Puc 8133
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https://books.openedition.org
Référence numérique
Mialaret, Gaston. « Les origines et l’évolution des sciences de l’éducation en pays francophones ». 40
ans des sciences de l’éducation, édité par Alain Vergnioux, Presses universitaires de Caen, CRDP de
Basse-Normandie, 2009, https://doi.org/10.4000/books.puc.8133.
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LES ORIGINES ET L’ÉVOLUTION
DES SCIENCES DE L’ÉDUCATION
EN PAYS FRANCOPHONES
40 ans des sciences de l’éducation, A. Vergnioux (dir.), Caen, PUC, 2009, p. 9-22
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ces personnes comme sujets, on peut faire des examens très minutieux, on peut étu-
dier l’influence des différentes causes d’erreur, chercher si telle méthode peut don-
ner quelque résultat ou non, essayer de nouvelles méthodes et les perfectionner de
façon à les rendre pratiques et simples 1.
Binet et Henri terminent leur livre par un vœu qui est encore loin d’être exaucé :
que l’administration française, trop éclairée pour ne pas comprendre l’intérêt supé-
rieur de ces études, se persuade bien qu’on ne résoudra aucun problème pédagogi-
que par des discussions, des discours et des joutes oratoires, et favorise de tout son
pouvoir les recherches de psychologie expérimentale dans les écoles 2.
Le barème d’instruction de Vaney, établi pour les écoles primaires de Paris, met
en relation des exercices scolaires standardisés (par exemple un problème de calcul
simple : « soustraire 8 sous de 59 sous. Combien en reste-t-il ? » à un âge moyen de
réussite, en l’occurrence 7 à 8 ans).
Dans son commentaire, Binet souligne que la méthode de la comparaison garantit
la nature scientifique de la mesure de l’intelligence et la validité des tests. Le principe
de la méthode, dit-il, se résume dans les deux propositions suivantes :
– l’examen n’est pas livré au hasard, au caprice de l’inspiration, aux surprises des
associations d’idées, il se compose d’un système de questions dont la teneur est
invariable et dont la difficulté est dosée ;
– le degré d’instruction d’un enfant n’est point jugé in abstracto comme bon, médio-
cre, mauvais, suivant une échelle subjective de valeurs ; il est comparé au degré
d’instruction de la moyenne d’enfants de même âge et de même condition sociale
qui fréquentent les mêmes écoles.
Le résultat obtenu peut être aussitôt transformé, sans commentaire d’aucune
sorte, en une notation qui exprime qu’un enfant est, pour son instruction, régulier,
ou qu’il est en avance de six mois, d’un an, de deux ans… ou au contraire, qu’il est
en retard de six mois, d’un an et davantage.
À la même époque aussi, et bien que son ouvrage ait été publié longtemps après
sa mort, Émile Durkheim montre, dans le cours professé à la Sorbonne dans la chaire
de pédagogie, comment on peut, dans une perspective historico-sociologique, étu-
dier l’histoire de l’éducation. Son livre, L’évolution pédagogique en France, est à placer
parmi les grands classiques de la littérature pédagogique.
À l’étranger (francophone), la recherche scientifique en éducation se développe
dans d’assez bonnes conditions. Sans pouvoir nous étendre sur ce point, signalons
quelques grands noms que tous les auditeurs avertis connaissent parfaitement.
En Belgique, c’est le nom d’Ovide Decroly (1871-1932) qui domine. À la fois
psychologue-médecin et éducateur (il crée, en 1907, l’École de l’Ermitage), Decroly
s’efforce d’introduire l’attitude scientifique dans l’étude de l’enfant et de son éduca-
tion. Le petit livre, signé avec R. Buyse, Introduction à la pédagogie quantitative (publié
en 1929, trois ans avant sa mort), reprend et utilise les travaux de Mercante, savant
argentin de l’université de La Plata qui applique, dès 1893, la statistique à l’étude des
problèmes pédagogiques.
En Italie, la personnalité et les ouvrages de Maria Montesori (1870-1952) influen-
cent à la fois la psychologie de l’enfant et la pédagogie du début du siècle. Elle crée,
en 1907, à la fois pour continuer ses recherches sur la psychologie de l’enfant et sur
l’éducation, la célèbre Casa dei bambini (la maison des enfants) et publie, en 1909,
son ouvrage fondamental sur la méthode de la pédagogie scientifique appliquée à
l’éducation des enfants : Il metodo della pedagogia scientifica applicado all’educazione
infantile nelle case dei bambini.
En Suisse, l’École de Genève (d’où va émerger Jean Piaget) est très active. Le nom
d’Édouard Claparède (1873-1940) domine, à cette époque, l’ensemble des productions
Les origines et l’évolution des sciences de l’éducation… 13
Qu’aucune tentative ne se soit produite, ici ou là, pour tirer d’une psychologie conqué-
rante une pédagogie dûment fondée en savoir expérimental : voilà tout de même
qui serait bien surprenant ! En fait, un peu partout, de semblables pédagogies sont
nées… Mais leurs initiatives ont-elles mordu sur la masse ou laissé puissantes les
routines coutumières ?
La période 1918-1940
En France, le choc de quatre ans de dure guerre, la remise en route des différents ser-
vices de l’État, le redémarrage de l’activité économique, etc., ont fait que les problè-
mes de la recherche scientifique – et surtout en éducation ! – sont passés au second
plan des préoccupations des responsables. Les mouvements pédagogiques (surtout
dans la perspective de la recherche d’une paix durable) occupent le terrain ; le mou-
vement d’Éducation nouvelle tient son congrès international à Calais en 1920. En
1923 sont publiées les Instructions officielles qui déterminent les programmes et les
méthodes de l’école primaire. Les soucis de rénovation l’emportent sur les soucis
officiels de la recherche scientifique.
Il faut pourtant signaler que d’autres organismes, étrangers à l’Éducation natio-
nale, poursuivaient des recherches qui, plus ou moins directement, intéressaient l’édu-
cation. C’est le cas du Conservatoire des arts et métiers et de son jeune Institut de
psychologie ; sous la direction de H. Laugier, H. Piéron, Mme H. Piéron, du Dr Tou-
louse, de Melle D. Weinberg, une importante enquête est organisée sur la correction
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des copies du baccalauréat ; c’est, à notre sens, un des premiers travaux d’envergure
de docimologie. Ce pavé lancé dans la mare de notre saint et intouchable baccalau-
réat reste sans effet ; il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que
la question ressurgisse dans les préoccupations des chercheurs en sciences de l’édu-
cation (G. Mialaret, G. de Landsheere, A. Bonboir…).
À l’étranger francophone, afin de ne pas alourdir l’exposé, ne citons que les ouvra-
ges belges suivants qui nous paraissent fondamentaux. L’un est précurseur : O. Decroly
et R. Buyse, Introduction à la pédagogie quantitative ; l’autre de plus grande envergure
scientifique : R. Buyse, L’expérimentation en pédagogie. Le livre de T. Jonckheere, La
méthode scientifique en pédagogie, et celui d’É. Planchard, L’investigation pédagogi-
que : objet, méthodes, résultats, font partie des bibliothèques de tout chercheur. Les
fondements de la recherche scientifique en éducation sont donc posés ; il faudra atten-
dre, après la pose de cette première pierre, plusieurs décennies pour que la recherche
scientifique en éducation prenne réellement son essor.
La pédagogie expérimentale
Pourtant un petit courant, plus ou moins clandestin et largement minoritaire, conti-
nue à tracer son chemin : plusieurs recherches se regroupent sous le titre général de
« pédagogie expérimentale ». Il est nécessaire de s’arrêter un instant sur cette expres-
sion dont le véritable sens a donné lieu à de nombreux malentendus. Le mouve-
ment de recherches, inauguré et développé par Alfred Binet au début du XXe siècle,
ne s’est pas totalement évanoui. Dans tous les pays francophones, on peut repérer
soit des initiatives individuelles, soit des activités de petits centres de recherche qui,
avec leurs petits moyens (quand ils existent !), s’efforcent de développer des projets
de recherche.
Les origines et l’évolution des sciences de l’éducation… 15
on ne parle encore que très peu de sciences de l’éducation. Une dispute s’était élevée
au début du XXe siècle : fallait-il parler de science de l’éducation ou de sciences de
l’éducation ? Ces discussions ont été interrompues par la guerre. Depuis longtemps,
par ailleurs, Durkheim avait parfaitement posé le problème de la distinction entre la
pédagogie et la recherche scientifique (voir ci-après). Les conditions internationales
et la création des grandes organisations internationales (ONU, UNESCO, UNICEF,
Conseil de l’Europe…) transforment le paysage culturel ; les moyens de communi-
cation opèrent leur mutation avec l’apparition de l’audiovisuel, de l’informatique, le
développement gigantesque des méthodes et techniques de l’information (publication
des Annuaires de l’éducation par l’UNESCO) ; le développement de nouveaux moyens
de communication ouvrent une ère nouvelle à l’Humanité. Les préoccupations relati-
ves au rôle de l’éducation et ses relations avec la vie sociale, technique et économique,
dans les pays en voie de développement, la nécessité de faire un extraordinaire effort
d’alphabétisation, font que les préoccupations relatives à l’éducation prennent une
place de premier plan et font appel à de nouvelles disciplines scientifiques : sociologie,
ethnologie, démographie, économie… De plus en plus, on voit l’expression « sciences
de l’éducation » se substituer à « pédagogie expérimentale » et le nombre de disciplines
scientifiques qui vont se préoccuper de l’éducation devient de plus en plus important.
Un autre mouvement se développe pour introduire un cursus nouveau au niveau
des universités et des centres de formation des enseignants. Au début du siècle pré-
cédent, Durkheim avait brillamment occupé une chaire de pédagogie à la Sorbonne
(chaire créée en 1887 et précédemment occupée par Marion, puis par Ferdinand Buis-
son) ; en 1904, on republiait la 6e édition (la première date de 1883) du monumental
ouvrage de G. Compayré, professeur à la Faculté des Lettres de l’université de Toulouse :
Histoire critique des doctrines de l’éducation en France depuis le XVIe siècle ; Chabot et
Jean Bourjade assuraient un enseignement de pédagogie à l’université de Lyon ; en 1911,
le professeur Lebonnois, de l’université de Caen, créait un Institut pédagogique inter-
national. L’Université française n’était donc pas totalement étrangère aux préoccupa-
tions pédagogiques. Mais, entre les deux guerres, le bastion principal de la pédagogie
est constitué par les Écoles normales de l’enseignement primaire. L’idée d’un ensei-
gnement de la pédagogie au niveau universitaire et le besoin de l’organisation d’une
recherche scientifique en éducation ne sont développés que par quelques enseignants
du supérieur. Sous l’influence des nouvelles réalités et contraintes internationales,
sous les effets des actions menées par certains universitaires convaincus (M. Debesse,
J. Chateau, G. Mialaret en particulier) et de quelques personnalités éminentes de l’épo-
que (J. Stoetzel et P. Fraisse), les autorités ministérielles françaises se décident, enfin,
à créer un cursus universitaire de sciences de l’éducation 4. C’est ce que nous avons
appelé « le coup de tonnerre du 30 novembre 1966 ». C’est ainsi qu’à la rentrée univer-
sitaire de 1967, trois universités françaises : Bordeaux, Caen et Paris, organisèrent, au
sein des facultés des Lettres, un cursus de sciences de l’éducation.
Ce qui porte la démarche du praticien se trouve au sein de l’action, par intuition le plus
souvent, dans la confrontation à de nouvelles situations, à la recherche de nouvelles
façons d’intervenir et d’agir : les connaissances auxquelles il parvient sont d’ordre
« praxéologique ».
Les origines et l’évolution des sciences de l’éducation… 19
On peut considérer les domaines d’étude sous un autre angle : celui de la stabilité des
situations. On peut distinguer trois formes principales :
– les situations du passé sur lesquelles nous n’avons plus aucune possibilité d’ac-
tion, exemple : l’éducation en Grèce. L’étude ne peut se faire qu’à partir de docu-
ments (textes, œuvres d’art…) : situations définitivement stables ;
– les situations relativement stables dans le temps : elles sont contemporaines du
chercheur et d’une durée de vie plus ou moins longue (exemple : l’état du sys-
tème universitaire français en 2007). Il est possible d’analyser les textes qui orga-
nisent le système ; on peut interroger soit les personnes qui ont été à l’origine des
textes, soit les personnes qui les appliquent et les mettent en œuvre (enseignants,
corps d’inspection, parents d’élèves, hommes politiques), soit les organismes qui
reçoivent les étudiants en fin d’études (entreprises), soit les personnes qui font
fonctionner le système (administrateurs, enseignants, étudiants, services de santé,
services de psychologie et d’orientation…) ;
– les situations essentiellement dynamiques qui sont celles au cours desquelles
s’exerce l’action éducative. Elles sont limitées dans le temps et dans l’espace, uni-
ques et non reproductibles à l’identique.
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Conclusion
Nous devons prendre conscience qu’un choix fondamental est à faire et nous retrou-
vons ici la fausse distinction de Dilthey entre l’explication et la compréhension. Je dis
« fausse » parce que le mot est, tout d’abord, mal choisi. Ensuite l’explication n’est pas
l’opposé de la compréhension : les deux attitudes ne se situent pas au même moment
dans la chaîne de la recherche scientifique. L’option « explication » ne peut pas ren-
dre compte totalement de la réalité éducative, et la « compréhension » (au sens de
Dilthey) peut aider à la recherche de nouvelles hypothèses de travail, ou à fournir, en
attendant des vérifications ultérieures, des interprétations des résultats obtenus qui ne
peuvent, dans l’état actuel, être parfaitement confirmés par la recherche scientifique ;
compréhension et explication contribuent donc ensemble à la constitution du savoir
en éducation. Le problème fondamental, pour le chercheur, est donc de savoir faire
lucidement la distinction entre ce qui relève de la « compréhension » et ce qui relève
de « l’explication », pour donner aux deux séries de données leur propre statut épis-
témologique et ne pas tout mélanger dans le compte rendu de la recherche.
Permettez-moi, en terminant cet exposé, de vous dire le plaisir que j’ai eu à pren-
dre la parole dans cette université où j’ai passé l’essentiel de ma carrière et à laquelle
je suis resté très attaché. Les sciences de l’éducation – que nous avons eu tant de mal
à faire naître et à développer – sont, aujourd’hui, entre les mains d’une nouvelle et
jeune génération. J’ai une grande confiance en cette jeune génération, en son enthou-
siasme et sa volonté de pousser encore plus loin le développement de nos sciences
de l’éducation, dont l’évolution n’est certainement pas terminée. Alors bon courage
et bonne route à tous.
Gaston Mialaret
Professeur d’université honoraire
Références bibliographiques
Bernard C. (1865), Introduction à la médecine expérimentale, Paris, Delagrave.
Binet A., Henri V. (1898), La fatigue intellectuelle, Paris, Schleicher frères.
Bouglé C. (dir.) (1939), Éducation et instruction (tome XV de l’Encyclopédie française), Paris,
Société de gestion de l’Encyclopédie française.
Buyse R. (1935), L’expérimentation en pédagogie, Bruxelles, Lamertin.
Claparède É. (1923), Comment diagnostiquer les aptitudes chez les écoliers, Paris, Flam-
marion.
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