Histoire Des Jacobins de 1789 À Ce Jour

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littp://www.arcli ive.org/details/liistoiredesjacobOOIombuoft
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HISTOIRE
DES JACOBINS,
DEPUIS 1789 JUSQU'A CE JOUR.
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".^gfc^^ >t

On trouve à la même Librairie :

Des Sociétés secrètes en Allemagne et en d'autres


contrées , de la secte des Illuminés , du Tribunal
secret, de l'assassinat de Kotzbue, etc. Un vol.
in-8.o, i8i9, 5fr.

Le PioYAuaLE de Westphalie , Jérôme Buonaparte


sa cour, ses favoris et ses ministres ;
par un témoin
oculaire. Un vol. iu-S.**, 1820, 5 fr.

Histoire des Sociétés secrètes de l,'aemée , et des

Conspirations militaires qui ont eu pour oljjet la

destruction du gouvernement de Buonaparte j


deuxième édition. Un vol. in-S.", 181 5, 5 fr.

Conspiration du 20 mars . -, nouveaux Eclaircisse-

mens sur les cent Jours, tirés des Mémoires d'un


secrétaire de Buonaparte. Deux vol. in-8." , 1821,
12 fr.

DE L imprimerie DE J. SMITH.
HISTOIRE

DES JACOBINS,
DEPUIS 1789 JUSQU'A CE JOUR,

ou

ÉTAT DE L'EUROPE
EN NOVEMBRE 1820;

PAR L AUTEUR DE L HISTOIRE DES SOCIETES


SECRÈTES.

nV7&
eaue
n Regardez ea haut et levez la tète, parce gue
t la chute est proche. »
S7.?. 2 3

PARIS,
LIBRAIRIE DE GIDE FILS,
lirE SAlNT-MARC-rEYDEAXJ, N. "^
20.

1820.
i ^.
PREFACE.

Il n'y a pas encore un an que nous


tracions l'histoire des Sociétés secrètes;

nous disions ces propres paroles :

« Les Sociétés d'Illuminés doivent


« subjuguer Vuni\fers ^ il nest plus
i( question de leur résister; elles ont
« déjà le glaive et le pouvoir ^ la vaste
t< conjuration quelles ourdissent a
« encore besoin d'être soutenue quel-
if que temps par V artifice , la séduc-

<( tion et la perfidie Des écrits

« immoraux y des maximes incen-

» diaires y oîi Von flatte les vices de


« la multitude , oîi Von attaque , sou c
(6)
(( toutes les formes , les idées saines

« les cultes et les rois ^


préparent le

« complément d'une résolution uni-

« verselle méditée depuis long-temps^

« arrêtée tout-à-coup par une main


i< puissante y et rendue à son activité
« dévorante par une suite dévéne-
« mens qui échappent à la prudence
« humaine.

(< Profonds politiques ^ songez que


\i les Sociétés secrètes disposent au-
(( jourdliui des quatre parties du
c< monde j que leurs missionnaires ont
u pénétré sous la zone brûlante d'un
« autre hémisphère ^ et que le boule-

« versement de tous les peuples est


« inévitable. Songez quils sont par-
« tout ^ dans les armées y dans les
(7)
« conseils ,
dans les congrès

« Les rois sommeillent ! Et


n quand ils se réveilleraient? , . . .

« // est trop tard. Les cabinets n'ont


« plus de secrets pour la secte : elle

« a des millions d'adeptes répandus


» en Europe, As^ant cinquante ans ^
« nous aurons un nouveau culte et
« de nouveaux maîtres, »

Depuis que notre livre a paru , trois

révolutions ont éclaté en Espagne, à

Naples j en Portugal 5 une quatrième


et une cinquième ont pensé réussir à

Paris. Nous n'aurons peut - être pas

écrit cette page que Milan et Berlin

seront en insurrection. Encore une


fois , souverains : « Regardez en haut
1*
(8)
et levez la tête ^
parce que la chute

est proche. »

La prophétie est dure , nous l'a-

vouons; la vérité a toujours quelque

chose d'amer : un malade à l'agonie

n'aime point entendre parler de la mort.

Cet ouvrage sera jugé diversement ; il

fera peur, j'en préviens d'avance. Il ne

reste plus qu'à placer, à l'entrée de la

caverne des révolutions, l'inscription

funeste qui ordonne de laisser V espé-

rance.

Les polices ^ les alliances , les arres-

tations j les supplices, n'y feront rien.

L'état social tombe en dissolution sous

la hache d'une secte ennemie de tous


les pouvoirs 5 qui , d'une main , tient le
(9)
livre de sang , et , de l'autre , le

<{laive.

Les Illuminés ne seront pas les der-

niers à se récrier sur ce qu'ils appellent

des visions. Il y a un an , lorsque l'his-

toire des Sociétés secrètes parut , ils

demandaient des preuves : eh bien ! les

voilà, ces preuves ;


qu'ils les nient. Pour
toute réponse, je leur montrerai Cadix,

Valence, Paris , Naples , Berlin ; je ferai

apporter le poignard tout sanglant des


Sandy des Ihel et des Louvel , je

rappellerai les manœuvres des Burgens-


chafft, du Tugendbund, des Carbo-
nari, et de toutes les affiliations de

rilluminisme. Quant aux incrédules, s'il


en est encore de bonne foi, il faut les

plaindre d'avoir des yeux pour ne point


( lo)

voir, et des oreilles pour ne pas en-

tendre : ils aiment l'erreur? comme les

compagnons d'Ulysse aimaient leur

abrutissement.
CHAPITRE PREMIER.
Considérations générales

J 'entends des hotnmes sages, lisant ce


livre, s'écrier tout émus : quelle exagéra-
tion ! Je leur dis : observez ce qu'on fait

écoutez ce qu'on dit , et doutez si vous l'osez !

Les maximes professées long-temps dans


les ténèbres par les sociétés secrètes, le
furent ensuite dans les livres. De là, elles

sont proclamées ouverlement à la tribune :

on le souffre ; toute puissance religieuse


et civile disparaît.
Avant cette époque, lorsqu'on attaquait
les sociétés secrètes, elles criaient à la per-

sécution. Si votre science, leur disait-on,


est une doctrine de vertu et de bonheur,
pourquoi vous cacher dans des antres?
pourquoi vous environner de mystères et
de sermens affreux? De deux choses l'une,
ou vous faites le mal, ou vous faites le bien.
Si vous faites le mal, vous êtes punissables;
si vous faites le bien, vous n'avez pas be-
( >o
soin de vous soustraire à tous les regards»
Comme ils ne répondaient rien à ce di-
lemme, on aurait dû les traiter en conspira-
teurs; on ne le fit pas, et tout fut perdu. Un
roi porta sa tête sur l'échafaud ; dix autres
perdirent leur couronne ; l'Europe tomba
dans ranarcliie.
Une tolérance mal entendue produisit la
révolution française ; cette révolution , faite

et dirigée par les illuminés , inocula ses prin-


cipes au monde. Le mot d'ordre des adeptes
était alors liberté, égalité , fraternité , la
mort. Quelle est actuellement leur devise?
charte , idées libérales , système représen-
tatif, lumières , indépendance. Avec ces
mots vides de sens, on remue aujourd'hui
les peuples comme on les remuait, en 1792,

avec ceux de liberté et d'égalité. Rien n'est


moins libéral qu'un illuminé; sous la peau
du renard il cache la griffe du tigre; ses

hiéroglyphes ont un sens caché , comme


ceux du sphinx. La secte a son argot :

écartez le manteau philanthropique vous ,

verrez le régicide la spoliation, le meurtre


,

l'incendie et la guillotine.
( »3)
Les frères de 1790 marchaient à la puis-
sance par degrés ; ils avançdent , comme
ceux d'aujourd'hui, avec des souliers de
feutre. Ils prennent d'abord le titre modeste
d'amis de la constitution ; l'année suivante
ils paraissent sous la dénomination de club
breton ; dès 1792, ils se changent en société
des cordeliers , et enfin ils affectent le sobri-
quet de jacobins. Les illuminés jacobins
s'empressent d'établir une charte constitu-
tionnelle; ils correspondent avec des sociétés
affiliées dans tout l'empire français , dirigent
les mouvemens populaires, et travaillent au
grand œuvre de la régénération. On com-
mence par envoyer vingt mille hommes fra-
terniser avec le souverain, on le détrône en-
suite. Ce n'est pas tout; les nouveaux adeptes
ont besoin du baptême de sans" , on éo-orore
les prisonniers le 2 septembre.
Les illmninés jacobins sont les maîtres ; la
génération est livrée au bourreau la flamme -,

dévore les cités; une seule ose se défendre :

ils veulent la détruire et inscrire sur ses


ruines (^ Ici fut Lyon, n Us avaient la puis-
:

sance de tout détruire, de tout anéantir;


(14)
il leur manque de vaincre. La France
l'art

resta la grande nation de Clovis , la nation


immuable, éternelle, indivisible, créée telle

parla nature et le génie des empires.


Le monde est ébranlé jusque dans ses fon-
demens une suite de catastrophes change les
;

mœurs et les lois de vingt peuples divers. Un


homme paraît qui a tout pouvoir pour faire

le bien et pour faire le mal ; il enchaîne les

tigres ; il relève la monarchie ; il recrépit


toutes les royautés , mais il opprime tous les
rois, les brise ou les élève selon son fatal ca-
price. La plupart joignent humblement leurs
forces aux siennes pour écraser les dissidens.
Ces rois parviennent enfin à s'entendre, se
liguent contre l'oppresseur des nations; une
guerre à mort éclate; ils sont faibles; on
promet aux peuples l'indépendance, et aux
illuminés le pouvoir. La secte devient auxi-
liaire ; elle pousse un cri de joie , la propa-
gande s'*îtablit. Des émissaires actifs et en-

treprenans parcourent l'Europe ; des clubs


et des ramifications s'organisent ; les têtes

exhaltées, les brouillons, les aventuriers, les


hommes sans état prennent part de tous côtés
( »5)
à ce grand mouvement. On voit éclore une
révolution aussi générale, aussi terrible que
celle méditée vingt ans auparavant. Les ex-
pressions en usage sont les mêmes. Liberté
égalité , délivrance des nations , affranchisse-
ment des peuples , telles sont les paroles ma-
giques dont les rois alliés tirent avantage , et

qui les aident à vaincre.


Dans le Tirol, le Voralberg, l'Espagne et
l'Italie, on voit se renouveler les scènes hor-
ribles de la révolution française. Dans Milan,
les têtes sont promenées au bout des piques.
<< Lestez-vous j, «disent les frères, ^^ déployez
la force et Vénergie nécessaires ; affrontez
les périls du combat; il sera terrible , mais il

donnera lavictoire. » On menace de ruine et


de mort ceux qui ne s'empresseront pas de
répondre à l'appel.
On fait plus, on préconise la trahison, l'em-
bauchage et la désertion dans les. soldats de
ses adversaires.
Le militaire une fois sous le drapeau lui
appartient sans réserve Les lois de la guerre,
.

chez les peuples civilisés , ne lui permettent


pas de l'abandonner au gré de ses passions.
( i6)
Cependant on foule aux pieds ce principe sur
lequel repose l'ordre social on ouvre la car-
;

rière de l'insubordination; on brise le lien qui

attache les armées à leurs chefs. Dès- lors


aucun état ne peut plus compter sur sa force
militaire ; cette force juge elle-même contre
qui elle doit tourner le glaive. On se trouve

reporté aux siècles des gardes prétoriennes


des janissaires et des strélitz; les trônes,
les diadèmes sont à la discrétion de quelques
soldats ivres (i).
Ces actesrévolutionnaires, en iSia eti8i5,
parlaient assez d'eux-mêmes. Malheureuse-
ment ceux qui les provoquaient n'en aper-
ce vaient pas les conséquences, ils ne voyaient
que le but. On n'était pas même effrayé de
l'alliance d'une secte qui s attache princi-

palement a séduire la jeunesse qui a pour ,

dogme F extermination de tous les j^ois , qui


exécute ses plans à force ouverte et par le
MEURTRE DES PRINCES ,
qui discutc sur la

(i) Lorsqu'on est mécontenta Constantinople , le

sérail est investi en un clin d'ceil par une troupe de


forcenés qui demandent la réforme j ou étrangle le
sultan ou le visir, et tout est dit.
( 17 )

question de savoir s'il est temps de les as-


sassiner ,
qui pose en principe que le sang
est le ciment des grands édifices politiques ,

qu'il ne faut pas regarder au sang ni aux ca-


davres pour régénérer la terre.
L'aveuglement est tel que les illuminés

peuvent le désirer. Les rois, en préchant l'in-

surrection aux peuples , font brèche à leur


propre conservation, et mettent en péril
l'ordre sociaL
Mais voici bien une autre faute. Le co-
losse abattu , on
aux illuminés Entrez,
dit :

asseyez-vous prenez place au banquet. Les


,

sages sont remplis d'étonnement ils ne com- ,

prennent point ce qu'on dit. Les illuminés,


semblables aux démons de l'abîme , répon-
dent par un sourire féroce ; les nations sont

dans l'abattement; la sagesse du monde est


convaincue de folie.

Bientôt les souverains trouvent des maîtres


dans cette secte intraitable de fanatiques
illuminés , ils veulent se séparer de ces dan-
gereux libérateurs. On voit les scènes de
"Wartbourg, l'insurrection des universités,
l'assassinat des princes , la révolte de l'armée
2
( i8)
expéditionnaire de Cadix , les événemens de
Paris, la révolution de Naples et celle de
Portugal. On en verra bien d'autres : pa-
tience la pièce commence; on n'éloigne pas
!

impunément de tels amis.


Chose incroyable Les jacobins se bat-
!

tent les flancs pour persuader aux chefs


des nations qu'il n'y a pas de danger; ils

ne croient aux conspirations que quand les

trônes sont renversés. Ils se prosternent de-


vant les couronnes jusqu'à ce qu'ils aient

réduit ceux qui les portent à leur servir de


marchepied ; ils leur disent plaisamment :

JSe craignez point ceux qui tuent le corps,


ils n'ont rien a vous faire de plus.
Les paroles mielleuses , les phrases à
double sens , les déclamations sur la philan-
thropie et l'humanité en imposent au vul-
gaire des hommes; elles lui déguisent ce
qu'il y a d'infernal dans les combinaisons de
la secte. Coulhon, ce bénin et doucereux
jacobin , voulait des lois si simples , si sim-
ples, contre les proscrits, qu'un enfant pût
les conduire à la guillotine. Robespierre,

avant de faire tomber cinquante mille têtes


( '9)
avaitdemandé l'abolition de la peine de
mort. Le fameux Jahn ne parlait que de
vertu et de tolérance : lorsqu'il entra dans

Paris, le 6 juillet i8i5, il monta sur l'arc

de triomphe du Carrousel , harangua les


Prussiens et leur proposa de brûler cette
,

capitale. Il soutenait , il enseignait que l'as-


sassinat des fonctionnaires publics estpermis,
et que le poignard est, pour tout homme, un
ornement obligé.
La marche constante des illuminés est de
nier le principe pour arriver aux consé-
quences; c'est toujours la maxime de la
bonne vieille cause des frères rouges de
Cromwel. Leur politique peut et doit fas-
ciner les yeux de leur multitude il n'appar- ;

tient qu'à un petit nombre d'hommes de dé-

couvrir la vérité, de bien juger ce qui se


passe.
Dans la situation où se trouve l'Europe, la

paix comme la guerre doit être également


funeste aux rois. Si le poignard des jacobins
est redoutable , leur évangile l'est encore
plus. Il fait marcher de front les conspirations
populaires et les conspirations militaires. Je
( 20 )

ne vois pas de monarchie assez robuste pour


résister aux coups de ce double bélier.

Tout sera donc anéanti les lois : , les

mœurs, la langue. On verra encore une fois

des hommes de la plus basse classe sortir de


leurs repaires , saisir de leurs mains avides
les derniers trésors du monde , nous con-
duire au déshonneur et à la mort. Ce ne
sera point assez de marcher dans le sang et
les larmes; iis détruiront les arts, l'indus-
trie et le commerce , afin de rendre au
néant ce qu'ils appellent le superflu de la
population. Des comités éparpillés sur le

sol seront autant de cavernes à la Gilhlas,

pour dépouiller les riches et les tuer cons-

tilutionnellement.
Nations séduites , familles désespérées
irez-vous trouver ces faux amis, ces per-
fides flatteurs qui vous auront entraînées
dans l'abîme? Vous leur demanderez du
pain ; ils vous diront : /allez clans les autres

disputer a l'oiseau de proie les lambeaux


sanglans des victimes cpie nous avons égor-
gées ! Koulez - vous du sang F
prenez , en voici .'.... du sang et des
( 21 )

cadavres ^ nous n'avons pas d'autre nour-


riture à vous offrir !

Les cabinets s'environnent de mystère et


gardent le silence sur le péril; les citoyens,

à leur tour, tombent dans l'apathie. Ils n'ap-


prennent le danger que quand la foudre a
frappé , ou bien lorsqu'on s'en est garanti.
Quelquefois les gazettes troublent ce calme,
mais on se rassure bientôt. Qu'est-ce
qu'une gazette? qu'est-ce qu'un follicu-
laire? Il semble qu'il n'y a plus de danger
quand on a digéré.
Il n'est plus temps de rien dissimuler; de-
puis les révolutions d'Espagne , de Naples et
de Portugal , les illuminés disposent de trois

cent mille hommes de troupes réglées qui


peuvent se grossir de tous les mécontens de
l'Europe. Je veux que vous fassiez marcher
contre eux les Autrichiens, les Russes et les
Prussiens pouvez-vous compter sur vos pro-
;

pres soldats ? croyez-vous, si vous ne prenez


pas de grandes précautions, qu'ils résisteront

aux doctrines, à l'argent et aux séductions


des rebelles? Nul doute qu'il y aurait des dé-
( 22 )

fections^ et qu'on vous ferait la guerre avec


vos propres moyens.
D'ailleurs n'oublions pas que les illuminés
qui occupent de hauts emplois^ s'en servent
au profit de la secte ; qu'ils préparent la
ruine, qu'ils provoquent le mal, et ensuite
ne font rien pour l'empêcher. On ne saurait
s'yméprendre des mains vulgaires ne diri-
;

gent point ces plans dévastateurs. On saisit

quelques mercenaires instrumens, quelques


séides, quelques fanatiques obscurs, mais
les véritables chefs restent et resteront dans
l'ombre. Les vaillansBrutus, toujours prêts à
égorger les tyrans désarmés, attendent peut-
être tranquillement l'issue du combat au fond
d'un souterrain.
Nous l'avons déjà dit dans notre premier
ouvrage , et nous ne pouvons trop le répéter,

les pouvoirs de la secte semblent illimités

inattaquables; chaque jour elle prouve que


la toute-puissance l'entoure et qu'aucun obs-
tacle ne l'arrête.
( 23)

CHAPITRE IL
Définition des mots.

Uans les discussions sur la politique, celui

qui argumente entend presque toujours une


chose , et son adversaire une autre. Un voya-
geur est arrêté par un torrent ; il demande
le gué; quelqu'un lui crie «Prenez adroite.»
:

Il prend à droite et se noie. L'autre court


après lui : «Eh! malheureux, je ne vous
avais pas dit d'avancer à votre droite, mais
à la mienne. » C'est dans les révolutions où
Ton voit les plus singuliers abus de mots ;

tant qu'elles durent, on lit et on converse


dans un cercle donné; chacun a le sien.
Les sectes , les partis sont intéressés à déna-
turer tout ce qui leur déplaît, à embrouiller
les questions les plus simples. Il faut donc
faire ici ce que Locke a tant recommandé ,
définir les mots.
Dans l'histoire des sociétés secrètes, j'a-
( 34 )

vais pris la liberté de me moquer des som-


nambules , des mystiques , des physiono-
mistes, des cranologues, des magnétiseurs
et des tireuses de cartes ; voilà qu'on me
transforme tout-à-coup en ennemi des lu-
mières. J'avais dit que le gouvernement re-
présentatif n'avait été jusqu'ici qu'un levier
de plus dans la main du despotisme ; voilà
qu'on me fait ultra j et, pour comble d'ab-
surdité, on ne dit point ce qu^on entend
par ultra.
Je déclare donc , au commencement de
l'histoire des jacobins , que je me servirai
indifféremment de cette dénomination et
de celle à'illujjiinés ,
parce que c'est la

même chose. Illuminé est un nom primitif,


générique, donné à la secte lorsqu'elle a
paru sur la scène du monde. Ses affiliations

ont pris des noms divers, depuis deux siècles,


selon les temps et les lieux. Puritains , nive-
leurs, frères rouges, deffenders , réforma-
teurs , jacobins , idéologues , radicaux ,

carbonari , indépendans , libéraux , peu"


importe ; ces corporations aboutissent à un
centre commun ,
qui est Yilluminisme. Ainsi,-
( 25 )

t[uand nous disons jacobins, nous entendons


illuminés ; et, quand nous disons illuminés ,

nous enlenàons jacobins ; il en sera de même


des autres dénominations.
Quant aux jongleries des théosophes, des
francs-maçons , des mystiques , et autres

sociétés, nous répétons qu^elles ne sont pas


précisément adhérentes à Y illuminisme ,

mais qu'elles lui servent de moyens; qu'elles


sont dirigées par lui pour hébéter le genre
humain et préparer l'éducation des fana-
tiques; qu'enfin, c'est là où il étudie le ca-
ractère et le talent des néophytes qu'il juge
dignes d'être initiés. Tel commence par
être fou et visionnaire , qui finit par être
fripon et scélérat (t). La secte a ses pail-
lasses et ses arlequins , depuis ceux qui
vendent la Charte à un liard à des gens qui
ne savent pas lire , jusqu'à ceux qui font
les charivaris et qui proposent les souscrip-
tions.

(i) Au moment même où nous écrivons ceci , la


police de Berlin fait fermer toutes les loijes de/ra«c5-
(26)

CHAPITRE III.

Voltaire j Condorcet , Diderot, Marmontel,


d'Alemhert, et quelques autres.

J-j'iLLLMiMSME n'avait point encore, à la


findu dix-huitième siècle , le caractère
sombre et barbare qu'il a pris depuis. Il
était concentré alors entre un petit nombre
d'initiés dont les lumières en corrigeaient
l'âpreté.

Frédéric II fut un de ces initiés n'étant

que prince royal dès ; qu'il fut roi , il devint


transfuge. Voltaire, pendant sa retraite en
Angleterre, devint illuminé. Cette époque
est celle d'une révolution dans l'esprit hu-
main. Né avec du génie , de grands talens ,

appujé d'une fortune immense, dont on ne


connaissait pas bien la source, il donna aux
doctrines de la secte un poids , une impor-
tance qu'elles n'avaient point avant lui dans
l'ordre social. Le garde-des-sceaux me-
(27 )

naca Voltaire d'un cul de basse-fosse ; Vol-


taire jura qu'il s'en vengerait; il a tenu parole.
Le siècle était mûr, c'est-à-dire corrompu.

Voltaire citait un fait atroce sur la reli-


gion , on pleurait ; il prodiguait le ridicule ,

on riait. Il remettait souvent sous les yeux


lesmêmes tableaux les mêmes , raisonne-
mens. On ne vendait encore , dans ce
temps-là, ni catéchismes révolutionnaires y

ni politique de poche. Les ressorts des gou-


vernemens n'étaient pas si usés qu'ils le sont
aujourd'hui; beaucoup de sentinelles veil-
laient sur le bon sens et la morale ; les

livres pernicieux ne circulaient que dans la


haute classe de la société. L'œuvre des
frères avançait, mais lentement : il fallut du
temps pour percer la première couche des
nations. Cependant, selon le calcul de Vol-
taire , la durée de Xinfâme ne pouvait pas
aller au-delà de cinquante ans. Uiiifdme a été
frappé d'apoplexie du vivant même de Vol-
taire ; quelques années plus tard il aurait eu
le plaisir de l'enterrer et de lui faire son
épitaphe.
La plus ancienne imposture de la secfe est
(28 )

le Testament deJeanMeslier. Ce Jean Mes-


lier était un pauvre prêtre qui n'avait jamais

rien écrit ; on imagina de forgersous son nom


cette œuvre infernale dans laquelle il deman-
dait pardon, en mourant, d'avoir enseigné
les choses absurdes et ho/Tibles de la religion.
On y réfute naïvement et grossièrement tous
lesdogmes du christianisme. Celivre, long-,
lourd ennuyeux et révoltant sorti de la
, ,

plume d'Helvétius lut distribué en Europe


,

à plus de cent mille exemplaires. Les pre-


miers se vendaient dix louis la pièce dans
Paris. Plusieurs curieux conservent encore
dans leur bibliothèque ce triste et dangereux
monument.
«t C'est bien dommage, écrivait Voltaire
que cet ouvrage ne soit pas dans les mains
de tout le monde ; il faudrait que chacun en
eût un exemplaire. Je suis enthousiasmé
du petit livre de l'inquisition ; jamais l'abbé

Mords-les (Morellet) n'a mieux mordu. Frère


Thiriot aura dans six mois un ouvrage d'un
de 710Sfrères de la propagande ,
qui pourra
être utile et faire prospérer la vigne du Sei-
jrneur. »
( ^9 }

K Je suis las, disait-il un jour, d'entendre


répéter que douze hommes ont suffi pour éta-
blir le christianisme; je leur prouverai qu'il

n'en faut qu'un pour le détruire. «

On jouait alors sur le théâtre les Lois de


Minos , Oljnipie et Brutiis , trois pièces di-

rigées contre les prêtres et les rois. « J'y ai


mis peut-être un peu trop de poivre , dit l'au-

teur ; le fond de mes petits pâtés n'est pas fait

pour une monarchie mais on a servi du


,

Briitus devant le comte de Falkenstein (i),


et les iconvives ne se sont pas levés de table.»
Vers le même temps , Marmontel produi-
sait son Bélisaire; et, tandis que la Sorbonne
le condamnait, les rois se disputaient à qui

lui donnerait des places et des pensions.


J.-J. Rousseau fut accueilli des illuminés

à cause de son caractère et de ses talens qui


paraissaient propres à seconder leurs projets.
L'éloquent sophiste s'éloigna dès qu'il en-
trevit le but. C'est là l'origine de toutes les

persécutions qu'il a essuyées.

(i) L'empereur Joseph II, pendant son séjour à


Paris.
( 3o)
Excommunié par la secte , il devint l'objet
de sa rage ; on le traita de monstre et de
charlatan, on lui imputa toutes les atrocités,
on le poursuivit d'asile en asile. Il n'avait pas
le secret, sans quoi il eût été mis à mort:
mais il en avait pénétré une partie. « Il est

triste pour le tripot , disaient les frères , que


ce scélérat en ait pris le manteau quelque
temps. »

Diderot et d'Alembertdirigeaientlagrande
entreprise de l'Encyclopédie. Le premier,
dont la devise était :

Du boyau du dernierprêtre serrez le cou du dernier roi,

recevait des cadeaux de Catherine II et de


Frédéric, correspondait avec eux, et se ser-
vait de ces grands noms pour étendre l'illu-

minisme. On minait sourdement le chris-


tianisme ; on opposait mystères à mystères
initiation à initiation, oracles à oracles, mi-
racles à miracles.
Gondorcet , mis à mort par les hommes
à principes de 1790 , nous fait voir comment

lesf/'ères se traitent en révolution. Ce même


( 3' )

Coiidorcet , qui a tant contribué à l'anéan-


tissement de la religion et du trône, dit
très-positivement « que les sociétés secrètes
et la franc-maçonnerie sont les meilleurs
moyens à employer pour détruire les prêtres
et les rois. »
Ce qui est très-remarquable , c'est que la
secte, tout en flagornant le peuple pour se
faire un parti et arriver à son but ne veut ,

point du peuple. Un de ses oracles disait il y a


trente ans : « Les pas qu'on fait dans le Mi-
lanais , à Venise , à Rome et à Naples sont
des pas de tortue. Le calcul des probabi-
lités fait croire quon pressera un jour la ca^
dence; je ne serai pas témoin de cette belle
révolution. A fin de compte , il n'y aura
plus de sots que parmi la canaille ,
qui ne
doit jamais être comptée. »

Mirabeau , dans l'épancliement d'une or-


gie s'écria un jour Cette canaille mérite
, :

bien de nous avoir pour législateurs.


Ces professeurs de foi , comme on le

voit, ne sont point du tout démocratiques ;

la secte se sert de la populace comme de


chair a révolution de matière première au
,
( 32 )

brigandage , après quoi elle se saisit de Tor


et abandonne les générations à la torture.
C'est vérilablenient le code de l'enfer.
Le jacobinisme, né pour détruire, porte le
mal dans ses flancs tout naturellement comme
un orage porte la foudre. Il a horreur du
bonheur des hommes il ne touche la vertu
;

que pour la flétrir le méchant l'honnête


; ,

homme tout lui est bon , car il ne fait rien


,

que par calcul. Dès qu'il a soufllé sur


l'homme , il lui appartient par le droit du
crime et de la honte.
(33)

CHAPITRE IV.

Complicité de la secte dans l'assassinat de


Louis XV par Damien. — Aperçus et

faits relatifs au commencement de la

révo lut ion française.

L ouT le monde a entendu dire que le vé^


ritable interrogatoire de Damien fut déposé
à la Bastille, d'où il n'est jamais sorti. Lorsque
le peuple s'empara de cette forteresse en
1789, l'initié Manuel se saisit de tous les pa-
piers , supprima ceux qui pouvaient com-
promettre la secte , et publia les autres sous

le nom Ae police dévoilée. Cherchons quel-


ques lumières dans^cette profonde nuit.

Les juges , dans le procès de Damien n'ont ,

pu avoir d'autre opinion que celle qui leur


étaitcommandée il y aurait eu trop de
:

personnages importans compromis mais il ;

était ridicule et maladroit d'en accuser les


jésuites et le parlement. Gomment deux
(54)
corps rivaux et ennemis se seraient -ils réu-
itis pour conduire main du meurtrier? La
la

secle fit répandre que c'était le fanatisme


religieux qui avait fait agir ce malheureux,
et non \e fanatisme politique. Elle affectait

d'en cbargerles jésuites, parce qu'elle vou-


lait les faire chasser et s'emparer de l'édu-
cation de la jeunesse. Son plan ne réussit
que trop bien; elle substitua insensiblement
le théisme à toutes les croyances reçues.
Les jésuites, depuis qu'ils n^étaient plus
beaucoup les illuminésj
auxiliaires, gênaient

ceux-ci ne pouvaient faire un pas que la so-


ciété ne criât: Qui vive 1 V ennemi est aux
portes.
« ^ oilà un nouvel avantage que nous ve-
" nous de remporter en Espagne , écrivait
« Fré-déric à Voltaire , les jésuites sont
« chassés de ce royaume. De plus , les cours
« de Versailles , de Vienne et de Madrid ont
« demandé au pape la suppression d'un
« grand nombre de couvens. Cruelle ré-
« volulion à quoi ne doit pas s'attendre
!

« le siècle qui suivra le nôtre P la cognée


« est mise a la racine de l'arbre. Cet
( 35 )

k édifice , sapé par ses fondemens, va ^'e-

« crouler; et les nations transcriront que


« Voltaire fut le promoteur de cette revo-
it lution qui se fît au 19." siècle dans l'es-

« prit humain. »
Les jésuites d'un côté et les illuminés de
l'autre, prétendaient à gouverner l'Etat. Les
uns voulaient un système ultramontain avec
la dynastie, et les autres une nouvelle dy-
nastie avec une charte à l'anglaise, en atten-
dant mieux.
Ces deux factions furieuses ne se donnaien t
nipaixni trêve. Déjà elles avaient consommé
ime foule de crimes secrets ou publics,
depuis ceux qui avaient anéanti si rapide-
ment la nombreuse postérité de Louis XIV
jusqu'à l'attentat de Damien. Elles avaient
«décidé de périr plutôt que de succomber.
Le parti du dauphin n'était plus connu que
sous le nom de parti des bigots ; le prince
était craintif et vertueux , la secte l'avait en-
tièrement dépopularisé : l'assassinat de 1767
devait changer la dynastie ; la fortune en
décida autrement. Cependant le secret ne
fut pas tellement gardé qu'il n'en transpirât
( ^6)
quelque chose. Seize membres cîu parlement,
exilés jusqu'après rexécution de Damien
ne furent pas muets; il y eut de la rumeur;
la secte elle-même jeta un cri d'alarme. « J'ai

bien peur , écrivait alors Voltaire , que Da-


mien ne îuiise beaucoup à la philosophie . »

Il ne s'agit point ici d'un fantôme forgé à


plaisir pour épouvanter les hommes timides.
Qui doute encore de cette longue suite de
forfaits? Gustave III n'a-t-il pas été frappé
au moment où il allaitmarcher contre la ré-
volution à la tête d'une armée? Le fameux
Coustard n'avait-il pas été arrêté à Francfort
en 1792 ? n'avait-il pas tout révélé?
juillet

n'avait-on pas trouvé , dans sa correspon-


dance avec les jacobins, des preuves de l'em-
poisonnement de Léopold et de l'assassinat

du roi de Suède? On ne sait que trop par


quelles voies la secte accomplit ses arrêts
suprêmes. Louis XYI est-il traîné à l'hôtel

de ville de Paris , une femme attirée dans la


foule par la curiosité tombe morte auprès de
la voiture ; c'est un coup de feu qui l'a frap-

pée. Foulon et Berthier sont-ils décliirés par


le peuple, on remarque des individus parmi
( 37 )

îa foule qui sont les directeurs de ses mou-


vemens. On sait comment les premières in-
surrections étaient excitées; des émissaires,
déguisés sous l'uniforme, excitaient les soup-
çons, provoquaient le peuple et séduisaient
les troupes. Une autre milice de brigands
incendiait les moissons dans les provinces.
Des courriers, dépêchés par un pouvoir oc-
culte et ténébreux, parcouraient les villes,
les campagnes, répandant avec de fausses
nouvelles la consternation et l'effroi.

Le centre de direction était rue Plâtrière :

un personnage fameux , à qui sa haute nais-


sance et son rang dans l'Etat donnaient une
grande influence, prenait part à ces premiers
exploits et prodiguait ses trésors. 11 fut un
jour question de mettre le feu dans tous les
quartiers de Paris; on trouva des appareils
phosphoriques et bitumineux sur divers
points, mais l'organisation imprévue et sou-
daine de la garde nationale déconcerta ce
projet. On arrêta dans la capitale quatre
cents brigands les armes à la main ; pas un
seul n'était Français : on les avait fait venir
d'au-delà du Rhin, et on les soudoyait de-
puis plusieurs mois.
(38)
Si l'on rap|)roche de ces faits, dont la vé-
rité est incontestable , le vol du sceau de la
ville de Paris , exécuté peu de jours après la
prise de la Bastille, et renouvelé nombre de
fois dans un assez court intervalle ; la distri-

bution de faux édits du roi , de faux décrets


de l'assemblée nationale , on reconnaîtra
toujours la tactique d'une agrégation pro-
fondément criminelle et perverse. Necker,
sans être initié, n'ignorait pas le plan des
conspirateurs, mais la peur lui imposait si-
lence. Quand on lui reprochait de n'avoir
pas sévi contre tels et tels, il répondait
naïvement : Je ne Vai pu. Le secret lui pa-
raissait d'une telle importance , qu'il ne le

l^^issait point pénétrer.


( f))

CHAPITRE V.

Initiés de l'Assemblée constituante.

JuA révolution sortit des loges maçonniques,


comme celles-ci étaient sorties du bûcher des
Templiers. La France, en 1789, comptait
plus dedeux mille loges affiliées au Grand-
Orient; le nom}3re des adeptes était de plus
de cent mille. Les premiers événemens de
1789 ne furent que la maçonnerie mise en
action. Tous les révolutionnaires de l'as-
semblée constituante étaient initiés au troi-
sième degré. Nous rangeons dans cette classe
le duc d'O , Yal...., Sjl...., Lael....,
Sj...., Pétion^Me ,Biron, Montes ,

Fauchet, Condorcet, Laf , Mirabeau,


Gar.., Rabaud, D. Cr...., T d, Laro.... et
autres. Duroverai et Clavière l'étaient aussi;

ces deux Genevois préparèrent la matière


électorale de l'assemblée constituante en
•ioulflajità leur compatriote Necker la double
(4o)
représentation à on rit aussitôt, dans Tas^
semblée, les coryphées de la secte con-
sommer le grand œuvre et or2"aniser les

patronages révolutionnaires. Ou est donc


notre constitution anglaise? disaient quelques
niais. Laissez-nous faire ,
prenez patience ^

répondaient les frères , vous aurez mieujc


que tout cela. Laf était un de ces niais.

On sait que Mirabeau ne l'appelait que Giles-


César y le déclarait incapable d être le valet
de chambre de CronrweL Ce qui est presque
incroyable , c'est qu'une telle conjuration
aitpu marcher si hardiment à son but sans
que l'Europe en ait pris du souci et que les
rois s'en soient alarmes. Alors comme au-
jourd'hui ses membres étaient dans les con-
seils et les armées. A Madrid, ils avaient eu le
crédit de faire arrêter le premier ministre,
comte de Florida Blanca , et de le rem-
placer par d'Ar , un des leurs. Une
puissance si extraordinaire soulevait toutes
les passions à la fois ; les commandemens
s'exécutaient avec la rapidité de l'éclair , par
le moyen d'une foule de corporations mys*
tcrieuses etredoatables.
(4> )

CHAPITRE VI.

Assassinat de Pinet.

Jr EU de nos lecteurs aujourd'hui ont connu


Pinet , ou en ont entendu parler; c'était

le banquier des illuminés de 1788 à 1789,


et le principal agent qu'ils employaient
pour organiser la famine. L'avidité de cet
homme et son intellig-ence le rendaient pré-
cieux. Sans être initié aux grands mystères,
il en savait assez pour que ses indiscrétions
fussent à craindre ; il était dépositaire de pa-
piers importans. Un prince illuminé lui de-
vait des sommes considérables. Aux pre-
miers massacres de la révolution, Pinet tombe
dans une sorte de démence, il lui échappe
quelques propos , on les rapporte au comité
de la rue Plâtrière; il est décidé qu'il faut
s'en défaire, on le condamne au ban, c'est-
à-dire à la mort. Dans le mois de juillet 1 7 89
le malheureux sort de chez lui vers le soir
(42 )

après avoir dîné avec sa famille et ne repa-


raît pas. Le lendemain on le trouva dans la
IbrétduVesinet, près Saint-Germain , blessé
d'un coup de feu. Un pistolet déchargé était

à côté de lui , un autre chargé avait été mis


dans sa poche pour faire croire qu'il s'était

suicidé, mais ces armes furent reconnues ne


point lui appartenir ; de plus, il était blessé

derrière la tête , et la bourre du pistolet ne


s'était pas trouvée dans la blessure. Pinet
expira sans pouvoir nommer ses assassins. Un
porte-feuille rouge dont il parlait souvent
était disparu ; enfin, on avait eu l'abominable
précaution de revêtir les assassins de la livrée

de la reine. Chaque information confirma


d'afl'reux soupçons; mais chacun se tut, les
poursuites furent arrêtées, les enquêtes sup-
primées par le crédit d'une association dont
l'exislence insultait depuis soixante ans à la
vengeance céleste.
( 43 )

CHAPITRE VIL
Société de la Constitution , ou Club breton.
— Caveau de l'avenue de Saint-Cloud,
— Concdiahules de Passy.
V^E club, dans l'origine, se tenait alternati-

vement à l'hôtel ifeT^^^/Vït?, place des Victoires,


et à Passy, dans la maison Boulainvillers ,

qu'un prince avait louée. Là se réunissaient


mystérieusement les principaux, initiés qui
faisaient partie de l'assemblée constituante.
Ils dirigeaient la propagande etla circulation
des écrits révolutionnaires, soutenaient les
entreprises périlleuses par des souscriptions,
et préparaient les motions incendiaires à faire

dans le sein de l'assemblée nationale. C'est


de ce conciliabule que sortit la première Z>e-
clavation des droits de l'homme, et le fameux
.plan de quatre-vingt-trois municipalités in-
dépendantes. On
y décidait sans appel sur
le sort des individus à abandonner à la popu-
(44)
lace pour le supplice de la lanterne; on y
élaborait cette ridicule constitution de 1791*
qui devait anéantir la civilisation. La secte
était dans la joie , elle touchait à l'époque an-
noncée par les puritains, du milleniiun et de
la cinquième monarchie.
Bientôt cette société ne fut pas seulement ^
composée de députés on j reçut des externes:

bien connus parleurs principes; on en compta


dix-huit cent; ils subissaient des épreuves
dans une salle voûtée , située au fond d'un
jardin de l'avenue de Saint- Cloud ; ces
épreuves étaient plus ou moins fortes , selon
le degré d'initiation. La dernière était prati-

quée ainsi que nous l'avons décrite dans l'his-


toire des Sociétés secrètes. Marat , Hérault
de Séchelles Camille-Desmoulins, Danton,
,

Fabre-d'Eglantine, Hébert, Cloolz, Momoro,


Chaumette, Pache , Ronsin et autres furent

admis de cette manière. On


par y rece-
finit

voir la foule ; la société se divise alors en

trois factions distinctes : les girondins (1) ,

les cordeliers-nii'eleurs ow dantonistes , et les '

(1) On les nomma aussi brissotins.


(45)
jacobins. Les premiers , après avoir participé
à tous les crimes de la révolution, furent assez
lâches pour en avoir peur; les seconds, in-
satiables de sang et de pillage, ne voulaient
aucune forme de gouvernement; ils s'accom-
modaient de tout pourvu qu'on leur permît
,

de voler ; enfin les jacobins , plus austères


plus hardis ,
plus conséquens à leurs prin-
cipes, représentèrent à eux seuls le véritable

esprit de la secte des illuminés : ils furent


les plus atroces ; ils se recrutèrent de tout ce
qu'il y avait d'impur , de hideux et d'épou-
vantable en France.
Mirabeau n'était plus : devenu traître en-
vers la secte , il avait reçu Vaqua- Tofana.
Mais déjà on pouvait se passer de l'éloquence
de ses poumons, au moyen d'une foule d'af-
filiations, de correspondances de directoires ,

et de frères voyageurs à diplômes.


De ce foyer de désorganisation émanaient
les délations , les complots , les assassinats,

la révolte, l'élévation ou la chute des mi-^

nistres et des généraux. On décachetait les


lettres à la poste, on dressait l'état de toutes
les fortunes, on marquait lesportes àla craie.
(46)
on supprimait les journaux cle l'opposition ,

on tuait les écrivains courageux, et déjà on


méditait le 2 septembre , mille fois plus exé-
crable que la Saint-Barthélemi et les Vêpres
siciliennes.
( 47 )

CHAPITRE Vlir.

Club Saînt-Roch.

RoEDERER disait : « On ne doit pas plus j^êner


la liberté des clubs que celle des biribis. »

Aussi la vie de chaque citoyen fut-elle à la


merci de soixante mille sociétés populaires
composées d'intrigans, de scélérats, d'am-
bitieux toujours prêts à tendre la main à la
,

populace.
Le club Saint-Roch n'eut qu'un moment
d'existence; il se forma de tous les gobe-
mouches accueillis d'abord par la sociélé-
mère de la constitution et chassés ensuite

avec ignominie comme indignes , c'est-à-

dire incapables d'énergie pour le crime. On


nomma ces hommes qui , malgré leurs prin-
cipes révolutionnaires, n'étaient point à la
hauteur, modérés, et celte dénomination
devint une injure un titre de proscription
,

devant la secte implacable. Les modérés


(48 )

eurent l'imprudence de présenter la fa-


meuse pétition des vingt mille. La tête de
tous les signataires tomba sur l'échafaud :

aucun de ces transfuges qui se glorifiaient


de leur désertion n'échappa au fer de la ven-
geance; et, pour me servir du style des frères,

cette société de Saint-Roch , que présidait le


député Isnard, dansa la carmagnole ; elle

disparut après le 3i mai, et ne se releva


cju'après le 9 thermidor.
(49)

CHAPITRE IX.

Club des Feuillans.

A-PUÈs la fuite du roi à Varennes , une scis-

sion formelle s'opéra dans la société- mère


de la constitution. Les illuminés, qui vou-
laient mettre Louis XVI en cause, restèrent
seuls attachés à la métropole : les autres, qui

tenaient pour l'inviolabilité , se rassemblè-


rent dans le bâtiment des Feuillans , près
des Tuileries, en juillet 1791. Parmi ces
derniers on remarquait Larochefoucault,
Duport Dutertre , Salles, Barnave, Goupil,
Rewbel , Rolland, Kersaint, Vergniaud,
Champfort, Carra et autres. Une lutte s'en-
gage entre la société-mère et les feuillans :

les feuillans sont vainqueurs au Gliamp-de-


Mars ; ils dominent à l'assemblée lég-is-

lative jusqu'au 10 août 1792 :mais, à cette


époque, on voit sortir une multitude de
monstres des repaires où ils s'étaient jus-

4
( 5o )

qu'alors tenus cachés ; leurs voix impies sol-


licitent déjà les biens et le sang d'une foule
innombrable de proscrits; la mort attend
ceux qui opposent quelque résistance à
leurs triomphes exécrés.
( 5i )

CHAPITRE X.

Société de la révolution de Londres,

Al V avait aussi, dans ce temps-là, en Angle-


terre, une société dite de la rés^olution, qui>'

par ses manœuvres et ses doctrines, entre-


tenait le feu sacré chez les Bretons^ ellô
était présidée par Stanhope, et avait pour
secrétaire le plus furieux des illuminés, le
docteur Priée. Cette société, comme de rai-
son, s'était mise en correspondance avec la
société -mère de Paris pour accélérer la
chute des divers gouvernemens de l'Europe.
On lit dans ses actes publics : « Le peuple
anglais sera invité d'établir des sociétés dans
les troisroyaumes , pour appuyer les prin--
cipes de la propagande , former des corres-
pondances , et établir par là une plus grande
union entre tous les frères. « On vit s'élever
en effet des sociétés de jacobins dans plu-
sieurs villes de la Grande-Bretagne , de l'E-
4*
(5»)
cosse et de l'Irlande, où elles subsistent

encore sous d'autres noms. Lorsqu'ils s*a-


bordent, ils se prennent la main comme s'ils

allaient se poignarder ; ils portent, pour se


reconnaître, un anneau émaillé de rouge,
sont presque tous affiliés aux loges maçonni-
ques, et y sont distingués par le droit qu'ils
ont de marcher dans le milieu du tapis qui
est vis-à-vis le trône ; parmi eux que
c'est

se trouvent les plus forcenés radicaux , les


plus acharnés ennemis du roi George IV,
ceux qui ne cessent de crier contre ce qu'ils
appellent le scandale de ses mœurs , et qui

défendent avec la même bonne foi la pu-


dique vertu de Caroline de Brunswick.
( 55 )

CHAPITRE XI
Club des £Tirages.
V-4E club siégeait, en 1792, dans l'enceinte du
Palais-Royal ; c'était une affiliation de la 50-

c/eVe-mère, et presque toute composée d'éoer-


gumènes de fous et de séides capables de tout
,

entreprendre; on leur donnait le mot d'ordre


quand il y avait quelque coup de main à faire,
on les appelait casse-cous. Leurs attributions
étaient de brûler avec des cérémonies bur-
lesques les actes de l'autorité qui ne plaisaient
point à la secte. Les insurrections, le pillage
des boulangers, les journéesdes 5 et6 octobre,
le 20 juin, le 10 août, le 2 septembre signa-
lèrent ses premiers pas dans la carrière.
Il reste un monument assez curieux de ses
actes révolutionnaires , c'est un mémoire de
dépenses , d'où il résulte que la journée du
20 juin ne coûta que trois mille louis; il est
vrai que le coup fut manqué.
(54)
Les principaux chefs de ce club étaient
,Voiclel,Chepy, Saint-Huruge, Hébert, San-
terre , GrammontPayan , Henriot Mail-
, ,

lard, Lazousky etFournier. Dans les grandes


occasions, ils conduisaient en personne les
têtes des colonnes de la populace, d'après les

instructions qu'ils avaient reçues. Il y avait


aussi des femmes qui remplissaient les mêmes
rôles dans les tribunes ou dans les émeutes.
Parmi elles étaient la fameuse Monique,
la fille Theroigne, Reine Audu, la dame de
Gouges, Lacombe, qui se si-
et la demoiselle

gnala dans la journée du lo août comme


aide-de-camp de Westermann.
{ ss )

fù«« \«^ X'V^ VM %V« \/l^ V%%l/%« %t/« %«'% V\/« V%/«\V« V^l \/%« VM \'«« V*1&

CHAPITRE XII.

Club des Cordeliers.

Ijes cordeliers , créés et soutenus par uti

prince, avaient pris d'abord la dénoniinalioii


de club des droits de l'homme ; celle des
cordeliers leur vint du couvent de ces moines
/Où ils s'assemblaient. Les cordeliers étaient
encore des dissidens de la société-mère cpie
l'on commençait à appeler la montagne ;

ils s'en séparèrent après le lo août 1792.


Danton , Legendre , Camille-Desmoulins ,

Marat , Fréron , Momoro , Cbaumelte ,

Fabre-d'Eglantine , Chabot, les deux Bour-


don, etc. en étaient les coryphées. Ce club
désorganisa[eur et d'une profonde scéléra-
tesse eut la plus grande part aux jour-
nées des 10 août et 2 septembre. C'était
Danton , le principal meneur, qui avait fait
sonner le tocsin et ordonné les massacres
.avec ses dignes acolytes Marat, Billaiid et
(56)
Manuel. Encore tout couverts de sang , ils

volèrent les diamans de la couronne au


Garde -Meuble. Ce coup hardi faisait partie

d'une grande trame, et tenait à de profonds


mystères. On paya les agens^ on gorgea
les complices, on acheta le pouvoir pour être
sûr de l'impunité. Danton, envoyé quelques
mois après dans la Belgique, vola toute l'ar-

genterie des églises. 11 disait à ses sicaires :

u Tuez ,
pillez , et nous partagerons. » La
société des cordeliers était si dégoûtante de
crimes, si déhontée, si odieuse, qu'elle fit

torreur aux jacobins eux-mêmes, et qu'ils

la répudièrent.
CHAPITRE XIII.
Club des Jacobins.

Lja société-mère de la constitution, après


avoir lancé au-dehors cette foule d'agréga-
tions ténébreuses et anarchiques , tint ses
séances dans une salle du couvent à^s jacobins
de la rue Saint-Honoré , où il existe aujour-
d'hui un marché, et cette salle était précisé-
ment celle occupée par les Seize au temps de
la ligue. Elle pouvait contenir
plus de mille
frères ,
et à peu près autant de spectateurs.
La société s'assemblait le soir
; les séances se

prolongeaient dans la nuit. Quelques lampes


sépulcrales éclairaient faiblement les
voûtes
noircies de cette enceinte monacale.
Les
vétemens hideux, l'air farouche des acteurs
et des spectateurs, leurs chants
révolution-
naires , les uns lugubres comme
les avertisse-
mens delà mort, les autres d'une efFrojable
gaieté ; leurs débats à la fois burlesques
et
( 58 )

iieroces , inspiraient l'épouvante et la ter-


reur.
Dès ce moment connue que
elle n'est plus

sous le nom de société àes, jacobins. Là sié-


i^'-ent Pétion, Manuel, Robespierre, Cou-
ihon, Billaud-Yarennes, CoUot-d'IIerbois,
liarrère, Grégoire, Fauchet et autres. La so-
ciété des jacobins fait venir dans Paris des
hordes de brigands et de coupe-jarrets à cin-
quante francs par moissons le nom de marseil-
lais et dejedéiés; la permanence des sociétés
aftiliées est décrétée; des pétitionnaires armés
ilemandent la déchéance du roi la barre ;

de l'assemblée devient l'arène d'orateurs à


gages une multitude de forcenés en habit
;

o menacent
national et coiffés du bonnet rouiJre
de la lanterne les députés qui montrent quel-
que courage on ; une municipa-
voit s'élever
lité factieuse et usurpatrice toute composée ,

Je jacobins, pour dicter des lois à la France»


Les grands politiques du jour commencent
à ouvrir les jeux ; ils s'aperçoivent enfin que
les déclamations constitutionnelles des frères
SIC sont que la pâture des dupes et l'enrajure
4es sots j mais il est trop tard.
CHAPITRE XIV.
De Villuminé Bischqffswerder.

X EU de personnes savent que Biscboffs-


werder, qui était à la tête des affaires de
Prusse en 1792 se trouvait en relation avec
,

Dumourier, Carra, Gorsas etMarat, par l'in-


termédiaire du Juif Ephraïm de Berlin. La
retraite honteuse des Prussiens en Cham-
pagne fut négociée et convenue entre eux.
On fit croire au roi de Prusse que le sort de
Louis XVI en dépendait on força même ce
:

dernier d'écrire pour le confirmer dans cette


opinion. Frédéric-Guillaume II pouvait en-
trer dans Paris à cette époque ; rien n'était
capable de l'arrêter, etcependant il retourna
dans ses états à petites journées , après qu'on
eut massacré les détenus dans les prisons.
Quelqu'un avait voulu ,
quelque temps au-
paravant, proposer divers plans pour réta-
blir la monarchir ;
\(^ prrsonna^;*' à qui il s'i».-
(6o)
dressait se mit à rire. « De la patience , mon
cher y lui dit-il, tout s'arrangera dans peu.
Uempereur , le roi de Prusse et Gustave
iront faire une promenade dans l'autre
monde. >»

Voici en quels termes le ministre Mont-


morin écrivait, en 1791, surle principal agent
de Bischoffswerder :

a Le sieur Ephraïm, Monsieur, dont je vous


ai parlé dans mes dernières lettres, me paraît
n'avoir été envoyé ici que pour intriguer,
et même de la manière la plus criminelle.
n m'a été rapporté des propos qu'il a te-

nus assez publiquement , et que je ne me


permettrai pas de répéter , parce qu'ils sont
trop atroces. Je me bornerai à vous dire que
cet intrigant a cherché et cherche encore à
se lier avec les personnes qu'il a imaginé que
leur ardeur pour la révolution rendrait plus
propres à l'écouter. Son objet est de vous
compromettre avec l'empereur ; et il a pensé
qu'en échauffant les esprits contre la reine ,

ilpourrait y parvenir plus facilement H


se livre à des menées sourdes, et cherche à
agir sur les journalistes. J'ai à peu près la
( 6i )

certitude qu'il répand de l'argent, et je sais


qu'il touche des sommes considérables chez
des banquiers, sans qu'on sache d'où elles lui
viennent.... Vous vous rappelez que le sieur
Ephraim avait été envoyé dans le Brabant
pour y soigner la révolution et qu'il est venu ,

à Paris lorsque Bruxelles n'offrait plus ma-


tière à son zèle. «

Bischoffswerder et quelques jacobins an-


glais voulaient bouleverser l'Europe , et ils
n'ont pas trop mal réussi. Ce frère était un des
meilleurs tireurs de la voiture illuminée,
un des mieux dressés, et qui avait le plus
de cœur à l'ouvrage dans le tripot des dé-
trôneurs de rois. Les Parisiens ne se sou-
viennent plus de tout cela, et d'ailleurs leur
gaieté semble inaltérable. On apprend un
beau matin que tous les prisonniers ont été
massacrés que tel roi est mort d'un coup
,

de poignard; on dit : c'est malheureux! et on


va à l'opéra.
(62 )

CHAPITRE XV.
Massacres du 2 septembre. — Particula-
rités sur ces massacres.

J_jE temps est un grand maître ; à la longue


il révèle tous les mystères de l'histoire et de
la politique ; mais peu de personnes savent
encore d'une manière précise comment et
par qui le massacre des prisons a été résolu.
Voici ce que j'ai appris d'une personne bien
instruite , et témoin oculaire :

Dans la soirée du 5o août, les jacobins

cordeliers, membres de la commune de Paris,


seuls initiés dans cette affreuse conjuration ,

se réunirent dans une salle basse de l'hôtel

de ville. C'étaient Serg... , P..is, T n,


Marat, CoUot-d'Herbois, Billaud-Varennes
Danton et Manuel. On arrêta froidement la
liste des prisonniers à égorger dans chaque
prison, après quoi on discuta de quelle ma-
nière on les ferait périr. Marat proposait de
(G5)
mettre feu aux différentes prisons qui
le
con-
tenaient les citoyens et les prêtres
arrêtés
depuis le lo août mais la crainte
,
de faci-
liter l'évasion des détenus fit rejeter cette
proposition : un autre fut d'avis de les ren-
fermer dans les caves et de
,
y noyer avec les
le secours des pompes; on
s'arrêta un mo-
ment à cet expédient; et, vu l'insuffisance
des
caves, on voulait creuser des fosses.
BiUaud
etDanton proposèrent tout uniment le mas-
sacre par les mains de la populace
la plus
impure; le plan fut adopté et tracé;
on fit
venir soixante coupe-jarrets,
auxquels on
donna des instructions. Ces misérables
de-
vaient exalter les têtes par le
danger des
Prussiens , maîtres de Longwy et
de Verdun
enivrer tous les vagabonds et
,
promettre dix
écus par tête de victime. On leur donna un
mode de juger les prisonniers, au nom
de la
nation. En deux ou trois interrogations,
en
deux ou trois réponses , la procédure est' ac-
complie; l'arrêt de mort est prononcé; les
exécuteurs sont là à coté des sicaires; des
mams des uns, la victime passe sous la
iiache des autres. Tandis
que vous tombez
(64)
SOUS la main de l'infâme tribunal, vingt
autres sont exécutés ; les cris , les hurlemens
de ceux qu'on égorge étouffent la voix de
celui qui invoque la pitié ; et ceux que le
hasard épargne se sauvent à travers les
cadavres entassés sous leurs jeux.
Dans la journée du 2 septembre, l'in-
fernal comité apprenant qu'on volait les vic-
times après les avoir assassinées, et ne vou-
lant point perdre le butin sur lequel il avait
compté , envoie Billaud aux prisons pour
arrêter ce qu'il appelle le pillage (1 ). On vit

alors cet homme de sang, portant un habit


brun, une petite perruque brune, et l'é-

charpe tricolore, entrer dans la cour de


l'Abbaje, monter sur un tas de cadavres, et

adresser ce discours aux assassins :

te Mes amis, mes boTis amis , la commune


« m'envoie vers vous pour vous représenter
« que vous déshonorez cette belle journée.
(( On lui a dit que vous voliez ces coquins
« d'aristocrates après en avoir fait justice,

(1) On a évalué dans le temps à douze millions le


hutin partagé par les conspirateius après le massacre.
(65 )

« Laissez^ laissez tous les bijoux, tout l'ar^


ce gent et fous les effets quils ont sur eux,
« pour les frais du grand acte de jtjs-

« TIGE que uous exercez. On aura soin de


K vous pajer comme on en est convenu avec
« vous. Soyez nobles , grands et généreux
e< COMME LA PROFESSION QUE VOUS REMPLIS-
« SEZ Que tout, dans ce grand jour, soit
!

et digne du peuple, dont la souveraineté vous


«< est commise! «
Fournier, dit l'Américain, et Lazoïiski
partaient en même temps de Paris avec la
mission de faire égorger les prisonniers
d'Orléans, ce qui fut exécuté à Versailles.
Les mêmes massacres devaient se répéter
dans toutes les villes de France ; mais, il faut
le dire en l'honneur de la nation, la secte

manqua de bras pour assassiner. Plusieurs


cordeliers 'et jacobins s'étaient de leur
,

propre autorité , érigés en tribunal secret


pour dresser les listes de proscription. Jamais
l'assemblée législative ni la convention n'ont
pu parvenir à faire poursuivre les auteurs des
assassinats de septembre; ces crimes sont
restés impunis de la part des hommes mais
,
(66)
y a suppléé. Il est consoIanE
la justice divine

de penser que presque tous ont péri de


mort violente , et qu'ils n'ont pu échapper à
leur destinée; deux vivent encore, et sont
en proie aux furies.

Toute la France avait vu ces brigands se


répandre dans les édifices et les monumens
publics pour les mutiler et s'emparer des
effets précieux; elle les avait vus, comme les
vampires, fouiller dans tombeaux pour
les

sucer le sang des morts. Un deux, S ,

portait publiquement à ses doigts les bijoux

de la reine qu'il avait volés aux Tuileries le

lo août. A ces faits positifs, qui sont histo-


riques , et qu'on ne peut ranger dans la caté-
gorie d'allégations hasardées, il faut ajouter

cette épouvantable circulaire de la secte, en


date du 3 septembre , adressée à toutes les
communes :

« La commune de Paris, y est-il dit, se


H bâte d'informer ses frères qu'une partie
•c des conspirateurs féroces, détenus dans
« ses prisons, a été mise à mort par le peuple;
« actes de justice qui lui ont paru indispen-
« sables pour retenir par la terreur les lé-
(6; )

« gions de traîtres et d'aristocrates cachés


« dans ses murs, au moment où il allait
« marcher à l'ennemi. Nos frères voudront
K nous imiter, et ne point laisser derrière
«< eux ces brigands. »
Barbaroux se chargeait en même temps du
massacre de la Glacière. Ce n'était point assez
de s'assurer de l'impunité du vol et de l'assas-
sinat ; les jacobins voulaient conduire à l'é-

chafaud tous les initiés qui éprouvaient


quelque remords ,
qui mollissaient, ou qui
n'approuvaient pas d'aussi horribles attentats.
Anaxagoras Chaumette avait dressé la liste
de tous ces indignes ; c'est cette liste que les
tribunauxrévolutionnaires consultaient pour
dresser les actes d'accusation en masse de
cent à cent vingt personnes qu'on faisait

sauter chaque jour des caves de la Concier-


gerie dans la charrette du bourreau.
(«8)

CHAPITRE XVI.

Conciliabule de Charenton avant la journée


du lo août 1792.

't JuA révolution du 10 août est due aux


fédérés et à leur directoire secret , disait Pé-
tion. w — te peuple babillard , si tu savais
ag-ir î » écrivait Marat avec sa griffe de sang.
— Louvet commençait l'une de ses affiches de
la Sentinelle par ces mots : « Honneur au
conseil de la commune : il a fait sonner le
tocsin M î — «Je veux bien qu'on laisse la vie à
un roi quand il n'y en aura plus qu'un seul sur
la terr;? , un autre mais si long-temps
disait ;

que l'on comptera encore deux despotes , il


faut que l'un des deux périsse. Un roi, qui a

l'insolence de vouloir régner aunom de l'Etre-


Supréme, qui a l'audace de s'intituler 7o//?<2r

la grâce de Dieu , est un monstre nouveau


dans l'ordre social. »

Voilà les doctrines des hommes du o août 1


(69)
et du 2 septembre, celles dont leurs succes-
seurs ont hérité , et dont ils feront le même
usage dès qu'ils seront les plus forts. Ils ne
voient dans les dynasties de l'Europe que
neuf ou dixfamillessubsistantde brigandage,
contre lesquelles il faut tirer sans cesse le
canon d'alarme ; tous les monumens de l'his-

toire déposent que l'illuminisme et la royauté,


comme les principes des Manichéens, sont
dans une lutte éternelle. Dans toutes les con-
trées de l'univers, les illuminés ont imprimé
leurs pas sanglans ; des millions d^hommes
ont péri par leurs combinaisons atroces, et
semblent du silence des tombeaux élever la
voix contre eux. L'impulsion n'en est pas
moins donnée à l'Europe attentive; leur main
terrible soulève tous les peuples pour opérer
la régénération politique du globe.
C'est à Charenton que fut tramée la sainte
conspiration du lo août comme disent les ,

frères. On ne saitpas trop pourquoiils allaient


machiner leurs trahisons auprès de l'hôpital
des fous ; c'était apparemment pour dépayser
ia cour, qui avait alors une police secrète.
Cambon , Bazire , Çouthon Robespierre
,
(70)
Choudieu, Thuriot, RhuU, Chabot, et les
auteurs des massacres de septembre, compo-
saient assez ordinairement les conciliabules.
Un M. Philip arriva un jour, dans l'infernal
comité, avec une boîte sous le bras. Il parla
beaucoup de son zèle ardent, et demanda ex-
pressément que Ton proscrivît tout frère qui
ne sacrifierait pas la nature, le sang* et l'amitié

à l'intérêt commun de la secte. Il proposa à


tous ceux qui étaient présens de dénoncer ou
d'immoler eux-mêmes leurs parens et amis
suspects ; et , pour montrer qu'il prêchait
d'exemple , il ouvrit sa boîte , en tira deux
têtes fraîchement coupées, qu'il assura être

celles de son père et de sa mère rebelles à


ses exhortations. On lui prodigua des applau-
dissemens , et on ordonna que les têtes se-

raient déposées sous les bustes de Briitus et


cC Ankarstrom y derrière le fauteuil du pré-
sident.

La journée du 20 juin avait inspiré une


si grande horreur, qu'elle rétablit momen-
tanément une partie de l'autorité royale.

Les frères étaient furieux de ce contre-


temps; ils avaient déjà échoué plusieurs fois
(71 )

dans leurs trames pour attaquer le château


des Tuileries. Le 8 août au soir. Chabot,
Merlin de Thionville et Bazire, ne trouvèrent
d'autre mojen, pour hâter l'insurrection du
peuple , que de un député et
faire assassiner

de rejeter cet assassinat sur la cour; mais on


n'était point d'accord sur le mode d'exécu-
tion. Ces trois illuminés, inflexibles dans
leur dessein , tirèrent au sort à qui d'entre
eux serait assassiné par les deux autres , au
milieu des applaudissemens de tous les
frères. Chabot eut le mauvais billet. « Ce
soir, leur dit-il, je me rendrai au coin de la
place du Carrousel et de la rue de l'Echelle;
vous me brûlerez la cervelle , et répandrez
le bruit que c'est le roi qui m'a fait assassiner.
Le peuple s'insurgera ; et , lorsqu'il sera
échauffé , vous mettrez ma tête au bout
d'une pique pour lui servir d'étendard, et
vous le conduirez au château pour venger
ma mort sur le roi et sa famille.
» Nous ne

rapportons ce que pour prouver com-


fait

bien sont absolus le dévouement et l'abandon


de soi-même dans cette horrible secte rien ;

n'est impossible à de tels hommes , tout doit


( 70
succomber devant leur frénésie démago-
gique.
Dès le 9 août au soir l'insurrection se

décida d'elle-même; les casse - cous , San-


terre et Westermann, marchèrent à la tête
des faubourgs et des Marseillais. Chabot
jugea inutile d'aller au rendez - vous ; le châ-
teau des Tuileries fut pris le lendemain lo,
et le trône renversé.
(73)

CHAPITRE XVIÏ.
Régime des Municipes.

JuA république universelle des illuminés a


fait des progrès bien plus rapides et plus
heureux que l'église universelle des chré-
tiens. La criminelle énergie des conspi-
rateurs, la faiblesse des bonnes gens ex-
pliquent le succès; l'audace effrénée de la
secte tient la grande masse paisible et igno-
rante des peuples en épouvante. Il est assez
visible que son but est de régner sur la tota-
litédu globe organisé en municipes , c'est-
à-dire en tribus qui auront des députés à la
législature cosmopolite , et dont le despo-
tisme ferait trembler les deux hémisphères.
Ce plan n'est pas aussi extravagant qu'il le
paraît au premier coup d'œil. Que dis-je ?
nous l'avons tous vu se réaliser en France
au temps de la convention dite natio-
nale : ce n'était là qu'un essai un prolégo-
,
(74)
mène du grand œuvre de la régénération
universelle. Il j aurait donc une convention
nationale de V univers, casée en mille dépar-
temens, ayant leurs comités révolutionnaires
et de surveillance , leurs tribunaux secrets,
leurs bataillons tjrannicides et leurs //'ère^
meurtriers. Le monde perdra le souvenir
de ses anciennes divisions territoriales; il

formera un seul état, Y état des illuminés


unis.
Le principe de cette confédération mons-
trueuse est empreint dans leurs paroles et
dans leurs actions ; on ne peut le nier. Ce
seront d'excellens souverains : ils auront des
sbires pour prêtres, et des janissaires pour
soldats. La loi agraire sera mise en vigueur;
les lots seront faits à coups de sabre. On
lapidera les mutins; on fera, s'il le faut,

un 2 septembre depuis Cadix jusqu'au


Kamtschatka, et depuis Surinam jusqu'à
Stockholm.
Quelle jouissance pour les frères de se
baigner dans le sang tout chaud des pro-
fanes ! Quel plaisir de marcher à toutes ces
expéditions civiques sans danger! car du
(75)
danger, il n'y en aura point ; les poignards
et les torches sont les armes; le sang sera
mêlé aux cendres, et le feu de joie du car-
nage sera l'incendie.
Telle est cette grande régénération , à la-
quelle la secte tend de tous ses moyens. Ce
sera un beau jour, en effet, que celui où le

monde sera sans maîtres, sans législateurs,


sans magistrats, sans justice et sans lois,
réduit à un tiers de sa population, mangeant
du gland , s'accouplant à la mode de Cliau-
mette, et vivant en brut sous le gouver-
nement de ses plus tendres amis ! Quel
triomphe! quelle gloire pour les jacobins !

Le beau régime que le régime des municipes


sans-culottes /... Vous croyez que ces belles
choses peuvent arriver dans dix ans , dans
trente ans, dans cinquante ans? Vous vous
trompez; elles peuvent arriver demain. Les
idées les plus simples et les plus naturelles
sont tellement étouffées par les sophismes,
que les peuples et les rois ne savent plus
où ils en sont. Oui, je le déclare haute-
ment, je ne vois plus désormais de salut;
( 76)
nous nageons dans un fluide empesté. Com-
ment sortirons - nous de l'abîme, si nous
nous enfonçons de plus en plus dans les
erreurs qui nous y ont entraînés?
(77)

CHAPITRE XVIII.

Anacharsis Clootz , orateur du genre hu-


main. — Portrait de quelques initiés.

On se rappelle cette fameuse députation


universelle , accueillie par l'assemblée cons-
tituante, et
composée d'Américains, d'An-
glais
, de Prussiens, de Hollandais, de
Russes, de Polonais, d'Allemands,
de Sué-
dois, d'Italiens, d'Espagnols, de Braban-
çons, de Liégeois d'Avignonais, de Suisses,
,

de Genevois, d'Indiens, d'Arabes,


de Chal-
déens, etc. L'orateur Clootz, baron prus-
sien (i), s'exprima en ces
termes :

« C'est au Champ-de-Mars, dans


ces lieux
même où Julien foula tous les préjugés,
que doit être célébrée la/eVe du
genre hu-
main ; la trompette qui sonna la
résurrec-

(0 Ces personnages s^affublèrent de leur eostume


d emprunt dans l'une des saUes
de l'Athénée de Paris.
C'est de là que partit la
mascarade.
( 78)
lion d'un grand peuple a retenti aux quatre
coins du monde, etles chants d'allégresse d'un
chœur de vingt - cinq millions d'hommes
ont l'éveillé les peuples ensevelis dans un
long esclavage. L'union des enfans de la
France (c'est-à-dire des illuminés) donne
des soucis aux despotes et de justes espé-
rances aux nations asservies.
« A nous aussi il est venu une grande pen-
sée; et, osons le dire, elle fera le complé-
ment de la grande jowmée nationale! Un
nombre d'étrangers, de toutes les contrées
de la terre demandent
, à se ranger au mi-
lieu du Champ-de-Mars ; et le bonnet de la
liberté, qu'ils élèveront avec transport, sera

le gage de la délivrance prochaine de tous


nos frères.
«Jamais ambassade ne fut plus sacrée :

nos lettres de créances ne sont pas tracées


sur le parchemin , mais notre mission est

gravée en cJiiffres ineffaçables dans le cœur


de tous les hommes; et, grâce aux auteurs
de la déclaration des droits , ces chiffres ne
seront plus inintelligibles aux tyrans.
« Yous avez reconnu authentiquement
(79)
que la souveraineté réside dans le peuple ;

or le peuple est partout sous le joug de


dictateurs qui se disent souverains en dépit ,

de vos principes. On usurpe la dictature ;

mais la souveraineté est inviolable, et les


ambassadeurs des tjrans ne pourraient ho-
norer votre fête auguste , comme la plu-
part d'entre nous, dont la mission est avouée
tacitement par nos compatriotes qui sont
des souverains opprimés.
« Quelle leçon pour les despotes quelle !

consolation pour les peuples, quand nous


leur apprendrons que la France a donné le
signal delà sainte insurrection et de la liberté
universelle ! »

Telle fut la première proclamation des


illuminés-jacobins. De tous les moyens em-
ployés par la secte, il n'en est point qui lui
réussisse mieux que ces flagorneries adressées
auxignorans etàlapopulace, surlatoiérance,
la raison , Xhumanité et la philanthropie ;
sertadmirablement de cesgrands mots
elle se

enchâssés dans quelques pages de galima-


tias pour remuer la terre. Gondorcet, l'in-
( 8o )

discret Conclorcet , nous apprend que c'est

son cri de guerre (i).

Les Pétion , les Robespierre, les Couthon j

lesBillaud, les Fouché, les CoUot, tous les


Hercules et les Bellérophons septembriseurs
et massacreurs de prêtres parlaient beaucoup

de tolérance et de philanthropie ; c'est au


nom de l'humanité que le jacobin Lebon fai-^
sait tomber six mille têtes dans la ville

d'Arras, que le jacobin Carrier faisait nojer


les aristocrates dans la Loire , et que l'incen-
diaire Maignet brûlait Orange et Bédouin.
Leurs héritiers, nos libéraux modernes par- ,

lent aussi de raison, de tolérance et d'hu-


manité ; s'ils ne versent pas le sang , c'est

qu'il ne faut pas aller trop vite ; mais ils n'en


sont pas moins les plus durs et les plus cruels
des hommes. Ils étalent de beaux sentiniens,

ils font un grand fracas de paroles ; mais ils

ne donneraient pas cinq centimes pour ra~


cheter un frère et ami de la corde. Des sous-
criptions tant qu'on voudra, lorsqu'elles pro-

(i) Esquisse du tableau historique, etc. époque 9.


( 8' )

duiront du scandale et feront provigner la


A'ig-ne, mais point de bonnes œuvres, même
envers leurs séides; les jacobins d'aujourd'hui
ne démentent point leur généalogie , ils sont
dignes de leurs pères.
Prenez donc garde à vous, et levez la tête

en haut, pontifes, rois, prêtres, nobles,


riches, citoyens de tout rang, de tout âge et
de tout sexe; vous êtes menacés par les suc-
cesseurs et les disciples de ces hommes par
qui tant de souverains, abreuvés d'outrages,
ont été solennellement privés du trône.
Mais qu'est-ce donc que ces fils de Moloch
sortis tout-à-coup des entrailles de la terre
avec leurs dogmes et la foudre? qui sont-ils?
quelle est leur école? quels sont leurs projets
ultérieurs ? pourquoi tourmenter la terre
assassiner les rois, fanatiser les peuples?
Hommes crédules, vous ne le savez pas? Je
vais vous faire leurs portraits, dévoiler leur

politique , leur code , leurs maximes les ,

montrer tels qu'ils se sont peints eux-mêmes.


Puissent les générations présentes profiter de
l'expérience et des malheurs passés !

Voltaire , V Agamemnon de la secte , était

6
( 82 )

l)Ouillant, colère, avare, brutal, impélueux,


jaloux, aimaniréclat, el affectant l'hypocrisie
de sa modestie. Hardi , audacieux jusqu'au
cynisme, onle voit braver, affermir, inventer,
contrefaire, altérer la Bible et l'histoire pour
parvenir à ses fins, appeler indifféremment
le oui et le non, frapper sur tout ce qui est
sacré pourvu qu'il blesse , et abuser de son
talent pour accréditer le mensonge. C'est en
vain qu'on réfute l'erreur : il revient à la
charge, la redit, la répète sans cesse. Pen-
dant soixante ans il combat le Christ, les

rois, les ministres, les princes, et meurt sur


un tas de chrétiens qu'il appelle bigots , im-
molés à ses pieds.
D'Alembert, que son maître nommait plai-
samment Bertrand, se réservant pour lui-

même le nom de Raton, d'Alembert a les al-

lures et l'esprit malfaisant du singe. Bâtard


de Fontenelle, ou du médecin Astruc, il

doit le jour au scandale, et la célébrité à

l'ingralilude (i). Dissimulé par instinct, la

(i) On sait que sa mère était la fameuse madame


tle Tencin, religieuse que le libertinage fit apostasier^
(83)
guerre qu'il fit au culte, à la morale et à
l'autorité , fut celle d'un detni-clief , qui rit

derrière le buisson des ennemis qu^il a tués


en trahison. Grand mathématicien, mais
sans goût et sans talent pour la belle litté-
rature , il forme , il initie les adeptes ; il en-
tretient de petites correspondances sur l'in-

crédulité , devine et s'associe Condorcet


devenu son séide, son confident, son his-
torien et son panégyriste.
Après lui \dent ce roi qu'on surnomma
V impie couroimé et que Voltaire appelle
,

Salomon du Nord. Moins enthousiaste et


plus hardi que Julien , il a l'esprit de Gelse ^

mais il n'a auprès de lui ni Tertullien ni


Justin pour éclairer son incrédulité ; comme
Voltaire son maître , il veut Vhomme ma-
chine j Vhomme matière. Ce roi n'est pas

mais on n'a jamais su positivement à qui appartenaient


leshonneurs de la paternité. D'Alembert fut exposé
à la porte d'une église , recueilli et élevé par
une
pauvre femme sous le nom de Jean Lerond. Ce
scan-
dale eut lieu sous la régence et le ministère
du car-
dinal Dubois, qui passa aussi pour le père de
d'Alera-
bert. -^/^^-^
(84 )

seulement sophiste, il est prophète ; il an-


nonce que le peuple français, si aimable,
si renommé dans la grande famille sociale
épouvantera bientôt l'univers par ses atro-
cités, parce qu'il sait que trois cent mille
adeptes répandus dans les loges maçonniques
feront nécessairement une révolution. En
attendant, le Salomon du Nord exerce à
Francfort un petit acte de libéralisme : il

ami Voltaire , pour


fait arrêter le frère et

avoir emporté son œuvre de poésie , et


montre à l'Europe comment les frères se

traitent.
Enfin, Diderot, dont la tête est l'image du
chaos, a l'enthousiasme de la pythonisse ;

sa langue et sa plume brûlent tout ce qu'elles


attaquent, il court au-devant des conjurés,
devient leur séide, et blasphème contre
Dieu. Jamais homme ne prononça le pour
et le contre d'un ton plus dogmatique.
Tantôt il vous dit qu'il écrase les athées

avec r œil d'un ciron et Vaile d'un papillon ;


tantôt il affi^rme que Vunivers n'est que le

résultat fortuit du mouvement et de la


matière.
(85)
Voilà les maîtres, les chefs, les '
dieux de
la secte. Passons aux disciples, ce seront tou-
jours les mêmes dogmes , l'école des jacobins
est celle de Voltaire. Toute religion soumet-
tant la raison à des mystères est
absurde tout ;

homme qui n'est point livré au libre


arbitre
est esclave. Si la hache du vandalisme fait
tomber les autels du Christ et le temple du
protestant, c'est pour ériger
une idole à cette
raison si indignement prostituée, c'est pour
promener le niveau d'une égalité sauvage
sur
la tête des peuples.

Condorcet, chef de la conspiration


du lO
août, a placé dans tous ses écrits
des germes
de révolution; il aurait souri au
spectacle
de l'univers en feu, pourvu que
de ses cen-
dres il ne pût sortir ni prêtre ni roi; il est
le premier qui dit à la tribune : Périsse Vuni-
vers plutôt quun principe, La secte le fait
nommer gouverneur du fils de Louis XVI,
mais bientôt elle le proscrit, il erre d'asile
en asile, est arrêté et enfermé dans un
cachot, où il s'administre lui-même \aquci
Tofana. l/o^;^,^^.
Mirabeau, naturellement bilieux et em-
{ 8S )

porté, mais grand comédien, fut le plus

immoral des hommes; joignant l'ambition


et l'impiété à tous les vices d'un Gatilina, il

, n'en avait pas le courage , trahit la secte , et


mourut de poison.
Siéyes , repliant sur lui-même comme un
serpent, consume sa vie à se cacher pour
exhaler son venin. Métaphysicien sans pro-
fondeur, homme médiocre, mais savant dans
la théorie des révolutions ; réclamant sa part
du butin et se cachant un jour de bataille.
Clootz, fougueux illuminé, sorti de l'école
deSj3artacus Weishaupt, l'un des fondateurs
de cette secte infernale, veut déchirerle code
social et ramener les hommes à l'indépen-
dance absolue, c'est-à-dire à l'état sauvage.
C'est l'illuminisme dans toute sa pureté; cette
doctrine paraît monstrueuse, chimérique, et
n'en est pas moins celle de plusieurs millions
d'hommes. Clootz, soi-disant législateur uni-
versel, se regarde comme unautre Jlnachai-sis
et en prendnom. Après son ambassade du
le

geqre humain, il offre de lever une légion


vandale en Allemagne il nomme le roi de
;

y russe S arrlafiap aie du Nord, fait le panégj-


(87 )

rique àGBrutus-Ankarstrœrn assassin Ju roi ,

de Suède; veut qu'on mette à prix la tête des


tjrans; se déclare V ennemi personnel de
Jésus-Christ , et, traîné à l'échafaud par ses

frères et amis, en appelle diW genre humain de


leur ingratitude.
Robespierre, pour lequel on fit cette épi-
taphe :

Passant , ne pleure point son sort -,

Car, s'il vivait, tu serais mort.

Etait un des plus médiocres initiés; sans


aucune qualité brillante, dur , sec, sans ima-

gination , sans éloquence et sans courage, il

ne s'éleva que par les talens, les laulcs et la

lâcheté de ses complices.


Fouché, à jamais célèbre par ses fureurs
sanguinaires , infatigable dans les intrigues,
profond dans la perversité, fut un des plus
insupportables et des plus féroces tyrans de
la secte ; il surpassa Robespierre en cruauté,
en scélératesse, en astuce et en profondeur;
habile dans l'art des trahisons et des pros-
criptions, ce caméléon a trahi plusieurs ibis

les frères et amis qu'il avait long-temps servis


(S8 )

avec un zèle fanatique. Peut-être obtiendra-


t-il son pardon des vieux initiés par quelque

nouveau crime, car il vit tout chargé de ma-


lédictions, en attendant la justice céleste.
Danton, ce démagogue
y" de Mirabeau, coryphée de
sibarite, disciple

la journée du
20 juin et de celle du lo août, soupçonné
du vol du Garde-Meuble , avec ses formes
colossales et sa voix de Stentor, fut un des
jacobins les plus utiles à la secte. C'est lui
qui disait : « Point de trêve entre nous et
les lâches qui ont voulu sauver le tjran
(Louis XVI) î Si les despotes mettent notre
liberté en danger, nous les surpasserons en
audace ', nous dévasterons le sol français
avant qu'ils puissent le parcourir, et les
riches, les vils égoïstes , seront les premiers
la proie de la fureur populaire. " Escamoté
par le frère et ami Robespierre , qui ne le
valait pas , Danton porta sa tête sur l'écha-
faud qu'il avait dressé pour tant d'autres.
Marat, le plus ridicule de tous les hommes,
s'il n'eût pas été le plus féroce, semblait,
par son extérieur hideux, marqué par la

nature du sceau de sa réprobation. Les


( 89)
caves du boucher Leg-endre , et le souter-
rain de l'ég-lise des Cordeliers , lui servaient
habituellement d'asile contre l'indignation
des honnêtes gens ; c'est de là qu'il lançait
ses feuilles sanguinaires
; c'est dans ce re-
paire qu'il machina, de concert avec les
initiés, l'exécrable projet d'égorger tout ce

qui restait de prêtres et de royalistes. Sa


tête monstrueuse , son regard horrible , ses
discours incohérens , du sang qui
cette soif
le dévorait , le rendirent l'idole de la plus
vile populace. Il se baignait dans le sang
des Français, et se surnommait VAmi du
peuple.
Chaumette , qui prit le surnom d'Anaxa-
goras, demandait sans cesse des taxes sur
les riches au profit des sans-culottes
; il
avait l'organe net et sonore et plaisait à la ,

multitude qui applaudissait à ses déclama-


tions furibondes. On le vit diriger ces sa-

turnales profanatrices qui souillèrent les


églises de la capitale , et au moyen des-
quelles il voulait, disait-il, démoraliser la
nation. Cet illuminé fit élever un monu-
ment au Polonais Lazouski, autre frère
( 90 )

assassin des prisonniers d'Orléans; demanda


qu'une guillotine ambulante, montée sur
quatre roues , suivît l'armée révolution-
naire pour verser le sang à profusion , et il

eut l'audace d'en envoyer le modèle à


Louis XVI, renfermé au Temple.
Hérault de Sechelles, l'improvisateur du
code de 1793, qui eut une si grande part
à la funeste journée du 5i mai, et à l'organi-
sation du tribunal révolutionnaire ,
possédait
à fond la politique de la secte. Etant membre
du comité de salut public , il écrivait à Car-
rier ces propres mots : « Quand un représen-
tant frappe j il doit frapper de grands coups,
et laisser toute la responsabilité aux exécu"
teursj il ne doit surtout jamais se compro-
mettre par des mandats écrits. » Lorsqu'il

éclatait une insurrection , il disait : « Laisser

donc faire ce bon peuple, il nj a pas de


danger. »

Barrère que Robespierre surnommaifc


,

V Equivoque y si connu par ses carmagnoles,


disait, en parlant de la confiscation des biens
des condamnés : « On bat monnaie à la place
de la Révolution . « Bas-valet des chefs de la
(9' )

secte et des meneurs du gouvernement révo-


lutionnaire , la peur encore plus que la fé-
,

rocité, fut le mobile de ses actions.


Billaud-Varennes, sombre et atrabilaire;
procureur de la commune du lo août, et
surnommé Procureur de la lanterne, osa
menacer la vie de l'enfant royal, détenu
au Temple inventa les visites domiciliaires
,

Tarmée révolutionnaire et les conspirations,

des prisons.
Nous ne parlerons pas de tous les initiés/
de tous les monstres à face humaine, que les
illuminés avaient envoyés dans la convention
pour parvenir à leurs fins. Le lecteur ne doit
point s'attendre que nous mettions ce hideux
tableau sous ses yeux ; nous avons seulement
esquissé quelques traits de leur vie et de
leur caractère. Voilà les hommes qui ont
inoculé la doctrine la plus épouvantable au
monde , et dont l'esprit s'élève , se perpétue
avec les générations au milieu de la popula-
tion européenne.
Les jacobins! nous les avons trop elFacés
de notre mémoire ; nous ne songeons pas
assez à ce qu'ils étaient, en 1793, à cette
( 92 )

sombre et horrible terreur avec laquelle ils

régnaient; il faut crayonner leurs fastes en


présence des peuples , arracher le masque
et apprendre aux nations en quelles mains
elles remettent leurs destinées.
(93)

CHAPITRE XIX.
Votes des Jacobins dans le procès de
Louis XVI,

Cjette hideuse époque s'élève au-dessus

de toutes les autres comme un spectre san-


glant pour annoncer toutes les autres. Le
jour même où Louis est amené à la barre de
la convention, les jacobins font massacrer
un homme au faubourg Saint-Antoine; son
crime est d'avoir senti la pitié. Les meur-
triers , avec une lâche férocité , traînent
son cadavre par les pieds à la voirie. L'initié
Santerre fait l'éloge de cet assassinat dans
le sein de la société , et tous les frères ap-
plaudissent.
Voilà enfin ces hommes de sang, précédés
de la terreur, qui vont renchérir sur le cha-
pitre odieux des prisons , en livrant le juste
au bourreau. Ils ont soif du sang d\m roi :

on dirait ces cannibales qui dansent autour


(94)
de leurs prisonniers, dans l'impaliencc d'en
dévorer les membres palpitans. Gomme ces
anlhropopliages, ils se disputent l'iionneur

de porter le premier coup à la victime.


Marat demande deux cent mille têtes dans
ses feuilles incendiaires ; Paris est inondé
d'écrits provocpiant au massacre et à l'anar-
chie. En huit jours, quatorze mille indivi-
dus prennent la fuite , à cause des assassi-
nats et des listes de proscription. Lecteur,
ne vous étonnez pas que ces quatorze mille
fuyards n'aient point marché contre cinq
à six cents brigands , il y avait des femmes
et des en fans; d'ailleurs le bon Parisien en-
dure tout; il abandonne ses pénates, parce

qu'on le menace d'un nouveau 2 septembre.


Cette tactique est profondément calculée
c'est pour conduire le roi au supplice sans
opposition
O honte ! 6 crime de la faiblesse et de
l'ignorance ! on laisse la carrière libre ; la

secte pousse un cri de joie ; Paris lui ap-


partient; ses rues sont désertes , ses temples
fermés , et l'herbe croît à Tentour des ruines
amoncelées par les nouveaux Vandales.
(95)
L'étranger parcourt le faubourg Saint-Ger-
main ; il est effrayé par uu silence lugubre ;

il erre au milieu de cette nouvelle Thé-


h aide y et ne voit que des demeures somp-
tueuses changées en prisons sur ; le frontis-

pice de ces nouvelles bastilles, il lit avec


étonnement : Liberté , égalité , fraternité
ou la mort.
Pendant ce temps-là , les frères condam-
nent Louis XYI à mort dans la conven-
tion.
Ecoutons les voles émis dans ce tripot de
coupeurs de têtes et de détrôneurs de rois ;

nous ne les rapporterons pas tous; nous cite-


tons seulement les plus remarquables; ce sera
un contre-poison très-capable de rendre la
raison aux bonnes gens aux idiots aux , ,

gobe-mouches, auxquels l'ellébore libéral a


brouillé le cerveau. On trouvera , dans l'ex-
pression de ces votes , le fond de la doctrine
des illuminés telle qu^elle est enseignée dans
les sociétés secrètes , et telle que nous
l'avons déjà signalée dans l'histoire de ces so-
ciétés. Là, nous avons énuméré la théorie;
( 96)
ici, nous raconterons comment elle reçoit

son application :

Frost. —N'ayant jamais à transiger avec les rois , vote


la mort.

Chabot. —Le sang d'un roi doit cimenter la république;

il vote la mort.

Jean-Bon-Saint- André.- — Tous les peuples qui ont


voulu être ILIjres n'ont pu l'être que par la mort
des rois ; il vote la mort.

Paganel. — L'inviolabilité des rois est la source de


toutes les misères publiques; les rois ne peuvent
être utiles que par leur mort; il vote la mort.

Roux. —Vengeur d'un peuple libre, je n'ai qu'un re-


gret à former, c'est que le même coup ne puisse
frapper la tête de tous les rois ;
je vote la mort.

Zangiacomi. — Rien n^est plus aljject qu'un roi dé-


trôné; il faut que celui-ci serve d'épouvautail à

ses pareils ;
je vote pour la détention , c'est-à-dire

les fers.

Lequinio. — Je voudrais pouvoir condamner un roi à


un supplice perpétuel, et qui donne une grande
leçon d'égalité. L'on doit m'entendre : ce sont les
galères. Ce supplice est plus proportionné que la
mort aux forfaits des rois.

Ze5a^É-&»aa/^.—Lamortdans les vingt-quatre heures.


(97)
Robespierre. — Je n'aime pas les longs iliscours ;
}e

vote la mort.

Danton. — On ne frappe les rois qu'à la têtej je vote


la mort.

Billaud-Varennes. — La mort dans les viiigt-quatre

heures.

Marat. — La mort dans les vingt-quatre heures.

Legendre. — Je suis poiié à la poursuite des tyrans


;

je vote la mort.

Sergent. — Lorsque la tête d'un roi tombe, elle ins-


pire une terreur salutaire ; je vote la mort.

Fahre-d' Eglantine. — Il n'est qu'une peine qui


convienne à un roi, c'est la mort; je la vote.

Egalité (ci-devant d'Orléans). —


<
Uniquement oc-
cupé de mon devoir^ je vote la mort.

Barrère. — Entre les tyrans et les peuples , il n'y a


que des combats à mort. L'arbre de la liberté croît

lorsqu'il est arrosé du sang des rois : je vote la


mort.

Rewbell {sUbsent par commission, écrit). — Je pro-


noncCj en républicain, sans peur et sans reproche, la
mort.

Carra. — Pour l'instruction des peuples, dans tous les

temps et dans tous les lieux , et pour l'effroi des


rois j je vote la mort.

Bodot. — La mort dans les vingt-quatre heures.

7
( 98 )

Phelipeaux. — Il faut effrayer les rois par un grand


coup ;
je vote la mort.

— La mort, sans phrases.


Sieyes. et

Audoin. — Je mériterais moi-même la mort, si je ne


la demandais pour un roi.

Tallien. — La mort.
Chènier. — La mort.

Diimojit. — C'est faire beaucoup d'honneur à un l'oi

que de le traiter en citoyen ; les citoyens sont punis

de mort-, je vote la mort.

Barras. — La mort.
Maure. — Quand un roi aurait mille vies, elles ne
suffiraient pas pour expier ses forfaits; je vote la
mort.

Boilleau. — Il faut pourtant bien que ces tètes de


rois ne soient pas si sacrées ,
puisque la hache en
approche et les frappe. Je suis humain j /abhorre
le sangj, et je crois bien mériter de la patrie eji

notant la mort (i).

Bourhoite. — Laisser vivre un roi est un crime aux


yeux, des peuples : la mort.

Beffroy. — Par respect pour les principes ,


je vote la
mort.

(i) Ce vote rappelle les paroles de l'illuminé assassin du roi


de Danemarck : « Vous êtes un bon prince , mais J'ai /ait ser~

ment de vous assassiner, »


( 99 )

fean-dû-Bry:. — Mes anxiétés vont finir : la mort.

Condorcet. — La peine plus gravela dans le code

pénal, et qui ne soit pas la mort (c'est-à-dire les

galères).

Martel. — La mort dans vingt-quatre heures.


Gaston. — Mon opinion, la raison, la justice , l'huma-

nité ^ les lois, le ciel et la terre, condamnent les

rois; je vote la mort.

Barharoux. — La mort, et l'extermination de toute


la race des Bourbons.

Pelissier. — Le grand homme , dont je vois ici l'i-

mage (Brutus) , terrassa le tyran de Rome : il ne


donna point de raison ;
je fais comme lui, et je vote

la mort.

Baraillon. — Je regarde les rois et toutes les ma-


jestés possibles comme une souillure sur la terre;

c'est pourquoi je demande l'ostracisme des Bour-


bons.

Michaud. — Un roi n'est à mes yeux qu'un monstre";

je vote la mort.

Robert-Lindet. — Je ne puis voir des frères dans ceux


qui hésitent à frapper un roi ;
je vote la mort.

Pètion. — Mon vœu est pur et simple : je vote la

mort.

Couthon, — Le coup qui fera tomber la tête de


( 100 )

Louis retentira jusqu'au pied des trônes , et en


ébranlera les fondemens (i).

Nous pourrions prouver que les hordes


carmagnoles et les votans étaient sortis des
loges maçonniques dès les premiers jours
de la révolution, et qu'ils recevaient une
direction centrale du Grand-Orient de Paris;
mais nous en avons assez dit sur ce sujet
dans V Histoire des Sociétés secrètes , nous y
renvoyons le lecteur. Notre but, dans ce
nouvel écrit, est de démontrer que la cons-

piration des jacobins , contre la société et la


propriété, est flagrante depuis trente ans.
Beaucoup de choses sont connues; mais ce
qui ne l'est pas assez, ce sont les premiers
crimes , les premiers essais de ces sophistes
brigands. Leur grande charte d'égalité y
nous l'avons démontré , c'est que la terre
n'est à personne , et que les fruits sont à
tous. C'est d'après cette maxime fondamen-
tale que leurs apôtres prêchent la loi agraire,
et que les chefs passent du lycée des impos-

(i) Couthou était proplicte.


{
>oi )

tures et des loges mystiques dans l'antre des


jacobins, après avoir eu pour professeurs
Voltaire, les vénérables des Kadoschs , et le
Spartacus bavarois Weisshaupt.
Au surplus, la secte , au moment du juge-
ment de Louis XVI, était puissante , et plus
puissante que ne le furent jamais les jésuites
qu'elle avait détruits.Soixante millions étaient
employés à corrompre tous les ministres de
l'Europe. Elle avait, comme aujourd'hui, des
missionnaires à Varsovie (i), en Allema-
gne, en Suède, enDanemarck, en Russie,
en Autriche, àNaples, en Espagne, en Por-
tugal, dans la Belgique et dans la Hol-
lande; elle en envoyait même à Constan-
tinople. Sem... Ile fut arrêté par les Autri-
chiens en Italie , chargé des trésors qui
devaient payer le divan, et l'engager à faire
diversion en faveur des frères et amis de
Paris. Vandernoot était à Londres sous le
nom de Gobelscroix , il y machinait avec les
Priesley , les Payen , les Cramer , les Priée ,

(i) Au moment où nous écrivons , l'empereur

Alexandre vient d'être forcé de dissoudre la diète de


Pologne à cause de ses dispositions révolutionnaires.
,
( 102 )

SOUS la direction des Chauv.... , des T ,

des N et des B Huit séides s'étaient


chargés de révolutionner les trois royaumes;
et^ quand Dumourier fit son irruption dans
îa Belgique , les jacobins de Paris lui donnè-
rent des instructions, avec une proclama-^
tion toute faite.
( >o3 )

CHAPITRE XX.
Débats nocturnes après la condamnation
du Roi,

\^\ le régicide ne parle pas assez haut, si

les monumens des arts abîmés dans le grand


naufrage de la civilisation , si la longue ky-
rielle des forfaits de tant de Vandales-Car-
magnoles , depuis le meurtre de Charles I.*^"^

jusqu'à celui du duc de Berry , n'indiquent


pas encore assez clairement ce qu'on doit
attendre des jacobins, déchirons ce livre,
le monde est tombé dans l'aveuglement , il

n'est plus besoin d'instruction.


Après la condamnation de Louis XVI, eut
lieu un de ces repas nocturnes et mysté-
rieux de la fraternité. Tous les votans ini-

tiés (i) se piquèrent au bras, mêlèrent leur

(i) Cette cllstlnction est essentielle, car ions le»

\otans u'étaient pas initiés. Le» mis étaient égarésL


( »o4 )

sang, et burent cette horrible mixtion après


avoir crié : Mort aux rois!... c'est la sen-

tence du genre humain , et ils sourient à ses


frémissemens ! Robespierre , dans ce con-
ciliabule , comme une bête féroce lâchée
par la secte, dirige la délibération. Louis
existe encore ; il n'a plus que vingt-quatre
heures à vivre ; on avance vers la consomma-
tion des mystères: les frères n'ont pas été vai-
nement exercésdansla caverne desKadoschs
à fouler aux pieds les couronnes , à trancher
la tête du mannequin des rois , mais ils ne
sont point d'accord sur la manière de tuer
celui qu'ils ont en leur pouvoir. La pitié

qu'inspire le malheur est plus puissante que


la terreur des poignards; un mouvement du
peuple peut éclater pendant le trajet de la

prison à l'échafaud, et d'ailleurs on a tout à


craindre du remords sur les votans non
initiés. S'ils avaient connu le prince qu'ils
viennent d'immoler , ils l'auraient aimé et
révéré ; mais ils font tomber sa tête comme

par la fièvre révolutionuaire , et les autres intimidés

par les poignards.


( io5 )

ils abattent les statues et les monumens , en


leur âme et conscience ; ils votent la mort
comme Boilleau, parce qu'ils sont humains ,

et qu'ils abhorrent le sang; ce sont des


Louvel tenant leurs couteaux tout sanglans,
et protestant qu'ils s'immolent au bonheur
de leur pays.
La circonstance est grave : quelques
heures suffisent pour changer la face des
affaires ; elles s'écoulent trop lentement à
leur gré ; de vifs débats s'engagent. Barba-
roux , Panis , Sergent et Marat opinent pour
qu'on exécute le roi à l'instant dans le Tem-
ple. Danton, Robespierre, Chabot, Barrère,
Clootz , Pétion , Condorcet, veulent que
l'exécution se fasse avec appareil. — « Osez
tout , disent les uns , vous serez soutenus. «
— « assassiner le tjran , disent les autres ,

c'est plus sûr». D'O , présent à celte


épouvantable discussion , en pâlit ; l'auteur
des atroces complots des 5 et 6 octobre
recule d'horreur pour la première fois à la
vue de ses complices , car ils ont le cœur
et le regard des furies.
Il est une'sao^esse monstrueuse dansl'asso-
( ï«6)
ciation des brigands, eltrop souvent elle favo-
rise l'accomplissement de leurs ténébreux
complots. Une troisième opinion concilie
toutes lesautres , c'estd'environnerle monar-
que de séides pour aller au supplice ; il est
décidé que six d'entre eux seront armés d'es-
pingoles pour le tuer au premier mouve-
ment. San terre, avec ses tambours,est chargé
du reste.
Dans ce même conciliabule sont arrêtées
la liste noire , et la liste rouge ou le liseré de
ivï;z^(i). Les noms des traîtres et des frères

exclus ne s'y Irouventjamaisen vain. Paris, la


France , l'Europe , lisent bientôt ces noms
sur les tables de proscriptions des tribunaux
révolutionnaires , et la tête des proscrits
tombe sous la hache des bourreaux.

(i) /^oj'. Tblstoire des sociétés secièleSj cli. XXIX,


XXX et XXXI.
( >07 )

CHAPITRE XXI.
Horrible proposition de Legendre (i).

Ijouis vieut d'être condamné à la simple


majorité : on discute le sursis. Legendre
s'écrie : « F'oici mon opinion. Que Von coupe
le tyran en quatre-vingt-trois moj'ceaux ,

et qu'on en envoie un a chaque départe-


ment pourjaire trembler les aristocrates » .

Carabon « Je suis d'avis que Louis XVT


:

soit pendu cette nuit. »

Chabot, ex-capucin « J'étais au nombre :

des conspirateurs contre le trône , j'ai orga-


nisé le 10 aoi'U y et je jn' en fais gloire. Qui
plus que moi a montré de dévouement F j\ii
offert ma tête pour faire tomber celle d'un
roi. »

Saint-Just : « César fit immolé en plein


sénat sans autre formalité que vingt-deux
coups de poignard. »

(i) Legendre était bouclier de son état.


( 108 )

Ces horreurs proférées par les jacobins,

protecteurs de la tolérance y de la philan-


thropie et de l'humanité , se débitaient au
milieu du tumulte , des imprécations et des
vociférations des tribunes.
( »09 )

CHAPITRE XXII.

Autre proposition de Collot-d'Herbois.

Un décret de la convention porte que Lyon


sera détruit, et que les habitans seront mis
à mort. L'initié Gollot-d'Herbois , ancien
comédien, sifflé sur le théâtre de cette mal-
heureuse cité, est chargé de l'exécution; il

s'en acquitte en vrai missionnaire de jaco-


bins , et en homme qui a sa propre injure à
venger. Il arrive; les têtes tombent, les mai-
sons s'écroulent ; mais il ne trouve pas que
le sang coule assez rapidement ; les échos
retentissent de sa rage parricide.
« La guillotine est trop lente , s'écrie-t-il

dans le club infernal de Paris; ce n'est pas


ainsi que doit s'exprimer la vengeance du
peuple. Si les aristocrates et les riches n'ont
pas peur de la mort, il faut au moins leur
en faire craindre les tourmens. Cinquante,
cent, sont fusillés, mais ils le sont d'un seul
( "0 )

coup ; ce genre de supplice est trop doux»


JVoi/s pourrions en rassembler cinq cents a
la fois dans une place , et là on pourrait les
foudroyer avec des canons chargés à nii-

traille ; ils seraient déchirés , morcelés , et


on les achèverait a coups de sabres , de
haches ou de baïonnettes . Ce n'est point là

une barbarie ; Chalier est-il mort du pre-


mier coup (i) .^ Si les aristocrates avaient
triomphé, croyez -vous que les jacobins
eussent péri du premier coup? et la con-
vention, mise hors la loi par ces scélérats ,

aurait- elle péri du premier coup? Qui sont


donc ces hommes qui réservent toute leur
sensibilité pour des contre-révolutionnaires?

Qui sont ceux qui osent pleurer sur les ca-


davres des aristocrates y des nobles et des
prêtres F La foudre populaire doit les frap-
per, et, semblable à celle du ciel, ne
laisser que le néant et les cendres »

( ) Le jacohin Chalier
I missionnaire envoyé à ,

Lyon pour organiser un 2 septembre arrêté et mis à ,

mort par les Lyonnais. Il avait dressé une liste de


proscription intitulée : « Boussole des patriotes pour
les diriger sur la mer du civisme. »
(.il)
Ainsi dit, ainsi fait. Le jacobin CoUot re-
çoit carte blanche , retourne à Lvon , et

secondé du frère et ami Fouclié, il extermine


les Lyonnais à sa manière, avec la sensibi-

lité , la philanthropie du jacobinisme.


( "O

CHAPITRE XXIIL
Autre proposition de D rouet.

LJ N cri de mort se fait entendre. Les frères,


dévorés d'une soif de sang inextinguible,
décident qu'il sera formé, dans les -sdngt-

quatre heures , une artiiée révolutionnaire ;

qu'elle sera suivie d'un tribunal incorrup-


tible, redoutable, et de l'instrument fatal

qui tranche d'un seul coup les jours des pro-


fanes, des riches et des prêtres. C'est bien
alors qu'on peut dire : «< Monstres , allez

cuver dans les enfers le sang de vos vic-

times î' »'-

Une sombre fureur, une atroce folie,


exaltent la tête des adeptes; c'est à qui
proposera une mesure tyrannique et insen-
sée. Gaston veut qu'on ferme les barrières ,

et que la circulation soit suspendue. Billaud

demande qu'on arrête les contre-révolution-

naires, les suspects , les modérés , les indul-


,(
"3)
gens. Basire insiste pour qu'on déclare hors
la loi les parens d'émigrés , les prêtres, les

nobles , les l'euillans , les brissotins , les

boutiquiers, les riches, les gros négocians,


les hommes d'affaires et les chicaneurs.

Drouet prend la parole et dit « Puisque :

notre vertu, notre modération, nos idées


PHILANTHROPIQUES , ne uous ont sériai de
rien , soyons brigands pour le bonheur du
peuple , soyons brigands que les
suspects répondent sur leur tête de tout ce
qui arrivera. »

Celui-ci, du moins, a de la franchise. On


croit que rien ne peut surpasser la violence

de ces propositions : c'est une erreur. Voici


la société des jacobins en corps, qui, d'un
seul mot , éclipse et Gaston, et Billaud, et
Basire, et Drouet : ^^ Placez la terreur a
V ordre du jour, dit-elle ;
que V égalité pro-
mène sa faux sur les têtes ; que les sus-
pects répondent de la sûreté des braves
sANS-cuLOTTES ;
que cette classe impure de
prêtres, de rois , de brigands couronnés ,

tombe sous la hache révolutionnaire ^ »

8
(
i"i)
Les orateurs sont : un huissier, un cocher
de fiacre , trois laquais , un barbouilleur
d'enseignes, un perruquier, et le bouffon
Trial. . . . Ex uno disce onvies.
( "3)
<\%'% %%''« liVX W« W%Wt \ \V1/Vt WkVl'V %V« \Vi« %%% v%t \vt vv« %v% \\ «

CHAPITRE XXIV.
Convention secrétissime. — Bataillon
de tjvannicides

HicouTONS la secte prononcer, sur la pro-


position de Jean-cle-Bry, et aux acclama-
tions des initiés , le décret qui organise
douze cents assassins, sous le nom de légion
tyrannicide, pour expédier les rois ; écoutons
le serment qu'elle exige
, de haine à la
royauté; observons-la, déchaînant douze
cents galériens pour les vomir sur les côtes
d'Angleterre , et adoptant pour coiffure le
bonnet de ces malfaiteurs. Si les rois de
l'Europe ne sont pas frappés de vertige, ceci
doit les convaincre.
Ce même Jean-de-Bry proposa , le 8 oc-
tobre1 792 d'accorder 1 00, 000 francs de ré-
,

compense à ceux qui apporteraient les têtes


de François II, de Frédéric- Quillaum e ^

à-Vi duc de Brunswick , et, ajoute-t-il, r/e


( "6)
toutes les hetes sauvages qui leur ressem-
hlent.

Souverains ! quand vous voyez brûler ce


toit voisin de vos palais , est-ce assez de
ne pas aider à l'incendie ? ou bien commen-
cerez-vous par demander quelle sera la ré-
compense des soins que vous prendrez pour
éteindre les flammes ? c'est ce que vous avez
fait y a trente ans mais l'incendie a ga-
il ;

gné votre propre habitation : elle est embra-


sée. Chaque minute que vous laissez aux
jacobins dévore les siècles et mine vos trônes.
Déjà ils sont devant vous le poignard à la
main ; ils recrutent de nouvelles légions, et
vous ne faites plus de vos sceptres que ce
que veut la secte, en attendant qu'elle les
brise. On ne transige pas avec elle ; vous
avez fait des traités d'alliance , elle en a fait

aussi ; vous avez des armées , elle en a aussi ;


vous avez des gardes-du-corps, elle a des
assassins. Carra ne demandait, du haut de la

tribune des jacobins, pour révolutionner


toute l'Europe, que cinquante mille hommes,
douze presses des imprimeurs et du papier.
,

I^a convention n'a pas eu besoin d'autre


(
i»7
)

chose pour insurger les peuples ; et, quand


nous disons la. convention , nous entendons
la convention secrétissime qui dirio-ea
tout
après le 3i mai; pouvoir occulte et terrible,
dont l'autre convention devint l'esclave, et
qui était composée des premiers initiés de
l'illuminisme. Ce pouvoir était au-dessus de
Robespierre et des comités de gouverne-
ment c'est lui qui commanda l'incendie de
;

la Vendée la destruction de Lyon,


, les mas-
sacres de Toulon, l'assassinat des prisonniers
de guerre , et celui des émigrés. En un
mot,
c'est ce pouvoir occulte qui s'appropria
les
trésors de la nation, et les
distribua aux
frères et amis qui avaient travaillé
au grand
œuvre. La véritable convention
n'était, dans
ses mains, qu'une machine
à décrets.
(118)

CHAPITRE XXV.
Familles littéraires sous T influence de la
secte.

Ija littérature , comme toutes les autres

parties de l'économie politique , fut envahie


par l'illuminisme , et se fit l'auxiliaire de ses
complots. Si on veut saisir un fil dans ce la-

Lyrintlie , si on veut établir la filiation des


écrivains adeptes ou initiés, il faut encore
remonter à Voltaire, à d'Alembert et à Di-
derot, chefs de cette école impie et de celte
sjnagogue de sophistes , dont la plume vole
au gré des vents, et dont l'inconstance d'es-

prit est si humiliante pour notre siècle.

Comme leurs maîtres , girouettes de l'opi-


nion , protées du mensonge, les uns tuent
le bon sens avec des sarcasmes, et les autres

enfoncent le glaive de l'immoralité avec


l'appareil de la raison.
Après \oltnire viennent les Fréret, les

Maillet, les Boulanger, les Lamétrie, les


('!))
(l'Argens; tout bouffis d'orgueil et d'athéisme,
ils vont cherclier des démentis à la Bible et à
Moïse dans les taupinières des Alpes : Bajle
fait les frais de la science dont ils croient
révéler les preuves. Ils inventent l'homme
machine ei l'homme plante ,
qui font rougir
la secte elle-même, par cela seul qu'ils
y
dévoilent des secrets qu'elle n'ose encore
avouer.
A ceux-là succèdentMarmontel , Laharpe,
Gondorcet , Deîisle-de-Sales , Helvétius ,

Ghampfort : les uns donnent de petits contes


saupoudrés de philanthropie et d'impiété ;

les autres , déclamateurs hebdomadaires


ou par souscription, infiltrent doucement
les doctrines de la secte.

Parmi les libraires affidés est ce fameux


Marc-Michel Rey qui paye les écrivailleurs
subalternes à tant la feuille pour le compte
de la propagande, et qui, d'Amsterdam,
inonde l'Europe de toutes les infamies anti-

religieuses et anti-sociales qui sortent de ses


presses. C'est aux manœuvres de la basse
littérature qu'il faut attribuer la Théoloi^ie
portative , le Compère Mathieu , le Dîner
( 130 )

du comte de Boulaiîtvilliers, \ Imposture sa-

cerdotale , et G€tte foule d'écrits immoraux


qui ont corrompu les dernières classes de la
société à la fin du dix-huitième siècle.

La révolution éclate : une nouvelle géné-


ration de sophistes succède à ceux-là ; c'est

Mirabeau, Carra, Garât, Mercier, Chénier,


Ginguené , Beaumarchais , Millin , célèbres
par l'apostasie de tous principes moraux
et politiques ; demi-savans qui, dans leur
course révolutionnaire, dévorent les Baillj ,

lesLaharpe, lesMarmontel et tant d'autres

tremLleurs devenus des idiots en présence de


leurs disciples athées , régicides et esprits
forts.

Le clergé se maintient dans la foi, mais


il n'est pas sans reproche; il a aussi ses ini-
tiés, depuis l'archevêque de Brienne jusqu'à
l'abbé de Pradt , et depuis le cardinal de
Bernis jusqu'à l'abbé Maury. Ces prêtres
scandaleux et anti-chrétiens produisent les

Gobel , les Fauehet, et cette nuée d'apos-


tats dont les vices et les crimes surpassent,
s'il est possible, ceux des jacobins eux-
mêmes.
( 'î' )

Il est constant que , dès le règne de


Louis XV, les illuminés avaient conçu le pro-
jet de s'emparer des écoles gratuites et de les
multipUer à l'infini, surtout dans les cam-
pagnes. Comme aujourd'hui, ils sentaient le
parti qu'ils pouvaient tirer de ces écoles ; ils

avaient fait parvenir des mémoires au roi


sous le voile de \di philanthropie et de Xhuma-
iiité. —Le prince, trompé, séduit, avait déjà
ordonné les frais sur sa cassette , lorsque le
ministre Bertin lui ouvrit les yeux. De nos
jours, leurs successeurs plus heureux ont
inventé renseignement mutuel et le débit
des Bibles à l'usage des artisans et des labou-
reurs ; ils procèdent en toute liberté à l'ac-
complissement du grand œuvre, ils ont des
ducs , des princes et des rois pour souscrip-
teurs. Cette mécanique à régénérer diminue
le travail et double la besogne tout est au ,

mieux. Grâce à ces admirables découvertes


et au perfectionnement de l'imprimerie, le
dernier des paysans sera moins laborieux ,

plus raisonneur et plus indisciplinable. Au


lieu du catéchisme , ils liront Voltaire et
Diderot ù dix sous le volume; au lieu de
( Ï22 )

labourer leur champ, ils deviendront pa-


resseux, vains, impies, séditieux, rebelles;
et si on a besoin de nouveaux Louvel il ,

s'en trouvera. Avec ces méthodes il ne fau-


dra que dix ans au lieu de cinquante pour
détrôner tous les rois et parvenir au régime
des municipes.
Ne nous le dissimulons pas , l'éducation
pour les jacobins est le dernier mjstère de
Mythra ; c'est avec ce levier qu'ils ont déjà

bouleversé l'univers , c'est avec lui qu'ils

comptent le bouleverser encore.


L'influence des familles littéraires sur la
marche de l'esprit humain , la subordination
et les idées du peuple, est le dernier fil de
la trame. C'est une fièvre lente qui mène les

empires , les consume , et réserve la violence

de ses accès pour la dernière crise et la dis-


solution. Nous ne pouvons mieux terminer
ce chapitre qu'en mettant sous les yeux du
lecteur le tableau généalogique de ces fa-
milles , indiquant leurs phases. Il en saisira
mieux d'un coup d'œil les rapports et les
progrès.
( 120 )

TABLEAU GÉNÉALOGIQUE
Des familles de littérateurs sophistei depuis 1 760
jusqu'à ce jour (1).

«/WiVW^/l/Vl/^W

*'
ri.''* ÉPOQUE. Voltaire.
D'Alembert.
**
Diderot. 1
I Famille so- Frédéric , roi de
phiste Prusse.** Travaux dM encyclopc-
** ilistes, cci'its anti-relii^ifux
succédaut Helve'tius.
destiuctioa des jpsuiles, scan-
à Fre'ret.** dales.
1780. *'
Spinosa , Boulanger.
Hobbes, Lame'tiie.**
**
Bayle, Dargens.
*
IVaninij etc. Deprades

Marmontel.** ^,
La Harpe.**
Condorcet.
**
Lebrun
i
Del'Jsle-de Sales**
**
Loiiret.
** Bélisaire, contes; romans
Mercier.
2.* ÉrOQUE. philosop!iir(ue3 et anti-mo-
I Court - de - Gébe- raux.— Système de la nature .

lin.
** \ —Monde priniitit.— Plans et
** rêveries des économistes. —
2.^ famille
Champfort. — Utopies répul)Iicaines. —
**
Sophiste.
Beaumarchais,
**
— Histoire des deux Indes.
Turgot. —
Idées municipes. Métaphy-
** ique constitutionnelle.
Necker.
Maury.**
Dupont-de-Ne-
mours. **
**
Bailly.
**
Raynal,

(1) Plusieurs de ces sophistes, mûris par l'Age, la réflexion


et les peines eut abjuré leurs erreurs. La secte les regarde
,

comme dignes de l'ar/ua Tofana.' l^ous avons marqué les


transfuges d'une simple étoile. Les morts so-U désignés par une
doidjle astérisque.

n
l')Y>ifu^,
( >24 )
**
Cliénier.
Voluey.** Journaux incendiaires,
** |[>i<'tes de théâtre, dialogues a
Gingucné.
Tissot.
J'iisage du peuple. Coules
ridicules, inventions gros—

MiUln.** siires, liJ)elIes scandaleux,
odes et chansons patrioli(|ues.
Gara t.
C**
a ira.
Depuis 1789 jusqu'en 1801,
on compte C37 pièces nou-
velles dans l'esprit de
Fllns. la
* secte. Les principales sont
Laya. Le Réveil d'Epiménlde
:

ÉPOQUE.
Ficvée. parFlins. Marins à Min—
François de-Neuf-' tnrnes par Arnault. Jean

,

* 'llfiuuiyer, par Mercier.


château. U Ami des Lois, par Laya.
3." famille
Arnault, —Charles IX, Henri VI II,
Ëophiste, J eatiCalas ,Caïus Qracchiis
Aruar.*
Fénelon, par Chénier. I'n-
Audouin. méla, par François de Neuf—
Legouve'. ** château. Epicharis et A"e-
** ron par Legouvé. Man-
Lavalle'e. ,

Du val. lius Torquatus , par La-


allcc.
*
Trouve. On doit aussi à Ché nier ime
** [apothéose de Marat , et une
Hébert.
houle de pièces de vers aux
Cami lle-Desmou- Isans-culotles.
**
lins.

'
De Pradt (l'abbé).
Etienne.
Benjamin-Cons-
tant.
De Jouy. Brochures lil)éral«'S. — Ho-
Aignan. mélies pour
et contre. —
Histoires soi-disant impar-
[^4.*^ ÉPOQUE.
Lacretelle aîné. tiales. —
Odes à la déniago—
De V....t. , à la rcpuhlitpie, à l'cm-
Lemercier, pereur, au roi, (aux Parga-
1801 niotcs. — Ue la métapbysi<|ac
à Laiijuiuais. onslilulionnelle; de louidcs
4.^ famille
1820. Dupin. dissertations anti-monarchi-
sophiste.
iBory -St. -Vincent. tpies. —
Des lettres , des es-
quisses des tragédie.'* de
,
Se'gur.
circunslances, des articles
Azaïs. de journaux , des conipen-
Dauuou. alions et du galimatias.
Degerando.
Delrieu.
Jar.
*=
Millcvo'yc.

Nous ne parlons point ici des folliculaires >


des libellistes, des journalistes et de tous les
petits regralliers de la littérature libérale
C 125)
quifont des brochures à la manière de
Cadet-
Biitteux et du Père Duchesne ; ils sont
innom-
brables, et leur imperceptibilité
échappe
aux observations microscopiques.
( '26)

CHAPITRE XXVI.
Proconsulats.

CiE ne sont pas seulement les discours , mais


les faits qu'il faut rappeler au souvenir des
générations ; les uns restent, les autres s'ou-
blient. On ne croit plus qu'il ait existé des
CoUot-d'Herbois , des Fouché , des Hentz
des Francastel, des Tallien, des Isabeau,
des Barras , des Fréron , des Carrier , des
Maignet , des Lebon. Il faut faire en sorte
que ces noms passent d'âge en âge pour
épouvanter les hommes et les tenir en garde
contre les pièges de leurs disciples et de
leurs héritiers.
Des faits, toujours des faits; nous ne
marchons que main dans cette
l'histoire à la

arène sanglante. Néanmoins nous abrége-


rons nous ne présenterons que les masses
,

afin d'instruire sans fatiguer l'attention.


( 1^7 )

LYON.
CoUot-d'Herbols, Fouclw , Méaulic , Albitte ,

Reverclion , Dubois Crancê.

La démolition de cette cité va lentement ;

le tribunal révolutionnaire opère, mais la


marche est encore mal assurée. On presse
l'organisation de l'armée révolutionnaire ,

Ronsin la commande. Cette armée arrive


une seconde guillotine est mise en activité.
Fouché invente la mine pour abattre les
monumensde la place Bellecour. La pensée
des proconsuls jacobins , leur sollicitude
toute entière sont fixées sur des ruines et
des tombeaux ; ils écrivent enfin sur leur
ouvrage : « Lyon n'est plus. >»

« Quelles délices tu nuirais goûtées , écrit


un de ces illuminés , si tu eusses vu avant-
hier cette JUSTICE de deux cent neuf scélé-
rats ! quelle majesté! quel ton imposant 1
tout ÉDIFIAIT. Combien de grands coquins
ont ce jour mordu la poussière dans les
Brotteaux 1 quel ciment pour la républi-
que ! quel spectacle digue de la liberté !
( 128 )

puisse CETTE FÊTE inipimiev a jamais la ter-


reur dans l'ame des scélérats ! En voua cinq
cents de morts , encore deux fois autant y
passeront et puis c a ira
, . »

« Aucun peuple , dit le même bour-


reau , n'a donné des formes plus augustes
a r expression de la justice nationale , que
celles consacrées dans les jugemens révolu-

tionnaires. Aussitôt que la conscience des


juges est instruite , les accusés son t conduits

dans une salle particulière ; on les appelle

ensuite , on les traduit devant le peuple


sur la place publique , la voute de
sous
LA îsATURE , et ils mewent. On cherche
en vain a intéresser notre sensihdité , a
affaiblir V énergie' de notre caractère , kous
AVONS TAIT LE SACRIFICE DE KOS AFFEC-
TIONS PERSONNELLES (l). »
Il est constant qu'à cette époque le jaco-
bin Bertrand , franc - macon et maire de

(i) « Jurez de briser les liens charnels qui tous


attachent encore à père, mère, frères, sœurs, épouse,
parens, amis, etc. » [Serment des illuminés j His-
toire des Sociétés secrètes j p(ig- 46.)
( »29 )

ijjon, fit guilloliner son propre neveu et ses

plus anciens amis (i).

BORDEAUX.
jCalH^n » Isabeau , Beaudot , Chaudron-Rousseau.

Bordeaux n'avait point participé à l'insur-

rection de Marseille , de Toulon et de Lyon,


mais il avait adhéré à leur courag-euse résis-
tance contre l'oppression. Des proconsuls y
furent envoyés par la convention, c'est-à-
dire par les jacobins , pour sans-culottiser
LES gascons, saigner LES BOURSES ET NIVELER
LES TÈTES (2).
L'illuminé Tallien n^avait alors que vingt-

(1) Nous remarquons que les signes maçonniques


étaient presque le seul moyen pour exciter la pitié
.des jacobins. Dans les massacres, les brigands ten-
daient la main en frères à ceux qui paraissaient ins-
truits , les accueillaient ou les repoussaient selon
qu'ils étaient experts ou ignorans. Il faut dire en-
core que ces signes maçonniques ne servaient de rien
aux frères inscrits sujr la liste rouge ; là seulement
ils reconnaissaient combien ils avaient été dupes de
\^ fraternité des arrière-secrets.

(2) Expressions de Tallien.

9
( i5o )

six ans ; instruit dans l'antichambre de&


L...th et initié à Passy , on en-
l'avait fait

suite secrétaire copiste avec Trouvé dans


les bureaux du Moniteur j une il avait pris
grande part aux massacres de septembre ,

et prononcé publiquement leur apologie à


la tribune.

Tallien et ses collègues commencent par


mettre à mort Xesfj^ères inscrits sur la liste

rouge, et réfugiés à Bordeaux. On lève des


taxes sur les négocians pour détruire Varis-^

tocratie mercantile , et ensuite on promène


le o'iaive sur la tête des Bordelais. « L'or va
Cl la monnaie , écrit l'un d'eux , les fusils aux
volontaires , et les aristocrates ci la guillo-

ti: e (i) >3. Heureusement pour la Gironde ,

Tallien , sibarite jacobin livré à la dé-


bauche et à la sensualité , est séduit par les

(i) Il faut bien croire que tout l'or n'a pas été à la

monnaie , sans quoi F....é , T n, B....S et autres

n'insulteraient pas aujourd'hui, par leur opulence,,

aux ossemens de leurs victimes. Le seul F a en-

des églises, et levé deux millions


levé l'argenterie
dans le département de la Nièvre; il n'en a jamai»

rendu compte.
(i3i )

charmes d'une madame de Fontenay qui


s'empare de son esprit et use de son crédit
pour sauver les victimes. La secte, qui entre-
tenait des espions partout où il y avait des
proconsuls , blâma dans Tallien cette fai-
blesse iadigne d'un frère , le rappela , et ;

qui le croirait? le persécuta comme chef de


|a conspiration r>Es indulgens.

ARRAS.—CAMBRAI.
Joseph Lebon. —Duquesnoy.
L'illuminé CoUot égorgeait par système ;

en voici un qui lue par un fou


folie. C'est ,

un séide enragé qui ne veut marcher que


sur des cadavres , se désaltérer dans le
sang
comme la hiène, et ne vivre qu'avec des
bourreaux. Joseph Lebon , ancien prêtre
constitutionnel et apostat , ne foudroie pas
trois cents hommes à la fois, mais il fait

distiller la mort goutte à goutte sur les vic-


times.
A peine arrivé dans le Pas-de-Calais , il

fait arrêter les nobles, les prêtres, les mar-


chands , les cultivateurs , les ouvriers , et
9*
( '52 )

jusqu'aux individus dont la figure déplaît à


lui, à sa femme ou à son valet. 11 demande
carte blanche à la convention occulte , tout
lui est accordé. Ecoutons l'histoire de ses
forfaits, c'est lui-même qui les raconte :

te J'étais digne de la mission que vous


m avez confiée ; vous me livrez à îno?i éner-
gie révolutionnaire Eh bien! rien ne
m,' arrêtera les têtes des aristocrates vont
,

TOMBER COMME LA GRELE. Je ne laisserai en


liberté aucun riche aucun homme d'esprit ,

gui ne se soit prononcé de boin-in^e heure et


FORTEMENT y»0W7' /rt révolutioil. "
« Je garde le silence depuis quelques
jours , écrit - il encore à la secrétissime ,

dites : tant mieux ; c'est que Joseph Lebon


TRAVAILLE FORT. Oui je VOUS assure fj , ,

vais d'une jolie manière j il ne se passe pas


vingt-quatre heures que je ne dépêclw du
gibier de guillotine , et tous les scélérats
sont expédiés révolutionnairemekt. »

« On me demande des détails


je n'ai pas le temps ; je suis ici depuis quatre
jours ( à Arras ) a faire marcher le tribunal.
La guillotine roule à toute force ; j'en ai
( i53)
fait expédier aujourd'hui vingt-huit , tant
MALES que FEMELLES, Xai fait arrêter un
général pour ni avoir traité de gueux et de
coquin ».
« ,. Je suis arrivé a Cambrai
hier soir , accompagné de yingt BRà.VES.
J'espère faire le bien a cambrai , et y ins-
pirer une terreur civique. La guillotine va
entrer de suite en activité. Patience , et çôi,

ira d'une jolie manière. »

« Messieurs les par en s et amis


d'émigrés et les prêtres réfractaires acca-
parent LA GUILLOTINE j on est Cl la queue.
Avant-hier un ex-procureur, une riche dévote,
veuve de deux ou trois chapitres, un banquier
millionnaire, une marquise, trois moines et un
général o^n passé la tête a la chatière, e^
disparu du sol de la liberté. La a' ertu et la
PROBITÉ sont plus que jamais a l'ordre du
jour Mon jury est composé de soixante
bougres à poils ; je ne suis occupé qu'à faire
des actes d'accusation ; j'ai organisé a Doul-
lens une commission ardente de sept pa-
triotes ; nous ne dormons point. »
Les formes au séide Joseph Lebon étaient
( ,34 )

des plus acerbes. Un jour il fait mettre sur


sa porte, au nom de la tolérance, cette
inscription en gros caractères ;

« Ceux qui entreront ici pour solliciter l'élar-

ti gissement des détenus ^ n'en sortiront que pour


« être mis en état d'arrestation. »

Une autre fois, il donne au bourreau la

ipremière place à sa table; durant le repas,


il ne s'entretient que de l'habileté de cet
homme. Parbleu! mon camarade, dit un
des convives, tu t'es surpassé Tautre four que
nous t'en avons envoyé trente^ tu lésas expé-
diés en quinze minutes. — Etf...,. non, re-
prend un autre, il a été plus long que tel jour,
car il en a expédié vingt en huit minutes. —
Ne croirait-on pas lire une scène de la caverne
dans Gil-Blas?
La guillotine était dressée sous les fenêtres
de Joseph Lebon. Pendant les exécutions,
il prenait son café , riait avec ses familiers,
et lisait les papiers publics. Un jour un
homme allait périr, sa tète était placée sous
le fer ; arrive un courrier apportant des nou-
velles de la Vendée ; Lebon fait signe au
( »3S)
bourreau de suspendre, lit sa dépêche; et,
s'adressant au malheureux qui attendait le
coup fatal, lui dit : « Va, péris maintenant^
va dans les enfers apprendre aux aristocrates
comme on traite ici leurs amis. »

S'il se montre au spectacle, il y donne


des scènes dignes d'un fou furieux. Des

femmes occupent une loge elles ne pensent ;

pas à lui en faire hommage. Plein de rage


il se précipite sur le théâtre , et s'écrie :

•f Vojez ces b d aristocrates^ ces mus-


cadines insolentes! je me présente dans
cette loge , pas une 7ie se lève pour moi
pour moi Joseph Lebon , représentant du
peuple !.... Oui, jadis ,
quand il se présen-
tait un roi dans un spectacle , tout le monde
se levait. Eh! ne suis'^je pas plus quun roi.

moi, représentant du peuple!!...


Voilà les hommes à qui la secte déléguait
son pouvoir pour gouverner les nations. Au
reste Lebon comme tous les jacobins illu-
, ,

minés, n'a qu'un moyen de gouvernement,


c'est d'armer les pauvres contre les riches.
Il disait un jour à ceux-là « Sans-culottes! :

<;' est pour vous que Ton guillotine. SiVonn'en


( '36 )

guillotine plus , vous mourrez de faim ; il

faut que les sans-culottes prennent la place


des riches. Jadis ceux-cifaisaient bombance :

eh bien! sans-culottes, ce doit être assez


pour vous de travailler la moitié de la jour-

née , et de vous délasser le reste du temps. »


Un fainéant se plaignait-il de sa pauvreté,
Lebon s'écriait : « Te voila bien embarrassé,

y.... bête ! ne vois-tu pas dans la rue quelque


riche, quelque noble, quelque gros marchand?
T^iens me le dénoncer, tu auras sa maison
tu j demeureras , tu auras tout a gogo. »
Duquesnoy, envoyé dans le département
du Nord, partageait les crimes et les excès
de Lebon ils s'envoyaient réciproquement
;

des victimes leur mot d'ordre était


; Tue :

pouf 7?ioi je tuerai pour toi. C'est ce même


,

Duquesnoy, moine apostat et régicide , qui


fit déchausser les aristocrates dans les rues

de Metz pour donner leurs bas et leurs sou-

liers aux défenseurs de la patrie. Ce jacobin


féroce était monté sur le ton des formes
les plus acerbes et du fanatisme le plus
exalté. Lorsqu'on osait faire quelques repré-
sentations à cet ami de la tolérance , il vous
(
-s?)
donnait de grands coups de pieds dans le
ventre en écumant de rage , et ne répondait
que par ces mots : « F...ez-moi le camp ,

sacrés arisrocrates ,
f...ez-înoi le camp II...
Nous ne prétendons pas rapporter jusque
dans les plus petits détails les faits et gestes

du bon temps; nous Favons déjà dit, nous


présentons des masses au lecteur; qu'il juge
du zèle des subalternes par celui des chefs.

ORANGE.— BEDOUIN.
Maignet.

Lorsque Maignet arriva dans le comtat


d'Avignon , on était déjà dans l'usage d'en-
voyer au tribunal révolutionnaire à Paris
les malheureux des diverses contrées de la

France portés sur la liste de sang. Maignet,


jaloux de se signaler, allégua que le dépar-
tement de Yaucluse renfermait huit à dix
mille contre-révolutionnaires dont il était

urgent de se défaire , et qu'il serait difficile


et dangereux de transporter dans la capi-
tale. En conséquence on lui donne pouvoir
( i38 )

d'établir un tribunal à Orange , et trois mille

têtes tombent en quinze jours.


«t Ami, écrit-il à un de ses confidens , la
SAINTE-GUILLOTINE va tous Ics jours ; iiiav-

cjiiis , comtes ,
procureurs , montent tous
SUR MADAME ; dans peu de jours , soixante
c^iBTOis^ïE.v^^ y passerojit (i). :»

Au reste , ces assassinats juridiques de


Maignet et l'ironie féroce qu'il emploie
pour en parler ne sont pas plus extraordi-
naires que ce qui se passe alors dans Paris
Arras, Cambrai, Bordeaux, Nismes, Nan-
tes, Marseille, et cent quarante-cinq au-
tres villes de France; mais il imagine de
signaler sa mission par un acte plus écla-
tant , dont aucun de ses pareils n'a epcore
donné l'exemple. Il fait couper un arbre
de liberté ,
pendant la nuit, dans la ville de
Bédouin qui a deux mille habitans et cent
cinquante maisons, et, sans perdre de temps>
il y fait mettre le feu; en vain les malheu^

(i) On voit que ce n'est pas seulement aux nobles

et aux prêtres que les illuminés en veulent. Nous


l'avons déjà dit, leur plan est de réduire la popula-
tion à une échelle de proportion convenue.
( »% )

reux veulent arrêter les progrès de l'incen-


die, des sicaires sont disposés pour hâter
raccomplissement de cette œuvre infernale.
Des vieillards , des femmes, des enfans sont
dévorés par les flammes , et bientôt on de-
mande où exista Bédouin. Ruinée, réduite

à la mendicité, cette population échappée


à la dévastation veut fuir ; mais son terri-
toire est cerné, on l'arrête dans sa fuite, et

soixante- trois individus sont giiillotinés à la


lueur des flammes.

TOULON.— MARSEILLE.
Barras, Fréron , Ricordj Robespierre jeunt
Salicetti.

Toulon avait ouvert son port aux An-


glais ; après quatre mois de siège , il est re-

pris. Des prodiges de valeur illustrent les


assiégeans , ils triomphent , l'Anglais s'éloi-
gne. Les jacobins qui se sont tenus loin du
feu, derrière les hauteurs àePharon, s'attri-

buent modestement la victoire. Ils entrent


dans Toulon à la suite des vainqueurs , fra-
ternisent avec les galériens qu'ils appellent
( i4o )

Les plus honnêtes gens du monde , fusil-

lent, brûlent et démolissent; leur fureur


s'exerce jusque sur les pierres. Le nom de
Toulon est supprimé , il s'appellera Port-la-
Montagne. Barras et Fréron régnent dans
ses murs désolés ; la population est réduite
de vingt-huit mille âmes à huit mille.
Les proconsuls écrivent : « Cela va bien
ici , nous avons requis douze mille maçons
des départemens environnans pour démolir
Tous les jours depuis notre
et raser la ville.

entrée nous faisons tomber deux Cents


têtes. »

Le révolutionnaire B , retenu en
Otage par les Toulonnais , meurt d'une indi-

gestion de pâté : aussitôt on publie qu'il a


été victime des mauvais traitemens et de son
patriotisme ; on en fait un martyr , il reçoit
les honneurs du Panthéon. Toutes les guerres
civiles ont produit des crimes publics; mais
qu'on ouvre les annales depuis le commen-
cement du monde, on ne trouvera point un
tel amas d'ordures, de turpitudes et de mons-

truosités ; on ne trouvera pas un autre


exemple du trait suivant : il est raconté par
( i4i )

un témoin oculaire ; laissons-le parler lui-


même , tout ce que nous pourrions dire
ne vaudrait pas son récit.
« Fréron est dans nos murs, il fait publier

QUE TOUS tES BONS CITOYENS sc rendent au


Champ-de-Mars sous peine de mort. J'étais
un bon citoyen , mon fils l'était. Par obéis-
sance , nous allons au Champ-de-Mars ; trois

mille citoyens s'y rendent comme nous


trahison ! ô crime ! Fréron nous y rassem-
blait pour nous assassiner. Ce sardanapale
•était à cheval ^ entouré de canons , de trou-
pes et d'une centaine de forcenés adorateurs
de leur dieu Maral. Fréron dit à ses bour-
reaux entrez dans la foule, séparez-en ceux
:

que vous voudrez, rassemblez-les le long


de ce mur. Les cannibales s'élancent et
choisissent leurs victimes au gré de leurs
caprices , des passions et du hasard; l'un
saisit son ennemi l'autre son rival , celui-ci
,

son créancier, celui-là le mari de sa femme


qu'il a rendue adultère : tous s'attachent à
ceux cjuils croient riches. On m'arrache des
bras de mon fils, on m'entraîne Fréron
.donne le signal : de toutes parts le feu tonne^
( l42 )

le meurtre est consommé, la terre s'abreuve


de sang, l'air retentit des cris de désespoiri
les mourans , les blessés se meuvent pêle^.
mêle sur les cadavres , et tombent les uns
sur les autres. Tout-à-coup, par ordre
des tjrans, une voix s'écrie que tous : "

CEUX QUI INE SOINT PAS MORTS SE LÈVENT. » LcS


malheureux croient qu^on veut les secou-
rir ; ils se dressent ; on les foudroie de nou-
veau, et bientôt le fer moissonne tout ce
qu'épargna le feu Je n'étais que blessé;
j'imitai l'immobilité des cadavres ; on me
laissapour mort Le jours'éteint , l'ombre
de la nuit vient voiler cette horrible bou-
cherie. Alors des hommes que , dis-je? des
harpies, précurseurs des corbeaux, et plus
rapaces qu'eux , accourent dépouiller les
morts , les foulent aux pieds , et les sabrent
pour arracher les étoffes et les bijoux. Je fus,

comme les autres , laissé nu sur la place. »

Il ne faut pas croire que cette scène fut


la seule; on la répéta plusieurs fois, sans pré-

judice de la guillotine qui expédiait les


femmes et les vieillards. Une malheureuse
qui sortait de l'enfantement fut arrachée
( i43 )

de son lit €t traînée au supplice. Ni la Saint-


Barthélémy , ni les Vêpres Siciliennes n'ont
égalé ces atrocités ; les circonstances que
ron vient de rapporter , cet appareil de
mort, ce partage des dépouilles, cette lâche
et perfide violation de la foi ne les ont point
souillés, mais la secte avait intérêt à exa^é-
o
rer les excès du fanatisme pour assurer le
triomphe des déistes et des déicoles.
A Marseille , l'hôtel de ville , chef-d'œuvre
de Pujet, allait s'écrouler sous le marteau
des vandales ; déjà le grand balcon du
centre était détruit, lorsque l'indionation du
peuple arrêta les démolisseurs, mais lésant^

n'en coula qu'avec plus de rapidité : « Nous


allons prendre des mesures extraordinaive-
ment terribles, écrivent-ils; nous connaissons
peu de représentans a notre hauteur. Une
commission fait danser la carmagnole aux
aristocrates , et déjà bon nombre ont reçu
leur billet d! enterrement . »

Aujourd'hui même la secte dirigeune


compagnie de capitalistes, connue sous le
nom de bnnde-noire , pour acheter à vil prix
et anéantir les monumens qui rappellent des
( '44)
souvenirs héroïques ou religieux. On a vu
disparaître ainsi Chantilly, Montniorencj'
Anet, Sceaux, etc. Il était question, il y a
peu de temps, d'abattre Vincennes. Depuis
trente ans toute la France a changé de face
sous la hache des illuminés; s'il y reste encore
quelque édifice remarquable par son anti-
quité , ce n'est pas leur faute.

VENDEE.
Carrier, Lequinio , Fra9icastcl , Bourbotte, Bô
Ganiier de Saintes , Choudieu.

Pendant les guerres désastreuses de la


Vendée, les jacobins Santerre , Rossignol et
Cousin n'avaient d'autre mission que de
conduire leurs soldats à la boucherie. Quand
ils éprouvaient sept déroutes en un mois
Barrère disait effrontément à la tribune que
la Vendée n'existait plus ; la vérité est que
la secte excitait cette guerre tant qu'elle

pouvait, parce que cela entrait dans sa po-


litique. Après le pillage on faisait usage de
la torche , on incendiait tout dans un rayon
<le cinquante lieues.

J
( >45)
Lequinio défend de faire aucun prison-
nier ce même Lequinio
: n'ayant pas de ,

bourreau pour exécuter ses arrêts invite ,

les citoyens à se dépouiller de tout préjugé


pour en faire Toffice. Mais laissons ces crimes
subalternes , leur dégoûtante énuméra-
tion ne serait que la répétition des mêmes
forfaits. Il faut parler de Carrier ; ce pro-
consul réclame ici une place considérable.
Vous, que la nature n'a point organisé assez

fortement pour entendre ce hideux récit


fermez ce livre , vous n'achèveriez pas.
Nantes reçut Carrier dans ses murs en
novembre 1790. En arrivant, il trouve que
les membres du tribunal révolutionnaire ne

sont pas à la hauteur. « P^ous êtes un tas


de B déjuges , s'écrie-t-il, vous êtes un
tas de J.... F..,..; il vous faut des preuves,
des témoins pour guillotiner un homme l.,..
f...ez-le-moi a Veau , cest Lien plus tôt
fait ! »

Quelques jours après, on lui demande des


subsistances pour les Nantais. Il répond :

Mangez les aristocrates ; les Nantais ne


sont pas patriotes ; au lieu de demander
10
( >4« )

des subsistances , fempêcherai de leur en


fournir. >»

On sait que les terres étant restées en


friche, il en résulta la famine. Quelles me-
sures croit-on que les jacobins vont prendre
pour j remédier? Ils feront venir des grains :

point du tout; ils dressent le recensement


<le la population française, et ils conçoivent
l'abominable projet de la réduire à dix mil-
lions , en décimant toutes les classes de
l'échelle sociale. Un tyran de l'antiquité
avait un lit de fer sur lequel il faisait étendre
ses victimes, mutilant celles qui étaient plus
grandes que le lit , disloquant celles qui
l'étaient moins pour leur faire atteindre le
niveau: ce tjran aimait l'égalité; voilà celle
<jue nous destinent les jacobins.
Une brigade part de Nantes pour aller
combattre les insurgés. Carrier adresse cette

harangue aux soldats: tt Braves défenseurs!


vous qui avez porté le nom d'armée infer-
au nom de la loi , de
nale, je vous conjure,
mettre le feu partout de n épargner per- ,

sonne ni femmes , ni enfans j de tout tuer^


,

de tout incendier. » Le général réplique avec


( '47 )

fermeté : « Nous sommes des soldats et non


des assassins. » Carrier s'emporte , le géné-
ral résiste ; Carrier s'étonne, il s'éloigne sans
rien dire. A quelque temps de là il pérore
dans la société populaire d'Ancenis : « Je
vois partout des gueux en guenilles , dit-il,

vous êtes aussi bêles ici qu'a Nantes. L'abon-


dance est près de vous , et vous manquez de
tout ! Ignorez-vous donc que la fortune , les

richesses de ces gros négocians vous appar-


tiennent F La rivière n'est-elle pas là P tous
les riches , tous les marchands , sont des acr
capareurs, des contre-révolutionnaires. Frap'
pez ; donnez-les-moi , je ferai rouler leurs
/e^e^^'OM^ /enASOIR NATIONAL. M

Afin de hâter le succès de ses attentats^


Carrier s'environne de coupe-jarrets dont
il fait ses gardes-du-corps et auxquels il

donne le nom de compagnie Marat. Le


commandant ( d'Héron ) ne paraît jamais
dans les rues de Nantes sans avoir à son cha-
peau quelques d'hommes, ou une
oreilles
partie génitale. Remarquons en passant que
toutes les grandes villes de commerce sont
particulièrement l'objet de la fureur des ja-
(
i48 )

cobins, et que les sicaires, chargés de l'ac-


complissement de leurs décrets, ne fléchis-
sent que sous des monceaux d'or.

L'organisation et la légitimation de la
compagnie Marat sont trop curieuses pour
ne pas rapporter ici son titre institulif.

1 .0 La compagnie révolutionnaire est ins-


tituée pour surveiller tous les citoyens et les
dénoncer ;

2.° Ses membres arrêteront ou feront ar-


rêter tous les individus qui leur paraîtront
suspects ;
3.0 Ils auront le droit de faire des visites
domiciliaires partout où ils le jugeront con-
venable , de faire ouvrir les portes , et même
de les forcer , s'ils le jugent à propos.
C'était aux récipiendaires de celle compa-
gnie qu'on demandait avant l'admission ;

K Qu'as-tu fait pour être pendu? » On dis-


tinguait dans ses rangs le féroce O' Sulivan ,
Irlandais de naissance, qui s'amusait à jugu-
ler les détenus avec un couteau dont la
lame était très-étroite : « J'avais regardé
avec attention , disait-il, comment un lou-
cher s'y prenait ; je faisais semblant de eau-
(^49)
ser avec les prisonniers , je Surfaisais
tour-
ner la tête comme pour regarder les passans;
je leur passais le couteau dans la goree et
cela était Jini. »
A.rmé de ces instrumens de carnao-e et
de
désolation , Carrier marche à l'exécution
de
ses grands projets. veut d'abord immoler
Il

en masse tous les détenus mais ce moyen ;

paraît impraticable , il faut se réduire à des


exécutions partielles. Deux mille individus
sont massacrés à la fois ; d'autres périssent
de faim et de misère dans les prisons
où on
les abandonne quarante-huit et quatre-vino-t-
seize heures sans nourriture. Quand on pé-
nètre dans ces antres de la mort
pour dis-
tribuer des alimens, on en trouve
cinquante
ou soixante expirés. Les cadavres restent
des semaines entières avec les vivans,
comme
pour réaliser la fable de Mézence. La con-
tagion se déclare; les bourreaux n'ont plus
rien à lui envier ; soixante-quinze
personnes
meurent tous les jours; l'épidémie menace
le tjranlui-même. Et tous ces détenus ne
sont que des suspects !
Quelle tolérance î

quelle philanthropie î
(
'5o)
La seule commission militaire ne suit pas
avec un zèle assez aveugle l'impulsion qu'on
lui donne j de braves militaires ne peuvent
se résoudre à se faire assassins ; ils ne font
pas fusiller les Vendéens, qui se rendent
Yolontairement. Carrier s'indigne de celte
pusillanimité ; il donne lui-même l'ordre de
faire tuer tous les prisonniers sans distinc-

tion ; cet ordre est exécuté à Nantes, avec


la baïonnette, sur la prairie de Mauves. Le
nommé Bourdin , forgeron , déposant dans
le procès de Carrier, fait cette révélalion
horrible : l'.La dernière fusillade que f ai vue
était d^environ quatre-vingts femmes ; elles

furent d'abordfusillées , ensuite dépouillées j


et restèrent nues pendant trois jours sans
être enterrées. » Bien plus, on exécutait
des enfans à la mamelle; on ne croirait
pointa ce fait s'il n'était attesté par le même
témoin : « Cétaient des Allemands , dit- il, qui
étaient chargés de ces exécutions j la fusil-
lade leur semblait trop prompte j ils for-
maient un cercle , et se jetaient les enfans
de baïonnette en baïonnette. »

La convention secrétissime avait fait ren-

J
( >5i )

dre un décret qui ordonnait de porter la


torche dans toute la Vendée , d'incendier
les châteaux , les fours et les moulins ; il ap-
partenait au séide Carrier d'ajouter encore
à ce décret infernal. Par ses ordres, des
églises, des villes entières, les bois, les mai-
sons, les chaumières, tout jusqu'aux buis-
sons devient la proie des flammes. C'est lui
qui va nous attester ce crime, considéré
comme essai de la puissance des illuminés.
« Kos recommandations sur la brûlure y

écrit-il , sont superflues ; toute espèce de


bâtimens sont brûlés, w

ORDRE AU GÉNÉRAL HAXQ.

« // vous est ordonné d^incendier les mai'


sons f d'en massacrer tous les habitans,
d^en enlever toutes les subsistances y etc. »

CARRIER, AU GÉNÉRAL DUFOUR.

« Continue , camarade , d^ exécuter les


xirdres que je te donnerai. Je te rendrai jus-
tice Brule, BRULE toujours; mais sauve
les grains , nen laisse pas , c'est Carrier qui
te le recommande. »
( 15a )

Tels sont, au surplus , les seuls ordres po-'

sitifs qu'ait signés cet anthropophage. A l'é-


gard des fusillades et des noyades, il ne
donnait jamais que des ordres verbaux
d'après les instructions qu'il avait reçues, et
il suivait de point en point les principes de
Hérault de Seciielles. Quelquefois aussi
Carrier s'exprimait d'une manière amphibo-
logique , intelligible seulement pour ses
familiers. ,

Qu'il nous suffise de dire, en terminant ce


chapitre, que cette bête féroce, dans sa
froide cruauté, a dévasté, par ordre des ja-
cobins , les plus belles contrées , et mis à

mort plus de deux cent mille personnes.


Nous parlerons plus tard des noyades ; cet
épisode, dans la sombre histoire des crimes

de la secte , vaut bien la peine d'être exa-


miné.
( '53)

CHAPITRE XXVII.
Mécanisme des insurrections.

ix'pRÈs avoir démontré comment les sa-


trapes illuminés apprenaient aux Français ce
que c'était que la régénération d'Ahiram
il convient de décrire par quels moyens ils

y étaient parvenus.
Quand on découvrit la conspiration des
poudres à Londres , ils n'en étaient qu'à
leur coup d'essai. Dès-lors ils ont tout per-
fectionné. Si on remonte aux premières in-
surrections pour les subsistances en 1789,
on verra qu'ils avaient fait exporter les
grains: si on parcourt la chronologie des
émeutes jusqu'en prairial an l\. , on verra
qu'il n'y a pas un seul mouvement populaire
qu'on puisse regarder comme l'efFet du ha-
sard, et que tout y est le résultat d'une
profonde théorie. C'est toujours par la ter-
reur qu'ils cherchent à dominer le peuple
( '54)
et à opprimer les assemblées délibérantes^
Un jour c'est une armée de brigands qui
pille les campagnes, le lendemain ce sont les

grains et les récoltes qu'on a brûlés ; une


autre fois Montmartre est prêt à tirer à bou-
let rouge sur la capitale, et l'on fait croire

au bon Parisien qu'on a miné la Seine ; le

but de ces manœuvres est de semer les dé-


fiances, d'occuper les esprits et de diviser

les citoyens. Ceux qui font jouer ces ressorts


s'honorent du nom dUndépendans , d'agita-
teurs , de niveleiirs , de sans-culottes. Ils ont
soif de la domination ; ne pouvant exister
que par le trouble , ils sacrifient tout à leur

ambition ; et, ne cessant d'invoquer la cons-


titution , ils finissent par la fouler aux pieds*
Développons tout le sjslèaie.

Le principe est simple : vous êtes libres >


vous dit-on ; eh bien ! courbez la tête devant
nous , soumettez-vous à nos volontés , ou
bien nous vous signalerons à la haine pu-
blique.
Premier mojeii. La longue permanence
des sections de Paris fatigue le bon ci-

toyen; il est moins exact, il s'absente. On


( '55)
envoie des affîdés, des oisifs, des intrigans ^

sans état, inconnus, et fort souvent étrangers.


Ces gens-là s'emparent du poste s'j main- ,

tiennent par la force et proposent les me-


,

sures révolutionnaires dictées par une au-


torité occulte.
Deuxième moyen. S'agit-il d'une expé-
dition à faire , les jacobins emploient ce
qu'ils appellent dans leur argot, le batelage.
On ramasse cinq à six mille vagabonds ou
mendians à un franc pièce , on place à leur
tête des motionneurs de groupes, instruits et
semblables à des chefs de file, afin de donner
l'impulsion à la multitude ignorante. Quel-
ques phrases révolutionnaires agitent la

foule, quelques jeunes gens sans expérience


s'j mêlent ; les curieux augmentent le

désordre ; une révolution est consommée.


Ce que les meneurs redoutent le plus en
pareille circonstance , ce n'est point la
marche des troupes; qui le croirait? c'est
le mauvais temps : la pluie ou le soleil déci-
dent le succès. Pétion qui s'y connaissait ne
commandait jamais une insurrection sans
avoir consulté son baromètrci
( '^-G )

Troisième moyen. Ou ne tient pas long-


temps le peuple en haleine ; il faut qu'un
mouvement populaire produise son effet

dans un temps donné , sans quoi il se dissipe


de lui-même. La populace est curieuse
elle est impatiente ; si on la retient trop
long-temps dans la rue , elle s'éclipse : les
directeurs de 1795 avaient coutume d'en-
tretenir, ces jours-là, ce qu'ils appelaient
des abojeurs pour pérorer , des tribunaciers
qui répètent à la foule hébétée une suite de
phrases banales sans les comprendre ; sou-
vent même les orgues de barbarie ont joué
leur rôle, et surtout les distributions de co-
mestibles. L'insurrection du 5i mai 1795,
la plus longue dont les annales révolution-
naires fassent mention , dura soixante-douze
heures par ces moyens.
Les frères et amis de 1820 se sont mon-
trés un peu novices dans la pratique ; ils

n'ont pas assez médité les belles et savantes


manœuvres de leurs pères : mais ce n'était

peut-être qu'une répétition comme on en


fait à l'Opéra avant de donner la pièce.
( >57)

CHAPITRE XXVIII.
Moyens anarchiques.

J-'E premier des moyens anarchiques à la

disposition de la secte, c'est la mauvaise foi;


le second, c'est d'ôter la liberté aux assem-
blées délibérantes par des manœuvres , des
vociférations; le troisième, ce sont les lettres
anonymes. On sait que ce dernier fut em-
ployé avec succès lors du procès de Louis XVI.
Plusieurs députés, intimidés par des lettres
anonymes oii on les menaçait du poignard,
eurent la faiblesse et la lâcheté de voter la
mort de ce prince.
Dans la langue de l'anarchie jacobine, les
magistrats qui remplissent leur devoir sont
des instrumens du despotisme ; les officiers

qui maintiennent la discipline , des traîtres ;

et les citoyens paisibles , des imbécilles.


Avec cette clef on peut traduire toute la
controverse du libéralisme.
(
-»58
)

Cest toujours la même ornière, suivie de-


puis trente ans. En 1792, les jacobins dé-
nonçaient les généraux récalcitrans et les

fonctionnaires courageux. Les armées franr


çaises entrent en Belgique; aussitôt les

frères et amis accourent saccager le pajs ;

leur avarice fait main basse sur les trésor?

des .châteaux et des églises ; les rôles se

partagent entre cinq à six vauriens; les uns


arrondissent leur fortune, les autres s'oc-
cupent d'improviser des clubs et de niveler
les têtes. Duniourier, qui était leur homme
trace ainsi leur portrait. — Danton, sans
éducation , hideux au moral et au physique.
— Lacroix, escroc , homme de plaisir, spa-
dassin sans principes. — Camus, dur, hau-
tain , maladroit, pédant. — Merlin de Douai,
atrabilaire, gâté par l'exagération. — Gos-
suin , homme violent, avec les idées les plus
absurdes. — Leur mission était de faire ren^
trer les contributions et d'approvisionner

l'armée ; ils s'occupèrent beaucoup des ap-


provisionnemens, c'est-à-dire qu'ils faisaient

des marchés ruineux pour l'état et lucratifs

pour eux. La Belgique fut ruinée en un


( '59 )

tour de main, et la France n'eut pas une


obole. Tout alla s'engloutir dans les coffres
des commissaires jacobins. — Ronsin, limier
de guillotine, un vicaire de Saint-Euslache,
apostat qui avait épousé la fille P...., et un
nommé Lelihvre, qui voulait déguiser ses
anciens exploits sous un nom barbare , gla-
naient dans ce pays de Cocagne, ramassaient
toutes les bribes, telles que meubles, linge,
marchandises, en chargeaient des voitures
et les envoyaient chez eux.
L'anarchie se mit dans l'armée, Dumou-
rier fut battu , la Belgique reprise par les
Autrichiens; il fallut envoyer deux cent
mille hommes se faire tuer à la frontière
mais les frères avaient des millions : ils

étaient dans l'opulence , ils n'avaient ni faim


ni soif, toute la France était ivre.
( i6o )

CHAPITRE XXIX.
Éloquence des jacobins.

JL'éloquekce des jacobins est âpre, dure,


basse , inculte , déréglée comme leurs
principes et leurs idées. Mais ce qui n'est
pas moins curieux, c'est qu'ils trahissent

leur secret à chaque ligne.


Lorsque Robespierre veut bien faire la

grâce à l'Etre-Suprême de le reconnaître, il

commence par faire le procès aux philo-


sophes encyclopédistes; et, dans un long
discours sur la situation de l'Europe , il dé-
voile le plan et la marche du jacobinisme
avec autant de vérité que de profondeur.
A cette époque, Robespierre avait déjà

laissé percer ses projets de domination; il

est difficile de dire jusqu'où il portait ses

vues; on lui en a prêté de fort étranges;

mais ce qui est certain , c'est qu'il était déjà

à
( '6' )

transfuge; que, maître de l'autorité, il son-


geait à rétrograder; et qu^aveuglé par son
ambition , il ne sut point se soustraire à la

rage et aux vengeances de la secte qu'il


allait trahir.

Ecoutons ces orateurs d'un genre nour


veau , dont la tête est un volcan , et la bouche
un cratère enflammé qui lance les matières

propres à embraser le globe.

Robespierre. — Rapport à la convention natio-

nale , mai 1 794*

« Tout a changé dans l'ordre physique


tout doit changer dans l'ordre moral et po-
litique. La moitié de la révolution du inonde
est déjà faite j Vautre moitié va s accomplir.

Les rois, qui font le destin de la terre, ne


<:raignent ni les grands géomètres , ni les
grands poètes, ni les grands peintres ; ce
qu'ils redoutent le plus, ce sont nos maximes.
« Le genre humain est dans un état vio-
lent ; la raison humaine marche contre les
trônes à pas lents, et par des routes détour-
nées 3 mais sûres. La royauté n'est plus dé-
1
( '62 )

fendue que par Vhahitude et la terreur, et


surtout par la ligue des riches.
« L'Europe est à genoux devant les ombres
des tyrans que nous punissons : elle ua se
lever. Les rois voudront sefaire sans-culottes y
et ne pourront pas même obtenir cet honneur.
«Nos sublimes voisins entretiennent gra-
vement l'univers de la santé d'un roi, de ses
divertissemens, de ses voyages ; ils veulent
apprendre à la postérité à quelle heure il a
dîné, à quel moment il est revenu de la

chasse, quelle est la terre heureuse qui a été


foulée par ses pieds augustes , quels sont
les esclaves privilégiés qui ont paru en sa
présence au lever ou au coucher Nous
lui apprendrons , nous, à quelle heure sa
télé est tombée, et quel jour a sonné le tré-

pas de ses satellites.

» Voyez combien d'art les rois et leurs

complices ont déployé pour obscurcir les

mystères de la politique et de la législa-

tion, afin d'être tyrans impunément et avec


bienséance ! avec quelle impudeur ils font
des lois contre le vol! On condamne en leur
nom des assassins , et ils assassinent des mil-

i
( '65)
lions d'hommes parla guerre Dans les

monarchies , les vertus domestiques ne sont


que des ridicules, et les vertus publiques des

crimes.
" Les hommes de lettres, renommés par
leur influence sur l'opinion , en ont eu dans
les affaires publiques. Les plus ambitieux
se sont coalisés contre le clergé , sous le
nom d' encyclopédistes ; mais cette secte
est toujours restée au-dessous <^e5 vrais prin-
cipes (i). Ses coryphées déclamaient contre
le despotisme , et ils étaient pensionnés par
les despotes .; ils faisaient des livres contre

la cour et les dédiaient bassement aux rois,


des discours pour les courtisans et des ma-
drigaux pour les courtisanes. Ils étaie?it

fiers dans leurs écrits et ranipans dans les


antichambres. Ils ont propagé Vopinion du

(i) C'est ici une vraie déclaration de guerre à la

littérature et aux arts , un acte d'insubordination et


d'hérésie jacobinique. Robespierre voulait se faire
grand-prêtre et prophète d'une nouvelle secte d'illu-
minés ; il faut se rappeler qu'Henriot , qui était
rO/rear de ce second Mahomet, avait proposé de
brûler le grand dépôt de la Bibliothèque royale.
( 1^4)
matérialisme ,
qui prévalut parmi les grands
et les beaux esprits; ils ont fait naître cette

philosophie pratique ,
qui réduit l'égoïsme
€71 système. »

Ce discours, dans la bouche de Robespierre,


est d'un grand poids pour juger les encyclo-
pédistes , les philosophes du dix-huitième
siècle et les illuminés en général ; ils ne
le récuseront pas, Robespierre deest sorti

leur école; et s'il n'est un de leurs disciples


les plus brillans , il est du moins un des plus
véridiques.

Fragmens d'un discours prononcé au temple de


la Raison par le jacobin Payan , agent natio-
nal de la cotnmune de Paris , le do germinal
an 2.

« Frères et amis ! chargé de vous parler


au nom de la Raison , dans le temple qui lui

est élevé, je ne vous offrirai point des phrases.


Le satellite d'un despote parlant à une mul-
titude d'esclaves, tâche de l'émouvoir pour
entraîner dans le cours impétueux de son
éloquence les suffrages des ignorans. Les
( 165 )

discours d'un homme libre doivent être


simples et sans apprêts.
w Rappelons -nous l'état affreux où les
despotes nous avaient réduits , pour ap-
prendre , s'il est possible, aies détester da-
vantage. Le brigandage était uni avec le
pouvoir; on voyait l'or et l'intrigue disposer
des places. Les despotes , endormis sur le
trône , laissaient gouverner leurs favoris.
Heureusement quelques frères, d'une main
hardie, dans le silence de la solitude (i),
sappent peu à peu les trônes. En vain les
rois , pour s'opposer à l'heureux développe-
ment de nos doctrines , appesantissent la
tjrannie et le poids des impôts ; le peuple
raisonne, les trônes s'écroulent.
» La religion naturelle tient un juste mi-
lieu entre la superstition et l'athéisme.
Elevons partout des temples à la Raison ,

mais pour y adorer la vérité. hommes !

pourquoi tant de peines, pour que l'on dise


de toi : « Voila un homme riche P » Ab jurons
(i) Nous rapportons textuellement ces fragmens,
c'est-à-dire avec les fautes de style, les répétitions
et les idiotismes dont ils se trouvent semé»
( 166 )

l'orgueilleuse cupidité , n'ambitionnons que


le titre de sans-culotte. »

Un décret de la convention avait chargé


le comité d'instruction publique de régulari-
ser ce nouveau culte; mais, ainsi qu'ils avaient
fait de la constitution de 1 793 improvisée par
Hérault de Sechelles, les jacobins le renfer-
mèrent dans l'arche sainte pour y substituer
l'athéisme et le régime de la terreur. Les
frères de la Raison n'en poursuivirent pas
moins la destruction des monumens de la

religion et de la royauté , ce qui donna lieu


à la dévastation du sol français ; au lieu de
chanter des noëls , on récitait les impréca-
tions de Chénier contre les rois , on suppri-
mait les saints f on adorait le chou , la carotte

et la. bettei-ai'e , qui avaient pris leur place


dans le calendrier.

On peut juger à quel point l'esprit public


était empoisonné par les adresses furibondes
des clubs et des autorités de ce temps-là.
Nous ne pouvons nous dispenser de rappor-
ter ces pièces curieuses et importantes dans
l'histoire du jacobinisme.
( i67 )

La société populaire de la section des gardes-


françaises à la Convention.

«Grâce à vous, rar}3re de la liberté prend


racine et s'élève au milieu des vents conjurés
pour l'abattre. Mais lorsque , placés au
centre de tous les mouvemens , vous dé-
ployez ces grandes mesures dont les effets ,

depuis quelques mois , étonnent et décon-


certent la ligue criminelle des tyrans (i)
,

les sociétés populaires, distribuées autour


de vous comme vos troupes légères
, secon-

dent vos grandes vues, et sont une barrière


inexpugnable contre vos ennemfs. »

Fragment d'un discours prononcé par Achard, à


la société populaire de Lyon, le i^ pluviôse
an 2.

« Citoyens frères et amis! dusse- je


périr sous le -fer assassin des bourreaux de
la vérité , je vous la dirai tout entière. Fuyez,

(i) Ces grandes mesures étaient les mitraillades


de Lyon, les noyades de Nantes et les exécutions de
Paris.
( i68 )

monstres ténébreux , loin du sanctuaire où


reposent les cendres de Marat de Chalier; ,

elles ont parlé à mon cœur. De votre front


ignominieux va couler cette sueur froide
qui naît de la honte et du remords, avec la-
quelle l'éponge du républicanisme lavera
votre visage encroûté de la crasse de V hypo-
crisie , de la perjidie et de la trahison. . . . ^i

Oui, tu as raison , me dira-t-on , il est vi-

sible que les brissotins, n'ayant pu réussir


à faire pendre les patriotes , répandent sur
eux, à grands flots, leur f.... poison, afin
de les faire guillotiner, pour aussitôt prendre
la place de votre sainte liberté . .

Ralliez-vous autour de la sainte montagne;


n'appréhendez ni le breuvage du poison
ni le fer de l'assassin; sachez vivre en bons
lurons ; armez -vous de la massue de la
raison et du canon de la vérité pour fou- ,

droyer les pjgmées de l'aristocratie


Vivent les montagnards vivent les faco- !

hins ! vivent les sans-culottes ! guerre aux


ijrans ! >»
( '69 )

L'orateur de la société populaire de Melun à Id

société des jacobins de Paris.

« Frères et amis! intrépides jacobins, pa-

triotesde 1789, vous avez arrêté que vous


n'accorderiez point votre affiliation aux nom-
breuses ^oc/e'/e^ , qui, depuis le 3i mai, ont
voulu se mettre sur la ligne des premières
sociétés. Il est impossible actuellement que,
dans quelque coin de la république que se
cache un homme, sa vie, ses actions, sa fi-
gure et SES PAROLES uc uous soicut connues.
Complices de Pitt , de Cobourg et des tyrans ^
seriez-vous les derniers monstres que nous
ayons à étouffer !....»

La société populaire de Chaumont,

Nous demandons que la tête des monstres


«

qui osent arrêter /a marche des idées tombe ,

sous le glaive de la loi. Nous offrons un


cas^alier jacobin , pour servir dans la cavalerie
révolutionnaire .
»

Au moment où Robespierre lut renversé,


il avait déjà substitué un ^^^mrernement
(
i7« )

occulte à celui de la secte; ses agens étaient


tous à leur poste , les uns dominaient à Paris,
les autres avaient les montagnes d^Auvergne,
les Pyrénées, les Alpes et la Méditerranée.
Saint-Just était le plénipotentiaire du Nord,
c'est lui qui veillait sur les armées ; Robes-
pierre jeune dirigeait le Midi, et le maître
régnait dans Paris , sur des monceaux de
cadavres. Henriot a^ait fait serment à la
tyrannie nouvelle ; il avait dit qu'il répondait
sur sa tête du succès d'un mouvement. Le
nouveau Catilina s'était cantonné au milieu
des jacobins, après les avoir épurés à sa
manière; la hideuse commune de Paris se
rangea sous ses drapeaux, et le pouvoir de
la secte fut un moment ébranlé.
C'est alors qu'il renverse Fouché du fau-
teuil des jacobins, qu'il l'attaque corps à
corps, et qu'il le foudroie du haut de cette
tribune qui doit être bientôt pour lui-même
la roche Tarpéienne.
et Craint-il les veux et les oreilles du
peuple ? s'écrie Robespierre ; craint-il que
sa triste figure ne représente visiblement le

crime ? que six mille regards fixés sur lui


( '7> )

ne découvrent dans ses yeux son ame toute


entière et qu'en dépit de la nature qui les
,

a cachés, on y lise ses pensées? » Robes-


pierre déclare ensuite que Fouché est un
imposteur vil et méprisable ; il demande si

la vertu sera sacrifiée à la bassesse , et la

liberté à des hommes dont les mains sont


pleines de rapines et de crimes. Ceci nous
révèle deux choses; l'une que les frères et

amis se rendent parfaitement justice entre


eux , l'autre que Robespierre avait pénétré
dans les replis tortueux de l'ame de Fouché,
et deviné l'horreur des ténèbres.
Les initiés ne veulent pas prendre à leur
compte une partie des crimes de Robes-
pierre, et cependant ils Font surpassé, ils

s'en sont déclarés les soutiens; ils ne veu-


lent pas qu'on les aperçoive dans la fange
et ils y sont plongés î

On n'est pas étonné sans doute qu'un


siècle produise un tyran, tel que Callgula ,

tel que Robespierre ,


qu'il produise à coté
d'eux des phénomènes monstrueux, tels que
Carrier et Lehon, mais qu'à la fois, et comme
d'un goufre, il fasse sortir de la terre tant
( 172 )

de monstres, tant cl'instrumens de leurs cou-


pables desseins c'est ce qui ne peut s'ex-
,

pliquer que par la profonde corruption de


toutun peuple. Quel g-énie malfaisant dé-
ploya donc ses ailes sur cette malheureuse
France! quel démon y a vomi le crime.'
quel monstre y promena la dévastation et
la mort ! Illuminés, jacobins, votre nom est
prononcé, tout vous accuse ; la terre semble
revomir les cadavres ; les morts se dressent
sur leurs tombeaux ; la solitude même des
carrières creusées pour recevoir les osse-

mens des victimes (i) ; la chaux que votre


barbare prévoyance versait pour les con-
sumer, sont autant de monumens de votre
puissance.
Qui a chang-é en Hots de sang- les eaux
des fleuves I Qui a rougi l'herbe de ces val-
lons ! — Climats fortunés, nature autrefois
si riante ,
qui vous a voilé d'un crêpe fu-
nèbre ! Quels sombres gémissemens s'éle-

vèrent de cette terre aride et privée de vie !

comment la joie des troubadours s'est -elle

(i) Les catacombes de Mont-Rouge.


( 170 )

changée en vapeurs de sangî Oses-tu le


demander? c'est à la justice , à T humanité y
a la philanthropie des empiriques révolu-
tionnaires que nous devons ces ruines ; ne
recule point d'horreur, ose les contempler,
l'avenir l'ordonne ; la leçon sortira des
tombeaux.
( 174 )

CHAPITRE XXX.
Analyse de la correspondance des frères.

J-JA correspondance épistolaire des jaco-


bins n'est pas la partie la moins curieuse
de leur histoire ; c'est là qu'ils déposenttoute
pudeur , c'est là qu'on voit la secte en robe
de chambre. Nous regrettons que les bornes
de cet ouvrage ne nous permettent de la
rapporter que par extrait; mais, obligés de
faire un choix , nous nous bornons à saisir

les traits les plus saillans pour initier le lec-

teur aux mystères de cet antre de Caciis


pour lui peindre des tigres décorés du titre

de commissaires et de représentans , ap-


pelant tous les fléaux sur le plus beau pays
de FEurope.
( '73)

J. P. Barras , au montagnard incorruptible


Maxiinilien Robespierre (i).

« Toi qui éclaires l'univers par tes écrits ,

saisis d'eiFroi les tyrans , et rassure le cœur


de tous les peuples. Tu remplis le monde de
ta renommée. Tes principes sont ceux de la

nature; ton langage, celui de Vhumanité. Tu


régénères ici bas le genre humain ^ tu ap-
prends à la France jadis sifière
,
et si hau-
taine , à adorer l'égalité. »

A Maximilien Robespierre (2)

Vesoul , le ...

« Représentant! vous respirez encore, pour


le bonheur de votre pays, en dépit des scé-

(i) Nous ne rapportons qu'un petit nombre de


pièces choisies entre les flagorneries adressées par les
jacobins à Robespierre dans le temps de sa puissance;

mais elles ne sont comparables qu'à la bassesse qu'ils


ont montrée devant Napoléon , et démontrent que les

frères ne sont point novices dans le métier de cour-


tisan.

(2) Cette lettre paraît écrite peu de jours après


( 176 )

lérats qui avaient juré votre perte. Grâces


immortelles soient rendues à VÉtre-Su-
prême , qui veille sur vos jours ; il sait qu'ils

sont précieux à la patrie. «

Autre à Robespierre.

« Digne représentant ! quels travaux im-


menses ! quelle marche rapide vers l'immor-
talité\.... L'histoire ne peindra jamais assez
parfaitement tant de vertus , de talens et de
courage.
«t Je rends grâce à \ Etre-Suprême , il a
veUlé sur tes jours (i). »

Extrait d'un mémoire adressé à Robespierre.

« Robespierre ! républicain vertueux et


intègre! ferme appui et colonne inébran-

l'arrestatîon de la fille Regnault, qui avait tenté


d'assassiner Robespierre.
(i) Robespierre, dans les derniers temps de sa
yie, se faisait escorter de trois ou quatre de ses séides,

tels queGarnierç, Delaunay, Didier, Girard, Chatelet


et Nicolas , qui étaient ses gard^s-du-corps.
( »77 ) -

lable de la république une et indivisible ^


permets aujourd'hui qu'un vrai citoyen ^ pé-
nétré de tes SUBLIMES principes, et rempli
de la lecture de tes illustres écrits, où
la mo-
respirent le patriotisme le plus pur^
rale LA PLUS PROFONDE , vicnnC à TON TRI-
BUNAL réclamer la justice qui fut toujours
la vertu de ton ame^ etc., etc. »

(L'auteur réclame ensuite contre sa desti-


tution -ÇOMT incapacité f attendu, dit-il, que,
pour exercer des fonctions publiques, il ne
faut être ni un Voltaire y ni un Rousseau y
ni un Robespierre. Il termine par demander
sa réintégration au nom de /'Etre-Suprême.)

Autre écrit.

" L'inappréciable réputation que vous


vous êtes faite par vos actions et par vos éci^its
d'un vrai Français qui réunit en lui l'éner-
gie d'un ancien Spartiate ou d'un ancien
Romain, etTéloquence^'w^ Athénien, d'un
ennemi déclaré du despotisme, d'apôtre de
la liberté, enfin d'homme éminemment sen-
sible, HUMAIN et bienfaisant, réputation
12
( '78 )

sur laquelle vos ennemis k'élèyent même


PAS LE PLUS PETIT DOUTE, m'encouragc à vous
demander UH moment d'entretien, etc., etc.»

-
Autre.

« La nature vient de me donner un lîis;


j'ai osé le charger du poids de ton inom;
puisse-t-il être aussi utile, aussi cher à sa

patrie que toi ! «

Le citoyen /..... à Robesp îerre.

« Depuis la révolution , tu es un des


hommes que j'ai le plus estimés, et ?non

apôtre. Juge du plaisir dont je viens de jouir,


lorsque des personnes m'ont assuré que la
ressemblance entre nous deux était frap-
pante, jusqu'à me dire : « Tu veux voir

Robespierre; regarde-toi dans ce miroir (i). »

Je rougis de ne ressembler que par le phy-


sique au régénérateur et bienjaileur du
monde j mais si la nature m'a refusé ton

(i) Il imiterait volontiers oc courtisan qui se fit

crever un œil, parce que son empereur était borgne.


( 179 )

génie, tes talens, tes vertus sublimes , j'ai

senti toujours la dignilé mon être. »


de
« Adieu, Robespierre; adieu, mon frère.»

Autre,

" L'estime que j'avais pour toi dès l'as-

semblée constituante , me fit te placer au


CIEL A CÔTÉ d' ANDROMÈDE, dans un projct
de monument sidéral que je proposai pour
immortaliser notre révolution (i). «

Bouchotte , ministre de la guerre , à Barrère,

" L'esprit des armées s'améliore :

après le 5i mai , le comité manifesta Tinten-


tion d'envoyer des papiers publics aux ar-
mées ; des fonds furent mis à la disposition
du conseil. La feuille du Père Duchône (2),
le Journal des Hommes lihre.s (5) , le Jour-
nal universel (4), et plusieurs autres furent

(i) Ainsi parlait le yil Anicius,qui proposait, chez


les Romains, d'élever un temple à Néron.
(2) Par Hébert.
(3) ParPoultier.

(4) Par Gorsas.


12*
( '«0 )

expédiés gratis. Le but était d'empêchel' les


soldats de s'engouer de leurs généraux et
de présenter les aristocrates sous des cou-
leurs odieuses. »

G. à Daubtgnj (i).

« J'aurais bien besoin à Paris ; on ne


^eut être plus malheureux, mais je m'en
f... pourvu qu'on triomphe Saint-Just a
tout và'i/îé en Alsace , et porté de vigoureux
coups à la stupidité allemande. Il nous aiTive
de tous côtés des colonnes à'apotres révolu-
tionnaires , de solides sans-culottes Sainte .

GUILLOTINE EST DANS LA PLUS BRILLANTE


ACTIVITÉ, et la BIENFAISANTE Ti:nREUR pro-
duit ici, d'une manière miraculeuse, ce qu'on
ne devait espérer d'un siècle au moins par
la raison et la philosophie. Quel maître b
que ce garçon-là (Saint-Just)! La col-

(i) Adjoint au ministère de la guerre , sous Bou-


chotte; démagogue devenu membre du tribunal ins-
titué le loaoût, et destiné à immoler les vaincus
après les atrocités des 2 et 7> septembre ; signalé

comme un des auteurs du vol du Garde-Meuble.


( '8> )

lection de ses arrêtés sera sans, contredit


¥N DES PLUS BEAUX MONUMENS HISTOJRIQUES
DE LA KÉvoLUTioN (jj Au premier
(l) A la tête (le ces beaux monumens est l'organî-
Sfttion (le Varmée rèpolutionnaiT-e ^
qu'un nommé
Schneider^ prêtre apostat, traînait à sa suite dans les ,

campagnes de l'Alsace , faisant tomber les têtes dans


les villages où il passait. Etant arrivé, dans le cours
de ses tournées, au village (!CEpsig,^ il se présente
chez le sieur Ruhn , juge de paix, qu'il trouve à table.
On l'invite à diner; les convives tremblans s'em-
pressent de lui céder la place d'honneur, et bientôt
toute la rnaison est occupée à le servir. Il paraissait
s'égayer au milieu des bouteilles et de la bonne
chère, lorsque, tout-t\-coup , adressant la parole au
maître de la maison , il lui demanda s'il avait encore
beaucoup de vin pareil. Kuhn répondit qu'il en avait
quelques bouteilles à son service. « Eh bien, reprit le
tigre , hâte-toi d'en faire servir encore une^ car dans
trois quarts-d'heure tu n'existeras plus. » En effet

il fit entrer la guillotine dans la cour même de son


hôte, et lui fit trancher la tête devant sa femme, ses
enfans , ses amis et ses domestiques éplorés. Schnei-
der, le bras droit de Saint-Just , et V Attila de ces
contrées, faisait préparer à Strasbourg des noyades
semblables à celles de Nantes; il obligea deux cent
mille cultivateurs alsaciens à fuir de l'autre côté du
Rhin et à mendier leur pain pour sauver leur vie.
( l82 ) '

moment de libre, je m'occuperai de quelques


individus qui se sont conduits ici comme des
imbéciles; je les dénoncerixi aux jacobins
Le moment de la justice terrible est arrivé

et toutes les têtes doivent passer sous le


ZÎIVEAU NATIONAL. »

Couthon à Saint-Just.

Commune-Affranchie (Lyon) , 20 octobre.

« Je vis dans un pays qui ne se doutait,


pour ainsi dire , pas de la révolution . Nous
avons demandé une colonie de jacobins,
dont les aux nôtres donne-
efforts réunis
ront au peuple de Commune-Affranchie une
ÉDUCATION NOUVELLE Le froid augmente
mes douleurs /'aurais envie d'aller respirer
;

l'air du midi, peut-être rendrais - Je


QUELQUE SERVICE A TouLON, fais-moi don-
ner l'ordre d'y aller,, et aussitôt le général
ingambe (i) se met en route, et l'enfer s'en

(i) Couthon était paralytique, contrefait et boi-


teux; le plus sanguinaire des montagnards , il s'était

montré jusqu'à la révolution le plus dou.\ des hommes.


( i85 )

mêlera, ou bien le système de vive force aura


lieu à Toulon comme il a eu lieu à Lyon.
'c Adieu, mon ami, eml>rasse Robespierre,
Hérault, et nos autres bons amis pour moi;
Toulon buulé (car il faut absolument que
cette ville disparaisse), je reviens auprès de
vous , et j'y prends racine. »

Dartlié à Lebas ( i )

Cambray 3o , floréal nu 2.

...... Bonne nouvelle le comité a dit à


!

Lebon qu'il espérait que nous irions de mieu j^


en mieux. Robespierre voudrait que chacun
de nous pût former seul un tribunal, et em-
poigner chacun une ville de la frontière.
L'esprit public est ici monté au plus haut
degré, le tribunal ne peut plus y suffire;

nous frappons à coup silr Il a fallu

donner quelques coups de fouet, et mettre le


feu sous le ventre à nos sans-culottes. »

(1) Ce Darlhé, co-accusé de Babœuf, était ne à


Saini-Pol, en Artois; c'était l'un des sicaires de Joseph
Lebon.
( i84 )

Buissart à CoUot-d'Herbols.

«*
Nous mourrons de faim au
milieu de l'abondance Je crois qu'il

faut tuer Yaristocratie mercantille comme on


a tué celle des nobles et des prêtres. Les
communes, à la faveur d'un comité de sub-
sistances et de marchandises , doivent seules
ÊTRE admises A FAIRE LE COMMERCE ( I ) . Cette
idée, bien développée, peut se réaliser, et
tournerait à Vavantage des sans-culottes. »

[Robespierre à Compère.

>» Il faut veiller sévèrement à substituer


aux qualités de négociant y manufacturier
artiste , honnêtes gens , etc. le nom vraiment
indépendant de sans-culotte ,
qui , n'atta-
chant à rien, dispose à tout tenter ^ à tout
entreprendre sans craindre et sans rougir.
amener la nation à se faire un
Il faut titre

d^honneur une sûreté de ce nom. »


,

(i) Voilà le régime des municipes bien caractérisée


( '83 )

CoUot-(VHcrbois à Robespierre.

Commune-Affranchie 3 frimaire an _,
2,

« Je ne crois pas avoir fléchi, quoique


souvent ma santé et mes forces m'aient
trahi. J'ai marché a grands pas vei's les Tiie-

sures MÉDITÉES Z^rt;2/zee révolutionnaire


arrive enfin après-demain , et je pourrai
remplir de plus grandes choses. Il faut
déporter et disperser cent mille individus
travaillant aux fabriques (i), et bien élo-
gnés de la dignité et de l'énergie qu'ils

doivent avoir. En les disséminant parmi les

hommes libres, ils en prendront les senti-

mens; tu as trop de philosophie pour que


cette idée t'échappe. J'ai beaucoup à me
louer de nos jacobins ,
j'aurais désiré aussi

quelques autres frères pour les administra-

tions et les bureaux Si Monlaut (2) ne

(1) Voilà comme ils entendent protéger le com-

merce ! Mais à quoi bon le commerce pour une na-


tion que l'on veut ramener à l'état sauvage ? Il
y
avait alors dans Lyon quatre mille familles sous le
séquestre, et des gardiens qui dilapidaient leur for-
tune, d'accord avec les jacobins commissaires.
(2) Convenlionncl montagnard, l'un des auteurs
( 186 )

part pas, fais-en partir un autre. Ecris-nous


aussi j une lettre de toi fera grand eiFet sur

tous nos jacobins La population actuelle


de Lyon est de cent trente mille âmes au
moins; il n'y a pas de subsistances pour trois
jours, je le répèle, il faut en expédier au
moins soixaîvTe mille. On pourrait les ré-
pandre avec précaution sur la surface de la
république ; cependant les générations qui
en proviendraient ne seraient jamais entiè-
rement pures... Hier un spectateur, revenant
d'une exécution , disait : « Cela n est pas
trop dur ; que ferai-je pour être guillotiné F
insulter les représentans ! » Juge combien
de telles dispositions sont dangereuses voilà ;

l'état des choses »

Tandis que CoUot, Carrier, Saint'Just et


Lebon , traitent en grand le système de dé-
population , Robespierre se fait remettre le
tableau de tous les individus qui ont plus de
trente francs de revenus , en sorte qu'il est

aisé de pressentir ce qu'on voulait faire des

de l'insurreclion jacobine du 12 germinal an S, contre


la convention,"
( '8/ )

autres (i). Un nommé Laporte nous révèle


les opérations financières.

Lapone à Couthon.
Commune- AfTiancliie , i5 germinal an 2.

« Il s'est commis ici d'horribles dilapi-


dations; les frères ont apposé les scellés,
ils ont les clefs des magasins et maisons sé-
questrées, ils ont mis dans ces maisons et
magasins des gardiateurs à leur dévotion ,

sans avoir fait d'inventaires; ils ont chassé


de leur domicile femmes, enfans et domes-
tiques ,
pour n'avoir pas de témoins cela ;

du bruit
fait , il faudrait aller plus douce-
ment, je te le dis en confidence Ils
forcent les serrures et pillent sous les jeux
du peuple ; ce n'est pas cela : un nommé
Castaing, que tu connais , s'est installé dans
la maison d'un millionnaire séquestré , il
y
fait des orgies avec des filles ; il faudrait le
rappeler à l'ordre , sans quoi // i>a gâter nos

(1) Pout-Ctre voulait-il réaliser le conte de Vol-


taire intitulé : l'Homme aux quarante écus.
( iS8 )

affcùies ; noire caractère s'avilira , et c€î


avilissement détruira tout. »

Julien à Robespierre (i).

Le Havre 2 1 septembre.
,

» ... . . Nous avons eu un banquet civique (2)


J'ai saisi ce momentpourélectriserlepeuple,
et fai fait arrêter par la société une réu-
nion , dans la ville du Havre , Je députés
DE DIFFÉRENTES SOCIÉTÉS POPULAIRES, pa-
reille à celle qui vient d'avoir lieu à Va-
lence Tout va bien icij on ne songe
qu'à former des clubs.... L'esprit public est
au point où je le désirais. »

tf.
P S. Je vous prie , mon bon ami de ,

vouloir me faire renouveler mon certificat


DE jacobin, et me l'envoyer, car je n'ai

(1) Cette pièce est intéressante pour faire con-


naître comment les illominés s'y prenaient pour
multiplier les sociétés populaires , les réunir et se
servir d'elles comme d'un levier puissant. On y
voit aussi que le diplôme de jacobin était une espécô
d' AMULETTE, dont les initiés étaient jaloux, et qui

frappait de prestiges ceux qui ne l'étaient pas.

(2) Usage maçonique.


( >89 )

ît|ti*un vieux diplôme , et il me sera utile ,

POUR OBTENIR, DANS MA MISSION l'eNTIÈRË ,

CONFIANCE DES PATRIOTES, de pouvoir leur


justifier de mon titre de jacobin de Paris...
Je m'adresse à vous pour cela , parce que,
n'étant pas connu à la société , on ferait

peut-être des difficultés de m'accorder mon


diplôme , si vous ne le réclamez vous-
ïuéme. »

Le même au même.
Saint-Malo , i.er octobre I793.

« J'ai déterminé les sociétés populaires de


Cherbourg et de Coutances à envoyer cha-
cune six commissaires dans cette pour
ville

y rallier les sans-culottes et fonder un bon.


club populaire , qui purge l'enceinte qu'a-
vaient souillée les muscadins et cârabots . J'ai
déterminé aussi ces deux sociétés à dissé-
itiimer des jreres dans les campagnes pour
«tablir de tous côtés des sociétés populaires . .,

La société de Coutances est composée de


vrais jacobins. »
( ï9^ )

Julien fds à Saint-Just.

Bordeaux 25 , prairial an 2.

«.* Bordeaux est un fojer de inégo-


ciAWTisME et d'égoïsme. Là où il y avait
beaucoup de gros commercans, il y avait
beaucoup de fripons, et la liberté n'y pou-
vait guère établir son empire , doîit la vertu

est la base. Là où il y avait beaucoup de


fiches , le pauvre était pressuré par eux.. = .

Bordeaux s'épure et se régénère. »

Agricole Moureau à Payan.


Avignon , 21 prairial an 2.

<c Le peuple est aux procipes , et je ferai

mes efforts pour qu'il ne s'en écarte pas

La visite domiciliaire qui a eu lieu ces jours


derniers a produit une arrestation de cinq
cents personnes. Maignet a ordonné au co-
mité de surveillance de faire la triaille ,

et il s'est réservé de statuer définitivement. »

Payan à Roman Fonrosa.


( Sans date. )

» Il n'y a pas de milieu ^ il faut être tola-


( ^91 )

iement révolutionnaire ou renoncera j, la re-


génératioji. Les demi-mesures ne sont que
des paillatifs Tu as une grande mission
à remplir j oublie que la nature te fit
HOMME SENSIBLE, L'hUMANITÉ INDIVI-
DUELLE EST UN CRIME (i) Si tu n'as

pas la force et la fermeté nécessaires pour


FRAPPER, la nature ne t'a pas destiné à être
LIBRE. »

Les agens de la secte ne bornaient point


leur amour pour la montagne à placer au
pied d'un mont allégorique l'instrument de
la mort ; dans leur fanatisme , ils immolaient
des hommes à cette montagne comjne au- ^

trefois les Hébreux coupables immolaient


leurs fils et leurs filles aux démons. Voici
une lettre qui le prouve.

Parreln , général et président de la commission


révolutionnaire de Lyon a Pajan. ,

22 germinal an 2,

M P S. Je tenvoie , mon ami deux , ju-


gemens qui te prouveront combien notre

(1) Voilù bien la morale deô Sand et des Lowel!


( 192 )

tribunal est l'ami de la montagne et Ven-


nemi des rois, puisque l'on punit de mort
un homme qui avait osé calomnier la mon-
tagne La guillotine est placée devant
une montagne on ; dirait que toutes les têtes

lui rendent , en tombant, l'hommage qu'elle


mérite ; allégorie précieuse pour de vivais

Jrères et amis...,. Demain on en annonce


sept ou huit, et après-demain relâche
AU THÉÂTRE. "
Nous ne pouvons mieux terminer ce cha-
pitre, que par les notes originales de Ro-
bespierre, sur les jacobins les plus fameux ,

ses contemporains. Ces notes furent trou-


vées dans ses papiers après sa mort.
» Ayant des talens plus ou moins. » ( Suit

une liste de deux ou trois personnes, entre


remarque Cojflnhal, Lalande^
lesquelles on
Pajan, Julien, Lacoste, Reverchon, etc.)

Autre liste.

Hermann. Homme adroit , capable des premiers


emplois.
Dumas. Énergique , fonctions importantes,
Caufipion. Pur, bon pour V administration.
( 193 )
Faare. — Du caractère et de l'aptitude.
Merlin de Douai. Homme subtil , sans énergie;
à surveiller.

Juge. Excellent ; bon missionnaire.


Jaubert. Ferme, et de ^'aptitude.
Meilleret. Bon.
Viot. Pur et ferme.
Fouquier-Thinville. Bon à tout ; précieux au tri-
bunal.
Benêt-d'Orang-e. — Homme sur lequel on peut
compter.

Barras. Débauché, ex-noble, sans fortune , pré-


cieux pour un coup de main.
Camille-Desmoulins. — Pauvre homme,
Collot. Bon à surveiller,

Couthon. Faible , docile , facile à diriger,


Fabre-d'Eglantine. —Fripon avide.
Billaud. A surveiller de très-'près.
Philipeaus. — Commère.
Carrier. Actif, mauvaise tête , dévoué.
Fouché. Scélérat profond ;
à surveiller.
Barrère. Machine ; bon à faire mousser des rap-
ports.

Danton. Homme dangereux


Hébert. A surveiller.
Clootz. Fort dangereux.
Chaumette. A surveiller,
Hérault. — Beaucoup (/'aptitude,
( >s\ )

Saint-Jusl. — Grands talens, pur, dévoué.


Lebas. Idem.
Henriot. — Bon général pour les sans - culottes cJ

Paris ; tres-docUe.
Lebon. Homme intelligent.

Tallicn. Jaloux envieux; à


, surveiller.

Legendre. — Dangereux^
Carnot. — A conserver et à surveiller.
Cambon. Rêveur, financier; à éloigner.
Merlin de Thionviîle. — Pillard, sans caractère,
Rewbel. — 3on pour les missions , avide.

Pache. — Inepte.
Santerre," A éloigner.
Sieyès. -A surveiller, poltron, fin et rusé.

David. Bon, dévoué (i).

Louvet. — Dangereux.

Robespierre n'avait point élevé seul ce

1[i) Peintre célèbre, surnommé la grosse joue , parce


qu'en effet il a une joue plus grosse qiie l'autre. Lié
intimement avec Robespierre, et membre du comité
de sûreté générale, il prit part à tous les actes ultrà-

révolutionnaires delà convention, €t siégea toujours


au plus haut de la montagne. II présida successive-
ment la convention et les Jacobins. Au moment de la

chute de Robespierre, il lui dit : « Si tu bois la ciguë.

Je la boirai avec toi^->^ et, par une espèce de miracle^


îlne partagea point le sort de son patron.
(195)
coiosse àe puissance ; sa réputation ne fut
qu'une réputation d'emprunt; il fut long-
temps l'homme de paille , le mannequin de
la secte des illuminés , mais bientôt il voulut
écraser ceux qui l'avaient mis en avant (et
peu s'en est fallu ) ; alors il tomba sous leurs
coups. Les jacobins ne l'ont point renversé
en haine de sa tjrannie, mais pour en hé-
riter , pour se partager l'initiative du crime.
Cependant, que dire de l'absurdité de Vil-

lumiiiisme ,
qui , maître absolu d'un vaste
empire , fait jouer la hache pour en sapper
toutes les bases, et, comme un nouveau Sam-
son, reste enseveli sous les ruines ? Les me-
neurs sont dans une révolution perpétuelle
contre eux-mêmes, et ne cherchent seule-
ment pas à s'établir d'une manière durable.
Leur gouvernement le plus étrange et le ,

plus contradictoire qui ait jamais étonné les


hommes , ne ressemble en rien à ce qu'on
a vu. Ce Robespierre, qui, le premier, osa
dire : « Périsse V univers ^ pluiôt qu un prin-
cipe , » prononce l'arrêt de sa propre con-
damnation; son affreuse doctrine n'est que
trop avidement recueillie par ses nombreux
i3*
sectaires. Les principes , le poignard et le

sophisme , voilà les armes léguées à ses hé-


ritiers, les moyens par lesquels ils s'efforceni

de ressaisir la domination. ]Sos jacobins , dé-


guisés ea libéraux , seront peut-être forcés
d'anéantir douze ou quinze millions de Fran-
çais , mais les pj^incipes triompheront après
cette transpiration révolutionnaire. Bien et
dîiment sans-culottisés , on nous donnera
à chacun une bêche et quelques terres in-
cultes à défricher. Nos étourdis du jour , à
peine échappés de la poussière de l'école ,

tout gonflés de leur petite érudition , de-


viendront des hommes à principes de petits ,

Saint-Just (i). Ils auront lu, dans un grand


homme , qu'ils n'entendent point qu'un
peuple s'est laissé corrompre par le luxe,
enfant des arts et du commerce ; ils auront
lu , dans un autre, qu'ils comprennent aussi
peu , qu'un petit peuple de la Grèce n'a eu
besoin que de/?«/>^ et de fer pour exister 5

maladroits copistes, ils nous donneront le

(2) Saint-Just n'avait que vingt-six ans lors-


qu'avec la guillotine il força trois cent mille individus

à fuir de l'Alsace.
i H)7 )

maximum et la loiagraire; ilsnous dirontrlans


leur atroce folie : « Ce n'est pas le boiilienr
de Pej'sépolis que nous vous avons promis,
c'est celui de Sparte. » Sans avoir conquis

la Perse , l'Egypte et la Lyhie , nouveaux


les

Omar feront des Français du dix-neuvième


siècle un peuple de barbares, réduit à la
lecture des droits de l'homme, comme au-
trefois les Sarrasins à c^lle du Kora?i.
( 198 )

CHAPITRE XXXI.
Tribunaux et comités révolutionnaires.

JjE pouvoir de la secte pesait violemment


sur toute la France , mais plus particuliè-
rement encore sur ce tribunal odieux et
sanguinaire, créé dans Paris pour envoyer
les citoyens à la mort avec une apparence
juridique. PrDsque toujours les mandats
d'arrêt sont sans motif et sans date on ,

substitue le père au fils, on change un


nom pour un au ire ; l'énoncé de condam-
nation n'est qu'une formule banale et dé-
risoire ; en un mot, il n'existe, entre les vic-

times encombrées dans les charrettes, aucun


rapport de localité d'opinion, de naissance,
,

de profession. Danton est à côté de Malhes-


herbes, etChaumette de Lavoisier.
Les jurés, les juges de l'afFreux tribunal,
ces rosecroix nouveaux, mettent à exécution
les sentences des jacobins, comme autrefois
(^99)
les saints - juges du tribunal secrel ; ils re-
nouvellent le livre de sang, sous le nom
Justice nationale . Jamais Vinquisition ni le
fameux conseil des dix n'égalèrent en
cruauté le tribunal révolutionnaire.

On sait qu'une commission occulte, com-


posée de gens sûrs et affidés ,
préparait les
listes remises è Fouquier-Thin ville. Cette
commission, composée de sept initiés (i),

siégeait mystérieusement au Muséum j c'est

là qu'on reçoit les délations des comités ré-


volutionnaires et qu'on dresse les listes de
mort dans le silence des nuits (2).
Cette hécatombe d'aristocrates causait à
tous les frères une joie indicibls quelques :

casuistes blâmaient lesfoi'mes; leurs raisons


principales étaient que ces violences jont la
honte àe \di philanthropie , de la tolérance
et de riiumanité ; mais ces argumens pa-
raissaient bien faibles. Va noble un prêtre,
,

(i) Ce nombre de sept n'est point indifférent; il

fait partie des formules et des signes symboliques de


ïa franc-mafonncrie.
(2) Les conseils se tenaient aussi chez Robespierre^
et au Soleit-d'Or, place de la Bastille.
( 200 )

un riche, ne sont pas desliommes, disait-on ;

d'ailleurs ils pourraient gâter les sans-cu-

lottes ; or , selon ce que dit saint Paul :

« Quelle communication peut- il y avoir


entre la justice et l'iniquité , entre la lumière
et les ténèbres, entre Jésus-Christ et Dé-
liai? »
« Quant à la^confiscation de leurs biens ,

rien de ^^lus juste, parce qu'ils les avaient


mal acquis , et que les sans-culottes ne
faisaient que reprendre ce qui leur ap-
partenait. »
L'établissement du tribunal révolution-
naire fut donc une source féconde de biens
pour la secte : dans le court espace d'une
année, elle fit guillotiner dix, quinze ou
vingt mille aristocrates obstinés , et con-
damner deux cent mille par contumace ;

d'où l'on [peut [conjecturer les [richesses


tombées entre ses mains , [puisqu'en^si peu
de temps elle avait fait de si grandes choses.
Il n'est pas un de ces bons sans-culottes qui
n'ait hérité au moins du château de quelque
condamné; car, tout en déclamant contreles
riches ; ils s'emparaient de leur bien. Ce
( 201 )

serait une chose curieuse que le tableau


progressif de la fortune des familles con-
ventionnelles , depuis 1789 jusqu'à nos
jours. Tel était couvert de haillons , qui
est aujourd'hui opulent et millionnaire. On
est convenu d'appeler cela les intérêts mo-
raux de la vés^olution. La langue s'enrichit
tous les jours.
Il n'y a rien de caché qui ne se découvre :

malgré les innombrables soustractions de


pièces et de papiers exécutées par les^/'ère-ç
depuis le neuf thermidor , on est parvenu à
recueillir quelques notices propres à jeter
du jour sur leurs mystères d'iniquité. Les
proscriptions et les assassinats juridiques de
Paris étaient comme le dernier anneau de la
chaîne qui devait propager Villuminisme , et
lui servir de conducteur aussi bien qu'à la
foudre. Lisons ce qui est échappé à l'un des
principaux initiés.
( 202 )

MOYENS POUR ÉCARTER CEUX QUI POURRAIENT


ÉCLAIRER LE PEUPLE.

— » Jeter dans les fers les talens , l'esprit,

la vertu, la science, les richesses. — Inspirer


la terreur à tous , de manière que ceux qui
ne seront pas incarcérés n'osent parler de
peur de l'être. —
Pour organiser cette ter-
reur, faire sortir de terre des guillotines,
semer partout des tribunaux composés de
gens sûrs , enchaîner la presse et la plume
des journalistes contraires au système.
Diriger Fopinion par les sociétés populaires
affiliées a une secte.— J^Q^s agens, des espions,
des «mw, des moules a -places — Dé- , etc.

truire les villes trop puissantes. — Ruiner le

commerce pour s'en rendre maître. — Sé-


duire les âmes faibles par quelques grands
mots , tels que V Etre-Suprême et l'immor-
talité DE l'ame. — Se servir de phrases
bien ampoulées ,
pour couvrir les grands
crimes. — Feindre d'éclairer le peuple et le

tenir dans l'ignorance , en lui inculquant des


idées fausses. — Préparer un système d'ins-
truction dans ce sens »
( 205 )

L'illuminisme est, comme on le voit, une


invention admirable , et le tribunal révolu-
tionnaire une institution tout-à-fait libérale
et plùlanthropique . D'après cette saintedoc-
trine on vous affuble du san-henilo révolu-
,

tionnaire, on vous prive de tous biens immeu-


bles et on vous guillotine votre dépouille ne
j

s'appelle plus vol et confiscation, on lui donne


unnomplusiionnête; l'exécuteur ne s'appelle
pins bourreau, , mais grand monnojeur de la
république municipe. On trouve des artistes
assez dégradés pour buriner sur l'agate le
signe du supplice , et des hommes assez fé-
roces pour acquérir de tels bijoux (i). Il
y
a dans tout cela quelque chose de surnaturel;
car il est incompréhensible que les hommes
aient souffert ce joug patiemment.
Si les plans de la secte avaient pu atteindre
leur perfection , il serait tombé cinq cents
têtes par jour dans Paris seulement; chaque
place de la capitale aurait eu sa guillotine

(i) Diifraisse , Gâteau , Lavallelte (mort en 1803),


et quelques autres, avaient ^lour cachet une guillo-
tine, dont rempreinte est encore sur la cire qui scel-
lait leurs ordres sanguinaires.
( 2o4 )

comme elle a son marché. Fouquier-Thin-


ville était chargé de rédiger un projet,
mais les événemens de thermidor ne l'ont
pas permis.
Tandis que la secte proclame une guerre
d'extermination envers tous les peuples, amis
de l'ordre ,
qu'elle fête les anniversaires
du 10 août et du 21 janvier, qu'elle épure
le peuple français et le livre comme un vil

bétail au boucher qui le conduit à la mort,


douze jacobins, altérés de sang et décorés du
litre àe jurés , mettent les lêtes au wflx///zz^/« ;

sans rien savoir, ils se déclarent assez ins^


iruits; on n'entend point les victimes, on pose
les questions de forme; quiconque réclame,
est hors la loi , c'esl-à-dire condamné.
Les Phalaris et les Busiris étaient auprès
de ces gens-là les plusdoux des hommes.
Nous l'avons déjà remarqué la politique,

des jacobins est de rendre le christianisme


odieux, en déclamant contre rinquisition et
les croisades ; mais qu'est-ce que l'inquisition
auprès du tribunal révolutionnaire P Veut-On
de bonnes barbaries bien avérées , de bons
massacres bien constatés , des ruisseaux de
( 205 )

sang qui aient coulé en eîTct, des pères,


des mères , des maris , des femmes , des
enfans à la mamelle , des prisonniers réel-
lement ég-orgés et entassés les uns sur les
autres ? qu'on lise les annales des jacoiîins.
Il leur sied bien à ces barbares d'imputer
des cruautés extravao^antes à la relifàon .

eux qui ont inondé l'Europe de sang, et


qui l'ont couverte de cadavres pour un vwm-
CIPE.
On on ergotait, on haïssait,
sophistiquait,
on proscrivait pour ce dogme des frères et
amis; l'esprit- humain semblait revenir aux
temps d'Ariiis et cVAthanase.
La secte après l'établissement du tribunal
révolutionnaire n'avait plus qu'un vœu à
former, c'est que les comités des provinces
pussent fournir ^dir privilège le nombre de
victimes à immoler chaque jour; car les
fanatiques du jacobinisme, les grands-prêtres
de la liberté , jetaient des cris quand ils

voyaient diminuer les sacrifices humains.


On se hâte de leur adresser des questions et
des instructions.
« —Combien existe-t- il de sociétés popu-
( 2q6)
îaires dans votre arronJissemenî ? où sont-
elles établies? — Ces sociétés exercent-elles
le droit salutaire de — la censure? sont-elles

affiliées aux jacobins de Paris? — Les auto-


rités sont-elles hauteur? — Les
à la lois

sur le partage des biens communaux s'exé-


cutent-elles? — Comment va la vente des
Mens d'émigrés ? — Apporte-t-on la sévérité
nécessaire à l'égard des certificats de ci-
visme , de résidence , et du brùlement des
signes religieux et royaux? — Arrête- 1- on
les prêtres et les suspects? — Leurs lettres

parviennent-elles directement, ou par in-


termédiaire — Interceple-t-on soigneuse-
?

ment les correspondances? — A-t-on changé


l'ordre des cultures ? — Met-on l'activité

nécessaire dans les arrestations et l'envoi au


tribunal? — etc. etc — .
»

Dès-lors les comités révolutionnaires ,

composés de tout ce qu'il y a d'hommes im-


purs et tarés, provoquent les délations ; les

arrestations se multiplient avec frénésie ,

et , dans le moindre bourg , le plus petit


hameau , la moitié des habitans conduit
l'autre en prison. Quarante -huit comités
( so-) )

révolutionnaires disposent de la capitale ^

c'est un par section. Trente bastilles s'élè-

yent clans Paris (i) ; on voit périr les restes

de la génération , la fleur de la France. La


plume se refuse à peindre 1 horreur de ces

(i) Le nombre des détenus s'élevait de quinze à

Tingt mille. Ces trente bastilles ou prisons étaient :

ïa maison de justice du département (la Concierge-


rie), la petite Force, Sainte-Pélagie, les Madelon-
nettes, l'Abbaye, Bicêtre, la SalpGtrière, la Mairie,
le Luxembourg, la Bourbe, Picpus, les casernes de
Vaugirard; les Anglaises, rue Saint-Victor; les An-
glaises, rue de Lourcine; les Anglaises, faubour»-

Saint-Antoine; les Ecossais, rue des Fossés-Saint-


Victor ; Saint-Lazare ; Belbomrae , rue de Charonne;
les Bénédictins anglais , près l'Observatoire; le col-
lège du Plessis; la maison de répression, rue Saint-
Victor; la maison Coignard, à Picpus; Montprin ,

les Fermes, la caserne des Petits-Pères, la caserne


rue de Sèvre , la caserne rue de Vaugirard; Vin-
ccnnes, le collège des Quatre-jN'ations, Montaigu.
Cette effroyable énumération ne comprend pas
les quarante-huit chambres d'arrêt des comités révo-
lutionnaires, où l'on déposait provisoirement les per-
sonnes arrêtées, et les prisons particulières pour le
secret et la torture, telles que l'hôtel Talaru, section
tepelletier.
( 208 )

massacres, il n'y a plus de fosses assez pro-

fondes pour engloutir les cadavres; on re-


monte vers l'enfance , on descend vers la
vieillesse , on prend sans compter; la nation

assiste à ses propres funérailles.


( 209 )

CHAPITRE XXXII.
Comités de surveillance y espionnage , spo-
liations , sacrilèges , hommes à quarante
sous par four.

J_JA. police des jacobins fut montée sur un


plan vaste et profondément calculé. (Fou-»
ché, sorti de son école, l'a prise depuis pour
modèle.) C'est de ce cloacpie impur que sont
sorties de nouvelles Gorgones pour désoler
le monde.
Tibère, Néron, Caligula, Octave, Antoine
et Lépide , tous ensemble , n'imaginèrent
point, dans leurs fureurs cruelles, un espion-
nage aussi étendu, aussi minutieux que celui
des frères et a mis . De nombreux et impercep-
tibles agens poursuivent les citoyens, non seu-
lement dans les lieux publics, mais dans l'in-

térieur des familles. Les habitudes, l'heure


du travail , celle du repos ; leurs mouve-
mens, leurs sociétés, leurs gestes, et jusqu'à

i4
( 210 )

leur siïence , tout est observé, retenu, an-


noté par la meute exploratrice.
Les jacobiris ne sont point encore satis-
faits ; ils inventent les agens provocateurs ,

peste sociale cligne de son origine, infer-


nale et odieuse corruption qu'ils ont su na-
turaliser chez le peuple le plus franc et le

plus loyal de la terre. Le plus grand attentat


des frères n'est pas d'avoir versé tant de sang
c'est d'avoir corrompu à jamais la morale
publique.
Un des principes de Machiavel , bien
recommandé aux tyrans, est de ne souffrir
auprès d'eux aucun homme vertueux, au-
cune personne do mérite. Néron ,
qui n'a-
vait pu lire cette maxime, mais qui était

instruit par sa propre férocité, craignait


plus le seul Thraséas que tous les sénateurs
ensemble. Les jacobins, aussi ombrageux
que Néron, tremblèrent devant les hommes
supérieurs les traitèrent en ennemis impla-
,

cables, les poursuivirent sans relàclie, et les


plongèrent dans leurs cachots comme dans
un nouveau Tartare.
On ne peut se faire une idée de l'espion-

J
( 2U )

nage et de la police des jacobins, qu'en par-


courant les notes remises journellement par
les agens de cette police, notes
remarquables
par l'esprit qui les a dictées, et par les
indi-
vidus qu'elles concernent.

14/.
( 212 ;

COMMUNE DE PARIS.
%/%i%%/Wt/l/VV%V

BEPARTEMEAT DE POLICE.

Rapport dé sur [es ci-après dénommes


8 messidor an 2.

QUALITES
NOMS. KOTES.
DOMICILE.

iTheod. Giiardin. Notaire à Paris. A lemi


1 -s registres des si
gnaltiires de la pélilion des]
viu;<tmille n'a jairais fré
,

inentè que de^ aristocrate.-'


(iialiQés d'honnêtes
§ciis. Jl a
koiilu sortir hier, et il est rc
toiirué ensuite sur ses pas.

Paultier, A la prison de S. Oh a vu cliez lui des lass


à café à l'cfli^ie du tyran. 11
Lazare. les a retirées des mains d'nnr
citoyenne(|ui voulait les casser
il a'aussi un cluipetel prrpn

à entretenir le fnntiiisnn
contre-réi olulionnai re.

Malessi , femme Ex-noble, à Paris, Femme et sœur d'émigré


Fanatique à l'excès , fréquente
Boibbéianser scct. de l'Hom- lieaucoup les prétTes; ce qui
me-armé. peut propager IVapril Je con-
tre-iéviiliition. On l'a vumar
cliauJer des livres.

\rachard . Artiste Modéré très - prononcé. Il

n'est pas sorli depuis trois


ty])ographe. jours.

Sourdeville. Fille d'un ci-de- On l'a vue liier avec tm in


connu. Son Ircre et scn père
vaut comte.
ont été frajipés par le glaive
.'le la loi.
( 2 1^ )

QUALITES
NOMS. et NOTES.
DOMi Ci le.

Ameilhon Bibliotliécaire de U'apiès tous les renseiiïne-'


la comniune,scc mens c'est un suviinl;
pris,
aiusi soniirlstucralie est,
lion lies Droits- bien pi-ononccc. U parie mal;
de-l'Homme, i delà auciélé des jacobins.
Palis.

Rabe. Ex-oratorien. .. Famtlqne; on l'a vu dire 1


Tieise d ,115 sa clianib. e. Aris
tocrate reconnu , ne iréqueu-l
tant que ses pareils. n'est*U
rentré avant-hier qu'à onze]
ucures du soir.

Blanchebarbe. Homme d'aFTaiies On a aperçu chez lui desmar-l


de P^ecibièvte ,
pies de téodalité. —
Trés-ricbel
rue de Giam- et lié avec des aristocrates. On
lui a vu 1,115 pièces d'or de
mont, à Paris. 'ii livres , 10 lioiles d'or eti
beaucoup de bijoux.

A.udifret. Négociant : déte- Le G messidor, il a mal parliî


nu maison d( de Marat et des jacobins.

Belbomme, com-
me suspect.

Boursie. Ex -prêtre, rue N'a pas prêté le serment; ill


des messes claiideatine.'rienti
Beauregard , à dit
t tréquî-nte Je frère de Cus
lines. Il a donne à dîner le 5 àj
dcuxiodividus.

Tardieu. . Marée. -de-camp, Propage l'esprit contre-ré-


cap. des gardes, volutionnaire ; il a lilàmé k>^„
chevalier de St.- sans-culottes de te qu'ils aban-
donnent le.ir état pour s'occu-
Louis, section de
per des affaires. U est allé Uiei
l^Honirae-amié. dans une maison dj la rue
tiaint-Floreulia ,n.^'J.

Saint - Chamant Ex-nob.jfilled'un Sœur d'émigré. —Très-sus-


(fille). lieutenant-géné- pecte, quoique Irèj-jeune. Je
suis qttasl persuadé qu'elle a
ral, rue de Ven-
des correspondances clandes-
dôme. tines.
( 2l4)
On voit d*un coup d'œil ,
par ces notes/
quel système inquisitorial secondait la ter-
reur jacobine , et comment cet édifice for-
midable se soutenait au milieu de la haine
publique ; le but des niveleurs se montre à
découvert.
Chaque comité révolutionnaire, chaque
comité de surveillance a sa police et ses es-

pions; souvent les uns brisent les scellés que


d'autres ont apposés après le pillage , et , fu-
rieux de ne rien trouver, dénoncent le pro-
priétaire comme coupable de la soustrac-
tion. Le maximum, les réquisitions, les
perceptions, les emprunts forcés, les dé-
monétisations, n'en vont pas moins leur
train. Tout cela s'opère avec les sans-cu-
lottes à quarante sous par jour , espèce de
janissaires toujours prêts à seconder la vio-
lence et la tyrannie. On voit sortir de leurs
repaires ces hommes demi-nus , sales et

abrutis par l'indigence, n'ayant pour vertu


que l'insolence de lamisère et l'orgueil des
haillons. Paris est témoin de ces saturnales
ignobles et sacrilèges , de ces orgies profa-
natrices qui souillent les églises. L'évéque
( 2.5 )

Gobel et son clergé, conduits par Chau-


mette , abjurent leur culte , déclarent
qu'ils sont des imposteurs , et témoignent
leur repentir d'avoir si long-temps trompé
le peuple. Un cortège d'hommes ivres con-
duit une voiture où sont les ornemens sacrés.
Les uns s'en affublent avec dérision ; les
autres, armés d'encensoirs, de crosses, de
mitres, de calices et de ciboires, contre-
font d'une manière burlesque les cérémo-
nies religieuses , au son de la musique qui
joue l'air: M. de Marlborough est mort. Les
crimes, l'oppression, l'esclavage, marchent
d'un pas égal avec la folie; si, au milieu du
sang , vous vous attendrissez sur le sort d'un
parent ou d'un ami on rit de vos douleurs
, :

un espion vous dénonce des sbires vous ,

arrêtent, un tribunal révolutionnaire vous


j^uge , on vous guillotine et on vous oublie.
( 2i6 )

Vt%\%%VVt%%\%«/\%VM/VVVV%VV\i%/%%^/VVVV\'%/V\V'VVVVM/%/\WliVVkV

CHAPITRE XXXIIL
Maocimes du gouvernement de la secte y
copiées dans ses archives.

u Do M I T I u s , dit Salluste , n'a pas im seul


de ses membres qui n'ait pris part à quelque
crime ou à quelque action honteuse. Sa
langue est consacrée au mensonge, ses mains
à Fassassinat, ses pieds à la fuite. « On en
peut dire autant des jacobins : en tuant
l'état social, ils ont posé les bases fon-
damentales de leur gouvernement^ et ils les

ont exprimées dans une suite d'idées repro-


duites dans tous leurs actes. On y voit le

fanatisme en fureur, suant l'anarchie par


tous les pores ; on n'y trouve pas un mot qui
ne soit l'apologie des actions injustes, san-
guinaires , bonne
atroces ou contraires à la
foi. Ce n'est pas d'une pareille école que

sortirent les Montesquieu, les de Thou, les


( 217 )

Llîospital, les Fénélon, les Bossue t , les

Malsherbes.
Les maximes que nous allons citer sont

les pièces matérielles du procès de Tillunii-

nisme.

1) Quel est le but? — La régénération (i).

2) Quels seront nos ennemis? — Les riches.


3) Quelles causes peuvent nous favoriser? —
L'ignorance des sans-culottes.
A) Quels sont les moyens de tenir le peuple
dans l'ignorance ? — La proscription des
écrivains, comme nosplus dangereux enne-
mis ; répandre les bons écrits avec profu-
sion.

Les autres obstacles sont la guerre étran-


gère et la guerre civile.

5) Comment détruire la guerre étrangère? —


En révolutionnant les états voisins.

6) Comment détruire la guerre civile ? — Par


l'anéantissement de toute opposition; faire
des exemples terribles.

« Il faut une volonté une.


« Les dangers intérieurs viennent des

(0 Papiers trouvés chez Robespierre, écrits de sa


main.
( ^'8 )

bourgeois. Il faut rallier le peuple, et que


l'insurrection s'étende de proche en proche
sur le même plan ;

« Que les sans -culottes soient payés et


restent dans les \illes ;

« Leur procurer des armes, les colérer,

les séduire, exalter l'enthousiasme par tous


les moyens possibles.
•< Mais vingt-cinq millions d'hommes sont
la ressource de l'agriculture et des échanges!
Impossible. Que faire? Ce qu'il faut faire?

des livres. Il y a des époques répétées de


grands incendies. —Empêcher que la France
ne devienne un monde d'hommes. — Ouvrir
les cataractes pour engloutir l'excédant de
population.
« Créer une puissance collective.
M Colorer, aux yeux du peuple, l'envahis-

sement de la souveraineté j feindre de ne


.

s'en emparer que pour lui.


« Solder les sans-culottes, proscrire la

richesse, qui est un obstacle ^w nivellement.


« Proclamer que le riche est l'ennemi né
du sans-culotle ;
promener sur toutes les

lèles le niveau d'une égalité de pauvreté.


{ 219 )

«» Le commerce dans l'intérieur devant


nécessiter, à l'extérieur, des relations qui
seraient fatales au plan de gouvernement
anéantir le commerce. Ainsi on inventera le
négociantisnie pour créer un délit, un crime.
«"Se faire un calus sur le cœur, afin d'être

sourd à la justice et à Y humanité.


« Il faudra du sang ;
qu'importe ? on trou-
vera des bras pour le verser.
«Tous les hommes faciles à tromper, tous
les intrigans à qui un gouvernement légal
est redoutable se rallieront à nous.
« Des principes et point de vertus ; de la
fermeté et point ^ame. Les temps
sont favo-
rables pour prêcher une doctrine lâche et
pusillanime. — Mettre la morale en contra-
diction avec elle-même.
« Confondre la cause des cultes avec celle
du despotisme.
« Forcer les gens de lettres à se prostituer

devant la tjrannie.

« Donner le change à l'opinion publique.


« Frapper les imaginations par des choses
extraordinaires.
« Jeter d'avance dans les esprits, et comme
( 220 )

sans dessein, les idées dont on réserve l'ap-


plication à un autre temps, et qui semblent
se lier d'elles-mêmes à d'autres circonstances
qu'on a préparées.
•t Favoriser l'insurrection du brigandage
contre le principe du tien et du mien.
«Une faut au peuple, pour vivre , que
quelques onces d'une substance nourricière.
«Il faut deux sortes de dupes, les uns
meneurs, les autres menés.
« Imaginer et substituer au christianisme
de nouvelles religions, en attendant que le

peuple s'accoutume à se passer de toutes (i).


« Etouffer dans son germe tout ce qui
existe d'évangélique ; abolir jusqu'à la mé-
moire de Dieu.
« Tuer d'abord la royauté en France, et
ensuite dans l'univers.
« Si mon frère n'est pas dans le sens de
la révolution ,
qu'il soit sacrifié. »

(i) Rappelons-nous que les hiérophantes de l'illu-

mine "NYeisshaupt avaient dit trente ans auparavant

^u'il viendrait uu jour où la raison serait le seul code

de C homme.
( ^21 )

« Nous voulons Y égalité pure ou la mort;


malheur à ceux que nous rencontrerons-
entre elle et nous (i) ! »

« La révolution française n'est que Yavant-


courriève dune révolution bien plus grande

et plus solennelle , et quisera la dernière (2).


« Nous voulons faire table rase^onv nous
en tenir à I'égalité pure; périssent les arts,

s'il le faut (3) !

« La loi agraire, ou le partage des terres,


fut le vœu instantané de quelques initiés
sans principes, de quelques peuplades mues
par leur instinct plutôt que par la raison.
Nous tendons à quelque chose de plus su-
blime et de plus équitable , le bien com-
mun ou I-A COMMUNAUTÉ DES BIENS ! Plus de
propriété individuelle des terres : la terre
nest à personne. Nous réclamons, nous vou-
lons la jouissance commerciale des biens de
la terre : les fruits sont a tout le monde (4)

(i) Extrait de l'adresse au peuple trouvée dans les

papiers de Babœuf.

(2) Ibid.

(3) Ibid.

(4) Ibid.
( '22'2
)

« Disparaissez enfin , révoltantes distinc-


tions de riches et de pauvres , de grands et
àe petits , de maîtres et de valets , de gou-
vernans et de gouvernés l Qu'il ne soit plus
d'autre différence parmi les hommes que
celle de Xûge et du sexe (i).
•f Que les hommes sachent les Droits de
l^ homme , et ils en ont assez (aj. "

Si le lecteur hésite à voir , dans ces


maximes , le préambule de la secte pour
arriver au bouleversement de l'univers
qu'il lise les originaux eux-mêmes, et, s'il

n'a pas le temps d'en Taire la recherche


qu'il jette un coup d'œil sur l'apologie de
Louvet, par Brissot, son co- adepte , il
y
trouvera le nœud de la conspiration que je
viens de tracer : en voici un passage :

«' Les triumvirs Robespierre , Marat et


Danton m'ont accusé, dit-il , d'avoir provo-

(i) L'auteur de cette adresse a parlé trop tôt; il a


trahi les secrets. Il s'exprime mot pour mot comme
V homme roi de rilluminé Weisshaupt. Babœuf n'est
mort victime que de son indiscrétion.

(2) Rabaud-Saint-itienne,
( 225 )

que la guerre; et, sans la guerre, la royauté


subsisterait eneore ! et, sans la guerre , mille
talens , mille vertus ne se seraient pas déve-
loppés! et, sans la guerre, la Savoie et
tant d'autres pays dont les fers vont tomber
n'auraient pas eu la liberté !
— Ils craignaient
la guerre faite par un roi. — Politiques à
vue étroite ! c'est précisément parce que ce
roi devait diriger la guerre ,
parce qu'il ne
pouvait la diriger qu'en traître ,
parce que
cette trahison seule le menait a sa perte;
c'est parcela seul qu'il fallait vouloir
LA guerre. —
Les hommes éclairés m'en-
tendirent, le 3o décembre 1791, quand, ré-
pondant à Robespierre qui me parlait tou-
jours de trahisons à craindre , je lui dis :

Je nai quune crainte, c'est que nous ne


SOYONS PAS TRAHIS \ NOUS AVONS BESOIN DE
trahison; NOTRE SALUT EST LA. Les tri-

bunaux feront disparaître ce qui s'oppose à


nos vues la royauté (i). »
,

(1) Si l'on veut connaître également les révéla-


tions d'une foule d'adeptes , et l'art avec lequel ils

ont préparé la révolution ,


qu'on lise la Letliv de
Robespierre à ses commettans. — Les O^ser^fations.
( 2p4 )

Au milieu des réflexions que suggèrent


tous ces aveux, on aperçoit la vraie théorie
des révolutions qui se font aujourd'hui par
toute l'Europe, à jour et heure fixes. Cette
théorie démontre que les insurrections
qu'on représente comme de grands mouve-
mens des peuples , ne sont que les graiids

inouvemens desfactieux; et que si ces peuples


pensaient comme eux , ils n'auraient besoin
ni de complots ni de janissaires pour les
consommer.

de Pètion sur cette lettre. — Les Annales patrio-


tiques de Carra et Mercier, 30 novembre 1792.—
La Chronique de Paris , par Millin ^ et ses menaces,
du 5 aoûtj etc. etc.
( 225 )

CHAPITRE XXXiy.
Code des jacobins.

Ije véritable patriarche des jacobins , leur


fondateur, leur père et leur oracle est ,

Weisshaupt, échappé du collège d'Ingols-


tadt vers 1776 pour prêcher au monde sa
doctrine funeste. Il en faisait un grand mys-
tère, et ne la communiqua toute entière
qu'aux premiers adeptes, qu'il nommait
aréopagistes. On les engageait, à cet effet
par les plus terribles épreuves , les plus
redoutables sermens (1). Voici tout le corps
de doctrine, le code complet de la secte :

on verra que les jacobins français , et tous


ceux qui entreprennent aujourd'hui de bou-
leverser le monde, ne sont que les dio-nes
écoliers et les copistes du jacobin bavarois.

'
(0 "Voyez l'histoire des *5bcieVe'5 5ecrè^es^chap. HI,
pag. 29.

i5
( 226 )

Il écrivait , il y a plus de quarante ans


ces propres mots :

« L égalité , la liberté , sont les droits


essentiels cjue Vhomme dans , sa perfection
originaire et prinùl'ive reçut de la nature ;

la première atteinte a cette égalité fut


portée par la. propriété (i) la première ;

atteinte a la liderté fut portée par les


SOCIÉTÉS politiques OU les gouvernemens
Les seuls appuis de la propriété et des gou-
vernemens sont les lois civiles et religieuses ;

DONC, pour rétablir Vhomme dans ses droits

d'égalité et de liberté, il faut commencer


par détruire toute religion , toute
société civile, et finir par l'abolition de
toute propriété. »

(it Voilà bien les maximes de Babœuf»


( ^^7 )

CODE (i).

PREMIÈRE PARTIE.

PREAMBULE.

« Oui , les princes et les nations dispa-

raissent de dessus la terre ! Oui , il viendra


ce temps oiiles hommes n'auront plus d'autres
lois que le livre de la nature. Cette révolu-
tion sera l'ouvrage des sociétés secrètes , et
c'est là un de nos grands mystères. »

I . Moyens d'éclairer les peuples.

KDominer d^abord invisiblement et sans


apparence de moyens violens non pas sur ,

la partie la plus éminente ou la moins dis-


tinguée d'un seul peuple , mais sur les

hommes de tout état , de toute nation , de


toute religion; souffler partout un même es-

(i) Extrait des archives de V illuminisme , et des

écrits de Weisshaupt.

i5*
.( 228 )

prit clans le plus grand silence, et avec toute

l'activité possible ; diriger tous les hommes


épars sur la surface de la terre vers le même
objet, c'est le domaine des sociétés secrètes y
sur lequel doit porter tout l'empire de Villu-
minisme. »

2. Divisions, — Grades.
« D'après ces lois , la secte est divisée en
deux grandes classes , ayant chacune leurs
sous-divisions et leurs graduations propor-
tionnées aux progrès des adeptes.
Novice.
Préparation aux niystè- Minerval
res, 4 grades
^" "" mineur.
Illuminé
Illuminé mcrjeiir.
^ , . ,. /Les trois premiers e;rades
, .

Grades inlermtdmires oui


,^^, ^^^J^,i^^^
dmtrusion, empruntes ^j^^^^^j;^^. ,^^^g.^;^ ^ ^^, .^_
J
de la lVanc-maconnerie<
, . hnninè directeur { c'est
comme moyen de pro- j ordinairement le grade de
pagation
^ dernière préparation).
PETITS \

ou I Régens ou princes.
sacerdoce. (Prêtres
Mystères. ./ 2 grades

GRANDS. \ Mage ou philosophe.


2 grades. (Homme roi (i).

(i) 11 est , au surplus j dans ces grade» , un rôle inipoitant et


( ^29 )

(Il est, pour les princes, une demi-exclu-


sion ; ils ne sont admis que rarement et ,

alors même ils ne franchissent guère le

grade de chevalier écossais.


ri
)
;

3. Admission des femmes.

« Deux classes, ayant chacune leur société


et leur secret :

l,'"^ Femmes vertueuses.


2.® Femmes volages, légères, voluptueuses, etc.
( auschweifenden. )

«Les unes et les autres sœurs ignorent


qu'elles sont dirigées par des hommes.
L'avantage qui en résulte est de propager
les bons principes par leur influence , étant

toutes plus ou moins conduites par la vanité,

commun à tous, c'est celui deyn?/-e insinuant ou enrôle ur


c'est de lui que dépend la force de la secte et qui l'orme des su-
jets à tous les grades. On peut appeler ceux qui en sont chargés

apôtres ou missionnaires : ce sont eux qui propagent et établis-

sent les sociétés. Ils doivent ,


selon l'expression du législateur,
être tantôt les plus imbéciles, tantôt les plus ingénieux des
frères. Espions assidus de tout ce qui les entoure, ils observent
continuellement les personnes avec lesquelles ils se trouvent. U
n'est point d'illuminé qui ne doive , au uioins une ou deux (ois ^

jouer le rôle deyrère insinuant sous peine de stiiguation d.'ins


,

les grades inférieurs.


( 250 )

les plaisirs, la coquetterie et la nouveauté.


C'est par là qu'on pourra les rendre utiles.

4. Choix des sujets.

« Accorder la préférence à ceux dont


l'état peut dissuvev protection oX considération.

Les frères ^nrôleurs sont avertis de s'insi-

nuer surtout auprès de ces gens-là pour en


faire des adeptes. Il est des hommes qui
manient la parole à volonté, qui ont de l'a-
dresse et de l'activité : c'est une bonne ac-
quisition quand on peut les avoir, lue frère

insinuant est averti qu'il faut à l'ordre des


artistes , des ouvriers en tout genre , des
peintres, des graveurs, des serruriers, mais
surtout des libraires, des maîtres de
POSTE et des maîtres d'école. Rechercher
pour cela les jeunes gens adroits et déliés,
intrigans, hardis, entreprenans; n'épargner
rien pour avoir de ces gens-là. Si les cieux
ne vont pas, faites marcher l'enfer. Quant
aux religions, il faut préférer les luthériens
et les calvinistes aux catholiques (i), em-

(1) Il semble dire comme Frédéric : uJVoiis autres

protestans , nous allons plus cite. » Mai? les proies-


( 23i )

ployer tous les moyens pour enrôler d«ç


officiers des princes dans les conseils et des
ministres ; celui qui a gagné cette partie a
plus fait que s'il avait conquis le prince lair

même. »

6. Physique des sujets.

«Toutes choses égales, il l'aut s'attacher


aux formes extérieures , à des hommes bien
beaux garçons. Ces gens-là ont ordi-
faits,

nairement les mœurs douces, le cœur sen-


sible ;
quand on sait les former , ils sont
très-propres aux négociations. Ils n'ont pas
véritablement la profondeur des physiono-
mies sombres; ils ne sont pas de ceux quon
peut charger çCune émeute ou du soin de
soulever le peuple, mais il faut avoir des
lîonimes propies a toutes les missions. Il
y
en a qui ont éprouvé le malheur, non par
de simples accî.dens mais par , clés injustices;

Q.e\xj.-r\ai sont à nous ; ils sont précieux quand


ils ont de grandes qualités. Il faut les appeler

ans ne sont pas plus favorisés que les autres; aussi


ont-ils fourni contre l'illuminisme de vigoureu:^ an-
tagonistes , surtout en Allemague.
( 2Ô2 )

dans le sein de rilluminisme comme dans


leur asile naturel.

6. Educat i 071 des candidats.

ff Trois modes : le premier, pour ceux


marquant par la science , les lumières
1 expérience et l'âge mûr ; le second , pour
les jeunes gens de dix-huit à trente ans; le
troisième , pour les artisans et les hommes
dont l'éducation a été peu cultivée.
« Aux premiers , persuader qu'il est des
doctrines uniquement transmises par des
traditions secrètes, parce qu'elles sont au-
dessus des esprits vulgaires : telles furent

celles des g'jmnosophistes de l'Inde , des


prêtres d'Isis et de l'école de Pjthagore, etc.
Exciter la curiosité du candidat par tous les
moyens; s'assurer de ses opinions sur certains
articles ;
proposer de certaines questions à
décider, certains /^/wc/)?^^ à traiter, comme
autant de Z'^^e^ pour aller y^/w^- a\^ant. Alors,
si la solution est peu favorable, le frère insi-

nuant renoncera à sa conquête ; mais si le

candidat est bien disposé , il sera mis à

portée des épreuves.


( 233 )

« Aux seconds, gagner adroitement leur


confiance; laisser entrevoir qu'ils peuvent
être initiés à quelque société secrète et
puissante , non pas tout-à-coup , mais peu à
peu ; stimuler ce désir, fournir de bons livres y
exalter les avantages de la société dans Uétat
de nature. L'élève commence-t-ilà s'échauf-
fer , on le presse, on revient à la charge
jusqu'à ce qu'on l'ait mis au point conve-
nable. Si le candidat se prononce, il entre
dans l'ordre des novices.
« Quant aux artisans, il est plus aisé de
leur en imposer; le frère insinuant usera
des moyens propres à les captiver dans la
sphère où ils se trouveront placés. Il faut
étudier leurs penchans, flatter adroitement
leurs passions , et leur fournir des secours
s'ils sont peu fortunés. On peut rendre cette
classe très-utile.

7. Candidats indociles.

« Malheur à ceux qui auraient franchi


les premiers grades, et qui seraient rebelles !

Quils ne se'Jlattent point (V échapper a notre


haine : ce nest point une vengeance coni-
( ^34 )

miine qui les attend , c'est le feu souterrain


de la rage. Nous ne cessons de poursuivre
le traître cju après l'avoir immolé. La loi de
l'ordre est invariable. »

ww^vvwww

DEUXIEME PARTIE.

DUREE DU KOVICIAT. PREMIER DEGRÉ.

« Les circonstances abrègent le temps ;

mais si la durée des épreuves est abrégée ,

il n'en faut pas moins les subir. Jusque-là il

n'est permis au frère insinuant de faire con-


naître au novice aucun illuminé. Le temps
réglé pour les épreuves est de trois ans pour
les élèves de dix-huit ans, et d'un an pour
ceux de trente ans. Ils doivent prêter le
serment préliminaire de ne rien dévoiler à
leurs parens amis et alliés, sur leur admis-
,

sion dans une société secrète. Les frères


doivent visiter assidûment le novice pour le

fortifier, empêcher les révélations que la


crainte de la mort pourrait lui arracher, ef
soustraire les papiers dangereux qu'il pour-
( 255 )

rait avoir ea sa possession


Jans un moment
de péril.

DEUXIÈME DEGUÉ DU NOVICIAT.

« Le novice apprendra enfinun jour que,


pour dérober jusqu'à la moindre trace de
leur existence ,
ne doivent point
les frères

exister partout sous le même nom


mais ,

emprunter celui d'un autre ordre ou même ,

d'une simple société littéraire , ou même


exister sans aucun nom quelconque (i). Il
s'habituera au lan gage mystique de l'illumi-
nisnie, pour comm,uniquer avec ses
supé-

rieurs et les autres adeptes sans être


entendu

des profanes, pour correspondre avec


les

uns et les autres sans qu'on puisse deviner


quel est le frère dont on parle, en quel
qui
lieu, en quel langage, en quel temps, à

ou par qui la lettre est écrite. »

(i) Comment anéantir une secte qui échappe à la

Tigilance de toutes les lois et de tous les pouvoirs?

Les sociétés bibliques, celles pour l'enseignement


mutuel, beaucoup d'aulrcs , ne sont que des
et

pièges tendus aux dupes et aux gouvernemens.


( 256 )

TROISIÈME. — NOMS DE GUERRE.

« Les frères ne se désignent jamais sous


le nom d'après lequel on les connaît dans
le monde. Le novice saura peut- être déjà
qu'il existe une pareille précaution dans les

derniers grades maçoniques, où l'on reçoit


ce qu'on appelle son caractéristique. Le
novice illuminé recevra pareillement son
caractéristique ; ce nom même ne sera pas
étranger aux missions qu'on lui destine. Au-
tantque faire se pourra le nom sera con-,

forme à l'idée que le novice aura donnée de


lui s'il montre la haine des rois , s'il an-
;

nonce des talens pour la politique il sera ,

nommé Brutus, Caton, Machiavel et autres


équivalens (i).

(i) "NVeisshaupt avait pris lui-même pour carac-


téristique le nom de Sjjartacus , sans doute afin de
perpétuer le souvenir de ce chef des esclaves révoltés
contre leurs maîtres. Nos jacobins modernes chan-
gèrent aussi leurs noms contre ceux des républicains
de la Grèce et de Rome. Chaumette s'appelait Anaxa-
goras; Danton, Horace; Lacroix, Puhlicola; ctRon-
sin, Scœpola.
( ^^7 )

QUATRIÈME. GÉOGRAPHIE.

« Ainsi que les personnes , les provinces


et les villes changent de nom pour les frères.
Le novice doit apprendre cette nouvelle
géographie; on lui en fournira les cartes.

Par exemple la Bavière sera VAchaïe ; l'Es-


:

pagne, la Pannonie ; la France la Syrie; ,

Paris , Athènes ; Berlin , Carthage ; etc, (i).

Le nom prmiordial de la ville privilégiée ou


chef-lieu, sera déguisé sous un nom mysté-
rieux, dont la connaissance est réservée aux
profonds adeptes. "

CINQUIÈME. CALENDRIER.

« Le novice s'habituera pareillement à


rhégire des illuminés. Ses lettres seront da-
tées selon l'ère persane appelée iezdegert
et commençant l'année 65o, l'année illu-

(i) Nos jacobins se conformaient encore très-


exactement à ce précepte en changeant la division
territoriale et nominale de la France; en appelant
Lyon Commune- Ajfranchie; Toulon , P ori- la- Mon-
tagne ; Condé, Nord- Libre ; et Saint-Denis, Fran-
eiade, etc.
( 258 )

minée commençant le premier pharavardin


qui répond au 21 mars (i).

SIXIÈME. — IIYÉROGLYPHES.
«c Le novice n'écrira jamais le nom de son
ordre ; ce nom trop vénérable ne peut être
exposé aux jeux des profanes ; il donnera
aux chiffres la valeur des lettres que l'ordre
leur assigne , en attendant qu'il soit initié à
la clef du chiffre réservé aux adeptes (2).

(1) Ce premier mois n'a pas moins de quarante-un


jours; les illuminés ne donnent que vingt jours aii

mois de mars ; tous les noms des mois sont persans.


Le jacobin et conventionnel Homme a aussi donné
un nouveau calendrier à la France , fixant le com-
mencement de l'année à l'équinoxe d'automne ; il
renversait par là les usages reçus par les astronomes
de tous les pays; mais il consacrait le souvenir d'une
époque de triomphe, d'une époque chère à tous les

frères (septembre 1792).


(2) Suivant l'ancien chiffre des illuminés , les

nombres répondaient aux lettres dans l'ordre sui-


vant :

a
12 8765A321m
b
1110
d
9
e f g h i k 1

nopqrstuvxyz
13 Ih 15 16 17 18 19 20 21 22 23 2A
Cette clef, pour la correspondance vulgaire, a été
(î39)
SEPTIÈME. — TRAVAUX DU NOVICE.

« Première étude. Statuts des illuminés


— Deuxième étude. Morale de l'ordre.
Troisième étude. Connaissance des hommes.
( Cette science , la plus grande de toutes
exige de l'aptitude et de l'assiduité ). —
Quatrième étude. Obéissance aux projets
de V ordre , soumission aveugle et absolue
à tout ce que les supérieurs jugeront
propre de commander (i). Notre société
( ce sont les propres expressions du code )
exige de ses membres le sacrifice de leur li-

berté et de leur vie , entièrement et abso-


lument comme moyen cV arriver a son but.
Ce dévouement cette obéissance ne , , sont
pas seulement des devoirs, mais des motifs
et des objets de reconnaissance (2).

changée plusieurs fois. On n'a jamais bien connu le


vrai chiffre mystérieux des hauts gracies.

(1) C'est ici que l'on a cru apercevoir quelques


rapports entre V illuminisme et le jésuitisme, par
l'abandon total de la volonté individuelle ; mais cet
abandon est commun à presque tous les ordres reli-
gieux, et dans un autre sens.

(2) Voilà la doctrine qui a fait les Sand et ks


( ^4o )

HUITIÈME. — CONNAISSANCE DES SECRETS.

« En étudiant l'art de connaître les autres


il faut que le novice dévoile lui-même ses
intérêts, ses relations, celles de sa famille.
On lui fournit le modèle des tablettes qu'il
doit remplir pour donner à l'ordre cette
preuve de confiance, et le temps viendra
où il faudra bien quil en donne une plus
grande encore. Ces tablettes contiendront
sa demeure , son nom , son âge , ses fonc-

tions sa patrie , son genre d'étude ,


, les livres

qui composent sa bibliothèque , les écrits

secrets qu'il peut avoir, ses revenus, ses

amis , ses ennemis , la raison de ses inimitiés ;

ses connaissances et protecteurs. »

NEUVIÈME. — QUESTIONS A RÉPONDRE PAR LE


NOVICE.

« L'admission du novice prononcée, le


moment des grandes questions arrive. C'est
sur ces questions qu'ilpeut juger de l'étendue
du sacrifice qu il doit faire , sur s2iConscience

Loupel, qui en a produit et qui en produira beaucoup


d'autres.
(24. )

sur sa personne , à tout rilluminisme s'il en


veut être membre.
« Ces questions sont au nombre de vingt-
quatre :

1. — Etes -vous encore dans l'intention


d'être reçu dans l'ordre des illuminés?
2. — Avez-vous bien pesé que vous ha-
sarderez une démarche importante, en pre-
nant des engagemens inconnus F
3. — Quel espoir, quelle cause vous por-
tent à entrer parmi nous?
4.. — Auriez-vous ce désir, quand même
nous aurions uniquement pour objet la /?er-

fection de Vhomme et point d'autre avantage?


5. — Que feriez -vous si l'ordre était une
nouvelle invention?
6. — Sivous veniez àdécouvrir dans l'ordre
quelque chose de mauvais ou d'injuste à
faire quel parti prendriez-vous (1) ?
,

(1) Pour savoir en quel sens sont conçues les ré-

ponses du novice illuminé , réponses confirmées par


les plus affreux sermens, il suffit de citer quelques
passages de la réception de deux novices ; nous les
avons puisés dans les archives de la secte.

A cette question : « Si vous veniez à découvrir


16
( 242 )

7' — Voulez-vous et pouvez-vous regarder


le bien Je noire ordre comme le vôtre
même ?
8. — On ne peut vous cacher que les
membres entrant dans la société, sans autre
motif que Tespoir d'acquérir de la puissance,
ne sont pas ceux que nous aimons le plus-
Souvent il faut perdre pour gagner ; savez-
Tous tout cela ?

9. — Pouvez-vous aimer tous les membres


<îe l'ordre , ceux même de vos ennemis
qui s'y trouveraient?
10. — Seriez-vous disposé à les recom-
mander, à les exalter ?

11. — Donnez-vous de plus à notre ordre


ou société LE DROIT DE VIE ET DE MORT ?

Sur quel fondement lui donnez-vous ou re-


fusez-vous ce droit (i) ^

quelque chose de mauvais ou à' injuste , etc. Le pre-


mier, âgé de vingt-deux ans, répondit : Je ferais
même ces choses-là si l'ordre vie le com,m.andait
parce que peut-être ne suis-je pas capable de juger si
elles sont réellement injustes; d'ailleurs elies cessent
de l'être LORSQti'EEtESSOM r>MOYE>' d'arriver au but.»
(i) Réponse : « Oui. j'atcorde ce droit à i'orxfrj
( 245 )

12. — Etes-voiis disposé a donner en toute


occasion aux membres de notre ordre la
préférence sur tous les autres hommes (?

1 3. — Gomment vous venge riez-vous d'une


injustice que vous auriez reçue des étrangers
ou de nos frères?
— Que feriez- vous vous veniez à
i/f. si

vous repentir entré dans notre ordre?


d'être
— Voulez -vous partager avec nous
i5.
heur et malheur P
i6. — Renoncez-vous à faire servir votre
naissance, vos emplois, votre état, votre
puissance, au préjudice ou au mépris des
frères ?

17. — Etes-vous , ou pensez-vous à devenir


membre de quelque autre société?
18. — Est-ce par légèreté , ou bien dans
l'espoir de connaître bientôt la constitution

illuminé. » Ainsi le novice reconnut, sans hésiter,


le monstrueux et redoutable droit du poignard , prê-
ché par les Jahn et leurs pareils, droit qui fait dé-

pendre des séides de l'illuminisme la vie et la mort


de quiconque déplaît à la secte.

(1) On sent où cela mène lorsqu'un illuminé est


revêtu des premiers emplois du gouvernemeni.
16*
( 244 )

de notre ordre ,
que vous faites si facilenienf

ces promesses?
19. — Etes-vous résolu à suivre très-exac-
tement nos lois?
20. —
Vous engagez-vous à une OBÉISSANCE
ABSOLUE, sans RÉSERVE? et savez -vous la
FORCE DE CET ENGAGEMENT (l)?
21. — N'y a-t-il point de crainte qu'on
puisse vous détourner d'entrer parmi nous ?
22. — Voulez -vous, si on a besoin de
propager l'ordre , l'assister de vos conseils ,

de votre argent et de tous vos moyens?


23. — Avez-vous soupçonné que vous au-
riez à répondre à quelqu'une de ces ques-
tions ?
24- — Quelle assurance nous donnez-vous
de vos promesses , et à quelle peine vous

soumettez-vous, si vous y manquez? »

DIXIÈME. — PROMOTION DU NOVICE (2).

« Au temps marqué, le soir, et bien


avant dans les ténèbres de la nuit , le novice

(1) Réponse : « Je regarde cette ]}romesse comme


le seul moyen d^arrit^er au but. »

(2) Nous n'avons pas besoin d'avertir que la céré-


( 245 )

est conduit dans la salle des promotions.


Là , deux hommes l'attendent ; ce sont les
deux premiers illuminés qu'il lui est per-
mis de connaître. L'un, à demi-caché par
une lampe recouverte d'un voile , dans
mie attitude impérieuse et sévère , est le
supérieur ou délégué initiant ; l'autre ,

prêt à écrire l'acte d'initiation , sert '


de
secrétaire. Une épée est sur la table au-
près de l'initiant; nul autre n'est admis que
le novice et son introducteur. On lui re-
nouvelle la question s il persévère ; sur l'af-
firmative, on le renvoie dans la chambre des
méditations.De nouveau rappelé, l'intro-
ducteur répond de ses dispositions, et de-
mande pour lui la protection de l'ordre.
L'initiant répond : < Au nom de Vordre sé~
rénissime dont je tiens mes pouvoirs je vous,

promets protection , justice et secours. {Ici


ilprend Vépée nue et présente la pointe au
cœur du novice ) mais si tu allais nëtre
;

monie de promotion, à chaque grade, est indépen-


dante du serment des grands mystères, prononcé
par le premier grade, et que nous avons rapporté
dans l'histoire ^^iSociétès secrètes.
( ^46 )

qaun traître , quun parjure


!.... apprends

que tous nos frères seront armés contre toù


Ne crois pas échapper ni trouver un lieu ,

de sûreté ; partout notre rage te poursuivra


elle te tourmentera ,
jusque dans les replis

de tes entrailles (il replace l'épée sur la


table ) ; mais si vous persistez ^ prêtez le ser-
ment qui vous est présenté. «

ONZIÈME. — SERMENT DU NOVICE.

« Je me voue (ich gelobe) entièrement


à mes supérieurs dans un éternel silence.
Je renonce pleinement à mes propres vues,
à mon PROPRE jugement ; je promets de
servir l'ordre de mon sang, de mon honneur,
de mon uien. Si jamais, par imprudence,
passion ou méchanceté, j'agis contre ses lois,
je me soumets à tout ce qu'il lui plaira d'or-

donner pour ma punition. »


( 247 )

TROISIÈME PARTIE.
ti«.v«iV%vv«.«'\t;

DEUXIÈME GRADE PREPARATOIRE (guADE


MINESVAL.)

Objet du grade tnlnervai.

•« Etudes et connaissances propres à l'ex-

iirpation des préjugés. — L'art d'observer


tït de tracer le caractère des personnes vi-
vantes.— Les maîtres sont les illuminés mi-
neurs. — L'académie est tout au plus de
quinze frères de Minerve ] dans les assem-
blées qui se tiennent deux fois par mois, le

président lit et commente à sa manière des


passages de la Bible, de Sénèque, d'Epic-
lète , de Marc-Aurèle, de Lucrèce et de
Conlucius. »

Bibliothèque,

« Les livres qui occupent les frères et


qu'ils doivent commenter ne sont pas aban- ,

donnés à leur choix. La société fournit les


( ^48 )

ouvrages qui tendent à son but. Elle a, pour


former les bibliothèques , trois ressources
spéciales ; i .« l'argent des frères ; 2 .° les
livres que chaque initié doit fournir de sa
propre bibliothèque ; 3.° les livres et ma-
nuscrits précieux de celles des princes
lorsque les illuminés remplissent les fonctions
de bibliothécaires ou d'archivistes. Ils ne
doivejit point , dans ce cas se faire scrupule
,

d'un larcin secret , qui mettrait la société en


possession d'objets importans (1). »

Travaux académiques.

« Tout frère doit déclarer de quelle es-


pèce d'art ou de science il veut faire sa
principale occupation , lorsque son état, son
génie ne l'appellent à aucune profession
littéraire. Dans ce dernier cas, ses contribu-
tions pécuniaires tiennent lieu des services

que l'ordre ne peut attendre de son esprit.


Si le frère se décide pour un genre d'étude ,
il faut qu'il rende compte une fois par an

(1) Le législateur ajoute naïvement : Tout cela


est plus utile chez nous. Que font ces drôles-là de tous

ces livres?
( =49)
des progrès qu'il a faits. C'est par les tra-

vaux exigés des jeunes mijnerviens , que la

société apprend à connaître s'ils sont de cette

étoffe , c'est-à-dire de la tournure d'esprit


propre a propager les principes qui mènent
au but (i).

« Les élèves ne consomment point leur


cours académique , avant d'avoir manifesté
clairement jusqu'à quel point /^^ mort a perdu
son empire sur leurs sens , et s'ils sont prêts

a la subir plutôt que de donner les moindres


indices sur la société. On leur proposera,
par exemple, de traiter l'éloge et le blâme
de Caton , et leur manière de conclure fera
connaître s'ils sont disposés ci boire la ciguë
pour le Salut commun (2). L'adepte président

(1) Il y a ici une concordance surprenante (et qui


n'échappera point à la perspicacité du lecteur) entre
l'objet de ces travaux académiques et l'esprit d'un
certain journal moderne, qui, ne croyant plus avoir
besoin de se déguiser, prenait hautement le titre de
Minerve, titre insignifiant pour le vulgaire, mais
très-significatif pour les initiés.

(2) Lorsque l'initié Carrief fut condamné à mort,


il dit ces propres paroles : « J'envisage le brasier de
( aSo )

observera entre ses élèves ceux qui saisissent


le mieux , ceux qui répètent avec le plus

cFentliousiasme les écrits contre les rois et


les prêtres. Ceux-là sont dignes d'être élevés
à des grades supérieurs; ils peuvent devenir
illuminés mineurs. »

<;)UATRIEME PARTIi:.

TROISIÈME GRADE. ILLUMINÉ MINEUR.

Double objet de ce grade,

« L'illuminé mineur ne doitpas seulement


former et diposer l'esprit des frères , il doit
leur inspirer l'enthousiasme nécessaire pour
atteindre le but de la société. Il faut, de la
part des adeptes, bien plus d'actions que de
paroles. Ajez assidûment les yeux sur les

Scœt'ola , la cigiië de Socrate , la mort de Cicêron^


Vèpèe de Cabon , l'échafaud de Sydney ; j'endurerai
leurs toarmens s'il le faut. » On pourrait citer une
i'oule de traits semblables, produits par cette éduca»
îion perfide et anti-sociale de rilluniinismc.
( 25l )

frères confiés à vos soins, et surtout dans


les momens où ils ne croient pas être ob-
servés. On peut toutfaire des hommes quand
on connaît bien leurs penchans do m m ans.
Démontrez bien à votre élève que les so-
ciétés secrètes sont nécessaires pour arriver
à un meilleur ordre de choses. >i

CINQUIEME PARTIE.

QUATRIÈME GRADE. — ILLUMINÉ MAJEUR OU


NOVICE ÉCOSSAIS.

Objet de ce grade.

« Il succède à celui d'illuminé mineur, et


sous sa double dénomination il est fort pré-

cieux. Comme novice écossais, il est affilié

•ù.\di franc-maçonnerie ; cesl un leurre pour

ceux qui sont jug^és indignes d'arriver aux


mystères de la société ; il sert d'introduction
au grade de chevalier écossais ,
qui , dans
les loges, BORNE LA CARRIÈRE DES DUPES.
( 202 )

Considéré comme grade de ÏUluminisme , il

enchaîne l'adeple par desliens plus resserrés,


il sert de préparation aux grands mystères. >»

Questions préliminaires.

« Avant d'être élevé à ce grade, le réci-

piendaire répond aux questions suivantes :

1 « Connaissez - vous quelque société


l'ondée sur une constitution meilleure que
la nôtre ?

2. « Est-ce pour satisfaire votre curiosité

que vous êtes entré dans la société, ou pour


concourir au but général?
3. « Ce que vous connaissez de nos lois

vous a-t-il satisfait? voulez-vous travailler


sur notre plan ?
4. « Comme il n'y a plus de milieu pour
vous, déclarez en ce moment si vous voulez
nous quitter, ou nous rester attaché pour
toujours.
5. « Etes-vous membre de quelque autre
société ?
6. « Cette société exige-t-elle des choses

contraires à notre intérêt?


( a53 )

Confession du candidat.

« Le récipiendaire ayant répondu d'une

manière satisfaisante aux questions il écrira ,

fidèlement^franchement, sans dis simulation y

I'histoire de toute sa vie. C'est là le lien


essentiel, parce que, s'il veut trahir dans
la suite, l'ordre aura ses secrets. »

Réception.

« L'adepte , amené dans une chambre


obscure, y renouvelle le serment du plus
profond secret ; il dépose entre les mains de
l'introducteur l'histoire cachetée de sa vie :

elle est lue à haute voix ; la lecture terminée,


l'introducteur lui dit :

« Vous avez donné une preuve de con-


fiance ; il ne doit plus y avoir de dissimula-
lion ; loin de nous toute réserve ne rougis- ;

sons pas de nous connaître mutuellement :

voici le jugement que la société a porté sur


votre personne. Lisez et répondez si vous
continuez à vouloir en faire partie. Quand
( ^^4 )

il a répondu, l'initiant lui fait d'autres ques-


tions dans l'ordre suivant (i).
1 « Trouvez-vous dans ce monde la vertu
récompensée et le vice puni? ÎNe voyez-vous
pas, au contraire , le méchant plus heureux
extérieurement, plus considéré, plus puis-
sant que l'honnête homme? En un mot,
êtes-vous content de ce monde tel qu'il est

à présent?
2. « Pour changer l'ordre présent des cho-
ses, ne voudriez-vous pas, si vous le pouviez,

rassembler les bous et les luiir élroitement ,

afin de les rendre plus puissans que les iné-

chans (i)?
5. cf S'il vous était permis de clioisir , dans
quelle contrée voudriez-vous être né plutôt
que dans votre patrie?

(i) Ces questions dévoilent à l'initié une partie


des secrets de la secte, mais pas tous encore.
(a) Question captieuse, puisqu'on ne définit pas
quels sont les bons et les méchans. Mais cela s'en-
tend; les io7î5 sont les illuminés, autrement Aii Ja-
cobins sans-culottes; les méchans sont les rois , les

prêtres, les nobles, les riches et les puissans.


( 255 )

4. « Dans quel siècle vouclrioz-vous avoir

vécu?
5. « Avec la liberté du choix ,
quel état et
quelle science préféreriez-vous ?
G. «Eu lait d'histoire, quel est votre auteur
favori ?
7. « Ne croyez-vous pas de votre devoir de
favoriser vos frères dans les emplois et di-
gnités dont vous pourrez disposer, afin que
l'ordre ait occasion d'introduire partout des
sujets dévoués a Vdluniinisme (1) ?
« La réponse de l'initié est rédigée par
écrit ; elle doit exprimer la plus grande aver-
sion pour l'ordre actuel des choses , et le
DÉSIR d'une RÉVOLUTION QUI CHANGE LA FAClI
DE l'univers. Alors l'initiant lui dit :

« O mon frère ! assemblés ici loin des pro-


fanes, nousconsidéronscommentla meilleure
partie du genre humain estsacriflée à l'intérêt

(1) Voilà le nœud gordien et la maxime qui s'exé-


cute le mieux aujourd'hui en Europe. Il y a grand
nombre de ces sujets dévoués qui occupent les em-
plois et vivent aux dépens des princes ; malheur à
qui oserait les nommer! ils auraient le crédit de U-.

Caire pendre.
( 256 )

personnel. Ace spectacle, nous voulons se-

couer le joug , chercher des coopérateurs


fidèles; ils sont cachés clans les ténèbres,
protégés par les ombres de la nuit (i). C'est

là que solitaires, silencieux, ou rassemblés


en cercles peu nombreux, enfans dociles,
ils poursuivent le grawd oeuvre sous la con-
duite de leurs chefs. Autour des puissances
de la terre , il faut rassembler une légion
d'hommes infatigables , et dirigeant partout

leurs travaux, suivant le plan de Vordre, ^onv


le bonheur de l'humanité Mais tout cela
doit se faire en silence ; nos frères doivent se
soutenir, et chercher a gagner toutes les

places qui donneront de la puissance pour le


bien de la chose ( 2)

« A ces leçons succède la lecture du code


àe frère insinuant et Fart du scrutateur ; on
les confie à l'initié pour qu'il les étudie. La
faveur qu'il vient de recevoir ne laisse plus

(i) Nous n'avons pas besoin d'observer que ce


discours est une espèce â^ Apocalypse dont les ex-
pressions ont un sens caché , mais facile à saisir.

(2) Cette partie du plan ne laisse plus rien à dé-


sirer.
( 25; )

entre lui et les mystères qu'un gTade inter-


médiaire , celui de chevalier écossais. »

SIXIEME PARTIE.
%^/«)V«/%%/l/Vt.«/«/

GRADE INTERMÉDIAIRE. — CHEVALIER ÉCOSSAIS


DE l'iLLUMINISME (i).

Préliminaires du grade.

« Quelle que doive être sa destination ,

aucun frère n'arrivera à ce grade sans avoir


donné des preuves du progrès qu'il a fait
dans l'art scrutateur. On lui fera parvenir de

(i) On peut généralement comprendre, sous cette


dénomination, les grades que les illuminés empruntent
de la franc-maçonnerie, tels qn'apprentij compagnon,
maître j etc. Comme nous l'avons déjà dit, ces grades

sont des moyens d'intrusion dans les loges maçon-


niques. Afin de les rendre moins sensibles, on les laisse
tels qu'ils sont pour les maçons vulgaires. Ainsi le frère

illuminé s'introduit dans les loges, y observe tout,


et distingue les sujets dignes d'être attirés à rilliimi-

nisme ; c'est ce que le législateur nomme scrutateur.

17
( 258 )

temps ;\ autre diverses questions pour savoir


à quel point il sait juger de rétnt de l'ame
par les signes eootérieiirs. S'il lui restait de
sa propre histoire quelque important secret,
il devra le dévoiler en toute confiance au
chef de l'ordre. Il doit donner par écrit l'as-
surance qu'il regarde les supérieurs de l'illu-

minisme comme les chefs ^ec/ct^, inconnus


et légitimes de la franc-maconnerie. »

Cérémonie de réception.

« Cette formalité remplie , les chevaliers

écossais invitent le nouveau frère au chapitre


secret ( nom que prend la loge de ce grade).
La salle est Icndueen vert, richement éclairée
et décorée. Sous un dais, et sur un trône de

la même couleur, est assis le préfet des che-

valiers en bottes et éperons (i); une croix


verte brille sur son tablier , et l'étoile de
l'ordre sur son sein ; le ruban de Saint-André
en sautoir de droite à gauche ; les chevaliers,.

(i) Observons encore que celte dénomination da


PRÉFET a été donnée par la secte aux principaux ma-
gistrats de la France.
( 259)
tous en bottes et éperons, revêtus de leurs
décorations (i).
« Le préfet dit au récipiendaire :

« Tu vois des régions inconnues ^ unies par


des liens indissolubles. Le pas que tu fais est
le plus important de ta vie.
n'est point un Ce
jeu ni de vaines cérémonies ; en te créant
cîievalier, nous attendons û^e^oi des
exploits.
Si tu ne dois être quun faux
frère , sois
tout a la fois maudit et malheureux ; que
legrand architecte de l'univers te précipite
dans Vabîme I
« yi présent , fléchis le genou et fais sur
cette épée le serment de l'ordre. »

Serment de Cinitié.

« Je m'engage h. ne favoriser Vadmission

(0 Les frères , malgré leurs principes à' égalité,


aiment singulièrement le faste. Robespierre,
ce roi
des sans-culottes, affichait un grand luxe.
Après sa
mort, on porta à la convention le sabre
qu'il avait
fait faire , pour son usage , sur les dessins de David
son flatteur; ce sabre était brillant d'or et
de nacre.
On lisait sur le baudrier liberté^ égalité. Le
:
modèle
était conforme à celui des élèves de Mars , dont il

avait voulu se faire une garde prétorienne.


^ *
( 26o )

d'aucun indique aux grades saints , à faire


trio'}i plier la vraie doctrine de rUluminisrne ,

à résister a la superstition et au despotisme ,

et a ne jamais préférer mon intérêt personnel


au bien général. »

" Après ce serment, le préfet proclame


le récipiendaire chevalier de l'ordre. »

Discours de Ciniiiant.

« On lui donne des instructions ; le préfeÈ

adresse la parole au néoplivte, et lui dit :

« Il fut une époque où Phomme dégagé


de ses sens, libre de la matière jetait bien plus

encore libre des lois et du jofg i^litique


auxcpiels il ne s'est trouvé soumis que par sa
chute. Tout l'effort de l'homme doit être
aujourd'hui de secouer le joug de nos
GOUvERWEMEiss pour recouvver son ancienne
pureté (i). "

(i) De ces principes découlent l'idéalisme vulgaire


de la franc-maçonnerie , qui tâche de remédier aux
prétendus désastres résultant de la chute primitive
de l'homme. C'est là le sens général de V Apocalypse
illinniné, auquel les maçons des grades inférieurs

n'entendent riouj on leur fait seulement entrevoii-


( 201 )

Instruction du chevalier illmniné sur la direction


à donner à la franc- maçonner le.

« Dans chaque ville tant soit peu considé-


rable de leur district ou cercle, les chapitres
secrets établiront des loges maçonniques des
trois grades ordinaires; ils feront recevoir
dans ces loges des personnes choisies. S'il

existe déjà d'autres loges, ils n'épargneront


rien pour obtenir la prépondérance de celle
qu'ils auront établie. Leur principale occu-
pation sera de préparerles candidats, el c'est
là qu'il faut bien étudier son homme , alln de
voir s'il est ferme dans ses principes. En
général, ilfaut faire sen'ir à noire ^raïul but
l'argent que ces soj'tes de loges répandent li-

béralement. La fin sanctifie les moyens ( 1 ).

que c'est par l'étude des anciens gnostiques et des


manichéens qu'ils pourront faire des découvertes sur
la véritable maçonnerie.
(i) Voilà le vol érigé en principe. Déjà le^i adeptes
ont appris qu'ils peuvent, en sûreté de conscience,
dévaliser les bibliothèques et les archives au profit
de la secte; ici ou leur enseigne la morale de Car-
touche et de Mandrin , si habilement pratiquée par
no^ jacobins modernes.
( 2G2 )

Le législateur ajoute que : font de leur argent


ces imhécllles francs-maçons? Nous en ferons
une bien meilleure application. »»

SEPTIEME PARTIE.
k/»\lt/%iVV«/%V%V

PETITS MYSTÈRES. —ÉPOPTE OU PRÊTRE ILLU-

MINÉ (l).

Questions préliminaires

1 — « L*état actuel des peuples répond-


il à l'objet pour lequel l'homme a été placé
sur la terre ? Par exemple : les gouverne-
mens , les associations civiles , les religions

remplissent-elles le but? Tout cela n'est-il


pas produit par l'état anti-naturel?
2. — "N'a-t-ilpas existé autrefois un ordre
de choses plus simple ? Quelle idée vous
faites- vous de cet ancien état du monde?

(i) Ces petits mystères déchirent une partie du


voile ; ils sont plus importans que leur litre ne
l'annonce.
( 263 )

5. — « Serait -il possible de revenir à la


première et noble simplicité de nos pères ?

Le geure humain ne pourrait-il pas revenir


à la pureté de son enfance ?

4-. — «f Comment faudrait -il s'y prendre


pour amener cette heureuse pe'i-iode P Par des
révolutions violerdes on par quelque autre
voie (i)?
5. — «La religion chrétienne est-elle la
meilleure F Ne pourrait-on pas en enseisner
wie autre , et donner aux hommes un culte
plus épuré {2) F

(1) Ecrits originaux des illuminés , tome II,


part. II. Le législateur, selon l'usage des Allemands,
s'adresse à l'initié par la troisième personne du plu-
riel. Nous avons seulement changé le temps pour
nous conformer au génie de la langue française. Ait
reste, la question est résolue; tout le monde au-
jourd'hui est adepte , excepté les sourds et les

aveugles.

(2) C'est dans ce but que la secte a fait débiter,


dans les quatre parties du monde , pendant les onze
dernières années, treize cent mille exemplaires de la

Bible , préparée en cinquante-cinq langues diflé-

rentes , opération qui a coûté plus de vingt millions.


Nous avons déjà vu cette religion épurée mise en
( 364 )

6. — « Ne convient- il pas , en attendant


mieux , de semer la vérité dans les sociétés

secrètes (i) ?
<f Si les réponses du candidat ne sont
point satisfaisantes , il ne sera point admis ;

s'il est bien disposé , il recevra les leçons du


hiérophante. >•

Initiation de l'épopte.

« A l'heure convenue , l'adepte inlroduc-

pralique en France sous le nom de théophilanthropie


dont l'illuminé L re Lep...x était le grand prêtre.

(^f^oyez l'histoire des sociétés secrètes , article des

sociétés bibliques, page i44.)


(i) En effet, quel plus court chemin peut-il y
avoir pour bouleverser les états que de dire à l'igno-
rant : « Fais-toi une religion; » et aux passions :

uCréez-vousdes lois^n Au commencement de la révo-

lution, la secte multiplia tellement les sociétés se-


crètes, que la maçonnerie courait les rues. Les fau-
bourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau se peuplèrent
de francs-maçons porte-faix et crocheteurs, tenant

loge au cabaret , où on les hébétait de liberté , d'é-

galité , de constitution, etc. Les' illuminés renou-

vellent aujourd'hui ces t^ociétés sous de? noms nou-


veaux : ce sont les sans-gène y les gais lurons , etc.
( 265 )

leur se rend chez le prosélyte , lui bande les

yeux , le conduit par la main et par plu-


sieurs détours au vestibule du temple des
mystères. Son guide le dépouille alors des
symboles maçonniques, lui met à lamain une
épée nue, lui ôte son bandeau, lui prescrit

le silence , et le laisse seul livré à ses mé-


ditations. Le temple est décoré d'une tapis-
serie rouge ; la multitude des flambeaux en
relève l'éclat. Une voix se fait entendre :

« Viens , entre malheureux fugitif! Les


pères f attendent; entre et ferme la porte
derrière toi. " Le prosélyte obéit à la voix
qui l'appelle. Au fond du temple il voit un
trône , devant le trône une table couverte
d'une couronne, d'un sceptre, d'une épée,
de monnaies d'or, de bijoux, qu'entrelacent
des chaînes et des serpens. Au pied de cette
table, surun coussin de pourpre, sont une
robe blanche une ceinture et les ornemens
,

du sacerdoce.
M Le prosélyte est en face; le hiérophante
lui dit :

« Fois et fixe les jeux sur l'éclat de ce


trône. S l ces jeux d'enfant , ces couronnes
( a66 )

ces sceptres, ces monumens de dégradatiow


ont des attraits pour toi , parle , nous pour-
rons peut-être satisfaire tes i^œuœ. Mal-
heureux ! si c'est la qu'est ton cœur , /tous

t'abandonnons ci ta folie , mais notre sanc-


tuaire te sera fermé pour toujours. Veux-
tu apprendre la sagesse, sois le bienvenu y

choisis.

« Si le candidat, contre toute attente, se


décide pour la couronne , il est arrêté par
cette imprécation :

« Monstre! retire-toi, cesse de souiller


le lieu saint. Fa^ fuis tandis qu'il en est
temps encore. »
te Si le prosélyte choisit la robe blanche,
on lui dit :

« Salut a Vame grande et noble l c est la


ce que nous attendions de toi ! d ne t'est

pas encore permis de te vêtir de cette robe;


apprends d'abord a quoi nous t'avons des-
tiné.

ce Le candidat s'assied ; le code des mys-


tères est ouvert. Les frères, dans un silence lu-
r^ubre, écoutent les oracles du hiérophante.
( ^^3; )

Discours du hiérophante à Cépoptc illuminé (i).

« Aux épreuves d'une préparation assidue


succède le moment de la récompense. Il va

l'appartenir à présent de conduire les autres;


ce que tu sais , ce que tu vas apprendre te
dévoilera leur faiblesse ; c'est là qu'est la

puissance d'un homme sur un homme. Les


ténèbres se dissipent, le soleil de lumière

se lèvej une partie de nos secrets va être


révélée : Fermez aux profanes la porte du
temple ; je veux parler aux illustres , aux
saints élus. ( Au candidat. ) Sais-tu ce que
c'est que gouverner, et surtout ce que c'est
que c^ droit dans une société ? c'est dominer
sur les hommes par la crainte et la violence
qui sont leurs grands mobiles; rignorance
et la grossièreté du plus grand nombre assu-
rent ton empire.

(i) Rois, sujets, riches, artisans, laboureurs,


commerçans , citoyens de toutes les classes, lisez

ces oracles et sortez de votre aveuglement ; ou bien,


non , reposez mollement sur le coussin de l'incrédu-
lité; accusez-nous d'exagération , et présentez la

Irte au couteau.
( 268 )

« Sais-tu ce que c'est que les sociétés


secrètes? quelle place elles tiennent , quel
rôle elles jouent dans le monde? Elles sont
le mojeri unique , indispensable pour régé-
nérer respèce humaine.
« Le premier âge du genre humain fut
celui de la nature sauvage. Il jouissait en cet
état de la liberté , de V égalité. A mesure que
les familles se multiplient , la vie nomade
cesse, \di propriété se montre, la liberté est

ruinée dans sa base, l'égalité anéantie. Le


faible se soumet imprudemment au plus fort,

mais la puissance de l'oppresseur cesse avec


la faiblesse de l'opprimé ; sans elle, les rois
ne sont rien. Tout homme , dans sa force ,

peut et doit se gouverner lui-même.


« La réunion des hommes en société fut en
même temps le berceau et le tombeau du
despotisme, k. l'origine des nations et des

peuples , le monde cessa d'être une grande


famille et un seul empire ; le grand lien de
la nature fut rompu (i). Folie des peuples

(i) C'est cet empire, ce giaïul lieu de la nature,


que Yorateur du genre humain. ^ l'illuniiaé Clootz.

prêchait en 1792 et '179o.


( 2(>9 )

de n'avoir pas prévu ce qui devait leur arriver;


d'avoir aidé leurs despotes à ravaler l'homme
jusqu'à la servitude , à la condition de la
brute î

« nature ! combien tes droits sont


grands et incontestables ! des motifs pen'ers
propagent les sciences; les rois les protègent
pour les faire servir a l'oppression /tous

en profiterons pour hâter une révolution


dans Vesprit humain. La morale que nous
enseignons produira insensiblement cette ré-
volution ; LA RAISON ALORS SERA LE SEUL
LIVRE DES LOIS, LE SEUL CODE DES HOMMEs(l).
« Le préjugé a élevé Vhéritage privilégié
des enfans des rois , et la propriété des fa^
tout homme doit
milles régnantes ; mais
ÊTRE indépendant. La marche de la nature
n'est visible qu'au sage ; il découvre l'immen-
sité des temps lorsque la foule rampante n'en
soupçonne pas même l'existence.
« Erigez en corps la tribu mercantile ,

(1) C'est encore ce que Rabaud-Saint-Étienne et


Chaumette disaient en 1793 : « La déclaration des
droits suffit au peuple pour être heureux ; il 11' a pas
besoin d'autres lois, »
( 270 ).

vous la verrez faire la loi à l'univers ( f


). Il faut
rendre les hommes sobres , et leur donner
l'audace des âmes fortes; ces hommes -là
sont plus dangereux pour les trônes que les
régicides (2).
(^11 présente le code.) « Lisez; et si le

nom de citoyen vous est encore précieux


voyez si le vôtre doit rester inscrit sur la liste

des sociétés secrètes. Ces sociétés mysté-


rieuses, quand même elles s'écarteraient du
but, nous préparent les voies; elles réveil-^

lent le génie , l'inquiétude et les passions des


hommes ; elles les rendent plus indifferens
sur Vintérêt des gouvernemens, elles enlèvent
a r église et a l'état les meilleures têtes, elles

rapprochent des individus qui, sans elles, ne


se seraient jamais connus ; par cela seul
ELLES MINENT , SAPENT LES FONDEMENS DES
ÉTATS, ELLES LES HEURTENT ET LES FROISSENT
LES UNS CONTRE LES AUTRES; elle S font con-
naître aux hommes la puissance des forces

(1) Voilà pourquoi Bordeaux , Lyon et Nantes ont


été mis au pillage.

(2) Ceci explique le but des frères lorsqu'ils ont


organisé la famine en France,
( 271 )

réunies , sans nous exposer aux soupçons de


nos ennemis , tels que les magistrats et les

gouvernemens. Elles masquent notre marche,


et nous donnent la facilité de recevoir dans
notre sein , d'incorporer à nos projets , après
l'épreuve convenable, les meilleurs sujets,
et des hommes haletant après le but. Ame--
sure que ces sociétés se multiplient dans les
augmentent en force et en pru-
états, elles
dence aux dépens de la grande société civile ;
celle-ci s'affaiblit et doit naturellement se
dissoudre.
« Tous les efforts des princes pour em-
pêcher nos progrès sont inutiles; l'étincelle

couve sous la cendre, et certainement le


JOUR i>E l'incendie ARRIVERA. La semcncc
est jetée d'ou doit sortir un nouveau
MONDE ; ses racines s'étendent, elles se sont
déjà tropfortifiées , trop propagées pour que
LE TEMPS DES FRUITS n'aRRIVE PAS (1).

(1) Observons que ceci était écrit il y a plus de


quarante ans. Nous rapportons fidèlement le texte ;

c'est le hiérophante qui parle , nous ne lui faisons pas


dire : ce discours , dont nous n'avons pas extrait la
huitième partie , est très-long et exige deux heures
( ^72)
« A ces mots, l'initie se revêt de la tunique

blanche ; l'épopte est rappelé dans la salle


des mystères ; l'un des frères lui dit : « Je
suis envoyé pour savoir si vous avez bien en-
tendu le discours qui a été lu , si votre cœur
est pénétré , si vous avez des doutes , si vous
vous sentez la vocation , la force, la volonté,

le dévouement requis pour mettre la main


AU GRAKD OEUVRE. » Ccsparolcs prononcécs,
un Yoile se lève on aperçoit un crucifix ;

placé sur un autel ; à côté est la Bible avec


une phiole remplie d'huile l'initié reçoit ;

l'onction, entouré de frères acolytes on lui ;

ôte quelques cheveux, et on lui pose un


bonnet rouge sur la tête en prononçant cette
formule (i) : «« Couvre-toi de ce bonnet , il

vaut mieux que la couronne des rois. »


« La cérémonie se termine en livrant au
nouvel épopte la partie du code qui concerne
son grade. »

de lecture : nous y avons pris ce qu'il y a de plus

formel.
(i) C'est ce même bonnet qui a tenu si long-temps
lu place de la couronne des rois en France, et que
nous avons vu arboré sur tous nos édifices.
HUITIÈME PARTIE.
«iV%%WVt,V iXX

REGENT OU PRINCE ILLUMINE.

Qualités requises pour ce grade.

u La hardiesse , la fermeté la souplesse


,

îa supériorité d'esprit ; le sérieux, la dignité

des manières; libre, indépendant de tout


roi ou prince ; curieux et avide d'innova-
tions; enthousiaste jusqu'à l'exagération. »

Inauguration.

« Lorsque l'admission du nouvel adepte


est résolue, il est averti qu'allant se trouver

dépositaire de divers papiers de l'ordre ,

il faut aussi que l'ordre soit rassuré par de


plus grandes précautions. En conséquence,
l'adepte fait son testament ; il exprime spé-
cialement ses dernières volontés sur les
papiers secrets qui pourraient se trouver
chez lui , si la mort venait à le surprendre.
Après cette formalité , on l'introduit dans
une chambre tendue de noir. Là, pour tout
18
( 274)
ornement, se trouve le squelette d'un homme
élevé sur deux gradins ; au pied du squelette
sont une couronne et une épée. Les mains
de l'initié sont chargées de chaînes comme
celles d'un esclave , et on le livre à ses mé-
ditations. Pendant ce temps le frère initiant,

seul, assis sur un trône dans une salle voi-

sine, commence le dialogue suivant avec


l'introducteur, de manière que l'initié puisse
l'entendre :

L'initiant : Qui nous a amené cet esclave ?


Uintroducteur : Il est venu de lui-même
et a frappé à la porte.
L'initiant : Que veut-il?
L'introducteur : Il cherche la liberté, et

demande à être délivré de ses fers.


L'initiant : Pourquoi ne s'adresse-t- il pas
à ceux qui l'ont enchaîné?
L'introducteur : Ceux-là refusent de hriser
ses liens; ils tirent un trop grand avantage
de son esclavage.
L'initiant : Qui sont-ils?
L'introducteur : La société , le gouverne-
ment, les sciences , Va fausse religion.
Vinitiant : Et ce iousT, il veut le secouer
pour être un séditieux, un rebelle?
L'introducteur : Il veut s'unir étroitement
à nous contre la constitution des gouverne-
mens et la profanation de la loi naturelle.

L'initiant : Et qui nous répondra de sa


fidélité ?

L'introducteur : Nous avons pour g-arans

son cœur et sa raison; nos supérieurs l'ont


éprouvé.
L'initiant : C'est dire beaucoup. Est-il bien

au-dessus des préjugés?


L'introducteur : C'est là ce qu'il nous a

promis.
L* initiant : Combien d'autres l'ont promis

et ne l'ont pas tenu ! Est-il maître de lui-


même? Les considérations personnelles sont-
elles nulles pour lui ?... Demandez-lui quel
homme est ce squelette; est-ce un roi, un
noble , un mendiant?
^introducteur : Il n'en sait rien ; la

nature a rétabli l'égalité; ce squelette fut


celui d'un homme, cela lui suffit.

U initiant : Qu'il soit donc libre à ses ris-

ques et périls !

18*
( ^^76 )

«« Alors l'iniliant revient auprès du can-


tliJat el îui dit :

Frère , ics connaissances que vous avez


« acquises ne vous laissent plus aucun doute
i^ sur noire but. Fous aurez affaire à présent
« à d'autres hommes. Vous connaîtrez les

documens qui peuvent donner des lumières


« sur noire origine. »

« La porte s'ouvre : l'initié , avec son


escorte, s'avance vers une troisième salle; il

y est reçu par rinitiant qui lui dit :

s Eli bien, frère , tu es digne de nous! H


« est temps de te doiiner cette liberté que nous
« t^avons montrée si ravissante. ( On lui ôte

« ses chaînes.) Sois libre, indépendant. (On


« lui donne le bonnet rouge.) Garde-toi de ja-
« mais changer ce bon7ict contre une couronne.^)

« L'initié reçoit l'accolade (i) , et sa ré-

ception est terminée. «

(i) Qui ne reconnaît ici V accolade fraternelle <ïf.?^

sociétés populaires, des sans-culolles et de la con-

Tention? Il était dit que, dans le cours de la révo-


lution , on ne nous laisserait rien à désirer du code
ilknniné.
( 2:?? )

NEIVIÈME ET DERNIÈRE PAllTiE.

wv^vtt^^v^v

GRANDS MYSTERES. — 3IAGE. — IIOM.AiE-RUI.

Cérémonial. — Serinent.
« Ici tout est dévoilé. Le vœu est d'anéau-
tir, en fait de religion, jusqu'à l'idée de Dieu,
et, en fait de gouvernement, jusqu'au dernier
vestige à'autorité de lois et de société. Ce
redoutable secret, révélé à l'adepte , a cessé
d'être pour lui un hiéroglj'piie ténébreux ;

mais ce n'est point encore le plus haut des


grades; il en reste trois infiniment plus iin-

portans (i).

« L'épreuve dure vingt-quatre heures; le


jeûne , l'abstinence , l'ont précédée. On
conduit le récipiendaire dans une salle im-
mense, dont la voûte, le parquet, Its mûri
sont couverts d'un drap noir parsemé de

(1) Nous devons avouer que, malgré foule? nos


recherches sur ces trois grades suprême?, il nous a
été inipo?si!)l." de rien découvrir.
( ^78 )

flammes rouo^esetclecouleuvresmenacanles;
trois lampes sépulcrales jettent de temps
en temps une mourante lueur dans cette
redoutable enceinte. Les débris des morts
soutenus par des crêpes funèbres, un mon-
ceau de squelettes, forment dans le milieu
une espèce d'autel: à côté s'élèvent des livres;
les uns renferment des menaces contre les
parjures , les autres l'histoire funeste des
vengeances de l'esprit invisible et des invo-
cations infernales.

«f L'initié reste seul pendant huit heures


dans ce lieu, abandonné à ses réflexions. A
ses pieds sont placées trois coupes remplies
d'une boisson verdâtre ; c'est le symbole du
breuvage n^ortel qui l'attend s'il viole son
serment. Deux frères s'approchent de lui
en silence, lui cei^-nent le front d'un ruban
teint de sang- et charg'é de caractères hiéro-

glyphes, lui mettent un crucifix à la main (i),

(i) C'est une contradiction bien étrange que ce


mélange des emblèmes d'une religion que les illu-

minés veulent anéantir, nvecles rites les plus solen-

nels de leurs cérémonies mystérieuses; mais celte


( ^79 )

lui passent au cou des amulettes , s'em-


parent de ses vêtemens qu'ils déposent sur
un bûcher, et lui tracent sur le corps des
croix avec du sang. Dans cet état de souf-
france et d'humiliation , il voit allumer le

bûcher qui consume ses vêtemens. Cinq


frères, armés du glaive et couverts de longs
voiles, prononcent la formule du serment
qu'il répète en ces termes :

«t Au nom du fils crucifié, jurez de briser


les liens charnels qui vous attachent encore
a père, mère, frères, sœurs, épouse, parens,
amis, maîtresses , rois, chefs , bienfaiteurs , et
tout être quelconque a qui vous aurez promis

foi y obéissance , gratitude ou service.


« Nommez le lieu qui vous vit naître
pour exister dans une autre sphère , où vous
n'arriverez qu'après avoir abjuré ce globe
empesté , vil rebut des deux.
« De ce moment vous êtes ajffi'anchi du
prétendu serment fait a la patrie et aux lois;
jurez de révéler au nouveau chef que vous

contradiction s'explique par la nécessité d'en imposer


ù l'initié par toutes les illusions sacrées et profanes.
( 280 )

reconnaissez, ce que vous aurez vu ou fait ^

lu ou entendu, appris^ou deviné, 'et même


de rechercher , épier , observer ce gui ne
s offrirait pas à vos yeux.
Honorez et respectez l'aqua tofawa
«
comme un moyen sûr prompt et nécessaire
,

de purger le globe par la mort de ceux qui


cherchent à avilir la vérité et a V arracher
de nos mains (i).

« Fuyez la tentation d'être parjure ou


de révéler ce que vous entendez, car le
tonnerre serait moins prompt que le couteau
qui vous atteindra, en quelque lieu que vous
soyez (2).
«c Quand l'initié a répété ce serment, on
place un candélabre garni de sept cierges

(1) L'aqiia tofana n'est plus le seul moyen


prompt; la secte en a un autre pour le moins aussi
expéditif , et dont elle se sert admirablement bien
depuis quelque temps, c'est le poignard des séides.

(2) Nous avons déjà rapporté ce serment dans


l'histoire des sociéléi secrètes j nous n'avons pas cru
pouvoir nous dispenser d'en reproduire ici la Ibr-

mule, comme partie intégrante du code que non*


révélons au lecteur.
( 281 )

noirs : à ses pieds est un vase rempli de sang


où on lave son corps ; il en boit la moitié
d'un verre, après quoi il est proclamé (i). »

Secret du mage.

« Le matérialisme, la destruction de toutes


les religions comme inventions du despo-
tisme , afin de tenir le genre humain dans
l'esclavage , elles ont toutes les mêmes fic-
tions pour origine. »

Secret de Cliomme-roi.

« Il enseigne que chaque individu , de


quelque condition qu'il soit, est souverain
comme homme né libre et indépendant
,

comme l'étaient nos pères dans la vie sau -


vage. Que le genre humain pour revenir à
cet âge heureux doit renoncer à toute
sociabilité , et qu'il faut par conséquent dé-
truire toute royauté , toute magistrature ,

toute propriété (2). »

(1) C'est ce genre d'initiation que les d'Or ,

les Mirabeau, Héraut Séchelles, Danton , Marat, etc.

ont subi à Passy et dans la caverne de Saint-Cloud.


(2) Ceci e.-^t conforme à ce que rapporte Bidet-
( 2$â )

Tel est le code de cette abominable


secte , qui conduit ses adeptes avec tant
d'art, de mystères en mystères, au dernier
degré de l'abrutissement et de la déprava-
tion. Quand le démon lui-même aurait fait
ce code pour couvrir la terre de forfaits et
de désastres , nous le demandons , aurait-il

pu produire une œuvre plus parfaite? Ne


dirait-on pas qu'elle a horreur du bonheur
des hommes et qu'elle est grosse de tous les
vices exécrables des Césars ? Cette mons-
trueuse association, affermie par trente an-
nées de crimes, menace aujourd'hui plus que
jamais la sûreté des couronnes, le repos des
peuples et la vie des citoyens.

mnnn, dont rautorilc est fondamentale pour tous les


auteurs allemands qui ont traité de l'illuminisme.
( 285 )

CHAPITRE XXXV.
Guillotine perfectionnée.

JjE premier présent que les jacobins font

à la France est cligne d'eux ; c'est la guil-

lotine , monument de leur frénésie et de


leurs jeux atroces , seul niveau du frère égal
et libre , car les bourreaux manquèrent
plutôt que les victimes.
L'innovation de substituer la mécanique
à la place de l'exécuteur était donc une
heureuse innovation une découverte im-
,

portante pour la secte.


Sur la motion du docteur Guillotin ,

relative au clioix de l'instrument dont le jeu

trancherait la tête en une minute , les frères

adoptèrent cette invention philanthropique.


« Il faut espérer, ajoutait le docteur, que
le peuple s'empressera de s'instruire ; car ,

remarquez bien, je ne prolonge point le sup-


plice; avec ma machine y je vous fais sauter
( ^84 )

la tête en un dm cVœil , et vous ne souffrez


point. » Sans Dolor ! l'ingénuité du docteur
égaya le public , mais la guillotine subsista»

On dit Guillotin- Guillotine , comme on dit

Merlin-Suspect et Merlin-Calvaire (i).

On fit tomber trois cent mille têtes en


France avec cette admirable découverte; sur
la fin du règne de Robespierre, le procureur

de la commune, Ghaumette ,
jacobin très-li-
béral et protecteur des arts, avait trouvé le
moyen de perfectionner la mécanique; il écri-
vait à la convention que d'honnêtes artistes
s'occupaient avec un rare dévouement à
confectionner des guillotines à trente col-
liers pour faire tomber trente têtes à la fois.
Il en monter sur quatre roues pour suivre
fit

les armées révolutionnaires mais ce philan- ;

thrope^ malgré le sans-culotisnie qui le dis-


tinguait, tomba dans la disgrâce des frères
qui l'envoyèrent porter sa tête à cette même
guillotine , objet de ses études et de sa sol-
î ici lu de.

(1) L'un ayant fait la loi des suspects, et l'autre


acbctc le Calvaire prè? Paris.
( 285 )

/^l-» VV» ^iV» (\V1 */V* VV» VV»!*** vv% vv%vv» X-V» ^*« VV» %-»/» w» \%<» w^

CHAPITRE XXXVI.
JSojades et mariages républicains,

J-JORSQUE les jacobins envoyèrentdes hordes


de fédérés et de scélérats pour soumettre
la Vendée , ces satellites donnèrent la mort
à qui leur plut ; on pilla ;, sous prétexte que
celui qu'on pillait était rebelle , ou même
pensait autrement que les frères ; la tolérance

fut si grande qu'on n'observa ni le droit des


gejis , ni le droit de la nature, et qu'on
égorgea sept à huit cents malades dans les
hôpitaux de Fougères. Rossignol, Carrier,
Sechelle , Bourbotte , Ronsin , Santerre ,

Vincent , et quelques autres séides étaient


constamment à la tête de ces expéditions
ordonnées par la convention sécvétissime de
Paris. L'initié Phelipeaux , trahissant ses ser-
mens , et dévoré de remords , tira une partie
du voile, et fut mis à mOrt aussitôt. Les
initiés Biron , Beysser et Ménou n'étaient
( 286 )

plus à la hauteur on les avait rappelés , ; les


deux premiers portèrent leur tête sur l'é-
chafaud , pour le crime de sensibilité ; le

troisième fut trop heureux de n'être que


chassé et destitué; il ne dut son salut qu'au
mépris qu'inspirait son incapacité.
Un Rossignol, rebut de l'espèce humaine,
tiré de la lie des brigands et des assassins ,

fut honoré de la confiance de la secte , et


reçut carte blanche. Il se fit une garde de
pillards, de septembriseurs, de voleurs du
Garde-Meuble, et de ces enrôlés vagabonds
qu'on appelait alors héros a cinq cents francs.
Il accomplit le grand œuvre de l'incendie
et du massacre ; il oiirit trente mille âmes
en holocauste aux Teutatès illuminés (i).

(i) Le général Danican assure, dans ses Mémoires,


qu'il vit un jour Rossignol solder un compte à raison
de 10 francs par paire d'oreilles de Vendéens, et ajoute
qu'il l'entendit dire un jour, dans un autre souper à
Saumur : « Kous voyez ce bras ; eh bien! il a ègoi-gé

soixante-trois pr'êtres aux Carmes de Paris. » C'est


encore lui qui, en donnant ses instructions à un
nommé Grignoy, général sans-culotte employé sous
ses ordres, disait \ v- Ah ça, général, te v' là prêt à
( =8? )

Les boucheries de Machecoul et de Saumur


étaient récentes; on entendait encore les cris
des femmes suspendues par les pieds sur des
brasiers ardens, et les gémissemens des mal-
heureux auxquels les soldats de Rossignol
avaient crevé les yeux , lorsque Carrier parut
dans ces contrées. Le sol fumant, les chants

religieux de vingt mille martyrs immolés aux


principes au milieu des tortures , n'attendris-
sent point le proconsul. Il avait Aes ordres, il

s'était voué, cela suffisait à sa conscience. Il

ne comprenait pas que la secte pût un jour


le renier; il le comprenait si peu, qu'au lieu
du supplice , les décrets de la convention à
la main, il demandait son salaire.
- Nantes devint le théâtre des plus grands
excès ; on inventa les bateaux àsoupape pour
noyer dans la Loire deux ou trois cents
personnes à la fois , et Carrier nomma vingt*
sept nojeiirs en chef pour diriger les opé-
rations.

Les noyades commencèrent à Nantes en

passer la Loire j tue tout ce que tu rencontreras , c'est


comme ça qu'on fait une révolution. »
( 288 )

clécemhre 1794.— Chaque jour, ou plutôt


chaque nuit, on comptait deux mille huit
cents individus expédiés de cette manière ;

chaque bateau à soupape contenait cinq


cents hommes et deux cent cinquante
femmes; on travailla ainsi au grand œuvre
pendant quatre mois et demi. Pour rendre
les eii.^éàiiions plus piquantes on accouplait
,

deux vieillards nus à deux jeunes filles on les ,

attachait face à face par les poignets et les


aisselles, et on les précipitait dans le fleuve,
cela s'appelait des mariages républicains.
Lorsqu'on effectuait une noyade , on fai-

sait descendre de la galiote dans un cha-


land (1) ceux qu^on voulait noyer ; ces
chalands avaient plusieurs trous pratiqués
pour introduire l'eau , et l'embarcation cou-
lait bas ; si par hasard quelque victime s'é-
chappait à la nage , les sbires delacqmpagnie
Marat ,
placés dans des nacelles, les ache-
vaient à coups de sabre ou d'aviron.
Un jour on amena un grand nombre de

(1) Espèce d'embarcation longue et étroite en


usage sur la Loire.
( 289 )

prisonniers sur des charrettes , on les dépose


dans nne galiote , et on les oublie après avoir
fermé les écoutilles. Ces malheureux res-
tèrent quarante- huit heures entassés les uns
sur les autres, sans nourriture et sans air;
lorsqu'on ouvrit ce tombeau , on en trouva
soixante étouffés; on fit traîner leurs ca-

davres dans la Loire par les autres prison-


niers, après quoi ceux-ci furent nojés. Sou-
vent les monstres chargés des expéditions
tiraient des femmes de ces antres de la mort,
les faisaient servir à leurs plaisirs , et les re-

plongeaient ensuite dans les flots.

« Voici ce que raconte un témoin ocu-


laire, dont le récit simple et naïf ne peut
être suspecté d'exagération ; il déposait
comme témoin à charge dans le procès du
fameux comité révolutionnaire de Nantes.
« Depuis deux ans détenu dans la maison
,

du Bouffaj j'y vis entrer vers les onze


,
,

heures du soir, des gens armés qui nous de-


mandèrent nos noms, nous commandèrent
de faire nos paquets, et nous emmenèrent
deux à deux en nous liant les mains derrière
le dos. Je regardais ce moment comme ma
19
(290)
dernière Leure; je prolestai que je mourais
exempt de reproehe ; celle ingénuité me
valut des plaisanteries de ceux qui nous
conduisaient :F. héiesl ce ne sont pas vos
personnes y mais vos biens, que nous voulons.
Quant à toi, me dirent-ils, tumeurs defaim
ici , nous allons te conduire dans un endroit
oïL tu seras beaucoup mieux.
Nous appré-
hendions tous d'être fusillés, et nous deman-
dions à servir la patrie on nous répondit;

que nous serions employés à la construction


d'un fort. L'un de ces hommes avait une
hache sur l'épaule. On nous conduit au Lois
de Lamouretle ensuite au corps de garde
,

. de la Machine on nous embarque à la faveur


,

d'échelles, on nous descend dans la gabare;


nos cordes sont coupées pour faciliter notre
descente; et, comme cela ne s'opère pas en-
core sans difficultés, un de nos conducteurs
imagine de nous prendre par le collet et de
nous précipiter de cette manière les uns après
les autres à fond de cale. Chacun de nous

faisait ses pour se détacher; mais,


efforts

lorsque nous venions à bout d'écarter nos


liens, on nous assommait à coups de crosse
( 29^ )

cle fusil. Cependant, au moment où l'on fai-

sait couler la gabare qui nous enfermait

j'eus le bonheur de m'écliapper à la nage

et j^ai toujours conservé la corde qui avait


servi à m'attacher. »
Nous n'ajouterons que peu de chose à ce
récit; nous dirons seulement que le respect
des frères et amis t^ouvY humanité les portait
à autoriser les noyades sur l'ordre d'un seul
individu, souvent inconnu et sans mission.
Voici un ordre de ce genre.

Nantes, ce 5 venlôse au 2 de la république française une


et indivisible.

« Il est ordonné à Mole de faire mettre à


terre la femme Bictel, et de conduire le

surplus à la hauteur de Pierre-Moine , pour


les jeter a la mer , comme rebelles a la
loi. »

Signé Foucault.

Au milieu de cette extermination univer-


selle, de cette régénération du genre hu-
main rien ne contenait plus
, cette populace
carnassière, instrument passif de la tjrannie.
Les jacobins, comme pour insulter à leurs
19*
( 292 )

victimes, instituaient les fêtes de la honne


foi, de \di justice , du bonheur , de Xamilié
de la vieillesse etdu désintéressement ; ils
parlaient de vertus au milieu du carnage
et de l'assassinat, et, sur des monceaux de
cadavres, ils chantaient les imprécations de
Chénier contre les rois et les prêtres.
(293)

CHAPITRE XXXYII.
Plaisanteries des jacobins.

JuES jacobins sont de tristes plaisans; c'est

pourquoi les éruditsne nous ont point encore


donné de Jacohiniana, En attendant , nous
tâcherons d'y suppléer, en rapportant ce que
nous avons pu recueillir de l'esprit des frères.
Dumas, président du tribunal révolution-
naire, né cruel et railleur, insultait les vic-
times qu'il faisait immoler. Un jour compa-
raît la maréchale de Noailles, qui , âgée de
plus de quatre-vingts ans, est entièrement
sourde. A chaque question elle avance la tête
en disant : « Qu'est-ce que vous dites P » Tu
ne vois donc pas qu'elle est sourde , dit un
juré à Dumas? « jE'/? ùien, reprend celui-ci
écrivez quelle a conspiré sourdement. »

Une autre fois après la condamnation de


soixante ou quatre-vingts personnes, il s'a-

dresse à un maître d'armes qui en faisait


{ ^94 )

partie et lui dit :« Eh bien y l'ami! pare -moi


cette BOTTE-LA !

C'est encore le même qui disait aux jurés :

feu de file! lorsque les victimes devaient


être immolées.
On sait que Robespierre conserva toujours
un costume décent au milieu des crasseux
et cyniques jacobins qui l'environnaient; sa
tête était frisée , poudrée parfumée ; sa dé-
,

marche roide et composée annonçait la diffi-

culté d^un rôle pénible à jouer. Camille-


Desmoulins, le voyant un jour passer, dit

qu il portait sa tête comme lui saint-sacre-

ment. — Le tyran, auquel on irapporta ce


mot, reprit avec un sourire amer Et moi
: »

je lui ferai porter la sienne comme saint


i)enis , » ce qui fut dit fut fait. C'est ce

même Camille-Desmoulins que Danton appe-


lait le procureur général de la lanterne.
Ou discutait à la tribune sur une motion
d'amnistie. « Point d'amnistie! s'écria Bar-
rèrej ilnjaquelèshiorts qui ne reviennent
pas. »

Une autre fois, on proposait de poursuivre


les assassins de septembre. ^^ Bah! bah! dit
( 295 )

Boileaii, ceux qui s mi luoi's sont morts', n

Manuel qoi avait pris mie si grande part


aux massacres des prisons, interrogé sur ce
fait, répondit « Les massacres Jurent la
:

Sauit-Barthélemy du yeujile; il s'est montré


ce jour- là aussi méchant qu'un roi. "
Le boucher Legendre piqué de ce que ,

Manuel venait de combattre une de ses mo-


tions, s'écria « Eh bien:il faudra décréter ,

que Manuel a' de l'esprit! li ,>audraitmieuXy

reprend celui-ci , décréter que je suis une


BÈTE parce que Legendre aurait
,
le droit de
me TUER. »

Carrier, dans ses momens de gai té, appe-


lait les novades baignades nationales , dé-
portations verticales,
Nousnerapporterons pas une foule d'au-
tres mots plus ou moins piquans, mais indignes
de l'histoire. Le bon sens et le bon goût
consistent à choisir , dans les anecdotes de
la V\e àii:i grands hommes , ce qui est vrai-
sem'blable et non pas ce qui est trivial ou ha-
sardé.
( 296 )

CHAPITRE XXXVIII.
Echelle de mortalité.

Q UELLES idées, quelles furies ont inspiré


les jacobins ! Par leurs doctrines, le monde
moral est retombé dans le chaos. Et ce sont
là des législateurs ! Ah ! sil'Erèbe des anciens
n'est point une fiction , si elle eut aussi sa lé-
gislation, ce lut celle des jacobins. Que dira le
lecteur, parcourant cette histoire empreinte
d'une férocité stupide ? Que tous les monstres
des forêts avaient abandonné leurs repaires
pourfondre sur nos villes et nos cités. Ilaper-
cevra la secte à découvert ; il verra en action
le code , le plan de ces affreux nivelé urs ,
qui
sont, comme nous l'avons démontré, la ruine
de la civilisation, du commerce, e^ l'établis-

sement, non d'une égalité de bien-être, mais


d'une ci^alité de san^:', de larmes et de misère.
Us ont osé dire que la France municlpe
aurait assez de dix millions d'habitans!....
( 297 )

Sans doute, rompent les liens sociaux,


s'ils

s'ils enterrentsous les décombres les richesses

des arts , s'ils engloutisseat dans les flots la


population, si, dans leurs rêves agraires , ils

font de vingt-cinq millions de Français dix


millions de serfs à trente francs, il y aura
assez de dix millions d'habitans ; car le sol de-
viendra stérile faim y fera périr ceux
, et la
qui ne seront point dévorés par les animaux
féroces. Absurdes en tout, ils parlent de /r«-
rompent les nœuds ; d'humanité^
ternitéel en
de tolérance, et veulent décimer l'espèce
humaine. Qui a donné à ces sophistes le
droit de vie et de mort sur les générations?
Les insensés ! ils parlent d'égalité; c'est l'éga-
lité de la mort, l'empire du tombeau.
11 est constant que la révolution française
qui est l'ouvrage 6.es jacobins illuminés , et
qui a produit le bouleversement de l'univers,
a fait périr dans l'espace de trente ans six
millions d'hommes. Le calcul est facile :

Dans les différentes émeutes popu-


laires, en France, dans les colonies et

en diverses contrées du monde , ce ne


( 298 )

sera pas trop , si on porte le nombre des


morts à 500,000; ci 500,000.
Par jugement des tribunaux révolu-
tionnaires , commissions militaires ,

massacres, expéditions en masse, noya-


des , mitraillades et autres inventions de
terreur civique, 800,000 ; ci 800,000.
Par le fer et le feu , dans la Vendée
le Midi, et plusieurs autres contrées li-

vrées à la guerre civile , 2,000,000 ; ci. 2,000,000.


Par la guerre extérieure , en comp-
tant la perte des armées étrangères ,

2,000,000, ci •
2,000,000.
Par la famine, 8 ou 900,000 âmes
pour lé moins; posons seulement. .. 700,000.

Nous aurons les 6,000,000.

Et certainement ce calcul est très-modéré.


Ainsi les doctrines de Yilluniinis/ne ont
détruit plus de monde en trente années que
les guerres de fanatisme et de religion en
dix siècles; que les croisades, les \épres
Siciliennes, les massacres d Irlande, laSaint-
BartJiélemy et les dragonnades toutes en-
semble. Les religionn aires se sont égorgés ,

mais ils ont eu la bonne foi , la conviction de


leurs opinions ;>
et daus leurs excès même" il
( ^99 )

y avait quelque chose de respectable : les


jacobins ne tuent que pour boire du sang et
piller : dans leur fureur insensée , les frères

se dévorent, et, dans leurs embrasscniens


homicides, ils disent comme U!i tyran célèbre
à Césonie : « Cette tête sera coupée quand
je le voudrai. »
( âoo )

CHAPITRE XXXIX.
Tableau synoptique des progrès du
jacobinisme.

iMous en avons dit assez; le lecteur est ins-

truit sur l'association ténébreuse des illu-


minés mais.; il est nécessaire de lui faire voir

la progression ascendante et descendante de


cette secte depuis trente ans, de lui dérouler
l'arbre généalogique des familles jacobines,
et de lui montrer pour ainsi dire leur ordre
de bataille.

Jetons un coup d'œil sur ces générations


de philadelphes dilapidateurs , sur ces puis-
sances à mauvais principes, sur ces ^rinianes
nouveaux qui se sont disputé si long-temps
les lambeaux du genre humain , sur ces vils
eunuques rentrés dans la poussière à la vue
des puissans et des forts.
(3oi )

PREMIER TABLEAU.
^<VVt/\^j«/«i\iV%V

QUATRE GRANDES CONSPIRATIONS MINENT LES TRÔNES


ET LA RELIGION.


l Droits do l'homme.
Individuels.
\ Egalité.
ÎMétaphysiqueconstilulion
I
Les pouvoirs nelle.
Force publique.
Publics.
." conspiration Royauté.
]

des sophistes Jurisprudence.


par leurs écrits Droit public et des gens.
contra ( Naturelles.
Sciences. < Divines.
religion, y l Civiles.
1 Dieu et l'homme.
Morale, Z La société.
I
Les devoirs.

viduels.
{Citoyens actifs.
I Individuel
Klecleiirsauraarcd'argent
Les pouvoirs.^
{Constitution de 1791.
I Publics.
l^ Hoyauté constitutionnelle
2.<-conspiration {InsLruct. publique, souict
I

directe contre de nouvelles révolutions


Sciences.
Athéisme source de ton.
,

La religion. les crimes.


{Violation delà Toi publique
Morale.
Schisme.
Sans-culottes à 40 sous pai
I
( Individuels. C jour.
t Les pouvoirs I
Pétitionnaires armés.
{Peuple souverain.
Publics.
\ Constitution de 1793.
3 "Conspiration j Liberté, é;:;alité,fratemit
directe contre î ou la mort.
Sciences.
Esprit d'analyse apjiliqi.
I
La religion. '

l. aux idées relisieiiM'S.


Violation de la liberté inili
I
Morale. < viduelle et du serment.
I
PeroécuLion intolérance.
,

; Populace délibérant dan


Indivirluel: "i les rues.
'Insurrections, anarchie.
Les pouvoirs.'
4." cnnsniration I Laterreuràl'ordredujiinr
directe contre Publics. \ Gouvernement révolution-
' nairc.
i Inslinct sauvage.
Sciences. < Absei:c3 des idées reli-
' gieuses.
La religion.
i Culte de la raison.
Aloralc. < Temples du chrisliacisra
( Icrraés.

".ta^-^myi m ..« i-t» lAlKVKX'fr' a'«i<^n<Mtfr •fA.vsvnfmtmrMH


( 5o2 )

DEUXIÈME TABLEAU.

ailes. \
Rabaud-.St.-
Etiunne.

Kolaud.
IVuichct.
Guadet.
Héraidl-Sé-
chelles.
Robespierre.
Isnard. Premier
Lavicomterie résultat.
Uarliaroiix.
Camus. Constitu-
liarrèr.-. lion
LouvPt. de 1791.
Lanjuinais. Chute
Barnave. de la mo-
Lasource. uurcliie.
lîuzol.
Girondins,
monaictiis- Rœderer.
Garât.
constitti—
Diipont-de-
tiuunels. Nemoiirs.
Alev.Lametli
Régnant -de—
Saint-Jean—
^ d'Angcly.

DEUXIÈME GÉNÉRATION JACOBINE.

Produit.
( 5o5 )

Suite du DEUXIÈME TABLEAU.

Suite de la DEUXlKVlh: GKNliKATION JACOBINE.

En attendant la quatrième génération ,

nous aurions désiré pouvoir mettre aussi


50US les yeux du lecteur le tableau des mil-
( 3o4 )

liards partagés par un petit nombre de scé-


lérats qui ont prêté tous les sermens depuis
1789, mais les matériaux manquent abso-
lument.

/
( 3o5 )

CHAPITRE XL.

Catherine Theot ou Theos , récit épisodique.

Xj'aventure de Catherine Theot ou Theos,


ou la Mère de Dieu , est encore un galima-
tias double pour bien des personnes, mais
ce n'est ni le premier ni le dernier tour de
gibecière de la secte.
Voyant que Robespierre accaparait la
populace , absorbait toute l'attention , et
tendait à se séparer d'elle pour s'emparer
du pouvoir suprême , il fut décidé qu'on
opposerait quelque jonglerie éclatante à la
fête de V Etre-Suprême , afin de l'éclipser
s'il était possible. Après avoir long-temps
discuté sur le moyen , le conseil secret des
frères n'en trouva point de plus convenable
qu'une parade mystique.
Les deux principaux acteurs de la pièce
furent une vieille femme et le fameux
dom Gerle , chartreux , déclaré apostat par
30
( 3o6 )

son ordre , Iiomme bilieux , dont la solitude

claustrale avait creusé le cerveau, et qui


était tombé dans un état d'imbécillité par-

faite (i). Un grenier de la rue Coqbéron


devint le tbéàtre de leurs extrayasanccs.
Toutes les machines étant montées , la

nouvelle pytîionisse rendit ses oracles. Elle


chanofea son véritable nom de -Theot en
celui de Theos ,
qui signifie Divinité, et
elle se mit à combattre la doctrine ^^YEtrc
Suprême, en prenant pour devise :

• Ni culte, ni prêtres ni roi; )

• Caria nouvelle Eue, c'est toi (c'est-à-dire


Theos). »

La Mère de Dieu déclamait, à la manière de

(i) Élu député aux états-généraux en 1789, dom


Gerle avait demandé le premier qu'il fût permis aux
moines ennuyés de sortir de leur couvent; il garda
néanmoins Ihabit de sou ordre jusqu'au décret qui
supprima les corporations religieuses. Il demanda
que la religion catholique fût déclarée religion domi-
nante. Mélange bizarre de philosophisme et de dévo-
tion , il entretint ensuite l'assemblée des prédictions

de Suzanne Labroiisse , autie prophétesse, souffice


par la secte , et renfermée depuis à Rome.
{ 307)
madame Guyon, une collection de passages
choisis d'Isaïe , annonçant la subversion du
pouvoir régnant (i) , et la chute des gens en
place; elle mêlait à tout cela des folies mys-
tiques, telles que les baisers des sept dons
le sucement du menton , etc. Chauinette ,

Danton, Gobel, et dom Gerle composèrent


le fond de l'auditoire. Tout Paris courut aux
farces de la Mère de Dieu, abandonnant
M Etre-Suprême de Robespierre , comme on
quitte les tréteaux d'un joueur de gobelets
pour aller à d'autres.

Lafoule devenant toujoursplusnombreuse,


Robespierre n'eut d'autre parti à prendre
que de métamorphoser la Mère de Dieu et

ses adhérens en conspirateurs, mais le coup


n'en était pas moins porté ; de là ce fameux
rapport du comité de sûreté générale sur la
conspiration de Catherine Theos , rapport
qui n'était pas moins ridicule que le reste.

(i) ÇaÇ, pouvoir régnant était : les comités de salut


public et de sûreté générale dirigés par Robes-
pierre.

20*
( 3o8 )

Robespierre ne se releva point de cet


échec ; c'est qu'il n'avait que la velléité du
crime, et que la secte dont il était trans-

fuge en avait le génie.


(5o9 )

CHAPITRE XLI.

Des jacobins depuis le 9 thermidor jusqu'au


18 brumaire.

Après la chute de Robespierre , les jacobins

deviennent plus puissans que jamais. Débar-


rassés d'un si dangereux frère, ils organi-
sent d'un signe la révolte des ouvriers de
tous les ateliers de Paris. Les conciliabules
se tiennent alors rue Contrescarpe , près
celle Saint-André-des-Arts; c'est de là qu'ils

dirigent les insurrections de germinal et de


prairial, etqu'ils disent au prolétaire :« Qu'at-
tends-tu ? prends ta massue , écrase les
riches , extermine les négocians ; tu es en
guenilles, et l'abondance est près de toi!
ils ont tout, et tu n'as rien !... la rivière
n est-elle pas la F qui t^ empêche d'en user P »
Des bandes de brigands dictent encore une
fois leurs volontés à cette convention , le

plus vil instrument de leur tjrannie. Les


(3.0)
Chasles, les Duhem, les Ruamps, les Ser-
gent , les Soubrany, les Thuriot, font col-

porter et distribuer la constitution de 1790 ;

ils organisent en même temps la famine , et

l'on voit le scandale d'un combat et d'un as-

sassinat dans le sein d'une assemblée déli-


bérant sous les poignards. Heureusement
la providence ne permet pas cette fois le

triomphe du crime; les jacobins s'embar-


rassent dans leur marche, ils se divisent, se
fourvoient dans leurs propres embûcbes , et

y tombent empêtrés.
Grâce au système de bascule du directoire
et aux adeptes qui sont dans son sein , la
secte est alternativement rebelle et domina-
trice ; le sang ne coule plus sur les places

pubhques, mais on fait des hommes une ma-


tière déportaùle qu'on lance dans les déserts
de la Guyane. Les cinq frères de la pentar-
chie adoptent la devise des tyrans : Divide
et régna. Leurs agens pillent la Suisse et

l'Italie par le droit du plus fort ; ils en-


tassent les trésors, ils se gorgent de richesses
et de spoliations. Après avoir vomi douze
cents galériens sur les côtes d'Angleterre
(3m)
ils tolèrent en France les bandes de ckMif-
feurs qui accomplissent , dans le silence des
nuits , les vengeances de la secte.

Le club de Salm et celui du Manège réor-


ganisent la terreur. J... n , Aug...n , Sv....,

Rossignol, Aud...., sont les chefs avoués ;

déjà les rubans, les signes de ralliement, les


emblèmes sont prêts. Trois cents membres
des deux conseils doivent être nojés dans la
Seine. Ils disent qu'il faut la république
municipe qu'elle sera consolidée par
,
le sang
de deux millions d'hommes , et qu'enfin
Paris doit être détruit de fond en comble.
Déjà leurs cohortes sont armées , on déli-
bère.... Un homme arrive du bout de l'uni-

vers pour arrêter les complots ; le dix -huit

lirumaire luit, tout rentre dans la poussière.


C'est cette journée quiretient pendantquinze
ans la civilisation sur le bord de l'abîme , et
qui jette une planche de salut à l'ordre so-
cial. Les jacobins n'ont jamais pardonné à
Buonaparle de les avoir muselés.
( 3l2 )

CHAPITRE XLII.

Jacobins invisibles depuis le iS brumaire


jusqu'en i8i3.

Ici la secte disparaît, nous ne trouvons, pour


nous guider pendant cette période, que des
notions incertaines , des fragmens épars ;

les trames de rillurninisine restent enseve-


lies dans les cartons de la police impériale.

On impute aux frères la machine infer-

nale qui n'est pas leur ouvrage , et on se


sert de ce prétexte pour purger la France
de deux ou trois cents vauriens. Les prin-
cipaux adeptes, après ce coup d'état, pren-
nent leur parti de bonne grâce, rampent bas-
sement devant l'homme de la fortune, se sai-

sissent des emplois, des titres et des richesses:

en attendant l'égalité municipe , ils se mé-


tamorphosent en princes , ducs , comtes et

barons. Ces sans-culottes surdorés, invisibles


sous les crimes , les chaînes et les rubans
(3i5)
circonviennent l'objet Je leur fureur, l'en-
vironnent , l'enlacent dans les pièges de la
séduction et de la perversité. Au premier
revers ils s'éloignent ; l'empire qu'ils ont
miné chancelle sur sa base. Des sociétés se-
crètes reparaissent sur tous les points de
l'Europe; la fausse politique des cabinets
seconde leur audace ; le colosse impérial
s'écroule; l'Europe est ébranlée, les peuples
sont misérables, mais les jacobins conservent
leurs trésors. Un prince de ce sang dont ils

sont si avides donne des pensions , ils se tour-


nent vers lui et s'écrient : « ^/^ .'
c'est vrai-

ment le fils d' Henri IVl »


( 5^4 )

CHAPITRE XLIIÏ.

Tactique des jacobins depuis 18 lO jusqu'à


ce jour.

Uepuis i8i3, la tactique des frères tend à


neutraliser et affaiblir partout la puissance
royale. Le sjstênie représentatif, cette folie
du siècle, les sert admirablement dans leurs
projets. Ils savent bien qu'on ne fonde pas
les étais avec des institutions d'argile, mais
ils n'en veulent pas d'autres. Ces institutions
masquent leurs doctrines et servent à les
propager; avant peu, chaque souverain dé-
pendra d'un club sous le nom d' assemblée

du peuple. Avec les comités directeurs et


les sociétés secrètes, ils dominent les élec-

tions, les députés et 1 état commandent


; iis

des révolutions à jour et heure fixes. Remar-


quons bien qu'ils débutent partout en de-
mandant des constitutions qu'il faut accorder
de gré ou de force , et que les constilulions
( 3i5 )

qu'ils proposent équivalent à ces mots :

« Sois mon esclave, ou je te tue. »

L'enseignement mutuel , les bibles , les

sociétés de bienfaisance , les réunions lit-

téraires, les souscriptions, les cours, les


théâtres , tout ce qu'il } a en apparence
d'utile et de respectable est dirigé vers le

grand œuvre : qu'ils agissent par les savans


ou par les brutes ,
peu leur importe ; ils

disent dans leur code : La fui sanclijle les

moyens
Quels plus grands ressorts de puissance
peut-il y avoir que les richesses et les em-
plois? Eh bien ! iis ont tout cela , et il faut
si l'on n'est pas corrompu , avoir soin de le
paraître pour prétendre à quelque chose.
Solliciteurs profanes ,
prenez-y garde î Le
luxe recouvre le poignard : aux formes
acerbes a succédé un langage mielleux et
poli ; mais ne citez pas une belle action , une
conduite honorable , vous seriez perdus.
Vingt brigands parcourent les bois pour
dévaliser les voyageurs ; s'ils sont bien vêtus,
doux et prévenans, vous les prenez pour
d'honnêtes gens, vous leur accordez de la
( 5i6 )

confiance ; au premier détour, ils vous assas-


sinent et vous volent.
Les brigands illuminés assassinent et vo-
lent les gouvernemens avec toute la politesse

imaginable ; ils appellent cela faire trans-


pirer le corps politique.
(3>7)

CHAPITRE XLIV.
-£"^«2^ présent du jacobinisme en Allemagne y

en France , en Espagne , en Portugal


a Naples , en Angleterre , et en d'autres
contrées du globe.

Ue tons les phénomènes politiques, le plus


grand sans doute est la rapidité avec laquelle
les révolutions se succèdent depuis quelque
temps en Europe ; révolutions qui ne bor-
nent plus les prétentions de la secte à rég-ner

sur quelques états , mais qui lui donnent


l'espoir d'asservir l'univers.

Dans rénumération de ses lamentables


succès que nous avions prédits l'an passé ,

nous ne nous laisserons point dominer par


l'envie de tout attribuer aux embûches et
aux conspirations mystérieuses des jacobins
illuminés. Nous reconnaîtrons volontiers
que dans ce combat terrible dans ce choc
, ,

des nations contre l'autorité légitime , partie


( 5iS )

du triomphe est due à une espèce de fatalité

etàla disposition particulière des esprits vers


un mieux idéal. Mais en même temps nous
sommes convaincus que les jacobins savent
en tirer parti ,
que leurs complots , leurs
missionnaires devancent partout les mesures
faibles et molles des o-ouvernemens. Cesgfou-
'
vernemens sont, il est vrai, dans le plus

grand embarras : comment réprimer et com-


battre mie association qui domine dans les
conseils ,
qui a ses agens dans les forteresses
et dans les armées? comment résister à ces

clubs souterrains, à ces comités invisibles,


à ces correspondans, à ces journaux , à ces
propagandes ? Elles couvrent la terre , elles
enveloppent les états; toutes doivent tomber
un peu plus tùt, un peu plus tard, dans ses
réseaux.
Suivons sa marche dans les diverses con-
trées du globe ; c'est un compte rendu que
nous devons au public , et un témoignage

irréfragable que nous n'avons rien avancé


de trop dans l'histoire des Sociétés secrètes.
(
5i9 )

ALLEMAGNE.
PRUSSE , SAXE , BAVIiiRE , SOUABE , LES «EUX
r.lVES DU RHIN.

Par l'Allemagne, il faut entendre plus par-

ticulièrement la Prusse , la Saxe , la Bavière


les possessions de tous les petits princes de
la confédération, et les deux rives du Rhin.
€'est en 1792 que la secte a commencé à
mettre ses apôtres en mouvement sur le
Rhin. Leur coup d'essai fut de livrer Spire,
Worms, Majence et Francfort aux frères
sans-culottes de France. Strasbouro- était
alors le point central de correspondance des
deux pajs. Stamm , surnommé le guilloti-
îieur et un nommé Hermann qui prenait
,

pour nom de guerre Fliérophile, conspiraient


ouvertement dans celte ville pour livrer
toute la rive du Rhin aux jacobins français;
ils se cachaient si peu qu'ils envoyaient et
recevaient des députations officielles. Lors-
que Cusline se présenta devant Majence,
il n'avait pas un canon; le baron de St....n,
envoyé de Prusse , et l'adeple Eckenmajer,.
( ->20 )

ouvrirent les portes; les remparts de cette


forteresse tombèrent comme les murs de
Jéricho.
Aujourd'hui les illuminés des bords du
Rhin rêvent plus que jamais la république
municipe cis-rhénane. Le grand club est à

Bonn, et à la loge des trois pao7is à Neuwied.


Le fameux Ar — dt préside; c'est le même
qui a prêché la croisade contre Napoléon en
181 5, qui prit parti dans les landwehr, et
qui fut autrefois poursuivi par la police impé-
riale française. Cet adepte est secondé des
Vve....ker, jeuneset fougueux novices, ainsi
que du prolessur Gœ....res du gymnase de
Coblentz, rédacteur du Mercure du Rhin,
journal incendiaire de. la secte. La police
prussienne est intervenue depuis les événe-
mensde Berlin; elle a arrêté plusieurs frères,

saisi quelques fils, mais non pas tous. Ar...dt


est bien instruit, mais il ne dira rien ; et s'il

voulait parler, le tribunal de sang trouverait


bien moyen de lui fermer la bouche.
A Berlin, depuis un an , on nest occupé
qu'à prévenir des conspirations. Les adeptes
de toutes les classes s'y tiennent cachés
( 521 )

<îans les loges des francs-maçons; le gouver-


nement prussien vient de fermer ces loges.

Les papiers de l'adepte niveleur Jahn , du


professeur Fries , dii colonel Mas.... et de

quelques autres, n'ont rien appris sur le fond


des choses. Il paraît seulement qu'un plan
d'insurrection était arrêté ; on croit savoir

que le feu devait être mis dans plusieurs


quartiers deBerlm, et que les conjurés comp-
taient sur la garnison pour seconder le mou-
vement.
A léna, les sociétés seôrëtes travaillent
en grand, et, de concert avec les loges miner-
vales de Weymar et de Gotha elles sé- ,

duisent les jeunes gens des universités , les

exaltent et leur font contracter d'étroits

engagemens. C'est de là que sont sortis, en


i8 15 , tous ces professeurs du poignard , tels

que les Ocken et les Gœ....res, pour faire le

métier de chefs de bandes à la tête de leurs


disciples. Dans ces universités s'élève en
silence une génération qui accomplira de
grandes choses. Le lecteur se rappellera que
Sand dépêché de léna pour frapper
fut

Kotzebue. On n'a point rendu public tout


21
( 522 )

ce qu'il y a d'officiel sur la procédure de


ce jeune séide; mais il a déclaré que deux
cents fanatiques de sa trempe étaient prêts
à se mettre en campagne au premier signal
de leurs supérieurs. Celui qui voulut tuer
Napoléon à Vienne en 1 809, avait aussi étu-
,

dié en Saxe , et fit la même déclaration. Les


listes rouges , les listes noires , les listes de
saner sont dressées.
A Brunswick, de nouveaux adeptes ont
succédé aux Campe, aux Mauvillon , aux
Trapp ; ils travaillent sur le plan général ea
prêchant le cosmopolitisme
La Bavière qui , fut le berceau de l'illu-

minisme, n'en est plus le principal point

d'appui; cependant y a dans Augsbourg et il

Munich de nombreuses sociétés àe maçons


de rose-croix de soujfrans et de chercheurs
,

qui sont en communication avec les sociétés


du Nord , et qui servent d'intermédiaires
pour la correspondance avec l'Autriche et
l'Italie.
( 023 )

LES PAYS-BAS.
Comme au temps de Vandernoot, c'est
toujours à Gand que réside le grand conseil
de la secte pour les Pays-Bas. Le gouverne-
ment belge a fait fermer dernièrement toutes
les loges de francs-maçons , parce qu'il s'y

trouvait un émissaire du coniité directeur


de Paris; on n'a rien pu découvrir de ce qui
s'y tramait. Les papiers furent saisis, mais les
conspirations ne s'écrivent pas. On observa
que cette époque correspondait à celle des
troubles de Paris.
Dans la Hollande, les frères de la révolu-
tion jacobine de 1787 , ceux qui ont facilité
la conquête du pays aux sans-culottes fran-
çais, sont toujours à peu près dans la même
situation. Amsterdam seule n'a pas moins
de quarante clubs ; c'est par là que passe la
correspondance avec les liiddistes et les radi-

caux d'Angleterre. Leyde, Utrecht, La Haye,


Harlem, sont peuplées d'adeptes, comme
en France ils ont leurs grimaciers et leurs
orateurs des halles pour la populace. On
ne compte pas moins de quarante mille no-
*
21
( 3.4 )

vices ou initiés dans tout le royaume des


Pays-Bas.

L'ANGLETERRE.
On se souvient encore à Londres de là
mission de Zwack, le Gaton de la secte et
rélève de Weissliaùpt; il j fut envoyé, il
y
a trente ans, sous les auspices d'un grand
prince pour prêcher la propagande. Depuis
lors, les loges de maçons illuminés s'y sont
multipliées sous toutes les dénominations;
elles sont assez généralement peuplées de
protestans apostats dans le genre de Thomas
Payne et du docteur Priée. Les B...e ,

les W n, les Hut....n, les Burd... en font


partie. Elles ont expédié lord Cochrané dans
TAmérique-Espagnole pour commander les
forces navales des insurgés; elles fournissent
à ces derniers des armes, des munitions, et
recrutent même publiquement pour leur
compte. Pendantcetempson donne quelques
représentations démagogiques à Spajields ,

on soildoie les luddistes,on propage les bibles>


et l'issue scandaleuse d'un grand procès vient
( 535 )

d'avilir la royauté; c'est toujours autant de


gagné.

LA SUÈDE.
L'ombre de Gustave, assassiné il j a trente
ans par les frères de l'observance Philalète,
a vu s'étendre les sociétés et les affiliations ;

ellesy fructifient dans le fond des loges


maçonniques et s'y dérobent à la vigilance
de la police. Le prédécesseur du souverain
actuellement régnant était grand - maître
sans être initié. Il y a près d'un an qu'un
mouvement fut sur le point d'éclater à
Stockolm , et ne répondit point à ce qu'on
attendait. Depuis lors les sociétés maçonni-
ques y sont rigoureusement surveillées par
le gouvernement.

LA RUSSIE.
C'est peut-être aujourd'hui le pays de l'u-
nivers où il y a le plus d'illuminés. Ils ont
des sociétés secrètes en Courlande , en Li-
( 526 )

vonie, à Pétersbourg- et à Moscou; ces so-


ciétés sont presque toutes composées de
nobles.
Malgré la sévérité de la police russe sur
les passe-ports , les frères voyageurs jouent
leur rôle de missionnaires dans tout l'empire.
Ils correspondentprincipalement avec Rome
et Naples. On peut considérer la secte en
Russie comme très-puissante par le nombre
et la qualité des adeptes, presque tous grands
seigneurs. Le gouvernement russe avait

toléré long-temps les jésuites qu'il regardait

comme un institut précieux pour l'enseigne-


ment; les intrigues des illuminés ont eu assez
de crédit pour les en faire chasser et pour
s'emparer des écoles-

LA POLOGNE.
La secte attache une grande importance
à cette contrée. Si elle pouvait la régénérer

( autrement dit la révolutionner), elle tien-


drait trois puissances en échec ; les frères

prussiens et autrichiens se montreraient


plus hardiment , et la propagande ferait plus
(337 )

de progrès en Russie. Malheureusement, de-


puis Kosciusko , on n'a trouvé personne
pour attacher le grelot de l'insurrection ;

cependant les illuminés ont des sociétés à


Varsovie, à Vilna , à Lublin. Ces sociétés
sont parvenues à introduire grand nombre
d'adeptes dans la diète, et dernièrement les
séances furent si orageuses que l'empereur
Alexandre a été obligé de la dissoudre.

L'AUTRICHE.

Joseph II et Léopold , victimes de leur


déplorable indulgence , ont averti leur suc-
cesseur du danger. Nul gouvernement n'a
déployé plus de vigueur contre les attentats

de l'illuminisme. Tout membre d'une so-


ciété secrète, tout franc-maçon en Autriche,
est exclu des emplois civils et militaires.

La secte n'en a pas moins fait des progrès


alarmans dans le corps de la noblesse et
dans les écoles publiques. Les adeptes autri-
chiens ont en ce moment ime correspon-
dance étendue avec ceux du Nord , de TAl-
( 328 )

leroagne et de l'Italie ; le point central est à


Vienne. Les L...., les M.... favorisent sous

laain les relations et la circulation des écrits


incendiaires ; ces poisons commencent à
pénétrer dans les bourgs et dans les villages :

on y reçoit fréquemment des brochures et


des pamphlets auxquels on n'a jamais sous-
crit. Les illuminés ont cependant un anta-
goniste très-prononcé dans la personne de
l'empereur François IL
Dès 1795, ils avaient organisé à Vienne
un complot pour s'emparer de ce prince
de l'arsenal et des postes principaux. Les
conjurés devaient le forcer à abdiquer ou à
signer une constitution. Il y avait dans cette
conspiration des adeptes femelles et des
Italiens tout prêts à administrer le bouillon
de Naples ; on était seulement indécis de
savoir si on le donnerait à la dose qui hébète
ou à celle qui tue.

LA FRANGE.
Que dirions-nous delà France qui ne soit
«UHiui ? L'assassinat d'un prince du sang ^ la
( ^29 )

révolte du mois de juin , la conspiration mi-


litaire , ce qui se passe dans les provinces
démontrent assez que les jacobins n'j sont

pas oisifs. Grâce au génie de la secte , ni


les souscriptions, ni les missions, ni les li-

belles , ni les livres , ni les impostures , ne


sont épargnés pour consommer le grand
œuvre. On n'a rien découvert de positif sur
l'incendie de Bercj ; on ne sait s'il est dii

au hasard ou à quelque profonde machi-


nation.

L'ESPAGNE.
La secte règne et triomphe dans la pé-
ninsule : les Riego et les Quiroga ont pré-
cipité une révolution qui était déjà faile
moralement. Les jacobins ont employé en
Espagne ce que dans Vargot on nomme
la chaîne; un seul anneau met tous les autres
en mouvement ; des insurrections sponta-
nées éclatent sur divers points à la fois.

Cette méthode ne peut être bien conçue


que par les figures ci-après :
( 33o )

(Clief des adeptes, en aysnt sous loi


f\ deux autres auxquels il donne l'im-
^-^ puhion , el ceux-ci la transmettent.)

On voit qu'un seul individu, par un signe,


peut en mettre trente-six en action , et ceux-
ci cinq cent soixante-seize, ainsi de suite.
C'est par ce mécanisme que l'insurrection
espagnole devant Cadix s'est déclarée en
moins de six heures ;
qu'elle a parcouru
trente-quatre villes en un jour, quoiqu'elles
fussent éloignées de sept , neuf et même
onze lieues , et qu'enfin l'embrasement ré-
volutionnaire est parvenu presque aussitôt
jusqu'à Madrid.
Les jacobins du café Zo/'<?/z:}/«/ dominent
marchent sur les traces
les cortès ;les cortès

de la convention; la guerre civile s'annonce


dans les provinces. Les Suisses et les gardes
du corps de Ferdinand viennent d'être li-
( "'3i
)

ceiiciés. Ce prince est justement dans la


position où se trouvait Louis XVI quelques
mois avant le lo août 1792 (1).

LE PORTUGAL.

Le Brabançon Sègre est le premier adepte


qui prêcha la propagande en Portugal; mais,
saisi par l'inquisition, les frères trouvèrent
le moyen de lui faire passer un rasoir dans
un matelas; Sègre se suicida, et on ne sut
rien. Le Portugal vient de subir, comme les
autres pajs, le joug des jacobins; depuis le
départ du prince régent, ils y étaient devenus

très- nombreux. On n'a encore reçu que peu


de détails sur la révolution qui vient d'é-

clater. On sait seulement qu'il existait des


ramifications entre les sociétés de Madrid ,

de Lisbonne et de Londres. A peine maîtres

(1) Les frères et amis de Paris, dans l'excès de


leur joie, se sont empressés de frapper des médailles
pour perpétuer le souvenir de ce grand événement,
de graver l'effigie des adeptes Riego et Quiroga ; et,
ce qu'il y a de plus surprenant, on les a laissés faire.
( 352 )

du pouvoir, les conspirateurs se sont occupés


de publier un catéchisme civique , poli-
tique et constitutionnel à l'usage de la po-
pulace.

LA HAUTE ET LA BASSE ITALIE.— NAPLES,

L'Italie a toujours été pour la secte un


vrai pajs de Cocagne. Elle est aujourd'hui
lort gênée à Turin, à Milan et à Venise par
la police militaire autrichienne , mais les

adeptes n'en sont pas moins nombreux et


pleins de zèle. Cachés au fond des loges ma-
çonniques , ils n'attendent que le signal de
la régénération. Les rives du Pô sont pré-
parées pour \e grand œuvre , comme celles

du Rhin , de la Seine , de l'Ebre et du Tage.


Rome est en ce moment le centre des
machinations ; c'est là que les carbonari ont
établi leur quartier-général ; les illuminés

de Suède , de Russie , d'Avignon et de Lyon


V entretiennent des députés comme au temps
des Pernetti et des Cagliostro.
L'association des carbonari est divisée
on arrondisscmeus territoriaux depuis I9
( 5o5 )

i-ona des Calabres jusqu'aux Alpes et aux


et ces arronclissemens sont
ap-
Apennins,
hiéro-
pelés marchés ou ventes dans l'idiome
les rapports
glyphique. Les ventes reçoivent
les listes
àcsfurgoni (espions) elles dressent
,

réi^lée (i);
àes essences à mettre en coupe
les bandes armées qui
désolent la haute et

Italie sont à ses ordres;


on les
la basse
nomme 5zf/>crt/?/ (sous-maîtres compagnons);
pour
ilsrendent compte des brins martelés
invin-
rabattage (2). Quand des obstacles
cibles ont arrêté ces hordes sanguinaires
elles nomment ceux qui
dans leurs courses,
les ont comprimées loups des Apennins et ,

rien ne peut les soustraire à leur


vengeance ;

6'est ainsi qu'ils ont fait sauter, à Naples, le

palais du transfuge Salicetti, en 1809. Le


roi Joachim fit alors main basse sur toutes
en 8i5 lorsqu'il se porta
les ventes; mais, 1 ,

avec l'armée napolitaine dans la


Lombardie>
auxiliaires. Dans
les carbonari devinrent ses

(i) C'est-à-dire la liste de


sang, ou les profanes à

mettre à mort.

Des assassinats et exécutions fnilesv


(2)
( 334 )

leur idiome un roi se nomme cèdre;


, — o-rand
seigneur, chênes — noblesse, ronce; — ma-
gistrats, cyprès; — gens d'église, bois taillis;
— peuple jjougère.
Naples , passé le joug des carbonari
n'est plus qu'un théâtre de scènes sanglantes
et démagogiques ; on se croit reporté aux
époques les plus affreuses de la terreur et du
jacobinisme. Les irères et amis, après avoir
forcé le souverain à se déclarer pour eux,
ont assemblé un parlement révolutionnaire
qui vient de se déclarer assemblée consti-
tuante ; et , ce qui n'est pas moins remar-
quable, certains journaux ayant voulu rendre
compte de ces événemens, ont été forcés de
supprimer tout ce qui pouvait faire croire

que le pouvoir royal avait cédé à la violence.


Le carbonaro Pe/?e assiégeait dernièrement
Palerme; nouveau Collot-d'Herbois, il me-
naçait de n'y pas laisser pierre sur pierre.
Au surplus, Naples a toujours été le ré-
ceptacle de l'illuminisme : une foule de
grands seigneurs et de' nobles sont adeptes.
Les armées autrichiennes vont marcher
contre les carbonari; le royaume de Naples
( 555 )

subira une quatrième invasion mais ; le pou-


voir de la secte n y sera point détruit, il y a des
adeptes dansles troupes autrichiennes comme
ailleurs. Cette expédition peut donner lieu à
de grands événemens.

LA SUISSE.
Les montagnes de l'Helvétie ne sont point
perdues pour les jacobins il y a des sociétés
;

secrètes à Lucerne à Bâle à Fribourg à


, , ,

Neuchâtel , à Sion : c'est làque l'adepte


R bel déterra les Maingaiid les fVeiss
,
y

les Ochs , les Rapinat et tant d'autres fléaux,

lorsqu'il fallut piller et révolutionner les

treize cantons en J796. Aujourd'hui le ^/«/zû?


sanhédrin des illuminés suisses n'est plus à
Genève, il est à Fribourg. On arrêta derniè-
rement les étudians Wieland et MuUer qui
fraternisaient avec les sociétés minervales
de Veymar, et plusieurs autres portant des
poignards à la Warthhourg. On verra bien-
tôt sortir de la Suisse des colonies d'assassins,
( 356 )

comme au temps du Vieux de la Montagne


il en sortait des antres du Liban.

CONSTANTINOPLE ET L'ORIENT.
C'est surtout dans ces contrées que le
clioix des missionnaires exige de la secte le

plus grand discernement. Depuis le vojag-e


de S dépêché de Paris pour acheter le
Sommeil du divan avec une partie des dia-
mans volés au Garde-Meuble la Porte est ,

restée, à l'égard des sociétés secrètes, dans


la plus parfaite neutralité ; ce qui n'était d'a-
bord que l'eCPet de la séduction est devenu un
système. Les Ru... in, les barons de T...t y
ont long-temps prêché la propagande et fait

provignerla vigne. Les loges minervales sont


aujourd'hui en grand nombre dans tout
l'Orient, et correspondent avec celles de
Russie. Grand nombre d'orientaux sont
adeptes ,* il s'en trouvait plusieurs à la suite

de l'ambassadeur de Perse lorsqu'il passa


dernièrement à Paris. Cette ambassade avait
elle-même un caractère mystérieux.
( 5^^7 )

AMÉRIQUE.
Porté comme la peste sur les ailes des vents,
l'illuminisme est allé révolutionner l'Amé-
rique espagnole. Il avait préludé aux Antilles
par l'afFranchissementdes noirs. Les sociétés
minervales des Etats-Unis servent aujour-
d'hui d'intermédiaires entre les loDfes d'Ano-le-
terre et les insurgés de l'Amérique méridio-
nale. Elles y font aussipasser des soldats, des
armes et des munitions : plus de quarante
millions sont employés annuellement pour ea-
tretenir ce foyer d'incendie. Les sociétés se-
crètes de Buenos-Ayres, de Lima, de Quito,
de Santa-Fé, etc., sont connues sous le nom
d'architectes écossais; les frères ont pour
devise : dissimulation et courage. C'est là
où s'est formé le noyau de Y indépendance.
Lorsqu'ils veulent insurger une colonie ou
une province, les adeptes architectes voya-

gent déguisés en colporteurs ou en mar-


chands , distribuant au peuple des caté-
chismes, ou des bibles travesties par Thomas
Payne , et y joignent de petits bulletins con -

22
( 358 )

tenant de fausses nouvelles. Plusieurs de ces


missionnaires, jouant leur r(Me, ont été sur-
pris et pendus , surtout dans les colonies
anglaises. Depuis quelque temps ils font
venir d'Europe beaucoup de livres anti-reli-
gieux qu'ils débitent à vil prix.

Notre tâche est remplie : quelle triste et


pénible carrière nous avons parcourue ! quel
dédale d'iniquités ! Si ce tableau est encore
au-dessous de la vérité , il n'en faut accuser
que la faiblesse de notre pince^iu. Les docu-
mens sont innombrables pour suivre les cons-
pirateurs dans leurs antres ténébreux , pour
attester les forfaits qu'ils méditent et ceux
qui sont accomplis.
ne reste plus qu'une ressource aux sou-
Il

verains, c'est de faire par toute l'Europe, à


l'égard des illuminés, ce que Philippe-le-Bel
fit avec moins de raison contre les Tem-
pliers; mais, au point où en sont venues les
choses, ce remède violent, administré dans
la dernière crise du corps social, pourrait
emporter le malade. N'ayant plus d'espoir,
( ^% )

il n'y a rien de mieux à faire que de s'aban-


donner aux décrets ^de la Providence qui
dans sa colère , semble avoir irrévocablement
déterminé la chute des empires et de la civi-
lisation.

FIN.

^
TABLE
DES CHAPITRES.

Préface- Pag. %

I. Considérations générales. 11

II. Définition des mots. 23

III. Voltaii-e, Condorcet, Diderot, Mar-


raontel, et quelques autres. 26

IV. Complicité de la secte des illuminés


dans l'assassinat de Louis XV pa?
Damien. — Aperçus et faits relatifs
au commencenient de la réyolution

française. 33

V, Initiés de l'assemblée constituante. 39


VI. Assassinat de Pinet. Al

VIL Société de la Constitution ou Club


breton. — Caverne de l'avenue de
Saint - Cloud. — Conciliabules de
Passy. A3

VIII. Club Saint-Roch. A7


( 54i )

IX, Club des Feuillans. A9

X. Société de la révolution de Londres. 51

XL Club des Enragés. 55

XII. Club des Cordeliers. 55

XIIL Club des Jacobins. 57

XIV. De l'illuminé Bischoffswerder. 59

XV. Massacres du 2 septembre. — Par-


ticularités sur ces massacres. 62

XVI. Conciliabule de Charenton avant la

journée du 10 août 1792. 68

XVII. Régime des municipes. 7o

XVHI. Anacharsis Clootz, orateur du genre


humain. — Portrait de quelques
initiés. 77

XIX. Votes des jacobins dans le procès de


Louis XVI. 95

XX. Débats nocturnes après la condamna-


tion du roi. 103

XXI. Horrible proposition de Legendre. 107

XXII. Autre proposition de CoUot-d'Her-


bois. 109

XXIII. Autre proposition de Drouet. 112

XXIV. Convention secrétissime. — Bataillon


de tyrannicides. 11 &
( ^42 )

XXV. Familles littéraires sous TinQueBcc


de la secte. 118
XXVI. Proconsulats. 126
XXVII. Blécanisme des insurrections. 153
XXVIII. Moyens anarchiques. 157
XXIX. Éloquence des jacobins. 160
XXX. Analyse de la correspondance des
frères. 17A

XXXI. Tribunaux et comités révolution-


naires. 198
XXXII. Comités de surveillance , espion-
nage , spoliations , sacrilèges ,

hommes à quarante sous par jour. 209

XXXIII. Maximes du gouvernement "de la

secte, copiées dans ses archives. 216


XXXIV. Code des jacobins. 225
XXXV. Guillotine perlectionnêe. 283

XXXVI. Noyades et mariages républicains. 285

XXXVII. Plaisanteries des jacobins. 293

XXXVIII. Échelle de mortalité. 296

XXXIX. Tableau synoptique des progrès du


jacobinisme. 300

XL. Catherine Theot ou Theos^ récit épi-


sodiquc.
( 345 )

XLI. Des jacobins depuis le 9 thermidor


jusqu'au 18 brumaire. 309

Jacobins invisibles depuis le 18 bru-


XLII.
maire jusqu'en 1813. -"U

XLIII. Tactique des jacobins depuis 1813


"^1^
jusqu'à ce jour.

XLIV. État présent du jacobinisme en Alle-


magne, en France, en Espagne,
en Portugal, à Naples, en Angle-
terre et en d'autres contrées du
^lobe. 317

FIS DE LA TABLE DS"* CHAPITRES.


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Unirersity of Toronto

Libraiy

DO NOT
REMOVE
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THIS
POCKET

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MadebyLlL AkY BUREAU


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