Admin, 2 Les Fondements D'une These de Doctorat en Sciences de Gestion - Mohammed Amine Balambo - Manal El Abboubi

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Les fondements d’une thèse de doctorat en sciences de gestion :

Un plaidoyer pour une manipulation intelligente


The Basics of a Doctoral Thesis in Management Science:
a Plea for Intelligent Manipulation

Mohammed Amine Balambo


Professeur
Université Cadi Ayyad, Marrakech

Manal El Abboubi
Professeure
Université Mohamed V - Rabat

RESUMÉ : L’objectif du présent article est de procéder à une lecture éclairante des fondamentaux de la
méthodologie pour les jeunes chercheurs en sciences de gestion. Dans ce sens, sont identifiés les principaux
éléments constitutifs d’une thèse de doctorant, avec une mise en relief des éléments de cohérence entre les
différents choix opérés. En outre, l’article présente un plaidoyer pour une manipulation intelligente des
dispositifs de recherche.
MOTS-CLÉS : Méthodologie, thèse de doctorat, sciences de gestion.
ABSTRACT: The objective of this study is to provide an enlightening reading of the fundamentals of
methodology for emerging researchers in management science. In this sense, an identification of the main
components of a doctoral thesis has been addressed, while highlighting the elements of coherence between
the different choices made. In addition to this, the article makes a plea for an intelligent handling of re-
search devices.
KEYWORDS: Methodology, doctoral thesis, management sciences

Introduction
Et si la terre était plate ?! Combien même ce postulat pourrait être intéressant et excep-
tionnel, les scientifiques ne pourront l’admettre que lorsqu’il répondrait aux exigences
méthodologiques de rigueur, qui ont permis au chercheur d’arriver à un tel résultat.
Les sciences de gestion sont tout aussi exigeantes que toute autre discipline. La pertinence
d’une recherche va d’abord se mesurer par la convenance de la question de recherche, de
sa portée et de son intérêt pour la science et pour les managers. S’en suivent après toute
une série de composantes du design de la recherche dont le respect, quasiment religieux,
forge toute la scientificité de la recherche.
Voilà pourquoi nous estimons important le retour aux fondements épistémologiques et
méthodologiques nécessaires pour tout chercheur. Cela passe d’abord par une maitrise
des indispensables de la recherche comme la problématique, la question de recherche,

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la problématisation et l’objet de la recherche. Viennent ensuite les pistes de positionne-


ments épistémologiques et les modes de raisonnement qui les accompagnent, pour enfin
arriver au design de la recherche avec les dispositifs de collecte et d’analyse des données
ainsi que leur modus operandi.
L’objectif du présent article est de procéder à une lecture éclairante des fondamentaux
de la méthodologie pour les chercheurs néophytes en sciences de gestion. Il ne s’git nul-
lement d’une une reproduction, ni d’une substitution aux ouvrages de référence en la
matière, tels que Thiétart (2014) entre bien d’autres ; mais plutôt un plaidoyer pour une
manipulation intelligente des dispositifs de recherche.
A cet effet, nous avons subdivisé l’article en deux parties. La première synthétise, de ma-
nière limpide, les fondamentaux d’un « design » de recherche en sciences de gestion. La
deuxième apporte une lecture critique des tendances que nous avons observées en la ma-
tière, avec la mise en évidence de plusieurs points de vigilance que les chercheurs doivent
prendre en considération dans leur parcours.

1. Les fondements d’une thèse de doctorat en sciences de gestion


Nous commencerons par l’identification des principaux fondements d’une thèse de
doctorat, et les différents choix à opérer pour lui assurer cohérence épistémologique et
méthodologique.

1.1. Une Problématique, une problématisation, et une question de recherche


La question de recherche est l’une des étapes « stratégiques » dans le cadre d’un travail
doctoral. Sa formulation doit être menée avec le plus de précision et de prudence pos-
sible. Elle suit un processus extrêmement technique, qui engendre de fortes implications
épistémologiques et méthodologiques. Nous expliquerons içi la différence entre « problé-
matique », « problématisation », et « question de recherche ».
Une problématique correspond à un constat théorique ou à une observation empirique
réalisés par un chercheur, et qui justifient l’intérêt porté à l’étude. Elle se caractérise par
sa capacité à induire divers questionnements, avec plusieurs bifurcations disciplinaires,
et un traitement qui pourrait être réalisé dans le cadre d’études plus approfondies. Pour
qu’elle soit suffisamment intéressante, une problématique doit être interpellante, com-
plexe, et compliquée (El Abboubi et al., 2023). Elle s’énonce sous une forme affirmative
qui n’implique pas de question précise.
Une fois une problématique identifiée, il convient d’en circonscrire les contours en l’ins-
crivant dans une question de recherche plus précise, et d’abandonner les autres pistes et
questionnements qu’elle aurait suggérés.
A ce stade, intervient une deuxième phase, qui permet de justifier la pertinence et l’in-
térêt de la recherche. Il est à rappeler, qu’en science de gestion, un travail doit avoir un
intérêt théorique et/ou empirique et/ou méthodologique. Cette justification correspond
à la phase de problématisation.

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La problématisation consistera alors en la déclinaison des raisons qui légitiment un inté-


rêt pour cette problématique. Selon El Abboubi et al., (2023, p25), il pourrait s’agir par
exemple de :

« - l’absence partielle ou totale des connaissances ;


- les recherches n’ont pas été conduites dans un terrain/contexte particuliers ;
- la non prise en compte de certaines variables dans les recherches précédentes ;
- la non utilisation d’une méthodologie particulière ;
- la contradiction entre plusieurs résultats de plusieurs recherches sur un même
phénomène ;
- l’absence de tests empiriques d’un modèle théorique… »
La problématique et la problématisation permettent donc d’identifier et, ensuite, de jus-
tifier l’intérêt porté à une recherche.
Contrairement à la problématique, la question de recherche est énoncée sous une forme
interrogative, et permet de préciser la question centrale à laquelle le doctorant s’efforcera
de répondre, tout au long de son travail. Elle définit implicitement plusieurs choix épis-
témologiques et méthodologiques et l’orientation générale du travail que le chercheur va
emprunter. Elle doit donc être formulée dans un style clair et concis, en fournissant le
plus de précisions possibles qui permettent au lecteur de comprendre les objectifs de la
recherche.
En sciences de gestion, il convient de distinguer trois types de questions de recherche :
question causale, processuelle ou de recherche-action.
Le premier type qui correspond aux questions de recherche causales part souvent d’un
« knowledge Gap », identifié par le chercheur dans la littérature. Dans un esprit positiviste,
les questions de recherches causales tentent d’identifier des « Antécédénts/Détérminants/
Causes » qui viendraient expliquer le phénomène que l’on souhaite étudier. Le chercheur
élabore donc une question en mettant en perspective une variable centrale à étudier
(une variable à expliquer), avec des variables qu’il conviendrait de découvrir à travers
la recherche. Ce type de question de recherche devrait impliquer la définition de l’uni-
té d’analyse identifiée (un individu, une organisation, une relation inter-organisation-
nelle), le terrain d’investigation empirique choisi et une délimitation spatio-temporelle
(contexte).
Le deuxième type de questions est celui d’une recherche processuelle. Contrairement à
la question causale, cette question tente de comprendre le déroulement d’un processus
de management dans lequel il y a les relations d’influence multidimensionnelles. Il s’agit
souvent d’explorer une thématique peu documentée dans la littérature. Son objectif n’est
pas d’expliquer une réalité, mais plutôt de comprendre le processus de fonctionnement
d’un phénomène de façon précise, longitudinale et idiosyncratique. Elle implique donc
le choix d’un terrain d’investigation empirique très précis avec l’utilisation de méthodo-
logies qualitatives qui permettent une forte immersion.

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Le troisième type de questions de recherche est celui de la recherche-action. Certaines


questions de recherche pourraient provenir d’une demande sociale. Une organisation qui
souhaite résoudre un problème de gestion concret, et fait appel, dans le cadre d’un contrat
de recherche ou d’une bourse, à un doctorant pour le résoudre. Une demande sociale pour-
rait donner lieu à une question de recherche à des fins d’action. L’objectif de ces questions
(qui impliquent souvent dans leur formulation un verbe d’action) partent d’une forme
d’intentionnalité de la part du chercheur d’engendrer une nouvelle réalité technique, tech-
nologique, ou managériale. Elles ont donc plus une portée constructiviste à travers laquelle
le réel devrait être construit avec les acteurs dans une logique transformatrice.
Ces différents types de questions de recherche pourraient donner lieu à des sous ques-
tions qui en découlent. Ces dernières, tout en se bornant à répondre à la question cen-
trale énoncée, vont scinder le traitement en plusieurs étapes qui dressent un chemine-
ment logique de la progression du travail.

1.2. Un objet
La détermination de la question de recherche implique un objet de recherche. Ce dernier
permet de fixer « qu’est-ce que je cherche ? ».
Selon Thiétart (2003), il existe trois types d’objets de recherche en sciences de gestion :
théorique, empirique, ou méthodologique.
Une thèse à objet théorique est une thèse dont le principal point d’ancrage est l’interro-
gation d’un concept, un modèle ou une théorie. L’objectif de ces thèses est de déboucher
sur une amélioration de la connaissance relative à un phénomène donné et de contribuer
à alimenter la littérature.
Une thèse à objet empirique découle plutôt d’une préoccupation de terrain (thèses sur
demande sociale, vue plus haut) et s’attache à la résolution de problèmes concrets où le
chercheur adopte la posture du chercheur-acteur. Ces modèles accordent une place de
choix aux apports managériaux et à l’actionnabilité des connaissances produites.
La thèse à objet méthodologique questionne plutôt des outils de recherche méthodolo-
giques et cherche à les compléter, les remettre en question, ou à en inventer de nouveaux.

1.3. Un positionnement épistémologique


Il est nécessaire pour un doctorant d’inscrire son travail dans une perspective épisté-
mologique dans laquelle il définit sa conception du rapport entre la conception du réel
connaissable et les connaissances produites.
Dans ce sens, l’épistémologie s’intéresse à la constitution des connaissances valides et se
propose de répondre à trois questions.
- Quelle est la vision du chercheur du réel connaissable ?
- Quelles sont les hypothèses méthodologiques sur lesquelles il s’appuie ?
- Quels sont les critères de validité de la connaissance ?

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Il existe plus d’une dizaine de courants épistémologiques qui ont tenté d’apporter une
réponse à ces questions. Nous pouvons en distinguer trois principaux courants : le posi-
tivisme, l’interprétativisme, et le constructivisme.
Le positivisme, comme courtant épistémologique, est souvent associé aux questions de
recherche causales. Le positivisme considère le réel comme ayant une essence propre.
L’objectif du chercheur est d’expliquer la réalité essentielle de la réalité existentielle. Ce
courant s’appuie sur une logique déterministe où le phénomène étudié correspond à un
effet dont il faut déterminer les causes. Le chercheur tente alors de découvrir les raisons
simples qui lient les causes aux effets en identifiant la structure de la réalité.
Pour cela, un doctorant positiviste devra déployer une méthodologie qui lui permette de
prendre le maximum de distance avec l’observé pour respecter le principe d’objectivité.
Dans un esprit analytique, il procédera à la décomposition du phénomène à étudier en
autant de variables conceptuellement isolables pour les simplifier pour mieux les étudier,
à travers la constitution d’un modèle explicatif (une représentation graphique qui permet
de rendre intelligible la structure du réel) qui met en relation le phénomène à étudier avec
ses antécédents (raisonnement disjonctif ). Il s’assurera de la validité des connaissances
produites à travers leur réplicabilité et leur généralisabilité.
L’interprétativisme est plutôt associé aux questions processuelles. Il considère le réel
comme phénoménologique, où il est conçu comme une interprétation mentale et per-
çue. Le doctorant interprétativiste déploie une démarche méthodologique qui lui permet
d’être dans des situations d’immersion pour comprendre les significations profondes que
les acteurs attachent à la réalité sociale, leurs motivations et intentions. Dans ce para-
digme les critères de validité des connaissances sont l’idéographie et l’empathie.
Le troisième courant épistémologique est le constructivisme. Ce paradigme privilégie
une conception du réel comme une construction sociale qui découle de l’intentionnali-
té de l’acteur-chercheur (téléologie). L’objectif est la construction d’une représentation
instrumentale du phénomène étudié et/ou d’un outil de gestion. Pour cela, le chercheur
s’appuie, dans une logique d’action intelligente, sur un raisonnement systémique et une
forte interaction avec les acteurs du terrain. Etant donné que ces recherches sont souvent
ancrées dans des réalités sociales, un des critères de validité des connaissances produites,
est l’adéquation. Le chercheur devrait s’assurer que la réalité technique, technologique,
ou managériale construite correspond au besoin initialement exprimé par l’organisation.
Le deuxième critère de validité étant celui de la capacité du chercheur à restituer la com-
plexité dans des modèles métaphores qui permettent une transférabilité et une enseigna-
bilité des résultats.
Une réflexion relative au paradigme épistémologique permet donc de comprendre les
présupposés sur lesquels la recherche s’appuie et expliciter les implications que les choix
entrainent afin de parvenir à une plus grande maitrise du processus de recherche.

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1.4. Un mode de raisonnement


A ce stade de la recherche, le chercheur est censé articuler entre les deux principales com-
posantes d’une recherche : Théorie et terrain.
La question de la séquentialité se pose. Devrons-nous commencer par identifier dans la
théorie un certain nombre de réponses provisoires (hypothèses/propositions) à tester sur
le terrain ? ou plutôt commencer par observer son terrain pour alimenter la littérature
avec de nouvelles connaissances ?
Ces questionnements permettent de distinguer deux grandes familles de recherche : la
première de nature exploratoire et la deuxième de nature confirmatoire.
Les recherches confirmatoires correspondent souvent à des thèses causales à objet théo-
rique, avec des littératures suffisamment stabilisées. L’objectif est alors de piocher dans
la littérature des conjectures à tester sur le terrain. Nous pouvons identifier dans ce sens
deux modes de raisonnement à savoir la déduction fondée sur des propositions et le
mode de raisonnement hypothético-déductif.
A l’inverse, lorsque le chercheur traite de sujets de nature exploratoire avec des littératures
émergentes voire inexistantes, il convient de s’inscrire dans un mode de raisonnement
inductif qui correspond à une inférence logique qui confère un statut compréhensif per-
mettant de faire émerger de nouvelles connaissances.
Lorsque le chercheur s’appuie sur des théories intermédiaires pour construire une ré-
alité instrumentale, il convient alors de procéder, dans un cheminement itératif, à des
allers-retours entre théorie et terrain. Nous parlons alors d’un mode de raisonnement
abductif.

1.5. Une méthodologie


La méthodologie choisie devrait découler de l’ensemble des choix réalisés plus haut. Il
convient de distinguer deux grandes familles de méthodologies possibles qui corres-
pondent à deux natures des données à collecter, il s’agit des méthodologies qualitatives
ou quantitatives.
Lorsque le chercheur s’inscrit dans une recherche confirmatoire, son objectif est alors de
tester un certain nombre d’hypothèses sur le terrain, en s’assurant de l’existence (ou non)
de liens de causalité entre les variables. Il devrait également s’assurer de l’extrapolabilité
de ses résultats en travaillant sur des échantillons les plus étendus possible. Dans ce cas de
figure, il part avec une idée préalable du phénomène à étudier, pour en faire une mesure
puis un test. Les méthodologies quantitatives (avec un recueil des données par question-
naire par exemple) sont souvent être les plus adaptées dans ce contexte.
A contrario, lorsque la recherche a une portée exploratoire, il est nécessaire de disposer
d’outils de collecte de données les plus flexibles possibles et qui permettent de découvrir
de nouvelles connaissances. Les méthodologies qualitatives ont cette vocation de per-
mettre la découverte.

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Le schéma ci-dessous permet de synthétiser l’ensemble de ces choix.

Figure 1: Nature de la recherche et design méthodologique

Source : Auteurs

Il est à préciser que ce schéma a une portée pédagogique à destination des doctorants en
début de thèse et permet de résumer les fondements d’une thèse, et les cohérences qu’il
est possible de mettre entre ses éléments. Il existe bien évidement une grande variété de
choix et de liaisons possibles qui n’y sont pas évoqués.

2. Un plaidoyer pour une manipulation méthodologique intelligente


Au regard de la présentation des fondamentaux d’une recherche scientifique en sciences de
gestion, que nous avons tenté de présenter de manière simplifiée, nous tenons à apporter,
dans ce qui suit, notre plaidoyer pour une manipulation intelligente des différents dispositifs
méthodologiques, dont disposent les chercheurs. Ce plaidoyer est formulé autour de quatre
idées centrales que nous avons tirées de notre expérience d’encadrement des travaux de thèse
de doctorat au Maroc. Ces quatre idées sont : 1) le sens du problème avant les méthodes, 2)
la transversalité et l’interdisciplinarité, 3) la contextualisation : un nécessaire pour une com-
préhension globale et 4) le choix des méthodes ou les dictatures des traditions ?

2.1. Le sens du problème avant les méthodes


Le plus difficile n’est pas de trouver des solutions ou les bonnes réponses, mais de se poser
les bonnes et vraies questions. Il est communément admis qu’un problème bien posé,
collectivement et intelligemment partagé entre les parties prenantes concernées, est un
problème presque résolu. Alors que les tendances opérationnelles en sciences de gestion
versent vers une course acharnée en quête de solutions vertueuses aux complexités orga-
nisationnelles, force est de constater le pouvoir que détiennent les chercheurs en sciences

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de gestion pour marquer un arrêt sur les fondements des problèmes estimés vitaux. Des
leçons sont à tirer des récentes crises socio-économiques qu’a connu le monde pendant
les dernières décennies pour encourager les chercheurs à repousser les limites de leurs
pensées vers des perspectives futuristes capables de dresser les enjeux prioritaires pour les
organisations avant de se lancer dans les quêtes des solutions. N’est-ce pas ce que signifie
M. Crozier dans sa déclaration : « le problème, c’est le problème ».
Il s’agit d’une réflexion profonde que doivent mener les chercheurs (professeurs, doc-
torants, directions des laboratoires de recherche et instances de gestion des unités de
recherche) pour se prévaloir d’une position avant-gardiste dans le choix des thématiques
des thèses de doctorat et des projets de recherche-action. D’autant plus que le Maroc
connait une évolution socio-économique et technologique intéressante à plus d’un titre,
et qui mérite d’être documentée, explicitée et pourquoi pas enseignée comme des com-
posantes contextualisées d’un modèle de développement novateur.

2.2. La transversalité et l’interdisciplinarité


Partant de ce qui précède, les chercheurs en sciences de gestion se doivent de construire
une stratégie à partir d’une logique prospective, qui puise ses réflexions dans les principes
de la transversalité disciplinaire. L’idée directrice est de décloisonner les pensées sou-
vent victimes de dogmes disciplinaires pour créer une contre-culture de recherche dont
la fonction serait d’inspirer des modus-operandi des organisations avec des stratégies
inspirantes. La transversalité disciplinaire nécessite un point de passage obligé qui est
celui de la mise à distance de la discipline mère du chercheur. Il s’agit d’une manœuvre
disruptive, parfois inconfortable. Elle permet cependant de mettre en évidence des phé-
nomènes contre-intuitifs en décomposant les idées établies confortablement dans leurs
disciplines d’origines, et en les poussant à dévoiler les occultations académiques propres
à chacune d’entre elles. La transversalité disciplinaire nous rappelle à quel degré le pluriel
est d’importance, même s’il peut être perçu comme une forme d’indiscipline intellec-
tuelle qui déroge parfois aux fondements épistémologiques propres à chaque discipline.
Il ne s’agit aucunement de rejeter toute structuration ordonnée des étapes à suivre dans
une recherche ou de la cohérence de ses soubassements théoriques, mais en revanche, de
s’ouvrir à des contingences à la fois disciplinaires, méthodologiques et empiriques.
A contre-courant des pensées disciplinaires parfois rigidement cloisonnées, des outils
méthodologiques existent afin de structurer le chemin de création de la connaissance,
intra et interdisciplinaire et d’instaurer des règles de rigueur scientifique. Le respect de
ces règles est le garant de la légitimité scientifique des travaux académiques. C’est ce qui
permet de trier le bon grain de l’ivraie. Aussi faut-il militer pour un respect méticuleux
des fondements épistémologiques qui donnent un cadre à la recherche en sciences de
gestion et légitiment sa diffusion auprès des managers et organisations. Et parce que le
métier de chercheur est soumis à des règles de mesure de performance telles que le H-In-
dex, force est de constater le tendon, parfois intentionnel voire même intentionnellement
forcé, vers des disciplines, des outils et des méthodes qui facilitent au chercheur l’accès
aux points de performance. Les choix méthodologiques se retrouvent dès lors dictés par

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les objets étudiés, normés par des traditions disciplinaires et influencés par des critères de
performances quantitatives. Plus encore, les chercheurs se retrouvent dans une tradition
de positionnement entre les querelles des chapelles des différents courants épistémolo-
giques créant ainsi une fracture entre objet, objectif, sens et méthodes de la recherche.
Les sciences de gestions n’échappent pas à ce mouvement, ignorant parfois que la réflexion
et le sens de la recherche doivent devancer les outils et le formalisme méthodologique pour
occuper ainsi une place prégnante dans la liberté des choix et dans l’impact de la recherche.
Il s’agit là d’un combat paradoxal, entre formalisme méthodologique, diversité disciplinaire
et compartimentage d’outils. Un équilibrage intelligent est dès lors à mettre en place, avec
une ambition à géométrie variable : 1) une volonté académique de création de connais-
sances nouvelles, 2) un choix opérationnel de manipulation des différents dispositifs mé-
thodologiques possibles, et 3) une trajectoire innovante cherchant à rompre avec les limites
du formalisme et du clivage disciplinaire pour plus d’ouverture, de sens et d’impact.
Cette recherche d’équilibre est cruciale dans les recherches en management dans les-
quelles le contrôle des contextes est de plus en plus difficile, ouvrant ainsi la nécessaire
brèche de la contextualisation.

2.3. La contextualisation : une nécessité pour une compréhension globale


Dans ce sens, un des enjeux majeurs de la recherche en sciences sociales, et particuliè-
rement en sciences de gestion, est la capacité à proposer des analyses qui prennent en
compte les spécificités contextuelles des terrains d’investigation empiriques analysés.
Nous pouvons constater que la littérature en sciences de gestion tend, dans un esprit nor-
matif, à proposer des modèles provenant de réalités « occidentales » présentés comme des
exemples à suivre. Or, ces modèles-exemples ne peuvent expliquer d’autres terrains ayant
des spécificités contextuelles, organisationnelles et culturelles. Il est donc important de
s’appuyer sur des théories existences tout en les affinant et les contextualisant par l’ajout
d’autres variables spécifiques au contexte de l’étude.
Comme dit précédemment, l’approche interdisciplinaire est importante. Pour une meil-
leure contextualisation, il est recommandé de faire appel à d’autres disciplines comme
l’anthropologie, la sociologie, ou encore l’histoire, pour essayer de cerner la complexité
de nos contextes. Hofstede (2001, p.2) défend cette conception qui permet, selon lui, de
ne pas s’inscrire dans les clivages et les cloisons disciplinaires, et de pouvoir accéder au
sens des «totalités sociales» :

« Les chercheurs en Sciences sociales approchent la réalité sociale comme les


aveugles de la fable Indienne approchèrent l’éléphant ; celui qui attrapa la
patte pensa que c’était un arbre, celui qui attrapa la queue pensa que c’était
une corde, mais aucun d’entre eux ne comprit à quoi ressemblait l’animal.
Nous ne serons jamais plus que des aveugles devant l’éléphant social, mais
en unissant nos forces avec d’autres hommes et femmes aveugles et en ap-
prochant l’animal sous autant d’angles que possible, nous découvrirons sans
doute plus à son sujet que nous ne le ferions seuls ».

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2.4. Le choix des méthodes ou les dictatures des traditions ?


Une autre partie d’équilibrage auquel doit faire face tout chercheur en sciences de gestion
est celle de l’approche à adopter, de types de données à collecter et à analyser et des tra-
ditions méthodologiques prônées dans les laboratoires de recherche. Au-delà de toute ré-
flexion sur le sens de la recherche et de sa contribution à la discipline et aux managers, un
point de vigilance est à signaler avec force. C’est celui des traditions dogmatiques entre
études qualitatives et études quantitatives. Un charlatanisme prône malheureusement la
suprématie des outils mathématiques, statistiques, économétriques ou de modélisation
dans toute étude en sciences de gestion, prétendant ainsi lui donner force d’objectivité,
voire même de scientificité. Les méthodes qualitatives sont estimées à tort comme étant
molles, subjectives et moins explicatives des réalités complexes.
Afin de trancher sur ces tergiversations méthodologiques totalement stériles, nous insis-
tons avec force sur l’importance de la nature du questionnement qui dirige la recherche
dans le choix des outils méthodologiques à manipuler durant l’étude. Ces derniers ne
doivent être dictés ni par les traditions disciplinaires des équipes de recherche, des lignes
éditoriales d’une revue ou encore d’affinités personnelles du chercheur. Nous encoura-
geons par là un investissement plus profond dans la recherche du problème à résoudre et
de sa problématisation plutôt que de la maitrise de l’arsenal méthodologique mobilisé.

Conclusion
Rappelons-le ; l’objectif principal de cet article est d’apporter un regard novateur sur les
méthodologies de la recherche en sciences de gestion. Cela passe d’abord par une pré-
sentation didactique des fondements épistémologiques qui constituent le cœur de toute
recherche. Il est vrai que ceux-ci font l’objet de publications scientifiques de référence en
la matière et incontestablement incontournable à tout chercheur, cependant, leur prise
en main fait souvent face à des embûches de compréhension et de recule difficiles d’accès
pour les nouveaux chercheurs. Voilà pourquoi le côté didactique, voire même scolaire
avec lequel nous avons apporté cette lecture nous semble important pour encourager et
faciliter la compréhension des basiques de la recherche.
Nous encourageons aussi les chercheurs, confirmés soient-ils ou débutants, à prendre en
considération les points de vigilance qui composent notre plaidoyer pour une manipula-
tion intelligente et sensée des différents dispositifs de méthodologie. Entre conformisme,
traditions et recherche d’innovation, tout chercheur se doit de se forger une identité
scientifique qui marquera son empreinte et sa contribution à la science et aux pratiques
managériales.

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Bibliographie
El Abboubi M., Abidi B., Mgueraman A., Elkoutour M., Ouazzouz Y., Idrissi Boutaybi
S. et Guelzim H. (2023). Guide Pratique en méthodologie de la recherche en
sciences de gestion. Editions Economia.

Hofstede, G. (2001). Culture's consequences: Comparing values, behaviors,


institutions and organizations across nations sage.

Thiétart, R. A. (2003). Méthodes de recherche en management, 3ème édition. Dunod.

Thiétart Raymond-Alain et al., (2014). Méthodes de recherche en management ;


Collection : Management Sup, 4ème édition, Dunod.

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