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Geographie Mondialisation - LaurentCaroue

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Illustration de couverture : Quartier financier de Shanghai

© Jackal Pan/Getty images


Mise en pages : Nord Compo

© Armand Colin, 2019

Armand Colin est une marque de Dunod Éditeur


11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff

ISBN : 978-2-200-61690-8
Table des matières

Couverture

Page de titre

Page de Copyright

Introduction

Chapitre 1 La mondialisation, une clé d’analyse


des dynamiques contemporaines

La mondialisation : un système géoéconomique,


géopolitique et géostratégique

Approches épistémologiques des concepts

La mondialisation : un système géoéconomique, géopolitique


et géostratégique

Les trois mondialisations : dynamiques et héritage

Les apports de la géohistoire et de l’histoire globale

Les trois mondialisations : un phénomène ancien


profondément renouvelé

La boîte à outils : terminologie, démarches et débats

Définitions et terminologie en débat

Les concepts en débat : la question du développement en exemple


Territoires, emboîtements d’échelles et grands ensembles spatiaux

Finitude du monde, modèle de croissance et développement durable

Chapitre 2 Crises et basculements du monde : clés géoéconomiques


et géopolitiques

De grands défis : démographie, développement, inégalités et durabilité

Démographie : les enjeux d’un développement


enfin durable et solidaire

Équilibres géoéconomiques mondiaux et explosion des inégalités

Finitude du monde, enjeux environnementaux et ressources


sous tension

La « grande émancipation » : un monde polynucléaire

La montée des pays émergents : la « grande émancipation »

La grande bifurcation : une nouvelle architecture mondiale


polynucléaire

L’affirmation de la Chine : démarginalisation et grand


chambardement

Rivalités de puissances et crise de la gouvernance mondiale

La montée de nouvelles rivalités géopolitiques, géostratégiques


et militaires

Fragilisation et crise du système de gouvernance mondiale

Des enjeux renouvelés : les mers et océans

De nouvelles frontières : l’espace circumterrestre

La crise du nouveau régime d’accumulation financière


Choc de la crise systémique de 2008 et nouveaux rapports de force

Le système financier mondial : une planète financière déséquilibrée

Les territoires de la finance internationale : les grandes places


financières

Chapitre 3 Les firmes transnationales

Les firmes transnationales : des acteurs centraux de la mondialisation

Maîtrise de l’espace, déploiement territorial : des enjeux stratégiques

Un profond bouleversement des équilibres mondiaux

L’affirmation des FTN des Suds : la perte du monopole occidental

Le « Made in World » des FTN face à de nouveaux enjeux planétaires

Les firmes transnationales : des acteurs politiques et géopolitiques

Le retour des États et les rivalités géopolitiques

L’essor de nouveaux acteurs : ONG, citoyens et consommateurs

« Made in World », chaîne de valeur et maîtrise des réseaux


productifs

Les investissements directs à l’étranger (IDE) des firmes transnationales

La définition des IDE

Les conditions politiques et géopolitiques indispensables aux IDE

Les IDE : une intégration très inégale, hiérarchisée et polarisée

Un nouvel acteur majeur : la Chine des Nouvelles Routes de la soie

Les territoires d’accueil des transnationales


Un poids majeur dans les territoires et sociétés du monde

Territoires nationaux intégrés, territoires nationaux dissociés

Les territoires des IDE dans un pays des Suds : l’exemple du Vietnam

Les stratégies territoriales différenciées des firmes transnationales

Les grandes stratégies spatiales des FTN

Sime Darby Plantation : un géant agricole malaisien de l’huile


de palme

Unilever : l’agroalimentaire face aux marques et aux clients

Toyota dans l’automobile : continentalisation et multipolarisation

Walmart : la grande distribution américaine


entre démondialisation et dynamiques

MTN : un géant sud-africain de la téléphonie à l’assaut du monde

Chapitre 4 La mondialisation des marchés et des facteurs de production

Les matières premières : entre rentes et piège de l’échange inégal

Matières premières, termes de l’échange et spécialisations


internationales

Structures des marchés, producteurs et spéculation

Des enjeux géopolitiques et géoéconomiques essentiels

Les produits énergétiques et miniers

Les produits énergétiques : un monde énergivore assoiffé d’énergies

Les minerais : géologie, ressources, demande et géopolitique


Les mutations d’un monde hyperindustriel : croissance, diffusion,
sélectivité

L’activité industrielle : forte croissance et diffusion hiérarchisée

La géographie de l’innovation et de la recherche-développement

Les « firmes réseaux » du textile : le système Nike


et le Taïwanais Pou Chen

Chapitre 5 L’explosion des mobilités et des échanges

L’explosion des mobilités humaines contraintes ou volontaires

Les flux migratoires : mobilités et interdépendances

Les systèmes diasporiques, réseaux mondialisés : Chine, Inde


et Philippines

Le tourisme : le déplacement géographique au cœur d’une activité

La mondialisation des échanges : spécialisation et continentalisation

L’explosion et les mutations du commerce international

Commerce international et spécialisation des territoires productifs

Transports et logistique : la mise en réseaux du monde

Mobilité, distance et coûts de transport

Les transports maritimes, au miroir de la mondialisation

Le transport aérien : le dualisme des pôles et réseaux

Flux d’informations, médias et Internet : entre économies et cultures

Chapitre 6 Les dynamiques territoriales entre intégration et fragmentation


Les États, États-nations et régions face à la mondialisation

La résistance des réalités territoriales face au mythe unificateur

Le rôle central des États : un acteur majeur

Les stratégies des différents territoires

Les stratégies des États régionaux et collectivités régionales et


locales

Métropoles, métropolisation et mondialisation

Les dynamiques de fragmentation intra-étatiques

Déséquilibres, désintégration et fragmentation

La Centrafrique : implosion d’un État sahélien et prédation rentière

Le Mexique et l’USMCA : une intégration dominée et déséquilibrée

L’Indonésie : entre rente prédatrice, intégration et émergence


en débat

La Chine : mutation, puissance et territoires

Conclusion

Bibliographie

Index

Table des figures

Liste des tableaux

Collection U
Introduction

AU VU DE LA MASSE ÉNORME DES PRODUCTIONS, études, débats et polémiques la concernant,


la mondialisation est l’objet d’une véritable mythification qui suscite espoirs
ou craintes. Deux faits majeurs doivent être relevés. D’abord, l’usage
surabondant du terme – ou de l’anglicisme « globalisation » – indique trop
souvent une absence de rigueur : tout relèverait de la mondialisation ; en
définitive, rarement un terme aura été autant utilisé tout en étant si peu défini.
Ensuite, son utilisation repose sur un évident paradoxe : alors que ses
dimensions politiques et économiques sont souvent privilégiées, voire
systématiquement survalorisées, le cœur même du processus de
mondialisation demeure soit largement méconnu, soit totalement sous-estimé.

La mondialisation, c’est d’abord du territoire


L’un des principaux objectifs de l’ouvrage est donc de dépasser les logiques
économicistes et a-spatiales encore en vogue en « décortiquant » les
phénomènes et les processus, les jeux d’acteurs – en particulier ceux des
firmes transnationales, des États et des autorités locales ou régionales – et les
trajectoires territoriales à partir d’une idée simple : « La mondialisation, c’est
d’abord du territoire. »
Il convient en effet de souligner que la mondialisation comme système
repose d’abord et avant tout sur la mise en relation systémique de plus en
plus complète des différents territoires et ensembles géographiques pavant
l’espace planétaire. On peut définir un territoire comme une construction et
un objet géographique nés de l’occupation, de l’appropriation et de la
valorisation dans la longue durée d’une portion d’espace particulière par un
État, une société, un groupe humain dans des rapports géopolitiques,
géoéconomiques et culturels/religieux spécifiques à l’espace considéré et
s’insérant dans différentes échelles d’interactions spatiales.
L’étude de la mondialisation comme objet scientifique oblige donc à une
démarche pluridisciplinaire mobilisant l’ensemble des apports des sciences
économiques, politiques et sociales dans laquelle la géographie doit tenir
toute sa place. Dans ce contexte, et à la suite des travaux de nombreux
historiens ou économistes (Fernand Braudel, Immanuel Wallerstein, Paul
Bairoch, Karl Polanyi…), la mondialisation peut être définie et analysée en
géographie comme le processus géohistorique multiséculaire d’extension
progressive du système marchand puis capitaliste dans l’espace géographique
mondial qui aboutit à la construction du système-Monde actuel (Roger
Brunet, Olivier Dollfus…). Cela ne signifie pas pour autant que d’autres
mondialisations ne puissent pas à l’avenir émerger, mais nous entrons alors
dans des débats de nature politique, idéologique ou philosophique.

Un système géoéconomique et géopolitique


hiérarchisé, instable et conflictuel
Dans cette perspective structurelle de longue durée, la mondialisation peut
être conçue comme un système géoéconomique, géopolitique et
géostratégique hiérarchisé, instable et conflictuel. Dès le XVe siècle se
déploient des rivalités entre puissances pour la domination et le partage du
monde connu. Dès 1494, le Traité de Tordesillas, sous les auspices du Pape
Alexandre VI, partage le monde en sphère d’influence entre les Royaumes de
Castille et du Portugal, en particulier dans le cadre de la découverte des
Amériques. L’expansion coloniale des puissances occidentales aboutit à la
constitution de vastes empires coloniaux dominant les trois quarts de la
planète avec pour acmé la Conférence de Berlin de 1885, dont l’un des
enjeux majeurs fut la domination et le partage de l’Afrique. Au cours des
siècles, on a donc assisté à un déplacement géographique du centre de gravité
de l’économie-monde dominante : d’abord au sein même de l’espace
européen (rivalités entre l’Angleterre, la France, les Provinces Unies…) puis,
progressivement, de l’Europe à l’Amérique du Nord, après la Première
Guerre mondiale. La Première puis la Seconde Guerre mondiale constituèrent
au XXe siècle des conflits majeurs pour de nouveaux partages du monde. Tout
comme la guerre froide et l’affrontement entre les États-Unis et l’URSS, bien
que l’apparition de l’arme nucléaire en 1945 ait gelé un affrontement
militaire direct du fait de la possible destruction de la Terre dont son usage
est porteur.
Dans chaque cas, les puissances internationalement dominantes assurent
l’essentiel de l’ajustement des équilibres internationaux en imposant aux
autres puissances de second ou troisième rangs leurs intérêts stratégiques.
Elles s’appuient pour cela sur leur statut de centre de l’investissement
international, sur leur avancée technologique et scientifique, sur leur
dynamisme économique et social, enfin sur leur capacité à imposer, y
compris par le recours à la force, leurs modèles culturels, idéologiques et
politiques et leurs intérêts économiques et financiers.
Dans cette perspective, l’histoire de la mondialisation fait alterner des
phases de stabilité et d’instabilité structurelle, selon les rapports de force
géoéconomiques et géopolitiques entre puissances prétendant au leadership
d’une part, entre celles-ci et le reste des dispositifs planétaires d’autre part.
Les périodes d’instabilité doivent aussi être lues comme des périodes de crise
structurelle des capacités hégémoniques, absolues ou relatives, des
économies-monde dominantes qui débouchent sur des désordres
internationaux.
Cependant, les décennies ouvrant le XXIe siècle présentent une rupture
multiséculaire qui explique fondamentalement les profondes crises et les
grands basculements du monde actuel. De 1494 jusqu’en 1980-1990, durant
cinq longs siècles donc, l’architecture géopolitique et géoéconomique
mondiale fut définie fondamentalement par les rivalités internes aux
puissances du monde occidental, Europe et États-Unis. Ce n’est plus le cas.
Avec l’affirmation de la Chine comme nouvelle puissance mondiale et de
multiples puissances à vocation mondiale, continentale ou régionale
(nouvelle Russie, Inde, Brésil, Turquie, Arabie saoudite…), nous assistons à
une désoccidentalisation du monde. La question de l’émergence et des pays
émergents traduit l’affirmation d’un nouveau monde polycentrique.
Pour autant, notre monde contemporain serait-il chaotique, donc devenu
illisible et inintelligible ? Il n’en est rien. La mobilisation des outils, concepts
et méthodes de la géographie d’un côté, les multiples travaux de terrain de
nombreux géographes de l’autre, du Sahel au monde andin, de l’Asie du Sud-
Est à l’Afrique subsaharienne ou au Proche et Moyen-Orient par exemple,
témoignent, au contraire, généralement de la grande rationalité des jeux
d’acteurs à toutes les échelles territoriales, y compris dans la mobilisation et
l’instrumentalisation des facteurs identitaires, religieux, ethniques ou
culturels. Dans ce monde nouveau, jamais la géographie et la géopolitique
n’ont été aussi nécessaires à une compréhension efficiente des dynamiques
contemporaines.

Un processus producteur de profondes inégalités


Historiquement, jamais notre monde n’a été aussi riche, dynamique et
innovant. Mais rarement sans doute, il n’a été aussi inégal et polarisé. La
question brûlante des inégalités – économiques, sociales, culturelles,
territoriales… – est aujourd’hui une clé de lecture géographique essentielle.
Et ce, alors que notre civilisation humaine et la Terre – notre maison
commune – sont confrontées à des enjeux démographiques (9 milliards
d’hommes en 2050), urbains (dorénavant 50 % de la population mondiale),
de développement et de durabilité historiquement inédits face à la finitude du
monde qui met de manière croissante les ressources renouvelables et non
renouvelables sous tension.
En particulier, les mutations spectaculaires des équilibres géoéconomiques
mondiaux au profit des Suds ces dernières décennies ne doivent pas masquer
une pyramide de la richesse mondiale de plus en plus déséquilibrée. Moins
d’1 % de la population mondiale accapare en effet 45 % de la richesse et
seulement 8 % de celle-ci 86 % de la richesse. Alors qu’à l’opposé, 73 % de
la population mondiale demeure très largement exclue en ne disposant que de
2,4 % de la richesse. À la concentration géographique des richesses produites
dans l’espace mondial répond donc une extraordinaire polarisation sociale de
celles-ci au profit de classes dominantes et des oligarchies. En ce début de
e
XXI siècle, le monde connaît donc au total un niveau d’inégalité similaire aux

sociétés d’Ancien Régime prérévolutionnaires. Comment dans ces conditions


notre monde ne serait-il pas en effervescence ?
La principale dynamique de la mondialisation repose en effet sur une
double logique d’intégration/fragmentation et de marginalisation/exclusion.
La définition de l’appartenance de telle ou telle région ou territoire au centre,
à la semi-périphérie ou à la périphérie repose sur la capacité des territoires et
des nations à maîtriser de manière endogène leurs processus d’accumulation
interne et tout autant leurs modes d’articulation au reste du monde. On peut
donc considérer que l’inégalité et le dualisme sont consubstantiels au mode
de développement et de valorisation différenciée des territoires par la
mondialisation. Le refus de ce monde, bien souvent trop rapidement défini
comme « chaotique », pose la question centrale de l’affirmation, de la
promotion et de la défense de droits universels démocratiques – politiques,
sociaux, économiques et environnementaux – associée à des stratégies
volontaristes de réduction des inégalités intranationales et mondiales.

Continuités et ruptures structurelles


L’époque contemporaine peut donc être considérée comme la troisième phase
d’un processus de mondialisation multiséculaire dont l’étude oblige à
réfléchir aux continuités et ruptures introduites par les mutations actuelles.
Paradoxalement, les principales ruptures ne portent pas forcément sur les
thématiques les plus médiatisées. En effet, le rôle stratégique des innovations,
l’amélioration des transports et la circulation des informations et
marchandises, la puissance des acteurs privés ou l’intervention déterminante
des États les plus puissants apparaissent comme des permanences. De même,
les firmes, même transnationales, continuent à s’adosser à la puissance
militaire, économique, financière et commerciale des États dominants dont
elles sont originaires. En revanche, les grandes nouveautés introduites ces
dernières décennies sont de deux ordres.
Premièrement, le système international de gouvernance mondiale,
symbolisé par les grands organismes nés à la sortie de la Seconde Guerre
mondiale (ONU, FMI, Banque mondiale, OMC…), est entré en crise
structurelle. Du fait du refus des puissances occidentales, en premier lieu les
États-Unis, de réformer celui-ci afin de promouvoir un meilleur partage des
pouvoirs de décision avec les nouvelles puissances des Suds, qui contournent
ou paralysent celui-ci.
Deuxièmement, l’autre principale rupture, civilisationnelle cette fois, est
qu’il n’existe plus aujourd’hui d’espaces d’expansion géographique, ou si
peu, pour les sociétés humaines. Celles-ci ont fondé depuis le Néolithique
leur développement sur l’extension des fronts pionniers et un modèle de
développement court-termiste et largement prédateur avec l’exploitation des
ressources renouvelables et non-renouvelables. Cette finitude géographique
pose de redoutables problèmes d’adaptation concernant le développement
économique et social, la gestion des concurrences, contradictions et inégalités
et les nouveaux modes de développement à privilégier dans un système
global interdépendant où tend à émerger une opinion publique mondiale :
problèmes environnementaux et climatiques, épuisement des ressources,
développement soutenable et durable…

Mondialisation et territoire(s)
L’analyse de la mondialisation dans sa dimension spatiale se réduit trop
souvent dans la littérature existante soit à une pure abstraction, soit à une
négation pure et simple des différenciations territoriales qui constituent
pourtant des enjeux essentiels. Cela nous obligera à décortiquer en détail le
jeu des acteurs afin de mettre à nu les dynamiques territoriales et les
interactions spatiales à différentes échelles géographiques car il convient de
s’interroger sur les rapports entretenus entre la concentration économique
mondiale du capital, sa localisation territoriale, ses dispositifs d’appui et
ses logiques d’articulation et de valorisation.
L’analyse de la mondialisation repose le plus souvent sur une conception
économiciste qui en vient à nier les réalités territoriales. Cette démarche, qui
se prive de facteurs essentiels d’analyse et évacue le politique comme la
géopolitique, débouche sur un véritable aveuglement conceptuel qui explique
de nombreuses déconvenues comme en témoigne l’étude du risque-pays. En
effet, la tendance est nette à isoler l’économie du reste des processus qui
structurent les sociétés et territoires. Cette démarche se prive de facteurs
essentiels d’analyse et évacue la politique et la géopolitique. Or, la
mondialisation est irréductible à sa seule dimension économique : elle
interroge des systèmes territoriaux complexes issus de facteurs spatiaux,
historiques, culturels, sociaux, politiques et géopolitiques.
Dans ce cadre, il apparaît que la mondialisation peut être étudiée à la fois
comme la maîtrise de l’espace par les différents acteurs (États, sociétés,
entreprises) et comme la valorisation différenciée et sélective des différents
territoires dans un cadre concurrentiel. Ces choix se heurtent bien sûr aux
conceptions totalisantes et homogénéisantes de l’espace développées par
exemple par Theodore Levitt, l’un des premiers théoriciens de la
globalisation, repris en 1996 par Kenichi Ohmae. En effet, la convergence
des marchés internationaux gérés par les firmes transnationales tout comme
l’intégration globale des processus productifs (recherche-développement,
ingénierie, production, vente, services et finance), qu’ils étudient, ne doivent
pas masquer les nécessaires et profondes adaptations nationales et
continentales qu’elles doivent déployer.
De même, contrairement aux nombreuses publications prononçant
l’abolition du temps et de l’espace, en particulier en s’appuyant sur les
progrès des technologies et des transports, il convient de souligner que
c’est bien la capacité à maîtriser les différences temporelles et spatiales
demeurant très actives qui dégage pour les différents acteurs des marges de
liberté d’action et d’interaction. L’analyse de l’espace-temps oblige à insister
sur le caractère central de sa maîtrise, qui demeure profondément inégale
géographiquement, comme l’illustrent les mécanismes de diffusion spatiale
des activités productives, même les plus mobiles, ou la fragilité technique ou
géopolitique des réseaux logistiques qui tissent leurs toiles à la surface du
globe.
L’accumulation et la valorisation du capital reposent sur un processus
apparemment contradictoire, mais en fait complémentaire, d’unification et
centralisation d’un côté, de fractionnement de l’autre, des processus de
production, des marchés du travail, des entités politiques et des sociétés, car
loin d’être une homogénéisation du monde, la mondialisation accentue un
système de domination et de dépendances hiérarchiques. Elle approfondit les
spécificités de chaque économie et des modes de régulation des États
et sociétés.
Si l’un des éléments centraux de la mondialisation réside dans la mise en
relation de plus en plus intense et directe des espaces, il n’y a aucun
télescopage des différents niveaux d’échelles géographiques. La mise en
réseaux continue de s’enraciner dans des relations géographiques fondées sur
des contiguïtés fonctionnelles qui ne peuvent être circonscrites au seul couple
local/global. Dans ce cadre, les catégories classiques de régions, nations,
États ou continents gardent toute leur pertinence. L’organisation
transnationale s’insère dans une valorisation emboîtée des différentes échelles
géographiques.
Plan adopté
Nous étudierons donc successivement la mondialisation comme clé d’analyse
des dynamiques contemporaines (chapitre 1) en insistant sur les enjeux
épistémologiques des termes et concepts successivement utilisés ces
dernières décennies pour en mener l’étude, en récontextualisant la
mondialisation contemporaine dans le temps long des mondialisations
successives héritées de la géohistoire et en insistant enfin sur les apports
spécifiques de la boîte à outils des géographes.
Nous aborderons ensuite les crises et basculements du monde qui
bouleversent l’architecture mondiale en ce début du XXIe siècle (chapitre 2) en
insistant sur les grands défis démographiques, sociaux et de développement à
relever, les nouvelles rivalités de puissances qui structurent un monde
désormais polynucléaire et sur le choc provoqué, mais largement sous-estimé,
par la plus grande crise économique et financière ouverte en 2008 que
connaît la planète depuis 1929.
Paradoxalement, si elles sont souvent citées, les firmes transnationales
(chapitre 3) sont des acteurs centraux de la mondialisation qui demeurent peu
ou pas étudiés et analysés, en particulier par les géographes. Afin de
contribuer à combler un véritable trou noir, nous en présenterons donc leurs
structures et leurs composantes, leurs stratégies et leurs leviers, les défis
qu’elles doivent relever et les multiples dynamiques territoriales à travers
l’étude soit de territoires, soit de firmes.
De même, la mondialisation des marchés et des facteurs de production
(chapitre 4) est un enjeu majeur de réorganisation des espaces, des territoires
et des sociétés pavant le monde. Ne pouvant pas dans cet ouvrage traiter de
l’ensemble de ce vaste thème d’étude, nous avons choisi de mettre l’accent
sur les logiques rentières et le piège de l’échange inégal qui structurent le
secteur des matières premières agricoles et minières qui intéresse directement
plus de la moitié de la planète, les grands enjeux énergétiques et miniers pour
aborder enfin les mutations d’un monde que l’on peut sans doute aucun
qualifié d’hyperindustriel.
La mise en réseaux des territoires du monde se traduit par une explosion
des mobilités et des échanges (chapitre 5). Aux mobilités humaines,
contraintes ou volontaires, répond la montée des échanges. Le tout se traduit
par le rôle nodal occupé par les réseaux de transports et systèmes logistiques.
Loin d’homogénéiser l’espace mondial, nous verrons enfin que la
mondialisation se caractérise par des dynamiques territoriales
hypersélectives, entre intégration et fragmentation (chapitre 6). Dans ce
cadre, le rôle des États demeure central et les stratégies des différents acteurs
territoriaux sont de plus en plus différenciées.
Chapitre 1

La mondialisation,
une clé d’analyse des dynamiques
contemporaines

SI LE TERME MÊME DE MONDIALISATION est d’un usage courant depuis les années 1980, au
point parfois de devenir totalement polymorphe, il convient de souligner que
la mondialisation demeure une clé d’analyse fondamentale des dynamiques
contemporaines pour rendre notre monde intelligible, à une condition
cependant : de bien en sérier et définir la nature, les structures, les acteurs et
les dynamiques.
Loin d’être réductible aux seuls facteurs économiques, la mondialisation –
un terme et un processus d’essence éminemment géographique – doit être
conçue comme un système dynamique multiforme. Dans ce cadre très vaste,
l’objectif de cet ouvrage est volontairement limité, mais cherche à nos yeux à
éclairer l’essentiel : ses dimensions géoéconomique, géopolitique et
géostratégique.
Sur le plan historiographique, le processus de construction de l’objet
mondialisation s’insère dans des cadres intellectuels, idéologiques et
politiques datés. Ceux-ci interrogent l’autonomie de la géographie comme
science humaine et sociale dans la définition de ses propres objets d’étude.
Ce chapitre a pour objectif d’en dégager les fondements épistémologiques,
conceptuels et sémantiques, tout en proposant une boîte à outils
spécifiquement géographique pour son analyse.

La mondialisation : un système géoéconomique,


géopolitique et géostratégique
Approches épistémologiques des concepts

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’effondrement des différents


systèmes impériaux dans les années 1950-1960, la question des outils pour
comprendre, représenter et agir sur le monde s’est posée avec acuité. C’est en
particulier du fait de la remise en cause croissante d’une pensée occidentale
prétendant à l’hégémonie, en proposant une vision autocentrée du monde. À
partir des années 1980, l’émergence conceptuelle de l’échelle mondiale
comme nouvelle échelle d’analyse, et du monde comme système, a débouché
sur une « soif de mots » pour dire et penser les nouvelles réalités comme l’a
étudié le géographe René Dagorn [DAGORN, 1999]. Si le terme
« globalization » apparaît dans la revue The Economist en avril 1959 et le
terme « mondialisation » dans Le Monde en avril 1964, ce dernier n’entre
dans Le Petit Larousse français qu’en 1980, témoignant ainsi de sa
banalisation. Dans ce contexte, il convient de souligner l’importance de
l’historicité des concepts et notions apparus, dont la production est
inséparable du contexte géopolitique, politique et idéologique qui les voit
naître. Trois grandes périodes sont identifiables.

La décennie 1980-1990 : une approche globalisante,


inéluctable, ubiquiste et irréversible
Cette période est caractérisée par une approche globalisante, inéluctable,
ubiquiste et irréversible de la mondialisation largement fondée sur
l’hégémonie conceptuelle des économistes, en particulier anglo-saxons. Elle
tend à largement dépolitiser et déterritorialiser les réalités, tout en
survalorisant l’échelle mondiale et en mettant le monde en équations
mathématiques. La mondialisation est alors présentée comme un véritable
deus ex machina englobant, omniprésent et omnipotent aboutissant à une
négation des sociétés et des territoires.
En 1968, l’ouvrage du chercheur canadien Marshall McLuhan (War and
Peace in the Global Village), qui analyse l’impact des images de la guerre du
Vietnam sur l’opinion publique mondiale et le discrédit politique des États-
Unis, est traduit en 1971 par « village planétaire », une expression qui
connaîtra un franc succès. L’US Army et les services états-uniens tiendront
largement compte de ces travaux, en cherchant par la suite à contrôler
étroitement la production journalistique et le traitement médiatique lors des
conflits suivants (cf. guerres du Golfe).
En 1983, dans la Harvard Business Review, Theodore Levitt, dans un
article intitulé “Globalization and Markets”, analyse la convergence des
marchés et des modes de consommation sur un marché mondial présenté
comme unique et dénué de toutes différenciations (Coca-Cola…). Consultant
chez McKinsey, Kenichi Ohmae propose les concepts de « triade » en 1985,
de « firme globale » (World Company) en 1990, de « monde sans frontières »
(The Borderless World: Power and Strategy in the Interlinked Economy)
en 1994 ou d’« États-régions » en 1996.
Longtemps lié aux cercles néoconservateurs les plus virulents, le
politologue états-unien Francis Fukuyama annonce en 1992 la « fin de
l’histoire » dans The End of History and the Last Man. Pour lui, l’implosion
de l’URSS annonce alors la victoire politique et idéologique et la suprématie
mondiale du modèle de démocratie libérale états-unienne. Ce plaidoyer
contemporain renoue avec la vieille thématique de la « destinée manifeste »
théorisée au XIXe siècle.
Ce nouveau messianisme se traduit par une floraison d’articles et d’études
qui nous annoncent urbi et orbi la « fin de l’histoire », la « fin de
la géographie », la « fin des territoires », la « fin des États » ou encore la « fin
des frontières » : tels Richard O’Brien dans Global Financial Integration:
The End of Geography en 1992, Gary Hamel et Jeff Sampler avec “The E-
Corporation: The End of Geography” dans le Fortune Magazine du
7 décembre 1998 ou en France La fin des territoires de Bertrand Badie [BADIE,
1995].

Le GIP-Reclus : système-Monde, espace-Monde


Dans ce cadre général, une partie de l’école française de géographie met
l’accent sur la mondialisation comme (re)découverte de l’échelle mondiale
dans une démarche cependant largement progressiste. Elle est portée en
particulier par les claires novations introduites par la création du GIP-Reclus
en 1984 à l’initiative de Roger Brunet et les travaux d’Olivier Dollfus, alors
particulièrement novateurs du fait de leur nouvelle démarche systémique. Le
tome I, qui ouvre la Géographie universelle, œuvre collective de dix tomes
publiée entre 1990 et 1996, est intitulé « Nouveaux Mondes ». Il est organisé
autour de deux parties : « Le déchiffrement du monde » et « Le système-
Monde ».
Notons cependant qu’en 1992, le mot « mondialisation » est absent de
l’ouvrage-dictionnaire Les mots de la géographie de Brunet. C’est Dollfus
(1931-2005) qui définit la mondialisation comme l’ensemble des processus
aboutissant à la construction d’un « nouvel objet géographique, “le système-
Monde”», terme inventé en 1984. Il publie dix ans plus tard L’espace-Monde
et, seulement en 1997, un ouvrage intitulé La mondialisation. En 1991, la
géographe états-unienne Saskia Sassen publie The Global City: New York,
London, Tokyo qui débouche sur les « villes mondiales ». Enfin, en 1993,
Jacques Lévy analyse la mondialisation comme la construction progressive
d’une société complète de niveau mondial, d’une « société-Monde »,
approche par la suite cependant nuancée. À la mise au monde succède la mise
en mondes, puis la mise en un monde de l’humanité et de l’espace planétaire.
Historiquement, ces approches globalisantes de la mondialisation
ne peuvent se comprendre qu’en les recontextualisant. Elles s’inscrivent en
effet dans les luttes politiques et idéologiques du moment. En particulier, la
révolution néoconservatrice et ultralibérale lancée dans les années 1975-1980
(travaux de Friedrich von Hayek, Milton Friedman…) vise alors à refonder
les bases hégémoniques des puissances anglo-saxonnes. Les États-Unis sont
en effet confrontés à de graves difficultés géoéconomiques et géopolitiques
(fin du lien or/dollar en 1971 sous Nixon puis abandon de la fixité des taux de
change en 1973, largement liés à l’essor de la dette et à l’échec
géostratégique au Vietnam en 1975, chocs pétroliers de 1973 et 1979…).
Cette mue se fonde sur le développement d’un nouveau régime
d’accumulation financière porté par la dérégulation et la déréglementation
des marchés financiers (cf. Big Bang de la City londonienne en octobre 1986)
initiées par les gouvernements de Margaret Thatcher (1979-1990) et de
Ronald Reagan (1981-1989).
L’archipel mégalopolitain mondial : un des concepts
de Dollfus en débat
Introduit en 1996 dans le chapitre 2 de La mondialisation d’Olivier Dollfus,
le concept d’archipel mégalopolitain mondial (AMM) vise alors à décrire et
analyser le système urbain constitué des villes-monde qui participent à la
direction du monde. Chaque mégalopole est présentée comme en
interrelations et interactions étroites avec les autres « îles » de l’AMM. Qu’il
soit indispensable d’analyser les dynamiques de la hiérarchie urbaine
organisant la mondialisation est incontestable. Mais la métaphore
archipélagique utilisée a abouti à de profondes dérives et nombreux
contresens.
On peut ainsi lire, dans un texte mis en ligne en 2003 sur un site très sérieux,
que « leur niveau de déterritorialisation (des métropoles) est tel qu’elles
fonctionnent en quasi-apesanteur ». Loin d’être en apesanteur et de simples
« archipels » coupés de leurs espaces d’insertion, les grandes mégalopoles
et métropoles plongent les racines de leur puissance et de leur accumulation
dans leurs territoires régionaux, nationaux et continentaux. Que serait
Londres ou Paris sans leur Grand Bassin, londonien et parisien, et sans les
îles Britanniques ou la France ? Que seraient New York et la Megalopolis de
la côte est sans l’immense hinterland sur lequel elles s’appuient ? Que
seraient Tokyo ou São Paulo sans le Japon et le Brésil ? Pour accéder à
l’échelle mondiale, c’est bien au contraire la capacité à d’abord dominer,
polariser et organiser son espace régional, national et continental d’insertion
qui est le facteur fondamental. C’est d’ailleurs pourquoi le concept d’AMM est
aujourd’hui largement abandonné.

La décennie 1990-2000 : montée de l’analyse critique et retour


à la complexité
La décennie 1990-2000 est celle de l’accès des États-Unis à l’hyperpuissance
du fait de l’effondrement de l’URSS et du système communiste. Cela se
traduit d’un côté par une nouvelle Pax Americana multipliant des opérations
militaires et ingérences, de l’autre par l’élargissement géographique sans
précédent depuis 1945 de l’économie capitaliste à la surface du globe. Pour
autant, ce processus se heurte à de nombreuses réactions ou résistances, tels,
par exemple, l’essor d’un mouvement altermondialiste contestataire ou bien
l’accélération des réformes (1978 et 1992) et l’ouverture de la Chine, qui
posent ainsi les bases de son émergence comme nouvelle puissance la
décennie suivante. De nouveaux débats apparaissent concernant l’architecture
internationale (uni- ou multipolaire, rôle de l’ONU, régulations
interétatiques…).
Dans ce contexte, l’approche globalisante précédente est de plus en plus
critiquée. De nouvelles demandes sont adressées à la géographie :
comprendre la complexité du monde à travers la mobilisation de nouvelles
clés de lecture réarticulant espace(s) et territoire(s). C’est une période de
redécouverte : des territoires, des sociétés, des emboîtements d’échelles, des
interactions et des jeux d’acteurs, des héritages du temps long et des facteurs
culturels, religieux ou sociétaux. Et ce, alors que la question du
développement et du développement durable se pose en nouveau paradigme.
De nouveaux travaux portent sur la mondialisation [CARROUÉ, 2002 ; MANZAGOL,
2003], sur ses effets et ses dynamiques dans les territoires ou sur des objets
plus spécifiques comme les frontières [FOUCHER, 1991]. En 2002, la première
édition de cet ouvrage pose d’ailleurs comme postulat que « la
mondialisation, c’est d’abord du territoire ».
Si le concept de mondialisation est repris par de nombreux géographes, il
est remobilisé dans le cadre d’études sectorielles (économie et industrie,
migrations internationales, religions, cultures, tourisme, villes, économies
grises et drogues ; mises en réseaux…) ou spatiales (approches continentales
ou régionales…) plus fines, pragmatiques et critiques.
Le marché mondial : une fiction ?
Contrairement à une idée souvent véhiculée, il n’existe ni marché mondial, ni
économie mondiale mais des structures de plus ou moins grande ampleur
spatiale et plus ou moins interconnectées et intégrées entre elles. Alors que
plus de la moitié des échanges se font sur des bases continentales, il n’y a ni
conjoncture mondiale, ni prix mondiaux. Ainsi, dans le pétrole, le prix mondial
est le fruit de la fusion comptable de six à sept grands marchés continentaux
aux produits de nature et de qualité très différents. Dans certains produits
grand public ou de consommation culturelle, les firmes transnationales
utilisent des formats et des normes différents selon les continents, en créant
donc des cloisonnements, pour éviter le piratage et les fraudes. Il existe de
fait une très grande diversité de structures selon les secteurs et les produits
(cf. industrie, services…).
De même, il n’y a pas de consommateur mondial du fait de modes, de
traditions et de cultures très vivaces. Ainsi, une firme comme McDonald doit
adapter son offre aux demandes nationales tout comme les transnationales
de l’agroalimentaire. Enfin, si les barrières tarifaires sont abaissées, les
barrières dites non tarifaires demeurent. Elles renvoient au maintien de
profondes spécificités d’ordre juridique, culturel, social ou socio-économique.
Au total, on ne soulignera jamais assez que le « marché » n’est rien sans le
politique et le social, car il est d’abord et avant tout une construction politique
variable dans le temps et dans les espaces.

Les décennies 2000-2010 : l’affirmation de la géopolitique, de la carte


et de la justice spatiale
La décennie 2000-2010 est marquée par l’échec géostratégique des États-
Unis (cf. attentats du 11 septembre 2001, Afghanistan, Irak…) et la
disqualification de leur modèle avec l’effondrement du régime
d’accumulation financière occidental lors de la crise de 2007-2009. C’est
aussi l’affirmation d’une nouvelle architecture mondiale multipolaire dans
laquelle de nouvelles puissances – mondiales, continentales ou régionales –
s’affirment (cf. thématique de l’émergence et des puissances émergentes).
Cette période se caractérise en retour par l’affirmation fulgurante de
la géopolitique et des questions concernant l’ordre mondial, l’hégémonie et la
puissance. La géopolitique est définie par Yves Lacoste, qui avait publié en
1976 La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre, comme « l’étude des
rivalités de pouvoirs sur un territoire » [LACOSTE, 1993]. Dans son Dictionnaire
de géopolitique de 2003 – celui de 1993 n’incorpore pas le terme
« mondialisation » –, Lacoste définit alors la mondialisation « comme
l’ensemble des processus relationnels qui se développent au plan mondial par
l’expansion du système capitaliste depuis les dernières décennies du
e
XX siècle ». On assiste à la multiplication de travaux en géopolitique ou en

géographie politique autour de la revue Hérodote [GIBLIN, 2012], de Michel


Foucher, géographe et ancien diplomate [FOUCHER, 2009], de Stéphane Rosière
[ROSIÈRE, 2017] ou d’Amaël Cattaruzza [CATTARUZZA, 2017].
La (re)découverte de la carte et des cartes comme systèmes de
représentation, d’analyse et d’action est aussi un changement considérable
dont témoigne la multiplication des atlas, des émissions (Le Dessous des
Cartes) et revues spécialisées (CartO) alors que l’échelle mondiale est
interrogée de manière bien plus nuancée qu’auparavant. On assiste enfin, en
lien avec les crises et les nouvelles conflictualités, à des critiques de plus en
plus sévères du système néolibéral [STIGLITZ, 2002 et 2010] et à l’essor de la
thématique de la justice spatiale portée par exemple par David Harvey [2008,
2011], Bernard Bret, Philippe Gervais-Lambony ou Claire Hancock [2010].
Ils mettent en avant l’importance des rapports de domination et le poids des
inégalités dans la structuration des territoires et des sociétés dans le cadre de
démarches multiscalaires où chaque échelle se nourrit l’une de l’autre.

La mondialisation : un système géoéconomique, géopolitique


et géostratégique
Dans l’étude de la mondialisation, les approches globalisantes, ahistoriques,
aterritoriales et agéopolitiques des années 1980-1990 ont souvent fait prendre
la partie pour le tout. Face à cette situation, il apparaît indispensable de
définir la mondialisation comme un système à la fois géoéconomique,
géopolitique et géostratégique.

Définition de la mondialisation : les apports de la géohistoire


À partir des travaux des historiens Fernand Braudel [1979], Immanuel
Wallerstein [1974] ou Paul Bairoch [1997], la mondialisation peut être
définie comme le processus géohistorique multiséculaire d’extension
progressive de l’économie marchande puis capitaliste dans l’espace
géographique mondial.
Ce dernier passe ainsi d’économies-monde plus ou moins
interconnectées (cf. Rome/Chine par la Route de la soie dans l’Antiquité) à
une économie-monde où aucune portion de l’espace terrestre, aussi lointaine
soit-elle, n’échappe potentiellement à cette intégration fonctionnelle. Par
économie-monde, l’historien Braudel entend une portion de la planète
économiquement autonome organisée selon un modèle hiérarchique ternaire
avec un centre, qu’il identifiait comme une grande ville capitaliste dominante,
une semi-périphérie intégrée et une périphérie plus ou moins lointaine et
marginale. Cette conception sera reprise par Wallerstein qui développera
cette notion, en substituant à la ville-centre une construction étatique
nationale militairement assez puissante et économiquement assez avancée
pour imposer son hégémonie à des espaces de plus en plus lointains. Dans
une démarche pluridisciplinaire, la géographie insiste bien sûr tout
particulièrement sur les dimensions spatiales du phénomène. Elles permettent
de dégager des logiques, des dynamiques et des constructions territoriales à
différentes échelles, en réarticulant espaces, territoires et mises en réseaux.
Surtout, elles font de la mondialisation un concept opératoire visant à
expliciter les dynamiques contemporaines, en identifiant clairement le jeu
des acteurs et leurs dynamiques géographiques.

Mondialisation et ordre mondial : un phénomène hiérarchisé, instable


et conflictuel
La mondialisation est, par essence, un phénomène hiérarchisé, instable et
conflictuel. Il est producteur de profondes inégalités, du fait d’être fondé sur
une valorisation différenciée et sélective des territoires dans un cadre
concurrentiel. Ce processus géohistorique se fonde sur trois grands piliers
interdépendants mais systémiques : géoéconomique, géopolitique et
géostratégique.
La mondialisation apparaît donc comme une succession de systèmes,
historiquement datés, définissant la nature et l’architecture de l’ordre
mondial : hégémon(s) et jeu des puissances mondiales, continentales et
régionales ; impérialismes et leurs rivalités ; coopérations et réseaux
d’alliances, guerres et paix… Son analyse mobilise donc les concepts de
puissance(s) et d’équilibre des puissances (système hégémonique, bipolaire,
multipolaire ou polynucléaire…) pavant l’espace mondial et en organisant les
champs de forces, à toutes les échelles.
Waterloo, mornes plaines…
Le 18 juin 1815, à 20 km au sud de Bruxelles, la bataille de Waterloo scelle le
sort d’un monde. Napoléon Ier est définitivement battu par une coalition
menée par le duc de Wellington, le Premier Empire s’effondre. Cette défaite
militaire achève un cycle historique de six décennies d’affrontements pour la
domination mondiale entre la France et la Grande-Bretagne. Sous le règne
de la reine Victoria (1837-1901) se construit enfin, sans réel rival, l’apogée
impérial britannique. Cette petite île devient la première puissance
commerciale et industrielle (23 % de la production mondiale), la première
puissance financière avec la City de Londres et le premier investisseur. Son
empire de 400 millions d’habitants (25 % de la population mondiale) couvre
un quart du globe. Mais en 1871, la proclamation dans la galerie des Glaces
du château de Versailles du IIe Reich allemand ouvre un nouveau cycle qui
aboutira, le 28 juillet 1914, à la Première Guerre mondiale et, à l’issue de
celle-ci, à la prise de relais par les États-Unis d’un côté, à l’émergence de
l’URSS de l’autre.

Dans cette perspective structurelle de longue durée, la ou les puissance(s)


dominante(s) assurent l’essentiel de l’ajustement des équilibres
internationaux, en imposant aux autres économies-monde leurs intérêts
stratégiques. Elles s’appuient pour cela sur leur statut de centre de
l’investissement international, sur leur avancée technologique et scientifique,
sur leur dynamisme économique et social, enfin sur leur capacité à imposer
leurs modèles culturels, idéologiques et politiques (actuel soft power). Y
compris par le recours aux moyens militaires (actuel hard power) dont on
redécouvre aujourd’hui l’importance dans les relations internationales
(cf. nouvelles courses régionales aux armements ou à l’espace) alors que se
multiplie l’émergence de zones « grises », d’acteurs non étatiques, de conflits
irréguliers ou « asymétriques ».

La nécessaire articulation entre puissance, géoéconomie


et géopolitique
Au cours des siècles, on a assisté à un déplacement géographique du centre
de gravité de l’économie-monde dominante : d’abord au sein même de
l’espace européen puis, progressivement, de l’Europe à l’Amérique du Nord
après la Première Guerre mondiale. Mais ce processus donne lieu, au sein
même des économies-monde capitalistes dominantes, à une concurrence, plus
ou moins conflictuelle et féroce, pour la redéfinition et la maîtrise de
l’hégémonie mondiale (cf. les deux guerres mondiales de 1914-1918 et 1939-
1945).
Dans cette perspective alternent des phases de stabilité et d’instabilité
structurelle, selon les rapports de force géoéconomiques et géopolitiques
entre économies-monde prétendant au leadership d’une part, entre celles-ci et
le reste des dispositifs planétaires d’autre part. Les périodes d’instabilité
doivent être lues comme des périodes de crise structurelle des économies-
monde dominantes qui débouchent sur des désordres internationaux. Dans
cette optique, la mondialisation de 1850 n’est pas celle des années 1960,
ni celle des années 1980.
Le grand intérêt de la période actuelle réside dans la rupture multiséculaire
qui s’opère sous nos yeux. Les crises ouvertes entre 2000 et 2007 peuvent
être définies comme des crises systémiques de l’hégémonie mondiale mettant
fin à un cycle historique qui superpose deux temporalités : un premier cycle
de moyenne durée d’un tiers à un demi-siècle concernant l’hégémonie états-
unienne, un second cycle beaucoup plus long, car multiséculaire, qui met
fin au monopole hégémonique des pays occidentaux sur l’espace mondial
symbolisé par les Grandes Découvertes à partir de 1492.
La crise actuelle s’articule à une triple logique : crise du nouveau régime
international d’accumulation financière imposée au monde par les États-Unis
à partir des années 1970-1980 et alors pilier de la nouvelle phase de la
mondialisation ; crise des fondements de la révolution néoconservatrice et
néolibérale déployée à partir des années 1970 et généralisée dans les
années 1990 par les Républicains ; et enfin crise plus générale de l’imperium
géopolitique et géostratégique états-unien, ou l’impuissance relative de
la puissance.
À ce titre, la crise ouverte en 2007 marque bien la fin du XXe siècle
et l’entrée véritable dans le nouveau XXIe siècle. La question posée est celle
d’un changement de paradigme des modèles de développement d’un côté
et de structuration des équilibres mondiaux – dont l’émergence de la Chine et
la perte du monopole de la puissance par les Occidentaux ne sont que
des facteurs parmi d’autres – de l’autre.

La mondialisation : un dispositif systémique duel producteur


de profondes inégalités
À partir du postulat selon lequel la mondialisation, c’est d’abord du territoire,
on doit relever que non seulement il n’y a aucune réduction des
différenciations et singularités du monde, mais que la logique même de la
mondialisation est d’être à la fois une valorisation différenciée des
singularités du monde et elle-même productrice de nouvelles singularités.
L’intégration à la mondialisation est un processus producteur de profondes
inégalités à partir d’une double logique d’intégration/fragmentation d’un côté
et de marginalisation/exclusion de l’autre. Ainsi, dans l’espace du Grand
Sahara, la Mauritanie demeure marginale alors que le Qatar ou les
Émirats arabes unis se « démarginalisent » grâce à la mobilisation de la rente
pétrolière qui finance leur développement contemporain. L’inégalité et le
dualisme sont consubstantiels au mode de développement et à la valorisation
différenciée des territoires par le capital. La définition de l’appartenance de
telle ou telle région au centre, à la semi-périphérie ou à la périphérie repose
sur la capacité des territoires, des sociétés, des nations et des États à maîtriser
de manière endogène leurs processus d’accumulation interne et tout autant
leurs modes d’articulation au reste du monde. Cette question est éminemment
politique et géopolitique et pose de grandes questions de civilisation et de
géohistoire (cf. essor de la Chine, difficultés brésiliennes ou indiennes
actuelles).
Les grandes puissances dominantes rassemblent les États qui contrôlent
l’essentiel du pouvoir politique et économique, possèdent les capitaux et
maîtrisent les technologies et l’information. Les périphéries intégrées
fournissent soit des matières premières agricoles, minières et énergétiques,
soit une main-d’œuvre à bon marché pour des productions industrielles
(textile, électronique grand public…) ou des services (centres d’appels…)
réexportés dans le cadre d’une division internationale du travail toujours plus
large, plus fine et exacerbée.
Les marges évitées rassemblent soit les pays n’ayant rien à offrir aux
puissances dominantes, soit des pays ravagés par l’instabilité politique et les
guerres civiles. La grande nouveauté stratégique des dernières décennies
réside dans le fait que l’implosion étatique, sociale et économique de ces
marges peut devenir dangereuse pour les équilibres géostratégiques
mondiaux du fait de leur total abandon (Afghanistan, Asie centrale, écharpe
septentrionale de l’Afrique subsaharienne…). Cela explique alors parfois un
processus de réinvestissement stratégique (cf. France au Sahel). Soulignons
enfin que ces catégories n’ont rien de stable et de définitif comme en
témoigne l’émergence de nouvelles puissances.

Les trois mondialisations : dynamiques


et héritages

Les apports de la géohistoire et de l’histoire globale

L’étude de la mondialisation comme processus multiséculaire permet


d’identifier trois grands stades géohistoriques. La première mondialisation
avec les Grandes Découvertes de la Renaissance, portée par le capitalisme
marchand, boucle le monde du fait de la captation puis de l’intégration des
Amériques. La deuxième mondialisation – fondée sur la colonisation par le
monde occidental des trois quarts de la planète – repose sur la révolution
industrielle et la transition démographique que connaît l’Europe au XIXe siècle,
une période qui s’achève seulement dans les années 1950-1970. Et, enfin, la
troisième mondialisation libérale, financière et dérégulée commence dans les
années 1970 : on passe d’un système international à un système mondial de
plus en plus intégré. Sommes-nous aujourd’hui entrés dans une quatrième
mondialisation ?
Dans un monde de plus en plus complexe et face à la dictature de
l’évènementiel et de l’immédiateté, de nombreux acteurs, y compris les
firmes transnationales, redécouvrent l’importance de la prise en compte des
échelles temporelles de la géohistoire (construction des sociétés et des États,
structuration des territoires, dynamiques des cultures…). Elles permettent en
effet de comprendre le poids des héritages (cf. castes en Inde ou réseaux des
guanxi en Chine…), les profondeurs temporelles des structures territoriales
(tracé des frontières, populations et migrations, systèmes urbains…) et la
non-linéarité des processus spatiaux dans l’analyse des dynamiques
géoéconomiques, géopolitiques et culturelles.
Dans ce cadre, Christian Grataloup [GRATALOUP, 2007 et 2009] a largement
travaillé sur la géohistoire de la mondialisation, en critiquant la vision
autocentrée du monde occidental et en mettant en débat le rôle de l’Europe
dans le découpage du monde ou dans la promotion de périodisations
(Antiquité, Moyen Âge, époque moderne) très relatives et inadéquates pour
penser l’histoire à l’échelle mondiale. Ce travail participe d’un mouvement
plus général, chez les historiens, de promotion d’une novatrice histoire
globale qui renouvelle en profondeur notre connaissance et analyse les
différentes mondialisations comme en témoignent, par exemple, les
publications de Serge Gruzinski [2004], Olivier Pétré-Grenouilleau [2004],
Patrick Boucheron [2009], François Gipouloux [2009], Philippe Beaujard
[2009], Philippe Norel et Laurent Testot [2012 et 2015] ou François-Xavier
Fauvelle-Aymar [2013], ou Alya Aglan et Robert Frank [2015] en France et
Sanjay Subrahmanyam [1993], Nayan Chanda [2007] ou Dipesh Chakrabarty
[2009] en Asie.

Les trois mondialisations : un phénomène ancien profondément


renouvelé

Dès l’Antiquité, la construction de grands empires (Chine, Rome…), plus ou


moins éphémères, commence à façonner, sur de vastes échelles
géographiques, certaines économies régionales marchandes qui deviennent
ainsi des « économies-monde » partielles. Parfois interconnectées, elles
entretiennent les unes avec les autres des flux de richesses et d’hommes
considérables, structurés par de grands axes terrestres (Route de la soie, pistes
transsahariennes…) ou maritimes (Asie du Sud-Est, Méditerranée). Les
concurrences économiques et technologiques commencent à jouer un rôle
certain. L’empereur Justinien Ier envoie en Asie au VIe siècle apr. J.-C. des
espions qui ramènent de Chine vers Byzance des œufs de vers à soie…

La première mondialisation : l’élargissement à de nouveaux horizons


de la période moderne
Mais l’établissement de véritables économies-monde telles que les définit
Braudel apparaît en Europe occidentale à l’Époque moderne. Celles-ci
émergent sous la forme d’un capitalisme marchand (foires de Champagne) ou
bancaire (fortune des Fugger en Allemagne, des Médicis à Florence,
banquiers des papes et des souverains au XVe siècle, invention des lettres de
change…) d’origine urbaine (Venise, Gênes). Cela intervient dans un champ
international et fonctionne en réseaux superposés à des bases agricoles et
artisanales largement dominantes, dans un cadre socio-économique et
territorial dualiste. Ce passage progressif d’économies de marchés à une
économie de marché en Europe occidentale est inséparable de l’extension
géographique de la domination européenne à l’ensemble du monde, qui a
débuté avec les Grandes Découvertes.
Cet essor européen associe étroitement d’extraordinaires avancées
techniques, des interventions étatiques et des intérêts marchands et
précapitalistes. Progressivement, cette pénétration militaire puis économique
s’accompagne d’un transfert géographique du modèle européen dans les
Amériques et de la destruction d’une partie des anciens réseaux économiques
et commerciaux internationaux préexistants en Afrique (pistes
transsahariennes) ou en Asie (Route de la soie). Ainsi, les conquérants
lusophones s’empareront des comptoirs omanais dont les flottes régnaient
depuis plusieurs siècles sur le golfe Arabo-Persique et tout l’océan Indien, de
Zanzibar à Canton, en transportant des épices, des étoffes ou des esclaves.
Dès cette première mondialisation qui voit le bouclage du monde par la
« capture des Amériques » jusqu’ici isolées, apparaissent, par l’Europe, des
problématiques très actuelles. Les centres de commandement et d’impulsion
de l’économie mondiale glissent du Portugal et de l’Espagne (XIVe et
e e e
XV siècles) en Hollande (au début du XVII siècle) puis au Royaume-Uni (XVIII

et XIXe siècles). De 1500 au milieu du XXe siècle, entre 75 et 80 millions


d’individus alimentent les flux migratoires internationaux liés à l’expansion
européenne (émigrants européens vers les Amériques, traite négrière, main-
d’œuvre asiatique des plantations…). Dans les transports, le déplacement des
grandes routes puis des voies maritimes et ferrées redistribue les polarisations
logistiques, en ruinant ou, au contraire, en développant des pôles et des
réseaux.
Colonisation, marché, culture et géopolitique :
l’« énigme chinoise »
C’est dans ce contexte général qu’il convient de s’interroger sur ce que l’on
pourrait dénommer bien rapidement l’« énigme chinoise ». En effet, si en
1492, la traversée de l’Atlantique par Christophe Colomb apparaît à ses
contemporains comme un exploit extraordinaire qui va lancer l’Europe
occidentale à la conquête des Amériques, quelques décennies auparavant –
entre 1405 et 1433 –, l’amiral chinois Cheng Ho, à la demande du nouvel
empereur Ming Yongle, lance sept grandes expéditions navales et atteint
l’Inde, l’Arabie et les côtes africaines. Il s’agit donc d’un périple plus
extraordinaire encore que celui de Colomb réalisé de plus avec des moyens
à la hauteur de l’énorme puissance démographique (25 % de la population
mondiale), économique et technologique de la Chine d’alors : des flottes de
300 navires et 27 000 hommes. Mais dès 1433, un nouvel empereur met
brutalement fin à ces expéditions, interdit toutes relations d’envergure avec
l’étranger et la construction de bateaux de haute mer pour privilégier la
fermeture de la Chine sur elle-même. Tandis que Vasco de Gama atteint les
Indes en 1498 et que le Traité de Tordesillas partage le monde à découvrir
entre l’Espagne et le Portugal.
Ce grand fait géopolitique constitue un basculement majeur dans les
équilibres du monde. Mais il illustre surtout le fait que l’étude et l’analyse de
la mondialisation et de ses dynamiques doivent mobiliser l’ensemble des
champs civilisationnels, car il n’y a en fait aucune énigme chinoise, au-delà
de difficultés conjoncturelles (pressions mongoles aux frontières), mais bien
l’existence de systèmes politiques, géopolitiques, religieux, culturels et
économiques diamétralement opposés dans leurs conceptions des rapports
aux temps et à l’espace entre système chinois et occidental. C’est d’ailleurs
pourquoi Lacoste souligne le fait que la mondialisation peut être aussi conçue
comme une « représentation géopolitique occidentale du monde » alors que
Thierry Sanjuan insiste, pour sa part, sur l’existence d’une conception
chinoise autocentrée d’un certain type de mondialisation qui va entrer
brutalement en conflit puis en crise lors de l’irruption des Occidentaux en Asie
sinisée.
Dans la finance, alors que l’on trouve les premières traces de réassurance à
Gênes au XVIe siècle, London Stock Exchange, la bourse de Londres, est
inaugurée officiellement en 1801. Mais un marché financier moderne y était
apparu dès 1553 avec la première « entreprise commune d’actions » fondée
pour mobiliser des fonds afin d’armer des navires de commerce vers la
Chine. En 1694, Guillaume II lance une souscription publique qui aboutit à la
création de la Banque d’Angleterre afin de financer sa guerre contre la
France. À Wall Street, à New York, l’indice Dow Jones est créé en 1884. Le
premier système de conseil monétaire, ou currency board – qui établit un lien
fixe entre une monnaie nationale dominée et une devise de référence –, est
établi en 1849 à l’île Maurice. À Istanbul, les banquiers juifs, arméniens ou
grecs, installés dans le quartier de la Tour de Galata, créent en 1853 la
première bourse afin de financer l’économie de l’Empire ottoman et la guerre
de Crimée (bons du Trésor, marché d’actions…). Les vagues de spéculation
sur une innovation font déjà partie du champ économique comme en
témoigne la spéculation sur les bulbes de tulipe originaires d’Asie et
introduits au XVIIe siècle aux Pays-Bas. Menée par une bourgeoisie
commerçante, enrichie par le commerce des Indes et la circulation de l’argent
tiré des mines américaines, elle s’achève dans un véritable krach en 1637.
Déjà de grandes entreprises internationales remodèlent certains territoires.
East India Company ou Honourable Company (une compagnie commerciale
privée britannique) parvient à contrôler l’Inde de 1757 à la grande mutinerie
des Cipayes de 1857-1858, qui oblige la Couronne à reprendre en main
la tutelle directe. Elle joue aussi un rôle essentiel dans l’ouverture forcée de la
Chine impériale, au début du XIXe siècle, pour y trouver de nouveaux marchés
pour l’opium qu’elle produisait en Inde (guerres de l’opium). De 1596
à 1760, un « empire du négoce », qui fonctionne sans base territoriale, se met
en place en Insulinde : à la dissolution de la VOC (Compagnie néerlandaise
des Indes orientales) en 1799, l’État batave prend en charge le contrôle direct
de ses possessions. Dans la banque d’affaires, le réseau familial des
Rothschild se structure dès la seconde moitié du XVIIe siècle en Europe
occidentale et centrale, en s’installant simultanément à Londres, Paris,
Vienne, Francfort et Naples.
Enfin, la logique de protection d’un monopole ou d’un avantage
comparatif, qui tend à bloquer la diffusion d’une innovation dans l’espace, est
une permanence géoéconomique. Elle se traduit souvent par le montage de
vastes opérations d’espionnage dont la réussite a parfois eu des effets
territoriaux considérables. Dès le XVIIe siècle, des Européens dérobent des
graines de thé dans les « zones interdites » de l’Empire chinois. En 1870, un
Anglais ramène en contrebande à Liverpool des graines de l’hevea
brasiliensis qui permettront, quarante ans plus tard, à la production de
caoutchouc des plantations britanniques de Malaisie de supplanter enfin la
production brésilienne.

La deuxième mondialisation : révolution industrielle, colonisation


et firmes transnationales
Comme le démontrent les travaux de Karl Polanyi, malgré ses origines
lointaines, l’économie de marché dans son acception contemporaine, c’est-à-
dire capitaliste et mondiale, ne se développe que très progressivement,
comme l’étudie par exemple l’historienne Suzanne Berger [BERGER, 2003].
Elle ne s’affirme pleinement dans la société et l’économie européennes qu’au
e
XIX siècle. Elle suppose en effet la maturation des États-nations, la
constitution de bourgeoisies nationales et des progrès suffisants dans les flux
de transport et d’information.
Au-delà de caractéristiques générales communes, cette économie de
marché fut le résultat de constructions économiques, sociales et politiques à
base nationale dont les spécificités demeurent encore aujourd’hui des facteurs
de différenciation actifs.
Au tournant du XXe siècle règne une économie capitaliste déjà fortement
internationalisée et dominée par une Europe occidentale à son apogée
géopolitique et géoéconomique grâce à ses empires coloniaux et à la
diffusion géographique exceptionnelle des effets des révolutions industrielles.
Cela se traduit à la fois dans son degré d’ouverture, avec un taux
d’exportation (15 %) qui ne sera retrouvé que dans les années 1990, et dans
l’importance de ses exportations de capitaux : le Royaume-Uni possède alors
44 % du stock mondial de capital à l’étranger devant la France (20 %) et
l’Allemagne (13 %), contre 8 % seulement aux États-Unis.
Ce dynamisme associe très étroitement, dans une logique systémique,
révolution industrielle, scientifique et technique d’un côté et révolution
sanitaire et médicale et transition démographique de l’autre. L’effondrement
rapide de la mortalité face au maintien d’une natalité élevée au XIXe siècle et
au début du XXe siècle va ouvrir une fenêtre d’opportunité exceptionnelle aux
pays d’Europe occidentale. La forte hausse du stock de population et de
population active – que connaissent l’Asie ou l’Afrique aujourd’hui – va être
non seulement bénéfique au plan économique mais va permettre de peupler
les nouveaux Mondes (Amériques, Australie, Afrique du Sud…). Ceux-ci
sont ouverts par les armes et la conquête puis peuplés par des flux migratoires
considérables. Ainsi, étudier la mondialisation nécessite aussi d’analyser
la diffusion des processus de transition démographique dans l’espace
mondial.

Tableau 1.1 Évolution de la répartition


du PNB et de la population mondiale (%)

Europe Pays neufs* Reste du monde

PNB Pop. PNB Pop. PNB Pop.

1860 36 23 6 3 58 74

1910 42 23,5 25 6,5 33 67

*États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande.


Source : ETEMAD, 2000.

Les empires coloniaux couvrent alors les trois quarts de la planète. Ce


processus accompagne en effet le fait colonial, qui constitue une rupture
majeure par son importance géographique et sa durée. De 1750 à 1913, les
opérations de conquête concernent 162 territoires couvrant plus de
53 millions de km2. L’ensemble des guerres coloniales entreprises entre 1850
et 1941 par les puissances européennes représente un coût de 3 à 4 milliards
de dollars, soit de 0,2 à 0,3 % du PNB seulement. Le processus colonial
imprime alors sa profonde empreinte aux sociétés, cultures et territoire des
trois quarts de la planète (mines et agricultures, réseaux de transports, trames
et hiérarchies urbaines…), comme en témoignent les travaux de nombreux
géographes, notamment la Géographie universelle d’Élisée Reclus.
Dans ce contexte colonial, seuls le Liberia, la Chine, l’Afghanistan, l’Iran,
la Thaïlande, la Mongolie et la Turquie peuvent prétendre avoir échappé à
une colonisation immédiate et directe, mais au prix, souvent, d’une forte
sujétion économique. Dans ce contexte, il convient de souligner
l’extraordinaire exception nippone. Non seulement ce pays échappe à toute
domination, directe ou indirecte, mais il va, dès 1867, réussir, en s’inspirant
du modèle occidental, à devenir une puissance capitaliste moderne en un très
court laps de temps, à partir d’une brutale réaction impériale et étatique qui
fonde la révolution Meiji, et à se doter lui-même d’un vaste empire colonial
(Corée, Taïwan, invasion de la Chine).

Tableau 1.2 L’importance territoriale des grands empires


coloniaux

États Superficies (1 000 km2) Populations (millions)

1880 1913 1938 1880 1913 1938

Royaume-Uni 22 741 32 334 33 612 2 71 394,7 496,7

France 728 9 693 12 106 7,08 47,9 70,5

Pays-Bas 421 2 066 2 072 24,1 49,8 68,3

Portugal 190 822 2 110 1,8 5,6 10,6

Belgique 0* 2 350 5 404 0* 11 14,3

Allemagne 0* 2 953 0* 0* 12,4 0*

Italie 0* 2 020 3 425 0* 0,8 1

Japon 0* 296 299 0* 19,6 30,9

États-Unis 0* 328 328 0* 10 18,5

TOTAL 24 080 52 862 59 356 304 552 711

*Pas d’empire colonial.


Source : d’après ETEMAD, 2000.
Nées avec le capitalisme industriel, les firmes transnationales connaissent
un essor vigoureux dès la fin du XIXe siècle puis dans l’entre-deux-guerres.
Deux priorités apparaissent dès à présent. La première est d’assurer une
stratégie d’approvisionnement en matières premières agricoles et industrielles
dans le cadre des empires coloniaux. Dunlop cultive ainsi l’hévéa en
Malaisie, Michelin à Madagascar et en Indochine. Alors que la Compagnie
minière du Haut-Katanga s’implante en 1911 au Congo belge, Royal Dutch
exploite le pétrole de Sumatra. La relative faiblesse de l’empire colonial des
États-Unis ne doit pas faire illusion : la « politique du gros bâton » (big stick)
de Theodore Roosevelt transforme l’Amérique latine en chasse gardée, en y
multipliant les interventions militaires (en 1909 au Nicaragua, en 1912 à
Cuba…) afin de sauvegarder les intérêts américains (plantations agricoles,
chemins de fer, mines) comme en témoigne l’expression « républiques
bananières » (Standard Fruit et United Fruit au Honduras). Enfin, le pétrole
du Moyen-Orient est l’objet d’âpres rivalités impérialistes qui expliquent
certains découpages frontaliers lors du dépeçage de l’Empire ottoman, après
la Première Guerre mondiale.
La seconde priorité est de conquérir les marchés manufacturiers des pays
développés qui polarisent en 1914 un tiers du stock d’investissements directs
à l’étranger (IDE). L’Américain Singer s’implante ainsi industriellement, dès
1867 en Écosse puis en 1873 au Canada et en 1883 en Autriche, Bell en 1882
ou Ford en 1911 en Belgique. Avant 1911, de 3 à 6 % de la production
manufacturière mondiale sont réalisés par des filiales de sociétés
transnationales, contre 10 à 12 % en 1970. Mais les rivalités géopolitiques
interétatiques et la concurrence féroce entre les différents capitalismes
nationaux sont telles qu’éclate en 1914 la Première Guerre mondiale, dont
l’objectif essentiel vise à un nouveau partage impérialiste du monde. Elle
aboutit en 1918 à deux phénomènes majeurs : le transfert de l’hégémonie
capitaliste mondiale de l’Europe occidentale, exsangue, aux États-Unis ; la
révolution socialiste en Russie, qui devient l’URSS en 1924, et se présente
alors comme contre-modèle au système dominant.

La troisième mondialisation : le nouveau régime d’accumulation


financière des années 1970-2008
Après une période de crise structurelle et de repli entre 1914 et 1945,
fondamentalement liée aux gigantesques affrontements impériaux pour un
nouveau partage du monde que sont la Première puis la Seconde Guerre
mondiale, une troisième phase de la mondialisation débute à partir des
années 1970 sous l’impulsion pour l’essentiel des pays anglo-saxons. Mais
l’apparition de l’arme nucléaire entre 1945 et 1950 interdit à l’avenir un
nouveau conflit mondial frontal entre grandes puissances, sous peine de
destruction complète de l’humanité. Ce gel géostratégique débouche donc sur
la guerre froide, parfois très chaude comme en Corée (1950-1953), à Berlin
(1958-1963) ou lors de la crise de Cuba (1962).
On passe alors d’une économie internationale reposant sur l’échange de
biens et de services entre États-nations à une économie multinationale
privilégiant les investissements directs à l’étranger et la mobilité
géographique croissante des activités productives pour, enfin, déboucher sur
une économie-monde aux interdépendances plus étroites mais profondément
asymétriques. En particulier, le capital financier en vient à occuper une place
tellement démesurée que l’on peut parler à l’échelle historique d’un nouveau
régime d’accumulation financière à partir des années 1980. Loin d’être une
fatalité, ce phénomène géographique s’explique par des facteurs d’ordre
politique et économique. Son organisation et son contenu libéral sont alors
définis par les grands organismes internationaux (FMI, OMC, OCDE,
Banque mondiale…) sous l’impulsion des États les plus puissants – en
particulier les États-Unis – qui les mettent en place et les composent. C’est ce
système qui s’effondre en 2007-2008, débouchant sur la plus grave crise
économique et financière mondiale depuis 1929.

Vers une quatrième mondialisation vs démondialisation ?


Pour autant, le recul des capacités hégémoniques occidentales et l’émergence
de nouvelles puissances reconfigurant l’architecture mondiale, l’essor sans
précédent des innovations (Internet, Cloud…), la montée des enjeux
environnementaux et des débats sur les biens publics mondiaux, les nouvelles
logiques de cloisonnement, enfermement ou fermeture (cf. retour des
frontières de Michel Foucher) peuvent-ils être caractéristiques de l’entrée
dans un quatrième stade de la mondialisation ? Si le terme de
démondialisation rencontre un certain succès médiatique, il concerne pour
l’essentiel des débats très occidentalo-centrés et témoigne alors soit d’une
critique radicale de la mondialisation libérale, soit d’un profond désarroi de
ses promoteurs face aux mutations du monde.
La boîte à outils : terminologie, démarches
et débats

Définitions et terminologie en débat

Étudier la mondialisation en géographie oblige à dépasser les incertitudes


terminologiques dont elle est l’objet, en clarifiant quatre grands termes
souvent mobilisés dans les débats.

Mondialisation
Comme nous l’avons vu, la mondialisation peut être définie comme le
processus historique d’extension progressive du système marchand puis
capitaliste dans l’espace géographique mondial. Il débouche sur la
construction à chaque étape historique d’un système géoéconomique,
géopolitique et géostratégique spécifique. Dans une démarche
pluridisciplinaire, la géographie insiste tout particulièrement sur la dimension
spatiale et territoriale du phénomène. Le territoire peut être défini comme la
portion d’espace occupée, délimitée et bornée, organisée, aménagée et mise
en valeur par une société humaine. Il est donc le fruit historique d’un projet
collectif à la fois géopolitique, culturel, social et économique.
Cette démarche permet de dégager des logiques, des dynamiques et des
constructions territoriales s’articulant à différentes échelles. Surtout, elle fait
de la mondialisation un concept opératoire visant à expliciter les dynamiques
contemporaines, en identifiant clairement les acteurs et les logiques.

Globalisation
Issu de l’anglais globalization, ce terme est souvent employé à tout propos
dans l’espace francophone car il n’existe pas en anglais de terme équivalent à
celui de mondialisation. La langue française disposant de deux termes,
mondialisation et globalisation, ce dernier peut être utilisé mais en étant
redéfini dans un cadre plus restreint. La globalisation s’intéresse alors plus
spécifiquement à la fois au fonctionnement de notre planète, le globe
ou le système-Terre de Dollfus, et à l’étude de toutes les interactions entre les
milieux physiques, l’environnement et les sociétés humaines.
Celles-ci, affectant le fonctionnement de l’espace terrestre, exigent donc en
retour des réponses globales et coordonnées à l’échelle planétaire. Le champ
d’étude de la globalisation est considérable : réchauffement climatique
planétaire, mise en valeur et modes de gestion des ressources renouvelables
et non renouvelables (eau, richesses halieutiques, énergies, fronts pionniers et
valorisation des terres vierges, désertification…) et sans doute plus largement
de certaines grandes questions sanitaires (grandes épidémies comme
le sida…) ou sociétales.

International
Ce terme renvoie à la dynamique des relations et interactions se déployant
dans les relations interétatiques entre États : logiques de puissance et de
domination, régulation des conflits et coopérations, réalité de la
« communauté internationale », etc. Si les discours ultralibéraux des
années 1980-1990 ont largement mis l’accent sur le dépérissement ou la
marginalisation des États-nations et le « désarmement étatique », ces
représentations ont été depuis balayées par le retour du réel dans l’actualité, y
compris au plan géoéconomique.
La situation internationale actuelle et les débats qui l’accompagnent sur
l’organisation des équilibres mondiaux ou le pilotage des grandes instances
internationales et intergouvernementales (ONU, OMC, Banque mondiale,
FMI…) témoignent de la vitalité de cette question. De la guerre ou de la paix,
de la solidarité et de la coopération ou de la confrontation, l’architecture de
l’ordre mondial et la nature de la mondialisation sont bien en débat. Le
mondial peut-il n’être alors que la conséquence des jeux de force
internationaux ? Non, l’un est irréductible à l’autre, comme le montre le
nécessaire et permanent recours à l’universel.

Universel/universalisation
Cette terminologie témoigne de l’essor de nouvelles problématiques dans les
champs politiques, juridiques ou sociétaux qui intéressent l’ensemble des
civilisations et sociétés humaines. Elle est actuellement porteuse de sens, de
tensions, de contradictions et de potentialités. Dans ce champ, le processus de
mondialisation repose sur une contradiction permanente. D’un côté, la
mondialisation forge un système mondialisé duel, polarisé et hiérarchisé qui
n’est en rien mondial, c’est-à-dire universel, tant sont exclus nombre d’États
et de peuples de la définition de son architecture et de ses finalités et tout
autant du partage et de l’usage de ses richesses. De l’autre, tous les grands
acteurs dominants contemporains – des vieux Empires britannique et français
à la Russie communiste et aux États-Unis – se sont habillés ou drapés à un
moment ou à un autre dans l’universalité de leur modèle.
Ces prétentions se heurtent aujourd’hui à des obstacles ou résistances de
plus en plus nombreux comme en témoigne l’affirmation de projets
d’universalité fragmentée dont sont porteurs, par exemple, les mouvements
islamistes radicaux. Face aux crises actuelles et aux défis que doit relever
l’humanité, jamais l’exigence d’universalité n’a été aussi impérative. Un
vaste débat est engagé concernant ce qui a trait à l’universel, c’est-à-dire les
valeurs et projets partagés par l’ensemble des habitants de notre globe. Si
l’élaboration difficile et progressive d’un droit ou de références à vocation
universelle a progressé depuis 1945 (cf. Déclaration des droits de l’Homme,
nouvelle Cour pénale internationale…), le chemin, qui reste à parcourir, est
considérable. Sur celui-ci, le système onusien est peut-être en définitive le
mieux armé pour définir et promouvoir un nouveau droit sociétal à vocation
réellement universelle (Bureau international du travail, UNESCO,
Organisation mondiale de la santé…).

Les concepts en débat : la question du développement


en exemple

La question de la boîte à outils conceptuelle mobilisée pour analyser la notion


de développement est un bon exemple à la fois du processus de création de
nouveaux mots, de leur forte historicité et des enjeux politiques, idéologiques
et géopolitiques dont ils sont porteurs dans le cadre des débats contemporains
sur la mondialisation.
Le terme « pays sous-développés » est promu par le président des États-
Unis Harry S. Truman à la tribune de l’ONU le 20 janvier 1949 dans le cadre
d’un plan d’aide aux underdeveloped countries qu’il souhaite intégrer à la
sphère d’influence occidentale. Son objectif vise à présenter l’American Way
of Life comme modèle universel face au prestige acquis par le modèle
communiste soviétique à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, alors que la
guerre froide est déjà très chaude et que la Chine bascule avec l’arrivée
de Mao au pouvoir.
Le terme « tiers-monde » est promu par le démographe français Alfred
Sauvy en août 1952 dans l’hebdomadaire français L’Observateur, en
référence au tiers-état. Puis, il est repris dans une publication de l’INED en
1956. Connaissant alors un fort succès, il est mobilisé par la Conférence de
Bandoeng de 1955 pour refuser les logiques de bipolarisation introduite par la
guerre froide dans le cadre de la décolonisation et de la montée du
mouvement des non-alignés. Il devient une clé de lecture majeure de
l’architecture mondiale, en acquérant une réelle autonomie face au contexte
et aux objectifs initiaux de son concepteur.
Le terme « pays en développement » apparaît après la crise de 1973
à l’occasion des débats sur la promotion nécessaire d’un « nouvel ordre
économique mondial » et est largement mobilisé par certaines institutions
internationales de l’ONU (FAO, CNUCED, BIT, OMS). Dans les
années 1980, il est décliné en « pays en voie de développement », « pays les
moins avancés » (PMA), « nouveaux pays industrialisés » (NPI).
Le terme « Sud » – face au « Nord » – est promu en 1980 dans un rapport
sur les problèmes de développement (« Nord/Sud : un programme de
survie ») présidé par le social-démocrate allemand Willy Brandt pour qui le
clivage Nord/Sud est alors devenu plus structurant que le clivage Ouest/Est
de la guerre froide. Le Nord correspond à de grands ensembles dominants
(États-Unis, Canada, Europe occidentale, Japon et, dans une moindre mesure,
Europe centrale, orientale et URSS) et à leurs annexes de l’hémisphère sud
(Australie-Nouvelle-Zélande). Le Sud correspond aux anciens espaces soit
directement colonisés d’Asie ou d’Afrique, soit dominés d’Asie (Chine), du
Proche et Moyen-Orient et d’Amérique latine. La fracture Nord/Sud est à la
fois une photographie des différentiels économiques, démographiques et
sociaux, mais tout autant un panorama des rapports de domination politique
et géopolitique. C’est cette articulation qui est partiellement remise en cause
par l’émergence dans les années 2000 de nouvelles puissances continentales
ou régionales issues du Sud, alors que celui-ci éclate en trajectoires de plus
en plus diversifiées [LOMBART, 2006]. Pour autant, la question du
développement demeure toujours un enjeu majeur, l’insertion dans la
mondialisation reposant bien sur des conditions et des modalités toujours
différenciées et selon des différences de nature et d’intensité. À PIB/habitant
égal, la Norvège n’est pas le Koweït et la République tchèque n’est pas la
Guinée équatoriale. On parle aujourd’hui de plusieurs « Suds » face aux
« Nords ».
Le terme « pays émergents » est promu au début des années 1990 par le
financier Antoine van Agtmael de la Bankers Trust de New York pour
identifier les nouveaux lieux d’investissement. Il est très vite repris et diffusé
par la Banque mondiale qui va distinguer les zones de marasme (cf. la
« décennie perdue » en Afrique) et les pays connaissant un décollage
économique (Brésil, Mexique, Corée du Sud, Chine…). Il est aujourd’hui
utilisé pour définir les États, autrefois dominés, qui se hissent aux rangs de
puissances mondiales, continentales ou régionales.
Le terme de BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) est
promu par le financier Jim O’Neill, économiste en chef de la banque
d’affaires américaine Goldman Sachs de New York en novembre 2001, pour
identifier un nouveau groupe de pays où investir. Il insiste sur leur poids
démographique et économique et leurs dynamiques (40 % de la population,
16 % du PNB mondial). On va observer depuis se multiplier ce type
d’acronymes fait de bric et de broc, mais si facile à utiliser. Cependant,
réduire la complexité du monde à une marque de lessive, est-ce bien
raisonnable ?
Au total, cette liste témoigne des ruptures introduites dans la production
des concepts. Si dans les années 1950-1980, ils sont produits par des hommes
politiques ou des chercheurs, les grandes banques d’affaires nord-
américaines, et plus largement le capital financier anglo-saxon, prennent le
relais dans les années 1990-2000. Que ces dernières soient ainsi en capacité
de produire et d’imposer au monde leur vocabulaire et leurs représentations
géopolitiques de la mondialisation, renseigne sur la vitalité et la puissance de
séduction du soft power nord-américain malgré la crise actuelle et impose un
minimum de regard critique dans l’usage fait de cette terminologie. Doit-on
penser le monde comme un banquier d’affaires de New York ? Rien n’est
moins sûr…

Territoires, emboîtements d’échelles et grands ensembles


spatiaux
À la suite des travaux du géographe Yves Lacoste en géopolitique, la
mondialisation doit être analysée dans ses composantes et ses dynamiques à
travers une approche articulant pavages et réseaux, emboîtement
systématique des différentes échelles géographiques et grands ensembles
spatiaux.

Pavages et réseaux
Premièrement, le concept de territoire peut se décliner selon deux logiques en
interaction : une logique de pavage de l’espace terrestre que l’on pourrait
qualifier d’horizontale (par une communauté, une collectivité, une fonction
économique, un État ou groupe d’États, une langue ou religion…), une
logique réticulaire que l’on pourrait qualifier de verticale avec des mises en
réseaux pérennes ou temporaires par de nombreux acteurs (réseaux des
firmes, logistiques et des échanges, migratoires ou diasporiques…).

Emboîtements d’échelles
Deuxièmement, loin de se réduire à une simple et réductrice articulation
locale/mondiale, symbolisée par le terme « glocal » initié par le PDG de Sony
dans les années 1980, l’étude de la mondialisation doit avoir recours
systématiquement au jeu des emboîtements d’échelles comme outils
fondamentaux d’analyse du fait de la validité et de la pertinence des échelles
locales, régionales, nationales et continentales. Aucune n’est invalidée ou
court-circuitée. Chacune d’entre elles, de par ses spécificités, est amenée à
jouer un rôle dans les stratégies territoriales des différents acteurs
(collectivités territoriales, États, firmes transnationales, ONG…).

Ordres de grandeur
Enfin, troisièmement, l’analyse de l’insertion des territoires dans la
mondialisation doit aussi mobiliser une approche par grands ensembles
spatiaux organisés selon différents ordres de grandeur. En effet, un espace ou
un lieu se rattachent simultanément à un dispositif continental (1er ordre de
grandeur de milliers de kilomètres), à un dispositif subcontinental ou étatique
(pour les grands États), à un dispositif régional ou provincial (3e et 4e ordres
de grandeur) ou local (5e ordre de grandeur). Ces ensembles spatiaux sont de
multiples qualités mais participent à titres divers de son identité et de sa
fonctionnalité. Ce peut être des espaces naturels (zone bioclimatique,
maritime, reliefs, couvert végétal, répartition d’un peuplement), des espaces
culturels (linguistiques, historiques, religieux), des espaces politiques ou
administratifs (État, région, province…) ou économiques (spécialisations
sectorielles ou fonctionnelles, zone monétaire, de libre-échange…). Mais, ce
peut être aussi des entités beaucoup plus abstraites (pays en développement,
monde occidental, monde arabo-musulman, Commonwealth, francophonie,
mondes sinisé, indien, slave ou ibérique…). Selon le contexte, tous sont
porteurs de sens.

Finitude du monde, modèle de croissance et développement


durable

Du fait de l’extension séculaire des sociétés et économies humaines à la


surface du globe, la question de la finitude du monde est un enjeu de
première importance pour l’avenir de l’humanité. Du fait d’immenses besoins
et de l’essor de technologies nouvelles, une des principales ruptures
introduites par la mondialisation contemporaine est qu’il n’existe plus
aujourd’hui d’espaces massifs potentiels d’expansion géographique pour le
capitalisme. Alors que s’épuisent les derniers grands fronts pionniers (Grand
Nord arctique, Amazonie, Asie du Sud-Est…), les espaces en réserve sont
limités pour mobiliser de nouvelles ressources, ou le font alors au prix de
prouesses techniques et technologiques croissantes et d’une mobilisation de
capitaux toujours plus considérable (off shore profond pour les
hydrocarbures, gaz de schiste…).
Ainsi, comme en témoigne depuis quelques décennies la montée
des enjeux maritimes – géoéconomiques et géopolitiques, liés au processus
de territorialisation des mers et océans par les États riverains –, le processus
de dilatation spatiale des nouveaux espaces de conquêtes peut déboucher sur
de nouvelles conflictualités, s’il n’est pas inscrit et négocié dans un cadre
juridique international.
Cette finitude géographique du monde pose en effet de redoutables
problèmes d’adaptation car elle suppose pour l’humanité de rompre avec un
mode de croissance multiséculaire au final très extensif et largement
prédateur. Celui-ci fut et reste largement fondé jusqu’ici sur l’exploitation
d’espaces nouveaux et la consommation de ressources nouvelles non
renouvelables. Il est devenu impératif de promouvoir un mode de
développement plus intensif et plus économe, dans un monde aujourd’hui
toujours plus interdépendant mais peu coopératif et si peu solidaire.
Les nouvelles interdépendances nées de la mondialisation posent de
manière inédite la question de nos modèles. Il nous faut passer d’une
croissance extensive et court-termiste à un nouveau modèle de
développement durable, c’est-à-dire pérenne, équilibré et solidaire. Le grand
défi est de réarticuler, de manière opératoire, environnement, économies,
sociétés, territoires et citoyenneté, donc démocratie sociale et politique à
travers de nouvelles exigences d’universalité. Un véritable enjeu de
civilisation, alors que nous rentrons dans le XXIe siècle.
Chapitre 2

Crises et basculements du monde :


clés géoéconomiques
et géopolitiques

À LA SUITE DE L’HISTORIEN Fernand Braudel ou du géographe Yves Lacoste, l’étude


et l’enseignement de la mondialisation nécessitent de la concevoir comme un
processus géohistorique se déployant depuis le XVe siècle à la surface du
globe. Il se caractérise par une succession de systèmes, historiquement datés,
définissant la nature et l’architecture de l’ordre mondial (quel[s] hégémon[s],
impérialismes, rivalités, coopérations et réseaux d’alliances, etc. ?). Ces
systèmes successifs reposent sur trois grands piliers interdépendants :
géoéconomique, géopolitique et géostratégique.
Analyser la mondialisation oblige donc à réfléchir au concept de
puissance(s) et à l’équilibre des puissances (système hégémonique, bipolaire,
multipolaire…) qui pavent l’espace mondial et en organisent les champs
de forces. C’est dans ce cadre général qu’il convient de replacer la question
de l’émergence et des pays émergents, aujourd’hui en débat, et qui traduit
l’affirmation d’un nouveau monde polycentrique.
Nous sommes en effet en train d’assister à un spectaculaire changement
des paradigmes structurant les grands équilibres organisant la mondialisation.
Comme la Guerre de 1914-1918 signait l’entrée dans le XXe siècle, la crise
ouverte en 2007-2008 signe l’entrée véritable dans le XXIe siècle. Pour en
comprendre les dynamiques, la mobilisation de clés d’analyse
géoéconomiques, géopolitiques et géostratégiques est indispensable.

De grands défis : démographie, développement,


inégalités et durabilité
Le monde contemporain connaît ces dernières décennies de profonds
bouleversements qui transforment l’architecture du système mondial. En
particulier, la croissance démographique et l’explosion des inégalités sociales
et territoriales posent la question brûlante d’un développement enfin durable
et solidaire.

Démographie : les enjeux d’un développement enfin durable


et solidaire

Croissance démographique : 9,7 milliards d’hommes en 2050


En un tiers de siècle, la population mondiale a augmenté d’un tiers pour
atteindre 7,3 milliards d’habitants en 2015 et sans doute 9,7 milliards en 2050
(+ 32 %). Si la représentation géopolitique catastrophiste d’un monde
surpeuplé (bombe « P »), où les équilibres entre besoins et ressources seraient
rompus, n’est plus heureusement d’actualité, ce processus pose quand même
de nouvelles questions géopolitiques et géoéconomiques en lien avec la
refonte des équilibres entre grands foyers de peuplement à la surface du
globe.
Alors que les populations des Nords devraient tomber de 18 à 11 % de la
population mondiale entre 1980 et 2050, celles des Suds passeraient de 3,6 à
8,7 milliards d’habitants. En 2050, l’Inde comptera 1,6 milliard d’habitants,
devant la Chine (1,3), le Nigeria (411 millions), les États-Unis (397),
l’Indonésie (322), le Pakistan (311), le Brésil (231), la République
démocratique du Congo (216), le Bangladesh (202) ou l’Éthiopie (191).
Mesurons-nous bien les énormes tensions internes et enjeux de
développement endogène posés par ces froides statistiques ?
La diffusion géographique de la transition démographique est le moteur
essentiel de ces changements : à l’échelle mondiale, le taux brut de natalité
est tombé de 28,5 ‰ en 1980 à 19,6 ‰ en 2015, et le nombre d’enfants par
femme de 3,6 à 2,5. Mais cette transition demeure géographiquement très
inégale, et ce à toutes les échelles, du fait d’une pluralité de trajectoires. Alors
qu’elle est achevée dans les pays développés, elle s’accélère dans certains
Suds (Chine, Amérique du Sud…) du fait de l’allongement de l’espérance de
vie, de l’adoption de politiques volontaristes (Chine, Indonésie, Brésil,
Mexique), des progrès sanitaires et de la baisse de la mortalité infantile et
enfantine qui réduit la demande d’enfants, des progrès de la scolarisation, en
particulier des filles, et plus généralement de changements socio-
économiques (hausse des niveaux de vie, urbanisation, hausse des coûts
d’éducation, progrès de la protection sociale…). Mais elle demeure à peine
entamée dans de nombreux pays en mal-développement ou frappés par les
crises et les conflits, en particulier en Afrique subsaharienne. Les moins de
15 ans représentent 26 % de la population à l’échelle mondiale, mais 41 % en
Afrique, 45 % en Afghanistan, 40 % en Irak, 29 % en Inde, contre seulement
17 % en Chine et 12 % au Japon.

Tableau 2.1 L’évolution des équilibres démographiques


planétaires (millions d’habitants et %)

*2050 : prévisions.
Source : ONU, 2019.

Une Afrique subsaharienne sous tension :


démographie, blocages et montée des tensions
La première des spécificités africaines est que les contradictions y sont
accentuées (ce qui ne signifie pas déterminées) par une croissance
démographique exceptionnelle. L’accroissement démographique et
l’étalement du peuplement rétractent les espaces de desserrement, ces
fronts pionniers qui avaient longtemps permis l’externalisation des
contradictions, par la scissiparité géographique, l’extensification productive et
la prise de distance politique. En l’absence de changement de système
technique agraire, la saturation démographique des terroirs accroît les
tensions socio-économiques. « La forêt mangée », « la terre finie », « le
monde plein » font qu’il ne reste nulle part où s’enfuir, nul front pionnier où
s’installer, nul désert où construire une utopie, les hommes se heurtant de
plus en plus les uns aux autres, mettant à l’épreuve les mécanismes de
régulation des conflits ruraux, rappelant à la mémoire des offenses parfois
anciennes.
Source : d’après CALAS B., 2011, « Introduction à une géographie des conflits
en Afrique », Cahiers d’Outre-Mer, no 255, p. 310.

Si, au XIXe siècle, l’Europe a connu des phénomènes similaires, elle y a


répondu par la conquête des trois quarts de l’espace mondial, sous formes
coloniale ou migratoire (cf. peuplement des « nouveaux mondes »). Si la
finitude du monde et l’architecture internationale contemporaine interdisent
aujourd’hui aux pays des Suds d’adopter la même réponse impérialiste, il
convient de bien mesurer en retour le niveau exceptionnel des défis posés.
Guerres ou paix, affrontements ou coopérations, enfermements ou
solidarités ? Face aux interactions systémiques entre croissance
démographique et inégal développement, les capacités des États et de
l’ensemble de l’humanité à répondre de manière équitable, durable et
solidaire aux besoins de leurs sociétés est un enjeu d’avenir. Un enjeu qui se
joue principalement dans les villes, métropoles ou mégalopoles qui
accueillent dorénavant plus de la moitié de l’humanité, et dans les
campagnes.
D’autant qu’aucun des grands objectifs que s’était fixé la communauté
internationale ces dernières décennies n’a été atteint. Une partie parfois très
importante de la population mondiale demeure privée de l’accès aux revenus,
aux services et aux biens les plus élémentaires (eau, énergie, alimentation,
éducation, santé, travail et emplois…). Si savoir lire et écrire est passé du
statut de privilège à celui d’un droit humain conditionnant le progrès
économique, social et politique, la situation mondiale demeure bien inégale et
la planète largement sous-éduquée. Malgré les progrès de l’alphabétisation
des adultes, le nombre d’analphabètes sur Terre n’a jamais été aussi
important (800 millions), en particulier chez les femmes, du fait de la
croissance démographique. De profondes lignes de fractures territoriales se
dessinent entre villes et campagnes, entre régions ou districts, entre groupes
ethniques et linguistiques, entre hommes et femmes et entre couches sociales.

De nouveaux défis sociétaux : travail, emplois, exploitation


et insécurité sociale
La hausse démographique se traduit par l’arrivée sur le marché mondial du
travail de 50 millions de nouveaux actifs potentiels par an. Entre 1980
et 2020, le monde a accueilli 1,7 milliard d’actifs supplémentaires, dont 93 %
dans les Suds (Asie : 62 %). En 2020, les pays de l’OCDE ne représentent
plus que 16,5 % de la population active mondiale, contre 22,5 % en Chine et
15 % en Inde. L’humanité n’a jamais connu dans son histoire une telle soif
d’emplois et de travail, mais également une telle insécurité sociale.
Figure 2.1 La croissance de la population active mondiale

Sources : ONU/OIT.

Si la faculté d’exercer un travail décent sans être exploité est reconnue


comme un droit essentiel, on assiste ces dernières décennies à une
dégradation généralisée du travail. L’Organisation internationale du travail
(OIT) estime ainsi que seulement 25 % des travailleurs dans le monde
disposeraient d’un emploi stable. Face à un sous-emploi et un chômage de
masse, en particulier parmi les femmes et les jeunes (Moyen-Orient, Afrique
du Nord, certaines régions d’Amérique latine et des Caraïbes et d’Europe du
Sud), 75 % des travailleurs du monde sont employés à titre temporaire, dans
des emplois informels, comme travailleurs indépendants ou dans des emplois
familiaux non rémunérés du fait des structures foncières, sociales ou
économiques. Parfois même, certaines formes d’esclavage, en particulier
pour dette, de travail forcé ou de corvée survivent dans bien des régions, pas
seulement rurales et isolées. Enfin, dans les pays développés, la refonte
libérale des normes du travail et du partage de la valeur ajoutée – qui
s’attaque aux acquis des luttes politiques et syndicales du XXe siècle
(protection sociale, systèmes de santé et retraites, garanties collectives…) –
s’effectue au détriment des salariés alors qu’explose une nouvelle pauvreté
salariée.
Dans ce contexte, l’internationalisation des firmes transnationales (FTN) a
largement utilisé la mondialisation du marché du travail, et ses facteurs
(mobilité du capital et des techniques…), pour mettre en concurrence
exacerbée les différents salariats, qualifiés et non qualifiés. L’OIT estime que
dans 40 États polarisant les deux tiers de la main-d’œuvre planétaire, les
chaînes d’approvisionnement mondiales (CAM) des FTN emploient entre
450 et 500 millions de personnes. Ce processus a pour prix une explosion des
inégalités salariales et une dégradation généralisée des conditions d’emplois,
de revenus et des protections juridiques et sociales, comme le relèvent
de nombreuses études de l’OIT.

Équilibres géoéconomiques mondiaux et explosion


des inégalités

Les mutations spectaculaires des équilibres géoéconomiques


mondiaux
Alors que la planète n’a jamais produit autant de richesses avec un PIB
mondial qui augmente de + 110 % entre 1990 et 2017, on assiste à une
rupture séculaire des équilibres géoéconomiques mondiaux. En effet, tout en
polarisant 44 % de la croissance mondiale, les Nords – en particulier
l’Union européenne – connaissent un sensible recul de leur position
hégémonique en tombant de 72 à 57 % du PIB mondial en une génération.
À l’inverse, les Suds réalisent 56 % de la croissance mondiale et montent
ainsi de 28 à 43 % du total mondial. Cependant, durant cette période
s’opèrent au sein des économies en développement de telles différenciations
de trajectoires que l’on passe d’« un » Sud (face au « Nord » développé)
à « des » Suds, de plus en plus différenciés.
Alors que la Chine est devenue la 2e puissance économique mondiale
devant le Japon, l’Inde (7e) et le Brésil (8e) passent devant l’Italie et le
Canada, lui-même talonné par la Russie (11e) pendant que le Mexique (15e),
la Turquie (16e) et l’Indonésie (18e) s’affirment nettement. Ces
bouleversements concernent aussi bien les productions, les échanges
internationaux que les investissements. Ce processus permet parfois une
sensible élévation des niveaux de vie dans les espaces les mieux inscrits dans
la mondialisation (aires métropolitaines, littoraux), l’apparition de nouvelles
couches salariées solvables et un doublement en un quart de siècle des
dépenses de consommation des ménages. Dans ces conditions, les firmes
transnationales occidentales y accélèrent leurs investissements afin de
satisfaire d’immenses besoins. Ce déplacement des marchés explique que les
pays émergents représentent dorénavant une part croissante des ventes et des
profits des firmes transnationales.

Tableau 2.2 Le sensible rééquilibrage du PIB mondial


(milliards $ constants et %)

%
Diff. %
1990 2017 croissance % 2017
1990/2017 1990
mondiale

MONDE 38 028 80 050 42 022 100 100 100

Nords 27 437 45 825 18 388 43,8 72,1 57,2

dont États-Unis 9 001 17 348 8 347 19,9 23,7 21,7

dont UE à 28 11 845 18 756 6 911 16,4 31,1 23,4

Suds 10 591 34 225 23 634 56,2 27,9 42,8

dont grands
4 306 17 474 13 168 31,3 11,3 21,8
émergents
Chine 941 10 474 9 533 22,7 2,5 13,1

Brésil 1 210 2 273 1 063 2,5 3,2 2,8

Inde 504 2 616 2 112 5,0 1,3 3,3

Russie 1 429 1 685 256 0,6 3,8 2,1

Afrique du Sud 222 426 204 0,5 0,6 0,5

Source : ONU, 2019.

Pyramide de la richesse mondiale et explosion des inégalités sociales


et territoriales
La mondialisation s’accompagne de violents processus d’intégration, définis
comme participation hégémonique, autonome ou dominée à la dynamique
mondiale, ou d’exclusion, définis comme marginalisation dans la production,
le partage et les échanges de richesses créées. Ces logiques cumulatives
multiformes débouchent sur une explosion des inégalités sociales et
territoriales.
Figure 2.2 La production mondiale de richesse
À la concentration géographique des richesses produites dans l’espace
mondial répond ainsi une extraordinaire polarisation sociale de celles-ci
au profit de classes dominantes et d’oligarchies très étroites qui veillent
jalousement à leur reproduction sociale et économique.
Harvard : la fabrique du pouvoir et des élites
À chaque rentrée, les étudiants d’Harvard surveillent fébrilement le plancher
de leur chambre. Seule une poignée d’entre eux reçoit le sésame pour
rejoindre l’une des huit maisons historiques très sélectes de la plus sélecte
des universités américaines. Car être admis dans l’établissement le plus
prestigieux du pays ne suffit pas tout à fait. Un second tri, social, se fait sur le
campus, à l’initiative de quelques étudiants et anciens élèves bien nés, qui
tiennent ce qu’on appelle les « Final Clubs ». Des fraternités très spéciales
qui font les carrières de leurs membres depuis plus de deux cents ans.
Historiquement masculins, ces cercles fermés, dont sortent les élites de la
politique et du business américains, ont toujours occupé une place à part
dans la vie sociale d’Harvard. Financés par de puissants réseaux d’anciens
(alumni), ils possèdent des actifs qui se chiffrent en millions de dollars, à
commencer par de somptueux hôtels particuliers. Mais le club protège
jalousement les siens, l’identité des membres reste confidentielle. « C’est la
voie royale pour le pouvoir, l’argent et la célébrité, assurés par un réseau
d’hommes qui fonctionne comme un LinkedIn pour les riches », explique
l’écrivain John Sedgwick, lui-même issu d’une famille de « frères Porcellian ».
On trouve des organisations similaires dans la plupart des grandes
universités de la côte Est, comme Yale ou Princeton.
Moins d’1 % de la population mondiale accapare en effet 45 % de la
richesse et seulement 8 % de la population 86 % de celle-ci. À l’opposé,
73 % de la population mondiale demeure très largement exclue en ne
disposant que de 2,4 % de la richesse. Le contrôle des 10 % les plus riches
sur le patrimoine national est partout considérable (Russie : 85 % ; États-
Unis : 74,5 % ; Suisse : 72 % ; Chine : 64 % ; Royaume-Uni et France :
54 %). La mondialisation profite pour l’essentiel aux 1 % les plus riches qui
ont vu leurs revenus augmenter de 60 % en vingt ans. Dans les pays
développés, les deux tiers des ménages ont au contraire vu leurs revenus
stagner ou régresser. Ces multiples lignes de fractures participent directement
des crises politiques et géopolitiques (Brexit britannique, vote Trump aux
États-Unis, montée des populismes ou des nationalismes en Europe…). Si les
médias mettent l’accent sur l’essor, en particulier dans les pays émergents,
des « couches moyennes », ce processus doit être nuancé : ces 18,5 % de la
population mondiale ne reçoivent que 11,5 % de la richesse, soit presque
deux fois moins que leur poids relatif.
Figure 2.3 Géographie mondiale de l’accumulation de la richesse

Sources : d’après Crédit suisse et UBS.

Dans bien des pays des Suds, l’émergence d’une classe moyenne urbaine,
dont le pouvoir d’achat et le mode de consommation s’apparentent aux pays
développés, demeure limitée (Chine, Inde, Indonésie…) ou embryonnaire, et
surtout fragile comme l’illustrent les effets des crises de ces dernières années
(Brésil, Argentine…). Cette explosion des inégalités sociales internes, déjà
vive dans les pays hautement développés depuis la fin des années 1980, est
encore plus sensible dans les pays du Sud en rattrapage comme l’Inde, le
Brésil ou la Chine du fait de la faiblesse des politiques publiques
redistributives.
Dans ce contexte, comment s’étonner à l’échelle mondiale de la montée
des tensions socio-économiques et politiques ou de l’instrumentalisation des
facteurs religieux (croisade des néoconservateurs états-uniens, islamisme
radical, hindouisme ou bouddhisme en Asie du Sud et du Sud-Est, essor des
mouvements évangélistes…) ? Les niveaux d’inégalités sont équivalents en
ce début de XXIe siècle à ceux des sociétés d’Ancien Régime
prérévolutionnaires. Le refus de ce monde, bien souvent trop rapidement
défini comme « chaotique », pose la question centrale de l’affirmation, de la
promotion et de la défense de droits universels démocratiques – politiques,
sociaux, économiques et environnementaux – associée à des stratégies
de réduction des inégalités intranationales et mondiales.

Tableau 2.3 La pyramide de la richesse mondiale

Richesse
Personnes % pop. % richesse
Niveau de richesse (milliards
(millions) mondiale mondiale
$)

< 10 000 $ 3 546 73,2 % 6,1 2,4 %

10 000 à 100 000 $ 897 18,5 % 29,1 11,4 %

100 000 à 1 million $ 365 7,5 % 103,9 40,6 %

> 1 million $ 33 0,7 % 116,6 45,6 %

Source : Crédit Suisse, 2017.

Finitude du monde, enjeux environnementaux et ressources sous


tension
Finitude du monde : croissance ou développement ?
Depuis la Révolution néolithique, les relations entre les sociétés humaines et
leurs milieux sont fondées sur des modèles de croissance globalement
extensifs et court-termistes qui s’articulent autour de deux piliers : la
conquête permanente de nouveaux espaces par des fronts pionniers
permettant de dilater sans cesse les territoires exploités (cf. captation des
Amériques, colonisation du XIXe siècle…) d’un côté, la survalorisation des
ressources non renouvelables de l’autre. Ce modèle demeure structurant
comme en témoignent le boom du gaz et du pétrole de schiste grâce à la
fracturation hydraulique ou, dans l’automobile, les projets de remplacement
du moteur thermique/hydrocarbures par un moteur électrique/accumulateurs
au lithium. Les défis à relever sont pourtant colossaux : pour faire face d’ici
2050 à la croissance démographique, la production mondiale d’énergie doit
augmenter d’au moins 35 % et la production alimentaire de 50 %, alors que
850 millions de personnes ont actuellement toujours faim et qu’un tiers de la
population mondiale est carencé en vitamines.
Dans ces conditions, les ressources sont d’autant plus sous tension que les
espaces en réserve sont de moins en moins nombreux (Amazonie, Sibérie,
Asie du Sud-Est…). De par leurs dynamiques systémiques, les activités
humaines jouent un rôle croissant dans le fonctionnement du globe terrestre
(cf. articulation système carboné depuis la révolution
industrielle/réchauffement climatique) et se voient poser la question de la
réversibilité ou non de certaines dynamiques (réchauffement, déforestation,
désertification…).
Ces modèles de croissance, reconnus comme de moins en moins
soutenables à moyen terme, ne sont possibles que grâce aux rapports
d’inégalité et de domination structurant l’architecture mondiale. Ainsi, les
seules lumières des fêtes de Noël (guirlandes, sapins, illuminations) des
États-Unis consomment plus d’énergie que l’Éthiopie (+ 25 %) ou la
Tanzanie (+ 38 %) en un an. Seulement 126 millions de Japonais dépensent
autant d’énergie qu’1,2 milliard d’Africains alors qu’un Qatari rejette
41 tonnes de CO2 par an, contre 2,5 tonnes pour un Brésilien et 1,7 tonne
pour un Indien. Ces enjeux sont d’autant plus centraux que les défis à relever
dans les Suds sont en tout point considérables.
Développement durable, planète, mondialisation et territoires
Dans ce contexte, la notion de développement durable est apparue à la fin des
années 19801). Elle s’est progressivement diffusée via de grands sommets
internationaux (Rio en 1992, New York en 2000, Johannesburg en 2002…).
De vifs débats sont apparus, en particulier sous les effets de prévisions
catastrophistes, voire millénaristes, portées par certaines ONG et courants
politiques, en particulier anglo-saxons. Prévisions qui ont eu tendance
à dramatiser (pénurie d’eau, épuisement des ressources, réchauffement et
élévation des niveaux marins…) tout en multipliant les idées reçues (cf. âge
d’or d’hommes vivant « en harmonie » avec la « nature », hommes
perturbateurs ou destructeurs d’« équilibres naturels » fixistes et fantasmés).
Pourtant, la forte réduction du « trou dans la couche d’ozone » ou des pluies
acides sur les forêts européennes montrent, par exemple, la réversibilité de
certaines situations critiques lorsque les décisions techniques, technologiques
et économiques adéquates sont prises par les pouvoirs politiques.
La notion de développement durable présente plusieurs intérêts.
Premièrement, elle réarticule de manière pertinente le mondial (système
Terre, réponses globalisées), l’international (accords entre États), l’universel
(sociétés humaines) et l’économie (marchandisation/« biens communs de
l’humanité »…). Deuxièmement, elle réarticule entre eux de manière
systémique et sans les opposer les grands enjeux environnementaux,
économiques, sociaux et sociétaux (cf. grands objectifs 2030) et politiques
(citoyenneté, démocratie…). Troisièmement, elle réarticule les temporalités
(court, moyen et long termes), les échelles territoriales (locales, régionales,
nationales, continentales) d’action et d’interaction car, pour devenir
opérationnelle, toute question de développement durable doit être
territorialisée dans une analyse multiscalaire (enjeux, choix, aménagements,
jeux d’acteurs…) privilégiant les démarches prospectives.
En tout état de cause, il ne peut y avoir de développement véritablement
durable sans développement économique et social de l’ensemble de
l’humanité et sans réduction sensible de la pauvreté et des inégalités. Car ces
inégalités paralysent l’émergence d’une prise de conscience généralisée de
l’unicité et de la finitude de notre planète. La globalisation de nouveaux
champs de débats (réchauffement climatique, gestion des ressources
renouvelables et non renouvelables – eau, richesses halieutiques,
énergies… –, grandes questions sanitaires…) exige impérativement la mise
en place de réponses globales, coordonnées et plus solidaires à l’échelle
planétaire.

La « grande émancipation » : un monde


polynucléaire

La montée des pays émergents : la « grande émancipation2 »

Un nouveau paradigme : la perte du monopole de la puissance


par les pays occidentaux
Ces dernières décennies, l’architecture mondiale a connu de profonds
bouleversements. Si l’effondrement de l’URSS a débouché durant une
quinzaine d’années (1990-2006) sur l’hégémonie de l’hyperpuissance états-
unienne, la crise systémique ouverte en 2007 a profondément rebattu les
cartes avec, d’un côté, l’entrée en crise des vieux systèmes hégémoniques
occidentaux (États-Unis, Europe occidentale, Japon) et, de l’autre,
l’émergence de nouvelles puissances à vocation mondiale ou continentale qui
cherchent à défendre et à promouvoir leurs intérêts nationaux. Relative mais
réelle, la perte du monopole de la puissance par le monde occidental
bouleverse les modes traditionnels de représentation. Car par sa structure
polycentrique, ce nouveau système constitue une grande bifurcation
géohistorique, d’une ampleur multiséculaire : il faut en effet remonter au
e
XV siècle – c’est-à-dire aux prémices de la première mondialisation ouverte

en 1492 avec la « capture » des Amériques par l’Europe occidentale – pour


retrouver une architecture équivalente. C’est ce que le géographe et
diplomate Michel Foucher nomme la « grande émancipation ».

L’affirmation de nouvelles puissances émergées,


émergentes ou potentielles
Quelles sont ces nouvelles puissances avérées, émergentes ou potentielles ?
On peut tenter de proposer un classement organisé autour de trois niveaux
d’échelles de puissance. On trouve, premièrement, quatre puissances que l’on
peut qualifier de « mondiales » : Chine, Russie, Inde, Brésil ; deuxièmement,
des puissances que l’on peut qualifier de « continentales » : Arabie saoudite,
Turquie, Afrique du Sud, Mexique, Argentine ; enfin, troisièmement, des
puissances que l’on peut qualifier de « puissances régionales potentielles » en
voie progressive d’affirmation : Iran, Éthiopie, Indonésie, Thaïlande,
Malaisie, Égypte, Nigeria, Pakistan. Au total, il apparaît donc que dix-sept
États émergents ou en voie d’émergence s’affirment avec vigueur à
différentes échelles sur la scène internationale. Ils représentent déjà 60 % de
la population mondiale, un tiers de l’économie mondiale, 28 % des
exportations et 43 % de la production manufacturière.
Cette « grande émancipation » repose sur plusieurs facteurs : un
renversement des liens d’interdépendance traditionnels Nord/Sud (cf. finance,
dette mondiale, FTN…), l’apparition de nouvelles dynamiques
d’autonomisation Sud/Sud (cf. golfe Persique, rôle de la Chine en Afrique ou
en Amérique latine…), le déploiement de nouvelles logiques d’intégration
continentale.

Les pays émergents : grande diversité et sensible hiérarchie


Pour autant, l’émergence ne doit pas masquer la très grande diversité des
situations nationales et une très sensible hiérarchie entre États ; ces pays
émergents sont donc un ensemble composite et aux faibles cohérences
internes. Car la transformation de la puissance territoriale, démographique ou
économique en puissance stratégique suppose qu’un certain nombre de
conditions soient réunies en interne : maîtrise du territoire, nature et qualité
de l’appareil d’État, stabilité politique et sociale, définition d’un projet
collectif partagé et porté par la nation… Ainsi, face à une Russie en
renouveau et à une Inde et un Brésil confrontés à de redoutables défis de
développement, la Chine apparaît comme un géant en pleine affirmation.
Face à un Mexique profondément ancré aux États-Unis, l’Arabie saoudite, la
Turquie et l’Iran s’affrontent dans la promotion de modèles politiques et
idéologiques sensiblement divergents au Proche et Moyen-Orient. Au
continent africain, si l’Afrique du Sud tente de s’affirmer en Afrique
subsaharienne, le Nigeria et l’Égypte sont en crises internes alors que
l’Éthiopie tente de stabiliser son environnement régional immédiat dans la
Corne de l’Afrique.
Tableau 2.4 Les 17 États émergents ou en voie d’émergence

PIB(milliards Exportations(milliards
Population(millions)
$) $)

Puissances
mondiales
3 110 18 838 4 259
(Chine, Russie,
Inde, Brésil)

Puissances
continentales
(Arabie saoudite,
Turquie, Afrique 343,6 3 680 1 051
du Sud,
Mexique,
Argentine)

Puissances
potentielles
(Iran, Éthiopie,
Indonésie,
1 035,4 3 194 970
Thaïlande,
Malaisie,
Égypte, Nigeria,
Pakistan)

TOTAL 17 États 4 489 25 711 6 280

MONDE 7 550 80 505 22 806

% 17
59,5 32 27,5
États/Monde

Source : ONU, 2019.

Les limites de l’émergence : entre ambitions de puissance et fragilités


internes
La dynamique de l’émergence doit donc être conçue dans une approche
systémique articulant dans la longue durée facteurs démographiques et
sociaux, développement économique et territorial et enjeux d’affirmation
géoéconomiques (investissements directs à l’étranger, firmes
transnationales…) et géopolitiques. Dans ce cadre, si le processus
d’émergence est spectaculaire, il ne doit pas masquer la permanence de plus
ou moins grandes fragilités et les immenses défis internes encore à relever :
déséquilibres géoéconomiques (cf. systèmes rentiers russe, saoudien ou
iranien), déficits démocratiques et systèmes oligarchiques, profondes
inégalités sociales et spatiales alimentant de fortes tensions, gestions
prédatrices des ressources non durables, sous-équipements (eau, électricité,
transports, urbanisation…)… L’Afrique du Sud est ainsi à la fois le 2e pays le
plus riche d’Afrique et le 2e État le plus inégalitaire du monde : 50 % des
Sud-Africains vivent sous le seuil de pauvreté et 25 % sont au chômage.
Pour autant, ces nouvelles puissances ont été capables de déployer des
logiques d’intégration continentale portées par des organisations régionales
spécifiques dans lesquelles elles jouent un rôle majeur (Mercosur en
Amérique du Sud, ASEAN en Asie du Sud-Est, SAAC en Afrique australe,
golfe Persique…) alors que le Brésil a mis en échec le projet de ZLEA (Zone
de libre-échange des Amériques) promue par Washington pour l’ensemble de
l’hémisphère américain, selon la terminologie états-unienne. Mais elles
peuvent aussi entretenir entre elles de fortes rivalités géopolitiques dans
l’affirmation de leur hégémonie continentale, comme c’est le cas de l’Iran, de
la Turquie et de l’Arabie saoudite au Proche et Moyen-Orient, de l’Inde
et du Pakistan en Asie du Sud…
Figure 2.4 Un monde polynucléaire : une nouvelle architecture
géoéconomique et géopolitique mondiale
La grande bifurcation : une nouvelle architecture mondiale
polynucléaire

Un nouveau système mondial aux fortes cohérences systémiques


Sous les effets de l’avalanche des faits quotidiens, de nombreux médias
donnent à voir un monde qui serait illisible car de plus en plus incertain et
imprévisible, fait de désordres et de chaos entraînant un vaste brouillage
stratégique. Face à ces affirmations, le recours aux outils, concepts et
méthodes de la géographie et de la géopolitique permet au contraire de
souligner les fortes cohérences du nouveau système mondial. Ainsi, en
géoéconomie, l’insertion des États dans la mondialisation peut être analysée
à travers une typologie qui identifie quatre principaux types de situations et
de trajectoires : les anciens centres hégémoniques dominants, les pôles
autonomes affirmés ou en voie d’émergence, les États intégrés dominés
et les marges évitées ou sacrifiées.

Une nouvelle architecture mondiale des différents pavages d’un


monde polynucléaire
Dans cette approche, le recours à la carte permet de clarifier en les
territorialisant les grands enjeux de la nouvelle architecture mondiale. Il
convient d’abord de souligner que la question du développement, et les
limites Nords/Suds qui s’y rattachent, demeure un enjeu majeur comme le
soulignent, y compris chez les grands émergents, certains facteurs tels
l’hyperviolence des sociétés brésilienne ou mexicaine, la crise énergétique
sud-africaine ou les pollutions en Chine. De même, l’étude du pavage des
puissances et des émergences ne doit pas masquer l’ampleur spatiale des
rapports de domination et d’exclusion qui s’étendent à la surface du globe. À
ces logiques de pavages se superposent la cristallisation de grands enjeux
géostratégiques et géopolitiques mondiaux. On doit relever, en particulier
parmi les grands points chauds, l’existence de quatre grandes interfaces
maritimes et de trois grands systèmes continentaux sous tension et
conflictuels.

L’affirmation de la Chine : démarginalisation et grand


chambardement

Réformes, ouverture, boom économique et démarginalisation


À partir des années 1990 et en seulement trois décennies, la Chine a connu un
essor géoéconomique phénoménal et une affirmation géopolitique et
géoéconomique incontestée. Alors que sa population a augmenté de 20 %,
son économie, mesurée par la taille du PIB, a été multipliée par 10 grâce à la
modernisation de son agriculture (×2), son envol industriel (×15) et ses
investissements productifs et en infrastructures (×14). L’internationalisation
de son économie explique la multiplication par 15 de la valeur de ses
exportations et se traduit par d’importants excédents commerciaux. Enfin,
l’augmentation des dépenses des ménages (×9) et ses dépenses publiques
(×12,5) traduisent un enrichissement considérable, bien que fort inégal
socialement et territorialement (cf. chapitre 6), qui en fait le 2e marché
mondial derrière les États-Unis et devant l’Europe.
En vingt ans, la Chine réalise un tiers de la croissance mondiale. Elle
devient la 2e puissance économique devant le Japon en 2008, le
1er exportateur mondial devant l’Allemagne en 2009, la 1re puissance
industrielle devant les États-Unis en 2010, le 1er déposant mondial de brevets
en 2011 et la 1re puissance bancaire en 2016. Ce processus est dû à des choix
politiques s’inscrivant dans un pilotage stratégique de long terme dont
l’objectif est de démarginaliser le pays et de défendre et promouvoir ses
intérêts de nouvelle puissance mondiale.

L’affirmation de la Chine : le grand chambardement tectonique


de l’ordre mondial
Ce processus se traduit par un grand chambardement tectonique des
équilibres géoéconomiques et géopolitiques mondiaux. Si la Chine a pu être
qualifiée de « grande puissance incomplète » dans la décennie 2010, c’est de
moins en moins le cas. L’essor de la demande chinoise bouleverse les
marchés mondiaux des matières premières par ses effets d’aspirations
(Australie : 34 % exportations vers la Chine, Brésil : 25 %…) au détriment
des intérêts occidentaux ; il induit alors un cycle historique de forte hausse
des prix dopant en retour largement les économies rentières du golfe
Persique, d’Afrique ou d’Amérique latine. Les firmes transnationales et les
investissements chinois partent à l’assaut des Nords comme des Suds afin
d’assurer la sécurité alimentaire et énergétique du pays et d’alimenter son
développement industriel, technologique ou touristique. La récession de
2008-2009 a obligé Pékin à infléchir sa structure productive en investissant
massivement dans la recherche et la formation, et en négociant d’arrache-pied
des transferts de technologies afin de remonter peu à peu les grandes filières
technologiques. La Chine est également devenue un acteur majeur dans
l’aéronautique et le spatial (plus grand radiotélescope du monde, 1er satellite
de communication quantique, exploration de la face cachée de la Lune…),
l’armement, le nucléaire (cf. EPR), l’électronique, l’automobile (voiture
électrique), les télécommunications (cf. Huawai dans la G5) ou les transports
(TGV), tout en se plaçant au cœur du transport maritime mondial (flotte
marchande, constructions navales, compagnies maritimes…).

Tableau 2.5 L’essor de la Chine (milliards $ constants)

% %
Diff. Différence Rang
1990 2017 mondial mondial
1990/2017 (%) 2017
1990 2017
Population 1 179 1 418 239 20,3 22,2 18,8 1
(millions)

PNB 941 10 474 9 533 1 013 2,5 13,1 2

Agriculture 273 791 518 190 17,1 25,7 1

Mine, industrie,
242 4 044 3 802 1 569 2,8 22,2 1
énergie

Construction
53 707 654 1 243 1,9 16,9 1
BTP

Exportations 195 3 123 2 929 1 506 3,1 12,5 1

Importations 162 2 929 2 767 1 708 2,7 12,2 1

Solde
33 194 161 488 ns ns 1
commercial

Investissements 311 4 770 4 459 1 433 3,4 22,9 1

Dépense
453 4 003 3 550 784 2,1 8,8 2
des ménages

Dépenses
115 1 440 1 325 1 150 1,6 11,1 2
publiques

Source : ONU, comptes nationaux, 2019.

Le Chinois ZTF : technologie, dépendance, autonomie


et rivalités de puissances
« Accusé d’avoir violé l’embargo décrété par les États-Unis contre l’Iran et la
Corée du Nord, le géant chinois des équipements de télécommunication ZTE
(4e rang mondial), né en 1985 à Shenzhen, se voit interdire au
printemps 2018 de s’approvisionner durant sept ans auprès des firmes états-
uniennes en composants et services informatiques (puces de Qualcomm,
Intel ou Micron Technology, licence Android de Google équipant les
46,4 millions de smartphones produits en 2017…). L’effet est immédiat : son
cours à la Bourse de Hong Kong est suspendu, ZTE est en cessation
d’activité, ses usines sont à l’arrêt et ses 75 000 salariés au chômage
technique. Pour sortir de la crise, ZTE doit payer en juin 2018 une pénalité de
1,7 milliard de dollars et modifier son équipe dirigeante. Et Pékin doit
accepter le rachat, qu’elle bloquait jusqu’ici, du Néerlandais NXP
Semiconductors par la firme états-unienne Qualcomm pour 44 milliards de
dollars. »
Source : CARROUÉ L., 2018, notice « Informatique-Électronique », in Images
économiques du Monde 2019, Paris, Armand Colin.

Adopté en 2018, le plan « Made in China 2025 » vise à réduire la


dépendance du pays à l’égard de l’étranger dans les technologies clés et les
composants fondamentaux (informatiques, robotique, énergie, nouveaux
matériaux, médical et biotech…). Pour autant, comme l’illustre la guerre
technologique lancée par Donald Trump en 2019 (affaires ZTF puis Huawei),
certaines firmes chinoises demeurent encore très dépendantes pour certains
systèmes clefs des technologies de pointe états-uniennes (brevets, licences,
logiciel, architectures des processeurs…). Enfin, Pékin dispose des premières
réserves de change du monde, elle est le 1er créancier de Washington et
accélère l’internationalisation du Yuan alors que Shanghai est en train de
devenir la 1re place financière d’Asie.
Enfin, la projection de la Chine dans le monde se traduit par une claire
ambition de construire une nouvelle architecture mondiale polynucléaire, à
son rythme, selon ses modalités et de manière pragmatique (cf. le projet
pharaonique des Nouvelles Routes de la soie, « One Belt, One Road »). Pour
le géographe Michel Foucher, la Chine considère le monde comme un
marché dans lequel les États-Unis sont l’autre grand à la fois indépassable et
à rejoindre ; et l’Inde, le Japon et l’Europe des rivaux à contenir et à intégrer.
Les océans sont un horizon à maîtriser dans le cadre d’un basculement
multiséculaire géographique et systémique. Le cercle asiatique immédiat est
à intégrer (Russie et potentiel sibérien, Asie centrale, Asie du Sud-Est) et
les Suds lointains (Afrique, Amérique latine, Proche et Moyen-Orient) à
associer afin d’accéder aux indispensables matières premières et d’y trouver
des débouchés.
La rivalité Chine/États-Unis dans
les supercalculateurs
C’est un passage de témoin qui en dit long sur les nouvelles capacités
technologiques de l’Empire du Milieu : la Chine s’impose dorénavant au
sommet de la très grande puissance informatique. Si depuis trois ans le pays
détient la palme de l’ordinateur le plus puissant au monde, ce qui est
nouveau en revanche, c’est que le numéro 1 du classement est désormais
100 % « made in China ». Entré en service en 2016 et d’une puissance de
93 Petaflops, le supercalculateur Sunway TaihuLight est en effet entièrement
équipé de processeurs chinois, conçus par une société d’État (Shanghai High
Performance IC Center) créée en 2003, avec une architecture conçue
localement. Une première ! Jusqu’à présent, les systèmes embarquaient des
puces Intel, le leader états-unien du secteur. Dans ce contexte, le
Département de l’Énergie (DoE) des États-Unis vient de signer un chèque de
258 millions de dollars à six sociétés américaines – AMD, Cray, HPE, IBM,
Intel et Nvidia – pour mettre au point le super-ordinateur de demain, c’est-à-
dire un super-calculateur hexaflopique capable de réaliser un milliard de
milliards d’opérations à la seconde. La marche est haute. Le problème n’est
pas simplement d’empiler des processeurs pour gonfler les capacités de ces
monstres de calcul, mais de réaliser d’énormes progrès sur le matériel et les
logiciels utilisés, notamment pour réduire la consommation énergétique des
super-ordinateurs. Car SunWay TaihuLight est non seulement le plus
puissant des ordinateurs en service, mais également celui affichant le
meilleur rapport puissance/consommation énergétique. Dans le reste du
monde, seuls les Japonais (Fujitsu ou Nec) et les Français (Atos-Bull) sont
sur la ligne de départ.
Source : d’après Les Échos du 20 juin 2016.

Rivalités de puissances et crise


de la gouvernance mondiale

La montée de nouvelles rivalités géopolitiques, géostratégiques


et militaires

Une exacerbation de nouvelles rivalités de puissances aux échelles


emboîtées
Ces différents facteurs et processus se traduisent par une exacerbation de
nouvelles rivalités entre puissances qui signent la fin du vieil ordre
occidental. Elles débouchent sur une nouvelle conflictualité – polymorphe –
qui caractérise dorénavant l’architecture internationale dans laquelle l’ordre
mondial n’est plus assuré par des puissances mondiales reconnues. En
particulier, l’accumulation par les États-Unis et leurs alliés les plus directs
(comme le Royaume-Uni) d’échecs géostratégiques majeurs liés à
l’aventurisme des courants néoconservateurs (interventions en Irak, en
Afghanistan…) conduit à leur discrédit moral et politique dans de vastes
portions du monde. C’est ce même aventurisme militaire, cette fois français
et britannique, qui a abouti à l’implosion de la Libye et qui a accéléré la
déstabilisation d’une large partie du Sahel. Dans ces conditions, Washington
promeut une stratégie de plus en plus unilatérale afin de réorganiser ces
leviers hégémoniques, comme l’illustre la mobilisation croissante de
dispositifs extraterritoriaux.
Domination états-unienne : les armes
de l’extraterritorialité
Face à la crise de son système de domination mondiale, Washington
mobilise de manière de plus en plus agressive des armes extraterritoriales
(sanctions économiques, arme anti-corruption, investissements, ITAR –
International Traffic in Arms Regulations –, etc.) au nom de la sécurité
nationale en prétendant soumettre à ses lois tout acteur (État, personne,
entreprise…) entretenant un lien, même ténu (utilisation d’un dollar par
exemple), avec son territoire dans le monde. La loi CAATSA menace ainsi de
sanction tout acteur entretenant des liens avec des pays placés sous
embargo (Cuba, Libye, Soudan, Iran, Russie), et l’OFAC, un service
du Trésor, surveille toute transaction réalisée en dollars.
En 2014, le Français BNP Paribas doit ainsi payer une amende de 9 milliards
de dollars. Grâce au Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) de 1977, Alsthom,
Siemens, Total ou Alcatel sont poursuivies et condamnées à de très lourdes
pénalités. Le Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis
(Committee on Foreign Investment in the United States, CFIUS) contrôle
toute prise de participation dans le capital de firmes états-uniennes
appartenant à 27 secteurs clés (aéronautique, télécoms, informatique, semi-
conducteurs…). En 2016, le CFIUS interdit au Hollandais Philips de vendre
au Chinois Go Scale Capital sa filiale Lumileds car elle a un établissement à
San José (mais aussi aux Pays-Bas, en Allemagne, à Singapour et en
Malaisie). Tout système d’armes contenant au moins un composant états-
unien est soumis à la réglementation ITAR qui peut interdire la vente à
l’exportation à un pays tiers (cf. missile Scalp du Français MBDA à l’Égypte
ou au Qatar). Enfin, le Cloud Act (Clarifying Lawful Overseas Use of Data
Act) s’applique à toutes les sociétés relevant de la juridiction des États-Unis :
il permet de contrôler les données quel que soit le lieu où celles-ci sont
stockées. Ainsi, toutes les données stockées même hors des États-Unis mais
sur des serveurs appartenant aux GAFAM (Google, Amazon, Microsoft,
Oracle, Salesforce…) peuvent être contrôlées et saisies par les différents
services de sécurité états-uniens, sans que les utilisateurs en soient
informés. Un nouveau type d’espionnage qui menace la démocratie et les
souverainetés nationales à des échelles historiquement inconnues jusqu’ici.

La grande nouveauté de ce monde polycentrique est qu’il se caractérise par


l’autonomisation croissante de nouveaux et nombreux acteurs étatiques à la
recherche de la défense et de la promotion de leurs propres intérêts et
conceptions géopolitiques. Cela se traduit par des jeux d’influence entre
puissances rivales qui sont à la fois enchevêtrés, du fait des emboîtements des
jeux d’échelles, et à géométrie variable, dont l’Asie de l’Est, du Sud-Est et
du Sud d’un côté et le Proche-Orient élargi (cf. Sahel, Corne de l’Afrique…)
de l’autre sont l’acmé.
On trouve bien sûr, comme nous l’avons vu, la Chine dont l’affirmation
croissante, en particulier maritime, bouleverse les équilibres géostratégiques
en Asie de l’Est face aux États-Unis et au Japon. Mais aussi la Russie
(Crimée, Ukraine) ou encore l’Inde, qui en Asie du Sud fait face au Pakistan.
Et ce alors que l’Afghanistan devient le champ clos de nouvelles
concurrences régionales (Inde, Chine, Pakistan, Iran, Russie), tandis que
Washington négocie son retrait militaire du pays avec les Talibans. Plus
frappant encore est l’autonomie géopolitique affirmée par la Turquie, l’un des
piliers traditionnels de l’OTAN, l’Iran, l’Arabie saoudite, un allié traditionnel
de longue date des États-Unis ou, dans une moindre mesure, l’Égypte ou les
Émirats arabes unis sur la scène proche-orientale. Celle-ci est en effet
profondément déstabilisée par l’effondrement puis l’implosion des deux États
clefs de voûte des équilibres régionaux qu’étaient l’Irak et la Syrie d’un côté
et les révolutions arabes de l’autre. Selon leur rang et leur puissance, ces
nouveaux acteurs y déploient des leviers d’influence multiformes et
s’insèrent dans des réseaux d’alliances complexes en interaction dynamique
(cf. intervention militaire de l’Arabie saoudite et des EAU au Yémen, ou le
blocus du Qatar).
Dans ce cadre, la manipulation, le financement et l’armement de
mouvements non étatiques, qui instrumentalisent parfois selon des logiques
plus ou moins sectaires les identités religieuses, jouent parfois un rôle majeur
(cf. mouvements djihadistes). L’Iran et l’Arabie saoudite s’affrontent ainsi
par procuration au Liban, en Syrie, en Irak ou au Yémen.

Montée des tensions, conflits régionaux et nécessaire analyse


géopolitique
Dans ce contexte d’exacerbation de tensions multiformes, démographiques,
économiques, sociales et politiques, on assiste parfois à la multiplication
de conflits locaux et régionaux ou de guerres civiles d’où émergent souvent
de nouveaux acteurs, groupes et liens sociaux. En 2017, l’International Crisis
Group en identifie 75. Ils sont parfois tellement enchevêtrés et
internationalisés que ni les interventions diplomatiques ou militaires des
puissances et des organisations internationales d’un côté, ni l’intervention des
puissances régionales de l’autre ne parviennent à en imposer un règlement
durable. Ces interventions sont souvent même des facteurs d’exacerbation
des conflictualités (Grands Lacs, Sahel, Proche et Moyen-Orient). Les forces
de l’ONU sont ainsi engagées dans 63 opérations de maintien de la paix.
Loin d’être chaotiques, ces crises s’expliquent rationnellement par de
multiples facteurs territoriaux comme les jeux d’acteurs rivaux en
compétition et l’entrée en crise des systèmes de compromis, de régulation, de
légitimité ou de coercition fondant un ordre social et politique… En
particulier, la viabilité des constructions nationales et étatiques, l’accès aux
ressources ou aux richesses (fronts pionniers agricoles, enclosure des pâtures,
extension des périmètres irrigués, aménagements hydroélectriques, ouverture
de mines…) ou l’exacerbation des inégalités sont des éléments structurants
comme l’illustrent les trajectoires asiatiques (Birmanie, Thaïlande,
Sri Lanka…), sahéliennes (Mali, Niger, Soudan…) ou de la Corne de
l’Afrique (Somalie…).
Si l’accent est souvent mis dans les médias sur l’importance des réseaux
criminels ou terroristes, ou sur l’usage massif de Internet, on ne peut faire
l’impasse sur leurs ancrages dans des territoires et des sociétés bien réelles.
Cette prise en compte est indispensable pour en comprendre les logiques, les
modes d’organisation et d’action et les finalités d’un côté, pour répondre aux
multiples défis qu’ils soulèvent de l’autre (cartels de la drogue en
Amérique latine, mafias, Boko Haram, réseaux d’Al-Qaida, d’AQMI ou de
Daech). En particulier, on assiste souvent de la part des pays occidentaux à
une large surestimation des causes religieuses à certains mouvements locaux
et régionaux dans le cadre d’une vision et d’une réponse très militaires aux
crises, au détriment des facteurs politiques, entendus comme la vie de la
polis.
Dans certains territoires morcelés par le localisme, la fragmentation et des
assignations identitaires et religieuses, recomposées et plus ou moins
instrumentalisées (fractions, lignages, ethnies, quartiers de villes ou de
villages…), l’accès aux ressources de l’État, ou de ce qu’il en reste, l’accès à
la terre, aux pâturages, à l’eau ou aux minerais, le contrôle d’économies
miliciennes ou l’enrichissement illicite par la prédation ou les trafics sont des
enjeux majeurs de violences et de conflits entre acteurs locaux et régionaux.
Dans tous les cas (Afghanistan, Sahel, Syrie, Colombie…), trois faits
marquants apparaissent pour analyser ces situations : l’importance des
facteurs et héritages géohistoriques, étroitement liés aux 1re et
2e mondialisations, le nécessaire recours aux emboîtements d’échelles et le
recours au raisonnement géopolitique comme analyse des rivalités de
pouvoirs sur un territoire.
Boko Haram : la nécessaire approche géopolitique
d’un conflit brûlant
Qualifiée de secte en raison de son intransigeance religieuse, de ses
techniques d’endoctrinement et de son intolérance à l’égard des autres
musulmans, Boko Haram est aussi un mouvement social qui attire de
nombreux jeunes des grandes cités du nord du Nigeria ou de brousse. Il
s’agit de mendiants, d’analphabètes, de chômeurs, parfois de diplômés et
même de petits et moyens cadres qui ne trouvent pas leur place dans le tissu
économique et social nigérian, faute d’emploi ou de ressources suffisantes.
Comme au Mali, les thèses salafistes promues par l’Arabie saoudite et le
Qatar se renforcent au Nigeria où elles profitent de l’absence de véritables
oppositions politique ou religieuse et du rejet massif de la classe politique
accusée de corruption, d’enrichissement illicite en lien avec les milieux
d’affaires, de passe-droits et d’incompétence face aux problèmes de
développement.
Si Boko Haram avait été combattu dès le départ, il ne serait jamais devenu
autre chose qu’une secte locale en guerre contre les symboles de l’État. Ce
conflit très territorialisé porte sur une zone de périphérie nationale longtemps
délaissée par les États centraux (Nigeria, Cameroun, Niger, Tchad). Cette
zone est traversée depuis plusieurs décennies par de multiples
antagonismes intercommunautaires et est l’objet d’enjeux quant à l’accès aux
terres agricoles, aux pâturages et à l’eau (autochtones
Kanuri/haousssaphones du Niger et du Nigeria, agriculteur buduma/ éleveurs
peuls, pêcheurs…). Dans ce contexte, Boko Haram apparaît pour chacun de
ces groupes comme une opportunité pour régler ses problèmes.
Source : d’après GRÉGOIRE E. et alii, 2019, Géopolitique du Sahel et du
Sahara, Hérodote, no 172, p. 10-12.

Nouvelle course aux armements et militarisation du monde


Dans un monde instable et incertain à l’architecture mouvante, on assiste à la
relance spectaculaire d’une nouvelle course aux armements. En 2018, les
dépenses mondiales d’armement atteignent en effet 1 822 milliards de dollars
selon le SIPRI, soit le PIB annuel du Brésil (9e rang mondial) : une hausse de
37 % en quinze ans. Pour autant, ces dépenses demeurent très polarisées
puisque seulement 15 États en réalisent 82,5 % dont les États-Unis (36,5 %
du total mondial), très loin devant la Chine (14 %), l’Arabie saoudite et l’Inde
(3,8 %), la France (3,5 %), la Russie (3,4 %), le Royaume-Uni et l’Allemagne
(2,8 %) et le Japon (2,6 %). Dans ce contexte général, l’arme nucléaire
stratégique – avec un stock mondial de 14 500 ogives, dont 92 % sont
détenues par les États-Unis et la Russie – demeure un vecteur majeur de la
puissance. En 2018, la Corée du Nord entre officiellement dans le club
restreint des États possédant l’arme nucléaire (États-Unis, Russie, Royaume-
Uni, France, Chine, Inde, Pakistan, Israël) alors que la question iranienne
demeure largement en suspens.
Pour autant, les États-Unis disposent toujours incontestablement de
l’appareil militaire le plus puissant et le plus efficace : armes nucléaires,
capacités de frappe et de projection classiques, maîtrise des mers inégalée,
quadrillage du territoire mondial avec 560 bases et 175 000 militaires,
réseaux d’alliances et engagements de sécurité avec 65 pays… Celui-ci
confère ainsi à l’hégémon nord-américain un statut impérial depuis la
Seconde Guerre mondiale. Face à la question géopolitique de l’impuissance
de la puissance liée aux échecs politiques et géostratégiques des dernières
années, la relance de la militarisation outrancière des bases de l’hégémon par
Donald Trump vise à maintenir un véritable leadership mondial (électronique,
intelligence artificielle, spatial, télécommunications…).
Ces dépenses dopent les activités des 100 premières firmes mondiales
d’armement (Chine exclue) qui réalisent 400 milliards de dollars de ventes et
emploient entre 4,5 et 5 millions de salariés, souvent hautement qualifiés.
Avec 47 firmes réalisant 58 % des ventes mondiales en 2019, le complexe
militaro-industriel états-unien maintient sa première place grâce, en
particulier, à la force de frappe industrielle et technologique de ses firmes
(United Technologies, Northrop Grumman…). On retrouve ensuite le
Royaume-Uni, la Russie, la France, l’Italie, le Japon et Israël. Mais la
stratégie états-unienne consiste à étrangler toute concurrence occidentale, en
particulier française et européenne, afin de disposer d’un monopole
occidental. Dans les Suds, si certaines puissances secondaires émergent
(Brésil, Inde, Corée du Sud, Turquie…), la Chine est devenue une puissance
militaire et technologique majeure.

Fragilisation et crise du système de gouvernance mondiale

La crise des grandes organisations internationales et continentales


Entendu comme l’ensemble des institutions politiques (ONU), économiques
et financières (FMI, OMC, Banque mondiale) internationales organisant la
mondialisation et la gestion des relations internationales, le système de
gouvernance mondiale est aujourd’hui en crise, entre coopérations
internationales, montée des tensions, enjeux de puissances et partage du
pouvoir.
Organisant le « concert des nations » et fondée sur le multilatéralisme, le
système onusien constitue depuis 1945 le cœur des institutions
internationales. Enceinte politique veillant au droit et à la sécurité
internationale, l’ONU dispose de la seule légitimité politique (cf. missions de
paix), fondée sur les votes de l’Assemblée générale. Elle dispose de seize
agences en charge du développement économique et social et des droits de
l’homme (OIT, OMS, UNESCO, HCDC…), de la gestion sectorielle (AOIC,
FAO, OMI…) ou de nombreux programmes (PAM, PNUD, CNUCED,
UNRWA, ONU-Habitat…).
Mais son fonctionnement, son financement et sa paralysie éventuelle ne
font que refléter l’état des relations internationales et des compromis
géopolitiques de ses États membres concernant la marche du monde. En
particulier, si la réforme de son Conseil de Sécurité, où les cinq membres
permanents disposent d’un droit de veto, est posée depuis les années 1990,
elle n’a jamais pu aboutir (cf. élargissement à vingt membres avec six sièges
permanents supplémentaires proposés par l’Inde, le Brésil, le Japon et
l’Allemagne). De même, créée en 2002, la Cour pénale internationale – qui
met fin à l’impunité (génocide, crime contre l’humanité, guerre, agression)
dont bénéficie chefs d’États et militaires – voit son autorité reconnue par
seulement 123 des 193 États membres de l’ONU ; des pays aussi importants
que les États-Unis, la Russie, la Chine ou l’Inde n’ayant pas ratifié ou signé
son statut.
Mais ce sont surtout aujourd’hui les grandes institutions économiques et
financières comme le Fonds monétaire international (FMI, siège à
Washington), la Banque mondiale (BM, siège à Washington) ou
l’Organisation mondiale du commerce (OMC, siège à Genève) qui sont les
plus fragilisées par une profonde crise de légitimité du fait de leur profond
discrédit, lié aux logiques ultra-libérales promues dans les décennies 1980-
2010 qui ont abouti à la crise financière mondiale de 2008, et au refus de
nombreux États occidentaux qui en tiennent les rênes, en premier lieu les
États-Unis, de les réformer en profondeur et de partager le pouvoir.
Dans ces conditions, que signifie le passage à un nouveau monde
polycentrique ? Allons-nous vers un nouveau choc d’ambitions rivales
exacerbées ou vers la construction d’un nouvel ordre international plus
équilibré, plus juste, plus solidaire et plus démocratique ?
Formaliser un pilotage de la mondialisation :
du G6 au G20, l’arrivée des émergents
À l’issue de la crise des années 1973-1974, les grandes puissances
occidentales souhaitent mieux coordonner leurs politiques économiques et
financières en instituant tous les ans une rencontre au sommet des chefs
d’État et de gouvernement. Y sont aussi présents les présidents de la
Banque mondiale et du FMI, les présidents du Conseil européen et de la
Banque centrale européenne. Créé en 1975 à l’initiative de la France, le G6
réunit les États-Unis, la France, l’Italie, le Japon, la RFA et le Royaume-Uni.
En 1976, il devient le G7 avec l’entrée du Canada, puis en 1998 le G8 avec
l’entrée de la Russie. Très critiqué, le G8 est contraint en pleine crise
et panique financière de s’ouvrir à douze nouveaux États : il devient le G20
au sommet de Londres d’avril 2009.
Objet de longues tractations diplomatiques afin de ne pas froisser trop de
susceptibilités nationales et d’équilibrer sa composition géopolitique, il
accueille alors comme membres de nouvelles puissances soit mondiales
(Chine, Inde, Brésil), soit continentales (Argentine, Mexique, Afrique du Sud,
Turquie, Arabie saoudite, Corée du Sud, Indonésie et Australie). À fonction
essentiellement symbolique, ces simples forums de discussion permettent au
moins un échange de vues entre les grands acteurs politiques de la planète.

Montée et crises des organisations régionales et continentales


Enfin, la mondialisation se caractérise aussi par l’affirmation d’un
millefeuille d’organisations continentales (Mercosur, ASEAN, SAAER,
CARICOM, SACU…) aux fonctions géoéconomiques ou géopolitiques
variables, qui quadrillent le globe et renforcent les liens d’interdépendance
entre États voisins selon des solidarités de proximité. En effet, loin
d’invalider les rivalités de pouvoir entre puissances prétendant à une
hégémonie subcontinentale (États-Unis, Russie, Brésil, Chine, Inde, Afrique
du Sud…), la mondialisation oblige ces mêmes États à trouver de nouvelles
modalités – politiques, institutionnelles et économiques – d’intégration et de
stabilisation de leurs espaces régionaux respectifs.
La continentalisation institutionnelle et politique des pavages du monde est
donc bien une réponse à la fois stratégique et fonctionnelle à la
mondialisation, en étant une échelle intermédiaire indispensable entre États et
espace mondial. Mais ces institutions continentales présentent des
constructions institutionnelles plus ou moins viables et fonctionnelles aux
niveaux d’intégration très variables, à l’exception de l’Union européenne où
ont été consentis de véritables transferts de souveraineté, mais dont le Brexit,
largement impensable, ou la montée des mouvements nationalistes soulignent
la fragilité.

Montée des pays émergents et nouvelles autonomies stratégiques


Face aux blocages de Washington et faute de pouvoir les transformer de
l’intérieur, les grands pays émergents – tout particulièrement la Chine – ont
donc choisi de contourner les accords de Bretton Woods en se dotant de leurs
propres institutions autonomes. Ainsi, le sommet d’Ufa des BRICS du
printemps 2015 valide la création d’une Nouvelle Banque de développement
(NBD) et d’un Fonds commun de réserve de change (FCRC). Surtout, au
printemps 2015, la Chine fonde la Banque asiatique d’investissement pour les
infrastructures (Asian Infrastructure Investment Bank, AIIB) afin de torpiller
en Asie le monopole acquis par la Banque asiatique de développement
(BAD), créée en 1966, dominée par les États-Unis et le Japon, dont le siège
est à Manille et le président japonais. Malgré l’opposition de Washington,
l’AIIB – dont le siège est à Pékin – a acquis un véritable statut international
puisque 97 États y adhérent (Inde, Russie, Australie, France, Allemagne,
Royaume-Uni, Italie, Suisse, Australie, Taïwan, Corée du Sud, Indonésie,
Thaïlande, Pakistan, Iran, Émirats arabes unis, Arabie saoudite, Égypte…).

Des enjeux renouvelés : les mers et océans

Maritimisation du monde et « course à la mer » : une nouvelle


centralité océane
Confrontées à la « finitude du monde terrestre », les sociétés humaines se
tournent de plus en plus vers la valorisation des espaces maritimes qui
couvrent 361 millions de km2, soit 71 % de la surface du globe, et mettent en
contact 78 % des États. Jamais dans l’histoire l’économie mondiale n’a en
effet été aussi dépendante de la mer (ressources halieutiques et minières,
transports maritimes…) grâce, en particulier, aux mutations scientifiques et
technologiques qui permettent la mise en valeur d’espaces jusqu’ici soit
inconnus, soit inaccessibles (cf. off shore profond pour les hydrocarbures).
Cette nouvelle centralité océane constitue une véritable révolution
géopolitique car elle n’est plus, comme autrefois, le seul apanage des grandes
puissances occidentales mais un phénomène de plus en plus universellement
partagé. Pour autant, les différents degrés de maritimité permettent de
distinguer des États continentaux plus ou moins enclavés ou au contraire très
ouverts et disposant parfois de plusieurs façades maritimes (États-Unis,
France…), des États insulaires (Royaume-Uni, Islande ou Japon…) ou
péninsulaires (Italie, Corée du Sud…) ou enfin des États-archipels (Grèce,
Philippines, Indonésie, Maldives, Vanuatu, Fidji, Salomon…).
Le Brésil et l’Amazonia azul : l’affirmation maritime
d’un pays émergent du Cône Sud
« État-continent (8,5 millions km2, 5e rang mondial) fondamentalement
terrien, agricole et minier jusque dans les années 1980, le Brésil affirme sa
maritimité dans la décennie 2000. Alors que son littoral représente un tiers –
soit 8 500 km – des 25 385 km de son enveloppe externe, la découverte des
gisements off shore d’hydrocarbures de Tupi et de Libra entre 2007 et 2010
au large de São Paulo joue un rôle majeur dans la définition de son nouveau
projet géopolitique. Celui-ci repose sur la « Stratégie nationale de défense »
de 2005 et le « Plan national de défense » de 2008 qui définissent un
nouveau concept géopolitique, celui d’« Amazonia azul », ou Amazonie
bleue. Il englobe à la fois la zone côtière, qui regroupe sur une bande de
100 km de profondeur 80 % de la population et 93 % de la production
industrielle, et le domaine maritime (90 % des réserves de pétrole et 67 %
des réserves de gaz naturel). Les forces armées brésiliennes, en particulier la
Marine en plein développement (un porte-avions, 5 sous-marins,
14 bâtiments de surface, patrouilleurs), se voient donc affecter comme
mission de défendre contre toute menace ou convoitise extérieures les deux
Amazonies, verte et bleue. En septembre 2010, le président Lula da Silva
décide unilatéralement d’étendre la souveraineté brésilienne de sa zone
économique exclusive (ZEE) à 350 milles dans cinq zones du plateau
continental sans attendre l’aval de la Commission sur les limites du plateau
continental de l’ONU. Ce geste permet d’augmenter la ZEE de 960 000 km2
pour la porter à 3,5 millions de km2. »
Source : CARROUÉ L., 2015, « Géopolitiques des mers et océans », in
Géographie des mers et océans, Paris, Armand Colin, coll. « Horizon »,
chapitre 9.

Appropriation et territorialisation des espaces maritimes


Dans ce contexte, les espaces maritimes sont de plus en plus convoités à
partir des littoraux dans le cadre d’un processus général de maritimisation des
États côtiers (cf. Brésil) qui se lancent dans une « course à la mer » afin
d’affirmer leur souveraineté géopolitique et géoéconomique sur des espaces
marins de plus en plus larges. En particulier, le Traité de Montego Bay de
1982, qui entre en vigueur en 1994, reconnaît le « droit à la mer » des États
côtiers. Cette rupture multiséculaire dans l’ordre géopolitique international
est alors largement portée par les pays des Suds dans le cadre de la recherche
d’un nouvel ordre économique international qui souhaite rompre avec la
domination jusqu’alors sans partage des grands pays occidentaux.
La définition des frontières maritimes (mers territoriales, zone économique
exclusive ou ZEE…), le contrôle des nœuds de circulation (canaux,
détroits…) et la sécurisation de la navigation deviennent des enjeux brûlants
du fait de l’affirmation de nouvelles rivalités interétatiques, comme en
témoigne la multiplication des conflits pour la fixation des frontières marines.
La valorisation et le contrôle de l’océan glacial Arctique ainsi que l’ouverture
progressive de nouvelles routes maritimes sous les effets du réchauffement
climatique (cf. Route maritime du Nord russe) témoignent que plus aucun
espace, aussi contraignant soit-il, n’échappe à ces logiques. D’autant que
l’explosion des prélèvements halieutiques, l’épuisement de certaines zones de
pêches et le glissement de la grande pêche vers les zones tropicales
et l’hémisphère sud accentuent les conflits entre États côtiers, qui tentent de
préserver leurs ressources naturelles (golfe de Guinée, Maroc, Canada,
Norvège, Islande…), et États pêcheurs (Union européenne, Japon, Corée du
Sud, Chine…).
On compte aujourd’hui environ 70 à 80 conflits maritimes frontaliers, soit
froids, c’est-à-dire peu actifs et de basse intensité, soit au contraire très
chauds avec des affrontements armés. Si le Grand Bassin caraïbe connaît de
multiples tensions de basse intensité, l’exploitation des hydrocarbures
off shore constitue les principaux points de friction en Méditerranée, dans le
golfe de Guinée et dans le golfe Persique. Mais l’Asie de l’Est et du Sud-Est
est le principal point chaud mondial, en particulier du fait des nombreux
litiges entre États riverains et de l’affirmation croissante de la Chine (Paracel,
Spratly…).
Figure 2.5 La maritimisation du monde : une nouvelle frontière

Source : DEBOUDT P., MEUR-FEREC C., MOREL V., BARON G., 2015, Géographie des mers et des océans, Paris, Armand
Colin.

Alors que les ZEE, comprises dans une limite extérieure de 200 milles
(370 km) du littoral, couvrent 102 millions de km2, de nombreux États
(Russie, France, Australie, Norvège…) cherchent aujourd’hui à étendre dans
une centaine de zones leur ZEE de 200 à 350 milles marins (+ 75 % en
portée). Si un tel processus venait à achèvement, la zone de haute mer – sur
laquelle ne s’exerce aucune souveraineté – reculerait de 55 % à 45 % de la
surface du globe.
Ces logiques aboutissent à une militarisation spectaculaire des espaces
maritimes et à une course spécifique aux armements. On assiste à l’essor de
certaines marines de guerre de second rang (Chine, Japon, Brésil…) et à la
multiplication des achats de matériels plus légers (vedettes, patrouilleurs
légers, corvettes) par des États de troisième rang (Gabon, Sénégal) souhaitant
mieux protéger leurs eaux territoriales et leurs ZEE.

Les progrès du droit international et des instances de régulation


Ces processus d’appropriation et de territorialisation des espaces maritimes
sont juridiquement encadrés et régulés par un nouveau droit et plusieurs
instances internationales comme le Tribunal international du droit de la mer
(TIDM, Hambourg) et la Cour internationale de justice (CIJ, La Haye) qui
exercent la fonction de tribunal mondial. Ces instances permettent de régler
pacifiquement de nombreux contentieux alors que près de 200 accords de
délimitation ont été conclus en cinq décennies. C’est la Commission
des limites du plateau continental de l’ONU (CLPC) qui étudie et valide les
dossiers concernant l’extension des ZEE. Enfin, l’Autorité internationale des
fonds marins (AIFM) a compétence pour la zone des grands fonds marins qui
sont exclus des juridictions nationales (ZEE) et déclarés « biens communs de
l’humanité ». Cependant, là aussi, les convoitises sont nombreuses et
de nombreux acteurs s’intéressent à leur valorisation future.

De nouvelles frontières : l’espace circumterrestre

La course à l’espace : occupation, valorisation et rivalités


En lien avec l’essor des industries aérospatiales militaires et civiles et des
flottes de satellites (Spoutnik 1 en 1957), l’espace circumterrestre est lui aussi
devenu un nouveau champ de rivalités géostratégiques et géoéconomiques et
un véritable enjeu de sécurité nationale entre puissances depuis la guerre
froide. Une quinzaine d’États ont jusqu’ici mis en orbite leurs satellites grâce
à des lanceurs nationaux : URSS, États-Unis, France, Japon, Chine,
Royaume-Uni, Inde, Israël, Ukraine, Iran, Corées du Nord et du Sud. Avec
des investissements massifs, Pékin souhaite rattraper la Russie et l’Europe
en 2030 et les États-Unis en 2050.
Du fait de l’évolution rapide des technologies, l’occupation et la
valorisation de l’espace joue un rôle économique (télécommunications et
Internet, observation, océanographie, météo, positionnement comme le GPS,
gestion des flux…) et militaire majeur (renseignement, écoute et brouillage,
armes à effet dirigé − laser, gestion au sol, détection de lancement de missiles
balistiques…). C’est ainsi qu’actuellement se multiplient les constellations
géantes pour fournir des télécommunications et Internet au monde entier
(Iridium avec 81 unités, projet OneWeb avec 650 unités, projet Starlink de
4 225 unités…). Dans la géolocalisation, le monopole du GPS états-unien,
militaire en 1973 puis civilisé en 2000 (31 unités), est concurrencé par les
projets européens Galileo (30 prévus), russes Glonass (24) et surtout chinois
Beidou (44).

La question de la militarisation de l’espace


Dans ce contexte, on assiste à une militarisation offensive (destruction par
missiles antisatellites de la terre ou dans l’espace, ou récupération de
satellites ennemis – X37B états-unien et Shenlong chinois) de plus en plus
inquiétante, en particulier par les États-Unis et la Chine. Le 18 juin 2018,
Donald Trump annonce ainsi la création officielle d’une sixième branche des
forces armée des États-Unis : l’« US Space Force » ou « Force armée de
l’espace ». L’objectif est clair : « Pour défendre l’Amérique, une simple
présence dans l’espace ne suffit pas, nous devons dominer l’espace »,
affirme-t-il. En mars 2018, sur la base aérienne de Miramar (San Diego,
Californie), il déclarait déjà : « Ma nouvelle stratégie de sécurité reconnaît
que l’espace est une zone de combat, tout comme la terre, le ciel et la mer. »
Ces objectifs s’appuient aussi sur le National Reconnaissance Office (NRO),
une agence de renseignement américaine spécialisée dans les satellites
espions, et la Missile Defense Agency (MDA). Selon l’International Institute
for Strategic Studies (IISS), les États-Unis disposent aujourd’hui de
127 satellites militaires, contre 94 à la Russie et 72 à la Chine. Ce programme
de possible militarisation de l’espace par son aspect offensif risque de
déstabiliser tous les équilibres internationaux, tant les activités militaires et
civiles dépendent aujourd’hui des satellites dont le rôle est devenu
névralgique. En particulier, les satellites qui opèrent en orbite terrestre basse
(100 à 1 242 miles) sont cruciaux tant pour les armées que pour les services
spéciaux dans la gestion des zones de tension et de conflit.
En réponse, la Chine et la Russie dénoncent ces projets de militarisation de
l’espace comme susceptibles de miner la sécurité internationale et proposent
immédiatement une initiative commune sur le non-déploiement des armes
dans l’espace lors de la Conférence du désarmement de l’ONU. Si le droit
international de l’espace interdit explicitement la mise en orbite d’armes de
destructions massives et n’autorise que l’usage pacifique des corps célestes
(Lune, Mars…), il reste muet sur tous les autres champs.
De nouveaux enjeux et grands débats de civilisation sont ainsi en train
d’émerger sous nos yeux.

La crise du nouveau régime


d’accumulation financière
Tout comme la Guerre de 1914-1918 avait signé l’entrée dans le XXe siècle, la
crise économique et financière mondiale ouverte en 2007-2008, et dont nous
ne sommes toujours pas sortis, a signé l’entrée véritable dans le XXIe siècle. Si
l’incendie a été contrôlé, le coût en demeure exorbitant alors que le système
financier reste source de nouveaux et profonds déséquilibres faute d’avoir été
totalement repensé et refondé. La planète financière marche sur la tête.

Choc de la crise systémique de 2008 et nouveaux rapports


de force

Le régime d’accumulation financière : une construction anglo-saxonne


La faillite, le 15 septembre 2008, de la célèbre banque d’affaires new-
yorkaise Lehman Brothers ouvre la plus grande crise financière, économique
et sociale mondiale depuis 1929. Elle achève un cycle de quatre décennies.
Pour en comprendre les ressorts profonds et les enjeux géopolitiques et
géoéconomiques mondiaux, il faut en éclairer les facteurs structurels.
Tout débute au tournant des années 1970-1980, lorsque le capitalisme
anglo-saxon – tout particulièrement les États-Unis – va chercher à
reconstruire les bases de son hégémonie mondiale en difficulté autour de trois
piliers : une révolution idéologique, politique et sociale néoconservatrice et
néolibérale qui va faire éclater tous les héritages et compromis sociaux de la
période keynésienne des Trente Glorieuses, une révolution géoéconomique
fondée sur la construction d’un nouveau régime d’accumulation financière et,
enfin, une nouvelle guerre froide aboutissant à l’effondrement de l’URSS et
du camp socialiste en 1989-1991.
Dans le monde de l’entreprise, Milton Friedman – futur Prix Nobel
d’économie de l’université de Chicago – en théorise les contours dès
septembre 1970 : révolution actionnariale et maximisation de la valeur
boursière pour l’actionnaire, rentabilité maximale et immédiate (avec des
objectifs de 15 à 20 %), libéralisation des marchés… L’arrivée au pouvoir de
Margaret Thatcher au Royaume-Uni en 1979 et de Ronald Reagan aux États-
Unis en 1980 lance véritablement ces ruptures systémiques d’essence
éminemment politique. Le secteur financier occidental – banques de dépôts et
commerciales, assurances, Fonds de pension, Fonds spéculatifs…, c’est-à-
dire « les marchés » qui servaient traditionnellement à financer le
développement économique et social – va devenir de plus en plus rentier,
instable et spéculatif, définissant ainsi un nouveau stade de la mondialisation.
Il fonctionne au profit des élites déjà les plus riches, les produits financiers
représentant une part croissante de leur patrimoine et de leurs revenus.
On assiste alors à une fantastique accumulation du stock mondial de capital
financier (en 2005, il représente alors 11 fois le PIB mondial) qui devient de
plus en plus mobile grâce à la libération des marchés par les États et les
progrès techniques. Le trading haute fréquence (THF) apparaît ainsi aux
États-Unis en 1998 et en Europe en 2007. Cette hypermobilité géographique
du capital dans l’espace mondial, historiquement inédite, permet de dégager
une rente en survalorisant systématiquement les différences économiques –
même les plus minimes – entre territoires : taux d’intérêt, prix des actions,
taux de change entre deux monnaies… Mais le système devient de plus
instable avec 24 crises financières majeures entre 1971 et 2008, soit une tous
les dix-huit mois.
Trading haute fréquence : l’explosion du coût
de la distance-temps dans la spéculation
Les traders haute fréquence (THF), sociétés de trading qui fonctionnent de
manière automatisée et à la vitesse de l’éclair, se sont engagés dans une
course de vitesse coûteuse et difficilement tenable sur la durée. Les THF, qui
s’appuient exclusivement sur des programmes automatiques d’achat et de
vente d’actifs (actions, obligations, devises, dérivés…) ont adopté les micro-
ondes radios, qui ont une vitesse de transmission des informations 30 % plus
rapide que la fibre optique. En cinq ans, de 2012 à 2017, le coût d’une
microseconde (millionième de seconde) de vitesse supplémentaire a été
multiplié par près de 20 pour atteindre 12,4 millions de dollars. Les données
de marché mettent en moyenne 4,01 millisecondes (NDLR : une milliseconde
correspond à un millième de seconde) pour aller de Wall Street, du
New Jersey où est situé le centre de données du NYSE, vers Chicago. En
Europe, la liaison entre les places de Francfort et Londres est de l’ordre
de 2,3 millisecondes. La limite physique de la vitesse est proche d’être
atteinte sur la ligne New Jersey-Chicago. Mais cette course de vitesse a un
prix croissant pour un avantage de plus en plus faible.
Source : d’après Les Échos du 14 février 2019.

La plus grande crise financière et économique mondiale depuis 1929


La crise ouverte en 2008 se traduit par un ébranlement structurel du système
occidental et symbolise la fin du XXe siècle et l’entrée véritable dans le
nouveau XXIe siècle. On assiste à une fantastique destruction de capital
financier et de potentiel économique (immobilier, productif, commercial,
chômage…) et à un retour massif des États et de l’action publique, autrefois
si décriés. Ceux-ci vont jouer à la fois des politiques budgétaires, fiscales,
monétaires et économiques : plans de relance, baisses des taux d’intérêt,
soutiens à la consommation, garanties sur les dettes bancaires,
recapitalisations voire nationalisations, rachats de dettes privées et
publiques…
Dans ce cadre, les contribuables payent la facture : la dette publique des
membres du G7 passe de 23 à 117 % de leur PIB entre 1974 et 2019. Ce qui
signifie que l’effort de mobilisation pour sortir de cette crise dépasse celui
réalisé durant… la Seconde Guerre mondiale. De même, les Banques
centrales injectent massivement des liquidités : entre 2005 et 2018, le bilan
des Banques centrales occidentales passe de 3 450 à 14 900 milliards de
dollars, soit de 11,7 à 38,6 % du PIB. Ces politiques monétaires
expansionnistes font passer la base monétaire mondiale de 8 à 33 % du PIB
mondial entre 1980 et 2018. Elles dopent les prix des actifs financiers et
immobiliers et relancent les logiques spéculatives.
Figure 2.6 L’explosion de la dette publique des grands pays occidentaux
(G7, % PIB)

Sources : OCDE et FMI, 2019.

Difficile sortie de crise, profondes recompositions,


démondialisation/mondialisation
Aujourd’hui, plus de dix ans après la crise, rien n’a fondamentalement
changé malgré quelques mesures phare. Les efforts de régulation des marchés
restent limités, voire sont remis en cause, la fragmentation du système
financier mondial demeure considérable. Et ce alors même que la taille de la
finance mondiale n’a jamais été historiquement aussi élevée et
disproportionnée. Le stock mondial d’actifs financiers est en effet passé de
143 000 à 341 000 milliards de dollars entre 2003 et 2017, la « finance de
l’ombre », ou non-bancaire (shadow banking), prospère et le monde croule
sous une montagne de dettes publiques et privées : elle passe de 61 % à
225 % du PIB mondial entre 2001 et 2017, pour atteindre les
185 000 milliards de dollars.
La crise débouche sur une sensible réorganisation des équilibres mondiaux.
Avec 18 des 100 premières banques mondiales, dont les 4 premières (ICBC,
CCBC, Agricultural Bank of China, Bank of China), la Chine contrôle 25 %
des actifs du Top 100, devant les États-Unis (14 %), la France (9 %) ou le
Royaume-Uni (8 %). Si aux États-Unis, les restructurations ont renforcé les
banques les plus puissantes (JP Morgan Chase, Bank of America…),
l’Europe occidentale est la grande perdante avec un secteur fragile, très éclaté
et qui s’est fortement démondialisé. Dans ce contexte, la géographie des
ressources économiques financières disponibles s’inverse sensiblement du
fait du glissement du point d’équilibre de l’épargne mondiale.

Réserves de change et fonds souverains : nouvelles logiques,


nouveaux acteurs
On assiste en effet à une évolution spectaculaire des réserves financières
internationales dont disposent les différents États et qui sont constituées des
réserves de change et des autres réserves (or, devises, bons du trésor,
créances sur le FMI…). En vingt ans, le stock mondial de réserves de change
est multiplié par 15 pour atteindre 10 600 milliards de dollars. Les Suds – en
particulier la Chine, les pays de l’OPEP et émergents – polarisent aujourd’hui
71 % des actifs de réserve mondiaux. La crise actuelle accélère, et officialise
en quelque sorte, l’intervention au cœur des marchés financiers d’un nouvel
acteur de poids : les Fonds souverains des pays émergents. À l’échelle
mondiale, deux grandes zones contrôlent 70 % de leurs capitaux : l’Asie de
l’Est et du Sud-Est et les pays du golfe Persique qui deviennent les nouveaux
coffres-forts du monde.
Figure 2.7 Les fonds souverains : les nouveaux acteurs de la planète
financière
Apparus en 1953 au Koweït et en 1974 à Singapour, les fonds
d’investissement souverains (SWFs, Sovereign Wealth Funds en anglais) sont
des organismes publics ou para-publics créés par les États (Abu Dhabi,
Chine, Koweït, Qatar, Émirats arabes unis, Russie, Singapour…). Leur
objectif est de recueillir, placer et gérer à long terme les capitaux dégagés tout
en diversifiant les bases de leurs économies nationales (cf. exemple norvégien
pour préparer l’« après pétrole »). Si leurs capitaux sont initialement dans les
dettes publiques et les marchés actions, ils multiplient les prises de
participation dans les firmes et activités jugées intéressantes ou stratégiques
(finance, immobilier, énergie, matières premières, infrastructures, industries
du luxe…). Ainsi, créé en 2007, le CIC – China Investment Corporation – est
l’un des bras financiers de la nouvelle puissance chinoise et il investit dans
l’énergie, les matières premières, la technologie, l’agriculture et l’agro-
alimentaire.

Le système financier mondial : une planète financière


déséquilibrée

Les principaux marchés actions et les bourses de commerce


des matières premières
La création d’un marché réellement planétaire des capitaux est un phénomène
historique récent et pas encore totalement achevé. Il témoigne surtout d’une
planète financière déséquilibrée et profondément hiérarchisée. Par exemple,
dans les marchés actions, qui sont les mieux documentés, seulement dix
bourses polarisent 76 % de la capitalisation boursière mondiale. Du fait de sa
taille et de son ouverture, New York (NYSE et NASDAQ) écrase ses
concurrents. Face au rôle traditionnel de Londres, Tokyo, Paris ou Francfort,
on assiste à l’émergence de la Chine avec Shanghai, Hong Kong et Shenzhen.
D’est en ouest, les acteurs jouent sur les heures d’ouverture des marchés et
les fuseaux horaires.
Sous le terme générique de marchés financiers se cachent des segments
organisés par type de produits (changes, dettes, actions, nouveaux produits
financiers, matières premières) disposant de leurs propres structures et
logiques. Ainsi, les matières premières – agricoles, minières ou
énergétiques – voient leurs cours et leurs transactions organisés par des
bourses de commerce spécialisées. Si Londres demeure la grande référence
devant New York ou Paris, il existe de nombreuses places spécialisées dans
certains produits comme Singapour, Kuala Lumpur, Sydney, Shanghai,
Rotterdam, Chicago ou Winnipeg. Certains marchés sont aussi extrêmement
concentrés : sur celui des changes entre monnaies, cinq banques (Barclays,
Citigroup, UBS, RBS, JP Morgan) réalisent 45 % des transactions mondiales
et deux places – Londres (2 380 milliards de dollars de transactions par jour)
et New York (945 milliards) – l’essentiel des flux.
Figure 2.8 Le système financier mondial
Les paradis fiscaux ou centres financiers extraterritoriaux en débat
Historiquement, la mondialisation financière repose aussi sur l’existence
d’intermédiaires jouant un rôle majeur malgré leurs petites tailles : les paradis
fiscaux. Marchandant leur souveraineté, ce sont des États ou des territoires
rattachés bénéficiant de juridictions d’exception, où l’activité financière est
déconnectée de l’économie nationale et qui sont spécialisés dans la fourniture
de prestations financières opaques. Ils se caractérisent par des taxations
faibles ou nulles, un secret bancaire et professionnel, des procédures
d’enregistrement relâchées, une liberté totale des mouvements de capitaux,
une immédiate rapidité d’exécution grâce à de bonnes infrastructures et
une bonne stabilité économique et géopolitique.
Depuis 1945, on assiste à leur explosion numérique. On peut en identifier
entre 40 et 70, en particulier dans la guirlande insulaire tropicale des Caraïbes
et du Pacifique. Mais depuis la crise de 2008 et la multiplication de scandales
(Luxleaks, Paradise Papers, Panama Papers…) qui ont révélé comment les
grandes fortunes et les firmes transnationales cherchaient à échapper à
l’impôt, les grands pays développés, de nombreuses ONG et les organisations
internationales s’attaquent enfin progressivement à ces sanctuaires. Selon
l’OCDE, les stratégies d’optimisation fiscales des firmes transnationales
coûteraient entre 100 et 500 milliards de dollars par an aux finances
publiques, soit entre 4 et 20 % des revenus mondiaux de l’impôt sur les
sociétés.

Les territoires de la finance internationale : les grandes places


financières

Un nombre restreint de métropoles mondiales en haut de la hiérarchie


urbaine
Loin d’être déterritorialisées, l’organisation et la gestion des marchés
financiers sont assurées par quelques places financières interconnectées en
haut des hiérarchies urbaines mondiale et continentales : New York, Londres,
Francfort, Paris, Tokyo, Singapour, Shanghai… Elles accueillent les sièges
sociaux des acteurs et les infrastructures des marchés dans des quartiers
spécialisés (Wall Street, City de Londres, Lujiazui à Shanghai…). Les
activités financières y représentent des enjeux économiques, sociaux et
urbains considérables à travers leurs chiffres d’affaires, leurs emplois
(Londres : 300 000, Wall Street : 200 000, Francfort ou Paris : 150 000) et les
activités induites, directes et indirectes (services connexes : information
économique, médias, analystes, agences de notations, logements, transports,
communications…). Elles influencent l’organisation des dynamiques
spatiales des espaces urbains à travers la création de quartiers spécialisés et
pèsent sur les logiques foncières et les ségrégations socio-fonctionnelles. En
particulier, la concentration d’une telle masse de salariés hautement qualifiés
et surpayés sur un espace géographique très restreint se traduit par la
construction de véritables sociopôles dans lesquels les liens interpersonnels
jouent un rôle stratégique dans le fonctionnement du système.

Un exemple achevé : la City de Londres


Temple emblématique du capitalisme britannique et mondial (cf. attentat de
l’IRA en 1993 contre la tour la plus haute de la City, la NatWest Tower), la
City londonienne est la première place financière d’Europe occidentale. Face
à la désindustrialisation du pays, elle est l’un des principaux facteurs du
rayonnement international de la Grande-Bretagne. Les services financiers, qui
représentent 1,2 million d’emplois, contribuent très largement au solde positif
de la balance des paiements en dégageant le 1er solde mondial, et pèsent 9 %
du PIB et 30 % des recettes fiscales versées par les entreprises. Ce poids,
cette spécialisation fonctionnelle depuis les années 1970 et la forte ouverture
de la City aux capitaux étrangers décidée en 1986 expliquent les refus
systématiques de Londres d’harmoniser la fiscalité communautaire en taxant
les revenus financiers et l’appui systématique des gouvernements,
conservateurs comme travaillistes, aux mesures de dérégulations. Ce secteur
représente 400 000 emplois à Londres dont 320 000 dans le quartier de la
City et ses annexes directes (Canary Warf et Mayfair). La City est le
1er marché mondial des changes entre devises, le 1er marché pour les
échanges d’actions et d’obligations et le 1er marché des produits dérivés.
Son principal atout réside dans la concentration d’un personnel hautement
qualifié que s’arrachent les entreprises (hauts salaires et primes nombreuses,
intéressement aux résultats…) et d’un marché du travail à la pointe des
déréglementations sociales et économiques (fiscalité et imposition, conditions
d’emploi, temps de travail, règles d’embauche et de licenciement,
rémunérations ultras flexibles…). Revers de la médaille, les principaux
intermédiaires financiers londoniens sont aujourd’hui majoritairement
possédés par des firmes étrangères. Ce dispositif repose sur un véritable
microcosme structuré par un esprit de classe, voire de caste : carnet
d’adresses, moule des mêmes Grandes Écoles, soirées dansantes, convivialité
des clubs fermés, des parties de golf, des courses de chevaux et des week-
ends de chasse à courre…
À l’échelle locale, la City, hégémonique économiquement, culturellement
et socialement, participe activement au remodelage des fonctions
métropolitaines centrales avec des loyers les plus chers d’Europe occidentale
et un marché de l’immobilier d’entreprises étroitement dépendant du
dynamisme du secteur financier et bancaire. Dans ce centre hyper-dense se
développe une féroce compétition pour le contrôle du foncier. Face à la
saturation du centre historique et de la City, on assiste, dans les années 1990,
à la relance des Docklands.
Figure 2.9 La City de Londres, une place financière de rang mondial
À l’échelle régionale, la région du Sud-Est, incorporant Londres et la City,
est la plus riche et la plus dynamique du pays en regroupant 36 % du PIB
national, 30 % de la population et en accaparant l’essentiel des créations
d’emplois. Cette région polarise 85 % des services commercialisation et
d’études de marchés, 64 % de la publicité, 60 % des services informatiques,
50 % des fonctions management, 30 % des services comptabilité et 55 % de
la recherche-développement. Cette exceptionnelle polarisation métropolitaine
exerce une telle pression sur la zone centrale qu’elle débouche sur un
mouvement de desserrement puissant mais sélectif des activités vers la
périphérie londonienne et son grand bassin régional (East Anglia, Sud-Ouest
et Ouest-Midlands). Cette segmentation fonctionnelle, sociale et technique
participe largement à l’exacerbation des disparités régionales au sein du
Royaume-Uni.

Le choc du Brexit sur la City : les marchés, une construction politique


et géopolitique
Dans ce contexte, le Brexit voté lors des élections du 23 juin 2017 a fait
l’effet d’un véritable séisme. Pour le comprendre, il faut dénouer
l’enchevêtrement complexe des liens multiformes – politique, juridique,
administrative et financière – tissés depuis des années entre la City et
l’Union européenne.
Pour la City, l’un des grands enjeux concerne l’accès au marché européen,
via le système du « passeport européen » qui permet d’offrir produits et
services dans tout l’Espace économique européen (EEE). Face aux
incertitudes liées au vote du Brexit, des banques états-uniennes (Goldman
Sachs, Citigroup, Bank of America Merrill Lynch, Morgan Stanley…) ou
japonaises (Nomura, Daiwa…) mais aussi britanniques (Barclays, Standard
Chartered, HSBC…) ont redéployé certains services vers Francfort, Paris,
Luxembourg ou Dublin afin de garder un accès au marché communautaire.
D’importantes instances de régulation ont quitté Londres, qui s’était battue
avec acharnement il y a quelques années pour les accueillir. La Chambre de
compensation Euroclear – l’un des acteurs clés des marchés financiers
européens qui assure la garantie de gestion de milliers de milliards d’euros de
transactions boursières – a ainsi quitté la capitale britannique pour Bruxelles
alors que l’Autorité bancaire européenne (EBA) s’est, elle, implantée à Paris
(créant 160 emplois). En cas de Brexit « hard », c’est-à-dire sans accord avec
l’UE, le secteur financier et la City londonienne pourraient perdre entre
40 000 et 75 000 emplois et le gouvernement quelque 10 milliards de recettes
fiscales. Mais certaines forces font le pari de faire de Londres une nouvelle
place off shore internationale.
Notes
1. . Le rapport Brundtland de 1987 définit le développement durable comme « un
développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre les capacités des
générations futures à répondre à leurs propres besoins ». En 2015, les États ont adopté le
Programme de développement durable à l’horizon 2030 et ses 17 Objectifs de
développement durable (ODD) afin, en particulier, d’assurer la paix et la prospérité pour
les peuples et la planète.
2. . FOUCHER M., 2011, La bataille des cartes. Analyse critique des visions du monde, Paris,
François Bourin Éditeur.
Chapitre 3

Les firmes transnationales

SI, DÈS LE DÉBUT DU XIXe SIÈCLE, à l’échelle du globe, la colonisation dope le


commerce mondial, l’internationalisation du capital industriel, marchand et
financier ne s’affirme que dans le dernier tiers du siècle. On assiste alors à
l’émergence de firmes transnationales – ou FTN – qui vont organiser leurs
productions, leurs flux financiers et technologiques, et leurs marchés sur des
espaces de plus en plus larges. On débouche ainsi après la Seconde Guerre
mondiale sur des réseaux d’échelle planétaire de mieux en mieux intégrés et
aujourd’hui globaux. Pour autant, ces firmes gardent un solide ancrage
national ou continental, garant de leur permanence. Par leur poids
économique et social et leur influence politique, idéologique et culturelle, les
firmes transnationales sont devenues des acteurs centraux des dynamiques
contemporaines.
L’hypersélectivité de leurs localisations participe directement au
remodelage des différentes dynamiques géoéconomiques mondiales. Le
déploiement de leurs stratégies territoriales exacerbe en effet les rapports de
domination entre pôles de commandement, périphéries intégrées plus ou
moins autonomes et espaces marginalisés. Si cette logique est historiquement
ancienne, les mutations politiques (libéralisation), économiques
(concurrence), technologiques (révolution des transports, chapitre 5) et
géopolitiques (chapitre 2) de ces dernières décennies permettent une mobilité
géographique du capital inconnue jusqu’ici. Mais si le capital intègre
potentiellement l’ensemble de l’espace planétaire à son système de
valorisation, celui-ci est producteur d’inégalités de plus en plus profondes.
Paradoxalement, on ne peut que regretter que des acteurs aussi importants
demeurent encore très largement sous-étudiés par les géographes.
Les firmes transnationales : des acteurs centraux
de la mondialisation

Maîtrise de l’espace, déploiement territorial : des enjeux


stratégiques

Qu’est-ce qu’une firme transnationale ? Stratégie, plasticité


et intelligence territoriales
Les firmes transnationales (FTN) sont des entités juridiques, économiques et
techniques complexes et de taille variée implantées dans différents pays.
Dès 1973, l’ONU définit comme transnationale toute firme, ou « société
mère », réalisant plus de 25 % de ses productions et échanges avec des
filiales implantées dans au moins six pays différents. On ne soulignera sans
doute jamais assez que leur principale caractéristique est d’essence
géographique : c’est bien la capacité à maîtriser l’organisation d’activités
complexes à une échelle internationale qui définit la transnationale.
À partir de ses spécificités sectorielles et nationales, la FTN adapte
en permanence le déploiement de son système économique et technique, en
tenant compte de ses besoins, de ses intérêts, de la concurrence et des libertés
de manœuvre que lui octroient les États. Cette capacité à valoriser les
différences territoriales dans un cadre de plus en plus concurrentiel est un des
facteurs essentiels de la puissance des transnationales et un des enjeux clés de
la mondialisation. Ainsi, face à des difficultés conjoncturelles ou
structurelles, elles réduisent leurs coûts et leurs effectifs, en utilisant au
mieux les différentes législations sociales de chaque pays d’implantation. Les
collectivités territoriales et les États sont mis en concurrence pour attirer de
nouveaux investissements, tandis que certaines activités de production sont
délocalisées dans des espaces périphériques plus ou moins lointains où les
coûts de production matérielle et de reproduction de la main-d’œuvre sont
moins élevés.
Cette plasticité spatiale permanente du capital repose sur la mise en œuvre
à toutes les échelles d’une véritable intelligence territoriale. La firme est donc
amenée à exercer un certain nombre d’arbitrages qui définissent un système
plus ou moins dense et stable s’organisant selon une logique à la fois
territoriale et réticulaire. Celui-ci repose sur un emboîtement d’échelles
géographiques – locales, nationales, continentales et enfin mondiales – qui
valorise des pôles (établissements) s’insérant dans des réseaux internes et
externes (chaîne de valeur avec de nombreux fournisseurs et sous-traitants…)
géographiquement plus ou moins étendus.

Le mythe de la firme globale ou World Company


Les sociétés transnationales sont des acteurs disposant d’un poids
économique, financier et technologique de plus en plus important. Leur taille
leur assure d’énormes économies d’échelle dans la fabrication, le
développement et la maîtrise des innovations, et la couverture des marchés.
Leurs implantations sur plusieurs pays leur permettent de peser sur les
gouvernements nationaux, d’optimiser leurs approvisionnements et de réduire
leurs risques. Elles sont devenues l’élément moteur de l’internationalisation
de la production et des échanges.
Cependant, la véritable World Company ou « multinationale » – présente
sur l’ensemble de la planète et pensant son espace en terme totalement
mondialisé – demeure exceptionnelle, voire mythique. En effet, les firmes
sont loin de présenter le caractère mondial qu’elles souhaitent s’attribuer.
Non seulement leurs activités se cantonnent à un nombre d’États limité, mais
leur diffusion géographique se heurte à de nombreux obstacles culturels,
géoéconomiques et politiques. En l’absence de règles homogènes au niveau
mondial, elles continuent de dépendre des réglementations prudentielles et
fiscales de leurs pays d’origine, alors que les pratiques comptables, juridiques
et managériales demeurent spécifiques à chaque pays, comme en témoigne
dans l’Union européenne l’extrême difficulté à les harmoniser. Enfin, les
gouvernements leur rappellent de plus en plus souvent leurs responsabilités
envers les États où elles sont nées et où elles réalisent encore une large partie
de leurs activités : en 2016, le président Obama empêche ainsi Pfizer de
déplacer son siège social en Irlande lors de sa fusion avec Allergan afin de
payer moins d’impôts, ce qui mettra fin au projet.
Géographiquement, on doit faire attention à une possible erreur de
perspective géographique : la fusion statistique des ventes et salariés à
l’étranger cumule des implantations multiples qui, prises ponctuellement,
pèsent souvent assez peu face au cœur du dispositif national qui garde sa
fonction de centralité stratégique au sein du groupe. Les FTN sont en effet
des firmes qui, bien qu’internationalisées, gardent un ancrage national décisif
de nature économique (ventes), industrielle (production), technologique
(recherche), culturelle ou géopolitique. Même les firmes réellement
binationales demeurent encore assez rares (Royal Dutch Shell et Unilever au
Royaume-Uni/Pays-Bas). Ne sont réellement multinationales que les firmes
des petits États aux économies très ouvertes dont le marché de consommation
et la base productive sont de taille insuffisante. Dans ces cas précis et
exceptionnels, la division du travail à l’échelle continentale puis mondiale
s’est imposée précocement (Suisse Nestlé, Suédois ABB et Electrolux…).
Enfin, chaque type de capitalisme national produit des modèles spécifiques
de FTN. Ainsi, l’Inde est structurée par un capitalisme familial (Birla, Tata,
Ambani, Bathia, Godrej…) qui contrôle 70 % des grands groupes, souvent
aux structures conglomérales, alors que la Corée du Sud est structurée par les
chaebols et l’Allemagne par les Konzerne.

Division fonctionnelle, segmentation technique et division spatiale


du travail
La grande entreprise est un organisme développant différentes familles
fonctionnelles concrètes et abstraites (conception, fabrication, logistique,
administration, vente…) auxquelles répondent différents types
d’établissements (siège social, centre de recherche, usine, entrepôt), différents
systèmes de travail et de rapports salariaux, et différentes catégories
socioprofessionnelles (cadres, employés, ouvriers). Plus la firme est
importante, plus la gestion de ce dispositif est complexe avec des dizaines,
voire des centaines, de sites et des dizaines ou des centaines de milliers de
salariés. Mais plus la firme est puissante, plus elle a le pouvoir de valoriser
géographiquement, de manière différenciée, son espace productif, en
spécialisant fonctionnellement ses établissements. L’accès aux marchés, la
formation, la qualification et les salaires de la main-d’œuvre, le niveau
d’équipement des territoires (transport, énergies…) et la densité des réseaux
(clients, fournisseurs, sous-traitants, services connexes) jouent un rôle majeur
dans les choix de localisations.
Mais cette possibilité de division fonctionnelle, sociale et technique
dépend aussi du type d’activités mises en œuvre. Les activités techniciennes
s’individualisent par le rôle des ingénieurs, techniciens et cadres (ITC) dans
la conception et la production (aéronautique, pharmacie, informatique,
services financiers, audit, cabinets conseils…). Les activités qualifiées font
appel à la fois aux ITC mais surtout à de fortes qualifications ouvrières (biens
d’équipement industriel, mécanique/robotique, matériel de précision,
industrie électrique, ferroviaire…). Enfin, les activités spécialisées emploient
massivement des ouvriers ou employés non ou peu qualifiés (fonderie,
caoutchouc, ameublement, plastiques, textile, agroalimentaire, électronique
grand public et électroménager, saisie informatique…).

Tableau 3.1 L’organisation fonctionnelle et technique


des firmes (recadrage)

Type
Fonction Type d’espace
d’établissement

Administration- Sièges sociaux Quartiers d’affaires des


gestion métropoles

Recherche- Centres de Périphéries métropolitaines


développement recherche immédiates, zones dites
technopolitaines

Fabrication Usines Très diversifié selon les branches

Commercial-vente- Bureaux et ateliers Périphéries grandes villes


maintenance

Logistique-transport Entrepôts Périphéries grandes villes,


ports, aéroports

Cette segmentation technique et fonctionnelle du travail autorise la mise en


œuvre d’une division spatiale du travail de plus en plus systématique et de
plus en plus fine. Certes, celle-ci structure, depuis la première révolution
industrielle, de manière différenciée les différents systèmes productifs et
territoriaux nationaux des grands pays industriels. Mais la montée en
puissance des entreprises transnationales va progressivement redéployer
celles-ci à des échelles internationales (1900-1970) puis mondiale (1970-
2000), dans le cadre d’une division internationale du travail renouvelée.
Pouvoirs de commandement, processus de métropolisation et socio-
pôles
Dans ce cadre, toutes les fonctions et tous les emplois ne se valent pas du fait
de degrés de rareté et de capacités d’influence bien différenciés. C’est ainsi
que les fonctions de commandement des grands sièges sociaux, pour
l’essentiel localisées dans les quartiers d’affaires des grandes métropoles,
jouent un rôle déterminant dans le pilotage de la mondialisation. Leur
géographie est extrêmement sélective : seulement 12 métropoles polarisent la
moitié des sièges sociaux des 500 premières firmes mondiales et
35 métropoles 70 %. En France, Paris accueille plus de 80 % des sièges
sociaux des grandes entreprises françaises.

Tableau 3.2 Le rôle des grandes métropoles dans le pouvoir


de commandement mondial (nombre de sièges sociaux
des 500 premières FTN mondiales)

Un profond bouleversement des équilibres mondiaux

La formidable montée en puissance des firmes transnationales


Selon les données de la CNUCED (ONU), les filiales à l’étranger des sociétés
mères des firmes transnationales (FTN) connaissent en quatre décennies un
formidable essor. La valeur des actifs totaux, qui mesurent l’ensemble des
biens matériels et immatériels détenus, est multipliée par 16,6, la valeur
ajoutée créée par 4,7 et les ventes par 3,5. On assiste à une mobilisation
salariale exceptionnelle puisqu’elles passent de 19,5 à 73,2 millions de
salariés directs, soit une hausse de 47 millions. Si globalement l’emploi dans
leurs bases nationales respectives stagne, les emplois directs à l’étranger
explosent, traduisant ainsi un vigoureux élargissement géographique de leur
appareil productif. Enfin, le capital immatériel et la propriété intellectuelle –
mesurés par les recettes fournies par les royalties, licences et brevet – sont
multipliés par 10 en trente ans au profit essentiellement des grands pays
développés du fait de leur avance technologique (cf. pays développés : 98 %
total mondial ; Union européenne : 36,5 % ; États-Unis : 36 % ; Japon :
12 % ; Chine : 1,4 %). Les FTN sont donc les moteurs d’un système productif
de plus en plus intégré à l’échelle mondiale.

Tableau 3.3 La montée en puissance des transnationales :


le poids des filiales à l’étranger

Diff.
1982 1990 2015 2017 Différence
1990/2017

Ventes (milliards $) 2 620 6 755 27 559 30 823 + 24 068 × 3,5

Valeur ajoutée
– 1 264 6 457 7 317 + 6 053 × 4,7
(milliards $)

Actifs totaux
2 100 5 871 94 781 103 429 + 97 558 × 16,6
(milliards $)

Salariés (millions) 19,53 27,03 69,68 73,2 + 47,16 × 1,7

Royalties, licence,
– 31 299 333 + 302 × 9,7
brevets (milliards $)

Source : d’après CNUCED, 2018.

Un ensemble d’acteurs polarisé et inégal


Reflétant les grands rapports géoéoconomiques et géopolitiques mondiaux,
les FTN sont un ensemble d’acteurs inégal et polarisé. Les grands pays
développés gardent un avantage considérable : ils disposent encore
aujourd’hui de 77 % des 556 premières FTN mondiales, représentant 77 %
des ventes, 75 % des actifs et 68 % des profits, mais seulement 47 % des
salariés. Les États-Unis demeurent la première puissance mondiale avec 32 %
des FTN, 26 % des actifs mais 42 % des profits et 34 % des salariés, devant
le Royaume-Uni, le Japon, la France ou l’Allemagne. De même, les grandes
FTN occidentales demeurent plus internationalisées que les FTN des Suds.
Une étude comparée des 100 premières fait apparaître un net décalage : les
100 premières FTN occidentales ont à l’étranger 62 % de leurs actifs, 65 %
de leurs ventes et 59 % de leurs salariés, contre respectivement 29 %, 44 % et
38 % pour les 100 premières FTN des Suds.

Tableau 3.4 Les 556 premières firmes transnationales

Nombre Salariés(millions) Ventes(milliards $) Profits(milliards $)

MONDE 556 52,9 22 665 1 932

Nords 427 38,8 17 371 1 323

Suds 129 14,2 5 283 605

États-Unis 176 17,9 8 353 808

Royaume-
77 3 1 150,2 63,4
Uni

Chine 60 7,5 3 108,4 407

Japon 43 4,2 2 017 126

France 26 3,2 1 279 59

Allemagne 22 3,5 1 482 57

Inde 17 1,5 335 28


Suisse 15 1,2 658 53

Corée du
14 0,8 580 57
Sud

Source : d’après Forbes, 2017.

L’affirmation des FTN des Suds : la perte du monopole occidental

La montée des transnationales des Suds : la grande nouveauté


des dernières décennies
Comme pour les grands pays développés au XIXe et au début du XXe siècle,
l’affirmation de nouvelles puissances se traduit par l’internationalisation
croissante de leurs plus grandes entreprises débouchant sur la multiplication
de nouvelles firmes transnationales (FTN). À cet égard, l’essor actuel de la
Chine est en géohistoire assez banal, ce qui l’est moins c’est la cécité, la
naïveté et le réveil tardif de certaines élites occidentales face à ce processus.
Si la puissance et les degrés d’internationalisation des FTN des Suds sont
encore limités, leur essor bouleverse d’ores et déjà sensiblement les grands
rapports de force mondiaux.
Selon les données de McKinsey, les Suds passent de 5 % à 17 % des
500 premières FTN mondiales entre 1980 et 2010, et ils pourraient atteindre
les 46 % en 2025. L’effet d’éviction produit est considérable pour les firmes
occidentales. Non seulement les pays occidentaux perdent un monopole, mais
ce sont leurs capacités hégémoniques qui en sortent profondément ébranlées.

Tableau 3.5 La montée des pays émergents


dans les 500 premières FTN mondiales

1980 1990 2000 2010 2025 Diff. 1980/2025

Pays
477 477 476 415 271 – 206
développés
Chine 2 1 12 25 120 + 118

Autres Suds 21 22 12 31 109 + 88

Suds (%) 5 5 5 17 46 –

Source : d’après MCKINSEY, Fortune Global 500, 2025: estimations.

Dans de nombreux secteurs d’activité, les effets directs et indirects induits


par ces nouveaux acteurs sont considérables. Si initialement ces FTN des
Suds étaient souvent spécialisées dans les matières premières (pétrole,
minerais, énergie), les produits matures (acier, bâtiment) ou certains services
(transport maritime, télécommunication), elles ne cessent depuis de
diversifier leurs activités (agroalimentaire, navale, automobile, électronique,
banques et finance, industrie du luxe, culture et cinéma…). Après s’être
orientées initialement vers les marchés du Sud, elles multiplient depuis les
rachats dans les pays développés (cf. Mittal avec Arcelor dans l’acier, Tata
dans l’automobile…). Leur croissance reflète à la fois le dynamisme de
certaines structures entrepreneuriales et tout autant les stratégies volontaristes
des États auxquelles elles se rattachent, voire auxquels elles appartiennent
(cf. Singapour avec Singtel, Malaisie avec Petronas, Brésil avec Vale et
Petrobras, Émirats arabes unis avec DP World…).

Les transnationale des Suds : le poids écrasant de l’Asie


et surtout de la Chine
Dans ce contexte, on doit souligner le poids écrasant de l’Asie, en particulier
de l’Asie sinisée dans l’essor déjà ancien (Singapour, Taïwan, Corée du Sud
et ses chaebols) et actuel (Chine). L’importance des facteurs
anthropologiques, culturels et géopolitiques est essentielle pour comprendre
cet essor.
Mais le phénomène le plus spectaculaire et le plus lourd de conséquence
réside dans l’affirmation de la Chine et de Hong Kong (Citic Pacific, AIA,
CK Hutchison…) qui arrivent au 3e rang mondial. Aujourd’hui, ICBC, China
Construction Bank et Agricultural Bank of China sont les trois premières
FTN du monde. Les champs sectoriels couverts sont désormais complets :
mines, énergie, bâtiment, industrie, transports terrestres, maritimes et aériens,
services Internet, hôtellerie et tourisme, immobilier, banques et assurances…
Ce processus est largement piloté – directement ou indirectement – par l’État
chinois, en particulier par la SASAC. Cette commission contrôle les grands
groupes publics et favorise largement les fusions pour créer de grands
groupes de taille internationale (ferroviaire, chimie, énergie, aéronautique…).
L’alliance des firmes minières, énergétiques et industrielles avec les fonds
souverains chinois vise à assurer l’indépendance et la sécurité stratégique à
long terme de la deuxième économie mondiale. Les effets en sont
considérables en termes de polarisation en Asie centrale, en Sibérie, en
Afrique et en Amérique latine.

Le « Made in World » des FTN face à de nouveaux


enjeux planétaires
Si dans les années 1980-2000, les firmes transnationales se sont largement
conduites comme des acteurs omniscients et omnipotents dans le cadre d’une
mondialisation ultralibérale exacerbée et dominée par les grands pays
occidentaux, la situation a aujourd’hui sensiblement évolué.
D’une part, la montée des crises et des tensions a réhabilité l’État et
l’intervention publique. Les nouvelles concurrences géopolitiques ont
remobilisé toute la gamme des armes régaliennes de la puissance. D’aute
part, la multiplication des excès, abus et scandales a conduit à une
mobilisation des opinions publiques, via les syndicats, associations et ONG.
Au total, un monopole a été brisé : celui de la maîtrise par les seules FTN de
la mise en réseaux des territoires pavant le système-monde. Le web et
Internet ont joué un rôle essentiel dans ce processus. Dans ce contexte, le
« Made in World » des FTN est confronté à de nouveaux défis structurels et à
de nouvelles exigences de transparence.

Les firmes transnationales : des acteurs politiques


et géopolitiques

Pouvoir d’influence des noyaux dirigeants, géoéconomie


et géopolitique
La création et l’essor de telles firmes en font des acteurs politiques de
premier plan, tant aux échelles nationales qu’internationale, et ce pour au
moins deux raisons. Premièrement, elles participent largement à la
reconfiguration permanente des rapports économiques, sociaux, salariaux,
culturels structurant les territoires, et sont donc à ce titre des acteurs majeurs
de la polis, la vie de la cité. Deuxièmement, elles demeurent très liées à leurs
États d’appartenance et leurs rivalités s’inscrivent dans des rapports de
puissance interétatiques autant géopolitiques que géoéconomiques.
Mais si les transnationales sont en concurrence, elles s’accordent sur
l’essentiel, c’est-à-dire la définition des conditions économiques, juridiques et
politiques les plus favorables à leurs activités et à leurs profits. Ce consensus
général sur leurs objectifs, le poids dont disposent leurs noyaux dirigeants et
leurs capacités idéologiques à présenter la défense de leurs intérêts
particuliers comme étant de caractère universel, leur permettent d’exercer un
pouvoir d’influence considérable. Il fonctionne à toutes les échelles,
mondiale, continentales, nationales et régionales. Pour l’exercer, ces acteurs
se dotent d’un tissu dense d’organisations localisées dans les plus grandes
métropoles, au plus près des lieux de pouvoirs.
Aux échelons nationaux, le Triangle de fer désigne ainsi au Japon
l’étroite imbrication du patronat et de la haute administration de l’appareil
d’État, alors qu’en Russie ou en Chine les liens États/FTN sont quasi
symbiotiques, tout comme en Corée du Sud où les cinq premiers
conglomérats, ou chaebols (Samsung, Hyundai, LG, Lotte, SK Group),
réalisent 60 % du PIB. Aux États-Unis, la participation des cercles dirigeants
des firmes aux gouvernements est systématique, alors que le lobbying – aux
pratiques plus ou moins opaques et démocratiques – est une large tradition
anglo-saxonne. Par exemple, Mickey Kantor, qui joua un rôle majeur à
l’OMC comme ministre du Commerce des États-Unis, travailla ensuite pour
l’US Wheat Associates, la fédération des producteurs de blé, alors que la
politique énergétique – et en partie stratégique (intervention en Afghanistan,
Proche et Moyen-Orient) – des États-Unis de George W. Bush fut
directement dictée par les groupes du pétrole et du négoce énergétique
(Enron…) qui financèrent sa campagne électorale. En France, la logique de
pantouflage des ministères et hautes administrations publiques vers les
grandes firmes est si courante qu’une commission doit donner son avis sur les
propositions qui lui sont soumises.
Aux échelons continentaux, Bruxelles est le siège à la fois de la
Commission européenne et un pôle de lobbying qui mobilise des milliers
d’acteurs spécialisés. Ainsi, l’European Roundtable of Industrialists,
composé des PDG des quarante-cinq plus importantes transnationales
européennes, a porte ouverte à la Commission, tout comme la Chambre de
commerce internationale ou le TransAtlantic Business Dialogue (TABD).
Longtemps, l’Association européenne des industriels du médicament fit
pression sur la Commission afin que les industriels puissent fixer librement
dans l’Union un prix unique du médicament, jusqu’ici fixé État par État dans
le cadre de négociations bilatérales avec l’objectif de maîtriser au mieux les
dépenses de santé.
À l’échelle mondiale, les FTN avaient transformé les grandes
organisations internationales (FMI, Banque mondiale, OMC, OCDE) en
garantes de leurs intérêts. Grâce aux énormes pressions exercées par les
firmes des services financiers américains (American Express, CitiCorp…),
l’OMC avait ainsi intégré sous sa juridiction le vaste domaine des services
afin de déployer la logique marchande et concurrentielle à l’ensemble des
activités humaines (santé, éducation, culture, services). Dans le secteur de
l’audit, de la fiscalité, du conseil et du droit des affaires, ce secteur
stratégique en plein essor avec la mondialisation est dominé par cinq grands
cabinets, les Big Five (PricewaterhouseCoopers, KPMG, Ernst & Young,
Deloitte, Arthur Andersen). Ceux-ci jouent un rôle essentiel au sein de
l’International Accounting Standards Comitee (IACS) qui est l’organisation
internationale favorisant l’élaboration de normes comptables unifiées à
l’échelle mondiale. Symbole de la puissance de ces liens réticulaires
interpersonnels, le World Economic Forum de la station suisse de Davos
réunit tous les ans l’élite économique et politique mondiale.
Les réseaux d’influence politique de la banque
d’affaires new-yorkaise Goldman Sachs
Jusqu’à leur disparition lors de la crise financière de 2007-2009, les grandes
banques d’affaires new-yorkaises ont tissé, durant des décennies, des liens
interpersonnels extrêmement étroits avec le personnel économique et
politique des États-Unis et du monde sous les présidences de Bush, Clinton
ou Obama. Ses anciens salariés ont occupé ainsi des fonctions stratégiques
au sein même de l’appareil d’État favorisant en retour la défense de leurs
intérêts comme l’illustre le cas de Goldman Sachs. Aux États-Unis, on peut
relever les noms de ministres des Finances, ou secrétaire d’État au Trésor,
comme H. Fowler, Robert Rubin ou Henry Paulson, de Joshua Polten, chef
de cabinet de la Maison Blanche, Reuben Jeffery, sous-secrétaire d’État à
l’Économie, aux Affaires et à l’Agriculture, Jon Corzine, gouverneur de l’État
du New Jersey, Neel Kashkari, assistant du secrétaire au Trésor pour la
stabilité financière, John Thain, président du NYSE new-yorkais…
À l’international, on peut mentionner Robert Zoellick, représentant au
Commerce, puis secrétaire d’État et, enfin, président de la Banque mondiale,
Mark Carney, gouverneur de la Banque du Canada, Malcolm Tunrbull, ancien
leader du Parti libéral australien, Romano Prodi, ancien Premier ministre
italien (1996-1998, 2006-2008) et président de la Commission européenne
(1999-2004) ou Mario Draghi, gouverneur de la Banque d’Italie (2006-2011)
devenu ensuite Président de la Banque centrale européenne (2011-2019).

Investissements, États et firmes transnationales : la souveraineté


en débat
Du fait de leur poids et de leur internationalisation, la question des rapports
entre les FTN et les États nationaux – en particulier sous l’angle de la
souveraineté, et donc des rapports entre intérêt général et intérêts privés – est
depuis le début du XXe siècle un enjeu permanent (cf. républiques bananières
d’Amérique centrale). À la fin des années 1990, le projet d’Accord
multilatéral sur l’investissement (AMI) de l’OCDE prétendait instituer un
processus de règlement des différends permettant aux transnationales, sujets
de droit privé, de traîner les États devant des tribunaux. Ces firmes
souhaitaient pouvoir disposer d’un moyen de contrainte, de censure ou de
veto sur toutes les politiques et normes juridiques, économiques, sociales,
culturelles (exception culturelle défendue par la France), environnementales
ou sanitaires (OGM, bœufs aux hormones…) élaborées par les États et
nations pouvant contrarier leurs propres objectifs. L’AMI visait aussi à
interdire toute politique de développement fondée sur des engagements
contractuels des firmes envers les États. Il faisait ainsi interdiction aux États
d’imposer aux transnationales, investissant sur leur sol un volume donné
d’exportation de biens ou de services, un niveau minimal de valeur ajoutée à
réaliser sur place, un transfert de technologies ou un niveau minimal
d’emploi ou de recherche-développement. Ce risque de complète
vassalisation a débouché sur de telles protestations des ONG, associations et
syndicats que l’AMI fut mis en échec.
Mais loin d’être abandonnée, la question refit irruption dans les
années 2010-2015 à l’occasion des négociations sur le Traité transatlantique
États-Unis/Union européenne (TTIP) à travers l’institutionnalisation du
recours aux tribunaux d’arbitrage permettant à une justice privée de peser sur
les politiques des États. En effet, de plus en plus de FTN attaquent des États
en justice lorsqu’elles s’estiment lésées par une décision gouvernementale
(Argentine, Égypte, Costa Rica, Équateur, Espagne…). De nombreux traités
bilatéraux ou internationaux d’investissement (environ 1 400 pour
l’Union européenne) prévoient d’ailleurs depuis les années 1950 des
dispositions visant à régler ces différends (cf. ISDS, Investor-State Dispute
Settlement). Si la protection d’investissements programmés puis annulés peut
se comprendre, la conception de plus en plus extensive de la défense
d’intérêts privés pose de réels problèmes de souveraineté : ainsi, par exemple,
en 2010, un géant états-unien du tabac attaque l’Uruguay et l’Australie pour
leur nouvelle législation antitabac… Dominée par une poignée de cabinets
anglo-saxons, cette judiciarisation croissante des rapports FTN/États posent
de vrais problèmes géopolitiques et démocratiques.

Le retour des États et les rivalités géopolitiques

Crises multiformes, montée des tensions et retour de l’intervention


publique
Depuis la crise financière de 2008-2009 et la montée des tensions et rivalités
politiques et géopolitiques entre puissances, on assiste à un net retour de
l’intervention publique, aux échelles nationales ou internationales comme en
témoigne la mue du FMI et de l’OCDE. Ainsi par exemple, l’OCDE travaille
à de nouvelles règles d’imposition des FTN afin de lutter contre l’érosion des
bases d’imposition qui font perdre des milliards de dollars de revenus aux
États, via les paradis fiscaux ou les pays de faible imposition
(cf. Luxembourg ou Irlande dans l’Union européenne). Dans ces débats
devant déboucher sur un accord entre 127 États en 2020, Washington se bat
bec et ongles pour défendre ses champions du numérique, les GAFAM, alors
que se multiplient les projets nationaux de taxation. Dans le même temps,
dans les services Internet, Pékin soutient ses propres champions (Baidu,
Alibaba, Tencent) mais bloque l’accès aux offres des géants états-uniens
comme Facebook ou Google (Instagram, Twitter, Gmail, WhatsApp…).

Les fusions internationales d’entreprises soumises aux vétos


étatiques
Ces dernières décennies, les opérations de prises de contrôle, fusion et
acquisitions transfrontalières (OPA amicales ou hostiles, raids, rachats…)
explosent. En permettant d’atteindre une taille continentale et d’augmenter le
chiffre d’affaires, la fusion est en effet le moyen le plus rapide pour prendre
pied sur de nouveaux marchés, accéder à des produits, marques et
compétences complémentaires ou intégrer le coût croissant de la mise au
point des nouveaux produits innovants.
Mais ces opérations sont de plus en plus contrôlées. On l’oublie en effet
souvent, les grands mouvements internationaux de fusion entre firmes
transnationales doivent être validés successivement par les régulateurs des
principaux États où ces firmes interviennent. Les États, via leurs autorités de
la concurrence, peuvent interdire certaines fusions afin de maintenir un
minimum de concurrence (cf. veto de la Commission européenne à la fusion
entre General Electric et Honeywell en 2001), ou bloquer la création d’un
géant qui menace leurs intérêts stratégiques. En 2018, le rachat du
Néerlandais NXP Semiconductors par la firme états-unienne Qualcomm est
ainsi soumis à l’accord de neuf pays, dont la Chine.
De plus, face à la montée des fonds souverains des Suds et à
l’internationalisation des firmes des pays émergents, en particulier chinoises,
de nombreux pays occidentaux (États-Unis, Allemagne, France, Australie,
Norvège…) sont sur la défensive et décident de muscler leur stratégie de
défense. Ils étendent leur contrôle aux acquisitions classiques mais aussi aux
stratégies de contournement (joint-ventures, passage par une filiale implantée
dans un autre pays, cofinancement de programmes de recherche – cf. Chinois
Alibaba en Russie, Israël ou à Singapour). Aux États-Unis, le nouveau
dispositif FIRRMA (Foreign Investment Risk Review Modernization Act) a
de nettes ambitions extraterritoriales, en prétendant s’étendre aux juridictions
« alliées » pour tout ce qui menacerait sa sécurité nationale. Bruxelles milite
pour la mise en place d’un système d’alerte communautaire, alors que la
France élargit les secteurs soumis à contrôle à de nouveaux secteurs comme
l’intelligence artificielle, le spatial, le stockage des données (Cloud) ou
les semi-conducteurs.

L’essor de nouveaux acteurs : ONG, citoyens et consommateurs

La mise sous surveillance des firmes transnationales


Enfin, si les firmes transnationales ont longtemps disposé d’un quasi-
monopole sur les grands enjeux géoéconomiques et sociaux mondiaux grâce
à leur présence internationale et aux faiblesses du mouvement syndical
mondial, elles voient depuis plusieurs décennies émerger de nouveaux
acteurs. Les organisations non gouvernementales (ONG) et une société civile
plus internationalisée exercent une surveillance accrue sur leurs stratégies, la
qualité de leurs produits, leur processus de fabrication et leurs normes
environnementales, sociales et salariales.
Cela s’inscrit dans une prise de conscience nouvelle chez les opinions
publiques des excès de cette troisième mondialisation. Comment expliquer et
justifier par exemple qu’en 2018 le maillot de l’équipe de France de football
soit vendu par Nike 140 euros pièce pour un coût de production de moins de
3 euros en Thaïlande, soit 47 fois plus cher, selon l’ONG Éthique sur
l’étiquette ?
On assiste ces dernières années à la multiplication des plaintes contre les
FTN et à l’élaboration progressive d’un nouveau droit, encore balbutiant mais
réel, alors que se multiplient parfois les luttes sociales dans certains pays.
Ainsi, la loi française de mars 2017, adoptée après le scandale du Rana Plaza,
impose un devoir de vigilance aux FTN de plus de 5 000 salariés en France
ou de 10 000 salariés si le siège est à l’étranger, y compris à leurs sous-
traitants. Sont couverts les droits humains (travail des enfants, travail forcé,
non-respect de la liberté syndicale, locaux non conformes aux normes de
sécurité…) et de l’environnement.
La surexploitation des travailleurs du textile
au Bangladesh
En avril 2013, le Rana Plaza, un bâtiment de neuf étages situé à Savar
(banlieue de Dacca, la capitale) contenant des ateliers textiles s’effondre. On
compte 1 500 morts et un millier de blessés sur les 3 500 salariés qui y
travaillaient, en grande partie des femmes. L’enquête révèle que cet
immeuble est de mauvaise qualité, construit dans une zone marécageuse sur
un ancien dépôt d’ordures, sur lequel trois étages avaient été rajoutés en
violation du permis de construire, une pratique courante dans ce pays parmi
les plus pauvres du monde. Malgré les fissures apparues quelques jours
auparavant, les propriétaires de l’immeuble, tout comme les entreprises qui
l’occupent, avaient refusé toute évacuation et donc l’arrêt des chaînes de
production, allant jusqu’à menacer les salariés récalcitrants de perdre
immédiatement leur emploi. Le propriétaire du Rana Plaza, Mohammed
Sohel Rana, est alors un des responsables locaux du Front de la jeunesse de
la Ligue Awami, le parti au pouvoir.
Surexploités et sous-payés (salaire minimum : 38 dollars par mois), les
4 millions d’ouvriers du textile éprouvent de grandes difficultés à défendre
leurs intérêts vitaux (répression, absence de syndicats) comme le dénoncent
les organisations syndicales internationales (IndustriALL Global Union) et les
ONG (LabourStart et campagne d’opinion « Clean Clothes Campaign »).
Principale spécialisation du pays dans la division internationale du travail, les
4 500 usines textiles travaillent en sous-traitance pour les grandes marques
nord-américaines (Walmart, GAP, Sears/Kmart, Dickies, Disney, Loblaw,
PHV – Tommy Hilfiger et Calvin Klein…), européennes (Inditex/Zara, C&A,
KiK, El Corte Inglés, Beneton, Teddy Smith, Karl Rieker, Primark,
Carrefour…) ou chinoises (Hong Kong Li & Fung). Cette surexploitation
salariée de la misère permet à certaines firmes de dégager des marges très
importantes alimentant des profits considérables. Mais la révélation de cet
état de fait scandalise une partie de l’opinion publique et finit par contraindre
les autorités et, surtout, les FTN du textile à prendre quelques mesures
mettant fin aux excès les plus criants.

De nouvelles contraintes : transparence, respect des droits


et environnement
Ces stratégies mettent parfois à nu les chaînes de production réparties dans
l’espace mondial et contraignent les firmes à plus de transparence dans les
informations publiées. Souvent proche de la pure propagande, la
communication d’entreprise des FTN est de plus en plus axée sur les valeurs
sociales et sociétales (respect des droits humains, lutte contre les
discriminations et pour la diversité…), le respect de l’individu, des familles et
des communautés (refus du travail des enfants ou du travail forcé, emplois
décents…) ou les actions pour la planète (lutte contre le changement
climatique, performances environnementales…). Certaines firmes vont
jusqu’à présenter leur stratégie financière de création de valeur (Creating
Shared Value) comme insérée et répondant aux 17 Objectifs du
développement durable d’ONU 2030 (cf. montée en puissance des normes
SA 8 000 dans les bilans annuels).
De même, l’ONG Sherpa est à l’origine des poursuites dans les affaires de
« biens mal acquis » par certains dirigeants africains de régimes kleptomanes
qui pillent leur pays pour s’offrir des biens de luxe dans les grandes
métropoles ou les lieux de villégiature huppés. Pour lutter contre la
corruption et la prévarication, les firmes minières et pétrolières ont ainsi été
contraintes de déclarer les taxes payées aux autorités des États dans lesquelles
elles sont implantées. La comparaison des quatre géants occidentaux souligne
à cet égard l’importance des capitaux en jeu, la forte polarisation
géographique de leur appareil productif que peut masquer une présence dans
des dizaines de pays et des systèmes assez différents selon leur histoire et leur
base nationale. Aujourd’hui publiques, toutes ces données furent très
longtemps inaccessibles. Elles demeurent cependant très générales, tant
l’étude de la géographie des FTN est un enjeu essentiel pour analyser leurs
stratégies et leurs centres de profits.
Ces nouvelles dynamiques soulignent les tensions existantes concernant la
nature, la puissance et l’équilibre des pouvoirs dont disposent les différents
acteurs de la mondialisation (États, nations, firmes). Elles renvoient à la
question centrale du changement d’échelle géographique apparu ces dernières
décennies dans le déploiement des stratégies des transnationales, qui demeure
en droit des sociétés dont la nationalité est définie par la localisation de leur
siège social. Face à elles, les États fonctionnent toujours sur des échelles
nationales sans que la planète dispose d’outils politiques, économiques et
juridiques de niveau réellement mondial pour contrôler et réguler leurs
activités du fait en particulier de la faiblesse de l’Organisation mondiale du
travail (OMT) dont le siège est à Genève. Si ce hiatus joue en faveur du
capital, la construction d’un système de régulation mondial est aujourd’hui de
plus en plus posée.

Tableau 3.6 Les taxes déclarées payées aux autorités


par les FTN minières (milliards $ et %)
Sources : firmes, 2017.

« Made in World », chaîne de valeur et maîtrise des réseaux


productifs

Chaîne de valeur et internationalisation des réseaux productifs


Depuis une quinzaine d’années, les grands organismes internationaux
(OCDE, OMC, CNUCED…) ont tenté d’évaluer le poids des échanges intra
et interfirmes dans les échanges mondiaux. De ces travaux est né le concept
de « chaîne de valeur ». Dans ce « Made in World », de nombreux pays
recourent à d’importants flux d’importations de produits intermédiaires ou de
sous-ensembles pour produire des biens avant de les réexporter. Le même
produit ou sous-ensemble peut donc traverser à plusieurs reprises de
nombreuses frontières et être comptabilisé plusieurs fois dans les statistiques
du commerce mondial. C’est pourquoi l’OMC travaille actuellement à une
refonte de son système statistique des échanges commerciaux afin d’avoir
une meilleure vision des chaînes de valeurs mondiales et du rapport entre
échanges internationaux et production intérieure des pays.
Au niveau économique et financier, la chaîne de valeur (global value
chains, GVCs) est calculée à partir d’une estimation de la valeur ajoutée
étrangère (foreign value added, ou FVA, importations de biens et services)
importée pour être ensuite intégrée dans les exportations d’un pays. Elle
passe au niveau mondial de 24 à 30 % de la valeur mondiale des exportations
entre 1990 et 2017. Plus de la moitié du commerce international concerne des
produits intermédiaires échangés au sein d’une même firme, ou entre ses
filiales et les partenaires de sa chaîne d’approvisionnement plus ou moins
mondialisée.

Tableau 3.7 Poids de la valeur ajoutée étrangère dans


les exportations

Source : CNUCED, 2018.

Si la GVC fait florès dans la littérature, les estimations disponibles


demeurent cependant très fragiles car nous sommes de fait face à un véritable
trou noir du « Made in World ». Les chaînes de valeur sont en effet un
mélange de flux transfrontaliers à la fois de biens, d’investissements, de
services et de technologies. Souvent, les firmes transnationales soit ne
disposent pas d’une totale connaissance des réalités du fait des cascades de
fournisseurs qu’elles mobilisent, soit cherchent à garder le plus grand secret
sur la géographie de leurs systèmes d’approvisionnement puisqu’ils
présentent un caractère stratégique (revenus, centres de profits, fiscalités…).

Chaînes de valeur, réseaux productifs de fournisseurs ou sous-


traitants et territoires
En géographie, l’étude de la chaîne de valeur d’une FTN intègre deux
éléments : premièrement, la segmentation fonctionnelle, technique, sociale et
spatiale de leur appareil productif (Interfirm Networking) mobilisant des
outils juridiques, financiers, logistiques et techniques de plus en plus
perfectionnés ; deuxièmement, l’étude des réseaux internationaux, complexes
et multiformes, des fournisseurs, des sous-traitants, de l’assistance technique,
des accords de coproduction, de gestion ou de cofinancement ou des alliances
stratégiques qu’une FTN déploie dans le cadre de la nouvelle division
internationale du travail.
Comme le souligne Pierre Veltz [1996], la chaîne de valeur symbolise la
mutation intervenue ces dernières décennies dans les organisations
productives qui favorisent à la fois la métropolisation et l’émergence de
territoires en réseaux interconnectés et solidaires, malgré les gigantesques
distances qui les séparent parfois. L’auteur souligne l’importance de la
qualité, de la variété, de la réactivité, de l’articulation industries/services et
des innovations – « la compétitivité par l’organisation » dixit P. Vetz – dans
leurs fonctionnements.
Ces réseaux productifs peuvent prendre des dimensions réellement
mondiales dont la définition, l’organisation, la gestion et le contrôle posent de
redoutables problèmes. Ainsi, le groupe suisse Nestlé doit gérer
2 000 marques, 323 000 salariés dans 189 pays, dont 418 usines et 31 centres
technologiques ou de recherche dans 86 pays, et des centaines de milliers de
fournisseurs. Schneider Electric compte 144 000 salariés dans plus de
100 pays et gère un réseau mondial de 60 000 fournisseurs, dont 1 100 sous-
traitants qui représentent 62 % des achats du groupe.
Apple : iPhone, division internationale du travail,
commerce et chaîne de valeur
Ces dernières années, l’iPhone est devenu pour l’OMC le symbole du
« Made in World ». En dix ans, la vente d’1,2 milliard de modèles a rapporté
plus de 758,5 milliards de dollars à Apple grâce à une marge brute estimée à
40 % du fait de prix de vente très élevés. Selon les travaux du cabinet IHS
Markit, le coût de fabrication d’un iPhone X, le dernier né, s’élève à
370 dollars, hors frais de marketing et de distribution, et est vendu 999 dollars
aux États-Unis et 1 159 euros en France en 2017, soit une marge de
629 dollars (63 %) par appareil aux États-Unis. En étudiant ce cas, l’OMC a
cherché à distinguer dans la valeur des exportations d’un pays comme la
Chine ce qui était réellement produit sur place (domestic content) et ce qui
était importé (import content). Sur les milliards de dollars d’iPhone exportés
par la Chine chaque année, 94 % de la valeur est importée pour montage
final, essentiellement des États-Unis, du Japon (36 %), d’Allemagne (18 %) et
de Corée du Sud (14 %). Aujourd’hui, le prix d’un iPhone se décompose en
quatre grands postes : 25 % pour Apple et 24 % pour le distributeur d’un
côté, 40 % pour les équipementiers (Coréens Samsung et LG, Japonais
Toshiba, Américains Broadcom, Qualcomm ou Intel) qui fournissent écrans,
mémoires et processeurs, batteries, modems, caméras réalisés aussi en
partie en Chine. Au total, seulement 4 à 10 % de la valeur, celui du montage
final, sont réalisés en Chine. En 2015, la publication d’un rapport de l’ONG
China Labor Watch sur les conditions de travail misérables (12 heures/jour,
6 jours/semaine pour 290 euros/mois, dortoirs bondés…) des 10 000 salariés
– dont de très nombreux jeunes précaires licenciables du jour au lendemain –
de l’usine Pegatron de Shanghai qui produisait l’iPhone 6s, a contraint Apple
à multiplier les audits chez ses très nombreux sous-traitants (633 visites dans
19 pays dont 334 en Chine).

Ce système a parfois des résultats inattendus. Entre 2008 et 2017, la France


est passée dans l’industrie du médicament de 44 à 538 ruptures
d’approvisionnement du fait de pénuries. Une partie de ce phénomène
s’explique par le fait qu’en trente ans la production des principes actifs hors
de l’Union européenne est passée de 20 à 60 ou 80 % selon les cas et est
monopolisée par deux ou trois fournisseurs indiens ou chinois. Face aux
risques sanitaires et vitaux posés par ces ruptures, la France et la Commission
européenne réfléchissent à renforcer leur arsenal juridique et législatif. Le
retour en France et en Europe des usines et productions délocalisées en Asie
afin d’assurer l’autonomie du continent en principes actifs est devenu un
enjeu majeur des politiques publiques de santé.
Chaîne de valeur, dépendance technologique
et rivalités géopolitiques
Si le recours aux droits de douane, aux quotas, aux normes, aux interdictions
ou aux certifications permet classiquement à un État de défendre ses intérêts
face à ces rivaux, la question stratégique de la dépendance technologique
est trop souvent méconnue. Accusé d’avoir violé l’embargo décrété par les
États-Unis contre l’Iran et la Corée du Nord, le géant chinois des
télécommunications ZTE (4e rang mondial), né en 1985 à Shenzhen, se voit
interdire au printemps 2018 de s’approvisionner durant sept ans auprès des
fimes états-uniennes en composants informatiques (Qualcomm, Intel ou
Micron Technology, licence Android de Google) équipant les 46,4 millions de
smartphones produits en 2017… L’effet est immédiat : ZTE est en cessation
d’activité, ses usines sont à l’arrêt et ses 75 000 salariés au chômage
technique. Pour sortir de la crise, ZTE doit payer en juin 2018 une pénalité
d’1,7 milliard de dollars et modifier son équipe dirigeante. Pour Pékin, le cas
ZTE est une formidable incitation à accélérer son programme « Made in
China 2025 » dont l’objectif est d’assurer une maîtrise nationale de
l’innovation, des composants stratégiques et des productions à haute valeur
ajoutée.
Dans l’armement, Washington bloque en janvier 2018 la vente à l’Égypte du
missile de croisière Scalp du groupe franco-britannique MBDA, qui arme
l’avion de combat Rafale, sous couvert du système états-unien ITAR
(International Traffic in Arms Regulations) puisque ces équipements
contiennent des composants états-uniens. De même, en 2019, Washington
bloque la fourniture de matériaux composites de l’américain Hexcel et du
japonais Torray à la Russie. Ceux-ci sont en effet indispensables à la
fabrication des ailes de l’avion MC-21, le nouveau moyen-courrier du groupe
russe Rostec, concurrent du Boeing 737 et de l’Airbus A320neo.

Les investissements directs à l’étranger


(IDE) des firmes transnationales

La définition des IDE

Flux et stocks, pôles émetteurs et récepteurs


Principal indicateur de la transnationalisation, les investissements directs à
l’étranger (IDE) sont les capitaux que les résidents d’un pays possèdent dans
un autre, et qui y sont investis prioritairement dans les activités productives
par opposition aux investissements de portefeuilles beaucoup plus volatils
(titres financiers, dettes…). En géographie, il convient de bien distinguer
entre flux et stocks.
Les IDE sous forme de flux peuvent connaître des mouvements erratiques
liés aux conjonctures mondiale et continentale (cf. figure 3.1). Si les
années 1990 marquent une nette rupture qualitative, le poids des grandes
crises a un effet important (cf. effondrement de la bulle Internet de 2000-
2001, crise financière mondiale de 2008, instabilités et incertitudes
contemporaines). Globalement, les entrées d’IDE permettent d’évaluer
l’attractivité d’un État ou d’un continent, alors que les sorties d’IDE
proviennent des États émettant le capital et commandant donc la répartition
de ces investissements dans le monde. Quand c’est possible, l’étude des IDE
sous forme de stock de capital est à privilégier en géographie car ils
traduisent la stabilité d’un ancrage territorial et définissent les grandes
structures spatiales de l’investissement mondial des transnationales à
différentes échelles.
De profondes ruptures géohistoriques et géopolitiques
Très forte avant 1914, l’internationalisation du capital connaît dans l’entre-
deux-guerres puis durant la Seconde Guerre mondiale un recul majeur avant
de repartir sur de nouvelles bases dans les années 1970 dans le cadre de la
troisième mondialisation. Entre 1990 et 2017, le stock mondial d’IDE connaît
un essor foudroyant : il passe de 2 196 à 31 525 milliards de dollars (× 14,3),
soit de 4,9 % à 40 % du PIB mondial. On assiste ces dernières décennies à
une profonde mutation structurelle entre secteurs d’activité. À la domination
historique des productions agricoles et minières puis de l’industrie
manufacturière succède un dispositif beaucoup plus large qui intègre
dorénavant l’ensemble des activités (services aux entreprises, immobilier,
commerce, transports, tourisme et loisirs…).
Figure 3.1 Évolution des investissements directs à l’étranger entrants

Source : BOST F., 2018, notice « Investissements directs à l’étranger », Images économiques du Monde 2019, Paris,
Armand Colin, p. 61.

Tableau 3.8 Évolution historique des pays émetteurs d’IDE


(% stock mondial)

1914 1971 1980 1993 2000 2010 2017

États-Unis 18 49 44 30 36,4 22,9 25,3

Europe occidentale 78 40 40 42 42,8 45,9 39,3


Japon 0,1 2,6 4 15 3,8 4 4,9

TOTAL pays
96,1 91,6 88 87 90,4 83,7 76,2
développés

Suds 3,9 8,4 12 13 9,3 14,6 22,4

Source : CNUDED.

À une échelle séculaire, l’évolution du contrôle du stock d’IDE témoigne


des recompositions qui affectent les grands équilibres de l’hégémonie
mondiale. Avant 1914, ce stock est directement corrélé aux empires
coloniaux : le Royaume-Uni en possède 44 % et la France 20 %, loin devant
l’Allemagne (13 %) et les États-Unis (8 %). La perte par le Royaume-Uni du
rôle d’économie dominante au profit des États-Unis apparaît clairement
entre 1914 et 1971. Puis, dans la décennie 1990, les équilibres semblent plus
instables du fait des difficultés du Japon, de la montée de l’Union européenne
avec la création du marché unique, alors que s’affirment de plus en plus
nettement les Suds à partir de la décennie 2000.

Les conditions politiques et géopolitiques indispensables


aux IDE

Dès la première mondialisation, les détenteurs de capitaux ont développé une


sainte horreur du risque. La sécurité des investissements a hanté leurs nuits
et, en partie, justifié les degrés de rémunération du capital tout comme les
politiques de la canonnière des États impérialistes qui défendaient ainsi leurs
intérêts géoéconomiques. Aujourd’hui, malgré des bouleversements
séculaires, les conditions juridiques et politiques d’implantation des IDE,
l’évaluation des différents risques encourus et les assurances à prendre
demeurent des problèmes géographiques d’une extrême importance. Ils
dessinent un net gradient entre espaces intégrés et espaces évités par les IDE,
avec au milieu toute une gamme intermédiaire d’incertitudes.

Les conditions politiques et réglementaires du déploiement spatial


du capital
La montée fulgurante des IDE s’explique par une profonde transformation
des politiques des États envers les capitaux étrangers qui, globalement,
multiplient les traités bilatéraux interétatiques ou les traités internationaux
assurant à la fois l’ouverture des marchés et leur sécurité juridique. C’est bien
la visite du président Jiang Zemin de 1996 qui joue un rôle déterminant dans
l’ouverture de l’Afrique aux FTN chinoises. En particulier, on assiste dans les
années 1990-2000 à la libéralisation quasi totale des investissements
étrangers sur une grande partie de la planète, de l’Amérique centrale
(1998 : Guatemala, Nicaragua et Honduras ; 1999 : Salvador et Belize) à
l’Europe (France : loi du 14 février 1996).
Cependant, malgré les traités ou l’adhésion à l’OMC, impliquant le
démantèlement automatique de certaines barrières, plusieurs secteurs
considérés comme sensibles par de nombreux États demeurent parfois
protégés : industries de défense, ressources naturelles, santé publique… Dans
l’Australie libérale, le FIRB (Foreign Investment Review Board) continue
d’examiner la conformité des IDE à l’intérêt national dans l’immobilier
urbain, les médias, les mines d’uranium, l’aviation civile et le secteur
bancaire. En Malaisie, le FIC (Foreign Investment Commitee) et le MIDA
(Malaysian Industrial Development Authority) contrôlent l’adéquation des
IDE à la politique économique promue par l’État développeur. Celle-ci
revendique un partage équilibré des pouvoirs entre intérêts malaisiens et
étrangers, un développement local (formation, expertise, emplois, débouchés
à l’export…) et la promotion des Bumiputra, malaisiens de souche
généralement musulmans, face à la puissante minorité chinoise qui détient
traditionnellement les rênes de l’économie. À Taïwan, la Negative List for
Investment by Foreign Nationals définit des secteurs soit totalement interdits
aux IDE (agriculture, forêts, chimie, transports terrestres), soit très contrôlés
(extraction, hydrocarbures, transports maritimes, fluviaux et aériens,
finance/assurance/immobilier, expertise comptable…).
Si jusqu’ici les pays émergents étaient les plus réticents à ouvrir totalement
leurs marchés afin d’assurer les bases industrielles et technologiques de leur
développement (Chine, Russie, Inde…), l’internationalisation des firmes des
Suds devient une préoccupation croissante dans les grands pays développés,
en particulier dans l’Union européenne, aux États-Unis ou en Australie.
États-Unis : le rôle du CFIUS dans le contrôle
des IDE étrangers aux États-Unis et dans le monde
Aux États-Unis, le Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis
(CFIUS) est un organisme public piloté par le secrétaire au Trésor et
composé de onze agences nationales, dont la Défense et le Trésor
américain. Il supervise les autorisations d’investissement dans le pays, en
s’inscrivant dans le Foreign Investment and National Security Act. Alors que
le CFIUS n’avait annulé que quatre opérations depuis sa création entre 1975
et 2015, il se montre beaucoup plus actif depuis. En mai 2018, il s’oppose au
rachat pour 117 milliards de dollars de Qualcomm, un des géants des semi-
conducteurs pour les télécommunications et Internet basé à San Diego et
disposant d’un portefeuille de 46 000 brevets, par le groupe de Singapour
Broadcom au nom de la sécurité nationale. Du fait parfois de l’imbrication des
systèmes productifs, il n’hésite pas à prendre des décisions transnationales.
En décembre 2016, l’administration Obama bloque le projet de rachat du
fabricant de puces allemand Aixtron par le Chinois Fujian Grand Chip du fait
des applications militaires de la firme européenne.

La montée des risques pays comme prix de l’instabilité géopolitique


Au-delà des facteurs purement réglementaires, les contextes géopolitiques
locaux, nationaux et continentaux conditionnent étroitement la protection et
la rentabilité des IDE. Aux risques concurrentiels, technologiques ou
commerciaux, que les firmes doivent classiquement gérer, se superposent les
risques politiques et géopolitiques. Ils peuvent être définis comme l’ensemble
des évènements (révolutions, coups d’État, guerres et guerres civiles,
émeutes, sécessions…) pouvant entraîner des pertes économiques,
commerciales ou financières pour la transnationale. Mais l’exposition de
celle-ci est très différente selon la nature de l’activité et parfois la nationalité
de la firme. Plus les volumes de capitaux sont considérables et moins ils sont
mobiles géographiquement, plus les risques sont importants : une usine de
montage textile, électronique ou automobile ne répond pas aux mêmes
logiques temporelles qu’un nouveau champ pétrolier ou minier (cf. Rio Tinto)
ou la création d’infrastructures électriques qui se rentabilisent à quinze ou
vingt ans.

Principaux facteurs de risques géopolitiques selon l’Américain Rio Tinto


(rapport annuel)

Expropriation, guerre civile,


nationalisation, renégociation Transformation des lois
ou annulation des contrats existants, et des politiques de taxation,
modification des permis miniers restriction des opérations de change

La montée des inégalités et tensions internationales dans un monde de plus


en plus interdépendant mais asymétrique pose aux transnationales de
redoutables difficultés d’anticipation. Elle les oblige à recourir à une
évaluation fine des situations géographiques et à la couverture des risques
politiques et économiques à l’exportation ou à l’investissement. Celle-ci est
prise en charge par des assureurs-crédits qui exercent leurs activités soit pour
le compte des États (Coface française, Hermes allemande…), soit comme
compagnies privées d’assurance à dominante anglo-saxonne. Ainsi, en 1988,
est créée la Miga (Agence multilatérale de garantie des investissements ;
siège à Washington), filiale de la Banque mondiale spécialisée dans
l’assurance des risques politiques, afin d’encourager les investisseurs à aller
dans les pays en développement.
Si l’évaluation des risques-pays a fait ces dernières décennies des progrès
considérables, la crise asiatique des années 1997-1998, les attentats contre le
World Trade Center de New York en septembre 2001 ou l’effondrement du
système financier occidental de 2008-2009 témoignent pourtant de l’extrême
cécité des décideurs, voire de la totale ineptie de certaines prévisions.
Ce phénomène s’explique par l’hypertrophie des critères purement financiers
ou économiques mobilisés dans de telles études au détriment des facteurs
sociaux, culturels, politiques et géopolitiques. Cette démarche purement
économiciste est d’autant plus réductrice qu’elle se prive des apports
essentiels de la géographie régionale et de la géopolitique. Il est vrai qu’il
demeure heureusement très difficile de faire rentrer la multiplicité et la
complexité des situations géographiques dans de simples indicateurs
économétriques.

Les IDE : une intégration très inégale, hiérarchisée et polarisée

20 États polarisent 76 % du stock mondial d’IDE


Globalement, on assiste à un phénomène de diffusion spatiale des IDE dans
l’espace mondial : les pays accueillant un stock supérieur à 10 milliards de
dollars passent en trente ans de 23 à 115. Mais cette diffusion relative ne doit
pas masquer le maintien d’une extrême concentration géographique.
Seulement 10 États sont responsables de l’exportation de 68 %, et 20 États de
87 % du stock mondial d’IDE. De même, 10 États accueillent 60 % du stock
mondial, et 20 États 76 %.
En effet, cette troisième mondialisation fonctionne d’abord et avant tout
globalement comme une intégration croissante mais concurrentielle entre les
économies les plus riches et les plus dynamiques. Trois grands pôles –
l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale et l’Asie de l’Est et du Sud-Est –
jouent un rôle majeur, largement devant le Brésil ou les pays du golfe
Persique. Ainsi, à eux seuls, les États-Unis accueillent plus d’IDE que
l’ensemble de l’Asie, des pays comme le Royaume-Uni ou la Chine autant
que toute l’Amérique latine et la France autant que toute l’Afrique. Au total,
le capital tend à se concentrer, à toutes les échelles géographiques, dans les
espaces où les marchés y sont les plus dynamiques, la rentabilité la plus
élevée et les risques relatifs les plus faibles. Face à un processus de relative
homogénéisation libérale, les principaux déterminants des choix de
localisations deviennent encore plus sélectifs : dynamisme et taille du marché
national, accès au marché régional, degrés de rentabilité, politiques
économiques et commerciales de l’État, régime fiscal, qualité du marché du
travail, niveau des infrastructures, accès aux ressources naturelles, politiques
incitatives…
Plusieurs ruptures interviennent cependant dans les équilibres
géoéconomiques mondiaux. À l’échelle des États s’affirment
progressivement de nouvelles puissances régionales se dotant de leurs
propres firmes et dont le dynamisme repose sur leur capacité à intégrer à leur
profit leur environnement régional comme le Brésil avec le Mercosur,
l’Afrique du Sud avec l’Afrique méridionale et centrale, l’Inde avec l’Asie du
Sud ou la Russie avec l’ex-CEI. Ils sont complétés par des pays de plus petite
taille disposant de marges de manœuvre internes comme la Corée du Sud, la
Malaisie, Taïwan, la Thaïlande ou la Turquie. À l’échelle des continents, face
à la relative marginalité de l’Amérique latine, de l’Afrique et du Proche-
Orient, on assiste surtout à la montée en puissance de l’Asie de l’Est et du
Sud-Est sur des bases autonomes du fait, en particulier, de l’immensité de
leurs marchés intérieurs et de leurs réservoirs de main-d’œuvre et de leurs
stratégies étatiques.
Figure 3.2 Investissements directs à l’étranger : pays d’accueil,
une attractivité très inégale

Source : d’après CNUCED, 2018.

Les pays du Sud : entre intégration dominée, nouveau cycle rentier


et évitement
Si les pays du Sud constituent un vaste espace, représentant les trois quarts de
la planète, les logiques de valorisation du capital y sont hypersélectives : 10 à
15 États y polarisent 80 % du stock de capital du fait d’une logique générale
d’évitement. Surtout, ils continuent pour l’essentiel de connaître une
intégration largement fondée ces dernières décennies sur un nouveau cycle
rentier, agricole et minier, porté en particulier par l’essor de la Chine.

Tableau 3.9 L’Arabie saoudite dans le piège de la rente


pétrolière

2006 2009 2010 2013 2015 2017 2018

PIB (milliards $) 413,9 477,7 526,6 747 654 684 751

– –
Évolution/an (%) 12,9 20,4 1,5 6 9,8
20,9 13,5
Prix de vente du baril ($) 59,2 60,4 77,5 104 49 51 71

Production (millions
9,2 8,2 9,3 9,6 10,2 10 10,3
barils/jour)

Revenus publics
679 513 742 1 156 616 696 891
(milliards $)

Dépenses publiques
398 596 654 994 999 926 1 030
(milliards $)

Solde budgétaire (% du –
18,1 – 5,3 4,4 5,8 –9 – 4,6
PNB) 15,6

Dette publique (milliards $) 365 225 168 60 142 443 576

Dette publique (% du PNB) 23,5 13,7 8,5 2,1 5,8 17,3 19,1

Revenus exportation
188,2 163,1 215,2 322 153 170 233
pétrole (milliards $)

Total exportations
210,9 182,2 251 376 204 221 285
(milliards $)

Hydrocarbures/exportations
89 89,5 85,5 86 75 77 82
(%)

Importations (milliards $) 63 86,4 96,7 153 159 119 122

Balance commerciale
147,8 105,8 154,3 223 44 102 163
(milliards $)

Réserves de change
273,4 474,2 520,3 726 616 496 535
(milliards $)

Stock d’IDE étrangers


50,6 148 176 207,8 224 232 –
(millions $)
Stock d’IDE à l’étranger
17,2 22,6 26,5 39,2 63,1 79,5 –
(millions $)

Sources : Jadwa Investment et CNUCED.

Cela explique leur très forte dépendance aux évolutions des cours
mondiaux comme en témoignent les trajectoires de l’Amérique latine ou du
Moyen-Orient avec les difficultés du Brésil ou de l’Argentine d’un côté, des
pays pétroliers du Golfe de l’autre (cf. Arabie saoudite, tableau 3.9).
En dehors de la Chine, les puissances émergentes que sont le Brésil, la
Russie, l’Afrique du Sud, l’Arabie saoudite ou l’Iran peinent à diversifier
leurs bases productives et demeurent largement prisonniers d’économies
rentières. Globalement, seuls quelques petits États réussissent à mobilier les
IDE pour diversifier leurs bases productives (Émirats arabes unis, Qatar),
c’est l’un des grands enjeux des pharaoniques projets annoncés par le prince
héritier Mohammed ben Salmane à Riyad ces dernières années. Pour ces
pays, la problématique essentielle consiste à intégrer au mieux les apports des
IDE à leur développement endogène. Leurs capacités de négociation,
cependant très inégales, peuvent parfois permettre des retombées positives
(transferts de technologies, de compétences, de savoir-faire).

Un nouvel acteur majeur :


la Chine des Nouvelles Routes de la soie

Des stratégies bien différenciées selon les États


Enfin, cette intégration productive par les IDE ne signifie aucunement une
homogénéisation des stratégies territoriales des firmes et un abandon des
logiques structurelles propres à l’histoire et à la géographie des systèmes
productifs nationaux comme l’illustrent les géographies très différenciées des
IDE dans chaque État. L’essentiel du stock britannique se trouve ainsi aux
États-Unis et en Europe, alors que l’Allemagne privilégie l’Europe
occidentale, l’Europe centrale et orientale, et les grands pays émergents, en
particulier la Chine. Les IDE canadiens sont de même polarisés sur les États-
Unis (45 %), les paradis fiscaux caraïbes (15 %) et l’Europe (26 %), alors que
l’Afrique (0,6 %), l’Amérique latine (5 %) et l’Asie (7,5 %) sont quasi
absentes. Enfin, 60 % du stock mondial d’IDE des États-Unis est en Europe,
contre 17 % en Amérique latine et 15,7 % en Asie, alors que le Moyen-Orient
(1,1 %) et l’Afrique sont marginaux (0,8 %).
Le stock d’IDE français quadruple, en passant de 366 à 1 451 millions de
dollars, en vingt ans. Les FTN françaises, hors banques, contrôlent
37 000 filiales dans plus de 190 pays. Ces filiales à l’étranger représentent
5,5 millions de salariés, soit 56 % de leurs effectifs mondiaux, et 54 % des
ventes. Les plus grandes d’entre elles concentrent 83 % des ventes et 80 %
des effectifs à l’étranger. Les FTN françaises privilégient l’Europe (37 % des
salariés, 45 % des ventes), en particulier le Royaume-Uni, l’Allemagne et
l’Espagne, les grands pays émergents (Chine, Brésil, Inde, Russie : 25 % des
salariés, 13,5 % des ventes) et l’ALENA (15 % des salariés, 20 % des
ventes). Une sensible spécialisation sectorielle est mise en œuvre : l’industrie
domine en Allemagne, au Mexique, en Roumanie, en Slovaquie et en
République tchèque ; les services marchands aux Pays-Bas, en Inde ou aux
États-Unis ; le commerce au Brésil, en Chine et en Russie. Si le coût salarial
par tête est en moyenne de 36 000 euros, il varie de 95 000 euros en Norvège
(pétrole) à 18 000 euros en Europe centrale, 16 000 euros dans les pays
émergents et seulement 3 500 euros à Madagascar, reflétant ainsi les grands
écarts socio-économiques et productifs de la planète.
Figure 3.3 L’internationalisation des firmes transnationales françaises
La Chine à l’assaut du monde : IDE et stratégie des « Nouvelles
Routes de la soie »
C’est dans ce contexte qu’il convient d’étudier l’affirmation fulgurante de la
Chine, hors Hong Kong du fait de son statut très particulier, dont le stock
d’IDE à l’étranger se monte aujourd’hui à 1 490 milliards de dollars
(× 54/20 ans) pour atteindre le 7e rang mondial entre le Canada et la France.
La grande spécificité de la géographie des IDE chinois par rapport aux autres
puissances est d’être très dispersée. Un tiers du capital est placé dans les
Nords (Europe occidentale : 16 % ; ALENA : 12 %), et les deux tiers dans les
Suds (Afrique subsaharienne : 16 % ; Moyen-Orient : 14 % ; Asie du Sud-
Est : 8 % ; Amérique du Sud : 8 %). Cela s’explique par une stratégie
opportuniste visant à s’implanter partout où c’est possible pour répondre à ses
immenses besoins alimentaires, énergétiques, miniers, industriels et
technologiques, tout en assurant à long terme la sécurisation de ses
approvisionnements. Ce déploiement offensif, mais pragmatique, se traduit
parfois par de sensibles processus d’éviction (mines, énergies,
infrastructures…) des intérêts occidentaux en Afrique au détriment
de l’Europe et en Amérique latine au détriment des États-Unis.

Tableau 3.10 L’implantation des FTN états-uniennes dans


le monde

Salariés Mondial Ventes


Mondial (%)
(milliers) (%) (millions $)

Asie-Pacifique 4 962 36 1 733 865 27

Europe occidentale 4 262 31 2 885 644 45

Canada/Mexique 2 477 18 923 122 14

Amérique latine 1 435 10 564 709 9

Afrique 239 2 112 888 2

Europe orientale 225 2 65 025 1

Proche/Moyen-Orient 187 1 97 745 2

Moyen-Orient 136 1 74 905 1

MONDE 13 923 100 6 457 903 100

Source : BEA, 2017.

Comme l’illustre la figure 3.4 sur la stratégie chinoise dite des « Nouvelles
Routes de la soie » lancée en 2013, le financement et la construction de
grands corridors logistiques par de nouveaux équipements de transport
terrestre et maritime ont pour objectif d’amarrer à son territoire de vastes
hinterlands potentiellement très riches en ressources, tout en contrant
d’éventuels blocus maritimes de la part des États-Unis. Il convient de
souligner la capacité de Pékin à articuler de manière stratégique création de
grands groupes mondiaux, essor des IDE, systèmes logistiques et
multiplication des accords politiques et diplomatiques avec les États
concernés. Au total, aucune grande puissance depuis l’Empire britannique à
la fin du XIXe siècle n’a réussi à déployer à l’échelle mondiale un projet
géopolitique et géoéconomique aussi cohérent et d’une aussi vaste ampleur
géographique.

Les territoires d’accueil des transnationales


L’unification par la mondialisation est elle-même productrice de profondes
recompositions géoéconomiques des territoires. Elles se traduisent par
des processus de surintégration et de surexclusion dont le fonctionnement
des emboîtements des échelles peut soit les neutraliser, soit les exacerber.
Pour en analyser concrètement les composantes et les effets géographiques, il
faut varier les angles d’analyse et les emboîtements d’échelle.
C’est pourquoi, en partant des territoires d’accueils des IDE, nous pouvons
étudier les modalités d’articulation à la mondialisation entre espaces
régionaux, nationaux et mondiaux, en utilisant à l’échelle nationale deux
concepts, ceux de territoires nationaux intégrés et de territoires nationaux
dissociés. Mais ces logiques peuvent aussi se retrouver à l’échelle régionale
ou subnationale et déboucher alors sur de nouvelles lignes de fracture. On
peut alors distinguer deux nouveaux types d’articulation, les espaces
branchés sur les capitaux et les flux mondiaux, et les espaces évités, victimes
de nouvelles exclusions cumulatives.

Un poids majeur dans les territoires et sociétés du monde

Un poids différencié dans les territoires


La montée en puissance des FTN oblige à s’interroger sur le degré de
dépendance des politiques et économies des États. L’évaluation du poids des
IDE dans l’économie (PNB) ou l’investissement productif (FBCF) témoigne
de situations très contrastées. Si l’effet de taille de l’économie nationale et
de l’investissement public et privé joue un rôle majeur, on doit constater
l’impact considérable des IDE (tourisme, mines, pétrole, industrie
manufacturière) sur certains petits États du Sud. Afin d’évaluer ces rapports
de dépendance et leur impact sur les équilibres géoéconomiques du monde, la
CNUCED s’est dotée d’un indice de transnationalité (ITN) des économies
nationales. Synthétique, il ramène les flux d’IDE à l’investissement total, le
stock d’IDE au PIB, la valeur ajoutée et les emplois des filiales étrangères au
PIB et à l’emploi total. On constate que les transnationales étrangères n’ont
pas du tout le même poids dans les économies du fait de trajectoires
différentes. Plusieurs structures sont identifiables. Aux économies
continentales en partie évitée (Asie de l’Ouest, Afrique de l’Est) ou encore
très fermées (Asie du Sud) répondent les espaces très ouverts et très intégrés
de l’Union européenne et de l’Asie du Sud-Est. Les Caraïbes (tourisme et
paradis fiscaux), l’Afrique centrale (mines, agriculture…) et l’Amérique
centrale sont intégrées mais largement dominées.
Figure 3.4 La stratégie chinoise des Nouvelles Routes de la soie

Source : Images économiques du Monde 2018, Paris, Armand Colin, 2017.

Tableau 3.11 Le poids du stock d’IDE dans les économies


continentales et certains États (% PIB)
Sources : CNUCED et OCDE, 2018.

Concurrences territoriales : des IDE très disputés


Avec l’envol des IDE, la chasse aux emplois et aux investissements étrangers
devient systématique de la part des différentes autorités territoriales locales,
régionales et nationales. Ces politiques mobilisent un arsenal de séduction
impressionnant et des crédits publics de plus en plus importants sous forme
d’aides directes (réduction des taux, abattement préalable au calcul de
l’impôt, exonérations provisoires de taxes diverses, ristournes sur les droits
de douane, amortissement accéléré, réduction sur les prélèvements
sociaux…) ou indirectes (prêts bonifiés, garanties de prêts, subvention à la
formation, fourniture plus ou moins gratuite des terrains, d’eau, d’électricité,
de voies ferrées ou de routes…).
Tous les États et les grandes collectivités se sont dotés d’agences
spécialisées dans la promotion de leurs territoires afin de prospecter,
accueillir, orienter et conseiller les investisseurs étrangers comme l’Agence
pour l’implantation d’entreprises (AIE) en Île-de-France. Aux Pays-Bas, la
Netherlands Foreign Investment Agency (NFIA) est un service du ministère
des Affaires économiques qui emploie une centaine de personnes dont la
moitié à l’étranger où elles sont soit intégrées aux services commerciaux des
ambassades, soit hébergées par les chambres de commerce bilatérales. Son
action est relayée par les Sociétés de développement régional (SDR) créées il
y a une vingtaine d’années comme relais à l’action de l’État pour le
développement des régions en difficulté (Nord, Limbourg, Gueldre,
Overijssel).
Ce processus repose souvent sur une logique de transferts vers les
collectivités et les contribuables d’une partie des coûts d’investissement et
d’équipement des transnationales. Ainsi, l’implantation d’Arco dans la
Maasvlakte du port de Rotterdam, au détriment de Houston ou de Marseille,
s’explique par la combinaison d’aides à l’implantation, un prix négocié de
l’énergie, une offre clé en main d’un nouveau quai et la participation directe
du port de Rotterdam au financement d’un pipeline pour éthylène. Parfois, on
assiste même à l’apparition d’un véritable dumping fiscal et social. Ainsi, aux
Pays-Bas, de nombreux avantages fiscaux peuvent être également négociés
directement au cas par cas avec les services de l’administration fiscale dans le
cadre d’un système de « ruling » qui permet de réduire les bases imposables
sur plusieurs années, alors que le pays s’est fait une spécialité dans l’accueil
des holdings des transnationales. Cette spécialité s’y traduit par le transfert de
sièges de holdings et centres de trésorerie des grandes firmes. Face à cette
escalade, qui se traduit par une coûteuse surenchère, même l’OCDE et
l’Union européenne sont obligées de tirer le signal d’alarme au début des
années 2000.
Face à ces concurrences, il convient de souligner que ces stratégies
peuvent être aux échelles locales et régionales d’une efficacité relativement
faibles car les facteurs de localisation des IDE sont de nature différente selon
la logique des acteurs et leurs branches : recherche d’économies
d’agglomération, proximité des principaux marchés, attrait de marchés
nationaux et régionaux en croissance, valorisation des bas coûts de main-
d’œuvre dans les fonctions de montage banal, promotion de branchement
efficace sur un potentiel de recherche public et privé, mobilisation de
gisements de mains-d’œuvre qualifiées…
États-Unis : la course aux emplois
des FTN des collectivités territoriales
Dans ce très vaste État aux structures fédérales très déconcentrées, les
collectivités territoriales se lancent dans un dumping fiscal et social parfois
effréné pour attirer les investissements des firmes nationales et étrangères.
En 2017, Tesla décide d’implanter une usine de 6 000 salariés au Nevada
contre 1,25 milliard de dollars d’aides et l’absence de taxes pendant dix ans.
En 2015, Boeing a obtenu 8,7 milliards de subventions de l’État de
Washington, son berceau historique, après avoir menacé de transférer une
partie de ses activités dans le Sud, moins syndiqué et moins cher. Dans
l’automobile, les groupes japonais ou allemands ont largement mis en
concurrence les collectivités afin de choisir l’implantation de leurs sites de
montage. Ce dumping fiscal généralisé se traduit parfois par la suppression
des tranches locales de l’impôt sur les revenus ou de l’impôt sur les sociétés
(Texas, Floride, Nevada) et s’accompagne aussi d’un dumping social et
salarial (lois réduisant les pouvoirs des syndicats). En 2018, Amazon – qui
souhaitait implanter deux nouveaux sites, chacun de 25 000 salariés sur la
côte est – a mis en concurrence 238 villes candidates qui ont rivalisé de
propositions. Au total, New York/Long Island et Arlington (banlieue de
Washington) ont été sélectionnées. La ville et l’État de New York
promettaient 3 milliards de dollars en crédits d’impôts et subventions sur dix
ans. Mais à Long Island, la mobilisation de la population contre le processus
de gentrification (cf. Lower East Side de Manhattan, Harlem, Brooklyn…),
dont était localement porteur Amazon, a conduit la firme à annuler son
implantation.

Territoires nationaux intégrés, territoires nationaux dissociés

Contrairement à tous les discours officiels des États ou de nombreuses


collectivités territoriales sur l’importance stratégique des transnationales pour
développer les régions périphériques ou rééquilibrer les territoires nationaux
et régionaux, la géographie des IDE et des transnationales est hypersélective.
Il convient dans ce cas de bien distinguer les opérations de croissance externe
(héritage par rachat d’une entreprise existante) et de croissance interne (libre
choix de l’implantation).

Des territoires régionaux et locaux sélectifs et polarisés


En effet, les IDE ne remettent pas globalement en cause les déséquilibres
territoriaux préexistants du fait du caractère cumulatif des effets
d’agglomération intra et intersectoriels qui jouent au profit des régions déjà
les plus développées. Accordant une grande attention aux relations inter-
firmes et à la présence de services spécialisés, ils déploient une stratégie de
minimisation des risques encourus dans un univers incertain où l’information
est coûteuse. Enfin, les territoires d’accueil doivent faire face à des effets
d’entraînement souvent faibles et à une pérennité des investissements
aléatoire (flying industries).
Aux échelles intra-nationales, les pôles émetteurs des IDE sont les espaces
économiques dominants où se trouvent les sièges sociaux des FTN comme
l’illustre le cas de l’Allemagne. Selon la Bundesbank, en vingt ans, les IDE
allemands à l’étranger ont été multipliés par 5,6 pour représenter
16 416 milliards d’euros, alors que les capitaux étrangers en Allemagne ont
été multipliés par 4 pour atteindre 8 111 milliards d’euros. L’Allemagne
exporte ainsi deux fois plus de capitaux qu’elle n’en reçoit. Selon la
CNUCED, le stock d’IDE allemands dans le monde atteint aujourd’hui
1 365 milliards de dollars (40 % PIB) et le stock de capitaux étrangers en
Allemagne 771 milliards de dollars (22 % du PIB). La géographie des IDE
étrangers fait bien apparaître la permanence de l’opposition structurelle,
trente ans après l’unification, entre anciens (ex-RFA) et nouveaux (ex-RDA)
Länder, et le rôle des grandes métropoles du Grand Sud (Bavière/Bade-
Wurtemberg/Hesse) et de l’axe rhénan, alors qu’à l’Est Berlin polarise 50 %
des IDE.

Tableau 3.12 Allemagne et territoires des IDE : des différences


structurelles majeures (flux en milliards d’euros, cumul 1995-
2016)

IDE allemands IDE étrangers


% %
à l’étranger en Allemagne

Allemagne 16 416 100 8 111 100

Anciens Länder 16 203 99 7 395 91

Nordrhein-
4 040 24,6 2 326 28,7
Westfalen

Bayern 3 369 20,5 1 477 18,2


Hesse 2 921 17,8 1 400 17,3

Bade-Wurtemberg 3 175 19,3 816 10,1

Autres 1 793 10,9 1 012 12,5

Nouveaux Länder 213 1 715 9

Berlin 100 0,6 362 4,5

Sachsen-Anhalt 41 0,3 95 1,2

Brandenburg 20 0,1 80 1

Autres 50 0,3 177 2,2

Source : Deutsche Bundesbank, 2018.

Dans les pays et régions d’accueil, les IDE sont donc fortement polarisés et
leurs dynamiques spatiales tendent à renforcer les déséquilibres territoriaux
car ils se moulent globalement dans les structures préexistantes.
Ainsi, en Italie, le Nord regroupe 70 % des emplois des entreprises
étrangères. En Espagne, les 12 000 entreprises étrangères emploient
1,1 million de salariés (13 % emploi total) et réalisent 42 % des exportations.
Madrid domine largement (64 % des IDE, 334 000 salariés) avec la
Catalogne (14 % des IDE, 283 000 salariés) devant les Asturies, le Pays
basque et Valence. Au Canada, l’Ontario (45 %), le Québec (16 %) et
l’Alberta (15 %), dopé par le boom des hydrocarbures, polarisent les trois
quarts des IDE. Enfin, les IDE tendent à renforcer les hiérarchies urbaines
nationales comme en Autriche (Vienne : 50 %), au Portugal (Lisbonne :
85 %), en Slovaquie (Bratislava : 63 %), en République tchèque (Prague :
50 %) ou au Japon (Tokyo : 80 %).
Comme en a témoigné l’Europe de l’Est dans les années 1990-2000 lors de
la transition postcommuniste, les FTN et leurs IDE ont réalisé un véritable
écrémage des systèmes productifs et territoriaux valorisant les espaces déjà
les mieux dotés, en délaissant les autres. Parfois, ces stratégies ont alors fait
rejouer de très vieilles lignes de fractures géohistoriques et géopolitiques. En
Pologne, les IDE ont survalorisé l’Ouest et Varsovie au détriment de l’Est et
du Sud-Est. En Hongrie, les IDE ont survalorisé la macrocéphalie
budapestoise (65 %) et la Transdanubie (16 %), l’espace économiquement le
plus développé depuis l’Empire austro-hongrois qui ancre le pays à
l’Autriche.
Aux États-Unis, l’emploi des FTN étrangères augmente d’1 million de
postes (+ 16,4 %) ces dix dernières années. Ce dynamisme participe
globalement de la réorganisation générale de l’appareil productif, en
privilégiant le Sud-Est, le Mideast (New York), les Grands Lacs et la façade
pacifique. Cependant, seulement 10 des 50 États fédérés polarisent la moitié
des emplois, dont la Californie, le Texas, New York, la Floride et l’Illinois.

Tableau 3.13 Dix ans d’évolution des emplois


des FTN étrangères aux États-Unis

Croissance
Diff. Différence
2016 nationale 2016 (%)
2006/2016 (%)
(%)

États-Unis 7 087,9 + 999,2 16,4 100 100

Sud-Est 1 773,1 + 297,7 20,2 29,8 25

Mideast 1 251,3 + 94,1 8,1 9,4 17,7

Grands Lacs 1 149,9 + 136,3 13,4 13,6 16,2

Pacifique 1 052,5 + 152,8 17 15,3 14,8

Sud-Ouest 775,6 + 181,8 30,6 18,2 10,9

Nouvelle-
434,1 + 27,5 6,8 2,8 6,1
Angleterre

Plaines 414 + 66,1 19 6,6 5,8

Rocheuses 185,1 + 25,5 16 2,6 2,6


Source : BEA, 2018.

La France des capitaux étrangers


En France, les firmes étrangères emploient 1,8 million de salariés, dont 37 %
dans l’industrie et 27 % dans le commerce. Représentant 1 % des entreprises,
elles pèsent pour 11 % de l’emploi, 16 % de la valeur ajoutée et 21 % des
ventes. Elles réalisent 40 % des exportations de l’industrie manufacturière, du
fait de leur poids considérable dans certains secteurs (papier-carton,
sidérurgie, machines…). Les États-Unis viennent au 1er rang devant les
voisins européens (Allemagne, Royaume-Uni, Suisse, Benelux).
La carte des emplois créés témoigne, en dehors de quelques pôles
métropolitains isolés (Toulouse, Marseille/Aix-en-Provence, Nantes), de
quatre grands ensembles régionaux. On trouve deux systèmes métropolitains
puissants et diversifiés fonctionnellement et sectoriellement : l’Île-de-France
(620 000 salariés, 17 % des emplois sous contrôle étranger) et ses marges et
la nébuleuse rhône-alpine (220 000, 13 %). On trouve aussi deux systèmes
frontaliers intégrés à l’Europe rhénane et son grand delta avec le Grand Est
(200 000, 19 %) d’un côté, le Nord (173 000, 16 %) de l’autre.
Une étude par nationalité fait apparaître certaines logiques de proximités
frontalières, le Nord-Est étant largement intégré à l’espace productif
allemand, alors que les capitaux suisses valorisent la région Rhône-Alpes et
la Franche-Comté. À l’échelle locale, les IDE peuvent jouer un rôle
considérable comme Disney à Val d’Europe (73 % des emplois sous contrôle
étranger), La Défense (26 %, banques, assurances, énergie…) ou dans des
bassins d’emplois fortement marqués par la logistique, le commerce ou
l’industrie.
Figure 3.5 Géographie des IDE en France
Source : d’après CGET, 2017.

Territoires intégrés, territoires dissociés des enclaves extraverties


Comme les IDE en s’implantant localement produisent aussi du territoire, il
convient d’évaluer leurs capacités à transformer ceux-ci selon leurs
exigences. L’étude des logiques sectorielles et fonctionnelles d’insertion des
IDE dans les territoires préexistants et les modalités d’articulation de ceux-ci
entre espaces régionaux, nationaux et mondiaux obligent alors à différencier
des structures très différentes aux interactions potentiellement divergentes.
Dans les États développés et certaines puissances émergentes, les IDE
s’implantent sur des substrats territoriaux en général relativement puissants et
cohérents, intégrés économiquement et socialement sur des bases nationales
anciennes et fortes, et pour lesquels les États maintiennent de réelles
solidarités. Même si les IDE s’inscrivent en définitive assez peu dans les
politiques d’aménagement des territoires, leur poids relatif et leurs capacités
de remodelage des systèmes productifs locaux demeurent limités. On peut
alors parler de territoire national intégré.
Il en est souvent tout autrement dans une grande partie des Suds du fait de
grandes fragilités structurelles. Dans ces territoires, les IDE – par leurs poids
et influence relative, et par les logiques de spécialisation fonctionnelles qu’ils
tendent à promouvoir avec la participation des élites locales – tendent parfois
à créer des systèmes-mosaïques constituées d’enclaves extraverties (mines,
plantations, zone franche d’exportation). Ce processus se traduit par la
juxtaposition de cellules aux fonctions dissociées qui s’adressent de manière
privilégiée à tel ou tel segment du marché mondial sans cohérence forte entre
elles. On assiste alors à l’apparition d’un territoire national dissocié dont
l’extraversion systémique pose de redoutables problèmes d’unité à l’État et à
la construction nationale. Par exemple, l’insertion de la Thaïlande dans la
mondialisation repose sur cinq grandes spécialités très différentes les unes
des autres (marchés, acteurs, capitaux, cycles, concurrences…) qui valorisent,
chacune, une portion réduite de l’espace national sans forte cohérence
interne.

Tableau 3.14 Les spécialisations des régions thaïlandaises :


des territoires dissociés

Spécialisations fonctionnelles Régions privilégiées

Industrie manufacturière d’exportation Centre et Bangkok

Émigration de travail vers le Moyen- Paysannerie pauvre du centre et nord-


Orient est

Hévéaculture Sud

Pêche et aquaculture Golfe du Siam et mer d’Andaman

Axe Bangkok, Pattaya (centre), Chiang


Tourisme de masse
Mai et Phuket (sud)

Les territoires des IDE dans un pays des Suds : l’exemple


du Vietnam

L’ouverture récente et spectaculaire d’un nouveau pays émergent


Pays de 95 millions d’habitants, le Vietnam appartient à ces nombreux pays
des Suds qui cherchent à s’insérer dans la mondialisation productive afin de
dynamiser leur économie, d’améliorer leur niveau de vie et d’offrir un emploi
à leur jeunesse (Vietnam : 41 % de la population de moins 25 ans) puisqu’un
million d’actifs potentiels arrivent chaque année sur le marché du travail.
La politique de rénovation (do moï) lancée en 1986 se fonde sur
l’ouverture à une économie de marché (décollectivisation, réhabilitation de
l’entreprise privée…) sous le contrôle politique étroit du Parti communiste
vietnamien (PCV), une stratégie de promotion des matières premières
minérales et végétales d’exportations (pétrole, café) et la valorisation des
industries de main-d’œuvre (textile-habillement, chaussures, électronique :
82 % des exportations) attirant les IDE. Le stock d’IDE étrangers passe de
243 millions de dollars en 1990 à 31,8 milliards en 2007 pour atteindre
130 milliards en 2017 (× 4/10 ans). Ce processus économique est inséparable
de grands choix géopolitiques : normalisation des rapports diplomatiques
avec la Chine (1992), puis avec les États-Unis (1994, suivi d’un accord de
commerce bilatéral en 2000), adhésion à l’ASEAN (1995), à l’APEC (1998)
puis entrée à l’OMC (2006).
En vingt ans, l’agriculture tombe de 65 à 42 % des emplois totaux, alors
que l’industrie grimpe de 12 à 25 % en passant de 5 à 13 millions d’emplois,
alors que la valeur de la production industrielle double. Mais sa dynamique
économique, de plus en plus extravertie, est dépendante de l’étroitesse des
liens commerciaux et industriels tissés avec les transnationales coréennes,
taïwanaises, chinoises et japonaises qui transforment le pays en base
productive intégrée à leur système régional asiatique. Le Coréen Samsung est
ainsi le 1er exportateur manufacturier du pays. Le Vietnam importe les
composants d’Asie, en assure le montage pour réexportation vers les grands
pays développés.

Une structure classique de PVD : polarisation métropolitaine


et évitement
L’afflux d’IDE s’accompagne d’un sensible redéploiement sectoriel et
géographique de l’appareil productif. Malgré les efforts du gouvernement, la
relative autonomie des 61 provinces, qui disposent depuis les réformes
administratives de 1996 de nouvelles marges de manœuvre, et la création
depuis 1997 de 84 zones économiques spéciales qui bénéficient d’un régime
fiscal très avantageux dans le cadre de l’aménagement du territoire, la
géographie des IDE est profondément inégale. À l’évitement de la majorité
de l’espace national répond la polarisation de 70 % du stock d’IDE sur les
aires métropolitaines de Hô-Chi-Minh-Ville au sud et de Hanoï au nord.
Cette logique de métropolisation exceptionnelle sur les deux villes capitales
et leurs sous-espaces deltaïques respectifs renvoie en fait à deux logiques
complémentaires.

Tableau 3.15 Localisation des IDE dans les provinces


vietnamiennes

Régions Millions de dollars % national

Deux pôles
194 803 69,8
métropolitains

Hô-Chi-Minh-Ville/Sud-Est 122 545 43,9

Hanoï/delta du fleuve
72 258 25,9
Rouge

Marges 84 297 30,2

Zone littorale centrale 53 278 19,1

Delta du Mékong 16 868 6

Hautes terres
13 369 4,8
septentrionales

Hautes terres centrales 782 0,3

Source : Institut statistique national vietnamien, 2018.

Premièrement, elle témoigne de la vivacité d’une structure historique


millénaire qui organise les différents espaces régionaux. Au nord, Hanoï est à
la fois la capitale administrative et politique du pays et la métropole d’une
région largement influencée par la culture chinoise très proche. Regroupant
30 % du potentiel productif, elle demeure marquée par les industries d’État
de la période socialiste (mines, industries lourdes d’État, chimie, textile). À
l’opposé, Saïgon est la capitale d’un Sud frondeur et la métropole d’une
active et ancienne bourgeoisie commerçante influencée par les autres cultures
de la péninsule Indochinoise, de fortes traditions d’ouverture et une puissante
diaspora : 4 % du territoire polarise 12 % de la population, 35 % du PIB,
57 % de la production industrielle, 53 % du stock d’IDE (services,
confection, chaussures, agroalimentaire) et 61 % des exportations.
Deuxièmement, ces articulations territoriales reflètent les conditions
minimales nécessaires au déploiement spatial du capital moderne dans un
pays en développement. En particulier, si le secteur public est tombé de 62 à
moins de 35 % de la production industrielle en vingt ans et si des dizaines de
milliers de commerces et d’ateliers sont sortis de la clandestinité du fait des
changements administratifs, les infrastructures demeurent retardataires
(routes, ponts, ports, aéroports, énergie…) et la lenteur du développement des
campagnes profondes freine la mutation du pays. En définitive, dans la
grande majorité des pays des Suds, seule la tête de la hiérarchie urbaine –
c’est-à-dire la capitale et les plus grandes métropoles – présente les
conditions socio-économiques, culturelles et environnementales nécessaires à
un fonctionnement relativement efficient du capitalisme moderne, industriel
et commercial. Plus le pays est pauvre, en difficulté et sous-équipé, plus la
polarisation des investissements étrangers est forte sur la région économique
la mieux desservie en infrastructures productives et périproductives.

Développement, extraversion et cohérence nationale


Si la logique d’extraversion adoptée par le Vietnam se traduit dans un
premier temps par une profonde exacerbation des inégalités socio-
économiques régionales, un des enjeux géopolitiques et géoéconomiques
essentiels pour les décennies à venir est de passer d’un territoire dissocié à un
territoire intégré. En particulier, un processus de diffusion va-t-il
progressivement se mettre en place à moyen terme afin d’intégrer les espaces
en voie de marginalisation (Centre médian, Hauts Plateaux, Nord-Ouest) ?
Comme dans tous les pays des Suds, la réponse à cette question renvoie
largement aux capacités financières, politiques et économiques des États et
constructions nationales à promouvoir de nouvelles solidarités. Cela suppose
de garder une marge d’autonomie minimale face à une intégration totalement
dominée. On retrouve dans tout le Sud-Est asiatique (Thaïlande, Birmanie,
Cambodge, Laos, Indonésie, Philippines) cette nette opposition
centre/périphéries dominées mal intégrées, macrocéphalie urbaine, enjeux de
développement et cohérence de la construction nationale face aux effets de la
mondialisation.

Les stratégies territoriales différenciées


des firmes transnationales
Alors que les grandes firmes transnationales sont devenues un acteur majeur
de l’organisation et de la dynamique des territoires, il convient de s’attacher à
une étude détaillée du rapport entretenu entre leurs choix stratégiques et leurs
logiques de valorisation différenciées des organisations géographiques. Au-
delà de certaines convergences, il convient de souligner la forte spécificité
des logiques d’acteurs. Elles dépendent de leur ancrage historique et de leurs
branches d’activités, de leurs capacités plus ou moins grandes à articuler les
emboîtements d’échelles géographiques (régional, national, continental,
mondial). La création d’un réseau transnational oblige à composer avec les
réalités locales, régionales, nationales et continentales. Au-delà de processus
communs à la mondialisation, la nationalité et le secteur économique
d’appartenance définissent des logiques et stratégies géographiques
différenciées comme l’illustrent quelques exemples de firmes.

Les grandes stratégies spatiales des FTN

L’accès aux matières premières, aux marchés ou à la main-d’œuvre


à bas coût
Selon leurs secteurs d’activité, les transnationales développent des choix
stratégiques différenciés qui guident leurs logiques d’organisation de l’espace
mondial et leurs choix d’implantation.
L’accès aux produits et matières premières

Les firmes minières ou agro-industrielles cherchent à accéder à moindre coût


et à moindre risque aux gisements et espaces agricoles (cf. firme malaisienne
Sime Darby), soit sous forme directe en contrôlant mines, champs pétroliers
et plantations, soit indirectement en contrôlant la logistique et le négoce pour
l’exportation. Du fait de l’immobilité géographique des ressources, elles sont
très sensibles aux risques géopolitiques.
Si historiquement, certaines ont réussi à se tailler de véritables fiefs
territoriaux en asservissant les petits États à leurs impératifs productifs et
commerciaux (cf. républiques bananières d’Amérique centrale), le processus
de décolonisation et la recherche d’une plus grande autonomie des États ont
progressivement remis en cause ces logiques coloniales ou néocoloniales.
Elles doivent donc composer avec les autorités en place et de plus en plus
partager de manière un peu moins inégale, selon les régions et les secteurs
d’activité, les profits tirés de ces activités sous ces formes plus ou moins
avouables (poids de la corruption…). Cependant, face à l’exacerbation des
tensions socio-économiques et à l’instabilité géopolitique de certaines zones,
elles cherchent aujourd’hui à disperser géographiquement leurs activités entre
différents pôles d’échelles nationales ou continentales afin de réduire les
risques.
L’accès aux marchés nationaux et continentaux

Dans les activités manufacturières et les services aux entreprises et aux


populations, la stratégie d’accès aux marchés nationaux et continentaux joue
un rôle central comme le montrent ces dernières décennies les rachats de
capacités productives par Mittal dans la sidérurgie ou la ruée des groupes
automobiles occidentaux en Chine. La production locale remplace ou
complète les flux commerciaux (cf. Toyota). Cette stratégie déjà ancienne,
puisqu’elle apparaît dès la fin du XIXe siècle, demeure encore aujourd’hui
essentielle.
Les bases productives de réexportation : un nouveau taylorisme

Aux côtés des richesses naturelles renouvelables ou non-renouvelables ou des


marchés de consommation existent un troisième grand gisement de
richesse productive : la main-d’œuvre. La capacité à segmenter
techniquement et fonctionnellement de plus en plus finement les appareils
productifs sur des bases territoriales de plus en plus lointaines se traduit par
une mobilisation potentielle sans précédent de la main-d’œuvre. Les FTN
jouent sur la survalorisation des inégalités socio-économiques et salariales
dans l’espace mondial.
Longtemps réservée aux segments sectoriels (plantations, textile-
habillement, électronique grand public, jouets…) ou fonctionnels (production
de masse banale) les plus déqualifiés à fort contenu de main-d’œuvre
ouvrière, cette logique s’élargit aujourd’hui à de nouveaux secteurs (services
aux entreprises, tourisme de masse…) et de nouvelles qualifications, et à de
nouveaux groupes sociaux (techniciens, ingénieurs) comme l’illustre la
montée de l’Inde dans les services informatiques ou de nombreux pays dans
les centres d’appels (Maroc, Madagascar…). C’est tout simplement parce que
le différentiel salarial dans l’espace mondial touche toutes les catégories
sociales.

Les différents modes d’articulations géographiques des organisations


L’organisation juridique, commerciale, technique et industrielle d’une
entreprise transnationale à l’échelle mondiale pose de redoutables problèmes
d’adéquation et d’équilibre entre les objectifs de la firme et la grande
diversité des territoires conçus à la fois comme des bases productives et des
marchés de consommation. Contrairement à toute la littérature sur
l’homogénéisation progressive des systèmes productifs, il n’y a aucune
structure idéale des modes d’organisation. Les arbitrages réalisés dépendent
de nombreux facteurs endogènes et exogènes à la firme : histoire et culture de
celle-ci, nombre d’activités, localisation des clients et concurrents…
L’analyse des différents modes d’organisation géographique des firmes
témoigne du fait que celles-ci doivent en définitive se mouler le plus
étroitement possible dans les aspérités socioculturelles, économiques et
géopolitiques des différents territoires.
L’organisation par produits

Les grandes transnationales produisant des équipements (General Electric,


BP, BT, Siemens, Ericsson, 3M, Philips…) ou des biens de consommation
(Gillette, Sara Lee…) dissemblables structurent leur organisation
internationale par lignes de produits à l’échelle mondiale. Ainsi, General
Electric segmente son activité en une douzaine de divisions-produits dont la
direction est centralisée aux États-Unis et qui gèrent leurs potentiels
commerciaux et productifs à l’échelle mondiale. Le principal avantage de
cette articulation est de faciliter la coordination et l’intégration. Mais elle a
parfois du mal à tenir compte des spécificités de chaque pays et est donc
doublée par des directions nationales aux pouvoirs cependant très limités.
L’organisation par continent

Ce mode d’organisation est souvent dominant dans les grandes


transnationales intervenant dans des secteurs relativement homogènes. Après
être parvenues à occuper un segment considérable des grands marchés
continentaux, elles investissent dans les nouveaux marchés émergents
(Philips, Nestlé, Danone, Shell, Unilever, United Biscuit, Michelin, Ford,
Renault, Electrolux, Ciments Lafarge, Sumitomo Electric…). Le monde est
alors partagé entre grandes directions continentales (Amérique du Nord,
Europe, Asie-Pacifique…) qui ont la responsabilité des activités industrielles
et commerciales de leur périmètre géographique.
Cette structure a le principal avantage d’être très réactive face aux
évolutions des principaux marchés puisque chaque continent dispose de ses
propres ressources et d’une large autonomie. Mais ce mode d’organisation
rend plus difficile la coordination d’ensemble de la firme à l’échelle mondiale
et pose des problèmes d’économies d’échelle au niveau de la recherche-
développement et de l’industrialisation des produits. C’est pourquoi cette
structure est parfois remaniée sous une forme plus mixte, comme dans le cas
d’Unilever, qui garde une organisation par continent mais développe aussi
des divisions par produits en Europe et en Amérique du Nord, là où les
marchés sont le plus intégrés.
L’organisation produit/continent

Enfin, l’organisation produit/continent essaie de tenir compte des avantages


et inconvénients des deux premiers modes d’organisation, en étant partagée
en divisions verticales, ou business units qui coordonnent à l’échelle
planétaire une stratégie de produits, et en divisions géographiques par
continent ou grands pays. Née dans le secteur de la défense afin de structurer
des équipes transversales, elle se diffuse lentement dans les autres secteurs
avant de s’étendre plus franchement au début des années 1990. L’objectif est
de parvenir à la fois à une intégration internationale maximale et à une forte
capacité d’adaptation géographique aux marchés locaux, en fait nationaux ou
subcontinentaux.
Sime Darby Plantation : un géant agricole malaisien de l’huile
de palme

Du capitalisme de plantation à un projet national développementaliste


Héritier du capitalisme de plantation des colonies néerlandaise et britannique
en Asie du Sud-Est, le groupe malaisien Sime Darby Plantation (SDP) est
l’un des symboles des nouveaux groupes agro-industriels des pays émergents
s’affirmant sur la scène mondiale. Dans la production mondiale de l’huile de
palme où 15 firmes jouent un rôle majeur, on retrouve des groupes de
Singapour (Golden Agri, Wilmar), de Malaisie (FGVH, KLK), d’Indonésie
(Astra Agro, Salim).
SDP est l’une des principales divisions du PNB (Permodalan Nasional
Berhad), un organisme public d’investissement qui contrôle une trentaine de
groupes et dont le siège est à Kuala Lumpur. Spécialisé dans les productions
agricoles (huile de palme, caoutchouc, canne à sucre…), SDP est un groupe
techniquement très intégré de l’amont vers l’aval dans la transformation
(71 huileries, traitement du caoutchouc, biodiesel, oléochimie…), le
transport, le stockage et la vente. Il offre de l’huile de palme alimentaire ou à
vocation industrielle (oléochimie, biodisesel). Alors que la Malaisie ne
représente que 23 % de ses ventes mondiales, il est présent dans 18 États,
dont ses principaux clients (Royaume-Uni, Pays-Bas, Allemagne, États-Unis,
Corée du Sud, Japon, Chine, Afrique du Sud…). Son chiffre d’affaires est
étroitement corrélé à la volatilité des prix mondiaux de ses principaux
produits.

Un système de plantation en voie d’internationalisation : déforestation


et land grabbing
Réalisant 4 % de la production mondiale d’huile de palme, SDP est présent
dans cinq pays avec 249 plantations employant 103 000 salariés. Il contrôle
un foncier agricole considérable (983 000 hectares), dont 629 000 hectares
sont plantés, pour l’essentiel en palmiers à huile (75 %). Sa présence en
Thaïlande et au Vietnam demeure pour l’instant marginale.
Afin de faire face à l’explosion de la demande mondiale en produits
agricoles, la firme a été amenée à quitter ses berceaux historiques (péninsule
Malaise dans la région de Johor, Sumatra indonésienne). Elle a été un acteur
important des fronts pionniers participant à la déforestation massive des
marges malaisiennes (Sarawak, Sabah) et indonésiennes (Kalimantan,
Sulawesi).
Puis, elle s’est progressivement internationalisée car elle a soif de
nouvelles terres à exploiter. Elle s’est alors installée de manière opportuniste
dans des États faibles, sortant parfois de graves crises internes. En 2015
et 2018, elle rachète des sociétés implantées en Papousie-Nouvelle-Guinée et
aux îles Salomon. Au Liberia, SDP a signé un accord en 2011 de concession
de 63 ans avec le gouvernement central pour développer un projet de
220 000 hectares de palmiers à huile et de caoutchouc (Matambo, Grand
Cape Mount, Zodua, Bomi et Lofa). Ces processus d’accaparement foncier
(land grabbing) au détriment des populations locales et avec la bénédiction
des autorités régionales et nationales sont de plus en plus dénoncés par de
nombreuses ONG.
Face aux critiques dont il fait l’objet et aux risques de boycott de ses
productions, SDP met aujourd’hui en avant la certification « développement
durable », dont bénéficient nombre de ses plantations, et estime que 97 % de
sa production est écoresponsable (réduction des rejets de carbone, traçabilité,
respect des droits humains…).

Tableau 3.16 L’internationalisation des plantations de SDP

Papousie-N.- îles
Malaisie Indonésie Liberia
G. Salomon

Salariés 41 349 31 813 2 803 – –

Surface
343 938 279 691 220 000 131 588 8 315
plantations (ha)

Surface huile
303 367 202 191 10 401 79 729 6 764
de palme (ha)

Production
57,4 37,5 0,5 4,6 –
(% mondial)
Source : SDP, 2018.

Unilever : l’agroalimentaire face aux marques et aux clients

L’alimentation entre marché, culture et nouvelles exigences sociétales


À l’articulation entre productions agricoles, transformations industrielles des
produits et séduction de consommateurs de plus en plus exigeants, les
transnationales de l’agroalimentaire doivent intégrer de multiples contraintes
économiques, techniques et géographiques. Une des principales
contradictions ressort au statut même de l’alimentation et de la nourriture
dans les sociétés humaines : la production en masse se heurte à des
représentations et valeurs sociétales emblématiques, en particulier culturelles,
tout à fait spécifiques selon les territoires. À cela s’ajoute dans les marchés
occidentaux une forte critique contre la « malbouffe » et des exigences de
traçabilité des chaînes d’approvisionnement. À l’opposé, l’essor de la
demande dans les pays émergents ouvre de nouveaux marchés considérables.
Afin de gérer au mieux ces contradictions, plusieurs réponses sont
adoptées par le secteur. La pression concurrentielle tend à accélérer les
fusions. Mais la nécessité de disposer d’un avantage concurrentiel évident
modifie la morphologie des firmes qui passent d’une logique d’accumulation
conglomérale tous azimuts à des stratégies de spécialisation avec recentrages
sur trois ou quatre activités. Dans cette optique, des firmes spécialisées,
comme Nestlé ou Danone contrairement à Unilever, cherchent à forger une
identité de groupe unique basée sur une marque emblématique pour tous les
produits, ce qui permet de fidéliser les consommateurs sur une marque face à
la concurrence en assurant un label de qualité. Ces stratégies obligent à
disposer de budgets promotionnels énormes (Procter et Gamble : 10 % du
CAF) et de budgets conséquents en recherche et développement (2 à 5 %
CAF) afin d’innover en permanence. Tout cela se traduit enfin par un
processus permanent de rationalisations sociales et industrielles afin de
réduire les coûts industriels, logistiques et administratifs tout en préservant
les intérêts des actionnaires.

Tableau 3.17 Les principaux groupes agro-alimentaires


mondiaux (milliards $)
Étranger Étranger Étranger
Firme Pays Actifs Ventes Salariés
(%) (%) (%)

Anheuser-
Belgique 205,1 81 47 82 200 000 78
Busch

Nestlé Suisse 133,6 80 91,1 99 323 000 97

Coca-Cola États-Unis 87,8 92 35,4 70 61 800 92

Royaume-
Unilever 64,1 90 53,7 76 160 566 81
Uni

Mondel¯ez États-Unis 63,1 84 25,8 76 83 000 86

Danone France 53 93 27,8 91 104 843 76

JBS SA Brésil 31,5 73 48,9 43 237 061 46

Wilmar Singapour 37,8 58 42,4 79 90 000 58

TOTAL 8 676,5 83 372,5 79 1 260 270 77

Source : CNUCED, 2018.

Unilever : enjeux politiques, régime yo-yo, basculement géographique


et rentabilité
Au-delà du système de représentation d’elle-même que souhaite donner la
firme anglo-néerlandaise Unilever en se présentant comme « a multi-local
multinational », l’étude de cette entreprise présente plusieurs intérêts. Elle est
le 4e groupe agroalimentaire mondial avec 160 000 salariés dans 150 pays et
une des rares véritables multinationales puisqu’elle est issue de la fusion
en 1930 du Britannique Lever et du Hollandais Unie. Comme l’illustre
l’année 2018, les enjeux géopolitiques ne sont jamais absents des décisions
prises. Les intérêts britanniques et le gouvernement de Londres mettent leur
veto à l’unification complète des deux entités qui suppose l’abandon de la
nationalité britannique et le transfert des deux sièges sociaux sur le seul site
de Rotterdam aux Pays-Bas. Afin de protéger l’une de ses FTN
emblématiques, Londres bloque aussi le raid boursier de 143 milliards de
dollars sur Unilever des firmes Kraft Heinz et AB Inbev, contrôlé par les
milliardaires états-unien Warren Buffett et brésilien Jorge Memann, qui
souhaitaient créer le second groupe agroalimentaire mondial.
Dans la décennie 1990-2000, Unilever cède de nombreuses activités
(chimie, emballages, aliments pour animaux, transports, publicité), pour se
recentrer sur trois domaines : alimentation, hygiène/beauté, produits
domestiques. Sa gamme de produits de grande consommation va des thés
Lipton, aux soupes Knorr, en passant par la moutarde Maille, les eaux de
toilette Calvin Klein et les parfums (Cerruti, Lagerfeld, Chloé, Valentino…).
En dix ans, Unilever a connu une double transformation : sectorielle, si les
ventes mondiales augmentent d’un tiers, l’alimentaire tombe de 54 à 40 % au
profit du secteur hygiène/beauté qui passe de 28 à 40 % des ventes (46 % des
profits), largement devant les produits domestiques (20 %) ; géographique,
alors que les Amériques restent à un tiers des ventes, l’Europe tombe de 36 à
25 % au profit de la région Asie-Afrique (43 %) qui capte 75 % de la
croissance mondiale. L’effet d’aspiration est considérable : les Suds
représentent dorénavant 57 % des ventes et 65 % des emplois. Elle s’intéresse
aujourd’hui à l’ouverture de nouveaux marchés comme Cuba, l’Éthiopie,
l’Iran ou la Birmanie. Enfin, alors qu’Unilever consacre 7,5 fois plus de
capitaux au marketing et à la publicité qu’à la recherche, une gestion de plus
en plus financière permet de verser 28 740 milliards d’euros de dividendes en
dix ans et de multiplier par 2,7 la capitalisation boursière du groupe.
Les stratégies géographiques d’un grand groupe des biens de
consommation reposent fondamentalement sur la maîtrise d’un marché de
consommateurs grâce à la valorisation d’un portefeuille de marques
commerciales notoires qui disposent soit d’un rayonnement international
(Dove, Knorr, Lipton, Lux, Magnum, Rexona, Omo ou Cif), soit d’une
position locale quasi monopolistique (Égypte, Honduras, Chine, Mexique…).
Dans cette quête, Unilever s’est imposé un régime yo-yo fait de cessions et
d’acquisitions permanentes. Afin d’augmenter sa marge bénéficiaire, elle
réduit entre 2001 et 2004 son catalogue de 1 600 à 400 marques, en se
concentrant sur celles qui lui procurent 80 % de ses ventes. En 2018, elle
cède à nouveau 120 marques (sauces, margarine, beurre de cacahuète, « slim-
fast »…) pour se concentrer sur l’hygiène-beauté (Axe, Dove, Signal…),
mais rachète le groupe coréen de cosmétique Carver Korea.
Ce processus est d’autant plus important que le conglomérat est confronté
à la forte pression sur ses marges des géants de la grande distribution
(Carrefour, Tesco, Ahold ou Walmart), eux aussi en pleine
internationalisation. Enfin, la firme doit faire face aux nouvelles exigences
des consommateurs en termes de nutrition (produits naturels, vegan,
bioorganic, snacking ; recul du gluten, du lactose, du sucre…) ou d’exigences
environnementales. On voit se multiplier les plans de communication sur la
réduction des gaz à effet de serre, la réduction des emballages, des déchets et
de la consommation d’eau ou les « approvisionnements durables »
(labellisation Rainforest Alliance des plantations de thé ou de cacao, Max
Havelaar pour les glaces Ben & Jerry’s…).
En réaction, la firme réorganise son dispositif, en croisant organisation
géographique du marché mondial sur trois grands continents (Europe,
Amériques, Afrique-Asie) et organisation sectorielle autour de deux branches
(produits ménagers et soins de la personne, produits alimentaires). Cette
mobilité permanente des structures s’accompagne de la profonde refonte des
appareils productifs et des emplois. Elle liquide ainsi une large partie de ses
plantations qui la fournissaient en corps gras. Aux échelles nationales
et locales, les situations sont très variables du fait des héritages historiques et
de la spécialisation des sites sur des marques vendues ou gardées. En France,
le groupe – dont le siège social est à Rueil (92) – est passé de 2 800 à
2 600 salariés et de 11 à 6 usines, entre 2000 et 2017, toutes situées dans le
Grand Nord-Est. Certaines fournissent le marché européen (cf. Saint-Vulbas
dans l’Ain pour les lessives Sun ; Maux dans l’Oise pour les shampoings
Signal et Dove, Monsavon ; Saint-Dizier en Haute-Marne pour les glaces
Carte d’Or, Magnum, Kinder), d’autres fabriquent des « produits de
terroirs locaux » (cf. moutardes Amora et Maille à Chevigny en Côte-d’Or).

Tableau 3.18 Évolution des emplois d’Unilever par zones


géographiques (milliers)
Source : Unilever.

Sa chaîne d’approvisionnement s’étend sur une large partie de la planète


avec 300 usines sur 225 sites dans 67 pays, 400 entrepôts et la mobilisation
de 488 fournisseurs de 1er rang et plus de 10 000 entreprises répertoriées dans
sa base de données. Elle est contrainte à un effort de transparence dans ses
approvisionnements agricoles. Elle vante ainsi son action sur 18 projets
portant sur dix produits (tomate, thé, vanille, lait, huile de palme, cacao,
chicorée, soja…) mobilisant 600 000 petits exploitants dans onze pays,
essentiellement en Afrique de l’Est et à Madagascar (vanille,
4 000 exploitants), et en Asie du Sud (cf. Hindustan Unilever dans la tomate
pour ketchup) et du Sud-Est (cf. huile de palme dans le nord de Sumatra).
Pour le thé (Lipton, PG tips, Brooke Bond), elle mobilise plus de
750 000 petits producteurs, essentiellement en Afrique et en Asie (Inde,
Vietnam…), avec parfois des plantations spécifiques au Kenya (cf. Kericho)
et en Tanzanie.
Ces données, longtemps gardées confidentielles, témoignent des très
importants effets d’entraînement que la stratégie d’un géant comme Unilever
peut avoir à la surface du globe, en particulier dans les campagnes.

Toyota dans l’automobile : continentalisation et multipolarisation

Naissant à la fin du XIXe siècle, l’automobile est devenue un secteur-clé de


l’économie mondiale et par excellence l’activité industrielle produisant en
masse des biens de consommation durables. Sa spécificité réside
historiquement dans sa rapide internationalisation et territorialement dans
l’extraordinaire possibilité de segmentation technique, sociale et
géographique de son procès industriel. Cependant, même dans une activité en
apparence aussi unifiée, la mondialisation laisse apparaître une extrême
diversité des structures sociotechniques et des stratégies, comme l’illustrent
de nombreux travaux du Gerpisa (université d’Évry), qui plongent leurs
racines dans l’histoire de chaque transnationale.

Un secteur automobile mondial en profondes mutations et sous


pression des émergents
Dans le cadre de la mondialisation, l’automobile japonaise et internationale
est aujourd’hui confrontée à un certain nombre de ruptures majeures.
Ruptures technologiques

Les exigences en matière de qualité, de confort, de sécurité, de protection de


l’environnement (moteur électrique) et d’innovations (électronique
embarquée…) coûtent de plus en plus cher. La conception d’un nouveau
modèle est un risque qui doit être amorti dans des échelles de plus en plus
vastes. Dans une voiture électrique, les accumulateurs représentent ainsi 40 %
de la valeur totale du véhicule. Les évolutions technologiques et industrielles
(externalisation et désintégration verticale) se traduisent par la montée en
puissance de grands équipementiers (TRW, Bosch, Valéo, Faurécia…) de
taille mondiale qui captent une part croissante de la valeur ajoutée en
réalisant des ensembles de plus en plus complexes au détriment des
constructeurs.
Gros volumes et individualisation sociale et géographique

Afin de mieux répartir ces coûts croissants, les constructeurs réduisent leur
nombre de moteurs et plates-formes (ensemble châssis-suspension) produits
en masse. Cependant, il leur faut aussi augmenter la variété des produits
finaux proposés aux consommateurs, à partir de traditions, goûts et surtout
besoins très différents, d’un continent à l’autre. Toutes les tentatives de
« voiture mondiale » proposée en même temps sur tous les continents ont
jusqu’ici échoué (cf. Ford Focus et Mondeo…).
Un marché mondial fragmenté en profondes recompositions

Le marché mondial et intégré n’existe pas. Il est la somme d’une


juxtaposition de marchés nationaux ou continentaux dont les cycles sont
différents du fait du poids des composantes locales : politique des États
(protection/ouverture, fiscalité), degrés de concurrence (présence ou non d’un
champion national ou des concurrents), nature structurelle (marché émergent
ou mature…) et conjoncturelle (croissance, stagnation, crise). Il faut donc
être présent simultanément sur les grands marchés développés matures et
saturés (Europe, ALENA, Japon) qui ne cessent de perdre du terrain et sur les
grands marchés émergents en plein boom.

Tableau 3.19 Industrie automobile : le basculement des ventes


et des productions (millions d’unités)

Source : OICA, 2018.

Alors que la production mondiale frôle aujourd’hui les 100 millions


d’unités par an, on assiste en effet en quelques décennies à un basculement
complet tant en termes de vente que de production vers les Suds
(78 % des ventes et 48 % de la production mondiale), en particulier vers
l’Asie et surtout la Chine. Ce pays devient le premier marché mondial et la
première base industrielle, en se dotant de champions nationaux et en se
plaçant dorénavant au cœur des nouveaux enjeux technologiques (cf. moteurs
électriques et batteries dans l’automobile).
Un vaste mouvement de concentration, mondialisation/démondialisation

Ces ruptures accélèrent les fusions et accords croisés entre grands


constructeurs. Cependant, le degré de mondialisation des firmes demeure très
différent d’un cas à l’autre. Une des réussites de Volkswagen est d’avoir
unifié une offre complète – du luxe (Audi, Bentley, Bugatti) au moyen (VW)
ou bas de gamme (tchèque Skoda, espagnol Seat) – sous différentes marques
tout en segmentant géographiquement leur commercialisation sans qu’elles se
concurrencent, alors que Fiat rachète l’États-unien Chrysler à bout de souffle
et cherche à fusionner avec Renault en 2019. Dans ce contexte, on assiste à la
démondialisation de firmes, comme General Motors qui revend Opel-
Vauxhall à Peugeot, alors que d’autres accélèrent leur mondialisation comme
l’Indien Tata (Jaguar Land Rover…), en attendant l’arrivée de la concurrence
des futurs géants chinois.

Tableau 3.20 Les principaux groupes automobiles mondiaux


(milliards $)

% % %
Firme Pays Actifs Ventes Salariés
étranger étranger étranger

Volkswagen Allemagne 506,3 43 260 81 642 56

Toyota Japon 472,6 64 265 68 369 64

Daimler Allemagne 306,5 52 185 85 289 41

Ford États-Unis 257,8 33 157 40 202 47

BMW Allemagne 232,0 56 111 86 130 31

Nissan Japon 176,1 72 108 85 137 57

Honda Japon 171,7 78 139 88 212 69


Hyundai Corée 148,5 17 81 43 112 42
du Sud

Renault France 131,8 45 66 78 125 80

Fiat
Italie 115,5 78 125 92 236 63
Chrysler

Volvo Suède 50,2 87 39 97 87 77

Tata Inde 42,1 78 41 83 80 46

TOTAL 12 2 611 45 1 576 76 2 621 56

Source : CNUCED, 2018.

Toyota et le modèle industriel et territorial japonais


Dans ce contexte général, Toyota est emblématique de l’histoire économique
et sociale du Japon et du décollage d’un pays alors en développement. La
dynastie Toyoda est fondée par un inventeur de génie, Sakichi Toyoda né
en 1867, au début de l’ère Meiji, à Nagoya. Il accumule son capital initial
dans l’industrie mécanique (cf. métiers textiles automatiques), alors que
l’industrie automobile naissante est dominée par Ford et General Motors qui
y ouvrent des usines d’assemblage dans les années 1920. Puis, son fils
ingénieur, Kiichiro Toyoda, se lance dans la constitution d’un groupe à base
nationale, avec l’aide du groupe Mitsui et des autorités, qui est baptisé
« Toyota » en 1936. Malgré la copie d’un modèle Chevrolet en 1933, il
refuse tout accord technologique, industriel ou financier avec une firme
étrangère. Les commandes militaires impériales entre 1937 et 1945, puis
américaines pendant la guerre de Corée lui permettent de financer son grand
boom des Trente Glorieuses (1950-1975).
Après la guerre, le modèle japonais conjugue refonte des grands zaïbatsu,
vastes conglomérats apparus lors de la révolution Meiji, intervention massive
de l’État, transferts de technologies occidentales, remontées de filières et
protectionnisme sans faille (1953 : taxe de 40 % à l’importation), les IDE
dans le secteur n’étant autorisés qu’à partir de 1970. Mais contrairement aux
pays occidentaux, la branche y reste émiettée entre onze groupes du fait
justement de la structure en général conglomérale d’une partie des kereitsu.
Cette concurrence acharnée entre constructeurs locaux sur un marché
intérieur protégé et peu pénétré, exigeant et mature est à la base de
l’internationalisation rapide des firmes japonaises afin de trouver des
débouchés rentables à l’extérieur. Mais ce modèle explose dans la
décennie 1990 du fait des contradictions et blocages internes accumulés et
des pressions extérieures, en particulier américaines. Avec les nombreux
rachats par les concurrents étrangers et l’ouverture accrue du marché, le
Japon est en voie de « normalisation » avec seulement deux champions
nationaux indépendants, Honda et surtout Toyota.

Les spécificités stratégiques et territoriales du groupe Toyota


Toyota est aujourd’hui le premier constructeur japonais et le deuxième
mondial avec plus de 400 sociétés, 368 000 salariés et 8,9 millions de
véhicules produits dans le monde, dont 54 % hors de l’Archipel. Si la firme a
connu une forte internationalisation, le Japon demeure sa base stratégique
avec 58 % des emplois, 46 % de la production, 25 % des ventes et 90 % de la
recherche-développement. Sa puissance repose sur certains traits spécifiques.
Contrairement aux modèles promus par les autres grands généralistes, le
groupe se refuse à toute croissance externe pour des raisons stratégiques et
culturelles et demeure intégré et diversifié sur le modèle traditionnel du
keiretsu (utilitaires, camions, motos Yamaha, mécanique Toyoda,
équipementier Denso). Sa gamme couvre tous les segments avec des modèles
adaptés aux goûts locaux et reconnus comme robustes et de qualité (modèles
diesels pour l’Europe, gros pick-up et 4 × 4 uniquement pour l’Amérique du
Nord, modèles rustiques et peu chers pour les Suds…).
Mais Toyota développa surtout un modèle spécifique de production et de
reproduction qui s’avéra bien adapté. Il continue de privilégier la réduction
des coûts à volume constant, un certain mode de compromis du
gouvernement d’entreprise, une forme spécifique d’organisation productive
et un certain type de relations salariales (intégration par polyvalence,
information, travail d’équipe, cercles de qualité, jusqu’ici emploi à vie des
salariés du groupe…) qui lui assure sa cohérence. Ces différences entre
constructeurs, que l’on retrouve en Europe (Renault/Peugeot, VW/BMW)
s’expliquent par l’histoire et la culture de chaque firme.
Du fait de la géographie et de l’histoire de l’Archipel, si le dispositif
territorial des groupes japonais s’articule étroitement à la Mégalopole,
organisée en puissantes cellules régionales juxtaposées, le modèle spatial de
Toyota est le plus polarisé de tous les constructeurs automobiles. Il repose sur
une double articulation productive.
Premièrement, un bastion historique centré sur la préfecture d’Aichi avec
Nagoya comme centre qui polarise 87 % des emplois japonais dans des
usines, le siège social, les services et la logistique. Échappent à ce pôle
seulement trois récentes usines d’équipements, un siège administratif à
Tokyo et un important centre de recherche à Higashi (2 400 salariés) entre
Nagoya et Tokyo.
Deuxièmement, un énorme réseau externe de sous-traitants organisé sur un
modèle pyramidal (1er, 2e et 3e ordres) qui permet une quasi-intégration
verticale efficiente. Son système territorial concentrique autorise une
segmentation fine des marchés locaux du travail à travers un fort dualisme
qui réserve précarité et bas salaires aux sous-traitants.
Cette configuration spatiale très particulière a permis à Toyota de
développer en particulier ses modèles de norme d’organisation de la
production (système kanban ou just in time « juste à temps ») qui vont
s’imposer partiellement dans d’autres pays industrialisés. Malgré certains
desserrements en province, la nouvelle géographie industrielle japonaise
repose surtout sur une réorganisation productive permanente in situ de la
mégalopole.
Figure 3.6 Le système mondial de Toyota
Source : Toyota.

Une stratégie active d’intercontinentalisation et montée du pôle


asiatique
Entre 1990 et 2018, le marché domestique de Toyota tombe de 51 à 25 % des
ventes grâce à la conquête commerciale des marchés outre-mer, en particulier
nord-américain (32 % des ventes) et européen (10 %) devant l’Asie (18 %).
Elle est rapidement suivie d’une implantation industrielle, ce qui explique le
recul de l’Archipel de 86 à 46 % de la production mondiale avec 17 des
67 usines. Inaugurée en 1949 à Taïwan, sa stratégie productive se diffuse
progressivement. Dans les années 1960, l’accent est mis sur les pays du Sud
(Brésil, 1959 ; Afrique du Sud, 1962 ; Thaïlande, 1964…) relayé dans la
décennie 1980 par l’Amérique du Nord, puis dans la décennie 1990 par
l’Europe. Aux États-Unis, Toyota met en place une stratégie d’évitement des
Grands Lacs au profit des États non-syndiqués du sud (Kentucky, Indiana,
Alabama, Mississipi). Dans les États des Suds, Toyota s’installe dans le haut
de la hiérarchie urbaine afin d’y disposer des conditions productives les plus
optimales : Le Caire, Johannesburg, Bangalore, Manille, Bangkok, Hanoï…
Mais depuis vingt ans, on assiste à une importante montée du système
productif asiatique, sensiblement renforcé par des implantations en Thaïlande
et surtout en Chine, malgré parfois les fortes tensions géopolitiques entre
les deux pays.

Tableau 3.21 Le système commercial et productif de Toyota

Revenus Investissements
Production Vente
(milliards Salariés Usines (milliards yens,
véhicules véhicules
yens) 2015-2017)

MONDE 29 379 8 975 509 369 124 67 3 820 8 970 860

Japon 52 % 46 % 58 % 17 52 % 25 %

Amérique
21 % 23 % 13 % 10 21 % 32 %
du Nord

Europe 6% 7% 7% 8 6% 10 %

Asie 15 % 19 % 17 % 24 15 % 18 %

Autres 7% 5% 6% 8 7% 15 %

Source : Toyota, 2018.

L’étude fonctionnelle de l’appareil productif témoigne de sa capacité à


organiser un dispositif hiérarchisé et intégré à l’échelle mondiale. Destinées à
alimenter les marchés nationaux ou continentaux, les fonctions de montage
sont parfois accompagnées par des usines de composants (moteurs,
équipements) et par deux centres de design destinés au développement de
nouveaux modèles adaptés culturellement aux nouveaux marchés à conquérir
(Californie en 1973, Sophia-Antipolis en 2000). Face aux tensions politiques,
Toyota insiste sur le fait que 82 % des véhicules vendus en Europe sont
montés en Europe (États-Unis : 71 %).
Son dispositif productif est relayé par un puissant système commercial
outre-mer qui est accompagné par une stratégie de financements clients afin
de présenter des offres de crédits alléchantes. Enfin, comme toute
transnationale, Toyota dispose en Europe et dans l’ALENA de centres de
coordination par grand continent des activités du groupe et d’un centre
financier à Londres chargé de gérer les flux mondiaux du groupe. Si les trois
pôles les plus développés disposent d’un ensemble fonctionnel complet,
l’Afrique, l’Amérique latine et le Proche et Moyen-Orient sont dotés de
fonctions commerciales hypertrophiées complétées par quelques activités de
montage éparses, soulignant ainsi les profondes hiérarchies territoriales
induites par la mondialisation.
À partir des années 1960, l’Asie – l’ASEAN surtout – est devenue une
terre d’élection des groupes automobiles japonais. Ces derniers se moulent
dans les législations nationales via des implantations directes ou en joint-
ventures avec des constructeurs locaux qui bénéficient de transferts de
technologies afin d’atteindre 50 % à 60 % de valeur ajoutée locale. Ainsi, la
« règle de contenu local » instaurée en 1971 par le gouvernement thaïlandais
qui, entre 1975 et 1994, passe de 25 à 54 %, permet la création d’un tissu
industriel local. La seule exception notable est la Corée du Sud dont ils
se retirent à l’extinction des accords de licence dans les années 1970, alors
que Séoul soutient ses propres chaebols (Hyundai, Daewoo…).
À partir des années 2000, Toyota y développe une intégration régionale, en
jouant sur les synergies de son dispositif. On assiste à l’émergence d’un
véritable réseau (Industrial Complementation Network) d’échanges de
composants et de pièces détachées entre la Malaisie, la Thaïlande, l’Indonésie
et les Philippines. Toyota y transfère l’assemblage de certains modèles
réalisés jusqu’ici au Japon. Enfin, la Chine devient prioritaire depuis 1991
avec huit usines (Tianjin, Canton, Sichuan) et 30 500 salariés afin de
desservir un marché en pleine expansion mais de plus en plus exigeant et
concurrentiel.

Walmart : la grande distribution américaine


entre démondialisation et dynamiques

L’invention d’un modèle de consommation de masse


Entreprise familiale fondée en 1962 par Samuel Moore Walton (1918-1992) à
Rogers dans l’Arkansas au cœur du 1er marché de consommation au monde,
le groupe américain Walmart est aujourd’hui la 15e transnationale mondiale
et le 1er groupe de la grande distribution. Elle est présente dans 27 pays avec
11 500 magasins, occupant 107 millions de m2, 2,3 millions de salariés,
511 entrepôts et centres logistiques et mobilise plus de 100 000 fournisseurs
dans sa chaîne d’approvisionnement.
Porté par le doublement en un quart de siècle des dépenses mondiales de
consommation des ménages, Walmart appartient donc à cette nouvelle
catégorie de firmes internationales de la grande distribution d’origine
européenne (Français Carrefour, Allemands Metro et Schwartz, Britannique
Tesco…) ou des pays du Sud (Mexicain Chedraui, Brésilien Pão de Açúcar,
Chinois Bailian…). Profitant de la forte croissance du niveau de vie et du
développement de la consommation de masse, ils s’imposent dans les
activités commerciales en innovant : nouveaux concepts avec les grandes
surfaces commerciales accessibles par l’automobile et aux rayons en libre-
service, « general store » où l’on trouve de tout, rôle du discount dans la
distribution, taylorisation des tâches et massification des emplois, création de
chaînes intégrées autour d’une marque unique bien repérable, publicité
massive et opération de promotion pour capter une nouvelle clientèle…
Symbole de la diffusion d’un mode de consommation de masse occidentalisé
à une partie croissante du monde, Walmart est partie à l’assaut du monde, en
portant un vrai projet sociétal : « Building the New Generation Walmart »,
tout un programme…

Le quadrillage du territoire et du marché national : une première étape


indispensable
La condition préalable à l’internationalisation d’un tel groupe est de réussir à
s’imposer commercialement et économiquement sur son marché national en
quadrillant son territoire. Les États-Unis représentent encore aujourd’hui
43 % des surfaces commerciales, 65 % des ventes et 65 % des emplois.
Ce processus historique s’étend de 1962 à 1991, date de la première
ouverture au Mexique, et repose sur trois piliers fondamentaux.
Géographiquement, le quadrillage très progressif de son immense marché
national par ses 4 600 supermarchés passe par deux innovations majeures.
Dès la décennie 1960-1970, il est le premier à s’implanter préférentiellement
dans le bas ou le milieu de la hiérarchie urbaine, en privilégiant soit les gros
bourgs ruraux, soit les villes moyennes de l’Amérique profonde délaissées
par ses concurrents. Son entrée en bourse en 1970 lui permet de mobiliser un
capital suffisant pour profiter de l’extraordinaire développement des
banlieues et du périurbain, en s’implantant en périphéries des grandes villes
où il attend que l’urbanisation le rattrape. Surtout, en étant présent dans plus
de quinze États fédérés, il s’affirme enfin comme un acteur national, en
réussissant à rompre avec un certain cloisonnement du marché intérieur pour
aboutir aujourd’hui au quadrillage complet de tous les États fédérés.
Le groupe réalise ainsi plus de 10 % des ventes à la consommation
américaine hors automobile, entre un quart et un tiers du marché des produits
de grande consommation et est le leader dans l’alimentation, les vêtements,
les jouets, les DVD-CD et les logiciels de loisir.
Économiquement, son modèle est symbolisé par son principal slogan
commercial : « Des prix bas tous les jours ». Pour l’obtenir, il joue les faibles
marges, l’absence de stock grâce aux flux tendus, des achats en très grande
quantité à des milliers de fournisseurs et une informatisation intensive des
réseaux commerciaux. En 1979, Walmart lance le nouveau concept de Sam’s
Club, immenses magasins-entrepôts où les marchandises sont présentées sur
palettes et dont l’accès est réservé à une clientèle de petits commerçants
payant une cotisation annuelle de quelques dizaines de dollars. Il utilise ainsi
son extraordinaire pouvoir de négociation que lui confère son poids
économique à l’aval de la chaîne productive pour exercer une pression
constante sur les prix et les prestations de ses fournisseurs nationaux ou
étrangers, y compris les plus importants comme Kraft Foods ou
Procter & Gamble. L’essor de la grande distribution s’explique en effet en
partie par le vaste transfert de valeur ajoutée réalisé au détriment du secteur
amont, les firmes agroalimentaires ou industrielles. Cette logique lui permet
de pratiquer un avantage de coût de 20 à 30 % par rapport à ses concurrents.
Il participe ainsi à la rationalisation technique et à la concentration
économique de l’appareil commercial des États-Unis, jusqu’ici relativement
moins avancées qu’en Europe occidentale, en étant directement responsable
ces vingt dernières années de plus d’une dizaine de milliers de fermetures de
petits magasins.
Socialement, enfin, la firme s’avère particulièrement rétrograde. Les
vieilles traditions paternalistes héritées de la PME familiale initiale et
l’austérité légendaire du fondateur se retrouvent dans l’autoritarisme d’un
management autodidacte et le refus obstiné, systématique et parfois musclé
de tout syndicat, dans la grande précarité du statut des salariés et, surtout,
dans des salaires horaires moyens très faibles d’un tiers inférieurs au salaire
moyen national. C’est ainsi que nombre de ses vendeurs se retrouvent avec
des revenus annuels mécaniquement inférieurs au seuil de pauvreté. Le
succès et la prospérité de Walmart participent ainsi à la multiplication d’une
nouvelle catégorie sociale de masse aux États-Unis ces dernières décennies,
les working poors. Cette stratégie se traduit d’ailleurs par l’apparition d’un
nouveau néologisme, la « waltmartisation » de la société américaine. Dans ce
contexte, la chaîne connaît malgré tout de nombreuses luttes revendicatives
pour de meilleurs salaires et conditions de travail, en particulier des femmes,
et est parfois contrainte ces dernières années à des hausses de salaires.

Une double internationalisation des achats et de l’appareil commercial


Aujourd’hui, l’international représente plus du tiers de ses actifs mondiaux,
35 % des ventes et 35 % des salariés du fait d’une forte internationalisation
débutée dans les années 1990. Walmart entame en fait une double
internationalisation.
Premièrement, à l’amont des achats de son système d’approvisionnement
qui fournit les centres commerciaux états-uniens et étrangers. Si Walmart se
vante de « n’acheter qu’américain » jusque dans les années 1990, les produits
importés passent depuis de 6 % à plus de 70 % de ses ventes totales.
Délocalisant ses achats, la firme met directement en concurrence sauvage des
dizaines de milliers de fournisseurs dans le monde basés pour l’essentiel dans
les pays à bas salaires de l’Amérique latine et de l’Asie en développement
(cf. Cambodge pour le textile). Les centrales d’achats des grands groupes de
la distribution participent donc activement aux délocalisations productives de
cette nouvelle mondialisation. Du fait de sa taille, ses commandes en
viennent d’ailleurs à peser d’un poids important dans le total des importations
américaines : plus de 10 % des importations annuelles originaires de Chine et
14 % des importations textiles venant du Bangladesh.
Deuxièmement, à l’aval avec l’internationalisation de son appareil
commercial. Fondée en 1989, WID (Walmart International Division) part à la
conquête de nouveaux marchés face à la relative saturation et à la forte
concurrence du hard discount sur son marché national états-unien. En trente
ans, WID connaît une croissance spectaculaire en passant de 380 000 à
930 000 salariés, de 2 000 à 6 360 centres commerciaux dans non plus 10
mais 27 pays. Par rapport à d’autres secteurs économiques, la grande
distribution est donc partie en retard dans son processus d’internationalisation
mais semble aujourd’hui l’avoir largement comblé (cf. groupes français). La
stratégie de Walmart fonctionne par à-coups, au fur et à mesure des
opportunités nationales qui se présentent dans une activité commerciale où il
n’existe encore ni véritable marché mondial, ni vrai marché continental.
En effet, les structures économiques, juridiques et commerciales et les acteurs
de la grande distribution demeurent encore très largement structurés sur des
bases nationales, comme en témoigne le verrouillage actuel du marché
français. Cette spécificité explique que Walmart passe prioritairement par la
croissance externe avec le rachat de firmes nationales ou régionales déjà
existantes sur ses marchés cibles. L’objectif est triple : gagner rapidement des
parts de marchés, bénéficier des expériences locales et se mouler dans le
paysage commercial sans rencontrer trop de résistances en disposant de
marques locales, peu à peu transformées et mises aux normes.
Figure 3.7 Walmart, un géant américain de la grande distribution

Des logiques d’implantation mondiale très sélectives, des retraits


partiels
Ses logiques d’implantation sont cependant géographiquement très sélectives
aux différentes échelles puisque le groupe s’adresse à une clientèle de classes
populaires ou moyennes disposant d’un minimum de pouvoir d’achat et
d’habitudes, ou d’attentes, de consommation de masse. Dans les pays
développés qui jouent un rôle initial important, la situation est contrastée : si
Walmart réussit son implantation au Canada et au Royaume-Uni, elle essuie
un échec en Allemagne et doit se retirer de Corée du Sud en 2005 et du Japon
en 2018.
De facto, les Suds occupent une place nodale dans sa stratégie puisqu’ils
représentent aujourd’hui les trois quarts de la croissance internationale du
groupe et passent de 45 à 70 % des surfaces commerciales à l’étranger. Le
Mexique et l’Amérique centrale sont la première cible prioritaire. Au
Mexique, elle rachète Cifra en 1991 qui devient Walmex en 2000. Avec
2 400 magasins et 100 000 salariés dans 31 États fédérés, Walmart a
profondément remodelé le paysage commercial mexicain où il réalise un
chiffre d’affaires supérieur à 2 % du PNB national ou à l’ensemble de
l’industrie touristique. Walmex prend la responsabilité de la gestion de toute
l’Amérique centrale en 2009 où Walmart a acquis une position largement
dominante voire écrasante, en particulier dans les États les plus fragiles
(Costa Rica, Nicaragua, Salvador, Guatemala, Honduras…). La Chine d’un
côté, les géants du Cône Sud (Brésil, Argentine, Chili) de l’autre sont la
deuxième cible. Aux échelles nationales, Walmart y donne la priorité aux
grands pôles métropolitains à fort potentiel (São Paulo, Buenos Aires,
Shenzhen et Shanghai…) avant parfois de s’étendre aux provinces plus
périphériques (cf. nord-est du Brésil avec le rachat en 2004 de Bompreço ou
dans le Sud avec le rachat de Sonae). Mais en 2018, il annonce son retrait du
marché brésilien, devenu trop concurrentiel.
Enfin, l’Afrique constitue la troisième cible grâce à la prise de contrôle
en 2013 du groupe sud-africain Massmart qui est le troisième plus important
distributeur de biens de consommation de toute l’Afrique. Il met les pieds en
Afrique australe (Afrique du Sud, Mozambique, Botswana) et débute de
petites implantations dans l’Afrique des Grands Lacs ou de l’Est (Tanzanie,
Ouganda, Malawi…) et au Nigeria.

MTN : un géant sud-africain de la téléphonie à l’assaut du monde

L’accès à des marchés en plein boom, plus ouverts mais très


contrôlés
Le secteur des télécommunications a connu ces dernières décennies une
véritable révolution technologique (Internet, téléphone mobile avec 3G, 4G et
bientôt 5G…), commerciale et économique, en répondant à l’explosion des
besoins économiques et sociaux d’échange de données et d’informations. Le
marché mondial est organisé par une quarantaine de groupes mondiaux, à
l’origine très souvent opérateurs nationaux historiques, en rapide voie
d’internationalisation dans un marché très concurrentiel. À côté des groupes
occidentaux (Vodaphone, Telephonica, AT&T, Orange…) s’affirment de
plus en plus de nouvelles firmes des Suds : China Mobile et China Unicom,
le Mexicain América Móvil, l’Indien Bharti Airtel, l’Émirati Etisalat…
Contraintes de rentabiliser leurs énormes investissements sur le marché
international, tant dans les équipements que dans les services, ces firmes
s’internationalisent rapidement. Mais leur internationalisation passe
obligatoirement par la conquête de marchés nationaux qui demeurent encore
très cloisonnés. Ils sont gérés par chaque autorité nationale de régulation des
télécommunications qui donne son accord à l’achat d’une licence
d’exploitation d’un temps plus ou moins limité. Face à la saturation des
marchés occidentaux, ce sont aujourd’hui les pays des Suds qui portent
l’essentiel de la croissance mondiale, en particulier l’Asie et l’Afrique.

MTN, un géant sud-africain à l’assaut du monde


Fondé en 1994 et ayant son siège à Johannesburg, MTN est étroitement
associé au nouveau gouvernement de l’ANC qui promeut le black
empowerment afin de favoriser les nouveaux milieux d’affaires de la majorité
noire, cependant malgré certaines difficultés structurelles (pyramides
financières opaques, faiblesse des capitaux et du savoir-faire, corruption,
népotisme…). Avec 233 millions de clients dans 19 pays d’Afrique, du
Proche et Moyen-Orient et d’Asie du Sud et 20 000 salariés, MTN s’affirme
comme une des premières FTN d’Afrique du Sud et d’Afrique. Mais face à
son énorme dette en dollars, MTN se retire récemment de deux marchés
mineurs, le Botswana et Chypre.
À côté de sa base sud-africaine, qui représente 9 % de ses clients mais
31 % de ses revenus, le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, joue un rôle
majeur. Mais en conflit fiscal avec la Banque centrale, qui l’accusait d’avoir
rapatrié illégalement 8 milliards de dollars de dividendes, la firme écope
en 2018 d’une amende de 52 millions de dollars. En dehors de ces deux
pôles, MTN organise son internationalisation autour de trois marchés sous-
continentaux d’un poids équivalent : l’Afrique australe et de l’Est (Seagha),
l’Afrique de l’Ouest et centrale (Weca) et le Moyen-Orient-Afrique du Nord
(Mena). Ces découpages continentaux fonctionnels renseignent sur sa vision
du marché (cf. rattachement du Soudan au Mena/du Sud-Soudan au Seagha).
Le rapport entre population, taux d’équipement, niveau de concurrence,
parts de marché et géographie des revenus souligne l’importance des
dynamiques démographiques et socio-économiques ainsi que des niveaux de
vie et de développement dans sa gestion de l’espace mondial. On peut
souligner en particulier la présence de MTN dans des pays soit sortant de
violents conflits internes (Rwanda, Soudan, Sud-Soudan, Congo), soit encore
en pleine crise géopolitique (Iran), voire en guerre (Syrie, Yémen,
Afghanistan). Dans ces territoires, les télécommunications jouent alors un
rôle majeur dans le fonctionnement des sociétés, le maintien de liens
diasporiques familiaux ou économiques et dans leurs capacités de résilience.
Malgré les prises de risques que prend la firme, ces marchés s’avèrent
souvent rentables, voire très rentables, à condition de déployer des systèmes
(prépaiements…) adaptés assurant des rentrées d’argent régulières.

Tableau 3.22 Implantations mondiales de MTN

Mobile, taux Rang MTN/ Clients


Population(millions) de pénétration MTN/ marché MTN
(%) opérateurs (%) 2018

Afrique du
57,7 172 2/4 28,4 21,2
Sud

Nigeria 194,4 60 1/4 50,04 58,2

SEAGHA 116,2 – – – 43,7

Ghana 29,6 117 1/9 51,27 17,8

Ouganda 44,3 54 1/8 53,8 11,3


Rwanda 12,3 77 2/2 47,19 4,5

Zambie 16,9 81 1/3 47 6,5

Sud-
13,1 13 1/2 60,3
Soudan

WECA 86,1 – – – 30,6

Cameroun 25,1 65 1/4 47,20 7,7

Côte
25,5 130 2/3 33,40 11,1
d’Ivoire

Bénin 12,1 76 1/2 53,53 4,9

Guinée-
12,1 96 2/4 26,9 2,8
Conakry

Congo-
5,1 89 1/3 54,5 2,5
Brazzaville

Liberia 4,3 64 1/3 35,1

Guinée-
1,9 65 1/2 60,5 0,8
Bissau

MENA 204,1 – – – 68,8

Iran (JV) 83,5 125 2/4 42,9 44,8

Syrie 17,9 87 2/2 36,04 5,6

Soudan 40,2 56 2/3 34,6 7,8

Yémen 28 42 1/4 37,7 4,4


Afghanistan 34,5 41 1/5 44 6,3

Source : MTN, 2019.


Chapitre 4

La mondialisation des marchés


et des facteurs de production

LA TENDANCE LOURDE à la rapide mondialisation des marchés et des facteurs de


production de ces dernières décennies se traduit par l’émergence de systèmes
économiques et techniques de plus en plus intégrés et interdépendants. Ce
contexte explique qu’un événement dans telle ou telle partie du monde peut
avoir un retentissement et un impact direct – conjoncturel ou plus structurel –
sur un territoire géographiquement très éloigné. Mais loin d’être des deus
ex machina omniprésents et omnipotents déterritorialisés, les effets de la
mondialisation sont en fait le produit d’un jeu d’interactions réciproques
entre des stratégies d’acteurs plus ou moins autonomes qui fonctionnent dans
une série d’échelles spatiales emboîtées dont il est nécessaire d’analyser le
fonctionnement concret.
La forte croissance des IDE et la mobilité géographique accrue des
activités des entreprises transnationales ne signifient en aucune manière que
la mondialisation intègre de manière homogène les hommes et les territoires.
On assiste au contraire aujourd’hui au déploiement de fortes spécialisations
concurrentes, de polarisations, de ségrégations et d’évitements aux échelles
mondiale, nationales et régionales. Ne pouvant bien sûr étudier dans cet
ouvrage l’ensemble des processus à l’œuvre, nous avons sélectionné les
secteurs d’activité, les fonctions productives et les filières qui nous
semblaient les plus représentatives de ces nouveaux processus hiérarchiques,
producteurs d’une intégration fragmentée.

Les matières premières : entre rentes et piège


de l’échange inégal
Les matières premières, qui désignent les produits de base pas ou assez peu
élaborés, constituent un marché très tôt mondialisé et soumis à un certain
nombre de risques spécifiques (cf. climat, sanitaire, géopolitique…).
Avec un quart des exportations de marchandises, elles occupent une place
névralgique dans le système économique et dans l’organisation
géoéconomique d’une large partie du monde. Les enjeux posés sont
considérables. Ainsi, au plan agricole, alors que plus de 820 millions de
personnes ont faim et qu’un tiers de la population mondiale est carencé en
vitamines, le passage de 7 à 10 milliards d’habitants d’ici 2050 et la hausse
des niveaux de vie supposent d’augmenter de moitié l’offre de nourriture
(calories) pour répondre aux besoins futurs. En l’absence de toute nouvelle
révolution agricole d’ampleur, cela suppose la mise en culture de quelque
600 millions d’hectares supplémentaires.

Matières premières, termes de l’échange et spécialisations


internationales

Course aux matières premières, technologies, marchés et notion


de ressources
Jamais historiquement la production et la consommation de ressources
renouvelables ou non-renouvelables n’ont été aussi importants, témoignant en
particulier d’une soif de minerais et d’énergie fossile inextinguible. En
presque vingt ans, la production de gaz ou de cuivre a augmenté de moitié,
celle de l’or d’un tiers et celle du cobalt triplé.

Tableau 4.1 Évolution des productions mondiales de quelques


minerais et énergies

Diff. Réserves Réserves Diff.


2000 2017
en % 2000 2017 en %

Cuivre (millions t.) 12 900 20 000 + 55 650 000 830 000 + 28

Or (tonnes
2 445 3 230 + 32 48 000 54 000 + 13
métriques)
Nickel (1 000 t.) 1 230 2 100 + 71 49 000 74 000 + 51

Minerais fer
1 010 2 400 + 138 140 000 170 000 + 21
(millions t.)

Bauxite (1 000 t.) 127 000 300 000 + 136 25 000 000 30 000 000 + 20

Cobalt (t.) 32 300 140 000 + 333 4 700 000 6 900 000 + 47

Manganèse
7 450 16 000 + 115 660 000 680 000 +3
(1 000 t.)

Molybdène
112 290 + 159 5 500 17 000 + 209
(1 000 t.)

Pétrole (millions
3 597 4 379,9 + 22 1 299,8* 1 727,5* + 33
t.)

Gaz (millions t.
équivalent 2 065,8 3 162,3 + 53 136,4** 196,1** + 44
pétrole)

*1 000 millions de barils et **1 000 milliards m3.


Sources : USGS et BP, 2019.

Dans ce contexte, la notion de « ressource » doit être conçue comme une


construction technologique, technique et économique historiquement
dynamique, donc datée. Connu dès l’Antiquité, le pétrole est d’un usage
marginal avant la rupture technologique introduite par le moteur à explosion
à la fin du XIXe siècle. La Première Guerre mondiale, qui en révèle tout
l’intérêt, accélère les ruées impériales britannique, française et états-unienne
au Moyen-Orient. La situation est identique avec l’uranium, l’arme nucléaire
et l’énergie atomique dans les décennies 1940-1970. Aujourd’hui, le boom du
gaz et du pétrole de schiste est lié au développement de la fracturation
hydraulique et celui du lithium aux futures voitures électriques. On assiste
chaque fois à un processus de réorganisation – parfois très profond – des
polarités territoriales, telle la ruée actuelle vers des régions andines jusqu’ici
marginales (cf. « triangle du lithium » entre le Chili, la Bolivie et l’Argentine,
salars d’Uyuni et d’Atacama).
Mais jamais les réserves prouvées n’ont été aussi importantes (gaz :
+ 44 % ; pétrole : + 33 %…) du fait des efforts de prospection qui aboutissent
à l’ouverture de nouvelles mines ou gisements ; lorsque ceux-ci sont
rentables, c’est-à-dire que les consommateurs sont prêts à en payer le prix. En
effet, ces investissements atteignent des milliards de dollars (5 050 milliards
de dollars dans les hydrocarbures en dix ans). Pour autant, si à court terme les
besoins mondiaux en ressources non-renouvelables sont couverts, la question
de la durabilité, de l’équité et de l’efficacité de nos modèles de croissance
doit être posée (cf. thématiques du gaspillage, du retraitement des déchets, de
l’économie circulaire, des nécessaires ruptures techniques et
technologiques…).

La pêche, entre marché et gestion d’une ressource renouvelable


À cet égard, la pêche mondiale est emblématique des contradictions
accumulées. Paradoxe de la Planète bleue, si les mers et les océans couvrent
71 % du globe, les ressources halieutiques sont limitées et géographiquement
concentrées du fait de facteurs physiques (températures, lumière,
profondeur), chimiques (sels nutritifs) ou biologiques (planctons) qui
définissent la zone épipélagique où s’effectue l’essentiel des prises.
Avec 10 % de la surface des mers, les plates-formes continentales
fournissent 90 % des prélèvements du fait de leurs rendements élevés. Mais
la surpêche (93,4 millions t./an) menace tout simplement la reconstitution des
réserves halieutiques du fait d’une logique prédatrice ; 70 % des stocks
mondiaux étant soit épuisés, soit en surexploitation. C’est pourquoi la FAO
propose de réduire d’un tiers en dix ans les capacités de la pêche mondiale.
D’autant que le développement de l’aquaculture (73,8 millions t./an) repose
pour une large partie sur une alimentation d’origine marine. La pêche
représente enfin des enjeux sociaux (40 millions d’emplois, 200 millions de
personnes en vivant directement et indirectement), économiques, financiers et
alimentaires (20 % des protéines animales pour 3,1 milliards d’habitats)
considérables.
Face à l’épuisement des grands gisements de l’hémisphère nord, la grande
pêche a glissé vers les zones chaudes intertropicales puis vers les régions
australes, tempérées ou froides. La férocité de la compétition (cf. montée de
la Chine) se traduit par la multiplication des conflits depuis les années 1980.
D’un côté, les États côtiers (Chili, Canada, Pérou, Argentine, Norvège,
Suède, Maroc, Namibie…) veulent contrôler les ressources de leurs zones
économiques exclusives (ZEE), lorsqu’ils en ont les moyens maritimes. De
l’autre, les puissantes flottes des États pêcheurs (Union européenne, Japon,
Chine, Corée du Sud…) veulent accéder aux ressources. Si 95 % des
pêcheurs vivent dans les Suds, seulement 1 % des bateaux réalise 50 % des
prises mondiales grâce à des navires-usines dont la rentabilité repose sur des
prélèvements massifs et des campagnes très longues.
Face à cette impasse, des évolutions se dessinent grâce à l’action de
l’ONU, de la FAO et de certains États : meilleur contrôle des ressources,
réglementation des régimes d’accès, réduction volontaire et gestion durable
des prélèvements (Pérou, Canada, États-Unis, Norvège,
Union européenne…), interdiction de certaines techniques dévastatrices (cf.
pêche aux filets électriques en Europe). Face aux logiques de marchés qui
mettent en concurrence sauvage les territoires de la pêche grâce à la
révolution des transports et de la chaîne du froid, la promotion d’une gestion
internationale raisonnée, coordonnée, régulée et durable concevant l’Océan
comme un patrimoine mondial, vital mais vulnérable, devient impérative.

Alternance de cycles historiques, rapports Nords/Suds et dégradation


des termes de l’échange
De fait, le marché mondial des matières premières reflète les dynamiques de
l’offre et de la demande ; mais tout autant les grands affrontements et
équilibres géopolitiques, entre pays fournisseurs et consommateurs d’un côté,
et entre les puissances dominant l’architecture mondiale de l’autre. Depuis
1960, il connaît une forte instabilité structurelle des prix. Trois grandes
phases géohistoriques se succèdent, reflets directs des grandes dynamiques
géopolitiques mondiales (cf. figure 4.1).
– Entre 1950 et 1970, les prix demeurent faibles du fait des rapports de
domination Nord/Sud. Lorsqu’ils jugent leurs intérêts menacés, les grands
pays occidentaux interviennent, y compris militairement, dans les affaires
intérieures de nombreux États (cf. renversement par les États-Unis de
Mohammad Mossadegh en Iran en 1953 qui nationalise le pétrole, du
président socialiste du Chili Salvador Allende en 1973 qui nationalise les
mines de cuivre, multiples interventions françaises dans son « pré-carré
africain », guerre d’Irak…).
– Entre 1970 et 2000, les prix sont plus instables, mais à la hausse dans la
décennie 1970 du fait des luttes des pays producteurs pour une plus juste
rémunération dans le cadre du mouvement de décolonisation et de la guerre
froide. Ainsi, dans les hydrocarbures, la création de l’OPEP en
septembre 1960 vise à briser le monopole du cartel des grandes compagnies
occidentales, les fameuses « Sept Sœurs », qui maintient les prix du pétrole
très bas (cf. « choc pétrolier » de 1973…).
– Puis les décennies 1980-1990 connaissent un sensible recul des prix lié à
la contre-offensive des grands pays occidentaux (généralisation des changes
flottants notamment du dollar, monnaie de référence de nombreux marchés
des matières premières, libéralisation des marchés, implosion des différents
cartels de pays producteurs…). On assiste à une dégradation structurelle des
termes de l’échange du fait du décalage entre les prix des matières premières,
stables ou à la baisse, et la hausse continue des prix des produits
manufacturés et des services vendus aux Suds. Entre 1960 et 2001, le pouvoir
d’achat des produits agricoles des pays les moins avancés (PMA) chute de
70 % par rapport aux prix des produits manufacturés achetés aux pays
développés.
Figure 4.1 Évolution des prix mondiaux des matières premières

Source : CNUCED, 2019, année 2000 = base 100.


Les décennies 2000-2020 : nouveaux paradigmes géopolitiques,
« âge d’or » et essor de la Chine
Ces dernières décennies ont vu se produire une rupture historique majeure
avec l’irruption de la Chine qui polarise entre un tiers et la moitié de la
consommation énergétique, minérale et agricole mondiale du fait de ses
énormes besoins. S’ensuit un prodigieux essor des prix mondiaux. Cet « âge
d’or » a des effets d’entraînement considérables sur plus de la moitié de
la planète.
La valeur des exportations de matières premières passe ainsi de 1 854,5 à
6 883,5 milliards de dollars entre les décennies 1991-2001 et 2004-2014.
Cette hausse de + 5 029 milliards de dollars (× 2,7) constitue par ailleurs un
transfert financier majeur des pays consommateurs vers les pays producteurs.
Elle redynamise les économies rentières agricoles et minières du Proche et
Moyen-Orient, d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie : relance des
investissements, créations d’emplois, nouvelles ressources fiscales avec
parfois la révision des codes miniers… Elle permet un large désendettement,
qui réduit d’autant la dépendance financière aux institutions internationales,
et débouche parfois sur la création de fonds souverains. Mais elle conduit à
une « reprimarisation » de nombreuses économies des Suds qui s’enferment
dans leur spécialisation géohistorique sur les produits de base au détriment de
la diversification de leur système productif (Canada, Australie, Afrique du
Sud, Chili, Pérou, Bolivie…). Elle se traduit enfin par la reconstruction de
certains États et de nouvelles logiques redistributives malgré, souvent, la
permanence de régimes corrompus et kleptomanes, confrontés cependant à de
nouvelles demandes sociales et démocratiques de la part de leurs populations.
Mais à partir de 2010, la baisse de la demande – sous les effets de la crise
économique et financière mondiale ouverte en 2008 et de la réorientation
du modèle chinois de croissance (cf. chapitre 6) – aboutit à un effondrement
des prix mondiaux. Nous renouons aujourd’hui avec une période de forte
instabilité et d’incertitudes.

Structures des marchés, producteurs et spéculation

Un système géoéconomique hiérarchique très prononcé


L’organisation du marché – production et commerce – des matières premières
est structurée par un système hiérarchique qui fonctionne sur un emboîtement
d’échelles géographiques.
À l’échelle mondiale, les pays développés et certains pays émergents
(cf. Chine) absorbent l’essentiel des importations face aux régions
spécialisées dans l’exportation des produits de base (Moyen-Orient : 57 %
des exportations ; Afrique : 66 % ; Amérique latine : 67 % ; CEI : 71 %).
Aux échelles nationales, la spécialisation rentière est encore plus sensible.
Ainsi, 64 % des pays en développement dépendent des produits primaires,
avec des spécialisations agricoles ou minières souvent étroites, comme
l’Angola, le Gabon ou le Guatemala. Cette spécialisation est aussi marquée
chez des puissances émergentes comme l’Arabie saoudite (77 %), la Russie
(72 %), le Brésil (59 %) ou l’Afrique du Sud (45 %) et en explique la relative
fragilité. On assiste en retour, par exemple, à l’alliance actuelle de
l’Arabie saoudite, de la Russie et des pays de l’OPEP pour maintenir les prix
des hydrocarbures les plus élevés possible face aux pressions multiformes de
Washington.

Tableau 4.2 Poids des produits agricoles et miniers dans


les exportations (%)
Source : OMC, 2019.

Dans un cadre dérégulé et concurrentiel, les pays producteurs sont en


rivalité afin d’augmenter leurs parts de marché ou trouver de nouveaux
créneaux de spécialisation (cf. avocat, anacarde, quinoa, tomate, fleur…).
Dans les années 2000, la crise du caoutchouc pousse la Malaisie et la
Thaïlande à convertir les plantations d’hévéas en palmiers à huile alors que le
Vietnam se lance dans le poivre. On assiste depuis à un bouleversement de la
géographie poivrière : le Vietnam se hisse aujourd’hui au 1er rang mondial
(40 % des exportations.) devant des États jusqu’ici dominants tels l’Indonésie
(15 %), l’Inde (10 %) et le Brésil (10 %). Sur les littoraux, le développement
récent de la crevette d’élevage s’est largement fait au détriment des équilibres
environnementaux et des mangroves en Inde, au Vietnam, en Équateur, en
Indonésie et en Thaïlande qui contrôlent 90 % des exportations mondiales.
Ces logiques d’État se conjuguent souvent avec l’intervention de groupes soit
publics, soit privés, nationaux ou internationaux (cf. Sime Darby Plantation,
chapitre 3). La petite Nouvelle-Zélande est ainsi devenue le 1er exportateur
mondial de lait (21 %) grâce à la puissante coopérative Fonterra, un marché
où 15 États polarisent 81 % des exportations mondiales.
L’utilisation plus ou moins efficace de cette rente dépend des conditions
géopolitiques nationales qui expliquent des trajectoires contrastées. Ainsi, au
Nigeria, le pétrole représente les 3/4 des recettes de l’État, 96 % des revenus
d’exportation et fournit en 40 ans un revenu total de 320 milliards d’euros,
l’essentiel étant capté et gaspillé par une élite prédatrice, militaire et civile.
En interne, les luttes géopolitiques pour l’accès à la redistribution de cette
rente y expliquent pour partie les logiques de fractionnement, dont témoigne
la multiplication des États fédérés. Cette spécialisation peut aussi avoir
parfois des conséquences géopolitiques internes inattendues.
La drogue : le premier marché agricole mondial
Ces dernières décennies, les cultures de la drogue (héroïne, cocaïne,
cannabis avec marijuana ou haschisch, qat…), malgré la concurrence de
nouveaux produits de synthèse, sont devenues le premier marché agricole
mondial comme le soulignent les travaux de l’ONUDC. Ce dynamisme
s’explique fondamentalement par l’état dramatique de certaines paysanneries
des Suds, le mode d’organisation du marché, la stratégie des acteurs et
l’explosion de la demande (271 millions de consommateurs). Pour l’opium,
l’Afghanistan (82 %, 263 000 ha.), le Laos, la Birmanie et le Mexique
réaliseraient l’essentiel de la production, dont les surfaces mondiales passent
de 235 700 à 345 800 ha. entre 2007 et 2018 (+ 47 %). Pour la cocaïne, la
Colombie (70 %), le Pérou et la Bolivie réaliseraient l’essentiel des cultures
(245 000 ha., + 35 % en dix ans) alors que la production de cannabis,
en pleine explosion, est plus diffuse (67 à 120 pays ; cf. Rif marocain).
Malgré les prix d’achat souvent faibles payés aux producteurs locaux, ces
cultures demeurent l’une des rares productions agricoles dégageant un
surplus pour vivre, d’où souvent l’échec des programmes d’arrachage et de
substitution ou des opérations de défoliation. Les zones de culture sont
souvent localisées dans les régions périphériques et montagneuses parfois
utilisées comme refuge par des ethnies minoritaires ou des mouvements de
guérilla qui ainsi se financent (Colombie, Triangle d’Or en
Birmanie/Thaïlande/Laos, Iran, Kurdistan, Liban…). Du fait des centaines de
milliards de dollars en jeu, ce secteur est devenu une question
géoéconomique et géopolitique majeure, en particulier à travers l’émergence
de pouvoirs criminels de plus en plus influents et la question centrale du
blanchiment des capitaux issus de la production et surtout du négoce. On
assiste parfois à la déliquescence complète de certains États à travers la
constitution de monopoles territoriaux tenus par des milices armées et à une
généralisation de la corruption des appareils étatiques (douanes, police,
armées), souvent même au plus haut niveau, en particulier dans les pays
escales pour la transformation ou le transit (micro-États antillais insulaires,
Panama, Mexique, Brésil…).
Mais ces activités criminelles ne peuvent se développer que si elles
parviennent à blanchir et à réinvestir ces capitaux dans le système financier
officiel. La mondialisation de la sphère financière a été dans ce cadre
bénéfique grâce à l’utilisation des paradis fiscaux, l’opacité des réseaux et la
complicité plus ou moins bienveillante d’une partie du système bancaire
international.

Des systèmes intégrés et interdépendants


Cette instabilité structurelle pour les États producteurs s’explique par trois
grands facteurs.
– Les crises climatiques, environnementales ou sanitaires jouent un rôle
important. Par exemple, les effets d’El Niño peuvent entraîner l’effondrement
de la production d’agrumes en Floride, en Californie, au Brésil et au
Mexique. De terribles sécheresses ou des gels exceptionnels peuvent
bouleverser le marché mondial de la laine, dominé par l’Australie, ou du
nickel et du palladium (cf. blocage du port sibérien de Doudinka de Norilsk et
suspension des exportations). Les crises sanitaires qui affectent les
productions végétales ou animales se multiplient (cf. crise du porc en Chine
en 2019), tout comme la diffusion des espèces invasives (Caulerpa taxifolia,
frelon asiatique, moustique-tigre…).
– Les mutations technologiques ou économiques modifient la demande
comme en témoignent les cycles énergétiques (charbon, pétrole, nucléaire,
gaz naturel). Avec la fin de la guerre froide, l’effondrement des besoins en
uranium déstructure l’économie de la région d’Arlit au Niger qui fournissait
10 % de la demande mondiale. Si l’aéronautique absorbe 70 % de la
production mondiale de titane, les cycles de l’industrie automobile jouent un
rôle croissant dans la demande mondiale de plomb (60 %, batteries), de zinc
(60 %, aciers galvanisés) ou de rhodium (pots catalytiques) alors que les
cours de l’étain dépendent à 60 % du marché électronique.
– Les crises géopolitiques, enfin, peuvent d’autant plus modifier les
volumes fournis sur le marché mondial qu’un État ou une région disposent
d’un monopole. Ainsi, en 1989, l’insurrection indépendantiste de l’île de
Bougainville, en Papouasie-Nouvelle-Guinée (12 000 morts en dix ans),
provoque la fermeture de Panguna, une des plus grandes mines de cuivre à
ciel ouvert. Le marché de l’étain peut être déstabilisé par les stratégies parfois
confuses adoptées par Jakarta ces dernières années (restriction ou arrêt
unilatéral des exportations). À l’opposé, la stabilisation même précaire du
Congo-Brazzaville – après une terrible guerre civile alimentée par les
rivalités des États voisins – se traduit par la relance des chantiers forestiers
dans le centre du pays (Niari et la Lékoumou) qui réalisent 40 % de la
production nationale.

L’échec global des tentatives de régulation et contrôle des marchés


Cette instabilité générale des prix est un phénomène relativement récent lié à
la nouvelle phase de mondialisation. Avant 1945, des cartels stabilisaient les
cours des principales productions (sucre, blé, thé, caoutchouc, étain) afin de
défendre des prix planchers rémunérateurs pour les compagnies coloniales.
Si, en avril 1942, Keynes proposa la création d’une institution internationale
pour la régulation des marchés mondiaux des produits de base, il se heurta au
veto des puissances occidentales malgré la mise en place entre 1945 et 1964
d’accords de stabilisation pour le blé, le sucre, l’étain et le café. Par la suite,
les principaux pays producteurs des Suds et la CNUCED ont tenté de
reconstruire et d’étendre les systèmes de régulation par produit (accords de
produits, financements compensatoires, quotas d’exportations, plans de
rétention, campagnes d’arrachage…). L’Association des pays producteurs de
café (APPC) regroupa ainsi les 14 principaux producteurs réalisant 70 % de
la récolte mondiale.
Mais ces tentatives se heurtent en permanence à deux obstacles majeurs :
l’opposition systématique des États-Unis et de la grande majorité des pays
développés et la domination d’une conception libérale des échanges. On
assiste ces dernières années au démantèlement des organisations existantes
dont témoignent en avril 2000 la liquidation de l’Organisation internationale
du jute ou l’implosion en 2001 de l’Inro (Organisation internationale du
caoutchouc, 22 États producteurs) du fait du retrait de la Thaïlande et de la
Malaisie. Dans le café, l’Ouganda, 2e producteur africain, quitta l’APPC et
l’Organisation interafricaine du café (Iaco) sous la pression directe des États-
Unis qui tentent ainsi d’isoler le Brésil et la Colombie. En définitive, seul
le cartel de l’OPEP, malgré ses divergences internes, a relativement réussi
à préserver les intérêts des pays producteurs ; ce qui explique sans doute
les attaques virulentes dont il est parfois l’objet.

Grande distribution, traders et spéculateurs et « commerce


équitable »
Sur les marchés mondiaux des matières premières, plusieurs types d’acteurs
jouent un rôle central dans l’organisation des échanges, la formation des prix
et des revenus et la gestion du risque. Grands clients traditionnels, les
transnationales de l’agro-alimentaire, des mines, de l’industrie ou du
commerce pèsent sur les cours mondiaux grâce à leurs volumes d’achat et
mettent – autant que faire se peut – en concurrence les grands fournisseurs et
régions productives. Ainsi, les deux tiers de la production mondiale de
caoutchouc sont consommés par les grandes firmes des pneumatiques
(Goodyear, Bridgestone, Michelin…).
De plus en plus puissants, les groupes de la grande distribution se sont
dotés de puissantes centrales d’achat. Leurs chaînes de valeur mondiales
mettent en concurrence des dizaines de milliers de producteurs à travers le
monde et pèsent de plus en plus lourds dans les débouchés de certains
secteurs (agriculture, textile-habillement, produits à la personne et aux
ménages…). Seulement 5 firmes contrôlent ainsi 78 % du marché domestique
en Allemagne, 75 % au Royaume-Uni et 44,5 % aux États-Unis. Leur
pouvoir économique permet de largement déformer à leur profit la hiérarchie
des rémunérations payées aux acteurs de leurs filières d’approvisionnement.
Dans les produits agricoles et alimentaires, seulement 6,5 % du prix de vente
total dans leurs rayons va aux producteurs, 6,7 % aux secteurs amont
(semences, engrais, phytosanitaires…), 38,4 % aux firmes industrielles
transformatrices et 48,4 % à elles-mêmes. Sur le prix d’un paquet de café
colombien vendu aux Pays-Bas, seulement 20 % du coût total va à la
production, dont seulement 4,5 % à la rémunération des producteurs, contre
14 % à la firme caféière et 57 % au supermarché.

Tableau 4.3 Le poids marginal de la rémunération


des producteurs dans l’agroalimentaire (% prix final de vente
en supermarché payé par le consommateur)

Source : Oxfam, 2018.

De même, les firmes de négoce international (Trafigura, Vitol, Mercuria,


Louis Dreyfus, Cargill, Glencore…) occupent une place croissante, en
particulier face aux retraits des grandes banques d’affaires du secteur
(JP Morgan, Deutsche Bank, Bank of America/Merrill Lynch…). Elles
servent d’intermédiaires, organisent les transports et alimentent les marchés.
Très discrètes, elles disposent de pouvoirs considérables sur de nombreux
marchés (cobalt, pétrole, céréales, sucre, soja…). Certaines, telles Glencore
ou Cargill, sont devenues des géants mondiaux, intégrés de la production au
négoce. Cargill, ADM, Louis Dreyfus Commodities et Bunge dominent ainsi
l’agrobusiness mondial. On voit ainsi, par exemple, s’affirmer la Suisse et
Genève comme un des hauts lieux du trading mondial où se négocie plus du
tiers du pétrole vendu dans le monde.
Enfin, ces marchés deviennent aussi le champ d’intervention privilégié de
Fonds financiers spéculatifs. Les cours des matières premières sont en effet
fixés par les Bourses de commerce, qui apparaissent vers 1850, puis par les
marchés à terme dont le premier est né à Chicago pour gérer les échanges de
produits agricoles. Cinq ou six places financières jouent un rôle majeur :
Londres (Liffe pour le cacao…), New York (le CSCE, Coffee, Sugar and
Cocoa Exchange), Chicago, Paris ou Hambourg. Au London Metal
Exchange, fondé en 1877 et qui monopolise 90 % des transactions mondiales
des non-ferreux, les brokers du 62 Leadenhall Street vendent plus de mille
fois la production mondiale par jour (aluminium, cuivre, nickel, zinc, étain et
plomb).
La place financière de Londres au cœur
de la spéculation sur les matières premières
La place de Londres est historiquement l’un des piliers des marchés des
matières premières. Alors qu’environ 5 000 milliards de dollars de
transactions annuelles sur l’or sont réalisés à la City, la London Bullion
Market Association, qui fixe le cours mondial de l’or, est composée de la
Barclays, Goldman Sachs, HSBC, JP Morgan, Société Générale, UBS et
Bank of Nova Scotia, rejointes récemment par les banques chinoises Bank of
China et ICBC. Pour sa part, le London Metal Exchange fixe les prix de
nombreux métaux (argent, platine, palladium…). En 2015-2017, le
Département de la Justice des États-Unis et la Commodity Futures Trading
Commission (CFTC) ouvrent une enquête contre dix grandes banques
mondiales (HSBC, Bank of Nova Scotia, Barclays, Crédit Suisse, Deutsche
Bank, Goldman Sachs, JP Morgan, Société Générale, Standard Bank et
UBS) pour y avoir manipulé le processus de fixation des prix. Face aux
pressions des régulateurs, les grandes banques d’affaires (cf. JP Morgan)
sont d’ailleurs en train de quitter les marchés miniers au profit des grandes
firmes de négoce international dont le poids croît en conséquence
(cf. Suisses Glencore et Mercuria).
Face aux contraintes financières extrêmes sur les pays producteurs que font
peser ces structures de marché, de nombreuses organisations non
gouvernementales (TransFair, Oxfam ou Max Havelaar…) en sont venues à
partir des années 1980 à promouvoir le développement d’un « commerce
équitable ». Son objectif est double : assurer un prix minimum garanti et
rémunérateur aux petits agriculteurs des Suds et des produits de qualité à la
traçabilité garantie aux consommateurs du Nord, via souvent la vente dans
des réseaux de magasins agréés. Ce commerce s’appuie sur des systèmes
coopératifs telle la Kilimandjaro Native Cooperative Union (KNCU) de
Tanzanie, labélisée par Max Havelaar dès 1993, qui regroupe une centaine de
coopératives et 100 000 petits producteurs. Malgré un poids économique
modeste mais en pleine croissance (café, cacao, thé, banane…), son
dynamisme témoigne de la crédibilité de certaines alternatives puisque la
grande distribution s’y investit massivement aussi depuis les années 2000.

Des enjeux géopolitiques et géoéconomiques essentiels

Dès les Grandes Découvertes ou la création des empires coloniaux, la


valorisation et le contrôle des richesses agricoles et minières représentèrent
l’un des enjeux essentiels de la mondialisation. Malgré de nombreux
changements, ce processus garde encore aujourd’hui toute son importance.

Le jeu des facteurs externes aux échelles mondiales, continentales


et nationales
Les jeux d’influence des États et les conflits d’hégémonie perdurent. Le
pétrole est sans doute le cas le plus éclairant du fait de son caractère
stratégique comme en témoignent de nombreux conflits internationaux
(guerre du Golfe contre l’Irak), régionaux (Grands Lacs, Zaïre) ou nationaux
(Soudan…) et de nombreuses situations de crise (Proche-Orient, Tchad…).
Dès l’entre-deux-guerres, les puissances impériales se disputèrent le partage
du Proche et Moyen-Orient sur les ruines de l’Empire ottoman et
s’affrontèrent sur la définition des frontières de la péninsule Arabique.
Aujourd’hui, les hydrocarbures off shore sont souvent au cœur des conflits de
délimitation des zones maritimes (golfe de Guinée, Méditerranée…).
Aux échelles régionales et locales, ces spécialisations ont historiquement
modelé les systèmes socio-économiques et territoriaux, les cycles de
développement (Gabon : commerce de l’ivoire, récolte du caoutchouc, puis
exploitation du bois précieux comme l’okoumé et enfin extraction du pétrole
et du manganèse), les paysages et structures agraires (grandes plantations,
fronts pionniers, café au Brésil, latifundia/minifundia…), les rapports sociaux
(traite négrière et commerce triangulaire, domination des élites et
oligarchies), les réseaux de transport drainant vers les ports les richesses et,
enfin, la trame et les hiérarchies urbaines, en particulier dans les Suds.

Des systèmes territoriaux spécifiques : la juxtaposition de cellules


régionales spécialisées
Toutefois, au-delà de la puissance des héritages, ce sont bien les modes
d’articulation contemporains aux marchés mondiaux qui jouent un rôle
essentiel dans la différenciation des trajectoires territoriales. Dans de
nombreux pays rentiers, la dynamique productive tend en effet à fortement
spécialiser – voire enfermer – chaque territoire local (cf. enclaves minières ou
grandes plantations) ou régional dans un type de spécialisation. Cela aboutit
souvent à la construction d’un espace-mosaïque – plus ou moins bien intégré
et sous tensions – dans lequel le centre domine et tire l’essentiel de ses
revenus d’une valorisation plus ou moins prédatrice des marges (Algérie,
Indonésie, Gabon, pays andins…).
Ainsi, en Australie, les minerais représentent 57 % des exportations. Mais
l’impact de l’économie minière est différent selon les États fédérés (Australie
occidentale : 16 % PNB ; Territoires du Nord-Est : 14 % ; Queensland : 5 % ;
Australie du Sud : 4 % ; Tasmanie : 3 %). À elle seule, l’Australie
occidentale polarise 40 % de cette richesse (or, fer, nickel, diamants de
Kimberley) alors que les trois quarts du charbon sont extraits par deux États
(Nouvelle-Galles-du-Sud et Queensland). Ces logiques centre/périphéries
sont clairement à l’œuvre à toutes les échelles au Canada ou en Russie
(cf. Sibérie et Grand Nord), mais sont compensées par des transferts publics
massifs, un facteur souvent absent dans de nombreux pays des Suds. Ainsi,
en Tanzanie, les provinces de l’est et du centre sont très sensibles aux prix du
café qui est la 3e source de devises et à 94 % exportés, les petites
exploitations familiales groupées en coopératives y représentant 75 % des
surfaces et 58 % de la production devant les grandes plantations. En effet,
une large partie des paysanneries du monde insérées dans les productions
agricoles spéculatives dépendent des prix mondiaux (café, thé, cacao,
banane…).

Mises en valeur et exploitation à l’origine de nombreux conflits


géopolitiques
Très souvent, les logiques de valorisation rentières agricoles ou minières sont
à la source de nombreux conflits géopolitiques. Ainsi, dans l’agriculture, la
mise en valeur de nouveaux espaces par des fronts pionniers peut révéler de
graves tensions internes jusqu’ici sous-jacentes ou masquées entre centres
dominants et périphéries asservies. Ainsi au Vietnam, la politique de
développement caféière de l’État depuis le milieu des années 1990 s’est
traduite par la mise en culture de centaines de milliers d’hectares grâce à la
déforestation à partir de la plaine littorale des Hauts Plateaux du Daklak et du
Gia Lai au centre du pays. Mais, dans les années 2000, les minorités
ethniques montagnardes frontalières très pauvres et marginalisées – dont les
terres ancestrales ont été confisquées par les planteurs Viets originaires du
delta du Fleuve Rouge et des plaines – se sont souvent révoltées, obligeant la
police armée à intervenir.
Mais c’est en Afrique subsaharienne que la logique de pillage et de
contrôle des matières premières s’affirme dans sa plus totale violence en étant
la clé fondamentale de nombreux confits internes et externes depuis la fin de
la guerre froide (Sierra Leone, Angola, ex-Zaïre, Congo-Brazaville,
Centrafrique, Soudan, Tchad…). Dans les décennies 2000-2010, le dépeçage
et le partage de l’ex-Zaïre a pour objectif direct le pillage des richesses
minières et forestières par les clans armés, appuyés par les États voisins dans
un véritable conflit aux implications sous-continentales. Ce processus de
décomposition est en terrible continuité avec la création du pays en 1878 par
le roi des Belges Léopold II, qui en fit sa propriété personnelle, ou, après
l’indépendance, avec le sanglant régime du colonel Mobutu, un allié
indéfectible des pays occidentaux.
Plus globalement, alors que les transnationales minières ou pétrolières
renouent souvent avec les vieilles logiques d’économies de comptoir en s’y
concentrant sur l’exploitation off shore des ressources naturelles sans
participer au développement des économies locales (Nigeria, Gabon,
Angola…), la responsabilité politique des grands États occidentaux ou de la
Chine et des instances internationales et l’incurie trop généralisée des élites
locales (corruption, népotisme…) y fragilisent les États et sociétés.
C’est pourquoi l’un des enjeux d’avenir pour ces pays exportateurs est de
réussir à sortir du piège d’une spécialisation héritée de la période coloniale et
qui constitue encore un facteur de blocage d’un véritable développement.

Les produits énergétiques et miniers


Les activités énergétiques et minières entretiennent des rapports particuliers à
l’espace géographique alors qu’elles furent très précocement un enjeu
essentiel de la mondialisation capitaliste et de la colonisation (arrivée des
minerais d’Amérique latine dans l’Espagne du XVIe siècle). Anomalies
géologiques de la croûte terrestre, les gisements sont des richesses naturelles
non renouvelables ancrées territorialement, qu’il faut remplacer au fur et à
mesure de leur épuisement grâce à la prospection. Mais les notions de
ressources exploitables sont relatives car étroitement dépendantes du contexte
technologique, économique et commercial. La recherche minière est aléatoire
et la mise en exploitation est une opération risquée alors que le marché même
des minerais est l’un des plus sensibles aux conjonctures économiques et aux
crises géopolitiques. Il s’ensuit une stratégie des firmes du secteur très
particulière dans un marché depuis déjà longtemps d’échelle mondiale.

Les produits énergétiques : un monde énergivore assoiffé


d’énergies

Explosion de la demande : un profond bouleversement des équilibres


mondiaux
Comme nous l’avons vu, entre 2000 et 2017, la production mondiale de
pétrole a augmenté d’un tiers et celle de gaz de 44 % en vue de répondre à
l’explosion de la demande énergétique mondiale (+ 44 %). On assiste à un
profond bouleversement des équilibres mondiaux : alors que la
consommation des Nords stagne (+ 2 %), celle des Suds explose (+ 101 %)
en passant de 42,5 à 59 % du total mondial et en polarisant 97 % des
nouvelles demandes. En particulier, la Chine triple sa consommation et
devient le 1er consommateur mondial (23 %), largement devant les États-Unis
(16,5 %) et l’Europe (14,6 %). L’Inde et la Russie dépassent dorénavant le
Japon ; le Brésil, l’Iran ou l’Arabie saoudite dépassent la France. Et nous
n’avons encore rien vu puisque la demande mondiale devrait augmenter de
25 % d’ici 2040, en particulier en Chine (+ 27 %), en Inde (+ 91 %), en
Afrique (+ 91 %), au Moyen-Orient (+ 41 %) et en Amérique latine (+ 42 %).
Les besoins en investissements pour répondre dans le futur aux besoins sont
colossaux (2 000 milliards de dollars). Face à des immenses défis, la
promotion d’un développement moins énergivore, plus économe et durable
est un enjeu majeur pour l’avenir des sociétés humaines.

Les grands Majors du pétrole : le lien symbiotique État/firme


Face aux activités minières traditionnelles, le contrôle de l’or noir représente
des enjeux nationaux et mondiaux autrement plus stratégiques du fait du
développement d’une véritable civilisation du pétrole comme en témoigne à
la fin du XIXe siècle l’émergence des Majors organisés en un puissant cartel
dont les intérêts géoéconomiques sont étroitement associés aux intérêts
géopolitiques de leurs États respectifs : aux États-Unis la Standard Oil
(1870), Chevron, Exxon, Mobil et Texaco (1902) et en Europe Royal Dutch-
Shell (1890) et British Petroleum (1909) rejoints par Total (1924) et Elf
(1966) et la Belge Pétrofina (1920). Face à ces mastodontes, chaque État
producteur se dote progressivement de sa propre société nationale afin de
desserrer l’étreinte comme l’Arabie saoudite (Saoudi Aramco), le Mexique
(Pemex), le Venezuela (Petroleos de Venezuela, PDV), la Malaisie (Petronas)
ou l’Algérie (Sonatrach).
Ces dernières décennies, alors que la concentration économique du secteur
s’accélère dans les pays occidentaux (rachats de Mobil par Exxon, d’Amoco
et d’Arco par BP, de Fina et d’Elf par Total, fusion Texaco/Chevron…),
l’arrivée des géants chinois et l’affirmation des firmes russes ne font que
confirmer le lien symbiotique tissé entre État et firmes pétrolières, car
l’énergie est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seules mains des
marchés et des actionnaires. Comme l’illustre le poids financier, économique
et humain des douze principales firmes, ces géants ont acquis un poids
considérable : leurs ventes annuelles sont presque équivalentes au PIB de la
France.
Tableau 4.4 Les douze principales firmes pétrolières mondiales
(milliards $)

Firme Pays Ventes Profits Actifs Salariés

Sinopec Chine 326,6 8 249,9 249 142

Shell Pays-Bas 321,8 15,2 410,7 82 000

PetroChina Chine 282,4 4,1 381,1 303 032

BP Roy.-Uni 251,9 4,3 275,3 74 000

ExxonMobil États-Unis 230,1 20,4 348,8 71 000

Total France 155,8 8,4 257 104 000

Chevron États-Unis 139,4 20,2 256,4 51 900

Gazprom Russie 112,2 12,2 316,8 469 600

Lukoil Russie 99,9 7,2 92 110 000

Rosneft Russie 94,8 3,9 214,2 261 500

Enel Italie 86,7 4,6 193,6 69 272

ENI Italie 75,5 3,9 143,1 30 950

TOTAL 12 2 177,1 112,4 3 138,9 1 876 396

Sources : Forbes et firmes, 2018.

La tendance à la concentration économique du secteur s’explique par trois


grandes raisons. Les besoins en capitaux sont de plus en plus importants pour
financer la recherche et la mise en exploitation de nouveaux gisements, la
mise en place de filières de transformation amont/aval cohérentes (raffineries,
chimie, ventes de carburants…) et la transition énergétique à venir fondées
sur des nouvelles technologies et marchés de rupture. Les difficultés
rencontrées pour découvrir de nouveaux gisements de plus en plus difficiles
d’accès ou complexes sont croissantes : face aux risques encourus, le rachat
d’un concurrent permet de maintenir à court ou moyen terme le portefeuille et
le niveau de réserves sans amoindrir la rentabilité.
Enfin, la nécessité de couvrir l’ensemble de la planète est de plus en plus
difficile à tenir face au vieil objectif d’équilibrer géographiquement les zones
de production et de réserves afin de faire face à toute crise géopolitique
régionale et d’être capable de produire au coût le plus bas pour chaque bassin
de production dans le cadre d’une régionalisation des activités mondiales.
Dans ce contexte, les alliances interfirmes et les financements conjoints se
multiplient.

L’essor des grandes compagnies chinoises de l’énergie


L’affirmation de la Chine fait émerger de grandes compagnies dont l’arrivée
bouleverse les équilibres mondiaux. Couvrant ses besoins jusqu’en 1993, la
Chine est devenue très déficitaire : sa production de pétrole ne couvre que
30 % de sa consommation et elle est aujourd’hui le 1er importateur mondial.
Face à sa forte dépendance en hydrocarbures, la Chine s’est dotée de
nouvelles firmes dès les années 1980 : China National Offshore Oil
Corporation (CNOOC), China Petroleum and Chemical Corporation
(Sinopec) et China National Petroleum Industry (CNPC). Partant à l’assaut
du monde en investissant massivement à l’étranger, leur objectif est de
garantir et de diversifier ses sources d’approvisionnement. Dans ceux-ci, le
Moyen-Orient arrive en tête (52 %), devant l’Afrique (22 %), la Russie/CEI
(13 %) et l’Amérique latine (11 %). Pour leurs financements, ces firmes
transnationales s’appuient sur les fonds souverains (SAFE, CIC), les banques
spécialisées à l’international (Eximbank, China Development Bank) et les
grandes banques commerciales.
La géopolitique chinoise met aussi l’accent sur la sécurisation de ses routes
d’approvisionnement, 80 % de ses importations passant par le détroit de
Malacca. Au plan maritime, le contrôle d’îles (Spratley…) ou la création de
bases (Djibouti…) est une des réponses adoptées. Au plan terrestre, elle
multiplie depuis 2006 les grands pipelines vers la Russie (Sibérie), l’Asie
centrale (Kazakhstan, Tadjikistan…) et l’Asie du Sud-Est (Birmanie). Dans
ce contexte, sa stratégie des Nouvelles Routes de la soie répond bien à des
enjeux majeurs. La Chine est désormais présente dans les grands réseaux
dans de nombreux pays (Canada, Irak, Mozambique, Tanzanie…), dans le
raffinage en Europe (France, Royaume-Uni), en Arabie saoudite et en
Afrique du Sud ou dans les capacités de stockage (Indonésie).

Total : un grand groupe pétrolier mondial à base française


Cette étroite articulation entre enjeux géopolitiques et géoéconomiques est
particulièrement éclairante dans le cas du groupe Total, comme en témoigne
la fusion en 1999 des groupes Total et Elf. Aujourd’hui, Total est la 6e firme
mondiale. Si la France polarise encore un tiers des emplois et presque 25 %
des ventes, elle ne reçoit plus que 5 % des investissements.
Le groupe Total : les strates géohistoriques
et géopolitiques de la construction d’un grand groupe
Dès la Première Guerre mondiale, le gouvernement Clemenceau est frappé
par le rôle stratégique des carburants. La France cherchera en permanence
à se doter de ses propres structures afin d’assurer son indépendance face
aux compagnies anglo-saxonnes. En France métropolitaine, la prospection
du Bassin Aquitain lancée en 1939 aboutit à une découverte en 1951, en
Algérie au Sahara en 1956. Dans ce contexte, deux entreprises pétrolières
concurrentes apparaissent. La CFP (Cie Française des Pétroles, future Total)
est fondée à l’initiative de l’État, en 1924, pour gérer la part qui revient à la
France dans la Turkish Petroleum Co. d’Iraq dominée par les intérêts
britanniques dans le cadre des rivalités interimpérialistes pour le partage des
dépouilles de l’Empire ottoman. La RAP (futur Elf), elle, est fondée en 1939.
Après 1945, Paris juge la CFP/Total trop étroitement liée aux actionnaires
privés et aux Majors américains et fait donc d’Elf-Erap l’instrument de sa
politique d’indépendance en pétrole. Mais en 1971, Elf – perdant 50 % de sa
production mondiale avec la nationalisation du pétrole par Alger – se recentre
sur deux pôles : la mer du Nord en plein boom et l’Afrique subsaharienne.
En mer du Nord, où elle fut une des premières sociétés à trouver du pétrole,
l’exploitation off shore devient enfin rentable grâce à la hausse des prix
consécutive au choc pétrolier de 1973. En Afrique subsaharienne, Elf se taille
un véritable fief où elle joue un rôle essentiel à mi-chemin entre pétrole,
politique et services secrets. Dans la décennie 1990, Elf s’engage en Russie,
au Kazakhstan, en Chine ou dans les nouveaux Länder allemands. Mais
l’« affaire Elf », qui met en lumière ses étroites imbrications avec les sphères
de l’État et les dérives afférentes (commissions financières, détournements
ou escroqueries en série, rôle majeur dans le financement de partis
politiques, services secrets parallèles…) la discrédite. Surendettée, Elf passe
en 1999 sous le contrôle de TotalFina, devenu Total qui est alors présente en
Europe occidentale (41 %), dans le golfe de Guinée (32 %), en Asie (9 %) et
en Amérique (11 %).

Comme l’illustrent son histoire et la figure 4.2, Total a toujours


systématiquement cherché à diversifier le portefeuille géographique de ses
activités et de ses réserves. Aujourd’hui, son portefeuille mondial est très
équilibré entre le golfe de Guinée (25,5 %), le Moyen-Orient (20 %),
l’Europe du Nord (15,5 %), la Russie (14 %), l’Asie du Sud-Est (9,5 %),
l’Amérique du Nord (7 %) et l’Amérique latine (6,5 %). En revanche, son
appareil de raffinage et ses ventes mondiales demeurent pour l’instant très
françaises (25 %) et européennes (50 %).
Figure 4.2 Total, un groupe mondial des hydrocarbures à base française

Source : Total.

Très sensible aux équilibres géopolitiques régionaux (cf. crise au Nigeria),


nationaux (renationalisations ou renégociations des contrats en Amérique
latine, incertitudes en Russie) et continentaux (crise au Moyen-Orient), il
cherche à étendre ses prospections à des États plus stables et prometteurs du
fait de leurs énormes besoins comme l’Australie, la Chine et l’Inde. Très
intégré verticalement, il réorganise son appareil de raffinage pétrolier
européen autour de quatre pôles (Royaume-Uni, Pays-Bas, Basse-Seine,
Vallée du Rhône) et met l’accent dans la pétrochimie sur le marché asiatique
en pleine croissance (Corée du Sud, Chine, Arabie saoudite) tout en
cherchant à renforcer son appareil de distribution en Europe et Afrique.
Toutefois, comme de nombreux groupes occidentaux, Total est confrontée
aux pressions géopolitiques des États-Unis. Au printemps 2018, la firme doit
se retirer du projet iranien de South Pars, l’un des plus grands gisements de
gaz naturel au monde, sous les menaces de sanctions brandies par Donald
Trump dans le cadre de l’accord sur le nucléaire iranien. Il est vrai que 30 %
du capital de Total est détenu par des actionnaires états-uniens et que 90 %
des opérations de financement du groupe sont en dollars. Dans ces
conditions, le retrait imposé aux firmes européennes par Washington pousse
Téhéran dans les bras de la… Chine, dont elle est déjà le premier client.

Les minerais : géologie, ressources, demande et géopolitique

Logiques monopolistiques, marchés mondiaux et arbitrages


territoriaux
L’activité minière mondiale est économiquement très concentrée entre les
mains d’une vingtaine de puissantes firmes transnationales. Aux côtés des
grands groupes occidentaux (Glencore, BHP Billiton, Rio Tinto,
Anglo American) s’affirment de plus en plus des firmes des pays émergents
(cf. le Brésilien Vale), en particulier chinoises, qui bouleversent les équilibres
antérieurs en se dotant de nouveaux géants (cf. fusion de China Minmetals
et China Metallurgical Group).
Deux grandes stratégies sont mises en œuvre : il existe soit des groupes
spécialisés cherchant à acquérir une position mondiale forte dans un segment
(Alcan dans l’aluminium, Inco dans le nickel), soit des conglomérats (BHP
Billinton, Rio Tinto, Anglo American) qui cherchent conjointement à
consolider leurs activités sectorielles (non ferreux, fer, charbon…) et à les
diversifier géographiquement. Mais toutes ces firmes tentent d’acquérir des
situations oligomonopolistiques en réduisant ou augmentant leur offre selon
la demande et les cours mondiaux, d’augmenter leurs pouvoirs de négociation
face aux clients et traders et, enfin, de se constituer des portefeuilles de
réserves exploitables pour les décennies à venir. Dans le platine,
Anglo American souhaite atteindre 50 % de la production mondiale alors que
deux firmes contrôlent 43 % de l’aluminium et six firmes 56 % du cuivre.
Dans les minerais de fer, 80 % des exportations mondiales sont contrôlées par
trois ou quatre groupes.
Gérant leurs activités par produit d’emblée à l’échelle planétaire en tenant
compte des variations des cours mondiaux, ces firmes arbitrent entre leurs
différents sites produisant les mêmes minerais. Ce qui explique parfois des
divergences d’intérêt avec l’échelon local ou national où elles sont implantées
quand une mine ne tourne qu’à 10 ou 20 % de ses capacités. Enfin, la
recherche de la réduction des coûts de production peut se traduire par la
fermeture des mines les moins rentables. Car, selon les structures géologiques
(mines à ciel ouvert ou souterraines), le niveau de concentration des minerais,
les coûts salariaux, l’éloignement des littoraux ou la qualité des réseaux de
transport, les coûts de prospection et d’exploitation peuvent varier
considérablement. Ainsi dans la production aurifère, l’once d’or est 5,4 fois
moins chère à produire dans la mine de Carlin aux États-Unis que dans la
mine sud-africaine de Randfontein.

Mondialisation et démondialisation : des dynamiques contrastées


Ces dernières décennies, les rapports de force entre firmes se sont révélés
particulièrement instables, débouchant sur un vaste Monopoly d’achats ou de
ventes de mines. Ainsi, Glencore, au départ simple entreprise de négoce, est
devenue un géant mondial à la suite de nombreuses fusions (cf. Xstrata en
2013) exploitant plus de 150 sites dans 50 pays. À l’inverse, la firme
Anglo American en crise s’est largement démondialisée en cédant de
multiples activités et en passant de 162 000 à 70 000 salariés entre 2006
et 2019 (– 57 %).

Tableau 4.5 Les cinq plus grandes firmes minières mondiales


(milliards $)

% %
Firme État Ventes Actifs Salariés % ext
ext. ext.

Glencore Suisse 205,4 65 135,6 86 158 000 75


BHP Billiton Australie 41,2 95 112,6 47 62 000 39

Rio Tinto Roy.-Uni 40 99 95,7 98 47 000 99

Vale Brésil 34,1 92 94,4 38 76 500 21

Anglo American Roy.-Uni 26,2 95 54,6 97 69 000 97

Sources : Forbes et CNUCED, 2019.

Dans tous les cas, malgré leurs efforts de diversification, ces firmes
demeurent très dépendantes d’une poignée d’États qui accueillent l’essentiel
de leurs activités. Seulement cinq pays polarisent 95 % des activités de BHP
Billiton (Australie : 57 %), 89 % chez Rio Tinto (Australie : 73 %),
85 % chez Glencore (Australie : 46 % ; Kazakhstan : 16 % ; Colombie :
10 %) et 78 % chez Anglo American (Afrique du Sud : 25 % ; Botswana :
24 % ; Australie : 15 %).

Dynamiques géopolitiques et jeux des emboîtements d’échelles :


le rôle des territoires
Mais leur développement international dépend étroitement d’équilibres
géoéconomiques et géopolitiques continentaux, nationaux, régionaux et
locaux. C’est d’autant plus vrai que de nombreux États dépendent fortement
des activités minières. Elles représentent par exemple 46 % du PIB de la
Mauritanie, 17 % du PIB de la Zambie ou du Suriname, ou 15 % du PIB de la
Mongolie et du Chili. Les mines représentent 95 % des recettes d’exportation
de la République démocratique du Congo. Le pouvoir de négociation des
États dépend aussi de la rareté et de la polarisation des ressources : la
République démocratique du Congo réalise 66 % de la production et détient
50 % des réserves de cobalt – un minerai indispensable pour les voitures
électriques et dont Glencore est le 1er producteur et le 1er négociant mondial –
devant l’Australie (14 %) et Cuba (7 %).
L’emboîtement des échelles territoriales joue ici un rôle d’autant plus
fondamental que la ressource est rare et polarisée. Une crise locale peut alors
avoir des effets dominos exceptionnels. En effet, de par la nature de ses
activités, cette industrie entretient des liens spécifiques avec les États dont les
politiques minières lui sont plus ou moins favorables (codes miniers,
législations fiscales, choix des investisseurs, concessions, poids des
redevances…). Alors que la nationalisation du cuivre chilien par le
gouvernement Allende, en 1973, joua un rôle essentiel dans l’aide apportée
par la CIA au putsch sanglant du général Pinochet, les privatisations de la
décennie 1990 en Amérique latine (Chili, Argentine, Pérou…) se traduisent
par un afflux massif des conglomérats miniers.
La gestion du risque géopolitique, en particulier dans des régions très
instables, nécessite donc un arbitrage permanent et oblige à la recherche d’un
équilibre avec des zones plus sûres. Par exemple dans le platine, l’instabilité
de la Russie ou de l’Afrique du Sud pousse à diversifier les investissements
au Canada, en Finlande ou en Amérique du Sud.
Cette dernière décennie, la hausse de la demande mondiale modifie les
rapports de force entre États miniers et firmes transnationales, alors que les
exigences d’une exploitation éthique des minerais portée par de nombreuses
ONG et les institutions internationales changent parfois la donne et
contraignent les firmes à plus de transparence, y compris au niveau
environnemental (Grèce, Inde, Chili, Brésil, Philippines, Guyane…). Ce
« nouveau nationalisme minier » est particulièrement sensible en Afrique et
en Amérique latine et touche de nombreux États (Indonésie, RDC,
Tanzanie…) qui exigent d’avoir un juste retour économique et fiscal des
richesses minières tirées de leur sous-sol.

Tableau 4.6 Poids du secteur minier dans les échanges


et l’économie et pauvreté
Source : Images économiques du Monde 2019, Paris, Armand Colin, 2018.

Booms miniers et nouveau duel firmes/États :


un nouveau « nationalisme minier »
Alors que le secteur reprend des couleurs avec la hausse des prix des
minerais, on voit se multiplier les conflits entre les firmes transnationales et
les États. Certains modifient leurs codes miniers afin de garder un meilleur
contrôle sur leurs richesses minières et imposent des régimes fiscaux et
environnementaux plus durs. Ce « nouveau nationalisme » sur les
ressources naturelles non renouvelables est partout visible. Dans ces
conditions, certains groupes occidentaux doivent réduire la voilure et se
« démondialiser ».
Ainsi, le premier producteur d’or du monde, l’États-Unien Barrick Gold, est
passé en dix ans de 30 à 9 mines, ses réserves d’or ont fondu de 54 % et il
s’est largement recentré sur les Amériques qui polarisent dorénavant les trois
quarts de sa production. En 2018, le Chili lui ordonne d’arrêter son plus grand
projet minier, à Pascua-Lama à 5 000 mètres d’altitude dans les Andes. Il est
aussi en conflit avec la Tanzanie dont le nouveau gouvernement de John
Magufuli, élu fin 2015, lui présente une facture fiscale de 190 milliards de
dollars en raison d’impôts impayés entre 2000 et 2017. Dans le cuivre et le
cobalt, le Suisse Glencore est en litige avec la République démocratique du
Congo (RDC) à propos de la gigantesque mine de Mutanda (334 000 t./an) et
doit verser 5,6 milliards de dollars à leur co-entreprise commune. L’Indonésie
exproprie le géant Freeport-MacMoRan du site de Grasberg, la plus grande
mine d’or du monde en Papousie-Nouvelle-Guinée.
Source : d’après CARROUÉ L., 2018, notice « Énergies », in Images
économiques du Monde 2019, Paris, Armand Colin.

BHP Billiton : le numéro 2 mondial australien dépendant de la Chine


et de l’Asie
Né de la fusion entre le Britannique Billiton et l’Australien BHP en 2001, le
géant australien BHP Billiton est le deuxième groupe minier mondial. Après
une forte croissance internationale entre 2005 et 2013, il se restructure
largement en abandonnant les activités et les territoires les moins rentables,
en particulier en se retirant totalement d’Afrique du Sud, dont le secteur
minier est en crise structurelle, et d’Europe. Du fait de ces cessions, ses
ventes mondiales reculent de 48 % et le nombre de ses salariés de 36 %. Les
salariés à l’étranger tombent de 74 % à 39 % entre 2005 à 2018. Les activités
du groupe sont très sensibles aux variations des prix mondiaux : les ventes
mondiales baissent de – 45 % en 2014-2016 pour augmenter de + 53 % en
2016-2018.
Cette démondialisation spectaculaire, bien que partielle, se traduit par un
double recentrage : productif sur l’Australie, l’Amérique du Sud et
l’Amérique du Nord autour de 90 mines dans une dizaine de pays ;
commercial sur l’Asie et en particulier le marché chinois. Aujourd’hui, à elle
seule la Chine représente la moitié du total des ventes mondiales du groupe,
largement devant le Japon (10,5 %), l’Inde, la Corée du Sud. Au total,
l’ensemble du marché asiatique monte à 81 %. Plus globalement, rarement
l’économie australienne n’a été aussi dépendante de l’Asie, dont elle devient
une annexe.
Le groupe organise ses activités mondiales autour de quatre grands
secteurs spécialisés : le pétrole (États-Unis, Australie, mer du Nord), le
charbon (Australie, Colombie), la potasse (Saskatechewan, Canada) et les
minerais (fer, cuivre et nickel ; en Australie et Amérique du Sud). Son siège
mondial de Melbourne s’appuie sur des sièges continentaux à Houston et
Singapour. Au plus près de ses clients, ses bureaux de vente sont à New York
et Londres mais – surtout – à Shanghai, Tokyo et New Delhi. Dans sa
mondialisation, BHP Billiton articule donc clairement les territoires miniers
aux centres de commandement des grandes métropoles mondiales. Sa gestion
financière s’appuie enfin sur dix filiales dans cinq paradis fiscaux (îles
Vierges britanniques, îles Caïman, Panama, Bermudes et Guernesey).
Figure 4.3 BHP Billiton, un géant minier australien

Source : BHP Billliton.

Les mutations d’un monde hyperindustriel :


croissance, diffusion, sélectivité

L’activité industrielle : forte croissance et diffusion hiérarchisée

Le mythe de la désindustrialisation : forte croissance et inégale


diffusion
Contrairement à une idée trop courante dans certains pays développés,
l’activité industrielle mondiale connaît une croissance forte et continue ce
dernier demi-siècle. Tout simplement parce qu’elle est au cœur du
développement économique et social et qu’elle répond à des besoins énormes
encore très largement non satisfaits. Entre 2005 et 2017, la valeur de la
production mondiale augmente ainsi de presque moitié. En aucun cas, on ne
peut donc parler de désindustrialisation ; bien au contraire, notre monde
contemporain se caractérise comme une société et un monde hyperindustriels
selon Pierre Veltz [2017]. À condition bien sûr de dépasser les images
d’Épinal de la fin du XIXe siècle et d’analyser le système productif dans toutes
ses composantes et interactions, dynamiques et mutations à la fois sectorielles
et fonctionnelles [CARROUÉ, 2013].
Mais ce dynamisme est géographiquement ultra-sélectif et s’inscrit
largement à la fois dans les logiques de développement endogènes des États
ou sous-continents et dans leurs choix d’insertion dans la division
internationale du travail. La redistribution spatiale des activités productives
laisse apparaître plusieurs clivages et lignes de fractures. En douze ans, l’Asie
de l’Est polarise 62 % de la croissance mondiale – et la Chine 52 % à elle
seule – et dépasse dorénavant les pôles européen et nord-américain, une
rupture géohistorique tout à fait considérable. De même, l’Asie du Sud-Est,
l’Asie du Sud et le Moyen-Orient connaissent de sensibles rattrapages, fondés
cependant sur des logiques très différentes. Ainsi, l’Asie du Sud-Est s’insère
dans un « Triangle asiatique » de plus en plus intégré régionalement et
montant en compétences et en diversités (Japon, Taïwan, Singapour, Chine,
ASEAN).
Devenu le 1er pôle exportateur mondial dans la pétrochimie, le Moyen-
Orient demeure sur la valorisation des produits de base ou semi-finis issus
des hydrocarbures (raffinage, chimie…). En Europe, l’essor de l’Europe
centrale est un phénomène notable, grâce aux transferts productifs ouest/est
(mécanique, automobile…). En revanche, tout comme en Amérique latine, la
situation états-unienne s’avère fort médiocre et explique largement les choix
adoptés par Donald Trump (agressivité unilatérale, protectionnisme,
nouvelles guerres commerciales…).

Tableau 4.7 Les dynamiques de l’industrie manufacturière


(milliards $ constants)

% crois.
Diff. Diff. %
2005 2017 mondiale
2005/2017 en % 2017
2005-2017
MONDE 8 982 13 106 + 4 124 + 46 100 100

Asie de l’Est 2 483 5 051 + 2 568 + 103 38,5 62,3

Europe 2 679 3 183 + 504 + 19 24,3 12,2

États-
1 956 2 086 + 130 +7 15,9 3,2
Unis/Canada

Amérique latine 700 748 + 48 +7 5,7 1,2

Asie du Sud-Est 365 612 + 247 + 68 4,7 6

Asie du Sud 268 603 + 335 + 125 4,6 8,1

P. et Moyen-
229 409 + 180 + 79 3,1 4,4
Orient

Afrique 162 254 + 92 + 57 1,9 2,2

Océanie 115 106 –9 –8 0,8 0

Source : ONU, 2019.

À l’échelle des États, seulement vingt d’entre eux polarisent 90 % de la


croissance mondiale des douze dernières années et réalisent aujourd’hui 82 %
de la production mondiale. Les hiérarchies Nord/Sud, profondes et anciennes
puisque nées des Révolutions industrielles, sont largement bouleversées.
Derrière la Chine, 1re puissance manufacturière mondiale, les États-Unis, le
Japon et l’Allemagne, l’Inde et la Corée du Sud dépassent dorénavant l’Italie
et la France alors que l’Indonésie dépasse le Royaume-Uni, lui-même rattrapé
par le Brésil. Cela dit, la valeur de la production de la France est supérieure
au total du continent africain.
La nette diffusion géographique de l’industrie est portée par les activités
les plus mobiles dans lesquelles la segmentation technique et sociale est la
plus facile à mettre en œuvre (textile-habillement, automobile, électronique,
agroalimentaire). Ce processus touche inégalement les régions du monde
pour des raisons d’ordre économique (niveaux de développement), politique
(fermeture et protection des États ou régions), démographique (fragmentation
et faiblesse des marchés), logistique (éloignement, inaccessibilité) ou social
(insolvabilité, pauvreté). Dans de nombreux pays en développement
perdurent massivement artisanat, activités proto-industrielles et PME
familiales dans le cadre de logiques visant d’abord à la survie. On assiste à
une hétérogénéité croissante des espaces périphériques du fait de leurs degrés
et de leurs modalités d’insertion différenciés dans la mondialisation. On voit
ainsi se dessiner des périphéries intégrées plus ou moins autonomes (pays
d’Europe de l’Est et méditerranéens, Mexique, Inde et Bangladesh, Asie du
Sud-Est…) selon les stratégies publiques mises en place, comme en témoigne
par exemple en Amérique centrale la diffusion du modèle mexicain des
maquiladoras.

La profonde transformation productive des pays développés


Dans cet espace, on assiste à de profondes recompositions sectorielles,
sociales et fonctionnelles. Le charbon, énergie emblématique de la Première
Révolution industrielle, s’effondre devant les importations et les
réorientations vers les hydrocarbures et le nucléaire alors que le textile-
habillement est largement délocalisé. En revanche, les biens d’équipements,
les biens de consommation durable à haute valeur ajoutée et les produits et
services de hautes technologies (télécommunication, aéronautique-
armements, informatique, logiciels, pharmacie…) demeurent créateurs
d’emplois et de richesses comme le souligne la spécialisation des États-Unis
dans les produits les plus élaborés et les services productifs et périproductifs
les plus qualifiés. On assiste aussi parfois à certaines relocalisations
productives dans certains segments.
Ces processus sectoriels s’articulent à une mutation encore plus
considérable des différentes fonctions productives et des qualifications
socioprofessionnelles. Les salariés des fonctions concrètes, en particulier les
moins qualifiés, reculent fortement au profit des salariés des fonctions
abstraites de la production et des activités périproductives amont et aval. En
effet, alors que l’innovation mobilise de plus en plus de chercheurs,
ingénieurs et techniciens, l’automatisation bouleverse le monde ouvrier. La
mutation des modes de production et l’internationalisation des firmes
renforcent les fonctions d’organisation, de gestion et de coordination et les
transports. Enfin, la concurrence dope les fonctions commerciales et
publicitaires alors que la complexification croissante du cadre économique
général exige de nouvelles compétences (cabinets juridiques, d’audit,
comptabilité, sociétés informatiques…).

Les espaces en crise et en croissance : des trajectoires territoriales


divergentes
Si ces dynamiques transforment les structures et polarisations géographiques,
un classement selon une logique bipolaire espaces attractifs/espaces répulsifs
ne rend que partiellement compte de la diversité des itinéraires régionaux.
Même dans les vieilles régions industrielles ou les espaces périphériques,
certains réussissent leur conversion comme l’Écosse, la Ruhr ou l’Irlande. Il
n’y a en effet aucun déterminisme géographique au déclin. Les crises
structurelles sont dues à la fois aux degrés de spécialisation sectorielle et
fonctionnelle et aux stratégies de développement des acteurs locaux et
nationaux. La construction de monopoles territoriaux par de grandes firmes
s’avère souvent catastrophique comme dans la Lorraine ou la Rust Belt
américaine de l’acier, certains bassins charbonniers ou feu la Normandie
rurale de Moulinex, alors que les structures tayloriennes constituées durant
les Trente Glorieuses sont concurrencées par les pays à bas salaires du fait
des délocalisations.
À l’opposé, on assiste à la nette valorisation de certains espaces littoraux
par les pôles industrialo-portuaires et au dynamisme de nœuds logistiques
dans le cadre de la mondialisation. Mais surtout, le facteur essentiel de
recomposition tient au rôle central joué par les très grandes villes – ou
métropoles – qui cumulent des avantages comparatifs incontestables (taille,
dynamisme, diversité et qualité du marché du travail, des équipements et du
système productif). C’est ce que l’on appelle le processus de métropolisation
qui valorise les réseaux urbains les plus denses et interconnectés.

À propos du taylorisme : une question d’échelle géographique


Ces profondes mutations du schéma productif se traduisent parfois par
l’apparition de la thématique de la fin du taylorisme. Si elle reflète une partie
des réalités des pays développés, il convient de souligner qu’à l’échelle
mondiale, on assiste au contraire à une extrême vitalité du processus
taylorien. Selon l’OIT, le nombre d’emplois mondiaux dans l’industrie passe
de 509 à 709 millions entre 2000 et 2017 (+ 200 millions, + 39 %), dont une
large partie déqualifiée. En effet, jamais, historiquement, la mobilisation par
des structures socio-économiques et industrielles tayloriennes de millions
d’ouvriers non qualifiés au travail répétitif et peu payé n’a été aussi
importante, y compris dans ses formes les plus sauvages (travail des enfants,
bagnes industriels, surexploitation…).

Tableau 4.8 Évolution des emplois dans l’industrie :


des trajectoires divergentes (millions de postes)

Source : OIT, 2017.

Grâce aux progrès des transports et à l’internationalisation des


transnationales, la division internationale du travail diffuse géographiquement
l’emploi industriel non qualifié, mais selon des logiques hiérarchisées. Après
avoir été l’une des composantes du décollage économique et industriel des
nouveaux pays industrialisés d’Asie dans les années 1960-1970, il intègre
aujourd’hui les pays émergents d’Asie du Sud-Est, le Mexique et l’Amérique
centrale, l’Europe de l’Est en transition et une partie du Bassin
méditerranéen. C’est ainsi, par exemple, que le bijoutier danois Pandora
emploie 13 000 de ses 28 000 salariés mondiaux (46 %) dans ses ateliers de
production en Thaïlande. L’intégration au système productif mondial y prend
des aspects très différents (délocalisations directes d’activités, sous-traitance,
simples achats…) et concerne d’abord les segments industriels banalisés
avant de s’étendre à certaines activités abstraites (logiciels informatiques…).

La géographie de l’innovation et de la recherche-développement

La recherche : une fonction stratégique particulièrement polarisée


L’étroit contrôle de la production, de la diffusion et de l’utilisation des
connaissances, des sciences et techniques et des technologies est un invariant
fondant les rapports de force géopolitiques, stratégiques et géoéconomiques
des mondialisations comme l’illustre – à travers la géographie des prix Nobel
depuis 1901 ou l’essor spectaculaire de la Chine ces dernières décennies – la
maîtrise par les plus grandes puissances de la recherche fondamentale
et appliquée.
Facteur d’efficacité, de compétitivité et de domination, en particulier à
travers la maîtrise des technologies militaires, la recherche-développement et
sa géographie sont un facteur structurant des équilibres mondiaux. La
recherche demeure plus que jamais polarisée par les États les plus puissants :
dix États réalisent 78 % de l’effort mondial et vingt États 88 %. Face aux
pays de l’OCDE, seules quatre puissances émergentes (Chine, Inde, Russie,
Brésil) sont en capacité de disposer de potentiels assurant une marge
d’autonomie. Car sa mise en œuvre suppose une mobilisation de capitaux et
de cerveaux exceptionnelle et des conditions de valorisation exigeantes :
savoir-faire technique, compétence organisationnelle, qualité des
infrastructures.
Car si l’innovation technologique tend à devenir globale avec les mutations
des systèmes productifs, l’accès et le contrôle de l’innovation demeurent
essentiels pour les firmes afin de disposer d’un avantage comparatif décisif
face à leurs concurrents. C’est pourquoi les transnationales – si elles
déploient des réseaux internationaux de plus en plus denses – gardent le
centre de gravité de leur recherche dans leur pays d’origine. En 2017, les
transferts financiers mondiaux liés à la propriété intellectuelle (cf. vente de
brevets ou de licences) s’élèvent à 353 milliards de dollars. Les pays de
l’OCDE en contrôlent 98 %, en premier lieu l’Union européenne (36,5 %) et
les États-Unis (36,3 %), loin devant le Japon (11,8 %) ou la Chine (1,4 %).

Tableau 4.9 L’effort mondial de recherche : une fonction très


polarisée (milliards $)

R & D/
% R & D/ %
État R&D % État R&D
mondial % PNB mondial
PNB

États-Unis 552,9 2,84 25,3 Australie 31,47 1,8 1,4

Chine 474,8 1,97 21,7 Canada 29,5 2,34 1,3

Japon 186,6 3,5 8,5 Italie 28,84 1,27 1,3

Allemagne 116,5 2,84 5,3 Taïwan 28,74 2,45 1,3

Corée du
88,2 4,32 4 Espagne 22,27 1,26 1
Sud

Inde 83,27 0,85 3,8 Pays-Bas 18,98 2,1 0,8

France 63,12 2,25 2,8 Suède 18,94 0,9 0,8

Russie 58,62 1,52 2,6 Turquie 17,44 3,33 0,8

Royaume-
49,61 1,72 2,2 Suisse 15,22 2,98 0,6
Uni

Brésil 37,45 1,17 1,7 Singapour 13,53 2,62 0,6

TOP 10 1 732,24 77,8 TOP 20 1 936 87,7

Source : Images économiques du Monde 2019, Paris, Armand Colin, 2018.

Mais la situation internationale actuelle est traversée par deux


contradictions majeures. La première réside dans l’explosion des coûts de la
recherche, fondamentale ou appliquée, qui oblige à multiplier les
coopérations internationales (station orbitale internationale, projet ITER dans
la fusion nucléaire…), un État – aussi puissant soit-il – ne pouvant plus, ou
de plus en plus difficilement, y faire face seul. La seconde s’explique par
l’émergence de nouvelles questions éthiques en liaison avec le débat sur les
articulations contradictoires entre mondialisation et universalisation.
Transformés en produits et marchandises, les fantastiques progrès
scientifiques représentent un marché immense dont il faut s’assurer le
contrôle le plus absolu, y compris sur les racines même de la vie (génome
humain, végétal et animal, OGM, médicaments…), comme en témoignent les
débats au sein de l’OMC sur l’ADPIC (Aspects des droits de propriété
industrielle).
Si les pays développés et la Chine, devenue le 1er déposant mondial,
protègent juridiquement leurs innovations en réalisant l’essentiel des dépôts
de brevets, la question de la contradiction entre le maintien d’un monopole
technologique et la diffusion des innovations est posée de façon récurrente à
travers le non-respect de la propriété industrielle par les pays émergents, en
particulier asiatiques, et surtout par la capacité technologique
progressivement acquise par certaines puissances régionales (Brésil, Afrique
du Sud) de copier les innovations pour répondre aux énormes besoins de
leurs populations (cf. médicaments et molécule contre le sida). Ces politiques
volontaristes (cf. Brésil en 2007) s’expliquent par le fait que dans le domaine
de la santé, les firmes pharmaceutiques du Nord ont largement abandonné les
recherches intéressant les trois quarts de l’humanité. Dans ce contexte, un
nouvel ordre mondial coopératif du savoir, de l’éducation et de la
connaissance reste à bâtir.
Au sein même des pays développés, les rapports de force sont inégaux en
intensité et en volume. Alors que l’innovation joue un rôle majeur dans la
compétitivité, la valeur ajoutée, les exportations et les créations d’emplois,
comme en témoigne le dynamisme de l’économie américaine, les faiblesses
japonaise et surtout européenne renforcent l’imperium technologique mondial
des États-Unis. Cette situation entraîne des déficits des échanges
technologiques, de graves faiblesses sectorielles (composants, informatique,
GAFAM), des dépôts de brevets insuffisants et une fuite considérable des
cerveaux. Les États-Unis, qui disposent déjà de la moitié du stock mondial de
chercheurs, attirent les spécialistes chinois, coréens, indiens ou européens.
Sous couvert de libre circulation des hommes, les rapports de domination
s’exercent alors dans toute leur brutalité.

Les territoires de la recherche des transnationales : pôles et réseaux


Les stratégies mondiales de localisation des fonctions recherche des
entreprises transnationales répondent à un double impératif qui se traduit par
la création de puissants pôles interconnectés en réseaux. Chaque grande firme
dispose de ses propres technopôles qui constituent le cœur de leurs dispositifs
mondiaux (Siemens à Munich, Philips à Eindhoven, Microsoft à Seattle…).
Aux échelles nationales, ils s’articulent étroitement à la fois aux grands
centres publics et universitaires (Oxford, Cambridge, Munich, Île-de-France,
Tokyo, Californie…) et à ceux des autres grandes firmes.
Enfin, aux échelles mondiales, chaque transnationale cherche à constituer
des antennes branchées sur les pôles d’innovation concurrents afin de
disposer de leurs avancées respectives par percolation ou de mettre en œuvre
les alliances technologiques partielles nouées avec les différents partenaires
concurrents. En Europe, les firmes américaines contrôlent par exemple un
quart des laboratoires britanniques, jouent un rôle important à Francfort,
Stuttgart, Londres, Louvain et Anvers alors que les sociétés japonaises
privilégient le Grand Londres, Francfort, Rotterdam ou Dublin. Siemens, une
des premières transnationales européennes qui consacre 8 % de son chiffre
d’affaires à la recherche, polarise son appareil sur l’Allemagne et ses annexes
(Suisse, Autriche), les États-Unis et 25 autres États, y compris des Dragons et
des pays émergents (Inde, Chine).
La Silicon Valley : un des territoires mondiaux
de l’innovation
En Californie, au sud de la Baie de San Francisco, se déploie sur un espace
restreint la Silicon Valley. Née sous l’impulsion de la Stanford University
fondée en 1891, elle connaît un essor foudroyant à partir des années 1950-
1960, étroitement lié au secteur militaire. Elle est aujourd’hui un territoire
productif au cœur de l’innovation mondiale avec les sièges sociaux et les
principaux laboratoires de firmes aussi emblématiques que Hewlett-Packard,
Intel, Apple, Google, Facebook, Yahoo, LinkedIn, Twitter, PayPal, eBay,
Netflix, NetApp, Cisco, Oracle, Adobe, Symantec, Sandisk, Seagate
Technology ou FireEye. En 2018, les 23 plus grandes firmes y emploient
112 200 salariés, mais gèrent l’activité de plus d’1,2 million de salariés dans
le monde dans des centaines de pays. On assiste à l’explosion des postes
d’ingénieurs, cadres et techniciens des fonctions de direction, de conception
et de développement. On compte ainsi 132 000 informaticiens et ingénieurs
logiciels, 53 000 ingénieurs de l’aérospatiale ou de l’électronique,
46 000 spécialistes de la santé, 11 500 cadres des sciences de la vie et de la
terre.
Cette dernière décennie, la Silicon Valley s’est orientée vers l’intelligence
artificielle (IA), la robotique, les véhicules autonomes, les biotechnologies, la
sécurité et la lutte contre la cybercriminalité, la gestion financière et bancaire
et les paiements électroniques de transferts financiers (Visa…), les matériaux
composites, l’e-commerce, les jeux vidéo, etc. Les firmes innovantes nées
des laboratoires bénéficient d’un important capital-risque. Du fait de son
attractivité mondiale, 40 % de la population y est née à l’étranger, dont la
moitié est naturalisée. Mais cet espace métropolitain riche et dynamique est
confronté à de nombreux défis : saturation, dualisme et ségrégation,
explosion des prix fonciers et immobiliers, ce qui en fait l’un des territoires les
plus chers des États-Unis.

Les « firmes réseaux » du textile :


le système Nike et le Taïwanais Pou Chen

Très faible ou absente dans les biens d’équipement (Siemens), déjà plus
affirmée dans l’automobile (Toyota) et largement avancée dans l’électronique
grand public, l’externalisation de la production et son insertion dans un
système productif d’échelle plantaire est systématisée dans l’industrie textile
comme l’illustre l’apparition de firmes réseaux sans usines. Cependant, loin
d’être généralisable, ce processus ne concerne que certaines activités
spécifiques à production de masse alors que certaines firmes textiles
spécialisées relocalisent dans les pays développés des segments de production
jusqu’ici délocalisés du fait des problèmes de qualité, d’efficience logistique
ou de non-respect de la propriété intellectuelle dans de nombreux pays,
asiatiques en particulier.

Le textile-habillement : l’intégration progressive de nouvelles marges


Ces dernières décennies, le textile – qui représente des dizaines de millions
d’emplois, dont 75 % de femmes, et près de 4 % des exportations
manufacturées – est le secteur où le basculement territorial est le plus
spectaculaire du fait de sa banalisation technologique et du poids des coûts de
main-d’œuvre (50 à 60 %). Comme en témoigne le rôle acquis par l’Asie
dans les exportations, sa diffusion s’explique par la conjonction des stratégies
des États et des firmes. À la suite des accords multifibres (AMF) de 1974, les
accords sur les textiles et habillement (ATC) négociés par l’OMC accélèrent
l’ouverture complète d’un marché mondial très polarisé. Seulement dix pays
réalisent 70 % des exportations (Chine : 35 %, Bangladesh, Vietnam, Inde,
Turquie, Indonésie, Cambodge…) et dix pays 89 % des importations
mondiales (Union européenne, États-Unis, Japon, Canada, Corée du Sud,
Russie…).
Dans les pays développés, les délocalisations se traduisent par une
réduction drastique des emplois productifs, l’Union européenne perdant plus
de deux millions d’emplois en vingt ans, et de profondes crises régionales et
locales. La France perd ainsi la moitié de sa production et 70 % de ses
effectifs et se recentre sur le luxe et les textiles techniques. On assiste en
revanche à un renforcement des fonctions abstraites (direction, conception,
vente) et à une spécialisation sur le haut de gamme alors que certains pôles
régionaux aux tissus de PME familiales (Italie, Portugal, Espagne) jouent la
carte de la création et de la flexibilité. Les transnationales comme Nike ou la
grande distribution commerciale délocalisent, elles, quasi totalement tous
leurs achats.
Dans les pays fournisseurs périphériques, on assiste à une double logique
liée à la diffusion progressive des cycles du développement technologique et
socio-économique. Les Dragons, pays émergents d’Asie et certains pays
méditerranéens de l’Union européenne se désengagent du textile au profit de
secteurs plus élaborés (automobile, électronique) alors qu’au contraire on
assiste à l’émergence de nouveaux producteurs qui placent le textile au cœur
de leur nouveau dispositif industriel (Bangladesh, Pakistan, Vietnam…).
Mais moins le pays est développé, plus le dispositif productif est polarisé sur
le haut de la hiérarchie urbaine du fait d’un minimum d’exigence sociale,
technique (électricité, eau, logistique, qualité de la main-d’œuvre) et
industriel (délais de livraison, systèmes de paiement, transport des
marchandises) : Managua, au Nicaragua, Casablanca et Tétouan/Rabat au
Maroc, Istanbul, Bursa et la Thrace, en Turquie… Mais ces spécialisations
interviennent dans un cadre très concurrentiel et instable : pionnier dans
l’océan Indien, l’île Maurice est concurrencée par Madagascar puis
aujourd’hui l’Éthiopie, le Bassin méditerranéen par l’Asie et l’Amérique
centrale. En réponse, certains États ou entreprises cherchent à investir les
filières amont (Vietnam) ou aval (du textile vers habillement…) afin
d’augmenter la valeur ajoutée.

Nike, une « fabless company » à la chaîne de valeur mondialisée


Née en 1968 à Beaverton/Portland (Oregon) à partir d’une petite entreprise
spécialisée dans la chaussure de sport créée par deux anciens étudiants, sa
grande nouveauté stratégique est alors de sous-traiter complètement la
fabrication concrète. Passant de 3 400 à 74 500 salariés mondiaux entre 1986
et aujourd’hui, son système technique est centré sur trois principaux sites
américains : Beaverton pour la direction, la gestion, le design, la recherche et
la direction Amérique latine ; St Louis pour les laboratoires et l’assurance-
qualité et enfin Memphis pour la commercialisation. Il est complété
par des centres de gestion et de coordination à responsabilités continentales
au Canada, aux Pays-Bas (Hilversum, 1 000 salariés, Europe) et à Shanghai
pour l’Asie Pacifique.
Portland-Oregon : un cluster métropolitain
de l’industrie du sport créé par Nike
Autour d’une tradition centenaire, le géant Nike a créé dans la plus grande
ville de l’Oregon (2,4 millions d’hab.) un véritable hub d’excellence pour les
chaussures, vêtements de sport et de loisirs autour de plus de
800 entreprises. Et parmi elles s’y retrouve une bonne partie du Top 10
mondial : les deux géants Nike, avec son gigantesque campus de
10 800 salariés, et Adidas (1 200 sal.), mais aussi Under Armour, Columbia,
Keen, le Japonais Mizuno et le Chinois Anta… Tous y ont soit leur siège, soit
une base avancée. Ils sont accompagnés d’une myriade de petits acteurs et
de start-up, d’un incubateur (Portland Apparel Lab) et d’un fonds
d’investissement (Skyline). Cette influence repose sur la recherche,
l’innovation, le design et le marketing. Même Boston, qui accueille pourtant
New Balance, Asics et Reebok, n’est plus en mesure de rivaliser. La
concentration croissante de fournisseurs, de sous-traitants, de services et de
talents potentiels à recruter attire les sociétés du secteur.
L’écosystème s’étend à d’autres acteurs locaux (banque, comptabilité,
logistique…), sans oublier une palette de formations universitaires ou
professionnelles spécifiques. Cela dit, malgré le passé industriel de la ville, il
ne faut pas y chercher d’usines. Hormis quelques petites marques, qui jouent
la carte d’une production locale confidentielle ou des ateliers spécialisés dans
certaines pièces spécifiques, les sites de fabrication sont tous en Asie, de
l’autre côté de l’océan tout proche.
Source : d’après Les Échos du 26 mai 2017.

D’où l’apparent paradoxe d’une « entreprise sans usines » (fabless


company) qui s’explique par la mobilisation à l’échelle mondiale d’un vaste
réseau de sous-traitants dans les pays à bas salaires prenant en charge la
fabrication concrète. Ce système permet de dégager une rentabilité
exceptionnelle : chez Nike, le taux de marge moyen sur les ventes atteint ces
dix dernières années les 42 % et le taux de rendement des capitaux propres
est de 25 %. Entre 2001 et aujourd’hui, le réseau productif de Nike passe de
736 à 566 usines, afin de mieux contrôler celui-ci à la suite de nombreux
scandales relevés par les ONG, mais de 556 000 à plus d’un million de
salariés, dont 860 000 ouvriers à la chaîne (85 %), dans plus de 50 pays.
La division sociale et spatiale du travail est exacerbée chez Nike. Les pays
développés sont quasi-absents (1,8 % emplois) face aux Suds (98 %). Dans
cet ensemble, si l’Amérique latine (6,8 % des emplois ; Brésil, Mexique,
Honduras, Salvador, Guatemala) ou les périphéries orientales de l’Europe
(1,5 % des emplois) sont mobilisées, l’essentiel se joue en Asie de l’Est et du
Sud-Est qui polarise 90 % des emplois mondiaux. Dans cet ensemble, trois
pays jouent un rôle central : le Vietnam (37 %, 380 000 sal.), l’Indonésie
(19 %) et la Chine (18 %). Très largement derrière arrivent la Thaïlande, le
Cambodge et la Malaisie, et en Asie du Sud le Sri Lanka, l’Inde, le Pakistan
et le Bangladesh. Ces implantations sont étroitement corrélées à la hiérarchie
urbaine. Au Vietnam, 91 % des emplois sont polarisés sur l’aire
métropolitaine d’Hô-Chi-Minh-Ville et 8 % sur celle d’Hanoï, au Pakistan
sur le Punjab, en Malaisie sur Johor, en Inde sur le Tamil Nadu. En Chine,
40 % sont dans le Guangdong et 10 % chacun dans le Jiangxi, le Shandong,
le Zhejiang et le Fujian. Enfin, en Indonésie, 90 % sont dans l’aire
d’influence de l’aire métropolitaine du Grand Jakarta. Cette stratégie permet
de fabriquer un équipement à prix réduit revendu au prix fort grâce à des
salaires très faibles, tout en dégageant des sommes colossales pour la
communication sur un marché très sensible à l’image véhiculée par les
marques en concédant des ponts d’or aux stars du sport moderne qui servent
d’icône à la firme.
Initié par Nike, ce mode d’organisation se diffuse progressivement à
l’ensemble des grandes firmes textiles orientées vers les produits de grande
consommation comme Reebook, Warnaco (Fruit of the Loom, Warner,
licences Calvin Klein…), Levi Strauss, Benetton ou Sara Lee, un
conglomérat multispécialiste avec des centaines de marques en portefeuille
(collants Dim et Chesterfield, sous-vêtements Playtex et Wonderbra Rosy,
Princess, Liabel, Cacharel Lingerie…). Ce processus se traduit en Europe,
aux États-Unis et au Canada par des milliers de fermetures d’usines et la
perte de millions d’emplois. En France, la firme de distribution d’articles de
sport Décathlon, filiale du groupe Auchan, repose sur le même modèle : le
siège du Nord-Pas-de-Calais anime un vaste réseau de sous-traitants
industriels dans le Bassin méditerranéen, en Europe centrale et en Asie, où
elle ouvre un bureau de production Asie dès 1992.
Figure 4.4 Le système productif mondial de Nike

Source : d’après Nike.

Les limites du modèle des firmes réseaux


Mais ce modèle de firmes réseaux sans usines s’avère fragile. Alors que son
succès repose avant tout sur le prestige attaché à la marque par des
consommateurs plus ou moins stables, la terrible pression sur les prix d’achat
aux producteurs peut poser des problèmes de qualité des produits pendant que
l’éloignement entre lieux de production et marchés de consommation exige
une chaîne logistique particulièrement efficiente. Enfin, l’essor des sous-
marques des grands distributeurs grignote des parts de marchés alors que
les transferts de technologies et de savoir-faire posent la question centrale de
la contrefaçon en très forte croissance, du non-respect de la propriété
intellectuelle et artistique et à terme de l’apparition de nouveaux concurrents.
Mais surtout, l’opinion publique est de plus en plus sensibilisée par les
syndicats et les ONG aux conséquences de cette structure territoriale où le
recours à des réseaux en cascade de sous-traitants se traduit par une terrible
pression sur les salaires et les conditions de travail des salariés des pays en
développement. On voit ainsi se multiplier ces dernières années de nombreux
scandales. En 1992, Levi Strauss est obligé de rompre tous ses contrats avec
la Birmanie du fait de l’utilisation du travail carcéral alors qu’en 1999 quinze
groupes vestimentaires américains (Calvin Klein, Liz Claiborne, Sears, Ralph
Lauren…) acceptent de dédommager après un procès géant les
50 000 immigrés asiatiques travaillant dans de véritables bagnes industriels
sur l’île de Saïpan dans les Mariannes du Nord (États-Unis), en plein océan
Pacifique. En février 2001, Nike doit reconnaître les graves abus et les
violences exercées par ses sous-traitants dans ses 25 usines d’Indonésie et
s’engage à établir un code de bonne conduite sociale afin d’améliorer son
image de marque.
Alors que les syndicats européens réclament la création d’un « label
social », la traçabilité des produits et le respect par les employeurs des
conventions édictées par l’Organisation internationale du travail (interdiction
du travail forcé, liberté d’association, salaires décents…), la mondialisation
sauvage des activités textiles des décennies 1970-2000 est progressivement
remise en cause par la mobilisation des opinions publiques, des syndicats
ou des ONG.

Le groupe taïwanais Pou Chen : un géant mondial de la sous-


traitance textile
Revers inverse de la médaille, ces stratégies des firmes occidentales « sans
usines » ont abouti à la création de nouvelles firmes transnationales géantes
en Asie comme en témoigne le groupe Pou Chen, très peu connu du grand
public bien qu’il occupe une position nodale dans la chaussure de sport.
Fondé en 1969, le groupe taïwanais Pou Chen est devenu depuis 1992 l’un
des géants mondiaux de la sous-traitance dans les chaussures de sport où il
réalise 73 % de ses activités en contrôlant 20 % du marché mondial.
N’apparaissant jamais comme tel et donc largement inconnu du grand public,
il travaille pour des marques mondiales aussi connues que Nike, Adidas,
Reebok, Asics, New Balance, Puma, Converse, Salomon ou Timberland qui
lui délèguent la fabrication. Porté par l’essor du secteur, il connaît une
croissance phénoménale : en presque quinze ans, il passe d’une production
annuelle de 186 à 326 millions de paires de chaussures et de 265 000 à
365 000 salariés. Son modèle taylorien se reflète dans la structure de sa main-
d’œuvre : 79 % sont des femmes, 63 % travaillent directement sur les chaînes
de production, la moyenne d’âge est de 33,4 ans et le turnover assez élevé du
fait de conditions salariales et sociales peu attractives.
Géographiquement, si Taïwan garde le siège social et la recherche (2,3 %
des ventes) à Taichung, elle est devenue marginale dans la fabrication du fait
de l’implantation du groupe dans les pays à bas salaires qui accueillent ses
275 usines. Après avoir massivement joué la Chine littoral (Guangdong) à
partir de 1988, il redéploie son appareil productif du fait des hausses de
salaires et du changement de modèle de Pékin, d’abord dans la Chine
intérieure proche et moins chère (Jiangxi, Hubei), mais surtout en Asie. La
Chine tombe aujourd’hui à seulement 14 % de la production et 19 % des
emplois au profit pour l’essentiel de deux nouveaux pays asiatiques. La firme
est très présente au Vietnam depuis 1994, dans la région du delta du Mékong
polarisée sur Hô-Chi-Minh-Ville (46 % prod. et 49 % sal.), et en Indonésie
depuis 1992 dans la région de Java Barat à l’est de Jakarta (37 % prod., 29 %
emplois). Elle cherche aussi à se diversifier géographiquement en testant des
implantations au Bangladesh et au Cambodge depuis 2010 et en Birmanie en
2015. Enfin, afin de mieux contrôler sa chaîne de valeur, elle réduit son
nombre de fournisseurs (1 500 firmes) et multiplie les audits et contrôles sous
la pression de ses donneurs d’ordres occidentaux afin d’éviter tout scandale
majeur.
Chapitre 5

L’explosion des mobilités et des


échanges

HISTORIQUEMENT, la mondialisation repose sur la mobilité géographique des


hommes, du capital, des informations et des marchandises dans l’espace
mondial, en particulier grâce à l’amélioration constante des facteurs
logistiques d’un côté et à l’ouverture des cadres politiques, juridiques et
géopolitiques de l’autre. Depuis les années 1980, nous sommes passés d’un
système international à un système global mondialisé qui peut
potentiellement intégrer jusqu’aux endroits les plus reculés du monde. Loin
d’être évanescents ou hors-sol, ces flux parcourent le monde, en s’appuyant
sur des systèmes techniques très concrets organisés en réseaux et en nœuds.
La maîtrise, l’organisation et le pilotage de ces mobilités représentent de
considérables enjeux géopolitiques et sécuritaires, géoéconomiques et
technologiques, sociaux et culturels.
Pour autant, il faut faire attention aux erreurs de perspectives. Ce n’est pas
l’espace terrestre et ses distances qui se réduisent, mais la capacité des
hommes à maîtriser le rapport distance-temps qui ne cesse de s’améliorer.
Chaque incident vient nous rappeler que nos systèmes restent très fragiles.
Enfin, ce processus non seulement ne supprime aucunement les
différenciations géographiques mais tend au contraire à les survaloriser. On
passe de plus en plus d’une distance métrique planétaire homogène à une
distance systémique du fait de la modernisation et de la densification inégales
des réseaux d’échanges et des connexions. Les territoires, économies et
sociétés sont plus ou moins bien intégrés aux nouvelles interdépendances
asymétriques qui reposent sur des interconnexions sélectives et hiérarchisées.
Celles-ci fonctionnent à différentes échelles géographiques au profit des
continents, États et régions déjà les plus puissants. À l’opposé, la
marginalisation logistique d’une partie du globe y renforce les processus
d’exclusion.
Ces questions ont une incidence directe sur l’étude et l’enseignement de la
mondialisation. En effet, une approche globalisante de la mondialisation met
l’accent sur la mise en réseaux du monde et privilégie l’étude des flux et des
échanges. Il est vrai que ceux-ci présentent des caractéristiques
spectaculaires, qu’ils sont plus faciles à quantifier, donc à cartographier et à
modéliser. On en vient alors parfois à complètement oublier qu’avant d’être
l’objet d’une transaction et d’un déplacement dans l’espace, un produit
agricole ou industriel, un capital ou un homme sont le produit d’un territoire
et d’une société. Une géographie des flux et des réseaux trop largement
déterritorialisée et très conceptualisée risque alors d’évacuer à la fois les
facteurs culturels, sociaux (coûts salariaux, division spatiale du travail…),
politiques et géopolitiques.

L’explosion des mobilités humaines contraintes


ou volontaires
La mondialisation contemporaine se caractérise par la forte montée des
mobilités humaines à la surface de la Terre. Mais toutes ces mobilités
ne peuvent être mises sur le même plan car elles ressortent à des causalités et
à des processus d’interactions très différents. Il est donc impératif de bien
différencier trois grands types de mobilités : contraintes, forcées et
volontaires.

Les flux migratoires : mobilités et interdépendances

L’explosion des flux migratoires


Dans un monde en forte croissance démographique, de plus en plus inégal,
traversé de profondes crises sociales ou économiques et déstabilisé par de
nombreux conflits, on assiste à une explosion des flux migratoires contraints
qui est relative en intensité mais bien réelle en volume. Ces derniers évoluent
entre des espaces de libre circulation d’un côté, de fermeture et de
sécurisation des frontières (Bassin méditerranéen, Grand Bassin caraïbe…)
de l’autre. On assiste parfois à de brutales bifurcations : durant les
années 2010, le Venezuela attractif devient répulsif avec la crise, alors que la
Colombie voisine connaît le chemin inverse avec le retour de la paix civile.
Le stock mondial de migrants – défini comme une personne qui réside de
manière permanente hors de son pays natal depuis plus d’un an – passe de
45 à 253 millions entre 1965 et 2017, soit 3,4 % de la population mondiale.
S’y ajoutent 25 à 40 millions de migrants illégaux alors que le marché du
trafic humain est évalué à plusieurs centaines de milliards dollars. Au total, si
ces flux sont considérables, nous sommes très loin d’une « planète nomade »
ou des représentations géopolitiques négatives d’une « invasion » : 96 % de
la population mondiale demeure dans son cadre national [WIHTOL DE WENDEN,
2018].
Les effets sont surtout spectaculaires du fait de la forte polarisation
géographique des principaux pôles émetteurs et récepteurs (Amérique du
Nord, Europe occidentale, Moyen-Orient). Les taux d’émigration varient
fortement d’un sous-continent ou d’un pays à l’autre, tout comme le taux des
migrants qui demeurent dans leur région d’origine (tableau 5.1), car à rebours
de nombreuses idées reçues, plus un pays est pauvre, moins ses habitants
migrent loin par déficit de capital financier et humain, alors que les pays les
plus mobiles sont ceux les plus engagés dans la transition démographique. Si
les rapports Nord/Sud restent dominants en Amérique latine, en Europe de
l’Est et en Afrique du Nord et subsaharienne, les flux des Suds répulsifs vers
les Sud attractifs sont en plein essor (États rentiers du Golfe et de la péninsule
Arabique, Indonésie, Thaïlande, Malaisie, Afrique du Sud, Brésil…).

Tableau 5.1 L’émigration mondiale : un phénomène limité


et polarisé

%
Taux
Grands Émigrés restant Émigrés
d’émigration Sous-régions
continents (millions) dans (millions)
(%)
la région

Afrique
MONDE 252,6 3,4 29 10
de l’Ouest

Afrique
29,3 2,8 70 Maghreb 5,7
subsaharienne
Afrique
9,3 4,8 1 Syrie/Irak/Yémen 10,9
du Nord

Asie centrale
37,6 8,3 46 Asie centrale 15,8
et occidentale

Asie du Sud
70,7 1,8 36 Caraïbes 8,3
et de l’Est

Europe Amérique
24,1 5,7 52 16,3
occidentale centrale

Europe
38,6 11,9 48 Europe orientale 18,6
de l’Est

Amérique
12,2 2,9 36 Asie du Sud 34,2
du Sud

États-
4,3 1,2 26 Asie du Sud-Est 21,2
Unis/Canada

Source : INED, Populations et sociétés, no 558, septembre 2018.

Les facteurs migratoires sont nombreux (écarts de revenus, proximité


linguistique, coûts du transport, niveau d’éducation, diaspora déjà
installée…). Ces flux organisent des champs migratoires qui sont des espaces
parcourus par les migrants (zones de départs, étapes, destinations) et qui sont
très structurés (systèmes de transport, mafias et passeurs, réseaux de contrôle,
camps de transit ; cf. Sahel, Libye, détroit de Gibraltar…). Ces mobilités
créent, dans le cadre de multiples parcours de vie, des espaces sociaux
transnationaux alimentés par des circulations migratoires régulières (cf. sud
de l’Iran/Dubaï, Mexique/États-Unis, Île-de-France/Mali,
New York/Haïti…).
Face à leurs besoins de main-d’œuvre, les pôles récepteurs considèrent
toujours les pôles émetteurs comme des réservoirs à leur disposition. Ils les
mobilisent selon leurs conjonctures économiques et démographiques
(cf. stratégies sélectives du Canada, des États-Unis, de l’Europe occidentale
ou du golfe Persique). La question de la main-d’œuvre étrangère est alors de
plus en plus traitée sous l’angle sécuritaire alors que cette population
contribue activement au développement des économies nationales et
régionales les plus dynamiques, malgré un traitement juridique, social et
salarial souvent injuste. Ainsi, 80 % des migrants résident aux États-Unis
dans cinq États (Californie, New York, Texas, Floride, New Jersey), et tout
particulièrement dans les grandes métropoles (New York, Miami,
Los Angeles, Houston, Dallas…). En Italie, 70 % des travailleurs émigrés
travaillent dans le nord du pays, essentiellement en Lombardie et en Vénétie.
Face à la généralisation de la fermeture des frontières (mur entre les États-
Unis et le Mexique, opération Frontex et crise de l’espace Schengen en
Europe…), on assiste à la complexification des trajectoires migratoires et à la
multiplication des entrées clandestines aux prix de morts de plus en plus
nombreux (cf. Méditerranée).

Les effets d’entraînement sur les pôles émetteurs


Aux échelles nationales, la Banque mondiale estime que les transferts des
migrants vers leurs pays d’origine sont passés de 56 à 613 milliards de dollars
entre 1990 et 2017. Mais seulement dix États polarisent la moitié des
transferts et vingt États 66 % (Inde, Chine, Philippines, Mexique, Nigeria…).
De même, les vingt premiers pays émetteurs réalisent 81 % des envois (États-
Unis, Arabie saoudite, Suisse, Allemagne, Russie, Koweït, France, Qatar…).
Ces transferts financiers sont parfois devenus la première source de devises
des pays pauvres (tableau 5.2). Aux échelles régionales, les effets
d’entraînement sur l’essor économique et social (construction de puits,
écoles, électrification, dispensaires…) peuvent être considérables du fait des
spécialisations migratoires de certains espaces (région de Kayes au Mali,
Anti-Atlas marocain…). Aux transferts financiers s’ajoute souvent la
diffusion de nouvelles connaissances techniques et de nouvelles valeurs.
Mais il n’y a pas de lien mécanique et immédiat entre développement et
arrêt des flux migratoires. La hausse des revenus peut en effet permettre à une
frange plus importante des jeunes actifs disponibles de migrer alors que les
transformations économiques et sociales (mécanisation du travail agricole…)
libèrent de nouveaux bras. La contribution des migrants au développement de
leur région d’origine dépend enfin étroitement de la qualité de leur
intégration (statut stable, accès aux mêmes droits, salaires décents,
formation…) dans les pays d’accueil.

Tableau 5.2 La montée des transferts financiers des travailleurs


et leurs impacts sur quelques pays (milliards $ et %)

Source : Banque mondiale, 2018.

La fuite des cerveaux : un écrémage des potentiels humains


Si la mondialisation du marché du travail demeure encore limitée, elle touche
en priorité le segment étroit des salariés hautement qualifiés qui sont, de par
leur capital économique, social, culturel et linguistique, géographiquement
les plus mobiles. Si l’intelligence humaine est potentiellement la ressource
géographique la mieux répartie, les conditions éducatives, sociales,
techniques et scientifiques de sa valorisation demeurent très sélectives et
renforcent les inégalités préexistantes. En polarisant les meilleurs cerveaux,
les économies développées ou émergentes s’assurent un avantage
considérable. Dans ce cadre inégal, cet écrémage des potentiels des Suds ou
de l’Est représente une perte de capital humain et un obstacle supplémentaire
au développement. Aujourd’hui, seulement neuf pays accueillent 62 % des
4,7 millions d’étudiants réalisant leurs études à l’étranger, en premier lieu les
États-Unis (907 000), le Royaume-Uni (430 000), l’Australie, la Russie, la
France (239 000), l’Allemagne, le Canada, la Chine et le Japon. Pour autant,
seul les États-Unis fonctionnent comme un pôle véritablement mondial, avec
en particulier la présence de 300 000 Chinois, 112 000 Indiens ou
64 000 Coréens. À l’inverse, les autres États polarisent leurs zones
d’influences : l’Asie pour l’Australie, la Communauté des États indépendants
(CEI) pour la Russie, l’Afrique francophone et l’Europe pour la France, le
Commonwealth et l’Europe pour le Royaume-Uni.
Si cet effort de formation n’est pas illégitime et souvent même nécessaire,
la principale question réside dans le fait que beaucoup d’étudiants des Suds
ne reviennent pas dans leur pays d’origine après leurs études, en particulier
en Asie et en Afrique subsaharienne. Et ce alors même que les jeunes actifs
qualifiés y constituent en général la grande majorité des candidats à
l’émigration. Cela se traduit par le fait que dans certains pays entre 33 %
(Salvador) et 90 % du personnel qualifié (Guyana) a émigré. En Afrique
subsaharienne, si les travailleurs qualifiés ne représentent que 5 % de la
population active, ils constituent 40 % des migrants.
Le brain drain états-unien : le pillage des cerveaux
mondiaux
La géographie mondiale des cerveaux devient de plus en plus polarisée et
déséquilibrée, d’abord au profit des États-Unis (brain drain). En un quart de
siècle, les immigrés y sont passés de 12 à 27 millions d’actifs, soit de 10 à
17 % de la population. Ils sont beaucoup plus qualifiés (Bac +4 : 21 % des
États-Uniens, 34 % des immigrés) et occupent, en particulier, des postes
scientifiques et techniques de haut niveau. Cela s’explique par une stratégie
systématique d’attraction grâce au permis de travail « temporaire » H-1B,
spécifiquement créé pour aider les entreprises américaines à recruter des
profils hautement qualifiés de nationalité étrangère. Selon l’US Immigration
Services, 3,4 millions de H-1B ont été accordés ces dix dernières années, en
particulier à des migrants indiens (59 %), chinois, philippins, sud-coréens,
canadiens et taïwanais, dont 68 % à des personnes jeunes (25-35 ans). Avec
60 % de ces visas de haut niveau, l’informatique s’arroge la part du lion.
Ce brain drain est l’une des clés du boom technologique états-unien, en
particulier de la Silicon Valley où un tiers des ingénieurs seraient immigrés
mais avec des salaires de 15 % à 30 % inférieurs à leurs homologues états-
uniens. Chez Amazon, Google, Twitter ou Uber, 70 % des développeurs
informatiques sont étrangers. Face à la volonté de Donald Trump de limiter
l’octroi des H-1B, le gotha s’est mobilisé contre (Facebook, Google,
Microsoft, Twitter, Airbnb, Dropbox, eBay, Intel, LinkedIn, Lyft, Mozilla,
Netflix, PayPal…). Ces firmes font ainsi d’énormes économies dans la
formation initiale de leurs salariés alors que le système éducatif états-unien
est de plus en plus dual et dysfonctionnel, comme l’illustre l’explosion de
l’endettement des étudiants états-uniens pour payer des frais de scolarité
de plus en plus lourds, voire exorbitants.

L’impact des conflits et tensions armées : migrations forcées


des réfugiés et des déplacés
Depuis les années 1980, on assiste à la déstabilisation de larges portions de
continents du fait de la montée de formidables tensions démographiques,
sociales et politiques, et de la multiplication des guerres et des conflits
géopolitiques, internes et externes. Cela explique l’explosion du nombre de
réfugiés pour des raisons politiques, raciales, religieuses, ethniques ou de
nationalités. L’Institut d’Heidelberg identifie actuellement 402 conflits, dont
226 violents et 182 définis comme de véritables guerres, civiles ou
internationalisées (Syrie, Irak, Libye, Yémen, Pakistan, Nigeria, Ukraine…).
Ces situations aboutissent à une explosion des réfugiés en dehors de leurs
frontières, qui vont se réfugier d’abord et avant tout dans les pays voisins.
85 % des réfugiés sont aux Suds. Selon le Haut-Commissariat des
Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), on passe de 2,5 millions de
personnes en 1975 à 18,5 millions en 2003 pour atteindre 22,5 millions
aujourd’hui (Palestine, Syrie, Afghanistan, Soudan…). À cela s’ajoutent
quelque 40 millions de personnes déplacées dans leurs propres frontières
(Colombie, Soudan, Syrie, Nigeria, République démocratique du Congo…).
Dans ces conditions, le nombre de demandeurs d’asile explose.

Les systèmes diasporiques, réseaux mondialisés : Chine, Inde


et Philippines

Dans le système migratoire mondial, une place particulière doit être réservée
au phénomène des diasporas, du grec diaspeiren, « disséminer ». Certaines
sont nées d’un traumatisme originel (génocide, guerre, massacres)
provoquant un vaste processus de dispersion spatiale (juive, grecque,
arménienne, libanaise, palestinienne, irlandaise…). D’autres sont nées d’un
mouvement multiséculaire de diffusion (Inde, Chine…). Ces diasporas
structurent, en général, à la fois des espaces emboîtés d’intensité décroissante
au fur et à mesure que l’on s’éloigne de leurs lieux d’origine et des systèmes
de réseaux mondialisés reliant pour l’essentiel les grandes économies
métropolitaines. Elles jouent un rôle économique, politique et culturel
exceptionnel (grecque, syro-libanaise, sri-lankaise…) du fait de la densité des
liens tissés entre l’espace régional ou national émetteur et les différentes
localisations d’accueil comme le soulignent les travaux de Georges
Prévélakis [1996], Michel Bruneau [1998, 2004] ou Emmanuel Ma Mung.
Longtemps ignorées ou méprisées, ces diasporas sont depuis quelques
décennies redécouvertes et remobilisées par certaines autorités étatiques qui
cherchent ainsi à en faire de nouveaux vecteurs d’influence géopolitique et
géoéconomique dans le cadre de leur affirmation de puissance.

La diaspora chinoise et le nouveau « paternalisme impérial » de Pékin


Les Chinois d’outre-mer (huaqiao, Chinois de l’étranger) regroupent soit les
citoyens de la République populaire à l’étranger, en plein boom, soit les 25 à
30 millions de personnes des vieilles diasporas historiques. Présentent dans
130 États, ces dernières sont polarisées à 80 % en Asie du Sud-Est
(Thaïlande, Malaisie, Singapour, Indonésie, Philippines) et à 20 % dans les
pays développés (Amérique du Nord, Europe). Leur construction historique
s’étale sur une histoire millénaire : coulée vers la péninsule Indochinoise
entre le IIIe siècle av. J.-C. et VIe siècle apr. J.-C, création sous les Ming des
réseaux commerciaux du Nanyang occcidental (du Siam à Java) et oriental
(Philippines). Au XIXe siècle, la mise en valeur coloniale de l’Asie par le
Royaume-Uni ou les Pays-Bas mobilise des millions de coolies (1880-1900 :
5 millions en Malaisie), tout comme le développement de l’Amérique du
Nord et de l’Australie qui en aspire 500 000 entre 1850-1900 malgré
l’interdiction du trafic de main-d’œuvre par le gouvernement de Pékin en
1874. Depuis, la création de la République populaire en 1949, les exodes
d’Indonésie en 1959 et du Vietnam entre 1976-1979, et l’appel des marchés
développés renforcent son caractère mondial.
Réussissant à jouer un rôle économique majeur en Asie grâce à la
puissance des réseaux familiaux commerciaux et financiers, ces diasporas
participent en Chine très activement à la dynamique littorale d’où elles sont à
90 % originaires (Hainan, sud de Zhejiang, Guangdong, Fujian). En effet,
leur structure interne est très hétérogène puisque fondée sur des filières
géodialectales éclatées. Chaque pôle migratoire répond à une logique
autonome, en se spécialisant vers certaines destinations géographiques et
dans certaines activités professionnelles. Elles bénéficient de la réouverture
de la Chine continentale (flux touristiques et de capitaux…) et sont très
courtisées par le régime (consulats, banques, presse, télévision…) dans le
cadre de ce que Thierry Sanjuan appelle un nouveau « paternalisme
impérial » [SANJUAN, 2005, 2018].

La diaspora indienne : un renversement géopolitique majeur


Pour sa part, le gouvernement de New Delhi estime à 31 millions de
personnes les « Overseas Indians ». Présents dans 136 États, ils sont
composés de 17,8 millions de Persons of Indian Origin (PIOs) et de
13 millions de Non-Resident Indians (NRIs). Leur répartition fait apparaître
cinq grands pôles polarisant 80 % des effectifs.
Ce vaste territoire diasporique se construit sur trois grandes strates
géohistoriques. La première, millénaire, dessine un vaste système sur l’Asie
du Sud et le pourtour de l’océan Indien, en étant structurée soit par des
migrations de voisinage, soit par de vieilles migrations marchandes. La
seconde s’inscrit dans l’espace de l’Empire britannique avec la migration des
coolies ou de cadres administratifs et militaires indiens en Afrique du Sud,
dans les Caraïbes et dans le Sud-Est asiatique. La troisième, enfin, est
contemporaine (États-Unis, Europe et golfe Persique). Les travaux d’Éric
Leclerc soulignent aujourd’hui la polarisation de celle-ci dans certaines
grandes métropoles mondiales, y favorisant en retour la création de « Little
India » en Asie du Sud-Est, à Londres, au Canada ou aux États-Unis.
Figure 5.1 La polarisation de la diaspora indienne
Source : Statistics of India, 2017.

On assiste à un complet renversement de la conception géopolitique que se


fait le gouvernement indien de sa diaspora. Si l’Inde de Nehru refusa de
défendre les intérêts de ses communautés expatriées, la politique officielle
change dans les années 1980. New Delhi prend alors conscience de son poids
économique avec un revenu annuel estimé à 35 % du PNB indien. Elle
apparaît comme une source potentielle d’investissements, de transferts de
technologies, voire d’appuis politiques pour mieux intégrer l’Inde sur la
scène internationale.
Enfin, ses effets d’entraînement économique tendent, comme en Chine, à
renforcer les déséquilibres internes aux profits des espaces d’ouverture car
ces expatriés réinvestissent prioritairement dans leurs lieux d’origine. Ces
logiques dépendent beaucoup des spécialisations socio-économiques
adoptées : marchands Chulia de la côte Est ou Moplah du Kerala, coolies du
Tamil Nadu, de l’Andhra Pradesh au sud ou du Bihar au nord… Ainsi, les
deux millions de Punjabi de la diaspora y investissent dans un but
philanthropique dans les infrastructures locales (dispensaires, écoles, routes),
accentuant ainsi le développement d’une région déjà en avance. Le Bihar ou
le Kerala bénéficient de l’apport régulier des trois millions de travailleurs du
golfe Persique qui y travaillent sous contrat de deux à huit ans. Les
métropoles comme Chennai ou Bangalore sont branchées sur la
Silicon Valley. Ainsi, Gururaj Deshpande, fondateur de la start-up Sycamore
Networks, a offert aux Instituts indiens de technologie (IIT) de Chennai, dont
il était originaire, des centaines de millions de dollars en vingt ans.

Les Philippines : la « Labor Diplomacy » du troisième exportateur


mondial de main-d’œuvre
Le système philippin est très différent. Historiquement bien plus récent, il se
construit sur une stratégie d’exportation de main-d’œuvre qui,
progressivement, s’enracine parfois dans certains pays d’accueil selon une
logique diasporique. Manille évalue le stock d’émigrants à l’étranger à
2,8 millions de personnes auquel se superposent 2,1 millions de travailleurs
« outre-mer ». À la recherche de devises face à un sous-emploi structurel et
une forte croissance démographique (100 millions d’habitants), le
gouvernement a mis en place une politique migratoire volontariste à partir
de 1974. Les effets sont spectaculaires : les envois des migrants passent de
338 millions à 33 milliards de dollars entre 1977-2017 (3e rang mondial, 8 %
du PIB), avec un sensible décollage à la fin des années 1990. L’Amérique du
Nord (42 %) domine devant le golfe Persique (27 %), l’Asie (17 %) et
l’Europe (13 %).
Une institution gouvernementale gère cette politique : la Philippine
Overseas Employment Administration (POEA). Quatorze bureaux répartis sur
l’ensemble du territoire drainent les demandes et régulent les 1 300 agences
privées de recrutement alors qu’à l’étranger vingt-sept bureaux coordonnent
les demandes et les flux. Le gouvernement de Manille engage au début des
années 2000 ce qu’il appelle une Labor Diplomacy, qui dicte partiellement sa
politique étrangère. Les Philippins officiellement sous contrat à l’étranger
passent de 750 000 à 2,1 millions entre 1997-2016. Deux catégories de
salariés sont définies : 440 000 seabased travaillent comme marins à bas
salaires sur les navires de la marine marchande mondiale, 1,7 million
de landbased comme salariés sous contrat à terre. Ces postes non qualifiés
des services et de l’industrie (domestiques, nourrices, ouvriers, maçons…)
sont depuis peu complétés par le départ de personnels plus qualifiés
(infirmières, enseignants ou ingénieurs). Avec un taux de pauvreté de 22 %,
la précarité contraint à la mobilité une main-d’œuvre parlant l’anglais du fait
de la colonisation américaine de 1898 à 1945.
Les retombées de cette ouverture internationale sont très différentes selon
les régions dans cet immense archipel. Quatre des seize régions réalisent
60 % des flux migratoires avec 44 % de la population. En fait, l’émigration
est pour l’essentiel l’affaire du Grand Manille et de sa vaste zone d’influence
métropolitaine qui s’étend sur la plaine centrale surpeuplée du centre de l’île
de Luçon. Cette géographie illustre à l’extrême un éclatement géographique,
socio-économique et géopolitique du pays et la macrocéphalie du Grand
Manille.

Le tourisme : le déplacement géographique au cœur d’une


activité

Un développement spectaculaire mais inégal jusqu’aux marges


de l’œkoumène
Étroitement lié à la révolution des transports de masse, en particulier aériens,
à la hausse du niveau de vie et à l’allongement du temps libre, le tourisme
international – défini comme une mobilité volontaire d’agrément à des fins
personnelle ou professionnelle – est en plein essor [GRAVARI-BARBAS et JACQUOT,
2018 ; ÉQUIPE MIT, 2003, 2005]. Il passe de 800 millions à 1,3 milliard de
visiteurs par an entre 2006-2017 et pourrait atteindre 1,8 milliard en 2030
(+ 40 %).
Cependant, à l’échelle du globe, il demeure encore un privilège. D’autant
que, plus cette activité se démocratise et se diversifie dans son offre (boom de
la croisière…), plus elle se segmente et se hiérarchise car elle garde de ses
racines aristocratiques du XIXe siècle une forte composante de distinction
sociale. Celle-ci participe en partie de la diffusion du tourisme dans l’espace
mondial, parfois jusque dans des régions aux limites de l’œkoumène. Ces
espaces deviennent de nouveaux micro-marchés porteurs (déserts australien
ou d’Afrique australe, Amazonie, Himalaya, hautes latitudes polaires, îles du
Pacifique comme Bora-Bora…) face à la saturation de nombreux espaces par
le tourisme de masse.
Malgré sa diffusion spatiale, les pôles émetteurs et récepteurs sont
géographiquement polarisés : dix pays accueillent 42 % des flux mondiaux et
dix émettent à l’étranger 57 % des dépenses mondiales. Ces dernières années,
les grandes ruptures viennent de la Chine et de l’Asie de l’Est qui redessinent
en partie la carte mondiale : les touristes chinois dépensent deux fois plus à
l’étranger que les États-Uniens. Mais les principaux bassins (Europe du Sud,
Europe occidentale, Asie du Nord-Est, Amérique du Nord…), les grandes
métropoles et les stations touristiques mondiales constituent les lieux
privilégiés du tourisme mondialisé. Bien international, le tourisme demeure
cependant largement structuré par des rapports de proximité géographique,
historique ou culturelle. Les échanges intra-régionaux entre États proches
représentent 80 % des flux contre seulement 20 % pour les échanges
intercontinentaux à longue distance. Le transport aérien réalise 55 % des flux
totaux, grâce au boom des compagnies low cost, et les transports terrestres
45 % [GAY, 2017].

Tableau 5.3 La hiérarchie des grands bassins touristiques


mondiaux (millions de personnes et milliards $)

% % %
Arrivées Arrivées Recettes
arrivées arrivées recettes
1990 2016 2016
1990 2016 2016

MONDE 434,7 1 236 100 100 1 219,3 100

Europe du Sud 90,3 228,5 20,8 18,5 174,7 14,3

Europe
108,6 181,5 25 14,6 145,3 12
occidentale

Asie du Nord-Est 26,4 154,2 6,2 12,5 168,9 13,8

Amérique du Nord 71,8 130,5 16,5 10,6 243,7 20

Europe centrale et
33,9 126 7,8 10,2 52,6 4,3
orientale

Asie du Sud-Est 21,2 113,2 4,9 9,2 117,2 9,6

Europe du Nord 28,7 80,2 6,6 6,5 74,6 6,1

Afrique 14,8 58,7 3,4 4,8 34,8 2,9

Moyen-Orient 9,6 53,6 2,2 4,3 57,6 4,7


Amérique du Sud 7,7 32,8 1,8 2,7 27 2,2

Asie du Sud 3,2 25,3 0,7 2 33,8 2,8

Caraïbes 11,4 25,2 2,6 2 30,2 2,5

Océanie 5,2 15,6 1,2 1,3 46,7 3,8

Amérique centrale 1,9 10,7 0,4 0,9 12,2 1

Source : OMT, 2018.

Les recettes touristiques mondiales sont évaluées par l’OMT (Organisation


mondiale du tourisme) à 1 220 milliards de dollars en 2017. Elles sont
multipliées par cinq en un quart de siècle. Le secteur est l’objet de rivalités
entre les grandes firmes mondiales dans le transport aérien et maritime
(cf. offre de croisières), les plateformes Internet de location, la vente de
services… Ainsi, les dix plus grandes chaînes hôtelières (Marriott, Hilton,
IHG, Wyndham, Jin Jiang, Accor…) contrôlent 56 300 établissements et
6,7 millions de chambres. Mais le tourisme demeure une activité très sensible
aux aléas économiques et monétaires, et aux risques et crises géopolitiques (–
42 % des entrées en Égypte en 2017) et peut parfois connaître certaines
dérives (« tourisme sexuel » en Asie).
Le développement du tourisme de croisière
Bien étudié par des géographes comme Olivier Dehoorne ou Jacques
Charlier, le tourisme de croisière est une niche en pleine expansion avec
27 millions de passagers (+ 53 % en dix ans), un parc de 632 navires offrant
un potentiel de 163,5 millions de lits par jour et 1 million d’emplois en 2017. Si
le Bassin caraïbe (35 %) reste le premier pôle mondial devant le Bassin
méditerranéen (16 %), on assiste ces dernières années à l’essor de
nouvelles destinations (Baltique, Chine, Pacifique et
Australie/Nouvelle Zélande, Alaska, Norvège et hautes latitudes arctiques).
Cette activité est dominée par de puissantes chaînes (Carnival, Royal
Caribbean, ACL, MSC, TUI, Ponant…) qui mettent parfois en ligne des
navires géants afin de réduire les coûts (Haymony of the Seas :
6 360 passagers, 2 100 membres d’équipage, 362 mètres de long).
Mais cette course au gigantisme se heurte de plus en plus à certaines
résistances : certaines villes comme Venise ont été contraintes de limiter leur
accès. Le groupe Carnival, numéro 1 mondial avec 12 millions de passagers
et basé à Miami, est présent via ses dix marques et ses filiales aux États-
Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Italie et en Australie. Avec
103 navires et 120 000 salariés, il dessert 700 ports d’embarquement ou
d’escale dans le monde.

Mise en tourisme, dynamiques spatiales et nouvelles


interdépendances asymétriques
Ce secteur est une activité porteuse car les effets du tourisme sont
considérables pour assurer le développement local et régional des zones
d’accueil : emplois directs et indirects, revenus, investissements, bâtiments,
restauration, artisanat, transports…, en particulier dans certains territoires
spécialisés comme les îles (Barbade : 28 % du PIB), les régions littorales
(Caraïbes, Côte d’Azur, Floride, Baléares, Corse…) ou les espaces
montagnards (Alpes, Rocheuses…).
Dans un cadre très concurrentiel, la mise en tourisme – envisagée comme
la mise en interrelations des différents acteurs aux lieux et aux espaces – est
de plus en plus promue par les États, les collectivités et les acteurs privés
comme l’ont bien étudié des géographes dont Rémy Knafou [KNAFOU, 2011]
ou Philippe Duhamel [DUHAMEL, 2018]. La valorisation dépend de certaines
potentialités (climat, paysages, patrimoine historique et culturel) et pratiques
(tourisme balnéaire, sportif, culturel, d’affaires, déambulation, shopping…).
Elle dépend tout autant de la qualité des infrastructures de transport, de la
sécurité des estivants, du rapport qualité/prix des prestations et des opérations
de promotions et des stratégies d’aménagement spécifiques : création de
stations dédiées, réhabilitation de centres-villes, présence de zones hôtelières
et marchandes connectées aux réseaux de transport urbain et aux aéroports…
[SACAREAU et alii, 2017].
Cependant, le tourisme pose aussi de redoutables problèmes
environnementaux et d’aménagement durable (concurrences pour l’espace,
les sols et l’eau, urbanisation incontrôlée, hausse des prix du foncier et
spéculation…). Certaines sociétés traditionnelles, parfois fragiles, sont
déstabilisées par l’intrusion brutale de nouveaux modes de vie et de
consommation. Enfin, cette activité est particulièrement sensible aux aléas
économiques (crise et chômage, envolée du prix du kérosène, variation des
taux de change…) et surtout aux tensions géopolitiques internationales,
continentales et nationales, ou aux grandes crises sanitaires.

La mondialisation des échanges : spécialisation


et continentalisation
L’explosion des échanges internationaux – vecteurs et symboles de la
division internationale du travail – s’accompagne d’une reconfiguration à la
fois géographique, avec l’émergence de nouveaux acteurs, et sectorielle, avec
un basculement des matières premières vers les produits manufacturés et les
services. Mais ces flux confirment que la proximité géographique demeure
une variable essentielle d’explication des polarités. Elle repose sur une
intégration fonctionnelle fondée sur des liens d’interdépendance entre
territoires centraux et périphériques, plus ou moins complémentaires.

L’explosion et les mutations du commerce international

Approche statistique et méthodologique : la question de l’État,


des réseaux et de l’informel
Avant d’étudier la géographie du commerce mondial, il convient de souligner
les limites d’un tel exercice du fait des difficultés à en évaluer
rigoureusement les volumes, la nature et la valeur. Le commerce de produits
illicites (drogues, armements, contrefaçons…) ou les trafics humains jouent
un rôle croissant, la collecte d’informations crédibles exige l’existence d’un
appareil étatique – douanier et statistique – à peu près fiable. Cette condition
n’est pas réunie sur à peu près la moitié de la planète, du fait de la faiblesse
des appareils d’États (corruption, contrebande, détournement de trafic…), de
la porosité de nombreuses frontières et du caractère très réticulaire de
nombreux échanges formels ou informels. Cette « mondialisation par le bas »
ou « des pauvres » est d’ailleurs de mieux en mieux étudiée [CHOPLIN et PLIEZ,
2018], tout comme ses villes-marchés (cf. Yiwu, sud de Shanghai).
Si ces flux sont marginaux en valeur à l’échelle mondiale, ils peuvent, dans
certaines zones, représenter des phénomènes considérables. En Afrique,
le Bénin s’est spécialisé dans la réexportation légale et surtout illégale vers le
Nigeria : officiellement son grand voisin n’est que son 23e partenaire
commercial, il vient en réalité au premier rang, en représentant environ 40 %
des recettes fiscales et 75 % des marchandises débarquées à Cotonou. Au
Pakistan, une large partie des importations (automobiles, pneus, dentifrice…)
passe clandestinement par Dubaï, l’Iran et l’Afghanistan – par bateaux puis
camions, voire convois de mules – afin d’échapper aux droits de douane et
aux taxes.
Il convient enfin de nuancer l’impact du commerce mondial car beaucoup
d’activités ne font pas l’objet d’un échange international, ou si peu. Dans
l’agriculture, même si les échanges de denrées alimentaires ont triplé en
valeur en vingt ans, les taux d’exportation sont très variables selon que les
produits s’adressent ou non au marché mondial (café 98 %, thé 41 %,
bananes plantains, patates douces ou ignames 1 %). La production agricole
demeure une activité de proximité pour la très grande masse des agriculteurs
et paysans, en particulier dans les pays des Suds où l’autosubsistance et
l’approvisionnement des marchés urbains locaux ou nationaux restent le socle
de leurs activités comme l’ont bien étudié de nombreux géographes dont
Jean-Louis Chaléard [CHALÉARD et SANJUAN, 2018].

Explosion des flux, concurrence et basculement sectoriel


En cinquante ans, les exportations ont connu une hausse sensiblement
supérieure à la création globale de richesses et le degré d’ouverture des
économies s’est considérablement renforcé, en particulier grâce à l’explosion
des échanges de services. À la domination des matières premières dans les
années 1950, puis des produits industriels à partir des années 1970 succède
une structure aujourd’hui plus diversifiée du fait de la montée depuis les
années 1980 des échanges de services (transport et voyages, services
financiers et technologiques). Ils constituent dorénavant un enjeu central des
négociations internationales alors qu’on assiste à la spécialisation croissante
des pays hautement développés dans la fourniture de prestations
intellectuelles à l’ensemble de l’économie mondiale comme en témoignent
les royalties issues de la propriété intellectuelle (brevets, logiciels, droits
d’auteur…) et les activités de conseil aux entreprises (conseil, audit,
expertises). Pour autant, globalement les activités de services et
périproductives demeurent ancrées nationalement, alors que l’agriculture, les
mines et l’énergie ou l’industrie sont des secteurs bien plus ouverts.
Au total, on doit considérer le processus actuel d’ouverture des marchés
comme historiquement récent, économiquement brutal et géographiquement
exceptionnel par ses dimensions spatiales. En 2016, les marchandises et les
services représentent respectivement 15 500 et 4 807 milliards de dollars
d’échanges. Ce dynamisme s’explique par la conjonction de nombreux
facteurs : cycles économiques, innovations technologiques, stratégies
d’insertion des États et régions, choix de localisation des firmes
transnationales, libéralisation progressive des échanges, abaissement des
barrières douanières, démantèlement dans un cadre bi ou multilatéral (OCDE,
GATT, OMC) des règlements qui protégeaient les marchés nationaux… Le
commerce mondial est l’objet d’énormes intérêts géoéconomiques qui
expliquent le nombre et la violence des conflits entre États et entre firmes, la
puissance des interventions et pressions politiques directes et indirectes, la
transformation des chefs d’États ou de gouvernement en véritables
représentants de commerce ou les accusations réciproques d’espionnage
industriel, technologique et commercial (cf. États-Unis/Chine). Enfin, si les
barrières tarifaires sont abaissées, celles dites non tarifaires demeurent et
renvoient au maintien des profondes spécificités continentales et nationales
d’ordre juridique, culturel ou socio-économique.

Des échanges polarisés : dynamique d’intégration sélective,


continentalisation et développement
Loin d’être ubiquiste, le système commercial mondial demeure inégal,
hiérarchisé et polarisé. L’Europe est, grâce à l’Union européenne, le premier
pôle commercial mondial devant l’Asie et l’Amérique du Nord face à la
relative marginalisation des autres continents. Seulement quinze États
réalisent 80 % des exportations de marchandises (automobile 94 %,
textile 87 %) et 87 % dans les services. Mais plus de la moitié du commerce
mondial fonctionne sur des bases continentales (tableau 5.4). Les deux pôles
les plus intégrés sont l’Europe (69 % flux intra-européens) et l’Asie (60 %),
largement devant l’Amérique du Nord (38 %), malgré l’ALENA/USMCA,
alors que l’Amérique latine (21,5 %), le Moyen-Orient (16 %), l’Afrique
(14 %) présentent des taux d’intégration très faibles.
Ces dernières décennies, les équilibres mondiaux sont bouleversés par
l’essor foudroyant de la Chine, qui adhère à l’OMC en 2001 et qui est
devenue le premier exportateur mondial devant les États-Unis. Les mutations
du commerce international reflètent l’internationalisation de l’appareil
productif des firmes transnationales, de leurs filiales, sous-traitants et
fournisseurs. Mais les années 2010 se traduisent par un arrêt brutal du long
processus d’ouverture commerciale (tableau 5.5). La crise économique et
financière entraîne un certain phénomène de démondialisation et
l’exacerbation de nouveaux conflits économiques, industriels et commerciaux
entre États, dont le mandat de Donald Trump est un parfait symbole. Alors
que la Chine change de modèle, en montant en gamme et en se recentrant un
peu plus sur son marché intérieur, les États-Unis sont en pleine crise
identitaire.

Tableau 5.4 Flux du commerce mondial de marchandises :


polarisation et continentalisation (milliards $)

Source : OMC, 2017.

Tableau 5.5 L’évolution des taux d’ouverture des continents


et grands pays (% exportations/PIB)

Source : OMC, 2018.


Si l’école économique libérale, de David Ricardo à Eli Heckscher, Bertil
Ohlin et Paul Samuelson, représente le libre-échange comme le nec plus ultra
du développement dans le cadre de la recherche d’un avantage comparatif
présenté comme mutuellement avantageux, l’histoire montre qu’il n’en est
rien. Comme l’illustre l’Union européenne, il n’y a de « concurrence parfaite
et non faussée » que dans les ouvrages théoriques. Au XIXe siècle, les
décollages industriels allemand, russe, états-unien ou japonais s’effectuèrent
à l’abri de droits de douane élevés. Pour les pays pauvres, cette ouverture
systématique met effectivement en contact des structures sociales,
économiques et territoriales aux niveaux de compétitivité très différents et
elle est donc socialement et économiquement très coûteuse. Le bénéfice
éventuel qu’un pays peut retirer de son insertion mondiale repose d’abord et
avant tout sur sa capacité endogène à se doter de solides structures
économiques et technologiques nationales comme en témoigne l’affirmation
dans les années 1970-1980 des « Tigres asiatiques » (Corée du Sud, Taïwan,
Singapour), puis dans les années 2000 de la Chine. Ces « États
développeurs » ont mis en œuvre des stratégies définies aujourd’hui comme
hétérodoxes : protection du marché intérieur permettant l’accumulation,
appuis massifs aux entreprises nationales, subventions à l’exportation,
restriction aux investissements étrangers, non-respect des brevets et de la
propriété intellectuelle…
Les fortes contraintes définies par l’OMC limitent de façon drastique les
marges de manœuvre nationale des États bloquant, voire interdisant, ainsi
toute nouvelle expérience de ce type. Géographiquement, on peut donc
analyser la généralisation du système OMC à l’ensemble de la planète
comme l’interdiction faite à toute nation de rattraper sur des bases équilibrées
et autonomes les États les plus avancés. Ces questions, éminemment
géopolitiques, sont au cœur de la crise actuelle de l’OMC. Enfin les questions
sociales (salaires…), sociétales (travail des enfants, respect du droit du
travail…) et environnementales deviennent aujourd’hui des enjeux majeurs
des enjeux commerciaux.

Les interdépendances : l’impact mondial des cycles états-uniens


et chinois
L’augmentation des échanges construit de nouvelles interdépendances
qu’illustre l’impact des grandes régions motrices sur les périphéries. Ainsi, la
géographie comparée de l’attractivité des deux premières puissances
commerciales mondiales, que sont la Chine et les États-Unis, témoigne de
deux systèmes de dépendance très contrastés. Aux logiques de voisinage se
superposent des logiques à long rayon d’action survalorisant des
spécialisations marquées (mines, énergie, produits manufacturés…) dans le
cadre de réseaux de clientèles géopolitiques et géostratégiques plus ou moins
assumées.

Tableau 5.6 La dépendance des pays aux exportations vers


la Chine et les États-Unis : deux géographies mondiales
différenciées (% total)

Source : OMC, 2018.

Commerce international et spécialisation des territoires


productifs

Les spécialisations continentales et nationales : des structures


fortement contrastées
Battant en brèche le discours unificateur tenu généralement sur la
mondialisation, l’étude des spécialisations géographiques et sectorielles des
territoires – continents, États, régions, aires métropolitaines – témoigne de
structures et de dynamiques contrastées (tableau 5.7). Continuant
globalement de contrôler les savoirs, les technologies et les produits les plus
élaborés à haute valeur ajoutée, les pays développés sont de plus en plus
frontalement concurrencés par l’essor de l’Asie de l’Est et du Sud-Est qui
sont tirées par la Chine. À l’inverse, le Moyen-Orient, l’Amérique latine et
l’Afrique peinent à rompre avec une dépendance multiséculaire liée à la
fourniture de denrées agricoles, énergétiques et minérales pour le marché
mondial. Au plan géoéconomique et géopolitique, ce modèle rentier explique
les fragilités internes, les difficultés structurelles et la dépendance de grands
pays comme la Russie, le Brésil, l’Afrique du Sud, l’Arabie saoudite, l’Iran
ou l’Argentine.
Ces divergences structurelles se retrouvent en Europe. Ainsi, l’Allemagne
mise sur les biens d’équipement à fort contenu technologique, en s’adressant
prioritairement aux marchés concurrentiels des pays développés et émergents.
En face, le Royaume-Uni joue la carte pétrolière, en déclin, et celle des
produits semi-finis et des services intellectuels et financiers au détriment
relatif de son engagement européen (cf. Brexit) au profit de l’Amérique
du Nord surreprésentée et des anciens pays coloniaux.

Tableau 5.7 La spécialisation continentale des exportations


(% total)

Produits Mines, Total Produits


agricoles énergie matières 1res manufacturés

MONDE 11 16 27 73

CEI/Russie 12 64 76 25

Afrique 18 57 75 25

Amérique latine 37 33 70 30

Moyen-Orient 3 64 67 33

Amérique du Nord 12 12 24 76

Europe occidentale 12 9 21 79
Asie 8 8 16 84

Source : OMC, 2018.

Spécialisations régionales et rôle moteur des grandes régions


métropolitaines
La spécialisation géographique des échanges se décline bien sûr aux échelles
intra-nationales, régionales et locales. Dans l’agriculture française, le modèle
breton, le vignoble bordelais ou les systèmes céréaliers ou betteraviers du
Bassin parisien s’adressent à des marchés mondiaux différents ayant leurs
propres logiques. Dans les minerais, la Cooperbelt de Zambie a peu à voir
avec les mines de diamants de Sibérie orientale ou de Diavik dans les
territoires du Nord-Ouest canadien. Au Canada, chaque économie provinciale
se spécialise dans une division du travail de plus en plus intercontinentale, en
valorisant ses atouts prioritairement sur le grand marché voisin états-unien :
céréales des grandes plaines, hydrocarbures du piémont des Rocheuses,
industrie manufacturière (automobile et aéronautique) de l’est,
hydroélectricité du Québec vers la côte Est des États-Unis.
À l’exception des spécialisations minières ou agricoles, les moteurs et les
premiers bénéficiaires de la mondialisation des échanges sont les régions
économiques les plus puissantes. Aux États-Unis, une poignée d’États fédérés
(Californie, Texas, Illinois, New York, Washington, Floride) jouent un rôle
majeur. À une échelle plus fine, sept des quarante-deux principaux districts
douaniers réalisent plus de la moitié des exportations et douze 67 %, dont
Detroit, New York, Los Angeles, Seattle, San Francisco, Laredo et Miami.
En Espagne, la Catalogne et Madrid polarisent la moitié des échanges. Au
Royaume-Uni, Londres et le Grand Bassin londonien effectuent 50 % des
exportations et 65 % des importations. Au Canada, l’Ontario et le Québec
réalisent 68 % des exportations.

Les zones franches commerciales et logistiques


Dans ce contexte, on assiste à la promotion renouvelée des vieilles logiques
historiques de comptoirs commerciaux déjà développées lors des précédentes
phases de la mondialisation (Hong Kong, Singapour). Certains États tentent
de valoriser leurs avantages, en créant par exemple des zones franches
productives, commerciales et logistiques, bien étudiées par François Bost
[BOST, 2010]. On en compte aujourd’hui plus de 5 400, contre 79 en 1975,
dans 150 pays. Elles sont particulièrement nombreuses en Asie de l’Est
(2 645, 49 % total mondial), en Asie du Sud-Est (737, 14 %), en Asie du Sud
(456, 8,5 %) et dans des pays comme la Chine (2 543), les Philippines (528),
l’Inde (373), mais aussi la Russie (130), la République dominicaine (73) ou
les Émirats arabes unis (47). Elles peuvent parfois devenir des nœuds de
connexion (transport de transit, stockage, reconditionnement, adaptation
clients) entre flux mondiaux et flux régionaux.
Panama : la zone libre de Colon (ZLC), valorisation
du canal de Panama
À l’entrée atlantique du canal, par où transitent 5 % du commerce mondial de
marchandises et 14 % du commerce des États-Unis, la ZLC est créée en
1948. Couvrant 1 000 hectares, c’est la deuxième zone au monde après celle
de Hong Kong et la première d’Amérique latine grâce à la présence de
2 600 sociétés. Cette immense zone d’entrepôts importe des marchandises
(textiles, électronique) essentiellement d’Asie (70 %) redistribuées dans toute
l’Amérique latine. Afin de maintenir son rang, elle mise sur l’amélioration de
ses équipements (ports, autoroutes, voies ferrées) et sa maîtrise des circuits
de distribution.

Les organisations commerciales continentales intégrées en crise


La mondialisation des échanges s’est appuyée dans les années 1980-2000 sur
la multiplication d’accords régionaux qui débouchent parfois sur la
constitution progressive d’organisations institutionnelles régionales de plus
en plus intégrées. Si cette thématique a joué un rôle majeur, on doit
aujourd’hui constater la relative fragilité (cf. Afrique), voire l’entrée en crise,
de nombreuses institutions. Créée en 1992, l’ALENA – qui regroupe les
États-Unis, le Canada et le Mexique vole en éclat en 2018 et est remplacée
sous la pression extraordinaire de Washington par l’AEUMC (Accord États-
Unis-Mexique-Canada, ou USMCA). En Amérique latine, le Mercosur, créé
en 1991 et regroupant l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et le
Venezuela, est peu fonctionnel et en difficulté. En Asie, l’ASEAN, fondée en
1967 dans le cadre de la guerre froide, prend depuis une dimension nettement
économique tout en accueillant de nouveaux États (Vietnam, Cambodge,
Laos…), mais demeure paralysée par de fortes divergences internes et sert
plutôt de forum de négociation face à la puissance chinoise en pleine
affirmation.
Dans ce contexte mondial, la CEE puis l’Union européenne sont des
constructions continentales très spécifiques du fait à la fois de leurs degrés
exceptionnels d’intégration et des transferts de souveraineté progressivement
consentis à une structure supranationale. Mais ce volontarisme est
aujourd’hui remis en cause. Les contradictions accumulées entre processus
d’intégration et processus d’élargissement aboutissent de plus en plus à une
« Europe à la carte » (cf. zone euro, espace Schengen…) pas toujours très
cohérente. Les divergences d’intérêts géoéconomiques et de conceptions
géopolitiques entre États sont patentes (crises migratoires, de la dette…).
Alors que des mouvements nationalistes, souvent xénophobes, sont alimentés
par la déception croissante d’une large partie de l’opinion publique, le
Royaume-Uni fait le choix de quitter l’Union européenne en 2018 (crise du
Brexit). Dans ce contexte, les organisations commerciales multilatérales ou
continentales sont de plus en plus concurrencées par deux nouvelles
logiques : la multiplication d’accords bilatéraux d’État à État d’un côté, des
accords méga-régionaux (cf. projets d’accord transatlantique et
transpacifique, mais en échec eux aussi) de l’autre.

Transports et logistique : la mise en réseaux


du monde
Historiquement, chaque grande phase de la mondialisation s’est accompagnée
d’une révolution des transports qui tend à décloisonner les territoires et les
sociétés sur des échelles spatiales de plus en plus larges. Elle accélère la
mobilité géographique des hommes, du capital et des biens matériels et
intellectuels. Elle repose sur une augmentation des capacités, une baisse des
coûts, une accélération de la vitesse et une extension géographique toujours
plus large des réseaux. En trente ans, la valeur des activités mondiales
de transport et télécommunication a ainsi doublé.
Cela est dû à une succession d’interactions entre de profondes ruptures
technologiques liées à l’arrivée d’innovations majeures, des interventions
étatiques décisives du fait du caractère stratégique des nouveaux moyens de
communication et des concurrences sans merci entre entreprises et acteurs. À
chaque phase, les rapports géoéconomiques et géopolitiques aux territoires,
les modes d’organisation géographique des activités et la conception même,
que se fait l’homme du monde et de l’humanité, sont bouleversés.
Paradoxalement, alors que l’essor des transports pose la question de la
finitude de notre monde terrestre et que les possibilités techniques n’ont
jamais été aussi favorables à une complète intégration de l’espace mondial, le
système logistique n’a jamais été aussi inégal comme l’illustre l’étude des
flux d’informations ou des transports maritimes, aériens et énergétiques.

Mobilité, distance et coûts de transport

Connectivité et mondialisation(s)
Depuis l’Antiquité, la constitution de vastes réseaux reliant les pôles les plus
actifs de la planète sur des distances de plus en plus lointaines a été un
vecteur essentiel de l’interdépendance des économies. Le contrôle des nœuds
et des axes, terrestres ou maritimes, a été un objet permanent de conflits
géopolitiques (contrôle des détroits, des cols et des canaux comme Suez ou
Panama). La redistribution des avantages comparatifs a bouleversé le statut
géoéconomique de nombreux systèmes (marginalisation des routes des foires
de Champagne, de la route de la Soie, des caravanes transsahariennes…).
Aux XIXe et XXe siècles, la révolution des transports a permis une augmentation
générale des capacités, une accélération de la vitesse de circulation et un
effondrement des coûts… Il s’est ensuivi un pouvoir d’action des hommes
sur l’espace considérablement accru et un profond bouleversement de la
conception et de la représentation du globe. Ainsi, l’expression de « village
planétaire » date de la fin du XIXe siècle avec l’arrivée des navires à vapeur, du
train et du téléphone.
La maîtrise de la mobilité demeure, cependant, extrêmement sélective car
elle est distribuée de manière très inégale entre catégories sociales, États,
entreprises et territoires : c’est donc un facteur majeur de différenciation
géographique. Elle suppose la mobilisation de moyens considérables car la
création d’une chaîne logistique complète, fournissant le bon produit ou
service, au bon moment et au bon endroit, nécessite des infrastructures
techniques en amont et en aval, un ensemble organisationnel intégré et
efficient, et un maillage dense de l’espace. Cette situation ne se retrouve que
dans un nombre au total assez réduit de pays : le téléachat par Internet n’est
ainsi viable qu’à condition de disposer d’une chaîne assurant les livraisons
(cf. efforts dans marchés métropolitains d’Amazon ou de Google).

Ni abolition du temps, ni abolition de l’espace


Au total, les territoires et sociétés du monde ne vont pas à la même vitesse.
Il n’y a ni abolition du temps, ni abolition de l’espace, mais des capacités
bien différenciées à maîtriser le rapport distance-temps via des degrés
d’interconnectivité très variables. Le concept de distance demeure en effet
relatif car la Terre ne rétrécit pas. Il suffit d’un accident technique (rupture
d’un câble sous-marin), climatique (fermeture d’un col, d’une autoroute) ou
d’une situation conflictuelle (fermeture du canal de Suez de 1967 à 1975,
piraterie maritime, attentats…) pour prendre conscience de la fragilité des
réseaux. À cela s’ajoute que si les technologies se diffusent
géographiquement des pôles émetteurs vers les périphéries, les innovations
permanentes et l’émergence constantes de besoins nouveaux font que les
systèmes hiérarchiques demeurent très marqués. Enfin, la mobilité est aussi
une activité et un marché qui est l’objet d’une véritable guerre économique et
technologique dans un cadre de plus en plus dérégulé. Aujourd’hui, dans les
échanges mondiaux de services, les transports représentent 853 milliards de
dollars, les recettes au titre des voyages 1 200 et les télécommunications 113.

Transports : un dispositif mondial sélectif, hiérarchisé et polarisé


La logistique devient un facteur essentiel d’intégration ou de marginalisation
à toutes les échelles scalaires car il n’y a pas d’échanges possibles et de
développement sans transport(s). Ces critères géographiquement sélectifs
participent aux profonds déséquilibres géoéconomiques et géopolitiques de la
planète. En 2017, dix États polarisent 67 % des services de transports
mondiaux et vingt États 81 %. On retrouve des pôles logistiques spécialisés
dans la redistribution régionale (Singapour, Hong Kong,
Émirats arabes unis), les pays développés et quelques émergents (Corée du
Sud, Chine). À l’opposé, la marginalisation de certains pays des Suds est due
non seulement à la faiblesse de leurs bases productives mais tout autant aux
difficultés à accéder à des services de transports efficients et peu chers, le
coût excessif des transports étant directement préjudiciable aux activités
sociales et économiques. Ainsi, dans les pays les moins avancés (PMA) sans
littoral, le coût du fret peut représenter jusqu’à 40 % de la valeur des
importations contre 6 % en moyenne mondiale.

Les transports maritimes, au miroir de la mondialisation

Explosion des flux et des volumes et grands aménagements des ports


et des canaux
Du fait de ses nombreux atouts (grandes capacités à longues distances,
économie en énergie, souplesse), le trafic maritime mondial explose : en
trente ans, ses volumes doublent et les capacités de la flotte sont multipliées
par trois. Il réalise 80 % du commerce mondial en volume et 70 % en valeur.
Au plan géoéconomique et géopolitique, le point essentiel tient ces dernières
décennies à l’essor phénoménal de l’Asie et en particulier à l’émergence de la
Chine comme première puissance maritime mondiale. Alors que les coûts du
fret maritime mondial représentent 5 % de la valeur totale des importations,
cette activité cotée à la Bourse de Londres est étroitement dépendante des
cycles économiques. La flotte mondiale se monte à 94 000 navires de tous
types. On assiste ces dernières décennies au recul relatif des transports
pondéreux de matières premières (pétroliers, vraquiers) au profit des produits
manufacturés (navires généraux, porte-conteneurs) et à la révolution de la
conteneurisation.

Tableau 5.8 Évolution du trafic maritime mondial (millions


de tonnes)

Diff.
1980 1990 2000 2016 Diff. en %
1980/2016

TOTAL 3 806 4 242 6 582 12 007 + 8 201 + 215 %

Produits
1 871 1 755 2 163 3 055 + 1 184 + 63 %
pétroliers

Vracs 1 935 2 487 4 419 8 952 + 7 017 + 363 %


Conteneurs 102 234 598 1 720 + 1 618 + 1 586 %

Source : CNUCED, 2018.

La modernisation de la flotte (montée de la taille et du tirant d’eau des


porte-conteneurs, minéraliers, méthaniers, paquebots…) contraint les ports et
les grands canaux à d’importants travaux d’aménagement. En quarante ans, la
taille maximale des porte-conteneurs est multipliée par sept. Seuls quelques
méga-ports peuvent aujourd’hui accueillir des mega-ships de 400 000 tonnes
de port en lourd. Cette activité alimente en amont et en aval un important
système industriel : alors que la Chine, la Corée du Sud et le Japon réalisent
92 % de la construction navale mondiale, le Bangladesh, l’Inde, le Pakistan et
la Chine se sont spécialisés dans les chantiers de démolition des navires
(94 %), dans des conditions techniques et sanitaires redoutables pour les
salariés qui y travaillent. Enfin, au niveau de la gouvernance mondiale, cette
activité est gérée par l’Organisation maritime internationale (OMI), une
agence de l’ONU basée à Londres.
La modernisation des grands
canaux transocéaniques : Suez et Panama
Ouverts respectivement en 1869 et 1914, les canaux de Suez (193 km) et de
Panama (77 km) raccourcissent très sensiblement les itinéraires maritimes,
en évitant le contournement de l’Afrique et de l’Amérique du Sud. Ainsi, le
trajet New York/San Francisco passe de 22 500 à 9 500 km (– 60 %). Ils
jouent donc un rôle géostratégique majeur dans l’économie maritime
mondiale. Pour faire face à l’explosion du trafic d’un côté et à l’augmentation
du tonnage des navires (cf. porte-conteneurs de 400 mètres de long,
59 mètres de large, capacité de 22 000 boîtes) qui menace d’obsolescence
leurs infrastructures (cf. norme Panamax) de l’autre, leurs autorités
respectives engagent dans les années 2000-2010 de vastes travaux. Entre
2007 et 2016, les travaux d’élargissement et de modernisation du canal de
Panama coûtent 9 milliards de dollars mais triplent la taille des écluses : le
pourcentage de bateaux pouvant l’emprunter remonte de 45 % à 80 %. En
août 2015, l’Égypte lance un vaste programme de 8 milliards d’euros de
modernisation dans la partie centrale du canal de Suez afin de fluidifier le
transit, en réduisant la durée des traversées qui tombent de 18 à 11 heures :
le canal historique est élargi, approfondi et doublé par un nouveau canal de
37 km. Ces dernières années, deux autres projets de canaux ont été avancés
au Nicaragua et en Thaïlande, mais ils se heurtent à des problèmes de
fiabilité et de financement.

La gangrène des pavillons de complaisance : souveraineté à vendre


La dérégulation, qui affecte l’ensemble des secteurs économiques, prend ici
une ampleur inédite. Jusqu’en 1970, les grandes nations maritimes
traditionnelles assuraient la construction des navires et leur exploitation sous
leur propre pavillon garantissant ainsi une bonne sécurité technique et des
salaires décents. Puis, l’externalisation massive des flottes répondit à trois
objectifs : financier et social en baissant les coûts généraux d’exploitation, et
juridique en échappant à toute sanction grâce à un système opaque de
sociétés localisées dans des paradis fiscaux. Pour un armateur non-résident,
ce triple dumping baisse les coûts de 50 à 75 %. Aujourd’hui, plus de 70 %
de la flotte mondiale bat un autre pavillon que celui du pays propriétaire.
Paradoxalement, si la réglementation internationale édictée par
l’Organisation maritime internationale (OMI) est plus exigeante, elle est
difficilement mise en pratique par une majorité d’États, faute de moyens ou
de volonté politique claire contrairement au transport aérien.
Cette externalisation s’appuie sur les pavillons de complaisance (Open
Registry Flags) dont les dix principaux (Panama, Liberia, îles Marshall,
Malte, Bahamas, Grèce, Chypre, Bermudes, Antigua, Caïmans) passent de
9 % à 59 % des tonnages de la flotte mondiale entre 1955 et 2017. Une
quinzaine de micro-États représentant 0,4 % de la population mondiale
marchandent ainsi leur souveraineté sur le marché maritime international, en
enregistrant les flottes tout en ne disposant pas des moyens de gestion et de
contrôle adéquats. Ils en tirent une manne considérable. Symbole de cette
pure fiction juridique, la flotte du Liberia, gérée par une société de Virginie et
un accord entre Monrovia et Washington, prévoit qu’en cas de crise tous les
navires libériens appartenant à des intérêts américains peuvent être
immédiatement rapatriés sous pavillon des États-Unis.
Cet espace de non-droit ne peut se développer qu’avec la complicité des
États et des entreprises des grands pays développés. Au lieu de mener une
vigoureuse contre-offensive sur la base du droit face à une telle concurrence,
ils se lancent eux-mêmes dans la création de pavillons bis qui permettent
d’engager des marins au contrat et de composer les équipages avec une
nombreuse main-d’œuvre étrangère, souvent sous-payée et parfois peu
qualifiée. La Chine, les Philippines, l’Indonésie, la Russie et l’Ukraine
fournissent la très grande majorité du 1,6 million de marins.
Mais le prix à payer de ces dérives en termes de sécurité environnementale
en devient si insupportable (cf. pollutions pétrolières du Torrey Canyon en
1967, de l’Erika en 2000…) que, sous la pression des opinions publiques, un
certain nombre de mesures restrictives furent prises par les États
(renforcement des pouvoirs des États côtiers et des États du port, conventions
FIPOL, Fonds international d’Indemnisation pour les dommages dus à la
Pollution par les hydrocarbures en 1992, OPRC, Convention on Oil Pollution
Preparedness, Response and Cooperation en 1990…), permettant ainsi de
réduire fortement les marées noires (cf. pétroliers double coque). Celles-ci
tombent de 245 par an dans les années 1970 à 12 par an dans les années 2010.
Le Japon et les États-Unis ont ainsi instauré des lois extrêmement
contraignantes envers les navires séjournant dans leurs eaux territoriales et en
réservant le cabotage à leurs flottes nationales. Au-delà d’une nécessaire
régulation à l’échelle internationale du transport maritime, la question posée
est bien de payer le prix du transport à sa juste valeur et de rompre aussi avec
les conditions de travail et de sécurité parfois bien médiocres que connaissent
les marins embarqués, en liant sécurité et progrès technique et social.

Conteneurisation, grandes alliances et lignes régulières mondiales


Cependant, les pavillons de complaisance ne sont qu’une des facettes de la
structure duale des flottes et du trafic maritime. En effet, l’explosion des
échanges de biens manufacturés à moyenne et haute valeur ajoutée se traduit
par l’essor du transport de conteneurs. Fer de lance de la mondialisation de la
chaîne de valeur, il assure sécurité, fiabilité, vitesse et intermodalité. À la
suite de nombreuses fusions, ce segment dynamique voit émerger des
armateurs de plus en plus puissants, économiquement et techniquement
concentrés : les dix premiers global carriers contrôlent 82 % de la flotte.
Comme dans le transport aérien, trois grandes alliances internationales entre
opérateurs complètent le dispositif : Ocean Alliance (CMA CGM, Cosco,
Evergreen, OOCL…), 2M (Maersk Line, MSC, HMM) et The Alliance
(ONE, Hapag-Llyod, Yang Ming). Elles permettent de réduire les coûts, en
partageant les navires et les capacités logistiques desservant les grandes
routes maritimes régulières et les grands hubs portuaires de chaque grande
façade maritime.
Tableau 5.9 Les principaux armateurs de lignes régulières
en 2018 (capacités en milliers d’EVP)

Capacités
Rang Entreprise Pays Navires % mondial
1 000 EVP

Maersk
1 Danemark 741 3 986 19
Line

2 MSC Suisse 482 3 068 15

3 CMA CGM France 441 2 467 12

4 Cosco Chine 297 1 767 9

5 ONE Japon 239 1 492 7

Hapag-
6 Allemagne 209 1 476 7
Lloyd

7 Evergreen Taïwan 195 1 058 5

Hong
8 OOCL 98 668 3
Kong

9 Yang Ming Taïwan 101 592 3

10 PIL Singapour 127 376 2

Ce phénomène de concentration est directement dicté en amont par les


exigences des grands clients et par le coût des investissements à rentabiliser
en cherchant des économies d’échelles. En effet, les grands comptes (global
accounts) que sont les sociétés transnationales (Nike, Coca-Cola,
Carrefour…) sélectionnent les transporteurs selon leurs capacités logistiques
à desservir l’ensemble de leur appareil productif et commercial mondial afin
d’en maîtriser la complexité. Les armateurs tissent donc de véritables réseaux
maritimes constitués d’axes et de ports privilégiés : ainsi, grâce à Ocean
Alliance, le Français CMA CGM, basé à Marseille et qui a racheté le
Singapourien NOL en 2016, dispose d’un réseau de quarante services
hebdomadaires sur toutes les mers du monde. Afin de compléter son offre à
terre, il prend 25 % du capital du suisse CEVA, numéro 5 mondial de la
logistique (56 000 salariés dans 160 pays, sur 750 sites avec 9 millions m2
d’entrepôts). Comme le soulignent les travaux de César Ducret et de l’Isemar,
on assiste globalement ces dernières décennies à la polarisation croissante des
flux sur les lignes maritimes qui sont déjà les plus fréquentées et sur les hubs
portuaires les plus puissants.
À l’échelle mondiale, la flotte dessert un réseau de lignes régulières dont le
cœur du marché est constitué par les principales routes est/ouest
transcontinentales qui relient les grands pôles mondiaux (Europe-Asie, Asie-
États-Unis, États-Unis-Europe), puis par des niches secondaires rentables
(Méditerranée-Asie…).
Aux échelles continentales, la logique de gain de temps par rapides
rotations de la flotte sur des lignes régulières a des conséquences
géographiques considérables, en sélectionnant pour chaque grande façade
maritime seulement deux ou trois pôles, les Main Ports (Singapour,
Hong Kong, Kaohsiung, Rotterdam, Pusan, Hambourg, Long Beach…). Afin
d’alimenter ces énormes complexes et remplir des navires de plus en plus
volumineux, un système de cabotage (feedering) utilise des navires plus petits
et plus maniables (Feeders) afin de rabattre ou redistribuer les flux
secondaires. Par exemple, des ports comme Rouen, Nantes et Le Havre sont
reliés à Rotterdam alors que Singapour déploie un exceptionnel réseau
drainant tout l’est de l’Inde, la péninsule Indochinoise et les Philippines.
Aux échelles nationales et locales, le tout débouche sur la création de
quelques très vastes complexes portuaires intégrés de taille considérable.
Mais la concurrence entre eux est rude. En Asie, l’avance technologique
acquise par Hong Kong, Dubaï et Singapour leur assure un monopole de fait
comme hubs régionaux puisque Hong Kong réexpédie par voie maritime
30 % de la marchandise qui lui arrive par la mer et Singapour (70 %). Mais
ils sont parfois menacés par l’émergence de nouveaux ports. Ainsi, Singapour
doit faire face aux tentatives de la Malaisie et de l’Indonésie de récupérer
leurs trafics.

Un système portuaire mondial très hiérarchisé organisé par de grands


opérateurs
La mondialisation débouche sur un système hiérarchisé et sélectif. Sur les
100 premiers ports mondiaux, seulement 20 ports réalisent 52 % du trafic
mondial et 33 ports 66 %. L’Asie de l’Est polarise à elle seule 48 % du trafic
mondial, devant l’Europe (14,5 %) et l’Amérique du Nord (10 %). Dans les
conteneurs, seulement dix ports réalisent un tiers de l’activité mondiale et
quarante ports 60 %. À elle seule, la Chine en réalise 40 % (Shanghai,
Shenzhen, Qingdao, Ningbo…), devant Singapour, Busan, Dubaï, Rotterdam
et Anvers.
Dans ce contexte émergent de puissants acteurs : les grands opérateurs
portuaires mondiaux comme Hutchison (Hong Kong), APM Terminals
(Danemark), PSA International (Singapour), DP World (Émirats arabes unis)
ou China Merchants Port (Chine). Ils doivent à la fois répondre à la politique
de concentration de leurs clients et transporteurs, faire face à l’exacerbation
de la concurrence entre eux (efficience, coûts, délais) et chercher à partager
des investissements financiers de plus en plus lourds dans les nouveaux
terminaux. Aujourd’hui, un navire reste à quai au port en moyenne 33 heures
et un porte-conteneurs seulement 20 heures. La mondialisation se caractérise
par l’émergence de nouveaux acteurs comme DP World, dont le siège est
dans la Jebel Ali Free Zone de Dubaï. Présent dans les ports avec
78 terminaux qui reçoivent 70 000 porte-conteneurs par an, les services
maritimes et la fourniture et gestion de zones logistiques et économiques, DP
World emploie 40 000 salariés dans 42 États.
L’efficience de systèmes terrestres complexes devient centrale car la
concurrence tend à se déplacer à terre du fait du caractère de plus en plus
sélectif de l’efficience de la chaîne logistique : qualité de l’appareil portuaire
(chargement, stockage, manutention), densité des liaisons avec l’hinterland
(fret et distribution, plates-formes multimodales vers le chemin de fer,
les voies navigables ou la route) et diversité des services complémentaires
(assurance, douane, gestion…).
À Rotterdam, la valeur ajoutée directe et indirecte générée par le port
représente 8 % du PIB néerlandais et 315 000 emplois avec les complexes
industriels connexes. Aux échelles locales, la polarisation des dynamiques
maritimes mondiales sur un nombre restreint de systèmes industrialo-
portuaires métropolitains s’y traduit par des transformations considérables. Si
historiquement Rotterdam glisse progressivement de l’amont vers l’aval en
étant guidée par les fortes contraintes de son étroit site d’estuaire, la
saturation est telle qu’une partie de ses opérateurs doit transférer leurs
activités dans les ports connexes de Belgique ou de France, à Dunkerque.
Les mutations portuaires de Singapour
Singapour est à l’origine un comptoir de la Compagnie anglaise des Indes
orientales installées en 1819 sur une île de 966 km2 sur le détroit de
Malacca, à l’extrémité méridionale de la péninsule Malaise. Au fur et à
mesure du développement de ses fonctions internationales, elle doit
aménager à partir de Keppel son noyau historique, un espace industrialo-
portuaire, en le spécialisant par fonction : Pasir Panjang (péniches,
caboteurs), Tanjong Pagar (port ultramoderne pour conteneurs), Sembawang
(étain, caoutchouc) et Jurong (port pétrolier). Ce dispositif est complété par
de vastes terminaux pétroliers sur les îles du Sud (Shell à Bukum, PSA et
Esso à Ayer Chawan et Merlimau). Mais comme à Rotterdam, les fortes
contraintes de sites et les déséconomies d’agglomération engendrées par
une telle concentration poussent à une sélectivité plus grande des fonctions
portuaires et à certains transferts fonctionnels vers les pays voisins. Dans le
même temps, les pays voisins se dotent de leurs propres appareils portuaires
concurrents (cf. départ de Maersk pour Tanjung, Malaisie).
En parallèle, le grand gestionnaire portuaire singapourien PSA International
est présent dans 18 pays (Chine, Japon, Corée du Sud, Thaïlande, Vietnam,
Inde, Arabie saoudite, Belgique, Italie, Turquie, Panama…) où il dispose de
31 terminaux dans les principaux ports (Anvers, Chennai, Dalian, Tianjin,
Incheon…). Il réalise 70 % de son activité en Asie et cherche à se diversifier
en Europe et en Amérique latine.

Figure 5.2 Singapour : mutations urbaines et portuaires

Source : Images économiques du Monde 2015, Paris, Armand Colin, 2014.


Mais à l’accumulation de techniques, technologies et capitaux dans les plus
grands ports mondiaux s’oppose encore le large sous-équipement d’une partie
des Suds, y compris de pays émergents comme l’Inde ou le Brésil, malgré de
réels efforts (cf. Tanger Med au Maroc sur le détroit de Gibraltar, golfe de
Guinée…). Celui-ci est d’autant plus dramatique que le trafic maritime joue
un rôle majeur de par la nature et l’orientation de leurs échanges : exportation
de matières premières et biens semi-finis et importation de biens
d’équipement et de produits alimentaires. En Inde, alors que 95 % des
échanges internationaux passent par la voie maritime, les 6 000 km de côtes
sont équipés de seulement douze Main Ports qui polarisent 90 % du trafic. À
cela s’ajoute l’inertie des héritages coloniaux avec le rôle essentiel des axes
ferroviaires et routiers drainant l’hinterland dans l’organisation des États et
des régions. En Afrique de l’Est, le transit pour les marchés captifs des pays
enclavés (Ouganda, Rwanda, Burundi, République démocratique du Congo)
représente un tiers de l’activité du port de Mombassa, au Mozambique, créé
en 1896, alors que l’importation représente 70 % de son activité totale (1/3 en
hydrocarbures).
Face à leurs énormes besoins, les systèmes logistiques cumulent des
difficultés techniques, sociales, organisationnelles et financières. L’impact de
ces carences est immédiat. Le temps d’attente au mouillage pour un porte-
conteneurs est de 4 heures à Singapour contre 27 au minimum en Inde et 60 à
Mombassa. Alors que les Main Ports indiens mobilisent 100 000 salariés,
Singapour fonctionne avec 6 700 salariés, soit un rapport de 1 à 16. Enfin, le
coût d’une escale (pilotage, remorquage, amarrage à quai…) est huit fois plus
cher dans l’ancien Zaïre que dans un port européen. On comprend dans ce
contexte l’impact considérable des centaines de milliards de dollars mobilisés
par la Chine dans le cadre de ses Nouvelles Routes de la soie.

Le transport aérien : le dualisme des pôles et réseaux

Espace aérien et souveraineté, explosion des flux


Réservé jusque dans les années 1960 à une petite élite, le transport aérien se
démocratise et devient un transport de masse grâce à la baisse des prix. En
vingt-cinq ans, le nombre de passagers est multiplié par quatre pour atteindre
4,1 milliards en 2018. Depuis 1986, le trafic double tous les quinze ans. En
dix ans, les revenus du secteur passent de 510 à 750 milliards de dollars
(+ 47 %). Ces vingt prochaines années, la flotte mondiale d’avions doit
doubler en passant de 18 900 à 40 200, tout comme le nombre de passagers
(8,2 milliards en 2037). Ce processus s’accompagne d’un bouleversement des
hiérarchies mondiales puisque dès l’année 2025 la Chine sera le premier
marché mondial, devant les États-Unis, l’Inde et l’Indonésie, puis les pays
européens. Dans l’industrie aéronautique, le traditionnel duel entre Boeing et
Airbus va être bousculé par l’arrivée de nouveaux concurrents, en particulier
chinois. Mais cette activité dépend aussi étroitement de la conjoncture
économique et géopolitique, des cycles de sur- et sous-investissements des
compagnies et du prix des carburants.
Espace aérien et transport aérien, des enjeux
géopolitiques et géoéconomiques
De par sa nature, le transport aérien se déploie dans l’espace aérien. Celui-ci
connaît de fortes contraintes géopolitiques, militaires et administratives. Ce
mode de transport est donc une des activités logistiques les plus contrôlées
par les États et l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), une
agence spécialisée de l’ONU. Alors que chaque aéronef emporte un système
d’identification radar (transpondeur), l’espace aérien n’est en rien un espace
homogène : il est découpé en différentes zones (interdites, réglementées,
dangereuses) et en différentes classes selon l’altitude. Dans l’espace aérien
dit contrôlé (classes A à E), qui couvre en particulier les portions de l’espace
terrestre et leurs approches maritimes, s’appliquent des contraintes
différenciées afin d’assurer la sécurité des vols. Ainsi, en France, l’espace
aérien connaît deux types de division : par tranches altitudinales, de 0 à
3 400 mètres, de 3 400 à 5 800 mètres (« espace aérien inférieur »), de
5 800 à 20 000 mètres (« espace aérien supérieur ») et par cinq régions
d’information de vol gérant des surfaces plus ou moins grandes (sept régions
au Canada). Mais dans sa majorité, du fait de l’importance des océans, la
Terre est couverte soit par un « espace aérien non contrôlé » (classe F), soit
par l’absence d’espace aérien, c’est-à-dire un espace dans lequel aucune
souveraineté étatique n’est présente. L’espace aérien mondial est aussi
structuré par des voies ou couloirs aériens, qui sont des zones réservées à la
circulation des avions civils (en France, elles font 18 km de large). À l’échelle
mondiale, un avion suit une route aérienne qui est un itinéraire prédéfini par
un plan de vol déposé à l’avance reliant deux aéroports.
L’espace aérien mondial connaît donc un système spécifique de projection et
de déploiement de la souveraineté étatique, comme en témoigne la fermeture
de l’espace aérien des États-Unis lors des attentats du 11 septembre 2001.
En cas de conflits ou de tensions géopolitiques (Afghanistan, Irak et Syrie,
Libye, Ukraine…), les États ou l’OACI peuvent décréter ou conseiller des
zones d’exclusion aérienne (No Fly Zone). De même, chaque État perçoit
pour le survol de son espace aérien des redevances de navigation aérienne.
Du fait de sa position nodale entre l’Europe et l’Asie, la Russie utilise souvent
la menace d’une interdiction de survol de son territoire par les compagnies
européennes soit pour augmenter ses droits de trafic (compagnie Swiss
interdite en 2010), soit pour peser sur des décisions géoéconomiques (taxe
carbone en 2012) ou géopolitiques (conflit ukrainien en 2014). Mais la
menace a un coût puisque le survol de la Sibérie rapporte chaque année
environ 300 millions de dollars. Enfin, l’ouverture de lignes commerciales par
des compagnies aériennes (droit de trafic) est soumise à une autorisation
préalable des autorités nationales. Elle est souvent l’objet de tractations
politiques entre États (autorisation du nombre de vols, compagnies, aéroports
desservis, horaires…) du fait des rivalités commerciales entre grandes
compagnies aériennes.

Initiée aux États-Unis en octobre 1978, la libéralisation du secteur, dont ils


sont le fer de lance, favorise la concurrence mais affecte tant la rentabilité des
entreprises que leurs situations financières sont souvent fragiles. À l’échelle
mondiale, le partage des axes les plus rentables est l’objet de conflits
géoéconomiques, en particulier sous la pression de Washington qui tente de
multiplier les accords de ciel ouvert (OpenSkies) au profit de ses propres
compagnies.

Concurrences et réseaux d’alliances


Le secteur aérien représente d’énormes enjeux économiques, technologiques
et financiers dont témoigne l’âpreté des conflits entre les différents États,
industriels (Boeing/Airbus) et compagnies aériennes. Ces dernières
décennies, la structure du transport aérien (750 milliards de dollars) jusqu’ici
largement dominée par les grandes compagnies occidentales a été
bouleversée par l’émergence des Suds, en particulier les compagnies
asiatiques et du golfe Persique (Emirates, Etihad Airways, Qatar Airways…)
très largement soutenues par leurs États respectifs mais aussi par des petits
poucets comme Ethiopian Airlines qui est devenue la compagnie africaine la
plus puissante à partir de son hub d’Addis-Abeba, en reprenant de multiples
petites compagnies (Togo, Malawi, Guinée, Tchad, Zambie, Mozambique,
Guinée équatoriale). Dans un cadre très concurrentiel, les compagnies
aériennes se sont organisées en trois grandes « alliances » internationales
(Star Alliance, OneWorld et SkyTeam). Elles permettent de desservir l’espace
mondial, tout en multipliant les possibilités de correspondances à partir des
grands hubs (cf. Roissy pour Air France). Enfin, on assiste à l’essor du
marché low cost qui représente un tiers du trafic aérien mondial.

Tableau 5.10 Les trois grandes alliances du transport aérien

Star Alliance OneWorld SkyTeam

Création 1997 1999 2000

Compagnies 28 13 20

Flotte 4 700 3 553 4 467

Vols/jour 18 800 14 011 16 609

Millions
725 527,9 730
passagers

Pays desservis 193 158 177

Aéroports
1 317 1 012 1 074
desservis

United Airlines,
American Airlines, Continental Airlines,
Lufthansa,
British Airways, Air France,
Singapour Airlines,
Principales Cathay Pacific, Delta Airlines,
Air Canada,
compagnies Japan Airlines, China Airlines,
Air China,
Iberia, Qantas, Alitalia, Aeroflot,
Air India,
Qatar Airways Korean Air, Saudia
All Nippon Airways

Source : firme.

Une structure d’échanges polarisée par les grands hubs


métropolitains mondiaux
Cependant, la dynamique du secteur est géographiquement hypersélective.
Sur 60 000 routes aériennes, la grande majorité sont de simples lignes alors
que d’autres sont de véritables autoroutes des airs. À l’échelle nationale,
seulement dix États polarisent 62 % des flux mondiaux et vingt États 82 %
des flux. À l’échelle continentale, l’Asie-Pacifique polarise 30 % du trafic
mondial, devant l’Europe (26 %), l’Amérique du Nord (22 %) et le Proche-
Orient (10 %), face à la marginalisation de l’Amérique latine (5 %), de la
Russie/CEI (4 %) et de l’Afrique (3 %) qui se caractérisent par l’inexistence
d’une structure d’échanges cohérente et solidaire.
Enfin, à l’échelle locale, on retrouve l’affirmation exceptionnelle des
grands hubs métropolitains mondiaux dans l’organisation des flux
planétaires. Sur un parc de 3 200 aéroports, les vingt premiers polarisent
50 % du trafic passager mondial. Dans le fret, les cinq premiers captent un
tiers des flux et les quinze premiers 70 %. Inventée à la fin des années 1960
par FedEx pour optimiser le transport de colis, cette innovation se diffuse au
transport de passagers aux États-Unis dans les années 1980, puis en Europe et
en Asie du Sud-Est dans les années 1990, et enfin au Moyen-Orient au cours
des années 2000. Les compagnies passent d’un réseau maillé offrant de
nombreux vols directs secondaires à des réseaux en étoile centrés sur des
hubs, ou pôles de redistribution, sur lesquels convergent toutes leurs liaisons
(Atlanta, Tokyo, Los Angeles, Chicago, Londres, Paris, Amsterdam, Dallas,
Denver, Dubaï, Istanbul, Singapour, Pékin, Delhi…). Chaque grand hub et
chaque compagnie sont toujours très soutenus politiquement par leurs États
respectifs (cf. Turkish Airlines et nouvel aéroport Atatürk d’Istanbul de
10 milliards d’euros ouvert en 2018, Roissy, ADP et Air France…).
L’organisation locale des plates-formes aéroportuaires en sort remodelée
par une course au gigantisme des infrastructures au sol (pistes, aérogares…)
et des liaisons avec les centres des métropoles, qui pose cependant de plus
en plus de problèmes logistiques et environnementaux.
Dubaï International Airport : un leader mondial
du trafic passager
Avec 88,2 millions de passagers en 2017, l’aéroport de Dubaï International
(DXB) est l’un des premiers mondiaux servant de nœud d’interconnexion
entre l’Europe (Royaume-Uni…), le Moyen-Orient (Arabie saoudite) et l’Asie-
Pacifique (Inde, Chine…). Il sert en particulier de hub à la compagnie
Emirates Airlines qui dessert 156 destinations. Un plan de 32 milliards de
dollars d’investissements doit permettre d’augmenter les capacités des deux
aéroports (Dubaï et Al Maktoum ouvert en 2010), gérés par Dubaï Airport, à
240 millions de passagers en 2025. L’investissement dans le secteur aérien
(30 % du PIB) est l’un des piliers de la diversification économique avec le
commerce et le tourisme face à l’épuisement des ressources pétrolières.
Dans le Golfe, cette logique est aussi suivie par Abou Dhabi (compagnie
Etihad Airways) et le Qatar (Qatar Airways). Cette dernière firme prend des
participations dans les compagnies Cathay Pacific (Hong Kong),
British Airways-Iberia (IAG), Latam Airlines (Amérique latine) et Meridiana
(Italie).

La stratégie des transporteurs express de fret : l’Américain FedEx


Symbolisé dans l’entre-deux-guerres par l’Aéropostale, le transport de fret
aérien a connu un formidable développement grâce aux appareils mixtes ou
milliers d’avions-cargos en activité. Ces vingt dernières années, la
généralisation de la production en juste-à-temps, l’externalisation des
fonctions logistiques, l’internationalisation des firmes et le caractère
stratégique des délais d’acheminement expliquent un recours croissant aux
firmes de messagerie. Grâce à l’importance de leur marché domestique et à
leur avance historique, les grands intégrateurs d’origine américaine
(UPS/United Parcel Service, FedEx/Federal Express, DHL) se sont imposés,
en assurant une prestation complète. La clé de leur réussite repose sur leur
capacité à articuler un puissant système de ramassage/distribution terrestre
(entrepôts automatisés, flottes de véhicules) à un réseau de liaisons aériennes
transcontinentales (flottes de centaines d’appareils) géré par de puissants
systèmes informatiques.
Basé à Memphis, FedEx a percé dans les messageries express aériennes, en
jouant, le premier, la carte de l’acheminement nocturne (overnight)
plus rentable et plus sûr. À partir de la couverture prioritaire des zones les
plus dynamiques et les plus peuplées car les plus rentables, contrairement aux
logiques postales publiques, cette entreprise dispose de son réseau aérien
international. Il est articulé autour de hubs de fret d’échelle mondiale, qui
traitent et réexpédient les colis par grands continents, eux-mêmes en liaison
avec des centaines d’aéroports secondaires. FedEx dispose ainsi de Memphis
(Tennessee) pour l’Amérique, Canton pour la Chine, de Dubaï
(Émirats arabes unis) pour le Moyen-Orient et de Roissy, Cologne et Liège
pour l’Europe. Afin d’élargir son maillage territorial, elle prend le contrôle de
groupes de messagerie routière aux États-Unis, au Canada, au Pays-Bas, au
Royaume-Uni, en France, en Pologne, en Hongrie, en Inde, au Mexique, au
Brésil ou en Afrique du Sud. En 2003, elle profite de l’ouverture du marché
européen à la concurrence pour signer un accord avec Chronospost
International, filiale de la Poste française. Cependant, certains segments
d’activités pourraient à moyen terme être concurrencés par de nouveaux
acteurs comme Amazon grâce à sa puissance dans l’e-commerce.

Tableau 5.11 Les trois grands mondiaux de la messagerie


express

Flotte Flotte États


Firme Siège Salariés d’avions de véhicules desservis Grands hubs

Memphis,
Canton,
Shanghai,
FedEx Memphis 400 000 650 150 000 220 Dubaï,
Roissy,
Cologne,
Liège

Leipzig,
Cincinnati,
DHL Bonn 360 000 250 97 165 220
Singapour,
Hong Kong

Louisville
(Kentucky),
Chicago,
UPS Atlanta 444 000 245 119 000 200
Philadelphie,
Cologne,
Hong Kong

Source : firmes.

Flux d’informations, médias et Internet : entre économies


et cultures

Nouvelles technologies, mondialisation, pouvoirs et dépendances


La production (collecte, tri et traitement), la circulation (stockage et
diffusion), le contrôle et la vente d’informations (textes, données, sons,
vidéos) sont un enjeu essentiel des rapports géopolitiques, géoéconomiques et
culturels mondiaux. À l’échelle historique, depuis la pose en 1851 d’un câble
reliant la City londonienne aux places financières d’Europe continentale, une
des principales ruptures dans la circulation des informations et la connectivité
des territoires est apportée par les télécommunications (satellites, câbles
terrestres et sous-marins à très haut débit). Ces équipements permettent
d’établir un contact quasi instantané sur l’ensemble du globe. Souvent
développés pour des raisons géostratégiques et militaires (télégraphie, Web
et Internet…), les réseaux se sont progressivement perfectionnés (débit,
fiabilité…), « civilisés » et démocratisés.
On assiste ces dernières années à une augmentation exponentielle des flux
de trafic. Ainsi, le trafic mondial d’Internet est multiplié par vingt en
seulement cinq ans et doit tripler dans les cinq ans à venir. Cela répond aux
mutations technologiques (smartphones, 4G/5G et Internet mobile, vidéos,
réalité augmentée) qui permettent un usage social de plus en plus large : la
Terre compte 5,5 milliards de téléphones mobiles et 3,6 milliards d’usagers
d’Internet (48 % de la population mondiale en 2018). Dans ce contexte, ces
profondes mutations accélèrent la mondialisation des acteurs économiques et
financiers qui disposent d’outils de gestion et de pilotage de plus en plus
puissants. Celle-ci participe aussi de l’affirmation de nouvelles logiques
sociales et culturelles (cf. réseaux sociaux) dont s’emparent des associations
et particuliers, y compris pour peser sur les grands débats politiques,
géopolitiques, économiques et sociaux.
Enfin, on assiste ces derniers temps à la multiplication d’opérations de
cybercriminalité de grande ampleur (détournement de fonds…) ou d’attaques
cyberterroristes (attaques virales et chantages…), qui mobilisent parfois des
services secrets (Israël/Iran, Corée du Nord, Russie…). Le système mondial
de transfert financier SWIFT – qui est le centre nerveux du fonctionnement
de la planète financière, en interconnectant plus de 11 000 banques dans plus
de 200 États avec 25 millions d’ordres de transferts de fonds par jour portant
sur des milliards de dollars – a été victime de cyberattaques en 2017.

Tableau 5.12 Évolution du trafic Internet mondial


(pétabytes/mois et %)
Asie- Amérique Europe Moyen- Europe Amérique
Pacifique du Nord occidentale Orient/Afrique orientale latine
et centrale

2016 33,505 33,648 14,014 2,769 6,21 5,999

2021 107,655 85,047 37,393 15,49 17,059 15,464

Diff.
74,15 51,399 23,379 12,721 10,849 9,465
2016/2021

Diff. en % 221 153 167 459 175 158

% mondial
39 31 13 6 6
2020

Source : Cisco, 2018.

Internet : les cyberfractures sociales et territoriales du monde


Pour autant, malgré des progrès considérables (cf. révolution de la téléphonie
mobile en Afrique subsaharienne), l’espace mondial demeure, à toutes les
échelles, structuré par de nombreuses fractures numériques. La diffusion
d’Internet dessine une géographie ultrasélective aux échelles mondiale,
nationales et régionales. C’est parce qu’il ne s’agit pas seulement d’un simple
outil technique mais d’un système complexe supposant un certain nombre de
conditions économiques, techniques et culturelles rédhibitoires qui renvoient
directement aux niveaux de développement des États et des sociétés :
électrification, réseaux de télécommunication, équipements informatiques,
demandes sociales et culturelles solvables, carences techniques et
technologiques de la main-d’œuvre… Même si Internet se diffuse
progressivement, les oppositions structurelles – quantitatives et qualitatives –
se renforcent.
Dans les Suds, une large partie de la population demeure exclue d’Internet
soit par déficience des infrastructures, soit du fait de coûts financiers encore
largement inabordables pour une large partie de la population la plus pauvre
(Chine, Brésil, Indonésie, Inde, Philippines, Tanzanie, Congo…). En Afrique
subsaharienne, le prix d’un système informatique étant hors de portée du
pouvoir d’achat moyen, l’accès au réseau se fait le plus souvent par des voies
collectives dans le cadre d’un usage d’intérêt général : universités,
cybercafés, associations de quartiers, ONG… À l’opposé, le câble sous-marin
Hibernia Express, reliant sur 4 600 km la Bourse de Londres à celles de
New York et Chicago, est ouvert en 2015 pour répondre au développement
du trading haute fréquence (THF), qui joue sur d’infimes écarts de prix entre
les marchés financiers mondiaux. La circulation aller-retour d’un ordre
d’achat (actions, devises…) entre Londres et New York tombe
à 59,5 millisecondes. Les fractures des territoires numériques ont encore
de beaux jours devant elles.
Ces inégalités territoriales sont encore plus flagrantes en ce qui concerne la
fourniture des services et des contenus qui jouent un rôle linguistique,
culturel et politique déterminant comme en témoigne le fait que les
principaux fournisseurs d’accès sont essentiellement américains ou chinois.
Les pays du Sud et les petits États sont absents des débats sur les futures
réglementations internationales (contenus, libertés individuelles, droits
d’auteur, normes, identification et attribution des sites, droits de douane,
régimes fiscaux…). Aux espaces branchés du cyberespace répond donc une
marginalisation de vastes portions de territoires où on assiste à un effet
cumulatif des phénomènes d’exclusion. Cette situation nécessite la mise en
place d’urgence dans le cadre d’une coopération Nord/Sud d’un vaste
programme d’équipement et d’éducation et l’abandon du seul dogme de la
concurrence dans le secteur des télécommunications alors que certains États
se sont dotés de politiques volontaristes de rattrapage (Chine, Inde,
Malaisie…).

L’explosion des infrastructures de transport et de stockage :


le Cloud en débat
Loin d’être dans un « nuage » (cf. Cloud) et dématérialisée, la mise en
réseaux du monde s’appuie sur l’existence d’infrastructures à la fois de
transport et de stockage des données qui s’insèrent dans des territoires très
réels, mais trop souvent méconnus du grand public.
Les câbles sous-marins et réseaux satellites
Du fait des innovations technologiques (fibre optique…), ils offrent les débits
considérables, en particulier à l’échelle mondiale. Les 360 principaux câbles
sous-marins intercontinentaux tissent ainsi un réseau de
1,2 million de kilomètres reliant 1 000 stations d’interconnexion par lequel
transitent 90 % des échanges d’informations dans le monde. Une flotte de
navires câbliers en assure la pose et la maintenance, parfois par –
5 000 mètres de profondeur, alors que tous les 90 kilomètres un répéteur
amplifie le signal. Les points d’atterrissement sur chaque littoral sont bien sûr
très stratégiques, et donc souvent masqués afin d’éviter détériorations ou
risques d’attentats.
Ces câbles sont la propriété de grandes entreprises privées ou de grands
consortiums qui fracturent les services. La société indienne Tata
Communication contrôle ainsi un réseau de 700 000 kilomètres de câbles,
dont 500 000 kilomètres sous-marins, qui voient transiter un quart du trafic
Internet mondial en 2016. Le SEA-ME-WE 5 – un câble de
20 000 kilomètres reliant Singapour à Djibouti, l’Égypte et La Seyne-sur-Mer
ouvert en 2018 – est financé par un consortium de dix-sept opérateurs de
téléphonie de dix-sept États différents. Responsables de 70 % de l’explosion
du trafic des dernières années (+ 40 %/5 ans), les grands GAFAM (Google,
Apple, Facebook, Amazon et Microsoft…) se dotent de leurs propres câbles
afin d’offrir de meilleurs débits à leurs clients (cf. câble
Hong Kong/Los Angeles de 12 800 kilomètres de Google et Facebook en
2016). Enfin, à partir des années 1970-1980 se sont multipliés les grands
systèmes de télécommunication par satellites devant desservir la surface
planétaire.
Le groupe Eutelsat : un grand opérateur de satellites
Eutelsat est le premier opérateur européen de télécommunication par
satellites et le troisième mondial (15 % du marché) derrière le
luxembourgeois SES et l’états-unien Intelsat. Avec une flotte de 39 satellites
en positions géostationnaires placés à 36 000 km d’altitude, Eutelsat couvre
les deux tiers de la population mondiale et dessert 275 millions de foyers. Il
emploie 1 000 salariés, son siège est à Paris et sa flotte est gérée à partir
des téléports de Rambouillet (78), Turin, Madère et Hermosillo (Mexique).
L’Europe représente 53 % de son activité devant l’Afrique-Proche et Moyen-
Orient (23 %) et les Amériques (22 %). Son internationalisation repose sur la
présence de bureaux dans les grands pays (États-Unis, Mexique, Chine,
Brésil). Il est spécialisé dans la vidéo (diffusion de 7 000 chaînes de
télévision), les services aux gouvernements (sécurité, armées, cf. DOD états-
unien), le haut débit fixe et mobile (trafic aérien et maritime, voitures…). Il met
aujourd’hui l’accent sur l’accès à Internet haut débit dans les zones peu
denses (< 10 hab./km2) afin de réduire la fracture numérique en Europe ou
dans les Suds (Afrique, Asie-Pacifique, Russie, Chine…). Sa création par la
France est liée aux enjeux géoéconomiques et géopolitiques de
souveraineté, l’État verrouillant 34 % du capital.

Figure 5.3 Géographie mondiale des serveurs du Cloud

Source : Data Center Dynamics Industry, 2015.

Les centres de stockage ou Data Centers

L’explosion des flux, des données et de nouveaux services à la demande


exige des capacités de stockage des données numériques de plus en plus
vastes. On a vu ainsi se développer le Cloud Computing consistant à fournir
des capacités et des services informatiques à la demande via Internet en
s’appuyant sur les Data Centers. Ces sites spécialisés regroupent des
ordinateurs, serveurs, baies de stockage et équipements réseaux. Si les grands
acteurs disposent en interne de leurs propres sites, une dizaine de firmes
mondiales se sont spécialisées pour accueillir l’externalisation de ses services
(banques, informatique, télécom., médias…) grâce à d’immenses capacités
informatiques, de serveurs et de Data Centers répartis un peu partout dans le
monde. On retrouve en particulier Amazon/AWS, Microsoft, IBM, Google,
Oracle, Alibaba, Apple, Twitter, Facebook, eBay, Linkedln, Yahoo, Tencent
et Baidu. Ayant triplé en cinq ans, les capacités mondiales de stockage sont
très polarisées sur l’Amérique du Nord (42 %), l’Asie de l’Est (39 %) et
l’Europe (24 %).
Les grandes métropoles en haut de la hiérarchie urbaine, largement
branchées et interconnectées sur l’espace numérique mondial, sont les pôles
d’accueil privilégiés : Megalopolis de la côte est des États-Unis, Texas,
Californie, Londres, Paris, Milan… En leur sein, les nouvelles localisations –
ultrasécurisées et confidentielles pour des raisons évidentes de sécurité –
réutilisent parfois d’anciennes friches industrielles comme en témoigne leur
fort développement en Seine-Saint-Denis (Saint-Denis, Aubervilliers, La
Courneuve, Pantin). Au-delà du coût du foncier, les espaces choisis par ces
sites doivent bénéficier de deux avantages stratégiques : la présence à
proximité d’un carrefour de réseaux de télécommunications avec un nœud de
fibres optiques très dense facilitant les énormes transferts de données
numériques, une très forte puissance électrique pour alimenter sans rupture
des systèmes très gourmands en énergie, la consommation moyenne d’une
unité correspondant à celle d’une ville de 20 000 habitants.

Nouveaux enjeux politiques et géopolitiques et régulation d’Internet


Si à l’échelle mondiale la gouvernance des activités de télécommunication est
prise en charge par l’UIT (Union internationale des télécommunications),
créée en 1865 et devenue une agence de l’ONU basée à Genève, celle-ci
demeure très limitée, en particulier dans Internet. Du fait de son rôle
historique et de son poids géopolitique, les États-Unis gardaient un rôle
majeur sur le réseau à travers l’ICANN (Internet Corporation for Assigned
Names and Numbers), association de droit californien créée en 1998
dépendant du secrétaire américain au Commerce et régulant Internet (gestion
des noms de domaine au niveau international…).
Figure 5.4 Les GAFAM dans la course aux câbles sous-marins
Source : Les Échos, mai 2016.

Face aux protestations croissantes liées à l’affaire Snowden, la réforme


adoptée en 2016 donne le contrôle d’Internet à des acteurs privés alors que le
poids des États y est réduit sous la pression des GAFAM. Soutenue par
Londres et l’Europe du Nord, Washington rejette en effet la proposition de
transformer l’ICANN, soutenue pourtant par 150 États (Europe du Sud,
Amérique latine, une partie de l’Afrique, Chine, Brésil…), en une nouvelle
organisation internationale du système onusien ayant son siège à Genève.
Washington met en avant notamment le risque de « balkanisation »
d’Internet, certaines grandes puissances tentant de créer un réseau fermé et
contrôlé, en marge du réseau Internet (Chine, Russie, Iran notamment). Au
total, le contrôle d’Internet est devenu un enjeu majeur à la fois de
souveraineté nationale, d’influence et de puissance géopolitique et
géoéconomique comme l’illustre le rôle de la National Security Agency états-
unienne (NSA).
La NSA états-unienne : un très large système
d’espionnage
Créée en 1952 et basée à Fort Meade dans le Maryland au cœur du
complexe militaro-politique états-unien, la NSA est l’une des principales
agences du ministère de la Défense des États-Unis. Elle a en charge une
grande partie du renseignement informatique et électronique, la sécurité des
systèmes de télécommunication et du traitement des données, et emploie
entre 30 000 et 40 000 salariés. Elle déploie une très large activité
d’espionnage politique et économique au plus haut niveau et dans le monde
entier (ondes électromagnétiques radios et satellites, téléphonie, Internet,
ordinateurs, logiciels espion, câbles sous-marins…). Elle s’appuie par
exemple sur le réseau Échelon qui associe depuis 1948 le Royaume-Uni,
le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande où sont installées des stations
d’espionnage des télécommunications mondiales. La NSA a aussi ouvert en
2014 un nouvel énorme Data Center d’un coût d’1,5 milliard de dollars à
Camp Williams, à 40 kilomètres au sud de Salt Lake City dans l’Utah.
En 2013, les révélations d’un de ses anciens salariés, Edward Snowden,
jettent une lumière crue sur l’importance de ses opérations sur Internet et la
collecte de données personnelles de millions d’individus. Créé en 2007 sous
le mandat de George W. Bush dans le cadre de la lutte contre le terrorisme,
ce programme d’espionnage a été renouvelé par une loi promue en
décembre 2012 sous l’administration Obama. Ce programme est en
particulier régulièrement validé par une Cour de Justice fédérale spéciale, la
FISA, née en 1978 à la suite du Foreign Intelligence Surveillance Act promu
en pleine guerre froide avec l’URSS. Le mirage d’une société mondiale
interconnectée, libre et ouverte s’effondre devant l’affirmation de la puissance
états-unienne. La NSA, le FBI et la CIA ont en effet, par exemple, un accès
facilité aux données stockées dans les Data Centers et les serveurs des
firmes états-uniennes dispersés dans le monde, un enjeu de souveraineté
numérique devenu aujourd’hui stratégique.

L’importance des firmes : le quasi-monopole des GAFAM états-uniens


en ligne de mire
Ce secteur est l’objet d’une féroce bataille technologique, industrielle et
commerciale dans laquelle la recherche et l’innovation sont au cœur des
enjeux, de la conception des nouveaux systèmes à l’offre de contenus
(cf. téléchargements sur les plateformes), aujourd’hui de plus en plus
indissociables (cf. monopole états-unien sur les systèmes informatiques
mondiaux des deux systèmes d’exploitation MS-DOS/Windows et Unix). Les
GAFAM symbolisent le dynamisme de l’innovation et l’hégémonie mondiale
de la high-tech états-uniens dans l’économie numérique à partir de la
côte Ouest (Silicon Valley et État de Washington). Mettant en place une
stratégie tentaculaire d’extension de leurs compétences à des champs toujours
nouveaux (culture, audiovisuel et médias, santé, transports, commerce en
ligne…), leur pouvoir d’influence mondial ne cesse pas de croître. Dans ce
contexte, ils accélèrent la mise en place de leurs propres réseaux de câbles
sous-marins afin de mieux desservir leurs clients.
La Silicon Valley : la vitrine de la haute technologie
états-unienne
Au sud de San Francisco dans la vallée de Santa Clara, la Silicon Valley est
l’un des bastions et la vitrine de la haute technologie états-unienne depuis la
Seconde Guerre mondiale et le dopage de l’économie régionale et des
universités par les commandes militaires du Pentagone comme l’a étudié le
géographe Gérard Dorel [DOREL, 2006]. Du projet Manhattan, qui dote le pays
de l’arme nucléaire stratégique durant la Seconde Guerre mondiale, à la
guerre des Étoiles des années 1980 ou au développement du Web et
d’Internet, le secteur militaire est à la source des principales innovations
scientifiques et techniques (informatique, mécanique, électronique et
composante, logiciels, technologies numériques…) avant leur diffusion dans
le secteur civil. Aujourd’hui, les activités militaires et de renseignement
demeurent des piliers majeurs de la Silicon Valley par ses contrats et fonds
d’investissement : le fonds In-Q-Tel de la CIA y soutient ainsi 175 start-up en
vingt ans.
La région est portée par les innovations et le rôle des firmes innovantes (Intel,
Hewlett Packard, Cisco, Apple, Google, Yahoo, eBay, Facebook, Oracle,
Twitter, Airbnb, Uber, Netflix…) qui y ont leurs sièges et leurs principaux
centres de recherche. 450 000 emplois y ont été créés ces cinq dernières
années. L’aire de San José-Santa Clara polarise 857 000 emplois, dont
300 000 scientifiques, ingénieurs et mathématiciens qui y représentent 35 %
de l’emploi total, une des concentrations géographiques de cerveaux les plus
élevées des États-Unis et du monde sur un espace relativement réduit. Dans
le comté de Santa Clara même, les activités de haute technologie
représentent 55 % des emplois.
Dans la deuxième ville la plus chère du pays, le marché du travail et les
structures foncières, immobilières et sociales, y sont cependant d’un rare
dualisme. En vingt-cinq ans, le salaire moyen du 1% le plus riche a augmenté
de 220 % alors qu’explose le nombre de personnes sans domicile fixe. Les
très hauts salaires directs versés aux chercheurs et leur intéressement à la
valeur des capitalisations boursières expliquent que les prix fonciers et
immobiliers y sont parmi les plus élevés de la Californie, des États-Unis et du
monde.
Au-delà de l’entre-soi géographique entre élites scientifiques et
technologiques, ces structures fonctionnent sur des logiques d’éviction des
fonctions économiques et des catégories sociales moyennes ou inférieures,
qui ont un effet structurant sur toute la partie méridionale de l’agglomération
de San Francisco.

Dans ce contexte, les GAFAM sont aussi l’objet de critiques de plus en


plus vives : pratiques commerciales, gestion de milliards de données privées,
transmission d’informations aux agences de renseignements états-uniennes,
usage massif des paradis fiscaux pour échapper à l’impôt… Face à l’absence
d’une réglementation internationale, de nombreux États (Union européenne,
Corée du Sud, Malaisie, Chili…) travaillent à une taxation des revenus
générés par les activités numériques. En Europe, où les plates-formes de
vente en ligne facturaient leurs ventes dans les États où les taux de TVA
étaient les plus faibles, l’adoption du principe de destination (TVA dans le
pays de consommation) a fait perdre, en 2015, 1 milliard d’euros de recettes
au Luxembourg et gagner 3 milliards d’euros aux autres États membres.
Enfin, face à l’effacement de l’Europe, la Chine a réussi à se doter de
nouveaux champions (Baidu, Alibaba, Tencent…) qui surfent sur le
développement d’Internet (700 millions d’internautes, un marché de
1 600 milliards de dollars en 2020) alors que le pouvoir maintient toujours un
contrôle étroit et tatillon sur le réseau et il est prêt, s’il le faut, à tout
simplement couper les réseaux.

Tableau 5.13 Les GAFAM : un oligo-monopole états-unien


en débat

Apple Amazon Google Microsoft Facebook

Création 1976 1994 1998 1975 2004

Cupertino Seattle Mountain View Redmond Menlo Park


Siège
(Californie) (Washington) (Californie) (Washington) (Californie)

Ventes
229,23 177,8 110,86 110,36 40,653
(milliards $)

Salariés 123 000 566 000 94 372 131 300 30 275

Sources : firmes, 2018.


La montée de la sous-traitance off shore dans les services
informatiques : le cas de l’Inde
La chute vertigineuse des prix des télécommunications, la montée en
puissance des réseaux et la mutation des économies offrent à certains pays
des Suds de nouvelles opportunités dans la délocalisation des services
informatiques des pays du Nord. C’est ainsi que l’Inde s’est spécialisée dans
la fourniture de prestations (relation clients, facturation, marketing,
comptabilité, vente en ligne, maintenance informatique, etc.) à travers
l’explosion des Call Centers. Ils mobilisent une main-d’œuvre relativement
qualifiée, anglophone et 2 à 3 fois moins chère que dans les pays développés
puisque les salaires représentent 65 % des coûts de fonctionnement d’un
centre d’appels. 60 % des prestations indiennes sont destinées aux États-Unis,
devant l’Union européenne (26 %) et le Japon (4 %).
Ainsi, le numéro 1 français Capgemini (145 000 salariés) rachète pour
4 milliards de dollars en avril 2015 la société américaine iGate. Fondée par
deux Américains d’origine indienne à Pittsburgh (rôle de la diaspora), elle
emploie 27 000 de ses 33 000 salariés (80 %) en Inde, un des principaux
États low cost des services informatiques, mais qui travaillent à 82 % pour
des groupes états-uniens. Avec cette acquisition, Capgemini dispose
dorénavant de 100 000 salariés travaillant en sous-traitance dans l’off shore
(Inde, Pologne, Guatemala…) pour de grands clients occidentaux
(General Electric, Royal Bank of Canada, Bayer, Ikea, Volkswagen…). Au
total, les activités off shore – polarisées sur Bangalore, Bombay, Delhi,
Hyderabad ou Chennai – représentent 50 % de l’activité des services
informatiques du pays. Cette activité est complétée par l’arrivée d’activités de
conception de logiciels et de maintenance informatique à distance (General
Electric, Oracle, Intel, Microsoft, IBM…) attirées par un stock de
750 000 ingénieurs de haut niveau.
Chapitre 6

Les dynamiques territoriales entre


intégration et fragmentation

LA MONDIALISATION, loin d’uniformiser l’espace mondial, est un facteur majeur de


différenciation des dynamiques territoriales. En effet, à toutes les échelles, ce
processus concurrentiel survalorise les moindres différences, qu’elles
concernent les dotations naturelles (nature, qualité et coûts d’accès aux
ressources), les structures démographiques, sociales et culturelles, les
systèmes productifs, les niveaux de développement ou les contextes
géopolitiques (stabilité, tensions et crises). En réponse, les territoires sont loin
d’être des structures passives, puisque ce sont des constructions à la fois
politiques, culturelles, sociales et économiques autonomes. Ils s’adaptent en
recomposant en permanence par leurs choix stratégiques leurs propres
modalités d’insertion dans la mondialisation. Comme le montrent le Japon, la
Chine, la péninsule Arabique et les pays émergents, il n’y a aucune fatalité à
la marginalité.
Dans ce cadre, la stabilité politique et économique, la taille et le
dynamisme des marchés, la qualité du système logistique et des ressources
humaines, et une politique active de promotion des territoires demeurent des
facteurs géographiques essentiels de développement endogène et
d’attractivité des activités, des capitaux et des emplois. Pour autant, ces
logiques hypersélectives soumettent parfois les différents territoires
nationaux, régionaux et locaux à de fortes tensions internes qui peuvent alors
mettre à rude épreuve les équilibres et solidarités de certaines constructions
régionales ou nationales. Mais il convient de souligner que ce violent
processus exogène sert alors souvent de révélateur aux lignes de fracture et
aux déséquilibres géoéconomiques et géopolitiques endogènes préexistants.
Les États, États-nations et régions
face à la mondialisation
Ces dernières décennies, on a assisté dans les discours libéraux sur la
mondialisation à un glissement conceptuel majeur : la logique de concurrence
économique et technologique, dans laquelle fonctionne la firme, s’étendrait
progressivement aux États-nations comme en témoigne la multiplication de
palmarès internationaux par des cabinets d’audit, en particulier nord-
américains. Cette conception a un impact considérable puisque les différents
gouvernements n’auraient plus comme fonction essentielle que de rendre
« compétitif » l’espace économique dont ils ont la responsabilité au détriment
bien sûr de leurs fonctions politiques et régaliennes. Mais cette vision
économiciste de l’action des États et des collectivités est démentie par
les données géoéconomiques les plus élémentaires, alors que l’entreprise est
elle-même un fait culturel, social et politique autant qu’économique.

La résistance des réalités territoriales face au mythe unificateur

Cultures et modes de vie : pas de consommateur mondial


La large diffusion de quelques biens ou services emblématiques produits par
de grandes firmes (Coca-Cola, McDonald’s, jeux électroniques, Internet et
GAFAM…) ne doit pas masquer le fait qu’une large partie de la planète
demeure encore largement à l’écart du modèle de consommation de masse
parfois promu comme modèle universel. D’autant que l’homogénéisation des
modes de consommation à l’échelle mondiale demeure limitée malgré l’essor
de nouvelles couches moyennes.
Dans bien des cas, les tentatives d’offrir un bien uniforme s’avèrent
souvent des échecs. Ainsi, dans l’Union européenne, les firmes
pharmaceutiques doivent adapter la prise d’un même médicament aux
différentes traditions médicales (prise buccale, anale, suppositoires, piqûres
en Italie…). Dans un secteur aussi mature que l’électroménager grand public,
les marchés demeurent très différents. Ainsi, dans les lave-linge, la société
chinoise Haier s’adapte aux différentes particularités : pour les campagnes
chinoises reculées, un produit très robuste qui lave aussi les pommes de terre
et pour les villes, un petit appareil adapté à la taille des logements, au
Bangladesh, un très grand modèle pour des familles très nombreuses, en
Corée, un équipement qui sèche aussi les herbes médicinales, aux États-Unis,
des machines puissantes, complexes et spacieuses, et pour l’Afrique, des
produits robustes, économiques et peu chers. Dans l’automobile, les
constructeurs combinent rendements d’échelle, production de masse des
composants de base et tout autant différenciation du produit final selon les
demandes locales ou régionales et leurs solvabilités (cf. petits modèles pour
l’Inde). Sans parler même des pays des Suds qui privilégient les petits
modèles à bas coûts, de fortes différences apparaissent entre les marchés
nord-américains, japonais et européens (types de véhicule, taille, niveau de
confort, prix, fiabilité, consommation énergétique…). Cela explique
l’organisation des firmes transnationales sur des bases continentales et la
multiplication des centres de design pour s’adapter aux demandes des clients.

Alimentation et agroalimentaire entre culture, habitudes et marché


Dans l’agroalimentaire et les soins domestiques, les firmes (Nestlé, Unilever,
Danone…) font face à trois difficultés : l’absence d’un véritable
consommateur mondial, la juxtaposition de marchés-mosaïques aux goûts
différents et l’émergence de nouvelles exigences nutritionnelles, de santé et
de qualité envers la nourriture comme en témoignent la lutte contre la
« malbouffe » standardisée et l’essor récent du bio et des circuits courts. Du
fait de l’étroit rapport entre nourriture, alimentation, sociétés et cultures, les
territoires font de la résistance. Dans la consommation européenne dominent
les viandes et légumes contre le riz et le poisson en Asie. Dans les cuisines, à
la margarine anglo-saxonne ou allemande s’opposent l’huile ou le beurre. Le
même thé est souvent consommé brûlant en Asie et glacé aux États-Unis.
Dans cette activité, la planète peut être partagée en trois zones principales :
les espaces en difficultés ou en crises peu solvables où les produits sont
vendus par mini-doses dans des réseaux commerciaux très fragmentés, voire
informels (Afrique, partie de l’Asie et de l’Amérique latine) ; les pays
développés aux marchés matures, concurrentiels, en stagnation
démographique où le poste d’alimentation dans les budgets recule en
pourcentage et où les transnationales subissent la pression de plus en plus
forte des centrales d’achat des géants de la distribution, eux-mêmes en voient
d’internationalisation rapide ; les pays émergents enfin présentent des
structures inverses et sont donc attractifs, mais ils s’avèrent fragiles comme
en témoigne parfois le laminage par paupérisation brutale des fameuses
« classes moyennes » urbaines lors des crises.
Alors que dans l’activité de biscuits les firmes se heurtent en Europe à la
prégnance d’habitudes gustatives différentes selon les pays, Coca-Cola doit
modifier sa stratégie d’implantation en Asie face à l’échec relatif de son soda,
les traditions culinaires bloquant la consommation des boissons gazeuses. La
marque se réoriente vers d’autres produits mieux adaptés (thé, jus de fruits,
boissons énergisantes, eaux embouteillées), soit en rachetant des producteurs
locaux, soit en inventant des produits spécifiques : un quart de sa gamme
asiatique est introuvable dans le reste du monde. Mais cette stratégie s’y
heurte aux implantations de Nestlé et Danone sur les mêmes créneaux.
Si la forte résistance des cultures apparaît dans les productions de masse,
celle-ci est encore plus marquée dans les services et les activités s’adressant à
la sphère de la reproduction sociale comme le logement, la santé, la culture
ou l’enseignement qui s’articulent encore plus étroitement à des déterminants
spécifiques à chaque région ou État.
Enfin, les transnationales elles-mêmes sont confrontées à la vivacité des
différences culturelles et linguistiques de leur personnel. Leurs stratégies de
management doivent se mouler étroitement dans ces réalités sous peine de
courir à l’échec comme en témoignent de nombreuses opérations de fusions
transfrontalières. La complexité et les subtilités des environnements culturels
ont des incidences considérables : perceptions des problèmes, rapports aux
temps, à l’individu/collectivité, droit et devoir d’un individu dans un cadre
collectif, rôle et place du statut social…
L’internationalisation de Starbucks :
la prise en compte des spécificités culturelles
Créée à Seattle en 1986 sur la côte Ouest des États-Unis, cette firme
emploie 254 000 salariés dans 25 000 « bars à cafés » et ce, dans 70 pays.
Elle organise son dispositif sur des bases à la fois continentales, nationales,
régionales et locales. En dehors des États-Unis, trois blocs continentaux sont
identifiés : les Amériques, l’Asie et l’Europe-Afrique-Proche et Moyen-Orient.
Aux échelles nationales, régionales et locales, sa stratégie territoriale
survalorise les quartiers « branchés » des grandes métropoles dynamiques.
En Asie sinisée, pays du thé, elle joue la carte du café comme boisson
associée à la culture occidentale.
Loin d’uniformiser l’espace mondial, Starbucks se moule étroitement dans les
spécificités de chaque territoire. Au plan gustatif, elle est contrainte face aux
résistances rencontrées d’adapter son offre aux préférences alimentaires et
culturelles nationales (cf. Australie, Chine…). Au plan commercial, elle soigne
tout particulièrement l’agencement et la décoration de ses magasins, afin
d’en faire des endroits familiers et agréables, en tenant compte des attentes
régionales ou nationales. Elle dispose pour ce faire de quinze centres de
design aux États-Unis (Seattle, Miami, New York…) et dans le monde
(Montréal, Vancouver, Londres, Amsterdam, Tokyo, Shanghai, Hong Kong).
Enfin, si elle est devenue le 5e torréfacteur mondial de café et achète plus de
250 000 tonnes de café par an pour 1,1 milliard de dollars, elle joue la carte
des labels de qualité face à la concurrence. Se fournissant dans 25 pays, elle
met en exergue auprès de sa clientèle les partenariats noués avec les pays
producteurs via l’ouverture de centres de soutien agronomique et technique
(Colombie, Guatemala, Costa Rica, Rwanda, Tanzanie, Éthiopie et Chine).

L’économie mondiale : un emboîtement d’échelles différenciées


Le concept d’économie mondiale doit lui-même être interrogé et revisité en y
intégrant les démarches géographiques et géopolitiques. L’économie
mondiale apparaît en définitive comme un emboîtement d’économies plus ou
moins interconnectées et interdépendantes.
La conjoncture économique mondiale est un mythe car elle est la moyenne
d’évolutions – positives ou négatives – profondément ancrées dans des
espaces nationaux et continentaux. Quand ces espaces atteignent une certaine
taille (États-Unis, Union européenne, France…), ils sont eux-mêmes
constitués de potentiels régionaux plus ou moins spécialisés aux conjonctures
différenciées. La globalisation des marchés financiers ne débouche
aucunement sur une convergence structurelle de leurs fonctionnements :
même s’ils sont de plus en plus interdépendants, ils demeurent encore régis
par des conditions géoéconomiques et des réglementations nationales
(normes comptables…). Quant aux niveaux et aux structures des prix, alors
que l’intensification des échanges devrait en théorie conduire à une
convergence pour une même marchandise, les écarts nationaux et régionaux
demeurent considérables du fait de l’hétérogénéité des facteurs (taxes,
subventions, structures commerciales…).
La base nationale demeure encore très souvent le socle des dynamiques
économiques. La consommation des ménages représente plus des deux tiers
du PIB des États-Unis et les trois quarts des ventes des entreprises
industrielles espagnoles s’effectuent sur leur marché national. Dans
l’Union européenne, les 20 millions de petites et moyennes entreprises
(PME), définies comme employant moins de 250 salariés et qui sont des
structures peu internationalisées, emploient plus de 60 % de la main-d’œuvre,
assurent la moitié du chiffre d’affaires et demeurent donc un des moteurs de
la croissance et de l’emploi. Enfin, il y a maintien des différents modèles
nationaux de capitalisme comme l’illustre en Asie le poids des grandes
familles dans le contrôle de l’actionnariat ou les liens très étroits des
oligarques russes ou chinois avec leur pouvoir. En Europe, modèles anglo-
saxon, germanique et méditerranéen gardent toute leur vitalité et se
caractérisent par des structures bien différenciées.

Le rôle central des États : un acteur majeur

Le cadre national et les États n’ont rien d’obsolète :


les ruses de l’histoire
Très en vogue dans les années 1980-2000, le discours néolibéral sur la fin de
l’État et du cadre national s’est trouvé depuis très largement invalidé par les
ruses de l’histoire : attentats du 11 septembre 2001, crise financière de 2008,
bouleversements géopolitiques mondiaux (essor des pays émergents, crises et
conflits, élection de Donald Trump aux États-Unis, Brexit…). Redécouverts,
les États gardent en effet une large marge de manœuvre face à la
mondialisation en assurant la défense de leurs intérêts géoéconomiques et
géostratégiques, souvent divergents voire opposés (cf. chapitre 2), en assurant
les besoins collectifs de leurs populations (alimentation, santé, éducation,
culture, travail, gestion des ressources) et de leurs entreprises (commandes
publiques, aides aux investissements ou à la recherche et l’innovation, accès
aux marchés extérieurs…), et en renforçant la cohésion sociale, la solidarité
ou l’aménagement de leurs territoires. La solidité et l’efficience des États sont
un des critères majeurs des processus de développement ou de mal- ou sous-
développement.
Dans cette perspective, l’étude de l’investissement dans l’équipement des
territoires – saisie à travers la formation brute de capital fixe (FBCF) – est
éclairante. En vingt-cinq ans, 265 500 milliards de dollars sont mobilisés à
l’échelle mondiale, soit 24 % du PIB. Mais seulement 41 États polarisent
93 % de l’effort mondial d’investissements en infrastructures et équipements.
Face aux États les plus riches et les plus développés (États-Unis, Japon,
Union européenne à 27) qui disposent des territoires les mieux équipés,
l’affirmation des pays émergents s’explique par un sensible et récent effort de
modernisation. À l’inverse, l’Amérique latine (5,4 % total mondial),
l’Afrique (2 %) et une large partie du Proche et Moyen-Orient – malgré la
rente pétrolière (3 %) – et de l’Asie du Sud (3,6 %) et du Sud-Est (2,3 %)
demeurent dans un grave état de sous-équipement (eau, électricité, habitat,
transports…) qui entrave leur développement social et économique. Ces
divergences structurelles dans le niveau d’équipement, allié au différentiel
d’investissement dans le patrimoine humain (santé, scolarisation, formation
générale et professionnelle, qualification…), expliquent les énormes
différentiels de productivité, c’est-à-dire la richesse créée par actif pour le
même temps de travail. Un actif états-unien produit quatre fois plus de
richesses qu’un Russe, sept fois plus qu’un Chinois et soixante fois plus
qu’un Nigérien.
On doit à cet égard souligner que dans le débat actuel sur le processus des
délocalisations productives des pays développés vers les Suds, la question du
coût salarial direct – souvent avancé comme argument explicatif – n’est
qu’un élément à prendre en compte, le salarié des pays développés disposant
d’une productivité globale bien supérieure. Il est cependant clair que la
mondialisation participe avec la mutation des systèmes productifs à la refonte
des équilibres socioprofessionnels des grands pays développés comme en
témoigne le fort déclin de l’emploi de fabrication, en particulier des ouvriers
non qualifiés en France, au profit des fonctions abstraites de la sphère
productive (gestion recherche, prestations intellectuelles). Ces mutations
socioprofessionnelles ont d’autant plus d’impact que les activités non
qualifiées, en fort déclin, sont souvent fortement polarisées sur des bassins
d’emplois de monoactivité, du fait en particulier de la diffusion du modèle
taylorien durant les Trente Glorieuses. Il est alors de la responsabilité
de l’État et des collectivités territoriales d’accompagner économiquement
et socialement ces reconversions douloureuses dans un cadre solidaire.
Figure 6.1 Géographie de l’efficience territoriale des États
Source : ONU.

Tableau 6.1 Trente ans d’évolution de l’emploi productif


par grandes fonctions en France (emplois en milliers)

Prestations
Fabrication Gestion Recherche Logistique
intellectuelles

1982 3 693 2 730 370 333 1 867

2014 2 205 3 384 728 1 016 2 042

Diff.
– 1 488 654 358 + 683 + 175
1982/2014

Diff. en % – 40 % + 24 % + 97 % + 205 % +9%

Source : INSEE, 2018.

De même, contrairement à tout le discours anti-État des dernières


décennies, il apparaît un étroit rapport entre niveau de développement,
investissements publics, efficacité économique et sociale, et prélèvements
fiscaux. C’est d’ailleurs pourquoi l’OCDE ou de nombreux États développés
se sont lancés ces dernières années dans une lutte contre les paradis fiscaux et
les stratégies d’optimisation fiscale des firmes transnationales. En Inde,
seulement 12 millions de contribuables acquittent l’impôt sur le revenu des
particuliers en raison d’une évasion fiscale généralisée, alors que seulement
10 % des Sénégalais paient 80 % des recettes fiscales du fait du poids de
l’économie informelle. Ces faiblesses de l’État se traduisent directement dans
les profonds dysfonctionnements des fonctions publiques avec, parfois, une
corruption et une violence généralisées. De nombreux pays des Suds sont
malades non pas du trop-plein mais de la faiblesse, de la privatisation ou de
l’absence d’État et d’État de droit et de son corollaire, la démocratie
politique, économique et sociale. Enfin, certains micro-États survalorisent de
manière très opportuniste leurs fonctions régaliennes (pavillons de
complaisance, paradis fiscaux, vente de passeports ou acquisition de la
nationalité…) pour s’insérer pleinement dans la mondialisation.
Micro-États et marchandisation de la souveraineté :
le cas de la citoyenneté
Alors qu’environ 200 États souverains pavent l’espace mondial, de très
nombreux micro-États ou territoires se sont insérés dans la mondialisation
sur un mode opportuniste, en transformant une partie de leurs fonctions
régaliennes en marchandise. Si le cas des paradis fiscaux dans la finance ou
des pavillons de complaisance dans le transport maritime sont bien connus,
une autre spécialisation existe : le monnayage de sa citoyenneté par la vente
de passeports de complaisance, sans réelle obligation de résidence. C’est le
cas par exemple pour Antigua, la Dominique, Grenade, Saint Kitts-et-Nevitts,
Malte ou Chypre. À Antigua, vous pouvez accéder au programme de
citoyenneté contre un investissement minimum de 250 000 dollars et 5 jours
de résidence sur 5 ans, le passeport délivré vous donnant accès à 130 pays
sans visa. À Saint-Kitts-et-Nevis, ce programme représente en 2013 plus de
25 % du PIB, à Malte (apport de 1,15 million d’euros) l’équivalent de 40 %
des recettes fiscales en 2014.
Source : d’après FMI, revue Finances et Développement, décembre 2015.

Le couple État-firmes transnationales toujours valide


De même, si les entreprises transnationales suivent leurs propres logiques,
elles développent leurs activités en étroite coordination avec leur pays
d’origine et s’appuient massivement sur leurs appareils d’État respectifs et
leurs personnels politiques, dans le cadre de liens souvent osmotiques, aux
Nords comme aux Suds (Chine, Brésil, Inde…). On doit même souligner que
le processus de transnationalisation dépend très étroitement de ce soutien
économique, réglementaire, fiscal, commercial, politique. Les firmes
transnationales y puisent d’importants atouts de compétitivité : accès
privilégié aux potentiels techniques et scientifiques, circuits de financements
publics et crédits de recherche, accès aux marchés publics d’État ou des
collectivités territoriales, soutien diplomatique… Face aux ralentissements ou
crises économiques, les politiques budgétaires et fiscales des États sont des
leviers mobilisés en permanence, même dans les systèmes officiellement les
plus libéraux comme aux États-Unis. À l’inverse, certaines privatisations des
services publics s’avèrent parfois si catastrophiques qu’elles menacent
l’efficience même de certaines économies régionales (transports publics au
Royaume-Uni, électricité en Californie, en Espagne ou au Brésil…).
C’est pourquoi, en ce début du XXIe siècle, et au-delà de la célèbre formule
« Ce qui est bon pour General Motors est toujours bon pour l’Amérique »,
les différents chefs d’État défendent ouvertement les intérêts géoéconomiques
et géopolitiques de leurs entreprises transnationales, en se transformant
parfois même en véritables commis voyageurs pour arracher des contrats. En
rejetant les accords de Paris de 2015 sur le climat et en favorisant le pétrole et
gaz de schiste, le président Trump privilégie les intérêts à court terme des
groupes pétroliers états-uniens, tout en cherchant à renforcer l’autonomie
énergétique du pays face à ses fournisseurs. À l’inverse, en janvier 2018,
Pékin impose aux firmes étrangères, dont Apple, de passer par une firme
chinoise pour stocker les données personnelles de ses clients afin d’en garder
un contrôle national.
Cependant, la mondialisation peut aussi générer des divergences d’intérêt
entre les États et les grandes entreprises à base nationale ou internationale qui
y sont implantées. C’est ainsi que Toyota, Unilever ou General Motors
s’inquiètent de la non-adhésion du Royaume-Uni à l’euro puis du Brexit et de
la menace de délocalisations productives, alors qu’en Allemagne un vaste
débat sur l’avenir du « site de production Allemagne » (Standort
Deutschland) est apparu depuis l’unification avec l’internationalisation
accélérée des Konzerne.

Constructions étatiques et nationales face aux élites sans projet


Dans ce contexte général, la nature et la solidité des constructions nationales
et étatiques – géographiquement très différenciées de par le monde –
deviennent un facteur déterminant. Ce dont souffrent le plus une grande
partie des pays des Suds, c’est bien de la faiblesse et de l’inefficacité de leurs
États, de la déstructuration multiforme de leurs sociétés et de l’éclatement de
leurs solidarités territoriales. Ces processus s’inscrivent dans la longue durée,
des processus coloniaux à la décolonisation de l’après-guerre et aux
indépendances. Les stratégies différenciées mises en œuvre par les élites
nationales s’avèrent déterminantes. L’économie et la société des Philippines
demeurent dominées par une vingtaine de grandes familles qui s’octroient des
« rentes d’État » et se taillent des fiefs provinciaux gérés sur un modèle social
quasi féodal, alors que seulement la moitié des impôts dus est effectivement
perçue. En Algérie, les différents clans au pouvoir se querellent pour le
contrôle et le partage de la rente issue des hydrocarbures et des importations,
alors qu’une partie de l’Afrique subsaharienne, gérée par de nombreux
régimes kleptomanes, est à la dérive.
Transition politique, « stratégie casino » et insertion
opportuniste : le cas du Cambodge
Au Laos et au Cambodge, la conversion à l’économie de marché a aidé les
anciennes élites révolutionnaires à se maintenir au pouvoir. L’alliance avec
les investisseurs privés – notamment chinois – a permis aux dirigeants de
s’accaparer les biens publics et de créer ainsi un socle de richesses
favorable à la constitution d’une élite devenue gestionnaire d’un État
privatisé. Cette économie politique de la prédation au sein de laquelle l’État
est devenue l’outil principal d’accumulation primitive, se fait au détriment des
plus pauvres, en particulier les populations rurales et les minorités ethniques.
Dans ce contexte, l’ouverture de casinos est un nouveau modèle à la mode
copiant le succès de Macao ou Singapour. L’objectif poursuivi est d’attirer les
touristes étrangers, plus spécifiquement les Chinois, les Thaïlandais et les
Vietnamiens, le jeu d’argent étant strictement interdit et réprimé dans leurs
pays, pour créer une dynamique touristique et attirer d’autres investissements
grâce à une fiscalité avantageuse.
Au Cambodge, les casinos se sont développés à partir de 1993 dans les
villes frontalières, à Koh Kong, Poipet, Pailin, Chong Jom près de la
Thaïlande, à Bavet, Ha Tien, Phnom Den près du Vietnam, puis à
Sihanoukville et enfin dans la capitale même, Phnom Penh. On compte
aujourd’hui près de 57 casinos dispersés à travers le pays. En 2014,
l’industrie du jeu a généré 25 millions de dollars de recettes fiscales.
NagaWorld, le plus gros casino du Cambodge, est la propriété de
Chen Lip Keong, un Chinois malaisien devenu milliardaire grâce à NagaCorp,
sa compagnie basée à Hong Kong. À l’avenir, il sera de plus en plus difficile
pour le Cambodge de conserver son attractivité face à la concurrence du
Laos et si le Vietnam décide finalement d’autoriser ses citoyens à fréquenter
les casinos sur son territoire afin d’enrayer la fuite des revenus vers le
Cambodge ou Singapour.
Source : d’après TAN D., Institut d’Asie orientale/ENS Lyon, reseau-asie.com,
juillet 2015.

Il n’y a pourtant aucune fatalité à la marginalisation ou au mal-


développement comme l’illustrent les stratégies de développement
économique, industriel et territorial adoptées par les États-développeurs
d’Asie. C’est ainsi qu’en Chine, politiques internes de réformes, stratégie
d’ouverture au marché mondial et stratégie territoriale de développement ont
toujours été étroitement associées dans une vision structurelle à long terme.
C’est bien cette capacité de pilotage stratégique du pouvoir à Pékin qui
permet aujourd’hui à la Chine d’émerger à nouveau comme une très grande
puissance en devenir.

La Russie : réaffirmation de la nouvelle puissance et réarticulation


des échelles
La trajectoire géoéconomique et géopolitique de la Russie depuis
l’éclatement de l’URSS est à cet égard fort intéressante puisqu’elle combine
réaffirmation géopolitique d’une nouvelle puissance européenne et mondiale
d’un côté et recherche de nouvelles articulations régionales et continentales
depuis la fin de la catastrophique période Eltsine (1991-1999) de l’autre.
L’accès à l’indépendance des 14 Républiques fédérées fait perdre à la
Russie un tiers du territoire, la moitié de la population et du potentiel
agricole, et 41 % de l’industrie de l’ex-URSS. Pour la Russie, cette nouvelle
configuration territoriale et frontalière pose de graves problèmes de
désorganisation d’ordre militaire (cosmodrome de Baïkonour, bases navales
de la mer Noire, isolement de Kaliningrad…), logistique (perte de débouchés
maritimes et de grands ports, coupure des réseaux, deux des trois
transsibériens passant par le Kazakhstan), économique (éclatements des
combinats et filières productives) et géopolitique (25 millions de Russes hors
de Russie). Dans cette nouvelle assiette territoriale, face à l’immensité de
l’Extrême-Orient et de la Sibérie (11 millions de km2), la partie européenne à
l’ouest de l’Oural concentre 80 % de la population, des emplois, de la
production industrielle et agricole.
L’élection de Vladimir Poutine en mars 2000 ouvre une période de
restauration de l’autorité de l’État qui met fin, entre autres, à un processus
centrifuge de plus en plus menaçant. On assiste à une reconstruction très
étatique de la société et de l’économie à partir des bases européennes, en
s’appuyant sur la rente énergétique et minière extraite en particulier de
Sibérie, alors en plein boom du fait de la hausse des cours mondiaux. Ce
renouveau débouche cependant sur une explosion des inégalités dessinant un
territoire en peaux de léopard de « trois Russies » selon Denis Eckert.
Figure 6.2 L’espace russe en recomposition

Largement dominées et surclassées par Moscou et Saint-Pétersbourg


portées par les réformes et l’ouverture, les zones dynamiques se limitent à un
archipel de grandes métropoles, régions ou portes littorales (Volgograd,
Kazan, Rostov-sur-le-Don, Novosibirsk, Krasnoïarsk, Iekaterinbourg…)
ouvertes sur le monde. Une vaste Russie provinciale, aux horizons locaux ou
régionaux, se débrouille par elle-même grâce au dynamisme de ses élites
locales et régionales, alors qu’enfin la Russie des périphéries profondes
(10 millions de km2, 20 fois la France) demeure largement à l’écart.
À l’échelle nationale, les grands enjeux sont bien aujourd’hui de réarticuler
les dynamiques géoéconomiques et géopolitiques d’un État fédéral
multinational, d’intégrer économiquement et socialement les marges,
d’accélérer la valorisation des énormes ressources potentielles sur un modèle
moins prédateur tout en diversifiant les bases économiques. À l’échelle
internationale, il s’agit bien de la réaffirmation de la puissance par la création
de la Communauté des États indépendants (CEI) intégrant le nouvel
« étranger proche », de promouvoir son statut de puissance eurasiatique
(rapports avec l’Europe, avec la Chine dans le cadre de l’Organisation de
coopération de Shanghai) et, enfin, de se réaffirmer à l’échelle mondiale en
tissant des réseaux d’alliances ponctuelles et à géométrie variable (Chine,
Inde, OPEP et Arabie saoudite, Iran…) afin de contrer les tentations
hégémoniques ou d’encerclement des États-Unis.

Les stratégies des différents territoires

Les stratégies des États régionaux et collectivités régionales


et locales

Des territoires à construire face à la mondialisation


Devant la fragilité et les coûts des politiques publiques d’attractivité des IDE
qui ne résolvent en rien les déséquilibres territoriaux, la capacité
des collectivités régionales et locales à construire ou accompagner une réelle
croissance endogène de leurs économies et de leurs sociétés autour
de solidarités actives demeure déterminante. Il faut pour cela promouvoir
un processus de construction qui s’articule à l’exercice de pouvoirs politiques
et administratifs, qui organisent et contrôlent, et à la définition d’un vrai
projet de territoire. Celui-ci doit s’inscrire dans des projets de développement
et d’aménagement planifiés exprimant clairement des stratégies de mise en
valeur anticipatrices de longue durée définies dans un cadre démocratique où
s’affrontent les intérêts plus ou moins contradictoires des différents acteurs.
Il convient de souligner le rôle stratégique des relations de proximité
géographique étroitement articulées aux proximités organisationnelles
et informationnelles qui font, par exemple, le succès des districts industriels
ou des clusters spécialisés. Dans ces processus de construction d’un territoire,
les interdépendances non marchandes et les facteurs de cohésion extra-
économiques jouent un rôle déterminant qui explique souvent
l’échec des transferts d’expériences dans un autre espace géographique.

Décentralisation et pouvoirs des collectivités territoriales


La capacité des différentes collectivités à définir et mettre en œuvre un projet
de développement s’inscrit dans des structures géoéconomiques
et géopolitiques de longue durée. Même si la maîtrise de certains pouvoirs et
responsabilités politiques, fiscales et économiques joue parfois un rôle
majeur dans l’affirmation des acteurs régionaux, la dévolution de
compétences dans un cadre décentralisé est loin de résoudre à elle seule les
problèmes posés, comme en témoigne la diversité institutionnelle des régions
de l’Europe occidentale ou des grands États fédéraux tels que le Canada,
l’Inde ou l’Allemagne.
Si le modèle allemand est souvent invoqué en France, il convient de
souligner que les collectivités territoriales inférieures, du niveau des
arrondissements (Kreiss), jouent un rôle essentiel dans les questions
intercommunales alors que la répartition des budgets est équilibrée (Bund :
38 % ; Länder : 34 % ; communes : 26 %). Surtout, la Loi fondamentale de
1949 impose la nécessité d’assurer l’homogénéité des conditions de vie dans
tout le pays, ce qui se traduit par une péréquation financière, les Länder et
communes riches reversant aux entités les plus pauvres une partie de leurs
revenus fiscaux. Le maintien d’un cadre national solidaire avec transferts
financiers et arbitrages étatiques nationaux dans le cadre de pactes de
solidarité et de développement entre régions est en effet une condition
essentielle à la lutte contre les logiques de fragmentation et de concurrence
parfois à l’œuvre entre collectivités territoriales dans le cadre de la
mondialisation. En Europe, par exemple, ce sont aujourd’hui des enjeux
cruciaux dans des pays comme l’Espagne, le Royaume-Uni, l’Italie ou la
Belgique.

Tableau 6.2 Les pouvoirs comparés des États fédérés


du Canada, d’Inde et d’Allemagne
Canada Allemagne Inde

Droit civil, environnement,


sécurité intérieure, fiscalité Échanges commerciaux,
Police,
locale et des entreprises, transports routier et urbain,
éducation,
droits de douane, emprunts, santé publique, politique
culture, santé,
institutions bancaires, droit des agricole, gestion des
économie,
sociétés, gestion des ressources hydrauliques,
environnement,
ressources minérales et droit foncier, pêche, politique
formation,
halieutiques, éducation, santé, hôtelière, éducation primaire
recherche
assurance-chômage, et secondaire
recherche-développement

Métropoles, métropolisation et mondialisation

Développement, urbanisation, métropolisation et ségrégations socio-


spatiales
Historiquement, ce début du XXIe siècle se caractérise par une rupture
essentielle puisque l’humanité est devenue majoritairement urbaine. En
étroite liaison avec la mutation du schéma productif et la mondialisation, s’est
développé un phénomène de métropolisation qui traduit une tendance lourde,
de nature structurelle, à la concentration des fonctions et des emplois les plus
stratégiques dans les villes aux sommets des hiérarchies urbaines nationales,
continentales et internationales.
Mais toutes les métropolisations ne se valent pas car l’accumulation ne fait
pas tout. L’urbanisation d’une large partie des Suds – y compris dans les
métropoles ou mégalopoles (Lagos, Mumbai…) – se déroule trop souvent
sans véritable développement économique, sans réelle politique
d’aménagement et sans mise à niveau des infrastructures car elle reflète les
rapports de dominations géoéconomiques mondiaux et nationaux. Même dans
les métropoles les plus développées des Suds comme l’illustre la situation de
Rio de Janeiro, cette explosion urbaine y accumule les dysfonctionnements :
déficit en activités et emplois modernes face au poids du secteur informel,
déficit en logements face à l’explosion des ceintures de bidonvilles et
occupations illégales, retard des équipements collectifs énergétiques
(coupures d’électricité), de transport et d’hygiène (pollutions, déchets,
assainissement, eau potable). Concentrant d’énormes inégalités socio-
économiques, les villes y juxtaposent alors, selon leurs quartiers, une
insolente richesse et les symboles souvent ostentatoires du pouvoir politique
et économique face au dénuement des périphéries. Dans ce contexte, les
processus de ségrégation sociale et fonctionnelle y sont d’une intensité
exceptionnelle et les niveaux de conflictualité particulièrement élevés.

Les métropoles mondiales : cœurs, vecteurs et symboles


de la mondialisation
Au cœur de la dynamique contemporaine, les villes sont les espaces moteurs
de la mondialisation. La mondialisation survalorise en effet les très grandes
métropoles qui jouent un rôle majeur dans l’économie mondiale (World-
Class Cities). Selon une évaluation de la Brookings Institution, les
300 premières réalisent 50 % du PIB mondial avec seulement 23 % des
emplois et de la population. Leur production économique, évaluée par le
produit urbain brut (PUB), est souvent supérieure à celle d’un État :
l’économie de New York est d’un poids équivalent à celle de la Corée du
Sud… Ces dernières décennies, la hiérarchie des métropoles mondiales a été
bouleversée par l’émergence de nouvelles puissances, en particulier la Chine.
On compte ainsi sept villes de rang mondial : New York, Londres, Paris,
Tokyo, Los Angeles, Osaka, Shanghai. Elles sont suivies par Pékin, Moscou,
Séoul, Singapour, São Paulo et Mexico. On assiste enfin à l’affirmation
d’Istanbul, Delhi, Rio de Janeiro, Mumbai, Santiago, Saint-Pétersbourg ou
Johannesburg.
Leur pouvoir de pilotage et d’influence ne cesse pas de se renforcer car
elles polarisent les fonctions et les emplois les plus rares et les plus
stratégiques. Comme lieux des centres de pouvoirs en rassemblant les pôles
de commandement et de gestion politiques, économiques, industriels et
financiers. Comme nœuds privilégiés de la concentration et de la circulation
des richesses, des hommes et des informations (finance, médias et
information, ports, aéroports, télécommunications…). Comme espaces
directs de la formation (universités…), de l’innovation (conception-
recherche), des nouveaux services (audit, conseil, droit des affaires…), de la
production à haute valeur ajoutée et de la reproduction sociale (éducation,
santé, culture…). Elles mobilisent pour cela de nombreux atouts : diversité du
tissu économique, qualification de la main-d’œuvre, densité des
infrastructures (immobilier, transport, énergie), etc.

Tableau 6.3 Les dix premières économies métropolitaines


mondiales

Rang Produit urbain


PUB/habitant Population
pour le Nom brut (PUB)
($) (millions d’hab.)
PUB (milliards $)

1 Tokyo 1 623 43 384 37

2 New York 1 492 73 938 20,1

Los
3 927 69 532 13,3
Angeles

4 Londres 831 55 947 14,8

5 Paris 818 65 354 12,5

Osaka
6 680 36 535 18,6
Kobe

7 Séoul 903 36 002 25

8 Shanghai 808 32 684 24,7

9 Moscou 749 61 482 12,1

10 Pékin 663 30 335 21,8

Source : Brookings Institution, 2016.

Ces territoires métropolitains connaissent de permanentes mutations


foncières, immobilières, architecturales et urbaines, sous l’impulsion en
particulier du capital financier à la recherche constante de nouveaux champs
d’intervention. Les grands quartiers d’affaires, Central Business District
(CBD), qui concentrent les sièges sociaux, voient ainsi s’affirmer une course
mondiale aux tours de bureaux ou résidentielles de plus en plus élevées
(Shanghai, New York, docklands de Londres, Paris-La Défense, Moscou,
Dubaï et le golfe Persique…). Les technopoles scientifiques s’y recomposent
en permanence comme dans la Silicon Valley, à Boston, Paris-Saclay, Tokyo,
Shanghai, Moscou, Séoul ou Mumbai. Enfin, les collectivités publiques et les
acteurs privés de ces territoires métropolitains sont en forte concurrence pour
attirer chez eux emplois, capitaux, revenus fiscaux et activités (cf. Europe,
Londres face au Brexit dans la finance).

Métropoles mondiales et mises en réseaux des territoires


Leur puissance exceptionnelle repose sur leurs capacités à articuler les
interconnexions entre les différents acteurs mondiaux et entre les différentes
échelles dans lesquelles elles s’insèrent, qu’elles soient nationales,
continentales et mondiales. Leurs trames et leurs mises en réseaux
recomposent les hiérarchies urbaines mondiale et continentale. Dans ce
contexte, certains chercheurs ont développé des concepts tentant de rendre
compte de la recomposition de ces nouvelles articulations comme la
sociologue Saskia Sassen avec La ville globale en 1997 ou Olivier Dollfus
avec L’archipel mégalopolitain mondial en 2001.
Au-delà de leurs apports, trois grandes critiques peuvent être apportées à
ces démarches. L’anthropomorphisation de ces espaces est ambiguë car elle
confère à ces pôles et réseaux interconnectés des pouvoirs autonomes qui
ne se déploient pourtant en définitive que par les centres de décisions
géopolitiques et géoéconomiques hégémoniques qui y sont localisés. Ensuite,
ces logiques tendent à désolidariser ces organismes urbains de leurs très
vastes hinterlands continentaux et nationaux qui sont pourtant les bases
mêmes de leur puissance de rayonnement international et mondial. Enfin, ces
démarches tendent à survaloriser dans ces espaces spécifiques le poids relatif
de leurs fonctions mondiales ou internationales, qui ne représentent pourtant
qu’une partie limitée de leur potentiel humain et productif. Au total, ces
logiques s’inscrivent parfois dans un courant intellectuel qui tend à
déterritorialiser – et donc dépolitiser – cette nouvelle phase de la
mondialisation.
Que seraient Londres sans le Grand Bassin londonien et le Royaume-Uni,
Paris sans le Grand Bassin parisien et la France ? Pour sa part, l’espace
chinois est organisé par les trois grands hinterlands que construisent Pékin au
nord, Shanghai au centre et Canton/delta de la rivière des Perles au sud. En
Inde, la situation est plus complexe : si la moitié nord est organisée sans
conteste par le triangle Kolkota/Mumbai/Delhi, l’architecture de la partie
méridionale est plus confuse malgré la domination de Chennai, Hyderabad et
Bangalore.
Figure 6.3 Rio de Janeiro : reconquête des favelas

Source : THÉRY H., 2015, notice « Brésil », in Images économiques du Monde 2016, Paris, Armand Colin.

Le Japon et les États-Unis fournissent d’autres exemples d’une nécessaire


analyse critique. La production de la métropole de Tokyo est équivalente à
celle du Canada. Mais cela n’a rien d’étonnant quand on sait que la
Mégalopolis japonaise accumule, sur 10 % du territoire national, la moitié de
la population et 65 % du PNB japonais. De même, dans un pays-continent
comme les États-Unis – un ancien Nouveau Monde – les 100 premières
métropoles polarisent sur 12 % du territoire 66 % de la population et 90 %
des salariés qualifiés et réalisent les trois quarts du PIB. Loin d’être un simple
reflet de la mondialisation actuelle, ces structures territoriales spécifiques
s’inscrivent dans l’histoire pluriséculaire des deux constructions politiques et
économiques. Ainsi, en Allemagne, l’essor de Berlin comme « Weltstadt » –
à l’instar de Londres ou de Paris – est brisé net par l’échec nazi et la partition
du pays entre 1945-1949. Comme on peut le constater, l’étude de la
mondialisation oblige donc à un va-et-vient permanent entre conjonctures et
structures géopolitiques, géoéconomiques, sociales et culturelles.
Les dynamiques de fragmentation intra-étatiques
On assiste ce dernier demi-siècle, dans le panorama géopolitique mondial, à
l’affirmation d’une double logique : d’un côté, une logique géoéconomique
de continentalisation progressive plus ou moins intégrée, de l’autre, une
logique géopolitique d’orogénèse ou de fragmentation étatique dont témoigne
la multiplication des États depuis 1945. Une première vague apparaît dans les
années 1950-1970 avec la disparition des derniers grands Empires coloniaux
hollandais et britannique (1950), puis français (1958-1962) et portugais
(1974) lors de la décolonisation. Une seconde vague se développe dans les
années 1990 avec le démantèlement d’États fédéraux en Europe (URSS,
Yougoslavie, Tchécoslovaquie). Enfin, une troisième vague se déploie avec
l’accès à l’indépendance de nouveaux États (Samoa en 1997, Sud-Soudan en
2011…). Au total, le monde est pavé de 200 États souverains, dont 193 sont
membres de l’ONU. Ce processus souligne que contrairement à une
représentation géopolitique parfois très courante en Europe avant l’essor des
courants nationalistes des années 2010, la question de la nation et de l’État-
nation, loin d’être dépassée, demeure d’une grande vitalité.
Dans ce contexte général, la mondialisation est productrice de profondes
inégalités qui peuvent mettre à mal les équilibres et solidarités internes de
certaines constructions d’États-nations. Ce violent processus exogène sert
souvent de révélateur aux déséquilibres endogènes préexistants.
Le développement de crises structurelles profondes et multiformes entraîne
alors l’émergence de nouvelles dynamiques de fragmentation dont témoigne
l’Afrique saharienne et orientale. S’il n’y a aucune fatalité à l’éclatement, il
convient de souligner que certaines modalités d’insertion dans la
mondialisation s’avèrent particulièrement explosives quand déstabilisations
géoéconomiques et déstabilisations géopolitiques, internes et externes,
se conjuguent (Irak, Syrie, Liban, Libye, Yémen, Soudan…) souvent en lien
avec le jeu des puissances régionales ou mondiales.

Déséquilibres, désintégration et fragmentation

Dans les pays développés : un net renversement de perspectives


Dans les pays développés, on assiste à un net renversement des perspectives
historiques. Les transformations parfois brutales des équilibres
géoéconomiques nationaux et régionaux participent activement à l’émergence
de nouveaux systèmes de représentations géopolitiques permettant de valider
certaines revendications d’autonomie, voire d’indépendance.
Jusqu’au tournant des années 1970-1980, ce sont essentiellement les
régions pauvres et périphériques qui se sentent « dominées », voire
« exploitées », par les centres économiques et politiques dominants.
Aujourd’hui, on assiste, au contraire, à l’émergence de mouvements
revendicatifs dans certaines régions riches et dynamiques réussissant leur
insertion dans la mondialisation, qui refusent ou rechignent de plus en plus
aux liens de solidarités historiquement tissés avec les régions en difficulté
(transferts financiers publics ou aides).
Ainsi, en Europe, la Slovénie et la Croatie, les deux régions les plus
développées, furent à l’origine de l’éclatement de la Yougoslavie.
Actuellement, la Catalogne joue à fond la carte autonomiste, voire
indépendantiste, européenne et mondialiste, en sous-évaluant
systématiquement l’impact pour ses propres structures de son insertion dans
la nation, le marché et système productif national espagnol. En Italie du
Nord, certains courants jouent, à court terme, la carte du fédéralisme et, à
plus long terme, la sécession, en dénonçant l’État central romain et le « poids
mort » du Mezzogiorno. En Belgique, la montée en puissance de l’économie
flamande face au déclin de la Wallonie, lié à la crise de ses industries
traditionnelles (charbon, sidérurgie, textile), alimente les courants
nationalistes d’extrême droite flamands dont les revendications aboutissent à
un État belge aux fonctions de plus en plus symboliques. Au Royaume-Uni,
alors que l’Écosse est à la recherche d’une très large autonomie, voire d’une
possible indépendance, le vote du Brexit en 2017 a cristallisé les profondes
oppositions socio-économiques locales et régionales qui aboutissent à une
Angleterre et à un Royaume de plus en plus désunis. Enfin, sur un mode
différent mais spectaculaire, le mouvement de protestation des « Gilets
jaunes », apparu en hiver 2018-2019, a révélé en France l’existence de
profondes lignes de fracture traversant la société et ses territoires.

Tableau 6.4 Insertion internationale différenciée et divergences


régionales croissantes : la valeur ajoutée belge (% national)
1955 1970 1980 1990 2000 2010 2015

Flandre 51,6 54,4 56,4 58,6 57,2 57,5 58,6

Wallonie 34,3 28,5 27,6 26,4 23,6 23,9 23,1

Bruxelles 14,1 17 16 15 19,1 18,5 18,2

Sources : VANDERMOTTEN ; EUROSTAT, 2018.

Dans les pays des Suds


Au contraire, dans les pays des Suds, on continue plutôt d’assister à la
montée des revendications politiques et sociales des régions périphériques qui
se sentent dominées et exploitées par le centre (Philippines, Indonésie, Inde,
Mexique, Guatemala, Nigeria, pays andins…). Ces processus renvoient aussi
souvent à l’histoire précoloniale (cf. traite négrière) et de la colonisation et,
en particulier en Afrique subsaharienne, au découpage des États (cf. Congrès
de Berlin de 1884-1885) dont les tracés frontaliers tiennent en général
peu compte des facteurs linguistiques, culturels et ethniques. Ainsi, au
Nigeria, le partage de la rente pétrolière du golfe de Guinée oppose depuis
longtemps les Ibos au pouvoir central, alors que s’accroissent
dangereusement les contradictions entre le Nord musulman et le Sud chrétien
ou animiste et que se multiplie la création d’États fédérés afin de mieux
négocier l’accès à la rente pétrolière. Une ligne de fracture Nord/Sud traverse
ainsi une large partie des États sahéliens (Mauritanie, Niger, Mali, Tchad) qui
aboutit par exemple au Soudan à la partition du pays en 2011, remettant ainsi
en cause le principe de l’intangibilité des frontières adoptées par
l’Organisation de l’Union africaine (OUA) lors des indépendances.
À cela s’ajoute parfois la disparition pure et simple de l’État, dits « faillis »
(Libye, Somalie, Centrafrique, Sud-Soudan, Congo, Yémen…), son
incapacité, faute de moyens et de volonté, à assumer ses fonctions les plus
essentielles comme la garantie de la simple sécurité physique de ses habitants
(Haïti, Congo, Mali…) ou son total dévoiement (cf. « narco-États » : Guinée-
Bissau, Amérique centrale…). Si l’anarchie et le règne du plus fort
s’imposent souvent, les sociétés civiles parviennent parfois à reconstruire
sur ces décombres de nouveaux modes d’organisation et de régulation dans le
cadre de communautés urbaines ou rurales gérées sur les modes de
l’autogouvernance afin de s’assurer un minimum de services collectifs
vitaux. Ces mosaïques informelles innovantes s’articulent soit à d’anciens et
durables liens de solidarités ethniques ou claniques, sociaux ou
géographiques, soit à des organisations non gouvernementales, des
mouvements religieux, des associations de quartiers ou d’entreprises.
Enfin, les logiques de fragmentation traversent aussi tout le corps social de
manière transversale et peuvent se révéler dévastatrices quand les fonctions
d’aides, de régulation et de solidarité de l’État sont reprises par certains types
d’organisation. Les sectes et églises indépendantes prolifèrent depuis le début
des années 1980 en Afrique subsaharienne et encadreraient un habitant sur
cinq. Dans cette logique, c’est sans doute en Afrique du Nord et au Proche et
Moyen-Orient que le phénomène est le plus net avec la montée en puissance
progressive ces dernières décennies – même si les Frères Musulmans
apparaissent en 1928 – d’organisations caritatives islamistes qui allient
activités de secours et d’encadrement sanitaire et scolaire de proximité,
prédication religieuse, embrigadement idéologique et projet politique et
géopolitique.

La Centrafrique : implosion d’un État sahélien et prédation


rentière

Petit pays africain parmi les plus pauvres du monde et sous-peuplé


(6,5 hab./km2), la Centrafrique est disloquée par les crises et conflits. Au
cœur du continent africain, elle fut, comme de nombreux États d’Afrique
subsaharienne, une création coloniale liée à la deuxième mondialisation. Paris
y trouvait deux intérêts majeurs : stratégique, du fait de sa position charnière,
et économique avec la mise en coupes réglées du territoire et de la population
par dix-sept compagnies concessionnaires qui se partagèrent la moitié du
pays à partir de 1889. Déjà affaiblie par la traite négrière arabo-soudanaise
qui désertifia toute la partie orientale du pays au XIXe siècle, la moitié de la
population périt entre 1890-1940, victimes d’une exploitation forcenée
(travail forcé, portage…).
Ce système fut remplacé à partir des années 1930 jusqu’aux années 1980
par la promotion autoritaire des cultures commerciales exportatrices : cycle
du caoutchouc, introduction du coton en 1925, suivi du café, puis du tabac.
Mais avec la crise des rentes traditionnelles (coton, café, perfusion financière
française) dans les années 1970-1980, la stratégie de redistribution se fait de
plus en plus clientéliste et est fondée sur les clivages ethno-régionaux qui
fragilise le pays sur le modèle de la « politique du ventre » analysée par Jean-
François Bayard [BAYARD, 1989]. Si, depuis son indépendance formelle
en 1960, le pays occupait une place nodale dans le dispositif militaire français
(bases de Bangui et Bouar) en servant de base à de nombreuses interventions
régionale, la France décide en 1997 du redéploiement de son dispositif
militaire africain et s’en retire.
Privé de subsides dont il était totalement tributaire, l’État s’effondre dans
les années 2000, alors que des conflits armés multiformes, d’abord internes
(cf. entre Séléka et anti-balaka) qui instrumentalisent les identités ethniques et
religieuses, se multiplient et se régionalisent. Au plan intérieur, il est victime
de l’instabilité et de la tribalisation de la vie politique, alors que
l’accaparement de la faible rente d’État redistribuée depuis Bangui, seul
grand pôle économique, est l’objet de convoitises entre groupes armés. On
assiste à une « reprivatisation » de l’État par les différents présidents qui
s’auto-délivrent des droits d’exploitation (cf. Ange-Félix Patassé, François
Bozizé). Au plan extérieur, les conflits à ses frontières (Tchad, Sud-Soudan,
Zaïre, Congo) entraînent un vaste afflux de réfugiés et le blocage de l’axe de
transport de l’Oubangui, accentuant son enclavement. L’appareil productif et
les infrastructures énergétiques et de transport s’effondrent. La population est
en survie, alors que l’insécurité se généralise. L’éducation devient une fiction
avec la multiplication des « années blanches » (sans cours) alors que 56 %
des 3,5 millions d’habitants sont analphabètes ; la santé, quant à elle, tombe
en déshérence alors que le sida contamine environ un quart de la population
adulte.
Cette situation d’anarchie et de violence est propice à la mise en place de
nouvelles logiques d’accaparement et de prédation rentière des rares
ressources disponibles (forêt et bois, diamants, pétrole, minerais, élevage) par
les élites locales en association parfois avec des groupes étrangers malaisiens,
indonésiens, chinois ou sud-africains. Les groupes armés et criminalisés
exploitent pour leur propre compte les ressources dispersées en province. Le
tout aboutit à une fragmentation du territoire national en fiefs, alors que les
autorités officielles se recroquevillent sur Bangui. L’appel à des forces
extérieures (RDC, Ouganda, Soudan, Tchad) pour acquérir une supériorité
militaire accélère les interventions des pays voisins et facilite les razzias
(bétail), le braconnage, le contrôle des sites diamantifères et des pâturages, et
les taxations et extorsions diverses (barrages sur les axes de circulation…).
Victime du désintérêt stratégique de l’ancienne puissance coloniale, de
l’inconsistance de ses élites politiques et économiques, et d’une insertion
dominée et prédatrice dans la mondialisation, la Centrafrique est le reflet des
mutations bouleversant actuellement une partie de l’Afrique subsaharienne
bien étudiée par les géographes français comme Alain Dubresson [2016],
Géraud Magrin [2013] ou Roland Pourtier [2017]. Malgré les interventions
de l’Union africaine, de la présence des forces de l’ONU à Bangui (Minusca,
Fomac, Binuca), des menaces de la CPI (Cour pénale internationale) ou
d’élections relativement propres en 2016, la situation demeure délétère.
Pour autant, il n’y a aucune fatalité à cette situation, comme le souligne
après des années de guerre la stabilisation de la Côte d’Ivoire, du Liberia ou
de la Sierra Leone. Les États africains sont confrontés à de nombreux défis :
réarticuler démographie et développement ; démocratiser et déprivatiser
l’État afin de permettre une large redistribution des richesses, sociale et
territoriale ; sortir des économies de rente et de la dépendance au profit
d’un développement plus autonome et endogène.
Figure 6.4 La Centrafrique
Le Mexique et l’USMCA : une intégration dominée
et déséquilibrée

La spécificité mexicaine : le laboratoire d’une insertion dominée arrimé


aux États-Unis
Rompant progressivement à partir des années 1960 avec la stratégie de
développement endogène décidée après la Révolution de 1910, les élites
mexicaines optent pour une ouverture internationale croissante, c’est-à-dire
un ancrage direct aux États-Unis, dans les années 1980-1990 (GATT : 1986 ;
ALENA : 1994). Les IDE affluent dans l’industrie, la finance, le commerce et
le tourisme. Ces choix se traduisent par une insertion de plus en plus intense,
mais déséquilibrée, dans une division internationale du travail continentale
qui transforme le Mexique en pays-atelier à bas coûts salariaux et en annexe
productif des États-Unis. En 2018, la transformation de l’ALENA en
USMCA sous pression du président Trump introduit d’ailleurs deux
nouvelles conditions dans l’industrie automobile, en réponse à sa base
électorale du Midwest frappée par les délocalisations : un salaire horaire
minimum garanti de 16 dollars, une augmentation de 62,5 à 75 % des
composants fabriqués dans l’un des trois pays au détriment des importations
de pays tiers. Ce brutal bras de fer négocié en quelques mois éclaire d’un jour
cynique les réels rapports de force entre Washington, Toronto et Mexico au
sein de l’USMCA.
Alors que les revenus pétroliers, poumon traditionnel des finances
publiques, reculent fortement, pour beaucoup, du fait du pillage par l’État de
la PEMEX, le Mexique et ses territoires sont de plus en plus dépendants d’un
ancrage multiforme aux États-Unis via les flux commerciaux (80 %), les IDE
(45 %), le tourisme international, les transferts financiers des 13 millions de
migrants d’origine mexicaine qui vivent aux États-Unis (98 %) et, enfin, le
vaste trafic international de drogue qui irrigue tout le sous-continent.
Confronté à des défis considérables comme les 54 millions de pauvres (44 %
de la population), le pays est tout particulièrement rongé par l’influence des
cartels de la drogue dont l’emprise sur l’économie, la société, les territoires
ou les autorités locales, provinciales ou nationales ne cesse de progresser.
Pour autant, comme dans de nombreux pays des Suds présentant une certaine
taille économique, le Mexique possède d’importantes entreprises contrôlées
par les grandes familles du pays (Zambrano de Cemex, Garza Sada de
Bimbo, Gonzles Barrera de Grumma…). La géographie des pouvoirs de
commandement y reflète une structure hiérarchique marquée, éclairant les
héritages historiques avec la domination du Grand Mexico, devant le Nuevo
León et la métropole de Monterrey, puis le Chihuahua. Mais au total, malgré
sa taille, le Mexique ne dispose que de deux firmes dans le Top 500 mondial :
Femsa spécialisée dans la bière et Movil de Carlos Slim dans
les télécommunications.
America Movil : le champion mexicain
des télécommunications en voie de mondialisation
Fondée en 2000 à Mexico par Carlos Slim, aujourd’hui l’une des premières
fortunes mondiales, América Movil est une compagnie de téléphones et
télécommunications (fixe, mobile, Internet, câbles télévision) de
194 000 salariés et réalisant 47 milliards de dollars de chiffre d’affaires.
Deuxième firme transnationale mexicaine, elle est devenue l’un des grands
acteurs mondiaux des télécommunications en desservant 300 millions de
clients, en particulier grâce à la révolution du téléphone mobile (80 % de ses
clients et 63 % de ses revenus). L’étroit contrôle de sa base nationale (70 %,
un tiers des ventes mondiales) lui a permis de partir à la conquête du marché
latino-américain, puis mondial. Elle s’est fortement internationalisée, en étant
présente dans une vingtaine de pays d’Amérique latine, aux Caraïbes et aux
États-Unis où la diaspora mexicaine lui fournit 17 millions de clients. Ce
succès repose sur le déploiement d’une infrastructure comportant cinq
satellites, 300 000 kilomètres de fibres optiques et des câbles sous-marins.
Pour financer son fort développement, elle obtient en 2009 un prêt d’1 milliard
dollars de la China Development Bank.

L’industrie maquiladora : division continentale du travail et trajectoires


régionales
Le symbole le plus éclatant de cette trajectoire d’ancrage dominé aux États-
Unis est le développement de l’industrie maquiladora. Cette spécificité
mexicaine est d’autant plus instructive qu’elle s’appuie sur trois facteurs
exceptionnels. Le premier est un facteur géographique : cet espace est le seul
exemple au monde de contact terrestre immédiat entre, d’un côté, un pays
hautement développé, première puissance mondiale, les États-Unis et, de
l’autre, un pays des Suds pauvre et en graves difficultés structurelles, malgré
de grandes richesses, et en forte croissance démographique. Le deuxième
facteur est géoéconomique : l’USMCA est le seul exemple au monde de
création d’un vaste système productif et commercial unifié dans un marché
unique à base continentale regroupant des pays si proches géographiquement
mais si inégaux par leur puissance économique et leurs niveaux de vie. Il n’y
a là ni océans, ni vastes glacis intermédiaires. Enfin, il s’agit d’un facteur
géopolitique : si les marchés sont unifiés, la frontière politique demeure
hermétiquement fermée par les États-Unis aux flux migratoires Sud/Nord
à l’aide d’un véritable mur grillagé courant sur des milliers de kilomètres.
L’industrie maquiladora (de l’espagnol maquilar, « sous-traiter » ou de
maquila, portion de farine retenue en Castille par le meunier en paiement de
son travail) est née en 1965. L’État mexicain d’alors doit répondre à une
grave crise sociale des régions septentrionales du fait des mesures restrictives
adoptées par les États-Unis contre les travailleurs migrants transfrontaliers
(braceros). Ce choix répond à quatre objectifs : territoriaux, avec le
rééquilibrage vers le nord du potentiel productif polarisé historiquement sur
le centre du pays, en particulier Mexico et Nuevo León ; sociaux, avec la
création d’emplois ; technologiques, afin de capter des segments productifs
modernes et des transferts de technologies face aux industries lourdes
nationalisées et au tissu de PME traditionnelles ; économiques, grâce à
l’arrivée de nouveaux capitaux et investissements.
Afin d’attirer les IDE, les entreprises maquilas bénéficient d’un statut
fiscal avantageux qui les autorise à importer sous douane machines, matières
premières et pièces détachées pour assembler des produits destinés ensuite
exclusivement à l’exportation. À cet avantage s’ajoute un cadre légal peu
contraignant : ultraflexibilité, répression antisyndicale, corruption, violence
des rapports sociaux, bas salaires et de dures conditions de travail.
Le Mexique va ainsi capter les segments terminaux (montage banal de
masse à la chaîne), des activités très taylorisées (faibles salaires et faibles
qualifications ouvrières) et géographiquement très mobiles (textile,
automobile, électronique, meubles…) dans le cadre de la division
internationale du travail des transnationales. Dès l’origine, les firmes états-
uniennes vont dominer. La répartition des tâches entre les deux pays se
concrétise par la construction d’usines-jumelles (twin-plants) à cheval sur la
frontière. La partie américaine assure les fonctions de gestion, de recherche-
innovation et d’encadrement, et la partie mexicaine remplit les fonctions de
productions banales. Cependant, la croissance de cette industrie est corrélée
aux progrès de la mondialisation et de l’intégration économique continentale :
elle passe de 67 000 emplois en 1975, à 1,2 million en 2000 et 2,6 millions
en 2017.

Tableau 6.5 L’essor spectaculaire des salariés


des maquiladoras mexicaines (milliers)

1975 1980 1990 2000 2010 2017

67 130 446 1 291 1 810 2 600

Source : INEGI, 2018.

Mais cette stratégie a son revers. Alors que le gouvernement privatise les
entreprises publiques créées dès l’entre-deux-guerres, cette ouverture expose
brutalement à la concurrence internationale l’économie traditionnelle du pays
qui joue un rôle social et territorial central. Elle entraîne des mutations
structurelles majeures. La concentration économique se traduit par
l’émergence d’oligopoles sectoriels (automobile, sidérurgie, verre,
agroalimentaire). Le dualisme des structures s’accroît : alors que les
transnationales mettent la main sur la majeure partie des activités stratégiques
et modernes, une partie des entreprises non maquiladoras, dont beaucoup de
PME des secteurs traditionnels ou de l’agriculture, est balayée par
la concurrence, tout comme une partie du secteur du commerce. Enfin, les
dynamiques territoriales sont fortement polarisées sur quatre ensembles
régionaux au détriment du reste du territoire, en particulier le sud : Mexico,
Nuevo León, vieux centre historique de la bourgeoisie industrielle de
Monterrey, Jalisco et nord frontalier.
Figure 6.5 Les industries maquiladoras : la diffusion géographique d’un
modèle d’insertion dominée
De marginale, l’industrie maquiladora est devenue l’un des facteurs
structurels majeurs des transformations économiques, sociales et territoriales
des dernières décennies. Cependant, les effets d’entraînement sur le potentiel
productif national sont négligeables en raison de la faiblesse de la valeur
ajoutée nationale qui s’explique par trois facteurs. 80 % des intrants sont
importés, alors que les niveaux de qualification demeurent extrêmement
faibles avec 70 % d’ouvriers peu ou non qualifiés face à seulement 17 % de
techniciens de la production et 15 % d’administratifs. Au total, et
contrairement aux pays d’Asie, le Mexique s’avère incapable d’engager un
véritable développement scientifique et technologique, malgré le potentiel
accumulé du fait de l’incurie des politiques étatiques et des élites. Cette
industrie ne résout donc en rien les problèmes structurels du pays, en
particulier le poids des jeunes arrivant sur le marché du travail et de
l’économie informelle, et le maintien d’une pauvreté de masse. Surtout, cette
greffe exogènene est étroitement dépendante de la conjoncture économique
des États-Unis et est concurrencée par la diffusion du modèle à une grande
partie de l’Amérique centrale (San Salvador, Honduras, Guatemala…), où les
salaires sont encore plus faibles, et à la concurrence des pays asiatiques
(textile, électronique).

Tableau 6.6 Les structures régionales du Mexique : les trois


grands ensembles (%)
Stock Salariés Investissement
Superficie Population PNB
d’IDE maquiladoras 2007-2016

Nord 60,5 25,9 31,6 39,3 70,5 29,7

Nord
37,3 13,6 16,9 20,8 57 16,4
frontalier

Nord
23,2 12,3 14,7 18,5 13,5 13,3
Intérieur

Hearthland 15,7 51 51,6 50,5 24,6 45,8

Grand
5,1 33,2 35 35,8 12,4 30
Mexico

Centre-
10,6 17,9 16,5 14,7 12,2 15,8
Ouest

Sud 23,8 23,1 16,9 10,2 4,9 24,5

Source : INEGI, 2018.

La mue des territoires : de la polarisation initiale à une diffusion


sélective
Initialement polarisés sur les États frontaliers septentrionaux, les milliers
d’établissements des maquiladoras se diffusent progressivement vers le
centre du pays du fait de la saturation des principaux pôles historiques que
sont les États fédérés frontaliers du nord (Chihuahua, Basse-Californie,
Tamaulipas, Coahuila, Sonora, Nouveau León). Sur 37 % du pays, ils
polarisent seulement 14 % de la population, mais 40 % des IDE et surtout
70 % des salariés des maquiladoras car dans cette zone désertique et peu
peuplée, on assiste à des déséconomies d’agglomération du fait de la
saturation des équipements (infrastructures, transports, fourniture électrique
et en eau en zone désertique…) et des marchés du travail des pôles urbains
d’accueil. Enfin, et surtout, les salaires y deviennent plus élevés, en
particulier grâce aux développements des luttes revendicatives des salariés
surexploités, comme en témoigne en décembre 1997 la reconnaissance du
premier syndicat indépendant du pouvoir malgré une répression sociale et
syndicale généralisée et souvent impitoyable.
Aux échelles régionales et locales, la géographie des maquiladoras est
fortement polarisée sur les grands centres urbains et les grands couloirs
industriels traditionnels, dont les villes-champignons parfois créées
quasiment ex nihilo connaissent une croissance foudroyante, du fait de la
relative faiblesse du niveau général d’équipement en infrastructures du pays.
Cette dynamique spatiale est renforcée par la stratégie d’accueil des différents
États fédérés qui se dotent d’un réseau dense de parcs ou de zones
industrielles (Basse-Californie, Sonora…). On y assiste à un sensible
renforcement des hiérarchies urbaines préexistantes avec l’apparition de
structures mono-, bi- ou tricéphales selon les États (Basse-Californie :
Tijuana et Mexicali ; Chihuahua : Juárez et Chihuahua…). Dans certains
États, les activités des maquiladoras sont des greffes exogènes qui créent
totalement l’industrie moderne (Basse-Californie, Tamaulipas, Chihuahua).
En définitive, seuls les bastions industriels historiques réussissent à se
dégager de leur emprise croissante (District fédéral, Mexico, Nuevo León),
alors que les transnationales mettent en œuvre une stratégie systématique
d’évitement des régions ou des États les plus en difficulté.

L’Indonésie : entre rente prédatrice, intégration et émergence


en débat

Par sa population (266 millions d’habitants, 4e rang), sa superficie


(1,9 million de km2, 15e rang), sa morphologie archipélagique (5,4 millions
de km2 d’eaux territoriales) et sa zone économique exclusive (7,9 millions
de km2, 7e rang), l’Indonésie est un géant. D’autant que sa position de contact
entre l’Eurasie et l’Australie et la possession des détroits maritimes de la
Sonde et de Malacca lui confèrent une position stratégique remarquable.
Comme le Mexique ou le Nigeria, l’Indonésie appartient au groupe des
puissances régionales potentielles dans le nouveau pavage du monde. Pour
autant, il y a loin de la coupe aux lèvres et malgré de nombreux atouts, le
pays demeure une puissance de second rang, y compris en Asie du Sud-Est.
Le cas indonésien traduit bien le besoin d’une étude des territoires comme
rapports complexes et dynamiques à l’aide de la géopolitique et de la
géoéconomie pour mieux saisir les nouvelles interdépendances asymétriques
nées de la mondialisation.

Un géant aux pieds d’argile : dictature, État prédateur et couple


croissance/développement
Cet immense État est un géant aux pieds d’argile du fait de sa configuration
spatiale et de son hétérogénéité géopolitique interne. S’étendant sur
5 100 kilomètres d’est en ouest (3 fuseaux horaires) et 2 000 kilomètres du
nord au sud, cet archipel de 13 600 îles est divisé en 24 provinces et
3 territoires. Les distances, l’étalement et la dispersion géographique
induisent des logiques de compartimentage et d’isolement qui en font une
mosaïque ethnolinguistique (environ 400 langues et dialectes) et un État
polyethnique (plus de 200 groupes, les Javanais représentant 40 % de la
population). S’il est le plus grand État musulman du monde (Islam : 87 % de
la population), il présente cependant une grande diversité du fait des héritages
géohistoriques (chrétiens : 9 % ; hindouistes : 2 % ; bouddhistes : 1 % ;
animistes) et géographiques (Islam dominant à Java et Sumatra, autres
religions en périphéries). Face à ces contraintes, sa problématique est définie
dans sa devise nationale : « L’unité dans la diversité ». Cependant, depuis
plus de cinquante ans, le pouvoir central javanais alterne logiques de forces
uniformisatrices et compromis avec les minorités et périphéries dont
témoigne l’adoption d’une langue commune en 1939 ou la recherche d’une
certaine harmonie religieuse malgré un Islam dominant, parfois largement
instrumentalisé à des fins politiques, alors que la montée d’un islamisme
radical est de plus en plus sensible (cf. attentats…).
Son développement économique et son insertion dans la mondialisation
furent initiés précocement dans un cadre national très particulier qui s’appuie
sur de denses héritages précoloniaux et coloniaux : traditions urbaines et
culturelles, puissants circuits commerciaux, plantations agro-industrielles et
début d’industrialisation… En pleine guerre froide (septembre 1965), le
général Soeharto organise un sanglant coup d’État anticommuniste
(500 000 à 1 million de morts) avec la bénédiction de la CIA et instaure un
« Ordre Nouveau ». Articulant capitalisme sauvage et forte intervention
étatique, ce régime est fondé sur la collusion d’étroits groupes d’intérêts dans
un cadre népotique, clientéliste et affairiste. On trouve la famille
présidentielle qui accumule une énorme fortune, en réalisant une OPA sur
certains secteurs économiques (trafic aérien, télédiffusion, banque, industrie
lourde, agroalimentaire, contrôle de monopoles industriels et
commerciaux…), les grands hommes d’affaires de l’influente diaspora
chinoise et, enfin, l’armée, qui se voit reconnaître une double fonction civile
et militaire par la Constitution (défense du territoire et maintien de l’ordre
intérieur) et joue un rôle économique important (sociétés d’État, banque,
immobilier, transport, hôtellerie, assurance…). À tout cela s’ajoutent les
intérêts stratégiques et économiques des États-Unis et ceux des compagnies
transnationales (pétrole, mines, bois). La violente crise financière et
économique de 1997-1998 aboutit à un vaste mouvement populaire balayant
la dictature.
Depuis les années 2000, l’archipel connaît une vie politique plus
démocratique avec élections libres et alternances, une croissance économique
réelle (+ 129 %) et une amélioration des conditions de vie malgré une forte
croissance démographique (+ 53 millions, + 25 %). Pour autant, les enjeux de
développement demeurent considérables : les emplois précaires et informels
représentent 60 % des 192 millions d’actifs, les infrastructures demeurent
largement déficientes (routes, électricité, ports…), la faible qualification de la
main-d’œuvre participe d’une réelle sous-industrialisation, les tensions
sociales et religieuses persistent.

Économie rentière, reprimarisation et articulation centre/périphéries


Structurellement, l’Indonésie n’a toujours pas réussi à sortir du modèle
d’économie rentière imposé par la colonisation hollandaise, les exportations
de matières premières représentant aujourd’hui 44 % des exportations. Son
économie est donc très sensible aux prix mondiaux. Ces vingt dernières
années, son ancrage croissant au marché chinois s’est même traduit par une
reprimarisation du fait de l’accélération de l’exploitation de ses
exceptionnelles potentialités tant minières (gaz, pétrole, charbon, étain,
bauxite, cuivre, nickel, or…) qu’agricoles, forestières ou maritimes. Alors
qu’en vingt ans les surfaces des plantations (huile de palme, caoutchouc,
canne à sucre…) ont triplé en passant de 2,2 à 7,3 millions d’hectares au
détriment le plus souvent du couvert forestier, le pays entend devenir à
l’avenir un producteur majeur de riz, de maïs, de sucre, de café, de crevettes,
de viande et d’huile de palme. Ce capitalisme agraire et minier hésite en
permanence entre appel aux IDE et volonté de réappropriation nationale des
ressources naturelles. Ainsi, la firme états-unienne Freeport a dû céder
en 2018 la mine d’or et de cuivre de Grasberg – qui réalise à elle seule 50 %
du PIB de la province de Papouasie – à l’État auquel elle rapporte 1 milliard
de dollars de redevance par an, contre seulement 65 millions de dollars
à la Papousie.
Ce système géoéconomique rentier repose toujours sur le fait que le centre
javanais domine et exploite à son unique profit des périphéries de plus en
plus lointaines et mal intégrées dans le cadre d’une insertion dans la
mondialisation, elle-même dominée et dépendante. Java et Sumatra sont en
effet au cœur du dispositif démographique, économique et politique face aux
« îles extérieures » périphériques, forestières et peu peuplées. Ainsi, le centre
polarise 83 % de la croissance économique nationale et 87 % des créations
d’emplois industriels. Ces dernières décennies, la rupture la plus notable
intervient à Sumatra dans la région de Riau, qui connaît un fort
développement du fait de son intégration fonctionnelle au « triangle de
développement » organisé par Singapour qui y délocalise – comme dans le
sud de la Malaisie – une large partie de ses activités industrielles productives.
Dans les quatre provinces de Bornéo, plus de 2 000 concessions minières ont
été concédées en dix ans sur 4 millions d’hectares.

Tableau 6.7 L’Indonésie : l’importance des déséquilibres


régionaux (% national)
Sources : annuaires statistiques nationaux, 2017.

Cette intégration des périphéries s’est aussi construite sur la


« transmigration », le déplacement « volontaire » et organisé des populations
javanaises vers les périphéries insulaires. Si ce système apparaît dès l’époque
coloniale, il a été systématisé et sa base territoriale élargie entre 1960-1990. Il
répond à un triple objectif : atténuer les profonds déséquilibres
démographiques entre l’hypercentre surpeuplé et les périphéries sous-
peuplées, fournir la main-d’œuvre nécessaire aux fronts pionniers agricoles,
forestiers et miniers des marges, accélérer et parachever l’intégration
nationale par une logique de conquête démographique et, de fait accompli, en
noyant les petites populations autochtones par des transferts massifs devenus
majoritaires (Moluques, Kalimantan, Papouasie) malgré les nombreuses
résistances régionales.
Figure 6.6 L’Indonésie : un État-archipel entre disparités et intégration
nationale
Cette intégration des périphéries a enfin débouché sur un très important
recul des surfaces forestières, alors que le pays disposait de la troisième forêt
mondiale en 1960. Dans un contexte environnemental tropical où le lessivage
des sols est irréversible, ce très violent processus compromet gravement,
parfois de manière irrémédiable, la reconstitution du couvert forestier. C’est
pourquoi, face à une très progressive et tardive prise de conscience des
autorités, certaines opérations de reboisement sont lancées. Cependant, elles
concernent essentiellement des plantations d’acacias et d’eucalyptus, arbres à
croissance rapide, pour les besoins des grandes compagnies de pâtes à papier
finlandaises, canadiennes ou japonaises. En réaction à l’épuisement du
patrimoine national, les compagnies forestières indonésiennes s’implantent
aujourd’hui massivement en Afrique subsaharienne et en Amérique latine.
Comme le soulignent Georges Rossi et Rodolphe De Koninck [2019], la
déforestation n’a rien à voir avec la pratique équilibrée des défrichements-
brûlis des populations agricoles autochtones de la zone intertropicale humide
mais doit tout « aux activités de type capitaliste cherchant à maximiser les
profits et à la marginalisation des paysans pauvres qui n’ont d’autre solution
que la consommation du capital forestier ».
Au total, le système indonésien s’est construit sur une logique prédatrice
articulée à une intégration dominée dans la mondialisation qui a sacrifié le
développement à une croissance sensible mais fragile et déséquilibrée. Les
contradictions accumulées sont telles que l’archipel doit sans doute à terme
rechercher un nouveau modèle de croissance économique et sociale plus
économe, solidaire, efficace et durable. Mais cette voie obligerait à
renégocier les bases de l’intégration nationale, à poser la question
fondamentale du pouvoir et de la répartition de la richesse, à promouvoir des
pratiques politiques plus démocratiques et à refonder les modalités de
l’insertion économique. Le laboratoire indonésien illustre à sa manière les
limites atteintes dans de nombreux États de l’Asie du Sud-Est par un modèle
opposant un hyper-centre à ses périphéries dominées (Philippines, Malaisie,
Thaïlande, Vietnam, Cambodge, Birmanie…). Les effets désintégrateurs de la
mondialisation y servent de révélateur à de profonds dysfonctionnements
géoéconomiques et géopolitiques internes.

La Chine : mutation, puissance et territoires

Face aux autres pays du monde, en particulier des Suds, la Chine se


caractérise par sa capacité à définir et à piloter à long terme des mutations
structurelles historiquement inédites qui renvoient à de multiples facteurs
internes géopolitiques, politiques et culturels. Après la mort de Mao en 1976,
Deng Xiaoping lance une série de réformes qui stagnent avant de s’accélérer
spectaculairement en 1992 à la suite de la leçon que représente pour Pékin
l’implosion de l’URSS. En ouvrant, puis en insérant de manière croissante le
pays dans la mondialisation (adhésion à l’OMC en 2001), elles visent trois
objectifs majeurs : rompre avec le modèle autarcique maoïste et sortir enfin le
pays du sous-développement, défendre, puis promouvoir ses intérêts
nationaux (réintégration de Hong Kong en 1997, de Macao en 1999) et
maintenir le Parti communiste au pouvoir. En quelques décennies, ce
processus a permis à la Chine de devenir une nouvelle puissance mondiale
dont l’essor comme l’affirmation bousculent les équilibres mondiaux, tout en
transformant profondément les rapports internes entre l’État, la société,
l’économie et les territoires, comme le soulignent les travaux de Thierry
Sanjuan et Sébastien Colin. Pour autant, le pays demeure confronté à
d’immenses défis multiformes (autoritarisme, immenses inégalités, bulles
spéculatives, endettement, dualisme territorial et inégalités régionales,
pollution…).

Ouverture et réformes, tensions et mutations


En rompant avec le modèle maoïste, les réformes ont dopé l’économie
nationale pour faire de la Chine un nouveau géant. Depuis 1990 – soit en plus
de trente ans, presque une génération – les bouleversements sont
exceptionnels : le PIB est multiplié par 10, les exportations par 25,
l’investissement par 15, la production agricole par 3 et la consommation des
ménages par 8. Le PIB par habitant – qui mesure la richesse produite par
habitant, donc l’efficacité socio-économique globale du pays – est multiplié
par 10. Enfin, la production industrielle est multipliée par 3 en dix ans.
L’ouverture s’accompagne d’un phénomène d’aspiration considérable : en
trente ans, la Chine capte 30 % des IDE mondiaux destinés aux Suds. Le
stock d’IDE y passe de 20 à 1 490 milliards de dollars entre 1990 et 2017,
pour arriver au 3e rang mondial derrière les États-Unis et le Royaume-Uni. Et
ce alors que la population passe de 1,153 à 1,409 milliard d’habitants
(+ 256 millions, + 22 %). Dans ce processus, deux grandes phases principales
peuvent être identifiées.
La première phase des décennies 1990-2010 est celle de l’ouverture, de la
modernisation, de l’accumulation sauvage et de l’aspiration maximale du
capital et des technologies occidentales. Hypertrophié et obsolète, le secteur
industriel d’État, construit sur le modèle soviétique dès les années 1950, en
privilégiant la Chine intérieure, est profondément restructuré et l’agriculture
modernisée libérant ainsi des centaines de millions d’actifs, alors qu’un
puissant secteur coopératif et un secteur privé dynamique se développent.
Avec l’adhésion à l’OMC, le gouvernement accélère la refonte des secteurs
économiques jugés stratégiques (mines, pétrole, aviation, armements,
automobile, électronique, télécommunication…). La Chine devient le premier
atelier du monde, en s’insérant dans les chaînes de valeur des FTN
industrielles et commerciales. Avec plus de 20 millions de salariés, les
transnationales, souvent alliées aux acteurs locaux, réalisent alors un quart de
la production industrielle et 45 % des exportations. Attirées par ses très bas
coûts salariaux, des firmes occidentales et asiatiques investissent en Chine
pour répondre à l’immense marché national et, surtout, réexporter : le pays
produit alors, par exemple, 70 % des jouets, 55 % des appareils photo, 29 %
des téléviseurs et la moitié des portables, des téléphones et du textile du
monde.
La seconde phase actuelle repose sur un changement progressif du modèle
de croissance, moins extraverti et donnant la priorité au développement
intérieur, alors qu’en 2011 un seuil symbolique est franchi (population
urbaine : 50,6 %). En 2017, Xi Jinping, secrétaire général du PCC, proclame
lors du XIXe Congrès une double ambition : que la Chine « prenne une place
encore plus centrale sur la scène internationale » et que le pays devienne
en 2020 une « société de petite prospérité » ayant éradiqué la pauvreté. Face à
la hausse du yuan, à la baisse de la population active liée au vieillissement, à
l’urbanisation (55 % en 2017, 60 % en 2020), à la forte dégradation de
l’environnement et à la montée des salaires, il faut monter en gamme, mieux
former la main-d’œuvre et accélérer dans les secteurs innovants
(informatique, Internet, composants, robotique, nucléaire, médical,
aéronautique et spatial…). La SASAC, administration chargée de la gestion
des entreprises d’État, dote le pays de champions nationaux capables de
verrouiller un marché encore peu ouvert et de se lancer sur le marché
mondial : on compte 60 firmes chinoises dans les 500 premières FTN
mondiales.
Pour autant, ces profonds bouleversements s’accompagnent de fortes
tensions internes et d’une explosion des inégalités entre gagnants et perdants.
La Chine devient en effet l’un des États les plus inégalitaires au monde : une
petite oligarchie (10 % de la population) étroitement liée au pouvoir, dispose
de 73 % de la richesse (1 % de la population : 44 % richesses), alors que
68 % de la population demeure largement à l’écart (cf. 600 millions de
pauvres) et que 22 % appartiennent aux nouvelles couches moyennes
salariées urbaines.

Tableau 6.8 Évolution du poids économique des grands


ensembles (% PNB national)

1978 1990 2000 2015

Est littoral 44,1 45,9 52,8 51,7

Centre 21,9 22,2 20,2 29,1

Ouest 20,1 20,2 17 11,2

Nord-Est 13,9 11,7 10 7,9

Source : d’après China Statistical Yearbook.


Déséquilibres spatiaux et recomposition de l’espace chinois
Cependant, cette dynamique est territorialement déséquilibrée, l’entrée dans
les décennies 1990-2010 se construisant sur un double processus de
littoralisation et de maritimisation qui constitue un tournant géohistorique
majeur depuis le XVIIe siècle : création de zones économiques spéciales
en 1980, « villes littorales ouvertes » en 1984… Du fait des privilèges
territoriaux accordés par Pékin, les provinces littorales captent l’essentiel de
la croissance. Les IDE y survalorisent la taille des marchés provinciaux, le
niveau des infrastructures, la formation de la main-d’œuvre et, enfin, l’accès
aux marchés d’exportation. La stratégie adoptée se traduit par une intégration
croissante des économies et des territoires de la façade littorale au marché
mondial, au prix d’une explosion des déséquilibres internes dus à la
désintégration de l’espace économique et productif issu de la période de
structuration maoïste qui, malgré ses contradictions, releva la Chine de ses
ruines après 1945.
Trois Chine se dessinent alors nettement. À la prospérité des zones
côtières, de plus en plus extraverties (Guangdong et delta de la rivière des
Perles, Shanghai…), s’opposent les régions intérieures les plus peuplées, où
s’accumulent les blocages socio-économiques et démographiques, et tout
l’Ouest qui, bien que marginalisé, garde cependant un intérêt stratégique
majeur pour le pouvoir central. La capacité à intégrer les dynamiques du
marché devient en effet territorialement hypersélective, et ce à toutes les
échelles géographiques, en réactivant de multiples clivages qui font rejouer
de vieilles lignes de fracture séculaires : géopolitiques entre la majorité Han
et les minorités périphériques qui avec 9 % de la population occupent 64 %
du territoire ; géoéconomiques entre villes et campagnes où les ruraux (58 %
de la population et 66,5 % des actifs) ne disposent que de 40 % du revenu
national, entre campagnes bloquées et surpeuplées des dix-huit provinces de
l’intérieur et campagnes modernisées littorales grâce aux activités non
agricoles (services, transports, ateliers industriels), et enfin, entre villes elles-
mêmes de plus en plus concurrentes et entre urbains.
Ces nouveaux clivages sont favorisés par un processus de déconcentration
qui dote les provinces de pouvoirs politiques, économiques et fiscaux
nouveaux. Jalouses de leurs particularités et concurrentes, elles défendent
vigoureusement leurs intérêts économiques, leurs traditions industrielles,
agricoles ou artisanales et leurs spécificités culturelles. À cela s’ajoutent
la déficience structurelle des transports intérieurs et le sous-équipement
d’un pays immense, équivalent à l’Europe géographique, qui constituent
un handicap majeur. Souvent trompées par le mirage de l’immensité du
marché chinois, de nombreuses entreprises occidentales se plaignent alors
de l’atomisation du pays en micro-marchés régionaux.

Tableau 6.9 Les déséquilibres structurels entre les trois Chine

Ouest Intérieur Littoral

km2 5 400 000 2 900 000 1 300 000

Surface du pays (%) 56 30 14

Population (millions) 147,2 600,6 616,9

Population (%) 11 44 45

Densité (hab./km2) 7 208 472

PIB (%) 8 34,5 57,5

Emplois (%) 8 35 57

Salariés de l’industrie
4 24 72
manufacturière (%)

Dépenses R & D (%) 3 24 73

IDE (%) 2 16 82

Exportations (%) 3 13 84

Source : China Statistical Yearbook, 2017.

Aujourd’hui encore, les oppositions entre les trois Chine – cette tripartition
apparaissant dans le VIIe plan (1986-1990) – demeurent considérables. Les
provinces littorales polarisent sur 14 % du territoire 45 % de la population,
58 % du PIB, 82 % des IDE et 84 % des exportations. À l’opposé, l’Ouest
(Mongolie intérieure, Yunnan, Tibet, Xinjiang…) – qui, sur 56 % du pays,
regroupe 11 % de la population et 8 % du PIB – pose des questions
spécifiques, à la fois géopolitiques et géostratégiques : cet immense espace
périphérique ne peut pas être laissé en déshérence, alors que le peuplement
Han y est parfois minoritaire et qu’il ouvre sur l’Asie du Sud et l’Asie
centrale.

Stratégies d’aménagement et nouvelles grilles d’analyse


Face à ces défis majeurs, Pékin engage à partir des années 1990 une vaste
stratégie d’aménagement du territoire dont l’objectif est de réarticuler de
manière plus solidaire les trois Chine, tout en prenant soin de ne pas briser
l’essor des régions littorales qui servent de locomotives. Comme le
souligne Thierry Sanjuan, cinq grandes politiques sont alors progressivement
mises en œuvre : aménagement du bassin du Yangzi (barrage des Trois-
Gorges achevé en 2016 et ligne TGV Shanghai/Chengdu ouverte en 2012),
développement de l’Ouest en 2000 afin de désenclaver ces périphéries (ligne
Pékin/Lhassa en 2006, essor de Xi’an et Chongqing), multiplication des
grandes lignes TGV nord/sud et ouest/est (Pékin/Shanghai en 2011,
Pékin/Canton en 2012, Lanzhou/Urumqi en 2014…), création de dix grandes
régions urbaines (Grand Pékin, delta du Yangzi, delta de la rivière des Perles,
Shandong, Liaoning…) et, enfin, lancement des Nouvelles Routes de la soie
en 2013, terrestres et maritimes.
Ces choix stratégiques (pôles de croissance, corridors de
développement…) ont des effets non négligeables, en atténuant les disparités
antérieures et en favorisant une modernisation de l’espace national, une
meilleure intégration des régions intérieures et une diffusion du
développement des littoraux vers les intérieurs. C’est pourquoi T. Sanjuan
pense qu’aujourd’hui l’espace chinois ne peut plus uniquement être pensé à
partir d’une grille de lecture duale interne/externe comme celle des trois
Chine. La vigueur des mutations oblige à combiner en permanence les
différentes échelles locales (villages, bourgs, districts), métropolitaines
(métropoles littorales et capitales régionales), régionales (cf. bassin du
Yangzi) et nationales, tout en les articulant aux échelles eurasiatiques et
mondiales. Au total, c’est bien une nouvelle géographie du territoire chinois
qui se dessine.
Conclusion

LA MONDIALISATION en est à un nouveau stade historique en cette entrée dans le


e
XXI siècle. Loin d’être ubiquiste, elle forge un système mondialisé duel,
polarisé et hiérarchisé. Au plan géographique, ce système n’est en rien
« mondial », c’est-à-dire universel, tant sont exclus nombre d’États et de
peuples de la définition de son architecture et de ses finalités et du partage de
ses richesses.

Sous les désordres apparents du monde,


un système hégémonique
Sa première caractéristique est d’être une construction systémique des
rapports mondiaux à la fois totale, totalisante et asymétrique. Totale, car elle
se construit sur une expansion géographique de l’emprise du marché quasi
complète à la surface du globe. Cette dynamique repose sur une extrême
polarisation du pouvoir politique, économique et financier aux mains d’un
nombre réduit d’acteurs localisés dans quelques grandes métropoles des pays
développés et émergents. Totalisante et aliénante, car elle cherche à étendre
les logiques de l’économie marchande à l’ensemble des ressources, naturelles
et humaines, disponibles ou potentielles. Asymétrique, car les rapports sont
profondément inégaux entre les centres d’impulsion historiques ou nouveaux,
qui renforcent sans cesse leurs hégémonies, et les différents espaces
périphériques. Systémique, car les rapports d’intégration centres-périphéries
dessinent un système mondial nettement hiérarchisé. Les États classiquement
dominants (États-Unis, certains pays d’Europe occidentale, Japon) sont
confrontés à l’émergence de nouvelles puissantes à vocation mondiale ou
continentale (Chine, nouvelle Russie, Brésil, Inde…). Face à eux, on trouve
aussi toujours des États intégrés dominés (pays de l’Est en transition, pays
fournisseurs de matières premières et de main-d’œuvre salariée) et des États
délaissés ou très fragilisés (Irak, Libye, Sahel…).

Dualisme, surintégration, surexclusion, évitement, fragmentation


et désordre

Cette dynamique débouche sur la formation d’un système mondial non


seulement inégal mais duel. Dépassant la simple reproduction des inégalités
géographiques produites par les stades précédents de la mondialisation, il est
dans la nature même de ce nouveau stade de produire en même temps de la
surintégration et de la surexclusion. Ses composantes géographiques en sont
redoutablement éclairantes. À l’échelle mondiale, 10 places financières
polarisent 80 % de la capitalisation boursière mondiale, 25 aéroports
polarisent 70 % du trafic aérien mondial de passagers ou 20 États 87 % du
stock mondial d’IDE alors que les logiques d’évitement frappent la moitié de
la planète. Pour fonctionner, ce système a aussi besoin de ses espaces de non-
droits juridiques et réglementaires, malgré un début de lutte contre les
pavillons de complaisance et les paradis fiscaux, ou sociaux (zones franches
en plein boom). Les formidables tensions géoéconomiques et géopolitiques,
qui en sortent, donnent au climat mondial cet aspect apparemment
désordonné et instable.

Un monde polynucléaire : la perte du monopole de la puissance


par l’Occident

La principale rupture intervenue en cette entrée dans le XXIe siècle tient dans
les profonds bouleversements de l’architecture mondiale : l’essor de
nouvelles puissances, de rang mondial ou continental, qui cherchent à
défendre et à promouvoir leurs propres intérêts. Par sa structure
polycentrique, ce nouveau système constitue une grande bifurcation
géohistorique, d’ampleur multiséculaire, ce que le géographe Michel Foucher
nomme la « grande émancipation ». Cela débouche sur un nouveau
paradigme : la perte du monopole mondial de la puissance – encore relative,
mais bien réelle – par les pays occidentaux. En particulier, la
démarginalisation de la Chine participe d’un grand chambardement
tectonique de l’ordre asiatique et mondial. Ce processus participe de
l’exacerbation de nouvelles rivalités géoéconomiques, géopolitiques et
géostratégiques et de l’exacerbation des tentions.

La maîtrise du temps et des espaces, l’exploitation de l’unicité


du monde

La diffusion spatiale à l’échelle planétaire de la mondialisation repose sur la


mobilité géographique du capital et des marchandises permise par les
mesures politiques et juridiques prises par les États et par l’amélioration
permanente des facteurs logistiques. On est passé d’un système international
reposant sur des échanges entre États et nations dans les années 1950 à un
système mondialisé qui fait de la maîtrise, totale et en continu, du temps et de
l’espace un vecteur central de sa puissance. Cette capacité à exploiter
l’unicité du monde pour en intégrer jusqu’aux endroits les plus reculés sur le
mode de l’instantanéité tout en jouant sur l’extrême diversité de ses
différentes composantes géographiques est historiquement inédite.
La puissance des transnationales repose avant tout sur leur capacité à
maîtriser et à gérer l’espace mondial à leur profit comme zone de fourniture,
de production ou de vente en réalisant un certain nombre d’arbitrages entre
division fonctionnelle, technique et sociale du travail. Ces choix débouchent
sur une nouvelle division géographique du travail organisée à des échelles de
plus en plus vastes (Nike et firmes réseaux). Enfin, le nouveau régime
d’accumulation financière, malgré la crise ouverte en 2008 dont nous ne
sommes toujours pas sortis, a fait de la mobilité, de l’instabilité et de la
volatilité un mode de gestion et de valorisation des différenciations et
distances géographiques producteur d’extraordinaires rentes financières.

De la résistance des territoires,


limites à la mondialisation
Mais ces logiques d’expansion à l’ensemble des territoires mondiaux
se heurtent à des résistances multiformes.

Du poids des proximités géographiques et fonctionnelles


Il convient d’abord de souligner que la proximité garde encore toute sa
valeur. La mondialisation demeure un phénomène survalorisant les
proximités géographiques et/ou fonctionnelles. Les logiques de
continentalisation sont considérables : les échanges intra-continentaux
représentent la moitié du commerce mondial. Seule une petite partie de la
production agricole mondiale fait l’objet de transactions internationales et
l’agriculture demeure une activité de proximité géographique pour la grande
masse des paysans des Suds. Les transnationales gardent un fort ancrage pour
leurs bases nationales pour des raisons stratégiques. Enfin, comme nous
l’avons vu, la World Company, ou firme mondiale totalement globalisée,
demeure un mythe, ce qui nous fait préférer le terme de transnationale à celui
de multinationale.

De l’adaptation des transationales aux diversités géographiques

Au-delà de processus généraux communs, les transnationales développent des


stratégies géographiques d’une grande diversité selon leurs nationalités et
leurs activités afin de se mouler finement dans la complexité des territoires
mondiaux. Ayant une sainte horreur du risque, elles doivent tenir compte, en
tentant de les anticiper, des menaces complexes qui peuvent peser sur leurs
investissements, prix à payer aux nouvelles formes d’instabilité du monde
que leurs stratégies produisent. Si le risque-pays s’est beaucoup développé,
une certaine cécité demeure toutefois du fait du caractère réducteur
de démarches purement économicistes face aux interactions territoriales entre
facteurs sociaux, culturels, politiques ou géopolitiques qui parfois
entrechoquent temps longs et temps courts, conjoncture et structure.

De la résistance des cultures,


des habitudes et des consommateurs

Alors que l’entreprise est elle-même un fait culturel, social et politique autant
qu’économique, il convient de souligner la résistance des cultures, des
habitudes et des modes de vie dont témoignent les échecs de biens uniformes
(automobile, électroménager) ou les difficultés d’adaptation des
transnationales de l’agroalimentaire. Alors que l’économie mondiale apparaît
en définitive comme un emboîtement d’économies plus ou moins
interconnectées et interdépendantes à des échelles spatiales différenciées, il
n’y a ni conjoncture, ni structures mondiales des prix. Les différents modèles
économiques nationaux gardent une grande vitalité. Enfin, si les barrières
tarifaires sont abaissées, les barrières dites non tarifaires demeurent qui
renvoient au maintien de profondes spécificités d’ordre juridique, culturel ou
socio-économique.

De l’efficience des États : une question géographique mondiale


clé

Si courantes dans les années 1990-2000, les attaques idéologiques et


politiques contre l’État menées au nom du libéralisme ont été totalement
invalidées par la crise financière ouverte en 2008 qui a vu les États intervenir
massivement afin de sauver le système financier et économique occidental
d’un total effondrement au prix d’une explosion historiquement inédite des
dettes publiques. En effet, alors que le couple transnationales/État n’a jamais
été aussi valide, le cadre national n’a rien d’obsolète et l’État demeure un
acteur central en assurant en triptyque de base la défense de ses intérêts
géoéconomiques et géostratégiques, les besoins collectifs de sa population et
de ses entreprises et la cohésion sociale, la solidarité ou l’aménagement de
son territoire. De nombreux pays du Sud sont malades non pas du trop-plein
mais de la faiblesse, de la privatisation par des oligarchies prédatrices ou
kleptomanes ou de l’absence d’un réel État et tout autant d’un État de droit,
avec pour corollaire, la démocratie politique, économique et sociale.

Du mythe de l’abolition du temps et de l’espace

Face aux extraordinaires progrès des transports, il convient de souligner que


les interconnexions sont sélectives et hiérarchisées entre pôles et réseaux au
profit des continents, États et régions déjà les plus puissants. La maîtrise de la
mobilité demeure un facteur de différenciation géographique majeur. Cette
liberté potentielle n’est opératoire que si elle dispose d’une chaîne intégrée
amont/aval dont ne manque aucun maillon au réseau, ce qui exige capitaux,
technologies, compétences humaines et organisationnelles. C’est parce que
les transports mettent en œuvre des systèmes complexes qui renvoient
directement au niveau de développement des États et des sociétés. Enfin, le
concept de distance demeure relatif car la terre ne rétrécit pas. Si un accident
technique ou une guerre font prendre conscience de la fragilité des réseaux, la
proximité ou la distance fonctionnelle jouent parfois un rôle plus
considérable que la distance purement spatiale.

De l’efficacité des systèmes productifs

La nature, la qualité et l’efficacité si différenciées des différents systèmes


productifs expliquent que la création d’un marché planétaire unique mettant
en concurrence les territoires débouche sur des processus structurels de
domination/désintégration. Dans cette dynamique, on peut clairement
distinguer différents groupes d’États à partir d’outils terminologiques valides.
Premièrement, les pays développés gardent leur avance face au reste
de la planète grâce à l’équilibre et à l’étroite imbrication entre les sphères
de la reproduction sociale, de la production matérielle et des services
périproductifs qui assurent l’efficience générale du système.
À l’inverse, deuxièmement, les pays en développement disposent d’une
reproduction sociale déficiente (malnutrition, santé, sous-formation), d’une
reproduction étatique à la dérive, d’une sphère de la production matérielle
déséquilibrée héritée de la colonisation (agriculture et mines hypertrophiées,
problèmes énergétiques) et de services périproductifs inexistants, parasitaires
(import-export) ou sous-intégrés (économie informelle de survie).
À l’opposé, enfin et troisièmement, dans les nouveaux pays industriels
(NPI) et certains pays émergents (cf. Chine), l’action volontariste étatique a
été déterminante dans le décollage industriel en jouant à la fois sur les
sphères de la production matérielle (choix sectoriels, création d’entreprises
nationales, financements massifs…) et de la reproduction sociale (formation,
qualification, santé, logement, infrastructures…).

De la gestion des contradictions actuelles à une


nécessaire refondation
Face aux dégâts, déséquilibres, tensions et impasses produits par la
mondialisation actuelle, un débat éminemment politique s’est développé qui
porte sur de véritables questions de civilisation. Deux grandes alternatives
sont proposées : soit améliorer la gestion des contradictions actuelles, soit
refonder totalement les logiques même de la mondialisation en refusant que
le monde devienne une simple marchandise. Alors que les problèmes
environnementaux (réchauffement de la planète, désertification…),
l’épuisement de certaines ressources (réserves halieutiques, déforestations
tropicales…) ou les questions démographiques (flux migratoires) et sanitaires
(sida) prennent une ampleur inédite du fait des nouvelles interdépendances
tissées par la mondialisation, les réponses apportées jusqu’ici demeurent
largement en dessous des enjeux posés. Et ce malgré l’essor d’une opinion
publique internationale qui commence à peser sur les termes des débats mais
qui ne représente pour l’instant aucunement une « société-monde »
constituée.

Le rôle des organisations non gouvernementales (ONG)

Depuis une dizaine d’années est apparu un vaste mouvement soit alternatif,
soit contestataire. Constitué d’associations très disparates, il a développé en
particulier grâce à Internet des opérations de sensibilisation et d’information,
de lobbying et de manifestations et de contre-propositions en promouvant de
nouveaux modes d’action (commerce équitable, épargne solidaire, médias
alternatifs…) et en s’emparant de thèmes d’intervention (biodiversité, biens
publics mondiaux, aide publique au développement, lutte contre la
corruption…). On assiste en particulier à la montée en puissance d’ONG dont
le pouvoir d’influence ne cesse pas de croître.
Nées de la crise politique et syndicale apparue dans les années 1970 dans
les pays développés et issues à l’origine d’une culture anglo-saxonne, ces
milliers d’associations à vocation humanitaire ou environnementale plus ou
moins puissantes se diffusent progressivement dans le monde. Parfois
largement financées et instrumentalisées par les différents États qui leur
transfèrent certaines fonctions, leurs actions connaissent parfois des dérives
du fait de la recherche d’une forte visibilité médiatique et de besoins
financiers croissants. Enfin, en réaction parfois à la totale inadaptation de
leurs conceptions et actions aux complexités politiques, sociales et culturelles
des pays du Sud dans lesquels elles interviennent, nombre de ces pays
dénoncent leurs ingérences dans leurs affaires intérieures et voient parfois en
elles des instruments des pays du Nord pour peser sur leur développement.
Cependant, au-delà des critiques parfois justifiées dont ces acteurs font
l’objet, leur succès a contraint les grandes organisations internationales à plus
de transparence. De même, elles ont poussé une partie des transnationales –
malgré le faible impact des campagnes de boycott – à changer certaines
pratiques (campagnes contre le pillage des ressources ou la surexploitation de
la main-d’œuvre…) comme en témoignent leurs efforts de communication
sur le développement durable ou leurs responsabilités sociales : audits
sociaux, adoption de codes de bonne conduite avec parfois la reconnaissance
de standards sociaux minimaux.

Le développement durable : quelle perspective ?

Fort médiatisé à partir du rapport Brundtland de 1987, il se définit comme un


modèle de développement devant répondre aux besoins du présent sans
compromettre les capacités des générations futures à répondre à leurs propres
besoins. Sans être une notion scientifique, il sert de référentiel à l’action
publique tout en introduisant dans les débats une dimension éthique en
élargissant le concept de justice à l’intragénérationnel (développement
équitable des sociétés contemporaines) et à l’intergénérationnel. C’est dans ce
cadre qu’est né le concept de « biens publics mondiaux » qui cherche à
identifier des biens non divisibles planétaires – tels l’eau, l’air, les végétaux
et forêts, les équipements collectifs, la production d’énergie ou le patrimoine
génétique – devant échapper aux seules lois du marché en étant réintégrés
dans une gestion et valorisation durable non marchande. Dans ce contexte, les
récents travaux de nombreux géographes ont revisité le concept
d’environnement en le plaçant au cœur des sociétés humaines. Ils remettent
en cause la vision catastrophiste et passéiste basée sur la permanence
intemporelle et réarticulent dynamiques environnementales et questions
sociales, économiques et politiques.
Dans le cadre de l’étude de la mondialisation, il convient de souligner que
chaque société a été amenée à développer sa propre perception de la nature et
sa propre conception de l’environnement et du développement. C’est
pourquoi les approches diffèrent sensiblement entre les pays du Nord et entre
le Nord et le Sud. À la sacralisation par la « Vieille Europe » d’un espace
limité, aux fortes densités, à la mise en valeur très ancienne et à
l’anthropisation à peu près totale s’opposent, par exemple, les pays « neufs »
(Russie, États-Unis, Canada, Australie, Brésil) caractérisés par l’immensité,
la conquête et la maîtrise de l’espace et des ressources, et l’existence de
fronts pionniers. De nombreux pays du Sud en viennent aussi parfois à
dénoncer l’« ingérence écologique » des pays riches.
C’est pourquoi l’analyse des questions environnementales suppose recul et
approche systémique sur les pratiques des sociétés humaines. Elle exige aussi
des traditions démocratiques, des infrastructures et des acteurs (syndicats,
partis, organisations) et une presse d’opinion libre. Elle nécessite enfin que
les ONG du Nord ne transplantent pas mécaniquement les débats internes au
Nord sur les sociétés du Sud sans préparation ou relais locaux forts et sans
prise en compte des spécificités nationales et régionales. En effet, dans les
pays pauvres, les problèmes environnementaux traduisent le plus souvent une
situation de « mal développement », où l’action des populations est avant tout
guidée par la nécessité du lendemain, c’est-à-dire par le désir d’une
amélioration immédiate des conditions de vie.

Les débats sur la question de la gouvernance mondiale

Définie, débattue et mise en œuvre par de très nombreux acteurs publics et


privés en perpétuelle interaction et se posant à l’articulation de multiples
niveaux d’échelles, la mondialisation est confrontée à la complexité
géographique du monde comme en témoignent les nombreux débats autour
de la régulation et de la gouvernance mondiale. Si on définit cette
gouvernance comme l’ensemble des processus concourant à l’élaboration, à
la légitimation, à la mise en œuvre et au contrôle de règles collectives
internationalement reconnues, on s’aperçoit que la question du pouvoir est au
cœur des débats et demeure une question géographique et géopolitique
centrale.
On doit alors relever deux faits essentiels. Premièrement, alors qu’il
n’existe pas de structures politiques supranationales démocratiques, les États
demeurent incontournables mais sont loin de disposer du même pouvoir
décisionnel, même si les logiques hégémoniques traditionnelles de la
puissance américaine sont aujourd’hui en échec. Deuxièmement, les
différentes autorités nationales organisant le pavage étatique doivent
composer avec de nombreuses structures en réseaux telles que les firmes
transnationales, les ONG, les réseaux mafieux ou les structures diasporiques.
En définitive, si l’exigence de nouvelles régulations progresse, la définition
de leurs contenus et de leurs architectures fait toujours débat. Il semble
cependant impératif que des logiques plus solidaires se mettent en place au
niveau commercial, productif et financier, en intégrant enfin de nouvelles
normes sociales et environnementales. L’explosion des inégalités pose en
effet la question d’un nouveau partage social et territorial des fruits du
développement mais tout autant également la question du pouvoir
économique et politique, en bref du rapport à la démocratie. Il y a en effet
urgence à poser et résoudre la question d’un nouvel ordre économique
mondial plus juste et solidaire, plus efficace et plus durable. Cela suppose
pour partie de construire des instances géoéconomiques internationales
démocratiques, légitimes, transparentes et équilibrées.
Bibliographie

Face à la quantité considérable de publications sur ce sujet et aux nombreuses


bibliographies détaillées déjà existantes, nous avons fait le choix de nous
limiter en privilégiant les ouvrages en langue française et en donnant la
priorité aux travaux des géographes.

Ouvrages généraux de synthèse

Approches épistémologiques
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Approches par thématiques sectorielles

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BONIFACE P. et VÉDRINE H., 2019, Atlas des crises et des conflits, Paris, Armand
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TERTRAIS B., PAPIN D. et LABORDE M., 2016, L’atlas des frontières. Murs, Conflits,
Migrations, Paris, Les Arènes.
TÉTART F., 2015, Atlas des religions. Passions identitaires et tensions
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Énergies, matières premières


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REDON M., MAGRIN G., CHAUVIN E. et alii, 2015, Ressources mondialisées. Essai
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Développement durable
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DIOP S. et REKACEWICZ P., 2003, Atlas mondial de l’eau, Paris, Autrement.
LACOSTE Y. (dir.), 2001, Géopolitique de l’eau, Hérodote, 3e trimestre.
MARTIN J.-Y., 2002, Développement durable ? Doctrines, pratiques,
évaluations, Paris, IRD Éditions.
PISON G., 2019, Atlas de la population mondiale, Paris, Autrement.
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VEYRET Y. et ARNOULD P., 2019, Atlas du développement durable. Société,
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ZANNINETI J.-M., 2017, Le monde habité. Une géographie du peuplement, La
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Forêts, agriculture, campagnes et drogues


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CHARLERY DE LA MASSELIÈRE B., 2004, Fruits des terroirs, fruits défendus.
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CHARVET J.-P., 2004, L’alimentation dans le monde, Paris, Larousse.
CHARVET J.-P., 2018, Atlas de l’agriculture. Mieux nourrir le monde,
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CHOUVY P.-A., 2002, Les territoires de l’opium. Conflits et trafics du Triangle
d’Or et du croissant fertile, Genève, Olizane.
CHOUVY P.-A., 2003, « Géopolitique des drogues illicites en Asie », Hérodote,
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LABROUSSE A., 2004, Géopolitique des drogues, Paris, PUF, coll. « Que sais-
je ? », n˚ 3693.
LACOSTE Y., 2004, « Géopolitique des drogues illicites », Hérodote, n˚ 112.

Villes et métropoles
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Réseaux et transports
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Populations, migrations, religions et diasporas


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KNAFOU R., 1997, La planète « nomade ». Les mobilités géographiques
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MIGRINTER (dir. CLOCHARD O.), 2017, Atlas des migrants en Europe. Approches
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PISON G., 2019, Atlas de la population mondiale, Paris, Autrement.
PREVELAKIS G. (dir.), 1996, Les réseaux des diaporas, Paris, L’Harmattan.
SANJUAN T. (dir.), 2017, Les chinatowns. Trajectoires urbaines de l’identité
chinoise à l’heure de la mondialisation, Paris, ProdiG, coll. « GrafiGéo ».
SIMON G., 1995, Géodynamique des migrations internationales dans le monde,
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TARRIUS A., 2002, La mondialisation par le bas. Les nouveaux nomades de
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WIHTOL DE WENDEN C., 2013, La question migratoire au XXIe siècle, Paris, Presses
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WIHTOL DE WENDEN C., 2018, Atlas des migrations. Un équilibre mondial
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Tourisme
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ÉQUIPE MIT, 2003, Tourismes 1. Lieux communs, Paris, Belin.
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GAY J.-C. et MONDOU V., 2017, Tourisme et transport. Deux siècles
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GRAVARI-BARBAS M. et JACQUOT S., 2018, Atlas mondial du tourisme et des loisirs,
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SACAREAU I., TAUNAY B. et PEYVEL E. (dir.), 2015, La mondialisation du tourisme :
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Approches par grandes thématiques spatiales

Les grandes Géographies universelles


BRUNET R. (dir.), 1989, Géographie universelle, Paris, Hachette/Belin/Reclus,
10 volumes.
RECLUS E., 1876-1894, Nouvelle géographie universelle, La Terre et les
Hommes, Paris, Hachette, coll. « Nouvelle Géographie universelle »,
19 volumes.
VIDAL DE LA BLACHE P. et GALLOIS L. (dir.), 1927-1948, Géographie universelle,
Paris, Armand Colin, 14 volumes.

Pays développés et Europe


DESHAIES M., 2019, Atlas de l’Allemagne. Les contrastes d’une puissance en
mutation, Paris, Autrement.
LEMONIER K. et PAWLOTSKY W., 2018, La Russie. Une puissance en renouveau ?
La Documentation photographique, no 8126.
LERICHE F. (dir.), 2016, Les États-Unis : géographie d’une grande puissance,
Paris, Armand Colin.
MARCHAND P., 2015, Atlas géopolitique de la Russie. Le grand retour sur la
scène internationales, Paris, Autrement.
MONTES C. et NÉDÉLEC P., 2016, Atlas des États-Unis. Un colosse aux pieds
d’argile, Paris, Autrement.
RADVANYI J., 2007, La nouvelle Russie, Paris, Armand Colin, coll. « U »,
4e édition.

Les Suds
BRUNNEAU M., 2018, L’Eurasie. Continent, Empires, idéologie ou projet, Paris,
CNRS Éditions.
CADÈNE Ph. (dir.), 2006, La mondialisation. L’intégration des pays en
développement, Paris, Sedes, coll. « DIEM ».
CHALÉARD J.-L. et SANJUAN Th., 2017, Géographie du développement : territoires
et mondialisation dans les Suds, Paris, Armand Colin, coll. « U ».
CHALÉARD J.-L. et POURTIER R., 2000, Politiques et dynamiques territoriales dans
les pays du Sud, Paris, Publications de la Sorbonne.
LOMBARD J., MESCLIER É. et VELUT S., 2006, Les cartes du Sud dans la
mondialisation, Paris, IRD Éditions.
SANJUAN Th. (dir), 2018, Tropiques, développement et mondialisation.
Hommage à Jean-Louis Chaléard, Paris, L’Harmattan.
TÉTART F., 2017, La péninsule Arabique : cœur géopolitique du Moyen-Orient,
Paris, Armand Colin.

L’Amérique latine
BÉGOT M., BULÉON P. et ROTH P., 2001, Émergences caraïbes, élément de
géographie politique, Fort-de-France/Paris, AREC/L’Harmattan.
DABÈNE O. et LOUAULT F., 2018, Atlas du Brésil, Promesses et défis d’une
puissance émergente, Paris, Autrement.
DABÈNE O. et LOUAULT F., 2019, Atlas de l’Amérique latine. Polarisation
politique et crises, Paris, Autrement.
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DROULERS M., 2001, L’Amazonie : vers un développement durable, Paris,
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MUSSET A. (dir.), 2006, Géopolitique des Amériques, Paris, Nathan.
MUSSET A., 1990, Le Mexique, Paris, Armand Colin, coll. « U ».
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PRÉVÔT-SCHAPIRA M.-F. et RIVIÈRE D’ARC H., 2001, Les territoires de l’État-nation
en Amérique latine, Toulouse, IHEAL Éditions.
PRÉVÔT-SCHAPIRA M.-F. et VELUT S., 2015, Amérique latine, les défis de
l’émergence, La Documentation photographique, no 8089.
THÉRY H. et DE MELLO N. A., 2003, Atlas du Brésil, Paris, CNRS Libergéo-La
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coll. « Perspectives géopolitiques », 2e édition.
TULET J.-C., CHARLERY B., BART B. et PILLEBOUÉ J., 1994, Paysanneries du café des
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L’Afrique
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GERVAIS LAMBONY Ph., 2013, L’Afrique du Sud et les États voisins, Paris, Armand
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LECOQUIERRE B., 2015, Le Sahara. Un désert mondialisé, La Documentation
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MAGRIN G., DUBRESSON A. et NINOT O., 2018, L’Afrique. Un continent émergent ?
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POURTIER R. (dir.), 2006, Géopolitique de l’Afrique et du Moyen-Orient, Paris,
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STECK B., 2018, L’Afrique subsaharienne, La Documentation photographique,
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L’Asie
COLIN S., 2015, Le Chine, puissance mondiale, La Documentation
photographique, no 8108.
DE KONINCK R., 2019, L’Asie du Sud-Est, Paris, Armand Colin, 4e édition.
DEJOUHANET L., 2016, L’Inde. Puissance en construction, La Documentation
photographique, no 8109.
FAU N. et DE TREGLODE B. (dir.), 2019, Mers d’Asie du Sud-Est. Coopérations,
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FORMOSO B., 2000, Thaïlande. Bouddhisme renonçant, capitalisme triomphant,
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FOUCHER M., BRUNEAU M., DURAND-DASTES F. et alii (dir.), 2002, Asies nouvelles,
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GIPOULOUX F., 2018, La Méditerranée asiatique, Paris, CNRS Éditions.
GROSSER P., 2017, L’histoire du monde se fait en Asie, Paris, Odile Jacob.
LANDY F. et VARREL A., 2015, L’Inde : du développement à l’émergence, Paris,
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française.
PELLETIER Ph. (dir.), 2004, Identités territoriales en Asie orientale, Paris, Les
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PELLETIER Ph. (dir.), 2006, Géopolitique de l’Asie, Paris, Nathan.
PELLETIER Ph., 2003, Japon. Crise d’une autre modernité, Paris, Belin/La
Documentation française.
RAILLON F., 1999, Indonésie. La réinvention d’un archipel, Paris, La
Documentation française.
SAINT-MÉZARD I., 2016, Atlas de l’Inde. Une nouvelle puissance mondiale,
Paris, Autrement.
SANJUAN Th., 2018, Atlas de la Chine. Les nouvelles échelles de la puissance,
Paris, Autrement.
SANJUAN Th., 2000, La Chine. Territoire et société, Paris, Hachette Supérieur.
SCOCCIMARRO R., 2018, Atlas du Japon, L’ère de la croissance fragile, Paris,
Autrement.
SINGARAVELOU P. et ARGOUNÈS F., 2018, Le Monde vue d’Asie. Une histoire
cartographique, Paris, Le Seuil.
TAILLARD C., 2004, Intégrations régionales en Asie orientale, Paris, Les Indes
Savantes.
TERTRAIS H., 2014, Atlas de l’Asie du Sud-Est. Les enjeux de la croissance,
Paris, Autrement.
ZINS M., 1999, Inde, un destin démocratique, Paris, La Documentation
française.
ZINS M., 2002, Le Pakistan, la quête de l’identité, La Paris, Documentation
française.

Approches complémentaires : sites, ouvrages de référence,


revues

Des sites Internet de géographie


Pour la recherche de documentation, la géographie dispose de plusieurs
grands sites documentaires en langue française facilement accessibles et
présentant une masse considérable de documents, textes et cartes réalisés par
les meilleurs spécialistes français ou étrangers.
Le site de Géoconfluences à l’ENS de Lyon : http://geoconfluences.ens-
lyon.fr/
Le site de la revue Mappemonde : www.mgm.fr/PUB/Mappemonde/
Le site du CNES (Centre national d’études spatiales) fournissant des dossiers
avec des images satellites en haute définition accompagnées d’un texte
d’analyse : https://geoimage.cnes.fr/fr
Le site des Cafés géographiques (textes en ligne des conférences) :
http://cafe-geo.net/les-cafes-geographiques/
Le site des Cahiers d’Outre-Mer :
https://journals.openedition.org/com/index.html
Le site de la revue en ligne EchoGéo :
https://journals.openedition.org/echogeo/
Le site de la revue L’Espace politique :
https://journals.openedition.org/espacepolitique/
Le site de la revue Hérodote : https://www.herodote.org/index.php

Atlas disponibles à consulter


ARTE Le Dessous des cartes : https://www.arte.tv/fr/videos/RC-014036/le-
dessous-des-cartes/
BONIFACE P., 2018, Atlas des relations internationales, Paris, Armand Colin.
DURAND M.-F. et alii, 2018, Espace mondial. L’Atlas 2018, Paris, Presses de
Sciences Po.
Le Monde diplomatique, L’Atlas, Paris, Armand Colin.
TÉTART F. (dir.), Grand Atlas, Comprendre le monde en 200 cartes, Paris,
Autrement (annuel).

Sites Web de cartographie avec de nombreuses cartes


téléchargeables
Le site cartographique du Monde diplomatique : www.monde-
diplomatique.fr/cartes
Le site cartographique de la Documentation française :
www.ladocumentationfrancaise.fr/cartotheque/index.shtml
Le site cartographique de Sciences Po Paris : www.sciences-po.fr/
Le site cartographique des Images économiques du Monde (annuel Armand
Colin) :
www.armand-colin.com/cartotheque-des-images-economiques-du-monde
Index

accès aux marchés 1, 2, 3, 4, 5, 6


accords de stabilisation 1
activités
financières 1
manufacturières 1
périproductives 1
Afghanistan 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Afrique
australe 1, 2, 3, 4, 5
centrale 1, 2
de l’Est 1, 2, 3
de l’Ouest 1
du Nord 1, 2, 3, 4
du Sud 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24
subsaharienne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,
15, 16, 17, 18
agriculture 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
agroalimentaire 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
ALENA 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Algérie 1, 2, 3, 4
Allemagne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30
Al-Qaida 1
Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) 1
Amazon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Amérique
centrale 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
du Sud 1, 2, 3
latine 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32,
33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43
Anglo American 1, 2, 3, 4
Angola 1, 2, 3
Apple 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Arabie saoudite 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18, 19, 20, 21, 22
Argentine 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
armement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB) 1
Asie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36,
37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53,
54, 55, 56
centrale 1, 2, 3, 4, 5
de l’Est 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
de l’Ouest 1
du Sud 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17
du Sud-Est 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,
16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29
Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) 1, 2, 3, 4,
5, 6
Atacama 1
Australie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28
automobile 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27
avantage
comparatif 1, 2, 3, 4, 5
fiscal 1
Bahamas 1
Bangladesh 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Banque centrale européenne (BCE) 1, 2
banque d’affaires 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Banque mondiale 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
bas coûts salariaux 1, 2
Belgique 1, 2, 3, 4, 5
Bénin 1
BHP Billiton 1, 2, 3, 4, 5, 6
biens d’équipement 1, 2, 3, 4, 5
Birmanie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Boko Haram 1, 2
Bolivie 1, 2, 3
Bourse 1, 2, 3, 4
Brésil 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36,
37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53
brevet 1
Brexit 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Bush George W. 1
café 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Californie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Call Centers 1
Cambodge 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Cameroun 1
Canada 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33
capital financier 1, 2, 3, 4, 5, 6
capitalisation boursière 1, 2, 3, 4
Caraïbes 1, 2, 3, 4, 5, 6
Cargill 1
catégories socioprofessionnelles 1
Centrafrique 1, 2, 3, 4, 5, 6
chaebols 1, 2, 3, 4
chaîne
de valeur 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
logistique 1, 2, 3
charbon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Chicago 1, 2, 3, 4, 5, 6
Chili 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
chimie 1, 2, 3, 4, 5, 6
Chine 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36,
37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53,
54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70,
71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87,
88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103,
104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115, 116,
117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129,
130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 142,
143, 144, 145, 146, 147, 148, 149, 150
chômage 1, 2, 3, 4, 5, 6
Chypre 1, 2, 3
City 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Cloud 1, 2, 3, 4
cluster 1, 2
Coca-Cola 1, 2, 3, 4
collectivités territoriales 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Colombie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
colonisation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS) 1,
2, 3
Communauté des États indépendants (CEI) 1, 2
conception 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17
concurrence 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34,
35, 36, 37, 38
conditions 1
Conférence des Nations unies sur le commerce et le
développement (CNUCED) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
conglomérat 1, 2
Congo 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
continentalisation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
coolies 1, 2, 3
Corée 1, 2, 3, 4
du Nord 1, 2, 3, 4, 5
du Sud 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25
corruption 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Costa Rica 1, 2, 3
Côte d’Ivoire 1
Cour pénale internationale (CPI) 1, 2, 3
cours mondiaux 1, 2, 3, 4, 5
coûts de transport 1
croissance externe 1, 2, 3
Cuba 1, 2, 3, 4, 5
cuivre 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
cultures commerciales exportatrices 1
Daech 1
Danone 1, 2, 3, 4
Data Centers 1, 2, 3, 4
déforestation 1, 2, 3, 4, 5
Delhi 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
délocalisation 1
déréglementation 1
dérégulation 1, 2
dette 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
développement durable 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
devise 1, 2
diaspora 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
diffusion 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33
dispositif territorial 1
distance 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
division internationale du travail 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
dollar 1, 2, 3
Draghi Mario 1
drogue 1, 2, 3, 4
Dubaï 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
dumping
fiscal et social 1, 2
social 1
échange inégal 1, 2
économie
informelle 1, 2, 3
-monde 1, 2, 3, 4
rentière 1, 2, 3, 4
effets d’agglomération 1
Égypte 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
électronique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20
Elf 1, 2
élites 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
emboîtements d’échelles géographiques 1
Émirats arabes unis 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
empire colonial 1, 2, 3
énergie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21
enjeux géopolitiques 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
environnement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Ericsson 1
espaces
branchés 1, 2, 3, 4
intégrés 1
Espagne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
États-Unis 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35,
36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52,
53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69,
70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86,
87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102,
103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115,
116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128,
129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139, 140, 141,
142
Éthiopie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
évitement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
exception culturelle 1
exclusion 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
exportations 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32
externalisation 1, 2, 3, 4, 5, 6
extraterritorialité 1
extraversion 1, 2, 3
fibre optique 1, 2, 3, 4
filiale 1, 2, 3, 4, 5
firmes réseaux 1, 2, 3, 4, 5
fiscalité 1, 2, 3, 4, 5
flux
commerciaux 1, 2
financiers et technologiques 1
migratoires 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
touristiques 1
fonctions
abstraites 1, 2, 3
concrètes 1
Fonds monétaire international (FMI) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
fonds souverains 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
formation brute de capital fixe (FBCF) 1, 2
formation de la main-d’œuvre 1
fragmentation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
France 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36,
37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53,
54, 55, 56, 57, 58
fret 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
front pionnier 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
fuite des cerveaux (brain drain) 1, 2, 3, 4
fusion 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Gabon 1, 2, 3, 4, 5
GAFAM 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
gaz 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
géoéconomie 1, 2, 3, 4
géopolitique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34,
35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51,
52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68,
69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76
global carriers 1
globalisation 1, 2, 3, 4, 5, 6
Goldman Sachs 1, 2, 3, 4, 5
golfe Persique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Google 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
grandes plantations 1, 2, 3
Grèce 1, 2, 3
Guatemala 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
hiérarchies urbaines 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
hinterland 1, 2, 3, 4, 5, 6
Hô-Chi-Minh-Ville 1, 2, 3
Hong Kong 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
Hongrie 1, 2
hub 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Inde 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36,
37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53,
54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66
indice de transnationalité 1
Indonésie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33
industrie manufacturière 1, 2, 3, 4, 5
inégalités 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32
informatique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
infrastructures 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28
ingénieurs, techniciens et cadres (ITC) 1
innovation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
insertion 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23
intégration continentale 1, 2
Intel 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
interconnexion 1, 2
interdépendance 1, 2, 3, 4
International Traffic in Arms Regulations (ITAR) 1, 2
Internet 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31
investissements directs à l’étranger (IDE) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9,
10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26,
27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43,
44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60
Irak 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Iran 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22
Israël 1, 2, 3, 4, 5
Italie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
Japon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36,
37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46
Jinping Xi 1
joint-ventures 1, 2
Koweït 1, 2, 3
land grabbing 1, 2
Laos 1, 2, 3, 4, 5, 6
libéralisation 1, 2, 3, 4, 5, 6
Liberia 1, 2, 3, 4
Libye 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
lignes de fractures 1, 2, 3, 4, 5
lithium 1, 2
logistique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Londres 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34
Luxembourg 1, 2, 3
maillage territorial 1
Main Ports 1, 2, 3
Majors 1, 2, 3
Malaisie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23
Mali 1, 2, 3, 4, 5, 6
Malte 1, 2
maquiladoras 1, 2, 3, 4, 5, 6
marché financier 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
marginalisation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Maroc 1, 2, 3, 4, 5
marques 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
matières premières 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,
16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32
médias 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Mercosur 1, 2, 3, 4
mer du Nord 1, 2, 3
métropole 1, 2, 3
métropolisation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Mexique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32
micro-États 1, 2, 3, 4
migration 1
mobilité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Mongolie 1, 2, 3
monnaie 1, 2
monopoles territoriaux 1, 2
mouvements islamistes 1
Moyen-Orient 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19
MTN 1, 2, 3, 4, 5, 6
Namibie 1
National Security Agency (NSA) 1, 2, 3, 4
népotisme 1, 2
Nestlé 1, 2, 3, 4, 5, 6
New York 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22
Niger 1, 2, 3, 4
Nigeria 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
Nike 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
nœuds 1, 2, 3, 4, 5, 6
Norvège 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
nouveaux pays industrialisés (NPI) 1, 2, 3
Nouvelles Routes de la soie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
nucléaire 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Objectifs de développement durable (ODD) 1
off shore 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Organisation de coopération de Shanghai 1
Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Organisation de l’Union africaine (OUA) 1
Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) 1, 2, 3, 4, 5
Organisation mondiale du commerce (OMC) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8,
9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18
organisations non gouvernementales (ONG) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9,
10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21
organismes génétiquement modifiés (OGM) 1, 2
Osaka 1
Ouganda 1, 2, 3, 4
Pakistan 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Panama 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Papousie-Nouvelle-Guinée 1, 2, 3
paradis fiscaux 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Paraguay 1
pavillons de complaisance 1, 2, 3, 4, 5, 6
pays
de l’Est en transition 1, 2
développés 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,
16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30,
31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38
émergents 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31
en développement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
les moins avancés (PMA) 1, 2, 3
Pays-Bas 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Pékin 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19
périphéries intégrées 1, 2, 3
Pérou 1, 2, 3, 4, 5
pétrole 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31
Philippines 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
place financière 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
plantation 1, 2, 3
polarisation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17
pôles 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36,
37, 38, 39, 40
Pologne 1, 2, 3
Portugal 1, 2, 3, 4, 5
Pou Chen 1, 2, 3, 4
Poutine Vladimir 1
prestations intellectuelles 1, 2
privatisation 1, 2
Proche et Moyen-Orient 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,
15, 16, 17
production agricole 1, 2, 3
propriété intellectuelle 1, 2, 3, 4, 5, 6
Qatar 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Qualcomm 1, 2, 3, 4, 5
rapports de force 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
rapports Nord/Sud 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
recherche-développement (R & D) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
régions périphériques 1, 2, 3
Renault 1, 2, 3
rente 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
rente financière 1
République démocratique du Congo (RDC) 1, 2, 3, 4, 5
républiques bananières 1, 2, 3
réseaux 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35,
36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52,
53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69,
70, 71, 72, 73, 74, 75, 76
richesse 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Rio Tinto 1, 2, 3, 4, 5
risque
géopolitique 1, 2
-pays 1, 2
Rotterdam 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Royal Dutch Shell 1
Royaume-Uni 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34,
35, 36, 37, 38, 39, 40
Russie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36,
37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53,
54, 55, 56
Sahel 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Salvador 1, 2, 3, 4, 5
Samsung 1, 2, 3
ségrégation 1, 2
services
financiers 1, 2, 3, 4
périproductifs 1, 2
secrets 1, 2
Shanghai 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
Shell 1, 2, 3
Sibérie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
sida 1, 2, 3, 4
Siemens 1, 2, 3, 4, 5
Sierra Leone 1, 2
Silicon Valley 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Sime Darby 1, 2
Singapour 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29
société mère 1, 2
soft power 1
Somalie 1
Sony 1
Sophia-Antipolis 1
Soudan 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
sous-traitants 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
spécialisation
sectorielle 1, 2, 3
sectorielle et fonctionnelle 1
spéculation 1, 2, 3, 4, 5
Sri Lanka 1, 2
Starbucks 1, 2
stratégie
d’approvisionnement 1
de développement 1, 2, 3
Sud 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36,
37, 38, 39
Sud-Soudan 1, 2, 3, 4, 5
Suède 1
Suisse 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
surpêche 1
Syrie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
système productif 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18, 19, 20, 21
Taïwan 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Tanzanie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
taux d’intérêt 1, 2
taylorisme 1, 2, 3
Tchad 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
télécommunication 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
termes de l’échange 1, 2, 3
textile 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26
Thaïlande 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23
tiers-monde 1
Tokyo 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Toshiba 1
Total 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
tourisme 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19
Toyota 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17
trafic maritime 1, 2, 3, 4
trajectoires territoriales 1, 2, 3
transfert de technologies 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
transnationales 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33,
34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50,
51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67,
68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84,
85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92
transport aérien 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Trump Donald 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Turquie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Ukraine 1, 2, 3, 4, 5
Unilever 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Union européenne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,
16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28
valeur ajoutée 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20
Venezuela 1, 2, 3
Vietnam 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19
Volkswagen 1, 2
Wall Street 1, 2, 3
Walmart 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Yémen 1, 2, 3, 4, 5
Zaïre 1, 2, 3, 4
Zambie 1, 2, 3
zones économiques exclusives (ZEE) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
zones franches 1, 2, 3, 4
ZTE 1, 2
ZTF 1, 2
Table des figures

Figure 2.1 La croissance de la population active mondiale


Figure 2.2 La production mondiale de richesse
Figure 2.3 Géographie mondiale de l’accumulation de la richesse
Figure 2.4 Un monde polynucléaire : une nouvelle architecture
géoéconomique et géopolitique mondiale
Figure 2.5 La maritimisation du monde : une nouvelle frontière
Figure 2.6 L’explosion de la dette publique des grands pays occidentaux
(G7, % PIB)
Figure 2.7 Les fonds souverains : les nouveaux acteurs de la planète
financière
Figure 2.8 Le système financier mondial
Figure 2.9 La City de Londres, une place financière de rang mondial
Figure 3.1 Évolution des investissements directs à l’étranger entrants
Figure 3.2 Investissements directs à l’étranger : pays d’accueil, une
attractivité très inégale
Figure 3.3 L’internationalisation des firmes transnationales françaises
Figure 3.4 La stratégie chinoise des Nouvelles Routes de la soie
Figure 3.5 Géographie des IDE en France
Figure 3.6 Le système mondial de Toyota
Figure 3.7 Walmart, un géant américain de la grande distribution
Figure 4.1 Évolution des prix mondiaux des matières premières
Figure 4.2 Total, un groupe mondial des hydrocarbures à base française
Figure 4.3 BHP Billiton, un géant minier australien
Figure 4.4 Le système productif mondial de Nike
Figure 5.1 La polarisation de la diaspora indienne
Figure 5.2 Singapour : mutations urbaines et portuaires
Figure 5.3 Géographie mondiale des serveurs du Cloud
Figure 5.4 Les GAFAM dans la course aux câbles sous-marins
Figure 6.1 Géographie de l’efficience territoriale des États
Figure 6.2 L’espace russe en recomposition
Figure 6.3 Rio de Janeiro : reconquête des favelas
Figure 6.4 La Centrafrique
Figure 6.5 Les industries maquiladoras : la diffusion géographique
d’un modèle d’insertion dominée
Figure 6.6 L’Indonésie : un État-archipel entre disparités
et intégration nationale
Liste des tableaux

Tableau 1.1 Évolution de la répartition du PNB et de la population


mondiale (%)
Tableau 1.2 L’importance territoriale des grands empires coloniaux
Tableau 2.1 L’évolution des équilibres démographiques planétaires
(millions d’habitants et %)
Tableau 2.2 Le sensible rééquilibrage du PIB mondial
(milliards $ constants et %)
Tableau 2.3 La pyramide de la richesse mondiale
Tableau 2.4 Les 17 États émergents ou en voie d’émergence
Tableau 2.5 L’essor de la Chine (milliards $ constants)
Tableau 3.1 L’organisation fonctionnelle et technique des firmes
(recadrage)
Tableau 3.2 Le rôle des grandes métropoles dans le pouvoir
de commandement mondial (nombre de sièges sociaux
des 500 premières FTN mondiales)
Tableau 3.3 La montée en puissance des transnationales : le poids des
filiales à l’étranger
Tableau 3.4 Les 556 premières firmes transnationales
Tableau 3.5 La montée des pays émergents
dans les 500 premières FTN mondiales
Tableau 3.6 Les taxes déclarées payées aux autorités
par les FTN minières (milliards $ et %)
Tableau 3.7 Poids de la valeur ajoutée étrangère dans les exportations
Tableau 3.8 Évolution historique des pays émetteurs d’IDE (% stock
mondial)
Tableau 3.9 L’Arabie saoudite dans le piège de la rente pétrolière
Tableau 3.10 L’implantation des FTN états-uniennes dans le monde
Tableau 3.11 Le poids du stock d’IDE dans les économies
continentales et certains États (% PIB)
Tableau 3.12 Allemagne et territoires des IDE : des différences
structurelles majeures (flux en milliards d’euros, cumul 1995-2016)
Tableau 3.13 Dix ans d’évolution des emplois des FTN étrangères aux
États-Unis
Tableau 3.14 Les spécialisations des régions thaïlandaises :
des territoires dissociés
Tableau 3.15 Localisation des IDE dans les provinces vietnamiennes
Tableau 3.16 L’internationalisation des plantations de SDP
Tableau 3.17 Les principaux groupes agro-alimentaires mondiaux
(milliards $)
Tableau 3.18 Évolution des emplois d’Unilever par zones géographiques
(milliers)
Tableau 3.19 Industrie automobile : le basculement des ventes
et des productions (millions d’unités)
Tableau 3.20 Les principaux groupes automobiles mondiaux (milliards $)
Tableau 3.21 Le système commercial et productif de Toyota
Tableau 3.22 Implantations mondiales de MTN
Tableau 4.1 Évolution des productions mondiales de quelques
minerais et énergies
Tableau 4.2 Poids des produits agricoles et miniers
dans les exportations (%)
Tableau 4.3 Le poids marginal de la rémunération des producteurs
dans l’agroalimentaire (% prix final de vente
en supermarché payé par le consommateur)
Tableau 4.4 Les douze principales firmes pétrolières mondiales
(milliards $)
Tableau 4.5 Les cinq plus grandes firmes minières mondiales (milliards
$)
Tableau 4.6 Poids du secteur minier dans les échanges et l’économie
et pauvreté
Tableau 4.7 Les dynamiques de l’industrie manufacturière
(milliards $ constants)
Tableau 4.8 Évolution des emplois dans l’industrie : des trajectoires
divergentes (millions de postes)
Tableau 4.9 L’effort mondial de recherche : une fonction très
polarisée (milliards $)
Tableau 5.1 L’émigration mondiale : un phénomène limité et polarisé
Tableau 5.2 La montée des transferts financiers des travailleurs et
leurs impacts sur quelques pays (milliards $ et %)
Tableau 5.3 La hiérarchie des grands bassins touristiques mondiaux
(millions de personnes et milliards $)
Tableau 5.4 Flux du commerce mondial de marchandises :
polarisation et continentalisation (milliards $)
Tableau 5.5 L’évolution des taux d’ouverture des continents
et grands pays (% exportations/PIB)
Tableau 5.6 La dépendance des pays aux exportations vers la Chine
et les États-Unis : deux géographies mondiales différenciées (%
total)
Tableau 5.7 La spécialisation continentale des exportations (% total)
Tableau 5.8 Évolution du trafic maritime mondial (millions de tonnes)
Tableau 5.9 Les principaux armateurs de lignes régulières en 2018
(capacités en milliers d’EVP)
Tableau 5.10 Les trois grandes alliances du transport aérien
Tableau 5.11 Les trois grands mondiaux de la messagerie express
Tableau 5.12 Évolution du trafic Internet mondial (pétabytes/mois et %)
Tableau 5.13 Les GAFAM : un oligo-monopole états-unien en débat
Tableau 6.1 Trente ans d’évolution de l’emploi productif par grandes
fonctions en France (emplois en milliers)
Tableau 6.2 Les pouvoirs comparés des États fédérés du Canada,
d’Inde et d’Allemagne
Tableau 6.3 Les dix premières économies métropolitaines mondiales
Tableau 6.4 Insertion internationale différenciée et divergences régionales
croissantes : la valeur ajoutée belge (% national)
Tableau 6.5 L’essor spectaculaire des salariés des maquiladoras
mexicaines (milliers)
Tableau 6.6 Les structures régionales du Mexique : les trois grands
ensembles (%)
Tableau 6.7 L’Indonésie : l’importance des déséquilibres régionaux
(% national)
Tableau 6.8 Évolution du poids économique des grands ensembles
(% PNB national)
Tableau 6.9 Les déséquilibres structurels entre les trois Chine
Collection U
Géographie

BAILLY Antoine et FERRAS Robert, avec la collaboration de Renato SCARIATI, Éléments


d’épistémologie de la géographie, 2018, 3e éd.
BOULANGER Philippe, Géographie militaire et géostratégie. Enjeux et crises du monde
contemporain, 2015, 2e éd.
CARIOU Alain, L’Asie centrale. Territoires, sociétés et environnement, 2015.
CARROUÉ Laurent (dir.), La France des 13 Régions, 2017.
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CHALÉARD Jean-Louis et SANJUAN Thierry, Géographie du développement. Territoires et
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CLERC Pascal, DEPREST Florence, LABINAL Guilhem et MENDIBIL Didier, Géographies.
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