D Veloppement Et Changement Organisationnel 1720521632

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Développement et changement organisationnel comme champ

d’expertise de la psychologie du travail

Par Sibylle Heunert Doulfakar & Anny Wahlen

Les nouvelles tendances en matière de modes d’organisation du travail (agilité,


holacratie, New Work, etc.) influencent notablement la nature des demandes
adressées aux psychologues d’entreprise. Dans ce contexte, quel est le rôle des
spécialistes en Développement Organisationnel (DO) ? Il leur incombe d’adapter leur
accompagnement à la demande réelle, souvent non clairement exprimée a priori.
Cette adaptation, ou évolution se fait parfois au cours de l’intervention initiale, selon
le principe de la « porte ouverte ». Explications.

D’où vient le Développement Organisationnel (DO)?


Les origines du DO remontent aux années 50 et sont attribuées à des universitaires et
des praticiens qui ont œuvré dans de grandes entreprises américaines. Ils sont
principalement basés sur les travaux d’Elton Mayo (expérience de Hawthorne),
professeur à l’Université de Harvard. Celui-ci a démontré que l’augmentation de la
performance au travail dépendait prioritairement de l’attention et de la
reconnaissance portées par la hiérarchie et l’entourage au personnel et non d’abord
des conditions de travail (infrastructures, luminosité, etc.).
Depuis, différents courants ont influencé cette discipline qui s’est précisée dans les
années 60. Ce sont principalement:
- Le courant des relations humaines, qui considère qu'un leadership efficace, de
la considération pour le personnel et la participation de ce dernier aux
décisions accroissent la productivité.
- Le courant de la psychosociologie, dans lequel le groupe (dynamique de
groupe, rôles, interactions) constitue le levier de changement le plus puissant
dans une organisation.
- Le courant sociotechnique, qui propose de nombreuses méthodes (enquête-
feedback, sessions de confrontation, gestion des conflits intergroupes, etc.)
pour soutenir le développement de l’organisation.
De plus, les pratiques en DO sont fortement influencées par:
- le contexte sociologique et économique de la période considérée
(industrialisation, capitalisme, néolibéralisme)1
- la culture d’un pays et sa représentation du monde économique et du travail -
soit la manière dont sont considérées les organisations dans cette culture
- le bagage théorique des auteurs et intervenants

Avec la globalisation toutefois, ces différences tendent à s’estomper.

1
pp.2-23, Tessier R. & Tellier Yvan (1992). Méthodes d’intervention Développement organisationnel, Tome 8,
Presses Universitaires du Québec.
Le levier de changement s’est petit à petit déplacé de l’individu (si une certaine masse
critique d’individus s’est développée, l’ensemble d’une organisation se développe) au
groupe (un groupe impacte l'ensemble de son organisation en modifiant son
fonctionnement) et à l’organisation (l’adaptation des programmes et des structures
organisationnelles permet le développement de l’organisation, des groupes et des
individus qui la composent). La finalité du DO reste la même: transformer la culture
organisationnelle pour répondre au mieux aux défis rencontrés par cette dernière. Le
DO permet de répondre de dépasser les problématiques qui entravent le
développement naturel de l’organisation et de mobiliser les cadres et le personnel
afin qu’ils trouvent par eux-mêmes les solutions aux problèmes rencontrés.
Nous pouvons distinguer quatre conceptions dans l’approche des transformations
organisationnelles2.

1. Désorganisation: les changements ne s’inscrivent dans aucun concept et sont


réalisés de manière non planifiée. Différents acteurs internes et externes apportent
des solutions qui ont fait leurs preuves dans d’autres organisations, ce qui
engendre un cumul de changements pas toujours convergents. Cette approche
peut être bénéfique pour éviter l’immobilisme ; elle entraîne par contre des
blocages et des tensions, contre-productifs pour la bonne marche de
l’organisation.
2. Stratégie rationnelle (conseil d’expert): des experts internes et externes
pratiquent une analyse de la situation et échafaudent des propositions
d’amélioration. La démarche soutient l’idée qu’une approche rationnelle et
détachée de la situation permet le changement. Les solutions prescrites offrent la
possibilité d’adhérer à l’intention, sans pour autant s’engager effectivement à les
mettre en œuvre. Si cette approche est utile lors de situation très tendue ou en
cas de risque d’immobilisation de l’organisation (risque de faillite, etc.), elle ne
permet que rarement de mobiliser les acteurs internes à effectuer le changement
souhaité.
3. Stratégie de contrainte et de pouvoir : les objectifs de changement précis sont
définis par la direction sur la base, éventuellement, de conseils d’experts. Il s’en
suit des actions visant à convertir l’ensemble du personnel aux changements, en
promettant des avantages à ceux qui s’engagent et en menaçant de sanction ceux
qui les refusent. Les changements visés sont rapidement visibles, tout autant que
l’augmentation des tensions, voire l’explosion de situations conflictuelles entre
individus et instances (syndicat, co2mmission du personnel, etc.).
4. Stratégie de changement des mentalités (développement): le conseil en
processus vise à recueillir, analyser et modifier en profondeur les modes de
pensées, les motivations et les intérêts des personnes en vue d’une vision de
développement concertée. Les étapes sont établies par et avec les acteurs

2
D’après Glasl, F, Kalcher T. Piber H. (2005). Professionelle Prozessberatung. Das Trigon-Modell des sieben OE-
Basisprozesse, Berne, Stuttgart.
internes. L’accompagnement consiste à apporter un soutien méthodologique, à
mettre en évidence les incohérences et à contribuer à la mise en mouvement
l’ensemble du système. Même si la capacité de développement est ancrée au sein
même de l’organisation, cette approche exige une phase préparatoire plus longue
et la mobilisation d’un nombre plus important de personnes.
Les trois dernières approches visent, chacune à leur manière, à ne pas attendre qu’un
changement se produise au hasard, mais à planifier ce changement, dans la
perspective d’une amélioration continue du développement de l’organisation.

Qu’est-ce que le Développement Organisationnel salutogène?


Même si les approches en DO sont multiples, certains fondements sont communs à
l’ensemble des pratiques, comme la considération de l’organisation comme un
système complexe ou le principe d’apprentissage et d’adaptation permanents.
Si le monde du travail est en constante mutation, il fait aujourd’hui face à des enjeux
majeurs qui le dépassent largement. Les modes d’organisation du travail qui
prévalent depuis les recherches du milieu du XXe siècle en psychologie, sociologie et
gestion, montrent leurs limites. Exigences d’efficience et de performance toujours
croissantes, modes de management et de leadership, accessibilité permanente,
automatisation des tâches ou encore digitalisation génèrent des tensions, dans des
contextes sociétaux, environnementaux, sanitaires et économiques eux aussi sous
pression.
Une organisation – qu’elle soit entreprise publique ou privée – est un système vivant.
Comme tout être vivant, elle se développe avec une intention. Elle évolue dans un
contexte spécifique et croît dans un terreau et un climat plus ou moins favorable.
Comme tout être vivant, elle passe par différentes étapes de développement et de
maturité. En conséquence, l’organisation est en constante transformation. Une
organisation saine se développe. Et une organisation qui se développe génère de la
santé, à l’intérieur et autour d’elle.
Comme tout système vivant, l’organisation-entreprise cherche avant tout à rester en
équilibre autour de son axe, autrement dit sa raison d’être, sa mission (homéostasie).
Elle va s’ajuster et s’adapter aux exigences et aux changements des contextes
externes dans lesquels elle évolue (règlementations, marché, ressources et matières
premières, main-d’œuvre, etc.). Or il n’y a pas de transformation sans une forme de
tension. Lorsque la tension est modérée, le système peut la résoudre par des
changements focalisés sur sa source ; ils sont alors ponctuels et visent à rétablir une
forme d’équilibre sans modification du système (assimilation ou changement de type
1).
Les champs de tensions comme source de développement – réseau syllogos

Il arrive que la tension interne ou les pressions externes déstabilisent profondément


et durablement le système, avec des conséquences importantes sur les individus
comme sur le système et la qualité ou la pérennité de la mission. Un développement
vertical, appelé aussi changement de type 2 (accommodation), est alors nécessaire et
entraîne la transformation du système. La tension émergeant dans l’organisation est
donc source de développement.
Le DO salutogène consiste à accompagner l’évolution, voire la transformation du
système « organisation » en facilitant le passage d’une phase de croissance à l’autre
et en mobilisant les ressources présentes. Parce que chaque organisation est
singulière et que ses contextes internes et externes sont dynamiques, l’approche DO
salutogène implique la co-construction d’une démarche spécifique au système
considéré avec les représentant-e-s du système. Les modèles théoriques et outils
méthodologiques sont utilisés pour comprendre et élargir les possibilités d’action,
non pour simplement décrire ou pour prescrire une solution «hors sol».
Accompagner le développement peut se faire par une ou plusieurs des portes
d’entrée du système que sont les individus, les équipes ou l’organisation dans son
ensemble. Quelle que soit la porte d’entrée, l’approche DO prend en compte les deux
autres. Il s’agit en effet d’éviter le report d’une tension et de préserver l’équilibre
ailleurs dans le système. Ceci est la base d’un développement durable et salutogène.
Celui-ci génère alors des ressources à tous les niveaux, au-delà même de
l’organisation, dans l’écosystème dans lequel elle évolue, et permet aux individus, aux
équipes et à l’organisation d’évoluer en santé.
Les trois portes d’entrée du DO salutogène – réseau syllogos

On l’aura compris, le DO salutogène va donc bien au-delà de la gestion du


changement et intègre ce dernier dans les processus mis en œuvre dans
l’accompagnement. Cela permet d’inscrire toute action de transformation dans un
ensemble en considérant les relations, souvent complexes (et parfois inattendues)
qu’elle entretient, avec les différents éléments du système, favorisant ainsi la
restauration de l’équilibre dynamique à la base de la santé individuelle, collective et
organisationnelle.

Quand faire appel à une intervention DO et quels sont ses principes?


Toute situation dans laquelle une tension, dans une partie ou dans l’ensemble du
système, ne permet plus aux individus, aux équipes ou à l’organisation de maintenir
leur équilibre et de remplir leur mission. Les signes et manifestations de tension
peuvent être divers : épuisements ou burn-out multiples, stress chronique, ambiance
d’équipe délétère, difficultés à atteindre les objectifs, ressources insuffisantes, baisse
de qualité des biens ou services proposés, mais aussi réorientation stratégique,
développement de nouveaux marchés ou domaines d’action, augmentation ou
réduction des effectifs, changements structurels ou contextuels.
Que ce soit par la porte d’entrée de l’individu, de l’équipe ou de l’organisation, une
intervention DO naît d’une demande explicite du mandant et s’inscrit dans une
démarche holistique et sur mesure. L’analyse et la formulation de la demande
permettent au mandant et au-à la consultant-e en DO de poser l’objectif et le cadre
général de l’intervention, et de définir les premières mesures diagnostiques pour
orienter l’action. Tout comme un arbre produira les fruits spécifiques à son espèce,
une intervention DO salutogène respecte la nature de l’individu, du collectif ou de
l’organisation qui la sollicite, ainsi que de la phase de développement dans laquelle il
se trouve. Avec l’accent mis sur les ressources présentes, il s’agit là de quelques
principes fondamentaux de cet accompagnement.
En effet, intervenir en DO ne relève ni de l’expertise ni du coaching. La posture de
l’accompagnant-e en DO n’est ni dedans, ni devant, mais à la marge, afin de
percevoir les résonances du système sans en être partie prenante. Ce rôle de
marginal sécant, à l’interface entre deux mondes, est l’une des clés du succès et de la
pérennité de l’intervention. Après avoir précisé le cap et situé le système considéré
« ici et maintenant », l’accompagnement en DO le soutient dans son développement,
au travers de processus multiples et complémentaires, agissant sur les éléments
essentiels qui le caractérisent. Ces éléments varient donc, selon qu’il s’agit d’un
individu, d’un collectif ou d’une organisation dans son ensemble.

Quelques exemples concrets


1) Intervention au sein du département RH (60 coll.) d’une organisation nationale
privée (3000 coll.) active dans le secteur de la logistique.
 Demande initiale: la DRH en place souhaite renforcer la nouvelle équipe de
direction, suite à un renouvellement important de ses membres. La
demande d’intervention est de type «développement d’équipe», qui aurait
un impact local sur l’équipe de direction, mais risque de renforcer la
rupture de confiance avec l’ensemble du personnel.
 Intention de développement: rétablir la confiance envers la hiérarchie et
intégrer la vision novatrice du rôle des RH au sein du département RH.
L’accompagnement de l’équipe de direction est couplé à une démarche
DO. Celle-ci s’oriente sur le deuil de l’ancienne structure et des types
d’interactions qui s’y déroulaient et sur l’accueil de la nouvelle structure,
comme tremplin à la vision novatrice du Département RH œuvrant comme
«liant» au service de l’ensemble de l’organisation.
 Résultats: cette démarche a permis de contrebalancer la stratégie
« pouvoir-contrainte » utilisée par la DRH en place. Les différentes
interventions co-élaborées avec les acteurs internes ont permis de
débloquer les résistances internes vis-à-vis de la restructuration. La
confiance a été rétablie et l’ensemble du personnel est resté en fonction.
Une transformation de culture (modes de pensée et d’interaction) a pu
s’engager sur la durée.
2) Intervention au sein d’une fondation paraétatique de 60 coll. dont l’effectif a
augmenté de plus de 30% en 3 ans et qui traverse un défi majeur après des années
de «stabilité».
 Demande initiale: le président du conseil de fondation, pour des raisons de
positionnement personnel sur l’échiquier politique national, a souhaité un
audit organisationnel. Cette demande invite à suivre une stratégie
rationnelle et à offrir une intervention de type «experte». Si celui-ci avait
permis de rassurer le président, il aurait pu décrédibiliser le directeur
fraîchement arrivé pour redresser la fondation qui se trouvait au bord de la
faillite.
 Intention de développement: accompagner l’organisation dans le passage
d’une phase de croissance à l’autre et adapter, si besoin, la gouvernance
interne (processus décisionnel, direction, cadres).
Résultats: l’accompagnement initialement prévu a été converti en un
accompagnement en DO, selon une stratégie de développement qui a
permis de transformer les modes de pensées et d’interaction.
3) Intervention au sein d’un hôpital dont la direction constate des relations
hiérarchiques contre-productives et énergivores au niveau des soins.
 Demande initiale: la nouvelle directrice des soins a souhaité transformer la
culture de l’organisation des soins (nouvelle vision) et la faire vivre à tous
les échelons.
 Intention de développement: préciser, avec l’ensemble des cadres, la
vision d’avenir des soins, afin de motiver les changements de
comportement.
 Résultats: après 4 ans de multiples mesures directes et indirectes co-
conduites par les cadres et la consultante en DO, le secteur des soins a été
reconnu par un organisme international comme étant un «Hôpital
d’excellence» en termes d’organisation des soins.

L’apport des psychologues du travail et des organisations


Grâce aux connaissances acquises lors de leur formation, les psychologues du
travail et des organisations abordent le fonctionnement de l’individu en activité, au
sein d’une équipe et d’un contexte spécifique à l’organisation et non comme une
entité indépendante. Prenant en compte à la fois le développement individuel,
collectif et organisationnel, ils apportent une large palette de méthodes
d’investigation et d’intervention participatives pour réduire les champs de tension
de manière cohérente.
Dans l’exercice de sa pratique, ils développent à la fois une capacité d’implication
(lien et empathie) et de distance, qui permet l’adoption d’une posture
d’accompagnement ferme et adaptative nécessaire aux accompagnements
«cliniques» et «sur mesure» exigés. Les psychologues du travail et des
organisations intervenant en DO complètent leurs bases théoriques et leur pratique
par des connaissances en gestion d’entreprise, économie d’entreprise et sociologie
des organisations. En fonction de ses intérêts personnels, ils vont souvent se
spécialiser dans l’une des trois portes d’entrée (développement de l’individu,
développement d’équipe ou développement de l’organisation), puis collaborer
avec d’autres professionnels pour garantir une large palette de méthodes et
d’outils, afin de pouvoir œuvrer au sein de tout type et de toute taille
d’organisation.

Références:
Tessier R. & Tellier Yvan (1992). Méthodes d’intervention Développement
Organisationnel, Tome 8, Presses Universitaires du Québec.
Glasl, F, Kalcher T. Piber H. (2005). Professionelle Prozessberatung. Das Trigon-Modell
des sieben OE-Basisprozesse, Berne, Stuttgart.

CAS en Développement Organisationnel Salutogène à la HEdS Valais-Wallis


www.syllogos.ch

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