La Theorie Des Situations Didactiques de
La Theorie Des Situations Didactiques de
La Theorie Des Situations Didactiques de
N° 61 - octobre 2005
Alain KUZNIAK(*)
DIDIREM Paris VII
et IUFM d’Orléans-Tour
Résumé : La théorie des situations didactiques développe un cadre pour l’étude des situa-
tions d’enseignement des mathématiques. L’article présente deux éléments importants
de cette théorie : les notions de situations didactiques et adidactiques et la notion de contrat
didactique. L’exemple d’une expérience conduite par Brousseau d’un premier enseignement
des statistiques au Cours Moyen illustre le propos.
Introduction
La présentation en peu de pages d’un tra- même. Son étroite relation pendant plus de
vail aussi foisonnant et s’étendant sur plusieurs trente ans avec des expérimentations dans les
décennies relève du genre de tâches suscep- classes fait que peu à peu les concepts initiaux
tible de laisser un goût d’inachevé ou de sur- se modifient et s’approfondissent graduelle-
vol voire pire, à cause des approximations ment par extension de leur champ d’applica-
nécessaires, de donner une fausse idée de la tion. Il s’agira donc ici d’une présentation
théorie qu’on vise à faire découvrir. Outre sa partielle de la théorie des situations didactiques
prolixité et sa richesse, l’entrée dans l’œuvre et d’une introduction à la lecture des différents
de BROUSSEAU est rendue particulièrement ouvrages de BROUSSEAU.
difficile par un point qui relève de la métho-
de utilisée dans la théorie des situations elle- BROUSSEAU a l’habitude de dire que sa
carrière et ses recherches sont en grande par-
tie le fruit de la contingence et de rencontres
* Cet article est paru dans L’Ouvert. Il reprend l’exposé sur
la Théorie des Situations Didactiques que j’ai fait lors de la souvent déterminantes. Dans son cas, il ne s’agit
réunion de fin d’année 2004 de l’IREM de Strasbourg. Le pré- pas seulement d’une clause de style mais
texte de cet exposé avait été fourni par l’attribution de la médaille aussi du reflet de la réalité. Il me semble
KLEIN 2003 à GUY BROUSSEAU pour l’ensemble de ses travaux
en didactique des mathématiques. intéressant de préciser ce point en insistant
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sur l’importance d’institutions comme les titutionnelle, dans le cadre de l’Université, des
Irem ou l’Ecole Michelet dans l’élaboration de études de didactique des mathématiques avec
la didactique des mathématiques. la création de DEA puis de Doctorats de didac-
tique.
Né en 1933 au Maroc, BROUSSEAU a d’abord
été normalien dans le Lot et Garonne. Les Ecoles Aujourd’hui, alors que les Irem regardent
Normales recrutaient les futurs instituteurs avec nostalgie leur passé, l’expérience de
dès la classe de seconde et après quatre ans BROUSSEAU rappelle la nécessité de la conver-
les jeunes gens devenaient enseignants dans gence de plusieurs types de volonté pour par-
une classe de l’école primaire et ceci le plus venir à progresser dans la recherche scienti-
souvent jusqu’à leur retraite. Dans les années fique : une volonté personnelle bien sûr mais
soixante, le début de la massification de appuyée sur celle d’une collectivité elle-même
l’enseignement secondaire entraîne un manque relayée par la volonté des gouvernants.
de professeurs. BROUSSEAU est ainsi tiré hors
de sa classe pour aller sur les bancs de l’Uni-
versité où il peut ensuite suivre des études de 1. Vers la didactique
mathématiques financées par les IPES. Dans des mathématiques
le même temps s’amorce une autre révolution,
celle des mathématiques modernes, qui remet 1.1. La mise en place
en cause l’ordonnancement traditionnel du savoir d’une « didactique nouvelle »
mathématique enseigné. Cette révolution
coïncide avec celle plus confidentielle alors de Un des apports majeur de BROUSSEAU est
la pensée pédagogique appuyée sur les travaux certainement d’avoir contribué à dégager un
de la psychologie génétique développée par Pia- champ spécifique de recherches autour de la
get. Il s’agit simultanément d’enseigner didactique des mathématiques. Ce champ se
d’autres mathématiques et ceci autrement. crée en rupture avec la didactique classique
Comme assistant à la faculté de Bordeaux, dont BROUSSEAU fait remonter les sources à
BROUSSEAU se trouve aspiré dans le mouve- COMENIUS, penseur tchèque un tantinet mys-
ment dont il va être un des acteurs en œuvrant tique du XVIIème siècle et inventeur de l’idée
pour la création des Irem et aussi d’un centre de grande didactique (didactica magna). Pour
pour l’observation de l’enseignement des COMENIUS la didactique est « l’art d’ensei-
mathématiques (le COREM) dans l’école gner » tout à tout le monde :
Michelet à Talence. C’est dans cette école
qu’il a pu, avec l’aide d’enseignants volon- Mais j’ose promettre, moi, une grande
taires, mettre au point, développer et étu- didactique, c’est-à-dire un art universel qui
dier, à partir de 1971, de nombreuses situa- permet d’enseigner tout à tous avec un
tions d’enseignement des mathématiques. résultat infaillible ; d’enseigner vite, sans
lassitude ni ennui chez les élèves et chez
Il peut ainsi articuler de manière specta- les maîtres, mais au contraire dans le
culaire ces deux pierres d’achoppement de plus vif plaisir.
toute recherche sur l’enseignement des mathé-
matiques : la théorie et l’expérience pratique. Une méthode unique suffit pour toutes
Par la suite, il contribuera à l’émergence ins- les matières :
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Il n’existe qu’une seule méthode pour ensei- ment, et donc de la discipline. Et elle exige en
gner toutes les sciences : c’est la méthode natu- retour des aménagements originaux et appro-
relle, valable aussi bien dans les arts que dans priés de cette connaissance car pour BROUS-
les langues. Les variations qui pourraient SEAU l’enseignement produit chez les élèves
exister sont si insignifiantes qu’elles ne sau- des formes de connaissances qui varient sui-
raient exiger de méthode spécialisée. vant les conditions didactiques et qui diffèrent
des savoirs de référence.
D’autre part, COMENIUS ne tire pas sa
méthode de l’observation de ce qui est mais D’autre part, à partir du XXème siècle,
d’une réflexion a priori. l’apprentissage et l’enseignement sont deve-
nus un champ d’études expérimentales. La
Enfin, je démontre tout cela a priori, c’est- nouvelle didactique que défend BROUSSEAU va
à-dire en le tirant de la nature immuable des s’attacher à la conception et à l’étude de faits
choses ; comme d’une source vive coulent didactiques mais en s’appliquant à distin-
sans cesse des ruisseaux qui s’unissent fina- guer, dans ses productions, les déclarations
lement en un seul fleuve, j’établis une tech- à caractère scientifique des opinions ou des
nique universelle qui permet de fonder des dispositifs d’ingénierie. La didactique souhaitée
écoles universelles. par BROUSSEAU doit développer des méthodes
et des concepts originaux autour de son champ
Cette approche va influencer la vision tra- de préoccupation. Elle n’est pas réductible aux
ditionnelle qui considère l’enseignement d’une domaines classiques comme les mathéma-
discipline comme éclaté en deux composantes tiques, la psychologie ou la sociologie.
indépendantes : le contenu et la didactique.
Cette dernière apparaît comme naturelle, 1.2. La notion de situation didactique
immuable et en quelque sorte intemporelle.
En réaction à cette conception générale et BROUSSEAU met au cœur de son approche
purement spéculative de la didactique clas- de la didactique la notion de situation didac-
sique, BROUSSEAU insiste sur les spécificités tique. Le terme situation désigne l’ensemble
liées au contenu mathématique et sur la des circonstances dans lesquelles une per-
nécessité d’études expérimentales et scienti- sonne se trouve, et des relations qui l’unissent
fiques. En effet, selon lui à son milieu. Une situation didactique est
une situation où se manifeste directement
« on sait aujourd’hui que ni l’humanité ou indirectement une volonté d’enseigner.
entière, ni les êtres humains individuellement,
n’acquièrent toutes les connaissances dans Pour comprendre la conception privilé-
les mêmes circonstances, ni suivant les giée par BROUSSEAU dans l’étude des situations,
mêmes processus: la géométrie, l’algèbre ou il faut associer à la notion de situation didac-
les probabilités n’ont pas la même genèse ni tique celle de situation non didactique. Cette
la même organisation ». dernière est la situation rencontrée par le
mathématicien ou l’usager des mathéma-
Ainsi pour lui, la conception ou l’étude tiques lorsqu’il doit résoudre un problème
d’un projet d’enseignement dépend de la dont la finalité première n’est pas l’appren-
connaissance qui est l’objet de l’enseigne- tissage d’une quelconque notion mathéma-
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tique. En s’inspirant de l’usage des connais- ment nouvelle et aussi parce qu’elle appa-
sances mathématiques en mathématiques ou raît à un stade précoce du développement
en dehors des mathématiques, BROUSSEAU théorique proposé par BROUSSEAU, dévelop-
introduit la notion de situation adidactique pour pement qu’elle a contribué à nourrir. Elle
l’élève : l’élève s’approprie la situation proposée n’est donc pas aussi achevée que d’autres
par le professeur non pas en faisant son tra- situations que BROUSSEAU utilise pour présenter
vail d’élève mais plutôt celui d’un « mathé- sa théorie comme la course à vingt ou la situa-
maticien en herbe » préoccupé par la seule réso- tion du puzzle. La description complète de la
lution du problème posé. Le problème devient situation est faite dans un article cosigné
son problème à l’issue d’un processus de dévo- avec Nadine BROUSSEAU 1 [5] (2002).
lution fondamental dans cette conception de
l’apprentissage où l’élève doit participer à Le but du processus est de dégager l’équi-
l’élaboration de ses connaissances de maniè- valence de deux statistiques lorsqu’on peut leur
re active. associer le même modèle. A terme, cela conduit
à l’idée de test d’hypothèse pour vérifier cette
Ainsi, le chercheur en didactique des équivalence. Les données étudiées, contrai-
mathématiques va devoir concevoir des situa- rement à beaucoup de situations d’enseigne-
tions didactiques à fort potentiel d’« adidac- ment de statistiques ne sont pas fournies
ticité ». Ces situations devront permettre un mais vont être obtenues par les élèves.
accès au savoir mathématique. L’étude de la
conception et de l’impact de telles situations Le processus est assez long et a duré tren-
est le premier objectif initialement fixé à la te deux séances. La durée des séances est
Théorie des Situations Didactiques. très variable : elles sont souvent courtes (5 à
10 minutes) mais elles peuvent durer jusqu’à
Avant d’aller plus loin dans la présenta- une heure. Voici un résumé du processus :
tion de cette théorie, je vais développer un Expérience : deviner ce qui est caché (séances
exemple qui montre la fécondité de cette 1 à 5) ;
approche qui relie étroitement mathématique Modélisation et comparaison d’expériences
et enseignement. (séances 6 à 8) ;
Représentation graphique de séries (séances
2. Un exemple : une expérience d’un 8 à 16) ;
premier enseignement des statistiques Convergence et décision (séances 17 à 20) ;
Les intervalles de décision (séances 21 à 25) ;
La situation que j’ai choisie de présenter Les événements et leur probabilité (séances
est un peu particulière dans le travail de 26 à 32).
BROUSSEAU. Elle est ancienne et a été déve-
loppée en 1974 pour envisager ce que pour- L’expérience statistique à la base de la
rait être un enseignement des statistiques situation didactique s’engage autour d’une
pour des élèves de l’école primaire en CM2.
Les programmes de Seconde lui donnent une
1 On ne soulignera jamais assez l’importance, reconnue par
nouvelle actualité. Il s’agit d’une situation Guy Brousseau, du travail de Nadine Brousseau qui a mis
doublement expérimentale puisqu’elle envi- en œuvre la plupart des activités conçues par son mari et en
sage un enseignement sur une notion totale- a assuré des comptes rendus particulièrement précis et
vivants.
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« machine » constituée par une bouteille Les élèves regardent à travers le bouchon
opaque qui contient des boules noires et mais ne voient rien. Mais en renversant la bou-
des boules blanches qui pourront appa- teille, une boule paraît.
raître dans le goulot mais une seule à la fois.
Le contenu de la bouteille ne sera connu ni ELEVE : Il y a une blanche !…
par les élèves ni, et c’est essentiel, par le pro- ELEVE : Recommence... Il y a une noire aussi
fesseur. La préparation de la « machine » est
donc importante, voici comment elle se Les élèves émettent des hypothèses qui
déroule : vont faire avancer le processus
Ensuite, une première série d’observa- Les élèves recommencent mais le phéno-
tions se déroulent où va se manifester l’obs- mène qui se produit ne correspond pas à leurs
tacle déterministe. attentes.
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l’espoir de voir les 5 boules en 5 observations Ensuite ils comptent combien de fois ils ont
fait naufrage. Un débat s’instaure autour obtenu (4b, 1n) (3b, 2n) (2b, 3n) et (1b, 4n), et
d’hypothèses : trouvent des arguments pour renforcer leur
conviction. Ainsi dans le cas représenté, il y
ELEVE : De toute manière il y a plus de blanches a le même nombre de séries (3b, 2n) que (2b,
que de noires … 3n) mais il y a nettement plus de séries (4b,
PROFESSEUR : Alors on devrait continuer à 1n) que de séries (1b, 4n). Ainsi certains
voir plus de blanches que de noires si élèves concluent qu’il doit y avoir 3 blanches
on recommence ? et 2 noires.
ELEVES : Non ! Si les blanches sont apparues,
maintenant ce sera le tour des noires.
Les élèves réalisent des séquences d’obser- Ils se déclarent sûrs de la conclusion qu’ils
vations qu’ils représentent de manières dif- ont obtenue… et ils demandent l’ouverture de
férentes suivant la propriété du contenu sup- la bouteille pour vérifier ! Mais là, coup de
posé de la bouteille qu’ils souhaitent vérifier théâtre, le professeur refuse :
(effectifs de noires et de blanches pour savoir
s’il y a plus de noires que de blanches, ou PROFESSEUR : Si vous êtes si sûrs, il est inuti-
groupes de cinq observations pour représen- le de vérifier, et sinon, il faut trouver
ter le contenu lui-même). Les élèves sont une manière de se convaincre.
déçus de voir les résultats fluctuer (pour le conte-
nu), mais ils sont mieux convaincus du fait qu’il La probabilité n’est pas un concept expéri-
y a plus de blanches que de noires. Ce « suc- mental. Cette posture est particulièrement dif-
cès » les encourage à continuer. ficile à tenir par le professeur et lorsque cette
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expérience a été refaite récemment en classe de écarts se réduire. En fait pour réaliser cet espoir
seconde, le professeur a cédé à la demande des il faudra passer des effectifs aux fréquences. Le
élèves, annulant d’une certaine façon tout le pro- processus suit plusieurs étapes.
cessus d’entrée dans les tests d’hypothèse pour
se convaincre de la nature de la statistique en Les élèves demandent d’autres bouteilles
question. Un autre élément de risque pour le transparentes, chacune avec un des conte-
professeur est évidemment que certains évé- nus possibles. Pour gagner du temps le pro-
nements nécessaires à la poursuite de son expé- fesseur propose des résultats de simulations
rience ne se produisent pas et c’est là que le choix faites grâce à un ordinateur (et à une fonction
de la configuration de base a nécessité un cal- pseudo aléatoire). Les élèves comptent les
cul qui ne doit rien au hasard. noires et les blanches, puis demandent à la
machine de faire ce comptage et enfin ils
Les élèves disent qu’ils seront sûrs si une demandent des calculs de rapports.
des compositions possibles apparaît trois fois
de plus que les autres (en fait trois occur- Les séries de fréquences sont reportées sur
rences de plus). C’est une première forme du des graphiques. Le graphiquede la page sui-
test d’hypothèse. vante représente deux simulations avec la
même composition (4 noires, 1 blanche).
La situation fondamentale va continuer à
évoluer et à produire toute une série de Pour avancer vers l’idée du test d’hypothèse,
concepts et de méthodes. Comme je l’ai signa- un jeu est proposé aux élèves : de quelle bou-
lé, le processus se poursuit sur 32 séances et teille vient cette série ? Les élèves vont devoir
ceci avec des enfants de 10-11 ans. Il n’est pas examiner un graphique et « deviner » de quel-
question de détailler ici ce processus parti- le bouteille –transparente– est issue la suite
culièrement riche. Voici seulement comment qu’il représente. Par la suite les élèves devront
se sont introduites la modélisation et la simu- acheter des suites pour deviner le contenu de
lation dans l’expérience développée au CM2. la bouteille, plus la suite est longue, plus elle
En fait, intrigués et peut-être irrités par le refus est chère ! Les données ont un coût en sta-
obstiné du professeur d’ouvrir la bouteille, tistique. A quel moment est-il raisonnable
un groupe d’élèves a demandé de faire une bou- d’arrêter la suite? Lorsque les élèves choi-
teille transparente avec la composition sup- sissent de s’arrêter, il est possible de vérifier
posée pour la première. Cette demande a été leur conclusion car, cette fois, la réponse est
reprise avec espoir par les autres élèves et tous connue de celui qui fournit la suite.
recommencent à faire des observations avec
la nouvelle bouteille. La conception d’un tel processus didac-
tique nécessite une étude préalable importante
Mais il ne se passe rien, les séries d’obser- qui s’intéresse aux divers aspects de la sta-
vations ne se ressemblent pas contrairement aux tistique dans les différents niveaux institu-
attentes. Cet événement permet de franchir tionnels où elle apparaît. Elle regarde aussi
une nouvelle étape, les élèves commencent à s’inté- les pratiques et les stratégies des statisti-
resser non plus à la suite exacte des événements ciens. Elle nécessite enfin une étude des dif-
mais à la longueur de la suite : il y a des écarts ficultés et des obstacles liés à la pensée sta-
mais si on recommence, on devrait voir les tistique.
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nombre d’expériences
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Si l’on se place plutôt du côté de l’appre- BROUSSEAU réorganise ces deux regards
nant en situation d’apprentissage, un autre sur le système éducatif en privilégiant (voir
triangle se met en place qui fait intervenir le 1.2) l’action de l’élève, le professeur a
milieu et les connaissances du sujet. BROUS- pour tâche essentielle d’établir les condi-
SEAU propose cette organisation du travail tions les plus favorables à la mise en
de l’élève dans une situation d’apprentissage action de l’élève.
spontané.
Voici, dans l’encadré ci-dessous, comment
Connaissance se schématise alors la situation didactique de
Signification
base (voir [1] page 92).
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Professeur mathématicien
Société des mathématiciens
Situation
didactique
milieu Sujet apprenti
Situ ation
adidactique
milieu Sujet actant
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Agir consiste pour le sujet à choisir des états Dans la pratique de la classe, un certain
du milieu en fonction de ses propres motiva- nombre de comportements spécifiques du
tions. Le milieu est présenté comme antago- maître et de l’élève vont permettre la ges-
niste par BROUSSEAU car il doit réagir aux tion de l’acte d’enseignement à la fois du côté
propositions de l’élève dans une perspective de l’élève et du côté du professeur. Pour
d’apprentissage. BROUSSEAU, ces habitudes (spécifiques) du
maître attendues par l’élève et les comporte-
Situation de formulation ments de l’élève attendus par le maître, c’est
le contrat didactique. Les différents contrats
Pour dépasser l’action, il est nécessaire de didactiques vont se déterminer par la répar-
développer des situations de formulation, tition, explicite ou implicite, des responsabi-
souvent appuyées sur l’obligation faite à lités de prise de décisions par rapport à
l’élève de communiquer avec un autre inter- l’apprentissage entre le professeur et les
locuteur. La formulation des connaissances utiles élèves.
pour maîtriser l’action met en œuvre des
répertoires linguistiques et facilite également Le contrat didactique n’est pas un contrat
leur acquisition. véritable avec des clauses précisant la natu-
re de savoir qui va être enseigné puisque au
Situation de preuve (ou de validation) début de l’apprentissage l’élève ignore la
nature réelle du savoir qu’on veut lui faire acqué-
Dans les deux premiers types de situations, rir. Il ignore ainsi nécessairement où et com-
existaient des corrections et des régulations ment on veut le conduire. Mais pourtant,
empiriques, mais pour progresser dans la BROUSSEAU fait remarquer que lorsqu’un
construction du savoir un nouveau type de for- enseignement échoue ou rencontre des diffi-
mulation est nécessaire. Il ne s’agit plus simplement cultés, chaque parti se comporte comme si un
d’échanger des informations mais de coopérer contrat avait été rompu. De fait de nombreux
avec un partenaire pour rechercher la vérité. paradoxes président à l’existence du contrat
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didactique qui repose sur un grand nombre de savoir non relié à une situation spécifique.
d’incertitudes : le professeur n’est pas assu- Pour analyser ces deux temps de l’acte d’ensei-
ré du taux de réussite de ses élèves dans une gnement, BROUSSEAU introduit les deux concepts
situation donnée. de dévolution et d’institutionnalisation.
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mathématique était possible, il avait imagi- fesseur a pris à sa charge l’essentiel de l’acte
né que les situations pouvaient provoquer d’apprentissage. Cet effet apparaîtra à travers
des apprentissages constructivistes en quelque la gestion des questions que peut poser le
sorte autodidactiques. Les faits, observés et professeur à l’élève pour guider l’élève vers la
interprétés grâce à sa théorie, lui ont montré solution.
la vanité de cette espérance et la nécessité de
donner par l’institutionnalisation le statut L’effet Jourdain ou
decontextualisé et « officiel » de savoir à cer- le malentendu fondamental
taines connaissances. L’institutionnalisation
est le passage pour une connaissance de son Nommé ainsi en référence à la scène du
rôle de moyen de résolution d’une situation Bourgois Gentilhomme où le maître de phi-
d’action, de formulation ou de preuve, à un nou- losophie révèle à Jourdain ce que sont la
veau rôle : celui de référence pour des utilisa- prose ou les voyelles, il s’agit d’un cas parti-
tions futures, collectives ou personnelles. Cette culier de l’effet Topaze. Cette fois le professeur
phase est indispensable pour assurer le pas- admet de reconnaître l’indice d’une connais-
sage d’une connaissance reliée à une situation sance dans les comportements ou les réponses
vécue individuellement et très contextualisée de l’élève bien qu’elles soient en fait motivées
à un savoir decontextualisé actif dans une ins- par des causes banales.
titution donnée.
BROUSSEAU se moque ainsi de ceux qui
4.3. Quelques effets de contrat feignaient de voir dans les travaux d’un jeune
ou l’effacement de la volonté d’enseigner élève la découverte d’un groupe de Klein alors
que ce dernier faisait des coloriages ou des mani-
Lorsque l’enseignement échoue, le pro- pulations de pots de yaourts.
fesseur peut tenter de sauver les apparences
d’un apprentissage de différentes façons par Glissement métacognitif
des effets de contrat. Ces effets sont nom-
breux et je n’en retiens ici que trois. Voici comment BROUSSEAU attire l’atten-
tion sur cette forme subtile d’effet de contrat :
L’effet Topaze et le contrôle Lorsque son enseignement a échoué, le professeur
de l’incertitude peut être conduit à se justifier et, pour conti-
nuer son action, à prendre ses propres expli-
BROUSSEAU illustre cet effet grâce à la cations et ses moyens heuristiques comme
scène du Topaze de Pagnol où le professeur donne objet d’étude à la place de la véritable connais-
une dictée à un élève faible. Dans ce cas en modi- sance mathématique.
fiant sa diction, le professeur « suggère » à l’élève
la solution et « les moutons étaient dans le parc » C’est ainsi que, par exemple, l’étude et la
devient « les moutonsses étai-hunt… ». Topa- construction de diagrammes logiques vont se
ze négocie à la baisse les conditions dans les- substituer à l’apprentissage du raisonnement.
quelles l’élève finira par mettre le « s ». La connaissance de ces nouveaux objets
demande des explications et du vocabulaire,
Mais ce processus traduit un effondre- elle mobilise toute l’attention et le temps de
ment de l’acte d’enseignement puisque le pro- travail de l’élève et du professeur. Il s’agit d’une
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substitution progressive qui s’appuie sur un Cette idée d’ostension réfère à la notion de
processus normal et fondamental, celui de sémiotique qui désigne le fait qu’un objet est
l’aide. sélectionné pour exprimer la classe des objets
dont il est membre.
4.4. Les contrats « fortement didactiques »
Ce contrat est bien sûr insuffisant pour défi-
Les quelques effets de contrat précé- nir un objet mathématique mais il a l’avan-
dents illustrent une disparition de la volon- tage de la simplicité surtout dans le cas
té d’enseigner. Il reste à envisager les dif- d’objets dont la définition serait trop lourde
férents types de contrats où le professeur joue pour un niveau de scolarité donné. Ainsi, le
effectivement son rôle d’émetteur d’un savoir professeur montrera simplement un triangle
nouveau pour l’élève. Lorsque l’enseignant à des jeunes enfants en le désignant comme
se préoccupe de la bonne réception par l’élève un triangle.
de ce savoir, BROUSSEAU parle de contrats « for-
tement didactiques » 2. BROUSSEAU distingue Cependant, ce contrat a des effets néga-
six grandes formes de tels contrats 3 : l’imi- tifs, le principal est l’absence de sens autour
tation ou reproduction formelle, l’ostension, de l’objet mathématique qui n’apparaît pas
le conditionnement (appuyé sur les thèses comme un outil pour résoudre des problèmes.
béhavioristes), la maïeutique socratique, Dans l’enseignement traditionnel, la pratique
les contrats d’apprentissage empiriste et ostensive est courante et finalement assu-
constructiviste. mée. Les savoirs mathématiques sont mon-
trés immédiatement avec peu ou pas de pré-
Je n’envisage ici que le contrat d’ostension occupation adidactique. Des chercheurs proches
sans doute le moins connu hors de la didac- de BROUSSEAU (BERTHELOT et SALIN) ont mon-
tique. BROUSSEAU définit ainsi l’ostension : Le tré l’existence d’une forme « dissimulée »
professeur montre un objet et l’élève est sup- d’ostension apparue dans les années 80 avec
posé le voir comme le représentant d’une clas- le développement de l’incitation à des pratiques
se dont il devra reconnaître les éléments dans constructivistes dans l’enseignement. Cette fois
d’autres circonstances. La communication de l’élève doit reconnaître lui-même l’objet de
connaissance ne passe pas par son explicita- référence dissimulé derrière une activité sans
tion sous forme d’un savoir. Il est sous-enten- réelle portée adidactique. Ainsi, pour introduire
du que cet objet est l’élément générique d’une les notions d’agrandissement et de réduction
classe que l’élève doit imaginer par le jeu de par similitude, le professeur demande sim-
certaines variables souvent implicites. plement de dessiner des maisons qui se res-
semblent, il est ensuite amené à ne valider dans
2 Les contrats qui laissent cette appropriation à la seule les productions très variées des élèves (au
charge de l’élève sont appelés « faiblement didactiques », grand désarroi de ces derniers) que celles
dans ce cas le professeur organise le savoir et éventuelle-
ment l’étude de l’élève. Une conférence (ou un cours magis-
semblables (au sens mathématique). Il revient
tral) est un exemple de contrat « faiblement didactique ». ainsi à une pratique ostensive.
3 Il faut remarquer que ces contrats se préoccupent essen-
tiellement de l’entrée dans des savoirs nouveaux. BROUSSEAU Ces six grandes formes de contrats sous-ten-
a consacré un travail important à l’étude du rôle de la mémoi- dent des manières d’enseigner très variées et
re didactique dans la transformation des savoirs anciens.
qui peuvent s’appuyer sur des principes édu-
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catifs et théoriques très différents. Il est inté- l’enseignement d’une notion. Le puzzle pour
ressant de les relier avec des types de situations mettre en discussion une conception additi-
didactiques même si fondamentalement la ve de la proportionnalité, la mesure de l’épais-
théorie de BROUSSEAU s’inscrit davantage dans seur d’une feuille de papier pour introduire les
un contrat constructiviste : les situations adi- rationnels, la construction du plus grand tri-
dactiques fournissant une manière de mettre angle formé par les trois médiatrices d’un tri-
en oeuvre ce contrat de manière optimale. angle pour initier à la démonstration en sont
quelques-uns parmi les exemples les plus
Même si sa préférence initiale allait au connus. Il faudrait y ajouter aussi la course
contrat constructiviste, BROUSSEAU pense qu’un à vingt, jeu qui met en oeuvre la division
enseignement effectif doit, suivant les moments dans un contexte non familier et que BROUS-
et les diverses contraintes (notamment tem- SEAU utilise maintenant pour présenter les dif-
porelles), pouvoir jouer sur ces différentes férents types de situations adidactiques.
formes de contrat. L’enseignement ne peut pas
se résumer à une accumulation de situations Une approche scientifique
adidactiques apparaissant comme autant d’obs-
tacles remettant sans cesse en cause les connais- La Théorie des situations didactiques per-
sances des élèves. D’autres types de situations met un découpage de la réalité de l’enseigne-
sont nécessaires pour stabiliser et utiliser les ment qui en facilite une approche plus scien-
savoirs enseignés. L’étude de ces ruptures et de tifique. La terminologie adoptée et les phénomènes
ces choix reste une question ouverte. mis à jour permettent le développement d’obser-
vations et l’analyse de ces observations. D’autre
Conclusion part, la méthode reste assez souple et évolu-
tive, un des principes de base est de n’introduire
Je conclurai cette présentation en insistant que les éléments utiles à la compréhension
sur l’intérêt que peut présenter de manière géné- des faits didactiques à un niveau donné. Mais
rale le travail initié par Guy BROUSSEAU. en réalité, la théorie s’est considérablement com-
plexifiée depuis qu’elle tente de saisir com-
La créativité didactique plètement l’acte d’enseignement. Ainsi, en
cherchant à comprendre le rôle du professeur,
En centrant sa réflexion sur la notion de certains chercheurs dans la lignée de BROUS-
situation didactique, BROUSSEAU invite le SEAU ont introduit différents types de situations
chercheur et l’enseignant à créer des situations et de milieux en relation avec les diverses ins-
d’enseignement. Il se démarque ainsi d’un titutions d’enseignement et notamment celles
type de recherches critiques sur l’enseignement portant sur la formation.
essentiellement basées sur la docimologie et
l’évaluation. L’observation des connaissances Les mathématiques :
des élèves reste indispensable mais insérée dans retour et approfondissement
un processus qui vise à les transformer. Au
sein du COREM, un grand nombre de situa- Profondément articulée sur les contenus
tions très originales ont ainsi été dévelop- mathématiques, la Théorie des Situations
pées. Ces situations s’insèrent à chaque fois permet de revenir sur certaines notions et
dans des processus didactiques complets sur de les approfondir. La recherche de situa-
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REPERES - IREM. N° 61 - octobre 2005
Bibliographie
Pour préparer cette présentation, j’ai particulièrement utilisé
[1] G. BROUSSEAU (1998), Théorie des Situations Didactiques, La pensée sauvage.
Cet ouvrage contient les principaux articles parus avant 1990. Son organisation suit
celle de la traduction en anglais d’une sélection des travaux de BROUSSEAU.
[2] G. BROUSSEAU (1997), Théories des situations didactiques, Conférence de Montreal,
http://math.unipa.it/~grim/brousseau_montreal_03.pdf
[3] G. BROUSSEAU (2000), Education et didactique des mathématiques,
http://math.unipa.it/~grim/brousseau_didact_03.pdf
[4] La situation d’enseignement de la statistique est décrite dans les deux articles sui-
vants :
G. BROUSSEAU (2003), Situations fondamentales et processus génétique de la statistique,
Actes de la 12e école d’été de didactique des mathématiques (à paraître).
[5] G. BROUSSEAU, N. BROUSSEAU & V.WARFIELD (2002), Une expérience sur l’enseignement
des statistiques et des probabilités. L’article en anglais est paru dans Journal of
Mathematical Behavior 20, 363-441.
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