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Isabelle Gozé-Bardin
Dans Management & Avenir 2009/4 (n° 24), pages 217 à 236
Éditions Management Prospective Editions
ISSN 1768-5958
DOI 10.3917/mav.024.0217
© Management Prospective Editions | Téléchargé le 08/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 81.91.228.82)
Résumé
L’article décrit les conclusions managériales d’une recherche qualitative
sur les futurs de la logistique de distribution à l’horizon 2035. Après un bref
rappel sur le concept de logistique et sur le choix méthodologique d’utiliser
des scénarios prospectifs comme supports projectifs pour la collecte des
données, l’avis des experts sur les défis de la logistique de distribution en
2035 et les stratégies envisagées pour y faire face sont présentés.
Abstract
This article presents the managerial conclusions of a qualitative research
on the future of logistics’ retailing up to 2035. After a brief reminder on the
concept of logistics and an explanation of the methodology (i.e. the use of
scenarios for the data collection), the article describes the opinion of the
experts regarding challenges for logistics’ retailing up to 2035 and the
strategies to deal with it.
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distribution à 25/30 ans (3.) et les stratégies envisagées pour y faire face (4.).
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Outre les contraintes et opportunités externes, le jeu des acteurs au sein du canal
de distribution a profondément marqué les schémas d’organisation logistique
de la distribution française. A compter des années 1970, dans un contexte de
forte concentration des groupes, les distributeurs ont pris le contrôle du canal
logistique, au détriment des grossistes et industriels. La centralisation des activités
de référencement et/ou d’achat a été complétée, dans la grande distribution
alimentaire, par une mainmise sur les opérations logistiques destinées à assurer
l’approvisionnement des points de vente. Les années 1990 voient néanmoins
se développer une certaine recherche d’équilibre entre commerce et industrie.
Dans un contexte d’environnement turbulent, la coopération interentreprises
apparaît en effet comme un puissant levier de flexibilité (Moati, 2001 p. 114).
Surtout, si la concurrence horizontale continue à s’exprimer en termes de prix,
certains distributeurs essaient de concilier cette stratégie de domination par les
coûts avec une stratégie de différenciation (Moati, 1998). Les distributeurs font
donc montre d’une volonté nouvelle de partenariat avec leurs fournisseurs et la
logistique constitue l’un des domaines privilégiés pour le déploiement de ces
pratiques collaboratives cherchant à rompre avec plusieurs décennies de logique
d’affrontement et de pouvoir.
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44. Ainsi nous avons choisi d’élaborer ces scénarios à partir des corpus théorique existants, adoptant la position de Philippe Moati
(Moati, 2008 p. 213) pour qui, dans le cas d’une prospective sectorielle, « il appartient à l’analyste, et à lui seul, de construire la
modélisation de base du secteur ».
45. PREDIT : Programme de Recherche Et D’Innovation dans les Transports terrestres – ADEME : Agence de l’Environnement et de
la Maîtrise de l’Energie.
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ANALYSE STRUCTURELLE
Ö Recensement de 70 variables caractérisant ou agissant sur l’organisation logistique de la
distribution.
Ö Description de leurs interactions : Mise en relation des variables entre elles , via un tableau à
double entrée , et analyse de leurs relations (directes et indirectes , actuelles ou potentielles ) grâce au
logiciel MICMAC du Lipsor (Laboratoire d’Investigation en Prospective , Stratégie et Organisation , du CNAM).
Ö Identification de 42 variables essentielles à la compréhension et à l’évolution du système
« Logistique de la distribution » et description détaillée de leurs interactions .
ANALYSE MORPHOLOGIQUE
ÖDivision
Ö du système et élaboration de scénarios thématiques .
Ɠ Décomposition du système en 8 sous-systèmes où sont ordonnées les 42 variables retenues .
Ɠ Chaque variable se voit affecter de 3 à 5 hypothèses d’évolution à 25/30 ans, déterminées sur la base
des travaux disponibles . Ɠ La combinaison cohérente , à l’intérieur de chaque sous -système, de ces
différentes conjectures permet de dégager 4 à 7 scénarios pour chaque thème .
ÖConstruction de plusieurs configurations générales possibles du système .
Les scénarios thématiques sont agrégés sous forme de scénarios globaux . 3 scénarios prospectifs ,
contrastés, sont sélectionnés et approfondis . Ils serviront de support à la réflexion des experts qui devront
se prononcer sur les modifications que pourraient engendrer ces "images du futur " en termes de
distribution et de logistique .
Nous nous sommes servis de trois outils pour recueillir nos données : un
questionnaire semi-ouvert et/ou des questionnaires fermés directement liés
aux trois images du futur proposées et/ou des entretiens semi-directifs. Une
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46. Ce type d’échelle d’intervalles prend la forme de propositions sur lesquelles le répondant doit exprimer son degré d’accord ou de
désaccord. La graduation a été faite en 7 points, de +3 à –3 en passant par 0 comme point neutre. Pour chaque affirmation, il était
ainsi proposé à l’expert de mettre une croix dans la case correspondant le mieux à son opinion. Il était précisé que l’absence de case
cochée équivaudrait à une réponse « sans opinion ».
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Société
fractionnée Croissance Des contraintes
économique Vieillissement environnementales
moyenne de la renforcées
population
ANTICIPATION D’UNE
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Si les trois scénarios proposés comme supports de réflexion ont tous été
qualifiés de globalement vraisemblables et envisageables par les 18 experts
s’étant prononcés sur ce point, le scénario A (« Une certaine douceur de
vivre ») est jugé le plus vraisemblable des trois. En fait, comme l’illustre la
Figure 2, ses hypothèses majeures - vieillissement démographique, prégnance
de l’environnement - sont partagées par la majorité des experts. Seuls points
d’achoppement : un niveau de croissance indiqué comme moyen (1,5 à 2,9%),
jugé trop optimiste47 et l’anticipation par les experts d’une société fragmentée,
47. Dans les sept scénarios initialement présentés à la Commission du PREDIT, deux tablaient sur un contexte économique récessif
et deux sur une croissance très modérée. La Commission n’a pas retenu ces hypothèses.
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duale, qui les a parfois incités à se reporter sur le Sc. B (« un dynamisme importé
et ségrégatif ») dont c’était l’un des traits saillants. Les experts non convaincus
par la vraisemblance du Sc. A ont d’ailleurs porté majoritairement leurs
suffrages sur le B et inversement. Le scénario C, faisant le pari d’un dynamisme
démographique, social et économique, a été jugé - souvent à regret - comme
étant le moins vraisemblable des trois.
La conjonction de ces anticipations aboutit à une perception plutôt maussade de
l’avenir de la société française et notamment de l’évolution du pouvoir d’achat
des consommateurs. Par ailleurs, l’existence de contraintes environnementales
renforcées est clairement perçue - les questionnaires fermés en témoignent -
comme un facteur remettant en cause les schémas d’organisation de la
distribution et ceux de la logistique.
Cette évolution des attentes des consommateurs nécessite, selon les experts,
une véritable refonte du modèle français de distribution. Cinq axes majeurs de
réflexion et de décision stratégique pour les distributeurs sont tracés. Certains sont
déjà connus, comme par exemple la nécessaire (r)évolution de l’hypermarché,
mais apparaissent encore insuffisamment explorés. La liste de ces défis peut
être consultée sur le Tableau 2.
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48. Le frein est le coût final de livraison, particulièrement mis en évidence par le scénario B qui voit une contrainte financière forte peser
sur les actifs. Mais un fort développement est inéluctable (valeur moyenne de + 1.5 sur une échelle allant de -3 à +3), et même l’expert
le moins favorable (J) envisage une légère progression dans les scénarios C et A.
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A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V WX Y Z Total
Livraison
X XXX 0 XX XX XXX XXXX X 16
des achats
Modèle
logistique X X XXX XXXX X X XX 13
capillaire
Total X X XXX 0 XXXXX XXX XXXX X 18
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Quel que soit le scénario, la maîtrise des coûts sera un critère fondamental.
L’attention portée à la qualité de service s’accroît fortement en A et C (> à 1,5)
mais connaît aussi une évolution moyenne positive en B (+ 0,83) en dépit de
plusieurs avis négatifs. Seul l’expert G - nous y reviendrons - anticipe, pour tous
les scénarios, la fin de la « logistique de la qualité maximale ». Les exigences
des consommateurs étant globalement en hausse en matière de services
(personnalisation, réactivité, proximité), les chargeurs exigeraient de la logistique
qu’elle participe à cette amélioration de l’offre. Les logisticiens seraient tenus de
livrer (à moindre coût) le produit (et service(s) lié(s)) adapté(s) au consommateur,
dans son immédiate proximité, le plus rapidement possible, avec promesse de
délai et traçabilité du statut de la commande. Ils devraient aussi enrichir leurs
prestations en s’impliquant plus fortement dans des activités perçues aujourd’hui
comme très liées à la production.
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nécessaire amplification des stratégies entre acteurs est préconisée (4.2) ; enfin,
certains des répondants proposent que soient remis en cause certains postulats
faisant consensus (4.3).
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la chaîne et il n’est pas envisagé que les industriels puissent assumer la fonction
de distribution, quelles que soient les évolutions de ce secteur. Les prestataires
pourraient jouer un rôle opérationnel plus important dans ces coopérations
mais resteraient cependant largement cantonnés, par la volonté « jalouse »
des distributeurs et faute aussi de disposer des moyens humains et financiers
nécessaires, à un rôle d’exécutant.
En ce qui concerne les domaines privilégiés de coopération, une distinction
a souvent été faite entre les activités perçues comme purement techniques
(conditionnement, transport, entreposage, gestion des déchets, recyclage…) et
celles jugées source d’avantage concurrentiel (système d’information, gestion
des approvisionnements, élaboration des produits ou de l’offre commerciale).
Les coopérations les plus probables aux yeux des experts portent prioritairement
sur la mise en commun de moyens techniques, restant cachés aux yeux du
consommateur.
51. A ce propos, plusieurs autres experts ont souligné la nécessité future pour la distribution de créer des lieux vivants, prenant en
compte la diversité des sens et des aspirations des acheteurs.
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livraisons au coup par coup, réalisées sur des critères d’optimisation des coûts
logistiques. Le succès des ventes privées sur internet, en dépit de délais de
livraison qui peuvent être conséquents (plusieurs semaines), semble confirmer
que le consommateur est tout à fait capable de patience.
4.3.2. Limiter le coût final du produit par l’importation
L’expert K, pour sa part, conteste l’idée que les consommateurs actuels - et futurs -
aient une réelle exigence en matière de qualité. En cela il s’oppose aux 9 experts
qui en font un attribut impératif ou à ceux qui relient cette caractéristique à la
sécurité et/ou l’associent à l’alimentation, la santé, l’environnement sain… Pour
cet expert, le contexte économique futur ne permettra pas au plus grand nombre
d’accéder à des produits de qualité. Dans une société avec un écart croissant
entre les niveaux de vie, l’importation de produits toujours moins chers… mais de
piètre qualité (des biens plus jetables que durables) sera la seule solution pour
« entretenir l’illusion d’une société de consommation ». L’impact de cette société
duale sur la distribution serait la coexistence d’une distribution spécialisée et
d’une distribution hard-discount, ces deux formes se développant au détriment
de la distribution généraliste. Ce soutien à la consommation, à travers l’achat
renouvelé de biens devenus jetables, est aussi évoqué par l’expert I qui constate
que la dynamique des besoins est maintenant très tributaire de la dynamique
technologique.
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Figure 3 : Les défis à relever par la logistique de distribution d’ici 25/30 ans
Fortes contraintes
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Qualité de
Livraisons en Logistique mieux disante Pression sur
service
agglomération environnementalement les prix
améliorée
LE CONTEXTE ANTICIPÉ
LES DÉFIS DE LA LOGISTIQUE
DE DISTRIBUTION
À L’ HORIZON 2035
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Conclusion
Bibliographie
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