Sainvil Julien 2023 These
Sainvil Julien 2023 These
Sainvil Julien 2023 These
PRÉSENTÉ À
Denyse Côté
PAR
Julien Sainvil
2023
i
Résumé
Cette thèse doctorale est consacrée à une question d’actualité dans les débats sur genre et
politique en Haïti : le quota comme stratégie pour améliorer la représentation politique des
femmes. La stratégie pour les rendre plus présentes numériquement dans les assemblées
élues émerge du constat d’une discrimination basée sur le genre dans le chapitre du droit
de représentation. Elle s’actualise dans la revendication d’un égal accès des hommes et des
femmes aux lieux de pouvoir. La réponse à ce problème passe par l’adoption des mesures
destinées à corriger cette injustice en favorisant l’arrivée de plus de femmes dans les centres
de décision politique. Le mouvement de femmes, en Haïti, a milité pour l’insertion d’une
mesure de correction dans le système de désignation des personnes appelées à prendre la
direction du pays. Le Parlement a inscrit cette demande dans la Constitution amendée de
2012 à travers l’article 17.1 qui reconnaît le principe d’un quota d’au moins 30 % de
femmes dans la vie nationale, dont la vie politique. Cette reconnaissance engage l’élite
politique (État et partis politiques) et les groupes de femmes dans un processus de réforme
de quota. Il s’agit d’un mouvement de changement visant la traduction du quota de femmes
dans le système électoral. Cette stratégie de féminisation de la politique crée toutefois des
controverses. Certains acteurs la soutiennent, d’autres résistent à sa mise en œuvre ou
cherchent à la contourner. Or la traduction du quota de femmes dans la législation et dans
les pratiques électorales implique une entente entre les acteurs qui s’y intéressent et/ou la
maîtrise des forces qui s’y opposent. Notre thèse doctorale veut comprendre la dynamique
d’acteurs qui doit amener à la réforme de quota ou à son refus. Pour cadrer l’objet d’étude,
formuler une proposition de recherche afin de produire, d’interpréter les informations
empiriques y relatives, la théorie socio-discursive est utilisée pour explorer les multiples
usages que font les acteurs de ce principe en privilégiant leur discours et leurs actions. La
construction d’un objet d’étude qui place l’acteur, ses croyances et sa conduite au centre
d’un processus de changement social et politique justifie le choix d’une méthodologie de
nature qualitative. C’est une démarche qui permet d’observer, de décrire et d’analyser les
points de vue des personnes recrutées dans les réseaux d’acteurs formés autour du principe
de quota. Les informations analysées décrivent une situation d’équilibre instable entre les
forces qui sont en présence sur le terrain de la négociation, puisqu’aucun acteur ou réseau
d’acteurs ne semble réunir assez de force pour construire une entente autour sa position ou,
le cas échéant, l’imposer. Cette situation ralentit le rythme d’avancement du processus de
traduction du principe de quota. Donc, au lieu d’un rejet, le processus paraît s’acheminer
vers soit la mise en place d’une réforme progressive de quota soit la reformulation de cette
stratégie dans une autre Constitution. On doit suivre le cours des évènements.
Abstract
This doctoral thesis is devoted to a current issue in the debates on gender and politics in
Haiti: the quota as a strategy to improve the political representation of women. The strategy
to increase women's numerical presence in elected assemblies emerges from the
observation of gender-based discrimination in the chapter on the right of representation. It
is actualized in the demand for equal access of men and women to places of power. The
response to this problem is the adoption of measures to correct this injustice by encouraging
the arrival of more women in political decision-making centers. The women's movement
in Haiti has advocated for the inclusion of a corrective measure in the system of appointing
people to take over the leadership of the country. The Parliament enshrined this demand in
the amended Constitution of 2012 through Article 17.1, which recognizes the principle of
a quota of at least 30% of women in national life, including political life. This recognition
engages the political elite (state and political parties) and women's groups in a quota reform
process. This is a movement for change aimed at translating the quota for women into the
electoral system. However, this strategy of feminizing politics is controversial. Some actors
support it, others resist its implementation or seek to circumvent it. The translation of the
quota of women into legislation and electoral practices implies an agreement between the
actors who are interested in it and/or the control of the forces that oppose it. Our doctoral
dissertation seeks to understand the dynamics of the actors that must lead to the reform of
the quota or its rejection. To frame the object of study, to formulate a research proposal in
order to produce and interpret the related empirical information, socio-discursive theory is
used to explore the multiple uses that actors make of this principle by focusing on their
discourse and their actions. The construction of a study object that places the actor, his
beliefs and his behavior at the center of a process of social and political change justifies
the choice of a qualitative methodology. It is an approach that makes it possible to observe,
describe and analyze the points of view of the people recruited in the networks of actors
formed around the quota principle. The information analyzed describes a situation of
unstable equilibrium between the forces present in the field of negotiation, since no actor
or network of actors seems to have enough strength to build an agreement around its
position or, if necessary, to impose it. This situation slows down the pace of progress of
the translation process of the quota principle. Thus, instead of a rejection, the process seems
to be moving towards either the implementation of a progressive quota reform or the
reformulation of this strategy in another constitution. We must follow the evolution of
events.
Remerciements
Je tiens tout d’abord à remercier ma directrice de recherche, professeure Denyse Côté,
pour sa rigueur et ses encouragements. C’est grâce à sa patience, à son support que je
reste attaché à ce projet de recherche jusqu’à la fin.
OI : Organisations internationales
RÉSUMÉ ............................................................................................................................. II
ABSTRACT........................................................................................................................ III
REMERCIEMENTS .......................................................................................................... IV
LISTES DES SIGLES ET DES ABRÉVIATIONS .............................................................. V
TABLE DES MATIÈRES .................................................................................................. VII
INTRODUCTION GÉNÉRALE ...........................................................................................1
PREMIÈRE PARTIE : CADRE DE LA RECHERCHE ......................................................7
INTRODUCTION ................................................................................................................7
CHAPITRE I. PROBLÉMATIQUE DE LA RECHERCHE ................................................8
1.1 CONTEXTE ET SPÉCIFICATION DU SUJET DE LA RECHERCHE............................................ 8
1.2 PROBLÈME PROVISOIRE ET SITUATION CONCRÈTE DE LA RECHERCHE......................... 12
1.3 PERTINENCE SOCIALE ET QUESTION INITIALE DE LA RECHERCHE ................................ 17
1.4 DE LA LITTÉRATURE SUR L’ADOPTION DES QUOTAS ....................................................... 20
1.4.1 Problématisation de la littérature existante. Objet et question de recherche ............ 26
CHAPITRE II : CONCEPTS ET REVUE GENERALE DES ECRITS SUR LE QUOTA . 31
2.1 LES FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES ET POLITIQUES DES QUOTAS ................................ 31
2.1.1 Les normes et principes fondateurs des quotas .......................................................... 32
2.1.2 Les quotas basés sur l’égalité et la différence de sexes .............................................. 36
2.1.3 Le cadrage pragmatiste des quotas ............................................................................. 40
2.1.4 Les fondements politiques des quotas ......................................................................... 45
2.2 LES TYPES DE QUOTAS ET LEURS CONDITIONS D’EFFICACITE ........................................ 51
2.2.1 Les quotas : contextes d’émergence, conceptualisation et typologie ......................... 51
2.2.2 Les quotas légaux. Obligation d’une proportion de femmes sur les listes ................ 54
2.2.3 Les quotas de partis. Volonté d’équilibre de genre sur les listes électorales ............. 57
2.2.4 Les sièges réservés. Obligation et élection directe des candidates ............................. 60
2.2.5 Les conditions d’efficacité des types quotas ............................................................... 64
2.3 LES QUOTAS ET LA FORTIFICATION DE LA CITOYENNETE POLITIQUE DES FEMMES ..... 70
2.3.1 Les notions de citoyenneté, d’inclusion et de représentation politiques.................... 71
2.3.2 Quotas et représentativité. La représentation descriptive des femmes ...................... 75
2.3.3 Démocratisation et imputabilité. La représentation substantielle des femmes ......... 80
CHAPITRE III. ÉPISTÉMOLOGIE ET THÉORIE. DU CADRE D’ANALYSE À LA
PROPOSITION DE RECHERCHE ................................................................................... 90
3.1 LA CONSTITUTION DE LA PORTÉE CONCEPTUELLE DE L’OBJET D’ÉTUDES ................... 90
3.2 LE QUOTA AU PRISME DE LA THÉORIE DISCURSIVE-SOCIOLOGIQUE.............................. 93
3.2.1 La proposition de recherche ........................................................................................ 96
CHAPITRE IV : LA MÉTHODOLOGIE GÉNÉRALE DE LA RECHERCHE................. 98
4.1 LA MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE ADOPTÉE : SES UTILITÉS ET SES IMPLICATIONS . 98
4.2 LES PARTICIPANT.E.S. CRITÈRES DE SÉLECTION ET MODES D’ACCÈS ......................... 101
4.3 LA STRATÉGIE ET LES MÉTHODES DE PRODUCTION DES INFORMATIONS .................... 104
4.4 L’ANALYSE DES DONNÉES, LES LIMITES ET LES CONSIDÉRATIONS ÉTHIQUES DE LA
RECHERCHE ............................................................................................................................ 107
viii
Introduction générale
Avec les élections du 29 novembre 1987, le premier scrutin de l’ère démocratique, des
réflexions s’engagent au sujet de la présence des femmes sur l’échiquier politique, autour
des possibilités et de la manière d’ouvrir l’espace politique, dont le Parlement à l’entrée de
plus de femmes. Mais, Haïti n’a pas réussi ce test démocratique, celui de remplacer la
violence par le bulletin de vote, puisque ce scrutin, duquel devraient élire le Président de
la République et le Parlement, a été annulé à la suite des actes de violence perpétrés par un
commando armé dans plusieurs bureaux de vote. Les élections du 17 janvier 1988 n’ont
pas non plus permis d’établir un pouvoir démocratique en Haïti, de stabiliser la vie
politique du pays. Il a fallu attendre le rendez-vous du 16 décembre 1990 pour avoir des
élections libres, légitimes, au suffrage universel direct. L’historienne Suzy Castor, dans son
livre pionnier sur l’égalité politique des sexes en Haïti, intitulé Les femmes haïtiennes aux
2
élections de 1990, a posé la question de la représentation minoritaire des femmes dans les
assemblées politiques, peu de temps après la tenue de ces premières élections ouvertes qui
ont laissé très peu de sièges aux femmes (Castor, 1994). Notre recherche doctorale entend
approfondir cette problématique, en l’orientant plutôt vers l’accès effectif des femmes au
mandat de représentation, vers leur présence et leur poids sur l’espace politique officiel.
Notre centre d’intérêt n’est pas la participation politique des femmes qui s’entend comme
le fait qu’elles puissent exercer leur droit de vote et de l’éligibilité. Nous sommes plutôt
intéressés à leur autoreprésentation, aux enjeux et aux voies pour intégrer plus de femmes
dans la politique officielle, aux postes politiques dominants. Qu’il soit au Parlement, aux
organes de pouvoirs locaux, au gouvernement national, l’autoreprésentation renvoie au fait
que ce sont des femmes qui y accèdent qui sont habilitées à parler et à agir, donc à décider
au nom des femmes. Deux éléments d’ordre contextuel justifient le choix d’étudier les
enjeux entourant les stratégies d’accès de plus de femmes aux mandats de représentation,
donc les stratégies pour améliorer la présence des Haïtiennes en politique, leur droit
d’éligibilité. Nous tenons à rappeler, pour commencer, les premiers éléments de réforme
légale destinés à stimuler l’entrée des femmes dans la vie politique, en particulier la
manière dont l’État leur a attribué le statut de citoyennes, la capacité à exercer leurs droits
civils et politiques. Nous mettons ces éléments de réforme en rapport à la trajectoire de
quelques femmes dans le monde politique haïtien.
Les Haïtiennes ont acquis progressivement et lentement, donc par étapes, leur citoyenneté
politique, qualité qui autorise un individu à participer à la confection du gouvernement, au
choix des autorités et/ou à l’exercice du pouvoir de gouverner et de légiférer. Les femmes
ont d’abord obtenu le droit de candidature au palier des communes en 1950. Sept ans plus
tard, soit en 1957, elles ont acquis le droit de vote et le droit de solliciter un mandat de
représentation au Parlement. L’accès des Haïtiennes aux mandats électoraux et aux postes
nominatifs a été réclamé par des groupes de femmes et cette revendication a été inscrite
dans la Constitution de 1950 et dans la loi du 25 janvier 1957. Madeleine Sylvain
Bouchereau, membre fondatrice de la Ligue féminine d’action sociale (LFAS), était la
première candidate au sénat en 1957. Après les 29 ans de dictature des Duvalier [1957-
1986] qui avait interrompu ce processus de réforme, la Constitution de 1987 a rétabli le
3
suffrage universel direct et le principe d’égalité des sexes. Mirlande Hyppolite Manigat
était la première femme élue Sénatrice de la République en 1987. Ertha Pascale Trouillot
a été nommée, pour une brève période, Présidente provisoire en 1990. À la suite, certaines
femmes ont pu accéder à des postes nominatifs et électifs. De 1991 à 2009, deux femmes,
Claudette A. Werleigh (1996) et Michelle Duvivier Pierre-Louis (2008), ont occupé la
fonction de première ministre. Timidement, à titre de gouvernantes, à titre de représentées,
les Haïtiennes sont présentes sur la scène politique; elles restent discrètes au chapitre de la
représentation politique. Du coup, le problème de la participation et de la non-participation,
de l’exclusion et de l’inclusion politique des femmes ne se pose pas. L’enjeu est plutôt une
meilleure intégration des femmes au pouvoir politique, dans la gouverne politique du pays.
Au cours des années 2000, des groupes des femmes, dont ceux qui militent de manière à
transformer la quasi-absence des femmes du Parlement et du gouvernement en enjeux
politiques (Young, 2007), ont dénoncé l’inégalité entre les hommes et les femmes devant
la représentation. Elles ont encouragé l’élite politique, dont l’État et les partis politiques à
prendre des mesures, à engager des réformes juridiques et politiques pour corriger ce
déséquilibre. Ces organisations interrogent cette injustice qui, d’après elles, est l’une des
conséquences de la volonté historique des hommes d’approprier du pouvoir politique. La
critique du monopole masculin du pouvoir a conduit, lors de l’amendement constitutionnel
de 2012, à reconnaitre que l’égalité des sexes sur papier n’a pas réglé le problème de la
4
sous-représentation des femmes dans l’univers politique. C’est dans ce contexte que s’est
inscrit dans la Constitution de 1987 amendée l’article 17.1 qui prévoit le principe d’un
quota d’au moins 30 % de femmes dans la vie nationale.
La Constitution confère à ce principe du quota de femmes une légalité, une légitimité, mais
aussi un autre niveau de protection qui découle du degré de rigidité de la procédure de son
amendement. Cependant, cette assise légale cantonne ce principe à une généralité et à une
imprécision qui rendent son application impossible sans l’adoption d’un cadre spécial.
L’article élargit ce principe à toutes les sphères de la vie nationale. Il peut être prêté à une
large interprétation. La nécessité de restreindre sa portée en le fixant dans un cadre pratique
suscite un débat, des divergences parmi les personnes intéressées à l’élection, entendue
comme méthode par laquelle le peuple transmet, délègue le pouvoir à ses représentantes et
ses représentants. Du coup, cet acte engage ces acteurs dans un processus de réforme de la
représentation politique des femmes; il les offre l’occasion de définir un lieu de négociation
autour de la modalité de traduction du quota dans les pratiques électorales en Haïti. Puisque
la Constitution ne prévoit rien concernant l’application de l’article 17.1 pour les élections.
Il faut souligner que malgré l’espoir qu’a réveillé ce principe de quota, Haïti se place en
queue du classement mondial des femmes au parlement en 2020, juste après le Libéria et
le Yémen (Union-interparlementaire, 2021). C’est dans cet objectif que des groupes de
femmes, des partis politiques, certains organismes internationaux et l’État vont former un
réseau autour du processus d’introduction de ce principe dans un cadre institutionnel
favorable à un seuil minimum de 30 % de femmes dans les postes politiques.
Dans ce réseau, les acteurs qui viennent du mouvement de femmes encouragent les élites
politiques à créer les conditions d’accès de plus de femmes aux lieux de pouvoir. On sait,
par ailleurs, que les droits politiques des femmes constituent un lieu d’affrontement entre
partis politiques et société civile. Ces relations d’acteurs et de pouvoir s’insèrent dans un
cadre institutionnel qui soumet ce processus de changement à des points de véto ou qui le
rend possible. C’est la situation des rapports de force en faveur ou en défaveur des quotas
de femmes dans la politique que nous voulons explorer. Ce processus et la dynamique qu’il
occasionne constituent un phénomène sociopolitique qui mérite qu’on s’y intéresse, qu’on
le décrive, qu’on le comprenne et c’est l’objet de cette thèse de doctorat.
5
La traduction du principe de quota de femmes dans une législation électorale est soumise
à un ensemble de jeu d’acteurs, à la volonté, à l’accord et au désaccord des acteurs, à leurs
stratégies. Des facteurs d’ordre contextuels, institutionnels, de procédures conditionnent
également le rythme d’avancement du processus et ses issues possibles. Cette recherche
s’attache à comprendre la dynamique d’acteurs qui est à l’œuvre autour du processus de
traduction du principe de quota dans un cadre légal, institutionnel, donc dans les institutions
qui ont pour mission d’organiser la sélection des dirigeant.e.s. La notion de processus
réfère à la dynamique, à la relation sociale, politique qui se développe entre les acteurs et
qui devrait s’actualiser dans une entente pour la mise en forme d’un cadre électoral destiné
à renforcer la représentation politique des femmes. Les discours, les mutations, les actions
qui entourent ce phénomène surgissent de ces jeux d’acteurs. Alors comment s’opère cette
dynamique depuis l’inscription de ce principe dans la Constitution ? Pour le dire autrement,
en quoi les discours, les actions qui prennent en charge le quota rendent-ils possible une
situation de réforme de quota ou son refus ?
- Analyser les perceptions des femmes et de leur situation politique dans la société
haïtienne ;
- Présenter les groupes d’acteurs et leurs responsabilités dans la situation des femmes
dans les espaces de pouvoir et le jeu politique ;
- Décrire le contexte d’émergence de la revendication de quota comme stratégie
d’intégration de plus de femmes en politique ;
- Présenter les propositions, les perspectives en matière d’application du principe de
quota dans le système électoral haïtien.
Pour répondre à la question de recherche et atteindre ces objectifs, ce travail est structuré
en trois parties qui comportent chacune plusieurs chapitres. La première partie présentera
6
La dernière partie fera un tour d’horizon sur le processus de la recherche en établissant une
ligne de contact entre ses différentes parties. Elle mobilisera le cadre d’analyse, la question
de recherche, l’armature théorique et les objectifs pour pouvoir interpréter les résultats qui
émergeront de l’analyse des informations empiriques. Un chapitre dressera le portrait d’un
régime politique, social, culturel haïtien qui génère la perception des femmes, du pouvoir,
qui légitime les rôles attribués aux femmes dans la société. Un dernier chapitre décrira la
configuration des rapports de force qui rythment le processus de traduction du quota dans
le système politique haïtien.
7
Introduction
Cette première partie, qui comprend quatre chapitres, présentera le cadre de la recherche.
L’enjeu consistera à justifier la nécessité et la pertinence d’une recherche sur le phénomène
de quota de femmes dans la politique en Haïti. Ce travail de justification de ce sujet se fera
à un triple plan : théorico-conceptuel, épistémologique et méthodologique. Il passera par
une révision du paysage de la recherche sur la représentation politique afin d’identifier et
de relier à travers des concepts les aspects du phénomène de quota de femmes et de saisir
celui qui mériterait une attention spéciale, un nouvel éclairage. C’est de l’insuffisance de
connaissance qui surgit de la littérature sur l’objet que va découler la question de recherche
à explorer de manière théorique, épistémologique. Il convient également de justifier, en
fonction de la posture ontologique et épistémique qui oriente la problématisation du sujet,
la méthodologie qui sera appropriée à l’étude du phénomène de quota, à la production du
matériel empirique qui permettra de documenter la question de recherche.
Notre travail s’inscrit dans le champ de la représentation politique des femmes et se tourne
autour du phénomène de quota de femmes dans le contexte haïtien. Son objectif empirique
est de décrire et d’interpréter les stratégies pour rendre plus significative, pour améliorer la
présence des Haïtiennes dans les assemblées élues. Du coup, les concepts de quota,
d’égalité des sexes, de citoyenneté sont liés au fondement du problème de recherche et
permettent d’en cerner l’aspect à étudier. La notion d’égalité des sexes s’applique à un
équilibre numérique dans l’accès, la présence des hommes et des femmes dans les sphères
de pouvoir. Celle de citoyenneté politique des femmes renvoie non seulement au fait
qu’elles soient capables d’exercer et exercent de fait leurs droits de vote, d’éligibilité, de
représentation, mais elle concerne également les luttes pour la reconnaissance de ces droits,
de cette capacité, de cette qualité.
L’exercice effectif des droits qui sont liés à la citoyenneté politique des femmes passe le
plus souvent par des mesures destinées à corriger des situations de discrimination dont les
9
femmes sont victimes. L’adoption de mesures d’action positive, dont le quota de femmes
et la mixité au travail, s’inscrit dans le contexte de diffusion mondiale d’une norme en
matière d’égalité de sexes. Ces mesures consistent à appliquer des procédures de traitement
différencié à des groupes sociaux qui crient à l’injustice, qui dénoncent l’inégalité. Elles
attirent l’attention sur une situation d’injustice provoquée par les rapports que d’autres
groupes, en position de pouvoir, entretiennent avec eux. Elles visent à : « […] promote a
more just distribution of power and resources » (Teigen, 2000, p. 64). Ces formes de
discrimination positive et le processus de changement qui en résulte attirent l’attention des
acteurs sociopolitiques et des spécialistes de plusieurs champs de la recherche scientifique.
Les quotas sont des mesures et l’une des stratégies qui visent à augmenter, en modifiant la
méthode électorale et/ou la technique du vote, le nombre de femmes dans le champ de la
représentation, dans les Assemblées élues. Par exemple, l’augmentation du nombre de
femmes élues au Parlement ou dans les assemblées communales, à travers un système de
quota de femmes, passe par la réforme du système électoral et/ou du système de partis.
C’est à travers ces réformes que les acteurs politiques peuvent reconfigurer la composition
des assemblées politiques dans la perspective d’une présence équilibrée des deux groupes
de sexe : les hommes et les femmes. L’équilibre sera atteint en améliorant la capacité des
femmes à se faire élire. Le quota pose le problème d’égalité des sexes dans le sens du droit
10
Après presque trois décennies de crises et de transition vers un nouvel ordre mondial, les
années 1990 inaugurent une nouvelle ère dans la diffusion internationale, la popularité et
le succès des réformes de quotas. Les quotas de femmes se prolifèrent à travers le monde
et sont devenus un phénomène mondial. Si Hughes, Paxton et Krook (2017) parlent de la
fièvre des quotas (quota fever), d’autres parlent d’effets de contagion (Meier, 2004). En
2008, des études relèvent que plus de 130 pays se sont dotés du quota sous forme de
pourcentage de candidatures par sexe. Plus de 60 États ont opéré des réformes légales pour
inclure plus de femmes dans leurs parlements (Hughes, Krook et Paxton, 2015). La poussée
vers cette stratégie d’adoption des quotas électoraux est due au fait que l’entrée de plus de
femmes au parlement et au gouvernement reste « a more difficult challenge » (Norris et
Inglehart, 2001, p. 127). Des obstacles persistent à la féminisation de la politique malgré
l’officialisation, l’inscription du principe d’égalité entre hommes et femmes dans plusieurs
constitutions.
Appelés à contrer la faible représentation politique des femmes (Meier et Lombardo, 2013),
l’effet d’une forme spécifique de discrimination de genre, les quotas et la situation politique
11
des femmes suscitent des préoccupations dans le champ universitaire. Une littérature a
émergé, depuis les années 1990, sur les causes des discriminations vécues par les femmes,
dont leur exclusion ou leur sous-représentation politique. Elle a exploré l’évolution, la
structuration et la reproduction de ces formes de discrimination et les moyens de les
surmonter. Au-delà de ces études qui traitent de l’aspect normatif du phénomène de quota,
puisqu’elles reposent sur la croyance que ce dernier allait garantir l’égalité entre les sexes,
des chercheures ont réalisé des études empiriques et comparées sur le sujet. Les résultats
montrent que ces mesures d’action positive prennent des formes diverses et s’inscrivent
dans des contextes singuliers (Lépinard et Bereni, 2004). Tremblay (2005) a réalisé des
constats après l’analyse d’une base de données électronique consacrée aux politiques de
quota. C’est en partenariat avec l’Université de Stockholm que l’IDÉA a mis en place cette
base de données. Les quotas s’introduisent dans une diversité de pays et de modes de
scrutin (Tremblay, 2005). Le potentiel de ces mesures, malgré la similarité de leurs
contextes de mise en œuvre, varie d’un pays à l’autre. Ce sont ces enjeux politiques et
empiriques qui justifient le choix de travailler ce thème dans un nouveau contexte : celui
d’Haïti.
En somme, le quota par sexes est devenu un sujet d’actualité, une revendication globale
(Sénac-Slawinski, 2009) et un nouveau champ d’études. En 2015, 14 articles scientifiques
ont été publiés sur les réformes de quotas (Hughes et al., 2017). Dans une revue de la
littérature sur ce sujet, Hughes et al. (2017, p. 333) ont rapporté que : « interest in quotas
is on the rise not just in sociology but also in political science, public policy, business, law,
economics, area and international studies, and women’s and gender studies ». Le quota de
femmes en politique se situe, peut-on ajouter, dans la transversalité des thèmes des
disciplines et des champs d’études des sciences sociales comme : la sociologie politique,
les relations internationales, les études féministes, la sociologie des politiques publiques,
des mouvements sociaux (Sénac, 2013). Ces considérations justifient l’intérêt porté à
l’actualité du processus d’élaboration et d’adoption d’une politique de quota de femmes en
Haïti. C’est dans ce contexte que nous allons définir et formuler notre problème provisoire
de recherche.
12
L’État a établi, en 2012, la constitutionnalité du quota. Cet acte répond aux revendications
du mouvement de femmes haïtien (Manigat, 2011) qui a été appuyé par certains organismes
transnationaux (Manigat, 2013). La reconnaissance du quota pour les femmes a résulté
d’un processus d’amendement constitutionnel. Ce processus a duré plus d’un an. En effet,
le Parlement haïtien, à travers ses deux chambres, a procédé, une année avant, soit en 2011,
au tout premier amendement de la Constitution de 1987. Le Moniteur, journal officiel de
la République, a publié la Constitution amendée le 19 juin 2012. L’article 17.1 de cette loi
fondamentale stipule : « Le principe d’un quota d’au moins trente pour cent (30 %) des
femmes est reconnu à tous les niveaux dans la vie nationale, notamment dans les services
publics » (Moniteur, 2012, p. 7). La notion de vie nationale couvre les services publics, les
services municipaux, les collectivités locales, la sphère politique officielle, à savoir les
fonctions exécutives et législatives.
La féminisation, qui renvoie à l’accès croissant des femmes aux fonctions qui sont liées
aux institutions, aux assemblées politiques, c’est-à-dire au Parlement, au gouvernement et
aux filières de pouvoirs locaux, représente un défi politique en Haïti. L’accès à ces organes
de pouvoirs implique des activités, des processus, des pratiques de délibération, donc de
participation, qui traduisent des formes d’affirmation des droits de citoyenneté (Marques-
Pereira, 2011), des droits de représentation. Ce sont donc des pratiques et des processus
par lesquels les individus se construisent et s’affirment comme sujets politiques. C’est
pourquoi la féminisation des sphères de pouvoir constitue un enjeu de citoyenneté dans la
mesure où elle attire l’attention sur les droits, les devoirs des femmes, leur statut, leur
identité et leur capacité politique (Marques-Pereira, 2003).
La demande de féminisation de la sphère politique réactive également des enjeux qui sont
liés à la présence numérique des femmes comme parlementaires à l’Assemblée nationale
pendant ces dix dernières années. De 2006 à 2020, Haïti a connu trois législatures : la 48e,
la 49e et la 50e. Par législature, on entend la durée de mandat qu’exerce une assemblée
législative. En effet, huit femmes pour cent-vingt-et-un hommes composaient, en 2006, la
48e législature. Pour la 49e, les femmes y occupaient six sièges sur les 129 postes à pouvoir.
13
À la 50e législature, où le nombre de sièges passe de 129 à 149, il n’y avait que quatre
femmes parlementaires pour 145 hommes. Ces statistiques décrivent un fossé entre les
hommes et les femmes dans l’accès aux assemblées élues, dont le Parlement. Le taux de
présence des politiciennes à l’Assemblée nationale a donc relativement chuté depuis 2006.
Ces informations signalent la lenteur et les autres difficultés qui caractérisent le processus
par lequel les femmes accèdent aux mandats de représentation politique.
Le quota électoral propose une voie pour faciliter l’entrée de plus de femmes dans l’univers
politique en aidant à surmonter certains obstacles structurels, institutionnels et culturels
(Norris et Inglehart, 2001). Même si cette stratégie ne prend pas le problème à la racine,
son introduction dans la Constitution constitue une innovation. Car dans l’histoire politique
et électorale en Haïti, il n’y a pas d’antécédent relatif au quota de femmes. Avant cet
évènement, aucune trace de quota, aucune mesure s’attaquant à la présence minoritaire des
femmes au Parlement n’a été repérée dans les pratiques politiques; qu’elle soit à caractère
volontaire ou contraignant. Cet acte a placé le pays sur la liste des États s’étant dotés d’une
14
Un coup d’œil sur l’esprit et la formulation de ce principe de quota inspire deux remarques.
La première porte sur la forme et le fond de l’article 17.1 de la Constitution amendée. Les
parlementaires ont préféré la notion de quota de femmes au lieu de quota de genre. Cette
provision fait référence à un quota de femmes et non à un quota par sexe, c’est-à-dire à un
quota de femmes et à un quota d’hommes. Pour le dire autrement, cet article ne renvoie pas
à une structure binaire (femmes et hommes); il ne détermine pas un pourcentage d’hommes
et un pourcentage de femmes qui devraient être placés sur les listes de candidatures des
partis politiques ou qui devraient être élus dans les assemblées politiques. Ce quota ne
concerne que les femmes ( au moins 30% de femmes) et ne définit donc pas leur situation
politique, les discriminations qu’elles subissent dans les postes de décision en relation avec
la construction d’un monopole masculin du pouvoir.
Par exemple, l’expression de quotas par sexe ou celle de quota de genre suppose que la
sous-représentation des femmes et la sur-représentation des hommes au Parlement résultent
du rapport social différencié selon le sexe et hiérarchisé s’établissant entre deux groupes
sociaux historiquement construits. De plus, les résultats des études sur les politiques de
quota montrent que les formules qui renvoient aux rapports de pouvoir entre hommes et
femmes dans la société, comme quota de genre, suscitent plus d’adhésion, donc moins de
controverses et de résistance (Krook et Norris, 2014; Krook, 2016). La notion de pouvoir
s’applique à : « […] la multiplicité des rapports de force qui sont immanents au domaine
où ils s’exercent, et sont constitutifs de leur organisation » (Foucault, 1976, 121-122). En
ce sens, le monopole masculin du pouvoir renvoie à des rapports de force qui placent la
majorité des hommes dans une situation stratégique dans le domaine de la représentation
politique.
de femmes sur les listes électorales ou dans une législation nationale (Sénac-Slawinski,
2009). Ce type de quota est contraignant, parce qu’il s’inscrit dans une loi particulière.
Cette loi est souvent accompagnée d’un mécanisme d’application. Les partis politiques ont
tous, sans exception, l’obligation de respecter cette loi qui impose un quota de femmes
dans la confection de leurs listes de candidatures ou la configuration du Parlement.
Or, les enjeux qui sont liés à l’élaboration, à l’adoption et à l’application d’une politique
de quota résident dans la capacité de cette mesure à améliorer la représentation de femmes
dans les assemblées législatives (Krook, 2016), à imposer une proportion de femmes pour
les législatives en Haïti. La politologue Edgell (2017, p. 1103) rappelle que dans la période
allant de 1974 à 2015 : « 83 countries adopted policies providing for a minimum threshold
of female candidature or representation in the lower chamber of the legislature ». Donc, les
politiques de quota qui nous préoccupent, dans le cadre de ce travail, consistent en des
mesures destinées à améliorer la représentation politique des femmes. La mise en place de
ces mesures exige la réforme du système électoral en tant que cadre institutionnel destiné
à produire les verdicts électoraux, à désigner le vainqueur d’une compétition électorale.
Une réforme de quota contient plusieurs étapes et peut toucher toutes les composantes du
système politique : loi constitutionnelle, loi électorale et système de partis. En Haïti, la
16
première étape est franchie avec l’article 17.1 de la Constitution. Il reste maintenant à
traduire l’esprit de cet article dans un nouveau contrat électoral pour parler effectivement
d’une politique de quota. Cette étape dépend de la volonté de plusieurs acteurs, dont l’État
et les partis politiques. Alors quels sont les éléments qui motivent un État ou des partis
politiques à adopter et à mettre en pratique une politique de quota ? Les recherches sur les
quotas peuvent s’inscrire, entre autres, dans deux orientations ou perspectives. La première
est d’ordre normatif et considère ces mesures comme étant une fin en soi ; les politiques de
quota visent à établir l’égalité entre hommes et femmes en politique (Gaspard, Servan-
Schreiber et Le Gall, 1992). La situation d’Haïti s’approche de la seconde perspective qui
perçoit les mesures d’action positive envers les femmes comme une stratégie, un processus
plutôt qu’une finalité (Krook, 2016). Cette lecture permet de considérer ce principe de
quota, introduit dans la Constitution amendée, comme l’une des étapes d’un processus,
d’un cycle d’élaboration et d’adoption d’une politique d’égalité entre les hommes et les
femmes en politique.
Force est toutefois de constater que, depuis l’année 2012, le processus tarde à avancer vers
cette réforme, vers la mise en forme des conditions pour appliquer le quota. L’État ne prend
pas encore aucune mesure pour insérer ce principe de quota de femmes dans le système
électoral. Par exemple, malgré les propositions faites par des organisations de femmes, il
n’existe pas encore une loi portant sur une proportion minimum de candidatures de femmes
aux élections législatives. Sans cette loi d’application, le principe de quota ne peut avoir
d’effets sur la composition du Parlement en termes de présence de plus de femmes. Le
gouvernement ne sort pas non plus, par exemple, un Décret exécutif, comme cela s’est
produit en Argentine (Krook, 2010a), pour spécifier cette provision. Une législation de
quota est un dispositif légal, une loi ordinaire qui oblige l’inscription d’une proportion de
candidates sur les listes électorales ou l’élection d’un pourcentage de femmes au Parlement.
Donc, Haïti ne fait pas partie des pays qui ont une législation portant sur un quota de
femmes dans la sphère politique. Le manque de précision constaté dans la formulation du
principe constitutionnel de quota de femmes attire notre attention, c’est pourquoi nous
voulons, dans le cadre de ce travail de recherche, explorer le processus qui devrait conduire
à une réforme de quota électoral.
17
Le quota entend corriger ce désavantage initial et surtout ses effets sur les conditions dans
lesquelles les femmes exercent leurs droits politiques dans des sociétés démocratiques. Le
pacte d’association, donc le contrat social et sexuel (Pateman, 2010), sur lequel repose le
pouvoir moderne, a dès le départ faussé les conditions d’une libre et égale compétition
18
politique entre les sexes. C’est cette manœuvre qui conduit à la construction, dans l’histoire
des États modernes, d’un monopole masculin du pouvoir politique. C’est de cette situation
que découle, par exemple, la sous-représentation des femmes dans les espaces politiques.
Par conséquent, l’adoption des mesures de correction, dont le quota : « […] represents only
the beginning of long, contested process to open up politics to women and guarantee their
full and equal participation » (Krook, 2016, p. 208).
Ces considérations normatives inscrivent cette recherche doctorale dans la lignée d’une
littérature qui : « Since the early 1990, has focused on the imbalance of women in politics,
the causes of this imbalance and the means to overcome such inequality » (Lombardo et
Meier, 2016, p. 5). Les résultats de cette recherche peuvent, sans trop grande prétention,
contribuer à comprendre les discriminations dont sont victimes les femmes politiques en
Haïti. Cette recherche offrirait ainsi aux acteurs des pistes pour saisir les enjeux qui se
rapportent aux représentations de ces problèmes et aux processus de changement social et
politique que ces représentations impliquent.
Au-delà de cet aspect social, cette recherche peut aider à situer et à comprendre l’attitude
des élites politiques, en Haïti, par rapport à la question d’égalité des sexes, concernant, en
général, la diffusion mondiale des mesures d’action positive au profit des minorités. L’État
résiste à prendre des mesures pour favoriser l’accès des groupes minoritaires à un droit, un
service, à un bien. Cette résistance à l’égalité peut expliquer, en partie, le déficit de femmes
dans la sphère politique. C’est la raison pour laquelle l’un des enjeux du quota électoral
consiste en la demande de l’égalité des sexes dans le champ politique, c’est-à-dire à : « […]
la répartition mixte et identique des fonctions, à l’image de la répartition de la population,
composée à moitié d’hommes, à moitié femmes » (Achin, 2001, p. 238). Si l’État haïtien a
ratifié les documents de l’ONU portant sur l’objectif d’égalité des sexes, les gouvernements
hésitent à en assumer les implications pratiques, à mettre ces mesures en application. Or la
ratification du document engage l’État membre à prendre des mesures, spécifiques à son
contexte, pour garantir une présence accrue de femmes dans ses assemblées politiques.
Dans le chapitre de l’application, Haïti s’est tardivement engagée sur la voie d’élaboration
d’un mécanisme formel de quota de femmes. Elle est aujourd’hui l’un des rares États
19
périphériques se trouvant dans la difficulté à traduire le quota dans un texte légal, sous
forme de quotas de candidatures ou de sièges réservés. D’après Edgell (2017), ces types
d’États, sans sous-estimer le poids du mouvement de femmes, tendent à les adopter afin
d’améliorer leur image sur la scène internationale. Ainsi veulent-ils recevoir plus d’aide au
développement, c’est-à-dire des appuis techniques et financiers des États du centre et des
institutions financières internationales. La théorie du centre et de la périphérie s’applique
à la dynamique d’imposition de la prédominance culturelle des pays capitalistes, du centre
sur le monde (Braudel, 2018). L’expérience que vit Haïti en matière de réception et de
traduction du principe de quota dans son système politique constitue une énigme qui mérite
d’être explorée, car il y a une rareté de recherches scientifiques sur ce cas.
Notre problème provisoire porte sur la traduction du quota dans une législation spéciale. Il
pourrait s’agir d’un Décret exécutif, inséré dans le Code électoral, qui fait correspondance
à l’article 17.1 de la Constitution amendée. Ce cadre légal définirait le champ d’application
de ce principe. Notre souci est de comprendre ce phénomène concret et précis. Il est réel
parce que plusieurs catégories d’acteurs se saisissent du processus d’adoption de quota de
20
écrits sur les fondements des quotas, leurs types et leurs conditions d’efficacité, viendra
renforcer et peaufiner ce travail sélectif.
C’est pour continuer à lier le phénomène de quota et celui de représentation politique des
femmes que nous jugeons pertinent de porter ce regard critique sur la littérature traitant du
processus d’adoption de ces mesures. Nous débutons cette analyse par le concept de quota.
En effet, pour certaines chercheuses, les quotas sont des dispositions légales qui exigent
l’établissement d’un : « minimum thresholds for the nomination of female candidates »
(Krook, 2014, p. 1268). Pour d’autres, ils indiquent des stratégies : « for incorporating
women into the political sphere […] » (Hughes et al., 2015, p. 360; voir aussi Krook, 2014).
Ces dispositions peuvent être inscrites dans une constitution et/ou dans une loi particulière,
dont la loi organisant les élections. Il se développe dans le milieu de la recherche plusieurs
manières d’explorer les expériences de quotas. Ces travaux abordent des thèmes comme
l’adoption des politiques de quota électoral, la définition et les types de quotas, l’efficacité
des réformes de quota, la qualité des élues-quotas. D’autres études traitent de l’intégration
des intérêts collectifs des femmes ou d’un plus grand nombre de femmes dans les actions
politiques et de la représentation symbolique des élues-quotas (Krook, 2014, p. 1281).
Les recherches sur les quotas de femmes tendent à prendre, en grande partie, la forme
d’études comparées à dimension transnationale ou d’études de cas (Gray, 2003; Krook,
2010b). Ces dernières visent à décrire et à comprendre la singularité d’une expérience
nationale d’élaboration, d’adoption et d’implantation d’une politique de quota. La présente
étude épouse la seconde perspective ; elle porte sur l’expérience haïtienne d’élaboration
d’une réforme de quota. Qu’est-ce qui justifie ce choix? En Haïti, rappelons-le, les
Parlementaires ont introduit le principe de quota de femmes dans la Constitution amendée;
la constitutionnalité du principe de quota a été donc signalée (Krook, 2016). Mais, dans
l’élaboration d’une politique de quota, son insertion dans la Constitution ne constitue que
l’étape qui donnera lieu aux débats pour le traduire dans un cadre légal et institutionnel,
dans le système électoral. Mais, dans le cas haïtien, ni l’inscription de ce quota dans la
Constitution ni le processus de sa formalisation dans une législation spéciale ne font encore
objet d’une recherche dans la littérature scientifique. De ce fait, la question de départ invite
à analyser la littérature portant sur la conception de ce genre de mesures en tenant compte
22
Un compte rendu de la littérature portant sur l’adoption des réformes de quota indique deux
grands chantiers de recherche. Un premier corpus de textes traite des facteurs qui rendent
possible la diffusion, donc l’introduction du quota de femmes dans un système politique.
Ces recherches regroupent les possibilités d’adoption de ces réformes en deux facteurs non
exclusifs : facteurs internes et facteurs externes (Baldez, 2004; Hughes et al., 2017). Les
facteurs internes réfèrent au contexte national dans lequel s’insèrent ces mesures. Ils
incluent la nature, les caractéristiques du système politique, le climat idéologique sur
l’égalité des sexes, la dynamique du mouvement de femmes. Hughes et al. (2017, p. 338)
complètent cette liste en spécifiant certains éléments relatifs au système de partis politiques
comme : « political ideologies, political values, and political opportunities ».
Plusieurs conditions doivent être réunies pour que l’agencement de ces facteurs puisse
faciliter, retarder ou bloquer la traduction d’une demande de quota en une politique de
quota. Par exemple, l’introduction du quota a déjà été bloquée au Japon. D’après Gaunder
(2015), ce refus s’explique par la faiblesse du mouvement des femmes et des idéologies de
gauche dans les jeux politiques au Japon. On parle dans ce cas de situation de non-adoption
de quota. L’articulation dans l’opinion nationale d’un discours sympathique à l’égalité de
sexes facilite la diffusion de l’idée de quota pour les femmes, donc sa traduction dans une
législation nationale. L’argument est que le quota, comme mouvement de féminisation des
fonctions politiques, trouve plus de soutien dans un climat idéologique teinté du sceau
d’égalité, plus d’adhésion dans une société où prédomine une idéologie politique de gauche
et « où les femmes ont déjà balisé le chemin » (Meier et Verlet, 2008, p. 715). Les pressions
qu’exercent les associations de la société civile, dont un mouvement féministe et féminin
dynamique, doté d’une capacité de lobbying, de plaidoyer et appuyé par des personnalités
politiques, font partie des facteurs internes de l’efficacité d’une politique de quota. Ces
23
D’autres études analysent les systèmes politiques, c’est-à-dire le système partisan (Caul,
2001) et le système électoral (Dahlerup, 2013). Les idéologies partisanes et la manière de
traduire les votes en sièges influent sur la dynamique d’adoption des quotas. Les idéologies
de gauche et les modes de scrutin proportionnel de liste (Meier et Verlet, 2008) facilitent
l’adhésion à la revendication de quota et l’efficacité de la mise en œuvre de ces mesures.
Cette thèse néglige toutefois le fait que des partis de droite commencent, dans beaucoup de
pays, à appuyer les mesures de quota (Celis et Childs, 2018). Ce constat porte des
chercheures à orienter leur analyse vers la volonté et l’intérêt des partis politiques à résister
ou à adhérer au processus d’adoption de mesures visant à fixer une proportion de femmes
sur leurs listes de candidatures. Tremblay (2005, p. 205) soutient que l’affirmation du quota
de femmes, dans un système politique, n’est possible qu’avec la volonté, le concours : « des
partis dont le rôle consiste à les traduire dans la pratique politique par le truchement de la
sélection des candidatures ».
Cette lecture garde sa pertinence dans le contexte d’un système de partis institutionnalisé
et d’un État national qui détient et exerce pleinement sa souveraineté politique. Elle mérite
toutefois d’être nuancée dans le cas d’un État qui articule des positions de subalterne vis-
à-vis des États hégémoniques (Chakrabarty, 2009). Dans ce genre de situation, un État
hégémonique, sous l’étiquette du droit d’ingérence (Herlemont-Zoritchak, 2009) qui
légitime son interférence dans la politique interne d’un autre État ou selon les rapports de
force, pourrait intervenir pour imposer des réformes. La notion d’État subalterne identifie
une instance politique qui dirige une population située sur un territoire délimité et qui
articule des rapports de soumission à d’autres États dits hégémoniques (Spivak, 2009).
Cette remarque permet d’entrevoir l’influence qu’exercent des facteurs externes sur la
traduction institutionnelle (Bereni et Lépinard, 2004) d’une demande de quota. Hughes et
al. (2017, p. 339) signalent, à ce point, que : « regional, international, and transnational
influences […] could account for patterns of quota adoption ».
24
Les facteurs externes, qui renvoient, entre autres, à la proximité géographique, historique
et culturelle entre les pays ayant introduit des quotas dans leur système politique et le pays
en cours d’adoption d’une réforme de quota, à la présence d’institutions internationales de
ce pays, permettent d’étudier la diffusion globale (Hughes et al., 2015) de la stratégie de
quota. Des analystes estiment que le quota par sexe est devenu un phénomène global, une
tendance lourde dans la politique de certaines institutions internationales et régionales. Non
seulement l’ONU appelle les États membres à adopter des réformes de quotas, qui révèlent,
en partie, de la logique de la bonne gouvernance, de la logique managériale, c’est-à-dire
d’un mode de gestion basée sur la transparence, la responsabilité et les résultats (Defarges,
2015). Mais il existe également entre les États une dynamique d’apprentissage dans le
domaine des politiques publiques. Hughes et al. (2017) rapportent que la présence d’une
politique de quota à succès dans une région ou un pays augmente sa possibilité de diffusion,
sa chance d’adoption dans d’autres contrées. Cette diffusion est due au fait que certains
États ont des proximités géographiques et partagent des expériences historiques. La
politique de sièges réservés aux femmes, adoptés en Asie du Sud, les quotas partisans dans
les pays scandinaves et les quotas législatifs en Amérique latine justifient cette lecture.
Outre cet effet de contagion régionale, l’influence internationale peut conduire un État
subalterne à adopter une telle stratégie d’intégration des femmes dans les sphères publiques
et politiques. Par rapport à l’influence internationale : « Bush (2011) finds that the presence
of international peacekeeping forces, international election monitoring, and dependence on
foreign aid all increase the chances that developing countries will adopt quotas » (cité dans
Hughes et al., 2017, p. 339). Ces constats inspirent l’élaboration de plusieurs théories de
diffusion des réformes de quota, dont celles de contagion mutuelle et du modèle régional
d’adoption. Pour ces théories, la formalisation d’un type de quotas dans un pays ou un parti
politique peut avoir un effet de contagion sur d’autres pays de la région ou d’autres partis
du pays (Caul, 2001, p. 595; voir aussi Meier, 2004).
Si une part de ces recherches étudie les facteurs d’adoption des quotas, une autre série de
travaux pose la problématique d’adoption des réformes de quota dans une perspective de
mobilisation, de discours et d’acteurs. Par exemple, pour Sénac-Slawinski (2009), une
spécialiste de la parité (terme utilisé pour désigner une promesse ou une situation de mixité
25
en politique, l’accès équitable des hommes et des femmes à l’espace politique), les registres
discursifs en présence constituent un enjeu de taille dans le processus d’adoption d’une
réforme de quota. Le terme de parité est utilisé pour désigner la présence numériquement
équitable des deux sexes au Parlement ou au sein d’autres assemblées politiques issues
d’élections. Les stratégies argumentatives, dont celle de la parité, ont pour objectif, dans le
débat, de rendre possible l’acclimatation, la traduction de la revendication de quota dans
un contexte idéologique et institutionnel national. En ce sens, le cas de la demande de la
parité en France en est une bonne illustration. Le mouvement de femmes, qui portait cette
revendication, a écarté dans sa stratégie discursive le recours à la notion de quota et à toute
référence à la discrimination positive (Bereni et Lépinard, 2004). Cette stratégie discursive
avait pour objectif de produire le consensus nécessaire et indispensable à l’adoption d’une
disposition de nature constitutionnelle définissant soit une proportion de candidatures de
femmes aux élections soit une proportion d’élues. L’argument de la parité constituait, dans
le cas français, l’alternative à un discours idéologique républicain et universaliste hostile
aux quotas. Cette stratégie a facilité l’obtention de l’accord des élites politiques pour faire
passer la loi relative à la parité (Bereni et Lépinard, 2003).
Donc, la notion de parité, une forme de discrimination positive, désigne un partage sexué
et égal du pouvoir. La différence et l’égalité de sexe sont conçues comme des valeurs
compatibles au principe de l’unité nationale. L’argumentaire des partisans de la parité est
le suivant : la parité ne divisera pas la République. Elle aidera plutôt à juguler la crise que
connait la démocratie représentative. Cette idée suppose qu’un discours adapté au contexte
politique et idéologique national permet de neutraliser la résistance à la demande du
système de quota en politique. L’autre argument est que le choix stratégique d’un langage
neutre facilite le cadrage symbolique d’une mesure d’action positive. Ce cadrage s’assimile
à un « travail de construction de signification et de schèmes d’interprétation à l’œuvre dans
le processus d’émergence et de structuration d’un mouvement social » (Bereni et Lépinard,
2004, p. 77).
Une première question a servi de clé de sélection et de lecture des écrits sur les conditions
et les facteurs d’adoption des mesures de quota. Cette courte revue de la littérature sur un
aspect précis du sujet a permis d’établir un constat : les recherches portant sur l’adoption
26
des politiques de quotas de femmes prennent deux grandes orientations. On vient de faire
état d’un groupe de textes qui ont analysé des facteurs internes et externes d’une réforme
de quota. Ils mettent l’accent sur les structures de contraintes ou d’opportunités qui sont
liées à l’adoption d’une telle politique. L’autre ligne de recherche a traité des mobilisations
collectives sur les quotas, c’est-à-dire des acteurs sociaux qui revendiquent ou contestent
cette réforme. Ces mobilisations visent à diffuser l’idée de quota auprès de l’opinion
publique, des acteurs politiques, ou à contester sa nécessité, sa légitimité.
Avant d’avancer, il importe de préciser que cette première entrée dans la littérature sur le
quota est partielle, limitée au processus d’adoption de ces politiques. Ce travail sélectif a
permis de saisir l’importance de distinguer les deux étapes qui structurent une politique de
quota. La première concerne la conception, l’adoption d’une mesure constitutionnelle ou
législative pour l’accès de plus de femmes dans les postes électifs. Le chercheur peut alors
décrire les enjeux de cette mesure, sa définition, son déploiement, cela en tenant compte
de l’issue possible du processus qui se trouve en amont d’une politique de quota. Il faut
mentionner que ce processus peut conduire soit à une situation d’adoption soit à une
situation de refus du quota. Dans ce cas, les acteurs, les arguments, les forces en présence
peuvent être étudiés comme autant d’enjeux qui peuvent amener au refus ou à l’acceptation
de cette réforme. De même que, c’est la deuxième étape, le chercheur peut évaluer la mise
en pratique de la mesure de quota adoptée, son efficacité, sa capacité à améliorer ou non la
représentation politique des femmes.
Cette distinction amène à un premier constat dans la littérature qui traite du phénomène de
quota. Jusqu’à présent, c’est l’étude de la mise en œuvre des mesures de quota de femmes
qui apparait déterminante sur le plan de la recherche. Si la littérature est abondante sur les
facteurs qui entourent l’adoption à l’échelle nationale d’une réforme de quota, elle reste
discrète sur les situations, les processus d’adoption de ces mesures. Cette lacune naît de
l’idée qu’une mesure formelle de quota, c’est-à-dire inscrite dans une Constitution et/ou
dans une loi spéciale, se transformerait ipso facto en une politique effective de quota pour
les femmes. Les recherches tendent ainsi à s’intéresser aux politiques de quota adoptées,
27
celles qui sont en cours d’application dans un système électoral. Le souci consiste alors à
évaluer les modalités de mise en pratique, l’efficacité d’une politique de quota en relation
avec le processus qui a conduit à cette mesure. Ce couplage donne le primat à l’application
des mesures de quota, porte à prioriser l’issue du processus de quota plutôt que le processus
en lui-même; il ne considère pas la conception d’une politique de quota électoral comme
un processus qui a ses propres enjeux et qui, par conséquent, mérite qu’on s’y intéresse.
Cette tendance à prioriser les mécanismes d’application d’une politique de quota sur le
processus d’adoption nie la possibilité qu’un tel processus conduise soit à inscrire le quota
dans un cadre légal et institutionnel soit à son refus. Elle sous-entend l’existence d’une
relation linéaire entre la reconnaissance officielle du principe de quota de femmes et sa
mise en application. Or l’expérience japonaise de quota montre que la configuration du jeu
d’acteurs sur le terrain politique et social peut amener au rejet d’une loi sur le quota adoptée
ou au retrait du principe de quota, par exemple, de la Constitution, tout dépend de son lieu
d’inscription. Pour Gaunder (2015), l’échec de la politique de quota au Japon trouve son
explication dans la faiblesse à la fois du mouvement de femmes et des partis situés à gauche
de l’échiquier politique. L’étude de la trajectoire d’un mécanisme de quota de femmes dans
la politique pourrait également s’intéresser à la capacité de mobilisation des acteurs qui
revendiquent cette mesure et au poids de ceux qui lui sont hostiles.
Mais bien que les forces internes aient une pertinence dans l’élaboration d’une politique
du quota, il ne faut pas sous-estimer le poids des forces externes. En effet, l’international
est un acteur incontournable dans la vie sociale et politique de certains pays du Sud. Dans
certains contextes créés pour résoudre des crises politiques, des acteurs internationaux ont
tendance à conditionner leur appui aux autorités nationales à l’accès des femmes au droit
de vote, au droit de candidature, mais également à l’obligation d’adopter des mesures de
nature à améliorer leur présence numérique dans les lieux de pouvoir. Ces facteurs portent
les gouvernements, en quête de reconnaissance, à adopter ces mesures afin d’embellir leur
image auprès de l’international. Or, nous constatons, dans le cas d’Haïti, que si l’État
accepte le principe de quota, en l’officialisant à travers l’article 17.1 de la Constitution, la
présence de l’international n’accélère pas pour autant le processus de mise en pratique du
quota comme ça a été le cas, par exemple, en Afghanistan, en Irak et au Rwanda (Edgell,
28
2017). Puisqu’après plus de dix ans, ce principe attend encore son application dans la vie
politique du pays.
Par conséquent, l’influence externe ne constitue pas en soi et dans toutes les situations un
facteur d’opportunité, une garantie à l’établissement effectif d’un régime de quota Au-delà
de ce doute empirique, le recours au concept de facteur d’influence en tant que tel soulève
une difficulté d’ordre épistémologique. Il insinue une analyse causale, à savoir déterministe
du processus d’adoption des réformes de quota de femmes. Il néglige, pour ainsi dire, les
circonstances, les conjonctures, les résistances qui pourraient contribuer à reconfigurer la
situation ou à réorienter le processus d’élaboration et de mise en œuvre de cette politique.
Si cette posture rationaliste permet d’évaluer les résultats ou la mise en œuvre des mesures
de quota, elle prête peu d’attention aux jeux d’acteurs, aux interactions qui s’opèrent au
cours de leur processus d’élaboration.
La revue de la littérature l’a montré, peu de recherches ont traité des rapports qu’entretient
une telle diversité d’acteurs. Peu d’attention a été accordée à l’ajustement des formes de
légitimation du quota ou à ses registres discursifs. Quand ceux-ci sont étudiés, c’est la
mobilisation collective, le mouvement social formé autour de la revendication de quota qui
a été considéré. Cette limite justifie, dans le cadre de cette thèse, notre jeu de substitution
entre la mobilisation pour ou contre l’imposition d’un quota électoral pour les femmes à la
dynamique d’acteurs qui entoure le processus de traduction de cette mesure dans le système
politique. Toutefois, il ne s’agit pas d’écarter l’idée que les facteurs externes et les facteurs
internes ont des effets sur l’acceptation ou le refus d’une réforme de quota ni de nier ou de
sous-estimer le rôle des groupes de femmes sur le succès ou l’échec d’une telle entreprise.
Au contraire, cette thèse entend intégrer ces éléments dans le cadre plus large d’une logique
d’acteurs, dans l’ensemble des rapports de pouvoir qui constituent, qui organisent l’espace
de quota, l’état et la dynamique des rapports de force entre les acteurs.
À partir de cette ligne d’investigation, le quota peut être envisagé comme un espace de
médiation qui est aménagé entre les acteurs d’en haut et ceux d’en bas, entre les acteurs de
la société civile, les acteurs de la politique institutionnelle et ceux de l’international. Cette
recherche veut documenter les conduites, déterminer les croyances des acteurs qui sont
impliqués dans le processus de traduction du principe de quota de femmes. Il s’agit
d’interroger les manières dont ils négocient la définition et l’interprétation de ce principe
de quota et son insertion dans un cadre légal et institutionnel. Le processus de traduction
du quota réfère à la multiplicité de voies, de moments, de mutations et de rapports de forces
qui parcourt et rend possible cette dynamique. Centré sur les relations entre les acteurs, sur
leurs pratiques, sur leurs discours, donc sur leur situation stratégique au sein de cet espace
de médiation, cet angle d’analyse conduit à spécifier l’objet d’étude et la question centrale
de recherche.
Ce chapitre couvrira l’ensemble des écrits qui traitent du quota de femmes et des notions,
des théories qui y sont liées. Inscrites dans un objectif d’égalité des sexes, les mesures de
quota résultent des mobilisations, des débats dans lesquels s’engage une diversité d’acteurs,
dont les politiciens, l’État, les groupes de femmes, pour justifier ou pour délégitimer la
nécessité de corriger les discriminations que subissent les femmes au sein des institutions
politiques. Cette revue de la littérature qui participe du processus de construction de l’objet
d’étude s’attache à considérer trois aspects des mobilisations pour signifier et légitimer les
politiques de quotas pour le Parlement et pour les pouvoirs municipaux, locaux : 1) les
fondements philosophiques et politiques de la stratégie de quota de femmes 2) les types de
quotas et leurs conditions d’efficacité 2) et la contribution du quota à la fortification de la
citoyenneté politique des femmes. Cet état de la question met en relation les concepts, les
approches du phénomène de quota avec la problématique de la recherche.
Cette section expliquera les fondements philosophiques et politiques des quotas qui visent
à définir et à insérer un pourcentage minimum de femmes dans les espaces politiques, donc
à réduire l’écart entre la présence des hommes et des femmes en politique. Dans cette
première section, l’objectif est de décrire les valeurs, les principes et les intérêts qui
légitiment la diffusion et le recours aux quotas comme stratégie pour augmenter le nombre
de femmes dans la politique institutionnelle. Il s’agit de démontrer les relations qui existent
entre quotas par sexes et discours normatifs sur lesquels reposent les systèmes politiques
contemporains. Ces explications s’inspireront d’une nouvelle norme en matière d’égalité
de sexes et de la mobilisation des femmes pour la citoyenneté politique. Il s’agira, d’abord,
de présenter les normes et valeurs qui inspirent et alimentent les débats sur la diffusion et
l’adoption des quotas. Nous décrirons, ensuite, les relations qui existent entre norme
d’égalité et principe de différence des sexes ainsi que le cadrage pragmatique des quotas.
Enfin, nous examinerons l’aspect politique des quotas.
32
Dans les années 1990, les quotas sont devenus : « […] the most popular measures to boost
the presence of women in politics […] » (Baldez, 2004, p. 231). Ces politiques émergent
du croisement de deux phénomènes. Il s’agit de la volonté de diffuser des normes portant
sur l’égalité des sexes (Franceschet et Piscopo, 2013) et de l’adoption des mesures pour
garantir une présence accrue des femmes au sein des assemblées politiques. Ces enjeux ont
suscité et suscitent encore des débats politiques et sont l’objet de nombreuses recherches
scientifiques à caractères normatifs et empiriques.
Les travaux sur les quotas articulent des réflexions sur les théories de la démocratie, du
pouvoir, la différence de sexe et de la représentation politique des femmes. Ces études
normatives contestent le silence établi par ces théories politiques sur la dimension sexuée
des rapports de pouvoir. Cette critique vise la reformulation des principes fondateurs de la
démocratie, dont l’égalité et la représentation politique. La distinction entre égalité de
résultats et égalité de chances continue de nourrir ces critiques. Sénac (2013, p. 434) cite
Carroll et Zerilli (1993) qui qualifient cette démarche de « lutte cognitive d’un point de vue
féministe ».
Les quotas s’inspirent de cette norme dont la référence est le principe de la différence de
sexes. Du coup, ces mesures deviennent un terrain où s’affrontent deux régimes distincts,
deux normes concurrentielles d’égalité. D’après Tremblay (2005, p. 201) :
Krook, Lovenduski et Squires (2009, p. 788) expliquent que : « […] liberal citizenship
models favor equal opportunities, attributing responsibility for unequal outcomes to
individuals themselves and therefore viewing prospects for change in terms of individual
initiative ». Cette vision néglige les différences initiales, les hiérarchies sociales desquelles
résulte l’inégale présence des hommes et des femmes dans les assemblées politiques. En
niant le sexe, la « race », la classe, l’orientation sexuelle et l’origine ethnique de l’individu
« citoyen », la démocratie à travers ses institutions contribue à exclure, par exemple, des
femmes des postes électifs. Ce système politique ne considère pas leur présence dans la
pratique de la représentation politique. Selon Pisier et Varikas (1997, p. 134-135) dès lors
que :
L’argument de ces chercheures est que l’exclusion des femmes du parlement constitue une
injustice, une transgression du principe d’égalité. Cette exclusion résulte des pratiques et
du principe de la transmission masculine du pouvoir. Elles nuancent toutefois que : « […]
l’exclusion des femmes de l’exercice du pouvoir n’est pas seulement une atteinte aux droits
des femmes, mais une atteinte à la démocratie » (Pisier et Varikas, 1997, p. 135).
Elles entendent par démocratie un régime de mixité civile ; c’est, affirment Pisier et Varikas
(1997), un gouvernement de tous et de toutes sans aucune considération antérieure et
extérieure aux rapports sociopolitiques. Elle suppose toutes les différences qui émergent
de l’ensemble des rapports sociaux dans leur hétérogénéité et leur multiplicité. Penser
l’égalité en référence à la dualité des sexes, c’est risquer d’évacuer les autres différences.
Cela consiste à réduire cette pluralité des différences à deux ; c’est refouler : « […] la
singularité irréductible des élans et des besoins différents qui constituent l’universalité du
genre humain » (Pisier et Varikas, 1997, p. 141). Elles défendent la thèse selon laquelle
l’universalisme pluriel suppose l’égalité entre toutes les différences, sans considération de
« race » (Guillaumin, 2002), de classe et de sexe. Elles rejettent l’idée de recourir à des lois
particulières, dont les quotas, comme solution à la pénurie des femmes en politique. Cette
35
stratégie homogénéise les identités, les différences des sexes. Elle les réduit, disent-elles,
à une complémentarité déconcertante.
Ce débat philosophique a influencé les rapports entre mouvements des femmes et politique
électorale. (Tremblay, 2005, p. 228) explique que :
Dans les années 1970, les féministes privilégiaient la première attitude, celle du rejet du
pouvoir politique institutionnel. Le mouvement de femmes : « […] s’est délibérément situé
hors du système politique » (Gaspard, 1994, p. 29). Dans le contexte français, Varikas
(1995, p. 86) constate que : « […] le mouvement féministe […] visait plus à une
transformation des structures sociales qu’à une politique institutionnelle ». Dans ce même
ordre d’idée, Pisier et Varikas (1997, p. 127) précisent que : « […] l’appartenance sociale
primait sur l’identité sexuelle : seuls les partisans d’un féminisme « essentialiste » eussent
revendiqué la parité […] ». Le féminisme essentialiste fait référence à des éléments, des
termes biologiques pour déterminer l’identité, définir la différence des sexes. Pour elles,
au-delà du fait que la parité divise le féminisme, parce que certains groupes de femmes
pensent que ces éléments servent à discriminer, à exclure les femmes, elle porte à repenser
voire à pousser plus loin les débats sur la démocratie et la république.
En somme, les quotas reposent sur deux conceptions concurrentielles d’égalité (Dahlerup,
2007, p. 75). D’un côté, la vision libérale et universaliste qui défend les principes de libre
concurrence et d’égalité des chances dans l’accès aux institutions politiques. Elle rejette
tout recours aux mesures préférentielles. De l’autre côté, les féministes différentialistes
considèrent les oppressions vécues par la majorité des femmes comme étant des construits
sociohistoriques. Elles pensent que les conditions d’une libre et égale compétition ne sont
pas encore réunies. Cette situation justifie, d’après elles, l’usage des mesures de correction.
Pour Franceschet et Piscopo (2013, p. 310), les quotas participent de : « […] legitimation
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of the normative principle of women’s equality in public life. Legislative gender quotas
[…] are frequently justified via appeals to norms of inclusion and fairness » (p. 310).
Fondés sur la différence de sexe, les quotas mettent donc en œuvre les normes d’égalité et
de justice.
Les quotas reposent sur une conception différenciée de l’égalité. Elle se détache de la vision
universelle de l’égalité qui rejette le principe de la différence de sexes. Cet universalisme
est dit abstrait et « masculin » pour deux raisons. Premièrement, son attachement à une
logique plurielle limite sa critique du principe de transmission de « mâle en mâle » du
pouvoir. Elle ne considère pas, deuxièmement, le fait que les hommes ont refusé et refusent
encore une citoyenneté effective, une égalité réelle aux femmes. Tremblay (2005) explique
que la notion d’égalité différenciée :
En réponse à cet universalisme abstrait, les théories « maternalistes » ont proposé la notion
de : « [...] citoyenneté différenciée selon le genre […] » (Bereni et Lépinard, 2003, p. 14).
D’après ces théories normatives, c’est dans ce cadre que peut se poser le problème de
l’exclusion des femmes-mères. Ce modèle introduit les notions d’identité et de différence
sexuelle dans les réflexions sur la démocratie et la représentation politique. Il inspire les
deux registres de justification de l’idée du recours aux quotas : « l’argumentaire humaniste
et universel » et « l’argumentaire utilitariste » (Tremblay, 2010b).
Le premier discours repose sur le principe ontologique selon lequel similarité et différence
des sexes sont deux éléments constitutifs de l’universalité de genre humain. La différence
des sexes renvoie à la bicatégorisation sexuelle de l’humanité, à savoir les hommes et les
femmes constituent les deux composantes du genre humain. Le peuple souverain qui se
37
trouve au fondement du pouvoir politique serait une entité universelle et différenciée selon
le sexe. Françoise Gaspard (2011), théoricienne de l’égalité différenciée, affirme avoir
constaté le rejet de ce principe dans la composition du parlement. C’est ce qui, d’après la
sociologue, explique que :
La pénurie des femmes dans l’arène politique interroge le fondement de ces démocraties.
Cette situation exprime un déni de leurs droits politiques, dont celui d’accéder aux mandats
électoraux ; puisque l’exclusion du droit de représentation les prive le droit de participer à
la fabrication des lois et des politiques publiques. C’est une violation du principe d’égalité
des sexes, à savoir du droit des femmes à défendre leur intérêt. C’est, par ailleurs, priver
les institutions politiques des compétences particulières de femmes.
Ces arguments justifient le recours aux quotas pour instituer et garantir l’égalité des sexes
en politique, rendre justice aux femmes. Pour Del Re (2011), les quotas sont des mesures
prises en vue d’instaurer l’égalité des sexes en politique, c’est-à-dire établir une démocratie
paritaire. Ce type de démocratie : « […] repose sur une vérité première : les femmes
constituent la moitié de la population, et il apparaît donc normal et équitable qu’elles
obtiennent une part équivalente du ‘pouvoir’ » (Del Re, 2011, p. 92).
Les féministes différentialistes mobilisent deux registres discursifs. Car, outre cet argument
d’ordre anthropologique, elles font usage d’un discours technique et juridique. Bereni et
Lépinard (2003, p. 19) analysent ce discours qui est fondé, entre autres, sur le postulat selon
lequel contrairement aux frontières définissant les autres groupes identitaires : « […] les
frontières des groupes sexués seraient clairement et aisément identifiables, puisque le sexe
est un déterminant de l’identité civile de chaque individu ».
En somme, les femmes ne constitueraient donc pas une catégorie identitaire, puisque la
différence de sexes se trouve au fondement de l’humanité. Cette différence première est
38
Par ailleurs, un argument d’ordre utilitariste vient renforcer ce dispositif normatif. Cette
philosophie de la morale (Sen, Williams et Williams, 1982) postule que des croyances
sous-entendent nos actes. Selon elle, une décision, une règle sera juste, à savoir utile, si
elle entraîne plus de bien-être pour la société (Mill, 2012). Elle repose sur le principe selon
lequel l’acte posé de manière intéressée sera utile s’il accroît, maximise le bonheur du plus
grand nombre (Caillé, Lazzeri et Cléro, 2002). L’utile est ce qui correspond à l’intérêt
général, ce qui est au bénéfice de la société. Les personnes sympathiques aux quotas vont
mobiliser cette philosophie pour les justifier.
Outre cette crise de légitimité, la situation des femmes en politique aurait un impact négatif
sur la conception et l’implémentation des politiques publiques. Tremblay (2010b, p. 27)
rapporte la teneur du discours de complémentarité des sexes qui postule que l’intervention
de l’État auprès des populations est :
L’argumentaire utilitariste défend également l’idée que les femmes constituent une force
politique. Par exemple, cet argument apparait, selon Tremblay (2002), dans le discours
maternaliste de la citoyenneté politique. Il veut réunir les femmes sous une seule couleur
politique en affirmant : « […] par leur vote, les femmes en tant que mères améliorent le
bien-être de la société » (Tremblay, 2002, p. 219). Ce discours justifiait la réclamation du
droit de voter pour les femmes. L’objectif est de penser la représentation politique au-delà
de son aspect descriptif, donc numérique et symbolique. Comment la représentation peut-
elle prendre en compte les intérêts des femmes ? Les questions des intérêts des femmes
vont être traitées dans le prochain point.
Après tout, les études qui s’inscrivent dans cette perspective défendent, entre autres, trois
hypothèses. Les quotas contribueraient à résoudre la crise de légitimité que connait le
système politique. D’après Gaspard (1994), une démocratie sans les femmes n’en est pas
une. Elle explique qu’instaurer l’égalité des sexes en politique est à la fois un droit et la :
« […] condition d’une rénovation de la démocratie » (Gaspard, 1994, p. 40). En outre, les
40
quotas : « […] increase women's numerical representation, and […] women in decision-
making positions should also promote gender issues in public policy » (Gray, 2003, p. 53).
Le pragmatisme égalitaire prend au sérieux ces critiques ; il analyse leur pertinence, leurs
enjeux normatifs afin de repenser le fondement des quotas. Il admet que l’argument de la
différence de sexe suppose une logique duale et concourt à naturaliser, à figer les identités
sexuelles. Une confusion est cependant remarquée dans la formulation de cette critique.
Elle cible le principe de la différence de sexes alors que les quotas s’intéressent plutôt à
l’exclusion, à la faible représentation politique des femmes (Leydet, 2002). Cela étant
constaté, l’approche pragmatique va penser le fondement des quotas à partir de la situation
de discrimination que les femmes connaissent en politique. Et les quotas s’entendent, dans
ce sens, comme des mesures destinées à corriger une situation d’injuste; ils s’inscrivent
dans la perspective d’un égal accès des deux sexes aux assemblées politiques élues. Pour
le pragmatisme, les quotas reposent sur le fait que des obstacles s’érigent à la féminisation
des instances législatives et exécutives. Krook et al. (2009, p. 788) précisent que ces
mesures : « […] seek to promote equal results, recognizing that inequalities may derive
from broader structures that are best altered through group-based solutions ».
Le pragmatisme interroge, par ailleurs, l’usage fait des notions d’égalité et d’inégalité dans
l’analyse de la situation des femmes en politique. Car, en apparence, la notion d’inégalité
comporte moins des charges idéologiques , parce qu’elle ne permet pas de responsabiliser
les acteurs qui, par leur position sociale, politique et de genre, bénéficient de la pénurie des
femmes en politique; dans cette perspective, son emploi conforte les tenants du libéralisme
politique. Mossuz-Lavau (2003, p. 95) argumente que l’inégalité « […] renverrait ici à un
état de fait » si l’on négligeait les conduites des acteurs. Cela laisse entendre que l’inégalité
42
serait non intentionnelle et échapperait, dans son évolution, à l’action présente. L’auteure
se demande :
Elle répond par l’affirmatif. Il est évident qu’ il y a intentionnalité ; cela peut s’observer dans
la pratique des acteurs politiques. La notion d’inégalité est par conséquent inappropriée à la
lecture et à la compréhension de la situation politique des femmes. Par exemple, les partis
politiques, à quelque exception près, résistent aux mesures qui entendent promouvoir l’entrée
de plus de femmes en politique ; ils les contournent systématiquement. Del Re (2011, p. 93)
ajoute que si les constitutions de la majorité des démocraties européennes établissent le
principe de la non-discrimination de sexe, seulement cinq pays (la Belgique, l’Espagne, le
Portugal, la France et la Slovénie) adoptent des mesures de correction des discriminations
politiques vécues par les femmes. Cette réticence s’explique par l’intérêt de la hiérarchie des
partis à contrôler les postes à pouvoir au niveau de l’exécutif et du législatif (Meier et Verlet,
2008). Quand on réalise qu’il y a de l’intentionnalité à marginaliser les femmes dans la
fabrication des listes électorales, l’on ne peut plus parler d’inégalité, mais plutôt de
discrimination. La notion de discrimination dénote une : « […] connotation « volontariste »
[et] procèderait d’une volonté de traiter différemment des personnes qui ne devraient pas l’être
[…] » (Mossuz-Lavau, 2003, p. 87). L’on ne peut, par conséquent, jouer sur le temps pour
résoudre ce problème.
Cette situation de refus justifie, conclut Mossuz-Lavau (2003, p. 95), l’imposition du quota,
donc le recours à « [...] des mesures contraignantes pour provoquer des changements ». Cette
analyse inscrit les quotas dans le cadre du modèle de la discrimination positive. Ce sont des
mesures : « […] that target structural discrimination or that make it possible to leap over the
barriers […] » (Drude, 2006, p. 9). Les quotas constituent donc « […] autant de moyens
orientés vers […] l’accroissement de femmes dans les instances de représentation politique
grâce à des mesures de traitement préférentiel » (Lépinard et Bereni, 2004, p. 76). Ces mesures
ciblent les barrières que le système politique dresse à l’entrée des femmes en politique.
43
Les quotas reposent sur l’exigence de présence de plus de femmes dans les arènes politiques.
Leydet (2002), spécialiste de la délibération publique dans les sociétés pluralistes, soutient
que la représentation des intérêts sectionnels, c’est-à-dire des intérêts particuliers, donc ceux
des femmes, ne peut compromettre ni les causes des femmes ni celles de la démocratie. Cette
revendication constitue une radicalisation de l’exigence de présence qui est un élément
constitutif de la démocratie représentative. Ce qui fait la spécificité de ce régime, c’est : « […]
la dynamique induite par l’extension progressive du suffrage et de l’éligibilité » (Leydet,
2002, p. 67). L’auteure explique que cette exigence correspond à une réclamation de pouvoir
et à une demande de reconnaissance politique. Cela impliquera, concède toutefois l’auteure,
la reconnaissance de la légitimité de la démocratie dans la mesure où la représentation des
intérêts d’un groupe particulier, par exemple, au Parlement, revient à : « accepter de jouer le
jeu de l’institution, c’est aussi reconnaitre la légitimité du système politique » (Leydet, 2002,
p. 74-75).
Pour cette spécialiste du droit, c’est la persistance des discriminations entre les groupes
sociaux qui justifie le recours à des mesures spécifiques. Leydet (2002) est consciente que
l’inscription des droits spécifiques dans la législation nationale risque de fixer les identités
et les distinctions sociales. Ici apporte-t-elle une nuance en proposant : « […] s’il faut opter
44
pour des mesures d’action positive, celles-ci doivent être clairement comprises et
défendues comme temporaires » (Leydet, 2002, p. 87).
Leydet (2002) partage l’avis de Williams (2000) pour qui l’identité politique des femmes
résulte de leur exclusion des fonctions exécutives et des assemblées délibératives. Dans un
article traitant de la représentation politique des minorités, Krook et O'Brien (2010, p. 259)
soutiennent l’hypothèse que : « […] group recognition emerges via the construction of
"relevant" political identities ». Pour elles, deux mécanismes influencent les mesures qui
reconnaissent l’identité politique des femmes : pratiques de lutte contre la discrimination
et diffusion par les organisations transnationales des normes d’égalité de sexes.
Le quota est une des stratégies de lutte contre la discrimination que les femmes subissent
en politique. Il permet d’agir sur les règles, les procédures, les structures formelles et/ou
informelles qui servent d’obstacles à leur entrée sur la scène politique. Dans ce cadre, les
quotas ont le sens d’un outil (Meier et Lombardo, 2013). Voulant établir un seuil minimum
de présence des femmes au parlement, ils constituent à juste titre : « […] a form of
affirmative action to help them overcome the obstacles that prevent them from entering
politics in the same way as their male colleagues » (Larserud et Taphorn, 2007b, p. 8).
Les quotas associent l’idéal d’égalité de sexes (Franceschet et Piscopo, 2013) et les moyens
pour féminiser les assemblées politiques. Deux niveaux sont à considérer : le principe
d’égalité de sexes et les mesures correctives adoptées. Le premier moment correspond à la
nécessité de définir des critères normatifs qui permettent de juger une réalité. Le second
renvoie aux mesures à prendre pour enlever les obstacles institutionnels. Dans la réalité,
les quotas pour les femmes sont façonnés, évoluent en fonction du contexte institutionnel
dans lequel ces politiques sont insérées.
En résumé, les quotas ne se limitent pas à un idéal d’égalité entre les sexes ; c’est un outil
qui met à l’épreuve le dispositif institutionnel qui bloque l’entrée des femmes dans la
politique. C’est un outil dont l’usage tend à ouvrir aux femmes des fenêtres d’opportunité
dans les partis politiques, au parlement, dans le gouvernement. C’est un point d’appui dans
la lutte pour l’égalité et l’équité entre hommes et femmes. Parfois, les quotas ne servent
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qu’à connaitre un point de résistance ou à en réduire sa portée, son potentiel. Les objectifs
et moyens à mettre en œuvre dans une politique de quota sont multiples. La question de la
mobilisation des femmes, qui se trouve au cœur du dispositif de quotas, fera l’objet de la
section suivante.
Sur le plan politique, les quotas renvoient à trois phénomènes. Le premier est la conception
du vivre-ensemble qui justifie l’appel à l’entrée de plus des femmes au parlement. Cela
consistera à déterminer en quoi les quotas portent à repenser les formes de légitimation du
pouvoir politique. Le deuxième phénomène correspond à l’activité politique elle-même, à
savoir aux modes et aux logiques d’accès au pouvoir politique. Expliquer le fondement
politique des quotas revient enfin à voir comment cette stratégie intègre les intérêts des
femmes dans la répartition des ressources valorisées d’une société.
Une remarque mérite d’être faite avant d’avancer. Le politique correspond ici à un type
particulier de rapport social (Leca, 1973) ; il se détache d’une institution spécifique. Il ne
correspond pas à un fait. Le politique encadre des acteurs qui font usage des rapports de
force en vue de légitimer leurs intérêts, leurs passions et surtout leurs différences. Cette
lecture s’inspire de Leca (1973, p. 24) pour qui : « Le politique se repère […] par sa
fonction, qui est la régulation sociale, fonction elle-même née de la tension entre le conflit
et l’intégration dans une société ». De cette définition découle un système d’explication
politique des quotas composé de deux éléments : la contestation de la conception moderne
d’égalité et la mobilisation pour la citoyenneté politique des femmes. Les mouvements des
femmes et féministes sont au centre du dispositif de revendication et de construction d’une
subjectivité politique féminine.
Certains analystes prétendent que les politiques de quotas s’inscrivent dans la lignée des
catégories de pensées politiques modernes : république, démocratie, liberté, égalité. Ces
mesures entendent rénover le programme politique des États démocratiques qui prendraient
leur distance aux valeurs traditionnelles. Mill (1992) considère l’assujettissement des
femmes comme étant un vestige de l’ancien dans le moderne. Par exemple, ce philosophe
46
Plusieurs doutes planent sur l’hypothèse qui veut que l’égalité de sexes soit un produit
tardif de la modernité. Le premier doute est d’ordre ontologique et politique. En effet, la
politique moderne est conçue comme l’artifice : « […] d’un pouvoir un et indivisible, seul
capable d’unifier la multiplicité dangereuse des intérêts et des désirs égoïstes et pacifier les
passions dangereuses et conflictuelles » (Collin, Pisier et Varikas, p. 89-90). Cette
ontologie exclut les femmes du politique, les enferme dans leur présupposée nature et dans
la sphère privée. Les sociétés, qu’on appelle modernes, reposent, contre tout avis contraire,
sur un principe pré-politique qui façonne et légitime la hiérarchie des sexes (Pisier et
Varikas, 2002).
2000) ; c’est la sphère de la production. Le tout n’inclut pas ici tout le monde ; il est défini
à partir d’un ensemble de critères qui excluent les femmes. L’un d’entre eux est le fait de
ne pas être maître de soi-même. On sait que, pendant longtemps, la femme était placée sous
l’autorité de son mari.
Cette modernité a placé la femme dans le privé et sous la domination de l’homme. Il faut
rappeler que la liberté (Locke, 1977), l’une des catégories de pensée politique moderne, se
conçoit comme une valeur par laquelle les individus se définissent, s’associent et se
conduisent dans l’espace public. Pateman (2010) a restitué, dans Le Contrat sexuel, la
dimension sexuelle du « pacte d’association » sur lequel repose l’État moderne. Selon elle,
la littérature qui traite du contrat social a imposé un silence sur cette dimension. Pateman
(2010) voulait rappeler que le projet moderne repose sur le principe d’exclusion des
femmes du politique. Cette exclusion a été institutionnalisée à travers, par exemple, le droit
conjugal, la discrimination politique des femmes.
Si par principe, la démocratie est un régime politique mixte qui tolère la différence et toutes
différences (Pisier et Varikas, 1997), son acclimatation dans les sociétés contemporaines
exclut, en pratique, les femmes. C’est cette énigme que la sociologue Paxton (2008, p. 47)
soulève lorsqu’elle explique que si :
Ce survol historique permet de rappeler que la modernité politique se fonde, entre autres,
sur le principe de la séparation de la vie sociale en deux sphères distinctes et selon les
sexes. En ce sens, l’organisation politique des sociétés dites modernes est marquée par des
rapports de domination basés sur le sexe, le genre et la sexualité. D’où la nécessité de
détacher les politiques d’égalité de sexes, dont les quotas, de la matrice de cette modernité
à caractère patriarcal, puisqu’elle établit et justifie l’oppression de la majorité des femmes
par une majorité d’hommes, pour l’attacher plutôt au mouvement, aux mobilisations des
femmes. Puisque ces mesures de correction sont plutôt héritières des luttes des suffragettes
qui ont posé, par le passé, le principe de la « pertinence du sexe au regard de citoyenneté
politique » (Tremblay : 2005, p. 218). Cette considération conduit à ne pas lier les acquis
en matière de droits politiques des femmes à cette modernité, un tel lien aura des effets
pratiques et idéologiques néfastes sur le déroulement, l’efficacité et la représentation des
luttes pour la citoyenneté politique des femmes. Les lier ce serait surtout percevoir les
sociétés dites modernes comme étant par essence égalitaires ; quoique les effets de cette
valeur seraient alors lents à manifester. Ce serait une forme de réification du mythe du
progrès. On entend par idéal de progrès la foi inébranlable dans la possibilité et la capacité
des êtres humains de maitriser la nature, de contrôler le hasard afin de garantir le bien-être
continu de la société. Du coup, les discriminations seraient considérées comme de simples
vestiges d’un passé lointain, celui de l’ancien régime.
Cette lecture lisse de la modernité politique tend à minimiser les exclusions initiales dont
portait, par exemple, l’affirmation : « […] all men are born equal » (Phillips, 2018, p. 173).
Ce discours attache un signe biologique (Guillaumin, 2002) aux identités sexuelles. Cette
conception de la différence de sexe et d’égalité inspirait, pendant plus de deux siècles, le
49
discours de l’incapacité politique des femmes et la résistance des hommes à leur entrée
dans l’espace public et l’espace politique. Avancer l’hypothèse que les hommes sont nés
libres, c’est promouvoir l’idée que la liberté serait inhérente à la nature de l’homme et, du
coup, rendre invisibles les rapports de pouvoir qui caractérisent la question des sexes, la
division sexuelle des sphères d’activités. Affirmer alors que la modernité est du côté des
femmes pourrait, par ailleurs, conduire à l’attentisme et à l’oubli de ce point historique. Ce
dernier renvoie au rôle central, à la dynamique du mouvement des femmes dans les luttes
pour la citoyenneté politique des femmes. L’attentisme est la manifestation d’une forme
d’indifférence et d’une naïveté à l’égard des mécanismes qui engendrent les inégalités. On
sent moins, à ce moment, la nécessité et l’intérêt de s’investir dans la mobilisation. L’oubli
est cette attitude qui conduit à nier le fondement politique de la division sexuelle des
activités et le caractère structurel des inégalités qui en résultent. Il s’agirait également
d’occulter les luttes qui ont conduit à la conquête de certains droits politiques.
Ces attitudes entraineraient enfin la perte du sentiment qui aurait dû lier les générations de
luttes. Puisque les luttes d’aujourd’hui sont liées, par exemple, à celles des suffragistes qui
revendiquaient les droits de vote pour des femmes. Les quotas héritent de cette tradition de
contestation de « l’homo politicus » (Tremblay, 2002, p. 90) et s’identifient à l’histoire des
luttes féministes et de femmes contre les discriminations basées sur le sexe et le genre. En
matière d’analogie et d’histoire, Tremblay (2002, p. 218) rappelle que les débats sur les
quotas reposent sur le même socle que ceux des suffragistes : « […] celui de la pertinence
du sexe au regard de la citoyenneté politique ». Vu les barrières érigées contre leur entrée
dans la politique, ces mesures constituent l’une des stratégies pour augmenter le nombre
d’élues parlementaires. Cette stratégie d’action positive est appelée à combattre la
discrimination systémique et implicite dont sont victimes les femmes en politique.
Dans les années 1990, l’on constate que les mécanismes de discrimination persistent. Les
institutions politiques, dont les partis, résistent à l’entrée de plus de femmes en politique.
Ce constat inspire une mobilisation internationale des femmes pour la mise en place d’une
nouvelle politique d’égalité de sexes. Il y a également la conférence de Beijing, comme
mentionné plus loin, qui a joué un rôle d’avant-scène dans la politisation de la question des
femmes en politique. Cette vision réaliste et pragmatique est fondée sur la différence de
sexes et est diffusée par les institutions transnationales. Tremblay (2005, p. 202) soutient :
« […] l’égalité différenciée mène à des espaces de représentation constitués selon une
conception microcosmique […] » de la représentation politique. Les quotas permettent de
mettre en pratique cette logique de représentation qui sera traitée à la dernière section de
cette revue générale de la littérature.
Sur le plan politique, nous venons d’expliquer comment la dynamique du mouvement des
femmes a participé de la construction de cette stratégie d’intégration et de représentation
des femmes dans la politique. Les quotas émergent à la fois de la contestation du principe
d’égalité de chances et de la mobilisation pour intégrer plus de femmes en politique, donc
d’une égalité de résultats. Tremblay (2005) affirme, dans le contexte spécifique du Québec,
que : « […] toute stratégie destinée à féminiser davantage les espaces parlementaires […]
passe par une mobilisation des femmes sur le terrain, que ce soit au sein des partis ou à
l’extérieur d’eux » (p. 256). Rai et al. (2006, p. 106) rappellent l’importance des luttes
politiques dans le processus de réforme des modèles de représentation politique en Asie du
Sud. Quels sont les types de quotas et leurs conditions d’efficacité ?
51
Cette section présentera les types de quotas et décrira les conditions de maximisation de
leur efficacité, c’est-à-dire de leur capacité à augmenter le nombre de femmes, à amener
davantage de femmes dans les postes de décision. Nous n’allons pas nous contenter de
définir et de classifier les politiques de quota, car le travail qui s’applique à classifier ces
mesures est indissociable de celui qui consiste, par ailleurs, à les inscrire dans la spécificité
de leur contexte d’émergence afin de pouvoir saisir les controverses terminologiques
qu’elles suscitent. Nous poursuivons deux objectifs. Premièrement, il s’agit d’identifier,
dans la littérature existante sur le sujet, les traits empiriques qui surgissent de certaines
expériences de quotas afin de pouvoir définir des critères pour les classifier. Le second
objectif consiste en la présentation des conditions qui permettent d’accroitre le succès de
chacun des types idéaux. Il s’agira d’abord de décrire le contexte d’émergence des
politiques de quotas, de leur diffusion et les débats que suscitent leur conceptualisation et
leur typologie. Nous présenterons ensuite les types de quotas. Le dernier moment sera
consacré à l’analyse de leurs conditions d’efficacité.
Plusieurs stratégies d’action contre la discrimination des femmes en politique existent. Des
études scientifiques les classent en fonction de leur finalité. L’action peut viser la création
des conditions d’égale et de libre compétition entre les sexes. Elle peut vouloir influencer
l’une des étapes d’un processus électoral, à savoir l’éligibilité, le recrutement, la sélection,
l’élection (Tremblay, 2017). Les notions d’égale opportunité et d’égal résultat (Dahlerup,
2007) sont des indices qui permettent de signifier et de distinguer ces stratégies. Dans cet
univers, les quotas pour les femmes constituent l’une des stratégies que les élites politiques
(Tremblay, 2005) peuvent mobiliser pour régler le problème de la minorisation des femmes
en politique. Selon le contexte idéologique et aussi l’état des rapports de force sur le terrain
politique et électoral, les acteurs peuvent également proposer des réponses, des stratégies
du genre discursif ou incitatif (Tremblay, 2005). Ils peuvent, par exemple, exprimer leur
souhait que plus de femmes s’engagent dans la politique. La stratégie pourrait également
consister à les sensibiliser, à travers des sessions de formation, à se porter candidates
52
(Tremblay 2015; Maillé, 2012). Les stratégies de quotas électoraux ne sont ni discursives
ni incitatives. Elles veulent influencer le processus de nomination des parlementaires en y
intégrant davantage de femmes (Tremblay, 2005; Hughes et al., 2015). D’où viennent les
quotas ? Dans quels contextes ont-ils émergé ?
Sur le plan historique, trois éléments méritent d’être mentionnés sur l’origine des quotas.
L’ONU, depuis les décennies 1970, exige les États membres à agir de manière à garantir
l’égalité des sexes. Ensuite, à l’échelle nationale et régionale, plusieurs études attachent
ces mesures au contexte colonial et postcolonial de l’Inde et du Pakistan. Par ailleurs, les
quotas s’inscrivent, en Amérique latine, dans le contexte de sortie des régimes dictatoriaux,
dans la situation post-conflits, d’après-guerres en Afrique, au Proche-Orient et au climat
idéologique égalitaire qui règne dans les pays nordiques. Enfin, les années 1990 vont
inaugurer une nouvelle ère dans la diffusion, la popularité et le succès des politiques de
quotas à travers le monde.
Sans entrer dans les controverses qui existent sur les notions de genre et de sexe, nous
adoptons le concept de quotas. Il importe toutefois de signaler, d’après (Scott, 1988, p.
141), que le genre : « […] est un élément constitutif de rapports sociaux fondés sur des
différences perçues entre les sexes et le genre est une façon première de signifier les
rapports de pouvoir ». Le genre permet d’analyser et de comprendre les mécanismes de
construction des normes de masculinité et de féminité, les statuts des hommes et des
femmes, leur conduite, leur mode d’engagement dans l’arène du pouvoir et la vie politique
(Krook, 2010b). La notion de sexe dépasse la simple référence au biologique, c’est-à-dire
à la division, selon des critères basés sur l’idéologie de la nature, de l’humanité en deux
grandes catégories hiérarchiques : les hommes et les femmes. Mais elle correspond à la
construction sociale, politique des catégories de sexe, à l’arrangement (Goffman, 2002) des
personnes en deux grandes catégories : hommes et femmes.
La construction théorique de l’objet d’étude est un travail circulaire. Pendant ce travail, s’il
y a un besoin de précision, l’on attribuera certains qualificatifs à la notion de quotas. Ces
derniers s’appliquent à des interventions, des réformes légales et institutionnelles. Leur but
consiste à améliorer : « […] of increasing the number of women elected to political office »
(Dahlerup, 2012, p. 5). Ces mesures entendent aider les femmes à surmonter les obstacles
liés à leur élection (Hughes et al., 2017). Ces dernières ont été, dans l’histoire de la
démocratie et des élections, mises à la marge du processus de prise des décisions politiques
et publiques. Elles ont donc été frappées d’incapacité politique (Pisier et Varikas, 1997).
Les élites politiques tendent à justifier cette exclusion en recourant à l’argument de la
présupposée différence sexuelle. Ces considérations serviront à classifier les différentes
expériences nationales de quotas électoraux. Puisque l’objectif est de décrire les différents
types de quotas et les conditions pour maximiser leur efficacité.
Les études empiriques font référence à quatre types idéaux de quotas : sièges réservés,
quotas législatifs, quotas constitutionnels et quotas de partis (Tremblay, 2005; Krook,
2010). Certaines études les nomment types basiques, genres de quotas (Dahlerup, 2012) ou
modes d’action (Lépinard et Bereni, 2004). Ils sont classés selon le lieu d’enregistrement
ou de traduction de ces mesures (Krook, 2014) : est-ce dans la constitution, la loi électorale
et le règlement du parti ? D’autres les catégorisent en fonction de la séquence influencée
54
2.2.2 Les quotas légaux. Obligation d’une proportion de femmes sur les listes
Les quotas légaux de candidatures (Hughes et al., 2017) regroupent les quotas législatifs et
les quotas constitutionnels. Ils sont caractérisés par l’obligation faite aux partis politiques,
sans exception, d’inscrire sur leurs listes de candidatures une proportion déterminée de
femmes. Ce type de quotas entend influencer le processus de désignation des candidatures
et n’influence qu’indirectement les résultats des élections (Krook, 2010a). Ils sont générés
et institués à travers une disposition légale portant sur la composition hommes/femmes des
assemblées politiques. Ces mesures peuvent être intégrées dans la Constitution et/ou
traduites dans une législation particulière. Quel que soit le lieu d’insertion, c’est un acte de
nature législative ou constitutionnelle qui détermine une proportion de femmes à être
présentes dans un processus électoral.
Les réformes rendent légitime : « […] positive action and recognize 'gender' as a political
identity, altering the basic meanings of equality and representation that inform candidate
selection processes » (Krook et al., 2009, p. 785; Krook, 2010). Elles fixent souvent des
proportions de candidatures qui varient entre 25 à 50 % de femmes (Krook, 2010a). C’est
la raison pour laquelle certaines études conçoivent la parité comme un type de quota
(Lépinard et Bereni, 2004). Ce type de quotas est contraignant ; la loi sanctionne les partis
politiques qui ne respectent pas le pourcentage de nomination des candidatures dans la
fabrication de leurs listes électorales (Krook et al., 2009). Bref, quatre critères permettent
de classifier les quotas légaux. Ces derniers sont : inscription dans une loi particulière ou
la Constitution, influence sur le processus de désignation des candidatures, obligation de
respect et possibilité de recours aux sanctions en cas de non-conformité.
55
Dans les années 1990, la liste de candidats est devenue l’un des modes d’action (Lépinard
et Bereni, 2004) les plus utilisés pour établir et garantir des quotas de femmes au parlement.
Beaucoup de démocraties ont adopté cette stratégie. Le Népal et l’Argentine figurent parmi
les pionniers. En 1990, le Parlement népalais a arrêté une loi qui exige aux partis politiques
la désignation d’un quota de 5 % de femmes sur leurs listes de candidatures. L’Argentine
attire l’attention des observateurs plutôt que le Népal, puisque le pourcentage de femmes
qu’elle a fixé, en 1991, est plus significatif (Hughes et al., 2017). Lisa Baldez (2004, p.
232), qui s’intéresse aux droits de femmes en Amérique latine, rappelle que : « The
Argentine law requires women to constitute at least 30% of candidates and stipulates that
at least one woman be placed in every third spot on the electoral lists ». L’Argentine est un
leader dans la région en matière de présence des femmes en politique. Le taux de présence
de femmes a atteint la barre de 27,6 % en 1998 (Baldez, 2004).
Ces mesures sont très populaires en Amérique latine où 13 pays ont institué, de 1995 à
1999, des quotas de candidatures dans leurs systèmes électoraux (Hughes et al., 2017).
D’autres pays, dans d’autres régions du monde, vont adopter cette stratégie de partage de
pouvoir entre hommes et femmes. En 1994, la Belgique est devenue le seul pays de l’Union
européenne à adopter une législation nationale qui impose aux partis politiques des quotas
par sexes dans la composition de leurs listes de candidatures (Mateo Diaz, 2003). Mais la
Belgique ne reste pas là ; elle va innover en instituant, elle aussi, un double système de
quotas. Meier (2004, p. 587) explique le sens de cette stratégie :
La Belgique a adopté successivement deux lois sur les quotas : l’une en 1994 et l’autre en
2000. La première loi exige des partis politiques d’établir un équilibre homme/femme dans
la fabrication des listes de candidatures. La loi de 2000 porte sur l’ordre de placement des
candidatures sur les listes électorales. Elle introduit un principe d’alternance parmi les
candidates et candidats qui occupent les têtes de liste. Cette disposition concerne les trois
premières places. Elle s’appelle principe de la « tirette » ; il consiste à alterner les :
« candidats masculins et féminins sur toute la liste » (Meier et Verlet, 2008, p. 722).
Cette stratégie montre la compatibilité des types de quotas, donc la possibilité de les
combiner dans un système unique. L’objectif consiste à créer la possibilité d’influencer à
la fois la proportion et l’ordre du positionnement des candidatures sur les listes électorales.
Cette possibilité dépend d’autres facteurs tels : le système électoral, le mode de scrutin et
le contexte idéologique dans lesquels s’insèrent ces mesures. Par exemple, dans le cas de
l’Italie, une combinaison fut possible parce que, depuis les années 1970, certains partis
politiques utilisaient déjà les quotas (Meier et Verlet, 2008). C’est ce qui rend favorable
l’adoption d’une législation, en 1993, qui exigeait que : « […] that candidates in the
proportional tier would be listed in alternate order on the party lists according to gender, a
practice known as ‘zipping’ » (Weeks et Baldez, 2015, p. 124).
Dans ce même ordre d’idée, une autre expérience mérite d’être relatée. Il s’agit de la France
et de son modèle exceptionnel de parité ; cette « exception » française a été très débattue
dans les milieux politiques et académiques. La notion d’exception revoie à la labellisation
de cette politique et à ses stratégies de légitimation (Bereni, 2004 ; Bereni et Lépinard,
2004). La parité repose sur l’idée d’un partage à égalité du pouvoir entre les sexes (Sénac,
2013). Il est question, d’après Gaspard (2011, p. 152), de : « […] l’égalité des sexes et de
la cogestion par les femmes et les hommes du devenir de la société ». En France, un
mouvement social a émergé sur cette idée d’égalité parfaite et a entrainé des débats publics
sur le système politique républicain français. Suite à une révision constitutionnelle, en
1999, la France a adopté, en 2000, une loi dite sur la parité. Si du point de vue rhétorique
cette loi s’écarte du paradigme de discrimination positive (Bereni et Lépinard, 2004),
plusieurs études mentionnent que la parité désigne en pratique : « […] des quotas
électoraux nationaux imposant ou favorisant une répartition sexuée égale des candidatures
57
ou des sièges » (Sénac, 2013, p. 433: voir aussi Hughes et al., 2017, p. 334; Tremblay,
2005). La stratégie paritaire n’est autre que la version française des quotas légaux de
candidatures. Cette exception est donc un mythe (Lépinard et Bereni, 2004). Du point de
vue philosophique, elle représente toutefois une exception du fait d’avoir articulé la notion
de ‘’parité’’ au principe de l’universalisme républicain.
En somme, les quotas de candidatures s’inscrivent soit dans la Constitution soit dans une
loi particulière, dont la loi électorale. Certains contextes institutionnels et idéologiques
exigent les deux types de réformes. Ces types de quotas s’inscrivent dans une disposition
légale (Larserud et Taphorn, 2007a) et entendent influencer le processus de fabrication des
listes de candidatures en y introduisant des formules d’équilibre entre les sexes. L’équilibre
renvoie à l’inscription d’une proportion donnée de candidatures par sexes sur les listes
électorales des partis politiques. La proportion exigée peut varier de 25 à 50 % de femmes ;
la non-conformité à la loi ou à la constitution entraîne des sanctions (Larserud et Taphorn,
2007a, p. 7).
Les quotas législatifs et les quotas constitutionnels que nous regroupons sous le genre de
quotas légaux de candidatures s’adoptent partout dans le monde. Des études comparées
relèvent que ces modes d’action contre la discrimination des femmes en politique sont
surtout utilisés en Amérique latine. Cette popularité régionale s’explique par effets de
contagion mutuelle (Meier, 2004) ; ces pays ont des proximités géographiques, historiques
et politiques.
2.2.3 Les quotas de partis. Volonté d’équilibre de genre sur les listes électorales
Les partis politiques sont au centre de toute stratégie de quotas ou d’autres stratégies de
féminisation de la vie politique. Pour les quotas législatifs et constitutionnels, la loi les
contraint de traduire le principe de proportion par sexe dans leurs procédures de nomination
des candidats et des candidates. Mais une autre stratégie parallèle existe. Puisque ce sont
les partis politiques qui contrôlent le processus de fabrication des candidatures, ils peuvent
en modifier la procédure s’ils le jugent nécessaire ou s’ils subissent des pressions internes
et externes. D’où les quotas intra-partisans qui s’entendent comme : « […] measures that
58
are adopted voluntarily by individual parties that commit the party to aim for a certain
proportion of women among its candidates to political office » (Krook, 2010a, p. 7).
Cet engagement inspire le changement des critères de recrutement des aspirants candidats
et de sélection des candidats. La nouvelle procédure traduit la volonté des élites du parti de
prendre en compte les valeurs d’égalité de sexes, d’être concurrents sur le marché électoral
et de projeter une image positive vers l’électorat. D’après Caul (2001), des facteurs internes
et externes peuvent influencer un parti à adopter ce type de quotas. Elle en identifie quatre
facteurs : « […] (1) Women Activists, (2) Electoral System, (3) Diffusion and Competition,
and (4) Party Characteristics » (Caul, 2001, p. 1214).
Nous rappelons que, d’après Meier (2004), des études identifient un effet de contagion
entre les types de quotas et leurs contextes d’adoption. Les pays qui ont certains rapports
de proximité s’attirent vers le même modèle de quotas. Les quotas législatifs en Amérique
latine en constituent un exemple. On peut également considérer le cas des sièges réservés
en Asie du Sud. Comme théorie, l’effet de contagion peut, du coup, expliquer l’attractivité
des mesures de quota de femmes. Elle peut expliquer pourquoi certains partis politiques :
« […] follow others in introducing a measure of the same type » (Meier, 2004, p. 585).
D’autres auteures ajoutent que le succès de l’expérience dans un parti politique ou dans un
pays explique son extension dans d’autres sphères, d’autres arènes (Hughes et al., 2017).
Dans le cas de l’Inde et du Pakistan, le passé colonial est à considérer. Un type de quotas
59
a donc tendance à se diffuser dans la région où il connait son premier succès. Ce qui
pourrait faciliter son processus d’adoption. Au sujet de la théorie de l’effet de contagion,
Hughes et al. (2015, p. 360) expliquent :
Les quotas partisans connaissent un grand succès dans les pays scandinaves. En Suède, les
femmes occupaient, au parlement, en 1970, 14 % des sièges (Krook, 2010a, p. 107). Depuis
l’année 2008, les partis politiques ont systématiquement adopté et appliqué des mesures de
quotas dans la fabrication de leurs listes électorales. Ils étendent cette politique à tous les
cycles électoraux. La proportion des femmes au parlement suédois est passée, au cours de
l’année 2019 (IPU), à plus de 47 %. Ces résultats sont dus à l’application du principe
d’alternance homme et femme sur les listes de candidatures. Il faut remarquer que ces
succès sont enregistrés dans un pays où la féminisation de la politique était, depuis les
années 1970, déjà considérable.
Baldez (2004) rappelle que, depuis août 2003, 122 partis politiques, éparpillés dans
58 pays, ont endossé et pratiqué ce genre de mesures. Les proportions de candidatures que
ces partis fixent par sexe ne diffèrent pas de celles des quotas légaux. Ils tendent à les fixer
dans l’intervalle de 25 à 50 % (Krook, 2010a). Certains partis utilisent des formules
neutres ; d’autres structures partisanes font usage de la notion de quota de femmes. Ces
formules peuvent être appliquées à toutes les étapes du processus de fabrication des listes,
à savoir : recrutement et sélection des candidates et ordre de leur inscription sur les listes
électorales.
Au final, Sénac-Slawinski (2009, p. 32) ne voit pas : « [...] de dichotomie caricaturale entre
les quotas inscrits dans la législation nationale et ceux instaurés par les partis politiques ».
60
En effet, les quotas partisans ressemblent aux quotas légaux, entre autres, sur un point. Ils
veulent tous influencer l’offre de candidatures ou le processus de désignation des personnes
qui porteront les couleurs des partis (Krook et al., 2009). Ce qui fait la spécificité des quotas
partisans c’est son caractère volontaire. Ils n’exigent pas le passage d’une disposition légale
dans une assemblée politique formelle. Les partis politiques ne risquent donc aucune forme
de pénalité s’ils décident d’écarter ou de ne plus respecter ce principe. Leur ambigüité
correspond au fait que, dans certaines situations, ils concourent à renforcer le leadership
du chef de parti (Hughes et al., 2017), sa visibilité ; dans d’autres, ils divisent le parti. Leur
force est que le parti politique garde toute son autonomie, toute sa liberté dans le choix de
ses candidats et candidates.
La réservation de sièges d’élues (Sénac, 2013) est une mesure correctrice très controversée
dans la littérature sur les quotas. Parce que ces types de quotas influencent l’élection des
candidates, des auteures l’appellent quotas basés sur les résultats (Larserud et Taphorn,
2007a). Sur le plan historique, ces mesures ont émergé en Afrique, en Asie et au Moyen-
Orient dans les années 1930. Elles remontent à la période coloniale puisque ce fut l’Empire
britannique qui a introduit les sièges réservés, en Asie du Sud, à travers Government of
India Act (Krook, 2010a). L’Inde et le Pakistan d’aujourd’hui étaient, à cette époque, une
seule et même colonie de la Grande-Bretagne. Ces mesures, qui ont d’abord été adoptées
pour fortifier la présence de certaines castes dans les assemblées politiques, entendaient
sortir les femmes de la situation d’exclusion en leur réservant un nombre de sièges au sein
du Conseil d’État et à l’Assemblée fédérale. Un nombre de six sièges leur était octroyé
dans les instances administratives et de neuf au sein des organes de délibération. Les
provinces et les villes constituaient les échelles territoriales où devaient sélectionner les
femmes habilitées à occuper ces sièges. C’est donc dans un contexte colonial que ces
mesures ont été instituées en Asie du Sud (Rai et al., 2006; Krook, 2010) en faveur des
minorités, dont les femmes.
Les sièges réservés ont connu - depuis 1947, l’année de l’indépendance du Pakistan -
plusieurs évolutions qui les détachent de la dynamique coloniale anglaise. Aux alentours
61
des décennies 1960, 1970 et 1980, une nouveauté va tracer la ligne qui permet de passer
d’une pratique coloniale à l’introduction du quota dans le système politique de ces pays.
L’Inde et le Pakistan vont adopter, dans un contexte postcolonial et d’hésitation, des
dispositions légales pour abolir ou préserver ces mesures. Si l’Inde a aboli ces mesures
pour son parlement en 1980 (Krook, 2010a), Pakistan les a instituées, depuis les
années 1950, dans ses assemblées législatives et provinciales. Par exemple, la Constitution
pakistanaise de 1962 : « […] reserved six seats for women in the 156-member National
Assembly and five seats for women in each of the two 155 member Provincial Assemblies
in East and West Pakistan » (Rai et al., 2006, p. 62-63).
La comparaison de ces deux pays montre que les rapports de force et le climat idéologique
sont plus favorables au Pakistan qu’en Inde à l’adoption d’une législation sur les sièges
réservés. L’Inde n’a pu instituer ce système qu’à l’échelle locale. Les élites politiques
résistent à étendre la politique de réservation à l’échelle nationale. En 2008, un rapport de
l’Union interparlementaire révèle que : « […] women occupy 23 percent of the seats in
Pakistan, but only 9 percent of these seats in India » (Krook, 2010a, p. 57). Alors qu’à
l’échelle nationale, l’augmentation du nombre de femmes élues est rapide et considérable.
Ce progrès résulte de la révision constitutionnelle de l’année 1992 qui exige, à l’échelle
locale, qu’un minimum de 33 % de sièges soit réservé aux femmes (Rai et al., 2006).
Ces évolutions qui interviennent dans les décennies 1990 à 2000 valent pour le Bangladesh,
où le nombre de sièges réservés aux femmes, à échelle locale, a atteint, selon (Rai et al.,
2006), la barre de 25 %. Au Maroc, la Monarchie a institué, en 2002, un système de liste
62
Beaman, Pande et Cirone (2012, p. 209) entendent par sièges réservés un : « […] tool that
can be used to give women access to power structures and increase their role in policy
decision ». Ces pays ont adopté les sièges réservés à la suite des procédures de révision de
leur Constitution respective. Dans certains cas, les lois électorales mettent en place des
modalités et des mécanicismes d’application de ces mesures. Car il faut les adapter au
système politique et au mode de scrutin. Ce qui donne une diversité de formes de sièges
réservés ; chacune produit ses propres résultats. En ce qui concerne les sièges réservés et
les modes de scrutin, Krook (2010a, p. 7), qui rapporte des études de cas qui sont réalisées
en Asie du Sud, signale que :
Ces considérations permettent de classer les sièges réservés dans la catégorie de quotas de
nature constitutionnelle et/ou législative. Ce sont des mesures à caractères contraignants
qui ciblent le problème de la sous-représentation politique des femmes. Les sièges réservés
ont toutefois un trait qui les distingue des quotas légaux et des quotas partisans. Ils ne sont
pas le plus souvent médiatisés par des compétitions électorales ouvertes qui constituent
l’une des caractéristiques de la démocratie représentative ; car les sièges réservés ne visent
pas l’offre de candidatures, mais les résultats des élections (Tremblay, 2005). En termes de
variété et de singularité, Sénac (2013, p. 437) rappelle que :
En résumé, la spécificité de sièges réservés réside dans le fait qu’ils : « […] designate
places for women in political assemblies that men are not eligible to contest […] » (Krook
et al., 2009, p. 783). Parce qu’ils peuvent être appliqués sans passer par des scrutins ouverts,
ils pourraient servir à légitimer des régimes politiques non démocratiques. Outre cet enjeu,
ces mesures engendrent « […] certains effets indésirables » (Tremblay, 2005, p. 208). On
doute, d’une part, qu’elles n’établissent pas le plafond de verre, dans le sens que les élus
se voient empêcher d’accéder aux positions de pouvoir au Parlement. Le terme de plafond
de verre désigne le phénomène d’une large absence des femmes dans les positions de
pouvoir au sein des entreprises malgré les progrès réalisés en matière d’accès des femmes
64
au marché de travail (Lippmann, 2018, p. 850). Mais, d’autre part, on craint également que
les politiques de quota ne divisent pas l’Assemblée parlementaire en sièges réservés aux
femmes et en sièges dits normaux. Cette catégorisation peut servir à attacher des stigmates
aux élues-quotas ou à disqualifier leurs travaux. Le potentiel des sièges réservés réside dans
le fait que la disposition qui les officialise garantit un accès direct et rapide des femmes
aux mandats de représentation.
Les quotas veulent faciliter l’accès de plus de femmes aux fonctions législatives. Mais rien
ne garantit que cette stratégie va permettre d’atteindre cet objectif (Tremblay, 2005). Les
partis politiques résistent souvent à leur introduction et à leur mise en œuvre. Ils
développent un ensemble de tactiques pour les bloquer, les contourner ou neutraliser leur
potentiel. Ces résistances ponctuent tout le processus d’établissement des politiques de
quotas : de la conception à l’application. Les partis peuvent même, selon l’état des rapports
de force, en exiger le retrait. Considérant ces enjeux, quelles sont les conditions qui peuvent
maximiser leur efficacité ? La notion d’efficacité renvoie aux relations établies entre types
de quotas et proportion des femmes élues aux assemblées parlementaires (Tremblay, 2005).
D’après Krook et al. (2009, p. 782), l’efficacité des quotas dépend, entre autres, de leur
conception : « […] their 'fit' with existing institutional frameworks and the balance between
actors who support and those who oppose quota policies ».
Des quatre types de quotas présentés ci-dessus, les sièges réservés se révèlent être les plus
efficaces (Tremblay, 2005; Krook, 2010a) ; puisqu’ils visent, sans aucune médiation, le
résultat des élections. Leur efficacité est donc consubstantielle aux termes même de leur
formulation. L’unique enjeu consiste à instituer ces mesures par une disposition légale et à
l’appliquer. Cette formule peut avoir, rappelons-le, plusieurs modes d’application : sièges
réservés, circonscriptions ou listes réservées ou « best loser system » (Larserud et Taphorn,
2007a, p. 9). Le « Best loser system » est : « […] method of filling reserved seats by women
who performed best among those who did not gain a seat » (Hughes et al., 2017, p. 333).
Plutôt que des difficultés en matière d’efficacité, des résistances ne peuvent donc survenir
qu’au moment de la conception et de l’adoption de ces mesures.
65
D’autres types de quotas visent le processus de désignation des candidats et des candidates
au sein des partis politiques. Leur efficacité dépend de plusieurs paramètres, dont leur
conception et leur contexte d’implémentation. D’après plusieurs études, le quota est devenu
un levier efficace quand il est implémenté dans un contexte qui lui soit favorable (Meier et
Verlet, 2008). Si le contexte international parait, depuis les années 1990, favorable à la
diffusion et à l’articulation de revendication de quotas, leur traduction à l’échelle nationale
rencontre pas mal de résistances.
Le terme de la traduction des quotas en disposition légale constitue un enjeu de taille dans
le procès de leur légitimation (Sénac-Slawinski, 2009), dans la lutte pour imposer un quota
de femme en politique. Les termes de quotas par sexe, quotas de genre, parité ont chacun
des effets symboliques différents sur les opinions des gens et le processus d’adhésion à ces
politiques. Des rapports de force, le système politique d’un pays ou le progrès qu’il a
accompli sur la route de l’égalité entre hommes et femmes déterminent le choix de l’un ou
l’autre terme. En France, par exemple, le contexte institutionnel républicain a contraint les
acteurs au choix de la stratégie de la parité (Bereni et Lépinard, 2004). Cela montre que
des termes plus neutres facilitent l’adhésion et le passage de la législation de quotas
(Tremblay, 2005 ;Krook, 2010a). La légitimité du type de quota, adopté dans un contexte
national, est une des conditions d’efficacité de cette mesure sur le terrain électoral.
La mobilisation des femmes à l’intérieur et hors des partis politiques en constitue une autre.
Les groupes de pression peuvent forcer les élites des partis politiques à revoir leur pratique
de recrutement et de sélection des candidats en établissant des règles qui facilitent l’arrivée
de femmes au parlement. Car les femmes se heurtent souvent à des jugements dépréciatifs
(Del Re, 2011), à des formes tacites de discrimination pendant le processus de fabrication
des listes de candidatures. La réforme des procédures et critères de confection des listes
électorales participe à la création des conditions d’efficacité des quotas. Del Re (2011, p.
102) conclut, sur les femmes et les partis politiques en Italie, que : « L’augmentation du
pourcentage d’élues résulterait […] d’une promotion par le haut, d’un mode de recrutement
parlementaire mieux contrôlé par la direction que de pressions spontanées ».
66
La forte présence des femmes dans les partis politiques permet d’écourter la période de
rodage nécessaire à l’accession aux mandats de représentation. Weeks et Baldez (2015)
découvrent que c’est l’attitude discriminatoire des élites politiques, plutôt qu’un déficit de
qualification, qui entrave la féminisation du parlement. Des études réalisées sur les cas de
l’Argentine, de la France et de l’Ouganda montrent que les élues-quota présentent un profil
socioculturel parfois plus convaincant que celui des élues non-quota (Tremblay, 2005;
Dahlerup, 2012). Ces recherches suggèrent : « […] Quota laws can overcome this block by
forcing parties to change their behavior and select more women » (Weeks et Baldez, 2015,
p. 141).
Tremblay (2002) ajoute que l’enjeu d’un scrutin se situe plus dans la sélection et l’élection
des candidats et candidates. Ces deux moments sont importants dans le processus électoral
parce qu’ils conditionnent la possibilité de succès d’une candidate. L’élue est la personne
qui a pu transiter, avec succès, d’une étape à l’autre. Chaque étape a ses propres obstacles ;
les notables et les chefs de partis ont, selon leurs attentes (Tremblay, 2005), leurs intérêts,
la possibilité d’orienter le processus. La plupart de ces attentes nuisent à l’élection des
femmes. D’où la nécessité d’adapter les procédures de désignation des candidatures à la
logique des quotas. Cette adaptation permet d’éviter ces mécanismes de discrimination et
peut avoir un effet positif sur l’offre de candidatures féminines et les conditions d’élection
des femmes.
Inspirée de la théorie de la masse critique, Caul (2001, p. 1216) pense que la fortification
de la présence des femmes à la hiérarchie d’un parti politique : « […] should increase
women's chances for pushing for candidate quotas ». Certaines chercheuses critiquent cette
théorie parce qu’elle tend à doter une essence aux rapports sociaux (Tremblay, 2005). Cette
dernière postule qu’à partir du seuil symbolique et numérique du tiers de présence dans un
organisme, une minorité serait en mesure d’influencer le processus décisionnel (Sénac,
2013, p. 441). La construction d’une alliance autour du quota peut forcer l’élite politique,
l’État et les partis politiques à engager des réformes nécessaires à l’élection des femmes.
D’où l’importance d’un mouvement de femmes dynamique, fort, sensible à l’inégalité des
sexes en politique dans la création des conditions qui peuvent efficace une politique de
quota. Outre le contexte, la mobilisation, les partis politiques, d’autres facteurs d’ordre
institutionnel médiatisent les rapports entre quotas et accès des femmes au parlement.
Les quotas s’insèrent dans un système électoral qui a ses mécanismes de fonctionnement.
Le système électoral correspond au dispositif légal, administratif et technique qui régit le
processus électoral (Tremblay, 2005). Il inclut le mode de scrutin avec lequel les quotas
68
Larserud et Taphorn (2007a) affirment qu’un mode de scrutin recouvre trois éléments :
magnitude du district électoral, formule et structure de ballotage. La notion de magnitude
correspond au nombre moyen de sièges à pouvoir disponibles par circonscription ou district
électoral (Schmidt, 2009). Le ballotage renvoie à la structure du vote ; il s’agit des règles
qui permettent de déterminer les candidates, les candidats qui occuperont la position utile,
de compétitivité (Tremblay, 2002) sur la liste électorale. La liste peut être ouverte, fermée
ou mixte. La formule regroupe les règles qui permettent de désigner la personne qui gagne
le siège. Ces éléments interagissent afin de traduire les votes en sièges (Tremblay, 2005).
Il existe différentes méthodes pour les combiner. Chaque combinaison pourrait aboutir à
un mode spécifique de scrutin ou de système électoral. Les spécialistes des questions des
élections définissent deux catégories de modes de scrutins : les systèmes de représentation
à scrutin majoritaire et les systèmes de représentation proportionnelle de scrutin de liste.
Sans entrer dans les détails et la complexité des systèmes électoraux, on peut affirmer que
chacune de ces catégories intègre des sous-catégories.
Les modes de scrutin ont, bien sûr, des implications politiques ; ils ne sont pas neutres dans
la traduction des votes en sièges (Larserud et Taphorn, 2007a). Si certains renforcent les
obstacles à l’élection des femmes, d’autres pourraient favoriser l’arrivée de plus de femmes
en politique. Par exemple, le système électoral binominal du Chili et son taux élevé de
réélection défavorisent les femmes (Marques-Pereira, 2011, p. 121). Alors que l’efficacité
dont fait montre la politique de quotas, en Argentine, repose, entre autres, sur un mode de
scrutin proportionnel de liste (Gray, 2003).
Pour Caul (2001), Meier (2004) et Larserud et Taphorn (2007a), les modes de scrutin de
listes et proportionnels se révèlent les plus favorables à l’implémentation et au succès des
quotas. Parce que cette méthode de traduction de votes : « […] (a) always uses multi-
member districts, and (b) […] the party magnitudes resulting from elections under List PR
69
systems are usually large » (Larserud et Taphorn, 2007a, p. 15). Les facteurs qui jouent en
faveur des quotas sont, entre autres, l’ordre de placement des candidatures sur les listes
électorales et le nombre de sièges à pouvoir par partis et district électoral (Gray, 2003). Les
femmes ont plus de chance de gagner quand la magnitude du district est large et que les
partis peuvent concourir pour plusieurs sièges. Tremblay (2005, p. 262) nuance que : « Le
nombre de sièges à pouvoir dans un district électoral et le nombre de sièges qu’un parti y
remporte […] » ne constituent qu’un des facteurs qui peuvent influencer l’efficacité des
quotas.
Mateo Diaz (2003) a étudié l’utilité et l’efficacité des quotas en Belgique. Ses résultats
suggèrent que l’augmentation du nombre des élues résulte davantage du choix des électeurs
et électrices qui ont voté : « […] pour des partis où les femmes étaient plus nombreuses en
position éligible ou situées juste derrière ces positions (« positions de combat ») » (Mateo
Diaz, 2003, p. 791). Outre la composition des listes de candidatures, la position utile des
femmes sur ces dernières, la possibilité de solliciter la réélection (Baldez, 2014) et le cumul
de mandats constituent des facteurs qui peuvent également influencer l’efficacité des
quotas. Cela signifie qu’afin d’accroitre l’efficacité des quotas, la réforme de loi électorale
en est une condition. Il s’agit des réformes qui ciblent les discriminations implicites basées
sur le genre, le sexe et la sexualité. Car l’on peut toujours engager des réformes sans se
soucier de ces problèmes (Tremblay, 2010a).
La mise en application de ces réformes peut mettre à mal le monopole électoral masculin,
c’est-à-dire permettre de libérer aux femmes plus de sièges à pourvoir. Toutefois, si les
quotas peuvent contribuer à fortifier la part féminine des assemblées politiques, l’on pourra
objecter que ces dispositions risqueraient de nuire à la possibilité de réaliser une carrière
parlementaire, à la professionnalisation de la vie politique. Par rapport à cette objection,
certaines chercheuses répondent que c’est la persistance des mécanismes de discrimination
basée sur le genre, et non autres raisons, qui justifie le recours à ces mesures de rattrapage
(Marques-Pereira, 2003).
Enfin, concernant les types de quotas et leurs conditions d’efficacité, des études comparées
montrent que les quotas prescriptifs donnent des résultats plus significatifs, et dans un
70
temps plus court que les quotas volontaires (Sénac, 2013). D’où la démarcation faite entre
le modèle scandinave (incrémental track) et le modèle rwandais (fast track). Le système de
sanction auquel recourent les quotas légaux explique, en partie, cette différence (Tremblay,
2005). Ces dispositions semblent toutefois vouées à l’échec sans l’engagement, la volonté
des partis politiques à œuvrer en faveur de l’égalité entre hommes et femmes en politique.
Il existe une diversité d’expériences de quotas : sièges réservés, quotas législatifs, quotas
constitutionnels et quotas de partis. Plusieurs critères servent à les classifier : la localisation
de la disposition légale qui les institue, le moment électoral qu’ils tendent à influencer ainsi
que leur statut obligatoire ou volontaire. Sur les conditions de maximisation de l’efficacité
des types de quotas, la réalité est encore plus complexe. Les sièges réservés sont les plus
efficaces parce qu’ils visent directement le résultat de l’élection. De ceux qui influencent
la désignation de candidatures, les quotas législatifs et constitutionnels se révèlent un peu
plus efficaces que ceux de partis. Le recours à la loi et aux mesures de coercition qui les
accompagnent explique cette différence.
Au-delà de cette nuance, l’efficacité de ces trois types de quotas exige des conditions
similaires que sont : un climat idéologique favorable à l’égalité des sexes, un mouvement
de femmes dynamique et un système politique compatible aux quotas. Des études menées
auprès des partis politiques révèlent que la constitution des listes de candidatures constitue
un lieu de reproduction des inégalités de genre (Fernández García, 2017). Cela fait ressortir
les limites de la stratégie de quotas et la volonté des élites politiques à résister à l’égalité
entre hommes et femmes en politique. D’après Dahlerup (2012, p. 8), ces résultats
suggèrent que : « […] context may mediate the impact of institutional, structural, and
cultural factors to promote or undermine the election of women ». Il faut donc enlever ces
obstacles pour pouvoir faciliter l’accès des femmes au mandant de représentation politique.
Cette section abordera la question de la citoyenneté politique des femmes dans son rapport
aux quotas. La notion de citoyenneté politique renvoie à trois aspects : la représentativité,
l’imputabilité et la démocratisation. L’objectif est de voir en quoi les quotas fortifient la
71
La citoyenneté est une qualité attribuée (Braud, 2003) à une personne qui l’autorise, la rend
capable d’exercer des droits et des devoirs. Dans le cadre d’un formalisme juridique, la loi
définit les procédures d’obtention et de retrait de cette qualité. Certaines études tendent à
réduire la citoyenneté aux droits politiques. Cette approche nie le cadre social dans lequel
s’octroient et s’exercent les droits de vote, d’éligibilité et de représentation. Les conditions
d’accès aux ressources nécessaires à l’effectivité de cette capacité ne sont pas considérées
(Bourdieu, 1981). Il s’agit d’une conception bien passive et restrictive de la citoyenneté.
Par exemple, dans ses aspects plus subjectifs, on parle de la citoyenneté culturelle – le droit
d’être dans l’espace public sans crainte de représailles. On parlera aussi de citoyenneté
sexuelle; il s’agit pour les femmes du droit de contrôler leur corps, leur désire, leur sexualité
et leur capacité de reproduction.
Repenser la notion de citoyenneté revient à analyser les modes d’usage de cette qualité et
le cadre de son exercice. Est-ce un cadre large ou restreint ? Il s’agit de penser la limite et
l’extension possibles de cette qualité. Le concept de citoyenneté qui est lié aux quotas est
plutôt large ; il ne se limite pas à l’aspect procédural et statutaire. Il englobe plusieurs
facettes de la vie sociale et s’affirme par la médiation d’une praxis. C’est dans ce cadre
pratique, réflexif et processuel que se construisent l’identité et la subjectivité politiques des
femmes.
La citoyenneté politique des femmes est donc un attribut qui donne la qualité et la capacité
aux femmes à exercer des droits de vote, d’éligibilité et de représentation. Ces derniers
constituent les piliers de la démocratie représentative (Tremblay, 2005). D’ordinaire, la
littérature sur le sujet tend à confondre l’inclusion politique et la représentation politique.
Tremblay (2005, p. 83) a tenté d’enlever la confusion en disant que la notion d’inclusion
72
s’applique aux droits de vote et aux droits de candidature « […] alors que la représentation
réfère à la présence au sein des assemblées législatives. […] l’inclusion n’implique pas la
représentation […] ». Cette lecture permet d’orienter cette réflexion vers la représentation,
la présence des femmes à des postes de pouvoir. L’accès des femmes au mandat de
représentation va donc au-delà des droits de vote et de participation politique. Il inclut
également le droit à une égale participation aux ressources politiques (Phillips, 2012).
Deux autres remarques méritent d’être faites avant de poursuivre ; la nature du problème
posé, dans le cadre de cette section, le justifie. Car il s’agit de voir jusqu’à quel point les
quotas ont contribué à fortifier la citoyenneté politique des femmes. Ce groupe social a été,
rappelons-le, de manière radicale et sans aucune considération, frappés de l’incapacité
politique (Pisier et Varikas, 1997). Nous soulignons que cette exclusion a été massive sans
chercher, pour autant, à en déterminer les causes. Il importe, par ailleurs, de remarquer que
si cette exclusion, qui a duré longtemps, fut massive, l’intégration des femmes dans la vie
politique se réalise de façon lente, hiérarchique et sélective. Norris et Inglehart (2001)
observent la persistance de divers obstacles qui retardent l’accès des femmes au politique.
Elles ont dû lutter et luttent encore pour recouvrer pleinement « […] le droit […] de
consentir à [leur] réunion au corps social », le « droit égal à concourir […] à la confection
des lois et des actes publics et […] à toute élection » (Pisier et Varikas, 1997, p. 135).
Les quotas manifestent la volonté de rompre avec une modalité de représentation qui est
imposée de haut, du centre. Cela en considérant que l’exclusion politique serait, dans
beaucoup de sociétés, sur la voie d’être éradiquée. La citoyenneté est cette capacité que les
femmes acquièrent par et dans la lutte contre les différentes formes d’exclusion (Neveu,
2013) et/ou de sous-représentation politique des femmes. Elle résulte du processus de prise
de conscience, de contestation de la situation d’injustice que connaissent les femmes dans
la vie politique. La citoyenneté s’entend alors comme un mode de subjectivation politique,
une dynamique conflictuelle, relationnelle et processuelle (Neveu, 2013, p. 208).
Les quotas permettent, dans cette perspective, de repenser les notions, les pratiques de
citoyenneté et de représentation politique, car : « […] les assemblées législatives à travers
le monde qui présentent les taux les plus élevés de femmes parlementaires découlent le
73
plus souvent d’un scrutin proportionnel fortifié de quotas […] » (Tremblay, 2005, p. 103).
Les quotas ne déconstruisent pas tous les mécanismes de discrimination qui opèrent contre
la présence des femmes dans l’arène politique ; ils peuvent même en générer d’autres
(Dahlerup, 2013). Au Bangladesh, les mécanismes d’application des sièges réservés ont eu
comme effet la marginalisation du statut des élues et l’accentuation de leur dépendance par
rapport aux chefs des partis politiques (Chowdhury, 2002). Quand le contexte idéologique
et institutionnel est cependant favorable, cet outil renforce la présence politique de femmes.
Les quotas constituent donc l’un des modes d’effectivité de la citoyenneté politique des
femmes. Cette stratégie facilite l’accès des femmes au mandat de représentation, donc au
parlement.
Tremblay (2005) affirme que la représentation est l’une des notions les plus complexes de
la science politique. Elle se veut, par essence, être :
Par-delà la dimension théorique, la représentation est une valeur qui s’incarne, poursuit la
politologue, dans un État, des partis politiques et des personnes habilitées à défendre les
intérêts des populations. Les élues issues d’une expérience de quota ou les « femmes-
quotas » (Dahlerup, 2013) devraient, en principe, représenter l’électorat féminin et/ou ses
intérêts. La représentation prend effet à travers la présence et l’action des femmes au sein
des assemblées législatives. Selon Pitkin (1967), la présence et l’action constituent des
modalités du concept de représentation politique. La présence a un aspect descriptif et un
aspect symbolique. Le symbolique théâtralise l’idée qui voit en la performance d’une
femme élue celle de toutes les femmes. La représentation symbolique s’étend à une plus
large dimension en considérant comment : « […] legislators’ presence shapes the belief
and attitudes held by elites and mass publics » (Dahlerup, 2012, p. 155).
74
La représentation descriptive considère les traits identitaires d’une minorité visible. Elle
nie les intérêts, les émotions qui pourraient, par exemple, lier les élues et les personnes
représentées. D’où l’importance de l’action qui permet d’entrevoir ce qui les associe dans
une dynamique de démocratie représentative et délibérative. Cette considération va au-delà
des traits caractéristiques de ces deux entités et permet de comprendre comment les élues
parlent et agissent au nom des personnes représentées. Les quotas contribuent-ils à établir
un rapport d’imputabilité entre les élues et les populations ? Se sentent-elles responsables
envers ces populations ? Dans quelle mesure les quotas contribuent-ils à démocratiser la
représentation politique ? La démocratisation renvoie à la participation indirecte, hors du
parlement, des personnes représentées, de l’électorat au travail législatif.
Les quotas agissent à limiter les effets négatifs de ces facteurs sur l’entrée des femmes en
politique. Selon Tripp et Kang (2008, p. 338), combinées aux modes scrutin proportionnel
à listes, ces mesures aident à : « […] overcome constraints on women’s representation
posed by economic underdevelopment, cultural influences, and even electoral systems ».
Les quotas privilégient l’approche descriptive de la représentation politique (Krook,
2010b) en rendant plus efficace l’espace de rencontre créé entre candidates, paris politiques
et électorat. La variable genre participe à la construction et à la configuration de cet espace.
L’approche descriptive repose sur l’idée que les élues, les représentantes et les personnes
représentées partagent des traits caractéristiques communs (Maillé, 2012).
L’état de la recherche sur les impacts des politiques de quota montre que, dans un système
électoral adapté et dans un pays au climat favorable à l’égalité des sexes, ils augmentent le
pourcentage d’élues en politique (Hughes et al., 2017). Cette présence renvoie à deux
phénomènes de représentation : la représentation-miroir et la représentation symbolique.
Sur la représentation-miroir, les cas de l’Argentine, du Rwanda et de la Suède confirment
l’hypothèse selon laquelle les quotas contribuent à fortifier la citoyenneté politique des
femmes en termes de représentativité. Ces mesures facilitent l’augmentation du nombre de
femmes élues dans les assemblées législatives de ces pays.
76
Cette présence numérique génère des controverses dans le champ des études sur genre et
politique. Les personnes non sympathiques aux quotas croient que les élues vont réduire la
qualité de la représentation politique. Elles seraient moins compétentes que leurs collègues
non-quota (femmes et hommes). En priorisant le critère de sexe, les partis politiques, qui
appliquent ces mesures, ne prêtent plus attention aux compétences dans la sélection des
candidatures féminines. De plus en plus d’études portent sur les profils des parlementaires
des deux sexes. Leur objectif consiste à tester la validité de l’hypothèse de la compétence.
Hughes et al. (2017, p. 342) rapportent :
Murray (2012) a mené une recherche auprès des parlementaires en France dans le contexte
de l’application de la loi sur la parité. L’auteure a mobilisé les variables suivantes : le sexe,
l’âge, l’expérience et la profession des membres de l’Assemblée nationale. Le sexe lui sert
de variable indépendante. Ses résultats suggèrent que les femmes élues à travers la parité
ressemblent plus aux hommes qu’aux femmes non-quota. La chercheuse a abouti à deux
conclusions. Premièrement, sur le plan de l’âge et de la profession, ce type de quotas permet
de fortifier la représentativité de la société. Deuxièmement, en ce qui a trait à l’impact des
élues paritaires et des autres collègues sur le travail législatif, la vie parlementaire est quasi
similaire (Murray, 2012). Leur performance parait donc identique (Edgell, 2017).
Dans le cas de l’Ouganda, des doutes planaient sur la qualification et les caractéristiques
des femmes appelées à occuper les sièges réservés. O’Brien (2012) a mené une étude sur
ce sujet en appliquant le concept de représentation descriptive. Son matériau empirique est
constitué des données biographiques tirées du site du Parlement ougandais. Les résultats
prouvent qu’au lieu d’un déficit, ces élues ont même parfois des niveaux de qualification
plus élevés que leurs collègues masculins. Krook et Zetterberg (2014) partagent cet avis en
rappelant qu’au-delà de l’aspect numérique, des études montrent que les quotas agissent
sur la qualité de la représentation politique.
77
Les débats s’orientent sur les méthodes d’évaluation des contributions des femmes-quotas
aux activités du parlement (Murray, 2012). Ils interrogent le concept de représentation
descriptive. Franceschet et Piscopo (2012, p. 43) constatent que : « […] debates on quotas
raise questions about the representativity of officeholders, that is, about which
characteristics and traits make officeholders representative of citizens ». Peu de recherches
sont réalisées sur le capital social, symbolique de ces femmes élues et leur influence sur la
vie parlementaire et l’opinion publique. D’après Paxton (2002, p. 256), le capital social :
La représentation symbolique définit, par conséquent, une autre modalité de rencontre entre
les instances politiques et la société. On entend par société l’espace dans lequel s’associent
et se divergent des groupes de personnes qui sont sociologiquement différenciés (Leydet,
2002). La politique crée, facilite cet espace de médiation qui constitue un lieu de production
de normes, de valeurs à caractères symboliques. Le symbolique renvoie à l’ensemble des
croyances, des images qui sont construites sur et par la présence des femmes en politique
(Lombardo et Meier, 2016). Il s’agit, en d’autres termes, du sens que la société attache à
leur présence politique. D’après Lombardo et Meier (2016, p. 12) expliquent que :
78
Meier (2012) a réalisé une étude sur les quotas et la représentation symbolique des femmes
en Belgique. Pour elle, les quotas pour les femmes peuvent avoir au moins deux sens. Ils
peuvent, d’une part, servir comme un outil qui est au service de l’équilibre entre hommes
et femmes en politique. Ils peuvent, d’autre part, viser l’égalité, la justice et l’équité entre
les sexes. Considérés dans le sens d’une valeur, les quotas fortifient la présence symbolique
des politiciennes en Belgique (Meier, 2012). Toutefois, Meier (2012) dénote un paradoxe
dans le cas belge. En effet, si la loi sur les quotas :
Ces mesures portent les partis politiques belges à changer d’attitudes et de comportements
par rapport au sexe, aux femmes. Dans une recherche sur les quotas au Mexique, Zetterberg
(2012) est parvenue à des résultats contraires. Elle voulait déterminer leurs impacts sur les
électrices mexicaines au regard de la représentation symbolique. Deux aspects des attitudes
et des comportements politiques des électrices l’intéressent : engagement politique et
79
perception de la légitimité des institutions politiques. Cette étude s’étendait sur les échelles
fédérale et nationale de la politique au Mexique. La chercheuse a mis en corrélation deux
variables : attitude politique et présence des femmes. Les résultats suggèrent que la
féminisation de la sphère politique n’influence pas les attitudes, les opinions des électrices
mexicaines sur la présence des femmes dans les fonctions électives. Plusieurs éléments
expliquent cette situation, en particulier le caractère autoritaire et corrompu du système
politique mexicain et la non-sensibilisation des électrices aux lois(Zetterberg, 2012, p. 185-
186).
Ces deux études de cas génèrent deux remarques conclusives. D’une part, les symboles et
leurs effets sont importants dans la compréhension de la présence des femmes en politique
(Lombardo et Meier, 2016). D’autre part, des facteurs domestiques, dont les valeurs qui
sont dominantes dans la société, les idéologies, les opportunités politiques influencent les
effets symboliques des quotas (Hughes et al., 2017).
L’objectif de cette section était de déterminer comment les quotas contribuent à fortifier la
citoyenneté politique des femmes en termes de représentativité. L’enjeu du problème posé
se situe dans le domaine de la représentation numérique et de la représentation symbolique
des femmes dans les assemblées politiques. En fait, les quotas, en aidant les femmes à
surmonter des obstacles structurels, institutionnels et culturels, facilitent leur entrée au
parlement. Les résultats de plusieurs études de cas (Argentine, Rwanda, Suède) soulignent
cet effet numérique (Hughes et al., 2017). Outre de cet aspect descriptif, ils contribuent à
changer la perception des élites et des masses du statut politique des femmes.
Les quotas ont, en somme, un double effet sur la représentativité des femmes politiques.
Ces mesures agissent sur la représentation descriptive des femmes en politique. Cette forme
de représentation alimente une série de critiques. Elle privilégie l’aspect numérique de la
présence politique et néglige les intérêts, les actions qui lient les femmes et les élues dans
le cadre de l’exercice du mandat de représentation. Pour Tremblay (2005, p. 134-135) :
« […] la représentation concerne aussi une dimension plus qualitative, celle de l’identité et
de l’idée ».
80
Cette section met en relation les notions de quotas et de citoyenneté politique. L’objectif
consiste à décrire comment les quotas contribuent à fortifier la citoyenneté politique des
femmes en termes d’imputabilité et de démocratisation. L’enjeu réside dans la manière
dont les élues-quotas diffèrent, par leur action, dans l’exercice du mandat de représentation.
La place centrale qui est accordée à la notion d’action, en référence au travail que les élues
accomplissent dans l’intérêt des groupes de femmes dans et hors du Parlement, inspire
l’approche substantielle de la représentation politique des femmes (Dahlerup, 2012).
Pour Dahlerup (2012, p. 12), l’action qu’entreprend une élue-quota est un élément qui peut
permettre de différencier la représentation substantielle par rapport à la représentation
descriptive des femmes dans une assemblée politique. Cette différenciation découle de
l’idée que la représentation substantielle porte à prêter attention aux intérêts des femmes.
Les notions d’intérêts et de groupes de femmes constituent des lieux de tension dans les
champs académiques, politiques et le milieu militant. Ces tensions comportent une portée
à la foi idéologique, théorique et méthodologique. Les femmes constituent-elles un groupe
ou plusieurs groupes ? Quelle est la pertinence des critères élaborés afin d’identifier et de
définir ces intérêts ? Quelles catégories de femmes sont habilitées à défendre ces intérêts ?
Existe-t-il un modèle de citoyenneté qui soit plus favorable à la prise en compte des intérêts
des femmes ?
Certaines études ont tenté d’établir, observe Krook (2010b), un rapport de causalité entre
la représentation descriptive et la représentation substantielle. Cette relation importe parce
qu’il parait difficile de distinguer les effets numériques des politiques de quotas de ceux de
la représentation politique (Dahlerup, 2012). La théorie de la masse critique, qui inspire un
lien entre ces deux formes de représentation politique des femmes, postule : « […] a greater
proportion of women in a legislative body may increase women's resources to pressure for
more favorable treatment in the future » (Caul, 2001, p. 1215).
La tendance de cette approche à naturaliser les rapports sociaux soulève plusieurs critiques
81
(Tremblay, 2010; Maillé, 2012). Menées auprès des élues, des recherches (Phillips, 2012)
montrent l’existence de lien entre le pourcentage élevé des femmes au parlement et la prise
en compte des priorités des femmes. Tremblay (2010a) précise que leur seule présence, en
grand nombre, au parlement ne peut pas intégrer les intérêts des femmes dans la prise des
décisions politiques. Des provinces canadiennes ont entrepris, depuis une dizaine d’années,
la réforme de leurs systèmes électoraux. L’Assemblée des citoyennes et des citoyens sur la
réforme électorale en Colombie-Britannique (ACRÉCB) était, par exemple, une structure
paritaire entre hommes et femmes. Pourtant, l’égalité politique entre les sexes était absente
des valeurs appelées à guider les travaux de cette assemblée (Tremblay, 2010a, p. 30). La
théorie de masse critique ne considère pas les comportements des acteurs, c’est-à-dire les
actions des parlementaires et la logique institutionnelle dans l’élaboration de l’agenda
législatif (Celis et Childs, 2012; Celis, 2014; Childs, 2005 ).
L’idée est que la différence dans le travail législatif ne découle pas de la part des élues dans
la composition de l’assemblée parlementaire, mais plutôt de leur capacité, de leur volonté
à prendre en compte les intérêts des femmes dans leurs actions au parlement. L’enjeu
consiste à saisir en quoi leur engagement implique des actions qui influencent le processus
délibératif. Quelles solutions proposent-elles aux problèmes des femmes ? Comment
justifient-elles ces propositions ? Puisque, contrairement à la représentation descriptive
dans sa dimension symbolique et dans sa dimension microcosmique : « […] la lecture de
causes et surtout la lecture substantielle rappellent l’importance de la solidarité et de
l’action » (Tremblay, 2005, p. 13). Cette solidarité interroge la hiérarchie établie entre les
représentantes et les représentées dans l’exercice de la fonction parlementaire. Ce contact
peut entraîner et alimenter un climat de confiance, des pratiques de reddition de compte et
de participation entre ces deux entités. Les unes se sentent alors responsables envers les
autres. Cette relation de réciprocité peut générer des actions politiques qui rejoignent les
intérêts de femmes. En tissant ce lien politique, les élues contribuent à fortifier la
citoyenneté politique des femmes en termes d’imputabilité et de démocratisation. Elles
réalisent leurs mandats de représentation en collaboration avec la société civile, les groupes
de femmes.
82
Plusieurs recherches appuient l’idée que les quotas peuvent faciliter cette dynamique de
participation, de responsabilisation et de réciprocité. Cette approche pose toutefois des
défis. D’après les résultats de certaines études menées auprès des élues, si ces femmes font
la différence, au parlement, en termes de comportement, elles exercent peu d’influence sur
le contenu des politiques législatives. Hughes et al. (2017, p. 343-344) rapportent que les
recherches menées :
D’autres études analysent les conditions dans lesquelles l’acte de représentation pourrait
considérer les intérêts et les identités des femmes. Ces lectures partent d’un postulat qui est
le suivant : les hommes ne connaissent pas la réalité des femmes qui, par leur histoire et
leur situation dans la société, partagent un certain nombre d’expériences. D’après Marques-
Pereira (2011), la représentation substantielle appelle, dans cette condition, la question de
genre ; il s’agit d’inclure dans le travail de représentation non seulement la présence, mais
surtout la voix, les causes des femmes. C’est au regard de ces paramètres qu’il faut repenser
et réaliser la citoyenneté politique des femmes.
La spécialiste des études latino-américaines et des rapports sociaux de sexe soutient que :
« La présence et la voix des femmes dans la politique institutionnelle sont l’un des enjeux
portés par des groupes féministes qui s’inscrivent dans une logique d’affirmation des droits
de citoyenneté […] » (Marques-Pereira, 2011, p. 117). Cet enjeu intègre la conscience de
l’exclusion politique des femmes, l’élaboration de normativité sociale de genre et l’analyse
critique du fonctionnement des institutions étatiques. Ce travail entraîne une dynamique de
participation citoyenne. Dans le cas de l’Amérique latine, il correspond à la capacité des
mouvements de femmes à investir l’espace public pour y intégrer la voix des femmes et
changer l’état des rapports sociaux.
83
Meier et Lombardo (2013, p. 49) ne voient pas non plus, de leur côté, d’opposition entre le
quota et l’outil de genre. Elles pensent que l’approche de genre est transversale et : « […]
opens the possibility of ‘setting the agenda’ from a gender perspective, in order to
transform all policy areas, actors and processes, and thereby achieving a more gender-equal
society ». Ces spécialistes de la science politique plaident pour l’articulation des débats sur
le sexe, la « race », la classe, l’ethnique, la sous-représentation politique des femmes et
l’égalité. Elles soutiennent que c’est ainsi que : « [...]gender quotas could be a best practice
of gender mainstreaming, rather than being a completely separate strategy to achieve
gender equality » (Meier et Lombardo, 2013, p. 60). En imbriquant ces questions, les
quotas peuvent contribuer à fortifier la citoyenneté politique des femmes. Ces mesures
faciliteront la prise en compte de leurs intérêts en forçant les États, l’élite politique à agir
contre les discriminations basées sur le genre. Les quotas peuvent ainsi produire des effets
qui vont au-delà de l’aspect descriptif de la représentation politique des femmes.
group interests, occurring inside and outside formal institutions (Celis and Childs 2013;
Montanaro 2012) » (Celis, Childs, Kantola et Krook, 2014, p. 151). Il s’agit d’insérer dans
la dynamique de la représentation les divers lieux de constitution des intérêts, des questions
et des préférences des femmes. Les élues, les mouvements sociaux, les organismes publics,
les organisations transnationales peuvent participer à l’expérience de représentation.
Chaque groupe de représentantes non élues (Mansbridge, 2011), se trouvant à l’avant-garde
en matière des droits des femmes, peut détenir son propre répertoire d’actions collectives
(Tilly, 1976). Ces groupes qui agissent hors du parlement peuvent intervenir, en fonction
de leurs expériences et de leur compréhension des situations de femmes, dans le processus
de fabrication des intérêts collectifs des femmes.
Cette approche s’inspire des travaux de Saward (2010) qui analysent l’aspect performatif,
esthétique et culturel des représentations et des revendications sociopolitiques. Pour
Saward (2010), la représentation n’a pas de substance ; ce sont les acteurs, les actrices qui
fabriquent les intérêts, les revendications, et qui, par ailleurs, génèrent la représentation et
la signifient. Il compare les politiciennes à des artistes, à des faiseuses de revendications.
D’autres études explorent les relations qui s’établissent entre partis politiques, idéologies
et représentation substantielle des femmes. Celis et Childs (2018) ont publié un article sur
le conservatisme dans le cadre de cette forme de représentation politique. Elles constatent
que beaucoup d’élues conservatrices se revendiquent d’être des représentantes des intérêts
des femmes. Celis et Childs (2018, p. 5) rapportent une littérature qui indique : « In recent
years, elected conservative women representatives speaking as, for, and to women (or at
least claiming to) have been increasingly documented (Childs and Webb 2012; Reingold
2000, 2008; Schreiber 2008; Walsh 2002; Wiliarty 2010) ».
L’enjeu est qu’intérêts des femmes et conservatisme apparaissent incompatibles dans les
théories féministes. On dirait qu’un malaise théorique, idéologique et politique les lie.
L’article de Celis et Childs (2018, p. 6) entend analyser empiriquement cette énigme et
demande : « What do conservative representatives claim, and do, for women? ». Elles
s’inspirent des travaux de Saward (2010) sur la fabrication et la représentation des
revendications. La représentation est, selon Celis et Childs (2018, p. 7; voir aussi Celis,
85
Si « Conservatism historically limited women to the private and not the political sphere,
even as it may have permitted a gendered role for them in the public sphere » (Celis et
Childs, 2018, p. 8), cette nouvelle dynamique pourrait porter les élues conservatrices à
prendre en compte les préoccupations des femmes. Mais, pour que cela soit possible, il faut
qu’il existe un mouvement de femmes dynamique, une forte concurrence entre les partis
politiques pour attirer les votes de l’électorat féminin et d’autres opportunités électorales.
Par ailleurs, le conservatisme renvoie à une multiplicité d’acteurs, d’idéologies et de partis
politiques. Un conservatisme social serait plus sensible aux préoccupations des femmes
qu’un conservatisme économique ou religieux. Enfin, il importe de considérer la perception
et les expériences des élues dans l’orientation, l’identification et la définition de leurs
actions politiques.
Sur le plan théorique, les intérêts ne renvoient pas à un contenu préalablement défini, mais
plutôt à un processus de construction. Une fois établi, ce postulat permet de considérer les
intérêts de femmes au-delà d’un programme féministe et d’un groupe de femmes. Cela
étend le cadre à d’autres voies de construction de revendications, à l’implication d’autres
acteurs. Par rapport à ces considérations, Celis et Childs (2018, p. 19) conclurent :
Outre les élues conservatrices, des recherches alimentent un débat sur la possibilité que les
hommes et les partis politiques articulent des revendications des femmes. Inspirées de la
perspective de genre, elles veulent éviter toutes formes d’essentialisme dans la définition
de la représentation substantielle des femmes en politique. Les conclusions de ces études
86
invitent, d’après Krook (2010b, p. 236), à : « […] explore the claims that are articulated
and the actions that are taken in the name of representing particular groups ».
Campbell et Erzeel (2018) se demandent dans quelle mesure les partis de droite peuvent
représenter les intérêts de femmes. Comment la prise en compte des préoccupations des
femmes par ces partis peut-elle attirer les électrices ? Leur objectif consiste à déterminer le
lien qui existe entre l’idéologie partisane et les comportements des électrices. Ce problème
est pertinent, car l’idée dominante était que la représentation des intérêts des femmes est
une compétence des partis de gauche. Ces chercheuses font deux remarques. Il n’existe pas
qu’une façon de se situer à droite de l’échiquier politique. Les partis de droite, qui adoptent
des idéologies de genre, rivalisent les partis de gauche en attirant les électrices. L’idéologie
s’entend comme l’univers de croyance qu’un groupe de personnes partagent.
La représentation substantielle des femmes réfère à la capacité des élues à défendre les
intérêts des électrices, des représentées. Pour Larson (2012), les intérêts sont de nature
collective. Ils résultent de la construction et de la différenciation des rôles entre les
catégories de sexes. Cette forme substantielle de représentation relie deux éléments : les
moyens mobilisés par les élues pendant une législature et les résultats atteints (Larson,
2012). Les actions sont des moyens par lesquels les élues peuvent promouvoir les intérêts
des femmes. Elles seront collectives si elles sont identifiées et définies avec la participation
des groupes de femmes dans la société civile.
Toutefois, Miguel (2012), qui a examiné l’expérience de quotas au Brésil, relève les limites
de l’idée selon laquelle les élues peuvent défendre les intérêts collectifs des femmes dans
un site parlementaire. Il définit la représentation substantielle comme la capacité à
promouvoir des intérêts dans une dynamique de conception et de prise de décision (Miguel,
2012, p. 103). Les procédures parlementaires et la socialisation de genre des élus peuvent
compromettre l’action qui vise la défense des intérêts des femmes. Les hommes dominent
historiquement les assemblées législatives. Ils peuvent activer, malgré la volonté des élues,
des mécanismes qui rendent inopérantes leurs actions.
87
Dans le cas brésilien, l’introduction des quotas dans le système politique n’a pas contribué
à fortifier la citoyenneté politique des femmes en termes d’imputabilité. Cela est dû au fait
que ces mesures sont formalisées dans un contexte législatif qui facilite la reproduction du
sexisme, des hiérarchies de sexes. Les procédures, les normes et principes qui régissent la
vie de l’institution parlementaire témoignent de cette idéologie. Cette lecture rappelle que
les quotas électoraux n’ont pas de réponse à tout ; les élues peuvent ne pas toujours pouvoir,
malgré leur volonté, faire la différence. Le parlementaire a son mode de fonctionnement,
ses propres règles qui : « […] undermine the representation of subaltern groups » (Miguel,
2012, p. 117). Si les collègues hommes ne sont pas sensibles aux discriminations basées
sur le genre, ils pourront utiliser le rituel parlementaire pour isoler, neutraliser les élues-
quota. Cette lecture est inspirée du concept de double bind de Bateson (1956) qui renvoie
à une situation sur laquelle on n’a aucune emprise ; c’est une situation sans issue. Quel que
soit le choix que la personne fasse, elle va aboutir à des résultats similaires et prédéfinis.
C’est une situation où il n’y a pas d’alternative ; c’est donc un dilemme.
Après tout, la représentation substantielle des femmes constitue un lieu de tension dans le
champ des études du genre et de la politique. S’il est sûr que les idées et les identités des
femmes peuvent être l’objet de représentation, des divergences persistent sur les concepts
d’intérêts de femmes, de groupes de femmes. La tendance consiste toutefois aujourd’hui à
analyser l’identité et l’idée comme le résultat des expériences communément partagées par
les femmes. À ce moment, la représentation devient un processus relationnel impliquant
les représentantes élues et les représentantes non élues (Mansbridge, 2011). Dans un tel
dispositif, les quotas peuvent contribuer à fortifier la citoyenneté politique des femmes en
termes de représentativité et d’imputabilité et de démocratisation. Cette approche se soucie
88
de l’interaction entre élues et groupes de femmes dans la fabrication des revendications des
femmes.
Cette section traitait des quotas et de la citoyenneté politique des femmes dans le cadre des
régimes politiques à caractère électoral et représentatif. L’objectif consistait à déterminer
comment leur présence au parlement, à savoir cette délégation de pouvoir, rétroagit sur les
groupes de femmes et la société en général. La représentativité, l’imputabilité et la
démocratisation sont des aspects qui sont attachés au concept de citoyenneté politique des
femmes. La citoyenneté politique est un processus relationnel dans et par lequel les femmes
fabriquent leur capacité à accéder au mandat de représentation. Ce processus génère des
lieux d’interaction entre représentantes et personnes représentées. Les quotas fortifient cet
espace en facilitant la présence de plus de femmes au Parlement. C’est une représentation
descriptive, puisque ces entités s’associent par la médiation de traits caractéristiques, de
traits identitaires qu’elles partagent, qu’elles ont en commun, dont ceux portant sur la
détermination du sexe. Le parlement reflète alors la composition sociodémographique de
la population ; c’est dans ces conditions qu’on parle de la citoyenneté politique en termes
de représentativité. Cette forme de représentation est à la fois numérique et symbolique.
Les quotas peuvent également influencer la qualité et le contenu des interactions entre les
élues et les groupes femmes. Elles génèrent alors un espace de dialogue, de solidarité entre
élues et non-élues. Cette idée s’inspire du postulat que ces deux entités, non homogènes,
qui s’impliquent dans le processus de délégation de pouvoir, partagent une communauté
d’expériences et d’intérêts. Les élues assurent alors, par leurs actions, la défense de ces
intérêts et idées communs. La représentation substantielle permet aux groupes de femmes
de participer au processus de fabrication de ces intérêts qui vont faire l’objet de délibération
au parlement. La volonté des élues d’assumer cette responsabilité est au fondement de cette
forme de représentation politique. Toutefois, des facteurs institutionnels et idéologiques
influencent également l’acte de représentation. La volonté des élues de défendre ces
intérêts ne suffit pas.
***
89
Sur le plan philosophique, les quotas reposent sur la nouvelle norme d’égalité entre femmes
et hommes et le principe de différence des sexes. La justice exige que cette différence soit
reflétée dans la composition des assemblées politiques ; puisque les femmes et les hommes
constituent l’universalité du genre humain. Un discours un peu plus nuancé, qu’on appelle
pragmatique, conçoit les quotas comme un outil de lutte contre les discriminations que
subissent les femmes dans l’espace politique. Sur le plan politique, la revendication de
quotas (Leydet, 2002) force les États et les partis politiques à engager des réformes pour
faciliter l’élection d’un plus grand nombre de femmes dans les espaces de décisions. Les
quotas reposent du coup sur la dynamique de reconfiguration politique du mouvement de
femmes et des États (Banaszak, Beckwith et Rucht, 2003). D’un côté, les mouvements
féministes, les groupes de femmes ont dû changer de stratégie de luttes et d’attitude envers
la politique institutionnelle. L’adoption des quotas influence, de l’autre côté, la conception
du pouvoir politique, des politiques publiques et leurs formes de légitimation. Il faut
mentionner que d’autres facteurs jouent également dans l’établissement des politiques de
quotas ; qu’ils s’agissent du type à adopter, de son mode d’application et de ses effets. Les
études des expériences de quota ont permis d’identifier trois types idéaux de quotas : les
quotas légaux, les quotas partisans et les sièges réservés. L’efficacité de ces politiques
dépendant de plusieurs facteurs dont : le mode scrutin, la perception sociale des femmes,
le dynamisme du mouvement de femmes et la volonté des partis politiques.
Ce point conceptuel s’ouvre avec Finnemore et Sikkink (1998) qui décrivent, entre autres,
deux catégories de normes : les normes régulatrices et les normes constitutives. Les normes
régulatrices dictent une conduite, un comportement en traçant la frontière qui existe entre
l’approprié et l’inapproprié. Les normes constitutives émergent, de leur part, d’un jeu
d’acteurs ; elles tiennent compte de leurs intérêts et impliquent leur engagement. Le but de
cette recherche l’inscrit dans le champ des normes constitutives ; cela s’explique par le fait
qu’une réforme de quota interpelle des acteurs, leurs intérêts, leurs motivations. Le quota
renvoie à la norme d’égalité des sexes et engage les acteurs qui s’y intéressent dans un jeu
de reconfiguration des rapports entre hommes et femmes dans une sphère sociale. Le
91
premier effort conceptuel renvoie le quota à une norme constitutive qui s’appuie sur la
dynamique d’acteurs à l’œuvre dans la construction d’une sphère spécifique de rapports
sociopolitiques.
Un second travail conceptuel porte à appréhender le quota comme une catégorie normative
à portée transnationale. L’égalité entre les sexes correspond à une valeur spécifique et
fondamentale qui est officialisée par l’ONU et que des États membres ont ratifiée à travers
un ensemble de traités. Elle résulte de l’accord : « 189 member states in the 1995 UN
Beijing Declaration and Platform for Action, the global community’s most comprehensive
framework for gender equality » (Krook et True, 2012, p. 105). Il y a également la CEDAW
qui est le traité le plus ratifié par les États membres. Ces documents inscrivent la norme
d’égalité entre les sexes dans le système des Nations-Unies et génèrent un dispositif de
diffusion dont les acteurs sociopolitiques constituent le centre. Le quota peut donc être
pensé comme une norme, une stratégie mobilisée pour féminiser les sphères politiques
(Hughes et al., 2015). C’est une norme constitutive et transnationale de lutte contre la
discrimination politique vécue par les femmes; elle trouve sa légitimité dans la mobilisation
des acteurs qui y sont sensibles et dans son insertion dans un système de loi nationale.
Ces deux efforts conceptuels ont leur importance. L’un montre la centralité de la logique
d’acteurs dans la constitution d’une norme, l’autre en établit la portée mondiale. Ce double
effort conduit à discuter de la notion de norme en tant que telle. Cette dernière peut inclure
une idée, une stratégie, une valeur, un principe institué ou en cours d’institutionnalisation.
Becker (1985, p. 25) précise que :
des situations d’interactions sociales (Becker, 1985). Le jeu inverse peut aussi se jouer ; et
à ce moment, la norme tire son existence de situations d’interactions. Cependant, dans cette
dialectique de la norme et de l’action, c’est la norme qui oriente l’action et qui suppose,
par conséquent, un dispositif de contrôle. Il s’agit de l’instance qui est chargée d’évaluer
la conformité ou non de la conduite avec la norme. La dynamique de la norme suppose des
conduites, mais n’écarte pas des formes de contre-conduites. Là, la norme peut être pensée
comme un processus ou une institution.
Cette thèse explore le phénomène de quota de femmes en Haïti, son processus de traduction
dans un système électoral réformé et les dynamiques qui l’animent. Il s’agit de relations
qui se nouent autour de la traduction d’un principe en un instrument de politique publique
d’égalité de sexes. Cet instrument constitue tout aussi, d’un point de vue pratique, une
forme de mise en agenda d’une revendication ou une forme de correction d’une injustice
basée sur le genre; il s’agit de la prise en charge institutionnelle de l’égalité entre hommes
et femmes dans l’accès au pouvoir politique. S’appuyant sur une logique d’acteurs, notre
travail conceptuel préside au retrait du principe du champ juridique pour l’inscrire dans un
schéma plutôt processuel. Ces efforts tendent à regrouper les notions de principe, d’idée,
de valeur et de stratégie sous le concept générique de norme. Par exemple, cela porte à ne
pas établir de :
d’ordre normatif et social en mettant en perspective les acteurs qui s’y impliquent et les
actions qui y conduisent (Schmidt, 2011).
Cette épistémologie suppose que les conduites des acteurs s’ajustent de manière à signifier
une réalité. D’après Becker (1985, p. 206), l’ajustement réfère au fait que les gens, les
groupes, les organisations, pour agir, considèrent, avant tout : « ce qui se passe autour d’eux
94
et ce qui est susceptible de se passer une fois que leur décision est prise ». Une action
dépend d’une autre ; elles sont donc reliées (Becker, 2002). Cette posture épistémique
invite à concevoir le phénomène à l’étude comme un processus ou une réalité construite
dont la centralité reste l’activité humaine. Pour l’interpréter, le chercheur doit s’attacher à
observer les actions des gens, les logiques qui les orientent, donc à mettre en lumière les
présupposés qui les sous-tendent.
Cette théorie invite à appréhender le quota comme un phénomène global (Krook, 2004)
dont la traduction dans un système électoral national génère des actions. Elle suggère de
comprendre le processus de changement social, politique qui s’opère et les actions qui
correspondent à ce processus en s’appuyant sur les acteurs et leurs discours. Le principe de
quota produit, du lieu des acteurs, un processus de cadrage symbolique d’une politique
d’égalité de sexes. La norme n’est pas un produit fini, une connaissance fixe à enseigner
aux acteurs sociopolitiques. De préférence, elle s’inscrit dans un processus, dans un cadre
sociopolitique. Elle s’insère dans un jeu de coopération et de contestation (Krook et True,
2012) entre les acteurs. Appliquée à cet objet d’étude, la théorie discursive-sociologique
intègre la norme, son contenu, sa stratégie de diffusion dans les conduites et les langages
des acteurs. Elle se donne pour tâche de dévoiler les éléments normatifs de ces discours, à
savoir les prémisses formulées et non formulées sur lesquelles repose la justification de
95
La dynamique de traduction du quota renvoie aux débats publics qui mobilisent les acteurs.
D’où le recours à l’approche discursive et sociologique de diffusion ou de localisation de
la norme. La localisation indique la congruence qui se dessine entre le dynamisme interne
et le dynamisme externe d’une norme. Elle tient compte du processus dialogique, des
scènes de conflictualité qui la travaillent. Ce processus interactif crée, à travers un
ensemble de mouvements, des possibilités de greffage, de cadrage et de réinterprétation de
la norme. Le cadrage ou le greffage sont des actes, des tactiques de ré-signification, donc
de localisation de la norme (Acharya, 2004).
Le cadre discursif et sociologique offre des pistes pour décrire la dynamique des rapports
entre les acteurs, leur langage, leurs conduites et la situation que produisent ces rapports.
Nous comptons mobiliser cette théorie pour étudier les discours et les tensions, donc les
jeux d’acteurs qui animent le processus de traduction du principe de quota dans le contexte
électoral haïtien. Son application va permettre d’interpréter ce phénomène, son processus
et la situation qu’il produit. Les pistes interprétatives qu’elle va suggérer correspondent au
souci de saisir en quoi les acteurs agissent de manière à nuire ou à soutenir le processus qui
devrait conduire à la réforme de quota. Comment s’opère cette dynamique d’acteurs ? En
d’autres termes, en quoi elle tend à produire une situation de réforme de quota ou de son
refus ?
Au point où on en est, le principe qui est inséré dans la Constitution amendée de 1987 se
heurte à l’absence d’entente entre les acteurs, d’une formule de compromis. Le quota attend
sa traduction dans une loi spéciale, dans un cadre légal d’application. C’est ce processus
de traduction, de mise en forme et de mise en œuvre de la réforme de quota, en particulier
la dynamique d’acteurs qui l’accompagne, qui est l’objet de cette recherche. Eu égard à la
question de recherche, nous supposons que la dynamique d’acteurs, qui cadre la traduction
du principe de quota dans les pratiques électorales, s’opère en produisant, entre les forces
en présence, un équilibre instable. Cette situation qui s’agite de manière à différer le refus
ou l’acceptation des réformes légales et institutionnelles devant amener au quota électoral
comme stratégie d’accès de plus de femmes aux fonctions politiques, législatives en Haïti.
Les forces qui résistent à la réforme et celles qui la supportent se configureraient de façon
à brouiller la voie qui peut conduire à traduire le quota dans le système électoral ou à une
situation de non-quota. Cette situation est due au fait qu’aucun acteur n’agit de manière à
déboucher sur un compromis vu les controverses que suscitent les politiques de quota. Les
rapports de force s’ajusteraient afin qu’aucun n’ait assez de marge de manœuvre pour faire
avancer ou pour bloquer le processus. Pour le dire autrement, personne ne serait maitre du
jeu. L’équilibre instable signifie que la situation présente n’est pas définitive, qu’elle est
97
placée dans un contexte de rapport de force. À tout moment, le contexte est appelé à évoluer
en fonction des rapports de force, de la situation stratégique de chaque acteur.
En quoi cette proposition est-elle originale ? Elle implique la description de rapports, des
liens qui s’établissent entre les acteurs au sein du processus de traduction du principe de
quota et qui tendent à le façonner. Ce processus suppose, en termes de caractéristiques, des
mouvements, des mutations qu’il s’agit d’analyser sans se soucier de leur issue possible.
La proposition de recherche invite, par conséquent, à décrire, à comprendre les défis posés
par ces mutations, à interpréter le phénomène et son processus plutôt qu’à l’expliquer. Elle
permet d’envisager et d’argumenter les diverses formes de cadrage de ce principe. Elle
porte à saisir le quota comme un espace d’interactions, donc de médiation issue d’une
norme dont le procès de traduction dans le système électoral local engage plusieurs
catégories d’acteurs dans une dynamique de négociation, de concertation. Cette dynamique
implique des jeux d’acteurs à travers lesquels le phénomène et son processus se façonnent,
se produit. Centrale à ce procès, cette dynamique d’acteurs a souvent été ignorée ou
partiellement traitée dans les études antérieures sur le quota de femmes.
***
Enfin, le principe de quota renvoie à une norme ; elle ne constitue pas en soi une politique
de changement sociopolitique. Il ne peut le devenir que lorsqu’il serait traduit dans une loi
spéciale. La théorie discursive et sociologique met l’accent sur la dynamique d’acteurs qui
informe son processus de traduction. Cette dynamique définit les actes, les discours, donc
les interactions qui parcourent la déclinaison nationale du principe de quota (Sénac, 2013).
Cette recherche poursuit trois objectifs théoriques : décrire le processus de traduction du
quota en se référant aux réseaux d’acteurs qui s’y engagent ; déterminer les fondements des
points de vue des acteurs qui se saisissent du phénomène et de son processus ; faire ressortir
les incidences des discours et actions sur son cycle et son rythme de traduction. Ce cadre
conceptuel, théorique et épistémologique, accompagné de la question de recherche, guidera
l’élaboration et la conduite d’une enquête sur cette dynamique. À cette phase, l’objectif
consistera à indiquer la méthodologie de la recherche, à établir la base empirique sur
laquelle repose la proposition de recherche.
98
La présente recherche adopte comme toile de fond les logiques d’acteurs qui entourent le
processus de traduction du principe de quota de femmes en Haïti. Elle s’intéresse à l’aspect
sociologique de ce phénomène plutôt qu’à sa portée juridique. L’étude s’appuie sur les
conduites des acteurs qui sont engagés dans ce processus qui vise à inscrire le principe de
quota de femmes dans le système électoral. Le défi consiste à comprendre comment
s’ajuste la dynamique qui cadre ce processus depuis l’amendement constitutionnel de 2012.
Nous ciblons les interactions entre les acteurs qui sont engagés dans cette dynamique. Il
s’agit de pouvoir documenter les points de vue des acteurs qui signifient ce phénomène
(Krizsan et Lombardo, 2013). Les objectifs empiriques consistent à : a) Analyser les
perceptions des femmes et de leur situation politique dans la société haïtienne ; b) Présenter
les groupes d’acteurs et leurs responsabilités dans la sous-représentation des femmes dans
les espaces de pouvoir ; c) Décrire le contexte d’émergence de la revendication de quota
99
comme stratégie d’intégration des femmes en politique ; d) Examiner les propositions, les
perspectives en matière d’application du principe de quota dans le système électoral
haïtien. La mobilisation de la théorie socio-discursive justifie le choix d’une méthodologie
qualitative pour mener cette recherche.
La démarche qualitative suppose l’accès à un terrain conçu comme : « l’espace social où
l’enquêteur se rend pour voir, entendre et participer » (Combessie, 2010, p. 14). Ce terrain
est le lieu de rencontre des personnes dont les relations tendent à signifier, par exemple, le
processus de traduction du quota de femmes. Là, la notion de processus s’applique à une
analyse diachronique, à l’inscription de l’objet empirique dans un cadre spatiotemporel où
se noue la dynamique qui tend à insérer ce principe dans le système électoral haïtien. Ainsi,
autour et à propos du quota émerge une dynamique qui peut s’arrêter, s’intensifier ou
connaître des moments de reflux selon la conjoncture. Des dates, des évènements, des
discours permettent de retracer les conduites qui parcourent le quota, qui définissent sa
trajectoire, son rythme d’avancement. Dans ce souci de situer le principe de quota dans une
démarche diachronique, l’amendement constitutionnel du 19 juin 2012 est choisi comme
le repère à partir duquel nous allons documenter les manières dont les acteurs prennent en
charge ce phénomène et le processus qui le sous-tend.
stratégies et des discours des acteurs. La stratégie renvoie au fait qu’une personne ou un
groupe social décide de coordonner ses actions, ses ressources et de choisir la voie jugée
la plus efficace pour défendre une cause, une valeur. Par valeurs, Godelier (2014, p. 222)
entend autant : « des principes que des jugements, et des représentations chargées d’une
force d’attraction ou de répulsion ». Ces derniers définissent l’espace de la cause des
femmes dans les institutions politiques (Blanchard, Jacquemart, Perrin et Romerio, 2018).
Le problème de recherche invite à étudier les discours et les comportements d’acteurs qui
se forment et qui s’ajustent autour de la traduction du principe de quota dans le système
électoral haïtien. Le travail de terrain consiste à documenter les manières dont divers
acteurs interprètent ou cadrent le processus d’élaboration de cette réforme politique. D’où
le choix de la méthodologie d’analyse critique du cadre qui a été élaborée, dans les
années 1980, pour étudier la capacité de mobilisation des acteurs sociaux (Triandafyllidou
et Fotiou, 1998). Cette démarche s’est, par la suite, appliquée à l’analyse des conceptions
concurrentes d’un problème social et politique (Bacchi, 2005). L’objet premier de la
méthodologie d’analyse du cadre est la manière dont diverses logiques d’acteurs participent
à la signification d’un problème social, politique, à la manière dont le croisement de ces
jeux d’acteurs crée un processus de transfert de pratiques, de traduction de normes. Ce
processus mobilise une diversité d’acteurs situés dans des contextes sociaux spécifiques et
pris dans une dynamique de négociation de leurs points de vue sur le sujet, le problème en
question. Cette démarche repose donc sur « l’hypothèse de multiples interprétations dans
l’élaboration des politiques […] » (Verloo, 2005, p. 18).
La méthodologie d’analyse critique du cadre suppose que la mise en place d’une politique
passe par le diagnostic d’une réalité sociale jugée problématique, l’identification des
responsables, des groupes cibles, des causes et conséquences du problème, la proposition
de pistes de solution et l’élaboration d’un plan d’action (Bacchi, 2005). Cette grille sert à
lire les discours et conduites des gens qui coopèrent et s’opposent autour du processus de
traduction du quota. L’analyse est critique parce qu’elle entend examiner les rapports de
pouvoir qui traversent les jeux d’acteurs (Mazur, 2011). Cette méthodologie permettra de
saisir les incohérences et les cohérences qui surgissent dans la manière dont chaque groupe
d’acteurs aborde la question. Elle invite à saisir le cadre intentionnel et non intentionnel
des discours qui animent le processus l’élaboration du quota. Benford et Snow (2000, p.
614) ajoutent que : « Les cadres aident à rendre les évènements […] significatifs et servent
ainsi à organiser l’expérience et à guider l’action ».
Cette méthodologie permet de dégager les différentes manières dont les acteurs signifient
le quota (son objectif et ses modalités d’application) et les contradictions qui les traversent.
L’analyse critique du cadre implique la compréhension du fondement normatif de leurs
discours. L’utilité de cette démarche vient donc de ce qu’elle invite à prêter attention aux
stratégies de cadrage du quota, à savoir aux relations d’acteurs qui entourent ce phénomène
(Lombardo et Forest, 2015). Centrée sur les conduites des acteurs et leur sens, cette
stratégie de recherche facilitera l’accès à un matériel empirique sensible aux sens qu’ils
accordent au principe de quota dans la perspective d’une politique d’égalité de sexe en
Haïti.
à cette recherche qui vise à interpréter les formes de mise en « discours » du principe de
quota.
Les acteurs qui forment ces réseaux peuvent appartenir à différentes sphères d’activités.
Nous en distinguons au moins trois. La première intègre les organisations de la société
civile qui se mobilisent autour des causes des femmes et au nom des femmes. McBride et
Mazur (2008, p. 226) entendent par mouvement de femmes : « collective action by women
organized explicitly as women presenting claims in public life based on gendered identities
as women ». Ce mouvement social peut regrouper les organisations féministes autonomes,
les caucus féminins des partis politiques, les comités ad hoc des activités portant sur la
démocratie et les droits des femmes.
Le quota est une revendication qui s’inscrit : « dans le cadre de l’évolution générale du
droit international […] » (Lépinard & Bereni, 2004, p. 73). En second lieu se trouvent les
instances régionales et transnationales qui diffusent des normes portant sur l’égalité des
sexes, les élections et la démocratie. Par exemple, ONU-Femmes surveille, au niveau des
États membres du système des Nations-Unies, la mise en œuvre des conventions et traités
relatifs aux droits des femmes. Il y a ensuite les organismes qui réalisent des activités, sous
format de tables de discussion, de forums, de séminaires, sur les femmes et la politique en
Haïti. Enfin s’y ajoutent les activistes féministes transnationales (Hughes et al., 2015) et
103
les agences internationales qui s’intéressent aux droits des femmes, dont leurs droits civils
et politiques. Nous supposons que les comportements de ces acteurs ont des incidences sur
la dynamique du quota.
En troisième lieu se trouve la sphère des élites politiques ; il s’agit des institutions et
autorités qui forment le système politique institutionnel. S’y trouvent, d’un côté, des
organes officiels de l’État, dont le pouvoir exécutif, le Parlement . De l’autre côté, il y a les
partis politiques. À l’échelle législative, nous avons ciblé les commissions d’amendement
de la Constitution et celles des droits des femmes. Du côté de l’exécutif, nous nous sommes
entretenus avec les responsables du secrétariat du Conseil des ministres et du Ministère à
la Condition féminine et aux droits des femmes de certains gouvernements qui se sont
succédé depuis 2012. L’institution électorale est formée des représentant.e.s des pouvoirs
de l’État et de la société civile ; nous avons aussi écouté la représentation du secteur des
droits des femmes au sein du Conseil électoral provisoire (CÉP). Les partis politiques sont
la figure centrale d’une démocratie parlementaire (Del Re, 2011). Ils constituent des formes
organisées des croyances sociales ; ils construisent et offrent des projets de société. Sans
constituer un bloc homogène, ces acteurs font partie de la chaine officielle de décisions.
Ce terrain priorise la voix des acteurs qui sont impliqués dans les débats publics sur le
quota. La délimitation de cette vaste population constitue une exigence méthodologique.
Cet exercice a consisté à en extraire un groupe de personnes à même de répondre à nos
questions empiriques. D’où le recours aux acteurs : « who form part of official decision-
making channels and […] those who participate in civil society mobilization on behalf of
the group in question » (Celis et al., 2014, p. 158). Pour participer à la recherche, la
personne devait : appartenir à l’une des trois catégories d’acteurs décrites plus haut ; avoir
pris des positions publiques sur le quota en Haïti ; être présente dans les débats sur le sujet ;
avoir contribué à une proposition de solution ; et, accepter de participer à la recherche. Le
corpus de population est donc constitué de membres des réseaux formés autour de la
dynamique de quota. Sa représentativité repose sur le fait qu’il tient compte de tous les
types d’acteurs. Un groupe de base a été tiré des trois catégories d’acteurs. Peu d’attention
a été accordée à l’équilibre entre hommes et femmes dans la constitution de ce groupe,
puisque ce qui importe c’est l’hétérogénéité des points de vue des acteurs sur le quota.
104
Pour recruter les premiers participant.e.s, nous avons recouru à des personnes de relais.
Ces personnes forment un noyau d’individus qui a été élargi au cours du travail de terrain.
Il s’agit d’un « échantillonnage » en boule de neige, car l’objectif : « consiste à ajouter à un
noyau d’individus […] tous ceux qui sont en relation […] avec eux, et ainsi de suite »
(Beau, 2009, p. 266). Le recours à des intermédiaires et à des personnes de proximité a
constitué le mode d’accès à ces individus. La nature de cette entreprise rend arbitraire
l’intention de fixer un nombre suffisant d’individus à interroger. C’est le phénomène de
quota qui nous intéresse ; du coup, la notion de degré de saturation théorique convient
mieux à notre démarche de recherche. Selon (Paillé et Mucchielli, 2012, p. 272) : « La
saturation est perceptible […] à partir du moment où la collecte des données apparait
répétitive ou stérile eu égard au phénomène concerné […] ».
En somme, l’objectif de la recherche justifie le choix de travailler avec les acteurs. Ces
derniers viennent de trois sphères d’activités qui se recoupent. Leurs discours s’érigent
comme témoin de leurs formes de conduites au sein de l’espace que créent les dynamiques
de cadrage du quota. La constitution du groupe de personnes qui ont participé à l’étude et
le mode d’accès à ces gens interrogent la frontière que l’on tend si souvent à établir entre :
l’acteur individuel et l’acteur collectif, l’acteur étatique et l’acteur non étatique, entre
l’acteur international, l’acteur régional et l’acteur national. Ces décisions méthodologiques
répondent au souci d’assurer la représentativité des points de vue d’un large spectre
d’acteurs. Ces choix ont facilité, de l’analyse des données empiriques, des opérations de
comparaison (Savoie-Zajc, 2006).
Centrée sur les relations entre les acteurs, la méthodologie adoptée est de nature qualitative
et s’inspire d’une épistémologie fondée sur l’interprétation des discours. Le terrain choisi
couvre un spectre très large d’acteurs. De cet ensemble ont été tirées des personnes
capables de mettre en récit leurs représentations du principe de quota de femmes et de son
processus de traduction dans un cadre électoral. Notre travail de terrain consistait à gagner
leur confiance et à interagir avec elles dans l’objectif d’obtenir le matériau empirique. Du
coup, l’entretien s’impose comme la principale méthode de collecte de ce matériau.
105
Dans une démarche qualitative, l’entretien sert, entre autres, à collecter les informations à
décrire et à comprendre des actions qui se produisent dans un espace social (Pinçon et
Pinçon-Charlot, 1997). Cette méthode s’entend comme un art de renseignement (Sylvain,
2007). Son utilité résulte du fait qu’elle facilite le repérage du sens que les acteurs accordent
à leurs pratiques, à des systèmes normatifs et à leur fondement (Sauvayre, 2013). L’usage
de l’entretien s’impose puisqu’il s’agit de saisir des interactions sociales, de décrire des
acteurs, leurs aspirations, des discours, des arguments qui se déploient. L’entretien est la
méthode qui peut engendrer des situations d’interactions propices à la mise en récit du
processus de quota. Il présente d’ailleurs l’avantage de mettre en cohérence la question de
recherche, la méthodologie et les questions empiriques.
Le guide d’entretien a été élaboré à partir des propriétés des concepts du cadre d’analyse
et des aspects de la méthodologie de recherche. Ces thèmes ont été traduits en questions
empiriques. L’usage de cet instrument a garanti l’accès aux discours des gens et a permis
d’approfondir, au besoin, certains aspects de l’entretien. Le guide était structuré pour que
les sujets choisis aient la latitude voulue pour construire leurs discours, pour allouer leurs
propres sens à la réalité. Cet instrument, s’il restait le même pour tout le monde, il a été
ajusté en cours de terrain pour pouvoir générer un nouveau témoignage, remonter à une
expérience, éclairer une partie obscure des échanges. La structure de l’instrument tenait
compte des principaux éléments constitutifs d’un processus de cadrage d’une réalité
106
Traduits dans un registre langagier ordinaire, ces thèmes ont constitué la trame de ces
échanges qui se sont déroulés en créole ou en français. Ils ont duré une heure à deux heures
dans un lieu choisi avec les participant.e.s. Les entretiens se sont tenus à Port-au-Prince, la
capitale d’Haïti, où se concentrent les participants potentiels. Le jour, le lieu et l’heure de
l’entrevue ont été décidés de concert avec chaque personne. L’interaction en face à face a
été priorisée (Beaud et Weber, 2003), avant la pandémie de la Covid-19, comme modalité
de l’entretien. Avec la crise sanitaire, nous avons conduit des entretiens par téléphone et
par Skype.
Comment se sont déroulés les entretiens ? Une consigne de départ a créé le cadre des
échanges. Après cette introduction, le chercheur a facilité le déroulement de l’entretien. Il
a joué ce rôle à partir de certaines questions de relance et de précision. Chaque entretien
était considéré comme une relation sociale, une situation d’observation (Beaud, 1996). Le
guide s’est accompagné d’un cahier de terrain qui a servi à noter les informations non
discursives. Il s’agissait d’être attentif aux détails liés au déroulement de l’entretien. Les
notes de terrain (Cefaï, 2010) ont pris la forme de commentaires et de compte-rendu
d’entretien ; ils ont cadré le dialogue que le chercheur a établi entre le terrain et la
conceptualisation de la recherche. Elles ont enrichi le verbatim et facilité un travail réflexif
qui consistait en un retour sur soi et sur le processus de la recherche (Sylvain, 2007).
4.4 L’analyse des données, les limites et les considérations éthiques de la recherche
La dernière section du cadre méthodologique s’attarde sur trois points. La première moitié
de la section expose la stratégie conçue et retenue pour analyser le matériau empirique. La
seconde moitié porte un regard réflexif (Paugam, 2018) sur les faiblesses et les enjeux de
certains éléments du processus de recherche. Ce regard distancié permet de discuter, pour
finir, des limites et d’expliciter des considérations éthiques qui sont internes à l’étude.
Le matériel qualitatif réunit des entretiens semi-directifs auxquels vont se greffer des
informations tirées des documents écrits et des notes de terrain. Cet espace est consacré à
la stratégie et aux procédés d’analyse de ce matériel brut. Cette stratégie prend la forme
d’une démarche inductive et réflexive qui intègre des étapes interdépendantes (Maxwell,
1999). Les informations ont été traitées, analysées et interprétées de manière à rendre
compte des relations parcourant le processus de traductions du quota. Par convenance
didactique, nous présentons étape par étape la procédure d’analyse des informations.
Toutefois, dans un cadre pratique, les différentes étapes de l’analyse restent interconnectées
et dynamiques, car nous sommes, à la manière de Maxwell (1999), dans un modèle de
recherche qualitatif et un processus de recherche itératif ; les étapes n’ont donc pas été
figées, linéaires.
Dans le processus d’analyse, le traitement des informations récoltées a constitué une étape
préliminaire. En fait, le travail de terrain a permis de réunir des entretiens, des documents
108
et des notes de terrain qui forment un matériel qualitatif riche, dense, diversifié dont
l’analyse a exigé, en amont, un travail d’évaluation. Ceci a consisté à examiner les bandes
magnétiques, mais l’expression « banque de témoignage », utilisée par Paillé et Mucchielli
(2012), parait plus adéquate, puisqu’elle considère les cas où l’enregistrement audio serait
impossible, non exploitable ou refusé. Traiter les informations consiste à évaluer les
informations verbales, les transcrire dans le strict respect de leurs contenus et de leurs
formes initiales. Ce travail a permis d’ordonner un univers disparate d’informations pour
en faire un corpus d’informations ; son intérêt était de faciliter la conduite des opérations
d’analyse.
L’activité de codage a permis d’assigner des codes à des extraits et, ainsi, de générer un
ensemble d’unités d’analyse. Ce travail technique ne s’arrêtait pas au recours à des codes
109
Ces fiches thématiques ont consigné l’essentiel des unités de sens à comparer et à soumettre
à l’interprétation. Les liens qui se sont dégagés du corpus d’analyse ont alerté le chercheur
sur les éléments nécessaires à l’élaboration d’un modèle interprétatif. Les informations ont
été ajustées afin de fournir de réponses à la question de recherche. L’ajustement a consisté
à établir des liens logiques entre le terrain, le but et la question de recherche (Beaud et
Weber, 2003). Il s’est agi également de relier la parole des personnes interviewées avec les
actes repérés dans les documents écrits. Cette mise en relation a rendu intelligibles les
interactions qui se déroulaient autour du processus de traduction du quota. Leurs discours
ont été classés afin de saisir et d’expliciter les formes de cadrage du quota de femmes, leur
cohérence interne et les croyances sociales qui les sous-tendent.
Ce premier niveau d’analyse interprétative a fait ressortir les distorsions, les incohérences
et les cohérences qui parcourent les manières dont les acteurs cadrent le principe de quota.
Il s’agit des différences, des convergences et des exceptions, en termes de point de vue, qui
ont entouré le processus d’élaboration de cette politique. Un deuxième niveau d’analyse
voulait comprendre comment ces interactions rythmaient le processus de traduction du
quota dans une loi particulière. Pour effectuer cette comparaison constante (Paillé, 1994),
110
on a recouru à des critères à la fois internes et externes. Les critères externes sont liés à la
question de recherche qui invite à comprendre comment s’opère la dynamique de cadrage
du principe de quota. Comprendre revient à lier les points de vue des acteurs avec le
phénomène de quota. Il s’agit de saisir les modes d’articulation de l’ensemble des rapports
sociaux qui sont en jeu au sein du processus d’élaboration de cette politique. Chaque type
d’articulation représentait un schéma, un cadre d’interprétation du principe de quota et du
processus qu’il a engendré. Le travail d’interprétation a consisté à rendre intelligibles les
dynamiques de construction de ces cadres.
Interpréter les relations entre la parole des gens avec leurs conduites, c’est expliciter les
présupposés qui fondent leurs représentations du processus de traduction du quota. Il s’agit
aussi d’examiner les conceptions concurrentes (Bacchi, 2005) de la sous-représentation des
femmes en politique, les solutions proposées à ce problème, les stratégies d’action à mettre
en œuvre. Ce travail d’interprétation a permis de comprendre ces dynamiques, c’est-à-dire
de rendre compte des interactions sociales formées autour du processus de traduction du
principe de quota. Pour comprendre ce phénomène, aucune piste interprétative n’a été
exclue. Il s’agissait de mettre chaque dynamique de cadrage en relation avec le processus
d’élaboration de la politique de quota. L’analyse de ces interactions a épousé une démarche
qualitative, inductive et itérative (Maxwell, 1999) qui a invité à dégager du matériau une
compréhension du phénomène. Cette compréhension a des portées, des implications, mais
aussi des limites qui sont internes à la nature du projet de recherche.
En quoi cette recherche pourrait-elle contribuer à une solution au problème que posent les
acteurs sociaux ? Cette interrogation concerne l’implication politique et sociale (Paugam,
2018) ou la pertinence sociale de la recherche. Là, il faut mentionner que si elle permet
d’informer les acteurs des enjeux de la dynamique de cadrage du quota, elle a apporté peu
d’éclairage sur le dénouement du processus. On a de la peine à penser s’il s’achemine vers
une situation d’acceptation ou de refus du quota. Dans le cas où ce principe serait accepté
et traduit dans une législation spéciale, quel serait l’esprit de cette loi, ses mécanismes
d’application ? En quoi l’esprit et le contenu de la loi seraient-ils formulés de manière à se
traduire en pratiques efficaces ? Ces questions d’ordre utilitaire restent sans réponse. Cette
recherche fait courir le risque de décevoir ceux et celles qui attendraient de ses résultats de
réponses pratiques à cette question d’actualité en Haïti qu’est le quota. Il faut retenir que
les résultats obtenus informent non sur les issues de ce processus de réforme en tant que
telles, mais sur ses enjeux : ceci en constitue une limite.
L’étrangeté peut envoyer au fait qu’un homme enquête sur les rapports de pouvoir entre
les catégories de sexes. Ce rapport à l’objet constitue une limite et invite le chercheur à
réfléchir sur les possibles : « difficultés à nouer la confiance » (Bonnet, 2008, p. 57).
L’inégalité souligne les rapports de pouvoir qui peuvent nuire aux relations d’entretien. Ce
paramètre a conditionné ces interactions et la qualité du matériau collecté. Des thèmes
étaient plus difficiles à aborder, à discuter que d’autres. La situation s’est présentée
112
différemment selon le sexe supposé de la personne, mais aussi selon qu’elle fasse partie
d’une organisation de femmes, d’une instance de l’État, d’un organisme international ou
d’un parti politique. Cela s’explique par le fait que l’entretien est : « une interaction entre
deux individus socialement situés par rapport au monde et l’un par rapport à l’autre »
(Chamboredon, Pavis, Surdez et Willemez, 1994, p. 117).
Ce qui a compliqué un peu plus la tâche était le fait que ces personnes font partie de l’élite
politique, sociale et culturelle du pays. Elles partagent certains traits avec le chercheur ;
d’où un paradoxe entre la distance sociale et la proximité sociale. Du fait de leurs positions
sociales, certaines ont tenté « d’imposer leur propre définition de la situation et faire tourner
à leur profit un échange dont un des enjeux est l’image qu’ils ont et qu’ils veulent donner
et se donner d’eux-mêmes » (Bourdieu, Accardo et Balazs, 1993, p. 913). Mais, il faut aussi
mentionner que le fait d’être un chercheur homme, non associé au mouvement féministe
haïtien, a aidé dans la réalisation des entrevues avec certaines personnes, dont celles qui
développent des relations tendues avec ce mouvement social.
Pour parer ces incidences, le chercheur a dû faire preuve de flexibilité, d’humilité, tout en
cherchant à maintenir le contrôle du cadre de l’échange. Des compétences stratégiques et
culturelles l’aidaient à négocier et à réduire les effets négatifs de ces rapports de pouvoir
sur les interactions de terrain. Cela est dû au fait que la qualité des données à collecter en
dépendait. La connaissance du milieu a permis d’éviter des obstacles liés à la représentation
sociale de soi, à l’image du chercheur. En outre, il était important de maitriser l’objet
d’études, les instruments de collecte, saisir leurs enjeux, être à l’écoute et être capable de
conduire, sans stress et avec métier, un entretien. Enfin, la conscience de ces limites invitait
le chercheur à se défaire de certaines évidences, à évaluer sa démarche, à rendre valides
ses résultats (Paugam, 2018) et à surveiller sur les enjeux éthiques de la recherche.
Nous n’avons pas eu affaire à une population vulnérable. Il ne s’agissait pas des gens qui
habitent des espaces sensibles, qui vivent ou ont vécu des conditions sociales difficiles.
L’échantillon est plutôt constitué, pour une grande part, d’imposants (Chamboredon et al.,
1994), c’est-à-dire de gens faisant partie d’une élite politique et culturelle. Toutefois, nous
avons à traiter un sujet sensible qui concerne la discrimination vécue par les femmes dans
le milieu politique. De ce fait, il était impératif de respecter les principes éthiques qui sont
liés à un terrain qualitatif, aux contenus et formes de dialogue à engager avec ces
répondants (Martineau, 2007). Pour cela, nous avons cultivé sur le terrain de l’enquête une
éthique de la discussion qui reposait sur trois principes : la confiance, le consentement libre
et la confidentialité.
La confiance était au cœur des relations à établir et à entretenir avec les interlocuteurs et
les interlocutrices. Nous avons été patients, nous avons cultivé avec ces gens une écoute
attentive pour pouvoir gagner au fur et à mesure leur confiance. Aucune attitude de censure
n’a été affichée sur les informations sollicitées par une personne participante, en particulier
celles qui portaient sur les implications de sa participation. La confiance a permis de
s’assurer du consentement libre et éclairé (Savoie-Zajc, 2006) de chaque personne invitée
à prendre part à la recherche.
Le contentement n’a jamais été définitif. Non seulement la personne pouvait retirer et
reconsidérer sa participation à tout moment, mais elle avait le droit d’écarter certains
thèmes de la discussion. Le chercheur a présenté la recherche, les thèmes des échanges
ainsi que les matériels à utiliser lors de l’entrevue. Il a exposé l’objet et l’intérêt de la
recherche à chaque personne. Chacune avait le droit, en cas d’insatisfaction, de s’opposer
à la poursuite de l’entrevue ou de discuter des thèmes qu’elle juge importants. Il suffisait
que cette ouverture ne déborde pas le cadre de la recherche.
114
Pour les personnes qui ont accepté de participer à la recherche, la confidentialité dans la
gestion des données recueillies leur était garantie. Le quota électoral participe des formes
de compétition dans lesquelles s’engagent les acteurs politiques haïtiens afin de conquérir,
de partager ou de préserver des positions de pouvoir. Le chercheur tenait à respecter et à
ne pas juger l’éthique politique qui traverse les stratégies de cadrage du quota, les discours
des acteurs qui s’intéressent au phénomène de quota. Les données n’ont été accessibles
qu’au chercheur et ont été transcrites dans le strict respect de leur contenu ; les informations
confidentielles et autres indices, à savoir les noms et les contextes qui sont liés aux identités
des personnes, ont été écartés. Un nom fictif est accordé à chaque entrevue. Nous avons
informé les répondants que les informations ne seront pas utilisées pour des publications
ultérieures, qu’elles seront conservées en lieu sûr et détruites par la suite en respectant les
normes de l’UQO. Un dispositif éthique, basé sur le respect de la personne et de sa dignité,
a guidé les relations que le chercheur a entretenues avec les sujets participants. Ces enjeux
éthiques ont été consignés dans le formulaire de consentement libre et éclairé. Il s’est agi
d’un document que les sujets participants ont approuvé avant l’entrevue, c’est-à-dire avant
les relations intersubjectives de proximité (Martineau, 2007, p. 75).
Conclusion
Ces chapitres ont présenté la recherche à partir de ses objets théorique et empirique. La
recherche étudie la dynamique et le processus de traduction du principe de quota de femmes
dans le système électoral haïtien. L’idée est de comprendre, en mobilisant la théorie socio-
discursive, les multiples usages que font les acteurs de ce principe en privilégiant leur
discours et leurs actions. La nature de l’objet a justifié le choix d’une démarche qualitative
pour faciliter l’observation, la description et l’analyse des points de vue des acteurs qui ont
été recrutés au sein des réseaux formés du principe de quota. Pour étudier ce phénomène,
nous avons choisi la méthodologie critique du cadre qui s’inscrit dans une épistémologie
interprétative (Baribeau et Royer, 2012). Du coup, l’entrevue semi-directive s’est érigée
en principale technique de collecte des informations auprès des sujets participants. Pour
traiter ces données, une stratégie inductive, itérative d’analyse thématique a été mise en
place. Les limites de cette démarche et de la recherche ont été exposées ainsi que les enjeux
éthiques qui animent les relations que le chercheur a établies avec les sujets participants.
115
La rigueur avec laquelle le cadre de la recherche a été élaboré rend les données collectées
à la fois fiables et crédibles (Gohier, 2004). Le chercheur a fait en sorte qu’il réduise les
effets de sa position sociale sur la production, l’analyse et l’interprétation des données. Il
s’est agi de rendre la parole aux participants et de croiser leurs points de vue sur l’objet
(Beaud et Weber, 2003). Pour cela, nous avons dû diversifier la population d’enquête et
croisé les méthodes de collecte et d’analyse des données. Cela a rendu justice à la parole
des participants et, du coup, assuré la crédibilité des résultats de recherche. Par ailleurs, la
crédibilité renvoie à la correspondance des résultats à interpréter avec le terrain, la réalité
empirique (Paillé, 1994). Les résultats que nous allons présenter et analyser peuvent donc
s’appliquer à l’étude des situations similaires en considérant la particularité du contexte.
116
Introduction
Cette partie est consacrée à la présentation et à l’analyse du matériel qualitatif que nous
avons recueilli lors notre terrain de recherche. Il importe de rappeler que cette recherche
entend comprendre le processus d’adoption d’un cadre légal et institutionnel pour appliquer
le principe de quota d’au moins 30 % de femmes dans le système électoral haïtien. Pour
répondre à cet objectif, la partie d’analyse des données comprend huit chapitres. Le premier
présente le corpus d’information qui sera analysé. Les deux chapitres qui suivent analysent
les regards portés sur les femmes et leur situation politique dans la société haïtienne. Les
trois chapitres suivants dressent le portrait des groupes d’acteurs qui ont des responsabilités
dans la situation des femmes dans les espaces de pouvoir. Le septième situe le principe de
quota de femmes, solution à la rareté des femmes dans les postes politiques nominatifs et
électifs, dans son contexte d’émergence et de traduction dans les pratiques politiques. Et le
dernier chapitre examine les propositions, les perspectives en ce qui concerne la mode et
la modalité d’application du principe de quota dans la vie politique en Haïti.
117
L’enquête a été réalisée, en Haïti, de janvier à mai 2020. Haïti, ancienne colonie française
de Saint-Domingue, a proclamé son Indépendance le premier janvier 1804, à la suite d’une
révolution qui a été conduite par une masse d’esclaves. Situé dans le bassin des Caraïbes,
ce pays, où l’on parle créole et français, compte à peu près 11 millions d’habitant.e.s dont
52 % sont des femmes (IHSI, 2003). L’objectif de ce chapitre est de présenter le profil des
personnes ayant participé à la recherche et le contexte de collecte d’informations.
Pendant cinq mois, de 22 janvier à 31 mai 2020, nous avons rencontré 34 des 36 personnes
ciblées dans le cadre de cette recherche doctorale, dont 24 femmes et 10 hommes. Pour
être sélectionnée comme participante à la recherche, la personne devait appartenir à l’une
des catégories d’acteurs suivantes : société civile, État, international et partis politiques.
Elle devait être impliquée dans les plateformes de débats sur le quota de femmes et/ou les
autres stratégies destinées à l’intégration de plus de femmes en politique. Elle devait aussi
partager les valeurs de la démocratie et s’impliquer dans des actions de promotion de la
participation politique. Les entrevues ont été réalisées en face à face, par téléphone ou par
Skype.
Pour dresser le profil des personnes qui ont participé à la recherche, nous avons eu recours
à, au moins, trois critères : niveau de formation, parcours professionnel, carrière politique.
Les informations présentées dans cette section proviennent des entretiens semi-directifs
menés auprès de ces personnes et d’une fiche qui restitue le contexte, le déroulement de
chaque entrevue.
118
Nous avons eu les témoignages des femmes qui ont évolué ou qui évoluent encore dans cet
univers très masculin qu’est le pouvoir. Elles sont revenues sur leurs parcours de députées,
de sénatrices, de cheffes de partis, de candidates ou de ministres. Nous avons aussi recueilli
les propos de femmes qui ont tenté des aventures électorales et qui ont échoué. Ces deux
catégories de femmes racontent leurs trajectoires des femmes politiques qui sont jalonnées
d’obstacles. Nous avons également pu avoir les récits des jeunes femmes qui se lancent à
corps perdu dans le mouvement de femmes et/ou dans une carrière politique. Elles y sont
souvent arrivées par théorie ou par expérience et confrontent la dure réalité d’être à la fois
femmes, jeunes et activistes politiques. Ce sont des jeunes qui ont intégré une association
ou un parti alors qu’elles étaient étudiantes en droit, sociologie ou science politique. Leur
119
arrivée sur la scène associative modifie les courroies de transmission des revendications de
femmes. Elles misent sur les nouvelles technologies de communication et d’information,
les réseaux sociaux et des formes plus ludiques de mobilisation comme le théâtre de rue.
Cette nouvelle génération d’activistes politiques, de féministes a été poussée à rejoindre la
lutte, à innover son répertoire d’actions pour plusieurs motifs : la corruption, la mauvaise
gouvernance, l’insécurité, les violences faites aux femmes. Elles veulent surtout combattre
ces phénomènes, défendre les droits des femmes et contribuer à l’avènement d’une société
de justice et d’égalité en Haïti.
La mise en relation de ces trois critères permet de conclure que nous avons rencontré des
personnes qui font partie de l’élite sociale et politique du pays. Ces répondant.e.s possèdent
des capitaux culturels qu’on pourrait qualifier d’importants, surtout dans un pays où le
niveau moyen de scolarité n’est pas du tout élevé. Ils ont de solides capitaux scolaires et
académiques. Certains détiennent des diplômes de maitrise acquis dans des universités
haïtiennes ou étrangères. Ce sont des personnes cultivées dont les parcours sont faits d’un
mélange d’expériences associatives et politiques. Certaines d’entre elles citent facilement
des classiques de la littérature sur le genre, des pionnières du féminisme haïtien : Madeleine
Sylvain Bouchereau, Mireille Neptune Anglade, Pierre Bourdieu, Simone de Beauvoir.
Pour cette recherche, nous avons eu donc des discours qui sont précieux et utiles. Ces
témoignages viennent des personnes qui sont concernées par le phénomène de la sous-
féminisation de la vie politique en Haïti. Chacune a fait l’effort de poser ce problème, de
le diagnostiquer et d’en proposer des solutions.
Trois éléments caractérisent le contexte dans lequel ces entrevues ont été menées : crise
politique, insécurité et crise sanitaire. Les deux premiers éléments renvoient à un contexte
de turbulence politique, un contexte sensible sur le plan sécuritaire avec la recrudescence
des cas d’enlèvement et des manifestations de rue émaillées de violences. L’aggravation
de la situation sécuritaire du pays est due, entre autres, à la caducité du Parlement, le
13 janvier 2020, peu avant le début de notre travail de terrain le 22 janvier. L’opposition
politique au gouvernement en a profité pour articuler de nouvelles revendications. Ce
120
C’est dans le contexte d’une société que de multiples crises fragilisent que le Président
d’Haïti a fait le 8 mars 2020, Journée internationale des droits des femmes, une déclaration
concernant la revendication de quota. Il a dit qu’il compte bien intégrer, imposer, dans le
prochain décret-loi électoral, un dispositif de quota sous forme de sièges réservés. Cette
déclaration ne laisse pas indifférents les acteurs qui sont impliqués autour de la question
de quota ; elle a suscité des réactions auprès de nos répondant.e.s, a impulsé une nouvelle
dynamique au terrain de recherche. Les participant.e.s ont profité du terrain de recherche
pour rebondir, opiner sur la déclaration du Président d’alors.
La pandémie s’est révélée être, pour nous, une occasion de mener des entrevues à distance.
Les personnes ont accepté nos demandes d’entrevue par téléphone ou par Skype. Elles ont
ressenti le besoin de s’exprimer au début de la crise sanitaire et du confinement. La
pandémie de Covid-19 nous a contraints à avoir une implication un peu plus longue sur le
terrain et a changé la modalité de collecte des informations. Cette situation a eu des impacts
sur la qualité des relations d’entrevue et sur les informations recueillies.
***
121
Dans le cadre de ce travail de terrain, nous avons reçu les témoignages des personnes qui
sont issues de diverses associations, des partis politiques, de l’État, des groupes féministes,
de l’international. Ce sont des personnes qui appartiennent à l’élite sociale et politique
haïtienne et qui s’intéressent à la situation politique des femmes. Certaines ont pu occuper
des postes importants au sein des partis politiques, du Parlement, de l’exécutif, des
organisations féministes et des organismes internationaux. Les analyses que nous allons
présenter dans les chapitres qui suivent s’appuient donc sur un corpus d’entrevues réalisées
dans un contexte de crise politique, sécuritaire et sanitaire. Ces entrevues ont été transcrites
en créole ou en français et ont été traitées en restant le plus près possible les paroles de nos
répondant.e.s
122
Ce chapitre traite les perceptions des femmes et de la politique dans la société haïtienne.
En quoi leur situation en politique constitue-t-elle un problème ? Quelles sont les causes
historiques, sociales, économiques, culturelles de ce problème ? Il s’agit de décrire, au
prisme du mode et de la logique de structuration des rapports entre les sexes dans la société,
comment les personnes ayant participé à cette étude perçoivent et jugent la proportion des
femmes qui accèdent à l’espace politique en Haïti.
Avant de présenter les perceptions de nos répondant.e.s de la situation des femmes dans le
domaine politique, il importe de rappeler, au risque de nous répéter, que les Haïtiennes ont
acquis la qualité de citoyenne, c’est-à-dire le droit de vote puis le droit d’éligibilité, c’est-
à-dire à se présenter comme candidates, vers la fin des années 1950. En 1986, après 30 ans
de règne de l’ordre autocratique des Duvalier, un pouvoir qui a érigé en principe le déni
des droits de citoyenneté politique, Haïti s’est lancé dans un processus de transition vers la
démocratie. La Constitution de 1987 a rétabli l’égalité politique entre les sexes et un régime
démocratique ; du coup, rien ne s’oppose, en principe, à une égale représentation politique
entre hommes et femmes. Toutefois, si l’on considère les assemblées législatives élues, au
cours de ces trois dernières décennies, on constate qu’un écart persiste entre ce principe
d’égalité et la présence effective des femmes dans la sphère politique. Un aperçu sur la
proportion de femmes élues, aux dernières élections législatives, fait état d’un faible accès
des femmes au Parlement haïtien. Les statistiques (PANOS, 2018) relèvent que :
▪ Dans la 48e législature, sur 129 députés et sénateurs qui siégeaient à l’Assemblée
nationale, on comptait 8 femmes pour 121 hommes, soit 6,2 % de femmes contre
93,8 % d’hommes.
▪ Dans la 49e législature, sur 129 députés et sénateurs qui composaient les deux
chambres, il y avait 6 femmes et 123 hommes, soit 4,65 % de femmes pour 95,35 %
d’hommes.
123
À l’issue d’un amendement constitutionnel, l’État haïtien a établi, en 2012, le principe d’un
seuil minimal de 30 % de femmes dans la vie nationale. Par exemple, malgré ce principe,
à la 50e législature, qui est issue des législatives de 2015 et de 2016 et qui est arrivée à
terme au deuxième lundi du mois de janvier de l’année 2020, on comptait 4 femmes sur les
148 parlementaires qui siégeaient dans les deux chambres. Le taux de représentation de
femmes parlementaires était un peu moins de 3%.
En début d’entrevue, nous avons tenu à avoir les avis de nos répondant.e.s sur la situation
des femmes au Parlement haïtien et dans d’autres lieux de pouvoir. Ces personnes se
plaignent du fait que, malgré le poids des femmes et de l’électorat féminin dans la structure
générale démographique de la société et l’absence des barrières légales, les Haïtiennes ont
encore des difficultés à accéder à l’espace public et à la vie politique.
Nous pouvons dire que jusqu’à présent rien n’empêche les femmes
de se porter candidates, mais les barrières pour se faire élire restent
nombreuses. Une seule femme était élue au Sénat au dernier
scrutin législatif (ACT-ET-17).
Cet échec est d’autant plus surprenant que le pourcentage de candidatures féminines aux
élections législatives de 2015 et de 2016 a augmenté. Le nombre de femmes élues au
Parlement est jugé donc insignifiant comparativement à la proportion des candidates. Une
ex-ministre à la Condition féminine pense qu’une telle performance électorale devrait avoir
des effets négatifs sur le moral des femmes qui s’intéressent à l’activité politique :
Une autre répondante a tenu un discours identique sur la configuration des deux chambres
du Parlement en matière de proportion de femmes élues. Pour elle, ce résultat est affligeant.
Les femmes sont en minorité dans les postes politiques. Qu’il soit
au Parlement ou au gouvernement, on trouve peu de femmes. C’est
difficile aux femmes d’accéder à ces postes électifs (ACT-SOC-
02).
Une jeune militante d’une organisation de femmes, située dans l’une des régions d’Haïti,
se réfère aux luttes des femmes pour leurs droits politiques et civils. Mais, malgré ces luttes
et d’autres efforts que les femmes ont consentis :
125
Ça, c’est un blocage. Car les femmes sont dans une mauvaise
position sur le plan de la législation. Les femmes doivent avoir les
mêmes droits que les hommes, les mêmes prérogatives qu’eux
pour que la société soit égalitaire (ACT-SOC-04).
Nous avons cherché à avoir l’avis d’un conseiller électoral sur la représentation des femmes
à titre de Législatrices au Parlement, à la 50e législature. Pour lui, c’est une évidence, cette
situation représente un problème ; ça atteste que Haïti reste, à certains niveaux, une société
rétrograde :
126
Une répondante, membre d’un parti politique, indique que, globalement, la manière dont
le leadership politique se construit et s’exerce en Haïti pose problème. Les comportements
des acteurs politiques génèrent une succession de crises politiques, les unes plus graves
que les autres. Mais la situation est encore pire, insiste-t-elle, en ce qui a trait à la présence
des femmes sur la scène politique. Dans ce même ordre d’idée, une autre participante, une
jeune journaliste et activiste féministe pense que la politique est la base de tout ; c’est elle
qui décide de tout. En ce sens, l’égale présence des deux sexes dans les instances de pouvoir
parait une nécessité. Lisons, pour s’en faire une idée, les passages tirés des entrevues qu’on
a eues respectivement avec ces deux femmes.
[…] la façon dont on fait la politique en Haïti, elle n’est pas bonne;
nous avons un sérieux problème de leadership. Mais, par rapport
aux femmes, c’est encore pire. Pourquoi est-ce pire ? Nous ne
pouvons pas accepter que ce soient les hommes qui mènent des
politiques publiques pour des femmes. Et l’on sait que les femmes
représentent 52 % de la population, nous sommes majoritaires.
Pourquoi cela ne se reflète-t-il pas dans toutes les sphères
d’activité (ACT-PAP-07) ?
[…] la majorité des gens qui sont dans le petit commerce sont des
femmes. Et ça, c’est un problème sérieux. Donc, l’économie du
pays, son développement dépend d’elles, l’épanouissement de la
population en dépend. Du coup, la question politique devient
importante. De ce fait, si les femmes ne sont pas là où les décisions
sont prises, il sera très difficile de changer certaines choses (ACT-
PAP-33).
127
Une ancienne ministre et cheffe de parti croit que si l’on veut que les femmes deviennent
des modèles pour les jeunes et que quelque chose change, qu’il y ait du progrès en Haïti, il
faudra que plus de femmes accèdent au Parlement. Comme elle l’indique, en se référant à
la théorie de la masse critique, c’est un défi que se présente devant la société, car :
Certain.e.s répondant.e.s, dont une jeune leader de parti politique inscrivent la question de
la participation politique des femmes dans une dynamique de lutte. Étant donné que c’est
un combat, les résultats ne vont pas tomber du ciel ; les acquis s’acquièrent, se renforcent,
se fragilisent ou se perdent sur le terrain, dans la lutte. Du coup, il y a bien sûr d’autres
barrières à briser pour pouvoir avoir et sauvegarder certaines avancées ; les femmes doivent
tout aussi s’attendre à des moments de stagnation voire de recul. L’essentiel, pour elles,
c’est de préserver cet héritage, de poursuivre la lutte. La citoyenneté politique des femmes :
C’est aussi l’avis d’une ancienne ministre à la Condition féminine et aux droits des femmes.
Elle rappelle :
[…] des efforts ont été consentis pour avoir davantage de femmes
en politique. Mais nous ne sommes pas satisfaites parce qu’il nous
faudrait avoir beaucoup plus de femmes dans les postes de décision
(ACT-SOC-16).
Une répondante a tenu un discours semblable sur le déséquilibre entre les hommes et les
femmes en politique en Haïti. Dans une approche historique, cette cadre d’une institution
étatique qui s’occupe de la cause des femmes, partage l’idée selon laquelle grâce à la
mobilisation des femmes certaines avancées ont été faites. Puisque les femmes étaient jadis
128
considérées comme mineures, par conséquent, incapables de jouir des droits civils et
politiques. Aujourd’hui, même si certaines barrières existent, il ne s’agit plus, comme avant
les années 1950, d’une exclusion totale et formelle.
Nous avons eu l’avis d’un autre répondant qui dirige une association qui accompagne des
groupes minoritaires, discriminés. Ce dernier a conduit une enquête sur la participation des
femmes aux élections de 2015. Pour lui, un pays où règne la démocratie, c’est un pays dans
lequel l’État fait la promotion pour l’intégration politique des femmes en prenant des
mesures pour que l’égalité politique entre les sexes soit effective dans les lieux de pouvoir.
Dans ce même ordre d’idée, il se demande si un État peut se dire démocratique, si une
société peut être moderne, si l’on peut opter pour la bonne gouvernance pendant que cet
État ne crée pas l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, qu’il néglige le sort
des femmes sur la scène politique.
[…] c’est très mauvais, ce n’est pas un bon signe. Ce n’est pas de
la démocratie. La société moderne exige que les femmes soient
partie prenante dans toutes les décisions (ACT-SOC-23).
Cet acteur admet toutefois que Haïti a fait des progrès dans certains domaines. Mais sur la
question de l’égalité entre les hommes et les femmes en politique, il reste beaucoup à faire.
C’est, poursuit-il, effectivement un problème, car, en ce qui a trait aux droits des femmes,
Haïti a pris des engagements qu’elle ne respecte pas. Elle a signé :
129
À ce propos, le discours d’une participante va presque dans le même sens. Elle croit que le
pays a besoin que beaucoup plus de femmes participent aux élections, à tous les niveaux,
et qu’elles gagnent. C’est par un message sur la nécessité de changer le regard que la société
porte sur les femmes et leur participation politique qu’elle a conclu l’échange téléphonique
que nous avons eu :
[…] Haïti a besoin que les femmes participent aux élections […] à
tous les niveaux. […] Aux dernières élections, les femmes sont
élues à l’échelle du pouvoir local. [Au Parlement], elles ont été
exclues, c’est comme si elles n’y étaient pas (ACT-SOS-25).
Dans l’ensemble, les personnes qui ont participé à cette étude considèrent la proportion des
femmes dans la vie politique en Haïti comme un problème. Elle était déjà faible, mais elle
a régressé au cours de ces dix années. Des répondant.e.s invoquent le poids démographique
des femmes pour se montrer insatisfait de leur faible accès aux postes de direction et de
décision. D’autres se réfèrent à la politique comme fondement, à la démocratie ou à la
bonne gouvernance pour justifier la nécessité, le besoin d’intégrer plus de femmes dans les
lieux de pouvoir. Certaines personnes inscrivent la participation politique de femmes dans
une approche globale, d’autres l’entendent comme une lutte qui connait des moments de
recul, de stagnation, mais aussi des avancées. Quelles sont les causes de ce problème ?
L’autre sujet que nous avons abordé, lors des entrevues, est la répercussion de la place
qu’occupent les femmes dans la société, dans les familles, sur leur participation politique.
130
Rares sont les personnes interrogées qui ne se mettent pas à caractériser la société haïtienne
afin d’expliquer la présence minoritaire des Haïtiennes dans la vie politique. Nous allons
présenter, ici, en nous appuyant sur leurs discours, des éléments qui organisent les rapports
entre les sexes en Haïti. Ces éléments qui s’appuient sur des attentes sociales affectent de
manière différente la présence des femmes et des hommes sur la scène politique.
À propos de ce phénomène, le faible accès des femmes aux postes de décision, la plupart
des personnes interrogées se sont focalisées sur l’organisation de la société haïtienne en
insérant les femmes dans l’espace social et dans l’espace familial. Les discours tenus de la
bouche de nos répondant.e.s nous invitent à aborder ce problème sous plusieurs aspects.
Prenons un premier aspect, celui de la figure, de la place de femmes dans l’espace familial
en Haïti. La plupart des personnes interviewées établissent un lien entre leur participation
politique, la configuration des cellules familiales et à la dynamique des rapports entre les
sexes qui s’y développent. Concernant la responsabilité des femmes dans le corps social et
dans l’espace familial, un chef d’un regroupement de partis politiques donne sa lecture :
Une répondante partage avec nous ses observations sur la situation des femmes au sein des
familles, les responsabilités qu’elles assument et la possibilité de dégager du temps pour
participer à d’autres activités, dont les réunions à caractère politique. D’après elle, les chefs
des partis sont indifférents au sort des femmes, à la situation des mères monoparentales.
Le poids des femmes dans la vie des enfants, la responsabilité qu’elles assument dans la
cellule familiale réduisent leur marge de participation à la vie politique.
À ce propos, un acteur de la société civile a tenu un discours identique quand il s’est mis,
lors d’une entrevue, à expliquer comment les femmes occupent une place centrale dans la
131
famille et la société. Une culture matrilocale, voilà à quel terme s’est résumé son discours.
Cette culture qui place la mère au centre du foyer, de l’économie familiale constitue, pour
lui, l’une des spécificités de cette société.
C’est sûr qu’il existe, en Haïti, plusieurs conditions de familles ; il n’y a pas que de familles
monoparentales. Prenons l’exemple des foyers au sein desquels les pères sont présents et
voyons comment sont partagées les tâches, les responsabilités. De l’avis de beaucoup de
nos répondant.e.s, même dans la situation de couple où les deux parents sont présents et où
l'homme assure le commandement domestique, il se trouve qu’en majeure partie ce sont
encore les femmes qui assument la plus grande part des responsabilités.
C’est la femme qui prend le soin de la famille. C’est elle qui doit
s’assurer que son mari va bien, que ses vêtements soient propres,
pendant toi aussi que tu travailles (ACT-SOC-27).
Une répondante, une des rares figures politiques féminines de carrière, en Haïti, pense que
la faible participation politique des femmes a plusieurs origines. Pour cette dirigeante de
parti, ancienne ministre et candidate au Sénat de la République :
société fondée sur des structures patriarcales qui privilégient les hommes au détriment des
femmes ou qui retirent les privilèges aux femmes. Comme ces personnes l’indiquent :
Haïti est une société frappée par des crises à répétition. Ces perturbations rendent précaire
sa stabilité au plan politique, économique et minent le terrain électoral pour les femmes.
Pour poursuivre ce diagnostic, certain.e.s répondant.e.s reviennent au poids, au pouvoir des
hommes. Selon une jeune femme, sensibilisée aux rapports de genre, les hommes sont en
majorité des machistes. Elle ajoute que le patriarcat, l’effort pour prendre le contrôle des
femmes traverse presque toutes les institutions, presque tous les recoins de la société :
Cette répondante place le patriarcat, ce système qui modèle et organise les rapports entre
les hommes et les femmes, au cœur du phénomène de sous-représentation politique des
femmes. Tel qu’une participante l’affirme, lors d’une entrevue, il faut cesser de culpabiliser
les femmes, disant qu’elles ont peur de faire la politique. Les culpabiliser revient à nier les
discriminations que génère le patriarcat et que les femmes subissent.
Dans un autre registre langagier, une ex-candidate et cheffe de parti défend la même idée
en qualifiant la société haïtienne de paternaliste :
133
Nous avons rencontré une dirigeante d’organisation de défense des droits de femmes et une
ancienne ministre à la Condition féminine. Ces deux répondantes vont dans le même sens
en définissant Haïti comme une société machiste. Pour elles, la marginalisation politique
des femmes s’explique par la croyance que les hommes peuvent servir de point d’appui à
tous les rapports, à toutes les stratégies de pouvoir.
Nous avons obtenu de la bouche d’une dirigeante de parti un discours semblable. De son
avis, la difficulté des femmes d’accéder aux sphères de pouvoir est due au fait que les
hommes détiennent du pouvoir sur les femmes, qu’il soit dans des rapports de couple ou
hors de couple. Pour elle, la question centrale, c’est la suprématie des hommes sur les
femmes. À partir de son vécu personnel et politique, cette répondante raconte comment les
hommes assoient leur domination sur les femmes.
Pour illustrer comment la suprématie des hommes s’exerce dans la société haïtienne, cette
participante confie avoir vécu une expérience similaire avec son conjoint :
La version d’une autre répondante n’est pas différente. Dans la vie des couples, les hommes
manœuvrent de manière à réduire l’autonomie de leurs femmes, leur participation dans les
prises de décisions. Voici comment elle décrit la situation :
Un leader de parti politique explique comment la façon dont la plupart des hommes se
comportent constitue, dans les rapports de couple, un blocage à la participation politique
des femmes. D’après lui, lorsqu’on associe les inégalités dans la répartition des tâches, des
responsabilités à cette l’attitude des hommes à vouloir contrôler les femmes, on se rend
compte qu’elles n’ont ni le temps ni la liberté pour participer aux activités extrafamiliales.
Les femmes, mères et responsables du foyer, manquent de contrôle sur leur temps, leur
quotidien, leur destin ; elles sont privées, nous confient des répondantes, de leur liberté. Le
langage populaire les appelle « fanm poto mitan » [épine dorsale de la société].
Que tout repose sur elle, c’est la figure de femme poto mitan, ce
qui est vrai. Mais, elle n’est pas poto mitan pour son quotidien,
pour elle-même. Elle l’est pour la communauté (ACT-SOC-04).
De l’avis de ces répondant.e.s, les Haïtiennes se trouvent dans une structure socio-familiale
dans laquelle le pouvoir des hommes et l’inégalité dans le partage des responsabilités dans
les foyers entravent la participation des femmes. S’il y a une carence de femmes dans les
postes de pouvoir et de décisions politiques, c’est, entre autres, à cause de cette réalité
décrite sous les thèmes de : monoparentalité féminine, patriarcat, sexisme, machisme. Et
cela quelle que soit la forme de conjugalité que l’on considère. La suprématie des hommes
pousse les femmes, souvent seules responsables au sein des foyers, à fuir l’espace politique.
À ces motifs d’ordre social de l’organisation des rapports entre hommes et femmes au sein
des familles, plusieurs personnes ayant pris part à cette étude y ajoutent un aspect historique
et culturel. C’est le cas de cet homme politique et professeur d’histoire qui invite à prendre
en compte l’histoire coloniale et esclavagiste d’Haïti dans l’analyse du comportement des
hommes et des femmes en politique. Il retourne sur cette période historique pour montrer
comment les valeurs, les pratiques que la colonisation et l’esclavage ont laissées en héritage
à Haïti ont des répercussions sur le traitement politique des hommes et des femmes dans la
société. Parmi ces valeurs, il y a le machisme qui impacte encore les rapports entre les
sexes et qui a des effets sur la participation politique des femmes.
136
Une dirigeante de parti et ancienne ministre que nous avons rencontrée va dans le même
sens en interrogeant le silence que l’historiographie haïtienne établit sur la participation
politique des femmes et les limites de la notion de liberté prônée par les révolutionnaires
de 1804. Elle a jugé important que le passage dans lequel elle a raconté une partie de
l’histoire de la lutte des Haïtiennes soit repris dans le rapport de recherche. Pour lui rendre
justice, un passage qui est tiré de l’entrevue menée avec elle le 8 mars 2020. Lors de cet
échange, elle reprend le processus historique qui conduit au confinement des femmes dans
la sphère domestique :
137
Mais, en Haïti, il faut dire que les femmes ont beaucoup lutté. Il y
avait les suffragettes dans la région des Gonaïves. Les femmes ont
commencé à faire de la politique depuis l’Indépendance […] elles
ont contribué à la lutte qui a conduit à la libération d’Haïti. Elles
étaient présentes comme soldats, comme aides-soignantes, mais
l’histoire n’a pas retenu les noms de ces femmes. Il y a des femmes
qui assuraient l’éducation des hommes, elles ont participé à leur
formation militaire. Claire Heureuse, de Sanite Bélair, le capitaine
Toya étaient engagées dans l’armée indigène. Donc, c’est pour
vous dire qu’à cette époque, des femmes défendaient le pays,
luttaient. L’occultation de leur participation a commencé avec
l’écriture des premières pages de l’histoire nationale. […] c’est à
partir de ce constat que nous avons commencé à comprendre que
les hommes, malgré leur soif de la liberté, les sacrifices consentis
pour cette liberté, reproduisent le schème européen. Cela veut dire
que les femmes sont à exclure des affaires l’État pour se cantonner
de la sphère privée (ACT-PAP-05).
D’après une répondante, ce n’est pas qu’une question de religion. Il s’agit aussi d’un point
d’ancrage, d’une sphère de signification des rapports entre les hommes et les femmes ; cette
sphère participe à la justification de l’accès inégal aux ressources, à la production d’une
perception différenciée de leurs places et de leurs responsabilités dans la société. Puisque :
Nous sommes une société qui est influencée par la culture judéo-
chrétienne. Ces gens-là ont des attentes et une perception sociale
de la place des femmes qui les privent de leur liberté. Aujourd’hui,
nous avons cette même perception. Imagine-toi les difficultés
qu’ont des femmes à s’affirmer comme leaders (ACT-SOC-11).
138
Les personnes ayant pris part à cette étude indiquent que ce fond historique et culturel
participe à la construction, à la représentation des rôles et des attentes basés sur les sexes.
Le discours religieux a valeur de modèle. Il organise la vie sociale, conditionne les idées,
les comportements des individus et l’accès aux ressources de la société.
Ces témoignages invitent à tâter les conditions de socialisation des filles et des garçons
pour comprendre comment la culture, l’histoire déterminent ce qui est pensable en matière
de participation politique de femmes. Interrogée sur ce sujet, une répondante indique que
les filles sont souvent préparées à assumer la plus grande part de responsabilité au sein des
foyers. La culture judéo-chrétienne laisse croire qu’on doit écarter les femmes des instances
politiques, que la politique n’est pas leur affaire.
Pour un autre répondant, les régimes dictatoriaux qui ont régné en Haïti participent aussi à
la fabrication de cette mentalité d’exclusion, de vouloir, à tout prix, contrôler l’implication
des femmes dans la politique. Voilà comment ces personnes expliquent l’articulation entre
les rapports de force et les rapports de sens dans l’exercice de la domination :
139
C’est notre modèle de société. Ces rôles sont souvent assignés aux
hommes. Puis, les femmes sont là pour s’occuper des enfants, pour
accomplir les tâches subalternes (ACT-PAP-34).
Une jeune étudiante en science politique et militante d’un parti politique confie avoir vécu
des situations dans lesquelles les victimes ont tendance à reproduire cette domination, les
injonctions à obéir aux autres membres de la famille. Elle se plaint :
Toujours en ce qui a trait au processus de socialisation, un autre participant croit que cela
est, en partie, responsable des inégalités observées entre les hommes et les femmes dans la
structure socio-familiale, en particulier dans le partage des tâches et des responsabilités.
Les femmes occupent une place centrale dans l’économie familiale ; elles :
Cet acteur de la société civile reste optimiste quant à la possibilité qu’une évolution s’opère
dans le sens d’un équilibre de rapports entre les hommes et les femmes dans la société. On
ne s’attend pas, dit-il, à un changement rapide et général des habitudes, de la représentation
des femmes puisque ça dépend du niveau d’éducation des gens, des croyances qu’on les
inculque. Toutefois l’on constate que les attitudes tendent à évoluer tant dans la répartition
des tâches domestiques que dans l’accès des femmes à des professions et à des espaces
traditionnellement réservés aux hommes. D’après ce répondant, malgré tout, au chapitre
du regard que la société porte sur les femmes, leurs rôles et leurs droits, certaines choses
commencent à changer :
On doit s’attaquer à ces défis d’ordre social, éducationnel, culturel et historique, tel est
l’avis du chef de parti politique ayant participé à cette recherche. Il croit que sans la réforme
du système éducatif qui associera des discours et des pratiques axés sur l’égalité, il sera
difficile d’éradiquer les discriminations entre les sexes en Haïti.
En somme, les participant.e.s ont indiqué que la situation des femmes en politique a son
origine dans l’histoire coloniale et esclavagiste d’Haïti. Renforcé par la culture judéo-
chrétienne, ce passé véhicule un ensemble de valeurs qui tendent à privilégier les hommes
sur les femmes. À côté de cet héritage, les institutions de socialisation, instaurées à la sortie
de la colonisation esclavagiste, continuent à promouvoir une figure de femmes haïtiennes
soumises et surtout prêtes assumer des responsabilités au sein du foyer. Elles les tiennent
à l’écart d’une scène politique dominée par les hommes dans le cadre d’une société pauvre
et d’injustice.
Pour ceux et celles qui privilégient une approche de classes, la situation des femmes, saisie
dans leur difficulté à accéder aux lieux de pouvoir et de décision, ne constitue qu’une forme
de manifestation d’un problème de société. L’analyse de ce problème, pour en trouver la
solution, doit considérer, comme l’entend le chef d’un regroupement de partis politiques et
141
ancien député, le fait qu’Haïti est une société de classes, marquée par des inégalités, des
exclusions touchant une catégorie d’hommes et de femmes. Il définit Haïti comme :
Pour lui, il y a une différence de situation à établir entre des femmes privilégiées et des
femmes non privilégiées. Ce participant invite à ne pas penser le déficit de femmes dans
les lieux de pouvoir dans la perspective des privilégiées. Cette démarche doit prendre en
compte les catégories de femmes qui occupent une place centrale dans la structure familiale
et économique. Ne pas éviter ce piège, selon lui, revient à nier la réalité spécifique des
paysannes, des commerçantes détaillantes et agricultrices vivant dans le pays « en dehors ».
Il tient à dire que :
Sur cette réalité d’exclusion se greffe celle des inégalités politiques, économiques, sociales
et culturelles. Ces inégalités touchent tous les aspects de la vie sociale et tendent, déplorent
certains répondants, à favoriser les hommes sur les femmes. Pour certains répondants, que
l’on perçoive le problème au prisme d’un groupe social ou dans un cadre global, Haïti reste
et demeure une société d’injustices, de discriminations et d’inégalités vis-à-vis des femmes.
Certains répondant.e.s croient que les acteurs doivent trouver une solution aux inégalités,
aux discriminations basées sur le genre et le sexe. Pour cette ex-Sénatrice, il faut s’attaquer
à l’injustice qu’elle estime atteindre un niveau inquiétant :
[…] où l’on oblige les femmes à être infirmières, parce qu’il est
difficile aux femmes d’être médecin. Elles peuvent être secrétaires,
mais elles ne peuvent pas être directrices (ACT-ET-24).
Un leader de la société civile rapporte les discours d’une catégorie de femmes invitées à
participer à une activité tenue par son organisation, sur la contribution des femmes dans le
renforcement de l’économie haïtienne. Il indique que ces femmes se plaignent du manque
de reconnaissance des contributions des commerçantes, des mères monoparentales, de
celles qui s’occupent des travaux domestiques dans le fonctionnement de la société.
Les inégalités qui structurent les rapports sociaux, en Haïti, peuvent, d’après le discours
de certains répondant.e.s, prendre plusieurs formes. Certaines personnes combinent une
analyse de classe et de genre pour tenter d’expliquer la situation des femmes.
par exemple, la bourgeoisie commerciale et urbaine, il existe une tendance à l’égalité des
sexes.
Certaines personnes ayant participé à cette étude tiennent à associer ces inégalités à la
situation de précarité, de pauvreté dans laquelle se trouve la majorité des populations
d’Haïti. Ces personnes lient la situation familiale, le poids démographique des femmes et
l’appauvrissement du monde rural haïtien. Pour eux, il importe de considérer ces aspects,
car le défi de la participation politique des femmes se situe aussi dans cette économie rurale
de pauvreté où la plupart des femmes jouent un rôle essentiel.
Des répondant.e.s à qui on a demandé comment ils comprennent la place des femmes dans
la société haïtienne indiquent qu’il serait injuste de privilégier une catégorie de sexe par
rapport à une autre. Les femmes ne peuvent s’épanouir dans une société qui les discrimine,
qui met des obstacles sur la voie de leur participation aux décisions politiques.
[…] c’est une société qui est composée de deux sexes (hommes et
femmes) ; il est très injuste de privilégier l’un et d’ignorer l’autre.
Donc, c’est une société fondée sur l’injustice (ACT-ET-17).
Ces participant.e.s ont perçu la faible présence des femmes dans les postes-clés de l’État
comme une injustice vis-à-vis des femmes.
***
En somme, les participant.e.s conçoivent la faible présence des femmes dans les sphères
de pouvoir comme un problème. Elles estiment que c’est problématique du fait du poids
démographique de femmes, de l’importance d’une présence équilibrée des deux sexes dans
une société démocratique. Pour expliquer le phénomène, ces personnes ont d’abord pointé
du doigt la société haïtienne. Elles ont dressé le portrait d’une société machiste, patriarcale,
paternaliste dans laquelle les hommes monopolisent les sphères de pouvoir, de décision, et
les femmes s’occupent une place centrale dans la structure socio-familiale et économique.
Le passé colonial, l’esclavage, le christianisme créent un imaginaire perceptif favorable au
machisme. Ces facteurs sociohistoriques et culturels génèrent un conservatisme social qui
a des répercussions sur la perception sociale de la différence des sexes et qui constitue un
obstacle à l’engagement politique des femmes dans la vie d’une société qui est axée sur les
inégalités entre les groupes sociaux.
145
Les répondant.e.s indiquent que des facteurs structurels, comme le machisme, les inégalités
sociales sont à l’origine du faible accès des femmes au pouvoir en Haïti. Dans ce chapitre,
nous comptons approfondir le diagnostic de ce phénomène en mobilisant les discours de
nos participant.e.s sur des thèmes abordés lors des entrevues tels : 1) les femmes comme
groupe social ayant des intérêts politiques spécifiques ; 2) leurs apports à la vie politique
et sociale ; 3) leur capacité et volonté à s’engager ; 4) les défis liés à la construction d’un
leadership politique au féminin en Haïti. L’objectif est de saisir comment la perception de
la politique et des femmes a des répercussions sur leur implication dans le jeu politique.
Nous avons recueilli les avis des gens sur l’idée que les femmes pourraient constituer un
groupe social ayant des intérêts spécifiques à défendre dans les instances politiques. Il
s’agit de saisir en quoi les femmes constituent un groupe social qui aurait des causes à
défendre. Qui est légitime à les défendre ? Est-ce que les hommes le peuvent en absence
des femmes ? Est-ce l’affaire des femmes ? Ou est-ce que les deux sexes ont cette capacité ?
Nous avons abordé ce problème avec une participante. Nous lui avons demandé en quoi
les femmes forment un groupe social particulier ayant des intérêts à défendre dans les
institutions politiques. Comment défendent-elles ces intérêts ? Sa réponse est oui : les
femmes forment un groupe social. Elle indique que la société haïtienne est composée de
femmes et d’hommes, chacun d’eux forme un groupe dans la mesure où leurs intérêts, leurs
problèmes et les solutions à envisager seraient perçus de manière différente. Elle précise
que les femmes constituent un groupe social qui émerge. C’est un groupe en construction
qui a des difficultés à s’affirmer, à articuler et à faire entendre ses revendications.
Les femmes constituent, selon l’avis de cette répondante, un groupe social dans le sens
qu’elles s’organisent autour des revendications, des besoins et des intérêts communs. Plutôt
146
que dans le fait d’être toutes, par nature, des femmes, elles formeront un groupe si elles ont
la conscience de partager une communauté de conditions et de vue. Pour faire passer au
Parlement haïtien une proposition de loi portant sur la violence faite aux femmes, portée
par une sénatrice de la 50e législature, un groupe d’organisations de femmes a mené une
campagne qui pourrait servir à illustrer cette notion de groupe social.
Poursuivant l’analyse, des répondantes ont invoqué un fait récent qui justifie l’idée que les
femmes, malgré leur diversité de conditions et de situations, peuvent constituer un groupe
social ayant des intérêts spécifiques, différents de ceux des hommes, à défendre dans les
espaces politiques. Il s’agit d’une activité que des groupes de femmes ont entreprise et qui
était destinée à sensibiliser des parlementaires pour voter une proposition de loi portant sur
la violence faite aux femmes. Les réactions négatives des Législateurs les portent à mieux
saisir les enjeux d’un tel projet dans une Assemblée politique que les hommes dominent.
Le fait que peu de femmes siègent au Parlement n’a pas seulement des répercussions sur
la traduction des revendications des femmes en lois, dans une législation portant sur les
droits des femmes. La sous-féminisation des instances hiérarchiques des pouvoirs explique
le bilan négatif de l’État en matière des droits des femmes.
147
Certaines personnes qui ont participé à la recherche admettent que les femmes ne forment
pas un groupe homogène. Elles croient que, malgré cette limite qui est difficile à franchir,
certains problèmes peuvent les femmes porter à se comporter comme un groupe social.
Elles évoquent le fait que ces dernières restent les plus sensibilisées sur les violences faites
aux femmes, les soins maternels et infantiles.
Parce qu’étant que femme, tu connais ce qui est bon pour toi, tes
besoins ; personne ne peut le faire à ta place (ACT-SOC-01).
Pour cette répondante, les violences faites aux femmes, la santé maternelle et des enfants
sont des sujets que les hommes politiques ne jugent pas prioritaires, contrairement aux
femmes. Ils n’ont pas une sensibilité particulière pour ces questions. Parlant des problèmes
sociaux négligés ou posés avec un manque de profondeur, une participante prend :
Les femmes ont des préoccupations et font des expériences qui sont spécifiques à leurs
conditions dans la société. De fait, elles peuvent, à partir de ces vécus, dégager des visions
de changement, une compréhension de leur situation qui pourraient être différentes de
celles des hommes. Ces enjeux peuvent justifier la présence directe des femmes dans les
espaces de représentation politique. Des personnes rencontrées, lors de l’enquête, croient
que les femmes sont, sur la base de leurs multiples expériences de souffrance, d’oppression,
les mieux placées pour représenter les femmes.
148
Par conséquent, la sous-représentation des femmes dans les espaces de pouvoir serait, en
partie, à l’origine de la marginalisation de leurs intérêts dans les décisions politiques. Selon
l’avis d’une répondante, la présence de plus de femmes au Parlement et au gouvernement
peut aider à changer leurs conditions de vie, en prenant des décisions, en travaillant sur des
projets de loi en leur faveur. Dans son témoignage, elle explique qu’il est impératif que les
femmes soient présentes autant que les hommes dans les instances de pouvoir en vue de
contribuer à changer leur condition de vie. Pour elle, il faut être en contact direct avec la
situation des femmes pour en avoir conscience. C’est ce qui peut inciter la personne à
s’engager pour le changement ; or ce n’est pas la situation des hommes qui sont au pouvoir ;
parce que ça n’a pas beaucoup changé jusqu’à présent.
Nous avons rencontré une personne occupant, lors de l’entrevue, la fonction de conseiller
au collège électoral. Le conseiller pense que la question de la participation et de la
représentation politique des femmes est un problème social qui doit être posé, non en tenant
compte de la spécificité des femmes, mais dans une perspective humaniste. Pour lui, c’est
au nom de leur appartenance à l’humanité, cela dans la perspective d’une mixité sociale,
que les femmes doivent participer à la politique, plutôt qu’en référence à leur condition et
à leurs rôles spécifiques de femmes.
Tel n’est pas exactement l’avis de certaines répondantes qui posent le problème dans une
perspective politique. Selon leurs témoignages, dans cette question de participation, ce sont
149
des intérêts politiques qui sont en jeu et qui déterminent la configuration des instances de
pouvoir en matière de présence d’hommes et de femmes. Puisque les intérêts des femmes
dans la société sont parfois différents de ceux des hommes, elles ont le sentiment que c’est
le plus souvent cette différence qui conduit à une législation qui privilégie les intérêts des
hommes. Le rejet des propositions de loi, des actions portant sur la situation des femmes
dans l’agenda législatif, est dû au fait que les femmes constituent une minorité politique.
Nous devons noter que, parmi les personnes interrogées sur l’idée que les hommes et les
femmes pourraient avoir des intérêts différents à défendre en politique, il y a un répondant
qui croit que dans une société démocratique les autorités devraient agir dans le sens de
l’intérêt général. Pour ce dirigeant de parti politique et ancien député, il est inconcevable
qu’un homme d’État ne décide pas en faveur de tous et de toutes :
En somme, les informations analysées laissent croire que les femmes constituent un groupe
social pour avoir vécu des expériences différentes de celles des hommes : l’expérience de
discrimination et de minorité en politique. Si tel est le cas, il est légitime que leurs intérêts
soient introduits dans les actions de l’État tant à l’échelle du pouvoir législatif, judiciaire
qu’exécutif. Pour y arriver, plus de femmes doivent pouvoir accéder à la hiérarchie de
l’État, puisque ce sont les femmes qui vivent ces situations, ces expériences, ce sont elles
qui peuvent comprendre et défendre leurs intérêts.
L’autre sujet abordé avec nos participants et participantes concerne les effets que pourrait
avoir l’augmentation du nombre de femmes en politique sur la gestion de la chose publique.
Pour beaucoup de ces personnes, les femmes sont préparées pour faire la différence sur la
scène politique. C’est l’avis d’un acteur de la société civile qui déplore le fait que bon
150
nombre de femmes, expérimentées dans la gestion des activités privées, soient jusqu’à
présent gardées à l’écart de la politique, un domaine dans lequel il y a encore beaucoup à
faire. Si leur intégration à la vie politique se justifie, reconnait-il, c’est surtout en vue de
promouvoir la bonne gouvernance. En d’autres termes, si l’on revendique une meilleure
intégration politique des femmes :
Ce n’est pas parce qu’elles sont femmes, mais parce qu’elles ont
une contribution à apporter dans la gestion de la chose publique.
Dans le privé, beaucoup de femmes ont réussi […]. Mais dans la
politique, il y a encore à faire (ACT-SOC-23).
Il rappelle que Haïti se trouve, depuis plusieurs décennies, dans une situation de crises de
gouvernance, de crises politiques successives et de plus en plus aigües. Il croit que :
Une autre répondante, membre d’un parti politique, déclare que les femmes, en participant
dans les prises de bonnes décisions, peuvent contribuer à créer plus d’espoir dans l’avenir
du pays et à inspirer plus de confiance dans les institutions publiques.
Par la suite, elle met un bémol en expliquant comment la présence de plus de femmes au
Parlement pourrait contribuer à rendre plus efficace le travail législatif, à défendre les
intérêts spécifiques des femmes et à moraliser la vie politique. Pour elle, une forte présence
de femmes dans l’administration publique et les instances de pouvoir politique pourrait
aider à prévenir, à réduire les pratiques de corruption.
Nous avons rencontré une jeune militante qui a posé le problème dans ce même angle, en
affirmant si les femmes peuvent faire la différence, ce n’est pas parce qu’elles sont des
femmes. Elle explique que c’est plutôt une question d’expérience, du vécu quotidien des
femmes. C’est pourquoi :
[…] je ne partage pas l’idée que les femmes soient plus capables
que les hommes. L’idée est ailleurs : c’est ce que la personne
affronte chaque jour comme réalité. C’est son vécu. La femme gère
la maison, prend soin des enfants, travaille. C’est ce vécu qui peut
faire la différence dans la politique (ACT-SOC-10).
Une participante, très engagée dans le débat sur la participation politique des femmes, dont
la question de quota, abonde dans le même sens. Si les femmes occupent plus de sièges au
Parlement, sont plus présentes dans les espaces de décision. Cette présence peut avoir un
impact positif sur la vie politique. Elle croit que les femmes ont un grand intérêt et
également la capacité à faire bouger les lignes, à gouverner autrement et à changer la façon
de faire la politique en Haïti :
Pour faire la différence, il ne suffit pas aux femmes d’intégrer la fonction publique et les
instances de pouvoir. Si la compétence n’est pas prise en compte, il sera difficile d’avoir
des résultats. En ce sens, une activiste féministe, qui nous a accordé une entrevue par
téléphone, Covid19 oblige, croit qu’au contraire des hommes, les femmes compétentes
prennent des décisions qui sont justes, avec rigueur, en tenant compte des règlements.
[…] quand c’est une femme qui prend des décisions, c’est plus
juste. […] quand tu conduis un véhicule, entre un policier et une
policière, tu dis « Je préfère ne pas avoir affaire avec la femme ».
Parce que si tu n’as pas ton permis, elle te donnera une
contravention. C’est sa mission qu’elle remplit ; et elle veut que ça
soit bien fait. Tandis que pour l’homme, quand une belle femme
arrive, il essaie, je ne sais pas moi, de te courtiser, n’importe quoi.
Par contre, tu peux avoir de la drogue dans ta voiture. Mais dès que
tu peux sourire au policier, tu pars. […] quand des femmes
accèdent à des postes de décision, des femmes compétentes, ça va
faire la différence (ACT-SOC-27).
152
D’après elle, l’arrivée au pouvoir des femmes compétentes peut apporter plus de justice,
plus de rigueur dans la fonction publique en Haïti. Un autre groupe de participant.e.s
partagent l’idée selon laquelle la féminisation des postes politiques donnerait de meilleurs
résultats, dans le chapitre de la gouvernance. D’après une répondante, si le Parlement
enregistre de si piètres résultats, si les attentes ne sont pas comblées, si les parlementaires
secouent l’image de l’institution et n’arrivent pas à s’acquitter de leur mission, à exercer et
à remplir leur fonction avec succès, c’est, entre autres, à cause de la faible intégration
politique des femmes. Elle déplore cette situation de masculinisation des instances de
pouvoir :
Parce que quand une femme parle, fait entendre sa voix, ça fait la
différence. Parce que c’est bon d’avoir des opinions différentes,
contraires pour diriger (ACT-SOC-16).
À propos des apports des femmes à la vie politique, nous avons eu l’avis d’une répondante,
candidate malheureuse aux législatives de 2015. Pour elle, les femmes, lorsqu’elles sont
compétentes, elles sont aussi très réalistes. Et ce réalisme pourrait contribuer à une gestion
plus efficace de la chose publique. Pour elle, l’accès de plus de femmes dans les instances
politiques :
[…] sera profitable pour Haïti. Parce que les femmes sont aussi
capables que les hommes. En outre, beaucoup de femmes sont
réalistes (ACT-SOC-25).
Pour approfondir ce sujet, nous avons interrogé une participante sur les répercussions que
pourrait avoir le faible pourcentage des femmes au Parlement sur le processus de prise des
décisions. Elle répond que cette situation de minorité politique contribue à minimiser, à
dévaloriser, voire à bloquer les revendications, les projets qui sont en faveur des femmes
au Parlement. En outre, pour élargir l’angle de vue, elle avance que l’absence d’une masse
critique de femmes au Parlement prive le pays, ses institutions des compétences à mobiliser
pour poser et résoudre certains problèmes urgents, dont les solutions se font attendre.
Parce que, je vais te dire quelque chose, tu vois tout ce qui se passe
dans le pays, tu vois ce Parlement, si les femmes participaient aux
prises de décision, aux problèmes, je ne dis pas que ce serait la fin
des problèmes, mais beaucoup de choses seraient bougées (ACT-
SOC-25).
153
Dans ce même ordre d’idée, un autre répondant indique que quand les femmes agissent,
posent des actions, c’est souvent dans l’intérêt général. Leurs décisions tendent à satisfaire
les besoins de leur communauté, de leur famille. C’est ce souci de l’autre qui manque dans
la conception et l’exécution des politiques publiques, les actions gouvernementales.
Cette participante établit un lien entre la présence des femmes dans les lieux de pouvoir et
bonne gouvernance dans le secteur public :
Une ancienne sénatrice raconte son combat pour la prise en compte des besoins, des intérêts
spécifiques aux femmes dans les décisions du gouvernement. De son avis :
Dans un autre passage, une répondante croit, elle-même, qu’agir dans l’intérêt d’autrui
n’est pas un souci essentiellement féminin. Mais les femmes développent, selon elle, par
expérience dans la gestion de la famille, un sens de responsabilité qui peut les porter à agir
dans le sens des intérêts des autres. Cette expérience, cette sensibilité pourraient contribuer
au changement dans plusieurs domaines.
Ces témoignages s’accordent pour monter que, par expérience, les femmes ont tendance à
agir avec rigueur, dans un souci de bien faire, avec un sens de responsabilité et de solidarité.
Or ces valeurs n’orientent pas les actions du gouvernement, les décisions de justice, le
travail du Parlement. Le renforcement de la présence des femmes dans les instances de
l’État peut donc contribuer à orienter les décisions dans les sens de l’intérêt général, à
assainir l’administration publique, à moraliser et à pacifier la vie politique.
Nous venons de voir que les femmes ont des intérêts à défendre dans les instances de
pouvoir. Elles peuvent, par leur présence et par leur expérience, contribuer à améliorer la
qualité des services publics et donner un nouveau souffle à la vie politique. Maintenant
nous allons aborder la question de la volonté des femmes à s’engager dans l’activité
politique. Sont-elles prêtes et capables à s’y engager ? Que supposent leur volonté et leur
capacité de s’y engager ?
En réalité, peu de femmes participent aux activités politiques en Haïti ; peu de femmes font
carrière en politique. À ce propos, nous avons interrogé les personnes qui ont participé à
cette recherche sur la volonté et la capacité des femmes à s’y prendre part. Pour y répondre,
deux jeunes féministes parlent d’un imaginaire social défavorable à l’engagement politique
des femmes. On croit qu’elles sont incompétentes, des personnes qui seraient, par nature,
incapables, désintéressées de la politique. La conséquence de cette croyance est que pour
exercer une fonction de gouvernant, de parlementaires et/ou de chefs de partis, on se montre
plus exigeants, plus sévères envers les femmes qu’envers les hommes. On doute souvent
de la qualification, de la compétence des femmes. La première affirme :
L’autre répondante ajoute qu’il ne devrait pas y avoir plus de poids sur la femme que sur
l’homme. Et que la compétence :
[...] doit être une exigence pour les femmes et les hommes (ACT-
SOC-03).
155
Ce que l’on peut déduire de cette comparaison est que, s’agissant de la politique, l’exigence
de compétence varie, se durcit selon le sexe de la personne. C’est la même considération
pour l’intérêt, la volonté à s’engager. D’après les témoignages de certains participant.e.s,
la compétence, l’intérêt à s’impliquer dans la vie politique s’acquiert et se développe avec
le temps et par la socialisation. Ce ne sont pas des données naturelles et différenciées selon
le sexe de la personne.
Nous avons rencontré une ex-conseillère électorale et ministre d’État qui identifie une dose
de sexisme dans l’idée, dans la croyance selon laquelle les femmes afficheraient un manque
de compétence, de qualification en matière politique. Pour elle, c’est un stéréotype, un
cliché sexiste que certaines autorités politiques utilisent pour se débarrasser des femmes
compétentes, en les disqualifiant à l’avance. Lors de l’échange, elle interroge les pratiques
de discrimination qui vont de pair avec ce procès de l’incompétence des femmes :
Une femme que nous avons eue en entrevue soulève l’un des enjeux qui entourent la
participation des femmes aux affaires politiques et qui alimentent le discours qui fait croire
qu’elles sont sous-qualifiées. L’enjeu serait, d’après elle, que le recrutement d’une femme
à exercer une fonction pour laquelle elle a des compétences peut faire la différence. Et c’est
la raison pour laquelle quand :
Parmi nos répondant.e.s, certains croient toutefois en l’existence effective d’un écart de
compétence entre les hommes et les femmes. C’est l’avis d’une autre ancienne ministre à
la Condition féminine qui indique que si la loi reconnait l’égalité des sexes, elle constate
un déficit historique de formation qui empêche les femmes de jouir pleinement de ce droit.
Elle se rappelle que, par le passé, l’État haïtien considérait les femmes comme mineures :
156
Elle ajoute que le problème est que, comparativement aux hommes, il y a sur le terrain
politique une carence de femmes qualifiées capables d’occuper des postes politiques à un
niveau hiérarchique de l’État, de l’administration publique. Cela s’explique par l’habitude
des parents de consentir peu de moyens à la formation professionnelle des filles. D’où :
Une autre répondante croit que les modalités de recrutement pour des fonctions électives
et nominatives doivent prendre en compte le niveau de compétence des candidates et des
candidats. D’après cette ancienne sénatrice de la République, la méritocratie qui veut qu’on
recrute la personne en fonction de sa compétence peut fonctionner dans une société de
justice. Or d’après elle, ce n’est pas encore le cas en Haïti où la plupart des hommes croient
qu’ils sont les détenteurs de capacité à exercer le pouvoir. Face à une telle croyance et les
attitudes qui en découlent, les femmes éprouvent de difficulté à mettre leurs compétences,
leurs capacités au service de la nation.
Nous avons abordé, au moment des entrevues, l’idée faisant croire que les femmes ne sont
pas intéressées à la politique, qu’elles n’ont pas la volonté d’y impliquer. À cette question,
un dirigeant d’une association qui travaille avec les femmes et une jeune militante politique
répondent :
Je ne crois pas que les femmes ne sont pas intéressées. Là où l’on
a rencontré des femmes politiques, donc…elles sont intéressées,
elles ont la volonté de s’impliquer (ACT-SOC-23).
Une répondante admet que certaines femmes ne manifestent pas d’intérêt à s’engager, à
s’impliquer dans la politique. D’ailleurs, c’est, selon elle, normal que certaines personnes
ne s’intéressent pas à y prendre une part active. Dans les deux cas, que l’on s’y intéresse
ou pas, cela relève du désir et de la manière de socialiser la personne, de son rapport à la
politique. Cela ne peut pas être assimilé à un acte naturel.
En somme, les divers témoignages recueillis mettent un doute sur le discours faisant croire
que les femmes sont compétentes, n’ont ni volonté ni qualification pour s’impliquer dans
la politique, pour participer à la gestion de la chose publique. Plusieurs de nos répondant.e.s
assimilent ce discours, à caractère sexiste, à un procès tendant à légitimer la mainmise des
hommes sur les ressources matérielles et symboliques les plus valorisées, dont le pouvoir.
Elles.ils ne nient pas l’existence du problème de l’incompétence dans le champ politique,
c’est toutefois un problème qui concerne aussi bien les hommes que les femmes.
D’après la plupart de nos répondant.e.s, le discours selon lequel les femmes seraient
incompétentes et désintéressées ne correspond pas à la réalité. Ils indiquent, au contraire,
que les femmes ont la volonté de s’impliquer. Ils croient, par ailleurs, qu’une présence plus
significative des femmes dans les lieux de pouvoir serait dans l’intérêt des femmes et de
tout le monde. Alors pourquoi peu de femmes accèdent-elles à l’univers politique ?
Là, on peut compter sur les doigts de la main […] les rares cas où
il y a des femmes actives dans la politique (ACT-SOC-23).
Être femmes, faire carrière en politique, s’émerger comme leaders, c’est une exception à
la règle, une aventure, une preuve de courage. Que ce soit à l’échelle des partis politiques,
du Parlement, peu de femmes parviennent à s’imposer, à briguer un poste de direction dans
ces structures, voire y faire carrière.
D’où viennent-elles ces Haïtiennes qui parviennent, par leur bravoure, leur fougue, à briser
les barrières et à se hisser dans les sphères du pouvoir? Elles arrivent à faire une carrière
en politique comme cheffes de partis, ministres et parlementaires. Nous en avons rencontré
certaines qui se considèrent comme des exceptions. Cela est dû au fait qu’elles ont pu
épargner, sur leur chemin, des obstacles et accéder à des postes jusque-là réservés aux
hommes. L’une d’entre elles revient brièvement sur sa trajectoire :
De ce parcours résulte sa capacité à affronter les nombreux défis rencontrés, en tant que
femme, sur la scène politique. De là, également, se construit sa notoriété, s’affirme sa forte
personnalité. Ce qui lui a épargné beaucoup d’obstacles.
Parmi les éléments qui ont contribué à son succès, à sa carrière en politique, il y a le fait de
bénéficier d’un ensemble d’atouts, dont l’accompagnement d’un proche parent. Dans un
univers politique inhospitalier aux femmes, la présence d’un mentor permet de franchir
certains obstacles initiaux, dont les préjugés sexistes. Cette présence peut avoir des effets
positifs sur le parcours et l’avenir d’une politicienne. La répondante est consciente que le
nom, l’héritage que lui a laissé son mentor fait d’elle un cas d’exception, un cas spécifique.
La trajectoire d’une autre femme politique à succès est à peine différente. Elle raconte que
sa longue et enrichissante carrière politique a débuté avec la rencontre successive de deux
mentors. Très tôt, le premier s’est mis à la motiver à s’impliquer à un mouvement associatif
et communautaire et à se porter candidate.
159
J’ai débuté très tôt dans la politique, depuis à l’âge de dix-huit ans.
J’ai commencé à militer avec l’entrée de la théologie de libération
dans nos églises. Et c’est à cette époque que j’ai commencé […] à
m’impliquer, à côté de père Élie [nom fictif], dans la vie de ma
communauté. […] il m’a poussée, il a servi de catalyseur pour me
dire ah il va y avoir d’élections avec le départ de Jean Claude
Duvalier, pourquoi ne pas [participer] (ACT-PAP-20).
Et ça n’arrête pas là. À la suite de sa première expérience électorale, elle a rencontré une
personne, son second mentor en politique. Il allait être déterminant dans la poursuite de sa
formation, son ascension au directoire du parti. Cette rare femme dirigeante de parti raconte
comment sa rencontre, cette fois-ci, avec un proche parent, qui a connu l’exil sous la
dictature de Duvalier, allait lancer pour de bon sa carrière politique. Grâce à ce mentor,
elle allait intégrer une structure partisane, recevoir une formation politique, et, ainsi, se
doter de moyens, de capacité de contourner les ennuis de la politique, les obstacles dressés
sur la route de beaucoup d’autres aspirantes au pouvoir.
De retour au pays après plusieurs années d’exil, son mentor a formé un parti politique qui
partageait des idéaux d’égalité entre les sexes. Ce qui est central, dans l’idéologie, la
doctrine du parti, c’est plutôt l’humain, l’individu que le fait d’être homme ou femme. Et,
dans un discours qui a l’allure d’un hommage à cet homme, cette répondante ajoute :
La répondante ajoute :
C’est pour cette raison que je dis que je n’ai pas eu d’obstacles
réels au parti. […] parce que Jean [nom fictif], le chef du parti, a
vécu dans un pays où, à l’époque, on n’était pas prêt à donner le
pouvoir aux femmes ou aux hommes, mais à l’humain (ACT-PAP-
20).
Le fait d’avoir à ses côtés un mentor, le plus souvent un parent qui est actif en politique,
constitue un facteur non négligeable dans la trajectoire politique d’une femme. Pour qu’une
femme puisse résister, se faire respecter et faire carrière dans cet univers, il faudrait avoir
un mentor et/ou un nom en héritage. Dans le cas contraire, il serait difficile à une femme,
surtout une jeune, d’avoir accès aux ressources qui permettent de franchir les obstacles.
160
Nous avons interrogé des jeunes sur leur expérience en tant jeunes et femmes dans le milieu
politique haïtien. Elles indiquent que la situation devient plus compliquée dans une société
fondée sur le favoritisme, la discrimination générationnelle et de genre. Quand tu es à la
fois femme et jeune, l’entrecroisement de ces deux éléments amplifie la discrimination qui
s’exerce sur toi, démultiplie les obstacles à rencontrer sur ta route. Comme l’indique cette
jeune militante féministe :
Les acteurs imposent aux femmes qui visent une carrière de politicienne des exigences qui
sont plutôt liées à leur situation de femmes qu’à leur parcours, leur compétence politique.
Pour s’épargner de tels préjugés, sauvegarder leur dignité, l’intéressée doit avoir soit une
forte personnalité soit de la notoriété. C’est ce que pense une participante pour qui ces
croyances ainsi que les pratiques qui en découlent ont un fondement culturel :
Si le traitement des femmes est différent selon que l’on soit l’épouse, la fille, que l’on porte
le nom de telle ou de telle autre personne, est-ce que ce problème a un fondement culturel ?
Lors d’une entrevue, un politicien témoigne comment les acteurs politiques perçoivent et
considèrent la présence des femmes en politique. Ils ont tendance à les inférioriser, à les
instrumentaliser, à les porter à exécuter ce que ce répondant appelle les basses œuvres,
c’est-à-dire le « sale boulot». Ce fin connaisseur de l’histoire et de l’actualité des pratiques
politiques en Haïti indique que le sexisme et les précarités socioéconomiques auxquelles
font face certaines catégories de femmes créent les conditions pour que :
femmes comme des inférieures, parce qu’ils sont des dictateurs. Ils
s’entourent de certaines femmes, pas des camarades, pour exécuter
les basses œuvres […] pour faire de l’espionnage (ACT-PAP-06).
Dans l’esprit des hommes politiques, il est increvable, anormal que les femmes participent
à la politique, qu’elles désirent exercer le pouvoir. Et, par conséquent, ils mettent en place
une stratégie préventive qui consiste à miner le terrain politique, à disqualifier les femmes
qui veulent s’engager. Il faut tâter l’attitude des hommes quant à la volonté des femmes de
s’engager en politique. Il faut également prendre en compte la façon dont les institutions
de socialisation préparent les femmes à cultiver du mépris pour l’activité politique.
En fait, les répondant.e.s font allusion à la socialisation des enfants de deux sexes pour
expliquer la difficulté à reconnaitre la capacité politique des femmes, à les accepter comme
actrices de la vie politique au même titre que les hommes. Les préjugés sexistes de certaines
institutions portent les acteurs politiques à nier leur présence dans l’histoire des luttes qui
ont conduit à l’Indépendance nationale alors qu’ils vantent leur contribution, leur rôle dans
la famille et l’économie. Nous avons eu un échange avec un participant, travaillant pour
une agence des Nations-Unies, en Haïti, qui abonde dans le même sens en disant :
À propos du silence établi sur les figures de femmes de l’histoire politique, une dirigeante
de parti au parcours exceptionnel pense que nous héritons ce préjugé de la colonisation :
Dans l’histoire des idées et des pratiques politiques en Haïti, il y a une séparation basée sur
le sexe entre l’espace politique et l’espace socio-familial communautaire. Dans ce modèle
de séparation, la politique est perçue comme un privilège d’hommes. Des répondant.e.es
indiquent que quand il s’agit d’occuper une fonction politique, de gouvernement, la plupart
des acteurs avancent des arguments sexistes pour écarter les candidatures de femmes. La
façon de concevoir le pouvoir et de l’exercer est centrée sur les normes de masculinité.
Car :
[…] les hommes prônent que la politique n’est pas l’affaire des
femmes, c’est une activité d’hommes (ACT-PAP-29).
Cette opinion ressemble à celle de plusieurs autres personnes qui déplorent le monopole
que détiennent les hommes dans le domaine de la politique. Cette répondante, ex-Sénatrice,
avance que l’État aurait beaucoup à bénéficier de la capacité des femmes. Par conséquent,
courtiser les femmes en vue d’une gestion mixte de la société, d’un partage de leadership
entre les sexes dans le domaine politique pourrait faire souffler un vent d’optimisme sur
Haïti. Ce changement peut aussi conduire à de meilleurs résultats.
Pour cette répondante, l’absence de ce leadership partagé, qui pourrait aider à résoudre les
problèmes auxquels font face les populations, pèse lourd sur l’avenir du pays. Elle pense
que les femmes sont les premières victimes de leur présence minoritaire dans les espaces
de pouvoir. Et cela résulte du fait qu’elles se trouvent dans une société qui est centrée sur
les hommes et qui tend à nier les capacités des femmes.
163
[…] jusqu’à présent, nous sommes dans une société qui ne nous
accepte pas, qui n’encourage pas nos progrès, qui ne reconnait pas
nos efforts, qui nous démotive (ACT-ET-17).
Dans un imaginaire social qui est construit pour reconnaitre les privilèges des hommes, les
gens auront du mal à percevoir les femmes comme des sujets, des actrices politiques. Ils
croient qu’elles n’ont ni la volonté ni la capacité de s’affirmer dans le champ politique.
C’est pourquoi ils prennent les femmes qui émergent et qui font une carrière de politicienne
pour des exceptions. Mais là encore, on met leur succès sur le compte de leur origine
sociale, de l’accompagnement d’un mentor. Les rapports des femmes à la politique, leur
capacité d’être dirigeantes politiques dépendent-ils de cette perception ?
Dans l’imaginaire politique, en Haïti, les femmes occupent un statut subalterne ; on admet
difficilement qu’elles sont capables de prendre part aux affaires qui concernent la société.
Cette perception influe sur les hommes, les femmes, les rapports des hommes avec les
femmes et vice versa. Elle détermine également les rapports des femmes à la politique. Ce
sujet a été abordé avec nos répondant.e.s qui ont tenu à nous livrer leurs opinions sur les
défis qui entourent l’émergence d’un leadership politique au féminin en Haïti.
7.5.1 Estime de soi, liberté, éthique. L’attitude des femmes face à la politique
Nos participant.e.s ont indiqué que la perception sociale des femmes tend à les éloigner de
l’activité politique. Certains ont des doutes, ont peur de s’impliquer, de s’engager même si
elles en ont la capacité. Des femmes s’engagent dans des activités communautaires, dans
le mouvement associatif, mais elles ont du mal à s’accepter comme femmes politiques.
Mais, souvent, leur capacité est tout simplement ignorée par les acteurs politiques.
164
Et à force de leur faire croire que la politique n’est pas leur affaire, certaines femmes vont
y développer un rapport distancié, c’est même devenu un tabou. Et ça tend à ruiner leur
confiance en leurs capacités. C’est de cette difficulté, pour certaines femmes, à s’accepter
comme leaders ou cheffes, dont parlent des répondant.e.s en entrevue. Une jeune militante
raconte comment il semble difficile de se percevoir et de s’accepter comme dirigeante dans
le milieu politique. Pour elle, l’explication de cette perception tient à l’éducation que les
femmes ont reçue. On nie la capacité des femmes et elles le nient aussi en retour. Et même
lorsqu’elles assument :
Elle poursuit en fournissant un témoignage qui provient d’une enfance vécue dans le milieu
rural et paysan haïtien où les femmes occupent une place centrale dans la structure sociale
et économique. Les femmes coopèrent pour travailler la terre, récolter et conserver les
produits qu’elles vont écouler, parfois, sur leur tête, dans un pays où le système de transport
est rudimentaire, sur les marchés des villes intérieures. Malgré ces femmes se débrouillent
pour subvenir aux besoins de leurs foyers, imaginent un avenir meilleur pour leurs enfants,
la politique reste, selon cette répondante, une activité taboue pour bon nombre de femmes.
Voilà comment elle a décrit la capacité de ces femmes à faire corps ensemble pour survivre
et éduquer leurs enfants :
Nous avons rencontré une jeune femme, membre d’un parti politique, qui croit que ce
retrait de la politique résulte d’un manque d’estime de soi, de confiance en soi. Pour elle,
on ne peut pas assimiler cette attitude à un manque de qualification :
[…] il faut créer plus d’espace aux femmes, surtout au sein des
partis politiques, c’est là qu’elles peuvent commencer à s’affirmer
comme leaders, à connaitre le mode de fonctionnement de l’État
(ACT-SOC-03).
L’idée est la suivante : ce n’est pas que les femmes n’ont pas d’ambition politique ou en
ont peu. L’émergence et surtout l’affirmation d’un leadership politique demandent que la
personne ait du temps libre, une disponibilité, un niveau d’autonomie et un accès au jeu du
166
pouvoir. Ces exigences correspondent peu à la situation d’une majorité de femmes qui
consacrent la majeure partie de leur temps et de leur énergie à leur famille, à leur foyer et
d’autres activités socioéconomiques et professionnelles. Être une femme politique :
C’est très difficile. En plus d’être une femme qui exerce une
profession, une autre activité, il fallait être aussi un leader. Donc
un leader c’est une personne qu’on doit suivre dans la zone, qui
permet aux autres de s’affirmer, de progresser, tout ça. Donc il faut
avoir une certaine capacité (ACT-ET-14).
Mais il n’a pas que cette culture de paix, ce souci de l’autre, de ne pas le faire souffrir qui
font que certaines femmes reculent face à la violence. La même attitude s’observe face aux
actes illicites. Dans ce domaine, comme l’indiquent ces répondant.e.s, elles ont souvent
tendance à prendre moins de risque. C’est là que résiderait un lieu de différence entre les
femmes et les hommes. On incrimine plus la corruption du côté des femmes. Du coup :
Ces motifs d’ordre éducationnel, psychologique et éthique ont rapport à l’image que les
femmes se font d’elles-mêmes et à leur implication politique. À ces motifs, il faut ajouter
le caractère violent et discriminatoire des luttes politiques en Haïti.
[…] j’aime dire qu’il y a deux extrêmes. […] nous les Haïtiens,
nous aimons à la folie, tout comme nous haïssons à la folie. […]
on peut être deux amis, dès qu’on est candidats, nous ne devenons
pas des concurrents, mais des ennemis. […] ça peut aller jusqu’à
la tuerie, jusqu’à la mort d’hommes. On ne nous a pas appris à
tolérer la concurrence. En tant que femmes, dès que vous rentrez
dans la politique, vous rentrez dans la guerre (ACT-ÉT-14).
D’autres personnes continuent à décrire les difficultés auxquelles se heurtent les femmes
qui veulent s’insérer dans l’univers politique. Elles disent :
[…] nous sommes formées pour détester ceux et celles qui font la
politique (ACT-PAP-20).
Les acteurs dramatisent, mystifient le jeu politique pour que d’autres aient peur de s’y
impliquer. Sur la politique, ils inventent et racontent toutes sortes d’histoires pour la rendre
complexe. Ils y ajoutent souvent un aspect magique et religieux. On dirait que la politique
est dirigée par les forces du mal. Cette culture de peur trouve son origine non seulement
dans les pratiques de violences, mais aussi dans le lien historiquement établi entre la
politique, la religion et les esprits du mal ; ces sources nourrissent l’imaginaire populaire
haïtien. Toute une série de mythes est créée autour du jeu politique pour diluer son caractère
social.
Les luttes pour le pouvoir ont ainsi tendance à basculer dans l’extrême violence. Et les
femmes se voient à peine dans ce monde. Outre cette violence qui rythme la vie politique
en général, les répondant.e.s ont invoqué une violence spécifiquement faite aux femmes
qui aspirent au pouvoir. Les concurrents politiques les intimident, les menacent, lancent
contre elles des invectives, des injures à caractères sexistes portant atteinte à leur dignité.
Les femmes qui osent s’affirmer à titre de politiciennes, celles qui ont l’intention de faire
la politique, sont dénigrées, sont sous le feu de menace, d’intimidation. Tout un dispositif
est orchestré pour ternir leur image, leur réputation. Quand c’est une femme, la violence se
diversifie et gagne encore en intensité, expliquent nos répondant.e.s :
[…] la plupart des femmes ont peur d’être dénigrées, de voir leur
intimité sur la place publique. On peut te balancer toutes sortes
d’injures : putes, lesbiennes. Souvent, on salit l’image de leurs
familles, leurs partenaires, leurs enfants (ACT-PAP-29).
Les hommes intimident les femmes. Ils leur lancent des propos
injurieux. Ils peuvent s’en prendre à la dignité de leurs familles.
169
Outre ces menaces, ces violences, ces injures à caractères sexistes, il y a également l’idée
que la politique corrompt les femmes, desserre les liens familiaux. Les femmes sont
perçues comme gardiennes de la morale familiale, de son unité ; les femmes doivent avoir
une vie exemplaire. C’est à elle d’en préserver la réputation, l’honneur, d’en projeter une
bonne image à la société. Or quand elle souhaite s’engager, on s’en prend à sa famille, à sa
dignité, on lui accole alors une image négative pour la porter à reculer. À ce moment, elle
perd le support de son conjoint. Une candidate malheureuse aux dernières législatives
indique comment les parents, les amis sont importants pour une femme dans une course
électorale :
À en croire cette répondante, juriste et dirigeante d’une organisation de défense des droits
des femmes, la perception des femmes dans les rapports de couple constitue un obstacle à
la participation politique des femmes. Pour illustrer ce propos, elle nous fait part de deux
expériences qu’elle a vécues lors des sessions de formation. La première raconte l’histoire
d’une femme que son conjoint frappait parce qu’elle était candidate pour un poste au palier
du pouvoir local et devait partir en campagne pour le scrutin.
Le deuxième cas relate l’histoire d’un mari qui a interdit à sa femme de se porter candidate
parce que cette entreprise va souiller son nom, son honneur et celui de sa famille.
170
Dans une formation animée par madame Albert [nom fictif], une
participante a dit : « Ce monsieur, c’est mon mari; il ne veut pas
que je vienne seule à la formation; et il m’interdit de me porter
candidate [aux élections locales]. Il me doit des explications, car
quand je lui demande de m’expliquer, il se contente d’affirmer son
opposition ». Le monsieur répond : « mais c’est mon nom qui va
être sur tous les murs, on va dire que madame untel est une voleuse,
elle est une lesbienne, madame untel a volé l’État. Donc je ne veux
pas que mon nom soit écrit sur les murs. Je ne veux pas être
dénigré ». Bon, nous disons : « madame untel, dorénavant, vous
allez porter votre nom de jeune fille ». Il réplique : « je lui ai donné
la bague, comment peut-elle ne pas porter mon nom ? » (ACT-
SOC-04).
Les hommes démotivent les femmes à s’impliquer, à s’engager dans la politique, ou leur
exigent d’abandonner la vie politique. Souvent les femmes ont à choisir entre leurs maris,
leur mariage, leur famille et la politique. On dirait qu’il existe une sorte d’incompatibilité
entre le fait d’être femmes mariées, en couple et femmes politiques.
L’autre élément qui constitue un enjeu de taille à propos de la participation politique des
femmes est celui de la sexualité. Bon nombre de gens croient que pour percer en politique,
financer la campagne, gagner l’élection, être nommées à des fonctions hiérarchiques au
gouvernement, les femmes doivent négocier leur sexualité. Cette croyance agace les
conjoints des femmes qui décident de s’impliquer dans le jeu politique.
Des répondantes qui ont eu une expérience électorale racontent ce que c’est la réalité d’être
femme et candidate. De quoi s’agit-elle, l’expérience de candidature pour les femmes ?
Une ex-candidate aux législatives de 2015 a fait part du problème qu’elle a commencé à
endurer dès qu’elle souhaite se porter candidate.
De l’avis de certains répondant.e.s, cette attitude qui consiste à intimider les femmes, à
harceler celles qui s’intéressent à la politique dépasse l’ordre de la croyance. C’est plus
qu’une perception, c’est devenu une réalité, une pratique dans le milieu politique en Haïti.
Leurs témoignages montrent que ces pratiques constituent un facteur qui démotive les
femmes, qui les dissuade à prendre part au jeu politique.
La majorité des femmes hésitent à s’impliquer dans la politique active, aux élections, dans
un parti, par peur d’être victimes des violences qui entourent le milieu politique. Participer
au jeu politique exige aux femmes qu’elles se démultiplient, qu’elles risquent leur honneur,
celui de sa famille, voire leur vie. On considère souvent les femmes qui osent courir ce
risque comme des héroïnes. Pour cette répondante, être membre d’un parti politique :
Des répondant.e.s ont utilisé les termes de peur et de violence pour caractériser le jeu
politique, en Haïti, pour définir la perception des femmes d’elles-mêmes, leurs rapports à
la politique. Et c’est pourquoi s’y impliquer revient à consentir tant de sacrifices, à se
risquer. À propos, nous avons eu en entrevue deux répondantes. Une dirigeante politique
explique comment la violence met les femmes en insécurité dans l’espace politique. Elle
dit qu’il s’exerce sur les femmes politiques une forme de violence douce et brutale.
S’impliquer dans la vie politique parait moins difficile pour les femmes qui ont déjà eu un
sens d’engagement sur les questions politiques et qui trouvent le support d’un proche. C’est
le cas de cette femme qui, dès son jeune âge, a été poussée par son père à s’engager dans
un parti politique. Malgré ce support et la formation politique dont elle a pu bénéficier au
sein du parti, d’après elle, pour faire carrière en politique et se hisser au sommet, il faut
avoir une forte personnalité ; il faut accepter de prendre des risques.
Son parcours parait identique à celui d’une autre dirigeante politique. Voilà un extrait de
son témoignage :
Cela n’a pas empêché cette femme de subir de violence physique, armée dans l’exercice
de ses fonctions politiques. Elle croit qu’elle a subi ces violences, au sein du Parlement,
parce qu’elle est une femme.
Roger [nom fictif] m’a frappée au sein gauche et Jean [nom fictif]
allait me frapper aussi. […] je me suis cachée sous un bureau. Les
députés de mon parti étaient en réunion, il n’y avait pas le cellulaire
[téléphone] à l’époque. […] je dis ça et puis j’ai la chair de poule,
parce que je revis la scène, cette scène; nous étions pris en otage.
J’avais beaucoup de douleur, j’ai vu des médecins pour m’assurer
qu’il n’y avait pas de masse. Et c’est là que j’ai compris parce que
j’étais femme, j’étais faible. Pourquoi n’a-t-il pas frappé Louis
[nom fictif] ? Il était de haute taille, c’est un homme.
173
Une jeune féministe déplore le fait que certaines femmes politiques, qui ont pu vaincre la
peur et accéder à un milieu politique violent, inhospitalier envers les femmes, tendent à
sous-évaluer les répercussions des discriminations basées sur les sexes, les préjugés vis-à-
vis des femmes. D’après elle, le regard que portent ces femmes sur elles-mêmes et leurs
parcours montre comment elles saisissent à peine les points de vue de certaines femmes.
Elles ne voient pas comment les violences entrainent des formes d’auto-exclusion, des
difficultés à intégrer et à évoluer dans le monde politique.
[…] elles ne se rendent pas compte que les femmes ont un sérieux
problème avec le discours d’exception. […] elle raconte que, lors
de sa campagne à la députation, elle a bénéficié de l’appui de Joe
[nom fictif]. Elle ne se rend pas compte que c’est un homme. Les
femmes qui décident de faire de la politique, et qui n’ont pas un
mentor, rencontrent beaucoup d’obstacles (ACT-SOC-03).
Donc le regard porté sur les femmes et les rapports des hommes avec les femmes dans les
lieux de pouvoir constituent un problème dans la mesure où cela prive les femmes de leur
liberté d’action et rend le milieu politique moins attractif pour elles. Elles ont la volonté,
l’intérêt à s’impliquer, mais comparé au sort qui leur est réservé, le risque parait élevé pour
elles, leur famille. Par peur, certaines femmes fuient la politique. La mise en œuvre de la
violence engendre l’autocensure, la résignation, l’auto-exclusion. Certain.e.s répondant.e.s
utilisent ces expressions pour décrire le rapport des femmes au monde politique en Haïti.
174
S’auto-exclure, s’autocensurer ne revient pas à dire que les femmes acceptent leur situation
de minorité en politique. C’est le caractère violent et sexiste de la politique qui les contraint
de rester hors du jeu électoral. On dirait que :
Il y a une sorte de peur de la violence qui les conduit à reculer, à se retirer de la politique,
donc à s’autocensurer. Seuls les braves prennent les risques et parviennent à dépasser cette
peur, à surmonter les difficultés. Pour cette répondante, au plan psychologique des femmes
vivent un blocage qui a son origine dans le caractère violent du jeu politique :
Donc, si pour les hommes, c’est difficile, c’est pire pour les
femmes. Au lieu de faire la politique, la femme, elle cherche un
petit boulot pour s’occuper des enfants. Donc, dans l’esprit de la
femme, il y a ce qu’on appelle l’autocensure. Elle se censure ; elle
se dit « la politique, ce n’est pas fait pour moi » (ACT-PAP-05).
La plupart des femmes choisissent de s’effacer pour prendre le refuge dans des activités
sociocommunautaires, dans l’espace familial. Elles se contentent de ne pas revendiquer
leur capacité de leader, de ne pas s’accepter comme leaders. Parce que cette affirmation va
leur attirer des nuisances de toutes sortes, et surtout la colère de leurs conjoints, la violence,
les menaces des concurrents politiques.
L’autocensure est l’expression d’un malaise que les femmes éprouvent en rapport aux
violences qu’elles subissent, au sexisme qui structure l’espace et le jeu politique en Haïti.
Les témoignages qui proviennent de nos répondant.e.s montrent comment malgré la
175
volonté qui anime des femmes, elles sont contraintes de fuir cet univers. L’autocensure
résulte d’une violence douce qui persuade les femmes à s’exclure du jeu politique.
Comme l’a signalé une répondante, si des hommes ont peur, qu’en est-il des femmes?
Autrement dit, la peur semble être des deux côtés, et ça parait un peu paradoxal. À la seule
différence, la peur de subir la violence en politique ne contraint pas la majorité des hommes
à l’autocensure. Ce qui est contraire pour les femmes. La peur de la violence joue dans
l’intérêt des hommes politiques. En outre, plusieurs répondantes croient que c’est d’autant
plus au bénéfice des hommes, puisqu’ils ont peur de l’arrivée de plus de femmes sur la
scène politique. Les concurrents masculins ont intérêt à alimenter ce sentiment de peur :
[…] les partenaires masculins ont peur que les femmes leur bottent
les fesses (ACT-PAT-05).
Les hommes créent autour du jeu du pouvoir, cela à leur profit, une atmosphère empreinte
de peur, de violence qui pousse les femmes à l’autocensure. Pour les femmes, faire de la
politique, c’est oser, c’est se risquer. Elles sont rares les femmes qui aspirent au pouvoir et
qui peuvent compter sur le soutien de leurs partenaires masculins. Dans ces rares occasions,
il arrive parfois que ce sont encore les hommes qui en ressortent comme les « héros ».
****
En général, nos participant.e.s partagent l’idée que les femmes constituent un groupe social
ayant des intérêts à défendre dans l’espace politique. Plusieurs croient qu’une présence
renforcée des femmes dans les instances politiques peut aider à faire bouger les lignes dans
les sens d’une société juste, égalitaire. Ils se montrent perplexes à l’idée que les femmes
n’ont pas la volonté, la capacité à s’engager dans la politique. À en croire les participant.e.s,
ce sont plutôt les violences et la féchitisation de jeu de pouvoir qui expliquent le désintérêt
que manifestent des femmes pour la politique. Le sexisme, la corruption créent un climat
défavorable à l’intégration politique des femmes. Ces éléments nuisent à l’affirmation d’un
leadership politique au féminin, éloignent les femmes du jeu politique, les poussent donc à
l’autocensure.
176
Beaucoup de personnes ont émis des doutes sur la volonté de l’État à promouvoir l’égalité
entre les sexes dans un univers politique dominé par les hommes. Ils disent constater que
l’élite politique n’agit pas de manière à améliorer la représentation politique des femmes.
À la question comment la fortification de la présence des femmes en politique est-elle une
responsabilité de l’État ? Est-ce que l’État prend la situation en charge ? Un participant
répond que le quota pour les femmes :
Une autre participante désigne l’État comme responsable, par action ou inaction, de la mise
des femmes à la marge de la politique institutionnelle, de leur faible participation aux
élections comme candidates :
Dans une entrevue par Skype, une jeune, dirigeante de parti, met la responsabilité de la
marginalisation politique des femmes sur le compte des autorités. Elle désigne l’État, l’élite
politique comme la première responsable de cette injustice, car la fortification de la
représentation politique des femmes :
[…] est liée au départ aux autorités. Car si elles étaient conscientes
qu’il faut une prise en compte effective de la participation des
femmes, je pense que ça pourrait être autrement (ACT-PAP-22).
D’après nos répondants, si en principe l’intégration politique des femmes parait être une
responsabilité de l’État, dans les faits, les autorités n’ont rien entrepris pour améliorer leur
présence dans l’espace de pouvoir. Le blocage initial à l’arrivée de plus de femmes en
politique, se trouve au niveau de l’État. Certaines personnes rencontrées ont utilisé les
termes d’hypocrisie, de laxisme, de mépris pour désigner la façon dont l’État, à travers ses
trois pouvoirs constitutifs, aborde ce problème.
D’autres participant.e.s estiment que les déclarations, la bonne volonté ne voudront rien
dire si elles ne se manifestent pas à travers des actions concrètes en faveur des femmes.
Une dirigeante politique invoque une mesure que le chef de gouvernement a prise, lors des
élections de 2015, pour montrer comment l’État haïtien entrave les efforts des femmes pour
178
devenir candidates. Dans une entrevue, cette ex-Sénatrice croit que l’exigence faite aux
agents de la fonction publique de démissionner s’ils veulent se porter candidats a démotivé
les employées de l’État. Elle explique :
Cette mesure pose d’autant plus problème pour les femmes, selon une ancienne ministre,
que nous avons eue en entrevue, que l’on se trouve, en Haïti, dans une situation où les
autorités ont la peine à respecter les échéances électorales.
Une autre participante partage l’avis selon lequel l’État haïtien ne travaille pas à corriger
le déséquilibre qui se produit entre les hommes et les femmes en politique. Lors d’une
entrevue à distance, elle a pris un exemple actuel, la pandémie, pour illustrer cette idée.
Le comité dont parle cette répondante est la cellule scientifique de 14 membres créée par
le gouvernement le 26 mars 2020. Elle a eu pour mission de recueillir et de traiter les
données relatives à la pandémie et de faire des recommandations au gouvernement en ce
qui a trait aux mesures sanitaires à mettre en œuvre.
façon dont l’Exécutif instrumentalise les revendications politiques des femmes. Pour elle,
l’engagement de l’État ne reste qu’au niveau du discours, de la propagande :
Un leader politique, qui a comme habitude de représenter son parti aux négociations pour
former les gouvernements, confie qu’il a été témoin de la manière dont ceux qui détiennent
et exercent le pouvoir nient la cause des femmes et leur intérêt pour la politique. Dans le
contexte de crises politiques, le pouvoir exécutif négocie avec l’opposition politique pour
parvenir à une entente concernant le remaniement du cabinet ministériel. Les autorités ont
tendance à accorder aux opposants politiques les ministères auxquels l’État accorde peu de
considération, la plus faible part du budget national, dont celui des droits des femmes. C’est
pareil par exemple pour le ministère de l’Environnement qui est considéré comme étant de
classe inférieure. Selon ce participant, ces ministères servent de :
Depuis quelques années, à l’issue des accords conclus entre les acteurs politiques pour
réaliser des élections, le gouvernement prend l’habitude d’inviter les associations des droits
des femmes à désigner une représentante devant intégrer le Conseil électoral provisoire
(CEP). Nous allons revenir sur cet aspect à propos duquel nous avons rencontré une ex-
conseillère électorale qui indique comment son autorité était très limitée au sein du CEP et
qu’elle ne pouvait faire que des propositions techniques.
Nous avons tenu à interroger les participant.e.s sur les responsabilités du Parlement dans
le faible accès des femmes aux instances politiques. Ils laissent comprendre qu’au sein du
Parlement le désintérêt pour l’intégration politique des femmes est plus manifeste. Cette
180
Assemblée constitue l’un des lieux de résistance à la féminisation des sphères de pouvoir.
Les législateurs excluent de leur agenda les propositions, les projets de loi portant sur les
droits des femmes, leurs droits politiques en particulier. Ces genres de textes dorment dans
les tiroirs du Parlement.
[…] j’ai dit tout à l’heure que l’intégration politique des femmes
pose beaucoup de difficultés. Parce que s’il n’y a que trois femmes
sur 129 parlementaires, on peut parler, proposer, mais lorsqu’on
doit voter, on n’a pas la majorité (ACT-ÉT-17).
Pour montrer que c’est à partir du Parlement que l’attaque contre le quota s’organise, une
participante dit :
Pour une répondante, cette résistance est due au fait que l’humain n’est pas au centre de la
vision de la majorité des parlementaires. Ce qu’il faut retenir de l’avis de cette participante,
c’est que plutôt l’intérêt collectif, ils sont au Parlement pour défendre leur privilège.
En somme, les participant.e.s partagent l’idée que le pouvoir exécutif, à travers ses deux
branches, la Présidence et la Primature, n’a presque rien fait pour améliorer la présence des
femmes en politique. Le Parlement constitue, de son côté, un lieu d’organisation de la
181
8.1.2 Crises et transitions politiques. Recul des droits politiques des femmes
Haïti expérimente souvent des moments de crise. Les gouvernements provisoires sont issus
de ces périodes de crise et des ententes entre les acteurs politiques. C’est une constante
dans la vie politique du pays depuis plus de 30 ans. Les crises qui sévissent dans la société
haïtienne remuent dans l’actualité, selon une participante, la question de la participation
politique des femmes. Les acteurs politiques se demandent comment les femmes pourraient
contribuer à la sortie de crise, donner un nouveau souffle à la vie politique. Mais ça s’arrête
au niveau de l’opinion. Ça reste une velléité comme l’indique cette participante :
Tout autre est l’opinion d’une partie de répondantes qui croient que les crises brouillent
l’horizon politique pour les femmes. Si l’on se tourne vers les propos de ces répondantes,
on se rendra compte des répercussions de ces moments de turbulence politique sur les droits
de femmes. Ce sont des périodes pendant lesquelles les violences faites aux femmes battent
des records. Les crises font souvent planer des menaces sur les acquis en matière des droits
des femmes ; ce sont des moments de recul.
Pour cette répondante, les acteurs ne prennent pas en compte toutes les conséquences de
leurs actions. Les leaders politiques n’agissent pas de manière à éviter les crises, à créer un
environnement sociopolitique stable parce que ce sont surtout les groupes vulnérables, dont
les femmes, qui paient le prix de leur irresponsabilité.
Donc oui, c’est une démocratie qui connait toujours des crises. Là,
nous sommes en train de couver un ensemble de problèmes, parce
que nos responsables ne prennent pas toute la dimension de la
tâche qui leur est confiée. […] Malheureusement, dans ce genre de
situations ce sont les plus faibles, dont les femmes qui en font les
frais. […] jusqu’à présent, on a une crise de gouvernabilité, on a
une crise politique en cours (ACT-SOC-23).
Au moment où nous faisions le terrain de la recherche, le pays connait une crise politique
qui a entrainé le dysfonctionnement du Parlement, le deuxième lundi du mois de janvier
2020, avec la fin de mandat des députés et de 2/3 des Sénateurs. Haïti ne peut pas avoir,
dans cette situation, un gouvernement légitime.
Les crises politiques coexistent avec des pratiques de violation du droit qui ont des impacts
négatifs sur la participation politique des femmes. Au milieu de ces crises, le gouvernement
perd souvent le contrôle du cours des évènements politiques et tente d’y retourner par le
biais des mesures d’exception. L’élite politique en profite pour fragiliser les acquis légaux
et institutionnels en matière des droits des femmes, dont certaines protections préexistantes.
D’après certains répondant.e.s, le contournement du droit par des mesures d’exception est
une pratique courante dans la culture du droit en Haïti. Ils se réfèrent à une maxime utilisée
dans le langage populaire pour ironiser les pratiques dictatoriales : « La Constitution c’est
du papier, la baïonnette du fer » pour illustrer cette pratique de mise à l’écart des lois. Ces
participantes dénoncent la politisation de la justice, la violation de la Constitution, des lois
pour conserver le pouvoir. En Haïti :
Les lois, les textes écrits ne veulent rien dire. Les lois sont là, mais
les dirigeants ne les appliquent pas. On vous dit : « La Constitution
c’est du papier, la baïonnette du fer » (ACT-PAP-07).
Ces participant.e.s pointent du droit cette volonté, chez les autorités, à ne pas avoir recours
au droit formel dans l’exercice de leur pouvoir. On dirait qu’elles cherchent toujours à créer
des situations d’exception ; elles aiment sortir de la légalité. En Haïti, les instances, les
institutions qui sont chargées de faire respecter les lois, c’est-à-dire de les appliquer ou de
les faire appliquer, tendent souvent à s’aplatir devant la puissance de l’exécutif, dont la
Présidence. L’hésitation à appliquer les lois, des conventions, entrave les tentatives et le
processus de féminisation des sphères de pouvoir politique.
Les lois haïtiennes, la Constitution ont consacré l’égalité politique entre les hommes et les
femmes. Si la loi prévoit cette égalité, le problème, selon la plupart des personnes ayant
participé à la recherche, c’est d’arriver à les appliquer. Ces répondant.e.s, comme la plupart
d’autres, croient que le respect des lois est un problème politique majeur en Haïti :
184
Vous allez trouver des lois, le problème, c’est de les appliquer, les
respecter (ACT-ÉT-14).
[…] l’État haïtien a ratifié des conventions qui l’exigent à agir pour
que plus de femmes accèdent à la politique. […], mais les autorités
n’ont jusque-là rien fait (ACT-PAP-05).
Le problème c’est que, pour défendre leur privilège, les acteurs politiques tentent de
sacrifier le droit, à se rompre à l’ordre constitutionnel. Les autorités ne respectent les lois
que quand ça pourrait les avantager, quand c’est dans l’intérêt du chef. Ces moments de
rupture sont de nature à taire les revendications des femmes et à favoriser, en période
électorale, l’action des forces inégales indique une ex-ministre lors de l’entrevue :
En somme, pour les participant.e.s, l’État haïtien participe, par son action et son inaction,
à la création du monopole masculin du pouvoir, et est ainsi responsable du faible accès des
femmes aux sphères de pouvoir. Les périodes de crise et les pratiques de non-respect des
lois engendrent le dysfonctionnement des institutions politiques ; le pouvoir exécutif en
profite souvent pour s’attribuer des compétences que les autres pouvoirs ont du mal à
contrebalancer. Ces situations augmentent les violences, l’impunité et fragilisent les acquis
en matière des droits des femmes. C’est dans ce contexte sociopolitique qu’évoluent les
associations qui portent les revendications des femmes.
Nous avons abordé avec nos répondant.e.s la question des organisations de femmes et de
leur engagement pour la participation des femmes. C’est l’une des catégories d’acteurs qui
est concernée par la lutte contre le faible accès des femmes aux sphères de pouvoir. Du
coup, nous avons un grand intérêt à comprendre leur part d’engagement dans la lutte pour
déplacer le curseur vers plus d’égalité entre les citoyennes et les citoyens dans l’univers
politique en Haïti.
185
8.2.1 Les droits politiques des femmes. Entre un lourd héritage et des défis actuels
Nous avons rencontré un cadre d’une agence étatique ayant pour mission d’implémenter
les actions gouvernementales en matière des droits des femmes. Elle présente les acquis
des luttes des femmes pour les droits civils et politiques. Selon elle, ça n’a pas été facile.
C’est tardivement et progressivement que les Haïtiennes sont parvenues à acquérir leur
statut de citoyennes politique, c’est-à-dire leur droit de vote et d’éligibilité. Car avant :
Une ex-ministre indique, à son tour, que les femmes poursuivent la route que les ainées ont
tracée en matière d’engagement pour les droits politiques des femmes. Pour faire valoir le
sens et le poids de ce passé glorieux, elle raconte :
[…] c’est en 1950 qu’on a accepté que les femmes puissent voter.
Ce processus a commencé en 1943 avec les militantes de la Ligue
féminine. C’est beaucoup, si l’on se rappelle que les hommes ont
hérité d’un schème colonial. Mais, les femmes ont évolué, elles ont
revendiqué. Et nous nous sommes rendu compte que ce travail a
traversé le temps, car jusqu’à aujourd’hui, nous marchons sur les
traces de ces dames (ACT-PAP-05).
186
De l’avis d’une dirigeante politique et ex-ministre aux droits des femmes, conscientiser
l’opinion publique sur les schèmes d’inégalité des sexes sur les effets de la faible présence
des femmes dans les instances de décisions n’est pas une bataille facile à gagner. Toutefois,
elle croit que changer le regard porté sur les femmes en politique reste possible. Parlant de
la socialisation aux valeurs et pratiques sexistes, elle affirme que :
Une autre répondante poursuit en félicitant les efforts que les militantes ont consentis, leurs
années de mobilisation qui ont fait avancer la lutte pour les droits des femmes. Cette ex-
sénatrice a utilisé le terme de révolution pour désigner ce que les organisations des femmes
ont accompli en matière des droits civils et politiques dont elle jouit aujourd’hui en Haïti.
Toutefois, pour cette ex-Sénatrice, ce qui fait défaut, de nos jours, à ce mouvement, c’est
l’esprit de solidarité, l’unité au sein des organisations autour d’une cause. Elle invite ce
mouvement à réaliser son autocritique, son état des lieux, à se focaliser sur la situation de
sous-représentation politique des femmes. Pour elle, l’enjeu consiste aujourd’hui à trouver
un lieu de solidarité entre les organisations de femmes.
Cette jeune leader politique partage, en partie, cet avis en espérant toutefois de la part de
certains groupes de femmes plus d’engagement au côté des candidatures féminines.
Il en a d’autres qui pensent qu’on ne peut demander aux organisations de femmes d’être en
situation, capable de faire augmenter le nombre de femmes dans les lieux de pouvoir
politique. Il s’agit d’une question de société. Mais, ils croient toutefois qu’elles auraient pu
faire monter un peu plus la pression sur les autorités politiques, consacrer plus d’énergie à
la question de présence de plus de femmes au Parlement. Des répondant.e.s soulignent, en
outre, la nécessité de considérer les difficultés quotidiennes auxquelles font face ces
groupes de femmes. Des difficultés qui sont liées, en partie, au contexte de crise sociale,
économique du pays, ont des répercussions sur leur travail militant, leur fonctionnement.
[…] des efforts ont été faits, mais ce n’est pas suffisant. Donc, je
pense, c’est un long chemin, il faut qu’il continue (ACT-INT-32).
Pour d’autres participant.e.s, ce qu’il ne faut pas surtout perdre de vue, c’est l’existence
d’un phénomène de prolifération de groupes de femmes en Haïti. Ces associations n’ont
pas de lieu commun de luttes ; chacune cherche à associer aux projets financés par les
partenaires techniques et financiers internationaux.
Pour cette répondante, s’il parait difficile aux organisations de femmes de s’unir autour de
la lutte pour la présence de plus de femmes en politique, c’est parce que leur travail n’est
pas orienté par un souci de militance, le souci de défendre une cause :
De l’avis de cette jeune militante, en plus de diluer le travail militant, cette situation met
les groupes en concurrence autour des projets financés par les bailleurs. Elle a utilisé le
terme de guerre d’exclusivité pour désigner ce phénomène :
Pour elle, la situation de survie, les problèmes immédiats à résoudre, dans un pays où les
ressources font de plus en plus défaut, est à l’origine de la négligence de certaines causes.
Elle indique que, dans une pareille situation, l’engagement autour d’un intérêt collectif, le
militantisme a peu d’importance. La lutte se tourne de moins en moins autour d’une cause.
Plutôt que le privilège, il faut être attentif à l’humain et placer la cause au centre de la lutte.
Elle déplore le décentrement du militantisme vers des activités à but lucratif et définit le
militantisme par la défense, l’engagement autour d’une cause. Ce qui manque :
Ces participant.e.s ont salué les efforts consentis par les groupes de femmes pour que les
Haïtiennes puissent jouer leurs droits civils et politiques. De leurs avis, les défis actuels
exigent que ce secteur fasse son état des lieux pour recentrer le travail militant autour de la
cause des femmes, de leur faible accès aux sphères de pouvoir.
La représentation des groupes de femmes au CÉP est un sujet récurrent dans les discours
de nos répondantes. Ce dossier invite à examiner les rapports que les groupes de femmes
entretiennent avec la politique officielle. Il ressort des informations recueillies deux phases
dans l’attitude des militantes des droits de femmes vis-à-vis du pouvoir. Par le passé, elles
prenaient leur distance à la politique institutionnelle. C’étaient surtout des groupes d’avant-
gardistes qui critiquaient un État qui protège les pouvoirs, les privilèges des hommes au
détriment des femmes. Cette lecture est pertinente pour le mouvement de femmes qui a
pris naissance à la suite de l’effondrement la dictature, le 7 février 1986.
À ce propos, nous avons rencontré une répondante qui a utilisé le terme réticence pour
désigner l’attitude de certaines féministes de l’époque par rapport à l’intégration politique
de femmes. Beaucoup avaient fait option, selon elle, pour une stratégie de dénonciation :
La méfiance des groupes de femmes face à la politique inspirait une stratégie de retrait de
l’État. Cette posture était dominante jusqu’avant les années 2000. Pour cette dirigeante de
parti et ex-ministre, c’est dommage :
Des constats et des réflexions ont amené certains groupes féministes à évaluer la situation
et à éviter cette stratégie de retrait pour prioriser l’intégration des femmes dans les partis
politiques et les instances gouvernementales. Ce changement s’est produit dans le contexte
des années 2000 et a été incarné par certaines figures féministes. Parmi les instigatrices de
cette tendance, il y en a une qui dit que ce changement de perspective résulte de différents
constats sur la situation politique des femmes. Le constat s’impose :
Dans le cas de la formation du collège électoral, il incombe, selon le vœu d’une disposition
de la Constitution et en absence d’une structure permanente, aux secteurs sociaux, dont les
groupes de femmes, de désigner une personne pour leur représenter. Alors il faut rappeler
si les groupes de femmes choisissent la représentante, c’est l’Exécutif qui détient le pouvoir
de nomination. Selon les témoignages d’une partie des personnes qui ont participé à la
191
recherche, les jeux d’influence qui caractérisent ce processus tendent depuis à fragiliser la
dynamique interne des groupes de femmes, à les diviser.
Certaines répondantes ont le sentiment que la façon dont les groupes femmes désignent
leur représentante au CÉP crée des dissensions internes. Nous avons eu un échange avec
une répondante sur l’implication de ces groupes pour améliorer la représentation politique
des femmes. Elle indique que des gens qui se targuent d’être des militantes des droits des
femmes oublient la cause à défendre après avoir été appelées à participer à la formation du
gouvernement ou du Collège électoral. Voilà comment elle exprime son désaccord :
Une autre répondante a utilisé le terme d’hypocrisie pour décrire les luttes intestines qui
existent au sein des groupes les plus représentatifs du mouvement des femmes par rapport
à la question de leur participation à la formation du CÉP. D’après elle, ces femmes disent
qu’elles veulent changer la façon de faire politique, en Haïti, mais, dans les faits, elles
reproduisent ce qu’elles reprochent à l’autre camp, aux hommes. Son témoignage rappelle
à quel point la participation des femmes à la formation du CÉP ou du cabinet ministériel
entrave la dynamique interne du mouvement de femmes.
Elle a le sentiment que le mouvement des femmes est à la traine. Elle ne voit pas la même
volonté de combat, la même mouvance, le leadership, le dynamisme qui caractérisaient,
par le passé, ce mouvement.
Avant, les groupes de femmes étaient réticents à intégrer la politique institutionnelle ; les
militantes adoptaient une posture contestataire. Mais depuis les années 2000, certains
groupes choisissent d’intégrer l’appareil étatique par nomination ou par élection. Et c’est
devenu une tradition, à chaque fois l’occasion est venue de former l’organisme électoral,
le mouvement de femmes, à travers les groupes les plus représentatifs, participe à la
désignation d’une représentante. On peut déduire des témoignages recueillis auprès des
participantes que cette participation créée des conflits, des rivalités au sein du mouvement
de femmes. Quelles sont les répercussions de ces problèmes sur son engagement pour
l’accès de plus de femmes au pouvoir ?
8.2.3 Des groupes faiblement engagés sur l’accès des femmes au pouvoir
Sur la question de solidarité entre les femmes, une dirigeante d’une organisation de femmes
situant dans le nord-est d’Haïti, précise que les femmes doivent se soutenir pour pouvoir
franchir les obstacles à devenir candidates, élues. Mais à condition que ce soutien se fasse
sur la base de la compétence plutôt que du sexe.
À côté de cet aspect de solidarité féminine transpartisane qui pourrait permettre de faire
des pas en avant en matière d’égalité des sexes sur le plan politique, d’autres participantes
décrivent un mouvement divisé, sans unité stratégique, sans un projet commun. C’est la
raison pour laquelle les groupes peinent à se constituer en une force qui soit capable de
négocier en face des autorités politiques l’accès de plus de femmes dans les sphères de
pouvoir. Cette répondante a trouvé le terme de faille pour exprimer ses préoccupations sur
le fait que la lutte est divisée, que les groupes ne s’unissent pas autour d’un projet. Le terme
de faille renvoie à un manque d’unité dans l’action. Cette militante prend en exemple une
rencontre tenue entre des groupes de femmes et le président de la commission des députés
devant travailler sur un projet de réforme de la Constitution pour illustrer son propos.
Pour elle, plutôt la division, puisqu’il peut toujours exister de différences entre les groupes,
c’est l’entente stratégique autour de la cause à défendre qui pose problème. Cela a pour
inconvénient d’entraver la mise en synergie des forces, des capacités de différents groupes
pour discuter avec le Parlement.
Donc, division, je pense que la division n’est pas le bon mot. Mais
je crois que c’est le fait que la lutte ne tourne pas autour d’une
cause, car il peut toujours exister des différences. Comprends-tu ?
Mais, c’est quoi la cause ? Et quel sacrifice est-on prêt à consentir
pour défendre cette cause ? (ACT-SOC-11).
Cette jeune militante féministe indique que la sensibilisation est l’un des points forts des
groupes féministes en Haïti. Elle a toutefois le sentiment qu’ils ne consacrent pas assez
d’énergie à la question participation politique.
Une dirigeante de parti critique les organisations de femmes et féministes qui priorisent le
combat contre les violences faites aux femmes sur la lutte pour l’intégration politique des
femmes. Elles ont déjà prouvé, par leurs résultats, le potentiel, la capacité d’influence et de
mobilisation de ce mouvement. Pour elle, il faut changer de stratégie en priorisant, en
plaçant en amont la question de l’intégration politique des femmes :
D’autres participantes font référence aux axes d’intervention des organisations des droits
des femmes. Chaque groupe a son agenda, définit ses priorités, sa ligne de combat et ses
axes d’intervention. Selon le contexte, certaines revendications peuvent avoir le dessus sur
d’autres. C’est l’avis de cette participante qui croit que la participation politique n’occupe
pas la même position que les violences dans l’agenda de la plupart des groupes des femmes
et féministes.
À côté de ces enjeux, il faut signaler le fait que le mouvement de femmes a été durement
touché par le séisme du 12 janvier 2010. D’après un répondant, cette catastrophe, la crise
humanitaire qui en a résulté venait s’ajouter au clivage idéologique existant pour affaiblir
les groupes de femmes :
Le cadre international influe sur l’organisation de la vie politique en Haïti. Depuis plus de
20 ans, l’ONU, à travers ses missions spéciales, ses agences, accompagne l’État pour
renforcer ses institutions, pour stabiliser le pays. Pour faire avancer certains dossiers, par
exemple, en matière des droits de la personne, les acteurs de la société civile, dont les partis
politiques et les organisations de femmes, bénéficient de l’appui de la coopération
internationale. Il est difficile d’analyser la question de droits politiques des femmes, sans
passer par l’appui de l’international à l’égalité des hommes et des femmes en politique en
Haïti. C’est dans cet objectif que nous avons tenu à interroger certaines personnes sur cette
question. Est-ce que l’égalité politique entre les sexes est une priorité pour les agences
internationales ? Quel est l’impact de l’international sur la situation politique des femmes ?
Une partie de nos répondant.e.s s’oppose à l’idée que l’égalité des sexes en politique soit
une priorité pour la communauté internationale. Pour eux, c’est une illusion de croire que
les OI, les ONGI contribuent à fortifier les droits politiques des femmes, au renforcement
des partis politiques. L’appui financier et technique qu’elles consacrent à des sessions de
formation ne peut pas faciliter l’intégration des femmes dans les partis politiques et les
sphères de pouvoir. Ce n’est, selon ce dirigeant de parti, que de la poudre aux yeux .
197
Un dirigeant de parti croit que l’appui international à Haïti est un échec. Les agences de
coopération échouent parce qu’elles n’ont pas un intérêt direct pour l’amélioration de la
situation, parce qu’elles ne comprennent pas le système socioéconomique et politique du
pays. Il explique que les crises que connait Haïti sont à l’origine de l’échec des initiatives
visant à améliorer les conditions de vie des populations haïtiennes, à normaliser de la vie
politique. Quel que soit l’effort consenti, l’on ne peut pas avoir de résultats positifs dans
un climat de crise, dans un système qui ne fonctionne pas. De l’appui international à Haïti,
il croit :
Une partie de nos répondant.e.s estiment que la communauté internationale n’use pas de
son influence, de son poids dans la vie politique du pays pour parvenir à des résultats. Son
aide, sa puissance, son leadership ne sont pas utilisés à combattre la violence, la corruption,
la politisation de la justice qui engendrent les crises qui sévissent en Haïti.
Donc, la majorité de gens qui sont armés, qui sont impliqués dans
le trafic de drogue, la violence sont des hommes. Cette situation,
198
De l’avis d’une ex-ministre, c’est une illusion d’imaginer que le quota, la parité politique
entre les hommes et les femmes puissent être une priorité pour l’international. Puisque bon
nombre de ces partenaires n’arrivent pas à régler le problème de minorisation politique des
femmes chez eux. Et d’ailleurs, il serait difficile que ça soit une priorité, un intérêt pour les
coopérants externes, si ce n’en est pas le cas pour l’État en Haïti.
Elle convoque deux exemples pour illustrer son propos. En premier lieu, les organisations
de la société civile sont à court de ressources pour militer sur cette question. En second
lieu, l’absence des données statistiques sur la participation électorale des femmes alors que
la machine est prise financièrement et techniquement en charge par le PNUD.
Une autre répondante partage l’idée que l’arrivée de plus de femmes dans les lieux de
pouvoir ne constitue pas une priorité pour les partenaires internationaux. Mais pour elle,
ce qui pose problème, c’est le fait qu’ils sont très influents et que chacun a son propre
agenda, sa priorité pour Haïti. Et ça retourne contre le pays et devient un leurre. À la
question : « pensez-vous que l’amélioration de la participation politique des femmes soit
une priorité pour la coopération internationale en Haïti ? », elle répond :
199
C’est un jeu pour la galerie. […] les OI, même pour recruter leur
personnel, disent qu’elles encouragent les candidatures féminines,
etc. C’est vraiment de l’hypocrisie. Et dans la politique, c’est pire.
Parce que chacune de ces structures est souvent liée à un État. […]
Le Canada, par contre, on sent qu’il est sensibilisé sur la question,
qu’il finance de petits projets (ACT-SOC-11).
À côté du manque d’intérêt et d’une lecture erronée du cas haïtien, certains partenaires
internationaux profitent de leur appui pour affaiblir des partis politiques qui font déjà face
à un ensemble de difficultés. Ils appuient les femmes leaders, les candidates, les élues, sans
passer par leurs partis politiques. Cette approche les met en concurrence avec les partis et
contribue à diluer le rapport hiérarchique qui existe entre l’élue, la candidate et le parti :
[…] en général, les femmes politiques sont des gens sérieux que
l’international cherche à accaparer par des appuis individuels. Ils
ne financent pas des activités agréées par les partis politiques. Ils
sont plutôt en compétition avec les partis (ACT-SOC-11).
En fait, est-ce que le quota est une priorité ? Je ne crois pas. J’ai
l’habitude de participer aux activités tenues par les Nations-Unies.
Elles s’engagent surtout contre les violences faites aux femmes
(ACT-SOC-02).
Dans l’ensemble, nos participant.e.s pensent que les agences internationales appuient les
projets portant sur l’égalité de genre, en particulier, ceux visant l’élimination des violences
faites aux femmes et aux filles. Pour eux, si les droits politiques des femmes sont une
priorité pour certaines agences de coopération, en Haïti, elles n’engagent pas assez de
ressources pour pousser les acteurs politiques à améliorer les conditions d’accès des
femmes aux postes de décisions. Puisque d’autres questions, dont la violence, l’insécurité,
déplacent les droits politiques des femmes de la hiérarchie de leurs priorités, ces acteurs
font moins de pression sur l’État afin de créer un cadre favorable à l’égalité entre les
hommes et les femmes en politique.
Elles prouvent que c’est une priorité. Mais est-ce qu’elles exercent
la pression sur l’État, le gouvernement, le Parlement […] ? Je
pense qu’elles ne l’ont pas fait assez (ACT-PAP-02).
201
Cette répondante, ex-ministre, qui a un long parcours de militante politique et des droits de
femmes, explique comment le problème de l’insécurité électorale peut reléguer au second
plan celui du faible accès des femmes aux instances de pouvoir :
Il faut ajouter à cela, d’après un chef de parti, les crises récurrentes qui viennent souvent
complexifier la réalité, changer, ou déclasser certaines priorités :
Le choix d’orienter l’aide vers d’autres priorités, dont les violences faites aux femmes
plutôt que la participation politique, impacte l’engagement de l’État dans le chapitre des
droits des femmes. Mais il a également des effets sur le comportement des groupes de
femmes qui interviennent dans le milieu de la pratique. Ces derniers ont tendance à définir
leurs axes d’intervention, leurs activités en rapport à ce qu’ils croient être la priorité des
partenaires techniques et financiers internationaux.
[…] les bailleurs financent des projets qui portent, en partie, sur
les violences faites aux femmes. C’est ce choix qui explique la
création de beaucoup d’associations (ACT-PAP-02).
À côté de cette question de priorités, l’autre élément à ne pas négliger dans l’évaluation de
l’appui international aux droits politiques des femmes, selon plusieurs participant.e.s, c’est
l’absence d’un cadre de régulation et d’orientation de la coopération externe. De leurs avis,
l’engagement de l’international sur ce dossier serait efficace, si les autorités haïtiennes
avaient la volonté d’y créer un cadre étatique, d’en faire une priorité nationale.
202
D’après une ex-ministre à la condition féminine, les coopérants externes profitent d’un
flou, de l’absence d’une feuille de route nationale pour imposer des programmes qui ne
correspondent pas souvent aux besoins locaux, à la spécificité de la réalité locale.
Ces grandes ONG ont leur propre priorité qui est dictée par les
bailleurs. Je me souviens d’une rencontre avec l’Union européenne
sur la participation politique des femmes. Ils ont que dit « ce n’est
pas notre priorité ; c’est intéressant, mais, essaie de voir le Canada
qui travaille là-dessus ». Je suis une personne de fort tempérament,
je leur dis carrément que vous êtes en Haïti depuis 25 ans, ça n’a
rien changé. Quand j’étais ministre, je savais dire qu’ici c’est moi
l’État, je dicte mes ordres. Si ça vous convient, on avance, si ça ne
vous ne convient pas, allez-vous-en (ACT-PAP-05).
8.3.3 Priorité de l’ONU. Renforcer la capacité des femmes et réformer le cadre légal.
Une partie de nos répondant.e.s rejettent les critiques adressées à l’international sur la
question des droits politiques des femmes. Aux discours assimilant l’appui international à
un échec, d’autres s’opposent en affirmant que l’accès de plus de femmes au pouvoir
constitue une priorité pour ces partenaires. Ils financent des formations pour renforcer les
capacités, le leadership des femmes ; ils appuient l’État, la société civile sur la question
d’intégration politique des femmes.
Pour cette femme, candidate aux législatives de 2015, l’intégration politique des femmes :
Oui, c’est une priorité pour eux. Et, ils luttent, ils investissent pour
que la situation s’améliore (ACT-SOC-25).
203
D’autres participantes ont une lecture identique de la place des droits politiques des femmes
dans l’agenda des partenaires internationaux :
Les partenaires techniques et financiers font beaucoup d’efforts pour accompagner l’État,
les organisations des femmes à faire émerger un leadership politique au féminin.
Pour cette participante, si les résultats paraissent moins visibles, en Haïti, c’est peut-être
du fait qu’en principe la Constitution garantit l’égalité des sexes dans toutes les sphères. Il
n’y a pas d’interdit, contrairement à d’autres pays où le droit de vote et d’éligibilité des
femmes n’est pas accepté.
Nous avons rencontré un répondant, dirigeant de parti et ministre à plusieurs reprises. Pour
lui, il est difficile d’affirmer que c’est une priorité pour les ambassades. Mais il est certain
que les droits politiques des femmes constituent une question prioritaire pour les agences
internationales.
Je ne sais pas pour les ambassades qui sont en Haïti. Mais certaines
agences internationales […] comme l’UNICEF, ONU-femmes et
204
L’égalité des sexes, la parité est classée parmi les questions prioritaires de l’ONU et de
certaines agences de coopération bilatérale. C’est, entre autres, ce choix qui justifie la
création d’ONU-Femmes et sa présence en Haïti.
Selon des acteurs internationaux, dans la coopération, il n’y pas de financement pour les
partis politiques. Les agences internationales accompagnent l’État et la société civile à
mettre en place un cadre légal en matière d’égalité politique entre les hommes et les
femmes. Elles priorisent l’approche légale de l’intégration politique des femmes et
apportent un appui technique et financier aux acteurs qui font la promotion des droits civils
et politiques des femmes. En ce qui concerne les lois, les principes à appliquer, il y a en
première ligne le seuil constitutionnel d’un quota de 30 % de femmes dans la vie nationale.
Nous avons rencontré une répondante qui classe la question de genre en tête sur la liste des
priorités d’une agence de coopération pour laquelle elle a travaillé. Sur la féminisation des
205
espaces de pouvoir, cette experte internationale a tenu des propos à peu près identiques à
ceux de son collègue. Elle indique que l’ONU a au moins deux axes d’interventions en
Haïti : réforme législative et renforcement de la capacité des femmes. Ces agences ont une
approche légale de la question de genre ; elles croient que l’accès de plus de femmes aux
sphères de pouvoir doit résulter de la réforme du cadre légal, c’est-à-dire en adoptant des
lois non discriminatoires. C’est pourquoi l’ONU, à travers ses agences, accompagne l’État
à conformer son arsenal juridique, ses institutions aux instruments internationaux relatifs à
l’égalité des sexes. L’ONU aborde la question à trois niveaux :
D’autres participant.e.s partagent l’idée que l’égalité des sexes s’inscrit parmi les priorités
de l’international, mais ils déplorent l’absence d’un cadre de régulation des actions des
agences de coopération. Plutôt du côté de l’international, le problème se situe, d’après eux,
du côté de l’État qui peine à mettre en place un cadre d’application d’une politique d’égalité
des sexes.
Une participante qui défend l’idée que la participation politique de femmes est une priorité
pour la coopération internationale partage toutefois certaines critiques émises par certains
206
dirigeants politiques. Pour elle, leur intervention tend plutôt à diluer le rapport hiérarchique
entre candidates, élues et directions de partis. Les agences travaillent avec ces femmes sans
passer par leurs partis et ont l’opportunité d’accaparer toute la lumière de ces appuis. Sur
ce terrain, certaines agences veulent bénéficier d’une plus grande visibilité. Du coup, elles
entrent en concurrence avec les partis pour jouir les retombées communicationnelles de
l’appui accordé aux groupes de femmes.
Bon je crois, sous toute réserve, que c’est quand même une critique
très utile. Sans écarter le fait que les femmes ont besoin d’être
encadrées en dehors des partis. Je crois qu’il y a un équilibre à aller
chercher à ce niveau. C’est aussi la crainte de voir les femmes
prennent […] toute la place et de ne pas travailler en parallèle avec
les partis, les autres membres ou les directoires de ces partis-là. Ne
pas élargir l’horizon, ne pas permettre la création de ce lien, cette
synergie, ce levier, c’est rater, selon moi, une opportunité de les
sensibiliser à la question, de les mieux informer, de les amener à
saisir l’importance de la participation politique des femmes en soi
et du gain d’avoir des femmes dans leur équipe. La création de ce
lien, cette synergie est nécessaire, à côté du renforcement de leur
capacité, pour que les femmes puissent trouver leur place au sein
des partis (ACT-INT-32).
Une ex-conseillère électorale, représentante du mouvement des femmes au CEP, croit que
l’idée que l’international concurrence les partis politiques et dilue les rapports entre la
hiérarchie des partis et les femmes n’est pas justifiée. Pour elle, si l’appui aux candidates
s’apparente à la concurrence, c’est parce que les partis n’assument pas leur responsabilité
envers les femmes qui ont un intérêt pour la politique. Si la dynamique parti et candidate
est cassée, cela résulte :
C’est normal, si la femme est une candidate, si elle est élue, si elle
est membre d’un parti, le parti qu’elle représente ne l’encadre pas
207
La plupart de nos répondant.e.s ont utilisé les termes d’inefficacité pour évaluer l’appui de
l’international à l’accession de plus de femmes au pouvoir. Une partie admet que ce sujet
est classé parmi les priorités de l’international. Toutefois, elle croit qu’il n’exerce pas assez
de pression sur l’État afin de créer un cadre pour propice à l’égalité des sexes.
****
S’il a un point sur lequel nos répondant.e.s se rejoignent, c’est le refus de l’État d’agir pour
créer un climat apte à favoriser l’entrée de plus de femmes en politique. Au contraire, les
crises que provoque la conduite des dirigeants basculent les institutions politiques dans le
dysfonctionnement, la société dans la violence. Ces situations fragilisent les acquis en
matière des droits des femmes. Les dirigeants n’ont donc ni la volonté ni l’intérêt à créer
un cadre favorable à l’intégration politique des femmes. Les groupes de femmes qui portent
cette lutte ne constituent pas, de leur côté, une véritable force capable de négocier avec
l’État. Pour certains répondants, l’appui international à l’intégration politique des femmes
est un échec ; ce n’est pas la priorité des agences de coopération en Haïti. D’autres pensent
que si leur appui parait peu efficace, c’est plutôt à cause des crises et du manque d’un cadre
national de coopération.
208
Les données que nous avons, jusque-là, analysées montrent que les Haïtiennes ne rentrent
pas dans la vie politique dans des conditions d’égalité avec leurs collègues masculins. La
perception sociale des femmes engendre une atmosphère défavorable à leur intégration
politique. À cet aspect perceptif, s’ajoutent l’indifférence de l’État par rapport à la situation
politique des femmes, l’inefficacité de l’appui de l’international à la citoyenneté politique
des femmes, à leurs droits de représentation et l’affaiblissement d’un mouvement des droits
de femmes. Dans ce chapitre, nous désignerons la responsabilité des partis politiques dans
l’accès des femmes aux lieux de pouvoir. Les partis peuvent être considérés comme l’une
des portes d’entrée au pouvoir dans un système démocratique.
9.1 Les partis politiques : reflet de la société, chasse gardée des hommes
Les partis politiques naissent, existent dans une société donnée. Ils évoluent, s’organisent
et fonctionnent à l’image de la société. Les partis n’ont donc pas une existence en soi; ils
prennent la forme du milieu social, économique et culturel dans lequel ils se trouvent. C’est
ce sentiment qui se dégage des propos de nos répondant.e.s. Nous vous proposons la lecture
de ces extraits d’entrevues menées avec une juriste et un militant des droits de la personne :
Nous vous invitons à lire cet extrait, un peu long, mais édifiant, d’une entrevue menée
auprès d’un chef d’un de parti politique. Ce répondant est bien placé pour décrire comment
la mise des femmes à la marge du pouvoir est en connexion avec leur présence minoritaire
au sein des partis politiques et comment ces derniers sont le reflet de la société :
Si le phénomène de rareté de femmes dans les institutions démocratiques est l’effet d’un
cumul de domination que subissent les femmes dans la société, en général, mais en quoi
les partis en ont-ils une part de responsabilité ? Une ex-candidate, faisant la navette d’un
parti à l’autre pour décrocher une investiture en vue des législatives de 2015, croit que les
partis ont une aversion pour insérer les femmes dans leurs rangs. Les dirigeants déclarent
vouloir l’intégration politique des femmes, mais cela reste dans le domaine du discours,
c’est de l’hypocrisie ; ils ont un double visage. Quand ils se trouvent face à la réalité, ils
font souvent le contraire :
Les partis ne sont pas ouverts à l’intégration des femmes, ils y sont réticents, c’est le propos
d’un participant qui a un long passé de chef de parti et de ministre du gouvernement. En ce
qui concerne la féminisation du champ politique :
Les avis de ces autres répondantes sur la volonté des partis politiques à s’ouvrir aux femmes
sont à peu près semblables. Les deux premiers extraits viennent des entrevues menées avec
deux femmes. L’une a une riche trajectoire militante politique ; l’autre est une activiste
féministe. Ces participantes décrivent les partis politiques comme un monde dominé par
des hommes :
En ce qui a trait à la question de la façon dont les partis pourraient être considérés comme
responsables de la mise des femmes à la marge de la politique, cette participante répond :
[…] beaucoup de gens qui sont dans les partis sont hommes […]
ils nient la question de l’intégration des femmes (ACT-SOC-18).
De l’avis de la plupart des répondant.e.s, les acteurs politiques font un usage instrumental
du discours portant sur la présence des femmes dans les partis politiques et les lieux de
pouvoir. Ce discours leur facilite plus de visibilité, plus de légitimité ; ils veulent paraitre
modernes, marquer une rupture avec le passé. Mais, ils n’ont rien fait pour aménager plus
d’espace aux femmes au sein des partis. Ils n’y croient pas; ils veulent tout simplement être
à la mode, suivre le courant. Il y a un écart entre le discours des partis et la réalité :
En fin de compte, selon les témoignages de nos répondant.e.s, les partis politiques restent
un univers sous la coupe réglée des hommes et sont tenus pour responsables de la sous-
représentation politique des femmes. Elles sont peu présentes au sein de ces structures qui
ont pour mission de préparer les gens à la prise du pouvoir, à gouverner. Comment cette
minorité de femmes fait-elle l’expérience d’être dans un monde d’hommes ?
Venons-en maintenant aux expériences des femmes au sein des partis politiques. C’est le
même phénomène, selon nos répondant.e.s, qui s’observe dans la vie de ces institutions, au
niveau de leurs organes de décision. Discrimination ou discrimination politique, tels sont
les termes qu’utilisent certaines personnes qui ont participé à cette recherche pour désigner
le traitement réservé aux femmes au sein des partis. C’est un traitement qui tend à rattacher
211
les femmes à leur sexe. Ce traitement discriminatoire a des effets négatifs sur la durée, la
qualité et l’intensité de leur participation à la vie des groupes partisans. Alors ce sont ces
institutions qui sont appelées à préparer les dirigeant.e.s politiques.
À l’entrée, les rapports de force, les luttes pour le pouvoir au sein des partis favorisent les
hommes. C’est difficile aux femmes de se hisser, d’accéder à leur direction. Les postes de
direction, de responsabilité se partagent souvent entre les hommes :
Certains partis recrutent des femmes, mais elles sont absentes des
sphères d’influence. À l’interne, les hommes s’affrontent pour
accéder à la direction de ces structures (ACT-SOC-02).
[…] les partis, ils ont une facilité à banaliser les femmes, à les faire
sentir qu’elles sont inférieures aux hommes (ACT-PAP-29).
Une jeune cadre explique comment il n’est pas facile aux femmes d’arriver à la hiérarchie
d’un parti au sein duquel elle milite :
Cette participante, jeune et cadre d’un parti, occupe, au moment de la rencontre, un poste
de responsabilité à la direction de son parti. Elle rappelle les luttes menées au sein du parti
212
et les nombreuses barrières élevées à son encontre parce qu’elle veut être là où les décisions
sont prises, dans la sphère d’influence qui existe au sein de l’organisation :
[…] l’année dernière, le parti a organisé un gala pour 200 ans [date
fictive] d’existence. Pour monter le comité d’organisation du gala,
le docteur Yves [nom fictif], ancien du parti et conseiller politique
du Secrétaire général, a dit : « bon, les femmes ont tellement le
sens du détail, de la planification, de l’organisation […] qu’elles
gèrent les activités du gala et nous servent de conseillères ». Mais,
heureusement, j’avais suivi une formation à l’Université Laval sur
Genre et Développement qui m’a permis de comprendre comment
certains compliments que ne le sont pas vraiment. Il y a un sexisme
voilé dans certains compliments; ils sont tachés de machisme. Je
lui ai laissé s’exprimer ; je gardais mon calme. Et puis, j’ai sollicité
la parole, je l’ai félicité d’avoir reconnu aux femmes ces qualités,
et j’ai dit : « Si nous pouvons planifier, organiser, au moins, lassez
nous désigner là où nous voulons apporter notre contribution. Vous
proposez la formation d’un comité pour rencontrer Jovenel Moise,
je veux en faire partie. Du coup, c’était un gros choc à la réunion
(ACT-PAP-07).
Ce témoignage montre que les femmes désireuses d’être actives, de participer à la vie des
partis rencontrent des difficultés. Elles sont appelées à jouer des rôles traditionnellement
attribués aux femmes dans la société. Dans les activités, il arrive souvent que les hommes
cherchent par des gestes et le langage à susciter chez les femmes un sentiment de honte,
d’incapacité. Par cette stratégie, ils veulent les garder hors des réseaux d’influence qui
orientent le processus décisionnel au sein des partis.
D’après ces participantes, quand une femme veut s’affirmer, et cela, à tous les niveaux, les
hommes utilisent des astuces pour la démotiver, la neutraliser. Et, dans le cas où elle
persisterait, la contraindre à abandonner le parti. Cette stratégie de marginalisation a pour
conséquence d’empêcher les femmes de se familiariser avec la vie du parti, d’émerger en
tant que leaders. C’est ce qu’indiquent les témoignages de certaines répondantes. L’objectif
213
est de dominer les femmes qui ont des ambitions politiques. Pour cela, selon les propos des
participantes, ils les stigmatisent, les intimident, les infligent un traitement inégal.
Donc, les femmes sont en situation de minorité, sous-représentée dans les partis politiques.
Le peu de femmes qui y adhèrent comme militantes est contraint à occuper, à exécuter les
tâches traditionnellement considérées comme inférieures. Et d’après une répondante, ex-
militante d’un parti, l’ambiance sexiste qui règne au sein des partis politiques démotive les
femmes, les contraint, les dissuade à fuir les partis. Nous avons rencontré une répondante
qui milite dans une association qui fait la promotion des droits politiques des femmes. Elle
indique que son témoignage se base sur son expérience personnelle et son rapport avec :
[…] d’autres femmes qui ont vécu la même expérience que moi.
Moi, ce sont les partis politiques qui me forcent à partir. À côté de
la question de harcèlement, c’est comme, je dirais, tu viens au parti
parce que tu n’as rien à régler chez toi. Je ne sais pas, mais moi,
j’étais là pour me former en tant que femme politique. Je n’y étais
pas pour être draguée, pour trouver un homme (ACT-SOC-03).
À côté de ces obstacles internes aux partis, la réalité des rapports dans la vie de couple met
des obstacles sur la route des femmes désireuses de s’insérer dans une structure politique.
Les maris, les partenaires masculins ne voient pas de bon œil que leurs conjointes ont des
aspirations politiques, qu’elles sont membres d’organisations politiques. Des répondant.e.s
témoignent que, parfois, ils leur interdisent de prendre part aux activités politiques.
214
J’avais une copine qui est membre d’un parti politique […]. Un
jour, elle devait se rendre à la réunion, le mari créait un problème.
Le mari a dit : « tu sais, je vais garder les enfants et toi […] tu vas
faire de la politique » (ACT-SOC-16).
Elles ne sont pas nombreuses, mais des femmes ont pu, malgré les obstacles, accéder à des
postes de responsabilité au sein d’une minorité de partis politiques. Nous avons rencontré
certaines de ces femmes aux parcours politiques atypiques, exceptionnels. Elles disent qu’il
faut être une brave pour y résister, pour ne pas passer pour une figurante :
Ça n’a pas été facile pour moi d’être à la tête du parti. Et lorsque
tu y es, tu dois continuer à te battre. Comme j’aime travailler […],
on me voit comme femme à craindre (ACT-PAP-05).
Cette ex-ministre et dirigeante de parti devait se battre et se bat encore pour se hisser à la
tête du pari :
Cet avis est partagé par une autre participante. Jeune et membre d’un parti, elle pense
qu’être femme au sein d’un parti constitue un sacrifice :
Il est difficile d’être femmes, jeunes et leaders au sein d’un parti, c’est ce que rapportent
les propos des répondantes qui ont fait ou qui font l’expérience d’être membres de partis
politiques. Cette participante, ayant été membre de plusieurs partis, indique que si une
jeune femme s’affirme comme leader, elle va se retrouver, à mi-parcours, seule, sans le
soutien de ses camarades masculins. Elle doit se débrouiller, se prouver et s’en sortir seule,
c’est comme un challenge, une épreuve.
À propos du quota de femmes, comme stratégie pour féminiser le parti et ses instances de
direction, car c’est inscrit dans sa charte, une autre cheffe d’une formation politique, ayant
derrière un riche parcours politique, confie :
Cet extrait d’entrevue a un statut d’exception. Chef d’un regroupement de partis politiques
et ex-parlementaire, il est le seul répondant, parmi ceux et celles qui ont abordé la question,
à récuser l’idée que les dirigeants des partis, par leurs comportements, démotivent les
femmes à intégrer ces institutions, à y rester et à s’affirmer dans la vie de l’organisation. Il
n’y croit pas et ne voit pas d’ailleurs l’intérêt :
Moi, je ne crois pas à cette thèse. Est-ce qu’il y a, au sein des partis,
une démarche pour empêcher les femmes d’intégrer ces espaces ?
[…] quel est l’intérêt d’un dirigeant à faire obstruction à l’entrée
des femmes au sein du parti ? (ACT-PAP-34).
À croire les discours de nos répondants, à l’exception d’une seule note discordante, les
discriminations qui s’exercent à l’intérieur des partis touchent toutes les catégories de
femmes. Cette réalité n’épargne aucune femme et est présente dans la vie de beaucoup de
partis. Le constat s’impose : on s’en prend aux femmes qui osent braver le danger pour
s’affirmer au sein de ces institutions politiques. Alors comment les femmes réagissent-elles
à cette réalité de minorité et de discrimination dans laquelle elles se trouvent ?
Nous avons interrogé nos participant.e.s sur l’attitude des femmes face à la résistance
qu’elles rencontrent au sein des partis politiques. Quelle est leur marge de manœuvre ? À
ce propos, des répondantes invoquent un phénomène, en pleine expansion, l’émergence
des sections de femmes à l’intérieur des partis. Ces réunions de femmes viennent s’ajouter
au mouvement de femmes et aux groupes de femmes candidates qui exercent, eux, à
l’extérieur des partis ou depuis la société civile, la pression sur l’élite politique pour faire
plus de places aux femmes dans les institutions démocratiques.
216
Nous avons déjà présenté, de façon générale, le mouvement de femmes et son implication,
sa responsabilité dans la lutte pour féminiser l’espace politique. Ce qui fait la particularité
de ces groupes de femmes c’est leur autonomie par rapport aux partis politiques, à l’État.
À côté de ça, ils se définissent par leur objectif. Des répondantes les conçoivent comme un
sous-secteur du mouvement de femmes qui conscientisent les femmes, la société, qui font
entendre les voix de femmes et qui exercent la pression sur les autorités politiques depuis
l’espace de la société civile :
[…] nous restons un groupe de pression pour faire écouter les voix
des femmes, pour les sensibiliser. C’est ce travail qui fait notre
force, c’est ce que nous pouvons faire (ACT-SOC-26).
Au sein du mouvement de femmes, tous les groupes ne partagent pas un intérêt direct pour
la politique et pour l’intégration politique des femmes. C’est ce qu’indique cette répondante
qui désigne le Collectif pour la participation politique des femmes, Fanm Yo La, comme
l’organisation qui a relancé, dans le contexte des années 2000, les débats sur la fortification
de la présence des femmes en politique. Fer de lance du mouvement de soutien en faveur
de l’intégration des femmes dans les postes électifs et nominatifs :
En entrevue, une dirigeante de cette association, Fanm Yo La, pionnière de la lutte pour le
quota de femmes en Haïti, affirme que cette association appuie toutes les candidates, sans
tenir compte de leurs appartenances idéologiques et partisanes :
Ces groupes de femmes, tout en ayant un fond d’engagement sur l’intégration politique des
femmes, gardent leur autonomie par rapport aux institutions partisanes. Ils font un travail
de sensibilisation, de conscientisation ; ils encouragent les femmes à investir les partis, à
se présenter comme candidates ; ils jouent aussi un rôle de groupe de pression. En ce sens,
ils sont donc distincts des groupes de femmes candidates. Comme c’est le cas du Réseau
des femmes candidates pour gagner. Créé en 2005, ce troisième type de groupe réunit les
aspirantes candidates, les candidates, sans tenir compte de leur appartenance idéologique,
partisane. Il les motive à se porter candidates et/ou à préparer leurs élections :
Ce type de groupe s’intéresse en particulier aux femmes candidates, les aide à préparer
leurs candidatures, leur campagne, à connaitre le terrain électoral et ses enjeux. Leur champ
d’intervention, de mobilisation reste la présence, l’arrivée de plus de femmes possible dans
la politique institutionnelle.
En parallèle, si l’on se tourne vers les propos d’une partie de nos répondantes, on se rendra
compte du développement d’un phénomène plus récent. Il s’agit des réunions de femmes
au sein de certains partis politiques. Les femmes créent ces groupes pour combattre les
discriminations dont elles subissent à l’intérieur des partis, s’y affirmer, intégrer leurs
sphères d’influence. L’enjeu est l’émergence et l’affirmation d’un leadership féminin au
sein même de ces institutions. Il s’agit de vaincre les poches de résistance qui existent à
l’intérieur des partis, puisqu’ils n’ont pas la volonté à faciliter la féminisation de la vie
politique. L’objectif de ces groupes, d’après certaines répondantes, est aussi de s’assurer
que plus de femmes adhèrent aux partis, de les accompagner afin de franchir les obstacles
qu’elles rencontrent sur le terrain politique, au sein des partis.
Donc, s’affirmer dans la vie des partis politiques […] c’est ce qui
m’a amené à créer une structure de femmes à l’intérieur des partis
politiques (ACT-PAP-05).
Toutefois, selon les témoignages de certaines répondantes, les chefs des partis détournent
ces groupes de leur objectif. À ce propos, nous avons rencontré une personne qui confie
avoir quitté un parti dont elle était membre suite à un désaccord avec la Présidente sur le
fonctionnement de la section de femmes. Activiste féministe, elle indique que la cheffe du
parti ne facilite pas le bon fonctionnement du groupe :
Une autre répondante a tenu un discours semblable en affirmant que les responsables des
partis ont encouragé la création de ces groupes pour se débarrasser des femmes d’influence,
les tenir en retrait, loin des centres de pouvoir et de décision au sein des partis politiques :
Jeter un coup d’œil sur tous les partis politiques, tu te rends compte
de cette tendance à créer, à l’intérieur des partis, de groupements
de femmes. Tu sais ce que ça veut dire ? Est-ce que tu te souviens
de ton enfance, quand tu insistais à avoir une chose de ta maman ?
Pour te calmer, avoir sa paix, elle dit « OK chérie, je te le donnerai
plus tard, au retour de papa ». Puis, alors que papa est de retour, tu
n’as pas ta chose. C’est exactement ce qu’on nous fait dans les
partis. On nous donne des choses à nous occuper pour ne pas faire
de la politique (ACT-SOC-19).
En ce qui concerne l’idée que la sous-féminisation des lieux de pouvoir est un problème de
femmes, et que, par conséquent, il incomberait au mouvement de femmes de trouver une
solution, une répondante précise qu’il s’agit d’un problème de société. En ce sens, les
groupes de femmes ne peuvent que conscientiser les élites politiques à prendre des mesures
pour corriger cette injustice. Ils ne peuvent pas prendre le pouvoir. Leur mission est de :
219
[…] travailler avec les médias, les partis politiques, les cadres de
l’administration publique. C’est le combat pour les conscientiser,
pour qu’ils puissent comprendre que la rareté des femmes sur la
scène politique c’est un problème de société. Et si c’est un
problème de société […] il reviendra à la société, à travers ses
structures, d’y intervenir (ACT-PAP-22).
Le mouvement de femmes, les réseaux des candidates, les réunions des femmes au sein des
partis ne sont pas des groupes qui fonctionnent en parallèle. Ces structures sont liées l’une
l’autre, mais en investissant, chacune, un terrain spécifique dans la lutte pour l’intégration
politique des femmes. Sensibiliser la société sur la nécessité de favoriser l’accès de plus de
femmes au pouvoir, accompagner les femmes candidates, faciliter l’émergence des femmes
leaders au sein des partis, tels sont leurs objectifs. En certaines fois, elles conjuguent leur
force pour organiser la contre-attaque, pour y parvenir.
Ce détour visait à décrire les sections de femmes au sein des partis politiques, leur objectif,
leur réalité, leur rapport aux réseaux de plaidoyer qui se trouvent dans la société civile. Les
témoignages d’une partie de nos répondantes convergent sur l’idée que ces groupes de
femmes sont souvent détournés de leur objectif premier qui est de faire pression sur les
élites des partis afin d’intégrer plus de femmes dans les partis, leurs instances de décisions.
En quoi l’idéologie d’un parti peut-elle servir à intégrer ou à exclure les femmes dans la
vie du parti et à favoriser ou pas leur accès au pouvoir ?
9.1.3 Partis et Idéologies. Faible lien dans l’intégration politique des femmes
Nous voulions décrire la connexion qui existe entre un parti, son idéologie, son intérêt, sa
sensibilité à l’intégration politique des femmes. Pour ce, nous avons demandé à certains
participant.e.s s’ils.elles constatent que les partis qui se situent, par exemple, à gauche, au
centre ou à droite de l’échiquier politique, se montrent plus sensibles ou moins sensibles à
la question d’intégration politique des femmes.
220
Selon un dirigeant politique, les partis devraient recruter leurs membres, hommes et
femmes, tout en s’assurant que ces personnes partagent leur ligne doctrinale :
Les discours de certain.e.s participant.e.s montrent qu’il serait difficile d’affirmer que les
partis recrutent leurs adhérents, leurs adhérentes selon leurs doctrines. C’est ce sentiment
qu’a, par exemple, cette répondante. Pour elle, l’idéologie n’est pas vraiment un critère
d’adhésion aux partis, de participation à leur vie :
Il ne devrait pas y avoir rapport entre un parti, son idéologie et sa volonté à accroitre la
présence des femmes en politique, dans la vie du parti et ses instances de décision, c’est en
tout cas, ce qu’indiquent les propos d’une autre participante. Son discours laisse supposer
une absence de lien entre parti, idéologie et femmes. Puisque, selon elle, peu importe son
idéologie, le parti devrait favoriser l’intégration politique des femmes :
Par contre, de l’avis d’une autre personne qui a pris part à cette recherche, les partis de
gauche paraissent être plus sensibles à l’intégration des groupes marginalisés. Elle croit
que ce genre de parti travaille dans l’intérêt des gens qui sont classés au bas de l’échelle
sociale. Ils tendent, par conséquent, à encourager les femmes à s’engager dans la politique :
Une militante féministe a tenu, sur les femmes, les idéologies et les partis politiques, un
discours semblable, mais un peu plus nuancé. Elle a d’abord procédé à la comparaison des
notions de gauche et de droite pour, ensuite, conclure qu’un parti qui est situé à gauche
devrait, par principe, c’est-à-dire par cohérence idéologique, favoriser la participation
politique des femmes. Les partis de gauche sont plus ouverts, prônent le changement social,
favorisent l’intégration des catégories les plus vulnérables, dont les femmes, les personnes
homosexuelles ; alors que ceux qui se situent à droite défendent, au contraire, la tradition,
le statu quo.
Les autres participant.e.s poursuivent en affirmant ne pas savoir si une telle distinction
pourrait s’appliquer au cas haïtien. Dans la pratique, il parait difficile de trouver une telle
cohérence, connexion entre croyance idéologique et action chez les acteurs politiques, au
sein des partis. Ces personnes supposent que la question des idéologies est mal posée, mal
comprise au sein des partis. Ils ne saisissent pas la fonction du parti, ses limites et sa portée
dans l’organisation d’une société démocratique :
Parce que celui qui est de gauche pense que celui qui est de droite
est un « salaud », un vendu. Les gens ne comprennent pas qu’on a
besoin de ces clivages pour qu’une société fonctionne, parce que
chacun a sa fonction dans la société (ACT-SOC-21).
Le doute persiste sur la cohérence qui devrait exister entre l’action pour féminiser les lieux
de pouvoir et l’idéologie, les valeurs, la doctrine d’un parti. Par exemple, il y a un parti, de
tendance socialiste, qui était classé en tête de lice des partis politiques ayant recruté le plus
222
de femmes sur leurs listes de candidatures en vue des élections de 2015. Commentant ce
fait, une ex-ministre suppose que ce choix n’a pas une signification idéologique. D’après
elle, dans la réalité du système partisan haïtien, il serait difficile de démontrer l’existence
d’un lien entre partis, idéologies et sensibilité à l’intégration politique des femmes :
Une autre participante décrit la manière dont est établi le rapport entre femmes, intégration
et idéologies dans le fonctionnement des partis. Cette description est à peu près identique
à celle de l’ex-ministre. Elle croit qu’en général les partis n’ont pas le souci de se structurer,
de s’organiser et de fonctionner en fonction des idéologies :
Les témoignages des répondant.e.s montrent que les notions de gauche du centre ou de
droite n’ont pas beaucoup de sens dans le fonctionnement des partis politiques. De l’avis
de cette répondante, originaire d’une famille politisée, la gauche, en tant que doctrine
politique, a un caractère plutôt élitiste. Du coup, elle laisse très peu de traces dans la
paysannerie haïtienne, dans le prolétariat, dans les quartiers populaires. Pour elle, c’est
difficile de trouver des partis de gauche dans le paysage politique haïtien :
Les idéologies n’orientent pas les actions des partis politiques en matière d’intégration et
de participation des femmes à la vie des partis. Qu’il soit de gauche ou de droite, le parti a
223
la même attitude envers les femmes : il se montre peu intéressé lorsqu’il ne résiste pas à la
présence et à la participation politique des femmes.
Dans l’ensemble, les participant.e.s se sont montrés perplexes à l’idée que les idéologies
ont des répercussions sur la présence des femmes au sein des partis politiques en Haïti. Ils
croient que, au contraire, dans la vie de ces institutions, la question de l’idéologie est mal
comprise. Le problème est mal posé ou il ne se pose même pas. Donc, l’appartenance
idéologique d’un parti n’a aucun effet sur sa volonté à résister, à négliger ou à favoriser
l’arrivée de plus de femmes en politique. S’il s’y montre un certain intérêt, ça reste dans
l’ordre du discours, et c’est surtout pour obtenir une certaine légitimé dans l’opinion
publique. Qu’en est-il de l’organisation globale du système de partis en Haïti ?
Les informations empiriques ont monté que les femmes sont souvent en première ligne
dans le maintien du tissu familial. Elles jouent ce rôle de pivot dans une société sexiste,
pauvre, injuste et inégalitaire où le pouvoir est pensé comme un privilège des hommes. Or
certaines de nos répondantes ont affirmé que les partis politiques sont le reflet de la société
haïtienne. Ce sont donc des institutions qui ne reçoivent pas les hommes et les femmes sur
un même pied d’égalité, et constituent un obstacle à l’intégration politique des femmes. En
outre, elles sont faiblement structurées et font face à des problèmes financiers.
Les partis politiques ont un faible encrage idéologique, des bases électorales non fidèles.
L’idéologie, qui devrait cimenter les membres l’un à l’autre et qui devrait aider chacun à
mettre ses compétences au service du parti, est reléguée au second plan ; elle est même,
parfois, ignorée. Pour ces répondantes, les partis n’endoctrinent pas vraiment leur peu de
membres. Il est difficile de distinguer les forces politiques en présence à partir de leurs
orientations idéologiques, de la division des opinions sur la façon de faire la politique, de
gouverner. Elles ne préparent pas leurs membres à la prise et à l’exercice du pouvoir, c’est-
à-dire à être des dirigeants. Les partis ne constituent des forces de mobilisation.
224
Parce qu’ils sont des institutions qui ont pour mission de préparer
les cadres pour le milieu du pouvoir, le Parlement, les partis sont
des écoles de formation politique […]. Mais, souvent, le terme de
partis politiques reste un peu flou en Haïti. Ils ne jouent pas
vraiment ce rôle de formation et sont surtout actifs à l’occasion des
élections. (ACT-SOC-02).
Cette répondante, qui a une longue culture de partis, établit une analogie entre ces structures
et les groupes de petits copains : c’est ce que sont devenus les partis dans leur évolution en
Haïti. Et c’est ce qui explique, d’après elle, les difficultés à prendre et à exercer le pouvoir.
Car, d’après elle, depuis l’expérience de Lesli François Manigat à la présidence d’Haïti, en
1989, ce sont des outsiders qui gagnent les présidentielles et qui siègent au Parlement.
[…] depuis après les Duvalier, nous n’avons eu qu’un seul homme
politique à pouvoir diriger ce pays, Lesly François Manigat. Et tout
le monde peut s’entendre avec moi, il y avait une démarche, un
projet, un programme ; il y avait aussi une discipline de parti, une
discipline de groupe. On peut être en désaccord accord avec lui,
mais ça, il faut le reconnaitre (ACT-PAP-05).
Elle poursuit en affirmant que le problème haïtien est que depuis plus de vingt ans les partis
n’arrivent pas au pouvoir, à diriger le pays :
mouvement. Il en a profité pour décrire comment les partis sont faibles, manquent de
ressources, sans base partisane, ne couvrent que partiellement le territoire national :
On n’a pas des partis suffisamment forts, bien implantés, qui sont
autonomes et dotés d’administrations normales. On a une situation
où les partis sont faibles dans ce sens. Donc, ce sont des personnes,
certains individus qui supportent des partis, qui investissent leur
temps, leurs ressources pour les faire fonctionner (ACT-PAP-33).
La présidente d’un parti a soulevé un autre problème auquel font face les partis politiques :
celui de leur adaptation à la réalité haïtienne. Elle explique qu’après l’effondrement de la
dictature, en 1986, la majorité des dirigeants politiques sont rentrés de l’extérieur. Ils
étaient, pour la plupart, en exil en Europe, en Amérique du Nord, en Amérique latine. Ils
viennent chacun d’un pays ayant différentes cultures, différents systèmes de partis. Et
chacun va tenter de calquer des modèles qui viennent de ces pays et qui ne correspondent
pas avec l’histoire, l’actualité politique locale.
Et l’un des problèmes qu’une répondante a soulevés, lors d’une entrevue tenue au bureau
du parti qu’elle dirige, est celui d’un manque de culture démocratique au sein des partis.
Souvent, on reproche au dirigeant de passer beaucoup de temps à la tête de son parti. Selon
l’avis de cette répondante, s’il y reste si longtemps, c’est parce que d’autres personnes ne
sont souvent pas prêtes à diriger le parti. Ce refus est dû à leur condition de précarité :
Ce que j’ai vu, moi-même, c’est qu’à chaque quatre ans, à chaque
congrès il dit : « Voici ma démission ». Tout le monde dit : écoutez
« Vous restez à la tête parti ». La majorité d’entre nous vivaient
dans un petit appartement de deux chambres à coucher, sans un
salon ou un salon qui sert de salle à manger. Quand tu es dirigeant
226
L’idée que les partis politiques sont faibles est partagée par une figure majeure de la société
civile et de l’observation électorale en Haïti. Il déplore le fait que les partis ne peuvent pas
financer leurs candidats :
[…] les partis politiques sont très faibles. Ce n’est pas tellement la
notoriété du parti, ce n’est pas seulement la base du parti qui va
déterminer le succès du candidat, mais les ressources financières
dont dispose le candidat pour payer des réunions, pour se déplacer,
pour payer les affiches publicitaires, etc. (ACT-SOC-21).
Donc, selon leurs témoignages, c’est difficile d’instaurer et d’appliquer les principes, les
règles de la démocratie au sein des partis où la majorité des membres vivent des situations
de précarité socioéconomique. Souvent, c’est une seule personne qui a la possibilité de tout
prendre en charge avec ses propres moyens. Étant donné cette réalité, vu que l’État ne
subventionne pas le fonctionnement des partis, il parait difficile aux partis de fonctionner
comme des institutions démocratiques.
Une partie des chefs de partis qui ont accepté de participer à cette étude désignent l’État
haïtien comme le responsable de l’affaiblissement du système partisan. Pour appuyer leurs
propos, ils se réfèrent au mécanisme de financement et au cadre légal de fonctionnement
des institutions partisanes.
Pour ce chef de parti, ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est la réalité chaotique du système
de partis en Haïti. Le système de partis couvre les groupes partisans, la loi sur les partis,
l’institution qui est chargée de contrôler leur fonctionnement, de voir si un groupe réunit
les conditions pour être un parti politique. Ça va jusqu’au mode de financement des partis.
Et c’est à ce premier niveau, l’organisation et la régulation des partis, que l’État intervient.
donné un chapeau pour aller aux élections et vous arrivez à être élu
Président. Dans votre tête, les partis ne sont pas sérieux. Et lorsque
vous exercez le pouvoir, la première chose à faire, c’est de créer
votre propre parti politique (ACT-PAP-33).
Le Président, pour justifier son choix de créer son parti et d’abandonner le parti sous les
couleurs desquelles il a été candidat, commence par s’en prendre à tous les partis présents
sur l’échiquier politique. Selon cette participante, qui a un long parcours politique, l’État
haïtien est un État antiparti :
Une fois que la personne arrive au pouvoir, son premier acte, c’est
de s’attaquer aux partis politiques. […] l’État devrait participer à
la construction du système de partis, mais non : l’État d’Haïti est
antiparti. En outre, il est difficile de trouver des gens bien formés
à l’intérieur des partis. Les fonctionnaires de l’État, ils ont peur
d’être licenciés à cause de leur appartenance partisane (ACT-PAP-
05).
La loi portant sur l’organisation des partis politiques, régissant leur fonctionnement,
d’après un participant, complique encore plus la situation. Plutôt d’encadrer l’évolution et
les activités des partis, cette loi a créé un chaos. Il explique :
La loi doit aussi régir le mode, les sources de financement des partis politiques, le rapport
entre les élus et leurs partis, etc. Un groupe de partis a travaillé sur un projet de loi y relatif
et le proposait au gouvernement. Ce chef de parti, qui avait participé à cette incitative,
indique que le gouvernement et les parlementaires y ont enlevé, avant le vote, tous les
articles visent la modernisation du système de partis politiques, tous les garde-fous qui
concernent la discipline de partis, le financement de partis, les rapports entre élus et partis :
****
En somme, les répondant.e.s affirment que les hommes dominent les partis politiques qui
sont construits à l’image de la société où les femmes sont perçues comme étant incapables
d’exercer des fonctions politiques. Dans leur conduite, rien n’indique que ces institutions
veulent changer cette situation, qu’elles désirent d’améliorer la présence des femmes en
politique. La plupart de partis ont une faible assise idéologique. Il est donc difficile de
déterminer le rapport entre leurs idéologies, leur sensibilité ou leur insensibilité à intégrer
plus de femmes dans la vie politique. Ces partis sont faiblement organisés et implantés sur
le territoire national. Ils fonctionnent comme de clubs de « petits copains », sans un
financement public, sans un cadre légal propice à leur institutionnalisation. D’après nos
répondants, ce modèle de partis résiste à l’intégration politique des femmes en contournant
les initiatives de nature à faire plus de place aux femmes au sein des partis.
229
Les personnes qui désirent atteindre des niveaux élevés de la hiérarchie du pouvoir de l’État
doivent passer par l’élection ou par la nomination. C’est une exigence liée au fait qu’Haïti
a un système politique démocratique et représentatif. En principe, si c’est une démocratie,
elle est fondée sur le principe d’égalité de droit et non sur les privilèges liés à la naissance.
Dans la réalité, les femmes sont-elles sur un pied d’égalité avec les hommes devant le
pouvoir ? Sinon, quelles sont les barrières qui sont érigées à leurs efforts pour se faire élire,
pour devenir politiciennes? Les témoignages recueillis montrent que les institutions, qui
organisent le processus pour accéder au pouvoir, accordent aux femmes un traitement
défavorable. Ce chapitre prolonge le diagnostic précédent en décrivant la manière dont les
discriminations tendent à limiter leur accès aux listes des candidatures des partis politiques
et aux fonds de financement de campagne. Il montre enfin comment les acteurs dominants
créent un climat de violence, d’insécurité et d’impunité autour des élections pour pouvoir
s’imposer. Cette situation entrave l’arrivée des femmes à des postes d’influence au sein des
partis politiques, à des postes électifs et nominatifs au niveau étatique.
Pour prendre part à un processus électoral, les gens doivent commencer par manifester leur
volonté d’être candidats auprès d’un parti politique. C’est ce qu’on appelle déclaration
d’intention de candidature. Par la suite, il incombe à chaque parti de recruter, selon ses
propres critères, les personnes à inscrire sur ses listes de candidatures. Il faut se rappeler
que les informations analysées ont montré que les femmes sont minoritaires au sein de
partis et ne bénéficient souvent pas du soutien des poids lourds des partis. Quelle est la
chance de celles qui aspirent à devenir candidates d’être recrutées sur les listes des partis ?
10.1.1 Les femmes souvent éloignées des partis. Difficile d’être recrutées
candidate d’être investie par un parti. Toutefois, il sera difficile aux femmes de réussir ce
pari face aux hommes qui sont considérés comme mieux correspondre aux attentes des
chefs de partis, au profil qu’ils recherchent. Les dossiers de candidature de femmes comme
candidates pour un scrutin se relèguent souvent au second plan :
La forte influence des hommes dans la vie des partis leur permet de prendre l’avantage sur
les femmes dans la course pour le recrutement des candidatures. C’est un avis que rejoint
cette répondante qui estime que :
Les membres des partis politiques sont surtout des hommes. Ils
participent aux rencontres ; ils ont plus de chance de porter les
couleurs des partis (ACT-PAP-07).
Ce désavantage s’explique, entre autres, selon une répondante, par le fait que, trop souvent,
les femmes consacrent peu de temps et de ressources pour préparer leur candidature. Elle
indique que c’est l’une des raisons pour laquelle elles rencontrent plus d’inconvénients
dans la course pour arriver, par exemple, au Parlement :
Nous avons rencontré une ex-sénatrice, donc une femme qui a déjà remporté, par le passé
et au suffrage universel direct, un siège au Sénat de la République. Elle confie avoir été
élue sans avoir pourtant un long parcours en politique, sans une grande expérience au sein
d’un parti politique. Elle est arrivée en politique à la veille du rendez-vous électoral de
2015 et a été vitement sélectionnée à titre de candidate pour le Sénat :
Bien entendu, je ne fais pas partie des personnes qui ont beaucoup
d’expérience dans les questions politiques. Parce que, moi, j’étais
toujours dans les activités économiques, j’observais la politique.
Donc, RÉSEAU [nom fictif du parti] est le premier parti auquel
j’adhère. C’est ma première expérience (ACT-PAP-24).
231
Son cas peut être considéré comme une exception. Puisqu'elle est fraichement arrivée au
parti et qu'elle a pu récolter l’appui des barons de l’organisation pour se faire investir,
candidate pour un siège au Sénat. Mais, de surcroit, elle a pu, dès sa première expérience,
gagner le scrutin, se faire élire Sénatrice. Malgré cet exploit, son cas illustre une situation
dans laquelle se retrouvent souvent d’autres femmes qui espèrent se faire élire. En général,
ces dernières se lancent dans le jeu politique, sans une expérience de partis, et qui pis est,
dans une course électorale à l’échelle nationale, comme candidates pour les législatives.
Ce constat conduit à la conclusion que les femmes s’engagent très peu dans les partis, en
particulier dans la politique active, et lorsqu’elles s’y engagent, c’est souvent à l’occasion
ou dans la perspective d’un scrutin. Les informations analysées aux chapitres qui précèdent
ont déjà établi que, contraintes à assumer des obligations familiales, les femmes consacrent
peu d’énergie aux activités politiques. Il leur est difficile de concilier vie familiale, vie
sociale et vie politique. Elles sont moins actives sur le terrain politique que les hommes qui
y passent beaucoup de temps.
Ces participantes se rejoignent sur le point de vue selon lequel les hommes devancent les
femmes dans la course au recrutement de candidatures pour le rendez-vous électoral parce
qu’elles sont moins actives dans la vie des partis qui restent des ghettos masculins. Elles
tirent souvent leurs compétences du milieu social. Du coup, selon une répondante, se pose
un problème de militance qui a pour conséquence de limiter l’accès des femmes à l’univers
politique. Le rapport distancié qu’elles entretiennent aux groupes partisans constitue un
obstacle à leur intégration politique. Cette relation tend aussi, selon elle, à ouvrir, dans le
processus de recrutement des candidatures féminines, une brèche pour le favoritisme.
Puis, alors que les femmes gardent leur distance par rapport aux partis, elles s’y approchent
souvent à l’occasion d’un scrutin, sans connaitre le terrain politique, ses rouages, ses
enjeux. Pour cette répondante, qui estime le poids, l’importance des partis politiques dans
la course au pouvoir, le travail de proximité dans le milieu social ne suffit pas pour être
une femme politique. Il faut passer par le parti :
Le rapport compliqué qui s’établit entre les femmes qui aspirent à exercer le pouvoir
politique et les institutions qui organisent la sélection des dirigeants ne suffit pas à
expliquer la sous-représentation politique des femmes. L’obstacle à une forte présence des
femmes dans les lieux de pouvoir reste les partis politiques qui les discriminent. Par
exemple, les partis les plus forts, les partis de gouvernement, ceux qui ont les ressources
pour faire élire leurs candidats, choisissent rarement les femmes.
D’après une autre répondante, dirigeante de parti, la chance d’une femme de se faire élire,
par exemple au parlement, augmente quand elle porte les couleurs d’un parti politique qui
investit un candidat très populaire à la présidence :
En somme, les participant.e.s partagent l’idée que la position de minorité numérique des
femmes dans les partis politiques constitue un autre handicap à leur entrée aux sphères de
pouvoir. C’est ce qui diminue leur chance d’être recrutées sur les listes de candidatures des
partis à l’occasion d’un rendez-vous électoral. Pourquoi les partis mettent-ils des obstacles
à la sélection des candidatures féminines ?
233
Le recrutement des candidatures est une étape clé dans un processus électoral. Ce sont les
poids lourds des partis qui ont le pouvoir, en fonction de leurs critères, de fabriquer leurs
listes de candidatures dans la perspective d’un scrutin. Des considérations basées sur le
genre, voire des clichés sexistes peuvent intervenir dans le choix des personnes qui vont
porter les couleurs des partis. Il y a certaines femmes qui sont des exceptions et qui arrivent
à passer à travers les mailles du filet, à négocier leur sélection. Mais dans les partis, ce n’est
pas encore l’égalité entre les sexes : il y a un manque de volonté à recruter les femmes.
À propos du recrutement, certain.e.s répondant.e.s ont le sentiment que les partis politiques
se désintéressent des candidatures féminines. Si une participante assimile l’attitude des
partis vis-à-vis des femmes à une forme de désintéressement, une autre croit que seules les
femmes les plus fortes arrivent à se faire inscrire sur les listes de candidatures. Les femmes
n’ont presque pas d’alliés dans les sphères d’influence des partis.
[…] certes, des femmes adhèrent aux partis. Mais, quand est arrivé
le moment de se porter candidates pour un poste quelconque, les
partis se montrent désintéressés aux candidatures féminines (ACT-
ÉT-17).
Donc, tu verras que les hommes sont toujours sur les listes pour les
postes nominatifs et électifs. Tu vas compter certaines femmes sur
les listes, mais ce sont les plus braves (ACT-SOC-19).
Ce désintérêt est l’origine de l’ambiance aux relents sexistes qui règne au sein des partis et
qui rend la course à la nomination plus difficile aux femmes. C’est ce qu’affirme certains
répondant.e.s qui croient que des clichés sexistes, des stéréotypes orientent le choix des
poids lourds, des notables des partis politiques qui ne veulent pas sortir de leur confort pour
changer le regard porté sur les femmes. Ils les perçoivent comme des candidates plus loin
de la victoire que les hommes.
D’après la plupart de nos répondant.e.s, on est dans une société patriarcale où l’on imagine
que ce soit plus facile de gagner avec les hommes qui ressentent l’égalité avec les femmes
comme un problème. Ils peuvent s’imposer par la violence, faire pencher les rapports de
force en leur faveur.
234
Si le parti choisit des femmes, rien ne dit qu’on les votera. On n’en
a pas l’assurance […]. On présente des hommes. On sait qu’ils ont
le moyen, les ressources financières pour gagner (ACT-PAP-22).
Ce sont les femmes les plus courageuses qui parviennent à décrocher l’investiture d’un
parti, à se faire nommer sur une liste dans la perspective d’un scrutin ou pour occuper un
poste au gouvernement. Elles sont considérées comme des gens à traits de personnalité
élevés, des figures politiques exceptionnelles ou des héritières, c’est-à-dire celles qui ont
le soutien des barons des partis.
Nous avons eu une entrevue avec une ex-conseillère électorale et candidate malheureuse
à plusieurs reprises pour un siège au Parlement haïtien. Elle dit constater chez les partis un
manque de volonté généralisé à recruter les femmes qui désirent se faire élire et à les
accompagner à l’élection. Ne pas nommer les femmes est un réflexe chez les chefs de
partis ; les ténors des partis, à de rares exceptions près, trouvent tous les prétextes pour
justifier le refus de recruter les femmes comme candidates.
C’est généralisé, puisque cette volonté de rendre l’espace politique hostile aux femmes se
constate dans presque tous les partis politiques, peu importe leur idéologie. Donc, dans ces
conditions, il est difficile aux femmes de pouvoir décrocher l’investiture des partis :
235
Quand une femme est nommée pour un poste que désire un homme, ça attise les tensions
au sein du parti. Ça peut conduire à l’éjection de la femme de la liste de nomination du
parti. Cette répondante appuie son propos sur le vécu d’une femme au sein d’un parti :
[…] pendant les élections de 2015, un parti politique avait tenu une
élection primaire à l’issue de laquelle une femme a été nommée
pour porter ses couleurs. Puis, son concurrent masculin a négocié,
en catimini […], l’éjection de la nommée de la liste définitive de
candidatures. C’est cet homme qui a été candidat à la place de cette
femme. La dame a versé des larmes en rapportant les faits lors
d’une rencontre de notre association de femmes (ACT-PAP-29).
Les partis ne recrutent pas à partir des critères objectifs, basés sur les compétences, les
capacités, les trajectoires des femmes. Cette légèreté, de l’avis de certaines répondantes,
laisse le champ libre au favoritisme, au parti-pris, aux biais d’affinité. Car, la façon dont
les candidats sont sélectionnés privilégie les hommes.
Si l’on se tourne vers les témoignages de ces répondant.e.s, on se rend compte qu’il y a une
volonté, et c’est comme devenu un réflexe, chez les partis politiques à ne pas nommer des
femmes sur les listes de candidatures. Quand les femmes y arrivent, c’est comme un cheveu
sur la soupe ou comme des braves. Cette attitude se manifeste par le népotisme qui règne
au sein des partis, le désintérêt qu’ils affichent à l’égard des candidatures féminines,
l’ambiance sexiste que se crée pour dissuader les femmes qui désirent de s’impliquer.
236
Peu de femmes sont candidates ; on vient de décrire les obstacles qui sont dressés sur leur
route. Il leur est difficile de se faire recruter comme candidates au sein d’un parti. Toutefois,
certaines ont pu relever le défi pour emprunter le chemin qui conduit à l’élection. Des
répondant.e.s assimilent ce processus à un parcours de combattantes, semé d’embuches. La
violence, l’insécurité, l’impunité en constituent certaines, et pas les moindres.
Interrogés au sujet de la violence politique et des difficultés des femmes à se faire élire,
certains participant.e.s croient que ce phénomène s’introduit dans le jeu politique. Elle est
devenue une des caractéristiques du système électoral haïtien. C’est le pouvoir d’exercer
la violence, l’intimidation qui déterminent l’issue des compétitions politiques. Les scrutins
sont souvent joués d’avance puisque ce sont les plus violents qui accèdent au pouvoir. Pour
eux, la violence est devenue un élément de plus en plus déterminant dans le jeu politique :
De leur avis, le système politique haïtien génère la violence, met en scène les plus forts,
c’est-à-dire ceux qui contrôlent la violence, qui sont capable de la mettre en œuvre. Rares
sont les compétitions politiques qui ne débouchent pas sur des scènes de violences.
Un autre participant, défenseur des droits humains, a également utilisé le terme de système
de violence pour décrire le poids de la violence dans les luttes pour le pouvoir en Haïti.
Pour lui, le recours, de façon systématique, aux violences constitue un obstacle à l’entrée
de plus de femmes dans le jeu politique.
Les femmes sont les premières à être victimes des violences qui
caractérisent les pratiques politiques. […] un simple exemple :
vous allez dans un bureau de vote pour voter, vous entendez des
détonations d’armes à feu. S’il y a des femmes là, elles seront les
premières à laisser le lieu […] (ACT-SOC-23).
D’ailleurs, comme l’indique cette militante féministe et ex-candidate aux élections locales,
les femmes ont tendance à ne pas s’introduire dans la violence.
Les acteurs qui détiennent les capacités, les moyens de violence et qui l’érigent en système
dans la vie politique, en Haïti, portent atteinte au droit de vote et d’éligibilité des femmes.
Donc, pour cet homme politique que nous avons eu en entrevue, ces acteurs utilisent la
violence pour faire peur et basculer la victoire dans leur camp. Cette stratégie rend difficile
l’accès des femmes à des postes d’influence au sein des partis et au Parlement.
Un acteur international, consultant pour une agence onusienne, confie que la question de
violence est une de ses grandes préoccupations en Haïti. Il est conscient que ce phénomène
affecte, en particulier, les femmes ; mais ce qui l’inquiète le plus, c’est son usage comme
catalyseur dans les compétitions électorales, comme moyen pour gagner un scrutin. Cela a
pour conséquence de saper les efforts pour faire rentrer plus de femmes dans la politique :
C’est un système politique qui, selon certains répondant.e.s, repose sur la représentation
sociale du corps des hommes et des femmes, sur la supposée force naturelle des hommes
et la faiblesse des femmes. La valorisation de cette perception a pour conséquence de créer
autour des élections une situation dont l’issue ne s’ouvre, le plus souvent, qu’à ceux qui
maitrisent la culture, les instruments de violence.
À cela, s’ajoutent les violences verbales, dont les propos sexistes lancés à l’encontre des
femmes candidates, qui constituent aussi un obstacle à leur élection.
Alors, l’un des gros problèmes que nous avons ici, en Haïti, c’est
la violence. […] elle représente un handicap à la participation des
femmes. Et ce n’est pas seulement la violence physique. […] les
violences verbales, elles sont très présentes dans les campagnes ;
les gens se permettent d’insulter les femmes, d’écrire n’importe
quoi sur les murs. […] les femmes sont beaucoup plus sensibles à
ce genre d’agression ; surtout quand la dame est mère de famille,
tout ça […] (ACT-SOC-21).
La violence est un élément qui s’avère décisif dans les compétitions électorales en Haïti.
Les concurrents politiques en font souvent usage pour augmenter leur chance de victoire,
pour accéder au pouvoir. Les femmes qui désirent se faire élire sont les premières victimes
de ces violences qui limitent leurs accès à la hiérarchie des partis politiques.
Nous avons tenu à avoir les opinions de nos répondant.e.s sur la manière dont les femmes
qui aspirent à se faire élire ont vécu la période de campagne. Les premières difficultés
qu’ils décrivent concernent les violences sexistes qui émaillent les processus électoraux.
Pour eux, cette forme de violence constitue l’un de gros handicap à l’élection des femmes.
Tout en étant consciente que peu de femmes font de la politique active au sein d’un parti,
cette ex-candidate déplore l’attitude de la plupart de concurrents masculins qui lancent des
239
injures sexistes à l’encontre des femmes. Les propos aux relents sexistes, dit-elle, nuisent
aux efforts des femmes en les mettant souvent les femmes en minorité psychologique :
Cette participante ajoute que, dans les courses électorales, les hommes font usage de toute
une gamme de propos, de clichés sexistes pour ramener les femmes à leur corps, leur sexe,
leur sexualité, pour les neutraliser :
Face aux insultes sexuelles, aux propos méprisants, donc à la stratégie de violence, les
femmes qui n’ont pas des parents, des amis sur qui elles peuvent compter pour résister sont
souvent poussées à jeter l’éponge. Nous avons rencontré une ex-parlementaire qui confie
qu’elle a pu résister et passer entre les mailles du filet grâce au soutien de sa famille :
Ce ne sont pas toutes les femmes qui ont la chance d’avoir une
famille comme la mienne. Ce que mon mari a vécu, ce que mes
frères et sœurs ont vécu lors de ma campagne et même pendant
mon mandat, ce n’est pas toutes femmes qui ont cette carapace
pour résister (ACT-ÉT-24).
Une répondante affirme que les attaques qui visent à tenir sa réputation se sont intensifiées
une fois que les juges électoraux ont validé sa candidature pour les élections sénatoriales.
C’est depuis la pré-campagne que les ennuis commencent en mettant en avant la vie privée
des femmes qui ont l’intention d’être candidates.
D’après une autre répondante, la stratégie des concurrents masculins consiste à attaquer les
candidates sur le terrain où ça fait le plus de mal possible : leurs croyances religieuses,
leurs familles, leurs corps, leurs sexualités. Ils font circuler de fausses rumeurs qui portent
atteinte à leur dignité, qui ternissent leur image. Ces femmes voient souvent leur vie privée,
leur intimité exposée sur la place publique. L’objectif est de les déstabiliser, les intimider,
comme l’ont dit nos répondantes :
Les discours analysés laissent des doutes sur la volonté de l’État à créer un cadre légal et
institutionnel favorable à la féminisation des sphères politiques. Au-delà de la réticence
des autorités politiques, le regard que portent les élites sur les femmes ne désapprouve pas
les actes qui nuisent à leur honneur, à leur dignité comme sujets politiques. La politique est
conçue comme l’affaire des hommes, un terrain hostile à la participation des femmes.
En outre, selon les propos de participant.e.s, il n’y a pas mal d’acteurs qui excellent dans
l’art de transformer, par la violence, le jeu politique en un champ de lutte. Pour une
241
répondante, la violence qui ponctue la vie politique, à tous les échelons, a, entre autres, son
origine dans ce désir des hommes de s’imposer par la force, d’accaparer les espaces de
pouvoir, les postes de décisions. Souvent, ils n’acceptent pas que les femmes aient aussi
leur mot à dire :
Une répondante admet que certains hommes subissent également des violences électorales.
Par contre, selon elle, du point de vue d’intensité, il n’en va pas exactement de même pour
les candidates qui sont souvent mises à rude épreuve, qui sont victimes de plusieurs formes
d’attaques :
Les hommes se battent entre eux ; ils utilisent la violence les uns
contre les autres. Mais, lorsqu’il s’agit des femmes, c’est comme
s’ils offrent une résistance beaucoup plus dure. On s’attaque à leur
dignité ainsi qu’à leur corps (ACT-SOC-17).
[…] les violences sont une des grosses barrières dressées devant la
participation des femmes. Une femme qui est candidate pour un
poste, elle doit faire campagne comme tout le monde. Mais, si les
hommes ont la possibilité se déplacer aussi longtemps et à l’endroit
qu’ils le veulent pour mener leur campagne, ce sera difficile pour
les femmes […] (ACT-ÉT-17).
Les femmes sont souvent incapables de marquer des points sur le terrain de la violence, de
l’intimidation.
À cette question de violence politique, certains répondant.e.s en ajoutent une autre : celle
de sécurité électorale. Les actes de violence, d’insécurité, qui atteignent des records en
période électorale, nuisent à la campagne, à la sécurité des femmes candidates.
242
Les réunions de campagne sont souvent jalonnées d’obstacles, de violences. Il faut que la
candidate, le candidat soit en mesure de négocier leur tenue avec les bandits, les groupes
civils armés qui opèrent au vu et au su des autorités qui ont pour prérogatives de protéger
les vies et les biens. Donc, à côté du phénomène de violence, d’insécurité, il y a la question
de l’impunité qui fait que les femmes se sentent marginalisées sur le terrain électoral.
Les témoignages recueillis auprès d’une ex-Sénatrice de la République relèvent que ceux
qui exercent la violence, ceux qui commettent des actes de corruption, qui ne respectent
pas les lois, ils opèrent en toute impunité, en complicité avec les autorités. Elle a illustré
son propos en invoquant le fait que, jusqu’à présent, aucun dispositif légal ne vient protéger
243
les candidates contre ces violences. Pour elle, la violence faite aux femmes est l’un des
défis à relever si l’on souhaite que plus de femmes accèdent aux sphères de pouvoir. Et sur
le plan légal, il y a un vide à combler :
Lorsqu’il n’y a pas un vide légal, une absence de règles claires sur les violences, ce sont
les institutions chargées d’appliquer, de faire respecter ce qui existe comme lois qui sont
de connivence, en complicité avec les acteurs qui perturbent les processus électoraux en
incitant, en recourant à la violence, à la corruption. En somme, nos participant.e.s décrivent
un jeu politique et électoral rythmé par la violence, l’insécurité. Greffées sur une situation
sécuritaire précaire, ces violences, qui s’exercent dans un climat d’impunité, constituent
une barrière à l’arrivée de plus de femmes au pouvoir. Qu’en est-il du financement de la
campagne des femmes ?
D’après nos répondants, l’autre facteur qui freine l’arrivée de plus de femmes dans l’espace
politique est le moyen de financement des campagnes. Il leur parait plus difficile de trouver
de l’argent pour préparer leurs candidatures, payer les frais d’inscription, alimenter leur
fonds de campagne, assurer des dépenses le jour du scrutin, voire payer le service d’un
cabinet juridique en contentieux électoral. C’est un facteur à considérer pour comprendre
la situation minoritaire des femmes en politique dans un pays pauvre, inégalitaire où les
partis politiques sont peu structurés.
S’il y a une question sur laquelle bon nombre de personnes qui ont participé à cette étude
ont tenu à opiner est celle du financement de campagne des femmes candidates. Pour cette
participante, l’argent est incontournable pour participer au jeu politique, aux élections.
Cette ancienne ministre indique que, sans argent, les candidates ne peuvent rien faire :
244
Donc, il faut vraiment avoir les moyens pour mener une campagne.
On a beau aller à la radio, tout ça. Mais s’il faut faire passer des
spots, s’il faut se procurer du matériel de sensibilisation, ça coûte
de l’argent (ACT-ÉT-12).
Plusieurs autres répondantes partagent l’idée que l’argent joue un rôle capital dans une
course électorale. Elles invoquent l’idée que les candidates rencontrent plus de difficultés
que les collègues masculins à alimenter leur fonds de campagne. Cela est dû, en partie, au
fait que les partis politiques n’ont pas assez de ressources pour soutenir leurs candidates.
Pour une répondante, experte d’une agence internationale qui accompagne le mouvement
pour l’égalité des femmes en Haïti, le financement de campagne des femmes doit être pris
en charge si l’on veut sortir les femmes de la marge des espaces politiques.
Une participante ajoute une nuance : les femmes ne trouvent pas non plus de l’argent pour
préparer leurs candidatures. Et une candidature se prépare, d’après elle, à travers les œuvres
à caractère social que l’intéressée réalise dans sa région électorale. C’est ainsi qui se tisse
un début de lien politique entre la potentielle candidate et son électorat :
Pour préparer leurs candidatures, les femmes doivent investir dans le social. Mais où est-
ce qu’elles vont trouver de l’argent pour entreprendre ces activités ? À cette question, une
245
première réponse se dégage. Ces participantes indiquent que les femmes mobilisent leurs
fonds personnels, des dons d’argent, de matériels octroyés par des proches, parents et amis,
pour aller aux élections :
La plupart des femmes qui sont candidates, c’est avec leur argent
qu’elles financent leur campagne. Ou bien c’est leur famille qui
leur donne de l’argent (ACT-SOC-27).
Nous avons rencontré une ex-parlementaire qui croit que si sa campagne pour le Sénat a
mené une campagne au rabais, c’est-à-dire sans financement, c’est parce qu’elle est une
femme. Elle n’a eu que le support de certains proches amis et parents. Les femmes souffrent
de discrimination dans l’accès aux sources de financement de campagne.
La réalité que ces répondant.e.s viennent de décrire est la suivante : l’État, les partis
politiques, le secteur privé des affaires rechignent à financer les campagnes des femmes.
Pour pallier aux effets de la discrimination financière, les candidates recourent, pour mener
leur campagne, à leur fonds personnel et/ou aux supports de certains proches parents, des
amis. Pourquoi les acteurs économiques hésitent-ils souvent à financer l’élection des
femmes ?
246
Plusieurs participant.e.s ont tenu à invoquer des raisons pour les lesquelles les femmes ont
de la peine à trouver de l’argent pour alimenter leur fonds de campagne. Nous avons
rencontré des femmes qui disent que l’hésitation ou le refus à investir dans l’élection des
femmes trouve son origine dans la perception des femmes et des candidates. Les bailleurs
ont des attentes et des idées des femmes qui ont de la politique. Dans leur imaginaire, les
femmes sont de mauvaises candidates. Elles ne correspondent pas au modèle, aux critères
de candidats gagnants. Ils croient qu’elles sont moins armées ou ne le sont pas pour gagner.
Les bailleurs perçoivent les femmes comme des candidates vaincues avant même la tenue
du scrutin. Dans la perception des donateurs, les femmes n’ont pas la capacité, l’habilité
pour se faire élire. Ils hésitent à financer la campagne des femmes parce que les concurrents
masculins, par la capacité de mettre en œuvre la violence, par l’usage de la force, peuvent
voler la victoire aux femmes. Cette répondante établit une relation entre capacité à recourir
à la violence, chance de gagner une élection et possibilité de trouver du financement de
campagne. Cette équation ne joue pas en faveur des femmes :
Pourquoi le candidat est-il privilégié à la candidate ? Des participantes répondent que c’est
parce que les bailleurs croient que les femmes n’ont pas le profil de bons candidats. En
dépit du fait que certaines femmes sont compétentes et ont un intérêt pour la politique.
Mais le plus souvent, les candidates femmes ne sont pas bien vues,
au point qu’elles ont des barrières financières (ACT-ÉT-17).
247
Les profils des aspirantes candidates et des femmes candidates n’attirent pas les donateurs
privés et publics. Ils ne les financent pas ; puisqu’ils les perçoivent comme des candidates
qui ne pèsent pas lourd aux élections.
[…] le fait que j’ai été candidate à plusieurs reprises, je connais les
besoins des candidates. Elles ont des besoins spécifiques. Elles
n’ont pas de financement ; ceux qui financent les élections ne sont
pas intéressés aux femmes, car, pour eux, ce ne sont pas de « bons
candidats ». Pour eux […] elles ne sont pas des candidates
gagnantes, elles ne sont pas assez force, elles n’ont pas de moyens
pour gagner une élection (ACT-PAP-05).
Et les partis politiques, qui ont le monopole de violence et de l’argent, ne sont pas intéressés
à aider les femmes candidates, à appuyer leur campagne.
Le constat est que les bailleurs désignent les femmes comme des candidates faibles, des
candidates perdantes du fait que la victoire ou la défaite aux élections ne dépend pas des
règles de vote. Le vainqueur, il est désigné par sa capacité à faire intervenir des facteurs
extralégaux dans la course électorale, donc par sa capacité à détourner les règles du jeu. Le
problème du financement de campagne des femmes s’explique par le fait que les donateurs
perçoivent comme des candidates qui n’ont pas la capacité pour se faire élire. Elles sont
déclarées, considérées, avant ou sans le verdict des urnes, comme des perdantes.
La demande de fonds pour financer les campagnes des femmes ne débouche pas toujours
et dans tous les cas sur un refus total. D’après certains répondants, il est nécessaire d’ajouter
un bémol sur ce point. Car, dans certains cas, la perception des femmes comme des
candidates faibles, perdantes peut à amener à proposer aux femmes du financement, mais
sous des conditions spéciales. C’est ce qui explique leur campagne ne peut pas décoller.
Il peut arriver qu’un donateur privé ou autre accepte d’alimenter en argent le fonds de
campagne d’une candidate. D’après les participant.e.s, ce non-refus met la candidate dans
deux situations qui sont définies par sa condition de femmes. La première est celle où le
montant accordé aux femmes est nettement inférieur au financement donné aux hommes.
Pour illustrer ce propos, ces répondantes racontent ce qu’elles ont vécu comme candidates :
Peu importe le montant du financement, les candidates pourraient accepter. Mais, comme
c’est le cas pour toute transaction, tout contrat, ce financement vient avec ses conditions.
Étant donné que les femmes sont perçues comme des candidates perdantes, les propositions
de financement qu’on les fait n’ont souvent rien à voir avec les élections. Pour désigner les
249
À propos de ce genre d’attentes, nous avons rencontré le responsable d’un organisme qui
est spécialisé dans l’observation des élections en Haïti. Il précise que trouver de l’argent
pour son élection est la question la plus délicate, la plus difficile pour une femme, car il y
a souvent une demande de retour, une attente qui a rapport au sexe.
D’autres participantes expliquent que dans une négociation entre une candidate et un
bailleur, ce qu’on met sur la table, ce n’est pas son élection, sa potentialité, sa chance de
gagner ou de perdre le scrutin en question. Donc, le financement ne vient pas toujours dans
les formes qui conviennent à la plupart des femmes. Puisque les négociations prennent
souvent l’allure de chantage à caractère sexuel, des avances sexuelles :
Les candidates font face à des difficultés quand elles font une
demande pour un financement de campagne chez un entrepreneur.
Lorsque c’est une femme, il y a les idées sexistes, du chantage, il
y a une demande de partage, etc. (ACT-SOC-18).
Les gens ne financent pas les candidates, parce que ces femmes
refusent les conditions qui sont liées à leur sexe (ACT-SOC-03).
Étant donné que la plupart de femmes tiennent à leur dignité, à leur honneur, il leur est
difficile de trouver du financement de campagne. Parce que, selon cette répondante, le
chantage sexuel s’immisce souvent dans les négociations.
Les sources de financement de campagne des femmes qui se présentent aux élections, en
Haïti, sont réduites et conditionnées. Elles n’ont souvent recours qu’à leur fonds personnel
et/ou à l’appui des proches, des parents et des ami.e.s. Le financement public aux partis et
aux candidates n’existe presque pas. Pour les donateurs, les profils de femmes conviennent
250
peu aux critères de candidats gagnants. Cette perception et les pratiques qui en découlent
permettent de retourner sur la question de la violence et de la corruption électorale en Haïti.
Les participant.e.s décrivent un jeu électoral marqué par les violences, la corruption, l’achat
du vote. Dans une course électorale, il arrive souvent qu’une candidate soit populaire, mène
une bonne campagne et perde le scrutin à cause des fraudes, de la corruption électorale :
En entrevue, une cheffe de parti explique comment les facteurs de corruption et de violence
ont joué un rôle dans la détermination de l’issue d’un scrutin. Un candidat peut gagner sans
pourtant être crédité du nombre de voix requis à l’issue du décompte des votes. Gagner un
scrutin, cela ne suppose pas tellement d’être compétent et d’avoir un intérêt, car :
À propos des fraudes électorales dont sont victimes les femmes, une participante, membre
d’un parti politique et ancienne consultante au CEP, confie avoir été témoin de ce qu’avait
vécu une candidate. Les partis politiques ne sont pas des structures imperméables aux
pratiques de corruption qui pourrissent la vie politique. On observe ces pratiques dans le
processus de sélection des candidatures :
Il y avait une femme qui a été membre d’un parti politique et qui a
voulu se présenter aux élections pour sa région. Le parti lui a
démontré par A + B qu’elle ne pouvait pas gagner. […] c’était une
femme très respectée dans la région, et très populaire aussi. Parce
qu’elle faisait le social avant même d’intégrer le parti. […] Dans
cette même région, il y avait un homme très peu populaire qui a
gagné la bannière du parti et a trouvé de l’argent pour sa campagne.
Qui lui a donné de l’argent ? Le parti (ACT-PAP-19).
Pour une répondante, cadre d’une agence internationale, la corruption reste, en Haïti, un
obstacle à l’élection des femmes d’autant que certaines autorités électorales ont tendance
251
à cautionner ces actes. Elle révèle que l’institution chargée de réaliser les élections, en toute
transparence et avec équité, se trouve parfois impliquée dans des cas de fraudes électorales,
de vente et d’achat d’élection :
Vous savez, moi j’ai rencontré des candidates dans des villes de
province. Elles ont fait des campagnes extraordinaires et ont gagné
les élections; elles n’ont pas été élues parce qu’il y a corruption
dans l’appareil électoral (ACT-INT-32).
Le plus souvent, un scrutin se gagne par l’achat de vote, par le monnayage des autorités
électorales et par la capacité à déployer les forces de violence sur le terrain.
Nous savons que les femmes n’ont pas assez d’argent comme les
hommes pour acheter les votes ; elles ne peuvent pas recourir à la
violence pour gagner le pouvoir (ACT-SOC-01).
Il faudra être capable d’entraver le fonctionnement d’un centre de vote, y faire irruption
pour semer le trouble, la panique à l’intérieur et aux alentours, voire l’incendier si le vote
populaire est faveur de sa concurrente. Il y a un autre exemple : celui des candidates, selon
une ex-conseillère électorale, qui s’estiment victimes des fraudes à grande échelle et qui
décideraient d’intenter un recours en contentieux électoral. Qu’est-ce qui va se passer en
lançant une plainte au tribunal électoral ? Pour contester leur défaite :
***
En résumé, s’il a un point sur lequel les participant.e.s se rejoignent, c’est que les pratiques
électorales s’enracinent dans la violence, l’impunité, le sexisme. Ce climat qui règne sur
les processus électoraux et les difficultés pour les candidates à financer leur campagne
constituent des obstacles à l’accès de plus de femmes au mandat de représentation. Autant
que les hommes politiques tiennent au pouvoir, autant ils tiennent à l’argent et à la violence.
Comment régler le problème du faible accès de femmes au pouvoir ?
252
Ce chapitre traite du quota comme l’une des solutions proposées au problème de la faible
présence des femmes dans l’univers politique en Haïti. La Constitution haïtienne amendée
reconnait ce problème et en propose une solution en son article 17.1 qui stipule que l’État
doit garantir un seuil minimal de 30 % de femmes dans la vie nationale. Depuis dix ans,
l’amendement est publié : alors qu’en est-il du processus de traduction du quota dans un
cadre légal et institutionnel d’application ? Cette question a été posée aux personnes qui
ont accepté de participer à cette recherche.
Fanm Yo La, une association de femmes, est l’instigatrice, le fer de lance de la lutte pour
renforcer la représentation politique des femmes. C’est elle qui a réactualisé dans l’opinion
le discours sur l’égal accès des femmes et les hommes au mandat de représentation. Elle
poursuit l’objectif de parvenir à une égale représentation des femmes et des hommes dans
les postes politiques en exigeant l’État à intégrer dans le système électoral un mécanisme
qui peut faciliter l’accès de plus de femmes au Parlement.
253
En ce sens, ce groupe a été le premier à revendiquer des mesures qui s’apparentent au quota
ou à la parité. Devenu, au fil des ans, un acteur clé dans la question de l’intégration des
femmes dans le processus et les instances de prise de décision politique, Fanm Yo La est
partie prenante des initiatives en faveur des réformes constitutionnelles et légales qui vont
aboutir au principe de quota. Ce passage en dit long sur l’engagement de cette association
et de ses figures de proue pour que plus de femmes puissent se hisser au sommet de l’État,
aux sphères d’influence des partis politiques :
En fait, après Fanm Yo La, nous avons créé le Réseau des femmes
candidates pour gagner. C’était une façon de sensibiliser la société
sur de la participation des femmes aux élections. Le Réseau est
créé en 2005. Il y avait […], après 2004, un nouvel élan du côté
des femmes pour participer aux élections qui devaient se tenir en
2005-2006 (ACT-PAP-28).
Nous avons demandé à cette répondante, dans une question de précision, ce qui distingue
le travail du Collectif pour la participation politique des femmes (Fanm Yo La) à celui du
Réseau des femmes candidates pour gagner. À cette question, elle répond que l’idée était
de former un panel de discussions et de campagne pour que les candidates puissent gagner
en visibilité, en popularité dans le processus électoral, car :
Même si nous ne portons pas toutes les couleurs d’un même parti
politique, nous avons tenu à faire campagne ensemble. […] C’était
254
Autour de la lutte pour l’intégration des femmes dans les espaces de pouvoir se forme un
réseau de femmes qui viennent de plusieurs partis politiques. C’est cet esprit de sororité
qui est ressorti dans ce passage tiré d’une entrevue menée auprès d’une ancienne ministre,
dirigeante de parti et ex-candidate :
C’est la lutte menée par ce réseau, son travail de sensibilisation et de plaidoirie, qui a forcé
l’Assemblée nationale à inscrire dans la Constitution, lors du vote et de la publication de
l’amendement, le principe d’un quota d’au moins 30 % de femmes dans la vie nationale.
La Constitution amendée a été publiée deux années après son vote dans un contexte de
confusion. Le gouvernement et le Parlement ont dû procéder à la vérification de certaines
modifications insérées dans le texte. Et, une fois de plus, ce réseau était obligé d’intervenir
auprès des autorités pour ne pas enlever le principe de quota de la Constitution.
Nous avons jugé nécessaire de faire ce bref rappel pour décrire le contexte dans lequel le
quota de femmes a été revendiqué et inséré dans la Constitution haïtienne. Ce détour nous
conduit à la mobilisation pour le quota qui a émergé dans un contexte de critique du statut
politique des femmes dans la société haïtienne. Les passages tirés des entrevues menées
auprès de certaines participantes ont indiqué que ce sont les groupes de femmes qui sont à
l’origine d’un tel principe. Ils sont réunis au sein d’un réseau de soutien à l’intégration
politique des femmes. Huit ans après, qu’en est-il de son effectivité, de son application ?
Nous avons cherché à saisir le sens, l’utilité qu’a une politique de quota de femmes pour
nos participant.e.s. Qu’est-ce qui pourrait justifier, selon elles et selon eux, l’adoption et la
mise en place d’une telle mesure ? Le quota pour les femmes est-il nécessaire ? Comment
distinguent-ils quota, parité et égalité ? Nous voulons saisir leurs visions de l’idée de quota.
Était-il nécessaire de le figurer dans la Constitution?
11.2.1 Quota de femmes. Affaire d’un groupe, atteinte à la liberté, une faveur
Un répondant, chef de parti et vieux routier de la scène politique, en Haïti, critique ce qu’il
nomme l’approche juridico-institutionnelle de la question de quota qui ne tient compte que
de la réalité d’une catégorie de femmes. Il indique que cette approche nie les problèmes
réels des femmes rurales, des commerçantes, donc des femmes les plus défavorisées :
Ce participant estime que le quota relatif aux élections est l’affaire d’un groupe de femmes,
d’une élite, des femmes privilégiées, surtout les femmes éduquées du milieu urbain. Cette
question ne prend pas en compte la voix des paysannes.
Un autre chef de parti, ex-parlementaire, pense que le quota d’au moins 30 % de femmes
sur les listes de candidatures va être une source de problème. Premièrement, cette mesure
est contraire au principe de liberté en politique et en démocratie. Ça va porter atteinte à la
liberté des femmes de vouloir participer ou pas à la politique, d’adhérer à un parti, de
prendre part aux élections. La participation politique est, selon lui, un acte individuel, libre
et volontaire. Les autorités ne peuvent pas pressurer une personne à s’impliquer dans la
politique.
D’après lui, les acteurs politiques peuvent sensibiliser, motiver les femmes à adhérer à un
mouvement politique, à se présenter aux élections. Ils n’ont pas le droit de prendre de lois
pour les obliger à faire la politique, de déterminer un pourcentage de leur présence dans les
sphères de pouvoir.
Pour lui, l’enjeu est l’intérêt des femmes, leur volonté à faire la politique. Parce que si elles
ne sont pas intéressées, est-ce je pourrai leur fixer un pourcentage de participation, leur
réserver un nombre de sièges ? Sa réponse est que les acteurs politiques ne peut pas accepter
le quota, parce que c’est une absurdité :
peut les empêcher d’être députées ? On dit que les hommes les
empêchent d’être élues parce qu’elles sont des femmes, c’est de
l’absurdité (ACT-PAP-34).
Le postulat posé par ce chef est celui-ci : dans une société démocratique, personne ne peut
empêcher un individu, quel que soit son sexe, d’accéder au Parlement, d’exercer un mandat
de représentation. Les individus sont libres de prendre part au jeu politique ou de s’en
retirer. Il revient aux intéressés de se battre pour se faire élire et à l’électorat de choisir
librement les personnes qui vont le représenter dans les lieux de pouvoir politique. Pour
lui, l’obstacle à l’accès de plus de femmes aux sphères de pouvoir n’est donc pas du côté
des hommes. Il présente un scénario pour illustrer l’idée que le quota n’est pas nécessaire :
À ces motifs libéraux et individualistes, d’autres participant.e.s ajoutent une raison d’ordre
psychosocial et symbolique pour refuser l’idée de quota de femmes. Pour eux, la politique
de quota s’apparente à une manifestation de pitié, de faveur. Et qu’un tel sentiment de pitié
dévalorise les femmes et a tendance à justifier l’idée qu’elles sont faibles.
Moi, je pense qu’il faut éviter tout discours de pitié, toute question
de faveur, comme on voit que c’est en train de se produire. […] il
s’agit d’une question sociale (ACT-ÉT-10).
Pour certaines participantes, dont une étudiante en science politique, militante au sein d’un
parti politique et une ex-ministre à la Condition féminine, le quota suppose une sorte de
faiblesse chez les femmes et favorisera l’accession au pouvoir des femmes incompétentes :
Le quota […] c’est quelque chose qui montre comment les femmes
sont vraiment faibles (ACT-PAP-13).
Dans l’ensemble, ces participant.e.s sont d’accord pour dire que le quota va privilégier une
catégorie de femmes, celles de l’élite. C’est une mesure qui porterait atteinte aux libertés
individuelles. En outre, elle s’apparente à une manifestation de pitié envers les femmes qui
sont perçues comme faibles. Sur la base de ces arguments, ces personnes rejettent l’idée de
quota. Qu’en est-il du rapport entre quota, parité et égalité ?
Dans le discours des acteurs du quota, le choix des mots et leurs sens sont à prendre en
compte. Certains utilisent les termes de parité, d’égalité pour établir une comparaison avec
celui de quota. Ils croient que la parité permettrait de ne pas plafonner la représentation des
femmes à un pourcentage. D’autres ne sont ni pour l’un ni pour l’autre. C’est le cas de cette
répondante qui indique que la parité n’aura aucun impact sur la situation politique des
femmes. Cette cheffe de parti croit que la plupart de femmes n’ont pas la compétence pour
se hisser à la hiérarchie du pouvoir politique, pour occuper les postes politiques dominants :
Plus loin, dans un autre passage, cette femme politique de carrière ajoute une nuance en
prenant la défense de la parité contre le quota.
[…] avoir le quota, ça ne veut rien dire ; avec ça, les femmes ne
pourront pas inverser l’ordre des choses. Il faudrait bien que nous
militions pour avoir la parité […] (ACT-PAP-20).
Elle dit tout et son contraire sur la parité, elle la défend et l’attaque à la fois. Dans un
passage repris dans le précédent chapitre, elle a confié ne pas pouvoir atteindre un quota
minimal de femmes au sein des organes de direction du parti.
D’autres participantes critiquent l’idée que le quota électoral dévaloriserait les femmes. De
l’avis de cette militante féministe et de cette ancienne ministre, il faut plutôt revendiquer
la parité au lieu du quota :
259
Moi […] je suis en quelque sorte contre le contre quota. Parce que
ça ne va pas apporter grand-chose aux femmes, même si c’est au
moins 30 %. On ne veut pas nous accorder le 50-50, ça a été réduit
à un de quota de 30 % (ACT-SOC-03).
Cet avis est partagé par d’autres participantes qui croient qu’il faut plutôt miser sur la parité,
l’égalité de genre, l’équilibre entre les hommes et les femmes dans les sphères de pouvoir.
[…] le quota, c’est bon. Il faut aller plus loin, vers l’égalité, 50-50
(ACT-PAP-29).
Cette répondante, ex-candidate pour un siège au Sénat, croit que l’article 17.1 se prête à
confusion.
Cela étant dit, en principe, ces participantes soutiennent l’idée d’une mesure de correction
du déséquilibre entre les hommes et les femmes dans la vie politique. Mais au lieu d’un
quota de 30 % de femmes, ces participantes préfèrent la parité, l’équilibre ou l’égalité. De
quoi ces controverses d’ordre notionnel sont-elles révélatrices ? On reviendra sur cette
question dans les chapitres qui s’attacheront à l’interprétation des informations recueillies
sur le terrain. Mais, entre-temps, qu’en disent les partisans du quota ?
Comme on peut s’attendre pour tout sujet controversé, les gens qui défendent le principe
de quota pour les femmes n’ont pas oublié les critiques, les détracteurs du quota. Comme
le dit une participante, le quota a aussi ses détracteurs, des indécis et ses défenseurs. Pour
260
certaines répondantes, il apparait important de préciser que le quota n’exclut pas la parité,
qu’il s’agit, au contraire, d’une étape transitoire vers la parité, vers l’égalité. L’enjeu est
plutôt situé du point de vue de la stratégie que de la finalité. Ce qui justifie le recours au
quota, c’est la résistance qu’offre l’élite politique à l’idée même d’améliorer la présence
dans les lieux de pouvoir.
Pour cette juriste et défenseure des droits de femmes, il y a encore une incompréhension
autour de l’idée de quota et de sa formulation dans la Constitution. Même si, selon elle, il
faut admettre que le quota est un recul par rapport à la Constitution qui exige l’égalité. En
ce sens, elle le définit comme étant une étape, une transition vers l’égalité entre les hommes
et les femmes en politique :
Par exemple, à ceux et celles qui ont le sentiment que le quota est une faveur, ce défenseur
des droits de la personne répond :
Beaucoup de gens pensent que le quota serait une faveur qu’on fait
aux femmes, alors que ce n’est nullement le cas. C’est juste une
balise pour s’assurer d’un pourcentage minimum de représentation
féminine dans la gestion de la chose publique (ACT-SOC-23).
Ces participantes ont conscience que le quota d’au moins 30 % de femmes est un recul au
principe d’égalité qui est inscrit dans la Constitution. Toutefois, elles se veulent réalistes,
disent-elles, au regard de la différence entre l’égalité formelle et la réalité de faible présence
de femmes dans la vie politique. C’est donc l’écart, qui existe entre ce monde du principe,
de la logique et la réalité, qui justifie, d’après cette ex-candidate, le recours au quota :
C’est le refus des partis politiques à faciliter l’intégration des femmes dans leurs rangs et
dans l’univers politique, en général, qui rend utile la stratégie de quota. Des participantes
261
croient que certains acteurs utilisent le terme de 30% de femmes d’une façon manipulée et
déformée.
Toutefois, cette participante tient à faire un point sur la formulation de l’article 17.1 de la
Constitution. Il s’agit de reconnaitre la présence de :
Nous avons demandé à certaines participantes pourquoi elles estiment que le quota est une
nécessité. De l’avis de certain.e.s participant.e.s, le quota de femmes, puisque c’est déjà
inséré dans la Constitution comme principe, c’est un acquis, une opportunité. Au même
titre que le principe de liberté, il est donc important. Cette jeune dirigeante politique répond
que le quota est un instrument de mesure, un outil de pression :
Il y a des gens qui disent que ce n’est pas nécessaire dans la mesure
où la Constitution nous reconnait les mêmes droits. Ce que nous
ne devons pas oublier, c’est que la Constitution a toujours reconnu
cette égalité, alors qu’il n’a jamais eu beaucoup de femmes dans
les espaces [de pouvoir]. Moi, je pense qu’il est nécessaire. Si l’on
arrive à l’appliquer, un jour l’on n’aura plus besoin de parler de
quota. Parce qu’on pourra atteindre un niveau de parité, c’est ce
qui est souhaitable. […] Le quota est un indicateur qui permet de
voir les progrès réalisés, et des fois, d’exercer plus de pressions sur
les autorités (ACT-PAP-22).
L’autre argument que certaines participantes avancent pour justifier le recours au quota, sa
nécessité et son utilité, c’est le fait, estiment-elles, que c’est une mesure qui a déjà fait ses
preuves, qui a donné des résultats ailleurs, dans d’autres pays.
C’est une mesure qui est d’ailleurs exigée dans d’autres pays. C’est
toute même une belle avancée (ACT-SOC-16).
Ma position sur le quota pour les femmes est claire. D’autres pays
ont accompli du progrès en passant par le quota. Certains ont 50 %
de femmes au pouvoir (ACT-SOC-19).
Donc, c’est grâce à leur lutte que la question de quota a été portée
devant les autorités politiques et a fait objet de l’article 17.1 de la
Constitution (ACT-SOC-23).
D’autres participantes estiment que le fait que la Constitution reconnait le principe de quota
est déjà une opportunité, une ouverture pour les femmes, un support à l’égalité des sexes.
Si on l’applique, ce sera une possibilité pour que plus de femmes arrivent à des postes plus
élevés dans la hiérarchie de l’État. Il est donc, pour l’instance, à la fois utile et nécessaire.
[…] le fait qu’un quota est inscrit dans la Constitution, c’est déjà
une grosse action (ACT-SOC-12).
Pour le moment, je pense que le quota est un outil que les femmes
ont comme acquis. […] je crois que le quota est une variable qui
peut changer beaucoup de choses (ACT-SOC-02).
D’autres participant.e.s abondent dans le même sens en considérant le quota comme une
mesure importante pour améliorer la présence numérique des femmes dans les assemblées
politiques. De leur avis, si on arrive à l’appliquer, elle créera l’occasion de faire bouger les
lignes dans la dilection de l’égalité pour les femmes en politique.
263
Des participantes jugent que le quota représente une mesure d’encouragement, une mesure
temporaire, de transition :
Dans un autre passage, une participante a porté le regard sur un enjeu particulier, d’ordre
notionnel : les controverses autour des notions de quota et de parité. Cette répondante se
montre stratégique, pédagogique par rapport au débat, aux controverses que cette question
suscite tout en restant croire à l’idée que le quota constitue une étape vers la parité :
Certaines participantes ne nient pas que leur objectif c’est l’égalité, la parité. À défaut
d’avoir l’égalité, vu la réalité des rapports de force sur le terrain politique, considérant les
contraintes et les résistances, ils se rabattent sur le quota de femmes. Nous avons interrogé
une participante sur l’idée que le principe de quota de femmes, dans sa formulation, est un
peu frileux. Et, par conséquent, il serait mieux d’exiger une mesure de parité sans passer
par le quota. Par rapport à cette critique, cette cadre d’une institution étatique s’occupant
des droits des femmes répond sur ton qui associe l’ironie et l’autodérision :
Quand nous écoutons ces gens qui parlent de la parité, nous disons
ouah ! les hommes, ils nous aiment tellement qu’ils parlent de la
264
Dans la lutte pour l’accession de plus de femmes aux sphères de pouvoir, le quota est perçu,
par certaines participantes, comme étant un prétexte pour arriver à la parité :
Il vaut mieux manger la soupe à côté, quand elle est chaude. Nous,
ce n’est pas la question de quota qui nous intéresse, c’est une
société équilibrée (ACT-SOC-26).
Une ancienne ministre et fondatrice d’une association de femmes, avec qui nous avons un
échange par Skype, a souligné l’effet symbolique que peut avoir la présence d’un quota
d’au moins 30 % de femmes au Parlement sur les jeunes femmes, les femmes en général :
À ceux et à celles qui s’opposent au quota électoral pour les femmes, ces participantes
répondent qu’il ne s’agit qu’une mesure temporaire. Cet outil ne prend pas le problème à
la racine, mais c’est une mesure de compensation nécessaire dans un système politique qui
relègue les femmes à la marge et où les autorités manifestent peu de volonté à créer les
conditions pour une égalité effective entre les sexes. Le quota électoral est nécessaire pour
faire bouger les lignes là où l’élite politique veut garder le statu quo, ne veut pas marquer
la rupture avec le passé. Il importe dans une société qui fonctionne de manière à limiter la
possibilité que des femmes atteignent le sommet de la hiérarchie de l’État. Ce principe
existe depuis maintenant huit ans dans la Constitution, qu’en est-il de son application ?
L’adoption d’une politique de quota est un processus qui comporte plusieurs étapes. L’une
des étapes est de pouvoir traduire ce principe, l’idée de quota dans un cadre d’application.
La durée de cette étape et le contenu de ce cadre dépendent du comportement de chaque
acteur impliqué dans ce processus : l’engagement des partisans du quota, la volonté de
l’État et l’attitude des partis politiques.
265
Le quota électoral est un outil qui peut aider à reconfigurer le Parlement en matière de
présence numérique des femmes et des hommes. Cet enjeu traverse chaque étape d’une
politique de quota électoral : de la formulation à l’adoption en passant par l’application et
l’évaluation. Les groupes de femmes ont lutté pour la reconnaissance du quota, c’est-à-dire
du seuil constitutionnel minimal de 30 % de femmes dans la vie nationale. La publication
de cet amendement inaugure le processus d’adoption d’un mécanisme facilitant l’accession
de plus de femmes à la gouverne politique, à des postes de pouvoir.
Comment atteindre cet objectif ? L’enjeu est de taille, car il s’agit du pouvoir politique.
Conscients de cet enjeu, les acteurs qui forment le réseau de plaidoyer pour l’intégration
politique des femmes ont créé un groupe de travail sur le principe de quota. Il s’agit du
Comité technique et multisectoriel d’appui au quota (COTEM). Il est chargé d’engager une
campagne de sensibilisation sur le quota de femmes en politique et de faire des propositions
relatives à son application. D’après une répondante :
Sur le terrain, il s’active auprès de l’élite politique, des partis, des parlementaires, des
gouvernants pour les sensibiliser sur la nécessité de réformer le cadre électoral afin d’y
insérer le quota. Sur le plan légal, le COTEM a ciblé le décret-loi électoral de 2015. Il a pu
négocier l’obligation d’élection d’au moins une femme sur les trois membres qui forment
chaque organe de gestion et chaque organe de délibération à l’échelle des pouvoirs locaux,
des collectivités territoriales.
Certaines participantes croient que le fait de pouvoir avoir au moins une femme sur les
trois élus qui composent chaque organe du pouvoir local, c’est déjà un succès :
266
Une autre participante va dans le même sens en admettant une amélioration, non seulement
au palier des pouvoirs locaux, mais également par rapport au pourcentage de candidatures
féminines aux élections de 2015.
Si l’on se fie aux propos de certaines participantes, ce qui intéresse les militantes du quota,
leur priorité est l’accès de plus de femmes aux fonctions législatives et à l’administration
publique. C’est la raison pour laquelle l’enjeu consiste surtout à appliquer le quota à ces
deux niveaux. De l’avis de certaines participantes, l’élection d’une femme, au moins, au
sein de chaque organe constitutif du pouvoir local est un acquis. Mais c’est, selon leur avis,
une victoire fragile et de courte durée, parce que cette mesure n’a pas résulté d’un cadre
contraignant sur l’application du principe de quota.
Donc, le principe de quota de femmes est encore orphelin d’un mécanisme d’application.
Ce blocage participe, selon certaines participantes, de la stratégie des acteurs politiques de
réduire l’ambition du quota à son strict minimum, de limiter son champ d’application. Ça
se traduit dans la formulation même de l’article portant sur le quota. Interrogée concernant
cet aspect, une répondante, membre du COTEM, indique que si l’article donnait plus de
précision, il se pourrait que le Parlement l’enlevât de l’amendement :
Si l’on se fie au discours de cette juriste et défenseure des droits des femmes, l’article
portant le quota a été formulé de manière à nuire à la mise en place du cadre d’application.
Parce qu’il est difficile que le quota soit efficace sans définir ses objectifs de façon précise,
ses modalités et ses champs d’application. Le quota a encore des points d’ombre : entre
autres le terme de vie nationale qui n’est encore clair pour personne. D’où les controverses
que cela suscite au sein même des partisans du quota :
Cette participante a expliqué comment ce Comité, formé pour préparer la proposition d’un
cadre spécial pour l’application du quota, est lui aussi traversé par des controverses. C’est
pourquoi il parait difficile de trouver une formule de compromis.
Donc, le réseau d’acteurs qui soutiennent le mouvement de quota, dont le COTEM en est
la manifestation, ne s’entend pas encore sur son objectif, le type de quota le plus approprié
à la réalité locale, sur sa modalité d’introduction dans le système des élections.
La plupart de nos participantes, dont une experte internationale, estiment que le travail de
définition du cadre d’application du principe de quota n’est pas encore abouti. Elle indique
que si le quota :
[…] n’est pas appliqué, c’est parce que la loi d’application se fait
encore attendre. Les gens, en général, ne savent pas comment
appliquer cette mesure (ACT-INT-32).
D’autres constatent, malgré certaines avancées qui peuvent redonner goût de la politique
aux femmes, un laxisme de la part du réseau d’acteurs qui est chargé de réaliser ce travail
préparatoire :
Par exemple, cette jeune étudiante en science politique et militante d’un nouveau parti
politique confie ne pas savoir ce que c’est le quota :
En effet, certaines participantes témoignent leur insatisfaction par rapport au peu de progrès
accompli plus huit ans après la publication de l’amendement constitutionnel. Leur attente
n’est pas comblée sur plusieurs aspects de la campagne de quota : public visé, sa forme et
son contenu :
La campagne est faite, mais elle n’atteint pas sa cible. […] Les
femmes qui souhaitent aller aux élections ne sont pas vraiment
touchées (ACT-SOC-01).
Une participante a un avis plus nuancé sur la question de campagne de sensibilisation. Elle
croit que la mobilisation pour un quota de femmes en politique se poursuit, même si elle
est lente, elle ne s’intensifie pas encore.
Il faut rappeler que certains acteurs étatiques et agences internationales sont également
partie prenante du réseau qui fait le plaidoyer pour le respect du principe constitutionnel
d’un quota d’au moins 30 % de femmes dans la vie nationale.
Une répondante est satisfaite du travail que réalise le réseau d’acteurs qui mènent le combat
pour le quota, dont le COTEM qui réunit plusieurs acteurs :
Sur le plan des résultats, la campagne pour avoir un cadre spécial d’application du principe
de quota enregistre peu de succès. Le COTEM peine à intensifier la mobilisation pour
encourager les autorités à appliquer le quota. En termes de proposition, de sensibilisation,
d’alliance et de pression pour rendre effective la politique de quota, les enjeux restent de
taille. C’est un bilan mitigé qui s’explique, entre autres, par la façon dont l’État et les partis
politiques prennent en charge la question de la réforme du quota de femmes.
À côté des converses au sein des partisans du quota, il y a un État qui fait passer le temps
et qui peine à assumer sa part de responsabilités. C’est l’État, à travers le gouvernement et
le Parlement, qui détient l’habilité juridique pour mettre en place, par une loi et/ou un
décret, le mécanisme d’application d’un principe constitutionnel. Selon les témoignages
recueillis auprès de nos participant.e.s, le principe de quota d’au moins 30 % de femmes
dans la vie politique, en Haïti, est jusqu’à aujourd’hui orphelin d’un cadre d’application.
Mais, sur la question d’égalité entre hommes et femmes, des participant.e.s disent constater
un écart entre ce que disent les autorités de l’État et ce qu’elles font, entre la parole et l’acte.
271
[…] il faut aller voir quelle est la part du budget, n’est-ce pas vrai,
qui est accordé aux questions des femmes. C’est là que vous allez
voir concrètement qu’il y a un décalage entre le discours politique
et la réalité (ACT-INT-31).
[…] le quota n’est pas appliqué, sauf pour l’élection des CASEC
[Conseils d’Administration des Sections communales], des ASEC
[Assemblées Sections communales] (ACT-SOC-01).
Pour d’autres participantes, l’État s’en fout de ce principe, parce que, en pratique et par
intérêt, les autorités n’appliquent la loi que ça joue en leur faveur :
[…] lorsqu’un État prend une mesure, il doit s’assurer que ce soit
appliqué. Ce qui n’a pas été fait (ACT-SOC-16).
En entrevue, une actrice internationale a le sentiment que le quota ne constitue pas une
priorité pour les autorités gouvernementales. Elle confie avoir travaillé sur des documents
de plaidoyer pour faire respecter le quota. Mais, selon elle, ce travail pourrait avoir un sens
dans un État qui a la volonté de promouvoir l’égalité entre les sexes dans le domaine de la
politique :
mesures qui pourraient contribuer à la mise en application du quota. Elles n’ont pas la
volonté :
Donc, c’est pour vous dire qu’ils n’ont pas la volonté. (ACT-SOC-
04).
Le décret-loi électorat et les élections de 2015 étaient une occasion offerte au CÉP pour
montrer sa volonté ou son refus d’appliquer le principe de quota. Certaines participantes
déplorent le fait que l’État se livre à des pratiques de non-respect des lois. C’est le cas pour
l’article 17.1 de la Constitution et le décret-loi électoral de 2015 :
Des articles n’ont pas été respectés par les partis politiques et non
plus par le CÉP. Par exemple, l’article qui prévoit 30 % de femmes
sur les listes de candidatures aux législatives (ACT-ÉT-12).
On devait organiser des élections au courant des années 2018-2019, c’est-à-dire avant la
caducité de la 50e législature, le deuxième lundi du mois de janvier 2020. Les organisations
de la société civile et le CÉP d’alors, dans la perspective de ces élections, avaient préparé
un avant-projet de loi électorale en y incluant des articles portant sur le quota pour les
femmes. D’après un membre de CÉP que nous avons eu en entrevue, dans les pourparlers
avec l’Exécutif sur la loi électorale, ils n’avaient aucun problème à ce qu’on applique le
quota au palier des pouvoirs locaux.
D’autres participantes croient que l’exécutif est également prêt à accepter un quota de
femmes pour les élections législatives. Selon eux, le blocage se trouve plutôt à l’échelle du
Parlement :
[…] le CÉP avait préparé un projet de loi qui a été soumis par
l’Exécutif au Parlement. Ce projet propose l’application du quota
à tous les niveaux. Mais, les Députés avaient pratiquement balayé
ces nouveaux articles (ACT-ÉT-12).
Le CÉP est l’instance étatique chargée d’élaborer les propositions de réforme du cadre
électoral, de tenir les scrutins. Il est composé de neuf membres. Comment approchent-ils
la question de quota ? Concernant cette question, nous avons rencontré, en entrevue, un
273
membre du Conseil électoral d’alors. Il dit qu’il travaille sur le cadre d’application du
quota.
[…] sur l’aspect législatif, rien n’a été fait. Nous avons envisagé
un ensemble de stimulus pour faciliter l’application du quota de
30 % de femmes pour les élections législatives. Certains [membres
du CÉP] ont dit que ce sont les gens qui votent ; ils doivent pouvoir
voter les candidats de leur choix (ACT-ÉT-10).
Nous avons cherché à avoir l’avis d’une autre participante sur la volonté des parlementaires
à agir de manière à mettre en œuvre un cadre légal et institutionnel favorisant l’accession
de plus de femmes aux pouvoirs, dont le Parlement. Cette experte internationale répond :
En somme, s’il y a un point sur lequel nos participant.e.s se rejoignent, c’est que, pour le
Parlement et le gouvernement, la question d’un quota d’au moins 30 % de femmes n’est
pas une priorité pour l’État haïtien. Du côté du Parlement, c’est un refus. La stratégie des
autorités gouvernementales consiste à tergiverser, à passer le temps et à créer des écrans
de fumée pour détourner les tentatives pour aboutir à un cadre d’application de ce quota.
Comment les partis politiques jouent-ils le jeu ?
11.3.3 Les partis politiques, pour le statu quo, donc dans l’indifférence
Il n’y a pas que le réseau de femmes et l’État, les partis politiques peuvent également
favoriser ou refuser l’adoption du cadre d’application du quota de femmes. Pour une partie
de nos participant.e.s, il y a des partis politiques pour lesquels le quota de femmes serait la
dernière des priorités.
Aux élections de 2015 et de 2016, les plus récentes, les mesures incitatives inscrites dans
le cadre électoral ont fait augmenter le nombre de femmes sur les listes de candidatures des
partis. Mais, d’après une répondante, cela reste insuffisant, ne correspond pas à l’idée de
quota d’au moins 30 % de femmes qui est inscrit dans la Constitution :
Le bilan des tentatives pour appliquer le quota aux élections de 2015 n’est pas satisfaisant,
parce qu’il n’avait pas assez de contraintes. D’après certains répondant.e.s, à côté de cette
absence de contrainte, il y a le fait que les partis politiques n’avaient pas non plus de volonté
pour améliorer la participation politique des femmes. On n’a qu’à constater où ils ont placé
les femmes dans la composition des cartels pour les élections locales et municipales. Peu
de femmes occupent le poste de mairesses, elles sont généralement adjointes et font
souvent l’objet de discrimination de la part du maire principal :
275
[…] l’article qui a marché c’est celui qui a stipulé qu’il doit y avoir
au moins une femme au niveau des cartels. […], mais il n’y a pas
eu de provision pour avoir plus de femmes cheffes de cartels. Donc
sur les 144 conseils municipaux, 12 seulement ont des femmes
comme mairesses (ACT-ÉT-12).
Nous avons eu une entrevue avec une participante qui est membre d’un groupe de femmes
qui accompagne les élues locales. Selon elle, les cartels municipaux constituent un espace
où les adjointes subissent des discriminations. Ces élues :
Nous avons rencontré un participant, en marge d’une réunion de son parti, qui observe une
réticence chez les partis politiques à l’idée de quota, à son application. Pour cet homme au
parcours académique et politique remarquable, les partis veulent garder :
Cela étant dit, pour nos répondant.e.s, les partis politiques se montrent indifférents par
rapport au principe de quota pour les femmes. Ils résistent à la mise en place cette politique.
****
Pour comprendre ce qui se prépare dans le domaine des rapports de force en présence sur
le terrain, ce chapitre examine d’abord les propositions d’application du quota qui sont en
débat. Il analyse ensuite les mesures d’accompagnement d’une politique de quota. Il
présente, enfin, les perspectives en matière de féminisation des lieux de pouvoir.
Nos informations révèlent que l’élite politique rechigne, depuis plus de dix après, à établir
le cadre légal et institutionnel d’application du quota de femmes. Les discussions se
poursuivent sur la forme et la modalité de sa mise œuvre. Les propositions qui se trouvent
à l’horizon sont les suivantes : le siège réservé ou le quota de candidatures. Les notions de
siège réservé, de circonscription unique, ponctuent le discours de la plupart des personnes
qui ont accepté de participer à cette recherche.
Si l’on croit les propos de certaines participantes, le siège réservé se dessine comme l’une
des options en ce qui concerne le cadre d’application du principe de quota dans le système
politique et électoral haïtien. Elles admettent l’existence d’un débat au sein du COTEM sur
277
cette proposition. Il semble qu’un début de consensus se profile sur la forme et la modalité
d’application de cette mesure. Certains acteurs, dont les groupes de femmes, seraient sur
le point de parvenir à une entente sur le siège réservé. Cette option serait retenue comme
étant une proposition à approfondir.
Une ancienne conseillère électorale, comme la plupart de nos participant.e.s, abonde dans
le même sens. Elle explique que les groupes de femmes, qui soutiennent la proposition de
sièges réservés, prévoient également un nombre de sièges au Sénat. La manière de procéder
à la sélection des régions électorales, qui devraient être réservées uniquement à l’élection
des femmes, est le tirage au sort.
De son côté, cette dirigeante de parti croit également que le tirage au sort serait la modalité
la plus appropriée à l’application du quota sous forme de sièges réservés :
Qu’est-ce qui justifierait le recours à ce type de quota, aux sièges réservés ? De l’avis de
ces participantes, il y a, en premier lieu, une justification d’ordre externe au choix de la
formule de sièges réservés. Plusieurs personnes font référence à des expériences externes
afin d’imaginer une issue possible à l’impasse dans laquelle se trouve le principe de quota
en Haïti.
278
Le Rwanda, on voit qu’il file, c’est comme une étoile qui est née
pour briller. Il fait sa route, lorsqu’on regarde le tableau. […] donc,
si ces pays ont réussi, pourquoi pas nous ? (ACT-SOC-19).
Du côté justification du siège réservé, outre ce facteur externe, parce que ces mesures ont
eu succès ailleurs dans le monde, d’autres répondantes convoquent des contraintes internes.
Elles pensent aux barrières, à la réticence, à la résistance que le système social haïtien et
les acteurs politiques offrent à l’arrivée de plus de femmes à la hiérarchie du pouvoir
politique. Cette femme est pour cette formule, parce que, d’après elle, si l’on considère les
rapports de force sur le terrain électoral et :
[…] toutes les barrières qui sont dressées devant les femmes pour
se faire élire, si c’est le siège réservé qu’on nous propose, nous
l’accepterons (ACT-ÉT-17).
C’est une opinion que partage cette jeune féministe. Pour elle, le quota sous forme de siège
réservé peut constituer un outil favorable à l’accroissement du nombre de femmes dans
l’espace parlementaire :
[…] si cette loi a été votée, elle aiderait vraiment les femmes à
avoir accès au Parlement. Par exemple, trois départements [région
électorale pour les sénatoriales] élisent chacun trois femmes ; puis
les femmes auraient la possibilité d’être candidates pour d’autres
départements (ACT-SOC-02).
Le siège réservé fait consensus dans le camp de certains partisans d’un quota de femmes
pour le Parlement. S’ils le justifient du fait que ce type de quota a été adopté dans d’autres
279
contrées, ils affirment aussi que le fait que ce soit contraignant, ça va garantir l’arrivée de
plus de femmes au Parlement.
Ces participant.e.s partagent l’idée d’adopter les sièges réservés comme formule pour
traduire le principe de quota dans le jeu électoral, cela en vue de faciliter la fortification de
la citoyenneté politique des femmes. D’autres participant.e.s s’interrogent sur la
conformité de cette formule avec la Constitution, le système électoral haïtien.
D’après certains participant.e.s, le réseau d’acteurs qui soutient l’intégration politique des
femmes pourrait revendiquer un quota législatif basé sur un système proportionnel de listes.
Mais la difficulté est que la Constitution prévoit, pour élire les parlementaires, un scrutin
uninominal à deux tours, sauf lorsqu’un candidat remporte plus de 50 % de voix valides au
premier tour. Il s’agit donc d’un système électoral uninominal majoritaire. Pour cette
participante, figure majeure de la vie politique haïtienne, si on a des difficultés à appliquer
le principe de quota à l’échelle du Parlement, c’est à cause de la formule électorale qui est
reconnue par la Constitution :
Un conseiller électoral, rencontré en entrevue, partage l’idée que le principe de quota qui
est inscrit dans la Constitution exigerait un système électoral proportionnel. Il confie que
280
lui et certains de ses collègues ont défendu, lors d’une séance de travail au CÉP, l’option
de changer de formule électorale pour faciliter l’application du quota :
Cet avis est également défendu par une consultante internationale qui a travaillé sur un
document pour l’application du principe de quota dans le jeu électoral en Haïti. Lors d’une
entrevue par téléphone, elle indique qu’il faudrait rester fidèle à l’esprit de l’article portant
sur le quota de femmes :
Malgré certaines oppositions, les participant.e.s se rejoignent sur un point : il faut adopter
un type de quota contraignant. Pour eux, l’État peut rendre possible l’arrivée de femmes
au pouvoir en facilitant l’inscription des femmes sur les listes de candidatures des partis
politiques. Et cela passe par une mesure à caractère contraignant, c’est-à-dire par une loi
spéciale armée d’un régime de sanction.
[…] il faut que ça soit exigé aux partis politiques, que ça soit fait
d’une bonne façon et qu’il y ait des femmes dans la liste des
candidats (ACT-INT-32).
Selon l’avis de ces participant.e.s, la solution à la fable présence des femmes au Parlement
devrait passer par la mise en place d’une politique de quota à caractère légal. Cette mesure
suppose que les partis politiques inscrivent plus de femmes sur les listes de candidatures et
surtout qu’elles soient en position pour être élues.
Une participante admet qu’il est difficile d’espérer qu’un collège électoral, où les femmes
sont en position de minorité, puisse engager de telles réformes :
281
Des facteurs d’ordre externe et interne justifient la proposition de sièges réservés comme
modalité d’application du principe de quota. La formule de circonscriptions uniques, de
départements uniques, donc le siège réservé, trouve l’appui du réseau d’acteurs qui soutient
le quota, dont le COTEM. D’autres participant.e.s défendent, cependant, l’idée que le siège
réservé ne correspond pas à l’esprit de l’article 17.1 de la Constitution et optent pour un
changement du système électoral. En absence du Parlement, sans une loi électorale, que
faire du principe de quota ? Quelles sont les alternatives ?
Au point où on en est, le quota ne fait pas encore l’objet d’un acte législatif. Pour certaines
participantes, c’est la difficulté à obtenir un compromis avec le Parlement sur la modalité
de sa traduction dans un cadre pratique qui expliquerait cette impasse. Les parlementaires
ont refusé l’idée d’une éventuelle application du quota aux élections législatives. Comment
envisager une solution à cette impasse ? Qui détient la clé pour ouvrir une issue ? Faut-il
un accord de principe entre les acteurs ? Le Président, peut-il procéder par décret dans le
cas du quota pour les femmes ? Doit-on attendre la prochaine législature ?
De l’avis d’une partie des personnes qui ont participé à cette recherche, le Président devrait
profiter du départ de la chambre des Députés et de deux tiers du Sénat, rendant le Parlement
dysfonctionnel, pour intégrer un dispositif d’application du quota dans le prochain décret-
loi électoral. Même si, avant la caducité de la 50e législature, puisque des élections n’ont
pas pu se tenir pour renouveler le Parlement, les autorités de l’État ont rejeté l’idée de
recourir à cette formule pour le Parlement.
Une participante confie que la résistance au quota se trouve à l’échelle du Parlement. Les
législateurs estimaient que la proposition de sièges réservés aux femmes est inacceptable.
Ils s’en prennent aux initiatrices de ce projet. Pour eux, elles vont trop loin dans leur
282
revendication. Cette participante a rapporté les propos qu’un parlementaire a tenus lors
d’une rencontre de présentation d’une proposition pour appliquer le quota :
Une autre participante croit qu’on ne devrait pas s’attendre à ce que l’idée d’un quota de
femmes au Parlement trouve le soutien des parlementaires :
Comme on le sait, depuis le deuxième lundi du mois de janvier de l’année 2020, la donne
a un peu changé en Haïti. C’est un changement qui affecte la configuration et l’équilibre
des rapports de force sur le terrain politique, car, suite au départ des députés et de deux
tiers du sénat, le Parlement ne siège plus. Le Président devient le seul élu ; il exerce tout
seul le pouvoir de l’État ; la souveraineté nationale n’est plus partagée. L’équilibre entre
les pouvoirs n’existe plus, en attendant l’élection d’un nouveau Parlement.
C’est dans ce contexte que, deux mois après la caducité de la 50 e législature, le chef de
l’État, Jovenel Moïse, a fait une déclaration sur le quota qui a retenu l’attention des acteurs
qui sont engagés autour de cette question. Le 8 mars 2020, lors de la commémoration de la
Journée internationale des droits des femmes, il a déclaré vouloir introduire au prochain
décret électoral la garantie de réserver des régions électorales aux femmes. Sa déclaration
met l’emphase sur l’idée de sièges réservés, donc des circonscriptions et des départements
pour lesquels seules des femmes seront en lice.
Lors des entrevues, nous avons cherché à collecter les opinions de nos participant.e.s sur
la volonté du Président, en absence du Parlement, de procéder par décret pour réserver un
nombre ou un pourcentage de sièges au Parlement uniquement à l’élection des femmes.
Des répondantes estiment que, considérant l’attitude intransigeante des parlementaires,
c’est une bonne idée.
283
On ne peut pas aboutir à une loi sur le quota tant que ce sont ces
messieurs qui sont au Parlement. Heureusement, ils ne sont pas là
en entier. Donc, il faut profiter pour avoir ce décret (ACT-ÉT-12).
Pour matérialiser ce projet, cette participante croit que le Président pourrait s’inspirer des
propositions que le CÉP et les organisations de la société civile ont soumises au Parlement
par l’entremise du gouvernement. Les autorités peuvent insérer, dans le cadre électoral
réformé, des règles garantissant l’élection d’au moins 30 % de femmes lors des scrutins
législatifs et locaux à venir. Elle indique que c’est la lutte à mener aujourd’hui :
D’autres participantes estiment que c’est une bonne idée, mais elles ont des préoccupations
qui concernent la manière de concevoir le décret et de l’appliquer. Cette catégorie de
participantes tient à ajouter deux nuances. Premièrement, elles doutent de la volonté du
Président à supporter la revendication de quota. L’autre préoccupation est la suivante :
admettons que le Président serait sincère, comment surmonter la résistance, la colère que
va susciter une telle mesure?
Bon, je trouve que c’est une bonne idée […]. Mais, moi, j’en doute
fort. J’aimerais bien me tromper. J’ai des doutes parce que la loi
dont parle le Président, ça ne sera pas facile. Il y aura beaucoup de
résistance (ACT-SOC-18).
Moi, je dis que nous devons voir comment travailler cette idée,
même s’il [le Président] était de mauvaise foi. Si on le [le quota]
respecte, ce sera une avancée pour nous. Mais c’est hypothétique.
S’il avait envoyé un signal lors de la formation du gouvernement,
on aurait pu lui faire confiance. Est-ce que c’est le Président qui va
organiser les élections ? Jusqu’à présent on n’en sait rien. L’avenir
est incertain, en Haïti, concernant la politique, vu qu’il y a toujours
la question d’instabilité politique (ACT-PAP-22).
284
Des participant.e.es doutent de la volonté du Président à procéder par décret pour établir le
mécanisme d’application du quota. Parce que, arguent-ils, comme d’habitude, entre ses
déclarations et la réalité, ses actions, il y a un écart. Pour une participante, le souci ne réside
pas seulement dans la sincérité de sa parole, dans le fait que souvent ses déclarations ne
s’ajustent pas à ses actions. Elle croit que, à côté de cette question de bonne volonté qui ne
suffit pas, il y a l’irréalisme du projet de procéder par décret pour établir un quota pour les
femmes au Parlement. Cela lorsqu’on prend en considération certains enjeux de terrain.
Si le Président doit faire ça, ce ne sera pas facile. Parce que dans
les circonscriptions, les départements qu’il veut réserver aux
femmes, il y a au moins une cinquantaine d’hommes qui veulent y
être candidats. Je ne sais pas comment il va gérer ce problème.
Mais ce n’est pas une chose qu’on peut gérer comme ça, à l’oral.
Il faut déjà des textes de loi établis qui pourraient supporter sa
décision (ACT-SOC-27).
[…] les femmes sont pour les sièges réservés, mais, en même
temps, elles sont prêtes à concourir pour se faire élire […] à
prendre part à la course sans bénéficier de faveur. Elles disent
qu’elles n’en auront pas besoin, si le siège réservé exige moins
d’efforts de leur part (ACT-ÉT-17).
Malgré ces enjeux, d’autres participant.e.s admettent qu’en absence du Parlement et d’une
loi électorale, le Président a l’autorité de prendre un décret pour organiser les élections.
Les parlementaires n’ont pas voté la loi électorale, ils ont rejeté la
proposition des groupes de femmes. Aujourd’hui, la déclaration du
Président peut permettre d’avoir le quota de 30 % (ACT-ÉT-28).
Nous avons vraiment besoin de renforcer la présence politique des femmes, mais, dans la
situation actuelle, ça doit s’inscrire dans le cadre d’un consensus avec les organisations de
la société civile. Cet accord établira la manière de le faire, définir le mécanisme à adopter
pour arriver à l’élection d’au moins 30 % de femmes au Parlement. Le gouvernement doit
parvenir, par concertation, à une entente avec les partis politiques. Parce que :
Une autre participante partage l’idée d’établir la formule de sièges réservés, comme cadre
d’application du principe de quota, à travers un décret électoral présidentiel. Mais, comme
la plupart des autres, elle s’attend à ce que ça fasse l’objet d’une concertation.
Des participantes ont applaudi la volonté du Président de prendre un décret pour appliquer
le principe de quota. Elles aimeraient toutefois que ce cadre émane d’une concertation entre
les acteurs politiques, la société civile, et que ça soit effectivement respecté.
L’idée de procéder par décret et par sièges réservés pour instaurer une politique de quota
est-elle en conformité avec la Constitution ? Une autre partie de nos participant.e.s ont
répondu par la négative en formulant certaines objections à cette démarche. Une première
remarque s’impose. Certaines participantes rappellent que la proposition de sièges réservés
est, avant tout, une initiative du COTEM qui a été déjà soumise aux autorités politiques et
électorales. Plutôt qu’un décret qui émanerait de l’exécutif, l’objectif de cette plateforme
de promotion du quota était d’obtenir du Parlement une loi-cadre :
Les sièges réservés dont parle le Président, nous avons travaillé là-
dessus ; nous sommes en train de revoir notre proposition. Nous,
nous voulons qu’elle soit inscrite dans une loi (ACT-SOC-19).
Pour d’autres participant.e.s, la stratégie de l’exécutif va, au contraire, jeter de l’huile sur
le feu. Dans l’état actuel du débat, cette intervention peut fragiliser les démarches que
certains acteurs entreprennent pour encourager l’État à créer les conditions pour appliquer
le quota. Procéder par décret et par sièges réservés, les deux vont engendrer des conflits,
des irritants qu’on pourrait éviter dans une société où les liens sociopolitiques sont déjà
fragiles :
287
C’est dans un régime dictatorial que le Président peut imposer, comme bon lui semble, sa
volonté aux gens, à la société. C’est l’avis d’un acteur de la société civile qui croit qu’il
faut être prudent par rapport aux informations venant du Président, parce que :
Je crois que c’est une erreur d’avoir pris cette initiative de le dire.
[…] je ne souhaite pas que cela soit un acte arbitraire ; il faut que
ça soit rationnel. [..] Ça peut être fragile si ça ne fait pas l’objet
d’un consensus et si ça n’est pas en harmonie avec la Constitution.
Il faut faire attention parce que des dispositions prises par décret,
par le passé, ont été refusées par la suite vu qu’elles n’avaient pas
de légitimité sans un vote parlementaire (ACT-SOC-21).
Une participante, elle aussi cheffe de parti, abonde dans le même sens en précisant que le
Président ne peut pas procéder à la manière de Paul Kagamé, au Rwanda, puisque Haïti
n’est pas dans une situation de révolution ou post-révolutionnaire. En démocratie, les lois
remplacent les symboles de la dictature, les référents à la volonté d’un chef :
[…] nous ne sommes pas dans une dictature. Nous sommes sous
l’égide d’une Constitution. C’est à nous les Haïtiens, dans le cadre
d’un projet de société défini, de décider si nous voulons aller vers
la parité, ou vers autre chose (ACT-PAP-20).
Pour l’un de ces chefs de parti, ex-député, réserver des sièges aux femmes, c’est ignorer le
sens de la politique et c’est violer les droits des personnes compétentes et crédibles :
Cet ancien parlementaire imagine que le Président a une raison personnelle pour vouloir
passer par décret et par siège réservé. Pour lui, cette déclaration serait motivée par l’intérêt
du Président de favoriser l’élection de sa femme au Sénat pour le département du Nord-
Ouest. Il veut donc obtenir une contrepartie de cette décision.
Il faut aller chercher ce qui est caché derrière cette déclaration. […]
c’est une démarche intéressée. Parce que la femme du Président
est une éventuelle candidate pour le département du Nord-Ouest.
Il prépare son élection (ACT-PAP-34).
En somme, pour ces participant.e.s, sur la question du cadre d’application du quota, il faut
trouver une solution qui soit en conformité avec la Constitution et qui fait consensus au
289
sein des partis politiques, de la société. Par conséquent, ils ne sont pas d’accord avec la
volonté du Président de prendre un décret pour instaurer, dans la perspective des élections
législatives à venir, un quota sous forme de sièges réservés. Au-delà de ces enjeux de forme
et de fond, le cadre d’application du quota suffit-il à améliorer la présence des femmes dans
les sphères de pouvoir ?
Nous avons cherché à avoir les opinions des personnes qui ont participé à la recherche sur
les conditions d’efficacité d’une politique de quota dans le contexte haïtien. Certaines
pensent qu’une mesure contraignante, intégrée dans un cadre d’application, ne suffit pas à
résoudre les problèmes auxquels les candidates et les femmes politiques font face. Alors
quel encadrement pourra-t-on apporter aux candidates en dehors d’une politique de quota ?
Les violences et l’insécurité qui émaillent le jeu politique préoccupent nos participant.e.s.
D’après certains, les femmes sont les premières victimes de ces actes. Or une politique de
quota, même contraignante, ne va pas régler le problème de violences faites aux femmes.
Les acteurs dominants peuvent jouer sur d’autres paramètres pour ne pas partager le
pouvoir. D’après certain.e.es participant.e.s, pour améliorer la participation politique des
femmes, les autorités doivent aussi travailler à la pacification des compétitions électorales.
Pour ce défenseur des droits humains, le problème de violence existe et limite l’accès des
femmes aux postes électifs. Du coup, les autorités devront le régler s’ils veulent accroitre
la participation politique des femmes :
Les femmes ne pourront pas participer aux élections et contribuer à changer la vie de leur
communauté, si l’État n’améliore pas la situation sécuritaire. C’est le propos tenu par une
répondante qui désire, dit-elle, se présenter aux prochaines élections pour un siège au
niveau des organes de pouvoir local :
290
C’est également l’avis d’une participante qui encourage l’État à trouver un mécanisme
capable de prévenir et de punir les violences politiques. Elle croit que des mesures légales
destinées à combattre les violences peuvent aider à établir une société plus juste, à créer
des conditions favorables à la féminisation de la politique :
Une ex-candidate au Sénat réclame un outil légal qui fournit plus de précisions sur les
formes de violences que subissent les femmes, en particulier les violences lors d’élections.
Une autre participante souligne la nécessité des mesures pour empêcher les violences et
pour s’attaquer aux pratiques de copinage, au favoritisme.
Ce support financier peut, selon une participante, passer par les partis politiques sous forme
de récompenses pour ceux inscrivant plus de 30 % de femmes sur les listes de candidatures.
À ce propos, ces participantes suggèrent que :
291
[…] l’État n’a pas à financer les partis politiques qui enfreignent
le quota, qui n’accompagnent pas les candidates (ACT-SOC-23).
Car, comme l’ajoute une participante, qui a un long parcours de militante au sein des partis
politiques, les sanctions ne suffisent pas. Des mesures incitatives importent pour que les
partis puissent s’ouvrir un peu plus aux femmes, inscrire plus de femmes sur leurs listes de
candidatures, les accompagner, les aider à préparer leurs candidates :
Pour certain.e.s participant.e.s, des programmes de soutien aux femmes existent au sein de
certains organismes internationaux. Toutefois, il parait aujourd’hui nécessaire d’évaluer
ces programmes et de les réorienter en tenant compte des enjeux liés à la représentation
politique des femmes :
Au lieu de retirer les femmes sur le terrain, de les loger dans des
hôtels pour assister à des sessions de formation que les associations
locales peuvent assurer, au lieu de rechercher la visibilité, il serait
plus productif d’orienter l’appui vers la campagne des candidates,
leurs élections, pour payer les mandataires (ACT-PAP-05).
292
Deuxièmement, elle indique que les candidates rencontrent beaucoup de difficultés dans le
domaine du contentieux électoral. Là vient le moment où une candidate qui se sent victime
de fraudes au cours du vote lance une plainte au Tribunal électoral :
[…] pour moi, c’est extrêmement important, parce que c’est là que
vous allez perdre les élections. Premièrement, le droit électoral
n’est pas connu en Haïti ; il faut assurer la formation des avocats
sur le droit électoral qui est tout nouveau. D’ailleurs, ce n’est pas
enseigné à la Faculté de droit ; ce n’est pas parce que tu es avocat
que tu peux accompagner une candidate. […] c’est compliqué. À
ce que je sache, il y a au plus deux ou trois avocats qui connaissent
le droit électoral en Haïti (ACT-PAP-05).
Dans l’ensemble, ces participant.e.s admettent qu’une politique de quota, peu importe sa
forme, doit se faire accompagner de mesures qui peuvent garantir son efficacité. En Haïti,
la question de violence, de l’insécurité, d’appui financier et technique aux femmes doit être
réglée par des actions à entreprendre en dehors d’une politique de quota ; il y a aussi des
partis politiques à renforcer. Qu’en est-il du travail de sensibilisation ?
293
À côté du combat à engager contre la violence, l’insécurité et pour l’accès des candidates
à des ressources financières et techniques, selon certain.e.s participant.e.s, les acteurs qui
soutiennent le quota ne doivent pas négliger la question de la sensibilisation. Ces personnes
encouragent la poursuite de la sensibilisation auprès des femmes, de l’élite politique, de
l’opinion publique sur le quota, l’intégration des femmes dans la vie politique du pays.
Pour une partie de nos répondante.e.s, une politique de quota, contraignante ou volontaire,
ne sera pas efficace si elle ne s’accompagne pas d’une campagne de sensibilisation. Elle
visera à changer, dans le sens de l’égalité des sexes, la perception des femmes, des rapports
sociaux et du pouvoir. Pour y parvenir, il faut agir sur les pesanteurs socioculturelles par
le moyen de la sensibilisation :
[…] pour que les gens arrivent à comprendre que le quota n’est pas
une faveur. Elles ont le droit d’être candidates, d’être élues (ACT-
SOC-02).
[…] c’est quelque chose qui ne fait pas partie notre culture. Cela
va exiger une sensibilisation, une mobilisation pour montrer [aux
gens] l’intérêt de voter les femmes (ACT-SOC-26).
Si l’on en croit ces personnes qui ont pris part à cette étude, il s’agit d’un travail d’éducation
civique, à la citoyenneté. Ce travail pourrait se réaliser en tenant une campagne intensive
de sensibilisation à travers le pays.
Ces participant.e.s précisent que Haïti a besoin d’une éducation de nature civique et surtout
sensible au genre. Il s’agit de créer une perception favorable à l’égalité entre hommes et
femmes en politique. Pour respecter le quota, percevoir les femmes et les hommes sur un
pied d’égalité, importe. C’est la raison pour laquelle :
Il faut cibler les filles, les ados. Il faut commencer à la base, depuis
l’école, par une éducation sensible au genre (ACT-PAP- 07).
Et :
Pour certaines répondantes, il n’est pas acquis qu’une majorité de femmes voit la nécessité
du quota, le besoin de s’allier pour le défendre. En ce sens, il importe de rallier le plus
possible de femmes derrière cette mesure.
S’il parait si difficile aux femmes d’émerger, de s’affirmer comme figures politiques, c’est
parce que c’est difficile de rompre avec des normes et des contraintes sociales qui les
démotivent à prendre une part active à la politique. Du coup :
De l’avis d’une répondante, l’amélioration de la présence des femmes sur la scène politique
dépend de la volonté des partis politiques et tout aussi d’une autocritique du mouvement
des femmes qui porte cette revendication. En vrai, au fil du temps, ces groupes ont pu
développer une expertise en matière de sensibilisation sur la situation des femmes, mais,
croit-elle, il faut renforcer la lutte pour la participation politique des femmes. Voici un
extrait d’entrevue qui illustre son propos :
à proprement parler, ce qui n’est pas encore le cas en Haïti. Dans cette situation, comment
imaginer l’avenir du principe de quota et de l’intégration politique des femmes en général ?
Pour avoir un tel cadre, il faut, selon ce répondant, faire monter la pression sur les autorités
concernées. Il ne s’étonne pas que les discussions, les propositions tardent à aboutir, car il
s’agit d’une lutte pour acquérir un droit, d’une lutte pour le pouvoir qui reste un privilège
masculin ; les enjeux sont de taille. Par conséquent, la volonté ne suffit pas; les acteurs
doivent engager un combat contre les préjugés, les discriminations basés sur les catégories
de sexes :
297
Malgré les difficultés à l’appliquer, dit un participant, avoir le principe de quota pour les
femmes dans la Constitution amendée, c’est un pas dans la bonne direction. Mais il ne faut
pas s’assoir sur ses lauriers. Il faut au contraire :
Une participante, habituée aux ateliers de travail, aux groupes de discussion sur le quota, a
tenu un discours presque identique. Pour elle, il faut être naïf pour croire que ce cadre
arriverait comme un cadeau tombé du ciel : ce sont des intérêts, des privilèges qui sont en
jeu. Les acteurs dominants ne vont pas y renoncer facilement. Avoir des femmes n’importe
où, dans les postes les plus élevés de la hiérarchie du pouvoir, c’est un combat :
Pour relever ces défis, les femmes, les organisations de femmes doivent rester mobilisées
sur la question. Elles doivent reprendre du courage, se relever. Pour cette participante, par
habitude et en termes de stratégie, c’est dans la rue, à travers la mobilisation que les
revendications des femmes se mettent en scène. C’est par le combat et dans la douleur que
les femmes font entendre leurs voix, acquièrent des droits :
Il y a une réalité : tout ce que les femmes ont obtenu, c’est toujours
dans la difficulté, ce n’est pas du jour au lendemain. Les femmes
savent que ça passe par la rue, la manifestation (ACT-SOC-03).
Pour y parvenir, poursuivent ces participantes, les femmes doivent s’organiser de mieux
en mieux, se souder les unes aux autres pour pouvoir guider la lutte vers l’objectif.
Une participante, ex-ministre et ex-dirigeante d’un groupe de femmes, suggère aux femmes
de se porter candidates pour les régions électorales à faible densité de population. Dans ces
petites régions, le risque d’insécurité, de violences vis-à-vis des femmes est plus élevé,
mais les élections coûtent moins cher et la concurrence est moins ardue :
Sur la stratégie, certaines participantes croient que les acteurs qui soutiennent le quota
doivent faire front commun derrière la cause. Elles encouragent, en outre, une alliance des
femmes avec certains hommes pour aider à déminer le terrain politique, à augmenter leur
pouvoir d’agir, leur capacité à invertir les espaces de pouvoir :
Et bon […], il faut que les femmes travaillent avec les hommes de
bonne volonté pour renforcer les partis politiques (ACT-SOC-21).
Parce qu’il n’y a pas une solidarité naturelle entre certains hommes, ceux qui sont déjà dans
les partis peuvent supporter les femmes, les aider à faire monter la pression sur les élites
des partis, le gouvernement, le Parlement. Car, de l’avis de certain.e.s participant.e.s, la
solution passe également par le renforcement des partis politiques :
L’enjeu réside aussi dans la dynamique, le potentiel du groupe de travail sur le quota. Ce
réseau d’acteurs peut, d’après un participant, faire pression sur l’État, les partis politiques
pour agir dans le sens du respect du quota :
Les décisions doivent être prises au plus haut niveau de l’État. […]
il faut exercer la pression sur l’État (ACT-SOC-23).
À la question : comment imaginez-vous l’avenir, que faire pour dynamiser la lutte dans le
sens de l’amélioration de la participation politique des femmes ? une répondante répond
qu’en termes de perspective :
Du côté de certain.e.s autres participant.e.es, c’est le scepticisme qui domine. Pour eux, il
parait plutôt difficile de croire en un lendemain meilleur pour Haïti. Car, ce pays traverse
des crises dont les solutions résident dans le recours à des réformes en profondeur.
Il y a d’autres participantes qui rêvent une société d’égalité et qui espèrent voir émerger
plus de figures politiques féminines à succès. Une société dans laquelle les femmes auront :
[…] les mêmes droits que les hommes, où cesseront les violences,
les discriminations contre les femmes (ACT-SOC-18).
En somme, pour ces participantes et participants, l’adoption d’un cadre spécial, d’une loi
ou d’un décret pour appliquer le quota est un enjeu de lutte. Ces gens ont conscience que
300
c’est du pouvoir qui est en jeu et que ça va susciter de la réticence, de la résistance de part
de certains acteurs. Ils ne croient pas qu’ils vont l’emporter à court terme. Par contre, ils
ne croient pouvoir y parvenir qu’en faisant monter la pression sur les autorités politiques.
Par contre, une autre catégorie de participant.e.s s’oppose à l’idée d’appliquer une politique
contraignante de quota au palier législatif. Le quota accorde trop d’avantages aux femmes
et va entraver la possibilité qu’a l’individu citoyen de pouvoir librement s’engager dans la
politique et/ou de choisir la personne qui peut le représenter.
Plutôt d’un quota, ces personnes optent pour la sensibilisation et des mesures incitatives
comme stratégie d’intégration de plus de femmes en politique. Les acteurs doivent motiver
les femmes, les inciter à faire de la politique, les former. Pour eux, les femmes ont le droit
d’accéder à des postes-clés au niveau de l’État, mais ça doit tenir compte de leur volonté,
du critère de compétence. Il faut surtout que cette mesure ne porte pas atteinte au droit des
hommes de se présenter aux élections. Cette catégorie de participant.e.s croient qu’il faut
sensibiliser les femmes sur leurs droits politiques. Et la première démarche :
[…] c’est l’éducation qui doit s’étendre des villes allant jusqu’aux
sections communales pour que les femmes sachent qu’elles ont les
mêmes droits que les hommes (ACT-PAP-34).
[…] sur terrain politique, certaines femmes pensent que c’est une
situation normale. Il faut poursuivre la lutte […] la sensibilisation,
la formation pour les femmes (ACT-SOC-16).
Quand on demande aux participant.e.s que prônent les mesures incitatives comment voient-
ils l’avenir des femmes en politique, ils répondent :
301
[…] c’est qu’il n’a pas d’autre alternative. Seule une révolution,
menée par des jeunes, peut changer la situation (ACT-PAP-33).
Sauf s’il y avait une révolution dans l’esprit des Haïtiens qui les
porterait à donner la chance des femmes intègres (ACT-PAP-20).
Ces participant.e.s s’opposent à l’idée d’un quota contraignant pour les femmes. Pour eux,
si les femmes ont un faible accès aux sphères de pouvoir, ce n’est pas à cause des obstacles
politiques et institutionnels. Le problème serait que les femmes sont soit désintéressées à
la politique soit incompétentes. La solution serait de les inciter, de les sensibiliser à la
politique. Instaurer un quota contraignant, c’est violer le droit des hommes et ouvrir la voie
à l’accès des incompétentes au pouvoir. Ils croient que seul un changement social radical
pourrait contribuer à améliorer la situation politique des femmes.
***
Ce chapitre traitait des propositions et des perspectives concernant la mise en place d’un
cadre d’application du principe de quota dans le jeu politique en Haïti. Deux propositions
sont sur la table : sièges réservés et quota de candidatures. La plupart des partisans du quota
préfèrent les sièges réservés. Ils réclament un système de quota accompagné des mesures
contre la violence, l’insécurité. Ils sont aussi pour une campagne de sensibilisation et d’un
mécanisme d’appui technique, financier pour les candidates. En termes de perspectives, ils
s’entendent sur la nécessité d’organiser, de renforcer la pression sur les acteurs politiques.
À l’opposé se trouvent des détracteurs qui estiment qu’un quota contraignant serait une
mesure illégale, une atteinte à la liberté et aux droits individuels. Cette mesure favorisera
l’arrivée au pouvoir des femmes incompétentes. Ils préfèrent des mesures de nature à les
inciter à faire la politique.
302
Conclusion
Les deux premiers chapitres de l’analyse des informations ont été consacrés à l’évaluation
de la situation politique des femmes, à leur statut et au mode de perception de leurs rôles
dans une société fondée sur les inégalités, les injustices. Il en est ressorti que la croyance
en une incompatibilité entre femmes et exercice du pouvoir oriente le traitement politique
et social des catégories de sexes en Haïti. Cette croyance engendre un double phénomène :
le confinement des femmes dans des activités domestiques, socio-familiales et le monopole
masculin du pouvoir. Les trois chapitres suivants ont désigné les responsabilités, d’un côté,
de l’élite politique qui résiste à la fortification de la proportion des femmes dans les lieux
de pouvoir. Et de l’autre côté, la situation de faiblesse du réseau d’acteurs qui soutiennent
la féminisation des lieux de pouvoir. Les témoignages ont également montré comment les
institutions qui organisent la sélection des autorités politiques reproduisent les pratiques de
discrimination, de violence vis-à-vis des femmes.
Les résultats ont indiqué que les partis politiques sont faiblement organisés. Leur faiblesse
les rend moins ouverts, moins favorables à la féminisation effective du jeu politique. Ils
n’ont presque pas d’assise idéologique et d’ancrage au sein des populations ; ils tournent
autour de certains réseaux d’influence et de notables qui ne voient pas de bon œil une forte
présence de femmes sur l’échiquier politique. Les critères de sélection des candidatures
sont flous et dépendent de la volonté des chefs et des notables qui partagent des préjugés
sexistes. Les deux derniers chapitres ont examiné le mouvement de quota qui est conçu
comme une solution temporaire au problème de pénurie de femmes en politique. L’enjeu
est de voir comment et par où introduire dans le système électoral des innovations légales
et institutionnelles pour corriger ce problème. Le constat est que le processus de mise en
place de ce changement est au ralenti; il peine à avancer. Car les partisans du quota
n’atteignent pas encore un niveau d’organisation pour pouvoir convaincre l’élite politique
d’accepter ces innovations. Par aversion au quota, l’État et les partis politiques adoptent
une stratégie destinée à faire trainer ou à détourner le processus qui devrait amener à
l’insertion du principe de quota un cadre d’application.
303
Introduction
Cette thèse vise à comprendre le processus d’adoption d’un cadre légal et institutionnel
pour appliquer le principe d’un quota d’au moins 30 % de femmes dans le système électoral
en Haïti. Notre terrain de recherche a permis de décrire la situation de rareté des femmes
en politique, d’en déterminer les causes, les conséquences, d’établir la responsabilité des
acteurs et d’en identifier les solutions. Le résultat de la recherche montre que l’insertion du
quota pour les femmes dans le système électoral est en attente en raison des divergences
entre les acteurs sur la forme, les lieux d’inscription et la modalité d’application d’un tel
outil. En quoi cette dynamique d’acteurs peut-elle amener à une réforme de quota ou à son
contraire ? Cette partie sera consacrée à l’interprétation de nos résultats. Pour le besoin de
l’analyse, nous allons lier ces résultats de terrain à la question recherche, au cadre d’analyse
et à la proposition de recherche.
Ce chapitre se propose de lier les différents aspects de la situation de rareté des femmes en
politique avec les traits caractéristiques de l’organisation des rapports de pouvoir en Haïti.
Nous partons de l’idée que les rôles féminins et les rôles masculins sont identifiés, sont
signifiés et insérés dans des rapports de pouvoir (Scott, 1988). Ces rapports de pouvoir
construisent la perception des catégories de sexes et déterminent la place de chacune dans
la configuration du système politique haïtien. Il s’agit de saisir des nomes et valeurs qui
signifient le phénomène de la rareté sur la scène politique.
Les points de vue que nos répondant.e.s ont exprimés sur les Haïtiennes en politique
inclinent à associer le processus d’adoption du quota et la perception des femmes dans le
contexte social, politique et culturel haïtien. Le quota, étant un phénomène global (Krook,
2004), est une norme d’égalité des sexes dont l’insertion dans une réalité nationale engage
l’élite politique dans un jeu de reconfiguration des rapports de pouvoir. Pour évaluer le
potentiel d’une politique de quota, Tremblay (2005, p. 261) invite à considérer le contexte
historique, culturel, politique, démographique et économique dans lequel elle se déploie.
En Haïti, l’égalité des sexes, le statut et la perception des femmes renvoient à un dispositif
de pouvoir qui produit deux domaines historiques d’exercice de citoyenneté : élites et
subalternes (René, 2014). Ces deux domaines se forment, dans le contexte haïtien, par
l’accès différencié des personnes et des groupes à l’héritage de la lutte anticoloniale et
antiesclavagiste : culture, terre, armée. Puisqu’après 1804, l’État a agi de manière : « […]
à consolider les structures coloniales afin de les mettre au service des nouvelles classes
dirigeantes » (Mérion, 1998, p. 102). D’après René (2014), Haïti repose sur ce socle : le
partage entre ses diverses catégories de population d’un imaginaire de souffrance qui les
porte à créer un État libéré de la domination coloniale et de l’esclavage. Alors, et c’est ce
qui parait paradoxal, ces populations vont se diviser et se hiérarchiser selon la possibilité
d’accès de chaque groupe à l’héritage matériel et symbolique du système colonial. Si les
élites nationales : « […] rejetaient la domination raciale, elles acceptaient de plein gré la
domination culturelle occidentale comme un instrument d’organisation de leur propre
305
autorité au sein de la société haïtienne » (René, 2014, p. 20). Les subalternes devraient se
mettre à apprendre ce fond culturel pour participer à la vie sociale et politique du pays.
Sinon, ils sont mis à la marge de l’État nouvellement créé, de ses institutions culturelles,
de son système politique et économique.
Pour ajuster cette considération avec notre terrain de recherche, il importe de rappeler que
les informations recueillies et analysées ont conduit à un premier résultat. C’est que les
femmes sont rares sur la scène politique du fait que les élites perçoivent une inconvenance
entre le statut de femmes et l’exerce des fonctions politiques. Cette perception constitue
l’un de facteurs explicatifs du déséquilibre constaté entre les sexes dans les sphères de
pouvoir. Pour éclairer cet aspect perceptif, le regard porté sur les femmes dans l’espace de
pouvoir, il importe de situer le statut des femmes dans l’histoire sociale, dans la politique
culturelle du pays. Il s’agit d’examiner le mode de configuration du statut de femmes, leur
traitement social, dans les rapports historiques de pouvoir qui organisent la société.
Côté théorique, nous appuyons cette discussion sur les travaux de l’historienne Scott (2009)
qui postule que le sens et le contenu accordés aux rôles féminins et aux rôles masculins
sont construits dans l’histoire, la politique, l’économie et la culture. L’objectif est de voir
comment la perception des femmes, le statut qui leur est assigné et les pratiques qui en
découlent ont leur ancrage dans la configuration des rapports de pouvoir dans une société.
Comme le suggère Scott (2009, p. 9) dans un rappel de méthode : « Il ne faudrait pas se
concentrer sur les rôles assignés aux hommes et aux femmes, mais sur la construction de
la différence sexuelle elle-même ».
Entre cet éclairage conceptuel de Scott (2009) et notre terrain de recherche, le travail de
René (2014) sur la formation des domaines de citoyenneté, en Haïti, servira de médiation.
En effet, sa recherche fournit une clé de lecture pertinente pour saisir le sens du regard que
nos participant.e.s portent sur les Haïtiennes et la politique. René (2014) a utilisé les
concepts d’élite et de subalternes pour comprendre, dès la création de l’État d’Haïti, la
formation des deux domaines d’exercice de citoyenneté. Il part du postulat de la centralité
des idées de liberté et d’égalité dans la formation de ces domaines de citoyenneté pour
306
saisir le sens de l’identité des individus, leurs rapports avec l’État, l’accès des groupes
sociaux aux richesses nationales.
Pour lui : « Les idées de liberté et d’égalité avaient occupé, après l’indépendance d’Haïti,
une place prééminente dans la formation de l’identité des Haïtiens et dans la définition de
leurs relations avec le pouvoir d’État » (René, 2014, p. 1). Ce culte de liberté préside à la
formation de deux sphères de citoyenneté, d’où l’hypothèse centrale de sa recherche :
« […] la citoyenneté en Haïti au cours de la première moitié du dix-neuvième siècle, et
possiblement au-delà, était exercée dans deux domaines distincts, mais complémentaires »
(René, 2014, p. 10-11). Ces deux domaines d’exercice de citoyenneté sont : celui des élites
et celui des subalternes.
Qu’est-ce qui distingue les élites des subalternes ? Les élites se trouvent dans les sphères
les plus élevées de la hiérarchie des rapports sociaux, économiques, culturels et politiques.
Elles s’y trouvent du fait qu’elles entretiennent un rapport privilégié avec la culture
dominante, les richesses héritées des anciens colons. Elles se définissent aussi par leur
composition, leur mode d’organisation, leurs intérêts et les types de rapports qu’elles
développent à l’État et aux groupes subalternes.
Ici, les élites sont formées de ceux qui occupent le sommet des
différentes hiérarchies : militaires, politiques, économiques,
intellectuelles, etc. Elles jouent le rôle central dans le déploiement
du pouvoir et en bénéficient en tirant le prestige et la richesse
(René, 2014, p. 19).
À côté de leur composition, de leur position hiérarchique, des bénéfices qu’elles en tirent,
vient ensuite la mode d’organisation de leur domination, c’est-à-dire leur façon de codifier,
de légitimer leur intérêt, leurs richesses, leur privilège. Le domaine des élites, c’est-à-dire :
Donc, les rapports entre élites et État s’établissent à partir de liens formels, contractuels,
qui s’incarnent dans des institutions. Les élites constituent un domaine de citoyenneté dont
le statut est inscrit dans le droit formel qui légitime leur accès à la hiérarchie de l’État, aux
ressources et à la jouissance des privilèges sociaux, culturels. Où se trouvaient les femmes ?
Les femmes, comme les paysans et les soldats, désigné.e.s sous la catégorie de subalternes,
forment le deuxième domaine d’exercice de citoyenneté. Entre les subalternes, les élites et
l’État, s’établissent des liens plutôt informels. Les subalternes font appel à l’État, donc aux
autorités pour demander de la protection, lorsque leur liberté et leur égalité sont menacées.
En ce sens, ajoute l’auteur : « Les subalternes […] aussi bien que les élites, avaient utilisé
cette structure pour la promotion et la défense de leurs intérêts » (René, 2014, p. 31-32).
En retour, les autorités les appellent quand il s’agit de légitimer leur pouvoir.
Du coup, l’auteur rejette l’idée que les subalternes se trouvent dans un rapport d’extériorité
avec les élites et l’État, que les élites et les subalternes forment deux domaines d’exercice
de citoyenneté opposés. Il défend la thèse selon laquelle les élites et les subalternes ont des
rapports de pouvoir à la fois distincts et complémentaires. Au contraire : « […] ledit
domaine informel est celui de tous les Haïtiens, même si le domaine formel était devenu
exclusif aux élites, surtout à partir du milieu des années 1820 » (René, 2014, p. 29).
Quelles sont les voies d’intégration des femmes dans la société ? Comment leur domination
a-t-elle été négociée ? Le travail de René (2014) donne également des indications qui
permettent de situer les femmes dans le débat sur la citoyenneté, de comprendre leur statut,
leur traitement social et politique dans la configuration des rapports de pouvoir. L’idée de
308
Cette réflexion permet de dire que la croyance en l’existence d’une incompatibilité entre
femmes, pouvoir et politique émerge de la distinction et de la complémentarité entre élites
et subalternes. C’est dans et par ce rapport que la citoyenneté indirecte des femmes, qui
appartiennent aux élites, est définie. Donc, l’identité sexuelle travaille ces sphères de
citoyenneté dans la mesure où le statut des femmes élitaires se forme dans un rapport
différencié aux femmes subalternes qui appartiennent, par leur sexe et leur faible accès à
la culture dominante, aux paysans, aux soldats, donc aux catégories populaires. À propos
du statut de paysan, Mérion (1998, p. 102) affirme : « La conquête d’un lopin de terre, sa
défense à tout prix, était le centre de la vie paysanne ». Exclues des catégories de
propriétaires terriens (grands ou petits), de militaires, qui sont les domaines privilégiés des
hommes, les femmes étaient affectées au travail domestique et aux activités de commerce
(Neptune-Anglade, 1986). Ce n’est qu’à partir des années 1970 que la plupart des femmes
ont investi le marché du travail formel dans les industries de sous-traitance.
Les élites locales ont attribué aux paysans le rôle de cultivateur, à titre de propriétaires ou
de fermiers, sur les plantations abandonnées par les colons. Par le métier des armes, les
soldats avaient pour mission de sécuriser le territoire, de sauvegarder une jeune nation libre,
mais menacée par le retour imminent de la France coloniale. Aux femmes, ils ont accordé
les activités domestiques et marchandes pour la survie de la maison et/ou pour tenir la
309
Le statut de femmes subalternes ne peut donc être greffé ni sur celui de paysans ni sur celui
de soldats. Il est pareil pour les femmes qui appartiennent aux élites. Nous supposons que
ces deux catégories de femmes, par la manière dont leur différence a été perçue et traitée,
constituent un domaine distinct d’exercice de citoyenneté. Qu’elle appartienne aux deux
groupes, élites ou subalternes, la femme, c’est sa position dans la famille (mère ou fille),
position qui est liée à sa supposée identité sexuelle, qui spécifie sa perception, son mode
d’intégration dans la société haïtienne. Ce sont les liens matrimoniaux et/ou de filiation qui
définissent le statut social et politique des femmes.
Ceci étant dit, à côté de la terre et de l’armée, deux éléments qui définissent la position
d’un individu dans l’économie et la hiérarchie militaire, l’identité sexuelle d’un individu
détermine son statut politique, le rapport qu’il entretient à l’État. Pour les femmes, si
certaines jouissent d’une citoyenneté formelle indirecte, du fait qu’elles appartiennent, par
alliance ou descendance, aux élites masculines. D’autres femmes étaient considérées
comme mineures et, de ce fait, elles ne pouvaient pas jouir ni le droit formel, contractuel
des élites ni le droit informel des subalternes (paysans et soldats). Si les élites détectent une
supposée incongruité entre femmes et pouvoir, la perception d’une femme diffère selon
qu’elle se trouve, en ce qui concerne le mode d’acquisition, d’exercice de citoyenneté, donc
de traitement politique de leur différence, dans le secteur élitaire ou celui des subalternes.
310
Les premiers dirigeants haïtiens ont traité le problème de statut des femmes et des hommes
dans l’espace politique et social selon un modèle de séparation (Fortino, 1999) :
L’autre terme qui émerge de l’analyse des informations est celui de suprématie des hommes
qui est synonyme du patriarcat. Ce rapport de pouvoir s’établit en enseignant aux « […]
femmes, un sens aigu des responsabilités qui est d’ailleurs intégralement intériorisé par
elles, pour la plus grande efficacité du système » (Manigat, 2013, p. 34). Dans le cas
haïtien, le patriarcat, la marginalisation politique des femmes et le sens de responsabilité
qui est prêté aux femmes vont ensemble. Manigat (2013, p. 31-32) a souligné les effets de
la répartition inégale des obligations entre les sexes dans les familles sur la présence des
femmes dans les instances de pouvoir. D’après elle, l’inégalité dans la répartition des
fonctions, des : « […] rôles entre femmes et hommes dans la sphère familiale et la difficile
311
conciliation entre familles et travail pour les femmes expliquent souvent leur difficulté à
postuler et à assumer des postes de responsabilités ».
Pour parler des rôles que les femmes jouent dans les foyers et de la considération qui est
accordée à leur travail, les personnes ayant pris part à cette étude ont utilisé les expressions
suivantes : injustice envers les femmes, sur-responsabilité des femmes, appauvrissement
des femmes. Par ces termes, on dénonce les injustices que les femmes subissent dans la
société haïtienne. L’injustice est prise dans un sens utilitariste et concerne la non-
reconnaissance des contributions des femmes à la société. Doura ( 2018), dans un article
sur la condition des femmes dans la société, indique comment les Haïtiennes subissent des
injustices dans la sphère économique :
L’injustice désigne, en outre, le rapport déséquilibré existant entre faible représentation des
femmes dans les sphères politiques, économiques, sociales, culturelles et leur poids dans
la structure démographique, leur responsabilité dans les ménages. Puisque, selon nos
répondante.e.s, malgré leur poids sociodémographique, elles sont mises à la marge des
lieux de pouvoir qui restent encore une affaire, un privilège d’hommes. Les résultats d’une
enquête, menée auprès d’une organisation paysanne mixte, en Haïti, ont montré comment
les rapports de pouvoir qui s’y déploient poussent les femmes dans une situation de
confinement, étant donné le travail qui est dévolu à ces femmes. Elles sont exclues des
réseaux d’influence du mouvement, alors que les hommes monopolisent : « […] les
espaces de décision dans la communauté et au sein de l’organisation » Manigat (2013).
Les propos recueillis ont établi un lien entre la rareté des femmes en politique, leur forte
présence dans les sphères de socialisation, la survie des ménages et la vitalité dans la sphère
économique dite informelle. Le silence établi sur leur contribution à l’économie et à la
312
culture constitue une injustice à leur égard. Dans un article sur la participation des femmes
dans la littérature haïtienne, N'Zengou-Tayo (1998) aboutit à la même conclusion :
Des répondantes utilisent le terme d’autocensure pour désigner l’attitude des femmes à
avouer leur désenchantement politique, du fait que la politique est appréhendée comme une
source de peur, de violences. Alors que ce sont, en grande partie, ces femmes qui assument
le rôle de chefs de ménage : « […] la notion de ménage est entendue comme un groupe
d’individus partageant un logement (unité de résidence) et les repas (unité de
consommation) sans qu’il y ait nécessairement des liens de parenté entre ces individus »
(Lamaute-Brisson 2012, p. 20). La perception des femmes en politique et leur assignation
aux foyers ont des répercussions sur leur comportement politique : elles s’autocensurent.
L’autocensure qui porte les femmes à se retirer de la politique, à avoir peur d’affirmer ses
ambitions politiques, est l’une des normes de féminité. Derrière l’autocensure se cache la
peur, la crainte de trouver peu d’allié.e.s. L’autocensure se déploie dans une relation intime
avec un imaginaire viril qui, à l’opposé, peut être conçu comme le désir de s’aventurer. La
notion de virilité s’entend, dans cette perspective, comme étant synonyme de violence, de
force ; la virilité menace les femmes d’influence, celles qui avouent leur ambition politique.
Les politiciens, peu importe leur domaine de citoyenneté, subalternes ou élites, partagent
ce privilège. Ils se croient robustes, fougueux, vigoureux et sont prêts à écraser les faibles,
à dominer l’autre ; ce tempérament viril peut se transformer, selon le contexte, en un outil
pour accaparer et légitimer des positions de pouvoir dans la sphère privée ou la sphère
publique. Comme ces auteures l’affirment :
Pour expliciter les rapports qui se déploient entre ordre sexué, ordre social et ordre politique
dans la fabrication d’une forme de vivre ensemble, donc d’un système politique, Sénac-
Slawinski (2007) ajoute :
Les femmes, au lieu de les insérer dans un domaine large de citoyenneté composé de
subalternes et dans un cadre de pouvoir informel, nous avons donc tenu à définir leur statut
dans un lieu où les hommes incarnent la figure du chef, la virilité comme norme de
masculinité. D’où la construction, en Haïti, d’une perception qui renvoie les femmes hors
de l’univers politique. Cette perception informe l’attitude des femmes par rapport au
pouvoir. En ce sens, l’autocensure correspond à un comportement qui consiste à se retirer
du public pour évier le danger que représente pour les femmes le désir des hommes de
régner sur l’univers politique, c’est-à-dire par peur être victimes. Elle inspire, chez les
hommes, la virilité, cette volonté à tout prélever. Mais, en outre, elle alimente un ensemble
de stéréotypes sur les figures de femmes en politique.
qui sert de cadre à l’exercice d’un pouvoir pensé comme une instance de prélèvement
(Foucault, 2014, p. 178-179), un mécanisme de soustraction, de jouissance qu’un appareil
de répartition de ressources et de prestation de services. Et c’est dans cet imaginaire
politique, cette façon de penser et d’exercer le pouvoir, les acteurs dominants tentent de
nier, d’enlever aux femmes leur capacité à diriger, qu’on exploite leur force de travail
productif et reproductif dans le foyer. Penser la politique, exercez le pouvoir dans une
logique de soustraction, de négation, c’est éclipser la figure de femmes dans l’histoire des
pratiques de pouvoir, de l’État. Cette stratégie d’occultation fige l’identité des femmes dans
une illusion naturaliste et circonscrit leurs rôles hors du champ de pouvoir qui est réservé
aux hommes. D’où les discriminations que les femmes subissent dans le traitement social,
politique, économique et culturel de leur différence.
Pour l’économiste Doura ( 2018), les inégalités entre les sexes portent à nier, à dévaloriser
les compétences, l’éducation des femmes :
Ces injustices expliquent le fait que certaines femmes choisissent de s’abstenir de participer
à la vie politique. S’abstenir, donc s’autocensurer, ne veut pas dire se retirer de la société.
Il s’agit plutôt, pour ces femmes, d’être vigilantes, ne pas se risquer dans la politique, c’est-
à-dire de se figer dans leur rôle de mères, d’épouses, de concubines : élever les enfants,
d’être de cheffes de ménages, commerçantes. Qu’elle se nomme famille ou ménage, cette
structure concilie incapacité politique des femmes et virilité des hommes. Les hommes ont
un pied dans l’un et l’autre site. Leur pouvoir s’étend de la famille, du foyer à l’espace
politique et vice versa. Pour être homme politique, il faut souvent une aide à la maison. La
responsabilité des femmes au sein du foyer va de pair avec la construction du monopole
masculin du pouvoir et l’autocensure politique des femmes.
Si les subalternes et les élites sont libres de partir à la conquête du pouvoir, de participer à
la guerre, c’est parce que la plupart des femmes s’autocensurent et assurent le bien-être des
315
enfants. Les élites s’attendent à ce que les femmes prennent soin des enfants, préparent le
tissu social, gardent la cohésion sociale et familiale. À ce titre, les propos des personnes
qui ont participé à la recherche indiquent que les Haïtiennes vivent dans une société où le
pouvoir reste le bastion des hommes. Dans cette configuration historique des rapports de
pouvoir, le machisme tend souvent à s’associer et à s’opposer, en contexte postcolonial
caribéen, à une figure de femmes inspirée du (« marianisme »), du (« poto mitan » « pilier
central »). C’est le culte de la mère (Capdevila, 2008), la femme comme alibi, une figure
de femme au chevet de la nation (Dorlin, 2004). C’est dans ces figures-là que les femmes
plaisent surtout aux hommes.
Dans une revue de la littérature sur les femmes et la représentation politique dans l’espace
caribéen, Brohan (2019) constate la coexistence d’un ordre social « matrifocal » et d’un
ordre politique patriarcal. Ces ordres agissent dans un paradoxe apparent, dans la mesure
où ils sont à la fois distincts, hiérarchisés, complémentaires. Sa recherche part de :
Une bonne femme, à qui l’on évite le procès d’illégitimité, d’incapacité dans le domaine
de la représentation politique, c’est la mère de la nation, celle qui s’occupe de son foyer.
Lorsque cette figure de femmes accède à l’espace public, est reconnu comme sujet
politique, c’est au prisme du stéréotype de protectrice de la nation. Cette figure stéréotypée,
fondée sur un lien supposé naturel entre femme, maternité et nation, dans le contexte de la
culture hétérosexuelle et normative dominante, héritée du catholicisme, peut être analysée
comme un phénomène de pouvoir.
Dans la moitié du 19e siècle haïtien, la virilité politique, qui était un privilège des élites, est
devenue, depuis la révolte des Piquets, constitués des paysans et des soldats, accessible aux
subalternes. Les soldats, les paysans ont cassé ce monopole pour pouvoir accéder à des
positions de pouvoir. Les femmes ont dû, à leur tour, attendre beaucoup plus tard, soit près
de cent ans, pour conquérir leur citoyenneté politique. Entre 1950 et 1957, l’État a reconnu,
de manière lente et progressive, à échelle locale puis à l’échelle nationale, le droit de vote
et d’éligibilité des femmes. Dissociés d’un intervalle de sept ans, ces deux évènements
symbolisent la volonté d’une catégorie de femmes de transgresser certaines normes et les
stéréotypes sexistes pour accéder au pouvoir, un univers masculin.
Depuis les années 1950, un peu après, des Haïtiennes, appartenant à la petite bourgeoisie,
ont fait leur apparition sur l’échiquier politique en prenant part au processus de désignation
des dirigeants. Elles ont pu vaincre la peur, transgresser les codes masculins, les stéréotypes
pour affirmer leur ambition politique par leur présence au rendez-vous électoral de 1957;
en minorité, elles ont pu accéder à l’espace politique institutionnalisé. Brohan (2019, p. 22)
a observé, par la suite, cette dynamique de présence et d’absence chez les femmes qui sont
actives sur la scène politique aux Antilles et dans les Caraïbes. Elle a mis l’emphase sur
l’aspect paradoxal de cette figure de femmes.
D’autres études montrent que ces femmes politiques sont parfois prises en étau entre
plusieurs types de stéréotypes. Comme l’indique une personne qui a participé à cette
recherche, des femmes sont présentes au sein des partis pour exécuter, au profit d’hommes,
les basses œuvres. On les appelle « femme dépourvue de féminité » ou « féminité virile ».
La plupart des hommes politiques croient que si des femmes font carrière en politique, c’est
parce qu’elles incarneraient les normes de masculinité. Elles seraient des femmes fortes,
des traîtresses. Elles sont décomplexées par rapport à l’usage de la violence, aux pratiques
de copinage, de démagogie, aux manipulations politiques.
Les « héritières » sont une autre figure de femmes politiques, celles se trouvant dans une
relation paternaliste avec un mentor politique. Elles ont des ambitions politiques et ont pu
y parvenir sous la protection, la direction d’un prédécesseur. Nos répondant.e.s invoquent
le cas d’un proche parent ou ami qui, par son itinéraire, son ancrage au sein du parti, et son
capital politique, introduit la jeune femme en politique en la préservant du harcèlement et
d’autres formes de sexisme politique. Certaines femmes ont pu évacuer la peur et sont
devenues cheffes de partis politiques, ministres, candidates, conseillères électorales. Elles
associent leur parcours politique atypique, leur succès à la rencontre avec un mentor. Ces
femmes qui sortent du chemin qui leur a été tracé nous renvoient à l’article de Achin, Dorlin
et Rennes (2008) sur l’émergence de ces figures de femmes en politique :
Ces stéréotypes supposent que les hommes sont les seuls corps, les seules figures politiques
légitimes. Les femmes, soit qu’elles se trouvent dans l’autocensure en incarnant la figure
de bonne épouse, de mère responsable, de mère de la patrie, soit qu’elles osent sortir de la
marge en masquant sa féminité, soit qu’elles acceptent d’être introduites sur l’échiquier
politique par mentor capable de les préserver du sexisme qui règne au sein des partis. La
318
« femme politique » reste donc une figure stéréotypée, illégitime, une figure d’exception,
une femme trop féminine ou en perte de sa féminité.
La distinction des rôles féminins et des rôles masculins dans la société haïtienne découle
de la croyance selon laquelle il y aurait incompatibilité entre femmes et pouvoir, que la
politique serait faite par et pour les hommes. La perception qu’on se fait des femmes et de
la politique justifie les comportements stéréotypés, les pratiques discriminatoires vis-à-vis
les femmes dans les institutions qui incarnent l’ordre social et politique. Le but de cette
violence, basée sur la virilité, est de maintenir les femmes éloignées de la politique, donc
de les confiner dans des rôles définis à partir de leur présupposée identité sexuelle. C’est
qui explique la rareté de femmes dans les positions pouvoir, dont la sphère politique.
Le dispositif de pouvoir que l’on vient de décrire s’incarne dans des institutions, oriente
les conduites des acteurs, les pratiques qui s’établissent entre eux. À côté de cet aspect
perceptif, il y a la responsabilité de l’État, des partis politiques et de la société civile dans
la situation politique des femmes. Autrement dit, si la perception négative des femmes au
pouvoir explique, en partie, leur faible représentation au Parlement, il faut aussi examiner
la manière dont le système politique les traite pour trouver l’autre partie de l’explication.
Ce traitement, ces pratiques s’entendent comme des formes d’expression des désirs des
élites politiques à limiter ou à favoriser l’accès des femmes à la tête de l’État, des partis
politiques. Dans ce contexte, il importe de considérer 1) la normalisation du cadre pour
élire les dirigeant.e.s ; 2) le traitement des femmes au sein des partis politiques ; 3) le rôle
des acteurs de la société civile locale et de l’international dans la vie politique en Haïti.
Dans la partie qui est consacrée à l’analyse des propos recueillis auprès des répondants,
trois chapitres ont examiné les responsabilités de l’État, des partis politiques, des groupes
de femmes et des agences internationales dans la situation de femmes en politique en Haïti.
Les participant.e.s ont donné leur opinion sur les pratiques qu’elles.ils observent au sein de
la machine électorale, des partis politiques et leurs répercussions sur la féminisation du
319
champ politique. Ces personnes décrivent un État, des partis politiques qui recourent à des
pratiques défavorables à l’accès des femmes aux postes électifs. Ces acteurs profitent de la
timidité du mouvement de femmes et du faible appui de l’international à l’imposition d’une
loi de quota de femmes en politique, en Haïti, pour pervertir le processus de désignation
des dirigeants en y instaurant la violence, la corruption, l’impunité.
Pour interpréter les témoignages de nos participant.e.s sur les pratiques électorales en Haïti,
nous utilisons la notion de système électoral pour croiser leurs observations, leurs discours
et l’objet d’étude. On entend par système électoral l’instance qui gère le processus de vote
et qui produit les verdicts électoraux. Produire ces verdicts, gérer les opérations de vote,
c’est contrôler les interactions entre les acteurs qui sont concernés par les compétitions
électorales (Lehingue, 2005). Le système électoral s’inscrit dans un régime politique qui
se dote des institutions dont chacune accomplit une activité spécifique. Le régime politique
définit les rapports entre les instances de pouvoir de l’État, entre l’État et ses organes, entre
l’État, ses organes et la société. Le régime lie un ensemble d’éléments qui permettent de
définir, d’identifier une forme de gouvernement dans un pays donné et pendant une période
bien déterminée. Ces éléments sont, entre autres, d’ordre historique, idéologique,
institutionnel et sociologique (Quermonne, 2016).
Le régime politique et ses institutions façonnent les pratiques, le comportement des acteurs.
Du point de vue analytique, le régime permet de définir le système politique et sa mise en
cohérence, donc sa logique et la façon dont il agence ses institutions, les différents ordres
d’activités que les acteurs politiques entreprennent. Il forme donc un : « […] tissu des
relations régulières entre l’État, les acteurs politiques établis, leurs rivaux et adversaires, et
320
certains acteurs extérieurs, notamment les autres États » (Tilly et Tarrow, 2015, p. 93). Si
le régime permet d’identifier la forme de gouvernement, il se distingue de l’État qui renvoie
au : « […] système politique (démocratique ou autoritaire) et la structure institutionnelle
(unitaire, décentralisée ou fédérale » (Massie et Lamontagne, 2019, p. 129).
Il importe, pour saisir les enjeux des élections dans une société, dont Hatti, de considérer
l’histoire des formes de pouvoir qui ont gouverné ce pays. Dans un ouvrage sur la question
électorale, Moïse (2015) décrit les difficultés qui ponctuent l’histoire et l’actualité des
élections en Haïti. En effet, ce pays a proclamé son Indépendance le 1 er janvier 1804. Les
dirigeants du jeune État ont désigné Jean Jacques Dessalines gouverneur général à vie. En
1805, ce général de l’armée indigène, qui a mené la guerre de l’Indépendance, a abandonné
le gouvernorat pour un régime impérial. Le 17 octobre 1806, des généraux en rébellion, à
cause des mesures pour assainir l’administration publique, l’ont assassiné et, ainsi, mis fin
à son régime. D’après Moïse (2015), après la guerre de libération nationale, l’armée va
occuper, jusqu’à 1994, une place centrale dans l’organisation du système politique haïtien :
À la suite de cette insurrection qui a abouti à la chute de l’Empire, les différentes fractions
de l’Armée, dont les généraux vont mettre en place en place un gouvernement provisoire,
ayant à sa tête le général Henri Christophe, successeur légitime de Dessalines. Ce pouvoir
de transition, le tout premier de l’histoire politique d’Haïti, va choisir la formule électorale
pour normaliser les institutions politiques du pays et combler le vide laissé par l’assassinat
de l’Empereur et la chute de son régime. Christophe, depuis son fief, dans région du nord
d’Haïti, particulièrement dans la ville du Cap-Haïtien, va décréter, dès le 23 octobre 1806,
des élections sur toute l’étendue du territoire national. L’objectif de ces élections était de
former l’Assemblée politique qui devrait préparer une nouvelle constitution et choisir un
nouveau président.
321
Les actes de corruption qui ont marqué le processus de choix des délégués devant former
l’Assemblée constituante ont fissuré l’alliance entre deux héritiers légitimes du pouvoir,
c’est-à-dire ceux qui étaient en position pour remplacer l’Empereur : Alexandre Pétion et
Henri Christophe. Ces élections ont provoqué la guerre civile de 1807 à l’issue de laquelle
le pays sera divisé en deux États, deux régimes politiques distincts. Christophe a instauré
la royauté (1807-1820) dans la partie Nord du pays et Pétion se fait élire Président de la
République dans l’Ouest. À partir de ce fait, Moïse (2015, p. 19), déduit que, de 1806 à
nos jours, la question électorale qui s’articule : « aux conjonctures historiques de crise,
prend diverses formes et reçoit des traitements en fonction du rapport des forces et des
conditions sociopolitiques du moment ».
Outre l’insurrection, voie privilégiée d’accès au pouvoir, un acteur politique invoque, dans
un ouvrage sur élections et crises politiques un autre phénomène qui caractérise le système
politique haïtien. Il s’agit de l’omniprésence du chef de l’État.
Parmi les éléments qui caractérisent la vie politique, en Haïti, l’on peut retenir : le
présidentialisme, la prééminence de l’Armée, la violence, des pratiques politiques teintées
de corruption et des crises récurrentes. Les violences armées, la corruption et les situations
de crise qui en découlent pérennisent le pouvoir du Président, le régime présidentialiste.
Le système politique haïtien est fondé sur l’omnipotence d’un Président, du Monarque,
plutôt que sur l’équilibre des rapports entre les pouvoirs de l’État. Le mouvement de
contestation qui a abouti au départ de la dictature, le 7 février 1986, voulait se défaire de
ces pratiques politiques pour établir un système démocratique, un État de droit dans lequel
les élections constituent la voie légitime pour accéder au pouvoir.
322
D’après Sulima (2015, p. 18), le système électoral s’entend comme « la totalité des normes
et des modalités relatives à la tenue des élections » et « un instrument de démocratisation
dans une société postautoritaire ». Ce détour historique et cette définition nous ramènent à
l’actualité de la question politique et électorale qui est marquée, en Haïti, par, entre autres,
deux éventements : l’écroulement du régime dictatorial en 1986 et le vote par référendum
de la Constitution de 1987. Ces deux évènements ont inauguré un processus de réformes
politiques et institutionnelles devant orienter la transition vers la démocratie.
Quermonne (2016) rappelle que tout nouveau régime politique s’instaure en contradiction,
nous ajoutons, mais aussi, en continuité avec celui qui le précède. Samuel Madistin, dans
son article qui s’intitule Les attributions du Parlement dans une société démocratique, dit :
C’est pour éviter les tentatives de confiscation du pouvoir que la Constitution de 1987 a
établi un État unitaire et décentralisé composé d’un Pouvoir exécutif, d’un Parlement et
d’un appareil judiciaire indépendant. Le Président, chef de l’État, est élu au suffrage
universel direct. Il choisit un premier ministre issu du parti majoritaire au Parlement. La
souveraineté nationale s’exerce sur l’ensemble des citoyen.ne.s par un pouvoir exécutif
bicéphale et un Parlement bicaméral. Seule autorité législative, le Parlement ratifie le
gouvernement, surveille, contrôle sa conduite et lui donne ses moyens d’action. Le
gouvernement émane du Parlement ; le premier ministre, chef du gouvernement, doit avoir
la confiance du Parlement devant lequel son cabinet est responsable. La Constitution de
1987 centre donc le gouvernement sur le Parlement ; cela correspond bien à une démocratie
parlementaire.
323
Le système politique est fondé sur la séparation et l’équilibre des pouvoirs. Pour établir la
balance, en parallèle à l’exécutif et au législatif, se trouve le pouvoir judiciaire. Parce que,
en réalité, il ne faut pas sous-estimer l’importance, dans la culture politique haïtienne, des
deux paliers de l’exécutif, la Présidence et la Primature, qui tendent à accroitre leur pouvoir
au détriment des autres pouvoirs. D’où les crises qui ponctuent l’histoire et l’actualité des
relations entre les pouvoirs. Ces perturbations entravent les mécanismes de séparation de
pouvoir et l’équilibre institutionnel qu’ils devraient créer et garantir. La Constitution de
1987 veut, en établissant ces institutions, éviter les pratiques autoritaires, de concentration
du pouvoir dans les mains de l’exécutif, d’un homme fort.
Le Conseil électoral permanent (CÉP) est l’organe de gestion de trois catégories de scrutin :
En Haïti, le système électoral est centralisé. Le CÉP, à travers son cadre institutionnel et
légal, exerce une autorité quasi absolue sur l’organisation des scrutins à l’échelle nationale.
La Constitution de 1987 ne prévoit la formation qu’un seul Conseil électoral provisoire qui
devait tenir les premières élections de l’ère post-autoritaire. Après, l’État devrait mettre en
place une autorité électorale permanente. Sur ce sujet, Moïse (2015) dit :
324
La constitution de 1987 place l’organisme qui organise les élections dans le chapitre des
institutions indépendantes. Il s’agit du Conseil électoral permanent (CÉP). Le CÉP désigne
aussi le Conseil électoral provisoire, l’institution chargée de gérer les élections en attendant
la normalisation institutionnelle qui devrait amener à un Collège électoral permanent. Le
mandat de l’organe provisoire devrait : « prendre fin dès l’entrée en fonction du Président
élu » (art. 289-3) aux scrutins de 1987. Mais l’État haïtien résiste à former une structure
permanente. Depuis : « […] les élections ont été alors organisées au gré des circonstances
politiques par des CÉP d’occasion formés sur une base consensuelle, souvent dans l’esprit
de l’article 289 » (Moïse, 2015, p. 37).
Lors des négociations aboutissant à des accords politiques de circonstance (Moïse, 2015),
les yeux se tournent vers la formation et la composition du CÉP. Chaque acteur aimerait
avoir le contrôle de l’appareil électoral, puisque c’est, entre autres, par cette manœuvre
plutôt qu’aux urnes que se joue l’issue d’un scrutin. L’organe électoral de circonstance,
parce que la Constitution ne prévoit qu’un seul conseil électoral provisoire, entre dans cette
pratique de dirigeants de détourner le droit par un droit d’exception. Du coup, le droit de
circonstance est devenu, en Haïti, une rationalité de gouvernement.
Le CÉP est l’organe qui arbitre, organise les compétitions politiques et garantit la légitimité
des verdicts électoraux. C’est donc une institution centrale dans la vie politique du pays.
Organe chargé d’administrer les scrutins, le CÉP devrait inspirer, par sa capacité et sa
volonté à conduire en toute objectivité et avec honnêteté les processus électoraux, la
confiance chez les acteurs politiques. Les répondant.e.s indiquent que, au contraire, le CÉP
325
n’inspire pas confiance aux acteurs politiques, en particulier aux femmes. Le non-respect
de la législation électorale est l’une des preuves de nature à confirmer l’idée que ceux qui
détiennent le pouvoir ont tendance à se livrer à l’illégalité, au népotisme et à l’impunité.
Ils sont donc : « […] peu soucieux du respect des normes de droit et de l’exercice de
l’autorité formellement encadrée dans les institutions » (Moïse, 2015, p. 244).
Aujourd’hui, plus de 30 ans après la Constitution de 1987, on est encore dans le provisoire.
Thélot (2017) a soutenu que c’est le caractère hégémonique de situations provisoires qui
est à l’origine des crises récurrentes, des turbulences politiques en Haïti. Le caractère
centralisé et provisoire du Conseil électoral facilite sa mise sous tutelle par les autorités
politiques. Cette contradiction se manifeste dans différentes formes. Le provisoire permet
d’enfreindre la loi électorale sous pression et menace des acteurs politiques dominants. La
violation de la loi électorale facilite le favoritisme qui permet à un concurrent de prendre
de l’avance sur un autre. Il affecte aussi la crédibilité et l’intégrité de l’institution électorale
et les décisions qu’elle prend.
Selon la Constitution de 1987, les partis politiques constituent l’un des rouages du régime
politique (Moïse, 2015, p. 36). Chaque parti est formé d’individus, de pratiques, de normes,
de croyances, de représentations qui sont liés à une forme d’organisation du vivre ensemble
et du bien vivre. Le système partisan organise les pratiques et les croyances, donc les
relations sociales ayant rapport au jeu, à la compétition pour accéder au pouvoir. C’est en
vertu de cette forme spécifique d’activités sociales et des règles qui la régissent que les
326
acteurs s’associent en partis politiques. Le système partisan renvoie à une forme instituée,
normée des enjeux et des luttes qui produisent les acteurs et les groupes politiques.
Quand on révise les écrits sur les partis politiques, en Haïti, de 1987 à nos jours, le premier
constat renvoie à leur mode d’organisation. 1987 correspond à l’année du vote, par
référendum, de la Constitution dans laquelle les partis politiques sont inscrits comme des
institutions qui, en s’organisant, contribuent à l’éliminer l’insurrection (Delince, 1993)
comme voie d’accès privilégié au pouvoir et à instaurer les élections libres, pluralistes,
sincères et pacifiques comme la voie légitime pour y accéder. Force est de constater que
les partis politiques accusent un sérieux problème du point de vue organisationnel, de
structuration. Ils ne forment pas de structures durables capables d’encadrer politiquement
les citoyen.n.es (Delince, 1993, p. 141-142).
Les difficultés qui jonchent le chemin devant amener à la structuration des partis politiques
trouvent leur sens dans l’histoire politique du pays et dans les luttes de pouvoir auxquelles
les acteurs se livrent l’intérieur de ces institutions. Ce passé dictatorial stimule encore les
327
intérêts des élites politiques pour résister au changement, à l’innovation dans la manière
d’organiser et d’animer la vie politique du pays. L’organisation et le fonctionnement des
partis politiques, en Haïti, s’inspirent davantage de cet héritage que de la Constitution de
1987. D’après Moïse (1990, p. 456), au-delà des lois, des institutions à établir et parce que
les péripéties des luttes de pouvoir mettent souvent la Constitution en veilleuse : « D’autres
exigences et non des moindres, en relation étroite avec les rapports sociaux, avec notre
héritage politique et l’organisation de la lutte du peuple, se présentent pour que se
concrétisent les espérances démocratiques ».
Les hommes sont bien placés pour dominer les partis et, bien sûr leurs ressources humaines,
financières et organisationnelles. Les acteurs qui contrôlent les sphères d’influence des
partis contrôlent également leur politique de recrutement des adhérents et le processus de
nomination des candidatures. Comme le rappellent les répondant.e.s, la transparence n’est
pas au rendez-vous dans le processus de nomination des candidatures et dans celui qui
conduit à la désignation des élus et des élues pour les postes politiques. Tout se fait selon
la volonté des chefs et des notables des partis politiques. Non démocratisé, le processus de
désignation des membres qui portent les couleurs des partis n’aboutit que rarement à la
nomination des femmes. Parce que, non seulement elles sont minoritaires au sein des partis,
mais elles sont discriminées, subissent un sexisme politique lors du processus de
recrutement.
différence entre Haïti et France, c’est que le système de partis, en Haïti, ne se structure pas
à partir de courants idéologiques, de clivages.
Selon les constats et les points de vue de nos répondant.e.s, le processus électoral réduit le
nombre de femmes qui arrivent au pouvoir. Cela si l’on tient compte du pourcentage de
femmes inscrites sur les listes de candidatures et de la proportion des femmes élues au
terme d’un scrutin. Elles.ils expliquent que ce phénomène trouve son origine dans les
pratiques de harcèlement, d’intimidation, de violence qui rendent les candidates et les
candidats d’autant plus inégaux devant l’élection qui est la porte d’entrée légitime aux
assemblées politiques. Comment ces pratiques s’inscrivent-elles dans le système politique
haïtien ? Sont-elles des formes d’articulation, d’arbitrage des rapports de force entre les
acteurs politiques ?
Haïti est un pays où les conflits, les crises, les instabilités politiques ne manquent pas.
Depuis le départ du régime dictatorial en 1987, Haïti a connu des crises politiques répétées,
de catastrophes naturelles, des crises socioéconomiques. Il y a aussi le passé dictatorial qui
fait peser sur la population haïtienne un système de corruption, des violences politiques et
des scrutins falsifiés. Les fraudes électorales, le trucage des résultats des urnes et les
mouvements de protestation qui s’en suivent entrainent le pays dans l’instabilité politique
et un processus de transition politique à n’en plus finir.
Il y existe quantité de littérature sur la place de la violence dans les pratiques politiques en
Haïti. Plusieurs auteurs remontent à l’histoire de la société haïtienne pour comprendre la
329
persistance, la prégnance des actes de violence dans le jeu politique, dans le jeu de pouvoir.
À travers les comportements des acteurs et les formes de luttes de pouvoir dans lesquelles
ils s’engagent, ces pratiques ont traversé, marqué l’histoire sociale et politique en Haïti.
Sur les pratiques de violences aux élections, en Haïti, il y a le travail de Benoit (2019).
Cette recherche défend la thèse selon laquelle les « batailles électorales » engendrent, de
manière récurrente, des crises politiques. D’après l’auteur, ces perturbations constituent :
« le facteur politique principal qui a bloqué et qui bloque encore la marche d’Haïti vers la
modernisation politique, économique et sociale ». On peut aussi consulter Étienne (2019)
qui constate l’impossibilité de normaliser la vie politique en Haïti, malgré les nombreuses
expériences électorales tentées de 1987 à 2017. Pour lui, les élections, en Haïti, c’est
comme une guerre, la : « […] victoire est tout simplement un butin de guerre » (Étienne,
2019, p. 297). Il explique que « […] chaque processus électoral constitue un épisode de la
guerre électorale, avec son cortège de calamités : massacres […], assassinats, nomination
de candidats patronnés par le pouvoir et/ou les forces de l’argent. Le tout de concert avec
le département d’État américain […] » (Étienne 2019, p. 336).
Comme le rappelle une ancienne conseillère électorale, Chérubin (2014, p. 65) : « […]
l’histoire récente des élections haïtiennes se présente comme un feuilleton truffé
d’aventures les unes plus curieuses que les autres, quelques fois rocambolesques ». La
violence, avec laquelle des acteurs politiques développent une affinité, tient donc une place
fondamentale dans la représentation collective et dans l’histoire politique en Haïti. Quelle
que soit sa forme, symbolique ou structurelle, directe ou implicite, son intensité, dès qu’on
parle de la lutte pour le pouvoir, la violence vient à l’esprit. Ce phénomène a des incidences
sur la manière de penser et de faire la politique. Le phénomène de violence électorale
s’enracine dans une : « culture politique et de partis basée sur la force brute et la destruction
de l’adversaire » (Étienne (2019, p. 102). En Haïti, les autorités ont une culture d’écart ou
de détournement du droit, des règles du jeu politique. Donc, elles ont, comme par habitude,
la capacité d’enfreindre le droit électoral qui exige la pacification du jeu électoral. La
Constitution établit un système politique à caractère démocratique. Dans une démocratie
basée sur le pluralisme idéologique : « […] les conflits d’intérêts, les affrontements
330
d’idées, les oppositions de croyances sont naturels et constituent la toile de fond des luttes
politiques les plus routinières. Mais ils doivent rester pacifiques (Meyran, 2011, p. 57).
En Haïti, plutôt que par la négociation, le consensus, c’est par et dans la violence que les
problèmes politiques trouvent souvent leur issue. Ces pratiques retardent le processus de
normalisation des institutions politiques du pays. Les violences, qui réactivent une situation
de crise, qui aggrave une conjoncture de crise, constituent un point de basculement dans
l’instabilité politique, vice versa. La situation de crise renvoie au caractère permanent des
perturbations sociales, politiques, économiques et environnementales. On peut prendre
l’exemple du phénomène de l’insécurité qui constitue en Haïti « […] une préoccupation
constante » (Moïse, 2015, p. 44). Il y a aussi le fait que : « L’après-Duvalier met à nu la
crise de l’État sur fond de crise socioéconomique aigüe […] » (Étienne, 2019, p. 80). La
notion de conjoncture de crise s’applique à la fluctuation, au caractère immédiat, passager,
transitoire (Gramsci et Paris, 1978) des perturbations politiques.
La crise est une construction sociale de l’état d’une réalité qui résulte de la situation des
rapports de force en présence. La crise est ainsi l’une des formes de manifestation du
phénomène de violence. Les périodes de crises politiques désignent, de manière spécifique,
des situations qui perturbent le processus de normalisation de l’État ou du régime politique
(Dobry, 2009) ainsi que du processus électoral.
Les crises, les pratiques de violence et de corruption électorale sont imbriquées. Les crises
font régner une situation d’incertitude sur le dysfonctionnement des institutions politiques,
donnent le flan aux pratiques de corruption, d’impunité. Par exemple, Étienne (2019, p.
198) dit : « En matière électorale, tout est donc achetable : votes, employés de la machine
électorale et conseillers électoraux ». Il poursuit : « [celui qui contrôle le CÉP gère la
machine électorale et l’utilise au profit de son clan politique] » (p. 211).
En Haïti, l’idée du pouvoir est liée à l’histoire de la dictature, des pratiques de violences,
de corruption qui marquent la vie politique du pays. Malgré les mutations survenues sur la
scène politique au fil des ans, dont le processus de transition vers un système démocratique,
l’émergence de nouvelles forces politiques (le système de partis), les pratiques politiques
331
restent fondées sur une culture de violence. C’est presque une constante dans le jeu de
pouvoir en Haïti. Quels sont les effets de ces pratiques sur le processus de désignation des
femmes pour les électifs en Haïti ?
Moïse (2015), Étienne (2019), Benoit (2019) ont bien décrit comment les élections se
transforment souvent en guerre, en scène de violence. Ils ont également fait ressortir leurs
incidences sur la normalisation des pratiques politique. Étienne (2019, p. 297) compare les
élections à : « […] un combat inégal, car les concurrents n’ont pas un accès égal à l’argent,
le nerf de la guerre », à la violence, à la corruption. La nuance qu’ils n’ont pas ajoutée,
c’est qu’à l’issue de ces guerres, ce sont surtout les hommes qui arrivent au pouvoir. Ces
guerres ont donc un lien avec le phénomène de rareté de femmes dans les postes politiques
dominants. Puisqu’elles s’apparentent à une bataille arrangée entre une « communauté » de
frères pour marginaliser, entre autres, les femmes. C’est ce que nous pourrions appeler une
conspiration masculine ; et c’est l’aspect de genre de la bataille électorale que notre terrain
de recherche a permis de restituer. Les participantes déplorent les violences, aux préjugés,
les injustices, les discriminations vis-à-vis des femmes dans le jeu politique. Ces violences
ont des impacts réels sur l’intégration politique des femmes et leur élection. Car, elles
constituent des outils de dissuasion, pour empêcher que plus de femmes arrivent dans les
espaces de pouvoir. Cette guerre s’introduit dans une stratégie qui, depuis les élections de
1990, voire avant, si l’on se réfère à l’historienne Suzy Castor (1994) et à la très regrettée
mémoire militante féministe Myriam Merlet (2002), engendre des crises politiques, et qui,
surtout, reproduit la sous-représentation des femmes sur la scène politique.
Les actes de corruption, de violence, les coups bas, les manigances, le copinage sont des
facteurs qui découragent les femmes à participer au jeu politique. Dans la littérature sur les
élections en Haïti, la violence politique est rapportée, racontée du point de vue des hommes.
La plupart des études ne prennent souvent pas en compte ni les femmes qui résistent à cette
forme de violence ni celles qui les subissent en s’interdisant de prendre part au jeu politique
et électoral. La violence ne ponctue pas seulement le jeu électoral, la vie politique, elle ne
rend pas seulement inégale la concurrence entre les hommes pour se hisser au pouvoir, elle
fait partie d’un dispositif pour maintenir le plus grand nombre possible de femmes loin du
pouvoir. Cette violence brutale va de pair avec une violence douce, symbolique, avec un
332
discours qui entend légitimer le schème de perception, d’appréciation (Bourdieu, 2016) des
femmes, la marginalisation politique des femmes, les préjugés vis-à-vis des femmes.
La situation de crises incite à la violence, c’est un terroir fertile pour le sexisme politique,
la discrimination vis-à-vis des femmes en politique. Si l’argent et la violence sont le nerf
des élections en Haïti (Étienne, 2019), les femmes sont souvent privées de ces ressources.
Aucun soutien financier n’est accordé aux femmes, parce que, dans l’imaginaire politique,
le candidat gagnant, c’est celui qui a accès aux forces de violence, à l’argent et qui pratique
la corruption. En outre, la pauvreté, la misère aggravent plus en plus les conditions de vie
des femmes qui, à quelques exceptions, assument presque toutes seules les responsabilités
familiales.
Les actes de violence, de corruptions et les crises politiques qui en découlent constituent
un obstacle au désir des femmes de se faire élire, à leur ambition politique. Les femmes
qui se disent autorisées à faire la politique subissent le sexisme, la discrimination dans la
mesure où les hommes suscitent et mettent en scène la terreur, lors des élections, pour
mettre les femmes à la marge du champ politique institutionnalisé. Ce type de répertoire
d’actions est activé afin de garantir un monopole quasi masculin de pouvoir. Elles font
donc partie du dispositif de la domination masculine ; c’est donc une forme de patriarcat.
Le système politique interagit avec les groupes de pression qui se trouvent au sein de la
société. Ce déplacement du point de vue des acteurs permet de voir comment le mouvement
333
de femmes, les femmes au sein des partis politiques, des personnalités féminines en dehors
et/ou au sein de l’État portent la demande de quota en Haïti. Ces gens, ces groupes forment
un réseau d’acteurs autour du quota. La mobilisation des femmes confère un sentiment de
légitimité à la lutte pour le quota pour les femmes. Les propos recueillis auprès de nos
répondant.e.s laissent croire que si le processus d’application du principe de quota retarde,
c’est à cause du laxisme, du désintérêt et de la résistance des élites politiques. Mais, elles.ils
évoquent la timidité du réseau de femmes qui portent cette revendication et qui devraient
exercer la pression sur les partis politiques et l’État pour faire avancer cette lutte.
Pour comprendre l’engagement des femmes et des groupes de femmes dans la féminisation
de la sphère politique en Haïti, il faut saisir le contexte d’émergence de ce mouvement
social, son intérêt pour la présence des femmes sur la scène politique et l’actualité de la
demande de quota pour les femmes. Les premiers groupes de femmes qui forment le
mouvement de femmes contemporain, en Haïti, ont pris naissance dans les années 1986 à
1991. C’est à cette période que les organisations de femmes ont commencé à se positionner
dans les débats sociopolitiques. Ils ont introduit dans le débat public des thématiques telles :
l’éducation populaire, l’alphabétisation des femmes, la mise en place de centres d’aide aux
femmes victimes de violences à caractère sexuel, la démocratie et la justice sociale.
Les groupes de femmes ont posé leur première action politique peu après la dictature, soit
le 3 avril 1986. Plusieurs associations ont mis ensemble leurs expériences pour réaliser ce
qu’on pourrait baptiser l’acte fondateur des luttes féministes et féminines dans le contexte
post-dictatorial et de transition vers la démocratie. C’est la grande marche des Haïtiennes ;
cet évènement national reste gravé dans la mémoire des luttes des femmes. Cette marche a
donné une grande visibilité aux groupes de femmes, à leurs revendications. Selon Côté
(2014a), spécialiste à l’international du mouvement féministe contemporain haïtien :
Solidarité des femmes haïtiennes (SOFA) et Kay Fanm (Maison des femmes) sont les
groupes le plus représentatifs du mouvement de femme et en constituent, par conséquent,
la base. D’autres associations, comme Enfo Fanm (Info-Femmes), arriveront peu après sur
la scène. Cette période coïncidait à la fin du régime répressif, de l’État policier et au début
de la transition vers une démocratie, un État de droit. Entre temps, un évènement important
s’est produit. Ertha Pascal Trouillot, juge à la Cour de cassation, a été nommée Présidente
provisoire d’Haïti, en 1990. Sous sa présidence se sont tenues, avec l’assistance de l’ONU
(Pouligny-Morgant, 1998), les premières élections démocratiques, ouvertes auxquelles
Aristide a été élu Président. Ces expériences stimulent la mutation qui s’observe dans
l’imaginaire politique et la perception des femmes en politique. Même s’il faut rappeler
que la juge Trouillot a accédé au pouvoir, sans élection, dans une conjoncture de crise.
De 1986 à 1994, si l’on retire les sept mois de la présidence d’Aristide, l’État se montrait
hostile à l’affirmation du mouvement des femmes. Les militantes prenaient une distance
avec la politique officielle, récusaient un État à caractère patriarcal qui protège les intérêts
hommes, des dominants. Pour les groupes féministes, en partie d’inspiration de gauche, il
n’était pas question de coopérer avec un État qui maintient et qui reproduit la domination
masculine à travers ses actions. Les organisations de femmes ont dénoncé et politisé les
violences sexuelles subies par les femmes pendant les ans du coup d’État : 1991-1994. Les
militaires utilisaient les agressions à caractère sexuel comme un outil de répression.
L’autre élément qui a marqué ce contexte est la forte présence des ONGI et OI dans le
paysage politique et associatif haïtien. Les militantes ont résisté contre les putschistes ; des
femmes ont subi des violences pendant les trois ans du coup d’État. Les groupes de femmes
ont mené des campagnes à succès contre les violences à l’égard des femmes pendant cette
période. Ces associations disposent d’une assise sociale surtout dans les milieux urbains et
représentent un enjeu politique aux yeux de la classe politique, des acteurs internationaux
et de la société civile. C’est dans ce contexte qu’ils vont commencer à s’affilier au réseau
féministe international ; les agences internationales de coopération ont également renforcé
leur appui technique et financier aux groupes de femmes. Cette mutation a coïncidé à la
seconde étape du processus d’institutionnalisation du mouvement des femmes ; elle est
caractérisée par des pratiques d’incorporation de la logique des ONGI, OI qui est fondée
sur une logique plutôt humanitaire que militante. Les associations n’abandonnent pas la
lutte contre les violences aux femmes, mais l’on assiste à mouvement de reconversion de
leurs ressources dans des activités à caractère philanthropique.
336
Ces mutations se sont opérées vers la fin des années 1990 où, à échelle internationale, de
nouvelles problématiques ont réintégré l’agenda de certains groupes qui forment un réseau
féministe transnational. Elles s’agissaient de : démocratie, participation politique féminine,
féminisation de la pauvreté et développement durable. C’est dans ce contexte que des voix
vont commencer timidement à dénoncer la rareté des femmes dans les hautes sphères
politiques et administratives du pays. Elles revendiquent l’intégration d’une dimension de
genre dans les politiques publiques. On s’achemine doucement vers la fin du 20e siècle et
l’ONU a lancé les activités préparatoires de l’Année internationale de la Culture de la Paix.
Les pays membres de l’ONU, les réseaux d’acteurs non gouvernementaux devaient prendre
de mesures relatives à la célébration de cette année en 2000. La participation politique des
femmes a été considérée et retenue comme l’un des chantiers de la construction d’une
culture de la paix. Il s’est lancé, à cette époque, la Marche mondiale des femmes, un
mouvement contre le patriarcat, le néolibéralisme. La Coordination nationale de plaidoyer
pour les droits des femmes (CONAP), une fédération de groupes féministes (Côté, 2014a),
a aussi été très active dans cette période.
Ce double virement met le mouvement des femmes en vue et en position pour coopérer
avec d’autres acteurs, mais aussi pour se battre pour garantir leur autonomie face à l’État
et aux ONGI qui veulent étendre leur influence sur la société civile. L’articulation entre la
logique des ONGI, la logique militante et l’interaction avec l’État suscitent des tensions et
des critiques au sein de certains groupes féministes. Du coup, l’enjeu est de pouvoir
articuler ces trois logiques d’action (militante, humanitaire, gouvernementale) tout en
conservant leur autonomie, leur potentiel revendicatif. Certains répondant.e.s croient que
la présence de certaines figures féministes dans la politique institutionnelle et le soutien
des OGNI aux groupes femmes, aux associations féministes ont plutôt affaibli que renforcé
leur potentiel contestataire. L’accès de certaines femmes à des postes politiques dominants
crée la tension au sein des organisations de femmes. Outre ces éléments, des crises sociales,
politiques, économiques et environnementales, dont le tremblement du 12 janvier 2010,
ont durement affecté ce mouvement. Ces facteurs pourraient expliquer leur manque de
combativité, de vitalité autour de la lutte pour le quota de femmes.
337
L’international est très présente dans la vie politique et sociale en Haïti. Du coup, on ne
peut pas saisir le potentiel du mouvement de femmes, son engagement pour l’intégration
politique des femmes sans prendre cette présence en considération. C’est la raison pour
laquelle les répondant.e.s ont tenu à désigner les responsabilités de l’international dans la
situation de pénurie de femmes dans les postes politiques. Ils indiquent que si l’État hésite,
si les partis politiques résistent à créer les conditions favorables à l’entrée de plus de
femmes en politique, les agences internationales n’ont pas cette priorité ou ne s’engagent
pas assez au côté des associations de femmes pour faire pression sur les élites politiques.
Il faut toutefois ajouter une nuance : le quota pour les femmes semble ne pas encore être
une priorité ni pour l’élite politique locale ni pour l’international. Cela présuppose que les
intérêts de l’État national puissent, dans certains cas, s’ajuster à ceux de l’État dominant,
impérialiste. Le rôle croissant de l’ONU, en Haïti, à travers ses missions spéciales depuis
1990 enlève à l’État des : « questions considérées auparavant comme relevant de la stricte
compétence interne » (Pouligny-Morgant, 1998, p. 187), de la souveraineté nationale,
dont : la sécurité du pays, le financement et l’organisation des élections. Donc, les agences
338
de l’ONU, si elles en avaient eu la volonté, elles auraient pu profiter de la mise sous tutelle
d’Haïti, à travers « deux interventions militaires étrangères (1994, 2004) » (Moïse, 2015,
p. 238) pour faire pression sur les élites politiques pour créer des conditions favorables à
l’intégration politique de femmes.
Dans la conclusion de son ouvrage sur la question électorale en Haïti, Moïse (2015, p. 245)
déplore que : « La prépondérance de l’international, sa pénétration écrasante conduit le
peuple haïtien à la perte de la maitrise de son destin ». Ces considérations portent un
éclairage sur les opinions de nos répondant.e.s. Elles.ils croient que si la rareté de femmes
en politique persiste, cela est dû autant à la timidité du mouvement des femmes et de
l’international sur la question qu’à la résistance des partis politiques et le laxisme de l’État.
***
En somme, les élites supposent une incompatibilité entre femmes et capacité en politique.
Cette croyance que femmes et pouvoir ne font pas bon ménage prend sens dans un contexte
historique, économique, culturel et politique. C’est dans ce cadre que se distinguent, se
définissent les rôles masculins, les rôles féminins. Cette perception oriente les pratiques
des acteurs politiques, la construction des institutions politiques, l’accès aux ressources.
Haïti a connu, par le passé, des gouvernements de nature despotique qui mettent les femmes
à la marge de l’univers politique. Toutefois, le processus de transition vers la démocratie,
initié avec la Constitution de 1987, tend à reproduire des pratiques autoritaires. Au lieu de
rompre d’avec l’ancien régime, les résultats de cette recherche ont relevé plusieurs points
de continuité : prééminence du Président, violences systématiques, crises récurrentes,
système de partis faible, tutelle internationale. En ce qui concerne les pratiques électorales,
la corruption et la violence restent les instruments privilégiés pour gagner un scrutin. Les
acteurs dominants enfreignent le droit électoral qui définit ce qui est permis, ce qui est
obligatoire et ce qui est interdit au chapitre des élections. Le népotisme, l’impunité, le
sexisme sont, entre autres, des éléments qui caractérisent le processus de recrutement des
candidatures dans les partis politiques ; leur faible structuration favorise la discrimination
envers les femmes. C’est à l’intérieur de ce système politique que se lance le processus de
traduction d’un principe de quota pour les femmes.
339
Où est-ce que nous en sommes avec les quotas pour les femmes en Haïti ? En fait, son
inscription dans la Constitution symbolise une double reconnaissance pour le mouvement
de soutien à l’intégration politique des femmes. Il s’agit, d’une part, du caractère injuste de
la mise des femmes à la marge de la sphère politique et, d’autre part, du choix du quota
comme stratégie pour corriger ce problème. L’article 17.1 se lit comme suit :
Sur cet article et sa formulation, deux remarques importent. Du fait que ce principe est
figuré dans la Constitution, aucun gouvernement ne devrait pouvoir se détourner de
l’obligation de reconnaissance d’au moins 30% de femmes dans la vie nationale. En outre,
cela pourrait porter les autorités politiques à voter des lois pour établir un système de quota
dans d’autres domaines d’activités afin de s’attaquer à la marginaliser des femmes.
Toute loi relative aux Partis politiques doit réserver dans ses
structures et dans ses mécanismes de fonctionnement un traitement
en conformité avec le principe du quota d’au moins trente pour
cent (30 %) de femmes exprimé à l’article 17.1 (Moniteur, 2012).
Avec ces deux articles, des progrès sont accomplis en matière de reconnaissance légale du
caractère problématique de la situation des femmes en politique. Le principe de quota de
femmes cible directement la sphère politique à travers les groupes partisans et le processus
de désignation du personnel. Cette avancée est à mettre sur le compte des personnalités
féminines et d’associations féministes qui portent la lutte pour une égalité effective des
hommes et des femmes dans les postes politiques. Ces personnalités et ces associations
sont désignées sous le terme de réseau d’acteurs partisans du quota. Ce réseau d’acteurs a
commencé à se mettre progressivement en place à partir des années 2000. Elles ont dû
convaincre les acteurs politiques à engager le processus de mise en place d’un dispositif
légal et institutionnel pour corriger les répercussions négatives qu’a le système électoral et
partisan sur l’accès des femmes à la politique institutionnelle. Donc, ces femmes mobilisent
un argument classique qui conduit à définir le quota comme :
Qu’est-ce qu’on entend par cadre d’application du principe de quota ? Appliquer le quota,
c’est intégrer ce principe dans le dispositif légal et institutionnel qui permet de désigner le
personnel politique, qui impose donc un quota de femmes. Traduire le quota, l’appliquer
341
consiste à insérer ce principe dans un environnement législatif, à travers une loi électorale
ou un décret-loi électoral, propice à garantir l’élection du seuil d’au moins 30 % de femmes
au Parlement, dans la filière du pouvoir local. Il s’agit de doter ce quota d’un cadre légal
et institutionnel qui correspond à l’article 17.1 de la Constitution. Ce cadre peut également
s’étendre à la nomination du cabinet ministériel et des autorités du pouvoir judiciaire. La
traduction du quota suppose surtout la réforme du système électoral, c’est-à-dire du mode
de production des verdicts électoraux. Ces derniers concernent : « […] toutes les opérations
et instrumentations plus ou moins sophistiquées ([…] de fixation des objectifs ou de seuils
[…]) autorisant à trancher de deux questions supposées essentielles : qui va gagner (puis
a) gagné ? » (Lehingue, 2005, p. 324).
Toutefois, il faut tenir compte du contexte dans lequel la réforme est appelée à s’intégrer.
Est-ce qu’il est favorable ou défavorable au renforcement de la citoyenneté politique des
femmes? Pour paraphraser Tremblay (2005), l’enjeu réside dans la négociation d’un cadre
qui peut maximiser la capacité du quota à féminiser l’univers politique. La littérature qui
traite des expériences de quota de femmes relève, pour des raisons théoriques, politiques
et pratiques, que ce défi est difficile à relever :
Nous avons précédemment décrit les incidences d’un héritage autoritaire sur le processus
de transition vers la démocratie, en Haïti, donc sur les pratiques et les institutions qui
incarnent le nouveau système politique. Pour imaginer à quel point ce passé est lourd à
porter, il suffit d’observer comment les valeurs qui sont liées à la violence et à la corruption
continuent à attirer les acteurs, à orienter leurs conduites, à déterminer l’issue des processus
342
pour accéder au pouvoir et à plonger le pays dans la crise. L’introduction du quota pour les
femmes dans ce contexte social, politique, légal et institutionnel crée une dynamique de
coopération entre les acteurs politiques, mais également une dynamique de contestation
(Krook et True, 2012) étant donné le caractère controversé de cette mesure et la complexité
du contexte dans lequel cette dynamique se déploie.
Badie (2018, p. 10) affirme : « L’acteur n’a jamais aimé le système qui échappe à son
contrôle, et ici à sa souveraineté, voire à sa puissance, qui contraint, entrave ». Les
informations obtenues, lors de notre recherche, ont indiqué que les partis politiques, acteurs
clés du système politique, sont réfractaires à l’idée de féminiser leurs rangs, leurs instances
décisionnelles. Les femmes y sont donc minoritaires et souffrent des discriminations basées
sur le genre. Les partis politiques, en grande partie, enfreignent la Constitution, en son
article 31.1.1. Ils font tout pour détourner la mise en place d’un quota ou pour y résister.
Dans un ouvrage sur genre et partis politiques dans les démocraties libérales, Lovenduski
et Norris (1993) classifient trois types de stratégies de promotion des femmes à l’intérieur
des partis politiques : les stratégies de rhétorique, les stratégies d’action positive ou
affirmative, et les stratégies de discrimination positive. Ces stratégies se définissent et se
distinguent selon l’obligation ou non faite aux partis politiques et aux autres acteurs pour
intégrer plus de femmes en politique. Ces auteures considèrent les stratégies rhétoriques
comme étant les moins contraignantes, puisque chaque parti a toute latitude pour s’ouvrir
ou pas au recrutement de plus de femmes. Il n’est pas obligé de prendre des initiatives, de
modifier son règlement intérieur, de mettre en place des modalités pratiques afin de garantir
la féminisation des lieux de pouvoir.
Les partis politiques en Haïti n’ont pas de stratégie pour féminiser leurs rangs. En ce qui
concerne la politique de quota pour les femmes, la plupart des participant.e.e reconnaissent
jusqu’alors deux avancées sur la route du quota : l’inscription du quota dans la Constitution
et l’élection d’au moins une femme dans chaque organe du pouvoir local. Dans le Décret-
loi électoral de 2015 ont été insérées des mesures inspirées du principe constitutionnel du
quota de 30 % de femmes dans le secteur politique. L’obligation a été faite aux groupes
partisans d’inscrire au moins une femme sur leurs listes de candidatures pour les élections
343
locales. Malgré sa fragilité, du progrès est accompli au palier municipal et local du pouvoir.
C’est un pas fragile, parce que c’est provisoire et partiel. Mais parce qu’aussi, si les partis
politiques n’ont pas objection à ce qu’au moins un tiers (1/3) de la composition des organes
des pouvoirs locaux soit des femmes, au moins deux points soulèveront des controverses.
Le premier point de controverse porte sur la conformité de cette mesure avec l’esprit de
17.1 de la Constitution. En effet, la présence d’au moins une femme dans les organes du
pouvoir local ne traduit pas l’idée du principe de quota. Cette mesure n’est pas insérée dans
une logique, un cadre global d’application, donc dans une législation électorale destinée à
favoriser l’arrivée d’une proportion déterminée de femmes dans les espaces de pouvoir.
Elle ne fait pas encore partie intégrante, comme le revendiquent les partisans du quota,
d’une politique de quota pour les femmes. L’autre enjeu concerne la position qu’occupent
les femmes dans les listes de candidatures. Beaucoup de femmes sont élues, mais elles
occupent la position d’adjointes, c’est-à-dire une position de subalterne dans les organes
du pouvoir local. L’expérience que ces femmes ont vécue au sein de ces organes montre
que les processus décisionnels se fondent sur des discriminations basées sur le genre.
En ce qui concerne le quota, conçu comme une stratégie pour corriger la pénurie de femmes
dans les sphères de pouvoir, il n’y a ni un rejet ni une acceptation. Nous constatons plutôt,
selon nos résultats, des points de divergence entre les protagonistes, sous la forme et la
modalité d’application du principe de quota. Les divergences qui maintiennent ouvertes les
discussions portent sur deux points. Il y a en premier lieu la stratégie de féminisation de la
filière du pouvoir local qui ne se traduit pas par un partage égal des responsabilités entre
les élues et les élus. Le deuxième point de tension concerne le palier local du pouvoir lui-
même que les partisans du quota conçoivent comme un palier inférieur de pouvoir. Ceci
déplace l’accent, les enjeux sur le Parlement.
les élections politiques. Pour eux, l’élection pour les organes des pouvoirs locaux peut être
considérée comme une activité sociale plutôt qu’une action politique. Les élections sociales
constituent un prolongement institutionnel des engagements des autorités du gouvernement
en matière des services sociaux, communautaires qui sont des services de proximité.
En résumé, la présence d’au moins une femme au sein de chaque organe de pouvoir local,
qui comporte trois membres, est importante, mais pas autant pour les acteurs qui réclament
un quota contraignant à tous les échelons de pouvoir. Pour eux, cette mesure partielle est
une façon de ruser avec le quota, car les collectivités locales ne constituent pas de véritables
leviers de pouvoir. D’autres acteurs interprètent cette mesure comme un palliatif qui vise
à faire baisser la pression pour appliquer le quota pour les postes politiques dominants. En
gros, elle peut être considérée, malgré cette critique, comme une étape dans le déploiement
du processus de quota. Ce n’est alors ni un succès ni un échec, puisque la négociation reste
ouverte sur la possibilité d’adopter une loi qui oblige la mise en place d’un quota de femmes
pour les élections municipales, les législatives et la nomination du gouvernement.
Le matériel empirique à partir duquel nous avons travaillé amène à saisir plusieurs registres
de discours sur le quota, sa forme et sa modalité d’application dans le système politique
345
haïtien. Autour du processus de réforme de quota sont identifiés quatre groupes d’acteurs :
les associations de femmes, l’international, l’État, les partis politiques. Dans cette section,
nous allons établir les articulations qui existent entre chaque groupe d’acteurs et sa position
sur le quota. La proposition de cette recherche sert de grille pour analyser et interpréter les
discours des acteurs.
Nous désignons sous le terme d’acteurs partisans du quota les groupes, les personnalités
qui soutiennent la traduction du quota dans la législation électorale, c’est-à-dire à la mise
en place d’un cadre légal et institutionnel de nature contraignante. Ce réseau réunit des
associations de femmes, des agences internationales et des personnalités politiques et de la
société civile. C’est le COTEM qui a le leadership de ce réseau. Ce comité est chargé de
réaliser un travail de mobilisation, de plaidoyer et de promotion autour du quota pour les
femmes. Il prépare des propositions qui concernent la forme, la modalité d’application du
quota et fait le pont avec les autorités, les partis politiques pour trouver la formule la plus
appropriée à l’introduction du quota à tous les paliers du jeu électoral.
Nous pourrions aussi appeler les personnes qui mènent la campagne de quota agents de
diffusion du quota. Pour ces acteurs, la faible présence des Haïtiennes dans la politique
institutionnelle constitue un problème à la fois pour les femmes, la société et la démocratie.
Ils concèdent que la Constitution, les lois ne posent, en principe, aucune restriction, aucune
distinction relative au sexe dans l’exercice du droit de vote et d’éligibilité. Toutefois, ils
disent constater la persistance d’un écart entre la proportion des femmes et celle des
hommes dans l’accès aux postes politiques dominants. Ce déséquilibre trouve son origine
dans le fait que la plupart des hommes continuent à avoir, malgré ce principe formel de
liberté et d’égalité, le monopole des ressources pour se faire élire. Donc, c’est une illusion
de croire que, avec ce désavantage initial, les conditions pour une libre et égale concurrence
entre les deux groupes de sexe pour accéder au pouvoir sont réunies. La plupart des femmes
sont parties perdantes dans ce jeu.
346
Pour corriger cette discrimination première, l’État doit adopter une stratégie qui puisse
favoriser l’accession de plus de femmes aux sphères de pouvoir. Il s’agit d’une politique
qui peut éviter la concentration du pouvoir dans les mains des hommes. Cette mesure sera,
toutefois, sans effet si l’État n’établit un cadre pour introduire ce principe de quota dans le
système politique et électoral. Le choix du cadre d’application suppose que les acteurs
discutent et trouvent un consensus sur la forme et le contenu de ce cadre. Donc le cadre
d’application du quota c’est l’ensemble des mesures, des instruments mis en œuvre pour
garantir l’accès effectif d’au moins 30 % de femmes au pouvoir. Il servira de support à
l’application de l’article 17.1 la Constitution. Inscrire le quota dans la Constitution et dans
la loi, c’est mettre Haïti sur la liste des pays qui adoptent un système de quota de nature
constitutionnelle et législative (Dahlerup, 2003b). Qu’est-ce qui justifie ce choix de ce
système de quota ?
Le choix le plus logique serait de créer, une fois pour toutes, les conditions pour l’égal
accès des hommes et des femmes aux mandats de représentation. Cette stratégie amène
certains spécialistes à souligner deux éléments qui la rendent souvent inefficace sur le
terrain de la féminisation des lieux politiques. Il s’agit d’un enjeu de temps qui raisonne
avec un enjeu de culture politique qui, dans une société : « […] est composée du système
de croyances empiriques, des symboles expressifs et des valeurs qui définissent la situation
dans laquelle prend place l’action politique » (Verba, 1965, p. 513). Le premier aspect
renvoie aux pesanteurs culturelles et à la division sexuelle du travail qui expliquent que :
« l’implication des femmes à l’activité politique, tant aux postes nominatifs qu’aux postes
électifs, demeure un phénomène rare » (Chérubin, 2014, p. 41-42). Le deuxième aspect fait
référence au comportement de ceux qui confisquent le pouvoir. Ils résistent à tout processus
de changement, rejettent les mesures de correction. Ces acteurs les retardent ou cherchent
à les contourner. Ils en ont le moyen, agissent par intérêt. Ancienne ministre et conseillère
électorale, Chérubin (2014, p. 45) témoigne, dans son ouvrage, comment une « guerre sans
pitié » lui a été déclarée parce qu’elle était « en voie d’être première ministre ».
L’autre enjeu prend la forme d’une incertitude : combien de temps faudra-t-il pour atteindre
la parité entre hommes et femmes en politique sans passer par des mesures de correction ?
C’est la question que se posent les acteurs qui défendent le quota de femmes. Des études
347
montrent que les processus normaux de féminisation des institutions politiques, c’est-à-
dire sans utiliser des mesures spéciales, avancent avec beaucoup de lenteur. Pilotti (2012,
p. 323) rapporte : « En moyenne, dans les pays européens, il a fallu attendre plus de 50 ans
entre l’introduction du droit de vote et d’éligibilité et une présence des femmes dans les
législatifs qui dépasse 10 % […] ». L’argument est que, sans une politique de quota, l’accès
de plus de femmes aux postes électifs et nominatifs dominants prendra trop de temps. Cela
ne veut pas dire que le quota est une solution magique. La littérature sur le quota indique,
par exemple, que, pour l’élection du Parlement, l’on peut s’attendre aux résultats escomptés
sur une période de 10 à 15 années (Dahlerup, 2003b). Dans le cas d’Haïti et de son système
politique, ce temps-là équivaut à l’élection de trois législatures puisqu’une législature dure
quatre années. Donc, le quota peut permettre d’aller un peu plus vite et plus loin.
En Haïti, à côté du quota législatif, à insérer dans un cadre légal pour être effectif, un quota
partisan est inscrit dans la Constitution amendée. Étant donné que le système électoral
haïtien est majoritaire pour les élections législatives, l’alternative, pour appliquer le quota
348
Les personnalités et les groupes de femmes formant le réseau d’acteurs partisans du quota
ne font pas unanimité derrière la formule de sièges réservés. Certains préfèrent la parité ou
l’égalité. D’autres croient que les femmes qui seront élues dans ce processus courront le
risque d’être stigmatisées par les collègues au Parlement. D’après eux, il est impératif que
la cadre d’application du quota ne néglige pas le principe de compétition, de concurrence
entre les femmes et les hommes. Leur problème avec les sièges réservés, c’est que cette
formule annule la compétition directe et libre avec les hommes. Il est question de renforcer
la présence des femmes au pouvoir, mais il faut le faire de manière la plus légitime possible.
Pour obtenir gain de cause, en termes de stratégie, les partisans du quota obligatoire doivent
pouvoir relier les acteurs du secteur de femmes dans une mobilisation commune pour le
quota. Ils auront donc fort à faire pour maintenir l’unité en leur sein. Ce front permet de
garder la revendication de quota obligatoire en éveil sur la scène politique, de l’intégrer
dans l’agenda de discussion avec les autorités. Ce front sert de plateforme de négociation
les acteurs réticents au quota, dont l’État et les partis politiques.
L’État et les partis politiques forment le réseau d’acteurs qui animent le mouvement de
réticence, d’opposition à la demande au quota pour les femmes. Ces acteurs exercent le
pouvoir, contrôlent les rouages du système politique : les lieux de formation des dirigeants
et le processus recrutement du personnel politique. L’enjeu est donc de taille. C’est une des
cibles de la campagne de quota, puisque ce sont des gens à convaincre sur l’importance de
cette mesure dont l’introduction dans le système électoral dépend de leur volonté. Si les
349
partis politiques et l’État ont concédé l’inscription du quota dans la Constitution, c’est à ce
tournant, à la définition et à la mise en place du cadre d’application, qu’ils attendront ceux
et celles qui sont en première ligne pour des quotas obligatoires. Ils jouent sur le temps.
L’argument est que l’État ne doit pas enfreindre la liberté des individus d’exercer librement
leur droit de vote et d’éligibilité. Fixer une proportion de femmes est une atteinte au droit
des hommes de se porter candidats tant aux élections nationales qu’aux élections locales.
En outre, cette intervention va favoriser l’arrivée au pouvoir des incompétentes. Sur ce, ils
affirment leur opposition à toute réforme de quota, de nature contraignante et obligatoire,
pour l’élection au Parlement, puisque cette stratégie remet en question le principe de liberté
individuelle qui fonde le droit d’éligibilité des citoyen.ne.s. Pour les parlementaires et les
partis politiques, la rareté des femmes dans la sphère politique doit être réglée à travers des
mesures incitatives. Toutefois, ils ne voient, pour autant, pas de problème à ce qu’un quota
contraignant s’applique dans le processus de désignation des élu.e.s au palier du pouvoir
local. Ils optent pour une double forme et modalité de quota : mesure initiative pour les
législatives et mesure obligatoire pour la filière locale du pouvoir.
Au point de vue de stratégie discursive, ils ne manifestent pas une opposition radicale au
quota. Ils jouent du politiquement correct pour ne pas se faire désigner comme adversaires
350
du mouvement pour l’intégration politique des femmes. Leur tactique est de faire passer le
temps, de faire trainer le processus de mise en œuvre de cette mesure. En même temps, ils
se donnent la possibilité et le temps d’ajuster, selon la conjoncture et les enjeux, leur plan
tactique et leurs discours. Une législature a une durée, mais en Haïti les échéances
électorales sont rarement respectées. La 50 e législature, qui n’a pas analysé la proposition
portant sur un quota obligatoire pour le Parlement, a été dysfonctionnelle le deuxième lundi
du mois de janvier 2020. Le gouvernement n’a pas mis en place les conditions pour son
renouvèlement. Les partis ont par conséquent perdu un allié naturel dans la lutte contre un
quota de nature contraignante à tous les niveaux de pouvoir.
Sur la question de quota, le pouvoir exécutif joue un double jeu. Il se positionne en fonction
des enjeux qui organisent les rapports de force sur le terrain politique. Pendant la
50e législature, il s’alignait sur la position des parlementaires. Le gouvernement voulait
avoir la sympathie des groupes parlementaires, continuer à bénéficier de leur confiance,
puisqu’il est l’émanation du Parlement. Dans ce contexte, un quota obligatoire pour le
Parlement dans l’agenda de l’exécutif n’allait pas plaire aux parlementaires qui agissaient
en tandem avec l’exécutif et les partis politiques. Les partis politiques, les parlementaires,
le gouvernement, chacun défend, à sa manière, le statu quo en constituant l’une des forces
d’opposition au quota. Ces acteurs se serrent les rangs du fait de leur intérêt commun à se
reproduire à la tête de l’État.
Mais, deux mois après la caducité du Parlement, soit le 8 mars 2020, l’exécutif opère un
revirement en s’alignant sur la position des acteurs portant la lutte pour le quota obligatoire.
Le Président d’alors a déclaré vouloir un quota de femmes sous forme de sièges réservés
pour le Parlement. Ce retournement tactique, quoique qu’il soit d’ordre discursif, pourrait
s’expliquer par le fait que, sans un Parlement, pour s’accrocher au pouvoir, la sympathie
de certains secteurs sociaux, dont les femmes, importe. Il s’agit de construire une sphère
de légitimité, cela, puisque l’exécutif n’a pas cessé de gagner en influence, de gagner du
terrain. Le Parlement n’est plus opérationnel, le Président était seul sur tous les fronts. Il
voulait donner un coup de pouce à la revendication de quota attendant que les femmes lui
rendent la pareille en légitimant le pouvoir en place. Outre les déplacements tactiques
qu’opèrent les acteurs, sur quoi se fondent leurs discours ?
351
Nous venons de présenter le discours des deux réseaux d’acteurs qui s’impliquent dans le
processus de traduction du principe de quota de femmes dans le système électoral haïtien.
Si certains réclament un quota obligatoire pour tous les paliers de pouvoir (local et
législatif), d’autres préfèrent des mesures incitatives pour l’élection du Parlement. À cela,
il faut ajouter des tensions internes à chacun de ces réseaux. L’exercice consiste, à cette
phase, à déterminer, à expliciter le registre dans lequel s’inscrit chaque discours. Quelles
sont les normes et valeurs qui les fondent ? Quels sont les enjeux du discours de réticence
au quota et ceux du discours de promotion du quota ?
À ce contexte général de crise, s’ajoute une atmosphère idéologique dans laquelle les
femmes sont perçues comme étant incapables d’exercer le pouvoir et le pouvoir politique
en particulier. Cette perception permet d’articuler le traitement politique des revendications
des femmes avec le passé autoritaire et machiste de la société. Pour Marques-Pereira et
Garibay (2011, p. 256), la traduction des normes internationales de genre en Amérique
latine : « […] représente un enjeu décisif dans des sociétés qui restent marquées par le
conservatisme social » par le machisme, des sociétés dans lesquelles règne une opinion
publique non sympathique à l’intégration politique des femmes.
Dans une recherche sur la politique de quota, au niveau local, en Belgique, Meier et Verlet
352
(2008) ont aussi soulevé la question de contexte. De leur avis : « […] l’importance attachée
à un équilibre entre hommes et femmes ne surgit pas dans n’importe quel contexte. […] si
les quotas sont adoptés dans un contexte favorable à la présence des femmes en politique,
l’apport de quotas est d’un ordre secondaire » (p. 716). Le contexte n’importe pas que
quand il s’agit d’évaluer l’efficacité d’une réforme de quota, il sert également de grille pour
la lecture des discours des acteurs impliqués dans la diffusion et l’application des quotas
électoraux pour les femmes. Par ailleurs, Acharya (2004) affirme que la différence dans
l’acceptation d’une norme s’explique par la capacité des acteurs à neutraliser ses effets
indésirables, en la retravaillant pour la rendre compatible avec les valeurs et les institutions
nationales. Le climat politique, idéologique et législatif a des incidences sur le processus
d’adoption des stratégies de féminisation du champ politique.
Ce contexte explique l’émergence du discours de réticence au quota qui est construit d’un
mélange de libéralisme et de conservatisme. Les forces qui n’adhèrent au quota mobilisent,
pour exprimer leur aversion contre cette mesure, un discours fondé sur le principe de liberté
individuelle pour maintenir un monopole masculin du pouvoir. Ils nient l’idée que ce
privilège, ce monopole n’est pas naturel, mais résulte d’une forme d’organisation de l’ordre
social et politique. La réticence renvoie à une stratégie de résistance au quota (Troupel,
2002). L’on se rappelle, selon les informations recueillies, que les maires ont marginalisé
les élues qui occupent le poste d’adjointes au sein des conseils municipaux. Ils ont pu, par
conséquent, contourner leur participation au processus de prises de décision.
Or, à travers les discours de certains chefs de partis sur le quota, s’observe cette même
stratégie : détourner, retarder la dynamique qui est en cours de déploiement. Ils sont prêts
à concéder un quota contraignant pour les pouvoirs locaux, mais ils défendent des mesures
plutôt incitatives pour les élections législatives. Du coup, ce processus se heurte à l’une des
tactiques du jeu politique en Haïti. Quand il s’agit d’une question controversée et d’intérêt
public, l’homme politique préfère alimenter la confusion, jouer le politiquement correct.
Ils ont tendance à jouer à la fois le pour et le contre. Il est à la fois pour et contre le quota
de nature contraignante. Ces discours ne sont pas sincères. Une autre règle, cette fois-ci
explicite, du jeu politique, est la suivante : les acteurs dominants piétinent, contournent la
loi qui ne fait pas leur affaire, ou inventent une loi d’exception, sur mesure. Dans le cadre
353
Les acteurs réticents au quota contestent l’idée que les institutions, les pratiques électorales
réduisent la présence des femmes dans la sphère politique. Ils organisent leur discours
autour de trois points. Ils n’assument aucune responsabilité dans la situation politique des
femmes. Pour eux, le problème serait plutôt du côté des femmes qui se désintéressent de la
politique ; elles sont responsables de leur place dans la société. Ces forces contestent l’idée
que, par leur comportement, ils contribuent à la marginalisation politique des femmes et en
jouissent des bénéfices. Elles pensent que ce serait une injustice si les femmes bénéficiaient
d’une mesure spéciale. En dessous de ce discours, qui ne considère pas cette situation
comme un tort fait aux femmes, et de la volonté de transformer la politique en activité
inhospitalière aux femmes, se cache la stratégie de reproduction du monopole masculin du
pouvoir. Leur argumentation raisonne avec un conservatisme social et politique qui perçoit
les femmes comme étant des gens incapables à exercer le pouvoir politique, qui cherche à
les priver de la possibilité de sortir de l’autocensure et qui attend qu’elles restent à leur
place de femmes dans la société.
Pour les partisans du quota, ce sont, au contraire, les hommes qui, par leur comportement,
engendrent la rareté des femmes en politique. Ils ont mis en place des institutions et des
354
Les partis politiques n’intériorisent pas l’idée d’instaurer un quota de femmes contraignant
pour l’élection. Cette mesure, disent-ils, ferait tort aux hommes et, par conséquent, porterait
atteinte au principe de liberté individuelle et de libre concurrence sur lequel repose le
système politique démocratique et représentatif. Pour les forces qui adhèrent au quota de
femmes, cette notion abstraite de liberté, et les pratiques qui en découlent tendent, au
contraire, à légitimer le monopole masculin du pouvoir et à nier les inégalités premières.
Cette perception et l’organisation du processus, de l’acte du vote portent à limiter le succès
des femmes qui sont engagées dans la course électorale. D’où la nécessité de réformer le
cadre électoral pour empêcher qu’ils continuent à mettre les femmes à la marge du champ
politique en attendant la mise en place des conditions pour une égale concurrence entre les
individus pour les postes politiques.
La Constitution ne donne aucun détail en ce qui concerne les échéanciers, les formes et les
modalités de traduction du principe de quota de femmes dans le système électoral haïtien.
Il revient à l’État, dont le Parlement, de décider de la réforme légale et institutionnelle qui
est nécessaire et qui devrait aboutir à l’application de l’article 17.1 de la Constitution.
Quels sont les enjeux de cette réforme de quota ?
Si l’on considère les arguments mis de l’avant par les acteurs, nous pouvons déduire que
le refus du quota pour les femmes parait être une position minoritaire. Car, en principe et
dans les faits, il n’a pas d’objection à l’adoption d’un quota contraignant pour la filière du
pouvoir local. L’enjeu central du débat est plutôt la forme et la modalité d’introduction du
quota dans l’élection du Parlement. Si l’on considère l’importance du Parlement dans la
vie politique du pays, les débats paraissent serrés entre les protagonistes. Sur le terrain de
la politique officielle, le Parlement symbolise le véritable lieu de pouvoir. C’est pourquoi
l’accession des femmes au Parlement constitue l’enjeu prioritaire du débat sur la mise en
356
regrettable, deux d’entre eux font l’objet de souci plus sérieux : les partis politiques et le
mode de scrutin » (Tremblay, 2005, p. 265). Le mode de scrutin permet d’identifier la
nature du système électoral, l’instance qui est chargée de tenir et d’arbitrer la compétition
qui donne l’accès au Parlement. Parlant du système électoral et de la configuration des
assemblées politiques, Massicotte (2017) indique :
Les discours sur l’adoption du quota de femmes se situent dans un cadre stratégique à
l’intérieur duquel la Constitution, bien qu’elle ne disparaisse pas, perd de son importance.
Les arguments que les acteurs déploient tiennent à leur compréhension, à leurs intérêts et
surtout à la force que détient chaque acteur. Chacun cherche ce qui est bon pour lui-même
et tient à faire en sorte d’obliger l’adversaire à capituler. Si la position du pouvoir exécutif
parait s’accorder avec celle des associations de femme, ce n’est pas pour la même raison
que les femmes ; ils n’ont pas le même objectif. Or, quand les acteurs ne se réfèrent pas à
la loi, c’est la dynamique des rapports de force en présence qui déterminera l’issue de la
358
question. Ce sont les acteurs dominants qui peuvent arriver à faire pencher les rapports de
force en leur faveur. Et ce sont ces forces qui vont déterminer l’issue de ce processus, s’il
aboutit vers le refus ou l’acceptation du quota.
Par exemple, les résultats de cette recherche invitent à chercher la responsabilité du retard
enregistré dans le processus d’adoption du quota pour les femmes dans la réticence des
partis politiques à un quota contraignant pour l’élection du Parlement. Si l’on suit leur
logique argumentative, les acteurs politiques seraient cohérents en refusant le quota au nom
du caractère inviolable du droit individuel de vote et d’éligibilité. Parce que c’est sur la
base d’une conception individualiste et libérale de la démocratie, de la représentation
politique qu’ils s’opposent à toute intervention de l’État pour créer un cadre favorable à
l’accession des femmes aux sphères politiques institutionnelles. Mais, en même temps, ils
se montreraient incohérents en concédant l’application d’un quota contraignant pour les
élections locales et en le récusant pour les législatives. Pourquoi l’acceptent-ils pour l’une
et le refusent-ils pour l’autre ? Comment justifier ces deux formes de quota ? Une pour la
filière locale et une autre pour la filière législative.
De l’autre côté, il y a le réseau d’acteurs qui mène le combat pour aboutir à des quotas
contraignants à tous les paliers de pouvoirs. Ils se réunissent au sein du COTEM qui sert
de surface de contact entre les acteurs de diffusion du quota, les acteurs étatiques, les
acteurs internationaux. Pour eux, ne pas obtenir un quota contraignant pour le Parlement
s’assimile à un refus du quota pour les femmes.
monter parfois peu flexibles. Le quota est un processus qui, dans son déploiement, appelle
à reconfigurer, à un niveau ou à un autre, les rapports de force sur le terrain politique.
Nous venons de présenter les arguments en présence et leurs enjeux dans le déploiement
de la campagne du quota pour les femmes qui est conçu comme un processus. Maintenant,
nous laissons l’ordre du discours pour examiner la configuration des rapports de force sur
le terrain. La configuration renvoie aux moyens dont disposent les acteurs, à leur position
et aux relations qui existent entre ces ressources, ces positions et le processus de traduction
du quota dans le système électoral. Comment ces relations d’acteurs impactent-elles la mise
en forme et en marche du processus, l’accélérèrent-ils, le retardent-ils, ou le contrarient -
ils? L’objectif est d’établir les liens entre ces discours, leurs justifications et le processus
de traduction du principe de quota.
Dans la configuration des rapports de force autour du quota, le COTEM est un réseau où
se côtoient les acteurs qui mènent la campagne de quota, qui diffuse cette idée. Ce réseau
revendique une politique de quotas sous forme de listes de candidatures et sièges réservés.
C’est un quota de nature contrainte et obligatoire assorti des sanctions en cas de non-respect
360
Sur le terrain, pendant ces dix dernières années, le mouvement de femmes qui mène le
combat pour l’intégration politique des femmes envoie l’image d’un mouvement affaibli.
Il est affaibli par, entre autres, un double phénomène : les crises politiques et humanitaires,
dont le séisme du 12 janvier 2010 et des dissensions internes. Le deuxième phénomène est
engendré par l’accession des certaines figures du mouvement au gouvernement et au CÉP.
Divisé, il est en perte de légitimité et n’arrive pas à négocier avec les acteurs politiques un
mécanisme d’application du quota. La timidité dont fait montre ce mouvement explique,
en partie, le bilan mitigé et la trajectoire du processus de quota. Ce groupe perd un peu de
sa vitalité, de son potentiel, ne forme pas encore une large alliance autour du quota et, ainsi,
n’exerce pas non plus une forte pression sur l’élite politique pour faire aboutir le processus.
Le soutien à la campagne de quota provient des secteurs et des personnalités d’horizons
divers. Ils forment le réseau d’acteurs partisans du quota dont les associations de femmes
assument le leadership. À l’intérieur de ce réseau, pour comprendre la dynamique et l’issue
de cette revendication, il faut aussi considérer le poids de l’international. Les informations
analysées indiquent que l’attention qu’elle accorde au quota pour les femmes diminue
depuis le séisme du 12 janvier 2010 et la crise humanitaire qui s’en est suivie.
En Haïti, les partis politiques connaissent des difficultés d’ordre organisationnel affectant
de façon négative leur perception dans l’opinion publique. Cette question d’image renvoie
à Moïse (2014, p. 105) qui affirme : « L’une des carences de la vie politique haïtienne, c’est
que le discours des partis est inaudible. Il n’atteint pas le nannan [cœur] de la société ». Ils
n’arrivent pas à s’organiser, à devenir le rouage et l’animateur de la vie politique. Si, depuis
près de trois décennies, le processus électoral est devenu un produit chaotique (Moïse,
2015) et engendre l’instabilité politique, c’est, en partie, à cause des partis politiques qui
restent accrochés à un passé autoritaire, à des pratiques de népotisme. Cette réalité altère
la position des partis politiques dans le débat autour du quota.
À cet élément structurel, s’ajoute un élément d’ordre conjoncturel qui entrave la position
stratégique que devraient occuper les partis politiques dans la mise en place du quota pour
les femmes. Le système politique haïtien dote le Parlement d’un pouvoir exemplaire, des
parlementaires d’une « sorte d’immunité absolue » (Moïse, 2014, p. 67). La 50e législature
a usé de sa puissance pour ne pas examiner les propositions portant sur l’introduction d’un
quota contraignant pour l’élection au Parlement. Si, par habitude, les Législateurs agissent
en dehors des lignes directrices de leurs partis, sur la question de quota, leur position et
leur stratégie s’arriment avec celles de ces derniers. La caducité du Parlement a entrainé,
pour l’instant, un changement dans la configuration des rapports de force en défaveur des
partis politiques. Le symbole de l’opposition au quota que constituait la 50e législature perd
sa force de frappe le 13 janvier 2021. Les partis politiques, en attendant l’arrivée d’une
362
nouvelle législature, sont seuls sur le front. Ils viennent de perdre les parlementaires qui
constituent un élément tactique de premier plan dans leur stratégie de résistance à un quota
de femmes pour les élections législatives. Si ces deux facteurs affaiblissent la position des
partis politiques sur le quota, rien n’est possible sans leur accord.
***
Les relations qui se déploient entre les réseaux d’acteurs, leurs registres discursifs et leur
positionnement sur le terrain politique montrent qu’aucun acteur n’a assez de force pour
faire accepter ou rejeter le processus de réforme de quota. C’est cette situation que nous
avons désignée dans le cadre d’analyse sous le terme d’équilibre instable sur lequel Moïse
(1990) attire notre attention en affirmant :
Conclusion
Nous avons caractérisé le système politique haïtien en cherchant à faire ressortir son degré
de fermeture et son degré d’ouverture, à travers l’histoire, les normes qui le régissent et les
institutions qu’il inspire, à l’accès des femmes aux instances politiques. Ce travail conduit
à la conclusion que le système électoral haïtien expose la réforme de quota à un ensemble
de poches de résistance qui ont leur origine dans l’histoire des pratiques politiques en Haïti.
Malgré ce contexte défavorable à l’idée du quota, un tout petit pas est franchi en insérant
au moins une femme dans chaque organe des pouvoirs locaux. Mais, en même temps, huit
ans après, l’espoir d’une politique de quota tarde à se concrétiser. Les acteurs politiques
résistent à l’adoption d’un quota contraignant pour l’élection au Parlement. Pour eux, une
telle mesure serait une atteinte au libre droit d’éligibilité des citoyen.e.s. Elle faciliterait
l’arrivée au pouvoir des femmes incompétentes. À cet argument de nature libérale et
conservatrice, les partisans du quota répondent que la sous-représentation des femmes sur
la scène politique résulte de la volonté des acteurs politiques à monopoliser le pouvoir. Les
institutions politiques fonctionnent de manière à atteindre cet objectif. Le quota électoral
est une mesure de correction du traitement discriminatoire des femmes dans le champ
politique. Dans ce débat, la préoccupation est l’adoption ou non d’un quota contraignant
pour le Parlement. En termes de configuration des rapports de force sur le terrain, aucun
des acteurs ne semble réunir suffisamment de force pour faire passer leur position. Du
coup, au lieu d’un rejet du quota, le processus semble s’acheminer vers la mise en place
d’une réforme progressive de quota.
365
Conclusion générale
Donc, l’interaction de deux éléments a inspiré cette thèse. Il y a, premièrement, le fait que
le principe de quota, qui est inscrit dans la Constitution, ne pourra agir sur la proportion
des femmes en politique que s’il est doté d’un cadre qui définit ses objectifs, sa forme et
sa modalité d’application. En second lieu et en rapport à l’enjeu ci-mentionné, s’est relancé
un mouvement autour de l’intégration de plus de femmes dans les lieux de pouvoir en Haïti.
Ce mouvement réunit les acteurs de soutien au quota, des indécis, mais aussi les détracteurs
de cette mesure. Le quota dessine donc un espace controversé où se côtoient des acteurs
qui soutiennent la lutte des femmes et ceux qui sont contre l’arrivée de plus de femmes au
pouvoir. C’est cette dynamique qui amène à défricher le jeu d’acteurs qui commande le
processus d’insertion du quota dans les pratiques électorales. Cette thèse veut comprendre
comment chaque acteur, selon son intérêt, sa croyance, sa stratégie, cherche à orienter, à
contrôler le rythme d’avancement du processus de quota pour les femmes.
Le quota ne constitue pas seulement un espace social controversé, cette stratégie, qui est
destinée à fortifier la citoyenneté politique des femmes, est aussi d’un processus. Puisque
l’inscription du principe de quota de femmes dans la Constitution a inauguré la transition
de la situation de rareté, jugée déplorable, des femmes en politique à une situation espérée :
la présence d’au moins 30% de femmes dans les postes électifs. Nous parlons de situation
espérée, parce que rien n’indique que ce processus de quota va amener à la fortification
366
La littérature scientifique a insisté sur deux grands axes de recherche en matière d’adoption
de politiques de quota. Le premier concerne les facteurs qui poussent un État à introduire
un quota de femmes dans son système électoral. Il y a, d’un côté, des facteurs internes qui
intègrent la vitalité du mouvement de femmes, la volonté des élites politiques, la perception
sociale des femmes. Il y a, de l’autre côté, les facteurs externes qui renvoient à la pression
que peuvent exercer des réseaux d’acteurs internationaux sur l’élite politique locale pour
faire avancer une question quelconque. Notre objectif ne consiste pas à étudier les facteurs
d’adoption du quota, ni non plus l’efficacité d’une politique de quota, mais le jeu d’acteurs,
les enjeux qui entourent la traduction du principe de quota dans le système électoral haïtien.
Le défi consistait à mettre en rapport les acteurs, leurs discours et le champ de possibilités
que l’inscription de ce principe dans la Constitution de 1987 amendée crée. Il s’agit de la
possibilité de le traduire dans une législation électorale, mais également de la possibilité
de le refuser ou la possibilité de le détourner de son esprit.
En ce sens, l’approche qui étudie l’influence des facteurs sur l’adoption des politiques de
quota paraît insuffisante. Cette perspective rend mal compte du jeu d’acteurs qui forme le
nœud du processus de transfert d’une norme dans un cadre institutionnel. Ce qui échappe
à l’approche par facteurs, c’est le rythme d’avancement du quota, sa trajectoire, c’est
comment il institue un espace de confrontation et de coopération entre les acteurs. Nous
n’avons pas pourtant récusé l’importance des facteurs dans l’introduction d’une nouvelle
norme dans un cadre normatif national. Nous avons mis l’accent sur la logique d’acteurs,
mais nous n’avons pas opposé l’approche par les facteurs à celle des acteurs. De préférence,
nous avons supposé que les facteurs externes et internes s’interfèrent, s’associent à la
logique d’acteurs pour déterminer la trajectoire, le rythme et l’issue du processus. Les
acteurs agissent sur les facteurs tant internes qu’externes ; de même que les facteurs
informent les acteurs. C’est cette interférence que nous avons appelée dynamique d’acteurs
dans la mesure où il prend en compte le contexte, les acteurs, leurs intérêts à faire avancer,
367
Pour étudier les conditions de possibilité de la politique de quota de femmes, son rythme
d’avancement, nous avons adopté une approche par acteurs. Alors, si nous avons attaché
tant d’importance au processus, aux acteurs, aux discours, si nous les avons conçus comme
un ensemble de rapports, une dynamique, c’est parce qu’il s’agissait de comprendre en
quoi les points de vue des acteurs sont favorables ou défavorables à l’intégration de plus
de femmes en politique à travers un système de quota. Du coup, l’objet d’étude a nécessité
un cadre d’analyse qui soit sensible aux conduites et contre-conduites des acteurs, à leurs
discours et aux contextes de diffusion du principe de quota. Il s’agit aussi d’examiner les
possibilités de faire avancer, de retarder ou de bloquer la réforme qu’exige la traduction du
principe de quota de femmes dans le système politique local. Comment saisir, analyser les
enjeux? Quelles sont les portées théoriques et épistémiques de ce problème ?
Le cadre qui convient mieux à l’analyse de l’ensemble de ces rapports, de cette dynamique
d’acteurs dans la trajectoire du quota, est la théorie socio-discursive. D’après cette théorie,
on ne pourra pas comprendre un processus de changement social, politique si l’on ne tient
pas des rôles qu’y jouent les acteurs et leurs discours. Un processus de changement se
décrit, s’interprète en référence aux jeux d’acteurs qui l’entourent. Ces derniers renvoient
aux interactions qui s’établissent entre les personnes qui se trouvent dans le champ social
et politique que définissent la stratégie de quota et son processus de diffusion. C’est là
l’aspect sociologique de la théorie. Le discours s’applique au sens que chaque acteur, en
fonction du contexte, de son intérêt, de sa position sociale et politique, alloue à la réalité et
à son processus de changement. Le discours, comme processus interactif, permet de saisir
le jeu de coopération et de contestation qui rythme ce processus. Il intègre aussi les conflits
qui émergent de la tentative d’association deux systèmes de normes incompatibles. C’est
le cas, par exemple, de l’introduction d’un quota pour les femmes dans un système social
conservateur ou favorable à l’égalité des sexes.
368
Cette analyse n’a pas seulement un enjeu théorique, elle a également un enjeu épistémique.
Étant donné que le discours ne peut pas être dissocié du processus de changement en cours,
qu’il n’en est pas non plus un simple effet, qu’il en est plutôt la matrice, l’on peut interpréter
la réalité à partir des discours des acteurs qui y sont impliqués ou à partir des exemples
tirés de leurs discours. La question épistémologique qui forme la trame de cette recherche
est de nature interprétative. Elle invite à placer l’activité humaine, c’est-à-dire l’acteur, son
intérêt et sa conduite, au centre de tout processus d’innovation politique et sociale.
L’objectif de la recherche est de montrer en quoi les points de vue des acteurs rythment le
processus de traduction du quota dans la législation et les pratiques électorales.
Dans l’axe méthodologique, nous avons utilisé le cadre d’analyse critique comme grille
pour la collecte et le traitement des informations empiriques. Ce cadre permet de rendre
compte du passage d’une réalité sociale jugée problématique à dynamique de changement
initié par les acteurs. Il n’y a pas que l’État qui élabore des mesures pour corriger une
injustice sociale; l’introduction d’un innovation dans une société est aussi l’œuvre des
acteurs non étatiques. C’est pourquoi nous avons supposé que l’État, la société civile, les
agences internationales constituent l’espace de diffusion, d’élaboration et d’adoption des
politiques de quota pour les femmes. Cela étant dit, nous avons ciblé l’élite politique (État
et partis politiques), les réseaux de plaidoyer internationaux, le mouvement des droits des
femmes. Nous avons sélectionné des personnes qui sont concernées par les droits politiques
des femmes. Cette démarche qualitative a commandé à la collecte de 34 entrevues auprès
de ces personnes. Les échanges ont porté sur les thèmes suivants : perception sociale des
femmes, causes de la rareté des femmes en politique, ses conséquences, responsabilités des
acteurs, l’utilité du quota comme stratégie d’intégration des femmes dans les lieux de
pouvoir, ses enjeux, sa forme et modalité d’application du quota.
L’analyse du matériel empirique a permis d’obtenir les résultats qui suivent. D’entrée de
jeu, les personnes qui ont participé à cette recherche ont reconnu que les Haïtiennes sont
en minorité dans les partis, les assemblées politiques, le gouvernement. Eu égard au poids
des femmes dans la structure de la population, leur responsabilité au sein du tissu socio-
familial, cette sous-représentation constitue, selon leurs avis, un problème qui plonge ses
racines dans le regard que la société, à travers ses élites, porte les femmes et le pouvoir.
369
Les informations analysées revoient la pénurie des femmes en politique à une société qui
établit la suprématie des hommes sur les femmes, à une société patriarcale, injuste.
La notion de patriarcat s’entend comme un rapport historique de pouvoir qui érige, le plus
souvent, les hommes en chefs, à une société où les privilèges sont réservés aux hommes.
Ce concept s’applique à une société où, à l’inverse, la majorité des femmes articulent, dans
le cadre des rapports sociaux de sexes, des positions de subalterne, jouent les rôles jugés
comme inférieurs. Elles sont souvent privées des ressources politiques et consacrent, de ce
fait, peu temps aux activités extra-domestiques, dont la politique. Le pouvoir est alors perçu
comme une activité virile, donc violente. En conséquence, une partie des femmes sont
contraintes à fuir la politique, à l’autocensure.
Cette perception qui est défavorable, peu sensible à la participation politique des femmes
s’enracine dans l’histoire sociale, politique et culturelle de la société. Elle tend à orienter
et justifier les pratiques d’injustice et de discrimination qui se nouent entre les sexes dans
les institutions sociales. La croyance en une opposition entre le fait d’être perçues comme
femmes, d’exercer du pouvoir et les bénéfices qu’en tirent les acteurs politiques expliquent
cette insensibilité, cette aversion à la féminisation du politique. Ce traitement injuste va de
pair avec la pauvreté, les crises à répétition qui aggravent les conditions de vie des femmes.
Alors, selon certaines répondantes, la fortification de la citoyenneté politique des femmes
pourrait contribuer au changement de leur condition de vie et de celle de toute la société.
Alors qui sont les responsables de la situation de rareté de femmes dans les postes électifs
et nominatifs ? Les personnes ayant participé à cette recherche ont désigné deux catégories
de responsabilités et quatre groupes d’acteurs. À côté de la perception défavorable des
femmes dans la politique, il y a les conduites des acteurs : les organisations de femmes, les
partis politiques, l’État, la communauté internationale. Des luttes internes affaiblissent le
mouvement de femmes qui portent la revendication pour la féminisation des espaces de
pouvoir. Les partis politiques, jouant un rôle prééminent dans le recrutement du personnel
politique, donc véritable clé de voute d’une démocratie électorale, pluraliste, résistent, sont
réticents à l’arrivée de plus de femmes dans leurs rangs. Ils ne les traitent pas avec justice
dans le processus de sélection des candidatures pour les postes électifs.
370
L’État, de son côté, a les prérogatives de créer de conditions favorables à l’égalité entre les
sexes. Mais il se constate, chez les autorités, un laxisme dans la prise de mesures pour
l’accès des femmes aux postes de responsabilité en ce qui concerne les trois pouvoirs :
l’exécutif, le judiciaire et le législatif. Les acteurs internationaux, qui devraient encourager
l’élite politique à corriger l’injustice dont les femmes sont victimes sur le plan politique,
se désengagent de plus en plus sur la question des droits politiques des femmes.
Le travail d’analyse des entrevues nous a permis d’établir un deuxième constat qui découle
du premier : les femmes ne s’intègrent pas dans la politique institutionnelle sur un pied
d’égalité avec les hommes. La première raison, faut-il la rappeler, est d’ordre perceptif :
l’élite politique peine à concevoir et à accepter une forte présence de femmes dans les
positions politiques dominantes. Elle démotive celles qui désirent y parvenir, celles qui ont
des ambitions politiques. Malgré ces restrictions, si certaines insistent, elle s’arrange pour
que ces femmes n’aient pas accès aux ressources nécessaires pour se faire nommer, élire,
donc pour se faire hisser aux instances hiérarchiques du pouvoir.
Les partis politiques constituent un lieu de résistance aux femmes qui désirent faire une
carrière politique. Le traitement qu’ils accordent à la minorité de femmes qui y adhèrent
est discriminatoire. Ils n’envisagent aucun garde-fou pour rendre juste et égalitaire l’accès
des hommes et des femmes aux listes des candidatures. Seules les femmes d’exception, à
statut d’héritières, parviennent à intégrer ces partis et à accéder à leurs sphères d’influence.
Il s’agit, en gros traits, d’un système de partis peu structurés, qui fonctionnent sans un cadre
légal approprié, sans un mécanisme public de financement et qui privilégie le népotisme
dans la fabrication de leurs listes candidatures pour les élections.
Il n’y a pas que les partis qui érigent des barrières à l’accès de plus de femmes au mandat
de représentation, le système électoral, l’instance qui est chargée d’organiser les élections,
les discrimine et baigne dans l’impunité. Par exemple, les acteurs politiques perçoivent les
femmes comme des candidates de second rang du fait qu’elles sont des pacifistes et évitent
les activités illicites. Les autorités électorales ne cassent pas le monopole de violence et
d’argent de provenance douteuse que certains acteurs utilisent pour déterminer l’issue d’un
scrutin en Haïti. Ils créent un climat de violences, voire de guerre autour des élections. Pour
371
augmenter leur chance de victoire, ils recourent à des fonds illégaux. Ils agissent en toute
impunité, sous les yeux complices des autorités, dans une société où règne, même en temps
normal, un climat généralisé d’insécurité.
Les groupes de femmes dénoncent les pratiques de discrimination, les violences qui
empêchent plus de femmes d’accéder au pouvoir. Malgré la reconnaissance du principe
d’égalité des sexes dans la Constitution, un écart persiste entre ce droit formel de vote,
d’éligibilité et la présence des femmes en politique. Face à la persistance de cet écart,
certaines têtes de pont du mouvement de femmes exigent des mesures pour corriger cette
discrimination : la rareté de femmes dans la vie politique du pays. Elles ont revendiqué et
obtenu, en 2012, l’inscription dans la Constitution amendée le principe d’un quota de 30 %
de femmes dans la vie nationale.
Toutefois, inscrire ce principe de quota dans la Constitution n’est qu’un petit pas vers la
mise en place d’une stratégie pour fortifier la représentation politique des femmes. Pour y
parvenir, les autorités devraient traduire ce principe dans les pratiques électorales. Plus de
dix ans après, le processus pour aboutir au cadre légal et institutionnel d’application du
quota se trouve dans une impasse. Dans l’intervalle s’instaure un débat sur la forme et la
modalité d’application du quota pour les femmes. Mais, un consensus entre les acteurs se
fait encore attendre. Le bilan parait mitigé. Si les groupes de femmes plaident pour un quota
contraignant, légal, assorti de sanctions et applicable à tous les types d’élections, sous
forme de sièges réservés et/ou de listes de candidatures, l’élite politique, en particulier
certains partis politiques et des parlementaires, agit à maintenir cette option en position
d’illégitimité. L’exécutif change de position en fonction de la conjoncture, de l’état des
rapports de force en présence. Les partis politiques, s’ils sont prêts à faire des concessions,
à accepter un système de quotas contraignants à l’échelle des pouvoirs locaux, appellent
plutôt à des mesures de nature incitative pour les élections législatives.
femmes dans les lieux de pouvoir. Les acteurs politiques, de leur côté, ne sont pas assez
forts, ne détiennent pas non plus la légitimité nécessaire pour refuser le quota ; leur stratégie
consiste à retarder ou à délégitimer le processus qui pourrait conduire à réformer le système
électoral à partir du principe d’au moins 30% de femmes dans les postes électifs.
Pour entraver les tentatives pour introduire dans la législation électorale une politique de
quota, ces acteurs politiques sortent deux arguments : celui de la liberté individuelle et celui
de la méritocratie. Pour eux, imposer un pourcentage de femmes au Parlement, ce serait
contrevenu au droit de vote, au droit d’éligibilité de la communauté citoyenne et favorisé
l’arrivée aux postes politiques des incompétentes. Les individus doivent pouvoir participer,
en toute liberté, aux processus politiques. Ces acteurs préfèrent donc des mesures capables
d’inciter, de sensibiliser, voire de préparer les femmes à faire de la politique, à se porter
candidates.
Donc, l’enjeu du débat réside dans la capacité d’une forme de quota à faire entrer plus de
femmes dans les lieux de pouvoir ou à faire à augmenter le pourcentage de candidatures
féminines. En optant pour des mesures qui visent à augmenter non le nombre d’élues, mais
le nombre de candidates, les acteurs politiques cherchent à conserver le monopole masculin
du pouvoir. Ils tiennent un discours qui est fondé sur deux éléments derrière lesquels se
cache la volonté de culpabiliser les femmes et de conserver leur privilège politique. Il s’agit
du principe de liberté individuelle et de la croyance en l’incapacité des femmes. Ce discours
suppose un lien entre un conservatisme social et un libéralisme politique. Cet enjeu anime
également la dynamique qui entoure le processus de traduction du quota dans le système
électoral haïtien. Ces jeux d’acteurs tendent à entraver les efforts pouvant conduire à un
cadre intentionnel propice à la fortification de la proportion des femmes dans les postes
électifs et nominatifs.
La croyance en l’incapacité politique des femmes peut trouver son sens dans un ordre social
et politique qui peine à se défaire d’un héritage fondé sur la virilité, la violence. C’est dans
la construction historique des normes de féminité et des normes de masculinité qu’il faut
comprendre le sens de la résistance des acteurs à la féminisation des lieux de pouvoir. La
figure de l’homme viril et la figure de femme protectrice, donc la distinction établie dans
373
En Haïti, les pratiques de pouvoir prennent la forme de relations d’appropriation entre les
élites et les subalternes, dont les femmes. Cette logique de prélèvement est l’une des clés
de lecture de l’histoire du pouvoir politique dans ce pays. Les élites ne produisent pas le
pouvoir en aménageant l’espace politique, sous forme de partis et projets politiques; les
partis ne cherchent pas à construire leur base électorale et à la fidéliser, à animer la vie
politique. Par exemple, l’élite économique ne produit pas la richesse par l’organisation de
la force de travail et de l’économie nationale. La tendance est de faire main basse sur le
peu de ressources qui existent. Ce projet d’appropriation vise à dominer, à maitriser l’autre
à le mettre à la marge du système social, politique et culturel. Et c’est dans et par ce procès
qu’un groupe d’individus se transforme en élite, donc en des sujets d’appropriation et que
d’autres deviennent, par leur mise à la marge, de groupes subalternes, dominés, objet
d’appropriation. Et la force, la violence, un privilège qui échappe, en grande partie, aux
femmes, est au cœur du projet d’appropriation de l’autre, de son être, de son corps, de ses
capacités. C’est cette matrice qui génère les pratiques despotiques, autoritaires qui limitent
l’accès des femmes aux sphères de pouvoir.
que prône la Constitution de 1987 n’ont pas d’impacts réels sur la présence politique des
femmes, en l’occurrence leur recrutement au sein des partis politiques, la chance qu’elles
exercent des fonctions électives à l’échelle locale, gouvernementale et parlementaire.
Les conduites des acteurs politiques sont façonnées par des conflits, des préférences, des
croyances. Ces éléments se traduisent dans les institutions, les pratiques qui définissent
l’identité de l’ordre social et politique. Ils peuvent, en ce sens, servir de grille de lecture de
l’actualité du jeu politique, en particulier, de la présence minoritaire des femmes dans les
lieux de pouvoir et, mais aussi de la résistance que l’élite politique offre à l’idée de fortifier
la proportion des femmes dans l’univers politique. Ce sont donc, entre autres, ces éléments
qui pourraient expliquer les difficultés de trouver une entente sur la forme et la modalité
de traduction du principe de quota pour les femmes dans le système électoral. Puisque juste
qu’à la date d’aujourd’hui, une incertitude règne sur l’issue de ce processus.
375
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384
Annexes
Annexe I. Guide d’entrevue
- Êtes-vous membre d’une instance qui s’intéresse, de près ou de loin, aux droits
politiques des femmes en Haïti ?
- Y a-t-il une expérience particulière qui vous a portée à vous intéresser à la situation
politique et des femmes en Haïti ?
- Depuis quand observez-vous la situation de la politique électorale en Haïti ?
- Y a-t-il un évènement portant sur les femmes et la politique qui vous a retenu
l’attention en Haïti pendant ces dix dernières années ?
- Êtes-vous en contact avec des groupes de femmes en Haïti ?
- Après la question des droits politiques de femmes, quels autres groupes sociaux,
dont les situations, vous intéressent ?
- Parait-il nécessaire, selon vous, d’établir en politique une ligne de partage entre
gauche, droite, centre ?
- Comment vous vous positionnez par rapport aux idéologies politiques, aux valeurs
sociales ?
Croyez-vous que les Haïtiennes constituent un groupe social ayant des intérêts
spécifiques à défendre dans les instances politiques et représentatives ? » si oui,
pourquoi ? Comment peuvent-elles les défendre ?
- Auriez-vous souhaité que plus de femmes accèdent au parlement ? Que faire pour
y arriver ?
- Que pensez-vous de la reconnaissance du principe d’au moins 30% de femmes dans
la Constitution amendée ?
- D’où vient ce principe de quota de femmes ?
- Qu’est-ce qui justifie le recours au quota de femme ?
- Est-ce que le quota va favoriser les femmes ? Dévalorise-t-il les femmes élues ?
- Le quota est-il nécessaire en Haïti ?
- Quelle est l’utilité du quota ? Pour les femmes ?
- Quel sera l’apport du quota à la vie politique en Haïti ?
- Quelles conséquences un système de quota législatif pourrait-il avoir sur la vie
politique au parlement, sur les partis politiques ?
- Quels seraient les effets du quota sur la situation des femmes en politique ?
- Que devrait-être, selon vous, l’objectif d’une politique quota de femmes ?
- Auriez-vous une autre proposition ?
Que proposez-vous pour insérer le principe de quota dans le système électoral haïtien,
la définition de son contenu ainsi que ses modalités d’application ?
Conclusion : quelle est votre lecture sur le processus d’élaboration d’une politique de
quota de femmes ? Comment imaginez-vous l’avenir des femmes en politique en Haïti ?
IV
Le code de référence qui est attribué à chacune de ces entrevues est composé de trois
éléments : l’acteur (répondant.e), son appartenance (société civile, parti politique, État,
internationale), numéro de l’entrevue (par ordre croissant). Par exemple, le code ACT-SC-
01 indique que la première entrevue a été réalisée auprès d’un acteur de la société civile.
Ces codes serviront à attribuer une référence aux passages tirés de chaque entrevue lors de
la présentation du rapport de recherche.
V
Contexte
La Constitution de 1987 amendée, en son article 17.1, institue le quota d’au moins 30%
de femmes à tous les niveaux de la vie nationale. Cependant, en dépit des dispositions
contenues dans le décret électoral de 2015, la 50e législature ne compte que 1 femme
sur 29 au Sénat, alors qu’au niveau de la chambre basse, elles ne sont que 3 sur 119. Il
s’en suit qu’Haïti se trouve aujourd’hui classée en 185e position sur 188 pays dans le
tableau interparlementaire des femmes. Cette situation nous interpelle et nous invite à
réfléchir sur une formule devant garantir une assemblée législative plus représentative
du corps social haïtien. C’est dans ce cadre que s’inscrivent les recommandations du
Comité Technique et Multisectoriel d’Appui au quota composé de la Commission
Condition féminine et Équité de Genre de la chambre des député-e-s, du Ministère à la
Condition féminine et aux Droits des Femmes (MCFDF) et des organisations de femmes
et féministes des dix départements du pays.
Ces recommandations concernent en tout premier lieu la prise en compte des
instruments internationaux auxquels adhère Haïti en matière du respect des droits
fondamentaux des femmes, de l’égalité des sexes dans les affaires politiques et publiques
du pays et la nécessité de lier l’Égalité de droit à l’Égalité de fait dans les visas et
considérants de la nouvelle loi électorale. La deuxième série de recommandations
renforce la disposition de l’article 100.1 du décret électoral de 2015 demandant aux Partis
de présenter 30% de femmes candidates sur la liste soumise au CEP, en ce sens qu’elles
indiquent aux Partis les circonscriptions électorales où ils doivent présenter ces femmes
candidates. Les sanctions sont traitées dans la 3e catégorie de recommandations.
acquises par les femmes doivent être mises à contribution dans les assemblées politiques
pour le progrès du pays.
La mise en œuvre des circonscriptions réservées aux femmes rencontrera certes des
réticences ; mais elle encouragera les partis à contribuer au renforcement les capacités
des femmes et présenter des candidates. Elle donnera aux électeurs et électrices le choix
d’élire des candidats des deux sexes et d’augmenter par conséquent leur liberté de choix
en leur offrant la possibilité de voter pour des candidates. Cette mesure contribuera aussi
à corriger la discrimination structurelle contre les femmes et à conjuguer la démocratie
et l’inclusion.
6 Décembre 2017
IX
PÉTITION
Cette situation est due notamment au faible encadrement dont bénéficient les
femmes faisant de la politique au sein de la société, à la discrimination et aux
stéréotypes sexistes dont elles sont victimes et aux violences physiques,
psychologiques et verbales auxquelles elles sont l’objet.
Ceci constitue une atteinte grave aux droits de près de 52% de la population
haïtienne, un handicap à la consolidation de la démocratie et un sujet de discrédit
pour le pays, aux yeux des autres nations.
Compte tenu de la nécessité de corriger cette anomalie qui ne peut qu’affecter plus
durablement le développement du pays :
COFESAJ-NORD
OFAVAP
GFVK
FVV
AFDM
OFADEP
FPM
AFHI
OFAMAC
REK
OAJP
OFPMN
OPLS
AATPH
AFM
OAJP
OFSBB
ATH
AFIH
OFASO
ODKP
REFRAKA
PANOS
PESADEV
OFTDK: Andre Benite Kowodonatris
ASEDEC: Lindor Suze Kowodonatris
XII
FANM YO LA
Collectif Féminin Haïtien pour la Participation Politique des Femmes