Le Jaune Et Le Noir Tidiane N'Diaye

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TIDIANE N’DIAYE

Le jaune et le noir
enquête historique
Les littératures dérivent de noirs continents.

Manfred Müller
CHAPITRE PREMIER

Chine-Afrique, premières relations


en symphonie inachevée

Qui ne se préoccupe pas de l’avenir lointain se condamne aux soucis


immédiats.
Confucius

Forte aujourd’hui d’une population de 1,3 milliard d’habitants, la


Chine voit son économie propulsée à la deuxième place mondiale.
Les besoins énergétiques de ses industries lui imposent des compromis
et l’abandon de positions condescendantes vis-à-vis de certains pays
en voie de développement, notamment ceux du continent noir. Il a
suffi de quelques décennies pour que la Chine, qui a maintenant
farouchement besoin de l’Afrique pour ses matières premières et son
marché, passe de l’indifférence, voire du discours méprisant, à un
activisme aussi frénétique qu’intéressé. L’Afrique, qui hier était pour
les Chinois « le continent qui n’existe pas », est devenue l’un des plus
importants partenaires de l’empire du Milieu, dont le pragmatisme va
de pair avec une salvatrice amnésie.
Tandis que la cécité des Européens les a empêchés de voir que,
dans quelques années, l’Afrique se prévaudrait d’une population
dépassant le milliard d’habitants, en voie de disposer d’un certain
pouvoir d’achat, la Chine s’y ménage des alternatives. Sous les coups
de boutoir du nouveau venu asiatique, les relations commerciales du
continent noir se déportent de façon générale du Nord vers l’Orient.
Étant donné l’éloignement du continent asiatique, la différence trop
criante des ethnies et surtout le caractère longtemps autarcique de la
Chine, d’aucuns imaginent difficilement que ces civilisations, que tout
sépare, aient pu entretenir des relations dans le passé. Et pourtant...
Les relations entre la Chine et l’Afrique remontent à l’époque de la
dynastie Han, vers 206 av. J.-C. Quant au premier récit chinois sur
l’Afrique, il date du VIIIe siècle de notre ère.
Il faudra attendre la dynastie Ming (1368-1644) pour assister à de
véritables périples maritimes chinois sur les côtes africaines, par le
navigateur Zheng He (ou Tcheng Ho). Avant la dynastie Ming, la
navigation chinoise s’effectuait pour l’essentiel le long des côtes. À la
tête de ses insurgés, les « Turbans rouges », un paysan activiste du
nom de Zhu Yuanzhang (1328-1398) parvint à écraser et bouter hors
de Chine la dynastie mongole Yuan (1279-1368). Zhu Yuanzhang
s’autoproclama empereur le 23 janvier 1368, établissant sa capitale
à Nankin (Yingtianfu). Il régnera comme premier empereur Ming,
sous le nom de Hongwu, de 1368 à 1398. Sa décision de nommer
sa dynastie Ming, autrement dit « lumière », est une référence aux
mouvements religieux d’inspiration manichéenne qui ont été à
l’origine de la rébellion populaire à laquelle il doit son trône.
C’est sous cette dynastie que les Chinois commencèrent à explorer
l’océan Indien jusqu’à l’Afrique, puis à y commercer. Au début de
cette période, la Chine favorisa le développement des sciences, de la
technique et une grande ouverture politique sur le monde, dont
témoignent les expéditions de Zheng He, l’un des premiers grands
explorateurs maritimes modernes. Musulman chinois du Yunnan,
membre d’une famille originaire d’Asie centrale appartenant à la
minorité Hui, cet homme ambitieux était aussi un eunuque.
Le terme « eunuque », d’après Le Robert, accole deux mots grecs,
eunoukhos signifiant « qui garde (ekhein : “avoir, tenir”) le lit (eunê)
des femmes ». Dans la Bible, il semble s’appliquer à des hommes
castrés (souvent pour éviter tout problème avec les femmes de la
noblesse). L’appellation eunuque échappant à sa définition primitive
désignera aussi certaines fonctions comme celle de domestique.
On attribue l’institution des eunuques, ou hommes imberbes, à la
légendaire reine Sémiramis. On rapporte aussi que Cléopâtre aimait
à s’entourer de ces êtres « atypiques ». À l’origine, on pratiquait la
castration sur les prisonniers de guerre. C’était le moyen qu’avaient
trouvé certains peuples pour réduire la force musculaire des captifs,
diminuer leur combativité et éviter qu’ils ne se perpétuent. Ce
châtiment fut progressivement étendu aux criminels et aux condamnés
pour viol.
Chez les Turcs et les Chinois, l’ablation totale de l’organe viril était
courante. En Chine, les hommes condamnés à cette peine — c’était le
châtiment des violeurs — devinrent des esclaves au service de la
dynastie Qin, travaillant, par exemple, à la réalisation de projets tels
que l’Armée de Terracotta, ces milliers de soldats en terre cuite mis au
jour au siècle dernier. Le pouvoir Qin confisquait leurs biens et
réduisait leur famille en esclavage. Ces esclaves ne pouvaient plus
voir leurs proches.
En Perse et chez les Arabes, l’émasculation était un critère
incontournable d’embauche pour les esclaves préposés à la garde
des femmes du harem. Les eunuques avaient l’avantage d’être plus
dociles dans l’exécution des tâches qu’on leur confiait, jusqu’aux plus
rebutantes. À Byzance, par exemple, ils remplissaient toutes les
fonctions de l’État, et y occupaient même souvent les plus élevées. Il
arrivait que des fils d’empereur ou des membres de la plus haute
aristocratie se fassent volontairement eunuques pour que leur classe
sociale, à travers eux, garde la haute main sur certaines fonctions très
importantes et évite ainsi qu’elles ne tombent entre des mains
étrangères.
Être eunuque dans l’Empire romain d’Orient et plus tard au sein du
pouvoir ottoman était l’un des meilleurs moyens d’embrasser une belle
carrière de gouverneur, d’ambassadeur, de Premier ministre, de
stratège, d’amiral ou de patriarche. En Chine aussi plusieurs dynasties
virent des eunuques occuper des fonctions importantes sur l’échiquier
du pouvoir.

Zheng He fut capturé à treize ans, puis castré et placé comme


serviteur dans la résidence du prince Zhu Di (1360-1464). Après son
accession au trône, Zhu Di, devenu troisième empereur Ming sous le
nom de Yongle, attribua à cet eunuque le nom de Zheng et celui,
religieux, de Sanbao, qui signifie « Trois Trésors ».
Déjà sous la dynastie Yuan, qui avait succédé à celle des Song, un
vaste programme de constructions navales avait été mis en œuvre
pour préparer une infructueuse invasion du Japon et des expéditions
contre le Tonkin, le Tchampa et Java (cette dernière en 1293). Mais il
fallut attendre l’avènement de la dynastie Ming pour voir un
considérable développement des expéditions maritimes. Yongle avait
transféré en 1409 la capitale chinoise de Nankin (dans le Sud) à son
emplacement actuel, Pékin. Ce grand réformateur avait ordonné que
de gigantesques expéditions maritimes aillent explorer des pays de
l’océan Indien comme l’Indonésie, la Malaisie, le Sri Lanka et l’Inde.
C’est ainsi que, sortant d’une longue domination mongole, tous les
chantiers navals du bas Yangzi furent mobilisés avec pour mission de
construire deux cents navires d’une armada baptisée La Flotte des
Trésors. Elle comprenait des navires à quatre mâts, dont les plus gros
mesuraient cent quarante mètres de long et cinquante-sept de large,
avec une capacité en charge de mille cinq cents tonneaux.
Zheng He se retrouva à trente-quatre ans à la tête de cette grande
escadre navale. Il avait été élevé au grade de grand amiral des mers
de l’Ouest sans avoir jamais pris part à aucune aventure maritime.
Le 11 juillet 1405, La Flotte des Trésors largua les amarres depuis le
port de Long-kiang, à l’embouchure du Yangzi Jiang, le fleuve Bleu,
pour un long périple dans les mers du Sud. C’était la première des
sept grandes missions d’exploration conduites par l’eunuque chinois,
mais aussi la plus grande expédition maritime de l’histoire de la
Chine. Elle concernait environ trente mille hommes et deux cents
bateaux à voiles. En plus des marins étaient embarqués des
médecins, des comptables, des interprètes, des enseignants, des
astrologues, des commerçants et des artisans. Zheng He explorera
l’océan Indien et l’archipel d’Asie du Sud.
Puis il longea la côte orientale de l’Afrique. À cette époque, les
côtes africaines allaient voir se croiser des caravelles portugaises et
des jonques chinoises. Les deux puissances menaient parallèlement
des campagnes maritimes d’envergure. Le Portugal, par le prince
Henri le Navigateur, depuis son observatoire de Sagres, lançait
expédition sur expédition pour découvrir la route menant aux
légendaires richesses du Grand Khan et au royaume mythique de
Cathay. Mais ce n’est qu’en 1488 que Bartolomeu Dias parviendra
jusqu’au cap des Tempêtes, qui sera par la suite rebaptisé cap de
Bonne-Espérance, bien après que Zheng He eut, au cours de sa
quatrième expédition, abordé les côtes de l’Afrique australe.

Une carte chinoise datée de 1389, qui est la plus vieille


représentation cartographique de l’Afrique, révèle d’ailleurs la bonne
connaissance qu’avaient les Chinois du continent noir. Cette carte, qui
s’étend de la Chine à l’océan Atlantique, donne une représentation à
peu près exacte de l’Afrique. Elle fait apparaître le Nil et les
montagnes du Drakensberg en Afrique du Sud. Baptisée Da Ming
Hun Yi Tu ou « Carte du grand empire Ming », elle a été digitalisée
par les services de cartographie de l’Afrique du Sud, afin d’être
montrée au public. L’original de dix-sept mètres carrés (4,5 mètres de
large et 3,8 mètres de long) fut longtemps conservé dans le plus
grand secret aux Archives historiques de Pékin. Cette carte, qui serait
vraisemblablement la copie peinte sur soie d’un autre planisphère
sculpté dans la pierre vingt ou trente ans plus tôt, n’a jamais quitté
l’empire du Milieu.
Zheng He fut certes le premier à aborder les régions côtières
africaines en ne naviguant pas « à l’aveugle ». Mais des poteries
chinoises datant du XIIIe siècle ont été découvertes dans la province du
Limpopo (au nord de l’Afrique du Sud) et des inscriptions en
caractères chinois dans la province du Cap. On a également retrouvé
des tessons de céramiques chinoises dans les ruines du Grand
Zimbabwe. C’était au cours de la cinquième expédition, qui fut
spécifiquement africaine. Elle se déroula en 1417 et fit d’abord cap
sur Ormuz, dans le golfe Persique, puis vers Aden, où l’on offrit aux
Chinois une girafe, qu’ils appelaient K’i-lin (du nom d’un animal
fabuleux). Dans le Mou-Kou-tou-chou (Mogadiscio), les habitants firent
don de zèbres et de lions. La flotte de Zheng He se rendit aussi à Ou-
la-wa (Brava) dans la Somalie d’aujourd’hui.

Selon la Chronique des Ming, Zheng He fut envoyé entre


1417 et 1423 comme ambassadeur à Brava, puis encore une fois
en 1430 (cinquième année de l’empereur Xuande). Les ouvrages
chinois du XVe siècle, notamment le Ying-yai chenglan (« Les versions
triomphales de l’Océan sans limites »), composé par Ma Houan, aux
environs de 1430, nous donnent sur l’Afrique orientale des
indications, surtout détaillées dans le Sing-tch’a cheng-lan. On voit là
des descriptions des villes de Somalie, Brava, Mogadiscio et
Djoumbo. Ils indiquent que, durant la quatorzième année de
l’empereur Yongle, Mogadiscio envoya une ambassade en Chine et
que les cités de Brava et de Malindi rendirent à la cour de Chine
l’hommage accompagné d’un tribut.
Le roi de Mogadiscio fit partir pour la Chine deux autres
ambassades chargées de tributs, et l’empereur lui fit remettre en
échange des dons comprenant notamment de la soie à dessins de
fleurs pour lui et ses concubines. À cette époque, Brava envoya
quatre fois le tribut. Ainsi peut-on dater de 1416 les premières
relations diplomatiques entre la Chine et deux principautés dont les
centres se trouvaient dans le territoire de la Somalie d’aujourd’hui et
qui se considéraient alors comme pays tributaires de l’Empire chinois.
En 1415, le sultan de Malindi, sur la côte orientale d’Afrique, avait
déjà envoyé à l’empereur de Chine une ambassade avec des présents
variés, notamment une girafe. Cette girafe, ainsi que celle du sultan
du Bengale (qui l’avait reçue d’Afrique et l’avait envoyée à
l’empereur de Chine l’année précédente), fut accueillie avec de
grands honneurs à la cour de Pékin. En raison de sa démarche jugée
harmonieuse et de son bêlement considéré comme musical, la girafe y
apparut comme un symbole de la bienveillance céleste à l’égard de la
dynastie. Et l’on vit en elle l’emblème de la vertu par excellence, du
parfait gouvernement et de l’harmonie complète de l’univers. Une
peinture chinoise conservée à New York représente la girafe
accompagnée d’une inscription célébrant la beauté et les qualités de
l’animal. Zheng He ramena des côtes de Somalie des autruches, que
les Chinois appelaient des « oiseaux chameaux ». Il rapporta aussi en
Chine des léopards et des lions.
Les navires chinois à ponts multiples transportaient des produits
d’exportation destinés au troc, notamment de la soie et des
porcelaines. Zheng He échangea ses marchandises contre plusieurs
spécialités africaines (épices, bijoux, bois de construction, etc.), ce
qui lui gagna l’amitié des habitants des pays accostés.
Ces indications attestent donc l’existence de relations commerciales
entre la Chine et certains territoires de l’Afrique australe et de l’Est au
e
début du XV siècle. En fait, d’après la Chronique des Ming, la flotte
de Zheng He atteignit les côtes de la Somalie, du Kenya et de
Zanzibar. Elle avait gagné Mombasa et Malindi (ou Mélinde), ville du
Kenya habitée par les Swahilis depuis le XIVe siècle.

Des archéologues kényans ont découvert dans la localité de Shangjia


une statue de lion dont la conception renvoie au style architectural de
la Chine ancienne. Les habitants de cette localité, située dans
l’archipel de Lamu, sont appelés les Wa Shangjia ou « les gens venus
de Shangjia ». Or l’endroit se trouve justement sur le chemin que la
flotte chinoise devait obligatoirement prendre pour se frayer un
passage vers l’Afrique orientale. Louise Levathes, journaliste au New
York Times, auteur de Lorsque la Chine prétendait à l’hégémonie sur
la mer, affirme y avoir rencontré un centenaire. Cet ancien lui aurait
dit avoir appris de son grand-père qu’un navire chinois avait échoué
sur un écueil près de l’île. Des survivants seraient restés dans les
villages environnants. Leurs descendants formeraient aujourd’hui la
population locale. En fait, des recherches sérieuses ont confirmé que
le navire qui a sombré faisait bien partie de la flotte chinoise conduite
par le navigateur Zheng He. Une vingtaine des membres de
l’équipage ont pu finalement gagner l’île de Pataï. Ils sont arrivés au
village baptisé aujourd’hui Shangjia, s’y sont installés et ont épousé
des femmes autochtones.
L’histoire rapporte que, au moment où ces marins chinois ont
débarqué, ils n’ont pas été acceptés immédiatement par les habitants
du village. Mais dès que l’un d’entre eux eut tué un grand boa qui
s’en prenait à la population depuis plusieurs années, ils furent
appréciés différemment et invités à rester. Certains experts sont
catégoriques : « Shangjia » est un dérivé de Shanghai (en Chine). En
swahili, la prononciation de Shangjia est la même que celle de
Shanghai et le mot a deux sens. Soit il évoque « l’endroit où il y a des
abeilles », soit il désigne la ville chinoise de Shanghai. Comme il n’y
a jamais eu d’abeilles dans cette région, on est fondé à croire que ce
village kényan doit son nom à la ville de Shanghai, devenue un
district chinois en 1291. Le village de Shangjia est tombé en ruine au
e
milieu du XV siècle à cause d’un incendie ou du manque d’eau
potable, soit plusieurs décennies après l’arrivée de la flotte de Zheng
He sur les côtes africaines.
Les chercheurs chinois sont d’avis que, si des marins originaires de
l’empire du Milieu ont laissé une descendance sur la côte est de
l’Afrique, il y a plusieurs centaines d’années, ceux-ci ne pouvaient
qu’avoir fait partie des équipages de Zheng He. Aussi,
le 30 juin 2005, Mwamaka-Shiaruifu, Kényan descendant de l’un
d’entre eux, est-il allé participer à la célébration du six centième
anniversaire des voyages maritimes du grand amiral des mers de
l’Ouest. Il s’est rendu à Taicang, dans la province du Jiangsu, en
Chine orientale, qui était le lieu de départ de la flotte de Zheng He.
L’excursion de son « ancêtre jaune » vers l’ouest avait ouvert la route
maritime de la soie, reliant la Chine, les pays d’Asie et d’Afrique.

e
Cette intrusion des Chinois au XV siècle sur les côtes d’Afrique
orientale était une surprise totale pour les commerçants arabes,
persans et indiens. Si le motif économique était évident, le but
principal n’était pas expansionniste. À l’inverse des expéditions
européennes de l’époque, celles de Zheng He n’étaient pas destinées
à étendre la souveraineté de la Chine au-delà des mers. Ces
explorations maritimes n’ont jamais esquissé un début de colonisation,
contrairement à celles des nations européennes. Avant le départ de
Zheng He, l’empereur Yongle lui avait fait des recommandations bien
précises. Outre l’approfondissement des connaissances
géographiques, il devait nouer des amitiés et créer des opportunités
d’échanges commerciaux avec les pays étrangers, en privilégiant une
coopération mutuelle et la recherche d’avantages réciproques. Mais,
comme le note Rémi Kauffer, « il s’en est fallu d’un cheveu que
l’Afrique soit chinoise ».
En fait, la possibilité que l’Afrique orientale devienne une colonie
de la Chine a été contrecarrée par les tendances isolationnistes qui
e
dominaient à la cour de Pékin durant les années du milieu du XV

siècle. Sitôt l’amiral Zheng He disparu, Pékin renonça à ses ambitions


maritimes. Est-ce par manque de moyens financiers ou pour
concentrer ses forces contre les invasions mongoles ? L’empire du
Milieu se referma sur lui-même. Le successeur de Yongle, Hongxi, était
défavorable à ces expéditions. L’empereur suivant, Xuande, donna
des instructions précises pour arrêter la construction de navires à
destination de « pays barbares ». Et, bien qu’il ait admis l’ultime
croisière de Zheng He en 1431, il n’envoya plus personne, par la
suite, dans les mers occidentales.
La flotte fut démantelée et les commerçants chinois se virent
interdire, sous peine de lourdes amendes ou de mort, de construire
des navires de fort tonnage. Ils devaient se contenter de jonques
destinées au cabotage sur de courtes distances. Hormis quelques
e
jésuites admis à la Cour au XVII siècle, la présence des étrangers
n’était plus autorisée dans l’empire du Milieu. La disparition de Zheng
He en mars 1433 devait donc consacrer l’interruption totale des
relations directes entre la Chine et l’Afrique. L’empire du Milieu mettra
en veilleuse durant des siècles cette politique d’ouverture vers le
monde. Jusqu’en décembre 2008, la flotte chinoise ne naviguera plus
e
sur l’océan Indien. Puis les Portugais s’installèrent à Macao au XVI

siècle. Ils établiront des relations avec la Chine, mais à leur profit
exclusif, amenant avec eux des Africains issus des bases
lusitaniennes.
Aujourd’hui, dans sa stratégie de pénétration du continent noir, la
Chine aime à rappeler les expéditions pacifiques de l’amiral Zheng
e
He sur la côte orientale africaine au XV siècle. La République
populaire instrumentalise l’histoire pour servir ses intérêts présents et
se rapprocher diplomatiquement des régimes africains. Elle rappelle
que ses relations commerciales passées avec l’Afrique étaient
dépourvues de visées expansionnistes. Cet argument est souvent
avancé et mis en exergue.
En effet, du fait de ses expéditions maritimes et de son avance
culturelle et technologique, la Chine aurait pu avoir les mêmes
ambitions que les nations anciennement colonisatrices du continent
noir. Pendant que la plupart des autres régions du monde vivaient à
l’âge des ténèbres, ce pays connaissait un essor incomparable pour
l’époque. Dans son ouvrage Naissance et déclin des grandes
puissances, l’historien Paul Kennedy écrit à propos de la Chine : « Sa
e
population considérable au XV siècle (entre cent et cent trente millions
d’habitants), par comparaison avec celle de l’Europe (cinquante à
cinquante-cinq millions d’habitants), sa remarquable culture, ses terres
e
irriguées, reliées par un système de canalisation depuis le XI siècle, et
son administration dirigée par une élite éduquée aux normes
confucéennes avaient donné une cohérence à la société chinoise qui
faisait l’envie des visiteurs étrangers. » Que l’empire du Milieu ait été
une grande civilisation capable de transmettre des valeurs universelles
ne souffre aucun doute. L’enseignement de Confucius, l’histoire
impériale des dynasties successives, la route de la soie, la
calligraphie érigée en art, la culture et les mœurs chinoises sont
devenus avec le temps des éléments de référence en matière de
savoir-vivre. Si cet État-nation, le plus ancien au monde, porté par une
civilisation de plus de cinq mille ans, ne fut pas une puissance
colonisatrice, la raison en est sans doute que sa civilisation a connu
une longue période d’essoufflement ou, plus précisément, de
stagnation due à une absence de vulgarisation de ses sciences vers
ses populations. Seule l’élite sociale, la petite caste stérile des
mandarins, put les cultiver, alors que les nations européennes
profitaient de la quintessence de la civilisation chinoise et des résultats
de son génie créateur notamment pour envahir et dominer le monde,
y compris l’Afrique.
Néanmoins nombre d’historiens se perdent encore en conjectures
pour expliquer le repli de la Chine, alors même que les nations
occidentales se lançaient à la conquête du monde. Dans son ouvrage
China and Maritime Europe, 1500-1800, John E. Wills nous fournit
sans doute la véritable explication : « Entre 1590 et 1610, Macao
était au sommet de la prospérité, servant de centre névralgique aux
grandes routes commerciales européennes en pleine expansion et à
l’activité économique surchauffée de la Chine des Ming, jouant
notamment un rôle essentiel dans l’exportation de soie brute et de
soieries vers le Japon et l’importation d’argent métal de ce même
Japon. Mais en dépit des profits générés par ce commerce, il y avait
quelque chose à propos de Macao qui dérangeait beaucoup les
habitants de Canton. Les Chinois qui s’y rendaient croisaient dans les
rues des personnages aux allures étranges, issus de toutes les races,
bigarrés : Portugais d’origine, esclaves et métis venus de tout l’océan
Indien. L’architecture, les processions religieuses, le son des cloches
des églises, tout cela disait aux Chinois que ce n’était pas la Chine.
Le fait que des esclaves africains s’échappent de Macao pour se
réfugier à Canton était une autre source de problème. Aux alentours
de 1600, les Cantonais commençaient sérieusement à se dire que
Macao n’appartenait plus à Canton. Les poètes commençaient à
évoquer les dangers des “dragons dans les eaux”, bien différents des
dragons bienfaisants des plaines du Nord, qui apportaient la pluie. »
Cette description révèle aussi une page cachée, ou jamais
abordée, de l’histoire des relations sino-africaines, notamment la
présence d’esclaves africains dans l’empire du Milieu.

Quand la Chine actuelle renoua des relations suivies avec les pays du
continent noir, ses dirigeants n’oublièrent jamais de rappeler qu’ils
avaient laissé en Afrique le souvenir d’un peuple pacifique, ne s’étant
jamais imposé par la force. C’était suggérer que, contrairement aux
« méchants esclavagistes et colons occidentaux », la Chine n’avait
aucune responsabilité dans le martyre des peuples noirs. Et passer
sous silence son implication avérée dans cette tragédie.
À l’époque Song fut écrit le Tchou-Fantcheu (« Description des
peuples barbares »), un ouvrage compilé en 1226, sur la base de
sources antérieures, par un nommé Tchao-Jou-Kou. L’auteur était
inspecteur du commerce extérieur de Ts’iuen-tcheou (port de la
province de Fou-Kien). Il y parle de plusieurs pays africains, y compris
l’Égypte (Wou-sou-Li, c’est-à-dire Misr), la Libye, le Maroc (Mo Kie La :
« Maghreb el agsa ») et les pays de la côte orientale (dont Ts’eng-Pa,
qui est Zanzibar, et Kan-Mei, probablement les Comores). Il y est
question d’Alexandrie et de son phare. Deux régions européennes
sont citées : la Sicile (Sen-Kia-li-ye) et la côte méridionale de l’Espagne
(MouLan-P’i, de l’arabe Mourabit, pays des Almoravides). On y croise
aussi, à l’occasion d’une citation du Ling-wai-Taita, ouvrage écrit
en 1178 par Tcheou Kin-Fei, les îles de K’oun-Loun Ts’eng-K’i, qui
correspondraient à celles de Pemba et de Madagascar, et l’indication
que des milliers de Noirs provenant de K’oun-Loun (donc Pemba ou
Madagascar) étaient vendus comme esclaves en Chine.
On les appelait notamment He-hiao-seu (« serviteurs noirs »), ou Ye-
jen (« sauvages »), ou encore Kouinou (« esclaves ressemblant à des
démons »). Dans le P’ing-tcheou K’o T’an, l’auteur Tchou You déclare
que, « dans la province de Koangtcheaou (Kouang-Tong), la majeure
partie des gens riches possédait de ces “esclaves ressemblant à des
démons” ». Ils étaient ainsi appelés à cause de leur aspect jugé
repoussant par les Chinois ou encore traités de sauvages (Ye-jen).
Une inscription trouvée à Java et datée de 860 de notre ère
identifie sur une liste de domestiques des Zendjs, originaires d’Afrique
orientale vendus en Chine. Une autre inscription javanaise mentionne
d’autres esclaves noirs, offerts par un roi de ce pays à la cour
impériale de Chine. Les Javanais ont ainsi envoyé plus de trente mille
esclaves noirs à la dynastie Ming.
L’histoire atteste qu’il y avait bel et bien des esclaves noirs sous les
Song, en Chine du Sud. Les Occidentaux ne sont pas les seuls acteurs
ou bénéficiaires de la traite et de l’esclavage des Noirs. Ces
nombreux témoignages nous enseignent que l’odieux trafic humain
des Noirs — inauguré par les Arabo-musulmans — aurait même
commencé en direction de la Chine avant que le premier captif
africain ait été embarqué en direction du Nouveau Monde. Des
siècles avant que Français, Anglais ou Portugais aient déporté un seul
Africain, les Chinois en asservissaient des milliers chez eux, qu’ils
tenaient dans un mépris total. Les dirigeants de l’empire du Milieu ont
évidemment toujours évité d’en faire état dans les discours officiels
entre délégations chinoises et personnalités africaines. Il est bien plus
commode de dénoncer et d’utiliser — comme un cheval de
Troie — les crimes des « horribles esclavagistes et colonialistes
occidentaux » envers d’anciennes victimes, devenues aujourd’hui
solidaires de la Chine-Afrique...
CHAPITRE II

Passif colonial des Occidentaux


ou Le cheval de Troie des Chinois

La traite des Noirs n’était pas vraiment préméditée. Les navigateurs


européens savaient ce qu’ils cherchaient, mais ignoraient ce qu’ils allaient
trouver et comment ils allaient le trouver.

Joseph Ki-Zerbo

Après l’arrivée au pouvoir du Parti communiste de Mao Tsé-toung,


en 1949, la Chine, devenue révolutionnaire et anticolonialiste, rétablit
des liens avec des pays africains, en brandissant comme viatique
l’émancipation de ces peuples opprimés. Pékin avait pressenti que
soutenir la décolonisation lui donnerait l’occasion de nouer, de
manière inédite, des contacts privilégiés qui se transformeraient tôt ou
tard en d’intéressantes relations économiques. Durant cette période
transitoire de domination coloniale, tout rapprochait la Chine des
pays africains qui brisaient leurs tutelles occidentales ou étaient en
passe de le faire. La fraternité Sud-Sud était alors un élément fort et
récurrent dans le discours chinois : « La Chine est le plus grand pays
en développement du monde tandis que le continent africain regroupe
le plus grand nombre de pays en développement et dominés. »
Ce principe pacifique de solidarité devait servir de base à
l’organisation d’une conférence afro-asiatique. Celle-ci eut lieu à
Bandung, en Indonésie, du 18 au 24 avril 1955. Elle accueillit six
pays africains, dont l’Égypte et l’Éthiopie. Le Premier ministre indien,
Jawaharlal Nehru, au nom de l’Asie, tendit la main à l’Afrique en ces
termes : « Je pense qu’il n’y a rien de plus terrible que l’immense
tragédie qu’a vécue l’Afrique depuis plusieurs siècles du point de vue
tant racial que pratique. Il appartient à l’Asie d’aider l’Afrique au
mieux de ses possibilités, car nous sommes des continents frères. »
Lors de cette conférence, nombre de responsables de mouvements de
libération nationale sollicitèrent du Premier ministre chinois Chou En-
lai, dit « L’Africain », armes et subsides.
La Chine fournit des cargaisons d’armes aux guérilleros des
colonies portugaises (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau, São
Tomé-et-Príncipe, Cap-Vert) et à la branche armée de l’ANC, qui
combattait le régime raciste de l’apartheid. Son aide sera tout aussi
précieuse pour les mouvements anticolonialistes d’Algérie et de
Rhodésie du Sud. La Chine y formait des spécialistes en guérilla et
leur procurait une assistance militaire. Dans le même temps, après la
nationalisation du canal de Suez en 1956, elle apportera son soutien
à Gamal Abdel Nasser contre la coalition franco-britannique. À la
conférence de Belgrade, en septembre 1961, et à celles qui suivirent,
la République populaire de Chine profita de toutes les tribunes
internationales pour appeler à la décolonisation totale de l’Afrique.
Ses contacts directs avec l’Afrique se limitaient alors principalement
aux pays d’Afrique du Nord.

C’est après la vague d’indépendances des années 1960 que ces liens
se diversifièrent. La Chine ne se contenta pas de nouer des relations
diplomatiques avec les pays subsahariens, elle leur fournit une aide
financière et militaire, ainsi qu’une assistance, surtout dans les
secteurs de l’agriculture et de la santé. Mais elle commençait déjà à
entreprendre quelques grands travaux d’infrastructures. En fait le
chemin de l’actuelle Chine-Afrique a été balisé entre 1963
et 1964 par le Premier ministre Chou En-lai, lorsqu’il entreprit une
tournée de trois mois pour visiter une dizaine de pays africains. La
Chine cherchait alors à rallier le maximum de pays du continent noir
dans son combat idéologique autour du concept que le président
Mao Tsé-toung avait baptisé « théorie des trois mondes ».
Le Grand Timonier décrivait un monde divisé en trois blocs distincts.
Dans ce schéma, le « premier monde » incluait les États-Unis et
l’URSS, seules superpuissances impérialistes. Les pays développés de
l’Europe occidentale, le Japon, le Canada et l’Australie étaient le
« deuxième monde ». En dessous de ces deux univers politiquement et
économiquement puissants, les pays sous-développés d’Asie,
d’Afrique et d’Amérique latine constituaient le « tiers-monde ». Et le
leader chinois présentait ce dernier comme la principale victime de
l’oppression et de l’exploitation capitaliste néocolonialiste ou « sociale
impérialiste » des deux premiers. Jusque dans les années 1970, les
relations entre la Chine et l’Afrique évolueront dans le cadre de cette
conception idéologique du monde, avec en toile de fond l’ambition
de suprématie internationale du Parti communiste chinois.
Un des premiers résultats de cette stratégie fut de permettre à la
Chine de rompre avec l’isolement diplomatique qui était le sien
depuis la fin de la guerre de Corée : sa présence à toutes les
conférences du groupe du tiers-monde lui valut de revenir sur le
devant de la scène internationale. En 1971, c’est avec l’appui massif
des pays africains qu’elle a pu dépouiller Taïwan de sa qualité de
membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, réussissant ainsi
à siéger à côté des grands de ce monde. En remerciement et pour
renforcer ses liens avec l’Afrique, elle y envoya des techniciens
chargés d’assister ces « pays frères ». Beaucoup de médecins et
d’ingénieurs agronomes partirent en réalité pour transformer ce tiers-
monde en base anti-impérialiste faisant contrepoids à l’Occident.

Mais le réalisme économique allait bientôt réorienter la stratégie


idéologique chinoise. Après la mort de Mao, celle-ci va laisser la
place à une véritable coopération économique. Ce changement
s’explique par la nécessité de reconstruire une économie laissée
exsangue par la Révolution culturelle. Les besoins en produits de
première nécessité et en équipements de base étaient énormes pour
un pays qui avait à gérer la première population du monde. Les
résultats de cette ouverture économique, commerciale et financière en
direction de l’Afrique ne tardèrent pas à se manifester. D’autant que
la Chine décida d’adhérer à l’Organisation mondiale du commerce
(OMC), ce qui, ajouté à son siège permanent aux Nations unies, lui
permit de devenir un acteur à part entière dans la mondialisation.
Au sein de l’OMC, la Chine se veut désormais la porte-parole des
pays en voie de développement en prônant un nouveau dialogue Sud-
Sud. Son économie ayant décollé grâce aux réformes engagées
en 1978, elle a dû trouver des marchés pour écouler les importantes
productions de ses usines lancées à plein régime (matériel
électronique, médicaments, vêtements, chaussures, produits
alimentaires, BTP, etc.). C’est ainsi que, devant le déclin de la
nébuleuse « Françafrique », s’est peu à peu imposée une
« Chinafrique » aux contours imprécis. Dans cette offensive de
charme, l’empire du Milieu a un cheval de Troie : il ne manque
jamais de fustiger le passé colonial de l’Europe, qu’il qualifie de
« plus grand méfait » de l’histoire du continent noir.
Il aime aussi à rappeler, avec un certain cynisme, que c’est à son
génie créateur que les nations européennes doivent les moyens
qu’elles ont mobilisés pour découvrir, envahir et coloniser l’Afrique.
Comme le notait en effet le philosophe anglais Francis Bacon, trois
inventions sont à l’origine de la suprématie des Européens consécutive
e
aux découvertes maritimes qu’a connues la fin du XV siècle et qui ont
changé la face du monde : la boussole, la poudre et l’imprimerie. Or
ces inventions émanent du génie chinois. De toutes les grandes
découvertes chinoises, la boussole est sans doute l’une des plus
déterminantes dans l’histoire de l’humanité. Les Européens s’en
servirent dans leur grand mouvement d’expansion pour chercher et
trouver l’Afrique. Elle rendit possibles leurs voyages, donc leurs
découvertes. Ils ont ensuite été aidés dans leur politique de
colonisation par la supériorité militaire décisive que leur procuraient
la poudre et les armes à feu. Quant à l’imprimerie, présente en Chine
e
dès le VIII siècle, soit sept siècles avant Gutenberg, elle leur a permis
de répandre leurs connaissances et d’imposer leur modèle de
civilisation.

Mais les Chinois sont surtout soucieux de justifier la « solidarité Chine-


Afrique » en affirmant avoir été victimes, au même titre que les
Africains, de cette entreprise coloniale : « La Chine et l’Afrique,
disent-ils, ont connu le même sort dans le passé et souffert dans
l’histoire contemporaine et moderne de l’agression et de l’oppression
colonialistes. » Et, tout en jetant un voile obscur sur leur passé
esclavagiste, ils ne se privent pas d’agiter celui des Occidentaux sur
le continent noir, pour mieux se rapprocher de son histoire et ravir la
sympathie de ses peuples.
On peut néanmoins se poser des questions sur la portée réelle d’un
tel discours en direction de populations qui ne sont plus directement
concernées par l’époque et les faits évoqués. La rhétorique
antieuropéenne des nouveaux venus asiatiques ne s’adresse-t-elle pas
qu’à un petit nombre d’individus ? Combien d’habitants de ce
continent, qui est le plus jeune de la planète, peuvent-ils réellement
comparer l’époque coloniale à la présence chinoise d’aujourd’hui ?
L’Afrique est jeune, avec un âge médian de dix-sept ans. 45 % de ses
habitants ont moins de quinze ans. Quant aux plus de soixante-cinq
ans, qui avaient au moins quinze ans au moment des indépendances,
ils ne représentent que 3 % de la population. D’un autre côté, tenter
d’écarter ou de passer sous silence les conséquences postcoloniales
de l’occupation européenne de l’Afrique relèverait sans doute d’une
singulière malhonnêteté intellectuelle, voire d’une escroquerie
mémorielle. Et ce n’est pas un hasard si beaucoup d’intellectuels
africains débattent de ce sujet.

e
Il faut rappeler que, jusqu’au milieu du XVI siècle, les monarchies
portugaises et espagnoles s’étaient arbitrairement partagé la
domination des mers et l’accès aux territoires hors de l’Ancien
Continent. Pour son malheur, l’Afrique possédait d’immenses richesses
naturelles qui ne pouvaient qu’attiser la convoitise et faire d’elle la
principale source d’approvisionnement de l’Europe. Sur les pays
âprement disputés et conquis, les Européens délimitaient leurs
territoires. Ils leur donnaient des noms de leur cru, inspirés le plus
souvent par le produit caractérisant l’endroit : Côte d’Ivoire, Côte de
l’Or, Saint-Georges de la mine, etc.
Dès lors qu’on proclame « Il n’y a de richesse que d’or », tous les
moyens, par la guerre ou par le commerce, sont bons pour s’en
procurer. Bien que ces « conquérants » aient cherché des denrées
rares, qu’ils aient rempli accessoirement une mission civilisatrice,
voire d’apostolat, il n’en demeure pas moins que l’appât du gain
l’emporta sur toute autre considération. Du moins jusqu’à ce que la
découverte du Nouveau Monde ne transforme, par un accident de
l’Histoire, les Européens (Portugais, Espagnols, Français, Anglais) en
trafiquants d’êtres humains. Cela fait dire à l’historien africain Joseph
Ki-Zerbo : « La traite des Noirs n’était pas vraiment préméditée. Les
navigateurs européens savaient ce qu’ils cherchaient, mais ignoraient
ce qu’ils allaient trouver et comment ils allaient le trouver. » Après l’or,
ce fut la main-d’œuvre nécessaire à la mise en valeur du Nouveau
Monde, par une ponction humaine énorme et sans précédent.

La traite négrière s’est imposée comme un pis-aller et comme la


conséquence inattendue d’un débat qui eut lieu en Espagne, grande
puissance européenne et mondiale de l’époque, à propos du statut
théologique des peuples amérindiens, massacrés et réduits en
esclavage pour la mise en valeur du Nouveau Monde. Une réunion
fut convoquée le 15 août 1550 par Charles Quint, empereur du Saint-
Empire romain germanique, d’Espagne et d’Amérique latine, dans la
chapelle du collège Saint-Grégoire de Valladolid. Le débat opposait
les représentants du monarque aux révérends pères dominicains et
était arbitré par monseigneur Salvatore Roncieri, envoyé de Sa
Sainteté le pape et présidant un conseil de quinze juges théologiens
et experts de l’Amérique. L’événement est resté dans l’Histoire sous le
nom de « controverse de Valladolid ». Pour la première fois, disait-on,
une nation conquérante et opprimante acceptait de débattre des
conditions de vie réservées à des populations vaincues et asservies.
Le dominicain Bartolomé de Las Casas, fils d’un des compagnons
de Colomb et évêque de Chiapa, dénonça avec véhémence la
barbarie des conquistadors : « Les Indiens venaient à nous, disait-il,
avec victuailles et sourires... Mais trois mille hommes, femmes et
enfants furent passés au fil de l’épée, en ma présence, sans raison
aucune. » Il défendait l’idée que tous les hommes sont frères et sortis
du même moule, jugeant absurdes les notions de « demi-homme » ou
d’« homme inférieur ». Son contradicteur, Fray Juan Ginés de
Sepulveda, chroniqueur et chapelain de Sa Majesté, et redoutable
polémiste, s’efforçait, quant à lui, de rejeter les Indiens hors de la
sphère humaine : « Les Indiens, affirmait-il, sont aussi différents des
Espagnols que des êtres cruels peuvent l’être des doux et les singes
des hommes. Leur infériorité et leur perversité font des Indiens des
êtres irrationnels. »
L’envoyé du pape finira par reconnaître à ces malheureux
« hommes rouges » une âme... Ils étaient donc rachetés par le sang
du Christ, pourvu qu’ils se convertissent à la Vraie Foi.

En fait, Las Casas remportait une victoire éphémère car cette « bonne
âme charitable » de Roncieri reconnaissait tout simplement que les
Indiens constituaient une piètre main-d’œuvre, souvent réticente... et
qu’il devenait urgent de trouver une « race » de substitution, plus
robuste, accoutumée à la chaleur, facile à gouverner et apte à manier
la houe et le coutelas. Comme l’Afrique regorgeait de bras valides et
sans tutelle, il n’y avait qu’à se servir. L’envoyé de Sa Sainteté,
homme délicat, devait justifier la cause en ces termes : « S’il est clair
que les Indiens ont une âme, en revanche les habitants des contrées
africaines sont plus proches de l’animal. Ils sont noirs et frustes. Ils
ignorent toute forme d’art et d’écriture. Toutes leurs activités sont
physiques et, depuis l’époque de Rome, ils ont toujours été soumis et
domestiqués. Ils n’ont pas d’âme et ne sont point nos semblables... »
C’est ainsi que, pendant plus de trois siècles, l’Afrique allait servir aux
nations occidentales d’immense réservoir de main-d’œuvre servile,
travaillant à mettre en valeur le Nouveau Monde, avant de devenir
une énorme réserve de matières premières et de produits agricoles
quand le temps de la coloniser serait venu.

Car un extraordinaire concours de circonstances — la révolution


industrielle avec ses nouvelles technologies et le développement de
nouvelles cultures en Europe et dans le monde — allait disqualifier
l’institution de l’esclavage. Les outils et techniques agricoles qui lui
étaient associés devinrent progressivement obsolètes. L’exploitation et
la large utilisation de la betterave sucrière en Europe, combinées à la
concurrence des planteurs brésiliens et des Indes néerlandaises,
avaient fini par ruiner les Antilles et certains territoires du Nouveau
Monde, dont l’économie reposait sur la canne à sucre. Quant aux
nombreuses révoltes d’esclaves, elles avaient déjà miné le système et
diminué l’intérêt économique des îles, surtout depuis l’indépendance
de « la perle des Antilles », Haïti. Du coup, notait l’économiste Adam
Smith, le système esclavagiste devenait de plus en plus inefficace et
improductif.
L’Angleterre avait su anticiper tous ces bouleversements. Première à
e
effectuer, au début du XIX siècle, sa révolution industrielle, elle en
comprit aussi les conséquences : que le développement de ce
nouveau secteur économique allait se faire au détriment de
l’agriculture en totale perte de vitesse. Les hommes d’affaires anglais
prirent donc les devants en réinvestissant une part non négligeable
des énormes profits issus de la traite et du travail servile des Africains
dans le circuit de financement des industries de transformation,
support d’un capitalisme nouveau. Ce qui faisait dire à Karl Marx :
« The hunting of black skins signalized the rosy dawn of the era of
capitalist production. » En traduction libre : « La chasse aux Nègres a
annoncé la montée du capitalisme. » Le travail forcé des Africains
dans le Nouveau Monde a apporté le capital nécessaire à la
révolution industrielle et à la croissance de ses firmes.

La première vitrine de cette mutation économique fut le Lancashire en


Angleterre. Sans la proximité du port de Liverpool, cette région
n’aurait jamais pu devenir le premier centre industriel d’Europe. Et
cette nouvelle économie avait besoin d’un autre type de main-
d’œuvre, de matières premières et de débouchés. Tous ces éléments
indispensables aux économies européennes se trouvaient une nouvelle
fois en Afrique.
Pour cela, il fallait passer à la phase de conquête et d’occupation
coloniale du continent noir. Avant l’interdiction de la traite et
l’abolition de l’esclavage, des traités avec les chefs locaux avaient
déjà été négociés pour une cession d’une partie des territoires de la
côte occidentale de l’Afrique. Cette première étape d’occupation, au
Sénégal, avec Saint-Louis, Gorée enlevé aux Hollandais et plus tard
Podor, permit aux Français de disposer de bases navales et
commerciales, mais également de points de départ pour pénétrer à
l’intérieur du continent. Au fil de leur implantation, les Européens ont
découvert des peuples et des mœurs qui leur étaient jusqu’alors
inconnus. Ils ont ainsi le plus naturellement du monde commencé à
imposer leurs valeurs de civilisation à ceux qu’ils pensaient être des
barbares.
Pour les Européens il n’existait de civilisation et de culture que les
leurs. Cette bonne conscience leur conféra le droit d’envahir, de
dominer et d’exploiter l’Afrique sous le couvert de « civiliser » des
peuples. D’autant que, dans cette histoire de conquêtes coloniales, la
religion était partie prenante. Dans le livre IV du Génie du
christianisme, Chateaubriand louait la religion chrétienne d’avoir
fourni à l’humanité la fabuleuse activité de missionnaire, qu’il
présentait comme « une de ces grandes et nouvelles idées qui
n’appartiennent qu’à la religion chrétienne ». Les colons, qui
e
pouvaient déjà compter sur les théoriciens idéologues du XIX

siècle — adeptes du postulat de la supériorité blanche —, allaient


donc également bénéficier de l’appui des missionnaires pour invoquer
un « devoir d’évangélisation des peuples africains ». Le général
Gallieni lui-même avouera en parlant des missionnaires : « Je n’ai pas
de meilleurs collaborateurs dans ma grande tâche de colonisation. »
Et l’Africain de dire aux colons : « Quand vous êtes venus, vous aviez
la Bible et moi j’avais mes terres. Maintenant, j’ai la Bible et vous,
vous avez mes terres. »

e
Au XIX siècle, Anglais et Français supplanteront dans l’aventure
coloniale toutes les autres nations. Ils imposeront dans tous les
territoires qu’ils occuperont des valeurs pour eux universelles.
Dans le sillage des compromissions historiques des penseurs des
Lumières avec les idées racistes, des théories comme le racisme
e
scientifique imprégnaient, au milieu du XIX siècle, les esprits d’un
grand nombre d’intellectuels de l’Ancien Continent. Si, au début de
leurs conquêtes, les Anglais mettaient en avant la supériorité
scientifique et technique de leur civilisation sur celle de « peuples
attardés », par la suite, ils chercheront une « justification raciale » à la
colonisation de l’Afrique. Ce furent les sociologues et scientifiques
britanniques qui se chargèrent de présenter les Noirs comme « des
êtres vivants, similaires aux animaux ». L’une des références
scientifiques de l’époque, Charles Darwin, n’avait-elle pas conclu ses
travaux sur cette assertion définitive : « L’homme s’est élevé de la
condition de grand singe à celle d’homme civilisé, en passant par les
stades d’homme primitif et d’homme sauvage. Le degré le plus fini de
l’évolution a été atteint par l’homme blanc. » Plus ou moins
explicitement, cet éminent chercheur laissait à penser que l’oppression
perpétrée par les colons blancs sur les peuples indigènes était une
« loi de la nature ». Darwin considérait, par exemple, les Aborigènes
et les Nègres « comme étant autant développés que des gorilles ». Le
darwinisme social offrit ainsi à la puissance victorienne sa prétendue
base scientifique, qui légitimait la colonisation, le racisme et la
discrimination dans l’aventure africaine.
La France, dépositaire des valeurs héritées des Lumières, présentait
sa colonisation de l’Afrique comme une œuvre « civilisatrice ». Au
e
début du XX siècle, le ministre des Colonies, Albert Sarraut, conçut
une politique dite de « mise en valeur ». S’appuyant sur la loi
du 12 avril 1921, son gouvernement se lança dans un programme de
grands travaux pour un coût d’environ trois milliards de francs. Cette
entreprise fut un échec. Les investisseurs se souciaient avant tout de
tirer profit de l’Afrique plutôt que de participer à son développement
économique, fidèles au principe ultramercantile du « tout par et pour
la métropole, en dépouillant au maximum, sans grands
investissements ». Telle était la philosophie fondamentale des
politiques coloniales.

Le système devait atteindre son apogée lorsque les retombées de la


dépression de 1929 plongèrent l’économie mondiale dans une
récession sans précédent. Cette crise déstabilisa un peu plus les
sociétés africaines, héritières du troc : l’introduction de la monnaie et
l’application de lois foncières individualisant la propriété ont sonné le
glas de la vieille organisation communautaire et de nombreux autres
repères traditionnels. Comme en une fuite en avant, et en dépit de la
crise, pour faciliter le pillage des richesses du continent, les autorités
coloniales décidèrent de réaliser d’autres « grands travaux », à savoir
des plantations, des voies ferrées et des ports.
Mais la main-d’œuvre volontaire n’était pas légion. On eut alors
recours au système du travail forcé. À la traite et à l’esclavage de
sinistre mémoire, la colonisation substitua une autre forme
d’asservissement, celui-là, déguisé. Des millions d’Africains furent
« réquisitionnés » pour satisfaire aux besoins de portage, des cultures
et des grands travaux. Albert Londres dénonce, dans son ouvrage
Terre d’ébène, les affrontements entre hommes d’affaires et
fonctionnaires pour se procurer la main-d’œuvre, les marchés et les
bénéfices, la justice obsolète voire absurde, les conditions de vie des
populations locales, la domination des Blancs, la mise à l’écart des
métis, la condition des femmes noires, qui étaient encore moins
considérées que le bétail, la pratique d’un esclavagisme masqué par
les colons. « L’esclavage, en Afrique, n’est aboli que dans les
déclarations ministérielles d’Europe, écrit-il. Angleterre, France, Italie,
Espagne, Belgique, Portugal envoient leurs représentants à la tribune
de leur Chambre. Ils disent : “L’esclavage est supprimé, nos lois en
ont foi. Officiellement, oui. En fait, non !” »
Les temps forts de son ouvrage sont consacrés à la dénonciation de
deux scandales : l’exploitation de la forêt en Côte d’Ivoire et la
construction de la voie ferrée Congo-Océan. Londres décrit avec
précision les conditions de travail des Noirs pour la coupe de bois en
forêt. Il nous raconte comment se déroule la foire aux hommes à
Bouaké, la livraison de captifs. La France exploite ces hommes
jusqu’à épuisement pour construire des voies de communication.
Aucune faveur ou aide matérielle ne leur est concédée. La main-
d’œuvre noire est bien moins coûteuse que des véhicules ou des
machines. Les Nègres transportent tout sur leur tête ou sur leur dos : ils
sont considérés comme des « moteurs à bananes ». « Qu’est-ce que le
Nègre ? Le Nègre n’est pas un Turc, comme on dit. Il n’est pas fort. Le
noir, en teinture, n’est pas un brevet de solidité. Parfois, dans les
camps, les prestataires meurent comme s’il passait une épidémie. [...]
On agit comme s’ils étaient des bœufs. Tout administrateur vous dira
que le portage est le fléau de l’Afrique. Cela assomme l’enfant,
ébranle le jeune Noir, délabre l’adulte. C’est l’abêtissement de la
femme et de l’homme. Le Blanc soutenait une thèse, il disait : “Nous
les obligerons à faire des routes ; c’est pour leur bien que le portage
les tue ; les routes faites, ils ne porteront plus.” Ils portent toujours ! »
Au Congo, les gouverneurs de la colonie, M. Victor Augagneur
puis M. Antonetti, qui lui succède, portent un grand projet : relier
Brazzaville à Pointe-Noire, qui débouche sur l’Atlantique. Cinq cent
deux kilomètres de voie ferrée sont à construire. Albert Londres intitule
cet épisode « Le drame du Congo-Océan ». Il raconte comment sont
recrutés des hommes plus ou moins volontaires. Puis comment ils sont
emmenés jusqu’à Brazzaville sur des chalands bondés de voyageurs
(trois cents à quatre cents personnes). Le trajet dure quinze à vingt
jours. À bord de ces embarcations, l’horreur commence : « Les
voyageurs de l’intérieur étouffaient, ceux de plein air ne pouvaient
tenir ni debout ni assis. De plus n’ayant pas le pied prenant, chaque
jour [...] il en glissait un ou deux dans le Chari, dans la Sanga ou
dans le Congo. Le chaland continuait. S’il eût fallu repêcher tous les
noyés !... » Ensuite les Nègres prennent le « pied la route » en
direction de Pointe-Noire. Trente jours de marche environ sur des
pistes, où aucun camp n’est prévu pour le repos de ces hommes. Une
fois arrivés à destination, ils participent tout de suite à la construction
du chemin de fer. Sans matériel, juste leurs mains et leur tête. « J’ai vu
construire des chemins de fer ; on rencontrait du matériel sur les
chantiers. Ici que du Nègre ! Le Nègre remplaçait la machine, le
camion, la grue ; pourquoi pas l’explosif aussi ! Pour porter des barils
de ciment de cent trois kilos les Batignolles n’avaient pour tout
matériel qu’un bâton et la tête de deux Nègres ! » Lors de son
passage sur ce chantier, Londres affirme que déjà dix-sept mille Noirs
y sont morts et qu’il reste trois cents kilomètres de voie ferrée à
construire.
Le gouverneur M. Antonetti, sûr de son fait, confie à l’auteur : « Il
faut accepter le sacrifice de six à huit mille hommes ou renoncer au
chemin de fer. » Ce système du travail forcé sera finalement aboli par
la promulgation de la « loi Houphouët-Boigny » du 11 avril 1946.
L’occupation coloniale de l’Afrique battait de l’aile. Visionnaire,
Albert Sarraut avait écrit en 1931 dans son ouvrage Grandeur et
servitudes coloniales : « S’agit-il du soin des races ?... Voici que
l’œuvre provoque en retour le drame de la surpopulation... des
millions de bouches nouvelles à nourrir. La cadence de leur croissance
a été plus accélérée que celle de l’accroissement des moyens de
vivre. La philanthropie entend monter vers elle le grondement des
besoins insatisfaits.
« S’agit-il du progrès économique ?... Pour le service de la
plantation, de la mine ou de l’usine, [la colonisation] a provoqué la
formation d’un prolétariat dont les misères et l’agitation dressent
devant elle un péril social nouveau. S’agit-il de l’instruction et de
l’éducation des races ?... Comme partout, l’école a fait des savants,
mais elle a exacerbé la déception des ratés, qui prennent la tête des
séditions. Elle a, d’autre part, éveillé et aiguisé l’esprit critique qui
s’exerce plus âprement contre le pouvoir colonisateur en s’alimentant,
d’ailleurs, à la lecture des journaux ou des pamphlets rédigés dans la
langue même du pays souverain. Enfin... le souci honorable que nous
avons eu de rappeler à des peuples indigènes qui les avaient oubliés
les fastes de leur propre histoire et l’éclat de leurs anciennes
civilisations... a réveillé parmi nos protégés des sentiments d’orgueil
qui se font une arme contre nous des gloires du passé national.
« S’agit-il de l’association indigène à la défense de la colonie ?...
Le colonisateur a livré ainsi à ses assujettis les secrets et les moyens
matériels de sa propre force... En tout domaine où son effort fut guidé
par une intention bienfaitrice, le colonisateur a organisé contre lui la
menace... Et, par exemple, lorsqu’il construit des routes et des voies
ferrées... le colonisateur a mis en contact étroit des populations qui
s’ignoraient ou parfois se haïssaient ; il a rapproché leurs esprits et
leurs idées dont les identités se sont soudain révélées ; de la sorte, il a
opéré l’unification morale d’abord, politique ensuite, de pays
longtemps séparés et qui retrouvent leurs affinités contre les colons. »
Pour la première fois dans l’histoire, une entreprise qui était plus
mercantile que « civilisatrice » avait sans le vouloir sonné le glas de
son propre déclin. Les Anglais, principaux concurrents des Français
dans l’aventure coloniale, avaient longtemps redouté que la
désintégration de leur empire consécutive à l’indépendance de l’Inde
ne provoque leur faillite économique. Ce ne fut pas le cas, comme on
sait. Cela n’échappa pas au visionnaire qu’était le général de Gaulle,
qui cherchait une porte de sortie honorable, digne de la « grandeur
de la France ». L’homme qui disait de son pays : « La France est une
dimension spirituelle de l’histoire » était devenu très matérialiste sur la
question africaine. Il pensait, comme les milieux d’affaires de
l’Hexagone, qu’il valait mieux abandonner la couverture politique de
ce système. Celui-ci était certes rentable en matière de pillage
économique, mais il était devenu socialement explosif.

Les modes de domination allaient simplement changer. La colonisation


prit fin avec le désengagement des puissances européennes mais fut
remplacée par un système que Nkrumah qualifia de néocolonialisme
et définit comme « la situation d’un pays politiquement, juridiquement
souverain, mais dont les décisions essentielles émanent de forces
extérieures ». C’est dans cet esprit que le retrait français d’Afrique fut
amorcé. La « Françafrique » pointait à l’horizon, d’autant plus
sûrement que nombre de pays africains francophones adopteront
pour monnaie le franc CFA. Et comme disait le grand financier
américain Mayer Amschel Rothschild : « Laissez-moi émettre et
contrôler la monnaie d’une nation, et je me fiche de qui fait ses lois. »
Au début des années 1960, la souveraineté de la presque totalité
des États du continent noir fut transférée à des pouvoirs locaux. Ce
mouvement, vécu comme une libération, s’inscrivait en réalité dans le
carcan d’un ordre économique international régi par la division entre
pays industriels développés et pays sous-développés, les premiers
fixant les règles du jeu, les seconds les subissant. Généralement
agricoles et exportateurs de matières premières, les pays africains
sous-développés sont donc restés sous la tutelle des anciennes
puissances coloniales, leurs économies étant régulées par les
spéculations boursières des capitales occidentales, dans le cadre
d’une progressive mondialisation des marchés. Le poids des
anciennes métropoles a continué de peser sur l’Afrique dans tous les
domaines, du tracé des frontières et des principales voies de
communication aux relations économiques, politiques et culturelles.

Dans leur lune de miel actuelle avec l’Afrique, certains économistes


chinois tentent d’accréditer la thèse que cette situation serait due à
une conspiration entre pays occidentaux développés, décidés à
exploiter les pays asiatiques et africains sous-développés ou en
développement, alors qu’elle résulte tout simplement de la révolution
industrielle européenne et nord-américaine. L’interdépendance
économique s’est instaurée de fait, car, sans l’occupation et le pillage
des richesses du sous-sol africain pour alimenter les industries de
transformation occidentales, cette révolution industrielle n’aurait pas
connu le succès qui fut le sien.
Mais l’expansion croissante du commerce avec l’Afrique se fit aussi
grâce à une autre révolution, celle des transports. Le commerce,
tributaire jusque-là de la navigation fluviale et du cabotage, vit son
horizon profondément modifié par la modernisation de la marine
e
marchande : dès la fin du XIX siècle, les pays africains commencèrent
à occuper une place de plus en plus importante dans le commerce
mondial. La part des colonies dans le commerce français est passée
de 6 % en 1900 à 25 % en 1959, à la veille des indépendances.
Dans ce contexte, les puissances coloniales n’avaient aucun intérêt à
promouvoir l’industrialisation des pays africains qu’elles contrôlaient.
D’une manière générale, elles firent ce qu’elles avaient toujours fait
depuis les débuts de la colonisation, et qui d’ailleurs l’avait justifiée :
ne pas accorder aux pays vassalisés d’autre rôle économique que
l’exportation de produits agricoles et de matières premières,
essentiellement au bénéfice de leurs métropoles. Cette stratégie a
perduré bien après les indépendances. À y regarder de plus près, les
politiques menées actuellement par les Chinois sur le continent noir ne
sont guère différentes.

Les règles du marché international ont continué à maintenir un écart


important entre les pays industriels d’Europe et ceux du Sud. En clair,
jusqu’à nos jours, ce que l’on appelle communément les termes
factoriels de l’échange, autrement dit « la quantité de produits
importés qu’une nation peut se procurer contre une unité de travail
national », condamnent l’Africain à être dépouillé dans toutes les
transactions. L’exploitant malien aura beau consacrer autant de soin
et de compétence à la culture de son coton que le fermier américain
au même produit, leurs revenus respectifs seront toujours très
différents, au mépris d’une certaine justice qui voudrait que la valeur
d’un même produit et des compétences égales soient récompensées
par des revenus égaux.
Dans les années 1960-1970, avant la grande offensive chinoise,
les matières premières africaines avaient perdu près de 70 % de leur
valeur. L’impasse était presque totale. Les Africains payaient de plus
en plus cher la plupart des produits qu’ils consommaient, pourtant
fabriqués à partir de leurs exportations. Faute de disposer d’une
industrie locale capable de les transformer, les pays pourvoyeurs de
matières premières, non seulement se privent de la plus-value attachée
à cette opération, mais, en plus, sont obligés de passer sous les
fourches Caudines du commerce international où le cours de ces
matières premières dépend des Bourses occidentales. Résultat : le
commerce extérieur des pays occidentaux n’a fait que croître, celui
des Africains que se détériorer.
Les puissances coloniales avaient pillé l’Afrique jusqu’aux
indépendances des années 1960. Puis, pour y pérenniser leurs
intérêts, elles y ont soutenu les régimes les plus répressifs, avant de
finir par se retirer progressivement du continent, dès lors que
prévalaient les politiques d’ajustement libéral adoptées par des
institutions internationales à leur service. Dans ces conditions somme
toute désastreuses, les exigences économiques et politiques qui
accompagnent les accords de coopération ne pouvaient être que mal
perçues et considérées comme autant de manœuvres de type néo-
colonial. Nombre d’Africains les accusent encore aujourd’hui d’être à
l’origine du plongeon de leurs pays dans les abysses du sous-
développement. Les mesures de relance des économies africaines par
le biais de l’« ajustement structurel », terrible diktat imposé à partir
des années 1980, ont réduit les États à leurs fonctions étroitement
régaliennes, tant et si bien que les Africains ont fini par perdre leurs
capacités d’initiatives économiques, pour n’être plus que des
quémandeurs passifs, soumis aux directives, aux exigences,
d’institutions financières internationales et de bailleurs bilatéraux sans
scrupules. Quant à l’hypothétique croissance attendue, qu’on leur
avait fait miroiter, elle n’apparut point, tandis que la dette des États
grimpait à des sommets vertigineux, au point de devenir, pour de
nombreux pays du continent, un fardeau insupportable. Les prêts
ajoutés aux intérêts cumulés fermaient à l’Afrique toute possibilité de
remboursement. Il n’existait plus de plans crédibles permettant aux
plus pauvres d’honorer leurs engagements et de mener à bien des
objectifs de développement.
Le continent était en outre ravagé par des conflits ethniques
récurrents et sanglants, tandis que ses populations fragilisées faisaient
face à de dangereuses pandémies (paludisme, lèpre, choléra).

Ruinée, l’Afrique se retrouvait en marge du circuit économique


mondial et sanctionnée par le départ massif des entreprises
occidentales, qui considéraient sans doute comme une fatalité ces
catastrophes insurmontables. L’afro-pessimiste Stephen Smith écrit
dans son macabre constat intitulé Négrologie : « Depuis
l’indépendance, l’Afrique travaille à sa recolonisation. Du moins, si
c’était le but, elle ne s’y prendrait pas autrement. » Avant d’ajouter :
« Seulement, même en cela, le continent échoue. Plus personne n’est
preneur. » Mais là où tant d’Occidentaux ne voyaient plus qu’une
terre de misère, un déversoir de l’aide humanitaire, la Chine, devenue
l’« usine du monde », vit une opportunité. Elle qui avait planifié son
grand retour en Afrique n’en attendait que l’occasion.
Et les Occidentaux lui avaient facilité la tâche sans le savoir en lui
offrant, avec une Afrique délaissée, une mine de richesses d’autant
plus facilement exploitable que l’isolement international de ce
continent l’avait rendu vulnérable.
Mais il fallait d’abord régler un problème d’ordre diplomatique en
mettant hors jeu l’île de Taïwan. Une dizaine de pays africains
avaient reconnu la république taïwanaise. L’Afrique du Sud était
même son plus important partenaire. En 1998, ce pays devait
renoncer à ces relations commerciales privilégiées au profit de la
reconnaissance diplomatique de la Chine continentale. De nombreux
pays africains suivront son exemple.
Exploitant à outrance le passif des Occidentaux, la Chine arrive en
Afrique sans lier son aide à aucune condition. Elle présente aux pays
africains une offre dépourvue de toute contrainte extracommerciale,
telle que le respect des droits humains, de la liberté de la presse ou
autre convention contre la corruption ou en faveur de la bonne
gouvernance. Le tout dans un esprit « gagnant-gagnant » (win-win) et
de « solidarité Sud-Sud », entre peuples anciennement victimes de
l’Occident, dit-elle, et sur une base d’égalité politique, de confiance
mutuelle, de coopération économique et d’échanges culturels. En
d’autres termes, la Chine s’oppose en tout point aux pays
occidentaux, qu’elle taxe de donneurs de leçons pleins d’exigences.
Le constat d’un grand observateur de cette nouvelle alliance, M.
Renaud Delaporte, est clair : « La Chine s’impose comme étant la
seule puissance capable d’offrir à l’Afrique l’espoir d’une politique de
développement réaliste, pragmatique et par conséquent applicable.
Elle entérine l’échec de trente-trois ans de politique africaine
française. »
D’aucuns semblent surpris, alors que, dans un ouvrage rédigé
en 1965 et intitulé East Wind over Africa : Red China’s African
Offensive, John Cooley mettait déjà en garde contre l’expansion
tentaculaire de la Chine communiste en Afrique. Il écrivait : « La
Chine s’est installée en Afrique et compte bien y rester... Du Caire au
Cap, des îles de l’océan Indien au golfe de Guinée, traversant les
savanes et les montagnes, un vent nouveau venu d’Orient souffle sur
l’Afrique. » On avait fini par croire que la Chine, isolée derrière sa
Grande Muraille durant des siècles, avait perdu l’envie de s’adapter
aux autres civilisations ou de cohabiter avec elles. Elle a aujourd’hui
compris les enjeux de notre monde pluriel et s’est sans doute
souvenue de cet adage de Confucius : « Qui ne se préoccupe pas de
l’avenir lointain se condamne aux soucis immédiats. »

La Chine a définitivement rompu avec son isolement passé pour


devenir un acteur à part entière de la mondialisation, en usant d’une
des armes les plus redoutables et les plus adaptées à notre époque :
la puissance économique. Elle s’est « jetée » sur l’agonisante proie
africaine, l’œil rivé sur ses matières premières, et, avec un dynamisme
impressionnant, déploie une stratégie globale visant à lui ouvrir de
nouvelles zones d’expansion. Elle n’ignore pas que le maintien de sa
place dans le concert des nations est intimement lié à sa capacité à
diversifier et à sécuriser ses sources d’approvisionnement
énergétiques, quitte à aller les chercher ailleurs.
Quant à l’Afrique, lâchée par l’Occident, elle a accueilli ce
prédateur en partenaire providentiel, fraternel et capable de tous les
miracles. L’un de ses proverbes proclamant que « mieux vaut marcher
sans savoir où l’on va que rester assis sans rien faire », elle suit...
CHAPITRE III

Le réveil du dragon
à l’assaut de la proie africaine

Mieux vaut marcher sans savoir où l’on va que rester assis sans rien
faire.
Proverbe africain

Depuis plus d’un siècle, les prédictions à propos du « réveil de la


Chine » ont été nombreuses. Mais elles ont dû attendre, pour se
vérifier, l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping. Lors de la grande
famine qui ravagea la Chine sous Mao, ce visionnaire avait autorisé
de nombreux paysans à cultiver de petits arpents de terre, ce qui était
prémonitoire. Le Grand Timonier ne lui pardonnera jamais d’avoir
créé dans son dos cette « ouverture de type capitaliste ». Il connaîtra
la disgrâce, pour n’en sortir qu’un an après la mort de Mao.
Néanmoins, par ce genre d’actions, Deng et quelques compagnons,
comme Cheng Yue, ont sauvé la vie de millions d’innocents. Nul ne
s’étonna, par conséquent, que Deng, devenu l’homme fort du régime,
agisse pour l’ouverture (kaifan) et la modernisation (sien dai hua) de
son pays. Tout a commencé en 1978, point de départ crucial.
Cette année-là, Deng Xiaoping entreprit, sans faire de
bruit — contrairement à Gorbatchev avec sa perestroïka —, mais
avec la plus grande efficacité, de restructurer la société de son pays
en lui imposant de nouveaux choix politiques et économiques. Là se
situe le véritable tournant qui devait conduire à l’intégration de
l’économie nationale chinoise dans le marché mondial et à son
ouverture à l’investissement étranger. Il n’était pas question de brûler
les étapes, plutôt d’obéir au célèbre mot d’ordre : « Traverser la
rivière en tâtonnant de pierre en pierre. » Les dirigeants chinois
avaient découvert, d’une part, qu’ils avaient la possibilité de
promouvoir le développement de leur pays en utilisant ses propres
ressources (pétrole et charbon dans les années 1970-1980) ; d’autre
part, que leur pays constituait en lui-même un immense vivier de
consommateurs, susceptible d’attirer l’aide et les investissements
étrangers nécessaires à sa modernisation (1990).
Le but était d’en finir avec un sous-développement dont la
responsabilité incombait pour beaucoup au maoïsme. Si l’histoire ne
retient aujourd’hui que le nom de Deng Xiaoping, le principal acteur
de ce revirement politique est un génial technocrate du nom de Chen
Yue. Vétéran de la lutte révolutionnaire aux côtés de Mao, l’homme
était aussi l’architecte de la planification économique. Dès la
troisième session plénière du huitième Comité central, en octobre
1957, il avait suggéré de réduire le poids du Parti dans le processus
de production, en même temps que d’adopter des mesures matérielles
incitatives en direction des paysans et des ouvriers. C’est là qu’il faut
trouver la source ou l’inspiration des réformes que Deng Xiaoping mit
en œuvre à partir de 1978.
Pour le reste, il faut reconnaître à Deng le courage d’avoir purgé le
pouvoir de tous les vieux dirigeants dont la légitimité ne reposait que
sur leur participation au combat révolutionnaire qui avait amené le
Parti communiste chinois au pouvoir. Et pour mieux relever les défis
dont dépendait le « réveil » de cet immense pays, il les a remplacés
par une génération de technocrates plus jeunes, plus pragmatiques et
souvent formés à l’étranger comme lui. Deng Xiaoping réussira ainsi à
doter la Chine d’un mécanisme de sélection de ses dirigeants
privilégiant l’expérience acquise dans la gestion concrète de grandes
villes et provinces. Puis, au lieu de lorgner du côté des Occidentaux, il
se tourna, pour s’en inspirer, vers un État partageant la même identité
culturelle : Singapour.
Deng était séduit par les réalisations économiques de ce pays. Lors
d’un entretien, le Premier ministre de Singapour, Lee Kuan Yew, lui
avait dit : « Vous pouvez mieux faire que nous, car nous sommes les
descendants de paysans sans terres du sud de la Chine, alors que les
mandarins, les écrivains, les penseurs et les gens brillants se trouvent
ailleurs en Chine. » Depuis, Deng n’avait jamais cessé de conseiller à
ses compatriotes de suivre l’exemple de Singapour. C’est ainsi que la
Chine « communiste » s’est ouverte à l’économie de marché.
Puis l’architecte du renouveau chinois fixa deux objectifs majeurs à
la diplomatie de son pays : au niveau international, favoriser le
développement progressif de relations axées sur la solidarité et la
paix ; au niveau national, promouvoir une « économie de marché
socialiste ». En 1978, le troisième plénum du XIe congrès du Parti
communiste chinois inaugurait le début d’une ère nouvelle, celle de
l’ouverture sur l’étranger et de la dérégulation économique. Cette
double inflexion a entraîné des transformations qui ne sont pas
neutres. L’introduction des mécanismes de marché dans une économie
initialement planifiée a conduit l’appareil bureaucratico-politique vers
une séparation de l’État et du management d’entreprise, tandis que
l’intervention croissante du privé, par l’intermédiaire des entreprises et
des capitaux étrangers, a contribué à l’intégration du système dans un
mouvement d’internationalisation.
Cette politique fit sentir ses effets de façon spectaculaire aux yeux
du monde après deux décennies. Elle a permis à la Chine
d’enregistrer des taux de croissance aussi surprenants qu’imprévus.
Ce pays qui pesait moins de 1 % de l’économie mondiale en 1978,
au début des réformes de Deng, dont le commerce extérieur excédait
à peine vingt milliards de dollars, grâce à cette mutation, est en passe
de devenir l’un des géants de la planète. Car, contrairement à ce que
pensaient les conservateurs du Parti habilement bluffés, l’ouverture
décidée par Deng n’était pas un remake de la fameuse et temporaire
Nouvelle Politique économique (NEP) de Lénine en 1921. L’action de
Deng visait le long terme et à hisser son pays au sommet des
puissances mondiales du XXIe siècle.

La Chine veut renouer avec l’histoire de son passé et la parfaire. Ce


pays peut bien se proclamer communiste, nombre de ses citoyens
vous diront : « Le gouvernement chinois est communiste, mais la
société est capitaliste », certains jouant même avec les initiales du
Parti (PCC) pour le rebaptiser Parti capitaliste chinois. Et, pour
pérenniser cette aisance naissante, la Chine a compris qu’il lui fallait
sécuriser ses sources d’approvisionnement. L’Afrique sera un élément
de cette stratégie.
Au cours de sa visite au Nigeria, en avril 2006, le président Hu
Jintao n’a pas manqué de souligner les atouts du continent noir.
Aujourd’hui, les entreprises chinoises passent avec des producteurs
africains de matières premières des contrats d’approvisionnement
presque léonins, à très long terme : de vingt à trente ans, la norme
étant jusqu’alors de quelques années seulement. Cette demande
planifiée a contribué à la hausse durable des cours des matières
premières. Dans tous les sommets Chine-Afrique, le « frère » chinois,
soucieux des intérêts d’un État avide d’hydrocarbures et de matières
premières, met en avant l’attachement infini de son pays au continent
noir. Ces rencontres se concluent généralement par l’adoption d’une
déclaration et d’un nouveau plan d’action. C’est presque magique
pour des pays dont le monde se désintéressait il y a seulement
quelques années.
Les autorités chinoises brandissent toujours le principe du
« gagnant-gagnant » : dans ce système de coopération économique,
à les entendre, aucun partenaire ne serait lésé. Elles parviennent
même à rallier à leur cause des spécialistes occidentaux et pas des
moindres. Harry G. Broadman, conseiller économique pour la région
Afrique à la Banque mondiale, affirme : « Cette nouvelle “route de la
soie” offre en potentiel à l’Afrique subsaharienne — région où vivent
trois cents millions de personnes parmi les plus pauvres qui soient, et
qui constitue pour le monde le défi le plus redoutable sur le plan du
développement — une occasion majeure et jusqu’ici inégalée
d’accélérer son intégration internationale et sa croissance. » Pour Liu
Naiya, chercheur à l’Académie des sciences sociales de Chine,
spécialiste des affaires africaines : « Après plus de deux décennies de
réformes et d’ouverture, la Chine est en mesure de satisfaire aux
besoins des pays africains, notamment pour les technologies
sophistiquées, à un coût relativement bas, et d’apporter son
expérience de réduction de la pauvreté et de développement
économique. » Et l’on a pu entendre le secrétaire général de l’ONU,
Ban Ki-moon, prendre à son compte ce genre de discours : « La
famille des Nations unies s’est fermement engagée à soutenir la
coopération Chine-Afrique. Le système des Nations unies intensifie
actuellement sa collaboration avec la Chine en matière de
coopération Sud-Sud, de manière que cela profite aux pays
africains. »
Cependant il n’est pas interdit d’émettre des doutes quant aux
véritables intentions de la Chine et au réel bénéfice que les
populations africaines pourraient tirer de tant de générosité.

En fait cette coopération Chine-Afrique est plus animée par le principe


du « donnant-donnant » que par celui du « gagnant-gagnant ». Au
début de l’année 2006, le ministre des Affaires étrangères, Li
Zhaoxing, est passé au Cap-Vert, au Sénégal, au Mali, au Liberia, au
Nigeria et en Libye. À Monrovia, capitale d’un État riche en diamants
et situé en pleine zone d’influence américaine, il a offert vingt-cinq
millions de dollars pour la reconstruction du pays saigné par une
longue guerre civile. En attente de quoi ? Nul ne le sait pour l’instant.
En avril, le président Hu Jintao a rendu une visite officielle au Maroc,
au Nigeria et au Kenya. À Lagos, il a offert quatre milliards de dollars
pour améliorer les infrastructures. Mais c’est en échange de plusieurs
licences d’exploitation pétrolière. À Nairobi, il a apporté sept millions
et demi de dollars d’aide et de prêts pour la lutte contre la malaria,
pour le développement de la riziculture et la construction d’un grand
stade. Là encore, le Chinois a obtenu des droits d’exploitation
pétrolière, cette fois dans l’océan Indien. En juin, le Premier ministre
Wen Jiabao a accompli une autre grande tournée en Égypte, au
Ghana, au Congo Brazzaville, en Angola, en Afrique du Sud et en
Tanzanie. Dans ces pays ses motivations vont du pétrole aux minerais.
En fait, tous les financements chinois de projets d’infrastructure ou
de prestige en Afrique sont systématiquement « liés » à l’octroi de
concessions pétrolières ou minières. Généralement, les entreprises
chinoises qui opèrent sur le continent sont spécialisées dans ces
ressources ; on en recense près de mille. Comme le note l’économiste
Bruno Hellendorff : « La Chine lie aide et affaires de manière
innovante en promouvant ses intérêts nationaux au travers de
partenariats mutuellement bénéfiques mis en œuvre par un large
spectre d’acteurs et d’instruments. De cette façon, l’aide au
développement chinoise n’est pas vue comme un enjeu moral, mais
comme un outil de persuasion politique et une manière d’adoucir
l’entrée d’opérateurs économiques chinois sur le continent. »

La stratégie d’implantation de la Chine en Afrique est bien rodée. Si


ses entreprises peuvent y réduire considérablement leurs coûts et
remporter si facilement les appels d’offre africains, c’est qu’elles
bénéficient du double avantage de subventions considérables (Pékin
est toujours derrière avec des réserves financières de l’ordre de deux
mille quatre cents milliards de dollars) et d’une main-d’œuvre bon
marché. Pour un pays africain, la facture chinoise est 30 à 50 %
moins élevée que la facture occidentale. Troisième corde à leur arc,
les entreprises chinoises ne travaillent jamais seules mais se réunissent
en véritables conglomérats afin de proposer aux pays africains des
offres complètes ou « packages ». Ainsi, sur un projet
d’assainissement au Sénégal, ont-elles pu proposer moins du tiers du
coût proposé par des entreprises françaises.
Les Chinois dominaient déjà le petit commerce sénégalais, ils sont
aujourd’hui très présents sur les grands chantiers du pays, qui ont
constitué une véritable aubaine pour des entreprises comme Henan
Chine. Celle-ci a même eu les yeux plus gros que le ventre puisqu’elle
a dû, ce qui est rare, sous-traiter une partie de la tâche à de petites
PME locales. Pour rester dans le coup, de grands entrepreneurs
sénégalais avaient été contraints de s’allier aux Chinois. Le cas le plus
connu est celui de la construction de la première tranche de
l’autoroute à péage qui doit relier Dakar à Thiès (une ville de
l’intérieur). Le patron de l’entreprise Jean Lefebvre Sénégal (Jls) a été
obligé de se rapprocher de Henan Chine pour que son offre soit
acceptée. Pourtant, assure cet entrepreneur, « j’avais la capacité de
réaliser seul cet ouvrage. Mais je n’aurais rien obtenu sans ce
partenariat ». Voilà longtemps qu’un autre grand commerçant, patron
du holding CCBM, applique cette stratégie d’alliance. Il est
maintenant le distributeur exclusif des véhicules de marques chinoises
au Sénégal (avant l’invasion chinoise, son usine de Dakar montait des
réfrigérateurs et des téléviseurs coréens).
Et quelques hommes d’affaires ironisent : l’État n’est pas payé en
retour de la confiance qu’il accorde aveuglément aux Chinois. Ils
rappellent l’histoire de Sénégal-Pêche, société florissante de
transformation de poisson qui a fermé ses portes deux ans après avoir
été cédée à des repreneurs chinois. Ceux-ci ont disparu en laissant
une ardoise de plus de dix milliards de francs CFA (15 millions
d’euros). Plus de deux cents pères de famille se sont retrouvés au
chômage. Arrêté, l’un des patrons a bizarrement été libéré avant son
procès, puis s’est évanoui dans la nature, bénéficiant probablement
de quelques complicités intéressées.
Partout en Afrique, sur tous les grands projets de ports le long de la
côte Atlantique, de chemins de fer ou de barrages, les Chinois sont
là. Lors d’une négociation avec la République démocratique du
Congo, explique Daniel Guérin, « les fonds n’ont pas été directement
prêtés au gouvernement africain, mais le gouvernement chinois a
mandaté une entreprise publique chinoise de construction — recevant
généralement le soutien de l’Exim Bank (Banque chinoise
d’investissement et d’import-export) — pour réaliser des projets
d’infrastructures avec l’accord du gouvernement africain concerné.
« Ensuite, en contrepartie du financement de ces infrastructures, le
gouvernement africain accorde à des entreprises chinoises (privées la
plupart du temps) le droit d’extraire des ressources naturelles (pétrole,
minerais, etc.), à travers l’acquisition de parts dans une entreprise
nationale et de licences. Le “package deal” s’accompagne aussi de
dons consacrés à la construction d’écoles, d’hôpitaux ou de bâtiments
de prestige (palais présidentiels ou stades de foot) par des entreprises
chinoises. »
Dans le « package deal » chinois, un projet peut contenir à lui seul
une station de pompage, un barrage hydroélectrique, une centrale
électrique, un chemin de fer d’acheminement, une raffinerie et une
station portuaire. Ce type d’offre permet de mettre en place des
infrastructures complètes, cohérentes entre elles du début de
l’extraction de la matière première à son exportation vers la Chine.
Face à une telle concurrence, les géants occidentaux, du bâtiment
et des travaux publics par exemple, ne prennent même plus la peine
de monter un dossier, si bien que la plupart des pays africains sont
progressivement conquis par les grandes entreprises chinoises de BTP
ou de télécommunication. Leurs coûts particulièrement bas et une
attention très limitée aux prises de risque disqualifient leurs rivales
occidentales, pourtant traditionnellement présentes dans ce secteur.

Si, depuis quelques années, les entreprises chinoises trustent la


plupart des appels d’offre portant sur les grands contrats de
construction, c’est aussi qu’elles peuvent mobiliser rapidement et sur
de longues durées des milliers d’ouvriers. Ceux-ci travaillent vite et
bien, et acceptent de vivre dans des conditions spartiates. Ces petits
hommes durs à la tâche ne parlent ni anglais ni français. Sur un
continent très attaché aux contacts humains, ils montrent peu de
curiosité pour les autochtones. Ces travailleurs ou « coopérants »
chinois vivent toujours entre eux, adoptent souvent des attitudes
perçues comme méprisantes, voire racistes, mangent chinois (un bol
de riz), bâtissent leurs infrastructures avant de disparaître sans laisser
de traces et retourner en Chine.
Mais quel État européen ou africain pourrait disposer d’une telle
capacité logistique et déployer tant de main-d’œuvre silencieuse ? Et
quant à cette propension à se replier sur soi-même, pourquoi pas ?
Dans certains pays où ils logent à proximité des nationaux, comme en
Côte d’Ivoire, on les trouve bruyants et sales. Ils crachent par terre,
cuisinent des produits exhalant de fortes odeurs, sont des locataires
revêches, peu soigneux de leurs jardins et asociaux... Bref, ces
reproches réunissent les classiques clichés xénophobes, généralement
exagérés, que les populations agacées réservent habituellement aux
émigrés.
Cependant beaucoup de ces travailleurs chinois sont en réalité des
bagnards ou des repris de justice qui peuvent obtenir des remises de
peine substantielles en allant « faire un tour chez les Noirs ». Cela
ressemble fort à du « déjà-vu ». La présence en Afrique d’une main-
d’œuvre chinoise douteuse remonte à la seconde moitié du XIXe siècle.
Pour pallier le manque de bras provoqué par l’interdiction de la traite
et l’abolition de l’esclavage, la France et l’Angleterre étaient allées
chercher en Asie, en Inde, en Indochine et en Chine, des milliers de
travailleurs dits « engagés ». Comme aux Antilles, ils étaient recrutés
pour travailler dans les plantations de canne à sucre. En Afrique ils
furent même blanchisseurs lors de la construction du chemin de fer
reliant Mombasa à Kampala ou à proximité des mines d’Egoli
(Johannesbourg), la cité de l’or. Ces coolies sont à l’origine des
prospères communautés commerçantes chinoises qu’on trouve encore
à Maurice, aux Seychelles ou à Madagascar. À ces « engagés », il
faut ajouter quelques bagnards. Le Gabon avait déjà hébergé pour
un temps un bagne sur le modèle de la Guyane française. Cette
prison accueillait des condamnés de droit commun venus de
Cochinchine, d’Annam et du Tonkin, parmi lesquels on trouvait
beaucoup de Chinois installés en Indochine. La plupart de ces
bagnards, libérés sur place, resteront en Afrique. La Chine,
championne des imitations, a dû s’inspirer de ce précédent.
Il semble même que, dans certains pays où la main-d’œuvre locale
est peu fiable, les Chinois aient suggéré aux autorités de lui associer
des prisonniers. L’octroi de nombreux marchés à des compagnies
chinoises de travaux publics qui importent de Chine ce type de main-
d’œuvre permet à ces mêmes entreprises de récupérer indirectement
une partie de leur financement, tout en étant remboursées des prêts
par les États débiteurs. Ainsi, à force de montages tortueux, de
financements d’État et de main-d’œuvre caporalisée, les Chinois
commencent-ils à grignoter des parts de marché jusque dans le
secteur de l’automobile. Le cas de Peugeot est caractéristique : la
marque, qui dominait il y a une trentaine d’années le marché africain,
a été totalement dépassée par les véhicules low cost produits en
Chine.
Par-delà les subventions considérables allouées à leurs entreprises par
Pékin et le recours à une main-d’œuvre peu coûteuse, les Chinois
profitent aussi, pour accéder au marché africain, des normes sur les
produits manufacturés qui y sont moins exigeantes que celles des pays
occidentaux. L’Afrique sert ainsi, depuis peu, de « laboratoire » pour
les constructeurs automobiles chinois. Alors que leurs voitures ont
échoué à plusieurs crashs tests en Europe, s’en voyant interdire le
marché, ils envahissent l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Égypte, le
Soudan, avec des voitures neuves, copies presque parfaites des
modèles conçus par les grandes marques occidentales, qualité et
sécurité en moins et à des prix défiant toute concurrence.
Ces industriels sont difficiles à écarter, voire impossibles à battre,
parce qu’ils ne respectent aucune règle. Leur refus de considérer les
questions liées à la corruption, au non-respect des conditions
environnementales leur confère un avantage incontestable par rapport
aux firmes occidentales. Dans de nombreux domaines, des
multinationales, telles que Total, Bouygues et Bolloré, ont perdu des
contrats pour ces raisons. C’est à penser que les Occidentaux — par
honte de leur passif colonial ou victimes de leur inadaptation à la
configuration géopolitique actuelle — n’ont plus d’autres recours que
d’agiter des épouvantails comme le déficit dans le domaine des droits
de l’homme pour extirper l’ogre chinois de leur aire de jeu
traditionnelle. Alors que les Chinois n’ont fait qu’imiter des pratiques
anciennes, comme le note Lionel Vairon : « La Chine se trouve dans
une situation semblable à celle des anciennes puissances coloniales
[...] qui ont apporté leur soutien à des régimes autocratiques [...].
L’ingérence dans les affaires des anciennes colonies était alors la
règle, mais nul ne s’en offusquait, et surtout pas les dirigeants
africains qui bénéficiaient en échange de leur soumission d’une rente
et d’une impunité confortables. »
Aussi bien les Occidentaux peuvent-ils difficilement se targuer d’être
exemplaires, de n’avoir jamais soutenu, voire promu des dirigeants
politiques qui favorisaient leurs entreprises. Une telle assertion
provoquerait un fou rire dans tous les pays africains où l’influence
occidentale a souvent été perçue comme le premier soutien à des
chefs d’État corrompus et peu regardants sur le pillage organisé des
richesses de leur pays.
La Chine n’a fait que retenir la leçon. Elle a aujourd’hui
définitivement tourné le dos à l’idéologie qui nourrissait jusque-là sa
politique extérieure, au profit du réalisme et du pragmatisme
économiques, et ne s’embarrasse plus de principes moraux. Revenue
de ses désillusions communistes, elle a acquis une parfaite
compréhension de l’économie libérale et de ses pratiques, pas
toujours propres. Elle en maîtrise parfaitement les potentialités et sait
profiter de ses faiblesses. C’est avec ces armes de l’économie de
marché que la Chine est en train de devenir la puissance dominante
en Afrique. Et elle avance vite.

La Cinquième Conférence ministérielle du Forum sur la coopération


sino-africaine a fermé ses portes le 20 juillet 2012 à Pékin. Ce fut
l’occasion pour l’empire du Milieu de se présenter comme le premier
investisseur sur le continent noir. Il a décidé de doubler ses crédits,
portés à vingt milliards de dollars (seize milliards et demi d’euros).
Ces fonds annoncés sont présentés comme des prêts. Mais les Chinois
ne disent rien sur leur taux d’intérêt, avec eux on ne sait pas toujours
ce que désigne le terme de prêt.
Deborah Brautigam, professeur à l’American University, auteur de
The Dragon’s Gift (« Le Présent du Dragon ») sur l’impact économique
des crédits chinois en Afrique, soutient que « l’argent des lignes de
crédit chinoises pour l’Angola ne va jamais à Luanda, il est tout
simplement réparti entre les sociétés de construction engagées dans la
réalisation des infrastructures en cours dans ce pays ». Elle pointe
l’une des grandes faiblesses de ces prêts chinois : « Le pays qui reçoit
le crédit n’a aucune certitude d’obtenir une meilleure prestation au
meilleur prix, étant donné qu’il n’y a aucune concurrence
internationale pour ces projets qui sont confiés systématiquement à
des entreprises chinoises. » Et d’ajouter que, « dans le processus
d’adjudication, il y a aussi risque de corruption de la part des
sociétés chinoises, une pratique très courante en Chine. En revanche,
cette manière de procéder élimine le risque de détournement des
fonds de la part de la partie angolaise, avec l’avantage, pour Pékin,
de développer la capacité de paiement des dettes liée à une
expansion d’exportations, ce qui arrive, par exemple, avec la
République démocratique du Congo ».
En fait, l’aide chinoise s’insère dans un écheveau compliqué
d’interventions, de relations et d’engagements, mêlant logique
« opportuniste » de l’intérêt et logique « altruiste » du don, dimension
politique et dimension économique. Les Chinois mélangent les prêts
publics, les dons et les subventions qui sont accordés à leurs
entreprises publiques.
Le risque économique est bien là. Au Fonds monétaire international
(FMI) et à la Banque mondiale, on craint que la Chine ne crée en
Afrique un nouveau cycle d’endettement insoutenable, qui nuirait aux
efforts consentis pour contrer la pauvreté. Paul Wolfowitz, l’ancien
président de la Banque mondiale, prédisait le réendettement du
continent africain par le truchement de ces aides chinoises. Pourtant,
loin de s’en inquiéter, de nombreux dirigeants africains saluent cette
manne providentielle et l’augmentation des échanges entre les deux
continents. Pour plusieurs d’entre eux, la Chine œuvre au
développement des pays africains en accordant des prêts
concessionnaires et des dons pour des projets dans la construction,
les infrastructures, l’agriculture, l’éducation et la santé. Pékin, disent-
ils, est parvenu à répondre aux besoins des Africains.
« La coopération dans le domaine des infrastructures avait non
seulement aidé à exporter des marchandises africaines vers la Chine,
mais aussi permis de transférer des technologies chinoises vers
l’Afrique, tout en créant davantage d’emplois sur le continent »,
déclare Robinson Githae, ministre kényan des Finances. Le discours
de beaucoup d’autres ministres et chefs d’État africains est du même
cru. En fait ces satisfecit des élites africaines sont motivés par des
bakchichs réactualisés bien plus importants que ceux des
intermédiaires occidentaux. Par conséquent, que peuvent-ils dire sinon
« Vive la Chine » ? Les peuples, qui ne sont pas dupes et qui ne
voient toujours pas de réelles retombées à ces pactes que
d’aucuns — notamment les plus cyniques — qualifient d’association
de malfaiteurs, sont, eux, moins satisfaits. Ils rejoignent en cela
nombre d’intellectuels africains pour le moins défavorables à cet essor
dont les conséquences restent imprévisibles.
D’autant que, dans ce marché de dupes, les dirigeants africains
vont en rang dispersé. Chacun essaie d’avoir sa part du gâteau. Mais
la Chine sait exactement ce qu’elle réserve à chaque pays, en
fonction des intérêts qu’elle y possède. Difficile de nier pourtant que
l’augmentation du prix des matières premières (coton, bois, etc.) en
Afrique, qui découle du dynamisme de l’économie en Chine et de
l’augmentation du volume de ses importations, aurait pu être — dans
une réelle logique de « gagnant-gagnant » — une bonne occasion
pour des pays africains unis de mieux négocier leur positionnement
mondial ; comme le souligne à juste titre Yves Ekoué Amaïzo : « Si
l’Union africaine et les gouvernements africains ne se décident pas à
dresser une carte exhaustive des actions multidimensionnelles de la
Chine en Afrique, ils auront laissé l’essentiel de leur coopération avec
la Chine s’opérer sans stratégie d’ensemble. »
Le continent noir étant convoité par plusieurs partenaires possibles,
la logique serait de faire monter les enchères pour exiger des
contreparties, comme un accès à la technologie ou de larges
créneaux d’exportations sur le marché chinois. L’Afrique a réellement
l’opportunité de profiter d’une position géostratégique sans précédent
pour tirer de réels bénéfices en échange de ses matières premières,
comme cela se fait ailleurs. Les exemples ne manquent pas. Lors de
son voyage au Brésil, en septembre 2009, le président Sarkozy a
enregistré une commande ferme de trente-six avions de combat
Rafale. En contrepartie, le président Lula a exigé de la France l’achat
d’une dizaine d’avions de transport brésiliens KC-390 et que le Brésil,
quand il en aurait acquis la technologie, puisse assembler les Rafale
et les vendre dans les autres pays d’Amérique latine.
La Chine, au début de ses réformes économiques, avait elle-même
posé des conditions draconiennes à ses partenaires étrangers, pour
s’assurer de la mise en place de joint-ventures et du respect de
certaines normes environnementales de travail, ainsi que du paiement
de taxes par les entreprises et populations chinoises. Lorsqu’elle s’est
ouverte aux investisseurs étrangers dans les années 1990, le Parti
communiste a fixé des règles strictes et incontournables. Pékin exigea
qu’une partie de la production étrangère écoulée en Chine soit
fabriquée localement. Elle imposa aux entreprises occidentales de
s’associer à un partenaire chinois à qui était donnée, dans la plupart
des cas, la majorité du capital de la coentreprise ainsi créée. Voilà
comment, en vingt ans, l’industrie chinoise a pu s’imposer comme une
des toutes premières de la planète.
Au côté de chaque entreprise étrangère installée sur son territoire,
l’État se place comme l’un de ses premiers acheteurs et comme le
destinataire d’une grande part du bénéfice technologique. C’est par
cette façon de procéder, par ce genre d’intelligence dans les
échanges, que la Chine a acquis le savoir-faire et la technicité qu’elle
est en mesure d’exporter aujourd’hui. Une Afrique unie, qui aurait
assimilé cette leçon, devrait imposer à ses partenaires une véritable
stratégie de coopération, plus favorable à ses intérêts. Mais, face à la
Chine qui entretient une diplomatie unilatérale et secrète, les pays
africains restent individuellement des proies.
Alors que la France, par exemple, s’appuie davantage sur des
ensembles régionaux que sur des États (elle travaille beaucoup avec
des ONG), la politique d’aide chinoise ignore tous ces outils et
repose uniquement sur des relations d’État à État. Dans sa stratégie de
pillage organisé, la Chine continue de considérer l’Afrique comme
« le continent qui n’existe pas ». Non qu’elle dédaigne le poids
diplomatique d’un tel ensemble, mais à condition, la place de l’Union
africaine dans les négociations internationales étant somme toute
assez symbolique, qu’il demeure une mosaïque balkanisée de
cinquante-trois États. La Chine trouve en Afrique les ressources dont
elle a besoin (et son marché d’un milliard d’habitants aujourd’hui, de
deux milliards en 2050, est un formidable réservoir de
consommateurs pour ses produits bon marché), elle manœuvre à sa
guise sur un continent riche, mais qui demeure un no man’s land faute
d’un ensemble continental cohérent et crédible. Elle applique une
politique décidée unilatéralement, à l’image de ce qui s’est produit
avec les pays occidentaux quand ils réunirent la conférence de Berlin,
en 1885, à l’issue de laquelle furent édictées les règles du partage
colonial de l’Afrique, sans que celle-ci ait son mot à dire.
Le vrai défi pour les dirigeants africains serait de réussir à
contourner le bilatéralisme déstructurant de ce monstre affamé, prêt à
dévorer des proies faibles et isolées.
CHAPITRE IV

La stratégie du monstre affamé

L’expropriation, le dépouillement, la razzia, le meurtre objectif se


doublent d’une mise à sac des schèmes culturels ou, du moins,
conditionnent cette mise à sac. Le panorama social est déstructuré, les
valeurs bafouées, écrasées, vidées.
Frantz Fanon

Dans sa stratégie d’occupation de l’espace africain, la Chine n’ignore


pas que, s’agissant de concurrence, les réalités de l’après-guerre
froide ont obligé les pays occidentaux à revoir leurs stratégies
géopolitiques. Pour diversifier leur approvisionnement pétrolier et
moins dépendre du Proche-Orient, ils ont procédé à un véritable
retour en Afrique. Ils ont alors constaté qu’il était peut-être déjà trop
tard pour contenir l’avance chinoise. La nature a horreur du vide.
Confronté aux mêmes problèmes de dépendance énergétique,
l’empire du Milieu a capté la source africaine. Dans une démarche
prédatrice, il a tissé sa toile avec opiniâtreté, jusqu’à devenir le
premier partenaire commercial de l’Afrique.
Ce pays est pourtant le cinquième producteur de pétrole de la
planète (5,2 % de la production mondiale en 2008). Mais avec huit
millions de barils consommés par jour, soit 10 % de la demande
mondiale, il est passé d’une position de pays exportateur, au début
des années 1990, à celle de premier importateur mondial. En 2020,
plus de 60 % de sa consommation pétrolière et 30 % de son gaz
seront importés.
Avec un potentiel énergétique considérable, l’Afrique semble
destinée à satisfaire la boulimie chinoise en ressources naturelles
indispensables à sa croissance économique. Le continent noir
détient 10 % des réserves mondiales de pétrole. Sa part dans
l’approvisionnement de la Chine en pétrole est aujourd’hui de 35 %,
alors qu’elle n’était que de 9 % en 1995. Le sous-sol de l’Afrique
australe (Zimbabwe, Afrique du Sud, etc.) recèle l’essentiel des
minerais stratégiques (or, titane, etc.). La Chine s’est donc employée à
y faire fonctionner un modèle éprouvé, mis au point par les anciennes
puissances coloniales, mais perfectionné par un savoir-faire hérité de
son passé et de ses traditions historiques. Les Chinois n’ont pas
inventé les échecs. Mais depuis quatre mille ans, ils disposent avec
leur jeu de go d’un redoutable exercice de stratégie aux règles très
subtiles. Les joueurs placent leurs pions noirs et blancs sur un damier
de 361 intersections. Le principe consiste à conquérir ou à contrôler
le maximum de territoires. C’est à cela que jouent les Chinois en
Afrique contre les anciennes tutelles coloniales. Autrement dit,
l’empire du Milieu y applique une stratégie précise et calculée au
détail près, pour bouter l’adversaire occidental hors de l’espace
africain. C’est presque réussi, l’épopée africaine de Pékin ressemble à
une conquête triomphale.
En quelques années, la Chine a bouleversé l’ordre postcolonial
africain. Pour cela elle a mobilisé toutes ses capacités financières et
diplomatiques. Après avoir sécurisé ses sources d’approvisionnement,
elle s’est lancée à l’assaut du continent tel un tigre sur sa proie.
Depuis l’an 2000, ses échanges avec l’Afrique ont été multipliés par
dix, deuxième juste derrière les États-Unis, elle occupe aujourd’hui la
première place. Il faut dire que son offensive africaine a bénéficié
d’un coup de pouce inespéré. Elle doit une partie de sa réussite aux
ONG occidentales, qui ont réussi, à la fin des années 1990, à forcer
les entreprises pétrolières occidentales à quitter le Soudan (elles
étaient accusées de contribuer à la répression brutale, voire au
génocide, par Khartoum des populations noires du sud du pays). Un
pragmatisme économique bien compris agrémenté d’un cynisme à
peine dissimulé a permis à l’empire du Milieu de récupérer, dans tous
ces pays en guerre ou sous le joug de gouvernements totalitaires, les
marchés délaissés par les Occidentaux. Grâce à l’activisme des
influentes ONG occidentales, la Chine est désormais le premier
partenaire commercial du continent et son principal bailleur de fonds.
Elle peut désormais s’approvisionner à loisir, pour ne pas dire
« pomper » en Afrique l’essentiel des ressources naturelles dont elle a
besoin.
Pour les plus vieux alliés économiques du continent noir, comme la
France, l’heure est au constat des dégâts. Un rapport de deux cents
pages consacré à la pénétration chinoise, publié en janvier 2006 par
le cabinet BD-Consultants, conclut à la nécessité de prendre des
mesures vigoureuses pour sauver la politique africaine de la France.
Après avoir pointé du doigt le dynamisme économique chinois, le
rapport mentionne que « l’efficacité chinoise contraste avec une
relative passivité française [...]. Sans une vigoureuse réaction visant à
remuscler et à redynamiser les diverses facettes de notre présence, la
Chine occupera vraisemblablement une place plus importante sur la
scène africaine que la France ».
En fait les Occidentaux voient s’ériger, pour la première fois dans
l’histoire du monde, un rival hors normes, un boulimique qui lutte pour
sortir de sa condition. Depuis cet envol, que d’aucuns qualifient de
« miracle chinois », une pléthore de publications a inondé le marché,
mélange d’enquêtes bâclées et de diagnostics fallacieux. Médias,
gouvernements et milieux universitaires s’efforcent, à coups d’analyses
et d’interrogations, de comprendre ou d’expliquer les motivations et
les stratégies de Pékin en Afrique. Mais très peu semblent y voir clair,
c’est-à-dire imaginer que la préoccupation constante de la Chine est
de savoir si elle aura encore la possibilité de nourrir sa population
dans les décennies à venir. Si les Gaulois vivaient dans la hantise
permanente et irrationnelle que le ciel ne leur tombe sur la tête, la
grande peur du peuple chinois, depuis des décennies, est la famine.

Le spécialiste de science politique Florent Baarsch, présent à la


conférence de Copenhague sur le climat, nous rapporte la
conversation qu’il a eue avec un jeune membre de la délégation
chinoise :
« Très rapidement et même avant la fin de la conférence, les pays
du Nord ont accusé la Chine de bloquer le processus et de ne pas
vouloir s’engager. La question de la position de la Chine mérite d’être
expliquée. Les négociations sur le climat sont un exercice
particulièrement compliqué pour deux raisons : la première est qu’il
existe beaucoup de préjugés à ce sujet, la seconde que les
négociateurs chinois sont très peu accessibles, secrets. Cependant, au
cours de la conférence de Barcelone, au mois de novembre, j’ai eu la
chance assez exceptionnelle de pouvoir m’entretenir avec un membre
de la représentation chinoise. Plutôt jeune, mais déjà parmi les plus
importants négociateurs chinois, il est lucide et particulièrement
intelligent. Au cours d’une discussion d’une vingtaine de minutes, il
m’a été permis de comprendre la vraie nature de ce géant
économique oriental.
« Comme il a pris le temps de me le rappeler, la Chine ne fait pas
partie de ces pays qui nient l’existence du changement climatique, au
contraire. Dans la mesure où elle y est déjà confrontée, elle a tout à
fait conscience de cette réalité. De la même manière, le gouvernement
chinois est conscient de son rôle de premier émetteur de gaz à effet
de serre, devant les États-Unis, bien que mon interlocuteur ait pris le
temps de préciser que, depuis 1850, la Chine n’était responsable que
d’une mince portion des émissions globales. Fort de cette
responsabilité nouvelle, mais également pour échapper à la
dépendance du pétrole ou du charbon, les Chinois ont entrepris une
lente reconversion énergétique en mettant en place des projets
titanesques. À l’heure actuelle, ils sont le premier producteur mondial
d’éoliennes. Et bientôt, avec des investissements dans les technologies
“propres” bien supérieurs à ceux de l’ensemble des pays développés,
ils deviendront le premier pays pour ce qui concerne la puissance
installée dans le solaire et l’éolien. La Chine met en route sa
révolution énergétique.
« Cependant — bien que des efforts importants soient faits — le
changement climatique n’est pas le souci premier du gouvernement
chinois. Au cours de cette conversation, ce délégué m’a appris que la
préoccupation centrale du gouvernement chinois était la faim.
Simplement la faim... Si surprenant que cela puisse paraître pour des
habitants de pays développés, la situation alimentaire en Chine n’est
pas stable. Le pays dépend en partie des importations pour nourrir
son immense population. Le souvenir des meurtrières famines
de 1958 à 1961, et des importants bouleversements politiques qui
ont suivi, fait craindre au gouvernement un retour possible à cette
période noire, au cours de laquelle entre quinze et trente-six millions
d’habitants seraient morts de faim. Dans la mesure où aucun pays
n’est alors venu porter assistance à la population chinoise, les élites
croient que, dans une situation similaire, nul pays au monde ne les
aidera. Aussi toute mesure pouvant constituer un frein au
développement de la Chine ou qui serait susceptible d’y déstabiliser
la situation alimentaire est perçue comme une possible atteinte à
l’équilibre social chinois. Un accord contraignant sur le climat serait
de cette nature. À tort ou à raison, ce délégué m’avouait que la
totalité des dirigeants chinois avait le sentiment d’être les ennemis de
l’ensemble des pays développés. Ils se méfient de ces accords qui
pourraient les fragiliser et engendrer cette famine déjà connue et tant
redoutée et sonner le glas de leur hégémonie en Asie.
« Les propos de mon interlocuteur ont l’avantage d’être clairs et
sans détour. Même si les présidents chinois et américains entretiennent
un semblant de convivialité, une absence totale de confiance règne
entre ces deux pays et plus largement entre les pays émergents et les
pays développés. Ainsi le développement économique et social le
plus rapide possible semble être la seule solution acceptable pour le
gouvernement chinois. La volonté de se prémunir contre ce qu’ils
pensent être la plus grande catastrophe, en l’occurrence la famine,
entraîne la Chine dans une spirale de développement à tout-va, où la
préservation du climat n’a aucune place. La logique est à l’extrême. »

Il faut dire qu’au cours de ses vingt-cinq siècles d’histoire la Chine a


connu plus de mille huit cents famines. Malgré les demi-vérités et les
mensonges grossiers de la propagande officielle de l’époque
révolutionnaire, on commence tout juste à réaliser l’ampleur de celle
qui frappa ce pays entre 1958 et 1961. Les experts de la
propagande du Parti affirmaient pourtant : « La Chine a dépassé tous
ses records de production. » Pendant ce temps, une politique
inhumaine parquait les affamés hors des villes, alors que les animaux
du zoo de Shanghai — exhibés à la vue des visiteurs
étrangers — étaient, eux, grassement nourris. La plupart des visiteurs,
toujours très encadrés, ne pouvaient rien deviner des terribles
malheurs que le pays traversait. Comble d’incohérence politique,
pendant que des millions d’enfants, de femmes et d’hommes étaient
victimes de la faim à l’intérieur de ses frontières, la Chine faisait des
dons de denrées alimentaires à l’étranger.

Tout cela se déroulait au cours du « Grand Bond en avant », une


utopie meurtrière dont Mao Tsé-toung porte toute la responsabilité.
Jusqu’au milieu des années 1950, la République populaire de Chine
a copié avec zèle le modèle soviétique. Mao estimait que la Chine
pouvait dépasser son rival communiste et atteindre plus rapidement le
« stade suprême » de leurs objectifs planifiés. Mao, qui semblait
naïvement croire aux contre-vérités de la propagande soviétique, a
appliqué en Chine, dès 1956, la réplique du plan quinquennal de
Staline de 1929, alors qu’il était démontré que les recettes de ses
voisins « pseudo-spécialistes agraires révolutionnaires » et même les
méthodes iconoclastes de Lyssenko avaient toutes échoué.
Du jour au lendemain, l’agriculture chinoise, structurée autour de
« communes populaires rurales », passa sous le contrôle du
gouvernement. L’État achetait des céréales à bon marché et les
revendait cher. Grâce aux bénéfices réalisés, la Chine pourrait
augmenter sa production sidérurgique et fabriquer le matériel agricole
dont elle avait besoin.
L’État confisqua les terres, les biens personnels des paysans et abolit
l’argent pour le remplacer par des tickets de rationnement. Tous ceux
qui avaient la moindre compétence agricole furent arrêtés sous
prétexte qu’ils étaient des adeptes rétrogrades de la science
bourgeoise. Avec ses propres « spécialistes » à lui, Mao pensait
pouvoir tripler la production céréalière en peu de temps. Ainsi toute la
pratique paysanne traditionnelle fut remise en cause dans un pays où
neuf personnes sur dix tiraient leur subsistance de la terre et n’avaient
aucune idée des « nouvelles méthodes culturales ».
Cette politique entraîna à la fois la croissance industrielle des
centres urbains et une terrible famine dans les campagnes. Dans les
communes populaires rurales, sur l’injonction du Parti, une main-
d’œuvre inexpérimentée avait occupé tout son temps à la production
locale de biens sidérurgiques d’une qualité exécrable, tandis que les
récoltes pourrissaient sur pied. Les mois qui suivirent furent meurtriers
pour les populations confrontées à l’une des plus graves famines de
l’histoire de l’humanité. À l’approche de l’hiver 1958, les réserves
étaient épuisées. Au début de la disette, les gens mangeaient de
l’herbe, des écorces ou des feuilles d’arbre. Certains avalaient de la
boue, d’autres des toiles d’araignée. Dans les bouses de vache, on
cherchait des grains de blé qui n’auraient pas été digérés. Jusqu’au
jour où il n’y eut plus rien à se mettre sous la dent. La famine s’étendit
sur l’ensemble du pays.
Des plaines du Yangzi Jiang aux plateaux du Tibet, toutes les
contrées furent touchées. Au dire des spécialistes, le cannibalisme
sévit dans cette partie du monde plus que nulle part ailleurs au cours
du XXe siècle. Au total, selon les Chinois qui veulent bien le
reconnaître, entre quinze et trente-six millions de personnes périrent,
victimes de la catastrophique politique culturale du « Grand Bond en
avant ». Pourtant, sans état d’âme, les Chinois n’hésitèrent pas à
« suggérer » cette calamiteuse recette à l’Éthiopie, un « régime
frère ». Les mémoires se souviennent encore des images insoutenables
des paysans traqués par la faim et des enfants souffreteux du régime
marxiste-léniniste de Mengistu Hailé Mariam.
Ce passé terrifiant et traumatique reste gravé dans la mémoire
collective des Chinois, bien que le sujet soit tabou et banni de tous les
supports de communication officielle. Le secret fut bien gardé et le
drame occulté. Les thuriféraires de la Révolution culturelle, d’habitude
si prolixes, restèrent évasifs ou étrangement amnésiques sur le sujet.
Mais, comme en psychologie individuelle, refouler n’est pas oublier.
Quand bien même les autorités chinoises ont réussi à industrialiser
leur pays et à sortir leur population de la pauvreté extrême, le spectre
de la famine continue de hanter la politique chinoise. La peur de
manquer un jour de nouveau des ressources les plus essentielles au
fonctionnement de leur pays pourrait bien expliquer la rapacité
économique des dirigeants chinois et leur acharnement quasi
phobique à vouloir sécuriser leurs approvisionnements. Confidence de
l’un d’eux : « Les quelques faits qui perdurent dans nos mémoires sont
la mort de Mao Tsé-toung, le 9 septembre 1976, et les années de
famine où des millions de personnes moururent en deux ans. » La
génération des maoïstes disparaissant au fur et à mesure que le pays
s’enrichit, peut-être cette partie de l’histoire deviendra-t-elle plus facile
à relater.

Pour l’heure, cette expérience doit inciter les Africains à plus de


prudence devant certaines images propagandistes agitées aujourd’hui
par l’empire du Milieu. Il convient de garder les pieds sur terre. Les
résultats tant vantés du « miracle économique » chinois, malgré le
recul de la pauvreté, n’ont guère augmenté les revenus urbains que
de 14 % en moyenne et en accentuant les inégalités. La Chine n’est
pas encore un pays développé.
Sa population dans son ensemble a certes bénéficié du véritable
décollage économique enregistré à partir de 1978. En vingt-cinq ans,
le revenu par habitant a fortement augmenté, puisqu’il était, selon la
Banque mondiale, de cent quatre-vingt-dix dollars en 1978 et de mille
dollars environ en 2004. C’est ce qui a permis à quatre cents millions
de Chinois de sortir de l’extrême pauvreté. Réservés à l’élite pendant
un temps, le réfrigérateur, le vélo et le téléphone sont devenus des
biens de consommation courante pour des centaines de millions de
personnes. Globalement, la consommation moyenne de calories par
habitant a progressé au moins d’un tiers en un quart de siècle. Ce qui
n’est pas sans expliquer l’allongement de l’espérance de vie. La
Chine n’en reste pas moins un pays pauvre : près de la moitié de sa
population vit encore avec moins de deux dollars par jour ; le revenu
moyen reste à des années-lumière de celui des pays occidentaux (il
est trente fois inférieur à celui d’un Français, quarante fois moins élevé
qu’aux États-Unis) ; la masse démographique exponentielle de ce
pays et de récurrents déséquilibres régionaux sont autant d’obstacles
qu’il lui faudra surmonter.
L’introduction du capitalisme selon une procédure qui était censée
réduire les inégalités sociales a plutôt accentué les clivages entre des
individus qui se sont rapidement enrichis et la majorité des Chinois
qui continue de vivre dans les limites de la décence matérielle. Le
géant asiatique compte aujourd’hui cinquante millions de nouveaux
riches (un million de millionnaires en dollars) et deux cents millions de
gens aisés. Mais ceux-ci côtoient plus d’un milliard de pauvres dans
une cohabitation lourde de tensions. Les revenus des plus riches
s’envolent comme sur une fusée et les hissent à la deuxième place du
monde, tandis que ceux du peuple progressent à la vitesse de
l’escargot. Des données du FMI publiées le 21 avril 2010 situaient le
revenu moyen de la population chinoise, en 2009, à la cent
neuvième place mondiale — étrange performance pour un pays
considéré comme l’un des géants de la planète. Si l’organisation du
marché intérieur d’un pays est la même pour tous, quel que soit le
niveau de richesse (ou de pauvreté), elle n’aura pas de sens pour les
gens ordinaires. Or les conditions de vie des populations chinoises
sont justement caractérisées par de bas revenus et le manque de
protection sanitaire, alors que les prix de l’immobilier et des produits
de consommation flambent. Et cela ne les met pas à l’abri de taxes
toujours plus élevées. Les Chinois eux-mêmes se demandent où les
mènera une telle situation.
Il n’y a donc pas encore lieu de pavoiser devant le « grand saut en
avant » chinois. Un spécialiste de la question, Jacques Van Minden,
nous restitue l’image réelle de ce pays : « Il y a toujours en Chine neuf
cents millions de paysans, quatre cents millions de citadins ou plus
(ceux-là ne sont pas répertoriés). Il y a cent millions de migrants (des
enfants multiples...). Quoi qu’il en soit, ils sont là et le problème c’est
qu’ils mangent, et l’on sait, une fois écartés les déserts et les
montagnes, qu’il n’y a que 14 % de terres cultivables en Chine, où
faire pousser des légumes et élever des animaux... On a également
aujourd’hui — les sources sont confirmées — cinquante millions de
nouveaux riches [...] et deux cents millions de gens aisés. La
cohabitation interne entre les riches et les pauvres crée de grandes
tensions. On ne sait pas où ça s’arrêtera. À présent cela a été
contrôlé à la chinoise, un peu brutalement. »

Cette promiscuité entre nouveaux riches et « extrêmement pauvres »


est un maillon faible d’une société potentiellement exposée à des
« sursauts contre-révolutionnaires » de toute sorte. L’histoire de la
Chine est rythmée par des révoltes populaires contre l’empereur.
Certains de ces mouvements ont réussi à renverser des dynasties
puissantes. Et depuis des siècles, tout dirigeant de ce pays s’en
méfie : la sagesse autant que l’expérience historique lui commandent
de trouver les moyens d’éviter l’étincelle qui provoquera l’explosion
fatale. Sur la brèche quand il s’agit d’assurer l’approvisionnement
énergétique du pays et d’échapper au piège de la dépendance
étrangère, il édulcore son discours et se trouve comme par miracle
des liens de « parenté » avec les Africains. Lors du sommet Chine-
Afrique, qui s’est déroulé à Pékin du 3 au 5 novembre 2006, Hu
Jintao, le numéro un chinois, a ouvert la séance par ces mots : « La
Chine sera pour toujours un ami, un partenaire et un frère de
l’Afrique. »
L’ouverture de la Chine aux étudiants africains fut le premier signe
de rapprochement concret, mais par le haut. Les autorités chinoises
n’offraient de bourses presque exclusivement qu’aux enfants des élites
africaines. Ces privilégiés sont généralement les fils de personnes
importantes ayant rendu des services à l’empire du Milieu (ou qui sont
susceptibles de lui en rendre), à savoir des diplomates, des hommes
d’affaires, des policiers, des journalistes soudoyés, etc. La presse de
plusieurs pays africains n’a pas tardé à condamner cette pratique,
assimilée à une tentative de manipulation machiavélique. Depuis,
sans totalement rompre avec ses vieilles habitudes et surtout dans le
but d’apaiser les esprits, la Chine a élargi l’éventail d’octroi de ses
bourses.
Ces aides sont dispensées entre autres par des instituts Confucius et
financées par le Parti. Les livres scolaires sont rédigés par le Parti et
les professeurs doivent tous en être membres. Les responsables
politiques chinois fabriquent ainsi, à l’insu des Africains, des hommes
dévoués à leur cause, qui leur serviront plus tard d’outils stratégiques
dans le secteur de la diplomatie voire des relations publiques.
Cependant, fausse note de taille, la vie des étudiants africains en
Chine n’est pas toujours idyllique. Loin s’en faut. Beaucoup
l’assimilent à une excursion vers l’enfer. Au cours des dernières
décennies, la présence de Noirs dans les grandes villes du pays a
suscité des réactions violentes de la part des populations. En Chine, le
mot pour décrire les Noirs est heiren. Hei veut dire « noir, sombre, et
illégal ». Un étudiant africain raconte : « Cela fait des années que la
communauté africaine en Chine demande au régime de Pékin de
changer ce mot, qui a des connotations négatives, espérant changer
la mentalité des Chinois envers les Africains, mais sans succès. C’est
une humiliation permanente. »

La plupart des Chinois véhiculent les pires clichés sur les Noirs, plus
spécialement sur les Africains. L’ignorance y est pour beaucoup. Dans
certains endroits reculés de Chine, les populations n’ont jamais vu
d’autres types humains que le leur. Certains n’arrivent même pas à
imaginer qu’il puisse exister d’autres peuples sur terre. Un étranger
qui n’a pas le type asiatique y sera traité comme une curiosité ; un
homme à la peau noire va susciter autant de curiosité que de peur et
de rejet. Les habitants de ce pays plusieurs fois millénaire, longtemps
muré dans ses terres et son silence, n’avaient que très rarement croisé
des individus d’autres « races », du moins jusqu’aux débuts de la
« coopération Chine-Afrique ». Depuis, chaque année, un grand
nombre de Chinois émigrent vers l’Afrique, tandis que de nombreux
étudiants et une poignée d’Africains, commerçants ou autres,
s’installent en Chine. La situation des habitants des grandes villes est
donc très différente : ils sont en contact permanent avec les étrangers
de toutes origines, la méchanceté et la bêtise dont ils font preuve sont
tout simplement incroyables. Une fois passé l’effet de surprise et de
curiosité, ceux-là se forgent une opinion faite de clichés et de
réactions épidermiques clairement racistes envers les Africains.
Cette attitude est en fait à géométrie variable : s’ils méprisent les
Africains chez eux, ailleurs ils se battent pour « devenir Noirs ». En
Afrique du Sud, le 18 juin 2008 n’aura pas été un jour comme les
autres pour les deux cent mille Sud-Africains d’origine chinoise. Une
décision de la Haute Cour de Pretoria faisait des Chinois d’Afrique du
Sud une catégorie classée « population noire ». Ils peuvent
désormais, en vertu de la loi, bénéficier de la discrimination positive,
par exemple acheter des actions à des prix préférentiels ou accéder
en priorité à des postes de haut niveau dans le monde des affaires.
Pour obtenir ces avantages, la diaspora chinoise s’est battue pendant
huit ans.
Régulièrement, des manifestations réunissent des milliers de
personnes pour protester contre la présence des étudiants africains sur
le sol chinois. En 1988, l’université de Nankin connaissait des
insurrections populaires au cours desquelles les Chinois ont molesté
des étudiants africains et, par milliers, sont descendus dans les rues
en scandant : « Mort aux diables noirs ! » ou « Mort aux chiens
noirs ! » L’insulte canine n’est pas nouvelle. Apprenant qu’il en avait
été la cible, le général de Gaulle avait déjà marqué son étonnement
d’être « traité de chien par un Pékinois ». Mais c’était aux beaux jours
de la Révolution culturelle et pour des raisons politiques. Ici les
manifestants ont pris prétexte de coups mortels portés contre un
étudiant chinois, mais ils reprochaient surtout aux Africains leur succès
auprès des jeunes filles. Dans de nombreux cas, des Noirs fréquentant
des Chinoises sont tout simplement arrêtés et accusés de viol.
Dans la Chine d’aujourd’hui, on s’arrange de leur présence
notamment à Canton (Guangzhou), dans le sud du pays, à deux
heures de train de Hongkong. Près de cent mille Africains
(officiellement) y ont durablement élu domicile ou sont de passage.
Baptisé « Chocolate City », le quartier noir est situé dans une zone de
dix kilomètres carrés. On y parle ibo, wolof ou lingala. Les Africains
s’y rendent généralement pour leurs approvisionnements en gros.
C’est un marché où se négocient des produits d’industrie légère. Pour
les commerçants noirs, vivre en Chine n’est pas vraiment une
sinécure. Il suffit d’écouter Vincent, Nigérian installé dans le pays
depuis cinq ans, pour s’en convaincre : « Même si c’est pire en
Indonésie ou en Malaisie, on entend toujours des insultes fuser,
comme “diable noir”. Dans les transports en commun, les gens se
bouchent le nez et parfois, dans la rue, les enfants fuient à mon
approche. Il faut vivre avec. » D’autres situations ne sont pas moins
humiliantes, comme celle décrite par Jean-Bedel, un étudiant
congolais : « À l’hôpital, pour la moindre fièvre, les médecins te
prélèvent un nombre inhabituel de tubes de sang et pratiquent
systématiquement un test HIV. C’est un comportement qu’ils n’ont pas
vis-à-vis de leurs compatriotes. Ils mettent aussi très
précautionneusement des gants avant de pratiquer tout examen. Et ce
uniquement avec les Noirs. » M. Barry, résident africain de
« Chocolate City », ajoute : « La population africaine a diminué.
Avant, les Africains avaient des visas valables pendant un an avec
entrées multiples et durée de séjour illimitée. En 2008, juste avant les
jeux Olympiques de Pékin, les autorités ont voulu faire place nette.
Elles ont complètement cessé de renouveler les visas sur place. Il fallait
rentrer dans son pays pour renouveler un visa d’affaires. » « Les rafles
ont recommencé », raconte un autre résident. Témoignage de M.
Kabba : « Ma femme a ouvert sa porte à la police pour un contrôle
de visas, mais c’est moi qui avais les papiers. Les policiers ont
commencé à crier sur mes enfants qui pleuraient. On leur a dit qu’ils
iraient en prison, alors que ma famille est enregistrée auprès des
services de l’immigration. Ils savent que nous sommes en règle. »
De nos jours, dix mille Africains étudient à Pékin, dans le cadre du
Fonds de développement des ressources humaines pour l’Afrique,
créé par le gouvernement chinois. Mais cette « générosité »
n’impressionne plus les Africains qui savent à quoi s’en tenir. Par
exemple, dans un article de Courrier international, daté
du 18 juillet 2008, Céline Allemand rapporte qu’en totale
contradiction avec le slogan officiel des Jeux — One World, One
Dream — les autorités chinoises avaient planifié secrètement
l’interdiction des bars de la capitale aux Noirs et aux autres
populations classées « socialement indésirables ». Les propriétaires de
bars situés dans le centre de Pékin ont déclaré au quotidien South
China Morning Post qu’ils avaient dû, sous la contrainte du Bureau de
la sécurité publique, signer un document dans lequel ils promettaient
de ne pas laisser entrer les Noirs dans leurs établissements. L’un
d’eux, qui a souhaité conserver l’anonymat, a confié au journaliste :
« Des responsables du Bureau de la sécurité publique sont venus ces
jours-ci, en civil, pour me demander de ne pas servir les Noirs et les
Mongols. »
Quelques mois auparavant, la police pékinoise avait déjà lancé
une opération d’envergure contre les Noirs fréquentant le district de
Sanlitun, le quartier des expatriés de Pékin où se concentrent les bars
occidentaux.
Le document qu’ont dû signer les tenanciers de ces bars ne se
limitait pas à l’interdiction de servir les Noirs. Ils devaient également
promettre de suspendre, le temps des Jeux, certaines activités telles
que la danse ou les concerts. Fait symptomatique, ils ont pu conserver
des copies de ce document, à l’exception des pages concernant
l’interdiction de servir les Noirs. Manifestement, les autorités se sont
méfiées des accusations de racisme qu’aurait pu déclencher la
révélation de telles mesures. Les Africains sont aujourd’hui victimes
« d’acharnement ». Dans un article du 6 octobre 2009, sur
french.news.cn, Mme Mo Lian, directrice adjointe de la division de
l’administration de contrôle d’identité aux frontières du département
provincial de la sécurité publique du Guangdong, reconnaît que
« 70 % des étrangers détenus l’année dernière pour immigration
illégale et expiration de visa étaient des Africains. Au premier
semestre 2009, la proportion s’est élevée à 77 % ».

Tout cela ne semble pas préoccuper les « partenaires » de la Chine-


Afrique, particulièrement les autorités chinoises qui font mine
d’ignorer la question. Pour l’empire du Milieu, outre son potentiel
énergétique, l’Afrique c’est aussi cinquante-trois États qui, par leurs
votes, peuvent exercer une influence majeure sur les décisions des
organisations internationales et devenir un soutien stratégique parfois
décisif. La Chine a renforcé la réorientation de sa politique
internationale vers l’Afrique quand il lui a fallu rompre son isolement
après les événements de la place Tian’anmen, en juin 1989, et
trouver une parade au feu de critiques qu’elle a dû alors essuyer de la
part des pays occidentaux. Aujourd’hui, le soutien africain lui est
d’autant plus essentiel qu’elle travaille à consolider sa position aux
Nations unies, que la réforme de cet organisme et l’entrée possible du
Japon au Conseil de sécurité risquent de soulever la problématique de
la définition de zones économiques exclusives, qui l’opposent au
Japon en mer de Chine, et que les questions de Taïwan et du Tibet
restent posées.
Non seulement l’Afrique compte pour plus d’un tiers des effectifs de
e
l’ONU, mais elle connaît depuis le début du XXI siècle une croissance
économique annuelle supérieure en moyenne à 5 %, ce qui lui donne
toujours plus de poids dans le reclassement géopolitique mondial en
cours. Elle est au cœur des préoccupations sécuritaires des grandes
puissances et de la compétition pour l’accès aux ressources minérales
et aux hydrocarbures. Tous ces facteurs ont favorisé son intégration
dans l’univers de la mondialisation. Mais l’Afrique saura-t-elle adopter
la politique cohérente que son nouveau statut appelle ou se
contentera-t-elle de changer de prédateur, prenant appui sur l’un, la
Chine, pour faire la nique à l’autre, les Occidentaux, juste parce que
ceux-ci furent pendant longtemps ses fossoyeurs, esclavagistes et
colonialistes ? Saura-t-elle éviter que toutes ses actions futures ne
soient qu’une façon d’échapper à l’emprise de ses bailleurs de fonds
traditionnels, à un moment où ceux-ci conditionnent leurs aides à une
démocratisation de ses régimes politiques ?

Il est indiscutable que les besoins énergétiques d’aujourd’hui dessinent


la géopolitique de demain et que la Chine et l’Occident seront
amenés à convoiter plus que jamais les matières premières du sol et
du sous-sol africains. Dans cette compétition, les pays du continent
noir ont plus d’un atout dans leur jeu. Encore gagneraient-ils à
abandonner toute stratégie victimaire ou revancharde à propos du
passé, qui ne les mènerait à rien qu’à la satisfaction ambiguë d’avoir
cocufié les Occidentaux par une nouvelle idylle rivale.
CHAPITRE V

La prédation économique
par « deal non regardant »

Peu importe que le chat soit gris ou qu’il soit noir, l’essentiel est qu’il
attrape la souris.

Deng Xiaoping

L’engagement des Chinois en Afrique se fait sans état d’âme, par un


immoral « deal non regardant ». C’est une occasion inespérée offerte
aux régimes autoritaires en place pour se débarrasser du manteau de
Nessus que représentent à leurs yeux les conditions imposées par les
Occidentaux. Kenneth Roth, directeur de Human Rights Watch, le
résume en ces termes : « La politique étrangère de la Chine est
délibérément agnostique. Reflétant la manière dont elle voudrait elle-
même être traitée. Pékin adhère à une politique de non-ingérence, qui
lui permet de commercer et d’investir sans se soucier de savoir si son
partenaire est un démocrate ou un tyran. »
Déjà, chez lui, l’empire du Milieu n’est pas soucieux de bonne
gouvernance et entretient des élites corrompues et oppressives. Mi-
octobre 2012, les autorités chinoises ont censuré une enquête du
New York Times portant sur la famille du Premier ministre Wen
Jiabao. Bien que ce chef de gouvernement aime à rappeler ses
origines modestes, il est établi qu’il fait partie des premières fortunes
de son pays. La provenance subite de ce patrimoine soulève
beaucoup de questions.
Sa mère était une simple institutrice du nord de la Chine et son père
un éleveur de porcs pendant les dures périodes des campagnes
maoïstes de travail forcé. Pourtant Wen Jiabao possède aujourd’hui
une fortune estimée à trois milliards de dollars. Dans de nombreuses
affaires en Chine, les noms de ses proches se dissimulent derrière
plusieurs paravents et des vecteurs d’investissement impliquant des
amis, des collègues de travail et des associés. La famille de Wen
Jiabao possède des intérêts dans des banques, des bijouteries, des
stations touristiques, des compagnies de télécommunication et des
projets d’infrastructure, en recourant parfois à des entités offshore.
Son frère cadet, qui possède une entreprise de traitement de déchets,
a bénéficié de plus de trente millions de dollars de contrats attribués
par l’État. Son épouse, Zhang Beili, surnommée « la reine des
diamants » par le New York Times, a fait fortune dans les pierres
précieuses, secteur pourtant strictement régulé par l’État.
Ces informations présentent une étrange similitude avec celles que
l’on recueille si souvent sur les dirigeants africains et leur entourage.
Non seulement les Chinois sont coutumiers de ces pratiques, mais ils
les exportent. Jeune Afrique rapporte que la société publique
Nuctech, liée à Hu Haifeng, le fils du président Hu Jintao, aurait
participé à des détournements de fonds en Namibie pour une somme
évaluée à 12,8 millions de dollars. C’est la commission anticorruption
(ACC) du pays qui a dévoilé l’affaire en juillet 2011. Cet argent
devait initialement servir à l’achat de détecteurs de sécurité par la
Namibie. Mais il a été retrouvé sur le compte d’une autre société,
Teko Trading, avant de servir à l’achat de maisons, de belles voitures
ou encore à l’approvisionnement d’un compte privé. Encore en cours
d’instruction à Windoeck, ce dossier ravive les critiques des
Occidentaux sur le comportement des Chinois en Afrique. En ligne de
mire, notamment, l’opacité des prêts gouvernementaux,
particulièrement ceux attribués au Nigeria et à l’Angola. En
République démocratique du Congo, le fameux « deal infrastructures
contre minerais » a été dénoncé par les institutions de Bretton Woods.
« La pratique de la corruption, consubstantielle au système politique
chinois, rencontre en Afrique un champ d’application nouveau »,
explique Valérie Niquet, chercheuse à l’Institut français des relations
internationales (Ifri). Il est notamment reproché aux compagnies
pétrolières de recourir aux pots-de-vin pour décrocher des permis
d’exploration et de production. « Leurs méthodes sont les mêmes que
celles des majors occidentales », estime néanmoins Ricardo Soares de
Oliveira, chercheur associé à l’université de Cambridge. Les
commerçants africains et libanais accusent leurs concurrents venus de
l’empire du Milieu d’arroser les fonctionnaires pour minimiser leurs
droits de douane ou obtenir des marchés. Devant l’avalanche des
critiques, les autorités de Pékin « appellent » leurs ressortissants à
respecter les règles en vigueur en Afrique, tandis que les dirigeants
africains se taisent.

En fait tout rapproche les dirigeants chinois de la plupart des


caciques des régimes africains en place. Aussi, dans leur approche
socio-économique et politique du continent noir, les Chinois estiment
que la démocratie à l’occidentale et ses exigences de moralité ne sont
pas faites pour l’Afrique. Et que, pour l’heure, celle-ci devrait
s’occuper de problèmes plus urgents pour lesquels eux, Chinois,
détiennent les véritables solutions. Au cours de sa visite au Nigeria,
en avril 2006, le président Hu Jintao déclarait devant les
parlementaires de ce pays : « L’Afrique a de riches ressources et un
grand potentiel de marché, tandis que la Chine a accumulé au cours
de sa modernisation une expérience profitable et des techniques
pratiques. La coopération sino-africaine a donc de vastes
perspectives. »
Selon Pékin, c’est cela la priorité pour les États africains. Les
Chinois ont une histoire de deux mille cinq cents ans d’obéissance
envers des pouvoirs centraux. Ils n’exigent pas de leurs dirigeants une
gouvernance vertueuse, comme le veulent les démocraties modernes
occidentales. De nos jours, peu d’historiens ignorent ou ne veulent
pas se souvenir que la Chine a tenté une expérience démocratique.
En février 1923, la première et unique élection démocratique qui se
soit jamais déroulée dans ce pays avait consacré la victoire du
président Tsao Kun dans des conditions plus que douteuses. Au
lendemain de sa victoire, le Président était devenu l’otage de ceux qui
l’avaient aidé à manipuler le scrutin. Sans expérience ou compétence
dans la gestion de la chose publique, des militaires et des
concubines, sortis de nulle part, furent récompensés par des postes
juteux de « conseillers spéciaux ».
Cette page de leur histoire a laissé un goût amer aux nombreux
Pékinois qui s’en souviennent. Depuis, la plupart des Chinois pensent
qu’un tel système ne peut prospérer chez eux. Pour eux, la démocratie
est synonyme d’échec. Par conséquent, la Chine entend participer au
développement des pays africains sans leur indiquer une quelconque
voie politique à suivre. Elle espère seulement que les dirigeants du
continent noir retiennent qu’elle a créé un modèle de développement
efficace et pragmatique, taillé sur mesure pour eux et fondé sur une
séparation imperméable entre objectifs économiques et réformes
politiques.
Elle-même, d’ailleurs, bien qu’elle véhicule l’image d’une nation
autoritaire, est un pays ouvert au développement économique et au
progrès technique. Son dirigisme, plutôt que d’être un handicap,
n’est-il pas à l’origine d’une formidable croissance ? Ce pays, qui
n’avait pas plus de deux personnes dans le bureau du FMI à Pékin,
n’a-t-il pas refusé pendant longtemps de suivre les prescriptions
libérales du monde occidental et rejeté tous les appels à l’ouverture
de son compte de capital ? La Corée du Sud, qui a suivi le chemin
inverse, ne s’est-elle pas retrouvée plongée dans la plus grande crise
financière asiatique en 1997 ? La Chine se vante aujourd’hui d’avoir
tiré de la pauvreté, en un quart de siècle de réformes économiques,
plus de quatre cents millions de personnes. Elle est devenue le plus
grand pays exportateur de capitaux, avec deux mille quatre cents
milliards de dollars de réserves extérieures, sans compter son fonds
d’investissement doté de deux cents milliards de dollars et les actifs de
ses grandes entreprises à l’étranger.
Ce sont ces exemples agités par l’empire du Milieu qui constituent
un argument de taille, permettant à une bonne partie de l’élite
africaine d’affirmer que la démocratie à l’européenne n’est pas
l’unique chemin qui mène au développement économique et social.
« Je pense que les Occidentaux auraient tort de croire qu’il leur suffit
d’acheter la bonne gouvernance en Afrique..., nous dit l’ancien
président éthiopien Meles Zenawi. Ce que la Chine a réalisé taille en
pièces cette illusion. Elle [la Chine] ne met nullement en danger les
réformes de bonne gouvernance et la démocratisation en Afrique. Car
seuls ceux qui [comme la Chine] ont privilégié une croissance
endogène avaient des chances de réussir » (Financial Times,
5 avril 2007). Du coup les thèses et les actions des bailleurs de fonds
traditionnels occidentaux se trouvent discréditées, d’autant que, par le
passé, ils n’ont servi à l’Afrique que des recettes incapables de
répondre aux défis de son développement.

La Chine de son côté, invoquant toujours un principe de solidarité,


présente sa coopération avec les pays africains comme une forme de
partenariat entre nations en retard et historiquement dominées. Cela
lui permet de financer plusieurs régimes qui ne satisfont pas aux
conditions internationales d’octroi de prêts, et où corruption et
violations des droits de l’homme sont devenues un mal endémique.
Elle fait fonctionner en Afrique une arme redoutable dont elle seule
détient le contrôle : la plus massive manne financière jamais déversée
sur le continent.
Un véritable financement des innombrables projets en cours est
certes nécessaire à la relance du processus de développement et à
l’amélioration du bien-être des populations africaines. Mais leurs
dirigeants y ont jusqu’ici fait preuve d’une singulière incapacité à
assurer une véritable gouvernance saine et transparente. Toute manne
financière a toujours été monopolisée par ces oligarchies autoritaires
ou semi-autoritaires. Les Chinois n’ont fait que renforcer le
phénomène. Durant ces trente dernières années, par exemple, le
Nigeria a tiré de son pétrole des recettes estimées à près de deux
cent quatre-vingts milliards de dollars. Cet argent a été en grande
partie détourné par ses minorités gouvernantes, corrompues et
maffieuses, qui ne se soucient nullement des dizaines de millions de
démunis et de laissés-pour-compte, dans un pays au bord de la
déliquescence. En déclarant : « Nous ne pensons pas que les droits
de l’homme doivent se situer au-dessus de la souveraineté », les
Chinois ne laissent à ces populations aucun espoir que rien ne
change et que leur calvaire prenne fin.
La politique de « deal non regardant » du nouveau venu asiatique
offre soutien et protection politique internationale à leurs dirigeants.
Elle sape les maigres résultats enregistrés dans la lutte contre la
pauvreté et ôte toute efficacité aux pressions exercées par la
communauté internationale pour une bonne gouvernance. Les efforts
d’intégration des pays africains à l’économie planétaire se trouvent
ainsi annihilés sur un continent englué dans ses mauvaises habitudes
d’endettement et de chômage, alors que, jusqu’à l’arrivée des
Chinois, les Européens, les Américains et les institutions
internationales accompagnaient leur politique de coopération de
mesures visant à pallier la crise de la dette des pays concernés, avec
plus ou moins de bonheur il est vrai, en appliquant les principes du
« consensus de Washington » (FMI, Banque mondiale).

Dès la conférence de Bandung en 1955, la Chine présentait la clé de


voûte de sa politique extérieure vis-à-vis des pays en voie de
développement. Celle-ci reposait sur les « cinq principes de
coexistence mutuelle », à savoir :
1) respect de l’intégrité territoriale ;
2) refus de l’agression ;
3) non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays ;
4) égalité et bénéfice mutuel ;
5) coexistence pacifique.
Ces principes sont « une manière de faire du business », comme le
dit le ministre rwandais des Finances, M. Donald Kaberuka, qui
cachent en réalité une inédite politique de « deal non regardant ». Les
ONG dénonçaient déjà des pratiques occidentales suspectes en
Afrique. Les Chinois, qui ont bien retenu la leçon, les ont
« perfectionnées »... en pire. Ce qui est ainsi résumé par M. Douglas
Steinberg, responsable sortant du programme angolais de Care :
« Les conditions d’octroi des crédits chinois donnent beaucoup plus de
possibilités à l’Angola, comparées aux exigences fixées par d’autres
accords, en premier lieu ceux passés avec le Fonds monétaire
international. En fait, cela permet aux autorités gouvernementales de
ne pas pratiquer la transparence. »
La Chine cible en Afrique des zones particulièrement rentables en
matières premières. Les régimes en place obtiennent alors des
ressources financières qu’ils n’auraient jamais pu avoir, sans procéder
aux réformes démocratiques imposées par la communauté
internationale. Ainsi l’empire du Milieu est-il le seul pays non africain
à entretenir des relations économiques avec le Zimbabwe. Le très
contesté dictateur Robert Mugabe parvient à se maintenir au pouvoir
grâce à ce genre de soutien. Pékin finance sa police, son armée et
rémunère l’élite au pouvoir pour éviter des dissidences qui
grossiraient les rangs de l’opposition, tandis que, dans le même
temps, les États-Unis imposent des sanctions économiques à ce pays et
que l’Union européenne interdit de séjour cent trente et un dirigeants
zimbabwéens pour manquements aux droits de l’homme et à la
démocratie.
Comme le souligne Valérie Niquet, « Pékin utilise sa condition de
membre du Conseil de sécurité de l’ONU pour offrir des garanties
politiques à des régimes corrompus. La Chine a beau jouer sur la
fibre tiers-mondiste, cette pratique rappelle les stratégies que les pays
occidentaux avaient mises en place juste après la décolonisation ; elle
retarde les évolutions démocratiques nécessaires en Afrique ». Alors
que l’Afrique gagnerait à s’inscrire dans le respect de règles de
coopération conditionnées à des réformes de structure. Elles seules
permettraient le renforcement des institutions étatiques nécessaires au
développement durable d’un pays. Mais le partenaire non regardant
qu’est la Chine ne se préoccupe pas des Objectifs du millénaire pour
le développement (OMD). Pékin juge même cette approche
paternaliste, voire misérabiliste. Sans doute parce que l’absence de
concurrence avec des multinationales occidentales dans des pays
jugés corrompus est tout à son avantage : elle lui offre la possibilité
d’y faire plus de profits encore.
Le FMI exigeait de l’Angola une plus grande transparence dans la
gestion de ses revenus pétroliers. Il proposait son aide à condition
que ce pays, qui est l’un des plus corrompus d’Afrique, élimine les
pots-de-vin et s’assure que les revenus pétroliers aillent à des
programmes sociaux. C’était sans compter avec la Chine. Disposant
d’une énorme réserve de change depuis 2008, l’empire du Milieu
concurrence maintenant en Afrique le Fonds monétaire international et
la Banque mondiale. C’est un prêt chinois de deux milliards et demi
de dollars qui allait permettre au président Eduardo Dos Santos de
mettre à la porte la délégation du FMI chargée de cette mission
d’assainissement et de bonne gouvernance. En cinq ans, grâce à
l’aide sans condition de la Chine et à la flambée du cours du pétrole,
l’Angola a engrangé cent milliards de dollars et affiche l’un des taux
de croissance les plus élevés du monde, estimé à 25 %. Cet exemple
est d’autant plus préoccupant que le « deal non regardant » chinois
enrichit un peu plus les dirigeants corrompus de ce pays. Il leur
permet de s’accrocher à leurs privilèges en ignorant toutes les règles
du jeu démocratique. Mais, si les autorités angolaises trouvent leur
compte dans la « Chinafrique », les politiciens de l’opposition, qui ne
reçoivent ni pots-de-vin ni petits cadeaux, ne décolèrent pas, et les
travailleurs ne touchent que des salaires de misère pour des tâches
accomplies dans des conditions proches de l’esclavage. Il n’est donc
plus exclu que ce pays, à peine sorti d’une longue guerre civile, ne
retombe dans la violence, la Chine ayant permis à sa classe
dirigeante de se soustraire aux critiques et à l’arbitrage de la
communauté internationale, et de s’accrocher à un pouvoir sans
partage.
Le Soudan, autre pays à régime dictatorial, était sous le coup de
sanctions internationales durant une guerre civile meurtrière. Sans
états d’âme, Pékin s’y était taillé la place de premier investisseur
(quatre milliards de dollars). Selon le Rapport d’Amnesty international
de 2006 (Marie-France Cros) : « Pékin n’a pas d’états d’âme. Quand
le gouvernement soudanais, entre 1999 et 2001, déplace par une
politique de terre brûlée des centaines de milliers de civils dans les
zones pétrolières [...] pour y laisser le champ libre aux entreprises, la
Chine n’en a cure, tandis que les sociétés occidentales — comme la
canadienne Talisman, qui a dû quitter le Soudan après une campagne
d’ONG de son propre pays — sont soumises à une forte pression
dans leurs pays. » Aujourd’hui, le Soudan fournit 7,5 % des
importations totales de la Chine. En contrepartie, les royalties versées
à ce pays, que la communauté internationale interpelle pour
génocide, lui ont permis d’acheter des armes chinoises pour réprimer
les populations du Darfour dans le sang. Grâce à la politique
chinoise, le chef de guerre Umar al-Bachir — sous le coup d’un
mandat d’arrêt international — consacre 60 % de ses recettes
pétrolières aux dépenses militaires.

L’offensive chinoise sur le continent est plus un facteur d’instabilité


qu’une entreprise de développement. L’empire du Milieu a fortement
contribué à alimenter les conflits par sa coopération militaire et ses
ventes d’armes. Il est à l’origine non seulement de l’extension du
conflit soudanais, mais aussi des troubles dans les régions frontalières
entre le Tchad et le Centrafrique. Selon certaines estimations d’experts
sur la question, la violence armée fait perdre à l’Afrique dix-huit
milliards de dollars par an, soit à peu près le montant annuel de
l’aide au développement pour l’ensemble du continent. La faible
réglementation du commerce des armes — faille dans laquelle s’est
engouffrée la Chine — freine le développement socio-économique de
nombre de pays africains. Un conflit armé y entraîne généralement
une baisse de l’activité économique d’environ 15 %. L’instabilité
sociale, à quoi s’ajoute la criminalité qui en découle, décourage les
investisseurs traditionnels. En Chine même, une politique répressive
des médias, le contrôle de l’internet et l’encadrement des associations
contestataires privent les ONG des relais et des moyens qui leur
permettraient de dénoncer la responsabilité chinoise dans ces
calamités que subit l’Afrique.
Régulièrement, l’empire du Milieu insinue que, si les pays
occidentaux diabolisent ses activités sur le continent noir, c’est
uniquement qu’ils cherchent à y freiner sa montée en puissance
économique. Pour se donner bonne conscience, il fait croire que les
puissantes ONG occidentales et leurs partenaires locaux sont à la
solde de Washington. Et sans doute les critiques que les démocraties
occidentales adressent à la Chine seraient-elles plus crédibles si elles
s’appliquaient également à tous les États, et surtout à leurs alliés les
plus douteux. Ce manque de cohérence, cette dissonance entre la
rhétorique occidentale sur les droits de l’homme et certaine
complaisance à l’égard de dictateurs « amis », ouvre un boulevard à
la realpolitik chinoise. Plus profondément, au dire des plus éminents
sinologues, le comportement politique de la Chine plongerait ses
racines dans des préoccupations philosophiques anciennes. Les
érudits mandarins de l’empire du Milieu ne croyaient pas que la
nature obéisse à des lois. Les Chinois constatent le fonctionnement du
monde, sans lui chercher d’explications causales ou mécanistes. De là
viendrait que les Chinois aient la réputation, contrairement aux
Occidentaux, d’être plus « empiriques » que « théoriques ». Pour la
Chine, tenter de fonder des relations internationales sur un socle
minimal de respect des droits de l’homme est illusoire. Ceux qui s’en
réclament sont des naïfs ou des hypocrites. Aussi, lorsque ses intérêts
économiques sont en jeu, s’accommode-t-elle parfaitement de
« génocides ». C’est dans cette logique qu’elle a fortement œuvré
en 2004 pour dénaturer la résolution 1567 du Conseil de sécurité
des Nations unies sur le génocide du Darfour, que « même » George
W. Bush dénonçait sans nuances.
Il en sera toujours ainsi : la Chine fera automatiquement — à la
demande des autorités de « pays amis » — usage de son droit de
veto contre tout projet de résolution du Conseil de sécurité des
Nations unies qui condamne ouvertement des régimes prédateurs et
criminels.
Toutefois, il arrive que la pression exercée par les bailleurs de fonds
internationaux réussisse à imposer un peu de morale au « deal non
regardant » Chine-Afrique. À Lobito (Angola), par exemple, un
contrat de raffinerie chinoise de trois milliards de dollars a été
dénoncé après que le bruit eut couru que deux milliards de dollars
avaient disparu des caisses des crédits chinois. (L’association
britannique Global Witness avait averti que deux milliards de dollars
de crédit accordés à Luanda par la banque publique chinoise Exim
Bank risquaient d’être détournés.) Officiellement, cette somme avait
été allouée pour rebâtir les infrastructures angolaises détruites par
trente ans de guerre civile. En échange, la Chine recevrait dix mille
barils de pétrole par jour. Or une partie de ces deux milliards a été
effectivement détournée au profit de la propagande gouvernementale
pour les élections générales de 2006. Le 9 décembre 2004, M.
Antonio Pereira Mendes De Campos, intermédiaire connu dans le
milieu des affaires, était prié de quitter son poste de secrétaire du
conseil des ministres manifestement victime de la pression chinoise.
Que Pékin ait dû enfreindre une règle essentielle de sa stratégie de
conquête des marchés africains, à savoir la non-interférence avec les
affaires intérieures des pays ciblés, n’a pas manqué de réjouir la
plupart des ambassades occidentales à Luanda. À l’affût de ce genre
d’impairs, elles en avertissent immédiatement leurs capitales
respectives, détaillant dans des messages cryptés le moindre
dysfonctionnement du couple sino-africain. Les télégrammes
confidentiels échangés entre ambassades américaines ayant été
piratés et révélés au public par WikiLeaks, nous en savons un peu
plus sur la corruption et l’état réel des finances de la « Chine-
Afrique ».
L’ambassade américaine à Nairobi décortique une négociation
commerciale entre la compagnie de téléphone Telkom Kenya et
Zhongxing Telecommunications Equipment Company (ZTE). Cette
dernière est une entreprise d’équipement téléphonique dont les
produits sont même utilisés par le service de renseignements national
kényan (NSIS). D’après les diplomates américains, l’attribution de ce
marché s’est effectuée sur la base d’un versement de pots-de-vin. Il
semble que Telkom ait été contrainte d’attribuer ce marché à la firme
chinoise par le directeur général du NSIS, Michael Gichangi, en
accord avec son directeur de la division des opérations, Joseph
Kamau. « La préférence de Gichangi pour ZTE a été obtenue par une
commission perçue au cours d’un voyage en Chine. Quant à Kamau,
il a reçu des paiements mensuels de cinq mille dollars de ZTE pour ses
factures médicales. » Le télégramme ne confirme pas l’authenticité de
cette histoire de corruption. Son auteur préfère passer à d’autres
aspects de la présence chinoise, notamment à l’irruption massive de
produits contrefaits qui concurrencent dangereusement les produits
américains, tels que les batteries. Dans le même temps, des masses de
travailleurs chinois arrivent au Kenya, menaçant l’emploi dans le
pays.
Le même télégramme fait état d’une conversation avec un
responsable de l’organisme kényan chargé des parcs et de la faune
sauvage, le KWS. Celui-ci dit avoir noté « une hausse sensible des
activités de braconnage à proximité des camps où sont installés les
travailleurs chinois ». Il cite un rapport du KWS qui avance que
« 90 % des contrebandiers d’ivoire détenus à l’aéroport de Nairobi
sont des Chinois ».
Toujours grâce aux télégrammes révélateurs de WikiLeaks, nous
apprenons aussi le dysfonctionnement de la machine de financements
de Pékin : « Le rythme endiablé des engagements chinois en Angola
s’est considérablement ralenti en 2009, quand la crise financière
globale a diminué les revenus du pétrole et des diamants angolais,
entraînant des coupes drastiques dans les dépenses du gouvernement.
Selon l’ambassadeur chinois à Luanda, la Chine a été obligée de
rapatrier plus de vingt-cinq mille travailleurs pour défaut de paiement
du gouvernement angolais. »

Ces difficultés auraient-elles eu une incidence sur les relations entre


diplomates chinois et diplomates américains à Luanda ? Il y a tout lieu
de le croire. En 2008, les deux ambassadeurs essaient d’identifier
des projets communs, malgré l’obstacle de la langue : le Chinois,
regrette son homologue, « ne parle ni le portugais ni l’anglais, juste
un peu l’espagnol ». Le diplomate chinois reconnaît que son pays ne
pourra faire face aux besoins de l’Angola. Il exprime sa
préoccupation de voir les responsables du gouvernement angolais
« ne pas prendre la mesure de la crise économique globale et de son
impact sur la capacité de la Chine à lever des fonds privés pour des
projets en Angola. Finalement, pourquoi la Chine et les États-Unis ne
s’associeraient-ils pas dans des projets de coopération en Angola ?
« On envisage de chercher des pistes dans les secteurs de
l’agriculture ou de la santé. Il est important que les Angolais et
d’autres observateurs de l’Afrique puissent voir comment nos deux
pays peuvent coopérer dans le cadre d’une vision pour un Angola
meilleur », conclut diplomatiquement l’auteur du télégramme
américain. Perfide coup de poignard dans le dos des Européens
qui — Chinois et Américains ne l’ignorent pas — nourrissent tout
aussi secrètement le rêve de reprendre la main en Afrique, comme
l’exprime ironiquement un de leurs diplomates : « À nos amis
angolais, nous disons ceci : “C’est super, votre petite promenade
avec les Chinois. Amusez-vous bien. Mais, quand vous voudrez jouer
dans la cour des grands, payez vos dettes et revenez nous voir...” »

Décidément la Chine inaugure aussi une nouvelle forme de zizanie en


Afrique... Mais gagnera-t-elle longtemps à son jeu de « deal non
regardant » ? La question reste ouverte si l’on écoute Lucy Corkin, une
analyste du cabinet sud-africain Project for China Studies. Interviewée
par le Financial Times sur l’évolution de la politique angolaise, elle
déclare : « Le pays est conscient du danger qu’il y aurait à mettre tous
ses œufs dans le même panier. Et il veut tirer de la Chine le meilleur
parti possible, sans pour autant miser sur un seul partenaire
économique. »
CHAPITRE VI

« Chine-toc »
ou Contrefaçon au parfum fleur de lotus

Choisis bien le jour où tu mettras tes chaussures neuves chinoises, car ce


sera la première et la dernière fois !
Plaisanterie sénégalaise

Sur le continent noir, toute marchandise contrefaite est appelée


« chine-toc », c’est-à-dire du toc venu de Chine. Pour la majorité des
Africains, les Chinois sont passés maîtres dans cet art et dans la
concurrence déloyale. Une victime ivoirienne, M. Sié, raconte : « Mon
BlackBerry est en panne. Je suis allé voir le réparateur et il m’a dit
que c’était un BlackBerry trafiqué, du chine-toc. Le vendeur m’avait
pourtant assuré que c’était un original. » Si la présence chinoise
constitue déjà une menace pour la main-d’œuvre africaine et pour les
commerçants du continent, elle représente un surcroît de danger pour
les consommateurs. Hormis le fait qu’elles sont des imitations
grossières, leurs marchandises intègrent dans leur fabrication des
produits réputés dangereux pour la santé. Les spécialistes ne cessent
de tirer la sonnette d’alarme devant l’envahissement de ces produits
nocifs qu’aucune barrière douanière ne contrôle ou n’interdit.
On ne compte plus les téléphones « répliqués », dont le
fonctionnement est aléatoire et dont les batteries risquent d’exploser à
tout moment ; les Coton-Tige qui laissent le coton au fond des oreilles ;
les jouets imprégnés de produits dangereux pour les enfants ; les
produits médicaux sans aucune garantie d’innocuité. Combien de
morts, de maladies sourdes dues à l’inhalation ou à l’ingestion de
médicaments contrefaits que les systèmes de veille et de prévention
des pays africains, pour la plupart inefficaces, n’ont pas su détecter ?
Avec l’inondation des marchés locaux par une gamme infinie de
produits de pacotille, la Chine freine aussi le développement d’une
industrie saine et provoque un énorme manque à gagner pour les
États. La fraude due au phénomène de la contrefaçon fait perdre plus
de 40 % de recettes à l’économie de la Côte d’Ivoire. Dans certains
secteurs comme le textile, l’arrivée des Chinois a quasiment réduit à
néant l’effort d’industrialisation des économies locales. Au Nigeria,
au Cameroun et en Afrique du Sud, l’entrée d’articles chinois a mis en
faillite de nombreuses usines de textile et d’habillement, les prix
chinois devenant la référence. Les « pagnes chine-toc » qui inondent
le marché ont contraint de grandes entreprises de textiles, telles que
Cotonnière Ivoirienne (Cotivo) et Union des textiles ivoiriens (Utexi), à
fermer boutique. C’est toute l’industrie textile du continent africain qui
est menacée à terme, avec pour résultat une situation porteuse de
chômage et de tensions sociales. Selon Peter Pham, directeur du
centre Afrique au sein de l’organisme Atlantic Council, près de deux
cent cinquante mille emplois ont été supprimés dans l’industrie textile
du nord du Nigeria.

Cette tendance a de fortes chances de perdurer. Les entreprises


africaines ne peuvent faire face à la concurrence chinoise parce
qu’elles ne jouent pas dans la même catégorie industrielle. Grâce à la
délocalisation de nombreuses industries européennes et américaines
en Chine, les usines chinoises disposent de technologies comparables
à celles du monde occidental. Un réservoir quasi illimité de main-
d’œuvre menée à la baguette et un potentiel considérable de
personnel qualifié permettent aux firmes de l’empire du Milieu d’être
compétitives sur de très nombreux marchés. L’exploitation des
enfants — le scandale Foxconn, le sous-traitant d’Apple à Zhengzhou,
continue d’indigner les ONG humanitaires — et des prisonniers leur
donne l’avantage sur n’importe quel marché. Les usines chinoises
emploient une main-d’œuvre qui peut travailler soixante heures par
semaine, pour un salaire mensuel de cinq cents yuans (53 euros
ou 35 000 francs CFA environ), compensé en partie par des
logements en dortoir et des repas fournis à bas prix. Ces ouvriers
n’ont pas accès à une protection sociale. On comprend que leur
slogan publicitaire soit « Y a qu’à importer et c’est moins cher ».
Après trois décennies de croissance heurtée, la Chine s’est
engagée dans une stratégie analogue à celle qu’avaient adoptée la
Corée et Taïwan, vingt ans plus tôt. Libérant les initiatives paysannes,
elle a capitalisé sur les bas salaires pour percer sur le marché
mondial et remonter les filières industrielles. Cette stratégie a dopé sa
croissance, qui a été de 9,4 % par an en moyenne entre 1978
et 2005. Non seulement elle a dépassé les États-Unis, en devenant le
premier exportateur mondial de produits relevant des technologies de
l’information et de la communication, mais, même sous licence
étrangère, la Chine domine encore les marchés de biens dits
basiques. Son offre se trouve ainsi adaptée à la demande des pays
en développement. Elle est devenue, depuis 2001, le plus grand
exportateur de produits de pacotille, particulièrement vers l’Afrique. Si
ses exportations se révèlent adaptées au pouvoir d’achat limité des
populations locales, elles transforment leurs pays en véritable
poubelle. Loin de favoriser le développement économique et social du
continent, l’importation des produits chinois lamine le secteur
industriel local dans les rares pays où il a pu se développer, comme
l’Afrique du Sud, la Zambie, le Cameroun, le Gabon, le Nigeria, etc.
En mettant dans le circuit commercial une production de bas niveau,
elle annihile des pans entiers de l’économie africaine.
Depuis quelques années, les Africains assistent à de véritables
performances dans le domaine de l’imitation. À telle enseigne qu’il
devient de plus en plus difficile de reconnaître de prime abord la
copie du faux, seule la pratique renseignant sur la qualité. Devant
cette irruption massive de produits contrefaits, même les représentants
agréés des vraies marques peinent à prouver l’authenticité de leur
marchandise. Les mauvaises langues, pour les discréditer, insinuent
qu’ils s’approvisionnent eux aussi en Chine. Mais ces mauvaises
langues sont parfois bien informées : de nombreuses firmes
commerciales, qui se gardent bien de l’afficher, écoulent en effet des
produits fabriqués en Chine — et marques européennes ou
américaines ne font pas exception.

Les entrepreneurs du continent réclament des mesures de protection


pour contrecarrer cette concurrence désastreuse. En Afrique du Sud,
un véritable climat antichinois commence à être véhiculé par les
organisations patronales et syndicales. La puissante fédération
syndicale Cosatu a menacé de boycotter les vendeurs de produits
chinois, accusés de contribuer à la montée du chômage. Mais cette
prise de position reste isolée. En réalité, les Chinois ne sont pas les
seuls responsables de la diffusion sur le sol africain de cette camelote
fabriquée dans les dizaines de milliers d’usines de la province du
Guangdong. Ils bénéficient de la complicité passive des Africains.
C’est sans que personne ne s’en émeuve que de prestigieuses
marques occidentales, comme Adidas, Nike ou Puma, sont
contrefaites et s’écoulent dans le commerce avec une légère
modification de leurs noms. La contrefaçon cible les vêtements de
luxe, les appareils électroménagers, les télévisions, les lecteurs de
DVD, les jeux vidéo, les portables, les produits cosmétiques et les
pièces détachées. Les stratèges de l’empire du Milieu ont tout
simplement compris que le niveau de vie proche de l’indigence de
l’Africain l’oblige à se contenter du moins cher. Au point d’en oublier
la qualité. Ce faisant, il contribue et favorise la percée de la
production de l’empire du Milieu sur le continent. Même vendus à bas
prix, malgré leur mauvaise qualité, les articles chinois contrefaits
représentent un chiffre d’affaires impressionnant. Cette industrie est
devenue un tel souci pour les entrepreneurs du monde entier que
certaines firmes européennes ont décidé de s’impliquer dans la lutte
contre les produits chinois contrefaits.
C’est ainsi que, sur dénonciation de Gillette, la police sud-africaine
a frappé un grand coup. Elle a détruit en 2012 plus de onze millions
de lames de rasoir contrefaites en provenance de Chine, d’une valeur
supérieure à vingt-sept millions de rands (environ 3 122 939 dollars
américains). Ces lames de rasoir ont été introduites en Afrique du Sud
dans des conteneurs partis de Chine et débarqués à Durban. Au
cours de deux opérations séparées, la police du port a saisi les
marchandises et les a détruites. « Nous sommes fiers de la qualité de
nos produits. Nos lames sont en acier inoxydable recouvertes d’une
couche de platine et emballées de manière hygiénique », a déclaré le
responsable local de la firme Gillette dans un communiqué. Il s’est dit
encouragé par l’action de la police : « Nous avons découvert que les
lames contrefaites étaient fabriquées en carbone. Ce qui rend la lame
plus fragile : elle se casse lorsqu’on la courbe. »
Autre camouflet pour les trafiquants, un tribunal a dissuadé le
gouvernement d’Afrique du Sud d’acheter des préservatifs féminins
chinois. Ce pays est le plus touché par le sida au monde, 10 % de sa
population est séropositive. Depuis quelques années, le gouvernement
sud-africain a fait de la lutte contre ce fléau son cheval de bataille. Les
produits chinois sont les premières victimes de l’opération. D’après le
quotidien afrikaner Beeld, l’entreprise Siqamba Medical avait conclu
un contrat avec le ministère des Finances pour importer dix millions de
préservatifs féminins de Chine. Une société concurrente, Sekunjalo
Investments Corporation, a alors saisi la Haute Cour de Pretoria,
arguant que ses préservatifs sont 20 % plus longs que ceux du
fabricant chinois. Le juge Sulet Potterill lui a donné raison, considérant
que les préservatifs chinois étaient trop petits, de mauvaise qualité,
non homologués par l’Organisation mondiale de la santé et
probablement contrefaits.

Ces succès restent pourtant des épiphénomènes dans l’océan de la


contrefaçon chinoise en Afrique. D’autres secteurs enregistrent même
des dérives encore plus graves, qui vont jusqu’à l’empoisonnement
tacite des populations africaines. Nul ne sait avec quoi sont fabriqués
les dentifrices de fausses marques déversés sur le continent, ni les
médicaments. L’Union économique et monétaire ouest-africaine
(UEMOA), qui regroupe huit pays, présente depuis longtemps le
marché illicite des médicaments comme une catastrophe sanitaire.
Jusqu’à présent, aucune politique de lutte efficace n’était vraiment
mise en place par les pouvoirs publics. Rien n’était fait pour contrôler
la sécurité des produits, afin de préserver le consommateur et de
l’informer sur la qualité et les dates de péremption. Les choses sont-
elles en train de changer ? D’énormes efforts sont à présent déployés
pour combattre ce fléau. Une opération simultanée, dans l’espace
UEMOA, entre septembre et octobre 2011, a abouti à la saisie de
sept tonnes de médicaments contrefaits chinois sur le seul marché du
Togo (les experts du ministère de la Santé de ce pays avaient déjà
signalé que la contrefaçon des produits alimentaires et
pharmaceutiques y était devenue le plus grand danger public, compte
tenu de leur qualité plus que douteuse).
Depuis peu, cependant, de faux médicaments, fabriqués en Chine,
qui ont déjà causé de nombreux décès en Asie débarquent en
Afrique. L’enjeu est à la mesure de leur cible, le paludisme, autrement
dit la maladie infectieuse parasitaire la plus importante au monde.
Elle est transmise par les moustiques qui se reproduisent en eau douce
ou parfois en eau saumâtre. Chaque année entre un million trois cent
mille et trois millions de personnes meurent du paludisme
(300 à 500 millions d’accès par an). 90 % de ces décès surviennent
en Afrique, avec un chiffre estimé à plus de un million. Selon
l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les faux médicaments
introduits par les Chinois pourraient faire beaucoup plus de victimes
en Afrique qu’en Asie. Ces produits contrefaits sont fabriqués à la
chaîne, dans des usines de Guilin, une ville du sud-ouest de la Chine.
Au moins douze types différents de copies, contenant trop peu ou pas
du tout d’artésunate, la molécule efficace, ont été recensés. On craint
de les voir toutes débarquer en Afrique.
Pour les Chinois, il y a évidemment beaucoup d’argent à gagner
avec les médicaments contrefaits. Le Cameroun leur a servi de
laboratoire. Dans ce pays, il existe des marchands qualifiés de
« pharmaciens des bus » ou « pharmaciens ambulants ». Ils
s’approvisionnent dans des supermarchés chinois disséminés un peu
partout à Yaoundé, la capitale du pays. On raconte que ces
médicaments y sont plus commercialisés que les fleurs, les valises, les
guéridons et autres articles à l’étalage. Cela, au vu et au su de tous.
Les prix sont généralement aussi bas que la qualité. « Ce que nous
déplorons, affirme un client, ce sont les conditions dans lesquelles ces
produits sont conservés. Ils sont déposés à même le sol, dans la
chaleur, mélangés à d’autres articles qui n’ont rien à voir avec la
médecine. C’est dangereux pour notre santé. Certains de ces
grossistes disposent même d’appareils servant à antidater les
emballages des médicaments. »
La plupart des pays africains ont signé les accords internationaux
de lutte contre ce crime économique. Au plus tard fin
décembre 2013, plus d’un an après que les pays de l’UEMOA se
sont concertés, dans la capitale togolaise, pour renforcer leurs
capacités de lutte contre le fléau de la contrefaçon, devrait être
lancée une opération dite « Vice GRIPS 2 ». Également soutenue par
l’Organisation mondiale des douanes (OMD), cette opération
concerne seize pays africains et conjugue une action de traque
concertée des faux produits au niveau des douanes des pays
concernés et une action de protection de la propriété intellectuelle.
Mais là où existent de bonnes dispositions législatives, les Chinois
arrivent à les contourner. Ils ont déjoué toutes les barrières françaises
pour introduire des produits à base de lait contaminé à la mélanine,
trompant ainsi la vigilance de l’AFSA (Agence française de sécurité
alimentaire), gendarme sanitaire pourtant réputé efficace. Et que dire
de l’introduction sur le marché français du désormais tragique
« fauteuil Conforama », qui « cuisait » la peau de ceux qui s’y
prélassaient au cours de l’été 2010, au point de provoquer des
brûlures et des lésions graves, voire cancérigènes ? Et n’oublions pas
les pâtes dentifrices et autres confiseries contaminées elles aussi à la
mélanine.
Et quand les pays développés renforcent leurs contrôles douaniers,
le trafic des produits contrefaits chinois se rabat sur le continent
africain, là où les services de douane sont dotés de moyens
techniques obsolètes, les personnels inexpérimentés dans la
répression de la contrefaçon (et ne parlons pas de la porosité des
frontières). Reste alors, pour les firmes européennes, à avertir les pays
africains du danger représenté, par exemple, par les pâtes dentifrices
fabriquées en Chine. Ibrahima Lo, membre influent de l’Union
nationale des commerçants et industriels du Sénégal (Unacois), nous
dit : « Peut-être, dès lors que l’alarme vient cette fois d’Europe, les
Sénégalais vont-ils nous prendre au sérieux quand nous les mettons en
garde contre la pacotille que les Chinois déversent dans notre pays.
Ils finiront sans doute par comprendre que c’est d’abord le bien-être
des populations qui nous préoccupe, et pas seulement le profit. »
Des jouets, sortes de Yo-Yo écoulés à l’occasion des fêtes de fin
d’année en 2005, contenaient des substances chimiques qui ont
gravement intoxiqué de nombreux enfants. 83 % des entreprises
africaines ont confirmé que l’imitation était la principale menace pour
leur pérennité. Cette activité illicite touche les trois quarts des logiciels
utilisés sur le continent, 30 à 70 % des antipaludéens consommés au
sud du Sahara, 30 % des pièces détachées automobiles au Maghreb.
Jusqu’aux productions locales sont menacées. Un journal marocain
écrit : « Ils imitent sans vergogne toutes les grandes marques de
l’électroménager [...] et bientôt ils imiteront les djellabas et les
babouches, produits authentiques de l’artisanat marocain. » On
retrouve la même inquiétude au Cameroun, dans un quotidien local :
« Ils sont partout. Bientôt, on va les voir vendre les beignets-haricot
dans les quartiers. »

Les cordonniers d’un village du nord du Sénégal (Ngaye Mékhé) se


transmettent depuis des générations l’art de confectionner des
chaussures typiques en cuir, reconnaissables à leur bout pointu. Les
Chinois n’auront besoin que de quelques mois pour s’approprier leur
particularité. Aujourd’hui, fabriquées massivement en Chine, elles
inondent le marché sénégalais. Ces contrefaçons qui utilisent du
plastique à la place du cuir sont vendues cinq fois moins cher que les
chaussures authentiquement fabriquées par les artisans sénégalais.
Ces dernières, du fait de leur cherté, sont maintenant boudées par
leurs anciens clients. Faute de législation en la matière, les
commerçants sénégalais organisent la résistance en refusant de
vendre leurs créations aux Chinois. Mais le mal est déjà fait. Deux
artisans, dont les ancêtres confectionnaient les chaussures des
monarques du royaume du Cayor, racontent leur première rencontre
avec un « espion » chinois lors de la foire de Dakar, en 1998. Un
petit Asiatique a d’abord longtemps rôdé devant leur stand sans rien
acheter. Surprise : peu de temps après, un groupe de Chinois s’est
présenté au village, attentif et intéressé, sans pour autant arrêter son
choix sur aucun produit. Les villageois comprendront plus tard. Car,
explique l’un d’entre eux, « à la fin de l’année, le marché était inondé
de copies de mes chaussures. Ce qui me dérange dans cette affaire,
c’est uniquement que ces gens n’achètent rien chez nous, ils ne
viennent que pour vendre leurs produits ».

Les copieurs chinois produisent aujourd’hui des sandales en plastique


qui chaussent quatre Africains de l’Ouest sur dix. Sur l’avenue
Charles-de-Gaulle, à Dakar, les produits chinois à bas prix — des
chaussures aux médicaments — envahissent les trottoirs et les étals.
L’Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (Unacois)
a manifesté à plusieurs reprises, en 2004 et 2005, pour dénoncer la
concurrence déloyale chinoise. À Dakar, le journaliste Mohamed
Gueye, dans un article du Quotidien (journal sénégalais), a mené une
enquête sur la situation des commerçants locaux depuis l’arrivée des
Chinois, sous le titre : « Les “Baol Baol” rient jaune ». Les
commerçants qu’on appelle ainsi sont issus de la région du Baol, au
centre du Sénégal, le fief de la confrérie religieuse mouride. Ils ne
décolèrent pas face aux Chinois, dont les produits de consommation
courante à prix réduit ont fait perdre aux commerçants sénégalais
d’importantes parts de marché, surtout dans le commerce de détail.
Les « Baol Baol » estiment que l’État sénégalais favorise les Chinois et
veulent que cela change. Alliés à leurs anciens rivaux d’origine
libano-syrienne, ils se coalisent pour discréditer les marchandises
vendues par les Chinois de Dakar. Ces derniers « cassent trop les
prix », disent-ils.

Cependant l’arrivée massive de produits fabriqués dans l’empire du


Milieu, vendus parfois cinq fois moins cher que les marques
traditionnellement connues, a permis de démocratiser l’accès à la
consommation. Les rentrées scolaires ou les cérémonies festives
religieuses ne sont plus un cauchemar pour de nombreux chefs de
famille. Ceux qui veulent offrir de nouveaux vêtements à leurs enfants
vont se fournir chez les Chinois. La différence se fait maintenant par
les marques, celles de Chine étant de moindre qualité. À Dakar et
dans une certaine mesure partout au Sénégal, le commerce de détail,
hormis les produits alimentaires, se régule en fonction de l’offre des
détaillants chinois. Établis sur l’une des plus importantes artères de
Dakar, le boulevard Charles-de-Gaulle (appelé aussi Allées du
Centenaire), ils arrosent le pays de produits « made in China ». Ce
qui n’est pas pour déplaire à tous les Sénégalais, tant s’en faut. Selon
Fallou Seck, petit vendeur à Dakar, « ces Chinois sont nos
fournisseurs. Les petits vendeurs que vous voyez dans les rues de
Dakar s’approvisionnent chez eux, s’ils s’en vont, comment allons-
nous vivre ? ». Et c’est un fait que de nombreux petits commerçants,
surtout ambulants, s’approvisionnent dans les officines chinoises du
boulevard Charles-de-Gaulle, puis revendent les produits avec un
profit confortable. Grâce au rythme soutenu des « affaires », ces
nouveaux revendeurs ne cherchent même plus à s’éloigner de leurs
fournisseurs. Ils écoulent des stocks entiers sur le pas même de la
porte de ces derniers. Aux Chinois de renouveler rapidement les
leurs. Aïssatou Camara, une mère de deux enfants, se réjouit : « Avec
dix mille francs CFA [15 euros], je parviens à acheter deux pantalons
pour mes garçons de huit et six ans, une chemise à chacun d’eux,
ainsi qu’une paire de sandales. Cela n’est possible que chez les
Chinois ! S’ils n’étaient pas là, tous ces produits m’auraient coûté plus
de vingt-cinq mille francs [environ 39 euros]. »
Le plus inquiétant est que l’anathème jeté sur la mauvaise qualité
des produits chinois par les « Baol Baol » reste sans effet. Même s’il y
a unanimité sur ce sujet, les consommateurs sénégalais ne s’arrêtent
pas à ce détail, comme le note Fallou Seck : « C’est plus facile de
sortir cinq cents francs CFA que dix mille pour acheter un pantalon.
Maintenant, le temps que l’habit va durer dépend aussi du soin que
chacun met à entretenir son bien. »
Abdou Sène, employé d’un commerçant chinois, juge contre-
productive la démarche de leurs homologues sénégalais affiliés à
l’Unacois. Pour lui, « les marchands chinois font œuvre d’utilité
publique. Non seulement ils permettent à beaucoup de gens de s’offrir
des choses dont ils ne pouvaient même pas rêver, mais en plus ils
luttent efficacement contre la pauvreté des masses sénégalaises ». Il
explique que les nombreux jeunes revendeurs qui s’approvisionnent
aux Allées du Centenaire n’ont que cette possibilité pour gagner de
l’argent. Beaucoup viennent des banlieues populeuses de Pikine, de
Guédiawaye ou de Yeumbeul. D’autres encore viennent des villes de
l’intérieur. Tous sont attirés par les grandes marges que leur offrent les
bas tarifs des Chinois. Et ceux qui ne parviennent pas à s’installer
comme revendeurs, ajoute Fallou Seck, se retrouvent dans les
pirogues qui cherchent à rallier l’Europe.
Devant la boutique, des acheteurs approuvent, tandis que le patron
chinois sourit benoîtement, donnant l’air de comprendre ce qui se dit.
Yacine Fall, la trentaine, explique que son commerce de produits
chinois lui permet de payer le loyer des deux pièces qu’elle occupe à
Yeumbeul, dans la banlieue de Dakar, avec sa mère, sa tante et ses
deux enfants en bas âge.

Autre écho du côté des grands négociants : ils pensent que c’est une
erreur de laisser des étrangers occuper le secteur de la vente au
détail. Le secrétaire général de la Confédération nationale des
employeurs du Sénégal (CNES), la fédération patronale à laquelle
l’Unacois est affiliée, est clair : selon lui, si l’État veut que les
entrepreneurs privés nationaux soient capables de mobiliser une forte
épargne, qu’ils injecteraient ensuite dans l’économie, il doit leur
réserver des secteurs comme celui du petit commerce, base de la
formation du capital primitif. M. Dame Ndiaye, qui a été longtemps à
la tête de l’Unacois, trouve suspecte l’attitude des pouvoirs publics
consistant à accorder à des étrangers des privilèges dont ne jouissent
pas les nationaux. « Vous ne verrez nulle part en Chine d’étrangers
s’activer dans le petit commerce. Ici la plupart des commerçants
chinois exercent leur activité sans autorisation administrative et les
Sénégalais ne bénéficient pas de la réciprocité. »
Mais quand Dame Ndiaye et ses amis expliquent que beaucoup de
commerçants, qui avaient pignon sur rue, ont été obligés de mettre la
clé sous la porte faute de pouvoir lutter contre les Chinois à armes
égales, une secrétaire de direction d’une agence de voyages
déclare : « Ceux qui veulent les chasser sont ceux qui vendaient leurs
produits si cher, alors qu’ils se sont toujours approvisionnés aux
mêmes sources que les Chinois. Cela les choque de voir que les
consommateurs peuvent maintenant avoir les mêmes produits à des
prix nettement intéressants. »
Le ministère du Commerce ne tient pas un langage aussi direct,
mais n’est pas loin de partager cet avis. Deux ministres qui se sont
succédé à ce département ont carrément déclaré que les Chinois
offraient au Sénégal l’opportunité de réformer le secteur de ses
services. L’un d’eux allant jusqu’à dire : « Nos commerçants sont trop
rigides dans leurs méthodes et ne voient pas plus loin que leurs petits
profits. Le fait qu’ils ont pu casser le monopole des Libano-Syriens
semble les avoir engourdis et ils ne comprennent pas que l’heure est
aux grands regroupements, non à des rivalités stériles. » L’autre
indiquant pour sa part que les commerçants qui auraient fait faillite à
cause de la vague chinoise n’avaient qu’à retourner travailler la terre
dans leurs régions d’origine. Ce que ces derniers n’ont pas apprécié.
Les commerçants pensent que la politique de l’État désavantage le
secteur privé national à tous les échelons.

Chez les Tanzaniens, Cyril Chami, ministre de l’Industrie, a réitéré son


avertissement à l’attention des commerçants chinois qui enfreignent la
loi en se lançant dans le commerce de détail. Ce secteur, autrefois
géré par les populations africaines, l’est désormais par la diaspora
chinoise.
Au Bénin, sur le marché international de Dantokpa à Cotonou, la
capitale économique, vous pouvez croiser Clémentine Adonou, qui
fait commerce de tissus : « Les Chinois sont experts en contrefaçon et
ils vendent tout moins cher, ce qui nous cause d’importants manques à
gagner », explique-t-elle. Et d’ajouter : « Bientôt, il n’y aura plus que
des Chinois dans ce pays et, nous, nous serons déjà morts, parce
qu’ils auront tué nos commerces. » Dans ce pays, les Chinois sont
présents dans quasiment tous les secteurs, de la restauration au BTP
en passant par l’agro-alimentaire ou l’électroménager. Bien des
Béninois s’en réjouissent ! Surtout les « petits budgets » !
Au Cameroun, en 2012, une étude de l’Association des
consommateurs a recensé près de deux mille commerces chinois dans
les villes de Yaoundé et de Douala. Il faut multiplier par deux ce
chiffre si l’on tient compte des détaillants. Chaque commerce fait vivre
près de dix Chinois.

La seule lueur d’espoir vient paradoxalement de Chine, où le vice-


directeur du Bureau des affaires africaines du département
international du Comité de concertation permanent du Parti
communiste chinois (CCPCC), M. Zong Weiyun, tout en niant toute
politique de dumping de la part de son pays, reconnaît que les
marchandises exportées en Afrique n’ont pas la qualité qu’on serait
en droit d’attendre. Selon lui, « beaucoup d’Africains se plaignent de
la qualité des marchandises exportées par la Chine. Je suis d’accord
avec eux. Les marchandises exportées n’ont pas la même qualité que
celles vendues en Chine ».
Cet officiel chinois s’en est rendu compte lors d’une visite officielle
au Mozambique quand il a acheté des chaussures en plastique et a
pu constater, comme bon nombre d’Africains, la médiocrité du
produit. M. Weiyun considère que, souvent, les entreprises chinoises
établies en Afrique font peu de cas de la main-d’œuvre locale, ne
serait-ce qu’en la sous-payant. « Dans le processus de fabrication,
certaines de ces entreprises ne respectent pas l’environnement et
n’assument guère leur responsabilité sociale », souligne M. Weiyun,
pour qui ces agissements donnent une mauvaise image de la Chine. Il
ajoute : « Le gouvernement chinois ne pratique pas une politique de
dumping en exportant des marchandises de mauvaise qualité dans les
pays africains. Ce n’est pas une politique du gouvernement chinois,
mais de certains commerçants malhonnêtes. » D’après lui, le
gouvernement chinois est en train de prendre des mesures visant à
résoudre ce problème en recommandant aux entreprises qui exportent
vers l’Afrique de veiller à la qualité de leurs produits. « Nous
espérons, dit-il, que les pays africains feront de même pour les
produits que nous importons de chez eux. Cette question de la qualité
des marchandises vendues en Afrique nuit à l’image de notre pays. Je
suis convaincu qu’avec l’évolution de la coopération sino-africaine ce
problème saura trouver sa solution. »
CHAPITRE VII
Prostitution type « Empire des sens noir »
ou Nouveau produit d’exportation chinois

L’un des commerces les plus florissants en Chine — à côté des


téléphones portables et autres composants informatiques — est celui
de l’« objet de jeu », autrement dit : les prostituées. Elles travaillent
dans presque tous les hôtels des grandes villes de ce pays et plus
généralement dans les établissements appartenant à l’État. Yang Fan,
un économiste américain, en évalue le nombre à environ vingt
millions, rapportant au pays 6 % de son produit intérieur brut. Ce
constat a sans doute donné des idées aux autorités chinoises. Les
« poupées bridées » font aujourd’hui partie des produits bon marché
et amortis que la Chine exporte vers les pays africains par le biais de
ses réseaux commerciaux bien organisés. Apparemment, les résultats
escomptés n’ont pas tardé.
Selon une ONG qui souhaite garder l’anonymat, on compte plus
d’une centaine de bars chinois au Mali, où la consommation d’alcool,
de sexe et parfois de drogue ne connaît pas de limites ! D’après ces
estimations, les Chinois qui évoluent dans le domaine du sexe à
Bamako envoient annuellement plus de deux milliards de francs CFA
(près de 2,5 millions d’euros) à leur pays d’origine.
Au Mali, la Coupe d’Afrique des nations 2012 a été l’occasion
pour les businessmen chinois d’implanter leurs réseaux de prostitution.
Les prestations qu’ils proposaient étant beaucoup plus abordables que
l’offre locale, les gens se bousculaient. Et chacun y trouvait, dit-on,
son compte : hommes d’affaires, fonctionnaires d’État, sportifs,
commerçants et même petits vendeurs de rues. Après la Coupe, cette
« démocratisation » du sexe fut adoptée par les Maliens. Les
chambres de passe tournent maintenant à plein régime, et il se forme
des files d’attente dans les couloirs.
Cette expérience très juteuse a incité les Chinois à passer à la
vitesse supérieure en investissant dans des maisons closes
« spéciales », où le choix des filles se fait sur albums photo. Ces
endroits ne sont pas à la portée de tous, ils sont destinés aux « boss »,
aux hommes fortunés. Pour autant les maisons « classiques » ne sont
pas délaissées et la quasi-totalité des jeunes Bamakois connaît le
chemin de ces chambres de passe qui emploient pour l’instant plus
d’Africaines que de Chinoises. Malgré la crise économique et le sous-
développement qui transforment la vie quotidienne en un véritable
cauchemar, les chambres chinoises à deux mille francs CFA (3 euros)
attirent toute une clientèle de nécessiteux.
Les rabatteurs et marchands de débauche s’installent partout au
Mali en bénéficiant d’une singulière bienveillance de la part des
autorités. Et pour cause ! La rumeur dit qu’elles sont parfois friandes
de chair asiatique. Des constructions proches des mosquées, des
églises et des écoles sont érigées en bars et en maisons de passe.
Beaucoup de ces lieux de débauche sont équipés de caméras
cachées, qui filment les clients en pleins ébats à leur insu. Avec le sens
des affaires et l’absence d’état d’âme qui les caractérisent, les Chinois
exploitent cette ressource en diffusant sur le marché international des
DVD pornographiques issus de ces enregistrements. Sans doute ne
saura-t-on jamais combien d’« honorables » citoyens d’un pays
africain, musulman à 90 %, ont été, sans le savoir, des acteurs de
films classés X.
Avant de vendre leurs charmes en Afrique, les prostituées chinoises
sont d’abord apparues en France, en 2003, à Belleville dans le XXe
arrondissement parisien. À l’époque, elles n’étaient pas plus d’une
centaine, selon les estimations des services de la préfecture de police.
L’une d’elles, Ahua, quarante-deux ans, raconte : « J’ai quitté la
province de Shin Tao en 2003. Les faillites d’entreprises se
multipliaient et je n’avais pas de travail. On m’a alors dit qu’il y avait
moyen de venir en France. À mon arrivée, j’ai rapidement trouvé une
place de nourrice, grâce à quelques relations. Mais le patron a
cherché à abuser de moi et j’ai dû partir au bout d’un mois. Quand je
me suis retrouvée sans le moindre argent pour vivre, mes colocataires
m’ont dit que le plus simple serait de chercher un travail dans la rue. »
Un « travail dans la rue », c’est ainsi que les femmes chinoises qui se
prostituent en France nomment leur pratique. Mais les difficultés
d’obtention de visas et les expulsions aidant, leur nouvel Eldorado est
devenu l’Afrique, en attendant mieux.
Très discrètes, bien que leur activité soit de loin plus lucrative que
les traditionnels emplois communautaires, elles ont peur d’être
reconnues par la police ou par leurs compatriotes et ne se montrent
pas en public. Généralement autonomes en Europe, en Afrique elles
sont le plus souvent « encadrées » au sein de réseaux mafieux.
Comme leurs collègues qui tapinent en Europe, la plupart sont
originaires du Dongbei, territoire du nord-est de la Chine,
correspondant à l’ancienne Mandchourie.
Aujourd’hui ces « poupées bridées » sont devenues des acteurs clés
de l’industrie du sexe dans beaucoup de grandes villes africaines. Au
Cameroun, les Chinoises ont vite compris que le secteur du sexe était
très porteur. Là-bas, elles s’appellent presque toutes Chan, parce que
Jackie Chan est un personnage très populaire en Afrique. Et Chan
signifie en chinois « beauté ». Du coup, toutes les belles de nuit
chinoises adoptent ce pseudonyme.
L’une d’elles raconte : « J’ai commencé à me prostituer lorsque mon
boss m’a expliqué que les Chinoises avaient beaucoup de succès
auprès des étrangers et des Camerounais, raconte-t-elle. Mais, il m’a
conseillé de ne pas abandonner mon job de vendeuse, car c’est une
bonne couverture. » Au début, elle ciblait les restaurants chinois et les
cabarets, et facturait entre deux mille et trois mille francs CFA
(entre 3 et 4,50 euros). Puis elle a fréquenté les salons de massage et
les saunas chinois où la passe ne coûte pas moins de dix mille francs
CFA (15 euros). Dans un premier temps, elle évitait les autochtones :
« J’avais peur, reconnaît-elle, car on me disait que les Noirs sont très
puissants au lit. » Puis, un soir, elle tombe sur un riche Camerounais
qui lui propose vingt mille francs CFA (30 euros) pour la passe.
L’expérience se révèle apparemment aussi agréable que payante
puisque, « depuis lors, [elle] préfère aller avec les Noirs, qu’ils soient
riches ou pauvres ».
Ces filles sentent toujours bon, se lavent entièrement, se
remaquillent et se parfument entre chaque « séance ». Elles n’utilisent
que leurs propres préservatifs importés de la Chine, qu’elles pensent
plus fiables. Les connaisseurs prétendent qu’elles sont plus
performantes que les autres. Elles déshabillent le client, sourient sans
arrêt, lui font croire qu’elles le désirent, puis simulent un véritable
orgasme, etc., si bien qu’elles ont vite fait de se constituer une
clientèle fidèle. Et bien sûr, suprême bonus, comme toute camelote
chinoise, elles sont moins chères que leurs concurrentes africaines.
Les prix pratiqués par les Chinoises sont en effet imbattables : alors
que leurs homologues camerounaises, qui opèrent dans la ceinture
d’Akwa ou « rue de la Joie », un quartier de la capitale, facturent la
passe entre cinq et dix mille francs CFA (7,50 à 15 euros), les
beautés de Shanghai monnaient régulièrement leurs charmes à
hauteur de deux mille à trois mille francs (3 à 4,60 euros). Dans les
bidonvilles, où le pouvoir d’achat est à la mesure de la misère
ambiante, elles acceptent même de descendre jusqu’à mille cinq cents
francs CFA (2,25 euros), voire mille (1,50 euro). Une nuit passée
avec une prostituée locale de seconde classe coûte au moins dix mille
francs CFA (15 euros) ; la Chinoise réclame le tiers.
Propres, coquines et « bon marché », ces filles attirent beaucoup de
clients, mais aussi, fatalement, l’attention et le regard vigilant des
professionnelles locales. En juillet 2006, un journal camerounais
rapportait que des prostituées africaines, rendues furieuses par cette
« concurrence déloyale », avaient décidé de rendre la vie difficile aux
Chinoises en créant une unité de vigiles pour protéger leur gagne-
pain. Certaines menaçaient même de faire grève, pour protester
contre le dumping des « putes bridées », accusées de « casser le
marché ». Dans certains endroits, par crainte de représailles venant
de la concurrence locale, il n’y a pratiquement pas de contact direct
avec les Chinoises. Pour passer du bon temps, l’amateur de plaisirs
tarifés doit contacter un intermédiaire, souvent employé de l’un des
hôtels où elles travaillent, qui alors le « programme ». Pendant la
journée, les « poupées bridées » travaillent dans les nombreuses
boutiques chinoises qui se trouvent en ville. Mais dès la nuit tombée,
elles rejoignent les snacks ou les bars de leurs hôtels de passe pour
honorer les rendez-vous fixés. Elles ne rencontrent le client qu’au
moment d’entrer dans la chambre.

Au Nigeria, la presse remarque que les prostituées chinoises bon


marché sont mises à la disposition des clients issus de la classe
moyenne, tandis que les adolescentes, souvent plus belles et plus
fraîches, sont essentiellement importées pour satisfaire les besoins
sexuels des dirigeants du pays et des expatriés. Ceux-ci payent
jusqu’à neuf cents euros la passe. La question que se pose la presse
est celle-ci : pourquoi leurs dirigeants utilisent-ils l’argent du
contribuable pour leurs fantaisies exotiques ? La pratique sévissait
déjà avec les jeunes filles du pays. Voilà que l’invasion chinoise incite
au « protectionnisme sexuel » sur un continent pourtant réputé
accueillant et « ouvert »...
Quant aux Ivoiriens, leur activité la plus prisée tourne autour des
salons de massage (plus prosaïquement : la prostitution discrète). Ces
lieux de perdition se sont développés depuis 2005. Leurs appellations
et leurs devantures affichent plus ou moins ostensiblement les services
proposés à l’intérieur. Les « masseuses » y disposent d’un box
individuel. Les parcours migratoires de leurs propriétaires sont divers
(il est d’ailleurs intéressant d’observer que certains sont des femmes,
ce qui est rare dans le domaine commercial). Toutes les « employées »
de Xu Fangdong, surnommée Fantôme, sont chinoises. Elles auraient
paraphé un contrat de six mois renouvelable, stipulant le paiement
des frais de transport aller-retour. Plusieurs témoignages anonymes
permettent de penser que la prostitution chinoise abidjanaise serait
l’un des principaux circuits de blanchiment d’argent.
Selon Hughes, employé ivoirien d’un salon de massage dont les
propriétaires sont originaires de Shenyang (Liaoning), une heure de
compagnie serait facturée environ quarante mille francs CFA
(soit 61 euros). Une nuit coûterait jusqu’à cent vingt mille francs CFA
(183 euros) et un « mariage blanc » avoisinerait les cinq millions
(7 500 euros). Selon les jeunes salariés recrutés pour assurer la
sécurité et la traduction, un gérant gagnerait jusqu’à mille cinq cents
euros par jour. Ici aussi, la clientèle est relativement fortunée. À titre
d’exemple, le prix d’une simple Flag (bière du groupe Castel) est
multiplié par dix. De ce fait, les Européens, les Syro-Libanais et les
marins en escale constituent la clientèle ciblée.

Tout cela est plus ou moins toléré selon les pays. En Angola, trente-
sept ressortissants chinois accusés d’être impliqués dans la formation
de réseaux de prostitution ont été arrêtés et extradés en Chine. Ils
avaient attiré de nombreuses femmes dans le pays en leur promettant
des jobs bien rémunérés, puis les avaient contraintes à la prostitution,
rapporte la police chinoise. Le ministère chinois de la Sécurité
publique a indiqué qu’une équipe spéciale de la police a été envoyée
en Angola, au mois de juillet, pour aider leurs collègues africains à
enquêter sur ces criminels. L’opération s’est soldée par l’arrestation de
douze malfaiteurs et la libération de quatorze victimes, qui étaient
pour la plupart forcées à se prostituer.

Un autre problème commence à inquiéter les autorités africaines.


Beaucoup de victimes de ce trafic, dont la majorité est très jeune, sont
atteintes de maladies sexuellement transmissibles : elles sont très mal
informées sur la question. Au Cameroun, M. Gautier Mboulinou, de
l’association Aids-Acodev, approche souvent ces filles dans le cadre
des campagnes de sensibilisation. Il est très explicite : « Les
travailleuses du sexe chinoises ont toujours leurs propres préservatifs
et gels intimes, et refusent catégoriquement les préservatifs de leurs
clients camerounais. D’après nos informations, elles utilisent toujours
des préservatifs, mais certaines ne savent pas s’en servir. Des clients
nous ont dit qu’elles enfoncent leurs ongles dans l’emballage et
ouvrent le préservatif avec leurs dents au risque de l’endommager. »
Et d’ajouter : « Elles sont parfois mal informées sur les modes de
contamination par le virus du sida. Certaines demandent si la maladie
se voit sur l’appareil génital ou sur le visage. »
En fait cela n’étonne personne en Chine. En 2011, une prostituée
porteuse du VIH a publié sur son blog une liste de numéros de
téléphone correspondant à deux cent soixante-dix-neuf de ses anciens
clients, avec le commentaire suivant : « Si votre numéro est dans cette
liste, félicitations, vous avez le sida. » Cette extravagance sordide de
Yan Deli, prostituée de vingt-neuf ans, originaire du comté de
Rongcheng, dans la province du Hebei, était accompagnée de
plusieurs photos et vidéos. Loin d’être révoltés, les internautes chinois
ont trouvé cette affaire plutôt divertissante. Avant de donner la liste de
ses clients, la jeune femme a raconté son histoire, comment elle se
faisait violer depuis l’âge de quinze ans par son « vieux salaud » de
beau-père et comment elle était passée par des petits boulots bizarres
à Pékin avant de se prostituer. Aucun détail n’est omis des maladies
sexuellement transmissibles qu’elle a contractées au cours de relations
non protégées. On apprend aussi qu’elle est tombée plusieurs fois
enceinte, échographies à l’appui. Le récit s’achève sur la liste des
numéros de téléphone, avec cette invitation : « Amis de Pékin et du
Hebei, jetez un œil. Y a-t-il votre numéro dans la liste ? »
Cette histoire et les réactions des internautes en disent long sur le
niveau d’éducation de la population chinoise à propos du sida. Dans
ce pays, la maladie progresse actuellement surtout à cause de l’usage
de drogue par voie intraveineuse et de la prostitution. Quatre cent
trente mille à un million et demi de personnes sont censées être
infectées. Mais des estimations beaucoup plus hautes et plus réalistes
existent.
Dans de nombreux secteurs ruraux du pays, notamment la province
du Henan, des centaines de milliers d’agriculteurs ont été infectés par
le VIH pour avoir participé à des programmes d’État de collecte de
sang au cours desquels de l’équipement contaminé était réemployé.
Les autorités de la province, notamment le directeur de la Santé, M.
Liu Quanxi, ont été reconnues responsables de la transmission du
virus à très grande échelle. Les dons étant rémunérés, les donneurs
(essentiellement des personnes pauvres) affluaient en masse, alors que
les conditions sanitaires étaient précaires et qu’il n’y avait aucun suivi
des produits. La contamination a même touché les donneurs, à cause
de la réutilisation des aiguilles, du défaut de stérilisation et de la
réinjection du sang d’autres donneurs après extraction du plasma.
Cette épidémie a décimé la province, laissant de nombreux orphelins.
On estime que certains villages, dits « villages du sida », ont été
touchés à 80 %. Le nombre de Chinois atteints par le VIH a doublé au
cours des neuf derniers mois de l’année 2008.
Depuis cette année-là, le sida est devenu une des maladies
infectieuses les plus meurtrières en Chine, avec vingt-huit mille décès
en 2011. Le directeur du Bureau municipal de la santé publique de
Pékin indique qu’« uniquement 46,5 % des quatre-vingt-dix mille
travailleurs du sexe de la ville utilisent des préservatifs ». Faute de
programme de dépistage spécifique, le taux de transmission du VIH
parmi les prostituées de Pékin n’est pas réellement connu. Tout cela
concourt à créer un tableau d’autant plus inquiétant que l’Afrique
accueille de plus en plus de « poupées bridées ».

La pauvreté et l’analphabétisme incitaient déjà beaucoup de jeunes


Africaines, certaines encore écolières, à se prostituer et à accepter
des rapports non protégés, favorisant ainsi la propagation du sida.
L’arrivée des prostituées chinoises risque d’aggraver encore la
situation, d’autant que les consommateurs africains ne semblent pas
vraiment inquiets : « Les Chinois sont merveilleux..., affirme un
habitant d’un quartier populaire de Libreville. Ils nous apportent tout :
des produits vestimentaires aux produits manufacturés, en passant par
les automobiles, le matériel hi-fi, les ordinateurs, les portables et
autres... Ils nous envoient même des femmes, pour rivaliser avec nos
belles de nuit... C’est vraiment merveilleux. » Si les programmes de
lutte contre le sida ne prennent pas en compte l’information et
l’éducation des nouvelles venues, l’Afrique va devoir faire face aux
conséquences désastreuses d’un « empire des sens noir », agréable
mais mortelle spécialité des « poupées bridées ».
CHAPITRE VIII
Les risques d’une recolonisation chinoise
de l’Afrique

La raison peut nous avertir de ce qu’il faut éviter, le cœur seul nous dit
ce qu’il faut faire.

Joseph Joubert

Un bilan de l’implantation chinoise en Afrique comme de sa


diplomatie du carnet de chèques est aujourd’hui possible. Sur
l’ensemble du continent, des hommes d’affaires ou des ingénieurs
chinois ont reconstruit et réaménagé des infrastructures longtemps
délaissées alors qu’elles étaient vitales pour une évolution économique
durable. Leur présence active a relancé la concurrence et
subséquemment amélioré les termes de l’échange, grâce à une
meilleure rémunération des produits d’exportation. La rivalité entre la
Chine et les partenaires dits « traditionnels », comme la France, la
Grande-Bretagne, les États-Unis et le Japon, a attiré de nouveaux
acteurs que l’on qualifie d’« émergents », bien que certains
connaissent déjà des performances de pays développés. L’Inde, la
Corée du Sud et le Brésil se distinguent par l’importance de leurs
investissements sur le continent. La Turquie y est également de plus en
plus présente, de même que l’Iran, le Qatar et Dubai.
Avec l’engagement des Chinois, nombre de pays africains ont
bénéficié d’aides et d’investissements massifs. Ils se sont vu accorder
des remises de dette ou des tarifs commerciaux préférentiels. Dans
des pays pauvres en ressources naturelles, comme le Mali, le Burkina,
le Bénin ou le Ghana, les investissements chinois ont permis de
relancer certaines entreprises locales très largement déficitaires. Le
commerce sino-africain y a permis de doper considérablement les
cours de plusieurs produits agricoles (coton, cacao, etc.) qui
constituent souvent leurs seules sources de revenus.
L’austère FMI admet que la présence chinoise en Afrique est
bienfaisante. Non seulement elle a contribué à la croissance des PIB
nationaux, mais elle a aussi permis à certains États de faire face à la
dernière grande crise financière.
Les partenaires européens y gagneraient aussi, si la coopération
sino-africaine provoquait un essor économique et commercial
susceptible de stabiliser les populations africaines. Il arrêterait
l’infernale spirale migratoire vers l’Europe.
Au vu de tout ce que les Chinois ont déjà réalisé, leur intérêt pour le
continent pourrait donc représenter une chance. Reste à savoir si la
Chine, dans son engagement en Afrique, agit en vraie partenaire ou
penche pour une démarche néocolonialiste. Questionné sur ce sujet,
Hong Mei, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères,
a répondu : « Le néocolonialisme existe en effet en Afrique, mais
absolument pas du fait de la Chine. » Il ne cite pas le pays auquel il
fait allusion.
Le bilan chinois est certes concret, mais justifie-t-il les simplifications
abusives de certains analystes, qui opposent ce que font les Chinois
en Afrique à ce qu’y ont fait les Occidentaux ? Depuis les
indépendances et surtout depuis l’offensive chinoise actuelle, certaines
élites africaines ont en effet tendance à utiliser l’excuse facile
consistant à attribuer le retard du continent au passé colonial des
Occidentaux ou à la « Françafrique ». Or ni l’un ni l’autre, ni leur
conjonction, ne suffisent à expliquer la catastrophique évolution
économique et politique postcoloniale du continent. Au-delà du
nécessaire rappel des aspects négatifs de cette colonisation, on ne
peut résumer la présence européenne en Afrique à une simple
succession de crimes contre l’humanité. La démarche historique ne
s’en trouverait pas éclairée.

Il convient de voir les choses avec l’objectivité et la distance qui


s’imposent. Les réalisations chinoises actuelles ne doivent pas faire
oublier que, lorsqu’elle se partagea l’Afrique, dans la seconde moitié
du XIXe siècle, l’Europe avait tourné le dos à l’esclavage. S’il est
possible de discuter de leurs réelles motivations, notamment
économiques, on ne saurait nier que les puissances coloniales ont
aboli cette ignominie, malgré des dérives et des lenteurs quelquefois
intéressées. C’est aux forces coloniales européennes qu’on doit la
défaite, en 1894, au Congo, des esclavagistes arabo-musulmans et la
fin, partout où ces prédateurs opéraient, de leurs razzias
dévastatrices.
Il est bien des domaines de la colonisation qui méritent d’être
revisités avec le recul nécessaire. Par exemple, sur cette terre où
existent environ un millier de langues et de dialectes, le français,
l’anglais, l’espagnol et le portugais ont permis à des peuples
longtemps séparés par des différences ethniques, religieuses et
linguistiques, de communiquer et de développer des espaces culturels
élargis. En construisant des voies ferrées, certes pour mieux évacuer
les richesses du continent vers leurs métropoles, les autorités
coloniales ont dessiné des infrastructures qui, même dans un piteux
état, ont aidé par la suite au démarrage des jeunes États
indépendants. Et c’est essentiellement sur cette base que travaillent
aujourd’hui la plupart des entreprises chinoises, qui les remettent en
état.
Beaucoup d’officiers et d’administrateurs civils des colonies étaient
humains, dynamiques et souvent animés par l’esprit progressiste des
bâtisseurs. Il y eut des colons honnêtes et compétents, qui sacrifièrent
leur vie pour soulager la misère des autochtones, notamment dans le
domaine de la santé. Dès le début, l’Institut Pasteur et l’Institut de la
lèpre se mirent au service des Africains. Leur science et leur
expérience ont permis d’épargner aux populations les conséquences
dramatiques des épidémies tropicales, mais aussi des maladies
d’importation qui avaient provoqué les ravages que l’on sait lors de la
conquête du Nouveau Monde. Des hommes comme les docteurs
Schweitzer et Jamot, entre autres, ont été les précurseurs de ce travail
phénoménal.
Dans le secteur éducatif, les missionnaires européens ont également
mis au point un système d’instruction publique efficace, à la portée
des populations locales. Un grand nombre de jeunes Africains, formés
par ces structures, dirigeront leurs pays après les indépendances,
d’autres finiront à la Nasa, à la tête d’organismes internationaux ou à
l’Académie française, prouvant la qualité de l’enseignement dispensé
par les missionnaires.

Aujourd’hui, la Chine cherche à se positionner en puissance


bienfaitrice du continent noir, comme si rien avant elle n’avait été fait.
Cependant aussi évident que ses réalisations est son programme de
pillage des ressources énergétiques dont regorge le continent africain.
Sa stratégie consiste à afficher une volonté apparemment sincère et
solidaire, qui se situe à l’opposé des pratiques attribuées aux anciens
colons, alors que le canevas dans lequel évoluent les relations sino-
africaines s’apparente davantage à un rapport Nord-Sud classique
qu’à une coopération « Sud-Sud ».
Derrière le voile de discours différents, les Chinois sont globalement
mus par les mêmes intérêts économiques que leurs prédécesseurs :
accès aux ressources naturelles africaines, aux marchés, etc. La
logique géopolitique n’a pas changé. Loin de suivre une philosophie
de coopération équitable et solidaire, les Chinois s’évertuent à
conserver ou à augmenter leur influence sur le continent. La solidarité
n’est évoquée que lorsqu’il s’agit de contrer les modes de régulation
du marché proposés par l’Occident visant à une meilleure
transparence financière.

En Guinée équatoriale, au Zimbabwe et en Zambie, la « question


chinoise » a occupé une grande place dans les débats au cours des
dernières élections présidentielles. L’opposition, qui a failli l’emporter,
accusait les entrepreneurs chinois de se comporter plus mal encore
que leurs concurrents occidentaux. Certains candidats avaient même
promis d’expulser purement et simplement les hommes d’affaires
chinois de leurs pays.
Car il devient de plus en plus clair que le leurre d’un
« développement Sud-Sud » cache une entreprise qui devrait évoluer
vers une nouvelle forme d’occupation de l’Afrique. C’est une menace
que ne perçoivent pas ou ne veulent pas considérer les dirigeants
africains en place. Ces élites corrompues ferment les yeux et
s’accommodent d’une situation qui leur est très profitable. Car la
coopération financière entre la Chine et l’Afrique n’est pas gérée par
les représentants des peuples, mais plutôt par les chefs d’État eux-
mêmes et leurs gouvernements, voire par leur entourage privé. Or le
sous-développement du continent résulte essentiellement de leur
gestion opaque des richesses. Les choses évoluent dans une telle
nébuleuse que même le comptable d’Al Capone ne pourrait se
retrouver dans l’imbroglio des relations financières entre les dirigeants
africains et chinois. Aussi les générations actuelles sont-elles fondées à
se demander comment elles feront pour rembourser les milliers de
milliards que leurs chefs d’État ont perçus en endettant leurs pays,
sans qu’il en résulte rien qui aille dans le sens d’un développement
durable et en l’absence de réels plans de remboursement.

Le continent est divisé en trois sous-ensembles régionaux politiques :


1. Un groupe de pays qui œuvrent pour s’intégrer dans la
modernité, comme l’Afrique du Sud, le Ghana, le Maroc, la Tunisie,
etc.
2. Un groupe de pays pauvres en richesses naturelles qui articulent
leur développement presque exclusivement autour de l’aide au
développement ; c’est notamment le cas du Sénégal, du Mali, du
Bénin, du Burkina, etc.
3. Enfin un groupe de pays qui intéressent vraiment la Chine, parce
qu’ils sont dotés de matières premières, certains étant dirigés par des
régimes à bout de souffle, rétrogrades et allergiques à toute idée
d’alternance politique. On y trouve l’Angola, le Cameroun, la Côte
d’Ivoire (avant 2011), le Congo Brazzaville, le Gabon, la Guinée
équatoriale, la Guinée Conakry, le Nigeria, etc.
Ciblant en priorité ce dernier groupe de pays, proies adaptées à
leur politique de pillage, les Chinois négligent ou désertent les autres,
peu peuplés, et presque sans matières premières comme ceux de
l’Afrique francophone, qui enregistrent constamment une balance
commerciale déficitaire à leur égard, de l’ordre de 80 %. Uniquement
soucieux d’accroître les bénéfices issus du commerce extérieur des
pays qu’ils jugent rentables, ils ne portent aucun intérêt aux politiques
de renforcement de la production locale et aux autres domaines du
développement intérieur dont dépend la stabilité sociale, ce qui
provoque des catastrophes en chaîne : les pays africains qui ne
disposent pas de richesses naturelles se trouvent déstabilisés par
l’arrivée de réfugiés fuyant les crises sociales des pays pourvus,
chassés par l’extrême pauvreté à laquelle les condamne la non-
redistribution des richesses. La Chine ne s’en émeut pas. Prospection
anarchique, violation des droits sociaux et humains, multiplication des
accidents du travail, atteintes à l’environnement : elle affiche devant
ces événements découlant de son âpreté au gain une parfaite
indifférence.
Cela dans le cadre d’une coopération ni équitable ni mutuellement
bénéfique. M. Moeletsi Mbeki, vice-président de l’Institut sud-africain
des relations internationales, constate : « Nous leur vendons des
matières premières et ils nous vendent des produits manufacturés avec
des résultats prévisibles : une balance commerciale défavorable pour
l’Afrique. » Une analyse plus précise de ces échanges révèle
que 70 % des importations chinoises proviennent de quatre pays
seulement : l’Angola, l’Afrique du Sud, le Soudan et le Congo
Brazzaville. Seuls seize pays africains, tous exportateurs de pétrole et
de minéraux, enregistrent un excédent commercial avec la Chine, les
trente-sept autres étant déficitaires. Les exportations africaines sont
composées à 70 % de pétrole et à 15 % de minéraux, alors que la
Chine exporte vers l’Afrique pour 90 % de produits manufacturés. Elle
réinstalle ainsi en Afrique une économie de troc, échangeant des
biens primaires contre des biens manufacturés qui sont surtout des
produits à forte valeur ajoutée : textile et habillement, machines,
outillages électriques, etc. Les flux économiques entre les deux
continents et la nature des investissements chinois apparaissent ainsi
structurellement déséquilibrés et potentiellement lourds de
conséquences perverses pour le continent noir. L’ex-Président sud-
africain Thabo Mbeki a déjà dénoncé cette situation, qui voit Pékin
n’acheter à l’Afrique que des matières premières, créant une nouvelle
économie de rente, mais interdisant l’émergence d’une industrie
locale en submergeant le continent de produits bon marché,
notamment textiles.

Voilà qui est peu propice à l’amorce d’un véritable processus de


développement. En Afrique, la Chine achète et vend, exploite des
mines et des forêts, sans se préoccuper de l’environnement et du
progrès social. Elle construit des infrastructures sportives et des palais
présidentiels sans le moindre transfert de technologie. Elle investit très
peu dans le développement industriel. Délaissant l’éthique des
peuples dominés et exploités d’hier, l’empire du Milieu se distingue
aujourd’hui par des pratiques de corruption dans l’obtention des
contrats. Son objectif de bouter hors du continent les entreprises
occidentales est clair.
Tout aussi clair est le caractère néfaste de sa présence sur le terrain
pour les entreprises africaines, qui se voient exclues des marchés en
raison du dumping forcené des firmes chinoises. Beaucoup d’entre
elles sont en faillite ou à deux doigts de l’être. Pourtant tous les
accords prévoient, dans les contrats liés aux lignes de crédit
chinoises, une répartition équitable entre les entreprises locales et les
entreprises chinoises. La « tricherie » consiste pour les Chinois à ne
pas respecter ces engagements et à s’adjuger presque tous les
contrats sans jamais établir de partenariats avec des entreprises
locales. La plupart des industries africaines naissantes sont victimes de
cette forfaiture, mais la main-d’œuvre africaine aussi : le taux
insuffisant de local content, c’est-à-dire d’embauche et de sous-
traitance locales, fait qu’elle ne peut bénéficier de l’effet d’aubaine
des grands projets d’infrastructure. Sur ces chantiers, la main-d’œuvre
est essentiellement chinoise, dans des pays où le taux de chômage
peut dépasser les 80 %.
À l’heure où l’Afrique a besoin de stratégies qui permettent de
briser le cycle de la pauvreté, « l’argent investi par les Chinois, selon
Tsidiso Disenyana, chercheur sud-africain, ne profite pas aux
économies domestiques ». Il serait temps de s’en inquiéter. Ainsi, en
Angola, l’empire du Milieu finance la reconstruction nationale en
s’attribuant la presque totalité du marché. D’après l’économiste
indépendant Jose Cerqueira, « selon les termes des contrats BTP, 30 %
du crédit alloué doivent être attribués à des entreprises locales, mais
cela signifie que 70 % ne le sont pas. Or le secteur de la construction
est l’un des seuls où les Angolais peuvent trouver du travail ». En fait,
le « gagnant-gagnant » tant vanté par les Chinois n’est qu’un « made
in China » exclusif...

Mais, quand bien même la présence chinoise est à l’origine de la


croissance fulgurante d’un pays africain, d’autres aspects négatifs
apparaissent, d’ordre écologique. Sont concernés les espaces
géographiques du continent voisins du Gabon, constitués de plages,
de savanes, de mangroves, ainsi que d’une forêt équatoriale dense,
riche en faune et en flore. Ce patrimoine inestimable est en voie de
disparition depuis l’arrivée des Chinois. Leurs entreprises, en
pratiquant des coupes illégales, sont responsables d’une bonne partie
de la déforestation sauvage des couverts forestiers au Cameroun, au
Gabon et aux deux Congo. Elles ne respectent aucune charte de
l’environnement ni normes précises.
La Chine, parce qu’elle est encore considérée comme un pays
émergent, n’est pas tenue de respecter le protocole de Kyoto dont elle
est pourtant partie prenante. Mettant largement à profit le délai qui lui
est accordé, elle pollue à outrance, sans engager sa responsabilité
internationale. Les fleuves, les lacs aux abords des villes et des zones
d’activités industrielles sont progressivement stérilisés par les rejets.
Pour satisfaire leur appétit en matières premières, les Chinois obligent
les Africains à détruire les écosystèmes. 60 % des quatre millions de
mètres cubes de grumes (troncs d’arbres) qu’exportent les pays
africains sont destinés à l’Asie, en quasi-totalité (96 %) à la Chine. À
Madagascar, d’après le rapport de Global Witness, l’enjeu financier
du trafic de bois de rose représente huit cent mille dollars américains
de recettes par jour. « D’après les observations effectuées sur le
terrain dans le parc national de Masoala et des informations fiables
sur des activités illicites similaires dans les réserves de la biosphère de
Mananara, précise ce rapport, l’équipe d’enquête estime que cent à
deux cents arbres de bois de rose sont abattus et transportés chaque
jour (estimation prudente). Cela revient à une moyenne quotidienne
de deux cents mètres cubes de bois de rose illicitement exploités,
remplissant environ sept containers de trente tonnes chacun. Le prix
actuel du bois de rose en Chine étant de trois mille à quatre mille
dollars la tonne, un container vaut plus de cent mille dollars
américains. »
Les Chinois détruisent aussi les espèces protégées qui vivaient dans
ces forêts depuis des millénaires. Eux présents, l’éléphant y est de plus
en plus menacé. Selon un rapport établi en 2011 par l’organisation
« Sauver les éléphants et préserver la faune », entre cinq mille et
douze mille éléphants sont tués chaque année pour leurs défenses. La
population chinoise est en effet très friande d’objets en ivoire. Ce
rapport en recense deux cent quatre-vingt-dix-sept mille à travers le
monde, malgré l’interdiction du commerce de l’ivoire en vigueur
depuis 1989. Le paléontologue Richard Leakey, ancien directeur du
service kényan de la faune (KWS), estime que « les éléphants
pourraient disparaître en trente ans si le marché n’est pas contrôlé et
la lutte contre le braconnage améliorée ».
Qu’adviendra-t-il du continent lorsque toutes ses ressources
s’épuiseront du fait de leur exploitation intensive ? À moins que le
plan chinois ait tout prévu, car presque partout on relève de plus en
plus de manœuvres d’accaparement des terres. Au niveau
stratégique, la Chine, dont la croissance demeure particulièrement
gourmande, trouve en l’Afrique un nouveau « grenier ». Elle s’y
approvisionne en produits agricoles grâce au rachat par des intérêts
chinois de nombreuses terres, notamment au Zimbabwe. Cette
acquisition de terres à grande échelle risque de compromettre la
sécurité alimentaire des populations locales et d’exercer une nouvelle
pression sur la paysannerie. Cela est corroboré par le nouveau
rapport de l’ONG Oxam au titre évocateur : Main basse sur les terres
agricoles et déni des droits. Ce rapport, rendu public
le 22 septembre 2012, nous informe qu’« une partie non négligeable
de ces transactions foncières en Afrique sont en fait des
accaparements de terres qui bafouent les droits et besoins des
populations locales concernées. Sans consultation préalable, ni
dédommagement, ni voie de recours, ces dernières se voient ainsi
privées de logement et de terre... ».

Les hommes d’affaires ou diplomates chinois se distinguent dans leur


relation avec les Africains par une arrogance, un cynisme et une
froide ignorance des forces civiles. Ils commencent à dévoiler, en
Afrique même, leur vrai visage et, à la grande surprise des
populations, un racisme anti-Noir jusqu’ici soigneusement dissimulé.
On peut même parler d’apartheid, comme à Douala où un incident
grave a été signalé à la Commission indépendante contre la
corruption et la discrimination :

Monsieur le Gouverneur, la Commission indépendante contre la


corruption et la discrimination vous présente ses compliments citoyens,
et s’empresse de porter à votre connaissance les faits suivants.
Ce jour, 19 décembre 2012, nous avons reçu la plainte d’un
pharmacien camerounais, qui s’est fait éconduire d’un restaurant
chinois dénommé « Restaurant de la paix », sis au premier étage d’un
immeuble à Akwa, face Afriland First Bank. Le haut cadre et citoyen
avisé s’est vu notifier verbalement et de façon très ferme que les
Camerounais n’étaient pas admis en ce lieu et par conséquent qu’il
ne pouvait même pas y avoir accès. « Le restaurant est réservé aux
Chinois », lui a-t-on martelé.
Inquiété par cette information, nous avons dépêché immédiatement
sur le terrain le coordonnateur régional du Comicodi (79 20 65 28),
accompagné d’un huissier de justice et du collaborateur de notre
cabinet d’avocats (99 84 48 68). Ceux-ci s’étant présentés comme
des clients ont été éconduits dans les mêmes conditions et avec les
mêmes arguments.
La Commission indépendante contre la corruption et la
discrimination estime qu’il s’agit de faits d’une gravité extrême qui
méritent une enquête selon la procédure d’urgence. Il va sans dire
que notre pays ne saurait tolérer l’implantation sur son sol d’étrangers
qui pratiquent l’apartheid, la discrimination raciale sous toutes ses
formes et l’illégalité ouverte dans le traitement des citoyens. Comptant
sur votre prompte et énergique réaction, la Commission vous assure
de sa profonde considération patriotique.

Le Président de la Commission
Shanda Tonme Médiateur universel

Au dire des voisins de ce restaurant, les cadres chinois qui le


fréquentent ne veulent pas y voir de Noirs.

En fait, contrastant avec la volonté souvent affichée par Pékin de bâtir


une « société harmonieuse », selon le mot de Hu Jintao, la plupart des
cadres chinois et leurs firmes bafouent les droits les plus élémentaires
des populations en général et particulièrement des travailleurs, là où
les États n’ont ni les moyens ni la volonté de les faire respecter.
Les entreprises chinoises exploitent en Afrique ces vides juridiques,
les failles des législations nationales et la faiblesse des organismes de
contrôle pour accroître leurs profits. Il n’existe pas en Chine de société
civile capable d’exiger d’elles plus de probité dans leurs activités
africaines. Dans les zones où elles opèrent, il n’y a pas de société
civile assez forte pour exercer une pression sur son gouvernement
dans le but de renforcer les droits humains et d’assurer un minimum
de bonnes pratiques environnementales.
Un rapport récent de plus de deux cents pages a été publié par le
Réseau d’études africain sur le travail (REAT), à l’initiative de
syndicats régionaux. Il dresse un tableau accablant des conditions et
des relations de travail au sein des entreprises chinoises opérant dans
une dizaine de pays du continent. Les rémunérations sont
insignifiantes, les journées de travail trop longues, éreintantes et non
entrecoupées de pauses. La tendance est à la généralisation des
contrats temporaires, voire à l’absence de contrat, avec des
conditions de logement déplorables pour les travailleurs. Les Chinois,
qui ne respectent pas les standards minima de sécurité, sont
particulièrement hostiles aux syndicats. Ils multiplient les menaces et
les pressions envers les ouvriers, avec des mesures de coercition :
rétention des paies, maintien des travailleurs dans des postes
subalternes et sous-rémunérés, etc.
Quant à leur répugnance à travailler avec des employés locaux,
elle a fini par exaspérer les Africains. Les Chinois estiment que les
Noirs ne disposent pas des capacités intellectuelles nécessaires à
l’accomplissement des tâches complexes. Les Angolais se plaignent
qu’ils ne les paient pas assez ou s’y refusent. Et qu’ils ne les traitent
guère mieux que des singes, se moquant d’eux en imitant les
« ouououh, ouououh, ouououh » d’un chimpanzé. Les Chinois ne
connaîtraient que quelques mots de portugais : Cava, cava (« Creuse,
creuse ») et Rapido, rapido (« Plus vite, plus vite »), disent-ils avec
amertume. Les firmes chinoises imposent un rythme d’enfer dans les
mines de Zambie, où elles ont investi d’énormes capitaux pour
l’extraction de charbon et de cuivre. En 2006, un ministre zambien
reconnaissait que des mineurs africains travaillant pour des Chinois
étaient « gardés comme des porcs et frappés comme s’ils n’étaient
pas des êtres humains ».

Depuis la nuit des temps, pour une certaine philosophie asiatique du


travail, « s’il n’est pas productif, l’homme n’est pas plus utile que
l’algue ». Cette vision du genre humain explique sans doute toutes ces
fissures qui apparaissent dans l’édifice hâtivement bâti de l’alliance
sino-africaine. Dans la plupart des capitales africaines, les
protestations contre la concurrence déloyale faite au secteur privé ou
national et contre le non-respect des droits syndicaux par les
entrepreneurs chinois s’amplifient de jour en jour.
En février 2007, la troisième visite du Président chinois en Zambie
s’était déroulée sous haute surveillance policière, en raison des
risques de manifestations violentes des travailleurs du secteur minier
contrôlé par les firmes chinoises. Ces mineurs se révolteront
le 4 août 2012, dans la mine de Collum Coal, située à Sinazongwe,
à trois cent vingt-cinq kilomètres au sud de Lusaka, pour protester
contre un retard à instaurer un salaire minimum. Le ministre zambien
du Travail, M. Fackson Shamenda, affirmera : « Je ne comprends pas
pourquoi il y a toujours de la tension entre les investisseurs chinois et
les travailleurs de Collum. » Les mineurs ont tué un responsable
chinois et blessé un de ses collègues. « Wu Shengzai, cinquante ans,
a été tué par des travailleurs qui protestaient. Il a été touché par un
chariot lancé sur lui par des mineurs au moment où il courait se
réfugier sous terre. Il est mort sur le coup et son collègue est à
l’hôpital », selon le commissaire Fred Mutondo de la police locale.
En 2010, deux managers chinois de la même mine avaient été
poursuivis en justice pour tentative de meurtre. Ils étaient accusés
d’avoir tiré sur des mineurs qui manifestaient, faisant onze blessés.
D’après le centre de coordination pour les droits de l’homme de
Luanda, cité par The Wall Street Journal, on assiste à l’émergence
d’un « processus de discrimination durable ». En 2009, l’ambassade
de Chine en Angola a émis un avertissement en ligne à propos de
menaces dont des citoyens chinois auraient fait l’objet. Elle mentionne
deux cas où des voleurs armés auraient dépouillé des hommes
d’affaires chinois de plusieurs milliers de dollars en liquide et en
équipements. Plus au nord, dans la province de Cabinda, riche en
pétrole, les Chinois ont été victimes d’une flambée d’agressions et
d’enlèvements perpétrés par un nouveau mouvement séparatiste, le
Front pour la libération de l’enclave de Cabinda.
Des attentats sont même perpétrés par des groupes armés contre les
firmes et les travailleurs chinois dans le delta du Niger.
Au Soudan, les rebelles darfouris du Mouvement pour la justice et
l’égalité se revendiquent antichinois et affirment qu’ils continueront
leurs exactions tant que les Chinois seront présents sur leur territoire.
En novembre 2007, ils ont attaqué une entreprise pétrolière chinoise
du Darfour, saisissant le matériel et détruisant les installations. Mettant
leur menace à exécution, le 18 octobre 2008, les rebelles ont enlevé
neuf ressortissants chinois. La rançon qu’ils réclamaient n’ayant sans
doute pas été versée, ils ont tué cinq des sept otages et blessé les
deux autres.
Il faut dire que les Chinois commencent à investir des zones où on
ne les attendait pas. Au Ghana, par exemple, la police a fini par
lancer une vaste opération contre l’exploitation illégale de l’or dans la
région d’Ashanti. Située au sud-ouest du pays, cette région est au
cœur d’un des principaux secteurs aurifères du continent. Une
centaine de Chinois ont été arrêtés. Comme l’un d’entre eux tentait de
fuir, il a été abattu par la police. Pékin s’est immédiatement emparé
de l’affaire et les Chinois ont été remis en liberté, après quelques
jours de détention. L’ambassadeur de Chine à Accra avait rencontré
les autorités et marqué sa « vive préoccupation » en demandant une
enquête approfondie pour trouver le meurtrier et indemniser la famille.
Le diplomate avait également tapé du poing sur la table, déclarant
que ce genre de violences « ne devait plus se répéter au Ghana ».
Nul doute qu’il a été entendu au plus haut niveau, tant les
investissements chinois sont importants dans ce pays. L’empire du
Milieu sait rappeler aux autorités africaines qu’il a investi des
milliards de dollars, et, avec quelques « cadeaux », faire taire les
fonctionnaires qui donnent de la voix.

Mais la corruption et les menaces n’arrivent pas à calmer les


populations qui s’en prennent de plus en plus aux intérêts chinois.
Depuis son grand retour en Afrique, l’image de l’empire du Milieu
n’est plus celle des médecins aux pieds nus. L’entrepreneur privé et
l’entreprise d’État ont remplacé le professionnel de santé et le
travailleur humanitaire. Si leur pays promeut en Afrique une politique
étrangère volontariste, tout en s’appuyant sur un réseau d’entreprises
plus ou moins dirigées par l’État et les pouvoirs publics, les Chinois
peuvent aussi compter sur une diaspora très active.
Au début des années 1990, le continent noir, à l’exception de
l’Afrique du Sud, ne comptait presque aucun résident chinois.
Aujourd’hui il est en passe de devenir le principal déversoir des
populations chinoises. En moins d’une décennie, des ressortissants de
la Chine populaire s’y sont installés un peu partout, au point d’être
présentés comme les nouveaux « envahisseurs ».
Tout découle de la restructuration économique des entreprises d’État
dans le Nord-Est chinois. Le lancement de la réforme économique
en 1978 s’est soldé par la perte de dizaines de milliers d’emplois
dans les secteurs étatiques. L’opération a entraîné le licenciement
massif des ouvriers de l’industrie lourde. Nombre des laissés-pour-
compte seront recyclés en Afrique. À la demande de l’État, des
agences de recrutement de main-d’œuvre ont fait leur apparition pour
envoyer de nombreux travailleurs en Afrique. Les dirigeants chinois
prétendent qu’un contrat de trois ans pour un ouvrier envoyé en
Afrique lui fait gagner trois cent soixante-treize dollars par mois, au
lieu de soixante chez lui. Ce qui lui permet de payer les études des
enfants ou d’achever de construire sa maison.
Ces expatriés viennent en réalité des zones rurales pauvres de toute
la Chine, où même les emplois les plus ingrats sont devenus rares et
où les espoirs de réussite sont pratiquement inexistants. Ils sont
souvent analphabètes, affamés, et cherchent désespérément à nourrir
leur famille. Ainsi, à côté des forçats, employés provisoires des
entreprises chinoises et destinés à repartir, de nombreux expatriés
sont maintenant implantés en Afrique où ils constituent la vraie
diaspora civile chinoise. Plus de neuf cent mille sont répartis sur
l’ensemble des pays africains, ce qui en fait une communauté aussi
nombreuse que les expatriés français, anglais, américains et libanais
réunis.
Cette diaspora est devenue la deuxième du continent par le
nombre, après les Indiens qui seraient plus de deux millions. Les
communautés les plus importantes sont localisées au Nigeria, au
Soudan, sur l’île Maurice, en Angola, mais aussi en Afrique du Sud
où vit la plus ancienne communauté chinoise du continent. À leur
arrivée, les expatriés qui ne bénéficient pas de contrats précaires
avec des entreprises soit privilégient l’aide financière familiale, soit
peuvent compter sur l’aide communautaire de la part de leurs
compatriotes déjà présents sur place. Cette aide leur permet d’ouvrir
un commerce. Les bénéfices qu’ils réalisent servent à rembourser les
prêts ou à alimenter une caisse commune au profit de futurs arrivants.
C’est ainsi que les communautés chinoises croissent, se suffisent à
elles-mêmes et s’autofinancent.
Cette diaspora relaie les efforts publics de l’empire du Milieu. Ce
sont de petites communautés regroupées entre elles, reproduisant le
modèle social chinois et constituant de véritables prolongements de
leur pays en Afrique. Par leurs investissements dans des
« Chinatowns », elles créent des réseaux locaux de petits commerces
et petites industries, dans des secteurs comme la restauration, le textile
ou la pharmacologie, qui sont autant d’occasions pour les industries
chinoises d’accroître leurs débouchés. Une telle organisation est une
source de richesses et d’investissements pour le pays d’origine :
aujourd’hui, 75 % des investissements réalisés en Chine le sont par
ses ressortissants installés un peu partout dans le monde, forme subtile
de pillage des ressources et de fuite de capitaux hors du continent
noir.

Un autre danger guette l’Afrique, que ses populations ne perçoivent


pas encore : le géant asiatique s’est discrètement affranchi de son
rôle strictement commercial ; aujourd’hui il intensifie sa coopération
militaire et participe à des opérations de maintien de la paix sur le
continent. Il s’implique de plus en plus dans cette dynamique, du
Liberia à la République démocratique du Congo, où il a envoyé, en
2004, plus de mille cinq cents casques bleus. Depuis, on observe une
impressionnante concentration d’attachés militaires chinois dans les
pays membres de la Communauté pour le développement de l’Afrique
australe (SADC). La Chine a ainsi mis subrepticement un pied armé
sur le continent. Sans avoir l’air de se mêler des affaires internes des
États, elle dénonce sans cesse les pratiques de la « Françafrique »,
tout en rêvant secrètement de les supplanter, y compris sur le plan
international.
Elle soutient publiquement la candidature de trois pays africains
(Nigeria, Afrique du Sud et Égypte) pour un siège de permanent au
Conseil de sécurité des Nations unies. Son choix est en réalité le
Nigeria, mais la Chine reconnaît officiellement que la décision finale
se trouve entre les mains de l’Union africaine, organisation qu’elle
ignore pourtant sur toutes les autres questions importantes. En cas de
succès, le pays élu serait une formidable courroie de transmission
internationale pour ses ambitions de puissance mondiale. Quant à sa
rhétorique de non-ingérence dans les affaires internes d’un pays, elle
ne résiste plus à l’épreuve des faits. Pékin a menacé la Zambie de
retirer son aide en cas de victoire de Michel Sata, candidat de
l’opposition à l’élection présidentielle de 2006. Celui-ci avait
clairement annoncé son souhait de remettre en cause tous les
« contrats de pillage » signés avec la Chine.

La plupart des analystes estiment que les conséquences négatives de


la politique chinoise en Afrique sont encore loin d’être recensées.
Toujours est-il que la Chine a des chances de conquérir le leadership
sur un continent noir qu’elle pourra alors modeler à sa façon et en
fonction de ses besoins. Après une période d’euphorie, certains
dirigeants africains — les moins complices — commencent à ne plus
regarder ce pays comme le modèle qu’il voudrait être pour l’Afrique.
À l’opposé des démocraties occidentales, la Chine est dirigée par un
régime autoritaire et répressif. Son système politique est miné par les
scandales financiers, les affaires de corruption, les inégalités sociales,
la surveillance policière de la société civile, l’absence de syndicat
libre, le rôle souterrain prépondérant des mafias et le non-respect des
populations. La dimension humaine y est totalement secondaire. Dans
ce système que certains dirigeants africains se voient très bien
adopter, les paysans et les ouvriers ne disposent pas de véritable
protection sociale. Faut-il le laisser s’implanter en Afrique ? Le
continent doit-il s’inspirer d’un pays où la contrefaçon représente 15 à
30 % de la production et 8 % du produit intérieur brut, qui doit sa
« réussite » à ce qui peut être assimilé à un comportement de
tricheur ? D’autant que son modèle, si modèle il y a, n’est pas
forcément transposable ailleurs. L’OCDE a mené des investigations sur
les politiques chinoises de lutte contre la pauvreté et les possibilités de
les appliquer à l’Afrique. Elle conclut que, par définition, chaque pays
suit le chemin que lui montre son histoire. Celui de la Chine ne pourra
jamais s’appliquer à l’Afrique qui devra trouver sa propre voie de
développement.
Mais pour l’heure, les peuples tardant à réagir, les Chinois
s’attachent à renforcer leur puissance économique sur le continent,
quitte à pérenniser de nombreux régimes dictatoriaux à bout de
souffle et tout en espérant un rôle mondial toujours plus influent. Cette
forfaiture passe par une politique d’intimidation diplomatique et
militaire, dont la seule finalité est une recolonisation déguisée du
continent noir.
La Chine ne poursuit aucun véritable objectif de développement
durable du continent noir. Sa stratégie, depuis longtemps mûrie, tend
à l’inféoder pour mieux le dévorer. Cet objectif est planifié de longue
date, visant à lui imposer un nouveau rapport de type colonial. Il
s’agit d’un projet d’implantation et de pillage qui est rigoureusement
subventionné par son administration. C’est le fruit d’une réflexion
menée concomitamment par leurs meilleurs économistes et par des
anthropologues chevronnés. L’analyse des mentalités africaines figure
pour une part non négligeable dans leur arsenal de conquête.
Les Asiatiques, d’une manière générale, n’ont jamais été tendres
avec ces concurrents occidentaux qu’ils tentent de bouter aujourd’hui
hors du continent. « Cassez un œuf, mélangez, le jaune englobe le
blanc, c’est naturel », tel était le slogan qu’ils diffusaient lors du
second conflit mondial, partout où ils avaient battu et éloigné les
armées occidentales. Mais, contrairement aux Européens qui les ont
plus longtemps fréquentés et les connaissent mieux, les Africains ne
maîtrisent qu’imparfaitement les déterminants psychologiques des
populations chinoises dans leur rapport avec les non-Asiatiques. Le
spectaculaire revirement du géant asiatique, qui hier les ignorait,
aujourd’hui les courtise, ne les a pas alertés. Dans l’intervalle,
pourtant, les matières premières africaines ont largement contribué à
ce que d’aucuns qualifient de « miracle chinois » et l’empire du Milieu
a compris que, pour s’en emparer et sécuriser ses voies
d’approvisionnement, il était judicieux de s’implanter durablement sur
place.
Le fait chinois d’aujourd’hui est une donnée qui conditionnera ou
non l’avenir de l’Afrique. Le continent noir doit considérer la Chine
comme un partenaire à l’égal des autres et harmoniser ses différentes
coopérations, asiatique, européenne, américaine, afin de maximiser
les résultats de ces synergies. Ainsi, seulement, il obligera la Chine à
prendre conscience que la pérennité de sa présence en Afrique ne
pourra être assurée qu’en en améliorant les conditions. Les Chinois
doivent comprendre qu’en Afrique le travail n’est pas un instrument de
mesure de la production et de la rentabilité, mais un facteur de
créativité, de convivialité et de construction du lien social. Leurs
entreprises seront par conséquent incitées à prendre leurs
responsabilités sociales. Les Africains de leur côté doivent retenir les
leçons de l’Histoire et, sortant du colonialisme occidental, ne pas se
jeter pieds et poings liés dans les pièges tendus par le
néocolonialisme d’un prédateur sans scrupule. Car si pour les Chinois
« le Jaune englobe le Blanc, c’est naturel », qu’en sera-t-il d’une faible
proie noire entre les dents d’un dragon jaune impitoyable et affamé ?
ANNEXES
Chine-Afrique : repères

Avril 1945 - Ouverture du VIIe congrès du Parti communiste chinois.


Juin 1945 - Signature de la Charte de l’Organisation des Nations
unies.

Janvier 1946 - Ouverture de la première session de l’Assemblée


générale de l’Organisation des Nations unies.

Janvier 1948 - Entrée en vigueur de l’Accord général sur les tarifs


douaniers et le commerce.

Octobre 1949 - Proclamation de la République populaire de Chine.


Décembre 1949 - Fuite des nationalistes chinois à Taïwan.

Mars 1950 - Accession de Tchang Kaï-chek à la présidence de la


République de Chine.
Juin 1950 - Déclenchement de la guerre de Corée.
Octobre 1950 - Invasion du Tibet par la Chine.

Avril 1955 - Ouverture d’une conférence internationale à Bandung.

Mai 1956 - Début de la campagne des « Cent Fleurs » en Chine.


Septembre 1956 - Ouverture du VIIIe congrès du Parti communiste
chinois.

Mai 1958 - Lancement du « Grand Bond en avant » en Chine.

Mars 1959 - Soulèvement des Tibétains à Lhassa.


Octobre 1962 - Début d’une offensive militaire chinoise en Inde.
Juillet 1963 - Accroissement des tensions entre la Chine et l’Union des
républiques socialistes soviétiques.

Octobre 1964 - Explosion d’une première bombe atomique chinoise.

Mai 1966 - Déclenchement de la Révolution culturelle en Chine.

Mars 1969 - Incidents frontaliers entre la Chine et l’URSS.


Avril 1969 - Ouverture du IXe congrès du Parti communiste chinois.

Septembre 1971 - Décès de Lin Biao.


Octobre 1971 - Admission de la République populaire de Chine à
l’Organisation des Nations unies.

Février 1972 - Visite du président américain Richard Nixon en Chine.

Août 1973 - Ouverture du Xe congrès du Parti communiste chinois.

Janvier 1976 - Décès de Chou En-lai.


Juillet 1976 - Tremblement de terre à Tangshan, en Chine.
Septembre 1976 - Décès de Mao Tsé-toung.
Octobre 1976 - Arrestation en Chine des membres de la « Bande des
Quatre ».

Août 1977 - Ouverture du XIe congrès du Parti communiste chinois.

Août 1978 - Signature d’un traité de paix entre la Chine et le Japon.

Janvier 1979 - Visite de Deng Xiaoping aux États-Unis.

Septembre 1980 - Adoption de la politique de l’enfant unique en


Chine.
Janvier 1981 - Dévoilement du jugement dans le procès de la « Bande
des Quatre ».
Octobre 1987 - Ouverture du XIIIe congrès du Parti communiste
chinois.

Mai 1989 - Début de la visite de Mikhaïl Gorbatchev en Chine.


Juin 1989 - Intervention militaire sur la place Tian’anmen, en Chine.

Janvier 1992 - Déclaration de Deng Xiaoping incitant les Chinois à


s’enrichir.

Septembre 1995 - Ouverture d’une Conférence internationale sur les


droits des femmes à Pékin.

Février 1997 - Décès de Deng Xiaoping.


Juillet 1997 - Rétrocession de Hong Kong à la Chine.
Septembre 1997 - Ouverture du XVe congrès du Parti communiste
chinois.

Décembre 1999 - Rétrocession de Macao à la Chine.

Décembre 2001 - Adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale


du commerce.

Novembre 2002 - Ouverture du XVIe congrès du Parti communiste


chinois.

Février 2007 - Entente sur un éventuel démantèlement du programme


nucléaire nord-coréen.
Juillet 2007 - Présentation de la journée Live Earth.
Octobre 2007 - Ouverture du XVIIe congrès du Parti communiste
chinois.

Mars 2008 - Montée de la violence dans les rues de Lhassa au Tibet.


Août 2008 - Jeux Olympiques de Pékin.
Discours du président Yayi Boni
au nom de l’Union africaine

22 juillet 2012

C’est un honneur et un plaisir pour moi de me retrouver parmi vous


sur cette terre de civilisation millénaire et particulièrement dans cette
belle ville de Pékin, où se tient la Cinquième Conférence ministérielle
du Forum sur la coopération sino-africaine sur le thème « Consolider
les acquis et ouvrir de nouvelles perspectives pour un nouveau
partenariat stratégique Chine-Afrique ». Monsieur le Président de la
République populaire de Chine, Mesdames et Messieurs les chefs
d’État et de gouvernement, Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les représentants des communautés
économiques régionales, Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
honorables invités, je voudrais tout d’abord remercier très
cordialement les autorités chinoises qui ont bien voulu m’associer à ce
grand événement en ma qualité de président en exercice de l’Union
africaine.
Je voudrais ensuite exprimer, au nom de l’Union africaine et en
mon nom propre, ma profonde gratitude à Son Excellence Monsieur
Hu Jintao, Président de la République populaire de Chine, à son
gouvernement et au peuple chinois pour leur hospitalité, leur
sollicitude constante à l’endroit de toutes les délégations, et surtout
pour les efforts déployés pour la tenue effective et le succès de la
présente conférence. En cette solennelle occasion, je me félicite de la
bonne qualité de la coopération multidimensionnelle unissant la Chine
et l’Afrique depuis plusieurs décennies. En effet, la présence chinoise
en Afrique est marquée par de nombreuses réalisations et
d’importants investissements économiques, socio-administratifs et
culturels.
C’est le lieu de rendre un vibrant hommage à la Chine, à son
peuple et à ses leaders, au nom de l’Afrique tout entière pour le beau
et magnifique nouveau siège de la Commission de l’Union africaine et
le centre de conférences qui vient d’ailleurs d’abriter le dix-neuvième
sommet ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de
gouvernement de notre organisation continentale. La Chine, votre
grand et beau pays, a vu juste en accompagnant l’Afrique dans son
combat pour la liberté, la démocratie et le développement durable.
Après cette conférence qui a vu le renouvellement des membres de la
Commission de l’Union africaine, on peut affirmer que l’unité de
l’Afrique a été une fois encore scellée pour un nouveau départ, tout
en préservant les acquis de l’équipe sortante.
Je voudrais vous assurer que l’Afrique se construit aujourd’hui sur
des valeurs cardinales d’unité, de paix, de stabilité et de bonne
gouvernance. C’est pour cette raison qu’elle affiche sa détermination
à lutter contre les entraves à son développement, notamment la
corruption, l’impunité, les guerres fratricides et l’instabilité politique et
institutionnelle à travers différents mécanismes communautaires. Il
s’agit là de valeurs partagées permettant de créer les conditions
cadres d’une intégration réussie, qui passe par la mise en œuvre des
programmes intégrés régionaux et continentaux en matière de
développement agricole, des infrastructures et de l’énergie. En effet,
depuis 2003, l’Union africaine a élaboré le Programme détaillé de
développement de l’agriculture en Afrique (PDDAA) décliné en plans
nationaux de développement agricole, au terme duquel chacun des
pays devrait consacrer au moins 10 % de son budget au secteur
agricole.
Plus d’une vingtaine de pays ont déjà atteint cet objectif à la fois
pour assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle, et aussi pour faire
de ce secteur sensible la base du développement économique et
social harmonieux de l’Afrique. Toutes les initiatives lancées par les
membres du G8 et du G20 visant la sécurité alimentaire doivent
désormais intégrer les priorités de ce Programme détaillé de
développement de l’agriculture en Afrique. Le continent s’est
également doté d’un Programme intégré de développement des
infrastructures en Afrique (PIDA) appuyé par le partenariat public-
privé et les ressources internes innovantes sans oublier celles externes
publiques et privées.
Celui-ci devra permettre d’interconnecter l’ensemble des
communautés économiques régionales du continent entre elles à
travers des infrastructures routières, ferroviaires, portuaires et
aéroportuaires modernes, ainsi que des infrastructures énergétiques et
de télécommunications afin de contribuer à l’intensification du
commerce intra-africain, le thème central de la Conférence des chefs
d’État et de gouvernement de l’Union au cours de cette année 2012.
Ce sont là des éléments de la vision de l’Afrique pour lesquels
l’engagement de la Chine est souhaité pour leur réalisation.
Il s’agit là, de cette Afrique unie, stable, sécurisée, mieux gérée,
mieux gouvernée, démocratique et intégrée autour des objectifs de
développement durable. Une Afrique qui parle d’une seule voix
audible dans les instances internationales.

Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs,


Cette réunion se tient dans un contexte difficile en ce qui concerne
l’état de la paix et de la sécurité en Afrique. On peut mentionner ici
les coups d’État intervenus au Mali et en Guinée Bissau, la situation
dans la bande sahélo-saharienne et l’escalade de la tension en
République démocratique du Congo. Ces crises et conflits, qui
s’ajoutent à d’autres foyers de tension, notamment en Somalie, au
Soudan et au Soudan du Sud, démontrent l’ampleur des défis qui
restent à relever pour permettre à l’Union africaine de faire de la paix
une réalité sur l’ensemble du continent. Pour répondre à la situation
mondiale qui connaît actuellement des changements profonds et
complexes, la coopération entre l’Afrique et la Chine doit reposer sur
notre engagement commun pour le multilatéralisme, le respect du droit
international, la démocratie, la prévention et la lutte contre le
terrorisme, la lutte contre le trafic de drogues et la piraterie maritime,
afin de parvenir à la réalisation d’un développement durable
accompagné de plus de justice sociale, de protection de
l’environnement, ainsi que l’élimination de la faim et de la pauvreté.

Excellence, Madame et Messieurs les présidents, Mesdames et


Messieurs,

Depuis novembre 2009, date de la tenue de la Quatrième


Conférence ministérielle du Forum sur la coopération sino-africaine à
Sharm El-Sheikh, la Chine et les pays africains ont œuvré la main
dans la main pour faire avancer la mise en œuvre des acquis de la
conférence, notamment la réalisation des mesures annoncées par le
Président Hu Jintao, dans les domaines de l’annulation de dettes, de
l’exemption de droits de douane, de l’accès aux marchés, de l’octroi
de prêts préférentiels et de la mise en place de crédits spéciaux pour
le développement des PME africaines.
Cette Cinquième Conférence ministérielle permet non seulement
d’évaluer ensemble les progrès réalisés depuis 2006, mais également
d’améliorer les bases d’un partenariat stratégique mutuellement
bénéfique pour les deux parties. Nous gagnerons ensemble à établir
nos priorités dans la mise en œuvre du nouveau plan d’action 2013-
2015 en vue de parvenir au financement de projets structurants
intégrateurs et d’accélérer la réalisation des Objectifs du millénaire
pour le développement. La création d’emplois devra être également
une préoccupation prioritaire de nos politiques de croissance axées
sur la promotion de l’économie verte et les objectifs d’un
développement durable au service de nos peuples et des générations
à venir.

Excellence, Madame et Messieurs les présidents, Mesdames et


Messieurs,

L’Afrique unie et intégrée a besoin de la Chine. De même la Chine


ne peut réaliser son rêve de grande puissance mondiale sans le
continent africain. Comme vous le savez, l’Afrique dispose d’énormes
potentialités minières, énergétiques et agricoles encore inexploitées.
Elle a une population abondante, jeune et dynamique, dont la taille
atteindra deux milliards en 2050 avec plus de 60 % de jeunes de
moins de trente-cinq ans. Vous comprenez ainsi avec moi que ce
potentiel démographique pose également des défis d’une grande
ampleur en matière d’éducation, de santé, d’économie verte donc
d’emploi, d’eau, d’énergie et de sécurité alimentaire ainsi que
d’assainissement.

Excellence, Madame et Messieurs les présidents, Mesdames et


Messieurs,

Le partenariat gagnant-gagnant que nous souhaiterions renforcer


avec la Chine est celui qui permet de donner de la valeur ajoutée aux
nombreuses ressources africaines. En effet, au lieu de demeurer un
continent pourvoyeur de matières premières ou un marché de simples
consommateurs, l’Afrique se veut être un continent d’investissement
pour relever le défi de l’emploi des jeunes et de production de
richesses pour la croissance ; car seule une Afrique qui produit et
transforme peut contribuer à la mutualisation des richesses de ce
monde et devenir un marché compétitif, où les investisseurs et les
populations pourront tirer chacun en ce qui le concerne le bénéfice
escompté. Il ne fait plus aucun doute que l’Afrique est et sera
désormais, selon les statistiques de la plupart des agences
internationales de notation, le continent où les retours sur
investissement sont et seront les plus élevés au monde.
Il est aussi indéniable que la croissance économique ces dix
dernières années en Afrique tourne autour de 5 à 6 %, et ce malgré
la crise économique mondiale persistante. Tous ces indicateurs font de
l’Afrique un continent qui compte pour l’avenir de l’économie
mondiale et aucune puissance au monde ne peut émerger en
l’ignorant. D’où l’intérêt renouvelé de voir les capitaux chinois aussi
bien publics que privés s’investir davantage que par le passé en
Afrique. Il s’agit d’accroître davantage le rapprochement du monde
des affaires des deux continents pour accompagner la qualité déjà
exemplaire du partenariat entre les États. C’est aussi le lieu de
renouveler l’appel de l’Union africaine au soutien constant de la
Chine pour une plus grande participation aux instances de la
gouvernance mondiale aussi bien au plan économique, financier que
politique, notamment au sein du G8, du G20, du Fonds monétaire
international, de la Banque mondiale et du Conseil de sécurité des
Nations unies. En somme, la Chine devra continuer de jouer son rôle
de leadership dans la gouvernance mondiale.

Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs,

Je ne saurais conclure mon intervention sans mettre l’accent sur le


rôle de la communication et des médias dans le processus de notre
partenariat pour promouvoir nos cultures et civilisations, approfondir
l’amitié entre nos peuples, multiplier les échanges entre les jeunes, les
universitaires, les associations de la société civile, le sport et tant
d’autres domaines d’intérêt commun. De même, en ma qualité de
président en exercice de l’Union africaine, je voudrais savoir pouvoir
compter sur le leadership de la Chine pour lancer et dynamiser le
partenariat stratégique qui sera bientôt porté sur les fonts baptismaux
entre l’Afrique et les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du
Sud).
Avec, comme premier instrument, la création urgente d’une banque
de financement des infrastructures envisagée par le Nouveau
partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). Je voudrais
savoir pouvoir compter sur la Chine et les autres membres pour que le
premier sommet autour de ce partenariat ait lieu le plus tôt possible.
Si la Chine et l’Afrique se réveillent et mutualisent leurs richesses, le
monde tremblera, la gouvernance mondiale se modifiera, l’amitié des
peuples sera rassurée, la croissance économique mondiale
s’intensifiera et la prospérité du monde s’améliorera. Ce forum est
pour moi une opportunité. Pour terminer, je souhaite plein succès à
nos travaux et à nos délibérations qui, je suis convaincu, seront à la
hauteur des attentes de nos peuples dans un cadre chaleureux
d’amitié et de solidarité.

Vive la coopération internationale !


Vive la coopération sino-africaine !
Je vous remercie.
Discours du président chinois Hu Jintao
à la cérémonie d’ouverture
de la Cinquième Conférence ministérielle
du Forum sur la coopération sino-africaine

Mardi 24 juillet 2012

Chers Collègues, Distingués Invités, Mesdames et Messieurs, Chers


Amis,

Aujourd’hui, c’est un grand plaisir pour moi d’être parmi vous à


cette Cinquième Conférence ministérielle du Forum sur la coopération
sino-africaine (FCSA) pour évoquer l’amitié entre les peuples chinois
et africains et discuter ensemble des stratégies majeures visant à
approfondir sur tous les plans la coopération amicale sino-africaine.
Tout d’abord, je tiens à souhaiter, au nom du gouvernement et du
peuple chinois ainsi qu’en mon nom personnel, une chaleureuse
bienvenue à tous les distingués invités venus de loin ! Je voudrais
également saisir cette occasion pour adresser, à travers les amis
africains ici présents, aux peuples africains frères les salutations
cordiales et les meilleurs vœux du peuple chinois ! En octobre 2000 a
vu le jour le Forum sur la coopération sino-africaine. Cette initiative a
répondu aux exigences de l’époque et traduit l’aspiration commune
des peuples chinois et africains à la paix, au développement et à la
coopération dans le nouveau contexte. Depuis, douze ans se sont
écoulés.
Les membres du Forum ont travaillé en étroite coopération dans un
esprit de solidarité pour faire avancer sans cesse ce mécanisme de
coopération et le faire aboutir à des résultats importants. La présente
Conférence ministérielle a pour thème « Consolider les acquis et
ouvrir de nouvelles perspectives pour le nouveau partenariat
stratégique Chine-Afrique ». La Chine et l’Afrique sont donc appelées
à poursuivre leurs efforts la main dans la main, à prendre en
considération tant les intérêts immédiats que ceux de long terme et à
planifier ensemble le développement de la coopération sino-africaine
dans la prochaine étape, de sorte à jeter une base solide pour de
nouveaux progrès encore plus importants des relations sino-africaines.

Mesdames et Messieurs,

Il y a six ans, nous avons tenu ici le Sommet de Pékin du FCSA. La


Chine et l’Afrique sont convenues à cette occasion d’établir un
nouveau partenariat stratégique. Depuis lors, des progrès
remarquables ont été enregistrés grâce aux efforts conjugués de part
et d’autre. Sur le plan politique, la Chine et l’Afrique se sont témoigné
mutuellement respect et confiance et leurs relations d’amitié ont connu
un développement global, marqué par l’intensification des échanges
de haut niveau, l’approfondissement des dialogues et échanges et la
consolidation du soutien mutuel entre les deux parties.
Avec le développement en profondeur de ses relations avec les
pays africains et les organisations régionales de l’Afrique dont l’Union
africaine, la Chine a établi des partenariats stratégiques et des
mécanismes de dialogue stratégique avec beaucoup de pays africains
et apporté son soutien au règlement autonome par les Africains des
problèmes d’actualité de leur région et à l’intégration africaine.
Sur le plan économique, la Chine et l’Afrique ont coopéré dans un
esprit de bénéfice mutuel et leur coopération pragmatique n’a cessé
de s’approfondir. Les deux parties ont travaillé ensemble pour faire
face au choc de la crise financière internationale, mettre en œuvre de
façon effective les deux « huit mesures » de coopération pragmatique
annoncées respectivement lors du Sommet de Pékin et de la
Quatrième Conférence ministérielle et construire progressivement un
système de coopération global et multidimensionnel. Les échanges
commerciaux sino-africains et les investissements chinois en Afrique ne
cessent de s’accroître. En 2011, le volume du commerce sino-africain
s’est élevé à 166,3 milliards de dollars américains, soit le triple de
celui de 2006.
Les investissements directs chinois en Afrique ont atteint, au total,
plus de quinze milliards de dollars américains et couvrent cinquante
pays africains. Le complexe de conférences et de bureaux de l’Union
africaine, construit par la Chine, a été inauguré et remis à la partie
africaine. La Chine a augmenté progressivement ses aides à l’Afrique
et construit pour les pays africains une centaine d’écoles, trente
hôpitaux, trente centres antipaludisme et vingt centres pilotes
agricoles. Elle a honoré son engagement d’accorder à l’Afrique
quinze milliards de dollars américains de prêts à caractère
préférentiel. Sur le plan culturel, la Chine et l’Afrique se sont inspirées
mutuellement et leurs échanges socioculturels se sont avérés de plus
en plus dynamiques. Elles ont lancé successivement une série
d’activités d’échanges, dont le Focus sur les cultures chinoise et
africaine, le Programme sino-africain d’échanges et d’études
conjointes, le Forum des think tanks, le Forum populaire et le Forum
des jeunes leaders.
La Chine a formé près de quarante mille Africains des différents
secteurs et accordé plus de vingt mille bourses gouvernementales aux
pays africains. Grâce à la coopération entre les deux parties, vingt-
neuf instituts Confucius ou classes Confucius ont été établis dans vingt-
deux pays africains. Vingt célèbres établissements d’enseignement
supérieur chinois et vingt célèbres établissements d’enseignement
supérieur africains ont instauré entre eux une relation de coopération
« one-to-one » dans le cadre du Projet de coopération 20 + 20 entre
les établissements d’enseignement supérieur chinois et africains. Sur le
plan des affaires internationales, la Chine et l’Afrique se sont
entraidées mutuellement et leur coopération solidaire s’est renforcée
davantage.
Les deux parties ont travaillé en étroite concertation sur les grands
dossiers tels que la réforme des Nations unies, la lutte contre le
changement climatique, le développement durable et les négociations
du cycle de Doha de l’OMC, pour défendre les intérêts communs des
pays en développement, promouvoir la démocratisation des relations
internationales et faire évoluer l’ordre international dans un sens plus
juste et plus rationnel. Les faits ont prouvé que le nouveau partenariat
stratégique sino-africain, fruit de l’amitié traditionnelle sino-africaine
qui s’est transmise de génération en génération, correspond aux
intérêts fondamentaux de la Chine et de l’Afrique et répond au
courant de paix, de développement et de coopération de notre
époque. L’établissement de ce partenariat a permis d’ouvrir un
nouveau chapitre dans les annales des relations sino-africaines et
d’insuffler une nouvelle vitalité aux échanges et à la coopération entre
les deux parties.
Je suis convaincu que, grâce aux efforts conjugués des deux
parties, le nouveau partenariat stratégique sino-africain aura un
avenir encore plus radieux. Mesdames et Messieurs, par rapport à il
y a six ans, la situation internationale a encore connu de grands
changements. La paix, le développement et la coopération demeurent
le courant de notre époque, mais les facteurs d’instabilité et
d’incertitude qui pèsent sur la situation internationale ont nettement
augmenté. L’impact de la crise financière internationale se fait
toujours sentir, les points chauds internationaux et régionaux se
succèdent les uns aux autres, et l’ordre politique et économique
international injuste et irrationnel affecte et entrave toujours la paix et
le développement du monde. Les nombreux pays en développement
affichent toujours un plus grand dynamisme de développement, mais,
en même temps, ils sont toujours confrontés à de multiples difficultés et
défis.
Ces dernières années, les pays et peuples africains ont travaillé
inlassablement dans un esprit d’initiative et de ténacité, et obtenu
aussi des succès remarquables dans la promotion de la cause de la
paix et du développement en Afrique. Cela dit, l’Afrique fait toujours
face à de sérieux défis dans sa voie de développement et de
renouveau. La communauté internationale doit continuer à accorder
plus d’attention à la paix et au développement de l’Afrique en s’y
impliquant davantage, respecter la volonté de l’Afrique, se tenir à son
écoute, tenir compte de ses préoccupations et l’aider à réaliser au
plus tôt les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). La
Chine est le plus grand pays en développement du monde, et
l’Afrique le continent qui regroupe le plus grand nombre de pays en
développement.
Avec plus d’un tiers de la population mondiale, la Chine et
l’Afrique constituent des forces importantes pour la promotion de la
paix et du développement dans le monde. Le destin de la Chine est
étroitement lié à celui de l’Afrique, et l’amitié sino-africaine est
profondément enracinée dans les esprits des peuples chinois et
africains qui se témoignent toujours, dans un esprit d’égalité, amitié
sincère et soutien mutuel dans leur engagement commun pour un
développement partagé. Quels que soient les aléas internationaux,
notre détermination à soutenir la paix, la stabilité, le développement
et l’unité de l’Afrique ne changera pas. En toute sincérité, la Chine
soutient le libre choix des pays africains quant à leurs voies de
développement et les aide à renforcer leurs capacités de
développement autonome.
Elle continuera à se tenir fermement aux côtés des peuples africains
et restera pour toujours leur bon ami, leur bon partenaire et leur bon
frère. Les mutations profondes de la situation internationale et les
fortes attentes des peuples chinois et africains vis-à-vis du
développement des relations sino-africaines exigent que nous
travaillions avec un sens aigu de la responsabilité et du devoir pour
nous adapter à la nouvelle situation, fixer de nouveaux objectifs,
prendre de nouvelles mesures et régler les nouveaux problèmes, afin
d’ouvrir un nouvel horizon au nouveau partenariat stratégique sino-
africain. Pour ouvrir de nouvelles perspectives au nouveau partenariat
stratégique sino-africain, la Chine et l’Afrique doivent renforcer leur
confiance mutuelle sur le plan politique. Nous devons faire rayonner
l’amitié traditionnelle sino-africaine, poursuivre la dynamique des
échanges de haut niveau, renforcer le dialogue stratégique, multiplier
les échanges d’expériences en matière de gouvernance et surmonter
les obstacles venus de l’extérieur, afin d’accroître la connaissance et
la confiance mutuelles.
La Chine entend travailler avec la communauté internationale pour
soutenir fermement les efforts des pays africains en faveur de la paix,
de la stabilité et d’une Afrique unie et forte, et jouer un rôle actif et
constructif concernant les affaires africaines. Pour ouvrir de nouvelles
perspectives au nouveau partenariat stratégique sino-africain, la
Chine et l’Afrique doivent élargir leur coopération pragmatique. Nous
devons continuer à élargir le champ de notre coopération et explorer
activement de nouvelles modalités de coopération, en mettant
davantage l’accent sur la coopération dans les domaines prioritaires
de l’Afrique, tels que l’agriculture, l’industrie manufacturière et la
construction d’infrastructures.
Mais aussi, sur la coopération approfondie en matière
d’investissement, de finance, de services et de transfert de
technologies, sur l’amélioration de la structure et de la qualité des
échanges commerciaux et sur l’aide au renforcement des capacités de
développement autonome des pays africains, afin de mieux faire
bénéficier nos peuples des fruits de la coopération. Pour ouvrir de
nouvelles perspectives au nouveau partenariat stratégique sino-
africain, la Chine et l’Afrique doivent multiplier les échanges
socioculturels. Nous devons continuer à promouvoir les échanges et
l’interaction multiformes et, aux différents niveaux entre les civilisations
chinoise et africaine, intensifier les échanges dans les domaines
éducatif, culturel, technico-scientifique, sanitaire, sportif et touristique,
resserrer les liens entre les jeunes, les femmes, les associations
populaires, les médias et les établissements académiques chinois et
africains, pour donner une impulsion et un appui culturels à la
coopération Chine-Afrique et enraciner davantage l’amitié sino-
africaine dans les esprits.
Pour ouvrir de nouvelles perspectives au nouveau partenariat
stratégique sino-africain, la Chine et l’Afrique doivent renforcer la
coordination et la coopération dans les affaires internationales. Nous
devons œuvrer ensemble à préserver les buts et principes de la
Charte des Nations unies, à favoriser la démocratisation des relations
internationales et à promouvoir un développement harmonieux et
équilibré à l’échelle mondiale en nous opposant à ce que les grands
oppriment les petits, les puissants malmènent les faibles, et les riches
écrasent les pauvres. Il nous faut renforcer les consultations et la
coordination, prendre en compte les préoccupations de part et d’autre
et relever ensemble les défis planétaires comme le changement
climatique, la sécurité alimentaire et le développement durable.
Pour ouvrir de nouvelles perspectives au nouveau partenariat
stratégique sino-africain, la Chine et l’Afrique doivent renforcer le
FCSA. Nous devons, en tenant compte des nouveaux changements et
des nouvelles caractéristiques de la situation internationale et des
relations sino-africaines, explorer sans cesse de nouvelles pistes et
nouveaux moyens de développement du FCSA, innover les concepts
de développement du Forum et les formes de coopération, mobiliser
pleinement l’enthousiasme, l’initiative et la créativité des membres et
renforcer sans cesse la force de rassemblement et l’influence du Forum
pour en faire une plate-forme de coopération plus efficace.
Mesdames et Messieurs, depuis la fondation de la Chine nouvelle il
y a plus de soixante ans, surtout depuis le lancement de la politique
de réforme et d’ouverture sur l’extérieur il y a plus de trente ans, la
Chine a fait des progrès remarquables dans son développement
socio-économique.
Nous gardons toujours à l’esprit le soutien énergique et l’aide
généreuse que les pays et peuples africains ont accordés au
développement de notre pays et leur en exprimons notre profonde
gratitude. Certes, le chemin à parcourir sera sinueux, mais nous
sommes pleinement confiants dans les perspectives de développement
de notre pays et nous continuerons à œuvrer pour préserver la paix et
promouvoir le développement dans le monde tout en poursuivant
notre développement pacifique. Dans les trois ans à venir, le
gouvernement chinois prendra des mesures dans les cinq domaines
prioritaires suivants pour soutenir la cause de la paix et du
développement en Afrique et faire progresser le nouveau partenariat
stratégique sino-africain :
— Premièrement, élargir la coopération dans les domaines de
l’investissement et du financement afin d’appuyer le développement
durable en Afrique. La Chine mettra à la disposition des pays
africains une ligne de crédit de vingt milliards de dollars américains
destinée en priorité à soutenir le développement des infrastructures,
de l’agriculture, de l’industrie manufacturière et des PME en Afrique.
— Deuxièmement, continuer à accroître l’aide à l’Afrique pour que
les fruits du développement bénéficient aux peuples africains. La
Chine accroîtra, dans une certaine mesure, le nombre de centres
pilotes agricoles en Afrique pour aider les pays africains à renforcer
leur capacité de production agricole. Elle mettra en œuvre le
programme « Talents africains » pour former trente mille personnes
dans différents secteurs, fournir dix-huit mille bourses
gouvernementales et construire des infrastructures culturelles et de
formation technique et professionnelle en faveur des pays africains ;
elle approfondira la coopération médicale et sanitaire avec l’Afrique,
enverra mille cinq cents médecins sur le continent et poursuivra les
activités dans le cadre de l’« Action lumière » pour donner des soins
gratuits à des Africains atteints de cataracte ; elle aidera aussi les
pays africains à renforcer les infrastructures météorologiques ainsi que
la protection et la gestion des forêts ; et elle continuera à mettre en
œuvre des projets de forage de puits et d’adduction d’eau afin de
fournir de l’eau potable sûre aux populations africaines.
— Troisièmement, soutenir l’intégration africaine et aider le
continent à renforcer sa capacité de développement collectif. La
Chine établira avec l’Afrique un partenariat sur la construction des
infrastructures transnationales et transrégionales pour soutenir la
planification et l’étude de faisabilité des projets et encourager les
entreprises et institutions financières chinoises performantes à prendre
part à la construction de ces infrastructures ; elle aidera les pays
africains à améliorer les infrastructures douanières et de contrôle des
marchandises afin de faciliter le commerce intra-africain.
— Quatrièmement, resserrer les liens d’amitié entre les peuples
chinois et africains afin de jeter une base populaire solide pour un
développement commun de la Chine et des pays africains. La Chine
propose de lancer l’« Action pour l’amitié des peuples Chine-
Afrique » pour soutenir et promouvoir les échanges et la coopération
entre les associations, les femmes et les jeunes chinois et africains.
Elle créera en Chine un « centre d’échanges de la presse Chine-
Afrique », afin d’encourager les échanges et les visites entre les
professionnels de la presse des deux côtés et soutiendra l’envoi
réciproque de correspondants par leurs médias ; et elle continuera à
mettre en œuvre le Programme sino-africain d’échanges et d’études
conjointes en finançant cent projets d’études académiques,
d’échanges et de coopération entre les établissements académiques et
les chercheurs des deux parties.
— Cinquièmement, promouvoir la paix et la stabilité en Afrique afin
de créer un environnement sûr pour le développement du continent. La
Chine lancera l’« Initiative du partenariat de coopération Chine-
Afrique pour la paix et la sécurité », pour approfondir sa coopération
avec l’Union africaine et les pays africains dans les domaines de la
paix et de la sécurité en Afrique, fournir un soutien financier aux
opérations de maintien de la paix de l’Union africaine sur le continent
africain et à l’édification des forces africaines en attente, et former
pour l’Union africaine plus d’officiels chargés des affaires de la paix
et de la sécurité et plus d’agents de maintien de la paix.

Mesdames et Messieurs,

Ouvrir ensemble de nouvelles perspectives pour le nouveau


partenariat stratégique sino-africain et construire ensemble un monde
harmonieux de paix durable et de prospérité partagée, voilà nos
objectifs et responsabilités communs. Travaillons donc inlassablement
la main dans la main pour un bel avenir commun ! Pour terminer, je
souhaite un plein succès à la Cinquième Conférence ministérielle du
FCSA !

Je vous remercie.
Chine-Afrique :
partenariat ou jeu du trait d’union ?

« Les Chinois ont un jeu : le trait d’union. Ils capturent deux oiseaux
qu’ils attachent ensemble. Pas de trop près. Grâce à un lien mince,
mais solide et long. Si long que les oiseaux, rejetés en l’air,
s’envolent, montent en flèche et, se croyant libres, se grisent de
battements d’ailes, de grand air, mais soudain : crac ! Tiraillés.
« Ils volettent follement dans toutes les directions, tournoient et
tourbillonnent, éparpillant le sang qui dégoutte de leurs ailes meurtries
d’où s’arrachent plumes et duvet qui atterrissent sur les spectateurs.
Les Chinois trouvent ça drôle, hautement comique et raffiné. De quoi
avoir la chair de poule ! Il arrive que la ficelle s’emmêle dans
quelques branches d’arbre ou autour de ces mêmes oiseaux. Pris au
piège, ils se débattent, se picorent les yeux, le bec et les pattes. Et
quand la Providence refuse de les empaler aux branches avant la fin
du jeu, la mort survient, atroce, pour l’un ou pour les deux. [...]
L’humanité est une volaille de ce genre. Nous sommes tous victimes de
ce jeu ; séparés, mais liés de force. Tous, sans exception. »

Yambo Ouologuem
dans Le Devoir de violence, 1968
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VIRCOULON Thierry, « Chinois d’Afrique, Chinois en Afrique et Afro-
Chinois : les multiples visages de la communauté », Monde chinois,
no 8, Choiseul, été/automne 2006.
ZHENG Ruolin, BEN YAHMED Béchir, « De la Françafrique à la
Chinafrique », Entretiens, La Revue (Jeune Afrique), novembre/
décembre 2006.
Collection dirigée par Jean-Noël Schifano

5, rue Gaston-Gallimard, 75328 Paris cedex 07


www.gallimard.fr

© Éditions Gallimard, 2013.


Tidiane N'Diaye
Le jaune et le noir
« Les Chinois n'ont pas inventé les échecs. Mais depuis quatre mille
ans, ils disposent, avec leur jeu de go, d'un redoutable exercice de
stratégie aux règles très subtiles. Les joueurs placent leurs pions noirs
et blancs sur un damier de 361 intersections. Le principe consiste à
conquérir ou à contrôler le maximum de territoires. C'est à cela que
jouent les Chinois en Afrique contre les anciennes tutelles coloniales.
Autrement dit, l'empire du Milieu y applique une stratégie précise et
calculée au détail près, pour bouter l'adversaire occidental hors de
l'espace africain. C'est presque réussi, l'épopée africaine de Pékin
ressemble à une conquête triomphale. »

La stratégie millénaire et récente de la Chinafrique, sa traite


intercontinentale et son racisme olympique, cette Chinafrique à qui le
passif colonial occidental sert de cheval de Troie, avec ses
gigantesques dévastations aux pillages subtilement organisés : voici
l'enquête historique de l'anthropologue franco- sénégalais Tidiane
N'Diaye qui fait éclater, preuves en main, un nouveau scandale
planétaire, comme à la lecture de ses trois livres précédents publiés
dans Continents Noirs.

Traduite et largement débattue dans le monde entier, l'œuvre de


Tidiane N'Diaye n'a de cesse de nous montrer les dessous de
l'Histoire. Ici, c'est le néocolonialisme chinois, « deal non regardant »
pour la prédation économique et l'implacable domination.
DU MÊME AUTEUR

LA LONGUE MARCHE DES PEUPLES NOIRS, Éditions Publibook,


Paris.
PASSIONS CRÉOLES, Éditions Publibook, Paris.
MÉMOIRE D’ERRANCE, Éditions A3, Paris.
L’EMPIRE DE CHAKA ZOULOU, Éditions L’Harmattan, Paris.
L’ÉCLIPSE DES DIEUX, Éditions du Rocher / Serpent à Plumes, Paris.
LES FALACHAS, NÈGRES ERRANTS DU PEUPLE JUIF, Éditions
Gallimard, collection Continents Noirs, Paris.
LE GÉNOCIDE VOILÉ, Éditions Gallimard, collection Continents
Noirs, Paris.
PAR-DELÀ LES TÉNÈBRES BLANCHES, Éditions Gallimard, collection
Continents Noirs, Paris.
Cette édition électronique du livre Le jaune et le noir de Tidiane N'Diaye a été réalisée le 19
avril 2013 par les Éditions Gallimard.
Elle repose sur l'édition papier du même ouvrage (ISBN : 9782070141661 - Numéro
d'édition : 253296).
Code Sodis : N55856 - ISBN : 9782072491917 - Numéro d'édition : 253297

Ce livre numérique a été converti initialement au format EPUB par Isako


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à partir de l'édition papier du même ouvrage.

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