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Cahier 08

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LES CAHIERS DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE

Les accords commerciaux bilatéraux et régionaux :


moteur de l’intégration régionale ou nouveau
cheval de Troie du libre-échange ?

N°8 - 05/2008
> SOMMAIRE

Sommaire
Introduction 3
Les accords commerciaux bilatéraux et régionaux : la raison du plus fort ?
par Arnaud Zacharie 3

Partie 1 : Anatomie des accords commerciaux bilatéraux et régionaux 5


Le blocage du système multilatéral face à la montée des accords bilatéraux
et régionaux : origines et perspectives
par Jean-Christophe Defraigne 6
Intégration régionale et traités bilatéraux
par Alfredo Calcagno 11
L’approche européenne des négociations commerciales bilatérales
par Marc Maes 16

Partie 2 : Le cas des Accords de Partenariat Economique (APE) entre


l’Union européenne et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) 19
Les Accords de Partenariat Economique dans le cadre légal international
par Jan Wouters et Bart De Meester 20
L’impact des Accords de Partenariat Economique sur le développement
par Isabelle Hoferlin 25
Les Accords de Partenariat Economique et le blocage des négociations
du cycle de Doha à l’OMC
par Moussa Faye 28

Partie 3 : L’impact des accords de libre-échange sur le droit au développement 29


Accords de libre-échange et souveraineté alimentaire
par Gérard Choplin 30
Le CIRDI : quand la gestion des biens publics, la démocratie et les droits
humains se heurtent aux droits des investisseurs étrangers
par Hugo Ruiz Diaz Balbuena 32

Eléments de bibliographie et table des abréviations 35

Conclusion
Libre échange et travail décent : quelle relation cause/effet ? 36

Photo : CNCD-11.11.11
> INTRODUCTION

Les accords commerciaux bilatéraux et régionaux :


la raison du plus fort ?
Corollaire de l’enlisement des négociations multilatérales Secundo, alors que l’impact économique et social du libre-
à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les accords échange commercial sur les pays les plus pauvres est dénoncé
préférentiels se multiplient. Inexistants jusqu’à la fin des an- avec pertinence lors des sommets de l’OMC, aucun accord
nées 1950, ils n’étaient encore qu’au nombre de vingt-sept en multilatéral n’a été conclu depuis la naissance de l’OMC en
1990. C’est à cette époque que la difficulté des négociations 1995. En réalité, seul un quart de la réduction des tarifs
du cycle d’Uruguay (1986-1994) et la dislocation du bloc so- douaniers entre 1983 et 2003 s’explique par les accords
viétique ont favorisé la conclusion de multiples accords régio- multilatéraux2. Si l’OMC est régulièrement le champ d’action
naux et bilatéraux – à la fois entre pays voisins (Mercosur, médiatisé des grands marchandages commerciaux, ce n’est
Asean, Alena, etc.) et avec de nouveaux pays et partenaires pas en son sein que le libre-échange enregistre ses principales
stratégiques. Leur nombre est ainsi passé à 60 en 1995, puis avancées.
à 102 en 2000. Avec l’échec des conférences ministérielles de Par conséquent, tertio, le principal acteur de la libéralisation
l’OMC à Seattle (1999) et Cancun (2003), le phénomène s’est commerciale reste, de loin, l’État. Il est en effet responsable
développé de manière exponentielle : l’OMC dénombrait 193 des deux tiers de la réduction des tarifs entre 1983 et 2003
accords régionaux et bilatéraux en vigueur en 2006 (dont 46 (les 30 % restants s’expliquant par les accords régionaux).
nouveaux depuis 2004) et en prévoit plus de 300 d’ici la fin Si les États sont traditionnellement présentés comme
de la décennie1. « victimes » du pouvoir des multinationales que favorisent
les règles de l’OMC, elles-mêmes pourfendues plus souvent
Cette nouvelle génération d’accords concerne désormais des qu’à leur tour par les élus « nationaux », le principe de
pays de zones géographiques et de niveau de développement réalité impose de préciser que les victimes sont pour le moins
très différents. Ces accords de libre-échange sont qualifiés consentantes. Non contents d’être aux premières loges, les
d’« OMC plus », car ils couvrent un champ plus large que États sont en réalité les véritables pilotes du processus de
les négociations en cours dans le cadre du « programme de libéralisation – étant entendu que même la Commission
Doha », notamment les sujets de Singapour (investissement, européenne négocie sur base d’un mandat défini et contrôlé
marchés publics, concurrence et facilitation du commerce) et par les États membres.
les droits de propriété intellectuelle.
Les puissances commerciales (États-Unis, Union européenne, La raison du plus fort
Japon, Chine) se concurrencent pour négocier avec les pays en
développement. Ainsi, les États-Unis ont multiplié les accords Or, plus le centre de gravité des négociations descend du
bilatéraux avec les pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine niveau multilatéral au niveau bilatéral, plus sévit la raison
et centrale (Chili, Singapour, Maroc, etc.) et ont entamé des du plus fort. Au jeu du rapport de force bilatéral, les pays
négociations avec de nombreux autres (Malaisie, Thaïlande, en développement sont perdants face aux puissances
Corée du Sud, etc.). Le commissaire au commerce Peter commerciales qui tentent d’élargir au maximum le champ
Mandelson a publié en octobre 2006 un document stratégique des négociations. La multiplication des accords bilatéraux
sur la compétitivité externe de l’Union européenne, lorgnant est notamment susceptible de porter atteinte à la santé des
avec appétit vers les marchés asiatiques (Chine, Inde, Corée du populations les plus pauvres en restreignant encore davantage
Sud, Asean). L’Union européenne a déjà conclu par le passé l’accès aux médicaments3.
de tels accords bilatéraux avec le Mexique, le Liban, le Chili ou Les accords conclus en août 2003 et décembre 2005 sur
l’Afrique du Sud et négocie des accords de libre-échange avec l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle relatifs au
les pays Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP), l’Amérique du Sud commerce (ADPIC) permettent aux pays en développement en
(Mercosur, Pacte andin) et les pays méditerranéens (Euromed). situation de crise sanitaire d’imposer des licences obligatoires
à bas prix aux firmes pharmaceutiques ou de fabriquer ou
Des idées reçues d’importer des versions génériques de médicaments sous
brevets. Seuls la Thaïlande et le Brésil ont, début 2007, émis
Cette multiplication d’accords préférentiels contredit plusieurs
une telle licence obligatoire, mais l’Organisation Mondiale de
idées reçues en matière de commerce international. Primo,
la Santé (OMS) estime que les médicaments génériques ont
alors que les règles de l’OMC sont fondées sur le principe
permis de diminuer le coût des traitements antisida, dont le
de « non-discrimination », près de 40 % des échanges in-
nombre de bénéficiaires est passé selon la Banque mondiale
ternationaux s’effectuent désormais dans le cadre d’accords
de 100 000 à 1 million entre 2000 et 20054.
préférentiels régionaux ou bilatéraux. Ces accords sont des
dérogations permises par l’article 24 de l’Accord général sur
les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et deviennent pro- 1. OMC, www.wto.org ; Jo-Ann Crawford and Roberto Fiorentino, « The
gressivement la règle. L’OMC dispose depuis 1996 d’un Co- changing landscape of regional trade agreements », 2005 ; « Les accords
mité des accords régionaux chargé d’examiner la conformité bilatéraux, voie royale du libre-échange », Le Monde Economie, 20 juin
2006.
de ces accords avec les règles de l’OMC, mais il n’a rendu 2. World Bank, Global Economic Prospects 2005, « Trade, regionalism and
qu’un seul avis durant ses dix premières années d’existence development », 2005.
(sur l’entente entre Tchéquie et Slovaquie au lendemain de 3. Carlos Maria, « Implication of bilateral free trade agreements on access
to medicines », OMS, mai 2006.
leur séparation). 4. World Bank, Global Monitoring Report 2006.

3
> INTRODUCTION

Cette timide avancée est cependant susceptible d’être


partiellement étouffée par les nouveaux accords bilatéraux
signés par les États-Unis avec les pays en développement
(Maroc, Chili, Jordanie, Amérique centrale, etc.). Ces accords
contiennent en effet un volet « ADPIC plus » autrement
plus contraignant que les accords multilatéraux arrachés à
l’OMC : prolongement de la durée des brevets (pourtant déjà
fixée à vingt ans par l’ADPIC) en compensation des délais
d’autorisation de mise sur le marché ; conservation par le
producteur des droits sur les données pendant plusieurs
années (cinq ans dans le cas du Maroc) afin de compliquer
la fabrication de génériques ; obligation de conditionner
la fabrication d’un générique à l’accord du détenteur du
brevet, ce qui équivaut à rendre, de facto, impossible cette
fabrication. Comme le conclut un rapport du Congrès des
États-Unis commandé par le parti démocrate : « Contrairement
aux principes de la déclaration de Doha, les dispositions des
accords de libre-échange privilégient les intérêts financiers
des grandes multinationales de l’industrie pharmaceutique
aux dépens de la capacité des pays en développement à
affronter les problèmes de santé publique »5.
En définitive, la raison du plus fort est telle que le peu
d’avancées enregistrées sur le front multilatéral en matière
d’accès aux médicaments pourrait être détricoté par la
nouvelle génération d’accords bilatéraux.

Commerce et développement
C’est pour faire un état des lieux des accords existants et de
leur impact sur le développement que ce numéro des Cahiers
de la coopération internationale a été réalisé. Fruit d’un
Photo : Frédéric Lévêque
séminaire international, il tente de répondre aux nombreuses
questions que soulève la prolifération de ces accords bilatéraux
et régionaux : quels sont les différents types d’accords ? Entre
quels pays et quelles régions ? Quel est leur contenu ? Quel
impact ont ces différents types d’accords sur les politiques
commerciales, financières, économiques et sociales ? Que
penser de la nouvelle stratégie européenne en matière de
compétitivité externe ? Quel impact sur le développement ?
Le contenu des accords bilatéraux et régionaux est-il plus ou
moins adapté aux enjeux du développement que les accords
de l’OMC ? Y a-t-il des sujets plus adaptés aux négociations
bilatérales, régionales ou multilatérales ? Quel niveau de
négociation privilégier ? Quel impact ces accords ont-ils
sur les marges de manœuvre des gouvernements face aux
firmes transnationales ? Quels sont les types de conflits en
cours et comment sont-ils gérés, notamment au sein du
Centre International de Réglement des Différents liés aux
Investissments (CIRDI), la filiale de la Banque mondiale
chargée de régler ces questions ? Quel est l’impact des accords
de libre-échange sur les prix agricoles et les revenus ruraux ?
Autant de questions auxquelles le présent Cahier tente de
répondre.

Arnaud Zacharie,
Secrétaire général du CNCD-11.11.11



5. « Trade agreements and access to medications under the Bush adminis-


tration », June 2005, cité par Le Monde Economie, 20 juin 2006.

4
Photo : Michel Dubois

PARTIE 1/
ANATOMIE DES ACCORDS COMMERCIAUX BILATÉRAUX ET RÉGIONAUX

5
> ANATOMIE DES ACCORDS COMMERCIAUX BILATÉRAUX ET RÉGIONAUX

Le blocage du système multilatéral face à la


montée des accords bilatéraux et régionaux :
origines et perspectives
Le début des années 1990 a marqué une très forte Sur le plan économique, la position hégémonique américaine
accélération de la création d’accords commerciaux régionaux est incontestable. L’Allemagne et le Japon ne sont pas
(ARC). Quelque 380 accords ont ainsi été notifiés auprès invités à participer aux premières discussions multilatérales
de l’Organisation Mondiale du Commerce entre 1990 et et restent privés de leur souveraineté nationale de la fin de
2007. Cette multiplication soulève des inquiétudes parmi de la guerre au milieu des années 50. La Grande-Bretagne et
nombreux analystes quant à la pérennité du nouveau système les autres économies européennes sont dans une situation
commercial multilatéral mis en place en 1995 avec la création de dépendance militaire (la France, le Benelux, la Norvège,
de l’OMC. Ces inquiétudes sont renforcées par les difficultés le Danemark, l’Italie du Nord ne sont pas encore libérés de
rencontrées lors du dernier cycle de négociation multilatéral, l’occupation nazie). Toutes les économies européennes et le
le Doha Development Agenda, lancé en automne 2001 et Japon sont dévastés par la guerre (ou sont largement endettés
par certaines déclarations de personnalités américaines comme la Grande-Bretagne) et se retrouvent dans une
spécialistes du commerce international qui insistent sur situation de dépendance économique vis-à-vis des Etats-Unis
la nécessité d’opérer un changement radical dans le mode pour faire face à l’effort considérable de reconstruction.
de fonctionnement des négociations (Financial Times, D’où la facilité de l’administration américaine à imposer le
20/04/2007). Pour comprendre l’origine de ce blocage actuel dollar comme monnaie mondiale lors de la conférence de
du système multilatéral et ses enjeux, il est nécessaire de Bretton Woods : le système monétaire international du Gold
replacer celui-ci dans une perspective historique qui permet Exchange Standard fait du dollar la monnaie de réserve mon-
de mieux appréhender le système multilatéral. diale avec la création du Fonds Monétaire International (au
sein duquel le système d’apports financiers permet aux seuls
Etats-Unis de disposer d’une minorité de blocage).
Un système multilatéral mis en place
sous l’égide de la puissance hégémonique Sur le plan commercial, les Etats-Unis imposent un système
américaine de négociation multilatéral visant à libéraliser le commerce
entre les pays capitalistes. Ce système de négociation multi-
latéral doit être chapeauté par une institution, l’Organisation
Consécutivement à la deuxième guerre mondiale, les
Internationale du Commerce qui serait chargée d’élaborer et
dirigeants américains et britanniques sont convaincus de la
de faire appliquer les règles qui organiseraient le commerce
nécessité d’encadrer l’économie capitaliste mondiale pour
international. Mais au cours de la négociation de 1947 qui
éviter un retour au protectionnisme destructeur des années 30.
débouche sur la Charte de La Havane, un désaccord fonda-
L’administration Roosevelt sort les Etats-Unis de leur période
mental sur le mode de décision de cette organisation a raison
isolationniste ouverte par l’élection de Harding en 1920 et
de ce projet institutionnel. L’administration américaine veut
entreprend d’assumer le leadership militaire et politique au sein
que le système de vote soit proportionnel au poids du com-
du camp capitaliste. Dans le contexte géopolitique particulier
merce de chaque pays membre dans le commerce mondial.
de la période de transition entre la fin de la guerre contre les
Les Etats-Unis, dont le PIB représente alors plus de 60% du
forces de l’axe et l’avènement du monde bipolaire de la guerre
PIB combiné de tous les pays membres potentiels de l’OIC,
froide, l’administration américaine entend façonner le cadre
sont ainsi sûrs de garder le contrôle sur cette nouvelle insti-
institutionnel multilatéral nécessaire à la libéralisation des
tution. Mais les Etats-Unis sont le seul pays en faveur de leur
échanges et à la stabilité monétaire entre les économies du
propre proposition alors que 35 délégations de pays sur les
monde capitaliste. C’est le seul moyen, à ses yeux, d’éviter
56 présentes exigent le principe de « un pays-une voix ». Les
le retour de conflits militaires entre puissances capitalistes
Etats-Unis refusent de ratifier la Charte, en partie du fait de
qui bénéficieraient surtout à l’URSS et aux mouvements anti-
l’opposition du Congrès majoritairement Républicain au pré-
impérialistes du tiers-monde.
sident Démocrate Truman, mais aussi parce qu’ils n’ont plus
Sur le plan géopolitique, le leadership américain s’impose
la certitude de contrôler cette institution multilatérale.
facilement au sein des puissances capitalistes pour faire
face à l’URSS et à ses Etats satellites. Les deux puissances Le système commercial multilatéral est alors organisé autour
militaires, que sont l’Allemagne nazie et le Japon impérial du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT) négocié à
militariste, sont défaites et occupées pendant plusieurs années Genève en 1947 entre 23 parties contractantes. Le GATT ne
par des forces étrangères. L’incapacité de la Grande-Bretagne constitue qu’un simple traité visant à libéraliser le commerce.
à maintenir sa position de grande puissance mondiale, qu’elle Il restera une institution peu formalisée, qui ne sera financée
détenait pendant l’entre-deux-guerres, est manifeste après officiellement par le Congrès Américain en tant que telle
l’intervention britannique auprès des monarchistes dans qu’à partir de 1968, à la fin du Kennedy round (Barton,
la guerre civile grecque de 1947. La création de l’OTAN et 2006 :38). Le caractère informel des négociations crée une
les accords militaires avec le Japon institutionnalisent la situation où l’administration américaine peut, de facto,
prééminence des Etats-Unis dans la confrontation entre le imposer ses priorités en matière de négociation multilatérale
monde « libre » et l’URSS. du commerce, et cela d’autant plus que de nombreux pays

6
> ANATOMIE DES ACCORDS COMMERCIAUX BILATÉRAUX ET RÉGIONAUX

non industrialisés ne disposent pas des moyens financiers et à améliorer la compétitivité internationale des ces nouveaux
humains pour entretenir une délégation permanente au GATT produits industriels. L’incapacité des pays émergents à combler
à Genève. leur retard technologique sur les pays les plus avancés les
maintient dans une dépendance technologique qui creuse leur
Au cours des premiers cycles de négociations des années 50- déficit commercial.
60, les sujets négociés sont principalement imposés de fait par
Les limites des politiques de substitution aux importations, en
les Etats-Unis et l’Europe. La situation évolue progressivement
termes de déficit de la balance commerciale et de croissance
avec le nombre croissant de pays qui rejoignent le GATT. Dès
extensive, vont être masquées par le degré extraordinaire de
le Tokyo round (1972-1979), auquel 99 nations participent, facilité d’accès aux marchés des capitaux dont bénéficient les
les économies émergentes du Tiers-Monde commencent à pays émergents au cours des années 70. Le développement
revendiquer un autre mode de négociations au sein duquel des marchés des eurodevises et les afflux de pétrodollars
ils pourraient exercer une plus grande influence sur l’ordre des pays de l’OPEP après la hausse du prix du pétrole en
du jour des rounds. Ce sont finalement les négociations de 1973-1974 engendrent une abondance de liquidités au sein
l’Uruguay round (1986-1994) qui débouchent sur la création de certaines places financières internationales en phase de
de l’Organisation Mondiale du Commerce en 1995. La volonté dérégulation (plus particulièrement la « City » londonienne).
de créer une institution multilatérale proche du projet de l’OIC Cette abondance de capitaux va faire chuter les taux d’intérêts
de 1947 est mise en avant par le Canada en 1989, appuyée par réels qui vont devenir négatifs à partie du milieu des années
les Etats-Unis et l’Europe. Ce tournant américain en faveur 70. L’emprunt est la solution facile qui permet de reporter les
de la création d’une institution multilatérale peut s’expliquer limites de la politique de substitution aux importations, voire
de financer des politiques sociales sans taxer les revenus des
par les profondes transformations subies par la plupart des
élites latifundiaires ou industrielles des pays émergents.
économies émergentes au cours des années 80.
La crise de la dette éclate consécutivement au changement
De la politique de substitution aux de politique monétaire du Federal Reserve Board américain
importations à la crise de la dette : la en 1979 et de l’explosion du déficit budgétaire américain au
début des années 80, qui font grimper les taux d’intérêts sur
fragilisation de la position de négociations les marchés internationaux. De nombreux pays émergents,
des économies émergentes qui ont emprunté massivement au cours des années 70, se
retrouvent dans l’impossibilité de rembourser leurs dettes du
Au cours des années 50-70, la plupart des grandes économies fait de la hausse des taux d’intérêts et de la chute du prix des
émergentes (notamment le Mexique, le Brésil, l’Argentine, matières premières dont ils sont exportateurs. La plupart des
l’Inde, l’Indonésie, la Pologne, la Roumanie, la Hongrie) économies émergentes se retrouvent alors dans l’obligation
tentent de développer leurs propres industries nationales de changer radicalement de politique de développement.
par des politiques de substitution aux importations qui Dans de nombreux cas, ce changement de politique se fait
comportent trois volets. Il faut d’abord assurer une part sous la direction du FMI par le biais des plans d’ajustement
importante du marché national aux industries nationales dans structurel, mais même les économies qui évitent l’écueil du
l’enfance, ce qui requiert un degré de protectionnisme très surendettement (telles la Chine et l’Inde) s’engagent dans la
élevé. Il faut également une politique industrielle active en même voie. Ces pays émergents d’Amérique Latine, d’Asie et
faveur des « champions nationaux » industriels qui comprend d’Europe de l’Est abandonnent la plus grande partie de leur
subventions et souvent prises de participations de l’Etat. politique de substitution aux importations.
Le troisième volet est constitué par les règles restrictives
encadrant l’accueil des IDE et l’activité des filiales locales des
multinationales étrangères. Photo : Alexandre Seron

Au cours de cette période, ces économies vont connaître des


taux de croissance très élevés. Néanmoins, cette politique
de substitution aux importations connaît des limites liées
aux faibles capacités d’innovation technologique des pays
émergents qui les maintiennent en état de dépendance des
pays les plus avancés. Cette faiblesse technologique a pour
conséquence de générer au sein de plusieurs pays émergents
une croissance plus extensive qu’intensive. De plus, au fur
et à mesure que les pays émergents montent en gamme sur
le plan de la technologie industrielle, ils doivent importer
une technologie de plus en plus coûteuse. La technologie
achetée auprès de multinationales de pays de l’OCDE est
le plus souvent obsolète et ne permet pas de produire des
modèles facilement ré-exportables vers les marchés des pays
de l’OCDE. Ainsi au cours de cette période Peugeot, Renault
ou Fiat vendent des usines clef en main à la Yougoslavie, à
l’Inde ou à l’Iran pendant que la firme allemande RCA fournit
des usines de télévision à la Pologne. La production de ces
nouvelles usines est donc le plus souvent destinée au seul
marché national. Le niveau élevé de protection du marché
national combiné à la situation de monopole ou d’oligopole
dont bénéficient ces champions nationaux ne poussent pas

7
> ANATOMIE DES ACCORDS COMMERCIAUX BILATÉRAUX ET RÉGIONAUX

L’offensive américaine au cours de Pour renforcer leur position dans le processus de négociation
de l’Uruguay round, les autorités américaines passent
l’Uruguay Round et le revirement des une nouvelle loi relative au commerce en 1988, l’Omnibus
Etats-Unis en faveur d’une organisation Trade and Competitiveness Act qui renforce les mesures de
mondiale du commerce représailles commerciales existantes (notamment celles du
Trade Act de 1974). Ainsi l’instauration de la clause dite
Dans ce contexte, la plupart des élites politiques et économiques section « Super 301 » témoigne du caractère offensif de la
des pays émergents en crise sont convaincues qu’il faut ouvrir politique commerciale américaine à cette période. Il ne s’agit
leurs économies aux IDE pour stimuler leurs exportations et plus seulement de protéger les firmes américaines contre
espèrent que l’afflux de multinationales étrangères sur le les importations de partenaires commerciaux « déloyaux »
territoire national engendrera certains transferts indirects sur le territoire américain, mais de pouvoir engager des
de technologie. Le modèle à suivre est celui des Nouveaux représailles commerciales (comme la suspension d’accords
Pays Industrialisés (NPI) asiatiques qui dégagent un large commerciaux, la mise en place de quotas ou de droits
surplus commercial. L’expérience des « tigres » de la Corée de douane supplémentaires) à l’encontre des pays qui
du Sud, de Singapour, de Hong-Kong et de Taiwan devient entravent l’accès de leur marché national par des pratiques
une recette presque universellement transposable à une série « déloyales » aux firmes américaines. C’est également à cette
d’économies émergentes sans tenir suffisamment compte des période, en 1989, que l’économiste John Williamson énonce
spécificités de ces pays asiatiques sur le plan géopolitique ses recommandations à l’encontre des pays d’Amérique
(soutien exceptionnel des Etats-Unis sur le plan militaire, latine en matière d’ouverture au commerce et de retrait de
financier, technologique et commercial face à la Chine et à l’interventionnisme étatique qui deviennent connues sous
l’URSS), social (l’absence d’une forte classe latifundiaire) le nom de « Consensus de Washington ». La chute du mur
et économico-géographique (proximité du Japon expliquant de Berlin et l’effondrement de l’URSS renforcent encore la
pourquoi les multinationales japonaises relocalisent les étapes position américano-européenne de promotion de l’ouverture
de leur processus de production intensives en travail dès la aux IDE, du respect des droits de propriété intellectuelle et de
fin des années 60). Avec l’irruption de la crise de la dette, le l’abandon des politiques de substitution aux importations.
rapport de force entre économies émergentes est tout-à-fait
modifié au cours de l’Uruguay round qui débute en 1986. Les C’est précisément dans ce contexte que les Etats-Unis sont
Etats-Unis et l’Europe ont alors deux objectifs principaux. prêts à soutenir la création d’une institution multilatérale
plus formelle que le GATT, capable de surveiller la conformité
Il s’agit d’abord de profiter de cette conjoncture défavorable des politiques commerciales nationales avec les règles
aux économies émergentes pour pérenniser l’accès à ces multilatérales, notamment les nouveaux accords du GATS,
dernières pour le commerce de produits manufacturés et de des TRIMs et des TRIPs. Ce sera l’émergence de l’OMC.
services et pour les IDE. Les Etats-Unis et l’Europe incluent
les services dans les négociations de l’Uruguay round qui
donneront lieu au GATS (General Agreement on Trade in Photo : Marta Ruiz
Services). Ils imposent également les TRIMs (Trade Related
Investment Measures) qui visent à réduire une série de
barrières restrictives aux IDE (telles que les listes négatives)
et à imposer le principe d’octroi du traitement national aux
multinationales s’installant dans un pays membre du GATT.
Un autre problème fondamental pour les élites économiques
et politiques des Etats-Unis et de l’Europe est la mise en
place d’un système de protection des droits de propriété
intellectuelle. Plusieurs économies émergentes ont réussi à
s’industrialiser et à atteindre un niveau de développement
technologique qui, certes, ne leur permet pas de réaliser des
innovations majeures en matière technologique, mais leur
donne la possibilité de reproduire certaines technologies
existantes.

Pour les gouvernements américains et européens, il est


donc vital de mettre en place une stratégie pour leurs
multinationales afin de faire face à la concurrence des pays
émergents qui peuvent maintenant les rivaliser avec des
produits manufacturés standardisés de basse et de moyenne
qualité . Cela permettra à ces multinationales de continuer
à extraire des rentes auprès des consommateurs mondiaux.
Cet objectif se traduit dans le cadre multilatéral par la mise en
place des TRIPs (Trade-Related Aspects of Intellectual Property
Rights) lors de l’Uruguay round. Ce dispositif permet de
renforcer la protection des brevets et de lancer des représailles
commerciales sous l’égide du système multilatéral.

8
> ANATOMIE DES ACCORDS COMMERCIAUX BILATÉRAUX ET RÉGIONAUX

Tout en la soutenant, les Etats-Unis ne prennent pas le risque et du Brésil l’année suivante.
de voir la création d’une institution qui pourrait fortement Les pays émergents vont alors mieux s’organiser pour résister
les contraindre dans leurs choix de politique commerciale. à l’imposition des Singapore Issues et à la libéralisation des
En effet, l’OMC reste faible, car sous-financée et disposant services ainsi que pour négocier une application plus souple
de beaucoup moins de personnel que d’autres institutions des TRIPs. On voit apparaître des alliances entre le Brésil,
multilatérales. De plus, l’OMC n’a pas de pouvoir de coercition l’Inde et l’Afrique du Sud. La Chine freine l’application de
contre chacun de ces Etats membres, elle peut simplement certaines conditions dures en termes de propriété intellectuelle
autoriser certains Etats à lever des mesures de représailles et d’accès au marché des services qui lui ont été imposées lors
contre d’autres Etats qui ne seraient pas en conformité avec de son accession à l’OMC en 2001. L’Inde tente de maintenir
les règles multilatérales. Les représailles lancées par un ses protections élevées dans le domaine agricole, notamment
petit pays à l’encontre d’un grand restent peu crédibles en face aux Etats-Unis et dans les produits manufacturés,
général. notamment face à la Chine. Le nouveau système plus formel
de négociation multilatérale de l’OMC – dont Doha constitue
L’érosion de la position hégémonique la première application – permet plus de résistance passive
que l’ancienne structure informelle du GATT, qui donnait
américaine au cours des années 1990- plus de latitude aux négociateurs américains. Cette résistance
2000 et la multiplication des ARC explique la difficulté d’aboutir à des résultats significatifs au
cours de l’agenda de Doha.
Dès la création de l’OMC, les pays les plus avancés tentent
d’accroître la libéralisation des flux d’IDE ainsi que l’accès Un autre phénomène qui érode la position hégémonique
aux marchés publics nationaux, de simplifier les procédures américaine, est l’accélération de l’intégration européenne
douanières et d’établir des règles de concurrence au niveau depuis les années 80 avec la mise en place du marché unique
multilatéral en mettant en place des groupes de travail à en 1993, la monnaie unique en 1999 et les élargissements
Singapour en 1996 (d’où le nom de Singapore Issues attribué de 1986, 1995, 2004 et 2007 qui ajoutent 17 pays à l’Union
à ces sujets de négociations). Européenne. Ces élargissements marginalisent les IDE
américains dans les PECO par rapport aux investisseurs
La crise asiatique de 1997 constitue une autre opportunité des économies les plus avancées de l’UE. C’est notamment
pour faire avancer la libéralisation des marchés des capitaux en réaction à la création du Marché Unique de l’intégration
et des IDE dans les nouveaux pays industrialisés d’Asie. Sous européenne que les Etats-Unis lancent leur initiative de
l’influence des Etats-Unis (et dans une moindre mesure de Free Trade Area of the Americas (FTAA) (une zone de
l’Europe), le FMI refuse un plan de sauvetage financier intra- libre-échange de l’Alaska à la Terre de Feu) et essayent
asiatique proposé par le Japon dont les multinationales étaient d’utiliser l’APEC pour renforcer la libéralisation des IDE et
très présentes dans la région. Le FMI impose son programme du commerce transpacifique. Parallèlement, le Japon renforce
de sauvetage qui est soumis à de nombreuses conditions de ses liens avec les économies de l’ASEAN, Taiwan et la Corée
libéralisation en termes d’accès aux marchés des capitaux et du Sud à travers la multiplication d’accords de partenariat
aux TRIMs. Cette intrusion est perçue dans de nombreux pays économique (Thaïlande, Malaisie, zone de libre-échange avec
asiatiques comme une violation de la souveraineté nationale. Singapour).

Mais début des années 2000, la position hégémonique des Ces accords régionaux de commerce Nord-Sud entre la
Etats-Unis au sein du système multilatéral se trouve fragilisée puissance économique régionale dominante et ses partenaires
par plusieurs éléments. Tout d’abord, le poids de l’économie commerciaux régionaux sont contestés par les grandes
américaine est relativement moins important par rapport à économies émergentes. La Chine rivalise avec le Japon et tente
celui des autres pays membres de l’OMC. Le PIB américain de négocier une zone de libre-échange avec l’ASEAN pour
devient moins important que celui de l’Europe alors que le 2010 et obtient quelques accords commerciaux bilatéraux
PIB combiné des nouveaux pays industrialisés d’Asie et du (Thaïlande, Myanmar). Lors des négociations du FTAA à
Japon atteint plus des deux tiers du PIB américain (le groupe Miami en 2003, le Brésil adopte une tactique de résistance
ASEAN+3 - Corée du Sud-Chine-Japon). passive qui empêche la réalisation d’avancées substantielles
de l’agenda nord-américain pendant que Brasilia essaye
A partir de 2001, la conjoncture macroéconomique mondiale d’étendre le MERCOSUR à d’autres pays d’Amérique Latine
devient plus favorable pour de nombreuses économies et de mettre en place une zone de libre-échange pour
émergentes avec la montée des prix des matières premières et l’Amérique Latine. Cette concurrence engendre à son tour
des produits agricoles qui permet à certains pays de dégager des des accords bilatéraux entre les Etats-Unis et plusieurs
surplus commerciaux et d’accumuler des réserves importantes économies d’Amérique centrale comme la conclusion du
en devises étrangères. La transformation de certaines de ces CAFTA-DR en 2004-2005 (une zone de libre-échange USA-
économies émergentes en plates-formes d’assemblage et de Amérique Centrale-République Dominicaine) ou encore avec
réexportation des multinationales vers les pays de l’OCDE la Colombie, le Pérou et l’Equateur.
améliore leur balance commerciale (surtout en Asie de
l’Est, mais pas en Amérique latine ou en Europe de l’Est). L’Europe elle-même continue à conclure des ARC avec des
Cette accumulation de réserves est vue par les gouvernements économies émergentes (Union douanière avec la Turquie en
des économies émergentes comme une nécessité pour contrer 1996, le partenariat Europe-Méditerranée lancé à Barcelone
les attaques spéculatives et leurs conséquences désastreuses en 1995, accord de libre-échange avec le Mexique, le Chili
comme lors de la crise asiatique de 1997, celles de la Russie et l’Afrique du Sud, négociations avec le Pacte Andin et

9
> ANATOMIE DES ACCORDS COMMERCIAUX BILATÉRAUX ET RÉGIONAUX

l’Amérique Centrale) et avec ses anciennes colonies-ACP. des ARC, ne tourne pas à l’avantage des PVD. Les pays les
Cette multiplication d’accords bilatéraux ou régionaux moins avancés sont souvent les laissés-pour-compte car ne
provient donc en partie du blocage actuel du système disposant pas d’avantages susceptibles d’attirer les flux d’IDE
multilatéral, blocage lui-même généré par l’érosion relative et participer à ces dynamiques microéconomiques centre-
de la position hégémonique américaine et par la conjoncture périphérie d’intégration nationale (manque d’infrastructure,
macroéconomique internationale relativement favorable de main d’œuvre qualifiée, configuration géographique non
à certaines économies émergentes leur permettant plus favorable comme l’absence d’accès à la mer ou territoire
facilement de contrer les exigences des économies les plus montagneux). L’Asie centrale, une partie du Moyen Orient
avancées. L’incertitude engendrée par ce blocage pousse les et la plus grande partie de l’Afrique se retrouvent dans ce
grandes puissances économiques régionales à multiplier les cas de figure, ne participant qu’à un nombre très restreint
accords bilatéraux afin de s’assurer des accès préférentiels d’ARC compris entre zéro et quatre contre plus de 30 pour
au plus grand nombre de marchés possible en cas d’échec l’Union Européenne. Ces pays se retrouvent exclus de la
des négociations multilatérales. Ces ARC sont également mondialisation et sont cantonnés dans la périphérie et la
utilisés de manière stratégique pour améliorer la position stagnation technologique.
des grandes économies ou pour fragiliser la position de leurs
adversaires en vidant leurs projets d’intégration régionale de La multiplication des ARC pour les économies de petite et
leur substance (comme les accords bilatéraux des Etats-Unis moyenne taille de la semi-périphérie est également problé-
et du Japon avec des petites économies de leur région pour matique. La position asymétrique entre les économies émer-
contrer respectivement le Brésil et la Chine). gentes de petite taille et leurs puissances économiques régio-
nales respectives (Etats-Unis, Japon, et Union Européenne)
La multiplication des ARC s’explique en grande partie par leur donne peu de levier dans les négociations bilatérales
cette concurrence entre puissances économiques régionales. initiées par ces dernières. Cette asymétrie et leur modèle de
Elle correspond également à une dynamique microéconomique développement basé principalement sur l’attraction des IDE
des entreprises multinationales qui a débuté au cours des les placent souvent dans une situation de race-to-the-bottom
années 60, mais qui a réellement explosé au cours des (nivellement par le bas) en termes de politique d’encadrement
années 90. Dès les années 60-70, certaines multinationales des IDE, de politique fiscale et de standards sociaux et envi-
ont commencé à délocaliser ou externaliser (outsourcing) ronnementaux.
les étapes de leur processus de production intensive en
travail vers les économies émergentes semi-industrialisées à De plus, de nombreux PVD manquent de personnel hautement
bas salaire (firmes américaines comme Texas Instrument à qualifié en matière de négociations commerciales et de droit du
Taiwan ou vers le Mexique avec la création des maquiladoras, commerce international. Certains pays n’ont pas les moyens
firmes japonaises vers la Corée du Sud et Taiwan et firmes d’entretenir une délégation permanente auprès de l’OMC.
européennes de l’Ouest vers l’Europe de l’Est). Mais La multiplication d’accords régionaux et bilatéraux sollicite de
l’ouverture aux IDE et au commerce, suite à la crise de la manière croissante les ressources limitées des PVD en termes
dette et au succès du modèle des NPI asiatiques au cours de main d’œuvre rompue à la négociation et disposant d’une
des années 1980-1995, a engendré une explosion d’IDE bonne connaissance des accords commerciaux internationaux.
des pays de l’OCDE vers les pays émergents, du fait de la Même une grande économie émergente bénéficiant d’une
réorganisation régionale entre le centre et la semi-périphérie croissance exceptionnelle comme la Chine s’inquiète de sa
du processus de production des multinationales. La plupart capacité à rivaliser avec le Japon dans la conclusion d’accords
des gouvernements des pays en voie de développement (PVD) bilatéraux avec ses partenaires régionaux, ce dernier disposant
espèrent que des ARC attireront des IDE capables de générer d’un personnel plus fourni et plus expérimenté dans cette
des exportations de produits manufacturés ou de services matière.
de façon à diversifier la structure de leurs exportations (en
réduisant la part des produits primaires) et à bénéficier de D’un système multilatéral peu formel dominé pendant des
transferts éventuels de technologie et de formation du capital décennies par les pays les plus avancés à son remplacement
humain local. par un système plus formel, mais bloqué et vidé d’une partie
de sa substance par des ARC, les PVD continuent de subir
Un blocage du système multilatéral qui ne une situation de dépendance technologique et d’asymétrie
fondamentale dans le système commercial mondial.
peut bénéficier à long terme aux PVD
Bien que les derniers cycles multilatéraux de négociations,
notamment celui de l’Uruguay, aient été largement dominés Jean-Christophe Defraigne,
Institut d’Etudes Européennes (FUSL-UCL).
par les exigences de libéralisation des Etats-Unis, soutenus
par l’Europe et le Japon, il serait bien téméraire d’affirmer que
le blocage actuel du système multilatéral puisse profiter aux 
PVD à moyen ou à long terme. Les tentatives de résistance
de grandes économies émergentes comme le Brésil ou l’Inde
sont en voie d’être contournées par des accords de partenariat
économique entre chaque grande puissance régionale et sa
semi-périphérie régionale.

L’alternative à ce blocage que constitue la multiplication

10
> ANATOMIE DES ACCORDS COMMERCIAUX BILATÉRAUX ET RÉGIONAUX

Intégration régionale et traités bilatéraux

L’intégration dans l’économie mondiale n’est pas un choix : de ces accords est venue des économies développées, qui
tous les pays y sont forcément intégrés, d’une façon ou d’une ont entrepris d’en signer un grand nombre avec des pays en
autre. Par contre, la modalité de cette intégration en est un. transition et en développement. Pour l’Union Européenne,
En ce qui concerne plus spécifiquement l’intégration les accords de Partenariat et Coopération avec les pays de
commerciale, les pays peuvent adhérer aux disciplines l’Europe de l’Est et avec ceux du bassin méditerranéen ont
multilatérales dans le sein de l’OMC (tout en participant, au des objectifs géopolitiques (la stabilité régionale) autant
moins formellement, à la définition de ces règles), suivre des qu’économiques. De même, des traités de libre-échange avec
politiques nationales (par exemple, en termes de tarifs aux de nombreux pays en voie de développement ont été signés
importations et d’appui aux exportations), ou encore signer ou sont en train d’être négociés.
des accords préférentiels avec différents partenaires. Le Les Etats-Unis ont eux aussi contribué fortement à ce
dernier Rapport sur le Commerce et le Développement de la processus. Face aux retards des négociations du cycle de
CNUCED1 analyse la place des accords régionaux de commerce Doha à l’OMC et aux résistances rencontrées par leur projet de
dans les stratégies économiques des pays en développement, « Zone de Libre Echange des Amériques », ils ont adopté une
ainsi que leurs conséquences pour le système commercial stratégie de « libéralisation compétitive » à travers ces traités
mondial. Sur les deux plans, ces accords introduisent des bilatéraux de libre-échange. D’après Robert Zoellick, alors
changements considérables. Tout d’abord, le nombre des responsable américain pour les négociations commerciales,
accords régionaux de commerce a littéralement explosé « nous n’allons pas accepter un veto contre la marche de
au cours des quinze dernières années : on décomptait une l’Amérique vers l’ouverture des marchés. Nous voulons
vingtaine d’accords déclarés à l’OMC vers 1990 ; ils étaient encourager les réformateurs qui veulent le libre-échange.
près de 160 début 2007. Ensuite, le caractère de ces accords Si d’autres ne veulent pas avancer, les Etats-Unis vont le faire
régionaux a sensiblement varié, jusqu’au point où le nom avec ceux qui le veulent »2. Ce faisant, les pays récalcitrants
même d’accords « régionaux » semble à présent inapproprié constateront qu’ils risquent d’être marginalisés, « alors que
(graphique 1). les Etats-Unis avancent vigoureusement avec des Accords de
Libre Echange autour du monde »3.
Les accords de libre-échange et le
« nouveau régionalisme » 1. UNCTAD/CNUCED, Trade and Development Report 2007, Nations Unies,
New York et Genève, 2007.
Traditionnellement, les accords de commerce réunissaient 2. Robert Zoellick, Unleashing the Trade Winds: a Building-block Ap-
proach. Disponible dans: usinfo.state/journal/itps/0803/ijpe/pj81zoellick.
un groupe de pays d’une même région et d’un niveau de htm, 8 janvier 2003.
développement comparable : des pays développés d’Europe 3. Remarques de Robert Zoellick dans: United States General Accounting
d’un côté, des pays en développement de l’Amérique Latine, Office, International trade: intensifying free trade negotiating agenda calls
for better allocation of staff and resources. Report Number GAO-04-233,
d’Afrique et d’Asie de l’autre. De plus, ces accords étaient en
10 février 2004. Disponible dans: www.gao.gov/htext/d04233.
général ambitieux quant au degré d’intégration économique
souhaité : il s’agissait d’instaurer des marchés communs,
ou tout au moins des unions douanières. Par contre, les Photo : Alexandre Seron
accords plus récents sont essentiellement des accords de
libre-échange, qui réduisent ou éliminent les barrières au
commerce sans établir une structure tarifaire commune
(comme dans les unions douanières) ni un espace unifié pour
les mouvements des travailleurs et des capitaux (comme dans
les marchés communs). Par ailleurs, la plupart des nouveaux
traités sont bilatéraux et engagent des pays ou des blocs
commerciaux de différentes régions du monde et dont le
niveau de développement est souvent très différent. Aussi,
le nouvel accord commercial « type » est un traité bilatéral de
libre-échange entre une économie développée et une économie
en développement.
Plusieurs facteurs ont contribué à cette évolution.
Les changements géopolitiques des années 90 ont joué un
rôle important. L’éclatement de l’URSS et de la Yougoslavie
ont donné naissance à de nouveaux pays qui ont cherché à
remplacer les liens économiques préexistants par des accords
commerciaux réciproques. Certains pays en développement,
tels le Chili, le Mexique et Singapour, ont pour leur part
multiplié les accords de libre-échange avec des partenaires
très divers. Mais l’impulsion principale à la multiplication

11
> ANATOMIE DES ACCORDS COMMERCIAUX BILATÉRAUX ET RÉGIONAUX

Enfin, le Japon a engagé des négociations de libre-échange Dans ces conditions, les pays en voie de développement doivent
avec plusieurs pays de la région Asie-Pacifique, réagissant renoncer à l’emploi de nombreux instruments de politique
à la concurrence accrue que représentent les accords que économique qui peuvent être essentiels à leurs stratégies
ces pays avaient signé ou étaient en train de négocier avec de développement, et dont les pays aujourd’hui développés
d’autres économies développées. En dehors de la région, il ne se sont pas privés par le passé. En échange, les pays en
a déjà conclu des accords commerciaux avec le Mexique et développement espèrent maintenir ou améliorer leur accès aux
le Chili. marchés des pays développés : certains cherchent à obtenir
des concessions qui ne sont pas agréées aux autres pays
Le « nouveau régionalisme » qui surgit de cette multiplication en développement, alors que d’autres acceptent ces accords
d’accords de libre-échange Nord-Sud introduit des changements pour ne pas perdre leur part de marché au profit d’autres
importants dans les rapports économiques internationaux. pays qui ont déjà conclu des accords de libre-échange avec le
En premier lieu, il s’agit de traités commerciaux réciproques même grand partenaire commercial. Cependant, les pays en
qui remplacent, dans plusieurs cas, des accords dans lesquels développement n’arrivent pas toujours à profiter pleinement
les pays en développement bénéficiaient d’un traitement pré- d’un meilleur accès à ce marché à cause de leurs limitations
férentiel. Aussi, avant de signer les accords bilatéraux de du côté de l’offre, des subventions aux secteurs « sensibles »
libre-échange avec les Etats-Unis, près des trois quarts des des pays développés et du fait que leurs entreprises ont
exportations des pays d’Amérique centrale et de la Républi- souvent du mal à remplir les règles d’origine. De plus, dans
que Dominicaine pouvaient déjà entrer dans le marché des la mesure où un nombre croissant de pays signent ces traités,
Etats-Unis sans payer des droits de douane, dans le cadre de les préférences obtenues tendront à s’estomper.
« l’Initiative pour le Bassin des Caraïbes ». C’est aussi le cas
des Accords de Partenariat Economique (APE) que l’Union En définitive, les accords « Nord-Sud » de libre-échange pla-
Européenne entend signer avec les pays d’Afrique, du Paci- cent les pays en développement face au dilemme « espace
fique et des Caraïbes (ACP) et qui devraient substituer les de politiques ou accès aux marchés ». Or, les bénéfices d’un
Accords de Lomé puis de Cotonou, qui leur accordaient des meilleur accès aux marchés ne sont pas garantis, alors que la
conditions préférentielles d’accès au marché européen, sans réduction de l’espace politique est certaine.
demander de réciprocité. Dans le cadre des nouveaux accords
de libre-échange, les pays en développement doivent éliminer Le renouveau d’une vieille alternative :
les barrières à « substantiellement » toutes les importations
en provenance dans leurs partenaires développés, ce qui re-
l’intégration régionale Sud-Sud
présente une ouverture beaucoup plus radicale que celle déjà
A l’origine (c’est-à-dire, dans les années 60 et 70), les
acceptée dans le cadre de l’OMC4. En échange, ils n’obtiennent
accords d’intégration régionale entre pays en développement
pas un accès sensiblement meilleur qu’auparavant, le seul
cherchaient à élargir les marchés pour leurs industries
avantage étant qu’ils cessent de dépendre du renouvellement
émergentes, en unifiant des espaces nationaux qui, séparément,
périodique du traitement préférentiel reçu.
étaient insuffisants pour développer la spécialisation et profiter
des économies d’échelle. De tels marchés élargis gardaient
En second lieu, les nouveaux traités de libre-échange comportent
une protection importante vis-à-vis du reste du monde.
de nombreuses clauses qui ne relèvent pas directement du
commerce des biens. En effet, les pays développés cherchent
Avec la réduction générale des tarifs douaniers, entamée
systématiquement à y inclure des normes très ambitieuses
dès les années 1980, les préférences garanties aux pays
sur la libéralisation du commerce des services, la protection
membres ont diminué et le bien fondé de l’intégration
de la propriété intellectuelle et des investissements étrangers,
régionale commerciale a été mis en cause (graphique 2).
l’accès aux achats des gouvernements pour les entreprises
Cependant, le commerce intra-régional reste important
étrangères et, plus généralement, leur accès aux marchés
dans de nombreux cas, tant du point de vue quantitatif que
internes dans des conditions non moins favorables que celles
qualitatif. Sur le plan quantitatif, on observe que le commerce
des producteurs locaux. A ces conditions, qui vont bien au-
intra-régional croît en général plus vite que le commerce
delà des normes déjà accordées dans le cadre de l’OMC, les
total. Par conséquent, la part du commerce intra-régional
Etats-Unis ont ajouté dans ses dernières négociations des
dans le commerce total augmente considérablement depuis
normes sur l’environnement et les relations du travail, que
la fin des années 19805 (graphique 3). Cet accroissement
les pays en développement ont rejetées dans le cadre de l’OMC
est remarquable dans la région de l’Asie de l’Est et du Sud-
en raison de leur possible utilisation comme barrières non
est, où l’expansion de l’industrie s’appuie sur un réseau
tarifaires. Dès lors, les pays développés sont en passe d’obtenir,
régional d’activités productives. La part du commerce intra-
à travers les accords bilatéraux, l’ensemble des demandes
régional a aussi augmenté en Amérique Latine et les Caraïbes
que les pays en développement ont jusqu’ici rejetées dans
jusqu’à représenter un quart du commerce total, si l’on exclut
les négociations multilatérales. Par contre, les sujets d’intérêt
le Mexique, dont l’essentiel du commerce se fait avec les
pour les pays en développement, tels les flux migratoires et
Etats-Unis. La part du commermce intra-régional s’est aussi
la suppression des subventions à l’agriculture, ne sont pas
agrandi en Afrique, bien qu’à des niveaux beaucoup plus bas.
abordés. Ceci résulte du poids très inégal des parties dans la
négociation : les Etats-Unis ne vont pas changer leur politique
agricole pour signer un accord de libre-échange avec un petit 4. Ce que représente le mot « substantiellement » est matière de débat :
pays de l’Amérique Centrale, alors que ce dernier va accepter dans les discussions sur les APE, cela devrait concerner 90% du commerce
total selon l’UE, sensiblement moins pour les pays ACP.
de changer sa législation sur de nombreux sujets non moins
5. Les régions sont définies ici du seul point de vue géographique, et non
importants pour signer un accord avec les Etats-Unis. pas par l’appartenance à un bloc commercial.

12
> ANATOMIE DES ACCORDS COMMERCIAUX BILATÉRAUX ET RÉGIONAUX

Dans cette région, ainsi qu’au Proche-Orient, le commerce traditionnel (exportations de produits primaires ou de
intra-régional est particulièrement faible parce que la manufacture intensives en main d’œuvre non qualifiée,
structure des exportations de ces pays (matières premières) importations de manufactures intensives en technologie),
ne correspond en général pas à leurs besoins d’importations le commerce intra-régional est plus équilibré. En particulier,
(manufactures). la part des manufactures est plus importante dans les
exportations, y compris des manufactures comportant des
Ces évolutions sont également visibles à l’intérieur des niveaux technologiques élevés ou moyens et employant une
divers accords régionaux Sud-Sud : le commerce intra- main d’œuvre qualifiée.
bloc peut atteindre des proportions significatives en
Asie et en Amérique Latine, où les parties ont une offre Pour les deux blocs Latino Américains (CAN et MERCOSUR) et
exportable diversifiée (graphique 4). La signature d’accords les deux blocs Africains (COMESA et UEMOA), la plus grande
d’intégration commerciale a aussi donné une impulsion à partie des exportations aux pays développés et au « reste du
ces flux commerciaux : c’est le cas, par exemple, du Marché monde » (i.e. des pays en voie de développement d’Asie) con-
Commun de l’Amérique Centrale en 1961 et du MERCOSUR siste en des matières premières : agricoles dans les cas du MER-
en 1991, ainsi que de l’approfondissement d’accords déjà COSUR et UEMOA, hydrocarbures pour la CAN et COMESA.
existants entre les pays de l’ASEAN (en 1992) et entre les Les exportations de manufactures dans ces marchés sont très
pays Andins (en 1988). On peut également apprécier que minoritaires, sauf dans les cas du MERCOSUR, où le Brésil
le marché régional est en général plus important pour les et l’Argentine disposent d’une base industrielle importante.
économies moins grandes. Par exemple, le commerce avec Par contre, une grande partie des exportations intra-bloc
leurs partenaires de bloc est plus important pour le Paraguay consistent en manufactures, avec un poids significatif pour
que pour le Brésil (dans MERCOSUR), pour le Mozambique les marchandises intensives en technologie et main d’œuvre
que pour l’Afrique du Sud (dans SADC), pour le Népal que qualifiée. Ce poids relativement élevé des manufactures se re-
pour l’Inde (dans SAARC). Ceci se traduit par un plus grand trouve aussi dans les exportations vers les autres pays de la
poids du commerce intra-régional mesuré en moyenne simple région (Amérique Latine pour MERCOSUR et CAN, Afrique
des parties que lorsqu’on prend le bloc dans son ensemble. pour COMESA et UEMOA). Cette relation entre la structure
Au-delà de son importance quantitative qui, comme on voit, du commerce et les partenaires commerciaux rend les choix
est très inégale selon les régions et les pays, le commerce d’intégration commerciale un facteur central dans la stratégie
intra-régional présente un intérêt de par sa composition. du développement. Une plus forte intégration régionale favo-
Alors que dans la plupart des régions en développement risera normalement le développement industriel et permettra
le commerce avec les pays développés reproduit le schéma d’avancer vers des stades plus intensifs en connaissances ;

Photo : Michel Dubois

13
> ANATOMIE DES ACCORDS COMMERCIAUX BILATÉRAUX ET RÉGIONAUX

si une intégration avec les pays développés est privilégiée, ce Conclusions


sont surtout les activités intensives en ressources naturelles
et en main d’œuvre non qualifiée (tels les ateliers d’assem- On assiste depuis plusieurs années au blocage des négociations
blage) qui seront favorisées. du Cycle de Doha de l’OMC, qui était censé privilégier l’agenda
des pays en voie développement dans la construction d’un
Cependant, les bénéfices potentiels du commerce intra- ordre commercial multilatéral. Les pays en développement se
régional ne sont pas garantis, surtout pour les pays les plus voient proposer des accords bilatéraux de libre-échange avec
petits ou les moins développés. En effet, si l’intégration des économies développées qui comportent, outre les clauses
commerciale n’est pas accompagnée de politiques actives habituelles d’accès aux marchés, de nombreuses autres
(industrielles et autres) visant à réduire les asymétries dans conditions qui limiteraient leur marge de manœuvre dans des
la région, les bénéfices de l’intégration peuvent ne pas être aspects essentiels pour leurs stratégies de développement.
distribués d’une façon équilibrée, les pays relativement Les accords régionaux Sud-Sud offrent un schéma alternatif
plus développés étant mieux placés pour tirer un plus grand d’insertion internationale, plus à même d’appuyer une stratégie
profit de ces processus d’intégration. Ce sont eux, en effet, de développement industriel, l’espace régional élargi offrant
qui disposent déjà d’une base industrielle plus diversifiée un marché aux industries plus intensives en technologie. La
et des instruments de politique économique plus puissants libéralisation commerciale entre les parties ne peut suffire à
pour appuyer leurs industries. Il n’est pas étonnant que ces une telle stratégie : la coopération régionale dans les domaines
pays soient en général excédentaires dans le commerce intra- financiers, industriels et des infrastructures sont essentiels à
régional. De leur côté, les déficits des pays les plus petits ou un développement soutenable et dont bénéficieraient toutes
les moins développés peuvent représenter une proportion les parties.
significative de leur PIB.
Ces options auront des conséquences durables sur la
Pour que l’intégration commerciale bénéficie à toutes les configuration du commerce international. La généralisation
parties et tende à réduire les inégalités à l’intérieur du bloc, elle des accords bilatéraux de libre-échange risquent de vider
doit aller au-delà de la libéralisation commerciale. Un aspect le système multilatéral de son essence, rendant la « clause
important concerne la coopération financière. Il existe déjà une de la nation la plus favorisée » l’exception plus que la règle.
vaste expérience en la matière: accords de compensation des De plus, les conditions de politique économique incluses dans
paiements pour réduire les coûts de transaction et les besoins ces accords vont vider de contenu les débats dans l’OMC, du
de devises à l’intérieur du bloc; banques de développement moment que de nombreux pays en développement auront
régionales et sous-régionales ; accords entre les banques cédé dans les négociations bilatérales ce qu’ils rejettent sur
centrales pour financer les déséquilibres de la balance des le plan multilatéral. Par contre, le renforcement des blocs
paiements ou stabiliser les taux de change ; mise en commun régionaux pourraient en faire des acteurs plus puissants
d’une partie des réserves internationales. De nouvelles dans les négociations multilatérales, et mieux défendre les
initiatives sur ce terrain se développent actuellement, y compris intérêts des pays du Sud. Aussi, même si toutes les parties
la création de fonds régionaux de convergence structurelle pour affirment que leur but ultime est la construction d’un système
appuyer les pays moins développés. D’autres domaines d’une commercial multilatéral, le résultat sera très différent si le
coopération régionale active comprennent la planification et chemin pour y arriver est ponctué d’accords bilatéraux Nord-
le financement de l’infrastructure des transports ; la gestion Sud ou du renforcement du régionalisme Sud-Sud.
régionale des projets d’investissements dans l’énergie et
l’eau ; et des projets régionaux de développement industriel Alfredo Calcagno,
et de recherche, qui peuvent être trop coûteux pour un pays Economiste à la Conférence des Nations unies sur le commerce
individuel mais deviennent viables en mettant des ressources et le développement (CNUCED).
en commun6.

6. Les politiques de coopération régionale dans le domaine financier
et celui des infrastructures sont examinées dans les chapitres 5 et 6,
Graphique 1 respectivement, du Rapport sur le Commerce et le Développement 2007
Nombre cumulé d’accords plurilatéraux et bilatéraux de commerce, de la CNUCED.
1960–2007

Source : Secrétariat de la CNUCED, sur la base de OMC,


Notifications to GATT/WTO, 2007.
a. Les données considèrent les accords notifiés au GATT/OMC.

14
> ANATOMIE DES ACCORDS COMMERCIAUX BILATÉRAUX ET RÉGIONAUX

Graphique 2 Graphique 3
Tarifs douaniers pondérés par le commerce dans des accords régionaux Part du commerce intra-régional dans le commerce total dans des régions
choisis (En pourcentages) en développement, 1970–2006 (en pourcentages)

Source : Calculs du Secrétariat de la CNUCED, sur la base de CNUCED,


TRAINS database; UNCTAD, 1994, and 2007a.
Note : Du fait des données incomplètes, les tarifs correspondants à la
nation la plus favorisée (NPF) pour COMESA sont estimés sur la base des
tarifs du Burundi, la République Démocratique du Congo, Ethiopie, Kenya,
Madagascar, Malawi, Maurice et Soudan; les tarifs NPF ne sont donc pas
entièrement comparables aux tarifs intra-régionaux appliquées.
Source : Estimations du Secrétariat de la CNUCED, sur la base de: FMI,
Les tarifs NPF pour la période 1984-1987 dans le SACU correspondent en base de données de la Direction of Trade et de la base de données du
fait à l’année 1988. Manuel de Statistiques de la CNUCED.

Graphique 4
Part du commerce intra-régional dans le commerce total: blocs régionaux
sélectionnés (Total du bloc et moyenne non pondérée des pays individuels,
en pourcentages)

Source : Estimations du Secrétariat de la CNUCED, sur la base de: FMI,


base de données de la Direction of Trade et de la base de données du
Manuel de Statistiques de la CNUCED.

15
> ANATOMIE DES ACCORDS COMMERCIAUX BILATÉRAUX ET RÉGIONAUX

L’approche européenne des négociations


commerciales bilatérales
Bien que l’Union européenne (UE)) clame que les négociations du commerce, la protection de la propriété intellectuelle etc.
multilatérales sont sa priorité, l’UE détient le record mondial et qu’en parallèle, les parties prenantes de l’accord bilatéral
des accords commerciaux bilatéraux ! L’UE y a recours pour de doivent s’ouvrir suffisamment aux autres membres de l’OMC.
nombreuses raisons : d’abord elle voit dans ce type d’accords Pour l’UE, les accords bilatéraux sont une combinaison
des étapes vers une libéralisation globale ; ensuite elle est d’intégration et d’ouverture et participent à la globalisation
attachée à des accords bilatéraux ambitieux afin de donner plutôt que la freine. L’UE a donné l’exemple en appliquant
le ton ! Les accords bilatéraux européens couvrent presque ces principes aux accords bilatéraux avec ses pays voisins, en
toute l’Europe, le Moyen-Orient, l’Afrique, le Pacifique et même temps qu’elle plaidait à l’OMC pour des règles fortes,
l’Amérique Latine. Seule l’Asie est restée pendant longtemps mais flexibles sur les bilatéraux.
hors de cette tendance, mais cela est en train de changer
depuis que l’UE a lancé un nouveau programme avec les pays Accords bilatéraux comme instruments
« émergents » de l’Asie. Toutefois, l’UE préfère les accords bi-
régionaux aux accords bilatéraux, en encourageant les pays à
économiques et politiques
imiter son propre processus d’intégration régionale.
L’UE a utilisé et utilise les accords bilatéraux comme des
Par ailleurs, l’UE négocie aussi des coopérations politiques plus
instruments économiques et politiques. Les Etats membres de
larges ou des accords d’association, qui sont des préalables à
l’UE ont d’abord utilisé la technique des accords commerciaux
des accords commerciaux. Mais l’Union reste pragmatique et
bilatéraux pour construire l’UE et l’élargir. En effet, l’UE est
flexible… si ses intérêts le requièrent. Enfin, l’UE a lancé une
une union douanière et chaque candidat accède à l’Union
nouvelle stratégie commerciale ambitieuse « Global Europe »
par le biais d’accords bilatéraux. Ensuite, l’EU a développé
en octobre 2006 qui cible les marchés extérieurs des pays
sa sphère économique et a cherché une stabilité politique à
émergents à conquérir, mais aussi le marché européen à
ses frontières en signant des accords bilatéraux avec ses pays
adapter.
voisins nouvellement indépendants pour lier leur économie
avec celle de l’Union. Enfin, l’UE a signé des accords bilatéraux
Approche générale : approfondir avec presque tous les pays de l’Afrique du Nord, du Moyen-
l’intégration et ouvrir le régionalisme Orient, avec l’espoir non seulement d’accueillir ces pays au
sein d’une zone de libre-échange UE-Méditérranée, mais
Bien que l’UE se présente comme la championne du aussi de pacifier les relations Israël-Pays arabes sur base de
multilatéralisme, elle détient en fait le record mondial relations économiques. Mais l’UE n’a pas perdu de vue ses
du bilatérisme : plus ou moins 25 accords commerciaux intérêts économiques plus loin : l’UE a réagi rapidement à
bilatéraux à ce jour, mais 35 accords si on compte les accords l’établissement de l’Accord de Libre Echange Nord-Américain
en négociations. Dans le débat sans fin du bilatéralisme (ou NAFTA) en signant des accords avec le Mexique et le
versus le multilatéralisme dans les relations commerciales, Chili, et a rapidement établi un « deal » avec l’Afrique du
l’UE a toujours clamé qu’elle priorise le niveau multilatéral, en Sud. A noter : en faisant de la sorte l’UE a abandonné le
poussant ses intérêts offensifs à l’OMC via le cycle de Doha. « régionalisme » dans son voisinage proche pour des accords
Au début du cycle de Doha, le Commissaire au commerce bilatéraux longue distance, démontrant qu’elle recourt
- d’alors - Pascal Lamy a même déclaré un moratoire aussi à des accords bilatéraux pour établir par compétition,
sur le lancement de nouvelles négociations bilatérales. notamment avec les Etats-Unis.
A ce moment, faut-il le rappeler, l’UE avait en cours les
négociations à l’OMC d’une part et d’autre part celles avec L’approche préférée de l’UE est aussi la recherché d’accords
le Mercosur, les pays du Golfe et les 79 pays ACP1. Mais ce bi-régionaux, plutôt que bilatéraux, en essayant de faire
moratoire est récemment venu à échéance. Mais pendant d’une pierre deux coups: encourager les pays à renforcer
que l’UE favorise ostensiblement le niveau multilatéral, leur intégration régionale économique selon le propre
elle a en même temps toujours défendu le niveau bilatéral, modèle européen, et ouvrir leurs marchés plus largement
arguant que les accords bilatéraux puissent participer d’une aux exportations européennes. Ainsi, l’UE négocie avec
libéralisation commerciale globale aussi longtemps qu’ils les pays du Golfe, le Mercosur, et les six sous-régions ACP
visent un « régionalisme ouvert ». Ces accords bilatéraux et prépare des négociations avec l’Amérique Centrale, la
peuvent en effet fondre deux pays ou plus dans des entités Communauté andine et l’ASEAN. L’UE encourage aussi les
commerciales plus grandes, et par voie de conséquence pays méditerranéens à signer des accords bilatéraux entre
contribuer à réduire le nombre de frontières dans le monde. eux de sorte qu’ils formeront progressivement une région
Aussi au lieu d’établir des relations commerciales privilégiées (UE-)méditerranéenne. Toutefois, à ce stade toutes ces
entre des pays à l’exclusion d’autres, les accords bilatéraux négociations bi-régionales n’ont pas connu beaucoup de
constituent des étapes vers une libéralisation globale, dès lors succès : aucune d’entre elles n’est encore conclue.
que tout accord bilatéral approfondit l’intégration des parties 1. Les 79 anciennes colonies d’Afrique, Caraïbes, et Pacifique avec les-
prenantes à une ouverture intermédiaire sur des sujets quelles l’UE a maintenu des relations privilégiées. Cette relation s’est for-
comme le niveau d’accès au marché pour les biens et les malisée dans une série d’accord de coopération qui en place depuis 1975,
ont été appelés les accords de Lomé et qui ont été remplacés en 2000 par le
services, l’investissement, les marchés publics, la facilitation soi-disant accord de Cotonou.

16
> ANATOMIE DES ACCORDS COMMERCIAUX BILATÉRAUX ET RÉGIONAUX

Par ailleurs, il faut questionner la sincérité de l’UE quant Etonnant !? Pourquoi ? L’UE craignait–elle la compétitivité
à son engagement pour l’intégration régionale. Dans les asiatique ? Peut-être, mais cela a changé : l’UE vient de lancer
cas de l’Amérique Centrale et de la Communauté Andine, des négociations avec l’ASEAN, la Corée, l’Inde…
la Commission européenne a longtemps considéré que leur
intégration régionale n’était pas suffisamment avancée pour Accords d’association et abandon d’une
lancer les négociations avec l’UE. Un mécanisme d’évaluation
des avancements a d’ailleurs été mis en place. Pourtant, en
approche graduelle
2007 l’UE a lancé les négociations, malgré une intégration
très imparfaite. Dans le cas des négociations APE avec les L’UE combine souvent des traits commerciaux avec des
pays ACP, l’UE a considéré que les accords de libre-échange accords d’associations. Ces accords établissent des principes
contribueraient à l’intégration régionale des pays en question. et objectifs de relations plus larges en termes politiques et
Dans le cas de l’ASEAN, l’EU préfère négocier avec sept des de coopération avec les partenaires européens. Les accords
dix pays qui constituent la région, parce que les trois pays d’association contiennent des éléments liés aux droits de
les moins avancés de la région préféreraient ne pas être l’homme, à la démocratie, à la participation de la société civile,
inclus. Alors que dans le cas des APE, l’UE plaide pour une au développement durable, aux consultation et coopération
approche régionale pour inclure les pays les moins avancés. politiques, et à la coopération au développement. Ces accords
En bref, ces nombreuses contradictions donnent l’impression créent aussi des mécanismes et des institutions pour des
d’une approche opportuniste, plutôt que rationnelle. Le consultations régulières entre les partenaires, comme des
changement soudain du cours des négociations APE en comités, des conseils de ministres ou des assemblées
automne 2007, à savoir de négocier des accords intérimaires parlementaires conjoints. Les accords d’association ont un
sur les biens avec chacun des ACP séparément - ce qui a chapitre sur la coopération économique et le commerce, qui
d’ailleurs créé des tensions dans les pays ACP -, renforce cette contient un inventaire des sujets commerciaux à négocier.
analyse. Les accords d’association stipulent qu’un conseil des ministres
conjoint peut décider à tout moment de commencer des
négociations sur les matières commerciales. Toutefois, dans
Le commerce bilatérale comme nouveau les années 90’, seul un accord sur le commerce des biens a été
paradigme de développement de l’UE directement ajouté à l’accord d’association, négocié et signé
avec l’accord d’association. Dans le cas de l’accord EuroMed
L’UE prétend utiliser les accords bilatéraux (birégionaux)
signé dans les années 90’, les négociations sur les services,
comme des « instruments pour le développement », ce qui
investissements et agriculture ne figuraient pas tels quels,
serait le cas pour les Accords de Partenariat Economique
mais étaient prévus pour plus tard (elles n’ont commencé
(APE) qu’elle négocie avec les pays ACP. Ces APE donneraient
qu’en mars 2006).
aux pays ACP la possibilité de continuer à avoir un accès
privilégié au marché européen, selon un canal compatible
avec l’OMC. En même temps, ces accords les aideraient à Photo : Michel Dubois
développer leur intégration régionale : il s’agirait en fait de
six APE bi-régionaux (UE-Caraïbes, UE-Afrique de l’Ouest,
UE, Afrique de l’Est, UE, Afrique centrale, UE Afrique du Sud,
UE-Pacifique). Les APE tendent aussi à vouloir améliorer le
climat d’investissements dans les régions ACP et attirer de
nouveaux investisseurs qui apporteraient du développement
économique. Cependant, les pays ACP (dont la plupart sont des
PMA) n’ont jamais été très enthousiastes quant à cette recette
magique, mais trouvent difficile de résister à ces « instruments
de développement » qui pour rappel proviennent de leur
principal donateur et partenaire commercial. L’UE clame aussi
qu’elle n’a pas d’intérêts offensifs dans ses négociations APE
avec les pays ACP, parce que les exportations européennes
vers ces 79 pays représentent moins de 3 % des exportations
totales européennes. Mais peut-être la clé est-elle ailleurs ?
ce faisant, les 79 pays rejoindraient l’approche européenne
de libéralisation et ouverture au commerce comme outil de
développement.

Le monde entier en poche ? Sauf l’Asie


En fait, avec le récent lancement des négociations avec
l’Amérique Centrale, la région andine, l’UE couvre toute
l’Amérique Latine (Centrale, Andes, Caraïbes, Mercosur,
Mexique, Chili), toute l’Afrique (EuroMéditerranée, 4 APE et
EU-Afrique du Sud), presque toute l’Europe, une très large
partie du Moyen-Orient (Golfe et Euromed) et du Pacifique
(APE), la seule région non couverte par l’Europe est l’Asie.

17
> ANATOMIE DES ACCORDS COMMERCIAUX BILATÉRAUX ET RÉGIONAUX

L’accord UE-Mexique signé en 2000 prévoyait aussi la Global Europe : le nouveau programme
négociation sur les services et investissements pour une date
ultérieure. Seul l’accord UE-Chili, signé en 2002, contient
ambitieux des négociations bilatérales de
tout à la fois: association, biens, services, investissements, l’UE
propriété intellectuelle etc. Depuis lors c’est d’ailleurs l’exemple
que suit l’UE dans les autres négociations en cours, comme Le 4 octobre 2006, la Commission européenne a publié la
avec le Mercosur, les pays du Golfe et les pays ACP. Depuis communication « Global Europe : competing in the world ».
l’accord UE-Chili, l’approche graduelle est donc abandonnée! Dans cette communication, la Commission présente sa
Toutefois, depuis la nouvelle stratégie commerciale de l’UE de stratégie commerciale pour les années à venir. Au cœur de
2006, la Commission veut conduire son ambition plus loin… cette nouvelle approche, on retrouve l’idée suivante: pour
que l’UE maintienne sa compétitivité sur le marché mondial,
Accords de coopération commerciale elle devra redoubler d’efforts pour créer des opportunités
pour ses entreprises à l’étranger, en ciblant spécifiquement
Il est en fait un bien plus grande diversité d’accords com- l’environnement régulatoire général dans les pays tiers.
merciaux de l’UE que les seuls accords multilatéraux ou Mais pour construire des entreprises fortes, l’UE devra aussi
bilatéraux. Outre les accords commerciaux ou d’associa- créer un environnement plus « business friendly » sur son
tion de différents types (avec ou sans services, investisse- territoire. Briser l’environnement régulatoire semble donc la
ments…), l’UE négocie aussi des accords de coopération clé de voûte pour accroître la compétitivité extérieure de l’UE.
commerciale. Ces accords peuvent comprendre tout ce qui
Qu’attendre ? plus de compétition, plus de flexibilisation, plus
ne doit pas suivre le régime de l’OMC ou la clause de la na-
de dérégulation dans le monde… et en Europe. Par ailleurs,
tion la plus favorisée, à savoir tout ce pour quoi un accord
dans le cadre de son programme de compétitivité extérieure,
de l’OMC n’existe pas encore : investissements, compétition,
protection de données, facilitation du commerce, reconnais- l’UE regarde au-delà des négociations à l’OMC : certes la
sance mutuelle, marchés publics; ou tout ce qui assure une Commission cherche à conclure avec succès le cycle de Doha,
couverture meilleure de l’OMC : droit de propriété intellec- mais se prépare à de nouveaux accords bilatéraux et à des
tuelle, pratiques anti-dumping, etc. En d’autres mots ces réformes domestiques… marqués du sceau de l’ambition !
accords de coopération commerciale visent essentiellement Ces nouvelles négociations bilatérales ciblent particulièrement
l’environnement régulatoire et la conformité avec l’OMC. les pays émergents : l’UE veut redoubler d’efforts pour
Si l’UE n’a pas d’accords bilatéraux d’accès au marché pour « profiter des opportunités offertes par la forte croissance
les biens et services avec l’Asie, elle a cependant de nom- des marches émergents ». Les priorités commerciales pour le
breux accords de coopération commerciale avec les pays asia- future sont : les barrières non-tariffaires pour les exportations
tiques qui facilitent le commerce entre les deux signataires. européennes et les investissements, un meilleur accès aux
Ces accords de coopération peuvent être en fait vus comme
matières premières, un renforcement de la présence des
des précurseurs d’accords de libre-échange ouvrant la voie
entreprises européennes via un établissement permanent
asiatique aux entreprises européennes et préparant le terrain
pour plus d’ouverture de marché conformément aux règles ce qui signifie plus de libéralisation des investissements,
de l’OMC. L’UE a aussi développé ce type d’accords avec les l’ouverture des marchés publics, le renforcement des droits
Etats-Unis, le Canada et d’autres pays de l’OCDE. de propriété intellectuelle et des indications géographiques.
Pour identifier et sélectionner les pays cibles de ces nouveaux
accords, l’UE s’est fixé les critères principaux suivants :
Accords bilatéraux d’investissements potentialité de marché (taille du marché et perspectives de
En ce qui concerne les investissements, l’UE a une approche croissance), niveau de protection contre les intérêts des
différente en raison de la répartition interne des compétences exportations européennes, nombre d’accords bilatéraux que
entre la Commission et les Etats Membres. Les Etats Membres les pays ont déjà avec d’autres (en établissant des relations
ont toujours négocié les accords bilatéraux d’investissements. privilégiées excluant l’UE), accès aux ressources, équilibre
Ces accords concernent la promotion et la protection des entre les intérêts offensifs et défensifs… En bref le ton est
investissements. Certains Etats européens négociaient ces donné : les nouveaux accords bilatéraux seront plus ambitieux
accords très durement, notamment en termes de règlement que jamais au regard des intérêts de l’UE.
des différends. Par exemple, les Pays-Bas excellent dans le
domaine. Mais ces accords d’investissements ne contiennent Marc Maes,
pas en général de provisions pour les investisseurs, aspect Chargé des questions commerciales, 11.11.11 Vlanderen
laissé à la discrétion de la Commission. Ainsi la Commission
européenne, dans le cadre de ses accords bilatéraux, fait 
toujours référence au cadre de l’Etat Membre pour la partie
relative à la protection de l’investissement, mais négocie
elle-même l’accès au marché des investissements. En
2006, la Commission a dessiné un modèle à utiliser dans
les accords bilatéraux. Ce modèle concerne les services, les
investissements et l’e-commerce, et poursuit une approche
« bottom-up ». Cela signifie que mis à part les principes et
modalités généraux – qui proviennent des papiers de référence
des négociations de l’OMC – la plupart de la substance est
à lire dans les annexes sectorielles qui pointent quel accès
au marché et quel traitement national les investisseurs et les
fournisseurs de services recevront.

18
Photo : Alexandre Seron

PARTIE 2/ LE CAS DES ACCORDS DE PARTENARIAT ÉCONOMIQUE (APE) ENTRE


L’UNION EUROPÉENNE ET LES PAYS ACP (AFRIQUE, CARAÏBES, PACIFIQUE)

15
19
> LE CAS DES APE ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LES PAYS ACP

Les Accords de Partenariat Economique dans le


cadre légal international
Les Accords de Partenariat Économique (APE), qui font le développement sociétal, culturel et économique dans les
actuellement l’objet de négociations entre l’Union européenne pays partenaires. Les accords d’association les plus connus
(UE) et différents groupes régionaux appartenant à l’ensemble sont ceux qui lient l’UE aux pays ACP. Le dernier avatar de
Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP), ont suscité de nombreux cet accord d’association est « l’Accord de Partenariat entre les
débats et critiques. Ces négociations APE sont promues dans membres du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du
le cadre de l’Accord de Cotonou, que l’UE considère comme Pacifique (ACP) d’une part, et la Communauté européenne et
son nouvel instrument de coopération au développement ses États membres d’autre part », signé à Cotonou le 23 juin
avec les pays ACP. Ce groupe de pays entretient une relation 2000. C’est dans le cadre de cet Accord de Cotonou que les
unique avec la Communauté européenne, principalement pour APE sont actuellement négociés.
des raisons historiques. Selon cette dernière, ce nouvel accord
de partenariat devrait à la fois conduire à une réduction de Accords sur les matières premières
la pauvreté et à l’intégration de ces pays dans l’économie
mondiale. Il reste néanmoins à voir si cet accord remplira les Les accords d’association ne constituent cependant pour
promesses sur lesquelles il fonde sa légitimité. l’UE qu’un instrument parmi d’autres pour conduire la
coopération au développement. Elle a adopté plusieurs
La refonte majeure de la coopération européenne – qui s’est mesures dans le cadre de la politique commerciale commune
matérialisée à travers le nouvel accord – n’a pas seulement qui appuient le développement économique et social des pays
été induite par la croyance que les anciens modèles avaient en développement. Dans cette perspective, l’UE a conclu
échoué, mais constitue également une réponse à diverses des accords multilatéraux relatifs aux matières premières.
tensions politiques et légales rencontrées avec des pays non Ces accords devraient protéger les pays en développement
ACP. Afin de prendre en compte les craintes exprimées par contre de trop fortes fluctuations des prix mondiaux de
les pays ACP ainsi que les pays en développement non ACP certaines matières premières (bois, cacao, bananes, sucre …).
concernant sa nouvelle approche en matière de coopération au Les économies des pays en développement sont en effet
développement, l’UE a introduit d’importantes nouveautés. souvent très dépendantes des exportations de matières
premières, à tel point que des chutes dramatiques de prix
Cette contribution n’a pas pour objectif d’aborder en profondeur peuvent les frapper durement.
tous les nouveaux aspects de l’Accord de Cotonou. Elle se
concentre sur les négociations APE et vise à replacer les APE Système de Préférences Généralisées (SPG)
dans le contexte légal international. Dans la première section, Le Système de Préférences Généralisées de l’UE est un autre
nous nous concentrerons sur les différents instruments de instrument important pour stimuler le développement des
coopération au développement de l’UE. Ensuite, nous nous pays tiers. Ce mécanisme – imaginé à l’origine par la CNUCED
pencherons sur les raisons concrètes qui ont contraint l’UE – vise à ce que les nations industrialisées offrent des avantages
a adopter une nouvelle approche en matière de coopération commerciaux (par exemple des réductions de barrières
au développement. Enfin, nous nous focaliserons sur certains tarifaires) exclusifs aux pays en développement, de telle sorte
aspects des APE, en portant une attention particulière à l’APE que les exportions de ces derniers bénéficient d’un avantage
conclu avec le groupe de pays des Caraïbes (Cariforum). compétitif favorable pour leur développement économique.
Néanmoins, ce système généralisé entre en conflit avec l’un
Les instruments de coopération au des principes fondamentaux de l’Accord général sur les tarifs
développement de l’UE douaniers et le commerce (le GATT, qui constitue aujourd’hui
un des accords de l’Organisation mondiale du Commerce) : la
Accords d’Association Clause de la nation la plus favorisée. Ce principe contraint tout
membre de l’OMC qui accorde un avantage commercial à un
La coopération au développement fait partie intégrante autre pays de l’étendre immédiatement aux autres membres
des compétences de la Communauté européenne depuis sa de cette organisation internationale. Autrement dit, il n’est
création. La partie quatre du traité instituant la Communauté pas admis de pratiquer une discrimination entre les différents
européenne (TCE) a constitué tout particulièrement la base des membres de l’OMC. Or, c’est exactement ce que le Système
relations commerciales avec les colonies des États membres. de Préférences Généralisées propose : les pays industrialisés
Elle forme d’ailleurs encore le cadre pour les associations octroient des avantages aux pays en développement qui ne
avec des territoires qui sont sous la souveraineté d’un État sont pas étendus aux autres pays.
membre de l’UE, mais qui ne constituent pas un membre à
part entière de la Communauté. Depuis l’indépendance des Par conséquent, ce système ne peut être mis en œuvre
colonies, les dispositions de cette partie quatre du TCE n’ont sans qu’une exception au principe de la Nation la plus
qu’une importance mineure. L’UE a conclu à la place plusieurs favorisée ne soit établie. C’est précisément ce qu’ont
accords d’association avec la plupart de ces anciennes convenu les parties contractantes du GATT en juin 1971, qui
colonies. Ces accords impliquent des droits réciproques et approuvèrent une dérogation waiver autorisant l’institution
des obligations, une action commune et des procédures d’un traitement préférentiel pour les pays en développement.
spéciales. Ils constituent un outil important pour promouvoir Cette exception, devant s’appliquer à l’origine pendant

20
> LE CAS DES APE ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LES PAYS ACP

dix ans, est devenue permanente depuis la décision du 28 de coopération. En effet, la promotion d’accords commerciaux
novembre 1979 relatif au Traitement spécial et différencié, réciproques avec des blocs régionaux étant la voie la plus
appelé également « Clause d’habilitation » (enabling clause). directe pour accéder à ces nouveaux marchés, l’UE se devait
Cette clause constitue encore la base juridique pour les d’abandonner le système de préférences réciproques incarné
préférences tarifaires actuelles. Chaque pays peut donc par les Conventions de Lomé successives.
adopter son propre Système de Préférences Généralisées, bien
que les SPG de l’UE, des USA et du Canada diffèrent. Enfin, un troisième facteur explicatif concerne l’échec apparent
du modèle de développement promu par les Conventions de
Une nouvelle approche européenne de la Lomé. Ces dernières avaient placé les avantages commerciaux
et l’assistance économique au centre de la coopération avec
coopération au développement les pays ACP. Néanmoins, les résultats de ces politiques
L’accord de Cotonou est l’ultime étape de l’ensemble des préférentielles ont été décevants. La part des importations
accords de coopération qui ont lié l’UE et le groupe des des pays tiers vers l’UE est en effet passée de 8% en 1980
États ACP. Le premier de la série des accords fut conclu le à 3% en 2001 et 2,8% en 2003. L’assistance économique
20 juillet 1963 à Yaoundé (Cameroun) pour une période de au moyen de prêts et dons a augmenté quant à elle de 3
cinq ans. Cet accord jeta les bases d’un régime commercial milliards d’euros sous Lomé I à 12,9 milliards d’euros sous
prévoyant des préférences réciproques entre les deux parties. Lomé IV-bis. Pourtant, 40 des 63 pays classés en 2000 par la
A partir de la première convention de Lomé datant du 28 Banque mondiale comme « à faible revenu » étaient des pays
février 1975, les accords furent basés sur des préférences ACP. Une fatigue des donateurs s’est donc progressivement
commerciales non-réciproques accordées aux pays ACP par installée au sein de la Communauté européenne. Elle s’est
l’UE, conjointement à de l’aide financière. Trois accords de aggravée avec les nouvelles indépendances des pays d’Europe
coopération successifs – conclus également à Lomé – suivirent. centrale et orientale à la fin de la guerre froide. En effet, afin
Ils inclurent à chaque reprise un nombre plus important de de préparer l’accession d’un certain nombre d’entre eux à
pays ACP, dans la mesure où l’élargissement progressif de l’Union européenne, l’UE a concentré une part importante
la Communauté européenne relia à chaque fois plus d’ex- de ressources vers ces pays. Cela a dès lors eu pour effet de
colonies à cette dernière. La nécessité de négocier un nouvel mettre les pays ACP en concurrence avec les pays de l’est de
accord fut ressentie au moment où l’Accord de Lomé IV bis l’Europe pour obtenir l’attention et les ressources de l’UE.
était sur le point d’expirer. La Commission européenne avait
d’ailleurs déjà envisagé dans son Livre vert du 20 novembre Photo : Alexandre Seron
1996 la nécessité d’une refonte en profondeur de la politique
de coopération, dans la mesure où celle-ci n’avait pas produit
les effets attendus.

Raisons expliquant l’avènement du nouvel Accord


d’association

Un certain nombre de facteurs ont déterminé la nature de la


nouvelle coopération UE-ACP. Le premier concerne l’ensemble
des décisions prises par l’organe de règlement des différends
de l’OMC dans le cadre de l’affaire dite « Bananes III ». Lors de
ce contentieux, les USA et plusieurs pays d’Amérique latine
ont contesté le régime européen qui accordait un traitement
préférentiel aux importations de bananes provenant des pays
ACP, conformément au protocole inclu dans la Convention
de Lomé de 1993. Cependant, la clause de la nation la plus
favorisée n’autorisait pas de discrimination en faveur des
pays ACP. Les pays non ACP membres de l’OMC ont invoqué
ce principe pour réclamer les mêmes avantages que ceux
octroyés aux ACP. Un panel de l’Organe de règlement des
différends de l’OMC conclut en effet le 22 avril 1997 que
ce système était incompatible avec les Accords de l’OMC.
Bien que contrainte de réformer ce régime pour le conformer
aux règles de l’OMC, l’UE parvint à convaincre les membres
de cette organisation d’adopter une dérogation temporaire
au GATT, dont la date d’expiration – initialement prévue
pour février 2000 – fut prolongée jusqu’au 1er janvier 2008.
La nécessité de réformer la coopération commerciale avec les
pays ACP n’en demeurait pas moins urgente.

La nécessité d’accéder aux marchés émergents d’Asie et


d’Amérique latine constitue un deuxième facteur ayant poussé
l’UE a opérer un changement de paradigme dans sa politique

21
> LE CAS DES APE ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LES PAYS ACP

Les innovations de l’Accord de Cotonou ils ne doivent pas être supérieurs à la moyenne des tarifs
antérieurs ;
Les facteurs exposés ci-dessus ont donc entraîné la conclusion c) une période de transition est possible pour la mise en
d’un nouvel accord de coopération en 2000 qui se distingue œuvre d’un accord régional, mais sa durée ne doit pas être
par rapport aux Conventions précédentes sur de nombreux excessive.
points. La première différence a trait à la nature même de
l’Accord de Cotonou. Ce dernier est en effet un accord cadre Ces accords intérimaires comprennent un plan permettant
qui établit les objectifs et principes pour un partenariat ACP- le maintien d’un certain nombre d’aspects qui ne sont pas
UE. La réforme la plus importante dans l’Accord de Cotonou totalement compatibles avec les règles de l’OMC, mais qui
concerne la nouvelle coopération commerciale entre les deux devront s’y conformer totalement à la fin de la mise en oeuvre
parties. La coopération économique et commerciale a pour but du plan. De nombreux ACR envisagent généralement un tel
de promouvoir « une intégration progressive et harmonieuse accord intérimaire qui accorde aux pays concernés un laps de
des États ACP dans l’économie mondiale, dans le respect de temps suffisant pour ajuster leurs régimes commerciaux. Le
leurs choix politiques et de leurs priorités de développement, GATT précise cependant que la période intérimaire ne peut
encourageant ainsi leur développement durable et contribuant excéder dix ans, à moins qu’une justification soit donnée pour
l’éradication de la pauvreté dans les pays ACP ». L’Accord de obtenir un délai supplémentaire. En fait, il est généralement
Cotonou note également que « la coopération devra être mise accepté qu’une telle période puisse s’étaler sur quinze ans
en oeuvre en parfaite conformité avec les règles de l’OMC, y pour les pays en développement.
compris un traitement spécial et différencié tenant compte L’article XXIV du GATT n’inclut pas de dispositions portant
des intérêts mutuels des parties et de leurs niveaux respectifs sur la question de la flexibilité dans les accords Nord-Sud tels
de développement ». que les APE. Aucune référence n’est faite en effet à l’égard
des pays en développement dans cet article. Cela découle
Rendre la coopération commerciale compatible avec du fait que l’article XXIV du GATT a été conclu en 1947, à
l’OMC une époque où les préoccupations liées au développement
n’étaient pas aussi prédominantes qu’aujourd’hui.
La tâche principale de l’UE a consisté essentiellement à Dans le cas où un ACR couvre également le commerce des
développer un système de coopération commerciale pouvant services, l’exception inclue dans l’Article V de l’Accord
concilier à la fois l’octroi d’avantages à des pays ACP et le général sur le commerce des services (AGCS, un autre Accord
respect des accords de l’OMC. de l’OMC, conjointement au GATT) est d’application. L’Article
Comme cela a déjà été indiqué plus haut, l’UE disposait déjà V de l’AGCS pose des conditions similaires à l’article XXIV
d’un système plus général de préférences commerciales sous du GATT. Tout d’abord, concernant les secteurs de services
l’appellation de Système de Préférences Généralisées (SPG). couverts par l’accord régional, toutes les discriminations
Ce SPG a été rendu possible grâce à l’adoption de la « Clause doivent être éliminées de façon substantielle entre les
d’habilitation » à l’OMC, qui reconnaît une exception au différentes parties. En outre, aucune discrimination nouvelle
principe de la nation la plus favorisée. Pourquoi cependant ou supplémentaire ne peut être introduite. Néanmoins,
une telle clause n’est-elle pas en mesure d’autoriser l’UE à contrairement aux dispositions contenues dans l’article XXIV
maintenir des préférences commerciales pour les pays ACP ? du GATT, l’AGCS autorise une certaine flexibilité pour les
Car elle ne permet des préférences commerciales générales accords régionaux Nord-Sud concernant l’application des
que pour l’ensemble des pays en développement et n’autorise conditions mentionnées.
pas de préférences particulières à des pays en développement
spécifiques (à l’exception des pays dits « moins avancés » Finalement, l’UE s’est décidée à abandonner les préférences
– PMA). Il était donc impossible sur base de la Clause commerciales unilatérales des Accords de Lomé et les remplacer
d’habilitation d’offrir des avantages exclusifs aux pays ACP. par l’établissement de zones de libre-échange avec les pays
Une autre exception importante au principe de la nation la ACP. Ces ACR, dénommés Accords de Partenariat Economique
plus favorisée est celle relative aux Accords commerciaux (APE), constituent pour l’UE une nouvelle approche en
régionaux (ACR). Les ACR impliquent une libéralisation matière de commerce et de coopération dans la mesure où ils
commerciale réciproque entre toutes les parties intégrantes à ne mettent plus la priorité sur l’aide unilatérale, mais plutôt
ces accords. Bien que les ACR n’envisagent des préférences sur la libéralisation commerciale réciproque avec les pays ACP.
que pour les pays signataires de ces accords, ce qui constitue En outre, parce qu’ils sont négociés avec différents groupes
une violation de la règle de la nation la plus favorisée, régionaux de pays ACP, ces APE contribuent à approfondir
l’OMC est en principe favorable à ce types d’arrangements. les processus d’intégration régionale des pays ACP et à
L’exception accordée aux ACR est d’ailleurs inclue dans intensifier leurs échanges commerciaux à un niveau régional.
l’article XXIV du GATT. Selon cet article, un groupe de pays a Bien que théoriquement ces accords commerciaux soient
le droit de constituer une zone de libre-échange ou une union légalement conformes aux obligations de l’OMC, il convient
douanière et de réduire les droits de douane entre les seuls de s’interroger jusqu’à quel point la mise en oeuvre pratique
pays membres sous trois conditions : de ces accords pourra s’accorder avec les règles actuelles
du commerce international. De fait, les exceptions relatives
a) l’accord régional doit couvrir de façon substantielle aux ACR qui sont contenues dans le GATT et l’AGCS ont été
l’ensemble du commerce entre les parties signataires de envisagées pour l’essentiel dans la perspective d’accords
l’accord ; entre pays ayant un niveau de développement économique
b) les barrières à l’encontre des pays non membres ne doivent similaire. Les APE, quant à eux, sont négociés entre l’UE et
pas être augmentées et si des tarifs communs sont établis, une série de pays en développement.

22
> LE CAS DES APE ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LES PAYS ACP

Les Accords de Partenariat Économique pays en développement aux accords de libéralisation. Elles
soulignent également la nécessité de reconnaître un traitement
Les APE constituent donc la nouvelle approche de coopération spécial et différencié pour les fournisseurs ACP de services.
au développement avec les pays ACP. En principe, ils Le mandat de négociation de la Commission stipule en outre
impliquent des concessions commerciales réciproques entre que les APE doivent s’étendre au commerce des services.
les pays ACP et la Communauté européenne. Il s’agit en effet
de la seule façon de les rendre légalement compatibles avec L’accès des produits agricoles ACP au marché de l’UE et la
les Accords de l’OMC. concurrence à l’exportation sont également considérés comme
faisant partie intégrante des négociation APE. En outre,
Négociations avec les blocs régionaux l’Accord de Cotonou envisage l’inclusion de nouvelles matières
liées au commerce, en particulier les dénommés « thèmes de
Durant la phase préparatoire des négociations APE, qui débuta Singapour », qui ont été rejetés par des pays en développement
en mars 2000, l’UE insista pour entamer les discussions à la Conférence ministérielle de l’OMC à Cancun en septembre
avec des groupes régionaux. Cette position européenne fut 2003. Trois de ces thèmes, à savoir l’investissement, la
fortement critiquée, notamment parce que peu d’instances politique de la concurrence et la transparence des marchés
régionales du groupe ACP avaient le mandat ou les capacités publics, ont d’ailleurs été finalement supprimés en juillet 2004
institutionnelles de négocier des APE pour le compte de leurs de l’agenda de Doha relatif aux négociations à l’OMC. Seule
États membres. En outre, il fut soulevé que le format choisi la question de la facilité des échanges a été conservée. L’UE
pour ces négociations pourrait briser la solidarité collective a été critiquée pour avoir réintroduit les trois thématiques
du groupe ACP qui, dans le passé, constitua peut-être leur supprimées dans les négociations APE, les ACP ne préférant
plus grande force de négociation. Finalement, la Commission pas entamer des discussions sur ces matières tant qu’un
européenne accepta que les différents APE soient les plus accord n’a pas été entériné au préalable au niveau multilatéral
semblables possibles, tout en tenant compte des spécificités (OMC). Néanmoins, l’UE insiste sur le fait que ces « thèmes de
des pays et régions concernées. Singapour » sont essentiels pour attirer plus d’investissements
locaux et étrangers dans les pays ACP et que les APE offrent
Les négociations APE elles-mêmes commencèrent le 27 précisément un cadre où ces sujets importants peuvent être
septembre 2002 avec les pays ACP réunis en un seul bloc, discutés.
afin de conclure un Accord ACP-UE global portant sur les
objectifs et principes des APE et sur des problématiques La question centrale qui demeure cependant est de savoir si
d’intérêt commun pour les ACP. Une fois cet accord bouclé, les APE auront des effets bénéfiques pour le développement
les négociations entrèrent dans une seconde phase à partir des pays ACP. Certaines conditions préliminaires devront
d’octobre 2003. Elles se concentrèrent sur les tarifs douaniers probablement être remplies.
ainsi que sur d’autres engagements sectoriels spécifiques à
un niveau national et régional, selon les cas et les intérêts Photo : Juliette Bordallo
spécifiques des pays ou régions ACP. Cette seconde phase
de négociations impliqua six sous régions ACP : l’Afrique
de l’ouest (CEDEAO), l’Afrique centrale (CEMAC), l’Afrique
orientale et australe (COMESA), sept membres de la
Communauté de développement d’Afrique australe (SADC),
les Caraïbes et la région du Pacifique. Il convient de noter que
l’Afrique du Sud, pays membre du groupe ACP, avait déjà un
accord commercial avec l’UE et n’était donc initialement pas
impliquée dans ces négociations APE. Cependant, le 12 février
2007, le Conseil des Ministres de l’UE accepta d’inclure ce pays
dans les négociations avec la SADC. Il fut néanmoins précisé
que, étant donné le niveau de développement de l’Afrique du
Sud, des arrangements différents seraient d’application.

Champ d’application des APE

Une discussion porte également sur les secteurs qui doivent


être couverts par les APE. Ces accords pourraient ainsi
inclure le commerce des biens, mais peut-être également le
commerce des services ainsi que d’autres matières liées au
commerce telles que l’environnement, les normes sanitaires
et phytosanitaires, les règles d’origine, les investissements et
le règlement des différends.
Le commerce des services a pris une importance croissante.
L’Accord de Cotonou stipule que les Parties signataires
conviennent que les APE couvrent la libéralisation des
services, en conformité avec les dispositions prévues par
l’AGCS, particulièrement celles relatives à la participation des

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> LE CAS DES APE ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LES PAYS ACP

Tout d’abord, une période de transition adéquate devrait être Cet accord implique une large libéralisation pour le
accordée aux pays ACP dans la perspective de l’ouverture commerce des biens et services (tant du côté de l’UE que du
de leurs marchés. Ceci étant, une réciprocité intégrale ne CARIFORUM), mais aussi le maintien de certaines protections
serait probablement envisageable que si les économies ACP pour des produits agricoles. Cet APE contient également
atteignent un niveau de développement suffisamment élevé. certaines dispositions relatives aux normes sanitaires et
La Commission européenne, de son côté, a déjà précisé que phytosanitaires, à la propriété intellectuelle, à la concurrence,
la durée de la période transitoire varierait selon les besoins aux marchés publics, à l’environnement, etc.
et niveaux de développement des différentes régions. Une
deuxième condition importante concerne la nécessité de Certes, d’autres APE ont également déjà été signés, mais ils
procéder par étape dans la mise en oeuvre des APE, en sont qualifiés d’intérimaires et ont été conclus à chaque fois
maintenant un équilibre entre l’assistance au développement de manière individuelle par certains pays ACP. Ces accords
et le processus de libéralisation. intérimaires ne couvrent que le commerce des biens et
impliquent une libéralisation totale (100%) dans le chef de
La Commission a en effet reconnu que l’ouverture des marchés l’UE pour les importations des biens couverts et un degré
ACP requiert le renforcement des capacités, le développement de libéralisation légèrement moins élevé pour les pays ACP
d’industries et d’infrastructures et l’approfondissement de impliqués. Le degré de libéralisation des économies ACP
l’intégration régionale. La mise en oeuvre de réformes fiscales devrait augmenter progressivement durant une période
pour compenser les pertes de revenus liées à la libéralisation s’étalant sur 25 ans. Les APE intérimaires excluent également
devrait également être envisagée. des produits sensibles de la libéralisation, tels que certains
produits agricoles ou certains biens fabriqués par des
Prochaines étapes industries naissantes des pays ACP.

Bien que la date fatidique du 1er janvier 2008 pour signer les Tous ces accords intérimaires indiquent que des APE
APE ait été dépassée, force est de constater qu’aucun accord complets doivent être conclus pour la fin 2008. Reste encore
complet n’a encore été conclu. Seul un APE complet avec le à voir cependant si ces accords intérimaires recevront l’aval
groupe CARIFORUM (pays des Caraïbes) est entré en vigueur de l’OMC. Il n’est par exemple pas certain que cette dernière
à partir du 1er avril 2008. accepte que la période de transition s’étale sur 25 ans. En
tous cas, l’UE envisage des APE complets qui couvriraient
la libéralisation des services, ainsi que d’autres matières
Photo : Alexandre Seron telles que les marchés publics ou les droits de propriété
intellectuelle.

Conclusion
Afin de pouvoir remplacer les anciennes conventions jugées
incompatibles avec les Accords de l’OMC, les APE devront
indubitablement se conformer au cadre légal du commerce
international. Certes, la mise en œuvre de tels accords
commerciaux régionaux (ACR) est autorisée par l’existence
de l’article XXIV du GATT, ainsi que de l’Article V de l’AGCS.
Néanmoins, ces dispositions légales (tout particulièrement
l’article XXIV du GATT) ont été élaborées dans la perspective
d’ACR entre pays de même niveau de développement.
Autrement dit, elles ne sont pas très adéquates pour encadrer
des accords Nord-Sud. Du point de vue du droit économique
international, les APE constituent donc un processus
d’équilibrage particulièrement intéressant. Ils devront en effet
répondre au problème suivant : comment construire un ACR
avec des pays en développement sur base des dispositions
contenues dans le GATT et l’AGCS, tout en s’assurant que ces
accords commerciaux aient des effets positifs pour ces pays
en développement ?

Jan Wouters et Bart De Meester,


Professeurs à la KUL.



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> LE CAS DES APE ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LES PAYS ACP

L’impact des Accords de Partenariat Économique


sur le développement
Selon les estimations du FMI, le taux de croissance de l’Afri- négociation conclue dans la précipitation et sans l’aval des
que serait pour 2007 de 6% mais, comme le reconnaît le BIT partenaires sociaux et des populations. Par rapport aux
(Bureau International du Travail), « la croissance économique mesures préconisées dans les APE, certaines ne sont pas non
ne génère pas automatiquement des emplois en nombre suffi- plus en phase avec nos positions syndicales.
sant, et la création d’emplois ne garantit pas une réduction de
la pauvreté ». Le BIT estime d’ailleurs le taux actuel du chô- La réponse syndicale met aussi l’accent sur le besoin de
mage en Afrique à 10,3 %, à comparer avec le taux moyen du dialogue autour de cette question. Le dialogue social est la
chômage mondial qui s’élevait à 6,3 % en 2006 et cela, sans solution par excellence pour que des accords qui risquent
compter le pourcentage élevé de travailleurs qui aujourd’hui d’avoir des conséquences extrêmement négatives sur le
se meuvent dans l’économie informelle. La création d’emplois plan social soient discutés de manière tripartite entre les
en Afrique est aussi loin d’être suffisante. Selon les estima- gouvernements et les partenaires sociaux, que ce soit au
tions du BIT, seuls 8,6 millions d’emplois sont créés par an. niveau national ou régional. C’est la solution pour inverser
Pour ramener le taux de chômage en Afrique au taux moyen une formule « gagnant-perdant », telle celle qui est mise en
mondial de 6,3 pour cent d’ici à 2015, ce sont environ 11 mil- avant, vers un scénario « gagnant-gagnant ».
lions d’emplois qui devraient être créés chaque année.
La question de l’aide qui accompagne les APE est également
C’est dire si les défis sont de taille et si l’enjeu des Accords essentielle, car celle-ci doit permettre d’amorcer et de
de Partenariat Economique (APE) doit être bien mesuré. Ces soutenir un réel processus de développement et d’intégration
données, couplées à d’autres sur le plan social et de l’emploi, régionale. Le guide syndical sur les APE publié par la
expliquent également les réticences des organisations CSI avec la Confédération Européenne des Syndicats CES
syndicales des pays ACP à s’engager dans la voie des APE approfondit d’ailleurs ce dossier. L’aide doit aussi et surtout
sans certitude que leur impact ne sera pas globalement négatif être centrée sur les aspects sociaux dont l’emploi : création
sur le plan social et de l’emploi. La Confédération Syndicale et promotion d’emplois décents, programmes de formation et
Internationale (CSI) n’a pas de position idéologique sur les de reconversion professionnelle, consolidation de schémas
accords dénommés APE mais bien des positions critiques sur solides de protection sociale, etc.
le processus de consultation, le contenu de l’offre commerciale
proposée par la Commission, ainsi que sur la modalité
d’application et de discussion et sur leur impact social. Photo : Michel Dubois

A la question de savoir si les APE offrent une possibilité


de se protéger contre les excès de la mondialisation, nous
répondrons que les APE constituent plutôt une modalité
d’insertion trop brutale et rapide dans l’économie mondiale.
Il s’agit également de la fin d’accords commerciaux non
réciproques entre des économies connaissant de profondes
asymétries.

Dans leur contenu, les APE vont d’ailleurs bien au-delà des
exigences de l’OMC, a fortiori alors que les négociations dans
cette instance multilatérale n’ont pas encore abouti. L’article
24 du GATT, qui traite des accords de libre-échange, porte
exclusivement sur le commerce des marchandises. Or l’UE
demande instamment aux ACP d’ouvrir leurs marchés en
matière de commerce des services et d’investissement.
La CSI a, depuis le lancement des négociations, insisté sur le
besoin de mesurer leur impact réel, en particulier au travers
d’évaluations sur les conséquences des APE sur l’emploi.
Or, aucune étude sérieuse sur le sujet n’a été produite. Quelles
sera donc l’impact social et sur l’emploi des APE ? Comment
assurer ex ante que des travailleurs qui subiront de graves
conséquences, y compris en matière de pertes d’emploi,
puissent être réinsérés à l’avance par d’ambitieux programmes
de formation professionnelle dans d’autres secteurs ?
C’est pour cela que le mouvement syndical international
a conclu, lors du Sommet syndical UE–Afrique (Lisbonne,
octobre 2007), que la date du 31 décembre 2007 n’est pas
réalisable ni souhaitable. Mieux vaut un bon accord qu’une

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> LE CAS DES APE ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LES PAYS ACP

Le dialogue social autour des APE doit ainsi également Rappelons également que les Conventions de l’OIT ont déjà
aborder la question de l’aide. Il est important que l’aide soit été ratifiées par de nombreux pays ACP.
débloquée ex ante de manière à pallier par anticipation aux
effets négatifs en offrant des garanties solides aux travailleurs La CSI privilégie les accords commerciaux de nature
concernés. multilatérale sur les accords bilatéraux où les asymétries
entre les partenaires assis à la table des négociations sont
Finalement, dernier point et non des moindres : la CSI insiste d’autant plus marquées. C’est pour cela, en conclusion, que
pour que les aspects sociaux soient repris dans les textes nous avons demandé que la date de signature des APE soit
entérinés par les négociateurs. Pour l’instant, nous avons reportée. Le mouvement syndical demande en effet d’étendre
de sérieuses réserves sur les échos de ces négociations, les préférences commerciales de l’Accord de Cotonou jusqu’au
certaines régions n’incluant d’ailleurs aucune référence aux moment où les pays ACP seront en mesure de conclure des
Conventions de l’OIT (aux Conventions fondamentales, en APE – si, et uniquement si, ils décident de le faire. Selon un
particulier). D’aucuns diront que ce sont les gouvernements récent communiqué de la CSI : « Il est clair que de nombreux
de ces pays qui refusent l’inclusion du chapitre social, un pays ne sont pas en mesure de signer des APE. Il est temps
argument auquel la CSI a rétorqué que la clé du succès de de leur accorder un répit et d’examiner sérieusement les
cette négociation réside bien dans le respect du mandat des alternatives, comme la Commission européenne est tenue de
négociateurs et dans le dialogue social dans lesdits pays. le faire en vertu des dispositions de l’Accord de Cotonou ».
Les organisations syndicales de ces pays sont en effet parties
prenantes pour un tel chapitre et l’ont réitéré à de multiples Isabelle Hoferlin,
reprises dans des réunions à divers niveaux. L’absence Bureau de la Secrétaire générale adjointe de la Confédération
d’un cadre solide de concertation sociale dans ces pays est syndicale Internationale (CSI), Responsable des régions
probablement un des éléments qui permette de comprendre Afrique/Amériques.
le non-respect des positions avancées par les partenaires
sociaux. Cela est d’autant plus essentiel et crucial que les 
normes sociales ont la primauté sur les normes commerciales.

Photo : Alain de Muelenaere

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> LE CAS DES APE ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LES PAYS ACP

Les Accords de Partenariat Economique et le


blocage des négociations du cycle de Doha à l’OMC
La création de l’OMC en 1995 avait suscité une vague d’en- ont multiplié les accords commerciaux régionaux et bilaté-
thousiasme, car cette institution symbolisait pour beaucoup raux. Les Accords de Partenariat Economique entre l’Union
de dirigeants politiques le développement du multilatéralisme Européenne et l’Afrique en constituent un exemple.
dans les relations commerciales internationales. Les Etats Les forces qui poussent aujourd’hui vers la prolifération des
pauvres d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie s’y étaient en- Accords Commerciaux Régionaux (ACR) plutôt que vers la
gagés en postulant que le cadre multilatéral ainsi créé serait conclusion du cycle de Doha voient l’OMC comme une con-
démocratique, équitable et propice au développement des na- trainte qu’il faut contourner par les ACR. Dans une telle logi-
tions pauvres victimes de décennies d’échanges inégaux avec que, plutôt que de compléter le système multilatéral, les ac-
les pays riches. Un certain nombre de postulats aux niveaux cords commerciaux régionaux les concurrencent.
idéologique et politique sous-tendaient un tel enthousiasme
pour un système commercial multilatéral. Ce qui est grave dans cette situation, c’est que les APE entre
l’UE et les ACP conduisent les pays ACP, et africains en par-
D’abord au niveau idéologique beaucoup de dirigeants des ticulier, à accepter des niveaux de désarmement tarifaire et
pays pauvres se sont laissés gagner par l’idée que le marché de libéralisation supérieurs à ce qui est requis au niveau de
a la capacité d’induire le développement économique et social l’OMC. Si théoriquement les APE pouvaient offrir des gains
par le simple jeu des opportunités qu’il crée pour tous et qu’une immédiats en matière d’accès aux marchés et d’accroissement
libéralisation des échanges profiterait « naturellement » par des entrées des investissements directs étrangers, ils ont ten-
exemple à l’Afrique jugée insuffisamment impliquée dans dance à lier les mains des gouvernements et à réduire la sou-
les échanges commerciaux mondiaux. Ce postulat ignorait veraineté politique et économique de ces derniers. Du point de
de façon coupable la décennie catastrophique de déclin de vue de leur contenu, les APE couvrent des domaines si con-
l’agriculture africaine, de la désindustrialisation et de pertes troversés à l’OMC qu’ils ont été exclus des négociations après
d’emploi massives imputables à la libéralisation que l’Afrique avoir cause l’échec de la conférence de Cancun, à savoir la
a connue entre 1985 et 1995. libéralisation de l’investissement étranger, la passation des
Au niveau politique, le cycle des négociations de Doha marchés publics, de nouvelles règles sur certains aspects de
pompeusement baptisé « cycle du développement » avec des la politique de concurrence, des règles plus restrictives sur les
dispositions en faveur des pays pauvres telles que le traitement droits de propriété intellectuelle, ainsi qu’une libéralisation
spécial et différencié et certaines mesures en faveur des pays du commerce des marchandises beaucoup plus profonde que
les moins avancés, telles l’accès sans quota ni contingent des celle convenue dans le cadre des arrangements de l’OMC.
produits de ces pays aux marchés des pays riches.

Ces dispositions se sont avérées être de purs effets d’annonce Photo : Alexandre Seron
au regard de la tournure qu’ont pris les négociations à
l’OMC depuis Cancun et l’état de blocage dans lequel elles se
trouvent actuellement. Les Etats-Unis et l’Europe refusent de
faire des concessions sérieuses sur les subventions agricoles
qui leur permettent de vendre moins cher en Afrique, mais
aussi d’étouffer l’agriculture africaine, en même temps qu’ils
demandent aux pays de ce continent de libéraliser le commerce
des produits non agricoles et des services, domaines où ils
ont un avantage comparatif historique. Nous constatons donc
une attitude schizophrénique des pays riches qui prônent la
libéralisation et ses bienfaits en théorie et lorsqu’elle préserve
leurs intérêts, mais qui deviennent des protectionnistes
extrêmes lorsque cette libéralisation profite aux pays du Sud.

Les APE : des accords régionaux qui


compromettent le multilatéralisme
Cette schizophrénie s’est exacerbée du fait que l’UE et les
USA ne pouvaient se soumettre l’OMC qui est réputée être un
espace multilatéral où les alliances entre pays du Sud (G90,
G33, G10 ou le groupe Africain) pouvaient former de fortes
coalitions politiques qui mettaient un bémol à la suprématie
des puissances traditionnelles.
Pour contourner cette résistance démocratique des pays qui
voulaient préserver l’esprit présumé de Doha, les USA et l’UE

27
> LE CAS DES APE ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LES PAYS ACP

Les pays africains et autres membres du groupe des ACP sont bilatéraux ou régionaux, en recommandant la libéralisation
en droit de remettre en cause la légalité et la légitimité des des échanges dans un cadre multilatéral tout en menant une
APE au vu des règles fondatrices du round de Doha, à sa- coopération politique active avec les pays en développement
voir le traitement spécial et différencié, les flexibilités, les me- de leur propre région ou ayant une proximité géographique.
sures de non réciprocité qui prennent en compte les besoins Donc une préférence à l’intégration régionale maîtrisée par
de développement des pays pauvres. des Etats souverains voisins plutôt que l’obéissance à une
puissance étrangère, tête de pont des intérêts des multinatio-
Les APE impliquent des engagements réciproques qui sup- nales qui ont besoin d’unifier les marches régionaux africains
priment le traitement spécial et différencié dont peuvent bé- pour faire des économies d’échelle et contrôler des secteurs
néficier les pays en développement dans le cadre de l’OMC. entiers de services ou de ressources comme l’énergie, la télé-
Le principe de réciprocité désavantage les PED car les PED phonie, le pétrole ou les mines.
s’engagent dans des relations commerciales libéralisées en
étant à un stade de développement industriel moins avancé, Pour l’Afrique, ceci constitue un précieux conseil dans un
ce qui implique des capacités d’offre et de commercialisation contexte où la psychologie des négociations savamment mise
plus faible. Ils ont peu de possibilités de tirer profit des dis- en scène par l’UE, avec la pression stressante des dates bu-
positions relatives à l’investissement et doivent baisser leurs toirs, fait oublier les options plus avantageuses. Ces options
droits de douane qui sont à des niveaux relativement plus sont entre autres : le commerce intra régional dont le potentiel
élevés. Ils doivent également procéder à une libéralisation des est largement sous exploité (par exemple un seul Etat du Ni-
services privant les couches démunies de l’accès aux services geria peut acheter toutes les bananes de la Côte d’Ivoire), le
sociaux de base et les Etats africains du contrôle des instru- commerce avec les nouvelles puissances économiques et com-
ments de souveraineté tels que l’énergie, les télécommunica- merciales telles que l’Inde, la Chine, le Brésil ou l’Afrique du
tions ou l’enseignement. Sud et, in fine, la résistance à la désintégration du continent.
D’autres facteurs qui réduisent les options de développement
des pays pauvres restent cachés derrière ces APE, parmi ceux-
ci les obstacles non tarifaires comme les normes. Moussa Faye,
ActionAid-Sénégal.
Le rapport de la CNUCED sur le commerce et le développe-
ment 2007 met bien en garde contre les dangers des accords 
Nord-Sud comme les APE. Supachai Panitchpakdi, secrétaire
général de la CNUCED, déclarait que les pays en développe-
ment devraient se montrer prudents en concluant des accords
Photo : Alexandre Seron

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Photo : Alain de Muelenaere

PARTIE 3/ L’IMPACT DES ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE SUR LE DROIT AU


DÉVELOPPEMENT

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29
> L’IMPACT DES ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE SUR LE DROIT AU DÉVELOPPEMENT

Accords de libre-échange et souveraineté


alimentaire
La Coordination Paysanne Européenne (CPE) rassemble plus Si donc les accords bilatéraux sont le nouvel instrument des
de vingt organisations paysannes en Europe. Elle a vingt ans. grandes puissances pour parvenir à ce qu’ils n’arrivent plus à
En 1993, avec d’autres organisations paysannes des Améri- faire à l’OMC, et c’est bien ce qui semble être la réalité, alors
ques et d’Asie elle a créé un mouvement paysan mondial, Via ces accords bilatéraux, dont font partie les APE, sont à rejeter
Campesina, qu’elle a coordonné pendant les quatre premières eux aussi du point de vue de la souveraineté alimentaire.
années. La CPE se bat pour changer les politiques agricoles
en Europe, en particulier la Politique Agricole Commune de La CPE s’est exprimée en décembre 2007 contre ces accords,
l’Union Européenne. Les fermes se vident, la terre chauffe, la et pas seulement pour leur report, ensemble avec d’autres or-
faim augmente : place à d’autres politiques ! ganisations paysannes d’Europe, comme la COAG d’Espagne,
ou d’autres régions comme les Caraïbes. Ils mettent en péril
En 1996, juste après l’accord OMC de l’Uruguay Round les paysans du Sud comme du Nord. En ce qui concerne la
signé en 1994, Via Campesina a développé le concept de question de l’accès au marché, j’évoquerai seulement deux
souveraineté alimentaire. Pour comprendre l’enjeu de la points.
souveraineté alimentaire, il faut distinguer les politiques
agricoles du commerce international agricole. C’est bien parce Primo, comme nous l’avons exprimé ensemble avec le Réseau
que l’OMC a formaté toutes les politiques agricoles que nous des Organisations Paysannes d’Afrique de l’Ouest (ROPPA)
avons lancé en 1996, en réaction, le concept de souveraineté dès 2001, ce qui est important pour les paysans, c’est d’avoir
alimentaire. Les Etats ou unions venaient en effet de perdre d’abord accès au marché local pour nourrir la population.
leur souveraineté en matière de définition de leur politique Le marché international intervenant comme complément
agricole et alimentaire. La souveraineté alimentaire, c’est possible et non comme priorité. Or, le dumping blanchi
le droit des populations, leurs Etats ou unions, à définir par les règles de l’OMC ruine cet accès au marché local.
leur politique agricole, et le devoir de ne pas perturber les En effet, les USA et l’UE, qui ont co-écrit les règles de l’accord
économies agricoles des pays tiers. C’est un droit, en échange OMC, se sont débrouillés pour blanchir (grâce aux soutiens
d’un devoir. placés dans une boîte dite « verte » à l’OMC, c’est-à-dire
non soumise à réduction) leur nouvelle forme de dumping
La souveraineté alimentaire s’oppose donc clairement à l’OMC vis - à - vis des pays tiers. Sans changer leur priorité à
et elle intègre un certain nombre de valeurs et de priorités à l’exportation, ils ont simplement abaissé leurs prix agricoles
l’opposé des politiques actuelles telles que la priorité donnée internes vers le prix mondial, afin d’éliminer leurs aides
à l’alimentation de la population, au marché local et non directes à l’exportation. Mais, comme les coûts de production
au marché international ; l’accès des paysans sans terre dans ces deux puissances industrialisées sont plus élevés,
aux moyens de production et aux ressources naturelles ; au-dessus du prix mondial, ils gonflent leur budget agricole
une production agricole durable et une alimentation saine, pour payer des aides directes aux agriculteurs, afin que ceux-
respectueuse des cultures. ci puissent vendre leurs produits sur le marché à des prix
inférieurs aux coûts de production. C’est ainsi que le dumping
La souveraineté alimentaire est une condition nécessaire continue, les pays tiers continuant à recevoir de l’UE/USA
pour garantir la sécurité alimentaire des populations sur le des produits agricoles à des prix inférieurs aux coûts de
long terme, y compris en Europe. La souveraineté alimentaire leur production. Mais ces paiements directs sont placés de
ne s’oppose pas au commerce international : elle est une plus en plus dans la boîte verte. C’est une des raisons pour
condition pour que s’établissent des règles justes du commerce laquelle l’UE a inventé le deuxième pilier de la PAC, dit de
international. Elle n’est pas compatible avec les accords développement rural, mais dont l’un des objets est de faire
de soi-disant libre-échange ou inspirés de cette idéologie. glisser le maximum de paiements dans la boîte verte.
Je préfère dire « sois libre… et change ».
Secundo, ceux qui ont le plus besoin de l’accès libre au marché
européen ne sont pas les paysans du Sud, mais les firmes
Les accords bilatéraux ou régionaux sont- européennes qui délocalisent de plus en plus leur production
ils une chance ou une menace pour le dans le Sud (fruits, légumes, sucre, vin, volaille, fleurs,
droit de souveraineté alimentaire ? etc.). Ils ont besoin d’un accès libre au marché européen
pour « rapatrier » leur production à bon marché. C’est cela le
L’échec des négociations à l’OMC est considéré comme moteur de la mondialisation néo-libérale : on produit là où les
probable. Depuis la conférence ministérielle de Cancun en coûts de production sont les moins chers, pour aller vendre le
2003, les USA et l’UE savent qu’ils ne peuvent plus écrire plus cher possible là où le pouvoir d’achat est élevé.
les règles seuls comme ils l’ont fait lors de l’Uruguay Round. Les prix agricoles, avec les règles de l’OMC, c’est-à-dire sans
À Cancun, la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud se régulation internationale ni nationale, sont déjà et vont être
sont alliés pour dire non aux deux grands : vous avez les soumis à la spéculation et aux fluctuations, même faibles, des
fusées, mais nous avons la moitié de la population mondiale. récoltes. C’est ce qu’on voit actuellement pour les céréales, où
Depuis les USA et l’UE préfèrent donc multiplier les accord les prix ont flambé (grande faiblesse des stocks, développement
bilatéraux, où ils sont plus en position de force. pervers des agrocarburants industriels, sécheresses, etc.).

30
> L’IMPACT DES ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE SUR LE DROIT AU DÉVELOPPEMENT

Il serait dangereux que le cours des céréales s’annexe dans un —> Réponse de la salle : des Polonais.
tel système sur le cours du pétrole. Oui et souvent même des Polonaises, au noir, pas au noir,
Les revenus paysans ont besoin de stabilité : c’est impossible c’est selon. Maintenant, partons dans la banlieue ouest de
sans régulation des marchés. Si les accords régionaux ont Varsovie. Là aussi il y a des maraîchers, là aussi il y a des
comme priorité une intégration régionale dans le sens fraises.
des intérêts des populations et non pour devenir un bloc —> Question : qui récolte les fraises en Pologne ?
commercial, alors ils peuvent favoriser les conditions d’une —> Réponse de la salle : des Ukrainiens, des Russes,
souveraineté alimentaire régionale. etc. Oui, dans la ferme que j’ai visité là-bas il y a quelques
années, ils étaient tous ukrainiens, et tous au noir, du noir
Les alternatives quasi officiel.
Résumons la situation : des Polonais viennent ramasser les
Il faut partir du droit de souveraineté alimentaire, condition fraises en Belgique, des Ukrainiens viennent ramasser les
pour développer une politique agricole autonome au niveau fraises en Pologne.
d’un pays ou d’une union de pays. Alors se développeront des —> Question suivante ?
politiques agricoles nationales/régionales différentes suivant —> Réponse de la salle : qui ramasse les fraises en
les conditions naturelles, historiques, culturelles : pourquoi Ukraine ?
la politique agricole devrait-elle être la même pour l’Egypte L’important, ce n’est pas de savoir qui ramasse les fraises en
et l’Angola, qui n’ont pas grand-chose en commun, ou pour Ukraine, mais de comprendre qu’il s’agit là du moteur de la
l’Europe et les USA, bien différents ? mondialisation néo-libérale, comme indiqué plus haut, que
Ce droit suppose donc le devoir d’interdire toute forme de c’est une course sans fin aux coûts de production les plus
dumping, les anciennes comme les nouvelles, ce que l’on peut bas. Et au bout du bout, vous avez le prisonnier politique
échanger dans les négociations internationales avec le droit chinois, qui, lui, par définition, ramasse les fraises gratis,
de protéger son marché interne si nécessaire, pour empêcher vous avez l’absence de démocratie, condition pour que ce
que des importations à trop bas prix ne ruine l’économie moteur destructeur perdure.
agricole domestique. C’est du bon sens, ce n’est pas du
protectionnisme, pas plus que la protection sociale n’est du
protectionnisme. La boîte verte, en blanchissant le dumping, Gérard Choplin,
Coordinateur de la Coordination Paysanne Européenne
est bien plus protectionniste que ne le sont des droits de
(CPE).
douane, qui, de plus, sont une recette pour les gouvernements,
et non un soutien, comme le classifie l’OCDE.

Pour assurer un développement agricole et rural, c’est-à-dire Photo : Alexandre Seron
maintenir et renouveler des exploitations agricoles, il faut
surtout que le revenu agricole ne provienne pas surtout des
aides, comme c’est le cas maintenant dans l’UE (pour certains
éleveurs bovins, les aides représentent plus de 100% de leur
revenu), mais essentiellement des prix de marché pour leurs
produits. Il faut donc réguler les marchés à l’intérieur (maîtrise
de la production) et à l’extérieur (accords par produit, priorité
dans tous les pays à l’alimentation de la population locale).
Ensuite, que ce soit pour le climat, la santé, l’environnement,
l’énergie, la biodiversité, le bien-être animal, l’agriculture
doit être paysanne, durable et solidaire. Il faut en finir avec la
multifonctionnalité négative de l’élevage industriel, des serres
de légumes employant des esclaves, des bassins céréaliers
gorgés de nitrates et de pesticides, où la matière organique de
sols, qui stocke tellement de carbone, a disparu. L’agriculture
paysanne peut contribuer à refroidir la planète : ça vaut le
coup d’essayer, non ?
Il faut aussi que l’accès aux ressources, c’est-à-dire à la terre,
à l’eau, aux semences, mais aussi au crédit, soit facilité pour le
plus grande nombre de paysans, c’est-à-dire faire le contraire
des politiques des dernières décennies qui n’ont cessé de
concentrer la production : des voisins, c’est mieux que des
hectares supplémentaires, disons-nous souvent. Encore faut-
il ne pas être un « sans terre ».

Pour terminer, voici une histoire, une histoire vraie, une


histoire de fraise. Nous sommes en Belgique, qui n’est certes
pas un très grand pays de la fraise, mais qui en produit
néanmoins.
—> Question : qui récolte les fraises en Belgique ?

31
> L’IMPACT DES ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE SUR LE DROIT AU DÉVELOPPEMENT

Le CIRDI : quand la gestion des biens publics, la


démocratie et les droits humains se heurtent aux
droits des investisseurs étrangers
Les politiques de libéralisation et de privatisation mises en publics ainsi que les droits démocratiques élémentaires qui
place par les institutions financières internationales exigeaient sont directement visés et mis en cause.
des garanties pour les capitaux privés des pays du Nord par la Le problème qui se pose ne se situe pas tellement dans
voie de la conclusion d’une série d’accords internationaux. l’émergence d’une définition uniforme ou uniformisant ou
Les pays qui les ont signés n’ont eu part ni à la rédaction ni dans l’existence de règles internationales, mais plutôt dans
à la définition de leurs contenus, moins encore à la délimita- la portée et les effets de l’ensemble des normes. Celles-ci
tion des obligations contractées. L’objectif principal de cette reflètent des contradictions frappantes parmi des valeurs
politique est d’empêcher que l’on revienne en arrière sur les qui apparaissent opposées : bien public/bien privé ; intérêt
politiques néolibérales et ainsi contraindre les gouvernements général/intérêt privé ; protection et jouissance des biens et des
et les peuples à renoncer à tout projet de développement auto- services publics/appropriation privée des biens communs et
nome alternatif. publics ; primauté des droits fondamentaux et démocratiques/
primauté des lois du marché et du droit de propriété.
Les clauses des traités sont accompagnées d’un puissant dis-
positif coercitif pour assurer son application : le mécanisme Il s’agit dans les faits d’une confrontation à l’échelle mondiale
de règlement des différends entre les parties s’effectue par entre valeurs et logiques divergentes et opposées. Ce n’est
des « tribunaux arbitraux » créés en marge du système ju- donc pas le fruit du hasard lorsque le CIRDI rappelle que le
diciaire de droit public étatique et international. Les droits droit de propriété (il faut entendre de l’investisseur) est « un
sont concentrés dans les mains des investisseurs. Le pouvoir droit « fondamental »4. La notion de droit fondamental se
public n’a, pour sa part, et suivant les termes des accords, trouve bien réflétée à l’article 5 du traité de protection des
aucun mécanisme concret et adéquat qui lui permettrait de investissements entre le Maroc et l’Italie (1990) qui énonce
demander aux investisseurs étrangers la réparation pour des que les investissements « ne peuvent faire l’objet d’aucune
dommages causés à la population, à l’environnement, aux mesure permanente ou temporaire qui limite le droit de
droits humains, à la santé de la population, etc. propriété ». Cette affirmation trouve sa légitimité au sein
même de l’idéologie juridico-religieuse occidentale. Sans
Les différends entre l’Etat et l’investisseur sont résolus par le aucun complexe, certains juristes l’assument et vont jusqu’à
Centre international de règlement des différends relatifs aux affirmer que « le droit international des investissements trouve
investissements (CIRDI)1, membre du groupe de la Banque sa source dans l’humanisme chrétien5, puisque « l’intérêt de
mondiale, dont le Président du Conseil d’administration est le la communauté internationale économique (sic!) exige que les
Président de la Banque Mondiale. entreprises et les entrepreneurs puissent s’installer, se
délocaliser et se relocaliser en fonction des perspectives de
Les traités de protection des rentabilité »6.

investissements (TPPI) ou le surréalisme Cette conception corporatiste-privatiste est cohérente dans


dans l’art de la fiction juridique la mesure où comme l’affirme toujours le CIRDI, « la finalité
des accords internationaux sur les investissements est la
Leur nombre actuel est calculé approximativement à 2.500
protection des investissements étrangers et des investisseurs.
traités avec 23 accords commerciaux bilatéraux, plurilatéraux
Cette affirmation se révèle vraie par rapport aux dispositions
ou multilatéraux qui contiennent des dispositions spécifiques
sur les investissements contenues dans les traités de libre-
sur les investissements2. A titre d’exemple, l’on peut citer
échange mais aussi concernant aux accords qui portent
les traités de libre-échange entre les Etats-Unis et les pays
exclusivement sur les investissements comme c’est le cas
d’Amérique Centrale plus la République Dominicain (CAFTA),
des traités bilatéraux sur les investissements. C’est le sens
traité de libre-échange USA-Pérou, traité de libre-échange
courant qu’il faut donner »7.
USA-Colombie, Traité de libre-échange nord-américain
(NAFTA) de même que le cas d’Argentine qui a signé plus de Nous sommes donc confrontés au retour de catégories de
53 TPPI et qui a plus de 30 plaintes déposées auprès le CIRDI. sacralisation et d’absolutisation du droit de propriété privée.
Robert Charvin affirme que le domaine de l’investissement
international est intimement lié « au phénomène de la
1. Le CIRDI a été crée par la convention de Washington en 1965. C’est
domination impériale et les normes juridiques qui l’organisent seulement à partir des années 90 qu’il a pris une importance réelle.
ne sauraient être neutres ni exprimer un intérêt général 2. CNUCED, Rapport sur les investissements, Genève, 2006, p. 13.
désincarné »3. 3. Charvin Robert, L’investissement international et le Droit au
Développement, L’Harmattan, Paris, 2002, p. 25.
4. Marvin Fieldman c. Méjico, CIADI, Caso no. ARB(AF)/99/1, par. 119.
En effet, le point essentiel des investissements internationaux 5. Carreau Dominique, Droit international économique, Dalloz, Paris,
réside dans le fait de la reformulation des règles juridiques 2004, 373.
6. Carreu D., Op. cit., p. 380-381.
internationales, dans leur application et dans leurs effets
7. Bayview Irrigation District y otros c. Estados Unidos de Méjico, CIADI,
sociaux et politiques. C’est l’Etat, les compétences des pouvoirs Caso No. ARB (AF)05/1, 9 de junio 2007, par. 100.

32
> L’IMPACT DES ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE SUR LE DROIT AU DÉVELOPPEMENT

Il s’agit d’un retour à une sorte de droit féodal ou corporatiste, C’est le monde du sensoriel, de l’inéluctable,de l’évidence.
opposé au droit public national et international et qui fonc- C’est une exigence logique car « le développement économique
tionne suivant l’intérêt exclusif du grand capital transnational des États exige la libre circulation de tous les facteurs et la
et des Etats les plus riches au détriment des droits fondamen- libéralisation des investissements »11.
taux des Etats dits périphériques et de leurs peuples. D’ailleurs, même l’ONU, par le biais de son Secrétaire général,
ne se prive pas de rappeler que les pouvoirs publics doivent
Les critères idéologiques : mener des politiques économiques dynamiques et favorables
au secteur privé12 ; la société civile et les institutions
le redéploiement du rôle de l’Etat internationales devant s’associer à cet idéal « au service de la
liberté »13 par l’intermédiaire d’une « bonne gouvernance »14.
Sur le plan politico-idéologique, les tenants de la mondialisation
La contrepartie à la perte des compétences sur le plan social,
libérale ont mené une offensive contre l’Etat en tant qu’agent
économique et financier est le renforcement à la fois de l’Etat
régulateur des rapports sociaux.
pénal et de l’Etat Ambulance15.

Du coup, l’Etat, en tant qu’institution, et par extension les


L’Etat et les pouvoirs publics réduits au rôle de gestionnaires
pouvoirs publics, se trouve au milieu d’une profonde crise
du « droit de propriété » doivent assumer un nouveau rôle, celui
de légitimité. En effet, partout dans le monde (avec des
d’assurer «une bonne gouvernance», une « bonne gestion des
particularités propres à chaque région et à chaque culture),
affaires publiques »16. Ainsi, le devoir premier des organes de
l’Etat et les pouvoirs publics sont en recul face aux intérêts
l’Etat (parlement, pouvoir judiciaire, pouvoir exécutif, organes
privés.
politiques et administratifs…) est de garantir la protection
d’« un droit fondamental de propriété »17 entendu comme le
Selon la Banque mondiale, dans un rapport qui fait date,
droit de propriété de l’investisseur.
le rôle de l’Etat est de développer le marché grâce à des
règlements bien conçus car « l’initiative privée est paralysée
par la survivance de relations antagoniques entre l’Etat et le Le CIRDI gardien de la propriété privée et
marché »8. Un Etat, et tout pouvoir public qui refuserait cette de la protection absolue de l’investisseur
nouvelle fonction est assimilé à un Etat arbitraire, car « la
privatisation est une solution évidente »9 et doit rester une Il n’est pas suffisant que l’Etat assume des obligations inter-
priorité10. nationales. Il est nécessaire que l’Etat transfère ses compé-
tences vers des organes qui seront les seuls compétents pour
Photo : Michel Dubois
interpréter et appliquer les règles contenues dans ces traités
assurant ainsi le respect inconditionnel de la propriété privée
et des droits de l’investisseur. Le CIRDI, indiscutablement, est
l’un des organes privilégiés. Le CIRDI est une filiale de la Ban-
que mondiale chargée de régler les différends internationaux
relatifs aux investissements. Ses décisions ne peuvent faire
l’objet d’aucun recours de révision sur le fond et sont d’appli-
cation obligatoire.

Le non-respect de n’importe laquelle des obligations prévues


dans un TPPI engage la responsabilité internationale de l’Etat
récepteur pour des dommages occasionnés à l’investisseur.
C’est un bouleversement radical du droit international de la
responsabilité internationale.

8. L’Etat dans un monde en mutation, Rapport de la Banque Mondiale,


1997, p. 6.Voir également, Good Governance: The IMF Role, IMF,
Washington D.C., 2003.
9. Rapport de la Banque Mondiale, p. 6.
10. Idem, p. 7.
11. Carreau Dominique, Droit international Economique, Paris, 2004, p.
379-380.
12. Dans une liberté plus grande: développement, sécurité et respect des
droits de l’homme pour tous, Rapport du Secrétaire général, ONU, 24
mars 2005 p. 13.
13. Ibid., p. 7.
14. Ibid. p. 14.
15. Ces expressions sont empruntées à Robert Charvin de son article
«Régulation juridique et mondialisation libérale : droit mou, droit flou et
non droit », Actualité et droit international, janvier 2002, p. 4.
16. CIADI, Marvin Fieldman c. Méjico, ARB/99/11, 16 de diciembre 2002,
par. 110, Affaire Pope e Talbot c. Canada, 2000, par. 87-88.
17. CIADI, CMS Gas Transmission Company c. Republica Argentina,
ARB/01/8 12 de mayo 2005, par. 262.

33
> L’IMPACT DES ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE SUR LE DROIT AU DÉVELOPPEMENT

La « jurisprudence » du CIRDI va nous apporter plus de éléments doivent céder devant l’intérêt privé, la propriété
lumière sur ces points. L’une des obligations essentielles les privée et les droits de l’investisseur.
plus lourdes de l’Etat de réception est l’interdiction d’exercer Quelles conclusions ? Tout d’abord, il est impératif que les
toute « interférence dissimulée ou incidemment sur le droit de pouvoirs publics légifèrent et agissent en faveur de l’intérêt
propriété ayant pour effet de priver au propriétaire de l’usage général en préservant les biens et les services publics en
ou des bénéfices économiques de la propriété, même si la vue d’un développement social et économique respectueux
privation n’est pas faite au bénéfice de l’Etat hôte »18. de l’environnement et des droits humains fondamentaux.
Selon le tribunal arbitral, ces obligations exigent de la part Il est nécessaire de sortir du piège des TPPI et de rétablir
de l’Etat une « conduite solide, transparente et libre de toute le droit public national et international et la défense des
ambiguïté... l’obligation de mettre en place un système droits humains. La Bolivie a dénoncé la juridiction du CIRDI
juridique solide et transparent afin de remplir les justes en mai 2006 et elle a récupéré pleinement l’exercice de ses
attentes de l’investisseur »19. compétences. Cette voie est l’objet de débats au sein de
plusieurs autres gouvernements.
L’obligation devient particulièrement contraignante surtout
en matière d’interdiction d’expropriation, directe ou indirecte, Il est aussi important de rétablir l’autorité et la compétence
quelle que soit la mesure. Selon le CIRDI : « L’expropriation territoriale des tribunaux nationaux, qui doivent être les
comprend non seulement l’appropriation ouverte, délibérée et seuls compétents pour résoudre les différends. L’arbitrage
reconnue de biens telle que la saisie ou un transfert formel international doit être un recours subsidiaire et non principal,
ou obligatoire de propriété en faveur de l’Etat d’accueil, mais il ne peut en aucun cas peut se substituer aux organes de
également toute entrave indirecte ou incidente de l’usage de l’Etat.
biens qui a pour effet de priver le propriétaire, pour tout ou
pour une partie importante, de l’usage de son bien ou du Il est également possible de revoir toutes les clauses
bénéfice économique qu’il pouvait raisonnablement espérer des TPPI, cela dans le but d’équilibrer les droits et les
en retirer »20. obligations de l’Etat hôte, de l’Etat dont l’investisseur est le
ressortissant et les droits et les obligations de l’investisseur.
Dans l’affaire Metalclad Corporation (à laquelle le gouver- La Bolivie a également emprunté ce chemin et a procédé à la
nement mexicain avait interdit l’installation d’un dépôt des révision complète de tous les TPPI et de toutes les clauses.
déchets dangereux dans une réserve naturelle), le CIRDI a Ces mesures réaffirment qu’un peuple a le droit de contrôler
décidé « qu’il n’a à déterminer ni à considérer le motif et l’exploitation, la gestion, la distribution et le commerce de ses
l’intention de l’adoption du Décret écologique ». Le fait que ce ressources naturelles, ainsi que le droit de sauvegarder les
Décret ait interféré substantiellement sur les droits de l’inves- services et les biens publics. Elles rappellent notamment aux
tisseur est suffisant. Ainsi, le Décret écologique dont l’objectif sociétés transnationales et aux pays du Nord que les pouvoirs
était la préservation de la santé humaine et celle des espèces publics démocratiquement élus ont encore la faculté d’exercer
végétales, constitue « une expropriation ». pleinement ce droit et que le droit international est toujours
en vigueur.
Le cas de l’entreprise de déchets dangereux TECMED, à
laquelle le gouvernement mexicain avait ordonné la fermeture Hugo Ruiz Diaz Balbuena,
et refusé la rénovation de la licence d’exploitation, est aussi Docteur en droit, représentant permanent de l’Association
exemplaire. De nouveau, le CIRDI a considéré que l’acte du Américaine de juristes auprès les organes de l’ONU.
gouvernement de refuser la continuation d’exploiter le site
équivaut à une expropriation. Le CIRDI a clairement rappelé 
que c’est l’effet de la mesure qui doit être pris en compte et
non de l’intention du gouvernement ou de l’objectif de la
mesure. Aucun doute : l’interprétation du CIRDI, par le bais
de la « doctrine de l’effet de la mesure », met directement
en cause le pouvoir réglementaire de l’Etat et de tous ses
organes. Le droit de propriété de l’investisseur est si essentiel
et absolu qu’il a la primauté même sur la santé publique et
sur le droit à un environnement sain, puisque pour le CIRDI
« les mesures de protection de l’environnement peuvent être
considérées comme des mesures d’expropriation similaires à
toute autre mesure d’expropriation par laquelle un État met
en place sa politique »21.

En termes plus clairs, l’investisseur a un vrai droit de contrôle 18. CIADI, Metalclad, c. Méjico, ARB/97/1 30 de agosto de 2000, par.
sur les actes législatifs du parlement, sur une décision 103.
judiciaire, sur les actes du pouvoir exécutif et d’autres 19. LG, Energy Corp. c. Argentina, CIADI, Caso no. NO. ARB/02/1, par.
131.
entités étatiques. En termes positifs, ce droit implique 20. Metalclad c. Méjico, par. 103.
un droit d’exiger que l’Etat et ses organes légifèrent en sa 21. TECMED c. Estados Unidos Mexicanos, Caso No. ARB (AF)/00/2,
faveur. L’intérêt général, l’intérêt public, la protection de Laudo, 29 de mayo de 2003, par. 121 Voir aussi, Arbitration between
COMPAÑÍA DEL DESARROLLO DE SANTA ELENA, S.A. And THE
l’environnement, la protection de la santé humaine, les droits REPUBLIC OF COSTA RICA, Case No. ARB/96/1, February 17, 2000,
humains fondamentaux, la légitimité démocratique, tous ces par.71 y 72.

34
> ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE ET ABRÉVIATIONS

Eléments de bibliographie Table des abréviations


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2005.

35
Libre-échange et travail décent :
quelle relation cause/effet ?
Dans l’économie globalisée, le libre-échange commercial a une grande influence sur la dérégulation du droit du travail, ainsi
que sur la dégradation des lois sociales au bénéfice des intérêts commerciaux des acteurs privés. Selon l’idéologie dominante,
investir amènerait la création d’emplois, le bien-être et le développement. Pour attirer ces investissements en étant plus
attractif que les pays voisins, une course vers le bas se développe dans les pays d’accueil des investissements. Un bon climat
d’investissement se traduit ainsi par le moins de contraintes normatives possibles pour les transnationales. On retrouve ainsi
au programme de cette course à la compétitivité : réduction des coûts du travail, dérégulation, exploitation de l’environnement,
démantèlement des législations fiscales et évidemment sociales. Par ailleurs, si un pays décide de diminuer ses charges
fiscales, sociales ou salariales, selon l’effet tâche d’huile, les pays voisins suivent le mouvement au nom de la sacro-sainte
attractivité pour les investisseurs internationaux. Notons au passage que cette spirale vers le bas répond plus à un souci de
rentabilité financière à court terme que de véritable compétitivité économique à long terme et surtout crée des perdants au
Nord comme au Sud. Les travailleurs du Sud sont dès lors mis en concurrence avec les travailleurs du Nord par les politiques
commerciales et d’investissement. Ces politiques sont dictées par les lobbies industriels et les transnationales, qui font des
salaires une charge à minimiser pour augmenter la rentabilité financière. La stratégie des firmes transnationales, qui consiste
à fragmenter les chaînes de production en fonction des avantages compétitifs des différents territoires, aboutit à une course
vers le coût le plus bas pour chaque maillon de la chaîne de production.

En bref, au lieu d’organiser la communauté internationale afin d’instaurer un cadre régulateur multilatéral basé sur les normes
de l’OIT, les exercices de libéralisation à tour de bras sont en fait des exercices de dérégulation où le travail est un « facteur
de coût » à écraser et non un moteur de développement à promouvoir. Les acteurs privés n’y sont pas pour rien : même si un
grand nombre d’emplois est lié aux activités des transnationales, la logique du système et la financiarisation de l’économie
veulent que ces transnationales réalisent plus de bénéfices avec moins de salariés, pèsent sur les décisions socio-économiques,
absorbent voire éliminent des entreprises bénéficiaires… à la seule fin de maximisation du profit, et non de création de jobs
décents justement rémunérés.

Comment enrayer cette « course vers le bas » afin de tendre vers un agenda commercial équitable promouvant le travail décent ?
Editeur responsable : Arnaud Zacharie, Quai du Commerce, 9, 1000 Bruxelles

Des pistes existent. C’est tout l’objet de la prochaine campagne 11.11.11 sur le concept de l’Organisation Internationale du
Travail (OIT) qu’est le travail décent. Pour animer cette campagne, la coalition belge pour le travail décent - qui regroupe
du côté francophone, outre le CNCD-11.11.11, la CSC, la FGTB, Solidarité socialiste, Solidarité mondiale, Oxfam-Solidarité,
Oxfam-Magasins du Monde, la Campagne Vêtements Propres, le GRESEA, le CIRé et le Monde Selon les Femmes - défend un
cahier de revendications, où on peut lire qu’un des axes concerne la régulation des acteurs privés, notamment en termes de
subordonner les politiques commerciales et d’investissement au respect de normes sociales et de rendre contraignant le respect
de ces normes par les transnationales et leurs filiales.

Rejoignez notre campagne ! Pour en savoir plus : www.travaildecent.be

travail décent
vie décente
Retrouvez l’ensemble des numéros des Cahiers de la Coopération Internationale au
format PDF sur http://www.cncd.be/publications

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