L'enfant, Les Robots Et Les Écrans - Serge Tisseron
L'enfant, Les Robots Et Les Écrans - Serge Tisseron
L'enfant, Les Robots Et Les Écrans - Serge Tisseron
INTRODUCTION GÉNÉRALE XI
S ERGE T ISSERON , F RÉDÉRIC TORDO
P REMIÈRE PARTIE
L ES MÉDIATIONS NUMÉRIQUES
numérique, 34
Figurativité, régression et régrédience dans la médiation
numérique 35
Sept éléments de régression formelle dans la
médiation numérique, 35 • Figurativité,
régrédience et virtualisation dans la médiation
numérique, 38
Travail du double dans la médiation numérique
des patients limites 40
L’invention de doubles numériques pour combler
le vide du double interne, 40 • Figuration de
l’auto-empathie réflexive dans la médiation
numérique, 42 • Le travail du double virtuel dans la
médiation numérique, 43
Clinique de la médiation numérique 45
En conclusion 58
TABLE DES MATIÈRES V
Bibliographie 59
D EUXIÈME PARTIE
L ES MÉDIATIONS ROBOTIQUES
Bien sûr, cela ne doit pas nous faire oublier les risques
psychiques que les robots peuvent faire courir, notamment
du fait des projections anthropomorphes intenses qu’ils
suscitent de la part de leurs utilisateurs. Les formes de
thérapie développées avec eux s’efforcent évidemment d’en
tenir compte. La meilleure façon d’éviter ces risques est
de construire dès aujourd’hui les balises éthiques et fonc-
tionnelles qui peuvent nous éviter de dangereuses dérives
demain. Avec les robots, et notamment avec leur utilisation
possible en thérapie, la politique de l’autruche serait la pire
de toutes !
PARTIE 1
LES MÉDIATIONS
NUMÉRIQUES
Chapitre 1
POUR COMPRENDRE
LES OBJETS NUMÉRIQUES
EN MÉDIATION
THÉRAPEUTIQUE,
RENDONS D’ABORD AUX
OBJETS LEUR PLACE DANS
NOS VIES
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Serge Tisseron
F ONCTIONS SUBJECTIVANTES
DE NOS OBJETS QUOTIDIENS
Pour penser correctement les diverses utilisations que
nous pouvons faire des objets, il nous faut justement renon-
cer à les penser en termes d’objets, et nous obliger toujours
à revenir à des fonctions. Le même objet peut en effet, selon
les moments, remplir une fonction ou une autre. Aucun
objet n’incarne mieux aujourd’hui cette multiplicité des
fonctions que notre téléphone mobile. C’est pourquoi je me
suis insurgé dès l’origine contre la tendance à le qualifier de
« nouveau doudou ». Le téléphone mobile est pour chacun
d’entre nous, selon les moments, un objet qui peut remplir
une fonction de mémoire, de complice, de partenaire ou
d’esclave (Tisseron, 2015). Mais il en est de même de
tous les objets qui nous entourent, même si le téléphone
mobile a été le premier d’entre eux à pouvoir cumuler tant
de fonctions différentes.
La fonction transitionnelle
Dès les années 1960, Donald Woods Winnicott avait
remarqué que les enfants établissent une relation privilégiée
avec l’un de leurs objets entre quatre et douze mois. Et
il avait fait l’hypothèse que la stabilité de cet objet est
destinée à compenser les indisponibilités grandissantes de
la mère qui commence à réinvestir sa vie de femme et se
montre moins disponible aux attentes de son enfant. Cet
objet privilégié permettrait à l’enfant de s’accommoder de
cette nouvelle situation.
Pour jouer ce rôle, l’objet appelé « transitionnel » possède
des caractéristiques qui correspondent à une fonction bien
précise. Il s’agit d’un objet plastique et malléable - le plus
souvent un morceau d’étoffe – qui n’a pas une forme bien
P OUR COMPRENDRE LES OBJETS NUMÉRIQUES ... 13
Familiarité
Tout d’abord, ils sont très souvent familiers aux enfants et
suscitent de leur part une curiosité importante, pour ne pas
dire un enthousiasme. Les enfants sont plus attentifs et très
motivés. Ils perçoivent leur thérapeute comme un complice
avec lequel ils partagent leurs centres d’intérêts privilégiés
et plus seulement, comme c’est traditionnellement cas,
comme une sorte de substitut parental qui aurait les mêmes
inquiétudes, pour ne pas dire le même dégoût, que ses
parents vis-à-vis des objets numériques. Ces outils per-
mettent souvent plus facilement que les outils de médiations
traditionnelles de favoriser des modes d’attention conjointe
qui constitue dans certains cas un support de remaniements
psychiques essentiels pour l’enfant. Les résultats montrent
que ces applications ont un puissant pouvoir de motivation
sur les enfants présentant un « Trouble du Spectre Autis-
tique » (TSA). Ils sont plus attentifs.
Si la familiarité de l’enfant avec l’outil numérique est un
argument en faveur de l’utilisation de celui-ci, la familiarité
de thérapeutes en est un autre ! Le jeu du squiggle inventé
par Winnicott reste pour moi un support de complicité, de
plaisir, d’exploration et de création partagée sans équivalent.
Mais c’est évidemment mon goût pour le dessin qui porte
la relation privilégiée que j’ai avec cette activité. Les jeunes
thérapeutes passionnés de jeux vidéo, ou qui ont tout au
moins grandi avec eux, trouveront à renouer avec leur
propre enfance à travers cette activité bien mieux qu’avec
P OUR COMPRENDRE LES OBJETS NUMÉRIQUES ... 23
Souplesse
Stabilité et prévisibilité
Les tablettes
Depuis quelques années, les tablettes tactiles ont éga-
lement fait l’objet de très nombreuses études. Elles per-
mettent en effet une communication plus intuitive utilisant
directement la possibilité pour l’enfant de toucher les pic-
togrammes qu’il voit présents à l’écran. Des résultats très
encourageants ont été obtenus dans le domaine de la recon-
naissance des émotions et également du développement de
la communication. Des logiciels permettent à des enfants
qui mettent leur doigt sur l’une des images de bénéficier
d’une synthèse vocale produisant immédiatement le son
des mots ou des phrases correspondantes. Par ailleurs, des
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
B IBLIOGRAPHIE
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Chapitre 2
MÉDIATIONS NUMÉRIQUES
ET PATHOLOGIES LIMITES
EN PSYCHOTHÉRAPIE
ANALYTIQUE
Frédéric Tordo
L E CADRE TECHNIQUE
DE LA MÉDIATION NUMÉRIQUE
La pratique clinique
de la médiation numérique
En pratique clinique, on utilise la médiation numérique
directement en séance, alors que le patient sélectionne un
jeu vidéo parmi un ensemble qu’on lui propose1 . Le jeu
peut être joué sur console portable, sur console de salon, sur
ordinateur, sur tablette ou à l’aide d’un casque de Réalité
Virtuelle (ou casque VR). La diversité des supports est
intéressante à considérer, dans la mesure où elle permet
au patient de faire un « choix d’objet », au plus près de son
fonctionnement subjectif du moment. Certaines situations
cliniques contraignent cependant à choisir le jeu vidéo
pour le patient, par exemple lorsque l’on sait que le travail
va s’effectuer sur une courte période de temps, et que
l’on pense que tel jeu vidéo participera mieux de sa vie
psychique plutôt que tel autre. Dans ce cadre, le rythme
1. Pour une revue (non exhaustive) des jeux vidéo utilisés en séance,
voir : Tordo, F (2016). Le numérique et la robotique en psychanalyse. Du
sujet virtuel au sujet augmenté. Paris : L’Harmattan.
M ÉDIATIONS NUMÉRIQUES ET PATHOLOGIES LIMITES ... 33
La « règle fondamentale »
de la médiation numérique
Du côté de l’analyste, jouer aux jeux vidéo avec son
patient est d’abord un « temps de récréation-recréation » qui
déroule, dans le domaine des « représentations d’action »
(Freud, Perron-Borelli), l’attention flottante analytique. En
effet, l’analyste est à la fois avec son patient, c’est-à-dire à
son observation pendant la séance, mais dans le même temps
il se trouve lui-même immergé dans un jeu vidéo qui capte
une grande partie de son attention, elle-même prise parfois
dans une satisfaction – un temps de « récréation ». Aussi,
l’analyste est à la fois « au patient » et « au jeu ». Dans
la cure classique, l’analyste doit écouter l’analysant en ne
privilégiant, a priori, aucun élément du discours de celui-ci,
ce qui implique qu’il laisse fonctionner le plus librement
possible sa propre activité inconsciente, suspendant les
motivations qui dirigent habituellement l’attention. De la
même façon en médiation numérique, l’analyste écoute son
patient, dans le même temps qu’il le regarde jouer, parfois
en jouant avec lui, en ne privilégiant, a priori, aucune action
numérique ni aucun élément du discours sur celle-ci. Aussi,
l’analyste doit tenter, autant que faire se peut, de proposer
un espace dans lequel les actions numériques et psychiques
F IGURATIVITÉ , RÉGRESSION
ET RÉGRÉDIENCE
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
— Oui ! Voilà !
— Donc, ils se battraient les deux toi-même ?
— J’en sais rien, mais je pourrai avec le robot établir une
relation de cœur.
— On verra ça, parce que bientôt, je vais avoir un robot
ici.
— J’en ai déjà eu deux, un robot en chien, et un petit
robot.
— Très bien, est-ce que tu veux jouer maintenant ?
— Comme tu veux ! »
Puis vient un temps de jeu vidéo avec le jeu « Prune » sur
tablette numérique. Il s’agit d’un jeu basé sur le toucher,
avec un esprit poétique, où il faut faire pousser un arbre suf-
fisamment pour que les bourgeons répartis sur les branches
éclosent. Pour cela, il faut tailler les branches inutiles, en
donnant une direction à la pousse de l’arbre afin qu’elle
atteigne la lumière. Il participe ainsi du virtuel psychique,
puis permet de travailler les mouvements subjectifs de
l’enfant, comme nous allons le voir avec la séquence-jeu de
la séance. Alors que David joue :
— « Toi qui me disais qu’avec les écrans, tu n’as pas une
relation avec toi-même ?
— Là, j’ai une relation que c’est assez nouveau.
— D’accord, ah ! Comme tu as reconnu le chamboule-
ment psychologique ?
— Voilà !
— Et, est-ce que tu te sens avec toi-même en jouant ?
— Oui, je me sens avec moi-même. Parce que c’est un
jeu, soit tu fais comme ça [désignant le mouvement de ses
doigts sur l’écran afin que la pousse de l’arbre penche vers
la droite], soit tu fais comme ça [désignant maintenant le
mouvement de ses doigts sur l’écran afin que la pousse de
M ÉDIATIONS NUMÉRIQUES ET PATHOLOGIES LIMITES ... 55
E N CONCLUSION
Le numérique, en permettant au sujet de se reconnaître en
tant que sujet agissant, constitue un espace de subjectivation,
en action, et de virtualisation. L’auto-empathie réflexive, en
se médiatisant, permet au sujet de représenter son monde
subjectif comme une altérité extérieure, pourtant bien inté-
riorisée. C’est aussi ce qui explique que l’on utilise le jeu
vidéo, et plus largement le numérique, comme espace de
B IBLIOGRAPHIE
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B OTELLA, C., B OTELLA, J.B. (1967). Vocabulaire de la psy-
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Benoît Virole
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
pour les
L E FORT INTÉRÊT DES ENFANTS AUTISTES
tablettes numériques est un fait d’observation.
L’intensité de cet intérêt est tel qu’il inquiète souvent
les parents et les professionnels qui peuvent voir dans
cette passion le risque d’un enfermement supplémentaire
et d’une rupture accrue de communication. Conçues pour
un usage strictement individuel – le format d’écran ne
permet pas la vision conjointe - les tablettes semblent plutôt
des obstacles devant le travail éducatif et thérapeutique.
Mais inversement, les tablettes numériques sont aussi
des systèmes palliatifs aux difficultés de communication
62 L ES MÉDIATIONS NUMÉRIQUES
L ES TABLETTES TACTILES
Les tablettes numériques se présentent sous la forme d’un
objet maniable pouvant être soit saisi à deux mains, soit posé
sur une table à plat ou bien encore disposé sur un support
oblique. Leur taille varie selon les dimensions de l’écran. Le
format 10 pouces est le plus adapté car il permet une vision
confortable à bonne distance, une manipulation adaptée et
la possibilité d’un partage à deux de la vision écran. Les
formats plus petits gagnent en portabilité mais exposent à
des maniements plus rapides, donc à des chocs, et limitent
les tablettes à une utilisation strictement individuelle peu
adaptée à une utilisation avec des professionnels et au
partage avec les parents. L’espace écran des tablettes est
U TILISATION DES TABLETTES NUMÉRIQUES ... 63
Commandes tactiles
Les commandes des tablettes sont tactiles. Le contact
du doigt de l’utilisateur sur un objet graphique enclenche
un événement. Pour passer d’un écran à un autre, il suf-
fit de faire glisser l’image. Il en résulte une interactivité
intuitive très forte, étayée sur les affordances (appuyer,
glisser). Le terme d’affordance désigne le complexe cognitif
associant en un tout indissociable la perception d’un objet,
sa connaissance, la décision d’action sur cet objet et les
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Les applications
L ES FONCTIONS SPÉCIFIQUES
POUR LA PERSONNE AUTISTE
On distingue six fonctions principales dans l’utilisation
des applications présentes sur les tablettes numériques avec
les personnes autistes :
1. Une fonction de communication. Plusieurs applications
dédiées à la communication avec les personnes autistes
sont aujourd’hui disponibles sur le marché. Globalement,
elles sont construites sur le principe de bibliothèques
thématiques d’images et de pictogrammes, associées à
des fichiers permettant l’émission sonore du mot, et que
la personne autiste peut utiliser pour pallier ses difficultés
de communication. Il s’agit là des mêmes principes que
les techniques de support image. La numérisation et le
maniement tactile les optimisent et offrent de nouvelles
possibilités. Un des intérêts de l’usage des tablettes est la
possibilité de création d’un répertoire d’images adaptées
à chaque sujet, à chaque situation. Utilisées comme sup-
port image, certaines applications peuvent présenter des
séquences de pictogrammes correspondant aux actions
à entreprendre de façon séquentielle ou aux événements
(par exemple : début du groupe, aller dans la cuisine,
faire un gâteau, parler ensemble, fin du groupe, heure
des parents). L’enfant autiste peut voir la séquence de
pictogrammes, peut les toucher pour déclencher d’autres
images explicatives, peut les modifier, etc. Cette fonction
est souvent présentée comme étant l’intérêt principal des
tablettes pour les enfants autistes. C’est, à notre avis,
dommageable car il s’agit là d’une simple réduction de
l’usage des tablettes à un support dynamique d’images.
Or, elles offrent d’autres possibilités pour l’enfant autiste.
2. Une fonction d’apprentissage. Les applications sont choi-
sies pour aider l’enfant autiste à apprendre des notions,
U TILISATION DES TABLETTES NUMÉRIQUES ... 67
Q UESTIONS THÉORIQUES
Il serait dommage de se restreindre à un usage purement
opératoire des tablettes numériques sans réfléchir à leur
apport à la compréhension de l’autisme. Elles ne sont pas de
simples gadgets technologiques palliatifs aux difficultés de
communication mais des systèmes cognitifs externes dotés
d’intelligence logicielle permettant aux autistes d’exercer
leur pensée et leurs intentions d’actions dans un cadre réac-
tif adapté, émotionnellement neutre, constant et stimulant.
L’intérêt massif des autistes pour les tablettes s’explique par
la possibilité offerte par des systèmes répondant de façon
U TILISATION DES TABLETTES NUMÉRIQUES ... 77
B IBLIOGRAPHIE
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80 L ES MÉDIATIONS NUMÉRIQUES
JEUX VIDÉO
ET PSYCHOSE INFANTILE
Olivier Duris
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
traitant de la ques-
P OURQUOI COMMENCER UN TEXTE
tion des jeux vidéo par une citation de Charles Baude-
laire ? Cet anachronisme peut en effet en étonner plus d’un.
Cependant, un lien peut être fait entre le poème en prose
Les Fenêtres et la pratique des jeux vidéo en médiation
thérapeutique. Quand l’auteur observe ce qu’il se passe à
travers une fenêtre fermée, et refait l’histoire de la femme
qu’il aperçoit « par-delà des vagues de toits », il décrit ce
que peut ressentir un joueur qui observe son avatar virtuel à
travers un écran.
Mais quittons cet aparté pour revenir sur la question
des jeux vidéo et leur usage dans une médiation thérapeu-
tique. Rappelons tout d’abord au lecteur que les jeux vidéo
peuvent être reliés au concept de play tel qu’il a pu être
décrit par Winnicott (1971) : un jeu spontané et universel
offrant à l’enfant une expérience créative s’inscrivant dans
le temps et l’espace, lui permettant ainsi d’habiter un espace
transitionnel n’appartenant ni au monde intérieur ni au
monde extérieur, et de manipuler des objets extérieurs
qu’il mettra au service de ce qu’il a pu prélever de sa
propre réalité interne. Il est bien évidemment important
de préciser que les mondes numériques ne constituent pas
« en eux-mêmes » un espace transitionnel, puisqu’ils ne
peuvent fonctionner comme tel qu’à partir du moment où
une acceptation de la séparation est en route et qu’une
socialisation est envisageable.
Cependant, malgré l’intérêt aujourd’hui reconnu de
l’usage des jeux vidéo en tant que médiation thérapeutique
(Leroux, 2009), force est de constater qu’il n’existe
actuellement que peu d’articles ou d’ouvrages décrivant
les effets thérapeutiques que peut avoir la pratique de cette
médiation dans la clinique de la psychose.
Notre but sera ainsi de montrer au lecteur que les mondes
numériques peuvent bel et bien s’avérer être des espaces
J EUX VIDÉO ET PSYCHOSE INFANTILE 83
P RÉSENTATION DU CADRE
ET DU JEU VIDÉO UTILISÉ
Dans notre pratique quotidienne en Hôpital de Jour pour
enfants1 , le dispositif mis en place pour les ateliers à média-
tion « jeux vidéo » est assez simple. Situés dans une grande
salle, nous sommes tous assis, les patients, une éducatrice et
moi-même, les uns à côté des autres, en face d’un grand mur
sur lequel est projeté l’écran de l’ordinateur ou de la console
de jeu. Chaque enfant joue vingt minutes, avant de laisser
la place au suivant. Le joueur est assis à côté du thérapeute
et échangera sa place avec les autres enfants une fois son
tour terminé. L’utilisation du projecteur permet ainsi que
chacun puisse voir ce qu’il se passe dans le jeu sans être
totalement serré devant l’ordinateur. Pour le cas clinique
que nous allons rapporter, le jeu vidéo utilisé fut Spore,
développé par le studio Maxis. Celui-ci offre au joueur
la possibilité de commencer une partie en contrôlant une
cellule vivant dans les fonds océaniques, qui évoluera de
plus en plus pour devenir une créature terrestre pouvant
contrôler une tribu, puis une civilisation, avant de conquérir
l’espace. Pour ce faire, le joueur doit commencer sa partie
en nourrissant sa cellule, soit avec d’autres organismes
vivants, soit avec des plantes, soit les deux. Le type de
nourriture choisi permettra par la suite de définir si l’avatar
du joueur sera carnivore, herbivore ou omnivore. Lors de la
phase créature, l’avatar du joueur quitte l’océan pour profiter
d’un nouvel environnement : la terre ferme. Il devient alors
possible de rencontrer d’autres créatures générées par le
jeu, et de sympathiser avec elles ou de les attaquer pour
se nourrir. Le choix de nourriture effectué lors de la phase
cellule a ici toute son importance. En effet, si le joueur n’a
Le cas d’Alexis
Alexis est un enfant de dix ans admis à l’Hôpital de Jour il y a
maintenant cinq ans pour un retard de langage. Il présente une
psychose infantile avec également quelques traits autistiques :
très renfermé sur lui-même, il parle peu, mais crée cependant
un contact avec l’autre par des regards ou certains gestes. Je
le suis une fois par semaine dans le cadre d’un atelier « jeux
vidéo ».
Tout d’abord, le jeu Spore est présenté aux trois enfants qui
composent le groupe thérapeutique : deux garçons et une
fille, situés entre neuf et douze ans et présentant tous trois
une psychose infantile. Le médium a très vite été apprécié
par les enfants et ces derniers se sont montrés très investis
et intéressés : il n’a en effet suffi que d’une demi-séance
pour expliquer les mécanismes de jeu au groupe. Lors de la
première séance, les enfants décident tous les trois de créer
une partie commune sur une planète à laquelle ils donnent le
nom de l’Hôpital de Jour. Un seul avatar est par conséquent
jouable, et chacun participe à son évolution. Chaque enfant
peut en effet, une fois que son tour de jeu arrive, modifier
l’apparence de celui-ci, sans que cela ne dérange les deux
autres. Les transformations d’avatar sont d’ailleurs presque
toujours observables dès qu’un enfant commence à jouer, et
peut avoir lieu plusieurs fois durant le même tour de jeu. Deux
séances suffisent pour que les enfants passent de la phase
J EUX VIDÉO ET PSYCHOSE INFANTILE 89
se faire des amis. C’est alors juste après que je lui dise que
je l’aiderais la semaine suivante à créer un avatar plus apte à
charmer les autres qu’il jubila et changea l’apparence de ce
dernier. Tuer sa créature en la faisant vomir en répétant
« C’est pas toi, c’est pas toi » peut ici être perçu, soit
comme une tentative de parler à cette dernière en signifiant
« Ce n’est pas toi qui réussira à charmer les autres, donc
tu dois mourir », soit – et c’est une des hypothèses que
nous cherchons à soutenir – une tentative de se détacher de
cette identification projective pathologique, le « C’est pas
toi » étant prononcé afin d’insister sur le fait que l’avatar
n’était pas Alexis, et vice-versa. Annoncer que je l’aiderais
à modifier l’apparence de sa créature pour lui permettre
de parvenir à ses fins a en effet pu lui montrer que je
pouvais également avoir un contrôle sur cet avatar, que
j’étais également en mesure de le modifier, prouvant ainsi
que ce personnage virtuel n’était pas Alexis mais bel et
bien une sorte de pâte à modeler numérique dans laquelle
il lui était possible de projeter ses contenus internes. Ce fut
d’ailleurs la première fois qu’Alexis s’adressa directement
à moi, prenant ma main pour la poser sur la souris de
l’ordinateur en prononçant « Je t’aide », nous montrant
ici que sa propre subjectivité n’était pas encore acquise,
mais que la reconnaissance de l’autre pouvait se faire, en
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
C ONCLUSION
Pour conclure, il nous apparaît essentiel de rappeler que
les observations effectuées dans cet atelier « jeux vidéo »
nous ont permis d’appuyer l’hypothèse selon laquelle Alexis
a débuté un travail de subjectivation, grâce à l’utilisation
de la médiation vidéo-ludique en situation groupale dans
104 L ES MÉDIATIONS NUMÉRIQUES
B IBLIOGRAPHIE
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Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
LES MÉDIATIONS
ROBOTIQUES
Chapitre 5
UN ESPACE DE
RECHERCHES PROMETTEUR :
LES MÉDIATIONS
ROBOTIQUES
Serge Tisseron
1. Il s’agit de deux jeux hors ligne qui sont les ancêtres du jeu en réseau
World of Warcraft.
110 L ES MÉDIATIONS ROBOTIQUES
L’ IMAGINAIRE DU ROBOT
Si les robots auront encore pendant longtemps des capa-
cités limitées, et s’il est essentiel de prendre en compte la
réalité de ces capacités dans toutes les applications qui en
sont proposées, il est non moins important de considérer
comme un élément majeur du problème l’importance des
projections anthropomorphes que nous sommes invités à
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
1. Alors qu’il est dans un wagon de chemin de fer, Freud voit soudain
s’avancer en face de lui un homme qui lui paraît en tous points lui
ressembler. Il éprouve alors un mélange de fascination et de répulsion
avant de découvrir que c’est sa propre image reflétée par la vitre d’une
porte de communication entre deux compartiments qu’il a prise pour un
étranger.
UN ESPACE DE RECHERCHE PROMETTEUR ... 117
A NTHOPOMORPHISME OU ANIMISME ?
La littérature psychologique traditionnelle considère l’an-
thropomorphisme comme le résultat d’une confusion entre
le domaine physique et le domaine mental, qui amène à
attribuer des états mentaux à un objet physique ou à un
animal.
Selon Piaget (1926), cette attitude serait fréquente chez
l’enfant jusqu’à la fin de la septième année, et elle serait
liée à son caractère « égocentrique » ou encore « animiste ».
Mais il semble de plus en plus que l’anthropomorphisme
soit une dimension fondamentale de l’esprit humain. La
UN ESPACE DE RECHERCHE PROMETTEUR ... 121
D ES OUVERTURES THÉRAPEUTIQUES
De nombreuses réticences à l’introduction de robots dans
les structures soignantes s’expliquent par ces deux éléments
que nous venons d’analyser : la crainte que le robot angoisse
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Un robot socialisant
Bien que le présent ouvrage soit consacré aux enfants, il
est utile de signaler les travaux menés sur la socialisation
des personnes âgées par l’utilisation du robot Paro. Il
s’agit d’un « robot d’assistance mentale » (« mental assist
robot ») conçu comme un bébé phoque couvert de fourrure
blanche qui a pour vocation d’être un substitut d’animal de
compagnie dans les hôpitaux et les maisons de retraite. Il
n’assure aucune fonction spécifique, mais il est capable de
s’adapter à un grand nombre : amuser, réconforter, rassu-
rer... Son action a été mesurée à la fois dans une relation
individuelle et en situation collective.
Il a été montré qu’il a un effet bénéfique sur la santé
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
B IBLIOGRAPHIE
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MÉDIATIONS ROBOTIQUES
ET AUTISME INFANTILE
EN PSYCHOTHÉRAPIE
ANALYTIQUE
Frédéric Tordo
1. Le robot MIP, que nous utilisons surtout avec de jeunes enfants (3-6
ans), est un robot interactif multifonctionnel, conçu par Wowwee, monté
sur un système de roues à balancier (de style Segway). Voir, pour plus de
précisions : Tordo (2016).
M ÉDIATIONS ROBOTIQUES ET AUTISME INFANTILE ... 143
sur son torse en tournant les roues, par exemple). Plus géné-
ralement, c’est par son animation autonome (mouvements
du corps mécanique) que le robot médiateur évoque la
transformation : il passe alors d’une forme (par exemple,
allongée) à une autre forme (par exemple, debout).
En cela, dans le jeu transférentiel avec le thérapeute, le
robot médiateur peut progressivement se figurer comme
un « objet de transformation » (Tisseron, 1998). L’enfant
entre en relation avec son compagnon en le transformant,
et en se laissant transformer par lui, par un processus
d’assimilation et de transformation des sensations-formes
(corporelles, subjectives et intersubjectives) qui ont été
mobilisées dans la relation robotique. La transformabilité
du robot préfigure alors celle des processus psychiques chez
l’enfant, qui sont en effet gouvernés par l’action1 : c’est
notamment la transformation des sensations en affects, voire
des représentations de choses en représentations de mots.
C LINIQUE DE LA PSYCHOTHÉRAPIE
À MÉDIATION ROBOTIQUE
Guillaume est un enfant autiste de six ans, normalement
scolarisé, que je suis depuis environ trois ans. Il se présente
avec une allure guindée, tout à fait en retrait de la relation, ne
participant pas du tout du regard, et la mère m’interpellant :
« Il a toujours tout retenu ! ». Guillaume n’a pas parlé avant
ses trois ans, au moment où nous avons entrepris le travail
clinique. « Il ne peut pas être seul », nous informe la mère.
Il ne joue jamais seul, pris en « sandwiche entre deux fortes
personnalités » (ce sont là les propos de la mère), sous la
« dominance » de sa grande sœur de huit ans, et de son petit
frère de quatre ans.
E N CONCLUSION
Le robot comme médium thérapeutique est un objet
de médiation thérapeutique complexe. Il hybride de nom-
breuses fonctions thérapeutiques, et intervient comme un
support thérapeutique pour une traversée du subjectif à
l’intersubjectif. C’est un objet de médiation qui se situe
M ÉDIATIONS ROBOTIQUES ET AUTISME INFANTILE ... 165
B IBLIOGRAPHIE
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146.
Les enveloppes psychiques (p.43-
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
UN ROBOT
EN INSTITUTION
POUR ADOLESCENTS
AUTISTES :
UNE AVENTURE COLLECTIVE
Thierry Chaltiel, Renald Gaboriau,
Sophie Sakka, Laura Sarfaty,
Annie Barreau, Mélanie Legrand, Cécile Liège,
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
N AISSANCE DU PROJET
Le but de cet exposé est de rendre compte d’une expé-
rience originale menée par quatre partenaires : deux institu-
tions l’Hôpital de Jour (HDJ) pédopsychiatrique sur le CHU
168 L ES MÉDIATIONS ROBOTIQUES
1. http://www.association-robots.com/?page_id=611
174 L ES MÉDIATIONS ROBOTIQUES
L ES CINQ AVENTURIERS
Julien
La plupart du temps, Julien s’isole. Il se réfugie dans
les livres, toujours les mêmes, ou bien dans des activités
motrices stéréotypées. Il évite le regard et tout contact
physique qu’il trouve intrusif. Sa prosodie est sans réelle
intonation. Julien formule souvent des onomatopées, des
mots ou des phrases issus de films de super héros qu’il
regarde régulièrement et qu’il apprécie particulièrement.
180 L ES MÉDIATIONS ROBOTIQUES
Sidonie
Pour Sidonie, se situer par rapport au temps, à l’espace,
au milieu est bien problématique.
Elle semble être très en difficulté pour disposer dans son
existence d’un véritable point d’ancrage. Elle se présente
comme une jeune fille très dépendante de son entourage,
dépendance qui la rend quelque peu vulnérable. Elle tend
à faire ce que les autres font, à les imiter, à épouser les
conduites de ceux qui l’entourent, sans pouvoir y établir
une certaine distance.
Elle réagit comme en miroir face à l’autre. S’il est une
chose de ressentir des émotions, il en est une autre d’être
en mesure de les situer entre soi et l’autre. Et c’est bien ici
UN ROBOT EN INSTITUTION POUR ADOLESCENTS AUTISTES ... 181
Charles
Tout acte pour Charles est difficile. Il ne parle pas, ou ne
fait pas.
Parfois, Charles se disperse, il déborde, ou bien encore
quand il se met à parler, c’est dans un monologue, sans réel
lien avec son interlocuteur appelé alors à se « brancher » sur
sa conversation, comme s’il reproduisait un dialogue qui se
passait ailleurs.
Il s’adresse à l’autre en construisant un récit parfois hors
propos et élaboré à partir d’éléments extérieurs (souvent
familiaux), comme s’il l’organisait au gré de ses préoccupa-
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
tions.
Charles parait toujours en décalage au regard du contexte
et par rapport à l’autre. Les interactions avec ses pairs
se produisent sur le mode de l’envahissement qui amène
parfois à une attitude violente. Charles présente également
de nombreuses peurs.
Les maladies, les changements corporels liés à la puberté
sont difficilement vécus, comme s’ils pouvaient être mena-
çants. Toute nouveauté l’effraie, il tend à figer le monde. Il a
régulièrement dans sa poche des objets qu’il amène de chez
lui, qui viennent retenir toute son attention, qui l’absorbent
182 L ES MÉDIATIONS ROBOTIQUES
Simon
Simon est un jeune garçon qui se présente sur le mode de
l’instabilité. Ses interventions sont souvent inappropriées,
ou bien il va chercher à dominer l’interaction sans toujours
tenir compte de l’autre, ou bien alors il rompt l’interaction.
Il regarde peu ses interlocuteurs. Simon paraît toujours
dans l’exploration. Lui aussi paraît toujours ici et ailleurs en
même temps, partout et nulle part. Il est passionné par les
assemblages, il compose et recompose, agence et construit,
sans toujours pouvoir créer une certaine homogénéité. Il
groupe ou morcelle. Il porte ainsi un intérêt particulier aux
câblages électriques et à l’informatique. Il a pu dessiner un
jour le contour de son propre corps avec un intérieur vide et
un extérieur fait d’éléments épars et menaçants.
Il semble sans arrêt à deux doigts de l’éparpillement de
lui-même et de son environnement. Il se gratte jusqu’au
sang, activité sur laquelle il peut se fixer et qui fait de son
corps un ensemble de points ensanglantés. Tout se passe
comme si, la délimitation de son corps faisant défaut, la
douleur venait là comme permettant d’attester que son corps
peut tenir en certains endroits. Il peut s’isoler du groupe en
s’enveloppant de coussins.
Antoine
Antoine est très sensible à tout ce qui se passe autour de
lui : rien ne semble lui échapper. Mais organiser dans une
certaine unité ce qu’il a pu repérer est plus difficile. Il peut
dès lors rester figé sur un élément sans pouvoir considérer
l’ensemble.
UN ROBOT EN INSTITUTION POUR ADOLESCENTS AUTISTES ... 183
U NE TRANSFORMATION COLLECTIVE
ET INDIVIDUELLE
Des craintes s’étaient d’abord manifestées chez des soi-
gnants, principalement celles que le robot soit trop « magni-
fié » par effet de mode, ou par l’abord de la nouveauté, et
qu’on perde ainsi de vue les objectifs de l’HDJ.
Comment également poursuivre ce projet de soin tout
en travaillant avec des intervenants extérieurs à l’hôpital ?
Et comment allaient s’y retrouver les jeunes entre tous ces
184 L ES MÉDIATIONS ROBOTIQUES
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