Tanios Bou Mansour - Le Ministère Sacerdotal Dans La Tradition Syriaque Primitive
Tanios Bou Mansour - Le Ministère Sacerdotal Dans La Tradition Syriaque Primitive
Tanios Bou Mansour - Le Ministère Sacerdotal Dans La Tradition Syriaque Primitive
Editors-in-Chief
D.T. Runia
G. Rouwhorst
Editorial Board
J. den Boeft
B.D. Ehrman
K. Greschat
J. Lössl
J. van Oort
C. Scholten
volume 156
par
LEIDEN | BOSTON
Typeface for the Latin, Greek, and Cyrillic scripts: “Brill”. See and download: brill.com/brill‑typeface.
ISSN 0920-623x
ISBN 978-90-04-40529-5 (hardback)
ISBN 978-90-04-41512-6 (e-book)
Préface xiii
Abréviations xvi
Introduction 1
1 L’analyse terminologique 9
1.1 Kahnā et kūmrā 9
1.2 Prêtre et lévite 16
1.3 Prêtre et/ou évêque 21
1.4 Le titre ʿallanā 32
1.5 Le titre qašīšā 39
2 La fondation christologique 42
2.1 La perspective historique 42
2.1.1 La vision d’Aphraate 42
2.1.2 La perspective d’Éphrem 44
2.1.3 La conception de Jacques 49
2.1.4 L’approche de Narsaï 55
2.2 Le niveau théologique 59
2.2.1 Aphraate 59
2.2.2 Éphrem 62
2.2.3 Jacques 69
2.2.4 Narsaï 73
3 La dimension pneumatologique 75
3.1 Aphraate 75
3.2 Éphrem 80
3.3 Jacques 84
3.4 Narsaï 90
4 La dimension ecclésiale 99
4.1 Aphraate 99
4.1.1 Unité et diversité de l’Église: rôle des apôtres et de leurs
successeurs 99
4.1.2 Église, sacrements et sacerdoce 102
N.B. : pour les livres de la Bible, A.T. et N.T., nous suivons les abréviations de la Bible de
Jérusalem.
Dans la tradition syriaque, le sacerdoce est un thème qui ne semble pas avoir
suscité l’intérêt des chercheurs spécialistes de ce domaine. Nous ne connais-
sons aucune étude qui ait suffisamment abordé ce thème chez Aphraate. Du
moins, aucune étude développée et approfondie ne lui a été dédiée. On trouve
exposés certains aspects du sacerdoce dans l’article que consacre Morrison au
quatorzième Exposé d’Aphraate, qu’il analyse à la lumière de 1 et 2 Samuel. Au-
delà des détails exégétiques qui font se démarquer l’ interprétation d’ Aphraate
du texte biblique, Morrison souligne certaines fonctions du clergé de l’ A.T. que
nous aurons à reprendre et à développer dans le contexte général de la pensée
de l’auteur. Nous reviendrons également sur les vices du clergé de l’ Ancienne
Alliance que dénonce Aphraate et que relève l’ auteur, les faisant contraster
avec le rôle réconciliateur joué par certaines femmes. L’article de Nedungatt
sur la typologie de Pierre dans la théologie symbolique d’ Aphraate est, comme
le titre le suggère, axé essentiellement sur la figure de Pierre, sur le sens et la
portée de son choix par le Seigneur, sur son autorité dans l’ Église et sur ses
rapports avec les Douze1. Sur certains aspects, l’ article rejoint notre investiga-
tion, notamment au sujet de certains thèmes, tels que ceux de chef et de don
des clés, mais aussi concernant le vocabulaire sacerdotal que nous confronte-
rons avec notre analyse. Dans son introduction aux Exposés qu’ elle traduit et
commente, M.-J. Pierre se dispense d’aborder la conception du sacerdoce chez
Aphraate, thème qu’elle juge complexe, pour se limiter à l’ analyse du voca-
bulaire sacerdotal, symbolique à ses yeux et manquant de précision pour per-
mettre de déterminer les différentes fonctions hiérarchiques. Dans un article
intitulé Les «membres de l’Ordre», l’auteure reprend et développe l’ analyse du
vocabulaire qu’elle a entamée dans son introduction aux Exposés.
Éditeur d’Éphrem, Beck n’a pas jugé nécessaire de consacrer à son auteur
une étude sur le sacerdoce, après ses deux articles sur le baptême et l’ eucha-
ristie. L’unique article portant directement et exclusivement sur le sacerdoce
chez Éphrem a été rédigé par Molitor, Ämter, en 1960, au moment où Beck
entreprenait l’édition critique de l’œuvre du grand théologien. Molitor limite
sa recherche à un commentaire de Paul attribué à Éphrem. Il est hautement
déplorable que l’auteur n’ait pas pris la peine de comparer l’ écrit qu’ il analyse
avec l’ensemble de l’œuvre éphrémien. Dans certains articles de Gribomont,
1 Pour les livres et les articles cités dans cette introduction, nous renvoyons à nos abréviations
bibliographiques. Sur Aphraate et Éphrem, cf. aussi ce qui sera dit dans le paragraphe pro-
chain.
c’est du sacerdoce du Christ qu’il est question, en rapport parfois avec le sacer-
doce ou les prêtres de l’Ancien Testament. L’article de Ortiz de Urbina sur
l’ évêque et son rôle chez Éphrem est centré sur la conception de l’ épiscopat,
sur ses différentes tâches, sa succession apostolique, son fondement christo-
logique, sa dimension ecclésiale, surtout ses applications et ses ramifications
pastorales. Nous aurons à revenir sur cet article pour discuter l’ une ou l’ autre
thèse exposée. Bien plus développées que l’analyse de Ortiz de Urbina, les
différentes recherches sur l’ecclésiologie d’Éphrem, par Murray, abordent le
sacerdoce, non tant en lui-même, mais plutôt en étudiant les différents titres
de l’évêque. L’auteur aborde ceux-ci non seulement chez Éphrem, mais aussi
chez Aphraate et dans la tradition syriaque antérieure aux deux docteurs. Mur-
ray envisage également les fonctions de l’autorité ecclésiale, le don des clés,
la succession apostolique, qu’il analyse dans une perspective plus large, en
l’ occurrence comme des éléments constitutifs de l’ Église comme corps du
Christ. Quant à l’approche que réserve Griffith à l’ ecclésiologie d’ Éphrem,
elle est plutôt portée sur la proximité qu’a la conception ecclésiale d’ Éphrem
avec celle de l’ecclésiologie de l’Empire. Dans cette perspective, l’ auteur relève
comme traits communs la succession apostolique et l’ imposition des mains,
mais il évoque également, sans trop les développer, quelques titres et fonctions
de l’évêque. Ne se bornant pas à Éphrem et remontant à une date plus récente,
un autre article est signé par S. Brock, où le sacerdoce n’est envisagé que sous
un seul angle, le sacerdoce commun. Nous nous inspirerons grandement de
cet article. Il y a peu, Brock nous a gentiment soumis une homélie sur le sacer-
doce attribuée à Éphrem, nous demandant notre avis sur son authenticité. Il
nous semble que le grand syriacisant se prononcera prochainement sur cette
authenticité; quant à nous, étant parvenu à la fin de la rédaction de notre texte,
nous ne pouvions plus l’inclure dans notre présente étude.
Le sacerdoce chez Jacques de Saroug et Narsaï n’ a fait l’ objet d’ aucune
recherche ciblée, entreprise et publiée sous forme de monographies, ou
sous forme d’articles. Nous avons précédemment jugé l’ homélie que publie
M. Albert sur le sacerdoce chez Jacques comme n’émanant pas de la main
du docteur syriaque (cf. notre Théologie I, p. 227-228, n. 113.), ce qui justifie
notre choix de ne pas l’intégrer ici. Dans notre Théologie I, nous avons eu
l’ occasion d’aborder le thème du sacerdoce chez l’ auteur, et dans Saint Paul
dans la patristique syriaque, nous avons étudié, en plus de Jacques, Aphraate
et Éphrem. Reconnaissons toutefois que la perspective d’ après laquelle il sera
traité ici est plus globale. Ceci étant dit, on ne peut certes ignorer les diffé-
rentes analyses esquissées à l’intérieur d’études globales, ecclésiologiques en
particulier, auxquelles nous aurons à revenir au cours de notre étude. En guise
d’exemples, dans la thèse de Kollamparampil sur le salut en Christ d’ après
avec acuité pour certains écrits attribués à Jacques et à Narsaï. Il n’entre pas
dans notre intention de discuter toutes ces pièces, mais de nous prononcer
sur quelques-unes qui, bien qu’elles aient été incluses dans notre étude, ne
semblent pas appartenir aux auteurs présumés.
Sans que nous puissions rapporter, encore moins développer, tous les argu-
ments qui s’opposent à son attribution à Jacques, l’ homélie publiée dans Min-
gana (n. 33) et intitulée «Sur la consécration de l’ Eglise » (II 156-167) ne nous
semble pas être de la main de Jacques lui-même. McLeod, suivi par Frish-
man, l’ont attribuée à Jacques, tandis que Brock ne se prononce pas. En effet,
à côté de certains thèmes qui paraissent jacobiens, tels que l’ acquisition de
l’ Eglise par Dieu dès le début (II 162,21-22), son passé païen (II 157,1-2. 5-19),
ou ses fiançailles et ses noces sur la croix, qui, par la mort, fortifient l’ union
des deux époux (II 158,15-24), d’autres thèmes s’ opposent à la thématique
propre à Jacques. Sur le plan du langage, certaines expressions sont peu jaco-
biennes, notamment celles qui traduisent l’idée que le Fils est engendré « dans
la gloire sainte» (160,7-8), et surtout celle qui affirme que c’ est « l’ onction de
la divinité» qui «oint celle de l’humanité» (II 160,2). Sur le plan ecclésiolo-
gique est jugée peu jacobienne la distinction de l’ unique Église en « Église
des prémices» et Église sur terre, ce qui justifie l’ invitation des deux mondes
à sa fête (II 673,3-4). Mais c’est surtout l’importance accordée à l’ humanité
du Christ dans l’au-delà, que, de plus, l’auteur appelle « nature » (kyanā), qui
constituerait une fausse note dans la christologie de Jacques. Ainsi trouve-t-
on soutenu que l’Église qui remet les péchés grâce à l’ offrande du corps et du
sang du Christ «montre bien la nature de son humanité à tous ses bien-aimés »
(II 165,1-2). À ces thèmes ecclésiologiques et christologiques, on peut en ajou-
ter d’autres, tels que l’emploi du verbe «rassembler» (kaneš) pour signifier
l’ acte par lequel le Fils s’unit à l’Église (II 157,11-13), ou la désignation de l’ Église
comme l’«associée» (bat neqfā) du Fiancé (II 157,9 ; 158,23-24). D’ autres indices
prouveraient également la non-appartenance de cette homélie à Jacques: la
symbolique de l’autel comme tombeau du Christ (II 166,8), ou la distinction
entre les «portes du schéol» et les «barres de la Mort » (II 164,14), les portes du
schéol chez Jacques étant en même temps la Mort et Satan (cf. notre Théologie
II, p. 241sv).
Pour Narsaï, les dernières analyses de Frishman confirment l’ inauthenticité
de l’homélie Sur la fête des Rameaux (n. 30 de la liste de Mingana, n. 54 dans
la liste de Macomber), en plus de celle Sur l’exposition des mystères (Mingana,
n. 17, Macomber, n. 35). Nous avons tâché de démontrer que l’ homélie Sur la
consécration de l’Église (Mingana, n. 33, Macomber, n. 60) n’appartient pas
à Jacques de Saroug, comme il est admis par McLeod et Frishman. Quant à
l’ homélie Sur les martyrs (Macomber, n. 43), elle est de la main de Jacques (Bed-
jan II 636-649).
Un petit mot sur les discussions que nous réserverons aux traductions des
écrits de nos auteurs. Il est impensable – même impossible – que nous puis-
sions nous prononcer sur toutes les traductions faites des textes des auteurs
dont la pensée est ici exposée. Pour gagner du temps et pour éviter d’ allonger
une recherche déjà volumineuse, les traductions que nous avons privilégiées
sont souvent celles faites par l’éditeur. Pour Aphraate, nous nous sommes
arrêté sur la traduction de Parisot, à laquelle, pour la simple raison que notre
recherche est rédigée en français, nous avons comparé la traduction de M.-
J. Pierre. Pour Éphrem, l’éditeur qu’est Beck reste notre premier interlocuteur
et il est rare qu’on ait cherché à consulter les autres traductions. Pour les textes
de Jacques et de Narsaï, nous nous sommes contenté de proposer notre propre
traduction, en la confrontant de temps à autre à celles des autres traducteurs.
Le travail que nous venons d’achever comprend quatre grandes parties bien
distinctes, traitant successivement: 1) de la terminologie sacerdotale, de la fon-
dation et des dimensions théologiques du sacerdoce par les quatre auteurs, 2)
du sacerdoce dans l’ A.T., 3) du sacerdoce du Christ et 4) du sacerdoce chré-
tien. Dans ce qui suit, c’est moins les parties qui seront présentées que les
chapitres qui les constituent. Ainsi, dans la première partie, le premier cha-
pitre sera consacré à l’analyse du vocabulaire sacerdotal. Nous nous centre-
rons, nous nous limiterons même, aux termes qui désignent proprement le
sacerdoce, en tâchant de dévoiler leurs domaines d’ application et leur sens,
et d’analyser la dénomination réservée au prêtre et à l’ évêque et la raison de
les appeler par un nom commun. Nous terminerons en faisant valoir ce qui,
dans cette terminologie, relève de la spécificité syriaque. Dans le second cha-
pitre, il sera question de la fondation christologique du sacerdoce. Dans une
approche syriaque qui donne beaucoup d’importance au rapport de Jésus avec
les Douze et les apôtres, revêtus de compétence « sacerdotale», l’ important est
de montrer la continuité avec leurs successeurs dans l’ Église, que ce soit dans le
vocabulaire ou dans le lien qui unit le Christ comme grand prêtre aux disciples
et à leurs successeurs. Le Christ comme source du sacerdoce sera interrogé de
deux points de vue, celui de l’histoire où c’est le Jésus de l’ histoire qui est au
fondement du sacerdoce, et du point de vue théologique où la réflexion porte
sur ce qui, en Christ, rend possible le sacerdoce et notamment sur le rôle média-
teur de son humanité. En faisant ressortir des différences dans l’ approche de
nos quatre auteurs, nous ne faisons que confirmer la richesse s’ exprimant dans
la diversité.
Dans le troisième chapitre, nous aborderons l’ action de l’ Esprit en cher-
chant à la distinguer de celle du Fils, bien que les deux actions soient conju-
guées et en parfaite harmonie. Il est important de savoir si l’ Esprit agit à la fois
sur les prophètes et les apôtres, et par conséquent, sur les successeurs de ces
tée sur le langage employé par nos auteurs et qui se rapproche du langage du
sacerdoce ministériel. À cet effet, nous passerons en revue les catégories les
plus importantes qui rapprochent le fidèle du prêtre: la prière et l’ offrande
de louange qui s’expriment dans un sacrifice vivant, surtout le don de soi en
tant que sacrifice lié à la croix, lequel don de soi définit le Fils comme grand
prêtre et qu’on trouve réalisé par des personnes qui n’appartiennent pas au
ministre sacerdotal. D’autres actes proprement sacerdotaux, comme la prédi-
cation et l’obtention du pardon à la suite d’une supplication font mériter à
leurs auteurs le titre de «prêtre». Cela, compte non tenu de la participation
active des fidèles à la célébration de certains sacrements. Pour le deuxième
thème, nous nous permettrons de le situer dans un contexte global sur l’ égalité
entre l’homme et la femme, d’autant plus que nos auteurs ne fondent pas
leur argumentation concernant une possible exclusion de la femme du sacer-
doce sur des raisons théologiques. Ainsi serions-nous amené à exposer la vision
négative de la femme, contrebalancée par une vision plutôt positive qu’ on
trouve notamment défendue par Éphrem. Nous passerons ensuite aux fonc-
tions dites «sacerdotales» que les femmes assument, dont certaines ont été
évoquées pour le sacerdoce commun. Certains auteurs, comme Jacques, iront
jusqu’à appeler «disciples» (au féminin, en syriaque) les femmes. À cette
approche positive, nous ferons valoir une autre appréciation qui accuse Ève
d’avoir dérobé le sacerdoce à Adam, en voulant manger la première du fruit
défendu. À partir de là, nous tâcherons d’évaluer la position de nos auteurs sur
une possible acceptation ou exclusion de la femme au sacerdoce.
Un dernier mot sur la méthode que nous adopterons pour citer les œuvres
de nos auteurs: en vue d’alléger autant que faire se peut notre texte, nous
avons choisi de supprimer l’abréviation de certains écrits pour n’ en citer que le
numéro du volume, la ou les pages et les lignes. Les écrits auxquels s’ appliquera
cette méthode sont les Exposés d’Aphraate («Dm » sera supprimé), les cinq
volumes de Jacques de Saroug, Homiliae selectae, édités par Bedjan (« BedH »
sera supprimé) et les deux volumes de Narsaï édités par Mingana (« Ming » sera
supprimé). Une autre remarque concernant le comptage des lignes dans une
page: lorsque le comptage n’est pas donné par l’ éditeur, nous optons pour ne
considérer que les lignes qui constituent le texte de l’ auteur, en excluant le titre
de l’homélie et son numéro, quand celui-ci est signalé.
L’ analyse terminologique
Des deux termes kahnā (prêtre) et kūmrā (pontife), le premier est de loin le plus
fréquemment attesté chez nos quatre auteurs1. Chez Aphraate, la plupart des
prêtres de l’Ancienne Alliance sont appelés kahnē : Moïse (I 376,19-21 ; 788,16-
18), Aaron et son fils Éléazar (II 48,1-2), ou ses fils (I 629,4-5), Samuel (I 152,19-22),
Éli (I 177,24) et ses fils (I 592,25; 616,17-26; I 624,18-19), Yehoyada (II 52,17), Josué,
fils de Yehoçadaq (II 64,2-3), Uzza (I 620,23-24). C’ est aux prêtres que revient la
tâche de porter l’Arche (I 621. 624. 625), ou de desservir le temple (I 569,1-15).
Le même terme est privilégié pour désigner les prêtres de la Nouvelle Alliance
(I 292,26; 457,1-9).
Même s’il est d’un emploi rare, le second terme, kūmrā, semble désigner
la même catégorie, au point qu’il se confond avec le sens accordé au kahnā.
Ainsi trouve-t-on Aaron qualifié à la fois de grand (rabā) prêtre (I 257,6-7 ;
II 16,3), ou de chef (rīšā) des prêtres (I 336,12-13) aussi bien que de grand pon-
tife (I 645,21-22). Au Christ sont également appliqués de façon indifférenciée
les deux termes kahnā (I 57,22-23; 813,11), grand kahnā (I 964,15-17) aussi bien
que kūmrā (I 684,6). À Melchisédech en tant que prêtre n’appartenant pas à la
ligne sacerdotale de l’ A.T. est réservé le terme kūmrā (I 476,20-21), tandis que
les prêtres païens, tels les prêtres du temps d’Élie, reçoivent la double appella-
tion de kahnē (I 641,4-13) et de kūmrē ; dans ce dernier cas sont nommés Jéthro,
pontife (kūmrā) de Median (I 693,23-24; 777,13)2 et le beau-père de Joseph, le
kūmrā Poti-Phéra (I 957,3)3.
Si le langage est plus développé chez Éphrem, il reste que le sens des termes
est presque identique à l’application qu’ils reçoivent chez Aphraate. En effet,
pour désigner les prêtres de l’ A.T., c’est le mot kahnā qu’ Éphrem privilégie,
sans pour autant oublier le terme kūmrā4. Comme chez Aphraate, on trouve
chez Éphrem une liste de ministres sacerdotaux qualifiés de kahnē, notamment
ceux à qui ce titre revient de droit, Aaron (HdF 8,8 ; Virg 18,10 ; Eccl 11,3) et Éléa-
zar (Virg 18,8), mais aussi Jephté (CNis 70,12) et des contemporains de Jésus
comme Syméon5, Zacharie6, le père de Jean Baptiste (HdF 9,8 ; Virg 6,9) et Jean
Baptiste lui-même (Eccl 9,18). Mais, contrairement à Aphraate, Éphrem recourt
plus fréquemment au terme kūmrā qui, à première vue, semble s’ identifier au
terme kahnā. Dans cette perspective, il est important de noter l’ emploi inter-
changeable de « kahnā temporel» (Crucif 4,12) et « kūmrē temporels » (Virg
8,18) pour désigner respectivement le grand prêtre Caïphe et les prêtres de
l’ A.T. Ozias et Coré sont accusés de vouloir s’approprier la fonction de kūmrā
qui revient au seul prêtre (HdF 28,14). Jonas est appelé kūmrā (Virg 42,30) et
2 Dans cette brève esquisse sur les mots, il est impossible de mener une discussion sur les motifs
ou les raisons présidant au choix des différentes appellations. Cela conduirait à empiéter sur
les multiples thèmes qui seront étudiés par la suite, et, par conséquent, déborderait le cadre
qu’on s’est fixé dans cette partie.
3 M.-J. Pierre, Membres de l’Ordre, p. 14, a bien souligné que le terme kūmrā s’ applique plutôt
aux prêtres païens. À la même page, elle donne une liste des prêtres de l’ A.T. appelés kahnē,
mais elle y inclut le roi Jéhu. Elle ne fait cependant pas ressortir que les deux titres dont on
traite peuvent être parfois interchangeables, désignant la même personne. À la n. 10, ligne 3,
il faut corriger la référence à la colonne chez Parisot: 16 et non pas 116.
4 Il n’est point besoin de fournir ici encore un répertoire exhaustif de références; en guise
d’illustration, cf. Parad 2,12; 4,3; Az 2,4; Eccl 42,1; Nat 1,1 ; Virg 21,3 ; 37,6 ; CNis 18,12 ; CGEx
152,7. Pour le terme kūmrā, cf. Az 2,5; Ieiun 7,6.
5 Cf. Nat 25,16; Resur 1,9; CNis 35,13; SdDN 47,12; 49,18-19; 51,12-13. Mais Syméon est aussi appelé
grand pontife (rab kūmrē) (Nat 17,2; Virg 32,2).
6 De Halleux, Le comput éphrémien, p. 2375, note que Zacharie, le père de Jean Baptiste, n’est
jamais qualifié formellement de grand prêtre, ni dans l’œuvre authentique d’ Éphrem ni dans
son Commentaire sur le Diatessaron. Brock, The lost OS, p. 131 et Passover, p. 2, fait remarquer
que, bien que Zacharie ne soit pas nommé grand prêtre, Éphrem semble admettre que, dans
CDiat I 14, il l’est vraiment du fait que Zacharie a reçu la vision dans le Saint des Saints.
Brock fait remonter cette qualification de grand prêtre au Protévangile de Jacques et tente de
l’expliquer par une fusion de son martyre avec l’autre Zacharie, fils de Yehoyada (2 Ch 24,17-
22).
Syméon, à côté de l’appellation kahnā que nous avons relevée, reçoit le quali-
ficatif de rab kūmrē (grand pontife) (Nat 17,2). Il en est de même de Zacharie,
le père de Jean Baptiste, appelé dans une même strophe kahnā et rab kūmrē
(HdF 9,8). Et si Anne est évoqué comme rab kahnē (cf. Jn 18,13) (SdDN 52,19),
Caïphe est appelé successivement rab kūmrē (Resur 3,8) et rab kahnē (Resur
3,9).
Le même phénomène est observé également pour les deux titres appliqués
au Christ. Pour étrange que cela puisse paraître, le terme kahnā est rarement
attribué au Christ (à titre d’exception, cf. LPub 278,10) si on le compare au
terme kūmrā. Dans l’œuvre poétique d’Éphrem, on le rencontre dans une
strophe où il est qualifié de kahnā de notre expiation (Az 2,7). Mais le terme
kahnā peut parfois être juxtaposé aux titres de rab kūmrē (Az 2,2), de kūmrā
(Crucif 3,10), ou encore au Seigneur des kahnē qui désigne le Christ (HdF 8,8).
C’est donc le mot kūmrā qui est largement attesté, et cela en raison du rap-
port qu’a le Christ avec Melchisédech à qui ce terme est réservé. Le lien entre
le type et le prototype, entre Melchisédech et le Christ, étant établi (Resur 1,12 :
« Et de Melchisédech (provient) son pontificat, kūmrūteh »)7, le choix de privi-
légier le terme kūmrā pour le Christ semble justifié. Tout comme Melchisédech
est appelé kūmrā (CGEx 68,21-22), ou grand kūmrā (Nat 9,3), le Christ est lui
aussi désigné comme kūmrā (Virg 31,5; Eccl 13,16)8 et grand kūmrē (Parad 4,4 ;
Eccl 42,1; Resur 4,12).
Mais si les mots kahnā et kūmrā peuvent s’appliquer indifféremment aux
ministres du sacerdoce, il y a chez Éphrem une catégorie à laquelle seul s’ ap-
plique le terme kūmrā : les prêtres païens9 qui ne sont jamais appelés kahnē
mais sont exclusivement désignés par le mot kūmrē. Parmi eux sont nommés
Jethro (CGEx 128,17-23)10, les deux kūmrē pères de Çippora (Nat 14,19) et d’ Asnat
(Virg 21,9), les prêtres égyptiens (CGEx 8,2-3; 109,24-25), les prêtres de Baal
combattus par Élie (CH 13,1.8), les prêtres païens dénoncés soit pour leur im-
puissance face au kérygme de Jésus (CNis 60,14.15), soit pour leur incapacité
7 Ici, le fait de rapporter le sacerdoce du Christ à celui de Melchisédech n’est pas à com-
prendre comme si ce dernier était à l’origine du premier, mais bien plutôt dans le sens
d’une typologie qui précède et préfigure une réalité à venir. Dans Eccl 11,3, le pontificat
est un don accordé par la justice divine à Melchisédech : « À Melchisédech, elle donna le
pontificat».
8 Y joindre aussi les références que nous avons données en connexion avec le terme kahnā.
9 Notons qu’Éphrem recourt une seule fois au qualificatif ktīšē (furieux, démoniques) (Virg
13,9) pour désigner les prêtres païens. Les deux termes « ktīšē w-kūmrē» de CNis 60,14, sont
traduits par «Ekstatiker und Götzenpriester» par Beck.
10 Cf. aussi Epiph 7,5, d’authenticité douteuse.
à réaliser des miracles, telle que la revivification d’ un mort (CNis 42,7). Ces
kūmrē, prêtres païens, sont clairement distingués des prêtres kahnē ; c’ est le
cas lorsqu’Éphrem réfute la tentative de Satan d’ identifier ses prêtres aux
prêtres chrétiens (CH, 19,7: «Il appelle ses kūmrē à la place des kahnē »). Ils
sont également distingués des prêtres de l’ A.T., que Satan confond avec ses
propres prêtres; ici ce n’est plus le terme kahnā qui est utilisé pour le prêtre de
l’ Ancienne Alliance, mais celui de kūmrā [CH 41,18 : « (Satan introduit) parmi
les kūmrē (de Dieu) les kūmrē de Baal»]. Dans le régime chrétien, c’ est seule-
ment dans les Hymnes de l’ Épiphanie, dont certaines sont d’ authenticité dou-
teuse, que nous rencontrons le mot kūmrā appliqué aux prêtres chrétiens (cf.
Epiph 3,12).
La terminologie de Jacques au sujet des ministres sacerdotaux ne se dé-
marque pas de celle de ses deux prédécesseurs, même si elle se distingue par
quelques particularités que la suite de l’analyse dévoilera. D’ abord Jacques
appelle indistinctement kahnē et kūmrē tous les prêtres, même ceux qui, dans
le temps, ont précédé l’apparition du sacerdoce lévitique. Dans la liste des
anciens personnages appelés kūmrē, on compte Abel (II 199,9.18)11, Noé
(II 200,5; III 704,12)12, ce qui pourrait s’expliquer par un phénomène de pro-
jection du titre kūmrā accordé au Fils (II 200,2.3.8.10). Mais la conclusion que
Jacques en tire vient brouiller les pistes, lorsqu’il soutient que David refuse de
comparer le pontificat (kūmrūtā) du Fils au « kahnā qui apporte des sacrifices
au Seigneur», ou aux kūmrē qui «élèvent» (d-masqīn) des sacrifices (II 200,9-
12). Dans la suite de la liste, il est rapporté que le Fils n’est pas kūmrā à l’ image
d’Abraham, qualifié quant à lui de kahnā (II 200,13-16)13. Ailleurs, Abraham est
appelé kahnā, quand il est interrogé par Isaac sur le sacrifice à offrir, et kūmrā
quand il répond à son fils.14 En revanche, à Moïse (II 879,7 ; III 263,11), comme
à Jacob (III 202,6), est réservé le titre de prêtre, sans qu’ on puisse présumer si
l’ appellation «père des prêtres» (IV 799,1) imputée à Jacob vise à le désigner
comme le père de Lévi, ou à l’honorer comme le type du sacerdoce qui prépare
11 Dans CJ II 65-66, Abel est appelé successivement « kūmrā pour le sacrifice » et « kahnā
vierge (btūlā)».
12 Mais, en un autre endroit, Noé est appelé kahnā : IV 55,8.
13 Sur Abraham comme kahnā, cf. aussi IV 71,1-2; 84,17. Dans IV 85.89-90.92.96, Jacques passe
subrepticement de kahnā à kūmrā. Le même phénomène est observé pour Jephté qui
reçoit indistinctement les deux appellations de kahnā et de kūmrā (V 314-330).
14 Voici le texte:
L’«holocauste» ( yaqdā) interroge son père, le prêtre, au sujet de l’ offrande,
et le kūmrā répond (mmalel, litt.: parle) au sacrifice qu’ il s’ apprête à sacrifier (IV 89,10-
11).
15 À cette liste des prêtres, il faut associer Josué, fils de Jehoçadaq, appelé kahnā (I 221,8 ;
243,7), ou grand kahnā (I 221,12; 243,5).
16 Sans être exhaustif, l’on peut citer, à titre d’exemples, I 72,12 ; 77,20 ; 333,4 ; 568,6.
17 Cf. I 72,20; 74,20; 76,17; II 200,19; III 246,9.
18 Ils sont plutôt appelés kahnē ; il n’est pas question d’ en donner ici une recension exhaus-
tive; cf., à titre d’exemple, I 448,2; 452,7; 453,17; 491,7 ; 511,13; II 251,3 ; 255,9 ; 257-259;
264,4; 440,20; 495,4; 525,7; 562,6; 615,8; 730,11; 735,17; III 465,8 ; 476-478; 488,9 ; 489,18 ;
est réservé à Syméon (V 463,9) et à Zacharie, le père de Jean Baptiste19, les deux
appellations sont données à Jean Baptiste20, à Caïphe21 et servent même à dési-
gner Jérusalem ou Sion comme la mère des prêtres22. Contrairement à Éphrem
qui réserve le nom kūmrā à Melchisédech, Jacques peut bien l’ appeler kūmrā
et kahnā23. À l’image de son type par excellence, le Christ lui-même reçoit les
deux titres, à la fois en tant que kūmrā et grand kūmrē, mais également comme
kahnā et grand kahnē24. Les titres sont juxtaposés dans des formulations telles
que «grand pontife (rabā d-kūmrē) et chef des kahnē » (II 877,4), ou dans
la qualification donnée au Christ de « kūmrā, sacrifice, kahnā et expiateur»
(III 259,10), sans que l’on puisse déterminer exactement ce à quoi renvoient
les deux termes sacerdotaux. Plus surprenante apparaît cette inversion opérée
dans la terminologie, où Melchisédech, supposé devoir être qualifié de kūmrā,
est appelé kahnā, tandis que le titre kūmrā est accordé au seul Christ : « Que
Notre Seigneur est kūmrā à l’image de Melchisédech, grand kahnā » (II 204,12).
Encore un mot sur la terminologie utilisée pour désigner les prêtres de la
Nouvelle Alliance. On s’attend à ce que ces prêtres soient appelés kahnē pour
que soit écartée toute confusion avec la kūmrūtā de l’ Ancienne Alliance, même
si c’est la kūmrūtā qui est privilégiée pour désigner le sacerdoce du Christ. En
557,5; 561,9; 726,5; IV 709,7; 759,3.11; 764,17; 783,4; V 511,17 ; 512-514 ; 625,15; BedS 805,12 ;
Ril IV 600.602.604; V 618; 620.622. En revanche, ils sont rarement appelés kūmrē
(III 488,11), kūmrūtā (Ril V 622,3-6.12-13.19-20), ou grands kūmrē (Ril IV 600,12).
19 Cf. II 146,17; 502,20; BedS 625,12; 642-643.
20 Pour kahnā, cf. III 677,9; 684,14; 688,19; 705,7; il l’appelle kūmrā (cf. III 705,6) pour le com-
parer à Melchisédech.
21 Souvent Caïphe est appelé grand prêtre (rab kahnē ou rabā d-kahnē) (II 436,14 ; 443,12 ;
445,20; 452,11; 521,10; 539,13; 540,1), moins fréquemment kahnā (II 551,9 ; 552,12-13.19;
553,2). Parfois il est soutenu que la kahnūtā de Lévi le fuit (II 552,14), et plus loin (II 552,18),
que sa kūmrūtā se déchire avec son vêtement sacerdotal. Avec le côtoiement des deux
termes, l’indistinction est à son comble avec la formulation qui suit : « Et le kahnā, devenu
insensé, fut dépouillé et privé de la kūmrūtā » (II 552,19).
22 Jérusalem est appelée «ville des kūmrē » (CJ V 43), ou « de la kūmrūtā » (II 325,17), la
mère des kūmrē (IV 572,19), mais aussi «la mère des kāhnē et la compagne des kahnē »
où s’exerce «la kūmrūtā » (CJ V 56-57).
23 Toujours à titre d’illustration, cf. pour kūmrā, cf. I 536,12.16 ; II 201-205 ; III 319,17 ; IV 796,13 ;
V 155-173; 176-177; 179,18; BedS 651,18; 850,20.21; CJ II 25 ; Ril II 558,9 ; pour kahnā, cf. I 80,6 ;
II 204,12.14; 205,8; III 693,19; V 155,19; 160,12; 168,22; 169,10 ; 170 ;9 ; 172,18.
24 Nos références ne prétendent pas à l’exhaustivité; pour le Christ comme kūmrā,
cf. II 201,8; 202,11; 203,3; 205,15; 206,8.21; 207,8.12-13.19; 486,18 ; V 158,18 ;159,1 ; BedS 725,10;
Ril V 622,5; comme Seigneur des kūmrē (II 552,12); comme grand kūmrē (I 177,4 ; 192,6;
II 415,2; 486,12; 586,18; V 158,13; 448,15; 463,10; BedS 828,6; 831,17); comme kahnā
(cf. II 486,15; 553,19), ou kahnā ḥrīnā (V 155,22) à côté de kūmrā ḥrīnā (V 155,21 ; cf. II 203,1.5) ;
comme grand kahnā (BedS 828,11; 831,19).
fait, bien que ce soit le terme kahnā qui soit choisi pour les prêtres chrétiens25,
on ne manque pas de souligner la présence du mot kūmrā pour évoquer saint
Charbel, le prêtre martyr d’Édesse (BedA 169,4-5). Un autre cas mérite d’ être
signalé, celui de Nestorius auquel un texte fait clairement allusion et où il est
soutenu que c’est l’Église qui «renversa son siège (épiscopal) et le dépouilla
de la kūmrūtā » (III 604,6). C’est dire que même si le mot kūmrā est rarement
donné aux prêtres chrétiens, il n’est pas totalement absent pour autant.
En revanche, les prêtres païens ne sont désignés que par le terme kūmrē,
aussi bien chez Jacques que chez Éphrem. Ce sont les kūmrē dont la défaite
est évoquée par Satan avec l’arrivée du règne du Christ sur terre26. Ils peuvent
également désigner les fils de Lévi qui se transformeront en kūmrē pour Dagon
(II 48,16-17). Autrement, ce sont les kūmrē des Philistins (II 69,2), des nations
qui offrent des sacrifices à leurs dieux27, ou les kūmrē de Baal tués par Élie28.
En passant à Narsaï, la terminologie est beaucoup moins abondante que
chez Éphrem et chez Jacques, même si elle ne s’ en démarque pas quant au
choix des termes et aux différents sens qui leur sont accordés. De façon géné-
rale, on peut bien admettre que c’est le terme kahnā qui est le plus attesté, tan-
dis que le terme kūmrā, à part son application au Christ, n’est pas d’ occurrence
fréquente. En fait, les prêtres de l’Ancienne Alliance sont le plus souvent
appelés kahnē (I 307,16; II 140,2-3), qu’il s’agisse d’ Abraham (I 65,16), de Samuel
(I 41,8; PP II 612,5-6), de Josué (PP I 384,16) et, plus proche des temps de Jésus,
de Zacharie, le père de Jean Baptiste (PP I 164,16) et de Jean Baptiste lui-même
(I 184,12; McLeod II 278). À la vérité, les prêtres juifs qui ont pris part aux événe-
ments de la vie terrestre de Jésus sont eux aussi appelés kahnē29. En revanche,
lorsque les grands prêtres de l’Ancienne Alliance sont évoqués en rapport avec
l’ entrée dans le Saint des Saints, ils reçoivent plutôt l’ appellation de grands
kūmrē30, bien qu’ils puissent aussi être appelés grands kahnē (PP I 589,24). Cela
reflète bien la double dénomination accordée au Christ : désigné par kūmrā, ou
rab kūmrē, il n’en est pas moins appelé kahnā31. Pour terminer, il est utile de
noter que c’est par l’unique terme kahnē que sont nommés les prêtres de la
Nouvelle Alliance (II 329-339)32.
25 Cf. I 272,11; II 215,17; 217,2; 486,19; 879-883.886; III 888,2 ; IV 797,1 ; 798,12.
26 Cf. I 490,6; III 802,10; 803,19.
27 III 356,15; 802,3-4; IV 143,4; 159,14; 162,15.
28 Cf. III 694,15; 822,14; IV 241,9; 257,12. Mais dans IV 257,14, les prêtres de Baal sont appelés
kahnē.
29 Cf. I 318,8; PP I 390,10.12-13; 392,19; II 309,19; 316,2; 317,10-11 ; 462,17 ; Sim IV 150.
30 Cf. PP II 459,17; McLeod II 283.
31 Pour kūmrā, cf. PP I 589,20 et rab kūmrē, cf. McLeod II 278.291 ; pour kahnā, cf. PP II 140,14.
32 Dans toute cette homélie intitulée «Sur la réprimande des prêtres» (II 328-339), le terme
Dans notre projet initial ne figurait pas l’idée d’ une comparaison, dans les
écrits de nos auteurs, entre le titre de lévite et les autres qui désignent le prêtre;
ce n’est que suite à certaines tentatives – notamment celles entamées par
Beck – de traduire le terme kūmrā par lévite que l’ attention fut portée sur le
terme lewayā, ce qui nécessita qu’une étude lui soit consacrée pour clarifier
son rapport aux autres noms sacerdotaux.
Presque la majorité des textes d’Aphraate qui évoquent les lévites se pré-
sentent sous la forme de citations que l’auteur ne se donne pas la peine de
commenter. Cependant, à part le contexte où se trouve évoquée la généalo-
gie de Jacob (II 84,4-13) et de son fils Lévi, les autres thèmes en rapport avec
les lévites concernent le port de l’Arche de l’Alliance, le prélèvement de la
dîme et le service de la tente temporelle33. Bien que les lévites soient nommé-
ment désignés pour porter l’Arche (cf. notamment Dt 31,25), ce qu’ Aphraate
ne manque d’ailleurs pas de rappeler (I 621,20-26), cette fonction est le plus
souvent affectée aux prêtres (kahnē) (I 620,23-621,2 ; 624,1-2; 625,3-5), ce qui
risque d’introduire soit une synonymie des deux termes, soit une confusion
de leurs tâches. Quant au texte qui se rapporte à la rémunération des prêtres et
des lévites, il est d’une imprécision telle qu’il est difficile de savoir si les prêtres
dont il est question sont ceux de l’Ancienne Alliance qui se distingueraient des
lévites, ou ceux de la Nouvelle Alliance auxquels les lévites seraient comparés:
« Et aux prêtres, il convient de prendre part à l’autel, et aux lévites de prélever
la dîme» (I 457,1-3)34.
kūmrā est totalement absent. Quant au terme kūmrā conféré aux prêtres, on ne le ren-
contre que dans l’homélie dédiée à la victoire de la croix, où sont rapportées les divisions
entre les pontifes chrétiens et païens, entre « kūmrē et autres kūmrē » qui sont au service
des dieux (II 118,11-12). Connolly, Liturgical Homilies, p. 30, n. 2, se prononce sur l’ emploi
des termes kahnā et kūmrā dans le N.T. sans comparer avec les textes de Narsaï: kūmrā,
dit-il, désigne ordinairement les prêtres païens (Ac 14,13), et dans l’ Épître aux Hébreux, le
terme kahnā est totalement absent, tandis que le prêtre et le grand prêtre sont désignés
par kūmrā et rab kūmrē.
33 Sur le port de l’Arche, cf. les citations dans le corps du texte; sur le prélèvement de la
dîme en faveur des lévites, cf. I 148,4-5.10-11; 457,8-9; sur le service de la tente, cf. I 621,5-
9.
34 Quelle que soit l’interprétation pour laquelle on penche, il reste malencontreux que M.-
J. Pierre attribue à une seule catégorie, les lévites, les deux fonctions de servir l’ autel et
de prélever la dîme lorsqu’elle commente le texte d’ Aphraate ci-dessus cité: « Les lévites
ont part à l’autel et prélèvent les dîmes» (p. 504, n. 18). Et pourtant, dans Membres de
l’Ordre, p. 15-16, commentant le même texte, elle distingue la fonction du prêtre qui est de
s’occuper de l’autel de celle du lévite qui s’occupe des questions d’ économat.
Comme nous le disions, ce qui attira l’attention sur les lévites, c’ est la gêne
ressentie par Beck de devoir traduire deux termes qui signifient « prêtre » et son
choix de traduire l’un d’eux par «lévite». Bien qu’ il eût été possible de traduire
le terme kūmrā par «pontife», l’éditeur opte pour le terme lévites dans sa tra-
duction de Az 2,2: «Le véritable Agneau se rend compte que les prêtres et les
lévites (kūmrē) se sont souillés», et pour CNis 39,20 (« Leviten und Priestern» :
kahnē w-kūmrē), ce qui laisse croire que le terme « lévites» traduit ici celui de
kahnē, et non pas kūmrē, comme pour Az 2,235.
À part la traduction de kūmrā par lévite, le terme lévite lui-même est peu
attesté chez Éphrem. Il peut bien signifier la descendance lévitique de cer-
tains personnages, sans qu’il y ait précision si ces derniers sont également des
prêtres ou grands prêtres. C’est le cas de Zacharie, le père de Jean Baptiste,
qui doute du message de l’ange (HdF 21,3), ou de Jean Baptiste, lévite, repré-
sentant cette lampe envoyée devant le Soleil qu’ est le Christ pour lui admi-
nistrer le baptême (Virg 32,5). On retrouve le même terme de « lévite» mis
en rapport avec le baptême chrétien: «La couronne des lévites l’ entoure, le
grand prêtre est fait son serviteur» (Virg 7,8). S’agit-il de prêtres chrétiens qui
entourent l’évêque quand il administre le baptême à l’ occasion des grandes
fêtes, comme à Pâques, ou renvoie-t-il aux lévites de l’ Ancienne Alliance qui,
par les différentes ablutions, préfigurent les prêtres chrétiens? Dans la pre-
mière hypothèse, l’emploi du terme lewayē n’est pas usuel chez Éphrem, tandis
que, dans la seconde hypothèse, le fait de faire entourer le baptême chrétien par
des lévites de l’Ancienne Alliance semble tout autant étranger à la pensée de
notre docteur36.
Comparé à l’ambivalence du texte que nous venons de commenter, un autre
texte d’Éphrem, d’authenticité assurée, met face à face lévite et prêtre chré-
tien (kahnā). En effet, tandis que le lévite fait acception de personnes en refu-
sant de sauver l’ homme paralytique, malade depuis 38 ans et incapable de
se mouvoir pour se jeter dans l’eau de Siloé (cf. Jn 5,1-9), le prêtre chrétien
est présenté comme toujours disponible pour secourir ceux qui ont besoin
d’aide (Epiph 11,6)37. Si, dans certains textes précédents, il est difficile de déter-
35 Il nous est toutefois permis de croire qu’il y a eu inversion des deux termes dans la ver-
sion, et que Beck a voulu traduire kūmrē par Leviten; preuve en est la remarque qu’ il fait,
d’après laquelle le terme Leviten signifie Priester (cf. CNis, version, t. II, p. 21, n. 48). Dans
la traduction de NatSog 5,27, Beck traduit les deux termes kūmrē et kahnē par le seul terme
de «Priester».
36 Dans Dōrea und charis, p. 96, Beck semble convaincu que les lévites sont les diacres entou-
rant l’évêque et qui sont désignés par un terme hébreu, tout comme le titre rab kahnē
(grand prêtre) également, titre hébreu qui désigne l’ évêque.
37 Beck émet un jugement positif quant à l’authenticité de l’ hymne 11 des Hymnes de
Presque absent dans les écrits de Narsaï40, le terme lévite est fréquemment
utilisé dans l’œuvre de Jacques. Ce qui nous intéresse ici est moins le fait de
répertorier tous les textes où les lévites sont évoqués que de braquer l’ attention
sur les textes qui contribuent à éclairer leur identité41. Comme Éphrem, Jacques
attribue la qualité de lévite à certains dignitaires de l’ Ancienne Alliance, tels
que Moïse (I 11,14) et Jean Baptiste (II 145,14). À ces deux hommes, il ajoute
Zacharie et Élisabeth, les parents de Jean Baptiste (II 145,16 ; cf. BedS 648,20-
649,3), dont l’origine lévitique suscite des commentaires chez Éphrem qui
cherche à comprendre comment l’évangéliste Luc (Lc 1,36) établit une parenté
entre Élisabeth, lévite, et la Vierge Marie qui est de descendance davidique
(BedS 642-643)42. Non loin de l’approche d’Éphrem, Jacques a également ten-
dance à confondre les prêtres et les lévites qui sont de la souche de Lévi. Cette
assimilation se trouve corroborée par le fait que, dit-il, il revient à la « tribu de
Lévi d’établir les prêtres» (BedS 642,14), ce qui est encore constaté pour le choix
de Jean Baptiste par le Verbe comme voix pour aplanir son chemin, conformé-
ment à la règle suivant laquelle «la tribu des lévites fournit des pontifes saints
(kūmray qūdšā)» (II 145,13.14).
Comme conséquence logique de cette origine commune, prêtres et lévites
sont susceptibles d’être désignés de manière presque interchangeable. À cer-
tains égards, le choix d’un terme au lieu d’un autre peut bien se justifier ; il en
est ainsi de l’expression «Lévi et ses fils pontifes (kūmrē) » (V 413,13) qui a subi
l’ outrage du roi Ozias, où le contexte laisse entendre que le prêtre offensé est
de descendance lévitique. Il en est de même de cette assimilation des « fils de
Lévi et de leurs sacrifices» avec Aaron et les sacrifices, pour dire que les sacri-
fices des uns et des autres sont tombés en désuétude avec l’ accomplissement
de l’offrande de soi du Christ (II 208,14-15). Ailleurs, on rencontre ce lien entre
« sacrifices» et «lévites» (IV 796,4-5), ou entre lévites et l’ éphod censé servir
de vêtement pour le prêtre (IV 795,16). Sans pouvoir encore préjuger si le terme
40 Sauf erreur de notre part, nous avons rencontré seulement le nom Lévi, mais pas le terme
lévite, Frish V 162: «L’élection des prêtres (faite) dans la maison de Lévi ».
41 Faisons remarquer toutefois que, à la suite d’Éphrem, Jacques utilise le terme, en tant que
verbe ou substantif, dans son sens originel d’accompagner. Il suffit d’ évoquer ici le sou-
hait exprimé par l’apôtre Thomas devant la mission difficile qui lui incombe d’ évangéliser
l’Inde: que le Seigneur l’accompagne (etlawā lī = accompagne-moi) (III 749,17), qu’ il soit
son «accompagnateur» (lewyā) (III 755,4). Jésus lui promet qu’ il sera avec lui et que les
assemblées célestes l’accompagneront (lawēn laḫ) (III 746,11). Ou encore qu’ Elisée accom-
pagne Élie, son «père spirituel» lors de son élévation au ciel (IV 254,7).
42 La réponse consiste à considérer la parenté qui lie les deux femmes, en la considérant du
point de vue de la nature humaine, par opposition à l’ ange qui est l’ interlocuteur de la
Vierge et qui est de nature spirituelle (BedS 643,15-645,10).
15)46, et, dans le sillage de la réflexion de Jacques sur l’ entrée de Jésus dans
le temple où le commerce battait son plein, les trois catégories sacerdotales
sont rappelées: «Ni de grand prêtre dans son ‘ordre’ (b-ṭakseh), ni des prêtres
dans leurs rangs (dargayhūn), ni des lévites dans leur ministère (tešmešthūn) »
(Ril IV 600,12-13)47. De ce dernier texte, il appert qu’ une certaine hiérarchie
est admise entre les trois ministères et que ce n’est pas sans raison que les
lévites occupent la dernière place de la liste. D’ autres textes viennent cor-
roborer cette hypothèse, d’après laquelle les lévites sont relégués à un rang
inférieur par rapport aux prêtres. C’est ainsi qu’ évoquant les privilèges que
le Père accorda à l’Assemblée (knūštā) de l’Ancienne Alliance, il est fait réfé-
rence aux prophètes, aux «prêtres, expiateurs des dettes», aux « lévites» qui les
accompagnent «comme des messagers (deqansē) » (I 10,5-7)48. De ce texte, on
peut rapprocher un autre, où les lévites sont, là aussi, mentionnés à la fin de la
liste qui comprend en plus les rois. Ainsi est-il dit que le Père prépare l’ Église
comme épouse pour son Fils en la dotant de prophètes, de rois, de « prêtres
qui l’honorent par leurs vêtements et leurs éphods » et de « lévites par leurs
trompettes et leur encens» (IV 802,11-14). Ceci dit, la recherche sur l’ identité
des prêtres et des lévites ne sera pas poussée plus loin, étant donné que de
nouvelles lumières seront mises à jour quand le thème du sacerdoce vétéro-
testamentaire sera abordé.
46 Ici le texte de Jacques est fidèle à Jn 1,19, qui mentionne « des prêtres et des lévites ».
47 Rilliet fait de son mieux pour donner un sens aux termes qui semblent renvoyer aux fonc-
tions de chacun de ces ministres, en traduisant ṭaksā par « office », dargē par « fonctions »
et tešmeštā par «service». Il se peut que ces termes renvoient moins à des fonctions qu’ à
la dignité qui affecte chacun des degrés sacerdotaux, notamment les deux premiers, le
grand prêtre et le prêtre.
48 En fait, le texte continue en citant aussi des «ministres» (mšamšanē) qui accompagnent
(nlawūneḫ ; litt.: qui t’accompagne) l’assemblée juive. Sont-ils différents des lévites ? Sur-
tout que, comme nous l’avons vu chez Éphrem, l’origine du terme lévite peut s’ expliquer
par le verbe «accompagner» (lawē) que nous retrouvons ici, mais dit des mšamšanē
(ministres) et non directement des lewayē (lévites).
de la terminologie s’impose pour décrypter les titres qui sont le mieux adaptés
à désigner l’évêque. Pour ce faire, une première étape de cette étude consiste à
rechercher les titres donnés à l’évêque, pour passer ensuite à ceux qui lui sont
communs avec le prêtre, ce qui amènera à reprendre, mais à nouveaux frais, le
thème de la différence dans l’unité.
Dans la quête des noms qui désignent l’évêque, nous nous abstenons de
collecter les titres à portée symbolique49 pour nous centrer sur ceux qui lui
servent de noms propres. Il est normal de constater que, dans une pensée
ayant peu de contact avec la culture hellénique comme celle d’ Aphraate, le
titre «épiscope» (efisqūfā) ne se rencontre que deux fois en une seule et même
page (I 573,4.7-8)50 et cela dans l’Exposé dont l’authenticité a été mise en ques-
tion par nombre de savants51. À part cet hapax, le terme syriaque qui cerne
au mieux la personnalité de l’évêque est celui de « chef », ou « tête» (rīšā).
Comme Aaron est présenté comme «chef» des prêtres (I 336,12-13)52 et Moïse
comme «grand chef de tout le peuple» (I 693,21-24 ; cf. aussi I 788,17-18), les
évêques sont appelés «chefs du peuple de Dieu » (I 644,12), parmi lesquels
Aphraate s’en prend à ceux qui ont usurpé le pouvoir et l’ exercent avec ini-
quité (cf. I 577,1sv). Investis d’une autorité spirituelle, ils sont désignés comme
« ceux qui ont pouvoir (šalīṭaw) sur mon peuple » (I 640,17), ou « les tenants
de la Loi et du pouvoir sur notre peuple» (I 633,7-8). Le langage codé – ainsi
qualifié à juste titre par M.-J. Pierre –53 les vise également, quand l’ un d’ eux est
désigné comme «un frère qui a ceint le diadème » (I 588,14-15)54. Ce pouvoir
se traduit en premier lieu par le fait de «détenir les clés » (I 612,23), expression
qui se trouve dans la lettre synodale consacrée essentiellement aux tâches des
chefs de l’Église de Séleucie-Ctésiphon. Mais il est également représenté par
49 Nous entendons par «titres symboliques» ceux qui désignent l’ évêque par des images
bibliques, telles que «pasteur», «médecin», «intendant» (rab baytā), ou les images ap-
partenant à la tradition ecclésiale, telles que «père», « docteur» (malfanā), « sentinelle »
(dūqā), etc.
50 Pour Aphraate, le terme épiscope, transcrit du grec, est vocalisé efisqūfā par Parisot, tandis
que Bedjan le vocalise afesqūfā pour Jacques et Narsaï.
51 Cf. la discussion consacrée à cet Exposé par M.-J. Pierre, Introduction, p. 48-53. Non que
l’emploi de ce titre remette en question l’authenticité de cet Exposé, mais il n’est pas
moins intriguant de le trouver ici, associé à deux termes peu attestés, eux aussi, dans
l’œuvre d’Aphraate, qui sont qašīšē pour les prêtres et mšamšanē pour les diacres.
52 Comme nous l’avons déjà noté, Aaron est aussi qualifié de grand (rabā) et appelé grand
prêtre (I 257,6; II 16,3), ou grand pontife (rab kūmrē) (I 645,21-22).
53 Cf. son Introduction, p. 86, n. 39; voir également p. 49.
54 Selon M.-J. Pierre, Introduction, p. 50-51, il s’agit de Syméon bar Sabbaé, le successeur de
Papa sur le siège de Séleucie-Ctésiphon.
cette fonction réservée à l’évêque et qui est l’imposition des mains [I 633,10-11 :
« En effet, même la sainte imposition des mains que reçoivent certains de nous
(menan)»55].
Mais arrive-t-il à Aphraate de désigner les évêques par le simple titre de
prêtres, comme c’est le cas chez Éphrem? À en juger par l’ ensemble de l’ œuvre
d’Aphraate, le nom «prêtre» est rarement utilisé pour désigner les prêtres de la
Nouvelle Alliance56. Dans l’Exposé intitulé «Sur les pasteurs», le terme kahnā
ne revient que 2 fois, une fois en paraphrasant 1Co 9,13 (I 457,1-2 : « Il faut que les
prêtres aient part à l’autel»), et la deuxième fois en en déduisant le devoir qui
incombe au prêtre (I 457,6-8: «Les prêtres qui ont part à l’ autel, qu’ ils servent
l’ autel avec ferveur»)57. Encore convient-il de s’assurer que le terme kahnā vise
bien l’ensemble des rangs sacerdotaux, du moins les deux statuts de l’ évêque et
du prêtre, et non simplement le prêtre distingué de l’ évêque. Quelques indices
semblent corroborer la thèse d’une dénomination commune aux deux. C’ est
bien le cas lorsque, comparant l’installation du « chef (rišā) du peuple de Dieu »
à «Jéhu qui fut oint dans la chambre» (cf. 2 R 9,2) (I 644,12-13), Aphraate évoque
l’ élection du prêtre (kahnā) qui, comme Jéhu qui a dévasté et exterminé la mai-
son d’Achab, vient persécuter et excommunier ses frères (I 645,1-6). Passer du
« chef» sur le peuple, qui désigne l’évêque, au « prêtre» à qui la responsabi-
lité d’un évêque est assignée, semble significatif à cet égard. Le contexte étant
vétérotestamentaire, même si le sens peut finalement être étendu aux réalités
de la Nouvelle Alliance, la mention des prêtres (kahnē), à côté des « chrétiens»
(mšīḥayē)58, des rois et des prophètes, pousse à croire que les « prêtres» sont
pris comme une totalité, comme un nom générique incluant l’ évêque.
Ces indications ne constituent guère une preuve, comme chez Éphrem,
d’une terminologie interchangeable entre prêtre et évêque. Encore qu’ une
identification absolue des deux dignitaires est loin de s’ imposer. De plus, des
signes de distinction se dégagent de temps en temps et le signe le plus perti-
nent est la juxtaposition des prêtres, au pluriel, et du « chef » (rīšā), au singu-
lier, pour désigner dans une situation de persécution ce que nous comprenons
aujourd’hui par prêtres et évêque respectivement: « Tes prêtres sont exter-
minés et notre chef vit en cachette» (II 112,4-5). En revanche, nous ne pouvons
pas tirer de résultats conclusifs à partir des citations bibliques où se succèdent
prêtres («Les prêtres n’ont pas dit: où est le Seigneur » : I 640,13-14) et « ceux qui
ont le pouvoir sur mon peuple» (I 640,17), ces derniers renvoyant aux évêques
du fait que le contexte de l’Exposé 14 est une critique adressée aux dignitaires
épiscopaux. Bien entendu, cette terminologie ne permet ni de discourir sur
l’ identité de l’évêque ni de déterminer la spécificité de son statut sacerdotal
eu égard au prêtre.
Contrairement à Aphraate, Éphrem ne recourt jamais à l’ équivalent syria-
que du terme grec episcopos59. Chez lui, la dignité épiscopale est traduite le
plus souvent par le mot «chef» (rīšā), tout à fait comme chez Aphraate. Là où
ce dernier rend compte de la trilogie «episcopes (efisqūfā), prêtre (qašīšā) et
diacre (mšamšanā)», Éphrem la remplace par «chefs » (rīšē), prêtres et diacres
(ici šamašē) (CH 22,21)60. Ailleurs, le mot «chef» est remplacé par l’ expression
58 Pour l’analyse de cette référence, en dialogue avec les deux traductions de Parisot et de
M.-J. Pierre, cf. notre Introduction à l’Esprit Saint, p. 53 et n. 50. La traduction proposée par
Brock, Priesthood, p. 16: «Christians are perfected as priests, kings and prophets», semble
s’aligner sur la traduction de M.-J. Pierre qui englobe parmi les « oints » les prêtres, les rois
et les prophètes. À la suite de Parisot qui traduit par « christiani et sacerdotes», de Vries,
Nestorianern, p. 17, adopte la même traduction: «die Priester, die Könige». On trouve la
même traduction par Murray, Symbols of Church, p. 115 : « Christians, priests ».
59 Beck, Dōrea und charis, p. 96, dit avoir repéré le terme grec une seule fois dans le titre qui
introduit l’ensemble des mīmrē de CNis 17-21. Mais le titre peut très bien être l’ invention
d’un scribe et, à cet effet, n’offre aucune preuve qu’il remonte à Éphrem lui-même.
60 Dans ce texte, Éphrem accuse les hérétiques d’avoir dérobé cette trilogie à la grande
Église, avec d’ autres vérités relatives à la prédication et aux sacrements. En principe, la
trilogie dans l’Ancienne Alliance est présentée comme « rois, prêtres et prophètes» (Nat
1,1; CGEx 71,17), où est ajouté le terme «sauveurs» ( farūqē) (Virg 37,1), avec la possibi-
lité d’intervertir la place de l’un ou l’autre mot, comme lorsqu’ on commence par les
prophètes et on termine par les rois (cf. Virg 9,9) ou par les prêtres (Virg 28,3), ou en com-
mençant par les prêtres et en terminant par les rois (Nat 24,2), ou encore par les prophètes
pour clôturer par les prêtres (Az 15,10-13). Il arrive qu’ Éphrem privilégie le recours aux sub-
« grand pasteur», et les deux termes pour désigner les prêtres et les diacres
sont maintenus tels quels (Resur 2,9). À côté du terme rīšā, Éphrem utilise le
terme rīšanā, de même sens, mais surtout le substantif rīšanūtā qui, chez lui,
désigne plus spécifiquement le ministère épiscopal. En fait, le mot rīšā peut
toujours évoquer sous la plume d’Éphrem son sens originel de « tête» par rap-
port aux membres du corps61. Mais il peut bien se détacher de son sens premier
pour acquérir la signification de «chef»: c’est le « chef » vénérable (zahyā)
s’ opposant au «maître laxiste» (rabā rafyā), qualification donnée à l’ évêque
arien (SdF 6,193-200)62. Comme rīšā, le terme rīšanā qui en est dérivé n’ est
pas non plus réservé à désigner le chef sacerdotal63, même si, appliqué aux
ministres ecclésiaux, il vise la dignité épiscopale. Employé au pluriel, le terme
peut désigner les évêques ariens [SdF 6,189-190: « Le Très-Haut ne laisse pas
impuni (mahmē wā, litt.: néglige) la perversion ( fūtalā) des chefs (rīšanē)] »,
comme il peut désigner les évêques de la grande Église; ainsi trouve-t-on com-
mentée par Éphrem la parole adressée par le Seigneur sur le chemin de Damas:
« Notre Seigneur parla d’en haut avec modestie, afin que les chefs (rīšanē)
de son Église parlent avec modestie» (SdDN 23,17-18). De la même façon, il
convient de relever le sens de dignitaire subordonné à l’ évêque, appelé aussi
rīšanā, dans un contexte où Éphrem s’adresse à l’ évêque Abraham pour lui sug-
gérer les critères qui devraient présider à l’élection des prêtres et des évêques
auxiliaires: «Garde les prêtres dans la pureté et les rīšanē dans la modestie »
(CNis 19,3)64.
stantifs royauté, pontificat et prophétie (Virg 19,9; Crucif 4,11). Parfois le terme rīšā semble
désigner le pouvoir civil, en l’occurrence le roi, lorsqu’ il est associé à « prophète et prêtre»
(cf. Virg 17,5), ce qui signifie qu’il n’est pas réservé exclusivement à la dignité épiscopale.
61 Faisant allusion aux divisions entre évêques et peuple chrétien à cause de l’ arianisme,
Éphrem écrit:
Des scissions (existent) dans le corps uni,
car sont divisés la tête et les membres (SdF 6,207-208).
Ou:
Le dernier ʿallanā (= berger) s’est élevé
et il fut (établi) tête pour ses «membres» (hadamaw) (CNis 18,3).
Ou encore, à l’adresse de l’évêque Abraham de Nisibe appelé « chef-tête» en lien avec la
couronne placée sur la tête:
Que tu sois le grand chef-tête (rīšā rabā),
et que nous soyons les pierres précieuses de ta couronne (CNis 19,12).
62 Nous continuons à donner le nom générique d’« arianisme » à la secte et à appeler
«Ariens» ses membres, même si la recherche sur son identité montre qu’ il s’ agit plu-
tôt d’un mouvement néo-arien qui s’est propagé dans le milieu syriaque sous l’ empereur
Valens (364-378); cf. Griffith, Church of Syria, p. 104-105 et n. 28.
63 Pour rīšanā désignant le chef civil, cf. CH 8,12; SdF 6,475-476 ; Nat 25,12 ; Resur 2,9.
64 Cela correspond au terme ʿallanā, auquel nous reviendrons plus loin.
65 Sauf erreur de notre part, nous n’avons pas rencontré le terme rīšanūtā appliqué par
Éphrem au pouvoir civil.
66 En revanche, l’emploi de rabā comme adjectif à l’ état construit peut se trouver avec
kūmrā, tel que rab kūmrē, pour être appliqué au Christ (Nat 9,15 ; 16,13; Az 2,2-3 ; Eccl 42,1 ;
etc.). Parfois, Aphraate et Éphrem se distinguent quant à la désignation de certains digni-
taires sacerdotaux de l’Ancienne Alliance: Uzza est considéré comme prêtre par Aphraate
(I 620,23-24), tandis qu’il est désigné comme grand prêtre par Éphrem (HdF 8,10). Cela,
sans compter le nombre de fois où le même personnage, tel que Zacharie, le père de Jean
Baptiste, est appelé à la fois et dans une même strophe kahnā et rab kūmrē (HdF 9,8) (cf.
supra, p. 11). Quant au terme kahnā, il n’est jamais formé avec rabā (rab kahnē) pour dési-
gner le Fils, mais celui-ci peut être appelé kahnā (Az 2,2), ou « Seigneur des prêtres » (marē
kahnē) (HdF 8,8) (cf. supra, p. 11), ou encore «Seigneur du pontificat (kūmrūtā) » (Nat 1,25).
67 Tout comme Beck, nous n’avons pas l’intention de répertorier tous les textes éphrémiens
où le prêtre désigne l’évêque. Dans Dōrea und charis, p. 96, n. 33, Beck commente CNis
21,5 en voyant dans le qualificatif de «frère des prêtres» donné à l’ évêque une insistance
sur l’égalité dans la dignité sacerdotale. Dans la même monographie, p. 145, Beck répète
que le prêtre désigne l’évêque dans CNis 18,12, thèse qu’ il défend à la p. 104, puisqu’ il la
voit également attestée dans les Hymnes de l’Épiphanie (Epiph 7,26.27).
prêtre (HdF 8,7; cf. CGEx 152,14), phénomène que l’ on trouve également attesté
chez Aphraate qui donne le nom kahnā au grand prêtre Aaron (II 48,1-2). On
se demanderait si le fait de qualifier de prêtres les quatre évêques de Nisibe
n’a pas quelque chose de dénigrant, surtout si l’ on tient compte de la manière
dont Éphrem s’adresse à eux, en leur prodiguant des conseils. À bien regar-
der les textes, on constate que, tout au contraire, les évêques reçoivent de lui
beaucoup d’éloges, notamment en raison de leurs sacrifices pour leurs trou-
peaux. Ils sont présentés comme «glorieux» (naṣīḥē) (CNis 13,1; 17,11; 19,15-
16; etc.), ou «continents» (nakfā au singulier, dit ici de l’ évêque Vologèse:
CNis 15,8.9.12, ou de l’évêque Abraham: CNis 21,4)68. Comparés aux rois qui
sont qualifiés d’«éclairs» (zalīqē), les «prêtres (-évêques)» sont appelés à
devenir des «étoiles» (nahīrē) (CNis 21,21). Éphrem les défend, au point qu’ il
est lui-même persécuté à cause du soutien qu’ il leur offre; c’ est ainsi que,
s’ adressant à Dieu, Éphrem décrit ce qu’il endure en raison de son soutien à
l’ évêque Barsēs: «Parce qu’ils ont rejeté ton ‘prêtre’, c’ est moi, à cause de lui
(beh, litt.: par lui), que mes fils m’ont haï» (CNis 29,5). Un langage d’ affection
est même utilisé pour désigner l’évêque Vologèse comme « notre troisième
prêtre» (CNis 14,6), le «notre» dévoilant une familiarité, une affection à son
égard.
Sans avoir à entrer dans les détails, le fait de l’ emploi récurrent du terme
« prêtre» pour les évêques de Nisibe et d’Édesse n’a rien de fortuit ; au con-
traire, il confirme bien que le titre en question était d’ usage aux temps
d’Éphrem et qu’il convenait à merveille aux dignitaires épiscopaux. C’ est ainsi
que les évêques Jacques, Babu et Vologèse sont appelés « trois prêtres» (CNis
13,1.3; 19,15), ou ils sont présentés comme le premier, le deuxième et le dernier
ou le troisième «prêtre» (CNis 13,17; 14,4.21; etc.). S’ adressant à l’ évêque Abra-
ham, successeur de Vologèse, il reconnaît que la « prêtrise » (kahnūtā) trouve
plaisir en lui (CNis 19,2). Comme «prêtre», Abraham est un modèle pour son
troupeau, comme le roi l’est pour son camp (mašrīteh) (CNis 19,14). Éphrem
l’ incite à une collaboration avec le roi Jovien pour déraciner les mauvaises habi-
tudes: «Afin que, entre le prêtre et le roi juste, les anciennes habitudes soient
« étranglées» (netḥanqūn)» (CNis 21,14). Ce face à face entre rois et prêtres,
successivement entre Constantin et Jacques, Constance et Vologèse, Jovien et
Abraham, ne peut convenir qu’au rapport entre rois et évêques appelés ici
prêtres (CNis 21,21-23). Si dans les textes auxquels on vient de faire référence, il
est demandé aux «prêtres» de prier pour les rois, on en trouve d’ autres où la
68 Il n’est pas question de répertorier ici toutes les qualités des trois évêques; pour les vertus
personnelles de Vologèse, cf. CNis 15.
prière doit se faire en faveur des «prêtres» et des rois (Eccl 8,7). Sans conteste,
il s’agit là de prêtres (-évêques) qui appartiennent à la grande Église. Toute-
fois, il faut bien le noter, les évêques ariens sont eux aussi appelés « prêtres»
et confrontés aux rois (SdF 6,9-10: «Les «prêtres » succombant à la dispute,
voici que les rois sont engagés dans le combat »), comme ils peuvent être
mesurés aux pontifes païens (kūmrē) (SdF 6,51-52 : « Les « pontifes » (païens)
ont reconnu la vérité (du Christ), tandis que les « prêtres» (ariens) s’ obstinent
à la rechercher»), ou en conflit avec les prêtres (-évêques) de la grande Église
[SdF 6,353-354: «Les prêtres se piquant l’un l’autre, les païens (ici ṭaʿayyē : ceux
qui sont dans l’erreur) élèvent la corne»]. Ce sont encore les évêques ariens qui
sont visés par l’accusation portée contre les «prêtres» qui s’ en prennent aux
rois (HdF 53,2).
Nous n’avons pas à ajouter d’autres preuves pour démontrer que le titre de
« prêtre» est vraiment appliqué à l’évêque. Comme s’ il fallait prouver qu’ ap-
pelés prêtres, les évêques de Nisibe auxquels Éphrem s’ adresse le sont en vérité,
ou que c’est à eux qu’Éphrem adresse son discours. Pour cette raison, on ne
gagnera pas en conviction si, au sujet de l’évêque Abraham, on cherche à attri-
buer au titre de «prêtre» la dignité épiscopale, en alléguant le mot rīšanūtā
qui lui est accordée (CNis 19,9), ou en évoquant sa fonction de protéger les
prêtres et les rīšanē (= évêques subordonnés) (CNis 19,3), ou encore en sou-
lignant le lien qui existe entre « rīšā rabā» (grand chef) et « peuple » (ʿamā)
chrétien (CNis 19,12).
Reste une question intriguante, nécessitant une justification, concernant
la raison qui pousse Éphrem à maintenir le titre de « prêtre» pour l’ évêque,
au moment où il dispose d’une gamme d’autres titres susceptibles de mieux
rendre compte du rang de ce dernier en tant que « couronne du sacerdoce»
(CNis 21,5)69. Si l’on écarte, comme nous le disions, toute interprétation visant
à voir une dépréciation dans le refus d’appeler l’ évêque par des titres plus élo-
gieux, la raison de continuer à l’appeler «prêtre» pourrait s’ expliquer par cet
usage remontant à l’antiquité chrétienne, où le terme de « prêtre» est encore
appliqué à l’évêque70. Il s’agirait en fait d’une désignation qui table davan-
tage sur l’identité sacerdotale, loin de tout souci d’ introduire des différen-
ciations, des degrés, dans ce «nom générique» qu’ est le sacerdoce. Ce phé-
nomène est bien attesté par le recours d’Éphrem à la trilogie de l’ Ancienne
Alliance, déjà rencontrée, à savoir «prophètes, prêtres, rois», où les « prêtres»
sont confrontés aux deux autres catégories, sans aucune spécification de leurs
rangs. De même, dans l’exposé des trois catégories de prêtres telles que défi-
nies par Éphrem, «prêtres premiers», «prêtres intermédiaires » et « prêtres de
l’ Église» (Virg 35,12), on ne rencontre aucune référence aux fonctions supé-
rieures du sacerdoce, en renvoyant au grand prêtre dans l’ Ancienne Alliance,
ou à l’évêque dans la Nouvelle71.
Fort surprenant, la richesse du langage de Jacques de Saroug sur les prêtres
et les lévites est contrecarrée par une nette pauvreté dans le choix du titre
proprement «sacerdotal» qui désignerait l’identité de l’ évêque, surtout si l’ on
envisage les homélies à l’exclusion de l’œuvre en prose72. Plus étonnant encore,
Jacques ne cherche même pas à transférer la distinction qu’ il admet entre
prêtre et grand prêtre dans l’Ancienne Alliance sur la différence qui est sup-
posée exister entre prêtre et évêque dans la Nouvelle Alliance. En revanche,
il faut lui reconnaître son souci, relatif certes, d’ une plus grande précision
par rapport à Aphraate et à Éphrem quant au droit qu’ il souligne chez le
grand prêtre d’entrer seul dans le Saint des Saints, à l’ exclusion du prêtre73.
Même si, pour les autres dignitaires ecclésiastiques, il semble parfois hésiter
entre les dénominations «prêtre» (kahnā), ou « grand prêtre» (kahnā rabā),
ce qui pourrait s’expliquer par la même justification proposée pour l’ approche
d’Éphrem, à savoir que les hauts dignitaires sacerdotaux sont des prêtres par
excellence74.
71 Par «prêtres premiers», Éphrem comprend ceux qui ont officié avant l’ élection du sacer-
doce lévitique, les membres de ce dernier constituant pour Éphrem les « prêtres intermé-
diaires».
72 Là aussi, nous n’envisagerons pas les titres que nous avons qualifiés de « symboliques »,
pour ne retenir que ceux plus «techniques» et censés mieux exprimer la dignité épisco-
pale. Cf. supra, n. 49.
73 BedS 829,7-8:
Il y a des prêtres, mais il n’y a qu’un seul grand prêtre
Et au Saint des Saints, un seul entre et pas plusieurs.
En outre, Jacques rapporte dans la plus grande fidélité une autre tradition vétérotestamen-
taire, où le grand prêtre joue un rôle irremplaçable; en fait, il est question de ce règlement
qui concerne le retour des exilés dans leur pays suite à la mort du grand prêtre (Nb 35,20-
29; Jos 20,1-9) (V 799,16; CJ IV 205-208).
74 Dans ce qui suit, aucune prétention à l’exhaustivité n’est recherchée; les quelques exem-
ples sont des échantillons servant à appuyer la thèse énoncée. Ainsi constate-t-on qu’ à
Melchisédech le qualificatif «grand» est toujours associé à « prêtre» (kahnā ou kūmrā)
qu’il est (cf., à titre d’exemple, II 204,12; 484,3; 775,8; III 494,12). En revanche, Zacharie, le
père de Jean Baptiste, peut bien être appelé soit grand prêtre (II 149,18 ; 155,1 ; 502,20; etc.),
soit prêtre (II 145-146.149-152.154.155.157); il en est de même de Jean Baptiste qui peut être
désigné comme grand prêtre (III 677,9; 686,16; 690,2), ou prêtre (III 684,14 ; 688,19). Le
même phénomène s’applique à Josué, fils de Yehoçadaq, qui est évoqué comme grand
prêtre (I 221,12), ou prêtre (I 221,8). Même le grand prêtre Caïphe n’échappe pas à cette
oscillation: étant grand prêtre (II 521,10; 539,13; 540,1.5), il n’ est pas moins appelé prêtre
(II 551,9; 552,12-13; 553,2).
75 À moins d’une erreur de notre part, nous croyons que ce titre constitue un hapax dans
l’œuvre de Jacques.
76 Après avoir corrigé wa-bhanā par kahnā, d’après la conjecture d’ Olinder adoptée par
Albert dans sa traduction.
Narsaï reste probablement plus fidèle à Éphrem que ne l’ est Jacques concer-
nant la terminologie. Ce dernier ne se rattache au maître que par le terme de
rīšanūtā (dignité de chef) qui, chez lui, n’est pourtant pas réservé à l’ épiscopat.
Narsaï est dans la stricte tradition éphrémienne lorsqu’ il choisit de nommer
« prêtres» les évêques, même les plus vénérables à ses yeux, Théodoret, Théo-
dore et Nestorius en premier lieu77. Face à ces « prêtres éprouvés (bḥīrē) »
(I 266,1), leurs protagonistes qui sont également des évêques sont qualifiés
de «faux prêtres» (kahnē d-zīfā) (PP I 267,5). Ils sont accusés d’ avoir commis
l’ iniquité (aʿwel) à l’encontre de Nestorius (PP I 267,13 : « Les prêtres ont com-
mis l’iniquité à l’encontre du prêtre»), en se réunissant en concile et en le
démettant de son siège épiscopal (ici kahnūteh, son sacerdoce: PP I 269,3.13). Ce
sont certainement des évêques qui sont désignés comme « prêtres justes», dont
la persécution a débuté sous l’empereur Valens qui s’ est notamment attaqué à
Diodore, métropolite de Tarse (PP I 285,1sv)78.
À vrai dire les évêques chrétiens ne sont pas les seuls à être appelés « prêtres»
chez Narsaï, mais, toujours dans la ligne d’Éphrem, les grands prêtres de l’ An-
cienne Alliance reçoivent également l’appellation de « prêtre». Ainsi Narsaï
n’hésite-t-il pas à appeler «prêtre» le grand prêtre à qui est réservée l’ entrée
dans le Saint des Saints (Frish V 205.209.249), même s’ il lui donne ailleurs le
nom qui convient, «grand pontife» (rabā d-kūmrē) (Frish V 153.235). Pour les
grands prêtres de l’ A.T., Narsaï peut, pour les désigner, recourir aux deux déno-
minations de rabay kūmrē, grands pontifes (McLeod II 283) et rabay kahnē,
grands prêtres (PP I 589,24). Mais ce qui le fait se démarquer d’ Éphrem, c’ est
le titre de rabay kahnē (grands prêtres) qu’il donne aux évêques chrétiens79,
Éphrem évitant cette appellation, comme il a été remarqué, probablement
pour écarter toute confusion avec les grands prêtres de l’ Ancienne Alliance.
Dans le mīmrā sur la réception des mystères, considéré comme inauthentique,
on retrouve le titre de « rab kahnē» comme équivalent du terme afesqūfā : le
prêtre devance l’ afesqūfā dans la réception de la communion (b-masbā d-razē),
77 PP I 261,21; 262,15; 267.269; pour le seul Nestorius, cf. PP I 267,13 ; 269,12. Dans son intro-
duction à Connolly, Liturgical Homilies, p. lxv, E. Bishop a bien perçu, sans l’ étayer par des
textes de Narsaï, que le terme kahnē dans l’homélie 17, aujourd’hui jugée inauthentique,
signifie «no doubt bishops and presbyters».
78 Dans l’homélie attribuée à Narsaï (I 270-298), les Pères de Nicée sont appelés « prêtres»
(I 275,4; 290,14-15), au moment où Jacques, comme il a déjà été signalé, les nomme
«évêques».
79 II 163,19-20. Le contexte ici ne peut renvoyer qu’aux dignitaires épiscopaux, qui, avec les
«saints prêtres» (kahnē zhayā) sont invités aux noces de l’ Église et de son Fiancé.
si c’est le prêtre qui les a sanctifiés et non le « rab kahnē» (I 294,5-7). Ce terme
n’est attesté qu’ici dans l’œuvre de Narsaï, du moins dans l’ œuvre publiée et
qui est à notre disposition.
Narsaï s’écarte d’Éphrem par une autre expression, celle de « chefs de ton
peuple» (rīšay ʿamaḫ), qu’il attribue aux évêques lorsqu’ il apostrophe le com-
mun des fidèles pour lui signifier que ces chefs sont les instigateurs de la révolte
et de la dispute à l’origine des divisions dans ses rangs (II 330,9-11)80. Non que
le terme rīšā (chef) ne soit pas éphrémien, mais ce qui ne l’ est pas, c’ est ce lien
entre « rīšā » et «peuple». Autrement, Narsaï fait également usage du terme
rīšanūtā, qui renvoie à la «dignité épiscopale» notée chez Éphrem. Cepen-
dant, comme chez Jacques et contrairement à Éphrem, le terme, chez Narsaï,
n’est pas exclusivement appliqué aux évêques81. Ainsi, dans la vision des deux
oliviers, Zacharie discerne, selon Narsaï, la rétribution au peuple juif de la
« rīšanūtā des rois et des prêtres» (I 47,10-11). Bien entendu, le terme « prêtre»
dans la dernière citation peut bien désigner l’état sacerdotal en tant que tel,
mais confronté aux rois, il peut également évoquer les évêques. Dans un autre
mīmrā, Narsaï accuse les responsables ecclésiastiques de déclencher les divi-
sions par leurs disputes, conséquence du trouble et de l’ outrage infligés au
« bon ordre de la rīšanūtā (dignité épiscopale) et au rang supérieur du nom de la
prêtrise» (I 222,1-2); et il conclut «et voici que se combattent prêtres et rois l’ un
contre l’autre» (I 222,3). Dans ce texte, l’évocation successive de « rīšanūtā », de
« rang supérieur du nom de la prêtrise» et de «prêtres», laisse suggérer que les
prêtres en question ne sont pas de simples prêtres, mais des responsables ecclé-
siastiques occupant un rang supérieur, donc des évêques qui, ici aussi, sont mis
face à face avec les rois.
Beck a consacré plusieurs notes au titre ʿallanā dans les différents ouvrages
d’Éphrem qu’il a édités et traduits, au point qu’ il semble à peine nécessaire
de s’y attarder82. Il serait cependant utile de reprendre l’ hypothèse de Beck et
80 Notons que, dans la suite du texte, ces rišay ʿamaḫ sont appelés « prêtres», titre donné au
prêtre par excellence qui est l’évêque (cf. II 330,13; etc.).
81 À titre d’exemple, Narsaï peut parler de la rīšanūtā d’ un ange établi chef sur les change-
ments météorologiques (Gignoux VI 221-222).
82 Cf. les notes qu’il réserve à SdF 6,13 (version, p. 59, n. 6), à CNis 14,1 (version, p. 43, n. 1), à
CNis 17,3.4 (version, p. 54, n. 2), à CH 56,10 (version, p. 192, n. 12) et à HdF 35,10 (version,
p. 96, n. 11), cela, si l’on excepte les petites notes pour déterminer l’ appartenance confes-
sionnelle de ces ʿallanē, qu’il s’agisse de l’évêque arien (HdF 36,4 ; cf. SdF 6,9 déjà donné),
de la placer dans une perspective plus large, où seront inclus et discutés les
textes des trois autres auteurs syriaques. Pour une fois, nous allons commen-
cer par Éphrem pour la simple raison que le terme reçut de Beck une analyse
suffisamment élaborée. En fait, pour l’éditeur d’ Éphrem, le terme en soi est
polysémique, allant du sens de diacre appliqué à Éphrem (CH 56,10), jusqu’ à
l’ évêque, en passant par ce qu’il croit être l’évêque subalterne83.
Étant donné la portée symbolique du terme, il n’est pas facile de déterminer
avec la plus grande exactitude les catégories de personnes auxquelles ce terme
renvoie. Ce que Beck a tenté de reconstituer mérite la plus grande attention,
même si des nuances doivent être apportées à certaines de ses propositions.
À titre d’exemple, le fait de discerner des évêques subalternes dans la phrase
ouvrant la série d’hymnes sur les évêques de Nisibe dans CNis 14,1 : « Les trois
pasteurs (raʿawatā) avaient de multiples ʿallanē » suppose que, dans l’ antiquité
syriaque, l’évêque était secondé dans sa charge par plusieurs « évêques subal-
ternes», ce qui serait une hypothèse à prouver historiquement. Une formula-
tion presque identique est répétée dans CNis 17,4 au sujet de l’ évêque Abra-
ham que Dieu «choisit parmi une multitude de ‘ʿallanē’ »84, où Beck veut
bien voir dans les ʿallanē des prêtres ou des diacres. En fait, les multiples
« ʿallanē » collaborent avec l’évêque (CNis 14,1) et la « multitude des ʿallanē »,
ou de l’évêque de foi orthodoxe (HdF 35,10), ou, comme nous venons de le signaler, du
titre qu’Éphrem s’applique à lui-même (CH 56,10).
83 Il est difficile de faire le tri, dans les textes donnés par Beck, entre ceux qui renvoient à
l’évêque et ceux qui se rapportent à l’évêque subalterne. Dans la note consacrée à CNis
14,1 sur l’évêque subalterne, on a tendance à croire que les textes qui désignent l’ évêque
sont CNis 18,3 (l’évêque Abraham) et 33,6 (l’évêque comme ʿallanā du Christ), tandis que
les autres textes référencés, à savoir HdF 35,10; 36,4 et 59,11, se rapporteraient à l’ évêque
subalterne. Mais dans la note relative à SdF 6,14, il semble que ce soient les évêques qui
sont évoqués dans CNis 33,32 – référence inexacte et, en plus, inexistante car la strophe 16
clôt cette hymne; la même référence est donnée dans HdF 35,10, version, p. 96, n. 11. Il s’ agit
en fait de CNis 33,6 –, HdF 36,4 et 59,11; on aurait cru que HdF 36,4 vise plutôt les évêques
subalternes dans la note précédente. Murray, Symbols of Church, p. 168, n. 4, s’ appuie sur
Beck, sans toutefois donner des références, pour souligner que ʿallanā, bien qu’ il désigne
des supérieurs ecclésiastiques, «connote a subordinate relationship to Christ ».
84 Le texte syriaque utilise le même terme, sous forme adjective, sagīyyē (multiples) dans
CNis 14,1 et comme substantif sūġā (multitude) dans CNis 17,4. C’ est ce dernier texte que
Beck voulait probablement signaler dans sa note sur CH 56,10, et qui est remplacé, à tort,
par CNis 17,6, où le terme ʿallanā est inexistant. Griffith, Images of Ephraem, p. 23-24,
semble s’aligner sur Beck lorsqu’il admet que le conseil des ʿallanē chargé d’ élire l’ évêque
est formé probablement de diacres et de prêtres, ou presbytres, Éphrem lui-même étant
considéré comme ʿallanā. Aux yeux de Griffith, le fait de supposer la présence de diacres
et de prêtres dans ce conseil contribuerait à mieux expliquer l’ affirmation d’ Éphrem,
d’après laquelle les évêques de Nisibe sont secondés par plusieurs ʿallanē (CNis 14,1).
parmi lesquels Abraham est choisi (CNis 17,4), renvoient probablement aux
seuls prêtres entourant l’évêque. Il n’est pas nécessaire d’ inclure les diacres,
comme le suppose Beck, car ce serait admettre que, dans l’ antiquité syriaque,
l’ élection d’évêques parmi les diacres fut une coutume courante, ce qui est une
hypothèse encore à prouver, et qui n’a du moins aucun appui dans les textes
éphrémiens. Ce qui est dit dans CNis 17,4 vaut également pour 17,1 « Je veux par-
ler de son ʿallanā qui est devenu chef du troupeau» ; là aussi, le sens de diacre
supposé par Beck, à côté de celui de prêtre, est à écarter pour le même motif,
à savoir pour improbabilité historique. Quant à l’ affirmation que, à l’ occasion
de l’élection de l’évêque Abraham, «le cercle des ʿallanē se réjouit, car ils ont
vu la continuité de leur ‘ordre’ ( yūbal dargayhūn; litt.: la transmission de leurs
rangs)» (CNis 17,3), elle ne semble pas viser les diacres, peut-être encore moins
les prêtres, comme le suppose Beck, mais plutôt les évêques qui voient dans
l’ élection d’Abraham la continuité de leur ministère épiscopal.
Cette discussion portant sur les appellations du terme ʿallanā appliqué aux
différents degrés de la hiérarchie ecclésiale ne doit pas obstruer les autres sens
dont il est doté. À commencer sans conteste par son sens propre, premier, qui
est le pasteur de troupeau, lequel se trouve seulement attesté dans CGEx et qui
remplace dans ce contexte le terme raʿawatā de la Peš85. À partir de ce sens pre-
mier, Éphrem n’hésite pas à appliquer le terme aux « pasteurs» qui ont guidé le
peuple, sans toutefois préciser leur identité; évoquant la circoncision à laquelle
s’ attache encore le peuple juif, Éphrem fait savoir que Dieu l’ a établie « pour le
troupeau tuant ses pasteurs (ʿallanē)», afin qu’elle lui serve de marque qui le
distinguerait des autres peuples (SdF 3,237sv)86.
Appelant pasteurs ceux de l’Ancienne Alliance, Éphrem n’hésite pas à nom-
mer «pasteurs» (ʿallanē) les premiers disciples réunis autour du Christ ressus-
cité au bord du lac de Tibériade, au moment où le Seigneur confie la charge du
troupeau à Simon Pierre87. À partir de ce sens premier, le terme est appliqué
aux différents pasteurs chrétiens, sans exclure ceux qui sont tombés dans
l’ hérésie88.
85 CGEx 128,10-11. Le texte relate le récit de Moïse qui s’ enfuit à Médian. Arrivé auprès du
puits, il s’assoit et, «voyant les pasteurs (l-ʿallanē) lâches qui s’ emploient avec avidité à
dérober l’eau puisée (dans le puits) par les filles, il les libère de leur violence (qtīrhūn ;
litt.; contrainte) par (sa) justice».
86 Les ʿallanē, ici, pourraient sans doute désigner les trois catégories qu’ on trouve souvent
citées ensemble: «prophètes, rois et prêtres»; cf., à titre d’ illustration : Virg 28,3 ; 37,1 ; Az
15,10-13; Crucif 4,11; CGEx 71,15-18 (cf. supra, n. 60).
87 Virg 36,6:
Le Seigneur du troupeau qui prit le repas (etmlaḥ) avec les ʿallanē ;
Il prit et transmit son troupeau à Simon, qui lui obéit.
88 Aux textes donnés par Beck sur les évêques ariens (HdF 36,4 ; SdF 6,13-14), il faut ajouter
À vrai dire, même si, chez Éphrem, le titre continue à être rattaché à son
sens premier de berger, il ne s’en détache pas moins pour se forger un statut
autonome susceptible d’être utilisé sans avoir à garder son rapport au terme
en question89. Toutefois, Aphraate ne s’inscrit pas dans cette logique, puisque
le terme reste chez lui bien enraciné dans la texture scripturaire, à la fois
dans l’Ancienne comme dans la Nouvelle Alliance. Ainsi, de Moïse, le « ʿallanā
sage» qui fit paître le troupeau, Israël, et enseigna à Josué comment le faire
paître (I 448,7-10), à Géhazi, ʿallanā rejeté par Élisée, car il préféra le commerce
matériel et lucratif au service du peuple (I 456,18-22), jusqu’ à la citation de
Za 13,7, où, d’après la Peš, Dieu retournera sa main « sur les bergers» après
que la lance a dispersé le pasteur (raʿyā) (I 812,15-18), on se trouve devant un
ensemble de textes où le ʿallanā est encore doté du sens de pasteur-berger. Le
Christ est qualifié de pasteur qui «choisit et enseigna les ʿallanē brillants et
livra le troupeau en leurs mains» (I 453,5-6). Ainsi, comme Éphrem, Aphraate
accorde aux apôtres le nom de ʿallanē. Quant aux pasteurs chrétiens, Aphraate
les exhorte à prendre comme modèle le «doux pasteur» en leur prodiguant un
ensemble de conseils; il finit par conclure que « cela suffit pour les pasteurs et
les bons ʿallanē (bergers)» (I 457,19-20). Faut-il voir une quelconque distinction
entre «pasteurs» et ʿallanē dans cette dernière citation, comme pour dire que
les ʿallanē, mentionnés après les pasteurs, seraient dotés d’ un statut et d’ une
dignité moindres que ceux accordés aux «pasteurs » ? Rien dans le texte ne per-
met un tel constat, même si, d’une part, ʿallanā n’ est jamais employé pour le
Fils, contrairement au titre de pasteur, et d’autre part, dans la citation de Za
13,7, raʿyā est au singulier, comme s’il désignait le chef suprême, tandis que les
ʿallanē sont au pluriel, comme s’ils dévoilaient un statut subordonné au pas-
teur.
Quoi qu’il en soit, Aphraate n’utilise jamais le terme ʿallanā pour désigner
l’ évêque, le prêtre ou le diacre de façon claire et directe comme le fait Éphrem.
Même si, dans la continuité du texte où est relaté le choix des ʿallanē par le
Christ et, à leur tête, Simon Pierre, Aphraate prolonge sa réflexion en disant
que Pierre livra le troupeau à ses successeurs avant de s’ en aller (I 453,10-11). On
peut bien deviner que, dans l’esprit d’Aphraate, ce sont les évêques-pasteurs
CNis 31,30-31, où le nouveau «pasteur» (rayʿā), Vetus, successeur de Barsēs sur Harran,
se trouve confronté aux «pasteurs» (ʿallanē) troublés, enténébrés, qui qualifient Vetus de
loup et qu’Éphrem incite à se convertir au Christ pasteur.
89 On peut évoquer le rapprochement entre raʿyā et ʿallanā dans SdF 6,13-14: « Le raʿya com-
bat son compagnon, et le ʿallanā, son confrère (bar zawgeh) ». Sur le statut autonome du
ʿallanā, cf., parmi d’autres textes, celui que nous avons discuté ci-dessus p. 33 et qui porte
sur les trois pasteurs (ʿallanē) ayant plusieurs ʿallanē (CNis 14,1).
actuels que le texte vise et qui sont les successeurs des ʿallanē que sont les
apôtres. Cela est certes vrai, mais à part cette indication faite par déduction,
Aphraate ne nomme pas ʿallanē les dignitaires ecclésiastiques, quel que soit
leur rang.
Narsaï fait peu cas du terme ʿallanā ; en fait, il y recourt une seule fois pour
dire que ce sont les ʿallanē (pasteurs) qui ont chassé Bardésane en dehors de
l’ Église (Sim V 54). Plus loin dans le texte, ce sont les raʿawatā qui sont nommés,
auxquels est attribué l’acte de chasser Arius hors du bercail (Sim V 79-82). De
ces deux occurrences, même si l’acte d’excommunication appartient en propre
aux chefs de l’Église, donc aux évêques, on ne peut ni admettre ni exclure une
différence de rang à l’intérieur de la hiérarchie ecclésiale. En revanche, l’ emploi
du terme est suffisamment attesté chez Jacques, ce qui permet de discuter de
son sens et, éventuellement, du statut des personnes auxquelles il renvoie.
Dans les Lettres, œuvre en prose de Jacques, où l’ on s’ attendait à l’ emploi
d’une terminologie précise, le mot ʿallanā n’est utilisé qu’ une seule fois et, de
plus, appliqué de façon allégorique à un laïc, le comte Bose, qui se trouve com-
paré à un pasteur (ʿallanā) (Lettres 260,19). Sinon, dans les hymnes, Jacques
peut rejoindre Aphraate concernant la citation de Za 13,7 sur la dispersion des
pasteurs et le retour de la main de Dieu «sur les ʿallanē » (II 522,3-13), texte
dont la prédiction s’est réalisée par la dispersion des disciples lors de la cruci-
fixion du Fils (II 558,8-21). Mais, comme Aphraate et Éphrem, Jacques accorde
le titre aux apôtres, même si les circonstances qu’ il privilégie ne sont pas les
mêmes que celles choisies par ses deux prédécesseurs. En fait, ce n’est ni dans
le contexte du choix des ʿallanē par le Fils Pasteur, comme chez Aphraate, ni à
l’ occasion de la rencontre du Ressuscité avec les ʿallanē au bord du lac de Tibé-
riade, comme chez Éphrem, que le terme ʿallanā est utilisé par Jacques, mais
plutôt au jour de la résurrection du Fils qui a entraîné la fuite des « loups » et
le rassemblement des ʿallanē, la «troupe (sīʿteh) de Simon » Pierre (II 612,15-
18). La deuxième circonstance est celle de la guérison de l’ impotent, à la porte
du temple, par Pierre et Jean (Ac 3,1-10) qui sont appelés ʿallanē du Fils et
opposés aux «loups» qui ont mis à mort le «Seigneur du troupeau» (V 730,9-
10).
Toutefois, Jacques se démarque d’Aphraate pour s’ aligner exclusivement sur
Éphrem dans la distinction qu’il établit entre pasteurs (raʿawatā) et ʿallanē. Une
première indication en ce sens est donnée par le rattachement des ʿallanē aux
pasteurs dans une formulation qui présente les premiers dans un état de dépen-
dance par rapport aux derniers: «pasteurs et leurs ʿallanē » (II 634,1 ; 635,1),
même si ces ʿallanē peuvent être également rattachés à l’ Église (ses ʿallanē :
II 634,13). Mais cette subordination des ʿallanē aux pasteurs ne permet pas, à
elle seule, de se prononcer sur leur statut propre, comme pour suggérer que
leur rattachement aux pasteurs fait d’eux des évêques subalternes, des prêtres
ou même des diacres. À vrai dire, il semble qu’ il faille exclure la possibilité
de leur réduction à l’état diaconal, même si le prétendu Habib est considéré
comme mšamšanā (BedA I 163,10) – à comprendre ici plutôt comme serviteur
que comme diacre dans le sens technique du terme – car, dans la ligne sui-
vante, il est encore assimilé à un «grand prêtre». Mais cette dernière expression
renvoie-t-elle à la dignité épiscopale, ou plutôt à une qualité, telle la magna-
nimité ou la grandeur qui caractériserait Habib ? D’ autant plus que le qua-
lificatif de «bon pasteur» est présenté comme faisant contraste avec le fait
qu’il est simple ʿallanā (BedA I 163,12: «Il fut pour le troupeau un bon pas-
teur (raʿyā ṭabā), bien qu’il fût ʿallanā »), ce qui fait pencher pour la thèse d’ un
statut inférieur à l’évêque en dépit du grand mérite de l’ intéressé. On n’est
pas mieux renseigné par cet autre texte (BedS 714,4-5) où est évoqué lors de
la mort de la Sainte Vierge le rassemblement « des ʿallanē » sur la montagne,
« des prêtres saints et des serviteurs (mšamšanē) avec leurs encensoirs »90. Bien
entendu, les ʿallanē en question se confondent avec « toute la troupe (gūdā) des
apôtres» (BedS 715,4). Mais que représentent les « prêtres» et les « serviteurs»,
au moment où l’Église en était encore à ses débuts ? Faut-il voir une grada-
tion dans la nomination successive des « ʿallanē », « prêtres» et « serviteurs», ce
qui laisserait supposer que, dans l’esprit de l’auteur, une telle hiérarchie exis-
tait déjà à la mort de la Vierge? Ou convient-il de présumer que la mention
des «prêtres» et des «serviteurs», à la deuxième ligne, est une apposition à
ʿallanē qui figure à la première ligne, ce qui laisserait entendre que « prêtres» et
« serviteurs» s’identifieraient à « ʿallanē »? Le texte ne permettant pas de tran-
cher au sujet de son sens, son ambivalence doit toutefois être respectée pour
ne pas en tirer ce qui ne serait pas fidèle à l’intention de l’ auteur.
Mais si, à cause de son ambiguïté, le texte qu’on vient de commenter est peu
instructif pour notre investigation, ne trouve-t-on pas chez Jacques d’ autres
textes plus transparents et, par conséquent, susceptibles de mieux orienter vers
une connaissance du statut de ces dignitaires ecclésiastiques ? Dans le mīmrā
sur l’amour, Jacques se reconnaît indigne d’adresser une critique portant sur
le comportement peu charitable de ce qu’il désigne comme « prêtre». Ce qui
est surprenant chez lui qui est prêtre ou même propédeute au moment de la
rédaction du mīmrā, c’est le fait qu’il se considère comme inférieur à son inter-
locuteur qu’il qualifie de «supérieur» à lui:
90 Voici le texte:
Les ʿallanē se rassemblent avec leur troupeau au faîte de la montagne,
des prêtres saints et des serviteurs avec leurs encensoirs.
91 Jacques fait parler l’Église qui détaille les dégâts de la dispute sur les dignitaires ecclésias-
tiques:
Ne savez-vous pas que (la dispute) transforma les pasteurs (raʿawatā) en loups,
et les ʿallanē, elle les rendit étrangers dans la bergerie (marʿītā) ?
Ne savez-vous pas qu’elle est troublante dès le début,
et elle renversa les «chefs des prêtres» du rang de leur pouvoir ? (IV 775,19-776,2).
bilité dans l’Église, étant parfois présentés comme subordonnés aux évêques-
raʿawatā et secondant ceux-ci, ou juxtaposés à eux dans des listes où sont men-
tionnés les responsables de l’Église. Quant à la question épineuse de leur diffé-
rence avec les prêtres, elle ne peut recevoir une réponse satisfaisante et défini-
tive. Et pourtant, les textes suggéreraient qu’ils jouissent d’ un statut supérieur
à ces derniers, même si leur appellation par évêques subalternes par Beck peut
laisser dubitatif.
Il ne reste qu’à discuter d’un dernier titre, qašīšā. Ce faisant, on ne peut man-
quer de constater qu’il est absent chez Narsaï et très peu attesté chez les trois
autres auteurs, la raison en étant probablement le fait qu’ il évoque les Anciens
de l’Ancienne Alliance92, peut-être encore à cause de sa forme adjectivale prise
pour un nom. Quoi qu’il en soit, si l’on excepte le sens d’ « ancien » par oppo-
sition à «jeune» chez Aphraate93, le terme n’est jamais employé seul, mais il
est inséré dans une formule pour ainsi dire stéréotypée. Nous en avons rendu
compte en rapportant cette formule où les «anciens » sont mentionnés entre
les évêques appelés efisqūfē et les diacres nommés mšamšanē94. On trouve chez
Aphraate une autre expression, «ancien quant à l’ imposition des mains (qašīš
ba-syam īdā)», à laquelle il recourt pour dénoncer ceux qui recherchent des
honneurs en désirant occuper les rangs ecclésiastiques supérieurs. Mais, en fait,
la formule met moins l’accent sur un statut, un état dignitaire supérieur, que
sur l’ancienneté eu égard à la réception de l’ordination (I 633,15-16).
Même démarche adoptée par Éphrem, chez qui on trouve le sens du terme
« ancien» par rapport à «jeune»95, mais aussi le sens sacerdotal du terme, où
qašīšā semble être toujours intégré dans la formule stéréotype, tout comme
chez Aphraate. Il a cependant été souligné que, à la différence de ce der-
nier, Éphrem n’utilise jamais le terme efisqūfā (évêque), mais plutôt le mot
« chef» (rīšā) (CH 22,21), ou «grand pasteur» (raʿyā rabā) (Resur 2,9). Quant aux
diacres, le terme employé pour le désigner n’est pas mšamšanē, mais šamošē
92 Bien qu’il ait été adopté dans la Peš pour désigner les responsables ecclésiastiques de
Jérusalem (Ac 16,4; etc), ou encore ceux que Paul établit responsables des Églises qu’ il
a fondées (Ac 14,23).
93 Cf. I 205, 11-13; 500,18; 592,23; 776,14; 797,1-2.
94 I 573,4.8, cf. supra, p. 22 et n. 51. Cette formule se trouve déjà dans Did. Apost., cf. III 1-4
(p. 27-29.31). XI (p. 130-131); à la p. 130, on a seulement afīsqūfē et qasīšē.
95 Cf. Nat 4,3. Nous n’avons pas à rendre compte de toutes les occurrences de ce qualificatif
chez Éphrem.
(CH 22,21; Resur 2,9; CNis 21,5). C’est ainsi qu’accusant les hérétiques de déro-
ber la structure de la hiérarchie propre à la grande Église, Éphrem évoque les
trois degrés de l’ordre sacerdotal: «chefs (rīšē), anciens et diacres» (CH 22,21).
La même structure hiérarchique est donnée à l’ occasion de la grande fête
qu’est la résurrection du Christ, où le «grand pasteur (raʿyā), les anciens et les
šamošē » sont invités à la célébrer, chacun selon la charge qui lui est départie
(Resur 2,9). L’unique fois où la formule n’est pas citée dans son entièreté – elle
n’est pas pour autant tronquée, du fait que l’évêque Abraham occupe la place
de l’évêque –, c’est lorsqu’Éphrem conseille à l’évêque Abraham d’ être « frère
pour les anciens et ‘commandant’ ( faqūdā) pour les diacres » (CNis 21,5).
Avec Jacques, l’emploi du terme qašīšā est d’ une fréquence minime,
puisque, dans le sens sacerdotal, il n’est utilisé qu’ une seule fois pour dési-
gner les anciens du peuple (I 11,12), et il est seulement donné dans les Lettres
comme titre aux dignitaires, souvent aux supérieurs des monastères auxquels
Jacques s’adresse: «Mar Antiochos, Mar Siméon, Mar Samuel, Mar Jean, Mar
Serge et Mar Ignace, qašīšē et supérieurs de monastères» (Lettres 135,21-23) ;
« Mar Jacques, qašīšā et supérieur du monastère… » (Lettres 143,22-23); «qašīšā
Jérémie» (Lettres 246,28). Quant à la raison de la survie du titre dans les Lettres
et non dans les mīmrē, il est difficile de le deviner et les explications qu’ on serait
tenté d’avancer ne relèveraient que de l’hypothétique. Faut-il supposer que,
contrairement à ceux de kahnā et kūmrā qui paraissent « neutres » et comme
utilisés à la troisième personne, le titre qašīšā revêt ceux qu’ il désigne d’ une
sorte de gloire, d’un respect, et c’est la raison pour laquelle on le trouve accordé
dans les Lettres aux supérieurs des monastères? Rien de moins probant, même
si l’hypothèse s’appuie sur un argument séduisant.
Parvenu à la fin de ce parcours qui a porté sur l’ analyse de la terminologie
du sacerdoce chez nos quatre auteurs, il est temps de procéder à une première
et brève évaluation. Il faut d’abord reconnaître que cette analyse est partielle,
qu’elle peut encore être enrichie par une étude portant sur tous les autres titres
dans le but de se former une idée de la terminologie relative au sacerdoce telle
que présentée par chaque auteur. Limitée comme telle aux simples titres pro-
prement sacerdotaux, elle montre clairement que, pour l’ évêque, le titre episco-
pos, d’origine grecque, n’a pas la faveur des auteurs syriaques, bien qu’ il n’ y soit
pas totalement absent. Ceux-ci lui préfèrent des équivalents syriaques comme
« maître» (rabā), ou mieux encore «chef» (rīšā). Par ailleurs, si kahnā et kūmrā,
d’origine juive, ont joui de la prédilection des auteurs syriaques, l’ adjectif
qašīšā transformé en substantif et désignant les anciens de l’ Ancienne Alliance
ne semble pas avoir eu une appréciation positive dans la tradition syriaque. Il
reste que celle-ci ne se laisse pas griser par des titres élogieux et sait garder
une certaine simplicité, en conformité avec sa spiritualité monastique. C’ est
ainsi qu’elle s’attache au titre «prêtre» donné à l’ évêque en tant que représen-
tant par excellence de l’ordre sacerdotal, même si, en optant pour ce titre, elle
se conforme également à un procédé déjà existant aux premiers siècles de la
chrétienté. Quant à la désignation du prêtre chrétien, les deux termes kahnā et
kūmrā y sont appliqués de façon presque interchangeable, mais seul le terme
kūmrā est utilisé pour désigner les prêtres païens.
La fondation christologique
Dans ce chapitre, l’intention n’est guère d’envisager tous les aspects relatifs
au mystère du Christ, pas plus que, dans les chapitres suivants, l’ approche ne
visera à présenter une vision globale du mystère de l’ Esprit Saint, de l’ Église et
de l’eschatologie. L’analyse christologique sera menée dans la seule et unique
perspective d’un rapport avec le ministère sacerdotal, et cela dans la mesure
où celui-ci gagne à recevoir son sens à la lumière du mystère du Christ. Pour la
fondation christologique, l’intérêt des auteurs syriaques porte notamment sur
le Christ comme source du sacerdoce chrétien, d’ abord sur le plan de l’ histoire,
à savoir dans une perspective historico-critique, ensuite dans une vision plus
théologique.
L’idée que les écrivains syriaques veulent mettre en valeur lorsqu’ ils rattachent
le sacerdoce à une origine divine, en soutenant qu’ il a Dieu ou le Christ pour
source, est d’écarter toute tentative de le réduire à une invention ou à un projet
humain qui répondrait au besoin de l’organisation interne de la communauté
ecclésiale. Mais ce don de Dieu qu’est le sacerdoce est-il accordé du vivant
même de Jésus, ou après son retour auprès du Père? Il semble que certains
textes que l’exégèse d’aujourd’hui considère comme postpascaux sont rap-
portés par nos écrivains au Jésus de l’histoire. De plus, ils distinguent entre
l’ action de Jésus durant sa vie terrestre et celle qui a suivi son Ascension.
1 On verra plus loin que, pour Aphraate qui adopte le langage néotestamentaire, les disciples
sont souvent identifiés aux apôtres.
vision globale. Ainsi trouve-t-on que le langage utilisé pour les apôtres est
appliqué à leurs successeurs. Dans cette perspective, l’ affirmation que le « ber-
ger zélé» (I 452,25) qu’est le Christ «choisit et enseigna de brillants bergers
(ʿallanē) et livra le troupeau en leurs mains et leur donna pouvoir sur toute
la bergerie» (I 453,5-7), rencontre cette autre affirmation au sujet du supé-
rieur hiérarchique qu’Aphraate tance pour son arrogance et sa prétention en
osant déclarer: «Dieu m’a choisi, m’a oint pour que je règne sur les fils de mon
peuple» (I 641,15-16). De part et d’autre, le choix de l’ apôtre aussi bien que du
supérieur hiérarchique est une initiative réservée à Jésus ou à Dieu, et la mis-
sion confiée aux élus est de s’occuper du peuple. Au langage identique vient
s’ ajouter le fait qu’Aphraate place les supérieurs ecclésiastiques dans le droit fil
des apôtres, en l’occurrence de Pierre, ce qui signifie qu’ ils jouissent du même
statut que ce dernier: «Simon fit paître son (de Jésus) troupeau et, son temps
achevé, il vous livra le troupeau et s’en alla» (I 453,9-11). La même fonction
de recevoir les clés est également attribuée à Simon Pierre (I 965,15-17 : « Jésus
transmit les clés à Simon (Mt 16,19), il monta et s’ en alla chez celui qui l’ avait
envoyé» aussi bien qu’au hiérarque arrogant: « La clé t’ a été remise et tu as
fermé la porte» (I 640,1-2)2).
Ce qui vient d’ être dit ne doit pas être perçu comme une preuve apodictique
de l’assimilation de l’évêque et du prêtre aux apôtres, mais plutôt comme une
orientation d’une pensée allusive qui suppose que les évêques et les prêtres
sont les successeurs des apôtres. Quoi qu’il en soit de cette parenthèse que nous
avons ouverte, notre objectif est moins de discuter ici la question de la suc-
cession apostolique que de nous interroger sur la fondation christologique du
ministère sacerdotal, qui prend son point de départ avec le choix des apôtres.
Comme il se dégage des derniers textes que nous avons cités sur la fonction
des clés, il semble que le don des clés à Simon Pierre – certes dans la pers-
pective d’Aphraate, qui ne distingue pas entre les paroles et les actes du Jésus
de l’histoire et ce qui relève de la rédaction de la communauté postpascale –
soit un acte posé par Jésus lui-même durant sa vie terrestre. Un acte accompli,
comme le dit clairement le texte, par Jésus lui-même avant son Ascension et son
retour auprès du Père. Un autre acte, celui de l’imposition des mains, accom-
pagné par la réception de l’Esprit Saint par les apôtres, est lui aussi attribué
à Jésus lors de son Ascension, donc avant son départ de la terre et son entrée
définitive dans la gloire céleste:
2 On reviendra plus loin à d’autres textes relatifs à l’acte de lier et de délier ; cf., par exemple,
I 705,16sv.
Il n’est nulle part précisé par Aphraate le moment de cette imposition ; la fixer
au moment de l’Ascension est la thèse la plus plausible, si l’ on considère son
lien avec le don de l’Esprit aux apôtres3. Cette vision se trouve confirmée par un
autre texte, où le don de l’Esprit, mentionné seul à l’ exclusion de l’ imposition
des mains, est formulé en s’inspirant du langage johannique (Jn 20,22) au sujet
d’une insufflation de l’Esprit aux disciples (I 968,10-11 : « Élisée reçut l’ esprit
d’Élie (2 R 2,15), Jésus souffla sur le visage de ses apôtres»). Ce qui, comparé à
Moïse dont l’imposition des mains donna le sacerdoce à ses messagers, laisse
entendre que si l’imposition des mains est liée au don de l’ Esprit, ce don doit
renvoyer à cette imposition. C’est cette dissemblance entre les deux imposi-
tions des mains, l’une de Moïse et l’autre de Jésus, qu’ Aphraate voulait sou-
ligner: bien que l’imposition des mains de Moïse donne le sacerdoce, elle est
incapable de donner l’Esprit Saint que seul Jésus est censé pouvoir accorder4.
Si Aphraate attribue au Jésus de l’histoire le choix de « brillants bergers», et que
c’est lui qui leur a livré les clés de ses propres mains, on est en droit de conclure
que c’est le même Jésus qui, lors de son Ascension, leur imposa la main et les
dota de son Esprit comme couronnement de leur consécration apostolique.
3 C’est cette interprétation qui a été retenue par la tradition syriaque ultérieure, sans que
l’on puisse conclure à une influence directe d’Aphraate sur des auteurs tels que Moïse Bar
Képha, bar Wahbun, bar Hebraeus. Pour la fixation de l’ imposition des mains au moment de
l’Ascension, cf. de Vries, Monophysiten, p. 222-224.
4 Nous ne discuterons pas de la conformité des affirmations d’ Aphraate sur un don de l’ Esprit
avant l’Ascension avec ce que dit Jean de l’Esprit envoyé par le Fils ressuscité (cf. Jn 16,4-15).
place prépondérante: «Le Saint pêcha douze pêcheurs ; il pêcha par eux toute
la création» (Nat 4,45). Une formulation identique est appliquée à l’ évêque, à
qui le titre «apostolique» de «pêcheur» est donné : « Béni soit celui qui t’ a élu
notre pêcheur (ṣayadan)» (CNis 19,10).
À part cette notice sur un langage commun pour les apôtres et les évêques,
Éphrem défend, tout comme Aphraate, la thèse du choix des apôtres par le
Jésus de l’histoire. Mais contrairement à Aphraate qui ne mentionne jamais les
Douze comme noyau d’un groupe choisi par Jésus au début de sa vie publique,
Éphrem en fait la pierre angulaire de l’édifice qui est appelé à se dévelop-
per pour inclure les successeurs qui formeront la hiérarchie ecclésiale. Sans
qu’Éphrem ait ignoré la symbolique liée aux Douze, car, comme pour Aphraate
qui établit les Douze comme juges des douze tribus d’ Israël (Mt 19,28) (I 228,1-
2 ; 1024,18-19), les Douze sont préfigurés chez lui par les douze tribus de Jacob
(Virg 8,15) et ce sont eux qui les jugeront (CNis 42,9 ; Nat 3,10). Mais un plus
grand intérêt est accordé à leur élection par Jésus. En plus de la référence déjà
faite à Nat 4,45, on trouve un ensemble de textes où les Douze sont nommés
pêcheurs qui, à Bethsaïde (bēt ṣaydā qui signifie « maison de la pêche ») ont été
pêchés «par le Pêcheur de tout (ṣayed ḫūl)» (Virg 32,8). Cette tentative de loca-
liser le choix des Douze dans cette ville où, lors de ses apparitions, Jésus s’ est
montré à ceux qui sont revenus à leur besogne d’ antan, peut s’ expliquer par
le jeu de mots axé sur la terminologie de la pêche : le Fils est venu pêcher les
pêcheurs. Cette pêche des Douze par Jésus vise elle-même une autre pêche que
celle des poissons, la pêche des hommes ou du monde : « Douze pêcheurs qui
sont sortis pêcher (gfaw ; litt., ont pris au filet) le monde » (cf. Mt 4,19) (ibid.).
Les «douze sources raisonnables» (mabūʿē mlīlē) sont appelées à abreuver de
la vie, du salut, le monde entier à partir de la Source (nebʿā) où ils puisent (Nat
2,10).
Pour Éphrem, Jésus n’a pas seulement choisi les Douze, mais il les a multi-
pliés, à l’image du pain qu’il a multiplié: «À l’instar des douze (ba-treʿsar ; litt.:
par les douze) pains qu’il a bénis et multipliés5, il a béni ses Douze et les a mul-
tipliés» (CNis 46,11). Il est fort probable que la « multiplication » se réfère aux
disciples qui sont venus grossir les rangs des Douze, et cela du vivant même
de Jésus, plutôt qu’aux successeurs des apôtres qui se sont multipliés après la
résurrection de Jésus. Cette explication, pour plausible qu’ elle apparaisse, reste
pour le moins hypothétique, étant donné qu’Éphrem n’a pas procédé à présen-
5 D’après Beck, version, p. 64, n. 14, les douze pains s’expliquent par l’ addition des 5 pains dans
Mt 14,17 (et parall.) avec les 7 pains de Mt 15,34-36 (cf. Mc 8,8) ; Beck renvoie à Nat 4,90. Murray,
Symbols of Church, p. 76-77, voit dans la multiplication des Douze une figure de la croissance
de l’Église à partir du petit noyau apostolique.
ter une exégèse détaillée des textes scripturaires dans ses hymnes et discours.
Ce n’est que dans ses Prose Refutations qu’il évoque « les Douze et les soixante-
douze» (PrRef II 89,7-8), ces derniers se référant aux disciples dont la mention
sert ici à prouver que le choix opéré par Jésus est conforme au dessein du Créa-
teur qui, lui aussi, choisit douze tribus et soixante-douze disciples (cf. Ex 24,1 où
il est question de soixante-dix Anciens). Cependant, quoique non prolixe sur
les distinctions existant entre les Douze, les apôtres et les disciples, Éphrem ne
manque pas de citer nominalement les Douze en des circonstances majeures,
faisant comprendre qu’ils ont été choisis par Jésus, en leur attribuant des mis-
sions qui leur sont réservées. Ainsi constate-t-on que le choix des Douze est
une initiative de Jésus lorsqu’Éphrem dévoile le souci du Maître de faire taire
le «poison de la convoitise de gloire» (mērteh d-šūbharā) de peur qu’ elle ne
se répande dans le «corps de ses Douze (b-ġūšmā da-treʿsarteh) » (Eccl 25,8).
Mais c’est lors de la dernière Cène que les Douze, réunis autour de celui qui
les a choisis, sont nommés seuls; à cette occasion, Éphrem commente l’ échec
du projet de Judas en expliquant que ce n’est pas Jésus qui écarta son disciple,
mais que ce dernier se sépara du «troupeau des Douze» (Az 14,22), même si,
quelques strophes plus haut, il avait soutenu que Judas se sépara « des dis-
ciples» (Az 14,18). Cette façon d’identifier les disciples avec les Douze ne peut
en aucun cas signifier que, dans son esprit, Éphrem ne reconnaît pas une exis-
tence autonome aux Douze à l’intérieur du groupe des disciples ; la preuve en
est qu’au Cénacle où ce sont les seuls Douze qui sont invités à prendre part à la
fraction du pain, ils n’en sont pas moins appelés « disciples » et décrits comme
troublés par l’aveu de leur Maître au sujet de l’un d’ eux qui le livrera :
Ou encore, associant les deux actes qui ont eu lieu au Cénacle, la fraction du
pain à la veille de la Passion (Mt 26,26-29 et parall.) et le lavement des pieds
des disciples (Jn 13,1-15), Éphrem, tout en sachant qu’ il s’ agit des mêmes per-
sonnes entourant le Maître, appelle «disciples» les participants au pain rompu
et Douze ceux à qui Jésus lava les pieds:
Ailleurs, aux Douze est accordée une place de choix, une proximité plus grande
avec Jésus, qu’Éphrem exprime par la symbolique des douze jours associés au
jour de la naissance de Jésus, qui correspond à l’ Épiphanie, « symbole (razā)
parfait, dit-il, de la naissance du Fils et de ses Douze» (Nat 5,13). Quelle que
soit la valeur d’une telle symbolique, l’important reste que seul le choix des
Douze est évoqué en lien avec le mystère de la naissance du Fils.
Comme nous le disions, tout en reconnaissant l’ existence des Douze,
Éphrem parle aussi d’apôtres ou de disciples, sans qu’ il se soucie de déter-
miner l’identité de chaque groupe. C’est Jésus lui-même qui « appela » (qrā)
les apôtres (cf. Mt 4,21), qu’Éphrem distingue bien de l’ acte par lequel il mit
fin aux prophètes, même si les deux actes le montrent comme Seigneur et
Créateur et nullement comme l’Étranger inventé par les Marcionites (CH 37,7).
C’est encore Jésus qui choisit les apôtres lorsque, par un subtil jeu de mots,
il est dit que Jésus envoya (šlaḥ) les apôtres (šlīḥē) pour aplanir le chemin
vers les nations, comme il a choisi (gbā) les prophètes pour aplanir le che-
min vers le peuple (Nat 22,21). Éphrem peut recourir à un autre verbe, šadar,
synonyme de šlaḥ, pour imputer à Jésus le fait d’ « appeler et d’ envoyer (šadar)
les apôtres» (Virg 8,13). Faut-il conclure qu’Éphrem suppose que les apôtres
ont été des missionnaires itinérants, ou reprend-il le verbe « envoyer» (šadar)
de la finale de l’Évangile de Mathieu d’après la Peš (Mt 28,18 : « Et comme le
Père m’a envoyé, je vous envoie»)? En fait, bien qu’ Éphrem n’eût pu imaginer
la mission des apôtres comme des sédentaires, il est loin de les avoir identi-
fiés à de purs itinérants. Du vivant de Jésus, ils sont plutôt présentés comme
des compagnons du Maître, dont le type est le lévite (lewayā) de l’ Ancienne
Alliance, et dont le modèle est Éléazar, le prêtre qui accompagna Josué et qui
représenta un «symbole des apôtres qui accompagnèrent (lawēn) Jésus» (Virg
18,8).
Mais si l’usage du verbe «envoyer» (šlaḥ, préféré à šadar) est retenu par
Éphrem en raison de son affinité sémantique avec le terme apôtre (šlīhā), sur-
tout parce qu’il désigne celui-ci par ce qui définit sa mission, il n’est pas pru-
dent de conclure hâtivement que l’acte qui précède leur envoi, à savoir leur
choix par Jésus, n’ait pas été supposé, souligné même par Éphrem. Déjà ce
que nous disions de leur «pêche» par Jésus confirme l’ existence d’ un choix
à l’origine, même si l’acte par lequel Jésus «pêche » les apôtres, lié à la pêche
comme acte des apôtres eux-mêmes à Bethsaïde, place le choix de Jésus à une
période ultérieure de sa vie, plus précisément lors de ses apparitions. Mais cette
exégèse éphrémienne, faut-il le rappeler, se plie ici aux règles du jeu de mots qui
s’ appuie sur la désignation des apôtres comme « pêcheurs », qui furent eux-
mêmes pêchés par Jésus. Quoi qu’il en soit, les verbes que nous venons de
citer ne sont pas les seuls à situer l’élection des apôtres du vivant même de
Jésus. Le verbe «élire», «choisir» (gbā) dont l’application aux prophètes était
signalée plus haut, n’est pas moins approprié aux yeux d’ Éphrem pour désigner
le choix des apôtres par Jésus. Ainsi assiste-t-on à une mise en scène montée
par Éphrem, où le témoin principal est le Mauvais qui, face à l’ ensemble des
apôtres qui sont appelés «hérauts» (karūzē), reconnaît que leur choix est le
propre acte de Jésus:
Si Jésus se choisit (gbā leh) des hérauts, (alors) sera réduit au silence
notre kérygme (karūzūtan), qui remplit l’univers.
CNis 60,13
Mais c’est surtout Judas, l’un des Douze, qu’Éphrem présente comme choisi
par Jésus, et cela pour justifier ce choix et défendre la bonté de Jésus au moment
de sa décision, en arguant que Jésus agit en semblant ignorer la trahison future
de Judas qui, lui seul, assume la conséquence de son acte :
C’est ce que semble admettre le Mauvais, qui reconnaît dans l’ acte par lequel
Jésus choisit Judas deux moments qui se succèdent pour un œil peu averti,
mais qui, en fait, n’en forment qu’un aux yeux de Jésus qui le connaît puisqu’ il
connaît tout, mais le dissimule sous l’apparence de l’ ignorance :
De l’épisode des clés données à Simon Pierre et qui relate le choix du chef
des Douze, des apôtres, par Jésus, il n’est question qu’ une seule fois chez
Éphrem. Il en parle lorsqu’il se prononce sur la transmission des clés, de la pro-
phétie et du sacerdoce, que Jésus reçoit de Moïse et de Syméon et qu’ il remet
à Simon Pierre. Éphrem rappelle à cette occasion les paroles de Jésus à Simon :
« À toi je donne les clés des portes» (Mt 16,19) (SdDN 51,10), ce qui constitue
aux yeux du docteur syriaque une preuve que Jésus les a reçues d’ autrui pour
être à même de les confier à Simon (SdDN 51,3-15). De ce qui précède, ce qui
nous intéresse est le choix de Pierre par Jésus comme chef de la maison à qui
les clés furent confiées, une opération qui eut lieu lors de la confession de la foi
du chef des apôtres en Jésus comme Fils de Dieu.
Cela suffit pour comprendre que, dans la perspective de Jacques, l’ acte fon-
dateur de Jésus ne se limite pas aux Douze, ou aux apôtres qu’ il choisit, mais
qu’il constitue le fondement christologique de tout choix sacerdotal ultérieur.
Comme Éphrem, Jacques assigne aux Douze une place de choix à l’ intérieur
du groupe des apôtres, ou des disciples. Ce sont les Douze que Jésus « choisit »
pour leur promettre «béatitude, trônes et grand jugement» (V 360,3-4), « trônes
et grand jugement» (II 708,10), ou «trônes dans le monde nouveau» (II 698,14).
Par ailleurs, est propre à Jacques cette autre préfiguration symbolique des
Douze que lui suggèrent les sacrifices qu’Abraham « partagea en parties dans
la terre de Canaan» (cf. Gn 15,9-10) (IV 796,14-15). Mais cette distinction entre
les Douze et les apôtres n’est pas maintenue de façon conséquente, car il arrive
à Jacques de parler des «Douze apôtres» qu’il compare aux douze heures de la
journée (III 534,19-535,1). De même, pour stigmatiser le peuple juif, il n’est pas
moins soutenu que les «apôtres» (šlīḥē) siégeront sur les douze trônes – donc
les apôtres sont ici confondus avec les Douze – pour juger le « peuple mau-
dit» (ʿamā līṭā) qui n’a pas cru en Jésus (I 718,1-2). Une identification entre les
deux «groupes», apôtres et Douze, est encore attestée lorsqu’ ils sont présentés
comme bénéficiant d’un rapport privilégié avec le Fils, auxquels sont parfois
associés les disciples. Ainsi, au Cénacle, on croirait que ce sont les seuls Douze
qui participent à la fraction du pain (II 486,16; texte qui a déjà été cité), mais
plus loin dans le texte, ils sont appelés «disciples » (II 486,18), ou « apôtres»
(II 487,18). Pour le lavement des pieds, c’est le terme « apôtres» qui est privilé-
gié, le lavement étant destiné à donner aux «apôtres » une leçon de modestie
(II 458,9). Toutefois, quand il le faut, Jacques est capable d’ adopter un vocabu-
laire et une conception plus précis, en s’appuyant sur la symbolique d’ après
laquelle les Douze sont représentés par les douze tribus d’ Israël et les apôtres
sont préfigurés par les soixante-dix; cette distinction, notons-le, ne se trouve
pas chez les prédécesseurs:
6 Pour le verbe gbā utilisé pour le choix des apôtres, cf. les textes que nous venons de citer:
II 458,9; 487,18; pour le choix des prêtres, cf. II 880,5.
7 Cf. aussi I 469,17, texte que nous avons déjà cité, où le verbe šqal côtoie le verbe gbā.
8 Les Douze, tout aussi bien que Simon Pierre, sont qualifiés de pêcheurs ; cf., entre autres,
II 698,16; 699,2.16; 701,17; 702,11; 721,7. Dans II 700-702, on rencontre à plusieurs reprises le
verbe choisir (gbā) lié aux deux adjectifs pris pour substantifs et qualifiant les apôtres de
pauvres et de simples.
À la suite de Paul, Jacques défend la thèse d’après laquelle Jésus a choisi les
Douze parmi les «simples» (hedyūtē) dans le but de confondre les sages de
ce monde (I 216,5: «Il choisit des ‘simples’ pour qu’ ils propagent (d-nafqūn ;
litt: pour qu’ils fassent sortir) son kérygme dans la terre»)9. Ce choix est ainsi
justifié du point de vue de Jésus qui, privilégiant des « vases vides de connais-
sance», les envoie «par ce qui lui est propre et non par ce qui leur est propre»
(d-lā hwā b-dīlhūn elā b-dīleh) (I 486,8-9) après les avoir remplis de la véritable
« sagesse» et de la véritable «grande richesse» (V 711,11-18). Plus est, étant donné
que la puissance de la parole divine n’a besoin ni de la sagesse ni de la richesse
des hommes, Jésus veut écarter toute illusion humaine qui porterait à croire
que les hérauts ont conquis le monde grâce à la sagesse et à la richesse des
hommes (cf. II 701,1-6). Ces hérauts doivent eux aussi éviter la même illusion
qui les pousserait à estimer que c’est par leur propre force et par leur mérite
que la parole s’imposa et remporta un succès (cf. II 700-702).
S’inspirant de Paul pour son argumentation, Jacques n’oublie pas que
l’ Apôtre des nations fut lui aussi choisi par le Ressuscité. Jésus lui-même quali-
fie Paul de: «ce vase que j’ai choisi» (Ac 9,15) (II 740,18), au point que l’ adjectif
« élu» (gabyā) colle désormais à Paul comme à sa peau10. Mais c’ est à Judas
que Jacques s’arrête pour justifier, plus que ne le fait Éphrem, son choix par
Jésus qui est censé connaître à l’avance la trahison de son disciple. Jacques
commence par soutenir que la bonté du Fils a choisi Judas quand il était
encore pur et bon, sans tache, innocent et plein d’ amour pour le Fils de Dieu
(II 490,1-2). Au reproche qu’on ferait au Fils d’avoir choisi un disciple dont il
devait prévoir la trahison, Jacques refuse d’opposer savoir absolu et écono-
mie divine, l’un et l’autre ne suivent pas la même logique et ne se situent
pas sur un même registre, étant donné que l’économie divine fait participer
l’ homme et respecte sa liberté. Si Dieu se conduit en usant de son savoir absolu,
infère Jacques, même l’économie de la création en pâtira. En effet, si l’ acte
de Dieu était déterminé par sa prescience, il n’aurait pas créé Adam et Satan
parce qu’il aurait prévu leur péché, encore moins aurait-il permis la naissance
des impies et des malfaiteurs car il aurait connu d’ avance leurs méchancetés
(II 490-491). À son exemple, le Fils n’aurait pas choisi Judas s’ il s’ était fié à sa
Quant à l’envoi des Douze ou des apôtres par Jésus, Jacques se montre réservé,
contrairement à Éphrem, dans le recours au verbe šlaḥ qu’ on rencontre rare-
ment chez lui et auquel il préfère le verbe šadar11. Il se démarque également de
ses prédécesseurs en distinguant les deux actes d’ élection et d’ envoi: l’ élection
par Jésus relève de la pure décision divine – en fait, une pure gratuité –, tandis
que l’envoi des Douze fait intervenir la liberté, et par conséquent, la responsa-
bilité des envoyés:
Il a choisi (les) Douze afin que, par eux, tout l’ univers soit illuminé,
et par leur vouloir, il les envoie annoncer la Bonne Nouvelle (la-
msabarū ; litt.: pour annoncer).
V 360,7-8
Cela ne contredit guère ce que Jacques affirme dans un texte déjà cité (I 486,9),
précisant que le but du choix par Jésus est «de les envoyer par ce qui lui est
propre et non par ce qui leur est propre». Dans ce dernier cas, la perspective
envisagée porte moins sur l’acte initial du choix que sur le savoir, le contenu,
destiné à remplir ces «vases vides». Cela justifie le fait que Jacques parle non
pas de l’envoi des apôtres, mais de la Bonne Nouvelle :
Mais il reste que le choix par Jésus, qui privilégie les « simples » et les
« pauvres», est ce qui rend possible l’envoi qui a pour mission d’ annoncer le
kérygme dans les différentes régions du monde (III 622,13-14). Quoi qu’ il en
soit, l’envoi est présenté comme un acte succédant au choix ; commentant le
lavement des pieds, Jacques parle du choix au passé et de l’ envoi des apôtres
comme un acte projeté dans l’avenir:
Cet envoi est fixé parfois après la résurrection de Jésus et se trouve mis sur le
compte de l’Esprit (623,5); c’est ainsi qu’à l’Esprit est attribué aussi le choix de
Thomas comme apôtre:
L’Esprit t’a envoyé (šlaḥtaḫ), lui qui t’a choisi (gbataḫ) pour l’ apostolat.
Pourquoi blâmes-tu autrui, comme si tu étais inférieur (ḥasīrā, litt. :
manquant).
III 736,16-17
D’après ces textes, on est porté à croire que les apôtres, choisis par Jésus, ont
été envoyés annoncer la Bonne Nouvelle après la résurrection de Jésus. Cela
implique également que, durant la vie terrestre de Jésus, ils partageaient sa
vie et l’accompagnaient dans ses déplacements. Sans utiliser le terme « accom-
pagner» (lawē), comme Éphrem, Jacques exprime la proximité des apôtres avec
Jésus par le verbe «cheminer avec», ce qu’ils ont fait un temps suffisant pour
qu’ils soient bien instruits de sa doctrine:
une étape ultérieure de leur vie qui prend origine dans l’ acte qui les élit et
qui se prolonge dans une période de formation qui nécessite le partage de
la vie du Maître. Encore faut-il admettre que l’élection est un acte purement
« christique», ne relevant que de l’initiative de Jésus12, tandis que l’ envoi tel
que perçu par Jacques implique la liberté et, par conséquent, la responsabilité
des Douze, ou des apôtres.
Plus que les auteurs précédents, Narsaï place le choix des Douze dans la pers-
pective du choix du peuple de l’Ancienne Alliance, le nombre douze étant
choisi «afin que les mystères (razē) du peuple ressemblent au salut ( fūrqan)
des peuples» (II 268,8)13. À partir de là, la réalité peut prendre le dessus sur le
symbole, et dans cette perspective, l’acte de Jacob qui précède le choix de Jésus
dans le temps doit se conformer à l’initiative christique qui le précède en vérité:
On pourra suivre les traces des Douze jusqu’à la Pentecôte; là, ils sont appelés
les «douze cordes (menē treʿsar)» qui forment la « cithare des Douze» et qui
12 Le cas de la Vierge Marie se rapproche des Douze, bien que ces derniers aient été élus
«simples» et «pauvres», comme il a été souligné, sans aucun mérite de leur part. Jacques
finit par reconnaître que leur attitude définie par leur « vouloir bon » envers Jésus les
confronte à la Vierge qui « s’est rendue belle et fut élue (etgabyat) grâce à son vouloir
bon» (BedS 623,5); cf. infra, p. 382–383.
13 De manière négative, Narsaï peut justifier ce choix pour souligner le remplacement du
peuple juif par les peuples: «Au lieu du peuple, il appela tous les peuples pour qu’ ils
deviennent siens» (II 146,1-2).
sont préfigurées par les douze tribus du peuple, lui qui a refusé de rendre gloire
à la résurrection de Jésus en se servant de la « cithare que composa David»
(II 75,1-6).
Le fondement christologique exprimé par le choix que fait Jésus de ses
Douze s’étend chez Narsaï sur leurs successeurs. Plus clair encore que cela
ne l’est chez Jacques, Narsaï appelle «douze prêtres » les Douze que Jésus
« choisit d’abord d’après le nombre des tribus» (II 145,22-146,2). Loin d’ être
ponctuelle ou éphémère, cette élection accompagne les apôtres après le par-
tage des régions entre eux, allant même au-delà de leurs propres personnes.
Ainsi, reprenant à son compte une parole du premier Évangile, Narsaï estime
que cette élection continuera à exercer son impact sur les générations futures
en raison de la présence de Jésus avec ses disciples, jusqu’ à la fin des temps :
Ils partaient avec la «condition» (tanway) de cette parole qui les a choi-
sis:
«Voici que je suis avec vous jusqu’à la fin (des temps) » (Mt 28,20).
PP I 233,10-11
C’est dans cette perspective qui englobe à la fois les Douze et les prêtres qui leur
ont succédé que Narsaï évoque l’élection des prêtres, qu’ il attribue ici à Dieu,
étant donné que l’acte n’est plus réservé au Jésus de l’ histoire : « Il s’ est choisi
des prêtres comme médiateurs (meṣʿayē) entre Lui et notre peuple » (I 357,8-9).
Comme médiateur, le prêtre «est élu par grâce» (da-gbē b-ṭaybū), ce qui le dote
de la force d’exercer sa fonction «par ce qui ne lui appartient pas », laquelle se
traduit en l’occurrence par la possibilité qu’il a de chasser l’ iniquité et de don-
ner l’Esprit (I 367,18-19).
Cela suffit au lecteur pour se rendre à l’évidence que Narsaï n’introduit pas
une rupture abrupte entre les Douze et les ministres sacerdotaux qui leur ont
succédé. Passons à présent à l’analyse de l’acte que pose Jésus pour choisir
ses premiers disciples. On a déjà repéré certains textes où cet acte est rendu
par le verbe «choisir» ou «élire»14. En certaines circonstances, comme celle
qui évoque l’élection de l’apôtre Paul, ce verbe est étrangement lié au verbe
« pêcher» qu’on rencontre exclusivement chez les synoptiques. Ainsi, après
avoir soutenu que Jésus «s’est choisi» (gbā leh) des hommes afin de « pêcher
des hommes pour la crainte de la vérité», Narsaï continue en disant que c’ est
par ce filet (mṣīdtā) que le meilleur des pêcheurs « pêcha » (ṣadeh) Paul (I 54,9-
13). Narsaï va encore plus loin que les autres auteurs syriaques lorsqu’ il rem-
place le verbe choisir par celui d’engendrer. Il le fait en parlant non seulement
de Notre Seigneur qui «choisit (gbā) des disciples pour l’ enseignement des
hommes», mais de «Notre Sauveur qui engendra (awled) spirituellement (les
Douze)», stipulant que c’est suivant ce symbole (b-raz) de Notre Sauveur que
Jacob «engendra (awled) les douze tribus» (II 268,4-9). Comme si, à l’ image
des douze tribus que Jacob engendre physiquement, Jésus engendre spirituel-
lement ses Douze. Se rappelant que la génération en une créature nouvelle
est imputée essentiellement au baptême chez les écrivains syriaques, on est
autorisé à inférer que, par ce choix, les Douze deviennent ainsi une création
nouvelle.
Un autre trait qui distinguerait Narsaï des trois auteurs précédents est l’ im-
portance qu’il accorde à l’étude des raisons du choix des disciples par Jésus. Ne
faisant pas intervenir la liberté, donc le mérite de l’ homme, le choix d’ une per-
sonne à l’exclusion d’une autre ne reflète-t-il pas une acception de personne, et
par conséquent, une injustice de la part de Dieu qui choisit (PP I 111,11-112,20)15 ?
L’essentiel de l’argumentation de Narsaï consiste à démontrer que le choix de
Dieu pour une personne, ou un peuple, n’est guère un privilège personnel, mais
qu’il vise au fond une mission que cette personne est appelée à accomplir pour
la promotion d’une communauté, avec, en perspective, un bien à la mesure de
l’ humanité. À cet effet, Dieu choisit Abraham et le destine à « garder le trésor
de vie jusqu’à ce qu’il se manifeste» (PP I 111,17-18), devenant pour cette rai-
son «le chef (rīšā) quant à l’élection du peuple et la promesse aux peuples »
(I 31,15-17). En choisissant le peuple juif, Dieu le prédestine à « garder le levain
de vie» (PP I 110,23-24), à «ouvrir par lui le trésor de ses miséricordes à tous les
peuples» (I 134,10-125,2). Un choix qui montre l’ amour de Dieu pour « les fils
de sa maison», un signe annonçant qu’à l’avenir Dieu choisira tous les peuples
(I 57,6-58,2).
Quant à la raison du choix des disciples, Narsaï le discerne, comme nous
l’ avons souligné, dans leur mission qui consiste à « pêcher les hommes à la
crainte de Dieu» (I 54,9-10), autrement dit à les inciter à se convertir, ou encore
à leur assigner la tâche «d’enseigner aux hommes » (II 268,6-7) la vérité. Ces
raisons seront encore mieux explicitées un peu plus loin, quand il sera ques-
tion de l’envoi des disciples. Arrêtons-nous à présent sur un aspect de cette
élection suivant lequel l’accent n’est pas mis sur l’ acte initial de Jésus, où la
collaboration humaine n’est pas engagée, mais sur ce choix mis en rapport
avec la réponse humaine qui peut se distinguer d’ une personne à l’ autre. En
15 Le contexte est ici le choix d’Abraham et du peuple par Dieu, mais la position du problème
et les arguments qui s’y rattachent valent pour n’importe quel choix.
fait, Narsaï prend comme exemple type Joseph, l’ un des fils privilégiés par
son père Jacob, auquel il compare Jean, le disciple bien-aimé parmi les dis-
ciples de Jésus (II 268,3-4: «L’amour qu’a le père pour Joseph ressemble à celui
qu’a le Christ pour Jean qui aime son Seigneur»). Pour justifier un tel surcroît
d’amour pour l’un aux dépens des autres, l’unique raison donnée par Narsaï
est l’abondance d’amour qu’a Jean pour son Seigneur et de Joseph pour son
père Jacob (cf. II 267,23-24; 269,9-12). La nature (kyanā) des fils de Jacob et des
disciples étant elle-même égale pour tous (ḥad hū kyanā) (II 267,4), c’ est sur le
plan du vouloir humain (ṣebyan nafšā = vouloir de l’ âme : II 267,6), qui inclut
la liberté humaine (II 267,12-13) et donc le discernement ( farūšūtā) (II 267,15)
que se situe cet échange d’amour entre Joseph et Jacob et entre Jésus et Jean.
En fait, une abondance d’amour de Joseph et de Jean, explique Narsaï, ne peut
que susciter un surplus d’amour de la part de Jacob et de Jésus pour l’ un et
l’ autre respectivement, la règle étant que «l’amour rétribue ( faraʿ) l’ amour
par l’amour» (II 268,15).
Quoi qu’il en soit, avec cette digression, il est manifeste que la prédilection
manifestée par Jésus pour l’un de ses disciples, dont le type est l’ amour de Jacob
pour son fils Joseph, présuppose un choix initial qui précède à la fois l’ amour
et la réponse à cet amour. Ce n’est pas parce que Jean aima Jésus que celui-
ci l’a choisi comme disciple; ce n’est qu’après son choix que Jean montra à
son Seigneur un amour sans mesure qui le rendit plus aimable aux yeux de
son Maître. Ceci étant dit concernant l’élection, il reste à se demander si Nar-
saï admet une quelconque collaboration humaine dans l’ envoi des disciples,
comme le présume Jacques. En fait, aucune allusion n’est faite en ce sens par
Narsaï qui, en revanche, se limite à affirmer que Dieu, après avoir choisi des
hommes, les envoie (šadar)16 pour pêcher les hommes (I 54,9-10, texte déjà
cité) ou, au sujet des prêtres, qu’il les envoie (šadar enūn) « en ambassade (b-
īzgadūtā) auprès des hommes» (I 357,8-9). Sauf erreur de notre part, l’ unique
fois où l’auteur semble évoquer la liberté des disciples se produit lorsque, se
partageant les régions, il est dit qu’ils s’en vont (ḥzaq) avec la promesse que
Dieu sera avec eux jusqu’à la fin des temps (cf. Mt 28,20) (PP I 233,10-11). Mais
le fait de quitter un lieu n’est pas nécessairement un acte libre, puisqu’ il peut
être conçu, planifié et ordonné par un autre.
16 Notons que Narsaï recourt au seul verbe šadar pour signifier l’ envoi, en ignorant totale-
ment le verbe šlaḥ.
2.2.1 Aphraate
S’il est vrai qu’usant du langage johannique, tout chrétien est lié au Christ
comme le sarment à la vigne ou, selon le langage paulinien, comme celui
qui s’est revêtu du Christ au baptême, un lien plus étroit et plus fort semble
s’ installer entre le Christ et le prêtre par le fait d’ une élection et d’ une confir-
mation dans la fonction sacerdotale. Dans la perspective d’ Aphraate, le rap-
port que le disciple, dans le sens néotestamentaire du terme, entretient avec
le Maître qui le choisit, évoque une proximité plus grande entre les deux,
en comparaison avec la relation qu’un baptisé noue avec le Christ. À cet
effet, la dénomination de «disciple» est clairement attribuée aux sacerdotes
quand elle est associée aux termes qui désignent ces derniers. Ainsi en est-il
quand Aphraate apostrophe les «pasteurs (raʿawatā), disciples de Notre Sei-
gneur» (I 357,8), ou bien quand il met en garde le pasteur (– berger) (ʿallanā)
qui s’adonne au commerce pour lui faire comprendre que son comporte-
ment n’est pas conforme à la vocation de disciple (I 456,18-22). Le qualifica-
tif de «médecin» ne désigne pas moins les sacerdotes quand ils ont la mis-
sion d’accueillir les pénitents et de les absoudre; à ce titre, ils sont apos-
trophés comme «médecins, disciples de notre Médecin sage» (I 316,10-11). La
même personne, appelée à donner la «réconciliation » (tyabūtā ; litt. péni-
tence), est désignée comme «l’économe (rab baytā) du Christ » (I 356,20-
21).
Ce lien au Christ est encore mieux développé dans la lettre synodale (Exposé
14), où les mêmes titres et fonctions du Christ prêtre sont appliqués aux sacer-
dotes. Bien que non explicitement sacerdotaux, titres et fonctions revêtent
une connotation sacerdotale dès lors qu’ils sont évoqués dans un contexte où
le discours s’adresse nettement aux pasteurs. Ainsi lit-on que les « pasteurs»
(raʿawatā) sont invités à bien paître le troupeau pour mériter la bonne rétri-
Rendons donc grâce par lui à son Père, et par lui adorons celui qui l’ a
envoyé (šalūḥeh). Par lui, déclarons saint celui qui l’ a délégué, lui qui a
trouvé en nous son bon plan, qui nous a élus en lui (gban beh), qui nous
a réjouis en lui, nous a appelés par lui (qran beh) et qui a concilié notre
petitesse avec sa grandeur17.
I 684,22-26
De toute façon, on est enclin à croire que l’élection dont il est question ici et qui
reprend Ep 1,4 ne se réfère pas à un acte posé par le Jésus de l’ histoire, mais à
un choix que le même texte paulinien fixe «dès avant la fondation du monde ».
Une manière de ne pas restreindre la fondation christologique dans la seule
personne de Jésus, mais d’y déceler un trait d’éternité qui l’ enracine dans le
dessein éternel de Dieu.
Cet aspect éternel du fondement christologique ne contredit pas la concep-
tion qui détermine le lieu et la source du sacerdoce du Christ dans l’ humanité
de Jésus. Il est vrai que le texte d’Aphraate que nous allons citer ne va pas
jusqu’à considérer l’humanité de Jésus comme le fondement du sacerdoce
ministériel, un pas qui sera franchi par Éphrem. Chez Aphraate, le thème est
évoqué lorsqu’il compare la tente temporelle destinée aux offrandes et aux
sacrifices pour la rémission des péchés au corps du Christ, « la tente de David
qui est tombée et est relevée»18, un «temple» détruit par les Juifs que le Fils
ressuscitera en trois jours (Jn 2,19) et qu’Aphraate identifie à la tente éternelle,
habitat de l’Esprit Saint et source de la rémission des péchés :
C’est par cette tente qu’il nous a promis la vie et c’ est par elle que nos
péchés sont remis. La leur (= leur tente), il l’ appela « tente temporelle»,
car elle ne sert que peu de temps, et la nôtre, le « temple de l’ Esprit Saint »,
pour toujours.
I 524,26-525,4
Pour terminer, notons que l’humanité ici envisagée n’ est pas exclusivement
celle que le Fils a revêtue durant sa vie terrestre, mais celle qui est passée par
la mort et la résurrection, autrement dit, cette humanité à dimension « sur-
17 Notre traduction se démarque de celle de M.-J. Pierre pour qran beh, qu’ elle traduit par
«appelés à lui», au moment où Parisot la rend par « per ipsum ». Murray, Symbols of
Church, p. 166, traduit encore plus littéralement: «has called us in him ».
18 I 524,20-21. M.-J. Pierre traduit da-nfal w-qam (qui est tombée et est relevée) par « qui était
tombée, et il est ressuscité», en attribuant le fait de tomber à la tente de David et l’ acte de
ressusciter à Jésus.
2.2.2 Éphrem
S’il est vrai qu’en comparaison avec Aphraate, on trouve moins rarement les
apôtres ou les disciples cités chez Éphrem en rapport avec le Fils comme à leur
Maître19, il n’est pas moins vrai qu’Éphrem y fait référence grâce à des images
ou à une argumentation donnée à l’appui. Image déjà évoquée, celle des douze
rayons, les Douze qui y sont représentés ne sont efficaces dans leur tâche de
chasser l’Erreur (ṭūʿyay) que s’ils sont rattachés au Christ Soleil (Virg 5,2). Dans
ce dernier texte, ils sont opposés aux prophètes qui furent éclairés par l’ Esprit
Saint avant la venue du Fils20. Un fort accent est encore mis sur le lien entre
Jésus et les Douze grâce à la symbolique du soleil et de la lumière: Jésus comme
lumière – plutôt comme Épiphanie qui correspond au jour de sa naissance –
est compté comme le treizième jour, venant s’ajouter aux douze jours formés
par la montée du soleil et qui représentent les Douze, « un symbole parfait de
l’ Épiphanie du Fils et de ses Douze» (Nat 5,13).
Dans une réflexion qui porte sur le sort des «bergers » (ʿallanē) qui ont dévié
de la foi orthodoxe, la prière d’Éphrem est qu’ils puissent retrouver le bon che-
min grâce à la lumière du Christ (CNis 31,31: «Que leur regard et leur intellect
soient remis en ordre grâce à ta Lumière»), ce qui laisse supposer que seul le
lien au Christ, qui est la Lumière, est susceptible de garantir l’ orthodoxie des
responsables ecclésiaux. C’est à Satan qu’est attribuée la force de détruire ce
lien, en insérant «parmi les prêtres (de Yahvé) des prêtres de Baal », et « parmi
les apôtres, des apôtres impies» (CH 41,18)21. L’inauthenticité des apôtres est
ainsi définie par leur aliénation loin du Christ et leur adhésion aux forces
du mal agissant dans le monde. Ce lien au Christ est encore souligné par un
autre texte que nous avons déjà évoqué, où les apôtres, préfigurés par Éléa-
zar qui accompagna (lwē wā) Josué, sont présentés comme les compagnons de
19 En voici quelques échantillons: les apôtres du Fils du Roi (CH 25,2), Simon Pierre comme
disciple du Christ (CH 25,10).
20 Il arrive à Éphrem d’appeler soleil et lune les deux apôtres Pierre et Paul respectivement,
dans une symbolique qui rapproche l’inhumation des deux apôtres en Occident, à Rome,
au coucher du soleil à l’ouest, avec toutefois cette différence qui fait que la grandeur des
apôtres surpasse les deux luminaires, étant donné que leur lumière brille éternellement,
sans jamais être consumée (Crucif 7,8).
21 Texte discuté supra, p. 12.
Jésus (l-yešūʿ lawēn waw = ils accompagnaient Jésus) (Virg 18,8)22. Cependant ils
n’accompagnent pas Jésus comme des sujets passifs, mais comme des acteurs
appelés même à parler «au nom de Jésus (b-šem yešūʿ) », comme les prophètes
s’ exprimaient au nom du Seigneur (CH 56,3).
Pour accentuer le rapport que les disciples entretiennent avec le Fils,
Éphrem multiplie les traits qui les distinguent des prophètes, telle que la pro-
clamation de la résurrection (nūḥamā) qui leur est réservée et qui est rendue
possible par la résurrection du Fils, dès lors que les prophètes se limitent à
annoncer le retour ( fūnayā) (Eccl 9,14).23. Mais la distinction peut être exploi-
tée en vue de souligner le rapprochement des apôtres et des prophètes dont le
comportement s’ oppose à celui des hérétiques. Ceux-ci, audacieux qu’ ils sont,
n’hésitent pas à donner leurs noms aux communautés qu’ ils fondent, tandis
que les prophètes et les apôtres, poussés par le même zèle, refusent qu’ un nom
autre que celui de Dieu scelle les communautés qui leur sont confiées et qui ne
leur appartiennent pas:
Il tarda à venir pour que ses prophètes remplissent leur office (nšam-
šūn),
et il monta et se tut afin que ses disciples prennent la parole.
CH 38,2
De ce qui précède, il ressort que le lien du Fils à ses apôtres ne doit pas être
interprété comme une limitation de son acte salvifique à caractère universel,
dont l’effet peut s’étendre sur le domaine prétendument réservé au Père. Mais
cela ne doit pas non plus dissimuler qu’un lien hautement privilégié lie Jésus
à ses apôtres qu’il choisit personnellement et avec lesquels il partage sa vie et
son mystère. Au point qu’Éphrem, prolongeant ce qu’ il affirmait au sujet des
apôtres parlant «au nom du Christ», n’hésite pas à souligner la ressemblance
entre le kérygme de Jésus et celui des disciples, à la fois par l’ attitude modeste
(mūkaḫā) des hérauts et par leur exaltation (rūmramā) ; modestie et exaltation
renvoient respectivement à la persécution endurée et aux miracles accomplis :
Et, par conséquent, comme ses disciples le proclament en bas par modes-
tie et par exaltation, à savoir par la modestie de la persécution et par
l’exaltation des miracles, ainsi Notre Seigneur s’ est proclamé lui-même
par modestie et par exaltation.
SdDN 32,19-23
Derrière cette opposition entre les vrais paranymphes et ceux qui pré-
tendent l’être se profile également une différence essentielle entre le véritable
Fiancé et les apôtres, dont le rôle se limite à arranger les fiançailles entre Jésus et
son Église. Il est important de souligner cette vérité pour dissiper toute illusion
qui tendrait à assimiler la responsabilité des disciples-apôtres à une identifica-
tion entre un serviteur et un Maître.
Transposé sur le sacerdoce en général, cette différence essentielle s’ exprime
par la distinction entre ce qui appartient en propre au Christ et ce qui appar-
tient par grâce à l’homme. Dans cette perspective, les noms, encore davantage
les «personnes» (qnūmē), du Créateur et des créatures ne peuvent afficher une
quelconque égalité, encore moins les noms «prêtre » et « roi » :
On en déduit que les prêtres participent par grâce au sacerdoce du Fils, à qui le
sacerdoce appartient essentiellement. C’est ce qu’ on trouve également affirmé
par Éphrem, qui interprète le déchirement du vêtement du grand prêtre Caïphe
(Mt 26,57; Mc 14,63) comme étant le signe que le sacerdoce l’ abandonne et
vient se réfugier auprès du Sauveur qui «réclame ce qui lui appartient » (tabaʿ
dīleh) (Resur 3,8). Sans nous arrêter sur la transmission du sacerdoce et le
rôle médiateur du Christ, nous relevons ici les deux arguments qu’ exploite
Éphrem dans le SdDN pour souligner la suprématie du Fils Prêtre par rap-
port aux autres médiateurs, tels que Moïse et Syméon, par lesquels passent le
sacerdoce et la prophétie jusqu’à parvenir «à Celui qui a pouvoir (šalīṭ) sur
le trésor» de ces deux dons (SdDN 51,3-7). En fait, pour justifier que le Fils ait
pouvoir sur le sacerdoce et la prophétie, Éphrem puise le premier argument
dans le quatrième Évangile, d’après lequel Dieu ne donna pas au Fils « l’ Esprit
avec mesure» (Jn 3,34) (SdDN 51,7-8); l’autre argument est tiré de Col 2,9, où
le Christ recevant le sacerdoce et la prophétie est présenté comme « le vase
(manā) en qui habite toute la plénitude» (SdDN 50,11-12)24.
24 Beck, Dōrea und charis, p. 103, ne renvoie plus à Col 2,9 qu’ il a donné dans sa version,
p. 51, n. 2. Dans la monographie, il ne tient compte que du terme malyūtā (plénitude) qu’ il
trouve attesté dans Jn 1,16. Mais dans son texte, Éphrem veut mettre l’ accent sur cette plé-
nitude qui habite en Christ, ce qui est bien affirmé dans Col 2,9, même si le verbe pour
Même s’il ne faut pas séparer divinité et humanité dans la personne du Fils, il
s’ avère que, venant à déterminer la source du sacerdoce, c’ est plutôt l’ huma-
nité, appelée souvent «corps»27, qui joue un rôle prépondérant. En fait, en tant
«habiter» est šrā chez Éphrem et non pas ʿamar de la Peš., et que le terme préféré par
Éphrem pour «plénitude» est mūlayā.
25 Nous faisons nôtre la traduction que propose Beck pour ce terme kahen, « werden… Pries-
ter», étant donné que ce qui est visé n’est pas un acte ponctuel que les apôtres exercent,
mais plutôt l’état même du sacerdoce auquel ils accèdent.
26 En guise d’un avant-goût, nous renvoyons à Virg 28,3 ; Az 15,13.
27 Il faut bien préciser que le «corps» chez Éphrem est à prendre dans le sens de toute la per-
sonne, avec une insistance sur l’humanité, aspect visible qui exprime la réalité invisible
de la personne du Fils. Puisqu’il s’agit d’une idée souvent réitérée par Beck, les références
que nous donnons aux études du spécialiste d’Éphrem sont à titre d’ illustration; cf. Bap-
tême, p. 119; Reden, p. 80; Theologie, p. 55; ComParad, p. 66,80 ; Bild vom Sauerteig, p. 17;
Psychologie, p. 85-89; besrā und paġrā, p. 3.10-12; Dorea und charis, p. 82.
que grand prêtre, l’action du Fils sur son corps fait de lui l’ acteur de sa propre
offrande, où, par conséquent, humanité et sacerdoce apparaissent indissolu-
blement liés:
C’est ce corps, cette humanité, que le Fils comme grand prêtre a revêtus et qui
lui servent d’éphod à la place de l’éphod endossé par les prêtres lévites, comme
sa puissance se revêt du pain eucharistique en remplacement de la fedtā :
Comparé à la tente temporelle chez Aphraate, le corps du Fils est mis en rap-
port avec l’éphod chez Éphrem, les deux auteurs voulant souligner qu’ il est le
lieu du nouveau sacerdoce qui vient remplacer l’ ancien.
Bien entendu, en développant leur typologie relative au corps du Fils, les
deux écrivains ne poussent pas leur réflexion concernant le sacerdoce du Christ
comme fondement du sacerdoce ministériel. Leur intérêt est plutôt focalisé sur
l’ imperfection du sacerdoce ancien que surpasse par sa perfection le nouveau
sacerdoce représenté par l’offrande parfaite de soi, de son corps, du Christ. Tou-
tefois, sans que le sacerdoce soit évoqué parmi les dons reçus de l’ humanité
du Fils29, l’argumentation que développe Éphrem sur la médiation du corps
28 Dans sa version, en se fondant sur Thesaurus, Beck note que le terme fedtā peut traduire
aussi le terme hébreu éphod.
29 Dans ces textes, il semble que ce soient les guérisons obtenues par le contact avec le
corps – avec l’humanité – du Fils qui soient plutôt mises au premier plan. Pourtant, dans
le contexte d’où sont tirées ces affirmations d’Éphrem, le langage sacerdotal n’est pas
absent, et cela quel que soit l’acteur, l’homme ou le Fils de Dieu : l’ amour humain appelé
à être «grand encensoir» ( fīrmā rabā), ou l’acte de brûler comme encens (w-naʿṭar) nos
chants et prières, ou la décision du Fils de Dieu qui « a fait de sa croix un encensoir à la
divinité et fit brûler comme encens (w-aʿṭar) son sang pour nous tous» (cf. SdDN 8,4-6). La
L’aspect de médiation du corps du Fils est encore mieux mis en relief dès lors
qu’il se trouve qualifié de «serviteur», par lequel le Fils accorde ses dons à ceux
qu’il aime:
C’est toi qui as fait pour toi le corps comme « serviteur» (šamašā) afin
que, par lui, tu donnes à tous ceux qui t’aiment tout ce qu’ ils chérissent30.
SdDN 8,15-16
traduction par Beck de naʿṭar et aʿṭar par «emporsteigen lassen » et « emporsteigen » res-
pectivement dissimule un tant soit peu l’aspect ou la portée cultuelle qui renvoie à l’ acte
de brûler de l’encens.
30 Beck traduit d-beh tetel l-raḥmayk ḫul da-rḥem par « um durch ihn deine Liebe allen, die
(dich) liebten, zu geben». En fait, raḥmayk signifie simplement « tes amis » et ḫul da-
rḥem, «tout ce qu’ils aimaient» et non pas, comme le suppose Beck, l’ amour du Fils pour
eux.
31 Nous n’avons pas à procéder ici à une comparaison avec la pensée de Narsaï; nous y revien-
drons plus loin. L’idée que se fait Narsaï de l’élection de Jésus fait penser à l’ élection des
apôtres et suscite la question de la différence qui existerait entre les deux élections. De
plus, le thème de l’élection nous replace ainsi de plain-pied face à la question du fonde-
2.2.3 Jacques
Sur le plan théologique, l’approche de Jacques et de Narsaï reste en deçà de
la grande envergure du grand maître Éphrem. Il n’est pas surprenant non plus
de constater une totale absence de l’humanité médiatrice du Fils dans le rai-
sonnement de Jacques, ce qui pourrait s’expliquer par sa christologie modéré-
ment miaphysite qui considère que l’unique acteur dans la personne du Fils
serait le Verbe, l’humanité de celui-ci étant totalement unie à sa divinité. En
revanche, l’humanité du Fils chez Narsaï est tellement mise en valeur, envisa-
gée en elle-même et pour elle-même, qu’on discerne mal le rôle de médiation
dont elle est capable. Sur le rôle de l’humanité du Fils, nous aurons à revenir
à la fin de ce paragraphe. À présent, nous tâcherons de réfléchir sur l’ unité du
Fils avec ses Douze, unité qui traduirait un lien de fondement permanent et,
surpassant l’acte initial de l’élection, le prolongerait, le préserverait et le pro-
mouvrait. À côté de la qualification du cercle de ses disciples par « ses » Douze
(II 486,16; III 534,19), une façon de signifier un rapport d’ intimité entre eux
et leur Maître, Jacques reprend à Éphrem l’image du soleil et de ses rayons,
qu’il développe en variant la terminologie à son propos et en insistant sur
l’ unité qu’elle traduit entre les protagonistes. Ainsi trouve-t-on le Fils appelé
« lumière», tandis que «ses Douze» sont cités sans plus de précision (I 467,6).
Mais les Douze peuvent eux-mêmes être appelés « lumières» par rapport au
Fils nommé «Jour», constituant ainsi les heures de la journée (I 469,5-6), ou
les douze «heures éclairantes» du «Jour» qui est le Fils (III 534,20 ; 573,2). Par
rapport à l’image du jour, probablement privilégié en raison des douze heures
ment christologique, de son sens et de sa pertinence pour une élection telle que celle de
Jésus.
de lumière, l’autre image, celle du soleil et de ses rayons (zalīqaw) n’est pas
moins appréciée (I 469,6), les rayons étant aussi appelés « douze éclats » (ṣem-
ḥīn) (I 469,7), ou douze «épiphanies» (denḥīn) (I 469,11)32. Bien qu’ aucune
justification ne soit donnée au nombre douze, il se peut que Jacques songe,
là aussi, aux heures de la journée. Il est probable que le nombre douze dans
l’ image de la couronne du Fils du Roi ornée par les « douze pierres précieuses»
(ṭabʿē) (I 469,15) renvoie à l’Ourim et au Thoummim, pierres précieuses incrus-
tées dans le pectoral, vêtement du grand prêtre (cf. Ex 28,30).
Quoi qu’il en soit, quelles que soient les variations données à l’ image du
soleil ou de la lumière, l’intention fondamentale de Jacques est de souligner
l’ unité entre le soleil et les douze heures par lesquelles le soleil « rassemble et
forme une seule journée (ḥad īmmamā) de grande lumière», ou par « ces douze
degrés», «le soleil monte et descend», répandant son épiphanie (denḥeh) sur
les terres enténébrées (I 215,15-18).
Aux images vient s’associer la terminologie relative à l’ unité particulière tis-
sée entre Jésus et les Douze; ceux-ci sont dits être « unis à lui » (aḥīdīn beh),
« liés à lui» (naqīfīn leh) (I 216,6; cf. aussi II 708,9-10), ou encore « mêlés à lui »
(ḥlīṭīn beh) (I 216,7)33. Unis à lui, les pasteurs (raʿawatā) trouvent leur unité par
lui et en lui (II 634,11: «Que les pasteurs soient un en toi»). C’ est aussi en lui que
leur mission dans le monde s’enracine et s’affirme en tant que crédible. Déjà,
ils cheminent avec lui (rdaw ʿameh) pour qu’il les affermisse dans sa doctrine,
les envoyant dans le monde pour proclamer par eux (bhūn) sa doctrine (hay-
manūteh ; litt.: foi)34. Ils seront envoyés par ce qui est propre au Fils (b-dīleh =
par ce qui lui est propre) et non par ce qui leur est propre (I 486,8-9)35.
Il n’est pas besoin de développer le lien des Douze au Fils par cet autre
aspect, celui qui rattache leur mission à sa Bonne Nouvelle (II 702,8) et leur
proclamation à sa foi-doctrine (II 702,2). Dans cette perspective cependant,
la position de Jacques reste en-deçà des affirmations d’ Éphrem, que ce soit
sur le plan de la proclamation, ou encore sur le plan de l’ exercice sacerdo-
tal tout court. En fait, au moment où Éphrem accorde aux Douze de parler
« au nom de Jésus», Jacques ne leur assigne que la fonction de « le proclamer»
(da-nmallūnay ; litt.: pour le «parler») (III 622,13-14). En outre, là où Éphrem
soutient que les apôtres deviennent prêtres «en lui » (baḫ = en toi), Jacques
laisse entendre que les apôtres exercent le sacerdoce (kahen) « pour lui » (leh),
en comparaison avec Melchsedech qui a officié comme un prototype du Fils :
Cet ange revêtu du lin fin dans cette vision (gelyanā ; litt. : révélation)
est type du prêtre qui est revêtu de l’image (ṣūrteh) du Fils de Dieu.
IV 596,16-17
Ce parallélisme entre «ange revêtu de lin fin» et « prêtre qui est revêtu de
l’ image du Fils de Dieu» ne semble guère d’une interprétation facile, même
si, de prime abord, on serait tenté de croire que le sens soit obvie. En quoi, se
demanderait-on, le «lin fin» représenterait-il une « image du Fils de Dieu » ?
Dans l’ensemble du mīmrā sur le char d’Ézéchiel, d’ où cette comparaison est
tirée, le lin fin n’est jamais mis en rapport avec le Fils, ou avec l’ une des images
qui le dépeignent. À la vérité, c’est le fils de l’homme apparaissant sur le char
qui représente l’image du Fils (IV 589,17-18; 590,20-21 ; etc.). Par ailleurs, le « lin
fin» est constitué de feu, comme les anges qui, eux aussi, sont formés de « feu
et d’esprit», comme l’atteste l’Écriture (cf. Ps 104,4; He 1,7) (IV 593,8-9). Par
conséquent, le lin fin provient «du feu (émanant) de cet ange» (IV 594,2), bien
qu’il ne soit pas réellement de lin, mais une couleur de gloire (gawnā gayā), rai-
son pour laquelle il a été qualifié de «pur» (cf. Apoc 19,8.14) (IV 594,13-14). En
revanche, lorsque Jacques cherche à éclairer le sens du lin fin par la pratique
cultuelle de l’Ancienne Alliance, il évoque le grand prêtre qui entre dans le
Saint des Saints en se revêtant de lin fin (Lv 16,4) (IV 598,4-5.18), ce qui explique
que l’ange s’approche du char «à la manière du grand prêtre» (b-haw eskīmā
d-kahnā rabā) (IV 598,6-7). Par conséquent, l’ange se montre revêtu de lin fin
« afin qu’il représente le prêtre, par ses actes, aux fils de notre terre (bnay atran;
litt.: fils de notre lieu)» (IV 597,22-598,1). Dans ce qui vient d’ être dit, aucun rap-
port n’est établi entre le lin fin et l’image du Fils. Encore moins est-on aidé par
le parallélisme entre l’ange à lin fin et le prêtre, si l’ on considère la fonction
sacerdotale assignée à l’un et à l’autre: l’ange reçoit les charbons ardents du
36 Golitzin, Glory of God, p. 355-356, évoque le texte que nous commentons sur l’ ange vêtu
de lin blanc comme type et modèle du prêtre, en faisant remarquer que le vêtement de
lin blanc est celui endossé aussi par le grand prêtre le jour où il entre dans le Saint des
Saints. En mettant en parallèle l’ange et le prêtre, l’auteur ne se demande pas en quoi le
lin blanc pourrait être une image du Fils de Dieu. De toute façon, l’ auteur n’est pas tenu
à analyser chaque ligne de l’homélie; son souci premier est de montrer le lien de Jacques
à la tradition juive, notamment à la mystique de la merkabah sur laquelle Jacques porte
un regard critique, comme il critique toute mystique chrétienne qui cherche à donner de
l’importance à l’ascension au ciel. Jacques, souligne l’ auteur, veut au contraire insister
sur la nouvelle possibilité de rencontrer le Fils, sans monter au ciel, dans l’ Église et dans
l’eucharistie. Par ailleurs, il fait savoir que, pour Jacques, le trône du Fils est désormais le
sein de la Vierge depuis que le Fils s’est incarné et dont le char n’était qu’ un simple type
servant de sanctuaire pour les anges.
37 Cf. II 486,16-19, un texte que nous avons cité, supra, p. 49.
Dieu «Père qui est aux cieux» (IV 901,5-8). Il est superflu de pousser l’ analyse
dans cette direction, car, outre le fait que Jacques use d’ un langage poétique
plus apte à attribuer au seul Fils certains traits ou fonctions, il peut bien tem-
pérer ses affirmations en n’oubliant pas des acteurs seconds qui agissent après
le départ de Jésus auprès du Père.
2.2.4 Narsaï
Chez Narsaï, l’approche théologique se trouve peu développée, d’ abord en rai-
son du caractère circonstanciel de ses mīmrē, mais probablement et surtout à
cause d’une christologie qui table en premier lieu sur l’ élection de Jésus. Ceci
pourrait avoir pour conséquence un lien ténu entre le Jésus de l’ histoire élu et
ses disciples, devant être eux aussi élus, même si, en parlant des disciples élus
par le Fils, Narsaï ne se trompe pas sur l’identité du Fils déjà élu et élevé au rang
de la divinité. Dans cette perspective, on comprendrait mieux l’ affirmation déjà
évoquée, d’après laquelle le Fils «engendra» les Douze, comme Jacob avait
engendré ses douze fils, les chefs des tribus (cf. II 268,4-7)38. Cet aspect de rap-
port initial et «congénital» entre le Fils et ses Douze est appelé à durer dans
le temps, grâce à une relation permanente qui s’ exprime par une marche « à la
suite» de Jésus, sur le «chemin de son kérygme» (karūzūteh) et en le prenant
pour modèle:
Les amis l’aimant (raḥmīn ḥūbeh ; litt.: les amis de son amour) ont
désiré imiter son modèle (nīšeh)
et, sur ses traces, cheminer sur le chemin de son kérygme.
II 152,2-3
Quant à l’humanité de Jésus, elle ne semble pas jouer un rôle médiateur dans la
transmission du sacerdoce. Tout au plus, elle est présentée par Narsaï comme
ce qui comble le désir qu’a l’homme de voir Dieu, en le rendant visible grâce à
la visibilité du corps de Jésus39 :
Pour cette raison, le Créateur de toute chose l’ a élu parmi tout ce qui
existe,
Afin que, par la visibilité de son corps (b-galyūt faġreh), il comble le
besoin de tous.
McLeod V 231-232
Ainsi le Fils est-il élu pour représenter Dieu, être son lieu-tenant, grâce à la visi-
bilité de son corps:
C’est lui que le Seigneur de tout élit parmi tout ce qui existe comme
Principe,
afin qu’il soit son lieu-tenant40 à l’égard de ses créatures (la – ʿbad īdaw ;
litt.: créatures de ses mains).
Il est le lieu-tenant de l’Être pour tous par sa visibilité (galyūteh)
et, comme dans un port, la création se repose grâce aux sens (reġšay) de
son corps.
II 68,21-23
Ce détour par une réflexion sur l’humanité du Fils ne s’ annonce pas inutile, car,
en permettant d’établir une comparaison avec les auteurs précédents, il révèle
l’ absence de toute médiation de cette humanité pour le sacerdoce. Le rôle de
l’ humanité se limite à rendre visible l’Invisible, un aspect de la christologie bien
présent chez Éphrem41.
Ceci étant, nous n’avons pas à pousser plus loin notre investigation concer-
nant l’humanité du Fils, ce à quoi nous reviendrons encore une fois dans la
partie consacrée au sacerdoce christique. Jusqu’ ici, il s’ est avéré opportun de
centrer l’attention sur le Christ qui joue un rôle de fondation dans l’ institution
du sacerdoce ministériel. Mais, en fait, le Fils ne peut être l’ acteur exclusif, étant
donné qu’il agit sur l’initiative du Père et non sans la collaboration de l’ Esprit
Saint à qui revient de prendre la relève après l’Ascension du Fils. À vrai dire, le
rôle du Père, quoique fondamental, demeure à l’ arrière-fond, car c’ est par son
Fils et son Esprit qu’il se manifeste et agit dans l’ histoire des hommes. Encore
tout aussi invisible mais efficace se révèle l’action de l’ Esprit Saint, que nous
tâcherons d’étudier dans le chapitre suivant, et cela dans le seul domaine rela-
tif au sacerdoce.
40 Nous traduisons ainsi l’expression « d-nehwē mmalē dūkat yateh», qui se traduit littérale-
ment par «afin qu’il comble le lieu de son être»; de même pour l’ expression dūkat ītyā
mmalē l-ḫūlā ; litt.: Il comble le lieu de l’Être vis-à-vis de tous.
41 Cf. notre Pensée symbolique, p. 235-238.
La dimension pneumatologique
3.1 Aphraate
Parmi les auteurs que nous étudions, Aphraate semble représenter la doctrine
qui a le mieux défendu l’unité du Fils et de l’Esprit sur le plan de leur rap-
port personnel, de même qu’il a exposé, en conséquence, leur action conjuguée
dans l’histoire salvifique. Déjà sur le plan du langage, Aphraate est le seul qui,
parmi nos auteurs, ait fait usage fréquent de l’expression « Esprit du Christ »,
adoptant la lecture de la VS, qu’il développe et applique à d’ autres textes pau-
liniens1. Ce qui retient l’attention, c’est le fait de voir l’ action de l’ « Esprit du
1 Cf. notre Introduction à l’Esprit Saint, p. 21, n. 26 et p. 41-42, où nous signalons les références
pauliniennes données par Kerschensteiner, Altsyrische Paulustext (1 Co 12,11 ; 3 Co 10) et les
divers textes pauliniens auxquels Aphraate attribue cette leçon, sans qu’ elle s’ y trouve réelle-
ment. Les textes d’Aphraate où l’on trouve l’expression « Esprit du Christ » sont I 285,24-25 ;
288,3-4. Pour plus d’informations, nous renvoyons à l’argumentation qui y est exposée. Quant
à l’identification de «l’Esprit du Christ», il nous suffit de rapporter l’ avis de Brock qui admet
que «in early Syriac literature there is an easy movement between Spirit as Holy Spirit and
as Spirit of Christ » (Fire, p. 236), ou encore ce qu’il écrit dans Holy Spirit, p. 62: « As so often
in early Syriac literature, ‘Christ’ and ‘Spirit of Christ’ are used more or less interchangea-
bly». Dans une tentative de délimiter ce qui unit ou distingue l’ Esprit du Christ du Christ
lui-même, Kofsy et Ruzer, Logos, p. 374-376, croient discerner que, chez Aphraate, « Esprit
du Christ» et «Christ» sont identifiés dans leur activité sotériologique, notamment dans le
baptême chrétien, dans la vie ascétique et dans la résurrection, mais chacun d’ eux forme
une entité séparée et indépendante de l’autre. Il n’est pas dans notre intention de discuter
le statut de l’Esprit Saint, de nous interroger surtout s’ il est subordonné au Père et au Fils
Christ» projetée dans l’Ancienne Alliance, notamment sur les prophètes2, dans
une tentative de faire valoir la collaboration entre le Christ et son Esprit. Mais
l’ Esprit peut être représenté comme agissant seul dans l’ A.T. et, pour preuve,
c’est lui que Saül (I 297,21-23) et David (I 297,26-301,1) reçoivent quand ils sont
oints et c’est bien lui qui quitte Saül lorsque ce dernier lui cause de la tristesse
et vers qui il revient quand David commence à jouer de la cithare (I 297,3-5). Il
est vrai, peut-on faire remarquer, qu’ici l’Esprit est plutôt mis en rapport avec
la royauté et non pas avec le sacerdoce. Mais Aphraate ne manque pas d’ établir
un lien entre l’onction reçue par David et celle que reçoit Jésus de Jean Baptiste
et qui le rend grand prêtre:
David fut oint par Samuel pour devenir roi à la place de Saül qui avait
péché (1 S 16,1-13), Jésus fut oint par Jean pour devenir grand prêtre à la
place des prêtres transgresseurs de la Loi.
I 964,14-17
Plus loin dans le texte, Aphraate semble comprendre l’ onction reçue par David
en l’identifiant à l’acte d’imposition des mains que Jésus reçoit de Jean Bap-
tiste:
Samuel oignit David (2 S 5,4) à l’âge de trente ans, et Jésus, ayant déjà
trente ans, reçut de Jean l’imposition des mains.
I 964,25-965,2
C’est en rapport avec l’Esprit que l’imposition des mains et l’ onction font de
Jésus un grand prêtre, au moment où les mêmes gestes font de David un roi.
Mais, contrairement aux prophètes et aux rois de l’ Ancienne Alliance, Jésus
reçoit l’Esprit Saint en plénitude, idée qu’Aphraate justifie par le texte johan-
nique de la VS, d’après lequel «le Père n’a pas donné à son Fils l’ Esprit avec
dans la pensée d’Aphraate. Pour une mise au point récente sur la question, nous renvoyons
à l’article de Kofsky et Ruzer qu’on vient de citer, spéc. p. 358-359 et 373-377. Encore faut-il
reconnaître que l’article se centre plutôt sur la christologie que les deux auteurs évaluent à
la lumière du concile de Nicée et en comparaison avec les autres courants christologiques
comme l’arianisme et le prétendu proto-nestorianisme. En outre, il convient de faire remar-
quer que les auteurs ne signalent pas que l’expression « Esprit du Christ » est une lecture de
la VS, encore que cette dernière remarque n’affecte en rien leur approche, étant donné qu’ ils
évoquent plusieurs textes d’Aphraate pour étayer leurs thèses.
2 I 285,23-25: «Le bienheureux Apôtre dit aussi: Dieu a partagé de l’ Esprit du Messie et l’ a
envoyé dans les prophètes (cf. 1Co 12,11.28; Rm 12,3-6) ». Dans le même sens, cf. I 288,4-7 ;
292,13-14; 464,13-14.
mesure (ba-kyaltā), mais il l’a aimé et a tout remis dans ses mains » (cf. Jn
3,34-35) (I 288,11-12)3. Comme nous le disions, cette réception de l’ Esprit sans
mesure advient lors du baptême de Jésus par Jean Baptiste et se trouve ainsi liée
à l’imposition des mains: «L’esprit d’Élie reposa doublement sur Élisée ; Jean
imposa les mains à Notre Sauveur qui reçoit l’Esprit sans mesure» (I 289,13-
15). Cependant, Aphraate sait bien faire la part des choses et, par conséquent,
distinguer ce que Jésus «reçoit de Jean» et ce qu’ il « reçoit du ciel » (I 289,19-
20)4, en expliquant le don de l’Esprit par l’ouverture du ciel et la descente de
l’ Esprit sur Jésus (Mt 16,16) (I 289,16-18). Quoi qu’ il en soit, le don de l’ Esprit n’a
pas sa source dans l’imposition des mains accomplie par Jean Baptiste, mais
c’est simplement «à l’occasion», dirait-on, de cette imposition que l’ Esprit est
donné, une manière de marquer les limites de l’ action humaine, comme cela
sera encore clair pour le sacerdoce chrétien. C’est dans cette perspective qu’ en
une autre circonstance5, Aphraate insiste sur le fait que Jésus « a reçu l’ Esprit,
par le baptême, d’en haut» (men rawmā) (I 301,7-9), ce qui laisse bien com-
prendre que le don de l’Esprit ne tire pas son origine d’ un quelconque acte
humain.
Ce don de l’Esprit à Jésus lors de son baptême n’ est pas sans lien explicite
avec le don de l’Esprit à l’homme, don qui, dans la perspective d’ Aphraate, a
lieu lors du baptême (I 292,24-25: «Certes, à partir du baptême, nous recevons
l’ Esprit du Christ»; cf. aussi I 296,1-2, où, à la parousie, l’ Esprit qui intervient en
faveur du baptisé dans lequel il habita reconnaît que ce corps « m’a revêtu aux
eaux baptismales»)6. Mais la différence reste grande entre l’ union de l’ Esprit
avec Jésus d’une part, et d’autre part, son union avec les prophètes de l’ A.T. et
des baptisés de la Nouvelle Alliance. C’est que, comme nous l’ avons relevé, la
plénitude de l’Esprit que Jésus reçoit et qui le rend un avec le Christ, au point de
l’ appeler «Esprit du Christ», ne peut être revendiqué par aucun homme, quel
qu’il soit. En fait, cette plénitude fait de Jésus un réceptacle totalement ouvert
à l’Esprit, le démarquant de l’homme qui ne peut recevoir l’ Esprit qu’ avec la
finitude humaine qui le définit. Ainsi, concernant les prophètes, il est claire-
ment soutenu que chacun d’eux recevait de l’Esprit « autant qu’ il pouvait en
porter» (I 288,4-6). Cela explique également la raison pour laquelle la plénitude
de l’Esprit dont est doté le Fils l’habilite à accorder l’ Esprit sans qu’ il souffre
d’aucun appauvrissement (I 236,23-24: «Et si tu prends de l’ Esprit du Christ,
le Christ ne s’appauvrit en rien»). Dans toute cette argumentation, on devine
que ce sont surtout les prophètes et les baptisés qui sont mis en rapport avec
l’ Esprit. Et pourtant, Aphraate fait sienne la prophétie de Joël, d’ après laquelle,
à la fin des temps, l’Esprit sera répandu «sur toute chair » (Jl 3,1-2). Loin de
se trouver dans un contexte baptismal, cette prophétie sert à appuyer l’ idée
qu’une connaissance plus grande de Dieu sera accordée grâce à l’ effusion de
l’ Esprit7.
Mais si «toute chair» bénéficie désormais de l’ effusion de l’ Esprit, trouve-
t-on chez Aphraate des modalités différentes, avec des degrés différents, de ce
don de l’Esprit, ce qui justifierait sa présence agissante non seulement dans
les sacrements, mais également dans les personnes qui administrent ces sacre-
ments? À première vue, Aphraate n’exclut pas un don de l’ Esprit réservé à
certaines personnes élues pour des missions déterminées dans la vie de l’ Église.
Déjà l’Esprit a été donné par Jésus aux disciples, rapporte Aphraate qui fait
usage de l’expression johannique «souffla en eux », qu’ il change en « souffla
sur leurs visages», sans qu’il soit toutefois fait mention de l’ Esprit auquel il est
implicitement renvoyé:
Élisée reçut l’esprit d’Élie et Jésus souffla sur le visage (b-afayhūn, au plu-
riel) de ses apôtres (Jn 20,22).
I 968,10-11
cends and hovers over the water, and those who are baptised put her on » ; la même traduction
est donnée dans Holy Spirit, p. 61.
7 Cf. I 716,24-26; 776,9-14; 1049,7-8.
3.2 Éphrem
8 Nous avons déjà eu l’occasion de manifester notre étonnement à l’ égard de cette parenté, à
laquelle il est difficile d’apporter une explication satisfaisante. Cf. notre Introduction à l’ Esprit
Saint, p. 54.
9 Beck précise que nfaḥ b-afayhūn de Jn 20,22, est une lecture de la VS, la Peš ayant nfaḥ bhūn.
10 Dans le texte cité ci-dessus, le Christ est appelé soleil et ses Douze sont assimilés aux
rayons du soleil:
L’Esprit arma les prophètes, afin que le mensonge soit affaibli par la vérité
avant le lever du Soleil qui chassa l’Erreur (tuʿyay) par les douze rayons qu’ il fit
répandre.
11 Dans Resur 3,6, c’est le mois de Nisan qui déchire le voile du temple.
Jusqu’ici rien n’est encore dit sur une intervention directe de l’ Esprit dans le
sacerdoce, ou auprès de ceux qui le portent. Dans les textes que nous avons ana-
lysés sur la transmission, l’Esprit retire le sacerdoce au peuple pour le confier au
Christ. Pour ne pas brûler les étapes, nous commençons par déceler son action
dans et sur l’Église, qui présente chez Éphrem une structure épiclétique bien
évidente. Ainsi, comparé au soleil qui réchauffe la terre, l’ Esprit Saint réchauffe
l’ Église:
12 Dans notre Introduction à l’Esprit Saint, p. 46-53, nous avons analysé les textes qui ren-
voient à ce terme en rapport avec l’Esprit Saint: HdF 10,16 ; 77,20; Virg 7,8. On peut y
ajouter un texte, où le rūḥafā apparaît comme une caractéristique de l’ Esprit, au moment
où d’autres attributs sont donnés au Père et au Fils:
Aime la bonté du Père et ne scrute pas son Essence (ītūteh).
Aime et choisit la bonté (ṭūbeh) du Fils et ne scrute pas son engendrement (mawladeh).
On en déduit qu’ il n’y a pas une unique onction, ou plutôt que l’ onction peut
être multiple selon les destinataires. Il y a celle qui scelle les prêtres et les
« oints», ces derniers étant probablement les rois14, et celle qui est réservée aux
baptisés, laquelle se présente comme étant séparée des deux premiers grâce au
terme «aussi» (af ). Quoi qu’il en soit, on est en droit de constater que la pré-
sence d’un don de l’Esprit sous forme d’une onction est accordée aux ministres
sacerdotaux, et cela de façon distincte de l’action accordée aux baptisés et aux
rois. Même si, et Éphrem ne se livre pas ici à une analyse du rite de l’ ordination,
rien n’est dit ni sur les circonstances ni sur le sens donné à cette onction. À vrai
dire, il faut bien reconnaître que l’énoncé d’Éphrem à ce sujet est de l’ ordre
de l’allusion. D’autant plus que le sacerdoce dont il est question dans SdDN,
3.3 Jacques
Étant donné que les thèmes relevés chez les deux auteurs précédents, notam-
ment chez Éphrem, se trouvent développés chez Jacques, il n’est pas nécessaire
de s’y attarder longuement, surtout que certains aspects de l’ action de l’ Esprit
Saint en rapport avec le sacerdoce ont été exposés dans nos deux tomes sur
la théologie de Jacques16. Cette action est perceptible auprès des prophètes en
qui parle «en partie» (ba-mnawatā) le seul et unique Esprit (III 16,3-4)17. De
même, Jean Baptiste reçut l’Esprit «en partie» de la part du Christ qui remplit
le héraut de son don (mawhabteh) (BedS 674,21-675,1). Mais le souci premier
de Jacques est de défendre l’unité de l’action de l’ Esprit dans l’ Ancienne et la
Nouvelle Alliance, dans les prophètes et les apôtres respectivement (IV 310,2-
7, spéc. 310,7: «Car un seul est l’Esprit à la fois des prophètes et des apôtres»).
C’est en ces termes que Jacques peut affirmer que l’ Esprit est le trésor (gazā)
de la prophétie et de l’apostolat (I 461,9), au point qu’ il qualifie les prophètes
de «fils du mystère» (III 16,5) et les apôtres de « pleins de mystères » (II 878,7).
Cependant, le don du même Esprit n’exclut pas la possibilité qu’ il existe des
degrés allant d’un don moins parfait à un don plus parfait, et cela est encore
valide même pour les apôtres dont la force de l’Esprit n’ est pas la même quand
il leur est donné durant la vie terrestre de Jésus et lorsqu’ il leur est envoyé après
son Ascension:
15 Dans notre Introduction à l’Esprit Saint, p. 53-54, nous avons démontré que, dans le
contexte du SdDN, ces dons ont pour auteur non pas l’ Esprit Saint, mais bien le Fils.
Nous avons également noté le même constat, la dominante christologique, dans un texte
d’Aphraate où l’huile scelle et rend parfaits «les chrétiens (mšīḥayē), les prêtres, les rois
et les prophètes» (II 9,5-6). Sur les différentes traductions de ce texte, cf. supra, p. 24, n. 58.
16 Cf. t. I, p. 16-17. 237-239 et t. II 180-182.
17 On trouve dans He 1,1 l’expression b-ḫūl mnawan.
18 Jacques recourt au verbe nsaḫ et non pas à celui de šdā, ešūd, préféré par Ac 2,17-18, déjà
utilisé par Jl 3,1-2 pour exprimer la promesse de l’Esprit qui sera donné à la fin des temps.
Cette oscillation entre l’Esprit acteur et l’Esprit don ne doit pas surprendre, car,
même concernant l’acte fondateur qui préside à l’ élection des apôtres et qui
revient en principe au Fils, Jacques peut bien l’imputer à l’ Esprit Saint. Ainsi,
à Thomas qui refuse d’accepter la mission qui lui échoit, celle d’ évangéliser
l’ Inde, ses collègues lui rappellent qu’ils ne sont pas responsables de ce choix,
mais que c’est «l’Esprit qui t’a envoyé, du fait même qu’ il t’ a élu (b-hay da-
gbaḫ) pour l’apostolat» (III 736,16)20. Il est certes important, pour faire justice
à l’approche de Jacques, de relever l’aspect trinitaire de l’ action ad extra de
Dieu, et l’Esprit Saint, dans cette perspective, joue souvent le rôle de celui qui
« renouvelle», «parachève» et «rend parfait»21. Voulant rejeter certaines inter-
prétations fâcheuses, même erronées, de certains textes bibliques qui semblent
accorder un rang supérieur à une Personne divine par rapport à une autre22,
Jacques se trouve contraint de mettre en valeur l’ unité de l’ action de la Tri-
nité:
En effet, par ce qui est dit: celui qui n’honore pas le Fils n’honore pas le
Père qui l’a envoyé (cf. Jn 5,23), il est montré l’ égalité du Fils avec le Père,
et par ce qui est dit de l’Esprit procédant du Père et recevant du Fils (cf. Jn
16,14), tu apprendras que la doctrine de l’Esprit Paraclet s’ exprime moyen-
nant toute la Trinité et il n’est pas déclaré seul docteur, sans l’ action du
Père et de son Fils bien-aimé.
Lettres 206,20-26
Sans vouloir anticiper sur ce qui sera dit de l’ action de l’ Esprit Saint sur le
sacerdoce ministériel, la même insistance sur l’unité de l’ action trinitaire – ici
seuls le Fils et l’Esprit sont mentionnés – est encore soulignée pour l’ élection
du prêtre: «Celui-ci que le Seigneur a élu par l’Esprit dans le sein de sa mère»
(II 880,5).
Mais l’unité dans l’action des trois Personnes divines ne s’ opère pas aux
dépens de la spécificité de l’action de chacune au point d’ effacer leur iden-
tité propre. À côté de ce qui a été signalé, à savoir que l’ Esprit Saint est le
« trésor de la prophétie et de l’apostolat», et qu’il a élu Thomas pour sa mission
en Inde, Jacques est, comparé à ses deux prédécesseurs, le seul qui qualifie le
sacerdoce de «don (mawhabtā) de l’Esprit Saint » (II 877,12). Pour Éphrem, le
don en personne est plutôt le Fils que Dieu donne au monde ; en fait, le Père
donne «tout ce qu’il possédait (ḫūl da-qnā wā) » (Nat 23,8), son Fils (Nat 4,1,
dans le refrain: «Béni soit celui qui t’a donné à nous sans l’ avoir demandé, afin
que, par toi, nous rendions grâce à ton Père pour son don »)23. Éphrem part du
principe que le Père ne peut donner à l’homme quelque chose de déficient,
ou de moins parfait. De là, on conclut que le don de Dieu est « parfait » (Virg
41,3), à l’image du soleil et non de la lune24, et que ce don n’a pas pour fina-
lité de se conformer à nos besoins, puisqu’il est donné avant qu’ on ne le lui
demande25. Un aspect de sa perfection, argumente Éphrem, s’ explique par le
fait que son indigence (snīqūteh) – si l’on peut s’ exprimer de cette façon para-
doxale prisée par notre docteur – consiste dans son besoin de « donner à tous
au moment où il n’a besoin de prendre de nulle part (men dūk) » (Ov 26,23-
24)26.
Mais pour Jacques le don peut aussi être la personne même du Christ, et
sur ce point, il reprend le langage d’Éphrem pour qualifier le Fils de « ce don
grandiose que le Père donna au monde» (Lettres 23,27-24,1), un don promis
aux justes de l’ A.T. et réalisé à la fin des temps par la venue du Christ : « Le
23 Beck, Dōrea und charis, p. 8, cite un autre texte, HdF 58,11, pour appuyer l’ idée que le don
de Dieu est son Fils, ou comme il est dit dans le texte: « Le Roi prit le Fils du Roi et nous le
donna».
24 Crucif 6,14. Dans ce texte, la distinction est faite entre la divinité du Fils préfigurée par le
soleil, et son corps peint par la lune:
Le soleil est le symbole (raz) du don
de sa divinité qui, par sa plénitude, fit jaillir et donna.
La lune est le symbole du corps, une mesure déficiente.
Le Parfait qui l’a revêtu, l’a rendu parfait.
25 Cf. Eccl 22,3; 25,1; 47,6.
26 Même argumentation dans Eccl 22,2, où «l’indigence de ton trésor est telle qu’ il veut dis-
tribuer sa richesse sur les besogneux».
Christ est né, lui qui est la part commune et le don accordé à tous ceux qui
sont nés d’Adam» (Lettres 199,7-8). Au don parfait par le Père correspond le
don parfait que le Fils accorde aux hommes. Dans le contexte où Jacques en
parle, son argumentation consiste à dire que le don du Fils doit correspondre
au fait qu’il est Dieu, un don qui se concrétise ici par la revivification de la fille
de Jaïre (III 539,4-5. 16-17), comme le «sur-pardon» conféré par le Père à Achab
(IV 186,2-3).
Notre objectif n’étant pas de répertorier toutes les applications de sens que
reçoit le terme de don27, il n’en reste pas moins vrai que, répétons-le, seul
Jacques désigne le sacerdoce comme le don de l’ Esprit Saint. Par conséquent,
ayant reçu le sacerdoce du Père par l’Esprit Saint, comme il a été souligné
(cf. II 880,5), le prêtre est désormais revêtu de la « puissance (ḥaylā) de l’ Esprit »
(II 880,7), comme Jésus a revêtu (albeš) ses apôtres de la « puissance de l’ Es-
prit» avant son Ascension, pour leur donner toute l’ armure après celle-ci
(II 677,3-4)28. Il n’est pas question de développer ici le rôle de l’ Esprit Saint
dans les sacrements, où il exerce une action directe sur la « matière » sacra-
mentelle29. À présent, nous retenons seulement l’ intervention de l’ Esprit dans
la prédication qui affecte davantage la personne du prêtre, sans exclure pour
autant son effet sur le kérygme lui-même. Se trouvant à peine effleurée chez
Éphrem qui n’y renvoie que dans une allusion où il qualifie l’ évêque Abraham
de «cithare de l’Esprit» (CNis 19,8), la fonction de prédication, à laquelle est
associée celle de l’enseignement doctrinal qui reflète mieux les options chris-
tologiques de Jacques, est mieux soulignée par celui-ci. Déjà, concernant les
apôtres, il est dit que leur prédication est motivée par l’ Esprit, qui partage entre
eux les régions qu’ils sont appelés à évangéliser (IV 581,15-18 ; surtout 18 : « Et là
où il le souhaite, il les contraint à y aller pour prêcher la Bonne Nouvelle»).
En fait, le partage des lieux entre les apôtres répond à la division de l’ Esprit
en langues de feu sur chacun d’eux30. Cependant, l’ Esprit n’agit pas comme
27 Faisons remarquer, en rapport avec la révélation, que la prophétie est, elle aussi, consi-
dérée comme un don, dont la richesse accordée au prophète détermine sa capacité à
pénétrer les mystères divins et à les communiquer (III 16,7-10 ; 17,15-16).
28 Texte cité supra, p. 84.
29 Cf. plus loin. Mais à titre d’avant-goût, cf., pour le baptême, I 130,12 ; 131,9-10; pour l’ eu-
charistie, IV 744,21-745,3. Dans IV 596-597, commentant la vision d’ Ézéchiel (Ez 1 et 10),
Jacques souligne les limites du prêtre dans la célébration de l’ eucharistie en comparaison
avec l’action de l’Esprit à qui revient la tâche d’«immoler » (dabaḥ) le Fils, de transformer
le pain en corps du Fils et de le donner au prêtre.
30 Voici un échantillon de l’argumentation développée par Jacques :
Par le fait même que (l’Esprit) se partage comme des langues dans la chambre haute
(ʿelītā),
simple agent qui veille à attribuer les lieux du kérygme à chacun des apôtres;
empruntant les paroles de Paul sur l’Esprit qui prie en nous (Rm 8,26), Jacques
voit aussi ce dernier prier au plus profond du cœur des apôtres, comme à leur
insu, au moment de leur rassemblement au Cénacle :
L’Esprit Saint demeure dans les eaux, et, par sa « couvaison » (b-rūḥafeh),
sont nés tous les jours des fils «raisonnables» (mlīlē) et spirituels (BedS 856,18-19).
32 L’expression gamūrā d-ḥaymanūtā dite ici de l’Esprit Saint reprend celle de la Peš: gamūrā
l-haymanūtan, mais dans l’Épître, Jésus est précédemment appelé rīšā (= chef) et non pas
«maître», comme chez Jacques. N’ayant pas repéré He 12,2, Albert traduit « le maître et le
consommateur de la foi».
3.4 Narsaï
Procédant du Père et considéré comme son égal (PP I 581,20), comme le Fils est
égal au Père, l’Esprit Saint occupe une place prépondérante dans la pensée de
Narsaï, au point de se demander s’il ne fallait pas l’ appeler, lui aussi et à l’ instar
d’Éphrem, la cithare de l’Esprit. Ce constat nous met dans l’ obligation de pro-
céder à un exposé très succinct de cette approche où, selon les termes mêmes
de Narsaï, l’Esprit est auprès (ṣēd) de tout et en tout, dans les hauteurs et les
profondeurs (les deux termes sont au singulier en syriaque) (I 353,6-7). Nous
nous restreindrons aux points essentiels qui détermineraient son rôle dans le
sacerdoce.
Comme ses pairs, Narsaï met en valeur l’action de l’ Esprit sur les pro-
phètes, qui «parlent en Esprit»34, ou qui «prophétisent (etnabī) en Esprit »
(PP I 392,3.21). Sur le prophète demeure, comme elle demeura plus tard sur les
apôtres, la «puissance de l’Esprit» (ḥaylā d-rūḥā)35, au point qu’ il est appelé,
tel Élie, «prophète de l’Esprit» (nbiyyā d-rūḥā) (Frish I 317), dont l’ héroïsme
est célébré par les «prophètes de l’Esprit» (Frish I 266). À ce titre, le prophète
devient de façon exemplaire la «cithare de l’Esprit », comme il est dit ici de
Nathan (PP II 786, 2), et plus précisément «le temple pur de l’ Esprit des révéla-
tions divines», comme il est dit de David (PP II 782,18). Par conséquent, habité
qu’il est par l’Esprit, le prophète se transforme en « scribe (safrā) de l’ Esprit »
33 Il s’agit du miracle de la guérison du paralytique devant le temple (Ac 3,1-10) opéré par
Simon Pierre et Jean.
34 Il est question, dans ce contexte, de l’entrée de Jésus à Jérusalem prophétisée par Zacharie
(Za 9,9) (cf. PP I 388,10-11.22; 389,1; PP II 308,9-11; 309,10).
35 Cette «puissance de l’Esprit» demeure en Moïse (II 181,15).
(PP II 783,24), ce qui est bien le cas de David, en « cithare en qui l’ Esprit joue »
(PP II 794,1). Cependant, Narsaï n’insiste pas sur le fait que l’ Esprit tisse les mys-
tères (razē) du Christ par les prophètes, comme le dit Éphrem, de même qu’ il
n’énonce pas explicitement – ce qui n’est pas moins implicitement évoqué –
le principe du même Esprit qui agit dans les prophètes et les apôtres, comme
le fait Jacques. Il est encore loin de partager la conception d’ Aphraate, qui
laisse entendre que c’est «l’Esprit du Christ» qui agit dans l’ Ancienne Alliance.
Encore que, comme Éphrem qui chante la douceur de l’ Esprit se trouvant dans
les Écritures (Resur 4,7), Narsaï reconnaisse que, dans les Écritures, se cache la
« puissance de l’Esprit» (II 308,17-18). En tout cela, il faut simplement voir des
accentuations différentes, explicables en partie par le caractère circonstanciel
des hymnes, et non pas par des options théologiques explicitement arrêtées.
S’inscrivant dans une certaine ligne propre à Aphraate, Narsaï admet que
lors de certains événements majeurs de sa vie, notamment lors de son bap-
tême et de ses tentations par Satan, Jésus a reçu la puissance ou le secours
de l’Esprit Saint. Reprenant l’idée johannique adoptée par Aphraate, d’ après
laquelle Jésus reçut la plénitude de l’Esprit, Narsaï y souscrit en l’ exprimant
autrement lorsqu’il déclare que Jésus, lors de son baptême, a reçu « la pleine
richesse de l’Esprit» (ḫūleh ʿūtrā d-rūḥā) (McLeod II 303). Cette précision est
de taille, car elle vise à distinguer la plénitude de la richesse de l’ Esprit donné
à Jésus de celle accordée aux apôtres à la Pentecôte (II 74,14-15), ou de celle
conférée au prêtre qu’il transmet à son tour aux terrestres (II 148,9-10 : « Par lui
est partagée la richesse de l’Esprit aux terrestres»). Même Jean Baptiste confie
n’avoir été doté que «de peu (qalīl) du don de sa grande richesse », celle de
Jésus (McLeod II 157), d’une «petite parcelle (netrā) de l’ Esprit (émanant) de
lui» (McLeod II 159)36. Jésus est ainsi le seul à avoir joui de la présence perma-
nente de l’Esprit, venant demeurer en lui sans plus l’ abandonner, selon l’ ordre
de son inhabitation (b-ṭaksā d-ʿūmreh) (McLeod II 303-304)37.
Sans le lier à l’imposition des mains qui, selon Aphraate, fait de Jésus un
« grand prêtre», Narsaï fait dépendre la réception de l’ Esprit par Jésus lors de
son baptême d’une onction dont il s’emploie à déterminer l’ identité. Dans cer-
tains textes, Éphrem semble admettre l’existence d’ une onction administrée
au prêtre, en l’occurrence à l’évêque Abraham (CNis 19,2), mais pas à Jésus
36 Dans l’édition, il faut corriger le terme syriaque ʿetrā en netrā, la traduction de McLeod lit
correctement netrā : «small portion of the Spirit».
37 Rappelons ce que disait Aphraate de l’Esprit qui peut quitter l’ homme qui l’ attriste, en
l’occurrence Saül, et qui revient vers lui à la suite de l’ intervention d’ un prophète, David,
décrivant ainsi un mouvement de va-et-vient de l’ Esprit auprès de l’ homme. Cf. notre
Introduction à l’Esprit Saint, p. 64-65.
au moment de son baptême. Cette onction de Jésus, confie Narsaï, n’est pas
à confondre avec l’«onction de la loi» (mešḥā namūsayā) (McLeod II 299), à
savoir celle relative au sacerdoce lévitique. Elle est plutôt « l’ onction choisie
(gabyā) qui est de loin meilleure que ses pairs (ṭab men ḥabraw) » (McLeod
II 300). Il la qualifie d’onction opérée par l’Esprit (McLeod II 299 : « Il l’ oignit
par l’Esprit»). Non que l’onction des prêtres soit totalement dépourvue de
l’ Esprit, car les prêtres qui l’administrent discernent bien « la grandeur de sa
force» (rabūt ḥayleh) (McLeod II 315-316), mais parce que, comme nous l’ avons
souligné, l’onction que donne l’Esprit octroie à Jésus sa pleine richesse et
demeure en lui à jamais. Un deuxième trait de cette onction serait son carac-
tère invisible, comparé à la voix audible prononcée par le Père à l’ adresse du
Fils: «Voici mon Bien-aimé» (Mt 3,17); c’est une onction discernée seulement
par Jean Baptiste qui administre le baptême:
38 Cf. supra, p. 77 et n. 4.
39 À ce propos, il est d’une grande pertinence de comparer ce que dit Éphrem de l’ action de
la Trinité sur Jésus au moment de son baptême (HdF 51,7 : « Le Père par sa voix, le Fils par
sa force, l’Esprit par sa couvaison (rūḥafeh)») avec ce qu’ en dit Narsaï (McLeod II 440 :
«Le Père par la voix, le Fils par l’amour et l’Esprit par l’ onction »).
allant de l’emploi de verbes «neutres», tels que Jésus qui « donne » la « force de
l’ Esprit» à l’homme faible qu’est l’apôtre (II 74,1), ou qui « pose en lui son Esprit
glorieux», ou encore qui l’«enflamme» par l’Esprit (II 72,8)42, jusqu’ au verbe
spécifiquement scripturaire de «souffla sur leurs visages» (II 74,15)43. Narsaï
peut toutefois emprunter un langage parabolique qui identifierait l’ Esprit au
doigt qui joue sur les cordes que sont les apôtres (II 77,3-4)44. Il semble même
que certains termes techniques acquièrent sous sa plume un sens plutôt sym-
bolique, telle que l’expression «sceau de l’Esprit » que Jésus posa de façon mys-
térieuse (razanāyit) sur les apôtres, ou encore le fait de les avoir « signés (ršam)
par le souffle de ses lèvres (Ps 33,6) pour qu’ils deviennent siens » (II 74,12-13).
Alors que, chez Éphrem, le terme ršam est doté d’ un sens technique lorsqu’ il
est attribué à l’huile par laquelle l’Esprit «signa (rešmat) les prêtres et les
« oints» (mšīḥē)» (Virg 7,6, texte déjà analysé).
Mais quel effet exerce la force de l’Esprit répandu sur les apôtres à la Pen-
tecôte? N’est-elle pas le don qui les habilite à porter la Bonne Nouvelle aux
quatre coins du monde? En effet, cette «force de l’ Esprit » est bien appelée
« don-grâce» (mawhabtā), que les apôtres reçoivent pour le communiquer à
leur tour au genre humain (II 80,24-81,2). Mais on ne trouve nulle part chez Nar-
saï une définition du sacerdoce qui le présente, comme chez Jacques, comme
« le don-grâce (mawhabtā) de l’Esprit Saint» (pour Jacques, cf. II 877,12), ce
qui le distinguerait du don de l’Esprit reçu par tout baptisé. Même si un tel
langage manque chez Narsaï, il n’en demeure pas moins que, moyennant dif-
férentes expressions, on retrouve la même conception d’ un sacerdoce établi
par la «force de l’Esprit». En évoquant les Douze qu’ il appelle « prêtres», Nar-
saï explique la raison du don de l’Esprit par le fait que celui-ci leur permet
42 Le verbe šġar peut avoir aussi le sens de «répandre» qui conviendrait au contexte, mais
il semble qu’employé avec la préposition «b» (par), le sens serait plutôt « enflammer ».
Ce verbe peut avoir le sens de «chauffer» lorsqu’il est utilisé pour qualifier l’ action de
Jésus qui demande à Jean Baptiste de le laisser «chauffer » la mollesse de notre boue
(rafyūt ṭīnan) par l’eau et l’Esprit (McLeod II 250). Notons enfin que Narsaï n’utilise jamais
le verbe nsaḫ pour le don de l’Esprit aux apôtres, qu’ il réserve plutôt au baptême par
l’Esprit (cf. McLeod I 15-16; II 141-142. 259-260). En revanche, le terme nfaḥ est utilisé
tout autant pour le don de l’Esprit aux apôtres que pour le baptême (pour le baptême,
cf. McLeod II 260).
43 Cette lecture de la VS survit chez Narsaï, mais aussi chez Jacques.
44 En référence à l’Ancienne Alliance, David est aussi considéré comme le « doigt de l’ Esprit »
(PP II 781,15), ou encore, en référence à un instrument musical, « la flûte (abūbā) de
l’Esprit» (PP II 780,24). Le terme n’est pas seulement utilisé dans un sens positif, car il
peut s’agir du «doigt du Mauvais» qui trouble David et l’ incite à pécher (PP II 784,3). Pour
Éphrem, c’est le Fils qui est le «doigt» du Père (HdF 17,10); cf. notre Pensée symbolique,
p. 143.
45 Nous ne prétendons pas présenter ici une recension exhaustive de tous les domaines et
activités des ministres où l’Esprit est à l’œuvre. En effet, c’ est par une « technique spiri-
tuelle (ūmanūtā rūḥanaytā), par le «remède de l’Esprit » (b-samā d-rūḥā) qu’ ils remettent
les péchés et guérissent l’âme aussi bien que le corps (II 146,17-21) ; c’ est la « doctrine
spirituelle» ( yūlfanā rūḥanayā) (II 147,4-5), les «paroles de l’ Esprit » (II 147,23-24) qu’ ils
sèment parmi les hommes; à eux est confié le «trésor de l’ Esprit » qu’ ils sont chargés de
transmettre aux hommes (II 147,21-23; 153,4). Ceci, à part ce que nous allons dire dans le
corps du texte et compte non tenu des sacrements qui sont habités par l’ Esprit et ne sont
célébrés que par le prêtre.
46 Sur l’affirmation d’Éphrem concernant les deux rames de l’ Esprit, l’ amour et la miséri-
corde, par lesquelles l’Esprit mène la barque qu’est l’ Église (HdF 12,16), cf. notre Introduc-
tion à l’Esprit Saint, p. 45.
Si l’on tient compte du sens important que prend l’ image du vêtement dans
la pensée syriaque, notamment en christologie47, il ne fait aucun doute que
l’ acte par lequel le prêtre revêt (lbeš) l’Esprit ne peut en aucune façon signi-
fier un lien extérieur entre les deux protagonistes. Bien au contraire, cette
union implique les deux personnes dans ce qu’ elles ont de plus personnel,
sans qu’elle s’identifie pour autant à l’union « hypostatique» qui s’ établit
entre le Fils et son Esprit. Pour prouver que le vêtement acquiert un sens
« ontologique», il suffit de comparer l’emploi par Narsaï de l’ expression « ceux
revêtus de l’Esprit» qu’il donne aux quatre évangélistes, ce qui leur permet de
vaincre Satan et les démons (PP I 226,12-13), à cette autre expression « ceux revê-
tus de souffrances» (lbīšay ḥašē) qui les qualifie d’ êtres humains « passibles »
face à Satan impassible (l-lā ḥašūšā) (PP I 226,14-15). Un autre indice que
l’ action de l’Esprit atteint le plus profond de la personne serait constitué par
les paroles que Narsaï prête à Jean Baptiste venu baptiser Jésus. En fait, le
Baptiste avoue qu’il n’a pas connu Jésus par ses « sens extérieurs» (reġšē da-
lbar) – l’extérieur des reġšē est à comparer à l’extérieur des vêtements endossés
par le prêtre –, et pourtant il lui a été donné, par l’ Esprit, un signe visible
par lequel il connut Jésus (McLeod II 165-166). Le signe visible, extérieur, est
un simple moyen pour une connaissance intérieure que prodigue l’ Esprit. Un
autre indice à l’appui de l’action intérieure de l’ Esprit est donné par l’ acte
opposé, le dévêtement de l’Esprit qui, s’il se confirme, conduit à la défaite de
l’ homme, signe que l’armure de l’Esprit imprègne la personne dans toutes ses
capacités. Ceci, Narsaï le déduit des paroles d’avertissement prononcées par
l’ Apôtre des nations, qu’il paraphrase comme suit : « Que personne ne se dévête
de l’armure de l’Esprit de peur d’être vaincu» (cf. Ep 6,13) (II 83,9-11). À cela, il
47 Pour le sens de «revêtir le corps» dit du Christ, cf. notre Pensée symbolique, p. 232-235,
avec la bibliographie que nous donnons à l’appui.
faut ajouter l’énoncé d’après lequel la force de l’ Esprit prodiguée aux prêtres
pour qu’ils puissent administrer les mystères est une force qui demeure en eux
(II 150,4: «C’est Lui qui fit demeurer en toi (baḫ) une force cachée et a fortifié
tes sens intérieurs (zawʿayk)»).
À vrai dire, même s’il arrive à Narsaï de parler de la réception ou du revê-
tement de l’Esprit, comme l’atteste PP I 226,4.13, c’ est souvent à l’ expression
« force de l’Esprit» qu’il est fait intentionnellement référence. Et cela non pas
sans raison, comme le montre l’argumentation à laquelle Narsaï s’ adonne et
dans laquelle il justifie la limitation du don à la « force » de l’ Esprit, arguant
que ce n’est pas l’Esprit «en (sa) nature» (ba-kyanā) qui descend, mais uni-
quement sa force. Ceci, Narsaï le dit même concernant l’ épiclèse, le lieu où la
descente de l’Esprit est la plus pertinente et la plus efficace :
Non par nature que l’Esprit descend, lui qui est inamovible (lā ḥazūqā) ;
une force de lui descend, agit (saʿar) et parachève tout.
I 353,9-10
Nous ne revenons pas à l’idée d’après laquelle une distinction essentielle existe
entre le don de l’Esprit à Jésus et celui qui est réservé aux apôtres et aux prêtres.
C’est la différence entre le plénier et le partiel, ce dernier résultant non d’ une
parcimonie divine, mais de la faillibilité et de l’incapacité humaine. Une autre
raison serait que Jésus aurait besoin de la plénitude de l’ Esprit pour qu’ il puisse
le transmettre aux hommes faibles:
Il (Dieu) l’a rempli de la force de sa divinité qui n’ est pas déficiente (d-
lā-metbaṣar),
pour qu’il donne la force par des (hommes) mortels (b-mayūtūtā ; litt. :
par la mortalité), faibles en puissance.
II 73,15-16
Contrairement aux autres docteurs syriaques, le terme rūḥafā chez Narsaï n’est
jamais utilisé pour la descente de l’Esprit sur les mystères afin de les sanctifier,
encore moins sur les personnes. C’est seulement dans le mīmrā attribué à Nar-
saï qu’il est fait recours à ce terme pour décrire la descente de l’ Esprit sur le pain
et le vin48. Chez Narsaï, à moins d’une erreur de notre part, le terme n’est uti-
lisé que pour l’onction que le martyr Étienne reçut de l’ Esprit (I 90,6-8) et que
le docteur syriaque juxtapose à l’imposition des mains que le premier martyr
reçut des apôtres [I 95,12-16, surtout l. 15: «L’Esprit couve (raḥef ) et le sanctifie
par la force de sa couvaison (magnanūteh)»]. Quant à l’ imposition des mains
qui aurait signifié un don de l’Esprit accordé au prêtre et pas seulement au bap-
tisé, elle n’est elle aussi attestée que dans ce mīmrā attribué à Narsaï. Là, elle est
présentée comme le moyen, la condition sine qua non qui préside à la réception
de l’Esprit pour le prêtre (I 288,23-289,1: «La force de l’ Esprit, le prêtre la reçoit
par l’imposition de la main»; cf. aussi I 277,10-11: « Par l’ imposition de la main,
le prêtre reçoit la force de l’Esprit»).
Mais cette carence dans le vocabulaire n’affecte pas pour autant l’ argumen-
tation de fond, laquelle rejoint pour l’essentiel l’ idée développée ci-dessus,
d’après laquelle l’Esprit n’est donné aux fidèles que par la médiation du prêtre.
Un statut qui le spécifie par rapport au baptisé. Si Narsaï ne recourt pas au
concept d’onction qui, chez Éphrem et Jacques, est accordé aux prêtres comme
aux autres oints, il ne s’inscrit pas moins dans une ligne déjà tracée par
Aphraate, présentant ceux qui détiennent les clés, comme le dit ce dernier, ou
ceux prêchant la parole et administrant les sacrements comme l’ affirme Nar-
saï, comme étant remplis de l’Esprit moyennant lequel ils officient. Par ailleurs,
si Narsaï n’a pas l’expression «don-grâce de l’Esprit » qui confère le sacerdoce,
qu’on trouve chez Jacques, il ne considère pas moins la force de l’ Esprit comme
don (mawhabtā) qui émane de Jésus ayant reçu la plénitude de l’ Esprit. C’ est à
ce titre que le prêtre est capable de transmettre l’ Esprit, parce qu’ il l’ a reçu par
un don spécifique qui se distingue de son don baptismal, ce qui explique qu’ il
est mandaté pour le rendre présent dans la prédication et les sacrements.
La dimension ecclésiale
Comme dans les deux chapitres précédents, le but n’ est guère ici d’ envisager
tous les aspects ecclésiologiques de la pensée de nos auteurs, mais de porter
notre attention sur ceux qui entretiennent un rapport avec le thème du sacer-
doce. Ce choix n’entraîne cependant pas l’exclusion d’ un exposé qui tiendrait
compte d’une vision ecclésiologique globale, bien que succincte, où les élé-
ments concernant le rapport de l’Église au sacerdoce trouveront leur place.
C’est la méthode que nous avons privilégiée dans les deux chapitres précé-
dents. Dans le présent chapitre, nous tâcherons de dégager l’ aspect ecclésial-
communautaire qui affecte, et par là même fonde et justifie tous les domaines
et toutes les réalités et activités liés au sacerdoce.
4.1 Aphraate
L’intérêt porté par Aphraate à l’Église semble privilégier son statut transcen-
dant, à savoir son lien avec Dieu, surtout avec le Christ qui la rassemble. Dans un
premier temps, nous tâcherons cependant de nous interroger sur l’ unité ecclé-
siale telle que conçue par Aphraate, en la mettant en dialogue avec la diversité
que constituent les différentes catégories qui composent l’ Église, y compris
ceux qui la gouvernent. Dans un second temps, nous nous demanderons si
l’ Église endosse le rôle d’actrice dans l’accomplissement des sacrements, se
revêtant ainsi d’une fonction sacerdotale.
répondrait son unité interne tout autant que son unicité. Si son unité est le
fruit de son rassemblement par Jésus, son unicité, pour étrange que cela puisse
paraître de prime abord, est perçue à la lumière de la typologie de la mandu-
cation de l’agneau pascal, rite qui doit être célébré dans une seule maison, « la
maison unique étant l’Église de Dieu» (I 525,5-8).
L’un des domaines où cet aspect ecclésial, communautaire, fonctionne à
merveille est attesté dans la perception de la foi comme fides quae, comme la
totalité de la doctrine chrétienne. Ayant prononcé une sorte de credo portant
sur chacune des Personnes divines, sur la résurrection d’ entre les morts et sur
le baptême (I 44,13-20), Aphraate conclut: «Telle est la foi de l’ Église de Dieu »
(I 44,20-21). Cette vision supporte l’intention originelle qui préside à la rédac-
tion des Exposés, où Aphraate avoue lui-même ne pas vouloir s’ adresser à un
individu, mais à l’Église en tant que communauté de foi :
Car ce qui est écrit dans ces chapitres n’a pas été écrit à l’ intention
(reʿyanā) d’ un seul, ni pour convaincre un seul lecteur, mais conformé-
ment à la pensée de toute l’Église et pour rendre persuasive la totalité de
la foi (ḫūlah haymanūtā)1.
I 1044,25-1045,2
Un autre domaine où la dimension ecclésiale est bien mise en valeur est le lien
qui unit l’Église comme communauté croyante et orante aux Écritures Saintes.
Il semble que c’est dans le but de distinguer les Écritures admises comme
canoniques par l’Église de celles considérées comme apocryphes qu’ Aphraate
incite son lecteur à lire, à côté des dix Exposés qu’ il lui adresse, « les Écritures,
celles (aylēn) qui se lisent dans l’Église de Dieu» (I 464,21-24)2. Il en ressort que
l’ Église ne constitue pas seulement un lieu de réception et de transmission des
Écritures, mais un critère de leur authenticité.
1 M.-J. Pierre ne traduit pas, comme le fait Parisot, ḫūlah haymanūtā par « fidei universae»,
mais par «toute la gent croyante», cherchant à rapporter haymanūtā à « Église», autrement
dit en privilégiant le sens personnel au sens doctrinal. Par ailleurs, la préposition « lomad »
dans « l-reʿyaneh » et « la-fiasā » n’ont pas un sens statique qui correspondrait à la traduc-
tion de «secundum» chez Parisot, ou à celle «d’après » chez M.-J. Pierre, comme si l’ idée
d’Aphraate était de refuser de reproduire l’opinion d’une seule personne. En fait, la perspec-
tive étant dynamique, le docteur syriaque cherche à s’adresser non pas à une seule personne,
mais à l’Église pour l’inviter à adhérer à la totalité de la foi.
2 La traduction par M.-J. Pierre «les Écritures telles qu’ on les lit dans l’ Église de Dieu » se
démarque de celle proposée par Parisot, «Scriptorarum quae in Ecclesia Dei recitantur». En
fait, aylēn signifie «celles» et non «telles», et il ne peut s’ agir d’ une faute d’ inadvertance
chez M.-J. Pierre, car le «les» dans «telles qu’on les lit» exclut cette probabilité.
Loin d’être une uniformité, cette unité ecclésiale se traduit dans la diversité
des fonctions qui, à leur tour, contribuent à la corroborer et à l’ affermir. C’ est
ainsi que Simon Pierre est qualifié de «pierre de fondation de l’ Église» et les
deux apôtres Jacques et Jean de «colonnes (ʿamūdē) de l’ Église» (II 36,10-12)3.
Dans l’Église une, il convient également de distinguer « évêques, presbytres,
diacres et toute l’Église de Dieu avec tous ses enfants » (I 573,4-6). Juste après,
pour désigner les destinataires de la lettre, le texte reprend les trois catégories
sacerdotales, en y ajoutant «avec tous les enfants de l’ Église qu’ il y a chez vous,
et tout le peuple de Dieu qui est à Séleucie et Ctésiphon» (I 573,8-11). Bien
entendu, on ne peut s’attendre à trouver chez Aphraate un terme qui dési-
gnerait ce qui sera appelé «laïc», le seul terme qu’ il privilégie est « enfants
de l’Église». Ce qui est en revanche digne d’être retenu, c’ est que tous les
membres de l’Église, quel que soit le rang qu’ils occupent dans la communauté,
sont appelés «frères» (I 573,2-3: «À tous nos frères, fils de l’ Église») excluant
par là qu’il y ait des chefs se plaçant au-dessus de l’ Église. Ne pouvant préciser
l’ identité des destinataires de l’Exposé XII sur la Pâque, ni le type d’ autorité
exercée à l’intérieur de l’Église – chef de communauté religieuse ou dignitaire
épiscopal – il n’en reste pas moins qu’Aphraate incite ce dernier à « convaincre
(tes) frères, fils de (ton) Église, qui sont troublés à propos de ce temps de la
Pâque» (I 533,21-22). La même insistance sur l’égalité, dans la fraternité, de tous
les membres de l’Église se retrouve à la fin des vingt-deux Exposés, bien que,
notamment dans l’Exposé XIV, évêques, presbytres et diacres fassent partie des
destinataires: «Ces traités (ʿūhdanē), je les ai écrits à nos frères et à nos amis,
les membres de l’Église de Dieu» (I 1040,21-22).
Mais cette fraternité dans l’unité ecclésiale ne saurait signifier une exclu-
sion de toute autorité à laquelle seraient confiées des missions spécifiques à
l’ intérieur de la communauté. L’appel aux disputeurs chrétiens à avoir l’ Église
comme dernier recours pour mettre fin à leur litige, idée déjà évoquée (cf. Mt
18,15-17) (I 708,20-23), constituerait une reconnaissance explicite d’ une autorité
qui veillerait au sort et à la bonne marche de la communauté. Ce n’ est toute-
fois pas en tant que munis d’un pouvoir sur leurs semblables que ces ministres
ecclésiaux doivent se comporter, mais en tant que « fils de l’ Église », accomplis-
sant leurs devoirs de pédagogues et de rassembleurs du troupeau :
C’est vous qui êtes les enfants de l’Église, les éducateurs de ses fils et les
rassembleurs du troupeau.
I 681,3-5
3 Pour Pierre comme «fondement» et comme «pierre, édifice de l’ Église », cf. I 336,20-22.
4.2 Éphrem
Partageant avec Aphraate plusieurs thèmes sur l’ Église des peuples, sur la foi
ecclésiale et son fondement sur les Écritures, Éphrem développe davantage la
notion d’unité de l’Église qu’il fonde sur l’union avec son Époux céleste. Nous
proposerons de commencer par exposer la conception d’ Éphrem de l’ unité
ecclésiale en confrontation avec lesdits hérétiques qu’ il accuse de détruire
l’ Église en voulant se substituer à son Époux, au moment où le véritable « para-
nymphe» cherche à la sauvegarder. Nous chercherons ensuite à connaître les
titres qu’Éphrem aime donner aux apôtres et aux ministres ecclésiaux qui joue-
ront un rôle dans la conclusion des fiançailles de l’ Église, ainsi que les fonctions
qu’ils sont appelés à accomplir en son sein. Nous terminerons par une réflexion
sur le rôle de l’Église comme actrice dans la célébration des sacrements et la
place imputée à ses ministres dans ce domaine.
4 Chez Aphraate, le terme «épouse» (kaltā) est attribué une fois aux chefs de la communauté,
qualifiés aussi d’apôtres (I 680,10-11), et une deuxième fois à l’ ensemble des fidèles (wa-ḥnan
kaltā) à la différence des apôtres appelés paranymphes (I 681,26-84,1).
5 Dans Church Unity, p. 173-174, Murray considère davantage l’ unité interne à l’ Église plutôt
que son unité avec son Époux, dans les fiançailles et les épousailles. Cela le conduit à envi-
sager l’unité de l’Église dans la perspective paulinienne d’ un corps formé par l’ harmonie
de ses membres, ou d’une mère protectrice de ses enfants, sans ignorer que ce sont lesdits
hérétiques qui donnent un coup dur à l’unité ecclésiale. Il reconnaît que ce sont plutôt les
Ariens, accusant notamment leurs évêques qui ont œuvré à la séparation d’ avec l’ Église, qui
ont dérobé ses trésors, une manière de disculper les empereurs, même ceux de tendance aria-
nisante. À part le rôle desdits hérétiques dans la destruction de l’ unité, notre approche se
démarque de celle de Murray par le fait qu’elle étudie surtout l’ unité exprimée par les fian-
çailles de l’Église avec son Époux céleste et le rôle non seulement des hérétiques, mais aussi
et surtout des paranymphes, prophètes, apôtres et leurs successeurs, dans la construction de
cette unité.
(I 681,26-684,1) et, dans le second cas, ce sont les successeurs des apôtres,
appelés eux-mêmes apôtres, qui sont désignés (I 680,10-11). Chez Éphrem, en
revanche, le sens du terme s’étend pour inclure d’ autres personnages, comme
il contribue à jeter la lumière sur la nature et les conditions des fiançailles. Ainsi
trouve-t-on Jean Baptiste, qualifié de «paranymphe», qui, devant la stupeur et
l’ émerveillement de l’«épouse de son Seigneur», tâche de lui faire comprendre
qu’il est «serviteur» (ʿabdā), de «nature mortelle» et qu’ il ne mérite pas de
délier la courroie des «sandales du Fiancé» (cf. Jn 1,27) (CH 24,6). C’ est dans les
Hymnes de l’Épiphanie consacrées en grande partie au baptême que les fian-
çailles entre l’Église et le Fiancé sont scellées par le paranymphe qu’ est Jean
Baptiste (Epiph 1,7). Pour ce dernier, son rôle de médiateur dans les fiançailles
correspond à sa qualification de lampe devant le soleil qui est le Christ ; c’ est ce
qui est affirmé en lien avec le thème des fiançailles : « Ni la lampe n’est le fiancé
de l’œil, ni Jean n’est le fiancé de l’Église» (Virg 5,9). La lampe et Jean Baptiste,
continue Éphrem dans la même strophe, ne sont que les amis des deux fiancés,
le soleil et le Christ respectivement, ce qui réduirait Jean Baptiste à n’être que
l’ image (dmūtā) du véritable «mari» (šawtafā ; litt.: partenaire) de l’ Église. Il ne
semble pas qu’il faille déduire qu’Éphrem soit au courant de cette polémique
qui opposa Jean Baptiste à Jésus, suivant laquelle le prophète jouit d’ une impor-
tance supérieure à son maître et que le souci d’Éphrem était de remettre Jean
Baptiste à sa juste place.
Quoi qu’il en soit, cette reconnaissance par Jean Baptiste qu’ il n’ est que
le paranymphe dans les fiançailles de l’Église détermine déjà, dans la pers-
pective éphrémienne, le rôle que peuvent jouer les apôtres ainsi que la place
que cherchent à usurper les hérétiques en voulant se substituer au véritable
Fiancé. Tout comme Jean Baptiste, Simon Pierre ne mérite pas que l’ Église soit
appelée par son nom, celle-ci, au dire de l’apôtre Paul (cf. Ep 5,25-33), étant
la fiancée du Fils ; combien plus, conclut Éphrem, ce mérite ne peut en aucun
cas revenir aux usurpateurs (ganabē) (CH 24,10). À l’ instar aussi de Jean Bap-
tiste et puisqu’ils sont les «fils de la vérité», Pierre et Paul se révèlent être des
« paranymphes authentiques» (šarīrē) (CH 56,2) ; à ce titre, ils donnent le nom
du Seigneur au troupeau (CNis 24,4). Refusant de tromper la fiancée en lui don-
nant leur propre nom (CNis 20,5), ils s’opposent aux hérétiques « adultères»
(zanayē), «faux» (zīfanē), qui ont remplacé le nom du Christ par leurs propres
noms (CNis 20,5-6). Ces derniers sont d’autant plus haïssables et vils dans leur
tromperie qu’ils mêlent la vérité au mensonge: c’ est sur la vérité et la beauté
du Fiancé qu’ils prennent appui, faisant semblant de jouer le rôle des para-
nymphes, mais ils finissent par se poser comme les véritables fiancés de l’ Église
(CH 23,8; 24,5: «Ils imitent la beauté du Fiancé pour captiver (nešbūn) la fian-
cée par Sa beauté»).
Des évêques (rīšē ; litt., chefs) ont été établis dans les Églises (des héré-
tiques);
il y eut aussi des prêtres et des diacres,
plus encore, des scribes et des lecteurs.
CH 22,21
8 Nous reviendrons plus longuement sur ces appellations et d’ autres, avec des références plus
complètes, lorsque nous étudierons le ministère ecclésial.
9 En comparaison avec Jérusalem, la «mère des crucificateurs» (emā d-zaqūfē) dont tous les fils
sont unis, les fils de l’Église d’Édesse sont déchirés par la désunion (CNis 29,1-3), devenant
ainsi la risée des crucificateurs (CNis 29,11). En présentant l’ Église d’ Édesse comme jouis-
sant d’une personnalité autonome, spirituelle, Éphrem place dans sa bouche une prière pour
l’unité: «Que ta vérité, mon Seigneur, rassemble mes fils sous mes ailes » (cf. Mt 23,37) (CNis
29,4).
10 Nous ne poursuivons pas la réflexion d’Éphrem sur cette triste querelle entre l’ évêque
d’Édesse et les fils de son Église, où Éphrem prend nettement parti pour l’ évêque qu’ il
gratifie de toutes les vertus et accuse les fidèles d’exploiter sa bonté et sa modestie pour
donner libre cours à leur haine: «Peut-être (profitent-ils) de sa modestie, ils se sont cor-
rompus et se sont enorgueillis» (CNis 29,9).
4.3 Jacques
cié qu’il est parfois le seul qui soit retenu, faisant ainsi pendant à la future mis-
sion des apôtres14. Ce qui caractérise cependant le « chemin des prophètes», à
savoir le «chemin des symboles» par lequel l’Église se trouve peinte et par là
même distinguée du chemin des apôtres, c’est que la vérité est dissimulée sous
le voile de l’expression symbolique, lequel voile sera enlevé seulement par la
croix, moment crucial où l’épouse sera dé-voilée :
Les prophètes du Père ont caché l’épouse loin des regards (ḥazayē ; litt :
ceux qui regardent, scrutent),
jusqu’au moment où la Croix se l’est fiancée et révéla sa face (glā afēh).
IV 799,19-20
Quoi qu’il en soit, la synagogue se croit en droit de réclamer ce qui lui est dû, ce
qui en fait constitue sa richesse et son héritage que l’ Église, accuse-t-elle, n’a
fait que reprendre. Parmi les trésors divins dont elle fut gratifiée, elle cite « rois,
prêtres, prophètes, pontifes de la divinité» (CJ VI 11-14). Elle se prend même
pour l’«épouse que Moïse fit sortir d’Égypte» (Ex 12,37-42 ; etc.) (CJ VI 15), ce
à quoi l’Église rétorque qu’elle ne l’est plus depuis qu’ elle a crucifié le Fils (cf.
surtout CJ VI 78.115-116.122; etc.). Cette vision ne semble pas trop contredire la
logique de l’économie du salut, d’après laquelle Dieu a voulu l’ Église depuis
l’ éternité et qu’elle fut l’objet d’attention de la part des prophètes, des justes
et des rois dans l’Ancienne Alliance. À la suite d’ Aphraate, Jacques discerne lui
aussi une préfiguration de l’Église par la tente temporelle confiée au « peuple
temporel» (ʿamā d-zabnā), tandis que l’Église s’ assigne une vocation univer-
selle qui est celle de rassembler tous les peuples :
14 Comparant l’Église à une maison, voici comment le rôle des prophètes et des apôtres se
répondent:
Voici la maison qui est bâtie moyennant les symboles (fournis) par les prophètes (da-
nbiyyūtā ; litt.: de la prophétie),
et où sont ordonnées toutes les beautés des apôtres (da-šlīḥūtā; litt.: de l’ apostolat)
(IV 802,5-6).
Cf. aussi ce qui est dit de la préparation de l’«épouse de lumière» dans l’ Ancienne
Alliance:
Le chemin de la prophétie s’achemina, tonna devant elle,
jusqu’au moment où elle est venue prendre incessamment appui sur les apôtres (ba-
šlīḥūtā) (IV 799,17-18).
Il arrive que la comparaison se fasse entre les apôtres et Melchisédech, qui a préfiguré
les « razē de l’Église» (V 160,5), «les razē et les types » qui seront célébrés par les apôtres
(V 160,8). Pour plus de détails sur les symboles de l’Église, nous renvoyons à notre Théologie
I p. 136-160. Concernant les types des fiançailles de l’ Église dans l’ A.T., on peut également
consulter Kollamparampil, Salvation in Christ, p. 244-246.334.
Par son symbole (b-razeh) fut fixée la tente temporelle pour le peuple
temporel,
et par ses (propres) mains fut établie (teqnat) l’ Église pour les peuples, à
sa droite.
IV 796,8-9
À part les deux verbes «établir» (taqen) et «bâtir » (cf. IV 795,14-15, texte déjà
commenté) l’Église par le Fils, on trouve rarement attesté chez Jacques le verbe
« rassembler» pour exprimer l’acte par lequel le Fils procède au rassemble-
ment du peuple dans une perspective nouvelle, plus universelle15 ; même si
l’ Église qui est parfois qualifiée de «rassemblement» (kenšā, qui signifie aussi
communauté) s’oppose au peuple de Sodome (V 70,4-5)16. En revanche, on
trouve attesté chez Jacques un verbe, qahal, auquel ne recourent pas ses pré-
décesseurs syriaques et qui est associé non pas au Christ, mais à la Bonne
Nouvelle. En effet, celle-ci est présentée comme l’ actrice du rassemblement
(V 439,11-16), en référence explicite à la Bonne Nouvelle annoncée par le Sei-
gneur lui-même (V 335,7-8)17. Bien entendu, les porteurs de la Bonne Nouvelle
peuvent bien être les apôtres, ou leurs successeurs, appelés le plus souvent pré-
dicateurs (karūzē), ce à quoi nous allons bientôt revenir en discutant du rôle
des apôtres dans les fiançailles du Fils et de l’Église.
Mais revenons un moment sur le thème de la construction de l’ Église par
le Fils que Jacques évoque dans le commentaire qu’ il réserve à Mt 16,13-20. Il
est important de noter que le projet de bâtir l’ Église formulé par le Fils suc-
cède à ses fiançailles déjà conclues avec sa future épouse (I 470,1 : « Le Fiancé
s’ apprêta à bâtir une maison pour l’épouse qu’ il s’ est fiancée »). Le choix
de Pierre comme fondement (I 470,8: «Et il choisit une (seule) pierre pour
ses fondements»; cf. aussi 1 475,19-20) n’a lieu qu’ après la révélation que le
Père lui accorda en vue de lui dévoiler l’identité de Jésus (I 470,9-10). Mais
le projet ultime du Fils en interrogeant ses disciples sur sa propre identité
15 On verra plus loin que le verbe est utilisé pour signifier le rassemblement des disciples
dans la chambre haute en attente de l’apparition du Seigneur (cf. II 675-677 ; 687, 19-20 ;
III 730,9), ou pour dire que les disciples sont envoyés pour rassembler le monde entier
(II 678,20-21). C’est seulement dans BedS qu’il est dit que le Christ « rassembla l’ Église»
(kanšah l-ʿidtā), les «fils de son mystère», au Mont des Oliviers, pour lui confier « l’ huile,
sceau (rūšmā) de toute la terre» et pour que, de là, elle le voie monter auprès de son Père
(BedS 816,9-18).
16 Ici nous ne tenons pas compte des autres verbes, tels que élire ou choisir (cf. V 70,5).
17 Il s’agit d’une comparaison que Jacques établit entre Samson qui prit pour femme une
«fille des incirconcis» et Notre Seigneur qui se fiança par sa Bonne Nouvelle (ba-sbarteh)
à la «fille des païens» (V 335,2-8).
vise en dernier lieu la construction de l’Église [I 470,12 : « Afin que, sous pré-
texte de l’interrogation, l’Église soit établie (tetqan) »], dont le fondement est
Céphas (kīfā), en tant que pierre (kīfā) et parce que sa vérité est solide comme
une «pierre» (I 476,9-10). Dans l’immédiat, nous n’exposerons pas toutes les
facettes, toute l’envergure dont serait revêtue l’ autorité de Pierre, car nous
aurons à y revenir lorsque nous discuterons un peu plus loin du don des clés
en rapport avec l’Église. À présent, pour la perspective qui nous intéresse et
qui touche à la construction de l’Église, signalons qu’ une attribution des rôles
du Fils, de Pierre et des autres apôtres est bien précisée et conduite de façon
conséquente dans la réflexion de Jacques. Ainsi, à la surprise de tous ceux qui
croiraient que c’est le Fils qui est le fondement de l’ Église, c’ est à Pierre que se
trouve attribuée cette fonction chez Jacques, le Fils étant la « pierre angulaire»
(1 P 2,6; cf. Is 28,16) de l’édifice, tandis que les autres apôtres en constituent
les «murs» (dūmsē) (I 534,1-4). Dans ce dernier texte18, c’ est à l’ initiative et
à l’effort de Pierre qu’est imputée la construction de l’ Église, ce qui ne cadre
point avec l’autre mīmrā réservé à la profession de Pierre, où toute l’ autorité
revient au seul Fils, qu’il s’agisse de bâtir l’Église, de choisir Pierre comme fon-
dement et les autres apôtres comme les murs de l’ édifice (I 475,19-476,12).
Plus éclatante encore est cette discordance entre les deux textes au sujet
de celui qui s’emploiera à élever les apôtres comme murs : le texte-fragment
l’ attribue à Simon Pierre qui, dans l’Église, «bâtit dans ses murailles (b-šūreh)
ses compagnons les apôtres (comme) piliers (dūmsē) aimables » (I 534,2)19, tan-
dis que le long texte réserve cette tâche au Fils qui déclare à Pierre :
Tout en voulant respecter la teneur de chacun des deux textes, il se peut que le
texte-fragment tende à exagérer le rôle de Pierre eu égard à la mission confiée
aux autres apôtres, surtout si l’on tient compte de l’ ensemble de la réflexion
de Jacques sur les prérogatives de Pierre20. Celles-ci viennent d’ ailleurs à être
18 En fait, c’est un fragment de texte de 14 stiques, dont le début est lacuneux et qui semble
avoir été dédié à la grandeur de l’apôtre Pierre, si l’on croit l’ addition, « Simon Pierre» qui
a été faite au titre: mīmrā de Mar Jacques, sur les cinq talents donnés par Notre Seigneur
à ses serviteurs.
19 Dans notre Théologie I, p. 189, nous avons noté la place isolée de ce texte qui attribue le
choix des apôtres à Pierre et non au Fils.
20 Cf. la note suivante.
atténuées par la même appellation de «pierre» (kīfā) accordée tout autant aux
apôtres qu’à Pierre lui-même:
Encore convient-il de préciser qu’une «pierre» parmi ses douze a été choisie
pour tenir toute la maison (I 477,15-16), lui servant ainsi de fondement (I 470,7-
8)21.
4.3.2 Rôle des apôtres dans la naissance de l’Église : baptême et/ou croix ?
Quoi qu’il en soit, et c’est bien là une considération qui intéresse notre propos,
si les fiançailles de la «fille de lumière» avec son Fiancé céleste se déroulent
au Golgotha (II 587,18-19) et si l’épouse née du côté ouvert d’ où coulent l’ eau
et le sang (Jn 19,34) s’identifie bien au baptême (II 589,8-11)22, il s’ ensuit que la
naissance de l’Église, du moins comme noyau, est l’ œuvre exclusive du Christ
indépendamment de toute collaboration humaine. Mais si la fondation de
l’ Église échappe à toute œuvre humaine, celle-ci ne peut se réduire à néant si
l’ on envisage la totalité du parcours que suit la construction de l’ édifice ecclé-
sial, jusqu’à son parachèvement. C’est dire que l’ intervention de médiateurs
humains est nécessaire. Et les premières images pour appuyer cette concep-
tion viennent de Paul qui s’attribue l’acte de «planter» (nṣab, terme de la Peš
dans 1Co 3,6), ce qui permet à Jacques de qualifier les apôtres de « planteurs»
(naṣūbē) de l’Église (II 579,6)23. Contrairement à ce que l’ on peut croire au
premier abord, cette mission apostolique s’annonce à tout le moins modeste,
puisque Paul lui-même, et Apollos qui le rejoint, se considèrent tous les deux
21 Dans notre Théologie I, p. 184-192, nous avons tâché de montrer le sens et la portée de la
suprématie que notre auteur accorde à l’apôtre Pierre. Jacques aurait pu rapprocher les
«pierres» que sont les apôtres de la pierre sur laquelle Jacob versa de l’ huile, mais il s’ en
est abstenu du fait que la «pierre» de Jacob, comme type, préfigure uniquement l’ Église,
l’autel (cf. surtout IV 798,9-12).
22 Sur l’unité du Christ et de l’Église dans le baptême, nous reviendrons plus loin quand nous
aborderons le thème des fiançailles.
23 Nous ne développons pas ici cette autre image de l’Église, le corps du Christ, où Jacques
rapporte le témoignage de l’apôtre Paul qui avoue vouloir compléter dans sa chair ce qui
manque aux souffrances du Christ qui est son Corps (Col 1,24) (II 756-757). Ce qui est
important à noter, c’est la contribution de Paul à la construction de l’ Église, notamment
par les souffrances qu’il endura à la place du Christ pour préserver son Corps des sévices :
«Et que l’Église du Fils soit gardée des nuisances (nekyanē) » (II 757,15).
comme des serviteurs eu égard à Dieu à qui seul revient l’ œuvre de la crois-
sance du plant (1Co 3,6). Une autre preuve de la contribution modeste des
apôtres serait la confrontation qu’établit Jacques entre le rôle modeste joué
par Moïse à l’égard de l’ancienne vigne et le rôle assumé par Pierre au profit de
la nouvelle vigne (II 579,4-5.14-19). Une seconde image, johannique cette fois,
place la contribution des apôtres après la construction de l’ Église au Golgotha
(II 579,16) et son renouvellement par le «rejeton» sortant de la souche de David
(Is 1,1) (II 579,8-9). Distinguant entre la vigne (satā), qui est le Christ, et les sar-
ments (šbeštē), qui sont les apôtres, ceux-ci ne passent à l’ œuvre qu’ après avoir
été envoyés auprès des peuples pour transformer les fruits amers en fruits doux :
Voici que j’envoie les apôtres, mes sarments, aux pays des peuples.
Là-bas ils donneront des fruits doux au lieu de (fruits) amers.
II 579,12-13
Dans une autre symbolique, celle du paradis spirituel représenté par la Bonne
Nouvelle, les arbres préfigurent à la fois les apôtres et les prophètes, tandis que
la source du paradis est identifiée au Christ lui-même. Dans ce contexte, le
terme «planter» est rapporté aux apôtres et aux prophètes et, au-delà d’ eux, à
tous les docteurs de l’Église qui sont «plantés» sur la source d’ Éden, le Christ,
dont ils puisent la sève et l’élan pour leur activité missionnaire :
Ainsi, les docteurs sont au service des mystères de l’ Église, mais au-delà de
l’ Église, ils sont «plantés» sur le Christ, qui est la source ultime de la Bonne
Nouvelle aussi bien que de l’Église.
Face à l’Église, les apôtres apparaissent tour à tour comme fondement ou
piliers, désignant Pierre et les autres apôtres respectivement, ou comme des
« pierres» avec une prédilection pour la pierre unique qui est l’ apôtre Pierre,
ou encore comme des planteurs de l’Église. Mais quel rôle jouent-ils dans la
symbolique du Christ Fiancé avec l’Église, son épouse ? Sur ce point, tout en
s’ inscrivant dans la tradition d’Éphrem, l’approche de Jacques peut se singu-
lariser par certains traits qui lui sont propres. Et d’ abord, par le fait que les
apôtres ne sont jamais appelés «paranymphes» (maḫūrē), même si c’ est à
eux qu’est attribué l’acte de «marchander» les fiançailles24. Ensuite, Jacques
24 Le verbe mḫar privilégié par Jacques est amphibologique, car il peut être dit du Christ qui
s’ étend beaucoup plus qu’Éphrem sur l’acte même des fiançailles, sur sa por-
tée et ses conséquences. Si, comme Éphrem25, il fixe parfois les fiançailles lors
du baptême, moment où l’épouse est lavée de son idolâtrie et présentée pure à
son Fiancé, il s’en distingue par son insistance sur l’ idée qu’ une « adultère» est
rendue «vierge» par les épousailles qu’elle contracte (II 237,9 : « Et il l’ a descen-
due dans l’eau (baptismale) et l’a rendue vierge, et voici qu’ elle est avec lui »),
rapprochant ce mystère de celui de sa mère, vierge et pourtant mère (II 237,14 :
« Parce qu’il a fait aussi de la Vierge une mère»). En rapport avec le baptême,
les fiançailles ont trouvé leur réalisation dans le baptême administré par Jean
Baptiste, durant lequel le Fiancé céleste «se fiance à l’ épouse dans les eaux
(baptismales)» (Ril 556,5)26.
Mais est-ce lors de ce baptême, se demanderait-on, que les fiançailles en
question furent véritablement conclues? Comment se fait-il que Jacques répète
à satiété que les fiançailles ont été célébrées sur la croix? Pourrait-on imaginer
qu’il y eut deux moments pour les fiançailles, aussi éloignés l’ un de l’ autre dans
le temps? Comment concilier chez Jacques des affirmations qui se rapportent
à la croix aussi bien qu’au baptême, tel que le passage de l’ Église de l’ adultère à
la virginité, attribué une fois à la croix (II 237,3: « Lorsque la Croix lui organisa
un festin, la rendant vierge»), et plus loin dans le texte, Jacques laisse entendre
que la virginité est le fruit du baptême:
Et voici qu’elle se fait glorieuse par la virginité que lui donna le Fiancé,
et par les (vêtements) blancs qu’elle revêtit, descendant dans l’ eau
(baptismale).
II 237,20-21
Une unité ainsi écartelée entre deux événements aussi éloignés que sont le bap-
tême et la croix ne tarde pas à susciter des interrogations sur la nature même de
cette unité tout autant que sur la modalité de sa réalisation27. Dans cette pers-
«se fiance» (mḫar) à l’Église, comme il peut être employé pour les apôtres qui préparent
et présentent (mḫar) le Fiancé à son épouse. Les références seront données dans le corps
du texte.
25 C’est en considérant Jean Baptiste comme paranymphe que le baptême de Jésus est pré-
senté par Éphrem comme le lieu des fiançailles. Cf., supra, p. 105.
26 C’est «dans les eaux baptismales», souligne Jacques, que se réalise l’ unité entre le Christ
et son Église, qui deviennent «une seule chair» (Gn 2,24) (cf. III 287-290).
27 Brock résout cette aporie en défendant la thèse d’après laquelle le temps et l’ espace sacrés
sont différents de ceux de l’histoire, en ce sens que des événements séparés dans le temps
historique forment une unité dans le temps sacré. Dans Mysteries, p. 466-467, Brock consi-
dère que, lorsque Jacques parle des fiançailles de l’Église en deux moments différents, lors
Un troisième lieu d’unité, le sein de la Vierge, rend la question encore plus com-
plexe. Comme nous allons le constater, que ce soit dans les Lettres ou dans les
mīmrē, l’unité advient non seulement dans les eaux baptismales, mais égale-
ment dans le sein de Marie:
Qu’ils furent un, en un seul esprit, à partir du sein de la Vierge et des eaux
du baptême: Fiancé à partir de la Vierge et Épouse à partir du baptême29.
Lettres 174,27-30
du baptême du Jourdain et sur la croix, ces deux événements ne sont contradictoires qu’ en
apparence. En réalité, ils forment une unité dans le temps sacré. Dans Poet as Theologien,
p. 245-246, Brock développe davantage sa thèse en décelant une représentation du temps
sacré dans le baptême chrétien, inauguré par le baptême de Jésus au Jourdain, avant même
la résurrection de Jésus; il évoque ensuite le cas de l’ eucharistie comme œuvre de l’ Esprit
qui, dans le temps sacré, fait entrer dans le royaume du ciel, alors que dans le temps histo-
rique, le baptisé reste soumis à toutes les tentations du Mauvais; il termine en considérant
la descente du Christ au schéol qui, du point de vue du temps sacré, accorde ses bienfaits
aux générations qui ont précédé l’incarnation du Fils. Nous ne pouvons citer ici tous les
ouvrages et articles où Brock évoque les deux temps sacré et profane; à titre d’ illustration,
cf. Clothing Metaphors, p. 12. 19-20, On Paradise, p. 54.56, L’ œil de lumière, p. 30-33. 107-
108. 148-149; Holy Spirit, p. 10. 64. 83-84. 91-92. 145. 153 ; Spirituality, p. 36. 61. 93. Si, d’ après
la thèse de Brock, les événements salvifiques dans l’ histoire du salut ne s’ opposent pas,
même lorsque les uns précèdent les autres, cela n’empêche pas de scruter la raison pour
laquelle deux événements se réfèrent à une même réalité salvifique ni de dévoiler le sens
que chacun de ces deux événements contribue à donner à cette réalité.
28 Brock, Wedding Feast, p. 122, traduit littéralement ayḫ da-l-ḥawā b-ṭūfseh d-adam par « as
happened with Eve, in Adam his type». Mais en quoi Adam est-il type d’ Ève? Ne faudrait-
il pas traduire b-ṭūfsā par «comme», ce qui est bien attesté dans certains textes d’ Éphrem
que relève Beck (cf. Beck, Bildtheologie, p. 241-242)?
29 Dans Lettres 15,24-26,1sv, Jacques ne retient comme lieu d’ unité que le « sein maternel,
dans lequel le Fiancé riche s’est uni à l’épouse pauvre » (ici 15,28-29).
Pour autant que ce double lieu de l’unité entre le Fils et l’ Église semble étrange,
il n’est certes pas moins légitime et justifiable, dans la mesure où, dans l’ esprit
de Jacques, il y a lieu de distinguer une unité christologique différente d’ une
unité ecclésiologique. La première advient dans le sein maternel et unit le
Fils au corps qu’il assume; ayant épousé l’Église, commente Jacques, le Fils
« l’a mêlée (ḥaltah) à son corps, l’a rendue sienne (ʿabdah meneh) et les deux
sont devenus un» (Lettres 174,18-19)30. La seconde unité, ecclésiologique, met
l’ accent sur l’Église et son union au Fils, laquelle se réalise moins au niveau
« ontologique» qu’à l’intérieur de l’économie du salut.
Cependant, un élément nouveau vient faire pencher la balance en faveur
des fiançailles sur la croix: la mort de Jésus qui scelle les fiançailles et gratifie
l’ épouse de la libération de la mort en la faisant rentrer au paradis, ce que le
baptême au Jourdain ne pouvait obtenir. Ce sont des fiançailles « par le sang »
(II 588,1: «Et les fiançailles se faisaient (metyahbā wat; litt.: se donnaient) par
son sang innocent») et non par l’eau baptismale, lesquelles sont célébrées au
Golgotha lors des «noces de sang»31, les clous tenant lieu d’ anneau marital
30 Notre traduction de ʿabdah meneh se démarque de celle proposée par Albert : « l’ avait
façonnée de lui».
31 III 290,14-15 qui sera cité à la n. 40. Cf. l’article de Brock, Wedding Feast, où le grand syriaci-
sant n’évoque les épousailles en rapport avec le baptême que chez Éphrem (p. 123). Chez
Jacques, il constate que les épousailles entre le Christ, second Adam, et l’ Église sont expli-
quées à la lumière de la typologie d’Ève sortant de la côte d’ Adam lors de son sommeil
(Gn 2,18-24). Selon ce schéma, l’épouse, que ce soit Ève ou l’ Église, prend son origine dans
la côte d’Adam ou du Christ. Dans le second schéma où les épousailles ont lieu sur la
croix, l’eau et le sang ne sont plus assimilés à l’épouse, l’ Église, mais constituent un don
de mariage ( fernītā), ce qui signifie que l’Église est déjà existante pour recevoir ce don
(p. 122-123). Un autre indice de l’existence de l’Église lors des épousailles est donné par
l’idée d’après laquelle la nouvelle épouse, l’Église, vient remplacer l’ ancienne, le peuple
juif (p. 125). Un troisième aspect que relève l’auteur, mais qui nous intéresse moins ici, est
la considération de l’eucharistie comme la célébration des noces, où l’ épouse se nourrit
de son Époux (p. 130). Dans ces différentes épousailles chez Jacques, Brock ne fait aucune
allusion à un quelconque rapport au baptême.
(II 587,18-20). Pour faire rentrer sa fiancée au paradis qui est gardé par le chéru-
bin, le Fils a dû subir le coup de la lance qui ouvrit son côté, d’ où coulèrent l’ eau
et le sang qui constituent le baptême (II 588,4-589,1). La meilleure typologie des
fiançailles de Jésus par la mort sur la croix est celle de Samson se rendant au
pays des Philistins pour fiancer une femme, dont le prix à payer fut de tuer un
petit de lion qui l’attaquait (V 335-337). Il est par ailleurs curieux que, à Cana,
où l’événement devait avoir lieu après le baptême de Jésus, l’ intention attri-
buée à ce dernier est de venir participer aux épousailles dans le but de prouver
la sainteté du mariage, mais aussi d’attirer l’attention sur ces autres fiançailles
qui auront lieu sur la croix:
Comme si Jacques faisait semblant d’ignorer que des fiançailles avaient déjà eu
lieu lors du baptême de Jésus au Jourdain!
Faut-il voir dans les deux lieux des fiançailles, à savoir le baptême et la croix,
une aporie, surtout que c’est le même terme «se fiance » (mḫar) qui est utilité
dans les deux cas, et comment s’employer, si aporie il y a, à la résoudre? Deux
hypothèses peuvent être envisagées. La première, reconnaissons-le, relèverait
plutôt de l’imaginaire que de l’hypothétique, et nous n’ y accorderons aucune
crédibilité. C’est celle qui verrait dans l’eau et le sang coulant du côté de Jésus
une référence au baptême et à la croix respectivement, comme si cette effusion
de l’eau et du sang était la synthèse des deux événements, le baptême au Jour-
dain et la mort sur la croix. Répétons-le, ce n’est certainement pas l’ intention
de Jacques, qui ne faisait que reprendre la terminologie de Jean sur l’ effusion
de l’eau et du sang32. La deuxième hypothèse, plus plausible, mais qu’ on voit
32 Même si un texte laisse supposer qu’une telle hypothèse n’est pas loin d’ être suggérée par
Jacques. Dans le commentaire que l’auteur consacre à la parabole du vigneron (Mt 21,33-
46), il s’agit de l’Église qui, contrairement au peuple juif, a accepté le Fils qu’ elle a revêtu
dans le baptême [IV 761,6: «Voici que l’Épouse te revêt et monte des eaux (baptismales) »],
par lequel elle est purifiée de son passé idolâtre. Mais un peu plus loin, Jacques emploie
la même terminologie pour un baptême accordé à l’ épouse sur la croix [IV 761,12 : « Voici
que l’épouse qui est baptisée (ʿemdat, qui peut signifier aussi : est descendue, plongea),
par ta croix, te revêt»], pour finir par associer eau avec baptême et sang avec vêtement de
pourpre:
Elle fut baptisée par l’eau et fut revêtue de gloire, comme le jour,
et ton sang lui fut un vêtement de kermès glorieux (IV 761,14-15).
Dans un autre texte, la formulation de Jacques ne laisse aucun doute que les deux événe-
ments du baptême et de la croix, bien que liés, forment deux moments distincts, où au
baptême est attribuée l’expiation, tandis qu’à la croix est imputé le don du salut par le
sang:
Il demeura dans la Vierge et prit d’elle le corps;
il vint au fleuve (du Jourdain) et y plaça l’expiation dans le baptême ;
il monta sur la croix, et libéra par son sang l’épouse à laquelle il se fiança ;
il entra dans la maison des morts et sema l’espérance de la résurrection (V 602,19-22).
33 Dans Salvation in Christ, Kollamparampil insiste également sur l’ idée que le passage des
fiançailles aux épousailles du Christ et de l’Église représente un processus dont les étapes
les plus importantes sont le baptême au Jourdain, la croix et la consommation du mariage
dans le royaume céleste (p. 315. 361). Pour l’auteur, l’ économie salvifique prend l’ aspect
de fiançailles entre Dieu et l’homme, lesquelles commencent avec le mariage d’ Adam et
d’Ève au paradis, en passant par les épousailles de Yahvé et du peuple juif au Mont Sinaï
(p. 240-242. 423); à ce titre, il évoque tous les types qui, dans l’ A.T., se référeraient à des
fiançailles sur les puits d’eau (p. 245) ou à celles conclues après la victoire sur le mal ou
la mort (p. 246, le cas de Samson tuant le lion), ou encore celles réalisées dans la souf-
france (p. 334, Jacob enterrant Rachel dans les pleurs). Sans rapporter tous les détails que
l’auteur développe sur le sujet, le fait de voir des fiançailles et des épousailles à chaque fois
que les termes sont employés, ou lorsque Jacques parle de chambre nuptiale, semble pro-
blématique. Ainsi en est-il de la mangeoire de Bethléem (p. 247.249.361), ou même de la
tombe ou du schéol comme chambre nuptiale (p. 361). Même si Jacques évoque le thème
des fiançailles au Mont Thabor (p. 158-159. 221), il n’ est pas nécessaire de conclure que
l’événement des fiançailles eut lieu à ce moment et à cet endroit, d’ autant que le langage
métaphorique peut renvoyer à un événement antérieur. Ce qui nous semble peu attesté
dans la pensée de Jacques, c’est bien la thèse de Kollamparampil qui, après avoir soutenu
une progression dans la réalisation des fiançailles et du mariage, finit par admettre que
les deux événements ont eu lieu «simultanément» au Golgotha (p. 423-424).
34 Cf., par exemple, III 290,14-15:
Qui a donné (ici armī ; litt.: jeté) son sang, comme une dot depuis toujours (hā men
ʿalam),
sinon le Crucifié (zqīfā) qui, par ses blessures, scella (ḥatem) les noces (ḥlūlā).
Un autre texte dévoile encore plus clairement ces fiançailles qui sont définitivement scel-
lées sur la croix et par la mort:
Voici le Fiancé et l’épouse véritable, les deux étant un ;
l’épreuve (būqyā) de leur amour, c’est la mise à mort et la croix qui le scellent (ḥatem)
(V 883,5-6).
35 Si le terme maḥūrā manque chez Jacques, le terme mḫīrā (Fiancé) dit du Christ est bien
attesté; cf., à titre d’exemple, IV 801,2; V 884,4; Lettres 60,23. En revanche, on rencontre
le terme ḥdūgē, désignant les garçons d’honneur, qui mépriseraient l’ Église si, après son
entrée dans la chambre nuptiale, elle commençait à s’ interroger sur l’ identité de son
Fiancé (IV 778,1-4).
36 Nous n’allons pas expliquer ici l’emploi et le sens de la terminologie utilisée, encore moins
étudier la fonction de ces prédicateurs, laquelle sera longuement analysée dans la partie
portant sur les tâches du sacerdoce. À présent, il ne sera question que de leur collaboration
dans les préparatifs des fiançailles du Fils et de l’Église.
37 Le contexte qui précède est une réflexion christologique portant sur le Fils en tant que
Dieu devenu homme, dans une perspective nettement miaphysite (IV 778-783).
prédicateurs qu’il est à la fois Dieu et homme dans une unité indissociable :
« Car c’est sans recherche (bṣatā) que j’ai été fiancée à Lui par ses prédica-
teurs» (IV 768,3). Non moins polémique est ce que nous trouvons affirmé dans
les Lettres où, reprenant le thème des fiançailles de l’ Église au Crucifié que les
apôtres organisent, l’attitude conséquente de la nouvelle Épouse est de mépri-
ser «toutes les doctrines erronées» (Lettres 114,2-4). De même trouve-t-on le
thème des fiançailles au Crucifié dans la mise en valeur du rôle prépondé-
rant que joue Paul, à qui est attribuée la tâche de fiancer la « Vierge pure»
au «véritable Fiancé (mḫīr qūštā) qui s’est offert en sacrifice pour son salut »
(V 884,3-4). Dans un autre contexte, il est affirmé que le Fils à qui Paul fiance
l’ Église est le Crucifié (IV 774,3sv), dans une claire allusion à la mort qui atteint
le Fils en tant que Dieu homme, ce qui s’oppose à une christologie qui cher-
cherait à attribuer la mort au seul homme Jésus. Cette mission qui incomba aux
apôtres-prédicateurs, et nommément à Paul, est encore prolongée et actualisée
dans des circonstances ultérieures, où ce sont les Pères d’ Éphèse qui sont qua-
lifiés de «véritables garçons d’honneur» (ici šūšbīnē šarīrē et non pas ḥdūgē),
honorés pour avoir condamné et excommunié Nestorius qui, flattant la « fille de
Lumière» (bat nahīrā), voulut l’inscrire «sous le nom d’ un homme » (Lettres
33,11-23).
Pour logique que cette argumentation de Jacques puisse paraître, on ne peut
s’ empêcher de relever une certaine contradiction entre le rôle que doivent en
principe assumer les paranymphes dans l’organisation des épousailles d’ une
part, et d’autre part, le fait que Jacques fixe leur intervention après l’ avènement
de la croix durant lequel ces épousailles ont déjà eu lieu. Car si, comme l’ affirme
Jacques par la bouche de l’Église-Épouse, il est malsain de continuer à scru-
ter le Fiancé après le banquet (meštūtā) (IV 769,2-3), après les noces (ḥlūlē)
qui ont scellé les fiançailles sur la croix (IV 768,14-769,1), le fait de faire inter-
venir les apôtres, ces prédicateurs, après cet événement reviendrait à ignorer
que les paranymphes sont censés intervenir avant les fiançailles. Une première
tentative de réponse serait de supposer que, à la suite de cette mise en garde
adressée aux scrutateurs, les prédicateurs évoqués par Jacques seraient les pro-
phètes (IV 770,2-7) et non pas les apôtres. Ce sont les premiers qui ont instruit
la Fiancée, l’Église, sur la nature de son Fiancé céleste, en lui fournissant une
connaissance indispensable susceptible d’être acquise avant les fiançailles et
qui épargnerait à la future fiancée tout soupçon ultérieur portant sur la bonne
foi de son Fiancé. En fait, ayant parlé de prophètes au pluriel, Jacques ne retient
que le témoignage d’Isaïe sur les deux titres d’ Emmanuel (Is 7,14) (IV 770,8-
771,18) et de «Merveilleux» (dūmarā) (Is 9,5) (IV 771,19-20). Cette explication
ne constitue en fait qu’une solution partielle, puisque, plus loin dans ce même
mīmrā consacré à «la recherche indiscrète (bṣatā) et à la sanctification de
l’ Église», c’est d’abord à Paul qu’est imputée la tâche de fiancer l’ Église au Cru-
cifié (IV 774,3-8) et, plus loin, c’est aux apôtres que revient cette responsabilité
(IV 783,12-15, texte déjà référencé). Comment concilier ces deux affirmations
apparemment contradictoires, l’une plaçant l’activité des paranymphes avant
les fiançailles, l’autre après celles-ci?
En fait, on ne peut échapper à cette aporie ainsi définie que si l’ on enquête
sur la conception que se fait Jacques du rôle affecté au paranymphe. Dans le
mīmrā qu’on vient de signaler, où les prophètes d’ abord, Paul et les apôtres
ensuite, sont assimilés aux paranymphes, l’activité principale de ceux-ci se
limite, du moins ici, à révéler l’identité du futur Fiancé afin d’ éloigner toute
mauvaise surprise après les fiançailles. Quant à l’ Église, elle est loin d’ être sim-
plement réceptive, puisqu’elle se doit de discuter avec les paranymphes pour
connaître «qui il est et le Fils de qui» est son Fiancé (IV 769,14). Dans cette pers-
pective, Paul et les apôtres ont pour mission de faire pénétrer l’ Église dans le
mystère de son Fiancé, Paul en lui faisant savoir qu’ elle a été fiancée au Cru-
cifié, les autres apôtres en lui révélant que son Fiancé est de nature divine,
mais qu’il s’est uni à l’homme pour sauver l’humanité. Autrement dit, le témoi-
gnage des apôtres sur le Fiancé céleste est pour l’ Église d’ une importance telle
qu’il constitue le fondement de la foi christologique, au-delà duquel toute nou-
veauté est à bannir:
38 Le terme mḥadet est pris ici dans le sens de créer du nouveau et non pas d’ un aggiorna-
mento de la foi.
39 Dans ce contexte, le Christ est présenté comme le Médiateur des deux Testaments: il fait
cesser la Torah qui commença avec Moïse, afin que la Bonne Nouvelle « s’ actualise (terhaṭ ;
litt.: courir) par le kérygme» (II 363,16-17). Dans cette perspective, on voit Moïse qui scelle
sa doctrine (malfanūteh) au Mont Thabor céder la place à Cephas (kīfā) qui « commence
son kérygme» à partir du Christ (II 363,10-11). Avec la terminologie employée, une nette
distinction est établie entre le kérygme tel qu’appliqué aux apôtres et qui se confond avec
l’acte de prêcher d’une part, et d’autre part, la Bonne Nouvelle (sbartā) qui s’ identifie avec
le contenu du kérygme.
40 Albert traduit nṣaḥ par «ils sont devenus célèbres».
41 La Bonne Nouvelle a aussi pour mission de «rassembler » les forces du mal, ici les idoles,
les «dieux», pour procéder à leur déracinement, purifiant ainsi le monde de cette « sale
idolâtrie» (teṭrā da-ftakrūtā) (V 441,4-13).
C’est cette même foi ecclésiale qui supplée à celle de l’ enfant présenté au bap-
tême tout en étant encore inconscient de son acte, ce qui justifie aux yeux de
Jacques la prière pour les morts incapables de prendre part à l’ eucharistie qui
s’ offre en leur faveur. Comme les morts sont inconscients de ce qui se fait pour
eux, l’enfant l’est tout autant quand il reçoit le baptême (I 546-550)43. À part
la foi de l’Église qui porte la foi de ses ministres qui accomplissent l’ acte litur-
gique, la célébration des différents mystères est attribuée d’ abord à l’ Église,
conçue comme la première actrice de la liturgie. Non seulement actrice, l’ Église
est aussi réceptrice de ses propres mystères, à commencer par le baptême, où
elle est décrite comme l’Épouse revêtue de son Fiancé, de la lumière céleste,
« dans les eaux» baptismales (IV 761,2-19; CJ VI 323-326)44. Elle se fait égale-
ment réceptrice dans l’eucharistie, où elle reçoit de la part du Fils son corps à
manger et son sang à boire (IV 609,17-18).
Cependant, l’Église est le plus souvent conçue comme actrice dans la célé-
bration des mystères, et c’est à ce niveau qu’ elle sera représentée par ses
ministres, même si ceux-ci sont plutôt considérés comme les ministres du Fils.
Partant de l’affirmation que nous avons relevée et qui consiste à imputer à
l’ Église le baptême des enfants, Jacques laisse subrepticement suggérer que
c’est le prêtre, en tant que personne émergeant du groupe ecclésial et comme
agissant en son nom, qui administre le baptême et qui, en outre, appelle à la
prière pour les morts (I 547,10-11). Par le baptême, le prêtre octroie la filiation
divine et inscrit le nom du baptisé, à son insu, dans « l’ Église des premiers-
nés» (I 547,14-15). Dans un discours adressé directement au prêtre décédé,
Jacques commence par lui attribuer l’acte de sceller les fils du baptême par
« cette frappe (b-hay mūnīṭā) indélébile (d-lā metlaḥyā) de la maison de Dieu »
(II 885,4-5). Mais, un peu plus loin, c’est à l’Église que le don du baptême
semble appartenir en dernier lieu: «Enfants, jeunes et premiers-nés aimables
que ton Église enfanta» (II 885,8). Tout autant, pour ne pas dire plus encore
que le baptême, l’eucharistie est dite célébrée par l’ Église. À cet effet, Jacques
emprunte la parabole biblique des serviteurs du roi ayant organisé un festin en
l’ honneur de son fils (Mt 22,2-14; Lc 14,16-24); mais puisque les convives avaient
décliné l’invitation, le roi envoie ses serviteurs appeler les gens de la rue, ce que
fait exactement l’Église lorsqu’elle sort «dans les rues du monde » pour inviter
« tous les peuples» à son festin (Mt 22,1-14; Lc 14,6-24) (III 647,6-7).
À cette parabole, Jacques associe souvent l’image des fiançailles entre le Fils
et l’Église pour affirmer que la vierge, l’Église qui est l’ Épouse, appelle « tous
les peuples» à sa table; et, s’approchant de son Fiancé immolé (qtīlā), elle
« s’agenouille et embrasse le corps de son Fiancé », s’ en réjouit et fait réjouir
« les peuples» (IV 609,1-6). Les deux termes, au pluriel, de « peuples » et de
« mondes» (ʿalmē) réapparaissent dans un texte sur la fin du jeûne des quarante
jours que pratique l’Église, qui, célébrant la Pâque, demande à son Seigneur de
44 Dans ce rôle récepteur doivent être aussi comptés les apôtres qui, au Cénacle et grâce à la
présence du feu et de l’Esprit, ont dû, selon Jacques, recevoir le baptême (II 679,11-680,3).
les «nourrir» (tawḫel, litt.: donner à manger) du Fiancé. En fin de compte, ces
peuples et mondes sont identifiés à l’Épouse, la vierge qui immole et mange
son Fiancé, qui «le rompt pour ses fils» (I 586-587). Par la préférence donnée
aux «peuples» que l’Église invite à sa table, Jacques met l’ accent sur le passé
païen de l’Église, où, à la place des libations et des victimes offertes aux idoles,
c’est désormais le «pain vivant» qui est distribué (III 904,9-20). Toutefois, cette
prédilection pour les Églises venant du paganisme est contrebalancée par la
typologie biblique dont Jacques fait un ample usage. Pour ne citer que ce qu’ on
trouve dans le cadre des deux images annoncées, à savoir le festin du roi et les
fiançailles, Jacques discerne dans le char d’Ézéchiel une « ombre » (ṭelanītā) de
l’ Église, où les chérubins portent le Fils «sur leur dos » et le louent, contras-
tant avec les hommes, qui, «lointains», le saisissent « par leurs mains » et le
mangent à sa table «comme des proches» (IV 609,7-20). Même si, dans un autre
contexte, il arrive à Jacques de minimiser l’importance des « ressemblances
(fournies) par les anciens», y compris Moïse et Melchisédech, et cela pour faire
valoir le nouveau que seul le Fils est capable de transmettre : la fraction du pain
que l’Église apprend de son seul Fiancé qui, au Cénacle, rompit pour elle son
corps (I 538,6-15)45.
Ce rôle donné à l’Église dans la célébration de l’ eucharistie se trouve, à cer-
taines occasions, transféré au prêtre. Comme nous le disions pour la typologie
biblique, c’est seulement dans le contexte de la discussion sur le rôle actif
de l’Église et en rapport avec les images du festin royal et des fiançailles que
l’ action du prêtre sera ici envisagée. En fait, c’est dans le prolongement de ces
affirmations sur l’Épouse procédant à l’immolation de son Fiancé (II 229,10-17)
et la mise en garde lancée contre toute tentative de laisser la parole humaine,
le bavardage, l’emporter sur la Parole de Dieu et la louange (II 229,18-230,15),
que Jacques rappelle que, lors de la célébration eucharistique, à la présence des
prêtres craintifs qui «volettent» (mraḥfīn) sont associés les « chérubins » et les
« séraphins», ainsi que les prophètes et les apôtres par la lecture de leurs écrits
(II 230,16-17). Cet acte de volettement attribué aux prêtres peut bien désigner
un acte liturgique exécuté lors du Sanctus précédant les paroles de la consécra-
tion, comme il peut renvoyer au geste accompli sur les espèces au moment de
leur consécration. Dans un autre contexte, bien que les fiançailles soient celles
conclues entre le Fiancé et l’âme, et après avoir soutenu que c’ est au moment
où le Fils de Dieu est immolé à la table eucharistique (III 660,7-8) – acte que
Jacques impute à l’Église –, c’est à présent le prêtre qui « immole le Fils devant
son Père» (III 661,16)46.
4.4 Narsaï
dans un autre contexte, refuse d’attribuer l’immolation du Fils au prêtre pour le réserver
à l’Esprit (cf. supra, p. 88, n. 29).
47 Voici le texte:
Tous les docteurs viennent déverser leurs commentaires dans l’ Église ;
elle les contient (aḥdā ; litt.: saisit) tous, et ils sont pauvres pour qu’ elle ne puisse leur
suffire (III 486,6-7).
48 Cf. II 825,12-17, texte qui a été évoqué, supra, p. 114 au sujet de la Bonne Nouvelle et de son
rapport au paradis spirituel et à sa source.
49 L’idée de construction liée au kérygme est attestée dans la réflexion de Narsaï sur la mis-
sion de Paul, où sont exposées à la fois la méthode de la prédication de l’ Apôtre des
nations, à savoir son recours à la modestie (PP II 592,5-6) et aux « paroles douces » (qalē
nīḥē) (PP II 592,1), aussi bien que le contenu de celle-ci, la confession d’ un seul Créateur
(PP II 592,8). Visiblement, bien que Narsaï ne se prononce pas, la prédication de Paul vise
la construction des Églises qu’il a fondées. Cependant, l’ application que Narsaï en fait est
plutôt anthropologico-éthique qu’ecclésiologique. On le constate déjà dans le choix et
l’interprétation qu’il fait des textes de l’apôtre lorsqu’ il appelle à ce que « chacun discerne
comment il bâtit» (PP II 592,16; cf. 1Co 3,10), rappelant que son œuvre est constructive
s’il bâtit avec de l’or, sur la vérité (šrarā), mais que son œuvre périra s’ il bâtit avec du foin
et de la paille (1Co 3,12-15) (PP II 592,17-18). Cela vise à identifier la « véritable construc-
tion» (benyan qūštā), où l’œuvre «à deux aspects» (trēn gabē), la bonne et la mauvaise
construction, est dévoilée (PP II 592,19-20). La suite du texte apporte une preuve sup-
plémentaire à la thèse d’une construction plutôt anthropologique qu’ ecclésiale, lorsque
Narsaï évoque la «construction de l’homme» (benyan našā) qui se rend parfait par la
modestie (PP II 592,21-22), celle-ci étant la condition pour que Dieu vienne habiter dans
l’homme (PP II 593,3-10), une référence à Is 66,2 qu’Aphraate utilise dans sa discussion de
l’homme comme temple de Dieu (cf. notre Saint Paul, p. 178).
50 Cf. ce que nous disions dans l’Introduction, p. 4.
51 Rappelons que, pour souligner l’unité de l’Église, Aphraate parle d’ « une seule mai-
son» et Jacques évoque cet édifice dont les fondements sont les apôtres, tandis que le
Christ en est la pierre angulaire. Quant à Narsaï, il qualifie les apôtres de « hautement
zélés dans la construction (b-benyan) de l’amour et de la foi », afin d’ empêcher que des
«ouvriers rusés» construisent du foin et de la paille (1 Co 2,12), et cela en prévoyance de
ce qu’entameront, à l’avenir, des hommes qui agiront en « destructeurs de la vérité et
de constructeurs du mensonge (zīfā)» (PP I 231,18-21). Mais Narsaï ne met pas explicite-
ment ces réflexions en rapport avec l’édification de l’ Église, même si le troupeau auquel
s’adressent les apôtres était nécessairement constitué de fidèles formant la communauté
ecclésiale.
Le Christ est un, la tête (rīšā) de l’Église (qui est) corps pur,
et il convient que les «membres» ( faġrē ; litt. : corps) chrétiens (mšīḥē)
demeurent en un seul amour.
I 201,17-18
Dans la suite du texte, Narsaï accuse ses détracteurs de professer une unité
confuse entre le Verbe et le corps, deux «natures manifestes (glayā) impos-
52 Dans le mīmrā attribué à Narsaï, cette unité du corps ecclésial s’ est réalisée et a été rendue
effective par la croix qui rassemble tout le genre humain en « une seule Église», pour « un
seul Dieu» (II 119,8-9).
le maître (rabā), désignant ici le prêtre, occupe la place de l’ œil par rapport aux
fidèles représentés par les autres sens (reġšē), lesquels sont appelés à « suivre
(nerdūn batar ; litt.: s’acheminer à la suite) l’œil qui les guide vers la doctrine
( yūlfanā)» (I 201,11-12).
C’est par le biais de l’œil et de la langue que Narsaï semble désigner le prêtre
comme la «tête» du corps, laquelle est destinée à conduire ses compagnons, les
membres dont il a été élu (II 146,23-24)53. En fait, en occupant la place de la tête,
le prêtre est chargé d’une fonction touchant à la connaissance, moins intellec-
tuelle que relative à la distinction du bien et du mal, ou, comme le dit Narsaï, au
discernement «de l’impiété et de la justice» (II 147,1-2). C’ est là qu’ intervient le
prêtre comme l’œil du corps par lequel sont distingués « vérité et mensonge»
(šrarā w-zīfā), parallèlement à la langue qui «interprète la vérité pour les dis-
ciples ( yalūfē)» et qui montre la puissance des choses cachées (stīratā) pour
les gens simples (hedyūtē) (II 147,2-4). Ainsi, la fonction de « conduire» attri-
buée au prêtre est à assimiler à un rôle de guide, d’ « éclaireur » et nullement
à un rôle de commandant, de donneur d’ordre. D’ ailleurs, la connaissance du
bien et du mal dont il doit témoigner ne se réduit pas non plus à une morale
étriquée formée de prohibitions, mais à ce bien qui émane des vertus théolo-
gales, «l’espérance, l’amour et la foi», et qui s’ identifie à la « parole de vie »
dont l’objectif principal est le salut de l’homme (II 147,5-8).
Une autre façon chez Narsaï de préciser la portée de l’ acte de « conduire»
qui revient au prêtre en tant que tête est d’écarter toute ambiguïté sur la nature
de cette fonction en s’attachant à déterminer le sens dont elle est porteuse.
Dans cette perspective, l’auteur s’en prend aux « sots » (saḫlē) qui confondent
leur ministère avec le «pouvoir» (šūlṭanā) civil et commencent à se comporter
comme les rois qui imposent des taxes à leurs sujets (II 154,8-10). Ce compor-
tement, fruit de l’ignorance de son auteur sur la finalité et le sens de l’ autorité
qui lui est accordée, s’accompagne de conséquences fâcheuses pour les fidèles
qui sont déboussolés quant à la question de leur salut (II 154,10-15). Cette pre-
mière restriction inspirée par le vrai sens de l’autorité comme service au salut
des hommes est doublée par une restriction d’en haut, plus fondamentale, qui
consiste à définir la règle du gouvernement conformément « à la volonté du
chef du sacerdoce (rīš kahnūtā)» (PP I 393,6-7)54, qui n’est autre que le Christ.
Autrement dit, le prêtre n’a d’autorité que celle qui lui est donnée d’ en haut
53 Ici, nous ne développons cette fonction de «tête» qui conduit l’ ensemble des autres
membres qu’en rapport avec l’image du corps. Notons que le verbe « conduire» (dabar)
est considéré comme l’une des fonctions essentielles du ministre. Nous y reviendrons plus
loin.
54 Rīš kahnūtā peut aussi être traduit par «grand prêtre ».
et ce n’est pas selon son bon plaisir, mais selon le dessein du Christ, chef du
sacerdoce, qu’il est appelé à gouverner55.
Quant aux apôtres, leur rôle dans l’édification ecclésiale se fait par le biais
du kérygme qui vise le «rassemblement» de l’Église, ce qui donne à la Parole
de Dieu un rôle prépondérant dans la croissance de l’ Église. Là aussi, Narsaï
se démarque des autres docteurs syriaques lorsqu’ il attribue la fonction de
« rassemblement» au «chef des bergers» (Sim V 220 : « Le troupeau égaré que
rassembla ce chef des bergers»). Son précurseur, Jean Baptiste, a lui aussi tra-
vaillé à «rassembler» les fils de Jacob qui étaient dispersés (McLeod II 403).
Nous ne nous étendrons pas ici sur la notion de kérygme que nous aurons
à développer quand nous aborderons les fonctions sacerdotales. À présent, il
nous suffit de signaler qu’en rapport avec le kérygme, les apôtres et leurs suc-
cesseurs ont la responsabilité de conserver et de défendre le dépôt de la foi.
Avec un accent pathétique et dans un discours direct, il apostrophe les apôtres
pour les féliciter d’avoir déraciné «les broussailles du paganisme» et pour les
inciter à continuer à purifier le «champ de l’Église de l’ ivraie du rusé » qu’ est
Satan (Sim V 278-283). Le même appel est adressé à l’ apôtre Paul, bâtisseur de
nouvelles Églises (Sim V 270): «Viens voir (tā ḥzī)56 la hauteur de ton édifice
qu’abattent des gens naïfs» (Sim V 271). C’est le lien, dans l’ Église, entre héré-
sies et divisions d’une part, et paix et orthodoxie d’ autre part, qui fait que les
apôtres et leurs successeurs doivent être impliqués dans la construction de la
paix, moyennant la véritable doctrine, en chassant l’ hérésie qui est source de
discorde57. Par conséquent, les pasteurs de l’Église sont autorisés à chasser les
hérétiques en dehors de l’Église58. Ces derniers sont souvent accusés d’ être des
55 Dans un tout autre contexte, s’agissant des anges à qui est confiée la mission de gouver-
ner le monde au nom de Dieu, ces derniers doivent s’ appliquer à le gouverner « selon la
volonté de Celui qui gouverne tout» (Gignoux VI 129-130).
56 La même apostrophe est adressée au sage, invité à se lamenter sur l’ horreur de nos jours
(Sim V 258); il faut lire tā ettanaḥ = viens te lamenter, et non pas lā ettanaḥ, comme l’ écrit
Siman dans son édition, dont la traduction donnera un sens contraire à l’ intention de Nar-
saï: «Le sage ne se lamente pas», écrit Siman, au moment où Narsaï demande au sage de
se lamenter.
57 Sur l’Église comme lieu de paix et d’amour, cf. II 347,16-18, que Narsaï veut promouvoir
face aux divisions dans l’Église (II 344,3-4). Cf. aussi dans le mīmrā attribué à Narsaï:
II 119,8-9.
58 Nous n’allons pas donner ici une liste exhaustive des hérésies condamnées par Narsaï, ni
un exposé sur le contenu de chacune d’elles, ni même une idée de la façon dont Narsaï
les a comprises. Disons seulement qu’une première liste inclut les disciples de Paul de
Samosate, d’Eunome, d’Arius, auxquels sont joints Eutychès et Cyrille appelé l’ Égyptien
(McLeod II 505-510). Une autre liste, apparemment plus complète, comporte les noms de
Marcion, Mani, Bardésane, Paul de Samosate, Valentin, Arius, une allusion à Apollinaire
loups qui s’immiscent dans le troupeau «en prenant l’ image d’ agneaux » (b-
eskīm emrē)59.
sans le nommer quand ledit hérétique est critiqué pour avoir professé que le Sauveur a
pris un corps, mais pas une âme, ou un intellect (madʿā) (pour cette dernière notice, cf.
Sim V 99-104) (pour tout cela, cf. Sim V 37-104).
59 McLeod III 786-789; cf. aussi McLeod II 499-500; Sim V 221. Dans I 359,25-360,2, c’ est Mani
qui est accusé de se revêtir «de la ressemblance d’agneau ».
60 Nous avons beaucoup hésité dans la détermination du personnage désigné par le terme
maḫūrā dans II 80,23-24:
L’Église apprit de son «paranymphe» (maḫūrā), le maître des maîtres (rabā d-rabē),
et elle écrit un Livre (saint) afin que ses fils le méditent (II 80,23-24).
De prime abord, on serait normalement enclin à identifier le maḫūrā avec le Christ en
raison du titre de «maître des maîtres» qui lui convient exclusivement, étant donné
qu’aucun des apôtres ne peut l’égaler ni se hausser au-dessus de lui. Ce qui vient ébran-
ler un tant soit peu cette hypothèse est l’évocation de Paul dans le contexte qui précède
immédiatement, où il est affirmé que c’est de l’Apôtre des nations, qualifié de « trésorier»
(gēzabrā), que l’Église apprend, lui qui «ouvrit par sa propre main la clé du Signe (remzā,
en fait, du vouloir divin), trésor de l’Esprit» (II 80,18-19). Mais admettre que Paul est le
maḫūrā est remis en question par le fait que l’Église, ayant appris de son maḫūrā, écrit
«un livre» pour ses fils, le livre devant correspondre au Nouveau Testament et non pas
simplement aux épîtres de Paul. Si le maḫūrā est ici le Christ, il s’ ensuit que ce terme
n’est jamais appliqué aux apôtres chez Narsaï.
Pour étrange que cela puisse paraître de la part d’ un auteur syriaque, Nar-
saï ne semble jamais avoir professé que l’Église sort du côté transpercé du
Crucifié, ce qui aurait permis d’identifier le moment de sa naissance avec
l’ événement de son baptême. Mais il semble que le baptême soit autrement
intégré par Narsaï, et cela non seulement dans son lien à la croix, comme
nous allons le voir, mais en évoquant le baptême que Jésus reçut des mains de
Jean Baptiste. Sur ce point, Narsaï semble partager l’ opinion d’ Éphrem quant
aux deux moments des fiançailles de l’Église avec le Fils. Lors du baptême de
Jésus, c’est Jean Baptiste qui remplace le Fiancé céleste en accomplissant le
rite des fiançailles: il joint à lui (aqef ṣēdaw) l’ Église des peuples, la fiancée
sainte (McLeod II 411-412). Deux notes cependant font se démarquer Narsaï
d’Éphrem: la première consiste dans la présentation de l’ Église comme reine,
dont le vêtement baptismal remplace les «pourpres» de son annonciatrice,
l’ épouse du Père, tandis que les «pierres précieuses (ṭabʿē) de l’ Esprit » tissent
son diadème (McLeod II 413-414); la deuxième note est christologique, où le
Christ est perçu comme «terrestre», mais recevant le « diadème du royaume
d’en haut», élevé qu’il est par la voix du Père qui le déclare son Fils bien-aimé
(McLeod II 415-418).
Dans une autre perspective, Narsaï peut bien distinguer entre la croix, le
« sacrifice de son corps», celui du Fils (II 347,20-21 ; texte que nous venons de
citer), par laquelle le Fils se fiance à l’Église, et le baptême qui est un des pré-
sents spirituels (dašnē d-rūḥā) que fait le Fils à sa fiancée (II 347,24-25). À vrai
dire, seul Narsaï s’exprime sur les présents que le Fiancé céleste offre à son
Église, ce qui justifie le nom « maḫūrā » attribué à celui qui organise les fian-
çailles que Narsaï donne au Christ (II 347,19-23; texte déjà donné)61. À côté du
baptême comme présent, on trouve mis en valeur « le sceau de l’ esprit de révé-
lation» (ṭabʿā d-rūḥ gelyanā) et «la couronne et le pouvoir d’ en haut » (tagā
w-šūlṭan rawmā) (II 348,1-4), auxquels il faut ajouter les « trois fruits » (tlatā
adšē), la foi, l’amour et l’espérance (II 348,8-12). Un autre présent que le Fils
fait à l’Église est son corps et son sang, dont la fonction est double : il est le
signe par lequel l’Église rappelle à ses fils «le grand amour de ses fiançailles »
d’une part, et d’autre part, en tant qu’il est un « gage de vie » d’ où l’ Église est
appelée à puiser sa force «afin de donner la vie à partir de sa (propre) vie (l-
metel ḥayē men ḥayūtah)» (I 347,13-15). Ce qui signifie que l’ amour du Fiancé
pour son Église est destiné à être prolongé dans l’ amour que la fiancée doit
61 Il ne s’agit pas ici du don de mariage, de la dot, que Brock trouve attesté chez Jacques et
qui correspond au sang versé pour la fiancée, l’Église (III 290-291). Le terme chez Jacques
est fernītā, un calque du terme grec pherné ; cf. Brock, Wedding Feast, p. 126-127 et n. 15.
131-132.
témoigner pour ses fils, dans une approche qui identifie l’ Église à une mère qui
nourrit ses enfants par le corps et le sang de son Fiancé (I 347,11-12).
À part ces deux textes, l’Église n’est guère considérée chez Narsaï comme dis-
pensatrice des sacrements, et cela à la différence de ses pairs, notamment
Jacques. Pour ce dernier, l’Église est présente non seulement comme agissante
dans la praxis sacramentaire, mais aussi, au second degré, aimerait-on dire,
dans la réflexion théologique sur la validité d’un sacrement reçu par un enfant
qui ne possède pas encore ses facultés lui permettant de prendre une décision
délibérée63.
La dimension eschatologique
5.1 Aphraate
1 Cf. I 296,1-3. Pour la traduction proposée par Parisot et M.-J. Pierre, cf. supra, p. 77, n. 6.
2 I 308,8-12: «Et ceux qui reçoivent l’Esprit du Christ se transforment à l’ image d’ Adam céleste
manière de dire que la résurrection se réalise par la force de l’ Esprit, qui a fait
un bout de chemin avec l’homme qu’il a déjà transformé en une demeure pour
lui.
Néanmoins, cette dimension pneumatologique n’éclipse pas et n’advient
pas indépendamment du Christ. Bien au contraire, la mission de l’ Esprit con-
siste à transformer l’homme en image (ṣūrtā) du second Adam, l’ Adam céleste
(I 308,2-11). Il est important de rappeler que, pour Aphraate, l’ Esprit est sou-
vent qualifié d’Esprit du Christ, donc étroitement lié à ce dernier3. Mais, pour
ne considérer que l’étape ultime de l’eschatologie, notre résurrection, c’ est le
Christ lui-même qui est le garant de cette résurrection pour avoir élevé notre
corps au ciel et l’avoir fait siéger à la droite du Père (cf. I 277,23-25 ; 280-281).
En échange de cette élévation de notre corps, il nous a envoyé son Esprit qu’ il
nous incombe d’honorer pour être digne de participer à la gloire céleste4.
Cependant, le Christ n’intervient pas seulement lors de la résurrection.
Étant le Seigneur du royaume qui se réalise dans l’ histoire, il invite l’ homme
à en devenir membre avec certaines exigences conformes à l’ esprit évangé-
lique et préparant à la félicité céleste. Aphraate nomme comme destinataires
du royaume tous ceux qui, d’après Mt 25,35-36, sont venus au secours des
nécessiteux: «Et les gens de droite, il les envoya au royaume» (I 173,4-13 ; cf.
aussi 900,25-904,2). Sans passer en revue les catégories, nommées séparément,
qui hériteront du royaume5, il serait important de signaler l’ interprétation que
semble adopter Aphraate à propos de textes scripturaires portant sur la récom-
pense divine d’un héritage terrestre, tel que le texte de Mt 5,4 qui promet
aux humbles de posséder la terre: «S’il leur dispose un héritage sur terre, ce
qui est notre Vivificateur, Notre Seigneur Jésus Christ, car (l’ esprit) animal (nafšanaytā) sera
avalé (metbalʿā) (cf. 2Co 5,4) par (celui) spirituel (rūḥanaytā) ». Cf. aussi I 369-14-15. Nous
ne développerons pas ici ce que nous avons exposé dans notre Saint Paul, p. 221-226, où est
encore évoqué le sort de ceux qui ont attristé l’Esprit (Ep 4,30) qui demeura en eux, au point
qu’ils seront privés d’un intercesseur à la résurrection et se trouveront par conséquent réduits
à demeurer dans leur âme psychique qui sera privée de résurrection.
3 Cf. supra, p. 75 et n. 1.
4 Le texte d’Aphraate: «Ce qu’ il a pris de nous est à l’honneur auprès de lui w-tagā qṭīr b-rīšeh »
(I 280,5-7); cette dernière partie de la phrase doit être traduite par « et il est tissé (comme) une
couronne sur sa tête», le «il» renvoyant au corps pris de nous, le qtīr est un attribut du « il »,
tandis que le tagā est un complément et non pas le sujet du « est tissé ». À la suite de Parisot
(et caput eius corona redimitum est), M.-J. Pierre traduit « sa tête est ceinte d’ une couronne».
5 Il se peut qu’Aphraate ne suive pas à la lettre le texte des Béatitudes (Mt 5,1-12) et, par
conséquent, destine au royaume les artisans de paix qui, selon Mt 5,9, seront appelés fils de
Dieu, tandis que l’héritage du royaume des cieux échoira à la catégorie suivante, les persé-
cutés pour la justice (Mt 5,10). Voici le texte d’Aphraate: « Et ceux qui s’ associent à lui, faisant
la paix et le salut, deviennent ses frères et fils de Dieu, et hériteront le royaume» (I 653,7-10).
6 Brock, Clothing Metaphors, p. 18, cite le texte que nous venons de donner pour souligner
qu’Aphraate se situe dans la ligne de Paul, qui préconise que le chrétien se revêt du Christ
dans le baptême (cf. Ga 3,27). En revanche, le texte d’Éphrem qu’ il donne par la suite, Nat
22,39, parle plutôt du revêtement de l’Esprit que le Christ nous accorde.
7 Plus loin, dans l’Exposé «Sur la mort et les temps derniers », Aphraate reprend la même idée,
mais il précise, comme pour exprimer une certaine réserve, que les scélérats « ne seront pas
traduits en jugement» (I 1024,21-23). Au sujet de leur sort, cf. la note suivante.
8 Sans le dire explicitement, Aphraate semble distinguer entre les transgressions légères et les
transgressions jugées graves, moins par la qualité du péché que par le cumul de péchés qui
transforment l’homme en un scélérat: «Ainsi, les impies dont les péchés sont nombreux et la
mesure de leurs fautes débordante, ceux-là ne seront pas déférés (lā metbʿē lhūn) en jugement,
mais une fois ressuscités, ils s’en retourneront au schéol » (I 1025,11-15).
(I 717,19-21), ni les impies des justes avant la venue du Juge qui sépare la droite
de la gauche (Mt 25,32-33)9. Un autre trait qui définirait l’ eschatologie accom-
plie est la plus grande gloire que reçoit notre corps pris par le Fils et élevé avec
lui, comparée à la gloire dont les premiers parents furent dépouillés après leur
faute (II 100,1-9)10.
Plus pertinente pour notre propos que le jugement et la gloire surabondante
est la détermination des catégories qui seront appelées à prendre place à la
table du Seigneur et à partager sa gloire éternelle. Il est évident que les ministres
sacerdotaux ne peuvent en être exclus, car, comme tout baptisé, leur Esprit,
à la mort, se rendra pour intercéder en leur faveur s’ ils l’ avaient honoré par
une vie pure11. Mais sont-ils nommément désignés en tant que sacerdotes et
conservent-ils leur statut dans le nouveau monde ? Aucun indice ne prouve
qu’ils gardent une fonction dont l’essence et l’intégralité seront assumées par
le Fils en tant que grand prêtre. Tout au plus, comme nous l’ avons noté, c’ est
pour leur bonne ou mauvaise conduite à l’égard du troupeau qui leur fut confié
que les pasteurs seront soumis au jugement dernier.
En revanche, d’autres catégories se trouvent privilégiées, du fait qu’ elles
sont nommées explicitement comme héritières du royaume à venir. Nous
n’avons pas à reprendre la liste qui comprend les justes, les pauvres, les enfants
et les humbles. Cependant, des catégories sont encore plus favorisées et cela
non sans raison: ce sont les vierges et les solitaires. Les premiers, pour s’ être
contentés du seul Fiancé divin, entreront avec lui dans la chambre nuptiale
(I 269,7-10), et les solitaires seront servis par les veilleurs du ciel parce qu’ ils se
sont privés de femmes (I 268,26-269,1). Même s’ il semble que ces deux caté-
gories se rejoignent par ce qui leur est commun, la continence sexuelle, il
est évident que les solitaires se trouvent dotés d’ un statut spécial, étant assi-
milés par Aphraate au statut de l’Unique, qui est le Fils du Père (I 269, 3-4 :
« Tous les solitaires ( yiḥīdayē), le (Fils) unique ( yiḥīdayā) du sein du Père les
réjouira)»12. Ce privilège peut cependant s’expliquer: on ressuscite « comme
9 I 397,17-21; cf. aussi 401,19-21. Pour les critères du jugement dernier, que nous ne pouvons
développer ici, cf. notre Saint Paul, p. 215-218.
10 Cet aspect est souvent souligné par Brock dans ses différentes recherches; sans être
exhaustif, nous renvoyons ci-après à quelques ouvrages où le grand syriacisant évoque ou
développe le thème: Clothing Metaphors, p. 13.20; On Paradise, p. 31 ; Holy Spirit, p. 64-65;
Spirituality, p. 77.
11 Cf. supra, p. 138.
12 En syriaque, le seul terme yiḥīdayā peut signifier «solitaire» pour l’ homme et « Unique »
pour le Fils, que la langue française permet de rendre par deux termes différents. Dans
On Paradise, p. 31, L’œil de lumière, p. 161, Spirituality, p. 51-52, Brock note qu’ Adam est
qualifié de yiḥīdayā avant la chute, comme Dieu est yiḥīdayā au ciel, dans une interpréta-
tion du targum palestinien de Sg 10,1 en connexion avec Gn 3,22 ; dans les textes chrétiens,
yiḥīdayā est appliqué au Dieu devenu homme, au second Adam. Il est peu probable, fait
remarquer l’auteur, qu’Éphrem eut un contact direct avec le targum, mais il n’est pas exclu
qu’il ait eu indirectement une connaissance de cette exégèse juive. Se fondant sur des
textes d’Éphrem (Crucif 8,2; HdF 66,7), Brock infère que yiḥīdayā ne signifie pas seule-
ment solitaire, mais aussi celui qui a l’esprit unifié et le cœur non divisé. Il en déduit que
le terme en question ne s’applique pas seulement au solitaire, au reclus, mais aussi au
«continent» (qadīšā) (Spirituality, p. 52), notamment aux « membres de l’ Ordre» (bnay
qyamā) dont Aphraate et Éphrem étaient probablement membres (On Paradise, p. 33 ;
Spirituality, p. 54). En cela, Brock rejoint la thèse défendue par Beck qui, dans Ascétisme,
p. 280-282, se fondant sur Parad 6,19, soutient que le terme « qadīšē » peut englober « tous
les continents sexuels», y compris les yiḥīdayē.
13 Dans l’Exposé sur les Membres de l’Ordre, l’expression « ressemblance des anges»
(I 248,25-26) dans la sentence «Celui qui porte la ressemblance des anges, qu’ il se rende
étranger aux hommes» désigne les solitaires auxquels s’ adresse Aphraate.
14 I 269,4-5; 1016,15-16; 1017,1-2; ou encore, reprenant les synoptiques (Mt 22,30; Lc 20,35) :
«Les hommes ne prennent pas de femmes, et les femmes non plus ne sont à aucun
homme» (I 392,18-19; cf. aussi 1016,24-25). Brock, L’œil de lumière, p. 165-166, relève que,
dans Lc 20,35-36, la VS insiste plus que l’original grec sur la vie sans mariage des anges.
L’auteur examine les racines juives du passage lucanien, les milieux ascétiques où il s’ est
déployé au début du christianisme, son application christologique et son actualisation
pour le chrétien dans les deux sacrements du baptême et de l’ eucharistie et dans la pra-
tique ascétique.
15 Il est intéressant de noter comment Aphraate change, à deux reprises, le texte de Lc 20,36 :
«Aussi bien ne peuvent-ils mourir» qui fait suite à « ne prennent ni femme ni mari » (Lc
20,35) pour devenir chez le docteur syriaque «parce qu’ ils ne peuvent mourir » (I 392,18-
20; 1016,24-26), ce qui explique l’impossibilité de se marier dans un monde où la mort est
liée intrinsèquement à la succession des générations. Ni Parisot ni M.-J. Pierre n’ont repéré
la référence lucanienne. De plus, ils remplacent Lc 20,35-36 (I 392,17-21, 1016,22-1017,1) par
Mt 22,31-32, bien que ce soit à Lc 20,37-38 qu’Aphraate fasse référence et non pas à Mt.
monde (pour tout cela, cf. I 1017 5-21). Quant à « l’ usage du désir » (ḥūšaḥā d-
reġtā), il semble être justifié par sa finalité, à savoir par son caractère indispen-
sable à assumer la survie de l’espèce humaine par le recours à l’ engendrement.
De plus, le terme «usage» laisse entendre un besoin de recourir à un moyen
quelconque, ce qui contredit la perfection du monde futur, où, contrairement
au besoin qui exige toujours d’être assouvi, la satiété (sabʿūtā) s’ impose comme
la règle (cf. I 1017,21-25, où la «satiété» est l’un des traits qui caractérise le
monde à venir). En un mot, n’étant plus soumis à la mort et, par conséquent,
n’ayant plus à recourir au désir sexuel pour garantir la succession des généra-
tions, les fils de la résurrection ne sont «ni homme ni femme », mais « à l’ image
des anges».
Quelle que soit la valeur de cette interprétation qui suppose que la diffé-
rence des sexes est liée intrinsèquement à la génération et celle-ci à la survie
de l’espèce, la conclusion qui en est tirée, à savoir qu’ on ressuscite « à l’ image
des anges», incite à s’interroger sur la valeur des autres différences qui ne sont
pas liées à la nature humaine, telles que la différence entre baptisé et ministre
ecclésial. Surtout si l’on se rappelle que, pour Aphraate, seul l’ Esprit reçu au
baptême – l’Esprit reçu à d’autres occasions, comme au sacerdoce, n’est pas
évoqué – se rendra auprès du Seigneur ressuscité pour intercéder en faveur du
corps qui l’a accueilli dans la pureté. Faut-il en conclure qu’ il n’ y a qu’ une seule
transformation ontologique, sur le plan spirituel, qui est celle acquise au bap-
tême? Si cela s’avère exact, la conséquence s’annonce comme suit : les autres
événements majeurs vécus dans les autres relations relèveraient du fonction-
nel et seraient prédisposés à disparaître dans le monde à venir. Ainsi, s’ il n’y a
plus de mariage, du fait qu’il n’y aura plus «ni homme ni femme », pourquoi
le sacerdoce perdurerait-il du moment que, dans la vie éternelle, il n’y aura
qu’un seul prêtre, Jésus Christ? Mais est-il légitime de transposer sur une pen-
sée encore proche de la pensée biblique nos catégories du fonctionnel et de
l’ ontologique?
Si l’on tient compte de la rétribution que reconnaît Aphraate à certaines
catégories – la chambre nuptiale pour les vierges et le service que les anges
rendent aux solitaires, pour ne citer que ces deux-là (cf. I 268,26-269,4) –, la
question se pose de nouveau: sont-ils récompensés en tant que vierges et soli-
taires et participeront-ils à la vie du Christ en tant que tels, ou le sont-ils « à
proportion de (leur) peine» (1Co 3,8) (I 1029,2), donc indépendamment du
statut et de la fonction acquis ici-bas? L’attribution aux douze apôtres du juge-
ment des douze tribus d’Israël (Mt 19,28; Lc 22,30) et leur jugement des prêtres
qui n’ont pas observé la Loi (1Co 6,3) pourrait nous venir en aide (I 1024,16-
1025,7): Dieu récompense les premiers, quand bien même cette récompense
se réalise «à la fin» (l-ḥartā), pour une bonne action qu’ ils ont accomplie
étant encore sur terre, et il n’est pas nécessaire que le statut apostolique de
cette fonction de juger perdure avec leur passage dans l’ autre monde. L’indice
d’une perplexité chez nos écrivains syriaques est bien repérable lorsqu’ il s’ agit
d’une fonction imputée aux apôtres, laquelle doit être assumée par le seul
Fils dans l’au-delà. La preuve de cette perplexité se traduit par une contra-
diction chez Aphraate qui, d’une part, semble admettre que les apôtres juge-
ront les prêtres scélérats, mais qui, d’autre part, assure que les impies et les
scélérats, parmi lesquels figurent les prêtres qui ont transgressé la Loi, ne res-
susciteront pas au jugement, mais iront au schéol (cf. 1024-1025). De plus, on
ne trouve aucune tentative chez Aphraate pour prouver l’ aspect éternel de
l’ Église; ce qui perdure à jamais, c’est plutôt le royaume, car il est rattaché au
Roi céleste qui, lui, demeure éternellement16. Il faut bien reconnaître que ces
conclusions tirées des textes d’Aphraate relèvent de l’ interprétation que nous
proposons de sa pensée, à défaut d’énoncés clairs qu’ on peine à trouver chez
lui et qui concernent des fonctions apostoliques qui persisteraient dans l’ au-
delà.
5.2 Éphrem
16 Ce ne sont pas seulement les institutions appartenant à l’ Ancienne Alliance, tel que le
sacerdoce, qui cessent de perdurer si l’homme se montre irresponsable. Cf. infra, p. 354
et 352, n. 19 ce que nous dirons du reniement par Dieu de ses promesses si l’ homme
transgresse les clauses du contrat. Le peuple juif lui-même connaîtra une destruction
«éternelle» (l’alam) à cause de son ingratitude (cf. 17,7-11). Aphraate discerne également
des destructions éternelles qui excluent tout espoir de restauration: la punition du serpent
(I 597,23-600,6), le rejet de Jérusalem (I 805,24-27), la destruction de Sodome et Gomorrhe
(I 469,19-27), ou encore la Mort qui perd à jamais tout pouvoir sur le Christ ressuscité
(I 972,3-4). En revanche, il reconnaît une vie qui perdure à jamais : du côté de l’ homme,
c’est la vie en Christ, en rapport avec le Christ comme porte de la vie (I 145,4-5), ou en rap-
port avec l’eucharistie (I 968,16-18), la vie dans l’Esprit qui fera ressusciter le corps à la fin
des temps (cf. supra, p. 138); du côté de Dieu, c’est son Nom (I 792,10), sa justice (Ps 112,9)
(I 900,10-11).
17 Cf. notre Pensée symbolique, p. 491-526. Pour les références à ce livre, cf. les notes suivantes.
veauté qui débute ici-bas et qui trouve son couronnement dans l’ au-delà. Nous
le faisons en comparant Éphrem à Aphraate, comme nous aurons à leur com-
parer Jacques et Narsaï.
Avec Aphraate, Éphrem partage bon nombre d’ idées sur l’ eschatologie, qui
peuvent constituer des lieux communs propres à la tradition chrétienne que
les deux écrivains ont contribué à développer. Comme Aphraate (cf. II 100,1-9),
Éphrem est convaincu que la gloire future surpasse la gloire que Dieu accorda
aux premiers parents au début de la création18, mais Éphrem fixe la surabon-
dance de la gloire future dès l’acte par lequel le Fils se revêt de son icône
(ṣalmā), l’homme19. Dans une perspective similaire, tout comme Aphraate
(I 993,16-996,4), Éphrem impute à Moïse le premier coup infligé à la Mort et
l’ annonce implicite de la résurrection des morts, lorsque le prophète professe
que notre Dieu est le Dieu d’Abraham et qu’il n’est pas le Dieu des morts20.
Toujours dans la ligne d’Aphraate, partageant avec lui la même inspiration,
Éphrem identifie aux prêtres les anges qui seront jugés par les apôtres (1 Co 6,3 ;
cf. Ml 2,7), avec une application bien différente de celle proposée par Aphraate:
Éphrem annonce aux démons que les ossements de ces apôtres leur infligeront
une grande défaite (CNis 42,10), tandis qu’Aphraate se contente d’ observer,
s’ inspirant de Ml 2,7, que les prêtres ayant transgressé la Loi seront jugés par
leurs collègues qui l’ont observée (I 1024,23-1025,7).
On ne peut développer ici tous les traits communs qui se rapportent à la
christologie dans ce qui touche à l’eschatologie. La sélection de ces quelques
thèmes suffit à nous persuader des liens qui unissent les deux auteurs sur le
sujet qui nous intéresse21. Mais sur d’autres points, les deux auteurs diffèrent
grandement. Et l’une des différences majeures qui les séparent serait la polé-
mique menée par Éphrem contre les négateurs de la résurrection du corps,
notamment contre Bardésane22. Une autre polémique, d’ un autre ordre celle-
là, séparerait les deux auteurs: bien que discrètement frôlée par Aphraate23,
24 CH 38,14; Resur 3,15; Eccl 49,13-16; CNis 71,6; à ce sujet, cf. notre Pensée symbolique, p. 305.
498-499.
25 Nous y reviendrons quand nous aborderons les fonctions du sacerdoce; cf. plus loin,
p. 383sv.
26 CNis 19,1. S’adressant à l’évêque Abraham, Éphrem l’ exhorte :
Voici que ton troupeau est ta «mariée» (bat zawġaḫ) ; nourris ses enfants par ta vérité.
Qu’ils soient pour toi enfants spirituels, et fils, enfants de la promesse,
afin qu’ils deviennent héritiers en Éden. Béni soit celui qui a formé ton image en Abra-
ham (CNis 19,1).
27 CNis 21,3, où s’adressant à l’évêque de Nisibe, il l’encourage en disant : « Tu lieras sur terre
comme lui et tu délieras en haut comme lui».
liser et s’actualiser dans la prédication28, sachant que celle-ci est une tâche
qui revient en premier lieu à Simon Pierre (cf. Virg 43,3.13). Mais si la foi
elle-même ouvre à l’au-delà, la prédication exercée par les apôtres et par-
venue jusqu’à nous semble s’arrêter avec la parousie du Fils (CNis 29,36-37 :
« jusqu’à ta venue»). C’est dans cette perspective que doit se comprendre
l’ appel qu’adresse Éphrem aux responsables ecclésiaux afin qu’ ils « déracinent
l’ ivraie» qui vient se mêler au blé, et cela dès à présent, dans une allusion
aux différentes hérésies que le docteur syriaque combat (CNis 20,2). Cet appel
répond à la préoccupation que doit avoir le responsable ecclésial du troupeau
qui lui est confié et, comme il a été dit, dont le nom et le comptage sont écrits
dans le livre de la vie (cf. CNis 20,3). C’est dire que, même si l’ action du ministre
est limitée dans le temps jusqu’à la venue du Fils, son efficacité et son retentis-
sement sont ouverts à l’infini.
Nous ne pouvons mener plus loin cette enquête portant sur les traits prêtés
aux sacerdotes, qui se présentent comme des précurseurs et des acteurs effi-
caces de l’eschaton. En ayant relevé ce qui fait du prêtre un accélérateur des
temps nouveaux dans le baptême et dans la proclamation de la foi, on com-
prend qu’Éphrem, par sa faible insistance sur le rôle de ce dernier, manifeste
son intention de faire valoir l’action divine d’une part, et d’ autre part, l’ effet
du sacrement sur le sujet qui le reçoit.
À la deuxième question qui concerne la dimension eschatologique inhé-
rente au sacerdoce lui-même, ou du moins au ministre qui le représente, une
question qui se pose également pour le baptisé, Éphrem est encore plus avare
en explications. Il apparaît que la solution ne peut être recherchée du côté des
termes qui signifieraient une empreinte apposée sur le sacerdos, les termes les
plus usités dans ce domaine étant ṭabʿā, et notamment rūšmā29. En fait, en par-
lant de l’huile sainte, amie et servante de l’Esprit Saint, Éphrem reconnaît que
c’est par elle que l’Esprit «a scellé (rešmat) les prêtres et les oints (mšīḥē) » ;
plus loin dans le même texte, c’est le terme ṭabʿā – sous forme de verbe au pas-
sif (metṭabaʿ) – et l’expression «sceau (ḥatmā) invisible de l’ Esprit » qui sont
réservés aux baptisés (Virg 7,6). Mais, bien qu’ils soient utilisés à la fois pour le
baptême et pour le sacerdoce, aucune preuve ne peut être tirée concernant le
caractère durable du sacerdoce dans l’au-delà. Surtout qu’ Éphrem ne confère
jamais à l’empreinte sacerdotale le qualificatif d’ indélébile30, pas même au
baptême, ce qui laisse la porte ouverte à toutes les interprétations possibles.
S’il est vrai que l’Église est impliquée dans cette union « nuptiale » grâce à son
amour et à son authenticité, c’est au Christ que revient l’ acte d’ initialiser et
de sceller cette union. Si cet acte engage la fidélité de Dieu lui-même, et dont
il est l’auteur, peut-on imaginer qu’il sera exposé à l’ éphémère et aux aléas
de l’histoire? Ainsi, comparée à la synagogue qui la précéda et qui ne dura
qu’un temps déterminé (mlē zabnā), l’Église est assurée d’ une existence pé-
renne parce qu’elle est «revêtue» de son Fiancé céleste :
32 Beck traduit « da-l – ʿidtā da-lbeš » par «während das Kleid der Kirche jener, der es anzog»,
ajoutant le terme «Kleid» dont le Fils est censé se revêtir à jamais. Mais, en fait, l’ ajout du
terme, pour éclairant qu’il semble être, atténue l’unité qui existe entre le Fils et l’ Église,
sachant d’ailleurs que le verbe «se revêtir» exprime souvent chez Éphrem une union forte
entre les deux partenaires.
33 Concernant la question de savoir si c’est l’Église ou le Christ qui constitue le véritable
eschaton, cf. notre Pensée symbolique, p. 522-525.
de l’Éden à Sion,
de Sion jusqu’à l’Église sainte,
et de l’Église jusqu’au royaume.
CH 26,4
il n’en reste pas moins vrai que sa continuité dans l’ au-delà s’ avère être une
impossibilité, ne fût-ce qu’en le confrontant à l’ éternité du sacerdoce chris-
tique et compte tenu du sort de ses fonctions qui, paraît-il, seront toutes assu-
mées par le Christ en tant que grand prêtre.
L’autre texte, Nat 24,14, fait référence à ce serment dont parle l’ auteur des
Psaumes concernant le sacerdoce du Fils, mais sans évoquer son caractère éter-
nel. Serait-il légitime de conclure que l’éternité du sacerdoce christique est la
conséquence logique de sa vérité, de son authenticité? Cette interrogation est
d’autant plus pertinente que la vérité christique ne s’ affirme pas seulement vis-
à-vis du sacerdoce ancien, mais également par rapport au sacerdoce chrétien.
En fait, en comparaison avec le sacerdoce lévitique, le Christ est le « Seigneur
des prêtres» parce qu’il a officié par son propre sang (kahen ba-dmā d-nafšeh)
(He 9,12) (HdF 8,8). En considérant Moïse et le grand prêtre Syméon comme les
deux représentants de la prophétie et du sacerdoce respectivement, Éphrem
les décrit comme de «petits vases» par rapport au vase « en qui habite toute
la plénitude» (cf. Col 1,19), vase qui est le Seigneur auquel fut accordé l’ Esprit
sans mesure (cf. Jn 3,34) (cf. SdDN 50-51)37. À l’adresse de l’ Arien qui ose scru-
pour le baptisé. Il reste cependant que la ou les fonctions du prêtre perdent toute raison
d’être dans l’au-delà, comme cela va se révéler dans le prochain paragraphe consacré à la
dimension christique de l’eschaton.
36 Nous en avons traité dans notre Pensée symbolique, p. 501-526.
37 Cf. supra, p. 65.80. Comme signe de la plénitude du sacerdoce christique, Éphrem n’ac-
ter le Fils, il lui est rappelé que, à l’instar de l’ attitude du grand prêtre qui,
plein d’appréhension, entre une fois par an dans le Saint des Saints, son devoir
est de mener une recherche respectueuse du «Premier-né» (būḫrā), qui est le
« Seigneur du sanctuaire» (mareh d-qūdšā) (HdF 8,7).
Même si la référence précédente est placée dans un contexte vétérotesta-
mentaire, les exemples donnés des personnages de l’ A.T. ouvrent le sens à
l’ universel qui, par conséquent, s’appliquerait au sacerdoce chrétien. Ainsi,
déduisant que c’est par amour que Dieu accorde à l’ homme les noms qui lui
sont propres, tels que le nom «dieu» à Moïse et « Jésus» à Josué38, Éphrem
soutient que c’est par grâce que «prêtres et rois se revêtent de tes surnoms »
(HdF 5,6)39.
Avec ce qui vient d’être dit, on est en droit de se demander si les motifs
allégués pour fonder la valeur du sacerdoce christique sont suffisamment
concluants pour exclure le sacerdoce chrétien de sa dimension éternelle. Bien
qu’il n’existe pas de lien intrinsèque dans la pensée d’ Éphrem entre le carac-
tère éternel du sacerdoce du Christ et le fait que seul son sacerdoce mérite le
titre de véritable, compte tenu que le Fils est le Seigneur des prêtres, il n’en
résulte pas moins que ces facteurs réunis semblent consolider le caractère éter-
nel du sacerdoce du Fils en le présentant comme le seul à posséder la plénitude
de la vérité. Mais, encore une fois, tous ces éléments ou ces arguments, à moins
de supposer que le caractère éternel du sacerdoce du Christ soit exclusif de tout
autre sacerdoce, ne constituent pas de preuves probantes qui disqualifieraient
le sacerdoce chrétien au point de lui ôter son caractère pérenne. Si cela s’ avère,
on serait tenté d’en inférer que toute réalité humaine, même l’ homme en tant
qu’icône de Dieu, serait vouée par conséquent à la disparition dans l’ au-delà
si elle est comparée au seul Parfait, au seul Immortel et Éternel qui est Dieu.
Cependant, l’argument a silentio d’Éphrem sur l’ éternité du sacerdoce chré-
tien, ou de celui qui le porte, contient nombre d’ allusions censées étayer une
vérité inébranlable: à quoi servira un sacerdoce humain quand toutes les fonc-
tions qui lui sont attribuées ici-bas seront assumées dans l’ au-delà par le seul
grand prêtre qui les accomplira à merveille en les conduisant à leur perfection ?
corde à ses types, les prêtres de l’ A.T., que le privilège de l’ avoir « peint », mais cette pléni-
tude est encore mieux affirmée par le fait que les fonctions réparties sur des personnages
différents, à savoir les rois, les prophètes et les prêtres, se trouvent réunies en sa personne
et, à ce titre, menées à leur perfection (Virg 8,3-4).
38 Rappelons qu’en syriaque, Jésus et Josué sont rendus par le même terme yešūʿ.
39 Nous aurons à revenir à l’emploi des deux termes « nom » (šmā) et « dénomination »
(kūnayā) lorsque nous discuterons de la différence essentielle entre le sacerdoce chris-
tique et le sacerdoce chrétien.
40 Dans CNis 59,6, le jugement des Douze signifie la défaite définitive de Satan.
41 Ne faudra-t-il pas voir dans les «perturbateurs» (šaġūšē) qui seront exclus du royaume
(SdF VI 321-324) des ecclésiastiques friands de dispute, une allusion à la controverse
arienne?
aux prophètes, sont présentés comme les persécutés sur terre qui, au paradis,
se transformeront en moqueurs de leurs bourreaux (Parad 1,14). Dans une pers-
pective toute différente, les Douze sont attendus au festin eschatologique, où
ils s’attableront (HdF 12,6: «La table de ton royaume attend tes Douze, où ils
prendront place»). Encore que, comparés aux vierges et aux noces qui leur sont
réservées là-bas, les apôtres, associés aux anges et aux prophètes, sont présents
pour louer les exploits de la virginité et contribuer à faire croître la joie des
noces (Parad 7,15).
Tout en reconnaissant que les sacerdotes s’insèrent dans la ligne des apôtres
et leur succèdent, on est en droit de se demander si, dans cette perspective
eschatologique qui nous occupe ici, il est légitime de leur transférer le statut
unique d’apôtres – comme de prophètes. D’autant plus que les prophètes et
les apôtres sont présentés comme des chefs de file qui se sont fait des dis-
ciples qu’ils conduisent au paradis, et cela grâce à leur fonction de pratiquer
et d’enseigner la vérité, ce qui fait d’eux des grands dans le royaume (Mt 5,19)
(Parad 1,7). Cette absence de la mention des sacerdotes devient encore plus
problématique, lorsqu’on se rend compte que, dans un net rejet de tout encra-
tisme, Éphrem nomme comme hôtes de l’Éden « les mâles et les femelles »
(dakrē w-neqbatā) dont les convoitises se réduiront au silence dans l’ au-delà
(Parad 7,5), comme il mentionne l’«épouse» (bʿīlūtā, ici c’ est le substantif
qui est utilisé, qui se traduit litt. par «vie du mariage») qui n’y connaîtra
plus jamais les douleurs de l’enfantement (Parad 7,8). Si déjà les femmes et
les hommes mariés méritent d’être parmi ceux qui ressusciteront, pourquoi
Éphrem ignore-t-il les sacerdotes ? Leur service rendu à la communauté ecclé-
siale ne serait-il pas suffisant pour qu’ils soient mentionnés parmi les ressus-
cités?
Il n’entre pas dans notre intention de scruter les différentes catégories des
ressuscités qui jouissent de la prédilection d’Éphrem; si nous décidons d’ enta-
mer ce thème dans la plus grande concision, c’est pour essayer de savoir si les
sacerdotes peuvent être inclus dans l’une ou l’autre catégorie. Sinon, il s’ impose
de rechercher la ou les raisons de leur exclusion ou de leur oubli. Nous avons
évoqué cette première liste hiérarchisée de nouveaux hôtes du paradis, débu-
tant par les pénitents et culminant par les vainqueurs, qui sont les ascètes, en
passant par les justes (cf. Parad 2,11). Dans une autre liste où les justes sont
toujours placés au milieu, les enfants sont les prémices des ressuscités, tan-
dis que les pécheurs occupent le bas de la liste et ressusciteront « honteux»
(bahītē) (CNis 62,23-24). Les enfants comme «prémices» s’ accommodent avec
l’ importance accordée à la virginité42, car l’état de l’ enfant qui ne connaît pas
42 En plus de Parad 7,15, déjà cité, cf. Parad 7,6.18; HdF 11,18.
encore la convoitise (reġtā) est identifié à l’état de virginité (Parad 14,11). À vrai
dire, si les enfants ressuscités sont comparés aux agneaux et aux anges sans
tache (Parad 7,8)43, c’est parce qu’ils sont, comme le dit Éphrem, des enfants
massacrés par Hérode, des «fruits vierges» ( fīrē btūlē) (Nat 24,18).
Si, parmi les vierges, Éphrem privilégie Élie et les enfants, on pourrait juger
étrange qu’il en exclue l’évêque qu’il qualifie lui-même de « vierge » (btūlā)
(CNis 20,1) et que, sur ce point, il le compare à Élie vierge (CNis 21,4 : « Et ta
virginité est celle d’Élie»)44. Pour conclure, tout paraît concourir à penser que
le docteur syriaque ne montre aucun intérêt pour le destin des ministres sacer-
dotaux dans l’au-delà; du moins, ses textes confirment ce constat. Toutefois,
il reste toujours utile de se demander si le silence d’ Éphrem doit être inter-
prété comme un désintérêt, ou simplement comme une approche qui ne cadre
pas avec la perspective de son eschatologie laquelle, au lieu de déterminer des
« statuts» ou des «fonctions», fait valoir plutôt des états ou des vertus liés à la
qualité de la vie. Quant à la mention de femmes mariées dans l’ au-delà, elle
se justifierait par l’intention d’Éphrem de réfuter tout encratisme qui porterait
atteinte à l’image du mariage.
5.3 Jacques
43 À cette vision semble s’opposer un texte d’Éphrem, où Satan dit discerner dans les enfants
son propre levain (ḥmīran ; litt.: notre levain) qui s’exprime par la promptitude à la colère,
la médisance et la jalousie (CNis 35,12). Mais il semble que ces enfants, pour avoir la capa-
cité de commettre de telles perversités, doivent avoir atteint un certain âge. Sur le plan
linguistique, ils sont appelés «jeunes» (ṭlayē) et «enfants » ( yalūdē), tandis qu’ ils sont
appelés «nourrissons» (ʿūlē) dans CNis 62,23, ce qui explique leur innocence.
44 Nous reviendrons plus loin sur le style de vie de l’évêque et les vertus qu’ il doit acquérir.
45 Cf. notre Théologie II, p. 221-314.
46 Il est vrai que cette dernière affirmation est isolée si l’ on considère les trois mīmrē où
Jacques aborde le thème de la construction de l’Église sur le premier apôtre: « Sur la ques-
tion de Notre Seigneur et sur la révélation que reçut Simon du Père» (I 460-482), « Sur
Simon Pierre lorsque Notre Seigneur lui dit: ‘passe derrière moi, Satan’ » (I 482-506) et
«Sur le reniement de Pierre» (I 506-531). Sinon, c’est toujours de l’ Église dont il est ques-
tion quand il s’agit de désigner la réalité qui se reposera sur Pierre.
47 Dans Théologie I p. 148, nous avons montré que les « portes du schéol » représentent, pour
Jacques, Satan et la Mort, dont le Christ, en tant que lumière et vie, délivre l’ Église (cf. I 476-
477).
48 Cf. supra, p. 152.
nations (Ep 5,32)49. C’est seulement entre le Fils et l’ Église qu’ existe une véri-
table et parfaite unité, ayant vocation à durer. Eux seuls sont à même de devenir
un seul, «en un seul esprit» (ba-ḥdā rūḥ)50. À ce sujet, la terminologie jaco-
bienne, en empruntant le langage de la christologie unitive, défend ainsi une
« unité inséparable» (ḥdayūtā d-lā metfaršā) entre les deux (V 881,18)51. Rien ne
peut ébranler cette unité, dit Jacques à la suite de Paul, ni hauteur, ni profon-
deur, ni une autre créature, pas même la mort (V 881,19-882,1sv). Mais l’ Église
survit-elle à cette mort qui vient sceller l’épreuve de l’ amour qui la lie à son
Fiancé (V 883,6: «L’épreuve de leur amour est scellée par la mise à mort (qetlā)
et la crucifixion»)? À cette question, Jacques semble répondre positivement,
en prévoyant des noces entre l’Église et son Fiancé lors de sa parousie :
Ainsi, si au cours de l’histoire le lien entre le Fils et l’ Église forme les fiançailles,
ce sont les épousailles qui viennent couronner cette étape lorsque le Fils,
venant de chez le Père, célébrera «la noce avec l’ Église à laquelle il s’ est fian-
cée» (V 885,11-12). La survie de l’Église au-delà de l’ histoire est encore confirmée
par la réflexion de Jacques sur l’Ascension du Fils, moment où l’ Église, desti-
née à rejoindre son Fiancé céleste, l’implore: «(Comme) je t’ ai appartenu (hwīt
lī dīlaḫ ; litt.: j’ai été à toi), (que) je monte avec toi auprès de ton Géniteur »
(BedS 822,10). Cela est bien la conséquence de l’ assomption de l’ Église par le
Fils, qu’il «a prise dans son corps» (BedS 824,3). Nous avons déjà démontré
que l’unité du Fils et de l’Église se fait dans le sein de la Vierge, où, dans
l’ expression «les deux formeront une unité» (Gn 2,24), l’ Église est désignée
52 Cf. III 288,9-10 = 310, 3-4, que nous avons cité supra, p. 117.
53 Pour l’union christologique, cf. notre Syrische Theologie, p. 495-496 ; pour l’ union par le
baptême, cf. notre Théologie, t. I, p. 273-274. Pour une vision globale de l’ image du vête-
ment, cf. Brock, Clothing Metaphors.
54 Pour le cas du juif, cf. notre Saint Paul, p. 23, où nous renvoyons à II 562,14-17.
55 Vers la fin du mīmrā, Jacques explique l’état des enfants auquel le Seigneur appelle à
retourner (Mt 18,3 et parall.) par la pureté et la simplicité qui caractérisent l’ enfance, la
confiance qu’un enfant place en son père, l’absence du souci pour le lendemain et par
une colère qui ne perdure pas jusqu’au lendemain (cf. Ep 4,26) (V 814,11-815,12).
56 Jacques consacre tout une hymne à la mort d’une fille des membres de l’ Ordre (V 821-836),
où il distingue bien les fiançailles de cette dernière avec le Crucifié dont les souffrances
contrastent avec les joies de ses épousailles dans l’au-delà (V 825,1-16 ; 826,1-2). Là-bas, elle
retrouvera une unité parfaite avec son Fiancé, «en un seul esprit » (V 826,8), expression
que Jacques applique à l’union du Fils et de l’Église, comme nous venons de le démontrer.
qui, à elle seule et sans passer par le baptême, leur fait hériter le royaume57.
Non loin de la position d’Éphrem, Jacques semble admettre que l’ homme par-
ticipe, en l’actualisant, au péché des premiers parents et que, pour cette rai-
son, les enfants qui meurent en bas âge gardent leur innocence et leur beauté
(V 809,21-22). Mais qu’en est-il des confesseurs et des martyrs qui, sans avoir
reçu le baptême, ont subi la mort par leurs bourreaux pour la cause de leur foi
en Christ? Dans les mīmrē qui leur sont dédiés58, Jacques semble défendre la
thèse de leur passage immédiat à l’état de béatitude, en Éden (BedA 667,17-18;
673,14-16), en discernant une contemporanéité entre leur mise à mort et leur
entrée dans la vie éternelle59.
Mais à côté des enfants, des vierges, des confesseurs et des martyrs, n’est-
on pas censé rencontrer les sacerdotes qui, eux du moins, ont reçu une mission
ecclésiale voulue par la Trinité et rendue possible par un don de l’ Esprit Saint ?
De prime abord, on note que Jacques reprend à la lettre la tâche de juger les
douze tribus d’Israël que Jésus confie à ses Douze (Mt 19,28). Ne pouvant certes
esquiver une affirmation synoptique des plus claires, Jacques l’ interprète dans
un sens minimaliste en limitant la prérogative des Douze au jugement du seul
Israël et en distinguant ainsi le peuple juif des « peuples » qui représentent les
chrétiens convertis du paganisme (I 717,6-718,8). Contrairement aux « peuples »
qui comparaîtront devant le trône du Fils-Juge, les Juifs n’auront pas le droit
de regarder le Fils là-bas et seront confiés aux Douze pour être jugés. Car, dit
Jacques, s’ils voyaient le Fils, ils auraient la vie, à l’ instar d’ un condamné à mort
qui vivra s’il voit le visage du roi (I 717,14-15). Pour cette raison, il leur est interdit
de voir le Fils, «car, n’ayant pas mis leur espérance en lui, ils ne recevront non
plus d’espérance de lui» (I 717,20-21). Jacques développe encore sa réflexion
sur la raison du choix des Douze pour juger les Juifs, en le justifiant par le fait
Le plus grand mérite de la vierge est d’avoir vécu ici-bas l’ état de ce qui appartient essen-
tiellement aux anges, une vie sans mariage et donc totalement consacrée à son Fiancé
céleste.
57 Voici une affirmation explicite à ce sujet:
Les enfants (ṭlayē) qui sont sortis du monde, étant beaux,
ne sont pas coupables de la cédule (ešṭarā) (cf. Col 2,14) qu’ écrivit Ève (V 809,13-14).
58 Jacques leur consacre un mīmrā intitulé «Sur les confesseurs et les martyrs » (II 636-649),
d’où rien ne se dégage concernant une quelconque rétribution immédiate qui leur serait
réservée après leur martyre. Ce n’est que dans un mīmrā publié dans cette autre collection,
BedA, et intitulé «Sur les quarante martyrs saints» (VI 662-673), que Jacques se prononce
sur le sort heureux de ces martyrs.
59 Pour ce faire, Jacques recourt à l’expression «en ce temps» (b-haw ʿedanā) (cf. à titre
d’exemple, BedA VI 667,10sv) pour exprimer le temps durant lequel ils endurent la mort,
concomitant à celui où ils reçoivent leur récompense.
que «le jugement des hommes par les hommes est sévère» (I 718,5), tandis que
« dans son jugement à lui, il y a miséricorde, espérance et vie » (I 718,7).
Qu’on accepte ou qu’on refuse cette exégèse du jugement d’ Israël par les
Douze, surtout parce qu’elle porte les traces d’une polémique antijuive, il reste
vrai que sa remarque sur le caractère redoutable et agressif du jugement des
hommes par les hommes est pertinente, en contraste avec le jugement d’ amour
opéré par le Fils. Une manière d’inviter à corriger les images anthropologiques
qu’on projette sur le Dieu juge, en même temps qu’ un appel incitant l’ homme
à se conformer à la miséricorde divine dans ses jugements au lieu de plier Dieu
à ses propres préjugés souvent haineux.
À part ce qui est dit du jugement qui sera exercé par les Douze, Jacques
n’évoque aucune activité apostolique ou sacerdotale dans l’ au-delà, et la raison
pourrait bien en être la conception que se fait Jacques du sacerdoce christique.
Pour lui, le Christ en qui demeure la plénitude de la divinité (cf. Col 2,9) (I 177,8)
représente aussi la plénitude du sacerdoce. C’est ce que Jean Baptiste essaie de
dire à Jésus dans sa vaine tentative de le convaincre qu’ il n’est pas digne de
lui conférer le baptême: «S’il s’agit du sacerdoce, il est pleinement en toi, car
tu es le grand prêtre» (I 177,4). En outre, Jésus est la source de sainteté pour
l’ humanité et c’est par sa droite que le monde se tient : « Et s’ il s’ agit du ponti-
ficat (kūmrūtā), voici que le monde se tient par ta droite » (I 177,7). Un autre trait
qualifiant le sacerdoce du Christ et le distinguant de tout autre sacerdoce est
sa dimension eschatologique, qui est rattachée à la spécificité de son offrande,
le don de soi60. C’est à ce titre, grâce au caractère spirituel de son offrande, que
Melchisédech fut appelé «pontife à jamais»61. Mais comme tout autre sacer-
doce, celui de Melchisédech, bien qu’il ait préfiguré le sacerdoce du Christ, ne
peut dépasser le seuil de l’au-delà. Le Christ est le centre vers lequel convergent
et le sacerdoce spirituel de l’A.T. et celui du N.T.62 :
Dans l’éternité, le nouveau monde où Dieu « sera tout en tous» (1 Co 15,28)
(I 708,1) et où Dieu se manifestera «sans voile» (d-lā taḥfītā) (I 708,5), toutes
les médiations humaines, y compris le sacerdoce, tomberont en désuétude,
puisque seul le Christ en tant que grand prêtre sera capable d’ entrer dans la
shekina du Père, dans le sein de son Père, où ni anges ni pontifes ne sont admis
et où les offrandes de sang sont sans valeur (II 206-207)63. Dans ce lieu de la
Trinité, il n’y a que le Fils qui peut accéder et seule son offrande de soi sera
agréée:
C’est en s’inspirant d’Éphrem (cf. Parad 2,12) que Jacques exploite la symbo-
lique de la montée de Moïse sur le mont Sinaï: Moïse seul accède à la « Shekina
du Très-Haut» (škīnteh d-ramā), tandis que les anciens et les prêtres se tiennent
à la mi-hauteur, les chefs du peuple sur les hauteurs et le peuple aux alentours,
les «armées du ciel» remplissent le ciel et leurs chefs se tiennent au-dessus
d’eux (BedS 828,14-829,1)65,
Mais si l’activité sacerdotale cesse dans l’éternité, car il n’y aura qu’ un seul
prêtre et qu’une seule offrande qui sera agréable au Père, est-il vrai que le prêtre
sera détaché, dépossédé de ce qui forma son identité ici-bas par le don de
l’ Esprit qui imprégna toute sa personne et le mit au service de ses frères? Évo-
quant la mort du prêtre, Jacques semble admettre que ce dernier ne conservera
63 À la page 29, n. 73, nous avons cité BedS 829,7-8. On peut lui associer BedS 828,4-9.
64 La même idée est exprimée dans BedS 828,10-11, où seul le Fils peut entrer au sein de la
Trinité, la demeure du Père:
En dehors de la porte se tenaient les anges et les lévites,
et le grand prêtre, le Christ, y entra tout seul.
65 Jacques change un tant soit peu les places occupées par certaines catégories: tandis
que, pour Éphrem, le peuple est «en bas» de la Montagne, les prêtres occupent l’ enclos
(ḥūdreh) et Aaron le milieu (Parad 2,17), pour Jacques, dans BedS 828,16-19, Moïse seul
monte au sommet. C’est là que demeure la Shekina, avec au milieu les Anciens et les
prêtres, aux pourtours (ḥdaraw) le peuple, et sur les hauteurs (masqanaw) les chefs du
peuple.
pas seulement le sacerdoce qu’il acquit ici-bas, mais que ce sacerdoce, cette
« droite» qui lui fut confiée, sera scellée après la mort et confiée aux chants des
anges (II 884,6-7). Il va même jusqu’à insinuer que, décédé, le prêtre ira « servir
à la droite de Jésus», son Seigneur (II 884,8), où il retrouvera dans la « chambre
de lumière» l’autel sur lequel il a officié (II 884,4-5). Plus encore, une prière sera
prononcée par les prêtres vivants, souhaitant à leur frère décédé d’ être reçu
« parmi le nombre des apôtres» (b-haw menyanā da-šlīḥūtā) (II 886,8), ce qui
laisserait entendre que les apôtres et leurs successeurs formeront un groupe à
part dans le monde nouveau. Ce langage destiné à la consolation du prêtre et de
sa communauté n’offre certainement pas une preuve que le prêtre ressuscitera
comme tel, en conservant son identité sacerdotale. Il serait plutôt à assimiler à
un langage performatif dont le but est de souligner la récompense accordée au
prêtre (II 884,11; 886,3-4), tout comme la vierge et l’ enfant seront récompensés
pour leur virginité et leur innocence.
Ainsi, si tous les hommes ressuscitent «à l’ image des anges», comme
Jacques aime à le répéter en se démarquant d’Éphrem66, toutes les distinctions
qui s’expliquent ici-bas par le revêtement du corps, ou par la corporéité, seront
supprimées dans l’au-delà. De cette façon, Jacques transpose dans le monde à
venir ce que dit l’apôtre Paul sur la suppression des distinctions grâce au bap-
tême qui nous unit au seul Christ ici-bas (Ga 3,28). Cependant, les affirmations
de Jacques ne sont pas de l’ordre ontologique, comme si elles portaient sur
ce qui définit et constitue l’identité de l’homme et de la femme. À vrai dire,
elles sont plutôt de l’ordre de l’ activité, ou de l’ usage (ḥšaštā) de la masculi-
nité et de la féminité, une terminologie reprise d’ Aphraate, autrement dit de
l’ acte sexuel dans le cadre du mariage. C’est ainsi que, commentant la discus-
sion entre Jésus et les Sadducéens sur le statut qu’ aura dans l’ au-delà la femme
qui a eu sept maris ici-bas, Jacques voit dans la réponse de Jésus une confir-
mation de l’abolition du mariage, du fait que «l’ usage de (l’ activité) des mâles
et des femelles sera aboli» (cf. Mc 12, 18-27) (V 575,10 ; cf. aussi 576,12), usage
que Jacques qualifie «de passion» (ḥšaštā d-kībē) (V 581,9). Proche du terme
66 Sauf erreur de notre part, Éphrem ne recourt jamais à l’ expression « comme les anges»
(Mc 12,25) pour décrire l’état de l’homme ressuscité, mais comme l’ a montré Beck, Dōrea
und charis, p. 37, pour soutenir que l’on devient à l’image des anges par le baptême qu’ on
reçoit (HdF 10,9) et par les bonnes œuvres qu’on accomplit (Eccl 49,2). Tout au plus, dans
un langage parabolique, il signifie que les enfants décédés ressemblent aux anges sans
tache (Parad 7,8). Il va même jusqu’à reconnaître que l’ homme et la femme ressuscitent
comme tels, dans une note qui, comme il a été souligné ci-dessus, écarte tout encratisme
(Parad 7,5). Pour Jacques, en plus de ce que nous disions ci-dessus sur la parenté qu’ ont
avec les anges l’enfant et les vierges, y compris Élie, voici les textes qui reprennent expli-
citement l’expression «à l’image des anges»: V 577,11.19 ; 580,11.19; 581,5 ; 582,17 ; 583,13.20.
Plus loin encore dans le texte, il est affirmé que « la nature s’ est libérée, s’ est
écartée du mariage» (V 583,12), ce qui confirme que c’ est bien la fonction, la
procréation liée à la différence sexuelle qui est visée. En revanche, l’ identité
sexuelle continue à perdurer dans l’au-delà, celle qui définit essentiellement
l’ homme et la femme. Car, si l’on comprend que l’ « unique nature» qui unit là-
bas les deux conjoints renvoie à une perception de la personne humaine qui
bannit toute différence sexuelle, il serait logique de conclure que le prêtre, en
tant qu’homme mâle, perd lui aussi son identité dans le nouveau monde. Or,
l’ égalité par l’unicité de la nature s’effectuant par le caractère spirituel qui rend
l’ homme et la femme «à l’image des anges» peut ne pas exclure la différence
sexuelle. Au contraire, homme et femme, chacun de son côté, se transforme-
raient à l’image des anges et, à ce titre, cesseraient d’ exercer leur fonction
orientée vers la procréation ici-bas.
À la lumière de cette réflexion sur la possibilité de la permanence de la dif-
férence sexuelle dans l’au-delà, on est à même de mieux comprendre le sort du
prêtre dans le nouveau monde. Car, si la différence sexuelle constitutive de la
nature humaine est la seule qui demeure, tandis que cesse sa fonction, donc sa
mise en exercice dans la procréation, il serait utile de s’ interroger sur ce qui a
valeur de «nature» dans le sacerdoce et qui est appelé à perdurer dans l’ autre
monde. De ce point de vue, la question fondamentale est la suivante: le sacer-
67 V 581,8: «Il n’y a pas là-bas les formes (eskīmē) de mâle et de femelle ».
doce est-il pour Jacques une donnée «naturelle», ou qui s’ assimile au naturel,
ou bien est-il une fonction qui disparaîtra du fait que c’ est désormais le grand
prêtre, le Fils, qui est le seul à pouvoir officier devant la face de Dieu ? Si, en
revanche, le prêtre acquiert un statut «naturel» qui le fera ressusciter en tant
que tel, il s’ensuit que le baptisé, de son côté, peut se réclamer de son statut à
la résurrection. Autrement dit, chacun ressuscitera dans le statut « ecclésial »
dont il était doté ici-bas, ce qui justifiera que les vierges et les enfants conser-
veront leur statut. Et pourtant, il semble que si l’ approche de Jacques laisse
supposer que la différence sexuelle persiste, elle exclut que les autres statuts
dits «ecclésiaux» perdurent là-bas. Lors du Jugement dernier, chaque membre
de la communauté chrétienne, quels que soient son degré ou sa fonction, sera
rétribué pour ce qu’il mérite, les vierges occupant la première place à cause de
leur ressemblance aux anges dès ici-bas.
5.4 Narsaï
68 Sur les deux mondes appelés deux catastases, cf. Gignoux, Doctrines eschatologiques,
p. 46-47, Frishman, Ways and Means T, p. 34.58-59.64.148.152.181. Jansma, Pensée de Nar-
saï, p. 422-423, adopte la thèse de R. Devreesse, Essai sur Théodore de Mopsueste, Città
del Vaticano, 1948 (Studi e Testi, 141), d’après laquelle la théorie des deux catastases est à
la base du système théologique de Théodore; cette conception théodoréenne, continue
l’auteur, a eu une grande influence sur Narsaï.
69 En guise d’illustration, cf. II 68,21-23; McLeod IV 385-386. Narsaï emprunte le langage
Ce corps devient un temple par lequel l’homme peut rendre culte à Dieu
(I 207,12). Toutefois, le renouvellement par Jésus s’ effectue dans un processus
qui implique essentiellement les étapes suivantes : son baptême qui fait passer
de la mort à la vie (McLeod II 408.429-430), sa résurrection et son Ascension
qui confirment que le gage de vie est réel (II 72,1-4), et, enfin, sa parousie où la
vérité du renouvellement se manifestera dans sa plénitude (PP I 747,15-17).
Devant une pensée tellement imprégnée par l’ eschatologie, on est en droit
de s’interroger sur les raisons qui ont amené Narsaï, tout comme Aphraate
avant lui, à minimiser la place de l’Église dans cet acheminement vers
l’ eschaton. Ceci est d’autant plus surprenant si l’ on constate que l’ Église, dans
la perspective de l’auteur, est le lieu de la manifestation du « mystère» (razā),
en premier lieu le mystère trinitaire (PP I 581,16-582,1), que c’ est elle qui rédige
les Écritures dans le but d’enseigner ses fils (II 80,23-24) et que c’ est par elle
que les anges furent instruits des vérités divines qu’ elle reçut de son Fiancé (cf.
Ep 3,10) (II 80,19-23). On peut multiplier les traits que Narsaï relève pour sou-
ligner la grandeur de l’Église, mais aucun ne développe une pensée nettement
eschatologique, actuelle ou futuriste. L’idée que Simon Pierre revêt l’ Église de
la robe de gloire, une allusion au baptême70 que Narsaï oppose aux tablettes
que déchire Moïse (II 75,23-76,4), ne vise qu’à dévoiler la « beauté cachée » de
l’ Église, sans aucune allusion à un quelconque aspect eschatologique. Recon-
naissons toutefois que certains sacrements administrés par l’ Église sont por-
teurs d’une dimension eschatologique. C’est ainsi que le baptême, un dia-
dème entièrement serti des «pierres précieuses de l’ Esprit » (ṭabʿā d-rūḥā)
(McLeod II 413-414), est doté de la capacité d’ouvrir « la porte du royaume d’ en
haut» (I 358,20-21). De même, l’eucharistie dont l’ Église, actrice, est décrite
comme la «mère spirituelle» (emā d-rūḥā) qui invite ses fils au banquet pour
leur offrir le «corps et le sang» du Christ, est présentée comme un « gage de
vie» reçu et transmis par la même Église (I 347,11-17)71. En revanche, le don des
clés que Narsaï attribue à la compétence de l’Église et qui est exprimé ici par
le «pouvoir d’en haut» (II 348,3), vise à montrer l’ origine divine du don sans
aucune réflexion sur sa capacité à introduire aux temps nouveaux.
Toutefois, si l’on excepte ces quelques allusions au rôle de l’ Église dans les
sacrements, une ecclésiologie dite eschatologique peut être considérée comme
absente dans l’approche de Narsaï. Si l’on concède que c’ est le rapport au
royaume qui constitue le trait principal qui dévoile la dimension eschatolo-
éphrémien de l’Invisible qui se manifeste dans le visible ; cf. surtout PP I 125-126 ; 230,14-19;
McLeod I 99.175.188.337-409. Sur Éphrem, cf. supra, p. 74, n. 41.
70 Dans II 347,25, on trouve seulement le terme «robe» tissée dans les eaux baptismales.
71 Cf. supra, p. 135.
gique de l’Église, ce rapport est totalement négligé par l’ auteur72. Quand, pour
condamner les conflits qui déchirent l’Église, Éphrem rappelle que celle-ci doit
être à l’image du royaume, lieu de paix, Narsaï reprend l’ idée de son maître, à
savoir que l’Église est un lieu de paix et d’amour (II 344,3-4), mais sans aucune
référence au royaume auquel l’Église doit se conformer. Nous n’avons pas à
discuter ici toutes les images de l’Église pour nous assurer qu’ aucune appli-
cation eschatologique n’a été envisagée, ou même entreprise, par notre doc-
teur. Ainsi, l’image de l’Église comme corps du Christ qui en est la tête73 ne
s’ accompagne pas d’une investigation sur le destin eschatologique de ce corps
ecclésial. Il en est de même de l’image de l’Église comme Épouse du Fiancé
céleste74.
C’est uniquement au début du mīmrā intitulé « Sur l’ Église et le sacerdoce»
que Narsaï localise le «Saint», le «temple saint » (haykal qūdšā) sur terre,
et l’identifie à l’Église, tandis qu’il situe le «Saint des Saints » au ciel : bien
que le culte soit spirituel (Jn 4,23), les hommes sur terre officient « en mys-
tère» (razanāyit), dans l’attente d’un office en acte (ba-ʿbadā) qui se célébrera
au ciel (II 144,9-12)75. Bien que cette application ecclésiale de la structure du
temple soit un hapax dans l’œuvre de Narsaï76, celui-ci ne dit mot sur une
quelconque tension, une orientation du culte ecclésial vers son modèle, sa réa-
72 Sauf erreur de notre part, nous n’avons pas trouvé chez Narsaï de textes qui évoquent ce
rapport.
73 Cf., à titre d’exemple, PP I 236,12sv; 382,20-383,8; PP II 881,13-18.
74 Les références sont nombreuses; cf. ce que nous disions supra, p. 134-136.
75 Il est difficile de déterminer de façon apodictique si le « Saint », ou le « temple saint »,
désigne l’Église dans son ensemble, lieu du culte spirituel, ou si c’ est l’ église en tant
qu’édifice. Cette ambiguïté peut bien jouer en faveur de l’ auteur, dont l’ intention serait
d’englober les deux sens.
76 Nous rappelons que dans le mīmrā publié par Frishman sur le tabernacle (Frish V), aucune
application ecclésiale n’est faite de la structure double du temple: le Saint et le Saint
des Saints. En guise de rappel, les trois applications retenues par Narsaï sont celles cos-
mologique (les deux mondes) (Frish V 9-12.41-58.81-82 ; etc.), christologique (Verbe-chair)
(Frish V 180-196.295-298) et anthropologique (corps-esprit) (Frish V 83-100.375-378). À
ce sujet, on peut consulter Frishman, Ways and Means T, p. 128-131.135.138-139. Quant à
l’idée d’après laquelle «for Theodore and Narsaï the tabernacle is also a symbol of the
church» (Ways and Means T, p. 167), Frishman analyse la conception de Théodore avec
des références à l’appui dans l’œuvre du théologien, mais elle ne cite aucun texte de Nar-
saï qui prouve que, sur la symbolique ecclésiale du tabernacle, le disciple se situe dans
la ligne de son maître en exégèse. À bien regarder l’ analyse de l’ auteure concernant le
tabernacle, on se rend compte que son attention est braquée sur Théodore (idem., spéc.
p. 151-152) et sur Éphrem (ibid., p. 166-168). Même lorsqu’ elle analyse les notions signifiant
«ressemblance», «symbole», «type», etc. dans l’homélie V sur le tabernacle (ibid., p. 134-
138), on ne trouve nulle part la mention du terme «Église ».
77 Cf. supra, p. 4.
78 Ayant soutenu qu’il s’agit de la même Église, l’auteur perçoit dans ce qu’ elle accomplit
sur terre une anticipation de ce qu’elle fera dans l’ au-delà : sa victoire sur terre s’ étend
au ciel, sa nourriture par le corps et le sang de son Fiancé sera remplacé par la gloire (ici
zīwā) qui la rassasiera là-bas, à la place du sacrifice expiatoire du corps et du sang de son
Fiancé ici-bas, elle montrera sa nature humaine là-bas (II 164,19-165,3). Bien que sa race
(gensā) soit terrestre, sa chambre nuptiale (gnūnā) est fixée au ciel, où sont disposés « les
biens promis sans fin (ṭūbē mlīḫē d-lā šūlamā)» (II 167,9-11).
Dans ses mains est placé le trésor de vie qui est caché dans les eaux
(baptismales),
et s’il ne s’approche et le distribue, il n’est pas donné.
I 344,9-10
Appelé guide (hadiyyā) qui éclaire le chemin (II 147,11-12), mais aussi capitaine
(qūbarnītā) qui conduit à la «promesse de vie» du fait même qu’ il est expert de
la façon dont il faut faire parvenir son navire – en l’ occurrence les hommes – au
port de la «vie cachée en haut» (II 147,15-17), le prêtre appelle les hommes à ne
pas s’amollir (tetrafūn) eu égard aux «choses promises» (da-mlīḫan) (II 147,9-
10).
Même si parole et sacrement sont indissociables chez Narsaï, il lui arrive de
mettre l’accent sur la prédication de la parole dans l’ acheminement que réalise
le prêtre vers la vie de l’au-delà. Évoquant les Douze, Narsaï rappelle qu’ il leur
a été confié d’accomplir le «mystère du kérygme» (razā d-karūzūtā) par lequel
ils deviennent les témoins du «nouveau chemin » pavé par la personne même
du Christ (McLeod V 37-38). C’est par eux que la parole de vie est proclamée
(etkarzat), amenant les hommes mortels à prendre « le chemin de la vie nou-
velle» (II 146,6-7), de «la vie sans fin» (II 83,15-16) et c’ est par leur prédication,
par leurs paroles (melayhūn), qu’ils «aplanissent le chemin vers le royaume
d’en haut» (II 80,2-3). À leur suite, leurs successeurs sont appelés à mettre à
profit la parole qui leur est confiée pour que, proclamée, elle procure la « vie
spirituelle» à ceux qui l’accueillent favorablement (I 349,20sv).
En distribuant le «trésor de l’Esprit», c’est par les apôtres que le Christ libère
la vie de la mort (mayūtūtā, mortalité), et en accomplissant « les mystères et
les types», le Christ s’appuie sur eux pour qu’ils expliquent aux hommes la
« puissance des images» dans le but de leur ouvrir « le chemin vers le haut »
(l-rawmā) (McLeod V 51-56). Comme il l’affirmait au sujet des effets des sacre-
ments, la prédication ne tend pas moins à accorder la vie, surtout la vie éter-
nelle, par la proclamation de la résurrection. Encore faut-il souligner qu’ il ne
s’ agit pas uniquement de cette prédication dont l’ effet est la résurrection par la
conversion, sauvant de la mort qui est le péché (II 151,4-7). Plus encore, l’ accent
est mis sur la prédication portant sur la résurrection elle-même (II 81,19-20)
qui accorde la joie (ḥalyūtā ; litt.: douceur) à l’esprit et la réjouissance au corps
mortel (II 147,8-9). S’agissant des quatre évangélistes, leur prédication est qua-
lifiée de «remède de vie» (sam ḥayūtā) et s’affirme comme apportant la nou-
veauté toute nouvelle, car elle annonce l’abolition de la mort (PP I 228,4-7) et
l’ avènement du salut non seulement du corps et de l’ âme, mais de la création
entière:
Une Nouvelle toute nouvelle que les hommes apportent aux hommes :
la résurrection du corps, le salut de l’âme et le renouvellement de toute
chose.
PP I 228,8-9
en les choses à venir» (II 147,17-18). Au point que s’ il vient à faillir de l’ idéal spi-
rituel, qui n’est autre que la méditation des choses spirituelles, la conséquence
serait désastreuse pour les fidèles dont il a la charge, laquelle se manifeste-
rait par la perte de l’amour des «choses à venir» (da-ʿtīdan) (II 337,1-2). On
en conclut que, malgré l’importance de la prédication portant sur les choses à
venir, notamment sur la résurrection, il reste que le témoignage de vie requis du
prêtre, son martyrium, ne saura que l’emporter, ne fût-ce que parce qu’ il est la
preuve d’une authenticité sans faille. Aux yeux de Narsaï, le modèle par excel-
lence n’est autre que l’Apôtre des nations qui a exprimé son désir de se libérer
de son corps (Rm 7,24) pour rejoindre la vie nouvelle, en mourant au monde
et à ses convoitises (Ga 6,14) pour vivre «dans l’espérance de ce renouveau qui
advient à la fin» (PP I 237,12-21).
Dans ce qui précède, il n’était question que de la préparation de l’ eschaton, à
l’ avènement duquel le prêtre est appelé à contribuer dans une grande mesure.
Mais de ce qui a été dit sur la condition sine qua non du rôle du prêtre, « sans
lequel» (belʿadaw)79 le chrétien ne peut accéder au royaume d’ en haut, on est
en droit de se demander si Narsaï ne se laisse pas tenter par une exagération
à tout le moins injustifiée. D’autant qu’aucun des auteurs que nous avons étu-
diés n’est allé jusqu’à rattacher le salut des fidèles au ministère du prêtre. À
vrai dire, on peut comprendre l’argumentation de Narsaï si l’ on considère que
le salut donné par Dieu ne vient à connaître une réalisation effective que par
la proclamation de la parole et l’administration des sacrements, où, aux yeux
de notre docteur, la contribution du prêtre est grande et, dans certains cas,
indispensable. Mais il faut aussi tenir compte du fait que le discours de Narsaï
s’ adresse à la communauté ecclésiale, un discours ad intra, sans aucune inten-
tion de se prononcer sur le salut des hommes vivant en dehors de l’ Église. Dans
cette seule perspective, le rôle du prêtre s’annonce d’ une importance relati-
vement majeure, dans la mesure où il s’inscrit dans et à la suite de l’ activité
salvifique dont l’homme Jésus fut chargé.
Et il est entré pour officier dans le Saint des Saints, comme un grand
prêtre.
McLeod V 82
Ayant admis que Jésus en tant que grand prêtre est, par sa résurrection, le Prin-
cipe de ceux qui entrent dans le Saint des Saints, nous envisagerons par la suite
deux questions: d’abord le statut de tout homme face au Fils qui pénètre le
Saint des Saints dans l’au-delà, ensuite le statut du prêtre, dans le but de voir si
celui-ci jouit d’une place à part dans l’au-delà.
80 Nous avons rencontré une idée analogue chez Jacques, supra, p. 163. Chez Narsaï, ce lieu
est décrit comme dépourvu de dommages, de malfaiteurs (nekyanē, makyanē) [Frish I 433-
434; cf. aussi McLeol V 90: «rebelle (mrīd) aux dommages»], un lieu pur qui n’est pas
entaché par «les œuvres terrestres» (McLeol V 84).
Ce n’est pas au Saint des grands prêtres qu’ entra Jean (Baptiste)
C’est au (Saint) céleste qu’il traça son entrée, en mystère (razanāyit).
McLeod II 283-284
Si la porte du Saint des Saints fut grande ouverte à celui qui avait eu la pré-
rogative de poser la main sur la tête de Jésus, combien plus le sera-t-elle pour
celui qui, dans le baptême, s’est revêtu du Christ en une union indissociable ?
Toutefois, ce n’est pas par ce biais que Narsaï aborde la question de l’ entrée de
l’ homme dans le Saint des Saints. Car, faut-il le rappeler, nous cessons d’ être,
dans l’au-delà, dans le régime du «mystère» pour comparaître face à face
devant l’Essence – pour utiliser les termes de Narsaï. À ce niveau, Narsaï semble
être convaincu que le Christ nous «fit entrer avec lui dans le Saint des Saints qui
(nous) est interdit (d-lā mafas wā)» (McLeod V 278). Sonnant comme contra-
dictoire, l’expression «est interdit» dite de l’accès au Saint des Saints, ici
comme ailleurs pour Jean Baptiste, laisse supposer que ce qui était interdit
ne l’est plus désormais, puisque le Christ nous y « fit entrer avec lui ». C’ est
comme si, passant du régime de l’Ancienne Alliance où le Saint des Saints était
réservé au seul grand prêtre, notre nouveau grand prêtre semblait procéder
à une démocratisation d’après laquelle l’homme partagerait avec lui l’ entrée
dans la partie la plus glorieuse du temple.
De prime abord, cette vision de démocratisation ne semble pas concorder
avec des affirmations de Narsaï, où l’on doit comprendre que c’ est à l’ homme
Jésus que fut ouvert le Saint des Saints. En fait, expliquant ce qu’ il comprenait
par «il nous fit entrer avec lui», Narsaï renvoie plutôt à :
Notre poussière (daḥīḥan) monta grâce à (ʿam ; litt. : avec) son Ascension
auprès de l’Essence (ītūtā),
et notre glèbe (ʿafran) s’assit à la façon (b-ṭaksā ; litt. : selon l’ ordre) d’ un
roi revêtu de pouvoir.
McLeod V 279-280
Par cette évocation de l’entrée de notre «poussière » dans le Saint des Saints,
c’est à l’homme Jésus qu’il est fait référence. Mais Narsaï établit-il une sépara-
tion abrupte entre l’homme Jésus et l’humanité de tout homme, au point de
revendiquer un droit qui ne revient qu’à l’homme Jésus, en réfutant au com-
mun des mortels toute participation à la gloire dont jouit le Christ ? L’insistance
de Narsaï sur l’humanité de Jésus n’a-t-elle pas, comme première et fonda-
mentale intention, de mettre en valeur l’humanité de tout homme ? N’ affirme-
t-il pas que, par la résurrection du Christ, une parcelle (mnatā) de la nature
humaine ressuscite, ce qui revient à soutenir que « toute la nature (ḫūleh kyanā)
ressuscite avec le fils de sa race» (bar genseh) (I 26,1-3) ? En cela, il s’ appuie sur
l’ Apôtre des nations qui postule que le Christ « nous fit monter avec lui là où
il monta» (cf. Ep 2,6) (I 26,3-4). Et cette ascension ne concerne pas unique-
ment la nature humaine, mais «toute la création (ḫūlah brītā) » qui, assujettie
à l’esclavage ici-bas (cf. Rm 8,18-23) (II 230,19-231,4), sera totalement renouve-
lée dans l’au-delà81.
81 Cf. supra, p. 171. En plus du texte ci-dessus cité, cf. II 58,15-17 ; 68,18-19; 70,12-16; 72,1-2; PP I
757,2: «Et par elle (la parole du Fils à la parousie) sont renouvelés hauteur et profondeur
et tout ce qui existe en eux». Ce renouvellement ne se réalise que par le renouvelle-
ment de l’homme: «Tout sera transformé, tout sera renouvelé grâce au renouvellement
de l’homme» (PP I 757,15; cf. aussi II 242,17-19).
Quant à l’entrée dans le Saint des Saints, Narsaï ne semble même pas éta-
blir une distinction entre notre grand prêtre, le Christ, et l’ homme. Au sujet de
ce dernier, Narsaï nous surprend en admettant qu’ à la parousie, le Christ nous
fait entrer non seulement dans la «maison indestructible » (2 Co 5,1), mais aussi
dans le Saint des Saints:
Non pas à la hauteur de son pouvoir qu’ils s’ élèvent (et lui sont)
parents;
lui est honoré avec l’Être de la part des (anges) spirituels et des
(hommes) corporels.
Eux seront appelés cohéritiers (bnay yartūteh), par le nom d’ immortali-
té,
82 Le «pour (ḥlaf ) notre vie» (II 23,8-9; McLeod V 202) est répété dans une autre formula-
tion: «pour les mortels» (I 193,3.4; Frish I 538.539), ou encore « pour toutes les créatures
(ḫūl beryan)» (Frish I 436).
83 Les références sont nombreuses; à titre d’illustration, cf. II 23,11-12 ; 68,21-23; McLeod IV
385-386.
84 Cf. supra, p. 167, n. 69.
saï soutient que, même dans le royaume céleste, le mystère du Fils reste total
et l’homme n’accède qu’à l’aspect visible du Christ, son corps (II 20,10-16).
Compte tenu de ces affirmations qui viennent tempérer ce que Narsaï dit d’ une
entrée probable de l’homme dans le Saint des Saints, on est invité à bien dis-
tinguer le statut du Fils de celui de l’homme: le Fils reste l’ initiateur qui rend
possible l’entrée de l’homme dans le royaume et c’ est à lui que l’ homme se doit
de rendre louange et adoration, sans que ce dernier puisse accéder à la divinité,
pas même à la divinité du Verbe.
Jusqu’ici, on a abordé le statut unique du Fils en tant que grand prêtre par
rapport à l’homme qui, s’il lui est accordé d’entrer dans le royaume céleste,
ou dans le Saint des Saints, ne peut se comparer à celui qui, « avec le Créa-
teur, est honoré par le nom et le pouvoir» et appelé « Fils de Dieu, comme
Dieu» (II 24,1-2). Mais qu’en est-il du statut du prêtre : garde-t-il son identité,
son «être-prêtre», sa fonction sacerdotale? Quelle place occupera-t-il à côté
du grand prêtre, à supposer que son sacerdoce soit conservé dans l’ au-delà ?
À ces questions, on ne trouve pas de réponses directes chez Narsaï, mais il est
possible de déceler sa position en scrutant des thèmes collatéraux, notamment
ceux qui touchent directement au destin de différentes catégories humaines
dans l’au-delà.
Dans un premier temps, tout comme ses pairs dans la tradition syriaque,
Narsaï reprend la formule paulinienne qu’il projette dans le monde renouvelé,
d’après laquelle il n’y aura plus de distinction entre « classes (tegmē) et rangs»,
entre «esclave et homme libre», ou encore entre « judaïsme ( yūdayūtā) et
incirconcis (ʿūrlūtā)» (II 17,16-20). Narsaï insiste surtout sur l’ abolition de la
distinction entre la «nature (kyanā)» de l’homme et celle de la femme, qu’ il
justifie par la réponse de Jésus aux Sadducéens qui nient la résurrection, leur
faisant comprendre que «leur nature deviendra immortelle, comme les spiri-
tuels», c’est-à-dire comme les anges (PP I 747,1-2). Dans l’ au-delà, la distinction
se fera en fonction des actes de chaque personne humaine, homme ou femme,
à la lumière desquels le jugement sera exercé (PP I 754,3-20). C’ est dans cette
perspective que Narsaï dresse une liste de ceux qui préparent et se préparent
à la vie de l’au-delà: les jeûneurs, les orants, les veilleurs, les célibataires (d-lā
zūwaġā, litt.: sans mariage), ceux qui méprisent les richesses terrestres (PP II
602,2-19). Il est à noter que les prêtres n’y figurent pas en tant que catégorie à
part, comme le sont les célibataires, mais peuvent appartenir à l’ une ou l’ autre
catégorie évoquée dans la liste. Quoi qu’il en soit, la question, difficile à tran-
cher, est celle de savoir si le recours de Narsaï, comme d’ ailleurs des autres
auteurs syriaques, à l’abolition de la distinction entre homme et femme signi-
fie que toute distinction s’estompe dans l’au-delà. Certaines formulations de
Narsaï le laissent supposer. Ainsi, ayant soutenu que la différence ici-bas entre
Dans une grande gloire seront avalées les « formes » de leur différence,
et seront égaux mâles et femelles (dakrē w-neqbatā) dans la robe de
lumière dont ils seront revêtus.
I 325,13-15
Là-bas, il n’y aura pas de mâles et de femelles, car la nature est une (ḥad
hū kyanā).
I 205,18-19
85 Cf. notre Saint Paul, p. 223, où nous citons I 369,13-17. Originairement, le terme se trouve
dans 1Co 15,54 et 2Co 5,4. Pour l’abolition de la distinction homme-femme dans l’ au-delà,
nous renvoyons à Gignoux, Doctrines eschatologiques, p. 486-487, où l’ auteur souligne
que Narsaï emprunte à Aphraate son exégèse de Ga 3,28 qu’ il transpose dans un sens
eschatologique. Gignoux estime que, sur ce point, les deux auteurs syriaques font une
«interprétation abusive» des textes scripturaires.
86 Cf. supra, p. 143-144 pour Aphraate et p. 164-165 pour Jacques.
l’ importance de la mission dont ils sont chargés, leur jugement par Dieu sera
d’autant plus exigeant et sévère (II 331,10-12; 334,1-2). C’ est à eux que s’ applique
par excellence la parabole de l’intendant fidèle (Lc 12,35-48) (II 152,5-10) et c’ est
à eux, en premier lieu, que Dieu vient demander compte de l’ exécution de la
mission vis-à-vis de son troupeau (II 152,17-23). Le prêtre est même identifié à
l’ ouvrier qui a reçu l’unique talent et, refusant de le faire fructifier, il reçoit la
plus dure condamnation infligée par son maître (II 155,18-156,4).
La fonction du prêtre comme juge est encore tempérée par le Christ comme
juge, à qui le jugement revient à titre exclusif en raison du vouloir divin qui
vient habiter en lui88, ou grâce au rang du nom de l’ Essence auquel il fut élevé
(McLeod V 207-214). Tout le jugement, dit Narsaï, « a été reçu du Père par le
Fils (Jn 5,22) de notre race» (II 59,20-21). Pourvu de ce pouvoir qu’ il a reçu et
non pas en raison de sa nature (kyanā), le Christ juge « à l’ image du Seigneur
de tout» (II 71,21-23). C’est dire que le jugement est une exclusivité divine, et
si le Christ peut désormais l’exercer, c’est parce qu’ il a été élevé au rang de
Dieu:
88 Voici le texte:
Un seul régnera avec le vouloir (de Dieu) qui lui posa un diadème
et c’est lui qui jugera par ce même vouloir qui lui confère le jugement (II 59,19-20).
La même idée se trouve dans PP I 124,1-10, où le Christ est décrit comme revêtu du pou-
voir, au même titre que l’Essence divine, et, à ce titre, à savoir comme temple du vouloir
divin, il transcende tout et est élevé «au-dessus de tout pour tout juger». Ce vouloir divin
est qualifié de «vouloir d’amour» envers tous, et la distinction entre bons et mauvais est
le résultat des actes des hommes (II 60,15-18). Même si, dans d’ autres contextes, il est dit
que c’est le Christ qui «examine (baḥar) par le décret de son jugement les bons et les
mauvais» (II 7,20).
les hommes et les anges, et par extension les démons, qu’ il appelle parfois
« spirituels» (PP I 756,11-12; McLeod V 213-214). En fait, bien que la mention des
hommes ne pose pas de problème particulier dans le « tout» qui sera soumis
au jugement du Fils, ce qui semble problématique serait le fait d’ inclure les
« spirituels» parmi ceux qui seront jugés. Dans un contexte où Narsaï cherche
à montrer que l’homme, dans le monde à venir, est capable de voir les âmes
et la «nature des spirituels» (kyanā d-rūḥanayē), Narsaï donne pour preuve à
l’ appui le fait que le Christ a la faculté de voir les « spirituels » qui ont péché,
à savoir les anges rebelles, autrement il ne pouvait mériter le titre que nous
venons d’évoquer, le «juge de tout» (II 19,17-20,5). Nous ne pensons pas qu’ il
faille voir dans ce jugement des anges par le seul Christ une pointe contre
le texte paulinien (1Co 6,3) auquel Narsaï ne se réfère qu’ en passant ; c’ est
plutôt du règne qui sera soumis au jugement du Christ qu’ il est question, et
ce règne ne se limite pas à l’homme, mais il inclut les habitants du royaume
céleste.
Mais reposons pour la dernière fois la question : si le prêtre ne semble pas
exercer un quelconque jugement dans l’au-delà, ni une autre activité média-
trice, perd-il pour autant son identité de prêtre? Dans l’ ensemble des textes
que nous avons analysés et qui, tous, confirment que l’ activité du prêtre n’a
pas de place dans le monde à venir, un seul d’entre eux semble contredire ce
qui précède, celui où il est soutenu que le ministère sacerdotal est exercé sur
terre «en mystère (razanāyit)», tandis qu’il le sera au ciel « en acte» et cela en
référence au Saint et au Saint des Saints:
En plus du fait que l’identité des officiants n’est pas identifiée, puisqu’ il y est
renvoyé par le simple titre de «terrestres» (II 144,4), ou par le terme
d’«hommes» (našā) (II 145,6), il est plus loin affirmé que le Christ accorde aux
« fils de sa race» d’officier sur terre, tandis qu’il officie lui-même au ciel :
Quoi qu’il en soit, une chose reste cependant certaine : Narsaï ne reconnaît
qu’au sacerdoce du Christ une pérennité qui prévaut dans l’ au-delà :
90 On serait par exemple enclin à distinguer entre l’ordre de la création où s’ insère la diffé-
rence sexuelle entre l’homme et la femme, et l’ordre de la grâce qui correspondrait mieux
au don du sacerdoce. Mais la grâce ne scelle-t-elle pas son destinataire au point d’ en faire
une nouvelle créature, une personne avec une identité propre? C’ est dans cette optique
qu’il faudrait comprendre la pensée syriaque et non pas dans une perspective qui admet-
trait une distinction entre fonction et ontologie.
6.1.1 Aphraate
L’étude approfondie de l’ensemble des textes d’ Aphraate où le sacerdoce est
évoqué, révèle que l’évaluation porte plutôt sur les prêtres ou grands prêtres,
ainsi que, de façon prioritaire, sur la façon d’exercer le sacerdoce, plutôt que
sur la valeur du sacerdoce lui-même. Si l’on favorise la succession historique
des événements, bien qu’Aphraate ne qualifie pas clairement Caïn de prêtre
comme le feront les auteurs syriaques postérieurs, celui-ci reste le modèle d’ un
sacrificateur dont l’offrande a été refusée (I 140,5). Dans cette perspective, il
compare le refus par Baal de l’offrande que lui font ses adorateurs, les adver-
1 Faut-il conclure qu’Aphraate se laisse tenter par une certaine démythologisation lorsqu’ il
identifie le feu céleste au feu sortant des encensoirs, ou cherche-t-il à atténuer l’ intervention
de Dieu, et pour l’innocenter, il postule que le feu ne vient pas « de devant Dieu » mais sort
des encensoirs?
2 Sur les conséquences de l’impureté des deux fils d’Éli, cf. I 620,20-23, où il est rapporté que le
peuple tomba sous l’épée des Philistins (1 S 4,10-11) et l’Arche fut transférée au temple impur
de Dagon.
3 Dans I 592,25-26, seule est retenue l’arrogance dont sont accusés les prêtres, qui ne se sentent
même pas gênés de l’afficher face au peuple.
4 Dans I 629,10-12, la perdition des deux prêtres est imputée à la seule convoitise; cf. aussi
I 832,19, où ils sont accusés de s’être «conduits avec convoitise ».
5 Pour une approche exégétique du texte d’Aphraate sur le récit d’ Éli et de ses deux fils, cf.
Morrison, Scenes, p. 174-179. L’auteur signale les modifications introduites par Aphraate dans
le texte biblique: la Bible ne mentionne pas la mise à mort d’ Éli qu’ Aphraate lui fait subir en
contrepartie de sa participation à la corruption de ses fils ; Aphraate ignore le rôle du servant
du prêtre (1 S 2,13); son ajout de la cupidité des prêtres, ce qui aurait pu lui être suggéré par la
mention des «trois fourchettes à trois dents» qu’on trouve dans la seule Peš de 1 S 2,13; le fait
de qualifier de «docteurs» (malfanē) les prêtres dans le but de les associer aux prêtres qui
leur sont contemporains; l’application qu’il fait du récit biblique à la situation de sa propre
Église et de ses chefs, faisant insinuer que, contrairement à Éli, il n’est pas prêt à garder le
silence sur la corruption du clergé, mais qu’il a le courage de la dénoncer.
Ô prêtre Éli, chef du peuple, quand tes fils, impies, ne t’ ont pas obéi, il ne
fallait pas que le sacerdoce que tu exerces soit associé aux péchés que tes
fils commettaient.
I 617,9-13
6 Morrison, Scenes, p. 179-189, expose l’exégèse qu’ Aphraate donne du récit d’ Uzza. Il explique
la raison pour laquelle Aphraate élève Uzza au rang de prêtre, ce qu’ on ne trouve pas dans
le texte biblique et qui est contredit par la thèse de Flavius Josèphe (Ant. VII.4.2). Pour ce
dernier, c’est parce qu’Uzza n’est pas prêtre et qu’il a touché à l’ Arche qu’ il mérita la mort.
Aphraate jugea plus pertinent de considérer Uzza comme prêtre pour justifier que, négligeant
le service de l’Arche tel que prescrit par Dieu, il fut condamné à mort. Nous ne développons
pas l’analyse exégétique que mène Morrison ni les résultats auxquels il est parvenu; retenons
ce qu’il dit de l’harmonisation qu’entreprend Aphraate pour mettre en parallèle Uzza avec
les fils d’ Éli et d’Aaron, qu’il s’agisse de l’impureté comme cause de la corruption sacerdo-
tale (p. 86), ou de l’harmonisation de la cause de la mort des prêtres avec celle d’ Uzza comme
résultat de la transgression du service cultuel.
7 Cf. 2 R 15,5; 2Ch 26,19-21 (I 857,4-9; II 52,22-25).
8 À la suite de Parisot, M.-J. Pierre traduit w-ʿal l-ūrišlem, dans la phrase w-etrīm ʿal qadīšē
da-mraymā w-ʿal l-ūrišlem (I 221,1-2), par «et contre Jérusalem», prenant le ʿal pour une pré-
position et non pas, comme il se doit, pour le verbe « entrer». Si ʿal était une préposition
signifiant «contre», l’expression serait wʿal ūrišlem, sans le lomad.
roi Sédécias au sujet du contrat qu’ils avaient conclu avec Nabuchodonosor, ils
sont accusés d’avoir violé le serment qu’ils avaient scellé par une offrande à
Dieu (Ez 17,16sv; 2Ch 36,13) (II 136-141).
En parcourant les textes d’Aphraate qui renferment des éléments apparem-
ment négatifs rattachés au sacerdoce, on constate que ce sont les sacerdotes
qui sont accusés de négligence dans l’exercice de leur fonction, tandis que le
sacerdoce lui-même n’est en rien entaché de quelque défaut que ce soit. Tou-
tefois, c’est la sélection que nous avons faite de ces textes qui a conduit à une
telle conclusion. Il faut encore attendre l’étude de ce que pensent les auteurs
syriaques du sacerdoce et de son sort avec l’arrivée de la nouvelle économie
pour se faire une idée complète de l’évaluation qu’ ils en donnent.
6.1.2 Éphrem
À la différence d’Aphraate, Éphrem renvoie aux ministres sacerdotaux et aux
événements qui s’y rapportent par allusion, dans un style moins exégétique
que poétique et, surtout, avec une application anti-arienne qui fait défaut chez
Aphraate. En fait, un parallèle est établi entre l’ audace des Ariens et celle de
certains personnages de l’ A.T., qui osent s’approcher du feu saint, de la sainteté
divine, sans qu’ils en aient le droit. Ainsi, évoquant le « feu étranger» intro-
duit par les fils d’Aaron et qui a causé leur immolation, Éphrem l’ associe à
la «recherche excessive étrangère» (bṣatā nūḫraytā) portant sur « ce qui est
caché» (d-kasyan), une recherche que les Ariens introduisent dans l’ Église et
qui, sans conteste, les prédestinera au «grand feu » (HdF 8,9). Le même feu
saint qui a dévoré les fils d’Aaron s’enflammera contre la recherche exces-
sive «impure» (msayabtā); c’est ce feu qui a consumé aussi les 250 hommes
de Coré (Nb 16,1-15) qui ont osé exercer le sacerdoce (kahen waw) (HdF 28,16)
et qu’Éphrem appelle «prêtres» (kahnē) et accuse d’ avoir cherché à ravir le
sacerdoce à Aaron (HdF 8,8)9. Ailleurs, dans la même collection d’ hymnes dont
sont tirées les deux références précédentes, Éphrem reproche à Ozias et à Coré
d’avoir convoité le sacerdoce: «Les deux voulurent (illégitimement) devenir
prêtres de Dieu» (HdF 28,14)10. Étrangers au sacerdoce, Ozias et Coré contri-
9 Dans HdF 28,16, Éphrem dénombre 200 hommes de Coré, mais dans HdF 8,8, il donne le
nombre exact de 250. L’auteur semble élargir le sacerdoce au-delà de Coré qui était lévite,
en y associant les 250 hommes. Le déduit-il du fait que les 250 hommes sont appelés à
allumer les encensoirs? Toutefois, dans HdF 28,14 qui sera cité dans le corps du texte, il est
clairement affirmé que l’offrande d’Ozias et de Coré ne fait pas d’ eux des pontifes (kūmrē),
un sacerdoce qu’ils convoitent. Aphraate les appelle « hommes » (gabrīn), tout en évo-
quant leur action d’«offrir des encensoirs» ( fīrmē), sans avoir été commandés (I 144,2-3).
10 Dans la version, p. 80, n. 20, Beck remarque que la deuxième partie de la strophe (lignes
5-8) se rapporte à Ozias et à Coré, tandis que le début de la strophe (lignes 1-4) se réfère à
Ozias et à Géhazi. Comme Géhazi n’était pas prêtre et n’était pas considéré comme tel par
Éphrem, on n’a pas à s’en occuper ici. Même s’il est souvent associé à des prêtres, tels que
les fils d’Éli, à cause de l’avidité des uns et des autres (CNis 21,6.9), ou à Coré pour avoir
subi tous les deux la colère de Dieu (cf. la deuxième partie de HdF 28,14). Sa comparaison
avec Judas Iscariote ne fait pas de lui non plus un apôtre, ou un prêtre avant la lettre, Judas
étant accusé d’avidité (Eccl 11,7) et d’infidélité envers le Maître (Eccl 31,8-9). Personnage
à multiples facettes, Gehazi est comparé tour à tour aux Marcionites, en raison de son
ingratitude à l’égard des bienfaits du Créateur (CH 45,6), ou à Adam, Caïn, Akân et Judas
en raison de la dissimulation de ses desseins pernicieux (Eccl 46,9).
été poussés à persécuter le Christ (Virg 21,3), ou à se moquer de celui qui, par
son amour, attire les pécheurs vers lui (Eccl 9,19).
De ce qui précède, on peut conclure que le sacerdoce juif ne peut assurer
la rémission des péchés qu’à son propre peuple. Cela est lié au sacerdoce lui-
même. Mais sur le plan de son exercice, Éphrem discerne une partialité (masab
b-afē) du lévite qui refuse de faire descendre le paralytique dans le bassin de
Siloé (cf. Jn 5,2-9), tandis que le prêtre chrétien est loué pour sa permanente
disponibilité à venir au secours de son prochain (Epiph 11,6). Si la partialité est
un vice inhérent au prêtre juif, donc lié en quelque sorte à sa fonction, elle ris-
querait d’entacher le sacerdoce lui-même. Dans le SdDN, les prêtres juifs ne
sont pas seulement présentés comme incapables de pardonner, ici à la péche-
resse (Lc 7,36-50) qui est venue chercher le pardon auprès du Seigneur : « Car les
prêtres sont incapables de remettre des péchés comme ceux-là» (SdDN 44,10-
11), mais Éphrem va jusqu’à les qualifier de «prêtres impies » (kahnē ʿawalē), à
qui le don du sacerdoce a été accordé sans qu’ils se soient efforcés de le conser-
ver dans sa pureté (SdDN 53,3-5). Encore une fois, la déficience est dans les
porteurs du sacerdoce et non pas dans le sacerdoce lui-même, car, plus loin
dans le texte, Éphrem explique la tolérance de Dieu face à l’ ingratitude d’ Israël
par le fait qu’«il a toléré» son paganisme «à cause de son sacerdoce», comme
il a supporté sa magie à cause de sa prophétie et son pouvoir impie à cause de
son «saint diadème» (SdDN 53,9-11).
6.1.3 Jacques
En passant à Jacques, on ne tarde pas à constater que, sans qu’ il soit ignoré,
l’ intérêt porté aux prêtres de l’ A.T. est en retrait par rapport à l’ attention prê-
tée aux prêtres juifs contemporains de Jésus. Jacques ne manque pas non plus
de faire apparaître le contraste entre les anciens prêtres juifs, honorables et
louables, et les nouveaux prêtres qui ont trahi la tradition de leurs ancêtres.
Parmi les anciens qui sont considérés comme diligents, Jacques cite Moïse,
Aaron, Josué et Éléazar, auxquels il oppose les nouveaux prêtres, Anne et
Caïphe qualifiés de «vicieux» (srīḥē), «négligents» (ḥbananē ; litt.: paresseux)
et «méchants» (bīšē) (IV 733,17-18; 758,1-4)11. À part cette comparaison où les
quatre anciens prêtres sont nommés, Jacques s’ arrête encore aux deux fils
11 En abordant plus loin l’aspect positif du sacerdoce, nous analyserons Ril IV 600,8sv, où
il est rapporté que Jésus ne trouva pas la sainteté de Moïse et d’ Aaron dans le temple
qui grouillait de marchands (Mt 21,12-17), allusion implicite à la dégradation morale des
prêtres de son temps. Cette opposition entre prêtres anciens et prêtres nouveaux se trouve
chez Éphrem qui, identifiant les prêtres anciens (kahnē qadmayē; litt. : prêtres premiers)
avec les justes qui ont désiré voir la beauté du Fils mais ne furent pas exaucés, les oppose
aux prêtres qui arrivent à mi-chemin (meṣʿayē), contemporains de Jésus, qui ont détesté
d’Aaron, Nadab et Abihu, une fois par une simple allusion12 et une deuxième
fois en consacrant une interprétation au récit de leur offrande. Dans ce der-
nier cas, la première démarcation de Jacques par rapport à Éphrem consiste
à ne pas assimiler l’audace des deux prêtres à celle des Ariens13. De même,
l’ évocation qu’il fait de l’audace d’Ozias qui chercha à dérober le sacerdoce
du prêtre (V 409,18-410,1sv) n’est point mise en relation avec l’ attitude arienne.
Dans son exégèse du texte scripturaire d’Adab et d’ Abihu, la raison explicite
que Jacques donne de l’intervention du feu divin qui vient consumer les deux
prêtres s’apparente à celle qu’avance Aphraate, mais elle est plus clairement
développée par notre docteur. Ainsi, la raison qui explique le rejet de l’ offrande
des deux fils d’Aaron serait la transgression de la loi divine donnée à Moïse, une
offrande présentée à un moment inopportun (d-lā b-zabnah; litt.: pas en son
temps) (III 839,4), car les sacrificateurs se trouvent sous l’ effet de l’ alcool (Lv
10,9) et donc ivres:
Un troisième trait par lequel Jacques manifeste une exégèse originale par rap-
port à ses deux prédécesseurs est le sens qu’il donne à la consumation des
personnes par le feu à l’exclusion de leurs vêtements sacerdotaux. Il y lit la
sagesse de Dieu qui punit les transgresseurs en sauvegardant le don qui leur
a été fait, leur «onction», leur «sacerdoce» qui est représenté par le vêtement
sacerdotal14. Là aussi, une distinction est faite entre les personnes indignes et
le sacerdoce qui n’est pas entaché par les imperfections humaines.
sa beauté et l’ont rejeté, contrastant ainsi avec les prêtres de l’ Église qui l’ ont reçu dans
leurs mains comme pain vivant (Virg 35,12).
12 Cette allusion est faite dans un mīmrā, où, expliquant le titre ʿzazaʾel qui signifie « Dieu
(El) puissant (ʿazīzā)», Jacques présente ce dernier comme zélé, s’ irritant contre ceux qui
s’opposent à sa volonté sainte: « Dans le feu, il consuma les prêtres qui ont transgressé sa
loi» (III 268,7).
13 Pour exprimer cette audace, Jacques utilise le terme amraḥ dans différentes formes ver-
bales, comme verbe (III 836,19), ou comme adverbe (III 837,13).
14 Voici un extrait du texte:
Sur-le-champ, la flamme qui dévore les sacrifices brûla
les jeunes prêtres qui ont introduit audacieusement les encensoirs.
Les prêtres furent consumés, mais non pas leurs vêtements,
car le feu qui descendit sur l’offrande est sage.
Dans les corps des audacieux, le feu s’alluma pour les brûler,
À cet égard, la position de Jacques au sujet des deux feux ne souffre pas de
l’ ambiguïté qu’on décelait dans l’hésitation d’Aphraate. Celui-ci affirmait tan-
tôt que le feu céleste consume les prêtres tandis que le feu étranger dévore
l’ offrande, tantôt que c’est le feu divin qui s’enflamme dans les encensoirs.
Pour Jacques, le feu étranger n’a aucune tâche à accomplir dans l’ offrande et
doit être banni, comme doit être rejeté tout ajout à la personne du Verbe.
En outre, Jacques dépasse de loin les autres docteurs syriaques quand il s’ agit
de répertorier les défauts des prêtres contemporains de Jésus, au point que des
actes non commis par ceux-ci leur sont attribués15. Tel est, par exemple, l’ acte
de couvrir le Fils du voile du sanctuaire transformé en tunique de pourpre,
acte perpétré par les soldats (cf. Mt 27,27-28) que Jacques impute néanmoins
16 En fait, cette attribution n’est pas propre à Jacques, car on la trouve chez Éphrem (Az 5,6-
14; Crucif 4,2-5). Cf. Gribomont, Triomphe de Pâques, p. 172, qui cherche l’ origine dans un
apocryphe, mais avoue ne pas parvenir à déterminer de quel apocryphe il s’ agit.
17 Cf. III 465,8-9; 476,9; 477,8; 478,3-4.
18 À la suite des Hymnes de l’Épiphanie (Epiph 11,6; cf. Beck, version, p. 171, n. 13) et du Com-
mentaire du Diatessaron (CDiat 100,10), Jacques parle de la piscine de Siloé et non pas de
celle de Bethesda (cf. IV 704,4.10; 705,1; etc.). Cf. supra, p. 18-19, n. 37.
19 C’est un thème récurrent chez Jacques, qui voit la jalousie exprimée par les prêtres à la
suite de la guérison de la femme courbée (Lc 13,10-17) (V 511,17 ; 515,13), après la guérison de
l’aveugle-né (III 476,9), de l’infirme de Siloé (IV 718,1), ou, de façon générale, leur jalousie
envers Jésus, laquelle est suscitée par la peur que la concurrence avec Jésus ne leur fasse
perdre leur pouvoir (IV 759,3-12).
qui attendent la plongée dans la piscine, excluant les petites gens pour privilé-
gier les gens haut placés, ou faire «plaisir à leurs proches (metūl našaw; litt.:
pour ses proches), par acception de personne» (IV 709,10).
Pour dure qu’elle puisse paraître, la critique de Jacques transpose ce
qu’Éphrem dit du peuple juif en général pour le faire porter sur les seuls prêtres.
Il en en ainsi de la qualification de «crucificateurs» qu’ Éphrem attribue au
peuple (cf. Crucif 8,7), mais que Jacques impute aux prêtres en les nommant
avec les Sadducéens (III 254,3-4), ou avec les scribes (IV 759,3-6). Les grands
prêtres qui envoient Saul pour persécuter les disciples (Ac 9,1-2) seront décrits
comme des «assoiffés de sang» (II 723,2). Peut-être faut-il voir la même inten-
tion de cibler les prêtres par l’accusation d’ingratitude qu’ Éphrem étend à tout
le peuple, mais que Jacques limite aux «prêtres et scribes » (III 464,6). Mais
comme Éphrem, Jacques qualifie les prêtres d’impies (ʿawalē), défaut qu’ il voit
incarné dans la personne du grand prêtre qui a organisé le martyre d’ Étienne
(III 717,1-6). Toutefois, par opposition au bon larron, Jacques les appelle aussi
« prêtres impurs» (kahnē ṭamē) (V 669,8), des «prêtres scélérats» (kahnayhūn
d-rūšʿā) (Ril V 620,5), ou, à cause de leurs calomnies contre la Vierge Marie,
des «prêtres pleins de scélératesse» (malyay rūšʿā) (BedS 805,12-13). Jacques se
démarque aussi d’Éphrem lorsqu’il discerne une intervention satanique dans
les complots perpétrés contre Jésus par les prêtres, les chefs du peuple, les
scribes et les Sadducéens (I 491,6-15).
Ce tableau qui brosse les défauts les plus flagrants des prêtres suffit à don-
ner une idée de la pensée de Jacques à leur sujet. Le constat qui ressort de cette
enquête confirme que, derrière les défauts des personnes, la valeur du sacer-
doce lui-même n’est en rien mise en question.
6.1.4 Narsaï
Bien qu’elle soit en retrait par rapport aux auteurs précédemment étudiés,
l’ approche de Narsaï n’en épouse pas moins l’évaluation portée sur les prêtres
contemporains de Jésus. Car, à la différence de ses pairs, Narsaï n’évoque jamais
la mémoire des prêtres anciens qui ont transgressé la loi divine, à commen-
cer par les fils d’Aaron jusqu’aux fils d’Éli, en passant par Uzza, comme il ne
commente jamais ceux qui ont voulu dérober le sacerdoce, le roi Ozias et Coré
avec ses hommes. Concernant les prêtres juifs du temps du Christ, les mêmes
défauts leur sont attribués: leur jalousie exprimée notamment dans le com-
mentaire réservé à l’entrée de Jésus à Jérusalem20, et à la même occasion, leur
ingratitude quand ils sont comparés aux enfants qui jubilent en accueillant
le Roi (PP II 309,18-19; 316,2), et l’ironie qu’ils réservent à Jésus élevé sur la croix
(McLeod III 443). Avec ces bribes de critique, Narsaï ne change rien à la conclu-
sion principale d’un discours sur le prétendu aspect négatif du sacerdoce, à
savoir que la déficience qu’il souligne ne touche que les sacerdotes et nulle-
ment le sacerdoce lui-même.
6.2.1 Aphraate
Aux yeux d’Aphraate, Aaron est un «prêtre saint » (kahnā qadīšā) (I 788,25-26)
et les prêtres sont présentés comme des «connaisseurs de la loi » (II 136,22),
même s’ils peuvent la transgresser (I 964,15-17). Après avoir fixé l’ origine du
sacerdoce à partir d’Aaron, Aphraate passe à Éléazar et rappelle que Pinhas « a
fait reposer la colère de Dieu par son zèle» (II 48,6-7). Par ailleurs, interprétant
Is 41,17-19, il décèle que le peuple provenant des peuples est symbolisé par « les
pauvres et les miséreux qui demandent de l’eau et il n’y en a pas » (I 913,25-
916,1). Quant aux «prêtres du peuple et le saint Ordre» (qyamā qadīšā), ils sont
symbolisés par les cèdres, les acacias, le myrte et l’ arbre à huile (Is 41,19) dont
la verdure perdure été comme hiver (I 916,11-15), allusion à une spiritualité qui
ne connaît pas de sécheresse par opposition au caractère aride du désert dans
lequel ils sont plantés. Les prêtres étant associés aux membres de l’ Ordre, la
louange dont ils sont l’objet ne leur est pas accordée à cause de leurs fonctions
sacerdotales, mais plutôt en raison de leurs vertus éthiques et spirituelles21.
À ce titre, étant donné la grandeur et la dignité de leur statut22, les prêtres
21 À moins d’admettre l’hypothèse d’après laquelle les Membres de l’ Ordre étaient asso-
ciés à l’ordre sacramentel et hiérarchique, un statut qu’ ils ont conservé jusqu’ au VIIe
siècle d’après l’hypothèse de M.-J. Pierre, Introduction, p. 100-101, Membres de l’ Ordre,
p. 28.
22 L’expression kahnā rabā (grand prêtre) renvoie souvent au titre que porte celui qui est
nommé «grand prêtre» chez les Juifs (cf. II 64,2-3; le texte est ici une citation de Ag 1,1),
mais, bien que le texte soit ouvert au double sens, il se peut que le qualificatif « grand»
renvoie plus au mérite moral du prêtre qu’à son titre; ainsi en est-il du texte où le qualifi-
catif «grand» se trouve opposé à la jalousie dont Aaron est victime à l’ égard de Moïse, et
cela à cause de sa sœur Miryam: «Aaron étant un grand prêtre de la maison d’ Israël, mais
à cause de sa sœur Myriam, il devint jaloux de Moïse » (I 257,6-8).
23 Pour les sources de cette idée, cf. M.-J. Pierre, Introduction, p. 377-378, n. 39.40, qui conclut
à son absence dans les textes de l’ A.T., la trouvant plutôt attestée dans des textes de Qum-
ran (1 Q S 1,25; 2,11), ou encore dans la tradition patristique, citant Éphrem, Épiphane,
Jérôme, etc.
6.2.2 Éphrem
Éphrem ne manque pas non plus de mettre en valeur le mérite des prêtres juifs,
moins en les dotant de qualificatifs élogieux qu’ en faisant valoir leurs actions.
À vrai dire, l’attribut de «grand» n’est accordé qu’ à Melchisédech, considéré
comme «grand pontife» (kūmrā rabā)25. Comme Melchisédech, Abel est aussi
un type du Christ de par l’offrande qu’il fit, mais un type imparfait du fait que
l’ offrande de soi doit précéder l’offrande de l’agneau, une succession dans le
temps qui le défavorise par rapport au Christ qui est lui-même et en même
temps l’agneau qui offre, qui est offert et qui agrée l’ offrande (Crucif 2,9). En
dépit de sa responsabilité dans la fabrication du veau d’ or (Ex 32,1-14), Aaron
est dépeint comme celui qui remporte la victoire sur la mort « grâce au parfum
de l’encens» (CNis 53,13)26, une allusion probable à l’ expiation obtenue par
l’ offrande, d’après un aveu prononcé par la Mort :
24 La même idée est développée par Jacques, et surtout par Éphrem; cf. notre Notre Père,
p. 389 et n. 53.
25 Nat 9,3. Peut-être ne faut-il pas traduire, comme le fait Beck, par Hohenpriester, donnant
à Melchisédech le titre qui revient au grand prêtre juif. Melchisédech est grand en raison
de ses qualités qui n’appartiennent pas au grand prêtre juif et par lesquelles il annonce
et préfigure le sacerdoce du Christ. Pour cette raison, la figure de Melchisédech ne sera
abordée que plus loin, en rapport avec le sacerdoce christique.
26 Sur la notion d’encens et sa signification chez Éphrem comme odeur de vie, de salut, et sa
réduction avec les générations suivantes, notamment chez Jacques de Saroug, à un effet
conjuratoire, cf. l’article d’Ashbrook Harvey, Scent of Salvation.
Avec un tel éloge, Éphrem semble établir un rapport entre le bâton d’ Aaron
qui fleurit (Nb 17,23), symbole de la résurrection d’ une part, et d’ autre part,
les vêtements sacerdotaux (lbūšē d-kūmrūtā), indispensables pour le service
religieux (CNis 48,1), comme pour dire que le sacerdoce d’ Aaron est lui aussi
porteur d’un signe de vie capable d’ouvrir et de préparer à la vie immortelle.
Dans une tout autre perspective, Aaron et son frère Moïse sont décrits comme
les sauveurs du peuple en Égypte face au paganisme, comme les trois jeunes
gens le sauvèrent à Babel (Ieun 7,6).
Tout autant qu’Aaron, son fils Éléazar reçoit une apologie non moins flat-
teuse. Même si le statut sacerdotal n’est pas mentionné, c’ est certainement
en tant que grand prêtre, rappelle Éphrem, que le corps d’ Éléazar enseveli à
Sichem fait honneur à la cité (Virg 17,5). Associés à Joseph et à Josué, les trois
formeront les «trois symboles» qui demeurent dans la ville (ibid.), des pierres
précieuses dans sa couronne (Virg 18,10). Encore positive et mise davantage en
rapport avec sa qualité sacerdotale, la relation d’ Éléazar à Josué est comparée
à celle des apôtres à Jésus, les disciples étant présentés comme accompagnant
les maîtres:
Plus proches de la période de Jésus, les deux prêtres qui, sous la plume
d’Éphrem, reçoivent une appréciation positive sont Jean Baptiste et Syméon.
Appelé lévite et peint comme la «lampe»28 qui précède l’ arrivée du « soleil »,
le Christ, Jean Baptiste est le «serviteur» (ʿabdā) qui sera chargé de bapti-
ser son «Seigneur» (Virg 32,5). D’après le témoignage de l’ Esprit, le prophète
lévite «sera élevé car il a baptisé» Jésus, sans qu’ il lui soit donné de se hausser
au rang du Seigneur qu’il baptise (ibid.)29. L’autre prêtre juif, Syméon, est ce
vase «pur» (daḫyā) (SdDN 50,5) qui, aux yeux d’ Éphrem, est aussi prophète
27 On a rencontré ce texte, supra, p. 18, n. 39, en discutant du sens de « lévite» (lewī) qui
provient du verbe «accompagner» (lwā).
28 Beck traduit le terme šraġā par Licht, lumière, qu’il vaut mieux traduire par lampe, et cela
pour faire ressortir son opposition à «soleil».
29 Dans NatSog 5,40, texte inauthentique, Jésus tente de convaincre Jean Baptiste, le lévite,
de lui administrer le baptême pour que les détracteurs ne prétextent pas que son refus
signifie que Jésus est «étranger à la maison du Père».
pour avoir annoncé à la Vierge que son Fils amènera « la chute et le relève-
ment» (cf. Lc 2,34) (SdDN 50,23-24). Dans ce contexte, Syméon est comparé à
Moïse, lui aussi prêtre et prophète et, comme ce dernier, il s’ est sanctifié « pour
qu’il soit digne, comme Moïse, des deux», c’est-à-dire de la prophétie et du
sacerdoce (SdDN 50,5-6). La grandeur de Syméon le prêtre est encore mieux
mise en valeur par la qualité de son offrande, qui n’est autre que le Christ lui-
même. Fruit de notre humanité bien qu’il soit entièrement de la majesté divine
(rabūtā), Jésus comme offrande a sanctifié les mains de l’ offrant (Nat 25,16 ;
cf. aussi CNis 35,3) qui se transforme lui-même en offrande agréable à Dieu
(SdDN 47,12-18).
6.2.3 Jacques
Si, comparé à Aphraate, Éphrem élargit la liste des prêtres et des grands prêtres,
Jacques va dépasser Éphrem par l’inventaire qu’ il fait des ministres sacerdo-
taux. Sans qu’il ait intégré dans sa liste tous les prêtres cités par ses prédé-
cesseurs – par exemple, et sauf erreur de notre part, il ne parle jamais du
prêtre Syméon –, Jacques y ajoute bon nombre de prêtres ignorés des autres
docteurs syriaques30. Parmi les prêtres anciens qui ne sont pas mentionnés
par ses prédécesseurs, Jacques considère Noé comme pontife qu’ il qualifie de
« juste» (zadīqā) (II 200,5-6) et dont l’offrande fut agréable à Dieu (III 704,12),
de «prêtre pur» (kahnā daḫyā) (IV 55,8), même si, avec les autres prêtres de
l’ A.T., il n’est pas retenu par David (Ps 110,4) comme celui qui préfigure le
sacerdoce du Christ. Jacques s’arrête longuement sur l’ offrande que s’ apprêta
à faire Abraham de son fils Isaac, et, en raison de sa grande foi en Dieu, il
le qualifie de «prêtre habile» (kahnā lbībā) (IV 71,1 ; 85,17; 99,4), « glorieux »
(zahyā) (IV 92,3), de «pontife pur» (kūmrā daḫyā) (IV 92,2). De son côté, par
l’ onction d’huile qu’il versa sur la pierre, Jacob est doté d’ une grande vision
(ḥezwā rabā) qui, selon Jacques, «transforma (ʿabdeh ; litt.: le fit) le juste Jacob
en un prêtre» (III 202,6-7). Par ailleurs, en raison de la symbolique de l’ huile
par laquelle Jacob peint l’Église et le baptême, et par son bâton, figure de
la croix, le patriarche est nommé par Jacques « grand (prêtre) et père des
prêtres» (IV 799,1). Reprenant à Aphraate l’idée que la prière peut se substituer
à l’offrande (IV 428,12: «Un autel dans la baleine, et la prière retentit à la place
de l’offrande»), Jonas est lui aussi appelé «prêtre» qui entra dans la baleine
et y officia (IV 428,10-11). En comparaison avec la tente d’ Aaron, la montagne
où officia Élie et le temple de Salomon, la baleine se transforme en un sanc-
30 Parmi les prêtres que David ne considère pas comme pertinents pour représenter le sacer-
doce christique, Jacques nomme Abel, Noé, Abraham, Aaron, Éléazar, Pinhas (II 198-201).
tuaire faisant de Jonas un «prêtre glorieux», unique en son genre (IV 428,16-19).
Non moins élogieuse est la qualification de «prêtre glorieux » (zahyā) donnée
à celui qui s’opposa à l’audace du roi Ozias (V 413,17 ; 414,15). Totalement ignoré
par ses prédécesseurs, le grand prêtre Josué, fils de Yehoçadaq (cf. Esd 3,2 ; Ne
12,10), se laisse aider par l’ange lorsqu’il est tenté par Satan31. Proche de la pé-
riode de Jésus, c’est Zacharie, le grand prêtre et père de Jean Baptiste, qui mérite
le titre de «prêtre glorieux» (II 146,17; 152,15) et « juste» (II 146,17 ; 151,12), ou
encore de «pontife glorieux» (II 146,21).
Concernant l’évaluation d’autres prêtres évoqués par ses prédécesseurs,
l’ approche de Jacques se distingue par deux traits: d’ abord, là où les autres
se contentent de signaler la grandeur de certains prêtres anciens en les met-
tant en rapport avec des prêtres postérieurs, Jacques les aborde séparément en
les revêtant d’une grande estime; ensuite, voulant mettre en valeur la gran-
deur de certains prêtres, il les confronte à Melchisédech, le modèle parfait du
sacerdoce dans l’ A.T. et le type par excellence du sacerdoce christique. En fait,
si chez Éphrem Moïse est à peine évoqué dans une comparaison mettant en
exergue l’importance de Syméon le grand prêtre, il est chez Jacques considéré
en lui-même et pour lui-même, comme «prophète et prêtre », habilité à ensei-
gner les «mystères à venir» (razē da-ʿtīdatā) (II 879,7). Avec Aaron, il est saint et
aimable et les sacrifices des deux, appréciés à l’aune de leur temps, sont jugés
bons (II 208,4-5) et dotés de la capacité d’annoncer le Christ « en mystère »
(razanāyit) (IV 796,6)32. De même Josué, qu’Éphrem envisageait en rapport
avec Éléazar et qu’il comparait à Jésus en rapport avec ses apôtres, reçoit sous
la plume de Jacques une évaluation pour lui-même. En fait, Josué est considéré
comme un grand prêtre qui a pu faire entrer le peuple dans la terre promise,
en divisant le Jourdain et en y établissant des murailles de pierres de part et
d’autre du fleuve (Jos 4) (IV 311,12-13). S’il est vrai que le prodige est à attribuer
à la puissance divine de l’Arche, Josué n’y contribue pas moins grâce à sa sain-
teté, et Jacques en donne la preuve: contrairement à Josué, Géhazi s’ est montré
impuissant à ressusciter le fils de la Sunamite, non parce que le bâton est inca-
pable de produire le prodige, mais à cause de la défaillance de Géhazi :
Non que le bâton fût manquant (mḥīl wā, litt. : fût faible) de la puissance
qui revivifie le mort;
31 I 221,8.12; 243,4-7.
32 Dans CJ V 193-194, Jacques distingue entre les deux fonctions assumées par Moïse et par
Aaron respectivement: la prophétie revient à Moïse et le sacerdoce à Aaron, qualifié de
«grand pontife de Dieu».
c’est celui qui le tint qui est déficient (srīq wā) et manquant (sfīq ; litt. :
vide) pour (réaliser le) prodige.
IV 311,10-11
33 Le terme šūmlayā peut avoir plusieurs sens; en plus de plénitude, il signifie ordination
sacerdotale, accomplissement ou achèvement, satisfaction, confirmation.
34 Jean Baptiste est dit être «fils des Lévites» (III 688,19), grand prêtre (III 677,9 ; 686,16), ou
le grand (parmi) les prêtres (rabā d-kahnē) (III 690,2 ; 709,20). Jacques lui décerne égale-
ment le titre d’apôtre (III 690,1) et, comparé à tous les justes, les prophètes et les pontifes,
il est plus grand qu’eux (III 693,2-13).
Dans un domaine qui nous éloigne un tant soit peu du sacerdoce, mais qui
est pertinent pour le rapport que Jacques établit entre Jean Baptiste et Melchi-
sédech, il est dit que Jean Baptiste refuse de s’abaisser au rôle de thaumaturge –
le miracle est probablement conçu dans sa forme extérieure et visible – et pré-
fère s’occuper de la guérison des âmes, s’élevant ainsi aux beautés invisibles de
Melchisédech (III 709,3-4).
Pour les autres prêtres juifs qui se trouvent mentionnés par les prédéces-
seurs, Jacques multiplie encore davantage les éloges à leur égard, faisant ainsi
ressortir non seulement leur qualité personnelle, mais aussi leur performance
dans l’exercice de leur fonction. Ainsi Aaron n’est-il pas seulement un « grand
pontife» (I 568,6; CJ V 194), un «prêtre glorieux» (I 69,18), un « prêtre aimable »
(I 81,20) dont le «feu caché de son esprit est pur » (I 71,5), mais étant aimable,
c’est aussi «avec amour» (ḥabībāyit ; litt.: aimablement) qu’ il porte et célèbre
le sacerdoce parvenu jusqu’à lui (I 70,1-2). Dans son ministère sacerdotal inté-
riorisé de la sorte, Jacques discerne une corrélation étroite entre la pureté de
son cœur et la valeur de son offrande:
Des gens établis (da-hwaw ; litt.: qui sont devenus) entre Dieu et les
hommes
et, grâce à leur encens et leurs sacrifices, ils sont saints.
II 200,21-22
À l’instar d’Aaron le père, Éléazar et son fils Pinhas bénéficient des mêmes
éloges qui lui sont attribués, même si de manière moins fréquente. Citant les
trois ensemble, Jacques leur réserve le qualificatif de « prêtres glorieux » :
À la tribu de Lévi fut réservé le statut ( feṣtā ; litt. : le sort) des pontifes
d’où ont surgi des prêtres glorieux (zhayā) et célèbres.
Le grand Aaron et Éléazar, prêtre saint,
et Pinhas qui a éloigné (da-klā ; litt.: a empêché) des Hébreux l’ ange de
la mort35.
II 200,17-20
Ailleurs, Éléazar est qualifié de «pontife glorieux », tandis que Pinhas reçoit
le titre de «grand» (rabā) (IV 752,18). Comparant le zèle du dernier à celui
du Christ, Jacques rappelle aux adultères que l’épée du Christ traversera leurs
âmes et non pas leurs corps (V 152,7-8). Hautement estimée, même s’ il est
dépassé par Melchisédech, à plus forte raison encore par le Christ, l’ image du
prêtre juif est toutefois ternie par la dégradation qu’ a connue le sacerdoce au
temps de Jésus, que Jacques dévoile à partir de la scène de l’ expulsion des mar-
chands du temple:
Le texte continue à décrire le désordre dans les rangs des ministres, mais ce qui
nous intéresse ici est le jugement positif que Jacques porte sur le sacerdoce de
Lévi.
6.2.4 Narsaï
Tout en restant fidèle à notre option méthodologique de ne considérer l’ aspect
positif du sacerdoce que moyennant le jugement porté sur les ministres, autre-
ment dit, en ignorant pour le moment ses différentes fonctions, le bilan de
l’ enquête relative à l’approche de Narsaï est nettement mitigé en comparai-
son avec ses pairs. Somme toute, peu de prêtres sont évoqués par Narsaï,
même s’il lui arrive d’en mentionner certains qui ne sont pas cités par les trois
35 Dans la suite, il est souligné que leur grandeur est dépassée par Melchisédech.
36 Rilliet traduit par «sainteté», mais ici, juxtaposé à « service » et « loi », le terme signifie
plutôt «sanctuaire».
autres écrivains. Ainsi en est-il du «prêtre Samuel », celui qui a été élevé « au
rang de la prophétie et du sacerdoce», et qui a dépassé en estime Baraq,
Gédéon, Nephté et Samson qui ont succédé à Moïse et Aaron (PP II 612,3-6). Il
est vrai que sa supériorité par rapport à ceux qui le précèdent n’est pas évaluée
à l’aune de son sacerdoce, mais plutôt à la lumière de sa vie juste dès son bas
âge et de son témoignage authentique envers Dieu, loin de toute acception de
personne (PP II 612,7-12). De même, l’ayant qualifié de prêtre, ce n’est pas non
plus en rapport direct avec son sacerdoce que Samuel est honoré, mais bien
grâce à la prière par laquelle il demande de la pluie à l’ ange de Dieu (I 41,7-8).
Quant à la liste des autres prêtres de l’ A.T. que Narsaï partage avec les autres
écrivains, on peut compter Abraham qu’il appelle « prêtre nouveau», très pro-
bablement à cause de la qualité de son offrande, Isaac, par laquelle il montre
que l’amour qu’il a pour le Seigneur est plus grand que celui qu’ il manifeste
pour son fils (I 65,15-16). Sans mettre Élie en rapport avec Abel, comme le fait
Aphraate, le premier est également haussé par Narsaï au rang de « prophète et
de prêtre» (Frish I 189). Comme pour Samuel, la grandeur qui est prêtée à Élie
ne semble pas provenir de son sacerdoce, mais, à la suite et à l’ instar d’ Hénoch,
de la «beauté de son âme» que Dieu veut préserver de toute corruption en
sauvant l’un et l’autre de la mort et en leur assurant ainsi une vie pérenne
(Frish I 219-228). Tout comme Jacques, Narsaï évoque aussi une autre figure du
sacerdoce, Josué fils de Yehoçadaq, au sujet duquel il est précisé qu’ il est prêtre
et, à ce titre, distingué de «Esdras le scribe», appellation que la tradition juive
attribue à ce denier bien qu’il soit prêtre lui aussi. Les deux sont évoqués avec
des personnalités à Babylone, Zorobabel, Daniel et la maison d’ Ananias (cf.
Dn 1,6) (PP I 384,13-16) pour rappeler au Juif qu’il n’a jamais été privé du sacer-
doce et de la prophétie, même pendant ses exils, et que si à présent ils lui sont
enlevés, c’est parce que leur Seigneur est venu et les a assumés (PP I 383-384).
Parmi les prêtres juifs contemporains de Jésus, Narsaï retient principale-
ment, comme Jacques, Zacharie, le père de Jean Baptiste, « prêtre glorieux »
(zahyā) (PP I 164,16) qui a bénéficié d’une révélation lui permettant de dis-
cerner que le temps du salut se fait proche (PP I 164,14-17). Mais c’ est surtout
Jean Baptiste qui, en tant que prêtre, jouit d’un statut spécial aux yeux de Nar-
saï. Car c’est bien lui qui a eu le privilège de poser sa main sur la tête de Jésus
au moment de le baptiser, se rendant digne d’entrer dans le Saint des Saints,
non pas celui dans lequel entrent les grands prêtres juifs, mais le Saint des
Saints céleste dont lui-même a aplani l’entrée de façon mystérieuse (razanāyit)
(McLeod II 277-284)37. Sans le mettre en rapport avec Melchisédech, comme le
Il faut bien reconnaître que, comparée à l’exigence présente chez Jean Bap-
tiste, la condition requise d’après laquelle tout grand prêtre doit se transformer
en un être spirituel pour être digne d’entrer dans le Saint des Saints est une
exigence morale, un modèle vers lequel tout grand prêtre est appelé à se confor-
mer. De Jean Baptiste qui réalise cette exigence spirituelle au grand prêtre dont
la condition d’entrée dépend de la réalisation de cette exigence, on passe de
ce qui est déjà accompli à ce qui doit s’accomplir, du déjà fait à ce qui est à
faire. Autrement dit, si Jean Baptiste est entré dans cette alliance spirituelle,
les autres grands prêtres sont appelés à remplir la condition qui leur permet
d’y entrer. Or certains s’y refusent, notamment les grands prêtres du temps de
Jésus, dont l’attitude s’oppose à celle de Jean Baptiste.
est encore corroboré par les fonctions qui lui reviennent en propre. On com-
prend dès lors que si le sacerdoce a vu le jour suite à une intervention divine,
il ne peut que porter le germe d’une institution bonne et bénéfique, et que, si
défauts il y a, la responsabilité en retombe sur ses seuls détenteurs. Bien que
notre choix de toujours soit de ne pas nous perdre dans les détails, nous réser-
verons à cette partie, par souci de clarté, un plan un tant soit peu détaillé, où
seront envisagées successivement les différentes fonctions du prêtre: cultuelle,
d’enseignement et de médiation. Ces fonctions, disons-le d’ emblée, ne sont
pas toutes soulignées avec la même pertinence chez nos quatre auteurs. Par
ailleurs, nous n’aborderons pas certaines fonctions subalternes, qui sont en fait
des effets des fonctions essentielles, telles que l’ expiation et la sanctification.
Ces dernières seront intégrées, s’il le faut, dans l’analyse des trois fonctions pré-
citées.
6.3.1.1 Aphraate
Dans un seul et unique texte, Aphraate réunit les fonctions les plus impor-
tantes à ses yeux qu’un prêtre juif est appelé à assumer, ici en l’ occurrence par
Nadab et Abihu accusés d’avoir méprisé la communauté dont ils sont respon-
sables:
Sans avoir à discuter du bien-fondé de cette liste, nous constatons que la pre-
mière fonction est celle de présenter des offrandes. Encore moins tiendrons-
nous compte ici de la conception que se fait Aphraate de l’ offrande, pour ne
l’ envisager que sous le seul aspect de la fonction assumée par le prêtre. Dans
cette perspective, afin de ne pas se méprendre sur la pensée d’ Aphraate et, plus
tard, sur celle des autres écrivains syriaques, une remarque s’ impose : optant
parfois pour l’omission de l’auteur de l’offrande, Aphraate peut bien attribuer
celle-ci à la communauté, ou au peuple juif qui le désigne par le terme « Juifs »
( yahūdayē) (I 521.524), ou le plus souvent par les fils d’ Israël38, s’ inspirant par là
même du langage des prophètes39. D’une façon qu’ on jugerait vague, il parle de
« celui qui offre» (I 176,26), ou au passif, «des sacrifices et des offrandes qui ont
été rejetés» (I 181,17), parfois à l’impératif pour inciter à préparer son offrande
(I 245,19-20).
Mais ces formes de style ne permettent pas de conclure que l’ offrande ne
relève pas de la compétence du prêtre, ou du grand prêtre dans la commu-
nauté. Preuve en est le commentaire que donne Aphraate du récit d’ Ozias, déjà
évoqué ci-dessus40, et de la tentative du roi pour dérober le sacerdoce sur lequel
il n’a ni prise ni droit41.
S’il est vrai qu’Aphraate met rarement l’offrande en rapport avec le prêtre,
il se trouve contraint de le faire lorsqu’il s’agit de nommer les choses par leur
nom. Cela a lieu dans certains cas précis: d’abord lorsqu’ il rappelle au Juif que
les prêtres profanent le sabbat par leurs offrandes (cf. Mt 12,5) (I 569,1-15), ou
quand il rapporte que des prêtres sont choisis pour garantir, par une offrande,
un contrat qui sera conclu entre Nabuchodonosor et le roi Sédécias42. Nous ne
reprenons plus la liste des prêtres ou des grands prêtres dont l’ offrande fut reje-
tée à cause de leur transgression des lois de Dieu, ou de ceux dont l’ offrande fut
acceptée en raison de la pureté de leur cœur43. S’ il est vrai que, chez Aphraate,
le terme «offrande» n’est pas réservé à l’offrande cultuelle, car il peut aussi
signifier un présent, même un pot-de-vin44, il n’en reste pas moins vrai qu’ il est
prioritairement et majoritairement appliqué à l’offrande cultuelle, évoquant le
lieu où l’offrande s’exécute, la tente temporelle (I 524,18-20) et l’ autel sur lequel
elle est présentée45.
(I 748,5-15). L’offrande des prêtres réclamée par Nabuchodonosor, que nous venons d’ évo-
quer, «s’élève sur l’autel» (II 137,2-3). Après la destruction de Jérusalem, les fils d’ Israël
seront privés de «sacrifices et d’autel» (I 885,14-17), ce qui permet de dégager un lien entre
les sacrifices et l’autel.
46 Cf. supra, p. 197. Quand il s’agit de comparer l’offrande dans son sens obvie à la prière,
celle-ci lui est préférée: «De toutes les offrandes, en effet, la prière en est la meilleure»
(I 177,7-8), et Aphraate n’appelle pas moins à remplacer l’ offrande par la prière: « Et vois,
mon ami, que les sacrifices et les offrandes ont été rejetés et, à leur place (ḥlafayhūn), la
prière fut choisie» (I 181,16-18).
47 Aphraate privilégie l’approche prophétique à l’approche « cultuelle » dans sa conception
de l’offrande. Dans cette perspective, l’offrande agréable à Dieu consiste à faire le bien et
le droit et à éviter le mal. À cet effet, il multiplie les textes à l’ appui, tels que Is 1,11.13-14;
66,3; Ps 50, 13-15; Am 5,21-22.25; Mi 6,7-8; Ml 1,10; Lm 2,6 ; etc. (I 748-749.752-753).
6.3.1.2 Éphrem
Comparé à Aphraate, Éphrem consacre à l’offrande en général et à celle de
l’ A.T. en particulier des réflexions riches et amplement développées dont il
est difficile de rendre compte ici. Une autre raison qui justifie cette restric-
tion est le thème que l’on a choisi de traiter, à savoir la fonction du prêtre juif,
dont l’offrande constitue l’une des fonctions essentielles. Commençons tou-
tefois par souligner que, tout comme chez Aphraate, l’ offrande chez Éphrem
peut bien avoir un sens profane: un présent ou un don quelconque qu’ un
homme offre à son prochain48, ou encore les présents offerts par les rois Mages
à Jésus (HdF 7,5). Rejoignant également Aphraate au sujet de l’ intériorisation
de l’offrande, Éphrem la détache de son support matériel et donc sanglant,
assimilant ainsi le «sacrifice de vie» (debḥat ḥayē) à l’ action de grâce (taw-
dītā, ce terme peut signifier aussi confession de foi) (CNis 66,19). L’offrande n’a
de valeur, soutient Éphrem, que si elle est assaisonnée par le jeûne et la prière
(Eccl 15,4) et rendue agréable par l’amour qui est le sel offert avec l’ offrande (Lv
2,13) (Eccl 4,11). Pour Jonas, postule Éphrem, c’est sa prière qui est son offrande
(Virg 42,30) et le sac et les pleurs sont l’offrande des Ninivites (Virg 50,10). Le
sacrifice de Noé jugé agréable aux yeux de Dieu est constitué par « la prière
et l’encens (ʿeṭrā)» (CNis 1,1). Quant à Abel, son offrande de soi est portée par
son amour pour la vie nouvelle (Eccl 11,1).49 Il reste cependant que la meilleure
preuve d’une offrande non sanglante est celle du pain et du vin qu’ apporte
Melchisédech (Az 2,8) et qui est considéré par Éphrem, on y reviendra plus
loin, comme le type par excellence du sacerdoce du Christ.
48 Parmi les offrandes qu’un homme offre à son semblable, Éphrem compte celles que
présentent les serviteurs d’Abraham à Laban (CNis 31,11). Dans CGEx 7,4, l’ auteur fait
référence au présent (qūrbanā) que Jacob envoya à Ésaü pour écarter une éventuelle
vengeance à laquelle ce dernier aurait recouru. Peut-être faut-il aussi inclure dans cette
catégorie les présents offerts par les Philistins, en signe de respect pour l’ Arche d’ alliance
(1 S 6,4.11) (HdF 8,12), au Médecin invisible qui leur accorde ses grâces (CH 51,4).
49 Dans CGEx 47,14-19, l’auteur situe la qualité de l’offrande non pas dans ce qui est offert,
mais en celui qui offre, Abel apportant son offrande « par discernement » (b-fūršanā), tan-
dis que Caïn le fait «par négligence» (b-besyanā), sans amour.
52 Dans l’Écriture, on trouve les deux affirmations: d’une part, il est dit que Dieu semble avoir
faim de l’holocauste (Gn 8,21); mais d’autre part, il ne mange pas les sacrifices (debḥatā)
(Ps 50,13) (CH 30,2), ou il méprise l’holocauste (Is 1,13) (SdF III 97-98).
53 On retrouve l’encensoir en lien avec Zacharie (Lc 1,10), le père de Jean Baptiste (Nat 2,18),
mais le terme peut être doté d’un sens métaphorique lorsqu’ il est dit que les ossements
de Joseph portés par Moïse (Ex 13,19) sont un «encensoir d’ expiation» ( fîrmā d-ḥūssayā)
(CNis 43,1). Dans une tout autre perspective, Beck, Eucharistie, p. 45, note que le terme
et prêtre est vu sous un aspect positif. Mais Éphrem ne manque pas de rap-
porter ce que le prophète Osée (Os 3,4) prévoyait, à savoir que « la prêtrise
cessa, car il n’y a ni sacrifice ni autel» (Virg 10,7)54. Certes, l’ inutilité des sacri-
fices juifs se révèle au grand jour avec l’arrivée de l’ Agneau de Dieu (Az 1,19)
et un lien implicite est établi avec les prêtres impurs qui se rebellent contre
le Christ, le prêtre qui s’offre lui-même (Az 2,2). Étant « pontifes (avec) des
taches» (kūmrē d-mūmā), ces derniers sont jugés indignes d’ offrir l’ Agneau
sans tache (Az 2,6). Même si les prêtres juifs tombent en discrédit parce qu’ ils
sont indignes d’immoler le véritable Agneau de Dieu, et que leur fonction n’a
plus de raison d’être après l’offrande que le Christ se fait de lui-même, Éphrem
continue à leur reconnaître le droit légitime de faire l’ offrande, sans toutefois
spécifier les tâches qui reviennent aux prêtres et aux lévites.
6.3.1.3 Jacques
Si Éphrem se montre prolixe en comparaison avec Aphraate sur le sujet qui
nous intéresse ici, Jacques est encore plus abondant si on le confronte à
Éphrem. Pour cette raison, la meilleure manière de restreindre, autant que faire
se peut, l’étude que nous nous apprêtons à lui réserver serait de le placer dans
le sillage de ses deux prédécesseurs, en en dégageant les points communs et
ceux qui l’en distinguent.
Pour commencer, faisons remarquer que, comme chez ses prédécesseurs, le
terme offrande chez Jacques ne se limite pas au sens cultuel, mais peut dési-
gner de simples présents, tels que les offrandes des Mages à l’ Enfant divin
(I 86-133). Toutefois, Jacques surpasse ses prédécesseurs lorsqu’ il multiplie
les métaphores qu’il applique aisément à plusieurs autres termes associés à
l’ offrande, comme ceux d’encens ou d’encensoir55. Concernant ce dernier
terme auquel Éphrem recourt pour évoquer les ossements de Joseph dans
l’ Ancienne Alliance56, Jacques l’étend à un ensemble plus vaste de réalités qui
vont des ossements des justes (II 80,20-21), à la mise à mort des enfants inno-
encensoir utilisé pour désigner l’offrande de l’évêque Abraham: « Ton encensoir procure
la réconciliation» (CNis 17,4) exprime symboliquement l’ offrande eucharistique.
54 Pour ce texte, cf. infra, n. 130.
55 Comme ce sens métaphorique concerne rarement l’ Ancienne Alliance, nous en faisons
peu de cas. Il sert surtout à exprimer l’idée d’après laquelle les mīmrē de Jacques sont pré-
sentés à Dieu comme offrandes d’action de grâce, à la place des sacrifices (I 482,11-483,3 ;
V 468,7-8; BedS 725,9), ou que sa bouche constitue comme un « encensoir de paroles»,
une louange qui remplace l’encens (I 482,12-13). Parlant de Jonas, Jacques associe là aussi
bouche et encensoir: «La bouche sainte est meilleure qu’ un encensoir d’ or pur (ṭabā ;
litt.: bon)» (IV 430,18).
56 Cf. supra, n. 53.
cents par Hérode (I 150,12), jusqu’à la mort des différents martyrs57. Mais, tout
compte fait, la plupart des occurrences du terme offrande renvoient incontes-
tablement au sens qu’on lui connaît, cultuel en premier lieu et, en second lieu,
an sens qui transcende le cultuel et qui se dote d’ une dimension spirituelle.
Comme Aphraate et Éphrem, Jacques répète à satiété que le sens et la valeur
du sacrifice résident dans sa dimension intérieure et spirituelle, autrement
dit dans les vertus représentées par l’offrant et nullement dans la qualité de
l’ offrande. Ainsi peut-on comprendre que ce qui donne valeur à l’ offrande, ce
ne sont pas les «sacrifices morts» (debḥē mayūtē) (V 156,16), ou « métapho-
riques» (šīlē) (V 157,2), mais les pensées purifiées de tout mal, l’ esprit (reʿyanā),
le cœur pur, la foi, la prière, l’action de grâces, les vœux de louange, la péni-
tence, la modestie, les bonnes œuvres et surtout l’ amour58. Reprenant une
interprétation éphrémienne, Jacques voit lui aussi que le sel ajouté à l’ offrande
(Lv 2,13) renvoie à l’amour qui accomplit les sacrifices (ici debḥatā) (I 621,14-
15). Mais, pour Jacques, le sacrifice peut encore être salé (mlīḥā) par le discer-
nement qui fait la valeur de l’offrande, ce qu’on trouve attesté dans CGEx59.
Toutefois, Jacques l’évoque au sujet du sacrifice de Caïn pour dire que celui-
ci n’était pas salé par le discernement (V 5,7-8). Se démarquant un tant soit
peu d’Éphrem, Jacques ajoute à la liste des vertus personnelles citée ci-dessus
l’ interprétation qu’il donne d’un acte rituel, l’imposition des mains du prêtre
sur le bouc qu’on envoie à Azazel au désert. Quelle que soit la valeur qu’ on
attribue à l’exégèse que Jacques donne d’Azazel et du bouc qui lui est envoyé60,
57 En fait, pour renvoyer à l’offrande que constitue le martyre, Jacques utilise soit le terme
encensoir, soit celui d’encens. Ainsi, saint Georges comme victime est un « encensoir plein
de réconciliation» (tarʿūtā) (V 765,17-20), et les 40 martyrs sont des « encensoirs purs »
(BedA VI 664,11). Un lien est cependant établi avec l’ encens, car l’ encensoir exhale une
odeur qui est celle de l’encens, comme il est dit du martyre de Habib (BedA I 169,16 ; 172,3),
ou une odeur semblable à celle des aromates, à l’image de l’ odeur émanant des corps des
40 martyrs (BedA VI 673,6-7). Dans un sens qui se détache du martyre, l’ Église sortant des
eaux baptismales est comparée à «l’excellent encens de l’ encensoir de tous les aromates»
(I 195,5-6).
58 Voici quelques textes choisis comme échantillons et sans aucune prétention à l’ exhausti-
vité: I 621,4-5.8-9; IV 55-56 (offrande de Noé); 427,6-9; 430,14-19 (offrande de Jonas); 452,15 ;
454,17-20 (offrande des Ninivites). Mais c’est surtout l’ offrande symbolique, faite de pain
et de vin, et l’attitude intérieure de Melchisédech qui représentent le mieux l’ offrande spi-
rituelle préfigurant celle du Christ. On reviendra sur cette dernière offrande en traitant du
sacerdoce christique. Notons que l’offrande de Melchisédech a reçu la même appréciation
de la part d’Éphrem, cf. supra, p. 210.
59 Cf. supra, n. 49.
60 Dans le mīmrā intitulé «Sur le sacrifice à Azazel» (III 259-283), Jacques considère
qu’Azazel est un nom de Dieu qui signifie puissant (ʿazīzā) et qui, en fin de compte,
désigne Dieu lui-même (cf., par exemple, III 264,15-16 ; 265,11-15 ; 266,4-5 ; etc. Cf. supra,
n. 192). Quant au bouc qui lui et offert, il est considéré comme la « victime » (cf. III 271,3 :
«Quand le prêtre pose ses mains sur la victime»), préfigurant par là même les « mystères
(razē) de la croix» du Fils unique (III 273,4; 274,6-13 ; 275,21-276,4 ; etc.).
61 Cf., à titre d’illustration, II 202,3-4; III 492,2-3; IV 63,5 ; 97,20 ; V 507,12 ; 709,2.5-8; CJ VII
11-24.
62 Cf. aussi V 709,1-4. Cette idée est également éphrémienne (cf., par exemple, Eccl 30,2-12),
même si elle est dite de toute offrande et qu’elle n’est pas réservée à l’ offrande proprement
juive.
63 Cf. CJ VII 41-42.55-56.75-76.83-88.123-128.
sacrifice doit être offert pour toute la communauté (ḫūlah knūštā), au moment
où celle-ci prie pour que son vœu soit exaucé et que son péché soit expié (cf. Lv
16,5) (III 269,19-270,6). Autrement dit, tout le monde (ḫūlnaš) sans exception
est appelé à confesser ses péchés et «tous» doivent venir à la pénitence pour
obtenir l’expiation souhaitée (III 270,7-10). Et pourtant, seul le prêtre accomplit
le rite de l’égorgement (III 270,19-20), posant la main sur le sacrifice et confes-
sant ses péchés, lui aussi (cf. Lv 16,6) (III 271,3-4). Ainsi juxtaposés, les deux
rôles de la communauté et du prêtre semblent ne pas se confondre. Pourtant,
Jacques finit par les joindre, en déclarant que le prêtre, posant ses mains sur
le sacrifice, confesse «les péchés de tout le peuple, comme il a été ordonné»
(Lv 16,21) (III 272,7-8) et que c’est moyennant la confession prononcée par le
prêtre que le peuple se dévêt de son péché en le transposant sur le bouc sacrifié
qui le porte et s’en va dans le désert (III 272,9-10). Par ce rôle, continue Jacques,
le prêtre préfigure le Fils qui portera et expiera le péché du monde (Jn 1,29)
(III 272,11-12).
Voici un échantillon représentatif de l’exégèse que Jacques entreprend au
sujet de certains textes bibliques qui font apparaître le rôle du prêtre dans
l’ offrande des sacrifices. Il n’est pas question de reprendre le commentaire
d’autres textes qui, tout compte fait, suivent le même procédé, moins pro-
bablement pour insister sur la fonction sacerdotale que pour relever le sens
typologique qui les habite. C’est dans cette perspective que Jacques interprète
les péricopes sur le sacrifice offert pour la purification de la lèpre (Lv 14,1sv)
(III 224-242) et celle de la vache rousse (Nb 19,1sv) (III 242-259). Dans les deux
cas, le prêtre est investi d’un rôle prépondérant qu’ il accomplit au nom de la
communauté. Mais il est important de noter que, contrairement au sacrifice
offert à Azazel, ce n’est plus le prêtre qui est le type du Christ, mais le sacri-
fice lui-même. En effet, le sacrifice des deux boucs, dont « l’ un sera immolé
et l’autre lâché ( farḥā ; litt.: volera)» dans la campagne (Lv 14,2-7) (III 228,12)
représente le Christ qui «est devenu sacrifice à la fois mortel (mayūtā) et
immortel (lā mayūtā)» (III 229,17), «mort et ressuscitant par sa crucifixion »
(III 229,19), «mort dans son corps et vivant dans son Père» (III 230,7)64. Toute-
fois, la typologie du prêtre n’est pas totalement absente, et celui-ci étant chargé
de faire l’offrande préfigure l’amour qui porte le Christ à s’ offrir lui-même pour
le salut du monde:
64 Ce qui vient d’être dit suffit pour notre propos. Jacques relève d’ autres aspects typolo-
giques de ce sacrifice, tels que le mélange du sang de l’ oiseau à l’ eau courante (Lv 14,6)
comme une référence à l’eau et au sang coulant du côté du Christ, symbole du baptême
(III 230,12,231,9; 240,17-20), le bois de cèdre comme type de la croix, le rouge de cochenille
comme type du sang (III 231,16-21; 232,5-6; 233,8-11; 239,4-7).
En effet, notre Seigneur est venu pour devenir sacrifice pour sa (le
monde) purification.
Son amour occupa la place du prêtre et, par lui, (le Fils) s’ offrit lui-
même.
III 237,16-17
65 D’après la Peš, la couleur de la vache offerte en sacrifice est « rouge» (sūmaqtā), ce qui
conviendrait mieux à la couleur du sang et pourrait par conséquent renvoyer à la cruci-
fixion et à la mort du Fils (III 247,11-14; 250-251; etc.). Comme dans le mīmrā sur les deux
oiseaux, la même interprétation typologique est donnée ici du rouge de cochenille et du
bois de cèdre (III 251-253). L’immolation de la vache en dehors du camp préfigure la mise à
mort du Fils en dehors de Jérusalem (III 253,19-254,6), et son immolation par le feu consti-
tue un «type du pain du Fils de Dieu» qui se célèbre dans l’ Église, « maison du pardon»
(III 257,3-8).
66 Plus loin encore, on retrouve ce passage du prêtre qui est impur (III 249,5-6) au peuple
qui le devient (III 249,13-14).
67 Jacques associe l’offrande d’Abel et de Caïn à l’état du sacerdoce dont ils sont revêtus
(V 3,10-13). C’est encore l’offrande de Noé et d’Abraham, en plus de celle d’ Abel, qui leur
confère le statut de pontife (II 199-200; V 156,11-14).
68 Jephté est appelé prêtre (kahnā) (V 314,11-16; 318,10; 320,19; 321,6.12 ; 328,1-2), ou pontife
(kūmrā) (V 315,18; 320,8; 321,1.7; 330,7), en raison de l’offrande qu’ il fait de sa fille à Dieu qui
lui a assuré la victoire contre ses ennemis (cf. tout le mīmrā V 306-330), où le terme le plus
fréquent, sacrifice (debḥā), alterne avec celui d’offrande (qūrbanā). Comparé à Aaron, le
fiancé de Marie le surpasse, étant donné qu’il «porte sur ses mains le Seigneur saint (marē
qūdšē) et le célèbre» (BedS 806,8-9).
La tribu de Lévi établissait (mqīm wā) des prêtres et non pas des rois,
et celle de Juda donne (mafraʿ ; litt.: germe) des rois, à partir de David.
BedS 642,14-15
69 Jacques est conscient de la différence qu’il y a entre le texte de la Peš et le texte grec relatif
à cet épisode (Lettres 184,4-6). Il fait certainement référence au terme « offrande» qui est
plutôt choisi par la Peš à la place de celui de «femmes » pour traduire le terme išah que la
Peš lit išeh.
Quoi de plus convaincant que le témoignage donné par celui qui sacra
Aaron grand prêtre, le grand prophète Moïse, lequel déclara que la fonction
essentielle de son frère est d’être «le prêtre qui présenta des sacrifices par-
faits (debḥē šalmē)» (I 81,22). Ailleurs, les sacrifices sont tellement associés
aux prêtres, issus des Lévites, que ceux-ci se sanctifient par les sacrifices qu’ ils
offrent (II 200,22: «Ils sont saints par leur encens et leurs sacrifices ») et ce
sont les mêmes sacrifices avec le sacerdoce dont ils sont revêtus qui procurent
l’ expiation au monde:
D’ailleurs, à l’origine, le sacerdoce des prêtres juifs est scellé par le sang des
sacrifices qui oint «leurs mains, leurs oreilles, leurs pieds » (cf. Ex 29,20)
(III 835,15-16; cf. aussi V 171,15 où manque la mention des pieds). En fait, dans
la perspective d’un sacerdoce moins fixé sur les sacrifices sanglants, auquel
Jacques est acquis et qu’il défend70, les sacrifices juifs, en dépit de leur vertu
de représenter, bien qu’imparfaitement, le don de soi du Christ, se montrent à
présent inadaptés à la conception d’un sacerdoce plus spirituel71. D’ où l’ appel
de Jacques à faire éclater la sacerdoce cultuel et sanglant par une implication
personnelle, où le prêtre s’offrira lui-même, à l’ image de Melchisédech, type
du Christ lui-même. Bien entendu, le docteur syriaque s’ inspire, comme nous
le disions, du courant prophétique qui met en avant cette dimension intérieure.
En outre, il met l’accent sur l’orientation du sacerdoce vers des valeurs sociales
telles que la promotion d’une plus grande équité, notamment une attention
particulière aux pauvres, et la défense d’une culture de l’ amour du prochain.
On constate aussi que le lien entre le prêtre et l’ offrande a fini par permettre
de corriger, l’une par l’autre, une conception assez « matérialiste» du sacrifice
et une vision du sacerdoce qui lui est rattaché.
70 Cf. ce que nous disions supra, p. 214-215; on peut ajouter III 263,5-6, où le Christ est consi-
déré comme le fondement et la finalité du sacerdoce lévitique.
71 Jacques répète que les prêtres anciens se sont comportés « corporellement» (paġranāyit)
et ont présenté des «sacrifices (pris) des animaux» (V 159,7-8), ce qui est encore le cas des
prêtres Abel, Noé et Abraham (II 199-201, spéc. 200,6.12 ; 201,12). Leur fonction se limitait
essentiellement à «égorger» (nkas) et à offrir des «taureaux et des brebis» (tawrē w-ʿerbē)
(V 159,12; cf. II 201,16).
6.3.1.4 Narsaï
En passant à Narsaï, on constate que l’étude qu’ il consacre au rapport entre le
sacerdoce et l’une de ses fonctions fondamentales, le sacrifice, ne fait l’ objet
que d’une réflexion très concise, formant à peine une esquisse si on la com-
pare aux développements que lui consacrent Éphrem et Jacques. Toutefois, ce
raccourci que nous livre Narsaï ne manque pas de passer en revue la presque
totalité de la thématique abordée par Éphrem, tout en se montrant original
dans certaines argumentations qu’il privilégie pour appuyer ses thèses. Ainsi,
quand il s’adonne à une appréciation du sacrifice, et par conséquent, du sacer-
doce lui-même, on le voit osciller entre les deux interprétations littérale et
spirituelle. Soutenu par un regard critique qu’il porte sur la pratique du culte
juif lui-même, il finit par privilégier l’approche spirituelle, faisant éclater de
l’ intérieur la conception juridique du sacrifice.
Narsaï reconnaît que, d’après la conception juive courante, l’ offrande du
sacrifice relève de la responsabilité du prêtre. Par elle, il procure au peuple
l’ expiation des péchés (II 140,5) et c’est par elle qu’ il est établi « prêtre du
peuple qui officie (mkahen) par le sang» (II 140,2-3). D’ où le nom accordé au
temple, le «temple de sacrifice» (McLeod IV 263), dans lequel on égorge les
animaux à offrir (I 96,14-16). Le sang des animaux sacrifiés est destiné à la récon-
ciliation (tarʿūt našā)72 de l’homme avec Dieu (Mc Leod IV 264). Dans une note
négative qui prépare le lecteur à surpasser les sacrifices réduits à leur dimen-
sion matérielle, Narsaï les nomme, tout comme Jacques, des « sacrifices muets »
(I 96,15), des «sacrifices morts» (mītē) (Frish V 285)73.
Toutefois, en dépit de ces qualifications qui jettent un discrédit sur le sacri-
fice, Narsaï ne va pas jusqu’à le rejeter catégoriquement ou le dépouiller de
toute valeur positive. Si le rejet s’avérait, la position de Narsaï se rapprocherait
de la position de Marcion que combattent Éphrem et, à sa suite, Jacques qui le
critique sans le nommer. Dans une affirmation où se trouvent conjugués sacer-
doce et sacrifice, Narsaï émet à leur sujet une évaluation positive, les considé-
rant comme préfiguration et type du sacerdoce christique74 et de son offrande,
comme il le rappelle au Juif:
72 Dans l’édition de McLeod, il faut corriger le texte syriaque et lire tarʿūt et non pas tarʿūtā ;
le texte du PP I 490,4 est correct.
73 Dans le mīmrā qu’on veut attribuer à Jacques, on retrouve également la même qualifica-
tion de «sacrifices mortels» (II 166,15).
74 Nous y reviendrons plus loin, lorsque nous parlerons de la typologie du sacerdoce chris-
tique; en guise d’avant-goût, cf. Frish V 229.275.277-278.285-6 ; etc.
75 La symbolique n’est pas tout à fait inconnue d’Éphrem, qui reconnaît que le grand prêtre –
lui conférant ici le titre de prêtre – entre dans le Saint des Saints avec de « l’ encens par-
fumé» (ʿeṭrā mbasmā) (Parad 3,16). Jacques non plus n’ignore pas que le grand prêtre,
s’agissant ici d’Aaron, entre dans le tabernacle temporel (maškan zabnā) avec l’ encensoir
et «il brûle de l’encens (maʿṭar besmē)» en vue de l’expiation des péchés (I 70,11-12). Ceci
dit, Jacques ne compare pas avec les offrandes sanglantes pour en tirer des conclusions
pareilles à celles de Narsaï. Son attention porte exclusivement sur une autre comparaison,
celle du feu visible brûlant l’encens avec le feu du cœur ou de l’ esprit d’ Aaron, lequel est
capable de monter «en haut» pour réjouir le Seigneur (I 70-72). Sur les deux feux d’ Aaron,
cf. supra, p. 203. Rappelons que Frishman, Ways and Means T, p. 167-169 a procédé à une
comparaison entre Éphrem d’une part et Narsaï et Théodore d’ autre part et a conclu à
l’absence du thème de l’Église dans la symbolique du tabernacle chez Éphrem; mais cf. à
ce propos, supra, p. 168, n. 76.
76 Lv 16,12-13; cf. Frish V 153-154. 209-210. 217-220. 245-246.
Et Narsaï de préciser que le Saint des Saints où entra Jean Baptiste n’est pas
celui où accèdent les grands prêtres juifs, car le précurseur entre « dans le Saint
céleste dont l’entrée fut aplanie symboliquement (razanāyit) » (McLeod II 283-
284), clôturant ainsi l’ordre (ṭaksā) d’après lequel il officia selon la loi pour
« commencer par officier spirituellement, selon l’ ordre (b-dargā ; litt.: selon le
degré) d’en haut» (McLeod II 285-286)78.
77 Pour Jacques, il n’a pas été donné à Jean Baptiste d’ entrer dans le Saint des Saints
(BedS 683,2-9).
78 McLeod traduit b-dargā da-lʿel par «in a higher order ».
Toutefois, l’entrée de Jean Baptiste dans le Saint des Saints ne peut être com-
parée à l’entrée effective de Jésus «dans le Saint des Saints supérieur », qui se
fait par l’«immolation de soi pour Dieu» (ba-dbīḥūteh l-alahā), faisant de lui
un «pontife au ciel» capable de procurer l’expiation et le salut pour tous (PP I
589,19-23). Par ailleurs, s’il est vrai que Jean Baptiste a dû s’ arrêter au seuil de
la Nouvelle Alliance et, par le fait même, n’a pu s’ élever au rang de Jésus, les
prêtres juifs, par leurs sacrifices sanglants, se placeront non seulement bien
loin derrière Jésus, mais aussi en-deçà de ce grand prophète qui annonça Jésus
et son ordre spirituel.
6.3.2.1 Aphraate
Dans la liste des fonctions donnée par Aphraate, à laquelle nous avons fait réfé-
rence ci-dessus, l’enseignement figure en deuxième place après l’ offrande79.
Commentant le texte sur le comportement indigne de Hophni et de Pinhas,
les deux fils du grand prêtre Éli, et la réaction molle de leur père, Aphraate
retient le reproche fait aux deux fils chargés d’ enseigner le peuple : « Parce
que les prêtres, étant docteurs (malfanē), se conduisent mal » (I 616,24-26).
Comme pour l’offrande indigne que dénoncent les prophètes, c’ est encore
dans la même ligne et en reprenant les blâmes des prophètes qu’ Aphraate s’ en
prend aux prêtres qui «enseignent (malfīn) pour un salaire» (Mi 3,11) (I 580,12-
13; II 25,3-6)80, signant par là même leur propre condamnation (I 580,23). Et
pourtant, la tâche d’enseignement qui est confiée aux prêtres est noble. En
fait, reprenant les paroles de Ml 2,7, Aphraate souscrit au fait que « les lèvres
du prêtre gardent la connaissance et c’est à sa bouche qu’ on demande la Loi »
(I 1025,1-2)81. Par conséquent, étant habilités à initier à la loi, ils sont supposés
être des «connaisseurs de la loi» ( yadʿay namūsā) et c’ est à eux que recourt
Nabuchodonosor pour s’assurer que le roi Sédécias ne rompra pas le pacte
conclu avec lui (II 136,21-137,3).
À part le fait d’attribuer aux prêtres la tâche de connaître et d’ enseigner
la loi, Aphraate ne se soucie guère d’expliquer ou de justifier cette fonction
qui semble ne pas leur être exclusivement réservée. Car, si pour les deux fils
Le prêtre est devenu comme le peuple (Os 4,8-9), puisqu’ il n’a pas blâmé
le peuple pour son péché (ba-ḥṭīteh ; litt.: dans son péché), c’ est comme
si le prêtre avait commis le péché du peuple.
II 25,7-10
82 Ce qu’on peut glaner dans les allusions que fait Aphraate aux traits qui définissent la
personnalité du docteur juif se réduit à peu de choses. Il semble s’ identifier à un « sage,
docteur d’Israël» (I 804,19), capable de mener une discussion au plus haut niveau sur des
thèmes controversés, tels que la virginité (I 833-837, surtout 833,27), ou à même d’ établir
une hiérarchie de valeurs dans les commandements divins (I 753,25-758,11). Il se peut que
ces docteurs se distinguent des prêtres, connaisseurs aussi de la loi, par le fait que leur
vocation première et presque exclusive se limite à l’ étude théologique de la loi, contrai-
rement aux prêtres qui doivent dédier une grande partie de leur temps à la fonction
cultuelle.
83 Aphraate recourt lui aussi au cas du roi Ozias qui voulait ravir le sacerdoce en cherchant
à fumer l’encens; cf. supra, p. 188.
la fonction du docteur de la loi se définit plutôt comme une science axée sur
l’ interprétation des textes de la loi, par le recours à l’ argumentation et aux
autres méthodes d’analyse et de déchiffrage du texte en usage à l’ époque. Cette
distinction dans la méthode de l’enseignement n’écarte pas les prêtres de cette
fonction, même si Aphraate ne prend pas la peine d’ expliquer le développe-
ment historique qui a abouti à la prédominance des docteurs sur les prêtres
dans ce domaine.
6.3.2.2 Éphrem
Parlant des prêtres de l’ A.T., Éphrem ne semble pas avoir souligné leur tâche
d’enseignement, pas même sous la forme d’incitation à éviter le mal et à faire
le bien. Ce fait pourrait bien s’expliquer par l’affectation de l’ enseignement
aux seuls prophètes, excluant par là même les prêtres et faisant rarement cas
des docteurs juifs qu’Aphraate semble avoir destinés à l’ étude de la Loi et à son
interprétation. Ne pouvant nous étendre sur le rôle des prophètes dans la trans-
mission de la Parole de Dieu, nous constatons que leur première tâche paraît
se confiner à proclamer la venue du Sauveur attendu par le peuple d’ Israël84, à
la différence des prêtres qui, par leur hysope, s’empressent à sa rencontre (Nat
2,2), mettant ainsi plutôt l’accent sur l’acte probablement cultuel. Comparés
aux apôtres qui parlent au nom de Jésus, les prophètes s’ expriment au nom
du Seigneur, Yahvé (CH 56,3), ou, dans une autre comparaison, les apôtres sont
appelés à proclamer la résurrection, au moment où les prophètes proclament
le retour ( fūnayā) (Eccl 9,14). À vrai dire, le rapport qu’ établit Éphrem n’est
pas entre les prêtres de l’ A.T. et les apôtres du N.T., mais bien entre prophètes
et apôtres qui forment un couple de prédication indissociable85. S’ y référant
surtout pour réfuter le rejet de l’ A.T. par les Marcionites, Éphrem affirme ainsi
la conformité entre le chemin des prophètes et celui des apôtres (CH 26,1)86.
Il en profite aussi, dans la perspective qui nous intéresse ici, pour souligner
qu’apôtres et prophètes «se sont donné de la peine, ont œuvré, enseigné (tal-
med) et instruit (w-alef )» pour que le nom de Dieu soit honoré, contrairement
aux hérétiques qui imposent leur nom aux disciples que le Seigneur attire à lui
(CH 23,4).
84 D’autres textes insistent sur leur proclamation du mystère (ici ṭūfsā) du Christ (Az 4,27).
85 À part Eccl 9, 14, que nous avons répertorié, tant de textes éphrémiens évoquent ce couple ;
à titre non exhaustif, cf. HdF 2,11.23; 3,3; 6,5; 47,6; 60,5 ; 61,13; 87,3; CH 2,22 ; 14,7 ; 22,16; 23,4
(cité dans le corps du texte); 24,23; 25,1.2.4; 37,7; 38,2; SdF III 153-154 ; Parad 1,7.14 ; 7,15 ;
CNis 37,11; 53,24; 54,5; 63,20; 72,19; Virg 8,4.13; 33,8; Eccl 41,12 ; Ov 44,4-5 ; PrRef I 57,6-45.
86 Cf. surtout CH 40,1-14 et Eccl 44,1-19, où il est question de l’ harmonie entre les trois harpes
qui sont celles de la nature, de Moïse et de Jésus Christ.
La prophétie demeure en fait sur ses lèvres grâce aux révélations (gel-
yanē).
SdDN 50,15-16
87 Éphrem juxtapose souvent les trois fonctions comme s’ il voulait suggérer qu’ elles re-
viennent à des personnes différentes (cf., par exemple, Virg 9,9 ; 17,5; 28,3 ; 37,1 ; Nat 1,1 ;
18,27; Az 15,9; Crucif 4,11; SdDN 50,16-18; cf. aussi CGEx 71,15-18). À Sichem, il semble que
«les chefs, les prophètes et les prêtres» qui font honneur à la ville (Virg 17,5) correspondent
à Joseph, à Josué et à Éléazar respectivement (Virg 18,10).
88 Cf. supra, p. 199-120.
89 Men bēt krūbē fait suite à men bēt qdūš qūdšē, du lieu du Saint des Saints. Bien que le texte
ne précise pas l’identité de celui qui transmet la révélation, on peut supposer que ce soit
le représentant de Yahvé, le chérubin qui en est l’auteur.
conclut Éphrem, sans le fruit, allusion au Révélateur par excellence qui est le
Fils, fruit du Père90, Adam ne peut pénétrer le mystère des arbres, tout comme
sans le pectoral, le grand prêtre est incapable d’ accéder au « trésor des révéla-
tions» (gazā d-gelyanē) (Parad 15,9)91. Éphrem ne manque pas de défendre le
caractère bon des «objets» de la révélation, qu’il s’ agisse du fruit pour Adam,
ou de l’encens pour le roi Ozias, arguant qu’ils ne sont transformés en ins-
truments de mort que par l’œuvre de l’homme, sous l’ influence de Satan qui
pousse l’un et l’autre à désobéir au commandement divin (Parad 15,8-12).
Il semble pourtant que ce qui vient d’être exposé sur la symbolique du vête-
ment sacerdotal touche plutôt au rôle oraculaire du prêtre en tant que destina-
taire de la révélation. On en déduit que des traces de cette mission oraculaire
sont présentes chez Éphrem, où le prêtre constitue un réceptacle de l’ oracle
divin. Il est cependant vrai que le prêtre reçoit la révélation en vue d’ un projet
grandiose, relatif à une intervention divine pour le salut de l’ homme et par-
fois en réponse à une demande provenant d’individus en quête d’ une lumière
divine. Toutefois, même si la révélation est mise au service de l’ instruction du
peuple, il est vrai qu’elle se distingue de l’enseignement qui consiste à pré-
senter une interprétation scientifique de la loi, comme elle se démarque de
l’ édification parénétique qu’on rencontre chez Aphraate, laquelle incite à faire
le bien et à éviter le mal.
6.3.2.3 Narsaï
Nous enchaînons à présent avec Narsaï – une fois n’est pas coutume –, car il
semble que ce dernier rejoint Éphrem au moins sur deux points essentiels :
d’abord le cumul des fonctions en une personne revêtue du sacerdoce, ensuite
le don de révélation accordé au prêtre de l’ A.T. Mais avant d’ aborder ces deux
aspects, il s’avère utile d’interroger la pensée de Narsaï pour savoir s’ il n’a pas
attribué au prêtre une fonction d’enseignement, qui se distinguerait de celle
du prophète et du scribe.
Parmi les hérauts (karūzē) de la loi, Narsaï compte non seulement les pro-
phètes et les prêtres, mais aussi les rois (II 119,24-25). Les prophètes ont cepen-
dant la spécificité d’être privilégiés pour recevoir les révélations (gelyanē), ce
qui pousse Narsaï à accorder à Jean Baptiste, en tant que prophète, la qualifica-
90 Dans Eccl 42,1, l’éphod (afūdā) et le pectoral ( fedtā) sont identifiés au corps personnel et
au corps eucharistique ( frīstā, le terme de la Peš dans Ac 2,46) respectivement, dont se
revêt la puissance cachée du Fils. Cf. supra, p. 67.
91 Sur le rapport entre la révélation accordée au prêtre portant l’ éphod dans le Saint des
Saints d’une part, et d’autre part, la connaissance transmise à Adam par le fruit de l’ arbre
de la connaissance, cf. Beck, ComParad, p. 159-161; Paradiso XV, p. 25-35 (l’ article en entier).
tion de «cithare de l’esprit de révélation (rūḥ gelyanā), afin que, par lui, soient
scellées les voix fatiguées (šḥīqē) de la prophétie» (McLeod II 223-224). Ces
voix fatiguées qui, après avoir annoncé la prophétie, vont désormais connaître
le repos dans «le port de paix suite à la manifestation de Notre Seigneur (d-
denḥeh d-maran)» (PP I 163,10-11). C’est par son « unique révélation» (ḥad
gelyanā) au sujet de l’«unique juste» que Jean Baptiste mit fin aux révélations
des prophètes antérieurs (PP I 164,1-7).
Tout comme Jean Baptiste, son père, Zacharie le grand prêtre a bénéficié lui
aussi de cet «esprit de révélation (rūḥ gelyanā) » lorsqu’ il annonça l’ arrivée
du salut par la naissance du Fils du Très-Haut (PP I 164,14-17)92. Se définis-
sant par le don de révélations et par le souci de mettre ce don au service du
salut, le prophète en tant qu’homme de la parole se distingue par là même du
scribe qui, comme le notait déjà Aphraate, se consacre à l’ étude et à l’ analyse
des textes sacrés. La comparaison établie par Narsaï entre Jean Baptiste et les
scribes est bien pertinente, lorsqu’il considère que Jean Baptiste est rendu par-
fait par l’esprit de révélation sans avoir recours à l’ étude des écrits sacrés :
Ô inculte (lā radyā ; litt.: non instruit), bien qu’ il ne fût pas instruit par
l’étude (hergā ; litt.: méditation) des écrits (sefrē)93,
son esprit instruit (hawneh ḥakem) ceux qui rendent sage (la-mḥakma-
nē) et les déchiffreurs (qaryay ; litt.: lecteurs) des écrits.
PP I 165,6-8
À la limite, pour distinguer les prophètes des scribes, Narsaï semble privilégier,
pour désigner les premiers, l’appellation «scribes de l’ esprit » à qui est attri-
buée la tâche de renseigner sur la future manifestation du Fils (gelyaneh)94.
Ainsi appelés, les prophètes se rapprocheraient des scribes tout en s’ en distin-
guant grâce à la révélation qui leur est réservée. En revanche, Narsaï impute
aux justes une consolation obtenue par la venue du Fils et aux prêtres le fait
que leurs canons furent ordonnés par son ordre, tandis qu’ il rappelle aux rois
que leur pouvoir est honoré par le rang divin de Jésus (Frish V 265-269).
92 L’expression «esprit de révélation» a été évoquée supra, p. 135; cf. aussi ce qui sera dit aux
pages 231-233.
93 Notons la parenté phonétique et sémantique qu’il y a en langue syriaque entre sefrā (écrit)
et safrā (scribe).
94 À la différence de Frishman (Frish V 266) qui, à la suite de l’ édition patriarcale (PP II 467,1),
lit sefrē (books) dans l’expression «scribes de l’esprit », nous optons pour la leçon safrē,
scribes, leçon justifiée par l’ encadrement du terme par des personnages, les justes, qui
attendent le Fils, et ceux qui se conforment à ses idéaux, les prêtres et les rois.
Il est toutefois utile de noter que Narsaï, contrairement à Éphrem qui était
hanté par le spectre de Marcion et du marcionisme, ne reprend pas à son
compte le couple indissociable prophètes-apôtres, surtout que cette présuppo-
sée hérésie, bien qu’évoquée parfois par Narsaï95, ne présente plus les mêmes
dangers à l’époque où Narsaï écrivait. En revanche, Narsaï distingue bien les
« scribes et les prêtres» (PP I 390,10; PP II 317,10-11), en leur adjoignant parfois
les «Pharisiens» qui semblent constituer une catégorie non identifiée avec les
scribes (cf. Mt 15,1; 23,13-32) (PP II 309,19). Dans cette perspective, Narsaï dis-
tingue bien les fonctions et leurs détenteurs lorsqu’ il évoque l’ exil de Babylone:
à côté de Daniel et des trois jeunes gens jetés dans la fournaise, du prophète
Ézéchiel et de Zorobabel, il cite «Josué le prêtre et Ézra le scribe » (PP I 384,14-
16).
Toutefois, la distinction entre prêtre et scribe n’est pas absolue ni exclusive,
car ceux-ci peuvent se rejoindre dans une fonction qui semble leur être com-
mune: l’explication des textes sacrés. N’étant pas limitée aux scribes, comme
on pourrait le supposer, l’activité d’interprétation des textes sacrés est égale-
ment exigée des prêtres. Cela apparaît notamment dans le domaine cultuel,
réservé aux prêtres. Commentant la vision d’Isaïe dont les lèvres seront puri-
fiées par le contact avec le charbon ardent, Narsaï apostrophe le « prêtre du
peuple» qui officie: « Viens et explique-nous ( fašeq lan) », « viens et montre-
nous (badeq lan)» pour quelle raison la purification d’ Isaïe n’a pas eu lieu par le
sang (II 140,2-6)96. S’il ne faut pas confiner la tâche du prêtre à l’ interprétation
de la loi, il apparaît qu’il ne convient pas non plus de l’ en écarter, car il est
appelé à comprendre le sens et l’efficacité des actes qu’ il pose et à en rendre
compte à ses ouailles. Le lien entre les prophètes et les scribes d’ une part, et
les prêtres d’autre part, ne se fait pas uniquement en raison d’ une participa-
tion à une fonction qui leur est commune, mais, comme nous l’ avons constaté
chez Éphrem, grâce à la présence en chacun d’eux des trois fonctions prophé-
tique, sacerdotale et d’enseignement. Cela corrobore l’ idée d’ après laquelle les
fonctions ne s’excluent pas les unes des autres, et que le prêtre peut bien être
investi d’une mission prophétique et d’interprétation, même si l’ explication
qu’il donne dans le cadre de la célébration cultuelle ne se confond pas avec
l’ analyse scientifique qu’entreprennent les scribes du texte sacré.
Parmi les personnages répertoriés, on retiendra notamment Samuel, auquel
Narsaï reconnaît qu’il a assumé le «rang de la prophétie et du sacerdoce»
(PP II 612,5-6). De même Élie est-il bien considéré à la fois comme « prophète
C’est non seulement par sa christologie, mais aussi par son exégèse que Nar-
saï se démarque d’Éphrem. Celui-ci, loin de soutenir que la voix de révélation
provient du propitiatoire (cf. Ex 25,22), semble plutôt insister sur le fait que
97 Sur Samuel et Élie considérés comme prêtres et prophètes, cf. supra, p. 205.
la voix divine sort «d’entre les chérubins» (Ex 25,22 ; cf. Parad 15,7 ; texte déjà
cité). Ce qui revient à dire que les deux auteurs choisissent chacun une partie
du texte d’Ex 25,22, Éphrem respectant la symbolique du texte sans chercher à
l’ épuiser dans des explications qui trahiraient son caractère mystérieux, tandis
que Narsaï utilise le propitiatoire et sa symbolique, le don de l’ expiation, pour
réaffirmer sa christologie. En outre, Narsaï est catégorique lorsqu’ il affirme que
la voix divine n’est pas transmise par les chérubins, mais par le propitiatoire
dont le mutisme renvoie à la mortalité de l’homme Jésus, tandis que les révé-
lations sont imputées au Verbe demeurant dans le corps (Frish V 189-192). Par
ailleurs, Éphrem ne fait pas seulement cas du texte de l’ Exode, mais en évo-
quant le Thoummim et l’Ourim pour expliquer ce grâce à quoi le grand prêtre
reçoit la révélation, il se distingue de Narsaï qui ne s’ y réfère jamais. Quelle que
soit cependant cette différence dans la lecture et l’ interprétation des textes, ce
qui importe ici, faut-il le rappeler, c’est la mise en évidence de cette fonction
du grand prêtre à recevoir des révélations.
6.3.2.4 Jacques
Avec Jacques, toute allusion à une quelconque fonction oraculaire de révélation
paraît s’estomper et l’interprétation d’Éphrem, encore ancrée dans la tradition
juive98, cède la place à l’interprétation jacobienne d’ inspiration complètement
chrétienne. En fait, comme Éphrem, Jacques connaît la traduction de la Peš
du Thoummim et de l’Ourim (Ex 28,30) par «perfection et lumière» (šalmā,
nahīrā), qu’il identifie à de simples «pierres» (kīfē) (I 621,10 ; III 296,18)99. Mais
là où Jacques se démarque d’Éphrem, c’est dans le sens qu’ il confère à ces
deux pierres, en percevant dans la «perfection et la lumière» « l’ encens choisi
(gabyā, qui peut signifier aussi excellent) et la lumière pure de la foi » (I 621,11).
Ailleurs, l’ensemble des vêtements que porte le grand prêtre sacrificateur, y
compris les pierres de «perfection et de lumière», sont dotés d’ un sens christo-
logique, Moïse ayant peint le Fils non seulement par les différents types et évé-
nements (cf. III 283-296), mais également par les vêtements. Toutefois, dans la
liste qu’il donne de ces vêtements (III 296,14-19), Jacques ne précise pas en quoi
chacun d’entre eux renvoie au Fils100. Ne pouvant développer ici l’ ensemble de
98 Mais rappelons que, dans Eccl 42,1, une interprétation christologique et eucharistique est
donnée des deux termes afūdā et fedtā. Cf. supra, p. 228, n. 90.
99 Contrairement à Éphrem qui les appelle «pierres précieuses» (ṭabʿē), au pluriel (cf. Parad
15,7), Jacques les appelle «pierre» tout simplement et les cite toujours au singulier. Le d-
nahīrē dans III 296,18 doit être corrigé en d-nahīrā, comme dans I 621,10.
100 De manière un peu vague, Jacques perçoit dans la « pierre de l’ éphod (kīfā d-fedtā) » –
faut-il comprendre le pectoral? – et la ceinture du grand prêtre (Lv 8,7) une référence aux
«beautés du (Fils) unique» (III 308,15-16). Ayant affirmé que chaque prophète annonce le
Fils par les moyens mis à sa disposition, Jacques soutient qu’ Aaron le fait « par les pierres
de l’éphod et par la couronne sainte» (Lv 8,9) (IV 433,18).
101 Sans être exhaustif, voici, en plus de ce qui a été dit dans la note précédente, quelques
indices d’une interprétation de couleur chrétienne des vêtements sacerdotaux: la « tu-
nique de lin» renvoie à l’amour dont le grand prêtre doit se munir lorsqu’ il officie (I 621,16-
17); «les clochettes d’or, les grenades de la ceinture (rūmanē da-frazūmā) » – faut-il lire
plutôt rūmanē wa-frazūmā = les grenades et la ceinture que nous trouvons séparées
dans V 157,17-18? – car, dans ce qui suit, il y a référence à trois actes du grand prêtre
incité à «craindre, aimer et se rendre pur» (I 622,1-2) ; « la couronne, la tiare et l’ éphod »
incarnent les trois vertus théologales, l’espérance, la charité et la foi, qui sont indisso-
ciables (I 622,3-4). En outre, Jacques précise que la couronne symbolise l’ amour qui est
«le nœud» (ḥzaqā) (cf. Col 3,14) de toutes les beautés (I 622,5-6). Évoquant la figure de
Melchisédech, Jacques considère que, bien qu’il n’emprunte pas les vêtements sacerdo-
taux (V 157,13-20), sa vérité (qūštā) et sa foi constituent son éphod et sa tiare, et la louange
incessante de sa bouche son pectoral (afūdeh) (II 775,19-20). À part ce que nous venons
de rapporter, Jacques revient souvent aux vêtements sacerdotaux, soit pour les décrire en
tant qu’éléments constitutifs du sacerdoce lévitique (I 72.74.77-78 ; 539,9-10 ; III 837-838 ;
IV 802,13-14; CJ V 19-22), soit pour comparer leurs effets aux effets du sacerdoce chrétien
(IV 795,16-17), ou encore pour soutenir qu’ils ont leur prototype dans le vêtement en lin
porté par l’ange vu par Ézéchiel (Ez 9,11; etc.) (IV 597-599).
102 Le contexte ici est la condamnation du prophète Isaïe pour avoir manqué à son devoir de
blâmer le roi Ozias et le pardon dont il bénéficia après la mort de ce dernier.
Dans cette liste, les prophètes sont l’unique catégorie qui représente des per-
sonnes. Cela paraît encore confirmé par la réponse qu’ Abraham donna au riche
qui méprisa Lazare: les terrestres n’ont pas besoin d’ un mort qui ressuscite
pour les enseigner, car ils ont «les prophètes et Moïse pour les enseigner » (Lc
16,31) (I 409,20-21). Abordant la parabole des vignerons meurtriers (Mt 21,33-
46 et paral.) et en réponse à l’ingratitude du peuple à qui Dieu envoya son
Fils unique, l’héritier qui a été mis à mort, Jacques commente que Dieu priva
le peuple de «prophètes» (ḥazayē, litt.: ceux qui bénéficient de visions), de
docteurs (malfanē) et de pontifes (kūmrē), qualifiant l’ « enseignement de la
prophétie» de «pluie bénie» que reçut la vigne (IV 755,16-21).
Par rapport à la «nature» qui est le «docteur» (malfanā) le plus ancien, les
écrits des prophètes sont jugés plus récents (III 909,7-8)103. Toutefois, dans la
ligne d’Éphrem, Jacques reprend le couple prophètes-apôtres pour défendre
une seule et unique vérité proclamée par eux104, la prophétie constituant
même le début (rīšā) de la doctrine du Fils (II 364,15-16).
De ce qui précède, faut-il conclure que le prêtre n’a pas accès à la connais-
sance, et par conséquent, ne joue aucun rôle dans sa transmission? S’ il est
vrai que Jacques ne semble pas insister sur cette fonction105, il serait erroné
d’ignorer sa présence chez lui. Il l’évoque en rappelant la prophétie dont béné-
ficia le grand prêtre Caïphe, qui confia à ses collègues et aux Pharisiens qu’ il
convient qu’un seul meure pour la multitude (cf. Jn 11,49) (II 539-540). Un lien
clair se dessine ainsi entre prêtre et prophète, même si Jacques qualifie Caïphe
de «sot» (saḫlā), du fait que la vérité qu’il annonce ne vient pas de lui, mais
d’une inspiration prophétique (II 539,13-540,18). Une autre figure sacerdotale
est Zacharie, le père de Jean Baptiste. Blâmé par l’ ange pour ne pas croire à la
103 Comme Narsaï (cf. I 220,12-13), Jacques reprend à Éphrem (cf. notre Pensée symbolique,
p. 125-127) l’idée que le livre (ktabā) et la nature forment les deux sources de la connais-
sance; cf., à simple titre d’illustration, II 145,4sv; V 772.777-780 (cf. notre Théologie II 442-
447) Cf. infra, p. 305, n. 92.
104 II 358,11-12; 364,7-10.17-18; 372,17-20; 375,1-2; 483,3-4. Dans ces textes, associés à beaucoup
d’autres, il est question aussi de l’accomplissement de la prophétie et de sa continuation
par l’œuvre des apôtres. Nous y reviendrons en traitant de la valeur du sacerdoce vétéro-
testamentaire.
105 On ne trouve aucune allusion à la connaissance du prêtre dans l’ explication que réserve
Jacques au sacerdoce dont parle le Lévitique (III 835-836), ni dans le dialogue qu’ il ima-
gine s’installer entre Moïse et Aaron lors de la passation du sacerdoce d’ Aaron à son fils
Éléazar (I 69-78), pas même dans le discours à caractère sacerdotal que livre Adam à ses fils
pour les inciter à bien accomplir leurs fonctions de prêtres (V 3-4). Encore moins Jacques
évoque-t-il la fonction de connaissance et d’enseignement en parlant de l’ onction que
reçoit le prêtre sur ses membres, son interprétation étant axée totalement sur sa signifi-
cation christologique, plus précisément sur sa référence à la croix (III 262,15-263,12).
parole divine, il est appelé «docteur» (malfanā) en Israël, « grand prêtre qui
connaît les Livres (saints) et maître (šalīṭ) sur les mystères de la maison de
Dieu» (II 149,18-19). Son fils, Jean Baptiste, fut lui aussi appelé à enseigner la
foule, l’épouse qui est formée par les Juifs, en l’ informant qu’ il est lui-même
terrestre, tandis que son Seigneur est céleste (I 155,11-12).
Dans une tout autre perspective, Jacques reconnaît que les « prêtres et les
scribes» savent que le Fils de Dieu est bel et bien le Christ, et que l’ attente de sa
venue est annoncée dans leurs livres (IV 759,3-4). On en déduit que la connais-
sance n’est pas réservée aux scribes, mais qu’elle est partagée par les prêtres,
ce qui nous amène à discuter de la compétence de ces scribes dans le domaine
de la connaissance. Ainsi donc, à côté du couple prophète-prêtre, on se trouve
devant un autre couple bien attesté dans les écrits de Jacques, celui du prêtre
et du scribe, lequel se révèle important quand on réalise qu’ au scribe revient la
tâche d’interpréter les livres saints. Toutefois, dans les écrits de Jacques, scribes
et prêtres sont associés non seulement dans la connaissance et sa propagation,
mais aussi dans l’attitude qu’ils réservent à Jésus. Sous la plume de notre doc-
teur, ils sont souvent décrits comme ingrats envers les bienfaits octroyés par
Jésus (III 464,6; etc.) qu’ils gratifient de leur ironie et de leur mépris (I 452,7 ;
527,7; etc.)106 ; aussi sont-ils surtout accusés de fomenter des complots contre
Jésus107, et c’est à eux que viennent s’associer tantôt les Sadducéens (I 491,7),
tantôt les chefs du peuple (I 453,17; V 625,15). Séparé, chacun des membres de
ce couple peut être associé à d’autres catégories d’ enseignants juifs : les prêtres
avec les Sadducéens sont accusés d’amener le Fils en dehors de Jérusalem pour
le mettre à mort (III 254,3-4), ou, avec les Pharisiens, ils sont dénoncés par
l’ aveugle-né guéri par Jésus (III 465,8), tandis que les scribes avec les Phari-
siens sont l’objet de malédictions proférées par Jésus à leur encontre (Mt 23,15)
(I 300,17).
Comme nous l’avons vu (cf. IV 759,3-4), la raison pour laquelle les scribes
et les prêtres sont sévèrement blâmés est qu’ils refusent de voir la vérité dans
les textes sacrés qui annoncent le Fils. De façon paradoxale, leur connaissance
les rend aveugles, et à cause de leur arrogance, Jacques les tourne en dérision.
Ainsi, les qualificatifs qui les désignent comme connaisseurs sont entachés
de mépris: Jésus toléra la «pierre d’achoppement (kešlā) des scribes et des
sophistes (darūšē, ici le sens est péjoratif)» (II 190,5 ; cf. aussi II 190,21), son
mystère (ici šarbā) est caché aux «scrutateurs» (baṣūyē) (II 190,17), aux pré-
tendus «sages» ( yadūʿtanē, ḥakīmē) (II 191,2.5), aux rhéteurs (malalē) (II 191,7),
106 Sur les vices des prêtres contemporains de Jésus, cf. supra, p. 193-195.
107 À titre d’illustration et sans aucune prétention à l’ exhaustivité, cf. I 452,7 (cité dans le
corps du texte); 491,14; 453,16; II 338,6; 531,7-8; IV 718,1-2 ; Lettres 48,20-22.
au scribe arrogant (safrā ḥtīrā) (II 191,11), à celui qui interprète (da-mtargem)
(II 191,9). Le fait de les voir associés, parmi tant d’ autres, aux « Grecs» et
aux «sophistes» (ḥakīmē) (III 631,2-3) laisserait supposer qu’ il est question
de scribes juifs, même si, plus loin dans le texte, Jacques répète les mêmes
termes pour désigner une autre catégorie, les « sages» (ḥakīmē, yadūʿtanē) et
les scribes qui formeront les adeptes de la thèse divisive de la personne du
Fils (III 631,8sv). Cette argutie, plus encore cette attitude sophiste et arrogante
des scribes, est, aux yeux de Jacques, dénoncée par la simplicité du discours
des apôtres qui ont annoncé et enseigné la doctrine du Fils au monde entier
(I 485,13-486,15). En revanche, Jacques fait comprendre que Moïse a peint les
apôtres par les douze tribus d’Israël (I 45,1) et les soixante-dix disciples de
Jésus (I 45,6-7) par les soixante-dix hommes, «administrateurs» (mdabranē)
du peuple (I 44,22), avec la vocation de devenir « docteurs » (malfanē) pour le
peuple entier (I 45,4)108.
Au-delà de cette appréciation qui touche à la polémique et qui, bien en-
tendu, se trouve justifiée par les textes du N.T., Jacques est capable de por-
ter un regard différent, plus serein, sur l’activité des scribes qu’ il associe aux
« Anciens» (qašīšē) (I 103,3-4)109. Dans Mt 2,4, ces derniers sont désignés
comme «grands prêtres» que le roi Hérode veut consulter, avec les scribes, pour
connaître le lieu où naîtra le Sauveur. N’étant pas eux-mêmes les destinataires
de la révélation, qui est la prérogative des prophètes, ils peuvent cependant y
accéder pour en dévoiler les secrets. À ce titre, les scribes et les Anciens sont
qualifiés d’«interprètes des choses à venir» (mfašqanē da-ʿtīdatā) (I 103,16).
108 Ici et dans le paragraphe suivant, le sens se limite aux scribes du peuple juif. Mais le
terme scribe est également utilisé dans un sens élogieux pour les docteurs de la Nou-
velle Alliance. Jacques oppose souvent la simplicité des apôtres à la recherche (drašā)
et à la sagesse (ḥakīmūtā) des scribes (II 701-702) et affirme que les « pêcheurs de pois-
sons», sans avoir été formés par des «savants» (sfīrē), l’ ont emporté sur les « savants et les
sophistes» (III 727,15-16). Mais après leur avoir accordé l’ Esprit Saint, le Fils les « envoie
pour qu’ils soient docteurs (safrē) pour toute la terre» (V 360,5-6). Parmi les apôtres,
Jacques nomme Bartholomée comme «docteur pour les Athéniens» et « Matthieu pour
les Juifs» (III 732,5-6). Mais c’est surtout l’apôtre Paul qui est qualifié de « docteur raison-
nable» (mlīlā) (II 720,15) et «savant» (mhirā) (II 722,3 ; 734,20; 740,8), versé dans l’ étude
(etdaraš, mdaraš bah) de la religion juive et de ses institutions (II 721,19 ; 724,3). Mais après
sa conversion, Paul est le «docteur» qui se fait disciple du royaume céleste (II 732,17),
méprisant l’étude mondaine (dūrašā ʿelmanayā) (II 753,6-7) et prenant la croix comme
son «docteur» (II 752,20) (sur Paul, cf. notre Saint Paul, p. 287-289). Les apôtres et les dis-
ciples ne sont pas les seuls à être appelés «docteurs» ; Jésus lui-même (cf., par ex., V 496,15)
et l’Esprit Saint (cf. II 677,15-16; V 724,21; BedS 856,6) reçoivent la même appellation.
109 Même si, là aussi, les scribes sont accusés de devoir consulter leurs textes pour savoir ce
qui est dit du Fils, tandis que les rois Mages viennent à sa rencontre avec leurs offrandes,
sans chercher à sonder son mystère (cf. I 103,9-14).
6.3.3.1 Aphraate
Chez Aphraate, non seulement le terme médiateur est absent110, mais encore
moins trouve-t-on une autre terminologie ou d’autres expressions qui évoque-
raient une telle médiation. Il ne faut certes pas conclure que les fonctions,
cultuelles ou autres, ne prédestinent pas le prêtre à établir une relation, de
quelque façon que ce soit, entre le peuple et Dieu, car, en fin de compte, tout
concourt à présenter le prêtre comme tissant ce lien. Cependant, Aphraate
ne prend pas la peine de le signaler, ni de recourir à des expressions qui
le traduisent. Sans anticiper ce qui sera dit dans le paragraphe suivant, le
prêtre est conçu comme celui qui est tourné vers l’ homme grâce à son titre
de pasteur dont le souci principal est de prendre soin de son troupeau. Il lui
est ainsi recommandé de prendre position, de s’ établir « dans le peuple » (b-
ʿamā) (I 645,2-3), d’être le chef de file, le premier, en marchant « devant le
peuple» (I 624,1-2). Tourné vers l’homme, le prêtre est aussi tourné vers Dieu,
notamment par le service cultuel qu’il accomplit « devant Dieu » (cf., à titre
d’exemple, I 641,25-26, une citation de 1 S 2,30; 829,20-22). On est bien tenté de
suggérer que celui qui est chargé des offrandes devant Dieu au nom du peuple
et qui, en tant que pasteur, est mandaté par Dieu pour s’ occuper du peuple en
le gouvernant et en lui prodiguant des conseils et des enseignements, accom-
plit par là une fonction de médiation entre Dieu et le peuple. Certes. Mais ce
110 On ne trouve dans ses écrits que le terme mṣaʿtā, ou, à l’ état construit, meṣʿat, au sens de
«au milieu»: le firmament au milieu des eaux et des eaux (I 660,2-3 ; 668,20-22), le roi rece-
vant la royauté au milieu de ses dignitaires (I 589,1-3), l’ arbre vu par Nabuchodonosor au
milieu de la terre (I 204,4.9-10), ou encore, lors de la crucifixion du Fils, l’ enténèbrement
de la lumière au milieu du jour (I 961,13-14; cf. aussi I 812,2).
sens de médiation qu’il est possible de dégager de cette double tâche incom-
bant au prêtre, celle d’ouvrir le peuple à Dieu et Dieu au peuple, n’est pas
clairement exprimé par une terminologie appropriée qui désignerait le prêtre
comme accomplissant cette fonction sacerdotale de médiation.
6.3.3.2 Éphrem
À l’exemple d’Aphraate, Éphrem ne recourt jamais au terme de médiateur
pour exprimer une présupposée fonction de médiation dont le prêtre juif serait
chargé. Toutefois, à la différence d’Aphraate, si Éphrem fait usage du terme de
médiateur, celui-ci n’est cependant jamais appliqué au prêtre111. Dans CGEx,
on trouve la même terminologie, à savoir mṣaʿtā et meṣʿat, pour traduire la réa-
lité de ce qui se tient au milieu, notamment le firmament qui se situe entre
(meṣʿat) les eaux112. On ne peut se hasarder à construire des théories qui justifie-
raient cette absence. À tout le moins, on peut supposer qu’ Éphrem et Aphraate
auraient cherché à attribuer le titre de médiateur au seul Christ, unique média-
teur entre Dieu et l’homme. Cette thèse est confirmée par ce que dit Éphrem
sur la symbolique de l’éphod, image du Fruit, le Fils qui est la source de la
révélation dans l’ A.T.113. Cela signifie que c’est l’ éphod et non pas le grand
prêtre juif qui est le type qui préfigure le Fils comme révélateur. L’éphod indi-
quant la révélation, l’encens semble jouer le même rôle pour traduire la réalité
de l’expiation, qui sera pleinement réalisée par la croix du Fils. Ainsi, selon
l’ aveu de la Mort, c’est l’encens d’Aaron qui la fait trembler, car « il se tient
entre les morts et les vivants», lui infligeant un échec cuisant qui fait miroi-
ter devant ses yeux son échec définitif lorsque la croix brisera les tombes du
schéol (CNis 39,6). De cela se dégage un constat d’ après lequel ce qui annonce
le Fils médiateur n’est pas tant la personne du prêtre, que les actes maniés par
le prêtre capables de préfigurer les actes du Fils le définissant comme révélateur
et expiateur.
6.3.3.3 Narsaï
Comme nous avons fait suivre Éphrem par Narsaï pour la question de la révé-
lation reçue par le prêtre, nous le faisons ici pour le thème de la médiation.
Comme Éphrem imputait à l’éphod et nullement au prêtre l’ acte de signifier
le véritable Révélateur qui est le Fils, Narsaï attribue la transmission de la révé-
111 Nous y reviendrons plus loin en traitant du Christ comme médiateur; notons dès main-
tenant que le terme est polyvalent et peut s’appliquer à plusieurs personnes qui, d’ une
manière ou d’une autre, assumeraient un rôle de médiation.
112 Cf., à titre d’exemple, CGEx 17,25; 18,2-4. Le terme est celui de la Peš dans Gn 1,6.
113 Cf. supra, p. 227-228; les textes sont Parad 15,8-9.
C’est lui (le Fils) que le prêtre adore symboliquement devant ce vase ;
aussi ce vase lui-même en est-il bien le lieu-tenant114.
Frish V 273-274
114 Il est difficile de traduire l’expression dūkat yateh m-malē wā leh, qui signifie « le rempla-
cer», «le représenter», que Frishman rend par «was filling the place of His Being ».
115 Sur l’offrande de l’encens dans le Saint des Saints et sur le charbon ardent cf. supra, p. 222-
223.
6.3.3.4 Jacques
Comme Narsaï, Jacques souligne le rôle de médiateur qui revient à Moïse. Mais
il semble aller encore plus loin que Narsaï lorsqu’ il ne limite pas la fonction de
Moïse à un révélateur de la loi, pour lui accorder une médiation dans la récon-
ciliation entre Dieu et l’homme, ce qui laisse penser à l’ expiation qui relève de
la spécificité du prêtre:
Il les (prêtres) a choisis (aʿel ; litt.: introduits, fait entrer) afin qu’ ils
soient maîtres (šalīṭanē) du sacrifice,
et qu’ils se tiennent comme médiateurs entre Dieu et l’ homme.
III 835,17-18
117 Le contexte renvoie à une célébration cultuelle dans la tente temporelle (I 70,5), où Aaron
pénètre avec l’encensoir, brûlant le parfum et expiant les péchés du peuple (I 70,11-12).
118 Pour le seul Aaron comme mḥasyanā, cf. I 70,16; pour les prêtres lévites, cf. II 201,1 ; pour
Melchisédech, cf. V 174,3.
119 Cf. II 203,1-2; 204,7-10; III 225-226; 237-238.
120 Cf. III 239,20-240,1sv; 244-245; 247-248; 253,11-12; 256,1-2; 259.260.262; 274,20-275,4; CJ VII
31-32; etc.
121 Cf. n. 118. Pour Éphrem, cf. CNis 39,6, texte que nous avons commenté, supra, p. 198. Chez
Jacques, la notion d’ expiation est encore plus attestée; cf., à simple titre d’ illustration:
I 10,5-6; 70,11-16; 71,8-9; 72,12-13.21-22; 73,9-10; 74,20; 80,2-3 ; 82,3-4; III 836,3-4 ; IV 754,15-
16; 756,1-2; V 158,10; 413,4-5; 416,1-2; 454,20-21; chez Narsaï, cf. II 140,5 ; Frish V 153-156.
122 Chez Aphraate, cf. I 505,11; chez Éphrem, cf. Virg 8,9-10 ; Nat 17,16 ; Az 2,8 ; chez Jacques,
cf. II 202,14; 298,3; III 228,7; 239,14; 244,20; 256,3-6; 262,15-16; 307,8-9 ; 495,2-3 ; IV 754,11-
12; 756,1-2; V 454,12; CJ VII 14.79-80; pour Narsaï, cf. I 304,6-7.9-11.
123 Voici le texte:
(Moïse) peint les apôtres par les soixante-dix «gouverneurs » du peuple,
et par les Douze, les chefs des tribus qu’il choisit.
Cet esprit qui (est) en Moïse, il (Dieu) répandit en ceux-là,
Ni celui-là (le prêtre) est maître sur les choses visibles pour les comman-
der,
Ni celui-ci (le roi) est compétent (meškaḥ ; litt. : est capable de) pour
gouverner les «choses cachées».
V 411,16-17
Enfin, chez Narsaï, la notion de gouvernance qui aurait pu être l’ une des quali-
fications du sacerdoce ancien est absente dans ses écrits. Dans la courte notice
où il est fait allusion à la gouvernance, celle-ci est imputée uniquement au pro-
phète et au roi. C’est ce qui ressort de la dispute entre le Juif et Narsaï que
nous avons déjà évoquée: celui-là justifie l’absence de prophète et de roi par
la dispersion de son peuple, ce à quoi Narsaï rétorque que, même durant les
captivités, le peuple avait ses prophètes et ses guides124.
comme le Christ répandit du «souffle de sa bouche » (cf. Ps 33,6) en ses apôtres (I 44,22-
45,3).
124 Cf. supra, p. 205.
Jésus fut oint par Jean (Baptiste) pour devenir grand prêtre à la place
(ḥlaf ) des prêtres, transgresseurs de la Loi.
I 964,15-17
Cette approche polémique qui met l’accent sur l’ abolition des institutions de
l’ A.T., y compris celle du sacerdoce, sera plus loin contrebalancée par une
vision plus irénique, qui mettra en valeur une conception du sacerdoce l’ in-
tégrant dans une réalité nouvelle.
6.4.1.2 Éphrem
Ce qui est dit de façon concise par Aphraate est amplement développé par
Éphrem. Par sa venue, dit Éphrem, le Fils «interrompit la transmission de toute
126 Pour un exposé sur les autres fonctions de la prophétie selon Éphrem et Aphraate, cf. notre
Introduction à l’Esprit Saint, p. 30sv.
127 Cf. supra, n. 86 et notre Pensée symbolique, p. 122-125.456-458.
128 La suite du texte de cette strophe est corrompue, et donc illisible.
129 C’est surtout dans les Hymnes pascales que ce thème est abondamment scruté; il y est clai-
rement affirmé qu’à la fête de la Pâque juive, le véritable Agneau « abolit (šray) l’ agneau
pascal qui a achevé son parcours» (awfī rehṭeh) (Az 12,4). L’argumentation d’ Éphrem est
focalisée sur le rapport entre type et vérité, et il en déduit que le type arrive à terme
(ettaḥam) lorsque la vérité qu’il signifie vient à être réalisée (Az 14,24) ; 19,4). Au couple
type-vérité, il associe celui de temporel-éternel, en inférant là aussi que le type, temporel
de nature, cesse avec son «accomplissement» (šūmlayā), avec l’ arrivée de la vérité qui ne
passera pas (lā ʿabar) (Crucif 3,2).
130 Virg 10,7, texte cité supra, p. 213. À la différence de la Peš qui a debḥtā, Éphrem a debḥā au
singulier et non pas debḥē, au pluriel, comme Aphraate. Dans sa version, Beck ne renvoie
pas à Os 3,4.
131 Parmi ces sacrifices, l’agneau pascal joue un rôle de premier plan dans l’ argumentation
d’Éphrem, au point de supposer un mélange (mūzaġā), une mixture (ḥūlṭanā) entre les
deux Pâques, ce qui ne l’empêche cependant pas de voir dans ce rapport des razē à leur
«accomplissement» (šūmlayā) une application à «une Pâque qui passa et une autre qui
ne passera pas» (Crucif 3,2). Ce dernier texte a été cité à la n. 129. Rouwhorst, Hymnes
pascales, p. 144, identifie la dernière Pâque à l’eucharistie.
6.4.1.3 Jacques
En bon disciple d’Éphrem, Jacques est fidèle au vocabulaire et à la concep-
tion du maître quant à l’abrogation et à l’accomplissement de l’ Ancienne
Alliance et de ses institutions, hormis sur deux aspects qui lui sont propres:
une réflexion touffue sur le rapport entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance au
sujet du sacerdoce lui-même et, moins pertinent, le recours à des personnages-
clés pour représenter le rapport entre l’ancien et le nouveau.
À première vue, il semble certain que, dans la pensée de Jacques, le thème
de l’abrogation de l’ A.T. l’emporte de loin sur celui de l’ accomplissement. Il
en est ainsi lorsque Jacques compare la loi mosaïque qui rencontre la Nou-
velle Alliance à la vieille Élisabeth allant à la rencontre de la jeune Vierge
Marie (II 363,18-19; 364,3-4), ou Moïse qui transmet la fonction d’ intendant de
la maison de Dieu à Simon Pierre (II 483,11-12), ou encore les prophètes qui
passent le flambeau aux apôtres (II 364,9-12). Bien que Jacques considère la loi
comme l’ombre du Corps, qui est le Christ (III 260,9-10 ; cf. Ril II 552,22-23),
il n’hésite pas à l’accuser de «tuer avec violence », « par justice » (b-kīnūtā),
ce qui justifie la préférence du docteur syriaque pour la bonté par laquelle
notre Seigneur sauve le monde (II 363,4-9)132. À la place d’ une continuité,
une rupture vient ainsi s’établir entre la loi ancienne et la nouvelle loi du
Christ.
Ce qui vient d’ être dit de la loi en son sens global s’ applique de manière par-
ticulière à la prophétie. Ayant accompli sa fonction de transmettre le « grand
trésor» jusqu’à la Bonne Nouvelle de Notre Seigneur, elle est appelée à se repo-
ser pour que le trésor «soit communiqué au monde par les apôtres» (II 364,7-
132 Il semble étrange de trouver cette accusation dans une homélie sur la transfiguration de
Jésus au Mont Thabor, publié par Bedjan (II 347-375), et non pas dans les homélies contre
les Juifs publiés par Albert, où l’attitude de Jacques à l’ égard de la loi est plus adoucie.
Dans ce dernier recueil, la loi est plutôt présentée comme le lait par rapport à la nourri-
ture solide (CJ VII 167-168) qui est la Bonne Nouvelle, ou comme la nourrice « pleine de
miséricorde» qui a bien pris soin du peuple (CJ VII 165-166).
8). Sa cessation est sans commune mesure avec la rupture que Jacques semble
parfois établir entre le peuple et les peuples: le peuple doit être remplacé par
les peuples à cause de son ingratitude133.
Comparé à Éphrem, Jacques s’étend plus longuement et développe plus
amplement le thème de l’abrogation du sacerdoce juif. Cependant, il reprend
au maître l’idée que la destruction de Jérusalem, et donc du temple, lieu exclu-
sif pour l’offrande des sacrifices, constitue un indice des plus clairs pour signi-
fier que les sacrifices arrivent à terme. Toutefois, Jacques n’explique pas cette
abolition des sacrifices par le seul éloignement spatial, Jérusalem étant inacces-
sible non seulement aux gens de la diaspora, mais aussi aux gens pauvres qui
l’ habitent et qui n’ont pas les moyens de s’y rendre (CJ VII 109-120)134. Jacques
va même plus loin qu’Éphrem en ne s’appuyant pas seulement sur le constat
historique, mais en attribuant le déracinement (ʿaqrah) de Jérusalem à une
intention du Père qui, après le sacrifice de son Fils, refuse « qu’ il y ait un autre
sacrifice» (CJ VII 59-60). De même, Jacques évoque, bien que de façon encore
plus allusive que ne le fait Éphrem, l’annonce par Osée (Os 3,4) de l’ annulation
des sacrifices du peuple et de ses autels (CJ V 23 : « Où sont les sacrifices et les
autels? (debḥē w-madbḥē, au pluriel)», qu’il associe souvent, par allusion, à la
destruction du temple chez Mt 23,38: «Voici que votre maison va vous être lais-
sée déserte»135).
Cette prédilection pour la discontinuité dans la transmission du sacerdoce
juif est encore excellemment représentée par l’interprétation que Jacques ré-
serve à la déchirure du vêtement de Caïphe, le grand prêtre (Mt 26,64-65). C’ est
133 Ces jugements doivent être nuancés par d’autres textes jacobiens, où il est soutenu que
l’intention de Dieu, loin de vouloir rejeter le peuple, est de sauver les deux peuples ; cf.
notre Saint Paul, p. 22-23. À ce sujet, cf. les deux modèles exposés par Brock, L’ œil de
lumière, p. 137-143: selon le premier, l’Église réunit le peuple et les peuples, modèle repré-
senté par les premiers écrivains syriaques, Aphraate et Éphrem, tandis que le second
modèle qui exclut le peuple est défendu par les générations suivantes, spécialement chez
Jacques. L’auteur est cependant prudent lorsqu’il reconnaît que sa conclusion se fonde
sur la réflexion d’Éphrem et de Jacques sur les fiançailles de Fils et de son Église lors du
baptême de Jésus.
134 Même si, pour interpréter la limitation des sacrifices au seul temple de Jérusalem, Jacques
invite à une compréhension spirituelle (rūḥanāyit) (CJ VII 121) de la loi, Jérusalem consti-
tuant un type de la ville où aura lieu le seul sacrifice, celui de la croix qui procurera
l’expiation de tous les péchés (CJ VII 125-126). Sur ce point, reconnaissons-le, Jacques se
démarque d’Éphrem.
135 Cf. II 587,16-17. Dans Ril V 622,11-14, ayant confirmé que le sacerdoce a quitté le peuple,
Jacques continue de dire que «la ville sainte s’est libérée (etnīḥat ; litt.: s’ est reposée) de
la destruction (des animaux)» que Rilliet traduit par « et la lecture sainte a cessé en raison
de la corruption», lisant qraytā (lecture) au lieu de qrītā (ville).
d’autant plus grave que cette déchirure est attribuée à l’ Esprit Saint, ce qui
laisse entendre que le rejet du sacerdoce n’est pas en premier lieu une déci-
sion prise par Caïphe, mais un acte relevant de la liberté de l’ Esprit Saint qui
pénalise le comportement du grand prêtre (II 552,14-19 ; cf. Ril V 620,23-622,7,
où il est dit que le vêtement se serait déchiré en voyant le Saint, le Fils). À cette
intervention divine en la personne de l’Esprit, Jacques trouve un appui dans
la déchirure du rideau du temple dont la responsabilité incombe au même
Esprit (II 552,20-553,5; Ril V 622,8-11)136. Dans cette discussion, deux points
ne manquent pas de retenir l’attention. D’abord une certaine identification,
comme chez Éphrem, entre la tunique du grand prêtre et le sacerdoce, au point
que la déchirure de la première entraîne l’arrêt du second (II 552,18 : « Avec sa
tunique, c’est aussi son sacerdoce qui était déchiré»). Ensuite, par opposition
à Aaron qui inaugure le sacerdoce, Caïphe est le dernier représentant du sacer-
doce juif, par qui a été coupée l’onction sacerdotale :
Aaron inaugura (le sacerdoce) et, avec Caïphe, la fin eut lieu,
car il interrompit l’onction (qtaʿ mešḥā)137 et celle-ci ne se transmet plus
(radē ; litt.: coule) aux fils de Lévi.
II 553,8-9
Qu’il soit dit que le sacerdoce est retiré aux Juifs pour être transmis à Jean
et à Simon Pierre (II 553,12-17), ou pour permettre la substitution de Lévi par
le pontife, le Fils, qui est à la ressemblance de Melchisédech (Ril V 622,4-6),
l’ accent est toujours mis sur la rupture du sacerdoce lévitique, qui n’ est trans-
mis qu’après avoir été enlevé à leurs anciens détenteurs.
Quant aux raisons proprement dites de l’abolition du sacerdoce juif, Jacques
en reprend quelques-unes à son maître, tout en en ajoutant d’ autres de son
propre chef. À la suite d’Éphrem, il répète le raisonnement polémique d’ après
136 Nous avons développé cet aspect de la rupture dans le sacerdoce dans notre Théologie I,
233-234. Éphrem établit lui aussi un parallèle entre le déchirement de la tunique du grand
prêtre et le déchirement du rideau du temple; cf. Rouwhorst, Hymnes pascales, p. 191-192.
Mais Jacques ne suit pas Éphrem qui perçoit plusieurs auteurs à l’ origine du déchirement
du rideau du temple: l’Esprit, la voix du Christ sur la croix, le temple lui-même et le mois
de Nisan (cf. ibid.). Il y a malheureusement des fautes dans le texte syriaque de Rilliet :
à la place de bmah (V 622,2), lire bmarah ; à la place de būtīneh (V 622,3), lire kūtīneh ; au
lieu de eštaqgat (V 622,5), lire eštaqlat ; au lieu de ba-dūteh (V 622,6), lire ba-dmūteh ; à la
place de w-šanṣat (V 622,7), lire w-šanyat. Notons que la traduction donnée par Rilliet est
correcte, ce qui confirme l’idée qu’il s’agit de fautes d’ impression. Un peu plus loin, dans
le paragraphe suivant sur la déchirure du voile du temple, corriger afeṣ (V 622,8) par afay.
137 Chez Éphrem, on a l’expression «l’onction fut coupée » (cf. CNis 58,13).
lequel le sacerdoce juif fut aboli parce que le peuple a tué son Seigneur (II 587,2-
5 ; CJ V 12-28). Cependant, il se distingue d’Éphrem lorsqu’ il accuse les prêtres
de comploter contre le Fils, réagissant à son projet de remplacer leur sacer-
doce axé sur les sacrifices sanglants par un sacerdoce spirituel, qui serait à
l’ image de Melchisédech (IV 759-760). Mais c’est surtout la raison proprement
christologique, évoquée par Éphrem, qui explique aux yeux de Jacques la fin
du sacerdoce juif. Dans cette perspective, la supériorité du régime spirituel
du sacerdoce christique vient se substituer (šqal dūktā) au sacerdoce lévitique
(II 203,7-8; 204,1-2), car, estime Jacques, l’ancien a servi en son temps (II 208,14-
15) et seul le Fils est capable de réconcilier le monde avec le Père par son
offrande de soi, comme il est le seul à pouvoir pénétrer dans le Saint des Saints
interdit aux sacrifices sanglants (II 206-207).
À la lumière de cette problématique opposant l’ imparfait au parfait, ou
l’ ancien chemin au nouveau (IV 781,7-8), ce dernier relevant de la seule compé-
tence du Fils, Jacques applique au sacerdoce ce qu’ Aphraate et Éphrem déve-
loppent sur le rapport entre le type et la réalité. La conception que Jacques
élabore de la loi de l’Ancienne Alliance comme ombre de la loi du Christ, il
l’ applique au sacerdoce. Celui-ci, exercé par Lévi, est désormais relayé et rem-
placé par le sacerdoce de la Nouvelle Alliance (II 483,11-16). Ayant appartenu
au «temps des ombres» (zabnā d-ṭelanyatā), il est aboli avec l’ apparition de
la «vérité» (šrarā), du «Corps» (ġūšmā) du Christ (II 483,17-18). Pour exprimer
cette rupture entre les deux sacerdoces et leurs sacrifices respectifs, Jacques dis-
pose d’un vocabulaire très riche, dont deux verbes très suggestifs: vider (safeq)
et dépouiller (sareq). Là aussi, nous nous contentons d’ attester leur occurrence
par certaines illustrations. Le terme «vider» peut renvoyer à l’ acte par lequel
Jean Baptiste, accueillant le «trésor des pontifes (gazā d-kūmrē) » découlant du
Mont Sinaï, le «vide» sur le Fils (IV 781,1-4.9-10)138. Il en résulte qu’ ayant reçu le
sacerdoce donné par le Père aux fils de Lévi, le Fils « dépouille ceux-ci du pon-
tificat qui arriva jusqu’à lui» (IV 781,13)139, et par conséquent, des dîmes et des
prémices (rīšaytā) (IV 759,15-18).
Quels que soient les termes utilisés, l’intention théologique de Jacques se
résume par l’accent qu’il met sur l’importance de la croix, laquelle, se réalisant,
abolit tous les sacrifices qui la précèdent. Cependant, faisant la part des choses,
Jacques ne va pas jusqu’à décrier ces derniers sacrifices, qu’ il estime « bons »
138 Cf. aussi IV 781,18. À la même page, ligne 8, il nous semble qu’ il faille lire dans le texte
syriaque w-ken (et ensuite) et non pas w-kad (et quand).
139 Ce qui est dit du Fils qui dépouilla (sareq) les Lévites trouve un écho dans l’ emploi
que Jacques fait du verbe «vider»: avec la venue du Fils, « Lévi est vidé du sacerdoce»
(III 690,3).
(šafīrīn) en leur temps, tout autant que les sacrificateurs, ici en l’ occurrence
Moïse et Aaron, qu’il qualifie de «saints» et « aimables » (II 208,4-5). Mais,
à la différence d’Éphrem, Jacques fait comprendre que l’ efficacité salvifique
des sacrifices vétérotestamentaires est puisée dans le mérite salvifique de la
croix, même si le salut qu’ils procurent reste déficient et limité au seul peuple
(V 632,2-5)140. On pourrait objecter qu’il s’agit là d’ une récupération christo-
logique du salut qui présenterait ce dernier comme exclusivement centré sur
la croix, vers laquelle convergent tous les types qui l’ ont préfigurée. Mais il
faut reconnaître que cette vision, apparemment réductrice de l’ efficacité des
sacrifices de l’ A.T., n’est pas moins inspirée par un principe fondamental qui
parcourt tout le N.T. et qui considère le Christ comme l’ unique Sauveur.
6.4.1.4 Narsaï
Dans son ensemble, la démarche de Narsaï s’aligne sur celle de ses prédéces-
seurs et rejoint celle de son contemporain, Jacques, sans toutefois connaître
les longs développements et les riches argumentations qu’ Éphrem et Jacques
lui consacrent. Plus proche de Jacques que d’Éphrem, Narsaï insiste plutôt sur
l’ abrogation que sur l’accomplissement, qu’il s’ agisse de l’ A.T. et de ses insti-
tutions en général, ou du sacerdoce proprement dit. Il est cependant rare que
Narsaï évoque la loi dans le sens éphrémien141. Son attention se porte davan-
tage sur la prophétie, dont l’abrogation est annoncée avec la manifestation du
Fils dans le corps, par qui «seront scellées les paroles tourmentées de la pro-
phétie» (McLeod II 223-224; PP I 163,15). L’abolition de la prophétie lui est aussi
suggérée par la parabole des vignerons meurtriers (Mt 21,23-46 et parall.; cf. Is
5,1-7), où la rétention de la pluie qui arrose la vigne (cf. Is 5,6) semble consti-
tuer un signe par lequel Dieu montre qu’il «abolit (klā) la prophétie d’ où l’ on
puise la boisson de l’Esprit» (I 96,13). Associant la prophétie à la royauté, Nar-
saï reprend une formule chère à Éphrem pour signifier la fin de la royauté aussi
bien que de la prophétie, avec la venue «de celui à qui appartient le royaume»
(cf. Gn 49,10) (PP I 383,21-22)142.
140 Nous ne développons pas cette idée, qui est récurrente chez Jacques. Celui-ci oppose le
«sang parabolique» (šīlā) des sacrifices au «sang saint » (ḥasyā) du Fils (cf. III 260,13-14).
L’agneau pascal a sauvé le peuple en sa qualité de type (ici razā et ṭūfsā) de Notre Seigneur
qui lui accorde la puissance de sauver (V 631-634). À la page V 635,4, nous croyons devoir
lire fūrqaneh (son salut) à la place de fūqdaneh (son commandement).
141 À part quelques exceptions, comme lorsque Narsaï juxtapose la Loi (ūraytā) à la prophétie
(PP I 164,6), ou quand, l’opposant aux sagesses du Fils, la Loi est dite abolie en raison de
ses «mises en garde relevant de l’ordre corporel» (zūharē paġranayē) (II 120,15-17).
142 Sur l’interprétation de Gn 49,10 chez les premiers écrivains syriaques, cf. Jansma, Éphrem
On Genesis (l’article en entier) qui évoque une possible influence du Targum Onkelos sur
Mais il n’y a pas que la prophétie qui a vu cesser son activité; commentant
la parabole des vignerons meurtriers, Narsaï perçoit dans le renversement de
la tour du vignoble une allusion à la destruction du temple. En réaction à la
méchanceté des ouvriers de la vigne, Dieu «détruit la tour, le temple saint, qu’ il
y bâtit», où l’on offrit les «sacrifices muets» selon la loi (I 96,14-16). Dans la
vision chrétienne défendue par l’auteur, le renversement du temple fut accom-
pagné par l’érection d’autres «temples» (hayklē), des églises destinées à le
remplacer (II 120,14-15). Dans une tout autre perspective, le temple n’est pas
littéralement détruit, mais abandonné par l’Esprit qui déchire son rideau lors
de la crucifixion143. Cela étant, Narsaï ne va pas jusqu’ à affirmer, comme le font
Éphrem et Jacques, que la déchirure de la tunique du grand prêtre équivaut à le
priver du sacerdoce. En fait, pour lui, l’effet de cette déchirure ne retombe que
sur le seul temple et ses sacrifices, mais pas sur le sacerdoce lui-même. Mais la
différence avec Éphrem et Jacques atteint un sommet lorsque Narsaï fait planer
Éphrem pour la leçon longue qui inclut «le royaume», ce que confirme Brock The Lost OS,
p. 130. Le souci de Jansma est d’expliquer la présence des deux leçons dans le commen-
taire d’Éphrem (CGEx), la leçon courte (jusqu’à ce que vienne celui auquel il appartient)
étant celle de la version syriaque du Pentateuque et semble avoir préexisté à Éphrem qui
en fait usage. Murray, Symbols of Church, p. 282-284, ne semble pas avoir connu l’ article
de Jansma paru deux ans avant son livre, mais il rejoint ce dernier lorsqu’ il explique
qu’Éphrem s’accorde avec le Targum Onkelos et le Targum palestinien pour la leçon
longue. Dans l’ajout du «royaume», il perçoit une interprétation encore plus clairement
messianique chez les écrivains syriaques que dans la Septante. L’ approche de Spurling,
Blessing of Juda (l’article en entier) est une tentative de prouver que, malgré les diffé-
rences dans l’interprétation de Gn 49,10 entre Éphrem et l’ exégèse juive, une rencontre
entre les deux doit être admise, surtout si l’on constate que les rabbins sont conscients
de l’interprétation d’Éphrem à laquelle ils semblent répondre. C’ est une hypothèse qui
est suggérée à l’auteure par B. Grossfeld, The Targum Onqelos to Genesis, Edinburgh, 1988,
p. 163-164, qu’elle trouve vérifiée chez Éphrem qui, à ses yeux, occupe une position parti-
culière dans la tradition patristique. Pour les détails et la riche documentation rassemblés
par l’auteure, que nous ne pouvons exposer ici, nous renvoyons le lecteur à l’ article lui-
même.
143 McLeod III 466-467; IV 261-264. Narsaï semble ne pas vouloir lire dans le geste du grand
prêtre qui déchire sa tunique (Mt 26,65) une quelconque conséquence sur le sacerdoce,
tandis qu’Éphrem et Jacques y voient la cause de sa suppression. Ignorant l’ acte du grand
prêtre, Narsaï attribue la déchirure à l’Esprit (cf. McLeod III 468-469 que nous venons
de citer). Que doit-on encore inférer de l’affirmation de l’ auteur d’ après laquelle Dieu
frappa la tunique et pas l’ esprit du grand prêtre (McLeod IV 268) ? Que Dieu fait com-
prendre sa volonté en donnant des signes qui ne portent pas atteinte à l’ intégrité de la per-
sonne humaine? Si cette thèse se confirme, on aura là une approche qui se démarque de
l’interprétation que donne Jacques de la punition des deux fils d’ Aaron, d’ après laquelle le
feu dévore les fils tout en sauvegardant leurs vêtements, symboles du sacerdoce (cf. supra,
p. 203).
144 Cf. supra, p. 205, où nous avons exposé son argumentation d’ après laquelle, durant les
deux exils, le peuple continua à être accompagné par ses guides et ses prêtres.
145 Pour l’abolition des institutions de l’ A.T., une autre raison a été défendue par Narsaï,
supra, p. 205, qui admet que ces institutions seront assumées par le Fils.
6.4.2.1 Aphraate
Ce qu’on vient d’exposer sur la cessation du sacerdoce se trouve atténué par
des arguments opposés, lesquels se fondent aussi sur des textes scripturaires.
Et d’abord l’affirmation du premier évangéliste que relève Aphraate, d’ après
laquelle «aucune lettre yod ne passera de la Loi et des prophètes» (Mt 5,18)
(I 61,8-9; 64,7-9). Allant encore plus loin, Aphraate soutient qu’ en assumant la
Loi et les prophètes et en les rattachant aux deux commandements de l’ amour
de Dieu et du prochain, le Fils «n’a rien aboli » (I 61,10-11), ce qui revient à
admettre que leur assomption dans la nouvelle loi de l’ amour les fait accéder
à leur sens véritable et plénier, tout comme il leur assure une pérennité, bien
que dans une forme nouvelle (I 64,9-10: «Car il les a scellés et suspendus aux
deux commandements»; cf. aussi I 48,5-6; Mt 22,40). Sur le plan du langage,
Aphraate exprime la réalité de cet accomplissement par le terme malī (achever,
accomplir; litt. remplir), ou à la forme passive etmlī (être achevé, être accompli ;
litt.: être rempli). À la question, «De quoi manquaient donc la Loi et les pro-
phètes pour avoir besoin d’être accomplis (d-netmlūn) ? » (I 57,3-4), Aphraate
semble insinuer que la promesse dissimulée dans l’ A.T. n’ est pas encore scellée
par le sang et la mort de son auteur, qui l’accomplira par sa Nouvelle Alliance,
rendant par là même les commandements vétérotestamentaires inutiles pour
l’ obtention du salut (I 57,4-14). Dans la perspective du docteur syriaque, c’ est
la venue du Fils qui parachève ce qui est annoncé à son sujet, ce qui l’ amène
à confirmer que «le premier Testament fut accompli par le dernier » (I 60,10-
11). Sans nous attarder sur le sens que prend le terme d’ accomplissement chez
Aphraate, par lequel il éclaire le destin des différentes institutions vétérotesta-
mentaires avec la venue du Fils, il semble certain que celles-ci ne perdurent pas
dans leurs formes anciennes, mais qu’assumées par le Nouveau Testament ou
par le Fils, leur sens soit sauvegardé à cause de l’ amour qu’ elles actualisaient
et de leur visée tendant au salut plénier146.
146 Tout en évitant consciemment tout risque de concordisme, on ne peut s’ empêcher de per-
cevoir une certaine parenté entre l’accomplissement ici conçu par Aphraate et la notion
allemande d’«Aufhebung», où les éléments opposés, tout en étant supprimés dans leurs
formes anciennes, sont maintenus dans le sens plénier où ils viennent s’ intégrer. Nous
Dans cette perspective, il n’est pas étonnant de voir cette approche appli-
quée au sacerdoce de l’ A.T. En effet, si l’on dépasse la vision polémique à
laquelle nous avons fait allusion dans le paragraphe précédent et qu’ Aphraate
reprend à la vision prophétique qui annonce la suppression pure et simple
du sacerdoce, de l’autel et des sacrifices sanglants, on est à même de retrou-
ver l’idée d’assomption du sacerdoce juif par le Fils. Dans cette perspective, la
présumée suppression revêtira une signification toute différente. Ainsi, ayant
parlé du Christ comme «sacrifice vivant» élevé « pour nous » (cf. I 60,5), il le
qualifie de «nouvel agneau pascal» lorsqu’il le compare à l’ agneau pascal juif,
exploitant le rapport qu’établit le «type» (ici razā) avec la « vérité» (šrarā)
(I 516,3-5). Dès lors, le passage du type à la vérité ne se fait pas en détruisant
le type, mais en l’ amenant à son accomplissement, à sa vérité. Nous avons déjà
relevé une comparaison pareille, celle de la tente temporelle et du Corps du
Christ: dans la tente, les offrandes procurent la rémission des péchés ; une fois
détruite, Jésus la relèvera lorsque son Corps ressuscitera et nous accordera la
rémission de nos péchés. Ainsi, détruite, la tente retrouvera vie dans le Corps du
Fils, et le service cultuel s’exerçant pour un certain temps sera désormais exercé
« à jamais» dans le corps du Fils, qui est «le temple de l’ Esprit Saint » (pour
tout cela, cf. I 524,18-525,4)147. Bien que ne recevant pas une argumentation
claire de la part d’Aphraate, c’est en ce sens qu’ il faut également comprendre
l’ assomption du sacerdoce juif par le Fils.
6.4.2.2 Éphrem
Contrairement à Aphraate, Éphrem est trop hanté par le spectre de Marcion et
du marcionisme pour ne pas se préoccuper de sauvegarder ce qui est valable
dans l’ A.T. Loin de nous de prétendre vouloir exposer ici toute l’ argumentation
exploitée par Éphrem pour écarter le danger de ladite hérésie148 ; nous nous
contentons plutôt de relever son intuition fondamentale qui refuse toute oppo-
sition entre les deux Alliances, ancienne et nouvelle. Dans cette perspective
sera taxée d’hérétique et par là même rejetée toute tentative qui cherche à
« rendre étranger» (naḫrī) le premier Testament au Testament du Fils, car le
n’avons pas à rendre compte ici de tous les exemples ni de l’ ensemble de l’ argumentation
que présente Aphraate au sujet de cette notion. En plus de ce que nous avons évoqué sur
la Loi et les prophètes, ou sur l’accomplissement de l’ A.T. par le nouveau, il suffit de rap-
peler ce que nous avons montré dans notre Saint Paul sur la circoncision qui est accompli
par le baptême chrétien (p. 32) et le sabbat trouvant son sens dans le repos de Dieu que
l’homme est appelé à satisfaire (p. 37).
147 Cf. supra, p. 61.
148 Pour un exposé plus développé, nous nous permettons de renvoyer à nos deux articles :
Liberté, p. 89-156; Défense de la liberté, p. 331-346.
chemin des prophètes concorde avec le chemin des apôtres (CH 26,1)149. Dans
une allusion à l’aspersion par les prêtres comme moyen pour guérir de la lèpre
(Lv 14,1sv), la guérison opérée par Jésus, bien qu’ elle se distingue de celle des
prêtres puisqu’elle advient sans effort, ne s’oppose pas aux « types » qui l’ ont
signifiée, à savoir la descente dans l’eau, l’hysope et le sang150. Et Éphrem de
conclure:
Mais comment Éphrem parvient-il à maintenir une telle intuition, après avoir
soutenu que le sacerdoce de l’ A.T. arrive à son terme avec le sacerdoce chris-
tique et avoir accusé ses détenteurs de s’en être rendus indignes, au point que
le sacerdoce leur fut littéralement arraché? En fait, bien qu’ une telle position
polémique contienne un noyau de vérité que, du point de vue de l’ auteur, on
trouve attesté par l’arrêt du sacerdoce juif au seuil du sacerdoce christique, il
n’en est pas moins évident que, par l’adoption d’ une interprétation plus iré-
nique, un sens différent est donné à cette fin qui ne saurait signifier que le
sacerdoce de l’ A.T. est réduit à néant. Ainsi la discontinuité cède-t-elle la place à
une certaine continuité, et cette dialectique est bien visible dans l’ appréciation
que donne Éphrem du destin de la prophétie tout autant que de ses prévisions
et messages151. Ayant affirmé que la «manifestation » du Fils éclipse l’ « éclat »
qui le préfigurait dans l’ A.T., Éphrem conclut à la fin de la strophe: « Tes types-
symboles (razayk) sont passés, mais tes prophètes ne sont pas passés » (Virg
28,5), risquant ainsi une distinction entre les types qui dépeignent le Messie et
le message que les prophètes proclament et qui qui est valide à jamais :
149 Cf. supra, p. 226, ce que nous disions du couple formé par les apôtres et les prophètes.
150 On pourrait voir dans l’eau et l’hysope une préfiguration du baptême et, dans le sang, soit
une référence au sang du Fils sur la croix, soit ce qui symbolise sacramentellement le sang
du Fils, le calice eucharistique.
151 Éphrem associe souvent la prophétie à la royauté et au sacerdoce (Nat 24,2), ou seulement
aux rois (Virg 28,9), mais il consacre une ample discussion à la prophétie en comparaison
avec la royauté.
Même si le langage que nous allons évoquer par la suite semble contredire
ce que nous disions sur la valeur des types, Éphrem est convaincu que, contrai-
rement aux pasteurs et aux rois du peuple, les types-symboles (razē) « ne sont
pas passés», puisque, parvenus «jusqu’à notre Roi» (Virg 10,12), ils trouvent
en lui leur accomplissement (šūlamhēn), passant ainsi de l’ état d’ imperfection
dans lequel les prophètes, représentés ici par Moïse, les ont peints, à l’ état glo-
rieux dans lequel la «nature glorieuse» du Fils les fait accéder (Crucif 3,6).
Dans la perspective éphrémienne, ce passage est l’ œuvre de l’ Esprit Saint, qui
semble présider à la fois à la création des images peignant le Fils tout autant
qu’à l’acheminement qui conduit à la plénitude de l’ imago Christi :
152 Nous venons de citer et de commenter des textes où ce terme est attesté: Virg 28,10 ;
Az 5,22; Crucif 3,6. Cf. aussi CH 36,8, où il est dit que les types de l’ A.T. sont accomplis
quand ils passent au N.T. Ne se limitant pas au «chemin du Fils » par lequel « les types
sont accomplis» (CH 25,3), c’est en comparaison avec les prophètes par lesquels le Christ
fait débuter (šarī) les traditions à transmettre que les apôtres sont représentés comme
ceux par qui le Fils «accomplit» (mšalem) (CH 24,23). Tout comme Aphraate, Éphrem
voit dans l’agneau pascal et la «grande Pâque» une actualisation du type (razā) et de
l’accomplissement (Crucif 3,2).
153 Dans ce texte, les deux termes «accomplir» et «parfaire» sont juxtaposés, le Christ étant
ainsi considéré comme «celui qui accomplit» (mšalmanā), « par qui les (réalités) défi-
cientes (la loi et la nature) sont accomplies» (ici le verbe est etmlī ; litt.: sont remplis, terme
qu’on a rencontré chez Aphraate).
Et (le fond de la mer) délimite tout, mais elle n’est pas limitée par elles
(les créatures).
Virg 9,8
Ce qui revient à dire qu’il n’y aura plus de nouveaux symboles et types, du fait
que le Messie les a assumés en lui; par conséquent, il n’y aura plus de nouveau
Messie auquel le peuple juif continue à aspirer (Virg 9,5-7).
Mais si jusqu’ici la notion de sacerdoce n’est pas explicitement mentionnée
parmi les institutions et les types de l’ A.T., tout est en principe inclus dans le
concept de loi, qui renvoie à la totalité de la Torah. Ce qui a été exposé esquisse
une vue globale et suffisamment élaborée de ce qu’ Éphrem pense du destin de
l’ Ancienne Alliance et de son contenu. Bien que le sort du sacerdoce juif ne
soit pas abondamment analysé en lui-même et pour lui-même, les indications
à son sujet fournissent autant de preuves qu’il partage le même parcours de
la loi que celui d’ Éphrem. S’il est vrai que le docteur syriaque, dans une vision
plutôt polémique, plaide pour le sevrage ( fṭar) du sacerdoce et donc pour sa
154 Cf. surtout SdF III 145sv. Cf. notre Saint Paul, p. 31-32.
155 Virg 22,1; à la différence que, dans le texte paulinien, c’ est Apollos qui arrose et Dieu qui
donne la croissance.
156 Cf. supra, n. 86.127. Le verbe «mélanger» est attesté dans Virg 28,1. Pour le sens christolo-
gique de ce terme, cf. notre Termes christologiques, spéc. p. 9-10.
6.4.2.3 Jacques
Si, concernant l’abrogation de la loi vétérotestamentaire et de ses institutions,
y compris le sacerdoce, Jacques s’est montré loquace au point d’ être redon-
dant, il est peu abondant quand il aborde la question de l’ accomplissement.
Ayant annoncé la disparition du peuple juif à cause de ses fruits amers159,
Jacques apporte à cette vision un démenti formel dans l’ interprétation qu’ il
donne de la parabole du fils prodigue. C’est que, œuvrant pour le peuple et les
peuples, comme le père pour ses deux enfants, abstraction faite des mérites
des uns et des autres, Dieu veut sauver tous les peuples et n’en priver aucun de
l’ héritage, ce qui laisse Jacques dire que tous les peuples, les premiers et les der-
niers, sont «un pour lui (ḥad enūn leh)» (I 295,7-12)160. Ce « un » revient sous la
157 Cf. la collection de textes que nous avons exposée supra, p. 245-247.
158 Cf. supra, p. 154-155.
159 Cf. IV 766,7-10. À ses fruits amers s’oppose le «bon vin » donné par les nations.
160 Pour plus de textes sur l’unité des deux peuples dans le plan salvifique de Dieu, cf. notre
Saint Paul, p. 22-23.
plume de Jacques lorsqu’il affirme que les prophètes et les apôtres, l’ A.T. et le
N.T., se mettent au service d’«une seule (ḥad) doctrine de vérité», étant donné
qu’ils ont un seul et même Seigneur (II 358,11-18 ; cf. aussi IV 364,17-18). Plus
clairement encore, leur unité s’effectue grâce au Fils en sa qualité de média-
teur entre les deux (II 363,13: «Il scella l’un et commença l’ autre, car il fut
médiateur»), un médiateur capable de les conduire à l’ unité parce qu’ il est non
seulement leur auteur («par l’unique médiateur dont les deux (Testaments)
furent pour lui et par lui (meṭūlateh w-beh)» (II 372,20)), mais surtout, car il est
« l’héritier de tout» (II 372,18). Cette unité, cet accord entre les deux Testaments
doit avoir constitué un principe inébranlable pour le docteur syriaque, au point
que le terme qui exprime cette unité n’est pas seulement celui de « joindre»
(nqef, ou adhérer), mais un terme fort qui est utilisé pour l’ union hypostatique
en Christ, dont Éphrem a déjà fait usage, celui de « mélanger » (mzaġ) :
Nous avons évoqué cette idée qui considère la prophétie comme un « grand tré-
sor» dans lequel viennent puiser les apôtres (cf. II 364,7-12). Reprenant même
le vocabulaire d’Éphrem161, Jacques applique le terme « lier » au rapport qui
existerait entre les deux Testaments, l’Ancien étant ce à quoi le Nouveau doit
venir s’appuyer comme à un talon:
161 Cf. Eccl 44,24, où Éphrem écrit que Dieu refuse de répudier le peuple à cause de la fabri-
cation du veau d’or, la véritable raison étant qu’il se résigne à faire injustice aux justes,
à supprimer les types et pour éviter que «les racines liées (asīray) aux choses nouvelles
(ḥadtatā) ne soient coupées».
162 V 633,18: «À la fête des peuples, ce grand pontife est immolé (dbīḥ) sur la croix» ; cf. aussi
V 638,5: «Arrête de le (agneau pascal) sacrifier, car voici que le grand pontife est immolé
sur la croix».
6.4.2.4 Narsaï
Si Narsaï partage avec les autres docteurs syriaques la thèse de l’ abrogation
du sacerdoce, il montre moins d’intérêt à son accomplissement dans une
réalité qui l’assume en le surpassant. Hormis l’ affirmation d’ après laquelle
les «paroles tourmentées de la prophétie seront scellées » par Jésus (cf. Mc-
Leod II 223-224), suggérant que la prophétie trouve sa réalisation en la personne
de Jésus, le langage de Narsaï met plutôt l’accent sur la cessation, qu’ il s’ agisse
du sacerdoce, de la royauté ou de la prophétie. Ainsi ne trouve-t-on jamais chez
lui ni les verbes qui désignent l’accomplissement, tels que ceux de « parfaire»
(gmar), d’«accomplir» (šamlī), ni une argumentation qui fasse valoir l’ unité
entre les deux Testaments, ou entre les prophètes et les apôtres, en recourant
aux verbes «lier», ou «mélanger» (mzaġ). Même les expressions « être accom-
163 Cette idée est développée à plusieurs reprises et à des intervalles différents dans le mīmrā
intitulé «Sur la Pâque qui est dans la loi» (V 631-641).
pli», «être rempli» (etmlī) qu’on trouve chez Aphraate et Éphrem sont ab-
sentes chez lui. À lire l’œuvre de Narsaï, on gagne l’ impression que le marcio-
nisme n’est plus un danger imminent qui justifie le souci de défendre la valeur
de l’ A.T. et ses institutions, y compris le sacerdoce.
Le sacerdoce du Christ
Il n’entre pas dans notre intention de consacrer une étude détaillée et exhaus-
tive à la conception du sacerdoce du Christ développée par les auteurs sy-
riaques. On ne peut toutefois l’ignorer, étant donné que si le sacerdoce du
Christ est la source du sacerdoce chrétien, il serait incohérent de parler de
l’ effet sans en évoquer la cause. Autrement dit, le passage par le sacerdoce du
Christ s’avère obligatoire, dans la mesure où il éclaire l’ essence du sacerdoce
chrétien. Ceci dit, notre attention se concentrera sur l’ identité du sacerdoce
christique, que nous tenterons d’étudier en décelant les différentes facettes par
lesquelles il se manifeste et les différentes fonctions qu’ il assume. Nous ne nous
attarderons pas sur ce qui a été analysé, à savoir le sacerdoce du Christ comme
accomplissement du sacerdoce juif. Quant à la méthode que nous adopte-
rons pour ce chapitre, elle consiste à considérer la position de chaque auteur
plutôt que les thèmes. Ces derniers seront abordés suivant une logique qui,
pour chaque auteur, fera ressortir son vocabulaire, les titres qu’ il analyse, sa
conception du sacerdoce christique et les fonctions qu’ il lui attribue. Comme
l’ approche d’Aphraate est concise, nous avons estimé qu’ il n’était pas néces-
saire d’introduire de sous-titres. Les deux auteurs les plus prolixes sont Éphrem
et Jacques, comme on le verra.
7.1 Aphraate
1 Cf. He 5,6.10; 7,11.15.17. Si l’on tient compte du témoignage de la Peš, il faut ajouter He 7,21, où
la phrase «tu es prêtre à jamais» est complétée par «à la ressemblance de Melchisédech ».
Rappelons que l’Épître aux Hébreux établit un contraste assez frappant entre Melchisédech,
dont le sacerdoce inspire celui du Christ, et les prêtres lévites, dont le sacerdoce est taxé
d’imperfection, et c’est la raison pour laquelle ce dernier est incapable de représenter le
sacerdoce du Christ (cf., à titre d’exemple, He 7,11). Notons aussi que la seule référence à
Melchisédech dans toute l’œuvre d’Aphraate se trouve dans un contexte polémique sur la
circoncision, où il est soutenu que Melchisédech est jugé supérieur à Abraham qu’ il bénit
alors qu’il n’était pas encore circoncis (He 7,6-7) (I 476,20-23).
2 Cf., par exemple, He 5,6; 7,3.17. 21.24. En comparaison avec le sang des taureaux, le sang du
Christ lui est supérieur du fait qu’il s’offre lui-même «par l’ Esprit éternel (b-rūḥā da-lʿalam) »
(He 9,14). Bien entendu, ce n’est pas le lieu d’établir ici une étude comparative entre l’ Épître
en question et la théologie d’Aphraate. Un des thèmes importants sur le sacerdoce du Christ
qui se trouve également ignoré par Aphraate et sur lequel l’ Épître insiste, est l’ humanité du
Christ dans l’acte de l’offrande de soi et la gloire qu’il reçoit de Dieu en récompense de son
obéissance (cf. surtout He 4,15; 5,7-9).
3 En fait, Aphraate ne donne jamais au Christ le titre de « grand pontife », comme plusieurs
textes de l’Épître (cf. He 2,17; 3,1; 4,14.15; 5,5; 8,1; 9,11 ; etc.), mais uniquement le titre de
«pontife» (I 684,6), attesté également dans ladite Épître (cf. aussi He 5,6 ; 7,11.15.17.21.26; dans
le dernier texte, Peš a kūmrā). Notons que, dans la Peš, on a grand pontife (rab kūmrē) et
pontife, et non pas grand prêtre et prêtre.
4 He 9,11 a: «Il entra dans la tente plus grande et plus parfaite ».
5 En fait, l’affirmation que le Christ devient Prêtre et ministre n’est pas attestée dans l’ Épître,
comme semble le suggérer la manière dont Parisot et M.-J. Pierre se réfèrent à He 9,10-11.
6 Cf. supra, p. 17.19. Cf. aussi les deux notes de M.-J. Pierre, t. II p. 826, n. 70, où elle renvoie à
I 289,13-22, et t. II p. 914, n. 165, où elle renvoie à I 964,15-17. Nous aurons à revenir à ces textes.
7 En guise de rappel de ce parallèle qu’établit Aphraate entre le Christ comme grand pasteur
et les pasteurs ecclésiaux, cf. supra, p. 59-60.
8 Aphraate recourt aux deux expressions pour désigner le Christ comme pasteur: le « souverain
pasteur» (rab raʿawatā) (I 449,25; 452,3; 613,9-11; 681,7-8) qu’ on trouve dans la Peš 1 P 5,4, et
le «grand pasteur» (raʿyā rabā) (I 457,10) qui est attesté dans Peš He 13,20.
« a donné sa vie pour les brebis» (Jn 10,11.14-15)9. Bon pasteur, le Christ est aussi
la «porte du troupeau», par qui l’on peut entrer et trouver du bon pâturage (Jn
10,9) (I 452,22-24; cf. une allusion à «porte» en rapport à « bon pasteur» dans
I 813,21). Encore reprise à Jean est l’idée d’un seul troupeau, composé de ceux
qui n’appartiennent pas initialement au petit troupeau, qui n’aura qu’ un seul
pasteur (Jn 10,16) (I 452,17-20). Par opposition au bon pasteur, le mercenaire est
celui qui ne se préoccupe pas de ses brebis qu’il abandonne quand elles sont
attaquées par le loup (Jn 10,12) (I 449,22-24; 457,10-12)10.
Quant au texte d’Ézéchiel qu’Aphraate cite en en omettant quelques ver-
sets (I 449,4-22)11, il y recense les manquements des pasteurs juifs, auxquels
s’ opposent la préoccupation et les promesses de Yahvé (cf. aussi I 452,13-16) en
tant que bon pasteur pour le peuple. Ce qui est dit de Yahvé pasteur se trouve
transposé sur le Christ, «ce pasteur zélé, chef de toute la bergerie […]. Il a rap-
proché ceux qui étaient loin et il a ramené les égarés. Il a visité les malades et a
réconforté les faibles. Il a bandé ceux qui avaient une fracture et il a gardé ceux
qui étaient gras» (I 452,25-453,4).
Mais la rétribution accordée aux bons et mauvais pasteurs ne semble pas
être uniquement inspirée d’Ézéchiel, ni même de Zacharie (Za 11,9.17)12.
Aphraate y joint nombre de textes néotestamentaires. Ainsi, le Christ comme
pasteur qui, venant à la fin des temps pour le jugement dernier, divisera « le
troupeau, plaçant (les brebis) à sa droite, et (les boucs) à sa gauche» (cf.
Mt 25,33) (I 400,17-19)13. Mais ce qui éclaire au mieux la fonction du pasteur
suprême comme juge est son rapport au serviteur fidèle et prudent : les servi-
9 I 444,5-6; cf. aussi I 452,17-18; 453,4-5. Parce que le le bon pasteur donne sa vie pour ses
brebis, Dieu l’aime (Jn 10,17) (I 452,20-22). Sur le plan du vocabulaire, Aphraate a le verbe
«donna» ( ya(h)b) sa vie; parfois il utilise l’expression syriaque ašlem nafšeh (= se livra)
(I 453,4-5), tandis que Peš a le verbe «déposer» (sayem).
10 En parlant des «mercenaires qui se paissent eux-mêmes» (I 449,1-3), Aphraate fait réfé-
rence à Ez 34,8. Il faut noter qu’Aphraate n’évoque pas l’ image du voleur qui vient piller,
égorger et faire périr le troupeau (Jn 10,10).
11 Les références sont données par Parisot et M.-J. Pierre : Ez 34,2-4.9-12.18-19.
12 I 452,4-13. Pour Za 11,17, Aphraate reprend le texte de la Peš (I 452,4-6) qui semble être
tronqué par rapport au texte hébraïque – le terme hébreu manquant est « épée » (ḥereb)
après celui syriaque ʿanā –, car il semble comprendre le texte comme si Dieu avait confié
le troupeau au «bras droit et à l’œil droit» du pasteur « ignorant (būrā) et sot ». La rétribu-
tion du mauvais pasteur est la conséquence de son abandon du troupeau qui lui attribue
la responsabilité quant au sort des brebis: «Que meure celle qui doit périr, que se perde
celle qui doit se perdre, et celle qui survit, qu’elle mange la chair de ses compagnons »
(I 452,7-9).
13 N’ayant pas repéré l’allusion au texte de Mt 25,33, les deux traductions de Parisot (diviso
grege statutisque ovibus a dextris et a sinistris) et de M.-J. Pierre (ayant divisé le troupeau,
le fera tenir à sa droite et à sa gauche), ne rendent pas exactement le sens du texte.
Prêtre comme Aaron, roi comme David, grand prophète comme tous les
prophètes, pasteur comme les pasteurs qui ont fait paître et ont gouverné
Israël.
I 813,11-14
Quant aux fonctions subalternes rattachées aux titres que nous venons
d’évoquer, nous ne nous arrêterons qu’à celles qui reflètent les fonctions sacer-
dotales proprement dites, autrement dit à celles qui sont liées au titre de prêtre.
À cet égard, en conformité avec le grand prêtre qui s’ immole comme victime
pour le salut de l’humanité, la fonction essentielle qui lui est rattachée est
l’ expiation des péchés. Dans cette perspective, appelé « offrande» (qūrbanā)
élevée au Père pour tous les peuples (I 964,9-12), le Christ est « conduit comme
un agneau à l’abattoir (Is 53,7; Ac 8,32), à la place des agneaux d’ expiation»
(I 57,15-16). De lui, il est dit qu’il «s’offrit» lui-même à la place des « offrandes
de la loi» (I 57,14-15), ou des «sacrifices» du peuple (I 60,5-6) par lesquels
14 Ce terme désigne souvent des ministres ecclésiaux ; la preuve est que, dans la suite du
texte, Aphraate parle de Simon comme premier ʿallanā élu par Jésus pour faire paître le
troupeau (I 453,5-11).
15 Nous avons fait référence à ce texte supra, p. 43.
l’ expiation était obtenue. Dans une tout autre perspective, le corps du Fils
immolé «par lequel nos péchés sont expiés» vient remplacer la tente tem-
porelle dans laquelle sont immolés les sacrifices (debḥē) pour l’ expiation des
péchés du peuple16.
7.2 Éphrem
7.2.1 Le vocabulaire
Comme le vocabulaire n’est pas détaché de la conception que se fait Éphrem
du sacerdoce du Christ, il est impératif, pour ne pas empiéter sur les pro-
chaines sections, de se limiter à une courte analyse des termes utilisés et
des contextes de leur emploi. Comme Aphraate, Éphrem utilise le terme de
« pontife» (kūmrā) pour désigner le Christ Prêtre, mais, contrairement à
Aphraate, ce terme est privilégié chez lui par rapport à celui de « prêtre»
(kahnā) en raison du rapport, comme nous l’avons déjà souligné, du sacerdoce
christique à celui de Melchisédech17.
Ne semblant pas craindre le recours à un langage prêtant le flanc à une
récupération arienne, Éphrem n’hésite pas à employer pour le Christ le terme
de «pontife»18, que côtoie le titre de «grand pontife »19. Même si le terme de
« prêtre» est moins employé, il n’est pas pour autant absent20, et c’ est seule-
ment dans les Hymnes de la foi, de couleur antiarienne, que l’ unique expression
« Seigneur des prêtres» (marē kahnē) est utilisée (HdF 8,8). Sans vouloir attri-
buer à Éphrem ce à quoi il n’aurait jamais songé, l’ opposition qu’ il établit entre
les «prêtres du peuple» et le «grand pontife» (Eccl 42,1), ou entre Caïphe, le
« prêtre temporel», et le «vrai pontife» (kūmrā d-qūštā) (Crucif 4,12) pourrait
suggérer qu’Éphrem préfère le terme de pontife ou grand pontife pour le Christ,
même si, ailleurs (Virg 8,18), il appelle «pontifes temporels» ceux du peuple
auxquels il oppose le «pontificat véritable» (kūmrūtaḫ d-qūštā).
À première vue, le titre de pasteur donné au Christ ne semble pas renfermer
de traits sacerdotaux bien reconnaissables. À part l’ emploi du titre dans des
contextes où le sens est trop général pour déterminer l’ identité ou une quel-
conque fonction du Christ, il est évident que, dans la plupart des cas, le berger
universel est mis en rapport avec ses types, surtout Abel et Moïse. L’appelant
« premier berger» (raʿyā qadmayā), Éphrem considère que la mort d’ Abel pré-
figure et symbolise le «pastorat» (raʿyūteh) et le sacrifice (dbīḥūteh) du Christ
(Crucif 2,8)21. De même, comparé à Moïse, le «vieux berger» qui a fait paître
le vieux troupeau, le peuple juif, le Christ mérite le titre de « Berger de ses ber-
gers» (raʿē raʿawateh), car il a fait paître Moïse et son troupeau (Crucif 2,1)22.
Ce dernier titre s’explique et se justifie par la fonction qui habilite le « nouvel
Agneau» à «se choisir des bergers» et des sacrificateurs (nakūsē ; litt.: égor-
geurs), allusion à Abraham qui immola un bélier à la place de son fils Isaac
(Crucif 2,7).
Sans trop nous attarder sur des détails de cette typologie, ce qui mérite d’ être
souligné concernant Moïse est le passage subreptice du titre de berger à celui
d’Agneau, procédé qui permet de mettre l’accent sur l’ identité d’ un berger qui,
ne se délectant pas de son pouvoir, se met au service du troupeau jusqu’ au don
de sa vie23. Cependant, Éphrem ne s’inspire pas du langage johannique dont
Melchisédech (cf. Nat 9,3) et auquel est préféré rab kūmrē (Parad 13,13; Eccl 42,1 ; Az 2,2.3 ;
Resur 4,12; Nat 9,15; 17,5). Une seule fois, on rencontre l’ expression « Seigneur des pon-
tifes» (marah d-kūmrūtā) (Nat 1,25).
20 Az 2,2.7; Crucif 3,10; LPub 278,10.
21 Nous avons évoqué supra, p. 198, la déficience d’Abel comme type en comparaison avec le
Christ qui réunit en sa personne plusieurs actes: l’acte d’ offrir, celui de s’ offrir soi-même
et sa disposition à agréer l’offrande (Crucif 2,9).
22 Beck traduit raʿē raʿawateh par «Hirt seiner Herde», berger de son troupeau, tandis que
Rouwhorst prend raʿē pour un verbe et traduit «il fit paître ses bergers ».
23 C’est en ce sens qu’Éphrem qualifie d’«agneaux innocents » les prophètes que le peuple
a égorgés (SdF III 379-380). Dans un texte polémique, lesdits hérétiques sont accusés
d’appeler les chrétiens «agneaux ravis» pour désigner ceux qu’ ils ont séduits (CH 56,1).
fait usage Aphraate pour dire que le bon berger donne sa vie pour ses brebis.
Mis en rapport avec le bon pasteur, l’Agneau de Dieu (Jn 1,29) égorgé accorde
la rémission des péchés par son sang (Nat 24,24.25), sauvant tous les peuples à
la différence de l’agneau pascal qui ne sauve que le seul peuple juif (Virg 10,2-
4 ; Ieiun 5,7). Un lien est encore mis entre l’Agneau et la croix, celle-ci étant
exprimée par le terme de «bois» (qaysā), sur lequel vient d’ être cloué le Christ
comme Agneau pascal (Nat 19,17). À cet égard, en dépit de la méchanceté qui
l’ a mis à mort, ce n’est plus l’image d’Abel qui est choisie par Éphrem comme
type de la mort de Jésus sur la croix, mais bien l’ exemple de Job dont la souf-
france n’est bénéfique que pour lui-même, tandis que la souffrance de Jésus sur
la croix est dite «pour nous», acquérant par là même une dimension salvifique
universelle (Nat 18,35)24.
Outre l’agneau pascal de Dieu annoncé par Jean Baptiste (cf. Jn 1,29)25,
d’autres textes scripturaires établissent un lien entre le Christ comme pasteur
et l’acte sacerdotal du Christ par excellence: l’offrande de soi sur la croix. Nous
ne retiendrons ici que deux textes majeurs, le premier se référant à Lc 15,4-5
où il est soutenu que le «Berger universel» descend à la recherche d’ Adam, la
brebis perdue; l’ayant retrouvée, il la porte sur ses épaules et monte, « devient
offrande (qūrbanā) au Seigneur du troupeau», le Père (Resur 1,2)26. Le second
texte reprend 1 P 1,18-19, où Éphrem rappelle à l’ évêque son devoir de prendre
soin du troupeau, qui n’est pas le sien et qui n’ a pas été racheté par lui, mais
bien par le «sang de ce grand pasteur» (CNis 20,3 ; cf. aussi CNis 19,5). Avec ce
texte, on n’est pas loin du texte johannique sur le berger qui donne sa vie pour
son troupeau27.
Néanmoins, l’indice le plus probant d’un rapport établi entre le titre de pas-
teur et le sacerdoce christique provient de la polémique antiarienne menée
par Éphrem. C’est aux pasteurs (raʿawatā) ariens, désignant les évêques de
cette secte qui sont accusés de faire paître subtilement (qaṭīnāyit), à savoir
avec hypocrisie, le troupeau de Dieu, qu’Éphrem oppose « notre pasteur clé-
ment qui nous sauve (maḥē lan ; litt.: nous donne la vie) avec simplicité ( fšī-
ṭāyit)» (SdF 6,17-20)28. De plus, il accuse ces pasteurs ariens de considérer le
24 C’est une idée qui a probablement été reprise par Philoxène et sur laquelle insiste de Hal-
leux, Philoxène, p. 452.473.488.
25 En plus de Nat 19,17 qui vient d’être référencé, cf. Nat 24,6 ; 25,13 ; Az 6,9.
26 En plus des textes donnés dans la note précédente, cf. Az 5,1 ; Crucif 2,9 (cité pour les trois
actes contemporains du Christ Pasteur); 7,1 refrain; PrRef II 189,26-29 ; etc.
27 Voici quelques textes d’Éphrem qui font encore référence à Is 53,7 (Virg 28,7) et à l’ Agneau
divin qui «fit partager ses vêtements à ses crucificateurs» (Mt 27,37 et parall.) (Virg 11,17).
28 Commentant le texte cité ci-dessus (version, p. 60, n. 7), Beck fait remarquer que le terme
qaṭīnāyit appliqué aux mauvais pasteurs vise les Ariens, contrairement à notre « pasteur
En effet, par toi est servi (meštamaš) l’Être (ītyā) dans le Saint des
Saints.
C’est toi qui montes l’offrande (devant le Père) et tu répands la libation.
Virg 31,3
doux» qui donne la vie «avec simplicité» ( fšīṭāyit). L’éditeur d’ Éphrem note cependant
que dans CH 22,4, le terme est dit des Aétiens, dont le chef de file s’ inscrit dans la droite
ligne d’Arius.
29 Nous avons montré que, même pour Aphraate (cf. supra, p. 269), le terme ʿallanā revêt un
caractère sacerdotal, allant jusqu’à signifier parfois la personne de l’ évêque.
30 Nous songeons ici aux HdF et aux SdF.
Serviteur de Dieu, le Fils l’est aussi de l’homme grâce au corps dont il s’ est
revêtu. Considéré comme le trésorier (gizabrā) qui pourvoit aux besoins des fils
de sa race (SdDN 8, 9-10), son corps est assimilé à un « serviteur», une média-
tion par laquelle le Fils se met au service des hommes31.
Dans un contexte baptismal et dans une hymne jugée authentique par Beck,
le Christ est qualifié là aussi de «serviteur» (šamašā) du fait que, dans le bap-
tême, c’est lui qui agit par ses médiateurs humains appelés ʿabdaw, un autre
terme syriaque signifiant «serviteurs» (Epiph 3,2)32.
Les deux titres de maître et de médiateur ne semblent pas évoquer de façon
explicite et directe le caractère sacerdotal du Christ. Encore convient-il de
s’ entendre sur ce qui constitue essentiellement ce sacerdoce, qu’ il ne faut pas
restreindre au seul domaine cultuel. Si l’on considère que la proclamation et
l’ enseignement formeraient un élément fondamental du sacerdoce christique,
le titre de maître (rabā) y trouvera sa place et sa raison d’ être. Tout compte
fait, ce titre n’est pas non plus totalement détaché de tout aspect cultuel. Ce
qu’Éphrem disait du Christ Serviteur qui agit dans le contexte baptismal (cf.
Epiph 3,2), il le répète au sujet du «Maître des disciples ». Envoyés pour oindre
par l’huile baptismale, les disciples sont accompagnés par celui qui se forme
secrètement (kasyāyit) dans les chrétiens baptisés (Virg 4,7). Sur le chemin de
Damas, le «Maître persécuté» prodigue à Paul un enseignement sur la persécu-
tion. Mais durant sa vie terrestre, le Maître divin fait comprendre à ses disciples
le sens d’être «maître» dans la réponse qu’il donne aux deux fils de Zébédée,
lorsqu’il leur montre que la gloire passe par la modestie, la passion (CH 24,3).
Les deux thèmes de la modestie et de la passion – ou croix – se retrouvent
ici comme dans SdDN, ce qui rapprocherait sans doute le titre de maître de
celui de pasteur qui donne sa vie pour son troupeau. Mais c’ est surtout la
preuve d’authenticité du Maître divin, appelé le « véritable Maître» (rabā d-
qūštā ; litt.: le Maître de vérité), qui se trouve encore confortée face à la fausseté
dont sont accusés les autres maîtres. Toutefois, l’ opposition établie entre le
véritable Maître et les maîtres persécuteurs juifs, ou les maîtres ariens quali-
fiés de faux (cf. CH 24,7) ne permet pas de déduire que le Fils comme Maître
soit doté d’un caractère sacerdotal. En revanche, le titre de maître acquiert un
sens sacerdotal quand il est mis en connexion avec l’ épiscopat, exprimé par
le terme de « rīšanūtā »33. Rappelant les paroles de l’ Évangile qui interdisent
d’avoir des maîtres sur terre (Mt 23,8), Éphrem fait l’ éloge de l’ apôtre Paul qui
refuse d’appeler par son propre nom les communautés qu’ il fonde, contraire-
ment auxdits hérétiques, cette «ivraie» (zīzanē), qui recherche l’ épiscopat et
mène des combats acharnés pour y parvenir (CH 24,2). Ainsi, le maître divin se
trouve confronté à ces épiscopes avides de pouvoir qu’ il dénonce par sa croix
(cf. ibid.: «Béni celui qui nous blâme par sa croix»), encore une allusion à la
modestie du Fils, culminant avec la croix et corrigeant la notion de pouvoir
dont se targuent les prétendants à l’épiscopat.
En comparaison avec le titre de maître, celui de médiateur, par l’ aspect
sacerdotal qu’il représente, est beaucoup moins développé chez Éphrem. Il est
inutile de relever ici tous les sens dont est doté ce titre, puisqu’ on y revien-
dra quand on abordera le statut du prêtre à l’intérieur de la communauté des
fidèles. À présent, le seul aspect qui nous intéresse est la dimension christique
que le titre incarne. Dans cette perspective, hormis le rôle de médiation que
joue le Fils dans la création (SdDN 9,26-27; cf. aussi CGEx 4,8-9), surtout dans
la réconciliation entre Dieu et l’homme34, le titre n’en est pas moins exploité,
bien qu’implicitement, pour signifier le rôle sacerdotal du Fils. L’insistance sur
la croix dans l’œuvre de réconciliation entamée par le Fils35 lui est attribuée en
sa qualité de pontife:
34 Ep 2,14-18. Cf. Nat 4,13-15; 18,36; SdDN 6,27-28. Le langage sacerdotal est bien attesté dans
l’affirmation d’après laquelle «il fit de sa croix un encensoir à Dieu ( fīrmā l-alahūtā) et
brûla (en encens) (aʿṭar) son sang pour nous tous» (SdDN 8,6-7). Nous avons fait remar-
quer, supra, p. 68, n. 29 que la traduction proposée par Beck pour aʿṭar par « den Wohlge-
ruch… emporsteigen» atténue le caractère sacerdotal du terme.
35 Dans Nat 18,36, référencé dans la note précédente, il est écrit :
La vie qui est retrouvée (da-fnaw ; litt: qui est revenue)
par sa crucifixion. Et la hauteur et la profondeur
qui se sont pacifiées par lui.
La croix est le point culminant d’un parcours qui commence avec l’ incar-
nation, première étape où l’échange entre l’humanité et la divinité se réalise
en la personne du Fils:
Louange à celui qui prit de nous pour nous donner, afin que, par ce qui
nous appartient (c’est-à-dire notre corps assumé par le Fils), nous rece-
vions abondamment de lui. Aussi, par ce médiateur, l’ humanité est-elle
capable de recevoir (tesab, litt.: prendre) la vie grâce à son aide (ʿadūrah ;
litt.: celui qui aide).
SdDN 8,12-14
Comme condition pour que le Fils exerce son sacerdoce à jamais, Éphrem
requiert l’abrogation du sacerdoce juif:
Les pontifes du peuple sont passés afin que tu sois prêtre (tkahen, litt.: tu
officies) à jamais.
Virg 8,18
37 En fait, dans cette strophe où Éphrem tente de discerner l’ origine de chaque attribut
propre au Christ, tout n’est pas à mettre au même niveau. Voici d’ abord le texte :
De Dieu, sa divinité;
des mortels, son humanité;
de Melchisédech, son pontificat;
de la maison de David, sa royauté.
Si l’origine première et ultime de la divinité du Fils est bien Dieu le Père, et si son huma-
nité est sans conteste la Vierge Marie qui appartient à la race des mortels, on ne peut
imputer son sacerdoce et sa royauté à Melchisédech et à David respectivement comme si
ces deux derniers étaient les deux sources d’où proviennent les deux titres en question.
Il s’agirait plutôt de l’investiture sacerdotale et royale de Jésus dans l’ histoire du salut,
au sujet duquel le docteur syriaque montre une attitude contrastée: tandis qu’ il accepte
sans problème le rattachement du Christ à la royauté de David, il refuse de l’ intégrer au
sacerdoce lévitique ou aaronique. Par conséquent, il est impératif d’ être nuancé quand
on évoque l’antijudaïsme d’Éphrem, car il s’impose que l’ on distingue bien les plans
et les domaines (cf. notre Pensée symbolique, spéc. p. 342-343). Notons que, dans une
strophe que nous citerons dans le corps du texte, le sacerdoce ne tire pas son origine de
Melchisédech au même titre que la divinité du Fils a son origine dans le Père. En fait,
en tant que «grand pontife», le Fils vient «d’en haut » (cf. Resur 4,12). D’ ailleurs, Mel-
chisédech n’est qu’un «lieu-tenant (naṭar dūktā)», comme nous l’ avons souligné plus
haut, qui attend le « Seigneur du pontificat dont l’ hysope blanchit les créatures» (Nat
1,25).
Le prêtre temporel
déchira sa tunique, symbole du pontificat,
car est venu s’en revêtir le vrai pontife.
Crucif 4,12
Pour importante qu’elle soit et bien qu’elle soit suffisamment mise en valeur
par Éphrem, la figure de Melchisédech n’est pas abondamment exploitée, scru-
tée même dans ses petits détails, comme elle le sera par Jacques.
S’il est vrai qu’il y aurait une distinction entre les noms et les surnoms
donnés à Dieu, on est en droit de constater que certaines dénominations, telles
que celles de prêtre et de roi ci-dessus mentionnées, peuvent ne pas se hausser
au niveau des noms qui traduisent ce qui constitue l’ essence même de Dieu.
Sans pouvoir nous étendre ici sur cette question40, commençons par préciser
que, pour Éphrem, le seul nom qui définit Dieu et qu’ il est absolument inter-
dit de donner à l’ homme est celui d’«Être» (ītyā, ou ītūtā), qui traduit le nom
ehyeh révélé par Dieu à Moïse (Ex 3,14) (CH 53,12). C’ est le nom de Dieu qui sur-
passe celui de «bon» (ṭaybūtā ; litt.: bonté) et que Dieu même se montre inca-
pable d’en faire revêtir les créatures (HdF 63,6). Il semble, en revanche, qu’ il
soit possible de conférer à l’homme tous les autres noms de Dieu (cf. CH 53,12),
sans même exclure des noms tels que «dieux» et « seigneurs » (CH 54,10).
Mais tous ces noms qui, dits de Dieu, sont véridiques, authentiques (ḥatītē),
deviennent métaphoriques (šīlē) lorsqu’ils sont donnés à l’ homme, et l’ inverse
n’est pas moins vrai: les noms ou les attributs humains sont métaphoriques
quand ils sont attribués à Dieu41. Ainsi, pour ne prendre que le nom de « Sei-
gneur de tout» (marē ḫul), Éphrem affirme à son sujet qu’ il est « plus grand
que tout» (HdF 23,4), ce qui signifie qu’un abîme le sépare de l’ homme appelé
« seigneur». Car, comme il le dit encore plus loin dans la même collection des
40 Cf. notre Pensée symbolique, p. 160-176. Notre présente analyse, dont le seul but est
d’éclairer la valeur du titre de prêtre accordé au Fils, n’est qu’ une courte notice si on la
compare à l’étude développée que consacre Koonammakkal, Divine Names, à la théologie
du nom chez Éphrem. Bien que nos analyses se croisent sur plusieurs points, la perspec-
tive selon laquelle chacun de nous envisage la question ne coïncide pas. Il faut cependant
reconnaître que l’exposé de Koonammakkal est plus global que le nôtre, accompagné par
des textes qu’il traduit et commente. Sans avoir à résumer le contenu de sa recherche,
nous nous arrêterons sur deux idées qui méritent une discussion. Et d’ abord la thèse
qu’il défend d’après laquelle tout nom est un surnom, tandis que l’ inverse n’est pas vrai
(p. 162.175). Cependant, il semble qu’au moins un nom de Dieu, celui d’ « Être » (ītyā), soit
un nom réservé à Dieu, que même Dieu, comme nous le disions dans notre analyse dans
le corps du texte, est incapable de communiquer à ses créatures. Car appeler les créatures
par ce nom revient à confesser un polythéisme, auquel Bardésane a succombé. D’ ailleurs,
Koonammakkal devrait en être conscient d’après ce qu’ il expose sur les ītyē de Bardé-
sane (p. 199-200). Une autre petite remarque concerne le titre « ancien » (qašīšā) donné à
Adam (Eccl 47,9) (p. 128-131), que l’auteur veut identifier au titre de « prêtre». Bien qu’ il
soit admis qu’Éphrem considère Adam comme prêtre, il n’est pas certain que l’ attribut
«ancien» ici employé ait un sens sacerdotal, l’intention d’ Éphrem étant plutôt de souli-
gner la présence d’Adam précédant celle des créatures pour qu’ une fois celles-ci appelées
à l’existence, il donne à chacune son nom. Sur la théologie du nom dans une perspective
plus globale, on peut consulter le récent travail de Den Biesen, Simple and Bold, p. 300-303
et 310-315.
41 Cf. HdF 44,2; 46,12; 62,9; 63,10.
Hymnes de la foi, «si le Fils est Seigneur, il est véritablement (b-qūštā, en vérité)
notre Dieu» (HdF 62,9). Inversement, si les hommes sont appelés « dieux »
par grâce, leur nature humaine (kyanā) et leur nom véridique restent toujours
« hommes» (ibid.).
Mais qu’en est-il des «surnoms» (kūnayē) appliqués à Dieu ? Une première
approche du terme laisse supposer qu’il s’agit de dénominations, transformées
en noms propres, qui sont inspirés par une réalité à laquelle ils renvoient et
qu’ils expriment. Voici les quatre dénominations humaines qu’ Éphrem repère,
conformément à sa conception du «surnom»: Adam qui provient de « terre»
(adamtā), Ève (ḥawā) de «vie» (ḥayūtā), Phaleg de « division » ( fūlaġā)) et
Babel de «confusion» (būlbalā) (HdF 60,11)42. Éphrem va même jusqu’ à rap-
peler, ce qui lui tient à cœur, que son nom répond au surnom d’ Éphraïm (Virg
19,10)43. En comparaison avec le «nom véridique» (šmā ḥatītā) qui « est répété
en tout temps», le surnom – Éphrem dit «le nom du surnom » (šmā d-kūnayā) –
n’est pas nécessairement valable à jamais, ou, comme le dit Éphrem, peut être
répété «deux, trois fois tout au plus» (HdF 53,13). Ce qui signifie qu’ on peut se
débarrasser du surnom, mais jamais du nom qui est indispensable pour rédiger
un testament ou conclure un contrat (HdF 63,1).
En passant à Dieu ou à la personne du Christ, on rencontre le surnom
« nazaréen» accordé à Jésus (Virg 32,1.3), mais il faut également compter tous
les surnoms «symboliques» ou «typologiques » conférés au Christ, tels que
« chemin», «porte», «agneau» (HdF 62,3). L’image du soleil et de son rayon
qui sont appliqués au Père et au Fils respectivement, loin de constituer des
noms, sont de simples surnoms qui exprimeraient la qualité du rapport de l’ un
à l’autre, le rayon au soleil, ou le Christ au Père:
Il n’est pas emprisonné, car il y est (seulement) lié par son surnom44.
HdF 61,4
Quoi qu’il en soit, ce qui est certain d’après les textes d’ Éphrem, c’ est qu’ un
mouvement de kénose est entamé par Dieu lorsqu’ il accorde ses noms et sur-
noms aux créatures (HdF 63,7). Un problème se pose cependant lorsqu’ on
veut chercher à savoir quels critères adopter pour juger que tel est un nom
et tel autre un surnom. Si l’on reprend le texte que nous avons cité ci-dessus
(HdF 5,6), où les surnoms sont «prêtre» et «roi », et les noms accordés res-
pectivement à Moïse et Josué sont «Dieu» et « Jésus », et qu’ on le compare à
d’autres textes éphrémiens, tels que HdF 63,10, on est surpris de voir que, dans
le dernier texte («lorsqu’il nous donne le nom ‘roi’, d’ après le nom propre à
lui»), le roi comme dénomination donnée à Dieu n’est pas considéré comme
un surnom, mais bien comme un nom. La question s’ impose : « roi» dit de Dieu
est-il alors surnom, comme dans HdF 5,6, ou nom, comme dans HdF 63,10 ? Ce
qui est clair dans le dernier texte, c’est l’affirmation d’ après laquelle le surnom
est ce qui est donné à Dieu à partir des noms appartenant aux créatures :
plus loin, il est dit que c’est le «nom» Dieu qui est commun aux deux Personnes divines
(HdF 76,8-9). Mais après que le Fils, fruit du Père, s’ est revêtu du corps, il se voit attri-
bué non plus des surnoms, mais «des noms faibles des fils de sa race» (HdF 77,23), ce qui
éloigne tout spectre de docétisme dans l’approche d’ Éphrem.
45 Voici ce qu’on peut encore ajouter en guise de complément. Le terme de « surnom », en
rapport avec le nom, est souvent utilisé dans des contextes polémiques, où lesdits héré-
tiques sont inculpés de dérober des qualificatifs divins auxquels ils n’ont pas droit, à
l’exemple de Mani qui «se surnomme» (etkanī) Christ (CH 22,14). Mais ce sont surtout ces
prétendus maîtres, fondateurs d’Églises, qui donnent leurs noms, qui surnomment leurs
Il n’y a pas d’agneau plus sublime (rab ; litt. : grand) que l’ Agneau d’ en
haut,
car les pontifes étaient terrestres (cf. He 5,1), tandis que l’ Agneau est
céleste (cf. He 7,26).
Az 2,5
Hormis pour considérer le Fils comme «chef du ciel » (rīšā da-šmayā), par
opposition à Adam, chef terrestre (Nat 1,16), l’ attribut « céleste» est surtout
disciples par leurs noms: Valentin (CH 22,3), Marcion (CH 23,9.10), Bardésane (CH 23,5)
et Mani (CH 56,1). En imitant les maîtres grecs, ils réduisent leurs disciples à un état
d’esclavage (CH 24,15) En revanche, ni l’apôtre Pierre (CH 56,5), ni l’ apôtre Paul (CH 23,6),
ni les prophètes et les apôtres en général (CH 23,1.4), ni Palut (CH 22,6) n’ont accepté de
nommer le troupeau du Christ par leurs noms. Les chrétiens eux-mêmes, notamment les
Corinthiens (1Co 1,12sv) (CH 22,6.12; 24,17) sont invités à refuser d’ être nommés par un
autre nom que celui du Christ (CH 22,7; 24,12; 56,7).
46 Une liste de ces noms est donnée dans HdF 52,1: Seigneur, Fils, bon, juste, Père, Généra-
teur. Pour d’autres listes, cf. la référence donnée à la n. 40.
47 En fait, Éphrem distingue dans l’unique personne du Christ « plusieurs noms » qui sont
«mélangés à tous les surnoms en vue de tout secours » (Virg 4,5). Dans Virg 4-7, Éphrem
explique le surnom «Oint» (mšīḥā), Christ, qui dérive du nom « huile » (mešḥā) et tous les
deux œuvrent à la guérison de l’homme, le premier à effacer le péché, le second à guérir
le corps.
48 Cf. supra, p. 247-248.
Sa nature (kyaneh) et son lieu ont transcendé (zḫawah, litt. : ont vaincu)
la courtisane,
car son lieu est élevé (mrayam) et sa nature est pure.
Crucif 1,15
Ainsi donc, la transcendance est celle de la sainteté du Fiancé, Père comme Fils,
ce qui contraste avec l’indignité des prêtres chargés d’ immoler l’ Agneau imma-
culé (cf. Az 2,2). C’est une sainteté qui sanctifie, comme l’ expression « sacrifice
sanctifiant» (debḥā mqadšanā) (Virg 31,5) le laisse entendre. Mais en revenant à
notre réflexion sur l’origine du Fils Prêtre, venant d’ en haut, il n’est pas néces-
saire de conclure que, parce qu’il vient d’«en haut », le Fils était déjà prêtre.
Tout comme le titre de «serviteur» que nous avons analysé, le sacerdoce du
Christ s’enracine plutôt dans le Verbe incarné, dont l’ acte sacerdotal ultime
s’ effectue dans son auto-donation sur la croix. C’ est ce qui va encore ressortir
de la prochaine analyse portant sur ce qui constitue l’ identité, l’ essence même
du Christ Prêtre.
En fait, Éphrem établit un rapport étroit entre le Fils Prêtre et son « corps » :
Ou il dira que, étant Prêtre, son corps est destiné à être immolé :
Il est devenu pour nous pontife: son corps pour le sacrifice, son sang pour
l’aspersion50.
Resur 1,1
Ce rapport du don de soi du Fils à son Père est bien mis en valeur par la destina-
tion affectée à cette offrande: «C’est pour son Père qu’ il est devenu sacrifice »,
dit Éphrem en se fondant sur le témoignage de Paul (Ep 5,2) (Virg 29,7 ; cf. aussi
CH 36,7). Il n’est pas question de développer ici la notion de sacrifice et son
rapport à l’agneau pascal; il suffit pour notre propos de souligner la spécificité
du véritable Agneau et sa capacité à être à la fois l’ offrant et l’ offrande, le prêtre
et le sacrifice:
52 Dans la Peš de He 8,1, on a la particule men : «siège à la (men) droite», et non pas ʿal,
comme chez Éphrem. Dans la version, Beck rapproche Eccl 20,9 de HdF 50,5, où, pour faire
ressortir la valeur de la poussière, le corps humain, qui sera assumé par le Fils, Éphrem
soutient que le Père «a envoyé son Fils, l’a revêtu et l’ a monté en gloire». On peut ajouter
un autre texte, où il est dit que le Christ, jaillissant de Marie comme une rosée, descend
au schéol et «remonte» comme pain nouveau, une offrande (qūrbanā) au Père (Resur
1,3).
[…],
agneau qui est devenu lui-même pontife offrant.
Virg 31,5
Ce texte montre clairement le rapport qui existe entre le Fils comme sacrifice
et le Fils Prêtre. En insistant sur l’offrande de soi, sur le Christ Prêtre comme
sacrifice, Éphrem adopte la thèse soutenue par l’ Épître aux Hébreux (cf. He
9,7.11-12.14), d’après laquelle le sang, siège de la vie, est facteur de salut qui
débuta avec le sang versé sur ordre de Moïse jusqu’ au sang du véritable Agneau
(Virg 10,2.4). Dans cette perspective, en plus d’Abel déjà évoqué, Éphrem éva-
lue positivement la figure pertinente de Jephté qui offrit sa fille, le louant pour
son courage d’«officier par un sang (provenant) de lui » et préfigurant ainsi le
Christ qui officia par son propre sang:
Là aussi, Éphrem définit le Christ comme Prêtre grâce à l’ offrande qu’ il fait de
lui-même. C’est ce qui lui fut inspiré par l’expérience du martyre d’ Étienne :
53 Nous nous demandons s’il ne faut pas lire, dans le texte syriaque édité par Beck, yayē wā l-
kahnā, en ajoutant un lomad à kahnā. Beck traduit le verbe kahen dit du Christ par « sein
priesterliches Amt versah», traduction que nous jugeons appropriée.
S’il est vrai que l’offrande de soi fait du Christ un prêtre, un grand prêtre, il
s’ impose de s’interroger à présent si les autres fonctions, telles que la prédi-
cation, fonction du prophète, et la gouvernance, acte du roi, ne viennent pas
s’ associer à l’acte cultuel, au sacrifice du Christ, pour donner du sacerdoce
christique une vue globale et complète.
Son diadème est peint par les rois, sa vérité par les prophètes,
son expiation par les pontifes.
Virg 8,3
Il est probable, mais nullement démontrable, que la vérité dans le texte cité ren-
voie en d’autres circonstances aux «symboles» que donnent les prophètes au
sujet du Christ, tandis que les prêtres et les rois, par leur personne, lui servent
de types:
Voici que les prophètes répandent sur lui leurs symboles glorieux,
les prêtres et les rois répandent sur lui leurs admirables types.
Ils se sont répandus entièrement en lui.
Virg 9,9
54 Beck traduit la première safeq l-ḫul, dans l’expression hūyū la-qnūmeh safeq l-ḫul, par « all
(das) umfassend», mais sa traduction du deuxième emploi de la même expression dans
da-ḥrīnā d-nesfaq leh lā mṣē par «Dass ein andrer ihn erfasse, ist unmögich », le verbe
«erfasse» nous semblant ne pas rendre l’idée d’Éphrem. Celui-ci voulait bien dire qu’ un
autre que le Christ est incapable de résumer en sa personne toutes les fonctions qu’ il évo-
quera plus tard: agneau, sacrifice, sacrificateur, pontife, etc. Pour cette raison, nous avons
préféré traduire par «Car aucun autre que lui ne peut y suffire», dans le sens qu’ il ne peut
se mesurer à lui, ni l’égaler.
Cette interprétation pourrait trouver une justification dans cet autre texte
où il est affirmé que les prophètes annoncent le Christ, tandis que les prêtres et
les rois le préfigurent par leur hysope et leur diadème respectivement (Nat 2,2).
Même si, en comparaison avec les apôtres à qui revient la tâche d’ annoncer le
Fils, il est assigné aux prophètes la fonction de peindre son « image» (dmūteh,
litt. sa ressemblance) (Virg 8,4). Dans ce dernier texte, on retrouve aussi les trois
fonctions attribuées au Christ: à côté des prophètes, il est question de l’ hysope
d’Aaron et du diadème de David.
Plus loin dans la collection des Hymnes de la Nativité, il s’ avère que les trois
fonctions sont réunies dans le Fils unique qui, en les assumant, les fait cesser
auprès de leurs anciens détenteurs:
En effet, lorsque notre Seigneur reprit d’eux son sacerdoce, par lui il sanc-
tifia tous les peuples, et lorsqu’il reprit aussi sa prophétie, par elle il révéla
ses promesses à toutes les races, et lorsqu’ il ceignit son diadème, il lia
le Fort (= Satan) qui captiva tout le monde et distribua son butin (cf. Lc
11,22).
SdDN 53,12-15
Pour le moment, nous n’allons pas nous attarder sur ce qui constitue les traits
spécifiques de chacune de ces fonctions – royale, prophétique et sacerdotale –
et, par conséquent, sur ce que le Christ en reprend et comment il le par-
achève. Par la suite, nous allons découvrir que ces fonctions sont groupées deux
à deux, et souvent le sacerdoce constitue un partenaire obligé, soit de la pro-
phétie, soit de la royauté55. En passant à l’analyse de ces deux couples, le but est
55 Avec quelques exceptions, bien sûr, comme dans Virg 28,9-10, où le couple est formé de la
royauté et de la prophétie. On peut encore y joindre CGEx 113,15sv, où l’ auteur joue sur le
terme mbadqanā qui peut avoir le double sens de sceptre et de prophète, ici pris dans le
second sens: «Qui est le prophète qui révèle les choses à venir? » (CGEx 113,16-17). Ainsi,
voyant le «sceptre qui ne s’éloignera pas» de Juda (Gn 49,10), les deux figures du roi et du
«révélateur» (mbadqanā), le prophète dont nous parlions, demeureront jusqu’ à l’ arrivée
non pas de David, mais de Jésus qui est le «Seigneur de la royauté » (CGEx 113,17-19).
56 Cf. supra, p. 153.
57 Cf. supra, p. 277, n. 37. Rappelons que, dans ce texte, deux autres origines sont évoquées:
sa divinité à partir de Dieu le Père et son humanité à partir des hommes, en l’ occurrence
la Vierge Marie.
petits vases» (cf. SdDN 50,6-7), il appelle également « ses rois et ses prêtres»
un «petit sein» (ʿūbā zʿūrā) incapable de contenir la richesse des symboles
annonçant le Christ (Virg 9,3). Le couple est encore cité dans l’ éloge que
réserve Éphrem à la Vierge Marie qui, pour avoir accueilli le Fils, son sein est
devenu
Le palais du roi
grâce à toi, Fils du Roi, et Saint des Saints
à toi, grand pontife.
Nat 17,5
Éphrem s’en prend aux Juifs qu’il accuse de récuser la prophétie d’ Isaïe sur
la conception du Fils par la Vierge (Is 7,14), de s’ inscrire en faux contre le
sacerdoce du Christ prédit par les Psaumes (cf. Ps 110,4) et contre sa royauté
exaltée par l’auteur des Psaumes, David, roi lui-même (cf. Ps 103,19; 145,13) (Nat
24,14).
Certaines caractéristiques rapprochent le Christ Prêtre du Christ Roi. Si,
reprenant la prophétie de Michée (Mi 5,1), le roi à venir est dit « de toute éter-
nité» (men ʿalam hū) (Nat 25,11), ailleurs, Éphrem attribue au « Fils du Roi» la
qualité d’immortalité (CH 32,5: «Fils du Roi qui ne mourra pas »), ce qui rap-
pelle le «prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisédech » (Ps 110,4). Mais tout
comme le Christ Prêtre, le Fils Roi, ou «Fils du Roi» est assimilé à l’ Agneau que
les scribes mettent à mort sans qu’il porte plainte (cf. Is 53,7) (Virg 28,7). Vic-
time comme le serviteur souffrant d’Isaïe, le Fils est couronné roi sur la croix,
par son offrande de soi qui, comme on l’a vu, fait de lui le véritable Prêtre qui
livra sa vie pour autrui:
Cependant, le lien entre le Christ Prêtre et le Christ Roi est le mieux attesté lors
de la condamnation du Fils à la mort. À cette occasion, pour l’ accuser de blas-
phème, les prêtres font jeter sur Jésus, moyennant les soldats, la pourpre qu’ ils
prirent du temple (Az 5,6.8-9). Cette pourpre semble avoir appartenu aux Mac-
cabées (cf.; 1 M 10,62) et au grand prêtre Simon (1 M 14,43), qu’ ils ont reçue des
rois de la terre (Az 5,10). En saisissant cette pourpre et en la jetant sur Jésus (Az
5,11), ils confirment, sans le vouloir, qu’il est Roi, fils du roi David (Az 5,12). Sa
royauté est certes supérieure à tout autre (Jn 18,36) (Az 5,13), car il est « le Roi
des rois et le donateur des diadèmes» (qatar tagē; litt.: celui qui ceint les dia-
dèmes) (Az 5,14). Plus loin, dans Crucif, le «signe de la royauté» est identifié au
voile de l’autel qu’on arrache pour le jeter sur Jésus (cf. aussi Crucif 4,4), ce qui
a pour conséquence:
(Ayant cru que) de deux manières ils l’ont vaincu (ḥabšūw ; litt. : empri-
sonné)
par les deux (pièges), il triompha d’eux (ḥbaš ; litt. : emprisonna),
car il reprit la royauté et le sacerdoce.
Crucif 4,5
58 Dans la version, p. 45, n. 8 et 9, Beck veut voir dans le « vêtement de gloire» une allu-
sion au titre de «Fils de Dieu» que Jésus s’attribue à lui-même (Jn 19,7), auquel se réfère
le texte d’Éphrem (Crucif 4,4) sans le citer. À nos yeux, le problème réside plutôt dans
le vocabulaire éphrémien. En effet, on comprend mal la raison pour laquelle Éphrem
désigne le «Fils de Dieu» par «vêtement de gloire». Ensuite, si l’ on admet que Jésus sur-
monte le premier piège, à savoir le «signe royal» que les Juifs jettent sur lui, en reprenant
d’eux la royauté, quel rapport existerait-il entre «vêtement de gloire» et sacerdoce pour
qu’Éphrem établisse entre eux un lien et suppose que, à cause de ces deux pièges, le Fils
reprenne d’eux «la royauté et le sacerdoce»? Faut-il au contraire supposer qu’ Éphrem
songe à l’interrogatoire auquel Jésus fut soumis devant le Sanhédrin et à la déchirure, par
le grand prêtre, de son vêtement sacerdotal? Dans ce contexte, Éphrem affirmera plus loin
au sujet du grand prêtre:
Il déchira sa tunique, symbole du sacerdoce
dont est venu se revêtir le véritable pontife (Crucif 4,12).
À moins d’admettre que le «vêtement de gloire» renvoie à celui dont était revêtu Adam
avant sa chute, comme le note Rouwhorst, Hymnes pascales, p. 156-158, et le lien au sacer-
doce est alors établi, car, comme l’écrit Brock, Clothing Metaphors, p. 15 : « Adam’s ‘robe of
glory’ (to use the Targum’s rendering) was a priestly robe». Mais ce qui reste inexplicable
dans cette hypothèse est la détermination de l’événement auquel renvoie le passage du
«vêtement de gloire», qui symbolise le sacerdoce, au Fils lui-même.
59 Cf. supra, p. 289; le texte est SdDN 53,12-15. Cf. aussi Virg 8,3 et Nat 24,2 (supra, p. 288-289).
60 Notre pasteur divin est devenu «agneau pour notre expiation» (Nat 3,15) ; en cela, il para-
chève le symbole donné par l’agneau pascal (Nat 4,117) et mérite d’ être appelé « véritable
Agneau» (Nat 4,70; cf. aussi 4,118; 7,3-4).
61 Cf. Az 3,7-9; 4,2.5-9.11-14; 5,1.3.5.18; Resur 3,11; CNis 36,12.
62 Cf. Az 9,22.25; Eccl 51,7.
63 Cf. supra, p. 278; cf. aussi Virg 41,2, où l’effacement des péchés est attribué à l’ hysope du
Christ:
Par toi, mes dettes sont effacées
par ton hysope qui purifie tout.
C’est le seul Fils qui peut pardonner nos péchés, dont « l’ hysope nous purifie » (Eccl 12,5),
hysope qu’il a déjà accordée à Aaron comme récompense pour ses exploits (Eccl 11,8).
64 Dans CNis 33,3, le laboureur est bien le Christ, qui descend sur terre pour transformer les
épines en blé. Le titre de «laboureur» est également donné à l’ évêque (cf. CNis 33,5), ce à
quoi nous reviendrons infra, p. 357.
pu faire usage est bien le temple (Resur 1,13: «Et il était docteur dans le temple
(b-bēt qūdšā)»). Comme docteur et enseignant, le Fils a éclairé les prophètes
qui, grâce à lui, ont appris à qui il ressemble (Az 15,10).
Cependant, il apparaît que, pour Éphrem, l’enseignement ne se fait pas uni-
quement par la parole, mais aussi par les actes, et spécialement par les guéri-
sons. Ayant évoqué la guérison du «malade» (mšanqā, litt.: souffrant), le doc-
teur syriaque établit un rapport étroit entre la guérison et l’ enseignement, du
moment que Jésus enseigne par sa guérison et le malade est instruit par le fait
d’être guéri (Az 1,3). Jésus n’enseigne pas seulement par les actes qu’ il effec-
tue à l’égard et en faveur d’autrui, mais également par les actes qu’ il pose ou
subit; c’est le cas lorsque, «frappé, il enseignait, et souffrant, il promettait» (Az
1,4). Dans sa réaction antiarienne que nous avons évoquée ci-dessus en rapport
avec la question de la connaissance de Jésus, Éphrem rappelle que l’ acte par
lequel Jésus chasse les démons est un signe qui renseigne sur sa divinité et qui
s’ oppose à un acte humain, celui par lequel il s’enquiert sur le début de la mala-
die de l’enfant (cf. Az 15,28). Mais l’acte par excellence est celui par lequel Jésus
instruit sur sa mort et sa résurrection. Éphrem aime insister sur l’ opposition
entre la mort de Jésus à laquelle on le soumet pour le réduire au silence, et
sa mort qui est devenue «éloquente (mlīlā): elle enseigna et instruisit tout le
monde» (Virg 8,22). Quant au motif qui justifie que, lors de ses apparitions,
Jésus partage la nourriture avec ses disciples, Éphrem y voit une occasion pour
le Ressuscité d’enseigner «qu’il est mort et est ressuscité » (Crucif 3,17).
Quant aux destinataires de l’enseignement de Jésus, ils s’ identifient à tous
les hommes sans exception, même si Éphrem, dans une réaction antiarienne,
manifeste une prédilection pour les gens simples qui sont plus ouverts et plus
dociles à la réception de la parole divine:
Vers les malades ses pieds n’ont jamais failli (s’ y rendre),
ni ses paroles à l’adresse des simples (hedyūtē).
Resur 1,15
Mais outre les «simples» (ici fšīṭē) et les «innocents » (tammīmē), la doctrine
du Fils ne néglige pas non plus les «impurs» et les « pécheurs » (Resur 1,14).
Comme il le disait pour le sang de l’Agneau véritable et pour l’ hysope qui
sauvent toutes les nations, ainsi Jésus «enseigne les nations », un motif qui sus-
cita la jalousie du peuple (Virg 8,22). Allant au-delà des frontières du peuple juif,
l’ enseignement acquiert ainsi une universalité incontournable. Le trait qu’ il
faut retenir de l’approche d’Éphrem est son rejet de toute dichotomie entre la
parole et l’acte dans l’enseignement de Jésus, la parole servant à interpréter les
actes et les actes à actualiser la parole.
65 En plus des références données dans le corps du texte, cf. CH 5,2. Sur ce thème, cf. notre
Liberté, p. 136-141.
66 Dans CH 32,4, le Roi des rois qui apparaît dans la forme d’ un Vieillard (Dn 7,9) désigne
plutôt le Père que le Fils, ce dernier étant le Fils de l’Homme (Dn 7,13-14). Mais le texte est
significatif, car il présente Adam comme un roi avant sa transgression qu’ il commet à la
manière d’un enfant qui, en toute innocence, commet une faute.
67 Nous ne pouvons présumer de quel honneur il est question lorsqu’ Éphrem assure que,
par sa crucifixion, «le Roi fut outragé afin de donner honneur à tous» (Resur 1,22). S’ agit-
il d’un honneur royal, car il est accordé par le Christ Roi, ou bien de l’ honneur tout court,
celui qui rend à l’homme sa dignité?
On en conclut que l’homme devient déjà roi par le baptême, lorsque l’ icône
invisible du Fils du Roi vient déposer son empreinte en lui. Comme nous
le disions, tout à l’opposé des rois terrestres qui se détruisent successive-
ment, chacun abîmant la statue de son prédécesseur, l’ icône de notre Roi
reste à jamais présente dans ses «temples» (b-hayklaw) et ses possessions (b-
qenyanaw) (Virg 28,6)68.
7.3 Jacques
Mais s’il est vrai que le titre de pontife, ou de grand pontife, marque diffé-
rentes étapes de la vie de Jésus, son lieu propre et l’ inspiration qui le sous-tend
restent la conception du sacerdoce christique à la ressemblance de celui de
Melchisédech. Sur la théologie qui s’en dégage, nous reviendrons plus loin ;
pour le moment, nous ne considérons que le vocabulaire. Il semble que Jacques
se conforme à l’Épître aux Hébreux où le titre de « pontife » n’ est appliqué au
Christ que dans la citation du Ps 110,4 (He 7,17.21), tandis que, dans l’ ensemble
de l’Épître, la préférence est donnée à celui de « grand pontife », systémati-
quement utilisé, même lorsque Jacques ne cite pas littéralement le Psaume,
mais le paraphrase plutôt (He 5,10). Ainsi trouve-t-on chez lui une certaine
cohérence dans l’emploi du terme «pontife» quand il cite un peu librement
le Psaume72, ou lorsqu’il se conforme à He 7,11.15, qui présuppose un « autre
pontife» qui ne soit pas à l’image d’Aaron, mais à celle de Melchisédech73.
Sous l’influence de la typologie que représente ce personnage hors du com-
mun, Jacques n’hésite pas à appeler le Christ «grand pontife » (rabā d-kūmrē)74,
sans cesser pour autant de lui donner le simple nom de « pontife »75. Ce choix
peut correspondre aux titres que donne Jacques à Melchisédech, qu’ il appelle
non seulement pontife, mais aussi «grand pontife » (kūmrā rabā)76, aussi bien
que «prêtre» et «grand prêtre»77. Le comble, c’ est lorsque Jacques appelle le
Fils simple «pontife», qu’il fait ressembler à Melchisédech, le « grand prêtre»
(II 204,12). Cette liberté dans la terminologie peut s’ expliquer par le style poé-
tique de l’auteur et non par une confusion ou un amalgame dans sa pensée.
S’il n’est pas châtié, il n’est pas non plus le pasteur des hommes ;
et ce qui a été dit «on a frappé le pasteur» ne le concernerait pas.
CJ I 325-326
En fait, Jacques le répète, c’est par le «grand bâton, la Croix» (b-ḥūṭrā rabā
da-ṣlībūtā ; litt.: par le grand bâton de la crucifixion) que le Fils « accepte de
79 Cf. III 622,3; Lettres 127,26-27 (après la correction du compte des lignes chez Olinder) ;
128,10-11.
80 Cf. I 525,5; II 283,20; 418,12-13; III 141, 3-4; 429,3-4. Il semble que Jacques s’ inspire de Lc
15,5 plutôt que de Mt 18,12-14 puisqu’il évoque l’acte par lequel le pasteur porte la brebis
perdue sur ses épaules: I 625,1-2; III 543,9-10. Pour le seul terme « pasteur» lié à « brebis
perdue», cf. BedS 770,16-17; Lettres 127,28-29 (après la correction du compte des lignes
chez Olinder), et en lien avec le «Seigneur du troupeau », cf. III 453,1-2 ; 622,4.
81 Pour raʿyā rabā, cf. II 522,10: 617,4; V 643,2; BedS 763,4. Pour rabā d-raʿawatā, cf. II 422,11.
82 Cf. I 273,7; II 522,11; mais on trouve souvent la forme marē ʿanā: III 100,6 ; 141,3 ; 453,1 ;
BedS 804,13.
83 Cf. III 213,18-22; CJ I 201-208; cf. aussi CJ III 295-298.
faire paître tout le troupeau d’hommes» (III 214,19-20), faisant savoir que ce
n’est pas par le recours au pouvoir, ou à la puissance, que le Fils gouverne,
mais par ce moyen de salut, par cette expression ultime d’ amour qu’ est la
croix «devenue le bâton pour son troupeau» (V 643,1-2). Nous ne pouvons nous
étendre ici sur les fonctions du «pasteur» divin, dont l’ une des plus impor-
tantes est celle de rassembler le troupeau84, à côté de celle de transformer les
« loups en agneaux» (I 347,2-3), et de celle que nous avons évoquée, à savoir
la recherche de la brebis perdue85. Nous nous arrêterons encore moins sur la
polémique que Jacques mène contre les Juifs qu’ il accuse d’ avoir mis à mort
leur pasteur86, ou encore ceux qui cherchent à scruter celui qui est venu pour
« guérir le troupeau malade»87. À présent, nous centrons notre attention sur la
compréhension sacerdotale que représente le titre de pasteur. En premier lieu,
il est évident que si Jacques considère que les disciples, en tant que pasteurs,
sont investis du caractère sacerdotal88, le Christ comme pasteur, ou grand pas-
teur, l’est tout autant. On a vu qu’Éphrem opposait le Fils pasteur aux pasteurs
ariens, qui sont à identifier avec les responsables de leurs Églises. De son côté,
appelant bergers ou pasteurs (ʿallanē) les disciples qui s’ enfuient au moment
de la crucifixion du «Seigneur du troupeau resté tout seul » (II 522,11), Jacques
y voit un signe pour que le troupeau sache qui l’ aime et donne sa vie pour
lui (I 508,5-10). Dispersés après la mort du Christ, les pasteurs se trouvent ras-
semblés après sa résurrection:
Le pasteur est ressuscité, les loups ont pris la fuite et les bergers-pasteurs
(ʿallanē) sont rassemblés.
II 612,16
84 Jacques n’ignore pas le texte matthéen (Mt 15,24), qu’ il interprète en attribuant au Christ
la vocation de rassembler les fils d’Israël, tâche jugée difficile en comparaison avec l’ appel
des peuples (qraytā d-ʿamē), car ces derniers sont attentifs à la voix du pasteur (I 432,12-
433,7; cf. aussi IV 745,20-746,1). Un accent est cependant mis sur le rassemblement des
disciples après leur dispersion suite à la mort de Jésus, notamment au Cénacle (II 612,15-
16; 617,3-4; III 714,11-12; 730,9-10; V 603,3-4; 690,10-11).
85 La brebis perdue peut être représentée par des personnes que le Christ retrouve dans une
situation de perdition, telles que Zachée (I 354,12-15; 359,5-6), la Cananéenne (I 428,18-19),
Simon le Pharisien et la pécheresse (II 418,12-13), la fille de Jaïre (III 543,9sv), le démo-
niaque gérasénien (IV 689,8-9), mais aussi Simon Pierre après son péché (I 525,5-6), ou
Adam qui représente l’humanité dans son ensemble (II 283,18-21).
86 Cf. I 459,1-2; IV 745,18-746,1.
87 I 465,7-8. Au lieu de voir dans cette critique une réminiscence antiarienne, il serait plus
plausible d’identifier les destinataires auxdits nestoriens. Pour l’ identification des adver-
saires de Jacques, cf. notre Saint Paul, p. 64-65.110.131.139.149.
88 Cf. supra, p. 50-51.
De même, Jacques aurait bien pensé aux successeurs des apôtres dans la
prière qu’il élève au Pasteur pour que les pasteurs de l’ Église soient un :
Et le texte continue par une prière adressée au Fils pour qu’ il épargne aux
pasteurs la dispute et la division entre eux (II 634,13-16). Mais ce n’est pas seule-
ment en comparaison avec les pasteurs terrestres que le Christ Pasteur est doté
du caractère sacerdotal. C’est surtout par l’acte qu’ il pose, par l’ offrande de soi
dont il est lui-même l’auteur qu’il se définit comme prêtre, ou grand prêtre.
Nous avons noté que cette offrande de soi sur la croix fait de lui le pasteur uni-
versel, le pasteur de tous les hommes89, même s’il est vrai que cette universalité
s’ est concrétisée par l’émergence de l’Église (III 214,21-22).
89 Cf. III 214,19-20; CJ I 325-326, que nous avons cités aux deux pages précédentes.
D’ailleurs, Jacques insiste sur le fait que seul le Fils est apte à « s’ offrir
lui-même devant son Géniteur» (II 453,3-4). En effet, Jacques reprend une
argumentation pareille à celle qu’il développe au sujet de l’ agneau, d’ après
laquelle le Christ ne pourrait être un sacrifice, une offrande, s’ il méritait la mort
(II 542,3-6).
Au fondement de l’acte lui-même qui constitue le Christ Prêtre comme
sacrifice, Jacques retrouve la croix conçue comme la « limite» (sakā) de tous
les sacrifices (III 258,4). Par le fait même, le sens de la croix et du sacrifice
est, comme nous le disions, l’expression de l’amour du Père pour le monde
(II 790-791), «l’interprète (mfašqaneh) de l’amour du Père » (II 791,4). Dans
cette perspective, étant à présent dit du Fils, cet amour est lui-même l’ auteur
de l’offrande de soi et agissant comme un lieu-tenant du Christ Prêtre :
Notre Seigneur est venu pour devenir sacrifice pour sa (du monde) puri-
fication.
Son amour tint la place du prêtre et c’est par lui qu’ il s’ offrit lui-même.
III 237,16-17
90 Contrairement à Aphraate et à Éphrem, Jacques parle du Christ comme safrā, qui n’est pas
nécessairement réservé au scribe, car il peut signifier docteur. Pour les références, nous
renvoyons à celles qui sont données dans le corps du texte. Cependant, en vue de le dis-
tinguer des docteurs et des maîtres humains, Jacques qualifie le Fils de grand scribe (safrā
rabā) (I 217,9; II 298,20; 315,13; Lettres 4,1), de «grand maître» (malfanā rabā) (I 695,6), ou
encore de «maître de tous les maîtres» (rabā d-ḫūl rabanīn) (II 301,14), de maître qui, « si
lui ne l’est pas, il n’y a pas de maître» (d-elā en hū rabā lā īt) (II 294,12).
91 Sans être exhaustif, pour le Père comme docteur et maître, cf. II 23,11.16 ; 118-119; CJ IV 151 ;
pour l’Esprit Saint, cf. Lettres 117,3-5; 206,22-26. Dans ce dernier texte, il est dit que la doc-
trine de l’Esprit Paraclet «est donnée (metmalal ; litt.: est parlée) par toute la Trinité, et
ce n’est pas le seul Esprit qui est établi docteur (malfanā), sans l’ action du Père et de son
Fils bien-aimé». Pour cette dernière idée, cf. supra, p. 86.
92 Là aussi, nous renvoyons à quelques cas exemplaires, où à certaines personnes est attribué
Non pas comme un scribe que le Fils de Dieu enseigna par des paroles,
mais il posa des actes pour enseigner comme Dieu.
Cependant, Jacques prévient que les actes prodigieux effectués par Jésus ne
constituent pas un but en eux-mêmes et pour eux-mêmes, mais ils sont posés
au service de l’enseignement:
Il semble toutefois que l’acte par excellence que Jésus accomplit sur terre est sa
mort, par laquelle il renouvela le monde (IV 683,6 : « C’ est lui qui renouvelle le
monde par sa mort»). Signe, la croix est aussi la source de tout enseignement,
au-delà de laquelle il n’y a plus d’enseignement, comme au-delà de l’ âge adulte
atteint par l’homme, ou au-delà de la cinquième alliance scellée par le Fils, il
n’y a plus de croissance (I 335,17-337,12)97. Comparée à la source d’ Éden qui se
divise en quatre fleuves, la croix est cette source d’ où surgit l’ enseignement du
Fils, destinée à être répandue dans les quatre coins du monde par les disciples
(I 321,11-322,6). Nous avons rencontré ce texte dans lequel Jacques compare le
paradis à la Bonne Nouvelle dont la source est le Christ, où viennent se planter
les docteurs de l’Église (II 825,12-19)98. Ainsi, l’enseignement prend racine dans
le Christ et, à partir de lui, se transmet aux disciples et aux docteurs de l’ Église,
ce qui crée un lien étroit entre les deux derniers et leur Maître. Autrement dit,
on ne peut aborder la fonction d’enseignement, qui sera attribuée plus tard
96 Cf. aussi IV 671,13-14; plus loin, dans IV 672,19-20, Jacques souligne que le Fils de Dieu
«confirme ses paroles par ses actes». L’exemple qu’il analyse est la péricope des noces de
Cana, où la transformation de l’ eau en vin annonce le renouveau du monde, de la résur-
rection des morts aussi bien que de la transformation du mariage en une voie de sainteté
(IV 670-671).
97 Dans ce texte auquel il est fait référence, Jacques énumère, en plus de ce que nous avons
évoqué, un ensemble de vérités où le nombre cinq renvoie à une entité parfaite: les cinq
sens de l’homme, les cinq premiers livres de la Bible, les cinq horaires des ouvriers de la
vigne (Mt 20,1-16).
98 Cf. supra, p. 114.
99 Cf. surtout nos Théologie II p. 28-32.49-52 et Saint Paul, p. 84-90. Dans ces deux écrits, nous
avons plutôt souligné les deux aspects christologique et sotériologique du titre, étroite-
ment liés chez Jacques, sans nous soucier de sa dimension sacerdotale, sauf le fait de citer
le texte des Lettres 80,13sv, auquel nous allons revenir maintenant.
100 Albert traduit la dernière expression syriaque par «parce qu’ Il fut d’ entre nous ».
101 Pour les textes, nous renvoyons à nos deux ouvrages cités à la n. 99.
Même les fonctions d’introduire la prière auprès du Père, d’ agréer les supplica-
tions avec lui et d’accorder les dons103 relèvent de la responsabilité du Fils en
tant que grand prêtre qui donne l’expiation, tâches qu’ il accomplit grâce à sa
qualité de médiateur:
102 Pour l’attribution à la croix de la paix entre les deux parties en discorde, cf. aussi Lettres
128,9-10; 233,5-12.
103 I 316,11-14; cf. aussi III 492,12-493,1sv.
104 Cf. nos Théologie I p. 227-239 et II, p. 32-37. On peut également consulter l’ index publié à
la fin du deuxième tome pour un répertoire exhaustif des citations concernant le person-
nage. Pour la littérature à ce sujet, cf. Brock, Syriac Studies.
Melchisédech a vu que (le Fils) donna son corps et son sang au monde ;
par le pain et le vin qu’il offre, il lui peint une image (ṣalmā).
V 400,11-12
térieuse (V 162,6-7; 171,4). Considérée comme telle, elle ne fait qu’ aggraver la
question de son sacerdoce. Car, se demanderait-on, comment un mortel peut-
il être doté d’un sacerdoce qui demeure à jamais ? À la vérité, la solution ne
peut être que théologique. Partant de la conviction que la gloire de Melchisé-
dech est un don du Fils (cf. V 157,5-10), Jacques suppose que son élévation est
destinée à le rendre capable de peindre le mystère de son Seigneur (V 163,4-
5). Pour ce faire, le Fils devait se vider lui-même, prendre l’ image du servi-
teur (Ph 2,7) pour que le commun des mortels soit à même de le représenter
(V 163,6-9). Mais le problème se complique encore davantage lorsque Jacques
met l’accent sur la dissemblance, en reconnaissant que la Bonne Nouvelle a
révélé le début et la fin du Fils, sa naissance et sa mort sur la croix respective-
ment:
109 He 5,11 (V 177,10-11). Jacques ne cite pas littéralement le texte, mais préfère choisir des
termes plus simples: Il remplace sagiyyā hī meltā l-mīmrah (Peš) par rabā hī meltā, et la-
mfašaqūtah par l-metfašaqū. Dans V 178,5, comme dans Peš, Jacques emploie ʿasqā pour
difficile, mais dans 177,11, il recourt au terme ḥasīnā.
110 La perfection décernée à Melchisédech s’oppose à l’ imperfection des sacrifices, le sacer-
doce lévitique étant assimilé à l’«ombre» (ṭelanyatā, au pluriel) par rapport à la réalité
(V 158,21-22). Dans Ril II 558,6-12, la perfection du sacerdoce de Melchisédech, préfigu-
rant le chemin de la croix, est opposée à l’imperfection de la Loi et à son observance. Un
écho à cette conception est allégué aussi dans le mīmrā sur Melchisédech, où, à l’ « ordre
des choses anciennes» s’oppose la perfection de la croix: « La perfection, seule la croix
nous la montre», ce qui se traduit pour le sacerdoce par le contraste entre les sacrifices
sanglants et l’offrande de soi (V 159,13-14). Celle-ci, caractérisant le sacerdoce parfait de
Melchisédech, lui accorde la prérogative «de célébrer les mystères (razeh) de la croix»
(V 156,1-4).
111 Cf. notamment notre Théologie II p. 27-32 et, dans l’index, sous le terme « prophétie ».
cependant, il expose les raisons qui ont poussé Moïse à donner ce titre au
Fils: d’abord parce que Moïse l’a peint totalement et en toute chose (ḫūleh b-
ḫūlhēn) (I 45,10-13), s’identifiant à ses «mystères de vérité », et qu’ il finit par
l’ appeler «prophète comme moi» (I 47,22-48,1), ensuite, parce que Dieu ne
voulait pas révéler qu’il a un Fils, de peur que le peuple ne retombe dans le
polythéisme (IV 105,4sv), enfin, parce que le Fils avait l’ intention de venir « se
mêler aux hommes» (IV 111,13-14). Toutefois, comparé aux autres noms et sur-
noms attribués au Fils par les prophètes, le seul nom qui soit digne de lui est
celui de «Fils bien-aimé» que le Père lui donna112.
Il n’entre pas dans notre intention de rendre compte de l’ exégèse que
Jacques consacre à certains textes scripturaires, où le Fils est jugé supérieur
aux prophètes. Il en est ainsi lorsqu’il commente la péricope sur la confession
de Pierre (Mt 16,13-19), où celui-ci reconnaît Jésus comme Fils de Dieu, tandis
que les gens de l’ extérieur (barayē) le prennent pour un prophète (I 466-474).
Dans le récit de la transfiguration (Lc 9,28-36), Jacques distingue entre le Fils
et les serviteurs qui sont les prophètes et les apôtres (cf. II 371-372). Simon le
Pharisien (Lc 7,36-50) se trompe sur la divinité du Fils, capable de pardonner
les péchés, doutant même qu’il puisse être prophète (II 416-417). Surpassant les
Pharisiens, la Samaritaine (Jn 4,1-30) confesse que Jésus est le véritable Messie
(II 295-297) et le centurion reconnaît qu’il est Dieu (II 269,5-10 ; 275,14-15).
Après avoir admis que le Fils est supérieur aux prophètes, il s’ avère impor-
tant à présent de savoir si l’activité salvifique du Fils inclut une dimension
prophétique qui fait partie essentielle de sa mission. Ainsi formulée, la requête
porte sur un éventuel rapport entre cette dimension prophétique et le sacer-
doce christique. Comme nous l’avons vu, le Fils est l’ auteur, le trésor (cf. III
298,9-10), la source de toutes les prophéties à qui il insuffle l’ Esprit (cf. II
362,20)113. Il est aussi l’œil par lequel le prophète sonde les mystères cachés114.
Mais le Fils n’en est pas moins celui qui est venu interpréter et accomplir toutes
les prophéties le concernant (II 365,13-14), amenant ainsi la prophétie voilée
112 IV 106-107. Cf. supra, n. 91. D’après la référence qu’ on vient de donner, Jacques semble
avoir connu la distinction éphrémienne entre le nom et le surnom. Parmi les surnoms, à
côté de celui de prophète, il compte ceux de «pierre» non taillée de mains d’ hommes (Dn
2,34), de «bâton» (Nb 24,17), de «rejeton» (nūrbā) (Is 11,1) et de « pluie » (Ps 72,6), même
si, plus loin dans le texte, Jacques reconnaît que le nom du Fils est caché dans l’ A.T. et que
les noms que lui donnent les prophètes sont des «noms métaphoriques » (šīlē) (IV 107,8-9 ;
cf. aussi I 467,2; IV 115,3).
113 Cf. aussi IV 278,9-12; 312,11-12 et 574,7-10, textes que nous citons dans notre Théologie II,
p. 368-369.
114 Cf. notre Théologie II 369, où nous citons IV 265,17-20.
Ce n’est pas Ézéchiel qui prêche (maḫrez) là-bas (= au schéol) aux tré-
passés,
car c’est le Seigneur des prophètes qui appelle les morts pour qu’ ils en
ressuscitent.
II 850,1-2
Non seulement la parole du Fils appelle sa réalisation, mais elle est toujours
efficace, traduisant en acte ce qu’elle clame en parole, à savoir le salut univer-
sel. C’est ce qu’on déduit de la comparaison entre la proclamation de Jonas et
celle du Fils:
Notre Seigneur a proclamé mieux que Jonas parmi les nations (ʿamē),
et sa parole a converti tout l’univers à la pénitence.
IV 380,6-7
115 On trouvera les textes dans notre Théologie I, p. 163 (III 299,5-6 ; Lettres 174,9sv), et dans
Théologie II, p. 135 (Lettres 173,23-25; CJ V 135-136).
116 Cf. III 298,7-8, texte cité dans notre Théologie II, p. 4.
117 Cf. notre Théologie II 462-463.
lisa l’acte le plus sacerdotal qui soit, l’offrande de soi du Fils, que se joignent
le sacerdoce et la proclamation prophétique du Christ, dont la source coule du
Golgotha118.
Ce rapprochement que nous venons d’évoquer entre les deux fonctions
pourrait sembler arbitraire, du fait que, nous reprochera-t-on, ce n’est pas le
docteur syriaque qui le propose, mais bien une tentative que nous projetons
pour trouver un lien entre les deux. Ce qui est toutefois certain, c’ est que la
parole, la proclamation du Fils, constitue une dimension essentielle de son acti-
vité salvifique. En revanche, ce qui est moins certain dans l’ esprit de Jacques,
c’est sa corrélation avec le sacerdoce christique, à moins de supposer que la
proclamation constitue une composante essentielle des fonctions du prêtre.
118 Cf. notre Théologie II, 462-463; les textes sont I 96,5-6 ; 321-322, spéc. 321,11-12.19-20.
119 C. notre Théologie II, p. 21-27.
120 Nous ne pouvons que les évoquer ici: son caractère céleste (cf. I 155,5-6), éternel (I 179,15),
son pouvoir de donner la royauté (I 177,5), de renouveler la royauté de David par son choix
de la modestie (à titre d’illustration, cf. I 447,18; 448,15-16 ; etc.) qui culmine par le dénue-
ment sur la croix (V 304,7; 663,7; 664,7; etc.), et surtout son aspect sotériologique qui
s’exprime par le souci de sauver l’image de Dieu (III 161,15-16), en allant jusqu’ à accep-
ter la descente au schéol (V 682,11sv; 794,1; 817,15-16).
121 Cf. notamment I 84-152, le mīmrā intitulé «Sur l’Étoile qui est apparue aux Mages et sur
le massacre des enfants».
le roi céleste, inscrit les hommes dans le «livre de la vie », en Éden122. Constan-
tin aussi, qui alliait en sa personne royauté et foi, était seulement roi en dépit
du titre d’«apôtre» (šlīḥā) que lui octroie Jacques pour son engagement dans
la défense de la foi de la grande Église123. Le grand roi David, à la lignée de qui
se rattache Jésus, ne représente pas non plus un lien avec le sacerdoce, car il
n’était que roi et prophète (cf. surtout BedS 847,15-16). Il ne reste que le person-
nage de Melchisédech qui, en tant que roi et grand prêtre, s’ accommode de ce
qu’est le Fils, roi et grand prêtre.
Bien que contrastant avec les amples commentaires que réserve Jacques à
Melchisédech en tant que figure du Fils comme grand prêtre, ce qu’ il dit de
Melchisédech comme roi, en préfiguration du Fils Roi, suffit, dans sa conci-
sion, à dégager les traits spécifiques qui déterminent la royauté de l’ un et de
l’ autre124. À première vue, d’après le sens du nom Melchisédech et du titre « roi
de Shalem» (cf. Gn 14,18), celui-ci est présenté comme « roi de justice » et « roi
de paix» (cf. II 205,17-20; V 165,16-17). À bien regarder les choses, on constate
qu’il est rare que Jacques se soucie de fournir une explication de la justice qui
caractérise le royaume de son personnage et, par conséquent, du Fils Roi. Il
préfère se concentrer sur la notion de paix125. Celle-ci se définit par la prise
du pouvoir «sans combat» (II 204,15), ce qui contredit la méthode à laquelle
recourent les rois terrestres126.
122 Cf. BedS 757,16-759,3. Comme pour Hérode et les rois Mages, l’ insistance est mise sur le
dépouillement du Fils en tant que roi d’un autre ordre. C’ est ce que Jacques réitère, dans
une formulation bien réussie concernant le recensement par César : ce dernier cherche à
«soumettre» les hommes, tandis que le roi céleste se soucie « de faire triompher les vain-
cus» (da-l-ḥayabē nzaḫē enūn) (BedS 757,22-756,1).
123 Cf. BedS 845-848. Pour le titre d’apôtre, cf. BedS 847,20 ; 848,6.
124 Quand les deux titres se côtoient, c’est souvent celui du grand prêtre qui est expliqué par
la suite; à titre d’illustration, cf. II 775,7sv; V 157,13sv ; 159,3sv.
125 À part la référence relative au Fils Roi que Jacques fait à Is 11,5 (« La justice sera la cein-
ture de ses reins») (II 206,6), ses énoncés à ce sujet ne vont pas plus loin que l’ affirmation
que le Christ est «roi de justice» (cf. II 205,19.21, texte qui vient d’ être cité dans le corps du
texte; 206,7), expression qu’il applique également à Melchisédech (II 775,8 ; V 155,11 ; 165,17,
texte cité dans le corps du texte; 172,18; 174,11) qu’il appelle aussi « roi juste» (V 155,9), ou
en affirmant que le royaume du Christ (II 205,21), ou de Melchisédech (II 204,18 ; V 174,17),
est sa justice.
126 Dans le volume V de Bedjan, ayant affirmé que, étant « roi de paix », Melchisédech ne
s’engage dans aucun combat ni dispute (V 174,8-11 ; 179,3-4.9-12), Jacques reconnaît en
revanche que, pour avoir conquis Jérusalem, il a dû mener une guerre, n’ ayant jamais
«combattu pour acquérir un lieu, à part celui-ci» (V 174,12-13). Et Jacques de justifier cet
acte par l’importance de ce lieu, où se célèbrent les mystères qui préfigurent la mise à
mort de Jésus (V 174,14-15).
L’un des plus grands exploits de Melchisédech, souligne Jacques, est d’ avoir
bâti Jérusalem et de s’y être installé comme roi « sans combat », se présen-
tant comme gardien du lieu prédestiné à la crucifixion de Jésus (II 204,19-20 ;
V 160,19-20). Tout compte fait, le seul combat qu’ il ait accepté de mener est la
lutte contre les «passions sauvages» qu’il a fini par maîtriser (II 775,8sv ; 776,5-
6).
À l’image de Melchisédech, le Christ est «roi de paix et de justice » (II 205,19)
et la preuve en est donnée par le chant des anges à sa naissance (Lc 2,14)
(II 205,20-206,3). Une autre preuve de la paix apportée par le Fils Roi est la
fonction de médiateur qu’il entreprit pour réconcilier les deux « parties », Dieu
et Adam, imitant ainsi le «roi de Shalem» (II 205,17-18). Cependant, en tant que
roi, le Fils dépasse Melchisédech, son type, et Jacques le fait comprendre en se
fondant sur l’apôtre Paul qui identifie le Fils à la justice (1 Co 1,30) et à la paix
(Ep 2,14):
Si les deux notions de paix et de justice, bien qu’ investies d’ un caractère spiri-
tuel, relèvent ainsi de la responsabilité de toute royauté qui se respecte, le titre
de médiateur, lié à celui de roi auquel incombe d’ instaurer la paix entre Dieu
et l’homme, marque une compétence qui revient au seul Fils Roi. Cette spéci-
ficité détache le roi céleste de sa fonction purement « laïque », terrestre, pour
le rapprocher un tant soit peu de ce qui s’apparente à une fonction spirituelle,
salvifique. Plus encore, certains détails accordés par Jacques à Melchisédech
comme roi lui confèrent un rôle cultuel. Outre qu’ il s’ attribue le droit de gar-
der Jérusalem jusqu’à la crucifixion, Melchisédech transforme le Golgotha en
un lieu de culte, en y bâtissant un sanctuaire où se célèbrent les mystères nou-
veaux de l’Église (V 160,19-22). Ainsi donc, le roi Melchisédech est chargé de
garder le lieu où s’effectuera le don de soi du Fils, acte suprême qui définit le
Fils comme grand prêtre. Se rapportant à la croix, cette mission a été accordée
au seul Melchisédech, à l’exclusion du roi David et de l’ empereur Constantin.
Ce qui laisse supposer que, dans l’esprit de Jacques, les deux titres de roi et de
prêtre ne sont pas seulement associés parce qu’ ils sont portés par une seule
personne, Melchisédech ou le Christ, mais aussi par le fait que les deux fonc-
tions se rejoignent à leur apogée, la croix, où le pouvoir royal se transforme en
un don de soi sacrificiel, acte sacerdotal par excellence.
Mais Jacques ne connaît-il pas l’interprétation que donne Éphrem des pièges
tendus à Jésus pour le condamner à mort, celui par lequel les Juifs, par les sol-
dats, jettent sur lui la pourpre pour l’accuser de s’ être déclaré roi, ou encore
le motif de s’être approché des choses sacrées réservées aux prêtres127 ? À vrai
dire, non seulement Jacques s’inspire d’Éphrem, mais il reprend sa thèse avec
tous ses détails. En effet, comme Éphrem, il affirme qu’ on a revêtu Jésus de
« vêtements écarlates» (naḥtē da-zḥūrītā) (cf. Lc 23,11, d’ après la terminolo-
gie de la Peš) (II 543,9), ou d’une «chlamyde (klamīs) écarlate» (Mt 27,28)
(II 543,19; 544,12) pour pouvoir le condamner. Comme Éphrem, Jacques consi-
dère que ce vêtement a été offert par les «rois du peuple », une allusion aux
Maccabées, pour le service cultuel, que seul le prêtre peut approcher car tout
autre qui y touche est passible de mort (cf. Nb 4,15) (II 544,2-11). Comme
Éphrem, Jacques précise que ce vêtement n’est pas porté par les rois, car il est
question d’un voile (šūšefā) qui sert à couvrir l’autel (II 544,14). Cette interpré-
tation confirme ce que nous conjecturions au sujet du texte d’ Éphrem, à savoir
que la cause de la condamnation de Jésus n’est pas tant d’ avoir prétendu être le
Fils de Dieu, comme le suppose Beck en se référant à Jn 19,7, que d’ avoir été en
contact avec des objets sacrés qui sont réservés au prêtre. On peut facilement
conclure que le motif d’accusation que les Juifs imputent à Jésus est plutôt sa
prétention à une dignité sacerdotale, surtout que Jacques insiste sur l’ idée que
le piège tendu par les Juifs a lieu «à la grande fête» (II 544,15) et que le vête-
ment qui vient couvrir la nudité de Jésus le présente comme le « seigneur » de
l’ autel (II 544,16-17). Même si plus loin dans le texte (II 545,5-8), il est dit que
les Juifs finiront par adorer Jésus «comme un roi ».
parole pour admettre que sa tâche principale est la prédication, et le roi comme
homme de gouvernance pour lui attribuer la gestion de son royaume comme
son souci primordial.
À première vue, on s’aperçoit que Jacques prête plus d’ attention au Fils
prêché (metkarzanā) et au contenu de la prédication qu’ à l’ acte de prédica-
tion lui-même (cf. BedS 670,1-2) Cependant, il ne pouvait non plus ignorer que
l’ activité principale du Fils se centrait sur la prédication, qu’ il rapporte ici et
là, sans toutefois lui consacrer une réflexion systématique et approfondie. Si
Jacques discute occasionnellement le contenu de la prédication de Jésus, il
commente la presque totalité de son enseignement. Mais là où Jésus est capable
d’être le prédicateur à l’exclusion de tout autre129, c’ est au schéol où il annonce
la résurrection des morts à ses habitants, annonce qui se présente comme le
parachèvement de sa prédication130. Somme toute, sa prédication est axée sur
le salut qui porte en germe l’espérance à l’humanité faible et pécheresse131.
Conçue par Jacques comme apparentée à l’énoncé performatif, la puissance de
la prédication du Christ est à même de «justifier » (mzadeq), de rendre justes
les publicains (I 444,4).
La position de Jacques à l’égard de la gouvernance qui revient au roi est
complexe. Car, d’une part, il défend la séparation des pouvoirs, spirituel et tem-
porel, revenant au prêtre et au roi respectivement, comme dans le cas du roi
Ozias qui cherchait à usurper le pouvoir sacerdotal (cf., par exemple, V 410-
leur source d’inspiration (II 362,19-20). On rencontre cependant une confirmation claire
du lien entre les prêtres appelés prophètes et la prédication lorsque Jacques, évoquant
les lectures faites au bīmā (= haut-lieu où se font les lectures), assimile les « prophètes de
l’esprit à des prédicateurs» (V 773,18-19). Jacques va même jusqu’ à qualifier le prédicateur
d’aujourd’hui de prophète, dont les efforts paraissent être vains à cause de l’ insouciance
des auditeurs:
Aujourd’hui lorsque le prophète parle, il frappe dans le vide (l-ayar kateš; litt.: frappe
le vent).
C’est à lui-même qu’il parle, sans auditeurs (V 774,20-21).
129 Dans la baleine, lieu de la mort (IV 436,13-14) où Jonas « prêcha la mort (du Fils) et sa résur-
rection» (III 695,17), le prophète n’est qu’un type du Fils au schéol (IV 432,9-12). Quant à
Syméon qui, dans le temple, demande à son Seigneur de le délier de cette vie pour qu’ il
se rende au schéol prêcher la Bonne Nouvelle aux morts (cf. Lc 2,29), Jacques interprète
les paroles de l’Évangile sans qu’il en déduise que Syméon précéda Jésus au schéol et put
effectivement prêcher la résurrection aux morts (V 463,11-466,8).
130 Cf. II 90,1-2; 598,15: «Aussi, Notre Seigneur paracheva sa prédication au schéol » ; cf. aussi
III 419,17; V 802,12.15; BedS 865,6-7; Lettres 176,10sv; 235,16sv.
131 À la suite de la conversion de Zachée et sa transformation en héraut du Christ, Jacques,
en admiration devant la mission salvifique du Fils, s’ exclame: « Béni soit celui qui prêcha
la bonne espérance aux hommes» (I 364,2).
414)132. De façon générale, il semble admettre que les prêtres sont oints par
l’ Esprit Saint pour exercer le sacerdoce (la-mkahanū), tandis que les rois sont
oints pour gouverner (la-mdabarū) (BedS 857,2-3). D’ autre part, on voit Jacques
admirer, voire exalter et vanter ces grands rois qui ont pu associer à la gérance
de leur royaume le service rendu à la prophétie, comme David (Bed 847,15-16),
ou à la foi orthodoxe, comme Constantin (BedS 845,2).
Si la position de Jacques n’est pas tranchée pour l’ une ou l’ autre option,
à savoir la séparation ou le lien entre le culte et le gouvernement, comment
évalue-t-il ce rapport quand il s’agit du Père ou de son Fils ? Si l’ on admet que la
finalité ultime que Dieu se propose dans la gouvernance du monde, y compris
les personnes133, est le salut de l’homme, Jacques s’ élève avec vigueur contre le
zélé prétentieux qui s’érige en correcteur de Dieu, allant jusqu’ à reprocher au
Créateur sa mauvaise gouvernance, notamment sa patience, et donc son amour
salvifique pour le pécheur134. C’est à ce titre, en tant que Sauveur du monde,
que Dieu le gouverne, et non pas comme les rois terrestres qui s’ occupent uni-
quement de la sécurité et du bien-être de leurs sujets. C’ est également sous cet
aspect que le Fils gouverne, avec son Père (II 274,7), en conduisant les hommes
« vers la maison de son Père» (IV 902,15). Pour traduire la gouvernance attri-
buée à Dieu et au Fils, Jacques préfère l’image du berger qu’ on trouve dans les
Psaumes (Ps 23,1) et chez Jean (Jn 10) à l’image du roi. En tant que berger, le Fils
nous fait paître dans les «prés fertiles» (margē d-ʿūšnā ; litt. prés de puissance)
(Ps 23,2, selon la Peš)135, qui sont les Livres saints (IV 903,3-16), dont la lecture au
cours de la célébration eucharistique donne la vie, le salut (III 650,13-18). Mais
l’ acte le plus sublime par lequel le Fils se manifeste comme berger est sa cruci-
fixion136, opposée ici à la circoncision que la croix fait tomber en désuétude et
qui, en même temps, rassemble tous les peuples en un seul troupeau :
C’est donc avec l’avènement de sa mort, acte sacerdotal par excellence, que
le Fils s’acquitte de cette tâche de gouverner l’ humanité unie. Loin de se
conformer à la gouvernance des rois terrestres, il a inculqué à ces derniers que
la meilleure façon de gérer s’accomplit dans la kénose, dans l’ amour qui va
jusqu’au don de soi pour le salut du monde.
Absent chez Aphraate comme chez Éphrem dans son application au
Christ137, le terme kahen (exercer le sacerdoce, ou officier) est bien appliqué
au Christ chez Jacques, qui l’utilise pour signifier la fonction sacerdotale dans
son aspect cultuel. La preuve la plus éclatante est donnée par la célébration que
Jésus accomplit au Cénacle, lorsqu’il donna aux disciples son corps à manger
et son sang à boire (II 486,4-17), s’offrant lui-même en modèle à suivre :
Cependant, comme le suggère le texte cité, le Fils officie (kahen) comme Mel-
chisédech par son propre sang, par sa «propre passion » (b-ḥašā d-nafšeh),
étant capable de procurer la réconciliation au monde entier (II 202,17-18). À
ce titre, il remplace les Lévites dont les sacrifices ne peuvent obtenir le pardon
du terme ʿesbā (herbe), celui-ci traduisant correctement le terme hébreu dešē par herbe
dans Ps 37,2.
136 Éphrem disait déjà que le Christ règne sur la croix (CH 25,2) ; cf. supra, p. 291.
137 À moins d’une erreur de notre part, nous n’avons pas rencontré d’ application christolo-
gique de ce terme chez Éphrem. Selon l’index établi par Parisot, le terme est absent de
toute l’œuvre d’Aphraate.
138 Si le terme «pontife» est ici l’acteur, l’expression d-hū leh nkahen est ce sur quoi s’ exerce
l’activité du pontife, représentée ici par l’offrande de soi du Fils sous la forme du pain et
du vin.
des péchés (II 204,7-8). De plus, comme il a été souvent dit et redit, seul le Fils
peut entrer dans le Saint des Saints, dans la Shekina de son Père, là où ni un
sacrifice ne peut pénétrer (II 206-207), «ni un pontife ne peut officier (nkahen)
là-bas, à part lui» (II 208,1; cf. aussi II 206,14-15)139.
Quant à la fonction de remettre les péchés, qui peut être exprimée par
d’autres verbes, tels que sanctifier, ou purifier, elle est de loin la plus évoquée
en rapport avec le statut cultuel du Christ comme prêtre. C’ est la raison pour
laquelle il s’avère superflu d’exposer en détail cet aspect chez Jacques, tant il
est vaste et parce que certaines de ses facettes ont été abordées ici et ailleurs140.
Pour mieux cerner le sujet, il est préférable de le restreindre à ce qui se rapporte
au Fils comme prêtre.
Nous avons déjà noté que, pour Jacques, si le Fils est doté de cette vertu
de remettre les péchés, c’est parce que, de toute éternité et avant même de
s’ incarner, il est par essence «expiateur» (mḥasyanā)141. Comparé aux prêtres
de l’ A.T. qui se sont montrés incapables d’accorder l’ expiation au peuple (II
201,1-2; II 204,7-10), le Fils est cet «autre prêtre» qui est venu les remplacer,
et qui, «sans sacrifices, par sa propre souffrance, expie la terre» (II 203,1-2)142.
Ce sont les trois éléments qui caractérisent l’expiation du Christ Prêtre: sans
sacrifices143, par l’offrande de soi, par une expiation universelle144. Plus encore,
Jacques établit entre expiation et sacerdoce un lien tel que, se fondant sur la
parole de David (Ps 110,4), il conclut au statut sacerdotal du Fils :
Comme Jacques est tenté de considérer que l’ expiation est un acte que seul
un pontife est capable de poser, ici en l’occurrence le Fils qui accepte de s’ offrir
lui-même, il conclut:
Il est devenu pontife et, par son propre sang, il expia la terre.
II 198,20
En soutenant que le «Fils est pontife pour les pécheurs », Jacques aboutit à la
conclusion qu’il est «sacrifice par lequel le monde entier fut expié» (II 205,15-
16). Quoi qu’il en soit, le nouveau pontife n’expie pas par un « sang étranger»
(He 9,25), celui des animaux, mais par «son propre sang » (He 9,12)145. En outre,
son expiation ne se limite pas au peuple, mais est accordée à tous les peuples, ce
qui laisse entendre que la réconciliation obtenue est parfaite (V 157,3-4). Encore
faut-il préciser que ce n’est pas seulement par sa mort sur la croix que Jésus
donne l’expiation; par son baptême aussi, il montre qu’ il est « sanctificateur et
expiateur du monde entier» (I 158,4).
7.4 Narsaï
7.4.1 Le vocabulaire
Narsaï semble conséquent dans l’emploi qu’il fait du titre de « grand pontife »
qu’il applique à Jésus. Il le privilégie pour le distinguer du titre donné à Jean
Baptiste, celui de «prêtre» qui pose sa main sur le « grand pontife » qu’ est Jésus
(McLeod II 277-278). Par la suite, il est dit que le grand pontife descendit dans
l’ eau baptismale (McLeod II 291). En revanche, le titre de « pontife » est donné
à ceux qui «exercent (le sacerdoce) par les choses terrestres», Jésus l’ exerçant
au ciel par son sang qui obtient le pardon à tous (McLeod V 205-206). Sur ce
point, Narsaï connaît les deux titres d’«apôtre » et de « grand pontife » (rab
kūmrē, d’après la Peš) que l’Épître aux Hébreux accorde à Jésus (cf. He 3,1).
Mais au lieu de reprendre le titre de «grand pontife », Narsaï le remplace par
le terme «pontife» en citant l’Épître (II 23,10), tandis qu’ il réserve le titre de
« grand pontife» à l’interprétation qu’il donne de la vision propre à l’ auteur
de l’Épître. En effet, d’après cette interprétation, Narsaï discerne dans la dési-
gnation de Jésus par «grand pontife» une préfiguration (ṭūfsā = type) de celui
que nous verrons dans l’au-delà, le seul qui se prêtera à notre vue d’ homme, à
l’ exclusion de l’Être (ītyā) qui demeurera inaccessible à tout regard ou connais-
sance humaine (II 23,7-9)146.
Bien que le titre de «grand pontife» soit souvent favorisé pour nommer Jésus
rentrant auprès du Père, dans le Saint des Saints147, il arrive à Narsaï de lui pré-
férer non seulement le titre de «pontife», mais aussi celui de « prêtre» (kahnā,
probablement à cause de son lien avec le verbe kahen) :
Devant l’Être (ītūtā), le prêtre (pris) de nous entra pour officier (da-
nkahen)
dans le lieu qui est purifié des choses nuisibles et de ceux qui les
causent.
Frish I 433-434
146 Après avoir dit qu’on ne peut pas voir l’Être, mais seulement notre grand pontife, Narsaï
ajoute qu’on voit «Celui qui s’acquitte (da-mmalē ; litt. : remplit) de (la fonction du) grand
pontife (rabūt kūmrā) pour notre vie». Mingana propose de corriger rabūt kūmrā par rab
kūmrūtā.
147 Cf., à titre d’illustration, I 193,2-3; II 58,3-4. Dans II 16,4sv, Narsaï s’ appuie sur la vision
paulinienne concernant notre demeure éternelle, dans les cieux (2 Co 5,1, d’ après la Peš),
pour soutenir que «dans cette demeure entre notre Principe, comme un grand pontife »
(II 16,5-8). Dans les textes de Narsaï, l’expression rabkūmrē (grand pontife) est écrite sou-
vent en un seul mot, à l’exception des deux textes que nous venons de citer, II 16,7 ; Mc
Leod II 291, où les deux mots rab et kūmrē sont séparés. On ne trouve l’ expression sous la
forme de rabā-d-kūmrē que dans un mīmrā attribué à Narsaï (cf. I 296,16).
Par son propre sang, il officia une seule fois parmi les terrestres.
Frish I 435
Nous avons ainsi un grand pontife, qui est fidèle à son Créateur,
comme Moïse, dans toute sa maison, et plus (fidèle) encore que le fils
d’Amram.
PP I 587,23-588,1
En fait, le point de démarcation entre Jésus homme et ce qu’ il devient est opéré
par son élection par Dieu le Père. Cette élection traduit l’ intention de Dieu
d’exalter l’homme en l’élevant au rang de la divinité et en lui faisant assu-
mer une mission salvifique à la dimension de toute la création. Ce salut se
réalise par les guérisons (McLeod II 385-386), la libération de la mort (I 157,8 ;
McLeod II 263-264), la réconciliation avec Dieu (PP I 114,23-24 ; 259,13-16) – ce
dernier trait définirait Jésus comme médiateur – et, enfin, le renouvellement
de toute la création150. Ce salut atteint son point culminant par le don de soi
sur la croix151.
Ce détour par la notion d’élection n’est pas superflu, car il départage ce qui
se rapporte au Jésus homme et ce qui appartient exclusivement au Verbe Dieu.
Au point que, évoquant l’acte fondamental par excellence, le don de soi sur
la croix dans le contexte de l’élection, Narsaï n’hésite pas à affirmer que le
Verbe n’est pas associé à cet acte, même s’il n’abandonne pas l’ homme Jésus
qu’il s’est choisi comme demeure152. Dans son interprétation de He 3,2-3 sur
150 Au point que Narsaï soutient que, parce que Jésus a assumé une parcelle (mnatā) de
nous, moyennant son corps, tout sera renouvelé et rien ne sera perdu (II 70,11-15 ; cf. aussi
II 68,22-24; McLeod V 231-232). En un autre endroit, il dira la même chose pour la récon-
ciliation de toute chose par Jésus (PP I 259,15-16).
151 Cf. I 27,1-4; 328,2-4; II 73,11-12; Frish I 437-438.
152 Cf. McLeod III 542-581, spéc. 574-577. Narsaï prend à témoin Lc 23,46: « En tes mains je
remets mon âme» (Mc Leod III 530), où Peš a «mon esprit », pour justifier sa christologie
où une distinction claire est établie entre l’âme de Jésus et Dieu, et par conséquent, entre
Jésus et le Verbe. Ce mélange de la divinité et de l’humanité qu’ on serait enclin d’ attribuer
à Eutychès viserait plutôt les contemporains de Narsaï (mais cf. McLeod III 552-553, où
Eutychès est nommément cité), les adeptes de la christologie miaphysite. Sur ce sujet, cf.
Abramowski, Jesu Verlassenheitsruf (tout l’article), où l’ auteure étudie le rapport entre
Narsaï, Éphrem et Cyrille d’Alexandrie sur l’interprétation que chacun donne de Lc 23,46.
Comparant Narsaï à Éphrem, elle fait valoir que le premier admet que le cri de Jésus
s’adresse à son âme, tandis qu’Éphrem laisse entendre que le Logos se cache à l’ homme
Jésus qui croit être abandonné, ne prévoyant pas que son cri se conclura par la résur-
rection. Face aux Ariens et aux Docètes, Cyrille refuse toute faiblesse attribuée au Logos
et interprète le cri sur la croix comme un acte de solidarité du Christ avec l’ homme
pécheur. Abramowski discerne que l’axiome d’ apatheia est défendu à la fois par Cyrille
et par les Antiochiens, donc par Narsaï, mais son application n’est pas la même ; alors
qu’adoptant cet axiome, Cyrille éclipse la nature humaine du Christ, les Antiochiens et
Narsaï y insistent. Elle finit par reconnaître qu’en fin de compte, Cyrille et Narsaï acceptent
l’unité indissoluble entre le Logos et l’homme en Christ, même si Cyrille refuse ce sens à
la «conjonction» (synapheia) antiochienne.
153 Cf. PP I 589,19-21, texte que nous avons cité supra, p. 174.
154 C’est une idée récurrente chez Narsaï; en guise d’illustration, cf. I 67,1-2 ; 207,17-19; 326,5-7 ;
II 23,21-24,1; 68,25-69,2; McLeod II 395-396; PP I 113,23-24 ; 126,7-10 ; 173,18-21.
155 Voici les deux textes qui contiennent les deux verbes officier et servir :
C’est non par l’ordre de la Loi (cf. He 8,4) que Jésus est entré (dans le Saint des Saints)
pour officier,
mais par son propre sang, celui de la nouvelle Alliance (McLeod V 203-204).
Une remarque concernant la traduction que donne McLeod du deuxième stique, qu’ il
rend par «but by the blood of his own New Testament» (elā ba-dmā d-diyyatiqī ḥdatā
dileh). En fait, il faut lier dīleh à dmā = son propre sang, et non pas à diyyatiqī, qui est
féminin et requerrait un adjectif féminin, qui serait dīlah dans le cas présent.
Le deuxième texte:
Ce n’est pas pour servir par les «choses terrestres» qu’ il parvient (au Saint des Saints)
comme pontife.
Il entra au ciel pour tout expier par son propre sang (McLeod V 205,6).
On remarque bien que, à «ordre de la Loi» du premier texte correspondent « les choses
terrestres» dans le second; la mention du «sang» aussi bien que le lieu du culte, à savoir
le Saint des Saints, se trouvent dans les deux textes. La seule différence est l’ ajout de
l’allusion – mais un ajout n’est pas nécessairement une véritable différence – à l’ expiation
dans le second texte, laquelle pourrait être déduite de l’ évocation du sang dans le premier
texte.
156 Cf. aussi I 22,17-19:
Aussi Jean (Baptiste) appela-t-il agneau le Sauveur de notre race,
parce qu’il s’apprête à sauver notre vie par le sacrifice de sa mort.
Parmi les figures vétérotestamentaires prisées par Narsaï, Isaac comme éven-
tuel sacrifice reçoit un commentaire plus développé que l’ exposé consacré à
l’ agneau pascal, ou à l’autel des sacrifices (PP II 465,12-13), sans que le docteur
syriaque ignore que c’est finalement un agneau – plutôt un bélier (dekrā) (Gn
22,13) (I 67,4-7) – qui remplaça Isaac pour le sacrifice157. Mais il reste que c’ est le
témoignage de Jean Baptiste sur l’Agneau de Dieu qui permet à Narsaï, comme
nous l’avons indiqué, de faire le lien entre l’agneau et le sacrifice. Ainsi est-il
rare de trouver des textes sur l’Agneau de Dieu qui ne font pas référence ou allu-
sion à son immolation158. Tout comme pour le titre de prêtre, l’ agneau immolé
est identifié à Jésus homme et la purification est obtenue non par l’ Unique qui
s’ est incorporé, mais «par la chair» (cf. He 5,7) qui est exaltée par la puissance
appartenant à l’Essence divine (McLeod II 205-216). Une polémique qui se tra-
duit par une terminologie appropriée, privilégiant l’ expression de « sacrifice
de son corps», le corps signifiant ici la totalité de la personne soumise à la
faiblesse humaine, ainsi que l’atteste une autre expression qui attribue le sacri-
fice de notre salut au «corps et au sang» de Jésus (II 336,5). Toutefois, le Jésus
homme qui contribue à l’œuvre salvifique n’est pas réduit à sa pure humanité,
car, comme l’affirme Narsaï, c’est «la puissance invisible qui demeure en lui »
(I 66,14-15) qui agit et remporte victoire (McLeod II 215-220).
Sans s’attarder davantage sur l’identité du sujet qui donne le salut, il importe
de savoir si, chez Narsaï, les deux termes de sacrifice et d’ agneau – et la théo-
logie qui les sous-tend – sont liés de quelque façon au thème du sacerdoce.
Contrairement à Éphrem et à Jacques, Narsaï ne prend pas la peine de réflé-
chir sur la relation qui aurait existé entre le sacerdoce et le sacrifice. Toutefois,
absence ne signifie pas déni et l’une des preuves de ce lien se traduit par le
sacrifice sur la croix (II 75,6-7; McLeod III 158), acte posé par Jésus qui se trouve
investi d’un statut sacerdotal. De plus, il peut y avoir une référence implicite à
« l’une fois pour toutes» de l’offrande de Jésus, laquelle s’ oppose aux offrandes
multiples des autres grands prêtres (He 7,27). En effet, évoquant le sacrifice de
l’ agneau, Narsaï en dégage l’intention de Dieu de préfigurer ce qui adviendra à
la fin des temps:
Il savait en effet que, par un seul sacrifice (He 10,12-14), il expiera tout.
II 79,7
157 Sur Isaac comme sacrifice, cf. I 16,22-24; 64-67; II 287,15-16 ; sur l’ agneau pascal, cf. II 75,6-
9; 79,7-8; 298,21-299,11; PP II 468,2-5; McLeod III 162-169.
158 En plus des textes déjà référencés, cf. II 287,15-16; McLeod II 219-220 ; PP I 313,11-12.
En fait, plus que la notion de sacrifice auquel est étroitement lié le titre de
médiateur, celui-ci apparaît plus clairement associé au sacerdoce de Jésus. En
deux circonstances, pour nous limiter à celles-ci, la thématique du médiateur
rejoint celle du sacerdoce. Par la première occasion, celle des disputes qui
éclatent dans l’Église, Narsaï fait appel à Dieu pour qu’ il intervienne par son
« (Fils) unique et notre médiateur». Il justifie cette intervention par la capa-
cité qu’a le médiateur d’intercéder en faveur des faibles, parce qu’ il porte en
lui «l’épreuve des souffrances (ḥašē) de la mortalité humaine (mayūtūtā) »
(I 269,9-15). Et Narsaï d’ajouter:
Ce vocabulaire est sans conteste celui de l’Épître aux Hébreux pour qualifier la
tâche du grand prêtre, qui est le Christ; le terme mnasay est repris tel quel à He
4,15, tandis que, dans le même verset de He 4, le verbe « compatir » (neḥaš, de la
Peš) à nos faiblesses est rendu par le mot « souffrances » (ḥašē). Somme toute,
ce qui est dit du grand prêtre dans l’Épître est transféré chez Narsaï sur Jésus
médiateur, ce qui confirme qu’une identification, du moins une affinité est
présupposée par notre docteur entre les deux titres de médiateur et de grand
prêtre.
159 En syriaque, le texte est meṣʿayā d-alahā w-da-bnaynašā qui se traduit littéralement
par «médiateur de Dieu et de l’homme», mais qu’ il vaut mieux rendre en français par
«médiateur entre Dieu et l’homme».
160 La même idée a été soulignée, supra, p. 329, d’après laquelle le Verbe ne s’ associe pas à la
Passion de Jésus, quand bien même il ne l’abandonne pas.
161 Il est bien présent dans le mīmrā attribué généralement à Jacques; cf. notamment II 157-
158.160-162.
162 Narsaï fait allusion à ce titre en deux circonstances: la première est de couleur escha-
tologique et se rapporte à l’arrivée du Fiancé céleste (d-rawmā ; litt.: qui est d’ en haut)
qu’attendent les dix vierges de l’Évangile (Mt 25,1-13) (I 244,16-245,1sv), ou à la deuxième
venue du Fils sur les nuées, où les saints accourent à sa rencontre (I 324,1-2). La deuxième
occasion est l’entrée de Jésus, le Fiancé céleste et pur, à Jérusalem et l’ accueil triomphal
que lui réservent les enfants, lequel accueil contraste avec le mutisme de l’ « épouse mépri-
sable» qu’est le peuple juif (PP II 310-312).
sont développées par Jacques. Par exemple, l’idée de la bonté du médecin qui
guérit corps et âme, gratuitement et sans recours aux remèdes pour la guéri-
son corporelle163, tandis que celle de l’âme est obtenue par la force de l’ Esprit
Saint164. Une allusion est également faite à l’action exorciste de Jésus qui chasse
les démons165. De ce qui précède, il s’avère que Narsaï ne prend pas la peine
d’établir un quelconque rapport entre ces titres et celui de grand prêtre. Toute-
fois, cette absence ne doit pas être interprétée comme si ces titres ne reflétaient
aucun aspect de l’identité de Jésus Prêtre et de sa fonction sacerdotale.
À vrai dire, la résurrection est elle-même la Bonne Nouvelle que le kérygme pro-
clame. Une Bonne Nouvelle déjà amorcée durant la vie terrestre de Jésus qui
revivifia trois morts (McLeod III 124-125). Évoquant la résurrection de Lazare,
166 Sim IV 33-37. Nous préférons traduire karūzūtā par kérygme pour la raison que le terme
peut signifier l’acte (cf. Sim IV 40.80), ou le contenu de la proclamation (cf. les références
dans le corps du texte), que Siman traduit, soit par évangile (Sim IV 26.33.40.79), soit par
Bonne Nouvelle (Sim IV 93.94.95). Pour pouvoir identifier l’ erreur aux ténèbres, Narsaï
remplace le terme de «soir» dans Mt 20,8 par celui de « nuit ».
167 Dans le mīmrā attribué à Narsaï, le kérygme de Jésus parvient à maturité par la croix qui
«parfait le mystère du salut de l’homme» (II 123,16-19). Plus loin dans le même mīmrā,
l’auteur postule que la croix scelle le sacerdoce pour qu’ il puisse, à son tour, accomplir les
ordres et les mystères de l’Église (II 128,15-16).
Le même lien entre maître et «rendre sage» se retrouve dans McLeod V 31-36.
En effet, à la question que les disciples posent au Ressuscité sur le temps de la
restauration (Ac 1,6), le «Maître habile» est présenté comme celui « qui assagit
tout» (mḥakem ḫūl)169, car il évite aux disciples les pensées corporelles, char-
nelles, pour les élever à la perfection. Cette sagesse inculquée à autrui n’est pas
un avènement ponctuel, mais elle est soumise à un processus qui nécessite une
formation continue:
168 Ayant utilisé, pour désigner Jésus, le terme de «scribe » de la Nouvelle Alliance (McLeod
V 23), Narsaï passe au titre de «maître» (McLeod V 31), dans une démarche qui semble
identifier le sens des deux termes.
169 La traduction que donne McLeod de mḥakem ḫūl par « all-wise» met l’ accent sur une qua-
lité appartenant au Maître divin, tandis que l’expression veut plutôt insister sur l’ acte par
lequel le Maître rend sage.
Au Maître des maîtres est attribué (ktīb ; litt. : écrit) le salut par la lecture
syllabique de notre vie,
et si celui qui apprend ne l’imite pas, il ne comprendra pas.
I 358,9-11
Comparé au titre de prophète, celui de roi est peu développé par Narsaï et il
est encore moins mis en rapport avec la gouvernance qui définirait une fonc-
tion sacerdotale. À première vue, il semble que l’ intérêt de Narsaï porte sur
une conception de la royauté du Christ en conformité avec la vision biblico-
évangélique, celle qui présente le roi céleste montant sur un ânon lorsqu’ il
entre à Jérusalem (Za 9,9; cf. Lc 19,35; Jn 12,15). Et Narsaï de commenter qu’ une
telle économie divine va décevoir les Juifs qui attendaient un roi guerrier,
d’autant plus que l’ânon choisi comme monture n’est pas l’ animal approprié
pour mener une guerre qui requiert des animaux plus forts, comme les chevaux
170 Cf. I 358,9-10. Le terme hegyan, hegyanā est polysémique et peut signifier aussi « contem-
plation». Mais il semble que, dans ce contexte, le sens de « lecture syllabique » s’ impose,
puisqu’il est suivi dans les deux stiques suivants par le terme ktībatā (écrits) et parce qu’ il
s’agit de quelque chose que le disciple doit répéter, imiter.
(PP I 387-388). Bien que Jean Baptiste proclame Jésus comme roi (Mt 3,2) et juge
(Mt 3,10-12) (PP I 173,18), et que Pilate interroge Jésus pour savoir s’ il est roi (Jn
18,33), ce à quoi Jésus ne répond pas par modestie (McLeod III 410-415)171, le
titre de roi semble être une dignité à laquelle Dieu élève Jésus pour faire de lui
son égal:
Une royauté qui a été accordée à Jésus lors de son baptême, lorsque le Père
déclara que Jésus est son «Fils bien-aimé» (McLeod II 421-422).
À vrai dire, même si Jésus fut investi de la royauté dès ici-bas, celle-ci n’at-
teignit sa plénitude qu’à l’Ascension, lorsque Jésus « monta et régna en haut,
au ciel» (Frish I 485)173. Comparé à Hénoch et à Élie, également témoins du
salut et du renouvellement de l’homme, le Christ monte au ciel, confirme les
paroles de ces derniers, lui en tant que «roi» et eux en tant que « serviteurs»
sur terre (Frish I 449-454). D’où le refus catégorique formulé par Narsaï contre
ses détracteurs, qui lui imputent sa réduction de Jésus à un simple homme et
son pouvoir royal au pouvoir des rois terrestres (Frish I 455-458). À l’ Ascension,
Jésus partagera les prérogatives divines du Père: il régnera « avec le vouloir
(divin) qui l’a élu à part de toute chose» (McLeod V 128).
Même si, dans les textes de Narsaï, on ne relève aucun indice qui rappro-
cherait la royauté de Jésus de son sacerdoce, il ne reste pas moins vrai qu’ un
171 Dans son commentaire, Narsaï va à l’encontre de la tradition évangélique qui suppose
qu’à la question de Pilate, Jésus répondit qu’il était roi (cf. Mt 27,11; Mc 15,2 ; Lc 23,3; Jn
18,37).
172 Peut-être McLeod donne-t-il un sens un peu fort à mašlem (transmettre) lorsqu’ il le tra-
duit par «surrender».
173 Cf. Ph 2,11, à la différence que Narsaï remplace le titre de Seigneur par celui de roi, utilise
le verbe amleḫ (régna) et évite d’évoquer le domaine souterrain qui sera inclus dans la
royauté du Christ.
lien pourrait être établi entre l’acte sacerdotal qui semble précéder, voire fon-
der en possibilité l’investiture royale du Christ dans l’ au-delà. Admettant que
Jésus pénètre dans le Saint des Saints du Père (PP I 589,19-590,2), Narsaï évoque
tout de suite après l’investiture royale du Christ par le Père, qui l’ invite à sié-
ger à sa droite (Ps 110,1) «jusqu’à ce que tout lui soit soumis », régnant alors
avec Dieu qui l’élève (nasūbeh) sur tout ce qui existe (PP I 590,2-4)174. Ce qui
prouve que, dans l’esprit de Narsaï, il s’agit d’une succession qui ne se réalise
pas dans le temps, mais qui se traduit par deux actes qui adviennent succes-
sivement dans l’au-delà: l’entrée de Jésus dans le Saint des Saints pour siéger
à la droite du Père et, lors de la parousie, sa venue pour juger les vivants et les
morts. À vrai dire, cette succession est à double face. Car, à supposer que l’ acte
précédent se comprenne mieux à la lumière de l’ acte suivant, ce dernier est
autonome et ne s’explique pas de façon contraignante par l’ acte précédent.
Même si, comme nous l’avons montré, l’entrée dans le Saint des Saints fut pos-
sible par Jésus comme grand prêtre, et la seigneurie que Jésus acquit le rend
apte à revenir sur terre pour un jugement universel.
174 Ailleurs, Narsaï réaffirme l’idée que c’est grâce à «celui qui l’ élève» que Jésus « soumit
tout, régna sur tout» et «accepta de juger les spirituels et les corporels» (McLeod V 213-
214). Ce pouvoir de régner et de juger accordé à Jésus homme choisi parmi tous les autres
(PP I 127,1-2) lui donne le privilège de siéger «comme un roi» (b-ṭaksā d-malkā; litt.: selon
l’ordre d’un roi) (McLeod V 279,82), pouvoir qui demeurera dans les siècles des siècles
(PP I 124,1-2).
Le sacerdoce chrétien
8.1.1 Aphraate
D’après le plan que nous venons d’annoncer, nous nous arrêterons longuement
sur la notion d’élection chez Aphraate, que nous envisagerons sous tous ses
aspects, y compris sur le sens qui lui est accordé dans l’ A.T., en évoquant les
critères qui déterminent l’élection divine. Nous passerons ensuite à l’ analyse
de l’imposition des mains, de son rapport à l’Esprit Saint et de ce qui fait sa
spécificité par rapport au don de l’Esprit accordé au baptisé. Nous terminerons
par une réflexion sur l’onction, sur ce qui la distinguerait de l’ onction royale et
sur le constat de l’absence de tout rapport entre cette onction et l’ Esprit Saint.
1 Aphraate passe en revue certaines personnalités de l’ A.T. qui font l’ objet de l’ élection divine.
Sans que soit exhaustive la liste de ces personnes, voici celles qui sont les plus représenta-
tives: Abraham est élu par Dieu en raison de sa foi (I 4,14-15 ; 497,25-26) pour qu’ il devienne
le père de tous les peuples (I 476,2-4); Jacob est élu dès le sein maternel (I 644,4) ; Joseph est
élu pour gouverner les Égyptiens (I 456,2-4) et Moïse pour gouverner son peuple (I 456,4-5 ;
788,16-18); David est élu à la place du roi Saül, lui-même élu roi par Dieu (I 644,7-9).
2 Nous considérons uniquement le peuple de l’ A.T., élu, mais cependant rejeté pour son orgueil
à cause de sa circoncision (I 472,13-16). Il sera remplacé plus tard par le « peuple saint » (cf. 1
P 2,9) qui est l’Église (I 232,3-4).
préciser les bénéficiaires de l’acte divin, même si tout laisse supposer que les
deux verbes ne correspondent aucunement à deux catégories différentes, mais
renvoient à l’ensemble des chrétiens:
Par lui, sanctifions celui qui l’a envoyé, car il a mis en nous son bon plaisir,
nous a élus en lui (gban beh), nous a réjouis en lui et nous a appelés par
lui (wa-qran beh)3.
I 684,24-25
Simon (Pierre) fit paître son (de Jésus) troupeau (ʿaneh) et, son temps
achevé, il vous a livré la bergerie (marʿītā) et s’ en alla4.
I 453,9-11
Comme si les successeurs de Pierre n’étaient pas élus par Dieu, mais recevaient
leur délégation de la part de Simon Pierre. Reconnaissons-le, cette contradic-
tion n’est qu’apparente, car les deux concepts ne se situent pas sur le même
plan. Tandis que l’élection est envisagée ici comme un concept essentiellement
théologique, en ce sens qu’elle est la prérogative du seul Dieu5, la transmission
apparaît comme un acte ecclésial, bien que conforme au dessein divin, où est
mis en valeur l’aspect de passation du statut sacerdotal d’ un précédent à un
subséquent.
3 C’est une partie d’un texte qui a été cité supra, p. 61, où nous avons commenté certaines tra-
ductions.
4 Texte que nous avons cité supra, p. 43.
5 Pour signifier que l’élection échappe à toute mainmise humaine et qu’ elle advient dans le
mystère de Dieu, il suffit de signaler qu’elle s’opère déjà « dès le sein » maternel; cf., par
exemple, I 644,4, où l’expression est dite de Jacob (Gn 25,23), comme elle peut être dite de
Jérémie (Jr 1,5) (I 645,15-16) et de Josias (1 R 13,2) (I 645,18-19). Mais il paraît que l’ usage de
l’élection et la conception qu’Aphraate en donne sont plus complexes, notamment quand,
un peu plus loin dans le corps du texte, nous évoquerons le fait que des pasteurs ont été élus
après s’être montrés compétents dans l’exercice de la tâche de faire paître des troupeaux.
Évaluée comme un choix pour le service, l’élection risque d’ être mal comprise
par des prétentieux qui la réduisent à un dû qui leur revient en propre et que
Dieu est sommé de leur octroyer:
Tu me dis: je suis apte et digne (šafīr ; litt.: bon) et Dieu m’a élu et m’a
oint pour régner sur les fils de mon peuple.
I 641,14-16
roi David (I 644,7-9)6. De ces exemples, il s’ensuit que la pensée d’ Aphraate est
en premier lieu «historique», plus précisément inspirée par l’ histoire du salut
telle qu’elle est exposée dans les Écritures Saintes.
Un deuxième aspect montrant que l’élection vise clairement le candidat au
sacerdoce est décelé dans ce lien étroit entre l’ élection et la fonction que le
candidat est appelé à exercer, fonction qui s’avère être de nature sacerdotale.
La thèse fondamentale d’Aphraate consiste à postuler que tout candidat appelé
au sacerdoce doit s’acquitter d’une tâche, qui est de faire paître un troupeau
de bêtes, pour être à même de faire paître ultérieurement le troupeau de Dieu.
Souvent7, la terminologie d’Aphraate pour désigner les deux fonctions succes-
sives est bien distincte: «faire paître» (rʿā) est employé pour les troupeaux de
bêtes et «gouverner» (dabar) pour le peuple de Dieu8. Comme l’ élection de
Moïse a pour vocation de l’établir prêtre (cf. I 788,16-18, texte déjà référencé),
il est fait appel à lui pour témoigner de la relation entre l’ activité de berger et
celle de pasteur du peuple:
Et Moïse a fait paître le troupeau de Jéthro, son beau-père (Ex 3,1) et, du
troupeau, il fut élu pour faire paître son peuple et, comme un bon berger,
il l’a gouverné (dabar).
I 445,19-21
Quant aux fils d’Israël, leur élection peut aussi avoir pour but l’ adoration et
le service cultuel de Dieu (I 740,23-26; 741,11-12). Mais elle peut aussi viser une
catégorie dans la communauté à qui revient la fonction de gouvernance: soit
pour «gouverner» la prophétie, comme cela est attesté pour Amos (cf. I 456,14-
16), soit pour gouverner le royaume confié au roi élu (I 209,23-24). Le recours
à la forme passive, «être élu», est un procédé signifiant que l’ auteur, Dieu,
6 Le dernier cas, celui de Jéhu (I 644-645), est plus complexe; nous y reviendrons lorsque nous
aborderons le thème de l’onction.
7 Dans le prochain texte que nous nous apprêtons à citer (I 445,19-21), nous ferons remarquer
que les deux verbes «faire paître» (rʿā) et « gouverner» (dabar) sont employés pour la gou-
vernance du peuple de Dieu. D’autres textes où l’emploi de l’ un ou l’ autre verbe n’ est pas
conséquent peuvent être allégués à l’appui. Ainsi, parlant des bergers en général, un seul
verbe, «faire paître» (rʿā), est employé pour la gouvernance du peuple (I 445,7-9). Plus intri-
guant encore est le constat que le verbe «gouverner» (dabar) est assimilé au verbe « faire
paître» qui, en principe, est réservé à l’acte d’élever et de s’ occuper du troupeau des bêtes:
«Et celui qui gouverne une paire de bœufs ( fadanā), qu’ il tire profit de son travail» (I 456,26-
457,1). Notons que M.-J. Pierre traduit fadanā par «charrue », à la suite de Parisot qui le rend
par «aratrum».
8 Le couple élection-gouvernance reflète un principe général, où, suppose-t-on, le candidat est
élu pour gouverner après avoir bien fait paître son troupeau (I 453,20-456,2).
est implicitement visé; quant à la forme active, elle renvoie à Dieu ou au Fils
pour signifier qu’ils sont les auteurs de l’élection (cf. les deux textes déjà cités:
I 453,5-7; I 641,14-16). Dans cette perspective, il est important de noter le recours
à la forme passive, «être élu» (etgbī), pour l’élection de Matthias – Aphraate
écrit Tolmai – à la place de Judas pour que le groupe des apôtres redevienne
Douze (Ac 1,15-26) (I 149,21-23).
Il nous reste à aborder les critères qui sont au fondement de l’ élection, moins
dans le but de les étudier pour eux-mêmes, que parce qu’ ils confirment que
l’ élection est en premier lieu un acte de Dieu. En effet, Aphraate rejette toute
proposition insinuant une justification de l’élection par un quelconque mérite
de l’homme. Celle-ci, affirme Aphraate, est un don totalement gratuit de Dieu.
Transférant ce qui est dit du Christ sur Aaron (He 5,5), ce dernier, dit
Aphraate, «ne s’est pas glorifié de devenir grand pontife » (I 645,21-22). Autre-
ment dit, Aaron était pleinement conscient que le don qui lui fut fait du
sacerdoce est loin d’être le fruit de ses talents ou qualités. De même, conti-
nue Aphraate, par son refus d’accepter la proposition de Dieu d’ être « dieu
pour Pharaon et chef des fils de son peuple» (I 645,22-27), Moïse atteste que
l’ homme n’est pas seulement une pierre d’attente pour l’ accueil du don divin,
mais qu’il est capable de refuser ce don. Et Aphraate de dresser une liste des
dons humains qui ne peuvent en aucun cas justifier l’ élection divine : la haute
taille du roi Saül (1 S 10,23-24), la mine avenante d’ Éliab (1 S 16,6-7), ou la per-
fection de la beauté d’Absalom (2 S 14,25) (I 648,1-4). Tout cela ne fait que
prouver que l’élection divine ne se plie pas aux critères humains et que, bien
au contraire, elle cherche à pénétrer le fond du cœur humain sans s’ arrêter aux
apparences (1 S 16,7), ou, comme le dit l’Apôtre des nations, elle privilégie les
« sots» aux sages, les «faibles» aux forts et les gens humbles aux prétentieux
(1 Co 1,27-30) (I 648,5-13). Il n’est pas besoin de rapporter ici tous les textes scrip-
turaires qu’Aphraate collectionne pour témoigner d’ une élection, acte de Dieu
qui ne doit rien aux mérites humains par lesquels on tente de la justifier9.
Les lourdes conséquences d’une élection divine pleinement gratuite sont
pertinentes: aucune différence ne peut être postulée entre les êtres humains,
pour la simple raison qu’ils «sont tous des créatures de Dieu » (I 648,17-20) ;
à cette raison créationnelle, une autre raison inspirée par la place qu’ occupe
désormais l’homme dans l’histoire du salut se fonde sur Ga 3,28, d’ après la-
10 À vrai dire, Aphraate juxtapose les deux raisons, créationnelle et salvifique, sans se donner
la peine de les distinguer. Mais à bien regarder les choses, la raison « créationnelle», valide
pour «tous les hommes», ne peut être confondue avec la raison « salvifique » légitimée par
le baptême chrétien et la relation avec le Christ.
11 Texte cité supra, p. 44.
12 Cf. Nb 27,23; Dt 34,9. Dans Dt 34,9, l’expression est « esprit de sagesse» (rūḥā d-ḥekmtā,
Mais l’Esprit Saint obtenu par l’imposition des mains et conféré à une caté-
gorie de personnes, ne dévoile pas seulement une distinction avec l’ imposition
telle qu’elle est pratiquée dans l’ A.T. Plus encore, donnée à certaines personnes
de la communauté et non pas à celle-ci tout entière, l’ imposition semble les
doter du don de l’Esprit, lequel don ne peut être identifié chez Aphraate à
celui accordé à tous les baptisés. Sans avoir à revenir à l’ Esprit accordé aux
chrétiens13, rappelons que l’Esprit définit la réalité eschatologiquement nou-
velle du régime chrétien. Car, dit Aphraate, si durant la période juive Dieu
demeurait dans la tente pour un temps, avec les temps christiques, les chrétiens
deviennent la demeure de l’Esprit Saint à jamais (I 525,1-4)14. Cette forma-
tion d’une catégorie à l’intérieur de la communauté grâce à l’ imposition des
mains est encore évoquée dans un autre texte, de couleur parénétique, mais
sans aucune référence au don de l’Esprit. Là, Aphrate dénonce le comporte-
ment de certaines personnes (našīn) qui, dans le but d’ assouvir leur cupidité
pour le pouvoir, manœuvrent pour recevoir l’imposition des mains, en oubliant
qu’elles doivent avant tout être habitées par la crainte de Dieu devant un si
grand mystère:
En effet, au sujet de l’imposition des mains (syam īdā) que certains re-
çoivent de nous15, c’est simplement à propos de l’ imposition qu’ ils se
disputent. À notre époque, il ne se trouve guère quelqu’ un qui, diligem-
ment, demande: «Quel est celui qui craint Dieu ? », mais « quel est celui
qui est doyen par l’imposition des mains?».
I 633,10-15
Dans la suite du texte, l’auteur blâme ceux qui recherchent les places et les
titres d’honneur, en faisant référence à l’Évangile (Mt 23,6-7 et parall.). Si l’ on
fait abstraction du contexte polémique qu’Aphraate exploite pour discréditer
les avides du pouvoir, il est incontestable que l’imposition des mains est accor-
dée à un groupe de personnes à l’intérieur de la communauté. Dans sa visée
ultime qui tend à consacrer une personne en vue d’ une mission au service de
la communauté, cette imposition n’est pas à confondre, dans l’ esprit de notre
docteur, avec une imposition des mains aux malades. Celle-ci, d’ après Mc 16,17-
18, est donnée par «ceux qui auront cru» à la parole des apôtres et qui, pour
cette raison, seront destinés à prêcher la Bonne Nouvelle après la résurrection
de Jésus et à imposer les mains aux malades (I 41,19-22). Puisqu’ Aphraate se
limite au texte de Mc 16 sans se donner la peine d’ identifier les auteurs nommés
dans le discours de Jésus, il est difficile de préciser l’ identité de « ceux qui ont
cru»: seraient-ils identifiés à tout chrétien, ou désigneraient-ils les successeurs
des apôtres dans leur tâche de gérer la communauté? Le fait de taire les deux
autres exploits attribués à ces «croyants» dans Mc 16,18, à savoir maîtriser les
serpents et être immune au poison, laisse supposer que les deux autres fonc-
tions que sont la glossolalie et l’exorcisme pourraient être propres aux apôtres.
Mais cela reste une hypothèse, car Aphraate peut ne pas exclure les baptisés de
ces deux dernières fonctions qui reviennent à tout fidèle chez Paul.
De cet exposé sur l’imposition des mains, on constate qu’ Aphraate fait un
choix sélectif des textes scripturaires relatifs au thème qu’ il étudie. On est
même surpris que des textes importants sur cette imposition aient été oubliés
ou négligés, tels que 1 et 2Tm et Ac 8 et 1916, ce qui prouve que notre docteur
n’avait aucune intention de cerner la totalité du sujet. Si le but recherché est de
fonder sa thèse sur un répertoire restreint de textes scripturaires, ce but est sans
conteste atteint. D’une part, Aphraate est parvenu à distinguer l’ imposition
des mains dans l’Ancienne Alliance de celle qui donne l’ Esprit dans la nou-
velle Alliance. D’autre part, il a bien montré que l’ imposition concerne un
groupe restreint, choisi dans la communauté, pour une mission salvifique dont
les détenteurs se trompent en se croyant supérieurs aux autres membres de
la communauté. Néanmoins, Aphraate ne se préoccupe pas de réfléchir sur la
spécificité du don de l’Esprit aux personnes élues par rapport aux autres cha-
rismes, ou de la relation qu’il entretient avec le don de l’ Esprit au baptême.
Encore moins s’interroge-t-il sur l’effet que produit ce don sur la personne
qui le reçoit, notamment en cherchant à savoir si ce don est permanent ou
s’ il crée une transformation profonde chez son bénéficiaire. Ces lacunes souli-
gnées, on ne peut certes en faire grief à notre écrivain dont l’ intention est moins
d’épuiser le sujet qu’il traite que de considérer les aspects de la problématique
qui l’intéressent.
16 Dans I 529,10-17, le commentaire que fait Aphraate ne va pas au-delà d’ Ac 19,1-5, ce qui
signifie que l’imposition des mains qui est mentionnée dans Ac 19,6 n’entre pas en ligne
de compte, contrairement à ce que laisse suggérer la référence de Ac 19,1-7 que donne M.-
J. Pierre.
Nos frères18 nous embobelinent, nous apportant une réplique insipide qui
ne tient pas: à l’image de ces temps mauvais, Dieu nous a placés chefs du
peuple de Dieu, à l’instar de Jéhu qui fut oint dans la chambre (2 R 9,2).
I 644,9-13
17 Nous n’entrons pas ici dans la discussion portant sur l’ identité de ce chef ecclésiastique,
qu’on identifierait à Syméon Bar Sabbaé, et qui, semble-t-il, s’ est imposé de force à la
communauté, ou s’est fait oindre comme tel par une faction ; sur ce point, cf. M.-J. Pierre,
Introduction, p. 49-50. Pour notre part, ce qui nous intéresse, c’ est la conception théolo-
gique qui sous-tend la situation historique et le rôle qu’ y jouent les personnages politico-
religieux.
18 Parisot et M.-J. Pierre à sa suite lisent le terme aḥayn (nos frères) comme une apostrophe
qu’ils traduisent d’ailleurs sans le pronom possessif « nos ». Il nous semble cependant
que le terme serait mieux compris comme sujet des deux verbes « embobelinent » et
«apportent», ce qui implique que ce sont ces «frères» qui prétendent avoir été placés
comme chefs du peuple.
enfants du peuple19. Autrement dit, quel critère Aphraate met-il en valeur pour
contredire son interlocuteur: est-ce le désaveu de Dieu quant à une promesse
faite à l’homme, ce qui justifie le renvoi de l’onction de Jéhu à une date ulté-
rieure, ou bien la profusion des péchés qui a nécessité l’ onction du roi au plus
vite? Si l’on croit qu’Aphraate penche pour ce dernier critère, il faut admettre
qu’il va dans le sens défendu par le chef ecclésiastique, qui justifie son choix et
son onction en évoquant «l’image de ces temps mauvais ».
La deuxième objection qu’Aphraate adresse à ce chef consiste à exclure
toute comparaison entre l’onction de Jéhu et celle reçue par le prêtre. Car, dit-
il, si Jéhu a été élu pour exterminer la maison d’ Achab, lui comparer le prêtre
oint serait attribuer à ce dernier la tâche
de se lever sur le peuple afin que, s’étant levé, il extermine (mawbed) tous
ses frères, de les mettre aux fers et de les excommunier, comme Jéhu a
dévasté et exterminé (awbed) toute la maison d’ Achab20.
I 645,3-6
19 I 641-14-16. Le texte a été cité supra, p. 345. En le commentant, on a fait ressortir une rétrac-
tation de la part de Dieu qui dément une promesse qu’ il a donnée, quand l’ homme ne se
conforme pas aux desseins de Dieu qui l’a élu.
20 Le verbe «perdre» que choisit M.-J. Pierre n’est pas approprié pour traduire le verbe
awbed, nawbed, qui a le sens fort d’exterminer. En outre, nous jugeons inappropriée la
traduction que propose M.-J. Pierre pour I 645,1-3: « Si donc c’ est à Jéhu que l’ on com-
pare la situation, alors comment se fait-il que ce soit à un prêtre qu’ il ait été commandé
de se lever sur le peuple?». En fait, dans le texte syriaque, il n’y a aucun indice qui
suggérerait la présence d’une question «comment se fait-il que », interrogation souli-
gnée aussi par Parisot. La proposition dans le texte est à la forme active, affirmative, et
nous proposons de la traduire comme suit: «Si donc c’ est à Jéhu qu’ ils comparent la
chose, alors (il s’ensuit) que c’ est ainsi qu’il a été commandé au prêtre de se lever sur
le peuple».
21 On a discuté, supra, p. 24, n. 58, de la traduction des « oints » (mšīḥayē) qui, dans ce
contexte, renverraient aux adeptes du Christ, l’Oint (mšīḥā) par excellence, donc aux
«chrétiens» qu’il faut distinguer des autres oints qui sont les prêtres, les rois et les pro-
phètes.
22 En consacrant une note au texte que nous analysons, M.-J. Pierre, p. 881, n. 20, renvoie à
trois autres textes d’Aphraate, où, selon elle, la bénédiction est identifiée à l’ onction ; les
textes qu’elle référence sont Exp 5,21, n. 34 (I 225); 5, 23, n. 36 (I 232) ; 6,1 n. 21 (I 249). En
fait, dans les trois textes répertoriés, il n’est pas question de bénédiction, ou d’ onction. La
seule allusion proche de notre texte se trouve dans I 232,17-18, où il est question du signe-
sceau (rūšmā) dont sont marqués les fils du royaume.
pensée de l’auteur, ce qu’on peut affirmer avec certitude est la présence d’ une
onction accordée aux prêtres, comme aux autres, et qui semble avoir accom-
pagné l’imposition des mains. Il faut attendre Éphrem pour voir l’ onction liée
à l’action de l’Esprit.
8.1.2 Éphrem
Chez Éphrem, la théologie de l’élection se trouve liée à des événements histo-
riques précis et exprimée par un vocabulaire encore plus développé que chez
Aphraate. En fait, en consacrant une bonne partie de ses Carmina Nisebena
aux évêques de Nisibe, Éphrem est sommé d’évoquer le thème de l’ élection23.
Cependant, contrairement à Aphraate chez qui les deux termes « grâce» et
« don» ne sont jamais appliqués au sacerdoce24, Éphrem conçoit celui-ci
comme une grâce divine. Tout comme Aphraate écarte le terme de « don »
(mawhabtā) de toute connotation sacerdotale, Éphrem n’accorde pas un sens
sacerdotal à l’expression «mettre à part» ( fraš)25. Une preuve des plus claires
que nos auteurs ne sont pas tenus de donner une vision complète des sujets
qu’ils étudient et de les appuyer par la terminologie biblique appropriée.
23 Les trois premiers évêques, Jacques, Babu et Vologèse, sont évoqués dans CNis 13-16,
l’évêque Abraham, successeur de Vologèse, dans CNis 17-21 et une allusion est faite à
l’évêque Barsēs dans CNis 29. Nous avons noté, surpa, p. 22, n. 53, qu’ Aphraate ne parle
d’un métropolite qu’avec un langage codé, sans le nommer.
24 Cf. infra, p. 362 et n. 47.
25 On y reviendra dans le paragraphe suivant consacré au thème de l’ élection.
26 Nous avons exposé la thèse de Beck dans notre Liberté, p. 7-13, où nous avons émis
quelques réserves et formulé quelques intuitions à son sujet. Nous n’ y reviendrons plus
pour la simple raison que le sujet nous éloigne de la problématique qui nous préoccupe
ici.
27 À moins de nous tromper, nous n’avons rencontré qu’ une seule fois le terme « appeler »
dans le contexte du choix des apôtres: «Il appela (qrā) et envoya les apôtres» (Virg 8,13,
texte cité plus loin dans le corps du texte).
terme šlīḥā = apôtre) pour les seconds (Nat 22,21). Toutefois, cette occurrence
n’est pas une contrainte, car l’envoi des apôtres est nécessairement précédé par
leur appel, leur élection, comme le montre une autre affirmation d’ Éphrem: « Il
appela et envoya les apôtres» (Virg 8,13).
Le verbe «envoyer» employé pour les apôtres renvoie déjà à un acte posé par
Jésus de l’histoire. En effet, eu égard à l’élection des hérauts par Jésus, Éphrem
dévoile la crainte de Satan de voir son kérygme s’estomper (CNis 60,13). Il appa-
raît qu’Éphrem assigne à Jésus, appelé «Agneau vivant», l’ élection non seule-
ment des apôtres, mais également des «pasteurs» de l’ Ancienne Alliance, tel
qu’Abel, ou ceux qu’il nomme «bouchers» (nakūsē), tel Abraham qui
s’ apprêtait à immoler son fils Isaac remplacé à la dernière minute par un
bélier (Gn 22,13) (Crucif 2,7-8). Dans le choix d’ Isaac, Éphrem justifie toute
l’ économie salvifique le concernant par l’intervention de Jésus qui choisit les
« symboles» (razē) qui le représenteraient (ibid.). Mais le Jésus de l’ histoire
a-t-il toujours fait le bon choix? Ne s’est-il pas trompé en choisissant Judas Isca-
riote comme l’un de ses Douze? Mettant en doute la connaissance de Jésus, ces
objections semblent émaner d’un milieu théologique implicitement arien28. À
ces objections, une première réponse formulée par Éphrem consiste à rejeter
toute idée d’ignorance du Fils dans le choix qu’il fait de Judas29.
La deuxième réponse à cette élection ne se rapporte pas à la connaissance
de Jésus, mais à la bonne intention qui sous-tend le choix de Jésus, auquel
s’ oppose la mauvaise attitude de Judas:
28 On s’attendait à ce que de telles objections se trouvent formulées dans les deux collec-
tions, HdF et SdF, où Éphrem mène un combat acharné contre les Ariens. Il n’en est rien.
Cependant, du moins dans CNis 35,17 que nous citerons un peu plus loin, il est clairement
affirmé que Jésus est considéré – ici par Satan, mais c’ est une forme de style parabolique –
comme un «ignorant» (lā yadūʿā) quand il a procédé à l’ élection de Judas.
29 Cf. CNis 35,17; Az 15,30, deux textes cités supra, p. 48.
30 Ce texte a été cité supra, p. 31.
31 Rappelons le sens d’épiscopat qu’a le terme rīšanūtā, que nous avons relevé à la suite de
Beck, supra, p. 26 et n. 65.
32 Deux remarques concernent cette strophe. La première est relative à la traduction que
propose Beck du terme polysémique ṣayadan par « notre chasseur » (unser Jäger), à
laquelle nous préférons «pêcheur», étant donné que les apôtres sont appelés par ce nom
et jamais qualifiés de chasseurs. La deuxième remarque porte sur la comparaison de la
position d’Éphrem avec le zèle de l’Apôtre des nations et les critères qu’ il définit dans le
choix divin (1Co 1,26-29). Et le constat est plus que surprenant, car Éphrem semble surpas-
ser les textes pauliniens lorsqu’il appelle l’évêque à « pêcher » les méchants par les bons,
les pilleurs par les bienfaiteurs et les impurs par les saints.
33 Nous excluons les textes où la formule citée ne désigne pas le but, mais la manière ou le
moyen par lequel l’élection eut lieu, telle celle «Béni soit celui qui t’ a élu dans la concorde
(b-awyūtā)» (CNis 18,3). Ce dernier terme ne signifie pas qu’ il y eut une entente entre le
candidat à l’épiscopat et la communauté, mais que le candidat s’ est remis à l’ amour pour
parvenir à son but sans recourir au combat pour obtenir le poste auquel il est destiné.
est peu utilisé par Éphrem, ou celui de «mettre à part » ( fraš) ? Concernant le
dernier verbe, nous avons déjà fait remarquer que le sens prépondérant que la
Bible lui donne est totalement ignoré par Éphrem, au point qu’ il ne l’ applique
jamais au choix des évêques. Dans le cadre de son discours sur ces derniers, le
seul sens qu’Éphrem accorde au terme fraš est « se séparer» plutôt par la mort,
donc mourir34. En revanche, la seule occurrence où le terme semble acquérir le
sens de «mettre» ou «se mettre à part» est attestée lorsqu’ il est soutenu que
Judas, à la dernière Cène, «se sépara», ou «se mit à part » ( fraš nafšeh) des
autres apôtres et sortit35. Encore que le terme n’ait pas la force dont il est doté
lorsqu’il désigne une «mise à part» en vue d’une mission à accomplir. Car, à
bien regarder les choses, le terme fraš peut bien inclure la « mise à part » dans
le sens de séparer, comme dans la séparation du peuple et des peuples (Virg
31,10), dans celle établie entre le corps, appelé poussière humaine et destiné
à devenir le vêtement du Fils et à jouir de la résurrection, et les autres pous-
sières animales et matérielles (CNis 43,18-20), ou encore dans la séparation de
l’ âme et du corps36. Même lorsqu’il est dit que Jésus « se sépara ( fraš) des anges
et descendit auprès des hommes» (Nat 26,5), le sens de séparation l’ emporte
sur celui de la «mise à part», et la comparaison dans la même strophe avec la
séparation entre les eaux et les eaux (Gn 1,7) en est bien un indice probant37.
Ceci, sans évoquer la distinction ( fūršanā) qui existe entre les Personnes de
la Trinité38, entre Dieu et sa création39, ou entre les créatures40, y compris
entre les personnes humaines41, et cela dans une perspective qui écarte à la fois
deux écueils: d’une part le mélange où les propriétés de chacun des éléments
s’ estompent, et d’autre part, la séparation totale où aucun rapport n’est sau-
vegardé entre les parties mises en relation. Nous ne nous arrêterons pas sur le
sens de «discernement» que prend le terme fūršanā, un acte par lequel l’ esprit
34 Cf. CNis 17,1.5.11. La seule occurrence où le sens de mise à part est explicitement exprimé
se trouve dans CGEx 140,8-9, mais il n’est pas dit des personnes, mais des animaux excel-
lents qui sont «mis à part» pour faire l’objet de l’offrande. Dans Nat 7,2, le terme est dit
des dons que les Mages répartissent entre Marie, Joseph et l’ Enfant divin.
35 Az 14,20.22. Dans Jn 13,30, on a seulement le terme « sortit » et non pas celui de fraš, ou
fraš nafšeh.
36 CNis 49,13; 51,4.9; Eccl 16,5; PrRef II 151,15-21, 154,40-155,6. Souvent, il est dit que la mort
sépare les trépassés de leurs bien-aimés (CNis 74,13; 75,5-9.13-14.17-18), ou que l’ homme se
sépare de la vie par la mort (Virg 36,9; Eccl 16,2.6).
37 Pour la séparation entre les deux eaux, cf. aussi CGEx 15,19-20 ; 17,25-27.
38 Cf. notre Pensée symbolique, p. 208-217.
39 Cf. SdF 152-164; cf. notre Pensée symbolique, p. 152-153.145.
40 Sur ce sens de séparation, cf. à simple titre d’illustration CNis 43,8 (entre la terre et l’ or),
43,20 (entre la terre et le cuivre), Eccl 8,5 (entre le cuivre et l’ or), etc.
41 À titre d’exemple, cf. la séparation entre Géhazi cupide et son saint maître Élie (Eccl 11,5).
distingue les éléments qui se présentent à lui, ce qui lui permet de porter un
jugement d’appréciation plus clairvoyant42.
Cet aperçu sur l’emploi du terme fūršanā prouve de façon certaine
qu’Éphrem ne s’est pas intéressé à son sens de « mise à part » qu’ il aurait pu
appliquer au choix des évêques de Nisibe, ou même au choix d’ une personne
destinée à l’accomplissement d’une mission pour la communauté.
N’ayant pas tiré profit du sens scripturaire du verbe fraš et de ses dérivés,
Éphrem se devait de se contenter du verbe «élire » (gbā) pour traduire le choix
des ministres sacerdotaux. Si Aphraate souligne la gratuité divine du choix,
Éphrem va encore plus loin en associant, comme pour en identifier le sens, le
verbe «élire» qu’il applique aux évêques de Nisibe, et le verbe « créer» (brā)
qui, chez Éphrem, signifie la création ex nihilo43 :
Celui qui créa (brā) deux luminaires se choisit trois astres (nahīrē).
Il les a placés (qbaʿ enūn ; litt.: les a fixés)44 dans trois ténèbres, les sièges
(de la ville de Nisibe) qui ont eu lieu;
les deux (premiers) astres sont éteints, le dernier brille (encore) entière-
ment.
CNis 13,2
42 Là aussi, nous sommes contraint de renvoyer à notre Liberté, p. 6-19. On peut consulter
maintenant Den Biesen, Simple and Bold, p. 177.183-184.202-203.275-276.317.323. Den Bie-
sen croit percevoir dans le discernement un troisième élément d’ un groupe ternaire formé
par le Créateur et les créatures, la foi et la raison, la parole et le silence, etc., ayant la fonc-
tion d’arbitrer un dialogue entre deux interlocuteurs.
43 Pour ce sens de brā, cf. notre Liberté, p. 143-147.
44 Faut-il traduire, comme le fait Beck qui ajoute à «les a fixés» l’ expression « au ciel » (im
Himmel), comme si le terme qbaʿ devait être pris dans un sens littéral et, par conséquent,
renvoyer nécessairement à un lieu?
rence celle de l’évêque Abraham, Éphrem justifie son élection par l’ épreuve
d’authenticité (nesyanā da-šrareh) à laquelle il fut soumis étant « à l’ intérieur
du troupeau»45, et qu’il traverse avec succès (CNis 17,4). En se référant peut-
être à la doctrine enseignée par l’évêque et qui est évoquée à la strophe pré-
cédente, Beck traduit nesyanā da-šrareh par «orthodoxie » (Rechtgläubigkeit).
Mais il est encore possible d’assigner cette épreuve à une orthopraxie si on
se réfère à la deuxième partie de la même strophe 4, où ce sont le jeûne, la
prière et les offrandes de l’évêque qui constituent les murailles qui protègent
Nisibe. Un exemple similaire est donné par l’importance de la « mesure de la
vérité» dans l’élection de l’évêque Vologèse qui, le premier, s’ est montré lui-
même fidèle à cette vérité (CNis 15,11). Comme dans le contexte sur l’ évêque
Abraham, on trouve que, là aussi, Éphrem met plutôt l’ accent sur la doctrine,
en accusant ses frères, les Nisibiens, d’avoir «troublé les mesures» avant de
redevenir disciples du Maître parfait, tandis que, dans la strophe suivante (CNis
15,12), l’argument est plutôt d’ordre éthique, étant donné que la mesure res-
pectée par l’évêque se réduit à sa maîtrise de soi dans ses rapports avec ses
fidèles.
Quoi qu’il en soit, cette digression sur la notion de véracité peut être éclai-
rante pour déterminer la manière dont le candidat contribue, par une certaine
prédisposition, à sa propre élection. En effet, Éphrem n’hésite pas à soute-
nir que la «mesure de vérité a choisi (l’évêque), après avoir constaté qu’ il l’ a
(déjà) lui-même choisie» (CNis 15,11). Est-ce à dire que cette option de l’ évêque
pour la vérité-véracité – quel que soit le sens qu’ on donne à ce terme – consti-
tue comme une exigence contraignante qui détermine le choix de Dieu, ou
s’ agirait-il plutôt, comme le dit souvent Éphrem, d’ un prétexte (ʿeltā) pour jus-
tifier l’action de Dieu et l’exonérer de tout blâme qui l’ accuserait d’ injustice
envers ceux qui sont exclus de ce choix46 ?
Étant donné que les affirmations d’Éphrem sur le choix des évêques nisi-
biens ne suffisent pas pour qu’on se forme une idée claire sur l’ élection divine
en rapport avec la collaboration humaine, il serait intéressant de prendre
l’ exemple le plus typique et le plus représentatif où l’ élection divine est mise en
rapport avec une présupposée coopération de l’homme : celle du peuple et des
peuples. Pour montrer à quel point les peuples, abandonnés d’ abord par Dieu
qui leur préfère le peuple, sont méritoires aux yeux de Dieu, Éphrem oppose
l’ élection que Dieu réserve au peuple à celle que les peuples se font d’ eux-
mêmes, en conformité avec la volonté divine:
Toutefois, il est important de préciser que ce ne sont plus les peuples qui
prennent l’initiative de s’insérer dans le plan divin. En fait, ils sont choisis
(etgbī) grâce à leur authenticité qui contraste avec la fausseté du peuple :
Loin de pouvoir se targuer d’être les initiateurs d’ un tel choix, les peuples sont
objet d’élection grâce à deux facteurs: la miséricorde du Christ qui, contraire-
ment à la loi juive, est capable de tolérer les taches de ceux qu’ il choisit, et la
pénitence des peuples qui incite le Fils à accorder sa miséricorde :
Dans ce dernier texte, il n’est pas clairement affirmé que la conversion des
peuples constitue une condition nécessaire pour l’ élection divine. Elle est
même pressentie comme une conséquence qui répond à la miséricorde du Fils,
si elle n’est pas en concomitance avec elle.
Face à cette dialectique où l’homme ne peut s’ enorgueillir d’ avoir mérité
son choix, Éphrem nous dépeint la réaction du Fils devant une demande dis-
proportionnée, en montrant que sa seule réponse est le refus d’ y donner suite.
L’exemple le plus éloquent est celui des deux fils de Zébédée qui, par leur
zèle blâmable et par leur demande qui surpasse les limites du raisonnable,
« choisissent pour eux-mêmes (negbūn l-hūn) des rangs supérieurs » (Eccl 25,7).
On en déduit que la contribution de l’homme à l’ élection divine se joue au
niveau de sa finitude, de sa petitesse, ce qui déclenche un surdon de la misé-
Le don qui t’a été accordé s’est envolé et est descendu d’ en haut.
Ne le nomme pas d’un nom humain, ne l’attribue pas (tetleh ; litt. : le
suspend) à une autre force.
Car aucune (force) ne peut monter jusqu’à son lieu. Satan, le rusé, fait
croire
que ce sont des hommes qui te l’ont donné. Ce don (mawhabtā) est
libre (bat ḥīrē).
47 Pour Aphraate, le don par excellence que Dieu le Père accorde au monde est son Fils (II 96-
97). Parmi les charismes (1Co 14), il cite notamment l’ amour (II 81,9v), à côté d’ autres
tels que le royaume (II 92,19-20), la virginité (I 841,16-17), la béatitude donnée aux pauvres
(I 924,5-7), le «don de la guérison» (II 9,1).
48 Cf. supra, p. 350. Rappelons la formulation typique d’ Aphraate, dans laquelle il est dit
que Jésus imposa ses mains aux apôtres et alors «ils reçurent l’ Esprit Saint » (I 960,25-
27).
49 Tout comme Aphraate, Éphrem considère que le Don en personne, le don par excellence
que le Père fait à l’humanité est son Fils unique (cf. Nat 8,14, même si, dans ce texte, c’ est
le Fils qui se donne à l’homme; cf. aussi Nat 23,8; CH 37,2)). Beck, Dōrea und charis, p. 8-10
développe encore plus ce thème du Fils comme don du Père. Les charismes sont égale-
ment attestés chez Éphrem, parmi lesquels on retient: la liberté (CH 11,1 ; Eccl 22,3) et son
associée, la parole (SdF II 251-252; 305-308; Ov 21,18-19), la connaissance (SdF II 255-256),
le royaume (Virg 34,9-10), les deux Testaments (Ieiun 6,4).
Il est vrai, et cela n’est pas sans susciter l’étonnement, qu’ Éphrem n’évoque
le sacerdoce comme don qu’une seule fois dans les hymnes consacrées aux
évêques de Nisibe. Toutefois, en l’absence du terme lui-même, certaines affir-
mations d’Éphrem peuvent y renvoyer. C’est bien le cas lorsqu’ Éphrem établit
un rapport entre le don d’Élie, son esprit, à son disciple Élisée (2 R 2,9), et
l’ éloquence que transmet le maître Vologèse à l’ évêque Abraham: en repre-
nant les paroles de Vologèse, dit Éphrem, Abraham devient cithare de l’ Esprit :
Il faut bien reconnaître que, dans ce texte, ce n’est pas le sacerdoce qui est
considéré comme don, mais bien l’Esprit Saint qui, dans ce contexte, n’est pas
source du don du sacerdoce, mais sa source d’inspiration. L’Esprit joue le rôle
d’une cithare qui habilite l’homme à chanter non pas ses propres volontés,
mais bien la volonté de celui qui l’inspire.
Une autre allusion au sacerdoce comme don – dans la mesure où le diaco-
nat constitue pour Éphrem un élément constitutif du sacerdoce – est la remise
par le Fils du «bâton des pasteurs» à Éphrem que celui-ci perçoit comme un
sur-don qui le comble et le déborde. De plus, le passage d’ Éphrem de l’ état de
« disciple» (talmīdā), de simple fidèle, au rang de diacre, de celui qui tient le
« bâton des pasteurs», est clairement exprimé, suggérant que le don du dia-
conat est un «surcroît» par rapport au fait d’être simple chrétien. C’ est ce
qu’Éphrem reconnaît en s’adressant à son donateur :
50 Pour Beck, Dorea und charis, p. 6, le sens de cette strophe s’ éclaire par le contexte arien
avec le recours à l’empereur pour la démission et la nomination des évêques.
51 La traduction de Beck par «und ihm in die Hand gegeben » ne suggère pas qu’ il y ait un
«plus» par rapport à ce qui précède, le fait que le Seigneur a fait d’ Éphrem un « disciple »,
donc un chrétien. Même si, dans la suite du texte, Éphrem énumère d’ autres dons qui ne
pouvoir à cause de la royauté (SdDN 53,9-11). Éphrem revient une dernière fois à
ces trois dons assumés par le Fils, à la fois pour légitimer leur reprise au peuple,
mais aussi pour leur restituer leurs fonctions initiales : au sacerdoce, la sanctifi-
cation de tous les peuples, à la prophétie, la révélation des promesses divines à
tous et, à la royauté, la victoire sur Satan et l’abolition de son règne (SdDN 53,12-
15).
Ce commentaire presque linéaire du texte d’ Éphrem met en évidence la
conception du sacerdoce comme don de Dieu, qu’ on trouve associé à la pro-
phétie et à la royauté. Si le sacerdoce de l’A.T. est ainsi considéré par le docteur
syriaque, combien plus devra mériter ce titre le sacerdoce que le Fils accorde à
ses disciples55.
55 Ainsi, parlant de l’imposition des mains qui débuta avec Moïse et parvient jusqu’ au Fils,
Éphrem utilise le verbe «donner» pour exprimer sa transmission aux apôtres : « Notre Sei-
gneur la donna à ses apôtres» (CH 22,19).
56 En ajoutant le mot «ainsi » qu’il met entre parenthèses, Beck accentue la contempora-
néité des deux actes de l’imposition et de l’onction: « weil (auch) die Salbung abbrach ».
même est évident et les deux actes semblent former deux éléments constitutifs
du supposé rite qui fait accéder au sacerdoce.
Un deuxième constat ne manque pas de susciter la surprise : Éphrem ne
se soucie guère d’évoquer l’Esprit Saint en connexion avec l’ imposition des
mains. Sur ce point, reconnaissons-le, Aphraate est plus explicite en adoptant
une position plus proche des textes bibliques. Cependant, ceux qui sont fami-
liers de la pensée d’Éphrem savent bien que celui-ci n’est pas tenu à fournir
tous les éléments d’un événement ou d’un acte; ce constat, par conséquent, ne
doit pas amener pour autant à conclure que l’absence d’ un élément est signe
de son exclusion. Autrement dit, un lien entre imposition et Esprit Saint peut
avoir existé dans l’esprit d’Éphrem, mais il se peut que pour des raisons à tout le
moins justifiables, telles que la supposition que le geste de l’ imposition inclue
en soi un renvoi à l’Esprit, le docteur syriaque ait estimé qu’ il n’ était pas néces-
saire de s’y référer explicitement.
Ceci dit, l’absence de la mention de l’Esprit ne devra pas conduire à mini-
miser la valeur de l’imposition, qui est sauve. Dans l’ argumentation qu’ il déve-
loppe à son sujet, Éphrem la présente comme un élément fondamental dans le
don du sacerdoce, au point qu’elle forme avec celui-ci une unité et en devient
un synonyme57. Quant aux circonstances majeures dont profite Éphrem pour
exposer sa réflexion sur l’imposition, elles se réduisent au nombre de deux :
la polémique contre les hérétiques et son discours à l’ adresse des évêques de
Nisibe. Dans l’argumentaire qu’il élabore contre lesdits hérétiques58, Éphrem
présente l’imposition des mains comme un élément ecclésial, qui constitue
un critère irréfutable de la véracité et de l’authenticité de la transmission du
sacerdoce59. À vrai dire, Éphrem fait remonter le don du sacerdoce à Dieu qui
57 Les textes que nous allons analyser le montrent bien. Il suffit de constater que, dans plu-
sieurs textes, Éphrem parle de l’imposition sans avoir à faire une quelconque allusion au
sacerdoce lui-même.
58 Ces hérétiques sont nommés dans CH 22,20: les Aétiens, les Ariens, les Sabelliens, les
Cathares, les Photiniens, les Audiens; en plus des noms précédemment relevés, d’ autres
sont cités dans CH 22,2-4: Marcion, Valentin, Bardésane, Mani, les Pauliniens, les Bor-
boriens et les Messaliens. Pour les noms en français, nous suivons de Halleux, Éphrem
théologien, p. 39.
59 Dans True Church (l’article en entier) et Church of Syria, p. 106-108, Griffith envisage
l’imposition des mains et la succession apostolique dans une recherche visant à définir les
critères de la véritable Église. Avec le nom de chrétien en référence au Christ d’ une part,
et la totalité des Écritures et des trois sacrements d’ autre part, l’ imposition des mains et
la succession apostolique forment les critères externes de la catholicité de l’ Église, tan-
dis que la foi nicéenne en constitue le critère interne. Nous reviendrons à la succession
apostolique dans l’épilogue, à la fin de ce chapitre.
l’ accorde à Moïse lorsqu’il «reposa (agen) sa main60 » sur lui, et que la succes-
sion s’étendit de Moïse à Aaron, d’Aaron à Jean Baptiste, de ce dernier à Notre
Seigneur qui le transmit à ses apôtres et que, dès lors, la transmission continue
dans «notre Église» (CH 22,19).
Dans un contexte moins polémique, le même schéma de succession se
retrouve, avec la différence que la liste ne mentionne que Moïse et Jean Baptiste
et où l’auteur principal n’est pas le Père mais le Fils :
60 Ici, pour l’imposition de la main, on n’a pas le terme technique sam, mais le terme agen
qui signifie reposa, couvrit, protégea. Une autre occurrence de ce verbe se trouve dans
CGEx, dans un sens qui n’est pas proprement sacerdotal, où il est dit, commentant Ex
24,11, que Moïse «n’a pas étendu (awšeb) sa main» sur les notables « pour les couvrir (l-
magnū ʿlayhūn)», parce que le grand prophète accomplit ce geste non pas pour accorder la
prophétie, mais pour que ces derniers soient témoins oculaires de la révélation qu’ il reçut
(CGEx 151,25-27). Sur le sens du terme agen, magnanūtā dans la tradition syriaque à partir
des versions syriaques jusqu’à son emploi dans les textes liturgiques en passant par les
grands écrivains, cf. Brock, From Annunciation, Maggnanūtā (les deux articles en entier).
Sur l’emploi du terme chez Éphrem dans le contexte de l’ ordination, cf. From Annuncia-
tion., p. 85, n. 45. On peut également consulter du même auteur, L’ œil de lumière, p. 130.134
(rapport du terme agen avec celui de šrā), Holy Spirit, p. 7-8.151 (agen comme activité de
l’Esprit), Spirituality, p. 80-81 (le terme dans son rapport à l’ eucharistie), Epicleses, p. 181–
185 et Invocations, p. 393-397 (rapport du terme avec celui de rūḥafā), Pasaḥ (l’ article en
entier; rapport du terme avec celui de pasaḥ). Nous reconnaissons que ce que nous met-
tons entre parenthèses n’est qu’une indication simplifiée de ce qui est richement exposé
par le grand syriacisant.
61 Nous reconnaissons avoir inversé les deux strophes pour mettre en évidence la tradition
de la succession (CH 22,19), avec laquelle il devient plus plausible de juger l’ attitude des
hérétiques (CH 22,18). Mais, en fait, Éphrem commence par critiquer les hérétiques, suite
à quoi il leur oppose la tradition de succession.
notre Église», et que certains parmi eux ont signé la foi professée au concile de
Nicée (CH 22,20).
Mais la polémique d’Éphrem ne vise pas seulement les groupes d’ héré-
tiques; bien que de manière plus discrète, elle vise aussi les Juifs. Si, contre les
hérétiques Éphrem fait débuter le sacerdoce avec Moïse, contre les Juifs il fait
remonter la tradition à Adam62 et la fait parvenir jusqu’ au Christ, en la faisant
passer par Noé, Abraham, Moïse, David, Babel – ce qui signifie qu’ Éphrem ne
se concentre pas seulement sur le sacerdoce du fait que les personnages qu’ on
vient de nommer ne sont pas tous des prêtres. À partir de là, à cause de la dis-
persion du peuple, la transmission de sa tradition s’ arrête et sera relayée par
l’ imposition des mains des apôtres:
Hormis le texte que nous avons analysé ci-dessus (CNis 58,13), où le terme
« couper» est appliqué au sacerdoce lui-même et non pas au peuple comme
dans le texte que nous venons de citer, Éphrem se montre peu prolixe sur
l’ abolition de l’imposition des mains. Amplement commentée par Éphrem ou
par l’école qui se réclame de lui, une autre imposition des mains est celle qui fut
pratiquée sur Éphraïm. N’étant pas liée au sacerdoce, cette imposition semble
signifier à Éphrem, par le croisement des trois mains, à savoir les deux mains
de Joseph et de Jacob horizontalement et la main divine verticalement, une
référence à la symbolique de la croix (Virg 21,11). Cette interprétation se trouve
confirmée dans CGEx, où les trois mains de Virg 21 deviennent les deux mains
de Jacob, qu’il croise pour poser la main droite sur Éphraïm et la gauche sur
Manassé (Gn 48,14), croisement par lequel «la croix est peinte» (CGEx 110,11-
14) et la promotion des peuples advient aux dépens du peuple (CGEx 110,15-16).
L’imposition pratiquée par les évêques de Nisibe constitue le deuxième
contexte qui permet à Éphrem de la mettre en valeur. Mais, là aussi, le thème
n’est pas plus développé que dans la polémique éphrémienne. Cependant, son
intérêt réside dans le fait qu’elle confirme la prolongation de l’ imposition dans
le domaine ecclésial et, qui plus est, dans un contexte particulier qui est l’ Église
62 CH 24,22. Dans CH 24,21, on a le verbe ašlem (= transmettre) et non pas le substantif mašl-
manūtā.
63 Nous avons rencontré ces exceptions dans les deux textes sur Éphraïm, où l’ imposition
des mains qui lui est accordée constitue un symbole de la croix (Virg 21,11 ; CGEx 110,11-
16) et où l’étendue de la main de Moïse sur les notables signifie leur élection pour être
témoins des révélations qu’il reçoit (Ex 24,11) (CGEx 151,25-27).
64 À côté d’autres écrits d’Éphrem, cette symbolique est amplement exposée dans Virg 4-7,
où l’on trouve attestés le sens concret de cette matière, sa capacité d’ éclairer et de guérir,
d’oindre l’autel et le baptisé, et surtout son sens christologique et pneumatologique.
65 Pour une vue globale de cette action de l’Esprit, cf. notre Introduction à l’ Esprit Saint, p. 26-
71.
L’huile est parente du sacerdoce, comme Jean Baptiste est fils de prêtre.
Virg 6,9
66 À la suite de Beck, supra, p. 83, n. 14, nous avons identifié les « oints » dans ce texte aux
rois.
donnée au roi Salomon, laquelle finit par abandonner le peuple pour faire pro-
fiter la multitude des peuples. Cela révèle le dessein d’ Éphrem de traiter des
trois onctions de l’ A.T. Mais comme la symbolique des deux branches d’ olivier
exclut l’onction royale, Éphrem réserve à cette dernière la première strophe de
l’ hymne 6. Ainsi trouve-t-on les trois onctions vétérotestamentaires bien hono-
rées par notre docteur, avec une seule allusion à une onction reçue par l’ évêque
Abraham (cf. CNis 19,2)
Éphrem limite-t-il l’onction de l’Esprit à l’Ancienne Alliance ? Nous avons
évoqué le lien qui existe entre l’onction et l’imposition des mains reçues toutes
les deux par l’évêque Abraham (CNis 19,2), lien tellement fort que la coupure
de l’onction, ici celle du grand prêtre Caïphe, entraîne nécessairement la cessa-
tion de l’imposition (CNis 58,13). Il est vrai toutefois que, à l’ exclusion de cette
unique référence dans CNis 19,2, Éphrem ne mentionne plus l’ onction en rap-
port avec le sacerdoce dans la nouvelle économie.
8.1.3 Jacques
Si Éphrem est plus prolixe qu’Aphraate, Jacques a parfois tendance à dévelop-
per outre-mesure les thèmes qu’il étudie si on le compare à ses prédécesseurs,
notamment en raison des multiples circonstances dans lesquelles les thèmes
sont abordés. Pour cette raison, notre méthode pour l’ exposé de nos deux
auteurs suivants, Jacques et Narsaï, privilégiera une approche plutôt concise
et synthétique, qui se déploiera dans un strict dialogue avec leurs devanciers,
notamment Éphrem. S’agissant de Jacques, le plan que nous suivrons, et qui se
calquera sur le plan adopté pour Éphrem, prévoira une réflexion sur l’ élection,
suivie par une étude du thème du sacerdoce comme don ou grâce. Par la suite,
nous étudierons l’imposition des mains et l’onction, en rapport notamment
avec l’action de l’Esprit Saint.
une nouvelle vie, du moins une entrée dans un nouveau rapport avec Dieu,
lequel rapport implique un engagement vis-à-vis de la communauté.
Le deuxième verbe censé exprimer une sorte de choix est fraš (séparer, dis-
cerner, mettre à part), qui est polysémique chez Jacques, comme il l’ était chez
Éphrem. Sans détailler toutes ces acceptions qui signifient « séparer», parfois
« discerner», le sens de «mettre à part», bien attesté dans la Peš (cf. Ex 29,28 ;
30,13-14; etc.), est hautement exploité par Jacques, ce qui le démarque de son
maître Éphrem. L’utilisant dans la forme nominale ou verbale, Jacques n’hésite
pas à recourir à ce terme pour signifier une mise à part de quelque chose que
l’ homme désire offrir à Dieu, ou l’offrande elle-même67.
Quant à la mise à part des personnes, le cas de la fille de Jephté qui serait mise
à part pour le sacrifice si son Père venait à remporter la victoire sur les enne-
mis en constitue un exemple-type68. À la suite d’ Éphrem, Jacques cherche à
prouver que ce n’est pas Jésus qui mit Judas à part, en le séparant des disciples,
mais bien Judas lui-même «qui se sépara ( fraš nafšeh) des disciples » (II 467,11 ;
cf. aussi II 510,13), ou, pour désigner l’acteur qui agit en lui, c’ est Satan qui « le
troubla et le sépara des disciples» (II 493,3-4). Ici, s’ il est vrai que le sens se rap-
proche de «séparer», son emploi non éphrémien de « mettre à part » est mieux
perceptible lorsqu’il est dit que les Douze sont mis à part à partir des soixante-
dix disciples. En effet, ayant dit que
En effet, Jésus élit (les soixante-dix) et, d’eux, il mit à part les Douze69.
III 728,15
Ce qui suppose que l’élection est un acte fondamental, initial et fondateur, tan-
dis que la mise à part des Douze d’entre les disciples est un acte second qui
vient se fonder sur une première élection.
C’est en ce sens second que revêt le verbe « mettre à part » qu’ il importe
de comprendre plusieurs autres verbes qui, chez Jacques, comme d’ ailleurs le
verbe «envoyer» chez Éphrem, expriment une mission se succédant à l’ élec-
tion. Les plus importants sont les deux verbes qui traduisent le sens d’ envoyer
en syriaque, šlaḥ et šadar. Le premier, šlaḥ, acquiert une signification particu-
lière non pas prioritairement à cause de sa fréquence chez Jacques, car le verbe
šadar est d’un emploi plus fréquent, mais en raison du substantif šlīḥā (apôtre)
forgé à partir de lui. Nous n’avons besoin ni de procéder à un répertoire exhaus-
tif de toutes les occurrences des deux verbes chez Jacques, ni de rendre compte
de leurs différents sens70. Notre intérêt sera presque exclusivement focalisé sur
le sens que les termes ont à l’intérieur de la théologie de la mission. Afin d’ éviter
les répétitions inutiles, nous envisagerons ensemble les deux verbes.
Tout comme le verbe «mettre à part» ( fraš), les deux verbes qui signifient
l’ envoi présentent celui-ci comme un acte second et se fondent sur l’ acte pre-
mier qui est l’élection. C’est ainsi qu’au sujet des apôtres, il est clairement
soutenu qu’ayant été élus, ils sont alors envoyés :
Récurrente, la même idée finit par prendre l’allure d’ un principe sous la plume
de Jacques, l’élection étant associée aux dons que le Fils accorde aux Douze,
tandis que leur envoi est lié à une mission qui les établira docteurs pour la
terre entière (V 360,3-6)71. Comme si l’apôtre devait d’ abord être doté du don,
ici celui des langues, qui lui permet d’accomplir sa mission, pour être ensuite
envoyé afin de mettre ce don en pratique:
70 Faisons remarquer que le verbe šadar est plus attesté dans la Peš; il l’ est ainsi pour l’ Esprit
Saint (cf. Jn 14,26; 15,26; 16,7; Ga 4,6) et pour le Fils (dans tous les textes, à l’ exception
de Mt 10,40; Lc 10,16; Jn 5,36.37, où c’est le verbe šlaḥ qui est employé). Avec l’ emploi
des deux verbes pour signifier l’envoi des personnes, Jacques semble s’ éloigner du sens
primitif qu’ils avaient dans l’araméen occidental, où šlaḥ n’ est jamais utilisé pour signi-
fier l’envoi des personnes, à part l’envoi de Jésus par le Père, étant donné que l’ envoi de
personnes est attribué à šadar ; pour cette thèse, cf. Joosten, West Aramaic Elements, p. 107-
108.
71 Nous avons eu l’occasion supra, p. 47-49, d’analyser les différents verbes qui signifient
l’élection et la mission, en rapport avec les critères qui président au choix des personnes.
72 Cf. V 360,7-8, texte cité supra, p. 53, où il est dit que c’ est après leur élection que les Douze
ont été envoyés, conformément à leur vouloir, pour annoncer la Bonne Nouvelle.
73 Jacques consacre deux mīmrē à l’envoi de Thomas en Inde ; le premier est intitulé « Sur
Thomas l’apôtre» (III 724-762) et le second «Sur le palais que bâtit Thomas l’ apôtre en
Inde» (III 763-794). Dans un troisième mīmrā intitulé « Sur le nouveau dimanche et sur
l’apôtre Thomas», Jacques développe un dialogue qu’ il suppose avoir eu lieu entre Tho-
mas et les autres apôtres, dans lequel Thomas réclame ses droits d’ apôtre au même titre
que ses collègues.
74 La même structure, à savoir l’élection suivie de l’envoi, est présente dans la description
de la vocation de Samson:
Le Seigneur l’a élu et l’a envoyé combattre les Philistins (V 334,18).
Répartition faite sous la motion de l’Esprit qui prie en les apôtres réunis au
Cénacle, ceux-ci reçoivent une révélation qui leur dicte les lieux affectés à cha-
cun (III 731,6-9), une manière pour Jacques d’imputer la division des lieux à
75 Il est insensé d’opposer dans la pensée de Jacques l’intervention de l’ Esprit Saint à l’ action
du Fils. Car si dans le texte que nous venons de citer, c’ est l’ Esprit qui envoie Thomas, dans
plusieurs autres textes, c’est le Seigneur ressuscité qui pose cet acte (III 751-761).
76 Cette mission est encore plus clairement soulignée par l’ envoi du Fils par le Père. Ne pou-
vant relever tous les textes qui évoquent cette mission, nous nous contenterons de noter
les multiples affirmations où Jacques insiste sur sa finalité, le salut que le Fils apporte à
l’humanité: le Fils est envoyé pour «sauver le monde » (II 407,3-4 ; IV 744,10) par sa mort
sur la croix (V 607,1-2), pour «dompter le Rebelle» qui est Satan (IV 676,21-22 ; cf. III 325,10-
11), pour restaurer l’icône qui est l’homme (II 316,7; cf. I 684,13-16), le libérer de sa captivité
(III 325,14-15; BedS 726,3-4) et l’exalter (II 185,15-16). Il est envoyé comme médecin pour
guérir les blessures du monde (II 179,8; III 640,21-22; IV 746,4 ; CJ I 157-158) par sa doctrine
(V 496,15-16), en tant que nourriture (II 235,1-2), parce qu’ il est le Fruit de la vie (I 350,14)
et comme sacrifice pour les pécheurs (I 496,19).
la volonté divine et nullement à une œuvre humaine. Cette division des lieux
se fait dans l’unité de l’apostolat, mieux encore de la Bonne Nouvelle qui est
elle-même indivisible, à l’image des membres dans le corps (III 729,14-15). Elle
constitue, commente Jacques, un moyen efficace pour accroître la Bonne Nou-
velle (III 729,18-19), mais se présente aussi comme un procédé pour recon-
naître l’effort et la réussite de chacun et, par conséquent, le degré de son
mérite (III 729,12-13.16-17.20-21). Nous allons aborder cet envoi « un à un » et
l’ interprétation que lui réserve Jacques, en comparaison avec le texte néotes-
tamentaire qui dit que Jésus les envoya «deux à deux » (Mc 6,7 ; Lc 10,1). Ayant
déterminé la région qui revient à chacun d’eux77, c’ est à Thomas que s’ arrête
Jacques pour expliquer son refus de rejoindre l’Inde qui lui fut impartie (III 732-
762).
L’intention n’étant pas de développer le lien qui existe entre l’ envoi et
l’ attribution des lieux affectés à la mission, ce qui a été dit suffit pour en donner
une idée. Quant à la troisième caractéristique, celle de distinguer l’ envoi par
rapport à l’élection, elle se traduit par la manière d’ envoyer les disciples « un à
un». Cependant, avant d’aborder cette modalité, Jacques n’ignore pas, comme
nous le disions, le texte évangélique où l’envoi des disciples se fait « deux à
deux». Il les compare alors à une paire de bœufs ( fadanē) attelée pour le labour
de la terre (III 728,7-8). Mais Jacques se trouve confronté à une réalité tout à fait
autre, celle que nous avons décrite et qui prévoit pour chaque apôtre un lieu de
mission. Sans chercher à résoudre l’apparente contradiction qui existe entre la
modalité de l’envoi privilégiée par Jacques et le procédé annoncé par le texte
scripturaire, Jacques cherche à justifier l’attribution d’ une région à un disciple
par le fait que ce n’est pas le nombre des disciples qui explique la victoire de
la Bonne Nouvelle contre la multitude des adversaires. Car, se demande-t-il,
que peuvent mille brebis contre un seul loup si le pasteur ne vient le chasser
et comment une seule brebis, un seul apôtre, est capable de remporter la vic-
toire contre plusieurs loups si ce n’est «par la puissance de l’ Agneau qui a bêlé
au Golgotha» (III 730,17; pour l’ensemble de l’argumentaire, cf. III 730,11-18).
Ainsi le constat est-il toujours le même, à savoir que la victoire est œuvre de
la croix et non le résultat de l’effort des apôtres (III 623,12-624,8) envoyés « un
à un», chacun en un lieu qui lui est confié (III 623,13). Il est par conséquent
inutile de multiplier le nombre des disciples envoyés en un lieu, du fait qu’ il
suffit de proclamer le salut par la croix pour que le paganisme soit éradiqué.
77 Dans III 731,11-732,8, Jacques nomme les lieux attribués aux grands apôtres: Rome à Simon
Pierre, Éphèse à Jean, Jérusalem à Jacques, la terre de Judée à Matthieu, la Grèce à Bartho-
lomée et l’Inde à Thomas. Rien n’est dit sur Marc et sur l’ évangélisation d’ Alexandrie.
Ayant exposé et interprété les verbes les plus importants en lien avec l’ envoi
des disciples, il nous reste à étudier le verbe qui est au fondement de cet
envoi, celui d’élire (gbā), par lequel Dieu intervient pour choisir ses disciples,
ou, plus tard, les évêques ou les prêtres. Il est vrai que Jacques s’ étend peu
sur le choix des ministres ecclésiaux, mais leur élection est conforme à la
logique d’ensemble qu’il expose. Si l’on compare Jacques à Aphraate, et sur-
tout à Éphrem, ses réflexions sur l’élection sont plus développées, incluant
un ensemble de personnages représentatifs qui permettent de mieux cerner la
problématique du choix. Parmi ces figures de proue, quelques-unes sont pui-
sées dans l’ A.T., comme David, Salomon, Samson, ou dans la Nouvelle Alliance,
tels que Jean l’évangéliste, Thomas, ou encore Judas dont la trahison est compa-
rée, pour en être distinguée, au reniement de Simon Pierre. Toutefois, en dépit
d’un argumentaire assez touffu, l’approche de Jacques rejoint celle d’ Éphrem
concernant les deux questions essentielles: la première étant la gratuité de
l’ élection divine qu’il cherche à mettre en dialogue avec le mérite humain, la
deuxième portant sur le savoir divin dans l’élection de certaines personnes qui
se montreront plus tard infidèles à leur mission. Vu l’ ampleur du sujet à traiter,
la méthode que nous privilégions sera de faire ressortir les grandes thèses de
l’ auteur sans avoir à entrer dans les détails de l’argumentation.
78 I 216,2-5; II 700-702; III 622,13-14; V 711,11-12. Tout en voulant être fidèle à la pensée de
l’apôtre, Jacques transforme un tant soit peu celle-ci. Car, s’ il reprend la première tranche
de 1Co 1,27, l’élection des «sots» (saḫlē) pour confondre les sages, il se démarque du texte
paulinien lorsqu’il choisit le terme de «pauvres» qu’ il oppose aux riches, au moment où
la terminologie de 1Co ne mentionne que deux autres couples, ceux de faibles-forts et de
peuple de basse naissance-nobles. Dans le contexte de Jacques, le terme meskīnē ne peut
signifier faible, car il est opposé à riches (ʿatīrē), et non pas à ḥayeltanē (forts) comme dans
1Co 1,25.
À cette conception qui met en avant la pauvreté et l’ état inculte des élus, une
première objection est suggérée par la question que pose Simon à Jésus sur la
part qui revient aux disciples qui ont «tout laissé » pour le suivre (Mt 19,27 et
parall.) (II 697,14-19)80. Semblant s’opposer à la pauvreté que Jacques, à la suite
de Paul, défend comme critère pour l’élection, le « tout laisser » revendiqué par
Simon est examiné à la loupe par notre docteur. En fin de compte, il paraît que
ce «tout» se réduit à un filet et à une petite barque, Simon ne possédant ni or,
ni argent, ni grandes propriétés (II 698,2-9; 699,16-17). Cela revient à dire que
Jésus, élisant ses apôtres, les a choisis parmi les gens pauvres, et que ce que
ces derniers ont laissé n’est autre que la pauvreté (II 699,18), pour s’ enquérir
d’une grande richesse que le Fils leur lègue: devenir intendants du trésor divin
qui s’exprime dans le pouvoir de guérison et dans l’ accession aux trônes d’ où
ils jugeront les douze tribus d’Israël (II 698,10-17 ; cf. aussi V 360,2-6).
Si la question de Simon ne peut être alléguée pour mettre en question la pau-
vreté comme critère indispensable dans l’élection des apôtres, qu’ en est-il de
l’ état inculte sur lequel Paul insiste pour faire valoir la puissance du kérygme
aux dépens de la sagesse et de l’éloquence de ses hérauts? Le comble est que
ce critère d’inculture défendu par Paul ne s’applique pas à l’ apôtre, qui est lui-
même un grand savant et pourtant élu apôtre par le Seigneur ressuscité. Pour
toute justification de cet état de fait, Jacques commence par admettre que Paul
est un véritable savant que l’économie divine a choisi parmi le peuple juif pour
venir contrebalancer, remédier même, à l’ignorance des apôtres qui risquent
d’être moqués par les Juifs, notamment par leurs scribes (II 721,3-18). Quoi
de plus convaincant, confesse Jacques, qu’un témoignage venu d’ un converti
ayant connu et défendu avec un grand zèle la loi de Moïse et les pratiques
juives (II 723,20-724,12)! Et pourtant, continue-t-il, la conversion de Paul s’ est
accompagnée d’une conversion à la simplicité des apôtres, donc à la simplicité
du kérygme qui n’est autre que la proclamation de la croix qui se dit par des
paroles simples, sans nécessité de recourir à la science (II 721,20-722,8). Quoi
qu’il en soit, même si, au point de départ, Paul est un savant juif, son élection
fait de lui un «simple» avec les disciples81. Ainsi nous retrouvons-nous au point
de départ, où une simplicité s’avère nécessaire pour annoncer le kérygme qui
se concentre sur la croix, et par conséquent, pour l’ élection des hérauts qui le
porteront.
On peut à juste titre objecter que cet amour ne précède pas l’ élection, et que
par conséquent, il n’est pas en mesure de la justifier. En effet, Jésus n’avait pas
au préalable pressenti l’amour qu’auront les apôtres pour lui, ce qui l’ a motivé
à les élire. Leur amour semble plutôt constituer une réponse à l’ amour du Fils
pour eux. Mais cette logique propre à l’économie divine est à l’ œuvre dans
toute alliance que Dieu établit avec l’homme et ne s’ applique pas seulement à
l’ élection des apôtres. Encore convient-il de s’assurer qu’ aucune aptitude n’est
requise au moment de l’élection, ce qui permettrait d’ admettre que Dieu, par
un acte totalement arbitraire, effectue des choix en ignorant la réalité humaine.
Si l’amour des apôtres doit être considéré comme une réponse, un effet de
l’ amour qu’exprime le Fils par leur élection, et donc comme un acte et moins
comme une aptitude, le «bon vouloir» (ṣebyanā ṭabā) des apôtres sur lequel
Jacques insiste est en revanche une vertu, une aptitude qui précède l’ amour
qui en résulte. Le Fils, argumente Jacques, ne doit rien aux disciples qui n’ont
ni pouvoir ni richesses, «ni quoi que ce soit» (aflā medem), et il ajoute que le
royaume qu’il leur promet est dû «seulement à leur vouloir bon » (II 700,6-9).
Il s’agit d’un vouloir conçu comme une pure aptitude, que notre docteur qua-
lifie de «n’ayant rien» (kad lā īt leh medem = bien qu’ il n’ait rien) (II 700,12),
en ce sens que le vouloir ne s’est pas encore traduit dans des actes qui méritent
rétribution. Paradoxalement, Jacques soutient que Dieu le récompense dou-
blement (II 700,12-13), en l’assimilant par ailleurs, pour conforter encore son
caractère d’aptitude, à la «pauvreté» dont il a été question lorsque Jacques
commente 1Co 1,27 en paraphrasant (II 700,14-19).
Cette dialectique d’une élection totalement gratuite, en ce sens qu’ elle
ne se plie pas aux critères humains, mais nullement arbitraire et injustifiée
puisqu’elle respecte la réalité humaine, se retrouve dans la réflexion de Jacques
sur le cas unique que représente l’élection de Paul. Tout, chez l’ Apôtre des
nations, va à l’encontre d’une élection sage et raisonnée de Dieu, notamment
l’ hostilité que nourrit le futur élu à l’égard de la Bonne Nouvelle dont le Fils est
le centre. Et pourtant, Jacques trouve chez l’Apôtre des nations une aptitude,
son ouverture d’esprit et sa capacité de réception qui suffisent à justifier son
élection:
fait, se demandant si c’est la grâce (ṭaybūtā) qui est à l’ œuvre dans l’ élection de
Marie, ou si c’est la beauté de Marie qui justifie cette élection, Jacques semble
ne vouloir sacrifier ni l’un ni l’autre de ces deux éléments :
Il est manifeste que c’est par grâce que Dieu descendit sur terre,
et parce que Marie est très pure, c’est elle qui l’ a accueilli (en son sein).
BedS 618,19-20
Cependant, Jacques est conscient qu’aucune femme, quel que soit l’ éclat de sa
beauté, n’est à même de justifier que Dieu s’abaisse pour la prendre comme
demeure. La grâce, argumente-t-il, est une surabondance que le mérite d’ une
créature humaine, si grand soit-il, ne peut expliquer. Sur ce point, Jacques
rejoint la thèse d’Éphrem sur le «prétexte» que l’ homme offre pour que Dieu
donne en surabondance. Sinon, il y a risque de chercher à niveler ce qui est
mesurable à l’immensité, le fini à l’infini:
Cette dialectique laisse percevoir que grâce et mérite humain ne sont pas à
situer sur un même plan, encore moins doit-on considérer Dieu et l’ homme
comme deux partenaires égaux dans leur alliance. Quelle que soit l’ aptitude de
l’ homme, ou le mérite qu’il s’est acquis, en aucune façon on ne peut postuler
que son mérite appelle la grâce et la contraint à se donner. La grâce est tou-
jours une surabondance, un surcroît que rien ne justifie en dehors de l’ amour
que porte Dieu pour sa création. D’où sa gratuité qui s’ affirme en dépit et au-
delà de toute contribution dont l’homme est capable. Si ce qui vient d’ être dit
de Marie, la plus belle créature qui ait jamais existé sur terre, est vrai, à plus
forte raison la même logique doit être valable et vraie quand elle est appliquée
aux apôtres et aux ministres qui leur succèdent.
En fait, concernant les ministres ecclésiaux au sujet desquels Jacques se
prononce beaucoup plus rarement que ne le fait Éphrem, l’ argumentaire de
Jacques se fait par allusions, mais avec des idées bien claires. Ainsi constate-t-
on la prévalence de l’élection divine sur une contribution humaine lorsque,
parlant du prêtre, il situe son élection «dans le sein maternel» (II 880, 5 :
« Celui-ci que Dieu a élu par l’Esprit dès le sein maternel»)85. Sans évoquer
une élection à partir du sein maternel, celle de l’ évêque d’ Amid, à qui Jacques
adresse une lettre, est attribuée à «l’économie divine » qui, dit-il en s’ adressant
à l’évêque, «t’a élu et t’a établi guide (mdabranā) du peuple fidèle » (Lettres
223,7-11)86.
85 Plus qu’une figure simplement parabolique, l’expression sert plutôt à donner à l’ élection
du prêtre une dimension prophétique, en l’assimilant à celle de Jérémie (Jr 1,5) (CJ V 245-
246) et, à sa suite et à son exemple, à celle de Jean Baptiste (III 705,9). Même Judas est dit
être élu dès la fondation du monde (V 358,3), avant la création du firmament et de la terre
(V 358,13).
86 Sur l’économie divine conçue comme étant à l’origine de la vocation des évêques, cf.
supra, p. 49.
87 Une expression semblable à eštaḥlaf leh (= se transforma) est utilisée pour signifier la
déviation du peuple juif de sa vocation: «Le plant béni de la maison d’ Abraham se trans-
forma (etḥalfat lah)» (II 578,20).
éphémère» (šūfrā d-zabnā), qui n’a pas vocation à perdurer (II 490,5-6), ce
qui ne devait pas échapper à la connaissance divine. On le remarque bien,
l’ accent n’est plus mis sur la seule liberté humaine, mais sur un Dieu qui
ignore que ses créatures finiront par capituler devant une élection qui surpasse
leurs capacités. Saisissant bien l’objection qui porte l’ accusation sur Dieu lui-
même, la réponse de Jacques se résume par l’apologie d’ une juste conception
de l’économie divine qui, en un mot, se résume dans la prédominance de la
bonté de Dieu, de son bon vouloir, sur son savoir. Car, argumente Jacques, si
Dieu agissait selon son omniscience, il n’aurait pas créé Adam pour qu’ il se
délecte du bonheur paradisiaque, ni créé Satan parmi les anges pour le louer,
ni même créé le serpent comme rusé (II 490,9-16)88. Passant de la création du
début, ex nihilo, à la création continue, celle de tous les temps et du temps
présent, il parvient à la même conclusion: si Dieu se fondait sur son omni-
science, il n’aurait pas permis la naissance du blasphémateur, du païen et de
l’ apostat (II 490,17-20). Autrement dit, Dieu se comporte comme un ignorant
pour faire valoir son amour pour l’homme:
88 Plus loin (II 491,2-17), Jacques abandonne l’exemple du serpent et ne retient que le cas
d’Adam et de Satan. Sur le rapport entre la bonté et l’ omniscience de Dieu, cf. supra, p. 52-
53.
89 Nous reviendrons sur la faiblesse de Jean l’évangéliste, et surtout celle de Simon Pierre,
laquelle ne peut être comparée à la culpabilité de Judas.
90 Ce thème est suffisamment développé, non seulement pour le cas de Judas par rapport aux
autres apôtres, mais aussi pour le sort du roi Salomon que Jacques exploite pour montrer
que le Fils se conforme à la logique du Père (cf. V 361-363). D’ ailleurs, la liberté donnée à
l’élu de pouvoir succomber fait valoir le mérite de ses compagnons qui préservent leur
fidélité à Dieu (V 360,9-16), mais elle prouve aussi que Dieu adopte la même attitude
d’amour envers tous les élus, signe que cet amour est également accordé à chacun d’ eux :
Les élus qui succombent en certains cas (b-dūkā dūkā, litt.: en certains lieux) sont
témoins
que son amour est égal, et qu’il aime les hommes de façon égale (V 363,5-6).
L’élection de chefs semble constituer une nécessité, car, comme nous le ver-
rons plus loin, «là où il y a troupeau, il lui faut un pasteur pour le gouverner»
(V 363,10)92. Et Jacques de poursuivre que si pour chaque peuple un seul
« juge» (dayanā) suffit, Jésus n’a choisi que douze apôtres pour toute la création
(V 363,11-12). Cependant, chefs et subordonnés correspondent respectivement
aux membres importants et moins importants dans le corps, n’en constituant
pas moins des membres d’un seul corps (V 363,17-18). Aux yeux de Dieu, aucune
prédilection n’est tolérée entre les élus et les non-élus, comme aucune distinc-
tion n’est acceptée entre les membres du corps qui sont tous tenus dans une
grande estime:
Celui qui est élu et celui qui n’est pas élu lui appartiennent.
V 363,14
Celui qui n’est pas élu pour être prophète est fait auditeur,
et, par justice, un seul est le salaire de l’un et de l’ autre.
Celui qui écoute la parole du Seigneur, s’il la met en pratique,
il en profite, et non pas celui qui la proclame sans la mettre en pratique.
V 363,21-364,3
plusieurs dons précieux99, le Fils est aussi donateur100, et son plus grand don
est son Esprit à ses Douze (BedS 675,10-11). Après cette esquisse à grands traits
des dons en général accordés par le Père et le Fils, il importe à présent d’ aborder
la conception de Jacques concernant les dons spécifiques réservés aux apôtres.
S’inspirant de l’épisode de la Pentecôte, Jacques considère que le don des
langues, la glossolalie, a été destiné aux seuls disciples (cf. Ac 2,1-36) (II 673,15-
20; 678,4-679,2). Avouant que Dieu désire faire hériter à ses disciples la vraie
richesse, celle qui dure, et non pas la richesse éphémère du monde, Jacques
soutient que Dieu ne veut nullement la pauvreté pour ses disciples, mais bien la
richesse surabondante et vraie (II 690-697), celle d’ être riche en Dieu
(cf. II 696,6), de ne posséder que le seul Fils et sa doctrine (II 697,10-13)101. Nous
venons d’évoquer la récompense que promet Jésus à Simon Pierre et à ses com-
pagnons qui ont tout quitté pour le suivre (Mt 19,27) : devenir « l’ intendant de
la maison» du Fils (II 698,10-11), bénéficier de la vertu de guérir et de revivifier
les morts (II 698,12-13), prendre possession des trônes dans le monde nouveau
où ils s’assoiront et jugeront la maison d’Israël (II 698,14-17)102. Ailleurs, dans
une dispute avec Judas, les autres disciples accusent ce dernier d’ avoir ignoré
le don, celui qui lui a été fait au même titre que Simon Pierre et Jean, et qui
est de siéger sur le «trône de jugement» et le « ministère» (tešmeštā)103. Les
mêmes dons sont cités par Jésus qui reproche encore à Judas d’ avoir partagé sa
vie et ses repas, d’avoir guéri, chassé les démons par son nom et d’ avoir méprisé
l’ «Esprit» qu’il lui a donné (II 510,19-511,4).
Passant aux prêtres et aux dons qui leur sont attribués, la liste se fait plus
restreinte, se focalisant sur l’essentiel, à savoir le don de l’ Esprit Saint (cf. II 877-
878). Bien entendu, dans les deux sous-parties suivantes, nous allons revenir
sur le rôle de l’Esprit dans le don du sacerdoce. On ne peut s’ empêcher tou-
tefois de faire remarquer que, s’agissant du sacerdoce chrétien, Jacques omet
toute allusion aux dons conférés aux apôtres, que nous venons d’ évoquer, de la
99 Voici ses dons les plus importants: l’Alliance (II 27,6-9), la manne (I 51,18-19), le pardon
accordé à Achab (IV 186,2-3), le don des langues à Babel (II 670-673), et surtout le don de
la prophétie (III 16,7-8; 17,15-16). Ceci, sans énumérer ses dons accordés à la nature, telles
que la lumière (V 430,7-8), la pluie (IV 668,19-22), etc.
100 Parmi les dons du Fils, on peut compter le pardon et la paix (I 357,17-20 ; II 430,3-6), le don
du pain (III 448,14-15), la doctrine (III 487,2-5), la revivification des morts (III 539,2-17 ; cf.
aussi III 562,3-4).
101 Sur la véritable richesse et ce qui la constitue, cf. aussi supra, p. 52.379.
102 Cf. supra, p. 379. Même Judas a pu exercer la vertu de guérir les malades (II 494,9-10). Cf.
ce qui sera encore dit dans le corps du texte.
103 Nous aurons à revenir à cette notion de «ministère»; pour le moment, nous sommes auto-
risé à la considérer comme étant le ministère apostolique (cf. par ex., II 878,2 ; 879,15; etc.).
Comme don, le sacerdoce est ainsi mis en rapport avec l’ Esprit Saint, ce à
quoi nous reviendrons dans le paragraphe suivant. Il reste cependant qu’ à la
suite d’Éphrem, le sacerdoce est un don divin (II 877,5). En parlant de certains
évêques dans les Lettres, Jacques met plutôt l’accent sur la source du sacer-
doce, que sont la bonté ou la grâce divine. Ainsi l’ évêque d’ Amid, Mar Mara,
est-il présenté comme «évêque par la grâce de Dieu » (Lettres 223,5). Jacques
encourage Daniel, le solitaire, à ne pas refuser le ministère sacerdotal qui lui
est offert «par l’économie de la grâce» (Lettres 226,1-3). À la fin de la lettre,
il lui rappelle que c’est le Dieu trine qui, «par sa grande miséricorde, donne le
sacerdoce à celui en qui il se plaît, à celui qui expie son peuple » (Lettres 228,25-
27). À la vérité, même si ces textes ne désignent pas le sacerdoce comme don,
comme dans le texte de II 877, il n’en est pas moins vrai qu’ en le rattachant
à l’économie de la grâce ou à la miséricorde divine qui le donne, Jacques le
conçoit comme un don distinct de celui du baptême.
cie guère de la mettre en rapport avec l’Esprit Saint, ce qui a été relevé chez
Éphrem, mais il ne dispose pas des mêmes situations qui ont permis à Éphrem
de disserter sur le thème en s’attaquant auxdits hérétiques et en réfléchissant
sur le sacerdoce des évêques de Nisibe. Il semble que les circonstances ecclé-
siales ont bien changé: si, pour Éphrem, la question ecclésiale liée à celle de
la valeur de l’imposition pratiquée par les hérétiques le préoccupe au plus
haut degré, le grand intérêt de Jacques se focalise désormais sur la question
proprement christologique, sans pour autant abandonner les autres thèmes
théologiques qu’ il traite dans une perspective plus restreinte. Le thème de
l’ imposition en fait partie.
Commençons toutefois par délimiter notre sujet en précisant qu’ il ne s’ agit
point de nous étendre sur le rôle de l’Esprit dans le sacerdoce104. La seule ques-
tion sur laquelle notre attention se portera est l’existence potentielle d’ un lien
entre l’imposition et l’Esprit. Un deuxième point sur lequel il sera important
d’insister: le centre d’intérêt dans cette partie sera l’ imposition que nous ana-
lyserons surtout dans son sens sacerdotal.
À la différence d’Aphraate et d’Éphrem qui, dans l’ Ancienne Alliance, re-
tiennent comme type l’imposition des mains de Moïse sur Josué, Jacques pri-
vilégie la vision d’Ézéchiel de la «main d’homme qui se laissait voir sous les
ailes» (Ez 1,8) des quatre chérubins, laquelle main représente « la (main) droite
que le Fils donna à ses apôtres» (IV 579,14-15; cf. aussi IV 580,1-2). Cette main,
explique Jacques, porte la Bonne Nouvelle au monde entier (IV 579,16-17) et cela
en rendant effectif le salut par les deux moyens, les deux applications de cette
imposition des mains que sont le baptême et le sacerdoce :
Avant d’exposer ces deux lieux de l’imposition, il est utile de noter que Jacques
perçoit une autre typologie à cette «main» des apôtres : l’ éphod des Lévites :
104 À ce thème, nous avons consacré tout un chapitre dans la première partie de ce travail.
105 L’expression šaryā qetrē signifie ici quelque chose comme « remettre les péchés ».
Et plus loin dans le même mīmrā, c’est à l’encensoir qu’ il compare l’ imposi-
tion des mains:
C’est Lui (le Fils) qui donna l’encensoir ( fīrmā) à Aaron le prêtre et à
Éléazar,
et l’imposition des mains à Simon Pierre et à Jean.
IV 795,22-796,1
Il est difficile de discerner la raison pour laquelle Jacques donne deux types dif-
férents à l’imposition des mains, à moins de supposer deux hypothèses toutes
deux sujettes à caution et nécessitant vérification: la première y verrait une
distinction entre ce qui est donné aux Lévites, l’ éphod, et ce qui est donné au
grand prêtre Aaron, l’encensoir106, tandis que la seconde montrerait que les
deux images ont pour fonction l’expiation des péchés, ce qui constitue une des
fonctions essentielles du sacerdoce chrétien.
À la vérité, à côté du salut (ici ḥayē, litt.: vie), de la richesse et de la sainteté,
l’ expiation est un effet majeur de l’imposition des mains des disciples (V 726,14-
15). C’est la conclusion à laquelle aboutit Jacques en commentant la guérison
obtenue par l’imposition de la main de Simon Pierre à l’ impotent qui deman-
dait l’aumône à la porte du temple (Ac 3,1-10) (V 725,16-726,1sv). De la guérison
de l’impotent, Jacques passe au monde qui a besoin d’ être guéri par le bap-
tême, donc par l’imposition de «la main de miséricorde» (V 726,6-13). Cette
imposition des mains est attribuée à Jean Baptiste, qui est appelé à l’ exercer en
faveur de Jésus venant quémander le baptême107. Toutefois, ce n’est point pour
que le Fils en reçoive une quelconque sanctification que le Baptiste est appelé
à lui imposer la main (I 183,3), mais pour que le Fils, en descendant dans l’ eau,
la sanctifie afin qu’elle sanctifie à son tour et rende immortels tous ceux qui
viennent s’y baigner (I 179-181). Une autre différence entre l’ imposition de la
main de Jean Baptiste et l’imposition relative au baptême chrétien réside dans
le fait que le rite baptismal renferme le geste accompagné de la parole qui pro-
nonce le nom de la Trinité sur le candidat au baptême, tandis que l’ imposition
de la main du Baptiste se fait «en silence» (šatīqāyit), la parole étant le témoi-
gnage du Père et de l’Esprit en faveur du Fils (I 183,5-8 ; Ril II 562,8-9).
À bien méditer les textes de Jacques, on se demande si l’ imposition des
mains est ce qui est accordé comme don personnel aux apôtres et, à leur suite,
106 Une telle interprétation semble être justifiée par le contexte, où l’ on voit énumérés les
différents types propres au peuple juif et leur réalisation dans la Nouvelle Alliance (IV 796-
797).
107 I 179,6-10; 182,1-2;183,5-8,; Ril II 562,7-9; 563,26-564,1.
aux ministres sacerdotaux, ou si elle ne serait pas plutôt la main que les apôtres
imposent en administrant notamment le baptême, comme il est suggéré dans
l’ épisode de la guérison de l’impotent que nous venons d’ évoquer (IV 579,18-
19). En formulant ainsi la question, on laisse entendre qu’ il est légitime de
séparer fonction et être, ce qu’on est capable de donner et ce qu’ on a reçu
et qui constitue une partie intégrante de notre personnalité. Autrement dit,
peut-on donner ce qu’on n’a pas reçu? Peut-on imposer la main à autrui sans
l’ avoir d’abord reçue? En fait, le seul texte de Jacques où une imposition des
mains reçue par les apôtres est évoquée situe celle-ci au Mont des Oliviers,
avant l’Ascension de Jésus:
Ce texte est d’autant plus important qu’on y trouve liés imposition des mains et
« volettement», ce dernier terme ne se trouvant appliqué aux apôtres que dans
ce contexte. Toutefois, il faut bien admettre que le volettement, comme geste,
ne fait pas nécessairement partie intégrante de l’imposition des mains, laquelle
peut s’exercer, et donc être évoquée, toute seule. Mais l’ absence de volette-
ment conduit-elle à conclure à une absence de l’ Esprit, du fait que ce geste
est souvent lié à l’action de ce dernier? D’autant que, pour les deux grands
mystères, le baptême et l’eucharistie, le volettement joue un rôle prépondérant
pour signifier l’action de l’Esprit Saint qui sanctifie l’ eau baptismale (V 588,4-
5 ; BedS 856,18-19) et transforme le pain et le vin en corps et sang du Christ
(IV 279,11-12). De plus, dans la promesse que fait Jésus avant son Ascension,
l’ imposition ne peut être associée à l’Esprit dont le don reste une promesse qui
ne sera effective qu’après la montée de Jésus auprès de son Père (cf. BedS 818,5-
16). Mais si l’on admet que la logique de l’histoire de Jésus avec ses disciples
nécessite une distinction entre l’imposition de ses mains sur eux et, après son
Ascension, l’envoi de son Esprit, Jacques aurait pu sans difficulté, en d’ autres
circonstances, les associer en un acte double, l’imposition et le don de l’ Esprit,
ou encore le volettement qui signifie ce don. Quoi qu’ il en soit, l’ absence de
la mention de l’Esprit lors de l’imposition des mains est un fait indéniable et
il n’est pas invraisemblable que Jacques s’aligne sur la position d’ Éphrem qui,
108 Le verbe est ici fšaṭ (= étendre) et non pas sam (poser), d’ où l’ expression syam īdā = impo-
sition de la main.
comme nous l’avons signalé, doit avoir supposé que l’ imposition inclut néces-
sairement le don de l’Esprit.
Cette vérité dite de Melchisédech laisse supposer qu’ une onction pour Aaron
et pour les Lévites était nécessaire pour l’acquisition du sacerdoce. En outre, il
est clairement affirmé que Moïse a été oint «avec l’ huile des cornes des enfants
de Lévi» (CJ VII 162). Dans le texte cité ci-dessus, c’ est Moïse qui est chargé
d’oindre Aaron, mais dans d’autres textes, l’onction comme acte est attribuée
à Dieu (III 835,19) et constitue, avec le sacerdoce, un don divin dont les prêtres
juifs sont honorés (III 835,14)111. Cette onction semble même se soustraire aux
109 L’onction prophétique n’est mentionnée qu’en référence à l’ onction administrée par Élie
à son disciple Élisée (1 R 19,16) (IV 148,16; 150,17-20).
110 L’onction royale concerne David oint par Samuel (1 S 16,13) (I 174,14 ; II 41,18 ; 52,10-11 ;
54,10; IV 801,10; Lettres 185,10-12.26-28; 192,9-10), tandis que Hazaël, roi d’ Aram, et Jéhu,
roi d’Israël, sont oints tous les deux par Élie (1 R 19,15-16) (IV 148,14-15).
111 Jacques traite souvent de l’onction d’huile en l’associant à l’ aspersion du sang dans lequel
effets des péchés commis par les prêtres, et la preuve en est donnée par le
feu divin qui, descendant sur les offrandes des fils d’ Aaron, les consuma, mais
ne s’approcha pas de «leur onction et de leurs vêtements» (III 837,12-21)112,
l’ onction étant identifiée ici à leur «sacerdoce».
La nécessité d’une onction pour acquérir le sacerdoce est encore corroborée
par l’affirmation d’après laquelle l’abrogation de l’ onction conduit à la sup-
pression du sacerdoce. Cette onction qui débuta avec Aaron connut, comme
chez Éphrem113, une fin tragique en parvenant à Caïphe, avec qui elle cessa
d’exister:
Car l’onction est coupée et ne coula plus pour les fils de Lévi.
II 553,9
se trouvent trempés les lobes d’ oreilles du prêtre, ses mains et ses pieds (Ex 29,19-21; Lv
8,22-24) (III 262,15-263,4; 835,13-16).
112 Une idée que nous avons exposée, supra, p. 192.
113 Pour Éphrem, cf. CNis 58,13, texte cité supra, p. 365.372.
114 Dans IV 798,11-12, la pierre ointe par l’huile de Jacob est représentée par la « table » ( fatūrā)
de la maison de Dieu, ointe par les prêtres.
115 Ce thème a été étudié par Konat, Typological exegesis, qui a rassemblé les types de l’ A.T. et
montré que Jacques établit un lien entre le type et sa réalisation dans la Nouvelle Alliance ;
sinon, dans la logique du docteur syriaque, la raison de la présence d’ un type resterait
obscure s’il n’était pas interprété par son actualisation. Cf. tout l’ article, mais surtout
p. 115-117, où l’on trouve une expression récurrente chez Jacques qui signifie en gros: s’ il
ne s’agit pas d’un type, le mystère d’un événement, d’ un acte ou d’ un personnage reste
entier.
On serait vite tenté de conclure que, s’agissant également des rois et des
« oints», le contexte est plutôt celui de l’Ancienne Alliance et de ses prêtres. Le
terme «oints» n’est toutefois pas sans poser un problème: s’ il renvoie aux pro-
phètes, ceux-ci ont-ils la charge de gouverner, tâche qui revient en principe aux
rois? Sont-ils cités ici pour désigner aussi les rois, ce qui est une répétition qui
paraît un peu étrange? Ou bien renvoient-ils à tous les oints, notamment à ceux
de la Nouvelle Alliance, donc aux chrétiens? On se demanderait alors pour
quelle raison un oint, un chrétien, serait placé à côté des rois qui gouvernent.
Toutefois, le contexte général du mīmrā dont le texte est extrait ne s’ oppose pas
à une lecture chrétienne de ce terme, car il porte sur le concile de Nicée et sur
la christologie (BedS 851-855) qu’il fait suivre et confirme par la pneumatologie
(BedS 855-857). Plus encore, le contexte proche, le baptême chrétien qui pré-
cède le texte cité (BedS 856,14-21), laisse supposer que Jacques pense à l’ onction
de l’Esprit donnée aux prêtres chrétiens. Mais comment expliquer la mention
des «rois» dans le texte? Il semble inconcevable que Jacques ait attribué une
quelconque onction aux rois chrétiens, et la preuve en est donnée par l’ éloge
qu’il consacre à l’empereur Constantin, qui mérite le titre d’ apôtre, de compa-
gnon des apôtres (BedS 843-851), sans qu’il y ait mention d’ une onction royale
qui lui aurait été gratifiée. L’identité de ces «oints » étant difficile à détermi-
ner, nous respectons l’ambiguïté du texte, nous interdisant d’ en induire une
référence à des catégories appartenant à la Nouvelle Alliance.
De ce bilan, il ressort que l’onction sacerdotale en tant que composante
ecclésiale est à peine attestée dans l’œuvre de Jacques, contrairement à celle
de l’Ancienne Alliance où elle est bien présente à côté de l’ onction des rois
et des prophètes. Ce qui est encore plus surprenant, c’ est que l’ intérêt que lui
porte Jacques est en retrait par rapport à ses prédécesseurs. Éphrem devait être
encore plus porté à aborder la question de l’onction, incité qu’ il était, comme
nous le disions au début de cette partie, par le contexte polémique contre les-
dits hérétiques et la validité de leur sacerdoce en dehors de la grande Église.
Le contexte polémique de Jacques est bien différent, car c’ est désormais la
controverse christologique qui l’emporte, au point d’ éclipser la question ecclé-
siologique et ce qui s’y rapporte, notamment l’ onction. Encore doit-on être
certain que nos auteurs avaient admis l’existence d’ une onction sacerdotale
pour le ministre ecclésial, ce qui ne semble pas être prouvé par leurs textes.
8.1.4 Narsaï
Pour une fois, Narsaï n’est pas en retrait par rapport aux autres docteurs syria-
ques, notamment pour les notions d’élection, de don-grâce et d’ onction en
connexion avec l’Esprit Saint. Seule l’imposition est peu évoquée chez lui. À la
lumière de ces notions successives, le plan s’impose de lui-même et se calque
sur celui des trois auteurs que nous venons d’étudier.
117 Cf. supra, p. 73.178.329. Nous n’avons pas à développer ici tous les aspects de cette élec-
tion, notamment sa dimension sotériologique et son sens antiarien. Dans la suite de notre
exposé, certains traits de cette élection seront soulignés en rapport avec l’ élection des
humains.
118 Pour le premier sens, cf. I 56, 11-12; PP I 222,8; pour le second sens d’ après lequel Jésus est
appelé à une vocation, celle de «déraciner l’Erreur (ṭūʿyay) et de semer sur la terre le nom
du Créateur», cf. II 148,1-2. Ce double sens est aussi appliqué à l’ homme, à qui Dieu donne
son nom (I 120,17-18) et l’investit d’une mission (I 120,17-18 ; 122,8-9 ; 125,7-10). À cette mis-
sion, Dieu appelle les bons et les méchants: les bons pour inciter leurs pairs à œuvrer pour
la justice, et les méchants pour donner espoir à ceux qui n’en ont pas en leur montrant
l’amour infini de Dieu (I 70,5-7).
119 À propos de l’ idée reprise d’Aphraate, d’après laquelle les justes du peuple constituent
une chaîne qui transmet le mystère caché, le levain de vie accordé au peuple, cf. supra,
p. 57.
son avec le verbe «élire», laisse supposer une succession dans le temps entre
le verbe «élire» et le verbe šadar : le premier est fondamental et le second lui
succède et se fonde sur lui. Ainsi en est-il de Jean Baptiste, que Jésus « élut de sa
propre race et envoya au-devant de lui» (McLeod II 401). De même, après que
Jésus «pêcha» (ṣadeh) Paul, il l’envoya sur le chemin du kérygme, auprès des
peuples (I 54,12-13), comme il procéda d’abord à l’ élection des prêtres pour les
envoyer ensuite en mission (I 357,8-9)120.
Le verbe «élire» est utilisé par Narsaï essentiellement en rapport avec les
prophètes, les rois, les juges et les prêtres. Il se distingue de Jacques par le fait
qu’il nomme les élus sans toujours chercher à élaborer une réflexion sur les rai-
sons et les enjeux de leur élection, si l’on excepte celle du peuple, d’ Abraham,
de Judas et de Paul. Même l’élection de la Vierge Marie comme mère de Jésus,
suscitant chez Jacques une réflexion sur la dialectique entre l’ acte de Dieu et
l’ aptitude de la Vierge, ne fait l’objet que d’une allusion chez Narsaï qui admet
que la Vierge est élue comme «demeure» de l’amour de Dieu (McLeod I 194).
S’il est vrai que tout homme est objet de l’élection divine, il ne reste pas
moins vrai que Narsaï, envisageant l’économie divine dans l’ histoire du salut,
reconnaît que des personnes ont été élues pour des missions particulières.
Parmi les catégories relevées, à côté des patriarches, on trouve cités les rois et
les prophètes. Une place de prédilection est aussi attribuée aux prêtres dans
l’ Ancienne comme dans la Nouvelle Alliance. Rarement évoquée, « l’ élection
des prêtres (gabyūt kahnē) de la maison de Lévi » fait désormais partie de la
mémoire passée du peuple, avec la manne, le bâton d’ Aaron et le vase où se
conservent la manne (Frish V 161-162). Rares également les textes de Narsaï
où une allusion est faite à l’élection des apôtres, ou des évangélistes. Tout au
plus trouve-t-on attestée l’élection des apôtres dans l’ exposé que le docteur
syriaque consacre au partage des régions entre eux, lequel partage est accom-
pagné par la «parole» (bat qalā) qui les a élus: « Et voici que je suis avec vous
à jamais» (cf. Mt 28,20) (PP I 233,10-11). Pour l’élection du prêtre, il est dit que
Jésus l’élit comme médiateur (meṣʿayā) entre lui et le peuple (I 357,8-9, texte
déjà cité), élection toute de grâce (b-ṭaybū ; litt.: par grâce) et où le ministère
qui consiste à éloigner l’impiété et à donner l’Esprit s’ exerce non pas par sa
propre force, mais par la puissance de Dieu (I 367,18-19). Il est même du devoir
du prêtre élu dans l’Église sainte de gouverner le troupeau « selon le vouloir
du chef du sacerdoce», Jésus Christ (PP I 393,6-7)121. Quant aux trois docteurs
auxquels Narsaï consacre un mīmrā entier122, ce n’ est pas le terme « élire » qui
120 Nous citerons ce texte un peu plus loin, quand nous parlerons de l’ élection des prêtres.
121 Texte que nous avons évoqué supra, p. 132.
122 Cf. PP I 253-287.
Mais cette élection est encore confirmée par le parti adverse, représenté par son
chef, le vil Satan qui élit des ennemis vils pour combattre les trois docteurs :
Le même procédé est adopté pour désigner les imposteurs qui ont élu de faux
témoins lors du procès du juste Nestorius (I 267,1). Non qu’ il faille donner ici à
l’ élection le sens dont elle est investie quand elle désigne l’ acte par lequel Jésus
procède à l’élection de ses disciples, car son évocation dans ce contexte a pour
seul but d’opposer une élection vile, donc inauthentique, attribuée à Satan ou
aux imposteurs, à une élection authentique qui est représentée par le choix des
disciples.
l’ élection d’Abraham, qui interpelle sur la raison pour laquelle Dieu établit des
distinctions, des prédilections, à l’intérieur du genre humain :
Une question similaire est posée en vue de connaître la raison qui justifie
l’ élection du peuple: si tous les hommes sont de nature égale, pourquoi Dieu
sépare-t-il le peuple des autres peuples pour en faire son propre peuple ? Ainsi,
s’ adressant au peuple, le docteur syriaque le questionne de façon pathétique :
Dans la suite du texte, Narsaï expose une série de prérogatives réservées au seul
peuple dans une tentative de comprendre sa prédilection aux yeux de Dieu : les
promesses, les révélations de la prophétie, la Loi, les miracles et les prodiges
(I 300,3-9). La même question se pose pour l’amour privilégié que Jacob voue
à son fils Joseph, bien que tous ses fils aient «la même nature» (ḥad hū kyanā)
et la même descendance (II 267,4-5).
La justification que donne Narsaï de l’élection d’ Abraham et du peuple –
qui, répétons-le, sont liés chez notre docteur – consiste à soutenir que la finalité
de l’acte divin n’est réservée ni à Abraham seul ni au peuple seul, mais qu’ elle
concerne tous les hommes:
Mais pour d’autres personnes, l’élection est bien l’ œuvre de l’ Esprit. Il en est
ainsi du prophète Zacharie «que l’Esprit a élu» et à l’ esprit duquel il montra
les «choses spirituelles (rūḥanayatā)» (I 47,6). La même expression est dite de
Paul «que l’Esprit a élu» et qui l’instruit sur la véritable identité de Jésus en
qui les deux natures sont bien distinctes (I 85,4-6). Par conséquent, ceux qui
osent blâmer Paul sont eux-mêmes blâmés par « l’ Esprit qui l’ a élu » et non
pas par l’apôtre (I 85,6-7). Avec l’élection opérée par l’ Esprit, on n’ajoute rien
à l’énoncé fondamental qui définit son origine divine, mais on précise davan-
tage la modalité de sa réalisation dans l’histoire du salut, notamment dans la
période où Jésus, désormais absent par son corps après sa résurrection, agit par
son Esprit.
Cependant, Dieu qui intervient par pure grâce et nullement en réponse à un
quelconque mérite de l’homme, agit-il en faisant fi de toute aptitude humaine,
124 Cf. supra, p. 57.330, où nous avons succinctement exposé l’ élection d’ Abraham et du
peuple.
de toute attente qui rendrait recevable son don? Comme nous l’ avons vu chez
Jacques, le cas de Paul est bien pertinent à ce propos et la conspiration qu’ il
trame contre Jésus et ses disciples exclut l’idée d’ après laquelle Dieu porterait
une attention à la disposition d’accueil chez l’homme. Et pourtant, le Seigneur
ressuscité ne recule pas devant le projet de choisir le plus zélé des Juifs contre
sa cause, chez qui Narsaï, comme Jacques, trouve une attente qu’ il décèle dans
son authenticité125, d’après le témoignage que livre Jésus à son sujet à Ananie :
L’amour qui fit que Joseph, le pur, est aimable aux yeux de son père,
lui-même (cet amour) a aussi élevé l’apôtre au-dessus de ses compa-
gnons.
125 Dans l’argumentation de Narsaï, il est clair que l’attention que le Ressuscité porte sur Paul
dépasse le plan des actes, des décisions actuelles, pour pénétrer l’ attitude qui caractérise
la personne. Car, sur le plan des décisions, Paul refuse au moment où Jésus le rencontre
de s’allier à sa cause:
Bien qu’il ne le veuille pas, ton «Signe» (remzaḫ) l’ a subjugué sous le joug de ton
amour (I 70,12).
127 Narsaï aborde l’échec de David et de Saül et conclut que Dieu les a élus « sans qu’ il erre»,
car il agit à la lumière de l’«épreuve de son activité» (PP II 774,16-17). Sachant que les deux
rois failliront, Dieu n’hésite pas à les élire pour montrer qu’ il répand son amour aussi bien
sur les méchants que sur les bons (PP II 774,17-19).
128 Ici, nous faisons allusion au don comme cadeau (PP II 784,8-9), à Jésus comme don à
l’humanité (PP I 593,16-20) sous la forme du pain et du vin (I 355,14-15). En fait, le Fils
et l’Esprit sont à la fois dons et donateurs. Les dons que Jésus répand sur l’ humanité sont
essentiellement l’héritage de la vie et la participation à l’ immortalité grâce à la plénitude
de la divinité (cf. Col 1,19; 2,9) qu’il a reçue du Père (II 73,14-16). Mais c’ est surtout l’ Esprit
qui est le don par excellence que le Fils fait à l’humanité. Par ailleurs, l’ Esprit est éga-
lement donné à Jésus lors de son baptême (McLeod II 15760). Comme don, l’ Esprit est
efficace dans les deux sacrements d’initiation, dans le baptême (I 344,10-11) et notamment
par l’épiclèse dans l’eucharistie (I 353,5-6).
129 Cf. I 68,13-14; II 192,15-16; 356,11-12; McLeod II 157-158 ; Frish II 5-8.
de Dieu, son don qui doit s’adresser à tous, bons et méchants (I 70,4-5), se res-
serre pour ne gratifier que certaines personnes par des grâces dont est exclue la
multitude. Ainsi observe-t-il qu’à la Pentecôte, le Fils répand son Esprit sur les
apôtres exclusivement, «ministres de sa prédication» (II 73,16-23) et chargés
de proclamer au monde entier que sa nature et celle de l’ Esprit sont égales
à la nature du Père (II 80,7-81,1sv). Traitant des prêtres de l’ Église qu’ il défi-
nit comme médiateurs entre Dieu et les hommes (I 343,14), Narsaï les présente
comme l’incarnation de l’amour de Dieu pour les hommes. À ce titre, ils sont
appelés à jouer un rôle «sacramentel» dans la mesure où ils sont incités à mani-
fester, à rendre réel, l’amour divin pour les autres hommes :
Le don confié aux prêtres étant ici le baptême (I 344,10-11), il peut ailleurs dési-
gner, dans un contexte où les prêtres sont accusés de mépriser le don qui leur
est fait, la proclamation de la Parole de Dieu et la gouvernance de son troupeau
(II 331,11-21). On retrouve ici les trois dons, sacramentel, kérygmatique et de gou-
vernement que l’ on étudiera dans le chapitre suivant sous le registre des trois
fonctions sacerdotales. Dans la perspective qu’on vient de signaler, ils relèvent
des dons accordés aux prêtres, que ceux-ci ne cessent de décrier au lieu de les
faire fructifier pour le bien de leurs fidèles.
Admettant qu’il s’agisse là des dons accordés aux prêtres, la question est
maintenant de savoir si, pour Narsaï, le sacerdoce lui-même est un don. Il est
évident que, des charismes donnés aux prêtres au sacerdoce comme charisme,
il n’y a qu’un pas, et ce pas a été franchi par notre auteur. C’ est dans un contexte
où l’accusation des prêtres est à son comble que Narsaï leur reproche de mépri-
ser ce don en le vendant à prix modique à des personnes indignes, oubliant
que c’est un «don plein de vie» qu’ils échangent contre de l’ argent inanimé
(mītā ; litt.: mort) (II 154,1-3). C’est, confie Narsaï, un commerce pernicieux et
corrupteur auquel se livrent les ministres sacerdotaux, lorsqu’ ils soumettent
non seulement le sacerdoce sans prix au marché de l’ offre et de la demande
(II 334,18-19), mais aussi quand ils cherchent à exploiter au plus haut point les
candidats au sacerdoce en leur extorquant des sommes d’ argent exorbitantes
en contrepartie du sacerdoce à vendre (II 335,11-12). Dans le même contexte,
mais dans la perspective eschatologique du jugement dernier, lors duquel Dieu
condamnera ceux qui n’ont pas manifesté de la miséricorde envers le prochain,
Narsaï fustigera en premier lieu les prêtres qui, à cause « du don et de la grande
puissance» qu’ils ont reçus, seront assujettis à la sanction la plus sévère :
130 Cf. supra, p. 90-98. Rappelons que l’imposition proprement sacerdotale n’est évoquée que
dans un mīmrā d’authenticité douteuse (I 277,9-11; 288,23-289,1), si l’ on excepte ce qui est
dit de l’imposition des mains des apôtres sur le martyr Étienne (I 95,12-17 ; une partie de
ce texte sera citée dans le corps du texte).
131 Voici le texte:
Protège par ta main (agen īdaḫ) notre camp dépourvu de force,
car le nombre d’amis de la vérité s’y est réduit (I 269,3-4).
132 I 75,17-18; 77,13-14.20-21.
Nous ne nous étendrons pas ici sur la fonction dont est chargé Étienne après
avoir reçu l’imposition des mains et la sanctification. De toute évidence, dans
le contexte qui nous intéresse, Narsaï songe à une tâche cultuelle et non sim-
plement au service de table, conformément à la vision défendue dans les Actes
des Apôtres (cf. Ac 6,2-4). Sanctifié par l’imposition des mains, Étienne est mis à
part, dit Narsaï, pour qu’il «officie (nehwē mqadeš) les mystères saints » (I 95,16-
17), ou, comme le texte de Narsaï le révèle encore, Étienne est devenu « ministre
des mystères redoutables et divins» (I 95,17-18). Peut-être faudrait-il y discerner
une projection de la pratique diaconale telle qu’ elle était exercée au temps de
Narsaï sur une fonction qui avait un sens différent au temps apostolique.
La notion d’onction est plus présente dans l’œuvre de Narsaï, mais elle n’est
presque jamais associée à l’ordination sacerdotale. Pour cette raison, nous nous
limitons à évoquer ses différentes application et fonctions : onction de Jésus par
l’ Esprit lors de son baptême (McLeod II 439-440) et au moment de ses tenta-
tions par Satan (PP I 331,1-2; II 344,5-6), l’onction de Paul par l’ Esprit pour le
réconforter lors de ses combats (PP II 593,17-18), onction d’ Adam qui le rend
« une âme vivante» (McLeod II 4). La puissance de l’ Esprit est aussi accordée
par le baptême chrétien administré «par l’huile et l’ eau », ce qui permet au
baptisé de vaincre les forces du mal (I 368,3-4).
Si Narsaï reprend d’Éphrem la symbolique de l’ onction et de l’ huile, il
ne s’en démarque pas moins sur certains traits essentiels : son insistance sur
l’ action de l’onction dans le combat que mène le chrétien, à l’ image des ath-
lètes qui courent dans le stade (1Co 9,24) (I 367,24-368,3), la distinction qu’ il
133 C’est un texte que Brock, From Annunciation, p. 76, n. 14, cite pour démontrer que le terme
magnanūtā est utilisé pour la première fois par Narsaï dans la chrétienté syriaque orien-
tale et par Philoxène dans la littérature syriaque occidentale.
134 Face aux détracteurs de sa christologie, Narsaï demande : « Qui a été élevé par (b-ʿelat)
l’huile?» (McLeod II 348).
135 Parmi les rois, l’auteur retient l’onction de Jéhu par Élie (I 184,23-24), celle de David
(PP II 588,13; 789,11) et de Salomon (PP II 796,16-21) et, dans une acception parabolique,
l’onction d’Hénoch «pour la vie immortelle» (PP II 126,1). Il est possible, vraisemblable
même, que Narsaï se réfère à la prophétie de David lorsqu’ il admet qu’ il a été oint comme
«révélateur» (mbadqanā, terme qui pourrait avoir aussi le sens de « prophète») (PP II
588,13), bénéficiant de «l’esprit de révélation» capable de chasser l’ esprit mauvais qui
vient tourmenter Saül (1 S 16,14-23) (PP II 588,15-22).
Narsaï s’est tellement fixé sur l’onction de Jésus à cause de la polémique chris-
tologique, qu’il a fini par reléguer au second plan les autres onctions, celles
des rois et des prophètes, et a quasiment oublié l’ onction sacerdotale. Qua-
siment, dirions-nous, car Narsaï connaît la symbolique des deux oliviers qui
dépeignent le sacerdoce et la royauté (I 47,11-13). Cependant, il ne se sent nul-
lement obligé de la commenter ou de développer à son sujet une réflexion qui
éclaire la nature de l’onction sacerdotale par rapport aux autres onctions. Tout
cela, reconnaissons-le, est développé au sujet de l’ onction dans l’ A.T. Quant à
considérer l’onction sacerdotale du ministre ecclésial, il faut bien reconnaître
qu’elle est totalement absente dans les écrits de Narsaï.
Cette partie sur les fonctions sacerdotales s’annonce la plus longue, bien que le
sujet ait été évoqué à différentes occasions dans nos chapitres précédents, et en
dépit de notre intention de nous focaliser principalement et presque exclusi-
vement sur le rôle du prêtre qui se traduit dans ses fonctions. Cela requiert que
nous ne nous étendions pas outre mesure sur les domaines relatifs à ses acti-
vités, qu’il s’agisse des sacrements, du kérygme et de la gouvernance, ou encore
sur d’autres fonctions que nous aurons à déterminer. De plus, ces domaines
ne seront signalés que s’il est clairement établi que le prêtre y exerce un rôle
quelconque. À simple titre d’exemple, on ne trouve chez Aphraate aucune allu-
sion à la présence du prêtre lors des célébrations du mariage et des funérailles,
silence que l’on doit respecter sans en conclure pour autant à l’ absence du
prêtre à ces rites. Ceci étant dit, il est toutefois vrai que, dans leur approche
originale et sans qu’il y ait concordisme de notre part, les auteurs syriaques
rejoignent la tradition ecclésiale qui met en valeur les trois grandes fonctions
sacerdotales, cultuelle, kérygmatique et de gouvernance. Les autres fonctions
reflètent l’intérêt et le souci de chaque auteur, inspiré en cela par des tâches
soulignées dans l’Évangile et assignées aux disciples. Notre plan prévoit pour
chaque auteur une analyse de la notion de ministère avant de passer à l’ étude
successive de chaque ministère.
8.2.1 Aphraate
Concevant le sacerdoce comme un ministère, Aphraate accorde à ce dernier
concept une dimension cultuelle du fait qu’il s’accomplit devant Dieu et au ser-
vice des hommes. Nous analyserons en premier lieu ce ministère cultuel, avant
d’aborder les deux autres ministères de la parole et de la gouvernance. Nous ter-
minerons par une courte analyse sur les fonctions de guérison et d’ exorcisme.
par un culte devant lui. Parfois, dans une formulation passive, il est affirmé
que le Christ est servi par (men īday) les hommes (I 277,10-11). Même les anges,
d’après la terminologie d’Aphraate, ne servent pas devant Dieu, mais bien Dieu
(I 828,10-12), ou encore ils servent Jésus, mais non pas devant lui, lorsqu’ ils des-
cendent à sa tombe (I 909,24-25).
Pour clore cette analyse sur la terminologie, notons que le ministère sacer-
dotal se trouve encadré d’une part par le ministère du Christ qui est appelé lui
aussi «saint Ministre» (mšamšanā qadīšā) (I 684,6)140, modèle de tout minis-
tère ecclésial et, d’autre part, le diacre qui occupe la troisième place dans une
hiérarchie incluant en plus l’évêque et le prêtre (cf. I 573,4-14). Il était urgent
de relever cette conception du sacerdoce comme ministère avant de passer
aux ministères proprement dits, ceux qui définissent les domaines où s’ exerce
l’ activité du prêtre.
140 À la différence du terme fūlḥanā, le «Ministre» est toujours le Fils, tandis que le falaḥā,
le «Laboureur», est toujours Dieu le Père (cf. I 229,23-24 ; 681,23).
141 Dans le texte précédant celui que nous commentons, Aphraate appelle « détenteurs des
trompes» (aḥīday qarnatā), en écho à aḥīday qlīdē, (détenteurs des clés), ceux qui pro-
cèdent au choix des solitaires pour le combat spirituel, qu’ il identifie aux « prêtres, scribes
et sages» (I 341,11-344,9, spéc. 341,13-14). Faut-il y voir trois catégories différentes, ou trois
qualifications revenant à une seule personne, les «prêtres» nommés en premier lieu ? Le
texte d’Aphraate ne permet pas de trancher. D’autant que, s’ il est possible de supposer
que les scribes et les sages puissent jouer un rôle dans la catéchèse des candidats, c’ est
aux «détenteurs de la trompe» qu’est imputé l’acte de faire descendre dans l’ eau baptis-
male (cf. I 344,2-7). Il n’est pas impossible que le style d’ Aphraate prenne des tournures
oratoires au-delà desquelles le sens n’est pas difficile à cerner, comme le cas présent où il
faut comprendre que c’est aux prêtres qu’est assignée la fonction de faire descendre dans
l’eau baptismale.
ceux qui ont été élus pour le combat (pour) qu’ ils soient éprouvés» (I 348,1-
4). Un autre indice prouvant que l’administration du baptême est réservée
aux ministres ecclésiaux est la description que donne Aphraate des « apôtres
paranymphes (maḫūrē)» (I 680,11), «messagers du Christ, hérauts véritables »,
en les désignant comme «engendrant dans l’eau » baptismale (mawlday men
mayā) (I 680,21-23)142. On trouvera un écho à cette fonction dans la restriction
aux seuls apôtres du don que Notre Seigneur fait du « mystère (razā) du bap-
tême», leur annonçant que celui qui croit et sera baptisé vivra, et celui qui ne
croit pas sera jugé (Mc 16,16) (I 41,2-5). En dépit de ces rares textes143, il apparaît
comme évident que l’administration du baptême relève de la compétence des
apôtres et, après eux, des ministres de l’Église.
Bien que les prêtres de l’Ancienne Alliance aient la responsabilité de pré-
senter les offrandes144, Aphraate est silencieux sur la présence du prêtre dans
la célébration de l’eucharistie. Toutefois, il ne manque pas d’ insister sur son
rôle dans l’expiation, fonction qu’il a soulignée avec force chez les prêtres de
l’ A.T.145. Ce rôle d’expiateur joué par les disciples de Jésus ainsi que par les
prêtres a certainement été mis en valeur en raison de l’ importance accordée au
titre du Christ comme médecin dans la tradition syriaque146, et, en ce domaine,
Aphraate ne fait pas exception:
142 M.-J. Pierre traduit l’expression mawlday men mayā par « engendrés par l’ eau », tandis que
Murray, Symbols of Church, p. 164 le rend par «who bring (souls) to birth by water ».
143 Nous ne pouvons inclure le commentaire que consacre Aphraate au récit des Actes des
Apôtres, où certains disciples à Éphèse avaient seulement reçu le baptême de Jean Bap-
tiste (Ac 19,1-7), que le docteur syriaque clôt en citant les paroles du Seigneur à ses dis-
ciples: «Jean a baptisé avec l’eau, mais vous serez baptisés (teʿmdūn) par l’ Esprit Saint »
(Ac 1,5) (I 529,17-20). Ainsi convient-il de vocaliser le verbe teʿmdūn et non pas taʿmdūn
comme le propose Parisot qui traduit pourtant par vos autem baptizabimini (vous serez
baptisés), tandis que M.-J. Pierre propose «vous baptiserez». Pour cette raison, le texte ne
peut être invoqué à l’appui d’un baptême administré par les disciples.
144 Cf. supra, p. 207-210. En guise de rappel, les «prêtres saints » que sont Nadab et Abihu sont
qualifiés de «présentateurs d’offrandes» (mqarbay qūrbanē) (I 616,9-10), ou encore que ce
sont les prêtres qui scellent le serment avec Nabuchodonosor par « l’ offrande qui s’ élève
sur l’autel» (II 137,2-3).
145 Cf. supra, p. 207.
146 Pour Éphrem, cf. notre Pensée symbolique, p. 259-271; pour Jacques, cf. notre Théologie II,
p. 114-130. Dans une perspective globale, incluant également les Actes de Judas Thomas,
les psaumes manichéens et la Didascalie, cf. Murray, Symbols of Church, p. 199-204.
147 Cette même idée d’un médecin sage qui guérit par la pénitence est dite en I 316,6-13 et
répétée en I 324,3-5, en désignant Dieu comme médecin pour le pécheur.
148 L’hypothèse qu’émet Murray, Symbols of Church, p. 202-203, d’ après laquelle la personne
à qui on confesse son péché est un membre de l’Ordre qui « has never been necessarily
a priest», est une critique adressée à la thèse de Parisot et de de Vries sur la confes-
sion privée chez les Syriaques de la première génération. Sans aller jusqu’ à confondre
«confession privée» telle qu’elle est pratiquée dans la tradition ecclésiale ultérieure et
le caractère inviolable du secret de la confession, le recours à un membre de l’ Ordre à
qui on confie son péché, tel que défendu par Murray, reste une hypothèse à l’ appui de
laquelle l’auteur ne fournit aucun texte chez Aphraate. De toute façon, dans son article
condensé sur l’expiation, Brock, Mot ḥūssayā, p. 162, est d’ avis que les « médecins » dont
parle l’Exposé 7 sur le pénitents «sont les prêtres de la communauté chrétienne ».
149 Il n’est peut-être pas anodin que, plus loin, Aphraate nomme les trois grands pécheurs,
représentants du sacerdoce et de la royauté dans l’ A.T. et le N.T. : « Aaron, le chef des
prêtres», «David, le chef des rois d’Israël» et «Simon, le chef des disciples » (I 336,12-22).
150 Dans ce seul texte d’une dizaine de lignes, Aphraate multiplie l’ emploi du titre
«Seigneur» (marā), sept fois en tout, pour rappeler à l’ homme qu’ il n’est pas le seigneur
de son compagnon (kantā) et que ce n’est pas à lui que revient le droit de le juger et de le
condamner.
151 Il cite notamment Ez 3,17-21; 34,16 et Za 11,9.17.
152 Lc 12,42 et non pas Mt 24,45, qui a le terme saybartā (nourriture).
153 C’est bien le cas lorsqu’Aphraate explique le «lier» par l’ excommunication (cf. surtout
I 708,7-8) évoquée à côté de la mise en chaîne et l’ emprisonnement. Ce sens d’ excom-
munication donné à «lier» est également attesté dans l’ exégèse que livre Aphraate de
l’onction promise à Jéhu dans le but d’anéantir la maison d’ Achab (1 R 19,16-17) (I 644,15-
20). Si telle est la fonction de l’onction du prêtre, conclut Aphraate, celui-ci est ainsi établi
au sein du peuple en vue d’«exterminer tous ses frères, de les mettre aux fers et de les
excommunier comme Jéhu a dévasté et exterminé toute la maison d’ Achab» (I 645,2-6).
En revanche, le «délier» ne reçoit aucune interprétation dans un contexte où c’ est uni-
quement l’aspect négatif des intendants qui est souligné. Sur cela, cf. supra, p. 352.
154 Cf. M.-J. Pierre, Introduction, p. 86-91 et supra, p. 351, n. 17.
(Mt 24,49; Lc 12,45). Bien qu’élargissant plus que ne le fait l’ Évangile l’ éventail
des actes d’injustice commis par l’intendant, probablement en incluant les
iniquités perpétrées par ce catholicos contre ses compagnons155, Aphraate
n’oublie pas l’acte de «lier» (cf. I 589,23; I 592,3.7) dont le pouvoir revient à
Simon Pierre dans l’Évangile et qu’Aphraate semble investir d’ un double sens :
mettre aux liens et excommunier.
155 Les plus atroces de ces iniquités seraient les condamnations sans jugement, les outrages,
l’emprisonnement (I 589,22-592,4).
156 Dans notre Introduction à l’Esprit Saint, p. 29-32, nous avons démontré que la prophétie
n’est pas uniquement la prédiction du futur, mais qu’ elle peut interpréter des événements
à l’intérieur de l’histoire juive.
157 Les thèmes les plus importants sont la résurrection des morts annoncée par Moïse (Ex 3,6 ;
Dt 32,39) (I 380,25-382,2; 993,16-996,4) et par David (Ps 88,11-12) (I 381,7-10), la condamna-
tion du peuple accusé d’imposture (Os 12,1) et d’adultère (Os 2,4) (I 768-769), la procla-
mation de la Nouvelle Alliance (Jr 31,31-32) (I 533,5-11) et le remplacement du peuple par
les peuples (Is 51,4) (I 773,5-8).
158 Il importe de signaler que nous avons choisi les textes où le terme « proclamer» (aḫrez)
est utilisé. Cependant, Aphraate peut avoir recours à d’ autres verbes synonymes, tels
que le verbe «dire». Sachant d’avance que notre objectif n’est pas de collecter toutes
les proclamations annoncées par les prophètes, notre restriction au verbe proclamer se
trouve justifiée, délimitant encore notre sujet et indiquant qu’ il n’est en rien exhaus-
tif.
159 Cf. II 4,21-22; 25,13-14; 128,24.
Bien que notre doctrine s’accorde avec notre comportement, nous avons
agi ouvertement (qrīyāyit ; litt.: avec humeur belliqueuse) et nous avons
été châtié publiquement (qrīyāyit)161.
I 633,8-10
Appelé à axer sa vie sur l’humilité devant les pénitents, tout prédicateur devra
accorder sa vie à sa prédication, ce qui suppose l’ accueil des pénitents « en
esprit de douceur» (Ga 6,1) (I 329,24-25). Ceci dit, d’ autres thèmes prêchés par
les apôtres, tels la nécessité de passer par de grandes difficultés pour entrer
dans le royaume (Ac 14,22) (II 5,3-5), sont moins pertinents pour notre propos,
à moins de supposer qu’il y ait allusion aux persécutions de l’ Église de Perse et
que la tâche du kérygme soit d’appeler à les supporter dans la foi et l’ espérance.
161 Différente de la traduction de M.-J. Pierre («Notre enseignement devrait être en accord
avec notre comportement. Nous nous sommes comportés d’ une manière et nous avions
été éduqués d’une autre»), la nôtre s’aligne sur celle de Parisot (« Doctrina nostra moribus
nostris concordat: manifeste ambulavimus, et manifeste castigati sumus »).
162 Cf. supra, p. 242. En abordant le thème ci-dessus, nous n’avons pas identifié les person-
nages qui, dans l’ A.T., passent de la fonction de faire paître le troupeau à celle de gouverner
le peuple. Parmi ces personnages, Aphraate nomme Jacob, Joseph et ses frères, Moïse,
David et Amos (I 444-448; 456,2-18). L’un ou l’autre de ces noms revient à des endroits
différents de l’Exposé «Sur les pasteurs». La seule occasion où, dans l’ Exposé, Aphraate
évoque les prêtres et les lévites, c’est pour dire que la subsistance des uns et des autres
est assurée grâce au service de l’autel et au prélèvement des dîmes respectivement (cf. Nb
18,21; Dt 18,1-3 ; Lc 10,7; 1Co 9,13-14) (I 456,25-457,9). Ces prêtres ne sont nullement pré-
sentés comme des pasteurs; même Moïse qui est prêtre pour Aphraate est considéré ici
en tant que simple pasteur.
163 On aurait attendu qu’Aphraate réserve le terme de « faire paître» (rʿā) au troupeau et de
«gouverner» (dabar) au peuple. Il n’en est rien et on ne doit pas lui en faire grief. Ainsi lit-
on que les pasteurs, après avoir fait paître le troupeau, sont choisis pour « faire paître les
hommes» (I 445,7-9). De même, après avoir fait paître et « avoir bien gouverné» (dabar
šafīr) le troupeau, Jacob fit paître et «gouverna bien » ses fils (I 445,13-15). La même inter-
version des termes s’applique également à Moïse (I 445,19-21), à David (I 448,13-17). À ce
mélange de verbes répond la désignation du peuple d’ Israël comme troupeau (I 448,9-10).
164 Cf. I 448,3-4.19-20; 452,17-18; 453,4-5. Dans la Peš de Jn 10,11 et 15, le terme n’est pas « livrer»
(šlem, ašlem), ou donner ( yaheb), mais sayem (déposer).
en formant «un seul troupeau entier et un seul pasteur» (cf. Jn 10,16) (I 452,18-
20). Il est surtout la «porte du troupeau» qui fait accéder au salut et qui offre
du bon pâturage (cf. Jn 10,9-10) (I 452,22-24).
Dans la perspective des nouveaux traits qui définissent l’ unique troupeau
jouissant de la préoccupation et du salut que lui apporte le nouveau et véri-
table Berger, celui-ci choisit un pasteur, Simon Pierre, à qui il confie la tâche de
faire paître son troupeau (Jn 21,15-17) (I 453,5-9), comme Laban engagea Jacob
et Jethro Moïse. Simon a bien fait paître le troupeau, avoue Aphraate, et la fin
de sa vie s’approchant, il confie le troupeau aux pasteurs – au pluriel – ses
successeurs, à qui il demande de bien le faire paître et de bien le gouverner
(I 453,10-11). Dès lors, Aphraate se trouve contraint de déterminer la méthode
la plus appropriée pour faire paître: exclure tout autre métier, telles que les
préoccupations commerciales et agricoles en vogue à l’ époque, qui risquerait
de détourner l’attention censée être centrée sur le troupeau, de peur que, le
pasteur vaquant à d’autres tâches, le troupeau soit livré aux loups (I 453,12-
19). Un homme avide de commerce doit être écarté de la mission de pasteur,
comme Géhazi l’a été par Élisée (2 R 5,26) (I 456,18-22). Cette négligence à
l’ égard du troupeau rapprocherait le pasteur du mercenaire (cf. Jn 10,12-13) qui
ne se préoccupe guère du troupeau (I 457,10-12). En plus des pasteurs avides
de gain matériel, une autre catégorie à écarter est représentée par le « pasteur
sot et stupide», lequel, par sa sottise, laisse les moutons mourir et s’ entretuer
(I 449,9-22; 456,24)165. Ce pasteur «sot (būrā) et stupide (saḫlā) » n’a rien à voir
avec les «stupides (saḫlaw) du monde» (1Co 1,27) et les faibles que Dieu, selon
Paul, choisit pour confondre les sages et les forts. D’ ailleurs, en montrant qu’ il
connaît le texte de l’Apôtre des nations sur le choix par Dieu de personnes stu-
pides et sottes166, Aphraate prouve qu’il est capable de distinguer la sagesse
dans son choix et la réalité humaine, de connotation négative, qui ne corres-
pond pas à cette intention divine.
165 Le texte de Za 11,9.17 est cité dans l’Exposé sur les pasteurs (I 452,4-13) et paraphrasé dans
l’Exposé sur la pénitence (I 357,12-19).
166 Cf. supra, p. 347.
Aphraate ne nie pas pour autant que Dieu «donna aux hommes pouvoir l’ un
sur l’autre» (I 793,6-7). Mais comme nous l’avons déjà vu, ce pouvoir s’ exerce
sur le trésor de Dieu (I 705,16-17) et s’identifie prioritairement au pouvoir de
« lier et délier» (I 705,19-20).
Cependant, un autre pouvoir que le Seigneur accorde aux Douze s’ exerce
« sur tout mal et toute maladie» (Mt 10,8; Lc 9,1). Dans cette perspective où
la maladie physique n’est pas à séparer du mal moral, ce que confirme le dis-
cours sur les maladies dans l’Exposé sur la pénitence, Aphraate exhorte ainsi
les «pasteurs, disciples de Notre Seigneur»:
Réconfortez les faibles, soutenez les malades, bandez ceux qui ont des
fractures, guérissez les boiteux (Ez 34,16).
I 357,9-11
Mais c’est surtout dans la lutte contre Satan et son armée que le Seigneur dote
de pouvoir ses disciples:
Comparant Jésus à Daniel qui demanda au roi de donner à ses frères le « pouvoir
sur les affaires de la cité de Babylone», Jésus aussi demanda à son Père « de don-
ner à ses frères disciples le pouvoir sur Satan et son armée » (I 976,21-24).
Citant les «serpents et les scorpions» de Lc 10,19 dans l’ Exposé sur les soli-
taires (I 239-312), Aphraate les comprend sans doute comme des forces du mal,
proches de Satan. Car, pour les dompter, il emploie le terme « fouler aux pieds »
(daš) utilisé pour la maîtrise de Satan:
De ce qui précède, il s’ensuit que le pouvoir dont sont dotés les disciples et les
ministres ecclésiaux est en fait destiné au service de l’ homme et constitue pour
ainsi dire un ministère qui guérit et libère l’homme du mal et de Satan.
8.2.2 Éphrem
Comme nous l’avons fait pour Aphraate, nous commencerons par une analyse
du concept de ministère qui définit l’arrière-plan sur lequel seront envisagées
167 Le verbe šameš et le substantif tešmeštā sont d’un emploi beaucoup plus fréquent que
ceux de flaḥ et de fūlḥanā, que nous avons déjà rencontrés chez Aphraate. Les deux der-
niers termes sont rarement utilisés par Éphrem dans une perspective nettement sacerdo-
tale. Tout compte fait, leur emploi est presque exclusivement limité à exprimer le rapport
de l’homme à Dieu, ce qui tend à les rapprocher de l’ acte d’ adoration (cf. Nat 16,1 ; 17,8.10;
CNis 52,12).
168 Éphrem revient à plusieurs reprises sur le service de Marthe qu’ il compare à l’ attitude de
sa sœur qui «ne servait pas» (Virg 35,9; cf. aussi 26,2 ; SdDN 46,15-16).
169 Dans cette même strophe, se fondant sur le texte paulinien où l’ homme est considéré
comme le chef de la femme (1Co 11,3), Éphrem en infère que « la femme sert devant (qūd-
mat) l’homme qui est son chef».
Le même lien est établi dans un énoncé où les sacrifices sanglants sont écartés
du sacerdoce de Melchisédech, mais où le ministère n’ est pas moins envisagé
comme un élément essentiel du sacerdoce:
Des deux textes cités, notamment du deuxième, il est indéniable qu’ en évo-
quant le ministère, Éphrem renvoie en premier lieu à sa dimension cultuelle.
De façon tant soit peu paradoxale, comparant le ministère cultuel dans le
temple à celui que réalise le vouloir pur dans le corps, Éphrem interchange
les termes «servir» et «officier» (kahen), censés être appliqués au corps et
au temple respectivement, pour attribuer le premier, « servir », au prêtre, et
le second, «officier», au vouloir dans le corps (PrRef II 189,10-17)170. Il va sans
dire que cet aspect cultuel du ministère occupe incontestablement la première
place chez Éphrem dans la conception du sacerdoce, et cela est bien visible
dans l’approche qu’il réserve aux évêques de Nisibe. Une première référence à
la célébration de l’eucharistie vient confirmer l’ importance du cultuel dans le
ministère de l’évêque Abraham:
C’est également auprès de l’autel que vient se réfugier le voile du temple qui se
déchira, à la suite de la déchirure de la tunique par le grand prêtre Caïphe (Mc
14,63), incident dans lequel Éphrem discerne une double symbolique : que le
sacerdoce passe de Caïphe à Jésus et que l’autel couvert par le voile est désor-
mais mis au service (l-tešmešteh ; pour son service) du Fils :
170 Voici le texte: «Ainsi, comme le prêtre est capable de purifier le temple dans lequel il ‘sert’,
de même le vouloir pur est-il capable de purifier le corps, le temple à l’ intérieur duquel il
‘officie’».
Plus loin dans la même collection d’hymnes, c’est encore à l’ évêque Abraham
qu’est rappelée la tâche de «lier et délier» (Mt 16,19), confiée par le Seigneur à
Simon Pierre, et qu’Éphrem finit par concevoir comme un ministère transmis
à l’évêque:
171 Nous n’avons pas jugé indispensable d’inclure les hymnes que compose Éphrem lui-
même et qui semblent destinées à être chantées dans l’ église, un service quasi cultuel,
car il est accompli «devant» Dieu, dans sa propre maison :
Le fruit ( yaldā) de ton don qui sortit, mon Seigneur, de mon esprit,
qu’il serve devant toi dans ta maison, comme a servi
Samuel conçu par ta grâce.
Lui aussi est de la montagne d’Éphraïm (1 S 1,1) (Eccl 30,20).
Ailleurs, ces hymnes forment ainsi «une voix (qui), comme un serviteur (šamašā), répand
ses fleurs sur la foule (kenšē ; litt.: communautés, rassemblements)» (Resur 2,6). Beck veut
lire šemšā (soleil), au lieu de šamašā, mais si l’on adopte la conjecture de Beck, le rythme
7 par 7 est rompu, car, avec šemšā, le stique n’aura que six syllabes. Rouwhorst, Hymnes
pascales, textes, p. 89, adopte la lecture de Beck.
Il tarda à venir afin que ses prophètes remplissent leur ministère (nšam-
šūn ; litt.: servent);
il monta et se tut afin que ses apôtres proclament (nmallūn ; litt.,
parlent) (le mystère).
CH 38,2
Même quand il est dit que les prophètes sont des serviteurs du fait qu’ ils pro-
duisent les images ( yūqnē) qui dépeignent le Fils (Az 4,23), c’ est à leur parole
qu’il est fait référence et non pas à des actes cultuels qu’ ils posent.
Le concept de ministère étant précisé, il est temps de passer aux différentes
fonctions sacerdotales signalées explicitement par Éphrem, autrement dit aux
fonctions nommément désignées comme ministère sacerdotal. Bien que cer-
taines fonctions aient déjà été soulignées en rapport avec la notion de minis-
tère, l’enquête fouillée qui suivra aura pour objectif de mieux cerner chaque
fonction séparément, en lui consacrant une approche la plus synthétique et la
plus concise possible.
172 Sur le Christ comme auteur du baptême, cf. Virg 7,10 ; 15,1 ; 31,4 ; Crucif 3,8.
173 L’idée d’après laquelle l’Esprit Saint est auteur du baptême est moins attestée chez
Éphrem, mais non pas absente pour autant; cf. Virg 7,1 ; SdDN 2,3-6.
174 L’Église peut être considérée comme recevant le baptême par les trois Noms divins (Virg
27,4) lors de la fête pascale (Ieiun 5,1), comme elle n’est pas moins actrice lorsqu’ elle bap-
tise elle-même ses enfants (Resur 3,15).
coup d’œil sur les textes qu’Éphrem réserve au baptême, force est de constater
que, dans la plupart des cas, l’évocation du prêtre comme acteur est attes-
tée dans les Hymnes de l’Épiphanie, dont certaines sont d’ authenticité dou-
teuse, sans qu’elle soit tout à fait absente dans les autres collections d’ hymnes.
Tenant compte de ce détail, notre étude privilégiera presque exclusivement
l’ œuvre authentique d’Éphrem, mais nous renverrons, en notes, aux Hymnes de
l’ Épiphanie dans le souci de les mettre en dialogue avec l’ ensemble de l’ œuvre
éphrémien.
Aux présumés hérétiques qui interprètent à leur guise les paroles du Sei-
gneur, Éphrem rappelle que le baptême fut confié par Jésus lui-même à ses dis-
ciples (cf. Mt 28,19; Ac 2,38)175, lequel baptême, ajoute-t-il, ne se donne qu’ une
seule fois pour la rémission des péchés (cf. He 6,4)176 :
175 Sur le rôle des apôtres dans les Hymnes de l’Épiphanie, cf. 9,12 ; 11,5.
176 Dans le texte cité, CH 2,3, Éphrem reprend l’expression « une seule fois » (ḥdā zban) de la
Peš dans He 6,4, en lui joignant balḥūd, manière d’insister sur un baptême administré une
seule fois. Rappelons que la Peš traduit «être illuminé » (photisthentas) par être baptisé
(l-maʿmūdītā nḥet ; litt.: est descendu dans le baptême).
177 Le rôle de Simon Pierre dans le baptême est également souligné dans HdF 7,25, rôle qui
sera continué par le prêtre (Epiph 7,26-27).
178 Le prêtre comme administrateur du baptême est souligné dans Epiph 4,4 ; 5,7-9 ; 7,26-27;
11,6.
179 Dans Baptême, p. 125, Beck veut montrer qu’en la personne de l’ évêque, un rapport est éta-
bli entre l’Église et le baptême. Même allusion dans Epiph 11,8, où, parmi les trois pasteurs
dont deux veilleurs (ʿīrē) invisibles, le troisième, «manifeste, qui baptise », se rapporterait
à l’évêque, d’après la conjecture de Beck, version, p. 172, n. 16, qui constate toutefois que
le texte est en partie corrompu.
180 Après avoir identifié le kahnā flīġā à un évêque, Beck, Dōrea und charis, p. 119-125 déve-
loppe les raisons qui expliquent soit le caractère vide du baptême arien, soit son caractère
hérétique, ce qui, dans le deuxième cas, nécessite une rebaptisation. Cf. aussi Beck, Bap-
tême, p. 122-123, qui discute la validité du baptême en rapport avec la foi et conclut que
si l’Arien manquait de foi au moment du baptême, celui-ci est invalide, tandis que si son
doute a suivi son baptême, son attitude est assimilée à une ingratitude.
181 Le thème du Christ comme prêtre lié à l’eucharistie est bien présent dans l’ œuvre
d’Éphrem; à titre d’illustration, cf. Az 2,7-8; Crucif 3,10 ; Virg 36,4 ; 31,4. Pour l’ Église
comme auteure de l’eucharistie, cf. Az 6,6; CGeX 119,14-16.
182 Nous n’avons pas à nous étendre sur cette polémique axée principalement sur le docé-
tisme dont Éphrem accuse lesdits hérétiques; à ce sujet, cf. CH 47,2-6. Sur cette polémique
antimarcionite touchant l’eucharistie, cf. Beck, Eucharistie, p. 46 et 66.
Cela n’est pas suffisant pour le prêtre et son nom (kūnayeh ; litt. : sur-
nom)
qui offre le corps vivant.
Qu’il se purifie à tout moment,
car il se tient comme médiateur
entre Dieu et l’homme (našūtā, litt.: humanité).
Béni soit celui qui a purifié ses serviteurs.
CNis 18,12
Les prêtres des Églises t’ont pris dans leurs mains (b-ḥūfnayhūn, litt. :
dans le creux de leurs mains),
toi, pain vivant qui t’es abaissé et t’es mêlé à nos sens.
Virg 35,12
Ce n’est pas tant l’acte de prendre dans la main qui singularise l’ action du
prêtre qui officie, car elle est dite ailleurs de tous les fidèles183, que la réfé-
rence nominale aux prêtres d’Église et à leur comparaison avec les prêtres de
l’ Ancienne Alliance qui les met à part dans la communauté.
En abordant l’expiation, on ne quitte pas définitivement les sacrements
de l’initiation chrétienne, car ces derniers contribuent à l’ obtention de la
rémission des péchés. Si, dans le baptême, la rémission des péchés a Dieu,
en l’occurrence le Christ184, comme auteur premier, ils n’en sont pas moins
confiés par celui-ci aux ministres ecclésiaux, et d’ abord aux disciples de Jésus.
183 Cf. Eccl 13,20, où le discours, s’adressant à tous les fidèles, les exhorte par ces mots :
«Recueillez dans vos mains (b-ḥūfnaykūn), prenez le trésor de la vie ».
184 La rémission des péchés comme action réservée au seul Dieu est un thème récurrent chez
Éphrem, cf. SdDN 17,7sv; 38,8-14; 41,8sv; 44,7-15. Sur le Christ comme auteur de l’ expiation,
cf. Virg 31,4, et dans l’eucharistie, cf. Eccl 32,2.
Par conséquent, ceux qui doivent libérer les hommes du mal par une
action (ba-ʿbadā) visible, voici qu’ils expient les dettes des hommes par
un pardon invisible.
Ov 51,16-20
Éphrem conclut que ce pardon des péchés est fallacieux et trompeur et ceux
qui prétendent l’avoir accordé voient leurs péchés septuplés (Ov 51,20-23). En
insistant sur le fait que Dieu nous pardonne « au prix de notre souffrance»
(pénitentielle) (CH 2,3)185, Éphrem s’attaque à une conception magique défen-
due par les Manichéens, d’après laquelle le pardon est obtenu par des « mor-
ceaux de pain» (cf. Ez 13,19) offerts à ceux qui ont pouvoir d’ accorder la rémis-
185 Citant ce texte, Murray, Symbols of Church, p. 185, se demande s’ il faut comprendre
l’expression «lier et délier» attribuée aux disciples comme une référence au sacrement
de pénitence. L’auteur souligne l’ambiguïté de la position d’ Éphrem qui s’ expliquerait
par le fait qu’au «lier et délier» imputé aux disciples est associé le pardon qui s’ obtient
par la souffrance pénitentielle du fidèle. La position d’ Aphraate n’est pas moins ambiguë,
affirme Murray, ibid., p. 185-186, même si une référence au sacrement pourrait être déduite
du terme «prière» (708,1-9) qui pourrait renvoyer à l’ acte par lequel l’ autorité ecclé-
siale admet le pénitent à la communion ecclésiale. Bien avant Murray, Beck, Reden,
p. 68-70 relève l’insistance chez Éphrem sur le caractère personnel de la pénitence dans
l’obtention du pardon, mais il n’exclut pas l’élément ecclésial représenté par les deux
termes šrā (délier) qui signifie la réconciliation ecclésiale et de esar (lier) qui renvoie à
l’excommunication du pécheur. Dans des publications ultérieures, comme dans Dōrea
und charis, p. 110-111, Beck tend à voir dans le seul texte de CH 2,3 une allusion à la disci-
pline ecclésiale de pénitence: «Hier wird wohl eine kirchliche Bussdisziplin erwähnt, von
der Éphräm sonst in seinen Werken, so weit ich sehe, nicht spricht ». En revanche, dans
Polemik gegen Mani, p. 21-22, Beck avait conclu, à la lumière de CH 2,2-5, à l’ absence de
toute discipline de pénitence chez les Manichéens. Quant à de Halleux, Éphrem le syrien,
p. 344, il est d’avis qu’Éphrem envisage la «pénitence pénible » « comme une contrition
intérieure que comme l’institution publique».
sion des péchés (CH 2,4)186. C’est une démarche qu’ Éphrem qualifie de « farce»
(šeʿyā), rappelant que les «morceaux de pain» dont parle le prophète Ézéchiel
constituent une offrande aux fausses prophétesses en échange de pratiques de
divination ce qui, conclut le docteur syriaque, « annule la pénitence en raison
des pots-de-vin (satisfaisant) les estomacs» (karsatā ; litt.: ventres). Face à une
telle aberration, il est normal qu’Éphrem s’emploie à soutenir la juste concep-
tion du pardon qui tient comme indissociables les deux bouts de la chaîne, la
miséricorde divine et la pénitence humaine187.
Après avoir étudié l’expiation comme fruit obtenu par les sacrements de
l’ initiation et exposé la critique adressée par Éphrem à la conception que s’ en
font les Manichéens, venons-en à présent à la rémission des péchés commis
après la réception du baptême, lorsqu’ils sont un acte posé par des respon-
sables ecclésiaux. Deux références peuvent orienter vers l’ activité de l’ Église
moyennant ses ministres: l’acte de lier et de délier et le don des clés. Nous avons
cité ce texte (cf. CH 2,3), où est accordé aux disciples le pouvoir de lier et délier,
en rapport avec la pénitence comme acte de l’homme pécheur. Traduisant un
pouvoir essentiellement divin (cf. Eccl 11,4; 51,2; 38,18), l’ acte de lier et de délier
est transmis prioritairement à Simon, le Céphas, en association avec le don des
clés:
186 Pour l’ensemble de ces textes que nous venons de citer et de commenter, cf. Beck, Polemik
gegen Mani, p. 21-24.
187 Étant donné que l’exposé d’une telle conception nous éloigne de notre sujet, nous ne
faisons que renvoyer aux textes poétiques les plus importants d’ Éphrem: Virg 3,9-10 ; 46,12-
27; Virg 47,1-20; 50,4-12.22-27; SdDN (cf. n. 15); Eccl 3,3-4 ; 5,15-17 ; 34,1-9.
188 C’est dans la strophe précédente que la première béatitude est prononcée en faveur du
disciple bien-aimé, qui est enrichi par l’amour, «clé de ce trésorier» sur la poitrine duquel
il s’inclina pour puiser dans le mystère divin et confesser que le Verbe est Dieu (Jn 1,1).
Comme Aphraate qui s’élevait contre le pasteur arrogant, Éphrem profère la malédiction
contre lesdits hérétiques, Marcion, Mani et Bardésane, les accusant de « cacher les clés »
qui permettent aux fidèles d’entrer dans le royaume de la vie, et leur prédisant, comme il
le faisait dans Ov 51,16sv, un jugement sévère pour avoir « erré et fait errer la multitude »
(CH 51,15).
À l’intention des hérétiques qui donnent leurs noms aux fidèles qui ne leur
appartiennent pas, Éphrem rappelle que le chef des disciples, même doté du
« don des clés», n’a pas osé appeler par son propre nom le troupeau de son
Maître (cf. 1Co 1,12) (CH 56,5). Ce pouvoir accordé à Simon Pierre est le même
qui est transmis à Abraham, l’évêque de Nisibe, transmission qu’ Éphrem jus-
tifie par la foi confessée à la fois par le chef des apôtres et l’ évêque (CNis
21,3)189. Même si les textes à l’appui s’avèrent peu nombreux190, la fonction de
remettre les péchés confiée aux disciples et, à leur suite, aux ministres ecclé-
siaux, est attestée non seulement dans la grande Église, mais aussi dans les
communautés séparées, où ce sont leurs chefs qui exercent pernicieusement
cette tâche, entraînant leur condamnation et recevant de Dieu un jugement
des plus sévères pour avoir trompé leurs ouailles.
Hormis ces domaines cultuels que nous venons d’ évoquer, on ne trouve
aucune trace d’une quelconque activité des ministres ecclésiaux dans les
autres domaines cultuels, notamment dans la célébration du mariage, ou l’ onc-
tion des malades. Notons très brièvement que les différents contextes où
Éphrem traite du mariage sont polémiques, quand il dénonce le rejet du maria-
ge, notamment par les Marcionites, qui le jugent essentiellement mauvais
(CH 45,6-10). Il condamne aussi la contradiction de ces derniers lorsqu’ ils
refusent d’admettre la présence de l’Étranger aux noces de Cana tout en le
présentant comme jovial pour l’opposer aux adeptes du Créateur qui, comme
Jean Baptiste, doivent se soumettre au jeûne (cf. Mt 9,14-15 et parall.) (CH 47,3-
4). Éphrem ne partage pas cette conception dépréciative du mariage. Il prend
justement la défense du mariage en montrant que les noces de Cana sont une
préfiguration du festin de joie en Éden (Virg 16,2), aussi bien qu’ une image des
fiançailles du Christ et de son Église (Virg 33,1-3)191. Encore moins peut-on infé-
189 Le texte a été cité supra, p. 421 et sera cité infra, p. 531.
190 Voulant identifier la personnalité à laquelle fait allusion l’ expression « lia et délia » dans
Eccl 11,8, Beck a certainement raison d’exclure une référence à Simon Pierre, étant donné
que la liste des personnes retenues dans le texte d’ Éphrem et qui ont contribué à faire
triompher la vie sur la mort appartiennent à l’Ancienne Alliance : Moïse, David, Aaron.
Cependant, la mention de celui que «l’amour de la vie » « a élevé dans les hauteurs»
ne désigne pas Élie (2 R 2,11), comme le suppose Beck, mais bien Hénoch (Gn 5,24). Car
le texte d’Éphrem est suffisamment clair quand, pour distinguer les deux personnes, il
recourt à l’expression «il y a celui qui». En la répétant, il désigne à chaque fois une per-
sonnalité différente. Par conséquent, il est plus conforme à la logique du texte d’ Éphrem
de voir dans «il y a celui qu’il (l’amour de la vie) a élevé dans les hauteurs » une référence
à Hénoch et dans «il y a celui à qui il a donné des clés et il a délié et lié » une allusion à Élie.
191 Peut-être faut-il traduire l-ʿalmīn dans la sentence wa-gnūneh nqīš wa l-ʿalmīn hū (Virg
33,3), par «à jamais» et non pas par «für die Menschen » (pour les hommes), comme le
suggère Beck.
rer une présence de ministres ecclésiaux dans la polémique menée par Éphrem
contre la conception du mariage telle qu’elle est formulée par Bardésane et ses
adeptes. En fait, le mariage qu’Éphrem condamne chez Bardésane n’est pas
tant l’union humaine, que le mariage supposé être contracté entre le « Père
de la vie» et la mère de Jésus (CH 55,1), qui a donné naissance à « notre Sei-
gneur» lequel «a été engendré de deux, d’après le modèle (b-razā) du mariage»
(CH 55,2).
Dans une courte allusion au rite des funérailles tel qu’ il est pratiqué dans
l’ Église syriaque, Éphrem ne mentionne pas le ministre ecclésial censé être
chargé d’officier le service funèbre, mais parle de l’ Église elle-même qui aurait
souhaité accompagner, par la prière, les morts ariens qui se sont séparés d’ elle
(CNis 28,9)192. Quant à ce qui s’apparente à une onction des malades, Éphrem
n’hésite pas à évoquer des «visiteurs», difficilement identifiables, qui viennent
prier et oindre le malade et, au cas où il serait habité par le Mauvais, pour l’ en
libérer (CH 46,2). Beck se montre sceptique à l’égard de la thèse défendue dans
l’ Editio Romana et par Rücker, d’après laquelle les visiteurs sont assimilés aux
périodeutes, ces prêtres chargés par l’évêque de tournées pastorales dans les
campagnes. Il est plus enclin à admettre que ces visiteurs seraient des ascètes
dont parle Clément, thèse à laquelle il est difficile de souscrire193.
192 L’essentiel du rôle de l’Église consiste dans l’accompagnement du défunt par le chant des
Psaumes et par l’imposition des mains sur ses yeux, qui, selon Beck, pourrait renvoyer
à l’imposition du pain eucharistique. Sans chercher à trop spéculer sur la manière dont
le geste est exécuté, une question demeure en suspens : le service funèbre était-il formé
essentiellement par la célébration de l’eucharistie, ou formait-il une partie de celle-ci ?
193 Cf. version, p. 161, n. 3. Beck renvoie à Clément, Epistula ad Virgines, I 12, où il repère
des verbes et des expressions apparentés à ceux du texte d’ Éphrem, tels que « visiter»
(sʿar) et ba-ṣlūtā mawmēn, cette dernière expression rejoignant, aux de yeux de l’ éditeur,
l’exorcisme dont parle le texte d’Éphrem. Cependant, s’ il est vrai qu’ Éphrem ne men-
tionne pas les «presbytres de l’Église» de Jc 5,14, ni l’ expulsion du démon, ou du Mau-
vais, il en reprend l’expression «prier sur» (nṣalūn ʿal) et emploie un synonyme du
verbe «oindre» (mšaḥ), celui de «signer» (ḥatem). Quoi qu’ il en soit, il faut reconnaître
qu’aucune explication concernant les «visiteurs» ne s’ impose et, sur ce sujet, on reste
dans le domaine de l’hypothétique.
194 L’acte peut précéder et rendre crédible le kérygme, comme lorsque le Seigneur rend l’ ouïe
au sourd durant sa vie terrestre afin qu’après sa résurrection et armé de la « vérité» (šra-
reh) sur Jésus par la parole accordée aux sourds, l’homme ne doute plus « du kérygme
de la parole» sur la résurrection (SdDN 11,6-9). L’acte peut aussi accompagner la prédi-
cation et en faire ainsi partie. Cela, on le trouve actualisé par la façon dont les disciples
prêchent la Passion et la résurrection du Christ, en renvoyant à l’ une et à l’ autre par la
persécution qu’ils endurent et les miracles qu’ils opèrent à l’ une et à l’ autre respective-
ment (SdDN 32,19-22). C’est surtout en lien avec l’enseignement que le rapport avec l’ acte,
avec les œuvres, est établi. Et d’abord cette critique qu’ Éphrem adresse auxdits hérétiques,
leur reprochant que leur enseignement est loin d’être confirmé par des actes, des miracles
qu’ils sont incapables d’opérer (PrRef I 57,20-45). Ainsi conçu par Éphrem, le rapport peut
accorder à l’acte la primauté sur la parole; c’est ce qui ressort du conseil qu’ il donne à
l’évêque Abraham:
Que ton enseignement se distingue, plus par l’acte que par les paroles ;
semant peu de paroles, laboure notre terre (arʿan) par des actes (CNis 17,7).
Il se peut même qu’il y ait dissociation entre acte et enseignement, comme lorsqu’ il est
dit qu’il devient désormais impossible au Seigneur ressuscité, voulant informer Paul sur
sa véritable identité du Fils, de recourir à l’acte et qu’ il doit se contenter de la parole
(SdDN 33,25-34,11).
Cette «vérité» est évoquée ailleurs pour dire qu’elle constitue pour les prédica-
teurs ce que sont l’argent pour le commerçant, la semence pour le laboureur et
les oreilles pour les auditeurs (Virg 39,1). Elle est le seul port de salut, l’ unique
critère qui protège les simples fidèles face à l’ erreur des évêques ariens, en
accordant aux premiers le droit à l’insoumission au cas où le discours des der-
niers contredirait la vérité de l’Évangile (VI 165-172)195. Contre Bardésane qui
opte pour l’existence de plusieurs Êtres à côté du seul Être, Dieu, c’ est l’ Écriture
où une telle doctrine n’a pas de trace qui constitue le critère, qui la juge et la
condamne (Eccl 48,7).
Cela suffit pour délimiter le fondement christologique et le cadre ecclésial
de toute prédication valide et, par conséquent, distinguer entre les vrais et les
faux prédicateurs. On ne peut certes ignorer que la prédication est la mieux
représentée par les prophètes auprès de qui elle prend racine et qu’ Éphrem,
comme nous l’avons déjà noté, présente comme formant un couple avec les
apôtres196. Bien que prophètes et apôtres prêchent une seule et même vérité
(CH 14,7.9; 55,9), l’accent que chaque groupe met sur un ou plusieurs aspects
de cette vérité introduit une différence entre eux. En effet, tandis que les pro-
phètes prêchent la conversion, souligne Éphrem, les apôtres prêchent la résur-
rection du Fils (Eccl 9,14)197. Sur la prédication que chaque catégorie réserve au
Christ, il est souligné que les prophètes recourent aux « types », aux « mystères-
symboles» (razē) pour exprimer le mystère de Jésus198, lesquels n’ont plus de
raison d’être avec la venue dans la chair du Fils dans le monde, tandis que
c’est l’incarnation que prêchent effectivement les apôtres. Autrement dit, les
apôtres ne peuvent plus se contenter de proclamer une « image » du Christ,
dès lors qu’il s’est incarné; leur tâche est désormais de prêcher sa Bonne Nou-
velle:
195 Dans la même collection des Sermons de la foi, Éphrem reproche aux Ariens de s’ obstiner
à rechercher la vérité qui brille comme le soleil, comme si elle était cachée, hermétique,
recherche que le docteur syriaque qualifie de subtile (qaṭīnāyit) (SdF VI 17-18.25-32). En
cela, leur méthode louche les distingue de celle de l’ Église dont la doctrine, éclairée par
la vérité du Fils, est manifeste comme la lumière (CH 23,2).
196 Cf. supra, p. 226 et n. 25.
197 Un texte déjà commenté supra, p. 63.226.
198 Cf. Az 4,27; 6,10-12; 12,3.
Si, avant sa venue sur terre et après son départ, le Christ est prêché, c’ est bien
lui qui, durant sa vie terrestre, assume la fonction de prédicateur. Avec sa venue
dans le monde, une nouvelle ère est inaugurée et, comme le déclare Éphrem,
les «prédicateurs», ceux de l’Ancienne Alliance, « se sont tus » (CH 25,5). C’ est
bien l’effet du kérygme du Christ qui cause la cessation de la prédication pro-
phétique et vient sevrer les mystères-symboles déjà fatigués (Az 12,3). Quels
que soient les thèmes prêchés par le Christ, ce qui nous intéresse n’est pas tant
le contenu de la prédication que le fait qu’il est le prédicateur par excellence.
En considérant sa prédication comme le critère de toute doctrine vraie, Éphrem
n’hésite pas à défier les Manichéens en leur demandant si « Jésus leur a prêché
une quelconque épuration (ṣūllalā) en Judée et s’ il a enseigné l’ adoration des
étoiles qu’adore Mani» (PrRef II 209,5-9). Toutefois, la parole ne semble pas
avoir été l’unique moyen par lequel Jésus prêcha; l’ expression corporelle pour-
rait être un biais encore plus efficace, plus performatif, lorsqu’ Éphrem, jouant
sur les mots, non seulement voit dans le repos de Jésus au puits l’ annonce du
repos accordé à la Samaritaine (Virg 17,7), mais surtout quand il considère les
clous transperçant son corps comme ce par quoi Dieu témoigne de l’ agressivité
du peuple juif qui l’a mis à mort (CH 39,11).
Même si les énoncés explicites d’Éphrem sur la prédication proprement
sacerdotale sont rares, notre docteur n’affirme pas moins que la prédication
de Jésus est en accord total avec celle qui sera bientôt exercée par les disciples.
On trouve attestée la preuve de cette conformité entre la prédication de Jésus à
Paul sur le chemin de Damas, laquelle exprime la grandeur du Seigneur exalté
qui se traduit en toute modestie d’une part, et la prédication des disciples qui,
d’autre part, prêchent le Seigneur par la grandeur des miracles qu’ ils opèrent,
tout aussi bien que par leur modestie de gens persécutés :
Nous avons déjà évoqué l’accord entre la prédication des apôtres et celle des
prophètes. Éphrem fait aussi valoir la prédication des apôtres en elle-même
et pour elle-même, en parlant du groupe des disciples, ou en privilégiant cer-
tains d’entre eux, comme Simon Pierre et Paul. C’ est de la bouche de Satan
qu’Éphrem tire l’aveu par lequel celui-ci exprime sa crainte :
Il est vrai que les prédicateurs mentionnés ici en rapport avec les Livres
désignent plutôt les évangélistes – encore trouve-t-on Moïse nommé expres-
sément dans le texte – que les prédicateurs ecclésiaux. Il reste cependant que
les Livres reconnus par la grande Église, en lien avec ses prédicateurs, consti-
tuent un des critères fondamentaux de toute prédication valide. Nous avons
déjà démontré que l’absence de la hylē dans la doctrine de l’ Église suffit à la
discréditer et à la déclarer fausse (cf. PrRef I 140,40-141,5)200.
Quant aux évêques de Nisibe et d’Édesse, Éphrem ne manque jamais l’ occa-
sion de leur rappeler, ou rappeler à leurs Églises, leur fonction de prédica-
tion201. À première vue, révélant l’exploit de chacun des trois évêques de
Nisibe, Jacques, Babu et Vologèse, le docteur syriaque semble imputer la pré-
dication au troisième, tandis qu’au premier revient le mérite d’ avoir bandé les
blessures des fidèles et au second de les avoir nourris (CNis 14,2.4). Cette vision
répond à des situations de crise, à chacune desquelles chacun des trois évêques
contribua à apporter une solution: le premier évêque peina à déraciner les
épines, le second bâtit un siège qui protégea la communauté et le troisième
y «sema les paroles de son Seigneur» (CNis 14,3). Comparé à Aaron qui fabri-
qua le veau d’or par les pendatifs d’or ôtés aux oreilles des femmes (Ex 32,2-3),
Vologèse perça les «oreilles du cœur» de son peuple, suspendant les « boucles
qu’il forgea à partir des clous» de la croix (CNis 14,5-6). Tout comme Paul, Volo-
gèse prêcha la croix, source de salut202.
199 Beck traduit le dernier hémistiche d-awdī b-karūzaw par « den sie bekannten sich zu sei-
nen Herolden» (car ils se sont reconnus comme ses hérauts), comme si le traducteur
comprenait que la victoire du Christ s’explique par la conversion desdits hérétiques et
non pas parce qu’ils ont reconnu que les prédicateurs du Christ sont dans le vrai.
200 Cf. supra, p. 103.
201 Ortiz de Urbina, L’évêque, p. 144, souligne que, pour Éphrem qui parle des évêques de
son Église, «la tâche principale du pasteur est de nourrir son troupeau avec des pâtu-
rages sains», comprenant par là la prédication par la parole et les œuvres. Toutefois, à la
p. 143, il soutient que «le premier devoir de l’évêque, encore plus important que celui de
la prédication, est le témoignage des vertus évangéliques». Certes, il est impératif de dis-
tinguer entre «devoir», qui relève ici d’une exigence à caractère prioritairement éthique,
et «tâche», qui désigne une composante sacerdotale, indépendamment des vertus per-
sonnelles de l’évêque.
202 Comparé à l’esprit dans le corps de son Église de Nisibe, l’ évêque Abraham lui dispense
un enseignement généreusement productif, qu’Éphrem, pour souligner son caractère sal-
vifique, assimile au «pain vivant» (CNis 17,3). Parlant de l’ enseignement des apôtres dans
Cette perspective diachronique finit par céder la place à une approche plus
réfléchie et argumentée, d’après laquelle les trois évêques vaquent à leur fonc-
tion de prédication, même s’il est dit que chacun tente de s’ adapter à l’ état
de l’auditoire auquel il s’adresse. C’est encore de Paul (cf. 1 Co 3,2 ; He 5,12)
qu’Éphrem s’inspire pour affirmer que le premier évêque donna du lait, des
paroles simples, à la communauté encore au stade de nourrisson, le second
lui donna de la nourriture (ṭʿūmā), des paroles faciles (dlīlatā ; litt.: faibles),
donc aisées à comprendre et appropriées à son stade d’ enfance, tandis que
le troisième lui donna de la nourriture solide (ūḫlā), des paroles parfaites qui
s’ accommodent de son âge adulte (CNis 14,16)203. Pour toute justification de
ce comportement des évêques, Éphrem rappelle la pédagogie que Dieu adopta
avec le peuple juif (CNis 14,19). La même répartition des tâches entre les trois
évêques est encore attestée dans le conseil que donne Éphrem à l’ évêque
Abraham, appelé à être une muraille pour son peuple, comme l’ était l’ évêque
Jacques, plein de miséricorde comme Babu et «trésor de paroles comme Volo-
gèse» (CNis 17,11). Éphrem a déjà loué, dans deux hymnes précédentes de cette
collection, l’excellence de Vologèse comme prédicateur, le présentant comme
un véritable concurrent des rhéteurs et des sages (CNis 15,8). C’ est ce qui est
encore mis en évidence dans l’appel adressé à l’ évêque Abraham d’ occuper
dignement la place de son maître (tmalē lah dūkat rabaḫ) Vologèse, dont le
troupeau «a soif d’écouter la voix» (CNis 17,5)204.
une perspective optimiste, Éphrem affirme qu’ayant semé, ils récoltèrent une moisson qui
«abonda et remplit la terre grâce à la grange de la doctrine » (CNis 29,36).
203 Éphrem distingue entre ṭʿūmā, une nourriture allégée pour enfant, et ūḫlā, nourriture
solide pour adulte. Cette progression dans la prédication, en correspondance avec les
trois stades de la croissance humaine, est développée dans CNis 14,15.17-20. L’adaptation
est encore mise en valeur pour la doctrine dispensée par les évêques, où, s’ adressant à
l’évêque Abraham, Éphrem distingue entre la vérité, une et inchangeable, et son expres-
sion qui peut être multiple en accord avec l’auditoire, revendiquant à l’ appui l’ appel de
Paul à être «tout avec (ʿam) tous» (1Co 9,22):
Que ta véritable voix soit une, tandis que les voix paraboliques (šīlē) (sont) multiples.
L’icône de vérité (est gravée) sur ton cœur, mais sur ton visage, plusieurs formes (cf.
He 1,1):
sombre, aimable et faible. À celui qui pécha, montre-toi fâché,
à l’innocent, montre-toi joyeux. Montre-toi un devant Dieu
mais multiple devant les hommes. Bienheureux celui qui est tout avec tous (CNis 21,11).
Dans un autre contexte, il compare l’unique vérité et la multiplicité des voix à la laine
qui, une, peut acquérir plusieurs couleurs (Eccl 52,7). Ce n’est que dans la bouche des
disputeurs sots que la multiplicité des paroles dans l’ Écriture Sainte, conciliables pour un
«disputeur intelligent», sont jugées contradictoires en raison de leur sottise (Eccl 52,8-10).
204 Beck, version, p. 55, n. 9, voudrait voir dans cette expression, tmalē dūkat, une allusion à
la chaire de prédication de l’évêque. Mais elle peut signifier tout simplement « occuper la
place de», «prendre la place de» dans le sens de «représenter». Par conséquent, si l’ on
adopte ce dernier sens, ce ou celui qui a soif d’écouter la voix de Vologèse n’ est plus la
chaire de l’évêque, comme le suggère Beck, mais le troupeau des fidèles.
205 Il n’entre pas dans notre intention de développer ici la conception que se fait Éphrem de la
doctrine et de ses hérauts. Nous avons déjà évoqué la priorité de l’ enseignement par l’ acte
en comparaison avec celui prodigué par la parole, l’ adaptation que nécessite tout ensei-
gnement en correspondance avec l’auditoire, le recours à l’ Écriture pour dénoncer les
doctrines erronées, même si celles-ci sont confessées par des évêques, tels que les évêques
ariens. Aussi avons-nous souligné l’accusation qu’Éphrem porte contre les hérétiques qui
ont volé leur doctrine à l’Église, la défense de l’unité de la doctrine, qui est loin d’ être com-
prise comme une uniformité excluant la multiplicité dans son expression. Par la suite, sans
avoir la prétention de donner un exposé complet de la conception d’ Éphrem sur la doc-
trine enseignée, les quelques traits qui seront relevés suffiraient à cerner ses contours et
ses enjeux importants en tant que fonction du ministère sacerdotal. Les apôtres comme
docteurs se situent dans la continuité de Jésus comme docteur, dont l’ enseignement est
investi par une vertu thérapeutique (CNis 35,14). Si, comparés aux scribes, les apôtres sont
qualifiés d’«incultes» (hedyūtē), le Seigneur les transforme en « vases de sa sagesse» (Virg
36,7). Éphrem n’est toutefois pas l’adepte d’une ignorance dont il fait la propagande. Nous
avons déjà signalé que, pour lui, la simplicité (brīrūtā), s’ opposant à l’ acribie intellectuelle
et à l’argumentation sophiste, doit s’associer à l’intelligence (ṣnīʿūtā ; litt.: habileté, ruse)
de sorte que les deux collaborent comme le font les deux mains (Eccl 35,1-7). Quant à
l’enseignement des évêques de Nisibe, il doit être mesuré par la vérité (qūštā) (CNis 19,4),
mais aussi par la paix qu’il est censé susciter, grâce à la douceur que l’ évêque manifeste à
l’égard des membres du corps (CNis 19,9). Dans la perspective éphrémienne, cela répond
à la douceur qui caractérise l’enseignement de Jésus contre le rigorisme et la sévérité qui
déterminent la doctrine vétérotestamentaire (CH 40,8). Même quand Éphrem fait inter-
venir la justice divine, celle-ci est, dit-il, pleine d’amour quand elle demande des comptes,
au moment où la tâche primordiale de la grâce divine est de bander les blessures, même
quand elle cherche à corriger les rebelles (Eccl 5,1-2). La supériorité de l’ amour est attestée
Mais ce qui n’est que simple suggestion chez Éphrem reçoit une argumenta-
tion bien étoffée chez Aphraate. Un deuxième point commun aux deux auteurs
serait leur recours à Ézéchiel pour inciter le pasteur à garder les brebis saines
tout en cherchant à fortifier les plus faibles, guérir les malades et chercher celles
qui sont perdues (CNis 19,4)207. Une autre allusion à Ézéchiel chez Éphrem est
le constat tragique d’une dispute entre l’Église et les Ariens, dans laquelle « la
brebis donne des coups de cornes (daqar) à son compagnon » (cf. Ez 34,21), au
moment où, rappelle le docteur syriaque, une paix règne dans l’ Arche de Noé
entre l’agneau et le loup (CNis 31,32). Ainsi, à la différence d’ Aphraate, Éphrem
discerne dans la lutte entre les brebis une préfiguration de la dispute arienne.
C’est ce à quoi il fait également allusion en mettant dans la bouche de l’ Église
d’Édesse une prière dans laquelle elle supplie le Seigneur, elle qui a renié le
veau d’or de ses ancêtres, d’empêcher que ses enfants, des brebis, donnent
« des coups de cornes à leurs frères» (CNis 27,11). Dans cette situation, Éphrem
perçoit l’abandon par le chef ecclésiastique d’une qualité qui lui est propre, la
modestie, lorsqu’ il se pourvoit «de cornes pour donner des coups » (SdF VI 247-
248; cf. aussi SdF VI 353). Ce sont, dit-il en s’inspirant du langage d’ Ézéchiel (Ez
34,20-21), les brebis engraissées qui donnent des coups aux brebis maigres, ren-
dans le cas de l’aveugle de Jéricho qui a le courage de confesser que Jésus est le Sauveur,
témoignage en faveur de la «doctrine de l’amour» qui aboutit à la guérison de l’ infirme
(Eccl 9,8). Là encore, l’amour l’emporte sur la raison, deux « docteurs» qui donnent la
«mesure du silence et de la parole» (Eccl 9,17). Sur le couple silence-parole en dialogue
avec la raison et l’amour, cf. maintenant Den Biesen, Simple and Bold, p. 107-146.
206 Beck donne Gn 33,8sv comme référence biblique, qu’ il faut remplacer par Gn 30,31-43.
Aphraate évoque l’acte de faire paître le troupeau de Laban par Jacob (cf. I 445,13-14).
207 Cf. Ez 34,4.16. Car Beck n’a pas appréhendé dans le texte éphrémien une référence expli-
cite à Ez 34, il a perçu dans l’allusion à la brebis perdue un emprunt à Lc 15,4 et Mt 18,12
(cf. version, p. 62, n. 9), ce qui n’est ni nécessaire ni évident dans le contexte en question.
versent celles qui sont malades, dispersent celles qui sont rassemblées et font
perdre celles qui sont saines (škīḥatā ; litt. retrouvées) (HdF 59,12).
Sans faire référence au coup de cornes d’Ézéchiel, Éphrem évoque ailleurs
(SdF VI 13-16) le combat entre le pasteur et son compagnon, dispute qui a
conduit à la perdition du troupeau. Cette perversion ( fūtalā) fait perdre aux
chefs de l’Église toute dignité lorsqu’ils se conforment au peuple (cf. Os 4,9)
qui finit par les imiter (SdF VI 189-192). Mais au lieu que cette imitation soit
bénéfique pour les deux partis, les chefs et les ouailles, les incitant à se pro-
mouvoir mutuellement et à se rendre beaux les uns par les autres (CNis 19,12),
les disciples se transforment en source d’inquiétude pour les chefs laxistes qui,
à leur tour, se trouvent affectés par le déroutement des disciples (SdF VI 193-
198).
À la différence d’Aphraate, Éphrem utilise rarement le terme « gouverner»
(dabar) pour désigner la fonction correspondante chez le ministre ecclésial208.
Il lui préfère le verbe «faire paître», à côté d’une gamme de verbes qui, tous,
expriment la préoccupation du pasteur pour le troupeau209. Éphrem ne se
soucie guère, comme le fait Aphraate, de donner une liste exhaustive de per-
sonnages qui ont assumé la charge de pasteurs dans l’ Ancienne Alliance. Son
approche étant plutôt systématique, les personnes sont choisies dans une pers-
pective bien déterminée qui est d’inciter les évêques de l’ Église syriaque soit à
imiter des modèles incarnés par des pasteurs, soit à éviter d’ autres personnes
à cause de leurs actions ou de leurs comportements inappropriés. En fait, si
l’ on se limite aux seules hymnes consacrées aux évêques de Nisibe (CNis 13-
21), les deux seuls pasteurs de l’A.T. nommément désignés sont Jacob (CNis 19,3,
texte déjà partiellement cité) et Moïse qui transmet le troupeau à Josué (CNis
19,6)210. C’est par amour que Moïse accepte d’être le chef du peuple, non pas
par l’achat du droit d’aînesse comme Jacob, ni par zèle comme Aaron (CNis
18,3)211. David n’est pas nominalement désigné comme pasteur, même si les
208 Dans l’emploi de dabar, Éphrem rapporte ce qu’on admet en général, à savoir que « la
coercition (qṭīrā) et le bâton gouvernent le peuple» (CNis 15,18). Le terme mdabranā (gou-
verneur) dans CGEx 33,26-27 est appliqué à Adam, désigné comme maître et gouverneur
des animaux.
209 Nous ne donnerons pas une liste exhaustive de ces autres verbes avec des références à
l’appui. À simple titre d’illustration, Éphrem privilégie des verbes comme « s’ occuper de »,
ou «visiter» (sʿar) (cf. CNis 19,3-4; 20,3), «garder» (nṭar) (CNis 17,5 ; 19,4), rabī, mrabyanā
(éduquer, éducateur) (cf. CNis 16,17; 19,1), rdā (éduquer ou corriger) (CNis 15,15), rabī, tar-
bītā (nourrir, sustentation) (CNis 13,12), ou «donner » du lait ou de la nourriture solide
(CNis 14,16.21). Notons que d’autres verbes seront employés dans le corps du texte.
210 Sur Moïse comme pasteur du peuple dans le désert, cf. Eccl 39,1.
211 Dans ce groupe d’hymnes sur les évêques, Aaron est souvent présenté sous une image
négative. En plus de son zèle démesuré, il est accusé d’ être à l’ origine du veau d’ or forgé
à partir des bijoux féminins, les boucles perçant les oreilles, que l’ évêque Vologèse est
appelé à remplacer par les clous de la croix qui, par la prédication, percent le cœur des
fidèles (CNis 14,5-6; cf. supra, p. 398).
212 En voici les plus importants: Élie est modèle pour l’évêque en raison de sa pauvreté (CNis
21,2) et de sa virginité (CNis 21,4), Élisée l’est par sa continence (CNis 21,4), Job par la
maîtrise qu’il exerça sur son corps et son esprit (CNis 18,7), Daniel par son jeûne (CNis
21,3) et sa victoire après avoir été jeté dans la fosse aux lions (Dn 14,31-42) (CNis 18,7)
et, plus proche de nous, Jean Baptiste, une lampe qui éclaire et dénonce la convoitise
d’Hérodiade (Mt 14,3-12) (CNis 21,1). Quant aux personnages les plus importants dont le
mauvais exemple est à éviter: Géhazi à cause de son avidité pour l’ argent (2 R 5,20-24),
la maison d’Éli en raison de sa cupidité (1 S 2,22), Nabal à cause de son outrage à David (1
S 25,2-13) (CNis 21,6.9).
213 Nous avons déjà noté que, selon Éphrem, l’évêque doit mener une vie solitaire, ascétique
(CNis 19,1; cf. CNis 15,9). Il est appelé à acquérir une maîtrise de soi qui lui confère une
Si l’obligation à l’amour est exigée du chef des disciples, elle devrait à plus forte
raison être un devoir demandé à tout ministre ecclésial. Et Éphrem ne cesse de
rappeler aux évêques que l’amour doit imprégner tous leurs actes et leurs com-
portements:
quiétude, une pureté et une dignité (CNis 15,3-6; 16,20). Cette continence, ou cette virgi-
nité (Cf. CNis 20,1; 21,4), exercée sur lui-même (Cf. CNis 21,3) et dans sa propre maison
(CNis 15,9) le revêt d’une dignité qui l’éloigne de tout accès de colère et lui donne le sens
de la mesure et de la pondération (CNis 15,12), lesquelles s’ exercent également dans son
approche de la vérité (CNis 15,10-11). Éphrem insiste aussi sur une vie de pauvreté que
doit rechercher l’évêque, dont la richesse est sa communauté ecclésiale (CNis 19,15), à
l’exemple d’Élie et en évitant l’exemple de Géhazi (cf. la note précédente).
214 Dans ce texte, Éphrem évoque l’huile comme symbole du Christ : l’ huile procure au corps
la guérison, la souffrance étant un «second démon », dit le docteur syriaque. Ainsi, à
l’instar de l’huile, «son Seigneur apaise le corps et tourmente les démons », allusion à
la légion qui tourmente le démoniaque (cf. Mc 5,8-9 ; Lc 8,28-30).
Nul n’est jaloux de ton élection, car, comme évêque (rīšanūtaḫ ; litt. : ta
dignité épiscopale), tu es modeste.
Nul ne se fâche de ta réprimande, car ta parole sème la paix.
Nul ne craint ta voix, car ton commandement est doux.
Nul ne se plaint de ton joug, car lui-même (le joug) peine à la place de
notre nuque,
il rend léger le fardeau de nos âmes. Béni soit Celui qui t’ a élu pour
notre réconfort.
CNis 19,9
Paix, douceur et modestie sont trois expressions de l’ amour que tout pasteur
doit cultiver en faveur des fidèles de sa communauté. Conscient que le rigo-
risme ne génère que conflit inutile et destructeur entre le responsable ecclésial
et les fidèles, Éphrem est d’avis que la coercition (qṭīrā), dépassée par la bonté
requise dans la Nouvelle Alliance, ne convenait qu’ à l’ Ancienne Alliance (CNis
16,6-12)215 et que le recours à la violence, au «bâton», n’est adapté qu’ à l’ enfant,
à l’humanité encore balbutiante (cf. Prov 13,24) et nullement à l’ adulte qui
a atteint l’âge où la sagesse (CNis 16,13) doit imposer l’ arbitrage et la logique
du dialogue. Éphrem semble même insinuer que la coercition ne conduit qu’ à
une fausse promotion de la personne humaine, car, dit-il, la véritable promo-
tion ne vient que de l’homme lui-même, c’est-à-dire d’ un effort entrepris par la
personne elle-même, lequel doit être fondé sur une conviction personnelle216.
Dans cette perspective, on comprend qu’Éphrem s’ emploie à condamner la
sévérité à laquelle le ministre ecclésial risque de recourir, identifiant celle-ci
à une réaction qui témoigne d’un manque de maîtrise de soi (CNis 15,12)217.
Plus encore, devant la chute d’un fidèle, Éphrem invite l’ évêque à détourner
son regard du pécheur pour l’orienter vers lui-même, l’ appelant à réunir des
membres de l’assemblée pour verser des larmes et à décréter un jeûne pour
que «celui qui est perdu se convertisse par la pénitence» (CNis 21,12). Comme
si Éphrem voulait insinuer que l’autorité bien comprise par l’ évêque ne doit
point se traduire par des sanctions disciplinaires qui conduisent à la perdition
du pécheur, mais par des actes charitables qui contribuent à le sauver. D’ où
l’ appel à l’évêque Abraham, l’incitant à ce que « la paix orne (ton) autorité»
(CNis 17,6).
Pour Éphrem, à côté de la sagesse, un autre signe de maturité est la modestie
qui, elle aussi, correspond à l’âge adulte, après la peur engendrée chez l’ enfant
à éduquer et l’encouragement exploité pour éclairer l’ adolescence (CNis 16,12-
19)218. Cette modestie est ce que le Seigneur requiert des deux fils de Zébé-
dée (Mt 20,20-23) qui voulaient profiter de la gloire sans passer par la souf-
france; la réponse de Jésus avait pour but de les faire passer de la superbe à la
modestie, les invitant à goûter à la souffrance pour mériter la gloire (CH 24,3).
L’aberration des fils de Zébédée consiste dans la fixation de leur attention
sur la gloire du Seigneur, oubliant que cette gloire s’ acquiert après le passage
par la crucifixion (Virg 34,8)219. C’est dans la même perspective qu’ Éphrem
exhorte l’évêque, pour éloigner tout mal qui risquerait d’ atteindre les fidèles,
à «s’abaisser jusqu’aux talons», expression de la kénose et de la modestie qui
sont le fruit de la miséricorde qui doit l’habiter (CNis 18,4). Prolongeant cette
vision kénotique, Éphrem n’hésite pas à condamner ceux qui, sous couvert de
vouloir servir la vérité, recherchent le pouvoir et usent de toutes les astuces
pour l’augmenter (HdF 68,2-3). Et Éphrem, s’élevant contre eux et contre la
méprise qu’ils ont de la véritable autorité, de s’exclamer: « Béni soit celui qui,
par sa croix, nous blâme» (CH 24,2). Encore une fois, la croix s’ impose comme
un constituant de l’essence de l’autorité, dévoilant ainsi que la kénose n’est pas
une étape provisoire qui disparaît après l’accès au pouvoir, à la gloire, mais que,
tant que l’homme est sur terre et ne jouit pas encore de la gloire de la résurrec-
tion, l’attitude kénotique demeure un aspect principal de l’ autorité ecclésiale.
De ce qui vient d’être dit des qualités du ministre, il s’ ensuit que la vision
d’Éphrem est loin de se réduire à un moralisme plat. Au contraire, elle reflète
aux souffrances. Dans Virg 4,6, au Christ qui, bien que miséricordieux, se montre exigeant
avec les renégats, correspond l’huile qui, de douce, devient dure (metqašē) avec les racines
acerbes.
218 En fait, ces trois degrés correspondent aux trois mandats successifs des trois évêques qui
conduisirent l’Église de Nisibe de l’enfance à l’âge adulte.
219 Cf. supra, p. 361.
220 Dans la Peš, l’expression est «prairies de puissance » (margē d-ʿūšnā) qui, on l’ a noté,
supra, p. 323-324, n. 135 est une corruption de «prairies d’ herbe » du texte hébreu.
221 Éphrem les désigne par «des loups cachés» (CNis 17,5) et souligne que la guerre et la dis-
pute qu’ils mènent sont également cachées (CNis 18,6). Cela, si l’ on se limite aux hymnes
consacrées aux évêques syriaques.
222 Il est difficile de deviner la charge qui spécifie certains de ces collaborateurs. Peut-être
les percepteurs désignent-ils les collecteurs de fonds ; plus énigmatiques sont les deux
fonctions des qayūmē (directeurs, chefs) et des yasūfē (administrateurs). Les premiers
sembleraient être chargés d’une certaine forme d’économat et les seconds d’ une adminis-
tration dans un sens plus large. Il convient ici de reconnaître qu’ on est loin d’ avoir percé
la pensée d’Éphrem à ce sujet.
223 Cf. supra, p. 357, où nous avons constaté que, sur ce point, Éphrem surpasse l’ apôtre Paul.
ce qui lui est demandé est bien de respecter le statut de chaque personne et
d’agir en conséquence:
Dans cette dernière strophe, les rīšanē désignent des prêtres élevés à un grade
supérieur, mais qui demeurent subordonnés à l’ évêque du lieu qui les aide
à rester modestes, qualité que nous avons également relevée pour l’ évêque.
Toutefois, rappelons-le, ce comportement de l’évêque censé se conformer au
statut ou à la situation de chacun de ses subordonnés ne signifie pas un aban-
don du principe de l’autorité correctement comprise, mais plutôt son adapta-
tion appropriée aux personnes et aux situations, de sorte que, comme le dit
Éphrem, l’évêque soit «un» et unique devant Dieu, mais « multiple » envers
l’ homme (CNis 21,11)224. En fait, les trois premiers évêques se sont soumis à
ce critère et, comme il a été souligné, chacun s’ est attelé à appliquer la pas-
torale qui s’accordait avec la situation actuelle de son Église : le premier en
bandant sa blessure, le second en la pourvoyant de la nourriture nécessaire à
sa survie et le troisième en l’instruisant par la Parole de Dieu (cf. les textes déjà
référencés: CNis 13,3sv).
Un dernier aspect touchant la fonction de l’ évêque est l’ édification de la
communauté, qui se présente pour l’évêque sous un double registre: la puri-
fication de son Église de l’ivraie, à savoir des hérétiques à l’ intérieur et des
païens à l’extérieur (CNis 20,2; 26,2). Éphrem confie aussi à l’ évêque la tâche
de construire – ou de reconstruire – des églises, celles-ci étant prises au sens
matériel du terme. Constructeur de paix, l’évêque ne doit pas négliger sa tâche
de bâtir des églises, lieu de culte et d’adoration, où sont déposés et lus les Livres
saints et où se célèbrent les repas eucharistiques (CNis 21,19)225.
225 Ortiz de Urbina, L’évêque, p. 142-143, a exposé plusieurs traits relatifs à la gouvernance de
l’évêque que nous avons développés à notre manière.
8.2.3 Jacques
Ayant consacré un exposé détaillé à Éphrem, l’ approche que nous consacre-
rons aux deux disciples, Jacques et Narsaï, sera envisagée en dialogue étroit
avec le maître. Pour Jacques, par lequel nous commençons, nous suivons le
même plan que pour Éphrem, en discutant de sa conception du service ou du
ministère, ce qui permet de passer par la suite au rôle joué par le ministère
ecclésial dans le domaine cultuel, dans la prédication et dans la gouvernance.
À la fin, une recherche portera sur des fonctions moins présentes et, à vrai
dire, moins caractéristiques de la fonction sacerdotale, bien que requises par
le ministère.
227 Cf. I 72,1-2, où Éléazar apprend, en regardant agir son père Aaron dans la tente temporelle,
comment on exerce le «ministère de Dieu». Mais Dieu, continue le texte (I 72,15-16), fait
comprendre à Moïse que son frère Aaron «servira le sacerdoce» après la sortie de l’ Égypte.
228 Nous reconnaissons que la formulation d’un service accompli « devant» quelqu’ un n’est
pas usuelle en français, mais nous l’adoptons pour rendre fidèlement le texte syriaque
(cf. II 458,13; 460,18). Encore faut-il préciser que, concernant l’ acte du lavement des pieds,
l’expression est juxtaposée à d’autres expressions, soit sous forme de complément d’ objet
direct, servir les disciples (II 468,5), soit encore avec la particule lomad (II 456,18 ; 465,4-5).
229 Dans une lettre aux Bienheureux du Mont Sinaï, Jacques qualifie ces derniers de « minis-
sacerdotal sont encore soulignés dans un mīmrā de Jacques intitulé « Sur les
prêtres» (II 877-886). En y abordant le ministère des apôtres auquel nous avons
fait allusion, le docteur syriaque le fonde sur le don de l’ Esprit Saint qui les rend
« divins et remplis de mystères» (malyay razē) (II 878,6-7). Passant au prêtre
qui administre les «mystères-sacrements (razē) du Fils », ceux-ci, qualifiés de
« choses glorieuses» (šbīḥatā), sont accomplis « dans le feu » (II 878,9), ce qui
nécessite que le prêtre lui-même soit revêtu de feu (II 878,11). Par conséquent, le
prêtre est chargé de «servir la flamme» (ibid.), comme les anges sont appelés
« serviteurs de la Flamme», du Feu divin qui, pour Éphrem, choisit de venir
demeurer dans le baptême et l’eucharistie230. Un autre indice confirmant que
le ministère du prêtre se rapporterait essentiellement au culte liturgique est le
lien établi entre le ministère des mystères (II 884,2 : « Va, ô vénérable qui as servi
les mystères de la maison de Dieu», dit Jacques au prêtre défunt) et le service
de l’autel (II 884,5: «Voici que t’attend l’autel saint que tu as servi »)231.
Mais si le cultuel prend le dessus dans la conception que se fait Jacques
du ministère sacerdotal, faut-il conclure que les autres fonctions attribuées
au prêtre en sont exclues? Si l’on se limite à la notion de ministère, on doit
reconnaître que le cultuel occupe la presque totalité du champ de l’ activité
sacerdotale. Hormis ce qui a été dit du service des tables et de la prédication
du diacre Habib, la seule mention du ministère de la prédication, attribué là
aussi à Paul et non pas au prêtre, est évoquée en rapport avec « son ministère
de la croix» (II 749,3) qui est un ministère accompli par la prédication232. Mais
il n’est pas indispensable de se restreindre à la terminologie pour connaître
toute la gamme de fonctions revenant au prêtre, celles-ci pouvant se rappor-
ter directement au sacerdoce sans un passage obligé par la notion de minis-
tère.
tres du mystère» (1Co 4,1) (Lettres 36,28), dont les chants de « votre office » (tešmeštḫūn)
se font entendre de vos demeures (Lettres 36,31).
230 Cf. supra, p. 85.
231 L’aspect cultuel est tellement accentué que, pour décrire le service rendu par Joseph à
Marie, sa fiancée, et, par conséquent, au Fils, Jacques attribue à Joseph la qualité de pon-
tife:
Et il est fait pontife pour qu’il serve le Seigneur de la sainteté (BedS 655,21).
232 L’affirmation d’après laquelle les disciples sont «placés au service » du Seigneur (ici, il faut
corriger la traduction d’Albert: «à son service ils avaient décidé ») (Lettres 189,3-4) ne vise
probablement pas un acte cultuel; encore moins est-on en droit de supposer qu’ elle ren-
voie à une prédication par laquelle ils rendent service à leur maître en l’ annonçant.
Qui est celui devant qui se tiennent les prêtres et les pontifes de la terre !
Ils tremblent devant lui et le déclarent saint par leur couvaison (rūḥa-
fayhūn).
I 195,11-12
Ainsi voit-on qu’après les apôtres, ce sont les prêtres qui administrent le bap-
tême avec une crainte qui équivaut à celle que les anges éprouvent devant Dieu.
Le prêtre qui recherche la richesse dans ce monde se trompe sur la véritable
richesse, celle par laquelle il «ouvre et ferme la grande porte du baptême»
(III 849,14-15). C’est que, élevés au rang des Séraphins qui chantent le trois
fois Saint, ils se rabaissent au rang de commerçants lorsqu’ ils oublient qu’ « ils
233 Cf. I 130,12; 196,14; IV 901,5-6. Pour plus de développement sur les fonctions de chacune
des Personnes divines, cf. notre Théologie I 245-249.
234 Cf. I 130,2; BedS 856,14-18. L’Esprit est conçu comme une force purificatrice par le baptême
(BedS 856,16-17.20-21).
235 Pour le souligner, Jacques attribue cette efficacité au baptême lui-même, qui héberge le
«feu et l’Esprit» (I 160,10), qui «conçoit des (hommes) morts et enfante des vivants et
donne au Père» (I 534,8).
240 Jacques reprend à Éphrem le terme ḥašā ; à titre d’illustration, cf. II 226,18 ; 227,11; 406,9 ;
411,8; III 506,21; 513,20; 514,16.19; 515,7; 516,4.11; 517,4 ; 521,7 ; etc.
la miséricorde»241. Ces clés sont données par le Fils, le Fiancé céleste, à son
épouse, l’Église (I 481,3-6), que Jacques évoque en s’ inspirant de l’ épisode sur
la confession de Pierre (Mt 16,13-20 et parall.). Dans le commentaire qu’ il y
consacre, le souci du docteur syriaque est de replacer Pierre, à qui le discours
du Père est adressé, à l’intérieur de l’Église et non pas en dehors ou au-dessus
d’elle. Mais Jacques est conscient qu’à l’intérieur de l’ Église, le don des clés
et l’acte de lier et délier ont été accordés d’abord à Simon Pierre242. Toutefois,
Pierre n’est pas le seul bénéficiaire de ce don, qui, d’ après les termes de Jacques,
s’ adresse aussi aux apôtres:
Il donna pouvoir aux apôtres (šlīḥūtā ; litt.: apostolat) dans les hauteurs
et les profondeurs,
afin qu’ils commandent en haut et en bas, de manière seigneuriale.
I 480,2-3
241 La rémission des péchés est un signe qui reflète le «besoin », la « faim » qu’ a Dieu de par-
donner (I 238,17; II 264,2; III 514,3). Elle est l’expression de la primauté de la bonté sur sa
justice, Dieu désirant sauver d’abord, et surtout les pécheurs (III 525,13-16 ; 527,14-528,4). À
son Fils, Dieu donne les «clés de sa maison» (CJ ms B III 303-304), miséricorde qui conduit
le Fils sur la croix pour sauver l’homme (I 271,4-5; 343,3-8).
242 Dans d’autres contextes, le don des clés est aussi réservé au seul Pierre: lors de la transfi-
guration (II 357,20-21; 358,8; 362, 17-18) et dans l’évocation de l’ expérience des disciples
après la mort de leur Maître (V 692,11-12; 694,15-16).
243 II 357,20-21; 358,8; 362,17-18.
perfection après avoir été juste durant son enfance et spirituel pendant son
adolescence (IV 238,15-18). Le choix du prophète pour évoquer la transmission
des clés peut ne pas être fortuit, étant donné que Jacques admet qu’ Aaron,
revêtu du mystère de la maison de Dieu, était habilité à « lier et délier entre
les terrestres et les célestes» (I 70,3-4). Et pourtant ce n’est pas d’ Aaron, mais
d’Élie, selon Jacques, que les clés passent à Simon Pierre. Ce ne sont pas même
les responsables religieux du peuple juif qui transmettent les clés, considérés
pourtant comme
Ceux qui tiennent les Livres (saints), détiennent les clés et ouvrent les
trésors.
V 632,19
De Simon Pierre, Jacques reconnaît que les clés passent au prêtre à qui, comme
nous l’avons souligné, il reproche son avidité pour l’ argent, ce qui fait de lui un
tenant des clés aussi bien qu’un affamé du Mammon :
qui sera scellée sur la croix, que l’union de l’homme et de la femme ne fait
que préfigurer (V 483,19-484,8). Dans cette perspective, Jacques adopte la vision
paulinienne relative à l’union de l’homme et de la femme en une seule chair
(Gn 2,24) comme symbolisant l’union entre le Christ et l’ Église (Ep 5,25-32)
(V 880-884)247. Il se peut que cette herméneutique qui s’ arrête peu sur le réel
humain pour vite l’enrober dans une réalité supérieure, théologique ou spi-
rituelle, explique en grande partie l’absence de toute description relative au
déroulement du rite du mariage, et par conséquent, du rôle qu’ y joue le prêtre.
247 Cf. supra, p. 158-159. Sur ce point que nous ne développons pas ici, cf. notre Théologie I,
162-165.
248 Point n’est besoin ici de répertorier ces éléments naturels, qui vont du témoignage de
l’étoile des Mages (cf. I 87-91; 102.107; etc.) aux créatures qui se transforment lors de
la mort du Fils (II 591,17-18; Lettres 14,18-21; 110,13-21). Quant à la création, son kérygme
est centré sur Dieu comme Créateur, ce qui incite à sa louange, tandis que le kérygme
de l’Écriture annonce le salut que Dieu désire accorder à l’ homme après son péché
(cf. II 145,4-11; III 909,7-8; V 772,12-773,17; 777-780).
249 Le Père a enseigné par Moïse et la Loi (I 33,2-5; 35,11-12) et il a révélé l’ identité du Fils dans
suit, notre attention se portera plutôt sur les apôtres, qui, dans la perspective
de Jacques, sont les ancêtres des prêtres.
À plusieurs reprises, Jacques aborde la question des apôtres et leurs mis-
sions. Certaines réflexions les concernant ont été développées ailleurs, et nous
y renvoyons quand nécessité oblige. Dans la profusion d’ idées qui leur sont
consacrées, nous tâcherons de centrer notre attention sur la prédication et tout
ce qui s’y rattache, l’enseignement en faisant partie intégrante. Il va de soi
que, pour Jacques, la première fonction, fondamentale, des apôtres est la pré-
dication, l’annonce de la Bonne Nouvelle qui l’emporterait incontestablement
sur les autres fonctions cultuelles et de gouvernance. C’ est ce que reconnaît
l’ apôtre Thomas en discussion avec ses pairs:
254 Cf. IV 580,18; 581,9, où l’on trouve l’expression talmed atrā qui signifie « rendre disciple le
pays»; cf. aussi V 735,9-10. La prédication comme première mission des apôtres est une
idée récurrente chez Jacques. Après que les apôtres se firent attribuer les pays à évan-
géliser, «ils se dirigent, dit Jacques, dans toutes les directions pour annoncer la Bonne
Nouvelle» (IV 580,5.19-20). N’étant pas désigné pour évangéliser un seul pays, Paul, le pré-
dicateur infatigable, même malade, s’envole vers tous les pays pour annoncer la Bonne
Nouvelle (II 748,12-13) à tous les peuples de la terre (II 759,4), sur la terre ferme comme
sur la mer (II 760,15-16). Parmi les lieux qui ont accueilli la Bonne Nouvelle du Sauveur
sans l’intervention d’apôtre, Jacques, pour l’exalter, mentionne la ville d’ Édesse dont la
foi s’oppose à l’ingratitude de Jérusalem (V 735-737; 738,12).
255 Nous avons déjà évoqué les images des quatre fleuves édéniques (cf. II 825,12-826,3), et la
roue dans la roue du char d’Ézéchiel (IV 580,9-16). On peut leur ajouter le visage de l’ aigle
(cf. IV 579,12-13), image du kérygme s’envolant vers les hauteurs, le dos plein d’ yeux symbo-
lisant la grande lumière du kérygme (IV 580,5-6), les animaux se déplaçant avec les roues
qui préfigurent «les Testaments qui soutiennent le kérygme» (IV 581,19-20), les soixante
mente les douze heures par lesquelles il éclaire l’ univers (I 215,15-20 ; 469,5-6),
ou l’abîme (thūmā) qui irrigue les rivières, mais où chaque disciple ne reçoit
qu’une «partie» (mnawatā ; au pluriel) de ce don christique (III 486-487). La
réception de l’enseignement nouveau du Fils est perçue par Jacques comme
un critère indispensable pour être admis comme disciple, c’ est-à-dire devenir
un docteur (malfanā) pour la terre entière (II 463,12-13).
À bien regarder les choses, un ensemble de traits constituent la spécificité
du kérygme apostolique, le singularisant par rapport à d’ autres activités de pré-
dication. Nous avons évoqué son rattachement à la personne et à la doctrine du
Fils. Une autre caractéristique est son aspiration et sa vocation à l’ universalité,
qui le fait se démarquer de la prédication des prophètes, « vieux témoins de la
maison de Dieu» (IV 587,6-7) dont la prédication ne s’ adresse qu’ au seul peuple
de Dieu. Un troisième trait auquel une furtive allusion a déjà été faite est le
rapport de la prédication à l’acte, notamment à des actes miraculeux ou théra-
peutiques, ce qui la distinguerait de la prédication des philosophes et des sages
de ce monde, qui est loin d’être associée à l’acte qu’ ils annoncent, et qui devrait
confirmer leurs paroles. Cet aspect se trouve assez développé en rapport avec
la guérison de l’impotent opérée par Simon Pierre à la porte du temple (Ac 3,1-
10). Tout comme les miracles opérés par Jésus, celui qu’ accomplit Simon Pierre
vise à confirmer «la puissance de la parole256 et (à être) la grande preuve du
kérygme» (V 726,5). Il s’ensuit que l’acte, la guérison opérée par Pierre, précède
la parole, le kérygme, et vient assurer que, si guérison il y a, preuve est donnée
en faveur de la résurrection du Christ par la puissance duquel la guérison est
obtenue (V 728,11-18). Mais il semble que Jacques admette que l’ acte lui-même
constitue une sorte de kérygme qui n’est pas nécessairement exprimé par la
parole kérygmatique:
disciples de Moïse représentant les soixante disciples du Christ par lesquels celui-ci est
annoncé (I 45,6-7).
256 Le texte donné par Bedjan a « ḥaylā w-meltā (la puissance et la parole»), mais le fait de
rapporter la «parole» au «kérygme» comme l’atteste l’ état actuel du texte semble un peu
étrange. Nous préférons lire «la puissance de la parole» (ḥaylā d-meltā), que nous consi-
dérons toutefois comme une conjecture. Une autre correction au texte qui nous intéresse
serait le remplacement de etbanī (fut construite) dit de la porte, par etkanī (fut appelée)
la Belle (Ac 3,2) (V 728,3), même si le verbe utilisé par la Peš est metqrē.
Encore que, l’acte étant accompli, la parole vient l’ éclairer, l’ interpréter. Bien
entendu, le contexte de la guérison aurait suffi pour que l’ accent soit plutôt
mis sur l’acte. Mais Jacques n’est pas dupe et, même si la guérison est perti-
nente et révélatrice de la résurrection du Fils, elle constitue comme le dernier
recours à l’adresse des incrédules, représentés par le peuple juif qui refuse
d’être convaincu par le kérygme oral (V 729,5-6). Cependant, l’ acte qui confirme
le kérygme ne s’identifie pas nécessairement et exclusivement au miracle. Bien
au contraire, la faiblesse de l’homme, source de richesse quand elle conduit
à la conversion, s’affirme comme témoin du kérygme, de l’ amour du Fils,
comme cela est attesté dans le reniement de Pierre257. Plus encore, Jacques est
convaincu que, dans le kérygme, il y a plus important que les miracles de Jésus
à proclamer, à savoir sa résurrection258.
À ces traits déjà évoqués, universalité, unité de la Bonne Nouvelle et sa
confirmation par l’acte, d’autres font valoir le rapport qui doit exister entre le
kérygme et son héraut, autrement dit les qualités dont doit se doter le héraut
pour être digne d’annoncer le kérygme. À plusieurs reprises, il a été question
des critères du choix des apôtres, parmi lesquels figuraient surtout leur carac-
tère inculte, leur simplicité, dans le but de discréditer la sagesse mondaine259.
Celle-ci, inutile pour le kérygme (I 216,2-3), risque de se poser comme obs-
tacle à la Parole de Dieu proclamée par des pêcheurs (II 702,1-2), à la vérité
qui s’affirme par la simplicité (V 711,16) en même temps qu’ elle écarte chez le
héraut une tendance à l’arrogance (rūḥā ramtā) qui lui fait croire que le succès
que connaît la Bonne Nouvelle dépend de sa sagesse (II 701,13-14) et non pas de
la puissance de Dieu:
257 I 509,1-4:
Aussi son reniement est-il grand témoin de son kérygme :
qu’à cet amour du Fils de Dieu, il n’y a pas d’égal.
Le véritable (apôtre) a renié, afin que le Seigneur de la vérité soit cru grâce à lui ;
son amour étant même plus grand que les mondes et les créatures.
258 Nous y reviendrons encore. C’est une idée que Jacques place dans la bouche de l’ apôtre
Thomas, qui se plaint de ne pas avoir vu le Ressuscité qu’ il devrait proclamer, allant
jusqu’à soutenir que la résurrection est plus importante que les miracles de Jésus dont
il fut témoin (II 660-661; spéc. 661,8-9).
259 Pour ce thème récurrent chez Jacques, cf. I 485-486 ; II 180,8-9 ; 701-702; 734,20-735,1;
III 622-623; 626-627; 631-632; 645,11-20. Cf. supra, p. 52.374.
Moins accentué est le trait relatif à la pauvreté des apôtres, mis en valeur pour
éloigner toute suspicion qui, comme nous le disions, expliquerait la victoire du
kérygme par la richesse de ses hérauts (II 699,6-700,7). Cette pauvreté requise
pour les apôtres n’en génère pas moins, chez eux, une grande richesse, une
« richesse cachée » (kasyā) qui se traduit essentiellement par le pouvoir qui leur
est accordé de donner la guérison à l’impotent grâce à leur prière (V 711-712).
Plus encore, Jésus choisit comme hérauts pour sa Bonne Nouvelle un renégat
et un persécuteur, Simon Pierre et Paul respectivement, faisant du premier un
fondement pour sa maison sur lequel peuvent bâtir tous les pénitents, et du
second un «apôtre pour les pécheurs» et un témoin de la force de la pénitence
(I 674,3-8).
Par ailleurs, la spécificité du kérygme ne tient pas seulement aux qualités
personnelles des apôtres, au pouvoir dont ils sont investis, ou même à la façon
dont ils exercent le kérygme, que ce soit par l’acte ou par la parole. Non moins
important à cet égard est le contenu du kérygme pour déterminer ce qui revient
en propre au kérygme apostolique. Il est incontestable que le fait d’ être témoin
de la résurrection du Fils est le critère fondamental qui distingue les apôtres
comme hérauts de n’importe quel autre prédicateur. C’ est ce que Jacques
cherche à examiner en imaginant un scénario de dialogue entre les apôtres et
Thomas qui était absent lors des premières apparitions de Jésus. Le point de
vue de Thomas consiste à rattacher la fiabilité du kérygme de l’ apôtre à son
262 Pour ce dialogue, cf. II 653-666. Nous ne pouvons rendre compte de ce beau texte où un
échange vient opposer l’incrédulité et la foi, le doute et la certitude. En fin de compte, il
s’est avéré, conclut Jacques, que le doute de Thomas n’en est pas un, car il ne se pose pas
contre la foi, mais à l’intérieur de celle-ci et pour la conforter :
Le doute de Thomas n’était pas un doute contre la vérité,
car il lutte pour la cause de la vérité (II 664,9-10).
Une réflexion est ainsi élaborée sur le témoignage des dix apôtres, sur sa crédibilité et sur
la défense de son unité face au droit revendiqué par Thomas d’ être l’ égal de ses pairs dans
l’acte le plus important du kérygme qu’il aura à proclamer. Un regard est également jeté
sur la postérité, celle qui transmet le message sans avoir bénéficié de la vision du Ressus-
cité, tout autant que sur celle qui l’accueille. Par ricochet, Jacques place dans la bouche de
Thomas ce qui constitue la quintessence du kérygme à proclamer, car Thomas a été témoin
de la vie de Jésus, à l’exclusion de sa résurrection: la conception de Jésus par Marie, sa mort
sur la croix, en passant par la visite des Mages, la fuite en Égypte, son retour en Judée, son
baptême, ses tentations, ses différents miracles (II 659,15-660,20). Sur le contenu de la
prédication, cf. aussi III 624,9-625,7.
263 II 746,6; 750,12; 751,8-9; IV 774,5.
Bien qu’il n’eût pas faim, il a voulu prendre le repas avec ses disciples,
afin qu’ils deviennent témoins de sa résurrection dans le monde entier.
V 706,9-10
Dans la vision d’Ézéchiel, ce mandat fut préfiguré par les mains humaines
orientées vers les quatre directions et placées sous les ailes des êtres vivants
ayant une forme humaine (Ez 1,8):
Après ce long exposé sur la prédication des apôtres qui, dans l’ esprit de Jacques,
vaut également mutatis mutandis pour les prêtres, leurs successeurs, il ne
reste qu’à développer les quelques idées que réserve le docteur syriaque à la
tâche de prédication propre à ces derniers. En fait, il est rare que Jacques se
prononce explicitement sur la continuité entre les deux prédications aposto-
lique et sacerdotale au point d’en faire un sujet de réflexion théologique. Cela
n’exclut cependant pas la présence d’allusions bien claires sur un rapport entre
apôtres et prêtres ou évêques quant au sujet du kérygme. Une première allusion
est décelée dans le discours qu’adresse Jacques à Mar Eutychianos, l’ évêque de
Dara, pour lui rappeler que son enseignement doit s’ inscrire dans la ligne de
« la simplicité des apôtres», moyen efficace pour préserver sa ville de « ceux
qui divisent le Christ en deux» (Lettres 250,4-10). Un autre rapport est éta-
bli avec les quatre évangélistes, ces sources qui ont abreuvé la terre par leur
enseignement plein de vie et qui se sont divisées entre les 318 Pères de Nicée
(BedS 843,8-19):
264 La suite du texte parle de l’imposition des mains qui s’ exerce, par les apôtres, dans le bap-
tême et le sacerdoce (IV 579,18-19).
Plus loin dans le texte, Jacques vante leur fidélité à l’ enseignement des apôtres:
Les prêtres sont aussi appelés à s’aligner sur la prédilection que manifeste
Paul pour la prédication de la croix. C’est dans l’ exhortation qui leur est faite
de rechercher l’abnégation et de ne pas s’attacher à l’ argent que Jacques
constate avec grande amertume que les «maîtres de la foi », « les hérauts de la
croix» sont entachés par ce fléau (III 821,9-10). Dans ce contexte, rejoignant ce
qu’Aphraate reproche à l’ecclésiastique arrogant, Jacques accuse le prêtre de
prêcher ce qui s’oppose aux mœurs de sa vie265. Cette contradiction est égale-
ment signalée chez Zacharie, le père de Jean Baptiste, à qui il est demandé de se
taire, car «il détruit ses paroles» en enseignant que les femmes stériles, telles
que Rachel, Anne, Sara, sont capables d’enfanter, tout en niant la possibilité
que sa femme puisse concevoir (II 148,6-149,7). Mais plus qu’ à la contradiction
dans l’enseignement des prêtres, laquelle trahirait, entre autres, une faillibilité
humaine, c’est à l’enseignement des doctrines erronées, notamment christolo-
giques, que s’attaque le docteur syriaque. En effet, il les accuse essentiellement
de s’opposer à la doctrine des apôtres (Lettres 113,20). Ne pouvant dévelop-
per ici cet enseignement, il reste à faire remarquer que, parmi ces docteurs,
figurent des prêtres ainsi que des évêques, tel que Nestorius qui a été condamné
et démis de sa fonction (III 603,21-604,9)266.
265 I 620,8-11:
J’ai aimé mon ennemi par l’Écriture Sainte (ici qeryanā) que tu m’ as apprise.
Mais si je vois que tu hais ton frère, que ferai-je?
Tu m’apprends à aimer celui qui me hait,
mais ton frère irrité, tu ne désires pas le concilier.
Tu me fais peur, (me disant) que si je ne pardonne pas, je ne serai pas pardonné,
mais toi tu ne veux pas pardonner la colère de celui qui a péché contre toi.
266 En fait, Jacques ne rejette pas seulement la doctrine de Nestorius, mais il s’ attaque aussi
au Tome de Léon et à Chalcédoine (cf. à titre d’exemple, Lettres 115,15-116,11). Ces doctrines
sont qualifiées de «vaines» (srīqē) (Lettres 114,16; cf. aussi BedS 844,9), d’ impies (Lettres
Le bīmā267 est encore évoqué en rapport avec l’accusation portée par Jacques
contre la dichotomie entre la vie du prêtre et sa prédication :
71,16), de mensongères (Lettres 94,24-25), de schismatiques (Lettres 59,12). Tandis que les
apôtres puisent dans un seul Esprit (1Co 12,13), les hérétiques s’ inspirent du poison du
premier serpent (Lettres 59,22-60,1; cf. aussi III 604,9-10).
267 Nous ne répertorions pas ici tous les sens du bīmā. Il peut désigner la chaire qu’ occupe le
juge lors de la séance du jugement (III 865,8), comme il peut désigner la chaire d’ enseigne-
ment, telle celle du roi Salomon (III 871,8-9).
268 L’autre sens le plus usité est celui de conduire, d’amener, dit d’ une personne, comme Pha-
raon qui amène Sara pour l’épouser (I 650,8-9), mais aussi de Jésus qui emmène ses Douze
(I 467,6). C’est un sens abondamment attesté chez Jacques dont il est impossible de rendre
compte en répertoriant tous les textes qui s’y réfèrent.
269 Cf. supra, p. 323, n. 133.
270 Ô sot, tu ne portes pas (le monde) comme (le fait) Dieu.
Pourquoi es-tu troublé, voulant lui dérober son économie (mdabranūteh) ?
Avec les malfaiteurs, il se montre patient pour les gagner ;
il n’est pas l’associé des méchants et il ne les soutient pas.
S’il ne sauve pas les justes quand ils sont opprimés,
il rajoute une beauté à leur beauté, dans leurs tourments.
Toi, parce que tu es agité, troublé et plein d’orgueil,
tu blâmes l’«Économe» plein de sagesses (I 636,12-19).
Notons que les deux premiers stiques ont été cités supra, p. 323, n. 134.
271 Cette sagesse divine s’exprime dans la gouvernance du monde, plus précisément de la
galaxie (III 64,7-8), mais aussi dans le don qui habilite Daniel à interpréter les rêves du roi
Nabuchodonosor par Daniel (Dn 2) (IV 491,11-12; 502,2-17).
272 I 630,20-21; 631,20-21. Le sujet est abordé dans le mīmrā intitulé « Sur l’ admonition » (I 627-
646).
273 Cf. supra, p. 385.
274 La gouvernance n’est pas seulement dite de l’empereur Constantin, qui gère bien « le
royaume et la foi» (BedS 845,2), ni de Pilate qui gouverne la Judée, tandis que Hérode
est chef de Galilée (II 527,6-9), mais de tout homme appelé à savoir comment « se gou-
verner» lui-même. Ainsi, à côté du fils prodigue qui n’a pas su « se gouverner lui-même »
tique par ceux qui se réclament d’eux. Dans une déclaration on ne peut plus
claire, Jacques statue que les apôtres se situent dans la continuité des soixante-
dix «gouverneurs du peuple» (I 44,22)275. À vrai dire, si l’ on consulte le réper-
toire vétérotestamentaire, il y est rarement question des prêtres comme gou-
verneurs ou intendants de la maison de Dieu. Chez Jacques, cette fonction est
plutôt attribuée au patriarche Joseph dans le pays du Pharaon (III 758,15-16), au
roi Achab (IV 186,6), à David considéré comme pasteur du peuple (II 55,11) et
à son fils Salomon (IV 122,16-21; 123,15-16), à Jephté, juge et commandant d’ une
armée (V 310,10-11), et même à la méchante Jézabel (IV 178,14). La seule allusion
au sacerdoce est faite lorsque, considérant celui-ci comme un pouvoir (šūlṭanā)
à côté d’un autre pouvoir qui est la royauté, ici en l’ occurrence celle d’ Ozias qui
chercha à accaparer le sacerdoce, Jacques s’emploie à les distinguer en diffé-
renciant leurs domaines, le profane et le sacré:
Ni celui-là (le prêtre) est maître sur les «choses visibles » (galyatā) pour
les commander,
ni celui-ci (le roi) est compétent pour gouverner les « choses cachées »
(kasyatā)276.
Le prêtre est prêtre, le roi est roi, deux pouvoirs,
afin que, par le sacerdoce et la royauté, le monde soit bien établi.
V 411,16-19
Ayant déjà noté que les soixante-dix sont appelés « gouverneurs du peuple »,
les prêtres sont aussi qualifiés de «gouverneurs des communautés» (mda-
branē da-knūšatā), fonction évoquée dans un contexte de critique à l’ égard
des prêtres qui se font esclaves de l’amour de l’ argent (III 821,5-6). Même si,
(III 505,7), on trouve le solitaire capable de «se gouverner» lui-même comme il l’ entend
(IV 861,8-9.15). Quant à celui qui vit avec les autres dans la société, il n’est pas libre de faire
ce qu’il désire, devant tenir compte des autres et se conformer à leurs requêtes (IV 861,12-
15). Fidèle à la conception paulinienne de l’homme comme chef de la femme (cf. Ep 5,23),
Jacques, tout en rappelant la veuve secourue par Élie (1 R 17,7-24), compatit sur son sort
du fait qu’elle est dépourvue «d’un chef qui s’occupe d’ elle et la gouverne» (III 314,7).
Mais la gouvernance est un don accordé à l’homme, à Adam qui, formé des éléments de
la nature, est habilité à les gouverner:
Des éléments qui forment le monde, il (Dieu) l’avait formé,
afin qu’il lui soit facile de bien gouverner ses compagnons (III 113,12-13).
275 Nous avons discuté, supra, p. 50, de la distinction qu’ établit Jacques entre les soixante-dix
disciples qu’il appelle apôtres et les Douze, préfigurés par les douze tribus d’ Israël (I 44,22-
45,1).
276 Ces deux stiques ont été cités supra, p. 243.
Dans les Lettres, ce choix est attribué à l’économie de Dieu, qui est à l’ origine
de l’élection de Mar Marā, évêque d’Amid, comme « guide » spirituel de la ville :
L’économie divine est engagée non seulement dans le choix des évêques,
mais aussi dans le don du sacerdoce lui-même. Dans cette perspective, pour
convaincre Mar Daniel qui craint de recevoir le sacerdoce à cause de ses péchés,
Jacques lui fait valoir que c’est l’économie divine qui lui accorde le « ministère
du sacerdoce» (Lettres 226,1-3). Dans un texte lacuneux sur l’ évêque de Darā,
Mar Eutychianos, Jacques s’adresse à ce dernier en le qualifiant de « pasteur
spirituel» qui fait paître son troupeau dans des « prés de puissance » et le
conduit vers des eaux tranquilles (cf. Ps 23,2) (Lettres 247,10-13). Non mention-
née dans ce dernier texte, l’économie divine est en revanche évoquée pour
soutenir qu’elle préside à l’élection des ministres ecclésiaux et que c’ est elle
qui intervient dans la déposition de Flavien II et son remplacement par Sévère
sur le siège patriarcal d’Antioche (Lettres 84,21-25). Il est vrai que le choix
opéré ici par l’économie divine ne porte pas essentiellement sur le sacerdoce
277 Il est ici question de l’onction de l’Esprit administrée aux différentes catégories :
C’est l’Esprit qui oint les pontifes pour officier (la-mkahanū),
et il établit sur terre des «oints» et des rois pour gouverner (BedS 857,2-3; texte cité
supra, p. 397).
278 Cf. supra, p. 387.
279 Ayḫ da-mʿadā, comme d’habitude, qu’Albert traduit « comme d’ un revenant». Elle traduit
aussi farnsat par «a pris soin».
Ce n’est pas sans rapport avec l’argent que l’expulsion des démons est évo-
quée dans le récit de la guérison de l’impotent par Pierre devant le temple
(Ac 3,1-10). En effet, commentant cet événement, Jacques va plus loin que le
texte néotestamentaire lorsqu’il rappelle le pouvoir de lier et délier des deux
apôtres, Simon Pierre et Jean, mais aussi celui de la parole qui chasse les
démons:
282 Le texte syriaque a deux termes, šīdē et daywē, qui, tous les deux, signifient « démons ».
283 Discutant de cet aspect de l’offrande de Melchisédech, supra, 202, nous avons relevé la
plus grande valeur des «pensées pures», de «l’action de grâce» par rapport aux sacrifices
sanglants (V 158,1-4).
284 À la suite d’Éphrem qui associe la prière à l’amour (cf. notre Pensée symbolique, p. 484, où
nous renvoyons à HdF 4,11, et p. 452, où nous renvoyons à Eccl 4,8.11), la prière chez Jacques
n’est pas fermée sur elle-même, mais reçoit sa valeur en s’ ouvrant à l’ amour qui, sans lui,
est incapable de monter jusqu’aux hauteurs, là où demeure la Trinité :
La prière est aimable, mais si l’amour ne la fait pas monter,
son aile est faible et elle ne verra pas le Sublime en son lieu (I 608,14-15).
285 On vient de l’évoquer, supra, p. 465-466.
Telle que la prière est présentée ici, orientée vers l’ autre, récitée pour l’ autre,
traduisant par là même un amour oblatif, elle a pour première fonction le salut
d’autrui, le pardon obtenu pour le pécheur. Mais comme tous les hommes sont
pécheurs, y compris le prêtre, sa prière peut également être récitée en sa faveur.
En fait, Jacques n’invite pas le prêtre à prier pour lui-même – ne serait-ce pas
une déviation de la finalité de la prière qui doit se faire pour autrui ? Mais dans
un contexte où la prière est évoquée, c’est le jeûne, en lien souvent avec la
prière chez le docteur syriaque (I 586,2: «Par toutes les prières du peuple entier
(est obtenu) un jeûne digne»), qui doit être pratiqué à la fois en faveur du trou-
peau et du prêtre lui-même:
Le prêtre qui prie n’est pas un individu isolé, il fait partie de tous les enfants de
l’ «Épouse de lumière», l’Église, qui élève les prières, lesquelles sont exaucées
en raison même de toutes les bouches qui les récitent :
buent à réjouir l’Église (II 881,13), mais surtout par ses bénédictions en faveur
de sa communauté (II 885,10: «Bénis ton peuple par tes prières »).
Voilà terminé l’exposé sur les fonctions mineures du prêtre chez Jacques,
faisant suite à l’étude consacrée aux trois fonctions majeures que sont le culte,
la prédication et la gouvernance. Il y aurait moyen d’ en ajouter d’ autres, mais
ces dernières n’éclairent pas davantage la conception des fonctions déjà étu-
diées. Ainsi en est-il de la fonction du prêtre comme réconciliateur des irrités,
à l’instar du sel qui assaisonne les mets (I 619,3-4). À côté du sel, le prêtre est
aussi paix et lumière pour le monde (I 619,17-18). En tant que gardien du trou-
peau, il est appelé à fermer les brèches par son jeûne (I 583,18-19). Une fonction
liée à la culture de l’époque est celle de bénir la moisson, et plus précisément
le blé destiné à devenir pain et à rendre grâce au Créateur (IV 879,18-19). Il reste
que ces fonctions mineures, pour valides qu’elles soient, ne peuvent être com-
parées aux fonctions majeures et à l’importance qui leur est accordée.
8.2.4 Narsaï
Beaucoup moins prolixe que Jacques, Narsaï aborde les thèmes se rapportant
aux fonctions avec des explications moins élaborées. Disciple d’ Éphrem et
de Théodore, le disciple est lié aux maîtres par des points communs, mais il
partage aussi certaines idées avec un autre disciple d’ Éphrem, Jacques. Nous
n’avons pas l’intention de changer le plan que nous avons suivi pour les auteurs
précédents, ce qui nous amènera à commencer par une courte analyse du
concept de ministère avant des discuter des trois grandes fonctions sacerdo-
tales.
286 Ces personnages ne sont pas nombreux: Sara qui sert les hôtes célestes (I 68,2-3), les ser-
viteurs du Pharaon (II 281,4).
la finalité initiale qui préside à leur création287. Et comme l’ homme est créé
à l’image de Dieu, leur service est un témoin de leur amour pour le Créateur
(Gignoux VI 259-260).
Ce qui précède prouve à coup sûr que le ministère n’est en rien une dégrada-
tion pour celui qui sert. Le critère d’un service utile et justifié est sa contribu-
tion à promouvoir le bien et à écarter la propagation du mal qui est représenté
par Satan et ses serviteurs. Même Dieu, affirme Narsaï, met sa puissance divine
au service des mortels et de leurs besoins (Gignoux III 364-365). On ne trouve
cependant aucune allusion au Fils comme serviteur en un sens positif. Tout
au plus, Narsaï réfute la conception arienne qui réduit le Verbe et l’ Esprit à de
simples serviteurs de Dieu le Père qui, à leur sens, « seul existe tandis que le Fils
et l’Esprit (sont) ses serviteurs» (Sim V 86). Aussi les Ariens séparent-ils le Fils
du Père et l’appellent-ils «esclave et serviteur comme tout ce qui est créé» (PP I
276,7-8). Quant à l’Église, Narsaï ne lui assigne jamais un rôle de servante.
Passant à la notion de service dans l’Ancienne comme dans la Nouvelle
Alliance, on constate que Narsaï ne cite que rarement les personnages chargés
d’une mission de service. En effet, on ne trouve nulle part affirmé que les rois,
les prophètes ou les prêtres sont commis à une fonction de service. Le seul per-
sonnage retenu est Jean Baptiste, considéré comme « esclave et serviteur» de
celui qui l’a élu (McLeod II 134) pour accomplir un service particulier, le bap-
tême de Jésus (McLeod II 279-290). C’est en sa qualité particulière de serviteur
que Jean Baptiste, explique Narsaï, est privilégié pour être témoin oculaire, lui
seul, de la descente de l’Esprit sous forme de colombe au-dessus de la tête de
Jésus (McLeod II 317-324).
Encore peu développée chez Narsaï, la fonction de service attribuée au
prêtre ne couvre pas toutes les tâches devant être assumées par ce dernier –
cela, bien entendu, n’est pas nécessaire, car les fonctions principales peuvent
être évoquées autrement qu’en rapport avec la notion de service. En effet, en
abordant l’étude séparée de chaque fonction, nous en retrouverons les trois
principales. Pour ce qui est de la notion de service, une allusion à la fonction
de prédication est faite lorsque Jésus promet aux « ministres du kérygme (du
Christ)» de les combler de la plénitude de la puissance qu’ il reçut lui-même
(II 73,16-17). Et pourtant, constate Narsaï, les ministres auxquels est confiée « la
doctrine de la vérité» se montrent méprisants à l’ égard de celle-ci, tandis que
les hérétiques sont attachés à leur doctrine (I 219,1-2). Il s’ ensuit que le kérygme
à proclamer et la doctrine à enseigner sont deux fonctions essentielles confé-
rées aux ministres. À côté de la parole à prêcher, l’ office cultuel est nettement
288 L’argumentation de Narsaï consiste à défendre l’idée d’ après laquelle le ministère accom-
pli par le prêtre, à savoir le baptême par lequel il supprime la « cédule » (Col 2,14) apposée
à la condition humaine (I 343,20-21), ne relève que de la compétence du prêtre, tandis que
les anges attendent la réalisation de cet acte de salut pour s’ adonner à la louange (I 343,4-
8).
289 Cf. supra, p. 168-169.222.
290 Pour le baptême, cf. I 342,20-21, un texte précédant les deux citations à l’ appui du terme
«service» (I 343,4-8.20-21). Le verbe «officier» (kahen) désigne l’ acte accompli par le
Fils qui entre par son sang dans le Saint des Saints, celui-ci étant identifié par Narsaï au
royaume d’en haut, cf. McLeod V 81-84.201-204; Frish I 433-436.
291 Cf. supra, p. 27.409. Deux exemples suffisent pour confirmer le sens d’ adoration donné à ce
terme: les confesseurs qui adorent le seul véritable Dieu et refusent d’ adorer les créatures
(II 52,13-15) et, dans le mīmrā qui ne semble pas être de la main de Narsaï, les adorateurs
des démons qui les servent en satisfaisant leurs convoitises (II 127,4-5).
294 Cf. supra, p. 96. Dans Baptismal Commentaries, p. 55, Brock souligne une similitude entre
les vêtements blancs chez Théodore de Mopsueste (hom. Cat. XVI. 26-27) et le texte de
Narsaï (I 347,3-4) sur les vêtements blancs comme symbole de la gloire incorruptible, en
notant toutefois que, pour Théodore, c’est plutôt la joie qui est annoncée, et non pas la
gloire.
295 C’est en rattachant le baptême à l’eucharistie que l’Église est considérée comme la « mère
spirituelle» qui, en donnant le corps et le sang au nouveau baptisé, « donne la vie aux fils
de son sein (maternel)» (I 347,11-14). Quant au baptême érigé en acteur, il est envisagé
comme le sein qui «enfante des nourrissons sans mariage » (I 341,11 ; cf. aussi 341,15-16).
298 Non seulement les vêtements sacerdotaux, mais aussi l’ habit dont le nouveau baptisé est
revêtu, constituent un signe de la gloire de l’au-delà (I 346,18-347,4).
299 Nous avons évoqué son appel adressé à «la puissance du Caché » (kasyūtā ; litt.: invisi-
bilité) pour qu’elle descende et sanctifie les eaux qui seront habilitées à donner la vie
(II 148,13-16; cf. aussi I 345,12-14).
300 Cette formule passive se retrouve chez Théodore (Hom. Cat. XIV.15), comme le souligne
Brock, Baptismal Commentaries, p. 55.
Le prêtre ne dit pas «je signe» [rašem (e)nā], mais « est signé » ;
le sceau qu’ il appose ne lui appartient pas, mais appartient à son Sei-
gneur.
I 367,17-18
Une autre notion, celle de l’inspiration des Écritures Saintes, suggère à Narsaï
la façon dont il faut comprendre le rapport existant entre Dieu et le prêtre qui
baptise, Dieu qui dicte et le prêtre qui transcrit:
Dans ses mains est placé le trésor de vie caché dans les eaux (baptis-
males);
s’il ne s’approche et ne le distribue, il n’est pas donné301.
I 344,9-10
301 Dans le mīmrā attribué à Narsaï, la condition sine qua non de la présence du prêtre dans
l’accomplissement du baptême est étendue à d’autres actes sacramentels et sacramen-
taux, comme la bénédiction du mariage, et les funérailles, la bénédiction de l’ eau destinée
à exorciser une maison (I 288,19-289,7). Inutile de relever que, dans le mīmrā en question,
ces actes sont opérés par l’Esprit et nullement par le pouvoir du prêtre qui n’est qu’ un
Plus encore, la louange élevée par le prêtre et confirmée par l’ amen de la com-
munauté, c’est bien le prêtre qui «la transmet auprès du vouloir divin » (I 351,19-
20). Mais c’est surtout la prière de l’épiclèse qui assigne au prêtre un rôle de
médiateur, puisqu’il recueille la demande de toutes les bouches des croyants
et la traduit devant le Dieu caché:
305 Parmi les nombreux textes à ce sujet, nous renvoyons à I 353,9-10, texte cité supra, p. 97.
306 I 352,8-9:
Le visionnaire (Isaïe) n’a pas vu une vision «saisissable par les sens » (metraġšanā)
Ni le spirituel (= le Séraphin) ne lui approcha un charbon corporel (ġšīmtā) (I 352,8-9).
Lorsque le Fiancé est considéré comme acteur dans l’ eucharistie, il est nor-
mal que ce ne soit pas le prêtre, mais bien l’Église qui soit l’ interlocutrice
appropriée. Même s’il n’est jamais soutenu que c’ est l’ Église qui invite au repas
eucharistique, comme c’est le cas chez Jacques, Narsaï ne reconnaît pas moins
que le Fiancé donne son corps et son sang à son Épouse, l’ Église, « afin qu’ elle
acquière la force pour donner la vie, par sa (propre) vie » (I 347,14-15), lui révé-
lant que «par la nourriture de son corps (à lui), il donne la vie à ses enfants »
(I 347,15-16). En discutant du baptême, on a relevé la dénomination de l’ Église
comme «mère spirituelle»; celle-ci, après avoir donné la naissance spirituelle
aux baptisés, procède à les nourrir «par le corps et le sang » (I 347,11-14). Toute-
fois, c’est au prêtre que revient la réalisation effective de l’ eucharistie. Comme
pour le baptême, le prêtre apparaît ici aussi comme un co-acteur, certes second
par rapport à l’Acteur divin, mais sa médiation s’ affirme comme nécessaire,
tant la logique de l’alliance le requiert308. C’est ce que nous constatons dans
l’ attribution au prêtre d’un rôle important dans l’ épiclèse :
Cette prise de conscience de la part du prêtre que sa force n’est pas la sienne,
mais qu’elle lui est accordée d’en haut, l’incite, dans le contexte eucharistique,
à prier aussi pour lui-même. Après avoir été comme médiateur, celui qui élevait
la prière de la communauté vers Dieu (cf. I 351,20-21, texte déjà cité), le prêtre
est invité à réintégrer sa communauté pour partager avec elle le besoin de prier
pour lui-même:
309 Dans le mīmrā attribué à Narsaï, l’auteur aborde la question de la communion que le
prêtre reçoit en premier, «afin d’informer le peuple que le prêtre a lui aussi besoin de
miséricorde» (I 294,2-4). Par ailleurs, la prière du prêtre est associée à la confession qu’ il
fait de ses péchés et des péchés de la communauté (I 276,12-13), péchés qui lui font éprou-
ver de la crainte devant Dieu (I 275,18-19).
310 Nous ne pouvons développer ici la riche notion de miséricorde chez Narsaï: elle est la
réponse à la situation pécheresse dans laquelle l’homme est empêtré (cf. I 118,14-119,1).
Par son infinité, elle contraste avec la mesquinerie de l’ homme (I 122,12-13). Eu égard à la
rémission des péchés, Narsaï considère que l’amour divin précède la supplication, celle-
ci étant requise comme prétexte pour s’enrichir des trésors divins (I 265,21-267,1), pour
péchés est rendue effective dans les deux sacrements d’ initiation avant d’ être
pratiquée par les apôtres et les ministres ecclésiaux.
En concevant Dieu comme amour qui pardonne, il ne faut certes pas en faire
un modèle à imiter, mais le considérer comme la source de tout pardon. Dans
cette perspective, l’homme mandaté pour pardonner ne le fait ni en son nom
ni par sa force, mais par la puissance de celui qui le conforte. De même, les
Douze apprennent de leur Seigneur à offrir des sacrifices d’ amour (II 145,14-21)
et à pratiquer un sacerdoce axé sur l’expiation:
Il rendit parfaite la Loi (juive) par la loi des paroles de son kérygme
et, à la place du sacerdoce (de l’A.T.), il donna un (nouveau) sacerdoce
pour tout faire expier.
II 145,21-22
Même le prêtre auquel le «modèle» (nīšā) du sacerdoce est transmis par les
apôtres recourt à l’art (ūmanūtā) de pardonner enseigné par le roi céleste, art
qui ne vise aucunement une technique propre pour accorder le pardon, mais
bien l’esprit qui doit y présider et qui consiste à ne jamais s’ opposer à incarner
la miséricorde divine envers ses compagnons:
En revenant aux apôtres et à leur rôle dans la rémission des péchés, il semble de
prime abord que Narsaï ne fasse pas cas du don des clés et de la fonction de lier
et délier, tous les deux promis à Simon Pierre (Mt 16,19). Pourtant, il reconnaît
le statut de Pierre comme chef des apôtres311. Le don des clés et la rémission
rendre le pardon de Dieu encore plus beau et plus noble, et cela en faisant acquérir à
l’homme une confiance en lui-même et en lui faisant croire qu’ il est capable d’ augmenter
le bien et de surmonter l’iniquité (I 267,3-4). Le Fils est l’ expression de l’ amour du Père,
et en tant que médiateur, il nous procure la réconciliation (I 126,11-13) par son intercession
auprès du Père (I 126,14-21), et surtout par sa mort sur la croix (I 269,20-22).
311 Pierre est appelé «chef des disciples» (I 53,24; II 82,2 ; 164,15; McLeod III 399 ; PP I 233,16),
«chef des apôtres» (McLeod III 402-403.726-7), ou « maître des apôtres » (PP II 883,23),
«chef des Douze» (II 75,20; McLeod III 386-387). L’importance de Pierre est soulignée
dans sa comparaison avec Moïse, où il apparaît supérieur au prophète par excellence
de l’Ancienne Alliance: comme médiateur, Moïse transmet avec une grande crainte les
paroles de Dieu au peuple à Sinaï, tandis que c’est avec une grande joie que Pierre, à
des péchés n’en sont pas moins la prérogative des disciples considérés comme
groupe, dont le chef n’est autre que Simon Pierre. Cela, Narsaï le place dans
la bouche de Jésus confiant à l’apôtre Paul récemment converti que c’ est aux
disciples qu’il a «accordé la clé de la miséricorde et de la sentence » (I 75,10-11),
comme si, sans utiliser la terminologie habituelle et appropriée, l’ auteur fai-
sait allusion à l’acte de délier par la miséricorde et de lier par la sentence312.
Dans la perspective de l’auteur, la notion de clé n’ est pas nécessairement asso-
ciée au pardon, puisqu’elle peut signifier la clé qui ouvre le « trésor de l’ Esprit »
(II 80,17-24). Dans le dernier texte cité, il est question de la « clé de l’ Esprit »
donnée à Paul et qui lui permet d’accéder aux mystères cachés (II 80,18-19).
Mais il se trouve que la «clé de la miséricorde et de la sentence», évoquée à
l’ occasion de l’introduction de Paul auprès des apôtres, est la même qui est
donnée aux disciples à la Pentecôte:
la Pentecôte, proclame «espérance, amour et foi» aux peuples ; Moïse brise les tablettes
données par Dieu au peuple, tandis que Pierre revêt l’ Église des peuples par une « robe
de gloire» (II 75,19-76,1). Un autre trait mettant en valeur la suprématie de Pierre sur les
autres apôtres est la répartition entre eux des villes à évangéliser, Rome, « la mère des
villes», échéant à Pierre (II 82,2; PP I 233,15). Quant à l’ absence de toute allusion au don
des clés et à l’acte de lier et délier, elle s’expliquerait soit parce que le docteur syriaque
se contente d’ une courte mention de la profession de foi de Pierre, en ignorant les pro-
messes données au chef des apôtres pour ne retenir que son seul rôle missionnaire dans
la ville éternelle (PP I 233,18-234,1), soit parce qu’il se limite à évoquer la révélation que
Dieu le Père lui accorde sur l’ identité du Fils, le Verbe venant habiter dans le corps (PP II
600,14-23).
312 Il est vrai que, parlant des disciples, Narsaï n’utilise jamais le couple lier-délier pour signi-
fier la rémission des péchés, même si, comme nous venons de le noter, une terminologie
apparentée peut s’y référer.
313 C’est également par la rémission des péchés que Jacques explique la finalité ultime de
l’institution du sacerdoce; cf. supra, p. 465.
Si l’on tient compte du fait que la rémission est également obtenue par les
mystères-sacrements, comme on va le constater ci-après, on comprendra la rai-
son pour laquelle elle est la mieux qualifiée pour définir la finalité du sacerdoce.
L’eucharistie comme «table de l’expiation» (I 317,18) accorde la rémission
des péchés par le corps et le sang du Fils (I 355,5-6), tout comme le baptême
donne le pardon par l’eau et l’Esprit (I 343,21-344,1). Le prêtre se tient un tant
soit peu dans l’ombre, mais il ne cesse pas d’ être un acteur qui évoque la
« puissance cachée», la «puissance de la bonté» pour qu’ elle agisse par l’ eau
et efface la cédule de l’homme (I 343,19-21).
Mais la rémission des péchés se donne-t-elle en dehors des deux grands
mystères du baptême et de l’eucharistie, conformément à la promesse de Mt
16,19 sur le don des clés, où le prêtre jouerait un rôle primordial? Sans nous
arrêter sur des textes peu concluants du fait de leur portée générale et donc
peu précise sur l’auteur de la rémission, notre choix se portera sur les seuls
énoncés qui se rapportent clairement et exclusivement au prêtre comme acteur
en dehors des mystères d’initiation. À cet égard, trois indices tendent à corro-
borer l’idée d’un acte de rémission imputé au prêtre: la remontrance dont le
prêtre est l’objet en raison de son refus d’accorder la rémission et, en rapport
avec cette situation, la double évocation du don des clés et de l’ acte de lier et
délier.
À la suite de ses prédécesseurs et en concordance fortuite avec Jacques, Nar-
saï s’élève contre les prêtres qui retiennent le don qui leur a été transmis, à
savoir la rémission des péchés, au lieu de collaborer activement avec le plan
divin en donnant la vie aux pénitents. Qualifiés de cruels (II 153,16), les prêtres
sont comparés au «serviteur mauvais» de la parabole des talents (Mt 25,26 ; Lc
19,22) et, pour ne pas avoir donné gratuitement ce qu’ ils ont reçu gratuitement
(Mt 10,8) (II 155,18-19), ils auront droit aux mêmes paroles de condamnation
prononcées contre le serviteur mauvais:
L’argent314 de miséricorde est placé (magʿal ; litt. : confié) dans ses mains
pour qu’il le distribue;
s’il le retient, il entendra la parole (dite) au serviteur mauvais.
II 155,15-16
Cet état de fait incite Narsaï à les accuser d’hypocrites, partant de l’ idée que le
nom même de prêtre signifie la miséricorde, ce que ce dernier contredit par ses
actes (II 153,17-19). L’auteur va encore plus loin dans l’ exigence de miséricorde
qu’il requiert du prêtre, en postulant que son devoir ne se limite pas à inciter les
hommes à la pénitence (II 155,6-7), à les défendre devant Dieu le Juge, à offrir
des «sacrifices d’amour» en leur faveur, à pardonner leur iniquité (II 155,2-6)
et à augmenter en eux l’espérance de la guérison (II 155,7-8) ; sa plus grande
préoccupation, ajoute le docteur syriaque, est surtout de compatir avec eux et,
à l’instar de Paul (cf. 2Co 11,29), de considérer leurs souffrances comme si elles
étaient siennes:
314 Le terme argent (kesfā) est repris à Mt 25,27 et à Lc 19,15.22. Plus loin dans le texte, Narsaï
utilise le terme «talent» (kakrā) de Mt (II 155,16), ce qui signifie qu’ il emploie indistinc-
tement la terminologie des deux paraboles des deux évangélistes.
S’inspirant des malédictions que Jésus prononça contre les Pharisiens et, face
aux prêtres qui ont opté pour la vengeance au lieu de la clémence que méritent
les pécheurs (II 333,13-14), Narsaï leur rappelle la condamnation qu’ ils rece-
vront de la justice divine:
Avec les deux paraboles des talents et des dix vierges, en plus de l’ énoncé mat-
théen sur les portes que ferment les Pharisiens, une responsabilité est claire-
ment imputée au prêtre lui-même, et pas seulement aux mystères-sacrements
qu’il administre, dans la rémission des péchés. Cette tâche se trouve encore
accrue par le don des clés reçues d’en haut, des clés de miséricorde qui ouvrent
les portes de la vie. Précisons toutefois que ce que Narsaï disait du rôle du
prêtre dans les mystères-sacrements de l’initiation, il le répète pour les clés
que tiennent les prêtres; et sans ces derniers, ajoute-t-il, personne n’ est capable
d’accéder à la nouvelle création:
Par (la présence de) leur esprit, ils tiennent les clés d’ en haut ;
personne ne peut accéder à ce lieu (tūqanā ; litt. : création) (d’ en haut),
sans eux.
II 339,8-9
Avec cette dernière précision, nous n’avons plus besoin de revenir à ces textes,
où l’on trouve attesté le lien existant entre les clés et l’ acte de lier et délier :
Par la suite, Narsaï rapporte l’acte de lier à l’iniquité ou aux méchants et l’ acte
de délier à l’homme converti et devenu bon (II 150,9-12). Toutefois, l’ auteur se
ressaisit en précisant pour clarifier que ce pouvoir « de lier et délier » appartient
au «Signe de la puissance du Créateur», qu’il accorde « par bonté» au prêtre, et
cela est un grand signe, une «merveille» de l’amour de Dieu pour ses serviteurs
(II 150,12-16)315, mais aussi une preuve de sa sagesse pour les faire participer au
don et à la réception de la vie:
Il agit par sagesse lorsqu’il fait participer ce qui lui appartient à ce qui
lui appartient,
afin que, par des «motifs» (ʿellatā), il incite ce qui lui appartient (les
hommes) à devenir sien.
Par des «choses glorieuses», il attire les hommes, comme des enfants,
afin que, par ses paroles, ils acquièrent le rang qui fait posséder la vie.
II 150,16-19
Pour conclure, quelle que soit la conception qu’on se fait du don des clés et de
l’ acte de lier et délier, force est de constater que les allusions faites à la porte que
les prêtres sont capables d’ouvrir et de fermer, à l’ huile des vierges et au talent
de l’ouvrier, renvoient toutes à des actes posés par le prêtre. Ceux-ci sont à dis-
tinguer de ce qui s’effectue dans les mystères du baptême et de l’ eucharistie,
où la rémission est accordée par l’eau et l’Esprit autant que par le pain et le vin.
Comme Jacques, Narsaï se démarque d’Éphrem en ne mentionnant jamais
le rite de funérailles. Abordant le mariage, il ne prend pas le soin de lui consa-
crer une étude élaborée. L’assimilant au rapport charnel entre l’ homme et
la femme, il l’appelle «communion» (šawtafūtā) et « mariage» (zūwaġā), et
l’ impute au corps, comme le sont le sommeil et la nourriture, ce à quoi l’ âme
315 Dans ce contexte, Narsaï parle d’un pouvoir (šūlṭanā) reçu comme don. Mais ailleurs, il
s’élève contre les prêtres qui assimilent le sacerdoce au « pouvoir » au lieu de le concevoir
comme un ministère exercé au profit de leurs compagnons (II 333,12-13) ; cf. supra, p. 445.
En appelant «charge» (ʿbadā ; litt.: œuvre, acte) le « rang des prêtres» (II 333,7), Narsaï
semble renvoyer à 1Co 9,17-19, où Paul se prononce sur son propre ministère en refusant de
le concevoir comme un pouvoir, le qualifiant plutôt de « charge» (rabat baytūtā, d’ après
la Peš) qui lui est confiée. C’est l’unique texte chez Paul qui semble correspondre à celui
de Narsaï, même si celui-ci évoque le sacerdoce à la troisième personne et opte pour un
terme, ʿbadā, qui n’est pas celui de la Peš.
316 Ces quelques bribes de réflexion ne permettent pas de se faire une idée du mariage, tel que
conçu par Narsaï, ni sur un rôle présumé du prêtre tel que cela est pratiqué dans l’ Église
de l’auteur. Ce rôle est cependant bien appuyé dans le mīmrā qui lui est attribué, où la pré-
sence du prêtre est jugée nécessaire pour l’accomplissement des fiançailles et du mariage
(cf. supra, n. 301):
Sans le prêtre, la femme n’est pas fiancée à l’homme,
et sans lui, leur mariage n’est pas accompli (I 289,3-4).
317 Cf. supra, p. 56; le texte est II 145,22-146,1.
318 Le rôle des créatures n’est toutefois pas totalement absent. Dans cette perspective, Narsaï
évoque les quatre fleuves d’Éden qu’il considère «comme des hérauts » de la grandeur du
Créateur (II 205,3-6). Mais le rôle des créatures est encore souligné pour leur témoignage
en faveur du « pouvoir» du Fils au moment de sa crucifixion (I 336,8-9), de sa victoire sur
la mort et de la résurrection des morts (McLeod IV 253-260). Dans le même fil d’ idées, les
morts sortant des tombes s’affirment comme des «hérauts de la résurrection de celui qui
ressuscite (maḥē ; litt.: donne vie) les morts» (McLeod III 470-473 ; cf. IV 149-166).
319 En raison de l’abondance des textes à l’appui, on ne peut établir un répertoire des occur-
rences de ce terme. Il faut également noter l’emploi de l’ expression « annoncer la Bonne
Nouvelle» (sabar) et ses dérivés, qui sont peu attestés chez Narsaï si on les compare au
terme de «proclamer».
320 Dieu proclame sa puissance par son acte créateur (II 6,20-22), par les prophètes appelés
«hérauts de la parole de l’Esprit» (I 317,12; cf. aussi I 45,10) et par les rois (I 50,16-17). Mais
Cela n’empêche pas Narsaï de considérer que Jésus a voulu rappeler à ses
disciples, avant son Ascension, qu’ils ont à accomplir d’ autres devoirs, celui
d’interpréter les «images» ( felatā) de l’ A.T., et notamment la tâche de conti-
nuer son œuvre en accomplissant les «mystères et les types » (McLeod V 53-54).
En premier lieu, les apôtres sont appelés à continuer la victoire que Jésus a rem-
portée sur le Mauvais:
Dieu peut intervenir directement pour proclamer, lors du baptême de son Fils, l’ amour de
Jésus et la grandeur de son rang (McLeod V 317-318).
321 Bien que placée dans la continuité de la proclamation des prophètes, celle de Jésus
la surpasse en raison de sa propagation rapide (I 306,5-9), tout comme la réalité sur-
passe son type (cf. McLeod IV 125-130). D’autres traits justifient la supériorité du kérygme
de Jésus: son «joug doux» qui contraste avec la rigidité et le légalisme des Pharisiens
(Sim V 236,9.242-243; I 304-305) et sa confirmation par l’ acte (McLeod IV 124-125), la mort
et la résurrection de Jésus constituant en elles-mêmes le kérygme, la Bonne Nouvelle du
salut (PP I 342,21-22).
Peut-être faut-il aussi voir une continuité avec la prédication de Jésus lorsque
l’ apôtre Paul, représentant les apôtres, est invité à imiter la douceur de celui
qui les a élus (PP II 592,7-12), non seulement en proclamant par « des paroles
douces» (PP II 592,1), mais aussi en enseignant la modestie (PP II 592,5-6).
En privilégiant le mot «hérauts» pour qualifier les apôtres322, Narsaï recon-
naît que leur tâche de proclamation l’emporte sur toutes les autres, comme
nous l’avons souligné, ce qui est bien le cas chez Jacques. Cette proclamation
semble prendre un nouvel élan après l’Ascension, à la suite de l’ apparition
de Jésus à ses disciples, lequel leur demande de demeurer en Judée pour pro-
clamer sa victoire (II 74,18-19) et pour sceller la victoire par leur proclamation
inaugurée à Jérusalem:
322 Nous n’avons pas besoin d’en donner une liste exhaustive; comme illustrations, cf. I 53,14
(hérauts de la foi que sont les apôtres), I 70,22 (karūzūtā, dans le sens de hérauts renvoyant
aux apôtres que combat Paul avant sa conversion); I 86,25 (Paul appelé héraut). Toutes
les références qui suivent se rapportent aux disciples de Jésus appelés hérauts: I 221,9-10 ;
314,19; II 81,2; McLeod V 145-146; PP I 255,22; Sim IV 95.
323 Nous avons démontré, supra, p. 469, que Jacques considère lui aussi que la prédication
des apôtres vise à combattre le paganisme, tandis que celle de leurs successeurs loin-
tains affronte les hérésies. Plus loin, p. 470, Jacques laisse comprendre que l’ acte, ici en
l’occurrence la guérison de l’impotent (Ac 3), a pour but de confirmer le kérygme oral qui
ne convainc pas le peuple juif incrédule.
324 Plus loin dans le commentaire, Narsaï défend l’union des trois Noms de la Trinité procla-
mée par les apôtres (Sim IV 152-153), réfutant l’accusation qu’ on lui impute de professer
une quaternité. Car, argumente l’auteur, les deux natures, l’ homme et le Fils de Dieu, sont
un seul «prosopon» ( farṣūfā), sans que cette union constitue un « mélange » (mūzaġā)
comme dans la Trinité (Sim IV 154-163).
Du fait que le kérygme comme contenu, comme objet prêché, intéresse peu
notre problématique actuelle, notre investigation portera sur la prédication
comme acte, comme mission dont sont chargés les apôtres en premier lieu. Si
le kérygme comme contenu rime avec le royaume, la prédication comme acte
est représentée par le filet de pêche, dont l’emploi est diversement appliqué
par Narsaï. En fait, le filet peut servir au Fils pour « pêcher » Paul, dans le but
de l’envoyer sur le chemin de la prédication vers les nations (I 54,12-13). À vrai
dire, ce filet, la prédication, est essentiellement celui du Fils qu’ il étend à tous
les peuples par ses apôtres:
Même s’ils sont choisis par le Fils pour la prédication, le filet est en fin de
compte confié aux apôtres et ce sont eux qui, soutenus par le « chef des
hommes», procèdent à la pêche des hommes:
325 Sauf erreur de notre part, l’image de la chasse n’est jamais appliquée aux apôtres, mais
seulement à Jésus comme chasseur, qu’on trouve ainsi identifié dans la parabole de la
vigne, où le travail à la vigne est assimilé à la prédication :
tout celle du banquet auquel les apôtres convient tous les hommes, bons et
mauvais, après les avoir rassemblés sur tous les chemins, dans la mer et sur la
terre ferme (II 81,17-20), Narsaï passe à l’image du filet :
Ils ont étendu le filet de la prédication aux quatre coins (du monde) ;
il rassembla et fut rempli d’une pêche d’hommes utile et agréable.
II 81,20-21
Le deuxième trait qui fait que la prédication de Paul est un modèle à imi-
ter, c’est sa réalisation en actes et non pas seulement en paroles327. Celui
qui n’enseigne qu’en paroles, commente Narsaï, est le maître orgueilleux qui,
méprisant les hommes, se dissimule derrière des paroles pour asseoir son pou-
voir tout en trahissant son incapacité à traduire sa doctrine en actes (I 213,2-10).
Toutefois, dans le contexte où Narsaï formule sa pensée, le modèle qu’ il pro-
pose est le Christ: «Aucun maître ne (peut) se hausser au modèle (nīšā) du
Christ Maître» (I 213,6-7). D’un point de vue plutôt positif, mais qui ne manque
pas de marquer une déficience en raison de l’absence de l’ acte, Narsaï évoque
l’ ambassade de l’ ange auprès de l’homme, laquelle s’ effectue par la parole sans
être suivie d’un accomplissement par l’acte. Pour revenir à la vision de Pierre,
l’ ordre que lui donna l’ange d’aller à la rencontre de Corneille n’est pas suivi
et traduit par des actes:
327 Dans le mīmrā attribué à Narsaï, l’enseignement moyennant les actes est excellemment
représenté par les martyrs, qui vont jusqu’au don de leur vie. En agissant de la sorte, confie
l’auteur, ils parviennent à convaincre jusqu’aux apostats qui finissent par reconnaître que
ces martyrs n’auraient jamais sacrifié leur vie si leur Maître n’était pas mort et ressuscité
(II 50-52, surtout 51,1.22-25; 52,5-9).
acte n’est autre que l’apôtre Paul. Sa conversion est déjà le premier signe d’ une
prédication en actes, la prédication authentifiant que la conversion est réelle
et vraie:
Les actes que Narsaï semble avoir à l’esprit sont ceux qui traduisent la foi de
Paul, l’incitant à «se livrer à l’œuvre de la vérité par amour et miséricorde»
et au «combat incessant contre l’erreur» (I 78,14-16). C’ est un combat que
l’ apôtre mène jusqu’à la fin de sa vie, en assumant « toutes les souffrances invi-
sibles et visibles» (I 79,1-3). Par-dessus tout, la prédication de Paul trouve une
confirmation en actes par les miracles, les guérisons qu’ il opère en faveur des
corps malades et des âmes blessées par le péché328.
De même, la prédication est évoquée au sujet des autres apôtres, que Narsaï
voit réalisée par la mise en pratique de l’ordre reçu du Maître d’ aller baptiser
et enseigner toutes les nations (Mt 28,19)329.
Narsaï se démarque de ses pairs sur un aspect fondamental concernant la
prédication: il souligne fortement le rôle de l’Esprit. Ce qu’ il fait non pas par
des allusions, comme Jacques qui s’y réfère par l’ image du vent dans le char, ou
par l’Esprit comme maître qui mène la foi à sa perfection (cf. He 12,2), mais en
considérant l’Esprit comme le moteur efficace et invisible de la prédication330.
En fait, les disciples de Jésus sont appelés «hérauts des paroles de l’ Esprit »
(cf. I 314,19), en ce sens que leurs paroles sont inspirées par l’ Esprit Saint. Donné
à l’un des membres de notre race, Jésus, l’Esprit le sanctifie (II 73,11-12), le rem-
plit par la «puissance» divine (I 73,15). Le même Esprit fut donné aux apôtres
à la Pentecôte, selon la promesse que Jésus leur fit :
Recevant l’Esprit, ces membres deviennent comme des cordes sur lesquelles
l’ Esprit vient jouer:
Ils (les apôtres) sont devenus des membres, comme des cordes pour le
doigt de l’Esprit;
l’Invisible (Esprit) joua par les (êtres) doués de sens (metraġs̆anē),
l’Esprit par le corps.
II 77,3-4
Narsaï multiplie les références à l’Esprit comme puissance que les apôtres,
les «hérauts» du monde sauvage, distribuent aux hommes, les soumettant au
nom de l’unique Dieu trine (II 80,24-81,9). Par cette « puissance de l’ Esprit »,
soutient Narsaï, les Douze «ont déraciné l’Erreur et ont semé la vérité, (celle)
du nom du Créateur» (II 146,2-3), manière de souligner leur combat contre le
paganisme que nous avons évoqué. Chargés de compléter « le mystère de la
prédication» inauguré par le Fils (McLeod V 37-38), ils sont revêtus de « l’ arme
de l’Esprit» qui les habilite à combattre Satan, le Puissant (McLeod V 43-44).
Là où il y a succès pour les «hérauts de la parole de vie », ici en l’ occurrence
grâce à leurs efforts pour révéler le sens du véritable jeûne, il faut deviner
à l’arrière-plan la «puissance de l’Esprit» qui les honore aux yeux de tous
(I 180,18-23).
Ce qui est dit des apôtres s’applique à Paul comme apôtre considéré à part.
Ayant constaté que Paul donne une preuve sincère de son authentique conver-
sion qui l’engage dans le combat pour la vérité contre l’ erreur, le roi céleste
lui accorde l’«arme» du combat, l’Esprit par lequel il dompte l’ « esprit » de
ce monde (cf. Ep 6,12) (I 78,16-19). Après avoir été éprouvé comme un instru-
ment de choix (Ac 9,16) par le «four de l’Esprit», l’ apôtre reçoit de son Seigneur
le «trésor de l’Esprit de sa prédication» (I 80,1-3). Comme conséquence, Paul
œuvre désormais à transformer les réalités terrestres en réalités spirituelles :
il abolit la circoncision, «sceau de la chair corruptible », pour « la sceller par
l’ Esprit», la rendant ainsi efficace spirituellement (I 80,3-5).
Les prêtres comme prédicateurs sont placés dans la continuité des apôtres
comme hérauts qui, en tant que premiers, ont aplani le chemin par leur pré-
dication. Bien que cette affirmation soit énoncée dans un contexte polémique,
celui de la défense de la cause des trois docteurs, Diodore, Théodore et Nes-
torius (cf. le mīmrā qui leur est dédié: PP I 253-287) au sujet de la doctrine
Quoi qu’il en soit ici du contenu de la prédication, ce qui importe est l’ idée de
la continuité soulignée entre les apôtres et les ministres ecclésiaux.
Sans qu’elle soit exclusive, ni même prépondérante en comparaison avec
les autres fonctions ministérielles, la prédication n’ y joue pas moins un rôle de
premier plan. Pour la mettre en valeur, Narsaï recourt à la parabole des talents,
le grand «talent de l’Esprit» reçu de la main du Seigneur et que le prêtre est
appelé à faire fructifier pour le bienfait de l’âme331. Le « trésor de l’ Esprit » qui,
dans le cas de Paul, est lié à la prédication de l’ apôtre (cf. I 80,3), est confié
aussi au prêtre afin de le répartir sagement à ses compagnons (II 147,21-23). Une
autre image est utilisée, celle de la semence de la vérité et du déracinement de
l’ erreur, qui, pour avoir été appliquée aux apôtres, est encore utilisée pour le
prêtre appelé par le «Signe» divin à se mettre au service du bien de l’ homme
(II 148,1-2). De même, Narsaï emprunte l’image de la pêche, très prisée pour
désigner l’activité des apôtres, pour l’attribuer aux prêtres qui, par leur prédi-
cation, font passer l’homme de la mort à la vie:
Ces sentences, argue Narsaï, ont pour but d’éclairer davantage les hommes
afin de les amener à se procurer la véritable richesse, celle de la vie éternelle
(II 147,12-17). Ainsi, par leur prédication, par leurs sentences, les prêtres contri-
buent amplement à délivrer les hommes «ensevelis» dans leur erreur pour les
faire accéder à «la lumière de la résurrection» (II 151,6-7).
331 II 147,19-20:
Le talent de l’Esprit, il le reçoit de son Seigneur pour (le) faire produire (l-mettagarū).
Il doit placer l’«argent des paroles» sur la table (cfr. Mt 25,27) de l’ âme.
S’il est vrai qu’en plus de sa claire affirmation d’ une continuité existant
entre les apôtres et les ministres ecclésiaux, Narsaï recourt aux mêmes images
appliquées aux uns et aux autres, il y a un lieu, un locus, qui reste réservé aux
ministres ecclésiaux: la liturgie au cours de laquelle la Parole est proclamée.
Comme les récits évangéliques sur les apôtres n’ offrent pas matière suffisante
pour déceler un lien entre liturgie et prédication, ce lien est en revanche sou-
ligné dans la pratique cultuelle exercée par le prêtre. Mais la proclamation dont
il est question n’est pas à proprement parler la présumée homélie pronon-
cée par le prêtre lors de la célébration des mystères, ce qui justifie l’ absence
chez Narsaï de la mention du bīmā, un lieu élevé réservé aux lectures et à
l’ homélie. La proclamation est plutôt l’annonce solennelle par le prêtre de
l’ accomplissement du mystère qui advient dans le secret. Dans le baptême,
cette prédication porte sur la puissance de l’Esprit Saint qui, par l’ eau, guérit
le baptisé du péché, de ses «maladies cachées» :
Dans l’eucharistie, le prêtre est plus clairement désigné comme la langue qui
interprète ce qui s’effectue en secret dans le mystère-sacrement: de ce qui est
visible à l’œil nu, le pain et le vin, le prêtre oriente l’ attention vers leur trans-
formation en corps et en sang du Christ (II 149,7-10), et par conséquent, vers la
participation de l’homme à la mort et à la vie de son Seigneur332 :
La mission de l’apôtre comme langue qui interprète la miséricorde de Dieu
est continuée par les prêtres qui, en tant que médiateurs (II 155,1), appellent les
fidèles à la pénitence et intercèdent auprès de Dieu pour le pardon des péchés :
De cette façon, le prêtre s’affirme comme une langue qui interprète la vérité,
en y décelant les «choses secrètes» qui semblent inaccessibles aux simples
fidèles:
Ainsi perçue, la prédication constitue une fonction des plus essentielles assi-
gnée au prêtre qui, à l’intérieur de corps ecclésial, joue le rôle de la langue
qui proclame et interprète. Bien que moins attestée, l’ image de l’ œil appliquée
au prêtre le montre comme un miroir qui reflète la vérité pour ceux qui s’ y
regardent333 :
333 Ailleurs, les deux images de l’œil et de la bouche sont données à l’ enseignant qui doit
prendre en considération le niveau de l’élève inculte qu’ il a la tâche d’ instruire, en se
constituant un œil pour les sens qu’il attire et éclaire, et une bouche pour les membres du
corps qui écoutent sa voix (I 201,7-13). Dans un sens négatif, le maître orgueilleux, qui n’est
autre que l’hérétique, est accusé d’adresser les paroles de l’ Esprit aux « yeux de chair » du
disciple et les puissances des choses cachées à ses membres, et le résultat ne peut être que
la réduction des choses spirituelles à la chair et les choses à venir à des chimères (I 213,10-
12).
334 Pour les listes des hérétiques en rapport avec la prédication, cf. supra, p. 133, n. 58. Narsaï
partage avec Jacques l’idée d’après laquelle les païens honorent leurs dieux et les héré-
tiques leurs maîtres, tandis que le véritable Dieu et la véritable doctrine sont méprisés par
les chrétiens (I 218,24-219,2).
335 C’est seulement dans le mīmrā attribué à Narsaï qu’ on trouve le titre de « héraut de
l’Église» attribué au diacre, et cela dans la célébration de l’ eucharistie où celui-ci annonce
à la communauté les gestes à accomplir aussi bien que leurs sens (cf. à titre d’ illustration,
I 275,8-9; 277,21-22; 279,3-5; 286,14-15; 289,21-22; 291,14-15 ; 296,2-3).
336 Ce qui semble étrange est le refus par Narsaï d’attribuer aux anges toute intervention
dans la prédication, alors qu’il admet leur collaboration dans la gouvernance du monde
(cf. II 59,2-3; Gignoux VI 129-130.215-218; etc.) et de l’ homme (Gignoux VI 400-401).
337 Ayant créé le monde, le Père continue à le gouverner « selon son vouloir» (cf. I 139,18-
20), selon sa puissance (Gignoux 483). À la différence de Jacques, Narsaï ne fait valoir
que la puissance de Dieu, tout en dissimulant sa sagesse et sa bonté dans la gouvernance.
Abordant la gouvernance du Fils, le docteur syriaque insiste sur le rôle de la croix (II 129,6-
8), sans aller jusqu’à considérer celle-ci comme un appel à une attitude kénotique du
ministre sacerdotal, tel que proposé par Éphrem.
338 Ce thème a été évoqué à plusieurs reprises; cf. supra, p. 205.230.
naient aux rois et aux prophètes. Si, pour la prédication, Narsaï a comparé le
prêtre à la langue, à la bouche et à l’œil, pour la gouvernance, il l’ assimile à la
tête qui ordonne aux autres membres du corps:
L’emploi des expressions au passif, «être choisi» et « être ordonné», est choisi
exprès pour signifier que la gouvernance, tout autant que l’ élection, est confiée
au prêtre comme une mission à accomplir en faveur de ses compagnons, et que
ce dernier doit considérer cette gouvernance comme un don et non comme
une prérogative qui lui revient en propre. C’est dans un contexte qui fait valoir
la perspective pastorale que l’apôtre Simon est évoqué, et l’ ordre qui lui est
donné par le Seigneur de faire paître son troupeau est adressé aux prêtres,
manière de placer le ministère de ces derniers dans la continuité de celui de
Pierre:
Qui est celui dont l’amour est vrai et son penchant ( yaṣreh) sage
et sait bien gouverner ses compagnons?
II 152,5-6
339 En syriaque, nous avons deux termes synonymes, ʿerbē et nqawatā qui signifient brebis.
Et celui qui est choisi dans l’Église sainte pour officier (la-mkahanū),
qu’il gouverne son troupeau selon le vouloir du chef du sacerdoce (rīš
kahnūtā)340.
PP I 393,6-7
Cette ignorance trouve son point culminant dans la confusion qu’ établit le
prêtre entre le sens de son ministère et le pouvoir mondain, au point qu’ il
croit gouverner des brebis et non pas des «(êtres) raisonnables», qu’ il prend
pour des êtres muets, dépourvus d’entendement (II 154,7-8). Imitant le pou-
voir du roi, il va jusqu’à imposer un tribut au peuple (II 154,8-10). Comme
Par les rames de l’Esprit, il gouverne les navires des (êtres) raisonnables,
et il oriente leur (des navires) véhémence vers le port de vie caché dans
les hauteurs.
II 147,16-17
Narsaï n’est pas confronté à l’orgueil du clergé pour qu’ il insiste sur la modes-
tie, sur la kénose, comme le fait Éphrem. Il fait plutôt face à l’ ignorance et à
la sottise qu’il observe chez le clergé de son époque, ce qui l’ incite à valori-
ser la sagesse, dont la source d’inspiration ultime est l’ Esprit Saint. L’option
de Narsaï de défendre une conception ouverte de la gouvernance, incluant
aussi bien la Parole de Dieu que le don des clés, la présente comme un art de
Sans avoir l’intention de leur consacrer une étude approfondie, nous ne pou-
vons clore cette recherche sans aborder ces trois thèmes hautement com-
plexes: la sacramentalité du sacerdoce, la succession apostolique et les fonc-
tions de chaque ministère. Pour cette raison, nous avons jugé que le meilleur
moyen était d’en traiter à part, dans un épilogue, dans une tentative qui vise à
ouvrir la voie à des investigations ultérieures plus poussées et mieux ciblées.
En fait, si le thème de la succession apostolique n’est pas absent dans les
écrits de nos auteurs, celui du sacerdoce comme sacrement ne constitue pas
un sujet qu’ils abordent de front. C’est la raison pour laquelle toute apprécia-
tion portant sur son existence et sa nature relèverait de l’ analyse tâtonnante de
chaque spécialiste et des déductions qu’il en tire. Pour avoir choisi d’ esquisser
un exposé très condensé, nous nous abstenons autant que faire se peut de
multiplier les références à ce que nous avons développé précédemment, nous
contentant de renvoyer aux écrits des auteurs eux-mêmes.
1 Il est hors question que nous fassions l’inventaire de tous les écrits où les savants se pro-
noncent sur le nombre des sacrements; il suffit de mentionner l’ un ou l’ autre de leurs écrits
pour rendre compte de leur thèse. En fait, Brock, Mysteries, p. 469, reconnaît l’ existence
de deux sacrements dans l’Église syriaque, le baptême et l’ eucharistie, tandis que ceux qui
admettent trois sacrement sont Beck, Symbolum Mysterium, p. 31, Eucharistie, p. 51, Bild vom
Weg, p. 13.17.39, de Halleux, Éphrem le Syrien, p. 344, Griffith, True Church, p. 135-136.139. Pour
les trois sacrements chez Aphraate, cf. Beck, Symbolum Mysterium, p. 23-26.
2 Beck, Symbolum Mysterium (l’ensemble de l’article). À côté du sens sacramentel, Beck relève
chez Aphraate et Éphrem le sens de symbole et celui de « mystère» dans le sens biblique, le
premier se distinguant du second, d’après Beck, par le fait qu’ il contient le symbolisé, tandis
que le mystère est un concept plus abstrait. Chez le seul Éphrem, on trouve également attesté
le sens de «culte à mystère». Il ne faut certes pas confondre le mystère dans le sens biblique
et le mystère sacramentel, ce dernier étant évoqué par Beck, Eucharistie, p. 65, lorsqu’ il écrit :
«Die Eucharistie ist das Lebensspendende Mysterium der Zeit der Kirche ».
3 Comme chez Éphrem, bien qu’il soit difficile de démêler les différents sens du terme, il est
évident que le sens de symbole chez Narsaï est bien attesté. Il est surtout décelable dans le
renvoi à la gloire par le vêtement dont le prêtre revêt le nouveau baptisé (I 344,7-8 ; 347,1-4)
que Narsaï consolide en déclarant: «Ici le symbole, là-bas la vérité irréfutable» (I 347,1). Bien
qu’on s’éloigne un tant soit peu du thème baptismal, on rencontre le sens de symbole donné
au razā dans l’image du sanctuaire, la «chambre nuptiale » bâtie sur terre et qui est « un sym-
bole de celle qui est dans les hauteurs» (I 349,14-15). Comme Éphrem, Narsaï connaît lui aussi
le sens de «culte à mystère» lorsque le razā est identifié aux secrets de Satan et de ses démons
(I 361,4-5.8-9).
4 Cf. à titre d’exemple, I 345,20-21.23-24; 347,4; 348,23-349,1; 364,22-25. Il est fait référence au
mystère pascal lorsque Narsaï qualifie le baptême de « mystère-sacrement de notre salut »
(raz fūrqanan) (I 343,8), «de notre renouvellement» (raz ḥūdatan) (I 342,8). Une caractéris-
tique propre à Narsaï est sa tentative de séparer, dans le mystère pascal, la mort et la vie, en
facile d’identifier, car elle est suivie par la mention de l’ eau baptismale, ordre
bien connu dans la tradition syriaque. C’est ce qu’ on trouve soutenu au sujet
de l’onction et de l’eau dont le front est marqué, deux armes destinées à faire
peur aux démons: «C’est pour eux que sont données (hawēn, litt.: deviennent)
l’ huile et l’eau» (I 366,15)5.
Moins développée que pour le baptême, l’eucharistie chez Narsaï n’est pas
moins qualifiée de razā, souvent dans le sens de « razā de la vie-salut » (I 351,17),
de « razā redoutable» (I 350,7-8.15-16), ou de « razā vivant » (I 351,21). Il est
curieux de ne trouver que rarement chez lui l’idée que le pain et le vin sym-
bolisent le corps et le sang du Christ. C’est le cas lorsqu’ il utilise le terme razā
en rapport avec le charbon ardent vu par Isaïe (Is 6,6) : « Il vit dans le char-
bon ardent le mystère du razā du corps et du sang » (I 352,9-10). Ailleurs, c’ est
en comparant le ṭūfsā (type) pris dans le sens de razā qu’ il fait intervenir le
prêtre qui, rompant le pain spirituel, «signe le type (ṭūfsā) du corps et du sang
de celui qui est mort et ressuscité» (II 149,19-20). Cette dernière expression,
« mort et ressuscité», révèle clairement l’ultime finalité de la transformation
des espèces eucharistiques qu’inspire à Narsaï la perspective paulinienne (1 Co
11,23-27) sur laquelle il met l’accent: la mort et la résurrection du Fils. C’ est
ainsi que le couple mort et vie remplace celui de corps et sang dans la symbo-
lique du pain et du vin offerts par le prêtre qui «préfigure le mystère-sacrement
(razā) de la mort et de la vie par le pain et le vin » (II 149,6-7). Encore est-on
contraint de reconnaître que, toujours selon la vision paulinienne (1 Co 11,26),
c’est la mort, «le jour de la mort du roi» qui l’emporte dans cette symbolique
que le prêtre commémore «dans le mystère-sacrement» (razanāyit ; litt.: de
façon symbolique) (I 350,14). C’est la preuve que, dans l’ intention de Narsaï, le
razā appliqué à l’eucharistie n’est pas le mystère biblique, caché et se révélant
à la fin des temps, mais est la nourriture que le prêtre offre au corps et à l’ âme :
« Le corps et l’âme, il (le prêtre) nourrit par la manducation de la puissance du
razā » (I 352,16-17).
N’ayant pas à présenter ici tous les sens de razā dans l’ eucharistie, ce qui
vient d’être dit suffit à se faire une idée de l’emploi du symbole-mystère chez
Narsaï. On en conclut que, à côté du rare terme ṭūfsā, il est le plus approprié à
exprimer le mystère-sacrement de l’Eucharistie.
affirmant que le prêtre dévoile d’abord le «mystère» (razā) de la mort du Fils à l’ homme,
qu’il fait suivre par sa déclaration sur la force de la vie (I 350,11-12 ; cf. aussi 364,20-24).
5 Pour le contexte, cf. I 366,13-17. Dans certains textes, Narsaï semble assimiler l’ onction au bap-
tême lui-même. Il est ainsi affirmé que le prêtre qui administre l’ onction au nom de la Trinité
(tlītāyit ; litt.: de façon ternaire), «accomplit et rend parfait le symbole-sacrement (raz) de
notre salut» (I 365,9-10).
Jacques ne semble pas être aussi hostile à l’idée d’ une certaine sacramen-
talité attribuée au sacerdoce. Mais nous reporterons cette question à plus tard,
lorsque nous aurons à reposer le problème chez Éphrem notamment, que nous
comparerons avec l’approche de Jacques. Pour le moment, nous nous concen-
trons sur l’expression de la sacramentalité de l’ onction, du baptême et de
l’ eucharistie. Fait curieux, dans le vocabulaire prisé par Jacques sur le bap-
tême, on ne rencontre nulle part l’emploi du terme razā. Ceci est d’ autant
plus étrange qu’on ne peut se permettre de douter que le baptême soit pour
Jacques un sacrement. On a là une preuve des plus claires que la présence ou
l’ absence du terme, quelle que soit son importance, ne préjuge pas à elles seules
du caractère sacramentel, surtout si l’on tient compte du fait que le baptême
chez Jacques est un don de l’Esprit qui déclenche un processus de spiritualisa-
tion continué par la communion eucharistique.6
Il en est de même de l’onction qui n’est jamais appelée razā, que ce soit
celle versée sur la tête du baptisé (IV 901,5-6), ou celle considérée comme une
partie intégrante du baptême (III 655,14-656,21). En revanche, l’ eucharistie est
bien conçue comme un razā, un mystère-sacrement, où, beaucoup plus que
chez Narsaï, le pain et le vin sont un razā du corps et du sang du Fils (I 536,8-
9 ; 539,19-20). Cette transformation en corps et en sang est l’ œuvre de l’ Esprit
(III 687,8-9). Le fait de séparer un élément, le pain par exemple, et d’ en faire un
razā du corps du Fils (I 537,15-16), ou de faire habiter l’ Esprit qui transforme le
pain en corps du Christ (IV 744,21-745,1), rappelle le procédé adopté également
par Narsaï lorsqu’il sépare la mort de la résurrection dans la symbolique baptis-
male. Mais à côté du razā utilisé au singulier, comme dans les textes qu’ on vient
de citer sur la symbolique du pain et du vin, on rencontre le razā à la forme plu-
rielle employée pour le pain et le vin: «Grâce à ces razē sur lesquelles l’ Église est
fondée (da-bhūn qaymā; litt.: par lesquelles elle se tient) aujourd’hui » (I 537,3-
6). Il faut bien préciser que, d’après le contexte où il s’ agit du pain et du vin, les
razē jouent ici la fonction de symbole-type de l’Ancienne Alliance par rapport
à ceux de l’Église. Ce qui signifie que le sens du terme est plutôt symbole-type
que sacrement. En revanche, c’est le razā au singulier qui est choisi pour ren-
voyer au corps sur l’autel et au feu sur le char, qui forment tous les deux « un
seul razā du Monogène» (IV 596,14-15).
Un autre biais par lequel le ternaire sacramentel, à savoir l’ onction, le bap-
tême et l’eucharistie, est considéré comme formant les trois uniques sacre-
ments de l’Église syriaque est le constat que ces sacrements sont un don de
l’ Esprit Saint, qui, à leur tour, confèrent l’Esprit et rendent spirituel. En déve-
12 Murray, Symbols of Church, p. 144.342. Dans la dernière introduction à son livre, rédigée en
2004, il réitère sa thèse (cf. p. 21): «Like the ‘signing’ in the rite of initiation and the ‘laying
on of hands’ in ordination, the eucharistic sacrifice is effected by the power of the Holy
Spirit, whose action in all three sacraments is described as his (or, as the Fathers till about
400 would have said, her) ‘hovering’ (rūḥḥapā)».
Une autre précision sur l’identité du sacerdoce est fournie par Jacques lors-
qu’il voit dans l’ange vêtu de lin (Ez 10,2.7) un type du prêtre « qui est revêtu de
l’ image (ṣūrtā) du Fils de Dieu» (IV 596,16-17)13. Toutefois, l’ auteur ne prend pas
la peine d’expliciter en quoi le prêtre est l’image du Fils, même si le contexte
oriente vers l’expiation obtenue par l’eucharistie et que le prêtre accorde en
se conformant au Fils appelé l’Expiateur (IV 596,6-597,5). Quoi qu’ il en soit,
l’ idée que le prêtre représente le Christ, associée à celle du don de l’ Esprit qu’ il
reçoit par l’imposition de la main, nécessite une enquête encore plus appro-
fondie pour savoir si les auteurs syriaques ne conféreraient pas un caractère
sacramentel au ministère sacerdotal.
Ayant été contraint de faire des analyses annexes pour déterminer si le minis-
tère sacerdotal constitue un sacrement pour nos auteurs syriaques, notamment
le détour par le terme razā peu examiné dans ce domaine, la recherche à
laquelle nous nous adonnons à présent sur la succession apostolique n’est pas
aussi complexe. Car, hormis la reconnaissance qu’ une telle succession existe,
c’est sur son sens que le désaccord s’établit entre les chercheurs qui s’ y sont
penchés. Après un court exposé sur l’état de la question où nous envisagerons
les quatre auteurs, et pas seulement Éphrem sur qui se concentrent la plupart
des recherches, nous passerons à l’élucidation de son sens.
Moyennant un langage simple, Aphraate expose sa doctrine de la succes-
sion en l’enracinant dans le Père qui la transmet au Fils lequel, à son tour,
la remet à Simon Pierre et à ses successeurs. Se démarquant un tant soit peu
d’Éphrem, Aphraate ne fait pas remonter la succession à Moïse qui la fait pas-
ser à Jean Baptiste. Chez lui, Moïse (I 456,11-12), comme d’ ailleurs David pour la
royauté (I 964,14-15), sont donnés comme des modèles à imiter et non comme
des ancêtres dont dérivent le sacerdoce et la royauté. C’ est donc le Père qui
transmet tout à son Fils bien-aimé (I 288,12-13), tout le pouvoir (ḫul šūlṭan) au
ciel et sur la terre (I 976,10-11). Cela, même si Aphraate tente de placer l’ origine
du sacerdoce et de la royauté en les attribuant à Pinhas et Nahshôn respecti-
vement, comme il lui plaît d’expliquer le nom de prêtre donné à Jésus en le
13 La même idée se trouve dans le mīmrā 17 qui n’est pas de la main de Narsaï (I 273,1-3 : « Le
prêtre qui est mis à part […] porte l’image ( yūqneh) de notre Seigneur »), que de Vries, Nes-
torianer, p. 33, cite d’après le texte de Connolly (hom. 17, p. 4) et qu’ il considère comme
authentique.
rattachant à Jean Baptiste, fils d’un prêtre14. Toutefois, dans la suite du texte
sur l’origine du sacerdoce à partir de Pinhas, Aphraate ne relève aucune conti-
nuité du sacerdoce jusqu’au Christ, affirmant au contraire que celui-ci descend
de Booz et de Ruth, la souche de la maison de David (II 48,9-15).
À son tour, le Fils a choisi de brillants bergers à qui il a transmis le trou-
peau et «leur a donné pouvoir (w-ašleṭ enūn) sur toute la bergerie» (I 453,5-7)15.
Parmi ces pasteurs, une place de choix est accordée à Simon Pierre, cité nom-
mément, et honoré pour avoir bien fait paître son troupeau16 « et, son temps
achevé, il vous livra la bergerie et il s’en alla» (I 453,9-11). Les clés transmises
par le Christ à Simon, on les trouve en possession du pasteur arrogant dont
il fait mauvais usage en fermant la porte devant les pénitents : « Et la clé te fut
transmise et tu as fermé la porte» (I 640,1-2). Ainsi force est de constater qu’ une
succession, ayant son origine dans une initiative du Père qui envoie son Fils, se
perpétue par le choix des disciples qui transmettent à leur tour le troupeau à
leurs successeurs. Ce qui est en fait transmis, ce sont les « clés » (Mt 16,19), une
certaine «autorité» analogue à celle que le Père confère au Fils, mais surtout le
troupeau, la bergerie (marʿītā). Bien que non explicité par Aphraate, ce dernier
concept semble inclure toute la responsabilité incombant au pasteur à l’ égard
de son Église et dont les clés font partie. Il peut ainsi renvoyer à toutes les fonc-
tions dont est chargé le pasteur17.
À l’instar d’Aphraate, Éphrem insiste sur l’origine divine de la transmission
sacerdotale (cf. Nat 4,210; CH 22,10)18. Il peut l’attribuer à la bonté divine qui
veille sur le bon ordre de la succession ( yūbalā), ou à Dieu qui préside à la
transmission qui s’effectue à partir des prophètes jusqu’ aux apôtres, mettant
de l’ordre dans les «transmissions des natures et des créatures» (CH 24,23 ; 25,3-
4). Le texte classique souvent cité pour la succession apostolique est CH 22,19,
où, donné par le Père à Moïse, le sacerdoce est transmis à Aaron qui le remet
à Jean Baptiste; ce dernier le donne à Jésus lors de son baptême qu’ il trans-
met à son tour aux apôtres et à l’Église19. Éphrem n’hésite pas à faire remonter
cette tradition sacerdotale à Adam même, qu’il considère comme prêtre (cf.
Parad 3,16-17), conception qui semble refléter un accent antijuif. Car, à la fin de
la strophe que nous allons citer, il annonce la rupture de la succession avec la
dispersion du peuple et sa continuité par les apôtres :
19 Sur la succession apostolique chez Éphrem, on peut consulter Murray, Symbols of Church,
p. 178-181. L’auteur fait remarquer que l’«onction» du Christ lors de son baptême et la
provenance mosaïque du sacerdoce du Christ ne concordent pas avec la conception du
N.T., de Paul et de l’Épître aux Hébreux. Elle reflète plutôt une origine judéo-chrétienne.
Murray tente de contrebalancer cette approche par une autre que défend Éphrem et qui
s’inspire de l’Épître aux Hébreux, suivant laquelle le sacerdoce du Christ est dans la ligne
de Melchisédech, ce que nous avons également souligné (cf. supra, p. 228-229). Mais cet
autre aspect de l’origine du sacerdoce christique nous éloigne de la notion d’ imposition
de la main que nous analysons à présent.
20 Ce texte a été cité supra, p. 368.
21 Sur le seul plan du vocabulaire, à côté du terme ašlem préféré par Aphaate, Éphrem utilise
le verbe et le substantif yabel, yūbalā (transmettre, faire passer, tradition); pour ces deux
derniers termes, cf. à titre d’exemple CNis 13,1; 29,36.37 ; CH 4,9.10 ; 24,22; 25,1 ; SdDN 50,4-
6.
ne semblent pas avoir constitué une contradiction aux yeux d’ Éphrem.22 Quels
que soient les prédécesseurs qui ont transmis le sacerdoce, parvenant au Fils,
celui-ci le transmet aux apôtres et à l’Église:
22 De Halleux, Comput éphrémien, p. 2376. L’auteur signale que les deux noms, Syméon et
Jean Baptiste, sont associés dans Nat 4,208-211; 6, 12.17.
23 Murray, Church Unity, p. 174, reconnaît certains Bardésanites en ceux qui ont accepté la foi
de Nicée.
24 Cf. les textes que nous avons cités: CNis 13,1; 17,6; 19,6; CH 22,19-20 ; 24,22; cf. aussi supra,
p. 365-368.
cadre plus global qui en est en même temps le fondement : la foi. C’ est ainsi
qu’Éphrem justifie le pouvoir de lier et délier conféré à l’ évêque Abraham par
lequel il participe au pouvoir accordé à Simon Pierre25 :
La foi est également juxtaposée à l’imposition de la main dans le texte cité ci-
dessus, où Éphrem rappelle auxdits hérétiques qu’ ils ont reçu l’ imposition de la
part de la grande Église, comme ils ont souscrit à la foi de Nicée (CH 22,20). Tou-
tefois, l’importance accordée à la foi ne permet pas de conclure qu’ elle forme
l’ unique contenu de la transmission26. Bien au contraire, dans une approche
très pondérée, Éphrem rattache à la succession épiscopale ce que nous avons
déjà mentionné: clés, bergerie, trône et imposition de la main. Peut-être la
bergerie est-elle, comme chez Aphraate, le concept le plus englobant, car elle
représente l’Église, le trésor des évêques qui n’ont d’ autre testament à léguer
que leur seule Église (CNis 19,15).
Pour certains savants, foi de Nicée et succession apostolique semblent con-
stituer deux critères de la véritable Église, la foi nicéenne représentant un cri-
tère interne et la succession un critère externe. Avec la succession, ils comptent
également comme critères externes le nom du Christ, l’ Écriture Sainte et les
sacrements27. Que l’on accepte ou non les qualificatifs d’ externe et d’ interne,
l’ important est de reconnaître que la succession apostolique constitue un élé-
ment essentiel de la définition de la véritable Église.
25 Beck, version, p. 68, n. 9, croit lire dans ce texte une thèse d’ Éphrem d’ après laquelle la
primauté accordée à Pierre est transmise à chaque évêque.
26 C’est la thèse défendue par Muraviev, Church Themes, p. 308 : « Apostolicity is regarded by
Ephrem as succession of faith and as imitation of Christ ». Et l’ auteur ajoute qu’ Éphrem
ne disserte ni sur le sens de l’apostolicité ni sur les privilèges de l’ évêque. L’auteur cite
plusieurs textes d’Éphrem, souvent d’authenticité douteuse, comme Epiph 3, Comm. in
Ev. (édité par Egan), au moment où il ignore totalement ce qui est dit dans CNis sur les
évêques de Nisibe auxquels il ne se réfère qu’une fois (p. 306). Il semble que l’ auteur part
d’une thèse controversée, l’opposition entre le charismatique et l’ institutionnel, qu’ il pro-
jette sur les textes d’Éphrem dans le but de faire prévaloir l’ approche mystique.
27 Griffith, True Church, p. 134.135.139. On est à l’antipode de la thèse de Muraviev qui rédui-
sait la succession à une succession de la foi, tandis que Griffith la détache de la foi pour
en faire un critère externe. Notons par ailleurs que la foi nicéenne est ici envisagée dans
son contenu doctrinal et non pas mystique, comme le veut Muraviev.
Dans son exposé sur la succession apostolique, Jacques se situe dans la droite
ligne d’Éphrem concernant les grandes idées, sans toutefois consacrer au sujet
l’ approfondissement qu’il reçoit de la part du maître et tout en se démarquant
un tant soit peu de ce dernier. En effet, Jacques reprend à Éphrem l’ idée d’ après
laquelle c’est Dieu qui est à la source du sacerdoce accordé à Moïse au Mont
Sinaï (I 191,14-19) que celui-ci transmet à Aaron qui le remet à Éléazar, son fils,
et ainsi de suite jusqu’aux Lévites (I 76,20-77,1; 80,2-19). Jacques peut résumer
ce processus en précisant dans une formule lapidaire: « Ce sacerdoce que le
Père confia (agʿel) à la maison d’Aaron» (IV 781,11). Comme Éphrem, Jacques
fait parfois remonter le sacerdoce à Adam (I 69,21-70,2 ; 77,2-5), sans qu’ on soit
autorisé, le texte ne le permettant pas, à supposer une quelconque critique du
sacerdoce lévitique. Jacques se démarque d’Éphrem lorsqu’ il ignore la tradi-
tion d’après laquelle le sacerdoce est transmis par Syméon lors de l’ offrande
de Jésus au temple. Non que Jacques ne connaisse pas cet épisode scripturaire,
mais il ne considère pas Syméon comme un intermédiaire dans la succession
sacerdotale. En rapport avec le sacerdoce, le rôle que Jacques attribue à Syméon
est d’avoir reconnu en le Fils la source de sainteté des pontifes lévitiques et de
leurs sacrifices. C’est à lui que s’adressent leurs offrandes (V 454,16-19).
Parvenant à Jean Baptiste, le sacerdoce est transmis à Jésus lors de son bap-
tême par l’imposition de la main28. Le Baptiste est représenté comme celui
qui reçoit le trésor du sacerdoce débutant avec Moïse pour le déverser sur le
Fils (IV 781,1-6). Tout ce qui vient d’être dit jusqu’ ici s’ accorde avec la pensée
d’Éphrem. Cependant, c’est en discutant la possibilité que le Fils constitue un
maillon dans la chaîne sacerdotale que Jacques se détache de son maître. Le
problème auquel il se trouve confronté consiste à devoir concilier un Fils qui
est la source du sacerdoce avec cette autre thèse d’ après laquelle il est un des
intermédiaires de la succession. En effet, si le sacerdoce est « en lui » car « il est
le grand pontife», il est impossible qu’il l’ait reçu d’ un prédécesseur comme un
déficient, ce qui reviendrait à admettre un «ajout » (tawseftā) à ce qu’ il est par
essence (I 192,4-5; IV 781,1-4)29. L’unique solution que propose Jacques serait
d’admettre que le Fils, respectant l’économie du salut qu’ il accepte d’ assumer,
refuse de troubler le chemin de la vérité tracé par le Père; assumant ce che-
min, il le renouvelle tout en créant un nouveau chemin après avoir accompli
les institutions de l’Ancienne Alliance (I 192,8-9 ; IV 781,7-8). Cette argumen-
tation d’une absence de manque imputée au Fils, contrebalancée par le fait
qu’il accepte d’accomplir les lois anciennes pour les rendre parfaites, est éga-
lement appliquée au baptême que Jésus accepte de recevoir de Jean Baptiste
au moment où il est le Saint par excellence30.
Pour avoir justifié la soumission du Fils à l’économie du salut, d’ autres pers-
pectives ne font pas défaut pour que Jacques mette en valeur la transcendance
du sacerdoce christique. C’est à la figure de Melchisédech que ressemble le Fils :
celui-là ne reçoit pas le sacerdoce de quelqu’un pour le transmettre à un succes-
seur (II 205,7-8; V 155,21-22), étant donné que le début et la fin de son sacerdoce
ne sont pas révélés dans les Écritures (II 205,11-12)31. À son image, le sacerdoce
du Christ n’a ni commencement ni fin (II 205,13-14 ; cf. aussi Ril VI 622,4-7), ce
qui vient éclairer la véritable portée d’un sacerdoce reçu par Jésus de la main
de Jean Baptiste. C’est dans cette perspective que Jacques perçoit une disconti-
nuité dans la transmission du sacerdoce. Car, parvenu au grand prêtre Caïphe,
l’ onction sacerdotale et les sacrifies des fils de Lévi cessent pour que, par Simon
Pierre qui reprend le sacerdoce, la vie soit donnée par le Fils (II 553,8-11 ; cf. aussi
IV 781,15-16).
Quoi qu’il en soit des correctifs qui viennent recadrer le sens d’ une trans-
mission sacerdotale reçue par le Fils, c’est celui-ci qui, d’ après la chaîne qui fait
passer le sacerdoce de l’ A.T. au N.T., remet le sacerdoce aux apôtres (I 192,4-5).
Pour une raison qui semble mystérieuse, Jacques admet que Jean, le disciple
bien-aimé, reçoit le sacerdoce au même titre que Simon Pierre. Il en expose la
raison car il soutient clairement que Jean mérita de recevoir le sacerdoce (ici
rīšanūtā, qui signifie dignité épiscopale chez Éphrem), car il n’a pas fui comme
les autres apôtres lors de la crucifixion du Fils (II 553,14-15). Mais est-ce une rai-
son suffisante pour justifier le don qui lui est fait du sacerdoce? Si cela constitue
une raison nécessaire, pour quelle raison Simon Pierre, qui a fui lui aussi, n’en
serait-il pas exclu? Désirant probablement ne pas minimiser l’ importance du
disciple bien-aimé par rapport à Simon, ce qu’on perçoit dans la comparaison
que Jacques établit entre Moïse et Jean pour le don des clés de la vérité révélée
(II 357,16-19), le docteur syriaque finit par soutenir que le troupeau est confié
aux Douze (IV 791,3; 792,18-19), et plus précisément à Simon Pierre qui aime
le Seigneur et lui obéit. Ce sera alors pour lui une épreuve de concrétiser son
amour pour le Seigneur en faisant bien paître son troupeau (IV 791,5-14).
30 D’ailleurs, les deux événements, baptême et sacerdoce de Jésus, sont traités ensemble
(I 176-177; IV 780,17-781,20), car ils sont soumis à la même logique d’ un abaissement
au niveau des institutions anciennes pour les renouveler. Cette kénose, fait remarquer
Jacques, n’est en rien comparable avec la première et grande kénose de Jésus advenue par
son incarnation dans le sein de la Vierge Marie (I 178,1-179,2).
31 Sur ce point, cf. supra, p. 314.
Méritant que Jacques leur consacre un mīmrā dans lequel il célèbre leur
mémoire, les Pères de Nicée sont comptés parmi les meilleurs successeurs des
apôtres, dont la foi remonte à la croix, sa source. Celle-ci se divise en quatre
bras, les quatre évangélistes qui irriguent l’Église, le nouveau paradis, par leur
doctrine (BedS 843,2-17). Ces quatre bras se divisent en 318 ruisseaux (tafē),
les Pères de Nicée, qui proclament la foi au monde avec le roi Constantin
(BedS 843,18-844,2), dans la plus grande fidélité au kérygme apostolique :
Le garant de cette fidélité à la même foi proclamée par Jean et Simon Pierre
(BedS 844,7-8) n’est autre que l’Esprit Saint qui, en tant que « scribe invisible»,
veille à initier les successeurs aux mystères de la foi (BedS 844,15-16). À côté de
cette transmission linéaire de la foi, Jacques insiste aussi sur l’ intégration des
Pères de Nicée dans le corps ecclésial, dont le chef est le Seigneur Jésus; leur
devoir, dit-il, est de préserver ce corps des divisions qui portent atteinte à la foi
(BedS 844,11-14).
À l’instar des Pères de Nicée, Jacques lui-même s’ estime dans la conti-
nuité de la tradition apostolique lorsqu’il est sommé de se défendre devant les
moines de Mar Bassus de toute hérésie qu’on lui impute :
Nous, donc, marchant sur les traces des Pères saints et vrais docteurs,
Lettres 30,1-2
dit-il, rappelant aux moines des écrits qu’il avait déjà mentionnés en faveur de
son orthodoxie.
Quant au prêtre qui est censé s’insérer dans la tradition apostolique, Jacques,
sans trop développer, affirme à son sujet qu’il est confié à « la (main) droite»
qu’il acquiert par une épiclèse (II 884,6-7) et par laquelle il peut bénir sa com-
munauté croyante (II 884,12-15).
S’il s’avère que Jacques a suffisamment mis en valeur la tradition aposto-
lique et sa transmission par la succession épiscopale, son contenu se trouve
moins accentué chez lui, même s’il évoque la plupart des éléments qui la com-
posent et que nous avons exposés ci-dessus: le troupeau, l’ imposition de la
main, ce que nous avons relevé chez Éphrem et Aphraate. Mais contrairement
33 Dans cet unique texte cité, on ne trouve évoquée que l’ imposition de la main du Baptiste
sur Jésus. Aucune mention n’est faite sur une quelconque transmission du sacerdoce du
premier au second.
34 Il est vrai que, dans ce contexte, le don de l’Esprit s’impose, car Narsaï explique le sens de
la formule liturgique «Et avec votre esprit» (I 277,9-10 ; 288,23-289,1). Mais comme nous
allons le constater dans le corps du texte, ce qui est transmis au prêtre est la puissance de
l’Esprit.
35 Sur l’imposition des mains sur Étienne et son sens, cf. supra, p. 411.
tenu de donner tous les textes qui l’appuient. Il suffira de nous contenter d’ un
seul qui semble être représentatif36 :
Suivant son modèle, ils ont officié et ont grandi conformément à son
exemple,
et ils ont transmis le rang de leur office (sūʿranayhūn ; litt. : actes, au plu-
riel) à leurs disciples.
II 146,9-10
Plus encore, Narsaï considère les évêques comme les véritables successeurs des
apôtres, en allant jusqu’à identifier leurs tâches respectives. C’ est en interpré-
tant la question que Jésus pose à Simon Pierre pour savoir s’ il l’ aime que le
docteur syriaque déduit que cette parole s’adresse aux prêtres-évêques39 :
Il nous reste à dire un mot sur le statut et les fonctions qui reviennent à
chaque catégorie formant l’ordre sacerdotal, l’ évêque, le prêtre et le diacre.
Nous devons reconnaître que c’est un thème qui nécessite une enquête plus
poussée, à laquelle il nous est impossible de nous atteler ici. Du reste, de nom-
breux facteurs rendent cette tâche difficile: d’ abord le fait que nos auteurs
parlent de l’ordre sacerdotal en général, en visant surtout l’ évêque et rare-
ment le prêtre40, tandis que le diacre ne semble pas avoir suscité leur attention.
Ensuite, parce que l’approche de nos auteurs est exclusivement théologique,
39 Cette formule est répétée presque telle quelle dans II 331,16, où, dans le même contexte, il
est dit qu’aux prêtres-évêques «il confia la garde du troupeau d’ hommes » (II 331,17-18).
40 À l’exception du mīmrā que Jacques consacre aux prêtres (II 877-890).
celle qui les présente comme «les rassembleurs de la bergerie» (I 681,5), cette
dernière désignant plus probablement une communauté plus élargie qu’ une
petite communauté gérée par un simple prêtre. Il est également possible que
le don des clés soit réservé aux évêques (I 612,23-25 ; 640,1-2), surtout que le
pouvoir dont ils sont dotés de lier et délier (I 705,19-20) est exploité par cer-
tains d’entre eux pour «mettre aux fers et excommunier » (I 636,5-7), abus de
pouvoir qui semble n’être exercé que par des évêques.
Non moins délicate est la tâche de distinguer les fonctions de l’ évêque de
celles du prêtre chez Éphrem, surtout que l’évêque, comme le note Beck avec
raison, est considéré comme le «summus sacerdos»43 et qu’ il est appelé prêtre,
notamment dans les hymnes consacrées aux évêques de Nisibe et d’ Édesse.
Mais comme chez Aphraate, des éléments orientent vers une attribution exclu-
sive de certaines tâches à l’évêque. Parmi ces tâches épiscopales, les savants
ont déjà relevé les titres d’«esprit» (reʿyanā), de médiateur et de « docteur»44.
Discutant la thèse de Beck, il a été démontré que le titre ʿallanā désigne plu-
tôt un dignitaire supérieur au prêtre45, ce qui laisse Éphrem dire que l’ évêque
est choisi parmi le «cercle des ʿallanē » qui regroupe ces dignitaires avec des
évêques titulaires, et probablement des prêtres. Il reste que la fonction la plus
importante qui revient au seul évêque est l’imposition de la main sur le can-
didat au sacerdoce, qu’il reçoit dans le cadre de la succession apostolique
(CH 22,19; CNis 17,6). Il se peut que le don de lier et délier, comme les deux
fonctions de proclamer le kérygme et de gouverner, reviennent en premier
lieu à l’évêque. Mais lui sont-ils accordés de façon exclusive en en écartant les
prêtres qui sont appelés à y participer? Dans le domaine liturgique, la répar-
tition des tâches entre évêque et prêtre n’est pas facilement repérable. Dans
l’ analyse qu’il consacre à Virg 8,1, Beck déplore que le rôle de chacun des
trois grades sacerdotaux, évêque, prêtre et diacre, ne soit pas précisé, comme
il l’est dans le Testament syriaque où l’évêque administre l’ onction, tandis
que le prêtre et le diacre célèbrent le baptême46. En dehors du baptême qui
était l’objet de recherche de Beck, il se peut qu’ une certaine répartition des
tâches soit adoptée dans d’autres domaines, lors de la fête pascale par exemple,
où, pour tresser à celle-ci une couronne, l’évêque prononce l’ homélie, les
presbytres proclament leurs bonnes œuvres et les diacres se chargent des lec-
tures (Resur 2,9)47.
Jacques s’accroche à une liste où sont énumérés successivement les pas-
teurs, les ʿallanē qui correspondraient ici aux dignitaires supérieurs chez
Éphrem, la communauté de l’Ordre (qyamā)48. Une nouvelle liste comprend
les prêtres, les diacres, le qyamā, le mariage (šawtafūtā) (IV 788,11-18), tandis
que certaines listes nomment le ʿallanā en tête, suivi du prêtre et du diacre49,
et d’autres encore citent tout simplement les chefs des prêtres et les prêtres
(II 883,7) ou les pasteurs et les ʿallanē (III 852,13-14 ; IV 789,9-791,1). En donnant
ces listes, Jacques ne montre aucune intention de détailler les fonctions des uns
et des autres. Cependant, des notes discordantes viennent brouiller la logique
dans la hiérarchie de ces dénominations. Ainsi, dans le mīmrā que Jacques
consacre à la mort du prêtre et où l’on croit que le discours porte effectivement
sur le prêtre et non pas sur l’évêque, c’est la qualification de « bon pasteur» qui
est donné au prêtre (II 884,20). En revanche, voulant montrer que la condam-
nation de Nestorius prend une dimension universelle, Jacques cite l’ évêque de
Rome qu’il appelle «prêtre» (Lettres 29,14-17). De plus, ayant compris que le
ʿallanā succède au pasteur et précède le diacre dans la hiérarchie, on est sur-
pris de voir Habib, qui est diacre, recevoir le titre de ʿallanā (BedA I 163,12-13 ;
165,18) en un sens qui le placerait au-dessus du diacre.
Ces remarques relevées, il reste vrai que Jacques réserve le titre de pas-
teur aux dignitaires sacerdotaux, donc aux évêques. C’ est par ce titre que
sont nommés Mar Paul, évêque d’Édesse50, Mar Eutychianos, évêque de Dara
(Lettres 247,10) et Mar Marā, évêque d’Amid (Lettres 223,11-12). La preuve la
plus pertinente que les pasteurs sont des évêques est donnée par l’ appellation
d’«assemblée de pasteurs» (kenšā d-raʿawatā) par laquelle Jacques désigne
les Pères de Nicée (BedS 851,3), qu’il est possible de rapprocher du « collège
des pasteurs» (knūšyā d-raʿawatā) cité dans IV 790,8. Si, à présent, on veut
s’ interroger sur la fonction réservée à chacun de ses grades, on constate que la
position de Jacques ne se démarque pas trop de celle d’ Aphraate et d’ Éphrem.
Peu de choses filtrent chez lui sur la fonction propre à l’ évêque, à part le fait
qu’il est destiné à gouverner sa communauté, ce qui est dit de l’ évêque d’ Amid
installé comme «guide» (mdabranā) de sa ville (Lettres 223,10-11). La fonc-
tion de proclamer le kérygme est peut-être attribuée plus spécialement aux
évêques, parce que Jacques semble doter ce dernier d’ un caractère public et
51 Il s’agit de l’homélie 17. Nous n’avons pas à développer ici les informations contenues dans
cette homélie.
52 C’est l’interprétation donnée par Yousif, Eucharistie, p. 247.
chargé des lectures durant la messe. Quant à Jacques, il ne fait part d’ aucune
fonction liturgique revenant au diacre. En revanche, il se conforme au récit
évangélique qui présente le diacre Étienne comme serviteur des orphelins et
des veuves (Ac 6,1-3) (III 712,3-10). Chez Narsaï, le diaconat d’ Étienne est inter-
prété en un sens plutôt «sacerdotal», Étienne ayant reçu le don de l’ Esprit par
l’ imposition des mains des apôtres en vue de pouvoir célébrer les mystères
saints53.
Parvenu à la fin d’une recherche qui s’est développée outre mesure pour avoir
abordé une thématique riche et abondante, il nous semble que le meilleur
moyen de conclure aurait été de ne pas en résumer le contenu, mais de rele-
ver plutôt les idées phares qui reflètent les préoccupations théologiques de nos
auteurs sur le sujet. Mais comme nous n’avons pas proposé de conclusions par-
tielles à la fin de chaque chapitre, nous nous sentons obligé de fournir, dans
cette conclusion générale, une vue plutôt globale et synthétique qui rassemble
les petites conclusions non faites à la fin de chaque chapitre.
Du premier chapitre sur la terminologie, on peut retenir l’ interchangeabilité
du sens des termes «prêtre» et «pontife», à l’exception de quelques nuances,
et le rôle que joue Melchisédech dans la fixation du vocabulaire, puisque, Mel-
chisédech étant appelé pontife du fait qu’il est prêtre païen, le Fils qui est conçu
à son image recevra par prédilection le même titre. Ce qui est propre à la tra-
dition syriaque, c’est le recours au terme ʿallanā (berger, en son sens originel)
qui, chez Éphrem sur lequel s’aligne Jacques, désigne essentiellement un digni-
taire ecclésiastique supérieur au prêtre mais inférieur à l’ évêque, ou le diacre,
tandis qu’il ne semble désigner que les pasteurs évêques chez Aphraate. Il est
encore important de souligner la désignation de l’ évêque par le titre de prêtre,
en conformité avec une tradition ancienne qui se réfère à l’ évêque en tant que
« summus sacerdos».
Dans la première grande partie consacrée à la fondation christologique du
sacerdoce et à ses dimensions pneumatologique, ecclésiale et eschatologique,
la préoccupation première de nos auteurs est de montrer que les critères qui
président au choix des apôtres, ou des Douze, et le vocabulaire utilisé pour les
désigner sont les mêmes que ceux qui s’appliquent à leurs successeurs. Comme
les évêques sont appelés prêtres, les Douze aussi reçoivent la même appellation
chez Jacques et Narsaï. Encore faut-il reconnaître que nos auteurs ne manquent
pas d’insister sur la singularité des Douze quant à leur proximité avec le Maître,
qu’Éphrem traduit par une identification entre leur élection et la création ex
nihilo, tandis que Narsaï l’exprime par le verbe « engendrer» en correspon-
dance avec l’engendrement des douze tribus par Jacob. À côté d’ une fondation
christologique d’ordre historique du ministère sacerdotal, nos auteurs repèrent
une fondation d’ordre théologique, où la nature humaine de Jésus est la source
du sacerdoce chrétien. C’est une idée que défend Éphrem, tandis qu’ Aphraate
évoque plutôt une élection «dans» le Fils avant la fondation du monde, acte qui
ne se limite pas au Jésus de l’histoire. En conséquence, ce n’est plus seulement
le même langage employé pour les apôtres et les évêques, mais les mêmes titres,
tels que pasteur, médecin, porte, qui sont appliqués au Christ grand prêtre
et aux prêtres de l’Église, sans qu’il y ait suppression de la différence essen-
tielle qui existerait entre les deux ministères. Partageant les mêmes titres, les
apôtres et leurs successeurs participent aux fonctions du Christ, notamment
au kérygme qui garantirait une continuité dans l’ orthodoxie.
Ne voulant en aucun cas monopoliser le titre de prêtre, le Fils veut le parta-
ger avec son Église et ses ministres. Encore que nos auteurs, Éphrem et Narsaï
en premier lieu, considèrent que le Fils est le Révélateur du Père et, en tant
que tel, constitue l’aspect visible de l’invisibilité de Dieu, ce qui fait de lui
le sacrement primordial du Père. Une autre donnée qui écarterait un chris-
tocentrisme dans la conception du ministère sacerdotal est le rapport étroit
que reconnaissent nos auteurs entre le Christ et l’ Esprit : l’ Esprit est reçu par
Jésus lors de son baptême par l’imposition de la main de Jean Baptiste. Le
même Esprit est donné au prêtre, comme aux rois et prophètes de l’ A.T., mais
aussi aux pasteurs de la Nouvelle Alliance sur le visage desquels Jésus souffle
l’ Esprit avant son Ascension. Sur l’évêque, selon Éphrem, la « couvaison» de
l’ Esprit s’effectue par l’imposition de la main. En revanche, Narsaï ne recourt
pas au concept de «couvaison» pour traduire le don de l’ Esprit à Étienne le
martyr, ni même à celui de l’imposition de la main pour parler de ce don.
Quant à Jacques, il reconnaît un don partiel de l’ Esprit aux apôtres avant
l’ Ascension, mais il professe que toute l’armure de l’ Esprit leur sera gratifiée
après l’Ascension. Ayant soufflé l’Esprit sur les apôtres, le Seigneur choisira
le prêtre par le même Esprit. C’est surtout Jacques qui comprend le sacer-
doce comme un don de l’Esprit qui vient en aide au ministre dans sa prédica-
tion. Si Narsaï admet une onction de Jésus lors de son baptême, il précise que
celle-ci est invisible, et donc non légale et matérielle. Comme Jésus, soutient-
il, le ministre sacerdotal reçoit une onction liée au don de l’ Esprit qui fait de
lui un trésorier, un tuteur. Par ailleurs, Narsaï est le seul parmi les docteurs
syriaques ici étudiés à utiliser l’expression «se revêtir de l’ Esprit », qui signi-
fie l’incarnation dans la théologie syriaque, pour traduire cette union forte
entre l’Esprit et le prêtre. Toutefois, quand il est question du don de l’ Esprit
au ministre, Narsaï stipule que ce don n’est pas l’ Esprit en personne, mais sa
puissance.
Avant que le Fils ne choisisse ses apôtres, son souci premier est de rassem-
bler une communauté qui prendra plus tard le nom d’ Église. C’ est dans le
cadre ecclésial que nos auteurs perçoivent le don du ministère. Pour Aphraate,
l’ Église n’est pas l’acteur des sacrements, mais le lieu de leur célébration. Bien
distincts chez lui, les acteurs sont les évêques, les presbytres et les diacres, mais
en aucun cas ils ne doivent être considérés comme supérieurs à leurs frères
dans la communauté ecclésiale. Chez Éphrem, l’ unité entre le Fils et l’ Église
est représentée par l’union établie entre l’Époux céleste et l’ épouse ecclésiale.
Les apôtres et leurs successeurs les évêques sont les paranymphes qui pré-
sident à l’organisation des fiançailles. S’il arrive à Éphrem d’ appeler l’ évêque
époux de l’Église, c’est pour faire valoir sa vie célibataire et le don total de sa
personne à sa communauté. Séparés de l’Église, les ministères que lesdits héré-
tiques lui dérobent, avec d’autres composantes ecclésiales, perdent leur effica-
cité salvifique. À la différence d’Aphraate, Éphrem considère l’ Église comme
actrice seconde des sacrements après le Fils, qui précède et fonde l’ action des
ministres.
Même si l’Église est préfigurée dans l’ A.T., dont les origines remontent
même au début de la création, Jacques assigne sa construction au Fils qui joue
le rôle de la pierre angulaire, tandis que Pierre en est le fondement et les apôtres
les murs qui tiennent l’édifice. Dans la perspective paulinienne que Jacques
adopte, les apôtres sont des planteurs de l’Église, lesquels, à la lumière de la
symbolique paradisiaque telle qu’élaborée par le docteur syriaque, sont eux-
mêmes plantés sur le Christ dont ils puisent force pour leur mission. Dans
les fiançailles et les épousailles de l’Église, les apôtres joueront le rôle de
paranymphes, comme chez Aphraate et Éphrem. Mais leur collaboration à la
construction de l’Église s’actualise dans le kérygme qui contribue à sa crois-
sance. Jacques rappelle cependant que c’est la puissance de la Bonne Nouvelle
qui est à l’origine de la croissance ecclésiale et non pas l’ argutie et l’ habileté
des prédicateurs. Plus qu’Aphraate et Éphrem, Jacques insiste sur la foi de
l’ Église comme la condition de possibilité de l’ exercice des mystères (razē),
ce qu’il montre à la fois dans les deux cas relatifs au baptême des enfants et
à la prière pour les morts. Ceci prouve qu’avant d’ être exercés par les ministres
ecclésiaux, les mystères appartiennent à l’activité de l’ Église dont le prêtre
est le représentant. D’ailleurs, Jacques fait valoir la compétence universelle de
l’ Église à s’adresser à tous les peuples, ce que le ministre ne réalise que partiel-
lement.
Narsaï privilégie l’image de l’Église comme corps dont la tête est le Christ,
où viennent s’unir tous les membres dans un respect mutuel. Comme Jacques,
il met en valeur le kérygme des apôtres et leurs successeurs dans la construc-
tion de l’Église, en assimilant ces derniers à la langue ou à la bouche qui pro-
clame la vérité. S’ils sont comparés à la tête du corps, c’ est pour les montrer
comme guides qui éclairent le chemin et non comme des rois qui subjuguent
leurs subordonnés. Plusieurs points marquent l’ originalité de Narsaï par rap-
port aux autres docteurs syriaques: son vocabulaire, l’ absence chez lui de l’ idée
selon laquelle le baptême sort du côté du Crucifié, l’ évocation des présents
offerts par le Fiancé à sa fiancée. Ne collaborant pas à la conclusion des fian-
çailles, les apôtres construisent l’Église par le kérygme, tandis que leurs succes-
seurs auront à combattre plus tard les hérésies. Narsaï parle souvent de l’ Église
comme auteure des sacrements que le prêtre représente.
À côté de la christologie, de la pneumatologie et de l’ ecclésiologie, l’ eschato-
logie joue un rôle prépondérant dans la pensée de nos auteurs, et cela ne
pouvait pas ne pas avoir des répercussions sur la compréhension du ministère
sacerdotal, du moins sur sa destinée future. Bien qu’ il soit difficile de démê-
ler ce qui est dit du ministre et ce qui revient aux chrétiens en général, cer-
tains énoncés, comme «les bons pasteurs jugeront les prêtres», ou la formule
paulinienne «nous jugerons les anges» (1Co 6,3) s’ appliquent exclusivement
aux ministres. La question complexe qui s’impose est celle de savoir si, dans
l’ au-delà, les ministres conservent le statut ecclésial qu’ ils endossaient ici-bas.
Aphraate semble consentir à ce qu’il n’y ait pas de distinction homme-femme
dans l’au-delà, encore moins de distinction baptisé-clerc, car ce qui fonde cette
dernière distinction, l’Église, est destiné à disparaître pour laisser la place au
royaume.
Sur plusieurs points, Éphrem rejoint Aphraate, mais à l’ énoncé d’ après
lequel les apôtres jugeront les prêtres, il donne une interprétation proche de
l’ exorcisme, en affirmant que les ossements des apôtres chasseront les démons.
Il se rapproche aussi d’Aphraate au sujet de deux questions, l’ une relative à la
contribution du prêtre, par son ministère, à l’avènement du royaume, et l’ autre
concernant la perpétuation du sacerdoce dans la vie future. À bien regarder
les choses, il semble que ce soient les sacrements et la foi prêchée qui pré-
parent à l’eschaton et non pas la personne du prêtre qui s’ efface dans l’ exercice
de son activité ministérielle. S’il est vrai, par ailleurs, qu’ Éphrem évoque un
sceau (ṭabʿā) pour le baptême et le sacerdoce, il ne qualifie jamais celui du
sacerdoce d’indélébile, appelé à persister éternellement. Quant à savoir si
l’ Église demeure éternellement, notamment comme épouse du Fiancé céleste
dont l’union est destinée à être perpétuelle, son imperfection laisse suppo-
ser qu’elle sera résorbée dans le royaume comme l’ imparfait dans le parfait.
En conséquence, le sacerdoce qui est une institution ecclésiale n’ a pas voca-
tion à survivre, du fait que le Fils comme grand prêtre assumera toutes les
fonctions sacerdotales dans l’au-delà. Si tel est le cas, comment évaluer ce
qu’Éphrem dit de certaines activités exercées par les apôtres à l’ avènement
de l’eschaton, telles que le jugement des douze tribus d’ Israël, ou le juge-
ment que les apôtres prononceront contre les prêtres transgresseurs de la
loi? Si l’on envisage l’inventaire qu’établit Éphrem des catégories qui seront
récompensées lors de la résurrection, on constate qu’ elles le seront en fonc-
tion de leurs vertus et non suivant leur statut ecclésial, et cela doit s’ appliquer
aux ministres sacerdotaux qu’Éphrem ne mentionne pas parmi ces catégo-
ries.
tandis qu’Éphrem compare et associe les fautes des prêtres à l’ arrogance des
Ariens. L’originalité de Jacques apparaît dans l’ application de sa christologie
miaphysite à certains textes dont le plus fameux est celui relatif à la descente
des deux feux sur les offrandes. Il en déduit que seul le feu divin, à l’ image de
la divinité du Fils, se manifeste comme auteur de la consumation de l’ offrande.
De plus, dans la ligne d’Éphrem, il projette sur les prêtres juifs contemporains
de Jésus des accusations que les textes évangéliques attribuent à d’ autres caté-
gories, les Pharisiens ou les Juifs. Narsaï ne relève que les défauts des prêtres
juifs dans leur relation avec Jésus.
À côté des défauts, nos auteurs dévoilent les vertus des prêtres juifs : leur
amour, leur pureté de cœur et leur foi. Tout comme l’ offrande pure fait d’ eux un
type du Christ, la justice et la sainteté habilitent certains d’ entre eux, comme
Josué divisant la mer, à accomplir des miracles. Jacques va même jusqu’ à recon-
naître que la sainteté intérieure peut être acquise par l’ exercice du sacerdoce.
Quant à Narsaï, il met en avant des qualités spirituelles incarnées par les prêtres
juifs, non pas en se référant à Melchisédech, mais à Jean Baptiste qui eut le pri-
vilège d’entrer dans le Saint des Saints en posant sa main sur Jésus.
Certaines fonctions de l’ A.T. semblent précéder et préparer celles de la Nou-
velle Alliance. La fonction cultuelle semble occuper la première place en fai-
sant valoir que l’offrande est accomplie dans le temple, sur l’ autel. Toutefois,
une grande orientation vers la désacralisation du sacrifice est décelée chez nos
auteurs, qui considèrent que la prière est elle-même l’ offrande, la meilleure. De
cette façon, le sacrifice se trouve détaché de son support sanglant. L’approche
d’Éphrem se distingue par sa controverse avec les Manichéens et les Marcio-
nites sur la notion d’offrande, dans laquelle il prend la défense de Dieu en
démontrant que le langage de l’Écriture est métaphorique. Malgré son plai-
doyer en faveur du sacrifice de l’ A.T., Éphrem ne manque pas de faire ressortir
son inutilité et le caractère indigne des anciens prêtres d’ offrir l’ Agneau pas-
cal de la Nouvelle Alliance. Jacques assimile lui aussi le sacrifice aux pensées
pures, notamment à l’amour, à la foi qui plaît à Dieu, voyant dans la confession
des péchés par le prêtre offrant le sacrifice le seul moyen d’ obtenir l’ expiation.
Ce n’est donc pas le sacrifice lui-même, mais l’intention qui le sous-tend qui a
valeur aux yeux de Dieu.
Toutefois, quelle que soit leur valeur, les sacrifices de l’ A.T. deviennent
inutiles avec l’avènement du sacrifice du Fils. Plus clairement qu’ Aphraate et
Éphrem, Jacques distingue le rôle du prêtre par rapport à celui de la commu-
nauté dans l’offrande à Azazel: c’est lui qui pose la main sur le sacrifice et
confesse les péchés de la communauté, préfigurant ainsi le Christ, l’ Agneau
qui porte les péchés du monde. Encore faut-il admettre que, chez lui, le prêtre
est le type de l’amour du Christ dans le sacrifice des deux oiseaux, qui repré-
sente les crucificateurs dans celui de la vache rousse. Le lien entre le prêtre et le
sacrifice est encore souligné chez Jacques pour qui le prêtre se sanctifie par les
offrandes. Le même rapport est attesté chez Narsaï: offrir des sacrifices relève
de la compétence du prêtre, c’est d’ailleurs ce qui l’ établit prêtre. Comme les
autres docteurs syriaques, Narsaï oscille entre une évaluation négative et posi-
tive du sacrifice: les sacrifices sanglants sont morts, muets, mais ils ne préfi-
gurent pas moins le sacrifice du Fils. Pour lui, le caractère spirituel des sacrifices
de l’ A.T. est représenté par l’encens que le prêtre fait entrer dans le Saint des
Saints, tout autant que par les pinces du feu qui touchent les lèvres d’ Isaïe, ce
qui éloigne le spectre des sacrifices sanglants, et enfin par l’ imposition de la
main de Jean Baptiste sur Jésus, par laquelle il fut apte à pénétrer dans le Saint
des Saints.
La fonction de l’enseignement attribuée au prêtre de l’ A.T. semble se distin-
guer de celle des docteurs de la loi. À ces derniers est réservée chez Aphraate
l’ élaboration d’un commentaire scientifique des textes scripturaires, tandis
que la tâche du prêtre consiste à éveiller la conscience du peuple pour qu’ il dis-
cerne le bien du mal: un kérygme plutôt parénétique. Éphrem attribue la fonc-
tion d’enseignement aux seuls prophètes qui forment un couple indissociable
avec les apôtres. Cependant, Éphrem consent à ce que des personnes repré-
sentent à la fois la prophétie et le sacerdoce, tels que Moïse et Syméon. De plus,
le grand prêtre est lui-même réceptacle de prophéties, de visions oraculaires
grâce aux pierres précieuses attachées à sa tunique qu’ il revêt quand il entre
dans le Saint des Saints. Comme Éphrem, Narsaï dévoile le don de révélations
accordé au prêtre, même si ces dernières lui sont transmises moyennant le pla-
teau d’or placé sur le propitiatoire et non pas, comme chez Éphrem, par les
pierres précieuses. Il convient aussi de rappeler que Narsaï reconnaît que le don
de révélation revient en premier lieu aux prophètes de l’ A.T. Quant aux scribes,
ils sont versés dans l’étude des textes sacrés que les prêtres interprètent égale-
ment, mais dans le cadre cultuel. Contrairement à Éphrem et Narsaï, Jacques
n’évoque jamais la fonction oraculaire du prêtre et les pierres précieuses sur les
vêtements du grand prêtre reçoivent chez lui une interprétation chrétienne:
elles représentent la foi pure. Il est même rare que chez lui le prêtre soit doté
d’une fonction d’ enseignement, laquelle fonction incomberait au prophète. Le
prêtre n’en est toutefois pas totalement exclu, et la preuve est qu’ il est appelé à
enseigner la foule comme Jean Baptiste et son père, ce dernier étant qualifié de
« docteur» en Israël. Le couple prêtre-scribe est présenté comme connaissant
les livres saints où le Fils est annoncé, encore que le scribe s’ affirme comme
plus compétent dans la recherche scientifique.
La fonction de médiation du prêtre juif est peu soulignée par les auteurs
syriaques. À peine alléguée par Aphraate, ce rôle dans la transmission de la
révélation est confié à d’autres messagers, tels que l’ éphod chez Éphrem et le
plateau d’or chez Narsaï. Les législateurs, comme Moïse, jouent également le
rôle de médiateurs dans l’ A.T. Chez Jacques, la médiation est imputée à diffé-
rentes catégories, comme les prophètes, mais aussi au prêtre qui a pour tâche de
traduire le vouloir divin à l’adresse de l’homme, notamment dans le don qu’ il a
de délier et lier par lequel il préfigure le Christ comme expiateur. Parmi les doc-
teurs syriaques, Jacques est le seul qui accorde une fonction de gouvernance
au prêtre de l’A.T., à Moïse, Aaron, Éléazar et aux soixante-dix, occasion pour
notre docteur d’expliciter sa conception de la gouvernance comme soumission
au vouloir divin pour les réalités invisibles, la distinguant ainsi du pouvoir pro-
fane qui commande aux choses visibles.
Abolition ou accomplissement du sacerdoce de l’ A.T. : tel est le dilemme
auquel se trouvent confrontés les auteurs syriaques. Les institutions de l’ A.T., y
compris le sacerdoce, sont destinées à disparaître en raison de leur inefficacité
salvifique, mais, dans une tout autre perspective, elles peuvent être assumées
et amenées à leur perfection par la Nouvelle Alliance, et, s’ agissant du sacer-
doce, par le don de soi du grand prêtre, Jésus Christ. En envisageant l’ indignité
des prêtres, d’une part, et la vérité qui n’est donnée que par le Fils, d’ autre
part, l’accent est mis sur la rupture. Face au marcionisme qui rejette l’ A.T. et
ses institutions, les écrivains syriaques sont contraints de privilégier une cer-
taine continuité entre les deux sacerdoces, ancien et nouveau. Pour appuyer
leur thèse d’une abrogation du sacerdoce, ils se fondent sur des témoignages
extraits des écrits des Juifs eux-mêmes, tels qu’ Os 3,4, ou la prophétie sur la
destruction du temple. Dans le cas d’une assomption du sacerdoce ancien
par le nouveau, la forme ancienne du sacerdoce disparaît pour que la vérité
partielle qu’il incarne soit assumée et rendue parfaite par le sacerdoce du
Christ.
Comme le sacerdoce du Christ accomplit le sacerdoce ancien et fonde le
sacerdoce nouveau, il était nécessaire de lui consacrer une étude dans laquelle
seront dévoilées son identité et ses fonctions. Nos auteurs syriaques s’ inspirent
notamment de l’Épître aux Hébreux pour éclairer la nature du sacerdoce chris-
tique, même si Aphraate et Narsaï ne se réfèrent jamais à Melchisédech dans
son rapport avec le sacerdoce. Dans cette perspective, ce qui définit le Fils
comme grand prêtre est bien son auto-donation qui, atteignant son point
culminant sur la croix, lui permet d’entrer dans le Saint des Saints, la demeure
du Père. Aphraate reprend à l’Épître aux Hébreux plusieurs titres « sacerdo-
taux» du Christ, mais il privilégie le titre de pasteur qu’ il développe à partir de
Jn 10 et Ez 34. Éphrem exploite l’image de Melchisédech comme type du Christ,
dans son caractère spirituel et son aspect éternel, sans ignorer les autres figures
comme Abel la victime, Moïse le berger, ou encore l’ agneau pascal dépeignant
le Christ offert sur la croix. À la suite d’Éphrem, Jacques affirme que Melchisé-
dech est le type du sacerdoce christique en raison de son caractère unique et
de l’aspect spirituel de son offrande, et que par l’ offrande de son cœur pur, il
annonce le don de soi du Fils sur la croix. De plus, le silence qui couvre l’ origine
et la fin du sacerdoce de Melchisédech et le fait qu’ il ne reçoive le sacerdoce
de personne et ne le transmette à personne sont des traits qui préfigurent le
sacerdoce christique. Le caractère sacerdotal du Fils comme pasteur est mis en
évidence chez Éphrem, lorsqu’il est opposé aux « pasteurs subtils » qui sont les
évêques ariens. Éphrem impute au Christ plusieurs autres titres de connotation
sacerdotale: serviteur, maître et médiateur, les trois étant liés.
Chez Jacques, le titre de «grand pontife», inspiré de He 7, marque les dif-
férentes étapes de la vie de Jésus, de l’incarnation, en passant par la croix et
la résurrection jusqu’à l’ascension, cette dernière étape singularisant le Fils en
tant qu’unique prêtre capable de pénétrer le Saint des Saints. Le titre de pasteur
est investi du caractère sacerdotal en raison de son rapport à l’ agneau devenu
sacrifice: il s’offre lui-même jusqu’au don de soi à la croix qui est l’ expression
de la puissance de son amour et de l’amour du Père pour le monde. Jacques
s’ étend davantage sur le titre de docteur, confirmant que la Parole de Dieu
est source de la formation des Douze. Enseignant par une parole porteuse de
salut, de valeur universelle et éternelle, et réalisant immédiatement ce qu’ elle
énonce, le Fils comme docteur enseigne aussi par sa croix, au-delà de laquelle
il n’y a plus d’enseignement. Cette kénose exprimée par la croix est aussi pres-
sentie dans le titre de serviteur. Mais c’est surtout le titre de médiateur qui,
réconciliant les deux partis en conflit, investit le Fils d’ un trait sacerdotal qui
est celui du don de l’expiation.
Narsaï se distingue des autres docteurs par sa christologie, où la notion
d’élection est appliquée à Jésus. D’après celle-ci, il distingue ce qui est effectué
par Jésus et ce qui revient au Verbe, confessant que ce dernier n’abandonne
jamais Jésus lors des souffrances, sans en être pour autant affecté. Comme
Éphrem, Narsaï fait valoir l’humanité de Jésus comme lieu où se célèbre le
nom du Créateur. Abordant le titre de grand prêtre imputé à Jésus, il l’ explicite
en le mettant en rapport avec l’agneau et son sacrifice. Cette dernière notion
de sacrifice caractérise le titre de médiateur donné au Christ, qui finira par la
mort sur la croix. De ce fait, Narsaï transfère sur le Fils médiateur ce qui est
dit du grand prêtre compatissant au sort des faibles dans l’ Épître aux Hébreux.
Comme les deux titres de grand prêtre et de médiateur, celui de prophète est
attribué à l’homme Jésus qui, étant assisté par l’Esprit Saint, annonce les choses
à venir. Le kérygme de Jésus se focalise sur le royaume, réalité universelle ren-
due visible par le kérygme. Comme maître qui initie ses disciples, Jésus, dont la
doctrine est axée sur le salut, se démarque des docteurs du monde. Le titre de
roi est peu développé chez Narsaï et rarement mis en rapport avec la gouver-
nance qui constitue un trait du sacerdoce christique. Ceci, à moins d’ associer
l’ entrée de Jésus comme grand prêtre dans le Saint des Saints et l’ investiture
royale dans la même demeure.
En abordant le sacerdoce christique, Éphrem met en valeur le titre de prêtre
qu’il range loin derrière les noms importants accordés au Fils, ne fût-ce que
parce qu’il ne convient qu’au seul Fils à l’exclusion des deux autres Personnes
divines. Traduisant le caractère céleste et éternel du sacerdoce christique, le
titre ne renvoie pas moins à une certaine transcendance par rapport au sacer-
doce juif. Plus encore, comme nous l’avons déjà souligné, l’ identité du sacer-
doce christique est définie par ce rapport qui lie le grand prêtre à son corps
destiné à être immolé, lequel corps est préfiguré par le vêtement sacerdotal du
grand prêtre juif. Les autres types de l’ A.T. renvoient à des sacrifices advenant
en dehors de leur personne; seul Étienne, note Éphrem, est un véritable grand
pontife, car il s’offre lui-même.
Pour Éphrem, le Fils en tant que prêtre ne représente pas seulement le sacer-
doce, mais aussi la prophétie et la royauté, réunissant ainsi en sa personne les
trois composantes qui définiront le sacerdoce chrétien. S’ il est parfois réticent
à employer le titre de prophète pour le Fils, préférant le corriger en Seigneur
des prophètes, c’est dans le SdDN qu’il est dit que le Fils accueille royauté, pro-
phétie et sacerdoce qui lui sont transmis par une chaîne qui commence avec
Moïse et aboutit à Syméon. Pour Jacques, le Fils est supérieur aux prophètes; il
est la Parole qui donne la parole aux prophètes, la source de toutes les prophé-
ties. De plus, il est le seul qui puisse proclamer la Bonne Nouvelle aux morts. En
s’ offrant lui-même sur la croix, le Fils joint l’acte sacrificiel à la proclamation
de la vérité qui sauve. C’est aussi en tant que roi que le Fils libère l’ homme,
son icône, de sa captivité et qu’il revivifie les morts. Son type est là aussi Mel-
chisédech qui est à la fois prêtre et roi de la paix, qui garde Jérusalem et bâtit
un sanctuaire au Golgotha où aura lieu le don de soi du Fils. Pour avoir jeté
sur le Fils la nappe qui couvre l’autel, les Juifs ont déjà reconnu et dénoncé la
prétention de Jésus à la dignité sacerdotale.
Les effets des trois fonctions christiques se concentrent d’ abord sur l’ expia-
tion que le Fils, en tant que prêtre, obtient par son sang versé sur la croix et pré-
figuré par l’hysope. Ils renvoient ensuite à la prédication et à l’ enseignement,
par paroles et actes, des vérités divines adressées au monde entier en tant
que prophète et, en tant que roi, au règne qu’ il exerce sur la croix après
l’ avoir exercé sur toute la création, accordant ainsi la royauté à l’ homme.
Chez Jacques, la fonction sacerdotale est le mieux exprimée par l’ expiation
qui se caractérise par les traits suivants: elle s’ obtient par l’ offrande de soi
sans sacrifice extérieur, elle est dotée de valeur universelle et parfaite, et, enfin,
elle s’oppose aux prêtres juifs et à leurs sacrifices qui, faibles et déficients,
ne peuvent remettre les péchés. Le Fils exerce la prophétie en proclamant la
Bonne Nouvelle même au schéol. Sa royauté s’exprime dans sa gouvernance en
tant que bon pasteur qui conduit son troupeau dans les prés fertiles et donne sa
vie pour eux sur la croix. Chez Narsaï, la fonction du grand prêtre consiste dans
son offrande de soi, par laquelle il obtient la rémission des péchés et la libéra-
tion de la mort. À la différence de ses pairs, Narsaï insiste sur le renouvellement
de toute chose par son triple ministère.
Le dernier chapitre de cette étude, le plus long, se divise en deux par-
ties. Dans la première partie, il est question de la nature du sacerdoce que
nos auteurs déterminent grâce à l’élection, à la compréhension du sacerdoce
comme don, à l’imposition de la main et au rapport à l’ Esprit. La notion
d’élection est réservée chez Éphrem au choix du ministre ecclésial. Elle peut
s’ apparenter à un acte créateur de Dieu qui choisit, ce qui, chez Éphrem, ne
contredit pas la reconnaissance d’un certain mérite chez le candidat, telle que
l’ authenticité sur laquelle Dieu s’appuie pour justifier un don en abondance.
Comme chez la plupart de nos auteurs, se pose la question du problème de
la défaillance de l’élu, dont l’exemple-type est Judas, et de la responsabilité de
Dieu dans celle-ci. Jacques recourt à l’expression « mettre à part » qu’ il reprend
à la Peš. Pour lui, malgré sa gratuité, l’élection n’exclut pas un certain mérite
humain qui se manifeste par le bon vouloir de l’ élu en réponse à l’ appel de
Dieu. Chez le seul Narsaï, l’élection s’applique à Jésus que Dieu choisit pour
l’ élever à un rang supérieur. Proche d’Éphrem et de sa conception de l’ élection
comme acte créateur, Narsaï compare l’élection à une génération, l’ assimilant à
l’ engendrement par Jacob de ses douze fils, chefs des tribus. Bien que gratuite,
l’ élection rencontre chez l’élu une pierre d’attente, une disposition à aimer
Dieu, comme l’amour que portent Joseph à son père Jacob et le disciple bien-
aimé à Jésus.
Le sacerdoce comme don ou grâce de Dieu n’est pas un thème que privi-
légie Aphraate, et Éphrem n’emploie cette formule qu’ une seule fois. Encore
convient-il de reconnaître que d’autres expressions éphrémiennes représen-
tent le sacerdoce comme don, comme le fait d’évoquer sa nature céleste. C’ est
un don provenant d’en haut, libre, et le fait de le confondre avec un don
humain, avoue Éphrem, serait une idée satanique. Jacques confesse clairement
que le sacerdoce est un don, qu’il relègue cependant à sa véritable place, loin
derrière le Fils comme don du Père. Narsaï admet lui aussi que le Fils est un
don incomparable, tout autant que l’Esprit donné aux apôtres à la Pentecôte.
Don précieux, le sacerdoce est décrié par des ministres ecclésiaux qui, accuse
Narsaï, le soumettent à un chantage commercial en l’ accordant à des candidats
en échange de pots-de-vin.
au fait que les acteurs en sont souvent le Christ, l’ Esprit ou l’ Église. Le prêtre
y joue un rôle second et, comme représentant du Christ et de l’ Église, il doit
s’ effacer devant ceux qu’il représente. Chez Aphraate, il joue un rôle plus
important dans l’admission au baptême, tandis que chez Éphrem, les évêques
de Nisibe président à la célébration eucharistique. Un rôle prépondérant leur
est accordé dans la rémission des péchés, où Éphrem n’ hésite pas à soutenir
que les clés données à Simon Pierre sont transmises à l’ évêque Abraham. Le
retrait du prêtre par rapport aux acteurs divins ou de l’ Église est souligné par
Jacques lorsqu’il défend l’idée d’après laquelle c’ est l’ Esprit et non pas le prêtre
qui immole le Fils lors de l’eucharistie, ou encore quand il déclare que c’ est
le Fiancé céleste et non pas le prêtre qui donne son corps et son sang à son
épouse. Narsaï recourt à la formule passive dans le baptême pour prouver que
l’ acteur principal n’est pas le prêtre. Plus que les autres docteurs syriaques, il
fait valoir la petitesse du prêtre devant la grandeur des mystères qu’ il célèbre.
Cette grandeur ne doit rien à sa personne, qui est mortelle, mais au don qui lui
est accordé, faisant de lui un co-acteur lorsque, dans le baptême, il fait naître
un nouveau-né. Pour reprendre l’image que donne Narsaï, le prêtre transmet ce
que Dieu lui dicte. Dans la rémission des péchés, la réprimande des ministres
vient d’abord d’Aphraate, puis de Narsaï: ils leur rappelent qu’ ils sont eux-
mêmes pécheurs et qu’ils ont besoin de pardon. À côté des dons des clés qui
leur sont réservés, le pardon est encore accordé par les deux sacrements du
baptême et de l’eucharistie, si ce n’est davantage, comme le reconnaît Narsaï,
par la croix. Encore faut-il avoir à l’esprit que Narsaï explique la nécessité du
sacerdoce par la rémission des péchés, présupposant que l’ homme est faillible
à tout moment.
La prédication est aussi une tâche incombant aux apôtres et à leurs succes-
seurs, bien qu’elle ait été inaugurée par le Christ qui, d’ annoncé, se transforme
en prédicateur et se montre un excellent docteur, soutient Aphraate. Éphrem
ne limite pas la prédication à la parole, car il lui associe l’ acte, le martyre en
son sens originel, qui s’avère encore plus efficace. Un accord de fond s’ institue
entre la prédication du Christ et celle des apôtres, d’ une part, et entre la prédi-
cation des apôtres et celle de leurs successeurs, d’ autre part. En cela, il faut lire
un avertissement adressé auxdits hérétiques, portant à leur connaissance que
la Parole de Dieu est l’ultime critère de la vérité de toute prédication. Jacques
est dans la droite ligne d’Éphrem quand il reconnaît que Jésus est la source de
toute prédication, précisant toutefois que les apôtres et leurs successeurs sont
inspirés et guidés par l’Esprit Saint. Il hérite aussi d’ Éphrem la thèse d’ après
laquelle il ne faut jamais séparer parole et acte. Comme pour les sacrements de
l’ initiation, Jacques réitère que la force de conviction de toute prédication n’est
pas le résultat de la performance du ministre, mais bien de la puissance agis-
sante de la Parole de Dieu. Narsaï partage beaucoup d’ idées développées par ses
pairs, notamment celle d’une prédication réalisée par l’ acte et la parole, ainsi
que celle de la prédication comme première fonction des apôtres pour com-
battre les hérésies. Comme Jacques, mais sans nier l’ importance de la prédica-
tion par les prophètes de l’ A.T., il insiste sur la supériorité de celle de Jésus qui se
confirme par sa propagation rapide, son étendue universelle et son succès grâce
à son recours à la modestie. Ces mêmes traits devraient être adoptés par les
apôtres et leurs successeurs. Par ailleurs, Narsaï évoque la prédication lors des
célébrations liturgiques, non celle qui s’actualise par les homélies du ministre,
mais la prédication que celui-ci annonce dans le secret et qui s’ accomplit hic
et nunc par les mystères qui s’exécutent.
Dans la fonction de gouvernance, le modèle offert aux apôtres et à leurs suc-
cesseurs n’est autre que le bon pasteur, le Christ, qui choisit des pasteurs pour
faire paître son troupeau. Aphraate et Éphrem recourent aussi à Ez 34 pour
déterminer le comportement approprié d’un bon pasteur, qu’ on trouve bien
exposé chez Éphrem: clémence qui exclut tout rigorisme, ce dernier trahissant
un manque de maîtrise de soi du ministre et un aveuglement qui conduit les
ouailles à leur perdition. Mais la modalité requise n’ est pas une simple vertu
morale; elle est une participation à la kénose de la croix, qui éveille chez le
ministre une prise de conscience de la faiblesse humaine à laquelle il est appelé
à compatir. Devant la présence d’un troupeau, d’ une communauté chrétienne,
Jacques déduit la nécessité d’un guide. Mentionnant plusieurs évêques, notam-
ment dans les Lettres, il les appelle guides qui ont été choisis par l’ économie
divine, avec sagesse, surtout avec bonté. À la différence de Jacques, Narsaï ne
retient que la puissance de Dieu dans sa gouvernance du monde et de l’ homme,
mais, par la croix, le Fils fait montre d’une kénose qui se réalise dans les fêtes
ecclésiales. L’ordre de faire paître que Jésus donne à Simon est continué par
le prêtre, et tous doivent s’y atteler conformément au commandement du bon
pasteur divin. Narsaï est le seul à mettre la gouvernance en rapport avec l’ Esprit
Saint qui inspire au ministre la bonne méthode à suivre.
Au sujet des fonctions restantes, la guérison, l’ exorcisme et la prière, il est
important de noter que les deux premiers sont fondés sur la foi et se réalisent
grâce à la prière et non par une quelconque incantation magique.
Les trois questions traitées dans l’épilogue montrent que les auteurs sont
ouverts à l’acceptation d’une sacramentalité de l’ ordination, car ils prônent
le don de l’Esprit lors de l’imposition de la main sur le ministre, sans toute-
fois professer clairement une telle doctrine. Quant à la succession apostolique
et épiscopale, nos auteurs ne la conçoivent pas uniquement comme une suc-
cession de la foi, puisqu’ils admettent une transmission qui se traduit sous
plusieurs facettes: l’imposition de la main comme un geste liturgique, la ber-
gerie qui renvoie à la communauté ecclésiale, et, enfin, les clés et le trône
qui reflètent tous les deux, chacun à sa façon, une certaine autorité comprise
comme service voué à la communauté. L’ébauche consacrée à la distinction
des catégories sacerdotales aboutit à des résultats fragmentaires. À l’ évêque
reviennent les tâches d’imposer la main sur les candidats de différents degrés
sacerdotaux, de bénéficier du don des clés, d’être le chef de sa communauté
ecclésiale qu’il gouverne et rassemble. Le prêtre partage certaines fonctions
attribuées à l’évêque, tels que la proclamation du kérygme et l’ enseignement,
l’ administration du baptême et la célébration de l’ eucharistie. La fonction du
diacre est nettement moins précisée. Durant la messe, il est chargé des lectures,
ainsi que des œuvres caritatives. Peut-être faut-il admettre qu’ il peut enseigner
la communauté.
Dans l’annexe, la réflexion sur le sacerdoce commun a révélé une terminolo-
gie apparentée entre ce ministère et le ministère sacerdotal, telle que l’ offrande
qui se comprend comme prière, le don de soi comme sacrifice offert à Dieu,
sacrifice associé à celui de la croix. Cela laisse dire à Éphrem qu’ Étienne, par le
don de sa vie, a réalisé l’acte sacerdotal par excellence, celui de devenir prêtre.
Le même Éphrem voit dans la rémission des péchés obtenue par la péche-
resse un premier pas vers le pardon accordé par l’ Église. Jacques donne le titre
d’apôtre à des personnes telles que Zachée et la Cananéenne, qui, sans avoir
reçu un quelconque mandat, ont prêché le Christ. Aussi voit-il dans la péni-
tence un sacrifice qui procure le pardon. Plus que tout, il parle d’ un sacerdoce
spirituel dont le centre est l’âme saisie par le Christ. À la différence d’ Aphraate
et d’Éphrem, il met l’accent sur l’implication du fidèle dans la célébration
eucharistique, récitant avec le prêtre le Notre Père et suppliant avec lui pour
la descente de l’Esprit sur l’offrande. Tout en affirmant la même vérité sur
l’ épiclèse, Narsaï l’exprime autrement, en prônant que le prêtre recueille les
supplications des bouches des fidèles pour les élever à Dieu. Comme Jacques,
il parle de sacerdoce spirituel dont le sacrifice est l’ amour, sacrifice pur de
l’ esprit, des traits qui doivent aussi caractériser l’ offrande du prêtre.
Dans la deuxième partie de cette annexe, le problème de l’ accès de la femme
au sacerdoce est envisagé par nos auteurs du point de vue de l’ égalité des
sexes et non suivant des critères impliquant le choix des apôtres par Jésus.
Pour être plus précis, c’est à la lumière de la lecture du récit de la création
d’Adam et d’Ève que nos auteurs interprètent cette égalité. Jacques est le seul
à s’exprimer en faveur de l’exclusion de la femme du sacerdoce, l’ accusant de
troubler l’ordre qui considère l’homme comme la tête de la femme qui est le
talon. Les autres auteurs, notamment Éphrem, présentent une vue très positive
de la femme, même de celles dont la réputation est ternie dans le récit biblique.
Les auteurs syriaques font preuve d’une ouverture d’ esprit lorsqu’ ils attribuent
à la femme des fonctions assumées par les ministres sacerdotaux. Dans cette
perspective, Aphraate loue la fonction de réconciliation que certaines femmes,
telle que celle de Téqoa, ont exercée. Malgré son exclusion de la femme, Jacques
souligne ses exploits dans la prédication, et dans l’ enseignement dont elle
témoigne au point qu’il l’appelle apôtre ou disciple qui concurrence les apôtres
attitrés.
Pour avoir choisi d’aborder ces deux thèmes à la fin de notre étude, nous ne répondons
pas seulement à une requête sollicitée par les recherches actuelles sur le sacerdoce,
mais nous tentons aussi de présenter un exposé plus ou moins complet de la concep-
tion du sacerdoce chez nos écrivains syriaques. Il ne faut certainement pas s’ attendre
à ce que les thèmes en question soient analysés de façon systématique, trois de nos
écrivains étant poètes, avec quelques rares œuvres en proses. Le seul auteur ayant écrit
en prose est Aphraate. Toutefois, si l’on admet que l’ approche de nos auteurs est loin
d’être spéculative, raisonnée et méthodiquement menée à la manière de traités dog-
matiques, il n’en reste pas moins vrai que des allusions ô combien nombreuses à des
fonctions sacerdotales chez les simples fidèles sont bien attestées.
Le sacerdoce commun
Sebastian Brock a déjà consacré un article sur le sacerdoce commun dans la tradi-
tion syriaque1. Les résultats de son étude font valoir le baptême comme fondement du
sacerdoce commun2, tandis que sa réalisation advient dans la participation de tous les
fidèles à la célébration de l’eucharistie, aussi bien que dans les offrandes de prière éma-
nant d’un cœur pur que chaque fidèle est appelé à présenter à Dieu. Certaines de ces
idées seront développées dans la suite de notre exposé. Des allusions à d’ autres fonc-
tions «sacerdotales» imputées aux fidèles ne doivent pas être réduites à un pur sens
métaphorique. À vrai dire, elles impliquent une référence réelle à ce qui est désigné en
tant que sacerdoce commun.
1 Brock, Priesthood, ne se limite pas à la plus ancienne tradition syriaque, mais il va au-delà,
incluant des auteurs du VIIe (Martyrius Sahdona) et du VIIIe siècles (Joseph Hazzayā), ana-
lysant même certains rites baptismaux. Dans la période du IVe au Ve siècles, il se réfère éga-
lement au Liber Graduum (vers 400). Bon connaisseur aussi de la tradition juive, il note que,
dans cette tradition, Adam au paradis est considéré comme prêtre et roi (p. 16), idée que l’ on
retrouve chez Éphrem (cf. Parad 3,16) et chez Jacques (I 68,3-4 ; 70, 1 ; V 3,12 ; 4-5). Dans ses
autres publications, Brock a souvent souligné le statut sacerdotal et royal d’ Adam; cf., à titre
d’illustration, Jewish Traditions, p. 221-223; Clothing Metaphors, p. 14-15.20 ; Holy Spirit, p. 49.
65 et n. 47.
2 L’auteur place le baptême dans l’ensemble de l’économie du salut, depuis la création de
l’homme au paradis jusqu’à son revêtement de la robe de gloire, robe sacerdotale et royale,
perdue par le péché, mais récupérée par Jésus lors de son baptême et dont l’ expérience ultime
sera réalisée à la résurrection.
Par leur recours aux allusions d’ordre théologique, nos écrivains syriaques se préoc-
cupent rarement de commenter les textes scripturaires qui se rapportent au sacerdoce.
En dépit de la probable absence de 1 P dans le canon syriaque3, on est surpris de trouver
chez Aphraate un texte, unique, qui se rapproche de 1 P 2,9. Il se trouve dans II 128,10-13
où, appelant à la louange de la Majesté de Dieu, l’auteur continue :
Par Jésus son Fils notre Sauveur qui nous a choisis et nous a fait approcher de lui.
Par lui, nous le connaissons et nous sommes devenus ses adorateurs, le peuple,
l’Église et la sainte assemblée.
3 Cf. Murray, Symbols of Church, p. 57. Murray l’infère de l’ absence des citations d’ Os 1,9 et 2,24
chez Aphraate, et de textes particulièrement importants dans le N.T., tels que Rm 9,25-26,
mais aussi 1 P 2,10.
4 Dans le texte du CGEx 149,8-12, à côté de la citation littérale d’ Ex 19,6: « Vous serez pour
moi royaume, prêtre et peuple saint», on retrouve le verbe « choisir » réservé au peuple juif,
qu’Aphraate applique à l’assemblée chrétienne. Le commentaire de l’ auteur de CGEx se
limite à l’Ancienne Alliance et ne procède à aucune référence au peuple nouveau.
5 Brock, Priesthood, p. 18-19. Aphraate souligne parfois la supériorité de la prière par rapport à
l’offrande sacrificielle quand celle-ci est mal appréciée et pratiquée (cf. I 181,16-18 ; etc.).
6 Cf. supra, p. 208-209.
délier» (Mt 18,18) à laquelle recourt Aphraate dans son Exposé sur l’ amour qui requiert
le pardon des offenses, allant jusqu’à l’amour des ennemis. Même si le discours semble
s’adresser aux disciples de Jésus évoqués au début du paragraphe (I 72,25-26 : « En effet,
il dit à ses disciples»), ce ne sont que les deux premières citations suivantes (Jn 15,12 ;
13,34) (I 72,26-73,2) qui se rapportent aux disciples, tandis que les citations suivantes
s’adressent à tous les fidèles, y compris celle qui nous intéresse ici. Cette dernière est
entourée par «remettez et il vous sera remis» (Lc 6,37) et « donnez et il vous sera
donné» (Lc 6,38) (I 73,17-19), deux recommandations qui ne sont pas réservées au cercle
restreint des disciples de Jésus. Quoi qu’il en soit de l’ origine de l’ expression « lier et
délier»7, Aphraate ne peut ignorer qu’elle est réservée à Pierre et aux ministres ecclé-
siaux dans le N.T. Il serait cependant absurde de conclure à une identification de cette
requête de lier et délier avec la fonction officielle accordée à Pierre (Mt 16,19) et aux
ministres ecclésiaux (Mt 18,18). Mais le fait de l’étendre aux fidèles n’est pas non plus
anodin, le pardon étant un devoir qui incombe à chaque fidèle, à son propre niveau
bien entendu, qui n’implique par conséquent aucun mandat officiel conféré par les
autorités compétentes.
Ce langage cultuel appliqué au simple fidèle est encore largement attesté chez
Éphrem. Comme Aphraate, Éphrem appelle «offrande», ou « sacrifice », la prière éle-
vée par le croyant, qu’il aime qualifier d’«encensoir » ( fīrmā) (Virg 31,5 cf. aussi Virg
31,3) et assimiler à une odeur agréable à Dieu. Certes, il n’y a pas que la prière qui
est offrande; notre amour monte vers Dieu comme l’ encens sortant de l’ encensoir
(SdDN 8,4-5). De même, la foi exprimée en paroles constitue une offrande à Dieu8.
Et s’il arrive à Éphrem de concevoir la foi offerte comme dépouillée des œuvres, c’ est
dans le but de placer toute la richesse et tout le mérite du côté de Dieu (cf. HdF 13,10),
ce qui ne l’empêche pas, à d’autres occasions, de considérer les hauts faits (neṣḥanē)
comme une offrande (Resur 2,5). Toutefois, la prière recommandée par Éphrem n’est
pas la prière de demande, mais celle qui s’exprime en louange pour les bienfaits que
Dieu accomplit envers l’homme, pour sa création et notamment pour son incarna-
tion et son œuvre salvifique culminant par la croix et la résurrection. Le modèle par
excellence de cette prière de louange est la réponse donnée par la Vierge Marie au don
incommensurable dont Dieu la gratifie (Nat 15,1.4). Sa louange est de toute nouveauté,
abondante, répondant à une conception toute nouvelle, miraculeuse (Nat 15,5-6). En
somme, toute louange est requise de la création tout entière, spécialement de l’ Église,
en signe de reconnaissance pour le salut obtenu par la naissance de l’ Enfant divin
7 Dans l’Introduction, p. XLV, Parisot y voit une reprise par Aphraate d’ une lecture trouvée dans
le Diatessaron arabe.
8 Cf. surtout HdF 13,10; 16,6; 20,1.11; dans le dernier texte, la foi est associée à la prière qui est
présentée comme «un goût invisible dans notre corps».
(Nat 22,9). S’inspirant du langage liturgique, les chants de l’ Église montent comme
l’encens de sa bouche identifiée avec un encensoir (Nat 25,2).
La louange demandée de tout fidèle qui se sent touché par la grâce de Dieu9 requiert
une bouche pure, car Dieu est la pureté même (Eccl 29,1), ou comme cela est confirmé
dans la même collection d’hymnes, une confession pure de la bouche et une pensée
pure du cœur (Eccl 27,11). La louange la plus appropriée, celle qui plaît à Dieu, est
celle qui est offerte par les anges et par les justes (Eccl 26,11), ce qui justifie la condi-
tion de la pureté du cœur que nous venons d’évoquer et sur laquelle insiste Brock
dans son article10. Toutefois, conscient de la situation pécheresse de l’ homme, Éphrem
reconnaît que face à la bonté et à la miséricorde de Dieu exprimées par son Fils, toute
confession et toute conversion venant de l’homme restent insuffisantes, voire défi-
cientes (Eccl 26,12; Virg 39,16)11. Par ailleurs, reconnaissant que la louange, la parole
à laquelle même l’ânesse de Balaam recourt (Nb 22,28), est vantée au détriment du
mutisme représenté par Zacharie, le père de Jean Baptiste, Éphrem en déduit que la
miséricorde divine ne musèle pas la bouche du pécheur (ḥaṭayā), celle des pénitents
(tayabē), mais seulement celle des démons (Mc 1,25; Lc 4,35) (Eccl 29 2). Plus encore,
pour écarter toute illusion sur un mérite humain surévalué, et donc trompeur, Éphrem
rappelle que la louange est essentiellement un don de Dieu propre à éveiller l’ homme
lorsqu’il vient à être touché par la bonté divine:
Voici, mon Seigneur, que la bouche de ton serviteur attend ton don ;
ô toi qui as ouvert la bouche muette de cette ânesse.
Accorde-moi ta miséricorde (ḥnanā)12, clé éloquente,
Pour que, par elle, j’ouvre la porte de ma bouche muette.
Eccl 29,5
9 Sans que nous ayons à nommer ici tous ceux qui se sont adonnés à cette louange, men-
tionnons à titre d’exemple la fille de Jaïre (Virg 34,2) et, à Jéricho, Zachée, Timée et Rahab
(Virg 35,1).
10 Brock, Priesthood of the baptised, p. 19 et 21.
11 Ceci est bien exprimé dans ce beau texte d’Eccl 29,7 :
Qui peut te payer l’action de grâce qui convienne ?
Qui peut rétribuer la dette de ton amour, ô Notre Seigneur ?
Accepte de nous une piécette (Lc 21,2; Mc 12,42) de louange,
car capital et intérêt ne satisfont pas ton amour.
12 Dans sa version, p. 71, Beck traduit ḥnanā par grâce, en privilégiant le sens. Notre traduc-
tion est littérale. Pourtant dans Dōrea und charis Beck traduit souvent ḥnanā par miséri-
corde, grec eleos ; cf., p. 9-10 (CH 35,11); p. 39 (Eccl 50,6) ; p. 45 (Eccl 19,2). À la page 16, il
traduit le terme raḥmē dans HdF 25,10 par misericordia, eleos, en faisant remarquer qu’ il
est un synonyme de ḥnanā. Toutefois, l’auteur ne manque pas de signaler ibid., p. 10, que
ḥnanā est souvent synonyme de ṭaybūtā, mais ce dernier terme est lui aussi amphibolo-
gique, signifiant à la fois grâce (ibid., p. 3; etc.) et bonté (Güte, ibid., p. 7.10).
Mais la véritable offrande, la plus authentique et la plus excellente, n’ est pas l’ offran-
de de quelque chose, fût-ce des actes exprimant le plus profond de la personne, foi,
amour, action de grâce, prière, mais bien l’offrande de soi. Or, celle-ci est rarement
rattachée au baptême dans les œuvres authentiques d’ Éphrem. En revanche, elle est
bien attestée dans un texte des Hymnes de l’Épiphanie, jugé authentique par Beck13,
où le versement de l’huile baptismale sur les corps les rend temples de Dieu, et par
conséquent, les sacrifices offerts en constituent l’expression cultuelle, un culte rendu
à Dieu14. En l’ absence de tout lien au baptême, le corps est considéré comme temple du
Créateur, tandis que l’âme est qualifiée de «palais de louange» à son Architecte (ardīḫ-
lah) (CNis 50,7), louange qui, dans cette courte vie, doit s’ accroître à la mesure de notre
amour qui nous comble d’une «vie sans mesure» (CNis 50,5). Dans la même perspec-
tive, la louange est perçue comme un «sacrifice vivant» (cf. Rm 12,1) qu’ Éphrem associe
au sacrifice de la Croix:
Que notre louange à nous tous soit, mon Seigneur, un sacrifice vivant ;
toi qui, par le sacrifice de ton corps, as donné la vie aux vivants et aux morts.
CNis 66,19
Un premier rapport entre les offrandes des fidèles et celles des prêtres, ici ceux de
l’Ancienne Alliance, est établi grâce à l’offrande des corps des animaux par les prêtres
et l’offrande des cœurs par les fidèles. Ceci, Éphrem le soutient dans un texte des
Hymnes de l’Épiphanie :
Même s’il ne faut pas trop forcer le sens du texte, on ne peut s’ empêcher de constater
que, comparée au sacerdoce lévitique, l’offrande de soi du chrétien révèle une dimen-
sion sacerdotale indéniable. Celle-ci est encore nettement soulignée à la lumière de la
13 Beck, Version, p. IX, se prononce pour l’authenticité de cette hymne 3, qui se rapproche
de Virg 7, à l’exception des deux strophes 3 et 6, où un rapport entre l’ image et l’ énoncé
fait défaut.
14 Epiph 3,9:
Ainsi l’huile que versa Jacob sur la pierre (Gn 28,18), lorsqu’ il la signa
pour qu’elle devienne la maison de Dieu et pour qu’ il y paie la dîme (Gn 28,22),
voici que, d’après ce type, vos corps sont oints par l’ huile sainte.
Soyez des temples de Dieu (cf. 1Co 3,16sv; 6,19) et que vos sacrifices le servent.
Le même vocabulaire est utilisé pour Sara qui, dans la maison du Pharaon, a pu garder
son cœur pur, son vouloir jouant à l’égard de son corps le rôle de prêtre qui purifie le
temple où il officie:
Son vouloir fut prêtre pour son corps, et par son hysope, il purifia le corps qui
fut souillé par la contrainte. En effet, ainsi que le prêtre est capable de purifier le
temple dans lequel il célèbre, de la même manière, le vouloir pur est à même de
purifier le corps, temple dans lequel il officie.
PrRef II 189,6-17
pour lui-même temple; il est pour lui-même prêtre; il est pour lui-même pontife ;
il est pour lui-même sacrifice; il est offrande et celui qui offre l’ offrande.
PrRef II 189,20-26
Sans employer l’expression «lier et délier», Éphrem insiste sur le fait que la péche-
resse, par sa propre initiative, obtint la rémission de sa dette « grâce à l’ huile » qu’ elle
versa sur les pieds du Sauveur (Virg 4,11), devenant ainsi le modèle de tout pécheur qui
se repent (Virg 35,6). En conséquence, le docteur syriaque, recourant au vocabulaire
cultuel, décrit le Fils comme le grand prêtre officiant dans le Saint des Saints du Père,
en y faisant entrer notre offrande qui est notre prière et nos pleurs qui sont nos liba-
péché grâce au baptême, et dont les grands traits se résument, en plus du « sacerdoce
spirituel (centré) dans l’âme», au «pouvoir indestructible, à la beauté incorruptible et
aux biens qui demeurent (à jamais)»19. De plus, juste après la mention du « sacerdoce
spirituel», l’auteur complète la liste des traits caractéristiques de l’ homme uni au Fils
«par le bon ordre de la nature qui a été corrompue par la chute et renouvelée par le bap-
tême» (Lettres 222,11-13). Au sujet du «sacerdoce spirituel », il est dit qu’ il « n’officie pas
par les choses terrestres», celles qui, séparées de la vie dans le Seigneur, sont généra-
trices de mort (Lettres 222,10-11).
Certes, Jacques ne fait qu’évoquer ici le «sacerdoce spirituel », sans chercher à éclai-
rer son identité ou à préciser ses fonctions. Du moins assiste-t-on à la reconnaissance
de ce sacerdoce par Jacques, un auteur du Ve-VIe siècles, lequel défend son droit de cité
à côté du sacerdoce ordonné. Encore faut-il admettre que le sujet de la lettre n’est pas
prioritairement le sacerdoce des fidèles, mais bien ce qui fait la spécificité d’ une vie
chrétienne, l’union avec le Seigneur.
Si, dans les Lettres, les fonctions du sacerdoce commun ne sont point évoquées, elles
le sont à d’autres occasions. Nous avons noté la prédication dont fut chargé Zachée.
Cette même prédication est attribuée à la Cananéenne qui, toute païenne qu’ elle est,
avant même les disciples et contrairement aux Juifs incrédules, a eu l’ audace de pro-
clamer haut et fort l’identité de Jésus comme Messie :
Les connaisseurs des Livres (safrē) ont méprisé les révélations de la prophétie,
et les idolâtres sont devenus premiers dans la prédication.
I 430,5-6
Jacques se place dans la droite ligne d’Éphrem lorsqu’ il admet que certains actes
cultuels posés par le fidèle le haussent au rang de prêtre. Ce qu’ Éphrem dit de Sara,
Jacques l’applique à la pécheresse qui devient pour elle-même « prêtre» suite à l’ acte
de pénitence qu’elle effectue:
Elle fut pour elle-même (la-qnūmah) prêtre qui supplie pour le pardon,
et elle immola son vouloir, dans la souffrance, pour la réconciliation.
II 410,14-15
Nos deux théologiens recourent à la notion de vouloir et à son rôle dans l’ élévation au
rang de prêtre, même si Éphrem envisage le vouloir dans son action de maîtriser les
19 Lettres 222,8-9. Notre traduction se démarque de celle d’ Albert qui, pour les « biens qui
demeurent», traduit par «les biens qui sont acquis (d-metqadē) » qu’ elle lie à la phrase
suivante et traduit «sont acquis par le sacerdoce spirituel ». Cette traduction change tota-
lement le sens du texte.
instincts corporels de Sara, et Jacques dans l’immolation que le vouloir s’ impose pour
obtenir la réconciliation. Dans la même perspective, estimant que la pénitence consti-
tue un second baptême pour la rémission des péchés (cf. IV 723,17-22), Jacques incite
le fidèle à imiter Abraham sacrifiant son fils et, par conséquent, à devenir prêtre pour
lui-même en se sacrifiant dans le but de se procurer le pardon :
Narsaï est beaucoup moins prolixe que les auteurs que nous venons d’ étudier. Il les
rejoint cependant en privilégiant un langage cultuel pour l’ offrande des fidèles. Ainsi,
parlant du sacrifice d’Abel offert avec «pureté de cœur », il invite le croyant à l’ imiter,
offrant «un sacrifice de pureté de cœur qui ressemble au sien » (PP II 606,5-8). Ce
caractère spirituel est imputé à l’offrande lorsqu’elle est qualifiée de sacrifice d’ amour,
contrairement aux sacrifices sanglants de l’Ancienne Alliance (II 145,20-21). Dans le
mīmrā consacré à l’Église et au sacerdoce (II 144-156), l’ offrande du prêtre est aussi
désignée par «adoration d’amour» offerte «spirituellement » (II 144,4-5), réalisée ici-
bas «symboliquement» (razanāyit), mais qui sera accomplie dans l’ au-delà « en actes»
(II 144,6-7).
Curieusement, Narsaï évoque le plus souvent l’offrande des fidèles dans un contexte
eschatologique futuriste, où le Christ est présenté comme « prêtre » (II 23,10-11) et où
les offrandes qui lui sont présentées par les hommes sont « les sacrifices purs de leurs
esprits» (II 23,4-5). En tant que Seigneur, le Fils joue le rôle de médiateur, permettant
aux fidèles de chanter la gloire du Créateur qu’ils ne peuvent pas voir et, en retour, de
se procurer grâce à la vision de son corps le repos de leurs facultés (zawʿē) (II 23,12-16).
Cette offrande dans l’au-delà est encore assimilée à « des sacrifices purs » de l’ esprit,
à une «louange par la voix des sens spirituellement», laquelle louange est adressée à
celui qui est caché dans «le temple de son corps» (McLeod V 225-230). Offrande pro-
bable de tous les croyants, y compris les prêtres, au seul grand prêtre officiant dans
l’au-delà, la louange ne constitue-t-elle pas le type parfait du sacrifice qui caractérise-
rait chaque offrande ici-bas, y compris celle des fidèles ? On est en droit d’ y souscrire
en partant de la conception que se fait Narsaï d’une similitude entre l’ office cultuel
qui a lieu dans le sanctuaire terrestre et son reflet qui se déroule dans le Saint des
Saints, au ciel (cf. II 144,4sv). Quoi qu’il en soit, c’est dans la célébration de l’ eucharistie
que se révèle une participation active des fidèles. Comme nous l’ avons déjà signalé,
et Narsaï rejoint une position proche de celle de Jacques, le rôle de la communauté
dans l’eucharistie est bien visible par l’amen qui vient sceller les paroles du prêtre qui
exprime le mystère. C’est surtout pour l’épiclèse que le prêtre, jouant le rôle de média-
teur, recueille la demande de toutes les bouches des participants, qu’ il élève au Père
pour le supplier d’envoyer sa puissance invisible sur l’ offrande20. Ceci dit, il reste que
la réflexion que donne Narsaï sur le sacerdoce commun est de l’ ordre de l’ allusion, et
on la trouve exposée sans aucune argumentation théologique sur son rapport au bap-
tême, et sans aucune discussion portant sur sa conception, ou sur ses fonctions.
Le sacerdoce et la femme
l’attitude positive à l’égard de la femme finit par l’emporter. C’ est ce qu’ a démontré
Brock dans l’étude qu’il consacre à Éphrem et à sa position positive par laquelle il
défend la femme dans l’ A.T.22 La même conclusion peut être soutenue de la percep-
tion que se font Jacques et Narsaï de la femme23. À vrai dire, c’ est à la lumière de cette
oscillation entre une vision supposée négative et la conception positive de la femme
que nos auteurs envisagent la possibilité de son accès au sacerdoce et à ses fonctions.
Toutefois, c’est moins en abordant le sujet de front qu’ en y renvoyant par allusions que
nos auteurs imputent à la femme des titres et des fonctions « sacerdotaux ».
En parcourant les écrits de nos auteurs, on est frappé par la richesse du langage
qu’ils emploient pour désigner ou caractériser des titres ou des fonctions donnés aux
femmes, lesquels sont en principe réservés aux ministres sacerdotaux. Cette ouver-
ture du langage a du moins l’avantage d’attribuer symboliquement aux femmes des
fonctions que, d’office, elles ne pratiquent pas, ce qui témoigne en même temps d’ une
ouverture d’esprit digne d’être louée. Il faut cependant avouer que la question du sacer-
doce de la femme ne se pose pas à nos auteurs, encore moins prend-elle l’ importance
qu’elle a aujourd’hui, même si Jacques se trouve contraint à prendre position en s’ y
opposant complètement. Contrairement à l’esprit fondamentaliste qui se fixe sur la lit-
téralité des textes en les figeant et en les enfermant dans une perspective idéologique,
l’ouverture d’esprit qu’affichent nos auteurs permet d’ aborder leurs textes en y perce-
vant la force secrète qui les habite, qu’il importe de dévoiler au grand jour. Cela n’en
reflète pas moins une conviction d’après laquelle les textes sacrés sont porteurs d’ une
richesse inouïe de sens, qu’il est préjudiciable de traduire dans des formules rigides qui
les appauvrissent et les privent de leur force salutaire.
La position d’Aphraate semble osciller entre une exclusion des femmes de tout
service cultuel officiel et sa reconnaissance implicite que certaines d’ entre elles accom-
plissent des tâches prédestinées aux prêtres. Conseillant aux membres de l’ Ordre de ne
qu’attribue Narsaï à la femme, et sa thèse d’après laquelle celui-ci reprend aux cercles
ascétiques une liste de huit vices imputés à la femme (p. 70).
22 Brock, Ephrem on Women, où l’auteur considère essentiellement trois femmes, Sara, Tamar
et l’épouse de Potiphar. Au sujet de Sara qui a été contrainte d’ avoir une relation sexuelle
avec le Pharaon, Brock estime qu’Éphrem est parmi les rares Pères de l’ Église à avoir
défendu l’idée d’après laquelle la victime du viol est innocente si son vouloir s’ est opposé
à l’acte de son agresseur (p. 38). Par ailleurs, allant contre le courant et la mentalité de
l’époque, Éphrem refuse d’accuser la seule femme d’ adultère et, s’ adressant à l’ homme,
il lui fait savoir que son adultère est autant répréhensible et les dégâts qui s’ en ensuivent
encore plus importants (CH 8,2-7).
23 Jacques s’évertue à démontrer l’ égalité de la femme avec l’ homme, en prouvant qu’ elle
possède une capacité de connaissance égale à la sienne (IV 299,3-8), et des vertus qui
font d’elle une source de biens pour son mari (IV 299,21-300,6). Narsaï fonde l’ égalité
homme/femme sur le «penchant» qui est le même chez les deux et qui, s’ il n’est pas
vicié par le mauvais usage, est jugé bon et pur (I 205,4-11).
pas vivre en compagnie des femmes, Aphraate donne, parmi de multiples exemples
instructifs, le cas de Josué qui «ne quittait pas la tente» (Ex 33,11), laquelle tente,
explique-t-il, était interdite d’accès aux femmes qui devaient prier à son entrée (Ex
38,8) (I 261,20-26)24. Comme si Aphraate admettait sans discussion que la femme,
du moins tel qu’il est prescrit dans l’ A.T., n’est pas apte à assumer de service cultuel
officiel. En revanche, il exalte le rôle de la femme dans des domaines qu’ on aurait sup-
posé relever de la seule compétence masculine. Ainsi, note-t-il, plusieurs tentatives
de réconciliation étaient-elles entamées par des «gens sages », et cela « non seule-
ment par des hommes, mais aussi par des femmes» (I 596,5-6) : la femme de Téqoa
qui réconcilia Absalom et David (2 S 14,1-24), la femme qui rétablit la paix en Israël en
négociant un accord avec Joab, suivant lequel la ville est sauvegardée en contrepartie
de la livraison de Sheba, fils de Bikri (2 S 20,14-22), Debora qui « rendait la justice »
en Israël (Jg 4,4), Yaël qui écarta le danger que représenta Sisera (cf. Jg 4,17-22) et
Rebecca qui réconcilia Ésaü et Jacob en envoyant ce dernier chez Laban (Gn 27,43-
45) (I 596,6-597,9). Cette réconciliation facilitée et rendue possible par des femmes est
mise en rapport avec le Fils comme le Réconciliateur entre l’ homme et le Père (I 597,10-
22). Si les différentes réconciliations réalisées par l’intermédiaire des femmes visent
à résoudre des conflits provoqués par les êtres humains, le rapport qu’ Aphraate éta-
blit entre elles et le Fils réconciliateur les investit d’une dimension spirituelle, presque
«sacerdotale», le Fils étant le grand prêtre grâce à son sacrifice qui réconcilie le monde
avec Dieu.
Une autre fonction, la prophétie, est attribuée aux femmes qu’ Aphraate évoque
dans un discours où il exalte la grandeur de certaines femmes : Myriam, Anne, Hulda,
Debora et Marie, « la mère du grand prophète» (I 657,12-19)25.
Quant à Éphrem, celui-ci voit la prophétie servie par des femmes, notamment à
l’occasion de la naissance du Fils. Ce jour-là, dit Éphrem, des femmes, Sara, Anne et
même Ève (Nat 13,2-3.5) se transforment en cithares par lesquelles la « force cachée »
de l’Esprit «prophétisait par leurs paroles» qui annoncent le salut à venir (Nat 13,1). Au
sujet du Fils et de son salut débutant avec sa naissance, Éphrem ne mentionne pas
d’autres prophétesses citées par Aphraate. Ailleurs, dans CGEx, l’ auteur s’ interroge
sur la raison qui amena à donner le titre de prophétesse à Myriam, et il y répond en
assimilant Myriam à la femme d’Isaïe «qui l’honora en l’ appelant nominalement pro-
phétesse, bien qu’elle ne le soit pas» (CGEx 145,22-24)26.
24 Dans I 616,21, Aphraate cite presque littéralement le texte de la Peš de 1 S 2,22, où il est dit
que les deux fils du prêtre Éli «outragent» (mṣaʿran) – Aphraate utilise ṣaʿar, au passé –
les femmes qui priaient dans (c’est nous qui soulignons) la tente temporelle.
25 M.-J. Pierre fait remarquer, p. 656, n. 65, que T.B. Magilla 14a fournit une liste de sept pro-
phétesses, Abigaïl étant absente chez Aphraate qui ajoute Marie, la mère de Jésus.
26 Se fondant sur Lehrman, Midrash Rabbah 3,20 et Le Déaut, Tg du Pentateuque, 2,129, n. 19,
La fonction à laquelle participe la femme et sur laquelle insiste Éphrem est la pré-
dication, qu’il trouve mise surtout en œuvre par la Samaritaine. En la comparant à
la Vierge Marie qui enfanta Jésus comme enfant, la Samaritaine « l’ enfanta comme
adulte», à Sichem, «une lumière pour les ténèbres» (Virg 23,4). Les deux femmes l’ ont
reçu et conçu par les oreilles, la Vierge l’enfantant dans la crèche, la Samaritaine « dans
les oreilles de ses auditeurs» (Virg 23,5). De plus, eu égard aux apôtres, la Samaritaine
peut se prévaloir du fait qu’elle ne les précède pas seulement par la prédication, mais
que sa prédication s’adresse à des peuples qui sont interdits aux apôtres (Virg 23,7).
Une telle interdiction de la prédication aux nations païennes est répétée au sujet de la
Cananéenne qui, louée par le Fils pour son audace, a vaincu la justice divine et sa loi qui
est de ne proclamer la Bonne Nouvelle qu’au peuple juif (Mt 15,24) (Virg 26,9). Toute-
fois, convaincu que la prédication ne se fait pas uniquement par la parole, Éphrem fait
valoir l’enseignement fourni par le geste de la pécheresse qui, oignant les pieds du Sei-
gneur, les baisa (Lc 7,38), enseignant à l’Église «d’embrasser le corps (eucharistique)
qui sanctifie tout» (Virg 26,4).
Une autre allusion dans l’œuvre poétique d’Éphrem au rapport désordonné entre
Ève et Adam, qui sera développé par Narsaï et exploité par Jacques, est l’ accusation
portée contre Ève d’avoir voulu dérober à Adam le « premier rang» en mangeant la
première du fruit défendu (Eccl 45,5). Comme on le verra, Jacques s’ appuie sur cette
accusation pour imputer à Ève le projet dissimulé d’ arracher le sacerdoce à Adam.
Cette idée éphrémienne est amplement expliquée dans CGEx, où l’ auteur fait valoir
ce qui est donné au seul Adam, à savoir le pouvoir et la seigneurie sur toute chose,
aussi bien que la sagesse qui l’habilite à donner les noms aux autres créatures (CGEx
31,3-19 et 33,5-6.27-28). En voulant manger la première du fruit de l’ arbre, Ève proje-
tait de devenir «chef de son chef», lui commander, devenir « dieu », ou, comme le dit
l’auteur, devenir plus «ancienne» que lui par la divinité, elle qui est plus jeune que lui
par l’humanité (CGEx 38,1-9). L’auteur rejoint ce qui est dit dans le texte déjà cité, Eccl
45,5, à savoir qu’Ève voulait avoir «le premier rang».
Sur plusieurs points, Jacques se montre un bon disciple d’ Éphrem, notamment au
sujet des deux thèmes de la prédication ou de l’enseignement, tous deux exercés par
des femmes. Ainsi, à la suite du maître, il présente la Samaritaine comme prédicatrice
de la Bonne Nouvelle à son peuple (II 305,3-4). Mais plus qu’ Éphrem, il la considère
comme une conscience critique pour les apôtres afin qu’ ils ne « s’ enorgueillissent pas
sur le chemin du kérygme» (II 306,9-10)27. Si, en revanche, Éphrem ne voit dans le
comportement de la pécheresse qu’un enseignement donné aux fidèles qui commu-
nient au corps eucharistique, Jacques reconnaît qu’elle partage la grandeur des apôtres
J. Amar and E.G. Mathews, St Ephrem the Syrian. Selected Prose Works (Fathers of the
Church, 91), Washington, D.C., 1994, p. 254, donnent les sources juives de la prophétie de
Myriam qui, relève-t-on, annonce la naissance de Moïse.
27 Cf. supra, p. 54.
«dans le kérygme» (II 421,19-20). Pour traduire l’importance de son message, Jacques
assimile la pécheresse aux apôtres, en disant qu’elle fait partie du « groupe (tegmā)
des apôtres» (III 255,10), ou qu’elle est placée «sur l’ édifice (benyanā) des apôtres»
(II 422,9-10), avec cette note affective placée dans la bouche de Jésus qui lie sa mémoire
à elle à son kérygme à lui (II 425,21-22). L’enseignement à proprement parler est attri-
bué à l’hémorroïsse qui, enseignante pour elle-même (V 529,6), finit par être choisie
par Jésus pour peindre le type (ṭūfsā) de son enseignement (malfanūteh, qu’ on peut
aussi traduire par «sa doctrine») (V 529,8-9).
Ce qui singularise Jacques par rapport à Éphrem, c’ est le titre de « disciples » (talmī-
datā) – au féminin pluriel en syriaque – qu’il donne à certaines femmes, surtout celles
qui ont suivi Jésus jusqu’à la tombe, tenant compagnie aux anges (I 582,22-583,1). Appe-
lées les bien-aimées de Jésus (II 606,1), elles sont les premières à être les témoins de la
résurrection du Seigneur28, avant même les apôtres (Ril VI 632,10-15 ; 642,5-13).
Une sorte de dépréciation commence à pointer lorsque, à la suite d’ Éphrem, Jacques
interprète la différence dans les rangs qu’occupent Ève et Adam selon une perspective
plus radicale que le maître, en durcissant la thématique fondamentale qui s’ y rapporte.
En effet, tout comme Éphrem, Jacques maintient les prérogatives dont jouit Adam:
d’abord, il est seul quand il découvre les créatures, ce qui le rend plus ancien (qašīšā)
par rapport à sa compagne (III 120,13-14), Ève n’étant pas encore venue à l’ existence
(III 117,2-7); ensuite, par le don des noms, il est constitué « compagnon de Dieu » (d-
alahūtā ; litt.: de la divinité) (III 118,16-17) et du fait qu’ il est le seul héritier du monde,
il en est le seul seigneur (marā) (III 119,18-19), Ève ne venant à l’ existence qu’ après le
règne d’Adam sur les créatures (III 120,17-18). Ce n’est qu’ ensuite (w-ken), écrit Jacques,
qu’apparaît Ève «au second rang» (b-dargā da-trēn) (III 120,5-8). Cela explique que
c’est par rapport à Adam comme chef qu’Ève se situe à un rang second. De ce qui pré-
cède, il s’ensuit que le second rang auquel est reléguée Ève n’est pas la conséquence de
son péché, comme chez Éphrem, mais qu’il répond à une intention divine de ne pas
établir deux seigneurs sur la création (III 120,19-20, déjà cité). Est-ce à dire que la dignité
d’Adam et d’Ève, de l’homme et de la femme, et par conséquent le rang qu’ occupe Ève
et la femme, sont déterminés d’avance, dans l’intention de Dieu, avant toute interven-
tion humaine?
Dans une hymne, Jacques évoque le péché commis par Ève, mais il continue à sou-
tenir qu’Adam est la «tête» et Ève le «talon» et qu’il est important, par conséquent,
qu’Ève ne cherche pas à accomplir une fonction qui revient exclusivement à Adam. Pla-
çant le péché d’Ève comme l’antipode de ce qui doit se réaliser au paradis, où ce sont
les hommes qui cueillent et distribuent la vie au monde (II 314,3-4), Jacques choisit de
l’appliquer au sacerdoce:
Ayant osé s’emparer la première du fruit défendu, ici en l’ occurrence du sacerdoce, Ève
se voit condamnée par Jacques: il n’est pas bon que le talon se hisse au-dessus de la tête
(II 314-7-8). Pour rétablir l’ordre, il est urgent de remettre la tête à sa place, c’ est-à-dire
au-dessus du talon, ce qui se traduit ainsi dans l’application au sacerdoce :
Ainsi donc, deux fonctions distinctes et séparées sont attribuées à d’ Adam et à Ève: à
l’homme revient l’exercice du culte et à la femme l’ occupation des enfants (II 315,1-
2)29.
Par cette exégèse, il est important de savoir si Jacques défend une vérité éternelle sur
le statut de la femme et de son rapport au sacerdoce, ou s’ il entreprend d’ interpréter
des textes scripturaires qu’il cherche à appliquer au sacerdoce. Comment Jacques
concilie-t-il ce qu’il dit d’Ève qui dérobe un sacerdoce auquel elle n’a pas droit d’ accès
avec l’éloge qu’il accorde à certaines femmes qu’il élève au rang d’ apôtres et qui, à ce
titre, donnent des leçons de modestie à ces derniers ? Ou encore, comment parvient-
il à exalter la prédication de certaines femmes qui, du vivant même du Maître, brisent
la loi qui imposait une prédication au seul peuple juif, comme il ressort des paroles
de Jésus à la Cananéenne, ou comme on le constate du kérygme que la Samaritaine
adresse à son propre peuple?
Narsaï n’aborde pas, pas même par allusion, la question du sacerdoce de la femme.
Encore moins renvoie-t-il à des traits ou à des fonctions appartenant au sacerdoce mas-
culin, dont la femme serait dotée ou qu’elle serait habilitée à exercer. Ainsi ne trouve-
t-on pas chez lui des allusions à la prédication pratiquée par des femmes, comme chez
Éphrem et Jacques, ni à leur aptitude à la prophétie, comme chez Éphrem. Il ne les
appelle jamais «disciples», comme chez Jacques. En un mot, rien ne filtre chez lui qui
aurait suggéré que la femme serait destinée à un service cultuel, de caractère nettement
sacerdotal.
29 Cf. 1Tm 2,15, où Jacques lit qu’Ève est sauvée en se dépensant « pour » (meṭūl) ses enfants,
d’après la VS, et non pas qu’elle est sauvée grâce à (byad) la foi de ses enfants, comme lit
la Peš; cf. notre Saint Paul, p. 249.
Quant au lien que Jacques établit entre la manducation du fruit défendu et le désir
de la femme de s’accaparer le sacerdoce, il est totalement inconnu de Narsaï qui, en
revanche, rapporte l’ambition d’Ève de se hisser au-dessus d’ Adam et de lui dérober
son rang. C’est dans cette perspective qu’interprétant la décision d’ Ève de manger la
première du fruit de l’arbre, Narsaï y lit son intention de dérober « le nom de dieu » (šem
alahā)30 (II 201,6; Gignoux IV 154), de devenir «dieu» (II 201,5-6). À vrai dire, « devenir
dieu» équivaut dans la perspective de Narsaï au désir qu’ a Ève de s’ élever au-dessus
de son mari (II 354,3-4), d’occuper un rang supérieur à son rang et de devenir « tête»31.
Sur un ton quelque peu sarcastique, comme si Narsaï voulait s’ aventurer dans l’ étude
de la psychologie de la femme, il va jusqu’à dire d’Ève que « si elle pouvait, elle aurait
désiré devenir homme» (II 363,3-4). Ce qui est effectivement en jeu, c’ est tout simple-
ment le fait qu’Ève voulait arracher le «pouvoir» (šūlṭanā) donné à Adam (II 363,4)
et qui s’exprime essentiellement par le don des noms aux animaux. Mais le résultat
d’une telle tentative entreprise par Ève est grandement néfaste, car elle porte atteinte
à «l’ordre établi de la création» (II 363,5).
Ce qui vient d’être exposé ne visait qu’à prouver que Narsaï, contrairement à
Jacques, ne tire aucune conséquence du péché d’Ève sur l’ ordre sacerdotal. De plus, le
péché commis n’a non plus aucune incidence sur l’égalité de l’ homme et de la femme
que Narsaï prend à cœur de souligner et de défendre.
30 Peut-être faut-il lire dans Gignoux IV 154 teḥṭūf (dérober) à la place de teqṭūf qui signifie
littéralement «cueillir», que Gignoux traduit par «obtenir», même s’ il faut bien recon-
naître que la leçon teqṭūf a un aspect séduisant du fait que le péché d’ Ève consiste à
«cueillir» le fruit défendu, ce qui justifierait l’emploi de « cueillir » le « nom de Dieu ».
31 II 201,6-7; 354,3; 363,3.
N.B. Dans cette bibliographie ne figurent que les œuvres que nous citons ou discu-
tons dans notre travail. Du fait que les publications relatives au domaine syriaque se
font de plus en plus nombreuses – preuve étant les différentes bibliographies spé-
cialement dédiées à ce domaine –, il était impossible de tout inclure dans la nôtre,
et cela au risque de passer sous silence des recherches valables, mais qui n’ont pas
de rapport avec le thème que nous étudions. Une autre remarque importante: pour
éviter de confondre M.-J. Pierre, la traductrice de l’ œuvre d’ Aphraate, avec l’ apôtre
Pierre, nous sommes contraint de citer le nom de l’ auteure avec les initiales de son
prénom.
Les sources
Aphraate
Dm = J. Parisot, Aphraatis Sapientis Persae Demonstrationes, PS I,2, Paris, 1894, 1907.
M.-J. Pierre = Aphraate le sage persan: Les Exposés, trad. du syriaque, introduction
et notes par M.-J. Pierre, 2 vol. (SC, 349), Cerf, Paris, 1988-1989 (cité ci-après pour
l’introduction: M.-J. Pierre, Introduction).
Éphrem
Az = E. Beck, Des heiligen Ephraem des Syrers Paschahymnen (De Azymis, de Cruci-
fixione, De Resurrectione) (CSCO, 248/249 = Syr. 108/109), Louvain, 1964.
CGEx = R.M. Tonneau, Sancti Ephraemi Syri in Genesim et in Exodum commentarii
(CSCO, 152/153 = Syr. 71/72), Louvain, 1955.
CH = E. Beck, Des heiligen Ephraem des Syrers Hymnen contra Haereses (CSCO, 169/170
= Syr. 76/77), Louvain, 1957.
Crucif = cf. Az.
CNis = E. Beck, Des heiligen Ephraem des Syrers Carmina Nisibena I (CSCO, 218/219 = Syr.
92/93), Louvain, 1961, et II (CSCO 240/241 = Syr. 102/103), Louvain, 1963.
Eccl = E. Beck, Des heiligen Ephraem des Syrers Hymnen de Ecclesia (CSCO, 198/199 = Syr.
84/85), Louvain, 1960.
Epiph = cf. Nat.
HdF = E. Beck, Des heiligen Ephraem des Syrers Hymnen de Fide (CSCO, 154/155 = Syr.
73/74), Louvain, 1955.
Ieiun = E. Beck, Des heiligen Ephraem des Syrers Hymnen de Ieiunio (CSCO, 246/247 =
Syr. 106/107), Louvain, 1964.
LPub = S. Brock, Ephrem’s letter to Publius, dans LM 89 (1976), 261-305.
Nat = E. Beck, Des heiligen Ephraem des Syrers Hymnen de Nativitate (Epiphania) (CSCO,
186/187 = Syr. 82/83), Louvain, 1959.
NatSog = Carmina sogyata (cf. Nat).
Parad = E. Beck, Des Heiligen Ephraem des Syrers Hymnen de Paradiso und Contra Julia-
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le Paradis).
PrRef = C.W. Mitchell, S. Ephraim’s Prose Refutations of Mani, Marcion and Bardaisan,
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Resur = cf. Az.
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Jacques
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I,II,III,IV,V = Homiliae selectae Mar Jacobi Sarugensis, 5 vol. éd. P. Bedjan, Paris-Leipzig,
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BedA = Acta Martyrum et Sanctorum, 7 vol., éd. P. Bedjan, Paris, 1890-1897 (texte syri-
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BedS = S. Martyrii, qui et Sahdona, quæ supersunt omnia, éd. P. Bedjan, Paris, 1902 (texte
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CJ = Homélies contre les Juifs, éd. et trad. par M. Albert (PO, 38, fasc. 1), Turnhout, 1976.
Lettres = G. Olinder, IACOBUS Sarugensis, Epistulae quotquot supersunt (CSCO 110 = Syr.
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Leben, Kräfte der Kirchengeschicte. Aufsätze und Vorträge, Tübingen, J.C. Mohr, 1960.
Weitzman, Peshiṭta Psalter = M.P. Weitzman, The Peshiṭta Psalter and Its Hebrew Vor-
lage, dans VT XXXV, 3 (1985), 341-354.
Yousif, Eucharistie = P. Yousif, L’eucharistie chez saint Éphrem de Nisibe (OCA, 224),
Rome, 1984.
N.B. : Dans cet index, vu le grand nombre de termes syriaques translittérés dans notre étude,
nous ne retiendrons que les mots-clés qui se rapportent directement au sacerdoce. Ce choix
justifie la limitation de la liste à une centaine de termes. Pour gagner de l’ espace, nous pla-
cerons sous un mot générique les dérivés des verbes et des substantifs qui lui appartiennent,
lesquels seront cités après le mot générique quand celui-ci existe. Du fait que le ʿayn est une
lettre en syriaque, tandis qu’il est une voyelle dans l’alphabet latin, nous le placerons au début
de l’index.
fraš, lā-metfaršā, mfaršā 159, 354, 358, karūzūtā, karūzūtan, karūzūteh 48, 73, 123,
358n35, 359, 373, 373n68, 374, 399 171, 173, 336, 336n166, 506n322
Cf. fūršanā kūmrā, kūmray, kūmrē, rab kūmrē 9, 10,
fūlḥanā, fūlḥan, fūlḥanayhūn 414n139, 10n3-5, 11, 11n9, 12, 12n11,13-14, 13, 14,
415n140, 426n167, 457, 485 14n18,20,23-24, 15, 15n31, 16, 16n32, 17,
fūršanā, fūršanē, fūršaneh, fūršanīn, fūrša- 17n35, 19, 20, 22n52, 26n66, 28, 29n74,
nayhūn 210n49, 358, 359, 406 31, 40, 41, 49, 67, 162n60, 184, 189n9,
198, 200, 213, 218, 218n68, 234, 247,
gbā, agbi nafšeh, agbī nefšhūn, etgbī, etga- 251, 266n3, 270, 270n19, 271, 271n19,
byat, gban, gbataḫ, gbē, gbayā, magben 285, 299, 299n69, 300, 300n76, 327,
nafšhūn, negbūn lhūn 327n146-147
47, 48, 49, 51, 51n6-8, 54, 55n12, 56, 57, 61, 86, kūmrūtā, kūmrūtaḫ 11, 12, 13, 14, 14n18,21-22,
131, 343, 344, 347, 354, 359, 361, 373n68, 15, 20, 26n66, 30, 89, 153, 162, 199, 247,
378, 382 270n18, 271, 271n19, 277, 278, 299n69,
gbītā 53 312, 327n146
lawē, lawēn, lwā, lwē, nlawūneh 18,
ḥatem, ḥtīm 119n34, 120n34, 438n193 18n39, 19n41, 21n48, 47, 54, 62, 63,
ḥatmā, ḥatmeh 149 199n27
ḥatnā 284 lewī, lewayā, lewyā, lewayē 16, 17, 18n39,
ḥlūlā, ḥlūlē 119n34, 121 19n41, 21n48, 47, 199n27
ḥūssayā 212n53, 239, 241, 417, 565
magnanūtā, magnanuteh 98, 367n60, 411,
idā, īdaw 49, 74 411n, 535
Cf. syam īdā Cf. agen
maḫūrā, maḫūrē 104, 114, 120, 120n35, 134,
kahen, la-mkahanū, mkahen, mkahnā, nka- 134n60, 135, 416
hen, tkahen 18n39, 20, 49, 66, 66n25, 71, Cf. mḫīrā
89, 95, 107, 131, 153, 189, 221, 277, 287n, malfanā, malfanē, malfay 22, 22n49, 125,
323, 324, 324n138, 325, 327, 328, 330, 187n5, 224, 234, 235, 236, 304, 304n90-
340, 371, 427, 429, 458, 479n277, 485, 91, 305, 305n92, 306, 470
485n290, 518, 535, 560 malfanūtā, malfanūteh 123n39, 572
kahnā, kahnē, kahnā rabā, marē kahnē, rab malkā 298, 340n
kahnē, rabā d-kahnē 9, 10, 10n3, 11, 11n8, malkūtā 148
12, 12n11-13, 13, 13n15,18, 14, 14n20-24, 15, marʿītā 38n, 344, 528
15n28,31, 16, 16n32, 17, 17n35-36, 20, 23, mašlmanūtā 368n
26, 26n66, 27, 29, 29n74, 30, 30n76, 31, Cf. ašlem
31n77,79, 32, 38, 40, 41, 67, 107, 189, 191, mašrīteh 27
191n, 195, 196, 196n22, 200, 202, 202n34, mawhabtā, mawhabteh 84, 87, 94, 98, 354,
218n68, 219, 267, 270, 271, 287n, 298, 362, 390, 526
299, 299n69, 327, 400, 432, 432n180, mbadqanā 254, 290n55, 412n135
458 mdabranā 254, 384, 447n208, 477, 479, 540
kahnūtā 14n21, 20, 27, 31, 49, 132, 132n54, mdabranūtā 477
267, 324, 428, 518 meṣʿayā, meṣʿayē 56, 68, 191n11, 333n159,
kaltā, kalat 103n4, 109, 116, 118, 128 400, 434
kaneš, etkanaš, kanšah, l-metkanašū, metka- meṣʿayūtā 239
naš 4, 111n15, 123, 124 mešḥā 92, 250, 283n47, 370
karūzā, karūzē, karūzaw 48, 111, 120, 228, mfašqanā 236, 304
421, 443n199 mḫar, etmaḫrat, maḫrūn 103, 114n, 115n24,
Cf. aḫrez 118, 120
mḫīrā, mḥīr, mḥīrat, mḥīrteh 104, 120n35, 110n, 111, 125, 167, 171, 173, 199, 201, 206,
121, 134, 231, 236n108 215n60, 217, 231, 239, 241, 247, 247n131,
mqadeš, etqadaš, mqadšanā 186, 284, 411 252n140, 254, 256, 257, 258, 258n152,
mqarbay (sens d’offrir) 415, 416n144 259, 285, 311n105, 312, 315n110, 336, 353,
mšaḥ 438n193 355, 370, 390, 416, 438, 440, 460, 486,
Cf. mšīḥā 494, 522, 522n3-4, 523, 523n4-5, 524,
mšamšanā, mšamšanē 21n48, 22n51, 24, 37, 526, 527, 545
39, 266, 274, 274n32, 415, 457 razanāyit 94, 168, 174, 183, 201, 205, 223, 490,
Cf. šamašā 495, 523, 567
mšīḥā, mšīḥayē, mšīḥē 24, 84n15, 94, 104, rišā, rīš, rīšanā, rīšay, rīšayā, etc. 9, 22, 23,
130, 149, 283n47, 298, 353, 353n21, 370 24, 25, 25n60,61-63, 26, 28, 30, 32,
mtargem 236, 493 32n80, 38, 39, 40, 57, 89n32, 130, 234,
Cf. turgamah 283, 299n69, 314, 356, 454, 530, 538,
541
nbiyyā, nbiyyē, nbiyyaw 63, 90, 420 rīšanūtā, rīšanūtaḫ 25, 26, 26n65, 28, 30, 31,
nbiyyūtā 90, 110n14, 233 32, 32n81, 274, 323n133, 356n, 450, 533
nfaḥ 80, 80n9, 94n42 ršam, rašem rešmat, ršimē 83, 94, 149, 298,
491
qašīšā, qašīš, qašīšē 9, 22n51, 24, 39, 39n94, Cf. rūšmā
40, 236, 280n40, 572 rūḥafā, rūḥafayhūn, rūḥafeh 6, 69, 82, 82n,
qlīdā qlīdē 95, 170, 415n141 89n31, 92n39, 97, 367n60, 393, 461, 526,
Cf. aqlīdā 526n12, ou rūḥḥapā 526n12 (citation de
qrā, qaryay, qran, qrayā, teqrē 47, 61, 61n17, Murray)
89, 141, 229, 343, 344, 354n27, 399 rūšmā, rūšmah 111n15, 149, 353n22, 396
qraytā 302n84
qūrbanā, qūrbanē 208n44, 210n48, 218n68, sabar, la-msabarū, msabar 53, 123, 467,
269, 272, 276, 286n, 416n144, 560 504n319
šalūḥeh 61
rʿā 346, 346n7, 432n163 safrā, safartā, safrē 90, 125, 229n93-94,
raʿyā, raʿawatā, raʿē raʿawatā 33, 34, 35, 36, 236, 236n108, 304, 304n90, 336, 453,
35n89, 37, 38n, 39, 40, 59, 60, 70, 141, 566
190, 267, 267n8, 271, 272, 301, 301n81, šamašā, šamašē 24, 68, 180, 274, 274n32,
334, 540 429n171
raʿyūteh 271 Cf. mšamšanā
rab bayta, rabbaytā 22n49, 59, 141, 315 šameš, šamšat, meštamaš, mšamšā, nšameš,
rabā, rab, rabaḫ, 9, 22n52, 25, 25n61, 26, nšamšūn, tšamšūn 64, 71, 125, 273, 340,
26n66, 28, 29, 30, 39, 40, 51, 67n29, 71, 341, 414, 426n167, 427, 430, 457, 458,
124, 132, 134, 196n22, 198, 200, 202, 204, 459, 483, 485
268n8, 274, 283, 299, 299n69, 300, 301, Cf. tešmeštā
304, 304n90, 315, 315n109, 327n147, 444, ṣayadan 45, 357, 357n32
450n216, 454 ṣaydā 45
Cf. rab kahnā, rab kahnē, rab kūmrā, rabā sbartā, sbarteh 111n17, 123n39, 372
d-kūmrē, rab baytā, rab raʿawatā Cf. sabar
rabanē, rabanayhūn, rabanīn 26, 107, šlaḥ, šlaḥtaḫ 47, 53, 53n, 54, 58n, 60, 354,
304n90 374, 374n70, 375, 399
raḥef, mraḥef, mraḥfīn 89n31, 98, 127, 411, šlīḥā, šlīḥaw, šlīḥē 44, 47, 50, 51, 53n, 54, 60,
423 86, 86n19, 155, 266, 319, 348, 355, 374,
razā, raz, razē, etc. 18n39, 31, 47, 55, 57, 60, 431
66, 69, 81, 83, 85, 87n24, 89, 91, 108, 109, šlīḥūtā 110n, 164, 388, 396, 458, 464, 565n117
šūlṭanā, šūlṭan 132, 455, 478, 503n, 527, treʿsar, treʿsarta, treʿsarteh, tartēn waʿsar 45,
528n15, 538, 574 46, 51, 55, 85
syam īdā 39, 349, 349n15, 393n tūrgamah 295
ṭabʿā, ṭabʿē 70, 135, 149, 167, 232n99, 546 yabel, etyablat 123, 529n21
talmed, tūlmadā 226, 338, 469n254 yūbalā, yūbal, yūbalaw 34, 246, 368, 528,
talmīdā, talmīdatā 363, 572 529n21
tešmeštā, tešmešteh, tešmešthūn 21, 21n47, yūlfanā, yūlfan, yūlfaneh 54, 79, 95n45, 132,
212, 263, 389, 414, 414n137, 426n167, 295, 336, 467, 507
427, 458, 460n229, 483, 485 Cf. alef
adoration 178, 330, 339, 346, 424, 426, 241, 242n238, 463, 466, 494, 494n306,
426n167, 441, 455, 457, 485, 485n291, 495, 523
560, 567 charisme 325, 350, 362, 362n47,49, 364n51,
388, 409, 525
agneau Cf. grâce
Christ comme Agneau 17, 67, 213, 246, ciel 19n41, 61, 63, 72n36, 77, 77n4, 79, 92,
246n129, 247, 262, 269, 271, 272, 272n27, 116n27, 139, 140, 142, 142n12, 148, 163,
273, 283, 284, 286, 287, 288, 288n, 291, 168, 169, 169n78, 173, 183, 184, 224, 283,
293, 293n60, 296, 301, 303, 331, 331n156, 327, 328, 331n155, 339, 359n44, 417, 422,
332, 355, 377, 548, 564 436, 464, 481, 527, 568
agneau comme offrande 7, 100, 102, clé confiée à l’ apôtre, au sacerdos 1, 2,
103, 162n60, 198, 211, 246n129, 247n131, 22, 43, 44, 49, 79, 95, 98, 112, 128,
252n140, 256, 258n152, 262, 262n, 269, 134n60, 141, 148, 167, 170, 276, 369, 409,
272, 281, 283, 286, 293, 293n60, 300, 415n141, 417, 418, 422, 436, 436n188, 437,
301, 303, 304, 326, 331, 332, 332n157, 437n190, 463, 464, 464n241-242, 465,
550, 551, 567 498, 499, 499n311, 500, 502, 503, 519,
arien, arianisme 25, 25n62, 26, 28, 32n82, 528, 529, 530, 531, 533, 537, 539, 555,
34n88, 80, 104, 106, 153, 153n41, 189, 557, 562
190, 192, 270, 271, 272, 272n28, 273, 274, corps
295, 296, 299n70, 302, 302n87, 329n152, corps humain 25, 66, 66n27, 69, 77,
335, 355n28, 363n50, 364n51, 366n58, 77n6, 79, 83, 95n45, 96, 103n5, 138, 139,
398n, 432, 432-433n180, 438, 439, 440, 144, 145n16, 146, 164, 168n76, 171, 172,
440n195, 445n205, 446, 452, 484, 548, 177, 179, 192n14, 199, 204, 206, 214n57,
551 317, 335, 358, 377, 388, 427, 427n, 448,
Autel 4, 16, 16n34, 23, 23n57, 82, 106, 113n21, 449n213, 452, 456, 483, 494, 500, 501,
164, 200, 208, 208n41, 208-209n45, 213, 503, 510, 510n328, 511, 514n, 515, 523,
247, 249, 256, 287, 288, 292, 321, 332, 554, 561n8, 563, 563n14, 564
370n64, 371, 396, 416n144, 423n162, 427, corps du Christ 2, 61, 67, 67n29, 68, 69,
428, 433, 459, 460, 463, 486n293, 524, 73, 73n39, 74, 87n24, 93, 96n, 113n23,
548, 552, 554 117, 119n32, 120, 130, 131, 134, 134n58,
autorité. Cf. pouvoir 135, 139n4, 142, 159, 160, 166, 168, 177,
178, 181, 216, 217, 228, 232, 241, 247, 248,
Bardésanite 530n23 251, 252, 256, 260, 267, 270, 273, 274,
Cf. Bardésane 276, 279, 282n44, 284, 285, 285n51, 286,
bouche (de l’apôtre, du sacerdos) 46, 131, 286n, 329, 330, 332, 358, 404, 433, 441,
213n55, 224, 233n101, 382n83, 471n258, 499n311, 512, 547, 552, 563, 568
473n262, 493, 503, 510n328, 515, 517, corps ecclésial 2, 25, 25n61, 113n23, 117,
545 129, 130, 130n, 131, 132, 132n53, 134, 160,
brebis perdue 272, 301, 301n89, 302, 168, 443n202, 445n205, 493n304, 514,
302n80, 334, 446n207 517, 534, 545
corps eucharistique 4, 49, 72, 88n29, 125,
chambre nuptiale 109, 119n33, 120n35, 142, 126, 127, 135, 136, 167, 169n78, 228, 241,
144, 169n78, 494, 522n3 262, 285, 312, 324, 332, 393, 433, 434,
char d’Ezéchiel 71, 72, 72n36, 127, 241, 462n237-238, 463, 466, 481, 488n297,
462n238, 468n251, 469n255, 497, 510, 524 493n304, 494, 495, 495n, 496, 497, 500,
charbon ardent 71, 72, 230, 239, 239n115, 513, 523, 524, 535, 536, 555, 571
corps des apôtres, corps sacerdotal 46, doctrine hérétique, du monde 121, 435,
382n83, 537, 538, 552 445n205, 475, 475n266, 484, 509, 515
corps de la vérité 106 Cf. enseignement
corps des animaux 563 Douze, les 1, 5, 45, 45n, 46, 47, 48, 49, 50,
couvaison 6, 69, 82, 83, 83n12-13, 89, 89n31, 51, 51n8, 52, 53, 55, 55n12, 56, 57, 62,
92n39, 98, 410, 411, 461, 526, 535, 544, 69, 70, 70n33, 72, 73, 81, 81n10, 85, 89,
554 89n30, 94, 95, 135, 155, 155n40, 156, 161,
creatio ex nihilo 359, 385, 489, 543 162, 171, 181, 182, 242n123, 305, 347, 355,
culte 6, 7, 82, 102, 167, 168, 168n75, 181, 221, 373, 374, 375n72, 389, 425, 462n237, 473,
241, 243, 275, 320, 323, 330, 331n155, 477n268, 478n275, 498, 498n311, 511,
414n139, 415, 426, 455, 457, 460, 476, 533, 536, 543, 551, 568
481, 483, 522n2-3, 563, 567, 573 dyophysisme, dyophysite 231, 473
culte à mystères 522n2-3
économie divine, du salut, 49, 52, 106, 110,
diacre 9, 17n36, 22n51, 24, 25, 33, 33n84, 34, 117, 119n33, 189, 283, 306, 308, 338, 355,
35, 37, 38, 39, 40, 42, 101, 106, 363, 415, 370, 372, 379, 381, 384, 384n86, 385, 390,
432, 454, 459, 460, 485, 486, 486n393, 400, 476, 477, 477n270, 479, 480, 532,
493n303, 515n335, 537, 538, 539, 540, 533, 556, 559n2, 568
541, 542, 543, 544, 557 Éden. Cf. paradis
docétisme 282n64, 329n152, 433n182 égalité homme-femme 8, 165, 179, 557,
docteur 569n23, 574
Dieu le Père comme docteur 304n91 élection, élire, élu
Christ comme docteur 296, 304, élection de Jésus par Dieu 68-69n31, 73,
304n90-91, 305, 306, 420, 445n205, 74, 329, 339, 398, 398n, 399, 402n, 404,
551, 555 551, 553
Esprit Saint comme docteur 86, 89, 93, élection du peuple, des peuples 57, 345,
304n91 346, 361, 399, 402, 403, 404n124
apôtre et sacerdos comme docteurs 7, élection de personnages dans l’A.T. :
22n49, 114, 125, 128n47, 187n5, 224, 225, patriarches, prophètes, etc. 330,
225n82, 226, 234, 235, 236, 236n108, 343n1-2, 344n5, 345, 346, 352, 354, 355,
304, 304n90, 305n, 306, 307, 308, 374, 361, 370n63, 373n68, 375n74, 384n85,
400, 401, 420, 445, 445n205, 470, 475, 385, 400, 402, 403, 404, 404n124, 405,
511, 512, 515, 534, 539, 541, 549, 551 406, 407, 407n, 448, 484, 553
nature et Livre saint comme docteurs élection de la Vierge Marie 55n12, 382,
305n 383, 400
amour et raison comme docteurs élection apostolique et sacerdotale 7,
446n205 19n40, 23, 25, 29n71, 33, 34, 44, 45, 48,
Cf. doctrine, enseignement 51, 52n10, 53, 55n12, 56, 57, 58, 59, 60,
doctrine 51, 54, 70, 73n39, 75, 79, 80, 86, 61, 68n31, 69, 73, 78, 86, 87, 131, 132,
95n45, 100, 123n39, 125, 128, 132, 133, 269n14, 342, 343, 344n5, 345, 346,
234, 236, 261, 262, 295, 296, 304n91, 346n8, 347, 347n, 348, 351, 354, 355,
305, 306, 306n95, 307, 308, 336, 338, 355n28, 356, 357, 357n33, 359, 360, 361,
360, 376n76, 379, 389, 389n100, 420, 362, 365, 369, 372, 373, 373n69, 374,
421, 422, 432, 440, 440n195, 441, 443, 374n71, 375, 375n72, 376, 377, 378, 378n,
444n202-203, 445-446n205, 470, 379, 379n80, 380, 381, 382, 382n83, 383,
472, 475, 475n266, 484, 507, 509, 511, 384n85, 385, 386, 386n, 387, 388, 398,
514, 515, 515n334, 527, 534, 551, 556, 400, 400n120, 401, 404, 405, 406, 407,
572 450, 469, 479, 491, 506, 507, 515, 517,
doctrine des deux Testaments 261 543, 553
encens, encenser 21, 67-68n29, 198, 448n212, 448-449n213, 449, 450, 451,
198n26, 203, 208n41, 210, 212, 213, 452, 453, 454, 455, 455n225, 456, 474,
213n55, 214n57, 219, 220, 222, 222n75, 475, 479, 480, 493n303, 531, 531n25-
225n83, 228, 232, 238, 239, 239n115, 26, 535, 536, 537, 537n39, 538, 539,
240, 254, 275n34, 482, 485, 549, 561, 540, 541, 543, 544, 545, 551, 556,
562 557
encensoir 37, 37n, 67n29, 186, 186n, 187, exorcisme, expulsion de Satan, des démons
189n9, 192n14, 193, 198, 212, 212-213n53, 350, 390, 413, 424, 426, 438n193, 455,
213, 213n55, 214n57, 215, 218, 219, 480, 481, 487, 546, 556
222n75, 241n117, 275n34, 278, 294, 392, expiation, expiateur, expier
561, 562 expiation dans l’ A.T. : par prêtre, agneau,
enseignement, enseigner encens, éphod, sacrifice, etc. 21, 186,
du Christ 274, 294, 295, 296, 305, 306, 197, 198, 207, 212n53, 215, 216, 220, 221,
307, 308, 322, 338, 445n205, 467, 468, 222n75, 223, 231, 232, 238, 239, 240, 241,
468n250, 470, 551, 552, 572 242, 242n134, 270, 288, 325, 325n143,
de l’Esprit Saint 468n251 325, 331n155, 371, 392, 416, 466, 494,
dans l’ A.T. : prophètes, pharisiens, 495, 527, 550, 552
scribes 156, 201, 224, 230, 233, 234, expiation, œuvre du Christ 11, 14,
235, 294, 295, 306, 335, 338, 403, 420, 119n32, 173, 174, 177, 216, 224, 239,
468n250,253, 549 249n134, 269, 270, 276, 286, 288, 293,
des apôtres, du sacerdos juif et chrétien 293n60, 294, 297, 308, 309, 310, 317,
55, 57, 88, 107, 156, 167, 207, 223, 224, 325, 325n143, 326, 331n155, 332, 341,
225, 226, 228, 230, 233, 234, 234n105, 341n177, 434n184, 463, 500, 527, 550,
237, 274, 305, 306, 307, 308, 337, 420, 551, 552
422n161, 429, 439n, 440, 443n202, expiation par l’ Esprit Saint 462n238
445n205, 459, 467, 469, 474, 475, 476, expiation, tâche du sacerdos chrétien
476n267, 480, 484, 504, 508n326, 510, 392, 416, 417n148, 428, 430, 431, 434,
549, 557 435, 436, 462n238, 463, 465, 466n246,
des hérétiques 429, 439n194, 475 482, 487, 494, 495, 498, 527, 548, 551,
de la femme 558, 571, 572 552
de Zachée 565 Cf. propitiation, rémission des péchés
Cf. doctrine
envoi, envoyer. Cf. mission feu
éphod 19, 21, 67, 67n28, 109n13, 155, 228n90- dans vision du char d’ Ezéchiel 71, 241,
91, 232-233n100, 233n101, 238, 254, 285, 524
285n51, 292, 391, 392, 550 feu qui consume le sacrifice 186, 186n,
évêque 2, 5, 9, 17, 17n36, 21, 22, 22n49, 187, 189, 192, 192n12,14, 193, 193n14, 197,
23, 23n55, 24, 25, 25n61, 26, 26n67, 198, 203, 215, 217n65, 222n75, 253n143,
27, 27n68, 28, 29, 30, 31, 31n78, 32, 395, 548
32n80,82, 32-33n82, 33, 33n83-84, pinces de feu 222, 223, 549
34, 34n88, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, langues de feu 88, 376
42, 43, 44, 45, 101, 104, 106, 107, 108, feu dans le sacrement 126n, 160, 241,
108n, 147, 157, 157n44, 267, 269, 272, 460, 461n235
273, 273n29, 294n64, 323n133, 354, funérailles 148, 413, 438, 466, 491n, 503
356, 357, 357n32, 358, 360, 363n50,
369, 379, 382, 384n86, 390, 391, 415, gouvernance, gouverner, gouverneur
428, 432, 432n179-180, 433, 437, 438, de Dieu 297, 323, 323n134, 476, 477,
439, 440, 443n201, 444, 444n203, 477n271, 516, 516n337, 556
444-445n204, 445, 445n205, 448, des anges 133n55, 457, 516n336
dans l’ A.T. 241, 242, 242n123, 243, 269, huile versée sur Jésus 92, 93, 412n134,
288, 322, 323, 324, 343n1, 346, 346n7- 564, 565
8, 397, 422, 422n162, 423, 423n163, 478, son usage dans l’ Église 72, 83, 84n15,
479n277, 516, 550, 552 94, 111n15, 148, 149, 274, 283n47, 298,
du Christ 180, 297, 302, 305, 321, 323, 352, 353, 356, 370, 371, 396, 411, 412, 431,
324, 335, 341, 346, 347, 476, 477, 516, 449n214, 450-451n217, 455, 481, 501,
516n337, 552, 553, 556 503, 523, 563, 563n14
des apôtres, du sacerdos 7, 32, 133, 305, Cf. olivier, onction
341, 387, 400, 409, 413, 422, 424, 426, hysope 226, 257, 257n150, 277n, 278, 289,
429, 442, 446, 447, 448, 452, 453, 454, 294, 294n63, 296, 552, 564
455n, 456, 463, 469, 476, 479, 480, 483,
487, 516, 517, 518, 519, 520, 538, 539, 540, imposition des mains
541, 554, 556, 557 dans l’ A.T. 44, 214, 248, 348, 349, 350,
grâce 56, 65, 66, 85, 94, 98, 154, 184n, 365, 365n55, 367, 367n60, 368, 370n63,
210n48, 279, 281, 283, 354, 372, 382, 383, 391, 525, 554
386, 388, 390, 398, 400, 404, 408, 409, sur Jésus 76, 77, 77n4, 91, 92, 223, 267,
429n, 445n205, 456, 458, 489, 491, 492, 328, 348, 365, 392, 532, 535n33, 544,
496, 553, 562, 562n12 549
rendre grâce, action de grâce 61, 87, dans l’ Eglise 2, 6, 7, 23, 39, 43, 44, 44n3,
210, 213n55, 214, 481, 483, 562n11, 89, 89n30, 97, 98, 342, 343, 348, 349,
563 349n15, 350, 350n16, 351, 353, 354,
Cf. charisme 356, 357, 362, 365, 365n55-56, 366,
guérison 366n57,59, 367, 368, 369, 370, 371, 372,
par Jésus 67, 190, 194, 194n19, 257, 390, 391, 392, 393, 393n108, 394, 398,
283n47, 296, 302, 306, 325n143, 329, 410, 410n130, 411, 438n192, 474n, 486,
335, 376n76, 449n214 525, 526, 527, 528n18, 529, 529n19, 530,
par apôtre et sacerdos 36, 85, 90n33, 531, 534, 535, 535n35, 538, 539, 539n42,
194, 362n47, 364n51, 379, 389, 389n101, 542, 544, 553, 554, 556, 557
390, 392, 393, 413, 416, 424, 446, inégrisme 323n134
426, 446n205, 455, 464, 470, 471, Cf. rigorisme
472, 481, 487, 501, 506n323, 510, 554,
556 kérygme
Cf. huile, onction dans l’ A.T. 421
de Jésus 11, 64, 73, 173, 317, 335, 336,
héraut 336n166-167, 338, 341, 441, 468n250,
prophète comme héraut 421, 468, 505n321, 551
468n253, 510n330 dans l’ Eglise 52, 54, 64, 88, 89, 89n30,
Jésus comme héraut 337 120, 122, 123, 123n39, 124, 125, 129,
apôtre et sacerdos comme hérauts 48, 129n49, 131, 133, 148, 171, 254, 374, 376,
52, 64, 84, 131, 228, 355, 379, 380, 379, 380, 382, 400, 413, 421, 422, 438,
387, 415, 416, 421, 443n199, 445n205, 439, 439n, 440, 442, 459, 467n248,
468, 471, 472, 473, 474, 475, 505, 468, 469, 470, 470n256, 471, 471n257,
506, 506n322, 509, 510, 511, 512, 515, 472, 473, 473n262, 474, 476, 484, 498,
535n335 505, 506n327, 507, 508n325, 534, 539,
Zachée comme héraut 322n131 540, 544, 545, 547, 549, 557, 571, 572,
Cf. prédication 573
huile de Satan 48, 355, 442
dans l’ A.T. 113n21, 196, 200, 394, 394n111, des créatures 467n248
396n114, 563n14 Cf. prédication
envoi de l’apôtre, du sacerdos 19, 43, 46, 373n67, 434, 436, 463, 466, 466n245,
47, 51, 52, 53, 54, 55, 57, 58, 58n, 59, 60, 481, 486n293, 494, 498, 449, 501, 541,
63, 70, 78, 79, 86, 86n19, 87, 101, 104, 107, 557, 559, 560, 560n5, 561, 563, 564, 567,
110, 111n15, 112, 113, 114, 121, 122, 124, 124n, 568
129n49, 133n55, 141, 147, 155, 161, 180, offrande comme action de louange,
181, 182, 236n108, 274, 350, 352, 353n27, comme action de grâce 8, 210,
354, 355, 358, 359, 369, 372, 373, 374, 213n55, 214, 568n563
374n70-71, 375, 375n72-73, 376, 376n75, Cf. sacrifice
377, 378, 379, 388, 400, 401, 420, 421, olivier 32, 353, 371, 372, 394, 413
424, 434, 462, 469, 469n254, 472, 479, omniscience divine 53, 384, 385, 469, 477
488, 489, 499n311, 507, 509, 513, 514, onction, oindre, oint
517, 541, 545, 568 onction de l’ humanité de Jésus par la
mystère (-sacrement) 3, 7, 97, 125, 126, 136n, divinité 4, 93
148, 168, 169, 311n106, 312, 320, 336n167, onction de Jésus par l’ Esprit Saint 91,
370, 390, 393, 409, 411, 416, 433, 434, 92, 92n93, 93, 328n149, 411, 529n19, 544
459, 460, 460n229, 461, 462, 486, 487, onction de Jésus par Jean Baptiste 76,
488, 490, 492, 494, 495, 495n, 500, 92, 245, 267
502, 503, 504, 513, 514, 522, 522n2, 522- Jésus comme l’ Oint 283n47, 298
523n4, 523, 524, 526, 535, 536, 542, 545, onction prophétique, sacerdotale, royale
555, 556, 568 6, 23, 24n58, 43, 76, 83, 83n13-14, 89, 92,
93, 94, 97, 98, 149, 193n14, 200, 220, 234,
odeur 80, 198n26, 214n57, 278, 561 242, 248, 250, 250n137, 274, 323, 342,
offrande, offrir 343, 345, 346n6, 351n17, 351, 352, 353,
offrande juive 12, 12n14, 20, 61, 102, 353n21-22, 354, 356, 357, 365, 365n56,
162, 162n60, 163, 185, 186, 187, 188, 370, 371, 371n, 372, 394, 394n109-111,
189, 189n9, 192, 192n14, 193, 197, 198, 395, 396, 396n114, 397, 398, 410, 411, 412,
200, 202, 203, 205, 207, 208, 208- 412n135, 413, 418n153, 421, 432, 479n277,
209n45, 209, 209n46-47, 210, 210n49, 486, 486n293, 521, 522, 523, 523n5, 524,
211, 211n50, 212, 213, 214, 214n58, 215, 525, 526, 533, 539, 544, 554, 563
215n62, 216, 218, 218n67-68, 219, 219n, onction des malades 437, 438, 438n293
220n71, 221, 222n75, 224, 237, 239, Cf. huile
239n115, 240, 241, 242, 247, 249, 256, oracle, oraculaire 228, 231, 232, 233, 549
266, 269, 271n21, 278, 279, 303, 332, orthodoxie, orthodoxe 33, 62, 103, 120, 133,
358n34, 371, 395, 414n138, 416, 416n144, 323, 360, 364n51, 518, 534, 544
436, 532, 548, 549, 551, 563, 567 orthopraxie 360
offrande de Melchisédech 162, 210,
214n58, 220, 278, 311, 311n106, 312, 314, paix 133, 133n57, 139n5, 168, 229, 309,
481n282, 551 310n102, 319, 319n126, 320, 333, 357,
offrande des Mages 210, 213, 236n109 389n100, 418, 421, 422, 445n205, 446,
offrande de soi du Christ 19, 67, 162, 450, 451, 452, 455, 483, 508n326, 552,
162n60, 163, 174, 198, 211, 211n50, 213, 570
214n58, 216, 217, 245, 247, 251, 262, 266, Pâques 17, 62, 101, 126, 152, 246, 246n129,
266n2, 269, 271n21, 272, 279, 282, 284, 247n131, 258n152, 262, 263n
286, 286n, 287, 288, 291, 303, 304, 305, paradis, Éden 80, 114, 117, 118, 119n33,
311n106, 315n110, 318, 324n138, 325, 326, 125, 128n48, 147, 147n26, 151, 152,
330, 331, 332, 340, 495, 540, 551, 552, 155, 156, 158, 160, 161, 227, 284, 294,
553, 564, 564n16 299, 307, 319, 321n128, 385, 437, 456,
offrande chrétienne 4, 89n31, 102, 209, 459n255, 504n318, 534, 545, 559n1-2,
210, 213n53, 273, 276, 278, 360, 373, 572
pardon 8, 86n22, 88, 128, 191, 198, 217n65, pouvoir du Fils 65, 112, 175, 176, 178,
231, 233n102, 239, 241, 293, 294n63, 180, 182, 182n, 190, 265, 302, 305,
308, 316, 324, 326, 327, 389n99-100, 318n120, 320, 339, 340n, 504n318, 527,
408, 423, 435, 435n, 436, 463, 464n241, 528n15
466, 466n246, 476n265, 480, 482, pouvoir apostolique, sacerdotal 1, 2, 22,
494, 497, 498, 498n310, 499, 500, 501, 24, 26, 30n, 101, 112, 181, 275, 311n106,
502, 513, 555, 557, 561, 565, 566, 567, 322, 345, 349, 351, 352, 379, 381, 419, 422,
573 425, 435, 436, 437, 451, 452, 454, 455,
Cf. expiation, lier et délier, rémission des 462, 464, 472, 478, 480, 481, 487, 491n,
péchés 495, 503, 503n, 509, 528n15, 531, 538,
Parole de Dieu 52, 122, 124, 125, 127, 133, 539, 541, 542, 557, 561
171, 172, 226, 235, 243, 296, 305, 306, pouvoir royal, civil 25n60, 26n65, 30,
306n95, 317, 357, 379, 380, 387, 409, 132, 219, 229, 243, 311n106, 322, 339, 371,
439, 440, 455, 468, 471, 480, 484, 504, 425, 452, 478, 487, 518, 550, 571, 574
505, 513, 519, 551, 555, 556 prédication, prédicateur, prêcher
parousie 77, 107, 149, 159, 167, 175n, 176, 340 des prophètes 226, 288, 317, 322,
pasteur 322n129, 419, 420, 429, 439, 440, 441,
Dieu comme pasteur 268 467, 468, 470, 505, 556
dans le judaïsme 34, 35, 36, 258, 268, de Jésus 60, 294, 321, 322, 322n130, 336,
268n12, 269, 346, 355, 422n162, 423, 421, 439, 441, 442, 506, 507, 509, 552,
423n162-163, 162, 446, 447, 447n210, 555
448, 478 de l’Église 24n60, 102, 439
Christ comme pasteur 25, 35, 35n88, 36, des apôtres, du sacerdos 6, 7, 8, 24n60,
141, 265, 267, 267n7-8, 268, 268n9, 269, 88, 89, 98, 102, 111, 120, 120n36, 121,
271, 272, 272n26, 273, 274, 293n60, 300, 122, 123n39, 129n49, 131, 149, 171, 172,
300n78, 301, 301n80, 302, 302n84, 303, 225, 226, 321n128, 322n128, 350, 409,
334, 377, 418, 423, 424, 453, 518, 544, 421, 422, 429, 439, 439n, 440, 441, 442,
550, 551, 553, 556 443, 443n199,201, 444, 444n203-204,
apôtre et sacerdos comme pasteurs 7, 445, 448n211, 456, 460, 460n232, 463,
22n49, 23, 33, 34, 34n85, 35, 35n88-89, 467, 468, 469, 469n254, 470, 472, 473,
36, 37, 38, 38n, 39, 40, 59, 60, 70, 70n33, 473n262, 474, 475, 476, 480, 483, 484,
79, 80, 95, 96, 133, 141, 142, 147, 237, 242, 487, 504, 505, 506, 506n323, 507, 507n,
267n7, 269, 301, 302, 303, 334, 344, 345, 508, 509, 510, 511, 512, 513, 514, 515,
363, 387, 417, 418, 424, 425, 432n179, 515n334, 517, 519, 520, 544, 545, 546,
436n188, 443n201, 445, 449, 450, 452, 554, 555, 556
459, 479, 480, 482, 517, 518, 528, 528n15- des laïcs dans le N.T. 124, 438, 557, 558,
16, 530, 538, 540, 543, 544, 546, 556, 565, 566, 571, 573
565 des païens 419, 439, 470
les présumés hérétiques comme pasteurs Cf. héraut
272, 272n28, 273, 302, 551 prière, prier 8, 27, 67n29, 79, 89, 103, 107n9,
père: sacerdos, Pères conciliaires, Pères de 125, 126, 128, 136n, 164, 197, 198, 200,
l’Église, comme pères 22n49, 30, 31n78, 205, 209, 209n46, 210, 214, 216, 273,
107, 121, 200, 445, 474, 480, 534, 540, 303, 310, 311, 360, 364n52, 376, 388n95,
569n22 426, 428, 435n, 438, 438n193, 455, 456,
pouvoir, autorité 466, 466n246, 472, 480, 481, 481n284,
dans l’ A.T. 191, 194n19, 240, 243, 271, 319, 482, 483, 486n293, 487, 493, 497,
365, 371, 425, 478 497n309, 545, 548, 556, 557, 559, 560,
pouvoir de Dieu le Père 135, 167, 170, 560n5, 561, 561n8, 563, 564, 565, 567,
424, 436 570
propitiation, propitiatoire 239, 231, 232, 239, Vierge Marie comme reine 291, 297
549 Cf. gouvernance
Cf. expiation, rémission des péchés
sacrifice
rémission des péchés, des dettes 61, 95, 128, dans l’ A.T. 12, 12n11,14, 19, 20, 20n44,
131, 190, 191, 198, 206, 256, 272, 290, 311, 23n57, 50, 61, 162n60, 186, 188,
325, 341n177, 417, 431, 434, 434n184, 192n14, 193, 197, 201, 202, 203, 208,
435, 436, 437, 463, 464n241, 465, 466, 209, 209n45-46, 210, 212, 212n52,
466n245, 489, 497, 497n310, 498, 499, 213, 213n55, 214, 215, 216, 216n, 217,
499n312-313, 500, 502, 503, 514, 537, 541, 217n65, 218, 218n68, 219, 220, 220n71,
553, 555, 557, 564, 565, 567 221, 221n73, 222, 223, 224, 225, 240,
Cf. expiation, lier et délier, pardon 241, 242, 245, 246, 247, 247n131, 249,
rigorisme, sévérité 335, 412, 445n205, 449, 249n134, 251, 252, 252n140, 253, 254,
450, 450n217, 500, 556 256, 266, 269, 270, 278, 309, 311,
roi, royauté 315n110, 324, 325, 332, 332n157, 371,
Dieu comme roi 62n19, 70, 87n23, 103, 373, 373n68, 427, 458, 466, 466n245,
159, 282, 283, 291, 297n66, 323, 424 481, 481n283, 532, 548, 549, 552, 553,
Adam comme roi 297n66, 556 567
dans l’ A.T. 10n3, 21, 24, 24n58, 24-25n60, sacrifice païen 15, 385
29, 32, 34n86, 65, 76, 83, 83n14, 84, sacrifice de soi du Christ 7, 8, 14, 121,
84n15, 109, 109n13, 110, 154, 154n37, 134, 135, 163, 177, 211, 215, 217, 218, 241,
208, 208n41, 219, 225, 225n83, 227, 228, 245, 247, 249, 249n134, 254, 256, 271,
229, 229n94, 237n, 242, 243, 246, 247, 276, 278, 284, 285, 286, 287, 288, 288n,
252, 254, 257n151, 258, 260, 263, 269, 300, 301, 303, 304, 309, 312, 314, 325,
277n, 279, 280, 282, 288, 289, 291, 311, 325n142-143, 326, 330, 331, 331n156, 332,
318n120, 319, 320, 322, 323, 335, 343n1, 333, 340, 376n76, 548, 549, 551, 557, 563,
345, 346, 351, 352, 353, 353n21, 364, 371, 570
371n, 386n, 394n110, 397, 398, 400, 407, sacrifice chrétien 27, 89, 131, 169n78,
407n, 412, 412n135, 413, 417n149, 419, 177, 209, 215, 466, 493, 494, 495, 497,
421, 422, 425, 457, 478, 479n277, 484, 498, 501, 526n12, 548, 557, 560, 561, 563,
504n320, 516, 517, 527, 529, 552, 544, 563n14, 564, 567, 568
553 Saint, Saint des Saints 6, 10n6, 15, 26, 29,
Melchisédech comme roi 319, 319n125- 29n73, 31, 38, 71, 72n36, 154, 163, 168,
126, 320, 552 168n75-76, 169, 170, 173, 174, 175, 176,
rois Mages 210, 236n109, 318, 319n122 177, 178, 183, 205, 206, 222, 222n75, 223,
Christ comme roi 7, 50, 83, 103, 134, 136, 223n77, 224, 227, 227n89, 228n91, 231,
140, 145, 150, 175, 196, 246, 258, 269, 270, 239, 239n115, 251, 273, 291, 299, 299n71,
277n, 282, 288, 289, 289n, 290, 290n55, 309, 325, 327, 331, 331n155, 340, 341, 485,
291, 292, 292n, 293, 297, 297n67, 298, 485n290, 494, 547, 548, 549, 550, 551,
318, 319, 319n122,125, 320, 321, 323, 335, 552, 564, 568
338, 339, 339n171,173, 340n, 341, 364, sanctuaire 72n36, 154, 170, 188, 193, 204,
365, 405, 491, 495, 498, 507, 511, 523, 204n36, 206, 223, 246, 266, 292, 320,
552 428, 494, 495, 522n3, 552, 568
roi terrestre 27, 28, 32, 126, 127, 132, 140, sceau
161, 242, 291, 298, 318, 319, 320, 321, 323, sceau baptismal 83, 104, 111n15, 149,
323n133, 324, 338, 339, 397, 401, 418, 353n22, 466, 491, 492, 511, 546
420, 452, 475, 478, 518, 534, 545 sceau apostolique, sacerdotal 94, 155,
homme, Adam, comme rois 298, 552, 396, 405, 492, 536, 546
559n1 Cf. sanctuaire, tabernacle, temple
N.B. : cet index ne comprend pas les noms des quatre auteurs que nous étudions.
Aaron 9, 10, 13, 19, 20, 22, 22n52, 27, 141, Ahimelek 219
155, 163n65, 186, 188, 188n6, 189, 190, Akân 190n
191, 191n, 192, 195, 196, 196n22, 198, 199, Aman 419, 421
200, 200n, 201, 201n32, 202, 203, 204, Amos 346, 422n162
205, 212, 215, 218, 218n68, 219, 220, 222, Ananias 205, 516
233n100, 234n105, 238, 240, 240n, 241, Ananie 405, 410
241n117-118, 242, 243, 250, 252, 253n143, Anne (la mère de Samuel) 475, 570
267, 269, 276, 279, 289, 294n63, 300, Anne (le grand prêtre) 11, 191
309, 347, 367, 371, 392, 394, 395, 400, Antiochos (Mar) 40
414n138, 417n149, 437n190, 443, 447, Apollinaire 133n58
447n211, 458n227, 465, 529, 532, Apollos 113, 259n155
550 Arius 36, 133n58, 273n28
Abel 12, 12n11, 13, 186, 197, 198, 200n, 205, Asnat 11
210, 210n49, 218, 218n67, 220n71, 271, Auguste (César) 318
271n21, 272, 279, 281n43, 287, 330, 355,
403, 550, 567 Babu (évêque de Nisibe) 27, 107, 354n23,
Abigaïl 570n25 443, 444, 445
Abihu 141, 186, 192, 207, 414, 414n138, Baraq 205
416n144 Bardésane 36, 103, 104, 133n58, 146, 280n40,
Abraham (patriarche) 12, 12n13, 15, 50, 283n45, 366n58, 432, 436n188, 438, 440,
57, 57n, 146, 147n26, 200, 200n, 205, 456
210n48, 218n67, 220n71, 234, 266n1, Barsēs (évêque d’ Edesse) 27, 35n88, 104,
271, 312, 314, 315, 330, 343n1, 355, 368, 107, 354n23, 432
373n67, 384n87, 400, 401, 402, 403, 404, Bartholomée 236, 377n
404n, 405, 448, 567 Bikri 570
Abraham (évêque de Nisibe) 25, 25n61, 27, Booz 528
28, 33, 33n83, 34, 40, 64, 83n13, 88, 91, Bose (comte) 36
147n26, 213n53, 354n23, 356, 360, 362,
363, 365, 369, 372, 382, 426, 427, 428, Cananéenne 302n85, 468n252, 557, 566,
433, 437, 439n, 443n202, 444, 444n203, 571, 573
446, 448, 451, 452, 454, 455, 456, 530, Caïn 13, 185, 186, 190n, 197, 210n49, 214, 218,
531, 555 218n67
Absalom 347, 570 Caïphe (grand prêtre) 10, 11, 14, 14n21, 20,
Achab 23, 88, 351, 352, 389n99, 418n153, 478 30n74, 65, 191, 234, 247, 248, 249, 250,
Adam (père de l’humanité) 8, 13, 52, 88, 271, 283, 365, 372, 395, 427, 533
116, 116n28, 117n31, 119n33, 142n12, 143, Charbel (martyr) 15
190n, 218, 227, 228, 228n91, 234n105, Çippora 11
272, 280n40, 281, 283, 292n, 294, Constance (empereur) 27
297, 297n66, 298, 302n85, 309, 320, Constantin (empereur) 27, 319, 320, 323,
368, 385, 385n88, 402, 411, 426, 431, 397, 477n274, 534
447n208, 478n274, 529, 532, 557, 559n1, Coré 10, 187, 189, 189n9, 189-190n10, 195
571, 572, 573, 574 Cyprien 28n70
Cyrille (d’Alexandrie) 133n58, 329-330n152, Eutychianos (évêque de Dara) 30, 474, 479,
517 540
Cyrus (roi) 419 Ève 8, 109, 116, 116n28, 117n31, 119n33, 143,
Cyrus (évêque d’Édesse) 30 161n57, 281, 458, 557, 570, 571, 572, 573,
573n, 574, 574n30
Dagon 15, 187n2 Ézéchiel 71, 88n29, 124, 127, 190, 230,
Daniel (prophète) 205, 230, 281n43, 395, 233n101, 241, 268, 317, 391, 418, 423, 436,
425, 448n212, 477n271, 516 446, 447, 453, 462n238, 469n255, 474,
Daniel (Mar) 390, 458, 465, 479 497, 516, 556
David (roi) 12, 56, 61, 61n18, 76, 90, 91, 91n37, Ezra 230, 516
94n44, 114, 153, 200, 200n, 219, 269,
277n, 278, 289, 290, 290n55, 291, 292, Flavien (patriarche d’ Antioche) 479
301, 314, 318n120, 319, 320, 323, 325, Flavius Josèphe 188n6
335n165, 343n1, 346, 357, 364, 368, 378,
394n110, 404, 407n, 412n135, 417n149, Gabriel (ange) 53, 385, 489
419n157, 420, 422n162, 423, 423n163, Gédéon 205, 343
437n190, 447, 448, 448n212, 478, 527, Géhazi 35, 190n, 201, 258n41, 424, 448n212,
528, 528n14, 570 449n213, 528n16
Debora 570
Dina 18 Habib (diacre et martyr) 37, 214, 459, 460,
Diodore (métropolite de Tarse) 31, 511, 540
541 Hazaël (roi d’ Aram) 394n110
Dioscore (archevêque d’Alexandrie) 30 Hénoch 176, 205, 339, 412n135, 437n190
Hérode 157, 214, 236, 318, 319n122, 477n274
Éléazar 9, 10, 13, 18n39, 47, 62, 191, 196, Hérodiade 448n212
199, 200n, 201, 202, 203, 204, 218, Hophni 141, 187, 224, 414, 414n138
219, 227n87, 234n105, 242, 243, 392, Hulda 570
458n227, 532, 550
Éli 9, 10, 141, 186, 187, 187n2,5, 188, 188n6, Ignace (Mar) 40
190n, 195, 197, 224, 225, 345, 414, Isaac (d’Antioche) XII
448n212, 570n24 Isaac (patriarche) 12, 200, 205, 271, 332,
Éliab 347 332n157, 345, 355
Élie 11, 15, 19n41, 44, 77, 77n4, 78, 90, 157, Isaïe (prophète) 121, 222, 223, 230, 233n102,
164n, 176, 186, 197, 198, 200, 205, 239, 262, 291, 420, 494, 494n306, 495,
230, 231n, 240, 267, 339, 351, 358n41, 523, 549, 570
363, 394n109-110, 412n135, 437n190,
448n212, 449n213, 457, 464, 465, Jacob (patriarche) 12, 16, 45, 55, 57, 58, 73,
478n274, 528, 530 113n21, 119n33, 133, 200, 210n48, 301,
Élisabeth (mère de Jean-Baptiste) 19, 248 343n5, 345, 368, 395, 396, 396n114, 397,
Élisée 19n41, 35, 44, 77, 77n4, 78, 267, 351, 401, 402, 404, 405, 406, 422n162, 423,
363, 394n109, 424, 528n16, 530 423n163, 424, 446, 446n206, 447, 543,
Épiphane 197n 553, 563n14, 570
Ésaü 210n48, 345, 570 Jacques (Mar) 40
Esdras 205 Jacques (évêque de Nisibe) 23n55, 27, 107,
Étienne (premier martyr) 97, 195, 287, 354n23, 443, 444, 445, 456
410n130, 411, 459, 485, 486, 535, 535n35, Jaïre 88, 302n85, 562n9
542, 544, 552, 554, 557, 564 Jean (apôtre, disciple bien-aimé) 36, 44, 53,
Eunome 133n58 58, 90n33, 101, 118, 250, 268, 273, 323,
Eutychès 133n58, 329n152 377n, 378, 382n83, 385, 385n89, 389,
Jean (apôtre, disciple bien-aimé) (cont.) Laban 210n48, 423, 424, 446n206, 570
392, 405, 406, 459, 464, 475, 481, 533, Lazare (frère de Marie et Marthe) 295, 336
534 Lazare (de la parabole lucanienne) 234
Jean (archevêque de l’Orient) 30 Léon (évêque de Rome) 30, 475n266
Jean Baptiste 10, 10n6, 11, 14, 15, 17, 19, 20, Lévi 12, 13, 14n21, 15, 16, 18, 19, 19n40, 20,
26n66, 30n74, 76, 77, 77n4, 80, 84, 20n44, 204, 212, 218, 219, 250, 251,
85, 91, 92, 94n42, 96, 105, 107, 115, 251n139, 263, 314, 315, 391, 394, 395,
115n25, 133, 135, 150n30, 162, 174, 175, 400, 459, 533
199, 199n29, 201, 202, 202n34, 203, 205,
206, 212n53, 223, 223n77, 224, 227, 228, Mani 103, 104, 133n58, 134n59, 211, 282-
229, 231, 234, 235, 240, 245, 246, 251, 283n45, 366n58, 432, 433, 436n188, 441
262, 263, 266, 267, 272, 298, 327, 328, Marā (évêque d’ Amid) 30, 49, 390, 479, 540
331, 331n156, 332, 339, 348, 364, 367, Marc (évangéliste) 377n
371, 384n85, 392, 395, 400, 405, 410, Marcion 103, 104, 133n58, 221, 230, 256,
416n143, 437, 448n212, 475, 484, 525, 283n45, 366n58, 432, 436n188
527, 528, 528n14, 529, 530n22, 532, 533, Mardochée 419, 421
535, 544, 548, 549, 562 Marie (Vierge) 19, 55n12, 109, 116, 160, 195,
Jean (Mar) 40 218, 218n68, 248, 277n, 286n, 290n57,
Jéhu 10n3, 23, 346n6, 351, 352, 352n20, 394, 291, 297, 358n34, 382, 383, 400, 401,
394n110, 412n135, 418n153, 421, 554 433, 460n231, 473n262, 489, 508n326,
Jephté 10, 12n13, 218, 218n68, 287, 373, 458, 533n30, 561, 570, 570n25, 571
478 Marthe 426, 426n168
Jérémie (Mar) 40 Matthieu (évangéliste) 236n108, 377n
Jérémie (prophète) 209, 344n5, 384n85, 419 Melchisédech 7, 9, 11, 11n7, 13, 14, 14n20, 20,
Jérôme 197n 29n74, 71, 110n, 127, 162, 162n61, 198,
Jethro 10, 11, 346, 423, 424 198n25, 201, 202, 203, 204, 204n35, 205,
Jézabel 478 210, 214n58, 220, 223, 233n101, 241n118,
Joab 570 247, 250, 251, 265, 265n, 266n1, 267,
Job 272, 347n, 448n212 270, 271n19, 276, 277, 277n, 278, 279,
Joël 78 285, 290, 291, 298, 299, 300, 300n74,77,
Jonas 10, 200, 201, 210, 213n55, 214n58, 317, 310, 311, 311n105-106, 312, 313, 314, 315,
322n129, 323n133, 419, 477 315n110, 319, 319n125-126, 320, 324, 325,
Joseph (fiancé de la Vierge Marie) 218, 267, 330, 373n67, 394, 404, 427, 458, 481,
358n34, 426, 460n231 481n283, 529n19, 533, 535, 543, 548, 550,
Joseph (patriarche) 10, 58, 199, 212n53, 213, 551, 552
227n87, 343n1, 368, 401, 402, 405, 406, Miryam 196n22, 516, 570, 571n26
407, 422n162, 448, 478, 516, 553 Moïse 9, 12, 19, 20, 22, 34n85, 35, 44, 44n3,
Josué (frère de Moïse) 15, 18n39, 35, 47, 62, 49, 50, 65, 85, 90n35, 110, 114, 117,
65, 154, 154n38, 191, 199, 201, 227n87, 123n39, 127, 136, 146, 148, 153, 154, 155,
279n39, 282, 297, 348, 369, 371, 391, 447, 163, 163n65, 167, 186, 187, 188, 190, 191,
548, 570 191n, 192, 196n22, 197, 199, 200, 201,
Josué (fils de Yehoçadaq) 9, 13n15, 30n74, 201n32, 203, 204, 205, 212n53, 220, 225,
201, 205, 230, 516 226n86, 227, 232, 234, 234n105, 236,
Jovien (roi) 27 239, 240, 242, 242n123, 246, 248, 252,
Judas (Iscariote) 46, 47, 48, 52, 53, 85, 190n, 258, 261, 262, 271, 273, 279, 279n39,
295, 347, 355, 355n28, 358, 373, 378, 280, 282, 287, 290, 301, 306, 306n94,
384, 384n85, 385, 385n89, 386n, 389, 316, 329, 335, 343n1, 345, 346, 347, 348,
389n102, 400, 407, 408, 553 364, 365n55, 367, 367n60, 368, 369,
Judas Thomas 416n146 370n63, 371, 375, 380, 391, 394, 419n157,
Alexandrie 30, 329n152, 377n, 517 107n9, 145n16, 188, 188n8, 195, 209n45,
Amid 30, 49, 384, 390, 479, 540 211, 215, 217n65, 235, 245, 246, 249,
249n134, 319n126, 320, 334n162, 338,
Babel 199, 281, 368, 389n99, 403 377n, 469n254, 487, 506, 552
Babylone 205, 230, 425, 516 Jourdain 18n39, 116, 116n27, 117, 118, 119n32-
Bethesda (piscine de) 18n37, 194, 194n18 33, 201
Bethléem 119, 119n33, 150, 150n31 Judée 377n, 441, 473n262, 477n274, 506, 511
Bethsaïde 45, 48
Mar Mattai (monastère) 23n55
Cana 118, 284, 307n96, 437, 466 Median 10, 34n85
Canaan 50 Mont des Oliviers 111n15, 393
Chalcédoine 475n266 Mont Thabor 119n33, 123n39, 248n, 464
Damas 25, 64, 274, 411, 441, 473, 565 Naïm 194
Dara 30, 474, 479, 480, 540 Nicée 30, 31n78, 76n1, 368, 368n59, 397, 474,
530, 530n23, 531, 534, 540, 541
Édesse 15, 23n55, 25n61, 27, 30, 104, 107, Ninive 419
107n9, 108n, 359, 432, 433, 446, 447,
469n254, 539, 540 Rome XIII, 30, 62n20, 377n, 499n311, 540
Éphèse 121, 377n, 416n143
Séleucie-Ctésiphon 22, 22n54, 101, 418
Galilée 477 Sichem 18, 18n39, 104, 108, 199, 227n87,
Golgotha 113, 114, 117, 119, 291, 303, 318, 320, 571
377, 552, 580 Siloé 17, 18n37, 191, 194n18
Gomorrhe 145n16, 186 Sinaï 119n33, 155, 163, 239, 251, 371, 459n,
Grèce 377n 498n311, 532
Sion 14, 151, 152, 284
Inde 19n41, 86, 87, 375, 375n73, 377, 377n Sodome 111, 145n16, 186
Murray R. 2, 24n58, 33n83, 45n, 61n17, 103- 349n12,15, 350n, 351n17-18, 352n20,
104n5, 253n142, 416n142,146, 417n148, 353n22, 414n137, 416n142-143, 418,
435n, 526, 526n, 529n19, 530n23, 418n154, 422n161, 570n25, 575, 582
560n3, 582 Rouwhorst G.A.M. 247n131, 250n136,
271n22, 292n, 429n, 540n47, 582
Nedungatt G. 1, 582 Ruzer S. 75-76n, 582
Ortiz de Urbina I. 2, 443n201, 455n, 582 Siman E.P. 133n56, 336n166, 577
Spurling H. 253n142, 582
Parisot J. 5, 10n3, 22n50, 23n55,57, 24n58,
61n17, 77n4-6, 100n1-2, 138n1, 139n4, Von Campenhausen H.Fr. 28n70, 583
143n15, 146n20, 188n8, 266n5, 268n11,13,
324n137, 346n7, 349n12,15, 351n18, Weitzman M.P. 323n135, 583
352n20, 414n137, 416n143, 417n148,
422n161, 561n7, 575 Yousif P. 539n44, 541n52, 583
Pierre M.-J. 1, 5, 10n3, 16n34, 22, 22n51,54,
23n55, 24n58, 25n61, 61n17-18, 77n4-
6, 100n1-2, 138n1, 139n4, 143n15, 188n8,
196n21, 197n, 266n5-6, 268n11,13, 346n7,