De Lhomme Boeuf Aux Ailes de Cire Ovide
De Lhomme Boeuf Aux Ailes de Cire Ovide
De Lhomme Boeuf Aux Ailes de Cire Ovide
du Minotaure
Études réunies et présentées par
les différents acteurs du drame se sont modiiées et Catherine d’HUMIÈRES et Rémy POIGNAULT
complexiiées, et les articles de cet ouvrage, en
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Autour
du Minotaure
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Autour
du Minotaure
P r e s s e s U n i v e r s i t a i r e s B l a i s e Pa s c a l
Mythographies et sociétés
Collection dirigée par
Pascale Auraix-Jonchière et Véronique Léonard-Roques
Comité de lecture
Pascale AURAIX-JONCHIÈRE
Professeur à l’Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand 2
Sylvie BALLESTRA-PUECH
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Yves CHEVREL
Professeur émérite à l’Université de Paris-Sorbonne
Sylviane COYAULT
Professeur à l’Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand 2
Charles DELATTRE
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Vincent FERRÉ
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Professeur à l’Université de Paris-Sorbonne
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Rodica LASCU-POP
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Maître de conférences à l’Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand 2
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Maître de conférences à l’Université Paris Ouest-Nanterre-La Défense
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Professeur à l’Université de Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines
Bertrand WESTPHAL
Professeur à l’Université de Limoges
6
Pa r t i e
Sortir du Labyrinthe
Autour du Minotaure
© Presses Universitaires Blaise Pascal, 2013,
ISBN (édition papier) 978-2-84516-533-5
ISBN (pdf) 978-2-84516-534-2
Christine KOSSAIFI
2. Traduction Henri Bornecque, revue par Philippe Heuzé (Paris, Les Belles
Lettres, « CUF », 2002) ; Danièle Robert, Ovide. Écrits érotiques, Arles, Actes Sud,
« Thesaurus », 2003 : « l’homme à demi taureau, taureau à demi homme », dans la
continuité de M. Heguin de Guerle et M. F. Lemaistre (Paris, Classique Garnier,
1927, disponible sur le site des Itinera Electronica, légèrement modiiée).
3. Pseudo-Apollodore d’Athènes, Bibliothèque, III, 1, 3, l’appelle Astérion.
4. Cf. Daremberg et Saglio, Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines,
s.v. « Minotaure », disponible en ligne (www//dagr.univ-tlse2.fr) et Isabelle Jouteur,
« La passion de Pasiphaé (Virgile, Bucolique VI, 45-60 ; Ovide, Art d’aimer, I, 289-
326) », p. 88, Vita Latina, 174, juin 2006, p. 71-92. En poète callimachéen, Ovide
cultive la complicité avec son lecteur cultivé.
5. Figura, « formé avec le sufixe -ūra directement sur la racine » du verbe
ingo, signiie proprement « plastique », selon Alfred Ernout et Antoine Meillet,
Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, Klincksieck, 2001, p. 236.
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De l’homme-bœuf aux ailes de cire
qu’il utilise le terme bos, en lieu et place de celui qui était attendu
(et employé dans les Métamorphoses), taurus. L’originalité de
l’approche et la force de la représentation font toute la valeur de ce
vers auquel Ovide semble tenir6 puisqu’il réutilise l’expression dans
sa poésie d’exil, donc dans un contexte d’authenticité douloureuse ;
il afirme en effet dans ses Tristes qu’il croirait plutôt à « l’homme à
moitié bœuf », semibouemque uirum, qu’à la négligence insoucieuse
de l’un de ses destinataires, dont il est sans nouvelles7. Tentons donc
d’élucider la signiication du terme bos consciemment choisi par
Ovide, de préférence à taurus, pourtant récurrent dans la littérature8.
En faisant du Minotaure un bœuf, Ovide estompe sa masculinité
puisqu’il choisit un « terme générique », désignant un « animal
d’espèce bovine sans acception de sexe »9, de préférence à taurus,
« correspondant exact » du grec ταῦρος, qui, étymologiquement,
« spéciie le sexe de l’animal »10 et incarne la puissance fécondante
du mâle dans toute sa violence. Castré, le Minotaure s’apparente au
taurus sacriié, selon l’autre acception du mot qui « désigne aussi le
périnée (ou plus exactement les testicules ?) dans une victime »11 ;
il acquiert ainsi une nature plus riche que celle, traditionnelle, de
« taureau de Minos » puisque, en tant que bos, il porte en lui à la
fois le taureau et le bœuf, voire la vache si l’on se souvient que ce
nom peut s’employer également au féminin12. D’ailleurs, Ovide a
pris la peine, au livre I, de souligner l’ambivalence du terme en
l’employant dans ces deux sens au sein d’un même vers : Pasiphaé,
amoureuse du taureau envoyé par Poséidon, « rêve d’être tantôt
Europe, tantôt Io, l’une parce qu’elle est une vache, l’autre, parce
6. C’est l’un des trois vers que, selon l’anecdote rapportée par Sénèque le Père, il veut
absolument garder (avec celui, de facture semblable, des Amores II, 11, 10) tandis
que ses amis souhaitent les supprimer (Controverse II, 2) ; cf. infra 3. 1.
7. Tristes, IV 7, 18 ; d’après B. Lorenz, De amicorum in Ovidii Tristibus personis,
Leipzig, Frankestein et Wagner, 1881, il serait question d’un ami intime d’Ovide,
Curtius Atticus.
8. Pseudo-Apollodore d’Athènes, Bibliothèque, III, 1, 3 (ταύρου πρόσωπον),
Plutarque, Vie de Thésée, 15, 2 ; Diodore de Sicile, IV, 77 ; Pausanias I, 24, 1 ;
Sénèque, Phèdre, 1172 ; cf. aussi Virgile, En. VI, 25-26 et Maurus Servius Honoratus,
Commentaire à l’Énéide, livre IV, 14 (tauri amore lagravit).
9. A. Ernout et A. Meillet, op. cit., p. 74.
10. Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris,
Klincksieck, 1999, p. 1097.
11. A. Ernout et A. Meillet, op. cit., p. 677.
12. Il est alors opposé à taurus ; cf. Thesaurus Linguae Latinae, s.v. bos. Antoine
Meillet voit d’ailleurs dans bos un mot « curieux », Esquisse d’une histoire de la
langue latine, Hachette, 1933, p. 101.
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Christine KOSSAIFI
qu’elle a été portée par un taureau », altera quod bos est, altera
uecta boue » (v. 324). Si l’on conçoit bien qu’Ovide utilise bos pour
Io, l’emploi du même mot pour Jupiter, dont la vitalité génésique
est bien connue, fait question, d’autant plus que l’intention du dieu
n’est pas des plus chastes… Faut-il se contenter de voir dans ce vers
un joli polyptote que permet l’interchangeabilité des termes ? Nous
ne le pensons pas. Le choix de bos pour désigner le Minotaure et le
parallèle avec Pasiphaé amoureuse du taureau divin nous paraissent
relever d’une approche plus complexe que celle du simple jeu
poétique.
13. C’est l’amour maladie, aggravée par « l’inconstance » naturelle des femmes ;
cf. par exemple, Properce III, 19 ; Virgile, Géorg. III 209-283 (dans son tableau des
dérèglements animaux sous l’effet de Vénus, Virgile inclut l’homme), dans l’axe
de Lucrèce, De Natura rerum I, 1-27 (« hymne à Vénus », force de fécondité et
livre IV : condamnation des ravages de la passion) ; lien avec la dopamine moderne.
14. La femme, dit Ovide à l’apprenti séducteur, est en effet impulsive et incapable de
retenue, de sorte que « toutes peuvent être prises », cunctas / posse capi, Art d’aimer
I, 269-270 (le passage va jusqu’au v. 278).
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15. I. Jouteur, op. cit., p. 89 (décalage entre la coquetterie élégiaque de la reine et les
humbles réalités des bergers).
16. Cf. notamment vers 42-49 (souffrances loin de Lycoris) 52-60 (errance dans les
forêts et chasse pour tenter de guérir son amour).
17. La « liste comporte invariablement à l’époque augustéenne au moins Médée,
Scylla et Myrrha », I. Jouteur, op. cit., p. 75. Cf. par exemple, Métamorphoses,
VIII 131-133 : Scylla repoussée par Minos à qui elle a, par amour, livré, avec le
cheveu de Nisus, son père et sa patrie, laisse éclater sa douleur et, jouant sur les
niveaux de narration, le poète convoque le parallèle avec la conception du Minotaure
pour caractériser la peridie du roi : « vraiment, elle est digne d’un époux comme toi,
celle qui, adultère, trompa, dans son enveloppe de bois, un taureau farouche, toruum
[…] taurum, et porta dans ses lancs le fruit d’un accouplement contre nature »,
discordem […] fetum ; sur toruus, cf. Pascal Quignard, Le sexe et l’effroi, Paris,
Gallimard, 1994, p. 194.
18. La formulation est faussement duelle : siue placet Minos nullus quaeratur
adulter / Siue uirum mauis fallere, falle uiro, « si Minos te plaît, ne cherche aucun
adultère ; si tu préfères tromper ton mari, trompe-le avec un homme » (v. 309-310) ;
le polyptote et le verbe mauis suggèrent l’attrait irrésistible du désir adultérin, après
la concession convenue à la idélité.
19. Cf. Plutarque, Vie de Thésée, XIX (Tauros, général de l’armée et athlète prestigieux
aurait eu une liaison avec Pasiphaé)
20. I. Jouteur, op. cit., p. 87, qui souligne le lien avec le sophisme euripidéen
(l’absence de responsabilité réside précisément dans la monstruosité de l’acte, ce à
quoi Ovide répond avec un « bon sens apparent : il est moins grave de tromper son
mari avec un homme qu’avec un taureau »).
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petit point noir entre les cornes ; il n’avait que cette tache, tout le
reste était de lait » (v. 290-292). La luminosité, éclatante et pure, que
l’épithète candidus donne au taureau (logiquement appelé taurus) et
la couleur lactée de son pelage, cetera lactis erant, suggèrent une
nature divine et font penser à Zeus métamorphosé pour séduire
Europe34. Comme Zeus dont « le corps, selon Moschos, était de
couleur blonde, à l’exception d’un cercle d’un blanc pur qui brillait
au milieu de son front »35, le taureau ovidien porte une « toute petite
tache, au milieu, entre les cornes », media inter cornua ; ce « point »
pictural, labes, situé au même endroit que celui de Zeus, suggère la
divine beauté du taureau. Mais, contrairement à celle de Zeus, cette
tache est « petite », tenui, « noire », nigro, et, peut-être irrégulière.
Faut-il voir dans cette particularité un signe de la nature terrestre du
taureau, hypostase animale de Poséidon ? Un « trait discriminatoire
[…] qui signale sa singularité, le rend extraordinaire, mais aussi
impropre au sacriice »36 ? Une tache morale dans la royauté
crétoise ? Ovide laisse libre cours à l’ingéniosité déductive de son
lecteur… En tout cas, comme le dit Isabelle Jouteur, la blancheur de
l’animal, tout comme « l’évocation des cornes du taureau que tous
les dictionnaires des symboles mettent en relation avec la lune, du
fait de leur ressemblance avec le croissant de l’astre » rappellent
« l’ancienne dimension sacrée du mythe » (p. 91).
Dès lors, la folie de Pasiphaé prend une autre signiication37. La
hiérogamie crétoise se concrétisait par « des cornes de vache [pour]
la prêtresse » et « un masque de taureau [pour] le roi »38. C’est
peut-être aussi ce que suggère la génisse d’érable, uacca acerna39,
qui permet à Pasiphaé d’avoir l’apparence qu’elle souhaite et de
34. L’épisode est évoqué dans le deuxième hémistiche du v. 324 et dans les
Métamorphoses, II, 850-875.
35. Moschos, Europé, v. 84-85. Le rapprochement est proposé par A. S. Hollis dans
son commentaire Ovid, Ars Amatoria, book I, Oxford, 1977 et rappelé par I. Jouteur,
p. 88.
36. I. Jouteur, op. cit., p. 88. L’auteure met ce mythe en relation avec « un rituel de
fécondité » (p. 91).
37. Jean Canteins met l’épisode en rapport avec la hiérogamie, Sauver le mythe, 3.
Dédale et ses œuvres, Paris, Maisonneuve et Larose, 1994, p. 44-45.
38. Paul Faure, op. cit., p. 273. Sur les travestissements intersexuels rituels, cf. Robert
Turcan, Liturgies de l’initiation bacchique à l’époque romaine (Liber), Mémoires
de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, tome XXVII, Paris, De Boccard,
203, p. 15-16.
39. Ovide évite consciencieusement le terme bos pour désigner la vache d’érable, au
contraire de Properce 3, 19, 12 (cornua falsa bouis) ; 4, 7, 57-58 (mentitae lignea
monstra bouis, « monstre en bois de la trompeuse génisse »).
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45. Epist. I, 18, 9 : Virtus est medium uitiorum et utrimque reductum ; cf. aussi
Carm. II, 10, 5.
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46. Il sera davantage détaillé dans les Métamorphoses VIII, 189-200, où une
comparaison avec la lûte de Pan (v. 191-192) éclaire la dualité psychologique de
Dédale, par assimilation implicite au dieu mi-bouc mi-homme.
47. Celle-ci fonctionne comme la glu dont Dédale passe aussi pour être l’inventeur :
cf. Pline, H. N. 7, 198.
48. Cf. Françoise Frontisi-Ducroux, Dédale : mythologie de l’artisan en Grèce
ancienne, Paris, Maspero, 1975, p. 125-134 ; d’après [Platon], Alc. 1. 121a, il
appartient à l’arbre généalogique d’Héphaïstos.
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Christine KOSSAIFI
49. Cette « colline moins haute qu’une montagne » (v. 71) constitue peut-être
une allusion voilée au meurtre de Talos, neveu et élève de Dédale, mais artisan si
habile que celui-ci, jaloux, l’a jeté du haut de l’Acropole ; c’est ce meurtre qui est à
l’origine de son exil en Crète (ce qui confère une certaine ambiguïté à l’expression
fatis iniquis, « des destins injustes », v. 27). Selon Jean Canteins, op. cit., Sauver le
mythe, 3. Dédale et ses œuvres, p. 36-42, cette élévation prélude également à la mort
d’Icare qui reproduit celle de Talos (que Canteins appelle à tort Perdix, qui est la
sœur de Dédale).
50. Air et feu : caeli, caelo (v. 37), sidereas […] sedes (v. 39), aerias […] uias (v. 44),
uolucrum (v. 45), aera (v. 53 et 54), aetherias […] sole per auras (v. 59), caloris
(v. 60), uentos (v. 63 et 86), aurae (v. 64). Terre et eau : terra paterna (v. 26), et
terras et […] aequora (v. 35), tellus, unda (v. 36), undas (v. 41), aerias […] uias
(v. 44), freto (v. 61), aequoreis […] madescet aquis (v. 62), pisces (v. 77), piscosis
[…] uadis (v. 82), aequora symboliquement opposé à caelo (v. 87), aquae (v. 92), in
undis (v. 95), tellus, aequora (v. 96).
51. Anne Videau, « Rhétorique et poétique de la dualité dans les poèmes ovidiens »,
p. 197, in Hélène Casanova-Robin (dir.), Ovide, igures de l’hybride, Paris,
Champion, 2009, p. 197-209.
52. Ce jeu intertextuel constitue peut-être également une allusion voilée à la
métamorphose des vaisseaux d’Énée en nymphes marines dans l’Énéide, IX,
116-122.
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De l’homme-bœuf aux ailes de cire
53. Sur la nef Argo, « vaisseau sacré magique, doté d’une âme vivante et d’une
personnalité », cf. Yves Dacosta, Initiations et sociétés secrètes dans l’antiquité
gréco-romaine, Paris, Berg International, 1991, p. 91 et p. 108 sur la symbolique
du navire ou de l’oiseau, « image de l’aide indispensable pour franchir le gouffre
séparant la mort (réelle ou initiatique) de la résurrection ».
54. Il convient donc de nuancer l’analyse, trop systématique, d’A. Videau : le poète
– nous explorerons cet aspect dans notre 3 – a le pouvoir de réorganiser le cosmos
qui, de ce fait, ne nous apparaît pas comme « un monde rationnel de la dualité
réversible, fermé sur lui-même », in « Rhétorique et poétique de la dualité dans les
poèmes ovidiens », op. cit., p. 209.
55. Le lien mimétique avec le réel est indiqué dans les Métamorphoses, VIII, 195, où
Dédale s’efforce « d’imiter les ailes d’oiseaux véritables », ut ueras imitetur aues.
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Christine KOSSAIFI
56. Dédale se rapproche ainsi d’Hélios et Icare de Phaéton (Mét. II, 1-149).
57. Chez Virgile, Dédale est si accablé de souffrance qu’il ne parvient pas à sculpter
sur le temple d’Apollon l’épisode de la mort de son ils (En. VI, 30-33).
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58. Paul Diel, Le symbolisme dans la mythologie grecque, Paris, Petite Bibliothèque
Payot, 1966, p. 49.
59. Ibid., p. 51.
60. Pascal Quignard, Le sexe et l’effroi, op. cit., p. 231 ; sur la tombe du plongeur de
Paestum, cf. p. 228-229.
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De l’homme-bœuf aux ailes de cire
69. Sur l’inluence de Callimaque et de Théocrite sur les élégiaques, cf. Richard
Hunter, The Shadow of Callimachus. Studies in the Reception of Hellenistic Poetry
at Rome, Cambridge University Press, 2006.
70. Callimaque, Aitia, fr. 1. 1. Pf., v. 32 (« réponse aux Telchines »).
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De l’homme-bœuf aux ailes de cire
hominis conpescere pinnas (v. 97) ; l’asyndète qui unit ces deux
vers dit à la fois l’audace du poète et l’apparente impossibilité de
sa réussite ; il s’attaque à un dieu ailé, deum uolucrem, quand le roi
s’en est pris à un homme et à des plumes, hominis […] pinnas, et
n’a pu que constater son échec, non potuit, en tête de vers. Mais la
formulation du vers 98, qui rapproche un présent à valeur de futur,
paro, d’un ininitif parfait, detinuisse, suggère à la fois la réussite et
l’humour du poète, maître de ses sujets et de ses effets, proche de ses
personnages et complice de ses lecteurs, auxquels il offre un double
plaisir, celui de la narration et celui de la lecture métaphorique. Par
sa capacité à mentir vrai, il provoque notre adhésion volontaire et
consciente au mensonge poétique et au merveilleux75.
Nous pouvons alors comprendre la stupeur du pêcheur quand
il aperçoit, depuis la mer où il s’efforce de prendre du poisson, les
hommes volants là-haut dans le ciel ; l’émotion qui le saisit est si
forte qu’il en perd le contrôle de son esprit et « sa main droite [lâche]
l’ouvrage qu’elle avait entrepris » (v. 78). Le passage brutal du
plan d’ensemble représentant Icare en vol au gros plan sur la main
d’un inconnu, aliquis (v. 77), transcrit au niveau esthétique la forte
surprise du personnage, mais caractérise aussi l’état de perturbation
psychologique que le poète crée chez son auditeur, une sorte de
θάμβος76 qui associe plaisir, étonnement et douleur, semblable à
celui qu’a ressenti le chevrier de l’Idylle I de Théocrite (v. 146-
148) ; or, la mention du pêcheur chez Ovide n’est pas innocente, elle
fait allusion à celui qui, chez Théocrite, orne la coupe du chevrier
et qui, lui aussi, s’efforce de prendre ce qu’il peut (v. 39-44). Par
l’évocation du « roseau tremblant », tremula arundine, dans la main
du personnage (v. 77), Ovide dessine l’image du vent qui soufle sur
le roseau, lui-même symbole de l’humanité ordinaire et de la musa
tenuis de l’élégie, tout en caractérisant, par l’hypallage, la thématique
poétique du stupor : la stupeur du pêcheur est paradigmatique de
celle du lecteur et elle a une dimension essentiellement poétique,
s’apparentant à ce que les Arabes appellent tarab77.
75. Sur cet aspect, cf. l’analyse très ine de Florence Klein, « Prodigiosa
mendacia uatum : Responses to the Marvellous in Ovid’s Narrative of Perseus
(Metamorphoses 4-5) », p. 211, à propos des ailes de Persée et du sens du merveilleux
dans cet épisode, in Philip Hardie, Paradox and the Marvellous in Augustan
Literature and Culture, op. cit., p. 189-212.
76. Le thambos grec désigne un sentiment d’étonnement stupéié où l’effroi se mêle
à la fascination.
77. Le terme désigne un état psychologique aussi complexe que celui que caractérise le
grec thambos mais avec une connotation plus positive (il s’agit plus d’un ravissement
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Christine KOSSAIFI
Conclusion
Cet épyllion qui ouvre le livre II de l’Art d’aimer apparaît donc
comme un exemplum complexe et fonctionne comme une mise
en abyme de l’ensemble de l’œuvre, dont il nous donne la clé de
lecture : l’existence du Minotaure rappelle la force de l’instinct et
son enfermement dit la nécessité de le maîtriser. La conquête du ciel
grâce aux ailes de cire créées par Dédale annonce le triomphe du
jeune homme victorieux de la femme qu’il courtise, grâce aux
conseils du poète ; la volupté d’Icare quand il s’approche du soleil
est à l’image de la jouissance physique de l’homme et de la femme,
dont l’évocation termine les livres II et III ; sa chute dans la mer
évoque la métamorphose détumescente du fascinus en mentula.
Mais cette histoire érotique cryptée qu’il faut savoir déchiffrer a
surtout un sens poétique. Rélexion sur la création littéraire, sur le
problème de la représentation de l’hybride et sur la nature du plaisir
que donne le poète ou que prend le lecteur, l’Art d’aimer est un
chant d’amour pour la poésie, un manuel pseudo-didactique qui dit
l’universel pouvoir d’Éros et l’importance de cette divine uoluptas
dont Lucrèce faisait, au début de son De rerum natura, un principe
poétique et cosmique de vie.
382
Autour du Minotaure
© Presses Universitaires Blaise Pascal, 2013,
ISBN (édition papier) 978-2-84516-533-5
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Rémy POIGNAULT
Avant-propos .................................................................................. 9
Fabrice ROBERT
Le Minotaure dans l’Antiquité :
un être sans nom, un personnage sans légende ............................ 27
Charles DELATTRE
Une écriture rationnelle de la violence :
le Minotaure dans la tradition mythographique antique............... 41
Laurence GOSSEREZ
Le mythe de Dédale et d’Icare selon saint Ambroise
(Ep. 5, 19 ; Exc. 2, 129 ; Virgin. 18, 116-117) .............................. 55
Table des matières
Patrick ABSALON
Les offrandes faites aux monstres :
iconographie et symbolique du tribut ........................................... 73
Marie-Françoise HAMARD
Portrait de l’artiste en Minotaure
Objets romanesques, igures mythiques et trajectoires identitaires
dans Le Feu de Gabriele D’Annunzio .......................................... 89
Jérémie MAJOREL
Plus d’un il : le Minotaure de Blanchot....................................... 99
Étienne WOLFF
Thésée et le labyrinthe dans L’Emploi du temps (1956)
de Michel Butor .......................................................................... 109
Olivier MAILLART
Le labyrinthe de la mémoire
Sur La Stratégie de l’araignée de Bernardo Bertolucci ............. 119
Éric NUEVO
Le devenir-Minotaure de Jack Nicholson
dans Shining de Stanley Kubrick................................................ 131
Stavroula KEFALLONITIS
Montherlant ou le Minotaure démasqué..................................... 145
Lito IOAKIMIDOU
Pour une ontologie de l’identité
Le Minotaure théâtral et sa iliation mythique
chez Montherlant, Kazantzakis et Hofmannsthal ....................... 157
Marie-Camille TOMASI
Le monstre aux carrefours du Moi
Étude comparée des résurgences minotauriennes
dans les œuvres de James Joyce et Henry Bauchau ................... 187
474
Table des matières
Élisabeth GAVOILLE
Pasiphaé, la femme qui voulut être vache .................................. 205
Franck COLLIN
Errabunda bouis uestigia :
Pasiphaé, l’irrésistible intuition d’un renversement ................... 219
Mireille BRÉMOND
Autour du Minotaure d’André Suarès ........................................ 237
Natalie NOYARET
Pulsions et passions
Le Minotaure et les autres dans El jardín dorado,
de Gustavo Martín Garzo (2008)................................................ 249
Hélène MARQUIÉ
Danse d’Ariane et quête de nouveaux sens
Errand into the Maze de Martha Graham (1947) ....................... 263
Anne G. GRAHAM
Thésée ou le monstre tragique dans Phèdre de Racine .............. 277
Alexandre PLANQUE TAFTEBERG
Hippolyte et le Minotaure dans les réécritures du mythe de Phèdre
Fin XXe-début XXIe siècle ......................................................... 293
Sophie FISCHBACH
« Le Minotaure » de Supervielle
ou l’humanisation subversive ..................................................... 307
András KÁNYÁDI
Aspects du Minotaure
dans la prose hongroise contemporaine...................................... 323
Nadège CENTELLES-LE BOUFFANT
Le Minotaure-matériau dans le théâtre de Francisco Nieva
Le mythe à l’épreuve de l’érotisme des profondeurs ................. 335
David MARRON
Désirs et monstruosités au cœur du labyrinthe
À propos de l’opéra The Minotaur
d’Harrison Birtwistle et David Harsent ...................................... 349
475
Table des matières
Christine KOSSAIFI
De l’homme-bœuf aux ailes de cire
Le Minotaure et Dédale
dans l’Art d’aimer d’Ovide (II 15-96) ......................................... 363
Monique CRAMPON
Les avatars d’Icare au XIXe siècle :
la place de Jules Verne................................................................ 383
Catherine d’HUMIÈRES
De troubles secrets : Le vol d’Icare d’Étienne Schréder ............ 397
Création Le Labyrinthe
Delphine IMBERT
Le Labyrinthe ............................................................................. 415
476
Mythographies et sociétés
Collection dirigée par
Pascale Auraix-Jonchière et Véronique Léonard-Roques
25 €