La Gestion Administrative de L'émigration Algérienne Vers Les Pays Musulmans Au Lendemain de La Conquête de L'algérie (1830-1814)
La Gestion Administrative de L'émigration Algérienne Vers Les Pays Musulmans Au Lendemain de La Conquête de L'algérie (1830-1814)
La Gestion Administrative de L'émigration Algérienne Vers Les Pays Musulmans Au Lendemain de La Conquête de L'algérie (1830-1814)
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LA GESTION ADMINISTRATIVE
DE L'ÉMIGRATION ALGÉRIENNE
VERS LES PA YS MUSULMANS
AU LENDEMAIN DE LA CONQUÊTE
DE L'ALGÉRIE (1830-1914)
Alger.
L1~:\11GRATIO:--.: AL.Gf:RIE:--:!'E r IX30-IlJI41 401
1. - Caractéristiques générales
et causes de cette émigration
ont attiré l'attention des services administratifs français. qui semblent avoir
su1v1 attentivement le phénomène ct être intervenus auprès des autorités
tunisiennes et de l'Empire ottoman pour discuter les conditions de la na-
turalisation des migrants algériens. De plus. des mesures administratives
ont été prises pour empêcher le retour des indigènes ayant passé plus de
trois ans hors d'Algérie. Cette migration était une conséquence directe des
opérations militaires (insurrections ct répressions). mais aussi des mesures
qui les accompagnaient (séquestres ct contributions de guerre). Beaucoup
d'Algériens émigreront aussi pour des raisons politico-rcligicuscs, refusant
de vivre sous un gouvernement non-musulman 171 , hien que la .-:rance ait
pu obtenir des autorités religieuses du Caire et de la Mecque des fetwa.\·
permettant aux musulmans d'Algérie de vivre sous une autorité autre
que musulmane. Si ces départs n'étaient évidemment pas toujours enre-
gistrés, certains retours ont donné lieu à des correspondances nombreuses
entre les divers services concernés de l'administration française; le Gou-
vernement général d'Algérie espérait qu'ils joueraient un rôle dissuasif
sur de nouvelles candidatures à l'émigration.
Les migrations pour raisons économiques suivront d'abord les flux pré-
cédents, vers le Moyen-Orient principalement, avec les mêmes caractéristiques
démographiques. Elles sc dirigeront aussi, pendant ct après la Première Guerre
mondiale, vers la .-:rance. Mais pour ce dernier pays, elles prendront des ca-
ractéristiques nouvelles : il ne s'agira plus de départs définitifs avec l'ensemble
de la famille, mais seulement du départ provisoire d'un chef de ménage ou
d'un membre de la famille élargie qui émigrera pour contribuer à la survie
de la famille restée en Algérie.
À des «périodes calmes>>, où les demandes d'émigration, peu nom-
breuses, recevaient l'agrément des autorités administratives, succédaient
des «périodes fiévreuses», notamment quand sc sont développés les
mouvements d'émigration à destination de la Syrie, à partir de diffé-
rentes régions du territoire algérien en 1855, 1860, 1875, 1888, et 1898,
jusqu'au dernier exode assez important de 1909-1910 dans la région de
Sétif ct de Bordj Bou Arréridj. Quand ils prenaient trop d'ampleur aux
yeux des autorités administratives, ces mouvements étaient considérés
comme des actes d'hostilité à la présence française et ils entraînaient
alors une réaction de blocage. Des enquêtes étaient déclenchées, ct des
rapports établis soit à l'échelon central (comme le Rapport Luciani en
1899 ou le Rapport Varnicr en 1911 ), soit à l'échelon local (gendarmerie
ou préfecture), comme en témoigne le rapport de la gendarmerie de Médéa
du 16 juillet 1899 :
«Depuis quelques mois une dizaine de familles indigènes formant ensem-
ble près de cinquante personnes domiciliées à Médéa ont vendu leur pro-
priété et sont parties sans esprit de retour pour la Syrie ... Cette émigration
menace de prendre des proportions inquiétantes ... Les indigènes sc plai-
gnent de la façon dont ils sont administrés par les Français : ils trouvent
qu'ils leur font payer des impôts trop élevés tout en étant soumis à une
171
CAOM. Aix-en-Provence. Gouvernement général de l'Algérie. carton 9HI02.
404 L'ÉMIGRATION ALGÉRIENNE ( IXJ0-1914)
1 12
' MICIIAt·x BELLOIRE (éd.), Les musulnums d'Algérie au Maroc. archives marocaines
1907. vXI. p. 14.
11 1
·~ CAOM. Aix-en-Provence. Le/Ire du /9 mai /850 du consulat général de France
à Tangt'r au ministère dt's Affaires étrang('>res. carton 9H<JX.
406 L'ÉMIGRATI0:-.1 ALG(:RIE:"-i~E r IX30-1914)
fer, et par suite ceux-ci sont beaucoup plus disposés à prêter leur concours
aux projets de notre astucieux adversaire. »
Le projet reflète le contenu des débats où J'on pesa le pour et le
contre de cette émigration. Celle-ci est d'abord jugée favorable à la colo-
nisation européenne. Mais elle soulève aussi des inquiétudes pour le court
terme, car on y voit une perte et un danger. On mentionne ...
«un problème de sécurité sur les territoires abandonnés par les tribus qui
sont responsables de la sécurité des individus ct des convois qui se dé-
placent. Sinon il faudrait une mobilisation des forces militaires importante
pour assurer la sécurité des convois. Par conséquent, ces forces seraient
retirées des opérations de guerre. D'autre part ces tribus fournissent des
moyens de transport considérables sans lesquels les efforts de guerre sc-
raient réduits. Ceux propres à J'armée ne représentent que Je dixième des
besoins.»
Le troisième argument touche à la mobilisation des forces contre la
présence française : «Ces tribus si elles échappent au contrôle vont aller
grossir les rangs de l'ennemi.» Enfin, un dernier argument est d'ordre éco-
nomique : «Ces tribus fournissent un important impôt en nature et contri-
buent à l'approvisionnement des villes qu'il aurait fallu importer». La
conclusion a un caractère prospectif, soulignant le caractère tactique du
blocage de l'émigration :
«Quand la population européenne sc sera multipliée de manière ü équili-
brer la force arabe ct à rendre ü l'armée les services qu'elle reçoit des
populations indigènes. il y aura sans doute. beaucoup moins d'intérêt à
retenir celle-ci parmi nous. bien qu'encore leur présence conservera son
degré d'utilité. [ ... ] Le sol est assez vaste ct assez fertile pour recevoir et
nourrir largement 7 ou 8 millions d'Européens ct 4 millions d'Arabes qui.
divisés au milieu de nos centres. s'accoutumeront peu à peu à notre do-
mination et finiront sous l'empire d'une administration juste, ferme ct pa-
ternelle par s'assimiler à nous. ( ... 1 Cet arrêté produira l'un de ces deux
effets : ou la mesure sera efficace ct nous aurons atteint le but~ ou les
tribus continueront l'émigration, et nous obtiendrons encore un grand avan-
tage, celui de pouvoir disposer de vastes territoires pour la colonisation
européenne qui ne peut plus rester dans le cercle étroit où elle est actuel-
lement restreinte. ( ... J La tribu immédiatement concernée est celle des Béni
Amer qui occupent une fort riche contrée ... qui est éminemment favorable
à l'établissement des Européens.»
Le décret proposé à l'issue du débat est adopté à l'unanimité par le
Conseil. L'article premier n'accorde aucun délai aux tribus hostiles; Je se-
cond est préventif: il prononce, avec un délai, Ja dépossession territoriale
de toute tribu ou fraction de tribu qui émigrera.
«Art. l. Toutes les propriétés communes ou particulières appartenant à
des tribus ou à des fractions de tribu actuellement émigrée;" soit dans le
Maroc, soit dans le désert seront déclarées propriétés de l'EtaL.
Art. 2. À l'avenir toute tribu ou fraction de tribu qui émigrera sera éga-
lement dépossédée de ses propriétés communes ou particulières si dans le
délai d'un mois à compter du jour de l'émigration elle n'a pas obtenu l'aman
du commandant supérieur de la division ... » 1 141
' 1 :; 1
CAOM. Aix-~:n-Provence. (iom.ernement général Je !"Algérie. carton 9H9Y.
4
lh• MARI y (i .. ( ll)4X). <<Le~ Algérien~ ü Tuni~ ». /hia.
i 17 • RA<iEK J.-J .. { Jl)50). op. cit. ~
oiKo R.-\(iEK J.-J .. ( IY50). op. cil.
408 L'ÉMJGRATIOJ\: ALGÉRIENNE 1 IX10-1914)
luaicnt en 1876 le nombre des Algériens à 16 600, alors que le GGA don-
nait à la même époque le chiffre de 6 973 personnes (et ceci avant les
fortes migrations de la fin du siècle). De plus, les naturalisations ct les
retours compliquent considérablement le problème : les Ouled khélifa par
exemple, comptant 300 tentes (plus de 1 500 personnes environ), deman-
dèrent à rentrer et à s'établir dans le cercle de Tébessa.
Trois types d'émigrés prirent le chemin de la Tunisie : ceux qui béné-
ficiaient d'une autorisation et sollicitaient une immatriculation au consulat de
la République française, ceux qui s'y installèrent clandestinement, ct ceux qui
(surtout après J 88 J) transitèrent par la Tunisie sur la route de Tripoli, de
l'Égypte ct du Moyen-Orient. Si J'on en croit certains rapports, les causes de
départ vers la Tunisie furent surtout économiques. Les émigrés algériens y
trouvaient des conditions de vie plus avantageuses qu'en Algérie, et l'impo-
sition y était moins lourde. On peut en juger par un extrait du rapport de
M. J. Mourlan, répartiteur des contributions directes, sur la tournée des
recensements réalisés pour l'établissement des rôles de 1886 (repris dans
la lettre du 7 septembre 1886 du GGA) :
«Enfin l'émigration en Tunisie a pris un développement considérable et
qui tend à s'accroître de plus en plus si l'autorité supérieure n'y met un
frein.>> JI souligne que la «faiblesse de l'imposition dans la Régence, et
l'abondance des terres de cultures y attirent les klwmès. ( ... J De pl us les
troupeaux ne sont pas imposés; il y a passage du bétail de l'autre côté de
la frontière. » 1 19 '
pas leur famille, ct finirent par envoyer à la famille de leur femme des
lettres de répudiation. On trouve aussi dans les archives des traces d'émi-
gration en Égypte ct en Libye. Le ministère des Affaires étrangères rapporte,
dans une lettre du 25 avril 1891, que sont immatriculés au consulat de France
du Caire, depuis le 17 janvier 1870, 436 familles algériennes 12 ~ 1 , musulmanes,
chrétiennes ct israélites. En 1900, il ne restait plus que 241 familles, et en
1949 seulement 44 familles au Caire et 444 Algériens à Alexandrie~ à la
même date, on comptait 706 familles israélites originaires d'Algérie immatri-
culées en Égypte : après deux générations, les musulmans s'étaient assimilés
à la population locale 1241 • Certains israélites s'installèrent en Palestine, dans
la région de Tibériade et de Safed.
Il y eut aussi différentes demandes de commerçants de Tlemcen ct
de Mostaganem pour émigrer à Tripoli. D'autre part, le vice consul de
France à Benghazi signala la présence d'une soixantaine d'Algériens ori-
ginaires de Chélia, débarqués par un navire ottoman, faisant la mendicité
dans la viJic. On ne peut se risquer à aucune évaluation de ces mouvements
du fait de l'émigration clandestine ct du refus d'un grand nombre d'émigrés
de sc faire immatriculer aux consulats français, d'autant que le départ d'un
grand nombre d'entre eux était motivé par le refus de vivre sous un gou-
vernement non musulman ; bon nombre de ces musulmans d'origine algé-
rienne se sont fondus dans la population des pays où ils sc sont installés.
J .-J. Rager, en signalant que le chiffre des immatriculés au consulat en
Syrie stagnait autour de 3 000, affirme que «cc chiffre varia peu d'autant
que les intéressés n'avaient pas un grand respect pour leur nationalité d'ori-
gine »c25'.
Plusieurs correspondances montrent que ces migrants provenaient de
toutes les régions d'Algérie. Le général commandant la division d'Alger
écrit ainsi, le 1cr mai 1860, au ministre des Colonies :
« Depuis quelque temps des demandes nombreuses ont été faites par des
indigènes de différentes tribus des cercles de Médéa, Boghar, Teniet-el-
haad, Orléansville et Miliana pour émigrer: Messieurs les commandants
de subdivision avaient reçu l'ordre de repousser toutes ces demandes et
de faire comprendre aux indigènes la faute qu'ils commettaient et la ruine
à laquelle ils couraient. Le mouvement a été arrêté en partie. » 1261
En Tunisie, en 1874, le consulat de France indique la répartition selon
l'origine des Algériens domiciliés en Tunisie : 800 viennent de l'oasis de
Ouargla; 2 000 de l'oued Souf, oued R'hir et Touggourt; 5 à 6 000 de la
province d'Alger (pour la plupart de la Grande Kabylie); 1 200 du Mzab.
Il faudrait ajouter les 200 tentes (environ 1 000 personnes) d'originaires
de Mascara qui se sont installés en 1856, et 300 autres familles (environ
1 500 personnes) de la région de Sétif installées dans la Régence en 1855,
ainsi que 18 tentes de Mostaganem (environ 90 personnes) en 1875. Pour
la Syrie, la correspondance montre qu'entre 1855 ct 1860, 344 familles de
,,.; 7 ,
CAOM. Aix-en-Proven<.:e. (iouvcrnemcnt t!énéral de I'Ait!éric. <:arlon lJH 102.
,.;x, CAOM. Aix-cn-Provcn<.:c. (iouvcrnemcnt cénéral de I'Aicéric. carton IOHlJO.
':è'J• Ordonnance du 1 X AHil 1X46. Bulletin (~lfï;icl ;\Iger: Act~:, du gou\·crncmcnt 1X4o
T6. n" 222. p. X2 ct n" 224. p. 9.
412 L'ÉMIGRATI0!\1 ALGÉRIENNE ( IX30-IlJI4J
Encadré 1
Encadré 2
Lettre du 23 cn•ril 1860 du ministère de /'Aixérie et des colonies au comman-
dement supérieur des forces de terre et de mer en Alxérh~ :
«J'ai lu avec la plus sérieuse attention votre dépêche relative à une certaine
tendance à l'émigration qui sc manifeste parmi les indigènes ... Il y a deux côtés de
la question, ... d'une part nous avons besoin de terres pour la colonisation ct dès lors.
si nous devons voir avec satisfaction les indigènes s'éloigner ct nous abandonner la
place, d'autre part, nous pouvons dans une certaine mesure regretter les causes qui
déterminent les Arabes à un parti aussi violent. Mais, Général, il ne faut pas nous
faire illusion, ct lorsqu'on considère combien notre domination a été douce ct favorable
aux indigènes il ne peut nous rester de doute sur le mobile qui pousse quelques-uns
d'entre eux à vouloir s'y soustraire. C'est évidemment le fanatisme et aussi l'incom-
patibilité qui leur paraît exister entre nos mœurs ct les leurs ... Je pense donc que les
généraux commandant les divisions doivent être autorisés à donner des permis de départ
aux familles qui en demandent. Mais ces familles doi\·ent être hien prévenues qu'elles
renoncent à toute possihil ité de ret mu; que les tern~s qu'elles abandonnent .H~ront li-
\·rées aux colons, n~fïn leurs pas.'ieports doil·ent mentionner que les porteurs perdent
leur qualiTé de .H~jets français ... »
Suit un développement sur J'éventualité d'un mouvement migratoire massif pou-
vant concerner des tribus ou fractions de tribu. nécessitant alors d'en référer au mi-
nistre.
«Les obstacles que nous apporterions à la liberté d'émigration ne feraient qu'en
faire naître chez les Arabes ct occasionneraient des départs clandestins comme cela
s'est présenté dans le cas particulier des indigènes de la subdivision de Médéa. arrêtés
, par le général Desvaux, je ne puis qu'approuver la décision que vous avez prise ü
leur égard: leur retour forcé eut été d'un fâcheux effet ct comme ils n'avaient plus
de ressources dans leur pays natal il eut créé des misères que nous aurions dû !'>oula-
gcr>>.
Autorisation est donnée à 4 familles de rejoindre Abdelkader en Syrie :
«Je ne vois pas de raisons pour que les indigènes de la subdivision d'Aumale
qui désirent sc rendre en Syrie, ne soient pas autorisés à le faire ... Les terres nous
font défaut de cc côté ct leur départ doit nous en procurer. En outre cc sont les ma-
rabouts qui demandent à partir, cc sont des fanatiques ennemis de notre domination ...
Nous n'expulsons personne du pays; nous fa1·orisons dt' tout notre JHJU\'oir la suhsti-
tlltion de l'établissement jïxe à l'existence nomade et la tran.\formation de la propriété
collec/Î\'e mal définie de la tribu en propriété itulil·iduelle. ,,r 351
sur le plan de la sécurité intérieure ensuite, car les départs collectif~ ren-
draient le contrôle du territoire plus difficile et favoriseraient l'activité des
brigands (les indigènes étaient considérés comme collectivement respon-
sables). Enfin, l'économie de la colonie ne pouvait se passer ni de la main-
d'œuvre locale, ni des producteurs indigènes de céréales qui participaient, comme
contribuables, aux recettes budgétaires de la colonie. Ces intérêts contradic-
toires expliquent que les autorités françaises auront tendance à autoriser
toutes les demandes d'émigration concernant des familles ou des groupes
restreints de familles, mais à bloquer toutes les demandes considérées
comme un mouvement d'émigration collective. Ils expliquent aussi la prise
en charge, matérielle et financière, des mouvements de retour en Algérie :
on escomptait que ce type de rapatriement aurait un effet dissuasif sur les
eux de refuser en tant que musulmans d'être sous la tutelle de non mu-
sulmans). Il y eut. entre les autorités française. tunisienne et ottomane.
des échanges et des accords sur l'octroi de la nationalité de ces pays aux
Algériens, sujets français. L'attitude de la diplomatie française. dans les
deux cas considérés ici, résulte des mêmes considérations : contrôler la
déci sion d·üctroi de la nationalité à ces indigènes. sujets français, et en-
traver, si possible, cette naturalisation.
La Tunisie étant limitrophe de l'Algérie. les demandes d'immatricu-
lation d'Algériens en tant que sujets français étaient traitées, en relation
avec le résident général de la République française à Tunis. directement
au niveau du GGA. La réaction aux premières naturalisations fut rapide.
Un projet de convention fut soumis à l'examen du ministère des Affaires
étrangères: la réaction de celui-ci est résumée dans la lettre du M.A.E ..
direction des consulats et affaires commerciales (Je 18 avril 1876l.t 71 : eJie
concerne le projet du Général Khedive d'octroyer automatiquement la na-
tionalité tunisienne aux Algériens établis dans la Régence. La réponse du
M.A.E. est négative. au motif que la Régence deviendrait un lieu d'asile
constamment ouvert aux émigrés clandestins et aux malfaiteurs condamnés
par contumace. Un certain nombre de suggestions sont faites pour entraver
ou ralentir cette naturalisation: il est par exemple proposé au Khédive une
sorte de stage pour s'assurer de la moralité de l'émigrant : «Vous pensiez
d'autre part que nous ne devions pas admettre que les tribus ou fractions
de tribu algériennes émigrant dans la régence se fixent en masse et se
fassent_ naturaliser Tunisiens.» Le Khédive accepte les propositions, la durée
de stage ne devant pas excéder deux ans. Il est demandé que toute demande
de naturalisation soit communiquée aux autorités consulaires; le projet de
convention prévoit : une déclaration spéciale de changement de nationalité,
la communication de la déclaration dans les trois mois au Consul de France.
un délai de deux années correspondant au stage: de plus. la convention ne
doit pas être applicable aux Algériens qui émigrent par tribus ou fractions de
tribu;.~x 1 • C'est finalement cc qui sera retenu et appliqué.
Le mouvement d'émigration vers la Syrie traduit. pour certains, une
opposition à la présence française en Algérie. Un grand nombre d'émigrés
autorisés refusent de reprendre leur passeport ou le déchirent à leur arrivée
à Beyrouth (en 1854 le consulat de France à Beyrouth signale que 80 mu-
sulmans algériens ont rendu collectivement les passeports qui leur avaient
été délivrés à Alger). D'autres. dès leur arrivée. acceptent la nationalité ot-
tom~mc. comme le montre la lettre du 29 août 1888 concernant 378 Kabyles.
Cette information est reprise par la presse locale : La dépêche Algérienne,
dans son n" 1132 du 31 août 1888. annonce que «le mouvement d'émigration
des Algériens en Syrie s'accentue. Deux cent cinquante familles algériennes
ont débarqué à St-Jean-d'Acrc. Les émigrants aussitôt arrivés adoptent la
nationalité ottomane». Cc qui amène la diplomatie française à effectuer
des démarches auprès des autorités turques pour contrôler le processus.
Année des recen sement s Musulmans s ujets français Différence intercen s itaire
1876 2 462 ,9 -
1881 2 842,5 379,6
1886 3 264,9 422,4
1891 2 559 ,7 294,8
1896 2 764, 1 204,4
1901 4 072 , 1 308,0
1906 4447,1 375,0
1911 4 7 11,3 264,2
1921 4 890,8 179,5
Dans le cadre de cette recherche, les migrants vers les pays musulmans
ct le Moyen-Orient ne sont perçus qu'à travers les écrits des administrations
françaises : la correspondance du gouvernement général ct des services qui en
dépendent. chargés d'expliquer ct de justifier ces mouvements migratoires aux
ministères des Affaires étrangères ct de la Guerre; ceux des services consulaires
français dans les pays qui accueillent ces migrants; enfin les écrits des ministres
en place. On ne dispose d'aucun document (lettres, interviews ... ) des intéressés
eux-mêmes. Leurs caractéristiques ne nous sont connues que par les descrip-
tions des services administratifs de ceux qui ont demandé une autorisation
de départ définitive. Des listes nominatives ont parfois été établies, indi-
quant le nombre d'enfants et de femmes accompagnant le demandeur, ainsi
que les bêtes dont ils disposent : ainsi, quatre listes regroupant au total
96 tentes comptabilisent au total 122 femmes, 151 enfants ... 141 bœufs,
4 996 moutons. 943 chèvres. 79 chevaux, 146 chameaux, 107 ânes et 1 1
mulets. Le nombre d'enfants par tente n'est que de 1.6 : peut-être les fa-
milles qui tentent l'aventure de l'émigration sont-elles celles qui ont Je
moins d'enfants. Nous retrouvons la même situation pour 103 familles ka-
byles dont les listes avaient été établies ct qui avaient vendu leurs biens
avant d'émigrer: elles avaient 1 13 enfants avec elles. mais contrairement
aux précédentes où il y avait des enfants dans chaque tente. 52 des 103
familles n'avaient aucun enfant. 22 d'entre elles avaient un seul enfant. 12
avaient 2 enfants. 13 avaient 3 enfants. 3 avaient 4 enfants. et une seule
famille en avait 6.
Ces familles kabyles ont émigré à la fin du siècle après avoir vendu
leurs biens. Il en est de même des Tlemcéniens qui ont émigré en 191 1.
La majorité de ceux qui furent arrêtés à la suite d'un départ d'Algérie sans
autorisation ont déclaré vouloir sc rendre en pèlerinage à la Mecque. un
petit nombre déclarant chercher du travail ct fuir la misère. Lorsque ces
rn igrants arrivent ù des ti nation. la justification principale que rapportent
424 L'ÉMIGRATION ALGÉRIENNE< 1830-1914)
Conclusion
ANNEXE
Exemple de sources utilisées ·
!•émigration vers le Maroc
15/1/1 S4H GGA au ministre Sur le rapatriement de la Dcïra 590 tentes La majorit~ pn)\'icnt de la proYincc d'Oran.
de la Guerre d'Abdelkader \.'{lmprcnant 590 tentes 92 personnes de la prm·incc d'Alger+ 37
Askars
19/5/1850 Consulat g~n~ml À la suite de l'empoisonnement de Bou 1 500 hommes. 1 500 demandes de rapatriement
de France à Hamidi (khalifa de l'emir) par le sultan du fcmmes ct
Tanger au MAE Maroc. panique chez les ~migr~s cnfants
20/9/1884 Légation de la Rf Pour fal'iliter le retour tk plusieurs familks 17 tcnll..'s Familles ~tablics dl'puis 1864 au Maroc.
au Maroc des Akerma-Trafi établies depuis 1864 au suite à l'insurrection dans I'oul'st algérien
tvhtroc
6/07/IXHO Légation de la Rf D~sir exprimé par djemaa dl's Thouama ct lln certain Autorisation refusée. les tribus émigrées en
au Maroc tks M'hamid de pou\·oir rl'\·enir l'Il ALg~rie nombre de tl'ntes 1854 ayant fait all~gcam:l' au sultan
---~------------------ - - - - ----- -------
2311211878 L~gation de la RF A propos des Hachcm émigrés au Maroc 1.\.'S Hach~.'ms
ct les héni Amer sont deux
au Maroc d~?puis 1845 ~'t qui retournent en Algérie tribus importantes ayant émigré au Maroc
Division d'Alger à Des Nouirat émigrés au Maroc depuis 7 tentes
GGA l'insurrection de 1864 demandent ü rentrer
en Al·'~rie
-··--~---:::-=---------
1/12/1864 Division d'Oran il Retour en Alg~ric d'uth.' dizaine de tentl's 117 pcrsonncs Ils aYaicnt émigré au Maroc ~~ partir de 1H45
GGA tks Djaffru Ghraha
8/8/1859 Pro,·incc d'Oran f1 Compte rendu du l'l'tour du Maroc dl's 23 + 43 + 84 =
GGA Rl'zaïna. des Oukd Ziad l't autres 150 tl'ntcs
111111 S51 Pro\'inœ d'Oran ü R1.'tour d'~,;migr~s par hall'au n~nant de 10-l indiYidus
______,__G_JG_JA___ ___,_!<lllg~o.'_r_________ _
21/J/187-l Di\'ision d'Oran à Les Rahman Gl11.'raba de Boghar ~migrés 6 IL'lltes
GGA suite à l'insunwtion de 186-l sont rapatri~s
1-l/8/ 1861 AA division 7 chefs de tentes du cercle de Schdou sont 7 tentes Ces familles s'étaient endettées pour payL'r
d'Oran à GGA passés au Maroc les contributions de guerre imposées: mais
Ill' pouvant les rembourser elles ont préf~r~,;
quitll.'r l'Aig~rie
2211211896 GGA : .1. Cambon Demande de retour du l\1aroc d'indi~~ncs lnstull~s au l\'laroc depuis la conquête
originaires des Akl'rma
------------- ------·-··
Date ÉmcttcurMœptcur Contenu Nombre Obscr\'ations
~--~--------------------------------------------- ------~
2211211896 GGA: J. Cambon Demande de retour du Maro~..· d'indigènes Installés au Maroç depuis la çonquêtc
originaires des Akernu1
Demande de retour avec une femme et ses 4 indiùdus Il résidait au Maroç depuis 1836
deux enfants toujours de Méchcria et
localisé ü Fès (artide 7 du truité du
18/03/45 entre la Fran~..·e et le Maroc)
----------~------------
8/6/1897 GGA : J. Cambon Demande de retour en Algérie d'un Artide 6 de la loi du JO mai 1854
dénommé Morsli ben Elhortani (de la tribu astreignant ks condamnés aux travaux
des Chellog et des Ouled bouziri de forçés ü rester toute leur Yic dans la
Frenda) insurgé en 1880 condamné pour çolonic où ils ont été déportés
meurtre ü huit ans de en Guyane
·~--~-----------
Demande de retour en Algérie d'une familk 17 tentes. Installés au Maroc depuis la conquête ( 17
originaire de Mécheria. tribu des Ou lad 59 personnes hommes, 16 femmes et 26 enfants). affaire
Serour identique ~~ celle des Akerma
-----------~------------------------------------------·- -----~----------------- ··-- -- -----------
1
octobre 1899 Rapport mensuel «À signaler tout particulièrement chez les 5 familles. Liste nominative des familles indig~ncs de
service des indigènes. une tendance tl s'expatrier pour 22 personnes Télagh émigrées au Maroç entre 1893 ct
(communes fuir une. situation devenue d'une fa\·on 1900
mixtes) mois générale assez misérable au cours de ces
d'octobre 1899: dernières années. Les récoltes ayant fait -x
' Administrateur de défaut les impôts sont en effet dc\'cnus. $
Télagh mème réduits. une charge écrasante ...
plusieurs familles ont déjü abandonné le
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pays pour se rendre au Maroc ... »
.. . - --- -------------------~
l
di\'ision . . d'Oran Mansourah
Sources: CAOM. Aix-en-Pro\'encc. Gouvernement général de l'Algérie. Cartons 9H98. 9H99, E12: microfilm IRMI27.
428 L'ÉMIGRATION ALGÉRIENNE 1 IR30-1914)
Kamel KATEB, Institut national d'études démographiques, 27 rue du Commandeur, 75675 Paris
Cedex 14, France, tél. (33)0142182000, fax. (33)0142182199