Article 4 - Du Projet Du Rapport Mapping Sur Les Violations Graves Des Droits de L'homme en RDC (Aperçu Et Questions Subséquentes)

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DU PROJET DU RAPPORT MAPPING SUR LES VIOLATIONS

GRAVES DES DROITS DE L’HOMME EN REPUBLIQUE


DEMOCRATIQUE DU CONGO
- APERÇU ET QUESTIONS SUBSEQUENTES -

Par

ILUNGA KABULULU Etienne


Chef de Travaux à l’Université Cardinal MALULA
Chercheur Associé au CRIDHAC/Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa

INTRODUCTION

« Tu ne tueras point. » « Tu ne voleras point.» Tels sont les deuxième et


quatrième commandements que Dieu adressa au peuple d’Israël et qui nous
sont transmis par le biais du christianisme.1

Les Etats ont opté pour la même logique et, pour ce faire, ont établi
plusieurs actions et omissions rentrant dans les actes, qui violent ces deux
commandements, en infractions. Il peut s’agir des pillages, de détournements
des deniers publics, de corruptions, d’empoisonnement, de viol, etc. Les plus
graves sont aussi pris, à titre complémentaire (dans le cadre spécifique de la
CPI) ou de primauté, en charge par une fusion des volontés étatiques, le droit
international public, dont relève le droit de la Cour Pénal Internationale. Parmi
ces derniers il y a les génocides, les crimes contre l’humanité, les crimes de
guerre, les actes d’agression, les actes de terrorisme, la piraterie en haute mer,
la capture illicite d’aéronef, etc.

« C’est donc à l’Etat de punir les faits pénaux commis par les membres
de la communauté soit à l’intérieur du territoire national, soit en dehors de
celui-ci. 2» Mais, lorsque l’Etat n’est plus capable d’assurer ses responsabilités,
comme l’indique la lettre du Président de la République Démocratique du
Congo, du 3 mars 2004, portant requête en renvoie devant la CPI, les structures

1 Bible, Exode, 20 : 1-20.


2 LUZOLO BAMBI LESSA, E.J. et BAYONA Ba MEYA, N.A., Manuel de procédure pénale, PUC, Kinshasa, 2011,
p. 20.
98 Du projet du rapport mapping sur les violations graves des droits de l’Homme en République
Démocratique du Congo - Aperçu et questions subséquentes -

interétatiques peuvent, à titre supplémentaire, s’investir pour combler le


« vacuum » répressif. C’est sous cet angle que nous citons l’article 1er du traité
de Rome, du 17 juillet 1998, portant statut de la Cour Pénale Internationale, in
fine, plus bas.

La Cour Pénale Internationale est une juridiction chargée de poursuivre


et de condamner les individus, auteurs présumés de crimes relevant de sa
compétence, indiqués à l’article 5 de son statut : crime de génocide, crime
contre l’humanité, crime de guerre et crime d’agression. Malheureusement :
- au-delà de ces quatre nomenclatures de crimes, il y a encore une multitude
d’actes qui énervent la conscience de l’humanité, que le rapport mapping
dénonce ;
- le même rapport mapping, objet de la présente dissertation et du point de
vue de la compétence temporelle de la Cour Pénale Internationale, porte
sur des événements antérieurs à la mise en œuvre du statut de la Cour
Pénale Internationale.

D’où la nécessité de créer une juridiction internationale ad hoc.

Nous avons affirmé que la Cour Pénale Internationale est une juridiction
chargée de poursuivre et de condamner les individus, auteurs présumés de
crimes relevant de sa compétence. Il nous faut ajouter que si certains crimes de
droit international, du genre de ceux concernés par le rapport mapping sont
imputables à un Etat, celui-ci peut être objet d’une procédure devant les
organes de l’ONU, parmi lesquels la Cour Internationale de Justice (CIJ). C’est
dans la même optique que le Professeur Auguste Mampuya écrit : « Dès sa
résolution 1296, le Conseil de Sécurité de l’ONU estimait que les pratiques
consistant à prendre délibérément pour cibles des civils, à commettre des violations
systématiques, flagrantes et généralisées du droit international humanitaire, pouvaient
constituer une menace contre la paix et la sécurité internationales »3 (C’est nous qui
soulignons) : C’est la conception structurelle ou institutionnelle de la paix et la
sécurité internationales qui, de nos jours, conquiert du terrain par rapport à la
conception militaro-politique. Sur ce point, nous ne pouvons omettre de
souligner que même le Projet du rapport mapping, sous examen, est une production
du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme.

3 MAMPUYA KANUNK’a-TSHIABO, Traité de droit international public, Kinshasa, Médiaspaul, 2016, p. 709.
CAHIERS AFRICAINS DES DROITS DE L’HOMME ET DE LA DEMOCRATIE 99
AINSI QUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE

C’est dans cette logique que la RDC s’est pourvue devant la Cour
Internationale de Justice, en son temps, contre le Burundi, le Rwanda et
l’Ouganda. Seulement, la CIJ ne peut être compétente que si l’Etat accusé a émis
la « déclaration facultative de l’acceptation de sa compétence obligatoire. »
Cela pouvant être déduit aussi d’une « clause compromissoire » contenue dans
une convention ou d’un « compromis interétatique. » C’est en se prévalant de
cette condition que le Burundi et le Rwanda ont fini par obtenir le désistement
de la RDC, le 15 janvier 2001, dans les procédures dont ils étaient défendeurs.
La RDC reviendra à la charge en ce qui concerne le Rwanda, mais l’affaire n’a
pas connu une issue heureuse. Nous nous y penchons plus bas.
Quoi qu’il en soit, que l’Ouganda, en tant qu’Etat souverain, soit
condamné ; cela n’exonère pas les personnes physiques de leurs responsabilités
pénales 4 , parmi eux se retrouvent même des nationaux congolais. Cela ne
résout pas la question vis-à-vis des autres acteurs des conflits cités dans le
rapport mapping. Comme corollaire, la question de l’impunité des crimes
persiste. Heureusement pour l’avenir, le droit international public, après la
création de la CPI, n’a pas fini d’évoluer en cette matière suite à des
dénonciations de crimes du genre de ceux du rapport mapping : il a surtout
évolué dans le sens de la prévention des crimes, comme qui dirait « mieux vaut
prévenir que guérir ».Nous le verrons plus bas, avec force détails.
Cela étant, la question fondamentale de la présente étude peut être
formulée comme suit : « Quelles sont les questions juridiques fondamentales
et/ou pratiques et subséquentes que soulève le projet du rapport mapping ? »
Comme hypothèse de base, nous partons du fait que même la CPI serait
une réaction des Etats à une situation d’impunité des crimes graves, comme
nous l’a exposé le Professeur Luzolo Bambi Lessa. De là le rapport mapping
soulèverait les questions de création d’une juridiction ad hoc, de renforcement
de la prévention des crimes dans le système onusien, de l’humanisation du
droit international public et de la justice pour les victimes des crimes
accompagnée d’un pardon libérateur des consciences.

4 « La responsabilité et la sanction des individus qui ont commis des crimes ne libère pas pour autant l’Etat lui-même
de sa propre responsabilité pour un tel fait. » (Commission de Droit International de l’Assemblée Générale de l’ONU,
Rapport sur les travaux de la 28ième session, Ann CDI, 1976, Vol III, 2ième partie, p. 96, par. 21) ; « Le cas de la
responsabilité individuelle est, en principe, à distinguer de celui de la responsabilité des Etats » (Commission de
Droit International de l’Assemblée Générale de l’ONU, Rapport sur les travaux de la 53ième session, Ann CDI, 2001,
Vol II, 2ième partie, p. 153, par. 3).
Statut de la Cour Pénale Internationale, article 25/ 4 :« Aucune disposition du présent statut relative à la responsabilité
pénale des individus n’affecte la responsabilité des États en droit international. »
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Démocratique du Congo - Aperçu et questions subséquentes -

Il va de soi que, pour atteindre le résultat visé, notre approche est


juridique, renforcer par la méthode exploratoire et complétée par la technique
documentaire.

Dans les lignes suivantes, après une brève présentation du rapport


mapping (I) et des observations du Gouvernement de la RDC y relatives (II),
nous avons retenu, sur une longue liste de questions, les points suivants :
- Nécessité de sanctionner les crimes face à l’impunité (III) ;
- Evolution de la question théorique en droit international des droits de
l’homme et droit international humanitaire (IV) ;
- L’arrêt de la CIJ du 19 décembre 2005 sur les activités armées sur le territoire
du Congo, RD C/Ouganda : Réparation éventuelle ; mais partielle et
parcellaire (V) ;
- La question de création des chambres spécialisées sur la RDC (VI) ;
- La problématique de la création d’une Commission Vérité et Réconciliation,
des amnisties et de l’éducation (VII) ;
- Conclusion (VIII) ;
- Bibliographie énonciative (IX.).

I. BREVE PRESENTATION DU RAPPORT MAPPING


Le rapport Mapping de l'ONU a été élaboré par le Haut-commissariat des
Nations Unies aux droits de l'homme, publié le vendredi 1er octobre 2003. Il
décrit les violations les plus graves des droits humains et du droit international
humanitaire commises en République Démocratique du Congo, entre mars
1993 et juin 2003, à Genève. Il s'agit d'un document dense et détaillé, de plus
de 900 pages, basé sur des recherches extensives et rigoureuses effectuées par
une équipe d'une vingtaine de professionnels congolais et internationaux en
matière de droits humains pendant 12 mois.
Ce rapport examine 617 incidents les plus graves survenus dans tout le
Congo sur une période de 10 ans et fournit des détails sur des cas graves de
massacres, de violence sexuelle et d'attaques contre des enfants, ainsi que
d'autres exactions commises par une série d'acteurs armés, à la solde,
notamment, des armées étrangères, des groupes rebelles et des forces du
gouvernement congolais.
CAHIERS AFRICAINS DES DROITS DE L’HOMME ET DE LA DEMOCRATIE 101
AINSI QUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE

Le rapport indique que les femmes et les enfants ont été les principales
victimes de la plupart des actes de violence recensés par l'équipe. Afin de «
refléter comme il convient l'ampleur de ces actes de violence commis par tous
les groupes armés » contre les personnes les plus vulnérables, le rapport
consacre des chapitres spécifiques aux crimes de violence sexuelle contre les
femmes et les filles, ainsi qu'aux violences contre les enfants. Il consacre
également un chapitre au rôle joué par l'exploitation des ressources naturelles
par rapport aux crimes commis au Congo.

Le rapport conclut que la majorité des crimes documentés peuvent être


qualifiés de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre5. Nous pouvons citer :
- Le débarquement des militaires rwandais et ougandais à Kitona, avec
capture illicite d’un aéronef civil, notamment ;
- Les actes de cannibalisme ;
- La persécution des kasaïens au Katanga.

En référence à une série particulière d'événements qui se sont déroulés


entre 1996 et 1997, le rapport soulève la question de savoir si certains crimes
commis par l'armée rwandaise et son allié congolais, le groupe rebelle de
l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération (AFDL), contre des
réfugiés hutus rwandais et des citoyens hutus congolais pourraient être qualifiés
de crimes de génocide. Le rapport précise qu'il appartiendrait à un tribunal
compétent de rendre une telle décision.
L'objectif du projet de Mapping n'était pas d’ « établir de responsabilités
individuelles ni à jeter le blâme. » Au contraire, le rapport indique que le projet
de mapping « se veut un premier pas, après un violent conflit, vers un processus de
vérité parfois douloureux mais nécessaire » et qu'il cherche à « regarder vers
l'avenir en identifiant plusieurs chemins que pourrait emprunter la société
congolaise pour composer avec son passé, lutter contre l'impunité et faire face
aux défis présents de façon à empêcher que de telles atrocités ne se
reproduisent ». Une partie importante du rapport est consacrée à une
évaluation du système de justice congolais actuel, au cadre juridique pour juger
ces crimes et aux options de justice transitionnelle.6

5 Pour plus de détails : LUZOLO BAMBI LESSA, E.J. et BAYONA Ba MEYA, N.A., op. cit, pp. 747 et suiv.
6 HUMAN RIGHTS WATCH, RD Congo : Questions et réponses sur le rapport de mapping des Nations Unies sur les
droits humains, in https://www.hrw.org/en/report (consulté le 23/01/2017).
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Démocratique du Congo - Aperçu et questions subséquentes -

II. OBSERVATIONS DU GOUVERNEMENT SUR CE RAPPORT

Par un Livre blanc7, le Gouvernement relève les observations suivantes :


- Le rapport est considéré comme un indicateur échantillonné de l’ampleur et
de la gravité de la cause fondamentale des crises historiques et récurrentes
de la gouvernance congolaise depuis 1960, voire au-delà.
- Ce rapport est aussi considéré comme une indication des orientations à
imprimer à la finalisation des reformes, notamment celle du système
sécuritaire, de la justice, de la police et de l’armée.
- Aux paragraphes 72, 1084 et suivants, il est décrié le silence sur les Etats
tireurs des ficelles et commanditaires des Etats voisins impliqués : Rwanda,
Ouganda, Burundi, Angola, etc.
- Il est aussi regretté le silence sur les crimes commis par les agents de la
MONUC, notamment les viols massifs.
- Le choix de l’année 1993 comme année du début des enquêtes du rapport
mapping pose le problème de l’absence de prise en compte des événements
majeurs de l’histoire congolais, antérieurs et non négligeables.
- Il est aussi décrié l’intention manifeste de victimiser certaines ethnies
comme les « Tutsi ».8

Il nous semble opportun de noter que le Haut-Commissariat des Nations


Unies aux Droits de l’Homme a vu le jour à l’occasion de la Déclaration et
programme d’action de Vienne, adoptée en 1993 (en réaction au Consensus de
Washington : les dix commandements du capitalisme). Le Rapport mapping
étant un produit du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de
l’Homme, nous trouvons logique que la date du début des investigations soit
fixée à 1993.

7 Livre blanc : observations du Gouvernement sur le rapport mapping concernant les violations les plus graves des droits
de l’Homme et du droit international humanitaire commises entre 1993 et juin 2003, sur le territoire de la RDC, Tome
II, octobre 2010.
8 LUZOLO BAMBI LESSA, E.J. et BAYONA Ba MEYA, N.A., op. cit, pp. 748-749.
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III. NECESSITE DE SANCTIONNER LES CRIMES FACE A L’IMPUNITE

Trois courants rivalisent sur cette matière, en droit pénal :


- Pour Bentham, l’homme criminel est à l’image de l’HOMO
OECONOMICUS d’Adam Smith, un modèle abstrait dominé par l’intérêt9.
Selon le Professeur Akele, c’est cette conception qu’adopte le droit pénal congolais
en vigueur, avec double finalité assignée à la peine : prévention générale et celle
spéciale.10
- Cette analyse, de façon plus exacerbée, se retrouve à l’école de justice
absolue. Pour cette école, représentée par Kant et Hegel notamment, « c’est
reconnaitre la liberté du criminel que de le déclarer responsable ». « La peine est le
droit de l’être libre ». Par son forfait, le délinquant s’est librement exclu de la
citoyenneté. La peine et son exécution est une exigence morale absolue,
exigence absolue de justice comme une fin en soi (peu importe son utilité)11.
- Beccaria soutient que la punition de la loi n’a pour but ni l’assouvissement
de la vindicte, ni la satisfaction d’un besoin de la justice absolue, ni même
l’expiation d’un coupable ou la rétribution de son fait. Elle sert simplement
à empêcher que des nouveaux délits soient commis dans le futur. Par
conséquent, doit être supprimé tout ce qui peut paraitre superflu dans
l’arsenal juridique : supplices, peines trop sévères, peine de mort.12

Personnellement, nous sommes pour ce dernier courant, c’est même le plus


inspirateur en matière des droits de l’Homme13.

Dans ce sens, Levy Mario Jordao affirme que : « Loin d'être un mal à nos
yeux, la peine nous semble un bien, en ce qu'elle est le moyen de réparer le trouble causé
par le crime dans l’Etat-de-droit de la société, et parce qu'elle donne au criminel une

9 TROTIGNON R., Jeremy BENTHAM, in Encyclopaedia Universalis, Vol. 3, Paris, éd. Universalis, 1982, pp. 160-
161.
10 AKELE ADAU P., « Notes d’orientation scientifique du Séminaire-Atelier sur la réforme du code pénal », in Réforme

du code pénal congolais. A la recherche des options fondamentales du code pénal congolais, T II, éd. CEPAS,
Kinshasa, 2008, p. 34.
11 GUILLERMIT C., « Emmanuel KANT », in Encyclopaedia Universalis, Vol. 9, Paris, éd. Universalis, 1982, pp 616

et suiv ; BRUAIRE C., « Georg Wilherm Friedrich HEGEL », in Encyclopaedia Universalis, Vol. 8, Paris, éd.
Universalis, 1982, pp 276, 279-280.
12 AKELE ADAU P., « Notes d’orientation scientifique du Séminaire-Atelier sur la réforme du code pénal », in Réforme

du code pénal congolais. A la recherche des options fondamentales du code pénal congolais, T II, éd. du CEPAS,
Kinshasa, 2008, pp. 32-33.
13 Nous pensons, entre autres, au deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits

civils et politiques, de 1989, visant à abolir la peine de mort.


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Démocratique du Congo - Aperçu et questions subséquentes -

nouvelle vie en l'arrachant à la dépravation, à laquelle, avec l'abrutissement, n'est


autre chose que le suicide de l’être moral 14 ».
Nous ne sommes pas naïfs, ce courant a aussi des défauts. Ainsi, sur le
plan international, « l’utilité » de la peine risque de se confronter aux intérêts
de quelques Etats, les plus puissants. Dans ce cas, les questions de politique
internationale auraient un impact négatif sur le droit international. C’est dans
cette logique que nous avons compris les tergiversations du Conseil de Sécurité
de l’ONU, lorsqu’il s’agissait de condamner l’agression de la RDC par ses
voisions (1996-1997 et 1998-…) ou de mettre en place une juridiction ad hoc
pour les crimes commis en RDC. C’est ici qu’il convient de rappeler, avec le
Professeur Auguste Mampuya, «(…) certaines puissances (particulièrement les
Etats-Unis et le Royaume-Uni, dans une moindre mesure le Canada), à cause du
changement des données géostratégiques dans la région, et des multinationales, en vue
de mettre la main ou renforcer le contrôle sur les ressources congolaises, auraient
apporté aux envahisseurs armes, munition, logistiques, conseillers militaires et
assistance satellitaire, en plus du soutien politique et diplomatique très visible
notamment à travers une gestion pour le moins ambigüe et juridiquement contestable
du conflit par le Conseil de sécurité.15 »
Si nous comparons les actes, de commune renommée, dénoncés dans cet
extrait, à la teneur de la Résolution 2625 (XXV), du 24 octobre 1970, intitulée
« déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations
amicales et la coopération entre les Etats, conformément à la Charte des
Nations unies, nous pouvons affirmer que la RDC a été agressé par certains
Etats membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU. Dans cette
dernière hypothèse, mettre en place une juridiction internationale finirait par
les éclabousser et pareil projet ne pourrait qu’être étouffé. Les observations du
Gouvernement de la RDC, sur le rapport mapping, en disent déjà long.
Cela étant, en principe la sanction pénale ne peut être décidée qu’à l’issue
d’un procès. Les seules exceptions connues étant, notamment :
- Le cas de la condamnation du témoin récalcitrant (article 19 Décret du 6 août
195916 portant Code de procédure pénale) 17;

14 Levy MARIO JORDAO, Cours de Droit pénal, Lisbonne, 1858, p. 40.


15 MAMPUYA KANUNK’a-TSHIABO, op. cit., p. 952.
16 B.O., 1959, p. 1934.
17Article 19. - « Le témoin qui, sans justifier d’un motif légitime d’excuse, ne comparaît pas, bien que cité régulièrement,

ou qui refuse de prêter serment ou de déposer quand il en a l’obligation, peut, sans autre formalité ni délai et sans
appel, être condamné par l’officier du Ministère public à une peine d’un mois de servitude pénale au maximum et à
une amende qui n’excédera pas 1.000 francs, ou l’une de ces peines seulement.
« La servitude pénale subsidiaire à l’amende, ainsi que la contrainte par corps pour le recouvrement des frais, ne
peuvent excéder quatorze jours. »
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AINSI QUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE

- les contraventions (timbre-amende) ;


- La notion du plaider coupable. Le projet de loi Perben II, en France. Cette
notion de plaider coupable, a été établie par plusieurs Etats, pour réduire les
sanctions pénales (négociations sur la peine entre l’accusation et celui qui se
déclare coupable). Quand il n’y a pas procès, il y a consentement entre
l’accusation et la personne concernée en principe. Donc la sanction peut être
également prononcée avec l’accord de celui qui subit la sanction, mais si non
il y a un droit à revenir à un procès équitable18.

Le procès suppose qu’il y ait une juridiction et la juridiction assure le


monopole de l’Etat sur le droit de punir. C’est ainsi que face à cela, ce sont les
juridictions nationales de la RDC qui ont failli. Les causes de cette faillite sont
notamment dans la corruption19.

Dans cette logique, l’impunité se présente, selon les termes du Professeur


Akele Adau, comme « l’expression d’une réelle lassitude, d’une véritable
« labilité » ou défaillance généralisée du contrôle social »20.

Il s’agit aussi de réorganiser de façon efficiente la carte judicaire en vue de


résoudre le problème posé par le droit d’accès à la justice21.

Soulignons que le Professeur Luzolo Bambi Lessa nous a entretenu


sérieusement sur ces deux derniers points, tout au long du séminaire de DES.

18 file:///I:/Droit%20p%C3%A9nal%20g%C3%A9n%C3%A9ral%20-%20Cours%20de%20droit%20p%C3%
A9nal.html
19 Pour plus de détails sur la corruption : SITA AKELE MUILA, A. et AKELE ADAU, P., « Quelle stratégie pour

combattre la corruption en RDC ? », in Réforme du Code Pénal Congolais, T II, éd. CEPAS, Kinshasa, 2008, pp.380-
409.
20 AKELE ADAU P., (Sous la dir.), Réforme du code pénal congolais, T III, Options axiologiques et techniques

fondamentales, éd. du CEPAS, Kinshasa, 2009, pp. 122-123.


21 LUZOLO BAMBI LESSA E.J., « Quel droit judiciaire pour une meilleure prise en compte de la réforme du code

pénal ? », in Réforme du Code Pénal Congolais, T II, éd. CEPAS, Kinshasa, 2008, p.522.
106 Du projet du rapport mapping sur les violations graves des droits de l’Homme en République
Démocratique du Congo - Aperçu et questions subséquentes -

IV. EVOLUTION DE LA QUESTION THEORIQUE EN DROIT


INTERNATIONAL DES DROITS DE L’HOMME ET DROIT
INTERNATIONAL HUMANITAIRE

Le rapport mapping mentionne beaucoup de cas de violations graves de


droit international public et humanitaire. Face à autant de crimes, pouvons-
nous nous rappeler ceux commis pendant la seconde guerre mondiale et la
réaction y réservée par le droit international public ? Que devait être la réaction
des Etats relativement à leurs obligations internationales ? La question n’est
pas exceptionnelle si nous nous limitons à la « légalité » internationale, la
réponse serait claire et axée sur le principe « Nullum crimen, nulla poena sine
lege ». Cependant, elle déborde les seuls cadres de la légalité22 et nous semble
plus intéressante lorsqu’il s’agit de recourir au ius naturalis, aux ius cogens
avec des obligations erga omnes, aux principes généraux de droit.

Nous optons d’y répondre, de prime abord, en termes de la théorie sur


« l’humanisation du droit international public», dont le but est de créer un
droit universel applicable tant aux États qu’aux individus en vue de protéger
les droits de l’homme. Un des éléments de cette mission est la transformation
des mesures conservatoires en un outil de l’activisme du juge international qui
« met l'accent sur la dimension préventive de la protection internationale des
droits de l'homme.23 »

Dans cette logique, il est souvent évoqué l’article 1er commun aux
Conventions de Genève du 12 août 1949 : « Les hautes parties contractantes
s’engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes
circonstances. »(C’est nous qui soulignons).

Cette disposition apparait, pour la première fois, dans les Conventions


de Genève de 1929 et entraine plusieurs conséquences, dont :

- L’engagement de « respecter en toutes circonstances » est révélateur du


caractère erga omnes des obligations du droit international humanitaire ;

22 NYABIRUNGU mwene SONGA, Traité de droit pénal général congolais, 2ième éditions, Presses Universitaires
Africaines, Kinshasa, 2007, pp. 50-62.
23 AUGUSTO CANÇADO TRINDADE, A., « Les Mesures Provisoires de Protection dans la Jurisprudence de la Cour

Interaméricaine des Droits de L'Homme », in Revista do Instituto Brasileiro de Direitos Humanos, (2003), 13-19.
CAHIERS AFRICAINS DES DROITS DE L’HOMME ET DE LA DEMOCRATIE 107
AINSI QUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE

- Dans un cadre d’analyse opposant droit de coexistence et droit de


coopération, l’obligation de faire respecter le droit humanitaire est-elle
révélatrice de l’existence d’un droit international humanitaire de
coopération ?

La Chambre d’Appel du Tribunal pénal international pour l’ex-


Yougoslavie affirme à ce propos : « Le caractère absolu de la plupart des obligations
prévues par les règles du droit international humanitaire vient de la tendance
progressive à l’“ humanisation” du droit international, qui s’illustre par le recul
généralisé du rôle de la réciprocité dans l’application du droit humanitaire au cours de
ce dernier siècle. [...] Ce changement de perspective vient de ce que les États ont pris
conscience que les normes du droit international humanitaire avaient avant tout pour
vocation, non de protéger leurs intérêts, mais ceux des personnes en leur qualité d’êtres
humains. [...] Le respect des règles humanitaires ne peut dépendre d’un respect
réciproque ou équivalent de ces obligations par d’autres États. [...] En raison de leur
caractère absolu, ces normes de droit international humanitaire n’imposent pas
d’obligations synallagmatiques [...]. Au contraire, comme on peut le lire dans l’arrêt
rendu par la Cour internationale de Justice dans l’affaire Barcelona Traction [...], elles
énoncent des obligations envers la communauté internationale. »

Dans la même logique, face au principe « Nullum crimen, nulla poena


sine lege », l’alinéa 2 de l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques dispose : « 2. Rien dans le présent article ne s’oppose au jugement
ou à la condamnation de tout individu en raison d’actes ou omissions qui, au
moment où ils ont été commis, étaient tenus pour criminels, d’après les principes
généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations »(C’est nous qui soulignons).
Cela a pour conséquence qu’outres les textes légaux ou conventionnels les
obligations, en matière des droits de l’homme comprises, peuvent découler des
principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations. Ces
obligations, donc, visent même les Etats tiers aux conventions de droits de
l’homme. Le Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal Militaire
International de Nuremberg, du 14 novembre 1945 au 1er octobre 1946 nous
fournit plusieurs illustrations de cette réalité, exceptionnelle.
108 Du projet du rapport mapping sur les violations graves des droits de l’Homme en République
Démocratique du Congo - Aperçu et questions subséquentes -

Un bémol cependant, dans l’Affaire relative à des questions concernant


l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal) 24 , la Cour
Internationale de justice s’est pourtant refusée à s’engager dans le combat
idéologique pour l’«humanisation du droit international» du juge Cançado
Trindade25, d’autant plus que les thèses avancées par le juge Cançado Trindade
manquaient de pertinence pratique en l’espèce. Ce refus est-il symptomatique
de l’absence d’enracinement de ce genre de théorie dans le droit international
positif ? En fait, c’est sans surprises que la Cour a refusé de s’engager dans cet
activisme judiciaire, marquant ainsi le fossé de plus en plus profond qui sépare
les défendeurs du « nouveau jus gentium » du droit international positif. Dans
la mesure où le droit de la Belgique et son intérêt à agir pour obtenir le
jugement ou l’extradition de Monsieur Habré pour les crimes commis à ses
nationaux suffisaient largement, il était inutile pour la Cour de s’aventurer
dans l’application d’une théorie aux fondements juridiques douteux. Le faire,
relevait, en fait, d’un pur prosélytisme incompatible avec les fonctions
judiciaires de la Cour.
A l’exception du cas de la CIJ, il faut bien reconnaitre que les doctrines
visant à protéger les populations civiles contre les actes du genre de ceux
dénoncés par le rapport mapping n’ont acquis « droit de cité » aux Nations
Unies que très récemment. A défaut d’exposé toute l’évolution26, dont la CPI,

24Affaire relative à des questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), Ordonnance
du 28 mai 2009, [2009], en ligne : CIJ <www.icj-cij.org/docket/files/144/1 5148.pdf>
25Selon l’opinion dissidente, dans un vibrant plaidoyer pour un droit universel qui serait prétendument plus adapté aux

« réalités » contemporaines, le juge Cançado Trindade a argué que, quels que soient les droits de la Belgique en tant
que partie à la Convention contre la torture, c’étaient les droits des victimes qui devaient être protégés par la Cour.
Accusant ses contradicteurs de « [n]ostalgics of the past, clung to their own dogmatism », le juge Cançado Trindade
a argué que depuis trente ans la Couraurait« overcome the strictly inter-State outlook in the acknowledgment of the
rights to be preserved by means of its orders of provisional measures ». Ainsi, malgré le caractère exclusivement
interétatique des différends pouvant être soumis à la Cour, il considère que les États « have no longer the monopoly
of the rights to be preserved » et a appelé la Cour à transcender « the artificial inter-State dimension of the past » pour
préserver les droits des vrais et ultimes titulaires des droits : les hommes
26A la fin de la première guerre mondiale, le traité de Versailles prévoit dans son article 227 la création d’un tribunal

international en vue de juger GUILLAUME II pour « offense suprême contre la morale internationale et l’autorité
sacrée des traités ». Ce tribunal ne verra pas le jour, GUILLAUME II s’étant exilé aux Pays-Bas et ces derniers
refusant de l’extrader. Les crimes commis durant la seconde guerre mondiale par les nazis et les Japonais seront les
premiers crimes internationaux jugés comme tels. Les premiers par le tribunal de NUREMBERG, créé par les accords
de Londres du 8 août 1945 qui définissent les notions de crimes contre l’humanité, crime de guerre et crime contre la
paix26. Puis une déclaration institue en parallèle le Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient ayant son
siège à TOKYO le 19 janvier 1946. Le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) : mis en place en
1993 par la résolution 827 du Conseil de Sécurité du 25 mai de cette année et établi à La Haye. Le Tribunal Pénal
International pour le Rwanda (TPIR) : créé en 1994 par la résolution 955 du Conseil de Sécurité et s’est établi à
Arusha en Tanzanie. Le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone (TSSL) : créé le 16 janvier 2002 en vue de juger les
crimes commis durant la guerre civile de Sierra Leone. Le Tribunal Spécial pour le Liban a été créé après l’assassinat
de RAFIQ HARIRI, le 14 février 2005 : résolution 1757 du Conseil de Sécurité. La création de la CPI s’est déroulée
en deux temps :
CAHIERS AFRICAINS DES DROITS DE L’HOMME ET DE LA DEMOCRATIE 109
AINSI QUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE

est parmi les maillons les plus importants, qu’il nous suffise, pour l’Assemblée
Générale de l’ONU et à titre indicatif, de citer :

- La résolution A/60/1 du 16 septembre 2005, intitulée « Devoir de protéger


les populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage
ethnique et les crimes contre l’humanité. »

- La résolution 63/308, du 14 septembre 2009, intitulée « Responsabilité de


protéger. »

Il n’y a pas de doute que l’ONU s’investit dans la prévention des actes
du genre de ceux dénoncés par le rapport mapping par une diplomatie
préventive (tenue par les différents rapporteurs spéciaux27, la CPI elle-même,
les différents représentants spéciaux du Secrétaire Général de l’ONU, le
Secrétaire Général de l’ONU lui-même, etc.) et par les interventions armées, si
nécessaire (Conception institutionnelle de la menace contre la paix et la sécurité
internationales).C’est dans ce cadre qu’il faut situer les différentes opérations
« peace keeping », « peace making », « peace building », « peace
enforcement ».

C’est ainsi que s’explique la multiplicité des opérations de maintien de la


paix en RDC : EUFOR RD CONGO, Opération Artémis, Brigade d’intervention
(résolution 2098 du Conseil de Sécurité, du 28 mars 2013). La résolution
2277(2016), du Conseil de Sécurité de l’ONU, du 30 mars 2016, sur la situation
actuelle de la RDC, rentrent dans cette dynamique.

- Adoption du statut de Rome le 17 juillet 1998 par 120 pays participant à la conférence diplomatique des
plénipotentiaires de l’ONU sur l’établissement d’une Cour Pénale Internationale (7 voix contre 21 abstentions). Le
statut qui définit les pouvoirs et obligations semble rendre celle- ci indépendante du Conseil de Sécurité, ce qui
renforce sa crédibilité. De la même façon, l’adhésion au statut de Rome est volontaire.
- Une fois le statut de Rome adopté, il fallait qu’un minimum de 60 Etats le ratifie pour qu’il entre en vigueur. Ce
quorum a été atteint le 11 avril 2002 après qu’un groupe de 10 Etats ait ratifié en même temps le statut. Le 1er juillet
2002 marque l’entrée en vigueur du statut de la CPI. (MUNTAZINI MUKIMAPA T., « La complémentarité de la
Justice Nationale avec la Cour Pénale Internationale ; cas de la République Démocratique du Congo », in La Justice
Nationale et internationale dans la lutte contre l’impunité, K.A.S., Kinshasa, 2007, p. 23 et suiv.).
27 Conseil des droits de l’homme (Seizième session), Résolution 16/21 sur le Réexamen des activités et du

fonctionnement du Conseil des droits de l’homme, du 12 avril 2011 ; Conseil des droits de l’homme (9e séance),
Résolution 5/1, sur la Mise en place des institutions du Conseil des droits de l’homme, du 18 juin 2007 ; Mission
permanente de la Suisse auprès de l’ONU, Le Conseil des droits de l’homme. Guide pratique, Communication visuelle
DFAE, Berne, 2015, pp. 11 et suiv; Haut-commissariat aux droits de l’Homme et Organisation internationale de la
Francophonie, Le Conseil des droits de l’Homme : Guide pratique, pp. 42-55, in http://www.ohchr.org/(consulté le
25/01/2017).
110 Du projet du rapport mapping sur les violations graves des droits de l’Homme en République
Démocratique du Congo - Aperçu et questions subséquentes -

Qu’il nous soit permis de signaler qu’ailleurs qu’en RDC, ces nouvelles
doctrines des Nations Unies ont donné lieu à des contestations basées sur la
souveraineté étatique, à des dérapages et parfois aux abus de puissance. Qu’il
nous soit parmi de relever :

- L’article 2.6 de la Charte des Nations Unies : « L'Organisation fait en sorte que
les États qui ne sont pas membres des Nations unies agissent conformément à ces
principes dans la mesure nécessaire au maintien de la paix et de la sécurité
internationales. » L’article 13.b du statut de la Cour Pénale Internationale :
« La Cour peut exercer sa compétence à l'égard d'un crime visé à l'article 5,
conformément aux dispositions du présent Statut : b) Si une situation dans laquelle
un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au procureur
par le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations
Unies ». Cette disposition est la pierre d’achoppement de plus d’un
désaccord interétatique. C’est ainsi que le 3 juillet 2009, l’Union Africaine a
décidé que ses membres doivent refuser de coopérer avec la CPI concernant
l’arrestation du Président soudanais Omar El-Béchir et son transfert à la
Cour. Cette position de l’UA a été confortée dans une décision sur le rapport
de la deuxième réunion des Etats-parties au statut de Rome de la CPI. A
l’issue du 15ième sommet des Chefs d’Etats et de Gouvernement qui s’est
tenue à Kampala, du 15 au 27 juillet 2010, l’UA maintient sa position. Par
ailleurs, la même position a été adoptée à propos du mandat d’arrêt émis, le
27 juillet 2011, à l’encontre de l’ancien dirigeant lybien Mouammar Khadafi.
Dans une résolution du 1er juillet 2011, l’UA « décide que les Etats membres ne
coopéreront pas à l’exécution du mandat d’arrêt contre Khadafi et demande au
Conseil de Sécurité de l’ONU d’annuler le processus de la CPI. »

A notre humble avis, la compétence de la CPI n’étant que


complémentaire, la défaillance des mécanismes internes des Etats, l’absence
d’un mécanisme africain compensatoire au refus de coopérer avec la CPI, sur
l’exécution de ces mandats, font apparaitre ces réactions comme une exaltation
de l’impunité.
CAHIERS AFRICAINS DES DROITS DE L’HOMME ET DE LA DEMOCRATIE 111
AINSI QUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE

- Les déviations ne sont pas totalement exclues. C’est ainsi que à travers les
résolutions 1970 (2011), du 26 février 2011, et 1973 (2011), du 17 mars 2011,28
sur la situation en Libye, les membres de l'ONU ont admis qu'il revient à
chaque État de protéger sa population mais que c'est à la communauté
internationale, dans le cadre de l'ONU, que revient la responsabilité
d'assurer cette protection, en cas de carence de l'État concerné. Dans les cas
les plus graves, la responsabilité de protéger de la communauté
internationale peut prendre la forme d'une intervention militaire coercitive,
décidée par le Conseil de sécurité, en vertu du chapitre VII de la Charte des
Nations unies.29

28 Résolution S/2011/142, adoptée par 10 voix pour et 5 abstentions (Allemagne, Brésil, Chine, Fédération de Russie et
Inde).
29 Retenons de la dernière de ces Résolutions ce qui suit : Le Conseil de Sécurité

« Protection civile
« 4. Autorise les États Membres qui ont adressé au Secrétaire général une notification à cet effet et agissent à titre
national ou dans le cadre d’organismes ou d’arrangements régionaux et en coopération avec le Secrétaire général,
à prendre toutes mesures nécessaires, nonobstant le paragraphe 9 de la résolution 1970 (2011), pour protéger les
populations et les zones civiles menacées d’attaque en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi, tout en
excluant le déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n’importe quelle
partie du territoire libyen, et prie les États Membres concernés d’informer immédiatement le Secrétaire général
des mesures qu’ils auront prises en vertu des pouvoirs qu’ils tirent du présent paragraphe et qui seront
immédiatement portées à l’attention du Conseil de sécurité ;
« 5. Mesure l’importance du rôle que joue la Ligue des États arabes dans le maintien de la paix et de la sécurité
régionales et, gardant à l’esprit le Chapitre VIII de la Charte des Nations Unies, prie les États Membres qui
appartiennent à la Ligue de coopérer avec les autres États Membres à l’application du paragraphe 4 ;
« Zone d’exclusion aérienne
« 6. Décide d’interdire tous vols dans l’espace aérien de la Jamahiriya arabe libyenne afin d’aider à protéger les
civils ;
« 7. Décide également que l’interdiction imposée au paragraphe 6 ne s’appliquera pas aux vols dont le seul objectif
est d’ordre humanitaire, comme l’acheminement d’une assistance, notamment de fournitures médicales, de denrées
alimentaires, de travailleurs humanitaires et d’aide connexe, ou la facilitation de cet acheminement, ou encore
l’évacuation d’étrangers de la Jamahiriya arabe libyenne, qu’elle ne s’appliquera pas non plus aux vols autorisés
par les paragraphes 4 ci-dessus ou 8 ci-dessous ni à d’autres vols assurés par des États agissant en vertu de
l’autorisation accordée au paragraphe 8 dont on estime qu’ils sont dans l’intérêt du peuple libyen et que ces vols
seront assurés en coordination avec tout mécanisme établi en application du paragraphe 8 ;
« 8. Autorise les États Membres qui ont adressé aux Secrétaires généraux de l’Organisation des Nations Unies et de
la Ligue des États arabes une notification à cet effet, agissant à titre national ou dans le cadre d’organismes ou
d’arrangements régionaux, à prendre au besoin toutes mesures nécessaires pour faire respecter l’interdiction de
vol imposée au paragraphe 6 ci-dessus et faire en sorte que des aéronefs ne puissent être utilisés pour des attaques
aériennes contre la population civile et demande aux États concernés, en coopération avec la Ligue des États
arabes, de procéder en étroite coordination avec le Secrétaire général s’agissant des mesures qu’ils prennent pour
appliquer cette interdiction, notamment en créant un mécanisme approprié de mise en œuvre des dispositions des
paragraphes 6 et 7 ci-dessus ;
« 9. Appelle tous les États Membres agissant à titre national ou dans le cadre d’organismes ou d’arrangements
régionaux à fournir une assistance, notamment pour toute autorisation de survol nécessaire, en vue de l’application
des paragraphes 4, 6, 7 et 8 ci-dessus ;
« 10. Prie les États Membres concernés de coordonner étroitement leur action entre eux et avec le Secrétaire général
s’agissant des mesures qu’ils prennent pour mettre en œuvre les paragraphes 4, 6, 7 et 8 ci-dessus, notamment les
mesures pratiques de suivi et d’approbation de vols humanitaires ou d’évacuation autorisés ; »
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/maintien-paix/onu-libye.shtml
112 Du projet du rapport mapping sur les violations graves des droits de l’Homme en République
Démocratique du Congo - Aperçu et questions subséquentes -

Malheureusement, l'intervention autorisée par l'ONU et dirigée par l'OTAN


en Libye ayant pour objectif d'empêcher le régime du colonel Kadhafi
d'exercer une répression de masse à l'encontre de la rébellion confondue
avec la population civile et maitresse de l'est du pays, s’est transformée en
une opération d’anéantissement d’un régime ou d’un Etat souverain.

- Pour être complet, il nous semble nécessaire de relever la doctrine du


Comité International de la Croix Rouge. Celui-ci refuse de s’engager pour
une approche « intégrée » ou « globale », dans la conduite de ses opérations.
En effet, les notions « d’interventions humanitaire » et de la « responsabilité
de protéger », dans la sphère des opérations du Comité International de la
Croix Rouge ou Croissant Rouge, supposent que l’action humanitaire
classique, jugée timide, se voit renforcée par le miliaire et le politique. Cela
débouche sur des refus de consentement à l’accès humanitaire, des refus
d’autoriser une action humanitaire ou des contraintes imposées, sur le
terrain, de la part des parties aux conflits armés, du fait de la « la perception,
croissante ces dernières années, selon laquelle l’aide humanitaire serait
devenue de plus en plus politisée. »30

Surtout en ce qui concerne les Conflits armés non internationaux (que


constituent la quasi-totalité des conflits modernes), l’article 3 du Protocole
additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection
des victimes des conflits armés non internationaux du 8 juin 1977 (Protocole II)
soutient la non-intervention31. Dans le même sens, le point 2 de l’article 18 du
même Protocole additionnel (Protocole II) dispose :

« Lorsque la population civile souffre de privations excessives par manque des


approvisionnements essentiels à sa survie, tels que vivres et ravitaillements sanitaires,
des actions de secours en faveur de la population civile, de caractère exclusivement
humanitaire et impartial et conduites sans aucune distinction de caractère défavorable,
seront entreprises avec le consentement de la haute partie contractante concernée ».

30 « Questions/réponses du CICR », in Revue Internationale de la Croix-Rouge, Volume 96, Sélection française, 2014 /
1, pp. 293 et suivantes.
31 Art. 3. - Non-intervention

« 1. Aucune disposition du présent protocole ne sera invoquée en vue de porter atteinte à la souveraineté d’un État ou
à la responsabilité du gouvernement de maintenir ou de rétablir l’ordre public dans l’État ou de défendre l’unité
nationale et l’intégrité territoriale de l’État par tous les moyens légitimes.
« 2. Aucune disposition du présent protocole ne sera invoquée comme une justification d’une intervention directe ou
indirecte, pour quelque raison que ce soit, dans le conflit armé ou dans les affaires intérieures ou extérieures de la
haute partie contractante sur le territoire de laquelle ce conflit se produit. »
CAHIERS AFRICAINS DES DROITS DE L’HOMME ET DE LA DEMOCRATIE 113
AINSI QUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE

Les Etats ont, donc, privilégier la souveraineté étatique, même face aux
nécessités humanitaires. Toutefois, « L’impasse dans laquelle s’est trouvé le Conseil
de sécurité sur la question du recours à la force dans le cas syrien l’a incité à explorer
d’autres manières de renforcer le droit à l’assistance et à l’accès humanitaire. En
adoptant ses résolutions sur la crise syrienne, le Conseil de sécurité a développé une
doctrine cohérente sur l’interprétation du Droit International Humanitaire, ne laissant
aucun doute sur le fait que le droit à l’assistance et à l’accès humanitaire n’est plus le
monopole de la partie étatique à un conflit32 .Ces résolutions s’opposent à certaines
interprétations abusives du Droit International Humanitaire, fondées sur la
souveraineté, qui ont conduit à un refus arbitraire d’assistance et l’utilisation Del ‘aide
comme arme de guerre. »33Signalons que ce débat ne s’est pas posé, dans le cas
spécifique de la RDC, dans les même termes, étant donné que même s’il s’est
agi d’un conflit déstructuré, comme celui syrien ou celui de la Somalie, la Lybie,
il n’y a pas eu échec patent dans l’accès humanitaire.

Sans digresser, terminons en soutenant que si le droit international


humanitaire nous semble acceptable et « humanitaire » dans ses aspects ius in
bello, il ne nous semble pas être le cas lorsqu’il s’agit du ius ad bellum,
spécifiquement du « privilège de belligérance. »34

V. L’ARRET DE LA CIJ DU 19 DECEMBRE 2005 SUR LES ACTIVITES


ARMEES SUR LE TERRITOIRE DU CONGO, RD C/OUGANDA35 :
REPARATIONEVENTUELLE ; MAIS, PARTIELLE ET PARCELLAIRE

Le 23 juin 1999, la RDC introduit 3 requêtes devant la CIJ, respectivement


contre le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda, en raison des actes d’agression
armée perpétrés sur son territoire. Suite à la non-reconnaissance de la
compétence de la CIJ par le Burundi et le Rwanda, la RDC se désista le 15
janvier 2001, dans les deux instances concernant ces Etats. D’où l’ordonnance
du 30 janvier 2001, prenant acte du désistement. Le cas du Rwanda donna lieu

32 Dans la Résolution 2165 du 14 juillet 2014, le Conseil de sécurité de l’ONU rejette la référence au Chapitre VII et
l’option de recourir à la force dans le cas d’une violation de ses décisions, tout en affirmant que cette résolution – et
par conséquent l’interprétation qu’elle fait du DIH – possède un effet juridiquement contraignant en vertu de l’article
25 de la Charte des Nations Unies.
33 BOUCHET-SAULNIER, F., « Le consentement à l’accès humanitaire : une obligation déclenchée par le contrôle du

territoire et non par les droits de l’État », in Revue Internationale de la Croix-Rouge, Volume 96, Sélection française,
2014 / 1, p. 177.
34 KREß, C., et MEGRET, F., « La réglementation des conflits armés non internationaux : un privilège de belligérance

peut-il être envisagé dans le droit des conflits armés non internationaux ? », in Revue Internationale de la Croix-
Rouge, Volume 96, Sélection française, 2014 / 1, pp. 29-68.
35 CIJ, Recueil 2005, pp. 345 et suiv.
114 Du projet du rapport mapping sur les violations graves des droits de l’Homme en République
Démocratique du Congo - Aperçu et questions subséquentes -

à une nouvelle requête en janvier 2002, sur base des clauses compromissoires
contenues dans 66 conventions relatives aux droits de l’Homme et droit
international humanitaire. La suite est toujours loin d’être heureuse.36

Il sied, de l’arrêt susvisé, de relever l’essentiel des points 179 et 180 :

« 179. La Cour ayant conclu que l’Ouganda était une puissance occupante
(…) la responsabilité de celui-ci est donc engagée à raison à la fois de
tout acte de ses forces armées contraire à ses obligations internationales
et du défaut de la vigilance requise pour prévenir les violations des droits
de l’homme et du droit international humanitaire par les autres acteurs
présents sur le territoire occupé, en ce compris les groupes rebelles
agissant pour leur propre compte» (souligné par nous).

« 180. La Cour relève que l’Ouganda est responsable des actes et


omissions (…) en vertu des règles pertinentes et applicables à la
situation de l’espèce, du droit international relatif aux droits de l’homme et
du droit international humanitaire » (souligné par nous).

La Réparation en vertu de cet arrêt, elle est éventuelle. Mais, parcellaire


puisqu’elle ne couvre pas tous les dommages, y compris ceux du fait des autres
puissances occupantes de la région et parcellaire puisqu’elle ne concerne que
la zone nord-est, surtout, du territoire de la RDC.

VI. LA QUESTION DE CREATION DES CHAMBRES SPECIALISEES EN


RDC

Il est évident que les juridictions nationales sont dans une situation telle
qu’elles sont incapables d’exercer leurs compétences relativement aux actes
visés par le rapport mapping. C’est dans cette hypothèse qu’il sied d’évoqué
l’article 1er du Traité de Rome, du 17 juillet 1998, portant statut de la Cour
pénale internationale37, in fine, qui dispose : « Elle (La Cour) est complémentaire
des juridictions pénales nationales ».

36 Pour plus de détails : MAMPUYA KANUNK’a-TSHIABO, op. cit., pp. 959 et suiv.
37 Le traité de Rome du 17 juillet 1998 a été ratifié par le Décret- Loi n° 00/3/2000 du 30 mars 2002.
CAHIERS AFRICAINS DES DROITS DE L’HOMME ET DE LA DEMOCRATIE 115
AINSI QUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE

Malheureusement, l’article 11 du même traité, consacré à la compétence


« ratione temporis » précise :

« 1. La Cour n’a compétence qu’à l’égard des crimes relevant de sa


compétence commis après l’entrée en vigueur du présent statut.

« 2. Si un État devient Partie au présent statut après l’entrée en vigueur


de celui-ci, la Cour ne peut exercer sa compétence qu’à l’égard des crimes
commis après l’entrée en vigueur du statut pour cet État, sauf si ledit État fait
la déclaration prévue à l’article 12, paragraphe 3 ».

L’article 24§1 du même statut renchérit : «Nul n’est pénalement


responsable, en vertu du présent statut, pour un comportement antérieur à
l’entrée en vigueur du statut ».

C’est ainsi que la lettre du Président de la République, du 3 mars 2004


portant renvoi de la situation de la RDC limite la saisine de la CPI aux faits
postérieurs au 1er juillet 2002, date de l’entrée en vigueur des statuts de la CPI.
Par cette lettre, le Chef de l’Etat, entre autres, écrit : « en raison de la situation
particulière que connait mon pays (la RDC), les autorités compétentes ne sont
malheureusement pas en mesure de mener des enquêtes sur les crimes susmentionnés
ni d’engager les poursuites nécessaires sans participation de la CPI. »

Pour rentrer au statut de la CPI, une fois de plus, la Cour ne vise pas à se
substituer aux systèmes nationaux de justice pénale mais à les compléter. Elle
ne peut poursuivre et juger des personnes que si les systèmes nationaux en
question n’engagent pas des procédures ou s’ils proclament leur intention de
le faire sans avoir réellement la volonté ou la capacité de mener véritablement
à bien des poursuites38. L’incapacité de l’Etat à poursuivre peut découler de
l’effondrement total ou partiel (failled state) de son appareil. C’est notamment
le cas lorsque les infrastructures judiciaires et pénitentiaires ont été
bombardées pendant la guerre ou que le personnel judiciaire, pour échapper à
l’insécurité, a dû déserter de son poste de travail.39

38 Statut de Rome, articles 17, points 2 et 3 et 20, point 3 litteras a et b.


39 Pour plus de détails : ALEXIS et NONO, La Cour Pénale Internationale, Alivia, 2010, Kinshasa.
116 Du projet du rapport mapping sur les violations graves des droits de l’Homme en République
Démocratique du Congo - Aperçu et questions subséquentes -

Pour être précis, la compétence temporelle de la Cour Pénale


Internationale, pour la RDC, ne débute qu’à partir de l’année 2002 et les actes
relevant de l’empire du rapport mapping sont antérieurs à cette année. D’où la
nécessité de la création d’une autre juridiction ad hoc.

Rappelons, avec le Professeur Auguste Mampuya, qu’à la différence du


statut de la CPI, ceux des tribunaux ad hoc, supra cités, n’établissent pas une
complémentarité avec les juridictions nationales. Mais, instituent une claire
primauté à leur égard dans la répression des crimes les plus graves.40 C’est
dans cette logique que, sans confondre l’international et le national, nous citons
le Professeur Luzolo Bambi Lessa, lorsqu’il traite du projet de loi sur les
chambres spécialisées en RDC : « Les chambres spécialisées ont compétence
exclusive pour connaitre des violations graves du droit international humanitaire
(…).41 »

En 2003, à l’occasion d’un message à la Tribune des Nations unies, le


Président Joseph Kabila mentionnait déjà la question de mise en place d’une
juridiction spéciale sur la RDC. Par son message du 17 juillet 2010, à l’occasion
de la commémoration de la journée internationale dédiée à la justice
internationale, le Ministre de la Justice de la RDC souleva la même question.
Le Professeur Emmanuel Luzolo Bambi nous en fournit plus de détails, dans
son livre.42

Qu’il nous soit permis, pour plus de clarté de relever un extrait des
commentaires du Professeur Emmanuel Luzolo Bambi, inspirés du texte
pertinent :

« Considérant la compétence non rétroactive de la CPI, prenant en


compte les réclamations exprimées dans l’opinion en faveur de la création d’un
tribunal international ad hoc pour la RDC qui heurte la réticence et aux
tergiversations des milieux internationaux comme le Conseil de Sécurité de
l’ONU, conscient, cependant de la nécessité de réprimer les crimes graves qui
ont émaillé la période précédant la création de la CPI, le Gouvernement
annonçait son projet d’instituer, au sein des juridictions répressives
congolaises, des chambres spécialisées qui seront chargées de cette répression.

40 MAMPUYA KANUNK’a-TSHIABO, op.cit, pp. 866-867.


41 LUZOLO BAMBI LESSA, E.J. et BAYONA Ba MEYA, N.A., op.cit, p. 754.
42 Ibidem, pp. 751 et suiv.
CAHIERS AFRICAINS DES DROITS DE L’HOMME ET DE LA DEMOCRATIE 117
AINSI QUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE

« C’est ainsi qu’a été adopté en Conseil des Ministres, le projet de loi
relative aux chambres spécialisées pour la répression des violations graves du
droit international humanitaire dont il définit l’organisation, le
fonctionnement, le droit applicable, la compétence et la procédure. Le projet de
loi établit un lien entre son adoption et la politique de tolérance zéro et la
prétention de couvrir les faiblesses que n’arrive pas à combler l’action
répressive de la CPI qui ne rend pas compte de l’ampleur du déficit judiciaire
en matière de répression des crimes internationaux dont le traitement
piétine »43.
Ces crimes sont imprescriptibles. Mais, plus le temps passe, plus les
auteurs présumés des crimes meurent, plus des preuves deviennent difficile à
reconstituer, etc.

VII. PROBLEMATIQUE DE LA CREATION D’UNE COMMISSION


VERITE ET RECONCILIATION, DES AMNISTIES, DE
L’EDUCATION ET L’INVESTISSEMENT DANS LE REGLEMENT
PACIFIQUE DES DIFFERENDS
Nous estimons que les mécanismes judiciaires, à la lumière de ce
qu’affirme le Professeur Emmanuel J. Luzolo Bambi Lessa à propos de ces
crimes de droit international humanitaire44, quels que soit leur nombre et leur
qualité, ne peuvent à eux seuls vider tous les contentieux. La punition seule ne
suffit pas, le simple pardon non plus. Il est toujours opportun de combiner tous
ces procédés. C’est dans la logique du second procédé qu’il y a lieu de relever :
- Les résolutions pertinentes du dialogue inter congolais de Sun City
(République d’Afrique du Sud) du 25 février au 12 avril 2002, précisément
de la Commission paix et réconciliation ;
- L’accord global et inclusif sur la transition en République démocratique du
Congo signé à Pretoria le 17 décembre 2002 et adopté à Sun City le 1er avril
2003 ;
- La Constitution de la transition, du 04 avril 200345dont l’article 154 dispose :
« Les institutions d’appui à la démocratie sont :

43 LUZOLO BAMBI LESSA, E.J. et BAYONA Ba MEYA, N.A., op. cit, pp. 750-758.
44 Idem., pp. 759-760.
45 J.O.RDC., numéro spécial, 5 avril 2003, p. 1
118 Du projet du rapport mapping sur les violations graves des droits de l’Homme en République
Démocratique du Congo - Aperçu et questions subséquentes -

« • La Commission électorale indépendante ;


« • L’Observatoire national des droits de l’homme ;
« • La Haute Autorité des médias ;
« • La Commission vérité et réconciliation ;
« • La Commission de l’éthique et de la lutte contre la corruption. »
- C’est en vertu de l’article 160 de la même Constitution que fut promulgué la
Loi n° 004/018 du 30 juillet 2004 portant création de la Commission vérité
et réconciliation.
- Malheureusement, cette institution n’a pas pu fonctionner correctement.

Quant aux amnisties, comme nous l’a affirmé le Professeur Luzolo, dans
le cadre de l’exposé sur l’impunité, sont des obstacles à la sanction pénale. Les
lois d’amnistie suivantes nous intéressent dans le cadre du rapport mapping.
Il s’agit de :
- Décret-loi n° 03-001 du 15 avril 2003 portant amnistie pour les faits de
guerre, infractions politiques et d’opinion ;
- Décret-loi du 07 mai 2009 portant amnistie pour les faits de guerre et
insurrection commis dans le Nord et Sud-Kivu ;
- Loi n° 014/006 du 11 février 2014 portant amnistie pour faits
insurrectionnels, faits de guerre, infractions politiques.

A côté des amnisties, il y a lieu de noter les immunités de forme et de


fond, les privilèges, les inviolabilités, etc.

Soulignons qu’il est exclu de l’application de ces textes les crimes de droit
international public : Génocide, crime de guerre, crime contre l’humanité, et
crime d’agression.

Il est évident que les actes commis sur le territoire de la RDC, pendant la
période 1993-2003, trahissent le défaut d’une connaissance impeccable des
droits de l’homme et du droit international humanitaire dans le chef des
hommes armés, notamment. Pour y pallier, il y a lieu d’investir dans une bonne
formation en la matière. Cela ressort même de l’une des réactions du
Gouvernement de la RDC, à ce rapport, suscitée, visant la réforme des services
de sécurité et de défense.
CAHIERS AFRICAINS DES DROITS DE L’HOMME ET DE LA DEMOCRATIE 119
AINSI QUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE

Pour mieux réussir, l’éducation devra être généralisée à tous les secteurs,
en la matière. C’est dans cette logique que nous citons les alinéas 5 à 7 de
l’article 45 de la Constitution de la RDC, du 18 février 2006, telle que modifiée
et complétée à ce jour :

« Les pouvoirs publics ont le devoir de promouvoir et d’assurer, par


l’enseignement, l’éducation et la diffusion, le respect des droits de l’homme, des libertés
fondamentales et des devoirs du citoyen énoncés dans la présente Constitution.

« Les pouvoirs publics ont le devoir d’assurer la diffusion et l’enseignement de


la Constitution, de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples, ainsi que de toutes les conventions
régionales et internationales relatives aux droits de l’homme et au droit international
humanitaire dûment ratifiées.

« L’Etat a l’obligation d’intégrer les droits de la personne humaine dans tous les
programmes de formation des forces armées, de la police et des services de sécurité. »

La presse, a-t-elle joué correctement son rôle ? Nous pensons que celle
internationale, comme il a été démontré à propos des armes de destruction
massives de l’Irak, a été soit timide, soit absente. Celle nationale a même
difficile à être un instrument de lutte contre la corruption.

Pour terminer, investir dans le règlement pacifique des différends


demeure « la voie royale » pour résoudre tous les conflits. Le recours à des
armes pour résoudre les désaccords au lieu du dialogue est toujours une erreur,
étant donné que c’est pendant ou à l’occasion des conflits armés que se
commettent des crimes graves qui énervent la conscience de l’humanité.
120 Du projet du rapport mapping sur les violations graves des droits de l’Homme en République
Démocratique du Congo - Aperçu et questions subséquentes -

CONCLUSION

Dans cette dissertation consacrée au rapport mapping sur la RDC, nous


nous sommes, de façon panoramique, investi à répondre à la question :
« Quelles sont les questions juridiques fondamentales et/ou pratiques que
soulève le projet du rapport mapping ? »
Au risque de nous répéter, Human Rights Watchinsiste sur le fait que
l'objectif du projet de Mapping n'était pas d’« établir de responsabilités
individuelles ni à jeter le blâme. » Au contraire, le rapport indique que le projet
de mapping « se veut un premier pas, après un violent conflit, vers un processus de
vérité parfois douloureux mais nécessaire » et qu'il cherche à « regarder vers
l'avenir en identifiant plusieurs chemins que pourrait emprunter la société
congolaise pour composer avec son passé, lutter contre l'impunité et faire face
aux défis présents de façon à empêcher que de telles atrocités ne se
reproduisent. » Une partie importante du rapport est consacrée à une
évaluation du système de justice congolais actuel, au cadre juridique pour juger
ces crimes et aux options de justice transitionnelle.46
Pour replacer ce rapport dans une assiette des droits humains, l’alinéa 2
des préambules de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, du 10
décembre 1948 rappelle : « Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits
de l'homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l'humanité
et que l'avènement d'un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire,
libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de
l'homme ».
Sans prétention d’épuiser tous les aspects de la réponse à la question de
base, nous avons retenu, entre autres, les éléments suivants :
- Il y a nécessité de sanctionner les crimes graves, de sorte à mettre fin à
l’impunité. La punition ayant aussi une fonction préventive, en plus de celle
répressive ;
- L’évolution de la question théorique en droit international des droits de
l’homme et droit international humanitaire tend vers une mise en place des
mécanismes de prévention des crimes, en plus de la répression
complémentaire à celle des Etats, assumée par la CPI ;

46 HUMAN RIGHTS WATCH, RD Congo: Questions et réponses sur le rapport de mapping des Nations Unies sur les
droits humains, in https://www.hrw.org/en/report (consulté le 23/01/2017).
CAHIERS AFRICAINS DES DROITS DE L’HOMME ET DE LA DEMOCRATIE 121
AINSI QUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE

- L’arrêt de la CIJ du 19 décembre 2005 sur les activités armées sur le territoire
du Congo, RD C/Ouganda, en cas d’exécution, pourrait satisfaire, en partie
à la question des réparations des préjudices subis du fait des activités
ougandaises, en RDC ;
- Le défaut d’une justice interne et la non-rétroactivité du statut de la CPI
justifient la nécessité de création des chambres spécialisées sur la RDC, pour
le rapport mapping ;
- La justice seule ne suffirait pas pour éponger les conséquences des crimes
dénoncés au terme du rapport mapping, d’où la nécessité de recourir aux
mécanismes supposant le « pardon » et « l’éducation » : problématique de
la Création d’une Commission Vérité et Réconciliation, des amnisties, de
l’éducation et l’investissement dans le règlement pacifique des différends.

Cela étant, qu’il nous soit permis de reproduire comme propositions


sous-exposées, à titre indicatif, ce qui suit :
- Persister dans la réforme des services de sécurité et de défense ainsi que de
la justice ;
- Militer pour le renforcement du système onusien de prévention des crimes
graves ;
- Aider la presse à assumer son rôle dans les investigations et les
dénonciations ;
- Investir dans l’éducation généralisée des droits de l’Homme et du droit
international humanitaire ;
- Investir dans la démocratie et l’Etat de droit ;
- Investir dans le règlement pacifique des différends et/ou dans le dialogue.
122 Du projet du rapport mapping sur les violations graves des droits de l’Homme en République
Démocratique du Congo - Aperçu et questions subséquentes -

BIBLIOGRAPHIE ÉNONCIATIVE

I. TEXTES OFFICIELS
1. Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, in
J.O.Z., n° spécial, avril 1999.
2. Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des
malades dans les forces armées en campagne, du 12 août 1949.
3. Convention (II) de Genève pour l’amélioration du sort des blessés, des
malades et des naufragés des forces armées sur mer.
4. Convention (III) de Genève relative au traitement des prisonniers de
guerre, du 12 août 1949.
5. Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles
en temps de guerre, du 12 août 1949.
6. Décret du 6 août 1959 portant Code de procédure pénale, in B.O., 1959, p.
1934.
7. Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté et ouvert à
la signature, à la ratification et à l'adhésion par l'Assemblée Générale dans
sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966, entrée en vigueur : le 23
mars 1976, in J.O.RDC., n° spécial, avril 1999.
8. Traité de Rome, du 17 juillet 1998, portant statut de la Cour pénale
internationale ratifié par le Décret- Loi n° 00/3/2000 du 30 mars 2002.
9. Accord global et inclusif sur la transition en République démocratique du
Congo signé à Pretoria le 17 décembre 2002 et adopté à Sun City le 1er avril
2003.
10. Constitution de la transition du 04 avril 2003, in JO RDC, n° spécial, 44ième
année, 05 avril 2003.
11. La résolution A/60/1 du 16 septembre 2005, intitulée « Devoir de protéger
les populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage
ethnique et les crimes contre l’humanité ».
12. Constitution de la RDC du 18 février 2006 telle que modifiée par la Loi n°
11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la
Constitution de la RDC, in J.O. RDC, n° spécial, 52ième année, octobre 2011.
CAHIERS AFRICAINS DES DROITS DE L’HOMME ET DE LA DEMOCRATIE 123
AINSI QUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE

13. Résolution 60/251 de l’Assemblée Générale des Nations Unies, du 15 mars


2006 créant le Conseil des droits de l’homme et l’Examen Périodique
Universel, in http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/CCPR/Pages/
CCPRIndex.aspx/ (consulté le 25/01/2017).
14. Résolution 5/1, sur la Mise en place des institutions du Conseil des droits
de l’homme, du 18 juin 2007.
15. La résolution 63/308, du 14 septembre 2009, intitulée « Responsabilité de
protéger ».
16. Résolution 16/21 sur le Réexamen des activités et du fonctionnement du
Conseil des droits de l’homme, du 12 avril 2011.

II. JURISPRUDENCE

1. L’arrêt de la CIJ du 19 décembre 2005 sur les activités armées sur le territoire
du Congo, RD C/OugandaCIJ, Recueil 2005.

2. Affaire relative à des questions concernant l’obligation de poursuivre ou


d’extrader (Belgique c. Sénégal), Ordonnance du 28 mai 2009, [2009], en
ligne : CIJ <www.icj-cij.org/docket/files/144/1 5148.pdf>

III. DOCTRINE ET AUTRES ECRITS


1. AKELE ADAU, P., (Sous la dir.), Réforme du code pénal congolais, T III,
Options axiologiques et techniques fondamentales, éd. du CEPAS, Kinshasa,
2009.
17. AKELE ADAU, P., « Argumentaire scientifique et documentation pour la
réforme du code pénal congolais », in Réforme du code pénal congolais, T.I,
éd. du CEPAS, Kinshasa, 2009.
18. AKELE ADAU, P., « Notes d’orientation scientifique du Séminaire-Atelier
sur la réforme du code pénal », in Réforme du code pénal congolais. A la
recherche des options fondamentales du code pénal congolais, T II, éd. du CEPAS,
Kinshasa, 2008.
19. BOUCHET-SAULNIER, F., « Le consentement à l’accès humanitaire : une
obligation déclenchée par le contrôle du territoire et non par les droits de
l’État », in Revue Internationale de la Croix-Rouge, Volume 96, Sélection
française, 2014/1.
124 Du projet du rapport mapping sur les violations graves des droits de l’Homme en République
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20. BRUAIRE, C., “Georg Wilherm Friedrich HEGEL”, in Encyclopaedia


Universalis, Vol. 8, Paris, éd. Universalis, 1982.
21. Commission de Droit International de l’Assemblée Générale de l’ONU,
Rapport sur les travaux de la 28ième session, Ann CDI, 1976.
22. Commission de Droit International de l’Assemblée Générale de l’ONU,
Rapport sur les travaux de la 53ième session, Ann CDI, 2001.
23. CORNU, G., Vocabulaire juridique, 10ième éd. PUF, Paris, 2015.
24. DIEU DE VABRES, D., Les principes modernes du droit pénal international,
Paris, éd. Panthéon, 2004.
25. GUILLERMIT, C., « Emmanuel KANT », in Encyclopaedia Universalis, Vol.
9, Paris, éd. Universalis, 1982.
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27. KREB, C., et MEGRET, F., « La réglementation des conflits armés non
internationaux : un privilège de belligérance peut-il être envisagé dans le
droit des conflits armés non internationaux ? », in Revue Internationale de la
Croix-Rouge, Volume 96, Sélection française, 2014/1.
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procédure pénale, PUC, Kinshasa, 2011.
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prise en compte de la réforme du code pénal ? », in Réforme du Code Pénal
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Kinshasa, Médiaspaul, 2016.
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Démocratique du Congo », in La Justice Nationale et internationale dans la
lutte contre l’impunité, K.A.S., Kinshasa, 2007.
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combattre la corruption en RDC ? », in Réforme du Code Pénal Congolais, T
II, éd. CEPAS, Kinshasa, 2008.
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3, Paris, éd. Universalis, 1982.

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