établis en fonction
les personnes ayant étiré les commissures de leurs des expériences que nous faisons, des cultures ou
lèvres avaient ressenti plus de plaisir devant les des milieux sociaux où nous évoluons. Combien
vidéos plaisantes, et que leur rythme cardiaque et d’émotions ou d’expressions faciales d’émotions
leur sudation avaient davantage augmenté que les peuvent ainsi être produites ? Nul ne pourrait
personnes n’ayant pas reçu l’instruction d’étirer les aujourd’hui y poser une limite. Le spectacle des
commissures de leurs lèvres. L’une des hypothèses grands acteurs ou des œuvres d’art nous révèle
pour expliquer cet effet suggère que la contraction chaque jour que l’émotion est lieu de création, et
de certains muscles du visage déclencherait des que le visage a la capacité de mélanger les émo-
signaux sensoriels dans les muscles et la peau, qui tions primaires comme un peintre mélange les
seraient acheminés au cerveau où ils activeraient les couleurs, pour créer des instants affectifs sans
structures cérébrales mises en jeu dans les émotions. cesse renouvelés. I
Dossier
observation du rôle joué par nos émo- Sur le deuxième aspect – la prise de décision –, le
En Bref
• L’intelligence
émotionnelle est
L ’ tions dans la vie quotidienne – de même
que les recherches scientifiques menées
sur cette question – fait apparaître un
curieux paradoxe : les émotions semblent
autant optimiser qu’entraver notre fonctionnement.
Trois exemples en donnent l’illustration : le fait que
les émotions augmentent ou réduisent les chances
neurologue américain Antonio Damasio a montré
que les émotions sont indispensables puisque les
gens ayant subi des lésions dans les zones cérébrales
sous-tendant les émotions sont le plus souvent
incapables de gérer leur argent, leur vie personnelle
et professionnelle, ou leurs relations sociales. Ils
conservent leurs facultés de raisonnement et sem-
la capacité d’identifier de survie selon les cas ; le fait qu’elles améliorent la blent tout à fait normaux, mais sont handicapés
ses émotions, prise de décision, mais la perturbent aussi parfois ; dans le domaine de la prise de décision.
de les comprendre, et enfin le fait qu’elles jouent un rôle tantôt favo- De façon générale, la plupart des décisions de la
de les exprimer, de les rable, tantôt défavorable dans nos relations sociales. vie quotidienne ne se prennent pas sur une base
réguler et de les utiliser rationnelle. Il n’y a en effet pas plus de raisons de
à bon escient. préférer manger du poulet que du porc. De même,
• Les personnes
Le paradoxe des émotions il n’est pas plus « raisonnable » de partir en week-
dotées d’intelligence En ce qui concerne les chances de survie, les émo- end à la mer plutôt qu’à la campagne. Toutefois, si
émotionnelle réussissent tions ont généralement un rôle positif, préparant nos émotions accélèrent et orientent nos décisions,
mieux dans leur travail, l’organisme à faire face à diverses situations. La peur elles peuvent également les entraver ou les biaiser.
en société et en famille. accélère la détection des menaces environnantes et Les étudiants ou les candidats à l’embauche reçus
• Malgré des inégalités permet de réagir plus promptement au danger. La par un professeur ou un recruteur qui a passé une
liées au tempérament, colère augmente le tonus musculaire, ce qui aide à se mauvaise journée en savent quelque chose : l’ap-
les compétences défendre plus efficacement. Toutefois, les émotions préciation de leurs connaissances ou de leur com-
émotionnelles peuvent diminuent les chances de survie en poussant l’indi- pétence sera significativement moins bonne que
s’améliorer à condition
vidu à adopter des comportements dangereux. s’ils avaient été reçus un autre jour.
de développer
Ainsi, la colère amène à conduire imprudemment, La façon dont les émotions affectent la prise de
sa curiosité pour
ses propres émotions.
et l’excitation diminue les chances de se protéger décision a été largement étudiée, notamment par
avant un rapport sexuel. les psychologues Robert Kahneman et Amos
Tversky qui ont reçu le prix Nobel d’économie émotions de nos interlocuteurs nous communi-
pour avoir montré comment les émotions biai- quent un ensemble d’informations sur leurs
saient les prises de risques en Bourse. Les acteurs besoins. Si notre conjoint a l’air triste, nous adap-
boursiers ont souvent des comportements irration- tons notre comportement en conséquence et
nels : par exemple, ils ont tendance à conserver trop sommes plus attentionnés, plus tendres que d’ordi-
longtemps les titres qui baissent. A. Tversky et naire. S’il a l’air en colère, nous différons l’annonce
R. Kahneman ont en partie expliqué ce phénomène d’une mauvaise nouvelle. Toutefois, malgré leurs
en montrant que les émotions négatives causées par effets facilitateurs, les émotions peuvent également
une perte financière sont plus intenses que les émo- nuire à nos rapports avec autrui. Combien de fois la
tions positives engendrées par le gain de la même colère ou la jalousie ne nous conduisent-elles pas à
somme. C’est pourquoi il est désagréable à un prononcer des paroles que nous regrettons ensuite ?
actionnaire de vendre une action qui baisse : il réa- Combien de fois ne reportons-nous pas notre mau-
lise alors une perte financière – sensation très vaise humeur sur nos proches ?
déplaisante à laquelle il peut échapper tant qu’il dif- Comment concilier, dès lors, les observations et
fère la décision de vendre ses actions. les recherches qui montrent que les émotions ont
Enfin, le troisième aspect paradoxal des émotions une fonction adaptative avec celles qui suggèrent
est leur implication dans les relations sociales. que les émotions sont au cœur de nombreux pro-
Chacun sait qu’elles sont souvent facilitatrices : les blèmes et désordres psychologiques ?
L’importance
des compétences émotionnelles
2 Comprendre ses émotions En réalité, ce qui détermine la qualité de notre
fonctionnement, ce ne sont pas tant nos émo-
tions, mais ce que nous en faisons. Et c’est ici
L ’émotion identifiée, il s’agit
d’en comprendre la cause et
les conséquences. Une fois encore,
l’attribuer au déclencheur le plus
proche, le plus évident, mais s’inter-
roger sur les causes profondes de
qu’interviennent les compétences émotionnelles,
que l’on regroupe aussi parfois sous le terme
cette compréhension aide à réguler cette manifestation. Cela peut être le
« d’intelligence émotionnelle ».
ses émotions. cas avec la tristesse, mais aussi De quoi s’agit-il ? L’intelligence émotionnelle
La compréhension des émotions avec la colère. Quand un individu regroupe cinq facultés qui s’articulent pour une
passe par la notion de besoin de accumule trop de frustration sur le cohabitation optimale avec les émotions : l’identifi-
l’être humain. En effet, les émotions plan professionnel ou personnel, il cation des émotions, leur compréhension, leur
s’enracinent dans des besoins qui peut s’énerver pour un rien. C’est expression, leur régulation et leur utilisation. Ces
sont ou ne sont pas satisfaits, et sont aussi le cas de la joie : lorsqu’un cinq piliers de l’intelligence émotionnelle sont ici
déclenchées par des événements chant d’oiseau nous rend heureux, résumés sous forme de cinq encadrés.
qui ont un lien plus ou moins ténu c’est souvent parce qu’il concrétise Les compétences émotionnelles optimisent le
avec ces besoins. Par exemple, la un état sous-jacent d’épanouisse- fonctionnement des êtres humains dans de nom-
tristesse s’enracine dans un besoin ment. Comprendre ses émotions, breux domaines, tels que la performance au tra-
de partage et d’échange non satis- c’est comprendre en quelque sorte
vail, les relations sociales et la santé. Les études des
fait. Ainsi, un individu peut se sentir sa relation au monde.
psychologues James Gross et Ricardo Munoz, de
triste parce qu’il est seul.
l’Université de Californie à San Francisco, mon-
Toutefois, l’événement qui
déclenche l’émotion en elle-
trent que de bonnes compétences émotionnelles
même, celle qui va faire diminuent le risque de développer des troubles
sourdre les larmes, peut être psychologiques : par exemple, la capacité à réguler
d’une autre nature. Cela peut ses émotions négatives protège contre la dépres-
être un film, un morceau de sion, et une faculté de relativiser ses peurs ou ses
musique. Tout à coup, on angoisses, contre les troubles anxieux.
éclate en sanglots pour une En outre, le psychologue Paulo Lopes, de
raison apparemment anodi- l’Université Yale, a montré que l’intelligence émo-
ne. La cause de cette tristesse tionnelle favorise la qualité des relations sociales. Il
n’est ni le film ni le morceau a distribué à des étudiants des questionnaires éva-
de musique : ce ne sont que luant l’intelligence émotionnelle et les a interrogés
les déclencheurs d’une émo-
sur leur vie sociale, notamment sur les relations
tion qui a une autre cause.
d’amitié ou de camaraderie avec d’autres étudiants.
Ainsi, comprendre le sens
de cette émotion, c’est évaluer
Les étudiants obtenant les meilleurs scores de régu-
ses besoins et dans quelle lation émotionnelle étaient les plus fréquemment
Konstantiynov / Shutterstock
mesure ils sont satisfaits. cités par les autres parmi leur cercle d’amis.
Lorsque, pour une raison ou La vie conjugale est également influencée par la
une autre, une explosion émo- compétence émotionnelle des époux. La psycho-
tive se produit, il faut éviter de logue Nicola Schutte, de l’Université de Nouvelle-
Angleterre en Australie, a montré que les personnes
les plus satisfaites de leur couple ont généralement Unis. Les personnes disposant de bonnes capacités
un conjoint doué d’une bonne intelligence émotion- de régulation et de compréhension de leurs émo-
nelle, qui le rend plus facile et appréciable. tions sont moins vulnérables au stress, aux maladies
Ces études montrent que la vie sociale, tout cardio-vasculaires, à des maladies telles que l’asth-
comme le couple, repose en partie sur une capacité à me, le diabète, les maladies gastro-intestinales, voire
tempérer ses élans affectifs. Une personne sachant se certains cancers. En effet, les émotions négatives
maîtriser lorsqu’elle éprouve de la colère ou de la entraînent une libération d’hormones, tels le cortisol
déception est appréciée aussi bien en société qu’en ou l’adrénaline, dont la présence prolongée a des
famille. Des études similaires révèlent que les com- effets négatifs sur le fonctionnement de l’organisme.
pétences émotionnelles améliorent la réussite acadé- Au vu de ces résultats, il n’est pas étonnant que les
mique et professionnelle. Non seulement les émo- chercheurs aient trouvé que les compétences émo-
tions sont un atout dans le domaine vaste et com- tionnelles favorisaient la longévité. Identifier, com- Bibliographie
plexe des relations humaines, mais elles protègent prendre, exprimer, réguler et utiliser ses émotions est
M. Mikolajczak et al.,
contre les maladies, comme l’ont montré de nom- possible et présente de multiples avantages. Il faut le Les compétences
breuses études dont celles du psychiatre James savoir, pour ensuite commencer à prêter plus d’at- émotionnelles, Dunod,
Blumenthal, de l’Université de Durham aux États- tention à son propre monde émotionnel. I à paraître.
Dossier
Du visage
à l’expérience subjective
Comment sait-on, en regardant une personne,
ce qu’elle ressent ? Parce qu’en imitant inconsciemment
l’expression faciale d’autrui, nous avons accès
à son expérience émotionnelle.
A
involontairement – l’expression faciale d’autrui,
directrice de recherche à qui l’on montre un visage expri- nous parvenions plus facilement à deviner et à
au CNRS, travaille
au Laboratoire
mant la douleur reproduisent invo- identifier l’émotion que cette personne est en train
de psychologie sociale lontairement une expression de de vivre. Notamment, en s’intéressant aux expres-
et cognitive de souffrance ? Ce mécanisme d’imita- sions de joie et de tristesse, les psychologues ont
l’Université Blaise Pascal, tion s’assortit d’une autre règle : le visage du sujet montré que si l’on empêche quelqu’un de reprodui-
à Clermont-Ferrand. exprime d’autant plus la douleur qu’il distingue net- re les expressions faciales de leur vis-à-vis (par
tement les traits de la personne qui souffre. exemple, en occupant les muscles de leur visage à
Et il y a plus surprenant : lorsqu’on injecte à une une autre tâche), il commet plus d’erreurs dans
personne du botox dans la zone des sourcils, cette l’identification des émotions exprimées par ce visa-
personne devient non seulement incapable de ge. Des études plus récentes ont révélé que le fait de
reproduire la mimique de colère observée sur une bloquer l’imitation faciale empêche de comprendre
photo (car les muscles de cette partie du visage si un sourire exprime la joie, la tendresse, la com-
sont paralysés par le produit), mais encore l’exa- passion, la complaisance ou l’ironie. Cela signifie
men de leur cerveau révèle une moindre activa- que l’acte d’imiter une expression faciale et celui de
tion des zones faisant ressentir l’émotion véhicu- comprendre le sens et l’intention de cette expres-
En Bref lée par la photographie. En d’autres termes, la sion sont étroitement liés.
paralysie des muscles du visage servant à exprimer
• Pour comprendre
les émotions ressenties
la colère affaiblit l’émotion ressentie. Au cœur du décryptage :
par autrui, nous imitons On a également observé que le grand muscle
zygomatique (le muscle du rire) se contracte
l’imitation faciale
involontairement
les expressions de son spontanément lorsqu’on voit des images virtuelles Quelle est la nature de ce lien ? On comprendra
visage et reconstituons de visages souriants sur un ordinateur, ce qui n’est mieux pourquoi l’imitation améliore le décrypta-
l’état affectif associé. pas le cas si l’on observe des images neutres ou de ge des émotions, en repensant à l’expérience du
• Les personnes colère. Toutes ces observations révèlent l’impor- botox. Que montre cette expérience ? Que le fait
proches, par exemple tance des phénomènes de résonance émotionnel- de reproduire l’expression faciale d’un tiers aide le
dans un couple le, et le lien entre l’imitation de l’expression et la spectateur à reconstituer intérieurement l’expé-
harmonieux, imitent communication du sentiment. rience subjective de ce tiers, qu’il s’agisse de dou-
tellement les expressions Ainsi, l’expression des émotions sur le visage leur, de joie ou de colère. Certaines expériences de
de l’autre, que leurs d’autrui entraîne une activité motrice et cérébrale neuro-imagerie le confirment.
visages finissent par complexe de la part de l’observateur. L’imitation En effet, ce que montrent ces expériences, c’est
se ressembler au fil faciale est un phénomène central dans la commu- qu’il se passe dans le cerveau d’une personne en
des ans. nication des émotions, et un mécanisme automa- train de déchiffrer l’émotion d’autrui quelque chose
• Sans le vouloir, tique. Mais quelle est sa signification ? Quelles de très similaire à ce qui arrive dans le cerveau d’une
nous diminuons notre fonctions remplit-elle ? personne qui serait elle-même en train de vivre cette
capacité d’imitation Les recherches récentes en psychologie expéri- émotion. Une des premières études en ce sens
émotionnelle à l’égard mentale apportent quelques réponses. L’imitation consistait à mesurer l’activité dans des zones du cer-
de personnes issues
des expressions du visage remplit, semble-t-il, plu- veau liées à l’expérience de la douleur, grâce à une
d’autres groupes
sieurs fonctions. L’une des plus importantes est technique qui consiste à recueillir l’activité de neu-
culturels, ethniques
ou sociaux.
d’améliorer la compréhension de l’état émotionnel rones isolés au moyen d’électrodes. Cette étude a
d’autrui. Il semble en effet qu’en imitant – même indiqué que des neurones sensibles à la douleur s’ac-
Dossier
Les émotions
au cœur du cerveau
Le cerveau est l’organe des émotions : il donne naissance à la joie,
la tristesse, la peur ou la colère. Comment tous ces affects sont-ils
mis en relation et placés sous le contrôle de la raison ?
De récentes découvertes en neurosciences l’expliquent.
Sylvie Berthoz
es émotions ont longtemps été les laissées-
L
est chargée de recherche […] Il était capable de raconter sa tragédie avec
dans l’Unité pour-compte du domaine des neuros- un détachement qui contrastait avec la gravité de
INSERM U669 ciences cognitives. Elles étaient considé- ce qui lui arrivait. Il ne laissait percer aucune
et psychologue dans rées comme trop périlleuses à étudier du émotion, racontant toujours les événements
le Service de psychiatrie fait de leur caractère éminemment sub- comme s’il en était un spectateur non personnel-
pour adolescents
et jeunes adultes jectif, ne se prêtant pas à une approche expérimen- lement engagé et impartial. » Par la suite,
de l’Institut mutualiste tale en laboratoire, par opposition au noble domai- A. Damasio et ses collègues ont démontré que la
Montsouris ne de recherche que constituait l’étude de la « rai- composante émotionnelle du psychisme façonne
son ». En outre, la recherche sur les bases cérébrales le comportement, notamment certains processus
des émotions a pâti de la conception cartésienne, de prise de décision notamment, dans un envi-
dualiste, selon laquelle le cerveau est le siège de ronnement social.
« l’esprit » et le corps celui des émotions, le premier
En Bref étant le propre de l’homme, tandis que les émo-
tions seraient communes à tous les mammifères.
Le cerveau émotionnel
• Le cerveau traite
les différentes émotions C’est presque fortuitement que l’étude scienti- Grâce à l’essor des techniques de neuro-image-
(joie, tristesse, colère, fique des bases neuronales des émotions chez rie non invasives, et parallèlement au développe-
etc.) à l’aide de modules l’homme a vu le jour. À mesure de l’avancement ment des méthodologies expérimentales des neu-
spécialisés, mais aussi des connaissances sur les mécanismes cognitifs et rosciences cognitives, l’étude des structures céré-
grâce à un circuit global cérébraux mis en jeu dans l’attention, la mémoire, brales impliquées dans la réponse émotionnelle a
qui y introduit une ou encore le raisonnement, neuroscientifiques et acquis ses lettres de noblesse et constitue aujour-
dimension rationnelle. psychologues ont progressivement constaté com- d’hui un domaine de recherche à part entière : les
• Une zone du cerveau bien les émotions peuvent influencer les processus neurosciences des affects (Affective Neuroscience,
permet de réguler cognitifs. Tout s’est déroulé comme si l’on passait en anglais). Les toutes premières études d’imagerie
volontairement l’intensité d’une vision « achromatique » – en noir et blanc – cérébrale fonctionnelle sur le traitement de stimu-
de certaines émotions. des processus cognitifs à une représentation colo- lus émotionnels ont été menées chez des patients
Elle pourrait être rée, enluminée par les processus émotionnels. déprimés, anxieux ou victimes de lésions céré-
renforcée par divers Ainsi, Antonio Damasio, de l’Université Southern brales. Néanmoins, il se peut qu’il n’y ait qu’un
types d’exercices. California, raconte à propos d’un patient dont le recouvrement partiel entre un état dépressif
• Un tempérament plus comportement a radicalement changé à la suite majeur et un état transitoire de tristesse, qui fait
ou moins émotif repose de lésions cérébrales : « Je me suis aperçu que je partie du vécu émotionnel du sujet en bonne
sur certains gènes, qui m’étais beaucoup trop soucié des capacités intel- santé. Ces deux états peuvent être sous-tendus par
semblent renforcer ou
lectuelles d’Elliot, et des facteurs mentaux sous- des réseaux neuraux en partie communs, quoique
fragiliser les connexions
tendant sa faculté de raisonnement, mais que, distincts. Ce n’est qu’en multipliant les études sur
entre zones productrices
et régulatrices d’émotions.
pour diverses raisons, j’avais complètement négli- des personnes malades, d’une part, et chez le sujet
gé de m’intéresser à sa réactivité émotionnelle. sain, d’autre part, que nous avons pu progresser
dans la caractérisation du réseau cérébral respon- tion et cognition impliquent des systèmes céré-
sable de nos comportements émotionnels. braux en partie communs.
Aujourd’hui, on dispose d’un nombre impor- Pour étudier les émotions grâce à la neuro-ima-
tant d’études de neuro-imagerie qui permettent gerie fonctionnelle, on cherche à mettre en corres-
de comprendre avec une précision croissante pondance des changements transitoires d’état
quelles structures du cerveau nous font ressentir la
peur, la joie, mais aussi des émotions plus com-
plexes, telles que l’embarras, la culpabilité ou l’em- Tout s’est déroulé comme si l’on passait
pathie. Ces études ont révélé des circuits com-
plexes de structures interconnectées responsables d’une vision « achromatique » – en noir
de l’analyse des événements émotionnels. Mais
avant tout, comment fait-on pour étudier les émo-
et blanc – des processus cognitifs
tions en laboratoire ? à une représentation colorée, enluminée
Pour pouvoir identifier les bases neuronales des
réactions émotionnelles, il est nécessaire de les dis- par les processus émotionnels.
séquer en opérations mentales élémentaires. En
effet, une réaction émotionnelle comporte diffé-
rents processus, notamment la formation d’une émotionnel avec les variations d’activité des sys-
émotion, son expression, l’expérience subjective tèmes neuronaux qui leur sont associés. En com-
qui lui est associée et l’adaptation du comporte- parant les activités associées à des états émotion-
ment au contexte émotionnel. Ces différentes opé- nels contrastés (la peur par rapport à la joie, par
rations mettent en jeu des processus de complexi- exemple), il est possible de quantifier et de locali-
té croissante, au cours desquels les mécanismes de ser les variations d’activité.
représentation mentale évoluent. Ainsi, ils diffè- Dans cette perspective, on recourt à des modèles
rent dans ces exemples : « J’ai peur » ; « Je crains dits « d’activation émotionnelle ». Deux approches
que tu m’en veuilles » ; « Si j’étais dans ta situa- permettent de tester la façon dont le cerveau traite
tion, je serais désespérée. » C’est pourquoi émo- une émotion.
Queruel Raphael
L’induction externe consiste à exposer le sujet à plus de la moitié des études confrontées révèlent
un stimulus déclenchant une émotion, qui peut des activations des noyaux gris centraux (voir la
être visuel (on lui présente des photos de visages figure 1), structures nerveuses localisées dans la
exprimant des émotions, des images ou des films profondeur du cerveau, et qui régulent notam-
dont l’aspect émotionnel a préalablement été vali- ment les mouvements.
dé) ou auditif. Dans ce dernier cas, on lui fait Pour les émotions négatives, il existe tout
écouter des sons émotionnels, tels des pleurs ou d’abord un lien étroit entre l’induction de la
des rires, ou encore des récits émotionnels, par peur et l’activation de l’amygdale cérébrale, une
exemple : « Ce matin, mon médecin de famille m’a zone en forme d’amande, proche des noyaux gris
centraux. Cette activation s’observe aussi bien
lorsqu’on présente à une personne des photogra-
La conscience émotionnelle phies de visages exprimant la peur, que si on lui
fait lire des mots effrayants, ou si elle entend des
est l’intensité avec laquelle nous sons inquiétants. Tout se passe comme si l’amyg-
apprécions notre ressenti émotionnel. dale cérébrale fonctionnait tel un système d’alar-
me à l’égard des menaces potentielles, mais plus
généralement de tout signal émotionnel saillant
téléphoné pour m’annoncer que ma mère est dans l’environnement.
atteinte d’un cancer en stade terminal » ou « À Chez certaines personnes, il arrive que l’amygda-
mon retour hier soir, ma femme m’a annoncé le s’active au moment de faire une présentation en
qu’elle est enceinte. » public, ou même à l’idée de cette présentation. Ces
Par opposition à l’induction externe, où l’on pré- personnes souffrent de ce que l’on nomme une
sente au sujet un stimulus réel, l’induction interne phobie sociale, peur d’apparaître en public. Peur,
consiste à lui demander de se remémorer des événe- angoisse et stress sont globalement liés à l’activation
ments personnels, des situations qu’il considère de l’amygdale cérébrale.
chargées affectivement. Le stimulus est alors produit Venons-en à la tristesse : cette fois, les résultats
mentalement, de l’intérieur. À partir de ces deux convergent vers l’activation de l’aire dite subgénua-
sortes d’induction, les neuroscientifiques peuvent le du cortex cingulaire antérieur. C’est également
ensuite étudier ce qui se passe dans le cerveau quand dans cette région que l’on a observé une diminution
on ressent passivement une émotion, mais aussi de l’activité chez des personnes déprimées. Par
quand on se focalise sur elle, en lui donnant une ailleurs, les traitements antidépresseurs en augmen-
résonance affective plus profonde, en lien avec son tent l’activité. Il y a donc une correspondance entre
histoire personnelle. les activations cérébrales associées à l’induction
transitoire d’un état de tristesse chez le sujet sain, et
À chaque émotion les variations d’activité observées dans les troubles
de l’humeur. Enfin, bien que la colère et le dégoût
son « centre » cérébral ? aient été moins fréquemment étudiés, il semblerait
Il importe ensuite de confronter les résultats de que le dégoût soit particulièrement associé à l’acti-
telles études au sein de ce qu’on nomme des « méta- vation de l’insula (notamment antérieure), et la
analyses », qui consistent à centraliser de nom- colère à l’activité du cortex orbitofrontal latéral.
breuses études consacrées par exemple à la peur, à la
joie, à la tristesse. Il s’agit de comparer les résultats Quand émotion
de ces études, et d’en extraire les résultats les plus
saillants. C’est ainsi que l’on peut aujourd’hui loca-
et cognition se conjuguent
liser certaines régions du cerveau qui semblent plus Toutefois, si certaines activations cérébrales
particulièrement impliquées dans la perception de régionales semblent dépendantes de la nature de
telle ou telle émotion. l’émotion, d’autres ne le sont pas. Ainsi, les méta-
En 2002, nous avons mis en correspondance les analyses ont également révélé que, quelle que soit
résultats d’un grand nombre d’études d’imagerie l’émotion induite, qu’elle soit plaisante ou déplai-
cérébrale. Nous avons ainsi mis au jour plusieurs sante, et indépendamment de la méthode d’induc-
notions importantes. Tout d’abord, il ne semble tion (interne ou externe), une structure cérébrale
pas exister de dominance de l’hémisphère droit située dans le lobe frontal – le cortex préfrontal
dans le traitement des émotions, ni une spécialisa- dorsomédian – est systématiquement activée. Cette
tion des zones antérieures dans les émotions posi- région cérébrale jouerait un rôle clé dans « l’inté-
tives ou des zones postérieures dans les émotions gration émotionnelle », lors de l’évaluation cogni-
négatives, ou vice versa. Ce constat est en désac- tive des caractéristiques émotionnelles des stimulus
cord avec ce qui avait été suggéré dans les modèles en fonction du contexte (voir la figure 2).
précédents issus de la neuropsychologie. Ce phénomène d’intégration des émotions et
En revanche, les émotions primaires semblent de la cognition est parfois qualifié de métacogni-
relativement localisées dans des aires spécifiques. tion. La métacognition est à l’œuvre dans la plu-
En ce qui concerne la joie, seule émotion positive, part des situations émotionnelles. C’est elle qui
fait que l’on n’est pas effrayé quand on voit un En outre, Jonas Olofsson et ses collègues, de
animal sauvage en cage, alors qu’on le serait en l’Université d’Umea en Suède, ont constaté que la
l’absence de barreaux : l’évaluation (cognitive) de visualisation de scènes déplaisantes suscite des
la situation module en partie le déclenchement de ondes cérébrales plus intenses (encore nommées
l’émotion. Il existe donc un filtre cognitif posé sur positivités) que les scènes plaisantes. Cela suggère
l’émotion brute, qui serait produit par le cortex que les stimulus aversifs (désagréables ou dange-
préfrontal dorsomédian. reux) sollicitent davantage la focalisation rapide de
D’autres équipes de recherche se sont intéres- l’attention. Cela explique-t-il la prédominance des
sées au déroulement temporel de ces processus émotions négatives (cinq émotions négatives de
cérébraux, c’est-à-dire à leur évolution dans le base, pour une seule positive) dans le registre émo-
temps. Une telle analyse repose sur la méthode dite tionnel humain ? Dans cette perspective, les émo-
des potentiels évoqués ou magnétoencéphalogra- tions négatives auraient le pouvoir de mobiliser les
phie : il s’agit de mesurer les courants magnétiques ressources attentionnelles pour se soustraire aux
produits par les différentes zones du cerveau au dangers, et auraient rempli tout au long de notre
cours du temps, au moyen d’électrodes posées à la évolution un rôle dans notre survie…
surface du crâne. En 2007, des neuroscientifiques
tels que Amanda Holmes et Martin Heimer, de Qu’est-ce que la conscience
l’Université de Roehampton en Angleterre, se sont
demandé si le cerveau réagissait suivant une dyna-
émotionnelle ?
mique différente, selon qu’on présentait à une per- Dans le monde de l’affect, il n’y a pas que les
sonne des expressions faciales chargées émotion- émotions de base. Chaque personne a sa façon
nellement ou neutres. Il a ainsi été établi que, com- bien à elle de ressentir l’émotion, de lui donner
parativement à des visages neutres, la perception une résonance, d’en prendre conscience ou au
de visages émotionnels est associée à des modifica- contraire de la subir de façon distante et relative-
tions précoces de l’activité corticale, atteignant ment passive. La conscience émotionnelle est l’in-
leur maximum dès 120 millisecondes après l’appa- tensité avec laquelle nous apprécions notre propre
rition des visages. Ces résultats ayant été obtenus ressenti émotionnel, afin d’en évaluer les consé-
sans qu’il soit demandé aux sujets de réaliser une quences et le sens, mais aussi notre capacité à attri-
évaluation consciente du contenu émotionnel des buer des émotions à autrui. Là encore, les études 1. Une anatomie des
émotions. Les grandes
visages, ils suggèrent que notre cerveau réalise une de neuro-imagerie ont permis de mieux com- émotions primaires sont
analyse différentielle automatique, très précoce, prendre les bases neuronales de ce phénomène. Par traitées par des centres
des stimulus sociaux émotionnels. exemple, le psychologue américain Richard Lane a cérébraux spécialisés.
Joie
Putamen
Noyau caudé Pallidum
Tristesse
Partie subgénuale
du cortex cingulaire
antérieur
Colère Surprise
Cortex orbitofrontal Région
parahippocampique
Dégoût
Insula
Peur
Queruel Raphael
Amygdale cérébrale
comparé les modifications de l’activité neuronale notamment le cortex préfrontal, le sillon tempo-
de volontaires, selon qu’ils avaient pour consigne ral supérieur, les portions antérieures des lobes
de se concentrer sur leur propre ressenti devant temporaux et l’amygdale (voir la figure 2).
des scènes émotionnelles, ou qu’on leur deman- L’orchestration de ces zones cérébrales est altérée
dait de se concentrer sur certains aspects des dans certains troubles psychiatriques, comme
mêmes scènes (l’heure indiquée par une horloge, nous avons pu le montrer avec Julie Grèzes, du
Laboratoires de sciences cognitives de Paris, dans
le cas de l’autisme.
Aujourd’hui, on peut apprendre Abordons la question de la régulation émotion-
à faire varier en direct nelle : que se passe-t-il dans votre cerveau pour
qu’en quelques secondes, vous réalisiez en voyant
l’activité de son cerveau. un matin la mine défaite de votre meilleur ami que
ce n’est pas le moment de lui annoncer que vous
êtes le gagnant d’une loterie ? Cette question a été
etc.) Lorsque les sujets devaient porter leur atten- abordée avec succès depuis peu, grâce à une nou-
tion sur des aspects particuliers, la région du cor- velle méthode d’analyse du fonctionnement céré-
tex pariéto-occipital s’activait, ce qui est logique bral : l’analyse de connectivité fonctionnelle. De
car on sait que cette zone intervient dans l’atten- quoi s’agit-il ? Lorsqu’une personne réalise une
tion spatiale. En revanche, lorsqu’ils se concen- tâche mentale, ou ressent des émotions en lisant un
traient sur leur propre émotion, c’est la région ros- texte ou en regardant des images, les scanners enre-
trale du cortex cingulaire antérieur, ou aire de gistrent l’activité de différentes zones cérébrales. La
Brodmann BA32, qui s’activait. D’autres études, connectivité fonctionnelle consiste à observer
notamment celles de Neil MacRae en 2008, ont quelles zones sont activées et les liens entre elles :
confirmé le rôle particulier du cortex cingulaire pour ce faire, on examine si l’augmentation de l’ac-
antérieur dans la représentation subjective de la tivité dans une zone particulière s’accompagne de
réponse émotionnelle. C’est cette zone du cerveau l’augmentation de l’activité dans d’autres régions
qui nous permet de prendre pleinement conscien- du cerveau. On établit ainsi des corrélations d’acti-
ce des émotions que nous ressentons, qu’il s’agisse vités entre différents sites cérébraux, qui permet-
de la peur, de la joie ou de la tristesse... tent en quelque sorte de reconstruire la façon dont
Bibliographie le cerveau s’organise pour percevoir certaines situa-
L’émotion, un chemin vers l’autre tions, pour réguler son activité, notamment quand
J. Grèzes et al., A failure des émotions sont en jeu.
Honte, fierté, culpabilité… Les émotions to grasp the affective
meaning of actions
sociales sont ressenties en présence d’un tiers, en
public, ou en relation avec autrui. Plusieurs équipes
in autism spectrum La régulation émotionnelle
disorder subjects,
ont étudié la culpabilité et l’empathie. Elles ont in Neuropsychologia, La méthode d’analyse de connectivité fonction-
examiné quelles structures cérébrales sont sollici- vol. 47(8-9), nelle a permis d’établir un modèle anatomo-fonc-
tées quand on demande, par exemple, à un sujet de pp. 1816-1825, 2009. tionnel des stratégies de régulation émotionnelle,
se représenter ce qu’une autre personne éprouve M. L. Phillips et al., qu’elles soient volontaires ou automatiques. Ce qui
dans une situation donnée. Certes, il n’est pas faci- A neural model signifie que l’on commence à avoir une idée des
le d’étudier une réaction empathique dans un envi- of voluntary and automatic zones du cerveau qui entrent en jeu lorsque nous
ronnement expérimental souvent éloigné des emotion regulation : régulons une émotion, qu’il s’agisse de refréner sa
conditions de vie réelles. Cependant, certaines implications for colère ou de tempérer sa tristesse, ainsi que de la
techniques permettent de reproduire assez fidèle- understanding the façon dont ces différentes aires cérébrales s’activent,
pathophysiology and
ment les processus empathiques spontanés, par neurodevelopment of successivement ou simultanément, et interagissent.
exemple en demandant à des volontaires de lire la bipolar disorder, in Mol. Le résultat de ces travaux, notamment ceux de la
consigne suivante : « Imaginez que vous êtes assis à Psychiatry, vol. 13(9), psychologue américaine Louise Phillips en 2008, est
côté de quelqu’un d’inconnu sur un banc dans un pp. 829,833-57, 2008. assez étonnant : notre capacité à produire un com-
parc, et que vous réalisez que cette personne pleu- R. C. deCharms, Reading portement émotionnel approprié impliquerait l’or-
re. Représentez-vous pourquoi cette personne and controlling human chestration de plusieurs circuits comprenant deux
pleure. Racontez. » De fait, une telle consigne fait brain activation using grandes voies et entretenant des relations de rétro-
appel à des mécanismes proches de ceux auxquels real-time functional contrôle. Il existerait ainsi, premièrement, une voie
recourent les cliniciens pour prendre en charge des magnetic resonance ventrale sollicitant des structures sous-corticales,
patients souffrant de troubles psychiatriques. imaging, in Trends Cogn. telles que l’amygdale, l’insula, le striatum et l’hippo-
Sci., vol. 11(11),
Dans l’ensemble, les études des mécanismes de pp. 473-81, 2007.
campe, ainsi que les régions ventrales du cortex
l’empathie ont montré qu’en plus de structures préfrontal latéral et médian, du cortex cingulaire
S. Berthoz et al.,
préalablement associées aux émotions primaires Emotions : from
antérieur et du cortex orbitofrontal.
(dont le cortex cingulaire antérieur, le cortex neuropsychology to Cette voie serait plus particulièrement impli-
orbitofrontal et l’insula), le circuit neural de la functional imaging, in Int. quée dans les processus automatiques de la régu-
« mentalisation », grâce auquel nous nous repré- J. Psychology, vol. 37(4), lation émotionnelle, qui œuvrent sans que nous
sentons l’état mental d’autrui, est activé et pp. 193-203, 2002. n’en prenions conscience : c’est ce qui permet par
Dossier
Laure Mondillon
Les dérèglements
des émotions
Les émotions, notamment la peur, sont traitées par des aires
« ancestrales » sous-corticales. Mais certaines aires du cortex
interviennent aussi. Diverses pathologies résultent d’anomalies
touchant l’une ou l’autre de ces aires.
L
taines zones du cortex, soit leurs connexions. Nous
maître de conférences,
quelle que soit l’espèce, elle prépare examinerons les pathologies liées à des anomalies
travaille dans
le Laboratoire LIP/PC2S, l’organisme à réagir pour garantir son de ces aires cérébrales et de leurs interactions.
de l’Université de Savoie. bien-être et sa survie : la colère encou-
Martial Mermillod, rage à l’attaque, la peur à la fuite, le Des troubles anxieux
maître de conférences, dégoût fait vomir l’aliment avarié que l’on vient de
travaille dans le manger par mégarde… Qu’elle soit joie, peur,
liés au cerveau archaïque
Laboratoire LAPSCO,
CNRS-UMR6024, à
dégoût, tristesse ou colère, l’émotion naît en réac- Parmi les structures cérébrales impliquées dans
l’Université Blaise Pascal tion à différents types de situations récurrentes ou le traitement des émotions, les ganglions de la base
de Clermont-Ferrand II. inattendues. Or, au cours des millions d'années sont parmi les structures les plus archaïques du
qui se sont écoulées depuis la naissance des homi- cerveau (voir la figure 1). Ces noyaux cérébraux
nidés, le volume du cerveau a considérablement seraient impliqués dans le traitement des stimulus
En Bref augmenté. L’étude de son évolution nous permet
de définir les régions impliquées dans les diffé-
sensoriels et moteurs, mais aussi dans le traite-
ment associatif des informations (pour faire un
• Les ganglions de rents niveaux de traitement des émotions et de tout cohérent de différents stimulus concomi-
la base font partie du comprendre les dysfonctionnements des proces- tants). Enfin, et c’est ce qui nous intéresse ici, ils
cerveau « archaïque » sus émotionnels, des plus primitifs (pris en charge interviendraient dans le traitement des émotions.
et commandent par le cerveau « archaïque ») aux plus élaborés La peur, nous l’avons évoqué, est salvatrice :
les réactions de peur (traités par le cortex). c’est elle qui nous fait éviter le serpent ou le chien
qui préparent à la fuite On ne peut affirmer qu’il existe une hiérarchie agressif, qui nous fait courir pour ne pas être ren-
devant un prédateur dans les pathologies liées aux émotions, ni suppo- versés par une voiture, etc. Pour certains neuro-
ou à la lutte. ser que certaines sont plus « primitives » que biologistes et psychologues, les signaux visuels
• Dans le cortex, il existe d’autres. En revanche, on peut affirmer qu’il existe sont traités par une voie de reconnaissance néces-
un réseau d’aires un continuum des émotions qui vont des plus sitant une prise de conscience du danger, pour
corticales plus évoluées automatiques (la peur du serpent) aux plus élabo- d’autres par une voie rapide non consciente : on
qui contrôlerait rées (la peur de prendre la parole en public, par ne prendrait conscience du danger qu’après l’avoir
le système des émotions.
exemple). Toutefois, les réactions les plus élaborées évité. Quoi qu’il en soit, l’activation des ganglions
• Diverses pathologies s’étant développées sur la base des plus automa- de la base a pour conséquence une activation phy-
se manifestent quand tiques, elles entretiennent des liens forts et fonc- siologique : le cœur accélère, la tension artérielle
le système de la peur est tionnent de concert. Ces émotions sont traitées, augmente, tous les sens sont en éveil.
hyperactivé ou lorsqu’il
d’une part, par diverses structures, essentiellement Mais parfois, cet état de vigilance accrue se met
est mal contrôlé par
un ensemble de noyaux cérébraux nommés les en place sans raison : on a peur ou on est anxieux
les aires corticales.
ganglions de la base, anciennes et situées dans une en l’absence de danger. L’anxiété passagère peut se
• Quelques pathologies
région sous-corticale et, d’autre part, par le cortex. transformer en troubles anxieux chroniques. La
des interactions sociales
Dans les pathologies associées aux émotions, personne qui en souffre ne peut plus maîtriser ses
résulteraient d’anomalies
du système de l’empathie.
chaque maillon de la chaîne du traitement peut réactions somatiques (son cœur bat à tout rompre
être perturbé : soit les ganglions de la base, soit cer- et elle transpire beaucoup), cognitives (elle « perd
Images.com / Corbis
ses moyens ») et affectives (elle est paralysée par la les ascenseurs), correspondent aussi à une activa-
peur) sans aucune cause réelle. Il existe plusieurs tion sans cause de l’amygdale cérébrale.
stades qui vont du trouble épisodique aux Ainsi, les ganglions de la base et l’amygdale sont
troubles anxieux généralisés, caractérisés par un responsables de pathologies quand ils sont activés
état d’anxiété permanent, en passant par l’attaque sans cause. En plus de ces structures sous-corti-
de panique, plus intense, mais de courte durée. cales, des structures corticales (plus récentes au
plan évolutif) pourraient également être incrimi-
Suractivation nées, dans la mesure où elles n’exercent pas leur
rôle régulateur. En effet, les structures corticales et
de l’amygdale cérébrale sous-corticales sont reliées par divers mécanismes
Différents travaux en neurosciences cognitives et de rétroaction. Ainsi, quand l’amygdale est hyper-
en psychologie indiquent que l’amygdale cérébrale activée par un danger, les structures corticales en
est également hyperactivée dans les troubles normalisent l’activité quand le danger a disparu.
anxieux. Cette structure sous-corticale fait partie du Mais quand elles n’exercent pas ce contrôle,
système limbique – le système des émotions – et l’amygdale peut rester hyperactive sans raison.
notamment du circuit de la peur. Elle serait impli- Une suractivation de l’amygdale cérébrale peut
1. Les ganglions
quée dans les comportements de peur, de fuite et de la base sous-tendent avoir une autre conséquence. Selon Andreas
d’agression. Ces comportements primitifs, automa- les mécanismes Olsson, à l’Université Columbia, et Liz Phelps, de
tiques et normalement adaptatifs, servent à amélio- de la peur : parmi eux, l’Université de New York, des comportements
rer la survie de l’organisme face à un danger immé- citons le noyau caudé, sociaux complexes, tels que le racisme, seraient liés
diat, mais entraînent des dysfonctionnements le putamen, l’amygdale à une hyperactivation de l’amygdale. Ils ont utilisé
cérébrale et le noyau
quand l’émotion déclenchée par une situation ne accumbens. L’amygdale
l’imagerie par IRM fonctionnelle pour étudier l’ac-
correspond pas aux enjeux réels. Par ailleurs, cérébrale et le noyau tivation de l’amygdale de plusieurs sujets à qui ils
l’amygdale cérébrale participerait aussi au condi- accumbens sont aussi présentaient des photographies de personnes fai-
tionnement : si, au cours d’une randonnée, on a eu impliqués dans sant une action répréhensible (vol, agression).
très peur du vide lors d’un passage périlleux, il arri- les mécanismes Certaines de ces personnes étaient de la même cou-
ve que le souvenir de ce passage renforce la peur du de conditionnement leur de peau qu’eux (elles appartenaient au même
à un stimulus : quand
vide, même en l’absence de danger. C’est pourquoi le conditionnement est groupe ethnique ou endogroupe) ; d’autres avaient
les phobies, ou peur irraisonnée d’un animal (l’arai- inadapté, le sujet risque une couleur de peau différente (elles appartenaient
gnée) ou d’une situation sociale (la foule, le vide ou d’avoir peur sans raison. à un exogroupe). L’expérience a révélé que l’amyg-
Noyau caudé
Thalamus
Putamen
dale était plus activée quand le « coupable » appar- est souvent associée à une dépression, ce qui illustre
tenait à un exogroupe que s’il appartenait à l’endo- les interactions entre le cortex frontal et les aires
groupe, par exemple si la personne était noire et le limbiques sous-corticales. En effet, de récentes
sujet de l’expérience était blanc. Il s’agirait d’un études en imagerie cérébrale (IRMf) ont mis en évi-
conditionnement aversif face aux membres de dence une activité anormalement basse dans la par-
l’exogroupe, ici des individus d’origine ethnique tie gauche latérale et ventromédiane du cortex pré-
différente. Cette hyperactivation semble résulter frontal. De surcroît, la dépression est d’autant plus
d’une défaillance du système de régulation norma- grave que l’activité de cette zone est faible.
lement assuré par les structures corticales. Des com- Certains neurobiologistes ont même émis l’hy-
portements racistes pourraient ainsi être en partie pothèse que le cortex orbitofrontal serait un
déterminés par une suractivation de cette structure « centre de contrôle des émotions ». Ainsi, il y
primitive, vestige de notre passé reptilien ou d’une aurait un centre des émotions, constitué des gan-
mauvaise régulation par les aires les plus évoluées glions de la base et du système limbique, qui réagi-
du cerveau : le cortex (nous y reviendrons). rait vite, mais de façon peu spécifique, et un systè-
Intéressons-nous à une autre aire sous-cortica- me de régulation, le cortex orbitofrontal, qui le
le, la substance noire et à ses conséquences sur les modulerait de façon plus précise et mieux ajustée.
émotions. Cette aire contient les neurones dopa- C’est lui qui serait chargé d’inhiber les émotions
minergiques qui produisent la dopamine indis- négatives déclenchées par les structures limbiques,
pensable au contrôle moteur. Or, dans la maladie notamment par l’amygdale cérébrale. Chez les
de Parkinson, qui se manifeste par des tremble- dépressifs, les difficultés pourraient résulter d’ano-
ments, une lenteur des mouvements et une rigidi- malies au niveau des interactions entre le cortex et
té des membres, ces neurones dégénèrent. En plus le « cerveau archaïque ».
de ses conséquences motrices, la dégénérescence Dans certaines formes de dépression, le système
de la substance noire et la diminution de la pro- de récompense (qui nous fait apprécier un bon 2. Une expérience
duction de dopamine qui l’accompagne entraînent repas, un coucher de soleil, et tous les plaisirs de la difficile peut conditionner
des troubles émotionnels. En effet, ce neuromé- vie quotidienne), essentiellement constitué du le système de la peur, qui,
diateur, parfois qualifié de molécule du plaisir, a noyau accumbens, serait défaillant. Mais, dans parfois, s’active de façon
inadaptée. S’ensuivent
un effet stimulant. Un déficit s’accompagne d’une d’autres formes, le cortex préfrontal droit serait sur- des crises d’anxiété
apathie, mais aussi de syndromes dépressifs, voire activé. Différentes techniques neurochirurgicales généralisée ou
de troubles maniaques. Quand une démence pré- sont actuellement testées dans la dépression : elles des phobies.
existait, on constate parfois qu’elle s’aggrave.
Troubles de l’empathie
et neurones miroirs
Malgré la diversité de ses définitions, neurobiolo-
Neurobiologie
Philosophie
Andreas Meyer Lindenberg
S
Bernard Baertschi volontairement, sans y être forcé. C’est-à-dire que
est enseignant-chercheur un patient voit sa main gauche lui son intention n’est pas dépendante d’un facteur
à l’Institut d’éthique échapper : elle exécute des mouve- extérieur, comme une tumeur.
biomédicale
ments, saisit des objets, mais elle n’obéit La main capricieuse ne satisfait pas la première
et au Département
de philosophie pas au sujet qui, parfois même, ne s’en condition, alors que le meurtrier évoqué pourrait
de l’Université de rend pas compte. L’action de cette main capricieu- ne pas satisfaire l’une ou les deux autres.
Genève, et membre se – c’est ainsi qu’on l’appelle – peut devenir fran- Ainsi, ce qui empêche une action d’être libre, et
de la Commission chement gênante, voire dangereuse, par exemple qui par conséquent bloque l’imputation de res-
fédérale suisse d’éthique quand elle enclenche à l’insu de son « propriétai- ponsabilité, ce sont les facteurs qui créent des obs-
pour les biotechnologies.
re » la cuisinière électrique. Imaginons qu’un tacles au niveau cognitif (conscience et rationali-
incendie s’ensuive, ce patient serait-il responsable ? té) ou conatif (volonté). Dans tous les autres cas,
On accordera volontiers qu’il en serait causalement l’auteur est libre et par conséquent responsable de
responsable, mais non moralement ou juridique- ses actes. On dira donc, en paraphrasant l’écrivain
ment, puisqu’il n’aurait pas même conscience de allemand Robert Musil, qu’il n’y a ni crime ni délit
son acte. La différence entre cette action et celle lorsque, dans le temps de l’acte, l’auteur se trou-
d’une personne qui ferait sciemment la même vait dans un état d’inconscience ou de trouble de
chose est claire, et nous les distinguons aisément. l’activité mentale tel qu’il n’avait pas la faculté
C’est pourquoi nous estimons spontanément que d’apprécier le caractère illicite de son acte ou tel
seule la seconde personne a une responsabilité juri- qu’il n’avait pas le libre exercice de sa volonté.
dique et morale. D’autres cas sont plus difficiles,
raison pour laquelle il arrive aux tribunaux d’en
débattre : un homme âgé étrangle sa femme, et on
De la lésion à la molécule
découvre qu’il souffrait d’une tumeur cérébrale. Le Cela peut être le cas d’un homme atteint d’une
meurtre peut-il lui être imputé ? tumeur au cerveau qui exerce une pression sur
Pour pouvoir répondre à ce type de questions, certaines aires cérébrales et risque d’activer les cir-
nous nous appuyons sur une conception de l’ac- cuits de l’agressivité : le libre exercice de la volon-
tion humaine qui stipule que la responsabilité pré- té est entravé dans la mesure où la pulsion agressi-
suppose la liberté, et qu’une action est libre si elle ve est en quelque sorte suscitée de manière auto-
satisfait les trois conditions suivantes : elle est matique, par une action mécanique sur des cir-
intentionnelle et consciente, et n’est donc pas un cuits de l’agression ou de la motricité.
simple mouvement physique (tel un réflexe ou un Notre système juridique, en accord avec nos
tic) ; l’agent comprend ce qu’il fait ; enfin, il agit principes moraux, considère que divers facteurs
nous empêchent d’agir librement. C’est le cas de indique de nouvelles limites à notre responsabilité,
certaines atteintes cérébrales, les plus évidentes mais ne saurait la supprimer, pas plus que ne le font En Bref
étant les anomalies structurelles et les lésions. Elles les conflits psychologiques ou les privations socio- • Nos actes résultent
sont à l’origine d’un déterminisme neuronal qui économiques. L’imputation de responsabilité est la de réactions
nous prive de notre liberté. Mais ce déterminisme position par défaut : nos actes sont présumés libres, biochimiques qui se
n’est pas le seul à satisfaire la clause énoncée par tant qu’on n’a pas apporté la preuve du contraire. jouent au sein de nos
Musil. Pensons au déterminisme génétique. Les per- neurones. En ce sens,
sonnes agressives présentent des concentrations Le libre arbitre ils sont déterminés par
anormales en sérotonine et, dans 25 pour cent des des forces universelles.
cas, elles ont des parents agressifs. Est-ce du condi-
et le déterminisme physique • L’acceptation
tionnement socio-familial ? Plus probablement un Les progrès récents des neurosciences et parti- du déterminisme univer-
déterminisme génétique car, tout comme les suici- culièrement de l’imagerie cérébrale nous ont fait sel impose de définir
dants, ces personnes ont une concentration anor- prendre une conscience plus aiguë du fait que cer- la responsabilité
malement basse d’une molécule nommée 5-H1AA tains comportements déviants résultent d’un individuelle en fonction
(un produit de dégradation de la sérotonine dans le fonctionnement anormal du cerveau. Dans ce cas, de critères tels
cerveau). Or cette carence est liée, dans les deux cas, les actions ne résultent pas d’une motivation par- que l’intentionnalité,
la conscience,
à la présence d’une certaine variante du gène – ou ticulière, elles résultent de l’activation de certaines
la compréhension
allèle – codant cette molécule ; les deux situations aires cérébrales. La main capricieuse se meut à
et l’absence de
sont proches, mais dans un cas, au lieu d’être dirigée cause d’une activation du cortex cérébral primai- contrainte par un tiers.
contre soi-même, l’agressivité l’est contre autrui. re, aucune raison n’y préside. Le meurtrier avait
• Les neurosciences
Il est facile d’allonger la liste de ces détermi- peut-être des raisons de tuer sa femme, mais ce ne
précisent aujourd’hui
nismes : on allègue encore les conflits psycholo- sont pas elles qui ont été les causes de son action les cas où ces différents
giques et les privations socio-économiques pour (du moins est-ce la thèse de la défense). critères peuvent être
expliquer les crimes et mettre en doute la responsa- Avoir des raisons d’agir et agir pour ces raisons, suspendus en raison
bilité de leurs auteurs. Le déterminisme neuronal c’est aussi la caractéristique d’un être doté de libre d’altérations organiques.
n’est donc qu’un déterminisme « de plus » : il arbitre. Comme ces raisons sont aussi des causes,
(elles motivent et poussent à agir), le libre arbitre Tout dans l’Univers est régi par des lois, y compris
c’est encore avoir la capacité d’être la cause et nos actes, et la mécanique quantique n’y a rien
l’origine de ses actes. Les êtres qui disposent de changé : le fait que les particules ne soient détermi-
cette capacité ont un pouvoir causal sur leur com- nées que de façon statistique n’implique pas que
portement, mais un pouvoir causal qui est d’une l’esprit humain ait la capacité de les détourner de
autre nature que celui d’une tuile qui, en tombant, leur chemin, a justement fait remarquer le philo-
assomme un passant : ce pouvoir, nous pouvons sophe américain John Searle. Le sort du libre
l’exercer ou non, à volonté, alors que la main arbitre humain a été scellé depuis longtemps, bien
capricieuse est une sorte de tuile. avant la naissance des neurosciences, et le détermi-
La conception que nous avons de nous-mêmes nisme neuronal n’est qu’une expression du déter-
est donc celle d’un agent libre et responsable. minisme physique universel.
Certes, nous ne le sommes pas toujours et alors Que penser alors de la conception que nous
nous invoquons des excuses : l’inconscient en est avons de nous-mêmes comme d’agents libres et
une, ainsi que la compulsion ou la coercition. responsables ? Que c’est une erreur et, puisqu’il ne
Mais il s’agit d’excuses. La position par défaut est, nous paraît pas possible de concevoir les actions
je le rappelle, la responsabilité : je suis responsable humaines autrement que comme libres, c’est
de mes actes jusqu’à preuve du contraire, et cette même une illusion, analogue à l’illusion de Lyer-
preuve, il faut l’apporter. Müller, dans laquelle le fait que nous sachions que
les deux lignes sont de même longueur ne corrige
Chaque acte est causé en rien notre perception : nous continuons à les
voir de longueurs inégales.
par des réseaux neuronaux
Pourtant, quand on y réfléchit, les choses se
compliquent singulièrement. Si les comporte-
La liberté dans le déterminisme
ments déviants sont causés par des événements Cette conclusion paraît inévitable une fois
cérébraux, il n’en va pas différemment des com- qu’on s’est rendu compte que le déterminisme
portements normaux : eux aussi sont causés par physique règne partout, y compris dans notre cer-
de tels circuits. Les raisons qui nous motivent veau, et que pourtant nous faisons spontanément
sont des causes, puisqu’elles agissent sur notre une différence entre l’action d’une main capri-
comportement. La main capricieuse se meut à cieuse et celle d’une main volontaire, entre un acte
cause de l’activité du cortex cérébral primaire, qui est le fruit d’une addiction et celui qui est le
mais la main volontaire aussi ; certes, d’autres cir- fruit d’une délibération. Nous entretenons donc
cuits entrent en jeu dans le second cas, et notam- une conception incohérente de nous-mêmes,
ment le réseau pariétal, mais lui aussi est une mais il n’y a pas de moyen de faire mieux.
cause cérébrale. On dira alors que liberté et res- Cette conclusion pessimiste et déprimante
pousse certains auteurs à défendre des positions
héroïques, consistant à nier l’un des deux facteurs
Le déterminisme neuronal d’incohérence. Pour sauver le libre arbitre, les
« libertariens » en viennent à nier le déterminisme
n’est qu’une expression physique ; pour satisfaire aux exigences de ce der-
du déterminisme physique universel. nier, les « déterministes durs » proposent d’aban-
donner nos pratiques d’imputation de responsa-
bilité, et donc de réformer en profondeur les ins-
ponsabilité sont attachées à certains circuits céré- titutions de la morale et du droit. Libertariens et
braux – qui restent largement à découvrir – et déterministes durs sont ce qu’on nomme des
que, quand ils ne sont pas mobilisés, on ne peut incompatibilistes : constatant l’incompatibilité
imputer de responsabilité à l’agent. Il n’y a entre deux thèses – celle du déterminisme phy-
d’ailleurs là rien d’étonnant, puisque tous nos sique et celle du libre arbitre –, ils ne voient qu’un
états mentaux sont matérialisés dans notre cer- moyen d’en sortir : nier l’une des deux. Le prix à
veau ; ainsi, il est tout à fait plausible que l’activi- payer est très élevé. Il l’est même trop à mon sens,
té du réseau pariétal soit le corrélat cérébral des car il existe une troisième solution, nettement plus
aspects conscients ou intentionnels de l’action et économique, le compatibilisme. Celle-ci revient à
donc qu’ils constituent l’inscription cérébrale de affirmer que les deux thèses en question ne sont
notre liberté et de notre responsabilité. qu’apparemment incompatibles et qu’en les réin-
De notre liberté. Vraiment ? Si toutes nos terprétant soigneusement on peut tout à fait les
actions – à savoir celles qui satisfont aux trois concilier, ce qui permet de sauver à la fois le déter-
conditions de l’action libre et celles qui n’y satis- minisme physique et nos pratiques juridiques et
font pas – sont causées par des circuits cérébraux, morales. Voici comment.
alors toutes nos actions sont causées par des évé- Pour un compatibiliste, la conception scienti-
nements physiques. Or, à ce niveau, règne un fique du monde est globalement correcte et les
déterminisme strict, on le sait depuis le XVIIe siècle. actions humaines n’ont rien de spécial ; pourtant
Neurobiologie
Essai
Andreas Meyer Lindenberg
Neurosciences
et justice
Aux États-Unis, des images cérébrales commencent
à être présentées durant les plaidoiries. Pourtant, la méthode
n’est pas suffisamment fiable pour qu’un scanner soit utilisé
comme élément de preuve à charge ou à décharge.
maginez que vous soyez un juge au procès Les avocats ont utilisé ces images pour montrer la
I
Scott Grafton dirige
le Centre d’imagerie d’un homme nommé Bill, accusé d’un présence de lésions cérébrales susceptibles de per-
cérébrale de l’Université meurtre sordide. Les indices sont nombreux, turber le comportement de l’accusé. Ils espéraient
de Californie à Santa et tous les témoignages sont accablants. Il ainsi atténuer sa culpabilité – ou plutôt sa respon-
Barbara. semble incontestable que Bill ait commis le sabilité dans le crime jugé. Beaucoup se sont éle-
Walter Sinnott-
crime. Soudain, la défense demande l’autorisation vés contre ces initiatives. Pourtant, une partie du
Armstrong est
professeur de philosophie de présenter des clichés du cerveau de Bill, obte- public et des membres de l’appareil judiciaire
et de droit à l’Université nus par imagerie par résonance magnétique, IRM. pensent que l’imagerie cérébrale pourrait per-
Dartmouth, à Hanover, Les avocats de Bill veulent faire admettre ces scan- mettre de mieux comprendre le comportement
aux États-Unis. ners comme preuve que leur client a un cerveau aberrant d’un individu.
Suzanne Gazzaniga anormal. Ils diront que cette anomalie justifie soit
est substitut du procureur
dans le comté Placer, un verdict de non-culpabilité (parce que Bill Des scanners appelés
en Californie. n’avait pas l’intention de tuer, c’est-à-dire n’a pas
Michael Gazzaniga, prémédité le meurtre), ou un verdict de non-res-
à la barre ?
professeur de ponsabilité en raison de son état mental (il est Misant sur le fait que le système légal demande-
psychologie, dirige incapable de contrôler ses actions), ou au moins ra de plus en plus de scanners cérébraux, plusieurs
le Centre SAGE d’études
une atténuation du chef d’accusation (les jurés entreprises se sont créées. Elles prétendent que les
du cerveau, à l’Université
de Californie, à Santa devraient avoir pitié des personnes qui ont des images cérébrales peuvent détecter le mensonge
Barbara. troubles mentaux). L’accusation objecte que ces chez les témoins, les préjugés chez les jurés ou les
scanners ne devraient pas être pris en compte, juges, et les incapacités mentales chez les accusés !
parce que des images du cerveau de Bill et des Si cette position se répand, les neuroscientifiques
commentaires scientifiques risqueraient d’in- auront une influence sur les orientations du systè-
fluencer les jurés plus que de raison. me judiciaire américain ; après tout, d’autres
En tant que juge, accepteriez-vous que les scan- formes de technique scientifique, tels les tests à
ners soient présentés et commentés ? Quel crédit ADN, sont aujourd’hui considérées comme des
accorderiez-vous à ce type d’information ? outils utiles dans les enquêtes. Les adversaires de
Ce scénario n’est pas strictement une vue de l’utilisation des scanners cérébraux durant les pro-
l’esprit. Aux États-Unis, certains tribunaux ont cès pensent qu’ils sont contraires aux droits de la
déjà autorisé la présentation d’images cérébrales personne et incompatibles avec un procès juste.
(par tomographie par émission de positons, TEP, Bien que les arguments des deux camps soient
et par imagerie par résonance magnétique, IRM). convaincants, dans le cas de Bill une seule question
se pose : les scanners cérébraux peuvent-ils révéler ont la possibilité de faire pratiquer d’autres tests
une absence de responsabilité ? Nous pensons que qui confirment ou infirment le premier résultat. En Bref
non. Ils ne devraient pas être autorisés comme En revanche, les anomalies cérébrales suscep-
• Les scanners cérébraux
preuves dans les procès, en tout cas pas dans un ave- tibles de provoquer des meurtres sordides sont pourraient-ils être utilisés
nir proche. Il ne faut jamais dire « jamais », mais rares et difficiles à confirmer. Lorsqu’une maladie pour montrer
nos technologies actuelles sont loin d’être suffisam- est rare, les faux positifs même s’ils sont peu qu’un criminel n’est pas
ment fiables pour être utilisées durant un procès. nombreux entraînent un nombre relativement responsable de son
Aujourd’hui, on ne peut pas faire confiance aux élevé d’erreurs – ce qui n’en fait pas un moyen acte ? Non, car
méthodes d’imagerie. Pour comprendre pour- fiable pour établir qu’une personne souffre d’une la fiabilité de ces images
quoi, revenons aux questions auxquelles il faut maladie qui provoque la violence. Même si le est très insuffisante
d’abord répondre pour décider si ces éléments scanner de Bill suggère une anomalie cérébrale, la et la méthode est quasi
pourraient être utilisés dans un procès. impossible à valider
probabilité qu’il ait le moindre déficit resterait
scientifiquement.
D’abord, si un scanner cérébral indique une malgré tout très faible.
anomalie, le cerveau est-il vraiment anormal ? Ce n’est pas la seule difficulté. Supposons que • Même si l’on détecte
une anomalie, rien
Non. Parce que presque tous les tests biomédicaux, nous soyons absolument certain que Bill a une
ne permet d’affirmer
de l’imagerie médicale jusqu’aux dosages biolo- anomalie. Nous ne savons pas pour autant si c’est qu’elle est la cause
giques, par exemple un dosage de l’antigène pros- ce trouble qui a provoqué son comportement cri- de l’acte criminel.
tatique, peuvent suggérer qu’il existe une anomalie minel. Rien ne prouve que d’autres personnes
• De plus, une anomalie
alors que ce n’est pas le cas. Ce sont de faux posi- ayant la même anomalie soient violentes, même si n’empêcherait pas
tifs. Ce n’est pas très grave dans le cas des maladies, certains pourraient l’être. Avec une telle variabili- la préméditation.
telles que le cancer de la prostate, car les médecins té, même si Bill présente une anomalie, on ne peut
pas savoir si elle est en cause dans le crime jugé. absolument pas dire si les scanners étayent ou
De plus, même si la maladie de Bill le pousse à être non le diagnostic. Dans ces conditions, les éva-
violent, tous les individus violents ne deviennent luations comportementales doivent être utili-
pas des meurtriers. sées, indépendamment de l’imagerie.
Comment relier l’anomalie et le meurtre ? Pour
ce faire, il faudrait que les chercheurs aient pu étu-
dier le cerveau d’un nombre important de meur-
Bill est-il responsable ?
triers, ce qui n’est pas le cas. Un expert appelé à Imaginons que l’on parvienne à poser un dia-
témoigner dans un procès pourrait tenter de gnostic, comment utiliser ce résultat lors d’un
montrer qu’il existe une faible corrélation entre procès ? Supposons que nous savons avec certitu-
une lésion cérébrale et un comportement crimi- de que Bill a une anomalie cérébrale et qu’une
nel. Mais, aujourd’hui, aucun scientifique ne proportion notable de personnes ayant cette ano-
serait en position d’affirmer que c’est l’anomalie malie sont des meurtriers. Cela n’empêche pas
de Bill qui l’a conduit à devenir un meurtrier. que Bill puisse être reconnu coupable.
La défense pourrait dire que le scanner céré- Pour comprendre pourquoi, imaginons qu’une
bral n’est qu’un élément de preuve qui, lors- activité cérébrale particulière corresponde à un
qu’on l’associe avec les évaluations psycholo- état associé à la recherche de sensations fortes. Les
giques ou psychiatriques, permet une meilleure 1. Supposons personnes qui présentent cette activité cérébrale
qu’une anomalie
description de l’état mental de Bill au moment cérébrale finisse par être conduisent des voitures de course, sautent en
du crime. Néanmoins, nous ne connaissons pas retrouvée plus fréquemment parachute, escaladent des falaises de glace, etc. Ces
la relation entre le scanner et les autres évalua- chez certains criminels. Il activités sont relativement rares, mais, même si
tions. Chez combien de personnes peut-on relier n’en reste pas moins que ces comportements sont liés à une activité céré-
un diagnostic psychiatrique et une anomalie à ces individus ont pu avoir brale particulière, cela ne signifie pas que ces indi-
l’intention de commettre
l’imagerie ? Quelle est la proportion de ceux vidus n’agissent pas intentionnellement et délibé-
le crime. Ils pourraient
chez qui le diagnostic psychiatrique est posé et donc être reconnus rément ; ils ne souffrent d’aucune forme de com-
qui présenteront réellement l’anomalie cérébra- coupables de meurtre pulsion ou de psychose qui les rende incapables de
le ? Sans cette information, nous ne pouvons avec préméditation. se contrôler. Ces amateurs de sensations fortes
s de mensonges
De surcroît, lorsque des individus mentent au cours d’un procès,
ils essaient de le faire de manière convaincante, s’assurant que
leur mensonge est cohérent avec les faits présentés au cours du
procès. Cette stratégie nécessite du temps et de la réflexion. Les
scanners cérébraux pourraient détecter ce type d’activité. Mais
qu’ils mentent ou non, qu’ils soient coupables ou non, les accusés
ont toujours besoin de faire très attention à ce qu’ils disent, une
incohérence, même légère, risquant de les faire apparaître comme
coupables alors s’ils ne le sont pas.
Enfin, on peut partir du principe que les gens ont tendance à
dire la vérité. Ils doivent par conséquent inhiber cette tendance
spontanée lorsqu’ils mentent. Peut-être un scanner cérébral pour-
rait-il détecter cette inhibition. Mais une fois encore, même si
c’est vrai au laboratoire, cela ne l’est pas dans la réalité. Lorsque
les accusés témoignent, ils font attention à ce qu’ils disent.
Nombre d’entre eux tentent aussi de réprimer la colère et l’indi-
gnation que l’accusation suscite chez eux. Dans le contexte d’un
procès, inhiber son comportement naturel n’est pas un indicateur
fiable de mensonge.
Les partisans des détecteurs de mensonges citeront sans aucun
doute des tests indiquant que leurs méthodes sont fiables et iront
probablement jusqu’à faire des démonstrations publiques.
Néanmoins, la vie des sujets de ces expériences ne sera pas en
jeu, comme c’est le cas pour des accusés. Contrairement aux accu-
sés, les sujets auront reçu la consigne de mentir, et ils sauront que
leurs mensonges seront découverts. De telles situations sont bien
éloignées des situations réelles, et les preuves de fiabilité dans de
Shutterstock
Le cas clinique
D
Patrick Verstichel
est neurologue parisienne, quelque part dans la salle
au Centre hospitalier d’attente du service de neurologie,
intercommunal
de Créteil. une femme âgée d’environ 65 ans
patiente, mais semble nerveuse. Son
comportement est étrange : dès que son nom est
prononcé, elle se précipite vers la porte de la consul-
tation et glisse au neurologue : « Il faut absolument
que je vous parle en premier. Que je vous explique
la situation. » L’histoire de son époux, telle qu’elle la
relate, laisse le neurologue perplexe.
Monsieur T. était ingénieur dans une petite
entreprise de roulements à billes, où il avait débu-
té comme ouvrier, puis était sorti du rang par
promotion interne. S’il n’avait pas fait fortune, au
moins avait-il assuré à sa famille un quotidien
confortable, une jolie maison dans une banlieue
agréable de la région parisienne, de bons et sûrs
placements de père de famille et un train de vie
en rapport. Un peu après sa retraite, il y a deux ou
trois ans, il a commencé à se renfermer sur lui-
même. La déprime du retraité, a-t-on dit.
Madame T. a essayé de soutenir son mari. Mais
un beau jour, lors d’une réunion familiale, voilà
En Bref qu’il se lève, et au lieu de se rendre aux toilettes,
se déboutonne et urine dans le coin de la salle à
• Certaines atteintes manger. « Docteur, imaginez la consternation ! »
cérébrales font Tout le monde était choqué, et il a fallu faire sor-
perdre la notion tir les petits-enfants. Vertement tancé par son
des convenances entourage, Monsieur T. n’en a pas paru aussi
sociales, mais aussi affecté qu’il aurait dû l’être.
des règles morales.
• Un tel effritement
résulte d’une atteinte du Une lente descente aux enfers
« cerveau moral », qui Mais Madame T. a bien vu que l’état de son
régule notre existence mari se modifiait profondément. Auparavant
1. Dans le film Chute libre, Michael d’êtres humains vivant
Douglas campe un personnage d’employé consciencieux, scrupuleux et d’une intégrité
en société et soumis
modèle qui, du jour au lendemain, balaye reconnue, il passe aujourd’hui ses journées dans
à des règles de vie.
les convenances et les règles de la morale, une tenue négligée, refuse d’en changer, au point
• Des comportements
pour entamer un chemin irréversible vers qu’il faut lui subtiliser ses vêtements en cachette
aberrants peuvent
sa propre destruction. Ce thriller psychologique pour les laver. Pire, il ne se passe pas un jour sans
apparaître : perte de
sur fond d’analyse sociologique n’est pas que des livreurs viennent déposer au domicile des
sans rappeler la condition des patients dont toute pudeur, agressivité
vis-à-vis des proches, colis variés, correspondant à toutes sortes d’objets
le « cerveau social » périclite, généralement dont Madame T. ne voit guère l’utilité. Elle
en raison d’une maladie dégénérative. choix financiers et
professionnels apprend par les relevés bancaires que son mari a
dévastateurs. liquidé tous ses placements et réinjecté l’argent
dans des achats sur Internet !
Lorsqu’elle essaie d’aborder le problème avec explique que son époux ne s’est pas présenté à une
lui et lui signale qu’il n’est sans doute pas néces- convocation au commissariat pour vol à l’étalage (il
saire de disposer de trois chaînes haute-fidélité, a dérobé un objet informatique de fonction mal
son mari se met en colère et devient même mena- définie, et dont il n’avait manifestement pas l’usa-
çant. Rapidement, la situation financière se dété- ge). L’affaire se résout par une simple réprimande.
riore, et il faut envisager de vendre la maison. Lors d’une deuxième visite nettement moins
Comme elle est au nom du mari, la transaction est conciliante, Monsieur T. est invité à se rendre dans
vite effectuée, et Monsieur T. se débarrasse du les locaux de la police. Cette fois, il est convaincu de
domicile à la première offre pour un prix dérisoi- coups et blessures sur un automobiliste dont le seul
re. Madame T. est très inquiète, mais que faire ? tort aurait été de se garer à cheval sur l’entrée du
Son mari devient invivable, ne tient aucun comp- parking de l’immeuble. Au lieu de faire profil bas,
te de son avis, n’en fait qu’à sa tête. Monsieur T. injurie les policiers, se déculotte, se
Elle voudrait solliciter l’aide de son fils, mais donne en spectacle. Après un passage en cellule de
de ce côté aussi, les choses sont difficiles. Le fils et dégrisement, il faut payer. La vente de la voiture
sa femme se sont en effet brouillés avec Monsieur servira à couvrir les frais. Au bout de nombreuses
et Madame T. Autrefois, ils gardaient leurs petits- heures de conciliabules, Madame T. parvient à per-
enfants le mercredi, mais, à plusieurs reprises, suader son époux de consulter un spécialiste.
Monsieur T. s’est montré extrêmement agressif L’homme qui entre dans le cabinet ressemble à
avec les enfants, les terrorisant à la plus petite un clochard, sale, mal rasé, mal vêtu. D’apparence
incartade, les menaçant à la moindre désobéis- paisible, il conteste très vite les faits qui lui sont
sance. La descente aux enfers ne s’arrête pas là. reprochés. Des histoires que tout cela, des exagé-
Installé désormais dans un petit appartement, rations, des invraisemblances. Il en vient à accu-
Monsieur T. renonce à toute hygiène, souillant ser sa femme de forcer le trait pour le mettre en
systématiquement le lit conjugal. Madame T. est difficulté et le faire passer pour un malade. Le
obligée de s’exiler la nuit dans un petit lit pliant patient est difficile à canaliser, et se prête de mau-
installé dans le salon... vaise grâce aux tests neurologiques. Certains
Puis, voici que la police s’en mêle ! Madame T. résultats ne trompent cependant pas : il existe bel
reçoit une première fois la force publique qui lui et bien des signes de dysfonctionnement des
lobes frontaux. En effet, les tests de planification
motrice (par exemple exécuter de façon répétiti-
Cortex cingulaire ve une séquence de trois gestes simples), d’exécu-
Amygdale
cérébrale tion de tâches alternées (taper en alternance avec
chaque main), ou encore la résurgence de réflexes
primitifs, orientent vers une altération des sys-
Cortex préfrontal tèmes de programmation et d’exécution dépen-
dorsolatéral dant des lobes frontaux. Une IRM cérébrale est
réalisée, montrant une atrophie à la fois des lobes
frontaux et des régions antérieures des lobes tem-
poraux. Ce type d’atrophie est caractéristique
d’une maladie neurodégénérative, la démence
fronto-temporale.
Dr Jekyll et Mr Hyde
dans le cortex préfrontal
Ainsi, un homme intègre, honnête, poli, bon
père et bon époux, est devenu, en quelques années,
une autre personne, irrespectueuse des lois et d’au-
trui, négligé, et enfreignant les règles sociales et
morales. Il n’a pas de scrupule à dilapider les éco-
Raphael Queruel
Histoire
des neurosciences
La découverte
de l’aire du langage
Jean-Claude Dupont,
maître de conférences
Le neurologue Paul Broca a identifié une aire cérébrale qui,
en histoire et philosophie lorsqu’elle est lésée, entraîne une perte de la parole.
des sciences à
l’Université de Picardie, En localisant ainsi une zone du langage, il ouvrait la voie
est chercheur associé
à l’Institut d’histoire et de à la localisation des fonctions cognitives.
philosophie des sciences
et des techniques, IHPST.
J
soit d’un trouble de « l’âme raisonnante » qui régit
« ra un exemple de lésion profonde des
lobules antérieurs du cerveau sans
lésion de la parole. » Le médecin Jean-
l’action volontaire. Sans statut spécifique, les
troubles du langage resteront ainsi longtemps égarés
entre paralysies et maladies mentales.
Baptiste Bouillaud lance ce défi singu-
lier en 1848 à l’Académie royale de médecine, après Le langage,
la discussion enflammée qui suit une de ses présen-
tations de cas d’aphasie avec lésion cérébrale. Ce
instrument de la pensée
défi illustre le débat qui faisait alors rage parmi les Les choses se précisent au XVIIe siècle, lorsque le
médecins neurologues : les fonctions cérébrales langage acquiert un double statut : celui d’un systè-
En Bref sont-elles localisées dans des aires bien définies ou me de production de sons et de production de sens.
réparties dans le cerveau, lequel fonctionnerait On distingue désormais l’acte de pensée et l’acte de
• On s’est longtemps comme un tout ? Les « localisationnistes » s’oppo- parole, ce dernier étant attribué au corps plutôt
demandé si la faculté sent alors aux « globalistes ». Le défi de Bouillaud qu’au cerveau. On recherche les processus physiolo-
du langage avait son sera relevé 13 ans plus tard par Paul Broca. giques de la parole. Ainsi, en 1668, le cartésien
siège dans le cerveau. On ne peut comprendre le caractère passionné Géraud de Cordemoy compare dans son Discours
• Puis, la localisation du débat, un des plus fameux de l’histoire des neu- physique de la parole l’instrument phonatoire à un
cérébrale confirmée, rosciences, et l’apport fondamental de Broca sur instrument à vent. Au siècle des Lumières, on s’ac-
certains ont soutenu l’aphasie sans rappeler quelques éléments de l’his- corde cependant sur l’idée qu’il faudrait délaisser ce
qu’une aire particulière toire des rapports du cerveau et du langage. terrain de l’anatomie de l’appareil phonatoire pour
en était le siège, d’autres Les pertes du langage sont décrites depuis remonter aux centres moteurs qui en organisent et
n’envisageant qu’une
l’Antiquité, puisque quelques cas se trouvent déjà en contrôlent les mouvements, c’est-à-dire le cer-
fonction répartie dans
dans les écrits d’Hippocrate. Grand expérimenta- veau. La tâche est ardue pour deux raisons : le cer-
tout le cerveau.
teur, Galien sectionne les nerfs impliqués dans la veau est alors pratiquement inaccessible à une
• C’est Broca qui a, production vocale, ce qui paralyse les muscles laryn- exploration autre qu’anatomique, et elle représente
le premier, associé
gés. Puisque ces muscles viennent du cerveau, un enjeu philosophique important. En effet, la
une lésion localisée
pense-t-il, c’est que ce dernier est bien le siège d’une question de la localisation du langage dans les
à une perte du langage.
faculté vocale. Mais la voix n’est pas le langage. Au structures cérébrales rejoint celle, très débattue, de
• L’aire de Broca assure
Moyen Âge, l’activité mentale est séparée en diverses la localisation de l’âme ou de la pensée dont le lan-
la production de
fonctions, mais la faculté du langage n’y trouve pas gage serait l’instrument.
la parole. L’aire de
Wernicke est nécessaire
sa place. Si le langage distingue bien l’homme des Si l’on ignore encore tout de la localisation
à la compréhension animaux, il a le même statut que le geste, celui d’un d’éventuelles aires cérébrales, on observe et on
du sens de la parole. acte volontaire. Les troubles du langage peuvent décrit de plus en plus de troubles du langage.
donc résulter soit d’une paralysie de l’organe vocal, L’abbé de l’Épée et Jacob Rodrigue Peirere réédu-
quent les « mal-parlants », bègues, sourds- Le débat reste cependant assez confus. Puisque
muets… Puis le médecin italien Giovanni Battista la pensée est unifiée, le cerveau doit fonctionner
Morgagni pratique des autopsies sur des sujets qui comme un tout, y compris pour le langage. C’est
présentent simultanément une perte de la parole et pourquoi certains refusent aux fonctions supé-
une paralysie consécutives à une attaque cérébrale. rieures une localisation qu’ils accordent aisément
Tous ces cas laissent pressentir le rôle du cerveau, aux fonctions motrices. Dans ce contexte, quel est
mais de façon encore très floue. Certains pensent le statut du langage parlé ? En ce qui concerne le
que le trouble de la parole est dû à une atteinte de langage, la méthode anatomoclinique se révèle
la mémoire, d’autres à l’« affaiblissement » de la bien difficile à appliquer parce qu’on ne dispose
langue. Cette dernière est souvent rendue respon- pas encore d’un nombre suffisant d’études cli-
sable des troubles, mais par certains aspects de ses niques précises des troubles du langage. Pourtant,
déficits, le malade est considéré proche de l’amné- plusieurs admettent avec Bouillaud que la perte
sique, ayant perdu la mémoire des mots. du langage peut exister sous deux formes : soit
une incapacité à comprendre, mémoriser et pro-
duire des mots, soit une incapacité motrice à les
Dans le cerveau, mais où ? produire. Ces deux formes seront respectivement
Au début du XIXe siècle, les troubles du langage désignées quelques années plus tard par les noms
sont – enfin – reconnus comme une maladie. La d’aphasie de Wernicke et d’aphasie de Broca (voir
médecine est alors dominée par l’École de Paris, l’encadré page 91).
qui prône une démarche scientifique rigoureuse Au début des années 1860, plusieurs discussions
destinée à découvrir les causes des maladies : la animées se déroulent à la Société d’anthropologie
méthode anatomoclinique. Par cette méthode, on de Paris : certains anthropologues supposent qu’il
observe chaque cas avec rigueur, on pose l’hypo- existe un parallèle entre le développement du cer-
1. Dans les années 1850,
thèse de la cause du trouble, on vérifie l’hypothè- veau et celui des races humaines et des classes
les débats étaient vifs lors
se post mortem, et l’on essaie de trouver des corré- des séances de l’Académie sociales. Ils cherchent à classer les êtres humains en
lations statistiques entre tous les cas étudiés. (ici l’Académie fonction du volume ou de la forme des régions
Certes, des méthodes alternatives furent propo- des sciences). Les occipitales, frontales et pariétales du crâne. À l’évi-
sées. Ainsi, Franz Joseph Gall a étudié quelques cas académiciens s’affrontaient dence, les enjeux de cette polémique anthropolo-
de perte du langage. Le père de la phrénologie pen- notamment sur la question gique sont idéologiques, et ils ne peuvent être
de la localisation
sait que la forme du crâne permettait de deviner les des fonctions cérébrales : compris hors du contexte colonial, social et poli-
capacités cognitives des individus. Ainsi, il avait les facultés, tel le langage, tique – souvent raciste – de l’époque. Ces discus-
étudié le crâne de quelques personnes atteintes de sont-elles localisées dans sions s’accompagnent d’une renaissance des
trouble du langage, et cette étude corrélée aux don- des aires spécifiques ou sciences du cerveau, à laquelle l’anatomiste Louis
nées biographiques de ces personnes l’avait conduit sont-elles assurées par un Pierre Gratiolet contribue avec le psychiatre et
vaste réseau cérébral ?
à postuler que la partie frontale du cerveau contient anatomiste François Leuret. Ce dernier démontre
La découverte de l’aire de
un centre de la mémoire verbale et un centre du Broca a validé la thèse la régularité des replis cérébraux chez l’homme et
sens de la parole. Toutefois, bien que son système de la localisation en établit une toponymie précise. Mais pour
phrénologique et ses bosses crâniennes aient été des fonctions cérébrales. Gratiolet, « toutes les parties cérébrales participent
peu convaincants, il déchaîna les passions.
Même si Bouillaud soutient Gall contre les
savants du moment, il ne défend pas son système
phrénologique. En revanche, il fait sienne son
idée de la spécialisation cérébrale des fonctions
(les différentes aires cérébrales accomplissent des
tâches différentes et spécifiques). Bouillaud passe
avec raison pour le héraut du principe de la
double dissociation, selon lequel, d’une part, si
les aires du langage sont bien localisées dans les
lobes frontaux et que ceux-ci sont lésés, alors le
langage doit être perturbé. D’autre part, si les
lobes frontaux sont intacts, mais que d’autres
zones du cerveau sont lésées, alors le langage doit
être épargné. Il attend la mise en évidence d’un
siège du langage pour confirmer la méthode ana-
tomoclinique au niveau cérébral.
Avec les premiers cas qu’il présente en 1825 à
Underwood & Underwood / Corbis
à la fois et également à la pensée ». Pendant ce Ainsi s’est forgé ce que le neurologue français
débat, Broca reprend la question de la localisation Pierre Marie considérera comme un mythe, dont il
des fonctions cognitives tout en prenant parti voudra se débarrasser en 1906 dans un article inti-
contre la phrénologie – mais elle est déjà dépassée. tulé « La troisième circonvolution frontale gauche
Ernest Auburtin, gendre et disciple zélé de ne joue aucun rôle spécial dans la fonction du lan-
Bouillaud, pense que si l’on parvenait à démontrer gage » ! Il avait tort. L’histoire confirmera que ce
la localisation ne serait-ce que d’une seule fonction « mythe » était bien la première preuve de la locali-
cognitive, telle la parole, la théorie des localisations sation de la production de la parole dans une aire
serait validée. Il déclare à la Société d’anthropolo- cérébrale qui deviendra l’aire de Broca, le faisant par
gie que s’il advenait qu’un seul malade de son ser- là même passer à la postérité.
vice ayant perdu l’usage de la parole ne présente
aucune lésion, il renoncerait à cette théorie. L’aphasique n’est pas
En avril 1861, Broca accueille justement dans
son service à Bicêtre un malade nommé Leborgne,
« boiteux de l’intelligence »
qui ne peut prononcer que la syllabe tan et La question en suspens depuis le début du
quelques jurons. L’analyse post mortem de son cer- siècle, celle des rapports des troubles du langage,
veau révélera s’il y a ou non une lésion, et, le cas de la mémoire et de l’intelligence est réactivée avec
échéant, si elle est localisée. Broca présente la pièce la découverte de Broca. Selon ce dernier, comme
anatomique à la Société d’anthropologie juste selon Bouillaud, l’aphasie est une amnésie verba-
après l’autopsie, pour prendre date. L’autopsie le, une sorte d’amnésie motrice définitive, tou-
révèle que « le lobe frontal de l’hémisphère gauche chant seulement les mouvements de la parole.
est ramolli dans la plus grande partie de son éten- Armand Trousseau quant à lui considère – à tort –
due. » Puis après quelques mois, suivent les que l’amnésie ne touche pas que les mots, mais
fameuses « remarques sur le siège de la faculté du que « l’entendement est aussi touché », et il dira :
langage articulé ». Pourtant, Broca reste prudent. « L’aphasique boitera toujours de l’intelligence. »
Six mois après le cas Leborgne, le cas Lelong De surcroît, la question de la définition clinique
semble impliquer la troisième circonvolution fron- des troubles du langage est loin d’être tranchée.
tale gauche. Puis d’autres cas sont signalés, notam- Dans son article de 1869, Broca tente de distinguer
ment au service de Charcot à la Salpêtrière où Broca l’alogie (dans le cadre des démences), l’amnésie
est devenu chirurgien. Les années suivantes ne font verbale (aujourd’hui nommée aphasie), l’aphémie
que renforcer la conviction de Broca. La localisation (aujourd’hui l’anarthrie), et l’alalie mécanique (les
gauche signe une dissymétrie fonctionnelle entre les dysarthries). Ce sera son dernier article sur le lan-
deux hémisphères. Pour le langage, « nous sommes 2. Ce cerveau est celui gage. Broca délaisse cette question pour se consa-
gauchers du cerveau » écrit-il en 1864. L’année sui- du patient nommé crer à l’anthropologie.
Leborgne et surnommé
vante, il dispose de plus de 20 autopsies et il consi- Tan. Tan était en effet
Peut-être Broca est-il découragé, car le nombre
dère entendue l’affaire de ce qu’il nomme « l’aphé- la seule syllabe que de publications sur l’aphasie ne cesse d’augmenter
mie », parce que seule la ce patient était capable et les lieux anatomiques supposés de l’aphasie se
faculté d’articuler les mots est de prononcer multiplient aussi vite que les signes cliniques… Il
atteinte, et que les malades à cause de la lésion soutient qu’il n’y a qu’un seul site de lésion, déter-
entendent et comprennent (flèche) qu’il présentait minant la perte de la parole. Mais il a contre lui les
dans l’aire identifiée par
tout ce qu’on leur dit. Mais Paul Broca (le cartouche) adversaires de la localisation, et ceux qui pensent
c’est finalement le terme comme étant celle qu’une activité aussi complexe que la parole
d’aphasie qui sera retenu. du langage. humaine nécessite le concours de plusieurs centres,
ce que la multiplicité des lésions retrouvées après
autopsie des aphasiques semble confirmer.
Au début des années 1870, la neurologie enre-
gistre de rapides progrès. Plusieurs neurologues
font des expériences de stimulation du cortex, et
leurs résultats confortent la notion de centres céré-
braux : les activités mentales complexes résulte-
raient d’une association de différents centres inter-
connectés. En ce qui concerne le langage, il s’agit dès
lors, élargissant la perspective de Broca à la fonction
langagière tout entière (pas seulement à la produc-
tion, mais aussi à la compréhension), de construire
une théorie neurophysiologique plausible. La
Musée de la Faculté de médecine, Paris
C’est ainsi que selon le neurologue britannique vraies sur l’aphasie, il nous faut faire abstraction de
Henry Bastian, la fonction du langage est assurée tout ce que nous avons lu ou appris sur les images des
par le jeu de quatre centres spécialisés (sensoriels et mots, sur les aphasies de réception et de conduction,
moteurs, pour la parole et l’écriture) et de ce sché- sur les centres du langage, etc. Il faut nous borner à
ma découlent quatre ordres différents de troubles : examiner les faits sans idées préconçues ».
l’amnésie ou incapacité de se rappeler les mots et
trouble important de la pensée ; l’aphasie ou perte
de la parole et de l’écriture ; l’aphémie ou perte de
Une histoire sans fin
la parole ; l’agraphie ou perte de l’écriture. En 1874, Notons qu’en 1980, on a réalisé une étude au
le neurologue allemand d’origine polonaise Carl scanner du cerveau de Leborgne, pièce anatomique
Wernicke décrit des cas de patients capables d’arti- miraculeusement retrouvée, qui a confirmé la locali-
culer normalement, mais sans comprendre le dis- sation des lésions que Broca avait faites et l’absence
cours produit ni le sens des mots employés, et qui d’atteinte de la zone de Wernicke. Les idées sur le
présentent une lésion d’une zone spécifique située centre de Broca ont par ailleurs évolué, grâce à la
dans le lobe temporal gauche. neuro-imagerie fonctionnelle combinée aux ana-
Selon lui, la région frontale, motrice, est le siège lyses neurolinguistiques. L’aire de Broca élabore un
de la représentation des mouvements et la région programme moteur qui permet de mettre en mou-
temporale, sensorielle, celle de la représentation des vement de manière coordonnée les éléments anato-
sons. Les fibres qui relient ces deux régions forment miques nécessaires à la prononciation des mots et à
l'arc intermédiaire entre les représentations des sons leur articulation harmonieuse (lèvres, langue, palais,
et celles des mouvements. Les lésions peuvent tou- pharynx, larynx). Mais elle ne peut être considérée
cher ces différents éléments anatomiques. À cette comme une aire de commande motrice pure puis-
époque, la diversité des tableaux cliniques de l’apha- qu’elle traite aussi les informations concernant la
sie perturbe les neurologues. Pourtant, toutes les perception et la compréhension des stimulus ver-
aphasies sont des combinaisons plus ou moins baux. Elle intervient avant la production motrice
complexes de l'aphasie sensorielle, l’aphasie motrice comme une aire associative impliquée dans le traite-
et l'aphasie de conduction (voir l’encadré ci-dessus). ment de la perception de la parole. Elle est engagée
Ces schémas compliqués semblaient parfois s’éloi- dans les processus syntaxiques et sémantiques de
gner de la réalité anatomoclinique. De plus, chacun l’acte de langage, permettant notamment la sélec-
avait tendance à proposer sa propre classification des tion d’une réponse appropriée parmi d’autres
aphasies. Certains, tel le neurologue britannique réponses possibles. Bibliographie
John Hughlings Jackson, sont en désaccord avec Si Broca a eu le mérite de localiser une aire essen- D. Forest, Histoire
Broca. Jackson remet même en question l’existence tielle du langage, conférant à la fonction langagière des aphasies, PUF, 2005.
de centres du langage articulé. Soixante ans après le un statut neurologique propre, distinct de celui des P. Broca, Écrits sur
défi lancé par Bouillaud, le débat se poursuit parmi autres formes d’activité cognitive, force est de l’aphasie (1861-1869),
les neurologues quant à la localisation des aires du constater que la cartographie précise des fonctions L’Harmattan, 2004.
langage. Comme nous l’avons évoqué, Pierre Marie du langage n’est pas achevée et que les mécanismes F. Schiller, Paul Broca,
est hostile à toute localisation. D’une façon générale neuronaux du langage ne sont pas élucidés, malgré explorateur du cerveau,
selon lui, « Si nous voulons acquérir des notions 140 ans de recherche et de débats passionnés. I Odile Jacob, 1990.
Alain Lieury
Comment rester motivé... ou le devenir ?
Qui n’a jamais rêvé de se motiver entièrement pour un travail, ou
de transmettre cette force aux autres ? Plusieurs théories se complètent
pour identifier les grandes règles de l’engagement psychologique.
L
a recherche en psychologie de la motivation a der- Ainsi, les psychologues américains Douglas Hall et
Alain Lieury est
professeur émérite
rière elle plusieurs décennies, et pourtant... Les Khalil Nougaim ont observé en 1968 que, dans une
de psychologie dirigeants d’entreprise continuent à commettre entreprise, les cadres ressentent un besoin de réussite
cognitive de souvent les mêmes erreurs. Il serait (assez) facile d’évi- toujours très fort même lorsqu’ils ont bénéficié de
l’Université ter les plus grossières, à condition de retenir trois leçons. multiples avancements. À tel point que, chez eux,
Rennes 2, ancien
même les besoins biologiques ne sont pas toujours
directeur du
Laboratoire Leçon n°1 : satisfaits. Le modèle de Maslow a donc ses limites...
de psychologie Ventre affamé n’a pas d’oreilles
expérimentale.
Leçon n°2 : Savoir récompenser
Dès 1943, le psychologue américain Abraham
Maslow hiérarchise les besoins humains selon une À l’époque où Maslow proposait sa théorie hiérar-
échelle où un besoin supérieur ne s’exprime que chique, les premières recherches quantitatives sur la
lorsque le besoin du niveau inférieur est satisfait (voir la motivation étaient menées chez le rat de laboratoire,
figure page ci-contre). Si les besoins physiologiques élé- soumis à diverses tâches telles que trouver la sortie d’un
mentaires (faim, soif, etc.) sont satisfaits, d’autres appa- labyrinthe. Dans les années 1940, le psychologue améri-
raissent (besoin de sécurité, de confort matériel). cain Clark Hull perçoit la nécessité de lier la motivation
Ensuite viennent les besoins d’affection, d’amour, d’ap- à l’apprentissage, car il a observé qu’un rat ne travaille
partenance sociale. Puis apparaissent les motivations que s’il est affamé, puis récompensé. Ainsi s’instaure
sociales que l’on peut regrouper sous le terme de besoin une pratique, devenue classique, qui consiste à mettre
d’estime, qui correspond dans le langage courant à les rats à la diète avant de leur donner une récompense
l’ambition. Le besoin le plus élevé serait la réalisation de lorsqu’ils arrivent à sortir du labyrinthe…
soi, de ses intérêts, aptitudes et valeurs. Mais il n’y a pas Outre-Atlantique, où la psychologie est une science
toujours de différence tranchée entre les catégories de comme la physique et la chimie, cette loi dite du renfor-
Maslow, notamment entre le besoin d’estime et celui cement – car il s’agit de renforcer un comportement par
d’appartenance : dans le cas de l’achat de vêtements, des alternances de privation et de récompense – a été
« être à la mode » correspond aussi bien au besoin d’ap- appliquée au système des primes dans le marketing : le
partenance à un groupe qu’au besoin d’estime. vendeur n’est que faiblement payé pour créer un besoin
Mais c’est surtout la hiérarchisation qui pose une (l’équivalent du besoin alimentaire chez le rat de labo-
difficulté. La satisfaction d’un besoin supérieur n’appa- ratoire), puis est « renforcé » par une prime (l’équiva-
raît pas toujours quand le besoin inférieur est réalisé. lent de la boulette de nourriture) quand il atteint son
objectif (l’équivalent de la sortie du labyrinthe). Bien
entendu, les renforcements négatifs (brimades ou pri-
vations) réduisent les comportements indésirables.
Mais la théorie du renforcement n’explique pas
toutes les motivations. Ainsi, les psychologues améri-
cains Harry Harlow, puis Edward Deci ont découvert
une autre forme de motivation, qui pousse à s’adon-
ner à une tâche sans besoin de récompense : il s’agit
Xavier Gallego Morell / Shutterstock
Alain Lieury
même que toute forme de pression ou de sur- (la seule motivation est alors d’échapper aux sanctions).
veillance. C’est que la motivation intrinsèque Besoin C’est pourquoi la motivation uniquement liée au renforce-
de réalisation
irait de pair avec le sentiment de choisir libre- ment peut avoir des conséquences néfastes comme le
ment, l’« autodétermination »... Besoin
d’estime
découragement et la rébellion.
Besoin
Leçon n°3 : Renforcer d’amour Déceler les signes de découragement
le sentiment d’indépendance Besoin
de sécurité Le découragement au travail a été expliqué par le psycho-
Il faudrait réintroduire dans le travail le besoin Besoins logue américain Martin Seligman, qui a montré que des
d’autodétermination, c’est-à-dire de choisir physiologiques chiens de laboratoire n’ayant pas la possibilité d’éviter des
librement son activité. Des chercheurs ont mon- La pyramide chocs électriques dans une première phase d’une expérien-
tré que la motivation est d’autant plus grande des besoins ce restaient passifs lorsqu’on leur donnait, dans un second
qu’on se sent compétent et performant. La com- de Maslow. temps, la possibilité d’échapper aux chocs : ces chiens
Les besoins les plus
pétence perçue rejoint le concept classique d’esti- fondamentaux ont étaient résignés. La résignation résulte de l’apprentissage
me de soi, mais en plus spécifique : il est possible été indiqués du plus préalable de l’impuissance. M. Seligman emploiera à cette
d’avoir un fort sentiment de compétence perçue élémentaire (en bas) fin le terme de « résignation apprise ».
pour son activité professionnelle, tout en se sen- au plus élaboré (en J’ai un jour donné une conférence dans une grande entre-
haut). Dès qu’un
tant mauvais... en musique, par exemple. Selon la besoin d’un niveau prise où soufflait un vent de rébellion. Il ne s’agissait pas
théorie de E. Deci et Richard Ryan, dite de inférieur est satisfait, encore de résignation, mais l’affaire était mal engagée. En
« l’évaluation cognitive », la motivation intrin- le besoin du niveau examinant le lieu de travail, il m’est apparu que, non seule-
sèque résulterait de deux besoins humains fonda- juste supérieur peut ment les personnes travaillaient dans un bureau commun,
se manifester.
mentaux : le besoin de se sentir compétent (la sans cloisons, mais qu’il était question de passer à une for-
compétence perçue) et le besoin de choisir libre- mule d’espace partagé. Dans ces conditions, les employés ou
ment (l’autodétermination). cadres arrivent au travail sans avoir de bureau attitré et s’ins-
Notons que la compétence est le plus souvent tallent à une place libre, comme dans un bus. Or la premiè-
subjective et ne correspond pas obligatoirement à re forme d’autodétermination est la capacité à déterminer
la réalité. L’essentiel est d’apprécier ce que l’on son espace de vie et de travail.
fait. C’est pourquoi un manager, en laissant un Ce qui distingue la rébellion de la résignation est souvent
employé choisir son activité, favorise son senti- le degré de compétence du sujet. Lors d’une intervention
ment d’autodétermination ; en valorisant son donnée au Centre de formation des apprentis, les profes-
travail, ses initiatives, il renforce la compétence seurs m’ont expliqué qu’au cours d’apprentissages répétés et
perçue, et l’ensemble assure une part de motiva- monotones, certains élèves se rebellaient. Étaient-ce les
tion intrinsèque bénéfique à l’engagement. En élèves les plus faibles ? Pas du tout, c’étaient les meilleurs !
revanche, ne pas témoigner sa satisfaction risque Bibliographie Finalement, quelles sont les clés d’une bonne motiva-
d’affaiblir la motivation intrinsèque. A. Lieury, tion ? Tout d’abord, accorder le niveau de qualification et de
Que se passe-t-il si la sensation de compétence Psychologie responsabilités à la compétence du sujet, en évitant qu’il se
baisse ou si la contrainte s’accroît ? L’enfant ou Cognitive, Manuels sente trop compétent pour ce qui lui est demandé. Ensuite,
l’adulte cessent de pratiquer l’activité pour le Visuels, Dunod, lui offrir autant d’autodétermination que possible, tout en
plaisir qu’elle procure, et n’y consentent que pour 2008. s’assurant que son sentiment de compétence ne s’effrite pas,
les avantages associés : on dit alors que la motiva- A. Lieury et en prodiguant félicitations et récompenses en rapport avec
F. Fenouillet,
tion est extrinsèque. Il en existe une large la qualité du travail. Il aura ainsi un miroir de sa compéten-
Motivation et
gamme. Leur première qualité est de laisser les réussite scolaire, ce. Or rappelons que compétence perçue et autodétermina-
motivations intrinsèques s’exprimer ! Ainsi, un Dunod (2e édition), tion sont les deux piliers de la motivation intrinsèque.
élève peut être en partie motivé par le fait d’obte- 2006. Concrètement, il s’agit de mettre en place un système de
nir son diplôme, tout en gardant une bonne sen- F. Fenouillet, travail où l’employé décide de s’investir dans ce qui l’inté-
sation de compétence. Un sportif professionnel La Motivation, resse le plus, et où les fruits de son travail sont valorisés.
peut avoir intérêt à donner à l’occasion une exhi- Dunod, 2003. Valoriser ces besoins aboutit à une motivation persistante
bition gratuite, pour le plaisir. Malheureusement, R. J. Vallerand et (intrinsèque) et évite des désagréments sociaux, tels que la
les motivations extrinsèques peuvent devenir E. Thill, Introduction rébellion ou l’absentéisme… I
à la psychologie
tyranniques : c’est le cas de l’élève qui ne travaille de la motivation,
plus que pour les notes, ou de l’employé lassé de Québec, Vigot, Posez vos questions sur cerveauetpsycho.fr
son travail ennuyeux et de son patron tyrannique 1993.
Les schizophrènes
sont dangereux
Non, mais cette idée reçue tient au fait que les homicides
qu’ils commettent sont particulièrement médiatisés. Un suivi
psychiatrique régulier réduit les risques de passage à l’acte.
U
D’autres chiffres montrent que les actes délictueux
psychiatre, est révélé que 48 pour cent des personnes ou criminels sont souvent le fait de malades mentaux,
professeur des
universités, praticien interrogées pensaient que les schizo- psychotiques notamment, qui représentent près de
hospitalier phrènes étaient dangereux pour autrui, dix pour cent des personnes incarcérées.
à l’Hôpital Cochin, ce chiffre étant encore plus élevé aux
Assistance publique- États-Unis. Cette idée est entretenue par les médias qui
Hôpitaux de Paris. L’impulsion du délire
mettent en avant les faits divers tragiques impliquant
des malades mentaux. On se souvient du double Jean-Étienne Esquirol, médecin aliéniste français
homicide commis à l’Hôpital psychiatrique de Pau en du XIXe siècle, décrivait ainsi la « monomanie homi-
décembre 2004 ou du meurtre plus récent d’un étu- cide », c’est-à-dire les troubles mentaux conduisant à
diant dans une rue de Grenoble en novembre 2008. des homicides : « Les aliénés attentent à la vie de leur
Dans les deux cas, les auteurs des crimes étaient des semblable ; les uns devenus très susceptibles, très irri-
patients atteints de schizophrénie et suivis pour cette tables, dans un accès de colère, frappent, tuent les
maladie. Est-ce à dire que la schizophrénie rende ceux personnes qui les contrarient ou parce qu’ils croient
qui en sont atteints particulièrement dangereux et que être contrariés ; ils tuent les personnes qu’ils pren-
l’on doive redouter les personnes qui en souffrent, nent à tort ou à raison pour des ennemis dont il faut
voire les enfermer pendant de longues périodes pour se défendre ou se ranger : les autres, trompés par des
éviter les passages à l’acte ? illusions des sens ou des hallucinations, obéissent à
Rappelons d’abord que les personnes schizophrènes l’impulsion du délire. »
représentent un pour cent de la population et qu’elles La première description caractérise surtout les
commettent très rarement des homicides. Il y a en homicides ou tentatives d’homicide des délirants
France environ 1 000 homicides par an, mais on iden- chroniques qui – comme les personnes souffrant de
tifie le meurtrier dans les trois quarts des cas seule- paranoïa – se sentent persécutés par un groupe de
ment. La majorité des homicides sont commis par des personnes ou une personne isolée ; c’est aussi le cas
gens « normaux », qui agissent par intérêt, vengeance des personnes érotomanes, qui ont l’illusion déliran-
ou jalousie. Moins d’une personne sur 100 ayant com- te d’être aimées et qui, après avoir été rejetées, s’atta-
mis un homicide est déclarée non responsable de son quent dans une phase de rancune ou de dépit à l’ob-
acte et bénéficie d’un non-lieu en vertu de l’ar- jet de leur délire ou à leurs proches. Ces deux mala-
ticle 122-1 du code pénal : « N’est pas pénalement res- dies sont par essence dangereuses. Ce n’est pas le cas
ponsable la personne qui était atteinte, au moment des de la schizophrénie, décrite dans la seconde partie du
faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant texte d’Esquirol.
aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. » Cette maladie aux multiples visages se caractérise
Ces malades mentaux déclarés irresponsables ne sont par trois grands groupes de symptômes : les idées déli-
pas tous schizophrènes. On peut donc déduire de ces rantes et les hallucinations, les symptômes de retrait,
données qu’une dizaine d’homicides sont commis par les symptômes de discordance, c’est-à-dire la difficul-
des schizophrènes chaque année. té à intégrer de façon cohérente et harmonieuse les
Bernard Granger
Shutterstock/ Yalayama
nence, toutes les situations intermédiaires entre ces
deux extrêmes étant possibles.
Facteurs aggravants
nation pour les armes, des pensées ou des pratiques
Ainsi, il est faux de dire que tout schizophrène est perverses, des menaces écrites ou verbales, une tendan-
violent et doit être considéré comme un criminel en ce dépressive ou encore des traits de personnalité anti-
puissance. Toutefois, il serait tout aussi inexact de nier sociale (le sujet peut transgresser les règles sans mani-
que la schizophrénie soit un facteur de dangerosité, fester ni culpabilité ni empathie pour la victime).
qui, soulignons-le, n’est pas systématique. Les actes
violents concernent en effet un sous-groupe des per- Suivi psychiatrique :
sonnes schizophrènes, ce qui permet dans une certai- une prévention efficace
ne mesure de prévoir les passages à l’acte et de
prendre des mesures de prévention. Soulignons un point essentiel. Il est avéré que le
Les études les plus pertinentes consistent à suivre des risque de passage à l’acte est inversement proportion-
cohortes de patients et voir dans quelle proportion ils nel à l’intensité du suivi : une étude a comparé deux
commettent des actes violents ou dangereux. Ainsi une groupes de patients schizophrènes suivis en consulta-
étude anglaise publiée en 2003 portant sur 271 patients tion, le premier groupe venant en consultation toutes
atteints de schizophrénie et ayant duré deux ans a les semaines, le second une fois par mois. Dans ce der-
montré que pendant cette période 25 pour cent des nier groupe, le risque de passage à l’acte violent était
sujets avaient été agressifs et violents. Parmi les facteurs quatre fois supérieur à celui observé dans le premier.
prédictifs de violence, on trouve la prise de substances Enfin, si les sujets atteints de schizophrénie sont dan-
illicites et d’alcool, et les antécédents d’actes violents. gereux, ils le sont avant tout pour eux-mêmes, puisque
Bibliographie
Plus généralement, comme nous l’enseignent la le risque de suicide est environ cinq fois plus élevé que
plupart des études, les caractéristiques des patients dans la population générale (dix pour cent contre deux B. Granger et
schizophrènes violents rejoignent celles retrouvées pour cent). Par ailleurs, les patients schizophrènes sont J. Naudin, Idées
dans le reste de la population. Ce sont majoritaire- plus souvent que d’autres personnes victimes de vio- reçues sur la
schizophrénie,
ment des hommes jeunes, ayant un statut socio-éco- lences, environ deux fois plus souvent, comme l’a mon- Le Cavalier Bleu,
nomique défavorisé, abusant des drogues et de l’al- tré une étude menée récemment au Royaume-Uni. Paris, 2006.
cool, et ayant déjà commis des violences. En résumé, l’acte criminel perpétré par un patient M. Landry, L’état
Il existe d’autres facteurs de risque plus spécifiques schizophrène est rare. Ces actes sont sans mobile, sans dangereux. Un
de la schizophrénie. En premier lieu viennent les idées préméditation ni dissimulation. Ils touchent plus jugement déguisé
délirantes, notamment de persécution, avec un persé- volontiers un proche et peuvent être associés à un en diagnostic,
cuteur désigné, et les hallucinations, lesquelles com- trouble de l’humeur. Ils sont plus fréquents en cas de L’Harmattan, coll.
Psycho-Logiques,
portent parfois l’injonction d’agresser ou de tuer. Dans prise de stupéfiants ou d’alcool, de désocialisation et Paris, 2003.
le cas du meurtrier de l’étudiant grenoblois, on sait d’arrêt du traitement. Cependant, tous les actes homi-
qu’il était sujet, depuis plusieurs années, à des halluci- cides ou les actes violents des patients schizophrènes
nations enjoignant de tuer et qu’il avait déjà commis n’entrent pas dans ce schéma, si bien que, malgré
des agressions. De plus, les risques de violence aug- toutes ces données, il n’est pas toujours possible de
mentent quand le malade cesse de prendre ses médica- prévoir et donc de prévenir un passage à l’acte violent
ments ou en change. D’autres signes spécifiques font chez un schizophrène, dont la dangerosité n’est pas
redouter un passage à l’acte : les idées délirantes méga- inhérente à la maladie, mais concerne seulement un
lomaniaques, les rêveries diurnes d’agression, la fasci- petit groupe des personnes qui en souffrent. I
Analyses de livres
Au nom du seigneur : Que ce soit pour expliquer les dieux, les rituels, les
la religion au crible de l’évolution appartenances à des groupes religieux, ou la moralité reli-
Scott Atran gieuse, l’auteur démontre principalement deux choses.
Éditions Odile Jacob Premièrement, que l’on ne peut pas systématiquement
(423 pages, 35 euros, 2009) expliquer les phénomènes religieux par un mécanisme
strictement cognitif, émotionnel, moral ou social ; deuxiè-
Ce livre, extrêmement riche en idées, mement, que chaque fait religieux est plus complexe et
en recherches citées, en théories visi- plus spécifique que ce que d’autres théories de la reli-
tées et critiquées, sera une bonne surprise gion soutiennent.
pour ceux qui croient encore à une explication unique Par exemple, les humains attribuent aux êtres surna-
ou spécifique à la religion. Il le sera également pour ceux turels à la fois une cognition et une psychologie semblable
qui croient que la religion est strictement nécessaire aux humains et quelques éléments étranges ou singu-
pour le fonctionnement psychologique de l’être humain liers, ce qui facilite leur transmission ; ils ont tendance à
(par exemple, la religion comme réponse aux questions « voir » la présence de ce type de divinités dans des situa-
existentielles) et de la société (la religion en tant que barrage tions ambiguës et critiques, en les percevant comme des
à l’anomie sociale, la disparition des valeurs du groupe). agents prédateurs ou comme des agents protecteurs. Ιls
Il bat aussi en brèche les conceptions de la religion comme s’attachent aux dieux avec émotion, passion et avec un
partie d’un mode de fonctionnement typique de l’homme engagement coûteux, autant de caractéristiques qui ne
primitif ou de l’enfant. résultent pas seulement des mécanismes cognitifs par
L’argument principal est que la religion n’a pas une lesquels ils conçoivent la divinité. Enfin, les humains érigent
fonction adaptative unique et spécifique dans le cadre les divinités au statut d’observateurs de la moralité et de
de l’évolution de la psychologie humaine. Elle mobilise la tricherie au sein de la société, ce qui transforme les dieux
plutôt une combinaison de caractéristiques cognitives, en stabilisateurs de la cohésion groupale.
émotionnelles, morales et sociales qui, elles, découlent Une seule certitude : la religion est un phénomène compo-
de mécanismes ayant eu une certaine utilité adaptative site qui nécessite plus que jamais une approche pluridisci-
pour l’espèce humaine. Cette logique adaptative explique plinaire. Une bonne leçon de relativisme pour comprendre
pourquoi les structures de la religion semblent comporter les élans passionnés de la religion dans notre monde.
une certaine universalité. Vassilis Saroglou
Remettre
du rire dans sa vie
mieux-être, et une revue correcte des données scientifiques
La rigolologie, mode d’emploi existantes, montrant comment le rire peut être béné-
Corinne Cosseron fique pour la santé. Ces études sont, sur le sujet du rire,
Éditions Robert Laffont en assez petit nombre, contrairement, par exemple, aux
(342 pages, 20 euros, 2009) études sur les bénéfices émotionnels du sourire, ou des
émotions positives.
Les médias adorent traiter le sujet de Outre ce louable souci de référencement, la partie la
la « thérapie par le rire », notamment plus intéressante est certainement celle où l’auteur, elle-
la télévision : les images de personnes même praticienne de ce qu’elle appelle la « rigolologie »,
riant à gorges déployées sont de fait plus attractives et accro- aborde les aspects concrets de cette approche, et invite le
cheuses que celles d’un échange feutré de paroles, habi- lecteur dans les coulisses du rire : elle en décrit les prére-
tuelles au monde de la psychothérapie. Comment donc ne quis, les exercices facilitateurs, les pratiques sur le long
pas éprouver une certaine méfiance envers un livre trai- terme. Elle raconte des « commandos de rire » dans les
tant de ce thème ? Méfiance suivie d’intérêt, car après lieux publics, ou les manières de déclencher une crise de
tout, autant s’informer avant de critiquer, ou pire, de rejeter… fou rire collective. L’impression globale est celle d’un
Remettre du rire dans sa vie se présente comme un ouvrage ouvrage intéressant et sincère, dans sa dimension clinique,
de vulgarisation destiné au grand public. Il propose une malgré ses limites scientifiques. Et puis, comme le remarque
synthèse complète sur l’utilisation du rire dans le domaine l’auteur, même si le rire n’augmente pas nécessairement
du développement personnel. On y retrouvera un intéres- la durée de vie, il améliore sa qualité…
sant survol de l’historique récent du rire comme outil de Christophe André
D’après ce que vous écrivez (voir problème : l’hubris semble presque lation, circulant à rebrousse-poil le long
Cerveau & Psycho n° 34), la maladie de par définition faire partie intégrante des axones, annulent les potentiels d’ac-
l’hubris serait une tendance assez récente de toute forme de pouvoir. tion pathologiques en provenance du
chez les hommes politiques, puisque vous corps des neurones. Pourquoi s’annihi-
citez Blair, Bush, Berlusconi, Sarkozy. lent-ils ? Connaît-on le mécanisme de
Ne peut-on en repérer les signes à toutes En psychologie, la jalousie est une cette annulation ?
les époques ? De Gaulle et Mitterrand émotion qui fait intervenir ce qu’on Melissa Vaurino, Périgueux
étaient-ils hubristiques ? Que dire des nomme la théorie de l’esprit, c’est-à-dire
dictateurs ? la capacité à se représenter ce que pense Réponse de Constance Hammond
Antoine Lutz, Strasbourg autrui (Est-ce qu’il m’aime ? Est-ce qu’il Les potentiels d’action évoqués
dit la vérité ? Est-ce qu’il a des inten- par la stimulation cheminent dans
Réponse de Sebastian Dieguez tions cachées ?). En vous lisant, on se les deux sens, vers les terminaisons
Dans leur article original sur le demande donc si l’apparition de la jalousie de l’axone et vers le corps cellulaire.
syndrome d’hubris, David Owen et chez l’être humain, à l’époque de la forma- Un potentiel d’action est transmis le
Jonathan Davidson évaluaient les chefs tion des premières unions monogames, long de l’axone par des ions, en l’oc-
d’État américains et britanniques n’aurait pas été un ingrédient impor- currence des ions sodium. Pour que
sur 100 ans. Aucun de leurs critères tant dans le développement de la théorie ces ions « voyagent », il faut qu’ils
ne semble réservé à l’histoire récente : de l’esprit dans notre espèce ? entrent dans l’axone par des voies de
la maladie du pouvoir est probable- Lucie Desmaretz, Paris passage nommées canaux sodium.
ment aussi ancienne que l’humanité. Lorsque les ions sodium entrent dans
Ce qui change c’est le contexte dans Réponse de Nicolas Guéguen une portion d’axone, ils dépolarisent
lequel ces individus officient. Ainsi, Je ne connais pas de travaux ayant la membrane de cette portion d’axone
l’histoire des institutions politiques invoqué cette explication du rôle de et créent de ce fait un nouveau poten-
semble être une longue lutte pour la jalousie chez l’humain ou de telles tiel d’action. Cette dépolarisation active
minimiser la capacité de nuire des conséquences de ce sentiment. Pour les canaux sodium voisins et les ions
personnalités hubristiques (sépara- les chercheurs travaillant sur ce thème, sodium vont de nouveau entrer un peu
tion des pouvoirs, élections démocra- la jalousie est née pour éviter l’infidé- plus loin et recréer un potentiel d’ac-
tiques, mandats, surveillance médi- lité du partenaire, mais pas pour les tion. C’est ainsi que les potentiels d’ac-
cale, etc.). Mais on peut constater que mêmes raisons selon qu’il s’agit de tion « voyagent » le long de l’axone
des changements historiques récents l’homme ou de la femme. L’homme dans un sens ou dans l’autre.
semblent favoriser l’émergence de serait jaloux pour éviter que sa femme À présent, pour comprendre pour-
nouveaux excès. Notamment, l’ac- n’aille avec un autre partenaire occa- quoi les potentiels d’action ne peuvent
croissement du pouvoir médiatique, sionnel et donc qu’il n’ait à élever se croiser, il faut savoir une seule chose
l’importance de la « communication » des enfants qui ne sont pas les siens. de plus : les canaux sodium, une fois
ainsi que la mondialisation de l’éco- La femme serait jalouse pour éviter ouverts, s’inactivent ; c’est-à-dire qu’ils
nomie et des conflits semblent faire que l’homme ne parte avec une autre sont dans un état où ils ne peuvent se
perdre un peu la tête à certains hommes partenaire et qu’il cesse de subvenir rouvrir immédiatement. Dès lors, quand
politiques. Ces facteurs contextuels aux besoins de sa compagne et de sa un potentiel d’action est passé, le suivant
ne sont pas suffisamment pris en consi- progéniture. Il est possible que, progres- doit attendre quelques millisecondes
dération par D. Owen, le théoricien sivement, la jalousie ait activé d’autres avant de pouvoir passer lui aussi. A
principal du syndrome d’hubris. Il y états affectifs ou cognitifs tels que celui fortiori quand deux potentiels d’ac-
a donc encore de la marge pour raffiner de la théorie de l’esprit que vous invo- tion sont « face à face », les canaux
ce syndrome avant qu’il ne devienne quez, mais, à ma connaissance, aucun sodium sont inactivés en amont et en
une véritable entité médicale. chercheur n’a apporté de preuve empi- aval de la portion d’axone dépolarisée,
Quant aux dictateurs, et à De Gaulle rique de cette hypothèse. et plus rien ne peut se transmettre dans
et Mitterrand, ils étaient sans aucun un sens ni dans l’autre.
doute victimes d’hubris, si l’on s’en
tient aux critères proposés. Que ce Dans votre très intéressant article
syndrome permette de la sorte de sur les mécanismes de la neurostimula- Posez vos questions sur notre site
mettre tout ce monde dans le même
panier constitue évidemment un
tion, vous expliquez que les potentiels
d’action produits par l’électrode de stimu-
cerveauetpsycho.fr
© Cerveau & Psycho - N° 35 95
cp_35_p096096_annonce.xp 24/08/09 16:22 Page 96
La psychologie
des conducteurs
Nos comportements au volant intéressent de plus
en plus les psychologues. Sur la route, le cerveau
doit traiter de nombreuses informations, ce qui peut
entraîner fatigue cognitive et lassitude.
Krisvoskeev Vitaly / Shutterstock
En kiosque
le 7 novembre 2009
Imprimé en France – Maury Imprimeur S. A. Malesherbes – Dépôt légal septembre 2009 – N° d’édition 076035-01 –
Commission paritaire : 0713 K 83412 – Distribution NMPP – ISSN 1639-6936 – N° d’imprimeur 148889 –
Directeur de la publication et Gérant : Marie-Claude Brossollet