L'erosion de Sols de Taroudante

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L‘EROSION DES SOLS A TAROUDANT

ENTRE NATURE ET SOCIETE


Ali AIT HSSMNE
Département de géographie, UniversitéIbn Zohr, BP 291s PC Agadir, Maroc
Email : [email protected].

Résumé

Sur les rebords de l’oued 1’Ouaar aval, entre Taroudant et la colline Al Aricha, se
présente un paysage de bad-lands évolué et actif, entravant l’extension nord de la ville et
menaçant les terres agricoles.
Les repères géomorphologiques indiquent une simple reprise de l’érosion le long d’un
réseau de ravinement ancien.
Les causes de cette succession sont sans doute multiples. Les réseaux sont sensibles
aux tremblements de terre, mais aussi aux variations du climat et à l’action de l’Homme.
L’analyse morphologique montre quatre générations d’érosion emboîtées les unes dans
les autres. Nos premières dates au radiocarbone, effectuées en collaboration avec une équipe
canadienne de l’Université de Montréal s’échelonnent de 36280 ans BP jusqu’à l’actuel.
Elles indiquent que la première vague d’érosion est antérieure à 3000 ans BP. Par la suite, il y
a eu comblement partiel des ravins, puis ré-entaille actuelle. La première vague d’érosion, qui
guide les ravins actuels, ne peut être attribuée à l’action anthropique, à cause de son age. La
reprise d’érosion actuelle pourrait se relier à l’industrie sucrière locale du 12ème
aul7“’ siècle.

Mots clés : Maroc, Taroudant, Erosion, Bad-lands, Ravinement, Action anthropique,


Datation.

Abstract

SOIL EROSION IN TAROUDANT AREA BETWEEN NATURE A N D SOCIETY

At the present time, the downstream part of the irguiten fan (Souss valley, Morocco)
is currently undergoing intense erosion. Morphogenic processes operating on the Holocene
fine deposits lead to the development of a spectacular badland landscape.
These badlands, in return, evolve in pace with move a headwater erosion.
Two factors are responsible for their development, the first is linked to the activity
of a hidden fault which affected the cretaceous underground, its influence is evident in the
behavior of superficial streams. The second factor is anthropogenic, it is linked to the
introduction of the sugar cane in the Souss valley from 12è to the 17è centuries which led to
the disappearance of the argane forest.

Key words : Morocco, Taroudant, Erosion, Bad-lands, Gully erosion, Man action, .Datation.

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INTRODUCTION: Problème méthodologique et objectif.

La géographie, depuis plus de vingt ans, est devenue une science dans plusieurs pays
développés, avec recours aux méthodes de laboratoire comme pédologie, palynologie,
aérobiologie, datations, systèmes d'information géographique etc.

Des pays comme l'Autriche, certains lander allemand et le Maroc (malgré le


lancement d'une charte de réforme) en restent à un enseignement "traditionnel" faisant une
large part à l'histoire et à la culture générale. Cette culture, comme en Europe aussi, est
nécessaire pour comprendre l'évolution des paysages. Le rôle de l'histoire, de la sociologie et
de l'économie est essentiel. I1 s'agit là d'un acqui à ne pas toucher, mais à compléter par les
recherches et les résultats de laboratoires.

L'érosion des sols à Taroudant, objet de notre article, est l'un des phénomènes de
désertification . Celleci comporte des composantes naturelles et anthropiques. Les
deuxièmes semblent avoir été largement exagérées. A Mexico, par exemple, des analyses
paléolimnologiques ont montré que la vague d'érosion des sols attribuée à la colonisation
européenne, est antérieure à l'activité humaine, elle est donc attribuable à des changements
naturels du système morphogénétique. Dans le Sahel, l'avancement du désert vers le sud,
chaque fois qu'il se produit, est fortement publicisé par la presse. Mais le mouvement inverse
de remontée du Sahel sur des terres désertifiées Cjusqu'à 150 lun en un an), qu'enregistrent les
satellites artificiels, passe inaperçu.

Des investissements coûteux, planifiés pour contrer une dégradation du milieu


d'origine anthropique sont anihilés par le jeu des facteurs naturels. Il n'est pas question de
nier l'action anthropique sur les sols ou sur le climat, mais il devient indispensable, dans
chaque cas, d'établir scientifiquement les causes et la part réelle pour chaque changement du
milieu, soit l'objectif principal de cet article.

I- CADRE MORPHOSTRUCTURALDU SECTEUR RAVINE DE TAROUDANT

Le secteur raviné de Taroudant correspond à la partie distale du cône de déjection de


l'oued Irguitène, issu du Haut Atlas (Fig.1). I1 s'inscrit dans la zone du synclinal crétacé, faillé
et comblé de dépôts cénozoiques (Tertiaire et Quaternaire) très épais (250 à 300m selon les
sondages géophysiques) (fig.2). L'extrêmité avale des cônes, soulignées par la présence des
collines en forme de cuesta (terminaison du synclinal crétacé), est taillée par l'oued El Ouaar
qui coule perpendiculairement à la direction des cônes alluviaux (fig.1). Cette partie distale
diffère de l'amont par ses dépôts fins et par sa morphologie de badlands (fig.3).

II- MODE D'OPERATION ET DE FONCTIONNEMENT DES RAVINEMENTS A TAROUDANT

Près de Taroudant (fig.3) s'est développé un réseau de ravinement intense et actif.


Les repères géomorphologiques indiquent une simple reprise de l'érosion le long des
badlands antérieurs (fig 4).

Plusieurs auteurs (Néboît, 1991; Bocco, 1991) ont étudié les phénomènes d'érosion
hydrique. Les Seheb de Taroudant ne différent pas, dans leurs modalités de fonctionnement,
des formes décrites par ces auteurs, compte-tenu des conditions morphogénétiques et

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lithologiques semblables (Ait Hssaine, 1993, 1994, 1998) Parmi ces conditions, vient en
premier plan le climat qui, à Taroudant, a un caractère méditerranéen contrasté. Froid en
hiver (6,4 OC)avec des averses intermittentes et brutales (231mm/an), il est chaud et sec en
été (28,3oC) (Dijon, 1966). La sécheresse estivale provoque la dessiccation des limons et des
argiles et conduit à l'ouverture des fentes de dessiccation. Le ruissellement hivernal,
désorganisé et irrégulier, trouve alors un terrain favorable à l'action érosive. Toutefois, la
dénudation du sol et la fragilité du substratum limoneux fendillé concourent à la concentration
rapide de l'écoulement, sous forme de filets d'eau ou de ravines peu profondes. L'écoulement
diffus devient alors concentré dans les fentes de dessiccation ou simplement par érosion
régressive. Ainsi s'amorce la ravine, source de futurs sehebs (apophyses). Le phénomène
devient spectaculaire à chaque nouvel écoulement et les oueds peuvent même détruire les
infrastructures humaines.

La naissance et le développement de ces ouvraghi (ravines creusées dans les limons)


sont donc uniquement liés à l'action mécanique de l'eau. Les modalités de cette action sont
représentées par l'érosion régressive et latérale (fig.5)

Dans un premier temps, la ravine branche, née de la berge d'un ravin ou d'une ravine ,

antécédente, s'établit sur la partie superficielle du sol, constitué essentiellement de sables fins
limoneux. Cette branche continue à s'encaisser pendant que la ravine mère évolue
(fig. 4,5 et 6). Lorsque l'encaissement atteint un seuil limite, signalé par la présence des silts
rouges concrétionnés du Pléistocène supérieur, le creusement vertical de la ravine s'arrête et le
sapement latéral démarre. Par évolution latérale, à partir du sommet, se développent des
apophyses qui ne cessent de se multiplier. Elles finissent par créer un paysage de bad-lands,
malgré la pente insensible (fig.3).

III- EROSION NATURELLE OU EROSION ANTHROPIQUE?

1- Les arguments tectoniques

L'oued el Ouaar est l'un des affluents principaux de l'oued Souss. D'une direction
méridienne, il change brusquement son orientation au niveau d'el Boura, à l'est de
Taroudant, pour devenir E-W. A partir de ce coude, l'oued s'enfonce de presque 8m
dans les alluvions des cônes et intercônes, alors qu'il coule en surface entre le coude et
son débouché de la montagne. Entre le coude et la colline Al Aricha les sondages
géophysiques signalent la présence d'un réseau de failles affectant le soubassement
crétacé (Fig.1 et 2). L'oued el Ouaar, entre ces deux points se calque sur l'une de ces
failles principales et devient un oued de ligne de faille (Ait Hssaine, 1998). Vers
l'extrémité aval apparaît l'emboîtement de trois terrasses, voir cinq y compris le sommet
de la colline Al Aricha. Le comportement de l'oued el Ouaar, entre le coude et la
colline, et le développement en arrière des bad-lands, uniquement dans ce secteur,
traduisent une relation directe avec une néotectonique imperceptible et active. Il semble
que la faille qui passe au pied des collines participe à leur soulèvement (soulèvement
des bordures du synclinal crétacé et subsidence axiale. L'oued el Ouaar, en s'encaissant,
accentue l'érosion régressive de ses berges et le développement latéral des ravines à
partir des oueds affluents qui restent soumis à l'évolution du lit de cet oued.
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2- Les données historiques

D'après Berthier, 1966, le fonctionnement des fabriques de sucre pendant au moins 500
ans, entre le 12è et le 17è siècle à Taroudant et dans le Souss serait la cause principale de la
disparition de la forêt arganière. Selon cet auteur 800 O00 ha d'arganier ont été dévorés. I1
attribue le phénomène d'aridification de cette région aux sucrières, qui à son tour a contribué à
leur disparition. Actuellement, l'Archéologue, Gérard Giuliato, de l'université de Nancy 2 et
membre de notre action intégrée, reprend les travaux sur les sucrières de Taroudant avec des
moyens et approches modernes. I1 démontrera dans le futur, sur la base des analyses des
cendres et du charbon, au sein de notre groupe de recherche, la part de l'arganier dans les
cuissons des jus et la fabrication de la poterie in situ et par conséquences la part de l'action
anthropique dans le défrichement de la région et le déclenchement de l'érosion. Nos datations
montrent que l'érosion s'est opérée il y a 3000 ans, mais accentuée de façon spectaculaire
depuis 300 ans seulement.

3- Les enseignements des coupes de l'oued el Ouaar et relation avec les


changements climatiques globaux.

L'encaissement de l'oued el Ouaar dans sa miotié avale offre de belles coupes pour
l'étude morpho-sédimentaire des dépôts superficiels. Plusieurs coupes ont été
analysées, nous retenons deux d'entre elles situées au pied de la colline Al Aricha, avant
la confluence avec l'oued Souss (fig. 1).

3-1- Evolution morpho-stratigraphique

coupe 1 (fig. 7) de bas en haut

1- Dépôts de limons azoïques visible sur l m 80 d'épaisseur.


2- Arrêt de la sédimentation. Pédogenèse, formation dans le faciès (1) de concrétions
calcaires et, vers le bas, d'une croûte alvéolaire. Possibilité d'une datation approximative
de la pédogenèse par les concrétions. La succession des périodes 1 et 2 a constitué le
faciès des ''silts à grosses concrétions".
3- Mise en place de plusieurs faciès, dont:
3a: limons
3b: lits sablo-caillouteux
3c: limons contenant une faunule malacologique terrestre datée de 36280BP
4- Développement d'un sol rouge à concrétions calcaires, à la fois dans le limon 3c et dans
la partie supérieure des graviers (3b). I1 s'agit donc bien d'une phase de pédogenèse, soit
une discontinuité importante (arrêt de la sédimentation) dans le profil. Une datation des
concrétions donnerait l'age approximatif de la pédogenèse.
5- Dépôt de limon. I1 fossilise le sol (4) et contient une faunule malacologique datée au
radiocarbone de 34430 BP. Donc plus jeune de 2000 ans que le faciès pédogénisé sous-
jacent.
6- Surface de discordance majeure. Encaissement de l'oued dans le remblaiement
sédimentaire. Bien que cette période ne soit représentée par aucun dépôt, elle pourrait
correspondre - en durée - à une partie importante de l'histoire naturelle de la région.
7- Sédimentation volumineuse faisant alterner des dépôts de limon et de cailloutis.
Présence possible de phases d'arrêt dans la sédimentation marquées par des paléosols
embryonnaires. Des ossements de grands mammifères ont été découverts demièrement,
mais pas encore datés. Elle est comprise nécessairement entre 34430 et 20420 BP.
8- Phase de pédogenèse.

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9- Fossilisation du sol précédent par une mince couche de limons. Sa datation au


radiocarbone le situe à 20420 ans BP.
10-Encaissementmajeur (sur environ 8m) du réseau hydrographique, sans doute avant 13000
ans BP

Coupe 2 (fig. S), suite

11-Construction d'une terrasse holocène sablo-limoneuse emboîtée dans le paléo-lit de


l'oued. Une date au radiocarbone a livré un age de 8000 ans BP.
12- Encaissement de l'oued dans le remblaiement de la terrasse de 8000 ans BP.
13- Mise en place d'une couverture de limons sur la terrasse vers 3000 ans BP
14- Erosion linéaire
15- Terrassettes construites depuis moins d'un siecle dansle lit de l'oued. L'une d'elles
contient des restes de pneux de bicyclette. Entaille linéaire et développement du lit
actuel.

3-2- Chronologie et rapports avec les changements climatiques planétaires

De l'interprétation morpho-chrono-stratigraphiquedes deux coupes se distingue une


succession de périodes d'alluvionnement, de creusement et de pédogenèse. Les périodes
de pédogenèse indiquent un arrêt de sédimentation et une stabilité relative du milieu, les
autres, par contre, traduisent un déséquilibre et une recrudescence des processus
mécaniques. La totalité de l'accumulation des remblaiements a pris une durée de 36000
ans, soit depuis le Soltanien. Ces enregistrements de sédimentation et d'érosion ou de
pédogénisation s'inscrivent-ils dans le contexte des changements globaux ou sont -il
seulement des phénomènes locaux?
En réponse à cette question, il semble que les datations indiquent une certaine
correspondance entre sédimentation dans les coupes et les oscillations climatiques
globales. En comparaison avec les oscillations climatiques majeures ayant laisser des
empruntes à l'échelle de la planète nous pouvons dire que:

- 36 ka et 34 ka correspondent à une fluctuation majeure (couche de Heinrich) et


au retour du froid jusque vers 18 ka BP).
- 20 ka, représente le changement entre une grande période de sédimentation
(érosion dans les bassins versants du Haut- Atlas) et l'entaille récente
correspondant au maximum dernier grand glaciaire dans l'Hémisphère Nord.
- 8 ka représente une oscillation climatique globale, enregistrée dans les forages
du Groenland et de l'Antarctique, et présente dans les régions sèches dont le
Maroc.
- 3 ka BP est une période charnière dans l'Holocène, avec le passage du
subboréal au subatlantique.

Conclusion

De cette brève interprétation, il paraît que de toute évidence, depuis 36 ka,


l'environnement du piémont et de la région de Taroudant répondent aux oscillations du
climat qui n'ont rien d'anthropique. I1 est donc permis de croire que les vagues d'érosion
récentes comportent elles-aussi, une part naturelle, combinée à l'action de l'homme.
C'est cette combinaison qu'il est intéressant, du point de vue de la recherche
fondamentale et de l'application, de définir.
BIBLIOGRAPHIE

Ait Hssaine, A., 1993. Les alluvions du site de Taroudant et leur signification
géomorphologique. Série des colloques et des journées d'études 1102: Taroudant, cité du
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Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Agadir, Maroc) pp 39-53.

Ait Hssaine, A., 1994. Géomorphologie et Quaternaire du piémont de Taroudant-Oulad


Teima, vallée du Souss, Maroc. Thèse de Doctorat d'Etat (Ph.D), Université de
Montréal, 245p, Canada.

Ait Hssaine, A., 1998. Le démantèlement actuel du piémont sud atlasique: le cas de la
partie distale du cône de l'oued Irguitène, Taroudant, Maroc. Dirassat no 8, pp 123-143

Berthier, P., 1966. Les anciennes sucreries du Maroc et leurs réseaux hydrauliques.
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BOCCO,G., 1991. Gully erosion: Processes and models. Progress in Physical


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Dijon, R. 1969. Etude hydrogéologique et inventaire des ressources en eau de la vallée
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Néboît, R. 1991. L'homme et l'érosion. Faculté des Lettres et des Sciences Humaines,
Université Clermont-FerrandII, fas.34,269p.

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Référence bibliographique Bulletin du RESEAU EROSION

Pour citer cet article / How to citate this article

Aithsaine, A. - L'érosion des sols à Taroudant entre nature et société, pp. 295-300, Bulletin du RESEAU
EROSION n° 21, 2002.

Contact Bulletin du RESEAU EROSION : [email protected]

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