Le Développement Du Bébé de La Vie

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Le développement du bébé de la vie


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Psychologie du développement, par R. Miljkovitch, F. Morange-Majoux et E. Sander, 2017, 528 pages.

Dans la collection « Les âges de la vie »


L’attachement : approche théorique – Du bébé à la personne âgée, par N. Guedeney et A. Guedeney,
2016, 376 pages.
L’attachement : approche clinique et thérapeutique, par N. Guedeney et A. Guedeney, 2016,
424 pages.
Enfance et psychopathologie, par D. Marcelli, 2016, 824 pages.
Psychopathologie générale des âges de la vie, par D. Marcelli et D. Marty, 2015, 288 pages.
Petite enfance et psychopathologie, par A. Guedeney, 2014, 312 pages.
Crise et urgence à l’adolescence, par P. Duverger et M.-J. Guedj-Bourdiau, 2013, 352 pages.
Adolescence et psychopathologie, par D. Marcelli et A. Braconnier, 2013, 688 pages.
Psychopathologie transculturelle, par T. Baubet et M. R. Moro, 2013, 304 pages.

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DSM-5 – Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, par l’American Psychiatric Asso-
ciation, traduction française coordonnée par M.-A. Crocq, J.-D. Guelfi, P. Boyer, C.-B. Pull et M.-C. Pull,
2015, 1176 pages.
Le développement du
bébé de la vie fœtale à
la marche
Sensoriel – Psychomoteur – Cognitif –
Affectif – Social

Coordonné par

Emmanuel Devouche
Joëlle Provasi
Avec la collaboration de :
Gisèle Apter, Ranka Bijeljac-Babic´, Anne Bobin-Bègue, Caroline Boiteau,
Aude Buil, Drina Candilis-Huisman, Benoît Chevalier, Michel Dugnat, Karine
Durand, Marie-Camille Genet, Édouard Gentaz, Carolyn Granier-Deferre,
Maya Gratier, Thierry Leboursier, Françoise Morange-Majoux, Marie-Hélène
Plumet, Benoist Schaal, Josette Serres, Robert Soussignan, Arnaud Witt
Elsevier Masson SAS, 65, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex, France

Le développement du bébé de la vie fœtale à la marche, de Emmanuel Devouche et Joëlle Provasi.


© 2019 Elsevier Masson SAS
ISBN : 978-2-294-76484-4
e-ISBN : 978-2-294-76583-4
Tous droits réservés.

Les praticiens et chercheurs doivent toujours se baser sur leur propre expérience et connaissances
pour évaluer et utiliser toute information, méthodes, composés ou expériences décrits ici. Du fait
de l’avancement rapide des sciences médicales, en particulier, une vérification indépendante des
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d’exploitation du droit de copie : 20, rue des Grands-Augustins, 75006
Paris. Tél. 01 44 07 47 70.
Liste des collaborateurs
Gisèle Apter, professeur des universités-praticien hospitalier, chef de service de
pédopsychiatrie universitaire, présidente de la Société de l’information psychia-
trique, Groupe hospitalier du Havre
Ranka Bijeljac-Babić, maître de conférences HDR, enseignante-chercheuse,
Université de Poitiers ; Integrative Neuroscience and Cognition Center (CNRS-
Université Paris Descartes) ; responsable du diplôme universitaire « Du bilin-
guisme chez l’enfant », Université Paris Descartes et Centre international d’études
pédagogiques (CIEP), Sèvres
Anne Bobin-Bègue, maître de conférences, enseignant-chercheur, Laboratoire
Éthologie, cognition, développement, Université Paris Nanterre
Caroline Boiteau, docteur en psychologie, psychologue clinicienne
Aude Buil, docteur en psychologie, psychomotricienne en médecine néonatale
et centre d’action médico-sociale précoce (CAMSP), membre associé du Labora-
toire de Psychopathologie et Processus de Santé (LPPS EA4057), Université Paris
Descartes, Boulogne-Billancourt
Drina Candilis-Huisman, psychologue, psychanalyste, maître de conférences
honoraire, Université Paris Diderot ; formatrice habilitée par le Brazelton center
de Boston
Benoît Chevalier, physiothérapeute pédiatrique, doctorant SIEB à l’École pratique
des hautes études (EPHE) ; Luciole-Formation, cabinet de rééducation pédiatrique
Luciole & compagnie, Angers ; Laboratoire CHArt, EPHE, Paris
Emmanuel Devouche, maître de conférences, HDR, Laboratoire de Psychopatho-
logie et Processus de Santé (LPPS EA4057), Université Paris Descartes, Boulogne-
Billancourt
Michel Dugnat, psychiatre en périnatalité, praticien hospitalier responsable de
l’unité de soins conjoints hospitalière et ambulatoire (UPE) du service hospitalo-
universitaire de pédopsychiatrie du Pr François Poinso (Assistance Publique-
Hôpitaux de Marseille), co-président du groupe World Association for Infant
Mental Health France, président du Collège de (psy)périnatalité (psychiatrie, psy-
chologie, santé mentale périnatales, 2PSMP)
Karine Durand, maître de conférences, enseignant-chercheur, Équipe d’éthologie
développementale et psychologie cognitive, Centre des sciences du goût, CNRS
(UMR 6265) et Université de Bourgogne Franche-Comté, Dijon
Marie-Camille Genet, psychologue, psychothérapeute, l’Aubier, Centre de soins
psychologiques et de consultations en périnatalité, EPS Érasme, Antony ; chargée
de cours, Université Paris Descartes et Nanterre, formatrice au Centre d’ouverture
psychologique et sociale (COPES)
XII

Édouard Gentaz, docteur en psychologie, professeur ordinaire, Faculté de psy-


chologie et des sciences de l’éducation (FAPSE), Laboratoire du développement
sensori-moteur, affectif et social (SMAS), Université de Genève, Suisse
Carolyn Granier-Deferre, maître de conférences HDR « émérite », retraitée
Maya Gratier, professeur, enseignant-chercheur, Université Paris Nanterre, Nanterre
Thierry Leboursier, ostéopathe, diplômé d’ostéopathie (DO), Membre du Regis-
tre des ostéopathes de France (MROF), Paris
Françoise Morange-Majoux, maître de conférences, enseignant-chercheur, Labo-
ratoire de psychopathologie et processus de santé (LPPS EA4057), Université Paris
Descartes, Boulogne-Billancourt
Marie-Hélène Plumet, maître de conférences, enseignant-chercheur, Laboratoire
de psychopathologie et processus de santé (LPPS EA4057), Université Paris Des-
cartes, Boulogne-Billancourt
Joëlle Provasi, maître de conférences, HDR, enseignant-chercheur, Laboratoire
CHArt, École pratique des hautes études – PSL (EPHE – PSL), Paris
Benoist Schaal, directeur de recherche, chercheur, Équipe d’éthologie développe­
mentale et psychologie cognitive, Centre des sciences du goût, CNRS (UMR
6265) et Université de Bourgogne Franche-Comté, Dijon
Josette Serres, docteur en psychologie du développement, retraitée du CNRS
Robert Soussignan, maître de conférences HDR, Équipe d’éthologie développe­
mentale et psychologie cognitive, Centre des sciences du goût, CNRS (UMR
6265) et Université de Reims-Champagne-Ardennes, Reims
Arnaud Witt, docteur en psychologie, enseignant-chercheur, Laboratoire d’étude
de l’apprentissage et du développement (LEAD, CNRS UMR-5022), Université de
Bourgogne Franche-Comté, Dijon
Préface
Demander à un spécialiste de la pathologie psychique périnatale de préfacer un
ouvrage de psychologie du développement est certainement audacieux. Mais à
vrai dire, totalement logique. Pendant la période des « 1000 jours1 », de la concep-
tion à la deuxième année de l’enfant, du fait de la néoténie, le développement du
fœtus et celui du bébé sont étroitement intriqués à leurs conditions d’environne-
ment tant biophysique que relationnel.
Dans un moment de crise des paradigmes avec un risque de naturalisation réduc-
tionniste des processus psychiques, la question de l’interaction du nourrisson
avec ses multiples caregivers est au cœur de la complexité ouverte par l’épigéné-
tique. Puisque le séquençage du génome est insuffisant, puisque ce qui est écrit
dans le génome peut manifestement être changé, les découvertes concernant la
modulation de l’activité des gènes par l’environnement au sens large ouvrent la
voie à une meilleure compréhension de phénomènes non seulement individuels
tout au long de la vie, mais aussi transgénérationnels.
À cette complexité répond celle du système interactionnel qui doit tenir compte
de l’asymétrie partielle entre l’adulte et le bébé sapiens2. Nombre de travaux prou-
vent en effet que ce dernier est un acteur compétent de l’interaction : avec ses
moyens propres, mais au même titre que l’adulte, il est capable de l’engager, d’inflé-
chir son déroulement, de lui imprimer un rythme et une tonalité, etc. L’interaction
enchâssée dans la relation constitue d’ailleurs à la fois un outil et une visée du
développement puisqu’une communication suffisamment réussie est nécessaire
à la survie de l’individu comme elle l’a été à la survie de l’espèce.
Plus prosaïquement, à un moment où les besoins des bébés commencent à être
différenciés de ceux du jeune enfant dans les politiques publiques, où, par ailleurs,
la crise de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie est reconnue, un enjeu crucial de
santé publique les concernant ensemble se dégage : les conséquences délétères
de l’intrication des troubles des interactions précoces et de la pathologie psy-
chique parentale, en particulier maternelle, sur le développement du bébé puis de
l’enfant et de l’adulte qu’il deviendra. Inversement, certains tempéraments, voire
certaines pathologies tant psychiques que somatiques de bébés sont susceptibles
de mettre à mal la santé psychique parentale.

1 Voir par exemple C. Junien, U. Simeoni, « L’initiative des 1000 jours de l’OMS et l’origine dévelop-
pementale de la santé et des maladies (DOHaD) », en ligne http://www.sf-dohad.fr/index.php/
publications-en-francais/136-l-initiative-des-1000-jours-de-l-oms.
2 Pour un panorama, voir D. Candilis, dir., Bébé Sapiens. Du développement épigénétique aux muta-
tions dans la fabrique des bébés, Toulouse, Érès, 2017.
XIV Préface

Une intervention précoce et prévenante s’impose alors. La complexité de la pré-


vention et du soin en période périnatale tient au fait qu’une intervention chez l’un
des partenaires de l’interaction peut avoir un effet favorable pour l’un voire pour
les deux. De la même manière, un soin prodigué à l’un peut avoir un effet favo-
rable et/ou prévenant pour l’autre. Eu égard à cette dimension interactionnelle et
à la rapidité du développement à cette période, un ajustement des modalités de
ces interventions, de leur temporalité et de leur rythme aux besoins spécifiques
de chacun est un facteur de première importance.
Dans le champ de la psychopathologie périnatale, il existe un faisceau convergent
de preuves3 montrant qu’il est possible, à une échelle nationale, de mieux répon-
dre aux besoins de développement des nourrissons à risque, entre autres du fait
des troubles psychiques parentaux et que cet investissement permet à moyen
terme des économies plus que substantielles.
En France, l’amélioration de l’offre de soins de (psy)périnatalité (psychiatrie, psy-
chologie et santé mentale périnatales) nécessite le développement de soins psy-
chiques conjoints (souvent appelés parents-bébé), qu’ils soient hospitaliers ou
ambulatoires, et des partenariats avec l’ensemble des acteurs, métiers (en parti-
culier les psychologues) et institutions (en particulier la PMI) concernés par la
périnatalité.
Pour tous, la bonne connaissance du développement global du bébé est un outil
indispensable. Elle est tout aussi nécessaire aux professionnels qui prennent soin
des bébés « ordinaires », des modes de garde aux lieux d’accueil enfants-parents.
Si la recherche « translationnelle » répond, dans une société de l’accélération, aux
besoins de faciliter la valorisation des découvertes pour des mises en application
concrètes rapides au bénéfice du patient, il n’y a pas que dans le champ de la
recherche biomédicale que cette nécessité s’exprime.
Cet ouvrage peut être qualifié d’« ouvrage translationnel ». Le mystère du fœtus
et de l’infans, comme nous le rappellent les historiens, se dissipe avec le passage
d’hypothèses issues de modélisations théoriques construites à partir de l’adulte
(S. Freud4) à des observations fines systématiques (J. Piaget5) conduisant à des
hypothèses réfutables, avant de parvenir à d’innombrables expériences reproduc-
tibles, facilitées par les avancées des technologies.
Construire une représentation plus scientifique du développement du nourris-
son est désormais possible, puisqu’on peut l’interroger de façon relativement
rigoureuse et standardisée dans différentes conditions et à différents âges. On
connaît donc mieux, comme le montre cet ouvrage, la mémoire et son rapport

3 Voir le rapport d’A. Bauer, M. Parsonage, M. Knapp et al., The cost of perinatal mental health pro-
blems, LES, Centre for Mental Health and London School of Economics, octobre 2014, https://
www.nwcscnsenate.nhs.uk/files/3914/7030/1256/Costs_of_perinatal_mh.pdf.
4 S. Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2018 [1910].
5 J. Piaget, La naissance de l’intelligence, Paris, Delachaux & Niestlé, 1936.
Préface XV

aux apprentissages, l’éveil des sens et, en particulier, l’olfaction, les compétences
musicales du bébé, les états de conscience, ainsi que les conséquences de la nais-
sance prématurée sur le développement, notamment psychomoteur.
Cet indispensable abord du bébé comme monade6 ne fait cependant pas oublier
que le développement s’inscrit nécessairement dans la rencontre intersubjective
rendue possible par la communication et la cognition sociale. Le (bon) dévelop-
pement « niche » donc dans la qualité de l’interaction. La phrase célèbre de Julian
de Ajuriaguerra : « ça ne passe pas par l’auréole7 » est devenue le fondement d’un
vaste programme de recherches désormais facilité par de multiples outils, dont
par exemple l’eye-tracking (suivi continu du mouvement des yeux).
La mise en perspective développementale de la théorie de l’esprit s’inscrit ici dans
une perspective cohérente et innéiste. Les étapes de ce développement peuvent
être repérées dès la naissance sous la forme d’une capacité précoce d’échange des
états internes.
Sur la base de la connaissance de ces compétences précoces, bien mises en œuvre
en clinique par l’échelle de Brazelton, des interventions précoces sont désormais
possibles. Elles constituent un impératif pour tous ceux qui sont en charge de
la santé du nourrisson, car un environnement adapté permet certes d’éviter les
conséquences des dysfonctionnements de l’interaction sur le développement,
mais aussi de mettre en place des formes de suppléance en cas de déficit.
Nul doute que les bébés seront reconnaissants aux lecteurs (et aux auteurs) de ce
riche ouvrage de l’attention qu’ils leur auront porté en partant à la découverte de
toutes leurs capacités qui, pour être mieux connues en théorie, seront aussi mieux
(re)connues dans les pratiques.
Michel Dugnat
Psychiatre en périnatalité, praticien hospitalier responsable de l’unité de soins conjoints
hospitalière et ambulatoire (UPE) du service hospitalo-universitaire de pédopsychia-
trie du Pr François Poinso (Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille), co-président
du groupe World Association for Infant Mental Health France, président du Collège
de (psy)périnatalité (psychiatrie, psychologie, santé mentale périnatales, 2PSMP)

6 Monade : « Conscience individuelle, individualité en tant qu’elle représente à la fois un point de


vue unique, original sur le monde et une totalité close, impénétrable aux autres consciences indivi-
duelles ou individualités » le Trésor de la langue française informatisé, https://www.le-tresor-de-la-
langue.fr/definition/monade.
7 « L’enseignement de Julian de Ajuriaguerra au Collège de France (1976-1981) », Bulletin de Psy-
chologie, juillet-août 1989, XLII, p. 15-16.
CHAPITRE

1
Comment savoir ce que
le bébé pense ? Avec un
peu de méthode !

J. Serres

PLAN DU CHAPITRE
■ La démarche scientifique consiste à se poser des questions
■ Un peu de méthode !
•La psychologie scientifique
•La psychologie du développement
•La psychologie du nourrisson et ses méthodes
•Généralisation de la méthode
■ Conclusion

Il ne se passe pas un mois, dans les journaux, à la télévision où à la radio, sans


l’annonce fracassante de nouvelles compétences du bébé. Les communiqués
commencent souvent par : « Des chercheurs (américains !) ont montré que… ».
Malgré tout le savoir-faire des journalistes, ces résultats sont devenus familiers
et ne nous étonnent pas vraiment. Nous acceptons l’idée que les bébés sont
beaucoup plus compétents qu’on ne le pensait. À moins que ce soient les cher-
cheurs qui posent mieux les questions ? Il nous paraît évident que ces résultats
sont le fruit de la recherche et qu’ils sont dignes de confiance. Mais est-ce si clair ?
Comment les chercheurs interrogent-ils les bébés ? Comment la méthodologie
actuelle a-t-elle été mise au point ?
Nous retracerons l’évolution de la démarche scientifique, ce qui nous conduira
tout naturellement à voir comment nous pouvons interroger les bébés avec la

Le développement du bébé de la vie fœtale à la marche


© 2019, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
4 Les bases de la recherche

même rigueur expérimentale que dans tout protocole scientifique. Mais avant
de trouver les bonnes méthodes, de nombreux tâtonnements ont jalonné cette
période. Nous allons décrire ces péripéties pour mieux comprendre les choix
actuels. Les premiers résultats sont essentiellement dans le domaine de la vision
qui a été le premier investigué, mais nous verrons comment les paradigmes ont
été élargis à d’autres domaines.

La démarche scientifique consiste à se poser


des questions
« Dis papa, dis maman : pourquoi les étoiles brillent la nuit ? Comment il est arrivé
là, le sable de la plage ? C’est quand aujourd’hui ? » Toutes ces questions que nous
posent nos enfants sont la confirmation de leur insatiable curiosité. Ils veulent
tout savoir et tout comprendre. Ils nous plongent parfois dans la perplexité et
nous font comprendre que nous avons un peu perdu notre capacité d’étonne-
ment. Mais, elles nous montrent aussi que la curiosité est une faculté humaine
qui a marqué toute notre évolution. L’homme a toujours cherché à élucider les
phénomènes et ses démarches explicatives ont emprunté des chemins souvent
chaotiques.
Les philosophes de l’Antiquité se sont interrogés sur notre quête de la vérité, les
fondements de toute connaissance. « Comment sait-on ce qu’on sait ? » Nous
découvrons l’« amour de la raison » chez Thalès, mais surtout chez Aristote qui
propose une démarche fondée sur l’observation pour comprendre le monde.
L’esprit humain peut toucher ou atteindre la nature d’une chose par l’intuition
après suffisamment d’expositions et d’observations de cette chose.
La nécessité d’une méthodologie rigoureuse s’est imposée petit à petit pour rem-
placer le « bon sens populaire » ou les explications dictées par la religion. Pour-
tant, la méthode aristotélicienne rejette les expériences car elles sont artificielles
et invalides. C’est donc à Alhazen, mathématicien, philosophe et physicien du
XIe siècle à Alexandrie, que nous devons une méthode systématique fondée sur la
vérification d’hypothèses et sur des expériences, tout en utilisant un formalisme
mathématique.
Toutefois, il faut attendre le XVIIe siècle pour voir émerger une nouvelle façon
de penser la science. Elle s’exprime par l’usage d’un raisonnement hypothético-
déductif, par une quantification des résultats et, surtout, par le recours à l’expéri-
mentation.
Dès 1637, Descartes propose habilement la méthode hypothético-déductive en
affirmant qu’il est acceptable de faire des hypothèses sur des choses invisibles
et contre-intuitives et qu’il est nécessaire de confirmer des prédictions par des
observations. Avec cette méthode, il faut retenir que l’« esprit scientifique » est
celui d’un scepticisme modéré : il vise la recherche du modèle le plus proche de
Comment savoir ce que le bébé pense ? Avec un peu de méthode ! 5

la vérité, sa meilleure approximation. Dès cette époque, un raisonnement scien-


tifique se doit d’être rigoureux et il se distingue essentiellement par son caractère
objectif, rationnel, méthodique, vérifiable, prédictif, etc. Il faudra toujours éviter
l’écueil des raisonnements non rigoureux comme le raisonnement par analogie,
par l’absurde et la mauvaise foi.

Un peu de méthode !
Il faut toutefois distinguer la démarche scientifique de la méthode mise en pra-
tique. Elle peut intégrer une démarche expérimentale, mais cela n’a rien d’obliga-
toire.
Cependant, les méthodes ne sont pas indépendantes de l’histoire des théories. À
mesure que les visions du monde évoluent, les méthodes utilisées pour évaluer
les théories peuvent se modifier. Il faut donc toujours garder un œil critique sur
la démarche utilisée. Pour Paul Feyerabend (1924-1994), anarchiste des sciences,
il n’y a pas de méthode scientifique universelle mais des préjugés scientifiques !
On doit à Claude Bernard (1813-1878) la description de la démarche expéri-
mentale dont les étapes sont synthétisées sous le sigle OHERIC : observation-
hypothèse-expérience-résultats-interprétation-conclusion. Pour lui, « la méthode
expérimentale, considérée en elle-même, n’est rien d’autre qu’un raisonnement
à l’aide duquel nous soumettons méthodiquement nos idées à l’expérience des
faits ». Bien que souvent critiquée, cette démarche est toujours enseignée. Elle
donne l’impression d’une procédure statique mais doit, au contraire, être considé-
rée comme dynamique avec des allers-retours à tous les niveaux.
Aujourd’hui, la démarche expérimentale est appliquée dans de nombreux
domaines : en biologie, en physique, en chimie, en psychologie, ou encore en
archéologie. Elle consiste à tester la validité d’une hypothèse en reproduisant un
phénomène (souvent en laboratoire) et en faisant varier un facteur, toutes choses
égales par ailleurs. Le résultat obtenu valide ou non l’hypothèse. Dans les sciences
empiriques, on admet qu’il existe des observables, mais surtout que ces obser-
vables peuvent être des indicateurs de phénomènes non observables. En phy-
sique, la vitesse d’un électron ne sera pas observable directement mais déduite.
De même en psychologie, l’anxiété d’un sujet peut être mesurée indirectement
par ses répercussions sur certains comportements.

La psychologie scientifique
La psychologie scientifique partage les caractéristiques essentielles de toute
science moderne. Pour réaliser une étude scientifique des processus internes (dits
psychologiques), tels que les sentiments et la pensée, il faut définir ces événements
en termes de signes observables. Mesurer consiste à quantifier un événement ou
6 Les bases de la recherche

un comportement selon des conventions généralement acceptées. Les analyses


se font à l’aide d’outils statistiques et les résultats sont publiés dans des revues
scientifiques avec un comité de lecture attestant de la rigueur du travail.
Il ne faudrait cependant pas opposer la psychologie de laboratoire à la psychologie
de terrain et penser que cette dernière serait dédiée aux applications sans véritable
contexte théorique. Actuellement, le moins mauvais des découpages distingue six
thématiques de recherche en psychologie : la psychologie générale (expérimentale
ou cognitive), la psychologie différentielle, la psychologie du développement, la
psychologie sociale, la psychologie clinique, la psychologie pathologique. Elles
partagent la même démarche scientifique et la même rigueur méthodologique.

La psychologie du développement
La psychologie du développement a autrefois été intitulée « psychologie de
l’enfant », puis « psychologie génétique » ; la terminologie n’a cessé d’évoluer
autour d’une idée maîtresse : l’intérêt pour le développement de l’enfant et l’idée
que le développement de l’enfant influence ou détermine le reste du développe-
ment humain. Cette idée ne semble émerger qu’au XVIIIe siècle dans la littérature
occidentale. De nombreux érudits se sont penchés sur la question et nous ont
livré quelques remarques sur le développement du jeune enfant.
E. Bonnot de Condillac (1714-1780) écrit que le bébé naît sans connaissances et
en acquiert au cours de son enfance par apprentissage. Avec son livre Émile, ou
De l’éducation, publié en 1762, J.-J. Rousseau (1712-1778) a influencé de nombreux
pédagogues de l’époque en France et en Angleterre. Nous citerons également
C. Darwin qui fut le premier à reconnaître l’importance de l’enfance sur l’ensemble
du développement humain ultérieur. Dans la perspective évolutionniste qui
émerge alors, l’intérêt pour la psychologie de l’individu en développement va
prendre son essor. Le véritable rapport rigoureux sur le développement de l’enfant
date de 1882, lors de la publication d’un ouvrage écrit par W. Preyer, physiologiste
allemand, et intitulé L’âme de l’enfant (rééd. 2005). C’est la première biographie
qui décrit les observations de sa fille de la naissance à 2 ans et demi. Il se montre
impressionné par sa curiosité. Des monographies paraissent alors, dans lesquels
les auteurs expliquent ce qu’ils observent chez l’enfant, sans que cela relève d’une
démarche scientifique.
Il faut attendre les années 1890 pour voir sortir les premiers journaux scientifiques
dédiés au développement de l’enfant. En France, la revue L’Année Psychologique,
spécialisée dans les études du jeune enfant, fut fondée par A. Binet.
L’intérêt pour l’enfant, amorcé au xixe siècle, s’amplifie au xxe, qui fut baptisé
le siècle de l’enfant ! Nous assistons à l’émergence de nombreuses théories
pédagogiques en Europe qui marquent l’intérêt pour l’éducation des enfants,
celles d’A . Binet (1857-1911) en France, d’E. Claparède (1873-1940) en Suisse,
d’O. Decroly (1871-1932) en Belgique, de M. Montessori (1870-1952) en Italie et
Comment savoir ce que le bébé pense ? Avec un peu de méthode ! 7

d’E. Key (1849-1926) en Suède. Il faut être reconnaissant à ces pionniers. Ils ont
ouvert les portes de la connaissance de l’enfant, mais beaucoup d’autres sont
venus ensuite pour confirmer ou infirmer ces observations.
Au début du xxe siècle, la « psychologie de l’enfant » évolue en « psychologie
du développement », discipline scientifique qui décrit le développement humain
tout au long de la vie. L’étude des changements touche tous les domaines : le
développement moteur, cognitif (perception, apprentissage, langage, mémoire,
raisonnement), socio-affectif (émotions, attachement, interactions). Tous ces
aspects sont connectés, bien que souvent étudiés séparément.
L’étude du développement humain s’inscrit dans un questionnement sur nos
origines et l’organisation de nos comportements.
Des psychologues théoriciens s’interrogent sur les mécanismes du développe-
ment. Ils posent des questions de fond : quels genres de changements peut-on
observer, et à quel âge se produisent-ils ? Ces changements (ou ces continuités)
sont-ils communs à plusieurs individus, ou spécifiques à un individu ? Quels sont
les déterminants des changements ?
En 1959, H. Wallon (1879-1962) définit la psychologie génétique en ces termes :
« La psychologie génétique est celle qui étudie le psychisme dans sa formation
et ses transformations. Elle peut être à l’échelle du monde du vivant, de l’espèce
humaine ou de l’individu. Dans le premier cas, un de ses problèmes fondamen-
taux est de découvrir ou de définir les origines biologiques de la vie psychique »
(Wallon, 1956).
Mais nous devons surtout à J. Piaget (1896-1980) de nombreuses études et de nom-
breux débats sur les origines et le développement des connaissances physiques,
mathématiques, logiques et psychologiques de l’enfant. Selon lui, la conception
du développement de l’intelligence de l’enfant est linéaire et cumulative car sys-
tématiquement liée, stade après stade, à l’idée d’acquisition et de progrès. C’est ce
que l’on peut appeler le « modèle de l’escalier », chaque marche correspondant
à un grand progrès, à un stade bien défini dans la genèse de l’intelligence dite
« logico-mathématique » : de l’intelligence sensorimotrice du bébé (0-2 ans), fon-
dée sur ses sens et ses actions, à l’intelligence conceptuelle et abstraite de l’enfant
(2-12 ans), de l’adolescent et de l’adulte.
Bien que cette théorie ait été publiée en français en 1936 (La naissance de l’intel-
ligence chez l’enfant, rééd. 1992), ce n’est que dans les années 1960 que les travaux
de Piaget ont commencé à exercer une influence considérable sur la recherche
aux États-Unis après la parution de la traduction en anglais en 1952. À cette
époque pourtant, le bébé était toujours considéré comme un être passif, réagis-
sant à l’environnement de manière quasi réflexe. Actuellement, aucun spécialiste
du développement du bébé ne serait en accord avec de telles affirmations. L’évo-
lution de notre représentation du bébé est liée à l’évolution de la méthodologie.
Pour confirmer ou infirmer cette position sur les compétences du bébé, il fallait
pouvoir interroger le jeune enfant le plus tôt possible, voire dès la naissance et
8 Les bases de la recherche

même avant, in utero (voir chapitre 3). Les recherches sur le développement de
l’enfant « descendaient » rarement en dessous de 3 ans. Elles se fondaient le plus
souvent sur des consignes verbales. Les chercheurs demandaient à l’enfant de faire
une action ou de produire une réponse, et supposaient qu’il avait compris ce
qu’ils voulaient. Plus l’enfant était jeune, plus ils s’apercevaient que ses « réponses »
étaient difficiles à interpréter. Avait-il compris ce qu’on attendait de lui ? Comment
interroger un enfant avant le langage ?

La psychologie du nourrisson et ses méthodes


Le début des travaux
Très peu de travaux ont été publiés sur le développement du bébé entre la fin
des années 1940 et le début des années 1960. Le domaine de la recherche sur le
développement du bébé en 1960 était un désert, avec quelques rares oasis. La
figure 1.1 montre que très peu de recherches dans le domaine ont été réalisées au
début des années 1960. En effet, de 1960 à 1964, on ne dénombre que 117 articles,
soit environ 24 articles par année ! En France, on doit à E. Vurpillot, en 1966, une
des premières publications françaises sur la perception visuelle du nourrisson.

Figure 1.1. Fréquence des publications d’articles consacrés au développement du


bébé entre 1960 et 1999.
Réalisé en utilisant la base de donnée PsychInfo en cherchant les mots clés « infant »
ou « neonate » dans le titre ou dans le résumé.
D’après Clifton, R.K. (2001), Ce que les bébés nous ont appris : un parcours de recherche, Enfance, 53, 5-34.
Comment savoir ce que le bébé pense ? Avec un peu de méthode ! 9

Dans les années 1990, en revanche, on publie 50 fois plus, avec 5 000 articles sur
une période de 5 ans, soit plus de 1 000 articles par an. Il existe maintenant des
revues entièrement consacrées à la publication de recherches sur les bébés. Le pre-
mier colloque spécialisé dans les études sur le bébé (The International Congress of
Infant Studies [ICIS]) a eu lieu en 1978 à Providence, aux États-Unis. Cette explosion
de publications doit avoir une explication. Qu’est-ce qui a changé au début des
années 1960 pour provoquer un tel regain d’intérêt pour les recherches sur le
bébé ? La réponse est dans la méthodologie.
Il était nécessaire de systématiser les méthodes.

La systématisation des méthodes


A. Gesell (1880-1961) a promu l’enregistrement filmé des bébés dans le but d’ana-
lyser ensuite finement les comportements sans perturber l’enfant. Actuellement,
la vidéo est un outil banal et irremplaçable pour recueillir les comportements des
bébés dans des situations naturelles. Cependant, il n’y a pas de film sans cotation
rigoureuse des unités comportementales par deux observateurs différents avec
une grille préétablie. Il existe des logiciels qui automatisent l’analyse, mais l’obser-
vation scientifique reste toujours une méthode fastidieuse et chronophage.
La méthode expérimentale quant à elle, devait être adaptée au plus jeune âge et
donc trouver un paradigme plaçant le bébé dans une situation la plus écologique
(naturelle) pour lui et ne demandant pas de consigne verbale. Elle doit, tout
d’abord, trouver la bonne mesure. De quel répertoire de réponses dispose-t-on
chez le bébé ? C’est un répertoire limité, en évolution et très différent d’un bébé
à l’autre. L’organisme réagit et des indices physiologiques peuvent traduire ces
modifications. Les plus fréquemment utilisés sont les changements du rythme car-
diaque mesurés par l’électrocardiogramme (le rythme cardiaque peut augmenter à
la suite d’un effort, mais aussi en réaction à une situation nouvelle marquant l’étonne­
ment) et les réactions du cerveau mesurées par l’électroencéphalogramme. Mais
aussi, comme le bébé bouge, il est possible d’utiliser des indices comportementaux.
Il attrape, regarde, suce et ne le fait certainement pas sans raison. Ses comporte­
ments sont en réaction avec l’environnement. Les mesures comportementales
fréquemment utilisées sont liées à l’exploration visuelle, l’activité orale, l’exploration
tactile et la motricité globale. Elles traduisent sa compréhension d’une situation.
Parmi les indices comportementaux étudiés, le regard a été celui qui a reçu tous les
suffrages. En observant un bébé, son regard nous interpelle. Ses yeux sont certes
très grands, mais surtout très expressifs. Il ne regarde pas au hasard et les études
le confirmeront. Il regarde plus longtemps ce qui bouge, ce qui est structuré
(contrasté), ce qui est nouveau, ce qui est étrange, ce qui est accompagné de sons.
La réflexion méthodologique a été lancée lors de la parution de l’article de H.F.R.
Prechtl (1958) sur l’orientation de la tête et du regard des nourrissons. Il a montré
les grandes variations et la complexité de ce comportement, sa dépendance du
niveau de vigilance et son adaptation à des stimuli répétés.
10 Les bases de la recherche

Mais deux grands tournants ont été franchis au début des années 1960 par deux
chercheurs : R.L. Fantz (1963) et E.N. Sokolov (1963).
■ Fantz propose deux idées nouvelles sur le bébé :
• les nouveau-nés peuvent exprimer des préférences par leur regard, en regar-
dant plus longtemps un stimulus qu’un autre (nous savons maintenant qu’ils
expriment également des préférences pour certains sons, mais cela a demandé
plus de 20 ans pour le découvrir) ;
• une nouvelle méthode : l’utilisation du temps de fixation comme réponse
à une situation. C’est une idée simple, mais elle a eu une très grande influence
sur la méthodologie de la recherche.
■ Sokolov publie en 1963 un ouvrage important sur le réflexe d’orientation des
animaux. La méthodologie utilisée impliquait l’habituation (une diminution des
réponses suite à une présentation répétée d’un même stimulus) et une déshabi-
tuation (une augmentation de la réponse) lors de la présentation d’un nouveau
stimulus.
Ces deux approches ont abouti aux paradigmes expérimentaux suivants avec bien
des péripéties :
■ la préférence visuelle ;
■ le temps de fixation relatif ;
■ l’habituation et la réaction à la nouveauté.

Le paradigme de la préférence visuelle


La technique dite du « choix préférentiel » entre deux cibles a été très utilisée
pour étudier les capacités discriminatives du bébé. En présentant simultanément
deux stimuli, les chercheurs pouvaient mesurer le temps de regard sur chacune
des deux cibles en faisant varier les formes et les âges des bébés. Ils comparaient
les temps de regard sur chaque stimulus pour attester de la perception de leur dif-
férence si un des deux était « préféré ». Mais, il faut se souvenir qu’à cette époque
les ordinateurs n’existaient pas et qu’il fallait trouver un moyen pour mesurer
les fixations « on line ». L’expérimentateur placé derrière l’appareil présentait les
stimuli (des dessins sur des plaques de bois) en se fondant sur son chronomètre.
Les durées de présentation étaient fixes. Pendant la présentation, il regardait par
un petit trou le reflet des cibles sur la cornée du bébé et actionnait un bouton
pour orienter la plume d’un enregistreur soit à droite, soit à gauche, en fonction
des fixations oculaires. Les durées étaient ensuite déduites des tracées sur le papier
millimétré. C’était le bon vieux temps !
Cette technique a permis de tester de nombreuses compétences visuelles du
bébé, mais elle a rapidement montré ses limites. Dans la figure 1.2, nous avons
schématisé les patterns d’exploration de trois bébés sur deux visages (organisé ou
bouleversé). Que dire d’un bébé qui regarde autant un côté que l’autre comme
le bébé 2 ? Que dire de celui qui n’a regardé que d’un côté sans jamais aller voir
ailleurs comme le bébé 3 ? Et que dire d’un bébé qui découvre la deuxième cible à
la fin comme le bébé 1 ? Quelles informations en ont-ils tiré ?
Comment savoir ce que le bébé pense ? Avec un peu de méthode ! 11

Figure 1.2. Exemples de pattern d’exploration de trois bébés avec la méthode de la


préférence visuelle.
Source : Cyrille Martinet.

Malgré ses imperfections, cette technique reste très utile pour les ophtalmolo-
gistes (Vital-Durand, 2012) pour diagnostiquer des troubles visuels à la naissance.
Le test du regard préférentiel consiste ici à leur présenter des cibles offrant un
dégradé de rayures noires et blanches de fréquences spatiales de plus en plus
élevées pour détecter leur capacité de discrimination.

Le paradigme du temps de fixation relatif


Parallèlement à cette méthode, les phénomènes d’habituation et de déshabitua-
tion (appelés aussi réaction à la nouveauté – voir paragraphe suivant) se sont
révélés très utiles non seulement comme moyen pour étudier les formes simples
d’apprentissage, mais aussi pour déterminer si le bébé est capable de discriminer
un stimulus connu d’un nouveau stimulus. Le phénomène de l’habituation peut
être étudié à travers pratiquement n’importe quel système de réponse. Les plus
utilisés sont : le regard, la succion et la variation du rythme cardiaque.
R.L. Fantz (1964) a combiné l’habituation avec le regard préférentiel en présentant,
après une période de familiarisation sur deux cibles identiques, deux stimuli visuels
simultanément en phase test, l’un étant le familier (le stimulus de l’habituation)
et l’autre le nouveau. À chaque essai, la place des deux stimuli était intervertie. Les
chercheurs mesuraient alors le temps de fixation relatif sur chacune des cibles. Ils
faisaient l’hypothèse qu’en présence d’une cible familière et d’une cible nouvelle,
les bébés regarderaient plus la nouvelle. Cette technique s’est avérée très facile à
12 Les bases de la recherche

mettre en place, mais a aussi vite été critiquée, en raison du mot « préférence »
surtout, qui ne veut pas dire grand-chose, et toujours de la difficulté pour inter-
préter les fixations lors de la présentation de deux cibles côte à côte. Cette gym-
nastique pour explorer deux cibles n’était pas facile pour les plus jeunes bébés.
Alors pourquoi deux cibles ?

Le paradigme de l’habituation et la réaction à la nouveauté


Ce paradigme est le plus fécond, mais il a connu aussi des vicissitudes. L’adaptation
de la technique d’habituation au bébé est passée par plusieurs étapes.
Comme signalé précédemment, l’expérimentation était manuelle et, pour plus
de facilité, les chercheurs ont commencé par faire une phase de familiarisation
avec des essais fixes. Ils présentaient en général entre 6 et 10 fois le même stimulus
pendant une durée qui variait entre 30 et 60 secondes par présentation. Cette
manipulation était facilement réalisable pour l’expérimentateur grâce à un enre-
gistrement de « bip » délivrés par l’intermédiaire d’une oreillette. Les chercheurs
constataient qu’en moyenne les bébés regardaient de moins en moins au fur et à
mesure des essais. L’indice d’habituation était mesuré par la pente décroissante de
la courbe. À la fin de la familiarisation, lorsqu’ils présentaient le nouveau stimulus,
ils pouvaient constater une remontée des durées de fixation si le bébé avait fait la
différence. Cette phase était dénommée : « réaction à la nouveauté ».
Cette méthode ne nécessitait pas de comparaison directe entre deux cibles. Elle
faisait appel à la mémorisation de la cible d’habituation pour une comparaison
pendant la phase test avec un modèle interne. En phase test, l’expérimentateur
présentait au bébé en alternance le stimulus nouveau puis le familier, et ce 2 ou
3 fois de suite. Des améliorations ont été apportées à cette méthode. Mais très
vite cette technique a aussi rencontré des critiques. Les congrès spécialisés dans
le développement du nourrisson consacraient des sessions entières à l’étude de
la méthodologie comparant les résultats de nombreuses recherches utilisant la
même procédure.
Le nombre d’essais pour atteindre la familiarisation était flou. En combien d’essais
et en combien de temps un bébé est-il habitué ? La réponse est : cela dépend !
Cela dépend de la complexité du stimulus, de l’âge du bébé et aussi du bébé lui-
même. Les chercheurs notaient de grandes différences individuelles qui compro-
mettaient les analyses statistiques. Au moment de la présentation du stimulus,
il arrivait que des bébés soient intéressés par autre chose et ne retournent sur la
cible qu’au dernier moment, ratant donc des instants précieux d’exploration.
Ce constat a conduit les chercheurs à imaginer une autre procédure. Pourquoi ne
pas laisser le bébé libre de ses temps d’exploration plutôt que de le contraindre ?
En 1972, Horowitz et al. proposent la procédure dite « contrôlée par l’enfant ».
Un essai commence quand le bébé regarde et se termine quand il se détourne.
Jusque-là, cela a l’air plus simple, mais très vite des questions vont se poser. Peut-
on laisser l’expérimentateur décider seul à partir de combien de temps de regard à
Comment savoir ce que le bébé pense ? Avec un peu de méthode ! 13

l’extérieur il est possible de considérer un essai comme terminé ? Que faire avec un
bébé qui ne décroche jamais ? Pour une revue de questions, on pourra se référer à
l’article de Colombo et Mitchell (2009).
Mais le problème des essais n’était rien à côté de l’épineux problème du « critère
d’habituation » ! À partir de quand pouvions-nous décider qu’un bébé était habi-
tué ? Dans la procédure à essais fixes, les chercheurs découvraient a posteriori si le
bébé était habitué ou non. Maintenant, il s’agit de stopper l’habituation pendant
le décours de l’expérimentation quand ils jugeront que le bébé est habitué. Mais
sur quel critère ?
Plusieurs propositions (Cohen, 1976 ; Horowitz et al., 1972) ont été faites en
partant du principe qu’il fallait prendre comme référence les premiers essais de
l’habituation et attendre que les temps de regard deviennent nettement inférieurs.
On a considéré qu’un bébé est habitué lorsque deux ou trois essais consécutifs
sont plus courts que la moitié de la moyenne des deux ou trois premiers essais.
Les progrès informatiques ouvrant de nouvelles facilités de calculs, il devenait
possible de programmer la procédure (Pêcheux et Barbin, 1987) et de calculer la
moyenne sur trois essais plutôt que sur deux, comme décidé auparavant. Beau-
coup d’aménagements de cette procédure ont été soumis en observant toutes
les particularités des courbes d’habituation. Par exemple, il était fréquent de voir
des bébés regarder peu au début de l’expérience, puis se mettre à s’y intéresser à
partir du quatrième ou cinquième essai. Pour pallier cet inconvénient, les cher-
cheurs calculèrent la moyenne de référence sur les trois essais comportant les
durées de fixation les plus longues et/ou présentèrent aux bébés en tout début
d’expérimentation un stimulus neutre (warming-up) pour capter leur attention
avant de commencer l’habituation.
Toutes ces décisions paraissent un peu arbitraires mais sont le résultat d’une
longue réflexion pour trouver la méthodologie la plus fiable. Comme il n’existe
pas de paradigme parfait, petit à petit les recherches vont s’orienter vers un critère
empirique absolu avec, par exemple, la recherche de trois essais consécutifs infé-
rieurs ou égaux à 3 secondes. Dans la description méthodologique des articles,
une grande partie est dédiée à la justification du critère d’habituation. Chaque
auteur fait des choix qui lui sont propres, ce qui rend parfois les comparaisons des
résultats difficiles.
La figure 1.3, d’après l’article de Pêcheux et Barbin (1987), résume assez bien les
trois critères habituels en montrant que, selon le critère choisi, le nombre d’essais
d’habituation ne sera pas le même.
Une fois le critère d’habituation atteint, il faut passer à la phase test et de nouveau
différentes écoles conseillent des méthodes différentes. Nous pourrons trouver six
essais tests en alternant le stimulus nouveau et le familier (NFNFNF), mais aussi en
contrebalançant les groupes pour annuler les remontées d’attention spontanée
(FNFNFN). Une autre proposition de sur-habituation a été faite toujours pour évi-
ter les remontées de durée de fixation non liées au changement de stimulus. Une
14 Les bases de la recherche

Figure 1.3. Différents critères d’habituation selon Pêcheux et Barbin (1987).


C : critère Cohen = deux essais consécutifs inférieurs ou égaux à la moyenne des deux
premiers essais – atteint ici en 20 essais. H : critère Horowitz = deux essais consécutifs
inférieurs ou égaux à la moyenne des deux essais les plus longs – atteint ici en
14 essais. A : critère absolu = 3 essais consécutifs inférieurs ou égaux à 3 secondes.

partie des sujets reçoit le stimulus nouveau alors qu’une autre reçoit le stimulus
familier. C’est une procédure coûteuse qui oblige à recruter plus de bébés pour
avoir un groupe contrôle. Mais comme c’est dans les vieux pots qu’on fait les meil-
leures soupes, nous retrouvons souvent une procédure mixte avec un stimulus
d’habituation présenté isolément et, en phase test, les deux stimuli (le nouveau et
le familier) présentés côte à côte et intervertis à chaque essai-test.
Un exemple est donné à la figure 1.4 de la représentation graphique des durées
de fixation (en secondes) pendant la fin de la phase d’habituation (les six derniers
essais) et pendant les six essais de la phase test sur chacune des cibles. Ici, les bébés
regardent plus longtemps le stimulus familier.

Figure 1.4. Illustration d’une courbe d’habituation et la phase test.


Comment savoir ce que le bébé pense ? Avec un peu de méthode ! 15

La préférence pour la nouveauté a posé aussi de sérieuses questions aux cher-


cheurs. Dans certains cas (surtout pour les stimuli complexes), et à certains âges
(surtout pour les plus jeunes), il est courant d’observer des bébés préférant le
« familier ».

Généralisation de la méthode
Ces paradigmes ont surtout été féconds pour étudier la perception visuelle du
nourrisson, mais aussi ses compétences cognitives via ses choix, voire… ses pré-
férences.
Cette procédure a beaucoup évolué, en permettant surtout aux chercheurs de
fabriquer numériquement des stimuli plus complexes et affichables sur écran. Elle
a été particulièrement bénéfique pour questionner le bébé sur ses capacités de
catégorisation. Les chercheurs présentaient isolément des stimuli différents mais
appartenant tous à une même catégorie (par exemple des quadrilatères), puis en
phase test ils présentaient l’un à côté de l’autre un nouveau quadrilatère jamais
vu mais appartenant à la même catégorie (donc familier par la catégorie) ou un
triangle (catégorie différente donc nouvelle).
De nos jours, nous trouvons beaucoup moins d’innovation dans la méthodologie,
bien que toutes les questions ne soient pas réglées.
Une récente application de cette méthodologie pour l’étude des compétences
cognitives du bébé a été développée. Comment le bébé perçoit-il le monde, mais
surtout que comprend-il des lois physiques qui le régissent ? Que comprend-il
aussi des comportements humains ? Ce nouveau paradigme qui porte le nom
de l’événement impossible (ou « violation des attentes » ou « transgression des
attentes ») est l’invention méthodologique des années 1980. Quel que soit son
nom, cette procédure part du principe qu’un bébé marquera son étonnement
par une durée de regard plus longue si on lui présente quelque chose qu’il juge
impossible. Après une phase d’habituation ou de familiarisation sur un certain
type d’événement souvent présenté sous forme de film, le bébé verra deux suites
de cet évènement : soit un événement possible (normal), soit un événement
impossible. Mise au point par R. Baillargeon et al. (1985), cette procédure est très
en vogue et a produit de grandes avancées dans l’étude des capacités de raison-
nement du bébé.
La figure 1.5 montre la situation classique qui fit affirmer à Baillargeon que le bébé
avait la permanence de l’objet plus tôt que ne le pensait Piaget.
Actuellement, de nombreuses recherches bénéficient des nouvelles technologies.
Les durées de fixation prises en direct par l’expérimentateur sont maintenant
complétées par des appareils (eye tracker) qui localisent les pupilles sans gêner le
bébé pour en déterminer les localisations, le trajet, les durées d’exploration et la
dilatation.
16 Les bases de la recherche

Figure 1.5. Expérience de Baillargeon sur la permanence de l’objet chez des bébés
de 5 mois.
D’après Baillargeon, R., Object permanence in 3 1/2- and 4 1/2-month old infants, Dev Psychol, 1987, 23, 5, 655–664.

Voici, à titre d’exemple, d’autres comportements qui nous ont éclairé sur les
compétences du bébé :
■ l’orientation de la tête est une mesure très pertinente pour repérer les capacités
de discrimination olfactive des nourrissons ;
■ la prise de connaissance des objets s’est aussi faite par l’intermédiaire de
l’habituation tactile. La procédure était la même que pour le visuel, mais elle
comptabilisait des durées de tenue des objets dans les mains pour en mesurer la
reconnaissance. Elle a aussi été couplée à l’habituation visuelle pour mesurer les
transferts d’informations entre la vision et le toucher ;
■ la perception auditive a été étudiée via un comportement facilement repérable :
la succion. Considérée longtemps comme reflexe et rigide, elle a été réhabilitée
comme mesure d’attention chez le bébé. Mise au point par Eimas (Eimas et al.,
1971), elle a été utilisée pour mesurer les capacités de discrimination auditive du
nouveau-né et du nourrisson jusqu’à 4 mois. Par cette procédure, les chercheurs
enregistraient la pression exercée par le bébé sur la tétine via des capteurs de pres-
sion situés à l’intérieur. Il s’agissait de succion non nutritive. Au terme d’une ligne
de base de quelques minutes pendant laquelle le bébé tétait sans stimulation, ils
lui délivraient un son à chaque fois qu’il exerçait une pression. Le rythme de suc-
cion augmentait au début puis se stabilisait et enfin diminuait. C’est à ce moment
que les chercheurs présentaient un nouveau son au bébé et qu’ils pouvaient
mesurer s’il y avait un regain d’activité. Cette technique – high-amplitude sucking
procedure (HAS) – s’apparentait à celle de l’habituation/déshabituation. Sa mise
en œuvre était très lourde et les données difficiles à analyser. De nos jours, elle est
presque abandonnée. Elle a permis toutefois de découvrir les grandes capacités
d’apprentissage du nouveau-né.
Toutes ces découvertes donnaient envie d’aller plus loin. Comment le bébé
percevait-il les sons du langage et plus particulièrement les sons de sa langue ?
Comment reconnaissait-il des mots dans une phrase ? La technique de la succion
non nutritive étant compliquée et limitée en âge, les chercheurs ont eu l’idée
Comment savoir ce que le bébé pense ? Avec un peu de méthode ! 17

d’utiliser les durées de fixations visuelles comme réponse à des stimuli auditifs.
Le bébé est attiré vers une petite lumière soit à droite, soit à gauche et son orien-
tation est « récompensée » par l’émission d’un son qu’il peut faire durer en res-
tant dans la direction du haut-parleur. Cette procédure s’apparente à celle de
l’habituation/réaction à la nouveauté. Après une phase de familiarisation sur un
stimulus sonore (ou un groupe de stimuli), le bébé entendra alternativement le
son familier puis un son nouveau. Les durées de fixation dans la direction des
sons nous renseignent sur l’intérêt du bébé et donc sur ses capacités de dis-
crimination.
Pour savoir ce que le bébé pense, nous avons pris en compte ses comportements
d’intérêt par l’orientation du regard, son étonnement par les durées de regard,
mais ses réactions physiologiques (rythme cardiaque et activité cérébrale) peuvent
aussi nous apporter quelques éléments de réponse. La modification du rythme
cardiaque est une réaction surtout intéressante à exploiter chez le fœtus. Comme
pour toutes mesures d’un changement de rythme, il faut d’abord évaluer un taux
de base avant d’introduire les stimuli. Les battements du cœur étant susceptibles
d’habituation, il devient possible de mesurer les modifications du rythme lors de
la présentation d’un nouveau stimulus. Habituellement, les chercheurs s’attendent
à une décélération. La réactivité de l’organisme à des changements, mesurée par
des indices physiologiques, n’est pas toujours facile à analyser et demande beau-
coup de prudence dans les interprétations. Elle peut être couplée à des indices
comportementaux.
Les techniques d’imagerie cérébrale se sont beaucoup développées chez le bébé.
On peut citer la tomographie par émission de positons (TEP), l’imagerie par
résonance magnétique (IRM), la magnétoencéphalographie (MEG), l’électroen-
céphalographie (EEG), la spectroscopie dans le proche infrarouge (near infrared
spectroscopy [NIRS]). Ces techniques recueillent l’activité électrique ou magné-
tique du cerveau dont certaines reposent sur le principe qu’il existe un lien entre
l’activité cérébrale et le flux sanguin. Plus une région est sollicitée, plus elle reçoit
de l’hémoglobine chargée d’oxygène et de glucose.
De plus en plus de laboratoire utilisent ces techniques qui étaient déjà au point
chez l’adulte, mais qui devaient être adaptées au jeune public. Le bébé détestant
être contraint, la situation la plus avantageuse reste l’EEG et l’enregistrement des
potentiels évoqués1. Les fabricants d’électrodes ont facilité la pose en proposant
des bonnets à la taille des petites têtes des bébés plus rapides à installer. L’inter-
prétation des données est tributaire de la maturation du cerveau et implique de
bien connaître les contraintes de la diffusion du signal électrique avant d’inférer
les compétences cognitives. Le paradigme habituel en EEG est celui d’oddball et
s’adapte tout à fait aux recherches chez le bébé. Deux stimuli différents (visuel

1 Potentiel évoqué : réponse électrique du cerveau à une stimulation externe (visuelle, auditive ou
sensitive).
18 Les bases de la recherche

ou auditif) sont présentés alternativement et aléatoirement dans des proportions


différentes, souvent 80 % du temps pour l’un et 20 % pour l’autre. Le cortex céré-
bral réagira à cette différence en émettant un signal de surprise lors de la présen-
tation du stimulus dont la probabilité d’apparition est la plus faible. Cela sera la
marque d’une discrimination possible. Celle-ci est plus rapide à recueillir qu’avec
d’autres paradigmes expérimentaux, mais elle est encore coûteuse en appareillage.
Avec l’EEG, le signal électrique nous renseigne sur la temporalité du traitement
de l’information. Par exemple, une onde spécifique, la N400 (qui apparaît 400
ms après l’arrivée du stimulus), est un marqueur du traitement sémantique d’un
mot. Cependant, l’EEG ne sera pas un bon indicateur de la localisation spatiale du
traitement de l’information. On préférera l’imagerie par résonance magnétique
fonctionnelle (IRMf) pour cela.

Conclusion
Les recherches consacrées au fœtus et au nourrisson ont bénéficié d’une grande
réflexion méthodologique, mais elles ont dû aussi répondre à des problèmes
éthiques et déontologiques. Elles doivent être menées dans des laboratoires bien
équipés avec du personnel formé, ou dans des maternités, pour les études sur les
fœtus ou les nouveau-nés. Chaque étude fait l’objet d’une demande d’agrément
et est soumise à un comité d’éthique garant de sa non-dangerosité. Les bébés
sont toujours en présence d’un parent. On peut s’inquiéter de les voir avec un
bonnet d’électrodes sur la tête, mais il faut savoir qu’ils ont un pouvoir fantastique
de décision. Ils pleurent ou s’endorment si la situation ne leur convient pas et rien
n’y pourra changer. C’est à l’expérimentateur de penser sa situation expérimentale
pour qu’elle plaise au bébé !
Les résultats sont fondés sur des statistiques et nécessitent un grand nombre de
sujets pour atténuer la variabilité individuelle très importante chez les bébés. Pour
tester une hypothèse, il est fréquent d’avoir convoqué deux fois plus de bébés
que ceux annoncés dans la procédure expérimentale et certains âges sont plus
délicats que d’autres.
Pour trouver des bébés de l’âge désiré, il faut aussi une infrastructure efficace.
Les gros laboratoires consacrent du personnel au recrutement des bébés via des
courriers et des appels téléphoniques auprès des parents pour leur demander
leur participation qui sera toujours fondée sur le volontariat et le bénévolat. La
procédure expérimentale qui vise à étudier les changements pendant le déve-
loppement peut se faire soit longitudinalement (les bébés sont testés à différents
âges), soit transversalement (en prenant des groupes de bébés d’âges différents).
Bien que présentant des similitudes, ces deux méthodes ne sont pas tout à fait
comparables. Cependant, la méthode transversale est souvent préférée car beau-
coup plus rapide pour obtenir des résultats.
La recherche coûte cher mais la connaissance n’a pas de prix ! (Keen Clifton, 2001).
Comment savoir ce que le bébé pense ? Avec un peu de méthode ! 19

Références
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Wallon, H. (1956). La psychologie génétique. Bulletin de Psychologie, 1.
CHAPITRE

2
Évaluer le
développement du
nourrisson : principes
et pratiques

A. Bobin-Bègue

PLAN DU CHAPITRE
■ Présentation du Brunet-Lézine révisé
• Genèse de l’échelle
• Rappels des caractéristiques statistiques et métrologiques du Brunet-Lézine
révisé
■ Le Bayley, l’échelle concurrente du Brunet-Lézine révisé
■ Principes guidant l’utilisation du Brunet-Lézine révisé
• L’intérêt d’un test généraliste
• L’intérêt d’une passation et surtout de plusieurs passations d’évaluation
• Les principes de construction de l’échelle
■ Considérations pratiques autour de l’examen du Brunet-Lézine révisé
• La demande
• L’espace d’accueil
• Le déroulement
• Les rôles de l’examinateur
■ Se positionner en tant qu’examinateur
• Comment intégrer le parent
• Composer avec l’enfant
• Enrichir la passation
Le développement du bébé de la vie fœtale à la marche
© 2019, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
22 Les bases de la recherche

■ Après la passation
• La cotation et le compte-rendu
• Savoir être attentif aux signaux d’alerte
■ Conclusion

Les connaissances concernant les trajectoires développementales du nourrisson


et la façon dont celui-ci acquiert des connaissances sur son environnement s’enri-
chissent régulièrement. Savoir où un nourrisson en est dans son développement
psychomoteur, sociocognitif et langagier est essentiel. Le professionnel franco-
phone qui souhaite questionner le niveau de développement du nourrisson dis-
pose d’un outil conçu pour cela : l’échelle de Brunet-Lézine révisée. Il s’agit d’un
outil généraliste développé pour la population française. Comme pour toutes les
échelles de ce type, le manuel de passation détaille clairement toutes les informa-
tions opérationnelles afin d’assurer une passation et une cotation standardisées.
Ces aspects ne seront donc pas évoqués ici directement.
Le premier objet de ce chapitre est de présenter ou de rappeler les principes qui
ont conduit à la structure de cette échelle et qui guident la passation mais aussi les
interprétations. Le deuxième objet est de pointer différents aspects de la pratique
de la passation, qui ne sont pas explicitement évoqués dans le manuel, parce que
la clinique du nourrisson est une clinique de l’adaptation. Plusieurs aspects de
cette pratique seront ainsi abordés, et d’abord ceux liés directement à la passation
et pour lesquels seront développés quelques réflexions : comment accueillir les
parents et l’enfant, comment disposer l’espace et le rôle de l’examinateur dans la
passation. Mais dans cette pratique, l’examinateur n’est pas un simple opérateur
et c’est pourquoi seront abordées ensuite les réflexions autour du positionnement
de l’examinateur par rapport à l’enfant, à ses parents, au cadre qu’il doit respecter
et comment il est possible d’enrichir la passation. Enfin, ce chapitre se terminera
sur de rapides considérations sur l’après-passation : que faire des résultats ? Quels
sont les principes du compte-rendu ? Comment les transmettre et quelle suite
donner ? Ainsi, ce chapitre propose des informations issues de la pratique de cet
examen de même que des éléments de réflexion autour de l’administration de
l’outil qui émanent des contraintes et du cadre de passation. En complément de
la lecture du manuel, ces considérations visent à permettre à l’examinateur de
rendre sa passation plus fluide et plus riche et à faire en sorte qu’elle puisse lui
fournir une description plus fine et nuancée du fonctionnement de l’enfant.

Présentation du Brunet-Lézine révisé


Genèse de l’échelle
La préoccupation d’évaluer le développement du nourrisson est apparue progres-
sivement dans la deuxième moitié du xxe siècle à mesure que les préoccupations
Évaluer le développement du nourrisson : principes et pratiques 23

d’ordre vital étaient mieux maîtrisées. La question était alors de détecter les diffi-
cultés et les retards développementaux par rapport à une norme établie dans la
population de référence. De nos jours, les outils d’évaluation du développement
sont envisagés aussi comme un moyen de caractériser la trajectoire développe-
mentale de l’enfant, d’identifier ses forces et ses faiblesses, mais aussi d’obtenir des
indications sur son fonctionnement et sa relation à son parent1. Les principaux
outils d’évaluation ont régulièrement été remis à jour, révisés et modifiés et rééta-
lonnés. Il existe aujourd’hui un nombre limité d’outils d’évaluation généralistes du
tout petit. Actuellement, deux outils peuvent servir de référence : le Brunet-Lézine
et le Bayley.
Le Brunet-Lézine est l’outil le plus ancien. Son histoire débute en 1942, quand
René Zazzo décide d’entreprendre l’étude du développement psychomoteur du
nourrisson à une époque où l’intérêt pour le nourrisson est centré sur les aspects
somatiques. Élève d’Henri Wallon, il cherche un outil qui puisse contribuer au
diagnostic du nourrisson, et plus précisément des jumeaux, et s’intégrer dans un
plan général de recherches sur l’hérédité et le milieu. Comme aucune échelle de
mesures n’existait en France pour les moins de 3 ans, Zazzo suggéra de s’inspirer
des échelles de Charlotte Bühler et d’Arnold Gesell, et des méthodes d’observa-
tion de ce dernier. Il confie ce travail à Irène Lézine qui, dès 1943, procède aux
premières observations. Elle fait le constat qu’une transposition des épreuves
américaines et viennoises aux enfants français n’est envisageable qu’à la condition
de les adapter.
Les premières élaborations de l’outil laissent déjà entrevoir la distinction entre
quatre dimensions du comportement : les dimensions posturale, verbale, de coor-
dination et de sociabilité. L’idée d’une évaluation quantitative du développement
psychomoteur apparaît indispensable, d’autant que la notion de quotient de
développement était déjà présente dans les travaux de Bühler : son outil compa-
raît l’âge chronologique des enfants à leur âge de développement en attribuant à
chaque item2 une valeur en jours. Cette conception a été reprise dans le dévelop-
pement du Brunet-Lézine.
Ainsi, l’échelle se présente d’emblée comme graduée afin de mieux rendre
compte des oscillations individuelles du développement. L’empreinte de Wal-
lon se retrouve dans cette approche (dimensions et graduation) qui envisage le
développement du jeune enfant comme suivant des dynamiques qui peuvent
différer d’une dimension à l’autre. En 1946, Odette Brunet reprend l’étalonnage
à la suite d’Irène Lézine pour en faire un « instrument de pronostic », dans un

1 Dans ce chapitre, le terme de parent est utilisé pour désigner la personne qui s’occupe de l’enfant
au quotidien, dans le sens du caregiver des Anglo-Saxons.
2 Un item est l’unité de codage d’une échelle. Il correspond le plus souvent soit à une situation
visant à induire un comportement de la part de l’enfant, soit à une question posée au parent sur
un comportement de l’enfant.
24 Les bases de la recherche

« but de prophylaxie3 mentale et de dépistage précoce des anormaux ». L’objectif


des auteurs était de mettre au point une échelle de tests rigoureuse et facile à
appliquer malgré des conditions d’examen souvent difficiles voire défavorables.
Pour identifier les items qui constitueront l’échelle, la construction de l’outil s’est
appuyée sur la combinaison de l’observation naïve, de l’observation dirigée (par
les jeunes parents psychologues) et de l’analyse de vidéo. Compte tenu de la diffi-
culté à motiver des parents à tenir sur la durée de l’étude, le recours à des parents
psychologues tenant un journal précisant les comportements quotidiens de leur
bébé s’est imposé.
La première version complète fut publiée en 1951, en faisant l’un des premiers
outils saisissant le bébé dans sa globalité. La dernière version a été révisée par
Denise Josse en 1997. Le Brunet-Lézine est un outil d’évaluation où les auteurs
ont privilégié des situations et un matériel simples, proches des situations habi-
tuelles de l’enfant, une administration facile et des épreuves clairement défi-
nies pour susciter un comportement immédiat et non équivoque de l’enfant
(figure 2.1). Ces situations tests sont complétées par des questions au parent
sur les comportements de l’enfant qu’il n’est pas possible d’induire dans le cadre
d’une passation.

Rappels des caractéristiques statistiques et métrologiques


du Brunet-Lézine révisé
Le Brunet-Lézine révisé (BLR) a été étalonné sur un échantillon de 1 055 enfants
des deux sexes âgés de 2 à 30 mois, vus entre 1994 et 1996, ayant différents types
de mode de garde et répartis de manière non représentative sur le territoire fran-
çais et luxembourgeois (groupe d’enfants francophones). Toutes les informations
concernant l’échantillon sont consignées dans le manuel. Les informations socio-
démographiques montrent que l’échantillon des enfants de l’étalonnage est assez
proche de la population générale française de l’époque.
La sensibilité globale du test est bonne : l’échelle discrimine bien les sujets entre
eux. Néanmoins, cette sensibilité n’est pas homogène entre deux âges successifs
et l’examinateur doit avoir à l’esprit que le pouvoir différenciateur de cette échelle
en termes d’âge développemental peut parfois varier pour certains âges successifs
entre certaines échelles (pour les détails, se reporter au manuel). Le BLR a une très
bonne stabilité au test-retest, à l’exception de l’échelle de sociabilité à 6 mois, ce
qui est explicité par les auteurs par un choix méthodologique. Enfin, les items sont
homogènes entre eux, conférant au test une bonne fidélité interne.

3 La prophylaxie se définit comme l’« ensemble de moyens médicaux mis en œuvre pour empêcher
l’apparition, l’aggravation ou l’extension des maladies » (Larousse, https://www.larousse.fr/diction-
naires/francais/prophylaxie/64379).
Évaluer le développement du nourrisson : principes et pratiques 25

Figure 2.1. Présentation schématique des items du Brunet-Lézine révisé.

L’étalonnage n’a pas été revu depuis les années 90 ; les compétences de la popu-
lation ont donc pu varier sensiblement depuis (effet Flynn). Son matériel et son
« esthétique » peuvent parfois questionner, notamment en ce qui concerne
les images à identifier. Mais ce point est probablement mineur si l’on considère
que les imagiers des enfants ont eux aussi peu évolué. L’étalonnage des items
de langage peut donc être relativement inadapté depuis la dernière révision. En
revanche, peu de différences sont attendues pour les autres domaines. Aussi, le
BLR reste un outil tout à fait approprié, notamment si l’évaluation porte sur des
bébés de moins de 1 an, car les items reposent peu sur du langage.

Le Bayley, l’échelle concurrente du Brunet-Lézine


révisé
Le Bayley Scales of Infant and Toddler Development est un autre outil d’évaluation
généraliste américain élaboré par Nancy Bayley (BSID-I, 1969). Très similaire au
Brunet-Lézine, ce test est aussi plus complet et donc plus long à administrer. Il
26 Les bases de la recherche

s’adresse à des enfants de 16 jours à 42,5 mois, là où le Brunet-Lézine s’adresse à


des enfants de 2 à 30 mois. Cet outil américain en est actuellement à sa troisième
version (parue en 2005), une version française est en cours de validation. Bien
qu’assez proche, il est très hasardeux de l’utiliser en ayant simplement traduit
littéralement les consignes. Ainsi, l’imprégnation de la culture américaine de cet
outil apparaît dans la description très opératoire des items et il est nécessaire de
bien connaître le développement et la logique des items pour comprendre ce
qu’ils évaluent spécifiquement. Il existe aussi de vraies différences culturelles dans
la formulation des questions et des différences liées simplement à la langue pour
les items de langage, rendant certains items inconsistants par une simple traduc-
tion. De plus, la dernière version du Bayley a été étalonnée sur une population
américaine il y a bientôt 20 ans, rendant l’utilisation des normes sans intérêt.

Principes guidant l’utilisation du Brunet-Lézine


révisé
L’intérêt d’un test généraliste
Le recours à un outil d’évaluation généraliste du développement peut être justifié
dans le cadre de différents questionnements. Il peut s’agir :
■ d’une démarche systématique qui viserait en institution ou en cabinet à appré-
cier le développement d’un enfant vu pour la première fois ;
■ d’une recherche qui pose une question spécifique sur un état de fait ;
■ ou bien dans le cadre d’une suspicion d’un trouble, d’une difficulté ou d’une
atypicité de fonctionnement.
Pour le BLR, comme pour beaucoup d’échelles, il s’agit d’évaluer le niveau développe­
mental de l’enfant, dans les quatre domaines de compétences (posture, coor-
dination, social et langage). La passation permet de déterminer les compétences
acquises dans chaque domaine et ainsi de fournir un âge développemental, qui est
comparé à l’âge chronologique de l’enfant. Pour chaque domaine, le rapport entre
l’âge développemental et l’âge chronologique situe le développement de l’enfant
dans sa population de référence. Ensemble, ces différents indicateurs permettent
d’établir un profil synthétique du développement de l’enfant à une date donnée.
Les qualités psychométriques permettent ainsi de confirmer un développement
homogène et adapté à l’âge chronologique de l’enfant ou peuvent révéler des
hétérogénéités, des facilités ou des difficultés, ou bien – ce qui peut arriver fré-
quemment – simplement questionner. À partir de ces informations, le profes-
sionnel et les équipes pourront déterminer la suite à donner à cette évaluation :
si les résultats de l’évaluation questionnent, alors d’autres investigations plus spé-
cifiques seront proposées par les professionnels, et si les informations mettent au
jour une difficulté avérée, alors une prise en charge adéquate sera proposée.
Évaluer le développement du nourrisson : principes et pratiques 27

L’intérêt d’une passation et surtout de plusieurs passations


d’évaluation
Néanmoins, si cette évaluation est utile en première intention pour caractériser
le profil développemental de l’enfant, il faut se rappeler qu’elle est dans une dyna-
mique développementale et que la passation ne produit qu’une photographie qui
serait extraite d’une vidéo continue. La sensibilité étant très bonne, l’évaluation
détecte bien les écarts au développement, mais la valeur prédictive des résultats
reste limitée. Les résultats obtenus poussent donc soit à des investigations plus
spécifiques, soit à reprogrammer une évaluation dans un délai compatible avec
la question développementale posée. Par voie de conséquence, bien qu’il n’y ait
pas de formation requise à ces tests, il est indispensable pour l’examinateur de
connaître la chronologie et la dynamique des grandes étapes de développement
dans les domaines évalués. Ainsi, par exemple, en cas de doute sur le développe-
ment postural, revoir l’enfant dans un délai de 6 mois est beaucoup trop tardif
pour espérer mettre en place une prise en charge efficace. Il est à noter que les
items posturaux sont les moins prédictifs. Le manuel du BLR discute ces aspects.

Les principes de construction de l’échelle


L’échelle du BLR évalue les compétences de l’enfant dans les domaines postural,
de coordination, de langage et du développement social. Pour chacun de ces
domaines investigués, l’examinateur propose à l’enfant une situation inductrice
d’un comportement qu’on suppose voir se produire spontanément chez l’enfant
pour son âge chronologique. S’il réussit, un item « supérieur » lui est proposé, et
s’il échoue, il est nécessaire de déterminer quels items il réussit dans le domaine
exploré.
En plus des situations induites par l’examinateur, certains comportements atten-
dus pour l’évaluation peuvent se produire spontanément lors de la passation.
D’autres, difficiles à obtenir dans ces conditions, nécessiteront de questionner le
parent ; ces cas de figure sont intégrés à la logique de construction de l’outil. La
description des consignes et de chaque comportement attendu est précisément
décrite dans le manuel, afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté pour l’examinateur sur
la cotation des items lorsqu’ils sont réussis ou lorsqu’ils sont échoués.
L’organisation de la passation est présentée sur le cahier d’examen dans l’ordre
chronologique prévu pour la passation de l’échelle. Le cahier liste les situations
et, pour chacune d’elles, donne en fonction de l’âge les items qui doivent être
proposés. Si aucune formation n’est requise pour utiliser cette échelle, il est indis-
pensable de connaître avec précision les étapes développementales attendues
afin de parfaitement cerner les compétences évaluées par chacun des items. Dans
ce cahier, une large place est réservée pour noter les observations lors de la pas-
sation et la première page consigne les informations sur la vie de l’enfant.
28 Les bases de la recherche

Les résultats des items réussis et échoués sont ensuite synthétisés dans le cahier
de profil, qui permet de visualiser les compétences attendues par âge. La première
page de ce cahier permet de calculer les quotients dans chaque domaine et de les
reporter sur un graphique pour visualiser le profil de l’enfant.

Une échelle pour les enfants âgés de 2 à 30 mois


La disponibilité attentionnelle à ces âges varie de façon importante ; il est donc
nécessaire de veiller à ce que l’enfant soit vu à un moment favorable pour lui.
Cette disponibilité attentionnelle conditionne la durée d’administration du BLR :
avant 12 mois, il faut prévoir environ 30 minutes ; pour les plus âgés, la passation
dure plutôt 50 minutes. Ces durées moyennes peuvent varier en fonction de
la familiarisation de l’examinateur à l’administration de l’échelle, des réussites et
échecs de l’enfant, et de sa coopération pendant la passation. Il est admis que
l’examinateur doit s’adapter et adapter sa technique de passation au besoin de
l’enfant, à son tempérament et à sa disponibilité. En revanche, il est fortement
recommandé de réaliser la passation en une fois, quitte à faire des pauses (nourrir
l’enfant, le faire jouer avec son parent, le changer, etc.).
Enfin, bien que cette échelle soit conçue pour évaluer des nouveau-nés dès
2 mois, les compétences du nourrisson à cette période de la vie sont mal évaluées,
y compris par les autres outils existants (comme le NBAS, ou Neonatal Behavioral
Assessment Scale, de Brazelton). L’examinateur sera donc vigilant dans ses inter-
prétations du profil des nourrissons de 2 voire 3 mois.

Une cotation d’un nombre limité d’items par âge développemental


Le principe pour la cotation du Brunet-Lézine est d’obtenir le niveau d’âge déve-
loppemental pour lequel l’enfant réussit tous les items des quatre domaines et de
poursuivre ensuite l’exploration en faisant passer des items requérant un niveau
de développement plus avancé. Cette procédure permet de définir le profil déve-
loppemental de l’enfant. Néanmoins, pour des profils de développement hétéro-
gènes, il peut y avoir des « trous ». La cotation intègre ce fait. Une autre possibilité
est que certains comportements ne s’expriment plus alors que le suivant n’est
pas encore acquis, comme lors de l’émergence d’une compétence, par exemple le
mode de préhension : l’enfant ne saisit plus la pastille dans un mode de préhen-
sion palmaire et il cherche à utiliser son pouce sans parvenir à attraper la pastille.
L’item est échoué, le précédent n’est plus observé. La cotation des items se faisant
en réussite ou échec (dichotomique), cela ne permet pas d’intégrer à la des-
cription du profil développemental l’émergence d’un comportement, car il sera
considéré comme échoué. Il peut donc être pertinent d’intégrer ces émergences
à la cotation pour plus de nuance. Comme seulement dix items sont nécessaires
pour valider un âge, chaque item réussi ou échoué peut exagérer une avance
ou un retard si c’est le seul à valider l’âge dans le domaine correspondant. Les
commentaires consignés par l’examinateur sont donc importants pour éclairer
Évaluer le développement du nourrisson : principes et pratiques 29

le score obtenu par l’enfant (voir plus loin). L’avantage d’être rapide à administrer
confère ainsi certaines limites au BLR.

La place de l’observation dans la dynamique de la passation


Le cahier d’examen réserve une large place pour les notes de l’examinateur.
Cette place laissée aux relevés des observations doit permettre à l’examinateur
de relever des indicateurs indirects précisant la qualité du développement. Ainsi,
les comportements émergents, les blocages, les refus, la qualité de l’attention, les
inhibitions, les hésitations, etc. sont autant d’informations pertinentes qui vont
éclairer le profil développemental de l’enfant. En particulier, l’examinateur pourra
prendre l’initiative d’être attentif à la latéralisation des réponses et des postures.
Cette question est investiguée dans l’échelle de Bayley, mais pas dans le Brunet-
Lézine, où les objets sont présentés dans l’axe médian. Or, toutes ces observations
complémentaires ne sont pas coûteuses en temps et peuvent permettre de met-
tre au jour des problématiques posturales ou neurologiques chez le tout petit.
Ce large espace a aussi pour conséquence que le cahier d’examen comporte plu-
sieurs pages et qu’il peut être difficile à manipuler au cours de la passation. Pour
faciliter son utilisation et s’y repérer rapidement, surligner les items correspondant
à l’âge chronologique de l’enfant peut aider à un repérage efficace.

Une prise en compte des données cliniques


Le cahier d’examen prévoit aussi le recueil d’informations relatives à la vie de
l’enfant depuis sa naissance (information relative à la naissance, fratrie, mode
de garde, grandes étapes développementales, etc.), signant ainsi l’importance à
considérer l’enfant dans une dynamique et un contexte de vie, ce qui est en parfait
accord avec l’état actuel des connaissances. Cette démarche n’est pas effectuée
dans le recueil de données du Bayley par exemple.
Le temps consacré à ce recueil présente aussi l’avantage de donner le temps pour
installer la relation avec le parent et le temps pour l’enfant de se familiariser avec la
situation, avant de démarrer la passation. Une réserve toutefois qui sera à l’appré-
ciation de l’examinateur : dans le cadre d’un examen dans un parcours de soins
lourd ou compliqué, la réalité est souvent que le parent peut légitimement être
lassé de fournir toujours les mêmes informations à des professionnels différents.
Dans ces situations, il est sage de consulter le dossier médical à l’avance pour récu-
pérer le maximum d’informations.

Considérations pratiques autour de l’examen du


Brunet-Lézine révisé
Cette partie du chapitre vise à replacer l’examen du Brunet-Lézine, comme
n’importe quel examen armé, dans un cadre et un contexte. Il s’agit donc ici de
30 Les bases de la recherche

pointer des éléments déterminants en lien avec la passation et qui ne sont pas
discutés dans le manuel.

La demande
La demande d’examen émane rarement du parent. Dans la plupart des situations,
la demande est faite par un professionnel dans un cadre clinique ou dans le cadre
d’une recherche.
L’utilisation de l’échelle dans le cadre de la recherche peut conduire à penser qu’il
n’y a pas de demande de la part du parent de l’enfant. En effet, le protocole de
recherche prévoit de proposer l’inclusion à des personnes qui répondent aux
critères prévus par la recherche. Pourtant, le respect des règles d’éthique et de
déontologie permet aux personnes de refuser de participer. Ce sont donc des
données qui échappent à l’exploration, l’analyse envisagée dans la question de
recherche. De plus, les personnes qui acceptent ne sont pas nécessairement
« tout-venant » et ce fait peut s’apparenter à une demande indirecte (obtenir
des informations expertes sur son enfant, être narcissisé par ce focus, utiliser cette
participation comme un faire-valoir social, etc.). Il est donc nécessaire de recueillir
des informations complémentaires permettant de décrire la population d’étude
(partie « participant » de la description de la recherche). Ces informations des-
criptives sont indispensables pour questionner la validité des résultats (sans pour
autant les remettre en question).
La deuxième situation possible est celle d’une recherche exploitant les données
cliniques recueillies dans une institution. Cette situation de recherche est évi-
demment à rapprocher de la suivante, celle d’une demande dans le cadre d’une
pratique clinique, puisque les informations sont utilisées a posteriori, de manière
anonyme.
La troisième situation de demande, la plus fréquente, est celle faite dans le cadre
clinique, et est le plus souvent le fait d’un parcours de soins. La demande émane
d’un autre professionnel. L’examinateur s’assurera donc que le parent aura compris
en quoi cet examen apportera une réponse à une question, en quoi elle améliorera
la suite de la prise en charge etc., la demande initiale du parent étant parfois en
apparence éloignée. Dans le cas où la demande d’une évaluation du bébé fait suite
à une demande du parent auprès du professionnel, celui-ci veillera à en détermi-
ner les motifs profonds, comme dans n’importe quelle demande (figure 2.2).
Cadrer l’origine et le contexte de la demande constitue des informations fonda-
mentales pour exploiter convenablement les résultats. En effet, ces deux aspects
de la demande conditionnent le comportement du parent ; or, l’évaluation
s’appuie, comme cela sera évoqué de nouveau, sur les dires des parents et sur ses
comportements et interventions possibles pendant la passation. Certaines infor-
mations obtenues indirectement peuvent tout à fait éclairer des performances :
un parent peut, inconsciemment ou non, vouloir faire-valoir les compétences
Évaluer le développement du nourrisson : principes et pratiques 31

Figure 2.2. Situer la demande de l’examen du Brunet-Lézine révisé.

de son enfant et répondra volontiers : « Oui, mon enfant met les mains dans
son assiette », alors que la réalité ne correspond pas à la compétence attendue
pour l’item (ici, que l’enfant démontre son désir d’autonomie en attrapant par
lui-même les aliments). La prise en compte du cadre de la demande est donc une
étape très importante de la passation.

L’espace d’accueil
Sans décrire les précautions de sécurité et d’hygiène évidentes, certaines actions
peuvent faciliter les passations. Ainsi, le matériel pour la passation doit être pré-
paré pour être choisi rapidement (chercher bruyamment un petit objet au fond
de la valise peut perturber l’attention de l’enfant), mais en veillant à ce qu’il soit
masqué pour l’enfant (l’enfant locomoteur aura vite compris où se trouvent les
jeux). La pièce doit être aménagée pour permettre de réaliser les épreuves loco-
motrices sans gêne ni risque pour l’enfant (coup de pied dans un ballon, jouet à
tirer à reculons). Il est aussi utile de ne pas laisser en évidence des jouets autres
dans la pièce pour les enfants locomoteurs : ils pourraient se détourner de la tâche
que l’examinateur propose.
Pour toutes les épreuves posturales, un tapis ferme et adapté à la taille de la pièce
doit être prévu : tous les tapis ne se valent pas et l’idée est que le bébé soit sur
une surface suffisamment rigide pour faciliter ses changements de postures. Le
mobilier doit aussi inclure une table à hauteur adaptée, de préférence avec un
bord droit, afin de permettre à l’enfant de saisir facilement des objets qui lui seront
proposés sur cette table, en y laissant ses avant-bras reposer confortablement.
Pour que l’enfant soit confortablement assis et stable sans trop d’effort, l’idéal est
d’avoir une petite chaise avec des accoudoirs qui aident à l’équilibre. Les chaises
32 Les bases de la recherche

hautes ne sont pas adaptées dans la mesure où leurs tablettes n’ont pas une sur-
face assez grande pour certaines des épreuves (anneau à tirer par exemple). Pour
les plus petits, il peut être nécessaire d’avoir recours à l’aide du parent afin de
soutenir l’enfant en position assise, en veillant à ce que la position soit confor-
table pour l’enfant. La disposition du mobilier doit permettre au parent de rester
à proximité de son enfant, plutôt derrière ou de côté (pour permettre de faire
de la référenciation sociale) et lui permettre bien entendu d’être installé confor-
tablement, de manière à être détendu pendant qu’il vous observe avec son enfant
(fauteuil ou canapé bas).
Enfin, la disposition du mobilier devra permettre de passer facilement des
épreuves sur le tapis, pour les épreuves posturales, à la table, pour les épreuves de
coordination, tout en ayant sous la main le cahier d’examen pour l’examinateur
(attention, le stylo est souvent très attractif pour l’enfant et les notes prises le sont
pour le parent !).
En complément, l’espace d’accueil peut aussi prévoir la place pour un co-­
examinateur ou pour un dispositif d’enregistrement vidéo ; dans ces deux cas, le
parent devra être prévenu et une autorisation de filmer à lui faire signer devra lui
être proposée le cas échéant.
Un espace bien pensé et fonctionnel est un prérequis indispensable pour une pas-
sation efficace, qui rassurera le parent et l’enfant.

Le déroulement
Le principe est de maximiser les conditions de passation afin que l’enfant puisse
exprimer au mieux ses compétences. Dès lors, avant même la passation, le pre-
mier point à considérer est l’heure du rendez-vous. La chronobiologie de l’enfant
(physiologie, moment de sieste ou de repas), ses rythmes de vie (organisation
sociale), les durée et moyen de transport pour venir (fatigue, stress, stimulations
visuelle, sonores, vestibulaires importantes, interruption d’une sieste, retard d’un
repas) sont des paramètres à prendre en compte autant que possible. Dans la
même logique, la passation doit être la plus courte possible afin de tenir compte
de la disponibilité attentionnelle de l’enfant et, au final, il y a peu de temps morts.
De son côté, l’examinateur doit être disponible et donc s’arranger pour ne pas être
perturbé par des événements extérieurs (téléphone, entrée de personne, etc.). La
passation requiert de gérer plusieurs tâches en même temps : les épreuves elles-
mêmes, ce qu’il doit observer et noter, le fait d’être attentif au comportement de
l’enfant et disponible au comportement voire aux questions du parent. Pour être
à l’aise, de nombreuses passations doivent être expérimentées !
La passation commence dès l’accueil de l’enfant et de son parent ; la réaction
à l’arrivée, la découverte d’un inconnu, d’un nouvel espace, tout cela est révéla-
teur de la curiosité de l’enfant et de son intérêt, de son développement social. La
réaction du parent a aussi son importance puisqu’elle donne des indications sur
Évaluer le développement du nourrisson : principes et pratiques 33

son positionnement relatif à cet examen, sachant que ce positionnement sera


aussi perçu par son enfant. L’examinateur doit donc être vigilant sur ce qui est
vécu à ce moment.
Les épreuves doivent pouvoir s’enchaîner selon la disponibilité de l’enfant.
Parfois, il peut être nécessaire de modifier l’ordre des épreuves. Par exemple,
les épreuves de jeu de ballon sont très plaisantes et il peut être difficile ensuite
de faire assoir l’enfant à une table. Souvent, il est préférable de réserver les
épreuves motrices pour la fin de la passation ou pour un moment de désinves-
tissement.
Le moment du départ, marquant la fin de la passation, est aussi important.
Il permet de vérifier dans quelle mesure l’enfant comprend ce moment, s’il
connaît les signes conventionnels et sociaux. Ce moment a véritablement sa
place dans l’évaluation, même si le manuel n’est pas explicite à ce sujet. De la
même manière, il est indispensable d’expliquer au parent quelle sera la suite
donnée à cette évaluation et de lui permettre de poser des questions. Là encore,
le comportement du parent est important pour envisager l’enfant dans sa glo-
balité.

Les rôles de l’examinateur


S’il est évident que l’examinateur est là pour permettre à l’enfant d’exprimer au
mieux ses compétences, il devra donc être attentif à sa relation avec l’enfant :
comprendre les signaux émis, être prévenant, soutenant, mais aussi cadrant. Il
peut arriver que l’enfant veuille monter sur la table, sortir de la pièce ; il est alors
nécessaire, sans déposséder le parent de son statut, ni en soulignant son défaut
d’autorité, de redonner fermement le cadre. L’ensemble de ce qui se joue dans
cette relation avec l’examinateur – et dans laquelle le parent a sa place – fournit
des informations complémentaires sur le développement social de l’enfant : a-t-il
besoin de regarder son parent avant de faire la tâche ? Est-il sensible aux encou-
ragements ? Son regard est-il fuyant ? Une relation confortable conduira aussi
l’enfant à répondre plus volontiers aux items de langage (identification d’items
et dénomination) ou à produire plus de vocalisations, complétant les réponses
aux questions posées au parent pour évaluer certains items de langage (voir ci-­
dessous le paragraphe « Comment intégrer le parent »).
Si l’examinateur très expérimenté envisage de ne pas prendre de notes au cours de
la passation, il est indispensable de consigner juste après la passation l’ensemble
des faits notables et des impressions cliniques perçus, qu’ils concernent la pas-
sation des items eux-mêmes ou d’autres événements comme un changement
d’attitude du parent, une réaction inattendue de l’enfant, une impression relative
à une particularité motrice, etc. Ces points remarqués à chaud s’oublient rapide-
ment alors même qu’ils peuvent enrichir le compte-rendu de la passation, sou-
vent rédigé à froid, avec plus de distance.
34 Les bases de la recherche

Se positionner en tant qu’examinateur


Cette présentation de l’évaluation du bébé se place dans une approche intégrative
du développement. L’examen du BLR conduit à se représenter les compétences
de l’enfant à l’aide de quatre chiffres le situant dans une norme, mais peut offrir
bien plus. Une bonne connaissance de l’échelle du BLR permet à l’examinateur
d’acquérir une véritable expérience du panel des réponses possibles à des tâches
servant de référentiel. Cette expérience combinée avec les informations issues
du déroulement de la passation (réactions du parent, dynamique d’interaction
avec l’environnement physique et social, et comportement émotionnel) permet
d’avoir une compréhension plus riche du développement de l’enfant. Dans cette
démarche, la passation peut prendre avantage de la présence d’un co-consultant
ou de l’enregistrement vidéo.

Comment intégrer le parent


La présence du parent doit être pensée comme indissociable de la passation, bien
que le manuel du BLR ne soit pas explicite à ce sujet. Selon les motifs qui ont
conduit à cette évaluation, l’examinateur s’assurera que le parent comprenne la
démarche. Ainsi, certaines informations importantes sont à transmettre au parent
au début de la passation (figure 2.3) :
■ l’objectif de la passation en lien avec le cadre ;
■ le principe ludique et adapté des jeux proposés (ne pas parler d’épreuves, mais
de petits jeux ou d’interaction si le bébé est tout jeune) ;
■ le fait qu’il est normal que l’enfant n’arrive pas à faire tout ce qui est proposé :
« Je vais faire des petits jeux avec votre enfant, des jeux qu’il sait faire ou pas
parfois, et c’est normal ».
Cette précaution vise à contrecarrer les enjeux liés à la passation qui peuvent
conduire à des comportements des parents qui perturberaient la passation : un
retrait ou une méfiance qui serait ressenti par l’enfant, des conduites d’aide ou
de soutien au cours des épreuves, des réponses aux questions enjolivées, etc. À

Figure 2.3. La présentation de l’évaluation au parent.


Évaluer le développement du nourrisson : principes et pratiques 35

l’inverse, si le parent est coopérant, il peut être une source d’informations directes
et indirectes et lui, de son côté, peut bénéficier de découvrir les compétences
de son enfant. Ainsi, souvent, l’une des épreuves les plus surprenantes pour le
parent est l’item de la préhension de la pastille : à un âge où les enfants mettent
systématiquement à la bouche, les parents sont souvent étonnés de voir leur
enfant s’acharner et déployer toute son attention à attraper la pastille. Le parent
découvre souvent un niveau de concentration de l’enfant et une volonté de réus-
sir dont il n’avait pas pris conscience (ce qui n’exclut pas de rappeler une mise en
garde sur les petits objets, car une fois que l’enfant sait faire, il porte à la bouche
extrêmement rapidement).
La participation du parent est aussi importante pour les phases de questions car,
pour tous les items ne pouvant pas être réalisés en passation, il est nécessaire de
questionner le parent. La difficulté réside dans le fait que le parent comprenne
bien la question pour que l’examinateur cerne la compétence à évaluer. Ainsi, les
questions sur les vocalisations sont souvent comprises de différentes manières
par le parent et il ne faut pas hésiter à requestionner, à proposer au parent de
donner des exemples, à lui décrire des situations types, etc. Certaines questions
sociales peuvent aussi être pour le parent ambiguës dans leur formulation sur la
compétence à évaluer, par exemple la question relative à la participation active de
l’enfant au repas : le fait de manger seul un gâteau n’est pas considéré comme une
réussite à l’item ; il faut que l’enfant montre une volonté d’autonomie.
Enfin, il peut arriver que les deux parents soient présents, ou qu’un frère ou une
sœur n’ait pas pu être confié. Bien sûr, ces situations sont à éviter, mais l’exami-
nateur doit s’attendre à ce que cette situation se présente. Dans ces situations,
l’examinateur peut aussi s’appuyer sur une forme de participation du frère ou de la
sœur pour réaliser la passation. De même, le second parent présent peut complé-
ter les informations recueillies. Ici, l’examinateur doit pouvoir évaluer l’impact des
personnes présentes sur la qualité de la passation et savoir s’en arranger.

Composer avec l’enfant


Étant donné que, le plus souvent, la demande émane d’une difficulté ou d’un
questionnement, il est fréquent de faire face à des particularités de comportement
de l’enfant. L’examinateur peut avoir face à lui un enfant réservé, peu réactif, peu
tonique, en retrait. Il peut alors être utile de s’écarter un peu de la procédure de
passation standard, par exemple en guidant le changement de posture d’un bébé
qui aurait du mal à se retourner du dos sur le ventre ou en sollicitant l’aide du
parent pour un enfant réservé, en lui faisant demander par exemple à son enfant
de montrer l’image de la voiture. L’examinateur doit aussi être vigilant aux indica-
teurs significatifs d’une difficulté ou d’une souffrance chez l’enfant de 0 à 2 ans :
expression du visage, contact visuel, activité corporelle (tête, tronc et membres),
gestes d’autostimulation, niveau de l’expression vocale, vivacité de la réponse à la
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smile, made as if to rise, leaning forward with quick attention. Then
my father shook Jason till he reeled and clutched at him.
“Have a mind what you say, you mad cur!” he cried in a terrible
voice.
“It’s true! Let me go! He confessed it all to me—to me, I say!”
I stood up among them alone, stricken, and I was not afraid. I was
a better man than my accuser; a better brother, despite my sin. And
his dagger, plunged in to destroy, had only released the long-
accumulating agony of my poor inflamed and swollen heart.
“Father,” I said, “let him alone. It is true, what he says.”
He flung Jason from him with violence.
“Move a step,” he thundered, daring him, “and I’ll send you after
Modred!”
He came to me and took me gently by the shoulder.
“Renalt, my lad,” he said, “I am waiting to hear.”
I did not falter, or condone my offense, or make any appeal to
them whatsoever. The kind touch on my arm moved me so that I
could have broken into tears. But my task was before me and I could
afford no atom of self-indulgence, did I wish to get through it bravely.
As I had told my story to Jason, I told it now; and when I had
finished I waited, in a dead silence, the verdict. I could hear my
brother breathing thickly—expectantly. His fury had passed in the
triumph of his own abasement.
Suddenly my father put the hand he had held on my shoulder
before his face and a great sob coming from him broke down the
stone walls of my pride.
“Dad—dad!” I cried in agony.
He recovered himself in a moment and moved away; then faced
round and addressed me, but his eyes looked down and would not
meet mine.
“Before God,” he said, “I think you are forgiven for a single impulse
we all might suffer and not all of us recoil from the instant after, but I
think that this can be no place for you any longer.”
Then he turned upon Dr. Crackenthorpe.
“You!” he cried; “you, man, who have heard it all, thanks to that
dirty reptile yonder! Do you intend to peach?”
The doctor pinched his wiry chin between finger and thumb, with
his cheeks lifted in a contemplative fashion.
“The boy,” he said, “is safe from any one’s malice. No jury would
convict on such evidence. Still, I agree with you, it’s best for him to
go.”
“You hear, Renalt?” said my father. “I’ll not drive you in any way, or
deny you harbor here if you think you can face it out. You shall judge
for yourself.”
“I have judged,” I answered; “I will go.”
I walked past them all, with head erect, and up to my room, where
I sat down for a brief space to collect my thoughts and face the
future. Hardly had I got hold of the first end of the tangle when there
came a knock at the door. I opened it and Zyp was outside.
“You fool!” she whispered; “you should have done as I told you. It’s
too late now. Here, take this. Dad told me to give it you”—and she
thrust a canvas bag of money into my hand, looking up at me with
her unfathomable eyes.
As I took it, suddenly she flung her arms about my neck and
kissed me passionately, once, twice, thrice, on the lips, and so
pushed me from her and was gone. And as I stood there came to my
ears a faint wail from above, and I said to myself doggedly: “It is a
gull flying over the house.”
Taking nothing with me but cap, stick and the simple suit of clothes
I had on, I descended the stairs with a firm tread and passed the
open door of the sitting-room. There was silence there, and in
silence I walked by it without a glance in its direction. It held but bitter
memories for me now and was scarce less haunted in its way than
the other. And so to me would it always be—haunted by the beautiful
wild memory of a changeling, whose coming had wrought the great
evil of my life, to whom I, going, attributed no blame, but loved her
then as I had loved her from the first.
The booming of the wheel shook, like a voice of mockery, at me as
I passed the room of silence. Its paddles, I thought, seemed reeling
with wicked merriment, and its creaking thunder to spin
monotonously the burden of one chant.
“I let you go, but not to escape—I let you go, but not to escape.”
The fancy haunted my mind for weeks to come.
In the darkness of the passage a hand seized mine and wrung it
fiercely.
“You don’t mean to let the grass grow on your resolve, then,
Renalt?” said my father’s voice, rough and subdued.
“No, dad; I can do no good by delaying.”
“I’m sore to let you go, my boy. But it’s for the best—it’s for the
best. Don’t think hardly of me; and be a fine lad and strike out a path
for yourself.”
“God bless you, dad,” I said, and so left him.
As I stepped into the frosty air the cathedral bells rung out like iron
on an anvil. The city roofs and towers sparkled with white; the sun
looked through a shining mist, giving earnest of gracious hours to
come.
It was a happy omen.
I turned my back on the old decaying past and set my face toward
London.
CHAPTER XIII.
MY FRIEND THE CRIPPLE.

In the year 1860, of which I now write, so much of prejudice


against railways still existed among many people of a pious or
superstitious turn of mind, that I can quote much immediate
precedent in support of my resolve to walk to London rather than
further tempt a Providence I had already put to so severe a strain. It
must be borne in mind of course that we Trenders were little more
than barbarians of an unusual order, who had been nourished on a
scorn of progress and redeemed only by a natural leaning toward
picturesqueness of a pagan kind. Moreover, the sense of mystery,
which was an integral part of our daily experience, had ingrained in
us all a general antagonism toward unconstructed agencies. Lastly,
not one of us had ever as yet been in a train.
Still, it was with no feeling of inability to carve a road for myself
through the barriers to existence that I drew, on the evening of my
third day’s tramp, toward the overlapping pall that was the roof of the
“City of Dreadful Night.”
I had slept, on my road, respectively at Farnham and Guildford,
where, in either case, cheap accommodation was easily procurable,
and foresaw a difficulty, only greater in proportion, in finding
reasonable lodging in London during the time I was seeking work.
Indifferently I pictured this city to myself as only an elongated High
street, with ramifications more numerous and extended than those of
the old burgh that was my native town. I was startled, overwhelmed,
dazed with the black, aimless scurrying of those interwoven strings
of human ants, that ran by their thronging brick heaps, eager in
search for what they never seemed to find, or shot and vanished into
tunnels and alleys of darkness, or were attracted to and scorched up
by, apparently, the broad sheets of flame that were the shop
windows of their Vanity Fair. Moving amid the swarm from vision to
vision—always an inconsiderable atom there without meaning or
individuality—always stunned and stupefied by the threatening
masses of masonry that hemmed me in, and accompanied me, and
broke upon me in new dark forms through every vista and gap that
the rank growth of ages had failed to block—the inevitable sense
grew upon me, as it grows upon all who pace its interminable streets
friendless, of walking in a world to which I was by heavenly birthright
an alien.
Near midnight, I turned into a gaunt and lonely square, where
comparative quiet reigned.
I had entered London by way of Waterloo bridge, as the wintry
dusk was falling over house and river, and all these hours since had I
been pacing its crashing thoroughfares, alive only to wonder and the
cruel sense of personal insignificance. As to a lodging and bed for
my weary limbs—sooner had Childe Roland dared the dark tower
than I the burrows, that night, of the unknown pandemonium around
me. I had slept in the open of the fields before now. Here, though
winter, it hardly seemed that there was an out-of-doors, but that the
buildings were only so many sleeping closets in a dark hall.
All round the square inside was a great inclosure encompassed by
a frouzy hoarding of wood, and set in the middle of the inclosure was
some dim object that looked like a ruined statue. Such by day,
indeed, I found it to be, and of no less a person than his late majesty,
King George the First. When my waking eyes first lighted on him, I
saw him to be half-sunk into his horse, as if seeking to shield himself
therein from the shafts of his persecutors, who, nothing
discomposed, had daubed what remained of the crippled charger
himself with blotches of red and white paint.
I walked once or twice round the square, seeking vainly, at first, to
still the tumult of my brain. The oppressive night of locked-up
London, laden like a thunder cloud with store of slumbering
passions, was lowering now and settling down like a fog. The
theaters were closed; the streets echoing to the last foot-falls.
Seeing a hole in the hoarding, I squeezed through it and withdrew
into the rank grass and weeds that choked the interior of the
inclosure. I had bought and brought some food with me, and this I
fell to munching as I sat on a hummock of rubbish, and was
presently much comforted thereby, so that nothing but sleep seemed
desirable to me in all the world. Therefore I lay down where I was
and buttoning my coat about me, was, despite the frosty air, soon
lost in delicious forgetfulness. At first my slumber was broken by
reason of the fitful rumble of wheels, or pierced by voices and dim
cries that yet resounded phantomly here and there, as if I lay in
some stricken city, where only the dying yet lived and wailed, but
gradually these all passed from me.
I awoke with the gray of dawn on my face and sat up. My limbs
were cramped and stiff with the cold, and a light rime lay upon my
clothes. Otherwise no bitterer result had followed my rather untoward
experiment.
Then I looked about me and saw for the first time that I was not
alone. Certain haggard and unclean creatures were my bed-fellows
in that desolate oasis. They lay huddled here and there, like mere
scarecrows blown over by the wind and lying where they fell. There
were women among them, and more than one pinched and tattered
urchin, with drawn, white face resolved by sleep into nothing but
pathos and starvation.
There they lay at intervals, as if on a battlefield where the crows
had been busy, and each one seemed to lie flattened into the earth
as dead bodies lie.
I could not but be thankful that I had stumbled over no one of them
when I had entered—an accident which would very possibly have
lost me my little store of money, if it had, indeed, led to nothing
worse. As it was, I prepared for a hasty exit, and was about to rise,
when I became conscious that my movements were under
observation by one who lay not twenty feet from me.
He was so hidden by the rank grass that at first I could make out
nothing but a long, large-boned face peering at me above the stems
through eyes as black and glinting as boot buttons. A thatch of dark
hair fell about his ears and forehead, and his eyebrows, also black,
were sleek and pointed like ermine tips.
The face was so full and fine that I was startled when its owner
rose, which he did on the instant, to see that he was a thick-set and
stunted cripple. He shambled toward me with a winning smile on his
lips, and before I could summon resolution to retreat, had come and
sat down beside me.
“We seem the cocks of this company,” he said, in a deep musical
voice. “Among the blind the one-eyed—eh?”
He was warmly and decently clad, and I could only wonder at his
choice of bedroom. He read me in a look.
“I’ve a craving for experiences,” he said. “These aren’t my usual
quarters.”
“No,” I said; “I suppose not.”
“Nor yours?” he went on, with a keen glance at me.
To give my confidence to a stranger was an unwise proceeding,
but I was guileless as to the craft of great cities, and in this case my
innocence was in a manner my good fortune.
I told him that I was only yesterday from the country, after a three
days’ tramp, and how I was benighted.
“Ah,” he said. “Up after work, I suppose?”
“Yes,” I answered.
“Well,” said he, “let’s understand your capacities. Guess my age
first.”
“Forty,” said I, at a venture, for indeed he might have been that or
anything else.
“I’m 21,” he said. “Don’t I look it? We mature early in London here.
What do you think’s my business?”
“Oh, you’re a gentleman, aren’t you?” I asked, with some stir of
shyness.
“I’m a printer’s hand. That means something very different to you,
don’t it? Maybe you’ll develop in time. Where are you from?”
I told him.
“Ah,” he said. “You’ve a proverb down your way: ‘Manners
makeyth man.’ So they may, as they construe it—a fork for the
fingers and a pretty trick of speech; but it’s the manners of the soul
make the gentleman. Do you believe in after-life?”
“Of course I do. Where do the ghosts come from otherwise?”
He laughed pleasantly, rubbing his chin in a perplexed manner,
and then I noticed that his fingers were stunted like a mechanic’s
and stained with printer’s ink.
“Old Ripley would fancy you,” he said.
“Who’s he?”
“My governor—printer, binder and pamphleteer, an opponent of all
governments but his own. He’s an anarchist, who’d like to transfer
himself and his personal belongings to some desert satellite, after
laying a train to blow up the earth with nitro-glycerin and then he’d
want to overturn the heavenly system.”
“He doesn’t sound hopeful.”
“No, he isn’t, but he’s fairly original for a fanatic. I wonder if he’d
give you work?”
“Oh, thanks!” I exclaimed.
“Nonsense; you needn’t mind him. He’s only gas. Unmixed with
his native air he wouldn’t be explosive, you know. I can imagine him
a very unprogressive angel. It’s notoriety he wants. Nothing satisfies
his sort in the end like a scaffold outside of Newgate with 40,000
eyes looking on and 12 guineas paid for a window in the ‘Magpie
and Stump.’”
“Are you——” I began, when he took me up with:
“His kind? Not a bit of it. I’m an idealist—a dreamer asking the way
to Utopia. I look about for the finger-posts in places like this. One
must learn and suffer to dream properly.”
“You can do that and yet have ugly enough dreams,” I said, with
subdued emphasis.
“That oughtn’t to be so,” he said, looking curiously at me.
“Nightmare comes from self-indulgence. Cosset your grievances and
they’ll control you. You must be an ascetic in the art of sensation.”
“And starve on a pillar like that old saint Mr. Tennyson wrote of,” I
answered.
“Go and hang yourself,” he cried, pushing at me with a laugh.
“Hullo! Who’s here?”
A couple of the scarecrows, evil-looking men both, had risen, and
stood over us to one side, listening.
“Toff kenners,” I heard one of them mutter, “and good for jink, by
the looks.”
“Tap the cady,” the other murmured, and both creatures shuffled
round to the front of us.
“Good for a midjick, matey?” asked the more ruffianly looking of
the two in a menacing tone.
I started, bewildered by their jargon. My companion looked up at
them smiling and drumming out a tune on his knee.
“Stow it,” said the smaller man to the other; “I’ve tried the griffin
and it don’t take.” Then he bent his body and whined in a fulsome
voice: “Overtaken with a drop, good gentlemen? And won’t you pay
a trifle for your lodgings, now?”
I was about to rise, but a gesture on the part of both fellows
showed me that they intended to keep us at our disadvantage. A
blowzed and noisome woman was advancing to join the group.
“Be alert,” whispered my companion. “We must get out of this.”
The words were for me, but the men gathered their import and
assumed a threatening manner. No doubt, seeing but a boy and a
cripple, they valued us beneath our muscular worth.
“Come,” said the big man, “we don’t stand on ceremony; we want
the price of a drink.”
He advanced upon us, as he spoke, with an ugly look and in a
moment my companion had seized him by the ankles and whirled
him over against his friend, so that the two crashed down together.
The woman set up a screech, as we jumped to our feet, and we saw
wild heads start up here and there like snakes from the grass. But
before any one could follow us we had gained the rent in the
hoarding and slipped through. Glancing back, after I had made my
exit, I saw one of the men strike the woman full in the face and fell
her to the ground. It was his gentle corrective to her for not having
stopped us, and the sight made my blood so boil that I was on the
point of tearing back, had not my companion seized and fairly carried
me off. As in many cripples, his strength of arm was prodigious.
“Now,” he said, when he had quieted me, “we’ll go home to
breakfast.”
“Where?” said I.
“Home, my friend. Oh, I have one, you know, for all my sleeping
out there. That was a test for experience; my first one of the kind, but
valuable in its way.”
“But——” I began.
“Yes, you will,” he cried. “You’ll be my guest. I’ve taken a bit of a
fancy to you. What’s your name?”
When I had told him, “Duke Straw’s mine,” he said; “though I’m not
of strawberry-leaf descent. But it’s a good name for a dreamer, isn’t
it? Have you ever read ‘Feathertop,’ by Hawthorne?”
“No,” I said.
“Never mind, then. When you do, you’ll recognize my portrait—a
poor creature of straw that moves by smoke.”
“What smoke?” I asked, bewildered.
“Perhaps you’ll find out some day—if Ripley takes a fancy to you.”
“You don’t want me to go to him?”
“Certainly I do. I’m going to take you with me when I tramp to work
at 9 o’clock.”
He was so cool and masterful that I could only laugh and walk on
with him.
CHAPTER XIV.
I OBTAIN EMPLOYMENT.

It was broad day when we emerged from the inclosure, and sound
was awakening along the wintry streets. London stood before me
rosy and refreshed, so that she looked no longer formidably
unapproachable as she had in her garb of black and many jewels. I
might have entered her yesterday with the proverbial half-crown, so
easily was my lot to fall in accommodating places.
Duke Straw, whom I was henceforth to call my friend, conducted
me by a township of intricate streets to the shop of a law stationer, in
a petty way of business, which stood close by Clare market and
abutted on Lincoln’s Inn Fields. Here he had a little bedroom,
furnished with a cheap, oil-cooking stove, whereon he heated his
coffee and grilled his bacon.
Simon Cringle, the proprietor of the shop, was taking his shutters
down as we walked up. He was a little, spare man, with a vanity of
insignificance. His iron-gray hair fell in short, well-greased ringlets
and his thin beard in a couple more, that hung loose like dangled
wood shavings; his coiled mustaches reminded one of watch
springs; his very eyebrows, like bees’ legs, were humped in the
middle and twisted up into fine claws at the tips. Duke, in his search
for lodging and experience, had no sooner seen this curiosity than
he closed with him.
He gave my companion a grandiloquent “Good-morning.”
“Up with the lark, Mr. Straw,” said he, “and I hope, sir, with success
in the matter of getting the first worm?” Here he looked hard at me.
“He found me too much of a mouthful,” said I; “so he brought me
home for breakfast.”
Duke laughed.
“Come and be grilled,” said he. “Anyhow they roast malt-worms in
a place spoken of by Falstaff.”
We had a good, merry meal. I should not have thought it possible
my heart could have lightened so. But there was a fascinating
individuality about my companion that, I am afraid, I have but poorly
suggested. He gave me glimmerings of life in a higher plane than
that which had been habitual to me. No doubt his code of morals
was eccentric and here and there faulty. His manner of looking at
things was, however, so healthy, his breezy philosophy so infectious,
that I could not help but catch some of his complaint—which was,
like that of the nightingale, musical.
Perhaps, had I met him by chance six months ago, my
undeveloped soul would have resented his easy familiarity with a
cubbish snarl or two. Now my receptives were awakened; my armor
of self-sufficiency eaten to rags with rust; my heart plaintive for
communion with some larger influence that would recognize and not
abhor.
At 8:45 he haled me off to the office, which stood a brief distance
away, in a thoroughfare called Great Queen street. Here he left me
awhile, bidding me walk up and down and observe life until his chief
should arrive, which he was due to do at the half-hour.
I thought it a dull street after some I had seen, but there were
many old book and curiosity shops in it that aroused my interest.
While I was looking into one of them I heard Duke call.
“Here,” he said, when I reached him; “answer out and I think
Ripley will give you work. I’m rather a favorite with him—that’s the
truth.”
He led me into a low-browed room, with a counter. Great bales of
print and paper went up to the ceiling at the back, and the floor
rumbled with the clank of subterranean machinery. One or two clerks
were about and wedged into a corner of the room was a sort of
glazed and wooden crate of comfortable proportions, which was, in
fact, the chapel of ease of the minister of the place.
Into this den Duke conducted me with ceremony, and, retreating
himself, left me almost tumbling over a bald-headed man, with a
matted black beard, on which a protruding red upper lip lay like a
splash of blood, who sat at a desk writing.
“Shut the door,” he said, without looking up.
“It is shut, sir.”
He trailed a glance at me, as if in scrutiny, but I soon saw he could
only have been balancing some phrase, for he dived again and went
on writing.
Presently he said, very politely, indeed, and still intent on his
paper: “Are you a cadet of the noble family of Kinsale, sir?”
“No, sir,” I answered, in surprise.
“You haven’t the right to remain covered in the presence of the
king?”
“No, sir.”
“Well, I’m king here. What the blazes do you mean by standing in
a private room with your hat on?”
I plucked it off, tingling.
“I’m sorry,” I said. “Mr. Straw brought me in so suddenly, I lost my
head and my cap went with it, I suppose. But I see it’s not the only
thing one may lose here, including tempers!” And with that I turned
on my heel and was about to beat a retreat, fuming.
“Come back!” shouted Mr. Ripley. “If you go now, you go for good!”
I hesitated; the memory of my late comrade restored my
equilibrium.
“I didn’t mean to be rude, sir,” I said. “I shall be grateful to you if
you will give me work.”
He had condescended to turn now, and was looking full at me with
frowning eyes, but with no sign of anger on his face.
“Well, you can speak out,” he said. “How do you come to know
Straw?”
“I met him by chance and we got talking together.”
“How long have you been in London?”
“Since yesterday evening.”
“Why did you leave Winton?”
“To get work.”
“Have you brought a character with you?”
Here was a question to ask a Trender! But I answered, “No, I
never thought of it,” with perfect truth.
“What can you do?”
“Anything I’m told, sir.”
“That’s a compromising statement, my friend. Can you read and
write?”
“Yes, of course.”
“Anything else?”
“Nothing.”
“Nothing? Don’t you know anything now about the habits of birds
and beasts and fishes?”
“Oh, yes! I could tell you a heap about that.”
“Could you? Very well; I’ll give you a trial. I take you on Straw’s
recommendation. His opinion, I tell you, I value more than a score of
written characters in a case like this. You’ve to make yourself useful
in fifty different ways.”
I assented, with a light heart, and he took me at my word and the
further bargain was completed. My wages were small at first, of
course; but, with what I had in hand, they would keep me going no
doubt till I could prove myself worth more to my employer.
In this manner I became one of Ripley’s hands and later on myself
a pamphleteer in a small way. I wrote to my father that evening and
briefly acquainted him of my good fortune.
For some months my work was of a heterogeneous description.
Ripley was legitimately a job printer, on rather a large scale, and a
bookbinder. To these, however, he added a little venturesomeness in
publishing on his own account, as also a considerable itch for
scribbling. Becoming at a hint a virulent partisan in any extremist
cause whatsoever, it will be no matter for wonder that his private
room was much the resort of levelers, progressives and abolitionists
of every creed and complexion. There furious malcontents against
systems they were the first to profit by met to talk and never to listen.
There fanatical propagandists, eager to fly on the rudimentary wing
stumps of first principles, fluttered into print and came flapping to the
ground at the third line. There, I verily believe, plots were laid that
would presently have leveled powers and potentates to the ground at
a nod, had any of the conspirators ever possessed the patience to sit
on them till hatched. This, however, they never did. All their fiery
periphrastics smoked off into the soot of print and in due course
lumbered the office with piles of unmarketable drivel.
Mr. Ripley had, however, other strings to his bow, or he would not
have prospered. He did a good business in bookselling and was
even now and again successful in the more conventional publishing
line. In this connection I chanced to be of some service to him, to
which circumstance I owed a considerable improvement in my
position after I had been with him getting on a year. He had long
contemplated, and at length begun to work upon, a series of
handbooks on British birds and insects, dealt with county by county.
In the compilation of these much research was necessary, wherein I
proved myself a useful and painstaking coadjutor. In addition,
however, my own knowledge of the subject was fairly extensive as
regarded Hampshire, which county, and especially that part of it
about Winton, is rich in lepidoptera of a rare order. I may say I fairly
earned the praise he bestowed upon me, which was tinged, perhaps,
with a trifle of jealousy on his part, due to the fact that the section I
touched proved to be undoubtedly the most popular of the series, as
judged subsequently by returns.
Not to push on too fast, however, I must hark back to the day of
my engagement, which was marked by my introduction to one who
eventually exercised a considerable influence over my destinies.
During the course of that first morning Mr. Ripley sent me for some
copies of a pamphlet that were in order of sewing down below. By
his direction I descended a spiral staircase of iron and found myself
in the composing-room. At a heavy iron-sheeted table stood my new-
found friend, who was, despite his youth, the valued foreman of this
department. He hailed me with glee and asked: “What success?”
“All right, thanks to you,” I said; “and where may the bookbinding
place be and Dolly Mellison?”
“Oh, you’re for there, are you?” he said, with I thought a rather
curious look at me, and he pointed to a side door.
Passing through this I found myself in a long room, flanked to the
left with many machines and to the right with a row of girls who were
classifying, folding or sewing the sheets of print recent from the
press.
“I’m to ask for Dolly Mellison,” I said, addressing the girl at my end
of the row.
“Well, you won’t have far to go,” she said. “I’m her.”
She was a pretty, slim lily of a thing, lithe and pale, with large gray
eyes and coiled hair like a rope of sun-burned barleystraw, and her
fingers petted her task as if that were so much hat-trimming.
“I’m sent by Mr. Ripley for copies of a pamphlet on ‘The
Supineness of Theologicians,’” I said.
“I’m at work on it,” she answered. “Wait a bit till I’ve finished the
dozen.”
She glanced at me now and again without pausing in her work.
“You’re from the country, aren’t you?”
“Yes. How do you know?”
“A little bird told me. What gave you those red cheeks?”
“The sight of you,” I said. I was growing up.
“I’m nothing to be ashamed of, am I?” she asked, with a pert
laugh.
“You ought to be of yourself,” I said, “for taking my heart by storm
in that fashion.”
“Go along!” she cried, with a jerk of her elbow. “None of your
gammon! I’m not to be caught by chaff.”
“It wasn’t chaff, Dolly, though I may be a man of straw. Is that what
you meant?”
“You’re pretty free, upon my word. Who told you you might call me
by my name?”
“Why, you wouldn’t have me call you by any one else’s? It’s pretty
enough, even for you.”
“Oh, go away with you!” she cried. “I won’t listen.”
At that moment Duke put his head in at the door.
“The governor’s calling for you,” he said. “Hurry up.”
“Well, they’re ready,” said the girl—“here,” and she thrust the
packet into my hands, with a little blushing half-impudent look at me.
I forgot all about her in a few minutes. My heart was too full of one
only other girlish figure to find room in itself for a rival. What was Zyp
doing now?—the wonderful fairy child, whose phantom presence
haunted all my dreams for good and evil.
As I walked from the office with Duke Straw that afternoon—for, as
it was Saturday, we left early—a silence fell between us till we
neared Cringle’s shop. Then, standing outside, he suddenly stayed
me and looked in my face.
“Shall I hate or love you?” he said, with his mouth set grimly.
He made a gesture toward his deformed lower limbs with his
hands, and shrugged his shoulders.
“No,” he said; “what must be, must. I’ll love you!”
There was a curious, defiant sadness in his tone, but it was gone
directly. I could only stare at him in wonder.
“You’re to be my house-fellow and chum,” he said. “No, don’t
protest; I’ve settled it. We’ll arrange the rest with Cringle.”
And so I slept in a bed in London for the first time.
But the noise of a water wheel roared in my ears all night.
CHAPTER XV.
SWEET, POOR DOLLY.

“Trender,” said Duke, unexpectedly after a silence the next


morning, as we loitered over breakfast, “pay attention to one thing. I
don’t ask you for a fragment of your past history and don’t want to
hear anything about it. You’ll say, as yet you haven’t offered me your
confidence, and quite right, too, on the top of our short acquaintance.
But don’t ever offer it to me, you understand? Our friendship starts
from sunrise, morning by morning, and lasts the day. I don’t mean it
shall be the less true for that; I have a theory, that’s all.”
“What is it, Straw?”
“Sufficient for the day, it’s called. Providence has elected to give
us, not one existence, but so many or few, each linked to the next by
an insensibility and intercalated as a whole between appropriate
limits.”
“I don’t quite understand.”
“Wait a bit. Each of these existences has its birth and death, and
should be judged apart from the others; each is pronounced upon in
succession by one’s familiar spirit and its minutes pigeon-holed and
docketed above there. When the chain of evidence, for or against, is
complete, up these links are gathered in a heap and weighed in both
sides of the balance.”
“It sounds more plausible than it is, I think,” said I, with frank
discourtesy. “The acts of one day may influence those of the next—
or interminably.”
“That’s your lookout; but they needn’t necessarily. With each new
birth comes a new capacity for looking at things in their right
proportions.”
“How far do you push your theory?”
“As far as you like. I’d have, all the world over, a daily revival of
systems.”
“Government—law?”
“Certainly. Of everything.”
“Then justice, injustice, vindictiveness, must all revive, too.”
“No. They’re recalled; they don’t revive.”
“But must a criminal, for instance, be allowed to escape because
they have failed to catch him the day he did the deed?”
“That’s exactly it. It makes no difference. He couldn’t atone here
for an act committed by him during another existence. But that
particular minute goes pretty red into its pigeon-hole, you may be
sure.”
“Oh, it’s wild nonsense,” I laughed. “You can’t possibly be
consistent.”
“Can’t I? Look here, you are my friend yesterday, and to-day, and
always, I hope. I judge you daily on your merits, yet, for all I know,
you may have committed murder in one of your past existences?”
The blood went back upon my heart. Then a great longing awoke
in me to tell all to this self-reliant soul and gain comfort of my sorrow.
But where was the good in the broad face of his theory?
“Well,” I said, with a sigh, “I’ve done things at least I bitterly repent
of.”
“That’s the conventional way of looking at it. Repentance in this
won’t avail a former existence. Past days of mine have had their
troubles, no doubt, but this day I have before me unclouded and to
do what I like with.”
“Well, what shall we do with it?” said I. “I hand it over to you to
make it a happiness for me. I dare say we shall find plenty of
sorrows between sunrise and evening to give it a melancholy
charm.”
“Rubbish!” cried my friend. “Cant, cant, cant, ever to suppose that
sorrow is necessary to happiness! We mortals, I tell you, have an
infinite capacity for delight; given health, spiritual and bodily, we
could dance in the sunbeams for eternity and never reach a surfeit of
pleasure.”
“Duke,” said I—“may I call you Duke?”
“Of course.”
“It puzzles me where you got—I don’t mean offense—only I can’t
help wondering——”
“How I came to have original thoughts and a grammatical manner
of speech? Look here——” he held up his stained fingers—“aren’t
these the hands of a man of letters?”
“And a man of action,” I said, with a laugh. “But——”
“It’s no use, Renny. I can’t look further back than this morning.”
“You can recall, you know. You don’t deny each existence that
capacity?”
“Perhaps I could; but to what advantage? To shovel up a whole
graveyard of sleeping remembrances to find the seed of one dead
nettle that thrusts its head through? No, thank you. Besides, if it
comes to that, I might put the same question to you.”
“Oh, I can easily answer it. I get all my way of speaking from my
father first, and, secondly, because I love books.”
He looked at me oddly.
“You’re a modest chicken,” he said. “But I should like to meet your
father.”
I could not echo his wish.
“Still,” he went on, “I will tell you, there was a little inexperience of
mankind in your wonder. I think—I don’t refer to myself, of course—
that no man in the world is more interesting to talk with than the
skilled mechanic who has an individuality and a power of expressing
it in words. He is necessarily a man of cultivation, and an ‘h’ more or
less in his vocabulary is purely an accident of his surroundings.”
At this moment Mr. Cringle tapped at the door and walked into the
room.
“I hope I see you ro-bust, gentlemen? And how do you like this
village of ours, Mr. Trender?”
“It’s dirty after Winton,” said I.
“Ah,” he said, condescendingly; “the centers of such enormous
forces must naturally rise some dust. It’s a proud thing, sir, to
contribit one’s peck to the total. I feel it in my little corner here.”
“Why,” said I, “you surprise me, Mr. Cringle. I’m only an ignorant
country lad, of course; but it seems to me you are quite a remarkable
figure.”
He gave an extra twist to his mustache and sniggered comfortably.
“Well,” he said, “it is not for me to contradict you—eh, Mr. Straw?”
“Certainly not,” said Duke; “why, you are famous for your deeds.”
“Very good, Mr. Straw, and perhaps, as you kindly mean it in the
double sense. You mightn’t think it, but it wants some knowledge of

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