Phonétique / Phonologie, Ou' "Matière Phonique" Tout Court?: Universität de Barcelona

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PHONÉTIQUE / PHONOLOGIE,

OU' "MATIÈRE PHONIQUE" TOUT COURT?

JANINA ESPUNY

FEDERICO FERRERES

Universität de Barcelona

RESUMEN
En este articulo, hablaremos de los inconvenientes que presenta la separación habitual entre fonéti-
ca y fonología, tanto en la enseñanza del francés como lengua extranjera a nivel universitario como en el
análisis más específicamente lingüístico. Por una parte, señalamos que el análisis fonético de una lengua
supone inevitablemente una referencia al significado de los enunciados, sobre todo en fonética combina-
toria, por otra, la fonología constituye un análisis considerablemente empobrecedor con respecto al de la
realidad fonética, puesto que hace desaparecer rasgos no pertinentes desde un punto de vista funcional,
pero efectivamente realizados en la pronunciación. Así pues, en apoyo a esta discusión, propondremos una
reducción de las dos fases tradicionales, de tratamiento de la oralidad en un análisis de la materia fónica,
lingüísticamente estructurada a diferentes niveles (silábico, ortográfico y semántico).

Palabras clave: fonética, fonología, francés, materia fónica, estructuración lingüística.

RÉSUMÉ
Dans cet article, nous présenterons les désavantages que pose la séparation habituelle entre phonétique
et phonologie, concernant aussi bien renseignement du français comme langue seconde à un niveau univer-
sitaire que l'analyse plus spécifiquement linguistique. D'une part, nous montrons que l'analyse phonétique
d'une langue suppose inévitablement une référence au signifié des énoncés, notamment en phonétique com-
binatoire; d'autre part, la phonologie constitue une analyse considérablement appauvrissante par rapport à
celle de la réalité phonétique, étant donné quelle fait disparaître des traits non pertinents d'un point de vue
fonctionnel, mais effectivement réalisés dans la prononciation. Ainsi, à l'appui de cette discussion, nous pro-
posons une réduction des deux phases traditionnelles du traitement de l'oralité en une analyse de la matière
phonique, linguistiquement structurée à différents niveaux (syllabique, orthographique et sémantique).
Mots-clés: phonétique, phonologie, français, matière phonique, structuration linguistique.
ABSTRACT
In this article we want to present the reasons against the traditional separation between phonetics and
phonology. We can find the disadvantages in teaching French as a second language at universitary level.
We can get them too in the specific linguistics analysis. First, we show that the phonetic analysis of one
language implies an inevitable reference to the statements meaning, mainly in phonotactics. In the other
hand, phonology establishes an empoverished analysis in relation to, the phonetics study, since she elimi-
nates irrelevant features in the functional point of view but effective in the pronunciation. Then, to support
this discussion, we propose a reduction of the two traditional phases in the oral language analysis: the pho-
nic material analysis is linguisticaly structured in different levels (syllabic, orthographic and semantic).
Keywords: phonetics, phonology, French, Phonic material, Linguisticaly structure.

INTRODUCTION.
On sépare traditionnellement les deux domaines linguistiques qui s'occupent de la matiè-
re phonique en phonétique et phonologie, et ce depuis la fin du XIX siècle avec Baudouin de
Courtenay, qui opposait déjà une analyse physique à une non physique: il distinguait physio-
phonéîique (la phonétique) et psychophonétique (la phonologie).
Maintenant, dans l'exercice de notre enseignement du français à des hispanophones, nous
avons constaté que la séparation entre phonétique et phonologie pose de sérieux problèmes
d'abstraction et de compréhension aux étudiants, notamment lorsqu'ils sont confrontés aux
transcriptions phonétique d'abord et phonologique ensuite. En fait, la phonétique articulatoire
(non expérimentale), telle que nous l'enseignons, implique un niveau d'abstraction et de struc-
turation linguistique qui constitue un contenu d'ordre largement phonologique. Dès lors, il est
permis de se demander si cette dichotomie a intérêt à être maintenue en fonction non seulement
d'une perspective pédagogique du FLE, mais aussi du bien-fondé linguistique lui-même.
Nous présenterons dans ce travail, d'abord, les problèmes pédagogiques que posent les
transcriptions phonétique et phonologique (section 1), puis, d'un point de vue plus strictement
linguistique, nous discuterons l'intérêt relatif de la phonologie par rapport à la phonétique (sec-
tion 2), en analysant certains aspects de chaque type de sons (consonnes, voyelles et semi-con-
sonnes) et nous proposerons de passer de l'analyse phonologique à l'analyse de la matière pho-
nique, linguistiquement structurée aux niveaux orthographicoétymologique, syllabique et
sémantique (morphosyntaxique et lexical).

1. ENSEIGNEMENT DE LA PHONÉTIQUE ET DE LA PHONOLOGIE.


Se prononcer actuellement sur la manière de présenter la phonétique et la phonologie du
français à des étudiants universitaires hispanophones est une entreprise quelque peu complexe,
étant donné le grand nombre de manuels et d'articles sur la matière (prise globalement ou en tant
que FLE) que l'on peut trouver sur le marché (il suffit de voir la bibliographie proposée dans
Yllera 1991). La plupart de ces travaux se consacrent à la prononciation (par exemple Cantera
et De Vicente 1980), à son acquisition normative (par exemple Vorthoépie de Léon 1966), à une
mise en correspondance entre les modalités orale et écrite du langage (Fouché 1969); tout cela
implique un traitement de données discursives concrètes, qui dans notre cas est destiné à l'ap-
prentissage d'une langue étrangère. Dans ces travaux, une contextualisation discursive de l'étu-
diant dans le monde de la sonorité du français (Tomatis 1991) est donc vue plus ou moins expli-
citement comme nécessaire et comme le seul moyen pour la reconnaissance et l'utilisation heu-
reuses de ladite langue. Avec cela, un relevé d'un système de différences entre les langues sour-
ce et cible ne manque pas (Companys 1966).
Cela dit, dans la perspective pédagogique du traitement d'une des caractéristiques fonda-
mentales des langues naturelles, à savoir l'oralité, on accorde généralement une place centrale à
la phonétique plus qu'à la phonologie. Nous nous proposons dans cette communication de don-
ner les raisons de cette priorité, que nous faisons nôtre, en nous appuyant en outre sur l'expé-
rience de quelques années que nous avons en tant qu'enseignants de cette matière concernant la
langue française, à l'université de Barcelone.
Nous partirons d'emblée des définitions traditionnelles de phonétique et de phonologie,
pour passer ensuite à l'illustration des différences entre les transcriptions phonétique et phono-
logique avec des exemples. Bien que ces réflexions puissent être appliquées à toutes les langues
naturelles, nous restreignons notre discussion au cas du français pour les hispanophones, comme
notre exposé l'a laissé entendre jusqu'ici.
La phonétique consiste en l'étude du support physique fondamental de la production lan-
gagière, les sons. Elle décrit ainsi toute utilisation linguistique orale comme une chaîne consti-
tuée de sons, articulés les uns après les autres. Les sons isolés ont des traits spécifiques -articu-
latoires, physiques, perceptifs- qui les identifient et que l'étudiant non natif retient (notamment
les traits physiologiques de production et de réception) pour la reconnaissance et l'émission pos-
térieure de ces unités de la langue spécifique à apprendre. Mais, puisqu'on ne parle pas par un
assemblage aléatoire de ces sons de langue naturelle (à distinguer de sons non linguistiques),
l'enseignement de la phonétique suppose bien l'intention initiale de familiariser l'étudiant avec
des combinaisons de sons spécifiquement françaises, ce qui veut dire des combinaisons signifi-
catives en français. Cette finalité pédagogique fera apparaître, d'un côté, les variations que peu-
vent subir les sons en contact les uns avec les autres, à cause d'influences que provoquent les
combinaisons et, de l'autre, les variations rythmiques et intonatives que fait apparaître toute suite
de sons d'une langue. C'est ce qu'illustrent respectivement les exemples suivants de liaison et
de prosodie, reliées au sens:
(1) un savant aveugle (où savant est substantif) /
un savant ^aveugle (où le substantif est aveugle),
(2) il était mort sans sa femme (sens: "il est mort tout seul")
il était mort^sans sa femme (sens: "il n'est pas mort, grâce à elle, qui était avec lui"),
Nous voyons qu'avec une analyse phonétique on fait déjà inévitablement référence au sens.
En effet, la définition de phonétique que nous venons de rappeler semble toucher de très
près les objectifs de la phonologie, qui consistent à établir l'inventaire des phonèmes ou unités
appartenant au système linguistique d'une langue donnée, dépourvues elles-mêmes de sens -les
phonèmes sont des "modèles" abstraits des sons-, mais capables essentiellement de conférer un
sens déterminé à un monème ou à plusieurs conformant un énoncé. La phonologie française veut
donc relever les phonèmes du français et les variations qui affectent ces phonèmes lors des dif-
férentes productions verbales, variations nommées allophones, qu'elles soient contextuelles (les
variations libres) ou cotextuelles. Or, comme on vient de le voir, la phonétique fait déjà référen-
ce à des éléments pourvus de signification.
Il est vrai que la différence entre ces deux domaines linguistiques, dont l'objet est l'étude
du matériau phonique, ressort tout de même assez clairement: par opposition à la phonologie, la
phonétique n'est pas intéressée aux sons en tant qu'éléments qui transmettent un sens détermi-
né, mais en tant qu'unités physiologiques et physiques. C'est ce que confirme R. Vion:
La phonétique [...] organise une analyse matérielle des sons qui semble devoir la rapprocher
des sciences physiques et expérimentales. Il a toutefois fallu attendre le développement récent de la
méthode expérimentale en phonétique pour que lobjet de cette dernière se précise aussi nettement,
au point de faciliter la constitution de sa contrepartie linguistique: la phonologie. (1980: 87)

C'est à ces unités physiques, les sons, que l'étudiant hispanophone devra être confronté,
notamment pour la performance effective des sons français.
Et justement, comme nous l'avons signalé plus haut, à propos de la phonétique combina-
toire, les locuteurs ne parlent pas par sons isolés, et la performance effective des sons français
passe inévitablement par l'utilisation d'énoncés français ayant effectivement un sens. En outre,
ce sont justement des énoncés français que l'on utilise pour faire la transcription phonétique d'a-
bord, dans l'ordre expositif habituel de la matière; ce sont les mêmes énoncés dont on se sert par
la suite dans la transcription phonologique, laquelle n'ajoute aucune information significative
par rapport à la transcription précédente. C'est là que les problèmes de compréhension de la part
des étudiants surgissent, sans doute parce que dans la plupart des cas, les mêmes symboles
(notamment pour les consonnes) représentent en principe des réalités de deux niveaux d'abs-
traction différents. Voyons cela sur des exemples des deux types de transcription:
(3) Le svelte chat de ma tante est sur le tapis jaune.
[bsvelt(3)Jad(3)mata:t (/•) esyRtetapi3o:n]

La transcription phonétique de cet énoncé (que les pragmaticiens n'auront pas trop de mal
à identifier) permet par exemple la reconnaissance de certaines consonnes françaises (les
constrictives) [s, v, j, 3], les occlusives [d, m, t, p, n], les alvéolaires [s, t, n] les sourdes [ J,
s, t, p], etc.), de certaines voyelles (la nasale [a], l'ouverte [e], les fermées [i, o,], les pos-
térieures [a, o] etc.) et de certains phénomènes de phonétique combinatoire (deux assimila-
tions [§v£jta], une élision dans tant(e) est [tarte], un enchaînement possible en fonction du
débit [tarte], la distinction entre un seul groupe de souffle et un ou deux groupes rythmiques
de l'énoncé, possibilité indiquée par la flèche montante). Et tous ces sons, combinés entre
eux, sont bien au service de la transmission intentionnelle d'un sens précis de la part d'un
locuteur virtuel (ou, dans notre situation académique, du professeur de langue française et,
postérieurement, de l'étudiant hispanophone -ou autre- dans sa copie à rendre le jour d'un
examen). Cela dit, si l'étudiant retient les différents types de voyelles et de consonnes de
l'énoncé ci-dessus, par exemple, c'est qu'il discrimine (ou que le professeur le lui fait faire)
ces sons parmi d'autre qui, par opposition, feraient varier le sens du message (sont trans-
crits en gras dans (4) les sons qui changent par rapport à (3)), il sera aussi en mesure de rete-
nir les différentes possibilités de variations des groupes accentuels (trois groupes rythmi-
ques de (4), face aux deux groupes rythmiques de (3)):
(4) Les sveltes choux de mes tantes! Au sol, les taupes gênent..
[lesvelt(o)|ud(9)metâ:t s OSD! s letop3en]
L'étude des sons d'une langue n'a aucune utilité, si on ne les reproduit pas pour parler et
donc pour signifier quelque chose...
Voyons maintenant la transcription phonologique en (5) de l'énoncé (3):
(5) Le svelte chat de ma tante ( ) est sur le tapis jaune
A9svElt(0)JAd(3)matatesyRbtApi3On/

La transcription en (5) ne varie clairement par rapport à celle de (3) qu'au niveau des trois
archiphonèmes /E/, /A/ et 101 (signalés selon la transcription phonologique par des majuscules),
on sait que le statut phonologique du /o/, même si on l'admet comme phonème, est probléma-
tique, comme on voit dans cette transcription de svelte, où [ 9 ] ne peut s'opposer ni à /0/ ni à /œ/,
d'où sa transcription fbl. Les archiphonèmes apparaissent dans des contextes verbaux où même
une variation libre du sujet parlant ne ferait pas modifier le sens du message. Ces variations sont
donc neutralisées par le contexte où l'unité phonique apparaît. En ce qui concerne le /s/ et le /l/
de svelte, la prononciation de ce mot fait apparaître automatiquement une assimilation du [s]
sourd au [v] sonore et une autre du [1] sonore au [t], traits que la phonologie n'a aucun intérêt à
retenir, puisqu'ils sont automatiques et qu'ils ne dépendent d'aucun choix significatif du locu-
teur. La transcription phonologique enseigne donc que tous les phonèmes de l'énoncé (5) corres-
pondent aux sons de l'énoncé (3) et que leurs traits (communs aux uns et aux autres) sont perti-
nents pour la transnmission du sens que cet énoncé renferme, sauf dans quatre cas, le /s/, le /E/,
le /A/ et le /O/, où les traits de sonorité, d'ouverture, d'antériorité et de fermeture, ne s'opposent
plus aux traits de non sonorité, de fermeture, de postériorité et d'ouverture, respectivement, ce
qui peut constituer deux phonèmes distinctifs dans certains contextes (cf est / et), ne l'est plus
dans d'autres: dans svelte, le premier -e- ne peut être prononcé que ouvert, de par sa distribution,
et c'est cette information de structure syllabique que la transcription phonologique, avec l'ar-
chiphonème /E/, ne laisse pas transparaître.
Pour l'enseignement du matériau phonique de la langue française aux hispanophones, la
transcription phonétique est évidemment plus riche, bien qu'elle constitue elle-même un ni-
veau d'abstraction inévitable. En effet, comme le remarque bien Yllera (1991: 27), "les déve-
loppements modernes de la phonétique articulatoire ont fait comprendre l'énorme diversité des
articulations d'une langue et le caractère simplement approximatif et abstrait des descriptions
phonétiques", ou encore, la phonétique "suppose un certain niveau d'abstraction qui élimine
toutes les réalisations individuelles qui s'écartent des réalisations les plus fréquentes, elle réduit
à un petit nombre la variété infinie des articulations des sons d'une langue dans le discours"
(id.: 99). Mais, justement à cause de ce premier niveau d'abstraction de la réalité phonique, les
étudiants apprenants du français ont du mal à voir l'utilité du deuxième niveau d'abstraction
que suppose la phonologie: qu'un trait pertinent identifiant un phonème déterminé disparaisse
en fonction du cotexte (cf svelte et jaune, où le trait d'aperture de ces deux voyelles n'est pas
pertinent) ne signifie pas que ces traits ne soient pas réalisés: dans svelte, le -e- est ouvert; dans
jaune, le -au- est fermé. De là la difficulté: la transcription phonologique élimine dans sa repré-
sentation de la réalité phonique des différences considérées comme non pertinentes d'un point
de vue fonctionnel (sémantique), alors qu'il s'agit de différences effectivement perçues dans les
réalisations énonciatives.
Dans le même sens, pour l'apprentissage du système phonético-phonologique ou de la
matière phonique de la langue étrangère qu'est le français pour les hispanophones, une référen-
ce à la réalité phonétique plus qu'à l'abstraction phonologique de leur propre langue s'avère très
utile, point de vue soutenu avec succès par la phonétique contrastive (pour une mise en question
de cette méthode, voir Murillo 1982). Par exemple, dans le système phonologique de l'espagnol,
le phonème /z/ n'existe pas, mais le son [z] -qui présente tellement de problèmes pour les casti-
llanophones face au français- apparaît effectivement dans certains contextes: si nous faisons pro-
noncer le mot mismo aux étudiants, ils s'aperçoivent - bien que non immédiatement- de la pro-
duction sonore du phonème /s/. Dans la transcription phonétique (de l'espagnol dans ce cas), on
note la réalité de prononciation (transcrit [mi§mo] ou, si l'on ne tient compte que du voisement,
[mizmo]) tandis que dans la transcription phonologique, non: le [z] de mismo n'est pas un
phonème espagnol, car la caractéristique sonore n'apparaît pas en fonction d'une valeur com-
municative spécifique, mais pour des raisons automatiques d'influence cotextuelle.
L'intérêt supérieur de la description phonétique par rapport à la phonologique apparaît éga-
lement dans le traitement du critère articulatoire consonnes occlusives / constrictives, pertinent
en classement phonétique, mais non pas en classement phonologique (voir section 2, ci-des-
sous). Or, ce trait phonologiquement redondant occlusif / constrictif du mode articulatoire a une
importance de premier ordre pour les hispanophones qui apprennent le FLE. En effet, ils sont
naturellement enclins à produire les spirantes [6], [d] et [y] dans les mêmes environnements,
notamment intervocaliques, qu'en espagnol et qu'en catalan, alors qu'il faut produire partout les
occlusives [b], [d] et [g] en français. C'est là une difficulté qui est loin d'être totalement sur-
montée même au niveau universitaire, comme le prouve notre expérience dans la classe. Et cela
peut parfois provoquer une mauvaise compréhension, par exemple quand on prononce la gare
comme [*laya:R], proche de [laRa:R]. On le voit, d'un point de vue pédagogique, la transcription
de la matière phonique telle que nous l'enseignons est un outil autrement plus précieux que la
transcription phonologique.

2. POINT DE VUE LINGUISTIQUE.


Dans ce qui suit, l'analyse de certains aspects de théorie linguistique générale et de cer-
taines notions phonologiques appliquées au domaine du français semble corroborer la priorité
que nous avons accordée jusqu'ici à la phonétique par rapport à la phonologie en perspective
didactique.
Par pétition de principe, la phonologie devrait être d'ordre systématique, en ce sens
qu'elle fait partie du système de la langue, un système commun à tous les sujets qui la maîtri-
sent (Saussure) et dépositaire des virtualités qui se génèrent dans son sein (Guillaume) et qui
s'actualisent dans la parole individuelle (Saussure) ou dans le discours (Guillaume) en exploi-
tant justement les ressources que possède le système dont ces actualisations dérivent.
La phonologie, comme sous-système sémiologique (ou sous-système de signes linguisti-
ques), se conçoit habituellement comme un ensemble fini de phonèmes, chacun parfaitement
défini par son contenu de traits distinctifs vis-à-vis des autres, ces traits conformant pour chaque
phonème une image sonore (Saussure). Et le phonème n'est que cela, une image, non encore
audible (autrement dit, purement mentale, résultat d'une abstraction), quoique vouée à être arti-
culée et entendue sous forme de sons dans l'acte de communication, ces sons constituant juste-
ment la matière de la phonétique.
Or, ce n'est pas à ces principes théoriques que répondent les analyses phonologique et pho-
nétique auxquelles nous sommes habitués. La phonétique, notamment la phonétique articulatoi-
re, ne retenant que quelques traits, les plus fréquents et les plus communs à tous les sujets par-
lants d'une communauté linguistique, délaisse les variantes individuelles, comme déjà signalé
dans la section 1. C'est dire qu'elle est le résultat d'un processus d'abstraction qui ne correspond
pas à ce qu'on serait en droit d'attendre d'elle, à savoir qu'elle reflète les réalisations "réelles"
de la prononciation.
Dans ce sens, la phonétique va trop loin dans un processus d'abstraction. Par contre, la
phonologie habituellement pratiquée dans le sillage de Martinet ne va pas assez loin dans ce pro-
cessus d'abstraction. Alors que la phonologie ne devrait être qu'une image des constituants ulti-
mes de la communication orale, dynamique, certes, mais purement mentale, elle devient, dans
l'analyse courante, une vision élaborée à un degré simplement supérieur d'abstraction par rap-
port à la phonétique.
En effet, la phonologie à laquelle nous faisons référence est prisonnière de l'analyse pho-
nétique et ne fait qu'oblitérer certains des traits phonétiques en fonction des distinctions séman-
tiques, de type monémique, selon Martinet (soit lexicales soit morphologiques), d'ailleurs sans
avoir à tenir compte du contexte, c'est ainsi que l'on tirera d'une commutation telle que brin /
brun l'existence de deux phonèmes /ë/-/œ/, alors que les membres de cette paire minimale
appartiennent à deux parties différentes du discours, respectivement substantif et adjectif (à
moins que ce dernier ne soit substantivé), et qui ne risquent pas de se trouver dans un contex-
te qui puisse se prêter à confusion. Les distinctions de type sémantique dont nous parlons sont
d'ailleurs les plus spectaculaires, certes, mais elles ne sont pas les seules: distinctions de type
syllabique, distinctions entre un mot pourvu seulement d'un monème et un mot pourvu de plus
d'un monème, distinctions qui incorporent la prosodie et distinctions en rapport avec l'ortho-
graphe et l'étymologie.
La dépendance phonologique de la phonétique ressort en particulier du statut que l'on attri-
bue aux notions d'allophones et surtout d'archiphonème dont nous allons nous occuper dans les
paragraphes suivants. Qui plus est, l'analyse phonologique efface, ce faisant, des informations
que la phonétique retient, comme nous verrons ci-dessous. Cette analyse est d'autant plus en-
nuyeuse qu'elle a des retombées négatives en pédagogie du FLE, comme il a été exposé dans la
première section. Nous illustrerons ces critiques d'ordre théorique en faisant une brève incursion
dans chacun des sous-systèmes phoniques: les consonnes, les voyelles et les semi-consonnes.
En ce qui concerne les consonnes, le réductionnisme phonologique apparaît clairement
quand on examine, d'une part, les critères retenus comme discriminatoires pour le classement
phonologiques des consonnes et, d'autre part, la notion d'archiphonème.
La zone d'articulation, la sonorité et la nasalité sont des critères discriminatoires pour le
classement des consonnes aussi bien en phonétique qu'en phonologie. Encore faut-il préciser
que la phonologie ne retient parmi eux que ceux qui sont sémantiquement distinctifs. Par exem-
ple, la sonorité est distinctive pour l'opposition /p/-/b/ (comme dans peur - beurremais pas
pour /p/-/m/ (comme dans pain - main), la sonorité devenant un trait purement redondant pour
toute consonne nasale. Tous les traits (non nasal, apical, sonore) sont redondants ou concomi-
tants pour le /l/, qui ne possède comme trait distinctif que la latéralité (c'est l'unique phonème
consonantique français qui possède ce trait). Le mode articulatoire occlusif/constrictif (ou explo-
sif/fricatif, en termes auditifs) est le quatrième trait retenu pour le classement consonantique en
phonétique articulatoire. Est-il phonologiquement pertinent? Examinons une opposition où
apparaît ce trait, celle que l'on a dans la paire minimale pou - fou de l'exemple suivant:
(6) /p/ non nasal /f/ non nasal
sourd (fort) sourd (fort)
occlusif constrictif
bilabial labio-dental
Nous venons d'écrire en caractères gras uniquement un trait, celui qui est phonologiquement
pertinent: la zone d'articulation (phonème bilabial / labio-dental). C'est que l'autre qui les distin-
gue, le caractère occlusif / constrictif, est purement redondant, de nature phonétique et nullement
phonologique: en effet, il n'existe en français aucune consonne occlusive labio-dentale à laquelle
la constrictive pourrait s'opposer pour distinguer deux monèmes. Il en va de même, à lintérieur de
la même zone articulatoire, pour les bilabiales /p/ et /b/: il n'existe pas en français de bilabiale cons-
trictive, sourde ou sonore (la sonore /B/, si elle existait, correspondrait au son [6] de l'espagnol) qui
permette de s'opposer aux occlusives /p/ ou /b/ pour distinguer deux monèmes différents. Et, en
général, il n'existe pas non plus de paire de phonèmes de zones articulatoires différentes qui s'op-
posent par le trait oppositif occlusif / constrictif, ce qu'illustre justement l'opposition /p/-/f/ pro-
posée ici. Ce trait est donc uniquement redondant et ne doit être retenu comme critère de classe-
ment phonologique du français, contrairement au classement phonétique. Or, on l'a vu dans la sec-
tion 1 ci-dessus, que ce trait redondant occlusif / constrictif du mode articulatoire a une importan-
ce de premier ordre pour les hispanophones qui apprennent le FLE, notamment en ce qui concer-
ne les occlusives françaises [b], [d] et [g] vis-a-vis des spirantes espagnoles ou catalanes [6], [d] et
[y]. Il va de soi que, par ce fait-là, la présentation phonétique des consonnes françaises, incluant le
mode articulatoire occlusif dans toutes les positions de la chaîne parlée, est autrement plus opéra-
toire en didactique que la présentation phonologique, qui en fait l'économie descriptive.
L'autre exemple proposé de réductionnisme dans l'analyse phonologique des consonnes est
celui qui est relié à la notion d'archiphonème. Les allophones correspondent à différentes réalisations
phonétiques d'un seul phonème (un phonème => deux ou plus de deux sons), le phonème devenant
par là une abstraction descriptivement appauvrissante. En revanche, Varchiphonème représente le
phénomène contraire (deux phonèmes => un son), à savoir la réduction de deux phonèmes que la lan-
gue distingue à un son concret où l'opposition distinctive se neutralise, disparaît; on passe de deux
réalisations phonétiques différentes, celles qui correspondent à chacun des deux phonèmes, à une
seule réalisation. C'est ce qui a lieu, entre autres langues, en catalan. Par exemple, l'opposition con-
sonantique /p/-/b/, comme dans pi (pin) et vi (vin), se neutralise en position finale de mot, comme
dans club: la marque de la sonorité disparaît et on ne peut entendre que la sourde, correspondante à
l'archiphonème /P/. L'analyse, à partir de la description phonétique, nous donne:
(7) /b/ bilabiale /p/ bilabiale
non nasale non nasale
sonore non sonore
Comme en français, le trait occlusif (qui s'oppose au constrictif) est en catalan d'ordre
phonétique et purement redondant en phonologie.

(8) /b/
terme terme
marque non marque
Archiphonème /P/
(= base commune)
En français, cette neutralisation consonantique en fin de mot (ne faisant l'objet ni de liai-
son ni d'assimilation) n'existe pas, la sonorité se maintenant intacte (cf. club [klœb], en
français). On peut cependant se demander si, en cas d'assimilation consonantique, on a en
français une réduction de deux phonèmes à cause de la neutralisation de la sonorisation, par
exemple dans (un) bac(calauréat) difficile [ba^difisil] ou (une) bague facile (à porter) [bagfasil].
La réponse de bien des phonologues est affirmative et l'archiphonème !¥J apparaît alors dans la
transcription phonologique de ces deux segments.
Or, nous soutenons la position contraire, même pour ce cas limite. En effet, on sait que
toute consonne sourde a comme trait phonétique concomitant une articulation forte, alors que
toute consonne sonore a comme trait phonétique concomitant une articulation faible. Les assi-
milations, progressives ou, cas le plus fréquent, régressives entre consonnes sourde / sonore ou
sonore / sourde sont en français partielles et non pas totales. Voilà pourquoi, lors des assimila-
tions (sonorisation ou assourdissement), le trait distinctif de la sonorité disparaît, mais le trait de
l'articulation forte / faible, qui était concomitant jusqu'alors, se maintient. Il suffit pour distin-
guer les deux phonèmes consonantiques, /k1 et /g/ dans les exemples proposés, aussi bien qu'en
dehors de l'assimilation (cf... bac facile /bakfasil/-... bague difficile ... bagdifisl/) Il n'y a donc
pas lieu de parler de l'archiphonème consonantique, /K/ en l'occurrence, même pas en cas d'as-
similation. En effet, l'archiphonème répond à la formule: 2 phonèmes => 1 son. On ne peut pas
l'appliquer en cas d'assimilation partielle qui nous occupe, où l'on a: [k] > [If] et [g]> [g],
c'est-à-dire, au total, toujours deux sons. Par contre, la situation des consonnes assimilées est
tout à fait analogue à celles des variantes spirantes des occlusives de l'espagnol, par exemple
dans /b/ => [b], [6]. Que l'on compare avec le français, par exemple avec ikJ => [k], La con-
clusion s'impose: les consonnes françaises sont toujours des phonèmes, avec deux allophones:
la variante non assimilée (la plus fréquente) et la variante partiellement assimilée par le voise-
ment ou par le dévoisement. [k] et [\f] sont donc les allophones du phonème /k/; [g] et [g] sont
les allophones du phonème /g/. Cela correspond bien à la formule des allophones: 1 phonème
=> 2 ou plus de 2 sons.
Signalons cependant que la transcription phonologique simplifiée que nous proposons, par
exemple pour absent et cap de Finisterre: /absâ/ et /kapdsfinisteR/, et donc sans archiphonèmes
lors des assimilations, est en fait appauvrissante, puisqu'elle ne tient compte ni des assimilations
ni de l'allongement, contrairement à la transcription phonétique ([aljsâ], [kapdafiniste:!*]). Nous
ne voyons donc pas en quoi l'archiphonème peut être utile.
Car, en fin de compte, aussi bien l'archiphonème que les allophones sont des réalités pho-
nétiques, malgré leur traitement dans l'analyse phonologique. En effet, les allophones sont des
variantes de prononciation (strictement phonétiques donc), l'archiphonème, lui, quand il est
admissible (comme dans le cas des voyelles, voir infra), n'est d'ordre phonologique que d'un
point de vue négatif, si l'on considère que la perte d'un trait distinctif de deux phonèmes ne per-
met pas d'opposer l'archiphonème à quoi que ce soit, alors que, d'un point de vue positif, il
constitue une réalité strictement phonétique, puisqu'il représente un son bien précis.
Même si on acceptait la notion d'archiphonème, elle serait négative en perspective péda-
gogique, puisqu'elle oblitérerait le phénomène phonétique de l'assimilation. Or, ce phénomè-
ne peut avoir son importance en FLE. Certes, on peut admettre qu'on a un intérêt peut-être
relatif à ce que par exemple obstiné soit transcrit [oljstine] ou, encore plus pédagogiquement
[opstine], comme le propose le Petit Robert (1994) - ce qui se fait cependant au prix linguis-
tique de ne pas tenir compte du fait que l'assimilation est partielle et non pas totale, puisque
l'assourdissement du [b] n'empêche pas le maintien de son articulation faible, contrairement
au [p]. Mais la non-transcription de l'assimilation par l'archiphonème est fâcheuse en cas de
sonorisation, car le symbole en lettre majuscule correspondant à une sourde peut cacher cette
réalité phonétique combinatoire, par exemple dans avec lui [ave^lqi], /AvEKlyi/(les majus-
cules représentent des archiphonèmes -toujours selon la phonologie- et le /y/ le phonème dont
[q] est l'allophone).
En ce qui concerne les voyelles, nous signalerons deux phénomènes pour notre propos: l'al-
longement et, encore une fois, l'archiphonème.
Les allongements dont tient compte la phonologie se limitent à ceux qui sont distinctifs,
du type maître /mE:tR/ - mettre /mEtR/. C'est là une opposition peu stable, puisqu'elle est loin
d'être le lot commun de tous les francophones. Elle n'est d'ailleurs pas linguistiquement indis-
pensable, étant donné que l'environnement cotextuel et contextuel permet aisément de distinguer
ce type de paires minimales, en l'occurrence un substantif (maître) et un verbe (mettre). Par con-
tre, la phonologie ne reflète pas les allongements les plus habituels et les plus communs chez les
francophones, ceux que l'on fait figurer en transcription phonétique: rose [RO:Z] faire [Î8:R] gran-
de [grâ:d], fille [fi:j], etc. Et il est important de les signaler en FLE, puisqu'ils n'existent pas en
espagnol. Il existe même un cas particulier où l'allongement peut transformer le caractère redon-
dant en trait phonologique. C'est le cas du [a:] tonique suivi de consonne articulée, par exemple
celui de tâche, pour les francophones qui, rendant le [a] par [a], maintiennent cependant l'al-lon-
gement en syllabe tonique, pouvant ainsi distinguer tâche /ta:j/ de tache /ta]/ par la présence ou
l'absence de l'allongement.
Les archiphonèmes vocaliques correspondent aux oppositions phonologiques qui ont
un plus faible rendement: /a/-/a/> /A/, /0/-/œ/> /ce/ et loi- loi >101. La phonologie privilégie
l'existence de ces phonèmes opposés pour la distinction de monèmes (lexèmes, morphèmes):
bée /be/ - baie /be/, paume /pom/ - pomme /p om/, etc. Or, ces distinctions phonologiques ne
sont pas communes à tous les francophones (dans le Midi, elles n'existent pas, puisque la
prononciation ne reflète pas l'opposition: [be], [pom], ce qui correspond aux archiphonèmes
/bE/, /pOm/ et, en outre, elles ne sont pas linguistiquement nécessaires, le cotexte lexico-
morphosyntaxique et le contexte se chargeant de dissiper toute équivoque. La transcription
phonologique ne dit rien que ne dise la transcription phonétique. Son complément descrip-
tif, l'archiphonème, est même appauvrissant et donne une image abstraite qui ne rend aucun
service, comme nous avons dit plus haut, à propos des consonnes. En revanche, la trans-
cription phonétique le fait: elle traduit non seulement les différences de type lexical (paume
[po:m] - pomme [pom] ou morphologique (chant-ai [e] - chant-ais [e]), mais aussi des dif-
férences qui tiennent à la structure syllabique (par exemple, toujours [e] en syllabe fermée,
comme dans terre [te:R]), à l'étymologie en rapport avec l'orthographe et avec le statut pro-
sodique (par exemple, l'allongement et, en français standard, le degré mi-fermé du [o] dans
le vôtre [lsvo:tR])
Le processus réductionniste de la phonologie se fait jour également dans le domaine des
semi-consonnes. Pourquoi privilégier le /j/ comme un phonème parmi les glides, alors que le [w]
et le [q] font figure de tristes allophones? Sans doute, à cause du critère de commutation dis-
tinctive entre paires minimales, excessivement limité à des monèmes et non à des mots conte-
nant plus d'un monème (un lexème et un morphème, par exemple). Ainsi, on admet volontiers
que le yod est un phonème et non un simple allophone de /i/, parce qu'il est permis de distinguer
monème à monème paye /pEj/-pays /pEi/ par exemple. Trois [tRwa] et trou-a [tRU-a] ne suivent
pas le même sort, parce qu'on y oppose un monème / deux monèmes. Il n'y aurait là que le phonè-
me /u/, rendu par l'allophone [w] à l'intérieur d'un monème (trois) et par l'allophone [u] en fin de
monème (trou-a). Or, c'est souvent à des mots tout entiers (lexèmes et morphèmes, pris globale-
ment), que l'on a affaire dans des paires minimales proposées dans les analyses des voyelles selon
la phonologie, dans la foulée de Martinet. Cest le cas, par exemple, de bée - baie, ses - sait, etc. Or,
les mots sont le premier résultat du système de construction globale qu'est la langue (Guillaume),
ce qui n'est pas le cas des monèmes qui, eux, servent à construire les mots. Les mots des exemples
habituellement proposés comme paires minimales appartiennent souvent au fonds primitif français,
ils sont de ce fait les plus fréquents de la langue et ils se caractérisent par la brièveté syllabique et
par le syncrétisme lexico-morphologique, net surtout dans la langue orale. Par exemple, dans sait
/se/, le s- ne suffit pas à rendre le lexème (contrairement à sont, du verbe être); il lui faut l'ajout de
la graphie -ai et du phonème /e/, ce dernier étant à son tour apte, par syncrétisme, à exprimer les
trois personnes du singulier du présent de l'indicatif du verbe savoir. Il suffirait donc d'élargir le
cadre d'observation à la structure syllabique et phonétique du mot tout entier pour ne pas octroyer
un statut privilégié au yod. En effet, paye- pays s'opposent phonétiquement et syllabiquement: [pej]
(une syllabe) - [pe-i] (deux syllabes). Il en va de même pour trois [tRwa]- trou-a [tRU-a], pour loi
[lwa] - lou-a [lu-a] ([lwa], selon le Petit Robert, si on fait foi à sa transcription de l'infinitif, qui
paraît ne pas tenir compte de la différente quantité de monèmes (1 / 2)). Il suffit qu'un francophone
veuille insister sur la segmentation syllabico-monémique pour que cela se traduise en différence per-
tinente reflétée par la différence phonique [lwa] - [lu-a], quoi qu'en prétende impliquer le phonème
unique: /luA/- /lu-A/. Il en va de même pour le [q] vis-à-vis du [y]. Encore une fois, on voit que
l'intérêt de l'analyse et de la transcription phonologiques est bien discutable.

Bref, la phonologie ne dit rien que ne puisse dire la matière phonique tout court, et elle a
l'inconvénient d'en dire trop peu, d'où son discutable intérêt en perspective pédagogique, voire
linguistique.
Nous proposons donc dans ce qui suit et pour remédier à un fâcheux problème que connais-
sent bien les enseignants (et les étudiants) de cette matière, de passer de l'analyse phonologique à
l'analyse de la matière phonique. Cette matière intègre les éléments les plus intéressants d'un point
de vue linguistique, y compris les contenus apparemment exclusifs de la phonologie -mais non pas
les concepts et les termes qui s'y rapportent. Ces éléments concernent la structuration à différents
niveaux de chaque type de son par rapport aux autres. Nous proposons de le faire dans une opti-
que structuraliste de type guillaumien. On rappelle que, pour la systématique guillaumienne, un
sous-système quelconque comme celui du système phonique s'intègre au système totalisant qu'est
la langue. Dans le sein d'un sous-système, chaque élément composant se définit par un signifié vir-
tuel, par sa position qu'il occupe et par l'opposition subséquente au reste des autres signifiés. Le
sous-système auquel nous faisons allusion est celui qui appartient à la sémiologie (en tant que sig-
nes linguistiques d'une langue naturelle), dans sa version mentale (Saussure parlait du signifiant en
tant qu'image sonore), avant l'actualisation en sons effectivement émis. Une façon systématique
de représenter le signifié virtuel des éléments qui composent l'image phonique consiste à porter ce
signifié, à savoir sa capacité distinctive, par un vecteur qui symbolise le temps opératif de sa cons-
truction, en signalant les phases caractéristiques de sa construction (allant d'un moins à un plus de
capacité distinctive): saisie précoce SI, moyenne S2 et tardive S3). Ces saisies correspondent à
autant d'effets de sens lors de l'actualisation discursive, c'est-à-dire à autant de prononciations
typiques effectives. La référence structurale constante pour chacune de ces saisies est d'ordre pho-
nique, à savoir la structure syllabique et prosodique. Soit, en figure:
51 correspond à une distinction des sons relativement instable, notamment, pour certaines
voyelles qui s'opposent par le degré d'aperture mi-fermé / mi-ouvert, et cela a lieu en syllabe
ouverte et atone;
52 correspond à une phase de transition dans le processus de différenciation de plus en
plus nette des sons; selon les cas (vocaliques et semi-consonantiques), on peut considérer
deux sous-phases: la première établit une distinction plus stable des sons proches (surtout les
distinctions d'aperture vocalique moyenne et de [a]-[a]) en fonction de l'orthographe, celle-
ci en rapport plus ou moins clair avec l'étymologie, la deuxième, avec une distinction nette
des sons, acceptée par un plus grand nombre de francophones, quand la contrainte de pro-
nonciation est exclusivement d'ordre syllabique et prosodique (syllabe ouverte / fermée,
atone / tonique),
53 correspond à une distinction nette en fonction d'une distinction sémantique (lexicale ou
morphologique).
Les paires de sons qui font usage d'un plus grand nombre de ces phases interceptives (SI,
S2, S3) du parcours distinctif sont: [e]-[e], [0]-[ 3 ]-[œ], [o]-[ o], [a]-[a], [e]-[œ] Dans tous les
autres cas, celui du reste des voyelles et des consonnes (sauf [P] et surtout [r|], qui ont une dis-
tribution syllabique lacunaire), l'application de cette analyse se réduit aux phases moyenne et
tardive, cette dernière ne connaissant pas de contraintes syllabiques ni prosodiques, puisque
l'opposition sémantique a une distribution syllabico-prosodique non lacunaire.
Nous illustrerons cette analyse, sans entrer dans tous les détails, avec l'opposition [o]-[ o ]:
SI: en syllabe ouverte atone, où l'on a un son mitoyen instable, transcrit faute de mieux
comme [g] qui devrait être normativement prononcé [o] en français standard, mais que bien des
francophones, même du Nord, ne prononcent ni nettement [o], même avec la graphie -au ou -
eau, ni nettement [ o]. Exemples: soleil, oreiller, auto, beaucoup.
S2: a) [o:] en syllabe fermée tonique, selon la graphie ou selon la consonne suivante, ainsi
que l'étymologie qui s'y associe: sauce, axiome, zone, rôle, le nôtre,grosse, etc.; également [o]
en syllabe fermée, indifféremment atone ou tonique (dans ce dernier cas avec allongement [ o:],
devant -s- [z]: groseille, rose, etc.;
b) mis à part les cas en S2 a) et en S3 ci-dessous, toujours [ o ] en syllabe fermée atone ou
tonique (dans ce cas avec allongement, si la consonne suivante est [v], [R], [Z] OU [3]): sort,
poche, loge, tonne, innove, etc., toujours [o] en syllabe ouverte tonique, indépendamment de
l'orthographe et de la consonne suivante: métro, dos, pot, chaud, égaux, beau, etc.
S3: dans toutes les distributions syllabico-prosodiques où la distinction est d'ordre séman-
tique; par ordre croissant de fréquence: 1) inexistante en syllabe tonique ouverte, 2) en syllabe
atone fermée: hospice(s) [ o] -auspices [o] ou en syllabe atone ouverte: botté ("le chat botté")
[ o ] - beauté [o], coté [ o ]- côté [o] (cas peu fréquents); 3) en syllabe tonique fermée, le timbre
mi-fermé subissant un allongement (cas de loin les plus fréquents); exemples de [o]-[o:]: roc -
rauque, sol - saule, pomme - paume, os - hausse, sotte - saute, cotte - côte, etc.
Parmi les oppositions instables du système vocalique ([e]- [e], [0]-|>Hœ], [o]-[o], [al-
fa], [Ê]-[œ ]) l'opposition [o]-[o:] est la plus productive du français. Il faut signaler pourtant que
ces oppositions phonico-sémantiques sont loin de faire l'unanimité des Français de l'ancien
domaine d'oïl. En domaine d'oc ils sont tout simplement ignorés. Dans le Midi, c'est la struc-
ture syllabique stable qui prédomine:[g] en syllabe ouverte atone, [o] net en syllabe ouverte
tonique et [ o], en syllabe fermée atone ou tonique, tout à fait parallèlement à ce qui se passe
avec les deux autres oppositions vocaliques d'aperture moyenne. C'est un pas fait en avant dans
le sens d'une plus grande simplification et d'une plus grande cohérence du système vocalique,
puisque ces oppositions sémantiques tellement vantées par la phonologie ne sont en fait nulle-
ment nécessaires, le contexte et le cotexte morphosyntaxique interdisant la moindre ombre d'une
interprértation équivoque.

CONCLUSION.
L'examen des implications pédagogiques de la séparation de la phonétique et de la phono-
logie nous amène à une appréciation négative, à cause surtout de la version hautement abstraite
de la phonologie qui, néanmoins ne l'est pas assez par rapport à la version phonétique, en ter-
mes spécifiques de langue. Notre illustration sur une présentation différente de la matière pho-
nique qui va au-delà de la dichotomie phonétique / phonologie nous paraît en tout cas moins
complexe que celle-ci et peut-être plus pédagogique.

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