These Sarah DOUSSE
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These Sarah DOUSSE
Membres du jury :
M. Nicolas FIÉVÉ, Directeur d’étude, École Pratique des Hautes Études, Directeur de l’École
française d’Extrême-Orient, Co-directeur
Mme Françoise GED, Responsable de l'Observatoire de la Chine à la Cité de l'architecture et
du patrimoine, Rapporteure
M. Xavier GUILLOT, Professeur, École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage
de Bordeaux, Co-directeur
M. Salvator-John LIOTTA, Professeur associé, École Nationale Supérieure des Arts Visuels
de La Cambre, Examinateur
M. Yann NUSSAUME, Professeur, École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-la-
Villette, Rapporteur
Remerciements
1
C’est aussi au Japon que j’ai rencontré mes futurs directeurs de thèse, Nicolas Fiévé et
Xavier Guillot, à qui j’ai pu présenter mon projet et qui ont accepté de le suivre. Je leur suis
particulièrement reconnaissante d’avoir guidé le développement de ce qui était alors une
ébauche et de m’avoir aidée à obtenir un contrat doctoral du ministère de la Culture en
France. Je remercie infiniment le Bureau de la recherche architecturale, urbaine et paysagère
(BRAUP) de m’avoir accordé ce contrat de recherche qui m’a permis de me consacrer
pleinement à cette activité. Si je ne remercierai pas le contexte sanitaire, il a néanmoins
participé à la mise en place d’une discipline et d’une rigueur particulièrement utiles à la
rédaction de la thèse. Si, comme tous, j’ai eu l’impression de m’être engouffrée dans un
tunnel infini, j’espère que la concentration et la persévérance accentuées par cette situation
auront permis une certaine qualité d’énonciation. Je remercie mon comité de suivi de thèse,
composé de Fabienne Perilhoux, de Bernard Davasse et de Gregory Epaud, de m’avoir
accompagnée et soutenue même à distance. Je remercie l’école doctorale de Bordeaux
Montaigne pour l’ensemble des formations à la recherche qui nous y sont proposées. Je
remercie le laboratoire Passages et le Centre de recherche sur les civilisations de l’asie
Orientale (CRCAO) de m’avoir soutenue en participant au financement de deux séjours
supplémentaires sur le terrain pendant ma première année de doctorat. C’est à l’occasion de
ces deux séjours que j’ai pu réaliser les entretiens qui soutiennent cette thèse. Je suis
extrêmement reconnaissante aux architectes et autres interlocuteurs qui m’ont accordé de leur
temps en acceptant de répondre à mes questions. Il va sans dire que ces échanges ont été aussi
riches que formateurs et qu’ils resteront longtemps en mémoire. Je remercie bien sûr mes
directeurs de thèse pour leur disponibilité, leur attention et leurs conseils avisés pendant toute
la durée du doctorat. Sans leur clairvoyance, cette thèse ne serait sans doute pas la même. Je
remercie les membres du jury de soutenance d’avoir accepté de faire bénéficier ma thèse de
leur expertise. Enfin, je remercie tout spécialement ma famille et mes amis pour leur soutien,
leur enthousiasme et leur bienveillance. C’est aussi grâce à vos encouragements et à votre
gentillesse que je suis parvenue à la fin de cette aventure.
2
Sommaire
Remerciements ........................................................................................................................ 1
Sommaire ....................................................................................................................... 3
Introduction ....................................................................................................................... 7
3
Chapitre 5. De la mise en valeur des éléments à l’architecture biologique ............ 155
5.1. Nishizawa Ryue. Pour une architecture paysage ............................................................. 157
5.1.1. L’environnement que crée l’architecture : en milieu urbain, éclater la boîte .......... 157
5.1.2. Quand l’architecture sublime la nature : à la campagne, dans la continuité des
paysages ...................................................................................................................................... 163
5.2. Ishigami Jun’ya. Pour une architecture à la frontière du naturel ................................... 170
5.2.1. Premiers projets : recherche d’un accord entre architecture et nature .................. 170
5.2.2. Une architecture au contact du climat ....................................................................... 173
5.2.3. Projets récents : rejoindre la nature par la temporalité et la matérialité ................. 178
5.3. Ito Toyo et Hirata Akihisa. Pour une architecture biologique ......................................... 184
5.3.1. Ito Toyo : du virtuel à l’organique en architecture .................................................... 184
5.3.2. Hirata Akihisa : du parallèle entre milieux naturels et construction.........................188
4
Introduction de la quatrième partie. L’architecture telle que perçue par les Japonais eux-
mêmes. Réflexions sur l’architecture, la nature et l’écologie .......................................... 287
Chapitre 10. De l’intemporalité d’une culture dans son rapport à la nature ........... 289
10.1. Une architecture ouverte sur l’extérieur ......................................................................... 289
10.1.1. Climat, météorologie et forces telluriques ............................................................... 289
10.1.2. La nature la plus riche et la plus sévère au monde ................................................... 292
10.1.3. Apprécier les changements de saison et s’y fondre ................................................. 295
10.1.4. Être au plus près de la nature malgré les catastrophes ........................................... 300
10.1.5. Retour critique sur le désastre de 2011 ...................................................................... 304
10.2. Le naturel et l’artifice, des notions relativisées .............................................................. 308
10.2.1. De l’art de développer un entre-deux ....................................................................... 309
10.2.2. Entre aménagement et respect de l’environnement ................................................ 312
10.2.3. Symbolisme des jardins zen et imaginaire shintoïste ................................................ 315
10.2.4. Sobriété de la vie monastique versus écologie militante ......................................... 320
Conclusion ....................................................................................................................353
5
6
Introduction
Compte tenu des enjeux écologiques, repenser les formes des établissements humains
en fonction de leur impact sur les équilibres environnementaux est devenu l’une des priorités
de tout un champ de la recherche architecturale, urbaine et paysagère. Face aux conséquences
de l’industrialisation et de l’urbanisation massives de la planète, chercheurs autant que
praticiens appellent à une remise en question des manières de vivre sur Terre. Parmi les
thématiques soulevées, le changement du climat causé par l’émission de gaz à effet de serre,
la perturbation des écosystèmes du fait de la fragilisation des milieux naturels et la
perspective de l’épuisement des ressources rendent nécessaire de mesurer l’effet de nos
actions et de repenser nos aménagements. Fondamentalement, on met en cause un paradigme
rationaliste occidental qui, depuis la Renaissance, place l’homme et la nature dans un rapport
de dualité, voire d’opposition : pour développer les structures de l’habiter, il s’est agi de
dominer la nature, de la repousser hors de nos territoires et de lui imprimer nos marques.
Suivant l’approche de l’anthropologue Philippe Descola1, l’observation d’autres cultures
favorise la mise en valeur d’autres modèles d’occupation de la planète et d’autres modes de
relation à la nature. Sur la base de ces premières observations, la présente thèse a pour objet
l’étude d’une culture architecturale fondée, non pas sur un clivage entre les hommes et la
nature, mais plutôt sur un principe de coexistence. Si elle s’est incarnée à travers l’histoire
dans de multiples formes architecturales et paysagères – comme celles des anciens temples,
sanctuaires, de l’habitat ou des pavillons de thé et de leurs jardins –, on observe que la culture
architecturale japonaise conduit, encore aujourd’hui, à la production de formes et de
dispositifs singuliers. En effet, malgré une urbanisation forte et un développement technique
et technologique de pointe, il semble que le lien privilégié à la nature a été maintenu dans la
société contemporaine japonaise, ce qui fait de ce pays, si ce n’est une exception, du moins un
contre-point au contexte architectural et urbain européen.
Vient immédiatement à l’esprit que le Japon a été confronté depuis toujours à une
nature plus démonstrative que celle que nous connaissons sous les climats tempérés. De fait,
la société japonaise a dû développer une capacité d’adaptation permanente aux manifestations
1
DESCOLA, Philippe, Par-delà nature et culture, Paris, éditions Gallimard, 2005, 240 p.
7
extrêmes et aux catastrophes naturelles, ou tout simplement à la diversité des milieux et des
climats, et cela sur un territoire étendu sur environ 2 700 kilomètres du nord au sud de
l’archipel, en passant de la steppe à la mangrove, du climat transsibérien d’Hokkaido au
climat subtropical d’Okinawa, entre mers et montagnes, essuyant périodiquement saison des
pluies et saison des typhons, hivers enneigés et étés caniculaires. La variation climatique
extrême et l’habitude des catastrophes naturelles font en quelque sorte du Japon un cas
d’étude privilégié pour l’analyse des intrications entre artefacts et environnement. L’architecte
Kengo Kuma lui-même évoque une japonisation du monde tant du fait de la généralisation
des désordres climatiques que concernant la capacité de l’architecture japonaise à répondre
aux enjeux de l’époque actuelle : flexibilité des espaces et des usages, légèreté des structures,
usage de matériaux naturels, réinterprétation des techniques traditionnelles de construction,
ouverture sur l’extérieur et proximité à la nature entre autres sujets.2 À propos de la proximité
à la nature, il est frappant de remarquer que les Japonais ont su adapter leur cadre de vie à un
environnement souvent intense tout en concevant des dispositifs de mise en valeur de la
nature (dans l’habitat, le jardin, l’espace public ou certains espaces paysagers – comme les
bords de rivières, par exemple). Si la langue japonaise a développé l’expression shikata ga nai
– que l’on pourrait traduire par « nous n’y pouvons rien », sous-entendu « parce que les forces
naturelles surpassent en puissance la volonté humaine » –, cette résignation face à la nature
n’est pas seulement l’expression d’une fatalité : dans le cas du Japon, la dangerosité de la
nature n’a pas empêché le développement de formes d’intégration harmonieuse des habitats à
leur environnement.
Dans l’imaginaire ancien, la survenue de catastrophes naturelles est due à la colère des
dieux suite aux mauvaises actions humaines. D’après les croyances shintoïstes ancestrales,
l’environnement naturel est peuplé par une myriade de divinités (appelées kami) dont l’habitat
profond est la montagne. Il s’agit de les respecter en ne touchant pas ce milieu. Le géographe
et philosophe Augustin Berque3 a observé que l’aménagement de l’archipel nippon est
structuré en deux domaines, l’érème (la nature sauvage) et l’écoumène (le territoire aménagé
et habité). Les croyances animistes et la difficulté concrète d’aménager les reliefs font que les
Japonais se sont installés dans les creux de vallées et les plaines où ils ont reconstruit des
morceaux de nature, une nature artificielle, celle des jardins. Comme l’a remarqué Augustin
Berque, la relation des Japonais à la nature procède de deux polarités, celle du sauvage et
2
KUMA Kengo & Associates, Studies in organic, Tokyo, Toto Publishing, 2009, 347 p.
3
BERQUE, Augustin, Le sauvage et l’artifice, les japonais devant la nature, Paris, éditions Gallimard, 1986,
314 p.
8
celle de l’artifice. Recréation de paysages mythologiques ou réels mais difficilement
accessibles, le jardin permet aux Japonais de se relier symboliquement à la grande nature.
Sophistiquée dans ses arrangements, la nature du jardin s’articule au paysage lointain de la
montagne, qui apparaît souvent à l’arrière-plan grâce au procédé paysagé du shakkei,
l’emprunt au paysage. Depuis l’habitat, on apprécie une graduation de strates ou d’états, entre
le domestique et le sauvage, l’artificiel et le naturel. De cette vision ressort, non pas une
perception dualiste du rapport entre la nature et la culture, mais plutôt la mise en valeur de
l’articulation entre ces deux thèmes, l’appréciation de la nuance et de la relation entre les deux
polarités du naturel et de l’artificiel. Les bâtiments construits à la période pré-moderne servent
cette perception. Grâce à des structures de poteaux et de poutres en bois couvertes d’une
charpente et d’un grand toit, quand les parois coulissantes sont tirées, l’ouverture de façade
est totale et l’on peut apprécier la nature des jardins et/ou celles des paysages plus lointains.
De nos jours, de diverses manières, certains projets d’architecture contemporaine renouvèlent
ce principe. Observer l’élaboration des dispositifs architecturaux de mise en relation des
habitants d’un lieu, des bâtiments et de l’environnement est l’objet de la présente étude.
La problématique
4
Fujimori Terunobu a parlé des écoles « rouge » et « blanche » pour la première fois lors d’une conférence (un
entretien avec Fumihiko Maki : Kenchiku Bunka, novembre 1990). Après la publication de ses recherches dédiée
9
il importe de comprendre de quelles manières ces deux sensibilités créatives impactent la
pensée de la relation à la nature et à l’écologie en architecture.
Dans les années 1990, Fujimori Terunobu a identifié une tendance constructive
dominante consistant à concevoir des architectures de béton, de verre et d’acier d’expression
lisse, dénuées de couleurs et réfléchissant la lumière (selon lui, les architectes représentatifs
de cette production sont Fumihiko Maki, Hara Hiroshi, Taniguchi Yoshio et Ito Toyo).
L’essence de ce design étant l’abstraction, une fonction assurée par le cerveau, qui, disséqué,
apparaît de couleur blanche, Fujimori a choisi l’appellation d’« école blanche » pour qualifier
ce style d’architecture dont le pionnier serait Mies van der Rohe. Parallèlement, Fujimori a
identifié une autre tendance qui consiste à exprimer la matérialité du béton et de l’acier (les
architectes représentatifs de cette démarche sont Isozaki Arata, Ishiyama Osamu ou encore
Team Zoo). L’essence de ce design étant le réalisme (« a sens of real existence »), une
fonction rapportée aux organes internes de la partie basse du corps, qui, disséqués,
apparaissent de couleur rouge (celle du sang), Fujimori a nommé « école rouge » cette
sensibilité esthétique dont le pionnier serait Le Corbusier.5 Largement diffusée dans le débat
des architectes japonais puis dépassée par l’évolution de leur production architecturale,
l’identification de ces deux catégories d’architecture intéresse une pensée analytique qui
interroge les dualités, comme celles entre nature et culture, organicité et artificialité,
matérialité et effacement de la matière, pesanteur et légèreté, clarté et obscurité, massivité et
effacement des masses, etc. Si l’on considère que les architectes de l’« école rouge » ont
choisi d’affirmer la matérialité et l’ancrage des constructions en employant des ressources
locales6 et que les architectes de l’« école blanche » ont tiré parti des procédés constructifs
modernes (le béton, le métal et le verre) pour concevoir des architectures d’apparence éthérée
et les fondre dans les paysages7, qu’en est-il de la pensée de la nature et de l’écologie de la
part des architectes appartenant à l’une et à l’autre école ? Tandis que les bâtiments du Japon
10
de la période pré-moderne font figure d’exemplarité écologique (car ces bâtiments sont
constitués de matériaux organiques produits localement, qu’ils comportent un jardin donc une
réserve de nature, qu’ils sont ouverts sur l’extérieur donc qu’ils sont ventilés naturellement et
peu chauffés), qu’en est-il de ce corpus d’équipements culturels et communautaires construits
dans la nature depuis les années 1990 ? Quel salut trouve-t-on dans ce retour à la nature ?
Dans quelle mesure le rapprochement avec les éléments de l’environnement dont témoignent
ces architectures revêt-il une finalité écologique ?
Les hypothèses
11
d’exception. S’il est évident que l’analyse de ces architectures qualitatives sur le plan de
l’esthétique comme sur celui de l’expérience sensible ne peut pas donner lieu à des
généralisations sur les pratiques constructives de l’ensemble du pays, cela n’exclue pas
l’intérêt que présente l’étude des démarches de conception à l’origine d’architectures dont la
caractéristique principale est d’être reliées à la nature. L’hypothèse qui fonde cette thèse est
que, de par leur culture, les architectes japonais n’abordent pas le thème de la pérennité
environnementale comme une fin en soi. La relation à l’environnement et à la nature étant
centrales à la conception du cadre de vie, ces architectes l’abordent de manière empirique,
ciblant autant le champ de l’expérience sensible qu’une réponse concrète aux contraintes
imposées par le milieu. À rebours d’une vision de l’écologie strictement scientifique, les
pratiques de conception étudiées permettent d’interroger la relation des bâtiments à
l’environnement, non pas uniquement d’après des critères de performance (consommation
d’énergie, empreinte carbone) et suivant une tendance normative (végétaliser les toitures,
installer des panneaux solaires, etc.), mais par le projet d’architecture en lui-même, celui-ci
générant des manières d’habiter et un rapport sensible (voire même intellectuel) à
l’environnement. Suivant cette perspective, il s’agit de dépasser la dimension technique de
l’écologie en réévaluant la portée environnementale de l’architecture.
Le corpus de l’étude
Le corpus architectural sur lequel repose la thèse est composé d’équipements culturels,
principalement des musées mais aussi d’autres programmes (comme des centres culturels, des
salles de spectacles, des bibliothèques ou des médiathèques, des centres éducatifs et des
centres communautaires) construits depuis les années 1990 dans des communes rurales ou des
villes de provinces pour leur revitalisation urbaine, économique et sociale. Bon nombre de ces
architectures étant caractérisées par leur rapport sensible aux sites et à la nature, il semble que
les programmes de revitalisation des localités reculées aient servi le développement d’un
corpus d’architectures conçues à partir de leur relation à l’environnement.
8
Washida Meruro (1973- ) est commissaire d’exposition et chercheur affilié à l’université de Tokyo. Après avoir
participé à la conception du musée d’art du XXIe siècle de Kanazawa et après avoir dirigé ce musée, Washida
Meruro a été impliqué dans la création de la triennale d’art contemporain d’Aichi. Actuellement, il est le
directeur du centre d’art contemporain de Towada. Les propos ici retranscrits proviennent d’un entretien avec S.
Dousse, en visioconférence, le 30 juillet 2021, suite à la communication de Washida Meruro dans le cadre de la
table ronde « Créations et rénovations récentes de musées par des architectes japonais », festival de l’histoire de
l’art, Fontainebleau, 6 juin 2022.
9
À la fin du règne du shogunat des Tokugawa (1854-1858), dans le cadre d’une politique d’expansion
impérialiste, l’Amérique et les pays européens imposent aux Japonais comme aux Chinois et aux Coréens une
série de traités soumettant ces pays aux législations en vigueur en Occident. Pour obtenir la révision de ces
traités et devenir un État-Nation de puissance égale à celle de ces occupants, le Japon nouveau (celui de la
restauration de Meiji, en 1868) s’engage alors dans un vaste programme de développement industriel et sociétal
et dans de profondes réformes institutionnelles et gouvernementales. C’est dans ce contexte, celui d’une
modernisation suivant le modèle occidental, que la notion d’art et que l’édifice musée sont apparus au Japon.
10
Kuraya Mika (1966- ) dirige le musée d’art de Yokohama depuis 2020. Les propos ici retranscrits proviennent
de sa communication dans le cadre de la table ronde « Créations et rénovations récentes de musées par des
architectes japonais », festival de l’histoire de l’art, Fontainebleau, 6 juin 2022.
13
Les bâtiments constitutifs du corpus architectural de la thèse ont été construits après la
période de Haute Croissance du Japon (1955-1973), à partir du début des années 1990, à la
suite de l’explosion de ce que l’on appelle la « bulle économique ». Cette période correspond
au déclin démographique de la société japonaise (dû au vieillissement de la population et à la
baisse de la natalité) et à la sortie de l’ère industrielle (manifestée par l’affaiblissement ou la
cessation d’activité de nombreux sites industriels), un double phénomène qui a entrainé le
dépeuplement et la fragilisation économique des localités reculées de l’ensemble de
l’archipel. Tandis que la population active se déplaçait vers les grandes villes, pour stimuler
l’attractivité et relancer l’économie des campagnes et des villes de provinces, le
gouvernement a financé le développement du tourisme de l’art. Cette démarche de
revitalisation urbaine, économique et sociale grâce à la culture (donc à la construction de
musées) a été inspirée par deux projets : celui du musée Guggenheim de Bilbao, conçu par
Frank Gerhy, en 1997, en Espagne ; et celui du musée d’art de Naoshima, conçu par Ando
Tadao, en 1992, sur l’une des îles de la mer Intérieure de Seto, au Japon. Dans ces deux cas,
des localités en faillite ont été converties en hauts lieux du tourisme de l’art symbolisés par
des architectures d’exception. Tandis que le musée de Bilbao est situé en milieu urbain, le
musée de Naoshima se trouve à la campagne, immergé dans la végétation luxuriante de l’île et
dans le paysage de la mer de Seto. La réussite du projet de revitalisation de cette île11 a motivé
la mobilisation de fonds publics pour financer la construction de musées dans des localités
reculées de l’ensemble de l’archipel. D’un point de vue programmatique, dans de nombreux
cas, les musées de la troisième génération ne sont pas pensés au Japon comme ils le seraient
en France ou en Europe. Parfois anecdotique, l’exposition d’œuvres d’art n’est pas la finalité
principale de bâtiments qui assurent plutôt une fonction d’équipements communautaires.
Moins fermés que les musées occidentaux et plus axés sur le présent et le quotidien des
habitants du lieu, ces musées traduisent l’objectif d’une mise en valeur des localités. Pour ce
faire, le musée japonais présente un patrimoine naturel et culturel local, il organise des ateliers
pédagogiques et des workshops tous publics, il expose les créations de la communauté, enfin,
il ouvre sur le territoire en renvoyant à des activités et à des événements hors les murs.
Bien que le gouvernement japonais soit à l’origine de la majorité des projets étudiés
dans cette thèse, des maîtrises d’ouvrage privées en ont réalisé une partie. Pendant les
décennies 1990 et 2000, la création de festivals d’art contemporain (principalement la
11
Projet porté par un industriel originaire de la région, Fukutake Shoichiro (1945- ), fondateur de l’entreprise
Benesse, qui produit des manuels scolaires et soutient l’organisation d’activités éducatives dans l’ensemble du
Japon.
14
triennale Echigo-Tsumari Art Field et la triennale de Setouchi, dont les premières éditions
eurent lieu respectivement en 2000 et en 2010) a été le principal moteur de la construction de
musées dans les campagnes. Pourtant, à partir de 1995 et plus encore dans les années 2000,
dans un contexte de crise économique, les fonds publics alloués aux musées ont été
drastiquement revus à la baisse : la taille de l’administration a été rétrécie et les subventions
ont été réduites, rendant difficile l’exploitation des équipements existants (notamment le
renouvellement des collections) et limitant la construction de nouveaux musées. On a appelé
cette période « les trente années perdues » ou « la saison hivernale des musées ».12 Pendant
les années 2010, bien qu’une certaine amélioration de la situation économique ait réactivé les
investissements publics en vue du développement du tourisme sur l’archipel, d’après Washida
Meruro, la situation des musées est restée difficile, sans changement notoire. La tenue des
Jeux Olympiques à Tokyo en 2021 a bien suscité de nouveaux projets, mais il s’agit
d’opérations symboliques et ciblées (le musée Meiji, conçu par Kuma Kengo, à Tokyo ; le
centre du Patrimoine mondial du mont Fuji, conçu par Ban Shigeru, près du mont Fuji), et non
d’une revalorisation globale des moyens alloués aux musées. Parallèlement à cela, la décennie
2010 a vu augmenter la construction de musées ou d’équipements à vocation touristiques et
commerciales commandités par des clients privés. Il s’agit d’entreprises commerciales qui
souhaitent promouvoir leurs produits (comme dans le cas du musée de la céramique de
Tajimi, conçu par Fujimori Terunobu, au sud des Alpes japonaises, en 2016), de compagnies
du secteur industriel qui envisagent la reconversion de leur activité (implantée entre
Fukuyama et Onomichi, la compagnie de construction navale Tsuneishi a fait ouvrir au public
les portes du temple Shinsho-ji en y développant une série d’installations, notamment le
pavillon d’art Kohtei, conçu par Studio Sandwich, en 2016), mais également d’un nouveau
type de collectionneurs (notamment des entrepreneurs dans le secteur des médias ou des
nouvelles technologies l’information et de la communication) qui apprécient de faire partie
d’un réseau d’amateurs d’art contemporain (comme dans le cas du musée Comico, conçu par
Kuma Kengo, à Kyushu, en 2018).
12
Ce constat est dressé par Washida Meruro et Kuraya Mika lors de la table ronde « Créations et rénovations
récentes de musées par des architectes japonais », festival de l’histoire de l’art, Fontainebleau, 6 juin 2022.
15
La méthodologie de recherche
Analyser le rapport à la nature dans la culture japonaise pose la question des modalités
d’approche d’une civilisation très différente de la nôtre. Si la littérature scientifique constitue
une base de connaissances structurante, ce projet de recherche ne pouvait faire l’économie
d’une longue investigation de terrain, d’autant que l’objet d’étude – les réalisations
architecturales – est le produit concret de la société japonaise contemporaine. Le travail a
donc démarré par une année pré-doctorale de terrain, ce qui a permis une immersion dans la
culture locale et la compréhension de dynamiques urbaines et paysagères comparativement au
contexte européen, ainsi que l’observation de pratiques individuelles et collectives,
quotidiennes et ponctuelles, en relation à la nature. Cette année préliminaire a également
permis la constitution du corpus architectural de l’étude, ainsi que la visite et l’analyse de la
plupart des bâtiments dudit corpus. De retour en France, la première année de doctorat a été
en partie dédiée à la lecture de l’état de l’art et à l’analyse du corpus théorique : les écrits à
travers lesquels les architectes présentent leurs projets. Cette première année de thèse a
également été consacrée à la préparation et à la réalisation d’entretiens avec une partie de ces
maîtres d’œuvres. Dans un premier temps, ont été privilégiés les architectes qui avaient le
moins publié (ceci pour compenser une relative faiblesse documentaire et afin d’obtenir les
informations utiles à l’élaboration de la thèse). Deux séjours complémentaires sur le terrain
ont été organisés (séjours d’une durée de deux mois et de trois semaines, à M7-8 et à M11).
Étant donné la dimension subjective du thème étudié, il a été jugé nécessaire de consulter les
architectes afin de questionner leur perception de la nature et leurs intentions architecturales.
Enfin, la thématique écologique étant généralement peu abordée dans leurs écrits, il paraissait
indispensable d’obtenir des informations à ce sujet.
D’abord sollicités par courriel, de manière systématique, les architectes ont demandé à
ce que la liste de questions qui leur seraient posées leur soit communiquée (ce qui semblait
conditionner l’acceptation ou non de l’entretien). À l’exception de Sakakida Tomoyuki13 et de
Sambuichi Hiroshi14, les architectes sollicités (Abe Ryo, Aoki Jun, Hasegawa Go, Hirata
Akihisa, Kawai Toshiaki, Mikan, Nakamura Hiroshi et Tezuka Takaharu) ont tous acceptés la
demande d’entretien. La préparation de chaque entretien nécessitant l’étude précise du corpus
théorique, de par la densité de leurs publications (monographies, articles, interviews etc.),
certains architectes (Ito Toyo, Kuma Kengo, Naito Hiroshi, Sanaa, Ishigami Jun’ya) n’ont pas
été contactés pendant la première année de la thèse. Par la suite, l’importance accordé au
contact direct excluant la possibilité de solliciter des rendez-vous en visioconférence, le
contexte sanitaire mondial des années 2020 et 2021 n’a pas permis la réalisation de
l’ensemble des entretiens envisagés. Bien qu’il aurait été utile de réaliser ces entretiens,
l’abondance de sources documentaires consacrées aux travaux de ces architectes a permis de
compenser cet aléas conjoncturel. Finalement, les démarches des architectes les plus
productifs et les plus médiatisés ont été analysées sur la base de leurs écrits, tandis que les
architectes qui ont moins écrit ont été interrogés directement.
13
L’architecte qui travaille pour le compte de l’artiste Sugimoto Hiroshi (New Material Research Laboratory).
14
Qui indique ne pas accorder d’entretien à des étudiants.
17
réalisés. Il s’agit notamment de professeurs et théoriciens de l’architecture (Hirao Kazuhiro,
de l’université Ritsumeikan de Kyoto ; Sendai Shoichiro, de l’université de Shimane, à
Matsue), d’un professeur spécialiste de la thématique environnementale (Kobayashi Hirohide,
directeur du département de Global Environmental Studies de l’université de Kyoto), de
chercheurs en anthropologie (Shimada Tama et Yoann Moreau, du Research Institute for
Humanity and Nature de Kyoto), d’un employé chargé de l’élaboration de la réglementation
pour la performance énergétique des bâtiments au M.L.I.T.T. (Ministry of Land Infrastructure
Transport and Tourism, à Tokyo), ou encore de moines bouddhistes (rencontrés à Kyoto, dans
des temples de l’école zen Rinzai). Enfin, l’analyse a également été nourrie par des échanges
plus informels avec de jeunes architectes japonais, une chercheuse en histoire de l’art
originaire de la région de la mer Intérieure, un cinéaste, un charpentier basé à Kyoto, de
jeunes Japonais engagés dans l’auto-construction et dans la permaculture.
Le plan de la thèse
18
développement de la relation à l’environnement extérieur (l’« école blanche ») ; d’autre part,
le localisme et l’affirmation de la matérialité pour ancrer la production des bâtiments dans les
terroirs (l’« école rouge »). À la fin de chaque partie, un chapitre de synthèse et d’analyse
transversale apporte une relecture globale des différentes démarches de conception.
Enfin, la thèse comporte une quatrième partie, d’un tout autre type que les trois
premières, puisqu’il s’agit d’une synthèse de la démarche d’analyse par réalisation
d’entretiens – des entretiens dont la retranscription figure en annexe de la thèse. Dans ce
dernier temps, on se distancie du corpus architectural pour aborder le sujet de l’étude du point
de vue des Japonais eux-mêmes. À l’origine de ce texte de synthèse, la volonté de dépasser
l’aspect fragmentaire des élaborations individuelles pour leur donner une forme d’unité en les
organisant et en les articulant. De la même manière que, pendant la réalisation des entretiens,
des connections entre différents indicateurs ont été faites, le texte de synthèse procède d’une
logique de création de liens entre les éléments d’explication. Pour conserver l’authenticité des
déclarations, souligner le caractère subjectif des discours et assurer que la propriété
intellectuelle des propos revienne à ceux qui les énoncent, les guillemets sont nombreux. Les
sujets observés peuvent ainsi prendre la parole et devenir énonciateurs de leur propre vision
du monde ou, plus précisément, de leur vision de l’architecture dans la nature et dans le
tumulte environnemental. Pour que, par son intermédiaire, soit dressé le panorama d’un
imaginaire (d’une perception culturelle), l’apprentie chercheuse s’impose une exigence de
neutralité qui se manifeste par l’effacement de sa présence au profit de ceux qui prennent la
parole. Bien que différentes par leur forme, les quatre parties de la thèse traduisent la même
finalité : faire ressortir les discours (écrits ou oraux) des concepteurs du corpus architectural
pris pour objet d’étude. Après l’analyse des projets d’architecture, la matière des entretiens
apporte un éclairage complémentaire à la compréhension des problématiques de la thèse. En
effet, les discussions font d’emblée ressortir le fait que, culturellement, au Japon, on ne parle
pas de ce sujet (la nature) et que l’on ne pense pas qu’il soit possible de le théoriser. L’intérêt
de la quatrième partie consiste donc à tenter de comprendre pourquoi on n’en parle pas et
pourquoi on ne peut pas théoriser. Une sorte de défi s’esquisse : comment écrire et même
comment saisir ou attraper ce dont on ne parle pas et qui n’est pas théorisable ?
19
20
Introduction de la première partie.
L’architecture, la ville et la nature. Développement
d’une architecture à dimension paysagère
L’analyse est amorcée avec trois architectes d’une même génération : Ando Tadao, Ito
Toyo et Hasegawa Itsuko, tous trois nés en 1941. Alors qu’Ando et Ito commencent à
construire dans les années 1970, Hasegawa collabore avec des praticiens confirmés (Kikutake
Kiyonori (1928-2011) et Shinohara Kazuo (1925-2006)) pendant quatorze ans, avant de
fonder sa propre structure dans les années 1980. Pendant la décennie 1970, le processus
d’urbanisation dans lequel le Japon s’est engagé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale
est déjà bien entamé. Grâce à une croissance économique fulgurante, les villes (Tokyo la
première) sont entraînées dans un rythme effréné de construction et de reconstruction du bâti.
Formés à l’architecture en même temps que les paysages de l’archipel se métamorphosent,
Ando, Ito et Hasegawa voient naître une urbanité imprégnée d’apports occidentaux (ceux du
modèle américain) et assistent au développement de son emprise grandissante sur le territoire.
Dès la conception de leurs premiers projets, tous trois pensent leurs architectures par rapport à
cet événement. Chacun à sa manière, ils se tournent vers la nature. Lier les gens et les
bâtiments aux éléments ou aux phénomènes naturels constitue en quelque sorte une réponse,
voire un remède, à l’urbanité moderne.
Ando, Ito et Hasegawa démarrent leur carrière en concevant des maisons de villes15 (à
Tokyo principalement, mais également à Osaka (dans la région du Kansai), à Matsuyama (sur
l’île de Shikoku) et à Kumamoto (sur l’île de Kyushu)). Ces premiers projets témoignent du
positionnement de ces architectes vis-à-vis des thèmes de la ville, de la nature et du
paysage. À la fin des années 1980, leurs premières commandes d’équipements mènent Ando
et Ito dans les grands paysages de l’île septentrionale d’Hokkaido (Ando : la chapelle sur
l’eau, 1988 ; Ito : la guest-house des brasseries Sapporo, 1989). L’étendue dégagée et les
espaces de nature incitent les deux architectes à s’ouvrir à l’échelle du paysage, un processus
que Hasegawa met en œuvre à Tokyo à l’occasion de son premier projet d’équipement, une
architecture en tant que « seconde nature » (le centre culturel de Shonandai, 1991). Si ces trois
15
Comme c’est le cas de la plupart des architectes aujourd’hui encore, les projets de construction publics ou
privés de plus grande envergure étant généralement confiés à de grosses entreprises de construction.
Voir : Salvator-John A. Liotta et Aya Jazaierly, « Des architectes japonais en France. Les parcours de Ban
Shigeru, Kuma Kengo, Fujimoto Sou et Tane Tsuyoshi », Ebisu [En ligne], 57 | 2020, mis en ligne le 20
décembre 2020, URL : http://journals.openedition.org/ebisu/5275 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ebisu.5275
21
réalisations figurent l’accès de ces jeunes concepteurs à des programmes de plus grande
envergure, elles annoncent également la montée en puissance de la dimension paysagère de
leurs architectures – dimension qui sera développée dans la série d’équipements conçus à
travers l’archipel au cours des années 1990 principalement et jusque dans les années 2020. Ce
corpus de projets permet de considérer la question paysagère à la campagne et en milieu
urbain. À l’échelle du bâtiment, on aborde des thèmes tels que : l’intégration et la mise en
valeur des éléments naturels dans les bâtiments (Ando), la conception d’architectures
incarnations de phénomènes naturels tels que le vent et la lumière dans un environnement en
perpétuelle transformation (Ito), la présentation des artefacts comme parties de la nature
perçue comme un grand tout (Hasegawa). À l’échelle du paysage, on observe des procédés
élaborés pour : implanter et inscrire l’architecture dans le grand paysage (Ando), l’insérer
dans l’environnement naturel par une logique d’intégration aux flux (Ito), concevoir des
versions urbaines de milieux naturels et ainsi créer une architecture-nature (Hasegawa).
22
Chapitre 1.
Entre ville et nature. Prémisses d’une pensée de l’architecture
Quand on s’intéresse au regard qu’Ando Tadao, Ito Toyo et Hasegawa Itsuko portent
sur la ville moderne, sur la nature et sur l’architecture, on mesure rapidement l’importance du
milieu dans lequel chacun d’eux a grandi. Ces milieux forgent leur imaginaire et influencent
leur vision de la modernité urbaine et architecturale. Alors qu’Ando, qui a grandi dans un
quartier populaire de la ville d’Osaka, condamne l’uniformité et la perte de qualité des
bâtiments et de l’environnement urbain moderne, Ito, qui a grandi dans la région montagneuse
de la préfecture de Nagano, est fasciné par Tokyo, ville futuriste prometteuse à ses yeux. Ces
visions subjectives impactent leur créativité. Ando se rattache à la tradition (spécialement à la
relation entre architecture et nature) qu’il souhaite réinventer à travers le vocabulaire de
l’architecture moderne, ceci dans l’intention de combler le gouffre qui sépare le Japon de
l’avant-guerre de celui de l’après-guerre et pour redonner des repères aux Japonais. De son
côté, Ito se nourrit de science-fiction et, grâce à un procédé de distanciation16, feint
d’abandonner son rôle de concepteur pour endosser celui de témoin et d’observateur du
mouvement de formation, déformation et transformation d’une architecture qui se ferait par
elle-même17, de manière organique. Quant à Hasegawa, son enfance sur la baie de Shizuoka
lui a donné le goût des paysages marins. Elle souhaite créer une architecture qui reproduise le
mouvement des vagues et le scintillement du soleil sur la mer en concevant des artefacts en
tant que partie de l’environnement.
La ville, la montagne et la mer. Les milieux d’origine de ces trois architectes reflètent
la géographie japonaise : entre mer et montagne, entre campagne et ville. Ces paysages
inspirent Ando, Ito et Hasegawa, qui, par des procédés d’abstraction, d’allusion ou de
métaphore, conçoivent des architectures où s’entremêlent les références, convoquent les
espaces naturels dans la ville et dans le bâti. Dès lors, les limites sont poreuses, brouillées. Les
milieux naturels et urbanisés ne sont pas perçus dans un rapport d’opposition. On parlerait
plutôt de circulations et de correspondances. C’est dans l’architecture de Hasegawa que cet
16
Décrit par Thomas Daniell dans « The fugitive », introduction de ITO Toyo, Tarzan in the media forest and
other essays, Londres, AA Publications, 2011, p. 16.
17
On note une correspondance avec la signification du mot associé à la notion de nature : shizen. « Le terme
shizen est un mot d’origine chinoise (…) introduit au Japon il y a environ 1500 ans, dont les idéogrammes shi ou
ji et nen signifient respectivement "soi-même" et "ainsi" ou "dans ce cas". Littéralement, le terme veut dire "par
soi-même" ou "de sa propre façon" ; en conséquence, l’adverbe shizen-ni peut être traduit par "spontanément" ou
"naturellement". » ROTS, Aike Peter, « Shizen, la nature », dans BONNIN, Philippe, NISHIDA Masatsugu,
IGANA Shigemi (dir.), Vocabulaire de la spatialité japonaise, Paris, CNRS éditions, 2014, p. 444.
23
entremêlement est le plus manifeste, ou du moins le plus littéral et le plus directement énoncé.
Employant le terme de « paysage » (landscape), dès ses premiers projets de maisons, elle
cherche à rendre la mer et la montagne présentes en ville, à constituer un paysage urbain et
des bâtiments en tant que « seconde nature » ou en tant que « nature latente », car, d’après
elle, les artefacts font bien partie de la nature. Alors que Hasegawa procède par métaphores en
concevant des architectures évocatrices d’éléments paysagers (comme des montagnes, des
forêts ou la mer), Ando et Ito se tournent vers l’abstraction. Ando extrait des éléments
naturels (le ciel, le vent, la pluie, la lumière) pour les insérer dans l’architecture et permettre
aux habitants des villes modernes de se relier à la nature – il entend assurer leur survie
spirituelle. Ito cherche à concevoir une architecture qui incarne les effets de la lumière
électrique, échappe à l’immobilisme de sa condition matérielle pour être aussi fluide et légère
que le vent et entrer ainsi en correspondance avec une urbanité en perpétuelle métamorphose.
Cette caractéristique – la métamorphose, l’évolutivité, la mouvance – est commune à l’œuvre
d’Ando, Ito et Hasegawa. Elle correspond à l’animation de l’architecture par la nature, une
qualité que l’on observe aussi dans le bâti du Japon de la période pré-moderne (des édifices
ouverts sur des jardins accueillant des événements climatiques et météorologiques).
Ceci étant, il ne faudrait pas opposer trop rapidement des visions positives ou
négatives de la ville. Si Ando la condamne et conçoit son architecture comme une solution
permettant de résoudre un problème, Ito et Hasegawa sont eux aussi critiques relativement à
l’urbanisation, notamment vis-à-vis de la pollution environnementale qu’elle entraîne.
Pourtant, à la différence d’Ando qui se mure derrière d’épais voiles de béton, Ito et Hasegawa
acceptent la condition urbaine moderne et cherchent à la développer, à l’optimiser et
finalement à la transcender par l’architecture-même. Une architecture qui déjoue les limites de
la standardisation et de la rationalisation portées par le mouvement moderne, qui dépasse
finitude et immobilité pour être gagnée de vitalité et se rapprocher de la nature. Ceci vaut pour
les projets de maisons individuelles réalisés en milieux urbains ; et quand, quittant la ville
pour les grands paysages d’Hokkaido, Ando et Ito réalisent chacun un équipement recevant
du public, il est intéressant d’observer ce que le contact des milieux naturels apporte à leurs
démarches de conception, y compris en milieu urbain quand ils devront y intervenir à
nouveau. Enfin, bien que l’écologie ne soit pas un sujet médiatisé à cette époque et que nous
ne trouvons pas chez Ando, Ito et Hasegawa de discours qui s’y rapportent directement,
certains propos et certaines intentions de projet y ont trait de manière concrète ou théorique.
Finalement, le thème de la nature pourrait tenir lieu de voie d’accès à l’écologie.
24
1.1. Maisons de ville. Recours à la nature
Ando Tadao est né en 1941 dans un quartier populaire d’Osaka, la grande cité
marchande du Kansai18. Issu d’une famille modeste, il apprend rapidement à vivre par lui-
même et développe un esprit d’indépendance. C’est un autodidacte qui, dès le plus jeune âge,
se forme sur le terrain de l’architecture traditionnelle et de l’artisanat. Enfant, il aimait
fréquenter les ateliers des artisans et les chantiers de maisons et commerces traditionnels de
son quartier : « Menuiseries, ferronneries, verreries, fabriques de meubles foisonnaient autour
de chez moi et, sitôt rentré de l’école, je jetais au loin mon cartable et m’échappais vers ces
lieux où les artisans que je connaissais bien s’appliquaient corps et âme à fabriquer quelques
objets19. » Plus tard, en observant les artisans, il apprend à fabriquer du mobilier et s’initie à
l’architecture en travaillant sur des chantiers d’aménagement intérieur, de rénovation et de
construction d’habitation de modeste envergure.
De par ces expériences, Ando développe une approche de l’architecture non pas
intellectuelle et conceptuelle mais plutôt sensible et intuitive. Lui-même le revendique : « Il
me semble que l’éducation architecturale actuelle patauge dans un flot d’intellectualisme sans
relation avec la réalité de la création et des choses. J’ai développé ma propre ligne de pensée
sur l’architecture non pas comme un concept intellectuel, mais comme le résultat d’une
expérience directe20. » Ando ne suit pas plus de formation universitaire qu’il ne rejoint
l’atelier d’un architecte confirmé. À l’écart de la voie conventionnelle, il développe sa
sensibilité architecturale en visitant des temples de Kyoto et de Nara ainsi que l’habitat rural
des environs de Takayama21 : « Le fait de se rendre réellement en ces lieux et de les parcourir
à loisir en prenant mon temps m’a permis, je crois, de saisir intuitivement avec mon corps ce
qu’était l’espace avant qu’il ne soit intégré dans un système et réduit, en tant que discipline
académique, à des mots. C’est pourquoi tout cela continue à vivre avec force au plus profond
18
Cette région du Japon située sur l’île principale de Honshu comprend les préfectures de Kyoto, Osaka, Hyogo,
Nara, Shiga et Wakayama.
19
ANDO Tadao, « Ando par lui-même », Tadao Ando, catalogue de l’exposition, Paris, Éditions du Centre
Pompidou, 1993, cité dans NUSSAUME, Yann, Tadao Andô et la question du milieu, Réflexions sur
l’architecture et le paysage, Paris, Le Moniteur, 1999, p. 35.
20
Ibidem, p. 36.
21
Takayama ou Hida-Takayama est une ville située dans la préfecture de Gifu et dans la région de Chubu. Au
cœur des Alpes japonaises), Takayama et ses environs recèlent de nombreux monuments historiques, dont un
important patrimoine architectural rural.
25
de mon être non pas simplement comme un objet de connaissance, mais comme ma propre
chair et mon propre sang22. » Basée sur l’expérience concrète des lieux, la formation d’Ando
présente la particularité d’un ancrage dans l’architecture japonaise traditionnelle, ceci alors
que l’enseignement universitaire de l’époque n’en faisait que très peu cas, axé qu’il était sur la
doctrine moderne importée d’Occident.23
22
ANDO Tadao, cité dans NUSSAUME, Yann (1999), opus cit., p. 36.
23
Selon Manuel Tardits (architecte de l’agence Mikan et enseignant à l’université Meiji de Tokyo), à cet égard,
l’enseignement actuel n’a pas tellement changé : « (…) ici [au Japon], après avoir rapidement brossé un
panorama de l’architecture japonaise, on passe très vite à l’architecture occidentale. Dans deux cents ans ce sera
certainement différent, mais, aujourd’hui encore, l’architecture est essentiellement considérée comme étant une
discipline occidentale. Même si il y a des architectes japonais qui parlent de leur pays, dans les grandes
universités japonaises Le Corbusier est toujours sur le devant de la scène. Je caricature à peine ! ». Entretien avec
S. Dousse, le 22 juillet 2019, à Tokyo. Voir annexe 8.
24
ANDO Tadao, cité dans NUSSAUME, Yann (1999), opus cit., p. 36.
25
ANDO Tadao, « Un concours de circonstances. De la conception de l’habitat privé : les maisons Banshô,
Hirabayashi, Sôseikan-Yamaguchi, Sumiyoshi, Tatsumi, Tomishima et la tour Plaza Tezukayama. », février
1977, cité dans NUSSAUME, Yann (1999), opus cit., p. 166. Les articles d’Ando Tadao présentés dans
l’ouvrage de Yann Nussaume ont été traduits du japonais au français par Carine Cheval et Yann Nussaume.
26
ANDO Tadao, « Comment faire face à la désespérante stagnation de l’architecture moderne
contemporaine ? », 1987, cité dans NUSSAUME, Yann (1999), opus cit., p. 216.
26
et logique et a, de ce fait, laissé de côté les aspects cachés de l’être humain pour tendre vers
une uniformisation excluant toute individualité ».27
27
ANDO Tadao, « Un concours de circonstances. De la conception de l’habitat privé : les maisons Banshô,
Hirabayashi, Sôseikan-Yamaguchi, Sumiyoshi, Tatsumi, Tomishima et la tour Plaza Tezukayama. », février
1977, cité dans NUSSAUME, Yann (1999), opus cit., p. 166.
28
ANDO Tadao, « La dimension émotionnelle dans les espaces architecturaux de Tadao Ando. Les maisons
Ueda et Matsutani. », avril 1980, cité dans NUSSAUME, Yann (1999), opus cit., p. 179.
29
ANDO Tadao, « Le mur comme délimitation territoriale. La maison Matsumoto. », février 1978, cité dans
NUSSAUME, Yann (1999), opus cit., p. 175.
30
ANDO Tadao, « Un concours de circonstances. De la conception de l’habitat privé : les maisons Banshô,
Hirabayashi, Sôseikan-Yamaguchi, Sumiyoshi, Tatsumi, Tomishima et la tour Plaza Tezukayama. », février
1977, cité dans NUSSAUME, Yann (1999), opus cit., p. 166.
31
BACHELARD, Gaston, La poétique de l’espace, Paris, PUF, 1957, 215 p.
32
ANDO Tadao, « Un concours de circonstances. De la conception de l’habitat privé : les maisons Banshô,
Hirabayashi, Sôseikan-Yamaguchi, Sumiyoshi, Tatsumi, Tomishima et la tour Plaza Tezukayama. », février
1977, cité dans NUSSAUME, Yann (1999), opus cit., p. 166.
33
Ibidem. p. 168.
27
Restauration contemporaine de l’unité architecture-nature : l’accueil des éléments
La maison Azuma34 est l’une des premières réalisations d’Ando Tadao. Cette œuvre
emblématique traduit le rôle joué par la nature dans l’architecture telle qu’Ando la conçoit. Ce
bâtiment a été édifié en 1975 dans le quartier ouvrier de Sumiyoshi, à Osaka. En
remplacement d’une maison en bois de style nagaya (maison alignée), sur un terrain de 3.60
mètres de large et de 10 mètres de profondeur, Ando implante une « boîte de béton » aux
façades opaques. À l’intérieur de cette boîte, il forme trois espaces de dimensions égales ainsi
qu’une cour centrale. Le rez-de-chaussée est occupé par le salon (en entrée de parcelle) et par
la cuisine/salle à manger et salle de bain (en fond de parcelle), tandis que l’étage offre deux
chambres reliées par une coursive qui traverse la cour.
Fig. 1. Maison Azuma. À gauche : la maison vue depuis la rue. Photo Tadao Ando & Associates. Au centre : la
façade principale. Photo GA photographers. À droite : la cour centrale. Photo Shinkenchiku-sha
Fig. 2. Maison Azuma. À gauche (de haut en bas) : plans de niveaux RDC et R+1. Dessins Tadao Ando Architect
& Associates. À droite : photographie de maquette35. Photo S. Dousse
34
Également nommée Row house in Sumiyoshi, la maison Azuma totalise une surface de plancher de 64 m² sur
deux niveaux (RDC et R+1).
35
Exposition « Tadao Ando le défi », Paris, Centre Pompidou, 2018 (photographies S. Dousse).
28
À propos de la création d’un espace extérieur au sein d’une construction d’envergure
si modeste (la surface de plancher de la maison Azuma est de 64 m²), l’architecte convient
que le sujet pose question. Cependant il explique que « (…) parce que la maison est si petite,
(il a) choisi de créer un contact avec la nature. Il ne s’agit pas de plantes vertes en pots
savamment disposées, ni d’un petit jardin potager installé sur la véranda, mais d’une cour de
lumière dont la fonction est de relier les éléments naturels à l’habitat. Sans cette cour de
lumière, la maison serait complètement asphyxiée. Mais grâce à elle, la maison respire, tout
comme certains êtres vivants arrivent à vivre à l’aide uniquement de quelques éléments
naturels36. » Du point de vue d’Ando, cette pièce extérieure est vitale car elle place l’habitant
au contact de la nature, évitant ainsi une « asphyxie37 » par l’environnement urbain.
Fig. 3. Maison Azuma. À gauche : vue intérieure. Photo Tadao Ando & Associates. À droite : vue extérieure.
Photo Shinkenchiku-sha
« Cette cour de lumière, dans laquelle la nature dévoile chaque jour un nouveau
visage, constitue le noyau de la vie quotidienne se déroulant à l’intérieur de l’habitation ; elle
permet d’y focaliser la perception de la nature, qui se perd dans les villes, sous la forme de la
lumière, du vent ou de la pluie.38 » La nature qui investit la maison Azuma (comme la plupart
des réalisations d’Ando) n’est pas une nature végétale mais une nature de lumière, de vent et
de pluie. C’est une nature abstraite. La nature des éléments. Le quotidien étant animé par les
mouvements de la lumière du jour et par les événements météorologiques, « la maison devient
le médium par lequel les habitants ressentent la nature39 ». Par exemple : « La lumière projette
36
ANDO Tadao, « De la maison en bande Sumiyoshi à la maison de ville Kujô », 1983, in : NUSSAUME,
Yann (1999), opus cit., p. 195.
37
Ibidem.
38
Ibid. p. 196.
39
Ibid.
29
une ombre profonde sous la passerelle, et celle qui se reflète sur les façades en verre entre en
contact avec les murs en béton. Le vent frappe la surface des matériaux en les ventilant et
ceux-ci respirent en recevant le vent et la lumière.40 » Si Ando reconnaît que « (…) le fait
d’accueillir la nature dans une maison rend difficile la vie quotidienne. [Notamment parce
que] la liaison entre les pièces et le séjour est rompue du fait des espaces extérieurs41 (…),
[l’architecte est convaincu que] (…) la présence de la nature au sein des habitations est
toujours importante pour l’être humain (…) [et il] cherche toujours à unir en un tout l’homme
et la nature (…)42 ».
Ando déplore que l’urbain contemporain ait rompu la relation de porosité entre
l’humain et la nature caractéristique de l’architecture nipponne du passé : « (…) dans ce
contexte de concentration démographique et de surpopulation des villes et de leurs banlieues,
il est devenu presque impossible de construire des habitations ouvertes sur la nature et faisant
corps avec elle, selon le principe des maisons japonaises traditionnelles43. » Il poursuit son
analyse en observant combien le passage du monde traditionnel de l’avant-guerre au modèle
moderne d’origine occidentale est source de changements profonds et de pertes de
repères pour la société japonaise : « Au Japon (…), il existe un abîme entre les modes de vie
d’avant et d’après le début de l’ère moderne. La distance séparant les valeurs occidentales,
introduites avec une rapidité fulgurante après la Seconde Guerre mondiale, et le mode de vie
traditionnel des Japonais est telle qu’elle dépasse l’entendement des Occidentaux ;
parallèlement à l’abandon des valeurs esthétiques traditionnelles japonaises, les changements
abruptes du style de vie ont entraîné une confusion d’ordre spirituel44. » Pour restaurer
certaines valeurs culturelles et réhabiliter un équilibre spirituel, Ando entend faire un lien
entre le vocabulaire architectural issu du modernisme et des éléments typiques des
constructions japonaises traditionnelles, non pas dans leur aspect formel mais dans « leur
esprit et leur sensibilité45 ». Concrètement, il s’agit d’introduire les éléments de la nature dans
les espaces où sont réalisées les activités de la vie quotidienne46. Ce faisant, Ando privilégie
40
Ibid.
41
Dans la maison Azuma on accède aux chambres en empruntant l’escalier extérieur.
42
Ibid. p. 196-197.
43
ANDO Tadao, « D’une architecture moderne fermée sur elle-même à l’universalité », 1982, cité dans
NUSSAUME, Yann (1999), opus cit., p. 185.
44
Ibidem. p. 184-185.
45
Ibid., p. 187.
46
Ando se réfère aux éléments de l’architecture traditionnelle que sont les ruelles des maisons de ville de Kyoto
(genkan) et les entrées en terre battue (doma) des maisons populaires ; éléments présentés comme des « lieux de
symbolisation d’un espace de vie quotidienne », ce vers quoi l’architecte souhaite « élever l’espace des
émotions ». Voir ANDO Tadao, « Un concours de circonstances. De la conception de l’habitat privé : les
30
l’utilisation d’un matériau unique, le béton47, qu’il juge à même de sublimer des éléments
comme la pluie et de montrer « la variation de la lumière et du vent à chaque instant, le
déroulement du cycle des saisons et son impact sur la vie quotidienne48 ».
Pour résumer, par la conception de ce qu’il nomme une architecture moderne fermée
sur ce qu’il nomme une cour de lumière49, Ando Tadao entend procéder à la « restauration
d’une manière contemporaine, de l’unité entre habitations japonaises et nature, unité qui avait
disparu dans le processus de modernisation50. » L’architecture d’Ando est sciemment pensée
comme étant à la fois le vecteur et le support des éléments et des événements de la nature –
une nature impalpable mais porteuse d’émotions. D’après Ando : « L’homme doit cultiver
une sensibilité en éveil pour bien percevoir la nature, ce qui lui permet, en fin de compte, de
prendre conscience de sa propre richesse spirituelle51. » À travers cette démarche, Ando
réalise une étape importante dans le développement de la relation entre architecture et nature :
l’abstraction de la nature.
31
1.1.2. Ito Toyo : de l’immatérialité des flux d’air et de lumière
Né lui aussi en 1941, à la différence d’Ando Tadao, Ito Toyo ne grandit pas en milieu
urbain mais à la campagne, dans la région montagneuse (les Alpes japonaises) de la préfecture
de Nagano, aux abords du lac Suwa. Du fait de cet élément biographique, le regard qu’Ito
porte sur la ville diffère nettement de celui de son contemporain. Rétrospectivement, Ito écrit :
« Pour un tout jeune enfant, Tokyo, c’était un rêve éveillé. [Plus tard,] lorsque j’ai commencé
mes études d’architecture à l’université, avec l’organisation des Jeux olympiques [de 1964],
l’autoroute urbaine et le shinkansen sont entrés en service et Tokyo est devenue l’une des plus
grandes villes du monde. C’est pourquoi, même lorsque j’ai ouvert ma propre agence, Tokyo
est restée la référence de base de ma réflexion sur l’architecture. (…) Tokyo, à mes yeux,
c’était la nouveauté. Sans doute parce que j’étais convaincu que cette ville m’offrirait de quoi
réaliser mes rêves d’avenir. Pour moi, la modernité, c’était Tokyo52. » Quand Ando souhaite
résister à l’urbanité moderne, Ito y voit une source d’inspiration. Symbole de « nouveauté » et
de « modernité », Tokyo est le terrain et le terreau de sa réflexion sur l’architecture à venir.
Une architecture qui devra refléter cette nouvelle réalité urbaine.
Fig. 4. Photographies urbaines. De gauche à droite et de haut en bas : la Tokyo tower (réalisée par Nikken
Sekkei en 1958), l’autoroute aérienne, le Stade national pour les Jeux Olympiques de Tokyo (réalisé par Tange
Kenzo en 1964), un faisceau de voies ferrées. Images extraites du film Le vagabond de Tokyo (Tokyo
nagaremono) réalisé par Suzuki Seijun en 1966.
52
ITO Toyo, L’architecture du jour d’après, Bruxelles, Les impressions nouvelles, 2014, p. 13-14.
32
université de Tokyo en 1965, il est employé dans l’agence de Kikutake Kiyonori (1928-2011)
(l’une des figures principales du groupe des métabolistes53) pendant quatre ans, jusqu’en
1969. À cette période, en tant que représentant de l’équipe de Kikutake, Ito travaille au-près
de Tange Kenzo (1913-2005) (chef de file du mouvement métaboliste) à la préparation de
l’Exposition d’Osaka (1970). En 1971, après deux années de mise en retrait professionnel et
de maturation de son projet, Ito fonde l’agence URBOT (Urban Robot). L’origine de ce nom
doit être rattachée à la démarche de Tange qui avait lui-même nommé son agence URTEC :
Urban Architect. Après que Tange ait entrepris d’étendre les développements de
l’informatique au domaine de l’urbanisme54, Ito fantasme une architecture robot. Inspiré lui
aussi par la ville moderne, il rejette la monumentalité inhérente à la vision des métabolistes
(monumentalité également inhérente à la vision des architectes contemporains de Tange55).
Passionné par le monde des flux (des humains, des marchandises et des communications) que
donne à sentir l’urbanité de Tokyo, Ito souhaite aborder la thématique de l’ « évolution », un
sujet qui, selon l’historien Fujimori Terunobu, n’a pas été pris en compte par les métabolistes,
d’avantage intéressés par les notions de « mouvement cyclique », « croissance »,
« changement », « propagation » et, in fine, « retour à un état antérieur »56.
Inspiré par la transformation continue du bâti de Tokyo, Ito entend réaliser une
architecture qui suive les métamorphoses de la ville moderne en s’insérant dans les parcelles
vacantes d’un tissu urbain toujours mouvant. Dans son premier essai « The Logic of
Uselessness »57 (que l’on pourrait traduire en français par « La Logique de l’Inutilité »)
(1971), en adoptant un rôle de simple observateur58, Ito décrit une architecture qui se forme
53
Le métabolisme est un mouvement architectural d’après-guerre dont les acteurs principaux sont Tange Kenzo
(1913-2005), Isozaki Arata (1931- ), Kikutake Kiyonori (1928-2011), Kurokawa Kisho (1934-2007) et Maki
Fumihiko (1928- ). Ceux-ci ont combiné l’échelle des mégastructures au principe de croissance organique. Les
métabolistes ont notamment conçu de célèbres modèles de villes dans les airs (Isozaki, 1960-63) et sur la mer
(Kikutake, 1958-63). Certaines réalisations subsistent encore aujourd’hui. Comme l’emblématique Nakagin
Capsule Tower (Kurokawa, 1972, Tokyo) dont on envisage pourtant la démolition (en 2022).
54
Avec l’appui de Tsukio Yoshio (ancien élève de Tange, Tsukio Yoshio est devenu pionnier dans la création de
logiciels informatiques de design), Tange Kenzo souhaitait développer l’usage des algorithmes (« Urgorithms » :
urban algorithms) pour générer des simulations au service de la planification urbaine.
55
À propos de l’architecture moderne au Japon (les architectes de la génération de Tange Kenzo), voir :
MIGAYROU, Frédéric, « Émergence d’une architecture japonaise moderne », 1955-1965, MIGAYROU,
Frédéric (dir.), Architecture et urbanisme au Japon depuis 1945, Metz, éditions du Centre Pompidou, 2017,
p. 73-118.
56
« In Pursuit of truth under changing circumstances», entretien avec Fujimori Terunobu, dans : ITO Toyo, Toyo
Ito 1 1971-2001, Tokyo, Toto Publishing, 2013, p. 15. Sauf mention de leur(s) traducteur(s), toutes les sources
anglophones citées dans la présente étude ont été traduites par l’auteure.
57
« The Logic of Uselessness », Toshi Jutaku, 1971, dans : ITO Toyo, Tarzans in the Media Forest and Other
Essays, Londres, AA Publications, 2011, p. 22-32 (tradition du japonais à l’anglais par Thomas Daniell).
58
Une stratégie d’effacement de l’auteur et de mise en fiction de l’architecture selon Thomas Daniell.
DANIELL, Thomas, « The Fugitive », introduction de l’ouvrage d’ITO Toyo (2011), opus cit., p. 16-18.
33
par elle-même, dans un processus de croissance organique. Féru de science-fiction mais déçu
par les images de villes du futur qui lui sont proposées, le jeune architecte base son projet sur
la fiction d’une récupération de capsules tombées de mégastructures métabolistes – ce faisant,
il s’inscrit dans le sillage de la génération d’architectes qui le précède et, de fait, dans
l’histoire de l’architecture. À travers la série de maisons/capsules 59 aux formes mécaniques et
aux revêtements métalliques (reflets de l’aire d’industrialisation dans laquelle le Japon est
largement engagé), Ito s’intéresse au principe de l’ « inutilité ». En se référant à la théorie de
l’évolution (« un processus perpétuel d’adaptation vis-à-vis de l’environnement par
l’exclusion des parties inutiles et le perfectionnement des parties efficientes »), il imagine une
architecture capable de « mutation » par ce qu’il appelle l’« intensification de (ses) parties
inutiles ». Sa stratégie est de concevoir une architecture dysfonctionnelle, qui induise une
sensation d’ « inconfort », d’ « incohérence » et de « confusion »60 et incite les habitants à
intervenir sur l’espace pour l’adapter aux usages et le rendre enfin opérationnel.
59
URBOT-001: Aluminium House, URBOT-002: Useless Capsule House, URBOT-003: Tokyo Vernacularism.
60
ITO Toyo (2011), opus cit., p. 28.
61
Ibidem, p. 25.
34
Entre immatérialité des flux d’air et de lumière et matérialité brute de la terre
Fig. 5. Maison en aluminium. De gauche à droite : vue extérieure et vue intérieure. Photos Suzuki Yutaka
62
URBOT 001 : Maison en aluminium, première réalisation d’Ito Toyo, construite en 1971 à Fujisawa, une ville
située à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Tokyo, dans la préfecture de Kanagawa. Sur un terrain
de 379 m², l’emprise au sol de la maison est de 84 m² et sa surface totale de plancher est de 100 m² (sur deux
niveaux, RDC et R+1).
63
« Conversation avec Ito Toyo », ITO Toyo (2013), opus cit., p. 38.
64
« Signs of Light », 1977, ITO Toyo (2011), opus cit., p. 52.
65
« Conversation avec Ito Toyo » : ITO Toyo (2013), opus cit., p. 37.
35
sur soi était alors une tendance générale, et ce sont les espaces de Kazuo Shinohara66 qui l’ont
symbolisé avec le plus de force ». À cet état des lieux sociétal, Ito ajoute la désillusion causée
par l’Exposition d’Osaka67 et par la répression policière des manifestations étudiantes des
années 1960. Pourtant, en ce qui le concerne, il indique que c’est surtout « la rapide mutation
des villes qui (l)’a conduit à ce repli sur soi »68. À la fois fasciné et effrayé par les
transformations urbaines69, sous l’influence des écrits de Shinohara, Ito souhaite fabriquer des
« utopies spatiales ». Contrairement à Ando Tadao, son intention n’est pas de concevoir un
« espace de pureté » permettant au citadin de renouer avec les éléments de la nature. Il
souhaite traduire l’atmosphère de la ville dans l’architecture. Si celle-ci est fermée sur elle-
même c’est parce que la diffusion de la lumière y est travaillée afin de donner jour à un
espace qui ne soit « ni un espace d’obscurité, ni un espace baigné par la lumière (…) », un
espace baigné dans une luminosité diffuse. Dans l’imaginaire de l’architecte : « Être à
l’intérieur de ce champ de lumière tamisée c’est comme être à l’intérieur d’un nuage blanc de
lumière et d’obscurité entremêlées » ; à l’intérieur d’ « un monde lumineux sans ombre,
couleur ni source de lumière, et même sans temps »70. Si, contrairement à Ando, Ito ne parle
pas de la lumière en tant qu’élément de la nature, notons que la clarté ou l’opacité qui traverse
l’architecture sont au centre de ses préoccupations.
66
Shinohara Kazuo (1925-2006) est connu pour la conception de nombreuses maisons individuelles et pour ses
écrits porteurs d’un esprit engagé et radical. En réaction à l’école de pensée de Tange Kenzo qui était alors
dominante, Shinohara encourageait les architectes à tourner le dos à la ville et à créer des architectures en tant
qu’ « utopies intérieures », libres des plans urbains, des contraintes d’usages, et même indépendantes vis-à-vis du
client. Pour plus d’informations voir : SHINOHARA Kazuo, « The autonomy of the house design », avril 1964,
traduit en anglais par Daniell Thomas dans : DANIELL, Thomas, An anatomy of influence, Londres,
Architectural Association, 2018, p. 21-24. L’œuvre de Shinohara a fortement marquée les jeunes architectes tels
qu’Ito Toyo, Hasegawa Itsuko et Sakamoto Kazunari, représentants de « l’école Shinohara ». Ito Toyo a reconnu
l’influence de la démarche de Shinohara dans la conception de White U.
67
L’Exposition universelle d’Osaka (1970) ou « Expo’70 » a été la première Exposition universelle à se tenir en
Asie. Avec pour thème « Progrès et harmonie pour l’Humanité », elle symbolise la renaissance du Japon devenu
la deuxième grande puissance économique mondiale. Si le mouvement métaboliste a alors acquis une notoriété
internationale en tant que pionnier d’une nouvelle architecture hyper technologique, certains architectes japonais
comme Ito Toyo ont été déçus par la grandiloquence et l’ostentation des installations. Pour plus d’informations,
voir : MIGAYROU, Frédéric (dir.) (2017), opus cit., 4.2., p. 155-167 ; DANIELL, Thomas (2018), opus cit.
68
Entretien avec Yamamoto Riken, dans : NUSSAUME, Yann (dir.) pour la version française, Toyô Itô.
Structures légères, détails, Paris, Le Moniteur, 2003, p. 10.
69
« Lorsque j’ai commencé le projet de la maison en aluminium, il y a plus de dix ans, j’ai éprouvé l’agréable
sensation de me glisser dans le processus de transformation rapide de la ville tout en souhaitant y échapper ».
ITO Toyo, « Sur l’architecture du vent », Kenchiku bunka, janvier 1985, dans : Département Création-Diffusion
de l’Institut Français d’Architecture (dir.), Toyo Ito, Écrits, Collection « Partitions », Rome, Edizioni Carte
Segrete, 1991, p. 13.
70
« Signs of Light », 1977, dans : ITO Toyo (2011), opus cit., p. 55.
36
White U, Tokyo, 1976
Fig. 6. White U. De haut en bas et de gauche à droite : vue aérienne sur la maison et son environnement (photo
Kioku Keizo), vue sur l’espace intérieur et la cour centrale (photo Koji Taki, version en noir et blanc), vue sur la
façade nord recouverte de lierre (photo Toyo Ito & Associates, cliché en date des années 1980), vue sur le sol de
la cour avant qu’il ne soit couvert d’herbe dans les années 1980 (photo Toyo Ito & Associates)
Alors que la structure de la maison en aluminium est en bois, White U71 est une
architecture de béton. Elle en gagne en massivité. À propos de la fermeture de ce bâtiment
vis-à-vis de l’extérieur, Ito explique que ce n’est pas une décision a priori mais le résultat
d’expérimentations formelles sur la circulation de la lumière dans un espace architectural72.
Introduite par des ouvertures zénithales et latérales choisies, la lumière naturelle se diffuse sur
des surfaces courbes peintes en blanc. Sol et plafond étant également de couleur claire, les
arrêtes des murs s’effacent. Ito souhaite créer un espace fluide afin que les habitants circulent
dans la maison avec les flux d’air et de lumière. Suivant cette intention, il conçoit, sur un plan
en U, un espace ouvert – ce qu’il nomme « champ de flux unifié »73 (a single field of flow) –
dans lequel il dispose les espaces fonctionnels et les circulations. Ainsi « les gens réalisent
71
La maison White U a été édifiée en 1976 dans le quartier de Nakano, à Tokyo. Sur un terrain de 367 m², avec
une emprise au sol de 151 m², sa surface totale de plancher est de 148 m² (sur un niveau).
72
« (…) initialement je ne pensais pas concevoir (un bâtiment) si fermé. C’est pendant le processus de
conception, simplement en pensant l’intérieur – par exemple en me disant si je ferme cette partie alors la lumière
sera plus belle. C’est ainsi que j’ai conçu un bâtiment si fermé. » « In Pursuit of truth under changing
circumstances », ITO Toyo (2013), opus cit., p. 27.
73
ITO Toyo, « White Ring », 1976, dans : ITO Toyo (2011), opus cit., p. 34.
37
leurs activités quotidiennes à travers ce flux – ce qui revient à dire qu’ils l’habitent » La
dimension fonctionnelle de l’architecture se dissout dans une esthétique et une poétique des
flux portées par la lumière. Sensible aux enjeux de l’art, la commanditaire de White U (qui
n’est autre que la sœur d’Ito) accepte cette démarche radicale de « poursuite d’une forme
extrême de beauté » au prix d’une réduction drastique des ouvertures des façades sur rue et
sur cour. Habituée à la vie en appartement, elle exprime néanmoins le désir d’une maison qui
lui permette de se sentir au contact de la terre. Pour y répondre, au lieu de recouvrir le sol du
terrain par un revêtement minéral ou végétal comme il est généralement d’usage de le faire,
Ito l’expose à nu, avec une terre très sombre. Ceint de murs de béton dont la finition brute
exacerbe la matérialité de la terre, l’espace de cette cour d’où se dégage une sensation
d’étrangeté, de mystère et de vide contraste presque brutalement avec la blancheur
évanescente de l’espace intérieur – parallèlement à l’immatérielle des flux d’air et de lumière,
la concrétude physique de la terre. Une dizaine d’années plus tard, à la fin des années 1980, le
végétal fait son apparition. Le lierre recouvre les murs de béton et l’herbe le sol de la cour. Ito
s’étonne : « Lors de son achèvement, je pensais qu’une maison de ce type ne changerait pas,
même après des années, mais, en réalité, elle est devenue de plus en plus vivante74 ».
Finalement, c’est avec un certain soulagement qu’il accueille cette incursion de la nature sur
l’architecture radicale de White U.
La hutte d’argent, Tokyo, 1984 (musée d’architecture Toyo Ito, Omishima, Ehime, 2011)
Sept ans plus tard, Ito Toyo réalise la hutte d’argent75, sa maison personnelle. Ce
projet marque le passage de l’architecte à l’utilisation du métal, en structure comme en
façade. Grâce à ce matériau, il conçoit des structures légères et minimalistes, très ouvertes sur
l’extérieur. Par l’emploi de tôles en acier galvanisé expansé (un produit industriel), il cherche
à réaliser le concept d’une « architecture du vent ». Les tôles pliées forment des voûtes légères
en guise de toits et les panneaux perforés des parois semi-opaques – légèreté et transparence
pour exprimer les mouvements de l’air. Dans l’essai « Sur l’architecture du vent » (1984), Ito
imagine combien il serait formidable que l’architecture puisse être aussi légère que l’air. À
propos de la hutte d’argent, il écrit : « Il est évident qu’une architecture qui change de forme
74
ITO Toyo, « Sur l’architecture du vent », Kenchiku Bunka, janvier 1985, dans : Département Création-
Diffusion de l’institut Français d’Architecture (dir.) (1991), opus cit., p. 17.
75
La hutte d’argent a été édifiée sur la parcelle voisine de celle de White U, dans le quartier de Nakano, à Tokyo.
Sur un terrain de 403 m², son emprise au sol est de 120 m² et sa surface totale de plancher est de 139 m² (sur
deux niveaux, RDC et R+1). En 2011 elle a été réinstallée sur le site du musée Toyo Ito, à Omishima, une île de
la mer intérieure (préfecture d’Ibaraki).
38
selon le vent ne se fait pas remarquer. Elle n’est pas restrictive76 ». Puis, dans l’essai
« L’architecture comme métamorphose » (1985), Ito s’exprime sur le paradoxe inhérent à
l’architecture qui, alors qu’elle s’inscrit dans une « réalité en perpétuelle évolution », « doit
toujours s’incarner en une forme solide ». « Or, il est à peu près aussi délicat de figer une telle
réalité (…) que de traduire en langage des idées floues comme un paysage dans le brouillard
matinal », observe-t-il. « Puisque (l)es activités varient selon le moment, l’architecture idéale
devrait être flexible, légère et adaptable. » Enfin, Ito argue que pour un architecte qui
« conçoit son architecture en partant de l’intérieur », la difficulté étant de faire de son
bâtiment « un véritable objet architectural avec une forme repérable » tout en évitant « que
cette forme n’opère une contre-attaque sur le contenu de l’architecture », « une architecture
"métamorphose du vent" évite ces écueils » 77.
Fig. 7. Hutte d’argent. De haut en bas et de gauche à droite : vue du bâtiment dans son environnement d’origine
(à Tokyo). Photo Toyo Ito & Associates. Vue du bâtiment dans son environnement actuel (Omishima, Ehime),
vue sur la façade et vue sur la cour. Photos S. Dousse, 2019/07
76
ITO Toyo, « Sur l’architecture du vent », Kenchiku Bunka, janvier 1985, dans : Département Création-
Diffusion de l’institut Français d’Architecture (dir.) (1991), opus cit., p. 23.
77
ITO Toyo, « L’architecture comme métamorphose », Jutaku Kenchiku, juillet 1985, ibidem. p. 35.
39
Avec la hutte d’argent, en s’inspirant du pao mongol et de la tente-hutte, des exemples
d’ « architecture primitive » où « intérieur et extérieur sont seulement séparés par un tissu »78,
Ito rompt avec la tendance à la massivité et à l’introversion des années 1970. En souhaitant
incarner en architecture l’élément impalpable et invisible qu’est le vent, comme Ando Tadao,
bien que dans un tout autre style et bien qu’il ne le formule pas dans ses écrits, Ito Toyo se
réfère à une nature abstraite ; il combine abstraction et fiction en vue d’une création des plus
contemporaines. Enthousiasmé par le commentaire d’un étudiant qui, découvrant la hutte
d’argent un jour où Ito avait déployé une toile79 en auvent sur la cour, s’était exclamé « c’est
comme si j’étais sur un bateau à voiles ! », l’architecte pose la question suivante : « Est-ce une
illusion que de vouloir faire flotter sur la mer de Tokyo des capteurs de vents qui
conviendraient si bien à cette ville80 ? » Et d’y répondre lui-même en expliquant que, de son
point de vue, « si l’architecture ne doit refléter que la réalité, (il) préfère ne pas l’appeler
architecture ». Ancrée dans un réel mouvant, à la fois technologique et organique, moderne et
primitive, l’architecture d’Ito Toyo serait dans un même temps urbaine et naturelle.
Fig. 8. Hutte d’argent. Images du haut : vue sur la cour et l’environnement. Images du bas : vues intérieures.
Photos S. Dousse, 2019/07
78
Ibid. p. 39.
79
Ito Toyo utilise la toile, un matériau qui « traduit l’éphémère ». Entretien avec Yamamoto Riken,
NUSSAUME, Yann (dir.) (2003), opus cit., p. 14.
80
ITO Toyo, « Sur l’architecture du vent », Département Création-Diffusion de l’institut Français d’Architecture
(dir.) (1991), opus cit., p. 25.
40
1.1.3. Hasegawa Itsuko : des artefacts « seconde nature »
Née en 1941, Hasegawa Itsuko est originaire de la préfecture de Shizuoka, une région
entre mer et monts située au sud du mont Fuji. Avant même d’obtenir son diplôme à
l’université Kanto Gakuin de Yokohama en 1964, Hasegawa commence à travailler dans
l’agence de Kikutake Kiyonori81. Elle y reste pendant cinq ans, puis intègre le bureau de
Shinohara, avec qui elle collabore pendant neuf années. Hasegawa fonde sa propre agence en
1979, soit environ dix ans après qu’Ando et Ito aient créé les leurs 82. Les démarches de
Hasegawa et d’Ito sont proches dans le sens où tous deux utilisent des matériaux et des
produits de l’industrie pour concevoir des architectures légères et ouvertes sur l’extérieur.
Avec Sakamoto Kazunari (1943-), Ito et Hasegawa sont les pionniers de la
« light architecture » (light valant pour légèreté et lumière) et représentent l’école Shinohara,
« un terme probablement inventé par le critique Taki Koji puis communément utilisé pour
désigner des architectes qui concevaient des petites maisons aux formes géométriques
claires83. » Dès le début de sa carrière, Hasegawa se préoccupe de manière explicite du
rapport entre architecture et nature, notamment d’un point de vue écologique.
81
Ito Toyo l’y rejoindra. Tandis que celui-ci est employé dans l’équipe chargée de la récolte de données, des
analyses de sites, de la réalisation des études de faisabilités et des plans directeurs, Hasegawa Itsuko est membre
de l’équipe de design architectural. Pour plus d’informations, voir : « Toyo Ito: the fugitive » et « Hasegawa
Itsuko: Seconde nature », dans : DANIELL, Thomas (2018), opus cit., p. 108-141.
82
Ando a créé son agence d’architecture en 1969 et Ito a créé la sienne en 1971.
83
Entretien avec Thomas Daniell, dans : DANIELL, Thomas (2018), opus cit, p. 131.
84
La maison de Kuwahara a été édifiée en 1980 à Matsuyama, dans la préfecture d’Ehime, sur l’île de Shikoku.
Implantée sur un terrain de 585 m², elle totalise une surface de 414 m² (sur trois niveaux dont un sous-sol).
85
DANIELL, Thomas (2018), opus cit, p. 120-141.
86
Hasegawa Itsuko est familière du milieu marin car elle a grandit au bord de la mer et a beaucoup pratiqué la
navigation à la voile. Son grand-père, qui travaillait dans le secteur de la construction navale, lui a appris le
dessin. Avant de concevoir des bâtiments, Hasegawa a dessiné et fait construire son propre yacht.
41
n’avait encore jamais été utilisé en façades de bâtiments au Japon87. Ce produit permet à
l’architecte de jouer des effets visuels causés par les variations de la lumière et de l’ombre au
cours de la journée. Pour ce projet comme pour de nombreux autres à venir, Hasegawa choisit
l’aluminium car c’est un matériau qui, à la différence des autres métaux, ne reflète pas
précisément les éléments de l’environnement, « seulement des images vagues et des teintes »,
un matériau dont la couleur varie selon les moments du jour (d’un gris de plomb les jours de
pluie, il évolue entre violet et bleu au lever du soleil, entre rose et violet au crépuscule). Alors
qu’Ando Tadao et Ito Toyo soignent les effets de la lumière dans les espaces intérieurs,
Hasegawa Itsuko le fait également en façade – à titre d’exemple, la façade ouest de la maison
de Kuwahara est un bloc de verre qui brille comme un prisme dans le soleil. Elle souhaite
créer une architecture qui vibre avec son environnement : une architecture qui « reflète la
lumière changeante du paysage périurbain pour créer une impression spatiale flottante. »88
42
avec les nuages flottants, la brise, le ciel et la lumière du soleil, il participe à la formation d’un
nouvel environnement naturel91. » Quand, à propos de la façade de la maison de Nerima
(1986), l’architecte parle d’une « nouvelle sorte de naturel92 », elle énonce clairement l’idée
que les artefacts puissent se mêler à la nature et même fabriquer une nouvelle nature.
Fig. 9. Maison Kuwahara et Atelier Tomigaya. À gauche : vues sur la façade principale (exposée sud) de la
maison de Kuwahara. Photos Ohashi Tomio. À droite : vue sur la façade principale (exposée sud) de l’atelier de
Tomigaya. Photo Itsuko Hasegawa Atelier
91
HASEGAWA Itsuko, Itsuko Hasegawa, Architectural monographs, Londres, Academy Editions, n° 31, 1993,
p. 37.
92
Ibidem. p. 12.
93
La maison de Nerima a été édifiée en 1986, dans le quartier de Nerima, à Tokyo. Bâtie sur un terrain de
330 m², son emprise au sol est de 153 m² et sa surface totale de plancher de 245 m² (sur trois niveaux dont un
sous-sol).
43
le mont Fuji ».94 À travers ces propos on comprend que, du point de vue de Hasegawa, le
paysage est constitué d’une série d’éléments : partant de la lune, il engage les immeubles de
grande hauteur et le plus célèbre volcan de l’archipel. Les éléments qui relèvent de la ville et
ceux qui relèvent de la nature ne sont pas perçus dans un rapport de dualité mais comme
procédant d’un ensemble.
Fig. 10. Maison de Nerima. À gauche : vue sur la façade principale (exposée sud). Photographie Ohashi Tomio.
À droite : axonométrie. Dessin Itsuko Hasegawa Atelier
94
HASEGAWA Itsuko, Itsuko Hasegawa 1985-1995, Tokyo, SD9511, Kajima Institute Publishing, 1997,
p. 100.
95
La maison de Kumamoto a été édifiée en 1987, dans le quartier de Kikuchi, à Kumamoto, sur l’île de Kyushu.
Sur un site de 986 m², sa surface du bâtiment est de 199 m² (sur un niveau).
96
HASEGAWA Itsuko (1997) (The Master Architect Series II), opus cit., p. 48.
97
HASEGAWA Itsuko (1993), opus cit., p. 25.
44
Fig. 11. Maison de Kumamoto. À gauche : plan du rez-de-chaussée et plan de masse. Dessins Itsuko Hasegawa
Atelier. À droite : vue sur les toits. Photographie Fujitsuka Mitsumasa
Enfin, tout en élaborant des configurations spatiales qui répondent à des contraintes
pratiques telles que la ventilation et la lumière des bâtiments, Hasegawa Itsuko pense le
rapport à la nature dans une dimension existentielle et spirituelle. Localisée dans un quartier
résidentiel de Tokyo, la maison de Higashi-Tamagawa98 (1987) présente une façade
suffisamment opaque (en béton au rez-de-chaussée, en métal perforé à l’étage) pour assurer
l’intimité des habitants, tout en étant organisée autour une cour qui permet la circulation de
l’air et de la lumière à l’intérieur du bâtiment. En visitant l’habitat traditionnel de Bali (des
maisons ceintes de murs d’argile et ouvertes sur des cours centrales « où les gens vivent en
harmonie avec le climat chaud et leurs croyances traditionnelles ») Hasegawa a découvert le
« confort acquis par une adaptation flexible à la nature ». Alors elle a « réalisé que les gens de
Bali acceptent tout, y compris les bâtiments, non pas en tant qu’éléments indépendants, mais
comme manifestation d’une immense structure globale, l’univers ». Forte de cette prise de
conscience, Hasegawa écrit de la maison de Higashi-Tamagawa qu’elle constitue « un
nouveau type d’équipement qui permet de percevoir les innombrables aspects de la ville
comme équivalents aux éléments de l’univers (…). »99 Avec un peu de recul, il est amusant de
constater que c’est la visite de l’habitat balinais qui a inspiré à l’architecte ces considérations
sur la manière de vivre en acceptant le climat, ce dont l’habitat japonais traditionnel témoigne
pourtant. Plongée qu’elle était dans la modernité du Japon de l’après-guerre, il lui était peut-
être nécessaire de s’éloigner de son île natale pour envisager la perception du monde en tant
que « tout », une caractéristique de la spiritualité nipponne empreinte de zen.
98
La maison Higashi-Tamagawa a été édifiée en 1987 dans un quartier commercial et résidentiel de Tokyo. Sur
un terrain de 240 m², son emprise au sol est de 144 m² et sa surface totale de plancher de 238 m² (sur deux
niveaux et un sous-sol).
99
HASEGAWA Itsuko (1993), opus cit., p. 45.
45
Fig. 12. Maison de Kumamoto et maison de Higashi-Tamagawa. De gauche à droite : vue sur la façade de la
maison de Kumamoto, vue sur la façade de la maison de Higashi-Tamagawa. Photos Itsuko Hasegawa Atelier
46
1.2. Premiers équipements. Quand le milieu met l’architecture en question
La chapelle sur l’eau103 est une architecture de béton aux formes orthogonales
minimalistes. Le plan de ce bâtiment est constitué de deux carrés enchevêtrés, deux volumes
cubiques aux murs dénués d’ouvertures, à l’exception de l’une des façades du volume
principal (la salle de cérémonie) qui est entièrement ouverte sur l’extérieur. Après un long
cheminement d’approche (sur une cinquantaine de mètres), passé l’ouverture ménagée dans le
mur d’enceinte du site, une fois longé le plan d’eau (créé par détournement d’un ruisseau)
situé en contrebas du chemin, lui-même positionné en hauteur (+ 1.5 m environ) par rapport
au plancher de la chapelle, le visiteur pénètre par la façade arrière du bâtiment avant
d’emprunter une volée de marches et de descendre vers la salle de cérémonie. Le paysage
s’offre alors, cadré par l’architecture. L’espace intérieur se prolonge visuellement sur le plan
d’eau, surface intermédiaire entre le sol (minéral) du bâtiment et le paysage des montagnes
verdoyant en été et recouvert de neige en hiver. Le mur d’enceinte en L n’enclot pas le site. Il
n’opère pas une délimitation nette entre parcelle et nature environnante. Au contraire, la forêt
semble s’inviter dans le jardin – elle glisse vers le plan d’eau. Depuis l’intérieur, on
contemple le paysage, tableau vivant composé de végétal, de neige, d’eau, de lumière et de
100
Les Japonais disent d’eux-mêmes qu’ils naissent et grandissent shintoïstes, se marient chrétiens et meurent
bouddhistes. Les mariages sont souvent célébrés à l’église chrétienne.
101
ANDO Tadao, « Un concours de circonstances. De la conception de l’habitat privé : les maisons Banshô,
Hirabayashi, Sôseikan-Yamaguchi, Sumiyoshi, Tatsumi, Tomishima et la tour Plaza Tezukayama », février
1977, cité dans NUSSAUME, Yann (1999), opus cit., p. 171.
102
Pour plus d’informations, voir le chapitre que Yann Nussaume consacre à ce sujet : « Les années 1990 : la
multiplication des projets publics et la création de paysage », NUSSAUME, Yann (1999), opus cit., p. 81-92.
103
Sur un site de 6 730 m², son emprise au sol est de 344,9 m² et sa surface totale de plancher de 520 m².
47
vent : les éléments d’une nature abstraite. Le pan de mur de l’enceinte avançant vers la
montagne sans se refermer ni créer d’angles, l’architecture et le paysage se mélangent.
Fig. 13. Chapelle sur l’eau. De gauche à droite et de haut en bas : vue aérienne (photographie Takase Yoshio),
vue depuis l’intérieur de la chapelle (photographie Shiratori Yoshio), photographie de maquette104
(photographie S. Dousse), perspective d’étude (dessin Tadao Ando Architect & Associates)
104
Exposition Tadao Ando le défi, Paris, Centre Pompidou, 2018 (photographie S. Dousse).
48
conception du centre d’accueil de l’unité d’Hokkaido de la société Sapporo Beer105 (lui a)
permis d’élargir (s)on point de vue sur l’idée que l’architecture n’est qu’un élément constitutif
de la nature ou de l’environnement ».
Lors de sa première visite du site (en hiver), habitué à construire en milieu urbain où
une réglementation dense détermine la forme et l’apparence du bâtiment à construire, Ito
comprend rapidement que la « méthode [de conception] dont (il a) l’habitude ne pourr(a)
s’appliquer à ce projet ». Sur ce terrain qu’il qualifie d’« environnement naturel très vaste et
plat », il semble « inutile de réaliser un petit bâtiment isolé ». Par ailleurs, il remarque qu’une
architecture « métamorphose du vent » – telle que la hutte d’argent – « risquerait fort d’être
emportée » par les vents qui balayent la région. Enterré, le bâtiment sera « en parfaite
sécurité »106. C’est le milieu d’Hokkaido qui pousse Ito Toyo à imaginer une architecture
souterraine. Dans un tel contexte climatique, il lui semble adapté de concevoir un bâtiment à
moitié enseveli sous la neige… Après avoir creusé une excavation « en forme de coquille »107,
Ito utilise la terre du déblai pour apporter du relief au terrain en formant une petite colline –
un nouveau paysage, ondulant. Face à la place (nommée plazza) de forme concave, le plan de
la façade principale lui-même est courbe. Le voile de béton percé de baies vitrées se double
d’une canopée en structure métallique et membrane perforée. Passé cet abri semi-transparent,
on pénètre dans le bâtiment. Si les locaux de service sont disposés dans la partie enterrée, le
hall, les circulations, les espaces de dégustation et le restaurant sont ouverts sur le jardin. Au
niveau du toit, une plateforme d’observation offre un point de vue sur le paysage.
105
La guest-house (ou pavillon d’accueil) des brasseries Sapporo (une bière locale) se trouve à Eniwa, une ville
localisée à une centaine de kilomètres à l’ouest de Tomamu (où se trouve la chapelle sur l’eau), à une trentaine
de kilomètres au sud de Sapporo (capitale de la préfecture d’Hokkaido) et à une dizaine de kilomètres au nord de
l’aéroport de Chitose (desserte aérienne de l’île). Sur un site de 318 369 m², l’emprise au sol du bâtiment est de 1
197 m² et sa surface de plancher totale est de 1 139 m² (sur un seul niveau).
106
ITO Toyo, « Le rideau du XXIème siècle », Shinkenchiku, 1990, Département Création-Diffusion de
l’institut Français d’Architecture (1991), opus cit., p. 87.
107
Ito fait une analogie avec un élément de la nature, la coquille. Élément qui, dans le monde du vivant, peut-être
perçu comme un habitat, une architecture.
49
Fig. 14. La guest-house des brasseries Sapporo. De gauche à droite et de bas en haut : vues en plan et en coupe
(dessins Ito Toyo & Associates), vue sur la façade et le site, vue sur le bâtiment fondu dans la topographie, vue
sur la façade principale (photos GA photographers, cadrages modifiés pour les besoins de la mise en page)
Pour concevoir ce projet, Ito « dessin(e) les flux d’activité des hommes, des plantes,
de l’eau et du vent en suivant des courbes isohypses, semblables aux représentations des
zones de haute et basse pression atmosphérique sur les cartes météorologiques108. Il dev(ient)
alors facile d’insérer l’architecture dans ces flux, c’est à dire de l’adapter à son
environnement. L’architecture ne s’oppose pas à la nature en tant qu’objet indépendant mais
fait corps avec elle », écrit-il. Et de conclure : « Ma position, qui m’a pendant longtemps
amené à considérer comme opposés les concepts de ville et nature, ou ville et architecture,
s’est adoucie. Peu à peu, mon travail de dix années m’a conduit à les rapprocher »109. De fait,
la guest-house des brasseries Sapporo a marqué son époque en tant qu’exemple d’intégration
de l’architecture dans l’environnement. Questionné au sujet de la dimension paysagère dans
l’architecture contemporaine japonaise, le professeur Hirao Kazuhiro explique : « C’est Ito
Toyo qui a introduit le thème du paysage dans le projet d’architecture au Japon. Dans la
108
Quelques années après la conception de la hutte d’argent, l’architecte fait à nouveau référence au mouvement
du vent, « qui souffle en tourbillonnant depuis le centre de la haute pression vers celui de la basse pression ».
ITO Toyo, « Le rideau du XXIème siècle », Shinkenchiku, 1990, Département Création-Diffusion de l’Institut
Français d’Architecture (1991), opus cit., p. 89.
109
Ibidem.
50
guest-house des brasseries de Sapporo, Ito a traité les abords du bâtiment. Il a traité les
plantations, les lumières, le mobilier... À cette époque au Japon, les métiers de paysagiste et
d’architecte étaient clairement séparés et indépendants l’un par rapport à l’autre, mais Ito a
pris à son compte l’aménagement paysager de ce projet. Pour l’anecdote, c’est ici qu’a été
exposée Pao II (1989), la hutte pour femme nomade de Tokyo conçue par Sejima quand elle
travaillait dans l’agence d’Ito110 ».
110
Le professeur Hirao Kazuhiro enseigne à l’université de Ritsumeikan de Kyoto. Entretien avec S. Dousse, le
26 mai 2019, à Paris. Voir annexe 1.
111
Un contexte (Tokyo) composé de bâtiments différents « en volume, forme, hauteur, matériaux utilisés,
structure et destination dont il est pratiquement impossible de prévoir la durée d’existence ». Selon Ito :
« Concevoir une architecture nouvelle dans un tel contexte revient à poser une pierre sur une assise qui bouge
sans cesse ». ITO Toyo, « Le rideau du XXIème siècle », Shinkenchiku, 1990, Département Création-Diffusion
de l’institut Français d’Architecture (1991), opus cit., p. 89.
112
Ibidem.
51
1.2.3. Hasegawa Itsuko : une nouvelle nature, artificielle
Dans la continuité de ses maisons tokyoïtes – « une architecture naturelle qui existe en
confrontation avec le paysage urbain chaotique »113 – dans sa réponse au concours public
(1985) pour la conception du centre culturel de Shonandai114, Hasegawa Itsuko propose une
« architecture en tant que seconde nature » (architecture as second nature). Au regard de la
destruction du site induite par l’acte de construire, elle soutient que « l’architecture doit
recréer un nouvel ordre naturel ». L’idée d’une colline artificielle lui est inspirée par la
rencontre (effectuée à l’occasion de sa première visite du site) d’une femme âgée qui lui
apprend que le site de projet était autrefois constitué de collines où l’on venait cueillir herbes
et plantes médicinales. Ce souvenir incite Hasegawa à « réintroduire un peu de nature dans la
ville » et à élaborer une vision de l’ « architecture en tant que topographie ». 115
Dans les années 1980, la ville de Fujisawa116 est en cours d’urbanisation. Laissé à
l’abandon depuis une quinzaine d’années, le terrain de construction du futur centre culturel est
occupé par des jardins potagers et sert d’aire de jeux aux enfants du quartier. Hasegawa
souhaite conserver le caractère libre et ouvert de cet espace public informel (dénommé
harrapa en japonais) que la construction d’un bâtiment obstruerait.117 Elle envisage un lieu
qui accueille tous types de personnes, et pas seulement celles désireuses de visiter le centre
culturel. Hasegawa est convaincue que, « fondamentalement, l’architecture publique devrait
tendre vers ce type d’environnement », car « au Japon, l’espace public originel est harappa –
113
HASEGAWA Itsuko, « Opening up architecture through communication », Architectural monographs (1993),
opus cit., p. 10.
114
Le centre culturel de Shonandai comporte un théâtre, un planétarium, un gymnase, un centre communautaire
et un centre communautaire pour enfants. Sur un site de 7 930 m², la surface totale de planchers du bâtiment est
de 10 530 m² (avec deux niveaux enterrés). En enterrant 70% du programme, Hasegawa Itsuko a permis la
formation d’un vaste espace public en extérieur (un espace qu’elle nomme « plaza »).
115
« Nous avons proposé une "architecture en tant que topographie" [architecture as topography] (…). Nous
pensions qu’en recréant architecturalement une colline originelle (qui existait sur le site avant qu’il ne se
développe) et en établissant des vestiges de nature caché dans l’urbanité, alors nous pourrions éventuellement
trouver une nouvelle nature dans l’environnement fait par l’homme. Tout comme les corps humains portent les
traces de souvenirs primordiaux, la terre recèle de caractéristiques latentes. En les transformant grâce aux
nouvelles technologies nous pouvons faire ressortir l’ "architecture en tant que nature latente" [architecture as
latent nature]. (…) L’ "architecture en tant que nature latente" est une tentative de trouver des réponses
architecturales dans ce monde changeant [en transformation]. » HASEGAWA Itsuko, dans : SD9511 (1997),
opus cit., p. 89.
116
Fujisawa est située à une cinquantaine de kilomètres de Tokyo, dans la préfecture de Kanagawa. Ito y a
construit la maison en aluminium.
117
Hasegawa Itsuko lie le concept de harappa à celui de garando, mobilisé dans la conception de ses maisons
individuelles : elle a conçu des espaces intérieurs comme des garando (espace vide) qui permettent une grande
flexibilité. Uax yeux de Hasegawa, l’espace ouvert et libre du harrapa et celui du garando relèvent de la même
attitude, d’une pensée de l’architecture non pas en tant que forme mais en tant que lieu (place), terme entendu
comme « espace de flexibilité ». HASEGAWA Itsuko, dans : SD9511 (1997), opus cit., p. 6-7.
52
front de mer et champs. Arts dramatiques et festivals sont nés en ces lieux. »118 À un public
occidental, la jeune architecte explique que le harappa est « un espace ouvert, libre et
décontracté, baigné de lumière et de verdure », qui « peut servir de théâtre, de salle de concert
ou encore de marché ». Pour créer « un lieu comme un harrapa » (a place like a harappa), la
jeune architecte imagine enterrer le bâtiment. Quand son équipe lui oppose que l’on attend
d’un bâtiment public une monumentalité représentative de sa fonction119, elle fait émerger de
terre certains éléments, le théâtre et le planétarium, soit 30% de la surface du centre culturel.
Son concept d’architecture « seconde nature »120 et son intention d’inclure les habitants de la
ville dans la conception du projet lui permettent d’emporter l’adhésion du jury. C’est son
premier bâtiment public.
53
et l’homme, l’architecture et la société ne devraient pas s’exclure mutuellement mais plutôt
coexister pour créer un meilleur environnement », défend Hasegawa.123
Fig. 15. Centre culturel de Shonandai. De gauche à droite et de haut en bas : coupe et plan d’étude d’un
bâtiment complètement enterré, photographie aérienne, élévation ouest. Images Itsuko Hasegawa Atelier
Ce site qui jouxte le parc de Shonandai et qui n’est pas très éloigné de la gare de
Fujisawa intègre des circulations ouvertes permettant d’accéder facilement aux équipements
et de transiter par la plaza. D’après Hasegawa, « La plaza est un jardin construit comportant
un ruisseau, un étang, de la verdure, divers abris et un chemin le long duquel les visiteurs
peuvent se promener (…) ». Elle comporte une structure métallique qui constitue un
groupement de toits inclinés évocateurs « d’un bois », « d’un village de maisons rurales » ou
encore « d’une montagne rocheuse », recréation d’un environnement naturel. Selon
l’architecte, la nature artificielle de ce jardin est « activée par [les éléments naturels que sont]
la lumière, le vent et le son ». De fait, malgré son statut d’artefact, « on (s’y) sent embrassé
par la nature »124. À propos du rapport des Japonais à la nature, selon Hasegawa :
« L’architecture est un vaisseau qui véhicule la riche et ambigüe sentimentalité des gens, les
saisons changeantes, le climat et les mystères de l’univers125 ».
123
HASEGAWA Itsuko, dans : SD9511 (1997), opus cit., p. 84.
124
Notamment parce que le sol excavé a été utilisé en enduit sur les murs, que des morceaux de poterie ont été
coupés en de multiples formes pour constituer le lit de la rivière (des matérialités « fait main » qui apportent
« une sensation de familiarité ») et que de la végétation a été plantée. Pour plus d’informations voir :
Architectural monographs (1993), opus cit., p. 71.
125
Ibidem, p. 10.
54
Fig. 16. Centre culturel de Shonandai. La plaza. Photographies S. Dousse, 2014/04
55
56
Chapitre 2.
Entre mers et monts. Une architecture-paysage
La série de bâtiments conçus par Ando Tadao et Ito Toyo au cours des années 1990
traduit un travail sur la topographie, ainsi que le recours à des éléments de la nature (éléments
matériels ou immatériels, existants ou créés) pour les intégrer à l’architecture. En insérant les
bâtiments dans le relief et en les associant à des éléments naturels, ces deux architectes tentent
de rapprocher les artefacts de la nature, de les fondre dans les paysages. Pour ce qui concerne
l’insertion des bâtiments dans les sites (un travail de la topographie ou l’élément Terre), on
observe plusieurs exemples de bâtiments enterrés dans le sol afin de protéger les espaces à
vivre des nuisances de l’environnement urbain et/ou afin de placer les visiteurs au contact des
éléments naturels. L’eau est bien présente dans les projets d’Ando, sous la forme de cascades
et d’étang artificiels ou par la proximité d’une rivière vers laquelle le bâtiment est orienté (le
jardin des beaux-arts, 1994 ; le Time’s, 1984-86). On trouve également de l’eau autour de
certaines réalisations d’Ito, sous la forme d’un lac et de rivières présents dans
l’environnement (le musée de Shimosuwa, 1993 ; Taisha hall, 1998). Par ailleurs, la montagne
n’est jamais loin. Quand Ando insère son architecture dans les reliefs (le temple de l’eau,
1991), Ito constitue des collines artificielles pour façonner des paysages et animer des plaines
(le centre lyrique de Nagaoka, 1996). Dans des architectures évocatrices du profil de
montagnes, Ito décline les seuils et les niveaux de sols, il créé des parcours fluides à travers
57
des espaces ouverts et continus vis-à-vis d’extérieurs paysagers. À des espaces fluides
enterrés, il souhaite donner l’apparence de forêts. Par la structure (le rythme des poteaux
circulaires) et par les entrées (zénithales) de lumières, il créé des atmosphères. Enfin, à travers
ses recherches formelles sur l’ « architecture du vent », Ito invoque l’élément air. Il développe
l’utilisation de l’acier en concevant des architectures dotées d’enveloppes semi-opaques qu’il
souhaite aussi légères et dynamique que l’air (le musée de Yatsushiro, 1991).
58
2.1. Éléments de la nature (l’eau, l’air, la terre) et grands paysages
Projets de ville : le jardin des beaux-arts, 1994, Kyoto ; le Time’s I et II, 1984 et 1986, Kyoto
Le jardin des beaux-arts126 est présenté en tant que « musée en plein air ». L’idée à
l’origine de sa conception est de « permettre aux visiteurs d’apprécier des œuvres dans un
cadre naturel ». Probablement inspirée du musée d’art Benesse (conçu par Ando, à Naoshima,
en 1992), cette commande d’un industriel dans la fabrication de carrelage a suscité la création
d’une « version contemporaine d’un jardin de promenade ». Pourtant, est-ce vraiment un
jardin ? Assurément pas si l’on s’en tient à l’absence de végétal ou de motifs paysagers, même
abstraits, comme on a coutume d’en voir dans les jardins japonais. Est-ce un espace
d’exposition ? Pas si l’on se réfère aux critères qui définissent traditionnellement ce type de
lieu. Des répliques de céramique remplacent les œuvres originales de ce musée à ciel ouvert –
en ce sens, il s’agit bien d’un jardin.
Fig. 17. Jardin des Beaux-Arts. À gauche : vues en plan et en coupe. Dessins Ando Tadao. À droite : vue depuis
l’entrée du site. Photographie Maxime Dufour.
Située dans le nord de Kyoto, cette construction en béton est implantée sur une
parcelle (d’environ 15 m de large et 50 m de long) qui s’étire entre la très circulée avenue
Kitayama et le tranquille jardin botanique de Kyoto. Depuis l’avenue, passé un édicule
d’accueil, le visiteur s’engage sur un chemin qui évolue linéairement sur trois niveaux, en
s’enfonçant dans le sol jusqu’à une profondeur d’environ 9 m (cf. parcours photographique).
Deux axes disposés en oblique structurent un agencement de murs autour desquels
s’organisent des rampes, plateformes et escaliers. Au rythme d’une perception dynamique de
l’espace, le parcours offre la contemplation une série d’œuvres, de chutes et de plans d’eau.
126
Construit sur un site de 2 824,4 m², le jardin des beaux-arts totalise une surface au sol de 212,2 m² sur trois
niveaux (RDC, R-1, R-2). L’édicule d’accueil occupe une surface de 28 m².
59
Contemplation, non pas simplement des œuvres, mais plutôt de l’ensemble des scènes et des
ambiances que composent l’architecture, les plans d’eau et les représentations picturales. Le
son de l’eau qui s’écoule en cascade couvre celui de la circulation routière et occupe l’espace.
À mesure que l’on progresse vers le bas, il résonne sur les parois de béton qui l’amplifient.
Survient alors l’impression abstraite de descendre au pied d’une cascade.
Bien que ce lieu soit un jardin minéral, la végétation est bien présente, autour du
bâtiment. Les murs cadrent des vues sur les arbres présents à l’arrière du site et des ouvertures
sont pratiquées dans certaines parois (cf. Fig. 18. vues 1-2). Même s’il ne conçoit pas un
bâtiment fermé, Ando Tadao incorpore des baies vitrées à certaines ouvertures, ce qui produit
une certaine ambigüité quant à la nature de cette architecture. Jardin ou bâtiment ? Les
fenêtres et perspectives constituent des tableaux de nature. Par ces cadrages, on aperçoit la
végétation du jardin botanique – qui borde la parcelle sur le côté ouest – et les plantations qui
agrémentent le pourtour du bâtiment – le long des façades ouest et sud, un chemin public lie
la sortie du métro et la salle de concert de Kyoto (Kyoto concert hall). Bien qu’absent du
jardin, l’élément végétal est donc présent dans la perception du visiteur. Il forme un paysage
qui se substitue à celui de la ville. Ce paysage et le son de l’eau qui s’écoule font oublier que
le jardin des beaux-arts est implanté dans un environnement urbain. Ainsi on peut « apprécier
des œuvres dans un cadre naturel ». Mais qu’est-ce cette « nature » ? L’eau en est l’élément
principal – miroir du ciel, des nuages et de la lumière, dont les reflets se mêlent à ceux de
l’architecture (cf. Fig. 18. vue 1). Le vent circule. S’il pleut, on sent la pluie. Si le soleil se
montre, la lumière change (cf. Fig. 18. vue 2). La mousse couvre les rives des cascades… Si
l’on considère que la faïence est terre et que le béton n’est finalement qu’un mélange de
ciment, de sable et d’eau, bien que nous soyons en ville, dans un construction urbaine, les
composants de ce lieu sont bien naturels et l’émotion qu’il inspire est un sentiment de sérénité
comme la nature peut en susciter. Au jardin des beaux-arts, les visiteurs peut se couper du
bruit et des scènes de la ville pour se ressourcer devant des œuvres et en présence d’éléments
naturels tels que l’eau, le vent et la lumière.
60
Parcours photographique :
1-2
3-4
5-6
7-9
Fig. 18. Parcours photographique dans le jardin des Beaux-Arts. Photographies sans visiteurs S. Dousse.
Photographies avec visiteurs M. Dufour, 2017/11
Quelques années plus tôt, toujours à Kyoto bien que dans un quartier plus central,
Ando Tadao réalisait déjà une architecture produisant un mouvement de descente vers l’eau :
le Time’s127, un complexe de commerces et de cafés-restaurants situé à l’angle de la passante
rue Sanjo et de la rivière Takase que longe la rue Kiyamachi, également très fréquentée bien
127
Time’s I et Time’s II (Time’s II est l’extension de Time’s I) ont été construits en 1984 et 1986. Sur un site de
485,8 m², leur surface respective est de 641,2 m² et de 274,2 m² (sur trois niveaux, RDC, R-1, R+1).
61
que plus piétonnière. Pour ce projet, Ando a traité l’espace public autour du bâtiment. Il a
conçu l’espace urbain avec l’architecture. Depuis la rue Sanjo, on peut, en empruntant des
escaliers, accéder à des coursives qui longent la rivière ou descendre sur une terrasse dont
l’altimétrie s’accorde au niveau de l’eau. Il est tentant, bien qu’intuitif seulement, de rattacher
à ce projet une citation de l’architecte. Dans son « Vocabulaire de l’architecte », Ando écrit :
« Le site d’un bâtiment est un mouillage dans la rivière de la rue et de la ville. C’est une pièce
dont le plafond est le ciel128 ». Bien que le jardin des Beaux-arts ne soit pas implanté le long
d’une rivière, son plafond est le ciel et l’eau y déferle. Au-delà de l’abstraction de la nature,
qu’un bâtiment, construction humaine rigoureuse et technique, puisse se lier à la dimension
poétique et sensible d’éléments naturels tels que le ciel et la rivière, telle semble bien être la
motivation essentielle d’Ando.
Fig. 19. Le Time’s. À gauche : vue aérienne et vue depuis les escaliers en descente vers la terrasse.
Photographies Takase Yoshio. À droite : photographie de maquette. Photo Tadao Ando Architect & Associates
Toujours sur les thèmes de l’eau et du mouvement de descente dans le sol mis en
œuvre par l’architecture – on pourrait parler d’un rapport à l’eau et à la terre – le temple de
l’eau129 est une réalisation marquante de l’œuvre d’Ando. Ce temple bouddhiste de l’école
Shingon130 est construit sur une petite colline du nord-est de l’île d’Awaji131. On y accède par
une étroite route qui serpente dans un paysage ondulant, puis par un petit chemin (cf. Fig. 22.
vue 1) qui conduit à un parterre de gravier blanc et à un mur de béton dans lequel est percée
l’entrée du temple (cf. Fig. 22. vues 2 et 3).
128
ANDO Tadao, « Vocabulaire de l’architecte », 1986, in : NUSSAUME, Yann (1999), opus cit., p. 198.
129
Édifié sur un terrain d’une superficie de 2 990 m², la surface du temple de l’eau est de 417 m².
130
École bouddhiste japonaise fondée au IX e siècle par le moine Kukai, Kobo Daishi de son nom posthume. Le
temple Honpukuji (commanditaire du temple de l’eau) dépend du temple Ninna-ji de Kyoto.
131
Une île de 592 km² située dans la mer Intérieure de Seto, face à la baie d’Osaka, dans la préfecture de Hyogo.
Awaji est reliée aux îles de Honshu et Shikoku par des ponts via l’autoroute Kobe-Awaji-Naruto.
62
Fig. 20. Temple de l’eau. À gauche et au centre : photographie d’une maquette du bâtiment dans le site,
photographie d’une maquette du bâtiment132. Photos S. Dousse. À droite : vue aérienne.
Pas de porte avec toit comme on en trouve traditionnellement au seuil des lieux de
culte bouddhiste mais une simple incision dans un mur ; incision par laquelle s’engouffre la
ligne de bosquets qui borde le chemin telle une continuation de l’abondante végétation des
collines (cf. Fig. 22. vue 4) ; ligne d’arbustes qui s’interrompt en buttant sur un second mur,
au profil courbe, contrairement au mur « de façade » qui est rectiligne. Passée l’entrée, les
deux parois forment un couloir d’introduction à la découverte du temple. Dans l’aire de
gravier blanc, le chemin suit la courbe du mur en s’y accolant (cf. Fig. 22. vue 5). Une fois de
l’autre côté de la paroi, on découvre que cette courbe épouse celle de l’assiette de béton où
repose ce qui semble être une offrande faite au paysage : un plan d’eau peuplé de fleurs de
lotus133 (cf. Fig. 22. vues 7 et 9). Alors que, traditionnellement, l’élément architectural
caractéristique des temples bouddhistes est son grand toit à la silhouette courbe, à Awaji,
Ando conçoit un bâtiment sans toit – si ce n’est cet étang qui s’articule au panorama. En
suivant le chemin qui borde la vasque, inséré dans le socle de béton, un escalier descend dans
le lieu de culte (cf. Fig. 22. vue 14). Pour construire ce temple, Ando a dû creuser une partie
de la colline. Inséré dans la topographie, le bâtiment s’efface dans le paysage (cf. Fig. 20).
Cette architecture dont la simplicité égale la rigueur inspire à la fois une impression de
dépouillement et de géométrie savante. Minimaliste puisqu’elle tient en deux murs et en une
coque de béton (contenant de l’espace de culte et support du plan d’eau) qui dessine un cercle
auquel répond la forme de l’aire de gravier blanc ; le tout formant un agencement de deux
cercles accolés134, fédérés par les deux parois, l’une rectiligne et l’autre courbe (de courbure
égale à celle des cercles), articulation des géométries de la ligne droite et du cercle (cf. vue
aérienne). Le tracé de l’escalier dans le cercle de l’étang répond à celui du mur rectiligne avec
laquelle il forme un angle de plus de 90° et donc une ouverture sur le paysage ; une forme de
sphère (celle du temple/de l’étang) dédoublée (par l’aire de gravier blanc) et doublée (par la
132
Exposition « Tadao Ando le défi », Paris, Centre Pompidou, 2018 (photographies S. Dousse).
133
Dans le bouddhisme, la fleur de lotus est symbole de pureté mentale et d’éveil spirituel.
134
On peut y voir le symbole en 8, symbole de l’infini. Dans le bouddhisme, le cercle symbolise le vide.
63
paroi courbe), contre deux lignes droites (la paroi incorporant l’entrée au site et l’escalier
menant à l’espace de culte). Circulation et le lieu. Mouvement et stabilité. Passage du profane
au sacré.
Fig. 21. Cartes postales vendues sur le site du temple Honpukuji. Légende de l’image de gauche : « Le temple
est entouré de bambous et d’autres arbres » ; légende de l’image de droite : « Les escaliers coupent le milieu de
l’étang de lotus qui symbolise le sanctuaire et descendent vers le hall principal comme en plongeant dans
l’étang ». Photographies : propriété du temple Honpukuji
En bas à gauche de l’image de gauche, on aperçoit le chemin d’accès au bâtiment (cf. Fig. 22. image 1). En bas
à droite de la même image, on voit l’ouverture vers l’ouest par laquelle la lumière entre dans le hall principal du
temple (cf. Fig. 22. image 13). Sur l’image de droite, au débouché de l’escalier : à gauche, on accède au hall
principal (cf. Fig. 22. image 12) ; à droite, on accède à la salle des moines (cf. Fig. 22. image 14).
L’aire de gravier blanc symbolise l’espace pur (sacré) qui ne doit pas être souillé par le
passage des hommes. Comme dans les lieux sacrés de la période pré-moderne, elle marque
l’arrivée dans l’enceinte du temple. À Awaji, périphérique au temple lui-même, elle est à
moitié extérieure. C’est un espace « entre-deux » – entre intérieur et extérieur, entre deux
mondes, profane et sacré. Elle borde le chemin d’accès au site avant même que le visiteur
n’ait passé le seuil de l’entrée pratiquée dans le mur, alors qu’il est toujours du côté de la
route et du village (cf. Fig. 22. images 2 et 3). Par sa présence, elle le prépare
symboliquement à accéder au lieu sacré. Dans sa lente progression sur le chemin qui, il le sait,
le conduira au temple, le visiteur avance et découvre le site (l’architecture et le paysage), sans
pour autant apercevoir de bâtiment. Il n’y a que le plan d’eau et les lotus, symboles de pureté
et d’éveil (cf. Fig. 22. images 7 et 9). Pour accéder à l’espace de prière, non visible, il faut
passer à travers le plan d’eau. Traverser la surface (cf. Fig. 22. image 9). Peut-être est-ce une
étape spirituelle. Un cheminement physique et mental vers l’autre monde.
64
Parcours photographique :
1-2-3
4-5-6
7-8-9
10-11
12-13-14
Fig. 22. Temple de l’eau. Chemin (1-2) et accès au temple (3-4), approche (5-6) du plan d’eau (7-10), descente
dans le temple (11), espace de cérémonie (12-13), salle privative (14). Photographies S. Dousse, 2018/08
65
Se tenant au bord du plan d’eau, on est englobé dans ce paysage qui est comme servi
sur un grand plateau. L’élément eau et les fleurs de lotus font de l’étang un espace de pureté,
un paysage qui se superpose au grand paysage, celui des collines et des vallées parsemées de
maisons en bois. D’après ce point de vue, la nature mise en scène et la grande nature se
superposent et semblent fusionner – l’espace sacré se lie au paysage. Pour concevoir cette
œuvre d’expression à la fois simple et grandiose, Ando combine abstraction moderne et
références traditionnelles. À condition d’y avoir accès, on constate que l’espace destiné aux
activités des moines et à des cérémonies privées est conçu d’après le modèle conventionnel de
pièces incorporant shojis (cloisons en papier), tatamis (revêtement de sol tissé de paille) et
tokonoma (alcôve assortie d’une calligraphie et d’un arrangement floral) (cf. Fig. 22. image
14). Dans l’espace de culte, une structure poteaux-poutres, un motif de claire-voie (sur trame
carrée) pour les cloisons et la couleur rouge vermillon qui couvre l’ensemble nous plongent
dans l’atmosphère des temples traditionnels (cf. Fig. 22. images 12-13). Grâce à une
exposition ouest – la direction du paradis bouddhique de la Terre Pure –, la lumière du soleil
baigne la salle de culte jusqu’au soir. Le rouge contraste avec le vert du paysage dans lequel
le bâtiment est enfoui.
Fig. 23. Environnement du temple de l’eau. Constructions, rizières et habitant du village Inouesora. Au loin on
aperçoit des montagnes et l’autoroute Kobe-Awaji-Naruto. Photographies S. Dousse, 2018/08
66
2.1.2. Ito Toyo : l’ « architecture du vent » et la référence maritime en milieu urbain
Dans les années 1990, comme Ando Tadao, Ito Toyo conçoit une série d’architectures
mettant en jeu la topographie. En 1991 il livre son premier bâtiment public135, le musée
municipal de Yatsushiro136. Située à l’ouest de l’île de Kyushu, sur la côte de la mer de
Yatsushiro, à une quarantaine de kilomètres au sud de Kumamoto, Yatsushiro137 est la
capitale et la ville la plus peuplée de la préfecture de Kumamoto (sur l’île de Kyushu). La
plaine de Yatsushiro ayant été formée par l’assèchement de l’embouchure de la rivière Kuma,
l’environnement dans lequel le musée s’insère est particulièrement plat. Construit sur un site à
proximité du parc et des ruines du château de Yatsushiro – sur une parcelle d’angle entre une
artère très circulée (au nord) et une rue plus calme (à l’ouest) –, le musée fait face à la villa
Shohin-ken (résidence de la famille dénommée Matsui qui gouvernait la région à l’époque
d’Edo138). Afin de permettre une certaine harmonie entre bâtiment contemporain et
patrimoine, Ito a pris le parti d’intégrer son architecture dans le paysage. Pour animer la
topographie, il a formé une colline d’environ 3 m par rapport au niveau de la voie. Sur cette
butte gazonnée et bordée par de grands arbres, le musée apparaît. Les voûtes métalliques du
toit dessinent des vagues, évocation de mouvement et de légèreté. Par son « architecture du
vent », le musée symbolise la modernité de la ville.
Fig. 24. Musée municipal de Yatsushiro. Vues aériennes. Photographies Futagawa Yukio (GA)
135
La même année, Hasegawa Itsuko livre le centre culturel de Shonandai, à Tokyo.
136
Sur un site d’une superficie de 8 223,20 m², le musée occupe une surface de 1 432,88 m² et totalise une
surface de plancher de 3 418,30 m² (sur cinq niveaux, de R-1 à R+3)
137
Une ville dont la population s’élève à 125 748 habitants pour une superficie de 680 km² (données en date de
mai 2020). À titre de comparaison, celle de Kumamoto est de 737 812 habitants pour 389,53 km² (données en
date d’avril 2017).
138
L’époque d’Edo (Edo jidai) commence en 1603 et se termine en 1868 quand débute la période moderne avec
l’ère Meiji (Meiji jidai) (1868-1912).
67
Le musée municipal de Yatsushiro est l’un des premiers projets suscité par Art Polis,
un programme organisé par la préfecture de Kumamoto et piloté par l’architecte Isozaki Arata
(1931 - ) (originaire de Oita, Kyushu) afin de permettre la réalisation de projets architecturaux
novateurs et de faire de la préfecture de Kumamoto un centre d’intérêt culturel et artistique.
La municipalité de Yatsushiro souhaitant construire un musée pour abriter et exposer une
collection d’artefacts historiques (jusqu’alors remisés dans divers lieux de la ville) et valoriser
ainsi le patrimoine culturel de la ville, un concours public avait été organisé en 1988. À
travers le programme Art Polis, Isozaki souhaitait donner leur chance à de jeunes architectes
en leur permettant de construire des bâtiments d’une certaine envergure. Pour ce programme
pluridisciplinaire (un musée d’histoire et un centre d’art et de culture), Ito explore le thème de
la « forêt du futur »139. Il tire parti de la présence de nombreux grands arbres (que la
municipalité souhaitait préserver) en proposant de construire un musée-parc. À travers le
concept de « forum vert », le jeune architecte entend créer un « lieu de rencontre dans un
parc ». Même s’il ne l’énonce pas en ces termes, il semble vouloir réaliser une sorte de fusion
entre le bâtiment et l’environnement. Contribuant à créer une atmosphère de milieu naturel, la
formation d’une colline artificielle permet également d’atténuer la présence visuelle du
musée. Celui-ci étant en partie enterré, l’horizontalité de l’environnement urbain et de
l’architecture de la villa Shohin-ken est maintenue. Comme dans le cas du Centre Culturel de
Shonandai (Hasegawa, 1991), la municipalité de Yatsushiro était soucieuse d’éviter la
monumentalité des musées conventionnels.
Légende du plan de rez-de-chaussée : espace d’exposition (5), espace de remisage (10). Légende du plan du
niveau 1 : entrée (1), hall (2), accueil (3), café (4), espace d’exposition (5), espace de lecture (7) et bureaux de
l’administration (8). (Le niveau 2 reçoit les bureaux de l’administration et le niveau 3 l’entrepôt de remisage.)
Fig. 25. Musée municipal de Yastushiro. À gauche : plan du rez-de-chaussée. À droite : plan du niveau 1.
Dessins Toyo Ito & Associates
139
À l’occasion du concours, Ito a nommé sa proposition mirai no mori museum / musée de la forêt du futur.
68
Fig. 26. Musée municipal de Yastushiro. De gauche à droite et de haut en bas : le musée et son environnement
côté nord, le musée et son environnement côté sud, la façade nord, la façade sud. Photos S. Dousse, 2019/11
Quand on aborde le bâtiment par sa façade nord (où se trouve l’accès du public), son
envergure paraît modeste. Sa hauteur d’environ 5 mètres au point le plus haut correspond à la
hauteur d’une construction sur deux niveaux. Sous les fines voutes métalliques, les pans de
verre renvoient la lumière du ciel et le reflet des arbres. Un volume cylindrique qui semble
posé en équilibre sur le toit participe au caractère dynamique de cette architecture qui, bien
que statique, donne l’impression d’une composition en mouvement. C’est l’ « architecture du
vent ». Ito souhaite exprimer la légèreté et le mouvement de cet élément insaisissable qu’est
l’air ; une « métamorphose permanente ». Pour autant, quand on l’aborde par sa façade sud
(où se trouvent le parking, l’accès du personnel aux locaux d’exploitation et l’accès technique
aux entrepôts), le bâtiment surprend par sa massivité. D’une hauteur d’environ 12 mètres, il
forme quatre niveaux. À l’exception de deux bandeaux horizontaux aux niveaux +1 et +2,
cette façade (sud) est dénuée d’ouvertures. Au rez-de-chaussée, face au parking, la porte
d’accès au bâtiment est soulignée par un auvent en métal dont la forme courbe rappelle celle
des voûtes visibles en façade nord. Les éléments techniques – que sont les grilles et bouches
d’extraction et d’expulsion de l’air, ou encore les conduits d’évacuation des eaux pluviales –
sont disposés en façades ouest et sud et intégrés à l’architecture. Au niveau du R+2, sur ces
mêmes façades (ouest et sud), une partie du bâtiment marquant un retrait, des garde-corps
69
métalliques de style industriel évoquent la coursive d’un paquebot. L’escalier métallique qui
grimpe contre la façade pour desservir les niveaux supérieurs confirme cette évocation
industrielle et maritime.
Alors que les façades nord et est sont traitées en façades nobles avec de grands plans
de verre et des formes épurées, les façades ouest et sud sont massives et ponctuées d’éléments
techniques. Après avoir joué du contraste entre blancheur évanescente et matérialité brute
dans l’architecture de la maison White U, Ito traite à nouveau une dualité. Bien que tout à fait
dissemblables et semblant n’être en rien liées l’une à l’autre, les deux facettes du musée
coexistent de manière harmonieuse. Elles semblent même complémentaires : légèreté versus
massivité, dynamisme versus statisme, transparence versus opacité. En faisant le tour du
bâtiment, on apprécie, en tant que tout et en tant que parties, ces esthétiques très différentes :
la diaphane « architecture du vent » qui constitue l’image publique du musée et son pendant,
l’arrière du décor, une machinerie technique et mécanique. Du point de vue du rapport au
contexte, si le profil courbe de l’ « architecture du vent » s’accorde aux grands toits des
bâtiments traditionnels (comme celui de la villa Shohin-ken), les formes rectilignes et
l’arrangement géométrique de la façade de service résonnent avec les constructions modernes
caractéristiques du paysage urbain contemporain. Ces deux aspects sont reliés par la
topographie, une colline artificielle porteuse de cohésion entre dimensions techniques et
artistiques de l’architecture, entre caractère officiel et familier du musée, entre urbanité et
espace vert dans la ville.
70
Détails d’architecture : l’extérieur puis l’intérieur du musée
Fig. 28. Musée municipal de Yastushiro. À gauche et à droite : vues sur la façade est, l’espace vert autour du
grand arbre qui apporte de l’ombre au bâtiment et l’autel shintoïste. Photographies S. Dousse, 2019/11
140
Les idéogrammes de shime et de nawa signifient respectivement « marquer » et « corde ». « Selon cette
étymologie, la shimenawa serait un outil pour marquer une portion de territoire. » Dans une autre graphie, les
idéogrammes de shime signifient « interdit » : « ici, le sens prédominant est celui d’une corde qui bannit, qui
exclut. » WIESER BENEDETTI, Ursula, « Shimenawa/la corde sacrée », dans : BONNIN, Philippe,
MASATSUGU Nishida, INAGA Shigemi (dir.), Vocabulaire de la spatialité Japonaise (2014), opus cit., p. 424.
71
lumière et les éclats du soleil se reflètent sur le bâtiment141. Passée cette présence végétale
(activée par la lumière et le vent) autour du grand arbre, le cheminement conduit le visiteur à
une volée de marches en béton incorporant un poinçonnement à l’image des traces de
banches142 visibles sur les murs des façades. Cette qualité de sol et la disposition des garde-
corps d’esthétique industrielle (avec géométrie stylisée) le long du cheminement qui,
traversant la colline en décrivant une courbe, accompagne la descente vers l’espace urbain
traduisent la vision d’Ito Toyo qui, pour le traitement paysager du « parc », ne cherche pas à
produire un effet de naturalité : en déployant ces éléments sur le site – au-delà des limites
entre l’intérieur et l’extérieur du bâtiment –, Ito qualifie le paysage de manière architecturale.
Dans un même temps, l’environnement naturel (les arbres et le ciel) se reflétant sur les
façades, le bâtiment s’efface au profit du paysage. Les limites entre artefact et environnement
s’estompent.
Fig. 29. Musée municipal de Yastushiro. De gauche à droite et de haut en bas : finition du béton, reflet des
arbres sur la façade vitrée, cheminement d’accès au musée le long de la façade est. Photos S. Dousse, 2019/11
141
Ce rapport à la lumière détermine la light architecture, mouvement dont Ito est l’une des figures phares.
142
Support servant à couler le béton.
72
Fig. 30. Musée municipal de Yastushiro. Vues sur la façade nord : voutes de l’ « architecture du vent », manches
à air, chiriana, pots de fleurs, cheminement et entrée du musée. Photographies S. Dousse, 2019/11
Qu’il accède au musée via les cheminements en provenance du nord (la rue principale)
ou du sud (le parking) du site, par paliers, le visiteur atteint le haut de la colline, la voute
métallique, puis l’accès au bâtiment, marqué par une paroi métallique perforée de petits
hublots. Dans l’entrée143, espace intermédiaire entre l’extérieur et le hall, des lanternes de
papier suspendues contrastent avec l’aspect futuriste de l’architecture. À l’intérieur, conçus
par le designer Ohashi Teruaki144, certains éléments du mobilier (garde-corps, bar, paroi
incorporant téléphone et point d’eau) reprennent le motif du métal perforé. Répartis dans le
hall, des conduits de prise d’air (à destination de l’espace d’exposition du rez-de-chaussée)
d’esthétique industrielle font écho à ceux qui sont disposés devant le bâtiment sous la forme
de manches à air. Creusé dans l’herbe, un chiriana145 – élément de la période pré-moderne :
trou où remiser/brûler les feuilles mortes ramassées dans les jardins et à proximité des
143
Un espace que l’on peut rapprocher du genkan, l’entrée des maisons traditionnelles, « (…) sorte de vestibule
au sol de terre (rappel du doma), qui permet de se déchausser et de "monter dans la maison" par les pièces de
l’accueil. Le terme provient du Taoïsme puis s’est répandu dans le bouddhisme zen [et donc dans l’architecture
des temples] : il s’agit de la porte qui donne accès au chemin mystique. (…) Notons que le genkan est l’un des
éléments de la maison traditionnelle qui résiste le mieux à la modernisation (…) ». BONNIN, Philippe,
NISHIDA Masatsugu, « Deiriguchi/les ouvertures », in : BONNIN, Philippe, MASATSUGU Nishida, INAGA
Shigemi (dir.) (2014), opus cit., p. 100.
144
Ohashi Teruaki a également conçu le mobilier de la hutte d’argent.
145
De dimensions d’environ 25 x 40 cm et d’une vingtaine de centimètres de profondeur.
73
bâtiments – est un nouvel exemple de présence d’éléments traditionnels dans l’architecture
contemporaine. Des pots de fleurs disposés le long du bâtiment, à l’interface entre sol minéral
et sol végétal ainsi qu’entre différentes strates de circulation, ajoutent au traitement paysagé
du site et participent à la gradation de l’accès au musée. Celle-ci ne va pas sans évoquer les
cheminements de pierres dans les jardins traditionnels. À l’extérieur de la porte, le tapis qui
précède l’entrée place le seuil du bâtiment du côté du jardin.
Parcours photographique :
Vue sur une paroi incorporant point d’eau et téléphone dans le hall, vue sur l’accueil/billetterie dans le hall
74
Vues sur l’escalier et l’ascenseur permettant de descendre du hall (r+1) vers la salle d’exposition (rdc)
Vue sur la salle d’exposition au rez-de-chaussée, vue sur des percées de lumière au niveau du plafond
Vue sur la salle d’exposition du premier étage, vue sur les fenêtres apportant de la lumière au rez-de-chaussée
Fig. 31. Musée municipal de Yastushiro. Vues intérieures. Photographies S. Dousse, 2019/11
75
Dans le hall, environnement de métal et de verre baigné par la lumière du nord et
ouvert sur le paysage, une membrane en métal perforé couvre les voûtes de l’ « architecture
du vent ». Des rails de spots éclairent les vitrines (une collection de figurines anciennes) et les
plaquettes d’information sur l’actualité culturelle de la ville qui sont mises à disposition sur
des tables. Un ascenseur à cage de verre avec cabine en tôle intégrant un hublot et un escalier
agrémenté de garde-corps aux lignes courbes et de luminaires en applique comme on en voit
dans les bateaux conduisent au rez-de-chaussée, sous le niveau de la colline. Pratiquées à
l’endroit de fenêtres/prismes de verre de forme triangulaire qui émergent en saillies devant le
bâtiment, des incisions dans le plafond permettent la diffusion, ponctuelle, de lumière
naturelle dans l’espace d’exposition parsemé de larges poteaux de béton dont la disposition,
en apparence aléatoire, évoque celle des arbres d’une forêt. Le long de la façade ouest – au
style industriel et géométrique –, un espace d’exposition en plein air se présente sous la forme
d’une cour. Incorporant quelques arbres et arbustes plantés dans des cercles de terre, le sol
minéral est délimité par une aire de verdure périphérique – une ligne courbe, une délimitation
floue, nouvel écho du caractère déterminant de la topographie et de la dimension paysagère
dans l’architecture du musée.
Fig. 32. Musée municipal de Yastushiro. À gauche : la façade ouest, l’espace d’exposition en plein air et
l’environnement urbain. À droite : la façade nord et le cheminement d’accès. Photographies S. Dousse, 2019/11
76
2.1.3. Ito Toyo : au-delà de l’ « architecture du vent », la proximité des montagnes
Bien que Shimosuwa146 se trouve en pleine montagne (les Alpes japonaises) et non sur
la côte, pour la conception architecturale de ce bâtiment, Ito Toyo continue de développer la
référence maritime147 : le musée municipal de Shimosuwa148 est une nouvelle incarnation de
l’ « architecture du vent ». Si Shimosuwa est réputée pour avoir été la cinquante-neuvième
station du Nakasendo149, pour ses sanctuaires shintoïstes (Harumiya et Akimiya), ses sources
thermales et son site archéologique de l’époque Jomon, la célébration du centenaire de la ville
a motivé la reconstruction d’un musée existant – l’occasion de fabriquer un symbole
contemporain pour la ville. Édifié aux abords du lac Suwa, le musée héberge une collection
d’artefacts qui témoignent de l’histoire, de la géographie du lac et des méthodes de pêches de
la région, ainsi qu’une collection d’objets en lien au célèbre poète local Shimagi Akahiko.
146
Un bourg du district de Suwa, dans le centre de la préfecture de Nagano, dans la région du Chubu (le Chubu
occupe la partie centrale de l’île de Honshu, entre le Kanto (à l’est) et le Kansai (à l’ouest)). Shimosuwa est
située à environ trente kilomètres au sud de Matsumoto, deuxième plus grande ville de la préfecture après
Nagano. En 2019, la population de Shimosuwa s'élevait à 20 069 habitants répartis sur une superficie de 66,87
km². À titre anecdotique, Ito Toyo a grandit dans les environs de Shimosuwa.
147
Commencée avec la hutte d’argent (cf. supra, chapitre 1.1.2.).
148
Sur un site de 5 277,55 m², l’emprise au sol du musée est de 1 370 m² et sa surface totale de plancher est de
1 983 m² (sur deux niveaux).
149
La route qui reliait Edo (Tokyo) à Kyoto à la période d’Edo (1603-1968).
77
Légende du plan : 1. hall, 2. bureau, 3. auditorium, 4. salle de réunion, 5. salle de recherche, 6. archives, 7.
local de service, 8-9. local technique, 10. salle d’exposition temporaire, 11. salle d’exposition permanente "Lac
Suwa", 12. salle d’exposition permanente "Shimagi Akahiko"), 13. café, 14. terrasse, 15. vide.
Fig. 33. Musée municipal de Shimosuwa. De gauche : vue sur la façade sud. Photographie Ishiguro Mamoru. À
droite, de haut en bas : plans du premier étage et du rez-de-chaussée. Dessins Toyo Ito & Associates
Tandis que le volume cubique rassemble les espaces de remisage des collections et la
salle d’exposition temporaire, le rez-de-chaussée du volume linéaire contient un espace
d’accueil, une salle de lecture, une salle de réunion, des bureaux ainsi qu’un laboratoire et des
locaux techniques, et, bénéficiant d’une vue privilégiée sur le paysage, le premier étage est
dédié aux espaces d’exposition des collections permanentes ainsi qu’à une cafétéria (il
comporte aussi une réserve et un local technique). En installant un plan d’eau dans une cour
située à l’intersection des deux volumes, Ito créé un puits de lumière qui bénéficie aux
circulations verticales et instaure une continuité paysagère avec le lac. Depuis l’étage, le sol
de verre et le panorama font que les images du lac et du plan d’eau s’unifient, donnant au
visiteur l’impression de marcher sur l’eau – de « flotter sur le lac », écrit Ito. En suscitant une
sensation d’immersion dans un espace flottant, Ito Toyo fusionne architecture et paysage.
Ainsi le bâtiment est ainsi intégré à son contexte.
Située à 760 mètres d’altitude, Shimosuwa connait des étés tempérés (température
maximale d’environ 20 degrés en aout) et des hivers rigoureux (température minimale
d’environ -5 degrés en janvier). L’enveloppe de métal constitue une double peau protectrice
vis-à-vis de la pluie, de la neige et du froid. Comme dans le cas du musée de Yatsushiro, les
panneaux en aluminium sont fixés à la structure et intégrés à sa configuration comme partie
d’un ensemble. Mais contrairement au bâtiment de Yatsushiro où les panneaux sont de taille
identique, la surface en torsion du musée de Shimosuwa a nécessité le découpage de panneaux
de tailles différentes – une opération optimisée par l’usage du dessin assisté par ordinateur. La
façade principale confère au bâtiment l’apparence d’une coque de bateau retournée et flottant
sur le lac – une image qui correspond à l’expérience spatiale procurée par la visite du musée.
78
Alimentant le chauffage du bâtiment par le sol grâce à une source thermale, Ito utilise les
ressources naturelles locales et se préoccupe du rapport à l’environnement. Ici l’eau ne
soulève pas seulement un enjeu esthétique et poétique (comme dans les projets d’Ando Tadao
vus précédemment) mais également technique et fonctionnel.
Construit sur deux niveaux dont un est enterré, le centre lyrique de Nagaoka apparaît
sous la forme d’un grand toit ondulant dont émergent deux volumes, de formes cubique et
cylindrique (cf. Fig. 35. image 1) (avec une hauteur d’environ 20 m au point le plus haut), qui
hébergent respectivement la salle de concert et le théâtre. Abritant le vaste espace libre du
hall, la forme courbe et étirée du toit se prolonge en auvent (cf. Fig. 35. image 7), ce qui
accentue le caractère horizontal du site tout apportant une dynamique topographique et en
150
Située non loin de la côte de la mer du Japon, au nord de la région montagneuse et rurale d’Echigo-Tsumari,
Nagaoka est la deuxième plus grande ville de la préfecture de Niigata (après la ville de Niigata, localisée à une
cinquantaine de kilomètres au nord). En 2018, la population de Nagaoka s’élevait à 271 400 habitants pour une
superficie de 891 km² (soit une densité de 305 habitants/m²).
151
Sur un terrain d’une superficie de 39 700 m², avec une surface bâtie de 6 682,38 m², le centre lyrique de
Nagaoka totalise une surface de plancher de 9 708,13 m² (sur deux niveaux, RDC et R-1).
152
Composé du musée préfectoral d’art moderne, de l’institut de design de Nagaoka et du centre industriel de
Nagaoka (Nagaoka industrial exchange hall).
79
liant l’architecture au paysage de la chaîne des montagnes (cf. Fig. 35. image 4). Pour traiter
la partie extérieure du projet, Ito a travaillé avec les paysagistes de l’agence Mikiko Ishikawa
+ Tokyo landscape architects. La topographie et les cheminements accompagnent l’entrée des
visiteurs dans le hall et guide leur progression jusqu’aux salles de représentation. Bien que le
bâtiment soit principalement construit en béton armé, la couverture du toit (une dalle de
béton) et les poteaux sont en métal, ce qui confère finesse et transparence à la façade. De
larges pans de verre assurent la continuité visuelle entre l’espace du hall (au rez-de-chaussée)
et le parc (cf. Fig. 35. image 5). Compartimenté de manière flexible grâce à la disposition du
mobilier (cf. Fig. 35. images 5-6), ce hall est un espace ouvert et fluide qui sert de passage
public vers le lounge (point d’information) et les studios. Pour apporter de la lumière au
niveau -1 et pour faire sentir la continuité entre l’espace intérieur du bâtiment et le parc, Ito
créé une cour et vitre la façade sur toute sa hauteur. La différence topographique entre niveau
du terrain et niveau du R-1 donnant lieu à la formation de gradins, une petite scène de
représentation extérieure a été ménagée (cf. Fig. 35. image 3). Cet élément à la fois
architectural et topographique forme le point de jonction (la lisière, la bordure) entre bâtiment
et paysage – un point de rencontre entre architecture et nature.
Fig. 34. Centre lyrique de Nagaoka. De gauche à droite : plan de masse, plan du rez-de-chaussée. Dessins Toyo
Ito & Associates
80
architecture et nature. Pourtant, à l’occasion de ce projet, Ito rencontre les limites de la
recherche formelle d’une architecture éthérée. S’il explique que « depuis les années 1990, la
structure de nombre de (s)es projets repose sur des poteaux disposés de manière aléatoire et
sur des dalles sans poutres apparentes, constituées de panneaux en acier ou en béton », que
« (…) la disposition aléatoire des poteaux, [permet d’obtenir] des espaces fluides et continus à
l’infini », et qu’ainsi « (s)on image de l’architecture est plus proche du jardin et de la nature
que de l’architecture elle-même »154, il reconnaît que cette recherche de fluidité et
d’expansion formelle – l’architecture du vent, l’architecture comme métamorphose – s’est
finalement trouvée compromise par la matérialité (la « réalité ») de l’architecture elle-même.
« J’ai voulu créer des courbes et des plans inclinés de type paraboloïde hyperbolique [qui, en
informatique,] sont des surfaces simples qu’il est facile de modifier et de tourner dans tous les
sens, [et] où il n’y a ni intérieur, ni extérieur. Mais dès qu’on tente de les traduire en volume,
l’intérieur et l’extérieur réapparaissent, tout comme le poids et l’épaisseur. Dans le cas de ces
trois bâtiments (le centre lyrique de Nagaoka, le musée municipal de Shimosuwa, le musée
municipal de Yatsuhiro), je voulais exprimer la "fluidité". Mais une fois réalisés, ils se sont
figés en des formes prédéterminées. J’ai fait plusieurs fois l’expérience de cette
contradiction155 », écrit l’architecte.
154
Ibidem. p. 7.
155
Ibid. p. 13.
156
Ibid. p. 14.
157
Ibid. p. 15.
81
le projet prend place, et créé une architecture qui vibre avec la géographie (une plaine offrant
une vue dégagée sur le ciel et sur les montagnes). Une architecture faite de seuils, de
gradations et d’entre-deux, d’espaces ouverts et non pas compartimentés de manière rigide.
Parcours photographique :
1-2
Vues sur les abords du centre lyrique
3-4
Vue sur la façade principale (exposée sud), le théâtre extérieur (3), l’accès au centre lyrique depuis le parc (4)
5-6
Vues sur le hall. L’accueil et le point d’information (5), des banquettes disposées devant les salles de
représentation (6)
82
7-8
Vues sur la façade principale (exposée sud), l’entrée du bâtiment (7) et les circulations extérieures (7-8)
9-10
Vues sur un espace du hall (9) et une allée de promenade couverte (9-10)
11-12
Vues sur la promenade couverte et sur les abords du centre lyrique de Nagaoka
13-14
Le centre lyrique de Nagaoka est situé non loin des rives du fleuve Shinano (le plus long cours d’eau du Japon
(367 km), qui prend sa source au mont Kobushi (préfecture de Nagano) et rejoint la mer du Japon à Niigata
(préfecture de Niigata))
Fig. 35. Centre lyrique de Nagaoka. Parcours photographique. Photographies S. Dousse, 2018/03
83
Taisha Hall (T Hall), Izumo, préfecture de Shimane, 1998
Après la guest-house des brasseries Sapporo (1989), Taisha Hall constitue l’« acte
deux » de l’affirmation d’une dimension paysagère dans l’architecture d’Ito Toyo. Comme
dans le cas des projets présentés précédemment, le traitement des abords du bâtiment et de la
topographie du site joue un rôle primordial dans la définition de l’architecture. Également
dénommé « Taisha place », T. Hall est un équipement commandé par la municipalité (1996)
pour constituer le centre des activités culturelles de la ville. Située dans la préfecture de
Shimane, sur la côte de la mer du Japon (à 800 km au sud de Nagaoka), la ville de Taisha158
est célèbre pour être la localisation du plus ancien sanctuaire shintoïste du Japon, le sanctuaire
d’Izumo-Taisha159. Dans cette région et à Taisha en particulier, l’importance accordée à la
tradition est forte. Si, lors de l’organisation du concours d’architecture, l’intention première de
l’administration de la ville était de construire un lieu dédié à des représentations de théâtre
traditionnel du genre kabuki160, les études de conception ont fait évoluer le projet et il a été
décidé de bâtir un espace polyvalent161 doté d’une librairie, d’une salle de représentation
principale (600 sièges fixes), d’une salle polyvalente (200 sièges amovibles), d’une salle de
conférence et d’une salle d’étude.
Fig. 36. Taisha hall. De gauche à droite : vue aérienne depuis le sud-est, vue depuis la rivière Horikawa.
Photographies Ueda Hiroshi, GA photographers
158
Dans le passé, les villes de Taisha, Hirata, Koryo, Sada et Taki composaient le district de Hikawa. En mars
2005, elles ont été fusionnées à Izumo. En 2004, la population de Taisha s’élevait à 16 260 habitants pour une
superficie de 41,80 km² (soit une densité de 389 hab./m²). Fin 2018, la population d’Izumo s’élevait à 175 790
habitants répartis sur une superficie de 624,36 km² (soit une densité de 282 hab./km²).
159
Le sanctuaire d’Izumo-Taisha et celui d’Ise (localisé dans la préfecture de Mie, dans la région du Kansai),
sont considérés comme étant les plus importants lieux du culte shintoïste de l’archipel.
160
Les trois idéogrammes du mot kabuki signifient : chant (ka/歌), danse (bu/舞), habileté technique (ki/伎). Le
Kabuki est la forme épique du théâtre japonais traditionnel. Il est caractérisé par un jeu d’acteur à la fois
spectaculaire et codifié, souligné par des maquillages appuyés et accompagné de nombreux dispositifs scéniques
conçus pour accentuer la progression de l’intrigue.
161
Sur un site de 20 400 m², l’emprise au sol du bâtiment est de 5 567,37 m² et sa surface totale de plancher est
de 5 847,36 m².
84
Izumo a beau être une ville côtière, la mer n’est pas visible depuis le site de T. Hall.
On aperçoit l’imposant ensemble de montagnes qui s’étend au nord du sanctuaire d’Izumo
(situé à environ 1km) et la rivière Hori (dans laquelle se déverse un affluent qui délimite
l’emprise du sanctuaire d’Izumo) jouxte le site. Si ces éléments naturels (montagnes et
rivière) sont bien présents, le site de Taisha place est également très urbain. Il est bordé par un
quartier de maisons individuelles et avoisine plusieurs équipements publics (dont l’hôtel de
ville). La demande de l’administration publique étant de créer du lien entre ces équipements,
d’améliorer les conditions d’accès et de développer des circulations piétonnes, Ito a créé une
voie et, tout autour, une étendue de verdure jouant le rôle de zone tampon vis-à-vis du quartier
résidentiel avoisinant le site. Par cet aménagement de l’espace public, la cohésion des
éléments urbains est renforcée et le centre culturel bien intégré. Le bâtiment en lui-même est
conçu d’après les principes d’ouverture et de fluidité chers à Ito. En tous points de la voie, on
peut accéder au hall et à la bibliothèque. La pente du terrain se poursuit dans le bâtiment, ce
qui donne l’impression d’une continuité entre l’espace public et l’intérieur de l’édifice. Conçu
sur un niveau unique, les altimétries de sol et de plafond des différents espaces de varient,
créant une sensation de naturel et d’organicité, comme si le bâtiment se déployait sur terrain
en relief. Vue de l’extérieur, la silhouette de T. Hall décrit une ligne évocatrice d’un
prolongement de la topographie – manière d’intégrer l’équipement dans le paysage. (La
toiture du bâtiment monte à environ 12 m ; un volume (la scène) en émerge pour culminer à
environ 18 m.)
85
l’équipement public s’adapte à l’échelle humaine, aux temporalités et aux pratiques du
quotidien. Le caractère formel et rigide des équipements publics construits au Japon au cours
des décennies précédentes est ainsi évité. Avec T. Hall, Ito Toyo conçoit une architecture à la
fois adaptée au paysage, à la situation urbaine, et aux pratiques humaines. Une architecture
qui articule l’humain, l’urbanité, la géographie et le paysage.
Fig. 37. Taisha hall. De gauche à droite et de haut en bas : plan de masse, plan du rez-de-chaussée, coupe
longitudinale. Dessins Ito Toyo & Associates
Fig. 38. Taisha hall. De gauche à droite : vue sur la bibliothèque, vue sur le hall. Photographies Ueda Hiroshi,
GA photographers
86
2.2. Des architectures à l’échelle du paysage
Fig. 39. Musée du fruit. À gauche : plan de l’ensemble du site. Dessin Itsuko Hasegawa Atelier. À droite : dessin
d’étude accompagné de la légende : « les graines emportées par des ballons, le groupe des bâtiments du fruit, le
thème de l’écologie ». Dessin Hasegawa Itsuko
162
La ville de Yamanashi compte 34 740 habitants pour une superficie de 290 km² (soit une densité de
120 hab./km²) (données en date de 2019).
163
La préfecture de Yamanashi est bordée par les préfectures de Kanagawa (au sud-est), Tokyo (à l’est), Saitama
(au nord-est), Nagano (au nord-ouest) et Shizuoka (au sud-ouest). En 2018, elle compte 189 100 habitants pour
une superficie de 212,47 km² (soit une densité de 890 hab./km²). La majeure partie de la population est installée
dans le bassin de Kofu, où se trouve la ville de Yamanashi et son musée du fruit.
87
Le musée du fruit164 fait partie d’un vaste parc public165 (conçu par Moriryokuchi
Design et par la préfecture de Yamanashi) consacré à la présentation des fruits et des activités
liées à leur culture. Entouré de vignes, le parc s’inscrit dans une topographie en pente. Une
voie principale longe le site au nord et donne accès à un parking ainsi qu’à l’entrée principale
du complexe, laquelle débouche sur une place depuis laquelle on peut descendre dans le
dénommé jardin du fruit ou monter vers le musée. Alors que le parc intègre un réseau de
cheminements qui suivent un tracé courbe, la voie qui conduit de la place au musée est
rectiligne est segmentée, marquant ainsi une transition entre le monde organique de la nature
et le monde technique des artefacts. Le musée est composé de trois bâtiments auxquels on
peut accéder directement et individuellement depuis la voie de desserte au nord du site : la
place des fruits/hall d’exposition, la serre tropicale et l’atelier des fruits, trois structures de
verre et d’acier. Couvert d’un dôme de verre d’une hauteur de 11 m, la place des fruits abrite
un espace polyvalent et une collection de citronniers. Sous une structure de forme plus
bombée et d’une hauteur de 20 m, la serre tropicale comporte une serre (au rez-de-chaussée)
et un espace d’exposition (en sous-sol). Doublé d’une enveloppe (une structure métallique
tubulaire d’une hauteur d’environ 16 m) non hermétique à l’air, à la lumière et à la pluie,
l’atelier des fruits (un bâtiment sur quatre niveaux), offre des bureaux, des salles de réunion,
un magasin de vente de souvenirs, une bibliothèque, des ateliers d’art culinaire et un
restaurant. Des espaces en sous-sol permettent de circuler d’un bâtiment à l’autre.
Fig. 40. Musée du fruit. À gauche : vue d’ensemble sur les bâtiments du musée et sur le mont Fuji. Photographie
Fujitsuka Mitsumasa. À droite, en haut : coupe sur le hall d’exposition et la serre tropicale. Dessin Itsuko
Hasegawa Atelier. À droite, en bas : dessin de conception en coupe. Dessin Hasegawa Itsuko
164
L’emprise au sol du musée est de 3 297 m² et sa surface totale de plancher est de 6 459 m² (le musée est
composé de deux bâtiments sur un niveau reliés par un niveau en sous-sol et d’un bâtiment sur quatre niveaux).
165
D’une superficie de 19,5 hectares.
88
Selon Hasegawa Itsuko, par sa structure (« un groupe d’abris dispersés sur le site166 »),
ce musée est une « métaphore de la vitalité et de la diversité du fruit ; un paysage primordial
profondément enfoui dans la fantastique psyché humaine167 ». De par leurs formes, ces trois
structures de verre et d’acier symbolisent les différents stades de croissance du fruit : « La
Place du fruit incarne le stade final de la croissance des graines ; [on y trouve] de larges
arbres, qui sont eux-mêmes le commencement d’un nouveau cycle. La serre, une
encyclopédie du fruit, représente la mémoire du soleil tropical [du milieu] où les graines
germent. L’espace d’exposition en sous-sol est dédié au monde des gênes. Le bâtiment de
workshops [l’Atelier des fruits] symbolise l’ouverture sur l’étranger (foreignness) inhérente à
la vitalité des graines.168 » En concevant ce musée, Hasegawa dit s’être confrontée à plusieurs
aspects : des aspects spirituels (historiquement, les humains ont toujours révéré les fruits en
tant qu’objets esthétiques et y ont parfois attaché des significations religieuses) qui
impliquent la sensualité, l’intelligence et les désirs humains, et des aspects écologiques169 qui
mettent en jeu notre environnement physique. Pour Hasegawa, « ces pensées devaient être
exprimées par l’architecture elle-même. Il s’agi(ssait) de créer une architecture en tant que
machine poétique qui exprime ce contexte spirituel, social et environnemental »170. Ainsi les
structures « paraissent tantôt fermement plantées dans le sol, tantôt rejetant la terre, juste
atterries, ou essayant de s’envoler au loin. La vitalité du fruit et le jardin fusionnent en une
science-fiction de totalité écologique171 – une vision architecturale sans précédent, de formes
extraterrestres atterrissant et semblant prendre forme à partir du verger pentu172 ».
Ce projet s’inscrit dans la continuité des maisons urbaines conçues par Hasegawa.
L’architecte pensait l’image de la ville telle qu’exprimée par exemple dans l’expression
ancienne disant que "là où il y a un arc en ciel il y a un marché", et nommait ses bâtiments
"rainbows serpents" pour décrire la métamorphose des formes que les arcs en ciel produisent.
Elle voulait créer une architecture naturelle qui se confronte avec le paysage urbain chaotique.
En concevant le musée du fruit d’après la forme d’une graine emportée dans le vent,
Hasegawa réalise un bâtiment ambigu qui change constamment de forme pour refléter le
paysage et le climat. Dans ce projet, sa vision de l’écologie concerne le lien entre les artefacts
et l’environnement géo-physique. C’est en appliquant une pensée abstraite (inspirée de la
166
HASEGAWA Itsuko (1997) (The Master Architect Series II), opus cit., p. 184.
167
Ibidem.
168
Ibid.
169
« Global environmental issues » est le terme employé.
170
Ibid. p. 185.
171
« Fuse into one science-fiction ecological totality » sont les termes employés.
172
HASEGAWA Itsuko, Island hopping, Crossover Architecture, Rotterdam, NAi Publishers, 2000, p. 71.
89
structure et de la croissance du fruit) aux éléments concrets (le jardin et les bâtiments) que
Hasegawa réalise une fusion entre artefacts et environnement. Fusion qui repose sur
l’imaginaire découlant de la découverte visuelle d’une architecture éclatée en pavillon
transparents posés dans le vaste paysage des montagnes.
173
Oshima était une petite ville du district d’Imizu, dans la préfecture de Toyama. En 2003, sa population
comptait 10 108 habitants pour 7,96 km² (soit une densité de 1 269,85 habitants/km²). Le 1er novembre 2005,
avec Oshima, les villes de Shinminato, Daimon, Kosugi et le village de Shimo (tous ces lieux faisant partie du
district d’Imizu) ont été fusionnés pour créer la ville d’Imizu. En 2018, Imizu recensait une population de 93 447
personnes réparties sur une superficie de 109,4 km² (soit une densité de 850 hab./km²).
174
La préfecture de Toyama est entourée par les préfectures de Niigata (au nord-est), Nagano (au sud-est), Gifu
(au sud-ouest) et Ishikawa (au nord-ouest).
175
Sur un site d’une superficie de 9 111,79 m², l’emprise au sol du musée du livre d’image est de 1 171,59 m² et
sa surface totale de plancher est de 2 413,10 m² (sur 3 niveaux).
90
façades latérales à plans inclinés s’apparente à la forme d’une coque de navire. Hasegawa
ayant baigné dans l’univers marin depuis l’enfance, la conception d’un bâtiment situé à
proximité de la mer constituait l’occasion idéale pour puiser dans la référence navale. La
silhouette du musée évoque donc la présence de la mer et des bateaux.
Fig. 41. Musée du livre d’image. À gauche : dessin d’étude figurant les collines artificielles et le bâtiment à la
forme évocatrice de celle d’un bateau. Dessin Hasegawa Itsuko. À droite : le musée et le parc. Photographie
Ohashi Tomio
Hasegawa a également pris en charge l’aménagement du site. Dans l’esprit qui guidait
la conception du centre culturel de Shonandai, pour le musée du livre d’images, elle créé un
parc à valeur d’espace public. Elle y installe fontaines, carillons à vent et théâtre de plein air.
Fidèle à ses convictions sur la dimension sociale de l’architecture publique, Hasegawa
souhaite « encourager la participation du visiteur plutôt que la timidité habituellement
suscitées par les bâtiments publics japonais176 ». Tel qu’il est aménagé (avec ses circulations,
ses équipements et ses zones d’activités), le parc inspire une sensation d’espace libre et
ouvert ; il invite au mouvement et à la créativité ; à y pratiquer des activités ou simplement à
s’y installer un moment. Les rampes de circulation (des plateformes légèrement surélevées au-
dessus du sol), semblent glisser ou flotter sur le terrain en pente. Formée par le terrassement
de niveaux, la topographie constitue une succession de strates gazonnées, un étagement de
plans horizontaux qui s’harmonise avec le paysage de rizières caractéristique de
l’environnement local. Ce traitement paysager fait du parc un élément de liaison avec le grand
paysage. Les rizières étant un paysage créé et travaillé quotidiennement par l’humain, le
milieu du parc et celui des rizières ne se distinguent pas tant par leur degré de naturalité et
d’artificialité que par leur destination d’espace public ou agricole. Bien que plus ou moins
praticables, ces espaces forment l’étendue façonnée par l’homme – une seconde nature. Le
176
HASEGAWA Itsuko, Itsuko Hasegawa, recent buildings and projects, Bâle, Birkhäuser Verlag et Institut
français d’architecture, 1997, p. 24.
91
bâtiment étant conçu dans le prolongement du parc, il lui-même est lié au paysage et à
l’environnement.
Fig. 42. Musée du livre d’image. De gauche à droite et de haut en bas : plan de masse, plan du rez-de-chaussée
et plan du premier étage. Dessins Itsuko Hasegawa Atelier
L’architecture du musée du livre d’images est caractérisée par ses circulations. Les
rampes qui sillonnent à travers le parc semblent se continuer à l’intérieur du bâtiment. Pour sa
conception, Hasegawa s’est inspirée de la structure du livre d’image (ehon) où chaque page
est une combinaison d’images de couleurs vives et de lignes de textes continues, et elle a
entrepris de mettre le programme en espace. Les différentes zones (et par là les différentes
fonctions du musée) sont reliées par des rampes, des escaliers et des passerelles qui articulent
des séquences programmatiques et spatiales.177 Comme dans la démarche d’Ito Toyo et
comme dans l’architecture du centre culturel du Shonandai, le thème du mouvement est de
première importance dans ce projet : « Au lieu de limiter l’architecture à une présence
physique statique, nous l’avons définie comme un lieu où de nouvelles idées sont acceptées et
encouragées, (un lieu) où la vie quotidienne et la culture sont synthétisées comme un tout178 ».
« Plutôt que de se focaliser sur d’étroites finalités fonctionnelles, (nous avons conçu) des
espaces architecturaux hors-programme, (qui forment) des lieux pour des événements
inattendus179 ». Telles sont les considérations qui ont guidé Hasegawa dans la conception du
musée.
177
D’un point de vue programmatique, le bâtiment comporte un hall/espace de spectacle, un théâtre, une
bibliothèque, une galerie, un atelier informatique et des espaces de workshops ainsi que de nombreux espaces
ouverts comme un café, des espaces de lecture et un jardin pour enfant.
178
HASEGAWA Itsuko, Itsuko Hasegawa, Architectural monographs n° 31, Londres, Academy Editions,
1993, p. 9.
179
HASEGAWA Itsuko (1997) (The Master Architect Series II), opus cit., p. 152.
92
Le centre des arts de la scène de Niigata, préfecture de Niigata, 1998
La ville de Niigata se trouve sur la côte de la mer du Japon (à environ 250 km au nord-
est d’Imizu et de son musée). Elle est célèbre et rayonne encore aujourd’hui pour les arts du
spectacle, notamment du fait de la proximité de l’île de Sado180 où le célèbre acteur Zeami
Motokiyo181 (1363-1443) a introduit le théâtre nô. Capitale et ville la plus peuplée de la
préfecture du même nom, Niigata182 est située à l’embouchure de la rivière Shinano. En se
documentant et en analysant la cartographie du territoire, Hasegawa Itsuko a compris que la
ville comprenait autrefois un chapelet d’îles (aujourd’hui disparu du fait de l’urbanisation) et
qu’on y performait des festivals. Dès lors, en réponse au concours d’architecture (de 1993)
pour la conception du futur centre des arts de la scène ("Performing Art Center"), Hasegawa a
proposé une approche urbaine et paysagère permettant de renouer avec la géographie
disparue et de faire ressurgir la vitalité d’un site où nature et infrastructures s’entremêlent :
« Introduisons ici des îles, ai-je proposé (…) et connectons-les avec des ponts. Et j’ai esquissé
un archipel, sorte de harrapa (“open field”) où des festivals et des performances
traditionnelles puissent être donnés librement, y compris sur le toit de la salle de concert.183 »
Fig. 43. Centre des arts de la scène de Niigata. Vues depuis le toit-jardin : deux des îles, passerelles et
panorama (la rivière Shinano, la ville et les deux équipements voisins que sont le Niigata city music cultural hall
(image de gauche) et le Niigata city gymnasium (image de droite). Photographies S. Dousse, 2018/03
180
Distante de la cote de Honshu d’environ cinquante kilomètres, l’île de Sado est la sixième plus grande île de
l’archipel (855 km²) après les cinq principales. Longtemps surnommée « l’ile maudite », elle a servit de terre
d’exil à des lettrés réprouvés (le premier exil connu sur l’île Sado est celui du poète Hozumi no Asomi Oyu en
722, et le dernier bannissement a été prononcé en 1700). Après 1600, la découverte de gisements d’or fera de
l’exploitation aurifère l’activité principale de l’île et propulsera son peuplement. Aujourd’hui dépeuplée, Sado
semble endormie.
181
Célèbre acteur, dramaturge et théoricien de nô. Également appelé Kanzo Motokiyo, du nom de l’école
(Kanze) qu’il créa avec son père Kan’ami Kiyotsugu (1333-1384) (de son vrai nom Kanze Kiyotsugu, Kan’ami
étant la forme abrégée de Kan'amidabutsu, son nom bouddhiste), acteur et pionnier du théâtre nô.
182
En 2019, Niigata compte 797 600 habitants pour une superficie de 726,5 km² (soit une densité de
1 098 habitants/km²).
183
HASEGAWA Itsuko (2012), opus cit., p. 118.
93
Bien qu’à l’époque moderne des canaux aient été creusés et des saules plantés, faisant
de Niigata une "ville d’eau", « dans sa croissance, la ville s’est coupée de la rivière ; les
canaux ont été comblés, les voies ferrées ont divisé le centre urbain autrefois dense, créant
une urbanité dispersée184 », observe Hasegawa. Pourtant « la ville d’aujourd’hui devrait être
conçue à l’image d’un environnement naturel185 », écrit-elle. Le site réservé à la construction
du centre des arts de la scène186 était propice à ce principe puisqu’il se trouve face à la rivière
Shinano, le long une étendue de huit hectares aménagés en promenade. Qualifiant les fronts
de rivières des villes japonaises d’« espaces nés de la nature, (…) amorphes et anonymes, qui
changent au fil du temps, avec la météorologie et à travers une interaction continue avec le
monde (…), (Hasegawa a pris le parti d’inscrire le bâtiment dans l’environnement grâce à)
une nouvelle approche de l’architecture urbaine187 ». Le contexte s’y prêtait puisque la
municipalité attendait du projet qu’il serve d’articulation urbaine : il s’agissait de relier des
équipements publics voisins (le centre civique préfectoral de Niigata et la salle de musique et
de culture de Niigata) jusqu’alors isolés l’un par rapport à l’autre, et de permettre aux piétons
de circuler entre le parc Hakusan et les berges de la rivière respectivement situés eu nord et au
sud de la parcelle, tout en se raccordant aux cheminements planifiés par la municipalité (pour
le parc) et par la préfecture (pour les berges). Le projet d’aménagement du centre des arts de
la scène (dont les éléments de programmes principaux sont : une salle de concert de 1 900
places, un théâtre de 900 places et une scène de noh de 375 places) devait également intégrer
la construction d’une voie rapide et celle d’un parking d’une capacité de 700 places de
stationnement. On mesure l’importance de l’échelle urbaine dans ce projet d’architecture.
184
HASEGAWA Itsuko (2000), opus cit., p. 26.
185
HASEGAWA Itsuko (1997) (Birkhäuser), opus cit., p. 46.
186
Bâti sur un site d’une superficie de 140 143,87 m², l’emprise au sol du centre des arts de la scène de Niigata
est de 10 062,4 m² et sa surface de plancher totale est de 25 100 m².
187
HASEGAWA Itsuko (1997) (Birkhäuser), opus cit., p. 46.
188
Si Hasegawa Itsuko utilise ce terme (« archipelago system ») pour la première fois à l’occasion du projet de
Niigata, elle pense que cette idée (d’exploser la masse d’un bâtiment en plusieurs parties) était déjà présente lors
de la conception du centre culturel de Shonandai. À Thomas Daniell, elle explique que les îles du centre des arts
de la scène de Niigata « coexistent avec l’air présent entre elles en abondance ». DANIELL, Thomas (2018),
opus cit., p. 137.
94
phréatique (à seulement -1m) et de la nature sablonneuse de sols sujets à liquéfaction sous
l’effet sismique (le terrain a autrefois été gagné sur la rivière par assèchement). Selon
l’architecte, ces îles constituent des « jardins (qui relient le bâtiment au parc Hakusan et aux
berges de la rivière Shinano), tout en atténu(ant) la massivité du bâtiment ainsi que la dureté
de contours des constructions voisines »189. Réminiscences de la géographie du passé, ces îles
artificielles sont reliées entre elles et aux équipements publics voisins par des ponts ;
l’ensemble (les îles, les ponts et les halls) formant un espace public de promenade à l’abri de
la circulation routière, « un nouveau réseau d’espaces intérieurs et extérieurs continus, (…) un
espace extérieur qui se transforme en scène géante190 ». Chaque île constitue un
environnement scénique et le cadre à la pratique d’activités en plein air (comme des concerts,
contemplation de fleurs, lecture de poèmes, cérémonies du thé, marchés aux puces, danses
estivales, etc.). Il y a notamment le jardin des cerisiers, le jardin d’eau, le jardin de nô, le
jardin des enfants, le toit-jardin, chaque jardin étant doté d’un aménagement spécifique en
termes de plantations, de plans d’eau et de mobilier. En observant l’exploitation des lieux,
Hasegawa s’est réjouie des « relations intéressantes entre les îles quand plusieurs activités y
sont organisées simultanément »191.
Fig. 44. Centre des arts de la scène de Niigata. À gauche : dessins d’études portant la légende : « investigations
sur la connexion des îles et sur la manière de les enterrer autour des trois bâtiments existants ». Dessin
Hasegawa Itsuko. À droite : plan du premier étage. Dessin Itsuko Hasegawa Atelier
189
HASEGAWA Itsuko (1997) (Birkhäuser), opus cit., p. 46.
190
HASEGAWA Itsuko (2000), opus cit., p. 26.
191
Ibidem.
95
Toujours au premier étage, on trouve le studio A et les salles de répétition 1, 2 et 3. La salle
de concert (1 900 places) occupe jusqu’au quatrième étage et le théâtre (900 places) jusqu’au
troisième étage et jusqu’au quatrième partiellement. En plus du restaurant, le deuxième étage
offre une salle de change et une quatrième salle de répétition. Le troisième étage comporte un
espace d’exposition (gallery), le studio B et la cinquième salle de répétition. Il faut monter au
quatrième étage pour accéder au théâtre de nô (375 places), à la salle de thé (cérémonie du
thé) et aux salles de répétitions 6, 7 et 8. Quant au cinquième étage, il est principalement
occupé par le toit terrasse et bénéficie d’un espace de restauration/café (“Vista lounge”) d’où
l’on peut apprécier la vue sur le panorama et sur le toit-jardin qui constitue la septième île du
centre des arts de la scène de Niigata.
192
HASEGAWA Itsuko (1997) (Birkhäuser), opus cit., p. 46.
193
DANIELL, Thomas (2018), opus cit., p. 137.
194
HASEGAWA Itsuko, Itsuko Hasegawa 1985-1995, SD9511, Tokyo, Kajima Institute Publishing, 1997,
p. 140.
96
théâtre sont de teintes sombres – du béton teinté noir pour le théâtre et un parement métallique
couleur rouille pour la salle de concert. Un traitement qui confère une lisibilité fonctionnelle
aux espaces tout en fabriquant une certaine intériorité – les teintes de ces matériaux
contrastant avec celles de l’espace urbain et du paysage.
Les poteaux en béton qui supportent les îles et les ponts au-dessus du parking et les
poteaux en métal du hall sont conçus sur le modèle de l’arborescence de branches des arbres.
Vues de l’extérieur, depuis les berges ou le parc, ces ramifications s’harmonisent avec le
paysage où les arbres sont nombreux. Au niveau des circulations extérieures (les escaliers et
les passerelles qui relient l’espace public aux îles et aux bâtiments), des mains courantes en
métal sont doublées de panneaux en tôle d’acier perforée laquée de couleur blanche sur leur
face extérieure (la face visible depuis les abords) afin de marquer une unité visuelle entre ces
éléments de circulations urbaines et la façade du centre des arts de la scène, elle aussi de
couleur blanche. Bien que cette façade soit entièrement vitrée, en transparence, on aperçoit la
structure et les circulations (escaliers et passerelle), elles-mêmes de couleur blanche. La
façade est composée de deux épaisseurs de verre transparent supportées par un système de
fixation métallique dot pointed glazing et est équipée d’un écran pare-soleil : deux couches de
panneaux en métal perforés installés entre les deux épaisseurs de verre. Niigata étant une
région froide en hiver, l’installation d’un système de chauffage mécanique était nécessaire.
Néanmoins, grâce à cette façade, une réduction de la consommation d’énergie de 30% a pu
être réalisée. L’installation de capteurs (fabriqués en Allemagne) permettant de mesurer la
température extérieure et les angles de lumière solaire, un système informatique permet de
calibrer la position des panneaux brise-soleil, ceux-ci étant mobiles (ils bougent
indépendamment les uns des autres). Ce système permet de contrôler l’entrée de lumière dans
le bâtiment pour optimiser les dépenses d’énergie de chauffage. Hasegawa Itsuko a insisté
pour que les panneaux métalliques bougent très lentement, comme des voiles de bateaux
élevées et baissées manuellement. D’après l’architecte, bien que ce système puisse être
qualifié de low-tech, il a permis de calculer les coûts d’exploitation et d’investir l’argent
épargné dans le projet.195
195
Pionnière de l’utilisation du dessin assisté par ordinateur au Japon, Hasegawa Itsuko a également été avant-
gardiste dans le développement de bâtiments économes en énergie, ceci grâce à l’intégration de systèmes
informatiques et de dispositifs techniques permettant de tirer parti des ressources de l’environnement en
modulant l’ouverture et la protection solaire des façades selon les conditions météorologiques et climatiques.
97
1-2
Vue depuis la promenade des bords de la rivière Shinano (1), vue sur le parking apperçu précedemment (2)
3-4
Vue sur l’accès au niveau des îles et du hall (3), vue sur la façade sud (face à la rivière Shinano) (4)
5-6
Vue sur la passerelle d’accès au hall (5-6), le parking et environnement urbain (6)
7-8
Vue sur le hall et la façade sud (7), l’allée intérieure qui relie les accès sud et nord du hall, la passerelle d’accès
au théâtre et à la salle de concert, le support mural de documentation sur l’activité culturelle de la ville (8)
98
9-10
Vue sur la partie sud du hall (café et places assises) (9), vue sur la partie nord du hall (point d’information) (10)
11-12
Vue sur le toit-jardin, la rivière et la ville (11), vue sur le traitement paysager du toit-jardin (12)
13-14
Vue sur le cheminement sur le toit-jardin (13), vue sur un patio aménagé en jardin vu depuis le toit-jardin (14)
15-16
Vue sur le bâtiment du "Vista lounge" (15), vue sur le "Vista lounge" et le panorama en fin de matinée (16)
Fig. 45. Centre des arts de la scène de Niigata. Parcours photographique. Photographies S. Dousse, 2018/03
99
2.2.2. Ando Tadao et Ito Toyo : construire dans les collines ou construire des collines
Ce musée préfectoral est consacré à culture des kofun (monuments funéraires datés du
IIIe au VIIe siècle de notre aire qui ont donné leur nom à cette période historique) ainsi qu’à
la région de Chikatsu Asuka aux périodes Kofun (vers 250 – vers 700) et Asuka (592-710).
Cette région du sud de la préfecture d’Osaka comporte la trace de nombreux tumuli insérés
dans un paysage montagneux. Passé une vallée urbanisée s’étirant de la ville de Nara (à 30 km
à l’est d’Osaka) à la ville côtière de Wakayama (capitale de la préfecture du même nom,
située à environ 80 km d’Osaka), s’étendent les hautes montagnes du sud du Kansai
(préfectures de Nara et de Wakayama), une région de pèlerinages ancestraux. C’est donc à la
lisière entre plaine urbanisée et forêts montagneuses que se trouve le musée, dans le bourg de
Kanan196, à approximativement 25 km du centre d’Osaka. Discrète visuellement, son
architecture est inspirée de celle des sépultures kofun. Depuis le train et le bourg de Kanan, en
apercevant le musée, on l’apparente à une zone rocheuse de la montagne ou à une carrière.
Dans le grand paysage, le bâtiment apparaît comme un monolithe de pierre étalé dans le relief.
196
Partie du district de Minami-Kawachi, en 2017, Kanan comptaient 15.953 habitants pour une superficie de
25,26 km² (soit une densité de 632 habitants/km²).
197
Par la Kintetsu line qui relie Minami-osaka à Kawachinagano.
100
bâtiment) qui s’arrête, de manière nette, au bord du ruisseau. Tel un socle, le mur de
soubassement constitue la limite entre l’architecture et le cours d’eau. Du côté droit du pont
(Fig. 47, image 5), la déclivité entre la plateforme de circulation devant l’entrée du musée et
le ruisseau est traité en terrasses grâce à un assemblage de pierres – alors on peut descendre
jusqu’au ruisseau. Les visiteurs venant du parking situé devant la façade nord du bâtiment
accèdent à cette plateforme et à l’entrée du musée par un autre chemin (Fig. 47, image 6). Ils
peuvent alors entrer dans le bâtiment ou emprunter un couloir extérieur (Fig. 47, image 7)
pour gagner le toit-terrasse en haut duquel un ascenseur conduit au niveau du rez-de-chaussée
pour rejoindre le hall et commencer la visite de l’exposition (Fig. 47, images 8 et 9).
Fig. 46. Musée historique Chikatsu-Asuka. À gauche : croquis d’étude. Dessin d’Ando Tadao. À droite : vue
d’ensemble du bâtiment depuis le cheminement d’accès. Photographie Takase Yoshio, GA photographer
Des deux formes monolithiques qui émergent de la terrasse-escalier, la plus petite (+-
2.5 m de hauteur en partie basse et +- 1.5 m de hauteur en partie haute) sert de puits de
lumière bénéficiant aux espaces du musée – on retrouve le concept de « cour de lumière »
développé par Ando dans ses projets d’habitation –, tandis que la plus grande (environ 15 m)
sert de belvédère et détermine l’espace de l’exposition permanente au rdc et au r-1.
Concernant l’organisation du musée (cf. Fig. 49) : bénéficiant d’un éclairage naturel
(complémentaire à l’éclairage électrique) grâce au puits de lumière (cf. Fig. 48, images 10 et
11) ainsi qu’à deux cours anglaises disposées en façade est, le hall est un espace ouvert qui,
précédé d’un sas d’entrée, se prolonge vers la librairie/workshop et l’espace de l’exposition
permanente qui, se développant au r-1, permet de rejoindre l’exposition temporaire. À ce
niveau, la cour de lumière est agrémentée d’une sculpture (Fig. 48, image 11) dont la vue
profite à l’espace du foyer, tandis qu’à l’auditorium et à la remise correspondent des espaces
où la lumière est occultée. Au premier étage, la salle de conférence et la salle du commissaire
d’exposition profitent de cours anglaises, une remise est adjointe et la circulation surplombe
101
la cour de lumière que traverse une passerelle198 au niveau du rdc (Fig. 48, image 11). Le plan
de l’espace de l’exposition permanente est dessiné avec pour référence la forme évocatrice
d’une serrure typique de certains monuments kofun. Au centre de ce plan est installée une
grande maquette de ce type de sépulture (Cf. Fig. 48, images 12-13). Une mise en abime par
l’architecture ? Elle est subtile car non littérale. Bien qu’évocateur de la géométrie des
sépultures, l’aspect extérieur du musée est aussi très contemporain – ce bâtiment appartient
bien à son époque. Néanmoins, l’épure, l’abstraction et la monumentalité caractéristiques de
sa composition formelle lui confèrent cette impression d’éternité émanant des sépultures
antiques et préhistoriques.
1-3
4-6
7-9
Fig. 47. Musée historique Chikatsu-Asuka. Vues extérieures, l’accès au musée. Photos S. Dousse, 2017/11
Quant à l’espace d’exposition, déterminé par des circulations en pente qui s’enfoncent
dans le sol, le parcours procure l’impression d’effectuer une promenade continue dans le
paysage et le bâtiment. Pour sortir du musée, s’il n’emprunte pas l’accès en façade sud au
niveau du rez-de-chaussée, le visiteur peut prendre l’ascenseur pour monter sur la terrasse et
198
Le principe de cette composition (une circulation dans une cour de lumière) étant le même que celui qui
guidait Ando dans la conception de la maison Azuma, à Sumiyoshi, Osaka. Cf. supra, chapitre 1.1.1.
102
profiter du panorama – une scène qui lui inspirera peut-être l’idée de partir à la découverte des
sépultures qui parsèment la région.
10-11
12-13
Fig. 48. Musée historique Chikatsu-Asuka. Vues intérieures. Espaces de circulation et d’exposition du rez-de-
chaussée. Photographies S. Dousse, 2017/11
Fig. 49. De gauche à droite : plan du rez-de-chaussée et plan du niveau 1. Dessins Ando Tadao
103
Le complexe Awaji-Yumebutai, Awaji, préfecture de Kobe, 2000
Fig. 50. Complexe Awaji Yumebutai. Maquette exposée sur place, vue d’ensemble. Photos S. Dousse, 2018/08
199
Sur un site de 213 930 m², le complexe Awaji Yumebutai totalise une surface de plancher de 95 078 m².
200
Un examen précis de l’œuvre d’Ando Tadao nous permettrait de replacer la conception du complexe Awaji
Yumebutai dans la continuité d’autres réalisations de l’architecte, notamment l’ensemble de logements Rokko,
(Kobe, 1983), Jun Port Island Building (Kobe, 1985) le musée des enfants de Hyogo (Himeji, 1989), le musée de
la littérature (Himeji, 1991), le musée des tombeaux de Kumamoto (Kumamoto, 1992) ou encore le musée
Suntory Osaka (Osaka, 1994)). Voir NUSSAUME, Yann (1999), opus cit.
201
Conçu par l’architecte italien Renzo Piano (qui a remporté la compétition internationale de 1988), les travaux
de construction de l’aéroport du Kansai ont été menés de 1991 à 1994.
104
Partie d’une vaste aire récréative (nationale et préfectorale), le complexe Awaji-
Yumebutai offre un grand nombre d’équipements et d’espaces extérieurs aménagés en jardins
ou en terrasses et comprenant fontaines et plans d’eau. On y trouve un centre de conférence
auquel est associé un hôtel, des restaurants, un pavillon de thé, une chapelle (chapel of sea),
ainsi qu’une grande serre (le plants museum of miracle planet) et les nombreux lieux en
extérieur que sont les galeries (seaside gallery et hillside gallery), le théâtre en plein-air, les
forums (circular forum et oval forum), la place d’eau (water plaza of shells) et plusieurs
jardins (sky garden, water garden) dont le fameux hundred step garden, conçu par Ando
Tadao en tant que lieu d’hommage aux victimes du tremblement de terre de Hanshin-Awaji ;
jardin qui, en 2015, a été désigné jardin central de la zone satoyama-sato-umi202 du parc et
musée de Awaji-Yumebutai. Cet ensemble de cent paliers est composé de trois parties qui se
rapportent toutes à la culture des fleurs (hana-bunka), perçue par les Japonais eux-mêmes
comme typique de leur culture. Le premier palier, le jardin de prière des dieux de la mer
(prayer garden of sea gods), traduit la croyance traditionnelle en l’existence de dieux dans la
nature. Le second, le jardin des récoltes (harvest garden), est réservé à la culture de légumes
« à l’air marin », comme l’indique la documentation affichée sur place. Enfin, le troisième, le
jardin-prairie d’Awaji (Awaji meadow garden), est un espace « expérimental » doté de
plantations exclusivement originaires de l’île.
Fig. 51. Complexe Awaji Yumebutai. Hundred step garden, plan d’ensemble. Photos S. Dousse, 2018/08
202
Une zone située entre montagne (donc forêt) et mer.
« Satoyama, mot composé de sato (village) et de yama (montagne) signifie d’après le dictionnaire "montagne
proche d’un village, en lien avec la vie des habitants". Ce terme désigne par extension le territoire rural japonais
organisé linéairement en fond de vallée ou piémont, en aval de versant forestier ; bordé de bois, le satoyama est
constitué de champs secs et de rizières, de cours d’eau et de rigoles, d’étangs réservoirs et de roselière, de jardins
et d’habitations le long des voies. » Voir BROSSEAU, Sylvie, « Satoyama, le paysage de la culture vivrière »,
dans BONNIN, Philippe, NISHIDA Masatsugu, IGANA Shigemi (dir.) (2014), opus cit., p. 402.
« Sato-umi peut être défini comme une zone côtière habitée où la relation de l’homme avec son milieu est
harmonieuse. Le mot est formé de sato (terre ou espace habité), et de umi (mer). À la différence de satoyama,
(montagne habitée), auquel il emprunte, le terme sato-umi est récent, mentionné et défini pour la première fois
par Yanagi Tetsuo dans les années 1990. » Voir BERQUE, Joannès, « Sato-umi, le littoral », Ibidem. p. 401.
105
Ito Toyo et Ando Tadao : l’architecture telle les collines
Island City Central Park GRIN GRIN (GREEN GREEN), Fukuoka, préfecture de Fukuoka, 2005
Fig. 52. Complexe éducatif Grin-grin. De gauche à droite : vue aérienne sur Grin-grin, une folie du parc Island-
City. Photographies Toyo Ito & Associates
203
Hakata est le nom d’une ville fusionnée à celle de Fukuoka (en 1889). Aujourd’hui encore, Fukuoka est
également connue sous le nom de Hakata. La gare du shinkansen est nommée gare de Hakata.
204
Chef lieu de la préfecture du même nom, Fukuoka recense une population de 1,589 million d’habitant pour
une superficie de 343.4 km² (soit une densité de 4,627 hab./km²) (donnée en date de 2019).
205
Selon SAVE International, initié à une période de haute croissance économique, le projet n’a pas su évoluer et
intégrer les questions environnementales centrales à notre époque. (Le plan du parc aux oiseaux (Wild Bird Park)
a pourtant été finalisé en 2015.) La ville de Fukuoka a ainsi manqué une grande opportunité d’éducation
environnementale et failli à ses responsabilités concernant la protection des spatules (une espèce d’oiseau
menacée) et concernant la protection des oiseaux migratoires en général.
Pour en savoir plus, voir : https://saveinternational.org/saveinaction/fukuoka-and-island-city/.
106
Dans le cadre de ce projet urbain dont l’un des objectifs annoncés était de créer un
nouveau lieu de nature, Ito a exploré la manière de créer un lieu dans le paysage en brouillant
la séparation entre architecture et nature ou intérieur et extérieur. Il s’agissait de concevoir cet
équipement206, non pas en tant que volume posé dans un parc, c’est-à-dire en tant qu’artefact
dans la nature, mais en tant qu’élément de ce parc, de cette nature. Cette intention s’est
concrétisée par la création de trois espaces intérieurs indépendants couverts d’une coque en
torsion dont la forme évoque une topographie vallonnée. La collaboration avec l’ingénieur
Sasaki Mutsuro (expert des structures en coque et pionnier de la morphogenèse de calcul dans
les domaines de l’architecture et du génie civil, avec qui Ito avait déjà travaillé pour la
conception de la médiathèque de Sendai (2001)207) a permis la réalisation de ce bâtiment à la
forme novatrice. L’utilisation du programme informatique d’optimisation structurelle
évolutive (Evolutionary Structural Optimization)208 a offert à l’architecte de modeler la
courbure d’une dalle de béton (de 40 cm d’épaisseur) pour former une coque de forme fluide
évocatrice d’une topographie.
Fig. 53. Complexe éducatif Grin-grin. Plan de niveau. Dessin Toyo Ito & Associates
Fig. 54. Complexe éducatif Grin-grin. Passerelle de circulation et serre. Photographies S. Dousse, 2018/03
206
Édifié sur un site de 129 170 m², avec une surface baties de 5 162 m², les serres éducatives Grin Grin
totalisent une surface de plancher de 5 033 m² (sur un niveau).
207
Voir infra, chapitre 5.3.1.
208
Ce programme convertit une surface courbe tridimensionnelle en réseau de points disposés sur une grille
d’une trame de 2 m. Le déplacement graduel de ces points d’après un procédé mécanique permet de modeler la
forme de la surface.
107
Ito souhaitait réaliser une architecture qui soit l’incarnation physique d’une dynamique
de mouvement, une architecture qui lui permette de s’affranchir des règles de composition
architecturale modernes (reposant sur le modulor et la géométrie) de bâtiments générés par
l’utilisation de joints de connexion issus de l’industrialisation pour créer un bâtiment sans
joints ou soudures (un bâtiment aux formes souples). Il ambitionnait l’émergence d’une
architecture dynamique, libre de toutes formalités. Avec une portée maximale de 40 m,
chaque unité de cette coque couvre une surface d’environ 1 000 m² et bénéficie de larges
voutes vitrées propices à l’hébergement de serres tropicales. Plantes et visiteurs profitent ainsi
d’environnements lumineux et confortables thermiquement. En reliant les trois unités
(nommées : bloc nord, bloc central et bloc sud) par des chemins continus entre intérieur et
extérieur et entre sol et toit, Ito efface les limites entre parc et bâtiment : il réalise une
architecture paysage. Le bloc nord, prénommé galerie verte (green gallery) est un espace libre
avec tables, chaises et végétation où il est possible de se restaurer ; le bloc central, nommé
centre d’apprentissage sur les aires tropicale et subtropicale (subtropical and tropical learning
area) contient l’administration et accueil, la salle de consultation sur l’eau et la végétation
(water and green consultation room) une aire de repos (rest area) ouverte et centrale à la
serre, et des toilettes ; le bloc sud, appelé centre d’apprentissage et d’expérimentation sur les
fleurs et les poissons tropicaux (flowers, tropical fish and experiential learning area) est
composé d’une serre tropicale avec bassin et d’une salle de workshop. À l’intersection entre le
bloc sud et le bloc central, se trouve une aire de repos extérieure, interface entre le parc, les
collines artificielles et les serres de Grin-Grin, ce lieu d’apprentissage et d’observation de la
nature. Les thèmes de l’éducation et de la transmission étaient aussi en jeu pendant la
conception du complexe éducatif, quand Ito a supervisé l’organisation de workshops pour la
construction de folies (pavillons) dans le parc.209 Convaincu de l’intérêt de cet exercice, Ito
« aurai(t) aimé pérenniser ce genre de programme, mais l’adjoint au maire est parti, la
situation économique s’est dégradée et, hélas, l’expérience s’est arrêtée au bout de deux
fois »210.
209
Le programme du complexe éducatif Grin Grin comprend la réalisation de plusieurs folies. Suite à la
proposition d’Ito Toyo de travailler avec des étudiants, la municipalité de Fukuoka a alloué un budget bisannuel
permettant l’organisation de workshops. Le premier a été dirigé par une architecte Thaïlandaise enseignant à
l’université Chulalongkorn de Bangkok et par une jeune architecte de Fukuoka à destination d’étudiants en
troisième cycle des universités de Kyushu. Le second a été mené par un architecte de Kyushu, Yahagi Masao, et
a été élargi à des étudiants de l’ensemble du Japon. Pour plus d’informations, voir ITO Toyo (2014), opus cit., p.
90-93.
210
Ibidem. p. 93.
108
Fig. 55. Complexe éducatif Grin-grin. De gauche à droite : Grin-Grin et son environnement bâti, le futur
gymnase de Island City (affichage sur les palissades de chantier). Photographies S. Dousse, 2018/03
Comme le montrent les photographies prises sur place, bien que le parc d’Island-City
et l’architecture de Grin-Grin illustrent la volonté des politiques et des planificateurs de de
placer la nature au cœur de la ville et de la société, les abords du périmètre du parc tout
comme le traitement des enjeux environnementaux à l’échelle de la baie posent question. En
termes de construction, on a opté pour des tours de grande hauteur (on compte plusieurs tours
d’environ 40 à 50 étages) et de barres ou de plots relevant de méthode de construction
industrielle standard. Affichée sur les palissades d’un chantier attenant au parc, la
représentation en perspective du futur stade (un aménagement verdoyant) nous laisse penser
que le thème de la nature en ville se limite à quelques opérations symboliques (des lieux
publics) utiles à promouvoir une certaine image (un cadre de vie dans un parc) à fonction
publicitaire pour attirer les investissements et l’implantation d’entreprises qui stimuleront
l’économie locale. La thématique écologique ne serait pas abordée en profondeur mais plutôt
en surface (à des fins commerciales) – ce qui correspond à ce que l’on nomme greenwashing.
109
La colline du bouddha, Sapporo, préfecture de Hokkaido, 2015
Ce projet a été commandé à Ando Tadao par l’association qui régit le parc Furusato
(Hokkaido est célèbre pour ses paysages de champs de lavande et autres fleurs que le climat
fait prospérer). La colline du bouddha est un lieu de culte localisé à proximité du cimetière
Makomanai Takino, dans le sud de Sapporo, en pleine nature. La demande faite à Ando était
de traiter l’approche d’une monumentale (13,5 m de haut) statue de Bouddha, présente sur le
site depuis une quinzaine d’années, de « fabriquer l’expérience de la découverte du Bouddha,
(…) un ressenti de sérénité et spiritualité pour les visiteurs211 ». D’après Ando, posée en
pleins champs, la statue donnait une impression d’isolement et semblait déplacée au milieu de
nulle part. Dès lors, il s’agissait de concevoir une architecture autour de la statue ou,
autrement dit, de fabriquer l’environnement même de la statue. C’était une demande
inhabituelle, un défi, car, d’après son propre jugement, Ando avait peu d’expérience sur ce
type de projet : « Bien que j’ai déjà travaillé sur des architectures qui pourraient être classées
en tant que projets de paysages, je n’avais jamais travaillé à cette échelle »212, confie-t-il.
Pour réaliser cet édifice, Ando Tadao s’est vu confié un site d’une surface de
401 588 m² (un terrain en pente douce intégré aux 180 hectares du cimetière Makomanai
Takino). Si l’architecture de béton conçue couvre une superficie de 1 105,4 m², la surface du
bâtiment en lui-même est de 402,1 m². D’après Ando, ce projet d’espace de recueillement
(prayer hall) se rapporte d’avantage à ce qu’il nomme l’échelle du paysage qu’à l’échelle des
bâtiments. Dans l’intention d’intervenir sur l’ensemble de l’environnement, Ando indique
avoir développé un nouvel état d’esprit. En projetant la construction d’une colline couverte de
fleurs de lavande, il a pris le parti de cacher la statue de pierre pour ne faire émerger que le
sommet de la tête du Bouddha. Ando a choisi cette fleur parce qu’elle correspondait bien au
climat d’Hokkaido et pour augmenter encore d’avantage la beauté de ce paysage. Cette
colline faite par l’homme (manmade hill) allait être verte au printemps, violette en été et
blanche en hiver. En hiver, dans le paysage complètement blanc, seule la tête du Bouddha
apparaît, apprécie l’architecte, qui a prénommé son projet « le Bouddha à la tête découverte ».
En enterrant la statue, l’intention d’Ando Tadao était de « créer une séquence spatiale animée
à travers une longue approche souterraine qui amplifie l’attente de la vision du Bouddha, (…)
jusqu’à ce que le visiteur atteigne la salle où il pourra contempler la statue dont la tête est
211
ANDO Tadao, Tadao Ando. Le défi, Paris, Centre Pompidou, 2018, 256 p.
212
Ibidem.
110
nimbée d’une auréole de ciel213 ». Cet espace de forme ronde étant à ciel ouvert, vu en contre-
plongée, le visage du Bouddha émerge au-dessus de la rotonde, sur un fond de ciel.
Fig. 56. Colline du Bouddha. Vue extérieure et vue intérieure. Photographies Ogawa Shigeo.
En ce qui concerne l’approche (une cour entourée de murs de béton et orientée autour
d’un plan d’eau qui réfléchit le ciel), Ando explique que la cour d’eau sert de transition entre
la vie de tous les jours et le monde spirituel. Après avoir franchi ce qu’il nomme le seuil du
sacré, on accède à l’entrée d’un tunnel d’une longueur de quarante mètres, dont la voûte en
béton rythmée par des arcs de cercle (un-sixième de cercle) souligne la progression des
visiteurs vers l’espace de la rotonde, cet espace de recueillement où se trouve le Bouddha.214
Ando explique qu’il a « intentionnellement laissé la rotonde ouverte aux éléments. (…) Il n’y
a pas de barrière entre la nature et la structure aussi cet espace est perméable au soleil, à la
pluie et à la neige. Je pense qu’un contact si direct avec la nature offre un voyage spirituel à
ceux qui vont à la rencontre du Bouddha215 ». Interrogé à propos de sa façon d’aborder les
dimensions émotionnelle et symbolique des espaces religieux qu’il conçoit, Ando Tadao
parlent des éléments naturels, en indiquant que, d’après lui, ceux-ci confèrent une certaine
intemporalité aux lieux, faisant que l’architecture vibre et évolue avec l’environnement. Selon
l’architecte, sur le plan de l’abstraction, les éléments naturels nous permettent d’accéder au
plan du sacré, de nous relier à nous-mêmes ainsi qu’à la conscience de la valeur de
l’existence : « Quand je conçois une architecture religieuse, je souhaite toujours créer un
espace qui pourra continuer à inspirer les gens pendant de nombreuses années. Pour ce faire,
ma méthode consiste souvent à employer l’eau, la lumière et le vent afin de créer une
architecture qui évolue et change avec son environnement. Quand les éléments naturels sont
abstraits de la puissance brute de la terre, il arrive alors que l’on approche le plan du sacré.
Dans l’architecture traditionnelle japonaise, le procédé nommé shakkei (emprunt au paysage)
213
Ibid.
214
Sans donner d’explication détaillée, Ando Tadao indique avoir été grandement influencé par le célèbre temple
Todai-ji de Nara. Ce temple comporte aussi une statue de Bouddha monumentale.
215
ANDO Tadao, Tadao Ando. Le défi, Paris, Centre Pompidou, 2018, 256 p.
111
est souvent utilisé pour cadrer la nature et créer une limite perméable entre intérieur et
extérieur. En un sens, les espaces spirituels procèdent à la façon du pavillon de thé japonais.
Dans le pavillon de thé japonais, l’important n’est pas le plancher, les murs ou le plafond,
mais l’espace du shintai (le vide/le néant). Le vide est une manière de se trouver soi-même et
la richesse de la vie.216 »
216
Ibidem.
217
Ibid.
218
La population locale a été impliquée dans l’aménagement paysager de la colline. Un an avant le chantier, des
volontaires ont planté les graines sur un site distinct. Ils ont planté les pieds sur le site peu de temps avant son
ouverture au public.
112
Chapitre 3.
Synthèse de la première partie
Dans les années 1970 et 1980, la thématique écologique n’est pas un sujet aussi médiatisé
qu’il l’est aujourd’hui. Bien qu’Ando Tadao, Ito Toyo et Hasegawa Itsuko ne l’abordent pas
directement, certaines caractéristiques de leurs architectures et certains positionnements
théoriques ont pourtant à voir avec le sujet. De par leur inclinaison pour l’abstraction et le
minimalisme (un aspect que l’on peut autant associer au mouvement moderne qu’à la tradition
constructive du Japon de la période pré-moderne), ces architectes construisent des bâtiments
relativement économes en matériaux. Qu’il s’agisse de murs et de planchers en béton ou de
poteaux et de poutres en métal, les structures sont à nu, les parements et l’ornementation
exclus. Pour ce qui concerne les structures en béton, à l’exception de la face intérieure des
murs de la maison White U (des murs peints en blanc), dans l’ensemble des réalisations
présentées ici, Ando, Ito et Hasegawa conservent la finition brute du béton. Quant aux
bâtiments dont la structure est en métal, les membranes perforées qui servent d’enveloppes
semi-opaques et permettent une certaine porosité entre l’intérieur et l’extérieur sont traitées
comme les parties d’un ensemble, éléments de façade et de structure pouvant être démontés et
remontés sur un autre site (ainsi la hutte d’argent a été déplacée de Tokyo à Omishima). Bien
qu’elles ne soient pas présentées dans une perspective environnementale, l’économie de
matériaux et la mobilité des structures vont dans le sens de la réduction de l’empreinte
carbone et de l’amélioration de la durabilité des bâtiments – les enjeux principaux de
l’écologie. D’autre part, la flexibilité des espaces (une démarche pragmatique pour Hasegawa,
une intention surtout motivée par des intérêts esthétiques pour Ando et Ito) permet
d’optimiser les surfaces constructibles, d’adapter les lieux à des besoins et à des usages
changeants, de laisser l’air circuler et donc de ventiler naturellement, tout en procurant une
richesse spatiale par la possibilité d’aménagements subtiles.
Bien que l’emploi du béton soit désormais décrié en raison de son impact
environnemental219, l’architecture minimaliste d’Ando peut être perçue comme un exemple de
sobriété. Pour autant, en concevant des bâtiments – incarnation d’un certain état de
dénuement, Ando défend moins la cause environnementale que la dimension spirituelle de
219
Voir par exemple : MADEC, Philippe, Mieux avec moins, Saint-Mandé, Terre Urbaine, 2021, 190 p.
Philippe Madec souligne que « le béton n’est pas condamnable en soi, alors que le ciment [son liant] l’est ».
Madec recentre donc la problématique sur l’emploi de béton armé de ciment Portland. Opus cit., p. 49.
113
l’architecture et de l’habiter. Au début des années 1980, il critique le mode de vie moderne
centré sur le matérialisme et la consommation : « Le confort superficiel et la modernisation
qui se sont récemment étendus aux ménages moyens nous ont empêchés d’atteindre une
existence "vraie" », écrit-il. Pour remédier à cela, Ando s’intéresse aux modes de vie : « Je
cherche donc à découvrir quels nouveaux modes de vie pourraient être développés en se
conformant d’avantage à des règles strictes ». Il estime que « l’ordre est nécessaire pour
donner de la dignité à la vie » et que « la rigueur fait partie intégrante de la vie »220.
L’architecte milite en la faveur d’un retour à l’ascétisme associé au mode de vie du Japon de
l’avant-guerre : « Actuellement, quarante ans environ après la fin de la guerre, la vie
quotidienne de la plupart des gens est à première vue faite d’abondance et envahie par les
articles de la consommation. De fait, le confort s’est accru, mais lorsque l’on considère la vie
simple d’autrefois, on se demande si une certaine quiétude essentielle à l’être humain n’a pas
été perdue ». C’est donc en se tournant vers les valeurs du Japon ancien qu’Ando conçoit son
architecture : « Je ne suis pas à la recherche du confort superficiel. Au contraire, j’aimerais
essayer de trouver et de réexaminer, un à un, les éléments essentiels des habitations humaines,
abandonnés au cours de la fulgurante croissance économique (…) » – le premier de ces
éléments qu’Ando cite étant « le rapport fondamental avec la nature »221.
Quelques années plus tard, lors d’une conférence donnée à l’université de Yale (en 1987),
quand Ando parle de « crime environnemental », c’est pour reprocher à l’architecture
moderne d’avoir « rendu insipides les villes du monde entier et laminé leur individualité, les
transformant en lieux d’une monotonie patente »222. Il n’est pas question de crise
environnementale dans le sens écologique du terme. Pourtant, interrogé par Yann Nussaume,
Ando relie son positionnement à la cause écologique en dénonçant l’impact du
développement urbain, de la modernisation et de l’évolution des modes de vie engendrés par
la croissance économique du Japon de l’après-guerre : « Au début des années 1960, la société
japonaise mais aussi l’aménagement et l’urbanisation se sont vus pris dans une logique
économique toute puissante, provoquant la destruction et la pollution de l’environnement ».
Ando appelle à l’éveil des consciences en pointant que « (…) fascinés par la technologie et
avides de confort matériel, (les hommes du XXe siècle) n’ont fait qu’accroître la production et
220
ANDO Tadao, « La dimension émotionnelle dans les espaces architecturaux de Tadao Ando. Les maisons
Ueda et Matsutani. », avril 1980, in : NUSSAUME, Yann (1999), opus cit., p. 180.
221
ANDO Tadao, « De la maison en bande Sumiyoshi à la maison de ville Kujô », 1983, in : NUSSAUME,
Yann (1999), opus cit., p. 195.
222
ANDO Tadao, « L’enseignement du mouvement moderne », conférence donnée à Yale, automne 1987,
NUSSAUME, Yann (1999), opus cit., p. 211.
114
la consommation au lieu de chercher à préserver notre planète », et déclare que, en tant
qu’architecte, il est de son « devoir » « d’interroger l’attitude des hommes face à la nature et
de critiquer la société moderne qui donne la priorité à la technologie »223. De son point de
vue : « Ce qui est nécessaire, c’est de ne pas promouvoir le mythe selon lequel "le progrès est
tout" ni, en réaction contre ce mythe, de se tourner vers le passé ou de faire resurgir
inconsidérément l’architecture vernaculaire224 ». Ando entend « construire des lieux dans
lesquels l’homme et la nature sont en contact permanent. (Il) souhaite concrétiser, à l’intérieur
de (s)es constructions, le dialogue avec les éléments naturels, le contact avec la lumière, le
vent, la pluie225 ».
De toute évidence, c’est le rapport au monde, à la nature, qui tient lieu d’engagement et de
militantisme écologique. Ando revient sur l’attitude contestataire qui l’animait quand il a
fondé son agence (en 1969) pour expliquer que, « par le biais de l’architecture », il voulait
« cerner les problèmes et s’y attaquer », et non pas « aller dans le sens de la société ». À
savoir : « Puisque l’homme reste une partie intégrante de la nature malgré les changements
continuels de la société, j’ai cru essentiel de le rendre à nouveau sensible à la nature (…) »226.
Ainsi Ando explique : « Ma "nature qui a été rendue abstraite" (qui pourrait aussi s’appeler
"nature construite") (…) est une nature qui, du fait d’être construite, acquiert la capacité de
rendre conscient des problèmes. (…) La cour intérieure de la maison Sumiyoshi n’est pas
destinée à réaliser la nature proprement dite mais à manifester la volonté de vivre avec la
nature. Il en va de même pour l’église de la lumière. Je voulais réaliser une nature susceptible
de rappeler ce qu’est le fait de vivre sur cette terre et d’éveiller profondément la conscience ».
D’après Ando, « il est temps de nous rappeler que nous faisons partie de la nature afin de
retrouver un état de coexistence avec elle »227. Hasegawa Itsuko poursuit le même objectif
quand, dès les prémices de sa carrière, elle place le thème de la nature au cœur de sa
démarche et entreprend de concevoir des artefacts en tant que « seconde nature ». Hasegawa
n’est pas engagée comme Ando. Elle n’écrit pas de textes virulents pour dénoncer les
nuisances, la superficialité et la perte de qualité de la ville et des modes de vie modernes.
Néanmoins, elle a en tête la proximité avec la nature connue dans son enfance sur la baie de
Shizuoka, entre l’océan et les terres champêtres. Elle en poursuit l’aspect sensible. Par
223
ANDO Tadao, « Dialogue avec Tadao Ando », NUSSAUME, Yann (1999), opus cit., p. 150.
224
ANDO Tadao, « Comment faire face à la désespérante stagnation de l’architecture moderne
(contemporaine) ? », conférence donnée à Yale, automne 1987, NUSSAUME, Yann (1999), opus cit., p. 216.
225
Ibidem, p. 217.
226
ANDO Tadao, « Dialogue avec Tadao Ando », NUSSAUME, Yann (1999), opus cit., p. 150.
227
Ibidem, p. 153.
115
l’esthétique, elle voudrait transposer en ville les conditions de vie dans la nature (transposer,
par exemple, le scintillement de la lumière du soleil sur la mer en une architecture brillante,
lumineuse et légère, ouverte sur le ciel et ses couleurs changeantes). Mais c’est aussi l’aspect
social de la vie dans les milieux naturels qui la motive. Les festivals traditionnels sur la plage
(le partage de moments et de mets entre les membres de la communauté, les spectacles, des
danses populaires), les jeux d’enfants dans les collines, la vie en société dans les espaces
publics. Une liberté de mouvement et d’action combinée à une sociabilité riche. En un mot :
une cohésion sociale, l’un des facteurs du développement durable.
116
L’occidentalisation et le développement technologique de l’après-guerre ont modifié les
exigences de confort thermique et impacté les modes de vie des Japonais qui, d’après Ando,
manquent d’esprit critique. En réaction, l’architecte s’emploie à éveiller les consciences :
« C’est le fait même d’éveiller qui compte, car il me semble que les Japonais d’aujourd’hui
vivent dans l’inconscience, et cela est dû au matérialisme de l’après-guerre. Par exemple, à
vivre dans un espace climatisé, les hommes ne réagissent plus, au bout d’un certain temps,
aux changements de température ou de climat. Ils perdent ainsi leur sensibilité aux
phénomènes naturels, et à la longue, ils ne savent plus réagir à quoi que ce soit228 ». Il est vrai
qu’un organisme habitué à vivre au contact des températures extérieures supporte mieux les
variations extrêmes et est moins dépendant au chauffage et à la climatisation. Ouvrir les
bâtiments sur des espaces extérieurs permet aux habitants de rester au contact des
températures ambiantes tout en profitant des paysages et des éléments de la nature. Ito Toyo
procède ainsi quand il conçoit sa hutte d’argent en l’orientant sur une vaste cour (une pièce à
vivre en extérieur, couverte mais non close). Le lieu de vie s’étend sur l’extérieur. C’est la
qualité de la vie qui compte. Installée à Tokyo sur une parcelle boisée, la hutte d’argent offre
un habitat primitif dont le confort ne se mesure pas en termes techniques ou technologiques.
Bien sûr, même au Japon, la technologie était moins développée dans les années 1980 qu’elle
ne l’est aujourd’hui. Ces architectes ciblent avant tout l’expérience sensible du rapport à
l’environnement. À l’air, au ciel, à la lumière, à la végétation, etc. Qui apportent un confort
sensible ; l’appréciation du lieu dans lequel on se trouve ; la rencontre des éléments avec
lesquels on est en coprésence ; le plaisir de vivre, tout simplement – une dimension que
valorise par une pensée qui dépasse l’aire moderne machiniste et rationaliste.
228
Ibid., p. 154.
117
celle du paysage ne sont pas dissociables. Les espaces fluides ouverts sur l’extérieur
permettent aux visiteurs de profiter des paysages et des éléments de l’environnement (comme
une rivière, un arbre, le ciel, etc.), de parcs, de jardins ou simplement de l’aménagement des
abords (en allées, cours, espaces de végétation, etc.). Fondamentalement, dans l’idée
qu’Ando, Ito et Hasegawa se font de l’architecture, il n’y a pas de séparation entre bâtiment et
environnement. Dans un mouvement réversible, l’architecture découle du site en même temps
qu’elle le forme. Son intérêt découle de sa résonnance avec le contexte et de son implication
vis-à-vis de ce qui l’entoure. Les architectures conçues par Ando, Ito et Hasegawa sont
doublement contextuelles : elles sont générées par l’environnement et génératrices
d’environnements. Après avoir été neutralisée par la tabula rasa moderniste et après avoir été
rendue problématique (parce que chaotique) par l’urbanité moderne, dans le cas des projets
d’équipements culturels conçus par ces trois architectes entre les mers et les monts du Japon,
la relation de l’architecture au contexte semble désormais pacifiée.
118
Introduction de la deuxième partie.
L’architecture dans sa relation à l’environnement
Perceptions des architectes de l’abstraction
Comme l’explique Fujimori Terunobu au sujet des bâtiments conçus par Maki
Fumihiko, Hara Hiroshi et Taniguchi Yoshio, dans les années 1990, Ito Toyo et Hasegawa
Itsuko développent des esthétiques architecturales où l’expression de la matérialité cède place
à la lumière, la transparence et la légèreté. Fujimori parle d’ « école blanche ». Dans un
contexte international, on parle de « light architecture ». La montée en puissance de
l’abstraction (depuis les prémisses du mouvement moderne, en Europe, au Bauhaus, avec
Walter Gropius en chef de file229) et le développement des techniques de constructions
industrielles (l’acier, le béton et le verre) sont les dénominateurs de cette évolution esthétique.
Au Japon, Ito Toyo et Hasegawa Itsuko lient l’ouverture, la transparence et la légèreté des
constructions au développement d’une dimension paysagère. Parmi les architectes de la
génération suivante, Sejima Kazuyo (née en 1956) poursuit cette démarche. Après avoir été
salariée dans l’agence d’Ito230, Sejima conçoit ses propres projets. Elle pousse l’abstraction et
le minimalisme à leur paroxysme en créant des architectures éthérées (blanches, métalliques,
transparentes et évanescentes) tout en continuant d’explorer la relation des bâtiments à leurs
environnements. Le bâtiment fabrique une scène paysagère. Il offre des espaces
intermédiaires entre l’intérieur et l’extérieur où l’on se tient à la lisière entre le dedans et le
dehors, le bâtiment et l’environnement.231 Dans les projets de Sejima, du point de vue des
espaces intérieurs comme des façades, le bâtiment est articulé au contexte. Il dialogue avec le
paysage jusqu’à s’y fondre.
229
D’après Fujimori, parmi les quatre maîtres de l’architecture du 20 e siècle (Le Corbusier, Mies, Wright et
Gropius) Gropius est l’origine ou le point zéro d’une architecture abstraite et géométrique. FUJIMORI
Terunobu, « Toward an architecture of humankind », ENDO Noboyuki (Ed.) (2007), opus cit., p. 19-27.
230
Sejima Kazuyo a conçu Pao II - habitat pour la femme tokyoïte, une tente de style industriel futuriste (en
tubulaires métalliques, verre, miroir et tissu) exposée à Bruxelles en 1989 après que Pao I ait été exposée à
Tokyo en 1985. Sejima travaillait dans l’agence d’Ito pendant la période de conception de Taisha Hall.
231
Par exemple, dans le cas de la maison House in a plum grove (Tokyo, 2003), des pièces interconnectées les
unes aux autres bénéficient de cadrages sur des éléments de l’environnement (les branches du prunier forment un
tableau) ce qui rend agréable à vivre un espace de dimensions pourtant minimales. Les architectures que conçoit
Sejima sont liées au contexte, à une situation chaque fois singulière. En ce sens, on peut dire qu’elles sont
contextuelles ou situationnelles. Cadré et approché, les éléments de l’environnement deviennent des événements
dans l’architecture.
119
Après avoir lui aussi commencé sa pratique au près d’Ito Toyo, Nishizawa Ryue (né
en 1966) rejoint l’agence de Sejima avec laquelle il fonde Sanaa (Sejima And Nishizawa And
Associates). Ensemble ils développent des recherches formelles et spatiales sur la relation de
l’architecture à son environnement en concevant des musées et des équipements
communautaires intégrés à l’espace urbain ou aux paysages naturels. On identifie différentes
étapes dans l’élaboration d’une architecture : ouverte sur l’extérieur, transparente, organique
(grâce à l’emploi de pans de verre de profils courbes), topographique (par des dalles en pentes
décollées du sol ou s’adaptant au relief naturel), fondue aux paysages. De son côté (au sein de
l’agence Office of Ryue Nishizawa), dans la même veine esthétique que Sejima mais avec un
sens de l’épure et du minimalisme toujours plus poussé, Nishizawa développe le thème de la
fusion entre architecture et nature. Topographiques, les bâtiments qu’il conçoit se font
réceptacles d’éléments de la nature tels que l’eau, le vent, la lumière et la végétation. Il créée
un musée complètement ouvert sur l’extérieur (le musée d’art de Teshima, 2010) et incorpore
des fragments de forêts à l’espace intérieur (le musée d’art Hiroshi Senju, 2010). La recherche
d’une architecture fusionnée à la nature et la magnifiant telle que la développe Nishizawa est
poursuivie par Ishigami Jun’ya (né en 1974), un architecte de la génération suivante qui, avant
de fondé son agence (Jun’ya Ishigami + Associates), se forme lui aussi auprès de
Sejima. Après avoir conçu des maisons de villes fusionnées à des jardins 232, Ishigami dessine
des projets expérimentaux à l’échelle du paysage (Projet de lac, Café dans les champs). Puis,
à l’occasion de ses premières commandes d’équipements, il entreprend de concevoir des
bâtiments en tant qu’environnements. Ainsi apparaissent une architecture forêt (le KAIT
worshop, 2008), un bâtiment-place polyvalente poreux aux phénomènes météorologiques (la
KAIT plaza, 2021) et un musée sur la mer (la maison de la paix, en cours).
232
Des architectures proches de celles des maisons conçues par Nishizawa Ryue pour leur spatialité (des
espaces-seuils sans délimitations claires se poursuivant à l’extérieur du bâtiment) et dans leur relation à la nature
(les espaces à vivre et le jardin fusionnent).
120
modélisation lui permettent de concevoir des structures aux formes organiques complexes
(Grin-grin, 2006). À la même époque, après avoir fondé sa propre agence (Akihisa Hirata
Architecture Office) (en 2005), Hirata entreprend lui aussi de concevoir une architecture
organique. Dans la continuité des expérimentations menées avec Ito, le jeune architecte
transpose des organisations du vivant dans son design pour construire des bâtiments-arbres ou
jungles, des espaces-niches pour accueillir la diversité des vivants (le complexe de Taipei,
2016 ; la tree-ness house, 2017 ; le musée d’art et bibliothèque d’Ota, 2017). Bien que le
thème de l’écologie et du développement durable ne soit pas le sujet principal des recherches
des architectes de la famille blanche233, ils le prennent néanmoins en charge. Tandis qu’Ito,
Sanaa et Hirata s’en remettent aux nouvelles technologies (l’analyse de la dynamique des
fluides, C.F.D. (Computational Fluid Dynamics)) pour assurer le confort des thermiques des
bâtiments, Ishigami aspire à concevoir un bâtiment sans machinerie, éclairé, ventilé et chauffé
par l’environnement-même.
233
Ils souhaitent plutôt lier l’architecture à l’environnement (Sejima), fusionner l’architecture et la nature
(Nishizawa), former un nouvel environnement (Ishigami) et créer une architecture organique (Ito) ou biologique
(Hirata).
121
122
Chapitre 4.
D’une esthétique light à la création de
bâtiments-environnements
Les bâtiments conçus par Sanaa au Japon et de par le monde 234 sont connus pour leurs
architectures minimalistes. Associant abstraction géométrique et esthétique éthérée, ils
traduisent une vision renouvelée des usages par la conception d’espaces ouverts, fluides et
multifonctionnels. À travers des expérimentations formelles chaque fois singulières, Sejima
Kazuyo et Nishizawa Ryue explorent le thème de la « relation » (relation entre les gens, entre
les espaces, entre l’intérieur et extérieur…) ainsi que le rapport de l’architecture à
l’environnement conçu en tant qu’ « atmosphère », en tant que « paysage » ou en termes de
flux (d’air, de lumière, de personnes…). D’après ces architectes, un bâtiment n’est jamais
détaché du contexte dans lequel il s’insère. Il s’agit justement de lier les espaces à
l’environnement, de concevoir un « grand paysage » en lequel l’apparence du bâtiment et les
éléments urbains ou naturels du contexte sont combinés. Le premier musée conçu par Sanaa
(le musée d’Ogasawara, 1999) se trouve à la campagne, dans un environnement naturel
préservé, aussi il s’y intègre simplement. Comme un ruban évanescent, il flotte au-dessus du
sol devant la montagne dont sa façade reflète les motifs. Leur second musée (le musée d’art
contemporain du XXIe siècle de Kanazawa, 2004) s’insère dans les flux de la ville. Son
architecture transparente est structurée comme un espace urbain, par un réseau de circulations
et de pièces évoquant des bâtiments dans des rues. Par la suite, Sanaa continue de développer
la relation au paysage en contexte urbain (le centre d’apprentissage de l’école polytechnique
de Lausanne, 2009) comme à la campagne (le centre communautaire Grace farms, 2015).235
Dans ces réalisations, l’architecture de Seijma et Nishizawa gagne en fluidité. Leur recherche
de souplesse formelle, d’effacement des contours, des angles et des arêtes des bâtiments
donnent jour à des artefacts organiques qui se fondent dans l’environnement en dialoguant
avec les paysages.
234
Dont certains (comme le musée du Louvre à Lens dans le nord de la France ou le New Museum of
Contemporary Art de New York) sont des équipements culturels des plus prestigieux.
235
Bien qu’ils se trouvent à l’étranger (en Suisse et aux États-Unis) et donc qu’ils ne fassent pas strictement
partie du corpus de l’étude, ces projets incarnent l’aboutissement de la recherche de fusion entre bâtiment et
environnement, aussi il semble important de les prendre en compte. Par ailleurs, la vocation culturelle et
communautaire de ces équipements correspond au thème de l’étude.
123
La sélection d’une série de projets conçus par Sejima et Nishizawa depuis leur
association jusqu’à 2017 (donc sur une vingtaine d’années) permet d’analyser plus en détail
leur perception de la relation architecture et environnement. Réalisés au Japon et à
l’étranger236 pour servir des objectifs de développement culturel et communautaire, ces
architectures revêtent une forte dimension esthétique – une esthétique tournée vers
l’environnement naturel. Pour des projets localisés dans des vallées reculées, Sanaa explore
l’usage de la courbe, l’ouverture et le déploiement de l’architecture à l’échelle du lointain
paysage. Si la courbe se limite d’abord à certains murs intérieurs (le musée de Nakahechi,
1997), l’emploi de plans vitrés de profil courbe permet de créer des façades ondulantes (le
hall d’Onishi, 2005) et de former des espaces intérieurs en préservant la continuité visuelle et
en arrondissant les angles des parois (le pavillon de verre du musée d’art de Toledo aux États-
Unis, 2006). Grâce à un développement technique et technologique de plus en plus
sophistiqué, Sanaa élabore une esthétique faite de transparence et de reflets – le paysage s’y
imprime. Parallèlement à ces architectures courbes, Sejima et Nishizawa réalisent des petits
bâtiments ou des pavillons dont les structures sont réduites aux sections minimum (le café-
parc de Koga, 1998). Ces architectures minimalistes abritent des espaces en extérieur pour
permettre au public de profiter de la nature environnante (le pavillon de la Galeries
Serpentine, 2009). Parfois couvertes d’inox poli, elles reflètent les paysages et s’y fondent (le
terminal des ferris de Naoshima, 2006). Ce faisant, Sanaa souhaite créer, non pas un objet
posé dans la nature et qui s’en distinguerait, mais une architecture qui soit un élément de
l’environnement. Plus récemment, Sejima et Nishizawa expérimentent la tridimensionnalité
en développant des architectures avec pans de toits inclinés (le hall Junko-Fukutake, 2013) ou
de profil courbe (Shogin Tact Tsuruoka, 2017). Cette dernière étape leur permet d’affirmer le
caractère pluridirectionnel des espaces et d’amplifier l’interpénétration entre l’intérieur et
l’extérieur des bâtiments, des thèmes qui ont toujours été au cœur de leur démarche.
236
Les raisons de la prise en compte dans la thèse de ces bâtiments construits en dehors du Japon sont les mêmes
que celles évoquées dans la précédente note. Elles sont d’ordre thématique et programmatique.
124
4.1. Sanaa. Genèse et affirmation d’un rapport au paysage
Née en 1956 à Hitachi dans la préfecture d’Ibaraki237, Sejima Kazuyo est diplômée de
la Japan Women’s University (Tokyo) en 1981. Elle travaille dans l’agence d’Ito Toyo de
1981 à 1987, année de la création de sa propre structure (Kazuyo Sejima & Associates). À
partir de 1990, après l’obtention de son diplôme à l’université de Yokohama238, Nishizawa
Ryue (né en 1966 à Tokyo) intègre l’agence de Sejima. Ils officialisent leur collaboration en
1995 sous le nom de Sanaa (Sejima And Nishizawa And Associates). À partir de 1997,
Nishizawa exerce aussi à titre individuel (Office of Ryue Nishizawa). Dès ses premières
réalisations (des villas), Sejima inscrit son architecture dans la lignée de celle d’Ito. Dans le
courant de la « light architecture », elle pousse l’expressivité de la lumière et de la légèreté à
son paroxysme. Au souvenir de ce qui l’avait marqué dans les premières œuvres de sa
collaboratrice, Nishizawa Ryue évoque la villa Platform II (1990)239 : « si transparente et
aérienne240 », apparaissant comme « au bord de l’effondrement », cette architecture « tournant
le dos à la route » et « regardant l’étendue » constituait « un paysage/une scène (scenery)
d’une exceptionnelle sérénité et beauté (…), transparent comme une forêt ». Ce que
Nishizawa observait alors n’était autre que l’essence de ce qui, plus tard, deviendra l’enjeu
architectural majeur des explorations de Sanaa : « l’aspect ou le paysage (scenery) d’un
bâtiment », « le paysage en tant que tout, les environs et les aspects d’un bâtiment ». Premier
équipement réalisé par Sejima, l’architecture du dortoir pour femmes Saishunkan Seiyaku241
(1991) (dont les études de conception ont été développées par Nishizawa) est d’avantage
focalisée sur son intérieur que sur sa relation à l’environnement extérieur. Pour autant, cet
intérieur (le hall, un espace central ouvert) est pensé comme un parc. Dans ce projet, si Sejima
conçoit l’architecture en s’inspirant d’un milieu naturel, ce n’est pas selon un aspect formel
(comme Ito qui, pour le musée municipal de Yatsushiro, construit une forêt de poteaux
baignée par une lumière diffuse). Sejima cible les usages. Elle souhaite « créer un paysage qui
237
La préfecture d’Ibaraki (dont la capitale est Mito) se trouve sur la côte Pacifique de Honshu, dans la région du
Kanto, au nord des préfectures de Saitama et de Chiba (mitoyennes de la préfecture de Tokyo) et au sud de la
préfecture de Fukushima (qui appartient à la région du Tohoku).
238
Étudiant, Nishizawa Ryue a travaillé dans l’agence d’Ito Toyo pendant un an et demi.
239
Un studio de photographe construit dans la forêt, au pied du mont Yatsugatake, sur le haut plateau de
Kiyosato, dans la préfecture montagneuse de Nagano, région centrale de Honshu.
240
NISHIZAWA Ryue, « Creating principles – structure, plan, relationship, landscape », Kazuyo Sejima Ryue
Nishizawa 1987-2006, Tokyo, GA Architect, n°18, novembre 2005, p. 8.
241
Édifié à Kumamoto, capitale de la préfecture de Kumamoto, à Kyushu, dans le sud de l’archipel, ce dortoir
pour femmes (salariées) a été réalisé grâce au programme Kumamoto Artpolis (comme c’est aussi le cas du
musée municipal de Yatsushiro).
125
soit comme un parc (a park-like scenery) où de nombreuses personnes passent du temps
comme si elles étaient assises dans l’herbe242 », explique Nishizawa. À travers ces deux
projets (1991), Ito Toyo et Sejima Kazuyo initient une démarche qui sera développée au fil
des décennies par des architectes tels qu’Ishigami Jun’ya (1974), Fujimoto Sosuke (1971) et
Hirata Akihisa (1971) : l’analogie architecturale avec des milieux naturels ou des phénomènes
climatiques et météorologique – une sorte d’architecture-climat.
242
NISHIZAWA Ryue (2005), opus cit., p. 8.
243
Construit sur un site d’une surface de 4 487 m², le musée d’Ogasawara totalise une surface de plancher de
457,90 m² (sur deux niveaux).
244
Localisée au sud de la préfecture de Nagano (dans la partie centrale de Honshu), la ville de Iida compte une
population de 101 536 personnes pour 658,66 km² (soit une densité de 154 hab./km²) (donnée en date de 2019).
245
D’après les informations communiquées par le site internet de la ville d’Iida, Sejima Kazuyo serait l’une des
descendantes de la famille Ogasawara : https://www.city.iida.lg.jp/site/userguide/foreign.html
246
Relevant de l’Agence pour les affaires culturelles (ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des
Sciences et de la Technologie), le patrimoine culturel du Japon est constitué de biens, de traditions et de notions
considérés comme étant particulièrement importants dans la culture du peuple japonais. Dans la loi de 1950
relative à la protection du patrimoine, la dénomination de propriété culturelle importante est une sous-section de
la section bien culturel important relative au chapitre Patrimoine matériel (qui concerne les domaines de
l’architecture, l’art et de l’artisanat).
126
Légende du plan de l’étage : 1. salle d’exposition temporaire, 2. hall, 3. salle d’exposition permanente,
4. lounge, 5. réserve, 6. accueil
Fig. 57. Musée d’Ogasawara. À gauche : plan de masse. À droite, de haut en bas : plans de l’étage et plan du
rez-de-chaussée. Images Kazuyo Sejima & Associates
Discret par son implantation, le bâtiment l’est également par sa forme. D’une
épaisseur réduite (environ 7 m), il s’étire (sur une longueur avoisinant 70 m) le long de la
montagne en décrivant une légère courbe en « harmonie avec la topographie et les formes du
paysage (landscape) ». Depuis l’approche, le musée apparaît comme un volume épuré flottant
au-dessus du sol, au-dessus de pilotis réduits au nombre de six et disposés sur trois travées.
Entièrement vitrées, les façades reflètent la lumière et les motifs du paysage alentour (les
arbres et le shoin). Les poteaux étant encoffrés dans des parois de verre, la matérialité du
bâtiment est estompée. Il est tel un écran léger et lumineux posé devant le paysage de la
montagne que l’on aperçoit au-dessus, en dessous et autour de la façade principale (exposée
sud). Le motif vertical de la sérigraphie appliquée à l’ensemble des pans de verre pour
occulter la lumière et protéger les œuvres rappelle le rythme des arbres de la forêt et l’artefact
se fond dans le milieu. Sous le volume du musée, l’étendue recouverte de gravier nommée
public plaza reçoit un édicule de forme ronde (l’accueil) ainsi que des bancs en pierre où les
visiteurs peuvent se reposer face au shoin, dos à la montagne. Une rampe disposée le long de
la façade arrière (orientée nord, côté mont) conduit au hall d’entrée. Hall qui donne accès à
l’espace d’exposition temporaire d’un côté (à l’ouest) et à l’espace d’exposition permanente
de l’autre (à l’est), lequel débouche sur le lounge et, au-delà, sur les locaux de remisage. Le
lounge comme le hall d’entrée offrent une vue traversante (sur la montagne au nord, sur le
shoin et le village au sud) tandis que la façade ouest (au niveau de l’espace d’exposition
temporaire) cadre le panorama. En accompagnant le parcours dans le musée par de larges
vues sur les environs, Sanaa présente le paysage comme faisant « partie de l’exposition247 » et
247
SEJIMA Kazuyo, NISHIZAWA Ryue (2005), opus cit., p. 59.
127
explique avoir souhaité « relier les objets exposés au contexte physique auquel ils
appartiennent248 ».
1-2-3
4-5
La public plaza (1), la rampe d’accès (2), la façade nord (3), la façade principale (exposée sud) et le chemin
d’accès au musée (4), le hall d’accueil (5)
Fig. 58. Musée d’Ogasawara. Photographies Futagawa Yukio, GA photographers
248
SEJIMA Kazuyo, NISHIZAWA Ryue, dans : FERNANDEZ-GALIANO, Luis (Dir.), Sanaa, Sejima and
Nishizawa 1990-2017, Madrid, Arquitectura Viva, 2016, p. 192.
249
Construit sur un site d’une surface de 26 000 m², le musée totalise une surface de plancher de 17 363 m² (sur
deux niveaux et deux niveaux en sous-sol).
250
Une caractéristique qui lie certains des bâtiments conçus par Sanaa à l’architecture japonaise de la période
pré-moderne ; les espaces étant d’avantage définis par l’articulation de plans horizontaux et verticaux que par la
création de perspectives linéaires.
128
XXIe siècle de Kanazawa251 sont vitrées, ce qui engage plutôt un travail architectural sur la
transparence. Dans un bâtiment dont le plan est un disque de 112,5 mètres de diamètre, l’idée
de créer un ensemble de « pièces séparées » comme autant de galeries autonomes disposées
dans un réseau de circulations évocateur des allées d’un tissu urbain a inspiré à Nishizawa
l’intuition qu’« un type spécial de paysage (landscape) allait naître252 », « un paysage
transparent », « très grand et impressionnant, que l’on pourrait expérimenter non seulement à
l’intérieur mais également à l’extérieur du bâtiment ». D’abord élaborée en plan, le
développement de cette idée en maquette a engagé une variation volumétrique de la hauteur
(entre 4 et 12 m) des « pièces » et leur émergence en toiture. « Ainsi a commencé notre travail
sur la forme, par un jeu d’allers et retours entre maquette et plan » ; cette question
n’engageant pas tant « la forme du bâtiment en lui-même que la forme qu’il devait prendre au
regard des bâtiments environnants et de la géographie », précise Nishizawa. Les recherches de
Sanaa se sont donc déplacées « du plan à la trois-dimension, des enjeux de la géométrie plane
à la question de la forme extérieure d’un bâtiment » et le thème de la relation du bâtiment à
l’environnement a surgit – « how a building should be in the environment » écrit Nishizawa.
Tel que perçu par Sanaa, le terme « environnement » engage autant le bâti et l’ensemble des
artefacts urbains que la géographie et les divers éléments naturels d’un site.
Si Nishizawa indique que Sejima et lui « ont toujours été intéressés par le paysage que
l’architecture crée », de son point de vue, jusqu’au projet de Kanazawa, « cet intérêt
concernait surtout le paysage intérieur253 ». « Avec le musée d’art contemporain du XXIe
siècle de Kanazawa nous sommes allés plus loin en attendant du paysage qu’il inclue le
périmètre extérieur au bâtiment. Nous avons commencé à rechercher un certain
environnement dont on puisse faire l’expérience à l’intérieur du bâtiment et à l’extérieur dans
la rue, quelque chose de plus grand qui lierait au paysage urbain environnant », écrit-il.
Construit dans le quartier historique de Kanazawa, en bordure (sud) du parc du château et du
célèbre jardin Kenrokuen, avec pour édifices voisins un grand nombre d’équipements
publics254, le musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa se trouve sur un site à la
fois très urbain (au croisement d’importants flux de circulations piétonnes et automobiles) et
pénétré par la verdure (une bande boisée plantée dans la continuité du parc et d’un cours
251
Capitale de la préfecture d’Ishikawa, la ville de Kanazawa compte 466 029 habitants répartis sur une
superficie de 467,77 km² (soit une densité de 978 hab./km²) (donnée en date de 2018).
252
NISHIZAWA Ryue (2005), opus cit., p. 10.
253
Ibidem.
254
L’hôtel de ville, le musée du noh de Kanazawa, le musée préfectoral d’art d’Ishikawa, le musée mémorial
Nakamura et le théâtre de Kanazawa notamment.
129
d’eau profite au paysage du musée). Conçu sur un plan de forme sphérique avec des façades
entièrement vitrées, ses espaces bénéficient d’une vue à 360° sur les environs, soit un
panorama complet sur le site. Organisé sur un seul niveau, de plain-pied, le musée présente
une forte continuité visuelle entre l’intérieur et l’extérieur. À ce sujet, Sejima explique qu’elle
s’ « intéresse au traitement des frontières/limites [borders]255 » en « essayant de concevoir
différents types de frontières » – non pas des « frontières fortes » mais des « connections » –,
« différents types de relations », notamment par la création d’espaces « interstitiels ».
« Comment relier [relate] l’intérieur et l’extérieur a toujours été un thème important pour
moi », confie-t-elle avant d’ajouter que certains projets (dont le musée de Kanazawa) ont été
conçus en expérimentant « comment un espace-tampon peut créer des transitions douces entre
l’intérieur et l’extérieur ». Pendant ses trente années de pratique, Sejima a « testé de
nombreuses manières d’intensifier les relations entre intérieur et extérieur ». « Dans le cas de
Kanazawa, j’ai voulu donner aux gens la sensation de visiter des petites galeries tout en se
promenant dans une ville »256, raconte celle qui a pensé les circulations du musée comme des
rues, de manière à former des espaces fluides et évolutifs, ouverts sur l’extérieur : « Quand les
corridors sont élargis, ils deviennent lounges, places pour (…) se rencontrer ou pour profiter
de la vue d’un jardin ».
255
« Feeling at home with Sanaa », entretien avec Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa réalisé par Agustin Pérez
Rubio, dans : Houses, Kazuyo Sejima + Ryue Nishizawa/SANAA, Barcelone, editions ACTAR et musée d’art
contemporain de Castille-et-Léon (MUSAC), 2007, p. 13-14.
256
« Kazuyo Sejima: Concrete Abstraction », entretien avec Daniell Thomas, dans : DANIELL, Thomas (2018),
opus cit., p. 281-282.
130
jardin. Pourtant, comme dans le cas de la maison White U, après plusieurs années, une plante
grimpante a gagné la façade pour former un rideau de verdure. Cette présence végétale habille
la « frontière » entre intérieur et extérieur, créant une nouvelle « relation » entre bâtiment et
jardin, ville et nature, architecture et environnement. L’« environnement », cet ensemble
composé d’éléments construits et d’éléments naturels souvent façonnés par l’homme perçus
sans hiérarchie ni rapport d’opposition et se reflétant sur un même plan ; un plan vitré.
Fig. 59. Musée d’art contemporain du Xe siècle de Kanazawa. De gauche à droite et de haut en bas : vue sur la
façade et l’espace public, vue aérienne, vue sur l’un des patios (photographies Futagawa Yukio, GA
photographers), vue nocturne sur la façade (photographie S. Dousse, 2016/05)
131
4.1.2. Projets récents : une architecture courbe intégrée au paysage
257
De dimensions de 4,5 x 3 m avec un fort rayon de courbure dans le cas des façades du musée de Kanazawa.
258
NISHIZAWA Ryue (2005), opus cit., p. 10.
259
Ibidem. Les termes employés par Nishizawa sont : The issues about architectural form and space that create
sceneries that would reach an environmental scale.
260
Construit sur un site de 88 000 m², le Rolex Learning Center totalise une surface de plancher de 37 000 m²
(sur un niveau en rez-de-chaussée et un niveau en sous-sol).
261
« Kazuyo Sejima and Ryue Nishizawa, “Architecture is Environment” », conférence donnée en 2011,
Harvard Graduate School of Design (Harvard University), Cambridge, États-Unis,
https://youtu.be/dtTo9qNrQB8
132
seul niveau. Nappe de béton ondulant au-dessus du terrain, il est ponctué de patios qui, grâce
aux façades de verre transparent, apportent de la lumière aux espaces intérieurs tout en créant
des relations visuelles avec le paysage environnant : « Nous essayons toujours de trouver des
relations entre intérieur et extérieur ; et de créer un nouveau type d’espace [a new type of
space]. Celui-ci est un immense espace continu et aléatoire [a hudge random space] mais des
espaces intimes apparaissent continuellement devant vous », de fait, « on découvre l’espace
en se déplaçant »262, explique Sejima. La dalle de plafond étant parallèle à la dalle de sol,
l’espace du bâtiment a beau être un grand volume continu et unitaire, « on ne voit jamais
l’extrémité du bâtiment mais on le découvre au fur et à mesure263 », ajoute-t-elle. Et
Nishizawa de notifier que : « Si vu en plan le bâtiment apparaît comme un seul volume, vue
de l’intérieur la présence de patios perturbe la perception des angles et des relations entre les
espaces qui semblent se rapprocher les uns des autres tout en s’éloignant dans un même
temps264 ». C’est bien la caractéristique du « nouveau type d’espace » de cette architecture qui
fabrique une topographie et un paysage : « Avec le centre d’apprentissage de l’école
polytechnique de Lausanne (…) nous avons recherché une spatialité différente (…) en
formant un espace topographique semblable à un paysage265 » théorise Nishizawa.
Fig. 60. Centre d’apprentissage de l’école polytechnique de Lausanne. Vues extérieures. Photographies :
courtoisie de la médiathèque de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne
262
Dans les projets de maisons comme dans les équipements de grande envergure, Sejima souhaite « créer des
bâtiments qui nécessitent du temps pour être compris. C’est l’une des raisons qui font (qu’elle) accorde de
l’importance aux systèmes de circulation » : « l’architecture est recomposée par les mouvements de chaque
personne, (…) d’un moment à l’autre, l’organisation des circulations dépend des choix que vous faites ». Sejima
Kazuyo, dans : DANIELL, Thomas (2018), opus cit., p. 282.
263
SEJIMA Kazuyo, NISHIZAWA Ryue (2011), opus cit.
264
NISHIZAWA Ryue (2005), opus cit., p. 10.
265
NISHIZAWA Ryue, « On Relationships », in : Kazuyo Sejima Ryue Nishizawa 2006-2011, Tokyo, GA
Architect, 2011 , p. 9. Les termes employés par Nishizawa sont : We aimed to a space that is different from a
plain single-room space by introducing a landscape-like topographical space.
133
Ce paysage intérieur n’est pas pour autant fermé sur lui-même : « des vues sur le lac et
les montagnes apparaissent entre les espaces », observe Sejima. Le paysage du bâtiment
dialogue avec le grand paysage ; l’architecture se lie à l’environnement tout en formant un
environnement en elle-même : « Nous voudrions créer une architecture qui fabrique un
environnement et qui ait aussi une relation à l’environnement (plus grand) dans lequel elle se
trouve266 », annonce Sejima en introduction d’une conférence – un effort de synthèse qui
traduit bien l’essence de la démarche de Sanaa. Il faut aussi noter que la création d’édifices à
dimension d’environnement engage un aspect technique important, notamment concernant la
gestion des flux d’air et de lumière pour limiter les dépenses énergétiques dans l’éclairement,
le chauffage et le ventilation de grands espaces. Dans le cas du projet de Lausanne et d’autres
projets qui suivront, par le biais d’une collaboration rapprochée avec le bureau d’étude
pluridisciplinaire Sasaki and Associates (Nishizawa et Sejima collaborent avec l’ingénieur
Sasaki Mutsuro depuis le début de leurs carrières), un programme de modélisation
informatique a été conçu pour définir des configurations spatiales optimales en termes de
circulation des flux d’air puisés dans l’environnement. Chez Sanaa, l’architecture se conçoit à
travers un « dialogue » entre la machine/le logiciel et l’architecte, ce dernier étant amené à
ajuster la forme et le plan du bâtiment en fonction des paramètres techniques du projet,
explique Sejima. Dans le cas du projet de Lausanne, par l’intermédiaire des patios (dont le
dimensionnement et la position ont été calculés) et grâce à des ouvertures en façades et en
toiture (dont la mobilité est gérée par un système informatique qui prend en charge l’entrée et
l’évacuation de l’air dans le bâtiment), l’air du lac voisin a été utilisé pour la ventilation des
espaces. Parfois critiquée pour l’importante quantité de surfaces vitrées dans les architectures
qu’elle conçoit, Sejima rappelle la nécessité d’apporter de la lumière naturelle dans les
espaces, une tâche particulièrement ardue dans le cas de bâtiments de grande profondeur
comme celui de Lausanne (166,5 m x 121,5 m) ou celui de Kanazawa (112,5 m). Et d’ajouter
que les nuisances sonores conséquentes à des espaces si vastes étant absorbées par les patios
et les formes concaves de la coque de béton, l’acoustique du bâtiment est prise en charge par
l’architecture elle-même.
266
Sejima Kazuyo, introduction de la conférence à Harvard GSD en 2011, opus cit. Les termes employés sont :
We would like to make architecture which make environment, and also which have a relation to the bigger
environment.
134
Le hall polyvalent Grace farms, New Canaan, Connecticut, États-Unis, 2015
Nishizawa l’affirme : « [Pour Sanaa,] penser les structures spatiales est l’une des
étapes les plus importantes de la création de nouvelles relations procurant de nouvelles
expériences267 ». Bien que le volet technique (assuré par les opérations de guidage
informatique décrites précédemment) soit central à la conception de ces « structures
spatiales », le projet est au service de l’« expérience » architecturale – une expérience de la
relation à l’environnement. Situé dans la campagne et non en ville (à la différence du Rolex
center), le projet américain Grace Farms268 illustre majestueusement cette intention.
Commandé par la Grace Farms Foundation (une organisation locale à but non lucratif), ce
bâtiment est un « hall polyvalent » ouvert à la communauté. Il accueille des événements
culturels et la pratique d’activités sportives et de loisirs. Au milieu de collines, entre zones
humides et pâturages, s’accommodant d’une forte déclivité (12 m), une structure
architecturale à la fois vaste et minimaliste est déployée sur la topographie pour y installer des
espaces à vivre. Une dalle béton aux contours courbes dessine au sol l’emprise du bâtiment
qui est comme un ruban déroulé sur le site. Un réseau de fins poteaux d’acier (peints en
blancs) soutient un toit filant au-dessus des collines ; une mince plaque d’aluminium dont la
sous face en bois (lamellé-collé) s’accorde avec la matérialité organique de l’environnement.
L’emploi de verres courbes assurant la transparence des cloisonnements, les espaces intérieurs
sont ouverts sur le paysage, procurant aux visiteurs la sensation de s’y fondre. Depuis chaque
espace, l’architecture fabrique des cadrages sur le paysage : « Dans ce riche environnement
naturel, nous avons voulu concevoir une architecture qui deviennent une partie du paysage
[landscape]. Nous espérons que les visiteurs apprécieront les variations de la nature à travers
les espaces et les expériences procurées par cet équipement269 », écrit Sanaa.
267
NISHIZAWA Ryue (2011), opus cit., p. 9.
268
Construit sur un site d’une superficie de 32 hectares (situé à environ une heure de New York, à proximité
d’un quartier résidentiel de maisons à jardins), le bâtiment offre notamment : un auditorium d’une capacité
d’accueil de 700 personnes, une bibliothèque, une salle de restauration, un gymnase, des classes, des studios de
créations artistiques, ainsi que des terrains de pratiques athlétiques et une aire de barbecue. Sa surface totale de
plancher est d’environ 7 150 m² (sur un seul niveau avec un espace partiellement enterré (gymnase) et quelques
locaux en sous-sol (locaux techniques et media lab)).
269
SANAA, in : Kazuyo Sejima Ryue Nishizawa SANAA 2011-2018, Tokyo, GA Architect, 2018, p. 91.
135
le chapitre dédié à ce thème en expliquant que « pour (Sejima et lui), il est important de
considérer que l’architecture est une partie de l’environnement, qu’elle appartient d’avantage
à l’environnement qu’au site. Notre principal défi (est) de créer une fusion organique entre
environnement et architecture »270. Que son environnement soit urbain ou qu’il soit naturel,
dans le cas du projet de Lausanne comme dans celui de New Canaan, l’architecture est conçue
en continuité et forme à elle-même un environnement. Enfin, l’architecture fusionne avec
l’environnement en bénéficiant de ses ressources. En ce qui concerne l’énergie, le système de
chauffage et de climatisation du bâtiment est alimenté par 55 puits géothermiques creusés
jusqu’à 180 m de profondeur. Pour les matériaux, le bois des arbres abattus pour construire a
été débité et travaillé sur place pour fabriquer une part du mobilier (dont des tables d’une
longueur supérieure à 6 mètre autour desquelles la communauté peut se réunir).
Fig. 61. Grace Farms. Le bâtiment et le site. Photographie GA photographers (image redimensionnée pour les
besoins de la mise en page). Un espace extérieur du bâtiment. Photographie Suzuki Hisao
270
NISHIZAWA Ryue (2011), opus cit., p. 10-11.
136
4.2. Sanaa. Pour une architecture-environnement
137
lounge/espace d’exposition temporaire où les habitants de la région peuvent se retrouver,
rencontrer les touristes et exposer leur propre production de peintures et de poteries. Pensé
comme un espace-tampon, de plain-pied, cet espace qu’une paroi courbe oriente vers
l’extérieur ouvert sur le paysage. Des tables disposées sur l’herbe participent à l’appropriation
de la bordure de la rivière en tant que jardin. L’ensemble de ces dispositions d’apparence
minimaliste traduit la volonté de Nishizawa de « ne pas souligner l’échelle architecturale »
mais plutôt de lier le bâtiment à « l’immensité du paysage des montagnes ».
Légende du plan : 1. entrée, 2. salle d’exposition, 3. lounge, 4. local technique, 5. réserve, 6. aire de
(dé)chargement, 7. hall, 8. administration, 9. salle de documentation
Fig. 62. Musée d’art de Nakahechi. De gauche à droite et de haut en bas : plan de niveau (dessin Sanaa), vue
sur le musée et sur le site, vue sur l’entrée du musée, vue sur le lounge, sa paroi courbe et sa façade vitrée.
Photographies S. Dousse, 2017/12
138
Le hall d’Onishi, Onishi, préfecture de Gunma, 2005
Fig. 63. Hall d’Onishi. De gauche à droite et de haut en bas : vues extérieures du bâtiment et de son
environnement, vue intérieure. Photographies Iwan Baan. Plan de niveau. Dessin Sanaa
274
Située au nord-ouest de la région du Kanto (région composée des préfectures de Tokyo, Chiba, Ibaraki,
Saitama, Kanagawa, Tochigi et Gunma), la préfecture de Gunma se distingue de la plaine du Kanto par son
important relief montagneux.
275
Un ancien bourg de 7 000 habitants répartis sur une superficie de 52,45 km² (soit une densité de 134
hab./km²) (données en date de 2005). Onishi a été incorporé à la ville de Fujioka en 2006.
276
Une ville de 64 540 habitants pour une superficie de 180,3 km² (soit une densité de 354 hab./km²) (en 2020).
277
Construit sur un terrain d’une superficie de 8 850 m², le hall d’Onishi totalise une surface de plancher de
2 277 m², sur un seul niveau, de plain-pied. Les études de conception de ce bâtiment ont commencé en 2003. Le
musée d’art du XXIe siècle de Kanazawa était alors en construction.
139
L’emprise des pavillons étant dessinée en fonction du bâti et des circulations urbaines
(suivant la même logique que pour les projets de Kanazawa et de Lausanne), le bâtiment est
bien intégré au tissu urbain. Selon Sejima, la transparence est bénéfique à l’accessibilité du
lieu parce qu’elle place les activités de la communauté au premier plan. Les passants sont
ainsi invités à s’arrêter pour se joindre à un événement (sportif ou culturel) ou simplement
pour bavarder. À la demande de la maîtrise d’ouvrage (la ville), du bois local (Onishi
sugi/cèdre d’Onishi) a été utilisé au niveau des plafonds (en revêtement de la dalle de béton)
ce qui confère une atmosphère chaleureuse à cette architecture de verre, de métal et de
béton278 tout en liant le bâtiment à la montagne et en lui conférant un caractère local. Bien que
localisé dans le centre-ville sur un terrain couvert d’herbe et de grands arbres, le hall d’Onishi
procure l’impression de se trouver dans un parc au milieu des montagnes.
Le pavillon de verre du musée d’art de Toledo, Toledo, État de l’Ohio, États-Unis, 2006
278
La structure principale est en béton et la structure secondaire en métal.
279
Les études de conception de ce bâtiment (auxquelles l’architecte Ishigami Jun’ya a pris part) ont commencé
en 2001, soit deux années après le démarrage des études du musée de Kanazawa. Construit sur un site de
20 320 m², il totalise une surface de plancher de 7 060 m².
280
Au XIXe siècle, la ville de Toledo s’est illustrée dans l’artisanat du verre.
281
D’un point de vue programmatique, le bâtiment comporte un foyer, des espaces d’exposition, un espace
multi-fonction (réunion, conférence), un espace de restauration, une boutique.
282
SEJIMA Kazuyo, NISHIZAWA Ryue (2005), opus cit., p 23.
140
performant. Afin de contrôler la température de chaque pièce, de réguler les émissions de
chaleur (notamment celles venant de l’espace du workshop où l’on chauffe le verre) et
d’empêcher la condensation de l’humidité sur les façades, le bâtiment ne pouvant se contenter
d’une ventilation naturelle même partielle, un système de ventilation mécanique contrôlé des
plus pointus était indispensable. Enfin, l’espace-tampon créé entre l’enveloppe externe et les
enveloppes internes contribuant à la régulation de la température dans le bâtiment et à son
isolation acoustique vis-à-vis de l’extérieur, l’architecture elle-même concourt à la régulation
thermique des espaces intérieurs.
Fig. 64. De gauche à droite : le bâtiment dans son environnement, la façade en verre. Photographies : courtoisie
du Toledo Museum of Art and Floto + Warner
141
Le café-parc de Koga, Koga, préfecture d’Ibaraki, 1998 ; le café-parc Lumière, Almere, 1999 ; le
pavillon d’été de la Serpentine Gallery, Londres, 2009
283
Ce bâtiment est dénommé « café-parc » car il est doté de deux généreux espaces extérieurs largement ouverts
sur le parc. De forme rectangulaire, d’une longueur de 25 m et d’une largeur de 10 m, moins de la moitié de sa
surface est closes par des parois pleinement vitrées.
284
Localisée dans la préfecture d’Ibaraki, dans la région du Kanto, la ville de Koga compte une population de
138 446 personnes pour une superficie de 123,58 km² (soit une densité de 1 120 hab./km²) (données en date de
2020).
285
Cf. le pavillon allemand de l’Exposition internationale de 1929 à Barcelone, la maison Farnsworth (1951) ou
encore le crown hall (1956) dans l’Illinois aux États-Unis.
286
SEJIMA Kazuyo, NISHIZAWA Ryue (2016), opus cit., p. 198.
142
Fig. 65. Café-parc de Koga et café-parc d’Almere. De gauche à droite : modélisations du café-parc de Koga et
du café-parc d’Almere. Images Sanaa
287
SEJIMA Kazuyo, NISHIZAWA Ryue (2005), opus cit., p. 100.
288
Chaque année, un architecte est invité à concevoir une structure démontable.
143
artefact, jardin et parc sont articulés en une composition ouverte. L’architecture est à la lisière
du jardin.
Fig. 66. Pavillon Serpentine. Le pavillon, les visiteurs et les jardins de Kensington. Photographies Iwan Baan
Achevé en 2006 (huit années après le café-parc de Koga et trois années avant le
pavillon des galleries Serpentine), le terminal des ferries de Naoshima289 (prénommé umi no
eki, la gare de la mer) traduit également l’intention de fondre l’architecture dans
l’environnement, de la dématérialiser en la rendant aussi légère que l’air et aussi éthérée que
la lumière, les éléments principaux du paysage de la mer Intérieure. Commandée par la
préfecture de Kagawa dans le contexte du développement touristique de l’île, le terminal des
ferries290 a été conçu (à partir de 2003) à la même période que le hall d’Onishi (2003-2005).
Procédant de la même intention d’ouvrir le bâtiment sur l’environnement, pour concevoir le
terminal, Sanaa n’a pas eu recours à la courbe. Cette forme était probablement peu adaptée à
la situation et au programme : un espace polyvalent organisé autour de l’arrivée et du départ
de l’île : point d’accueil et d’information où les visiteurs comme les locaux peuvent profiter
d’un magasin alimentaire et d’un café, se réunir sur l’esplanade dans un espace ouvert à
l’organisation d’événements (event hall) et profiter d’un hall d’attente situé sur le quai
d’embarquement. Sanaa a conçu l’espace intérieur en tant qu’extension de l’espace public.
289
Parmi les innombrables îles (plus de trois mille) de la mer de Seto, Naoshima fut autrefois une terre de
pêcheurs. Site névralgique de l’activité industrielle des années 1960-70 (Mitsubishi), l’île est aujourd’hui un
haut-lieu du tourisme artistique, grâce à la construction de plusieurs musées (conçus par Ando Tadao
notamment), aux installations/sculptures qui la parsèment et à la triennale d’art contemporain Setouchi (créée en
2010).
290
Localisé dans le quartier de Miyanoura, à proximité d’un port de pêche, sur un site de 5 322 m², le terminal
des ferries présente une surface de 1 915 m² (sur un seul niveau). Le projet ne se limitant pas à la construction
d’un bâtiment, Sanaa a pris en charge l’aménagement des abords : une esplanade (event plaza), un espace
d’attente pour les voitures, des places stationnement, les aires d’embarquement et de débarquements ainsi que les
arrêts de bus et les cheminements piétons.
144
Sur la base d’une trame de 6,75 m, une structure métallique (finition peinture blanche) de
poteaux (de section circulaire, 85 mm) (disposés sur la trame) et de poutres (15 cm) supporte
une fine couverture métallique, vaste toit (70 x 52 m) en pente simple, qui couvre
l’esplanade et cadre le paysage marin. En sous face de ce toit d’apparence aérienne, le motif
linéaire des bacs acier est souligné par la lumière qui glisse sur l’esplanade. Ici le caractère
fluide de l’espace n’est pas exprimé par la courbe ni par les formes amibienne mais par le
positionnement des volumes (des boîtes de verre avec menuiseries en métal) dans la trame,
ainsi que par la structuration des pleins et par la dynamique du vide dans lequel les passants
circulent. Huit parois d’acier (nécessaires à la reprise des charges horizontales) à finition
miroir renvoient l’image de la mer et du ciel. L’architecture du terminal est légère,
immatérielle et fluide, lumineuse. Elle se fond dans un paysage à la fois vaporeux et clair.
Fig. 67. Terminal des ferris de Naoshima. Embarcadère et bâtiment. Photographies GA photographers
145
4.2.3. Un idéal d’architecture fusionnée à l’environnement : développements du toit
Plus récemment, Sanaa a conçu des équipements culturels de plus grande envergure
dotés d’architectures aux formes plus complexes. Grâce aux outils informatiques, Sejima et
Nishizawa modélisent des bâtiments à pans inclinés ou courbes. Déployé en trois dimensions,
le toit devient l’élément principal de bâtiments toujours des plus ouverts sur l’extérieur.
Flottant au-dessus de parois de verre, il n’est plus ni plat ni ultra-fin mais sa présence est
affirmée par la forme (la silhouette singulière dialogue parfois avec le paysage) et/ou par la
matière (le bois est organique comme l’environnement terrestre, le métal est sensible à la
lumière et aux teintes du ciel changeant).
Construit sur l’un des campus (le campus Shikata) de l’université d’Okayama291 grâce
au don de la Fukutake education and culture foundation (Mme Fukutake Junko), le dénommé
Junko-Fukutake hall292 est un petit bâtiment consacré à la tenue d’événements artistiques et
culturels (concerts, conférences, réunions, lectures…), un lieu que sa commanditaire a voulu
dédié au plaisir des interactions. Attribué à l’université mais ouvert à l’ensemble de la
communauté locale, il agit comme un pont entre le monde académique et la société – on
entendait créer « un lieu de communication libre et facile », « symbole de l’ouverture de
l’université ». Pour répondre à cette demande, Sejima et Nishizawa ont conçu un plan qui
articule les différents espaces du programme : au cœur de l’agencement, le grand hall de
représentation auquel se joignent le moyen et le petit hall, l’ensemble pouvant constituer un
seul et unique volume (d’une capacité d’accueil de 450 personnes) ou être partitionné par un
grand rideau de tissu occultant la lumière. À ce noyau événementiel se greffent les espaces
attenants : la salle d’attente avant l’entrée en scène et l’espace de réunion. À moins que le
véritable noyau, le cœur, la pièce centrale de ce bâtiment à espaces fragmentés-assemblés ne
soit finalement la cour. Source de lumière et incorporation d’un morceau d’espace extérieur à
l’intérieur de l’édifice, ceinte de parois de verre transparent, elle permet une continuité
visuelle entre les halls de représentation, le foyer, l’espace commun et l’environnement.
291
Okayama est la capitale de la préfecture d’Okayama, dans la région de Chugoku (formée par les préfectures
d’Okayama, Hiroshima, Yamaguchi, Shimane et Tottori) qui constitue la partie ouest de Honshu. Okayama
comptait 720 800 habitants pour une superficie de 789,9 km² (soit une densité de 912,5 hab./km²) (2017).
292
Un « hall polyvalent » dont la surface totale de planchers est de 1 397,3 m², édifié sur un seul niveau, de
plain-pied, au sein d’un site de 135 327 m². Il rassemble trois espaces de représentation, un espace d’attente, un
espace de réunion, un espace commun, un foyer.
146
1
2
Plan de niveau et vues extérieures depuis l’approche du bâtiment. (Légende du plan : 1. entrée, 2. espace
commun, 3. foyer, 4-5-6. halls 1, 2 et 3, 7. espace d’attente, 8. espace de réunion, 9. cour, 10. place couverte)
3-4
L’entrée et l’accès à l’espace commun (hall)
5-6
La place couverte, la façade principale et les abords du campus
147
7-8
Le hall 3 (7) et le hall 1 (8)
9-10
Un corbeau installé sur un pied de poteau (9) et une protection anti-corbeau installée en pied de poteau (10)
11-12
La façade du hall 3 (11) et le traitement des abords du foyer (12)
Fig. 68. L’auditorium Junko-Fukutake Hall. En haut, à gauche : plan de niveau. Dessin Sanaa. De haut en
bas : vues extérieures et intérieures. Photographies S. Dousse, 2019/07
Parce que chaque espace est pourvu d’un accès direct sur l’extérieur et parce que les
façades sont entièrement vitrées (à l’exception des deux blocs (la pièce d’eau et la pièce
d’attente) et des quatre voiles de béton), le hall Junko Fukutake est un bâtiment ouvert, inséré
dans son contexte, baigné dans la verdure des arbres (des palmiers) et de l’étendue gazonnée.
La dalle de béton se prolonge à l’extérieur pour former des circulations sur le pourtour du
bâtiment ainsi que des pièces extérieures (l’entrée et la place couverte). Le toit est l’élément
essentiel de cette architecture : « Nous avons proposé un équipement ouvert, un bâtiment qui
148
soit comme un arbre, accessible de toute part, en disposant des toits de tailles variées orientés
dans de multiples directions293 ». Portés par une forêt de poteaux métalliques (droits ou
penchés, de couleur blanche), ces toits, un agencement de pans inclinés qui semblent flottés
dans l’air, sont revêtus de bois en sous-faces, une matérialité organique inhabituelle dans
l’architecture de Sanaa. Parallèlement, sur le campus de Tsushima, Sejima et Nishizawa ont
réalisé le pavillon Junko Fukutake Terrasse294 (2014), un café accessible aux étudiants comme
au public. Réminiscence du pavillon des galeries Serpentine, ce bâtiment est constitué d’un
simple toit qui, ondulant dans le parc, abrite un espace extérieur ainsi qu’un espace intérieur
clos par des parois de verre courbes.
293
SEJIMA Kazuyo, NISHIZAWA Ryue (2018), opus cit., p 87.
294
Un pavillon d’une surface de 7 846,12 m² installé sur un site de 326 245,57 m².
295
Une ville de 125 400 habitants pour une superficie de 1 312 km² (soit une densité de 35 hab./km²) en 2020.
Tsuruoka est la deuxième ville la plus peuplée de la préfecture de Yamagata, située dans la région du Tohoku, au
nord de Honshu, sur la cote de la mer du Japon.
296
Un équipement multifonctionnel (multifonctional hall) qui totalise une surface de planchers de 7 846,12
m² (avec un niveau en sous-sol) construit sur un site de 13 096,84 m².
149
volutes métalliques aux reflets bleus et brillants comme l’air souvent brumeux qui baigne les
sommets, l’architecture du Shogin TACT dialogue avec l’environnement naturel autant
qu’avec le bâti historique de la parcelle mitoyenne. À Tsuruoka, Sanaa inscrit le contemporain
entre paysage et patrimoine.
1-2
Le Shogin Tact apparaissant à l’arrière du Chidokan (1), le toit du Shogin Tact et les montagnes (2)
3-4
L’approche de la façade nord par la rue principale (3), le jardin entre le Shogin Tact et le Chidokan (4)
5-6
La façade nord-ouest et un mouvement de toiture (5), la façade ouest et le parking (6)
7-8
À l’angle de la façade sud, le lounge des artistes s’étend sur les abords, vers la rivière (7), la façade sud (8)
Fig. 69. Shogin Tact Tsuruoka. Vues extérieures. Photographies S. Dousse, 2019/08
150
La forme courbe gagne en envergure dans Shogin TACT Tsuruoka. Elle confère au
bâti un caractère fluide et léger. Légèreté aussi dans la semi-transparence des surfaces (la
maille métallique des garde-corps et de la cage d’ascenseur), la finesse des structures
métalliques (poteaux et poutres, circulations menant à la grande salle), le mouvement des
plans courbes (toitures, faux-plafonds – dont le plafond acoustique de la grande salle, enflé
comme une voile) ainsi que dans la clarté des couleurs (blanc pour la structure, les murs des
salles attenantes au hall et le plafond de la grande salle, couleurs pastelles et bois de teinte
claire pour le mobilier ). Fluidité formelle et spatiale magnifiée par la lumière qui traverse le
hall en se reflétant sur le sol de béton à finition brillante, les poteaux métalliques laqués
blancs et les façades de verre. Au sujet des matériaux utilisé, alors que, depuis leurs premiers
projets, Sejima et de Nishizawa employaient presque exclusivement des produits issus de
l’industrie (acier, béton, verre, plastiques), pendant les années 2010, le bois, matériau
organique associé à la charpenterie et à la menuiserie traditionelles a progressivement fait son
apparition dans leurs architectures (dans les plafonds du hall d’Onishi, dans le mobilier, le sol
et le plafond de l’auditorium Junko-Fukutake hall, dans le mobilier et les plafonds de Grace
farms, ainsi que dans d’autres bâtiments conçus qui ne sont pas nécessairement des
équipements publics). À Tsuruoka, les plafonds et certains éléments du mobilier (dont les
sièges de la grande salle) sont en bois.
9-10
L’entrée secondaire (côté parking, à l’ouest) et le hall (9), le hall et l’accès à la grande salle (10)
11-12
Le hall et l’entrée principale (côté ville, au nord) (11), l’espace café/salle de travail du hall (12)
Fig. 70. Shogin Tact Tsuruoka. Vues intérieures. Photographies S. Dousse, 2019/08
151
Après la blancheur et l’évanescence, la matérialité prend de l’importance dans
l’architecture de Sanaa : « Ce nouvel équipement est empli du caractère et de la chaleur du
fait-main, [attributs] véhiculés avec évidence dans la texture du métal, la finition du béton et
la riche et organique matérialité des claires-voies en bois297 », indiquent les architectes. La
matérialité tient au dialogue entre matériaux froids et chauds, industriels et organiques, tels
que le métal et le bois. Le béton lui-même est mis en valeur dans sa matérialité mouchetée
(aux murs comme au sol on observe les traces de coulage – traces accentuées par un contraste
clair-obscur et par une finition brillante accueillant des reflets dorés dans la lumière). À
l’intérieur comme en façade, la lumière anime les matières. Elle joue un rôle de premier plan
dans l’idée que Sanaa se fait de l’architecture dans sa relation à l’environnement : « Comme
par engagement et rapport de correspondance avec l’environnement naturel, [le bâtiment]
continuera à évoluer et à changer en fonction des situations qui varient dans le temps et du fait
de l’éclairement. De la même façon que les résidents ont forgé et continuent de façonner la
culture locale, le bâtiment continuera à s’harmoniser avec son environnement (its
surroundings)298 », écrivent Nishizawa et Sejima. Par l’évolutivité de la lumière (donc de
l’expressivité de la matière) et des usages, l’architecture défie sa fixité et sa finitude. Elle est
vivante, animée par la lumière du soleil et les activités de la communauté. Au-delà du
caractère abstrait de sa silhouette, le Shogin TACT est un bâtiment ancré dans son
contexte, un artefact qui fait le lien entre milieu urbain et milieu naturel, patrimoine historique
et temps présents.
297
SEJIMA Kazuyo, NISHIZAWA Ryue (2018), opus cit., p. 155.
298
Ibidem.
152
Légende du plan : 1. entrée, 2. seuil "coupe vent", 3. entrée du hall, 4. salles de pratique, 5. bureau, 6. espace à
langer, 7. salle de réunion, 8. espace de remisage, 9.studio, 10. scène, 11. Espace de remisage piano, 12.
rangement, 13. lounge des artistes, 14. vestiaire, 15. terrasse, 16. Parking
Fig. 71. Shogin Tact Tsuruoka. Plan du rez-de chaussée. Dessin Sanaa
153
154
Chapitre 5.
De la mise en valeur des éléments de la nature
à l’architecture biologique
155
Parallèlement, après s’être focalisé sur les thèmes de la technologie (pendant les
années1970), de l’urbain (pendant les années 1980) et du corps (pendant les années 1990),
durant la décennie 2000, Ito Toyo place le thème de la nature au cœur de sa conception de
l’architecture. Avec Hirata Akihisa en tant que chargé de projet, il conçoit des bâtiments
inspirés d’éléments de la nature (la médiathèque de Sendai, 2000). Grâce aux nouvelles
technologies de modélisation par informatique, Ito créé des structures aux formes organiques
(TOD’S Omotesando, 2004 ; la bibliothèque Tama, 2007) ce qui lui permet de renouer avec la
recherche de fluidité qui l’animait dès ses débuts et dont il avait fini par percevoir les limites
(dues à la lourdeur et à l’immobilisme des constructions). Les nouvelles technologies lui
permettent également de calculer et d’orienter les flux (d’air, de lumière, d’eau, etc.) de
l’environnement pour les diriger dans les bâtiments et intégrer une approche bioclimatique à
son projet d’architecture organique. Pour sa part, Hirata souhaite fabriquer des architectures
plus proches des milieux naturels que ne le sont les bâtiments conçus d’après les préceptes
modernistes hérités du XXe siècle. Dans la continuité de sa collaboration avec Ito, il
développe une approche biologique. Hirata réinterprète des modes d’organisation du vivant
pour construire des architectures aussi diverses et foisonnantes que la nature (le complexe de
Taipei, 2016 ; la tree-ness house, 2017 ; le musée d’art et bibliothèque d’Ota, 2017). Pour lui,
l’écologie n’est pas seulement affaire de gestions de flux. Bien qu’il incorpore les
technologies de modélisation des flux à la conception architecturale, Hirata trouve d’autant
plus intéressant de considérer l’écologie en tant que dynamique organisationnelle de
l’ensemble des éléments de l’environnement – une nature en perpétuelle transformation, dont
les artefacts font partie.
156
5.1. Nishizawa Ryue. Pour une architecture paysage
Si Nishizawa Ryue et Sejima Kazuyo partagent le même intérêt pour la manière dont
l’architecture peut se lier à l’environnement (voire même constituer un environnement), la
relation des artefacts au paysage et à la nature est sans doute l’une des singularités les plus
nettes des projets que Nishizawa conçoit individuellement. Quand le contexte s’y prête,
Nishizawa tend à attribuer des caractéristiques de paysages aux bâtiments qu’il conçoit,
auxquels il incorpore des éléments de la nature. En milieu urbain, l’architecte entreprend
d’échapper à la logique de bâtiments-boîtes en jouant de la fragmentation des programmes (un
ensemble de logements pour la maison Moriyama, Tokyo, 2005 ; des salles d’exposition
d’œuvres permanentes pour le centre d’art de Towada, Towada, 2008). Disposés sur le site
suivant une composition d’ensemble, les volumes de dimensions variées (à l’image d’une
ville) sont largement ouverts sur l’extérieur et sur des espaces interstitiels (jardins, cours,
passages) qui se forment dans les intervalles. À la lisière entre bâtiment et espace urbain, des
pièces de nature apparaissent.
299
L’ensemble de logements dénommé maison Moriyama a été construit sur une parcelle de 290 m² et totalise
une surface de plancher de 263 m² (des maisons de un à trois niveaux).
300
Sur dix entités de tailles variées, quatre appartiennent à M. Moriyama (il s’agit de son espace de vie privé, de
sa cuisine, de sa salle de bain, et de l’espace collectif dans lequel les habitants de la parcelle se rassemblent) et
les six autres sont des maisons locatives de typologies différentes (une grande maison avec 4 m de hauteur sous
plafond, une maison semi-enterré munie d’un corridor de verre conduisant à une petite salle de bain annexe, une
maison/studio et deux maisons sur trois niveaux).
301
NISHIZAWA Ryue, Tokyo metabolizing, Tokyo, Toto Publishing, 2018 (première édition, 2010), p. 80.
157
vue de Nishizawa, concevoir un habitat confortable n’est pas seulement une question
d’architecture ; il s’agit aussi de créer un environnement plaisant. Ainsi, « en créant une
architecture, [il a souhaité] créer un environnement302 » ; un environnement à l’échelle de la
parcelle qui, par son ouverture sur l’espace urbain, se lie à l’environnement à plus grande
échelle. C’est dans cette intention (« détruire la boîte » et rejoindre l’environnement) que
Nishizawa a puisé les principes architecturaux de ce projet – « la désarticulation, la forte
densité, l’alternance d’espaces intérieurs (maison) et extérieurs (jardins) ainsi qu’un sens de
l’ouverture (…) – [il les a puisé dans] l’environnement lui-même »303. Autrement dit : c’est le
vocabulaire formel et spatial de l’espace urbain qui, déployé à l’échelle du bâtiment, permet à
l’architecture d’atteindre la dimension d’environnement.
302
Ibidem, p. 88.
303
Ibid., p. 78.
304
Ibid., p. 98.
305
Le film d’architecture Moriyama-San en témoigne (Bêka & Lemoine (réal.), 2017).
306
Les espaces extérieurs sont formés dans les interstices entre les volumes bâtis sur la parcelle. Nishizawa y a
implanté de la végétation, ce qui leur confère un caractère agréable à vivre dont on profite aussi depuis l’intérieur
des logements. « Planter de la végétation dans les intervalles produit une atmosphère confortable ».
NISHIZAWA Ryue (2018), opus cit., p. 90-91.
158
fusionnent (blend together), la vie en intérieur se connecte à la vie en extérieur307 ». Les
termes qu’il emploie évoquent une rencontre, un mélange ou une fusion entre les gens et les
plantes, le logement et le quartier, l’architecture et le paysage.
307
Ibidem, p. 93.
308
Ibid., p. 96.
309
« Comparé au corps humain, on tend à considérer l’architecture comme étant très grande. Mais en la rendant
plus petite, elle devient proche du corps humain, comme un vêtement, et elle change notre expérience spatiale.
Entre espaces partagés par plusieurs personnes [qui s’y réunissent] et espaces minuscules où seulement une
personne peut accéder, la relation entre l’espace et les gens diffère. » Ibid, p. 86.
310
Ibid., p. 87.
311
D’après Nishizawa, le principe architectural de désarticulation ou fragmentation (dismantling) (caractéristique
principale de ce projet) favorise : « continuité avec l’environnement » urbain alentour, « circulation de l’air »
dans le jardin et les logements, création d’une « transparence » sur le site (des perspectives en profondeur et une
ligne d’horizon). C’est par le groupement d’entités de tailles différentes mais d’apparence harmonisée (des
volumes blancs minimalistes) que l’architecte créé un environnement. Ibid., p. 80.
312
Ibid., p. 101.
313
Ibid., p. 103.
159
Fig. 72. Maison Moriyama. À gauche : plan de rez-de-chaussée. Dessin Office of Ryue Nishizawa. À droite : vue
aérienne. Photographies Takase Yoshio, GA photographers
Le centre d’art de Towada314 a lui aussi été construit en milieu urbain, à Towada315, au
nord de la région du Tohoku. Il se trouve sur la Kanchogaidori, l’avenue principale de la ville,
bordée de bâtiments administratifs. C’est un petit musée municipal commandé pour
redynamiser le quartier, voire même la ville, dont la population décline. Une revitalisation par
l’art (en installant des œuvres dans les espaces du musée ainsi que dans l’espace urbain) et par
la culture (en promouvant des projets et des échanges entre artistes, citoyens et visiteurs) afin
de favoriser l’économie de la ville et d’enrichir la vie de la communauté.
Pour concevoir ce musée (dont les études ont commencé en 2005, soit l’année de la
finalisation de la maison Moriyama et un an après celle du musée d’art du XXIe siècle de
Kanazawa), Nishizawa a de nouveau travaillé à partir du principe architectural de la
fragmentation. Comme dans les projets de Kanazawa et de Kamata (Tokyo), l’architecte a
séparé les espaces en pièces et en volumes indépendants. À la différence du musée de
Kanazawa, les pièces ne sont pas contenues à l’intérieur d’un grand bâtiment vitré. Comme
dans le cas de la maison Moriyama, les volumes sont disséminés sur le site, mais à la
différence du projet de logements établi sur une parcelle d’un quartier densément construit,
l’espace alloué à l’édification du musée étant plus vaste, les volumes sont agencés dans une
configuration plus ample. Orientés suivant différents angles et non parallèlement les uns aux
autres, ces volumes se voient reliés par un corridor de verre ; un agencement qui, vu en plan,
évoque la structure d’un organisme vivant. Depuis l’approche, le musée apparaît comme une
314
Construit sur un site de 4 358,46 m², le bâtiment totalise une surface de plancher de 2 078,38 m² (sur un
niveau et un deuxième niveau partiel).
315
Située au sud-est de la préfecture d’Aomori, à environ 555 km au nord-est de l’agglomération de Tokyo.
Towada compte 60 700 habitants pour une surface de 757,7 km² (soit une densité de 80 hab./km²) (données en
date de 2020) (à titre indicatif : en 2000, Towada comptait 69 630 habitants).
160
agglomération de petits bâtiments qui se seraient agglutinés. Selon Nishizawa, ce principe
organisationnel fait écho à la structure d’une ville (la fragmentation est le principe de la ville
japonaise). L’architecture du centre d’art de Towada est liée au contexte. Elle prend place
dans l’environnement urbain et le prolonge. Se remémorant la période de conception du
projet, Nishizawa raconte sa fascination pour la « simplicité d’un "paysage de petites et
grandes boîtes rassemblées", (un phénomène) qui, quand il se matérialise, peut à la fois
produire des paysages atrocement ennuyeux [dans les villes] et un paysage fascinant [en
architecture]316 ». Dans le contexte urbain et programmatique de centre d’art de Towada,
Nishizawa comprend qu’il pourra concevoir une architecture-paysage dans laquelle les
visiteurs se promèneront comme ils se promèneraient en ville.
Légende : 1. hall d’accueil, 2. sept "artwork-space" (exposition permanente d’œuvres commandées à des artistes
japonais et étrangers, 3. trois espaces "gallery" (exposition temporaire), 4. local rangement, 5. librairie d’art, 6.
café, 7. espace dédié aux activités de la communauté (workshops, conférences, lectures, etc.). L’étage comporte
les locaux de l’administration et deux espaces d’exposition permanente.
Fig. 73. Centre d’art de Towada. Plan de rez-de-chaussée. Dessin Office of Ryue Nishizawa
Le centre d’art de Towada est constitué de seize volumes (à structure en acier) aux
formes géométriques de tailles variées mais d’apparence unifiée (par des façades en bardage
métallique de couleur blanche) agencés en une composition dynamique. Gazonné, le sol de la
parcelle sert d’espace-tampon entre la ville et le lieu d’art. Des espaces extérieurs se forment
entre les volumes – donc entre les espaces du musée. Sorte de patios ou de jardins paysagers
par la plantation d’un arbre et par un agencement de pierres qui serpentent. Des œuvres y sont
installés et des événements ou activités y sont parfois organisés. Depuis l’intérieur,
l’architecture compose des cadrages sur l’espace urbain, mettant en valeur la ville et invitant à
316
NISHIZAWA Ryue (2005), opus cit., p. 11.
161
s’y engager. De l’autre côté de la voie on aperçoit art-square, un musée de sculptures en plein
air. L’art excède les limites de l’édifice dédié. Il est diffusé dans l’espace urbain.
Le musée, l’accès au café (premier plan), l’entrée du musée (second plan) et le corridor vitré
Le musée vue depuis l’étage, une salle d’exposition et une perspective sur le jardin
Fig. 74. Centre d’art de Towada. Vues extérieures et intérieures. Photographies S. Dousse, 2017/11
162
5.1.2. Quand l’architecture sublime la nature : à la campagne, dans la continuité des
paysages
À la suite de deux musées conçus par Ando Tadao (le musée d’art Benesse (1992) et
le musée d’art Chichu (2004)), Fukutake Soichiro317 a invité Nishizawa à créer lui aussi un
lieu d’art sur l’île de Naoshima. À l’origine de ce projet de musée (dont les études de
conception ont commencé en 2004), Fukukutake souhaitait exposer deux œuvres (un travail
sur le son et un travail sur la lumière) que l’architecture se devait de mettre en valeur. Pour
autant, au fil de son élaboration, le projet a évolué : il a été décidé d’implanter le bâtiment,
non pas à Naoshima, mais sur une île voisine, celle de Teshima. Par ailleurs, le contenu de
l’exposition a changé : aux œuvres envisagées s’est substituée une installation à base d’eau
conçue par l’artiste Naito Rei318.
317
Né en 1945, Fukutake Soichiro est détenteur de l’une des grandes fortunes du Japon. Héritier de la maison
d’édition Fukutake Publishing (créée en 1955 par son père Fukutake Tetsuhiko), Fukutake Soichiro a créé la
fondation Benesse pour soutenir le domaine éducatif au Japon et développer une acitivité de patronage artistique.
Originaire de Naoshima, il a œuvré en faveur de la revitalisation de l’île en y développant le tourisme de l’art
grâce à la construction d’une série de musées.
318
Née en 1961 à Hiroshima, diplômée de l’université d’art de Musashino (1985), Naito Rei réside à Tokyo. Elle
s’est fait connaître à la Biennale de Venise (en 1997) avec l’exposition « Une place sur la terre ». Naito Rei
conçoit des œuvres minimalistes et conceptuelles qui procèdent d’une forte dimension spirituelle. Elle favorise
des états de recueillement et de réflexion sur des thèmes comme celui de la catastrophe nucléaire de Hiroshima.
163
environnement de collines et de forêts, sur un site surplombant un secteur de rizières (côté
terre) et la mer (côté rivage), Nishizawa a imaginé une architecture minimaliste harmonisée à
la topographie. Au milieu d’un massif boisé, une mince dalle de béton (de 25 cm d’épaisseur)
se soulève du sol et enfle comme une colline. Sous la dalle, sur un périmètre de 40 x 60 m, un
vaste espace horizontal est formé – un espace à la fois intérieur et extérieur puisque la coque
de béton est percée de deux ouvertures ovales qui créent de larges vues sur le ciel et la cime
des arbres tout en admettant l’air, la lumière, la pluie et des éléments de végétation à
l’intérieur du bâtiment. Pour concevoir cette structure, Nishizawa a fait couler un voile de
béton sur une butte de terre renforcée avec du mortier. La coque, élément principal de cette
architecture, est donc moulée sur la topographie. C’est une enveloppe, une peau, et la
continuation du paysage : « l’architecture apparaît comme si elle était une partie du paysage,
une colline ou une pente319 ». Au moment des études de conception, l’architecte explique
souhaiter produire « un environnement spécifique, un environnement sans fin (endless), aussi
infini que l’univers », ceci dans l’intention de mettre en valeur l’élément « lumière », pour
placer les gens en relation avec « l’existence de la lumière » : « This is how we try to create a
situation in which light is the only existence »320, écrit-il ; « Notre but est de générer une
fusion de l’environnement, de l’art et de l’architecture. Nous espérons que ces trois éléments
fonctionnent ensemble comme une unité (as a single entity)321 ». De fait, cette architecture
aux formes souples et organiques (comme les courbes d’un paysage) est ouverte aux éléments
de l’environnement et héberge des œuvres qui ne sont autres que la nature elle-même. En
parallèle à la détermination topographique, pour accompagner l’installation de Naito Rei,
Nishizawa explique avoir conçu une architecture en référence à la forme d’une goutte d’eau –
« un thème intéressant dans le contexte d’une île, où l’eau est généralement rare322 ». En ce
qui concerne l’œuvre elle-même : de la dalle béton en légère pente émergent des gouttes d’eau
qui ruissellent sur le sol, traçant des cheminements brillants qui se mêlent aux petites feuilles
et pétales déposés par le vent dont les mouvements sont manifestés par l’ondulation de fins
rubans fixés au niveau des ouvertures. Dans cette architecture aux formes fluide, au-dessus de
l’eau en mouvement, le vent dessine des courbes dynamiques qui évoluent d’instant en
instant. Des plus épurée, l’architecture du musée d’art de Teshima place les visiteurs au
319
NISHIZAWA Ryue (2011), opus cit., p. 61.
320
NISHIZAWA Ryue (2005), opus cit., p. 188.
321
NISHIZAWA Ryue (2011), opus cit., p. 61.
322
Si ce propos évoque une sensibilité écologique, Nishizawa n’élabore pas de discours à ce sujet. L’architecte
est surtout intéressé par l’abstraction, l’esthétique et la poétique de l’élément naturel qu’est l’eau.
164
contact des éléments naturels de l’île, dans la conscience du moment présent puisque
l’installation de Naito Rei procède d’un cycle journalier323.
323
Les gouttes d’eau apparaissent le matin, circulent sur la dalle et sont absorbées en fin de journée.
165
Le musée Hiroshi Senju, Karuizawa, préfecture de Nagano, 2011
324
Sur un plateau du sud-est de la préfecture de Nagano, Karuizawa compte 20 320 habitants pour une surface de
156 km² (soit une densité de 130 hab/km²) (données en date de 2016).
325
Célèbre peintre japonais dont la carrière à débuté à la fin des années 1970, Senju Hiroshi a été le premier
artiste asiatique salué par une mention spéciale à la biennale de Venise (en 1995).
166
musée est un vaste hall ouvert sur l’extérieur grâce à des façades vitrées qui, opacifiées par
des écrans métalliques, reflètent la végétation alentour et produisent ainsi l’impression que le
musée est fondu dans un bois. C’est un vaste espace fluide, simplement partitionné par des
pans de murs supports à l’accrochage des œuvres et par des jardins. Ceux-ci sont implantés à
l’intérieur du bâtiment, derrière des parois de verre courbes. Orientées dans différentes
directions, les œuvres dialoguent avec les jardins. La nature imaginaire du monde de Senju
entre en résonnance avec la nature végétale et avec la lumière qui baigne les jardins puis se
diffuse dans l’espace intérieur. Passé un cheminement d’accès en extérieur, le visiteur
déambule dans l’espace d’exposition, sur une dalle de béton dont la pente douce retranscrit la
topographie. Il avance vers les jardins, stationne devant les œuvres, sur des banquettes au
design minimaliste qui décrivent des courbes accordées aux îlots de nature.
Fig. 76. Le musée Hiroshi Senju. Vues intérieures. Photos Ano Daici, courtoisie du musée Hiroshi Senju
167
Nishizawa a voulu créer « une structure discrète à travers laquelle architecture et
paysage se plie l’un à l’autre ». Il souhaitait « que les gens aient la sensation de marcher en
forêt et de rencontrer les œuvres une à une – rencontrer le monde de l’art de Senju le long du
chemin ». En concevant cet espace ouvert, protégé du soleil par des débords de toit et par un
verre filtrant les rayons ultraviolets, l’architecte a suivi l’idée de « créer une union entre un
parc et un espace qui inspirerait l’impression d’avoir été invité dans un salon privé ». De fait,
le musée Hiroshi Senju est un lieu intimiste où l’on se sent à la fois installé dans un intérieur
confortable et immergé dans la forêt. Pour que le musée produise une impression différente en
fonction des saisons, soixante mille plantes de cent-cinquante variétés ont été plantées. Au fil
des mois les couleurs changent et au fil du jour la lumière varie. Tandis que l’architecte se
soucie de l’expérience et des sensations (aspects concrets de l’architecture et du paysage),
certains éléments du discours de l’artiste portent sur un plan plus symbolique : « À
Karuizawa, où l’air est pur, la brise et la lumière douces, les visiteurs font l’expérience d’un
lieu d’une extraordinaire beauté et puissance d’imaginaire. Mon espoir est qu’ils y trouvent la
sensation d’avoir rencontré un monde nouveau, dont ils n’avaient jamais fait l’expérience ».
D’abord élaboré sur un plan symbolique (des œuvres-nature et une architecture-nature dans
un environnement-nature), le projet de musée Hiroshi Senju à Karuizawa s’est finalement
incarné en un lieu où les œuvres s’adressent à l’homme sur le plan de l’imaginaire (des
paysages oniriques). En concevant une architecture-paysage qui s’adresse au sensible et à
l’émotion, Nishizawa « relie » les gens et la nature. Placé en situation de proximité avec elle,
ils peuvent s’y ressourcer. Si le discours (créer un lieu qui n’existe nulle part ailleurs) qui
accompagne le projet peut être questionné car on y lit aussi une intention de promotion du
caractère unique et sensationnel du lieu, l’ancrage du projet dans le milieu géographique
demeure valable. L’architecture du musée et son contenu sont bien intégrés et mixés au
territoire de la région de Nagano. Le traitement des abords du musée et son intégration à un
espace paysagé boisé témoignent de la volonté de combiner et d’harmoniser architecture et
milieu naturel.
168
Parcours photographique :
169
5.2. Ishigami Jun’ya. Pour une architecture à la frontière du naturel
Maison en bande à Tokyo, résidence sur les toits à Aito, projet de lac et café dans les champs
Pour Row house, une maison de ville à Tokyo, Ishigami consacre les trois-quarts de la
surface de la parcelle au jardin, lequel revêt « des caractéristiques d’espace intérieur327 » – il
est clôt par de hauts murs et par un toit de verre permettant de faire entrer la lumière en
abondance. Par cette architecture, Ishigami entend créer « un nouveau mode de vie dans un
environnement où jardin et maison font un ». Le principe étant que « quand ils sont chez eux,
les habitants de cette maison passent la majeure partie de leur temps à se relaxer dans le
jardin. Quand il est temps de rentrer pour la nuit, ils rentrent à l’intérieur ; ils dorment au-
dessus des arbres328 », écrit-il. La maison en elle-même est minimaliste. C’est un empilement
de quatre pièces de dimensions réduites offrant de nombreuses vues sur le jardin, le feuillage
des arbres et le ciel. Ishigami souhaite créer « des environnements où la distinction entre
intérieur et extérieur a été rendue indistincte. L’entrée est une allée. Les pièces forment un
paysage de meubles et de plantes ». En effet, la végétation (en pots) envahit l’intérieur du
logement. De fait, « le jardin est le centre de la vie de cette maison »329. Il joue « tantôt le rôle
de pièce intérieure, comme un salon, tantôt le rôle d’espace extérieur, pour y étendre le linge
par exemple330 ». Enfin, les saisons jouent un rôle déterminant dans la relation de proximité
entre les gens et la nature. Grâce au mode de vie induit par une architecture unifiant maison et
326
Ishigami a notamment participé à la conception du pavillon de verre du musée d’art de Toledo. Cf. supra,
chapitre 4.2.1.
327
ISHIGAMI Jun’ya, Small images, Contemporary Architect’s Concept Series n°2, Tokyo, Inax, 2008, p. 54.
328
Ibidem, p. 55.
329
Ibid., p. 57.
330
Ibid., p. 55.
170
jardin, les habitants peuvent profiter « des fleurs qui apparaissent au printemps, de la fraiche
verdure du début de l’été, de l’ombre en plein été et des belles couleurs de l’automne331 ».
Fig. 78.
Maison en bande et
Résidence d’Aito.
À gauche : maquette
de la maison en
bande.
À droite : maquette
de la résidence
d’Aito.
Images Ishigami
Jun’ya + Associates
331
Ibid., p. 58.
332
Ibid., p. 60-62.
171
Parallèlement à ces premières réalisations, Ishigami Jun’ya conçoit des projets
utopiques et expérimentaux dans de vastes environnements naturels. Avec le Projet de lac, il
entend intervenir sur la topographie d’un environnement naturel pour le rendre plus
intéressant, c'est-à-dire plus « plaisant à la vue ». En modifiant les altimétries de rives et de
fonds du lac pour faire apparaître un ensemble d’étangs dont les contours évoluent en fonction
du niveau de l’eau, Ishigami souhaite « intégrer le nouveau lac [le paysage artificiel] dans les
fluctuations (flows) de l’environnement naturel, comme la marée, le paysage montagneux
changeant avec les saisons, l’aspect du ciel ». Ce qui intéresse l’architecte, ce sont les
« transitions constantes » du lac. Pour les mettre en valeur, l’artificialisation du milieu n’est
en aucun cas un obstacle : « Cette variation artificielle de la quantité d’eau ne pourrait-elle pas
être convertie et intégrée comme une partie des doux changements inhérents à
l’environnement naturel ? »333, telle est la question que pose Ishigami. En aménageant des
kiosques et des plazas sur les rives (les relations entre ces installations variant en fonction des
mouvements du lac), l’architecte souhaite offrir aux gens un cadre de vie dans un
environnement aussi vaste et riche que l’est la nature. Le Projet de café dans un champ
prolonge cette idée. Sur une étendue champêtre, Ishigami conçoit un café délimité par quatre
parois de verre touchant à peine le sol afin que rivière, vent, petits animaux et enfants puissent
se glisser dans le pavillon, qui, traversé par les éléments de la nature, fusionne avec elle.
Fig. 79. Projet de lac et projet de café dans les champs. À gauche : réprésentation du projet de lac. À droite :
réprésentation du café dans les champs. Images Ishigami Jun’ya + Associates
D’apparence naïve, ces projets de jeunesse incarnent l’utopie d’un « vivre dans la
nature » ou plutôt d’un « vivre dans l’environnement », qu’il soit naturel (un jardin, un lac, un
champ) ou construit (un bâtiment) – depuis leur résidence d’Aito, les habitants peuvent
« apprécier la vue de la rivière et l’ouverture (du paysage) 334 » tout en profitant de la
« lumière » et de la « brise rafraichissante »335. Ils peuvent apprécier la nature en ville.
333
Ibid., p. 74.
334
Ibid., p. 60.
335
Ibid., p. 61.
172
5.2.2. Une architecture au contact du climat
Dans les écrits qui accompagnent ses projets de jeunesse, Ishigami ne fait pas mention
d’une différence de valeur entre environnement urbain et environnement naturel. En tout lieu,
il pense l’architecture en tant qu’environnement. Si cet état d’esprit s’inscrit dans la ligne de
la pensée de Sejima et de Nishizawa, Ishigami y ajoute sa touche personnelle en s’intéressant
à la notion de « nouvel environnement naturel » – ce qui, en un sens, le relie à la démarche de
Hasegawa Itsuko qui parlait d’une « nouvelle sorte de naturel ». Ishigami cherche à « créer un
environnement qui n’existe pas dans l’environnement naturel. En créant une nouvelle
architecture, (il) souhaite créer une nouvelle abstraction de la nature ; un nouvel
environnement, artificiel, créé par l’architecture336 ». Alors que Sanaa conçoit une
architecture dans la continuité de l’environnement, Ishigami envisage que l’architecture forme
un nouvel environnement, une nouvelle nature, artificielle ou artefactuelle. Dans le cas du
premier bâtiment recevant du public qu’il réalise (un équipement universitaire337 à « forte
dimension publique »), il se réfère à un environnement de forêt. Comme on lui a demandé de
concevoir un bâtiment flexible qui accueillerait des activités variées et changeantes,
l’architecte imagine « un lieu où les gens aient la sensation de se promener à travers les bois,
336
Entretien avec Hans Ulrich Obrist dans le cadre des Nuits de l’incertitude, Fondation Cartier, Paris, juillet
2018, https://youtu.be/tyn5Bqjbfx0.
337
Le dénommé KAIT Workshop est un vaste espace de 1 989,15 m² mis à la disposition des étudiants en
technologie de l’université de Kanagawa. On y trouve de nombreux postes de travail sur des machines ainsi que
des espaces de réunions.
173
le soleil filtrant à travers les arbres338 ». Se référant au tracé des constellations célestes pour y
voir une « abstraction accessible339 », Ishigami souhaite développer une spatialité au caractère
« indéfini » et « ambigu » : dans une forêt aussi, l’espace est ambigu, « il est difficile de
comprendre le positionnement des arbres ; de nombreux espaces se forment entre les arbres,
où l’on peut camper, faire un feu…»340. De même, dans le KAIT Workshop, des espaces que
les étudiants occupent seuls ou en groupe apparaissent entre les fins poteaux de métal, qui, par
leur densité (le bâtiment compte 304 poteaux), produisent un effet d’opacité. Ces poteaux de
sections variées étant disposés selon des angles différents et non suivant une trame
orthogonale, la structure du KAIT Workshop traduit le foisonnement et la complexité d’un
environnement de forêt. En conséquence, « de subtiles distinctions spatiales émergent en
chaque lieu », commente l’architecte qui nous fait part de sa volonté de manipuler dans un
même temps « ambigüité » et « spécificité » de l’espace. Les « relations » entre les éléments
(la structure, le mobilier et les plantes en pots) définissent les espaces. La nature indéfinie de
ces relations (que l’on appréhende par l’expérience spatiale, lors des déplacements et
stationnements dans la structure) constitue les espaces et nous induit à méditer notre rapport à
la spatialité341. Au-delà d’une non-distinction entre espace servant et espace fonctionnel, on
observe une non-distinction entre intérieur et extérieur, artefact et nature. Dans cette forêt
métallique abstraite par sa blancheur et agrémentée d’une végétation abondante, la lumière
filtre par de longues ouvertures zénithales. Pleinement vitrées, les façades rendent présents le
ciel et l’environnement du campus. Un environnement à la fois minéral et végétal.
Fig. 80. KAIT Workshop. Vue intérieure. Photo Ishigami Jun’ya + Associates. Vue extérieure. Photo S. Dousse
338
ISHIGAMI Jun’ya (2008), opus cit., p. 28.
339
Ibidem, p. 23.
340
Master class de Jun’ya Ishigami à l’occasion de la rétrospective « Freeing architecture », Fondation Cartier,
Paris, juin 2018, https://youtu.be/pLehh8DRnJA.
341
En « adoucissant et brouillant les limites » entre les espaces, entre intérieur et extérieur, entre nature et
artefact, Ishigami parvient à fabriquer des « espaces libres de géométries et de règles ». Ce faisant, il a imaginé
que ceci puisse « conduire à une nouvelle universalité des espaces ». ISHIGAMI Jun’ya (2008), opus cit., p. 33.
174
KAIT Plaza, Institut de Technologie de Kanagawa, Université de Kanagawa, Atsugi, préfecture de
Kanagawa, 2021
342
Entretien avec Hans Ulrich Obrist (2018), opus cit.
343
Entretien avec Laure Adler dans le cadre de l’émission l’Heure bleue, France Inter, juin 2018,
https://www.franceinter.fr/emissions/l-heure-bleue/l-heure-bleue-15-juin-2018
344
Masterclass à la Fondation Cartier (2018), opus cit.
345
Ce bâtiment offre une surface de plancher de 2 120 m² (sur un seul niveau). Sa construction a commencé en
février 2019 (soit environ dix ans après le début des études) et il a été achevé au début de l’année 2021.
346
Masterclass à la Fondation Cartier (2018), opus cit.
347
Ibidem.
175
perceptibles. Dans ce projet, Ishigami efface la sensation de se trouver à l’intérieur d’un
bâtiment (une construction techniquement, structurellement et fonctionnement organisée)
pour privilégier la perception du climat extérieur.
Fig. 81. KAIT Plaza. En haut : représentations du projet. Images Ishigami Jun’ya + Associates. En bas : vues
intérieures, impressions d’écran depuis la visite virtuelle proposée par le site internet de l’université :
キャンパスマップ・施設紹介|神奈川工科大学 (kait.jp)
Si la KAIT plaza est un bâtiment ouvert et qu’il est donc envisageable d’en gérer la
ventilation et l’éclairement par l’air et la lumière naturels, dans le cas d’un édifice plus
conventionnellement clos comme le KAIT workshop, un important dispositif de ventilation
mécanique contrôlée a été mis en place. Sous réserve que le calcul des performances
thermiques ou que la vérification des consommations énergétiques du bâtiment témoigne du
contraire, à l’ambition de créer une architecture telle un environnement naturel pourrait être
opposée l’absence de démarche bioclimatique dans la conception d’un bâtiment qui
s’apparente finalement à une boîte de verre. Pourtant, quelques années plus tard, en 2014,
Ishigami a imaginé un projet basé sur une logique inverse à celle de la boîte ventilée, chauffée
et climatisée mécaniquement. En réponse à une commande de l’ONG Hope foundation et de
la municipalité de Copenhague qui projetaient de construire un monument-espace de
méditation sur la baie de Copenhague, puisque lui était offerte la possibilité de concevoir une
176
architecture dans un environnement naturel, Ishigami a proposé d’édifier le bâtiment, non pas
sur une île artificielle (comme cela lui était proposé) mais sur l’eau même, en utilisant les
éléments de l’environnement pour gérer les aspects techniques du bâtiment. Considérant le
thème de « la paix dans le monde » et la dimension fortement spirituelle d’un tel lieu,
l’architecte a écarté l’idée de « forcer l’environnement en créant une condition qui ne lui soit
pas adaptée »348. Il a décidé de « n’utiliser presque aucun élément artificiel ; d’écarter toutes
les parties mécaniques de la civilisation humaine ; de ne pas utiliser d’électricité mais de gérer
le renouvèlement de l’air, l’adaptation de la température ambiante et l’éclairage
naturellement. Ceci afin qu’il n’existe pas de frontière [entre la mer et le bâtiment, la nature et
la construction] et pour susciter une nouvelle façon de concevoir la nature grâce à
l’architecture349 ». Cette « nouvelle architecture » produira « un environnement confortable
non par l’emploi de machineries complexes mais par l’architecture elle-même ; les formes du
bâtiment permettant d’utiliser l’environnement extérieur, (…) de fixer une condition
climatique pour l’utiliser en intérieur »350.
Pour donner forme à une architecture qui s’étendrait sur cet environnement « commun
à tous » et « sans frontières » qu’est la mer, Ishigami imagine construire un ample voile de
béton ondulant au-dessus de la surface et se soulevant sur certains côtés (sur environ 1 m de
hauteur) pour laisser pénétrer les visiteurs (qui arriveraient dans des barques) et pour faire
entrer l’air et la lumière dans l’espace de la maison de la paix (3 000 m²). La structure de
béton et de verre se prolongeant à 2 m de profondeur sous la surface, en arrêtant les courants
marins et en conservant un bassin d’eau sous le bâtiment, la maison de la paix pourrait
bénéficier de la chaleur émise grâce au réchauffement de l’eau par le soleil. Dans l’espace
formé par cette forme convexe à l’extérieur (comme un nuage) et concave à l’intérieur
(comme une grotte), la lumière du soleil se réverbérant sur l’eau, on pourra apprécier les
couleurs du coucher de soleil se reflétant sur les parois. « L’architecture crée un nouveau
paysage, un nouvel environnement ; un nouveau type d’espace extérieur à l’intérieur du
bâtiment » indique celui qui souhaite « créer un nouvel environnement à l’intérieur du
bâtiment »351. Ishigami explique que : « Quand on conçoit une architecture, il y a deux
éléments essentiels auxquels on ne peut pas échapper : la forme du bâtiment et l’aspect
physique de l’environnement. Quand on conçoit une architecture, on façonne un
348
Entretien avec Cédric Villany dans le cadre des Nuits de l’incertitude, Fondation Cartier, Paris, juin 2018,
https://youtu.be/FCPurJ5NtRc
349
Entretien avec Laure Adler (2018), opus cit.
350
Entretien avec Cédric Villany (2018), opus cit.
351
Masterclass à la Fondation Cartier (2018), opus cit.
177
environnement. (…) Si au terme du processus de conception j’ai pensé au nuage – un élément
qui dépasse les frontières, un espace inséré entre le ciel et la mer –, je suis moins intéressé par
la forme du nuage que par le phénomène dont il procède (…) » Finalement, l’intention
d’Ishigami est d’ « utiliser l’environnement grâce à la forme du bâtiment, pour créer un
environnement extérieur à l’intérieur. L’idée essentielle de ce projet étant de prendre
l’environnement maritime et de l’emprisonner à l’échelle humaine. »352
Fig. 82. Maison de la Paix. Modélisations du projet. Images Ishigami Jun’ya + Associates
Enfin, après s’être fait connaître par une esthétique éthérée (blanche et vitrée) dans la
continuité de la tendance « blanche » développée par Ito, Sejima et Nishizawa, Ishigami
Jun’ya expérimente la conception de bâtiments dotées de formes et de matérialités organiques.
À titre d’exemple, en concevant un restaurant troglodyte, il créé un bâtiment qui a l’apparence
d’une grotte, un aspect ancien pour une atmosphère intimiste. Par ailleurs, pour le pavillon des
galeries Serpentine, l’utilisation de l’ardoise induit un rapprochement avec le monde de la
construction artisanale qui, aux yeux de l’architecte, permet de concevoir des bâtiments
présentant « des similarités avec les paysages qui les entourent ». D’après Ishigami, « la
finalité de l’architecture n’est pas simplement de créer un environnement fait par l’homme
(man-made) », car il est plus intéressant de « créer une architecture qui fasse que l’humain
soit un élément de la nature »353.
352
Entretien avec Cédric Villany (2018), opus cit.
353
Reportage sur le pavillon des galleries Serpentine, aout 2019, https://youtu.be/W3senDgiHKM
178
Le jardin d’eau (botanical garden art biotop), Tochigi, préfecture de Tochigi, 2018
Avec le jardin d’eau de Tochigi, Ishigami poursuit sa réflexion sur le statut du naturel
et de l’artificiel. À l’origine de ce projet, une commande privée, celle du propriétaire d’un
hôtel souhaitant adjoindre à son établissement un café et un jardin354. Parce qu’il aspirait à
faire concevoir ce jardin par un architecte et non par un jardinier-paysagiste, il s’est adressé à
Ishigami. Il lui a offert deux terrains : un site boisé et un site de prairie ; la réglementation
plaçant le premier site en zone constructible et le second en zone inconstructible. Plutôt que
de se débarrasser de l’ensemble des arbres présents sur le site constructible pour y construire
le café, Ishigami a entrepris de les réimplanter355 sur le site de prairie qui, non constructible,
allait devenir un jardin. Plutôt que d’aménager un jardin conventionnel, il a décidé de
composer un nouveau milieu naturel. Sur ce site qui était autrefois (environ cinquante année
plus tôt) occupé par des rizières, il a imaginé « combiner un paysage d’eau et un paysage de
forêt ; créer quelque chose à partir de cela356 [de ces milieux naturels qui allaient être
mélangés, pour former un milieu hybride] ». En utilisant la source d’eau qui avait servi à
l’irrigation des rizières, Ishigami a composé un ensemble de petits étangs357 autour des arbres
replantés. La région rurale de Tochigi étant réputée pour la qualité de sa mousse, il a fait
transporter la mousse du site boisé pour la réimplanter dans le jardin d’eau. Enfin, avec des
pierres plates collectées sur place, il a dessiné un chemin de promenade autour de l’eau.
Ishigami explique que : « Depuis le début de la conception de ce projet, il ne s’agissait pas de
créer quelque chose à partir de rien, mais plutôt d’utiliser l’environnement existant et de
laisser le passage du temps créer un nouveau jardin – l’idée étant qu’un long moment sera
nécessaire avant que le jardin ne devienne mature. Ainsi nous avons utilisé des éléments
présents sur place et nous en avons changé la disposition pour créer un nouvel environnement
artificiel qui soit le plus proche possible du naturel358 ».
354
Le commanditaire de ce projet est la ferme Yokozama. À un hôtel (conçu par Ishigami Jun’ya mais non
médiatisé) ont été ajoutés un jardin (2018) et un café-restaurant (2019) également conçus par Ishigami Jun’ya.
La surface totale allouée à ces deux projets est de 16 670 m². Dans ce lieu nommé Art Biotop, le client souhaite
promouvoir l’art (des œuvres sont réalisées et installées sur place) et la culture biologique (le café-restaurant
s’approvisionne localement).
355
En utilisant une machine dont il n’existe que deux modèles au Japon, les arbres ont été déracinés et
transportés sur le site de leur réimplantation.
356
Entretien avec Marc-Christoph Wagner, musée d’art moderne Louisiana, Humlebæk, Danemark, octobre
2019, Louisiana Chanel, https://youtu.be/eV1zZ8ytZe0
357
Un réseau de conduits d’arrivée de l’eau alimente chaque étang.
358
Entretien avec Marc-Christoph Wagner (2019), opus cit.
179
Fig. 83. Jardin d’eau de Tochigi. À gauche : photographie de maquette359. À droite : vue du jardin.
Photographie Ishigami Jun’ya + Associates
359
Exposition « Freeing architecture », Paris, Fondation Cartier, 2018 (photographie S. Dousse).
360
Masterclass à la Fondation Cartier (2018), opus cit.
361
Entretien avec Hans Ulrich Obrist (2018), opus cit.
362
Entretien avec Hans Olbrist, Serpentine Galleries, Londres, 20 juin 2019, https://youtu.be/ep_O4GQrOOU.
180
processus ; le processus à travers lequel une chose commence à se fondre à la nature »363,
indique-t-il. La conception du projet de maison et restaurant364 illustre bien cette recherche
d’effacement d’un artefact dans la nature. Le maître d’ouvrage (un restaurateur) ayant
commandé à Ishigami la création d’un lieu doté d’une « atmosphère ancienne », l’architecte
s’est posé la question de savoir « comment fabriquer un caractère ancien (oldness) » dans un
bâtiment nouvellement construit. Problématique à laquelle il a répondu en enterrant l’édifice
dans le sol, créant une architecture troglodyte. Ici le procédé technique employé est
déterminant. Ishigami a fait excaver la terre en place de laquelle la structure de béton allait
être coulée, puis, après coulage, il a excavé le restant de terre pour y dégager les espaces à
vivre. Accidentée comme le serait une paroi de pierre, la surface du béton reste couverte
d’une épaisseur de terre ce qui confère à cette structure l’apparence d’une grotte. En
concevant un bâtiment qui ressemble à un milieu naturel (des voutes de forme et de
matérialité organiques), Ishigami réussit à attribuer un caractère ancien à une construction
neuve. Invisible en surface, effacée dans le sous-sol, cette architecture est à la fois nouvelle et
archaïque, novatrice et primitive. Cette réalisation marque l’apparition d’un paramètre
nouveau dans l’architecture d’Ishigami. Alors qu’il s’inscrivait dans la lignée « blanche » de
Sanaa, en contre-point de l’esthétique aérienne illustrée par le KAIT Workshop, la maison et
restaurant de Yamaguchi engage Ishigami du côté de la Terre, de la matérialité et de la
massivité. Ainsi il semble basculer dans le « rouge ».
Fig. 84. Maison et restaurant de Yamaguchi. À gauche : photographie de maquette365. À droite : vue sur le
bâtiment en phase de construction. Photographie Ishigami Jun’ya + Associates
363
Entretien avec Hans Ulrich Obrist (2018), opus cit.
364
D’une surface de 194 m². Localisé à Yamaguchi, dans le sud de Honshu.
365
Exposition « Freeing architecture », Paris, Fondation Cartier, 2018 (photographie S. Dousse).
181
Le pavillon d’été de la galerie Serpentine, jardins Kensington, Londres, 2019
Conçu en 2019, le pavillon d’été des galeries Serpentine confirme l’inflexion (peut-
être non définitive) d’Ishigami vers le « rouge » – tendance constructive liée aux techniques
de construction vernaculaire, à l’affirmation de la matérialité par l’emploi de matières
organiques et à une certaine organicité des formes et des textures. Dans les jardins royaux du
palais de Kensington, Ishigami conçoit un pavillon doté d’un grand toit en ardoise. Bien
qu’une démarche abstraite et conceptuelle détermine toujours le projet (Ishigami associe le
grand toit noir à l’image d’un corbeau traversant le ciel de Londres), l’architecte s’intéresse
aux modes de construction artisanaux. « Quand on s’intéresse aux techniques anciennes, on
peut identifier des similarités [constructives] en différents lieux du monde, y-compris dans des
localisations très différentes les unes des autres », explique-t-il. C’est le cas des « toits de
pierre, que l’on trouve en Europe comme au Japon ». Selon Ishigami, « l’un des aspects
intéressant des techniques anciennes est qu’elles témoignent à la fois d’un caractère local et
d’un sens universel ». Plus concrètement, ce qui l’intéresse, c’est que « les techniques
anciennes mobilisent des matériaux du paysage [des ressources présentes dans les milieux
naturels] pour les transformer en architecture ». De fait, « quand on souhaite concevoir une
architecture qui soit comme un paysage, utiliser des techniques anciennes fait sens »,
remarque-t-il. Dans le cas de ce projet, Ishigami explique avoir choisi d’utiliser « cette pierre
noire en imaginant que pendant les jours pluvieux, mouillé par la pluie, le toit de pierre se
transformerait en miroir et reflèterait le ciel. Je souhaitais créer un paysage/une scène
(scenery) différent(e) les jours ensoleillés et les jours de pluie. Ceci était très important pour
moi ». Comme dans l’ensemble de ses créations, la dimension poétique et esthétique de ce
projet est forte. « L’une des difficultés rencontrée quand on conçoit un bâtiment, c’est que le
nombre de matériaux que l’on peut utiliser est très limité. Les réglementations nous
contraignent. On peut utiliser de l’acier, du béton, du bois et de la pierre principalement. Mais
si l’on souhaite construire un bâtiment qui soit comme un paysage, alors les matériaux sont
limités. Dans ces circonstances, l’abstraction est très importante », explique-t-il. C’est
l’abstraction qui lui a permis de penser son pavillon comme un jardin : « J’ai voulu créer un
bâtiment qui soit entre paysage et architecture. En ce sens, c’est une sorte de jardin de
pierre »366. Par l’abstraction, Ishigami élabore un « imaginaire »367 : « En utilisant l’ardoise, je
366
Entretien avec Hans Olbrist (2019), opus cit.
367
« Je pense que les paysages peuvent captés nos imaginaires, comme lorsque l’on perçoit des silhouettes
d’animaux dans les nuages. J’ai voulu que les visiteurs en provenance du monde entier soient touchés par un
sentiment de nostalgie. Qu’ils fassent une expérience commune. » Galeries Serpentine (réal.) (2019), opus cit.
182
voulais créer une chose qui ressemble à une colline de pierre. Par ailleurs, les morceaux
d’ardoise assemblés ressemblent à des plumes ; alors le toit évoque un oiseau qui déploie ses
ailes ; comme un corbeau dans le ciel pluvieux de Londres ; et les fins poteaux qui
soutiennent le toit symbolisent la pluie.368 »
Fig. 85. Pavillon Serpentine de 2019. À gauche : le pavillon dans son environnement. À droite : l’espace
intérieur du pavillon et son environnement. Photographies Iwan Baan, propriété Ishigami Jun’ya + Associates,
courtoisie Serpentine Galleries
368
Ibidem.
369
Ibid.
183
5.3. Ito Toyo et Hirata Akihisa. Pour une architecture biologique
370
Tange Kenzo, Isozaki Arata, Kurokawa Kisho, Kikutake Kiyonori, Maki Fumihiko et Otaka Masato
principalement.
371
Cf. supra, chapitre 1.1.2.
184
La Médiathèque de Sendai, Sendai, préfecture de Miyagi, 2000 ; TOD’S Omotesando, Tokyo,
2004 ; la Bibliothèque de l’Université d’Art Tama, Hachioji, préfecture de Tokyo, 2007
372
La capitale de la préfecture de Miyagi compte une population de 1,091 million d’habitant pour une superficie
de 786,3 km² (soit une densité de 1,389 hab./km²) en 2020. Construite à l’échelle de la ville, sur huit niveaux (de
50 m x 50 m), la médiathèque dépasse 36 m. Sur un site de 3 948 m², elle totalise une surface de plancher de
21 682 m² sur sept niveaux et deux niveaux enterrés.
373
La médiathèque de Sendai est le fruit de la première collaboration entre Ito Toyo et Sasaki Mutsuro.
374
SASAKI Mutsuro, « Structural design for the Sendai mediatheque », dans : WITTE, Ron, Toyo Ito Sendai
Mediatheque, Munich, Prestel Verlag, 2002, p. 41-57.
375
Daniell évoque une « collision » entre « les espaces cérébraux de l’architecture du "virtuel" » que vise Ito et
« la matérialité brute et viscérale de la construction ». Ibidem, p. 114.
376
Commentateur de la production architecturale d’Ito, Thomas Daniell observe quatre périodes et quatre
thématiques afférentes. Après avoir cherché à concevoir des bâtiments-robots (pendant la décennie 1970), après
s’être intéressé à la ville (pendant la décennie 1980), Ito a exploré l’articulation entre corps organique et corps
virtuel (pendant la décennie 1990), puis il s’est consacré au thème de la nature (pendant les années 2000). Pour
les années présentes et à venir, Daniell prédit le développement d’une architecture inspirée du « niveau cellulaire
et organique du vivant » pour « refléter un état antérieur à l’émergence de la vie elle-même ». Voir DANIELL,
Thomas (2018), opus cit., p. 115-116. Le théâtre national de Taichung (Taiwan, 2016) illustre cette recherche
architecturale.
185
Élaborée à partir d’un modèle végétal (les algues) grâce aux modélisations de Sasaki
Mutsuro et assurant la fonction de noyau technique (un noyau décuplé et décentré 377), la
structure de la médiathèque offre un plan libre. Aménageables de manière flexible, les
plateaux (des dalles en acier de 50 m x 50 m) accueillent des espaces d’échelles et
d’atmosphères différentes. Dans la continuité de ses premiers projets, Ito conçoit un espace
fluide qui n’est pas uniforme pour autant, plutôt varié ou nuancé. Cette fluidité relative au
monde des flux qui inspire tant l’architecte est aussi lisible en façade. Comme elle est
entièrement vitrée, la structure et les flux qui la parcourent sont bien visibles depuis l’espace
urbain. Incarnation des réseaux d’informations, l’architecture de la médiathèque de Sendai
confère à cet équipement public une image et une identité fortes. Ce qui ne l’empêche pas
d’être bien intégrée à son environnement urbain, celui d’une avenue plantée de grands arbres.
La structure de tubulaires d’acier évoquant les ramifications de branchages, le plan de la
nature réelle et celui de la nature artefactuelle se superposent. À cette icône de modernité
technologique, Ito associe une référence organique. Parce que sa structure a été conçue sur le
modèle d’un organisme végétal, la médiathèque est à la fois un univers virtuel et une forêt,
une architecture du futur et un substitut nature. Ito l’associe à une forêt de bambous.
Fig. 86. Médiathèque de Sendai. De gauche à droite : la façade principale, le hall. Photos S. Dousse, 2019/03
C’est aussi Hirata Akihisa qui a suivi la conception (commencée en 2002, soit un an
après la livraison de la médiathèque de Sendai) et la réalisation (achevée en 2004) du magasin
TOD’S378 de l’avenue Omotesando, équivalent tokyoïte des Champs-Élysées de Paris. Dans
cette architecture aussi, se lit la référence à l’arbre, bien que tout à fait différemment que dans
le cas de la médiathèque de Sendai, avec une structure, non pas en acier, mais en béton. Sur
377
Ito parle de « décentralisation du noyau ». ITO Toyo, “The Sendai Mediatheque as a new Dom-Ino system”,
Tarzans in the media forest, Londres, AA Publications, 2011, p. 136-139.
378
TOD’S Omotesando est construit sur un terrain de 516,23 m² et totalise une surface de plancher de
2 548,84 m² sur sept niveaux et un niveau enterré. La conception de ce projet a commencé en 2002, soit un an
après la finalisation de la médiathèque de Sendai.
186
l’avenue Omotesando aussi, la structure du bâtiment dialogue avec les arbres de
l’environnement. Sur une hauteur de sept niveaux, le voile de béton constitutif de la façade du
bâtiment forme un motif évocateur des ramifications des zelcova du Japon qui longent
l’édifice. Le voile de béton permettant de se passer de poteaux dans les espaces intérieurs,
ceux-ci gagnent en fluidité et en ouverture. Vu depuis le magasin, l’arborescence de la
structure forme des ouvertures à géométrie variable. La notion de fenêtre (une ouverture et un
cadrage sur l’extérieur) est remise en question, voire même dépassée, car ici la façade et
l’ouverture opèrent à l’échelle de la ville. Autrement dit, la fenêtre n’est pas associée au
niveau de plancher mais plutôt au bâtiment, dont le design est conçu à l’échelle de la rue, des
arbres, du paysage. On observe une forte porosité entre l’espace du magasin et l’espace de la
ville. Comme si l’on se trouvait sous un arbre (depuis le rez-de-chaussée) ou dans un arbre
(depuis les étages). Encore une dimension paysagère.
Fig. 87. Magasin TOD’S Omotesando et bibliothèque Tama. De gauche à droite : façade principale de TOD’S
Omotesando, façade de la bibliothèque Tama. Photographies S. Dousse, 2014/04
187
ou des aires offrant diverses fonctionnalités et différentes ambiances – les types de mobilier
entraînant des postures variées (debout, assis ou étendu). Différents espaces de lecture/travail
(dont un espace audiovisuel) et de rencontre (dont une cafétéria et un espace théâtre) ainsi que
des bureaux de l’administration sont installés sur un sol en pente dans la continuité de la
topographie du site ainsi qu’à l’étage. On évolue à l’intérieur du bâtiment comme dans un
milieu naturel : à l’ouverture et à la fluidité de l’espace de la bibliothèque (un espace non
cloisonné, seulement structuré par le mobilier) s’ajoutent la fluidité du parcours et la
souplesse de la pente qui articulent et unifient l’espace du bâtiment et celui du campus.
381
Hirata Akihisa, entretien avec S. Dousse, le 20 juillet 2019, à Tokyo. Voir annexe 7.
188
Le complexe de Taipei, Taipei, Taiwan, 2016 ; la « Tree-ness House », Tokyo, 2017 ; le musée d’art et
bibliothèque d’Ota, Ota, préfecture de Tokyo, 2017
Fig. 88. Complexe de Taipei. De gauche à droite : vue en axonométrie de la structure et du complexe végétal,
vue en coupe. Images Hirata Akihisa Architecture Office
382
Un équipement qui rassemble un musée, des magasins et des restaurants. Sur un site de 3 806 m², le complexe
de Taipei totalise une surface de plancher de 27 000 m² sur sept niveaux et trois niveaux enterrés.
383
HIRATA Akihisa, Discovering new, Tokyo, Toto Publishing, 2018, p. 29.
384
Hirata Akihisa (2019), opus cit.
189
D’après Hirata, bien que les métabolistes aient « échoué à réaliser leur ambition » de
créer une architecture organique, il est néanmoins possible « d’hériter de l’idée à la base du
métabolisme et de parvenir à ses fins » : « Les métabolistes ont échoué car leur système était
trop rigide. Dans leur pensée, chaque élément du design appartient à un seul et même
système. Ce système, c’est la pensée de l’architecte, ou la pensée du design. Les métabolistes
souhaitaient que les différents composants d’un bâtiment se métabolisent de manière formelle
(in a design way). Mais cette vue était trop étroite… » Pour dépasser ce constat d’échec,
Hirata s’est référé à la structure d’un milieu naturel qu’il a schématisé et conceptualisé : « Ce
diagramme représente le concept de caramarishiro, qui signifie tangling base ou base for
entanglement [support à entremêlement]. Quand on observe un milieu marin, on constate que
les œufs de poissons se mêlent aux algues, qui elles-mêmes se mêlent aux rocs, qui eux-
mêmes se mélangent à l’océan. Alors le roc est comme une infrastructure pour l’algue, et
l’algue est comme une infrastructure pour les œufs de poissons. C’est un système hiérarchisé.
Une sorte d’infrastructure. Parfois les œufs se métabolisent. Les algues aussi. Et même les
rocs. Un élément sert d’infrastructure à un autre. C’est possible parce que ces éléments
procèdent de différentes temporalités, qu’ils proviennent de différentes origines, de différents
mondes. Ils appartiennent à différents systèmes qui se rencontrent parfois et qui
s’emmêlent.385 » En permettant que les différents composants d’un bâtiment interagissent les
uns avec les autres, Hirata a l’impression de dépasser les limites auxquelles les métabolistes
se sont heurtés.
Fig. 89. Tree-ness house. De gauche à droite : diagramme de concept, schéma de conception en vue de coupe.
Dessins Hirata Akihisa
385
Ibidem.
190
La première adaptation architecturale de ce diagramme est la Tree-ness house386 :
« Dans la Tree-ness house, les plantes jouent le rôle des œufs de poissons, les encadrements
de fenêtres et les balcons celui des algues, les volumes ou boîtes (les logements) celui des
rocs. Envisager ces éléments (les composants du bâtiment) de cette façon est une manière
intéressante d’obtenir une sorte de "tout" [un ensemble organique].387 »
Fig. 90. Tree-ness house. Images de gauche : vues sur la façade principale et ses balcons. Images de
droite : vues sur le patio et ses plantations. Photographies S. Dousse, 2019/07
Dans le cas du musée d’art et bibliothèque d’Ota388, le principe est le même : « Les
boîtes (les espaces fermés) sont les rocs, les circulations (des circulations en pente qui
s’apparentent à des rues et ondulent autour des boîtes) sont les algues et les meubles sont les
œufs de poissons ». Par ailleurs, pour ce projet d’équipement public, le diagramme a servi de
support à un processus de conception participative : « À Ota, on nous a donné l’opportunité
d’avoir de nombreuses discussions avec les habitants de la région (les futurs utilisateurs du
lieu) ainsi qu’avec des spécialistes pour déterminer le design. Je me suis servi diagramme de
caramarishiro pour conduire les séances de travail. Nous avons d’abord décidé du
positionnement des volumes (les pièces), puis des circulations, puis du mobilier. Donc ce
diagramme sert à la conception architecturale, au planning/calendrier, à l’organisation
d’événements, etc. To make some kind of commitment between the society… », raconte Hirata.
386
Une galerie d’art (au rez-de-chaussée) et un complexe résidentiel. Bâtie sur un site de 139,6 m², la Tree-ness
house totalise une surface de plancher de 450 m² sur cinq niveaux. Les études de conception ont débuté en 2009
et la construction du bâtiment a été achevée en 2017.
387
Hirata Akihisa (2019), opus cit.
388
Une librairie et un musée. Édifié sur un site de 1 497 m², le musée d’art et bibliothèque d’Ota totalise une
surface de plancher de 3 150 m². La conception de ce bâtiment a commencé en avril 2014 et sa construction a été
achevée à la fin de l’année 2016.
191
Fig. 91. Musée d’art et bibliothèque d’Ota. De gauche à droite et de haut en bas : schéma de concept (dessin
Hirata Akihisa), plan du rez-de-chaussée (dessin Hirata Akihisa Architecture Office), vue sur la façade nord du
bâtiment depuis l’espace urbain, vue sur l’espace urbain depuis le toit-terrasse du bâtiment (photographies S.
Dousse, 2019/07)
192
par les architectes], les gens nous donnaient de nombreuses indications. Dans chaque
proposition [volumétrique] on identifiait des possibilités que l’on mémorisait en disposant
plein de post-it dans les maquettes. De retour à l’agence, on travaillait sur cette base. (…)
Ainsi nous avons pu connaître quelles petites différences pouvaient définir le confort de
chaque espace. Sur la base des idées des futurs utilisateurs de la bibliothèque, nous avons
conçu et mélangé différents environnements. »389
1-2-3
Espace d’exposition et de lecture (1), cafétéria (2), entrée de la galerie et circulations (3)
4-5-6
Espaces de lecture de la bibliothèque
7-8-9
Décorations végétales disposées dans les sanitaires (7-8), œuvre de Sato Naoki exposée dans la galerie (9)
10-11-12
Mobilier disposé sur le toit-terrasse (10), papillon (11) et oiseaux (12) sur les garde-corps du toit-terrasse
Fig. 92. Musée d’art et bibliothèque d’Ota. Vues intérieures et extérieures. Photographies S. Dousse, 2019/07
389
Hirata Akihisa (2019), opus cit.
193
194
Chapitre 6.
Synthèse de la deuxième partie
195
architectures se lient à l’environnement tout en fabriquant elles-mêmes un environnement ; le
projet est un environnement mixte, à la fois architectural et paysager, constitué par le bâtiment
et les éléments du contexte. Depuis les années 2000, deux types d’architectures ont illustré
cette démarche. Le premier type d’architecture-environnement est une architecture
topographique. Dans un cas (le Rolex center, 2009), le bâtiment forme une topographie
artificielle : les nappes de béton qui constituent planchers et plafonds ondulent au-dessus du
terrain et s’articulent au paysage. Dans un autre cas (Grace farms, 2015), le bâtiment est
adapté à une topographie naturelle : comme un ruban déroulé sur le relief de collines, il
« fusionne » avec l’environnement naturel de manière « organique ». Le deuxième type
d’architecture-environnement conçu par Sanaa est une architecture exclusivement définie par
son toit. Dans un cas (le hall Junko-Fukutake, 2015), le toit est fragmenté et démultiplié en un
ensemble de pans inclinés suivant différents angles. « No more boxe », écrivait Nishizawa.
L’espace intérieur étant complètement ouvert et multidirectionnel, l’ambition semble réussie.
Dans un autre cas (Shogin-tact Tsuruoka, 2017), tout aussi démultipliés et fragmentés, les
pans de toits sont incurvés : échos à la silhouette des montagnes présentes dans le paysage,
par sa couverture en acier, ce toit reflète la lumière et les teintes du ciel. L’architecture ne se
lie pas seulement à l’environnement terrestre mais également à l’environnement aérien et à
une atmosphère changeante.
Les projets que Nishizawa réalise à son propre compte sont aussi caractérisés par leur
dimension paysagère. Pour dépasser la condition de « boîte », effacer les limites entre
intérieur et extérieur tout en associant les bâtiments aux paysages, Nishizawa élabore deux
types d’architectures. Le premier type est une architecture fragmentée : morceler les éléments
des programmes à construire permet à Nishizawa de concevoir des bâtiments à l’image
d’environnements urbains (la maison Moriyama, 2005 ; le centre d’art de Towada, 2008) –
des espaces intermédiaires extérieurs se formant entre les volumes, l’environnement est en
quelque sorte annexé aux pièces à vivre. Le deuxième type de bâtiment à dimension
paysagère que conçoit Nishizawa est une architecture souple, de forme courbe, déployée sur
la topographie de manière organique : implantée au milieu de la forêt (le musée d’art de
Teshima, 2010) ou incorporant des morceaux de forêt (le musée d’art Hiroshi Senju, 2010),
l’architecture s’intègre au paysage et s’apparente elle-même à un paysage. Suivant une
démarche d’abstraction, Nishizawa met en valeur les éléments de la nature. Il fabrique un
cadre épuré ou recueillir la lumière, le végétal, l’eau et le vent, des éléments immatériels pour
la plupart, fugaces, fragiles, mouvants, intemporels. Comme dans l’architecture d’Ando
196
Tadao, la relation aux éléments est une source d’enrichissement spirituel. Leur présence
permet une expérience intérieure. Dès lors, l’architecture du bâtiment peut se réduire à
l’essentiel. Mais si ce dépouillement, cette sobriété et ce minimalisme peuvent être perçus
comme la base d’une vie écologique, ils ne sont pas présentés en tant que tels. Aux yeux de
Nishizawa comme à ceux de Sejima, ce qui compte c’est la « relation ». La relation de
l’architecture à l’environnement en tant qu’étendue (la relation au contexte) composée
d’éléments divers et formant un ensemble dont le bâtiment fait partie. Par les relations et par
les analogies à des formes paysagères, par la fabrique d’espaces intermédiaires et par
l’annexion de l’extérieur, l’architecture peut être changée ; le bâtiment peut être plus
intéressant à vivre ; plus riche sur le plan sensible (au quotidien, même dans les
fonctionnalités les plus simples et banales).
197
développée par ses prédécesseurs. Il la pousse à son maximum et dépasse les limites : espace
servant et espace fonctionnel entrant dans une relation d’égalité, voire même d’équivalence.
390
Hirata Akihisa (2019), opus cit.
391
« Freeing architecture » était le titre de la rétrospective qui lui était consacrée à la fondation Cartier, à Paris,
en 2019 (une exposition qui a circulé dans le monde).
198
La démarche de réinterprétation de formes organiques (comme celles de l’arbre ou de
l’algue) et de modes d’organisation du vivant (comme celui d’un fond marin ou d’un « arbre-
jungle ») développée par Ito Toyo et Hirata Akihisa procède de la même dynamique :
fabriquer une architecture qui soit aussi intéressante que la nature ; dépasser les
caractéristiques (ou limites) formelles et spatiales déterminées par l’industrie et par le dogme
moderniste (quand il était étudiant, Hirata déplorait qu’il soit plus facile de concevoir des
volumes blancs aux formes orthogonales que des architectures complexes se rapprochant
d’environnements naturels – c’est-à-dire plus variées et plus riches spatialement392). À la
recherche de fluidité, Ito s’intéresse d’abord au corps (à l’organisme traversé de flux) qu’il
rapproche de structures végétales (un réseau de ramifications où les énergies circulent, une
arborescence qui croît). « Architecture must be energetic », dit Hirata. Car il est important
« d’exprimer la force de vie (la puissance créatrice) inhérente aux activités et aux
constructions humaines ». Et cela vient du sol (« it comes from the ground ») ; les bâtiments et
l’ensemble des infrastructures émergent, grandissent et se développent. Après « architecture
must be biological », l’architecture doit être géo-topographique : comme dans un processus de
sédimentation des sols, les infrastructures qui émergent de la terre vont se mêler (« tangling »,
« to make entanglement »393) aux éléments de l’environnement (la faune, la flore, l’eau, l’air
ou la température…). Hirata cherche un certain foisonnement. Si cette intention revêt un
aspect formel, elle a aussi une forte dimension technique : il s’agit d’incorporer les ressources
de l’environnement (l’air, l’eau, le soleil, etc.) aux bâtiments afin de minimiser les dépenses
énergétiques liées à l’éclairage, au chauffage et au rafraichissement des lieux. En
collaboration étroite avec les ingénieurs (Sasaki Mutsuro dans le cas d’Ito Toyo et de Sanaa)
et grâce aux programmes informatiques développés par eux, ces architectes visent la fixation
de configurations optimales au niveau de la gestion des fluides, tout en donnant forme à des
architectures riches sur le plan de l’expérience spatiale et de la relation au paysage. Aux yeux
d’Ito, de Sanaa et de Hirata, l’écologie n’est sans doute pas une fin en soi, plutôt un paramètre
à prendre en compte pour rendre le projet d’architecture viable (dans le milieu, le climat),
c’est-à-dire exploitable et maintenable.
392
Hirata Akihisa (2019), opus cit.
393
Ibidem.
199
bâtiment ne témoignent pas d’une quelconque stratégie environnementale. De métal et de
verre, le KAIT Workshop (2008) est traversé par la lumière naturelle qui se diffuse dans
l’espace intérieur. Entre les poteaux et les plantes en pots, là où les étudiants s’installent pour
travailler seuls ou en groupe, les unités de climatisation ponctuent et partitionnent les zones.
Si ce n’est que le soleil réchauffe la boîte en hiver, on est hors démarche bioclimatique : le
chaud, le froid et le renouvèlement de l’air sont avant tout assurés par la VMC. Qu’en est-il du
bâtiment voisin, la KAIT Plaza (2021), cette place semi-couverte ? À considérer que l’on
accepte les températures extérieures dans ces espaces semi-intérieurs, alors on est dans
l’écologie pure : pas de dépenses énergétiques pour le chauffage, la climatisation et le
ventilation du bâtiment. Dans le projet de maison de la paix (2014), en projetant d’éclairer, de
chauffer et de ventiler l’espace intérieur par les seules ressources de l’environnement,
Ishigami veut débarrasser le bâtiment de toute machinerie. Mais cette piste est-elle réaliste et
généralisable ? Surtout dans les musées, des lieux qui, pour des raisons fonctionnelles,
nécessitent l’installation de systèmes techniques sophistiqués particulièrement énergivores.
Par ailleurs, la question de l’empreinte carbone de la construction de ce bâtiment est-elle
réglée ? Le processus de fabrication, d’acheminement, de mise en place et de recyclage de
cette structure de béton posée sur la mer et des grands pans de verres qui la complètent est-il
vertueux ? La question est posée et y répondre se calcule avec précision. Quoi qu’il en soit, la
démarche d’Ishigami paraît d’avantage motivée par des considérations théoriques concernant
l’interface ou la porosité entre le naturel et l’artificiel que par des objectifs écologiques.
Ishigami poursuit une recherche esthétique. C’est l’expérience sensible et la portée poétique
du lieu qui comptent. Il souhaite concevoir une architecture qui soit aussi vaste et vivante,
aussi animée et vibrante qu’un paysage.
200
Introduction de la troisième partie.
L’architecture dans sa relation aux ressources
Partis pris des architectes du localisme
394
Team Zoo ou Atelier Zo est un groupement d’architectes fondé en 1971 par Higuchi Hiroyasu, Otake Koichi
et Tomita Reiko (tous trois nés à la fin des années 1930). Sous l’influence de Yoshizaka Takamasa (1917-1980),
leur enseignant à l’université de Waseda (Tokyo), ces architectes ont valorisé la prise en compte des identités
régionales et de la culture constructive vernaculaire dans la conception architecturale.
395
FUJIMORI Terunobu, « Toward an architecture of humankind », dans : ENDO Nobuyuki (Ed.), Fujimori
Terunobu architecture, Tokyo, Toto Shuppan, 2007, p. 17-45.
201
Dans la famille rouge, on trouve aussi des architectes qui intègrent les ressources et/ou
les cultures constructives locales en accordant une importance de premier plan aux lieux. En
bord de mer, dans les terres ou dans la région enneigée du nord de l’archipel, ces architectes
prennent en compte les caractéristiques climatiques et géographiques du milieu pour
concevoir des bâtiments qui s’y insèrent comme partie d’un ensemble vis-à-vis duquel ils ne
pourraient être indépendants. En bord de mer comme sur les reliefs, Naito Hiroshi (1950- )
s’imprègne de l’architecture vernaculaire pour créer des structures incorporées aux paysages
(le musée de la mer, 1992 ; le musée des plantes et des hommes ou musée Makino, 1999).
Dans les îles de la mer de Seto, la création de la triennale d’art Setouchi permet à Abe Ryo
(1966- ), à Manuel Tardits (1959- ) (agence Mikan) et à Sambuichi Hiroshi (1968- ) de donner
jour à des architectures imprégnées des singularités locales. Abe étudie l’habitat vernaculaire
de Teshima pour créer une architecture inscrite en continuité de ce patrimoine (Shima-
kitchen, 2010), Tardits emploi des ressources locales collectées dans l’environnement
d’Ibukijima pour construire de manière collaborative en mobilisant le savoir de la
charpenterie traditionnelle (le pavillon Iriko, 2015), Sambuichi réemploie les briques des
ruines de l’ancienne raffinerie de cuivre d’Inujima et tire parti d’éléments immatériels (le vent
et le soleil) pour assurer le confort thermique des bâtiments qu’il conçoit (le musée d’art
Seirensho, 2008 ; le hall de Naoshima, 2015). Parallèlement, les artistes Nawa Kohei (1975- )
et Sugimoto Hiroshi (1948- ) créent leurs premières architectures ; des installations qui
mettent en valeur l’environnement naturel de la mer et de la montagne tout en valorisant les
savoir-faire de la construction artisanale (le pavillon Kohtei du musée et jardin zen Shinshoji,
2016 ; l’observatoire Enoura, 2017).
Dans la région nord du Japon (surnommée « pays de neige »), d’autres architectes
s’évertuent à dépasser les contraintes techniques et fonctionnelles qu’impose le climat afin de
proposer des manières d’apprécier la neige dans ses qualités esthétiques et pour l’expérience
qu’elle engage. Aoki Jun (1956- ) utilise la neige pour permettre une climatisation naturelle
(la fondation de la neige, 1999) tout en créant des architectures permettant d’apprécier le
paysage (le musée de la lagune de Fukushima, 1997) et l’atmosphère d’un environnement
enneigée (le musée d’art d’Aomori, 2006). Tezuka Takaharu et Yui (1966- ) conçoivent une
série de bâtiments qui s’intègrent à la neige jusqu’à l’ensevelissement (le musée des sciences
naturelles de Matsunoyama, 2003 ; les cafés/centres communautaires Ikote et Stage-engawa,
2015 et 2016). Enfin, Naito Hiroshi, Ando Tadao et l’agence néerlandaise MVRDV proposent
d’autres manières de construire dans la neige. Alors que les architectes néerlandais détachent
202
le bâtiment du sol pour l’éloigner des intempéries (le musée du village de Matsudai, 2003),
Naito créé une massive structure de béton qui supporte le poids de la neige au-dessus d’un
espace enterré dans le sol (la bibliothèque municipale de Tokamachi, 1999). Enfin, Ando
compose des architectures que la géométrie oriente sur le paysage et les éléments du milieu
(le centre d’art contemporain d’Aomori, 2001 ; l’école de la nature de Tokamachi, 2011).
L’ensemble de ces maîtres d’œuvres pourraient être réunis sous l’appellation « architectes de
lieux et de milieux » tant ils créent des bâtiments en accord avec les environnements qui les
accueillent. Ils esquissent leurs architectures à partir des sites et des climats pour qu’elles s’y
adaptent avec souplesse. De cette adaptation naissent des conditions d’être au monde dans un
esprit de relation/d’intégration à l’environnement géo-physique. Doux en été, contraignant en
hiver, il est apprécié en été comme en hiver.
203
204
Chapitre 7.
Entre intégration paysagère et valorisation du local
396
Il a spécialement étudié le développement de l’architecture moderne au Japon entre 1854 et 1945.
397
Le premier livre dédié à l’œuvre architecturale de Fujimori Terunobu (publié par les éditions japonaises Toto)
a été intitulé Fujimori Terunobu : Yabangyarudo kenchiku. Avec pour signification : Yaban (sauvage, barbare) +
Gyarudo (prononciation japonaise d’ « avant-garde »), le terme Yabangyarudo pourrait être traduit par : une
avant-garde qui aspire à un état primitif. FUJIMORI Terunobu, « Toward an architecture of humankind », dans :
ENDO Nobuyuki (Ed.), opus cit., p. 45.
398
Ibidem., p. 41-45.
205
Bien qu’il s’imprègne du patrimoine ancien, l’une des intentions principales de
Fujimori est de concevoir une architecture qui ne s’apparente à aucun style préexistant.
Comme les concepteurs des bâtiments les plus contemporains dans leur style, Fujimori aspire
à créer des œuvres singulières et uniques. Il en va de même pour ses confrères localistes et
matérialistes Kuma Kengo et Nakamura Hiroshi. Après avoir fondu les bâtiments dans les
paysages (l’observatoire du mont Kiro, 1994 ; le musée du canal de Kitakami, 1999) – une
sorte de négation de l’architecture –, Kuma soigne la forme et l’esthétique de bâtiments qui
regénèrent la culture constructive ancienne. Il conçoit une architecture contemporaine
singulière pour son rapport à l’histoire, à la matérialité et à la nature (les bâtiments de
Yusuhara, 2006-2018). Nakamura travaille dans la même veine. Comme Fujimori et Kuma, il
revisite des techniques constructives traditionnelles en employant des matériaux locaux quand
cela est possible. Pourtant on observe une différence dans la pratique de ces trois architectes.
Alors que Fujimori et Kuma cachent l’acier et le béton des structures derrière des parements
en matériaux organiques, les architectes de la génération de Nakamura rejettent la stratégie.
Pour eux, dissocier structure et façade revient à mentir – la forme ou la structure
architecturale doit mettre en jeu les éléments porteurs comme les éléments de façades. Aux
yeux de Nakamura, l’architecture n’est pas une enveloppe. C’est une formulation ou une
structuration unitaire (la chapelle Ruban, 2014), un ensemble d’entités solidaires les unes des
autres (le restaurant Erretegia, 2015) tant sur le plan pratique (les assemblages conçus par les
artisans) que sur le plan théorique (la pensée structurante de l’architecte). Au-delà de leurs
différences, c’est en alliant caractère concret (de la construction, de la matière) et caractère
abstrait (de la conception) que Fujimori, Kuma et Nakamura combinent vernaculaire et
international, techniques artisanales et technologies nouvelles, tradition et contemporain.
206
7.1. Kuma Kengo. Pour une architecture « anti-objet » effacée dans le paysage
Né en 1954 à Yokohama dans la préfecture de Kanagawa399, Kuma Kengo est l’un des
architectes contemporains japonais les plus productifs au Japon (depuis les années 2000) et à
l’étranger (depuis les années 2010 surtout). Comme Ando Tadao, il amorce sa pratique dans
un esprit contestataire. Dans les années 1970 déjà, alors qu’il est étudiant à l’université de
Tokyo, Kuma dénonce400 certaines forces à l’œuvre dans la société japonaise et dans la
pratique des architectes. Il critique notamment une foi illimitée en le progrès technologique et
une appétence pour la construction de maisons individuelles, des tendances dont il estime les
conséquences néfastes sur les plans éthique, économique, environnemental aussi bien
qu’esthétique. Sceptique vis-à-vis de l’attitude des figures majeures de la scène architecturale
d’alors (Shinohara Kazuo (1925-2006) et Isozaki Arata (1931-)), à qui il reproche de négliger
le point de vue des gens ordinaires, Kuma s’oriente plutôt vers le laboratoire de Hara Hiroshi
(1936-), un architecte plus inclusif de la dimension culturelle de l’architecture401. Diplômé en
1979, Kuma est d’abord salarié chez Nihon Sekkei402 où il conçoit des projets commerciaux,
puis il devient président de l’entreprise de construction familiale Toda Kensetsu. En 1985-86,
il parachève ses études à l’université Columbia de New-York. Cette prise de distance lui
permet d’affiner sa compréhension de la société japonaise (de ses pratiques culturelles comme
de ses architectures) et de développer une certaine aptitude à en parler (il organise notamment
des cérémonies du thé à l’intention de ses amis américains). Par ailleurs, Kuma profite de ce
séjour aux États-Unis pour réaliser une série d’entretiens avec des architectes américains dont
Peter Eisenman, Frank Gehry et Philip Johnson403. L’ensemble de ces expériences au Japon et
à l’étranger a certainement favorisé le développement d’une attitude réflexive (« une habilité à
399
La préfecture de Kanagawa est située à l’ouest de Tokyo et à l’est du mont Fuji. Elle est bordée par la baie de
Tokyo et par celle de Sagami. Yokohama est sa capitale.
400
Kuma Kengo a été membre de Gruppo Specchio, un groupe d’étudiants qui publiaient des articles critiques
dans SD : Space Design. Il a ensuite été critique pour Sei-Go-Hyô (un partenariat avec Kiyoshi Sey Takeyama).
Pour plus d’informations, voir : DANIELL Thomas (2018), opus cit., p. 258.
401
Hara Hiroshi a orienté sa pratique sur l’étude et la réinterprétation des typologies vernaculaires. Accompagné
des étudiants de son laboratoire, il a effectué de nombreux voyages d’études à l’étranger. De novembre 1978 à
janvier 1979, Kuma Kengo a participé à une mission en Afrique de l’ouest.
402
Nihon Sekkei est une compagnie fondée à Tokyo en 1967 qui possède également des succursales dans les
régions japonaises (Hokkaido, Chubu, Kansai, Chubu, Kyushu) et à l’étranger (Chine, Viet Nam, Inde). Elle
propose des services de conception urbaine, architecturale et paysagère, de suivi et de management de
construction, de management de projet, de rénovation, de modernisation sismique et des solutions
environnementales.
403
KUMA Kengo, Good-bye Postmodern – 11 American Architects, Tokyo, Kajima Institute Publishing, 1989.
207
observer l’idiosyncrasie de la société japonaise avec un degré d’objectivité hors du
commun404 », selon Thomas Daniell) ainsi qu’une belle ouverture sur le monde – des
dispositions qui allaient permettre à Kuma de proposer des architectures adaptées au contexte
japonais contemporain tout en développant une carrière d’envergure internationale.
De retour à Tokyo après son séjour en Amérique, Kuma Kengo fonde le studio Special
Design (1987) puis l’agence Kengo Kuma & Associates (1990). En 1991, année pendant
laquelle la « bulle économique » commence à se dégonfler, il livre ses premières
réalisations (Doric, Rustic et M2), des bâtiments de bureaux et de commerces qui illustrent sa
vision critique du postmodernisme, le style architectural qui prévalait pendant la décennie
1980 au Japon. Moquant le registre stylistique du pastiche en le poussant à son paroxysme,
Kuma dénonce l’impossibilité d’en sortir, ce qu’il décrit plus tard dans l’essai « Architecture
of defeat » (2002). C’est le tarissement des commandes et l’effondrement économique de la
décennie 1990 (période dite d’ « éclatement de la bulle ») qui l’inciteront à concevoir une
alternative au style postmoderne, et donc à repenser l’architecture. Face aux conséquences
néfastes (d’un point de vue éthique, environnemental et concernant la qualité du cadre de vie)
du développement urbain, industriel et technologique du Japon de l’après-guerre et pour
remédier à la généralisation d’une architecture de façade, Kuma Kengo élabore une posture
radicale, celle de l’ « effacement de l’architecture ». L’observatoire du mont Kiro (1994) fait
figure de manifeste, tout comme le musée du canal de Kitakami (1999). À travers ces
réalisations de début de carrière comme à travers d’autres projets (à l’exemple de la villa
Great bambou wall construite en Chine en 2002), Kuma conçoit une architecture en continuité
avec la topographie pour intégrer les artefacts dans les sites qui les accueillent. Cette
démarche ne revêt pas seulement une portée esthétique car il s’agit avant tout de relier les
habitants à l’environnement dans lequel ils vivent405.
404
DANIELL, Thomas, opus cit., p. 258.
405
Dans ses discours de présentation, Kuma indique qu’il travaille la relation de l’architecture à la nature pour
placer l’humain en relation avec la nature.
208
L’observatoire du mont Kiro, Imabari, préfecture d’Ehime, 1994
406
En japonais, le suffixe –san est généralement employé avec le nom de famille ou avec le prénom d’une
personne en guise de politesse et de marque de respect. -San est également employé avec les noms de certains
monts, tels que le mont Fuji (communément surnommé Fuji-san) – des monts/volcans célèbres et respectés
comme des personnes car on les sait habités par des divinités/âmes-esprits (kami).
407
Plus précisément : l’archipel des Geiyô se déploie entre les préfectures de Hiroshima (sur Honshu) et de
Ehime (sur Shikoku), entre les villes de Onomichi (préfecture de Hiroshima) et Imabari (préfecture de Ehime),
distantes d’environ 43 km à vol d’oiseau/63 km par la route.
408
Yoshiumi était un bourg de l’île Oshima. Depuis janvier 2005, il a été incorporé à la ville d’Imabari.
409
Construit sur un site de 4 193,63m², avec une surface bâtie de 473,83 m², ce bâtiment totalise une surface de
473,83 m².
410
KUMA Kengo, L’architecture naturelle, Paris, Arléa, 2020, p. 152.
411
Ibidem p. 151-153.
209
Légende de la coupe : 1. Observatoire, 2. Espace ouvert
Fig. 93. Observatoire du mont Kiro. En haut, de gauche à droite : vue sur le panorama, vue sur l’observatoire.
Photographies S. Dousse, 2019/07. En bas, de gauche à droite et de haut en bas : plan de masse, élévation et
coupe. Dessins Kuma Kengo & Associates
Pour emporter l’adhésion du maire de Yoshiumi, Kuma Kengo a présenté son projet
comme un théâtre grec antique. Les escaliers jouant le rôle de gradins, l’observatoire allait
pouvoir assurer la fonction d’espace de représentation d’une capacité d’accueil de 200
personnes – un argument considérable pour une bourgade alors peuplée de 8 000 habitants et
non pourvue d’équipement culturel. « Il ne faut jamais agresser un client en lui reprochant,
par exemple, de vouloir édifier un monument sur une si jolie montagne ou en lui parlant de la
destruction de la nature. C’est la meilleure manière de le mettre sur la défensive et de le
bloquer. Il faut, au contraire, l’entraîner vers un sujet susceptible de l’intéresser et commencer
la discussion sur un terrain consensuel412 », explique Kuma. Profitant de cet argument
programmatique, il a donc développé un projet inspiré des théâtres de la Grèce antique, des
lieux « construits avec la topographie naturelle » et « ouverts sur le paysage », contrairement
aux amphithéâtres de l’époque romaine, « des entités artificielles n’ayant plus aucun lien avec
la nature ». Selon l’architecte japonais, « l’amphithéâtre est le symbole même de la
civilisation romaine », « civilisation de la construction » selon Auguste, le fondateur et
premier empereur de l’Empire romain. « C’est sur les prolongements de cette culture que se
412
Ibidem., p. 153-155.
210
fonda la trajectoire de l’architecture européenne dont on voit l’extension au XXe siècle. Si
l’on considère que les hakomono ou boîtes-de-béton qui nous entourent sont l’aboutissement
de cette évolution, l’observatoire du Kirozan propose un changement de direction radical,
s’apparentant à une volte-face. Renversant le cours du temps, nous voulions rendre à la
montagne sa forme originelle et revenir à la Grèce antique », écrit-il.
D’un point de vue technique, pour réaliser son projet, sur la partie aplanie du sommet,
Kuma a fait couler du béton dans un moule en forme de U, autour duquel il a amoncelé de la
terre pour « restaurer la silhouette originelle de la cime ». Bien qu’il utilise du béton, dans son
discours, Kuma n’en fait pas cas. Il met en avant le matériau de « la montagne elle-même »,
« la montagne comme métaphore de matériau ». La nature du sol étant du masado (en
français : arène, gore), une terre meuble faite de granit désagrégé compromettant la pérennité
de la construction413, il a fallu insérer un treillis d’acier « au plus profond de ce sol meuble »
et « arroser le terrain avec une boue liquide faite d’un mélange de graines d’arbres avec des
engrais et des fibres. Ces fils emmêlés devaient solidifier le terrain en surface, en attendant
que les arbres prennent racine. » De solides moyens techniques s’avérant nécessaires à
l’objectif de marier le bâtiment au paysage, c’est par la technique et par l’artifice que la
proximité avec le naturel a été atteinte. Kuma décrit cette architecture comme étant « à la
frontière entre le naturel et l’artificiel414 ». Il relie ce projet à la tradition des jardins japonais,
« une histoire de remise en question continuelle de la ligne frontière entre la nature et
l’artifice ». Selon Kuma, les jardins japonais sont « le produit de la réflexion
philosophique [consistant à se poser la question de savoir] qu’est-ce qui est naturel et qu’est
ce qui est artificiel ? ». Après avoir expliqué que « n’accordant aucun crédit à une philosophie
exprimée en mots, [au Japon,] la dissertation philosophique sur la nature s’est faite par le
truchement des jardins », l’architecte conclue que c’est « par hasard » que l’observatoire du
mont Kiro a « lui aussi, pris cette forme ». Comme une évidence ou comme un penchant
spontané (naturel), Kuma inscrit son architecture dans la continuité de la tradition japonaise et
de la culture de l’effacement des frontières entre la nature et l’artifice.
413
Les pluies diluviennes qui accompagnent les typhons saisonniers entrainant souvent des glissements de
terrains, les murs de béton auraient pu se voir dénudés.
414
Kuma Kengo (2020), opus cit., p. 151. C’est l’intitulé du chapitre consacré à l’observatoire du mont Kiro.
211
Fig. 94. Observatoire du mont Kiro. Vues sur le panorama et sur les abords. Photographies S. Dousse, 2019/07
212
Parcours photographique :
213
Finalement, la visite de l’observatoire permet de constater que, bien que fondue dans
la topographie, vue de l’intérieur, cette architecture de béton n’échappe pas à une certaine
monumentalité – qui ne va pas sans évoquer le style sculptural, l’épure et l’abstraction
formelle des bâtiments conçus par Ando Tadao, des attributs pourtant décriés par Kuma415.
415
KUMA Kengo, Anti-object, Londres, Architectural Association, 2008 (première parution en japonais, 2000)
416
Construit sur un site d’une superficie de 1 883,60 m², ce bâtiment de deux niveaux (dont un niveau enterré)
occupe une surface bâtie de 523,44 m² et totalise une surface de plancher de 613,07 m².
417
Une ville de 141 800 habitants pour une superficie de 554,5 km² (soit une densité de 256 hab./km²) en 2020.
Ishinomaki se trouve dans la préfecture de Miyagi.
418
Le Tohoku (appellation qui signifie « nord-est » en japonais) est constitué des six préfectures de Yamagata,
Akita, Aomori, Iwate, Miyagi et Fukushima. C’est une région plutôt montagneuse, avec un important couvert
boisé. Le climat y est relativement rude en hiver, très froid et enneigé, surtout sur le versant occidental.
Particulièrement exposée aux tsunami, la côte Pacifique (côte du Sanriku) est aussi l’une des zones halieutiques
les plus riches du monde, ce qui, aux yeux du géographe Yamaguchi Ya.ichirô (et des Japonais eux-mêmes),
justifie que l’on continue à y vivre, tout comme le fait que la région soit connue comme étant le « pays des
ancêtres » et qu’il faille donc entretenir les sanctuaires, les temples et les cimetières.
214
« La construction sert simplement de cadre au paysage », déclare l’architecte. « [Car] quand le
paysage est beau, il n’est pas nécessaire que l’architecture se fasse remarquer »419.
Légende du plan et de la coupe : 1. place extérieure, 2. place intérieure, 3. locaux techniques, 4. passages, 5.
place d’accès, 6. place souterraine, 7. voie cyclable, 8. route de la colline
Fig. 96. Musée du canal de Kitakami. À gauche, de haut en bas : vue en plan, vue en coupe. Dessins Kuma
Kengo & Associates. À droite, de haut en bas : vue d’ensemble, vue sur l’accès au musée. Photographies
Fujitsuka Misumasa
215
avec vue sur la rivière tandis que la place souterraine (underground plaza) reçoit l’espace
interactif en sous-sol. (Les locaux techniques sont enterrés dans un volume adjacent au
volume principal.) Pendant la décennie 2010, après qu’Ishinomaki ait été durement touchée
par le grand tsunami du Tohoku (2011), à l’occasion de conférences, Kuma a souligné la
pertinence de cette stratégie de modestie face à la nature : alors que le raz-de-marée a terrassé
les constructions alentour, fondu dans la topographie le musée du canal de Kitakami n’a pas
été détruit. Pour autant, dix ans après la catastrophe, l’édifice n’a toujours pas rouvert ses
portes au public.
Fig. 97. Musée du canal de Kitakami. À gauche : la place intérieure et la place extérieure. À droite : le
panorama depuis la place intérieure. Photographies Ueda Hiroshi, GA Photographers
D’après Kuma, un canal « peut à la fois être considéré comme un élément naturel et
artificiel ». L’intention de l’architecte étant de créer un pont entre nature et architecture, dans
le cas du musée du canal de Kitakami comme dans celui du musée d’art de la préfecture de
Nagasaki, il a rendu ambigües les lignes (et donc les limites) du bâtiment, de l’infrastructure
et du paysage, pour nous placer à nouveau sur ce qu’il appelle « la ligne frontière ». Dans le
cas du projet de Nagasaki, l’opération comportant un important volet d’aménagement de
l’espace public, Kuma s’est associé à la compagnie Nihon Sekkei. Le musée d’art de la
préfecture de Nagasaki420 se trouve dans la zone du port de Nagasaki421, sur les berges d’un
canal, entre des voies à circulation dense. Il est divisé en deux volumes positionnés de part et
d’autre du canal et reliés par un corps de bâtiment suspendu au-dessus de l’eau tel un pont.
L’implantation de l’édifice, ses façades (en céramique dont la couleur se fond avec celle de
l’espace public) à claire-voie ajourée (permettant une porosité entre l’intérieur et l’extérieur),
420
Commandité par la préfecture de Nagasaki, le musée recèle une collection d’œuvres d’art significative de
l’ouverture de Nagasaki à l’Occident (spécialement à l’Espagne et au Portugal) à l’époque d’Edo (1603-1868).
Construit sur un site de 12 679,64 m², le musée occupe une surface bâtie de 6 248,81m² et sa surface totale de
plancher est de 9 893,07 m². Il est organisé sur deux niveaux et en deux corps de bâtiment dont le rez-de-
chaussée de l’un étant dédié aux locaux du personnel ainsi qu’à des locaux techniques ou de service.
421
Capitale de la préfecture homonyme, sur l’île de Kyushu, la ville de Nagasaki compte 407 600 habitants pour
une superficie de 405,9 km² (soit une densité de 1 048 hab/km²) (données en date de 2020).
216
l’importance des surfaces vitrées et la végétalisation (des abords, remblais et toitures du
musée) concourent à la formation d’un ensemble fluide et unitaire, inspirant une impression
de cohésion entre bâtiment, infrastructure et paysage. Dans la continuité des cheminements
urbains, le toit du musée est accessible au public, qui bénéficie alors d’un point de vue
privilégié sur le port et le paysage des collines. Accédant au musée et séjournant dans le hall
(notamment quand un événement y est organisé) le visiteur se sent à la fois dedans et dehors.
Il peut apprécier les vues sur le canal et la lumière naturelle tout en se sentant à l’abri et en
profitant d’une occasion de se relier à la communauté. Par ailleurs, le musée comporte des
espaces extérieurs : devant le hall et dans la continuité du petit parvis (front plaza), un espace
sert de théâtre en plein air ; le long du bâtiment, bordant le canal, un corridor en plein air
apparaît comme extension de la galerie des citoyens. Si pour des raisons fonctionnelles (de
confort visuel, d’accrochage et de conservation des œuvres), les salles d’exposition ne
comportent pas d’ouvertures sur l’extérieur, les espaces de circulation, de repos (lounge) et de
restauration (café) permettent aux visiteurs de faire l’expérience d’une immersion dans le site
et de profiter du paysage urbain et géographique (la ville, le port et les montagnes).
Plan du rez-de-chaussée (légende : 1. parvis, 2. théâtre en plein-air, 3. hall, 4. boutique, 5. galerie des citoyens,
6. corridor en plein air, 7. promenade du canal, 8. galerie du canal, 9. réserves, 10. locaux techniques, 11.
administration, 20. bassin, 21. pont, 22. parking, 34. espace vert, 35. chemin pavé)
217
Vues sur le musée et l’espace public le long de la promenade du canal
Vue sur le hall pendant un concert, vue sur la cafétéria au niveau r+1 (en pont sur la rivière)
Vue sur l’accès au toit-terrasse depuis l’espace public, vue sur le port depuis la terrasse
Vue sur le toit et le panorama du port et des montagnes, vue sur le musée et la promenade du canal
Fig. 98. Musée d’art de la préfecture de Nagazaki. Page de gauche : plan du rez-de chaussée. Dessin Kuma
Kengo & Associates. Page de droite : vues extérieures et intérieures. Photographies S. Dousse, 2018/03
218
Pour conclure ce chapitre consacré au début de la carrière de Kuma Kengo, on observe
qu’après avoir pris part à la frénésie constructive de la période de haute-croissance (bien que
critiquant le style architectural post-moderne), Kuma a su tirer parti de la situation de crise
économique dans laquelle le pays était plongé pour proposer une architecture à contre-courant
de celle qui avait prévalut depuis l’après-guerre. Dans les années 1990, quand les commandes
pour Tokyo se sont taries et qu’il a été contraint de se tourner vers les villes de provinces et
les zones rurales, il a privilégié l’insertion dans les sites et la mise en valeur des paysages à
l’affirmation de façades mêlant symbolisme et monumentalité. Si Kuma n’est pas le seul
architecte à avoir évolué dans ce sens, et si, avant lui, d’autres (comme Hasegawa Itsuko)
travaillaient déjà dans la direction de l’anti-monumentalité et du paysage, aucun n’avait pris
un parti aussi radical que celui de faire disparaître les bâtiments422.
422
Par exemple, bien qu’elle souhaitait lier les bâtiments à leur environnement, Sejima Kazuyo développait aussi
une recherche esthétique, celle d’une architecture éthérée. Mais l’architecture peut-elle s’affranchir de
l’esthétique ? Même quand il tend à effacer les bâtiments, Kuma en traite les détails et l’aspect d’ensemble.
219
7.2. Fujimori Terunobu et Kuma Kengo. Pour un renouveau du vernaculaire
Le musée historique Jinchokan Moriya, Chino, préfecture de Nagano, 1991 ; le musée d’art Akino
Fuku, Hamamatsu, préfecture de Fukuoka, 1998
Le musée historique Jinchokan Moriya425 a été construit pour conserver et exposer les
archives d’un prêtre shintoïste des temps anciens qui officiait (il y a plus de deux mille ans) à
Chino (comme aujourd’hui encore ses descendants prêtres). Pour harmoniser l’architecture du
musée avec le paysage de montagnes, Fujimori a conçu un bâtiment doté d’un toit en pente.
D’après lui : « la montagne apparaissant à l’arrière du musée est un lieu sacré ; un dieu (kami)
423
Située dans la préfecture de Nagano, Chino est une localité qui avoisine le lac Suwa. C’est également dans
cette région qu’Ito Toyo a grandi. Il y a construit le musée municipal de Shimosuwa (1993).
424
Conférence de Fujimori Terunobu : « Architecture and nature », École Nationale Supérieure d’Architecture
de Strasbourg (ENSAS), Strasbourg, 2006, https://youtu.be/WY5axCGQOJw
425
Édifié sur un site de 975 m², avec une surface bâtie de 135 m², le musée historique Jinchokan Moriya totalise
une surface de plancher de 185 m² (sur deux niveaux).
220
y habite ». Ce kami (divinité, âme-esprit426) « descend sur la terre » par l’intermédiaire d’un
arbre sacré près duquel se trouve la maison du prêtre et le musée Jinchokan Moriya. Pour
évoquer le déplacement de la divinité et son interaction avec le prêtre (« seul être humain
capable de communiquer avec l’esprit de la montagne »), Fujimori a inséré de fins troncs
d’arbres (du bois mort) à travers la toiture du musée. En revêtement des murs de béton, il a
utilisé du bois fendu grâce à une technique traditionnelle « très ancienne », ce qui confère au
bâtiment une apparence rustique, « comme s’il était plus ancien que les maisons du village ».
Par l’aspect brut du bois et par la forme du bâtiment, Fujimori souhaitait évoquer les racines
ancestrales de la tradition shintoïste. À l’issue de ce premier projet, l’architecte raconte s’être
fixé deux règles. D’une part, utiliser les matériaux modernes en structure mais les cacher avec
des matériaux naturels en façade. D’autre part, que son architecture ne corresponde jamais à
aucun style historique. Tout en employant des techniques anciennes, Fujimori cherche
toujours une expression architecturale contemporaine.
Fig. 99. À gauche : le musée Jinchokan Moriya. À droite : le musée Akino Fuku. Photographies Masuda Akihisa
En 1998, Fujimori livre un second musée, le musée d’art Akino Fuku427, localisé à
Hamamatsu, dans la préfecture de Shizuoka. Ici encore, l’architecte conçoit un bâtiment à la
fois contemporain et traditionnel – une architecture évocatrice des bâtiments des temps passés
mais qui n’en est pas pour autant la reproduction fidèle. Le volume principal du musée est un
bâtiment de forme parallélépipédique (une structure en béton) dont les façades sont revêtues
d’un enduit à base de terre, dans lequel sont imbriqués deux volumes dotés de grands pans de
toits ainsi que de charpentes et bardage de façade en bois – la terre, le bois et la toiture en
pente étant des éléments caractéristiques des bâtiments anciens. À l’intérieur, après avoir ôté
ses chaussures pour parcourir les salles d’exposition, le visiteur peut profiter de la vue du
426
L’expression « âme-esprit » est employée par Emiko Kieffer. KIEFFER, Emiko, Le shintô, la source de
l’esprit japonais, Vannes, Sully-Le Prunier, 2019.
427
Dédié à la peinture d’Akino Fuku (1908-2001), le musée Akino Fuku a été construit dans l’environnement de
collines et de forêts de la région natale de l’artiste. Édifié sur un site de 19 796 m², avec une surface bâtie de 746
m², il totalise une surface de plancher de 999 m² (sur deux niveaux).
221
paysage depuis une galerie ouverte et couverte – réinterprétation de l’engawa (galerie,
véranda) des bâtiments de la période pré-moderne. Tout bénéficiant des techniques de
construction modernes pour profiter d’espaces avec vaste hauteur sous plafond, blancheur et
géométrie simple propices à l’exposition d’œuvres modernes, Fujimori ancre son architecture
dans la tradition japonaise. Il combine modernité et culture vernaculaire. Il renouvèle le
patrimoine en l’inscrivant dans le présent. Vingt ans plus tard, en 2018, à proximité du musée,
Fujimori conçoit un pavillon de thé construit en collaboration avec des habitants de la région.
Depuis les années 1990, Fujimori Terunobu a construit environ un bâtiment par an, dont un
nombre important de pavillons de thé. Il en a généralement pris en charge la construction lui-
même, avec le concours d’amis artisans, d’étudiants et même avec l’aide de certains clients.
Projets récents : des équipements culturels et commerciaux commandités par des clients privés
Le musée et jardin zen Shinshoji, Fukuyama, préfecture de Hiroshima, 2014 ; la Collina Omi-
Hachiman, Omi-Hachiman, préfecture de Shiga, 2014 ; le musée de la mosaïque Tile, Tajimi,
préfecture de Gifu, 2016
Après la construction de deux musées publics, dans le courant des années 2010,
Fujimori Terunobu réalise trois équipements privés intéressants en termes programmatiques.
En 2014, il livre le bâtiment d’accueil du musée et jardin zen Shinshoji428. Localisé sur le
littoral de la mer Intérieure, près de la ville de Fukuyama, dans la préfecture de Hiroshima, le
complexe du temple Tenshizan Shinshoji429 a ouvert ses portes au public, à qui il offre de
découvrir la culture artistique et l’esprit du zen. C’est l’entreprise de construction navale
Tsuneishi qui a financé ce projet. Le chantier naval implanté dans le secteur depuis
l’industrialisation du pays étant en cours de cessation d’activité, Tsuneishi s’est vue contrainte
d’envisager la reconversion de ses activités dans un objectif de revitalisation économique de
la région. Inspiré par l’attractivité des îles de la mer Intérieure de Seto, Tsuneishi a entrepris
de développer l’attractivité touristique de la région de Fukuyama en mettant en valeur les
ressources artistiques, architecturales et paysagères du temple. À l’entrée du site et de son
vaste jardin de promenade, Fujimori a conçu le bâtiment d’accueil des visiteurs. Limité à un
seul niveau mais doté d’une salle de réunion à l’étage, le bâtiment est caractérisé par un toit
en pente couvert de bardeaux de bois grisés par le temps. En façade, ses murs de béton sont
428
Édifié sur un site de 18 800 m², ce bâtiment (nommé matsudo/salle des pins) occupe une surface de 325,73 m²
et totalise une surface de plancher de 267,13 m² (sur deux niveaux).
429
Le temple Tenshinzan Shinshoji, de l’école zen Rinzai, est rattaché à l’école Kenninji (Kyoto). Il a été fondé
en 1965 par Kambara Hideo, le président de la compagnie de construction navale Tsuneishi qui, en plus que de
constituer la plus grande source d’emploi de la région, a beaucoup contribué à soutenir la culture et la
communauté locale.
222
couverts d’un enduit mélange de terre et de ciment – le ciment étant nécessaire à la pérennité
du revêtement, pour que la terre ne soit pas altérée par l’effet de la pluie et du soleil, indique
Fujimori430. Cette texture brute et la forme organique des poteaux de bois (taillés suivant les
sections naturelles) qui soutiennent l’avancée du toit lient la nouvelle construction au style
architectural du complexe bouddhique. Déployé en longueur contre un relief en pente, le
débord de toit formant un porche où s’assoir pour contempler le jardin, le projet de Fujimori
s’intègre parfaitement au site.
Fig. 100. Bâtiment d’accueil du musée et jardin zen Shinshoji. Vues sur le bâtiment et le jardin. Photographies
S. Dousse, 2019/07. À l’arrière-plan de la dernière image, on aperçoit le pavillon Kohtei431
Entre 2015 et 2016, Fujimori Terunobu livre l’ensemble nommé la Collina Omi-
Hachiman432, une fabrique et un point de vente commandé par un fabriquant de biscuits.
Connue des Japonais pour sa toiture végétalisée évocatrice d’un décor de film d’animation de
Miyazaki Hayaho (Studio Ghibli), la Collina accueille un nombre important visiteurs (d’où
son parking de 400 places de stationnement). Couvert d’une toiture plantée de pelouse et de
430
Fujimori Terunobu (2006), opus cit.
431
Un pavillon et une installation artistique conçus par Studio Sandwich en 2016. Voir infra, chapitre 8.1.2.
432
Construite à Omi-hachiman (une ville de 82 178 habitants pour une superficie de 177,4 km², soit une densité
de 463 hab./km² en 2020), dans la préfecture de Shiga, près du lac Biwa, au nord de Kyoto, la Collina Omi-
Hachiman est composée de quatre bâtiments nommés Kusayane/toit planté, Doyane/toit de cuivre,
Kuriyappon/cent châtaignes et Kusakairo/gallerie des herbes. Édifié sur un site de 95 544 m², l’ensemble de ces
bâtiments occupe une surface de 2 477,8 m² et totalisent une surface de plancher de 5 437,42 m².
223
petits arbres au niveau du faîtage, le bâtiment principal (nommé Kusayane/toit planté)433
d’une longueur d’environ 50 mètres est composé de murs en béton dont la face extérieure est
revêtue d’un enduit de terre et ciment et d’un avant-toit qui, comme dans l’exemple précédent
(musée et jardin zen Shinshoji), forme un seuil couvert devant l’entrée. Depuis l’approche le
long d’un cheminement en lacet, baignée dans un environnement montagneux très vert, la
Collina elle-même ressemble à un paysage de montagnes.
Fig. 101. La Collina Omi-Hachiman. En haut, de gauche à droite : façade du bâtiment principal de la Collina
(nommé Kusayane/toit planté), café situé dans un autre bâtiment de la Collina (nommé Kuriyappon/cent
châtaignes). En bas, de gauche à droite : façade du bâtiment Kuriyappon, café situé dans ce même bâtiment.
Photographies Taneya Group
433
Il occupe une surface de 1 113 m² et totalise une surface de plancher de 1 394,7 m² (sur deux niveaux).
434
Situé à Tajimi (une ville de 109 416 habitants pour 91,25 km², soit une densité de 1 199 hab./km² en 2021),
dans la préfecture de Gifu, dans le centre de Honshu, le musée de la mosaïque Tile totalise une surface de
plancher de 1 925 m² (sur trois niveaux) sur un site de 3 558 m².
224
lié au paysage : il a littéralement la forme d’une colline. Fujimori conçoit à nouveau une
structure de béton couverte d’un enduit à base de terre, de ciment et de paille. Exposée vers le
sud, la façade principale du musée constitue une surface plane presque dénuée d’ouvertures
mais agrémentée de morceaux de céramique colorés. Comme dans la Collina (bien que dans
un style différent), les plantations qui coiffent cette colline artificielle et la porte d’entrée en
bois de forme arrondie évoquent un décor de film d’animation de Miyazaki Hayaho.
Fig. 102. Musique de la mosaïque Tile. De gauche à droite et de haut en bas : le musée dans son environnement,
la façade principale et l’accès au public, l’espace ouvert, la façade arrière. Photos S. Dousse, 2018/04
225
7.2.2. Kuma Kengo : le retour aux ressources du satoyama (le village de montagne)
Après avoir fait disparaître l’architecture dans le paysage (avec l’observatoire du mont
Kiro (1994) et le musée du canal de Kitakami (1999)), au contact de la pensée de Fujimori
Terunobu, Kuma Kengo évolue vers une démarche de revalorisation des méthodes de
construction traditionnelles au satoyama (le village de montagne). Il s’agit de mobiliser des
ressources constructives locales en employant des matériaux organiques produits localement
et en associant des artisans à la conception et à la construction des bâtiments. En apportant du
travail à des corps de métiers désœuvrés du fait de l’industrialisation du secteur de la
construction, Kuma espère préserver les savoir-faire ancestraux et assurer leur transmission
(les nouvelles générations d’artisans se forment sur les chantiers et dans les ateliers). Comme
Fujimori Terunobu, Kuma Kengo ne produit pas des répliques de bâtiments anciens.435 Tout
en procédant à une démarche de valorisation des procédés constructifs, des spatialités et des
formes architecturales du Japon de la période pré-moderne, Kuma entend concevoir une
architecture de son temps. En collaboration avec les artisans, il élabore des reformulations
contemporaines de procédés traditionnels. De ce fait, tout valorisant et en faisant revivre la
culture architecturale des temps passés, il la renouvèle. Il produit une architecture
contemporaine d’identité culturelle japonaise.
Le musée Hiroshige Ando, bourg de Nakagawa, ville de Nasu, préfecture de Tochigi, 2000
Au début des années 2000, Kuma Kengo conçoit trois petits musées pour des localités
reculées dans la préfecture de Tochigi, une région rurale située au nord de Tokyo, dans le
Tohoku. Parmi ceux-ci, le musée Hiroshige Ando436. Le site dédié à la construction du
bâtiment étant localisé au pied d’une montagne, Kuma nous raconte l’histoire du satoyama :
« Dans le passé, les gens vivaient avec la montagne. On construisait, avec des matériaux de la
montagne, des villages aux pieds des montagnes. Il y avait toujours un autel – un lieu de
prière », rappelle-t-il. Dans le cas de ce site comme dans le cas de nombreux autres : « Au
XXe siècle, on a abandonné la montagne. Tokyo est devenu le lieu le plus important. Alors le
sanctuaire (l’autel au pied de la montagne) a été abandonné. Puis on a construit un parking. Le
commanditaire du projet (la municipalité) souhaitait faire construire un musée dont l’entrée
435
En ce sens, Fujimori et Kuma s’inscrivent à rebours de la pratique des artisans, qui reproduisent des procédés
sans les changer. À titre d’exemple, un charpentier ne se préoccupe pas de créativité ; le sens de sa pratique étant
de reproduire et de perpétuer des procédés ancestraux, il n’est pas question d’inventer (ce qui n’empêche pas une
certaine inventivité).
436
Construit sur un site de 5 586 m², le musée Hiroshige Ando totalise une surface de plancher de 1 962 m² (sur
un niveau). Il est consacré à une collection d’œuvre du célèbre peintre d’estampes Hiroshige Ando.
226
serait orientée face au parking – c’est la méthode américaine –, ce qui revenait à oublier la
montagne », déplore l’architecte, qui s’est alors donné pour objectif de : « relier à nouveau la
montagne, le musée et la ville »437.
Fig. 103. Musée Hiroshige Ando. De gauche à droite : vue sur le musée depuis la route, vue sur l’entrée du
musée en façade principale (à l’arrière-plan, la montagne). Photographies S. Dousse, 2019/08
Depuis le parking, l’accès au musée Hiroshige Ando forme une percée visuelle et une
allée piétonne vers la montagne. « Le bâtiment est comme un tori438 », raconte Kuma.
Portique d’accès à un lieu de culte shintoïste, « le tori établit un lien entre le sanctuaire et la
nature, entre le monde des hommes et le monde des dieux ». D’après Kuma, « quand on parle
d’architecture, ce qui est important c’est la relation au site : selon les caractéristiques du site,
l’architecture doit plus ou moins s’effacer ou s’exprimer. De la façon dont elle s’exprime naît
l’harmonie ». Dans le cas du musée Hiroshige Ando, il s’agissait de concevoir un bâtiment en
lien avec la montagne. « Quand (il) pense à la montagne, (Kuma) pense aux arbres. (Il) pense
à créer une harmonie avec la montagne en utilisant du bois et en faisant que la forme du
bâtiment se fonde dans le paysage439 ». Pour le musée Hiroshige Ando, il a conçu un bâtiment
sur un simple niveau étiré en longueur devant la montagne. Discret par sa forme, le musée se
fond aussi dans l’environnement naturel par sa matérialité, du bois de cèdre de Tochigi (débité
par des gardes-forestiers locaux). Une claire-voie ajourée unifie toiture et façade. Ce type
d’enveloppe permet une transparence entre la ville et la montagne, ainsi qu’une porosité entre
l’intérieur et l’extérieur du bâtiment. Depuis les espaces du musée (à l’exception des salles
d’exposition où la lumière naturelle est occultée), on apprécie les vues sur le jardin et la
lumière changeante qui traverse le toit, formant des jeux d’ombres dans la claire-voie.
437
Global award for sustainable architecture 2016, conférence de Kuma Kengo, Cité de l’architecture et du
patrimoine, Paris, 9 mai 2016, https://youtu.be/jRph1triF8o
438
« From Concrete to Wood : Why Wood Matters », conférence de Kuma Kengo, Harvard GSD, Cambridge, le
7 novembre 2016, https://youtu.be/LynYUwYZXqk
439
Entretien avec Kuma Kengo, FRAC de Franche Comté, 2012.
227
Fig. 104. Musée Hiroshige Ando. De gauche à droite et de haut en bas : la façade arrière vue depuis le pied de
la montagne, l’accès au musée vu depuis l’espace ouvert et couvert, l’entrée du musée et l’accueil/billeterie, la
claire-voie et le jardin. Photographies S. Dousse, 2019/08
Kuma explique que la claire voie verticale évoque les traits représentatifs de la pluie
sur les estampes de Hiroshige Ando : « Dans la peinture européenne, on ne dessine pas la
pluie et les autres éléments de la nature avec des traits, car on utilise les traits pour les choses
humaines440 », indique l’architecte, suggérant que la perception de la nature dans les arts
japonais est autre. Du côté intérieur de la façade vitrée qui longe le jardin et la montagne, un
rideau de lames métalliques reprend le motif de la pluie et capte la lumière. Ce motif est
également présent dans les bambous du jardin, une étendue de gravier gris disposée devant la
montagne. Kuma précise que, si la représentation de paysages à l’européenne est structurée
par une vue en perspective (à un point de fuite, perçue par un observateur situé), la
représentation du paysages dans les estampes japonaises est composée par superposition de
plans, un procédé de représentation qui engendre un effet de profondeur. En continuité avec
l’architecture de la période pré-moderne – des plans horizontaux (un plancher détaché du sol)
et verticaux (des cloisons coulissantes) articulés avec le jardin, dont la composition elle-même
est faite de plans successifs entre le proche et le lointain –, l’architecture du musée Hiroshige
Ando traduit la perception du paysage telle que véhiculée dans les estampes. Si le sol est en
440
Kuma Kengo (2005), opus cit.
228
pierre locale (de Ashino), pour certaines cloisons Kuma a utilisé un papier prestigieux (utilisé
pour les bâtiments des empereurs) traditionnellement fabriqué à Karasuyama, une ville
voisine. Rétro-éclairées, les cloisons de papier confèrent au bâtiment une atmosphère à la fois
raffinée et chaleureuse. Du matin au soir, le musée est animé par le mouvement du soleil (à
travers le toit le matin, sur la façade du jardin en fin d’après-midi). Ainsi l’architecture
renouvèle l’une des caractéristiques principales de l’architecture japonaise traditionnelle selon
Kuma : elle est « une structure enrichie par le changement des saisons et de la lumière441 ».
Fig. 105. Musée Hiroshige Ando. De gauche à droite et de haut en bas : cloison de papier avec effet de lumière
venue du toit (circulation dans le musée), vitrine d’exposition face au jardin, le café, l’espace ouvert et couvert
qui relie la ville et la montagne. Photographies S. Dousse, 2019/08
441
Kuma Kengo (2012), opus cit.
442
« Kengo Kuma. Time Space Existence », entretien avec Kuma Kengo par PLANE-SITE, GAA Foundation,
2017, https://youtu.be/fDKhU7QvcU4
229
L’hôtel de ville (2006), l’hôtel et marché communautaire (2010), le musée du pont de bois (2010)
et la bibliothèque communautaire (2018) de Yusuhara, préfecture de Kochi
Fig. 106. Hôtel de ville de Yusuhara. De gauche à droite : la façade principale, l’atrium (hall d’accueil).
Photographies S. Dousse, 2018/07
Pour l’hôtel de ville445, Kuma a pris le parti de construire une charpente monumentale
(en double hauteur, avec des poutres à double treillis de 18 mètres de long) pour faire une
démonstration d’excellence dans l’art de bâtir des charpentes au Japon (la construction intègre
des aspects modernes, les pièces de fixation sont en métal). Ce bâtiment a alors été remarqué
comme étant le plus grand hôtel de ville en bois du pays. Quelques années plus tard, quand il
a conçu le projet d’hôtel et marché communautaire, Kuma s’est inspiré des maisons de repos
443
Pour une superficie de 236,5 km², Yusuhara comptait 3 640 habitants (soit 15 hab./km²) en 2017.
444
Avec une superficie de 18 787 km² et une population de 3 715 243 habitants (soit 199,58 hab./km²) en janvier
2020, l’île de Shikuko est connue pour ses vastes paysages de montagnes, son pèlerinage de 88 temples et ses
festivals estivaux de musiques et de danses traditionnelles.
445
Surnommé Ki.no.machi hall/« hall de la ville du bois », l’hôtel de ville rassemble l’administration municipale,
une banque, une société coopérative agricole et la chambre du commerce dans un atrium – une configuration
adaptée à l’important enneigement de la localité en hiver. Le lieu sert également d’espace de de représentation
pour les spectacles et les festivals traditionnels, qui s’étendent à l’extérieur du bâtiment. Ce bâtiment totalise une
surface de plancher de 2 970 m² (sur deux niveau, RDC et R+1).
230
des temps anciens, dans lesquelles on offrait du thé aux voyageurs – ces maisons étant un
symbole de l’hospitalité de Yusuhara, Kuma a souhaité le perpétuer et, à travers
l’architecture, l’affirmer comme une valeur locale. Ces maisons étant caractérisées par leurs
toits en chaume, l’architecte a utilisé ce matériau (qui par ailleurs est un bon isolant, ce qui est
utile en hiver dans cette localité froide et enneigée) en cherchant là encore à innover. Ainsi il
a construit le premier bâtiment avec une façade (la façade principale) en chaume. Il a
néanmoins été difficile de trouver un artisan du chaume. Il a fallu s’éloigner de Yusuhara.
Ceci inquiète beaucoup Kuma : « Les techniques traditionnelles disparaissent. Aujourd’hui il
est quasiment impossible de trouver de bons artisans au Japon. L’artisan du chaume qui a
participé à la construction du marché communautaire était très vieux, ce qui signifie qu’après
sa mort il n’y aura probablement plus d’artisan du chaume dans la région446 ».
Fig. 107. Hôtel et marché communautaire de Yusuhara. À gauche : la façade principale (en chaume) et l’une des
façades latérales (en bois). À droite : l’hôtel (sur la partie gauche) et le marché (sur la partie droite).
Photographies S. Dousse, 2018/07
Le musée du pont de bois est un bâtiment-pont entre un hôtel (« l’hôtel au-dessus des
nuages », qui est aussi un centre d’information pour les visiteurs de Yusuhara) et un onsen
aménagés par Kuma en 1994. Pour sa construction, Kuma a entrepris de revisiter une
technique ancienne, celle utilisée pour édifier les célèbres temples de Nara447, par empilement
de pièces en bois de petite dimension. Ainsi la structure est développée horizontalement au-
dessus d’une route de montagne, et elle relie l’hôtel et le onsen implantés de part et d’autre de
la voie. Comme dans le cas de l’hôtel de ville et du marché communautaire de Yusuhara,
Kuma a puisé dans le passé matière à réaliser des architectures novatrices. La construction par
empilement n’est plus d’usage au Japon – le dernier exemple d’une telle structure est un pont
de la préfecture de Yamanashi (dans le nord du Japon) construit, traditionnellement, avec des
446
« East – West Dialogue. Kengo Kuma vision of architecture beyond 2020 », conférence de Kengo Kuma,
Japan Society, New York, 12 novembre 2019, https://youtu.be/rypfwH-O82k
447
L’ensemble du Todai-ji (littérallement « grand temple de l’Est) dont la conception a débuté au VIII e siècle.
231
clous en bois. Pour le musée du pont de bois comme pour les bâtiments (de Fujimori et de
Kuma) présentés précédemment, l’architecte mélange techniques modernes et traditionnelles :
les piles et les éléments de fixation des poutres du musée du pont de bois sont en métal. Par
ailleurs, le verre est largement présent en façades. Ainsi tradition et modernité se mélangent
pour donner forme à un bâtiment à la fois singulier, novateur, surprenant et intégré dans son
contexte, le paysage et les bâtiments existants. En plus d’un mise en valeur de l’a tradition,
pour Kuma, construire un bâtiment par empilement de pièces de petites tailles était « à la fois
un choix esthétique et un paramètre pour travailler avec les usines et les artisans locaux ».
Enfin, d’un point de vue sensible, Kuma a observé et apprécié que « la petitesse de chaque
élément confère un caractère intimiste au bâtiment »448.
Fig. 108. Musée du pont de bois. De gauche à droite : vue extérieure, vue intérieure. Photos S. Dousse, 2018/07
232
très petites tailles (section de 6 cm) – sur une trame orthogonale pour le musée et centre de
recherche GC Prostho (Kasugai, Aichi, 2010)451, sur une trame diagonale avec fort effet
d’enchevêtrement avec le salon de thé et de pâtisserie Sunny hills (Tokyo, 2013) – en
s’inspirant de techniques traditionnelles452. Si dans le cas du musée et centre de recherche GC
Prostho, l’intention de Kuma était d’échapper au système poteaux-poutres et de lier la petite et
la grande échelle, dans le cas de Sunny hills et de la bibliothèque communautaire de
Yusuhara, l’architecte souhaitait créer une structure fluide porteuse d’un sens de la profondeur
(« create some kind of flow to the end453 »). À la différence de Sunny hills où la construction
par assemblage de fins éléments en bois constitue l’enveloppe (dont la porosité est
intéressante architecturalement), pour la bibliothèque communautaire de Yusuhara cette
structure est seulement un élément de décoration intérieure.
Fig. 109. Bibliothèque communautaire de Yusuhara. De gauche à droite : vue extérieure, vue intérieure.
Photographies S. Dousse, 2018/07
233
est seulement décorative. Elle cache (en partie) le métal – et c’était bien le propos initial de
Fujimori. Sa fonction est certainement de faire oublier la modernité de cette construction.
Pour autant, le lieu semble grandement apprécié par les habitants, qui y trouvent des espaces
de lecture et de rencontre agréables et divers (plutôt ouverts et collectifs au rez-de-chaussée,
plus intimistes à l’étage). En variant les niveaux de planchers, aménageant des espaces par
paliers, Kuma a souhaité évoquer un terrain naturel. Par ailleurs, l’installation de quelques
bambous au rez-de-chaussée apporte une présence végétale en continuité avec
l’environnement extérieur gazonné que de larges baies vitrées rendent donnent à voir. Comme
on se déchausse pour marcher sur le parquet en bois de cèdre local, comme le faux plafond
qui cache la structure métallique est en panneaux de copeaux de bois agglomérés (OSB),
comme le mobilier lui-même est en bois (et en métal), comme la lumière filtre depuis des
ouvertures en impostes latéraux sous les toits et se diffuse doucement dans l’espace, la
bibliothèque communautaire inspire la sensation d’être à la fois chez soi (dans un lieu intime
et familier) et dans une forêt (sous le couvert d’arbres).
234
7.3. Nikken Sekkei et Nakamura Hiroshi & NAP. Pour un ancrage du
contemporain dans la tradition
7.3.1. Nikken Sekkei : de l’écologie des machiyas (les maisons de ville de Kyoto)
454
Fondée en 1639 par le temple Nishi Hongan-ji (de l’école bouddhique Jodo-Shinshu / « école véritable de la
Terre pure », l’un des courants du bouddhisme qui comptent le plus grand nombre d’adeptes au Japon),
l’université Ryukoku est issue du séminaire d’études bouddhiques du temple.
455
Construit sur un site de 1 671,69 m², le musée Ryukoku occupe une surface bâtie de 1 345,26 m² (soit un
ratio bâtiment/terrain de 80,48%). Il totalise une surface de plancher de 4 441,93 m² sur 4 niveaux (de R-1 à
R+2). Il comporte des espaces d’exposition (R+1 et R+2), une salle de projection (R+2), des espaces de remisage
(de RDC à R+2), des bureaux (R-1), des espaces techniques (de R-1 à R+2) et un café/boutique (RDC).
456
Qui a lieu tous les seizièmes jours de chaque mois (à la date d’anniversaire de la mort du fondateur du Nishi
Hongan-ji) devant le temple (sur la rue Horikawa) et qui se prolonge jusque dans la cour et le hall du musée.
457
Monzen-machi (ville-temple), dénomination communément attribuée au quartier des abords d’un temple.
235
Fig. 110. Musée Ryukoku. De gauche à droite et de haut en bas : la façade principale, le hall, la cour intérieure,
le passage entre la rue Horikawa et la rue Aburanokoji. Photos Higashide Kiyohiko, courtoisie musée Ryukoku
458
Entretien avec S. Dousse, le 28 juin 2019, à Kyoto. Voir annexe 3.
459
Ibidem.
236
réglementation urbaine de la ville limitant la hauteur de la construction (à 15 m), pour
attribuer suffisamment de hauteur sous-plafond aux espaces d’exposition (3,5 m au R+1 et
4 m au R+2), un niveau R-1 a été créé, où se trouvent la cour et le hall d’accueil, celui-ci
bénéficiant d’une double hauteur – au niveau du rez-de-chaussée, l’espace de réunion et les
salles de cours profitent d’une vue plongeante sur ce hall. Ainsi la cour est enterrée, coupée
du bruit et néanmoins ouverte sur la rue, traversée par le passage piéton en coursive.
Si, dans ce quartier ancien, sur ce site qui fait face au temple Nishi Hongan-ji, la
réglementation urbaine de la ville imposait de concevoir un bâtiment avec une toiture en
pente, Nikken Sekkei a poussé plus loin la référence à la tradition en projetant une réplique de
sudare (store en bambou qui protège les machiya des rayons du soleil et du vis-à-vis avec la
maison voisine) sur la façade principale (face au Nishi Hongan-ji). Cet élément brise-soleil
constitué par 4 000 barrettes en céramique fixées sur une structure en métal (un écran qui
ondule comme une vague) a été inspiré à Nikken Sekkei par une œuvre de la collection du
Nishi Hongan-ji, « une peinture en date de la fin de l’époque de Heian (794-1185), qui
représente une rivière et ses deux rives, le sable ratissé, motif de jardin zen. Les mouvements
dessinés dans le gravier des jardins zen représentent les vagues. Nous nous sommes inspirés
de ce motif pour concevoir le design du musée.460 » Pour cause, ce motif évoque une notion
de flux et de mouvement, notion bien adaptée au principe de circulation des idées (diffuser le
bouddhisme dans la communauté) et des personnes (qui peuvent traverser la parcelle et
déambuler dans les espaces du musée). Le design du portail a aussi été inspiré par le motif de
la vague. Ainsi Nikken Sekkei est parvenu à unifier données du projet (la diffusion du
bouddhisme), culture artistique bouddhique (la peinture), dynamique urbaine (la circulation)
et design architectural (le portail, l’écran pare-soleil).
460
Ibid.
237
conservation, cela n’est pas possible…461 » Quant à savoir si la thématique écologique a été
déterminante dans la conception du musée, Nikken Sekkei répond à la question en plaisantant.
« Depuis toujours, nous devons composer avec le climat chaud et humide de l’été. (…) C’est
pourquoi les maisons traditionnelles sont telles qu’elles sont : avec des jardins et des cloisons
coulissantes qui permettent de faire circuler l’air et de supporter la chaleur de l’été ; avec des
débords de toits qui créent une belle lumière tamisée ; avec une belle végétation… Tenir
compte du climat est une évidence au Japon ! » En ce qui concerne le choix des matériaux :
« Nous pensons au design. À savoir quel espace nous souhaitons concevoir. Ensuite, nous
choisissons les matériaux les plus écologiques possibles. Mais le but n’est pas de construire
un bâtiment qui consomme peu d’énergie… » Le but, c’est l’architecture. Dans le cas du
musée Ryukoku, « nous avons choisi des matériaux naturels – le béton, le bois (de cèdre/sugi
qui est très courant dans nos montagnes), la pierre (de la préfecture de Takamatsu, on se
procure difficilement de la pierre au Japon) – et nous les avons utilisés tels quels. Mais il y a
aussi du métal. Du verre. Nous utilisons un verre très avancé technologiquement – un verre
isolant.462 » Dans tous les projets qu’elle conçoit, l’agence Nikken Sekkei se soucie de
l’isolation et de la consommation énergétique des bâtiments en gérant les flux d’air et de
lumière naturels, mais cela n’est pas une finalité et le design reste la priorité.
Fig. 111. Musée Ryukoku. Vues sur le hall et la cour. Photos Higashide Kiyohiko, courtoisie du musée Ryukoku
461
Ibid.
462
Ibid.
238
7.3.2. Nakamura Hiroshi : de l’écologie de l’artisanat intégrée au design
463
Cf. supra, chapitre 7.2.1.
464
Site internet du Bella vista spa & marina : Concept|Bella Vista spa&marina Onomichi-
Hiroshima【official】 (bella-vista.jp)
465
En développant des concepts et en introduisant des architectes, Toshiko Ferrier a guidé Tsuneishi dans la
réalisation de plusieurs projets : un ensemble de 26 logements pour les ouvriers du chantier de construction
navale conçu par Fujimoto Sosuke (2013), la chapelle ruban et le restaurant Erretegia par Nakamura Hiroshi
(2014 et 2015), le bâtiment d’accueil du musée et jardin zen Shinshoji par Fujimori Terunobu (2013), le pavillon
Kohtei (une œuvre sur le thème du zen dans le jardin du musée Shinshoji) par Studio Sandwich (2016).
239
Fig. 112. Restaurant Erretegia et Chapelle Ruban. De gauche à droite et de haut en bas : l’hôtel Bella vista spa
and marina et le restaurant Erretegia vus depuis le belvédère de la chapelle, le chantier de construction navale
Tsuneishi et le paysage de la mer Intérieure vus depuis le même emplacement, la chapelle ruban et son
approche, les rampes de la chapelle et la vue sur le paysage, l’espace de célébration de la chapelle et le jardin.
Photographies S. Dousse, 2019/07
Bien que la structure de la chapelle ruban ait été fabriquée sur place, les textes des
publications accompagnant ces projets ne mentionnent pas la provenance des autres éléments
constructifs. Dans le cas du restaurant Erretegia (un nom basque et des chefs cuisiniers
formés au Pays Basque), c’est l’entreprise artisanale locale Fuchi furniture qui a réalisé
l’assemblage des pièces de la charpente en bois de pin rouge de production locale (la
technique en elle-même évoque une histoire folklorique locale, celle d’un guerrier enseignant
à son fils que si une flèche peut venir à se rompre, quatre flèches assemblées sont incassable).
Si le bois utilisé en revêtement de sol est du bois de citronnier local, le bois utilisé pour la
240
couverture du toit a été importé du Canada ou des États-Unis, indique Nakamura, qui ne se
rappelle pas précisément la provenance de ce bois de cèdre rouge. Posés sur de fins poteaux
métalliques, ce toit et la charpente définissent cette architecture en faveur d’une vue sur la
mer.
Fig. 113. Restaurant Erretegia. De gauche à droite : le restaurant et le panorama de la mer Intérieure de Seto,
les assemblages de la charpente. Photographies S. Dousse, 2019/07
Le hall et la chapelle du cimetière du lac de Sayama, Sayama, préfecture de Saitama, 2013 et 2014
241
selon les croyances shintoïstes. « Nous avons voulu créer un lieu qui exprime la beauté de ce
monde en continuel changement pour aider les gens à aller de l’avant »467, écrit Nakamura.
Fig. 114. Hall du cimetière de Sayama. De gauche à droite et de haut en bas : le bâtiment et son environnement,
l’accès au public, l’espace de reccueillement, le plan d’eau et le paysage. Photographies S. Dousse, 2019/11
La chapelle de la forêt de Sayama a également été pensée d’après l’attitude des gens
qu’elle accueille. De type traditionnel gassho, la structure de ce bâtiment évoque la position
des mains jointes en prière. De fait, la spatialité de la chapelle est enveloppante, réconfortante.
La structure de bois apparente confère une atmosphère chaleureuse au lieu et s’accorde avec
la matérialité de l’environnement. Grâce à de larges ouvertures vitrées, les visiteurs sont
immergés dans la verdure de la forêt. Ici encore, les symboliques shintoïstes sont présentes :
l’architecture permet de prendre place dans la forêt, près du monde de l’au-delà, pour être au
contact des disparus. Conçue par des artisans locaux, cette structure est bien intégrée au
milieu. En recul par rapport aux branchages, elle occupe l’espace libre sous les arbres. Pour la
couverture du toit (qui est aussi façade), Nakamura a également sollicité des artisans locaux,
qui ont fabriqué et mis en place de fines tuiles en aluminium. En intégrant des matériaux
locaux et des savoir-faire artisanaux au paysage, Nakamura souhaitait créer une architecture
467
Nakamura Hiroshi & NAP, Japan Architect, n°114, 2019, p. 65-68.
242
composée de relations. Il souhaitait que l’architecture et l’humain exercent l’un sur l’autre une
influence réciproque.
Fig. 115. Chapelle du cimetière du lac de Sayama. De gauche à droite et de haut en bas : le bâtiment et son
environnement, l’espace de célébration, l’accès à la chapelle, la couverture en aluminium et la végétation aux
abords du bâtiment. Photographies S. Dousse, 2019/11
243
244
Chapitre 8.
Milieu, climat, ressources et architecture
Naito Hiroshi pourrait être considéré comme étant le premier « matérialiste ». Dès ses
premiers projets (la maison n°1, Kamakura, 1984), il construit avec des matériaux organiques
comme le bois. Néanmoins, contrairement à Fujimori Terunobu et à Kuma Kengo,
l’affirmation de la matérialité et la réinterprétation de l’architecture japonaise pré-moderne ne
sont pas explicitement mis en avant par Naito. Son propos n’est pas de renouveler et de
réactualiser la tradition. Il parle plutôt de proto-forme et de proto-espace, de fusionner
architecture et paysage. Tout occupé à allier l’échelle des détails de la construction et celle de
l’insertion des bâtiments dans les sites, Naito affirme le caractère contemporain de ses
architectures en leur attribuant des structures sophistiquées dans leurs profils et leurs
assemblages (le musée de la mer, 1992). Alors qu’il nourrit sa démarche de conception par
l’observation du bâti local (pour comprendre son adaptation au milieu), la conception assistée
par ordinateur et l’excellence constructive des entreprises confèrent aux bâtiments qu’il
conçoit une dimension résolument moderne (le musée des plantes et des hommes ou musée
Makino, 1999). Ses architectures sont à la fois parfaitement contemporaines dans leur
expression et intégrées aux sites comme le bâti vernaculaire peut l’être. Naito souhaitant créer
des bâtiments qui « fassent un » avec les paysages, on peut dire qu’il conçoit une
« architecture de lieu ». C’est le cas d’autres architectes, comme Abe Ryo et Manuel Tardits
quand ils interviennent dans les îles de la mer Intérieure pour construire des équipements
utiles aux communautés locales. Tandis que Tardits emploie les matériaux disponibles sur
place en récupérant des éléments de maisons abandonnées et des éléments du milieu naturel
(pavillon Iriko, 2015), Abe s’inspire des maisons traditionnelles de l’île pour concevoir une
architecture dans la continuité du bâti local (Shima-kitchen, 2010). Comme l’indique Manuel
Tardits quand il décrit la démarche de celui dont il admire l’œuvre, Naito Hiroshi (de dix ans
son ainé) conçoit des architectures avec un « regard d’ethnographe », il fabrique des
architectures qui sont des « lieux » – des qualités qui semblent tout autant concerner sa propre
démarche et celle d’Abe Ryo.
Le terme d’ « architecture de lieu » est aussi adapté aux démarches d’architectes qui
travaillent avec des éléments du milieu et/ou du climat. Dans la région de la mer Intérieure,
Sambuichi Hiroshi conçoit des architectures en fonction d’éléments immatériels (comme le
vent, l’eau ou la lumière du soleil) qu’il incorpore aux projets en tant que sources d’énergie
245
pour chauffer, rafraîchir et ventiler les intérieurs (le musée d’art Seirensho, 2008 ; le hall de
Naoshima, 2015). En employant des matériaux locaux pour construire et en intégrant les flux
et les éléments du milieu naturel, Sambuichi se donne pour mission d’honorer les ressources
de la Terre et de transmettre la conscience de leur valeur aux générations futures. S’il ne parle
pas directement d’écologie, il cherche à concevoir une architecture qui soit bonne pour la
Terre. Bien que sa démarche soit tout à fait différente, l’artiste Sugimoto Hiroshi (associé à
l’architecte Sakakida Tomoyuki dans l’agence New Material Research Laboratory (NMRL))
souhaite lui aussi harmoniser et restaurer le lien des hommes à la nature. En aménageant un
site de la baie d’Odawara avec des installations orientées vers l’océan et dans la direction du
lever du soleil les jours de solstices et d’équinoxes, Sugimoto entend rappeler à ses
contemporains l’importance de leur relation à la nature (l’observatoire d’Odawara, 2017).
C’est aussi le cas de l’artiste Nawa Kohei, qui, associé à l’architecte Yoshitaka Lee (Studio
Sandwich), conçoit un pavillon et une œuvre dans le jardin traditionnel d’un temple rendu
accessible au public. Entre le paysage de la montagne et celui de la mer Intérieure, Nwa et
Yoshitaka créent un dispositif d’immersion dans un monde parallèle, le monde marin, aussi
perçu en tant que monde de l’au-delà – la méditation zen permettant de faire l’expérience
d’une fusion avec la nature (Kohtei, 2016). Dans le projet de NMRL comme dans celui de
Studio Sandwich, il s’agit de présenter un trait de culture japonaise (la croyance shintoïste en
une myriade de divinités peuplant la nature pour NMRL, le bouddhisme zen pour Studio
Sandwich) et de valoriser les techniques artisanales anciennes (des artisans de la région
d’Odawara et des artefacts collectés dans l’ensemble du Japon dans le cas du projet de NMRL,
des couvreurs de Kyoto et du bois de forêts japonaises dans le cas de Studio Sandwich). Bien
que leurs démarches et leurs architectures soient très différentes les unes des autres,
Sambuichi, NMRL et Studio Sandwich ont en commun de concevoir des architectures
fortement ancrées dans les lieux, d’y intégrer des éléments de la nature, du climat et/ou du
cosmos et d’y associer des savoir-faire artisanaux.
Tandis que le climat de la région sud du Japon rend surtout nécessaire de se protéger
de la chaleur (il s’agit de fabriquer un abri et d’en assurer la ventilation en favorisant
l’ouverture sur l’extérieur), le climat de la partie nord de l’archipel, impose de se protéger du
froid et d’importantes chutes de neige en hiver. Ici aussi, les caractéristiques des lieux sont
déterminantes. Dans les préfectures de Niigata et d’Aomori, l’architecte Aoki Jun et Tezuka
Takaharu + Yui ont conçu une série de bâtiments adaptés aux conditions climatiques locales.
Sans se contenter de réponses techniques et fonctionnelles, ils créent des architectures
246
singulières, intéressantes du point de vue de l’expérience, de la forme et de l’esthétique (le
musée de la lagune de Fukushima, 1997 ; la fondation de la neige, 1999 ; le musée d’art
d’Aomori, 2006). Plutôt que de fabriquer des bâtiments dont la fonction principale serait
d’être des abris résistants et hermétiques, ils constituent des architectures intégrées aux
contextes (le musée des sciences naturelles de Matsunoyama, 2003 ; les cafés/centres
communautaires Ikote et Stage-engawa, 2015 et 2016). Insatisfaits par la conception
d’espaces intérieurs coupés de l’environnement extérieur, ils en font le poste d’observation du
paysage et des variations climatiques pour fortifier le lien des hommes à la nature. Au-delà de
son aspect contraignant, le paramètre climatique devient un sujet d’intérêt, un événement à
observer voire même à apprécier. Dans les mêmes conditions, les architectes de l’agence
néerlandaise MVRDV prennent de la distance par rapport à la neige en concevant un musée
détaché du sol (le musée de Matsudai, 2003), Naito Hiroshi transmute la contrainte du poids
de la neige en paramètre structurel déterminant l’architecture (la bibliothèque municipale de
Tokamachi, 1999), Ando Tadao conçoit des architectures tournées vers la forêt, la neige et des
plans d’eau (le centre d’art contemporain d’Aomori, 2001 ; l’école de la nature de Tokamachi,
2011). À l’exception des Néerlandais, l’ensemble de ces architectes n’essaient pas de se
détacher de la nature. Ils cherchent plutôt à consolider le lien qui unie les gens, leurs habitats
et l’environnement.
247
248
8.1. Architectes de lieux et de milieux. Construire en bord de mer
Le musée de la mer, Toba, préfecture de Mie, 1992 et le musée des plantes et des hommes ou
musée Makino, Kochi, préfecture de Kochi, 1999
À la fin des années 1980, Naito est engagé dans la conception du musée de la mer468, à
Toba, dans la préfecture de Mie, au sud du Kansai. Le faible budget alloué au projet le
conduit à rechercher une architecture aussi modeste qu’essentielle. Naito se tourne vers
l’observation du bâti local composé notamment de hangars de pêcheurs. Sous la forme de
charpentes en bois (de cèdre du Japon) de style contemporain, l’architecte créé deux grandes
468
Édifié sur un site de 18 058 m², avec une surface bâtie de 3 660 m² (1 487 pour le hall d’exposition et 2 173
m² pour le remisage), le musée de la mer totalise une surface de plancher de 3 924 m² (1 898 m² pour le hall
d’exposition (sur deux niveaux) et 2 026 m² pour le hall de remisage des bâteaux.
249
halles d’exposition. Il prévoit également deux halles en béton, un matériau adapté au remisage
de la collection de bateaux qu’héberge le musée, et couvre l’ensemble de ces bâtiments avec
des toitures de tuiles réalisées et fixées de manière traditionnelle. Si le musée de la mer
conserve et expose la documentation et les artefacts relatifs au patrimoine local de la pêche,
c’est aussi un lieu qui met les visiteurs en relation avec l’environnement lui-même. Tandis
que, par l’architecture du musée, la culture de la pêche est bien ancrée dans son contexte, le
milieu naturel est tout autant mis en valeur que la collection. En bordure de la baie de Toba,
sur un site caractérisé par un environnement naturel foisonnant, Naito a disposé l’ensemble
des bâtiments du musée et aménagé le terrain de manière à constituer un paysage. Inspirée du
bâti local, cette architecture intégrée à la topographie et à la couverture végétale du site se
fond dans son contexte naturel. On observe alors une certaine relation de neutralité ou
d’égalité entre la géographie et l’architecture. S’insérant dans un lieu, l’architecture fait lieu.
Fig. 116. Musée de la mer. En haut, de gauche à droite : le restaurant (sur la gauche de l’image) et la halle
d’exposition A, les halles d’exposition B et A et l’espace d’apprentissage et d’expérience (sur la droite de
l’image). En bas, de gauche à droite : la halle d’exposition A et sa charpente en bois, le hangar à bateaux et sa
charpente en béton. Photographies S. Dousse, 2018/04
469
Le musée de la mer a été lauréat de plusieurs prix : Japan Inter-Design Forum Prize (1992), Award of
Architectural Institute of Japan (1993), Public Building Award by the Ministry of Construction (1998),
Shinkenchiku Japan Construction Award (2005).
250
conserver et donner à voir la collection de spécimens de plantes et les publications de Makino
Tomitaro (le « père de la botanique japonaise »), le musée des plantes et des hommes se
trouve dans le jardin botanique Makino, sur le mont Godai, à Kochi, dans le sud de Shikoku.
Le sud du Japon étant caractérisé par un climat où les typhons sont nombreux, les vents
puissants et les pluies abondantes, Naito a entrepris de concevoir une architecture adaptée.
Discrètement intégré dans le site, le musée est défini par de grands pans de toits dont le profil
bas et filant s’accorde à la force des vents des tempêtes tropicales. Il est constitué de deux
grands corps de bâtiments (l’un est consacré aux espaces recevant le public tandis que l’autre
est réservé aux archives, à l’administration et aux locaux consacrés à la recherche) entourés de
jardins et reliés par un cheminement (de 170 m de long) dans la végétation. Au moment de la
conception du projet, Naito décrit ses intentions en ces termes : « Un bâtiment qui ne ferait
qu’un avec le paysage, c’est l’image qui s’est formée quand j’ai visité le site pour la première
fois. (…) Le mont Godai n’est pas une grande montagne mais le visiteur y découvre une
atmosphère unique. J’ai conçu un bâtiment qui s’intégrerait naturellement à l’environnement,
qui s’y associerait pour l’enrichir. Dans les temps à venir, la végétation luxuriante va joliment
couvrir et dissimuler le musée. (…) Le bâtiment sera enfoui dans la forêt. Seuls apparaîtront
la cour centrale et les espaces intérieurs couverts par un toit. »471
Fig. 117. Musée Makino. De gauche à droite et de haut en bas : vue aérienne (photo Mishima Satoru). Le musée
et l’espace extérieur, le jardin et les ciculations couvertes, le musée et le jardin (photos S. Dousse, 2018/07)
470
Construit sur un site de 44 596 m², le musée Makino totalise une surface de plancher de 7 362 m² sur un
simple niveau et un niveau R+1 partiel. Sa surface bâtie est de 5 700 m².
471
NAITO Hiroshi, « Makino Museum of Plants/Hiroshi Naito », dans ArchEyes, janvier 2016 : Makino
Museum of Plants / Hiroshi Naito | ArchEyes
251
D’après Naito, ce bâtiment à l’architecture souple, toute en courbes, devait à la fois
être « respectueux de l’environnement » et « enrichir le milieu naturel ». Pour ce faire, un
certain nombre de dispositions ont été prises. Sur une structure porteuse constituée de voiles
de béton et de poteaux en métal, il a posé une charpente en bois local (de cèdre et de cyprès) a
été érigée – mais le plafond est en stratifié de pin importé des États-Unis. Les longs débords
de toits et les canopées protègent les espaces intérieurs de l’exposition solaire et participent au
maintien d’une température confortable dans le bâtiment. Les arbres plantés autour du musée
apportent de l’ombre et de la fraicheur, un dispositif renforcé par l’utilisation d’un matériau
de couverture (en acier) doté d’un faible indice de réflexion de la lumière du soleil. En ce qui
concerne la ventilation et le rafraîchissement du bâtiment, la plantation d’arbres à feuilles
caduques autour des prises d’air permet d’utiliser la brise de l’environnement ombragé. Ainsi
les dépenses énergétiques liées à la régulation thermique sont minimisées. Les eaux pluviales
récupérées sont en partie dirigées vers des plans d’eau qui favorisent la fraicheur du site. En
ce qui concerne l’aménagement des espaces extérieurs, les murets ont été réalisés avec les
gravats excavés sur place. Enfin, plus de cinq cent espèces d’arbres ont été plantées dans
l’intention de créer un biotope alimenté par les flux d’air et les ressources d’eau du site. Grâce
à l’ensemble de ces dispositions, le musée Makino a obtenu la certification CASBEE de rang
A (édition 2004) dans la catégorie « construction nouvelle », une certification japonaise basée
sur des critères de : confort des espaces intérieurs, préservation et enrichissement de
l’environnement extérieur du site, énergie, ressources et matériaux, faible impact et
intégration du bâtiment dans l’environnement.472
472
Le musée Makino fait aussi partie de la Japan Sustainable Buildings Database (www.ibec.or.jp), une base de
données alimentée entre 2002 et 2010. Sur un total de 42 bâtiments, c’est le seul musée recensé. Enfin, ce musée
a reçu de nombreux prix. Parmi ces distinctions : International Academy of Architecture (2000), 13th Togo
Murano Award (2000), 42th Mainichi Art Awards (2000), 42th BCS Award (Building Contractors Society)
(2001), Civic Engineering Design Prize, Grand Prix, Japan Society of Civil Engineers (2006).
252
Shima-kitchen, Teshima, préfecture de Kagawa, 2010.
Abe Ryo est né à Hiroshima en 1969. Comme Hiroshi Naito, il étudie l’architecture à
l’université de Waseda (Tokyo). Bien que son agence soit localisée à Tokyo, Abe Ryo
travaille souvent dans la région de la mer Intérieure. En 2010, lors de la création de la
triennale d’art de Setouchi, il est lauréat d’un appel à projet de conception d’un lieu
combinant dimensions artistique et sociale du festival pour mettre en contact les touristes et
les habitants. Cette initiative de développement touristique par l’art porté par la triennale vise
la revitalisation du territoire473 : « Quand j’ai été amené à travailler dans les îles de la mer
Intérieure, j’ai d’abord été invité à réaliser un projet sur l’île d’Ogijima. Puis, quand j’ai
commencé à aller sur place pour faire des repérages, le directeur de l’organisation m’a
proposé de travailler plutôt à Teshima. » Abe Ryo rappelle l’histoire locale : « Dans les
années 1970-80, Naoshima (l’île principale du bassin de la mer Intérieure) était réputée et
prospère du fait de son activité industrielle. De nombreux ouvriers travaillaient dans l’usine
de Mitsubishi, un site de traitement des déchets industriels. Avant d’être débarrassés du
radium, les déchets étaient stockés sur l’île voisine, Teshima. C’est ainsi que Teshima a été
polluée… Les habitants de l’île ont lutté contre cette pollution mais le gouvernement local ne
pouvait pas empêcher l’activité de Mitsubishi. Alors les gens de Teshima ont attaqué le
gouvernement en justice. Il a fallu attendre environ vingt ans pour que la justice demande au
gouvernement de retirer les déchets, et encore environ vingt ans encore pour que le
gouvernement s’exécute. La résolution du problème a duré presque cinquante ans ! Cette
affaire a eu un fort retentissement dans les médias. Tout le monde connaissait Teshima pour
l’histoire des déchets industriels. Aujourd’hui encore, les Japonais refusent d’acheter des
produits étiquetés de Teshima. Pourtant Teshima est une île très riche sur le plan agricole. On
y produit des fruits, des légumes, du riz… C’est l’une des îles les plus riches du Japon ! Mais
les producteurs locaux ne peuvent pas vendre… Il s’est passé la même chose à Fukushima
473
Sujet à propos duquel Abe Ryo était déjà investi : « Il y a une dizaine d’années (peu avant 2010), je me suis
intéressé aux localités reculées du Japon. Je voulais apprendre de ces situations et proposer mes services en tant
qu’architecte afin d’aider à la revitalisation. Je suis d’abord allé dans la préfecture de Niigata. Là bas, j’ai
découvert qu’il n’y avait plus de gardes forestiers pour entretenir les forêts ; c’était les pêcheurs qui s’en
occupaient. Les pêcheurs connaissent le fonctionnement de l’écosystème. Ils savent que pour faire de bonnes
pêches il faut entretenir les forêts car les poissons se nourrissent des nutriments qui proviennent des sols. Si l’on
n’entretient plus les forêts, elles meurent, et les poissons s’en vont… Apprendre cela m’a beaucoup intéressé et
m’a également beaucoup inquiété, car je savais que ce phénomène se produisait partout dans le Japon. Alors j’ai
visité d’autres localités reculées. Dans la préfecture d’Okayama, j’ai rencontré un conseiller du gouvernement
local qui développait des systèmes bio-synergétiques. Lui et un groupe de personnes réalisaient des projets en
utilisant les ressources locales. Par exemple, avec des aides financières du gouvernement, ils récupéraient de
vieux ryokan (auberges) abandonnés pour y développer de nouvelles activités. Il leur fallait un architecte. C’est
ainsi que j’ai commencé à travailler dans les régions reculées. » Abe Ryo, entretien avec S. Dousse, le
25/07/2019, à Tokyo. Voir annexe 9.
253
après 2011… Aujourd’hui encore, les relations entre les habitants et le gouvernement local
restent difficiles… »
Fig. 119. Shima kitchen. À gauche : l’espace extérieur, la canopée et l’arbre. Photographie Ano Daici. À
droite : le bâtiment et le village. Photographie Abe Ryo.
254
Abe Ryo a donc commencé son projet à partir d’un arbre. Parce qu’il voulait
concevoir un bâtiment qui soit « comme un arbre », il a « dessiné un toit dix fois plus grand
que l’arbre » : « Si j’avais fait quelque chose de plus, je pense que cela aurait été trop. Les
gens n’étaient pas prêts à s’impliquer. Ils n’avaient pas envie de coopérer avec le
gouvernement… Dans cette situation, j’ai pensé que le mieux serait de faire en sorte que rien
ne se passe, jusqu’au jour où, soudainement, un toit très léger apparaisse. Sans clôturer le site,
sans construire un bâtiment très massif. Il fallait faire quelque chose de très doux, très
respectueux, très tranquille. Quelque chose qui donne soudainement la motivation. Qui fasse
que les gens se disent : "Oh ! Quelque chose se passe ici ! Nous pourrions nous y joindre !".
C’était mon idée. Je ne savais pas encore comment faire, mais j’étais certain de ne pas vouloir
construire un "bâtiment-bâtiment". J’imaginais quelque chose de plus léger. Quelque chose
entre l’arbre et l’architecture. Quelque chose comme une "cabane-arbre". » Ce type
d’architecture était adapté au climat : « Un toit est la seule chose dont nous ayons besoin dans
cette région. L’hiver n’y est pas très froid mais l’été est très chaud. Nous avons besoin d’un
abri… Et à partir du moment où l’on a un toit, même très léger, on peut profiter de l’extérieur
et des beaux paysages. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle de nombreux arts
traditionnels sont performés en plein air au Japon… » Le théâtre en plein air de l’île voisine
de Shodoshima a inspiré à Abe Ryo l’idée de créer une scène extérieure. 474 « Alors le
programme s’est précisé et l’organisation de la triennale m’a demandé de concevoir un
"théâtre en plein air non-traditionnel" – pour jouer toute sorte de représentations (classique,
moderne, folk, etc.) – un une sorte de "nouveau théâtre". » À ce programme Abe a ajouté un
restaurant communautaire. Ainsi les visiteurs de la triennale de Setouchi allaient pouvoir
découvrir la cuisine préparée par les « mères » du village tout en profitant des espaces
extérieurs et en assistant aux divers événements qui y seraient organisés.
En ce qui concerne le projet d’architecture, Abe Ryo a travaillé à partir du bâti local :
« Quand j’ai effectué les relevés des maisons anciennes de Teshima (dans cinq ou six
maisons), j’ai mesuré combien la canopée en était un élément important. Ce qu’il y a de plus
intéressant dans les maisons de Teshima, c’est qu’elles se développent en plusieurs temps.
Elles sont agrandies à plusieurs reprises… Puisqu’il n’y a pas d’usine à bois, puisqu’il n’y a
nulle part sur l’île où acheter des matériaux de construction, les gens doivent acheter les
474
« À Shodoshima (une île voisine de Teshima), il y a un théâtre en plein air extraordinaire. C’est une sorte de
théâtre de village agricole. On y on montre du kabuki performé par des enfants. C’est une tradition locale. En été,
les gens viennent avec leurs bento pour regarder le kabuki. Encore aujourd’hui, de très belles soirées sont
organisées. J’y suis allé et j’ai trouvé ce théâtre si beau que j’ai pensé que nous pourrions nous en inspirer pour
concevoir un théâtre extérieur original à Teshima », raconte Abe Ryo. Ibidem.
255
matériaux sur l’île principale et les transporter en bateau, ce qui coûte de l’argent et demande
beaucoup d’énergie ; alors ils s’organisent entre eux : quand un voisin démolit sa maison,
celui qui veut faire une extension de la sienne récupère les matériaux de la démolition. Et ce
qui est le plus intéressant c’est que, puisqu’ils coupent les matériaux au niveau des joints, les
éléments deviennent de plus en plus courts. D’extension en extension, les éléments
constructifs sont de plus en plus petits, donc les canopées sont de plus en plus basses. La
plupart des maisons de Teshima ont des canopées très basses dans certaines parties. À ces
endroits, je me cognais souvent la tête. Je ne pouvais pas me tenir debout ! Alors j’ai pensé
que cela était en quelque sorte l’unicité de Teshima. Peut-être que les gens ne l’ont pas
décidé, peut-être qu’ils ne s’en rendent même pas compte, mais le fait est que c’est ce qu’il se
passe. Et j’ai pensé : puisque mon projet est la plus récente construction de Teshima, peut-être
qu’il serait intéressant de créer le toit le plus bas de l’île… » Ainsi Abe Ryo est parvenu à
combiner vernaculaire et contemporain, caractère populaire et unicité du lieu.
Enfin, la dimension sociale de ce projet est forte : « Il a fallu du temps – peut-être trois
ou quatre ans – pour que les habitants s’approprient le lieu. Les premières années, ils
n’osaient pas trop y organiser des événements. Ça s’est fait peu à peu… Maintenant, tous les
mois, ils célèbrent les anniversaires des habitants du village. Tous les mois ils font la fête sous
le toit ! C’est vraiment très mignon à voir… » Par ailleurs, alors que depuis presque dix ans
les habitants et l’architecte remplacent chaque année les bardeaux du toit, il s’est produit un
événement significatif : « Cette année (2019), les gens de Teshima ont dit qu’ils aimeraient
faire en sorte que le toit dure plus longtemps. Ils ont proposé d’utiliser du hinoki (cyprès du
Japon). Le hinoki est le bois que nous utilisons pour construire les temples. C’est un bois
noble. Un très beau bois. J’ai été touché que les gens aient cette idée… »475 Maintenant qu’ils
se sont appropriés le lieu, les membres de la communauté locale souhaitent le pérenniser.
475
Ibid.
256
Le pavillon de la sardine (pavillon Iriko), Ibukijima, préfecture de Kagawa, 2015.
Manuel Tardits est un architecte français né en 1959 et installé au Japon depuis les
années 1980. Il est associé à trois architectes japonais476 au sein de l’agence Mikan. S’il
réalise des projets d’architectures contemporaines en milieu urbain (des résidences, des
bâtiments éducatifs, des hôtels, des équipements sportifs, etc.), il lui arrive aussi de concevoir
des projets plus alternatifs. En 2015 (cinq ans après la conception de Shima-kitchen), avec un
groupe d’étudiants de l’université Meiji de Tokyo (où il enseigne), Manuel Tardits a été
retenu pour intervenir dans l’une des îles de la mer Intérieure de Seto où, tous les trois ans
(quand se produit la triennale), des artistes et des architectes sont invités à concevoir des
installations. Pour sa part, Tardits ne souhaitait pas créer une œuvre d’art. Il voulait concevoir
un lieu utile à la communauté locale. Sur la très petite île d’Ibukijima, le diagnostic était
rapide : la population vieillissante installée dans le village en hauteur étant à la peine pour se
déplacer et s’approvisionner dans les commerces situés en contrebas, il a entrepris de
construire un pavillon qui servirait de cuisine communautaire où les vieux du village
pourraient venir chercher leur bento et où les habitants pourraient passer du temps ensemble.
Comme Abe Ryo, Manuel Tardits s’intéresse à l’environnement local. De nombreuses
maisons étant abandonnées et en voie de délabrement, il a entrepris d’en recycler les
matériaux pour construire un nouveau bâtiment : « Nous avons travaillé en recyclant tout ce
qu’on pouvait trouver sur l’île. Des vieilles tuiles et des portes coulissantes de maisons
abandonnées, mais aussi des rochers, du sable, des bambous, des bois flottés déposés après le
passage d’un typhon qui avaient emporté des arbres à Shikoku477 », raconte-t-il.
Fig. 120. Pavillon Iriko ou Pavillon de la sardine. De gauche à droite : représentation axonométrique du projet,
vue sur le pavillon après achèvement de la construction. Images Manuel Tardits
476
Kamo Kiwako, Sogabe Masashi, Takeuchi Masayoshi.
477
Entretien avec S. Dousse, Yokohama, 22 juillet 2019. Voir annexe 8.
257
258
8.1.2. Sambuichi Hiroshi, Studio Sandwich et Sugimoto Hiroshi : de la Terre au cosmos
Le musée d’art Seirensho à Inujima et le hall de Naoshima, préfecture de Kagawa, 2008 et 2015
En 2008, Sambuichi livre l’un des principaux musées des îles de la mer Intérieure de
Seto, dans les ruines d’une raffinerie de cuivre située à Inujima, une petite île au nord de
Teshima. Le musée d’art Seirensho héberge des œuvres de Yanagi Yukonori479, un artiste
contemporain directement impliqué dans le projet conduit par la fondation Benesse. Après
qu’une exposition lui ait été consacrée à Naoshima en 1992, séduit par la région, Yanagi a
souhaité y développer un projet prenant pour thème les conséquences néfastes de
l’industrialisation sur le paysage de la mer Intérieure. En 1995, il a proposé à Fukutake
Soichiro de revitaliser l’île d’Inujima par la reconversion de l’ancienne raffinerie de cuivre en
un lieu d’art utilisant des énergies renouvelables. Sambuichi Hiroshi a alors été impliqué dans
le projet pour en réaliser la partie architecturale. Après analyse de la géographie du site,
l’architecte a compris comment la géographie et le climat avaient déterminé la construction de
la raffinerie : les vents dominants venant de l’est, les prises d’air des cheminées ont été
478
SAMBUICHI Hiroshi, Sambuichi and the Inland Sea, Tokyo, Toto Publishing, 2016, p. 299.
479
Yanagi Yukinori est un artiste japonais né en 1959 à Fukuoka. Il est connu pour avoir réalisé de nombreuses
installations de grande échelle conçues pour des sites spécifiques et véhiculant un regard critique vis-à-vis du
monde de l’art au Japon, de certains traits de la société et de certaines politiques gouvernementales japonaises.
Après avoir étudié à l’université d’Art de Musashino (Tokyo) et après un début de carrière prometteur au Japon,
Yanagi Yukinori s’est installé aux États-Unis (New York). C’est son travail dans les îles de la mer Intérieure qui
l’a conduit à se réinstaller au Japon (au nord de l’île de Kyushu, face à la mer Genkai).
259
orientées vers l’est, et l’usine a été implantée sur une partie de la côte abritée des vents grâce à
la proximité d’une autre île. « La planification de la raffinerie de cuivre a certainement été
déterminée en intégrant le vent comme un facteur déterminant480 », écrit-il. Sur place,
Sambuichi découvre les briques karami, un produit dérivant de la fusion du cuivre. Ce
matériau comprenant un taux important de fer et d’acier s’est révélé intéressant pour ses
propriétés thermiques : les briques pouvant absorber et stocker la chaleur émise par le soleil.
« C’était la rencontre d’un nouveau matériau qui pouvait chauffer l’air grâce à la chaleur
solaire », retrace l’architecte. « En poursuivant le potentiel de "ce qui existe", j’ai entrepris le
défi de définir "ce qui doit être" » (Pursuing the potential of "what exist", I began the new
challenge of somewhere making "what is to be")481, explique-t-il.
480
SAMBUICHI Hiroshi, opus cit., p. 131.
481
Ibidem., p. 138.
260
au monde à travers l’architecture. Jusqu’à ce que le soleil disparaisse, l’air continuera à
circuler à travers ce musée en tant que partie des mouvements de la Terre »482, écrit-il.
Quelques années plus tard, Sambuichi a été invité à concevoir le hall de Naoshima, un
centre communautaire (293 m²) et un espace de représentations et de festivals (980 m²)
entouré d’un jardin. Comme dans le cas de Shima-kitchen, il s’agissait de marier vie locale et
tourisme. Pour concevoir ce lieu, Sambuichi a suivi sa démarche habituelle de repérage et
d’analyse de site. Il a travaillé à l’échelle de l’île en étudiant l’organisation et les
caractéristiques des villages de Naoshima. Après deux ans et demi d’études, Sambuichi a
démontré que l’aménagement des maisons et des espaces publics de ces villages a été défini
en fonction des flux d’air, de l’eau et de la lumière du soleil : « J’ai vu que Naoshima est
indubitablement une île d’air, d’eau et de lumière solaire (…) (un message qu’il était de son)
devoir de délivrer consciencieusement aux générations à venir ». Fort de son étude
architecturale et urbaine reliée au climat et à la géographie, Sambuichi a entrepris de
concevoir le nouvel équipement public de Naoshima d’après les mêmes principes. Des
simulations informatiques de la dynamique des flux d’air sur le site dédié à la construction de
l’équipement ont déterminé la courbe du toit du bâtiment afin de former un tunnel de
ventilation qui rafraîchirait l’espace intérieur pendant la saison estivale. Par ailleurs, il a
décidé d’employer des matériaux naturels : la couverture du toit, la charpente et le sol du hall
sont en hinoki (cyprès du Japon) et les murs de façades sont en terre compressée. De plus, le
bâtiment comprend des éléments d’architecture traditionnelle comme le tatami (revêtement de
sol en paill), l’engawa (veranda) orientée vers le jardin et le doma (seuil en terre battue où se
déchausser avant d’entrer dans l’espace intérieur). Enfin, le grand toit (munakata, toit
comportant une poutre de faîtage à pignon) qui permet de protéger l’espace intérieur du soleil
et de la pluie tout en faisant circuler l’air est présenté par l’architecte comme un héritage des
toitures traditionnelles en chaume caractéristiques des maisons rurales. L’ensemble de ces
éléments et la ventilation naturelle de l’espace à vivre rapprochent cette architecture aux
lignes épurées et aux formes minimalistes des maisons traditionnelles (minka) de Naoshima.
482
Ibid.
261
Parcours photographique :
262
Fig. 121. Musée d’art Seirensho et hall de Naoshima. Première page : vues extérieures du musée d’art
Seirensho. Photographies S. Dousse, 2018/04. En haut : vues extérieures du hall de Naoshima. Photographies S.
Dousse, 2018/04. Au milieu : vue extérieure et vue intérieure du hall de Naoshima. Photographies Ogawa
Shigeo. En bas, de gauche à droite : étude de conception du musée Seirensho, vue en coupe du musée Seirensho,
vue en coupe du hall de Naoshima. Dessins Sambuichi Hiroshi
263
L’observatoire Enoura, Odawara, préfecture de Kanagawa, 2017
Né en 1948 à Tokyo, Sugimoto Hiroshi est un photographe japonais installé aux États-
Unis. C’est la Japan Society de New-York qui a financé l’aménagement de l’observatoire
Enoura, un projet à l’initiative de l’artiste et en vue duquel il a créé (en 2009) la fondation
d’art d’Odawara. Sugimoto souhaitait concevoir un lieu qui transmettrait l’essence de la
culture japonaise serait transmise : une culture dont le caractère unique tient à « l’art de vivre
en harmonie avec la nature », écrit-il. Il rappelle que depuis les temps préhistoriques
(l’époque Jomon) « le peuple japonais a développé le culte d’une myriade de divinités et
d’esprits peuplant le royaume de la nature » et que, face à un monde moderne « sinistre » du
fait de son « consumérisme et matérialisme rampants » et de la « destruction de tant de
splendeurs naturelles, ce dont nous avons le plus besoin est de faire revivre les traditions
japonaises anciennes ». L’objectif du projet est de représenter la culture japonaise, de soutenir
les arts et l’artisanat, tout en contribuant à la vitalité de la vie locale. Sugimoto a choisi le
paysage de son enfance (la baie d’Odawara, à l’ouest de Tokyo) pour aménager un lieu d’art
où montrer des performances traditionnelles (théâtre, danse, etc.) et valoriser les savoir-faire
artisanaux. En effet, l’aménagement paysager du jardin et certains bâtiments ou pavillons ont
été réalisés par des artisans locaux, ceci dans l’intention de « faire revivre des méthodes de
construction traditionnelles qui risquent de disparaître et de les transmettre aux générations
futures ». C’est Sakakida Tomoyuki, l’architecte de l’agence New Material Research
Laboratory (NMRL), qui s’est chargé du suivi de la réalisation du projet.
264
sur l’océan ; la scène de pierre principale et le pavillon de thé nommé uchoten (écoutez la
pluie) sont orientés vers l’emplacement du lever du soleil les jours des équinoxes de
printemps et d’automne. En alignant les installations sur ces événements astronomiques,
Sugimoto a voulu rappelé à ses contemporains la situation des ancêtres qui, en observant le
passage des saisons et en étudiant le mouvement des astres, parvenaient à se situer dans le
monde. D’après Sugimoto, si tout du long de l’histoire humaine l’art a toujours accompagné
l’évolution spirituelle des hommes, il a désormais perdu sa fonction primordiale. Dans le
contexte contemporain qu’il qualifie de « stade critique de l’évolution », l’artiste s’est posé la
question de savoir « ce que l’art devait exprimer ». Il y a répondu en décidant de « retourner à
la source de la conscience humaine, d’en explorer les sources et de retracer son cheminement
jusqu’à nos jours ». Il imagine que c’est en « retrouvant l’habitude ancienne d’observer les
cieux [et de se situer dans le monde] que nous trouverons notre voie vers le futur »483.
Légende du plan du site : 1. Scène de verre optique, 2. Tunnel d’observation du solstice d’hiver, 3. Tunnel
d’observation du solstice d’été, 4. Arrangement de pierres sur mousse
483
SUGIMOTO Hiroshi, « Thoughts on Odawara », site de l’observatoire Enoura, www.odawara-af.com
265
Fig. 122. Observatoire Enoura. Première page : plan du site. Image : courtoisie de la Fondation d’Art
d’Odawara. De haut en bas et de gauche à droite : la scène de verre optique et le tunnel d’observation alignés
au solstice d’hiver vus de nuit et de jour, la galerie d’observation du solstice d’été et un arrangement de pierre
de Komatsu (sourcée dans une carrière localisée à environ 2 km) sur un jardin de mousse, le tunnel
d’observation du solstice d’hiver et son « puits de lumière » (en date de la période de Muromachi (1336-1573)).
Photographies : courtoisie de la fondation d’art Odawara
Le pavillon Kohtei, musée et jardin zen Shinshoji, Fukuyama, préfecture de Hiroshima, 2016
Dans le cadre de la création du musée et jardin zen Shinshoji484, l’un des membres de
la famille Tsuneishi (financeur du projet) étant collectionneur, la direction du temple
Shinshoji a commandé la construction d’une galerie d’exposition pour héberger un ensemble
d’estampes de Hakuin (1686-1769), un moine de l’école zen rinzai, courant auquel le temple
est affilié. Pour prendre en charge ce projet, Toshiko Ferrier a présenté, non pas un architecte,
mais un artiste, Nawa Kohei485. Après avoir pris connaissance du site et du programme
envisagé (un lieu d’exposition conventionnel à aménager dans un bâtiment existant), Nawa a
proposé un scénario tout autre que celui qui était envisagé. Plutôt que d’exposer les œuvres de
484
Voir supra, chapitre 7.2.1., p. 222-223.
485
Né en 1975 à Osaka, Nawa Kohei est sculpteur. Il explore l’univers du digital pour questionner les relations
entre l’individuel et les ensemble, le physique et le virtuel, la nature et l’artifice.
266
Hakuin, il a suggéré de concevoir une installation d’art contemporain dans une architecture
nouvelle. Dédiés à la mémoire des disparus en mer (nombreux dans cette région et dans
l’histoire de la compagnie Tsuneishi), le pavillon et l’œuvre de Nawa allaient permettre aux
visiteurs de faire l’expérience de la méditation zen. Pour réaliser ce qui était son premier
projet d’architecture, Nawa s’est associé aux architectes Yoshitaka Lee et Kodai Yuichi avec
lesquels il a fondé Studio Sandwich, une plateforme de création implantée près de Kyoto.
486
Entretien avec S. Dousse, le 25 juin 2019, à Kyoto. Voir annexe 2.
267
Comme l’expliquent les concepteurs de Kohtei, le but de la méditation est de
disparaitre, de sentir que nous sommes une partie de la nature. L’idée du projet était de faire
en sorte que les gens se sentent proches de la nature. Dans la conception japonaise, « les
humains sont une partie de la nature. Cette idée est au cœur de la pensée zen »,
souligne Nawa. Cette perception impacte l’architecture. « L’architecture japonaise porte de
l’importance à la relation aux choses qui existent à l’extérieur ; d’où l’importance de la
relation au jardin, au paysage, à la nature... Le jardin japonais est conçu pour être vu depuis le
bâtiment » ajoute Yoshitaka. Pour aménager le site sur lequel un jardin traditionnel a été
préservé, Nawa souhaitait « créer quelque chose qui soit en harmonie avec le jardin japonais
tout en étant unique ; quelque chose que l’on ne verrait nulle part ailleurs, mais qui s’insère
bien dans le site ; quelque chose qui corresponde au jardin japonais tout en étant spécial.
C’était très difficile pour moi… »487, confit-il. De fait, à la différence d’une sculpture,
l’architecture peut difficilement s’affranchir du contexte. C’est par la réinterprétation formelle
du bâti pré-moderne (la courbe des toits des temples, la surélévation des greniers), par le
recours à une technique de couverture traditionnelle (kokerabuki) avec bardeaux et clous en
bois et par l’emploi de matériaux qui changent avec le temps dans un esprit wabi sabi (une
esthétique de simplicité et de rusticité qui exprime le passage du temps) que Nawa et
Yoshitaka se sont reliés au contexte de temple. Si Kohtei est une réinterprétation de la
tradition très abstraite (plutôt une transformation ou une transmutation en art contemporain),
l’œuvre cible le domaine du sensible – une sensation de proximité avec la nature physique et
l’expérience métaphysique du monde de l’au-delà, une dimension intemporelle présentée
comme un trait de culture japonaise. Nawa et Yoshitaka relient temps anciens et actuels en
explorant la perception physique, sensible et spirituelle de la nature.
Fig. 123. Pavillon Kohtei. Vues extérieures du pavillon, du jardin et de l’environnement naturel.
Photographies Omote Nobutada, courtoisie de Studio Sandwich et du musée et jardin zen Shinshoji
487
Ibidem.
268
8.2. Architectes de lieux et de milieux. Construire dans le « pays de neige »
De l’avis d’Aoki, l’un des aspects intéressants du « pays de neige » japonais est que,
s’il y neige beaucoup en hiver, il y fait pourtant très chaud en été. Quand il a conçu la
488
Entretien avec S. Dousse, 18 juillet 2019, Tokyo. Voir annexe 6.
269
fondation de la neige489, comme le contexte scientifique relatif à l’activité du commanditaire
(une fondation dédiée à l’étude et à l’enseignement sur l’utilisation de la neige) le permettait,
Aoki a entrepris de tirer parti de la contrainte climatique hivernale pour en faire bénéficier
l’exploitation du bâtiment pendant la saison estivale. Avec les scientifiques de la fondation, il
a développé un système de climatisation par la neige. D’après lui, c’était le premier bâtiment à
développer ce système qui est toujours opérationnel aujourd’hui : « Le fonctionnement de ce
système est très simple. Il suffit de conserver une masse de neige dans un local, d’y faire
entrer de l’air extérieur et de diriger cet air rafraichi par la neige vers les espaces intérieurs.
Par exemple : en traversant le local à neige, l’air à trente degrés descend à quatre degrés. À
l’intérieur du bâtiment, cet air très frais se mélange à l’air ambiant et on obtient une
température d’environ vingt degrés.490 » Si, d’après l’architecte, ce système relativement
simple techniquement est souvent mis en œuvre dans la préfecture de Hokkaido, il l’est moins
dans la préfecture de Niigata : « Car pour conserver la neige, il faut que les murs soient bien
isolés. Or, dans la région de Niigata, l’isolation des maisons est très fine, elle est de 10 cm
d’épaisseur généralement. Ensuite, il faut disposer d’un grand espace pour conserver la neige.
On peut installer un local à neige en sous-sol, mais cela augmente le coût de construction. À
condition d’avoir un budget pour cela, dans ces régions de neige, on peut avoir de l’air frais
très facilement en été…491 » Aoki explique que c’est la définition de la forme la plus adaptée
à un local de stockage de neige qui a défini l’allure du bâtiment : « Après études, nous avons
déterminé que la forme la plus adaptée à la conservation la neige serait un espace sphérique.
Mais, techniquement, il est très difficile de construire une sphère. Donc nous avons conçu un
bâtiment sur un plan circulaire. C’est le système de climatisation par la neige qui est à
l’origine de la forme étrange de ce bâtiment »492, raconte-t-il en s’en amusant.
Quand il a conçu le musée de la lagune de Fukushima493 Aoki Jun n’avait pas encore
réalisé les études de conception de la fondation de la neige. Dans l’ignorance du système de
climatisation par la neige, il a conçu un bâtiment plus conventionnel techniquement mais
aussi atypique esthétiquement. Considérant le paysage au sein duquel le musée allait être
implanté, Aoki a souhaité permettre l’expérience d’une prise de hauteur : « Ce musée se
489
Édifiée sur un site de 6 085 m², la fondation de la neige totalise une surface de plancher de 611 m² (sur trois
niveaux dont un niveau enterré).
490
Aoki Jun (2019), opus cit.
491
Ibidem.
492
Ibid.
493
Le musée de la lagune de Fukushima se trouve à Toyosaka, une petite ville rurale de la périphérie de Niigata.
En 2003, Toyosaka comptait 49 159 habitants pour 76,85 km² (soit une densité de 639,67 hab./km²). En 2005,
Toyosaka a été fusionnée à la ville de Niigata. Édifié sur un site de 30 785 m², le bâtiment totalise une surface de
plancher de 2 608 m² (sur 8 niveaux dont un niveau semi-enterré).
270
trouve dans la plus grande lagune de la préfecture de Niigata. En japonais, nii signifie
"nouveau" et gata "lagune", donc nii-gata signifie dire "nouvelle lagune". C’est une zone de
vie sauvage. Il y a de l’eau, des herbes, beaucoup d’animaux, d’oiseaux, de plantes… C’est un
site très plat. Un paysage très horizontal. Mais en été, quand les herbes sont hautes, elles nous
dépassent et on ne peut plus rien voir. De fait, j’ai pensé que prendre de la hauteur pourrait
être une bonne expérience. Parce que le paysage change beaucoup… Afin de mesurer
l’impression opérée par la vue du paysage depuis un point haut, nous avons fait des tests en
ballon. Alors j’ai pu vérifier l’intérêt de cette expérience : l’impression était vraiment
intéressante. Alors nous avons travaillé la manière de produire cette expérience par
l’architecture... Puisqu’il s’agissait de construire le musée de la lagune, la lagune était ce qu’il
y avait de plus important. C’était le sujet principal. Nous allions bien sûr exposer des
échantillons de plantes, d’insectes et autres éléments du site, mais le plus important c’était de
montrer le paysage lui-même. L’idée était de concevoir un espace d’où regarder le paysage de
la lagune. » Aoki explique que la forme n’est pas une finalité pour lui. Ce qui lui importe :
« Ce n’est pas l’objet d’art. C’est l’expérience. Non pas l’objet lui-même mais plutôt
l’expérience de l’espace. (…) Dans le cas du musée de la lagune de Fukushima, je pensais au
paysage changeant, et non à construire un objet. La relation au paysage est la clef de ce projet.
Je ne me préoccupais pas du tout de questions formelles »494, soutient-il.
Fig. 124. Musée de la lagune de Fukushima. Vue extérieure et vue intérieure. Photographies S. Dousse, 2018/03
494
Aoki Jun (2019), opus cit.
271
bien aussi. On peut très bien monter sur le toit puis redescendre en suivant la pente. On peut
apprécier le paysage changeant en visitant l’exposition. » Quant à l’esthétique :
« J’envisageais très bien de créer un fort contraste avec la zone environnante [la lagune, un
paysage de nature]. Dans ce paysage très horizontal [un champ libre, non construit], un
bâtiment d’apparence plus traditionnelle aurait également généré un contraste fort. Donc, pour
moi, cela revenait au même. Et j’ai pensé que dans une zone si sauvage, construire un
bâtiment très artificiel était en quelque sorte une attitude honnête. Plutôt que de construire un
bâtiment faussement naturel... Pour moi, c’était une attitude honnête. J’apprécie cela. »495
Quelques années plus tard, quand il a été impliqué dans la conception du musée d’art
d’Aomori496, Aoki Jun a suggéré au commanditaire (public) de mettre en œuvre le système de
climatisation par la neige préalablement mis au point dans la fondation de la neige : « J’avais
des données et des résultats, donc j’ai proposé d’utiliser ce système. Mais, le problème, c’est
que ce système est basé sur des conditions très naturelles. Or, au Japon, même dans le pays de
neige, il peut arriver que des hivers soient moins neigeux, voire pas neigeux du tout, ce qui
aurait mis en péril le système de climatisation par la neige. Pour le musée d’art d’Aomori,
notamment pour des raisons de conservation des œuvres, nous ne pouvions pas prendre le
risque d’avoir de mauvaises conditions thermiques en été. Il fallait prévoir un double système,
un système de back-up. Dès lors, le système de climatisation par la neige devenait secondaire.
Finalement, nous ne l’avons pas mis en place.497 » La neige à tout de même exercé un impact
déterminant dans la conception du musée. Cette fois-ci, il ne s’agissait plus de tirer un parti
fonctionnel de la neige. Il était plutôt question d’esthétique. Aoki Jun s’est inspiré du climat
du pays de neige pour créer une expérience sensible : « Le paysage de neige est un paysage
très blanc. Quand il neige beaucoup, tout disparait. On ne peut plus rien voir en dehors du
blanc. Alors j’ai rêvé d’un bâtiment qui s’estompe et disparaisse dans la neige. J’ai choisi
d’utiliser la brique pour construire une structure [robuste] qui supporte le poids de la neige
s’accumulant sur le toit. Si ce bâtiment est très massif, très lourd, c’est à cause de la neige...
Enfin, dans le paysage enneigé, la forme importe peu. Car le bâtiment disparaît dans
l’atmosphère de neige… En façade, la brique est peinte en blanc. L’hiver, le bâtiment
495
Aoki Jun (2019), opus cit.
496
Chef-lieu de la préfecture de Aomori (la préfecture la plus au nord de l’île de Honshu), la ville de Aomori
comptait 279 000 habitants pour une superficie de 824,6 km² (soit une densité de 338,35 hab./km²) (données en
date de 2020). Édifié sur un site de 130 000 m², le musée d’art d’Aomori totalise une surface de plancher de
15 837 m² (sur quatre niveaux, dont deux niveaux enterrés). Ce lieu d’exposition et de spectacle est consacré à la
présentation de la production d’artistes originaires de la région.
497
Aoki Jun (2019), opus cit.
272
s’estompe et disparait. Mais en été, la couleur blanche crée un contraste très fort avec le jardin
et la forêt, qui sont très verts498 », raconte-t-il.
Fig. 125. Musée d’art d’Aomori. Vue extérieure et vue intérieure. Photos : courtoisie du musée d’art d’Aomori
Fig. 126. Musée d’art d’Aomori. Vue sur la façade principale et l’accès au musée, vue sur le jardin et les cours.
Photographies : propriété du musée d’art d’Aomori.
498
Ibidem.
499
Ibid.
273
À l’occasion de ce projet, Aoki Jun a développé le concept d’architecture
« atmosphérique » : « Quand je disais « atmospheric », je parlais de la manière dont nous
pouvons contrôler l’atmosphère d’un espace. Je parlais de ce qui n’est pas visible – car
l’architecture ce n’est pas seulement les choses que l’on voit. On sent l’air. On sent
l’atmosphère. On peut créer une atmosphère dans une architecture, dans un bâtiment... » Si
Aoki ne répond pas à la question de savoir comment contrôler l’atmosphère d’une
architecture – « c’est la magie de l’architecture. N’est-ce pas ? So I think there is no logical
deal, or no ideal… » – il décrit néanmoins ses intentions : « L’atmosphère ou l’air du musée
d’art d’Aomori, c’est une perte d’équilibre. Les directions et les proportions varient tellement
que l’on perd notre point d’ancrage. Comme lorsque l’on est un peu ivre. Alors on perd notre
confiance en… en l’existence », explique-t-il en riant.
Fig. 127. Musée d’art d’Aomori. Vue sur les cours enterrées, vue sur une partie de l’espace d’exposition.
Photographies : courtoisie du musée d’art d’Aomori
274
question de gravité, ni de direction de l’espace. C’est simplement le fait de la distance qui
nous sépare de l’objet que l’on regarde… Dans certaines circonstances, la vision à 360°
disparait. Alors on perd notre point d’équilibre. Donc nous flottons un peu… »
Fig. 128. Musée d’art d’Aomori. À gauche : circulation intérieure. À droite : espace du musée et cour enterrée.
Photographies S. Dousse, 2017/11
275
8.2.2. Tezuka Takaharu et Yui, Naito Hiroshi, MVRDV et Ando Tadao : pour la plus
grande proximité avec les éléments extrêmes du paysage
Les architectes Tezuka Takaharu et Yui ont également construit une série de bâtiments
dans le nord du Japon. Le musée de sciences naturelles de Matsunoyama et les cafés/centres
communautaires Ikote et Stage engawa se trouvent dans la préfecture de Niigata, région
réputée pour ses sources thermales, ses rizières aménagées en terrasses, ses chutes de neige et
sa triennale d’art. Dans ce contexte climatique de très fort enneigement, Tezuka Takaharu
explique que la philosophie à l’origine de ces trois architectures était la même. Il s’agissait de
comprendre la nature et de concevoir des bâtiments qui permettent d’en faire partie : « Là-bas,
dans la préfecture de Niigata, il y a parfois jusqu’à dix mètres de neige. Autrefois, les
habitants de cette région vivaient profondément enfouis dans la neige ; ils creusaient parfois
des tunnels pour entrer et sortir de leur maison... Donc nous avons essayé de comprendre leur
manière de faire partie de la neige (to be part of the snow). Nous avons essayé de comprendre
la nature. D’être dans la nature plutôt que de retirer la neige... » Si les réponses architecturales
diffèrent en termes de matériaux, de structures et de formes, « c’est simplement du fait de la
dureté des conditions naturelles (because of the ash existence of nature)500 », explique
Tezuka. « C’est le niveau d’enneigement du site qui implique différentes réponses. À
Matsunoyama501, dans la forêt, il peut y avoir jusqu’à six ou sept mètres de neige. Le musée
de sciences naturelles peut être complètement enseveli. Quand nous avons conçu ce projet
nous avons essayé d’ouvrir ; mais si on ouvre, on meurt. Donc ce que nous avons fait –
accepter la neige et utiliser de l’acier corten pour les façades – était la seule solution possible.
Pour Ikote502 [un café et un lieu événementiel], qui se trouve dans le centre-ville de
Tokamachi503, le niveau d’enneigement est un peu plus faible. Dans ce projet, on ne retire pas
500
Entretien avec S. Dousse, 25 juillet 2019, à Tokyo. Voir annexe 10.
501
En 2003, la ville de Matsunoyama comptait une population de 2 963 habitants répartis sur une superficie de
86,31 km² (soit une densité de 34,46 hab./km²). En 2005, Matsunoyama et les villes voisines que sont Matsudai,
Kawanishi ainsi que le village de Nakasato ont été intégrés à la ville de Tokamachi. La région est réputée pour
ses onsen, ses rizières et pour le triennale d’art Echigo-Tsumari.
502
Édifié sur un site de 1 382 m², Ikote totalise une surface de plancher de 489 m² sur deux niveaux (surface
bâtie 312 m²). Son architecture est inspirée des arcades commerçantes (gangi) de Tokamachi.
503
Tokamachi comptait une population de 53 333 habitants pour 590,39 km² (soit une densité de 90 hab./km²)
(en date de juillet 2019). Le nom de la ville (toka : le dix du mois, machi : ville) provient du fait qu’à Tokamachi
un marché de rue était tenu tous les dixièmes jours du mois. Si, dans le passé, la dynamique communautaire de
Tokamachi était forte, comme c’est le cas de nombreuses villes rurales, elle est plus fragile aujourd’hui. La
volonté de redynamisation sociale explique la construction des bâtiments Ikote et Stage-Engawa.
276
la neige non plus. Elle s’accumule autour du bâtiment et, en hiver, on peut marcher sur le toit.
En été, dans la partie basse du toit, on peut soulever des auvents. On peut ouvrir. Enfin, pour
Stage-engawa504, qui est dans la ville de Sanjo, comme il y a encore moins de neige, on a
simplement surélevé le plancher d’environ quarante centimètres ; pour empêcher l’eau de
ruisseler à l’intérieur du bâtiment… Nous essayons toujours de trouver le moyen de faire
partie de la nature. Cette philosophie ne change jamais505. »
Fig. 129. Musée de sciences naturelles de Matsunoyama et centre communautaire Ikote. En haut à gauche : vue
extérieure. Photograhie : courtoisie du musée des sciences naturelles de Matsunoyama. En haut à droite : vue
intérieure du musée des sciences naturelles de Matsunoyama. Photo S. Dousse, 2018/03. En bas, de gauche à
droite : vue extérieure et vue intérieure du centre communautaire Ikote. Photos S. Dousse, 2018/03
504
Édifié sur un site de 1694 m², Stage-Engawa présente une surface de plancher de 277 m² sur un niveau et
70 m² d’espace extérieur. Avec une architecture inspirée d’une loggia, l’espace intérieur se prolonge à
l’extérieur.
505
Tezuka Takaharu (2019), opus cit.
277
Le musée du village de Matsudai, 2003 ; la bibliothèque municipale de Tokamachi, 1999 ; le centre
d’art contemporain d’Aomori, 2001 ; l’école de la nature de Tokamachi, 2011
Construit la même année que le musée des sciences des Matsunoyama, le musée du
village Matsudai506 témoigne d’un parti pris tout autre. Il a été conçu par les architectes de
l’agence néerlandaise MVRDV qui, à l’opposé de la démarche de Tezuka, ont abordé les
conditions climatiques en détachant le bâtiment du sol. Ici il ne s’agit pas d’exprimer une
« impression de flottement » comme le souhaite Aoki. Le bâtiment est un parallélogramme
surélevé sur quatre pieds par lesquels on accède au musée. En hiver, la neige s’accumule
autour et sous le bâtiment. On se tient éloigné de la nature. En été, l’espace dégagé sous le
musée forme une place où l’on peut organiser des événements pour que la communauté se
rassemble. Ce dispositif est tout aussi adapté à la contrainte climatique. Il témoigne
simplement d’une philosophie différente : les architectes néerlandais n’ont pas voulu « faire
partie de la neige » et « faire partie de la nature », comme Tezuka Takaharu, pour qui il est
impensable de se couper de l’environnement.
Fig. 130. Musée du village de Matsudai et bibliothèque municipale de Tokamachi. De gauche à droite : vue
extérieure du musée, vue extérieure de la bibliothèque. Photographies S. Dousse, 2018/03
506
Sa surface de 1 500 m² accueille espace d’exposition, classes, boutique, café et espace de reprasentations.
507
D’une surface de 4 498 m².
278
bibliothèque est optimisée. « Autrefois, les habitants de cette région vivaient profondément
enfouis dans la neige », rappelait Tezuka. À sa manière, Naito marque lui aussi un retour aux
manières d’habiter des temps anciens. Il adapte le bâtiment au milieu, non pas en s’en
éloignant, mais en s’y intégrant.
Fig. 131. Centre d’art contemporain d’Aomori. Vues extérieures. Photographies Takase Yoshio.
Enfin, Ando Tadao a lui aussi travaillé dans le pays de neige. En 2001, il a livré le
centre d’art contemporain d’Aomori508, une composition géométrique dans la lignée des
architectures qu’il composait alors. Ce musée qui privilégie l’exposition d’œuvres d’artistes
originaires de la préfecture d’Aomori comporte aussi des résidences pour accueillir des
créateurs du monde entier. Intégré à un environnement de forêt très enneigé en hiver, le centre
d’art contemporain est organisé autour d’un espace extérieur dont la pièce centrale est un plan
d’eau, une disposition favorable à la condition estivale, quand la chaleur gagne le nord de
l’archipel. La forêt et l’eau, ces thèmes apparaissent à nouveau dix ans plus tard, quand Ando
réalise l’école de la nature dans la campagne de Tokamachi, en 2011. Cet équipement éducatif
est constitué de deux bâtiments, l’un dédié à la forêt (mori no hall, la maison de la forêt) et
l’autre à l’eau (mizu no hall, la maison de l’eau). Comme la bibliothèque de Tokamachi, les
bâtiments de l’école de la nature sont des constructions de béton caractérisées par un grand
toit. Dans la maison de la forêt, après avoir emprunté une volée de marches qui nous permet
de prendre de la hauteur, on bénéficie d’un panorama sur le paysage. Le dispositif est inversé
dans la maison de l’eau où une volée de marches nous fait descendre jusqu’à un plan d’eau
dont on peut observer le biotope. Adaptées aux topographies, aux milieux naturels et au
climat, ces architectures sont intégrées au paysage. D’un point de vue programmatique autant
qu’architectural, le rapport au milieu en est le sujet principal.
508
Édifié sur un terrain de 262 500 m², le centre d’art contemporain d’Aomori offre une surface de 4 278 m².
279
Vues extérieures et vues intérieures de la maison de la forêt
280
Chapitre 9.
Synthèse de la troisième partie
281
dans leurs détails constructifs. Le toit est un élément déterminant des architectures de Naito.
Son design est généralement épuré. Pour autant, grâce aux outils de conception informatiques
et aux innovations techniques, les charpentes qu’il conçoit sont des ouvrages singuliers,
complexes dans leurs sections et leurs assemblages. Contrairement à Fujimori et à Kuma,
Naito ne fabrique pas des répliques ou des traductions modernes des constructions
vernaculaires. Il prend une certaine distance avec la tradition en tant que finalité formelle.
Déterminé par l’ingénierie des structures, son langage constructif est très contemporain. Le
lien au vernaculaire n’est pas illustré de manière littérale, pourtant on sent bien que Naito
saisit l’essence des lieux, l’interface entre géographies et aménagements. Il fabrique des
architectures qui, comme le bâti vernaculaire ancien, s’intègrent aux milieux dans lesquels
elles prennent place et s’y fondent ; des bâtiments qui ne font qu’un avec leur environnement.
Parmi les architectes des générations suivantes, Nakamura Hiroshi s’inscrit dans la
continuité de la démarche matérialiste et localiste développée par Fujimori Terunobu, Kuma
Kengo. Lui-même se place dans le sillon de Kuma, dans l’agence duquel il a commencé sa
pratique. Quand il intervient dans des localités situées en dehors des métropoles, Nakumura
entend mobiliser les artisans et les industries locales pour les faire travailler à des adaptations
modernes de leurs savoir-faire. Sur un plan symbolique, il s’agit de valoriser les cultures
constructives et les techniques artisanales locales. À l’origine de ces projets, une clientèle de
commanditaires privés qui souhaitent construire des équipements pour leurs communautés
(comme par exemple, dans la région boisée de l’ouest de Tokyo, le hall communautaire et la
chapelle du cimetière de Sayama) ou qui souhaitent stimuler l’attractivité de leurs activités
(comme par exemple, dans la région de la mer Intérieure, la chapelle ruban associée à l’hôtel
Bella Vista d’Onomichi). Aux yeux de Nakamura, cette méthode collaborative ancrée dans le
local participe au développement durable de la région : tout en alimentant l’activité des
artisans et des petites entreprises, on favorise la transmission des techniques et donc leur
maintien dans le temps. D’un point de vue constructif, alors que Kuma transfère des savoir-
faire artisanaux dans le monde de la construction industrielle et donc dans des standards, il
semble que l’approche de Nakamura reste plus proche du « faire » artisanal. Il est vrai que
Kuma construit des équipements de plus grande échelle (comme, par exemple, l’hôtel de ville
ou la bibliothèque de Yusuhara) et que ceux-ci lui sont commandités par le gouvernement, ce
qui induit peut-être une certaine standardisation. De son côté, Nakamura réalise des bâtiments
de plus petite taille commandités par des clients privés qui investissent dans la conception de
designs uniques et pour qui le « fait-main » est une qualité appréciée. De fait, tout en utilisant
282
les techniques de construction industrielle, plus que Kuma, Nakamura ménage une place aux
procédés artisanaux (comme pour la couverture de la chapelle de Sayama ou pour la
charpente du restaurant de l’hôtel Bella Vista). Dans sa pratique, les techniques artisanales ne
sont pas adaptées au monde de la construction industrielle. Elles sont renouvelées en
architectures singulières.
Alors que Nakamura Hiroshi réconçoit des ouvrages sophistiqués pour leurs détails
artisanaux, des bijoux de design haut de gamme à destination de clientèles fortunées, d’autres
architectes développent des approches localistes plus rustiques. C’est le cas notamment d’Abe
Ryo, de Manuel Tardits (Mikan) et de Hiroshi Sambuichi. Dans le contexte de la triennale
d’art Setouchi, tous trois ont réalisé des architectures bien intégrées au milieu des îles de la
mer Intérieure. Intégrées, elles le sont, grâce à l’emploi de matériaux organiques souvent
produits localement, voire même recyclés (Manuel Tardits réutilise des éléments de maisons
abandonnées, Sambuichi Hiroshi réemploye les briques des ruines d’une raffinerie de cuivre
abandonnée). Intégrés au milieu, ces architectures le sont également parce que leurs
concepteurs ont pris en compte les cultures constructives locales (l’habitat populaire de l’île
de Teshima pour ce qui concerne Abe Ryo, le savoir-faire d’un charpentier d’Ibukijima pour
Manuel Tardits). Enfin, ces bâtiments sont bien intégrés au milieu parce que leur conception
et leur maintenance engagent les communautés locales (la couverture du toit du restaurant
communautaire de Teshima est remplacée chaque année par l’architecte et les habitants eux-
mêmes, le pavillon d’Ibukijima a été construit par un groupe d’étudiants architectes en
collaboration avec un charpentier local) et que celles-ci en gèrent l’exploitation (Shima-
kitchen et le pavillon Iriko sont des lieux de préparation et de partage des repas). Du point du
vue du design, dans les réalisations de ces trois architectes, on observe une graduation entre
définition artisanale et esthétique contemporaine. Du côté de l’artisanat, Manuel Tardits
travaille à la manière des charpentiers en construisant un bâtiment doté d’une structure
poteaux-poutres en bois à laquelle il associe un grand toit couvert de tuiles recyclées et un
jardin sec. Il s’inscrit dans la continuité des constructions anciennes locales et de celles du
Japon en général. Du côté du contemporain, bien qu’il s’inspire des formes du bâti ancien
(comme les grands toits de chaume des maisons rurales), Sambuichi Hiroshi conçoit des
architectures dans une esthétique minimaliste très éloignée des modèles vernaculaires en tant
que tels. Entre ces deux polarités (le contemporain et l’historique), Abe Ryo vise la
conception d’une architecture qui soit à la fois unique et bien intégrée au village. En
employant de fins profilés métalliques, il construit un bâtiment qui est « juste un toit ». Point
283
d’équilibre entre culture vernaculaire et création contemporaine, le toit le plus bas du village
suscite une « expérience spatiale nouvelle ».
284
environnement. Après que Kuma ait entrepris de faire disparaître les bâtiments dans le
paysage en effaçant l’architecture dans le sol, Fujimori crée des structures aux formes
évocatrices de celles de la montagne et Naito Hiroshi développe des bâtiments dans des
jardins intégrés à la topographie et à la végétation. Motivé par l’intention de se rapprocher de
la tradition, de faire vivre des techniques artisanales en voie de disparition et de soutenir les
milieux naturels en favorisant leur entretien (donc leur renouvèlement), l’emploi de matériaux
organiques revêt également une dimension paysagère car il permet de fusionner matérialités
du milieu et matérialités des bâtiments. Pour autant, l’intégration des architectures
contemporaines aux milieux naturels dans lesquels elles prennent place ne se limite pas à
l’utilisation de matériaux organiques directement puisés dans l’environnement. En effet,
Tezuka Takaharu et Yui emploi de l’acier corten (en façade du musée des sciences naturelles
de Matsunoyama) et le béton reste un matériau largement utilisé dans l’ensemble des
bâtiments observés. Si Fujimori et Kuma cachent le béton et l’acier derrière des parements en
matières organiques, Ando Tadao bien sûr, mais également Naito Hiroshi et les architectes
des générations suivantes (comme Tezuka Takaharu et Yui, Nakamura Hiroshi ou Abe Ryo)
assument d’employer des techniques industrielles. Ils combinent matériaux chauds et froids,
organiques et industriels, pour faire vibrer les matérialités les unes avec les autres. Tout en
étant contemporaines dans leur style et en permettant des expériences spatiales nouvelles, les
architectures étudiées ici sont parfaitement intégrées aux milieux. Parce qu’ils assimilent les
cultures constructives et les modes de vie locaux et parce qu’ils sont constitués de matériaux
puisés dans l’environnement, ces bâtiments semblent à la fois provenir du milieu et le modeler
en retour.
285
286
Introduction de la quatrième partie.
L’architecture telle que perçue par les Japonais eux-mêmes
Réflexions sur l’architecture, la nature et l’écologie
Le texte qui suit a été rédigé à l’issue d’une période de discussion avec des architectes
et d’autres interlocuteurs japonais. Ces échanges ont débuté à Paris, en mai 2019, avec le
professeur Hirao Kazuhiro, alors accueilli par le CRCAO pour développer certaines
recherches en France. Ils ont été développés au Japon, entre juin et septembre, ainsi qu’en
novembre de la même année, avant la fermeture des frontières quelques mois plus tard…
Cette démarche d’analyse et de transmission des témoignages recueillis était centrale à la
présente recherche. Elle était même fondatrice, perçue comme une nécessité pour approcher la
subjectivité locale. En effet, il n’était pas question d’élaborer des interprétations faussées par
un brouillage culturel en appliquant des critères et un cadre conceptuel inadaptés à la manière
de voir, de vivre et de penser les bâtiments et la relation à l’environnement au Japon. Cet
impératif, cette attente, cette exigence de subjectivité ont été annoncés d’emblée aux
interlocuteurs afin de les inviter à expliciter ce qui aurait pu leur sembler simpliste à raconter.
Des évidences, des détails, des choses que tout le monde sait et dont on ne parle pas, car nul
besoin de les théoriser ou de les préciser à l’aide de mots ne se fait sentir. Reliés les uns aux
autres, les développements tissent un récit ; celui d’une certaine relation à la nature et d’une
certaine vision de l’architecture, en lesquelles la pensée de l’écologie se pose comme
découlant d’une certaine vision du monde. Il est question du climat local, de l’architecture
pré-moderne, de sa relation au jardin et à ce qui l’entoure ; d’une relation intime à la nature
que l’on approche par le ressenti et les émotions ; d’un imaginaire qui articule les extrêmes (la
nature la plus riche et la plus sévère à la fois) ; de croyances animistes qui fondent une
perception holiste du monde (tout est la nature, l’humain et ses artefacts y sont intégrés, ils
peuvent et doivent lui être profitables) ; d’une écologie spontanée et évidente, basée sur la
conscience d’une nécessaire coexistence ; d’une critique des critères techniques, performatifs
et normatifs attachés à l’écologie telle qu’elle est développée en Occident et diffusée de par le
monde ; d’une invitation à la sobriété et à la révision de nos exigences de confort ; d’un
éventuel changement de paradigme et d’une invitation à repenser les finalités de l’architecture
– la liste des sujets abordés n’est pas exhaustive.
287
288
Chapitre 10.
De l’intemporalité d’une culture dans son rapport à la nature
Pour aborder la notion de « nature » telle qu’elle peut être envisagée dans le contexte
japonais, il convient notamment de s’intéresser aux caractéristiques géographiques et
climatiques de ce pays insulaire situé entre l’océan pacifique et la mer du Japon, à l’est de la
Chine et au nord de Taiwan. Composé de 6 852 îles de plus de 100 m² – dont les quatre
grandes îles de Hokkaido (la plus septentrionale), Honshu (l’île centrale, la plus vaste, où se
trouvent les grandes métropoles de Tokyo, Osaka, Kyoto, Kobe, Nagoya et Hiroshima),
Shikoku (au sud de Honshu) et Kyushu (au sud de Shikoku) –, l’archipel s’étire sur environ
trois mille kilomètres, sur des latitudes (de 43° N à 24°N) entraînant d’importantes différences
géographiques et climatiques entre les extrêmes nord et sud509. Tandis que, voisine de la
Sibérie, l’île d’Hokkaido (à 70% constituée de forêt) connait des hivers rigoureux (de
novembre à mars) avec d’importantes chutes de neige et des températures pouvant osciller
entre -4 et -12 degrés Celsius selon l’altitude et la latitude, voisin de Taiwan, l’archipel
d’Okinawa jouit quant à lui d’un climat subtropical humide et chaud, avec des températures
variant entre 15 et 32 degrés Celsius. Fréquemment qualifié de « pays des extrêmes », le
Japon a donc la particularité de présenter banquise et taïga au nord, tout en recelant mangrove
et récifs de coraux au sud. En ce qui concerne les île centrales de Honshu, Kyushu et Shikoku,
bien que des différences climatiques se fassent sentir – notamment entre la côte de la mer du
Japon et celle de l’océan Pacifique (la première est exposée aux vents et à la neige alors que la
seconde profite d’un temps clément même en hiver), entre le sud et le nord de Honshu (la
région du Tohoku est surnommée « pays de neige ») et relativement à certaines zones situées
en altitude –, ces îles bénéficient d’un climat tempéré, avec quatre saisons marquées, dont un
long été chaud et humide qui s’étend de juin à septembre.
Les saisons impriment leur rythme à l’année ainsi qu’un lot de phénomènes naturels
plus ou moins profitables aux habitants de l’archipel. Parmi ces phénomènes, des scènes
509
Un écart de latitudes qui correspond à la distance entre Québec et Miami, indique le géographe Philippe
Pelletier. PELLETIER, Philippe, Atlas du Japon. Après Fukushima, une société fragilisée, Paris, éditions
Autrement, 2012, p. 24.
289
saisonnières sont appréciées pour leur esthétisme et leur poétique510 : rougeoiement des
érables en automne, neiges immaculées en hiver, cerisiers en fleurs au printemps et rizières
d’un vert intense en été sont admirés, célébrés et parfois même incorporés au quotidien, dans
l’architecture, dans le jardin et dans la décoration notamment. Parallèlement à cet
enchantement toujours renouvelé par la beauté et le raffinement de la nature – beauté de la
nature et relation intime entre les Japonais et la nature élevés au rang de caractère identitaire
national511 –, il faut également compter avec un certain nombre d’événements issus de sources
telluriques ou météorologiques, vis-à-vis desquels on essaie de prémunir autant que possible,
mais auxquels il faut de toute manière faire face. En ce qui concerne les forces telluriques, le
Japon étant situé sur un alignement de volcans (ce que l’on appelle la ceinture de feu du
Pacifique), le mouvement des plaques tectoniques entraîne de fréquentes secousses, d’où de
puissants séismes, des raz-de-marée (tsunami) et des éruptions volcaniques aux conséquences
souvent dramatiques pour les vies et les installations humaines. Du côté des puissances
météorologiques, chaque saison apporte sa part d’excès : fortes précipitations entraînant crues,
inondations et glissements de terrain pendant la saison des pluies (entre juin et juillet),
tempêtes tropicales en été (de juillet à octobre), épisodes caniculaires (en aout généralement,
mais parfois également entre juin et septembre), vagues de froid, accumulations de neige
(jusqu’à plus de six mètres dans le nord du pays) et avalanches en régions montagneuses.
510
Dont la symbolique a été élaborée à travers les arts et les lettres depuis le VIII e siècle. À cette époque est
compilé le Man.yoshu (Recueil des dix-mille feuilles), première anthologie de poésie japonaise, qui rassemble
plus de 4 500 poèmes décrivant des meisho, des sites renommés pour leur beauté, qui ont inspiré la peinture de
paysage et l’art du jardin dans la composition de scènes paysagères.
511
WATSUJI Tetsurô, Fûdo, le milieu humain, Paris, éditions du CNRS, 2011, 330 p.
512
Tezuka Takaharu, entretien avec S. Dousse, le 25 juillet 2019, à Tokyo. Voir annexe 10.
290
une interprétation évolutionniste de la résistance des humains à la catastrophe nucléaire513
causée par le séisme et le tsunami qui ont ravagé la côte est de la région du Tohoku (au nord
de Honshu) en mars 2011 : « Les gens continuent à vivre. Ils retournent à Fukushima. (…)
Certains meurent à cause des radiations, d’autres surmontent cela parce qu’ils deviennent plus
résistants.514 » Au-delà de ces interprétations personnelles (non fondées scientifiquement), le
thème de la résilience des Japonais est parfois relativisé quand, sur le terrain, pendant et/ou
après des événements de nature catastrophique, ce comportement apparaît de l’ordre de
l’évidence. C’est ce qu’indique la formule courante shikata ga nai, dont le sens – « on ne peut
rien faire » ou « il n’y a rien à faire » – n’est pas nécessairement fataliste. Dans la pratique, il
faut bien faire avec : se préparer, s’adapter et agir ; réparer, reconstruire ; continuer ou
reprendre le cours de sa vie. Et l’écrivain japonaise domiciliée en France Sekiguchi Ryoko515
de relever que, dans le cadre du traitement médiatique français des événements liés à la triple
catastrophe516 (séisme, raz de marée, accident nucléaire) endurée par les habitants de la région
du Tohoku en 2011517 : « La presse invoque la discipline des Japonais. Certains veulent
trouver une clé dans la conception japonaise de l’ "impermanence des choses", d’autres dans
notre religion. D’autres disent encore qu’il s’agit de résignation. (…) En tout état de cause, si
différence il y a [entre Japonais et Français], il ne s’agit pas ici d’une différence de mentalité.
C’est l’habitude acquise, un apprentissage très pragmatique qu’ont fait tous les Japonais.
Parce que les catastrophes naturelles, nous savons bien qu’elles se produisent. Cela n’a rien de
fataliste ; c’est un fait avéré. On le sait bien. On nous l’apprend à l’école. On est entraîné à
réagir en cas de tremblement de terre. Tous les enfants japonais savent ce qu’il faut faire en
cas de tsunami, ou d’avalanche dans les régions montagneuses. Pourtant cela ne suffit pas à
s’en prémunir. Il y a des typhons tous les ans, parfois accompagnés de coupures d’électricité,
513
Une série d’explosions se sont produites dans les réacteurs 1 à 3 de la centrale nucléaire Fukushima Daiichi.
Après que le tremblement de terre ait provoqué une rupture d’alimentation électrique et les eaux du tsunami noyé
les groupes électrogènes des réacteurs, la station de pompage des réacteurs nucléaires a cessé de fonctionner, en
conséquence de quoi le niveau d’eau de refroidissement a baissé, la température et la pression ont augmenté, un
début de fusion du comestible a été constaté. On a voulu y remédier par injection d’eau de mer et décompression,
des opérations qui ont causé une accumulation d’hydrogène et entraîné l’explosion de bâtiments extérieurs. Plus
tard, pour parer aux émissions radioactives de ces explosions, la population occupant le territoire périphérique
aux réacteurs (sur un rayon de 40 km) a été évacuée. Encore aujourd’hui, ces émissions radioactives portent à
conséquence (pour cause : le césium 137, l’un des composants des particules radioactives, présente une durée de
radioactivité de 30 ans). POUPÉE Karyn, Les Japonais, Paris, Tallandiers, 2012 (2008 pour la première édition),
p. 207.
514
Tezuka Takaharu, opus cit.
515
SEKIGUCHI Ryoko est née en 1970, à Tokyo. Elle a fait des études de journalisme à l’université de Waseda à
Tokyo, puis d’histoire de l’art à la Sorbonne, à Paris, et enfin un doctorat en littérature, à Tokyo.
516
Désormais appelée San.ichi.ichi (3.1.1.) en référence à la date de survenue des événements.
517
Sur 450 000 habitants, on a recensé 15 894 morts et 2 562 disparus. ( PELLETIER, Philippe, La fascination du
Japon, Paris, Le Cavalier Bleu, 2020 (pour la 3 e édition), p. 73.)
291
avec antennes ou toits de maisons qui s’envolent. C’est comme ça.518 » Selon Tezuka,
l’optimisme et la vie l’emportent : « Quand survient une catastrophe, les Japonais endurent.
Ils reconstruisent… Et ils restent positifs. Ils disent : "ça ira mieux demain, peut-être... !" 519 »
conclue-t-il en riant.
292
meilleur moment pour manger tel ou tel aliment. Tout au long de l’année nous mangeons les
aliments au moment où ils sont le plus nutritif. Le Japon, ou plutôt l’Asie du sud-est est super
riche. C’est un hot spot écologique524 ! » Et sur la prégnance des catastrophes
naturelles : « Fondamentalement, notre nature est assez riche pour nous permettre de survivre.
Elle est suffisamment douce. C’est pourquoi nous devons accepter les désastres. Parce que
c’est un ensemble [en anglais, Kawai Toshiaki dit : it’s a set]. Si nous acceptons cette nature
si riche, alors nous devons accepter les catastrophes. » Pour résumer : « Grâce à ces bénéfices
[douceur du climat et productivité de la nature], les Japonais ont été en mesure d’accepter
l’existence des catastrophes. Ceci étant dit, oui, nous avons l’une des natures les plus
sévères »525, conclue-t-il avec sérieux.
524
Kawai Toshiaki, entretien avec S. Dousse, le 25 novembre 2019, à Kyoto. Voir annexe 15.
525
Ibidem.
526
Ibid.
527
Abe Ryo, entretien avec S. Dousse, le 25 juillet 2019, à Tokyo. Voir annexe 9.
528
Discipline créée en Europe pendant la période de la Renaissance et transférée au Japon à l’époque moderne,
pendant l’ère Meiji, vers 1880.
529
Abe Ryo, opus cit.
293
toit". Pour Utzon, l’architecture c’est : enclore ; créer un espace ; poser une chose dans la
nature ; une chose distincte de ce qu’il y a autour. Par ailleurs, Ludwig Mies Van der Rohe a
dit "le verre est un mur transparent". Mais au Japon, nos fenêtres ne servent pas uniquement à
voir l’extérieur. Il s’agit d’ouvrir. Juste ouvrir. Le mur est subsidiaire. Le toit vient d’abord.
Le mur est juste additionnel… La base de l’architecture japonaise c’est d’ouvrir [l’intonation
insiste sur le mot ouvrir]. La nuit, on ferme en installant les kudamada (volets en bois), mais
pendant la journée, c’est complètement ouvert. On a éventuellement des shoji (cloisons de
papier) qui laissent passer la lumière et empêchent l’air d’entrer… Mais la base c’est :
ouvrir »530. D’après Abe et Tezuka, traditionnellement au Japon, on ouvre les bâtiments pour
profiter de la nature, sans chercher à s’en protéger. De fait, le toit est essentiel, le mur non.
Fig. 133. Le restaurant communautaire Shima-kitchen531 et son environnement. Photos S. Dousse, 2018/04
530
Tezuka Takaharu, opus cit.
531
Voir supra, chapitre 8.1.1. Un bâtiment conçu par Abe Ryo à Teshima, préfecture de Kagawa, en 2010.
532
Akagi Takashi, entretien avec S. Dousse, le 28 juin 2019, à Kyoto. Voir annexe 3.
533
Abe Ryo, opus cit.
294
projets. Ceci dit, d’après Tezuka Takaharu, l’ouverture des bâtiments ne se réduit pas au
climat : « Au Japon, il fait parfois froid en hiver, pourtant les gens apprécient quand même
l’ouverture. (…) Même dans la préfecture de Niigata [dans le nord de Honshu, sur la côte de
la mer du Japon, où Tezuka a conçu plusieurs bâtiments], l’architecture consiste à enclore
avec des cloisons de papier. Ils pourraient construire des murs avec des petites fenêtres mais
ils ne le font pas. Ils ouvrent.534 » Selon Tezuka, ce qui fait la différence entre l’Europe et le
Japon, ce n’est pas un écart de températures : « La différence vient du rapport à la nature. De
la manière de vivre avec la nature. » À l’image du pavillon de thé et de la cérémonie que l’on
conduit en ce lieu, ce qui importe, c’est la relation au paysage : « En japonais, on appelle cela
shitsurai, ce qui, en anglais, signifie : set-up [en français : l’arrangement, la situation]. » Pour
illustrer son propos, Tezuka raconte une histoire : « Il s’agit d’un maître de thé japonais. Ce
maître de thé a créé une situation pour réaliser la cérémonie du thé. Dans une pièce dotée de
cloisons coulissantes permettant une vue sur le paysage, il a installé un tapis et il a invité des
personnes très importantes à qui il a servi le thé. Lorsque ces personnes ont réalisé que ce qui
leur était servi n’était que de l’eau, le maître leur a dit : "Ceci n’est pas seulement de l’eau.
Regardez ce paysage. Je suis allé chercher cette eau au sommet de cette montagne. C’est une
eau très spéciale..." Alors les gens ont pensé que cette eau était différente. Qu’elle était
particulièrement bonne. Mais peut-être qu’en vérité le maître de thé leur a servi une eau
normale… Cette histoire, cet arrangement, ce lieu, cette partition, tout cela fait que l’eau a un
goût différent. Pourtant la formule chimique de l’eau est la même. Les ingrédients sont les
mêmes. Mais le goût est différent. Nous appelons cela shitsurai. C’est la situation.
L’architecture japonaise est comme cela… Pour résumer : créer une fenêtre donne une
vue ; mais si vous coupez la nature de la bonne manière, comme avec un très bon couteau on
coupe de très fines tranches de poissons cru, alors le goût est raffiné ; alors vous obtenez une
belle et délicieuse part de nature ; avec une certaine vue, une certaine brise, une certaine
orientation, certains sons, etc. ; des conditions qui font qu’on se sent bien... L’essentiel c’est
que, lorsque nous [Japonais] concevons une architecture, nous concevons un shitsurai, une
situation. Nous ne concevons pas un abri. Nous prenons part au monde. L’architecture n’est
pas un abri535 », insiste Tezuka Takaharu qui y voit une fonction plus essentielle, voire même
existentielle, d’intégration de l’homme au monde.
534
Tezuka Takaharu évoque la philosophie à l’origine des projets qu’il a conçu dans la préfecture de Niigata : le
musée des sciences naturelles de Matsunoyama, en 2003 ; le café communautaure Ikote, à Tokamachi, en
2015 ; le café communautaire Stage Engawa, à Sanjo, en 2016. Voir supra, chapitre 8.2.2.
535
Tezuka Takaharu, opus cit.
295
10.1.3. Apprécier les changements de saison et s’y fondre
536
Aoki Jun, entretien avec S. Dousse, le 18 juillet 2019, à Tokyo. Voir annexe 6.
537
Ibidem.
538
AOYAMA Shundô, Le Zen et la vie, Paris, Albin Michel, 2015 (édition originale japonaise 1983), p 101.
539
Ibidem. p. 112.
296
« L’architecture japonaise ne relève pas tant du domaine de la logique. Nous ne cherchons pas
à développer des doctrines ou des concepts fondamentaux. Nous aimons les bâtiments
mystérieux ou ambigus ; que l’environnement change en permanence ; comme les saisons ;
que tout soit très changeant...540 Apparition. Disparition. Évanescence. Tout ça est très
intéressant pour nous. Tout est toujours flottant ; et tout est toujours changeant ; et nous
sommes au milieu de ces changements. C’est très confortable pour nous ! Il me semble que la
culture occidentale du bâti est plus organisée, plus solide, plus logique, plus construite (more
man-way constructed)…541 ».
Fig. 134. Musée d’art d’Aomori542. Vues sur l’espace café et l’environnement enneigé. Photos S. Dousse,
2017/11
Il ressort de ces entretiens avec des architectes que l’ouverture sur l’extérieur et les
configurations spatiales des bâtiments de la période pré-moderne ne découlent pas
uniquement des contraintes climatiques. L’architecture au Japon est aussi un dispositif de
positionnement de l’humain dans le monde, assurant moins sa protection que sa mise en
relation avec l’environnement, et ce malgré la fréquence des aléas naturels à conséquences
catastrophiques. Elle permet aux Japonais (qui, de par leur culture, y sont sensibles) de se
sentir embarqués dans le cycle des saisons, de profiter des métamorphoses continues de la
nature en se plaçant au plus près des phénomènes. À l’occasion d’une résidence à la Villa
Médicis en 2013-2014, Sekiguchi Ryoko a consacré un livre au sujet de la relation des
Japonais aux saisons et, par là, à la nature et au temps qui passe. À propos de la notion de
changement continuel évoquée par Aoki Jun, Sekiguchi écrit : « Le temps qu’a duré mon
séjour romain, j’ai songé que je ne m’étais jamais sentie aussi japonaise – japonaise au sens
où j’étais devenue particulièrement sensible aux moindres signes du changement de saison.
(...) À la Villa, il me semblait sentir le temps évoluer presque au jour le jour, (…) par le
540
Cette sensibilité est au cœur de la démarche de conception du musée d’art d’Aomori, construit en 2006, à
Aomori (préfecture d’Aomori). Voir supra, chapitre 8.2.1. Quand il a conçu ce musée, Aoki Jun a forgé le
concept d’architecture « atmosphérique ». Voir infra, annexe 7, entretien avec Aoki Jun.
541
Aoki Jun, opus cit.
542
Voir supra, chapitre 8.2.1. Un bâtiment conçu par Aoki Jun à Aomori, préfecture d’Aomori, en 2006.
297
contact de l’air sur la peau, par la couleur des feuilles, les lucioles apparues vers la fin du
printemps et disparue déjà deux semaines plus tard, par le toucher des troncs d’arbres. (…)
plus Japonaise que jamais au sens où j’étais pleinement attentive à tout ce qui m’entourait, et
où je pouvais entrer en relation avec les saisons (…)543 ». Sekiguchi décrit la dimension
émotionnelle du rapport des Japonais à la nature et le caractère d’intimité ressenti : « Les
saisons, c’est un sentiment, une émotion. Nous entretenons avec chacune d’elles une relation
intime et personnelle. Sentir cet attachement (…) c’est être dans l’instant, être dans la
vie544 ». Que se passe-t-il précisément quand nous – et pas seulement les Japonais – observons
les changements de la nature au fil du temps ? « À la temporalité historique et biologique,
s’oppose la temporalité botanique et son oscillation qui nous touche ». Les saisons nous
permettent de comprendre le monde qui nous entoure et dont nous faisons partie. Elles sont
« des ponts qui nous lient aux autres êtres vivants »545. Elles nous donnent accès au domaine
phénoménal, qui par nature est généralement impalpable, insaisissable et fluctuant. Ce que
nous appelons « saisons » nous permet de penser et de ressentir notre inscription dans un
vaste ensemble qui nous englobe et nous dépasse, qui nous contient et nous affecte, de
manière à la fois concrète et sensible.
298
parce que leur floraison somptueuse nous donne la sensation d’un rêve éveillé ; c’est aussi
parce qu’elles sont éphémères, qu’elles tombent à peine fleuries, qu’on les apprécie 546 », écrit
Sekiguchi Ryoko. Pour parler de ce monde où tout fluctue, la nonne Aoyama Shundo
commence son livre par le chapitre intitulé « En entendant la voix du fleuve » et avec les
propos suivants : « Dans la vallée, l’eau de tout fleuve ne cesse jamais de couler. Pas même
pour un instant elle n’interrompt le flux rapide de son cours. (…) Pas même une seule goutte
ne passe une deuxième fois sur une même pierre, et le son de l’eau qui clapote contre un
rocher change, lui aussi, constamment. (…) Bien qu’ils soient emportés moins rapidement, les
pierres, les arbres, les maisons et les villes passent également. La vie des êtres humains et de
tout ce qui vit passe pareillement. (…) [Poutant,] dans l’instant même où nous nous incluons
dans ce continuel devenir, nous pouvons trouver la joie dans cette constante
transformation »547. Les maîtres zen nous disent l’insignifiance des notions de passé et de
futur. « Pour ce qui est du passé : ce qui a été n’existe plus ; c’est passé. Quant au futur : nous
ne savons pas si nous le connaîtrons, car nous ne connaissons pas la date de notre mort548 »,
explique le moine Nagata Gensho, de l’école zen Rinzai, rencontré au temple Obai-in, dans
l’enceinte du Daitoku-ji549, à Kyoto. Ces religieux bouddhistes nous parlent d’une éternelle
naissance ou renaissance : « Parce que chaque jour, chaque matin est nouveau. S’éveiller
chaque matin comme un nouveau-né. Aussi frais et nouveau550 », dit Nagata Gensho. Présent
au monde. De fait : « Lorsque l’eau a coulé le long des berges, elle ne peut plus rebrousser
chemin. Ce n’est pas différent pour l’existence humaine. Ce ne sont que nos yeux et notre
esprit mondain qui considèrent qu’hier est identique à aujourd’hui. Des yeux et un esprit
illuminés devraient reconnaître que chaque moment a sa propre forme qui est différente de
tout autre moment551 », écrit la nonne Aoyama Shundo. S’immobiliser dans la position assise
et juste respirer ; percevoir ce qui est et se sentir soi-même partie du grand Tout ; dans le
moment présent, qui s’actualise à mesure que le temps passe et que la vie fluctue, qui n’est
jamais le même. C’est la pratique méditative (zazen/méditation assise) que le zen impose,
ainsi qu’une attention et une présence spéciale aux gestes quotidiens, même les plus simples,
à exécuter en conscience. Dans la pensée orientale (le zen est la branche japonaise du
bouddhisme importé de Chine au Japon au VIe siècle), ce que nous, Occidentaux, appelons
« nature », c’est l’existence.
546
Ibid. p. 106.
547
AOYAMA Shundo, opus. cit., p. 9-11.
548
Nagata Gensho, entretien avec S. Dousse, le 24 novembre 2019, à Kyoto. Voir annexe 14.
549
Établie en 1319 au nord-ouest de Kyoto, le Daitoku-ji est un monastère bouddhique de l’école zen Rinzai.
550
Nagata Gensho, opus cit.
551
AOYAMA Shundo, opus cit., p. 11.
299
10.1.4. Être au plus près de la nature malgré les catastrophes
552
Une école réalisée par Takaharu Tezuka et Yui en 2007 à Tachikawa (préfecture de Tokyo). Récompensé par
l’AIJ (Architectural Institut of Japan) en 2008, ce bâtiment a été élu « meilleure école du monde » par le CELE
(Center for Effective Learning Environments) en 2011 – le CELE étant un forum international sous l’égide de
l’OECD (Organisation for Economic Co-operation and Development), une organisation internationale qui œuvre
pour la mise en place de politiques publiques en faveur de l’amélioration des conditions de vie en visant
« prospérité, égalité des chances et bien-être pour tous ».
553
Tezuka Takaharu, opus cit.
554
« Voir, toucher, sentir, penser et agir. “L’expérience ne peut pas être enseignée”. » Telle est résumée la
pédagogie de cette école qui mise sur l’expérimentation, sur l’esprit d’initiative et la dimension collective pour
favoriser la conscience des risques et l’apprentissage de l’entraide. www.fujikids.jp/en Manuel Tardits raconte
l’histoire de la conception de cette école où sont appliqués les principes Montessori : « Le jardin d’enfants
Fuji », magazine Tempura, numéro 4, Paris, éditions Tempura, 2020, p. 14-15.
555
Tezuka Takaharu indique que dans une école normale les enfants courent en moyenne 800 m/jour, mais en
moyenne 4 km/jour dans cette école. TEZUKA Takaharu, conférence « Beyond architecture », les entretiens de
Chaillot, Cité de l’Architecture et de Patrimoine, Paris, 4 avril 2016.
556
Un groupe de Zelkova serrata ou Zelkova du Japon, arbre à feuilles caduques et à large ramure pouvant
atteindre trente mètres de haut à maturité.
557
L’architecte a implanté les fondations du bâtiment en fonction de l’emplacement des racines (qui s’étendent
sur un diamètre de 25 m autour des arbres). Aussi, si les nombreux poteaux (de 150 mm de section) qui
composent la structure du Fuji Kindergarten semblent disposés de manière aléatoire, leur position est en réalité
très précise.
300
philosophie ne change jamais.558 Car l’être humain ne peut pas vivre s’il ne fait pas partie de
la nature.559 »560 Au cœur de la démarche de Tezuka Takaharu et Yui, l’idée que le sujet
principal de l’architecture c’est les gens, et que l’architecture est un dispositif qui les connecte
à l’environnement ambiant.
Nous devons être dans la nature même si celle-ci est régulièrement dangereuse, tel est
le propos. Dans un contexte français, où les forces climatiques et telluriques sont pourtant
moindres, on imagine difficilement la construction d’une école telle que le Fuji Kindergarten.
Le risque qu’une branche cède, chute et blesse ou tue excluant l’option d’une architecture
sous les arbres. Il y a donc divergence de point de vue, différence culturelle. Il est pourtant
possible de diagnostiquer la rupture du bois (en coupant une branche morte ou en voie de le
devenir) et l’on peut éviter de s’exposer aux risques lors de la survenue de vents puissants,
donc prévenir les accidents, du moins quand on est habitué à ce genre d’attitude. « Bien que
nous vivions de nombreuses catastrophes naturelles, nous ne nous confrontons pas à la nature
558
Tezuka Takaharu évoque la philosophie à l’origine des architectures qu’il a conçues dans la préfecture de
Niigata. Malgré le fort enneigement de la région, l’une des caractéristiques principales de ces bâtiments est leur
grande ouverture sur l’extérieur. Voir supra, chapitre 8.2.2.
559
Tezuka Takaharu illustre son point de vue par de nombreux exemples. Il montre la captation vidéo
(enregistrée par lui) d’un rituel traditionnel en Indonésie. Le rituel a lieu de nuit, dans un groupe d’hommes :
« Vous entendez ce son très intenses en arrière plan des chants ? Maintenant que nous regardons cette vidéo, à
Tokyo, nous entendons ces sons que font les insectes, mais quand j’étais dans la forêt, comme tous ceux qui y
étaient aussi, je ne les entendais pas. Je n’en avais pas conscience. Parce qu’alors je faisais partie de la jungle.
Des scientifiques me l’ont expliqué : notre organisme est capable d’effacer ces bruits si intenses. Mais quand
nous sommes détachés de la nature, notre système de captation des sons ne travaille pas. Il en est de même pour
les sons émis par le corps. La respiration, les battements du cœur, le système cardiovasculaire etc., tout cela fait
beaucoup de bruit. Quand on fait de la plongée sous-marine, on entend les bruits de notre corps. Si on va dans un
espace très calme, comme un studio de télévision ou un laboratoire, on réalise que notre corps émet beaucoup de
sons. Ce qui se passe avec les enfants autistes, c’est que, lorsqu’ils se trouvent dans un espace fermé, ils
entendent le bruit de leurs corps. Par ailleurs, quand on installe un nouveau né dans un espace très calme, comme
cela arrive dans certaines riches familles chinoises, alors le nourrisson commence à avoir des déséquilibres
mentaux. Il y a une littérature scientifique à ce sujet. Si l’on ne fait pas partie du bruit, alors notre esprit se
brouille… On peut dire la même chose sur les bactéries. Le système immunitaire fonctionne grâce à des
échanges entre l’intérieur et l’extérieur. Si rien ne vient de l’extérieur, notre système immunitaire tombe en
panne. On meurt. Très rapidement… Tout cela démontre bien que l’on ne peut pas vivre si l’on ne fait pas partie
de la nature. » Tezuka Takaharu, opus cit.
560
Ibidem.
561
Biennale d’architecture, Arsenal, Venise, 2018 (photographies S. Dousse, 2018/09).
301
pour autant. Nous pensons plutôt – du moins, dans le passé, nous avions coutume de penser,
et nous le pensons encore aujourd’hui parfois – que les humains coexistent avec la nature562 »,
explique l’architecte Nakamura Hiroshi. Quant à un éventuel dilemme entre cette intention de
coexistence avec la nature et la nécessité de s’en protéger, Nakamura ne voit aucune
contradiction : « Peut-être que, dans la culture occidentale, le sens commun est de se protéger
en créant une limite entre les gens et la nature, entre l’intérieur et l’extérieur – créer une
séparation ; construire un mur – mais au Japon, nous vivons dans une sorte de graduation –
nous fabriquons des sortes de zones, des espaces gradués…563 ». Comme Tezuka, Nakamura
place les utilisateurs des bâtiments au premier plan de son architecture et de sa manière de la
concevoir. « Ma philosophie s’attache aux comportements (behaviours). Nous [l’agence
d’architecture Hiroshi Nakamura & NAP] étudions les comportements des gens [les attitudes,
les postures]. Nous étudions aussi les comportements de la nature. Sans rien imposer, en
douceur, nous guidons le comportement des gens afin de générer de la sympathie. De la
sympathie entre les gens. De la sympathie entre les gens et la nature. 564 » Ici, l’emploi du mot
sympathie place à nouveau la relation à la nature dans le domaine de l’affectif. Nakamura
travaille une architecture de la relation – relation entre les gens, relation à la nature. Lui-même
reconnaît que, puisées dans la culture architecturale du Japon de la période pré-moderne et
réinterprétées en y intégrant les paramètres techniques, fonctionnels et symboliques de notre
temps, ces qualités relationnelles font la valeur ajoutée de son architecture.565
Fig. 137. Le musée Roku (conçu par Nakamura Hiroshi, à Oyama, préfecture de Tochigi, 2010). L’entrée du
musée et son jardin, l’espace café-restaurant et une fenêtre donnant sur le jardin. Photos S. Dousse, 2019/07
562
Nakamura Hiroshi, entretien avec S. Dousse, le 26 novembre 2019, à Tokyo. Voir annexe 16.
563
Ibidem.
564
Ibid.
565
À titre d’exemple d’interaction entre les gens, l’architecture et la nature, Nakamura Hiroshi a conçu plusieurs
architectures adaptées à l’implantation d’arbres. L’architecture de l’ensemble de logements prénommé Dancing
trees, Singing birds (Tokyo, 2007) a été conçue pour s’adapter à la présence d’arbres prééxistants au projet. Pour
le musée Roku (Tochigi, préfecture de Tochigi, 2010), les arbres ont été implantés sur le site et l’architecture
façonnée pour se glisser entre ceux-ci. Enfin, la chapelle du cimetière de Sayama (Sayama, préfecture de Tokyo,
2014) prend place entre plusieurs grands arbres d’une forêt (Voir supra, chapitre 7.3.2)
302
D’après Nakamura Hiroshi, même la catastrophe du Tohoku n’a pas impacté les
Japonais en les rendant plus protecteurs ou conservateurs. En ce qui le concerne, la
catastrophe a plutôt renforcé sa philosophie de coexistence avec la nature et sa volonté de
créer une relation intime entre les gens et la nature. S’il lui est difficile de s’exprimer au nom
de tous les Japonais, Nakamura estime néanmoins que si cet événement a affecté bon nombre
de personnes, c’est entre autre parce qu’il leurs a rappelé l’impossibilité de contrôler les
catastrophes : « Nous ne pouvons pas contrôler l’impact que la nature a sur nous. La région
nord du Japon est frappée par des tsunami de grande ampleur tous les cent ans. C’est un fait.
Essayer de contrôler cela en construisant de hautes digues de béton ne résout rien. Cela ne fait
qu’aggraver les choses…566 Nous ne pouvons pas contrôler la nature. Il nous faut juste savoir
que ces catastrophes se produisent, quand, à quelle fréquence, dans quelles zones, etc.567 »
Dans la même veine, Tezuka nous rappelle qu’un tsunami survient en moyenne tous les trente
ans dans la région du Tohoku, et un très puissant tsunami tous les cent ans568. En
reconnaissant la fréquence régulière des catastrophes, il souligne simplement la nécessité d’y
faire face. Dans le cadre de la reconstruction qui a suivi la catastrophe de 2011, à
Minamisanriku (une ville de la préfecture de Miyagi), Tezuka Takaharu et Yui ont construit
une école avec le bois d’arbres tués par l’eau de mer. « Ce projet est un message pour le
prochain tsunami569 », dit l’architecte. Du désastre, on tire un matériau pour construire.
566
En 2011, après avoir été dépassée par la vague, en certains endroits, la digue de protection a empêché le
retrait de l’eau et noyé des zones habitées.
567
Nakamura Hiroshi, opus cit.
568
Plus précisément, pendant l’ère moderne, le rivage oriental du Tohoku et sa région du Sanriku ont été frappés
par des tsunami majeurs : en 1896 (séisme de magnitude 7.6, vague de 24 mètres, 27 122 morts), en 1933
(séisme de magnitude 8.0, 3 800 morts), et en 1960 (« tsunami du Chili ») (vague de 26 mètres, 142 morts). Une
digue de protection a été construite en 1934, puis renforcée avec une double digue d’une hauteur de 10,45
mètres, soit au total une extension de 2 433 mètres qui a été complétée en 1978 (digue appelée « la grande
muraille » qui a sauvé des habitants lors du tsunami de 1960 mais qui a été dépassée et détruite par celui de
2011). Après 2011, le gouvernement a encouragé la construction de digues allant jusqu’à 14,7 mètres.
569
Tezuka Takaharu, opus cit.
303
10.1.5. Retour critique sur le désastre de 2011
Le 11 mars 2011, un séisme de magnitude 9,0 (le plus fort jamais enregistré au Japon)
s’est produit dans le nord de Honshu. Si les habitants de la capitale en ont ressenti les
violentes secousses, c’est surtout sur la côte est du Tohoku que de graves dégâts ont été
déplorés. Par la suite, des vagues de quatre mètres de haut déferlant sur la côte Pacifique,
l’alerte tsunami a été lancée, la population sommée d’évacuer domicile ou lieu de travail pour
rejoindre les zones d’évacuation. Les habitants du Tohoku réfugiés sur les hauteurs ont vu une
vague de dix mètres de haut balayer la côte, emportant des pans entiers de villes (dont
Rikuzentaka, Minamisanriku et Ishinomaki) et des milliers de vies – le séisme s’étant chargé
de déplacer certains éléments du relief (comme des côtes, des criques ou des collines…). Plus
tard, au milieu des décombres, il est apparu que certaines constructions avaient subsisté à la
catastrophe, notamment des temples shintoïstes qui, traditionnellement construits sur des
proéminences topographiques, n’ont pas été touchés par le raz-de-marée. On s’est alors
remémoré la sagesse ancestrale liée au shintoïsme570 qui commande de maintenir une distance
avec la nature. On a réalisé que pendant l’ère moderne l’humain avait négligé certains
principes, comme celui de modestie face à la nature : « Autrefois, sachant que la région était
très exposée aux raz-de-marée, les habitants du Tohoku ne construisaient pas leurs maisons
sur la côte mais un peu en retrait. Puis, à partir du XIXe siècle, pour des raisons économiques,
les hommes et la ville se sont étendus sur la mer571 », raconte le photographe Ono Tadashi572.
Selon l’anthropologue Abe Ken.ichi, le développement urbain est mû par une recherche de
facilité. Quand il s’est rendu sur place, en 2011, il a constaté « la disparition de ce paysage
urbain de facilitation des activités humaines573 ». Huit mois après la catastrophe,
photographiant la terre débarrassée des décombres, Ono confie avoir eu la sensation d’un
rééquilibrage par la nature. Il a capturé l’image de la devanture d’un magasin dont les
570
« La religion authentique du Japon » (ancienne de deux mille ans). Elle n’a « ni fondateur, ni doctrine, ni
textes sacrés ». C’est la « voie des kami » (les dieux/divinités ou « âmes-esprits » d’après les termes employés
par Emiko Kieffer dans l’ouvrage qu’elle a destiné au public français). Selon Emiko Kieffer, bien qu’ « il existe
une variété d’explications, de points de vue [pour décrire le shintoïsme], (…) le cœur est toujours le même : Les
ancêtres et la grande nature font de nous ce que nous sommes maintenant, nous leur devons gratitude, honneur et
crainte respectueuse. » KIEFFER, Emiko, Le shintô, la source de l’esprit japonais, Vannes, éditions Sully-Le
Prunier, 2019, pp. 11-13.
571
ONO Tadashi, communication dans le cadre du colloque interdisciplinaire franco/japonais « La nature pense-
t-elle ?/Does nature think ? », opus cit.
572
Né en 1960 à Tokyo. Ono Tadashi est diplômé de l’École Nationale Supérieure de Photographie d’Arles. Il a
développé un travail sur l’architecture, l’environnement et l’histoire. Un questionnement sur l’artificialité des
paysages façonnés par l’homme. Intéressé par la thématique des interactions entre l’homme et l’environnement
ainsi que par la question de la représentation du paysage du Japon après la catastrophe du Tohoku, il y a réalisé
des reportages en 2011 et en 2017.
573
ABE Ken.ichi, communication dans le cadre du colloque interdisciplinaire franco/japonais « La nature pense-
t-elle ?/Does nature think ? », opus cit.
304
idéogrammes avaient été emportés, à l’exception de deux kanji, dont la signification
était « construction ». « C’était comme une ironie de la part de la nature. Comme si elle se
moquait de l’ambition humaine574 », a-t-il interprété.
Fig. 138. Reportage d’Ono Tadashi dans le Tohoku. À gauche : Hiyoriyama « weather hill », Natori, Miyagi
prefecture, november 13. 2011, 247 days after575. À droite : « construction », Soma, Fukushima prefecture,
february 14. 2012, 340 days after576. Photographies Ono Tadashi. Courtoisie de Ono Tadashi
574
Ono Tadashi, opus cit.
575
Légende attribuée à l’image par Ono Tadashi : Yuriage, Natori, Miyagi Prefecture. Hiyoriyama (means
Weather Hill) is a 6 meters high hill built in 1920 and used by fishermen to watch the sea and the weather.
Before the tsunami disaster, it was a city park surrounded by houses, but when the tsunami swept away the entire
town, it became the unique observatory that could overlook the whole area, as if time had been rewound to the
time of construction. Today, the site attracts many visitors as place of commemoration. (Les légendes ici
retranscrites accompagnent les photographies d’Ono Tadashi dans le cadre de publications et/ou d’expositions.)
576
Légende attribuée à l’image par Ono Tadashi : Haragama, Soma, Fukushima Prefecture. Devastated building
of Fukushima Prefecture Soma Port Construction Office. At the entrance, the two kanji characters meaning
"CONSTRUCTION" remained, as if to foretell large-scale reconstruction work, including the construction of
huge seawalls later on.
577
Abe Ken.ichi, opus cit.
578
Résidente permanente au Japon, Cécile Asanuma-Brice travaille sur la production urbaine dans la société
japonaise de surconsommation et dans le cadre de la gestion des risques liés aux phénomènes naturels.
579
Asanuma-Brice Cécile, à l’occasion de la présentation de son livre (Un siècle de banlieue japonaise) à la
librairie Volume, à Paris, en juin 2019.
305
a photographié le mur reconstruit après 2011, Ono a appris qu’à la demande de la population
des fenêtres y ont été percées. « Mais qu’est-ce que voir la mer ? Est-ce seulement le sens de
la vue qui est en jeu ? La sensibilité des Japonais a régressé », regrette-t-il. Le photographe
raconte avoir été fasciné par l’aspect sculptural et monumental de ce mur. Fasciné par le fait
qu’après avoir construit les temples de Kyoto et leurs jardins [une harmonie et un raffinement
si remarquables], les Japonais construisent ce mur qui les coupe de la nature : « Il faudra
assumer cette construction. Pourtant le ministère de l’environnement n’en parle pas… On ne
dit pas que la construction de digues impacte la circulation des eaux souterraines des nappes
phréatiques vers la mer. D’ailleurs, pourquoi construire ce mur si l’on reconstruit les villes en
retrait de la mer580 ? Pour protéger les potagers581 ? » demande-t-il avec ironie. Il pense plutôt
aux lobbies du secteur du BTP (Bâtiments et Travaux Publics)582 qui conduisent la
bétonisation (ou asphaltisation) du Japon – Cécile Asanuma-Brice déplore l’empêchement de
l’infiltration des eaux pluviales dans le sous-sol suite à la construction d’hébergements
d’urgence, des programmes dits temporaires mais souvent pérennisés dans le temps.
583
Fig. 139. Reportage d’Ono Tadashi dans le Tohoku. À gauche : Ofunato bay, Iwate prefecture, #9183 .À
droite : Ofunato bay, Iwate prefecture, #0862 584. Photographies Ono Tadashi. Courtoisie de Ono Tadashi
580
À la suite de la catastrophe de 2011, la politique urbaine a été de reconstruire les villes dans les hauteurs en
d’arasant les montagnes pour rehausser le niveau de la partie basse. Rendu inconstructible, le périmètre le plus
près de l’océan a été réservé à la culture maraichère. Voir, par exemple, le cas de Rikuzentakata, où l’équipe
d’Ito Toyo est intervenue avec le programme Home for all.
581
Ono Tadashi, opus cit.
582
« Ce type d’aménagement participe de l’État-constructeur (dokken kokka) ou de l’État BTP (doboku kokka).
Au Japon, le secteur du BTP occupe une part beaucoup plus importante du PIB et de la population active (sept
millions d’emplois, 10% de la main d’œuvre) que dans les autres pays de l’OCDE. Il opère sur fond
d’opportunisme politique, de clientélisme, d’appels d’offre truqués et de corruption. » PELLETIER, Philippe
(2020), opus cit., p. 72.
« Le gouvernement a lancé un grand projet qui coûtera environ dix milliard d’euros, pour environ six-cents
digues de béton, au total 400 kilomètres (la distance entre Tokyo et Osaka), allant de la préfecture d’Iwate
jusqu’à Fukushima. La plus haute digue atteindra 15,5 mètres de haut. » KIEFFER, Emiko, opus cit., p. 109.
583
Légende attribuée à l’image par Ono Tadashi : C’est une image emblématique de la série. La scène est
abstraite et irréelle. Elle représente l’étrangeté et l'absurdité de cette entreprise de l’autorité japonaise : la
construction de digues anti-tsunami sur une longueur de 400 km. Dans l'après-midi gris après la pluie, cette
306
D’après Aoki Jun, si faire face à cette tragédie a eu des conséquences sur l’attitude des
architectes585 (certains ont été amenés à repenser leur rôle, leurs méthodes de travail ainsi que
que la finalité et la portée de leurs projets), en ce qui concerne la reconstruction de la région
du Tohoku en elle-même, ils se sont trouvés relativement impuissants : « Ce sont des
problèmes basiques. Des enjeux politiques. Des points fondamentaux... J’ai commencé à
travailler dans la préfecture de Miyagi, pour la reconstruction de la ville. C’était un travail très
intéressant mais c’était vraiment difficile car on nous accordait très peu de temps pour
travailler. La reconstruction devait être rapide. Les habitants avaient beaucoup d’idées – nous
voulions travailler avec eux – mais nous ne pouvions rien en faire. En japonais, il y a un
terme, fukko, pour la reconstruction, qui signifie "just go ahead" (foncez). "Go ahead" est la
chose la plus importante. Il ne faut pas discuter. Juste foncer586 », déplore Aoki Jun.
Exactement dix années après la survenue de la triple catastrophe du Tohoku, partageant le
fruit de ses recherches dédiées à la reconstruction de cette région, le géographe Rémy
Scoccimaro587 fait part d’un constat de similitude avec la période des grands travaux
d’urbanisation conduits au cours des décennies 1960 et 1970 au Japon – des opérations de
bétonisation massive n’incorporant que très peu de pensée paysagère588. Selon Scoccimaro, si
les digues construites après la Seconde Guerre mondiale589 ont facilité la vie des habitants des
régions les plus exposées, elles ont aussi engendré de la vulnérabilité en encourageant le
développement urbain sur des zones à risque. Du point de vue du chercheur, après que la
digue apparaissait comme si elle m'attendait. Elle m'a fait immédiatement penser au monolithe du
film 2001, L’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick.
584
Légende attribuée à l’image par Ono Tadashi : Face aux plaintes des habitants dont la vue sur la mer fut
soudainement obstruée, l'autorité et les ingénieurs civils ont proposé ces petites fenêtres qui seront rendues
étanches avec des plaques acryliques transparentes. Si l'expérience de la mer sollicite tous les sens, ici, elle est
désormais réduite à ce petit rectangle ridicule, presque comme un écran de smartphone. Un habitant disait avec
sarcasme: "Chouette! Au prochain tsunami, nous pourrons regarder le fond de la mer comme dans un aquarium".
585
Notamment à travers le programme Home for all. Opération de construction de lieux communautaires initiée
par les architectes Ito Toyo, Sejima Kazuyo et Yamamoto Riken dans les semaines qui ont suivi la catastrophe.
L’organisation Home for all a permis de réunir de jeunes architectes (dont Fujimoto Sosuke, Hirata Akihisa et
Inui Kumiko) et des volontaires (dont des étudiants en architecture) pour concevoir des projets de construction
et/ou d’aménagement de l’espace public en concertation avec les populations locales et restaurer des conditions
de vie sociale. Pour plus d’informations, voir notamment : ITO Toyo, L’architecture du jour d’après, Bruxelles,
Les Impressions Nouvelles, 2014, (éd. originale japonaise 2012), 190 p.
586
Aoki Jun, opus cit.
587
Le géographe Rémy Scoccimaro est chercheur à l’Institut français de recherche sur le Japon à la Maison
Franco-Japonaise de Tokyo. Organisée par l’Institut français de recherche sur le Japon, la conférence « Tsunami
de béton, la reconstruction du Sanriku 10 ans après le 11 mars 2011 » a été tenue en ligne le 11 mars 2021.
588
Propos que Rémy Scoccimaro nuance néanmoins en observant que dans les décennies 1990 et 2000 un certain
« changement de paradigme » a conduit à l’aménagement de digues par enrochements et non plus par tétrapodes.
Pour autant, le chercheur constate que cette évolution n’a pas modifié la vaine des projets de construction et
d’aménagement du territoire (une vaine bétonneuse et non paysagère).
589
Pendant la période de Haute Croissance (1955-73), l’industrialisation du pays et la généralisation de l’usage
du béton ont permis au Japon de construire des digues anti-tsunami sur l’ensemble de la côte du Pacifique.
Scoccimaro cite l’exemple du village de Miyako, dans la préfecture d’Iwate, dans la région du Tohoku.
307
destruction de l’ensemble des digues du Tohoku en 2011 ait démontré leur inefficacité, la
reconstruction des villes sur les hauteurs et la détermination de l’inconstructibilité de la partie
basse de la côte590 n’ont fait que confirmer l’inutilité de ce que l’on appelle « les murs du
Pacifique591 », qui sont pourtant en voie d’être étendus sur la partie ouest du pays. Une
dynamique en apparence incohérente que Scoccimaro rapporte au contexte économique d’un
pays surendetté qui continue de soutenir le secteur du BTP pour des raisons économiques et
dans le but de faire du Japon un laboratoire d’innovation. Il s’agirait de développer de
nouvelles techniques ainsi que des compétences d’expertise permettant de faire face aux raz
de marée et à la montée des eaux dans le monde.
Fig. 140. Reportage d’Ono Tadashi dans le Tohoku. À gauche : Otsushi bay (The God of Water), Iwate
prefecture, #9968592. À droite : Seawall, Toni, Iwate prefecture, december 30. 2011, 294 days after 593.
Photographies Ono Tadashi. Courtoisie de Ono Tadashi
590
Même après la construction de ces digues, en cas de survenue d’un tsunami majeur, le principe est toujours à
l’évacuation de la population, ce qui, d’après Scoccimaro, est un dernier aveu de la faiblesse de ces digues.
591
En grande partie constitué de digues-trapèze, la typologie de digue la plus résistante et la moins couteuse à
construire, mais aussi la plus massive car nécessitant une base de cinquante mètres minimum (en largeur).
592
Légende attribuée à l’image par Ono Tadashi : On this very characteristic rock facing to the bay, there was a
small natural shrine, probably made by fichermen. Two kanji characters carved on the stone "水神” mean "The
God of Water".
593
Légende attribuée à l’image par Ono Tadashi : Toni, Kamaishi, Iwate Prefecture. Toni Bay and the collapsed
seawall that was also used as shortcut road between the two ends of the town.
308
10.2. Le naturel et l’artifice, des notions relativisées
594
Ono Tadashi, opus cit.
595
BERQUE, Augustin, opus cit.
596
Tardits Manuel, entretien avec S. Dousse, le 22 juillet 2019, à Tokyo. Voir annexe 8.
597
Yakushima est une île de l’archipel Osumi, située au sud de Kyushu et rattachée à la préfecture de
Kagoshima. Couverte d’une dense forêt primaire, elle a été désignée réserve de biosphère par l’ UNESCO (1980).
309
que l’on se garde bien d’y commettre de mauvaises actions de peur de se voir envouté.598
Capté au moment de l’attente puis de la survenue d’une tempête tropicale par un cinéaste qui
s’est introduit dans le quotidien de certains habitants du lieu, cet animisme polythéiste nous
relie aux racines de la civilisation japonaise – racines encore bien vivantes aujourd’hui dans
les régions reculées du pays (Yakushima étant un cas particulier, et, malheureusement,
exceptionnel, de nature sauvage).
En ce qui concerne l’époque moderne, Manuel Tardits constate que « les Japonais sont
très violents avec la nature : ils coupent les arbres, ils cassent les montagnes, ils bétonnent
tout », ce qui n’est pas sans lien avec l’aspect dual de la nature : « La nature est violente avec
eux. Il y a des typhons, des raz-de-marée, des tremblements de terre, des glissements de
terrain, des débordements de rivières... Les catastrophes naturelles sont nombreuses et
récurrentes. La nature est dangereuse et meurtrière. Chaque année les désastres s’enchaînent.
On a trente morts ici, quarante-cinq morts là, deux-cents morts ici encore… Donc la nature est
agressive et le jardin japonais, petite création protégée, est tout sauf naturel. Du naturel, il n’a
que l’apparence. Le bonzaï est un arbre tyrannisé ! Les Japonais aiment une nature qu’ils ont
humanisée ! » S’il juge « difficile de cerner une relation de cause à effet directe entre la
violence de la nature et la manière japonaise de composer des jardins », Manuel Tardits a
néanmoins pu constater que « les Japonais privilégient une nature miniaturisée, très peignée,
très délicatement arrangée, et donc totalement artificielle »599. L’architecte Abe Ryo
s’applique à un effort d’explication : « Les Japonais adorent contrôler, humaniser,
domestiquer la nature. C’est une sorte de hobby. Fondamentalement, cela vient de Chine –
avec le bonzaï on coupe les branches de l’arbre (souvent un pin) pour créer sa propre figure –,
mais au Japon, nous avons la culture de la cérémonie du thé. Les Japonais n’ont pas
seulement inventé la cérémonie du thé en elle-même, ils ont créé le pavillon de thé, qui est
une partie ou un élément du jardin de thé. Ici il s’agit également de la relation entre les gens et
la nature. Une relation graduelle (layered). Il y a la grande nature, la nature sauvage ; ensuite
598
Un habitant de Yakushima : « Dans la montagne, il peut nous arriver des choses surnaturelles. Il m’est arrivé
une chose curieuse la dernière fois. C’est une étrange histoire… Alors que j’étais en train de marcher, j’ai
entendu le bruit de pas de quelqu’un qui marchait. Je me suis retourné et j’ai crié "oh". Aucune réponse. Les pas
se sont arrêtés. J’ai demandé s’il y avait quelqu’un. Je n’ai vu personne, mais je continuais à entendre un lointain
bruit de pas... Tout à coup, le paysage qui m’entourait était totalement différent. Ce n’était plus le paysage
habituel… Il arrive que les choses qui sont devant nous apparaissent différemment. Alors on se perd et on arrive
plus à rentrer chez soi. Il se passe ce genre d’histoires surnaturelles ici ! » Extrait du film Milieu, Damien Faure
(Réal.), aaa production, 2015.
599
Tardits Manuel, opus cit.
310
il y a le satoyama600 [paysage de la polyculture vivrière], la nature contrôlée ; et enfin il y a
les jardins privés. Il y a la nature du territoire et la nature personnelle, celle du jardin. Les
Japonais aiment avoir leur propre jardin. Ils apprécient les strates (layers). Peut-être que la
beauté provient du nombre de strates que l’on peut créer… Donc ce n’est pas seulement la
nature en elle-même. C’est le nombre de strates que l’on crée. Le nombre d’interventions ou
d’interactions [entre l’humain et la nature]…601 »
En termes de spatialité, Abe Ryo explique que « même dans les maisons de thé, qui
sont pourtant si petites (il y a la salle principale où se trouvent les invités et, à côté, il y a la
pièce de service), on trouve toujours cette sorte "frontière", de "territoire", de "ligne" ;
un "espace entre-deux" ». C’est un espace de relation, auquel correspond le concept de
ma602 : « On apprécie créer une distance, un espace, entre ici et là. C’est peut-être la raison
pour laquelle les Japonais aiment créer leur propre jardin. Pas seulement parce qu’ils
apprécient leur jardin en lui-même, mais plutôt parce que venant de l’extérieur, après avoir vu
beaucoup de nature, une fois rentrés chez eux, ils trouvent une autre nature. C’est comme une
composition entre la vraie nature et la nature faite par l’homme (man-made). Les Japonais
apprécient cette composition. On apprécie la différence ou la distance entre la vraie nature et
sa propre nature. (…) Il y a de nombreux stades ou de nombreuses catégories de nature… Je
pense que nous aimons développer ces catégories ou ces états de la nature… Quand nous
pouvons la voir, nous apprécions la vraie nature, la nature intouchable. Et quand nous sommes
dans un jardin zen, dans une nature abstraite, et bien nous apprécions tout autant la
nature ! (…) Nous ne faisons pas de distinction entre nature naturelle et nature artificielle. Il
est d’ailleurs très difficile de trouver une vraie nature au Japon… La nature est presque
entièrement cultivée, façonnée. Même dans la préfecture de Nara, par exemple. Dans les
600
« Satoyama, mot composé de sato (village) et de yama (montagne) signifie d’après le dictionnaire "montagne
proche d’un village, en lien avec la vie des habitants". Ce terme désigne par extension le territoire rural japonais
organisé linéairement en fond de vallée ou piémont, en aval de versant forestier ; bordé de bois, le satoyama est
constitué de champs secs et de rizières, de cours d’eau et de rigoles, d’étangs réservoirs et de roselière, de jardins
et d’habitations le long des voies. » Voir BROSSEAU, Sylvie, « Satoyama, le paysage de la culture vivrière »,
dans BONNIN, Philippe, NISHIDA Masatsugu, IGANA Shigemi (dir.), Vocabulaire de la spatialité japonaise,
Paris, CNRS éditions, 2014, p. 402.
601
Abe Ryo, opus cit.
602
Au mot japonais ma correspond l’idée d’intervalle dans l’espace ou dans le temps. Cette notion est employée
dans des domaines divers, comme la musique, la danse et le théâtre (en tant que « pause entre deux sons, deux
gestes, deux réparties »), l’architecture (« en tant qu’espace, ma signifie un intervalle entre deux choses qui se
jouxtent » ; c’est un espace intermédiaire, interstitiel), mais aussi dans la description de situations plus courantes
(« pour signifier le temps qui convient pour faire une certaine chose » ou concernant le « choi(x) (du) bon
moment » pour faire cette chose). D’après Augustin Berque, l’aspect concret du ma est significatif car il révèle
un angle de vue « à l’opposé de ces abstractions que, dans la modernité européenne, sont devenus les concepts
d’espace et de temps (…) [vues relatives à] l’abstraction dualiste et individualiste qui a engendré la modernité ».
Le ma incarne donc « une relation concrète dans l’espace-temps ». Voir BERQUE, Augustin, « Ma,
l’intervalle », dans BONNIN, Philippe, et al. (dir.), opus cit., p. 294-296.
311
montagnes profondes, on a planté des pins, des cèdres, des cyprès… Il n’y a presque pas de
forêts naturelles603 au Japon ! (…) Nous apprécions une nature qui n’est pas vraiment
naturelle… Par exemple, les Japonais adorent les paysages de rizières. Ils disent : "Oh !
Regardez cette magnifique nature !" Cette réaction est très typique ! Elle montre bien que,
pour les Japonais, il n’y a pas de différence entre la vraie nature et la nature artificielle. Il y a
quelque chose entre-deux. Et nous aimons développer ce genre de processus. Nous aimons
développer cet entre-deux. »604
Interventionnistes, les Japonais ne percevraient pas de dualité tranchée entre les statuts
théoriques de naturalité et d’artificialité. Pourquoi cela ? « La terre est vraiment limitée au
Japon. Pour vivre, nous avons dû nous développer. Donc nous coupons facilement les arbres
et les plantes. Contrôler la nature, intervenir, la changer, est facile à concevoir pour nous »,
explique Abe Ryo, admiratif du soin et de la persévérance des Japonais au travail, pour
l’aménagement des rizières notamment. « Par "travail", j’entends "cultiver". Et cultiver c’est
se battre contre la nature »605. Un point de vue que partage Tezuka Takaharu :
« Fondamentalement, nous manquons d’espace. Tout est resserré à l’intérieur de très petites
parcelles. Autrefois, nous avons dû composer avec des ressources très limitées. Il fallait être
précautionneux. Pour ne pas gaspiller. Pour optimiser. (…) Je pense que la philosophie du less
is better (qui a inspiré la cuisine kaiseki606) vient de l’époque où le Japon était surpeuplé. Le
Japon n’a jamais été un pays riche en quantité de nourriture. Tout est limité. Nous devons tout
partager. Partager avec les gens. Partager avec la nature. Le mode de vie découle de cette
situation. Dans les vieilles maisons, le soir venu, le salon devient chambre. Tout est comme
ça. (…) Par ailleurs, le Japon est très enclin à développer de nouvelles technologies. Il en a
toujours été ainsi – Edo/Tokyo est connue pour avoir été une ville extrêmement bien
organisée… Je pense que le développement de la technologie est lié au problème du
surpeuplement. Nous avons dû trouver comment faire les choses de la manière la plus
efficiente possible. (…) Le Japon est comme ça. Tradition et technologie se mélangent. Tout
603
« Bien que les trois quarts du territoire japonais soient recouverts de forêts, la proportion de végétation
naturelle (forêts et prairies) est de seulement 19%. En fait la nature de l’archipel est très artificielle, à la
différence de la forêt vierge d’Amazonie. De nombreuses forêts ont été replantées avec des pins, des cèdres et
des cyprès. » KIEFFER, Emiko, opus cit., p. 111.
604
Abe Ryo, opus cit.
605
Ibidem.
606
La cuisine kaiseki est une forme traditionnelle de repas composé de plusieurs petits plats servis
conjointement.
312
se mélange. Il n’y a pas de limite entre le passé et le futur. 607 » On n’oppose pas technologie
et nature, modernité et tradition, présent et passé, "vraie" nature et nature façonnée par
l’homme.608
607
Tezuka Takaharu, opus cit.
608
Quant à savoir s’il partage la conception occidentale d’une opposition entre ces notions de naturel et
d’artificiel ou si, de son point de vue, l’artificiel (et donc les artefacts) font plutôt partie de la nature, pour
répondre à cette question Tezuka Takaharu juge nécessaire d’évoquer « la différence entre les notions de nature
et de naturel. Le naturel, c’est la nature idéalisée, transformée, pour s’adapter à la compréhension humaine. Mais
la nature est bien plus profonde. C’est l’existence. C’est tout à fait différent… La vraie nature est au-delà de
l’entendement… En Inde, ils ne se soucient pas de comprendre la nature. Ils disent que la nature est au-delà de
tout. C’est l’existence. Le simple fait d’être là… Au Japon, c’est pareil. Nous ne nous préoccupons pas tellement
de vérité... »
609
Le Fumonken est situé non loin du temple du pavillon d’or (Kinkaku-ji) à Kyoto.
610
Dosan, entretien avec S. Dousse, le 26 aout 2019, à Kyoto. Voir annexe 12.
611
Clara Goehrs, entretien avec S. Dousse, le 26 aout 2019, à Kyoto. Voir annexe 12.
612
Dosan, opus cit.
613
Clara Goehrs, opus cit.
313
années, passionnée par les écrits d’Augustin Berque, elle a rédigé son mémoire de fin d’étude
sur « Le sens de la nature au Japon »), Clara raconte se souvenir d’une chose que Dosan lui a
dite : « Nous étions au jardin en train de faire les tailles, et là, Dosan m’a dit : "Quand on fait
les tailles, on pourrait croire qu’on dompte la nature, mais en fait on essaie de la rattraper" car
c’est elle qui nous mène à la baguette ! J’avais trouvé amusant que ce soit le contraire de
l’évidence...614 » Suite à l’évocation de ce souvenir, le moine ajoute : « Nous n’avons pas le
choix. Il faut entretenir la nature et donc agir sur elle. De nos jours, je pense que nous ne
faisons pas vivre la nature jusqu’au bout de son potentiel. On n’en tire pas autant partie qu’on
le pourrait615 », regrette-t-il.
Fig. 141. Membres de l’école Yamamura installés sur l’engawa du temple Yotokuin (à Kyoto) lors de
l’exposition de leurs compositions florales. Photographies S. Dousse, 2019/11
À propos de l’esprit du shintoïsme, d’après lequel on ne doit pas trop intervenir sur la
nature, Dosan explique : « Ce n’est pas que le shinto commande de ne pas toucher la nature,
mais il y a l’idée que si on la touche trop on va se faire gronder par les kami. Dans le shinto,
on vénère la nature des forêts. On la craint… » Après un temps de réflexion, Dosan observe
que, finalement, shintoïsme et bouddhisme sont complémentaires l’un de l’autre, et pour
illustrer ce propos, il fait le geste de deux mains qui se joignent. Échanger avec un moine
bouddhiste est donc aussi l’occasion de vérifier la fameuse notion de syncrétisme entre
shintoïsme et bouddhisme au Japon. « Je suis autant un fidèle du shintoïsme que du
bouddhisme616 », déclare Dosan avec sérieux. Clara poursuit : « Il n’y a aucune
incompatibilité. Quand Dosan passe devant un sanctuaire shintoïste, il y prie. On dit que les
Japonais naissent shintoïstes et meurent bouddhistes. Comme ils sont polythéistes, passer
d’un dieu à l’autre ne pose aucun problème ! La coupure officielle entre le shintoïsme et le
bouddhisme date de 1868. C’est très récent... Avant cela, shintoïsme et bouddhisme étaient
entremêlés. Par exemple, ici même, dans le jardin du temple, nous avons un petit autel
614
Ibidem.
615
Dosan, opus cit.
616
Ibidem.
314
shinto…617 » Les cloisons coulissantes étant ouvertes, on aperçoit bien cet autel, ainsi que
l’ensemble du jardin. Après cette chaude journée d’aout, le soir s’annonce. Un air
rafraichissant commence à circuler à l’intérieur du temple. Sur la vie au Fumonken en hiver,
Clara raconte : « Il ne fait pas un froid terrible à Kyoto, mais c’est un froid qui pénètre. Le
bois du parquet se rétracte et un espacement se forme entre les lattes. L’air passe. Quand il fait
zéro ou moins deux degrés à l’extérieur, il fait environ cinq degrés à l’intérieur. On a un poêle
à bois. On chauffe la chambre principalement, parce que c’est la pièce que l’on utilise le plus.
Mais en été, c’est vraiment agréable ! Comme la montagne est du côté sud, la plupart du
temps, le temple est dans l’ombre. Il fait souvent plus chaud à l’extérieur qu’à l’intérieur. On
sent l’humidité et le vent. Le jardin est omniprésent. J’ai vraiment la sensation de vivre avec
la nature… J’y pense tous les jours. C’est vraiment agréable de vivre avec le jardin ! Par
exemple, en même temps que je cuisine, je peux faire le feu dehors pour chauffer le bain de
ma fille ou aller chercher des herbes dans le potager… Je fais tout le temps des allers et
retours. C’est fatiguant mais c’est très agréable !618 »
Au début des années 2010, après avoir repris le Fumonken à un moine vieillissant,
pendant environ trois-quatre ans, Dosan a travaillé à la composition du jardin. Clara raconte
que son mari a utilisé des pierres disponibles dans le jardin de l’un de ses amis à
Kyoto : « C’était une chance car au Japon les rochers sont coûteux. (…) Cette composition de
pierres très codifiée correspond au motif d’un célèbre mythe chinois. Une allégorie de
l’ascèse vers le nirvana. Dix-mille carpes remontent le courant vers la source de la rivière. Il y
a beaucoup d’obstacles et nombreuses sont les carpes qui abandonnent en chemin. L’une de
ces pierres figure la carpe qui, remontant à contre-courant, arrive en haut de la cascade et se
transforme en dragon [symbole de puissance et de réussite dans la culture chinoise].619 » Le
sujet du jardin zen c’est le satori, cet état où l’on ne fait plus qu’un avec l’univers, le grand
Tout… Éloignons un peu du Fumonken. Toujours à Kyoto, dans l’enceinte du Daitoku-ji, au
temple Obai-in (de l’école zen Rinzai), le moine Nagata Gensho nous parle lui aussi des
jardins zen. Pour les contempler, il recommande de s’installer à la manière des moines, assis
sur ses jambes repliées, car alors le regard est à la hauteur de celui d’un enfant de deux ans, et
qu’à cet âge le cœur est pur. D’un point de vue symbolique, le moine explique : « L’air, c’est
617
Clara Goehrs, opus cit.
618
Ibidem.
619
Ibid.
315
les pensées, l’esprit. On ne peut pas attraper l’esprit. » Et pour expliciter ce qui s’apparente à
un mystère, il ajoute : « Le jardin zen, c’est le temps. Tout le temps, tous les jours, c’est en
mouvement. Le jardin zen, c’est le mouvement. Mais c’est de l’ordre du symbolique. Par
exemple : l’étendue de gravier blanc représente la mer immense ; les îles [de végétation]
représentent la solitude humaine… Parce que nous, moines bouddhistes, nous pensons la
philosophie… La condition de l’être humain, c’est la solitude. Tous les hommes sont seuls.
Mais un jour, nous créons un pont. Le pont, c’est la parole. Ces arbres [plantés sur les îles] se
parlent. Vous entendez le "ch-ch-ch-ch" ? Le son du vent dans les feuillages ? C’est comme la
parole. Sur le grand océan il n’y a pas de pont. Le pont, c’est la parole. Et c’est unique… Il
n’y a pas de temps. Juste le moment présent... Comme maintenant... Et ça n’arrive qu’une
fois… C’est un trésor.620 »
620
Nagata Gensho, opus cit.
621
Ibidem.
622
Ibid.
316
moment présent. Dans l’univers... Dans le bouddhisme aussi, nous pensons que les dieux sont
dans la nature. C’est la croyance japonaise… Les dieux demeurent dans les jardins comme
dans les choses utiles... Nous chérissons la nature... C’est l’esprit japonais des temps
anciens… Partout, il y a des dieux.623 »
Qu’est-ce que les kami exactement ? « Les kami, c’est nous. C’est nos ancêtres – y-
compris nos proches défunts (nos grands-parents sont des kami). Le bouddhisme indique que
les gens vont au paradis ou en enfer, mais nombreuses sont les personnes qui pensent qu’après
la mort nous revenons dans la nature… Quand l’esprit disparaît, il revit dans un arbre, dans la
mousse, dans l’air… Les esprits des personnes disparues sont absorbés dans la grande nature.
Dans la forêt, dans la pluie, dans le vent... Dans tout ce qui est naturel, ils reviennent… Dans
les jardins aussi... Dans le grand univers. (…) L’ensemble de la terre est peuplé de kami. Il y a
la divinité mère. Il y a les divinités enfants… Le kami du mont Fuji est un très grand kami,
mais l’univers l’est encore plus !624 » Comme Dosan, chaque jour, Nagata Gensho prie les
kami devant l’autel du temple (dans le jardin) ou devant l’autel du coin de la rue : « Nous
prions pour demander protection vis-à-vis des incendies (dans le passé, avant l’invention de
l’électricité, on utilisait des bougies, aussi il y avait souvent des incendies), vis-à-vis des
typhons (quand il y a une tempête, il arrive que des arbres tombent et cela peut détruire le
temple) et vis-à-vis des tremblements de terre. Nous prions les kami de nous protéger de tout
cela… Oui, dans tous les temples bouddhistes il y a un autel shinto.625 » Quant à la
dangerosité de la nature au Japon et quant au ressenti du moine par rapport à tous les incidents
qui peuvent survenir – êtes-vous inquiet (shinpai desuka) ? « Every day shinpai ! Tous les
jours, on s’inquiète ! Mais adviendra qu’adviendra ! Il n’y a pas de problème ! … Parce qu’on
ne peut pas prévoir ce qui arrivera dans le futur (dans deux ans, dans deux mois, dans deux
jours), seul maintenant (now) compte. L’instant présent est un trésor (now is treasure)… » À
propos du double visage de la nature japonaise, à la fois belle et terrible : « Kore wa shikata
ga nai ! Nous ne pouvons rien à cela ! Et quoi qu’il en soit, malgré tous les désastres, nous,
Japonais, sommes amis avec la nature. Nous prions les dieux. La pensée japonaise
c’est shikata ga nai (on ne peut rien faire). Et parce que shikata ga nai, quand il y a des
destructions : Gambarimase ! On repart ! Tsukuru ! On répare. Mata tsukuru ! On refait ! On
construit à nouveau !626 »
623
Ibid.
624
Ibid.
625
Ibid.
626
Ibid.
317
Quant à vérifier s’il est vrai que, traditionnellement, les Japonais attribuent les
catastrophes naturelles (voire même le changement climatique) à la colère des kami suite à
certaines actions humaines627, d’après Dosan : « Si les jeunes Japonais attribuent le
changement climatique au dioxyde de carbone, les personnes plus âgées pensent que ce sont
les kami – le précédent moine du Fumonken pensait que les dieux étaient en colère…
Personnellement, je pense aussi que ce sont les kami.628 » Nagata Gensho est du même avis :
« C’est comme l’histoire de la tour de Babel. Quand l’humain se développe en excès, cela met
le dieu en colère. Chaque année, les séismes et les typhons nous rappellent que nous sommes
humains. Au Japon, tous les jours, la terre tremble. Si l’humain développe trop la technologie,
alors les dieux provoquent des catastrophes…629 » Ainsi, bien que tout soit la nature, il y
aurait des limites à ne pas dépasser. Nagata Gensho emploie le terme over-technology (que
l’on pourrait traduire par « surdéveloppement technologique ») mais il n’est pas technophobe
pour autant. Il chérit le cuiseur électrique (son « trésor ») utile à la préparation du riz de
chaque repas et apprécie circuler en scooter. Enfin, il extrait fréquemment son smartphone de
la manche de son kimono pour interroger l’application de traduction de Google. Pour autant,
le moine déteste l’air conditionné, qui lui sèche la gorge et le fait tousser. Il rappelle que notre
corps est comme la masse d’un arbre, naturel, et regrette que l’utilisation de la VMC se soit
généralisée au Japon – « c’est l’esprit américain », déplore-t-il. Nagata Gensho raconte que de
nombreux visiteurs du temple Obai-in se préoccupent de la température de sa chambre, car il
y fait très froid en hiver et très chaud en été. À ceux qui s’inquiètent des possibilités de vivre
sans air conditionné, le moine répond qu’il faut juste un peu de patience et d’endurance
(gaman suru) car la sensation de froid ou de chaud disparait après un temps d’adaptation des
conditions vestimentaires et de l’environnement : « Quand on a froid, on ferme les shoji (les
cloisons coulissantes, qui empêchent le vent et la pluie de pénétrer) et on ajoute une ou
plusieurs couches de tissu au kimono d’hiver (en tissu épais). Quand on a chaud, on ouvre les
627
« Dans le shinto, les dieux ont deux aspects. Ils sont très mystérieux et ils sont très dangereux. Ils peuvent se
mettre en colère. Et cette colère peut entraîner des catastrophes. C’est elle qui cause le changement du climat…
627
C’est pourquoi on construit des temples. Pour prier les dieux. On ne contrôle pas le sentiment des dieux… »,
indique le professeur Sendai Shoichiro (du laboratoire de théorie architecturale de l’université de Shimane).
Sendai Shoichiro, entretien avec S. Dousse, le 9 juillet 2019, à Matsue. Voir annexe 5.
628
Dosan, opus cit.
629
Nagata Gensho, opus cit. Nagata Gensho ajoute que : « Comme dans le cas de l’accident nucléaire de
Fukushima, parfois des catastrophes d’origine humaine surviennent. Le désastre du Tohoku a touché le littoral,
pas la montagne. C’est un désastre humain. » Aux yeux du moine, il semble significatif que le raz de marée de
ait impacté le territoire urbanisé et non le territoire de nature représenté par la montagne. Pour autant, il importe
de rappeler que la montagne est aussi impliquée dans la problématique de contamination de l’environnement par
les émissions radioactives. En effet, le ruissellement des eaux pluviales continue d’acheminer des particules
radioactives vers le littoral et le bois des arbres de ces forêts est encore aujourd’hui inexploitable car contaminé
depuis les racines. Voir notamment les enquêtes de Cécile Asanuma-Brice.
318
shoji pour faire circuler l’air et rafraîchir la pièce (ce qui permet aussi que le vent chasse les
mauvais esprits vers l’extérieur de l’habitat), on porte un kimono d’été (en tissu léger), on
utilise un éventail et on boit du thé chaud (une boisson froide couperait l’équilibre entre la
température du corps et la température extérieure). On reste tranquille. On regarde le
jardin. (…) C’est le plus important. En contemplant le jardin, admirer l’univers entier.630 »
Sobriété du mode de vie monastique.
À la question de savoir s’il aurait pu vivre en ville et y être heureux, Nagata Gensho
répond : « Sans problème ! Car même dans la grande ville, il y a la nature ! Les gens disent "à
Tokyo, rien n’est naturel", mais il y a bien l’air, le vent ; sous l’asphalte, il y a la Terre ; il y a
les oiseaux, les rivières… L’eau de la rivière vient de la montagne ; elle circule sous le sol…
Tout cela est naturel… Il n’y a qu’une Terre ! (There is only one earth) Que l’on se trouve à
la campagne ou en ville, il n’y a qu’une Terre…631 » Nagata Gensho raconte que certains
visiteurs du temple lui disent envier la quiétude de ce lieu et la chance de vivre auprès d’une
si belle nature : « Les gens disent "Que ce jardin est beau ! Quelle belle nature !" Mais la
nature est au-delà. C’est la montagne (qui apparaît à l’arrière du jardin), mais c’est aussi le
monde… Les humains construisent le monde (cette vie, la ville) au sein de la nature. Tout est
naturel sur la Terre ! C’est l’univers. Le cosmos. Le soleil. La lune… Tout est naturel !632 »
répète-t-il avec entrain. Sur l’idée que tout est naturel (même le béton fait d’eau, de ciment et
de sable), le moine Dosan est plus nuancé. D’après lui : « Construire des immeubles n’est pas
faire ikassu. Ce n’est pas faire vivre la nature. Donc les immeubles ne sont pas naturels… Au
quotidien, dans la modernité, on ne fait pas vivre la nature. En s’enfermant entre des murs on
se coupe de l’extérieur. Ce n’est pas du tout dans l’esprit japonais. C’est très récent... Ça vient
de l’Occident… Avant la construction maçonnée, on faisait jiku-gumi, la construction par
assemblage d’éléments en bois633 » – la charpente, ce « juste un toit » selon Jorn Utzon. Les
structures poteaux-poutres avec cloisons coulissantes permettant d’ouvrir les espaces sur
l’extérieur, de faire circuler l’air et de profiter du jardin, « alors on se sent immergé dans la
nature634 », conclue Clara – ce qui est une évidence pour Dosan, il ne l’aurait pas mentionné.
630
Nagata Gensho, opus cit.
631
Ibidem.
632
Ibid.
633
Dosan, opus cit.
634
Clara Goehrs, opus cit.
319
10.2.4. Sobriété de la vie monastique versus écologie militante
635
-San est la particule de politesse ajoutée au nom d’une personne.
636
Chanson américaine des années 1950.
320
morceau suffit. Et pour faire le ménage (au temple, chaque jour, nous nettoyons), une petite
quantité d’eau suffit. C’est l’écologie. Donc je pense qu’il n’y a pas de problème…637 »
« Aussi, si Greta san vient me voir et me demande de ne pas détruire la nature, je lui
dirai : "Je vous en prie…" [Le moine fait un geste du bras pour signifier "circulez, s’il vous
plait…"] ; je lui dirais : "J’ai ma vie" [en appuyant sur "ma"] ; "je pense aussi" ; "j’ai ma
manière"… Greta san a sa manière. Sa manière, c’est la parole. Et moi, j’ai ma manière.
Chacun fait à sa manière… Greta san est Greta san. Vous êtes vous. Je suis moi… Pour
l’écologie, faire un peu chaque jour, c’est bien. En japonais, on dit kodo. [Le moine consulte
Google translate, qui indique : action, conduite, comportement.] Chaque jour : kodo. C’est le
bouddhisme zen… La vie des moines (comme la vie des Japonais de la campagne) est très
simple. Nous, moines bouddhistes, nous commençons notre journée à trois heures du matin.
On se lève. On chante des soûtras. On fait la méditation zazen pendant quatre-vingt dix
minutes. Puis le soleil se lève. Il fait très clair à l’extérieur, aussi nous nettoyons. A huit
heures, nous prenons un repas chaud. Ensuite nous continuons à nettoyer jusqu’au déjeuner.
Après le déjeuner, nous faisons la sieste pendant une heure. Puis nous nettoyons l’intérieur du
temple. Et le soleil se couche... Chaque jour nous suivons ce programme. Ça ne change
jamais. C’est le mode de vie des moines… Greta san parle et pense beaucoup. Mais nous,
nous ne pensons rien. Par exemple, quand on effectue l’action de nettoyer, on ne pense pas.
On mélange (mix) [on unie] le corps et le cœur. Pendant le moment du nettoyage, le cœur
nettoie aussi. Pendant les repas, c’est pareil. Le matin, le midi, le soir, quand le corps mange,
le cœur mange. Si, quand on nettoie, le cœur pense, ce n’est pas bon ! Quand on mange, on
mange. Quand on nettoie, on nettoie. Quand on dort, on dort… Nos vies sont très remplies
chaque jour. Les gens sont très pressés. Même quand ils font une pause, ils se disent : "Ah !
Dans quinze minutes je dois reprendre le travail ! " Puis : "Ah ! Dans huit minutes ! " Puis :
"Ah ! Dans trois minutes !" Ils sont très pressés… Mais la philosophie bouddhique
c’est d’unir le corps et l’esprit. C’est important. Donc quand on travaille, on travaille. Quand
on fait une pause, on fait une pause. C’est la même chose pour le kendo, par exemple, ou pour
le karate. Le cœur et l’action se mélangent. Ils s’unissent. Le corps et le cœur ne font qu’un.
Si l’esprit n’est pas concentré sur l’action, ça ne va pas… Et quand le karate est terminé, si
l’on va dîner avec sa petite amie, c’est pareil. Quand on mange, on mange. Quand on parle, on
parle. Quand on marche, on marche… Sinon on commence à penser ("dans une heure, je vais
faire du shopping, etc.") et ça ne va pas. Quand le corps marche, le cœur ou l’esprit marche.
637
Nagata Gensho, opus cit.
321
C’est le zen. Le cœur et le corps ne font qu’un (heart and body is = mix). [Nagata Gensho
joint ses deux mains l’une dans l’autre.] En japonais, on dit shin djin ichi nyo – shin c’est le
cœur, djin c’est le corps, ichi c’est un. Ça veut dire : mix, one [fondre en un, unifier].638 »
638
Ibidem.
639
Ibid.
640
Ibid.
322
Chapitre 11.
La création par le renouvellement des origines
À environ deux cent cinquante kilomètres au sud de Kyoto, niché dans un paysage de
montagnes, se trouve le temple Shinsho-ji (de l’école zen Rinzai). L’artiste Nawa Kohei et
l’architecte Yoshitaka Lee (concepteurs associés de Studio Sandwich) y ont conçu un pavillon
et une installation artistique641. À l’intérieur d’une construction à l’aspect d’une coque de
navire, immergé dans l’obscurité, le visiteur perçoit peu à peu l’apparition d’une lumière.
D’abord très faible, elle se développe progressivement, jusqu’à laisser apparaître un plan
d’eau. C’est la mer symbolique. Un dispositif technique y fabrique des vagues sur lesquelles
une lumière lunaire se reflète et ondoie. Nawa Kohei explique : « L’expérience dure vingt-
cinq minutes. C’est la durée traditionnelle de la méditation zen car c’est le temps que met une
bougie pour brûler. Vingt-cinq minutes, cela peut être long. Cela peut être difficile à
supporter. Mais c’est l’occasion de ressentir des émotions très éloignées de la vie quotidienne.
En ce sens, c’est une expérience riche… Dans une obscurité profonde, s’assoir et attendre.
Parce qu’au début la lumière est vraiment très faible, on entre dans un état de méditation, et
vient la sensation du monde de l’au-delà… Je pense que c’est une sensation très japonaise (a
very japanese feeling). Au Japon, nous avons un ressenti pour la lumière du soleil, celle de la
lune, pour la nature en général (la montagne, la mer…) Nous croyons en l’existence d’une
multitude de dieux. Nous sentons leur présence dans les phénomènes naturels ou dans
l’atmosphère. Ici, c’est dans la vague. Dans la vague, on ressent quelque chose qui est
secret… Personne ne sait ce qu’est le monde de l’au-delà. Nous ne pouvons pas savoir. Aussi
l’installation permet à chacun de l’imaginer...642 » Par-delà sa dimension onirique, l’œuvre de
Nawa permet d’approcher l’expérience de la méditation zen. Expérience à propos de laquelle
il nous reste encore beaucoup à comprendre. « Méditer, c’est disparaître », indique Nawa.
« C’est se sentir partie de la nature », précise l’interprète japonaise. Vous pensez que vous
faites partie de la nature ? « Évidemment ! » Alors que sont les bâtiments ? Ils sont dans la
nature ou ils sont faits par l’homme ? « Ils sont dans la nature ! » Même quand vous utilisez
641
Voir supra, chapitre 8.1.2. Le pavillon Kohtei, du musée et jardin zen Shinshoji, conçu par Studio Sandwich,
en 2016.
642
Nawa Kohei, entretien avec S. Dousse, le 25 juin 2019, à Kyoto. Voir annexe 2.
323
de l’acier ou du béton ? « Tout matériau provient de la nature. Les particules viennent de la
Terre. Toute chose vient de la Terre. Tout est partie de la nature. Du moins, c’est mon point
de vue »643, conclue Nawa.
Fig. 142. Pavillon Kohtei. Vues sur le jardin et l’accès au pavillon. Photographies S. Dousse, 2019/07
324
type d’environnements naturels sacrés. Comme si les êtres humains appartenaient à
l’organisation naturelle. Comme s’ils faisaient partie de ce grand flux... Fondamentalement,
nous avons cela en tête. La pensée d’une certaine circularité entre nous et le monde naturel.
Cela nous vient sans doute des temps anciens...646 » D’après Hirata Akihisa, aujourd’hui
encore, le shintoïsme reste déterminant dans le rapport des Japonais à la nature. « Après la
modernisation à l’ère Meiji, il y a eu le shinto d’État. Mais avant cela, le shinto originel était
un mélange de nombreuses divinités qui circulaient dans l’environnement naturel. On ne
voyait pas de frontière entre les divinités et les animaux, entre les éléments de la nature et les
humains. Ce type de pensée est particulier à la culture japonaise647 », conclue-t-il.
Sur l’idée d’une absence de frontière entre la nature et les bâtiments ainsi qu’entre la
nature et les hommes, le professeur Sendai Shoichiro648 nous éclaire : « Le fait est qu’au
Japon on ne conceptualise pas la question de la nature. On ne peut pas conceptualiser 649 ».
Encouragé à expliciter les raisons de cette impossibilité théorique, le professeur Sendai
développe : « Ça concerne le shinto. Il n’y a pas de texte de référence ; seulement des
cérémonies cachées. Et il n’y a pas un Dieu ; il y a une multitude de dieux ; que l’on sent. Il
n’y a pas de représentation des dieux. Il est impossible de conceptualiser la relation à la nature
au Japon. » Parce que vous êtes dans le domaine du ressenti ? « Oui… L’une des choses
importantes dans la culture japonaise, c’est qu’il n’y a pas de séparation entre la nature et
l’espace. » Parce que les divinités sont présentes dans les éléments de l’environnement ? « On
ne peut pas penser comme ça. Ce n’est pas si clair… » Les divinités n’investissent-elles pas
certains éléments de la nature comme la montagne ou la mer ? « Ça bouge. Ça dépend des
endroits. Ça dépend des dieux.650 Ce n’est pas défini… »651 Ces notions mystérieuses trouvent
un écho dans une discussion avec Nakamae Yusuke, jeune architecte d’Osaka. À la question
de savoir qu’est-ce que la nature, Nakamae Yusuke répond : « C’est le vert, les arbres, la
646
Hirata Akihisa, entretien avec S. Dousse, le 20 juillet 2019, à Tokyo. Voir annexe 7.
647
Ibidem.
648
Sendai Shoichiro enseigne la théorie de l’architecture à l’université de Shimane (région berceau du shinto).
649
Sendai Shoichiro, entretien avec S. Dousse, le 9 juillet 2019, à Matsue. Voir annexe 5.
650
Sendai Shoichiro évoque l’exemple des deux grands sanctuaires shintoïstes du Japon, le sanctuaire d’Izumo
(dans la préfecture de Shimane, sur la côte nord de Honshu, du côté de la mer du Japon) et le sanctuaire
d’Ise (dans la préfecture de Mie, sur la côte sud de Honshu, du côté de l’océan pacifique) : « Il y a différents
shinto. À Izumo, la notion de sacré est verticale. Les dieux sont verticaux. On le voit dans l’architecture du
temple. Les flèches de faitage sont plus verticales que celles du temple d’Ise… Originellement, le temple
d’Izumo était perché sur des pilotis de quarante-huit mètres de hauteur. On n’y accédait par une rampe en pente
très forte. C’est vraiment une singularité architecturale du temple d’Izumo. Par la suite, au fil du temps et des
reconstructions (qui ont lieu tous les vingt ans), le temple a été abaissé à vingt-quatre mètres de hauteur et la
rampe à progressivement disparu. Pourtant, on sent encore l’importance de la verticalité dans l’architecture du
temple tel qu’il est aujourd’hui. Alors qu’au sanctuaire d’Ise, la notion de sacré est horizontale. À Ise, les dieux
sont dans la profondeur de la forêt. »
651
Sendai Shoichiro, opus cit.
325
forêt ». Alors il n’y aurait pas de nature en ville ? Ou bien seulement dans les pots de fleurs et
dans les arbres ? « Pas seulement dans les plantes. Tout est nature. La nature est partout…
C’est le shinto… Comment expliquer ? … Par exemple, si je trouve une mallette dans la rue,
je ne vais pas oser la prendre, car je vais penser que les dieux me regardent… Les dieux sont
partout. Dans une mallette. Dans l’air. Dans l’atmosphère… » Alors les dieux ne sont pas
seulement dans les éléments naturels ? « Pas seulement. Ils sont dans ce muret aussi. Ils sont
dans les murs du gymnase quand il y a un tournoi de sumo. Même quand on est à New York,
en pleine ville, on sent la nature. On sent la présence des dieux. C’est dans
l’atmosphère… C’est pour ça que nous [Japonais] ne sommes pas dans le concept... De mon
point de vue, la différence entre les architectes occidentaux et les architectes japonais, c’est
que les architectes japonais ne font pas de philosophie. Sauf Kuma Kengo, qui fait des
théories et qui écrit des manifestes. Les autres architectes, Ishigami Jun’ya ou Fujimoto
Sosuke par exemple, font une architecture qui est "comme un nuage"652, "comme un arbre"653,
etc. Ils font des rapprochements avec des éléments de la nature. C’est facile pour eux. C’est
dans l’esprit japonais… Les architectes japonais pensent de manière abstraite. Ils pensent
global. Ils font des espaces ouverts et fluides, sans limites… Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il
est facile pour nous de penser de manière abstraite, une architecture qui est "comme un
nuage" ou "comme un arbre". Les architectes japonais ne font pas de philosophie… »654.
Fig. 143. Pavillon Bloomberg655 et prototype de structure organique 656 conçus par Hirata Akihisa
652
Voir infra, chapitre 11.1.4. Église de Higashi-Totsuka, conçue par Hirata Akihisa, à Yokohama, dans la
préfecture de Kanagawa, en 2015.
653
Voir supra, chapitre 5.3.2. Musée d’art et bibliothèque d’Ota, conçu par Hirata Akihisa, à Ota, dans la
préfecture de Tokyo, en 2017.
654
Nakamae Yusuke, entretien avec S. Dousse, le 2 juillet 2019, à Daito (Osaka). Voir annexe 4.
655
Exposition « Architecture et urbanisme au Japon depuis 1945 », Metz, Centre Pompidou, 2017 (photographie
S. Dousse, 2017/09).
656
Exposition « Discovering New », Tokyo, galerie Ma, 2018 (photographie S. Dousse, 2018/07).
326
tellement les notions de "naturel" et d’ "artificiel". On n’en parle pas. Traditionnellement, il
n’y a pas de distinction entre nature et artifice. Il n’y a pas de vision du logos, de la
chose. » Pas de vision dualiste ? « Non. Par exemple, si on pense au bois, ce n’est pas une
question de matière. Le bois est plutôt en rapport avec la tradition. C’est quelque chose qui
vient de la montagne, que l’on cultive pour construire. On le pense en relation avec
l’environnement. » D’un autre côté, on observe que, dans les villes, on utilise beaucoup de
matériaux industriels imitations de matériaux organiques. « C’est parce qu’on ne fait pas de
hiérarchie entre le naturel et l’artificiel. Il n’y a pas un dualisme mais une gradation très large.
Et il y a toujours une notion de "à la fois". C’est une notion-clef dans la mentalité japonaise.
Les choses sont toujours "à la fois" naturelles et artificielles, "à la fois" locales et universelles,
etc. Le philosophe Nishida Kitaro a développé ce principe dans son travail sur la "logique du
lieu", en un mot difficilement traduisible : zetai (absolu) + mujo (contradiction, paradoxe) +
jikodo istu (identique), ce qui signifie "la contradiction absolue est une seule et même chose"
[autrement dit : une chose et son contraire sont en fait la même chose ; ou : une chose et son
contraire reviennent au même]. » Qu’est ce qui a bien pu conduire Nishida Kitaro à élaborer
cette idée ? « Nishida a beaucoup étudié le zen. Lui-même faisait zazen, la méditation assise.
Donc sa pensée est sans doute liée à la pratique… »657, explique le professeur Sendai. Faut-il
pratiquer pour comprendre ? Le moine Dosan n’a-t-il pas dit que « celui qui a un sens affuté
de la nature n’a pas besoin d’user de mots et de concepts » ? Si Dosan convenait que « pour
écrire, on est bien obligé d’en passer par là », il observait tout de même que « doté d’une
compréhension fine de la nature (de la nature en tant qu’univers), nul besoin d’écrire ne se fait
sentir »658. Sans trop s’avancer dans la théorisation, on peut simplement remarquer qu’une
fois encore bouddhisme et shintoïsme se sont entremêlés.
De la théorie à la pratique, sans savoir s’ils ont lu les écrits de Nishida Kitaro ou s’ils
ont pratiqué la méditation zen, on interroge des architectes. Aoki Jun indique que le caractère
naturel ou artificiel des matériaux ne revêt aucune importance à ses yeux : « Pour le musée
d’art d’Aomori659, j’ai utilisé de la brique. Même au plafond, il y a de la brique. Mais s’il
s’agissait de vraies briques, celles-ci nous tomberaient sur la tête ! Donc j’ai utilisé des
657
Sendai Shoichiro, opus cit.
658
Dosan, opus cit.
659
Voir supra, chapitre 8.2.1.
327
panneaux imitation brique. La plupart des architectes n’aiment pas ce type de matériau très
artificiel (fake material), mais pour moi, c’est la même chose. La vraie brique et la fausse
brique, pour moi, c’est pareil. Je ne me préoccupe absolument pas du naturel et de l’artificiel,
du vrai et du faux. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas ce qu’est le matériau, mais comment
développer l’utilisation de ce matériau. Par exemple, quand on utilise du verre, on peut le voir
comme un matériau transparent, mais le verre a une minéralité – there is a mineral feeling. Le
verre peut être très lourd. Ce peut être un matériau très concret (comme l’acier). Chaque
matériau peut avoir des aspects très différents. Aussi nous pouvons décidez de faire ressortir
certains aspects selon l’effet que l’on recherche660 », explique-t-il. Hasegawa Go apprécie
également jouer des contrastes entre des textures ou des matérialités. Qu’il s’agisse de la
finition du béton (d’aspect brut, lisse ou peint) dans les appartements de Nerima (Tokyo), de
l’alliance de deux essences de bois d’expressivités différentes (pour le sol du rez-de-chaussée
et pour l’escalier qui descend depuis l’étage) dans la maison de Yoshino (préfecture de Nara,
Kansai), ou en choisissant un bois d’expressivité métallique en façade de la maison de
Komazawa (Tokyo). C’est sans doute par les textures et les matérialités que Hasegawa
exprime la "nature", une notion difficile à définir : « Pour moi, la "nature" ce n’est pas le vert,
ou les plantes ; dans mes projets de maisons de ville comme dans mes projets de maisons en
forêt ; dans l’environnement autour de nous… tout est la nature ! Même à Tokyo, quand je
regarde les environs de mes sites de projets : les maisons voisines, les murs limitrophes, les
rues, les câbles électriques, les plantes bien sûr… Tout est la nature !661 » Aux yeux de
Hasegawa, c’est le caractère sensoriel (sensitive) de la matière qui tient le lieu de nature ou de
naturalité. Alors, quoi qu’il en soit, l’architecture est liée à la nature ? « Sans aucun doute ! La
distinction "objets artificiels versus objets naturels" n’est pas ma définition de la limite entre
l’artificiel et le naturel !662 », conclue-t-il avec aplomb.
De son côté, Abe Ryo explique ne pas choisir d’utiliser tel ou tel matériau en fonction
de son caractère naturel ou artificiel : « Quand je choisis un matériau, je ne dis pas à mon
client que j’apprécie ce matériau parce qu’il est "naturel". Cet argument me semble un peu
idiot ! Je lui dis plutôt que j’aime utiliser ce matériau parce qu’il change dans le temps. Parce
qu’il vieillit. Qu’il prend de bons effets avec le temps. Si mon client me propose d’utiliser du
plastique, je lui répondrai simplement que ce matériau ne vieillit pas joliment. S’il me suggère
de couvrir le bois, je lui dirai que je n’aime pas couvrir le bois. Je préfère l’exposer. Parce
660
Aoki Jun, opus cit.
661
Hasegawa Go, entretien avec S. Dousse, le 19 aout 2019, à Tokyo. Voir annexe 11.
662
Ibidem.
328
qu’alors il change beaucoup et que ces changements sont très beaux. » Serait-ce par la
matérialité qu’Abe Ryo exprime la nature en architecture, y-compris dans un environnement
urbain tel que Tokyo ? L’architecte est perplexe : « La nature, ce n’est pas seulement le
paysage. L’air est aussi une partie de la nature, tout comme le changement de la lumière… Il
y a de nombreuses manières d’apprécier la nature. » Ce n’est pas seulement la végétation ?
« Il est parfois intéressant d’insérer de la végétation, mais ce n’est pas toujours nécessaire. Les
arbres et les plantes ne sont qu’une petite partie de la nature… Je ne sais pas vraiment ce que
"nature" veut dire… L’être humain aussi fait partie de la nature… » Abe Ryo recherche une
expressivité brute (a beautiful roughness). Quant à savoir s’il perçoit ce goût comme un lien à
la tradition, sa réaction est claire : « Je me fiche de la tradition. D’ailleurs, je déteste le mot
"tradition". Je voudrais rompre avec la tradition. Dans mon design, je ne veux rien qui soit
traditionnel ! Néanmoins, je suis très intéressé par la manière de fabriquer ce que l’on appelle
"tradition". Il s’agit de processus. Des artisans qui répètent la même technique invariablement,
de manière égale [sur la table de réunion en bois, Abe imite et répète le geste de peindre une
surface au pinceau]. La régularité (equality) est parfois un très bon objectif. Quand une
surface est peinte de manière très égale, très régulière, alors le résultat est très bon. On obtient
une belle matérialité… Au début de ma pratique, quand j’ai demandé à un artisan d’obtenir
cette définition, ce qu’il a fait était très kitch. Comme il voulait réaliser une finition brute,
c’était kitch. C’était très artificiel et je n’étais pas satisfait. C’est en travaillant le processus
que nous avons réussi à obtenir la finition souhaitée. Ce-faisant, j’ai compris comment la
tradition avait été faite. En suivant des savoir-faire. En répétant cent fois le même geste. Très
simplement. Alors même des centaines d’années plus tard, les artisans peuvent réaliser les
mêmes choses. En répétant la tradition. On peut continuer à faire des maisons traditionnelles
comme on le faisait il y a des centaines d’années. Parce que c’est la tradition justement ! »663,
remarque-t-il gaiement.
Si Abe Ryo conçoit des constructions nouvelles, il réalise aussi de nombreux projets
de réhabilitation ou d’aménagement de bâtiments anciens. Tout en les modernisant, il parvient
à en conserver l’aspect historique : « J’essaie de faire quelque chose de nouveau, mais je ne
veux pas que cela ait l’air nouveau… Quand je rénove une maison ancienne, parfois je refais
complètement l’intérieur, mais j’essaie de faire en sorte que ça ait l’air d’être là depuis cent
ans. Souvent, quand des gens visitent la maison, ils s’étonnent et ils disent : "Oh ! Vous avez
conservé la maison traditionnelle !" J’ai remplacé les tatami par du parquet, pourtant les gens
663
Abe Ryo, opus cit.
329
continuent de penser que c’est une maison traditionnelle ! Parce que j’ai peint le sol en
employant cette technique qui permet d’obtenir une finition brute très fine. Cela donne une
impression d’ancienneté, mais c’est bien une chose que j’ai inventé ! Quand je demande aux
peintres de faire du noir en appliquant cent couches très fines, c’est très difficile pour eux.
Comme les traces de pinceau se superposent, il y a toujours des emplacements plus sombres
et ils détestent ça. Je leur demande vraiment une chose impossible, mais ainsi ils parviennent
à créer une texture (roughness) très fine – ce que j’appelle "la qualité de la main humaine".
C’est la meilleure matérialité qui soit. Celle que les gens apprécient le plus. Au touché, on a
l’impression que c’est un matériau ancien, vieilli… Parfois cela engendre une confusion. Les
gens ne savent pas. Ils ont l’impression d’être devant une chose inconnue. Certains pensent
que c’est ancien, d’autres que c’est neuf, et tous éprouvent des sensations. C’est ce que
j’aime. Alors je n’ai pas besoin d’expliquer l’origine de ces sensations… Mon but, c’est de
créer des sensations. De fabriquer des opportunités pour que les gens ressentent des
sensations. Le type de technique utilisé n’a pas d’importance. Parfois je fabrique des
matérialités faites à la main. Parfois j’utilise des matériaux industriels. Parfois je combine les
deux. Par exemple, j’utilise souvent des panneaux en aluminium. Ce matériau produit de très
beaux reflets (it has a very beautiful reflection), d’autant plus quand on le combine avec un
matériau organique comme le bois. Je combine très souvent ce genre de choses… Finalement,
je pense que j’essaie de créer une confusion. (…) J’essaie de faire quelque chose de nouveau,
par les sensations, par les techniques, par les formes. J’essaie de combiner plein de petites
choses nouvelles avec plein de petites choses qu’ils connaissent déjà. » Par-delà l’intention de
créer quelque chose de nouveau, le sens de l’espace reste-t-il lié à la tradition ? « Pour moi, le
traditionnel concerne les techniques et les styles. Je ne sais pas s’il y a un sens de l’espace qui
soit traditionnel… Quand je conçois des espaces, je ne pense pas à la tradition. J’essaie de
travailler les formes, l’espace, pour créer de nouvelles sensations à partir de l’espace (new
sensations from space). Je romps avec la tradition. J’expérimente. » Comment créer
de nouvelles sensations à partir de l’espace ? « Par exemple, pour le projet de restaurant
communautaire sur l’île de Teshima, quand on s’assied sous la canopée, on sent combien le
toit est bas. On est surpris. On s’installe. Et puis on apprécie la signification (the meaning). »
C’est une nouvelle situation ? « C’est une nouvelle situation, exactement. Alors on a des
sensations. On apprécie le moment… Créer de nouvelles sensations, c’est ce que je souhaite
faire en architecture. C’est tout »664, conclue-t-il.
664
Ibid.
330
11.1.3. Les architectes japonais et l’histoire
Hasegawa Go a son mot à dire sur l’histoire et sur la relation que les architectes
japonais entretiennent avec elle. À propos de l’essence de l’architecture japonaise, il avance
qu’un certain rapport de continuité avec l’histoire serait au cœur de sa créativité et de celle de
ses confrères, bien que la plupart d’entre eux ne l’énoncent pas. Hasegawa explique : « Au
Japon, quand nous parlons de l’histoire, dans la plupart des cas, nous parlons de généalogie.
Par exemple, me concernant : j’ai étudié à Tokyo-Tech (Tokyo Institute of Technology), j’ai
appris l’architecture avec Sakamoto Kazunaro et Tsukamoto Yoshiharu, etc. Ce genre de
lignage est très fort, et je reconnais que c’est sans doute grâce à cela que les architectes
japonais ont pu si bien et si rapidement se développer après la Seconde Guerre mondiale.
C’est peut-être grâce à la force de la généalogie que l’architecture japonaise est très présente
aujourd’hui sur le plan international. Mais parallèlement à cela, il y a une plus grande
histoire ; une idée plus générale de l’histoire. Et cette perspective d’une histoire plusieurs fois
millénaires, et bien il me semble que nous ne l’avons pas tant que cela… Bien sûr, nous
sommes conscients de notre enracinement dans la culture et dans l’histoire japonaises, qui
sont très anciennes. Mais dans le cadre de leurs pratiques, je pense que la plupart des
architectes ne sont pas conscients d’une telle histoire, longue de plusieurs milliers
d’années…665 » Pourquoi cela ? « C’est peut-être à cause d’une perspective assez étroite axée
sur le "présent" et sur le "nouveau" (about the "now" and about something "new"). C’est la
même chose en Europe, bien sûr, mais il me semble que les européens ont d’avantage de
perspective historique...666 » Malgré cela, Hasegawa pense qu’un certain rapport de continuité
avec l’histoire est au cœur de l’architecture contemporaine japonaise : « Même quand nous ne
construisons pas des bâtiments en bois, il y a une continuité avec l’histoire. Dans la
construction, les détails, la compréhension du sol… Dans tous les éléments de
l’architecture. » Il parle de « culture of buildings » (culture des bâtiments ou culture du bâti) :
« L’architecture est ancrée dans l’histoire et dans la culture. Bien sûr, tout architecte cherche à
créer quelque chose de nouveau. Mais en même temps, chaque pratique est basée sur une série
de tentatives, de réussites et d’échecs inscrits dans l’histoire. Les architectes ne peuvent pas
être détachés, ou indépendants, de la culture et de l’histoire… Plus j’avance dans ma pratique,
plus je mesure combien ceci est fondamental pour l’architecture. Elle est vraiment basée sur
l’histoire et sur la culture ! Cette idée est probablement la base de ma pratique.667 » Quand il
665
Hasegawa Go, opus cit.
666
Ibidem.
667
Ibid.
331
conçoit ses architectures, Hasegawa commence généralement par travailler à partir d’un
dispositif architectural et/ou urbain typique du Japon : pour la maison de Gotanda (à Tokyo),
il explore l’intervalle communément ménagé entre des constructions voisines ; pour la maison
surnommée Pilotis in the forest (à Karuizawa), il accentue la surélévation des maisons établies
dans un milieu si humide qu’il est nécessaire de se détacher du sol ; pour la maison de
Komazawa (à Tokyo), il réinterprète la typologie standard des maisons de villes sur deux
niveaux, qui, d’après lui, créé un contraste fort entre terre et ciel, horizontalité (au rez-de-
chaussée) et verticalité (à l’étage). Ainsi ses réalisations entretiennent un certain rapport de
« similarité » avec leur environnement. C’est la culture des bâtiments. Un dialogue subtil.
Pour autant, Hasegawa tient toujours à créer une architecture « unique » et « nouvelle ».
Parce qu’il est installé au Japon depuis plusieurs décennies, le regard que porte
Manuel Tardits sur la relation des architectes japonais à l’histoire est instructif. Pour lui, le
manque de lien entre l’historique et le contemporain n’est pas surprenant au Japon : « Avant
de venir à Tokyo pour y compléter mes études, avant de travailler chez Maki Fumihiko,
l’histoire m’intéressait beaucoup. Pendant deux ans, au début des années 1980, j’avais réalisé
des relevés pour le musée des arts et des traditions populaires à Paris dans le cadre d’un
programme qui avait commencé dans les années 1940, une documentation du patrimoine rural
de France région par région. Pourtant, au Japon, cet intérêt a été mis en veilleuse. On était à
Tokyo, une ville contemporaine. J’étais fasciné par les réseaux et les gares ! Dans l’agence de
Maki, nous n’arrêtions pas de participer à ces fameux concours d’architecture
contemporaine ! On était dans le présent. L’architecture japonaise traditionnelle n’intéressait
pas spécialement Maki. Bien sûr, à l’agence, il y avait un certain nombre de bouquins –
notamment le bouquin que Maki avait écrit avec ses collègues 668 : ce livre sur la ville
évanescente, le sens du oku/du profond/des tréfonds dans la ville ; une analyse de l’espace et
de la morphologie urbaine. Pourtant, quoi que de manière un peu paradoxale, dans son
laboratoire on ne s’occupait pas de théorie, mais uniquement d’architecture contemporaine.
Du reste, Kyoto, le parangon de l’histoire au Japon, était très loin de mon esprit. Tout ce qui
était construction en bois, je ne connaissais pas. Ce n’est pas que je n’étais pas intéressé, mais
j’y allais comme on visite une église romane. Pour voir un bâtiment historique, un élément de
patrimoine, et non le sujet d’une architecture… Je n’allais pas souvent à Kyoto. C’était loin,
c’était cher, et je n’avais pas le temps ! Donc non, le sujet ce n’était pas l’histoire669 », raconte
668
MAKI Fumihiko, Miegakure Suru Toshi : Edo kara Tokyo e (La ville élusive : de Edo à Tokyo), Tokyo,
Kajima kenkyujo shuppankai, 1988.
669
Tardits Manuel, opus cit.
332
Manuel Tardits.
« Il faut tout de même préciser que le patrimoine architectural japonais ancien n’a pas
été constitué par des architectes. Au Japon, les architectes apparaissent vers 1880. Avant ça, à
l’exception des pavillons de thé réalisés par des maîtres de thé, tout ce que l’on peut voir dans
le patrimoine a été fait par des charpentiers, qui sont un peu l’équivalent des maçons maîtres
d’œuvre du Moyen Âge en France. En Europe, l’architecte est apparu à la Renaissance, mais
au Japon, il est apparu seulement à la fin XIXe, ce qui est relativement récent ! Donc il existe
une dichotomie. D’un côté, il y a des chercheurs qui connaissent parfaitement l’histoire. D’un
autre côté, il y a des architectes (comme Maki) qui s’occupent d’architecture contemporaine
et qui regardent peu l’histoire. Ils ne méconnaissent pas leur patrimoine, mais ils ne s’en
préoccupent pas spécialement non plus. Ils font de l’architecture avec des références
américaines, européennes – japonaises aussi, car ils ne méconnaissent pas les collègues qui les
ont précédé, mais le monde plus ancien des charpentiers les touchent moins. On n’est jamais
complètement déconnecté de sa culture, mais cette architecture là ne lui était pas très liée. Elle
n’en parlait pas trop.670 » Bien sûr, un certain nombre d’architectes japonais se sont montrés
attentifs à leur tradition : « Il est évident que, tout moderne qu’il soit, un architecte tel que
Tange Kenzo (comme de nombreux autres, moins connus) a regardé certains artefacts. Il a vu
la villa Katsura, etc. Mais Tange comme d’autres ne sont pas des gens qui ont une grande
culture de leur tradition. Tout simplement parce ce que ce n’est pas ce qu’on leur a enseigné !
On leur a enseigné Le Corbusier. Quand ils étaient étudiants, ils avaient le regard tourné vers
l’Occident. Allemands, Français, Italiens. Américains, moins. Enfin, pas avant la guerre…
Donc ces architectes ont des carrières hybrides. Ils ont une éducation qui les a poussés vers
l’extérieur. Pas vers l’intérieur. » La situation est-elle différente aujourd’hui ? « Pas
particulièrement. Ici, à l’université, après avoir rapidement brossé un panorama de
l’architecture japonaise, on passe très vite à l’architecture occidentale. Dans deux cents ans,
ce sera certainement différent, mais, aujourd’hui encore, l’architecture est essentiellement
considérée comme une discipline occidentale. Même si il y a des architectes japonais qui
parlent de leur pays, dans les grandes universités japonaises Le Corbusier est toujours sur le
devant de la scène. Je caricature à peine !671 »
670
Ibidem.
671
Ibid.
333
Tardits poursuit sa réflexion : « On a reçu une certaine éducation architecturale mais on
évolue aussi ! On peut changer ! Durant les années pendant lesquelles je travaillais chez Maki,
je pensais l’architecture à la façon de Maki. Puis, peu à peu, je me suis ré-intéressé au
patrimoine, mais sans vision patrimoniale. Sans me dire "ce sont les résidus superbes de
l’histoire", "le merveilleux temps passé"… Je pense que cela a à voir avec la notion de temps.
Ce temps a existé, oui. Mais nombreux sont ceux qui pensent qu’à aucun moment ce
patrimoine ne va les aider à concevoir des maisons ou des lycées. Je peux aller admirer une
très belle villa impériale du XVIIe siècle et dessiner au même moment un lycée, ou une gare.
Il n’y a à priori aucun rapport, aucune de liaison. Donc ça ne semble pas aberrant de classifier
comme ça [de séparer patrimoine ancien et architecture contemporaine]. Il n’y a pas de liaison
vivante entre ce que l’on apprécie du patrimoine et ce que l’on va concevoir dans sa pratique.
Je pense que la plupart des architectes japonais réagissent comme ça, même si cela ne leur est
pas propre… Pour autant, quand on regarde précisément, des architectes comme Maki
Fumihiko et Tange Kenzo faisaient de nombreuses références à l’histoire dans leurs projets.
Des références à tel jardin ou à tel bâtiment. Comme nous [observateurs occidentaux] ne
connaissons pas toutes ces références, nous ne les voyons pas. Mais ces architectes citaient
beaucoup. Ils faisaient des emprunts. D’ailleurs, l’emprunt, la citation, en soi, c’est une
tradition au Japon. Ce n’est pas du tout une faiblesse d’inspiration ! Donc ces architectes
avaient quand même un rapport à l’histoire. Un côté référencé... Puis, d’autres architectes,
comme Taniguchi Yoshiro ou Naito Hiroshi, ont développé un autre rapport à l’histoire. Un
côté localisé. Une vision d’ethnographes… Ils ont une vision subtile du patrimoine et ils
essayent de travailler avec. Travailler avec des pratiques, avec une vision des lieux… Mais si
l’on parle de "tradition" à Naito, il nous dira que ce n’est pas son problème. Il parlera plutôt
de "proto-forme" ou d’"archétype". Il ne parlera pas de tradition. Pour autant, quand on va
voir ses bâtiments, on se dit qu’il a vraiment compris le lieu. » Naito ne pense pas à
l’histoire ? « Il pense au lieu. À l’environnement. Mais, en même temps, l’environnement, le
lieu, c’est ça, l’histoire ! »672 s’exclame-t-il avec animation.
672
Ibid.
334
11.1.4. Un possible retour à l’origine ?
673
ANDO Tadao, « D’une architecture moderne fermée sur elle-même à l’universalité », 1982, cité dans
NUSSAUME, Yann, Tadao Andô et la question du milieu, Réflexions sur l’architecture et le paysage, Paris, Le
Moniteur, 1999, p. 185.
674
Ibidem, p. 184.
675
Shinohara Kazuo (1925-2006) – Sakamoto Kazunari (1943-) – Tsukamoto Yoshiharu (1965-) – Hasegawa Go
(1977-). Tous quatre ont été formés et ont enseigné à l’université de technologie de Tokyo (dans le laboratoire de
Shinohara). Parce qu’ils ont été salariés dans l’agence de Shinohara, Ito Toyo et Hasegawa Itsuko font également
partie de ce que l’on appelle l’ « école Shinohara ».
335
un équilibre dans la ville moderne.676 Hasegawa parle d’une relation d’égalité ou de neutralité
entre l’intérieur et l’extérieur, le bâtiment et l’environnement – son intention étant
d’harmoniser la relation entre l’environnement, le bâtiment et le corps humain. Tandis que ces
prédécesseurs coupaient toute relation entre le bâtiment et son contexte, Hasegawa ouvre sur
l’extérieur pour établir une relation, un point d’équilibre restaurateur.677
Fig. 144. Maison à Komae et appartements à Nerima. À gauche : Maison à Komae (conçue par Hasegawa Go
en 2009). Photographie Shinkenchiku-sha. À droite : Appartements à Nerima (conçue par Hasegawa Go en
2010). Photographie Iwan Baan. Format des images modifié pour les besoins de la mise en page
676
Hasegawa Go explique : « Les espaces semi-extérieurs sont des environnements qui introduisent un point de
vue externe sur une situation chaotique. » « J’entends créer un espace vide qui constitue un environnement
depuis lequel je puisse percevoir les environs de manière organisée et restructurer ainsi l’ensemble. » « En
ajustant les proportions des espaces vides, j’essaie de restructurer les relations entre les espaces du bâtiment et ce
qui est à la périphérie, ou entre deux parties de la périphérie. » « En restructurant ces relations, j’entreprends de
créer une nouvelle relation entre l’environnement, le bâtiment et le corps humain. Mon intention est de capturer
le moment où l’équilibre est atteint, rendant ces trois éléments équidistants, trouver une relation avec une
distance raisonnable, (…) atteindre un degré d’équilibre et de tension idéal pour le lieu. » HASEGAWA Go,
Thinking, Making architecture, Living, Tokyo, Lixil Publishing, Contemporary Architect’s Concept Series 11,
2011, p. 98.
677
Alors qu’Ando, Shinohara et d’autres créaient une rupture (un mur de béton brut) entre le lieu de vie et la
ville, Hasegawa travaille la distance. Par l’architecture, il fabrique le moyen d’habiter des situations urbaines
compliquées tout en se sentant protégé, confortable.
678
Hirata Akihisa, opus cit.
679
Ibidem
336
anciennes, Hirata entend retrouver des qualités fragilisées ou disparues : « Si les modes de vie
et les modes de penser ont changé après la Seconde Guerre mondiale, certaines choses
demeurent intactes, et d’autres choses il reste des traces. Ces temps-ci, nous sommes en train
de retrouver la manière de vivre avec la nature des temps anciens (how we were dealing with
the natural environment in the ancient time in japanese life) »680. Les décennies passant, le
thème de la nature reste central à la réflexion d’architectes aussi différents qu’Ando Tadao et
Hirata Akihisa. Quand Ando cherchait à restaurer l’unité entre architecture et nature (par
l’abstraction et la rigueur géométrique, en accueillant les éléments de la nature dans un cadre
épuré), Hirata Akihisa entend traduire la relation originelle à la nature dans le cadre de vie
moderne (en s’inspirant de structures biologiques du vivant et en intégrant de nouvelles
technologies) : « [Avec la modernisation] nous avons perdu notre relation originelle à la
nature. Aussi nous essayons de créer des mélanges. Nous essayons de revitaliser notre relation
originelle à la nature, de l’adapter à notre mode de pensée moderne, aux nouvelles
technologies, à l’informatique, aux simulations etc., toutes les choses modernes, pour
mélanger l’ensemble et créer un mode de pensée complètement nouveau. »681 C’est en
acceptant la perte de l’originel et en assimilant les éléments étrangers que Hirata retrouve
l’essentiel de ce qui a été perdu. En adaptant, il renouvèle. En fabriquant « quelque chose de
nouveau » il fait revivre l’originel (réinventé). Actualisée dans le présent et en vue du futur,
l’ancienne relation à la nature est régénérée.
Fig. 145. Église Higashi-Totsuka (conçue par Hirata Akihisa, à Yokohama, préfecture de Kanagawa, en 2015).
Le toit symbolise les nuages, la végétation longe la façade entièrement vitrée. Photographies S. Dousse, 2019/07
Dans la pratique de Hirata comme dans celle de Hasegawa et dans celles d’autres
architectes de leur génération, on observe un double mouvement entre création et restauration.
L’architecture est à la fois nouvelle et ancrée dans le passé. Elle est création d’inédit et mise à
jour (développement et amélioration) de l’ancien. Si, comme le pense Hasegawa, la continuité
680
Hirata Akihisa expérimente ces principes dans les projets du complexe de Taipei, conçu à Taiwan, en 2016, et
dans le musée d’art et bibliothèque d’Ota, conçu près de Tokyo, en 2017. Voir supra, chapitre 5.3.2.
681
Hirata Akihisa, opus cit.
337
avec l’histoire est au cœur de la pratique de ces architectes, alors il faut percevoir l’histoire
comme appartenant aussi au présent et non pas reléguée dans le passé ; l’histoire comme force
active, en train de se produire, en train de se réaliser encore. Alors elle est vivante. Elle est
liée à la vie. Aux usages, aux techniques, aux perceptions. C’est une source où puiser
l’essence d’un rapport au monde, toujours recommencé et actualisé, et qui, par ce
recommencement ou cette actualisation, est systématiquement enrichi. C’est dans l’intervalle
(le ma) entre le passé et le présent, l’ancien et le nouveau, le japonais et l’occidental,
qu’apparaît l’identité mise à jour, à la fois inédite et intemporelle, essentielle et hybride,
authentique et mélangée. Transformée. Dans le cas du Japon, l’hybridation est un facteur
identitaire. Qu’y-a-t-il au cœur de l’hybride ? Au cœur de cette identité qui, aussi déterminée
soit elle, nous file pourtant entre les doigts ? Quels en sont les fondements ? En quoi tient la
culture architecturale japonaise ? Nombreux sont les ouvrages et les expositions consacrés au
sujet. Parmi les travaux récemment édités par les Japonais eux-mêmes, l’ouvrage Architecture
in Japan, genealogies of its transformation682 énumère les thématiques. Après les
« possibilités du bois » (01. Possibilities of wood), « l’esthétiques transcendante » (02.
Transcendent aesthetics), « les toits de tranquilité » (03. Roofs of tranquility), « l’artisanat en
tant qu’architecture » (04. Crafts as architecture), « les espaces interconnectés » (05. Linked
spaces), « l’architecture hybride » (06. Hybrid architecture), « la vie en collectivité » (07.
Forms of living together) et « la redécouverte du Japon » (08. Japan rediscovered) vient le
sujet de la « vie avec la nature » (09. Living with nature).
682
TSUCHIYA Takahide, MAEDA Naotake, TOKUYAMA Hirokazu, HIROSE Mami (Ed.), Japan in
architecture : Genealogies of its transformation, catalogue de l’exposition, Tokyo, Echelle-1. Inc., 2018, 322 p.
338
11.2. Et l’écologie dans tout ça ?
D’après la plupart des architectes interrogés, tenir compte du climat est une évidence
au Japon : « Au Japon, le climat et les saisons sont très marqués. C’est en pensant à cela que
nous concevons le design. Il est impossible de concevoir un bâtiment sans prendre en compte
l’environnement683 », remarque Akagi Takashi de Nikken Sekkei. En ce sens, les Japonais
n’ont pas attendu la création du concept d’écologie par l’Occident : « L’architecture ancienne
(celle de la période pré-moderne) était déjà très écologique... ! L’écologie à l’occidentale,
c’est le contrôle de la nature par l’homme. C’est empêcher la destruction de la nature par les
activités humaines. Suite à la révolution industrielle, face au monde du capitalisme, l’humain
a cherché à ralentir son activité pour préserver la Terre. Mais au Japon, c’est le vivre
ensemble qui compte. Les humains font partie de la nature.684 », Explique Nawa Kohei. Et
Yoshitake Lee de compléter le point de vue de son collègue : « L’architecture japonaise
accorde de l’importance et de la valeur à la relation avec ce qui existe à l’extérieur des
bâtiments, d’où l’importance de la relation au jardin – le jardin est conçu pour être vu depuis
le bâtiment. (…) Je ne pense pas que les choses humaines soient mauvaises en soi. Si nous
faisons en sorte qu’elles ne portent pas d’effets néfastes, alors elles peuvent être bonnes pour
l’écosystème (setai ke/le vivant, l’écosystème). » En complément des explications données
par le moine Dosan (sur la notion de ikassu (faire vivre)), ces propos constituent une nouvelle
occasion de vérifier les observations de l’anthropologue Abe Ken.ichi, d’après lequel, dans
l’imaginaire japonais, la main de l’homme renforce la nature. « Nous pouvons concevoir des
bâtiments qui soient bénéfiques aux sites. D’abord on pense des aspects précis (comme la
nature, les humains, les vues, etc.), mais finalement la portée de ce que l’on fait est plus
grande. C’est la Terre. Je pense que la chose humaine doit être bonne pour la Terre (chikyû :
la Terre, le globe terrestre). C’est pourquoi nous devons accorder de l’importance au devenir
d’un bâtiment (à l’écosystème, à l’évolution des matériaux, aux usages, etc.) »685 poursuit
Yoshitaka.
Puisque l’humain fait partie de la nature, son habitat aussi : « Comme l’oiseau fait son
nid, l’humain fabrique son habitat. En ce sens, les constructions humaines font partie de la
683
Akagi Takashi, opus cit.
684
Nawa Kohei, opus cit.
685
Yoshitaka Lee, opus cit.
339
nature686 », soutient Yoshitaka. D’après Aoki Jun, cette conception est liée au shintoïsme :
« Nous sentons que nous faisons partie de la nature. Nous ne faisons pas face. Nous ne nous
confrontons pas à la nature. Nous sommes dedans687 », explique-t-il. Pour faire comprendre
cette pensée animiste, Aoki Jun entre dans le détail : « Par exemple, il existe de nombreuses
histoires folkloriques à propos de l’homme et de l’ours – particulièrement dans le Tohoku, la
région nord de Honshu. Là-bas, ils chassent l’ours, pour manger. Mais l’ours est plus fort que
l’humain et parfois il le tue. Pour nous, c’est normal (it’s ok). Parce que nous sommes tous
dans la nature (we have all been sent in the nature). L’être humain fait partie de la nature.
L’ours fait partie de la nature. Et nous devons vivre. Alors parfois, pour nous nourrir, nous
devons tuer l’ours. Cette action fait partie de la nature. Mais l’ours aussi, doit vivre, et parfois
il tue l’homme. C’est normal… » Comme Yoshitaka Lee, Aoki Jun pense qu’il n’est pas si
difficile de faire que l’architecture soit bonne pour la Terre : « C’est une question d’équilibre
de l’existence. Tout n’est pas bon pour la nature ». Il s’agit donc de mesurer ses choix
d’aménagement et de construction pour impacter l’environnement de manière favorable.
Sachant qu’en cas de conséquences néfastes, la conception shintoïste ancienne implique une
notion de réversibilité des actes : « C’est un système d’échange : si nous avons un effet sur la
nature, la nature aura un effet sur nous en retour »688, conclue Aoki.
D’un certain point de vue, l’écologie telle qu’elle est conçue en Occident et telle
qu’elle est développée au Japon revient à isoler les bâtiments vis-à-vis de l’extérieur, à
fabriquer des bâtiments-boîtes à l’intérieur desquels la régulation de la température et le
renouvèlement de l’air sont assurés mécaniquement. Selon Hasegawa Go : « L’écologie telle
qu’elle est développée consiste à ajouter toujours plus d’isolant dans les murs et dans les
fenêtres ; à faire des boîtes ; il n’y a pas de pensée de la qualité de vie 689 ». Tezuka Takaharu
partage cette critique : « Faire des boîtes est 100% à l’opposé de ma pensée de l’écologie.
C’est faire de l’architecture comme une combinaison spatiale. D’accord, on obtient une bonne
température, mais boire de la limonade ou du thé est bien plus écologique que l’air
conditionné !690 » Tezuka favorise les cycles ouverts et les espaces de vie en extérieur. Le
686
Ibidem.
687
Aoki Jun, opus cit.
688
Ibidem.
689
Hasegawa Go, opus cit.
690
Tezuka Takaharu, opus cit.
340
moyen d’une sobriété énergétique. Pourtant, dans le cas de l’école Fuji Kindergarten, un prix
d’architecture prestigieux au Japon lui a été refusé sous prétexte que le bâtiment n’intégrait
pas les caractéristiques environnementales recherchées : « On m’a reproché l’absence de
panneaux solaires et de végétalisation en toiture. Ils ne parlent que de méthodologie… ! Soit
disant que le système de climatisation du bâtiment n’était pas optimal. Je leur ai répondu
"excusez-moi, mais nous n’utilisons pas l’air conditionné" – de mars à octobre nous n’en
avons pas besoin : le bâtiment est ventilé naturellement ; il est ouvert sur l’extérieur (sur la
cour de l’école) et l’air circule – mais ils n’ont toujours pas compris… Ma position c’est de
dire que, si nous sommes dans la nature, alors nous n’avons pas besoin d’air conditionné tant
que cela. » L’architecte déplore une approche de l’écologie strictement scientifique : « La
science ne fait rien d’autre que des coupes sur la nature. Pour parler de la nature, un
scientifique indique des données telles que la température, l’humidité, la pression, etc. On ne
peut pas faire la différence entre un environnement et un autre691 » – pas de manière concrète
et sensible du moins.
691
Ibidem.
692
Tardits Manuel, opus cit.
693
Ibidem.
341
"On va faire juste un toit et l’air amènera ce qu’il faut d’humidité et ce qu’il faut de
fraicheur". Dans ces situations on ne peut pas. Les gens n’acceptent pas694 ». Manuel Tardits
reconnaît que la tendance est plutôt d’opter en faveur de bâtiments-boîtes bien isolés :
« L’hiver, ça va encore : on chauffe un peu le matin et, en maintenant la boîte fermée, on
garde la chaleur. Mais en été, c’est plus compliqué… On peut faire l’inverse de ce que l’on
fait en hiver : climatiser un peu et maintenir la fermeture pour garder la fraicheur. Mais même
en activant très peu la climatisation, pour moi, c’est aberrant ! Une maison fermée en été,
c’est effrayant ! Du printemps à l’automne, c’est au contraire le moment de tout ouvrir ! Mais
si on ouvre, alors la climatisation n’a pas de sens. Donc qu’est ce qu’on fait ? Pour
résumer brièvement : soit on ferme tout et on climatise en froid ; soit on ouvre et on ne
climatise pas. » 695
Fig. 146. Maison à Komae et maison à Komazawa. À gauche : maison à Komae (Tokyo) (conçue par Hasegawa
Go en 2009). Photographie Shikenchiku-sha. À droite : maison à Komazawa (Tokyo) (conçue par Hasegawa Go
en 2011). Photographie Iwan Baan. Format des images modifié pour les besoins de la mise en page.
Sans nier la nécessité de réduire les consommations énergétiques dans les bâtiments,
Hasegawa Go pense que cette piste n’est pas suffisante : « Je m’intéresse beaucoup à
l’architecture écologique, mais pas en ce qui concerne l’isolation. Je cherche plutôt à
déterminer comment le mode de vie peut être doux ou respectueux (gentle) de la planète. Je
veux décaler (shift) l’idée générale de l’écologie. La placer à un autre niveau. » Hasegawa
pense à la vie en extérieur (living in outside) : « Si nous vivions à l’extérieur, disons, trois
heures par jour, ne serait-ce pas une solution ? » Les températures estivales ne sont pas un
obstacle à ce projet : « Est-ce mal de vivre à l’extérieur pendant les chaudes journées d’été ?
De toute évidence, dans le passé lointain, les êtres humains vivaient bien dehors… ! »696 D’un
point de vue physiologique, supporter des températures extrêmes est possible : « En été, nous
allons à la plage ; il fait cinquante degrés. En hiver, nous allons skier ; il fait moins vingt
694
Ibid.
695
Ibid.
696
Hasegawa Go, opus cit.
342
degrés », rappelle Tezuka. Notre organisme est fait pour s’adapter, aussi nous pouvons vivre
dans ces conditions : « L’important est de toujours faire partie de la nature, car coupés de la
nature, nous mourrons (…) l’organisme a besoin des bactéries ; le cerveau ou l’esprit a besoin
de bruits ou de sons – dans le silence complet on devient fou »697, conclue Tezuka, qui ne
semble pas à court d’arguments. De son côté, Kawai Toshiaki est tout aussi convaincu par la
faisabilité de la vie en température ambiante : « Dans le passé, on vivait bien sans
climatisation, alors pourquoi pas aujourd’hui ? Le problème c’est que nous ne sommes pas
tolérants. Nous n’acceptons pas… Mais l’idée d’une impossibilité à supporter les
températures extérieures est en grande partie définie par le modèle occidental ! C’est une
question de paradigme… Donc nous devons présenter un autre modèle. Pour dire aux gens
"ceci est confortable", et les encourager à choisir ce modèle. C’est notre rôle. C’est notre
nécessité sociale en tant qu’architectes698 », observe-t-il.
697
Tezuka Takaharu, opus cit.
698
Kawai Toshiaki, opus cit.
699
Ibidem.
700
Ibid.
343
Zoo (en 1981) pour être ventilé naturellement (car le climat d’Okinawa est très doux et que
l’air marin rafraîchit la chaleur estivale – il fait moins chaud à Okinawa qu’à Kyoto). Mais les
salariés ont réclamé l’installation d’une climatisation. Ils se sont plaints de la chaleur, et du
fait que les courants d’air faisaient s’envoler leurs papiers quand ils ouvraient les fenêtres
pour rafraichir !701 (…) Dans les années 1970, quand Team Zoo a conçu ce bâtiment, cette
technologie n’existait pas, mais aujourd’hui il est à la portée de tous les architectes de
missionner un bureau d’étude pour faire des études C.F.D. (Computational Fluid Dynamics)
pour prendre en compte les flux d’air dans la conception des bâtiments ! C’est l’une des
choses que je souhaite développer dans ma pratique702 », conclue l’architecte.
Fig. 147. Le nouvel hôtel de ville de Naha (à gauche) et l’ancien hôtel de ville de Nago (à droite). Photographies
S. Dousse, 2018/02
701
Un nouvel hôtel de ville a récemment été construit à Naha (la capitale de l’île d’Okinawa). L’ancien hôtel de
ville sera quant à lui converti en musée.
702
Kawai Toshiaki, opus cit.
344
pour le béton et l’acier plutôt que pour le bois : « Il faut toujours utiliser le matériau le plus
solide ! Pourtant, dans la plupart des cas, on peut construire en bois. Si l’on accepte l’idée
d’utiliser le second matériau le plus solide, et si l’on accepte certains inconvénients, comme
d’avoir un espacement moins grand entre les poteaux et d’adapter l’aménagement du mobilier
en fonction. »703 Kawai Toshiaki et de nombreuses personnes (architectes ou non) plébiscitent
l’emploi du bois dans la construction. Car si l’on n’emploie pas le bois domestique
(dénomination attribuée au bois cultivé au Japon), les métiers de la forêt disparaissent, l’état
des forêts se dégrade et l’ensemble de l’écosystème est impacté, jusqu’à la mer où la pêche est
fragilisée704. Enfin, couper des arbres et en planter permet de renouveler les forêts, donc de
maintenir leur capacité à absorber le dioxyde de carbone. C’est un cycle. Un ensemble qui
concerne l’environnement à différentes échelles – environnement dans lequel l’humain, son
économie et ses ressources de vie sont intégrés.
On argue souvent que le bois est le matériau constructif le plus durable. Kawai l’utilise
en façade car il ne subit pas les détériorations de nature chimique qu’un environnement urbain
chargé de composants acides produit sur le béton et sur l’acier. Kuma Kengo rappelle la
longévité des bâtiments en bois705 – une pérennité relative au fait qu’un système structurels
reposant sur l’assemblage d’éléments disjoints rend possible le remplacement des pièces
endommagées avec le temps et donc la durabilité du bâtiment. Directeur du département de
Global Environmental Studies de la prestigieuse université de Kyoto, le professeur Kobayashi
Hirohide explique : « Les débords de toits caractéristiques des temples anciens protègent les
structures en bois des intempéries, mais ils ne protègent pas les pieds de poteaux qui, exposés
à la pluie, on tendance à moisir. Pour remédier à cela, il est d’usage de découper la partie
abîmée et de la remplacer par une nouvelle pièce en bois. C’est notre manière d’entretenir les
bâtiments.706 » Le professeur Kobayashi explique que la notion de durabilité pose question au
Japon : « Le climat du Japon est très sévère et il ne permet pas la durabilité
(sustainability). (…) Les choses ne durent pas éternellement au Japon. (…) Il me semble que
703
Ibidem.
704
L’un des ouvrages majeur consacré à ce sujet a été écrit par Hatakeyama Shigeatsu (1943-). En 1989,
mesurant l’importance des interrelations entre forêts, rivières et eaux marines côtières (les poissons se
nourrissent de nutriments venant de la forêt, l’absence ou la diminution de nutriments acheminés par les rivières
jusqu’à la mer entraîne une pénurie de poisson), l’ostréiculteur a engagé un mouvement citoyen de reboisement
avec pour mot d’ordre « la forêt et l’amante de la mer ». Mot d’ordre qui est devenu le nom d’une ONG et le titre
d’un livre. HATAKEYAMA Shigeatsu, La forêt amante de la mer, Paris, Wildproject, 2019, 192 p.
705
Kuma Kengo cite l’exemple du temple Horyu-ji de Nara, « le bâtiment en bois le plus ancien du monde » –
les plus anciens bâtiments du complexe Horyu-ji datent de l’époque de Asuka (592-710), milieu du VIe siècle.
KUMA Kengo, conférence East – West Dialogue. Kengo Kuma’s vision of architecture beyond 2020, New York,
Japan Society, le 12 novembre 2019, https://youtu.be/rypfwH-O82k
706
Kobayashi Hirohide, entretien avec S. Dousse, le 22 novembre 2019, à Kyoto. Voir annexe 13.
345
la culture européenne est marquée par une idée d’éternité707 (c’est l’âge de pierre en quelque
sorte), mais au Japon il est dans notre culture d’accepter les changements. C’est une
différence importante.708 » Les cultures occidentale et japonaise percevraient la notion de
durabilité différemment. Quand les Occidentaux pensent permanence (maintien d’un état
stable le plus longtemps possible), le Japon intègre les notions de changement et de cycle. Au
Japon, la conception de la durabilité inclue la notion de renouvèlement. Pour garder un
bâtiment dans le temps, on le répare ponctuellement ou on le reconstruit cycliquement.
Traditionnellement, les sanctuaires shintoïstes sont reconstruits tous les vingt ans709. Cela
permet de préserver et de transmettre les techniques de construction ancestrales et d’entretenir
les forêts. À le suite de Kuma Kengo710, Nakamura Hiroshi défend ce parti : « En général,
quand on parle de développement durable en architecture, on ne parle que du bâtiment en lui-
même. Pour ma part, je souhaite penser en termes plus larges. Je pense au développement
durable de la région711 », déclare-t-il.712
707
Le professeur Kobayashi rapporte que l’UNESCO a sérieusement travaillé la notion d’ « authenticité » quand
il a été question d’inscrire le temple Horyu-ji au patrimoine mondial de l’humanité (1993).
708
Kobayashi Hirohide, opus cit.
709
Sur la dernière reconstruction du sanctuaire d’Ise, voir : CLUZEL, Jean-Sébastien, NISHIDA Masatsugu (dir.),
Le sanctaire d’Ise. Récit de la 62e reconstruction, Bruxelles, éditions Mardaga, 2015, 189 p.
710
Voir supra, chapitre 7.2.2.
711
Nakamura Hiroshi, opus cit.
712
Voir supra, chapitre 7.3.2.
346
pousses de bambous. Ils débouchent sur les fermes et des quartiers résidentiels où ils causent
d’importants dégâts…713 » Kobayashi et ses étudiants étudient l’architecture vernaculaire du
Japon et d’autres pays du monde pour concevoir à leur tour des projets soutenables
écologiquement : « Le principe est le même que dans l’architecture vernaculaire : utiliser des
techniques locales, des matériaux naturels locaux, en mobilisant la population (qui construit
elle-même ses bâtiments) et en n’employant pas de machines hautement consommatrices en
énergie ». Par le projet de construction, il s’agit « d’interagir avec l’environnement (la nature
alentour) » et « d’interagir avec la vie des gens »714. Lier les activités et les aménagements à
l’environnement permet de maintenir la santé des écosystèmes et une relation soutenable entre
l’humain et la nature.
Fig. 148. Taneya-Agri-Culture (conçue par le Lab. Global Environmental Studies de l’université de Kyoto, à
Omi-Hachiman, préfecture de Shiga, en 2014). Photographies Kobayashi Hirohide. Courtoisie Kobayashi H.
713
Kobayashi Hirohide, opus cit.
714
Ibidem.
347
même »715, la matérialité des bâtiments doit elle aussi être changeante... Kobayashi Hirohide
n’est pas le seul à apprécier l’évolution de la matière. Abe Ryo aime employer des matériaux
« qui prennent de bons effets avec le temps (a beautiful roughness)716 » ; Aoki Jun préfère
utiliser « un matériau qui change chaque jour » plutôt qu’un matériau « durable »717, c’est-à-
dire fixe et inchangeant. Ce qui pose question néanmoins, c’est qu’un professeur d’université
spécialiste de la question environnementale aborde ainsi la construction d’un bâtiment dit
durable. « Mais qu’est-ce que le durable ? » demande Kobayashi. « Personne ne sait.
Personne ne peut le définir. (…) Je pense que très peu de chercheurs ou d’architectes peuvent
qualifier la relation entre architecture et environnement de manière théorique. Il me semble
que la plupart d’entre eux en ont plutôt une idée intuitive et non pas scientifique. »718
715
Ibid.
716
Abe Ryo, opus cit.
717
Aoki Jun, opus cit.
718
Kobayashi Hirohide, opus cit.
719
Ibidem.
720
Hirata Akihisa, opus cit.
348
souvent : « Hirata Akihisa souhaite concevoir une architecture géo-topographique
(topological geography), ce qu’il pourrait très bien faire en utilisant les méthodes de
construction conventionnelle (des structures en bois), mais il refuse, parce que cela ne serait
pas "visible". He wants to make his idea "visible". He says it’s filthy, or impure, or it’s a fake
to show something impure on top of the logic – he says "on top of the structure". Structure is
not exact same meaning than nature of space or geography, but he mixes up ! And I always
say it’s weird, or it’s stupid, to mix with this ! S’il ne fait pas la différence entre structure et
finalité formelle ou objectale (this object way), Hirata ne parviendra pas à atteindre son but
[d’architecture géo-topographique] ! Il ne parviendra pas à réaliser l’expérience qu’il souhaite
produire [celle d’une architecture qui soit comme un environnement naturel] !721 »
Kawai Toshiaki associe l’attitude de son confrère à celle d’Ito Toyo et à la démarche
moderniste : « Hirata était le disciple d’Ito Toyo. Comme Ito, il a besoin de recourir à
l’abstraction pour rendre son idée "visible". Il fait cela en tant qu’architecte moderniste ! Le
modernisme était basé sur la communication visuelle : la photographie. D’après la méthode
moderniste, l’architecture doit être visible, parce qu’il faut la promouvoir par l’image. Donc
c’était en quelque sorte une stratégie de la part d’Ito, pour devenir célèbre au XXe siècle [de
concevoir une architecture visuelle]. Mais au XXIe siècle, pour les générations suivantes, il
n’y a pas de possibilité dans cette direction ! » Au XXe siècle, Ito a rejeté l’architecture du
Japon de la période pré-moderne : « Je m’en souviens très bien. Ito est venu à Kyoto et il a dit
"Je n’irai jamais voir l’architecture traditionnelle de Kyoto. Je ne veux pas voir cette
architecture impropre (filthy)". »722 Après la catastrophe du Tohoku de 2011, Ito a changé
d’attitude : en intégrant la population aux projets de reconstruction (Home for all), il a pris
conscience de l’enracinement de l’architecture dans le réel et dans la vie des gens ; il a appelé
les architectes à descendre de leur piédestal et à quitter la démarche d’abstraction qui les
animait jusqu’alors. Membre de l’équipe constituée par Ito pour intervenir dans le Tohoku,
Hirata Akihisa lui-même a changé. De ses propres dires, il a compris que l’architecture doit
être « enracinée » (grounded) dans la réalité et dans le sol.723 Pourtant, bien qu’il ait pris
721
Kawai Toshiaki, opus cit.
722
Ibidem.
723
« La reconstruction dans le Tohoku nous a donné la possibilité de repenser la relation entre les architectes et
la société, entre l’architecture et les désirs et activités des gens. Avant Home for all, je pensais que la fonction de
l’architecte était de traduire un programme donné en une forme concrète et pratique. Puis le processus de
349
conscience de l’importance d’intégrer la population et les ressources locales (le bois des
arbres tués par le tsunami, par exemple) aux projets, Hirata ne semble pas avoir renoncé à la
finalité visuelle de l’architecture. S’il est intéressé par l’utilisation du bois dans certains
contextes (des situations marquées par un caractère primitif lié au shintoïsme, comme dans le
cas du projet de musée du festival de Yatsushiro à Kyushu, ou dans le projet de maison
individuelle de Matsue à Shimane, la région du shinto), dans d’autres contextes (urbains
notamment)724, Hirata préfère utiliser du béton, un matériau qu’il juge plus adapté à la
création d’architectures « energetic » dotées d’un « modern feeling »725.
conception participative que nous avons développé dans le Tohoku m’a fait comprendre que le programme doit
venir du réel. Alors le programme et l’architecture peuvent former une sorte de tout. » Un ensemble organique :
« Au commencement de la conception, nous (architectes) devons être le plus ouverts, flexibles et libres possible
(then make it almost like coming from the ground) pour que les choses adviennent naturellement, comme
quelque chose qui vient du sol ». Hirata Akihisa, opus cit.
724
Voir supra, chapitre 5.3.2. La Tree-ness house, le complexe de Taïpei et le musée d’art et bibliothèque d’Ota.
725
Hirata Akihisa, opus cit.
726
Kawai Toshiaki, opus cit.
727
« Et la proximité avec le minimalisme du Japon traditionnel n’est qu’une coïncidence ». D’après Kawai
Toshiaki, il n’y a pas de relation entre l’esthétique minimaliste moderniste et celle des bâtiments du Japon de
l’époque prémoderne. Kawai Toshiaki, opus cit.
728
Ibidem.
350
bâtiments ouverts en apparence (du point de vue de la photographie) mais qui ne sont pas
ouverts en réalité. Le verre sépare. Il coupe la circulation de l’air et du son… Ces bâtiments
nécessitent des systèmes de climatisation performants, ce qui n’est pas bon pour
écologiquement…729 » Il faudrait sortir de la culture de l’image : « Les générations suivantes
doivent trouver des mots autres que "visible". Peut-être "tangible" ou "faisable" ?730 » Il faut
changer la manière de penser : « Proposer d’autres modèles… Faire comprendre que l’on peut
tolérer les températures ambiantes. Que la couleur du bois vieilli est belle et non pas sale – car
cette idée empêche l’utilisation du bois dans la construction. (…) Nous devons changer de
perception731 », conclue-t-il.
729
Ibid.
730
Ibid.
731
Ibid.
732
Hasegawa Go, « Témoignage de Go Hasegawa (Tokyo) », interview, exposition Avaro Siza (in)disciplina,
Fondation Serralves, Porto, septembre 2019, https://youtu.be/NeoN0BsvzA0
733
Ibidem.
351
conception européenne consiste généralement à percevoir l’architecture comme un objet
artificiel posé dans la nature, avec son projet de piscine, il semble que Siza ait souhaité se
rapprocher de la nature et en faire partie. Il ne s’agit pas d’"harmonie" entre architecture et
nature. La façon dont Siza traite la nature est complètement différente de cela… Je pense qu’il
a recherché un impact moindre, en opérant le geste le plus minimal. Il était possible de
concevoir une architecture plus construite, plus parfaite ou plus contrôlée, mais Siza n’a pas
fait cela », observe Hasegawa. « His architecture begin by trusting the world, the world itself,
as it is. I feel absolute sympathy with such a vision »734.
Pour conclure en continuant de jeter des ponts entre les cultures, on pourra citer l’un
de nos Pritzker nationaux. « Être architecte, c’est pouvoir exprimer le plaisir de vivre quelque
part735 », a dit Jean Nouvel. C’est peut-être la raison pour laquelle bon nombre d’entre eux ne
perçoivent pas l’écologie comme une fin en soi. Elle peut être évidente comme pour Alvaro
Siza, en sobriété ; ou comme pour Yoshitaka Lee, pour la relation à ce qui existe autour. Elle
peut être inhérente à l’architecture comme pour Aoki Jun, aux yeux de qui « une architecture
écologique c’est une bonne architecture736 » ; ou comme pour Abe Ryo, d’après lequel « une
architecture écologique c’est une architecture plaisante car alors on veut la garder
longtemps737 ». Elle peut être porteuse d’un gage de presque-éternité, comme dans les
constructions de pierre qui traversent les âges ; ou au contraire garante d’un cycle de
renouvèlement utile à la sauvegarde des savoir-faire et à l’entretien des milieux, comme dans
la pratique de Kuma Kengo ou dans celle de Nakamura Hiroshi. Elle peut être recherchée par
le calcul et les technologies savantes, comme par les architectes de l’agence Sanaa, avec
l’appui des ingénieurs et des programmes informatiques ; ou approchée plutôt par l’intuition,
comme par le professeur Kobayasahi qui, par manque de moyens, n’a pas pu évaluer
scientifiquement les performances thermiques de son projet. Et même si elle les « intéresse »
(disent-il), elle sera toujours moins intéressante que ce que l’architecture leur laisse entrevoir,
comme par exemple, d’après Hirata Akihisa, une architecture aussi complexe, riche et variée
qu’un environnement naturel ; ou encore, d’après Ishigami Jun’ya, un bâtiment constitutif
d’une « nouvelle nature ».
734
Ibid.
735
Entretien avec Romain Desarbres et Nicolas Barre, 26 mai 2019, Europe 1, https://youtu.be/fmP3k8edkX8
736
Aoki Jun, opus cit.
737
Abe Ryo, opus cit.
352
Conclusion
Au fil de cette recherche a été dressé le constat que les équipements à vocation
culturelle, sociale et éducative construits hors des métropoles nipponnes à partir des années
1990 ne sont pas seulement les agents d’une forme de revitalisation de localités fragilisées par
la récession de l’économie, la désindustrialisation et le déclin démographique du pays. Ces
équipements sont aussi représentatifs d’une évolution en matière de conception architecturale.
Depuis l’ère Meiji, le Japon a construit des musées, d’abord de style néo-classique
(dits « temples de l’art »), puis de style moderniste (dits « boîtes blanches » ou « cubes
blancs »). Dans ces deux cas, le musée a été un bâtiment monumental, une architecture de
façade relativement détachée de son contexte d’implantation, tant du point de vue de son
apparence que de la fonctionnalité de ses espaces. À partir des années 1990, dans le cadre des
projets de revitalisation par l’art et par l’architecture, la prise en compte de la relation au
contexte est devenue une donnée de plus en plus importante dans la conception des musées.
Hors des villes, les architectes se posent la question de l’intégration paysagère des
architectures qu’ils conçoivent, ce qui aboutit à la conception de bâtiments ouverts,
transparents et légers, qui placent les gens et les œuvres au contact des sites. C’est en se
tournant vers les thèmes de la nature, de l’environnement (au sens de contexte ou d’ensemble
des composants de l’étendue) et du paysage que les architectes japonais parviennent à
s’affranchir du modernisme pour créer des œuvres singulières qui leur confèrent une
reconnaissance internationale. Tout en intégrant les apports du mouvement moderne, leur
production architecturale reformule des traits de culture nipponne ancienne. Tandis que
minimalisme moderne occidental (de nature rationaliste) et minimalisme pré-moderne
japonais (de nature pragmatique, pour rendre l’espace modulable, et porté par un esprit
d’abstraction lié au bouddhisme) s’articulent, le thème de la relation au monde extérieur
s’affirme : l’architecture compte avec les abords. Comme dans les bâtiments du Japon de la
période pré-moderne, les limites entre intérieur et extérieur sont estompées. On vit à la lisière
(en limite, en frange, en bordure), dans des architectures qui lient espaces à vivre et éléments
de l’environnement (un fragment de nature, un pan de ciel, un morceau de paysage). En
concevant des architectures que l’on pourrait communément qualifier de « contextuelles »
(conçues comme sur mesure pour leur environnement d’accueil), les concepteurs de ces
édifices ne participent pas seulement à la revitalisation de localités reculées, ils contribuent à
une forme de « revitalisation culturelle » : leurs œuvres dépassent les apports du mouvement
353
moderne et l’occidentalisation de la pensée de l’architecture pour retrouver une sensibilité à
l’environnement naturel qui a caractérisé toute l’histoire du bâti au Japon.
Pour autant, il convient de souligner – comme ce travail d’enquête le révèle – que pour
leurs auteurs, la conception de ces projets ne repose pas sur des intentions d’ordre écologique.
Interrogés à ce sujet, les architectes contactés dans le cadre de la présente étude expliquent
que le développement durable n’était pas l’enjeu principal de leurs projets. Pour eux, c’est la
qualité architecturale qui compte : que le bâtiment offre une expérience particulière ; qu’il
mette en valeur la localité ; qu’il permette une relation sensible entre les gens et des éléments
de l’environnement ou avec une composition faite d’éléments naturels. S’agissant de l’enjeu
écologique tel qu’on l’entend en Occident (et en particulier en France) par ses implications
sur les normes dans le secteur de la construction en faveur d’économie d’énergie, de réduction
de bilan carbone et de limitation des impacts sur l’environnement, on mentionnera le fait
que, jusqu’en 2017, le service gouvernemental chargé de règlementer la construction des
bâtiments et l’aménagement du territoire (le ministère du territoire, des infrastructures, des
transports et du tourisme – Ministry of Land, Infrastructure, Transport and
Tourism / M.L.I.T.T.) n’a pas imposé de règlementation ayant trait aux enjeux
environnementaux. En 1979, le gouvernement a émis le Energy Conservation Act, qui stipule
l’« obligation de faire un effort » sur ces questions. Il a émis des « recommandations »
(advices) par le biais de « Standards ».738 Concrètement, les projets de construction, assortis
d’une information sur leurs performances énergétiques, doivent être communiqués à
l’administration, qui, si elle les juge insuffisantes, peut « exercer une pression pour que ces
performances soit améliorées739 » ; mais ce recours n’est pas systématique et aucune exigence
précise n’est déterminée. En 2015, toutefois, la COP 21 de Paris et le Plan Climat ont suscité
la mise en place d’une stratégie opérationnelle de la part du gouvernement japonais.
L’objectif d’une diminution de la consommation énergétique du Japon (de 26% d’ici 2030) a
été traitée par un plan d’action (Action Plan of Japan) sur lequel le Service du logement et de
la construction (Housing and building sector) du M.L.I.T.T. s’est fondé pour établir une
nouvelle règlementation. En 2017, l’Energy Efficiency Act s’est appliqué aux projets de
construction de bâtiments non-résidentiels d’une surface supérieure à 2 000 m². Toutefois,
cette règlementation n’est pas contraignante. Elle est ouverte. Il s’agit de justifier de certains
738
Residential Standard et Non-Residential Standard conçus en 1980, mis à jour en 1992-93 puis en 1999, et
combinés en un seul standard en 2013 – alors y est introduit le thème de la consommation d’énergie.
739
Entretien avec S. Dousse, 29/11/2019, Tokyo. Voir annexe 17. Haraguchi Osamu est salarié au M.L.I.T.T. où
il est chargé de concevoir la règlementation pour l’amélioration des performances énergétiques des bâtiments.
354
attributs jugés qualitatifs sur le plan environnemental (comme la végétalisation des toitures,
l’installation de cellules photovoltaïques, le traitement et la récupération de l’eau, la mise en
place de systèmes de climatisation sophistiqués, etc.). Son impact sera analysable en prenant
en considération les bâtiments dont le permis de construire aura été instruit à partir de 2017
(des bâtiments dont la construction aura été finalisée à partir des années 2020).740 C’est ainsi
que les bâtiments constitutifs du corpus de la thèse ne sont pas soumis à une règlementation
environnementale.
740
En 2021, une nouvelle règlementation a pris effet. Sans modifications substantielles quant à sa portée, elle
porte désormais sur la construction de programmes non-résidentiels d’une surface supérieure à 300 m².
741
Nawa Kohei et Yoshitaka Lee (Studio Sandwich), opus cit. Voir annexe 2.
355
urbain « poubelle » (« garbage » urban scape)742, ce que Rem Koolhaas nomme « junk
space »743, qu’Augustin Berque traduit par « espace foutoir »744), au travers du corpus
d’équipements culturels dédiés à la revitalisation de localités reculées, les architectes japonais
actifs entre 1990 et 2020 créent des architectures en lien avec les sites (qu’ils soient
préexistants ou nouvellement aménagés), des architectures dont la qualité première est de
créer une relation entre les visiteurs et ce qui les entoure – qui peut être appelé
environnement, nature, monde. Dans la conception japonaise traditionnelle, « quand on créé
une architecture, on conçoit une situation (en japonais : shitsurai ; en anglais set-up ou
situation). On ne fabrique pas un abri. On prend part au monde.745 » L’architecture a une
portée existentielle.
742
COOK, Peter, cité par HASEGAWA Itsuko dans « Open-up architecture through communication
communication », Itsuko Hasegawa, Architectural monographs n° 31, Londres, Academy Editions, 1993, p. 9.
743
KOOLHAAS, Rem, Junkspace : repenser radicalement l’espace urbain, Paris, Payot et Rivages, 2011,
120 p.
744
BERQUE, Augustin, « Milieu, vous avez dit milieu… », entretien avec Yann Nussaume,
dans : NUSSAUME, Yann, Milieu et architecture, Paris, Hermann, 2021, p. 64.
745
Tezuka Takaharu, opus cit. Voir annexe 10.
746
GUATTARI, Félix, Les trois écologies, Paris, Galilée, 1989, 80 p.
747
Ibidem, p. 53.
748
Ibid. p. 14.
749
Ibid. p. 12.
750
Ibid. p. 14.
356
références idéologiques et morales ont perdu leur force de cohésion de la société et leur portée
structurante vis-à-vis de ses productions), « la non-référentialité est la seule façon de
concevoir des bâtiments qui font sens »751 ; l’architecture ne pouvant plus être basée sur des
« sources extra-architecturales752 » (d’après les auteurs, l’écologie en est une), elle doit exister
par elle-même, en tant qu’ « objet architectonique » doté de la « capacité innée d’être
génératif de sens »753. Face à ce nouveau paradigme, la mission principale d’un bâtiment est
d’ « encourager les individus à penser et à entrer en dialogue avec lui et, par extension, avec
le monde. (…) C’est le bâtiment lui-même (…) qui aide son occupant à construire du
sens754 », expliquent Breitschmid et Olgiati. Ces considérations théoriques éclairent
pleinement la compréhension du corpus d’équipements culturels conçus en tant que shitsurai
(situations)755 au Japon depuis les années 1990 dans le cadre des projets de revitalisation. En
concevant l’architecture, non pas comme un abri (à l’aide de murs, qui, d’une certaine
manière, coupent les habitants de l’environnement) mais en tant que dispositif de mise en
relation avec l’extérieur, les architectes japonais s’adressent à la sensibilité des habitants pour
leur faire ressentir leur être au monde, leur intrication à l’environnement et leur appartenance
à la nature, ce qui s’apparente bien à une conscience écologique, même si cela n’est pas
présenté en tant que tel.
Les entretiens menés dans le cadre de la présente thèse donnent plusieurs explications
du caractère sensible et émotionnel (plus qu’intellectuel et théorique) de la relation des
Japonais à la nature et de leur sensation d’y être intégrés. Le ressenti des Japonais serait
marqué par un caractère de « proximité » et d’« intimité » : on tend à se « sentir proche » de la
nature et à entretenir une « bonne relation » avec elle756. Façonnée à loisir (comme dans
l’exemple du bonsaï), la nature du jardin est une nature intime et personnelle. Quant à la
grande nature (celle des forêts), l’imaginaire nippon perçoit également dans ce champ des
correspondances entre le monde humain et le monde végétal : selon les croyances shintoïstes,
751
OLGIATI, Valerio, BREITSCHMID, Markus, Architecture non-référentielle, Paris, Cosa Mentale, 2021,
p. 14-15.
752
Olgiati déplore la prédominance actuelle de démarches de conception basées sur des sources extérieures à
l’architecture. Il critique « (…) les architectes qui imaginent à tort que le salut de l’architecture réside dans des
approches qui adoptent l’économie, l’écologie et la politique comme bases principales pour faire de
l’architecture. Par cette approche ils espèrent imprégner l’architecture de pertinence et de vertu morale. Tout
aussi erronée est l’approche des architectes qui conçoivent la construction comme un acte hautement artistique et
l’imprègnent de concepts ésotériques, presque toujours vides de sens, et sans vie. » Ibidem., p. 18.
753
Ibid., p. 19
754
Ibid, p. 27.
755
Nicolas Fiévé précise que shitsurai peut vouloir dire, selon le cas, « bâtiment, construction », mais aussi
« embellissement », « décor », ou même « préparatifs ».
756
Abe Ryo, opus cit. Voir annexe 9.
357
après la mort du corps, l’esprit ou l’âme d’un défunt investit la nature (les racines des arbres
des forêts, la mousse, les pierres, etc.)757 ; les divinités sont dans la nature : « dans les
éléments et dans les phénomènes de la nature, on ressent quelque chose qui est secret »758, « à
la fois mystérieux et dangereux »759. Ce ressenti et cette vision de la nature ont un impact sur
la conception de l’architecture : comme on éprouve une sensation de « flottement », de
« mystère » et d’ « ambiguïté » dans l’« atmosphère », plus que des notions théoriques bien
définies, c’est l’ « expérience de l’espace »760 qui guide la conception. Cette expérience
repose principalement sur l’appréciation sensible et émotionnelle des changements de
saisons : « tout est toujours changeant et flottant » ; « on se sent bien dans la nature » ; « au
milieu de tous ces changements » ; « pas en dehors, ni faisant face » ; « on sent que l’on en
fait partie »761. De l’animisme demeure la conscience que l’humain et les artefacts qu’ils
produits sont inscrits dans un « système d’échange », la notion de « réversibilité des actes »762
portant chacun à mesurer son impact sur l’environnement. Même les architectes les plus
abstraits et les plus conceptuels confirment qu’aujourd’hui encore, les Japonais auraient
conscience d’être « intégrés à l’ensemble de ce qui fluctue763 ». On rencontre ici une
conception du monde qui dépasse une certaine vision occidentale tendant à limiter la nature à
la faune et à la flore, car la nature serait plutôt globale et impalpable, témoignant d’une vision
holiste du monde qui correspond bien à la pensée de l’écologie.
757
Gensho Nagata, opus cit. Voir annexe 14.
758
Nawa Kohei et Yoshitaka Lee, opus cit.
759
Sendai Shoichiro, opus cit. Voir annexe 5.
760
Aoki Jun, opus cit. Voir annexe 6.
761
Ibidem.
762
Ibid.
763
Hirata Akihisa, opus cit. Voir annexe 7.
764
Kobayashi Hirohide, opus cit. Voir annexe 13.
358
matériaux « durables », ils optent pour des matériaux dont l’apparence change dans le temps
(parfois même dans le temps d’une journée), car pour eux c’est l’esthétique et l’aspect
sensible qui comptent. Ainsi, Abe Ryo apprécie l’effet de patine apporté par le temps, Aoki
Jun et Hasegawa Go jouent des différentes matérialités d’un même matériau (comme le verre
ou le bois). À l’occasion d’un projet réalisé avec les étudiants de son laboratoire, Kobayashi
Hirohide a choisi de ne pas traiter l’acier de la structure contre l’oxydation, ceci pour que
l’aspect de l’acier change avec le temps (comme dans les temples anciens, on en remplacera
les parties abimées). S’il semble paradoxal qu’un spécialiste des questions environnementales
ne se préoccupe pas de durabilité, des questions se posent néanmoins. L’écologie du
remplacement de pièces est elle moins bonne que celle du traitement contre l’oxydation de
l’acier ? Peut-on penser l’écologie hors durabilité ? Au Japon, on a coutume de renouveler les
bâtiments (on reconstruit certains sanctuaires shintoïstes tous les vingt ans ; on doit restaurer
en profondeur les maisons d’habitation tous les 70 ans, d’où une pratique ancestrale qui
consiste à reconstruire la maison à chaque changement de générations). C’est ce
renouvèlement qui permet de transmettre et donc de préserver les savoir-faire, de maintenir
les artisans en activité et d’entretenir la santé des milieux (il est nécessaire de couper des
arbres pour que les forêts se renouvèlent). C’est pourquoi Nakamura Hiroshi défend la notion
de durabilité à l’échelle de la région et non pas seulement à l’échelle des bâtiments. Enfin,
traditionnellement, le renouvèlement des ouvrages est facteur de lien social, car les habitants
travaillent ensemble au maintien de leur cadre de vie. En liant les activités de la société et les
milieux (par la culture, pour employer les ressources naturelles, notamment dans la
construction), les architectes japonais connectent deux des registres écologiques de Félix
Guattari, celui de l’environnement et celui des rapports sociaux.
En ce qui concerne le troisième registre de l’écologie établi par Félix Guattari (celui
de la subjectivité humaine), en tant qu’agencement formel et spatial suscitant une expérience
générative de sens, il semble que l’architecture soit susceptible d’engager une réflexion, voire
même une remise en question de nos modes de vie et de notre relation à la nature. Dans le
contexte actuel de crise écologique, nombreux sont les penseurs et les praticiens qui appellent
à un changement de paradigme. Pour certains, les valeurs du Japon de la période pré-moderne,
pendant laquelle prévalait un mode de vie favorable à la nature ainsi qu’une philosophie de la
sobriété, pourraient aujourd’hui servir de support à un rapport au monde et à une pensée de
l’architecture plus soutenables que ceux véhiculés par le paradigme moderne occidental. Il ne
s’agit pas seulement de revaloriser l’esprit du minimalisme pour remédier au matérialisme et
359
au consumérisme ambiants, il s’agit également de privilégier des options favorables à
l’environnement plutôt que des critères de performance et d’innovation. Concrètement, au lieu
d’employer systématiquement le béton ou l’acier, utiliser le bois des forêts nippones
permettrait de remédier à leur abandon et donc à leur dépérissement tout en maintenant le lien
entre environnement et société765. Par ailleurs, une meilleure tolérance aux températures
extérieures permettrait d’éviter la conception de bâtiments en tant que boîtes hermétiques à
l’intérieur desquelles la température et le renouvèlement de l’air sont gérés mécaniquement –
un non-sens vis-à-vis du climat de l’Asie orientale, une zone géographique où il ne s’agit pas
tant de se protéger du froid, comme c’est le cas en Europe, que de faire circuler l’air afin de
réguler la température et de ventiler les intérieurs. Bien sûr, dans certains types de bâtiments,
cela n’est pas possible. Dans les musées, la conservation des œuvres nécessite le déploiement
de systèmes techniques particulièrement énergivores – en ce sens, ce programme est anti-
écologique. Il y a donc un réel paradoxe à concevoir des architectures ouvertes sur l’extérieur
mais vitrées et climatisées.
765
Pourtant, d’après Kobayashi Hirohide, au Japon, le bois domestique (le bois cultivé sur l’archipel) ne
représente que 25 à 30% du bois utilisé dans le secteur de la construction. (Kobayashi Hirohide, opus cit). Dans
les années 2010, l’industrie japonaise a développé la production du C.L.T. (Cross Laminated Timber, bois
lamellé croisé), des panneaux de bois résistant au feu et aux vibrations sismiques pouvant être employés en
dalles et en murs porteurs. L’idée à l’origine de la conception de ce produit était d’employer du bois des forêts
nipponnes. Pour autant, d’après le professeur Kobayasahi, l’économie de marché du C.L.T. n’est pas bonne (son
coût est élevé) aussi son emploi n’est pas populaire au Japon. D’après l’architecte Kawai Toshiaki, le
gouvernement japonais promeut l’emploi du C.L.T. (en attribuant des subventions pour la construction de
bâtiments de grande hauteur notamment) pour des raisons écologiques (afin d’honorer la promesse de
l’Agrément de Paris) et pour remédier à la disparition des métiers de la foresterie (car la libre concurrence et
l’objectif de rentabilité fait que l’on utilise le plus souvent du bois importé d’Amérique ou du Canada). Pourtant,
Kawai observe que cette industrie ne convient pas à l’écosystème car elle ne permet pas l’entretien et
le renouvèlement des forêts. Elle permet uniquement d’exploiter le bois des forêts en le débitant en tranches de
3 cm d’épaisseur. (Kawai Toshiaki, opus cit. Voir annexe 15)
360
paradoxes, car il arrive que la perception d’un espace et d’une esthétique débouchent sur un
imaginaire déconnecté de la réalité. Dans le cas du KAIT workshop, la « nouvelle nature
(artificielle) » que propose Ishigami Jun’ya est une forêt de métal, une boîte de verre
parsemée de terminaux de VMC, donc un paradoxe environnemental et un non-sens
écologique. Sans doute faudrait-il s’assurer que le propos véhiculé par l’architecture soit bien
en phase avec la réalité. Dans le cas contraire, le risque est de verser dans l’illusion. Et
l’illusion est ce à quoi la Loi bouddhique tend à échapper : en affutant sa perception du monde
et en s’astreignant à un mode de vie en accord avec la nature et l’univers. Une architecture
portée par un imaginaire illusionniste conduit à se délecter d’une nature factice dans un
bâtiment qui nuit fondamentalement à l’environnement. Plutôt que de développer une fiction
en ayant recours à une esthétisation extrême, il faudrait s’assurer de rester lier au réel – peut-
être en se focalisant sur l’expérience et sur le mode de vie concret.
766
Hasegawa Go, opus cit. Voir annexe 11.
767
LARRÈRE, Catherine, LARRÈRE, Raphaël, Penser et agir avec la nature, une enquête philosophique, Paris,
La Découverte, 2015, p. 22
768
Ibidem, p. 5-6.
769
Hirata Akihisa, opus cit.
361
pas néfastes à la nature ; [mais qu’au contraire] elles peuvent (et doivent) être bonnes pour la
Terre »770 laisse envisager un changement de perspective. « Dans l’imaginaire japonais, la
main de l’homme est bonne pour la nature ; elle l’a fortifie »771 – ce qui s’explique par le fait
que « le commandement premier du bouddhisme est de "ne pas tuer", donc de "faire
vivre" (ikasu, 生かす) : pousser la nature au maximum de son potentiel »772. Plutôt que de
considérer l’aménagement pour qu’il ne nuise pas à la nature, on pourrait le penser dans un
esprit de collaboration, de co-création, d’enrichissement et de fortification réciproques. Alors
les humains seraient véritablement replacés dans la nature.
Les choses changent. Comme évoqué au début de cette conclusion, depuis 2015, porté
par les objectifs du Plan Climat, le Japon importe et développe l’ « environnemental
technique » que promeut l’Occident : une règlementation thermique est entrée en vigueur en
2017, des labels (BELT et CASBEE, moins exigeants que les labels occidentaux LEED et
BREAM) ont été créés (ils concernent des programmes de bureaux et de commerces surtout),
des subventions sont allouées à la construction de logements « zéro énergie » et à des
programmes de rénovation (une pratique peu développée au Japon puisqu’il est plus
valorisant symboliquement d’acheter neuf). Dans le cas des programmes d’équipements
publics, pour des raisons de communication, l’image véhiculée par l’architecture demeure
plus importante que les prérogatives environnementales. Depuis quelques années, néanmoins,
on remarque que, dans le cadre des concours d’architecture, les maîtrises d’ouvrages
publiques demandent aux architectes de concevoir des bâtiments « eco-friendly », c’est-à-dire
favorables à l’écologie. Face à ce type de prérogative, les architectes décrivent divers
dispositifs relatifs au confort thermique des bâtiments et à la limitation de leur impact
environnemental (verre filtrant le rayonnement du soleil, végétalisation des toitures,
installation de cellules photovoltaïques, mur trombe, système de VMC optimal, système de
gestions des eaux, prise en compte des mouvements de l’air et des fluctuations de la
température ambiante, etc.). L’« environnemental technique » est intégré à
l’« environnemental sensible », ce qui n’est pas nécessairement un gage de soutenabilité – par
exemple, Tezuka Takaharu et Yui se sont vu refusé un prix d’architecture prestigieux parce
que l’école du Fuji Kindergarten ne présentait pas de dispositifs techniques favorables à
l’écologie, et cela malgré le fait que la ventilation naturelle de ce bâtiment permet de ne pas le
climatiser en été et que le système de chauffage soit actif uniquement de novembre à mars.
770
Yoshitaka Lee, opus cit.
771
Abe Ken.ichi, opus cit.
772
Dosan, opus cit. Voir annexe 12.
362
Paradoxe de l’idée que la technologie seule pourra remédier au réchauffement du climat
quand on sait ces dispositifs largement émetteurs de gaz à effet de serre.
773
Washida Meruro, opus cit.
363
l’extérieur mais vitrés et donc hermétiques ? L’emploi de matériaux organiques restera-t-il
tributaire de considérations économiques (choisir les produits les moins coûteux) et de
finalités esthétiques (en fonction desquelles la provenance des matériaux importe peu) ? Dans
ce cas, l’« environnemental technique » continuerait à se développer parallèlement et dans un
rapport de contradiction à l’« environnemental sensible » ; la revitalisation culturelle de
l’architecture japonaise serait problématique du point de vue de l’écologie concrète. Si la
baisse des financements publics alloués à la construction de nouveaux musées fait que le
développement du tourisme par l’art et l’architecture est remis en question, la problématique
de revitalisation des régions fragilisées par les mutations du XXe siècle ne l’est pas. Il est ainsi
possible que le gouvernement japonais continue de financer la construction d’équipements
culturels communautaires dans les localités situées à l’écart des grands pôles urbains. À
considérer que les nécessités techniques (de régulation de la température et de la lumière)
inhérentes aux programmes muséaux soient écartées, les architectes concevront-ils des œuvres
différentes de celles conçues entre les années 1990 et 2020 ? Le mouvement de régénération
du rapport à la nature par le soin porté au bâti et à l’aménagement entraînera-t-il une évolution
significative dans le champ de l’architecture contemporaine – c’est-à-dire partageable et
appréciable internationalement – en termes de développement durable comme dans le cadre
d’une réflexion sur les définitions possibles de l’architecture ?
364
Annexes
Non diffusées
365
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BEKA, Ila, LEMOINE, Louise, Moriyama-San, Paris et Bordeaux, Bêka & Lemoine, 2017
390
Index
Abe Ryo : 17, 202, 245, 248, 252-255, 256, 281, 283, 291, 292, 307, 308, 309, 325, 326, 345,
349, 356, 361, 453
Aoki Jun : 17, 202, 246, 267-273, 276, 282, 294, 295, 304, 324, 336, 337, 345, 349, 356,
404-418
Ando Tadao : 14, 18, 21-32, 35, 36, 40-43, 47, 48, 52, 57-67, 79, 100-106, 110-118, 152,
163, 194, 195, 201, 202, 203, 207, 214, 247, 274, 277, 282, 283, 332-334, 367, 374, 433, 434,
440-442, 453-455, 465-467, 498, 534
Fujimori Terunobu : 10, 15, 18, 33, 119, 201, 205-206, 220-225, 226, 232, 234, 235, 245,
279, 280, 282, 283, 365, 367-371, 380, 402, 413, 472
Hasegawa Itsuko : 18, 21-24, 41-46, 48, 51-55, 57, 58, 68, 87-97, 113, 115-119, 173, 194,
196, 197, 219, 368
Hasegawa Go : 17, 325, 328-329, 332, 333, 334, 337, 339, 348, 349, 356, 371, 485-495, 531,
532, 549
Hirata Akihisa : 17, 120, 121, 126, 156, 184, 186-193, 197, 198, 321, 322, 333, 334, 345-
347, 349, 367-369, 372, 373, 419-431, 552
Ishigami Jun’ya : 17, 120, 121, 126, 155, 170-183, 196-199, 323, 349, 358, 367, 368, 370,
372, 395, 401, 450, 511
Ito Toyo : 16, 18, 21-24, 32-41, 42, 48-51, 57, 58, 67-86, 92, 100, 106-109, 12, 113, 117-121,
125, 126, 156, 178, 184-187, 194, 196, 198, 205, 215, 346, 347, 368-372, 375, 423, 424, 430,
434, 461, 472, 477, 533, 552
Kuma Kengo : 8, 15, 17, 21, 201, 206-220, 226-235, 239, 245, 248, 279-283, 323, 342, 343,
349, 356, 365-368, 370, 375, 395, 399, 401, 402, 432, 462
391
MVRDV : 202, 247, 274, 276, 282
Naito Hiroshi : 17, 202, 203, 245, 247-252, 274, 276, 277, 279, 280, 282, 283, 331, 361, 365-
367, 370, 402, 444, 445
Nakamura Hiroshi : 17, 201, 206, 235, 239, 241-243, 280, 281, 283, 300, 301, 343, 349,
357, 554-563
Nawa Kohei : 202, 246, 264-266, 320, 321, 336, 340, 341, 376-383
Nikken Sekkei : 32, 235-238, 292, 336, 366, 371, 372, 384-393
Nishizawa Ryue : 13, 120, 123-153, 155, 157-170, 173, 178, 194-197, 368, 370, 371
Sambuichi Hiroshi : 17, 202, 245, 246, 257-259, 261, 281, 396, 400, 401, 455, 467, 468
Sanaa : 17, 120, 121, 123-153, 173, 181, 194-196, 198, 349, 367, 368, 372,
Sejima Kazuyo : 51, 119, 120, 123-153, 155, 157, 170, 173, 178, 194, 196, 368-371, 375,
448-450, 452, 455, 534,
Tardits Manuel : 17, 202, 245, 256, 281, 306, 307, 329-333, 338, 339, 432-452
Tezuka Takaharu et Yui : 17, 202, 246, 274-277, 282, 283, 288, 290-293, 298-301, 309,
337, 339, 340, 360, 473-484
Yoshitaka Lee : 246, 265, 266, 320, 336, 337, 349, 376-383
392
Index des noms de bâtiments :
393
Fondation de la neige : 202, 247, 267, 268, 270, 404, 405
Grace farms (hall polyvalent) : 123, 132, 135, 136, 151, 195, 196
Hall d’Onishi : 124, 132, 139, 140, 143, 144, 151, 194
KAIT Workshop : 120, 155, 173-176, 181, 196, 197, 199, 358
394
Musée d’art Akino Fuku : 220, 221
Musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa : 123, 128-132, 134, 140, 160,
194, 361
Musée d’art d’Aomori : 202, 247, 267-273, 295, 324, 404, 405, 406, 410, 412-414, 416
Musée d’art et bibliothèque d’Ota : 156, 191-193, 372, 422, 423, 426, 429
Musée de sciences naturelles de Matsunoyama : 202, 247, 274-276, 282, 283, 473, 478
Musée du canal de Kitakami : 201, 206, 208, 214-216, 226, 370, 371
Musée et jardin zen Shinshoji : 15, 202, 222-224, 239, 264, 266, 376
Musée Makino (musée des plantes et des hommes) : 202, 245, 248-251, 444, 446
395
Musée Ryukoku : 235-238, 384-392
Pavillon de la sardine (pavillon Iriko) : 202, 245, 256, 281, 441, 442
Pavillon d’été de la Serpentine Gallery, édition 2009 : 124, 141-144, 149, 194
Pavillon d’été de la Serpentine Gallery, édition 2019 : 178, 180, 182, 183, 197
Pavillon Kohtei : 15, 202, 223, 246, 264-266, 321, 376, 378, 380-383
Terminal des ferris de Naoshima : 124, 141, 144, 145, 166, 194
396
Table des illustrations
Fig. 1. Maison Azuma. À gauche : la maison vue depuis la rue. Photo Tadao Ando & Associates. Au centre : la façade
principale. Photo GA photographers. À droite : la cour centrale. Photo Shinkenchiku-sha ..................................................... 28
Fig. 2. Maison Azuma. À gauche (de haut en bas) : plans de niveaux RDC et R+1. Dessins Tadao Ando Architect &
Associates. À droite : photographie de maquette. Photo S. Dousse.......................................................................................... 28
Fig. 3. Maison Azuma. À gauche : vue intérieure. Photo Tadao Ando & Associates. À droite : vue extérieure. Photo
Shinkenchiku-sha ..................................................................................................................................................................... 29
Fig. 4. Photographies urbaines. De gauche à droite et de haut en bas : la Tokyo tower (réalisée par Nikken Sekkei en 1958),
l’autoroute aérienne, le Stade national pour les Jeux Olympiques de Tokyo (réalisé par Tange Kenzo en 1964), un faisceau de
voies ferrées. Images extraites du film Le vagabond de Tokyo (Tokyo nagaremono) réalisé par Suzuki Seijun en 1966. ...... 32
Fig. 5. Maison en aluminium. De gauche à droite : vue extérieure et vue intérieure. Photos Suzuki Yutaka ........................... 35
Fig. 6. White U. De haut en bas et de gauche à droite : vue aérienne sur la maison et son environnement (photo Kioku Keizo),
vue sur l’espace intérieur et la cour centrale (photo Koji Taki, version en noir et blanc), vue sur la façade nord recouverte de
lierre (photo Toyo Ito & Associates, cliché en date des années 1980), vue sur le sol de la cour avant qu’il ne soit couvert
d’herbe dans les années 1980 (photo Toyo Ito & Associates) .................................................................................................. 37
Fig. 7. Hutte d’argent. De haut en bas et de gauche à droite : vue du bâtiment dans son environnement d’origine (à Tokyo).
Photo Toyo Ito & Associates. Vue du bâtiment dans son environnement actuel (Omishima, Ehime), vue sur la façade et vue
sur la cour. Photos S. Dousse, 2019/07 .................................................................................................................................... 39
Fig. 8. Hutte d’argent. Images du haut : vue sur la cour et l’environnement. Images du bas : vues intérieures. Photos S.
Dousse, 2019/07 ....................................................................................................................................................................... 40
Fig. 9. Maison Kuwahara et Atelier Tomigaya. À gauche : vues sur la façade principale (exposée sud) de la maison de
Kuwahara. Photos Ohashi Tomio. À droite : vue sur la façade principale (exposée sud) de l’atelier de Tomigaya. Photo Itsuko
Hasegawa Atelier ..................................................................................................................................................................... 43
Fig. 10. Maison de Nerima. À gauche : vue sur la façade principale (exposée sud). Photographie Ohashi Tomio. À droite :
axonométrie. Dessin Itsuko Hasegawa Atelier ......................................................................................................................... 44
Fig. 11. Maison de Kumamoto. À gauche : plan du rez-de-chaussée et plan de masse. Dessins Itsuko Hasegawa Atelier. À
droite : vue sur les toits. Photo Fujitsuka Mitsumasa ............................................................................................................... 45
Fig. 12. Maison de Kumamoto et maison de Higashi-Tamagawa. De gauche à droite : vue sur la façade de la maison de
Kumamoto, vue sur la façade de la maison de Higashi-Tamagawa. Photos Itsuko Hasegawa Atelier ..................................... 46
Fig. 13. Chapelle sur l’eau. De gauche à droite et de haut en bas : vue aérienne (photo Takase Yoshio), vue depuis l’intérieur
de la chapelle (photo Shiratori Yoshio), photographie de maquette (photo S. Dousse), perspective d’étude (dessin Tadao
Ando Architect & Associates) .................................................................................................................................................. 48
Fig. 14. La guest-house des brasseries Sapporo. De gauche à droite et de bas en haut : vues en plan et en coupe (dessins Ito
Toyo & Associates), vue sur la façade et le site, vue sur le bâtiment fondu dans la topographie, vue sur la façade principale
(photos GA photographers, cadrages modifiés pour les besoins de la mise en page) ............................................................... 50
Fig. 15. Centre culturel de Shonandai. De gauche à droite et de haut en bas : coupe et plan d’étude d’un bâtiment
complètement enterré, photographie aérienne, élévation ouest. Images Itsuko Hasegawa Atelier ........................................... 54
Fig. 16. Centre culturel de Shonandai. La plaza. Photos S. Dousse, 2014/04 .......................................................................... 55
Fig. 17. Jardin des Beaux-Arts. À gauche : vues en plan et en coupe. Dessins Ando Tadao. À droite : vue depuis l’entrée du
site. Photo Maxime Dufour. ..................................................................................................................................................... 59
Fig. 18. Parcours photographique dans le jardin des Beaux-Arts. Photos sans visiteurs S. Dousse. Photos avec visiteurs M.
Dufour, 2017/11 ....................................................................................................................................................................... 61
Fig. 19. Le Time’s. À gauche : vue aérienne et vue depuis les escaliers en descente vers la terrasse. Photos Takase Yoshio. À
droite : photographie de maquette. Photo Tadao Ando Architect & Associates ....................................................................... 62
Fig. 20. Temple de l’eau. À gauche et au centre : photographie d’une maquette du bâtiment dans le site, photographie d’une
maquette du bâtiment. Photos S. Dousse. À droite : vue aérienne............................................................................................ 63
397
Fig. 21. Cartes postales vendues sur le site du temple Honpukuji. Légende de l’image de gauche : « Le temple est entouré de
bambous et d’autres arbres » ; légende de l’image de droite : « Les escaliers coupent le milieu de l’étang de lotus qui
symbolise le sanctuaire et descendent vers le hall principal comme en plongeant dans l’étang ». Photographies : propriété du
temple Honpukuji ..................................................................................................................................................................... 64
Fig. 22. Temple de l’eau. Chemin (1-2) et accès au temple (3-4), approche (5-6) du plan d’eau (7-10), descente dans le temple
(11), espace de cérémonie (12-13), salle privative (14). Photos S. Dousse, 2018/08 ............................................................... 65
Fig. 23. Environnement du temple de l’eau. Constructions, rizières et habitant du village Inouesora. Au loin on aperçoit des
montagnes et l’autoroute Kobe-Awaji-Naruto. Photos S. Dousse, 2018/08 ............................................................................. 66
Fig. 24. Musée municipal de Yatsushiro. Vues aériennes. Photos Futagawa Yukio (GA) ....................................................... 67
Fig. 25. Musée municipal de Yastushiro. À gauche : plan du rez-de-chaussée. À droite : plan du niveau 1. Dessins Toyo Ito &
Associates................................................................................................................................................................................. 68
Fig. 26. Musée municipal de Yastushiro. De gauche à droite et de haut en bas : le musée et son environnement côté nord, le
musée et son environnement côté sud, la façade nord, la façade sud. Photos S. Dousse, 2019/11 ........................................... 69
Fig. 27. Musée municipal de Yastushiro. À gauche : les façades sud et ouest. À droite : la façade sud. Photos S. Dousse,
2019/11..................................................................................................................................................................................... 70
Fig. 28. Musée municipal de Yastushiro. À gauche et à droite : vues sur la façade est, l’espace vert autour du grand arbre qui
apporte de l’ombre au bâtiment et l’autel shintoïste. Photos S. Dousse, 2019/11 .................................................................... 71
Fig. 29. Musée municipal de Yastushiro. De gauche à droite et de haut en bas : finition du béton, reflet des arbres sur la
façade vitrée, cheminement d’accès au musée le long de la façade est. Photos S. Dousse, 2019/11 ........................................ 72
Fig. 30. Musée municipal de Yastushiro. Vues sur la façade nord : voutes de l’ « architecture du vent », manches à air,
chiriana, pots de fleurs, cheminement et entrée du musée. Photos S. Dousse, 2019/11 ........................................................... 73
Fig. 31. Musée municipal de Yastushiro. Vues intérieures. Photos S. Dousse, 2019/11 .......................................................... 75
Fig. 32. Musée municipal de Yastushiro. À gauche : la façade ouest, l’espace d’exposition en plein air et l’environnement
urbain. À droite : la façade nord et le cheminement d’accès. Photos S. Dousse, 2019/11 ........................................................ 76
Fig. 33. Musée municipal de Shimosuwa. De gauche : vue sur la façade sud. Photo Ishiguro Mamoru. À droite, de haut en
bas : plans du premier étage et du rez-de-chaussée. Dessins Toyo Ito & Associates ............................................................... 78
Fig. 34. Centre lyrique de Nagaoka. De gauche à droite : plan de masse, plan du rez-de-chaussée. Dessins Toyo Ito &
Associates................................................................................................................................................................................. 80
Fig. 35. Centre lyrique de Nagaoka. Parcours photographique. Photos S. Dousse, 2018/03 .................................................... 83
Fig. 36. Taisha hall. De gauche à droite : vue aérienne depuis le sud-est, vue depuis la rivière Horikawa. Photos Ueda
Hiroshi, GA photographers ...................................................................................................................................................... 84
Fig. 37. Taisha hall. De gauche à droite et de haut en bas : plan de masse, plan du rez-de-chaussée, coupe longitudinale.
Dessins Ito Toyo & Associates ................................................................................................................................................. 86
Fig. 38. Taisha hall. De gauche à droite : vue sur la bibliothèque, vue sur le hall. Photos Ueda Hiroshi, GA photographers .. 86
Fig. 39. Musée du fruit. À gauche : plan de l’ensemble du site. Dessin Itsuko Hasegawa Atelier. À droite : dessin d’étude
accompagné de la légende : « les graines emportées par des ballons, le groupe des bâtiments du fruit, le thème de
l’écologie ». Dessin Hasegawa Itsuko ...................................................................................................................................... 87
Fig. 40. Musée du fruit. À gauche : vue d’ensemble sur les bâtiments du musée et sur le mont Fuji. Photo Fujitsuka
Mitsumasa. À droite, en haut : coupe sur le hall d’exposition et la serre tropicale. Dessin Itsuko Hasegawa Atelier. À droite,
en bas : dessin de conception en coupe. Dessin Hasegawa Itsuko ............................................................................................ 88
Fig. 41. Musée du livre d’image. À gauche : dessin d’étude figurant les collines artificielles et le bâtiment à la forme
évocatrice de celle d’un bateau. Dessin Hasegawa Itsuko. À droite : le musée et le parc. Photo Ohashi Tomio ..................... 91
Fig. 42. Musée du livre d’image. De gauche à droite et de haut en bas : plan de masse, plan du rez-de-chaussée et plan du
premier étage. Dessins Itsuko Hasegawa Atelier ...................................................................................................................... 92
Fig. 43. Centre des arts de la scène de Niigata. Vues depuis le toit-jardin : deux des îles, passerelles et panorama (la rivière
Shinano, la ville et les deux équipements voisins que sont le Niigata city music cultural hall (image de gauche) et le Niigata
city gymnasium (image de droite). Photos S. Dousse, 2018/03................................................................................................ 93
398
Fig. 44. Centre des arts de la scène de Niigata. À gauche : dessins d’études portant la légende : « investigations sur la
connexion des îles et sur la manière de les enterrer autour des trois bâtiments existants ». Dessin Hasegawa Itsuko. À droite :
plan du premier étage. Dessin Itsuko Hasegawa Atelier .......................................................................................................... 95
Fig. 45. Centre des arts de la scène de Niigata. Parcours photographique. Photos S. Dousse, 2018/03 ................................... 99
Fig. 46. Musée historique Chikatsu-Asuka. À gauche : croquis d’étude. Dessin d’Ando Tadao. À droite : vue d’ensemble du
bâtiment depuis le cheminement d’accès. Photo Takase Yoshio, GA photographer .............................................................. 101
Fig. 47. Musée historique Chikatsu-Asuka. Vues extérieures, l’accès au musée. Photos S. Dousse, 2017/11 ....................... 102
Fig. 48. Musée historique Chikatsu-Asuka. Vues intérieures. Espaces de circulation et d’exposition du rez-de-chaussée.
Photos S. Dousse, 2017/11 ..................................................................................................................................................... 103
Fig. 49. De gauche à droite : plan du rez-de-chaussée et plan du niveau 1. Dessins Ando Tadao .......................................... 103
Fig. 50. Complexe Awaji Yumebutai. Maquette exposée sur place, vue d’ensemble. Photos S. Dousse, 2018/08 ................ 104
Fig. 51. Complexe Awaji Yumebutai. Hundred step garden, plan d’ensemble. Photos S. Dousse, 2018/08 .......................... 105
Fig. 52. Complexe éducatif Grin-grin. De gauche à droite : vue aérienne sur Grin-grin, une folie du parc Island-City. Photos
Toyo Ito & Associates ............................................................................................................................................................ 106
Fig. 53. Complexe éducatif Grin-grin. Plan de niveau. Dessin Toyo Ito & Associates .......................................................... 107
Fig. 54. Complexe éducatif Grin-grin. Passerelle de circulation et serre. Photos S. Dousse, 2018/03 ................................... 107
Fig. 55. Complexe éducatif Grin-grin. De gauche à droite : Grin-Grin et son environnement bâti, le futur gymnase de Island
City (affichage sur les palissades de chantier). Photos S. Dousse, 2018/03 ........................................................................... 109
Fig. 56. Colline du Bouddha. Vue extérieure et vue intérieure. Photos Ogawa Shigeo. ......................................................... 111
Fig. 57. Musée d’Ogasawara. À gauche : plan de masse. À droite, de haut en bas : plans de l’étage et plan du rez-de-chaussée.
Images Kazuyo Sejima & Associates ..................................................................................................................................... 127
Fig. 58. Musée d’Ogasawara. Photos Futagawa Yukio, GA photographers ........................................................................... 128
Fig. 59. Musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa. De gauche à droite et de haut en bas : vue sur la façade et
l’espace public, vue aérienne, vue sur l’un des patios (photos Futagawa Yukio, GA photographers), vue nocturne sur la
façade (photo S. Dousse, 2016/05) ......................................................................................................................................... 131
Fig. 60. Centre d’apprentissage de l’école polytechnique de Lausanne. Vues extérieures. Photos : courtoisie de la
médiathèque de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne ............................................................................................... 133
Fig. 61. Grace Farms. Le bâtiment et le site. Photo GA photographers (image redimensionnée pour les besoins de la mise en
page). Un espace extérieur du bâtiment. Photo Suzuki Hisao ................................................................................................ 136
Fig. 62. Musée d’art de Nakahechi. De gauche à droite et de haut en bas : plan de niveau (dessin Sanaa), vue sur le musée et
sur le site, vue sur l’entrée du musée, vue sur le lounge, sa paroi courbe et sa façade vitrée. Photos S. Dousse, 2017/12 ..... 138
Fig. 63. Hall d’Onishi. De gauche à droite et de haut en bas : vues extérieures du bâtiment et de son environnement, vue
intérieure. Photos Iwan Baan. Plan de niveau. Dessin Sanaa ................................................................................................. 139
Fig. 64. De gauche à droite : le bâtiment dans son environnement, la façade en verre. Photos : courtoisie du Toledo Museum
of Art and Floto + Warner ...................................................................................................................................................... 141
Fig. 65. Café-parc de Koga et café-parc d’Almere. De gauche à droite : modélisations du café-parc de Koga et du café-parc
d’Almere. Images Sanaa......................................................................................................................................................... 143
Fig. 66. Pavillon Serpentine. Le pavillon, les visiteurs et les jardins de Kensington. Photos Iwan Baan ............................... 144
Fig. 67. Terminal des ferris de Naoshima. Embarcadère et bâtiment. Photos GA photographers .......................................... 145
Fig. 68. L’auditorium Junko-Fukutake Hall. En haut, à gauche : plan de niveau. Dessin Sanaa. De haut en bas : vues
extérieures et intérieures. Photos S. Dousse, 2019/07 ............................................................................................................ 148
Fig. 69. Shogin Tact Tsuruoka. Vues extérieures. Photos S. Dousse, 2019/08 ...................................................................... 150
Fig. 70. Shogin Tact Tsuruoka. Vues intérieures. Photos S. Dousse, 2019/08 ....................................................................... 151
Fig. 71. Shogin Tact Tsuruoka. Plan du rez-de chaussée. Dessin Sanaa ................................................................................ 153
399
Fig. 72. Maison Moriyama. À gauche : plan de rez-de-chaussée. Dessin Office of Ryue Nishizawa. À droite : vue aérienne.
Photos Takase Yoshio, GA photographers ............................................................................................................................. 160
Fig. 73. Centre d’art de Towada. Plan de rez-de-chaussée. Dessin Office of Ryue Nishizawa .............................................. 161
Fig. 74. Centre d’art de Towada. Vues extérieures et intérieures. Photos S. Dousse, 2017/11 ............................................... 162
Fig. 75. Le musée d’art de Teshima. Vues extérieures et intérieures. Photos S. Dousse, 2018/04 ......................................... 165
Fig. 76. Le musée Hiroshi Senju. Vues intérieures. Photos Ano Daici, courtoisie du musée Hiroshi Senju .......................... 167
Fig. 77. Le musée Hiroshi Senju. Vues extérieures. Photos S. Dousse, 2018/08 ................................................................... 169
Fig. 78. Maison en bande et Résidence d’Aito. À gauche : maquette de la maison en bande. À droite : maquette de la
résidence d’Aito. Images Ishigami Jun’ya + Associates......................................................................................................... 171
Fig. 79. Projet de lac et projet de café dans les champs. À gauche : réprésentation du projet de lac. À droite : réprésentation
du café dans les champs. Images Ishigami Jun’ya + Associates............................................................................................. 172
Fig. 80. KAIT Workshop. Vue intérieure. Photo Ishigami Jun’ya + Associates. Vue extérieure. Photo S. Dousse ............... 174
Fig. 81. KAIT Plaza. En haut : représentations du projet. Images Ishigami Jun’ya + Associates. En bas : vues intérieures,
impressions d’écran depuis la visite virtuelle proposée par le site internet de l’université :
キャンパスマップ・施設紹介|神奈川工科大学 (kait.jp) ............................................................................................... 176
Fig. 82. Maison de la Paix. Modélisations du projet. Images Ishigami Jun’ya + Associates .................................................. 178
Fig. 83. Jardin d’eau de Tochigi. À gauche : photographie de maquette. Photo S. Dousse, 2018/09. À droite : vue du jardin.
Photo Ishigami Jun’ya + Associates ....................................................................................................................................... 180
Fig. 84. Maison et restaurant de Yamaguchi. À gauche : photographie de maquette. Photo S. Dousse, 2018/09. À droite : vue
sur le bâtiment en phase de construction. Photo Ishigami Jun’ya + Associates...................................................................... 181
Fig. 85. Pavillon Serpentine de 2019. À gauche : le pavillon dans son environnement. À droite : l’espace intérieur du pavillon
et son environnement. Photos Iwan Baan, propriété Ishigami Jun’ya + Associates ............................................................... 183
Fig. 86. Médiathèque de Sendai. De gauche à droite : la façade principale, le hall. Photos S. Dousse, 2019/03 ................... 186
Fig. 87. Magasin TOD’S Omotesando et bibliothèque Tama. De gauche à droite : façade principale de TOD’S Omotesando,
façade de la bibliothèque Tama. Photos S. Dousse, 2014/04.................................................................................................. 187
Fig. 88. Complexe de Taipei. De gauche à droite : vue en axonométrie de la structure et du complexe végétal, vue en coupe.
Images Hirata Akihisa Architecture Office ............................................................................................................................ 189
Fig. 89. Tree-ness house. De gauche à droite : diagramme de concept, schéma de conception en vue de coupe. Dessins Hirata
Akihisa ................................................................................................................................................................................... 190
Fig. 90. Tree-ness house. Images de gauche : vues sur la façade principale et ses balcons. Images de droite : vues sur le patio
et ses plantations. Photos S. Dousse, 2019/07 ........................................................................................................................ 191
Fig. 91. Musée d’art et bibliothèque d’Ota. De gauche à droite et de haut en bas : schéma de concept (dessin Hirata Akihisa),
plan du rez-de-chaussée (dessin Hirata Akihisa Architecture Office), vue sur la façade nord du bâtiment depuis l’espace
urbain, vue sur l’espace urbain depuis le toit-terrasse du bâtiment (photos S. Dousse, 2019/07)........................................... 192
Fig. 92. Musée d’art et bibliothèque d’Ota. Vues intérieures et extérieures. Photos S. Dousse, 2019/07............................... 193
Fig. 93. Observatoire du mont Kiro. En haut, de gauche à droite : vue sur le panorama, vue sur l’observatoire. Photos S.
Dousse, 2019/07. En bas, de gauche à droite et de haut en bas : plan de masse, élévation et coupe. Dessins Kuma Kengo &
Associates............................................................................................................................................................................... 210
Fig. 94. Observatoire du mont Kiro. Vues sur le panorama et sur les abords. Photos S. Dousse, 2019/07 ............................ 212
Fig. 95. Observatoire du mont Kiro. Photos S. Dousse, 2019/07. .......................................................................................... 213
Fig. 96. Musée du canal de Kitakami. À gauche, de haut en bas : vue en plan, vue en coupe. Dessins Kuma Kengo &
Associates. À droite, de haut en bas : vue d’ensemble, vue sur l’accès au musée. Photos Fujitsuka Misumasa .................... 215
Fig. 97. Musée du canal de Kitakami. À gauche : la place intérieure et la place extérieure. À droite : le panorama depuis la
place intérieure. Photos Ueda Hiroshi, GA Photographers ..................................................................................................... 216
400
Fig. 98. Musée d’art de la préfecture de Nagazaki. Page de gauche : plan du rez-de chaussée. Dessin Kuma Kengo &
Associates. Page de droite : vues extérieures et intérieures. Photos S. Dousse, 2018/03........................................................ 218
Fig. 99. À gauche : le musée Jinchokan Moriya. À droite : le musée Akino Fuku. Photos Masuda Akihisa ......................... 221
Fig. 100. Bâtiment d’accueil du musée et jardin zen Shinshoji. Vues sur le bâtiment et le jardin. Photos S. Dousse, 2019/07.
À l’arrière plan de la dernière image, on aperçoit le pavillon Kohtei ..................................................................................... 223
Fig. 101. La Collina Omi-Hachiman. En haut, de gauche à droite : façade du bâtiment principal de la Collina (nommé
Kusayane/toit planté), café situé dans un autre bâtiment de la Collina (nommé Kuriyappon/cent châtaignes). En bas, de
gauche à droite : façade du bâtiment Kuriyappon, café situé dans ce même bâtiment. Photos Taneya Group ....................... 224
Fig. 102. Musique de la mosaïque Tile. De gauche à droite et de haut en bas : le musée dans son environnement, la façade
principale et l’accès au public, l’espace ouvert, la façade arrière. Photos S. Dousse, 2018/04 ............................................... 225
Fig. 103. Musée Hiroshige Ando. De gauche à droite : vue sur le musée depuis la route, vue sur l’entrée du musée en façade
principale (à l’arrière plan, la montagne). Photos S. Dousse, 2019/08 ................................................................................... 227
Fig. 104. Musée Hiroshige Ando. De gauche à droite et de haut en bas : la façade arrière vue depuis le pied de la montagne,
l’accès au musée vu depuis l’espace ouvert et couvert, l’entrée du musée et l’accueil/billeterie, la claire-voie et le jardin.
Photos S. Dousse, 2019/08 ..................................................................................................................................................... 228
Fig. 105. Musée Hiroshige Ando. De gauche à droite et de haut en bas : cloison de papier avec effet de lumière venue du toit
(circulation dans le musée), vitrine d’exposition face au jardin, le café, l’espace ouvert et couvert qui relie la ville et la
montagne. Photos S. Dousse, 2019/08.................................................................................................................................... 229
Fig. 106. Hôtel de ville de Yusuhara. De gauche à droite : la façade principale, l’atrium (hall d’accueil). Photos S. Dousse,
2018/07................................................................................................................................................................................... 230
Fig. 107. Hôtel et marché communautaire de Yusuhara. À gauche : la façade principale (en chaume) et l’une des façades
latérales (en bois). À droite : l’hôtel (sur la partie gauche) et le marché (sur la partie droite). Photos S. Dousse, 2018/07 ... 231
Fig. 108. Musée du pont de bois. De gauche à droite : vue extérieure, vue intérieure. Photos S. Dousse, 2018/07 ............... 232
Fig. 109. Bibliothèque communautaire de Yusuhara. De gauche à droite : vue extérieure, vue intérieure. Photos S. Dousse,
2018/07................................................................................................................................................................................... 233
Fig. 110. Musée Ryukoku. De gauche à droite et de haut en bas : la façade principale, le hall, la cour intérieure, le passage
entre la rue Horikawa et la rue Aburanokoji. Photos Higashide Kiyohiko, musée Ryukoku ................................................. 236
Fig. 111. Musée Ryukoku. Vues sur le hall et la cour. Photos Higashide Kiyohiko, courtoisie du musée Ryukoku ............ 238
Fig. 112. Restaurant Erretegia et Chapelle Ruban. De gauche à droite et de haut en bas : l’hôtel Bella vista spa and marina et
le restaurant Erretegia vus depuis le belvédère de la chapelle, le chantier de construction navale Tsuneishi et le paysage de la
mer Intérieure vus depuis le même emplacement, la chapelle ruban et son approche, les rampes de la chapelle et la vue sur le
paysage, l’espace de célébration de la chapelle et le jardin. Photos S. Dousse, 2019/07 ........................................................ 240
Fig. 113. Restaurant Erretegia. De gauche à droite : le restaurant et le panorama de la mer Intérieure de Seto, les assemblages
de la charpente. Photos S. Dousse, 2019/07 ........................................................................................................................... 241
Fig. 114. Hall du cimetière de Sayama. De gauche à droite et de haut en bas : le bâtiment et son environnement, l’accès au
public, l’espace de reccueillement, le plan d’eau et le paysage. Photos S. Dousse, 2019/11 .................................................. 242
Fig. 115. Chapelle du cimetière du lac de Sayama. De gauche à droite et de haut en bas : le bâtiment et son environnement,
l’espace de célébration, l’accès à la chapelle, la couverture en aluminium et la végétation aux abords du bâtiment. Photos S.
Dousse, 2019/11 ..................................................................................................................................................................... 243
Fig. 116. Musée de la mer. En haut, de gauche à droite : le restaurant (sur la gauche de l’image) et la halle d’exposition A, les
halles d’exposition B et A et l’espace d’apprentissage et d’expérience (sur la droite de l’image). En bas, de gauche à
droite : la halle d’exposition A et sa charpente en bois, le hangar à bateaux et sa charpente en béton. Photos S. Dousse,
2018/04................................................................................................................................................................................... 250
Fig. 117. Musée Makino. De gauche à droite et de haut en bas : vue aérienne (photo Mishima Satoru). Le musée et l’espace
extérieur, le jardin et les ciculations couvertes, le musée et le jardin (photos S. Dousse, 2018/07) ....................................... 251
Fig. 118. Musée Makino. Vues intérieures. Photos S. Dousse, 2018/07 ................................................................................ 252
Fig. 119. Shima kitchen. À gauche : l’espace extérieur, la canopée et l’arbre. Photo Ano Daici. À droite : le bâtiment et le
village. Photo Abe Ryo. ......................................................................................................................................................... 254
401
Fig. 120. Pavillon Iriko ou Pavillon de la sardine. De gauche à droite : représentation axonométrique du projet, vue sur le
pavillon après achèvement de la construction. Images Manuel Tardits, Mikan. .................................................................... 257
Fig. 121. Musée d’art Seirensho et hall de Naoshima. Première page : vues extérieures du musée d’art Seirensho.
Photographies S. Dousse, 2018/04. En haut : vues extérieures du hall de Naoshima. Photos S. Dousse, 2018/04. Au milieu :
vue extérieure et vue intérieure du hall de Naoshima. Photos Ogawa Shigeo. En bas, de gauche à droite : étude de conception
du musée Seirensho, vue en coupe du musée Seirensho, vue en coupe du hall de Naoshima. Dessins Sambuichi Hiroshi. .. 263
Fig. 122. Observatoire Enoura. Première page : plan du site. Image Odawara Art Foundation. De haut en bas et de gauche à
droite : la scène de verre optique et le tunnel d’observation alignés au solstice d’hiver vus de nuit et de jour, la galerie
d’observation du solstice d’été et un arrangement de pierre de Komatsu (carrière localisée à environ 2 km) sur un jardin de
mousse, le tunnel d’observation du solstice d’hiver et son « puits de lumière » (en date de la période de Muromachi (1336-
1573)). Photos : courtoisie de l’Odawara Art Foundation ..................................................................................................... 266
Fig. 123. Pavillon Kohtei. Vues extérieures du pavillon, du jardin et de l’environnement naturel. Photos Omote Nobutada,
courtoisie de Studio Sandwich et du musée et jardin zen Shinshoji ....................................................................................... 268
Fig. 124. Musée de la lagune de Fukushima. Vue extérieure et vue intérieure. Photos S. Dousse, 2018/03 .......................... 271
Fig. 125. Musée d’art d’Aomori. Vue extérieure et vue intérieure. Photos : courtoisie du musée d’art d’Aomori ................ 273
Fig. 126. Musée d’art d’Aomori. Vue sur la façade principale et l’accès au musée, vue sur le jardin et les cours.
Photographies : propriété du musée d’art d’Aomori............................................................................................................... 273
Fig. 127. Musée d’art d’Aomori. Vue sur les cours enterrées, vue sur une partie de l’espace d’exposition.
Photographies : courtoisie du musée d’art d’Aomori ............................................................................................................. 274
Fig. 128. Musée d’art d’Aomori. À gauche : circulation intérieure. À droite : espace du musée et cour enterrée.
Photographies S. Dousse, 2017/11 ......................................................................................................................................... 275
Fig. 129. Musée de sciences naturelles de Matsunoyama et centre communautaire Ikote. En haut à gauche : vue extérieure.
Photograhie : courtoisie du musée des sciences naturelles de Matsunoyama. En haut à droite : vue intérieure du musée des
sciences naturelles de Matsunoyama. Photo S. Dousse, 2018/03. En bas, de gauche à droite : vue extérieure et vue intérieure
du centre communautaire Ikote. Photos S. Dousse, 2018/03 .................................................................................................. 277
Fig. 130. Musée du village de Matsudai et bibliothèque municipale de Tokamachi. De gauche à droite : vue extérieure du
musée, vue extérieure de la bibliothèque. Photos S. Dousse, 2018/03 ................................................................................... 278
Fig. 131. Centre d’art contemporain d’Aomori. Vues extérieures. Photos Takase Yoshio. ................................................... 279
Fig. 132. Maison de la forêt et maison de l’eau de l’école de la nature de Tokamachi. Photos S. Dousse, 2018/03 .............. 280
Fig. 133. Le restaurant communautaire Shima-kitchen et son environnement. Photos S. Dousse, 2018/04 ........................... 294
Fig. 134. Musée d’art d’Aomori. Vues sur l’espace café et l’environnement enneigé. Photos S. Dousse, 2017/11 ............... 297
Fig. 135. Scènes saisonnières. Photos S. Dousse.................................................................................................................... 298
Fig. 136. École Fuji-kidergarten. Photographies de maquette. Photos S. Dousse, 2018/09.................................................... 301
Fig. 137. Le musée Roku (conçu par Nakamura Hiroshi, à Oyama, préfecture de Tochigi, 2010). L’entrée du musée et son
jardin, l’espace café-restaurant et une fenêtre donnant sur le jardin. Photos S. Dousse, 2019/07........................................... 302
Fig. 138. Reportage d’Ono Tadashi dans le Tohoku. À gauche : Hiyoriyama « weather hill », Natori, Miyagi prefecture,
november 13. 2011, 247 days after. À droite : « construction », Soma, Fukushima prefecture, february 14. 2012, 340 days
after. Photos Ono Tadashi. ..................................................................................................................................................... 305
Fig. 139. Reportage d’Ono Tadashi dans le Tohoku. À gauche : Ofunato bay, Iwate prefecture, #9183 . À droite : Ofunato
bay, Iwate prefecture, #0862 . Photos Ono Tadashi. .............................................................................................................. 306
Fig. 140. Reportage d’Ono Tadashi dans le Tohoku. À gauche : Otsushi bay (The God of Water), Iwate prefecture, #9968. À
droite : Seawall, Toni, Iwate prefecture, december 30. 2011, 294 days after. Photos Ono Tadashi. ...................................... 308
Fig. 141. Membres de l’école Yamamura installés sur l’engawa du temple Yotokuin (à Kyoto) lors de l’exposition de leurs
compositions florales. Photos S. Dousse, 2019/11 ................................................................................................................. 314
Fig. 142. Pavillon Kohtei. Vues sur le jardin et l’accès au pavillon. Photos S. Dousse, 2019/07 ........................................... 324
Fig. 143. Pavillon Bloomberg et prototype de structure organique Photos de maquettes, S. Dousse, 2017/09 et 2018/07 ... 326
402
Fig. 144. Maison à Komae et appartements à Nerima. À gauche : Maison à Komae (conçue par Hasegawa Go en 2009).
Photo Shinkenchiku-sha. À droite : Appartements à Nerima (conçue par Hasegawa Go en 2010). Photo Iwan Baan. Format
des images modifié pour les besoins de la mise en page ........................................................................................................ 336
Fig. 145. Église Higashi-Totsuka (conçue par Hirata Akihisa, à Yokohama, préfecture de Kanagawa, en 2015). Le toit
symbolise les nuages, la végétation longe la façade entièrement vitrée. Photos S. Dousse, 2019/07 ..................................... 337
Fig. 146. Maison à Komae et maison à Komazawa. À gauche : maison à Komae (Tokyo) (conçue par Hasegawa Go en 2009).
Photo Shikenchiku-sha. À droite : maison à Komazawa (Tokyo) (conçue par Hasegawa Go en 2011). Photo Iwan Baan.
Format des images modifié pour les besoins de la mise en page. ........................................................................................... 342
Fig. 147. Le nouvel hôtel de ville de Naha (à gauche) et l’ancien hôtel de ville de Nago (à droite). Photos S. Dousse, 2018/02
............................................................................................................................................................................................... 344
Fig. 148. Taneya-Agri-Culture (conçue par le Lab. Global Environmental Studies de l’université de Kyoto, à Omi-Hachiman,
préfecture de Shiga, en 2014). Photos Kobayashi Hirohide ................................................................................................... 347
403
404
Table des matières
Remerciements ........................................................................................................................ 1
Sommaire ....................................................................................................................... 3
Introduction ....................................................................................................................... 7
405
Le musée du livre d’images, Oshima, préfecture de Toyama, 1994 ..................................................... 90
Le centre des arts de la scène de Niigata, préfecture de Niigata, 1998 ............................................... 93
2.2.2. Ando Tadao et Ito Toyo : construire dans les collines ou construire des collines ...100
Le musée historique Chikatsu-Asuka, Kana, Minamikawaguchi, préfecture d’Osaka, 1994 .............. 100
Le complexe Awaji-Yumebutai, Awaji, préfecture de Kobe, 2000 ...................................................... 104
Island City Central Park GRIN GRIN (GREEN GREEN), Fukuoka, préfecture de Fukuoka, 2005 ......... 106
La colline du bouddha, Sapporo, préfecture de Hokkaido, 2015 ......................................................... 110
5.2. Ishigami Jun’ya. Pour une architecture à la frontière du naturel ................................... 170
5.2.1. Premiers projets : recherche d’un accord entre architecture et nature .................. 170
Maison en bande à Tokyo, résidence sur les toits à Aito, projet de lac et café dans les champs ...... 170
406
5.2.2. Une architecture au contact du climat ....................................................................... 173
Le KAIT Workshop, Institut de Technologie de Kanagawa, Université de Kanagawa, Atsugi,
préfecture de Kanagawa, 2008 ............................................................................................................. 173
KAIT Plaza, Institut de Technologie de Kanagawa, Université de Kanagawa, Atsugi, préfecture de
Kanagawa, 2021 ...................................................................................................................................... 175
La maison de la paix, Copenhague, Danemark, en cours de financement ......................................... 176
5.2.3. Projets récents : rejoindre la nature par la temporalité et la matérialité ................. 178
Le jardin d’eau (botanical garden art biotop), Tochigi, préfecture de Tochigi, 2018 ......................... 179
Maison et restaurant, Yamaguchi, préfecture de Yamaguchi, 2019 .................................................... 180
Le pavillon d’été de la galerie Serpentine, jardins Kensington, Londres, 2019 ................................... 182
5.3. Ito Toyo et Hirata Akihisa. Pour une architecture biologique ......................................... 184
5.3.1. Ito Toyo : du virtuel à l’organique en architecture .................................................... 184
La Médiathèque de Sendai, Sendai, préfecture de Miyagi, 2000 ; TOD’S Omotesando, Tokyo, 2004 ;
la Bibliothèque de l’Université d’Art Tama, Hachioji, préfecture de Tokyo, 2007 .............................. 185
5.3.2. Hirata Akihisa : du parallèle entre milieux naturels et construction.........................188
Le complexe de Taipei, Taipei, Taiwan, 2016 ; la « Tree-ness House », Tokyo, 2017 ; le musée d’art et
bibliothèque d’Ota, Ota, préfecture de Tokyo, 2017 ............................................................................ 189
407
Chapitre 8. Milieu, climat, ressources et architecture ............................................. 245
8.1. Architectes de lieux et de milieux. Construire en bord de mer...................................... 249
8.1.1. Naito Hiroshi, Abe Ryo et Mikan : entre villages et paysages .................................. 249
Le musée de la mer, Toba, préfecture de Mie, 1992 et le musée des plantes et des hommes ou
musée Makino, Kochi, préfecture de Kochi, 1999 ............................................................................... 249
Shima-kitchen, Teshima, préfecture de Kagawa, 2010......................................................................... 253
Le pavillon de la sardine (pavillon Iriko), Ibukijima, préfecture de Kagawa, 2015. ............................. 257
8.1.2. Sambuichi Hiroshi, Studio Sandwich et Sugimoto Hiroshi : de la Terre au cosmos 259
Le musée d’art Seirensho à Inujima et le hall de Naoshima, préfecture de Kagawa, 2008 et 2015 .. 259
L’observatoire Enoura, Odawara, préfecture de Kanagawa, 2017 ..................................................... 264
Le pavillon Kohtei, musée et jardin zen Shinshoji, Fukuyama, préfecture de Hiroshima, 2016 ........ 266
8.2. Architectes de lieux et de milieux. Construire dans le « pays de neige » ...................... 269
8.2.1. Aoki Jun : entre contrainte climatique et expérience sensible ................................ 269
La fondation de la neige, Joetsu, préfecture de Niigata, 1999 ; le musée de la lagune de Fukushima,
Niigata, préfecture de Niigata, 1997 ; le musée d’art d’Aomori, préfecture d’Aomori, 2006 ........... 269
8.2.2. Tezuka Takaharu et Yui, Naito Hiroshi, MVRDV et Ando Tadao : pour la plus grande
proximité avec les éléments extrêmes du paysage ................................................................. 276
Le musée de sciences naturelles de Matsunoyama, 2003 ; le café communautaire Ikote, Tokamachi,
2015 ; le café communautaire Stage engawa, Sanjo, 2016, préfecture de Niigata .............................276
Le musée du village de Matsudai, 2003 ; la bibliothèque municipale de Tokamachi, 1999 ; le centre
d’art contemporain d’Aomori, 2001 ; l’école de la nature de Tokamachi, 2011 ..................................278
Introduction de la quatrième partie. L’architecture telle que perçue par les Japonais eux-
mêmes Réflexions sur l’architecture, la nature et l’écologie ........................................... 287
Chapitre 10. De l’intemporalité d’une culture dans son rapport à la nature ........... 289
10.1. Une architecture ouverte sur l’extérieur ......................................................................... 289
10.1.1. Climat, météorologie et forces telluriques ............................................................... 289
10.1.2. La nature la plus riche et la plus sévère au monde ................................................... 292
10.1.3. Apprécier les changements de saison et s’y fondre ................................................. 296
10.1.4. Être au plus près de la nature malgré les catastrophes ........................................... 300
10.1.5. Retour critique sur le désastre de 2011 ...................................................................... 304
10.2. Le naturel et l’artifice, des notions relativisées .............................................................. 309
10.2.1. De l’art de développer un entre-deux ....................................................................... 309
10.2.2. Entre aménagement et respect de l’environnement ................................................ 312
10.2.3. Symbolisme des jardins zen et imaginaire shintoïste ................................................ 315
10.2.4. Sobriété de la vie monastique versus écologie militante ......................................... 320
408
11.2. Et l’écologie dans tout ça ? ................................................................................................ 339
11.2.1. Pour une écologie évidente ....................................................................................... 339
11.2.2. Contre une écologie de la performance.................................................................... 340
11.2.3. Recours à la sobriété ancienne versus technophilie grandissante .......................... 343
11.2.4. Dépasser le caractère formel de l’architecture ........................................................ 346
11.2.5. En guise de conclusion ............................................................................................... 349
Conclusion ....................................................................................................................353
409