Décision CCJA Sur Les Marchés Publics

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Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires


(OHADA)
**********
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage
(CCJA)
**********
Première Chambre
**********
Arrêt N°010/2022 du 27 Janvier 2022

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A) de l’Organisation pour


l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A), Première chambre,
a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 27 Janvier 2022 où étaient
présents :
Messieurs : César Appolinaire ONDO MVE, Président, rapporteur
Birika Jean Claude BONZI, Juge
Sabiou MAMANE NAÏSSA, Juge
et Maître Jean Bosco MONBLE, Greffier
Sur le recours enregistré sous le n°066/2020/PC du 18/03/2020, formé par le
Cabinet d’Avocats Félix AKA-FOUFOUE, Avocats à la Cour, demeurant à Abidjan-
Plateau, Résidence ROUME, 3ème étage, porte n°33, 20 BP693 Abidjan 20,
agissant au nom et pour le compte de la société ECOANK Côte d’Ivoire, ayant son
siège à Abidjan-Plateau, Place de la République, Avenue Houdaille, Immeuble
ECOBANK 01 BP 4107 Abidjan 01, dans la cause qui l’oppose à l’Etat de Côte
d’Ivoire, représenté par le Ministère de l’Economie et des Finances, pris en la
personne de l’Agent Judiciaire du Trésor, demeurant en ses bureaux sis à Abidjan,
Boulevard CARDE, immeuble SOGEFIHA, BP v 98 Abidjan, en cassation de l’Arrêt
n°178/2019 rendu le 09 mai 2019 par la Cour d’appel de commerce d’Abidjan et
dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;
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Déclare recevable l’appel interjeté par l’Etat de Côte d’Ivoire du jugement RG
n°2635/2018 rendu le 20 décembre 2018 par le Tribunal de Commerce d’Abidjan ;
L’y dit bien fondé ;
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant de nouveau
Déclare le Tribunal de Commerce d’Abidjan incompétent au profit du Tribunal de
première instance d’Abidjan ;
Condamne la Société ECOBANK aux dépens de l’instance… » ;
La requérante invoque à l’appui de son recours les deux moyens de cassation tels
qu’ils figurent à la requête annexée au présent Arrêt ;
Sur le rapport de monsieur César Apollinaire ONDO MVE, Président ;
Vu les articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires
en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu que selon l’arrêt attaqué, ECOBANK Côte d’Ivoire a ouvert des comptes
courants au profit de l’Etablissement Noura Yafolo Services dit « NYS », « LE
NOURRICIER UNIVERSEL », dénomination commerciale de monsieur OUATTARA
Karim, la Société Ivoirienne de Distribution de Produits Alimentaires dite « IDPA »,
la Société INNOV TECHNOLOGY et « LE WINNERS GROUP » dénomination sous
laquelle exerce monsieur AKOUMIAN Evariste Trésor, tous fournisseurs de la
Cantine Scolaire, structure du Ministère de l’Education Nationale ; que la Cantine
Scolaire s’est engagée à virer les règlements des factures sur lesdits comptes ;
qu’alors que ECOBANK attendait de recevoir les opérations de crédit sur ces
comptes qui présentaient un solde débiteur, conformément aux engagements des
titulaires, ceux-ci ont plutôt cédé leurs créances à ECOBANK, lesquelles cessions
ont été notifiées à l’Etat de Côte d’Ivoire, débiteur cédé, suivants divers exploits
datant de 2014 et 2015 ; qu’après de vaines relances et à défaut de règlement
amiable, ECOBANK a assigné l’Etat de Côte d’Ivoire en paiement par-devant le
Tribunal de commerce d’Abidjan qui a fait droit à sa demande par jugement
contradictoire RG n°2635/2018 du 20 décembre 2018 ; que sur appel de l’Etat de

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Côte d’Ivoire, la Cour de commerce d’Abidjan a infirmé ce jugement par l’arrêt
objet du présent pourvoi ;
Sur le premier moyen tiré de la violation des articles 1, 2 et 3 de l’Acte
uniforme portant sur le droit commercial général
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir infirmé le jugement du Tribunal
de commerce d’Abidjan, au motif que celui-ci était incompétent, les créances
dont la banque est cessionnaire ayant une origine administrative ;
Que le moyen observe, d’une part, qu’aux termes de l’alinéa 3 de l’article 7 de la
loi du 8 décembre 2016 portant création, organisation et fonctionnement des
tribunaux de commerce, les tribunaux de commerce connaissent « des
contestations entre toutes personnes, relatives aux actes de commerce au sens
de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général ; toutefois, dans les
actes mixtes, la partie non commerçante demanderesse peut saisir les tribunaux
de droit commun » ; que l’article 9 de la même loi précise que « Les juridictions de
commerce connaissent des contestations relatives aux engagements et
transactions entre commerçants au sens de l’Acte uniforme portant sur le droit
commercial général ; des contestations entre associés d’une société
commerciale ou d’un groupement d’intérêt économique ; des contestations entre
toutes personnes, relatives aux actes de commerce au sens de l’Acte uniforme
portant sur le droit commercial général ; toutefois, dans les actes mixtes, la partie
non commerçante demanderesse peut saisir les tribunaux de droit commun; des
procédures collectives d’apurement du passif ; plus généralement, des
contestations relatives aux actes de commerce accomplis par les commerçants
à l’occasion de leur commerce et de l’ensemble de leurs contestations
commerciales comportant même un objet civil ; des contestations et oppositions
relatives aux décisions prises par les juridictions de commerce » ;
Que le moyen relève, d’autre part, qu’aux termes de l’alinéa 1 de l’article 1 de l’Acte
uniforme portant sur le droit commercial général, « Tout commerçant, personne
physique ou morale y compris toutes sociétés commerciales dans lesquelles un
État ou toute autre personne de droit public est associé, ainsi que tout groupement
d’intérêt économique, dont l’établissement ou le siège social est situé sur le
territoire de l’un des Etats parties au Traité relatif à l’harmonisation du Droit des
Affaires en Afrique, ci-après dénommés « Etats parties », est soumis aux

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dispositions du présent Acte uniforme » ; qu’au sens de l’article 2 du même Acte
uniforme « Est commerçant celui qui fait de l’accomplissement d’actes de
commerce par nature sa profession » ; que l’article 3 de l’Acte uniforme précité
définit l’acte de commerce par nature comme étant « celui par lequel une
personne s’entremet dans la circulation des biens qu’elle produit ou achète ou par
lequel elle fournit des prestations de service avec l’intention d’en tirer un profit
pécuniaire » et précise que constituent des actes de commerce par nature, les
opérations de banque, de bourse, de change, de courtage, l’assurances, et de
transit ainsi que les contrats entre commerçants pour le besoin de leur
commerce ;
Que toujours selon le moyen, la banque est commerçante en application des
dispositions légales susvisées ; qu’en se portant cessionnaire de créances dont
l’Etat de Côte d’Ivoire est débiteur cédé, elle a accompli un acte de commerce par
nature dont le contentieux de recouvrement relève du Tribunal de commerce ; que
les cessions de créance intervenues entre la banque et ses clients commerçants
l’ont été entre commerçants à l’occasion de leur commerce ; que l’Etat de Côte
d’Ivoire, débiteur cédé, n’est pas partie à ces conventions de cession de créance
qui sont loin de s’analyser en contrats de marché public ; que le fait que le débiteur
cédé soit l’Etat ne saurait suffire comme fondement pour dénier la compétence
du Tribunal de commerce sur le contentieux de recouvrement, sans qu’il soit
démontré la nature administrative de l’opération pour la banque commerçante ;
qu’en l’absence de preuve de l’existence de contrat de marché public conclu par
la banque avec l’Etat de Côte d’Ivoire et contenant des clauses exorbitantes du
droit commun et alors même que les créances cédées à la banque ont donné lieu
à des factures normalisées acceptées par l’Etat avec l’engagement irrévocables
de payer le montant desdites factures sur les comptes ouverts dans les livres de
la banque au profit des cédants, il s’agit de créances privées dont le contentieux
relève de la compétence d’attribution du Tribunal de commerce ;
Que toujours selon le moyen, si le débiteur est autorisé par la loi à opposer au
cessionnaire toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au créancier cédant,
inhérentes à la dette ou autres exceptions, l’arrêt critiqué, en aucun moment, ne
fait état d’une opposition que l’Etat aurait opposé aux cessions pour avoir
simplement pris acte des cessions lors de la notification, de sorte que ces
cessions lui sont devenues opposables en application des dispositions de l’article
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1324 du Code civil ; qu’en déclarant le Tribunal de commerce incompétent sur le
litige au profit du Tribunal de droit commun, alors que la créance objet du
contentieux est commerciale pour la banque et non une créance résultant de
l’exécution d’un marché public, l’arrêt attaqué a violé la loi et encourt la cassation ;
Mais attendu que le statut de commerçant de ECOBANK ne suffit pas à la
compétence du Tribunal de commerce dans une action dirigée contre un débiteur
non commerçant qui, de surcroit, n’a accompli aucun acte de commerce ; que
certes, l’article 9 de la loi n°2016-1110 du 8 décembre 2016 portant création,
organisation et fonctionnement des juridictions de commerce, énonce que le
Tribunal de commerce connait des contestations relatives aux engagements et
transactions entre commerçants, mais c’est à la condition que les deux parties au
litige aient le statut de commerçant, ce qui n’est pas le cas ;
Qu’en effet, si les opérations ayant transféré la propriété des créances s’analysent
en acte de commerce, cette commercialité s’applique aux rapports entre la
banque et ses clientes, et non à l’Etat de Côte d’Ivoire tiers par rapport à ces
cessions qui ne lui sont opposables qu’à la suite de leur notification ; que pour ce
dernier, débiteur cédé, la nature de la dette ne change pas, même s’il se retrouve
face à un nouveau créancier ; qu’il en est d’autant plus ainsi qu’il ne ressort pas du
dossier que l’Etat de Côte d’Ivoire a accepté la cession dans les conditions
prévues par l’article 85 de l’Acte uniforme relatif aux suretés, lesquelles auraient
pu conduire à une mutation éventuelle de la nature initiale de sa dette ;
Attendu en outre qu’aux termes de l’article 2-1 alinéa 2e du Décret n°2009-259 du
6 août 2009 portant Code des marchés publics applicable à la cause, « Les
marchés publics sont des contrats écrits conclus à titre onéreux avec une ou des
personnes physiques ou morales par l’Etat, les établissements publics, les
collectivités territoriales et, plus généralement, par les personnes morales de
droit public, les associations formées par une ou plusieurs personnes morales de
droit public, ainsi que par les sociétés d’Etat, et les sociétés à participation
financière publique majoritaire, en vue de répondre à leurs besoins en matière de
travaux, de fournitures ou de services » ;
Qu’en l’espèce, les contrats en cause ont été conclus par la Direction de Cantines
Scolaires, service rattaché au Ministère de l’Education Nationale, en vue de
répondre à ses besoins de fourniture ; que ces contrats, conclus par écrit à titre

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onéreux avec des personnes physiques et morales, constituent des marchés
publics ; que si les créances qui en sont issues ont été cédées à ECOBANK, cela
ne modifie pas leur nature originelle, à savoir des créances nées de l’exécution
d’un marché public ; qu’en vertu du Code des Machés Publics, le contentieux né
de l’exécution d’un contrat de marché public relève des juridictions compétentes
pour connaître du contentieux des contrats administratifs ;
Qu’il suit de tout ce qui précède qu’en déclarant le Tribunal de commerce
incompétent, les juges de la Cour d’appel de commerce n’ont pas commis le grief
énoncé par le moyen ; que celui-ci sera donc rejeté comme mal fondé ;
Sur le deuxième moyen tiré du défaut de base légale résultant de
l’insuffisance de motifs
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué le manque de base légale résultant de
l’insuffisance de motifs, en ce que, pour statuer comme elle l’a fait, la Cour d’appel
de commerce a procédé par de simples allégations de règles prétendues
applicables, sans suffisamment motiver sa décision ; que pour toute motivation
de son arrêt, elle s’est bornée à décrire la procédure d’exécution dans le cadre d’un
contrat de marché public et le mode de paiement, sans démontrer en quoi la
banque, en se portant cessionnaire de créance des débiteurs, créanciers de l’Etat,
est partie à un contrat de marché public pour qu’il lui soit appliqué les procédures
de contentieux administratif prévu en la matière ; que le simple fait que l’Etat soit
débiteur d’une créance cédée ne saurait faire du cessionnaire une partie à un
contrat de marché public ; que non seulement la Cour d’appel de commerce n’a
pas démontré l’existence d’un contrat de marché public entre la banque et l’Etat
tiers aux conventions de cession, mais en plus, elle n’a pas motivé son arrêt par
l’existence de contrats de marché public qui auraient été conclus par les cédants
avec l’Etat de côte d’ivoire qui, en l’espèce, s’est compromis en contractant avec
les prestataires de service cédants, comme une personne privée, à défaut de
contrats de marché public avec des clauses exorbitantes du droit commun ;
Que selon toujours le moyen, c’est parce que l’Etat de Côte d’Ivoire n’a pas conclu
des contrats de marché public ni avec la banque ni avec les cédants que pour le
paiement de la contrepartie des prestations de service, ce sont des factures
normalisées qui sont autorisées et acceptées en lieu et place des procédures de
règlement des créances nées de l’exécution des contrats de marché public ; qu’en

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tout état de cause, la Cour d’appel de commerce qui ne démontre pas l’existence
de contrats de marché public, n’a pas non plus dit en quoi des exceptions ont pu
être opposées par l’Etat à la notification des conventions de cessions de créances
au cessionnaire, surtout qu’en l’absence de toute exception opposée à la cession
des créances au cessionnaire comme c’est le cas en l’espèce, les cessions sont
rendues opposables au tiers cédé qui doit payer le prix ; qu’en se contentant d’un
simple rappel des règles relatives aux contrats de marché public et des exceptions
opposables au cessionnaire, sans dire en quoi les différentes règles rappelées
sont applicables en la cause, les juges de la Cour d’appel de commerce n’ont pas,
selon le moyen, donné une base légale à leur décision qui brille par une
insuffisance de motifs qui ne permet pas à la CCJA d’exercer son contrôle ;
Attendu que l’arrêt attaqué n’énonce pas que les cessions constituent un contrat
de marché public, mais « qu’en se portant cessionnaire des créances détenues
par les cédants contre l’Etat de Côte d’Ivoire dans le cadre de contrats de marchés
publics, la société ECOBANK a acquis les créances née de ces contrats, ces
créances à elle transmises gardant la même nature conformément aux
techniques sus-indiquées de la cession de créance, sans que sa qualité de
banque et la signification de l’acte de cession à l’Etat de Côte d’Ivoire y changent
quelque chose » ; qu’au sens de l’arrêt déféré, les marchés publics sont, non les
cessions de créances, mais les contrats de fourniture liant les cédants à la
Direction Nationale des Cantines Scolaires, entité déconcentrée de l’Etat ;
Attendu, par ailleurs, que relativement à l’existence de contrats de marché public,
après avoir rappelé la définition légale du marché public, l’arrêt attaqué juge que
les contrats de fourniture conclus par une personne physique ou morale avec
l’Etat et ses démembrements pour leurs besoins sont par détermination légale
des contrats administratifs ; qu’ainsi, la Cour d’appel a parfaitement livré une
motivation compréhensible qui soustrait sa décision du grief allégué ;
Attendu, enfin, que l’argument tiré de ce que l’Etat de Côte d’Ivoire n’a pas opposé
des exceptions lors de sa notification est inopérant en la cause, dans la mesure où
la question traitée par la Cour d’appel n’a porté que sur la compétence
d’attribution des premiers juges, gouvernée par des règles d’ordre public ;
Qu’en définitive, qu’aucun des moyens du pourvoi ne prospérant, il convient de le
rejeter comme mal fondé ;

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Sur les dépens
Attendu que la demanderesse succombant, sera condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Rejette le pourvoi formé par ECOBANK Côte d’Ivoire ;
Condamne la demanderesse aux dépens.

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