La Gestion Administrative de L'émigration Algérienne Vers Les Pays Musulmans Au Lendemain de La Conquête de L'algérie (1830-1814)

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Kamel Kateb

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LA GESTION ADMINISTRATIVE
DE L'ÉMIGRATION ALGÉRIENNE
VERS LES PA YS MUSULMANS
AU LENDEMAIN DE LA CONQUÊTE
DE L'ALGÉRIE (1830-1914)

L'Algérie ./ill. de tous les territoires conquis par la


France outre-111er au cours du XfXt' sii·cle. l'un des rares où
la ntétropole eut une \'éritahle politique d'installation lllllS.\'i\·e
de col ons européens (.fi·a nça is. hien s û 1~ Ill li i.\· aussi espagnols,
italiens ... ). l~e territoire n'étant pas 1·ide (ell\'iron 2 1nillions
d'hahitants en /830 ). les 500 {)()() colons arril·és entre /830
et 189() ."ie sont lrou\·és en concurrence a\'ec la population
indigène pour l'occupation des terres cultil·ahles. c·ertaill.\' ad-
lllinistraleurs prônaient otn·ertelnent une politique d'expulsion
des Algériens. \'oire d'extenuination. Par ailleurs, pour des rai-
sons qui sont n1entionnées dan.\· le présent article, un IIIOll\'t'-
nu•nt d'é1nigration plus ou 111ois spontané s'était dé1·eloppé,
principalen1ent en direction du Maroc. de la Tunisie et du
Proche ()rient. Kaancl KATEB* expose ici les hésitations des
responsahles politiques et adn1inistrateurs français face ù
ce 1110U\'ei1U'Ilt qui. d'un côté, facilitait la politique de coloni-
sation. IIU.tis de l'autre pou1·ait étre considéré co1n1ne un acte
de « résistance n tl la plliS.\'(IIICe coloniale, el COiltlllllÙler /es
régions de destinotion des én1igrés. qui se trou\·aient IIU~jori­
tairenrenl aussi sous il~fluence .fiïlll{'llise.

Les 1nouven1ents 1nigratoires algériens n'ont été ahordés que sous


l'angle de la colonisation pendant le XIXl' siècle, et de la n1igration des
indigènes vers la tnétropole au cours du xx~-· siècle. Pourtant, notnhre d'écrits
officiels -dès le n1ilicu du XIxl· siècle- font état de la nécessité d'interdire
le retour des trihus ayant quitté le territoire algérien: des traces de colonies
algériennes ont été retrouvées en Turquie ct en Nouvelle-Calédonie: des his-
toriens cotnmc lsnard, Agcron ou Noushi ne 1nanquèrent pas de signaler ces
n1igrations n1ais sans en faire une étude systén1atiquc : le centre de leurs pré-
occupations resta l'étude des houlcversen1cnts socio-éconon1iques considéra-
hies occasionnés par la pénétration française en Algérie. Les auteurs qui ont

::: lrlstitlJt ll<tti<>t14tl ll 'éttJ(Ics <.létllt>gr4tpllÏt..fllCS.

Population, 2, 1997, 399-428


400 L'ÉMIGRATION ALGf~RIENNE C1~D0-1914)

étudié la démographie de l'Algérie ont ignoré le phénomène à l'exception


de P. Boyer' 1 ' qui a essayé de montrer, pour la Mitidja, que les mouvements
d'émigration des Hadjout (à l'ouest) et des Khechna (à l'est) étaient d'ampleur
limitée, rejetant les opinions de Daumas ct de E.-F. Gauthier qui ont soutenu
que ces populations ont abandonné le territoire lors de la rupture du traité
de la Tafna (la plaine d'Alger serait passée de 80 000 habitants' 21 à 31 000
en 1866) : «Ni les Hadjoutes, ni les Béni-Khélil, ni les Mtadji en général ne
furent éliminés contrairement à l'opinion de Gautier. »n' Il s'inscrivait par là
dans la démarche d'un certain nombre d'auteurs qui défendaient l'idée que la
colonisation avait récupéré des terres inoccupées et inutilisées par les indi-
gènes. Cela ne l'a pas empêché de faire référence au même Daumas lorsque,
dans son rapport, il soulignait le retour des Béni-Khélil (recensés à 10 172 âmes
en 1843-1845) qui avaient massivement émigré en 1839.
Ces mouvements migratoires s'inscrivent dans un contexte général
marqué par une guerre opposant, pendant plus de quarante ans, une armée
moderne et bien équipée à une population organisée en tribus et dont la
majorité de la fraction masculine portait les armes. D'un côté, on menait
une guerre de mouvement et de harcèlement, combinée à des épisodes in-
surrectionnels, de l'autre on conduisait des expéditions militaires, des raids
et des razzias en combinaison avec des expéditions punitives contre les
populations. Le contexte était aussi marqué par une volonté de substituer
à la population autochtone (arabophone, berbérophone et musulmane), une
population européenne. Cette volonté de substitution des populations se
traduisait, chez certains colons et responsables civils et militaires, par des
projets d'extermination ou tout au moins de refoulement des populations
indigènes hors de la nouvelle colonie. Elle s'appuyait aussi sur un anta-
gonisme entre les populations en présence, qui avait pour fondement la
question de la terre.
À notre connaissance, seul J.-J. Ragcrr 4 \ dans sa thèse de doctorat
soutenue à la faculté des Lettres d'Alger, a essayé de rendre compte de
cc mouvement migratoire en s'appuyant essentiellement sur les chiffres
fournis par les immatriculations consulaires, sans ignorer cependant qu'une
partie des émigrés échappaient au contrôle. Il a donné une description des
différentes communautés algériennes qui ont survécu jusqu'au milieu du
xxc siècle, conservant parfois le parler berbère. Mais les chiffres qu'il a
fournis ne permettent pas de se faire une idée précise de ce mouvement
d'émigration, qu'il aurait eu tendance à minimiser.
Est-il possible d'évaluer l'importance numérique de ces migrations?
Il ne semble pas qu'il ait existé de comptabilité, ni en Algérie, ni en France,
ni dans les pays d'accueil, qui aurait permis une telle évaluation. La corres-

n1 BoYER P., ( 1954), «L'évolution démographique des populations musulmanes du dé-


partement d'Alger ( 1830/66-1948) », dans : Re1•ue Africaine, n" 440-441.
r21 DAl:MAS, ( 1858), Mœurs et coutumes d'Algérie, Paris, cité par P. Boyer.
<31 BoYER P., (1954), op. cit.
4
< 1 RAGER J.-J., ( 1950), Les musulmans Algériens en France et dans les paJ·s islamiques,

Alger.
L1~:\11GRATIO:--.: AL.Gf:RIE:--:!'E r IX30-IlJI41 401

pondance échangée entre les préfets et le GGA. ou entre ce dernier et les


commandants militaires des divisions des différentes provinces. permet
néanmoins de s'en faire une idée. En effet. ces correspondances traitent
des demandes d'autorisation d'émigration faites par les indigènes, ainsi que
des demandes de rapatriemcnL ct donnent des listes nominatives des per-
sonnes concernées et de leur famille. Une autre source possible est la
correspondance des consulats français dans les différents pays d'accueil, à
l'occasion des immatriculations de sujets français et des demandes de na-
turalisation soumises aux autorités françaises. Enfin. des rapports étaient
demandés quand les mouvements prenaient l'apparence de véritables exo-
des. L'ensemble des correspondances ct instructions concernant le sujet qui
nous intéresse est conservé dans les Arc hi v es centrales de l'Algérie, série
H et HH du Gouvernement général. Il s'agit plus précisément des cartons
9H99, 9H 100 ct 25H22 pour l'émigration vers la Tunisie, des cartons
30H26, 30H40, 30H42, 30H54 et 9H 101 pour J'émigration vers le Maroc.
Les correspondances relatives au Moyen-Orient sc trouvent dans les cartons
9H 102 à 106, ct les rapports ct les instructions dans les cartons 9H98 et
1OH90. Enfin. les projets de conventions de naturalisation se trouvent dans
le carton F80 1816. Tous ces documents sont disponibles au Centre des
Archives d'outre-mer à Aix-en-Provence. et nous donnons quelques exem-
ples de leur contenu en annexe.
Ces textes n'avaient pas comme finalité de cerner l'importance nu-
mérique des flux, mais avant tout de contrôler ces derniers et de déclencher
éventuellement le signal d'alarme lorsqu'ils dépassaient le seuil de tolérance
« politico-administratif». Cependant les éléments recueillis permettent d'af-
firmer que les flux étaient loin d'être négligeables. Ils ont d'abord concerné
les citadins lors de la conquête des différentes villes, puis des tribus en-
tières, ensuite des fractions de tribu, pour concerner à la fin du XIX" siècle
des groupes de familles. Rarement individuelle, cette émigration avait le
plus souvent un caractère collectif: elle concernait d'ailleurs les biens
comme les hommes. Le flot fut ininterrompu, avec des pointes tous les 5
à 10 ans. et aucune région d'Algérie. du nord au sud ct d'est en ouest. n'y
a échappé. Le but du présent travail est d'analyser l'ampleur et les carac-
téristiques de ces mouvements migratoires, ainsi que les effets qu'ils ont
induits sur les autorités en place. Quelle a été l'ampleur de ces migrations?
Quelles ont été leurs destinations? Ont-elles été définitives, ou ont-elles
été suivies d'un retour légal ou clandestin? Quelle a été l'attitude des au-
torités françaises face à cc mouvement? Quels types de relations ont été
induits entre les autorités françaises et les indigènes algériens, ct surtout
quels intérêts ont-ils révélés'? Nous tenterons finalement une évaluation
quantitative pour le début du XX" siècle.
402 L'f:MJGRATION ALŒ~RIENl\E f ll'OO-IlJI4l

1. - Caractéristiques générales
et causes de cette émigration

Le processus de colonisation de l'Algérie ct l'implantation d'un peu-


plement européen requéraient des disponibilités en terres agricoles. Ces
terres ont d'abord été obtenues par la confiscation des propriétés de l'État
turc de la Régence, des biens religieux dits Habous, puis par le séquestre
des biens des tribus insurgées et finalement par le cantonnement des tribus
ct la mise en œuvre des lois foncières de 1863 et de 1873. En conséquence,
le départ volontaire ou forcé de populations présentes avant la colonisation
ne pouvait, a priori. que favoriser les projets coloniaux. En réalité. comme
on le verra, le problème était plus compliqué.
Le projet de substitution de populations a commencé par l'expulsion
d'Alger, en 1830. des dix mille Turcs, qui ont été embarqués manu militari
vers la ville turque de Smyrne. À ces expulsés, il f~lUdrait ajouter le départ
volontaire d'indigènes dont la comptabilité ne pourra probablement jamais être
faite : ces départs étaient directement liés à la guerre de conquête. de 1830
jusqu'à la défaite d'Abdelkader en 1847. On a ensuite prononcé le bannissement
des chefs de guerre. de leurs familles ct de divers groupes d'individus considérés
comme dangereux pour l'ordre public du fait de leur implication dans les mou-
vements de résistance à la colonisation: ils ont été internés à St-Ambroise (pour
J'Émir et ses proches), en Corse, dans l'île de Ste-Marguerite ct dans les Antilles
françaises. Beaucoup de ces déportés ne reviendront jamais en Algérie, en vertu
de J'article 6 de la loi du 30 mai 1854 qui astreignait les condamnés aux travaux
forcés à rester toute leur vic dans la colonie où ils avaient été déportés. Certains.
toutefois, seront autorisés à retourner en Algérie. mais loin de leur contrée d'ori-
gine ct fïniront par prendre à nouveau le chemin de l'exil : un télégramme de
la 9~· division militaire de Marseille (du 18/1 111859) autorise ainsi 60 indigènes
(22 hommes, 17 femmes ct 21 enfants) à embarquer à Marseille en 4" classe
pour rejoindre Tunis, avec des ressources strictement limitées; il s'agit de la
famille de Si Scddik détenue à l'île de Ste-Marguerite. Ils détiennent des pas-
seports pour aller à Tunis, mais les autorités voulaient les diriger vers Alexandrie
ou Beyrouth 15 '. Chaque mouvement insurrectionnel a connu son lot d'exilés et
de déportés, avec des départs collectifs de tribus vers le Maroc ou vers la Tu-
nisie; après l'insurrection de 1871, 5 tribus ont émigré : il s'agit des Souamas,
des Ouled Mahdi, des Ahl Rouffï, des Regaz, ct des Ouled Sidi Abid' 6 '.
Ces expulsions se sont accompagnées de départs volontaires, indivi-
duels ou collectifs, vers Je Maroc et la Tunisie, et aussi vers le Moyen-
Orient où un nouveau pays, la Syrie, va attirer majoritairement les migrants.
Le mouvement a démarré dans la deuxième moitié du XIX" siècle. et il
s'est poursuivi jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale. Ces départs

t:'it CAOM. Aix-en-Provence. Gouvernement général de l'Algérie. carton 9HlJX.


161
Not ·s111 A .. <<Le niveau de vic des populations constantinoiscs "· pp.447-44X.
1.'I~\.1IGRATIO:" ALGI~RII-::":"1-: r 1X30-l <J 1-J) 403

ont attiré l'attention des services administratifs français. qui semblent avoir
su1v1 attentivement le phénomène ct être intervenus auprès des autorités
tunisiennes et de l'Empire ottoman pour discuter les conditions de la na-
turalisation des migrants algériens. De plus. des mesures administratives
ont été prises pour empêcher le retour des indigènes ayant passé plus de
trois ans hors d'Algérie. Cette migration était une conséquence directe des
opérations militaires (insurrections ct répressions). mais aussi des mesures
qui les accompagnaient (séquestres ct contributions de guerre). Beaucoup
d'Algériens émigreront aussi pour des raisons politico-rcligicuscs, refusant
de vivre sous un gouvernement non-musulman 171 , hien que la .-:rance ait
pu obtenir des autorités religieuses du Caire et de la Mecque des fetwa.\·
permettant aux musulmans d'Algérie de vivre sous une autorité autre
que musulmane. Si ces départs n'étaient évidemment pas toujours enre-
gistrés, certains retours ont donné lieu à des correspondances nombreuses
entre les divers services concernés de l'administration française; le Gou-
vernement général d'Algérie espérait qu'ils joueraient un rôle dissuasif
sur de nouvelles candidatures à l'émigration.
Les migrations pour raisons économiques suivront d'abord les flux pré-
cédents, vers le Moyen-Orient principalement, avec les mêmes caractéristiques
démographiques. Elles sc dirigeront aussi, pendant ct après la Première Guerre
mondiale, vers la .-:rance. Mais pour ce dernier pays, elles prendront des ca-
ractéristiques nouvelles : il ne s'agira plus de départs définitifs avec l'ensemble
de la famille, mais seulement du départ provisoire d'un chef de ménage ou
d'un membre de la famille élargie qui émigrera pour contribuer à la survie
de la famille restée en Algérie.
À des «périodes calmes>>, où les demandes d'émigration, peu nom-
breuses, recevaient l'agrément des autorités administratives, succédaient
des «périodes fiévreuses», notamment quand sc sont développés les
mouvements d'émigration à destination de la Syrie, à partir de diffé-
rentes régions du territoire algérien en 1855, 1860, 1875, 1888, et 1898,
jusqu'au dernier exode assez important de 1909-1910 dans la région de
Sétif ct de Bordj Bou Arréridj. Quand ils prenaient trop d'ampleur aux
yeux des autorités administratives, ces mouvements étaient considérés
comme des actes d'hostilité à la présence française et ils entraînaient
alors une réaction de blocage. Des enquêtes étaient déclenchées, ct des
rapports établis soit à l'échelon central (comme le Rapport Luciani en
1899 ou le Rapport Varnicr en 1911 ), soit à l'échelon local (gendarmerie
ou préfecture), comme en témoigne le rapport de la gendarmerie de Médéa
du 16 juillet 1899 :
«Depuis quelques mois une dizaine de familles indigènes formant ensem-
ble près de cinquante personnes domiciliées à Médéa ont vendu leur pro-
priété et sont parties sans esprit de retour pour la Syrie ... Cette émigration
menace de prendre des proportions inquiétantes ... Les indigènes sc plai-
gnent de la façon dont ils sont administrés par les Français : ils trouvent
qu'ils leur font payer des impôts trop élevés tout en étant soumis à une
171
CAOM. Aix-en-Provence. Gouvernement général de l'Algérie. carton 9HI02.
404 L'ÉMIGRATION ALGÉRIENNE ( IXJ0-1914)

foule de tracasseries, ont saisi leurs armes de sorte qu'ils ne peuvent se


défendre des voleurs et on les condamne à des fortes amendes ct quel-
quefois à la prison pour deux ou trois cents grammes de poudre trouvés
à leur domicile ... »tx,
Ces rapports, s'ils ne fournissent pas de données quantitatives pré-
cises, donnent des indications qualitatives intéressantes sur les causes
de l'émigration et l'état d'esprit qui régnait dans ces périodes d'effer-
vescence.
Le Général Chanzy, Gouverneur Général de l'Algérie (GGA), décrit
ce phénomène migratoire dans une lettre adressée aux préfets de l'Algérie
le 23 mars 1874, ainsi que l'embarras de l'administration française à son
égard:
«Il se produit en ce moment parmi certaines tribus de l'intérieur des pro-
vinces de Constantine et d'Alger une tendance à l'émigration en Tunisie
qui, dans plusieurs localités, a pris des proportions imperceptibles, va nous
créer des embarras sérieux ... En 1855 et en 1860 des mouvements analo-
gues ont eu lieu dans les mêmes régions .... Ils redoutent de manquer de
terres pour leurs labours, pour leurs pâturages, pour leurs bestiaux et ces
appréhensions sont suscitées par certaines personnalités de l'ordre Tolba
ct des marabouts et des grands chefs indigènes ... 1qui 1 propagent des idées
fausses pour éveiller Je fanatisme religieux. En 1855 les demandes de dé-
part sc produisirent d'abord isolément et furent accordées, mais eJics ne
tardent pas à affecter un caractère collectif inquiétant. En 1860, les pre-
mières demandes d'expatriation 1furent] également accordées; on y trouva
d'abord un certain avantage parce qu'on exigeait des familles une renon-
ciation aux terres arch, mais bientôt la contagion s'étendit avec une telle
rapidité que l'on comprit qu'en y cédant on allait déprécier totalement l'ad-
ministration française. >>
Le général Chanzy, après avoir développé un certain nombre d'arguments,
ordonna de refuser toute demande 19 '.
À ces causes générales vont s'en ajouter d'autres ayant un caractère
plus conjoncturel, liées aux initiatives de l'administration pour mettre aux
normes françaises la gestion de J'Algérie. La mise en place de l'état civil' 10 '
ou les opérations liées à la conscription entraînèrent des mouvements lo-
calisés d'émigration. En 1910-191 1 un exode important de Tlemcéniens,
508 familles 1111 opposées à la conscription, est justifié par le Conseil général
d'Oran comme étant le fait de familles Kouloughli, à partir de l'analyse
des noms de la liste des Tlemcéniens partis pour la Syrie.

tXJ CAOM, Aix-en-Provence, Gouvernement général de l'Algérie, carton 9HI02.


l 9 l CAOM, Aix-en-Provence, Gouvernement général de l'Algérie, carton 9H 100.
OOJ CAOM, Aix-en-Provence, Gouvernement général de l'Algérie, F80 442.
1 Il J Archives du GGA, Conseil général d'Oran, Rapport sur l'exode de Tlémcen, ar-
chives du GGA, série H 15/3.
405

II. - Les mouvements migratoires :


destinations et origines géographiques

L'émigration vers le Maroc L'émigration vers le Maroc a commencé


dès la conquête de l'Algérie. pour des
raisons liées directement à la guerre. ct s'est poursuivie avec l'insurrection
d'Abdelkadcr qui fit de la frontière marocaine une base de repli. Il est
incontestable que deux grandes tribus s'installèrent au Maroc, les Hachems
et les Béni Amer, dont un grand nombre furent rapatriés dans les années
qui suivirent la reddition d'Abdelkadcr: la deira d'Abdelkader rapatriée
en 1848 comprenait 590 tentes. soit plus de 3 000 personnes. À ces tribus
s'ajoutent un grand nombre de familles originaires de Tlemcen, Mascara,
Mostaganem et Alger qui s'installèrent principalement à Oujda, Taza, Té-
touan ct Tanger; quelques-unes s'installèrent aussi à Rabat et Salén 21 • Il
est évident que ces migrants ne demandèrent ni passeport. ni autorisation :
c'était des «émigrés clandestins». La tri hu des Ouled Sidi Cheikh. qui fut
à l'origine des insurrections de 1864 ct 1869, a cu, jusqu'à sa défaite totale,
un pied en Algérie et l'autre au Maroc. On trouve d'ailleurs très peu de
traces de demandes d'émigration vers le Maroc, alors que les corres-
pondances concernant des demandes de rapatriement du Maroc sont in-
nombrables; en 1850. par exemple, 1 500 personnes demandèrent leur
rapatriement' n •. En d'autres termes. les émigrés avaient besoin d'une autori-
sation pour revenir en Algérie; mais ils s'en passaient pour quitter l'Algérie.
Signalons aussi que les Tlemcénicns qui émigrèrent vers la Syrie en 1910-1911
quittèrent clandestinement l'Algérie pour embarquer à Tanger.
L'ampleur des mouvements migratoires vers le Maroc suscita l'inquié-
tude du Gouvernement Général de l'Algérie. comme le montre l'extrait sui-
vant du registre des délibérations du conseil supérieur d'administration.
dans sa séance du 17 avril 1846. M. Pouchcr a été chargé par le GGA de
soumettre à l'examen un projet d'arrêté d'urgence destiné à mettre fin, par
la crainte d'une répression efficace. aux mouvements d'émigration des tri-
bus arabes :
« ... Messieurs. plusieurs tribus de la frontière de l'ouest et même du centre
de la province d'Oran. quelques-unes de la lisière du Tell sur la ligne du
sud. cédant aux su~~cstions de l'émir ou de ses agents ont émigré la plu-
part dans le Maroc~ ._les autres dans le désert.. .. Les tribus qui ~estent sur
notre territoire en prennent l'opinion que notre domination n'est que pré-
caire ct transitoire et que l'ex-émir est toujours sur le point de revenir à
la tête de ces nombreux émi~rants. D'une part ces émigrants font croire
à nos voisins du Maroc que l'Algérie tout entière gémit sous un joug de

1 12
' MICIIAt·x BELLOIRE (éd.), Les musulnums d'Algérie au Maroc. archives marocaines
1907. vXI. p. 14.
11 1
·~ CAOM. Aix-en-Provence. Le/Ire du /9 mai /850 du consulat général de France
à Tangt'r au ministère dt's Affaires étrang('>res. carton 9H<JX.
406 L'ÉMIGRATI0:-.1 ALG(:RIE:"-i~E r IX30-1914)

fer, et par suite ceux-ci sont beaucoup plus disposés à prêter leur concours
aux projets de notre astucieux adversaire. »
Le projet reflète le contenu des débats où J'on pesa le pour et le
contre de cette émigration. Celle-ci est d'abord jugée favorable à la colo-
nisation européenne. Mais elle soulève aussi des inquiétudes pour le court
terme, car on y voit une perte et un danger. On mentionne ...
«un problème de sécurité sur les territoires abandonnés par les tribus qui
sont responsables de la sécurité des individus ct des convois qui se dé-
placent. Sinon il faudrait une mobilisation des forces militaires importante
pour assurer la sécurité des convois. Par conséquent, ces forces seraient
retirées des opérations de guerre. D'autre part ces tribus fournissent des
moyens de transport considérables sans lesquels les efforts de guerre sc-
raient réduits. Ceux propres à J'armée ne représentent que Je dixième des
besoins.»
Le troisième argument touche à la mobilisation des forces contre la
présence française : «Ces tribus si elles échappent au contrôle vont aller
grossir les rangs de l'ennemi.» Enfin, un dernier argument est d'ordre éco-
nomique : «Ces tribus fournissent un important impôt en nature et contri-
buent à l'approvisionnement des villes qu'il aurait fallu importer». La
conclusion a un caractère prospectif, soulignant le caractère tactique du
blocage de l'émigration :
«Quand la population européenne sc sera multipliée de manière ü équili-
brer la force arabe ct à rendre ü l'armée les services qu'elle reçoit des
populations indigènes. il y aura sans doute. beaucoup moins d'intérêt à
retenir celle-ci parmi nous. bien qu'encore leur présence conservera son
degré d'utilité. [ ... ] Le sol est assez vaste ct assez fertile pour recevoir et
nourrir largement 7 ou 8 millions d'Européens ct 4 millions d'Arabes qui.
divisés au milieu de nos centres. s'accoutumeront peu à peu à notre do-
mination et finiront sous l'empire d'une administration juste, ferme ct pa-
ternelle par s'assimiler à nous. ( ... 1 Cet arrêté produira l'un de ces deux
effets : ou la mesure sera efficace ct nous aurons atteint le but~ ou les
tribus continueront l'émigration, et nous obtiendrons encore un grand avan-
tage, celui de pouvoir disposer de vastes territoires pour la colonisation
européenne qui ne peut plus rester dans le cercle étroit où elle est actuel-
lement restreinte. ( ... J La tribu immédiatement concernée est celle des Béni
Amer qui occupent une fort riche contrée ... qui est éminemment favorable
à l'établissement des Européens.»
Le décret proposé à l'issue du débat est adopté à l'unanimité par le
Conseil. L'article premier n'accorde aucun délai aux tribus hostiles; Je se-
cond est préventif: il prononce, avec un délai, Ja dépossession territoriale
de toute tribu ou fraction de tribu qui émigrera.
«Art. l. Toutes les propriétés communes ou particulières appartenant à
des tribus ou à des fractions de tribu actuellement émigrée;" soit dans le
Maroc, soit dans le désert seront déclarées propriétés de l'EtaL.
Art. 2. À l'avenir toute tribu ou fraction de tribu qui émigrera sera éga-
lement dépossédée de ses propriétés communes ou particulières si dans le
délai d'un mois à compter du jour de l'émigration elle n'a pas obtenu l'aman
du commandant supérieur de la division ... » 1 141

1 l·lJ CAOM, Aix-en-Provence. Gouvernement général de l'Algérie. carton 91-198.


407

Cc document résume parfaitement les limites de l'action de l'admi-


nistration française. Bien qu'elle ait toujours cherché à bloquer les migra-
tions de grande ampleur. le mouvement de départ vers le Maroc ne semble
pas avoir connu de ralentissement. comme le montre le rapport mensuel
du mois d'octobre 1899 du service des communes mixtes, qui cite l'admi-
nistrateur de Télagh :
«À si!!naler tout particulièrement chez les indi!!ènes. une tendance à s'ex-
patrie; pour fuir une situation devenue d'une façon générale assez misé-
rable au cours de ces dernières années. Les récoltes ayant fait défaut les
impôts sont. en effet. devenus. même réduits. une charge écrasante ... 1... 1
Plusieurs familles ont déjà abandonné le pays pour sc rendre au Ma-
roc ... » 1 1~'
Mais ces départs, répétons-le. n'excluaient pas les retours.

L'émigration vers la Tu11isie À l'est. on observa les mêmes tl ux qu'à


l'ouest. bien que le mouvement insur-
rectionnel y ait été plus limité. L'occupation de la ville de Bône ( 1831)
a entraîné l'installation de plusieurs familles de cette localité dans la région
de Bizerte' 1(''. Plusieurs tribus ont amorcé des mouvements d'aller-retour
pendant toute la période des combats ct des insurrections. La Régence de
Tunis semblait intéressée par l'installation de ces tribus qui cultivaient des
terres ct payaient des «sommes considérables d'impôts»' 17 '. En 1855. l'ad-
ministration signale 300 familles de trois tribus, soit plus de 1 500 per-
sonnes: en 1856, 200 tentes de Mascara (plus de 1 000 personnes) ct en
1860 plus de 300 tentes (environs 1 500 personnes). Ces chiffres montrent
le caractère massif de l'émigration ct sa nature : il s'agit de tribus ou frac-
tions de tribu qui émigrent en emportant leurs biens, c'est-à-dire essentiel-
lement leur cheptel et leur campement; les listes nominatives établies par
l'administration française donnent la composition familiale en même temps
que le nombre de bêtes (moutons, bovins. caprins, chevaux, chameaux,
etc.). Les autorités françaises ont d'ailleurs accusé en 1874. à tort ou à
raison. les Tunisiens d'une propagande «habile ct malveillante» pour in-
citer les indigènes à émigrer.
Ccci n'empêcha pas les autorités françaises de négocier Je contrôle
de l'octroi de la nationalité tunisienne à ces sujets français. Les départs
individuels sc firent d'abord avec l'autorisation des autorités françaises,
puis, devant les tracasseries créées par une administration inquiète de cc
mouvement migratoire. ils prirent une tournure clandestine (700 émigrants
c1andestins pour le seul département de Constantinef 1 x'. Ces flux restent
néanmoins difficiles à cerner au travers des documents consultés. Quand
ils existent. les chiffres diffèrent considérablement selon qu'ils sont établis
en Algérie ou par les services consulaires en Tunisie : ces derniers éva-

' 1 :; 1
CAOM. Aix-~:n-Provence. (iom.ernement général Je !"Algérie. carton 9H9Y.
4
lh• MARI y (i .. ( ll)4X). <<Le~ Algérien~ ü Tuni~ ». /hia.
i 17 • RA<iEK J.-J .. { Jl)50). op. cit. ~
oiKo R.-\(iEK J.-J .. ( IY50). op. cil.
408 L'ÉMJGRATIOJ\: ALGÉRIENNE 1 IX10-1914)

luaicnt en 1876 le nombre des Algériens à 16 600, alors que le GGA don-
nait à la même époque le chiffre de 6 973 personnes (et ceci avant les
fortes migrations de la fin du siècle). De plus, les naturalisations ct les
retours compliquent considérablement le problème : les Ouled khélifa par
exemple, comptant 300 tentes (plus de 1 500 personnes environ), deman-
dèrent à rentrer et à s'établir dans le cercle de Tébessa.
Trois types d'émigrés prirent le chemin de la Tunisie : ceux qui béné-
ficiaient d'une autorisation et sollicitaient une immatriculation au consulat de
la République française, ceux qui s'y installèrent clandestinement, ct ceux qui
(surtout après J 88 J) transitèrent par la Tunisie sur la route de Tripoli, de
l'Égypte ct du Moyen-Orient. Si J'on en croit certains rapports, les causes de
départ vers la Tunisie furent surtout économiques. Les émigrés algériens y
trouvaient des conditions de vie plus avantageuses qu'en Algérie, et l'impo-
sition y était moins lourde. On peut en juger par un extrait du rapport de
M. J. Mourlan, répartiteur des contributions directes, sur la tournée des
recensements réalisés pour l'établissement des rôles de 1886 (repris dans
la lettre du 7 septembre 1886 du GGA) :
«Enfin l'émigration en Tunisie a pris un développement considérable et
qui tend à s'accroître de plus en plus si l'autorité supérieure n'y met un
frein.>> JI souligne que la «faiblesse de l'imposition dans la Régence, et
l'abondance des terres de cultures y attirent les klwmès. ( ... J De pl us les
troupeaux ne sont pas imposés; il y a passage du bétail de l'autre côté de
la frontière. » 1 19 '

L'émigration vers la Syrie En 1830, un grand nombre d'Algériens et


et le Moyen-Orient de Turcs, fuyant la domination française,
quittèrent J'Algérie pour s'installer dans
les villages du Hauran où ils firent souche. D'autres s'arrêtèrent en Égypte
et prirent du service dans l'armée égyptienne qui, deux ans plus tard, en
1832, devait conquérir la Syrie' 20 '. Après la prise d'Alep, plusieurs de ces
soldats algériens s'installèrent à leur tour définitivement dans le pays. Il
ne semble pas possible d'évaluer l'importance de cette population : en effet,
ce n'est qu'après 1855 et l'installation de l'Émir Abdelkader à Damas que
les services consulaires français immatriculèrent les Algériens en Syrie,
mais ceux qui avaient fui la présence française ne purent évidemment s'ins-
crire. Cette installation de l'Émir accéléra ces migrations et les orienta
vers la Syrie. Dans cette première période, les réactions empreintes de fé-
brilité des administrations françaises permettent de repérer plusieurs dates
où les mouvements furent d'une ampleur suffisante pour entraîner un blo-
cage de l'émigration : 1854, 1860, 1870, 1874, 1888, 1899, 1909.
La Syrie semble avoir été la destination privilégiée des migrants quit-
tant l'Algérie à la fin du XIXc siècle et au début du xxc siècle. Au-delà
de l'effet de J'installation de l'Émir Abdelkader ct de ses proches, il semble

119 1 CAOM, Aix-en-Provence, Gouvernement général de l'Algérie, carton 9H 100; Rap-

port J. Mourlan, 1886.


1201 RMiER J.-J., (1950), op. cit.
L'(:MIGRATIO~ AUii~RIENJ\:E 1 1100-IYI_.l 409

qu'une certaine propagande sc soit développée pour faire de l'émigration


vers la Syrie un acte politique d'opposition à la présence française. Le
Rapport Varnicr de 191 1 fait état d'une campagne. dès 1909. en faveur de
l'émigration par les khouans des Rahmania. et d'une série de lettres d'émi-
grés incitant à l'émigration; cc même rapport. tout en insistant sur le «fa-
natisme» des migrants ct leur espoir de trouver en Syrie des terres et des
avantages de toutes sortes, met l'accent sur le rôle incitatif joué par les
autorités ottomanes qui faisaient bon accueil aux émigrés, tout au moins
pour la vague de 1909-1910 :
«Le véritable instigateur du mouvement paraît être le gouvernement turc ...
Les immigrants algériens re\=oivent l'accueil le plus encourageant. Ils per-
çoivent 2 piastres 5 par jour et par tête jusqu'à ce qu'ils reçoivent des
terres. » 1 21 1
Le rapport n'exclut pas que certains colons aient eux-mêmes poussé
à l'émigration pour acquérir les terres des émigrants; on constate par exem-
ple que 32 chefs de famille émigrés ont vendu leur terre à un colon du
nom de J.-B. Culct dans la région de Taghrout (Sétif). Cette explication
reste cependant limitée par rapport à la cause plus fondamentale qui était
l'aggravation générale des conditions de vic de la population. résultant de
la diminution des terres ct de la double imposition à laquelle elles étaient
soumises. Il faudrait encore ajouter le désarroi suscité par la mise en œuvre
de diverses lois ct de dispositions administratives qui étaient interprétées
par les indigènes comme des atteintes à leur religion.
Chaque nouvelle vague migratoire est interprétée par les autorités
comme une activité anti française de la part des émigrés, tout comme l'ap-
pel des émigrés pour inciter leurs proches à prendre aussi le chemin de
l'exil. Cc dernier aspect semble être retenu par les administrateurs succes-
sifs comme l'explication principale à ces mouvements migratoires. De 1856
à 1858, 79 familles furent immatriculées au consulat français de Damas,
soit en moyenne 480 individus. Cc chiffre est nettement inférieur à celui
de la population d'origine algérienne en Syrie, puisque l'Émir Abdelkader
arma un millier d'Algériens pour protéger la population chrétienne des mas-
sacres de 1860. En 1888. 78 familles algériennes sont immatriculées dans
la seule l'ilayet de Beyrouth, 100 en 1891, 237 en 1896 ct 250 en 1898
(Rapport Varnicr, 1911 ).
L'émigration des Algériens vers le Moyen-Orient ne sc limita pas
seulement à la Syrie, mais elle fut moins spectaculaire vers les autres
destinations ct fit surtout couler moins d'encre. On peut mentionner la
Turquie, comme le montre la lettre de M. Bompard du ministère des Af-
faires étrangères à M. Doumergue Péra, le 26 mars 1914 : «Notre agent
au Caire signale la recrudescence du courant d'émigration algérienne sur
la Turquie » 1221 • Il faut aussi signaler J'installation dans le Hedjaz de ceux
qui. après avoir effectué Je pèlerinage à la Mecque, décidaient de ne pas
retourner en Algérie: contrairement aux autres émigrés, ils n'emmenèrent

t2ll CAOM. Aix-en-Provence. Gouvernement général de l'Algérie. carton 10H90.


1221
CAOM. Aix-en-Provence. Gouvernement général de l'Algérie. carton lJH 100.
410 L'I~MIGRATIOI\" ALGf:RJE~NE 1 U00-19141

pas leur famille, ct finirent par envoyer à la famille de leur femme des
lettres de répudiation. On trouve aussi dans les archives des traces d'émi-
gration en Égypte ct en Libye. Le ministère des Affaires étrangères rapporte,
dans une lettre du 25 avril 1891, que sont immatriculés au consulat de France
du Caire, depuis le 17 janvier 1870, 436 familles algériennes 12 ~ 1 , musulmanes,
chrétiennes ct israélites. En 1900, il ne restait plus que 241 familles, et en
1949 seulement 44 familles au Caire et 444 Algériens à Alexandrie~ à la
même date, on comptait 706 familles israélites originaires d'Algérie immatri-
culées en Égypte : après deux générations, les musulmans s'étaient assimilés
à la population locale 1241 • Certains israélites s'installèrent en Palestine, dans
la région de Tibériade et de Safed.
Il y eut aussi différentes demandes de commerçants de Tlemcen ct
de Mostaganem pour émigrer à Tripoli. D'autre part, le vice consul de
France à Benghazi signala la présence d'une soixantaine d'Algériens ori-
ginaires de Chélia, débarqués par un navire ottoman, faisant la mendicité
dans la viJic. On ne peut se risquer à aucune évaluation de ces mouvements
du fait de l'émigration clandestine ct du refus d'un grand nombre d'émigrés
de sc faire immatriculer aux consulats français, d'autant que le départ d'un
grand nombre d'entre eux était motivé par le refus de vivre sous un gou-
vernement non musulman ; bon nombre de ces musulmans d'origine algé-
rienne se sont fondus dans la population des pays où ils sc sont installés.
J .-J. Rager, en signalant que le chiffre des immatriculés au consulat en
Syrie stagnait autour de 3 000, affirme que «cc chiffre varia peu d'autant
que les intéressés n'avaient pas un grand respect pour leur nationalité d'ori-
gine »c25'.
Plusieurs correspondances montrent que ces migrants provenaient de
toutes les régions d'Algérie. Le général commandant la division d'Alger
écrit ainsi, le 1cr mai 1860, au ministre des Colonies :
« Depuis quelque temps des demandes nombreuses ont été faites par des
indigènes de différentes tribus des cercles de Médéa, Boghar, Teniet-el-
haad, Orléansville et Miliana pour émigrer: Messieurs les commandants
de subdivision avaient reçu l'ordre de repousser toutes ces demandes et
de faire comprendre aux indigènes la faute qu'ils commettaient et la ruine
à laquelle ils couraient. Le mouvement a été arrêté en partie. » 1261
En Tunisie, en 1874, le consulat de France indique la répartition selon
l'origine des Algériens domiciliés en Tunisie : 800 viennent de l'oasis de
Ouargla; 2 000 de l'oued Souf, oued R'hir et Touggourt; 5 à 6 000 de la
province d'Alger (pour la plupart de la Grande Kabylie); 1 200 du Mzab.
Il faudrait ajouter les 200 tentes (environ 1 000 personnes) d'originaires
de Mascara qui se sont installés en 1856, et 300 autres familles (environ
1 500 personnes) de la région de Sétif installées dans la Régence en 1855,
ainsi que 18 tentes de Mostaganem (environ 90 personnes) en 1875. Pour
la Syrie, la correspondance montre qu'entre 1855 ct 1860, 344 familles de

rn, CAOM. Aix-en-Provence. Gouvernement général de l'Algérie, carton 9H J02.


12-tl RAGER J.-J., ( )950), op. cit.
c25J RAGER J.-J .. ( 1950), op. cit.
1261 CAOM, Aix-en-Provence. Gouvernement général de l'Algérie. carton 9H98.
41 1

la région d'Aumale (environ 1 720 personnes) se seraient installées en


Syrie, ct, pendant la même période. 929 Kabyles des arrondissements de
Tizi-Ouzou ct Dellys. L'émigration kabyle vers la Syrie fut particulière-
ment importante pendant la décennie 1880-1890 (environ 570 personnes
ont bénéficié d'une autorisation d'émigrer si l'on en croit la corres-
pondance ofTiciclle' 27 '). En 1899. un rapport du Gouvernement général
de l'Algérie au ministre des Affaires étrangères signale la délivrance de
436 demandes de passeport. 374 pour le département d'Alger (dont 314
pour le seul arrondissement d'Orléansville). 60 pour le département
d'Oran ct 2 seulement pour le département de Constantine: ct il ne faut
pas oublier que les passeports n'étaient pas individuels mais concernaient
toute la fam i Ile du demandeur. Les demandes de naturalisation ottomanes
de 829 familles. transmises aux services consulaires français de mai 1911
à septembre 1912. sc répartissaient en 422 demandes pour le Constantinois
(concernant l'ensemble des communes). 83 pour le département d'Alger
ct 290 pour I'Oranic. dont 250 pour les seuls tlemcénicns. Le Rapport
Luciani sur l'émigration en Syrie ( 1899) indique que :
<<Les demandes formulées de Berrouat!hia. Tablat. Aumale. des tribus de
l'arrondissement d'Orléansville. de la ~allée du Chélif ct de la rét!ion de
Ténés ... dans le Constantinois s'élevèrent à environ 7 000. » 12 x' L

Les mouvements collectifs de la région centrale furent mieux cernés.


même pour les départs sans autorisation. Quant aux tribus frontalières. elles
ont souvent mis à profit les migrations traditionnelles (aclwha) pour s'ins-
taller de l'autre côté de la frontière. contournant ainsi les interdictions de
quitter le territoire algérien. et mettant en échec le contrôle exercé sur
leurs déplacements.

III.- L'attitude de l'administration française


face à ces migrations

L'administration française était traversée par des courants contradic-


toires face à ces mouvements. D'une part. elle voyait dans cette émigration
des indigènes un moyen d'augmenter les terres disponibles à la colonisa-
tion:
<<À l'avenir. toute tribu ou fraction de tribu qui émigrera. sera dépossédée
de ses propriétés. communes ou particulières avec un délai d'un mois si
elle n'a pas obtenu l'Aman du commandant supérieur de la pro~incc ou
de la subdivision ... Ces terres seront dédarécs propriétés de l'Etat. des
tableaux seront dressés par les commandants pour chaque tribu émigrée
ct seront publiés dans le Moniteur Algérien ct dans le recueil des actes
du gou vcrncmcnt. >>'~·J'

,,.; 7 ,
CAOM. Aix-en-Proven<.:e. (iouvcrnemcnt t!énéral de I'Ait!éric. <:arlon lJH 102.
,.;x, CAOM. Aix-cn-Provcn<.:c. (iouvcrnemcnt cénéral de I'Aicéric. carton IOHlJO.
':è'J• Ordonnance du 1 X AHil 1X46. Bulletin (~lfï;icl ;\Iger: Act~:, du gou\·crncmcnt 1X4o
T6. n" 222. p. X2 ct n" 224. p. 9.
412 L'ÉMIGRATI0!\1 ALGÉRIENNE ( IX30-IlJI4J

Le Il octobre 1845 le Duc d'Isly propose de bannir à perpétuité les


tribus émigrées, et le Gouverneur général envoie la lettre suivante au mi-
nistre de la Guerre :
«J'ai envie de proclamer que toutes les tribus qui ne seront pas rentrées
sur leur territoire, d'ici la fin de novembre, en serof!t bannies à perpétuité
et que leurs terres passeront dans le domaine de l'Etat... » 1301 .
Cette proposition fut approuvée par le gouvernement du roi, et la
réponse du ministre arriva le 22 octobre 01 ' : «Le gouvernement du roi ap-
prouve cette disposition et il vous autorise à la proclamer... »; le 16 mai
1846 le ministre de la Guerre envoie une minute de la lettre approuvant
l'arrêté du 17 avril sur l'émigration des tribus adopté par le conseil 112 '. Cet
intérêt pour l'émigration des indigènes était donc motivé par le désir de ré-
cupérer des terres à peu de frais, comme le montre clairement la lettre du
ministre de la Guerre au GGA en date du 4 août 1856 au sujet des demandes
d'émigration, vers la Syrie, de familles de la subdivision de Mascara. La lettre
commence par des considérations à caractère politique pour aborder ensuite
des problèmes plus concrets :
«Chaque jour les besoins de la colonisation réclament de nouvelles terres
disponibles, à ce point de vue les émigrations ne sont pas fâcheuses, parce
qu'elles peuvent atténuer d'une certaine manière les difficultés que nous
rencontrons.»( :n,
Aux considérations précédentes s'ajouteront des raisons strictement
militaires : l'émigration éloignerait d'Algérie des «fanatiques hostiles à la
présence française».
Ainsi, les autorités françaises sont-elles prêtes à autoriser un mou-
vement d'émigration qui allait dans le sens des intérêts de la colonisation.
Cependant, ces mêmes autorités n'étaient pas prêtes à accepter que l'émi-
gration prenne le caractère d'une manifestation politique de masse contre
la présence française et qu'elle vienne contrecarrer les objectifs de l'empire
colonial français au Moyen-Orient. Cette attitude contradictoire et l'argu-
mentation qui en découle sont parfaitement résumées par la lettre du 14 avril
1860 du commandement supérieur des forces de terre et de mer en Algérie,
au ministre de l'Algérie et des Colonies, dont nous reproduisons de larges
extraits dans l'encadré 1.
La réponse du ministère de l'Algérie et des colonies au commande-
ment supérieur des forces de terre et de mer en Algérie (lettre du 23 avril
1860), indique la voie à suivre aux différentes autorités administratives de
l'Algérie (encadré 2).
La réponse tient compte des visées coloniales françaises en Syrie et des
intérêts immédiats de la colonisation en Algérie même. Ces intérêts seraient
affectés par l'émigration, d'abord sur le plan militaire, par la concentration
de forces hostiles aux frontières avant la colonisation du Maroc et de la Tunisie;

OOJ CAOM. Aix-en-Provence, Gouvernement général de l'Algérie. carton 9H98.


Ol J Archives militaires Château de Vincennes. carton H236.
O:!J CAOM. Aix-en-Provence, Gouvernement général de l'Algérie. carton 9H98.
133! CAOM. Aix-en-Provence. Gouvernement général de l'Algérie, carton 9H98.
L'É:\11GRATIO:-.: ALGÉRII-SNE! IX30-IlJI-tl 413

Encadré 1

Lellre du 14 a1Til JXf>O du comnw1ulement supeneur des forces de terre et de


mer en Al~-:érie au ministre de I'AIKérie et des Colonies :
<< Déjà mes derniers rapporb politiques ont fait mention de ces tendances d'émi-
gration :-.oit en Syrie. soit en Tunisie. qui sc manifestent depuis quelque temps. sur
beaucoup de points de l'Algérie. Ils avaient été d'abord signalés dans les subdivisions
<oi'Aumale ct de Médéa. ainsi que sur quelques points de la provin<.:c de Constantine ...
A l'appui de la lettre qu'il me transmet. le général Yusuf mc dit qu'il s'agit de marabouts
animés d'un mauvais esprit. ct que leur départ donnerait des facilités pour les opérations
de cantonnement qui seront effectuées autour d'Aumale en vue de trouver des terres
disponibles pour la <.:olonisation. Cc sont aussi là les motifs qu'allèguent ceux qui
désirent que l'émigration des indigènes soit favorisée. Ceux qui doutent que jamais
les deux races. les deux religions puissent vivre en présence l'une de l'autre. rajoutent
que ces tendances à l'émigration. qui sc révèlent ou plutôt sc <.:ontinucnt. ne sont que
la manifestation de cette antipathie innée. de cette répulsion invincible de l'un des
éléments ù l'égard de l'autre. Qu'ainsi toute fusion à un degré quelconque étant un
révc le mieux est de laisser faire ct de ne point contrarier une disposition qui doit
assurer un champ plus vaste aux Européens. si m~mc elle ne procure pas le vide <.:mn-
plct. tel qu'il s'est présenté pour les colons des Etats-Unis d'Amérique. Sans mécon-
naître la valeur des arguments que présente le général commandant la division d'Alger.
je trouve beaucoup plus puissants les motifs que nous avons à mettre obstacle à l'émi-
gration. De ces motifs les uns sont moraux les autres matériels. 1... 1
Il importe tout d'abord d'éviter l'impression si défavorable pour notre administration
qui résulterait du spectacle de ces émigrations qui deviendraient bientôt contagieuses pour
peu que nous laissions faire. Il ne faut pas que ces émigrants aillent au loin le fiel dans
le cœur maudire le nom de la France ct calomnier ses intentions généreuses ... En même
temps les vides qui sc formeraient créeraient l'insécurité. les communications n'étant
plus sun·cillécs par des douars responsables. le brigandage augmenterait ct sous leur
influcn<.:c la colonisation ne saurait enfin faire non plus des progrès. Sur le plan ma-
térieL la diminution dans la population indigène c'est aussi la diminution des bras
dont le colon, dont le commerce ct l'industrie tirent parti. L'Arabe n'est-il pas en ce
moment le véritable ct pour ainsi dire le seul producteur de céréales ... J'ai toujours
regardé l'émigration en masse comme une sorte de suicide moral pour cc peuple.
comme un acte de désespoir que nous devons arrêter comme blessant pour les intentions
civilisatrices que nous avons la légitime prétention de développer dans cc pays.» Il
faut d'abord en donner les causes : «On les a attribuées à cc que les intérêts des
indigènes ont été trop sacrifiés en général à ceux de la colonisation: aux inquiétudes
nées de certaines réformes annoncées ou déjà effectuées ct dans lesquelles des esprits
prévenus ont cru trouver trop facilement des atteintes à la religion. à la constitution
de la famille. Certes on ne peut nier que la nécessité de la colonisation n'ait pas
entraîné de graves perturbations dans l'existence matérielle des tribus ... mais il n'en
peut être autrement. il a fallu ici prendre de la terre arable. Ht restreindre la vainc
pftturc dans les prairies. ou bien les coutumes usagères dans les forêts. Il est évident
qu'il doit en être ainsi. si on veut introduire ct développer la colonisation. Cc que l'on
peut désirer seulement. c'est que toute ces mesures qui. ~t l'égard des indigènes. ont pour
conséqucn<.:cs fatales de rendre plus difficiles ct plus pénibles les conditions de la vic
matérielle. on n'aille jamais au-delà de cc qui est indispensable ct que l'on opère avec
modération. justice ct prudence. ,.,q,

' 341 CAOM. Aix-cn-Pn)\cncc. Gouvernement général de l'Algérie. carton 9H98.


414 L'ÉMIGRATION ALGÉRIENNE< IX30-1914)

Encadré 2
Lettre du 23 cn•ril 1860 du ministère de /'Aixérie et des colonies au comman-
dement supérieur des forces de terre et de mer en Alxérh~ :
«J'ai lu avec la plus sérieuse attention votre dépêche relative à une certaine
tendance à l'émigration qui sc manifeste parmi les indigènes ... Il y a deux côtés de
la question, ... d'une part nous avons besoin de terres pour la colonisation ct dès lors.
si nous devons voir avec satisfaction les indigènes s'éloigner ct nous abandonner la
place, d'autre part, nous pouvons dans une certaine mesure regretter les causes qui
déterminent les Arabes à un parti aussi violent. Mais, Général, il ne faut pas nous
faire illusion, ct lorsqu'on considère combien notre domination a été douce ct favorable
aux indigènes il ne peut nous rester de doute sur le mobile qui pousse quelques-uns
d'entre eux à vouloir s'y soustraire. C'est évidemment le fanatisme et aussi l'incom-
patibilité qui leur paraît exister entre nos mœurs ct les leurs ... Je pense donc que les
généraux commandant les divisions doivent être autorisés à donner des permis de départ
aux familles qui en demandent. Mais ces familles doi\·ent être hien prévenues qu'elles
renoncent à toute possihil ité de ret mu; que les tern~s qu'elles abandonnent .H~ront li-
\·rées aux colons, n~fïn leurs pas.'ieports doil·ent mentionner que les porteurs perdent
leur qualiTé de .H~jets français ... »
Suit un développement sur J'éventualité d'un mouvement migratoire massif pou-
vant concerner des tribus ou fractions de tribu. nécessitant alors d'en référer au mi-
nistre.
«Les obstacles que nous apporterions à la liberté d'émigration ne feraient qu'en
faire naître chez les Arabes ct occasionneraient des départs clandestins comme cela
s'est présenté dans le cas particulier des indigènes de la subdivision de Médéa. arrêtés
, par le général Desvaux, je ne puis qu'approuver la décision que vous avez prise ü
leur égard: leur retour forcé eut été d'un fâcheux effet ct comme ils n'avaient plus
de ressources dans leur pays natal il eut créé des misères que nous aurions dû !'>oula-
gcr>>.
Autorisation est donnée à 4 familles de rejoindre Abdelkader en Syrie :
«Je ne vois pas de raisons pour que les indigènes de la subdivision d'Aumale
qui désirent sc rendre en Syrie, ne soient pas autorisés à le faire ... Les terres nous
font défaut de cc côté ct leur départ doit nous en procurer. En outre cc sont les ma-
rabouts qui demandent à partir, cc sont des fanatiques ennemis de notre domination ...
Nous n'expulsons personne du pays; nous fa1·orisons dt' tout notre JHJU\'oir la suhsti-
tlltion de l'établissement jïxe à l'existence nomade et la tran.\formation de la propriété
collec/Î\'e mal définie de la tribu en propriété itulil·iduelle. ,,r 351

sur le plan de la sécurité intérieure ensuite, car les départs collectif~ ren-
draient le contrôle du territoire plus difficile et favoriseraient l'activité des
brigands (les indigènes étaient considérés comme collectivement respon-
sables). Enfin, l'économie de la colonie ne pouvait se passer ni de la main-
d'œuvre locale, ni des producteurs indigènes de céréales qui participaient, comme
contribuables, aux recettes budgétaires de la colonie. Ces intérêts contradic-
toires expliquent que les autorités françaises auront tendance à autoriser
toutes les demandes d'émigration concernant des familles ou des groupes
restreints de familles, mais à bloquer toutes les demandes considérées
comme un mouvement d'émigration collective. Ils expliquent aussi la prise
en charge, matérielle et financière, des mouvements de retour en Algérie :
on escomptait que ce type de rapatriement aurait un effet dissuasif sur les

1351 CAOM. Aix-en-Provence. Gouvernement général de l'Algérie. carton 9H9X.


l:f:\-tl(iRATJO:-.; ALGI~RII::'l!\:1: c 1X30-I'J J ..J) 415

mouvements collectifs d'émigration, comme en témoigne la lettre du mi-


nistre de la Guerre en date du 5 avril 1861 1 36 ' informant le GGA du rapa-
triement de 1 17 Algériens (42 hommes. 37 femmes et 38 enfants), émigrés
en Syrie, dont la situation était devenue précaire vis-à-vis de la population
musulmane de Syrie : ils avaient. lors des massacres de Damas en 1860.
pris la défense des populations chrétiennes à l'instigation de l'Émir Abdcl-
kader. Quatre-vingt-douze d'entre eux appartenaient à la tribu des Ouled
Sidi-Khaled. 19 aux Amraoua. ct les autres au Béni Addour.
Les efforts de l'administration française pour contrecarrer les mou-
vements d'émigration ne sont pas toujours très appropriés. Un exemple
spectaculaire, qui montre en même temps l'incapacité du plus haut niveau
de l'administration française de comprendre la situation, en est donné par
l'émigration de 800 Algériens vers la Syrie; ils débarquent à Beyrouth ct.
faute d'aide ct de soutien. tombent dans la misère. E. Lafcrrièrc, Gouver-
neur général de l'Algérie, essaie d'en profiter pour dissuader les Algériens
d'émigrer (ct inciter les émigrés au retour). Il fait publier dans Le Mohacher
n" 4152 du Il 1 Il /1899 un avis informant que :
<<plus de huit cents indigènes d'Algérie qui. après avoir· vendu leUJ·s tetTes,
s'étaient rendus à Damas avec leurs familles, ... sont actuellement plongés dans
la plus affreuse misère, et demandent avec insistance ü être rapatriés en Al-
gérie».
Cependant la publication de l'avis eut un effet contraire ct sc traduisit
par une recrudescence des demandes de passeport pour la Syrie; en témoi-
gne par exemple le rapport du capitaine Desgène. chef de l'annexe de Barika.
signalant que des indigènes de l'annexe sc sont livrés à des agissements de
nature à provoquer un mouvement d'émigration en Syrie :
«Une trentaine d'indigènes après avoir pris connaissance de l'avis publié par
Le Mohacher firent une demande d'émigration en Syrie stipulant que l'admi-
nistration française ne s'y opposerait pas ... Il fut observé à El Hadj Mohamcd
ben Ahdellah ... que sa résolution de se rendre en Syrie paraissait une bravade ...
ct sLu1out que sa demande au lieu d'être personnelle était accompagnée de nom-
breuses signatures qui lui donnaient le caractère d'une manifestation contre l'au-
torité du pays. » ·

Le capitaine conclut en demandant l'internement des deux frères à l'origine


de l'initiative : on leur in1ligca un mois de prison ct une amcnde. 1 n 1

É1nigration autorisée L'attitude constante de l'administration a


et émigration clandestine été d'autoriser ct même de favoriser
l'émigration des indigènes dans les pério-
des calmes. lorsqu'elle ne prenait pas un caractère massif. Les demandes
d'émigration étaient traitées par les préfets des trois départements, avec
information au Gouverneur général. Ainsi le préfet d'Alger informe-t-il le
GGA. le 19/11/79. qu'il a délivré depuis le J.:r janvier 74 passeports pour
la Syrie, ct qu'il en a 7 autres en instance. Lorsque le mouvement d'émi-

'Vll CAOM. Aix-en-Provence. Gouvernement général de l'Algérie. carton 9H9X.


'·' 71 CAOM. Aix-en-Provence. Gouvernement général de l'Algérie. carton YH 102.
416 L'ÉMIGRATION ALGI~RIENNE! 1830-1914)

gratien s'amplifie et prend l'aspect d'une contestation de la présence fran-


çaise, on revient à la politique du milieu des années quarante, à savoir un
blocage du mouvement d'émigration y compris pour les motifs purement
économiques.
Le 17 avril 1846, M. Poucher a été chargé par le GGA de soumettre
un projet d'arrêté d'urgence «destiné à mettre fin, par la crainte d'une ré-
pression efficace, aux mouvements d'émigration des tribus arabes ... ». Ces
dispositions de blocage des départs sont couvertes par Paris, comme le
montre la lettre du ministre des Colonies du 10 mai 1 860 en réponse à la
lettre du GGA du 1cr mai informant que les demandes d'émigration étaient
repoussées :
«Vous avez agi dans le sens de mes instructions du 22 avril au sujet de
l'émigration des indigènes en refusant les permis de départ puisqu'ils
étaient demandés par un assez grand nombre d'individus pour avoir un
caractère d'hostilité contre notre domination. » 1 ~x,
La lettre de Chanzy aux préfets, en 1874, se conclut par le refus des
autorisations d'émigration. En février 1874, un échange de lettres entre le
GGA et le chef d'état-major de J'armée française se conclut par la décision
de séquestrer les biens des indigènes partant sans autorisation. Les inté-
ressés passent outre à ces interdictions, ct vendent les biens immobiliers
qu'ils possèdent. En 1889, 1890, et 1891 peu d'autorisations d'émigration
sont délivrées suite à une interdiction du GGA. Les interdictions sont réi-
térées à plusieurs reprises; citons encore une lettre du GGA aux généraux
ct aux préfets le 27 octobre 1899 :
«J'ai l'honneur de vous informer que dans le but de mettre un terme au
mouvement d'émigration en Syrie qui s'est manifesté sur divers points de
la colonie~ j'ai décidé qu'aucun passeport ne serait plus délivré jusqu'à
nouvel ordre à destination de la Syrie » 1 ~ 91 •
Le Rapport Luciani ( 191 1) préconisait notamment le refus des de-
mandes d'émigration, et l'interdiction de la diffusion en Algérie des jour-
naux El Maaloumat et Thamarat El Founoun. L'application fut immédiate,
contrairement aux autres propositions (comme la nécessité de développer
les liens entre les administrations en Algérie et en Tunisie, ou celle de
développer les publications en langue arabe favorables à la colonisation) 1"' 01 •
Bien que dans le même rapport soit indiquée l'impossibilité de retenir ceux
qui ont décidé d'émigrer avec leur famille, c'est finalement une nouvelle
fois le blocage administratif qui est mis en œuvre. Il est évident que si,
pour certains candidats à l'émigration, l'interdiction administrative était
dissuasive, pour d'autres; qui avaient vendu leurs propriétés et les biens
qu'ils possédaient, ces mesures administratives n'étaient pas suffisantes. El-
les l'étaient d'autant moins quand il s'agissait de fuir la conscription, et
surtout «d'aller vivre et mourir» dans un pays sous gouvernement musul-

OBI CAOM, Aix-en-Provence, Gouvernement général de l'Algérie, carton 9H98.


0 91 CAOM, Aix-en-Provence, Gouvernement général de l'Algérie, carton 9Hl02.
«-lOI CAOM, Aix-en-Provence, Gouvernement général de l'Algérie, carton 10H90; Rap-
porl Luciani.
L'ÉMIGRATIO:"-l ALGÉRIEN~E! IX30-1914) 417

man. En pareil cas, l'imaginaire rend toute mesure administrative ou po-


l ici ère caduque.
Une abondante correspondance entre les services consulaires français
et le GGA, et entre ce dernier et les préfets, fait état d'un grand nombre
de départs sans autorisation' 41 '; une note interne du Gouvernement Général
de l'Algérie au gouverneur (sans date) indique :
«À la suite de la publication le 17 septembre dans l'Écho d'Oran d'un article
extrait de .. La France militaire .. sur J'utilisation en Algérie des contingents
arabes, un assez grand nombre de jeunes gens ont quitté dandestinement leur
foyer et gagné la frontière du Maroc, en passant par Maghnia, dans l'intention
de s'embarquer pour la Syrie.»
Une autre note interne au GGA du 6 octobre 1911 (adressée à M. le Gou-
verneur) signale :
«Un autre indice du mouvement d'émigration qui se prépare résulte de ce
fait que des indigènes propriétaires à Tlemcen ont mis en vente plus de
deux cents immeubles ... On signale qu'à Maghnia, également des indigènes
font des préparatifs de départ ct vendent leurs immeubles.»
Cependant, le recensement de ces départs clandestins, par les services
administratifs en place, a commencé relativement tôt, comme le montre
un courrier du 26 mars 1852 du ministère de la Guerre au GGA, lui faisant
part que :
«Le consul de France à Damas signale qu'une quarantaine de familles al-
gériennes, attachées à la fortune de l'ancien Khalifa Bensalcm, avaient J'an-
née précédente traversé les déserts de l'Afrique et de la Syrie pour venir
sc fixer à Adjeloum auprès de Ben Salem; ces familles auraient repris le
chemin du retour».
Autre lettre de la division d'Alger de l'armée d'Algérie, le 27 avril
1860 : «Sur les 60 chefs de tentes partis sans permission 22 appartiennent
au cercle de Médéa, les autres à Boghar. » Ces lettres sont souvent accom-
pagnées de la description des moyens employés par les indigènes pour
tromper la surveillance exercée sur eux 142 '. Le général commandant de la
division d'Oran informe le GGA, le 14 mars 1875, qu'une dizaine de tentes
des Hamians, tribu des Ouled Farés, ont rejoint le Maroc sans autorisa-
tion•4l'. Les lettres faisant état de ces départs sans autorisation sont parti-
culièrement nombreuses à la fin du siècle.
La colonisation de la Tunisie en 1881 étend les possibilités de sur-
vci11ancc ct de répression de ces migrants clandestins. Le Résident général
de France à Tunis informe le MAE à plusieurs reprises de la présence
d'indigènes algériens séjournant irrégulièrement. De juin à juillet 1886,
34 indigènes sont arrêtés en Tunisie pour avoir émigré sans autorisation;
en 1886, le Résident signale la présence de 22 familles avec leurs trou-
peaux; en octobre 1898, il signale que 237 Algériens se sont embarqués
sur la Prince Line à destination de la Syrie, et qu'un second embarquement
de 200 personnes a été empêché par la police. À la même époque le consul
141 , CAOM. Aix-en-Provence. Gouvernement général de l'Algérie. cartons 9H99 ct 9H 100.
• 421 CAOM. Aix-en-Provence. Gouvernement général de l'Algérie. carton 9H9X.
' 4 ' ' CAOM. Aix-en-Provence. Gouvernement général de l'Algérie. carton FXO 42.
418 L'I::vtiGRATION ALG(::RIEN!'lE < IX30-1914)

général de France à Beyrouth signale l'arrivée d'indigènes algériens avec


leur campement et leurs bêtes de somme Je 24 octobre sur le Men·hant
Prince, le 28 novembre sur le lrridi ...,·h Prince, et le 11 décembre sur le
Crown Prince. «On les a écoulés sur le vila_vet de Damas où Abdullah-pacha
et Ali-pacha fils d'Abdelkader et sujets ottomans leur ont fait concéder des
terrains. »c.u 1• Une multitude de correspondances font état d'arrestations d'indi-
gènes ayant quitté sans autorisation le territoire algérien; le 9 décembre 191 O.
le préfet de Constantine informe le gouverneur général du passage du convoi
de 142 prisonniers de Bengardanne arrêtés en Tunisie pour avoir quitté le
territoire algérien sans autorisation ~ 51 • 1

Devant la multiplication de ces missives, le Gouverneur général est con-


traint de rendre compte à Paris, dans la mesure où il a reçu directive de s'opposer
à ces départs; il rapporte, dans une lettre au MAE le 17 octobre 1888 :
« Additionnellement à mes précédentes communications relatives à l'émigration
en Syrie de familles algériennes. j'ai l'honneur de vous adresser ci-joint trois nou-
veaux états nominatifs ... Le premier est composé de 40 personnes de la commune
de Mirabeau, arrondissement de Tizi Ouzou; le second comprend 55 familles
(234 personnes) originaires de la commune mixte d'Oum El Bouaghi, dépmtement
de Constantine; le troisième comprend 4 familles de 17 personnes de la commune
mixte de Meskiana. même département; elles appmtiennent à la grande tribu des
Haracta. Causes énoncées pour les premiers: rejoindre leurs familles installées
en Syrie; pour les autres. trois années de sécheresse et l'activité d'un certain El
Hadj Tahar Ben Ahmed Ben Abdallah ... qui leur représente la Syrie comme un
pays où ils aumient tout à souhait. Le départ s'est fait par petits groupes sans
attirer l'attention des autorités locales en passant par Souk AtTas ct la Tunisie. En
résumé 7X familles représentant 347 personnes ont émigré en Syrie. » 1-"' 1
S'il est déjà difficile d'évaluer le nombre de migrants autorisés, la tâche
est encore plus difficile pour tous ceux qui ont vendu leurs biens et décidé
d'émigrer à l'insu de l'administration française, dont l'attention n'était attirée
que par les groupes les plus importants comme le montrent les exemples pré-
cédents. Les listes nominatives établies ct les correspondances indiquant le
nombre d'émigrés installés dans tel ou tel pays n'avaient aucune finalité sta-
tistique : elles faisaient partie du travail de contrôle administratif ct policier
exercé sur la population indigène d'Algérie.

La question de la naturalisation Les Algériens émigrés pour des rai-


tunisienne et ottomane sons politico-religicuscs optaient
rapidement pour la nationalité du
pays d'accueil, d'autant plus que leur départ avait été précédé par la vente
de tous les biens dont ils disposaient en Algérie.
La notion de naturalisation a évidemment une signification différente
pour les fonctionnaires français (il s'agit pour eux du contrôle des sujets
français dans des territoires sensibles, et de la responsabilité de la France
vis-à-vis de ces émigrés), et pour les indigènes algériens (il s'agit pour

• 44 J CAOM, Aix-en-Provence, Gouvernement général de l'Algérie, carton 9Hl02.


•~5) CAOM, Aix-en-Provence, Gouvernement général de l'Algérie, carton 9H 100.
l 46 l CAOM, Aix-en-Provence, Gouvernement général de l'Algérie, carton 9H 102.
L'l~:vtiGRA TIO:"i ALGf:RrE:--.;!\:E f llG0-191-ll 419

eux de refuser en tant que musulmans d'être sous la tutelle de non mu-
sulmans). Il y eut. entre les autorités française. tunisienne et ottomane.
des échanges et des accords sur l'octroi de la nationalité de ces pays aux
Algériens, sujets français. L'attitude de la diplomatie française. dans les
deux cas considérés ici, résulte des mêmes considérations : contrôler la
déci sion d·üctroi de la nationalité à ces indigènes. sujets français, et en-
traver, si possible, cette naturalisation.
La Tunisie étant limitrophe de l'Algérie. les demandes d'immatricu-
lation d'Algériens en tant que sujets français étaient traitées, en relation
avec le résident général de la République française à Tunis. directement
au niveau du GGA. La réaction aux premières naturalisations fut rapide.
Un projet de convention fut soumis à l'examen du ministère des Affaires
étrangères: la réaction de celui-ci est résumée dans la lettre du M.A.E ..
direction des consulats et affaires commerciales (Je 18 avril 1876l.t 71 : eJie
concerne le projet du Général Khedive d'octroyer automatiquement la na-
tionalité tunisienne aux Algériens établis dans la Régence. La réponse du
M.A.E. est négative. au motif que la Régence deviendrait un lieu d'asile
constamment ouvert aux émigrés clandestins et aux malfaiteurs condamnés
par contumace. Un certain nombre de suggestions sont faites pour entraver
ou ralentir cette naturalisation: il est par exemple proposé au Khédive une
sorte de stage pour s'assurer de la moralité de l'émigrant : «Vous pensiez
d'autre part que nous ne devions pas admettre que les tribus ou fractions
de tribu algériennes émigrant dans la régence se fixent en masse et se
fassent_ naturaliser Tunisiens.» Le Khédive accepte les propositions, la durée
de stage ne devant pas excéder deux ans. Il est demandé que toute demande
de naturalisation soit communiquée aux autorités consulaires; le projet de
convention prévoit : une déclaration spéciale de changement de nationalité,
la communication de la déclaration dans les trois mois au Consul de France.
un délai de deux années correspondant au stage: de plus. la convention ne
doit pas être applicable aux Algériens qui émigrent par tribus ou fractions de
tribu;.~x 1 • C'est finalement cc qui sera retenu et appliqué.
Le mouvement d'émigration vers la Syrie traduit. pour certains, une
opposition à la présence française en Algérie. Un grand nombre d'émigrés
autorisés refusent de reprendre leur passeport ou le déchirent à leur arrivée
à Beyrouth (en 1854 le consulat de France à Beyrouth signale que 80 mu-
sulmans algériens ont rendu collectivement les passeports qui leur avaient
été délivrés à Alger). D'autres. dès leur arrivée. acceptent la nationalité ot-
tom~mc. comme le montre la lettre du 29 août 1888 concernant 378 Kabyles.
Cette information est reprise par la presse locale : La dépêche Algérienne,
dans son n" 1132 du 31 août 1888. annonce que «le mouvement d'émigration
des Algériens en Syrie s'accentue. Deux cent cinquante familles algériennes
ont débarqué à St-Jean-d'Acrc. Les émigrants aussitôt arrivés adoptent la
nationalité ottomane». Cc qui amène la diplomatie française à effectuer
des démarches auprès des autorités turques pour contrôler le processus.

l-t 71 CAOM. Aix-en-Provence. Gouvernement général de l'Algérie. carton FXO 1816.


t-t X 1 CAOM. Aix-en-Provence. Gouvernement général de l'Algérie. carton FSO 1X 16_
420 L'ÉMIGRATION ALGÉRIENNE<IX30-1914J

démarches qui aboutissent en 1911. L'arrangement du 2 février 1911 entre


la France et l'Empire ottoman prévoit que les émigrés algériens en Turquie
ne pourront plus perdre la nationalité française sans consultation préalable
du consul de France; l'administration ottomane donne à l'administration
française 75 jours pour faire objection 1491 •
Suite à cet accord, une multitude de demandes de naturalisations don-
nent lieu à des courriers entre les consulats de France et les préfectures
concernées, pour information. L'administration a même l'impression de
pouvoir cerner l'ampleur du mouvement d'émigration vers l'Empire otto-
man : des listes commencent à être élaborées. Entre les mois de mai 1911
et septembre 1912, 829 familles sollicitent leur naturalisation; elles sont
originaires de 72 communes différentes, dont 250 de Tlemcen' 501 , dans les
trois départements : Constantine (422), Alger (83) et Oran (290). Ce mou-
vement de naturalisation ne s'est pas arrêté en septembre 191 2, et les de-
mandes de naturalisation ont continué d'affluer aux autorités consulaires
françaises en application de l'accord franco-ottoman. Pour mieux saisir J'im-
portance du mouvement, il faut rappeler que, de 1865 à 1927, 2 147 indigènes
d'Algérie ont obtenu la naturalisation française en Algérie, assortie de l'aban-
don du statut personnel, en application du senatus consulte de 1865. Mais
très vite il apparaît qu'il n'était pas possible à travers cet accord de cerner l'en-
semble des flux: la lettre du 14 juillet 1914 du GGA à M. le Président du Conseil
conteste que l'accord du 2 février 1911 permette :
«de se rendre compte exactement du mouvement d'émigration algérienne ...
Qu'il me soit permis de remarquer que s'il peut exister une corrélation
entre le nombre des indigènes originaires d'Algérie qui ont acquis la na-
tionalité ottomane ct le nombre de ceux qui ont émigré, on ne saurait en
déduire que nous sommes en mesure de nous rendre compte exactement
des mouvements d'émigration algérienne, sauf dans les années d'exode ...
C'est principalement à l'occasion du pèlerinage de la Mecque que bon nom-
bre d'indigènes ne reviennent pas en Algérie et s'installent dans les villes
de l'Arabie. Or, de l'aveu de M. Bompard lui-même, il n'est pas possible de
connaître le nombre de ceux qui parmi ces indigènes ont sollicité la natura-
lisation turque, car dans le Hedjaz l'arrangement du 2/02/1911 trouve <Jiffici-
lement son application ... Les indigènes algériens qui émigrent soit en Egypte
soit dans les pays d'Orient autres que la Turquie échappent au recensement
de M. Bompard. »

IV. - La quantification de ces migrations est-elle possible ?

Au stade actuel d'avancement des recherches, il est pratiquement im-


possible de quantifier ces mouvements d'émigration des populations algé-
riennes vers les pays musulmans à partir des documents et statistiques
élaborés par les administrations françaises en charge des populations de
l'Algérie. Les différents recensements du XIXc siècle s'appliquaient à des ter-

149 J CAOM, Aix-en-Provence. Gouvernement général de l'Algérie, carton 9H 105.


!50> CAOM, Aix-en-Provence. Gouvernement général de l'Algérie, carton 9H J05.
L'ÉMIGRATION ALGÉRIENNE 1 II·G0- 1914) 421

ritoires variables, et une partie des indigènes étaient dénombrés sommai-


rement par le nombre de tentes. De même l'état civil n'a été constitué,
pour l'ensemble du territoire du nord de l'Algérie, qu'à la fin du XIXc siècle.
La projection des pyramides des âges d'un recensement à l'autre (pour en
déduire un solde migratoire) exigerait de disposer de tables de mortalité, qui
restent à élaborer.
Nous ne tenterons donc d'estimer les mouvements migratoires (vers
le Maroc, la Tunisie, l'Égypte, la Syrie et la Turquie) qu'entre les recen-
sements de 1911 et 1921, Je recensement de 1916 n'ayant pas eu lieu en
raison de la Guerre mondiale. La faible progression intercensitaire a été
attribuée par les divers auteurs qui ont étudié la démographie de l'Algérie
aux pertes de guerre. Or, la Grande guerre ( 1914-191 8) n'a concerné que
la moitié de la période intercensitaire, et le territoire algérien n'a pas servi
de théâtre d'opérations : la surmortalité due à fa guerre se limite donc aux
décès de soldats mobilisés (il y eut 25 000 morts sur les 173 000 mobilisés).
Le fait que la guerre se soit terminée en 191 8 laissait le temps à de pos-
sibles rattrapages (des mariages retardés pour cause de mobilisation, par
exemple). De plus, en dehors de l'épidémie de choléra circonscrite à la
région de Tlemcen, il n'y a pas eu de famine ou d'épidémie d'envergure
durant la période considérée.
Les données de l'état civil montrent bien une certaine baisse de l'ac-
croissement naturel en 1916-1921, mais elle fait suite à une période de
hausse (voir le tableau 2, plus loin). En conséquence, rien ne justifie que
la population n'ait progressé que de 179 500 personnes entre 191 1 et 1921 ,
alors qu'elle avait progressé de 264 200 entre les recensements de 1906 et
1911, et de 375 000 entre ceux de 1901 et 1906, soit 693 200 personnes
en dix ans ( 1901-1911) (tableau 1 ). Elle a encore progressé de 697 500 dans
la décennie suivante (255 200 entre 1921 et 1926 et 472 300 entre 1926 et 1931 ),
bien que les années 1921-1922 aient été marquées par une famine importante
suivie d'une épidémie de typhus, qui a fait dire à M. Lefebvre, député d'Alger,
le 21 décembre 1921 : «Je vous assure que les routes sont semées de cadavres»
(le recensement s'était déroulé dans la nuit du 5 au 6 mars 1921 ).

TABLEAU l. - ÉVOLUTION DE LA POPULATION INDIGÈNE D'ALGÉRIE


SELON LES RECENSE:vtENTS CMILLIERS)

Année des recen sement s Musulmans s ujets français Différence intercen s itaire

1876 2 462 ,9 -
1881 2 842,5 379,6
1886 3 264,9 422,4
1891 2 559 ,7 294,8
1896 2 764, 1 204,4
1901 4 072 , 1 308,0
1906 4447,1 375,0
1911 4 7 11,3 264,2
1921 4 890,8 179,5

So urce : Statistique Générale de l'Algérie.


422 L'ÉMIGRATION ALGJ~RIENNE <1830- 1914)

Si l'on suit J'évolution de la population d'un recensement à l'autre,


par intervalles de 5 ans donc, on constate qu'avant la Seconde Guerre mon-
diale la population à la date n + 5 dépasse toujours celle de la date n,
augmentée des naissances et diminuée des décès sur les 5 années - sauf
entre 1911 et 1921. On peut y voir la preuve d'un sous-enregistrement plus
marqué des naissances par rapport aux décès, car l'hypothèse d'une croissance
par immigration doit être exclue : les effectifs de Marocains et de Tunisiens
sont restés stables au cours de la période (22 000 pour les premiers, ct 3 000
environ pour les seconds). En admettant que le taux de sous-enregistrement des
événements de l'état civil soit resté sensiblement constant sur toute la période,
le déficit observé entre 1911 et 1921 devient très significatif: la population de
1921 est, en effet, inférieure de 50 125 personnes à celle obtenue en ajoutant
à la population de 1911 les naissances (enregistrées) de la décennie et en en
retranchant les décès.
La même anomalie apparaît en comparant les taux de croissance ré-
sultant des recensements à ceux issus de l'état civil (tableau 2). Ces derniers
sont plus élevés en 191 1-1915 (0, 79 %) que durant la décennie antérieure
(0,50% ), mais ils baissent sensiblement sur la période 1916-1921 (0 ,35 ~; )
du fait d'une légère bai s se de la natalité et d'une hausse de la mortalité.
De son côté, le taux de croissance déduit des recensements tombe de 1,15%
en 1906-1911 à 0,38 o/o en 1911-1915, ce qui paraît impossible sans émi-
gration.

TABLEAU 2. - ÉVOLUTION DES TAUX DE CROISSANCE SELON LE RECENSEMENT


ET L'ÉTAT CIVIL

Accroissement intercensitaire Mouvements naturels (taux bruts annuels % )


Accroi sse ment
Période Taux annuel % Période Natalité Mortalité
naturel
1901 - 1906 1,83 1901-1905 3,78 3,28 0,50
1906-1911 1,15 1906-1910 3 ,55 3 ,05 0,50
1911-1915 0,38 1911 - 1915 3,53 2,74 0 ,79
1916-1921 0,38 1916-1920 3,49 3,14 0,35
Source : Biraben dans : Fargues Philippe, Un siècle de transition démographique en Afrique méditer-
ranéenne, Paris, 1985.

On peut donc conclure que le taux de croissance de la population


indigène ne pouvait être inférieur à 1 % par an. La population recensée
en 1921 aurait, par conséquent, dû être (dans les conditions des recense-
ments de l'Algérie de l'époque) de 5 204 200 habitants, au lieu des
4 890 800 constatés : la différence de 313 400 ne peut être attribuée qu'au
solde migratoire négatif. La dernière poussée migratoire vers le Moyen-
Orient signalée par les documents administratifs français se situe d'ailleurs
entre 1911 et 1914, avec une tendance à la naturalisation ottomane .
L'f-::-.1IGRATI0:--1 ALGI~RIE:--i~E < 1~00- llJI41 423

À la même époque, toutefois, la mobilisation des Algériens dans l'ar-


mée française ct la réquisition des travailleurs dans les usines d'armement
en métropole vont accélérer les mouvements migratoires vers la France.
À la veille de la Première Guerre mondiale. les archives françaises signa-
Ient la présence de 5 000 Algériens dans la région de Marseille et dans le
Nord de la France. En 1924. ces mêmes services évaluent à 100 000 le
nombre des Algériens en France. Si nous retenons cc chiffre pour 1921.
c'est alors plus de 200 000 algériens qui. pendant la décennie 191 1-1921.
auraient quitté l'Algérie pour une autre destination que la France, généra-
lement le Moyen-Orient. Cc nombre représente 4.2 Cff de la population en-
registrée au recensement de 191 1.
Soulignons, néanmoins, la fragilité de toutes ces estimations.

V.- Qui sont ces migrants?

Dans le cadre de cette recherche, les migrants vers les pays musulmans
ct le Moyen-Orient ne sont perçus qu'à travers les écrits des administrations
françaises : la correspondance du gouvernement général ct des services qui en
dépendent. chargés d'expliquer ct de justifier ces mouvements migratoires aux
ministères des Affaires étrangères ct de la Guerre; ceux des services consulaires
français dans les pays qui accueillent ces migrants; enfin les écrits des ministres
en place. On ne dispose d'aucun document (lettres, interviews ... ) des intéressés
eux-mêmes. Leurs caractéristiques ne nous sont connues que par les descrip-
tions des services administratifs de ceux qui ont demandé une autorisation
de départ définitive. Des listes nominatives ont parfois été établies, indi-
quant le nombre d'enfants et de femmes accompagnant le demandeur, ainsi
que les bêtes dont ils disposent : ainsi, quatre listes regroupant au total
96 tentes comptabilisent au total 122 femmes, 151 enfants ... 141 bœufs,
4 996 moutons. 943 chèvres. 79 chevaux, 146 chameaux, 107 ânes et 1 1
mulets. Le nombre d'enfants par tente n'est que de 1.6 : peut-être les fa-
milles qui tentent l'aventure de l'émigration sont-elles celles qui ont Je
moins d'enfants. Nous retrouvons la même situation pour 103 familles ka-
byles dont les listes avaient été établies ct qui avaient vendu leurs biens
avant d'émigrer: elles avaient 1 13 enfants avec elles. mais contrairement
aux précédentes où il y avait des enfants dans chaque tente. 52 des 103
familles n'avaient aucun enfant. 22 d'entre elles avaient un seul enfant. 12
avaient 2 enfants. 13 avaient 3 enfants. 3 avaient 4 enfants. et une seule
famille en avait 6.
Ces familles kabyles ont émigré à la fin du siècle après avoir vendu
leurs biens. Il en est de même des Tlemcéniens qui ont émigré en 191 1.
La majorité de ceux qui furent arrêtés à la suite d'un départ d'Algérie sans
autorisation ont déclaré vouloir sc rendre en pèlerinage à la Mecque. un
petit nombre déclarant chercher du travail ct fuir la misère. Lorsque ces
rn igrants arrivent ù des ti nation. la justification principale que rapportent
424 L'ÉMIGRATION ALGÉRIENNE< 1830-1914)

les services consulaires est l'hostilité à la France et leur volonté de vivre


sous un «gouvernement musulman». Les émigrants partis sans autorisation
développent souvent des stratégies collectives pour quitter le territoire al-
gérien : ceux qui sont proches de la frontière marocaine se dirigent vers
Tanger d'où ils s'embarquent pour Beyrouth, ceux proches de la frontière
est s'embarquent à Tripoli.

Conclusion

Les émigrés vers le Moyen-Orient maintenaient parfois des relations


épistolaires avec des membres de leur tribu dans la perspective de les en-
traîner à leur suite, ce que réprouvaient les autorités françaises. Cependant,
l'émigration des Algériens vers le Moyen-Orient allait dans le sens de la
politique française de substitution des populations : elle était donc tolérée
tant qu'elle restait le fait d'éléments isolés, et bloquée dès qu'elle prenait
un caractère massif et pouvait être interprétée comme une manifestation
politique d'opposition à la présence française en Algérie. L'administration
était finalement prise dans le réseau des intérêts contradictoires de l'empire
colonial français, alors en pleine expansion. L'émigration vers la France,
qui a pris le relais au lendemain de la Première Guerre mondiale, était le
fait de chefs de famille ou de célibataires, qui contribuaient à la survie
des familles restées sur le territoire algérien. Ces «migrants économiques»
espéraient soutenir financièrement les membres de leur famille restés sur
place, et pensaient retourner en Algérie une fois les difficultés surmontées.
L'émigration vers le Moyen-Orient était au contraire le fait de familles
ayant des biens et de quoi vivre en Algérie, et c'était une émigration de
groupe. Elle était, pour certains, le fait d'une volonté de rupture avec le
pays d'origine passé sous domination de non musulmans; pour d'autres,
c'était le refus d'accepter le changement de genre de vie résultant des bou-
leversements socio-économiques induits par les lois foncières.
Comme on l'a dit, notre recherche est fondée sur les archives et la
documentation françaises. La question qui reste posée, et à laquelle nous
n'avons pour le moment pas de réponse, est de savoir s'il serait possible
de mobiliser les archives de l'Empire ottoman sur ce thème, d'autant que
l'Empire ottoman a réalisé, à l'époque qui nous intéresse, deux recense-
ments de population.
Kamel KATEB
L'f:M IGRATIOl" ALGf:RtE:--;NE ( 1XJ0-1914 1 425

ANNEXE
Exemple de sources utilisées ·
!•émigration vers le Maroc

Comme il est indiqué dans le texte, nos sources proviennent princi-


palement du contenu de 16 cartons conservés au Centre des Archives
d'outre-mer à Aix-en-Provence. Pour une centaine de courriers repérés
dans ces cartons, nous avons dressé des tableaux synthétiques sur le
modèle du tableau ci-après, qui concerne l'émigration vers le Maroc
Date Émetteur/r~cepteur Contenu Nombre Obser\'ations
------------;----- ----~--------

15/1/1 S4H GGA au ministre Sur le rapatriement de la Dcïra 590 tentes La majorit~ pn)\'icnt de la proYincc d'Oran.
de la Guerre d'Abdelkader \.'{lmprcnant 590 tentes 92 personnes de la prm·incc d'Alger+ 37
Askars
19/5/1850 Consulat g~n~ml À la suite de l'empoisonnement de Bou 1 500 hommes. 1 500 demandes de rapatriement
de France à Hamidi (khalifa de l'emir) par le sultan du fcmmes ct
Tanger au MAE Maroc. panique chez les ~migr~s cnfants
20/9/1884 Légation de la Rf Pour fal'iliter le retour tk plusieurs familks 17 tcnll..'s Familles ~tablics dl'puis 1864 au Maroc.
au Maroc des Akerma-Trafi établies depuis 1864 au suite à l'insurrection dans I'oul'st algérien
tvhtroc
6/07/IXHO Légation de la Rf D~sir exprimé par djemaa dl's Thouama ct lln certain Autorisation refusée. les tribus émigrées en
au Maroc tks M'hamid de pou\·oir rl'\·enir l'Il ALg~rie nombre de tl'ntes 1854 ayant fait all~gcam:l' au sultan
---~------------------ - - - - ----- -------
2311211878 L~gation de la RF A propos des Hachcm émigrés au Maroc 1.\.'S Hach~.'ms
ct les héni Amer sont deux
au Maroc d~?puis 1845 ~'t qui retournent en Algérie tribus importantes ayant émigré au Maroc
Division d'Alger à Des Nouirat émigrés au Maroc depuis 7 tentes
GGA l'insurrection de 1864 demandent ü rentrer
en Al·'~rie
-··--~---:::-=---------
1/12/1864 Division d'Oran il Retour en Alg~ric d'uth.' dizaine de tentl's 117 pcrsonncs Ils aYaicnt émigré au Maroc ~~ partir de 1H45
GGA tks Djaffru Ghraha
8/8/1859 Pro,·incc d'Oran f1 Compte rendu du l'l'tour du Maroc dl's 23 + 43 + 84 =
GGA Rl'zaïna. des Oukd Ziad l't autres 150 tl'ntcs
111111 S51 Pro\'inœ d'Oran ü R1.'tour d'~,;migr~s par hall'au n~nant de 10-l indiYidus
______,__G_JG_JA___ ___,_!<lllg~o.'_r_________ _
21/J/187-l Di\'ision d'Oran à Les Rahman Gl11.'raba de Boghar ~migrés 6 IL'lltes
GGA suite à l'insunwtion de 186-l sont rapatri~s
1-l/8/ 1861 AA division 7 chefs de tentes du cercle de Schdou sont 7 tentes Ces familles s'étaient endettées pour payL'r
d'Oran à GGA passés au Maroc les contributions de guerre imposées: mais
Ill' pouvant les rembourser elles ont préf~r~,;
quitll.'r l'Aig~rie
2211211896 GGA : .1. Cambon Demande de retour du l\1aroc d'indi~~ncs lnstull~s au l\'laroc depuis la conquête
originaires des Akl'rma
------------- ------·-··
Date ÉmcttcurMœptcur Contenu Nombre Obscr\'ations
~--~--------------------------------------------- ------~

2211211896 GGA: J. Cambon Demande de retour du Maro~..· d'indigènes Installés au Maroç depuis la çonquêtc
originaires des Akernu1
Demande de retour avec une femme et ses 4 indiùdus Il résidait au Maroç depuis 1836
deux enfants toujours de Méchcria et
localisé ü Fès (artide 7 du truité du
18/03/45 entre la Fran~..·e et le Maroc)
----------~------------

8/6/1897 GGA : J. Cambon Demande de retour en Algérie d'un Artide 6 de la loi du JO mai 1854
dénommé Morsli ben Elhortani (de la tribu astreignant ks condamnés aux travaux
des Chellog et des Ouled bouziri de forçés ü rester toute leur Yic dans la
Frenda) insurgé en 1880 condamné pour çolonic où ils ont été déportés
meurtre ü huit ans de en Guyane
·~--~-----------

Demande de retour en Algérie d'une familk 17 tentes. Installés au Maroc depuis la conquête ( 17
originaire de Mécheria. tribu des Ou lad 59 personnes hommes, 16 femmes et 26 enfants). affaire
Serour identique ~~ celle des Akerma
-----------~------------------------------------------·- -----~----------------- ··-- -- -----------
1

octobre 1899 Rapport mensuel «À signaler tout particulièrement chez les 5 familles. Liste nominative des familles indig~ncs de
service des indigènes. une tendance tl s'expatrier pour 22 personnes Télagh émigrées au Maroç entre 1893 ct
(communes fuir une. situation devenue d'une fa\·on 1900
mixtes) mois générale assez misérable au cours de ces
d'octobre 1899: dernières années. Les récoltes ayant fait -x
' Administrateur de défaut les impôts sont en effet dc\'cnus. $
Télagh mème réduits. une charge écrasante ...
plusieurs familles ont déjü abandonné le
--. ------~
pays pour se rendre au Maroc ... »
.. . - --- -------------------~

19/1/1891 . Lettre du général


Informant que quatre indigènes se sont 4 tentes
1
Détrié réfugiés au Maroç pour éviter d'être saisis.
------~-----1--
en______________________
___________..__ emmenant leur tente __
18/9/ 1R90 1 Lettre d'information sur 1R Tlemœnicns 1R personnes Pour sc soustraire ;1 la loi de 1882 sur l'état
installés <Ill Maroç çi\'il
J0/7/1889 i GGA ü gégéral de Fuite au Maroc de six tentes des Ouled 6 tentes
1

l
di\'ision . . d'Oran Mansourah
Sources: CAOM. Aix-en-Pro\'encc. Gouvernement général de l'Algérie. Cartons 9H98. 9H99, E12: microfilm IRMI27.
428 L'ÉMIGRATION ALGÉRIENNE 1 IR30-1914)

KATEB (Kamel).- La gestion administrative de l'émigration algérienne vers les pays


musulmans au lendemain de la conquête de l'Algérie (1830-1914)
L'émigration des Algériens vers la France au cours de ce siècle a fait l'objet d'un
grand nombre de travaux; par contre, le mouvement d'émigration qui fait suite à la conquête
de l'Algérie a très peu attiré l'attention des chercheurs et historiens. Pourtant, comme le mon-
trent les archives de cette période, cc phénomène a préoccupé l'administration française, en
charge des destinées de la nouvelle colonie. Elle était prête à favoriser cc mouvement mi-
gratoire qui s'intégrait dans ses projets de substituer à la population autochtone une popu-
lation européenne. Cependant, cette émigration gênait parfois considérablement les objectifs
géopolitiques français au Moyen-Orient, où se rendirent de nombreux émigrés. Il en résulta
une démarche contradictoire : d'une part, l'administration favorisa l'émigration de petits grou-
pes, d'autre part, elle s'opposa aux mouvements dès qu'ils dépassaient un certain seuil. Quelle a
pu être l'ampleur de ces mouvements migratoires? Quelles étaient les caractéristiques démo-
graphiques ct les motivations des migrants? Les facteurs politiques et religieux étaient-ils,
comme il apparaît selon les rapports ct correspondances de l'époque, le seul ressort de cette
émigration ?

KATEB (Kamcl).- Administrative management of Algerian emigration to Muslim coun-


tries following the conquest of Algeria : 1830-1914
Many studics have bcen devoted to the Algerian emigration to France in the present
century. but rcsearchers and historians have paid little attention to the emigration which
followed the conquest of Algeria. Yet as the archives of the period make clear, this was a
question of considerable concern to the French authorities responsible for the new colon y.
They were prepared to encourage a migratory movement which was consistent with plans to
replace the native population by a European population. At the same time, however. this e-
migration conflicted with French geopolitical objectives in the Middle East where many mi-
grants settled. As a result the attitude of the authorities was contradictory, favouring
emigration by small groups yet opposing such movements when they exceedcd a certain
size. How many people werc involvcd in these migratory movements? What were their de-
mographie characteristics and their reasons for migrating '! Were political and religious fac-
tors the sole driving forces in this emigration, as contemporary reports and lctters suggest?

KATEB (Kamel).- La gestion administrativa de la emigracion argelina hacia paises mu-


sulmanes después de la conquista de Argelia (1830-1914)
La emigracion de argclinos a Francia durante cl presente siglo ha sido objeto de numerosos
analisis; en cambio, el movimicnto emigratorio que sigui6 a la conquista de Argelia ha despcrtado
poco interés entre investigadores e historiadores. Sin embargo, los archivos muestran que el
fenomeno preocup6 a la administracion francesa, cncargada del destino de la nueva colonia. La
administracion francesa estaba de acuerdo en favorecer este movimiento migratorio, que se inte-
graba en su proyecto de substituir la poblacion aut6ctona por una poblaci6n europea. No obstantc,
esta migracion obstaculizaba cosiderablemente los objetivos geopoliticos franceses en Oriente
Medio. Esto result6 en un proccso a veces contradictorio : Por un lado la administracion favorecia
la emigraci6n de pequefios grupos, y por otro lado se oponfa a los movimientos cuando excedfan
un cierto nivel. t., Cuâl fue la importancia de estos movimientos migratorios? ;_, Qué caracterfsticas
demograficas y qué motivaciones tenian los migrantes? i. Eran los factores polfticos y religiosos
el unico motivo de estas migraciones, tai como se desprende de los informes y correspondencia de
la época?

Kamel KATEB, Institut national d'études démographiques, 27 rue du Commandeur, 75675 Paris
Cedex 14, France, tél. (33)0142182000, fax. (33)0142182199

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