Fascicule 1 Introduction Au Droit

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INTRODUCTION AU DROIT

Il y a du Droit dans la Littérature comme celle-ci se retrouve dans celui-là. Du premier


phénomène, témoignent de nombreux romanciers. Balzac figure sans doute au premier rang
(V. par ex. Le colonel Chabert).

Car le Droit est avant tout assemblage de mots. Ceux-ci étant souvent spécifiques, il convient
ainsi de maîtriser le langage juridique : question de vocabulaire (I). De même faut-il être
capable de chercher les textes juridiques : question documentaire cette fois (II).

I./ Côté vocabulaire

« Toute définition juridique est aléatoire,


se prête à être réfutée (Digeste, 50, 17, 202).
Périodiquement, il faut la remettre à l’épreuve de
la discussion ».

M. Villey, Le droit et les droits de


l’homme, Paris, 3e ed., PUF, 1998, p. 68.

Avant même de discuter le sens d’un mot, il convient toutefois d’en connaître l’acception
classique. C’est là un réflexe que vous devez acquérir dès maintenant : dès qu’un mot vous
échappe, dès que vous n’êtes pas absolument certain de sa signification, vous devez fouiller
dans votre vocabulaire juridique. Celui-ci doit devenir votre bréviaire, votre livre de chevet.
Avec le Code civil bien sûr…

Orientations bibliographiques :

- S. Guinchard et G. Montanier, Lexique des termes juridiques, 2010, Dalloz, 17e ed.,
2010 ;
- R. Cabrillac et al., Dictionnaire du vocabulaire juridique, Litec, 2008 ;
- G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique de l’association Henri Capitant, PUF, coll.
Quadrige, 2007.

1
C’est que le Droit roule parfois sur des mots du langage courant sans leur donner le même
sens. Il est ainsi truffé de faux amis… Vérifiez donc ! Toujours ! Et surtout ne prenez pas cela
pour une contrainte : c’est la seule manière de pénétrer dans un monde dont les mots,
précisément, sont parfois très drôles. Car souvenez-vous de la phrase de Giraudoux dans la
guerre de Troie n’aura pas lieu : « Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un
juriste la réalité ».

Vous en voulez des preuves ? Soit. Après un texte très sérieux (1°), vous pourrez rire un peu
(2°).
1° Soyons sérieux

Vous lirez et ficherez le texte suivant : J.-L. SOURIOUX, Pour l’apprentissage du langage du
droit, RTD Civ. 1999, p. 343 et s.

1. Dans son ouvrage L'Homme de paroles, contribution linguistique aux sciences humaines
(1), Claude Hagège écrit « que l'homme, seul du monde vivant, est capable à la fois de
signifier et de communiquer au plein sens de chacune de ces notions ». Et il le fait dans des
langues nationales dont le droit se sert pour s'exprimer. C'est ainsi que le droit français
s'exprime dans la langue française et se conforme à ses règles. En ce sens, il n'y a pas de
langue du droit et « il y aurait certainement danger à vouloir faire d'une prétendue langue
du droit une essence sui generis extérieure linguistiquement à la langue de tout le monde »
(2).

2. Ce que révèle l'analyse, c'est, dans le domaine juridique, « l'existence d'usages spécifiques
de la langue commune et d'éléments étrangers au système de celle-ci » (3). D'où l'existence
non d'une langue du droit mais d'un langage du droit au sens de « façon particulière de
s'exprimer » (4). En étudiant les aspects linguistiques du droit, les juristes polonais ont
avancé la distinction entre langage du droit et langage juridique. Le langage du droit serait
celui dans lequel sont formulées les dispositions légales et le langage juridique, celui dans
lequel les juristes parlent du droit. Mais il faut relever que les critères de distinction ne sont
pas toujours clairs ni toujours opérants (5). De surcroît, langage du droit est un terme
appartenant à la compréhension du genre qui, contrairement à langage juridique, a, en tant
que « nom commun », selon l'expression de Gérard Cornu (6), vocation à recouvrir la
diversité des aspects linguistiques étudiés.

3. Le langage du droit français présente des caractéristiques dont les plus remarquables sont
les suivantes : ce langage est polylithique, polysémique et phraséologique (7).

- On peut le dire polylithique ((((( = plusieurs - ((((( = pierre) car l'on y trouve des strates qui
reflètent soit des couches historiques soit des particularités géographiques. Il faut souligner
d'abord l'importance du fonds romain partagé par toute la « famille romano-germanique »
(8), sans omettre les origines grecques d'une partie du vocabulaire institutionnel et de celui
des actes en français. Parmi les autres composantes du vocabulaire juridique, on n'oubliera
pas l'italien au XVIe siècle ni surtout l'anglais depuis le XVIIIe. Le français général a
probablement été lui-même une source longtemps indistincte de ce vocabulaire (9).

2
Curieusement, la Révolution française n'a pas tant puisé dans les ressources linguistiques
nationales que dans les racines de l'Antiquité et le vocabulaire anglais (10). En revanche, la
codification napoléonienne reflète bien plus le français du XVIIIe siècle tel qu'on le trouve
notamment chez Pothier. De nos jours, un aspect encore peu étudié du français juridique
mérite de retenir de plus en plus l'attention : c'est la place qu'il occupe dans les institutions
européennes, avec le jeu d'influences réciproques qui en résulte nécessairement par rapport
aux autres langues mais aussi par rapport aux autres pays francophones (11).
- La polysémie étant « la propriété d'un signe linguistique qui a plusieurs sens » (12), la
polysémie juridique est un phénomène qui a été souligné à diverses reprises et encore
récemment par Gérard Cornu qui, à la suite de son imposant travail lexicographique en vue
de l'élaboration du Vocabulaire juridique publié par l'Association Henri Capitant, a pu écrire
que « l'importance de la polysémie, au sein du vocabulaire juridique, est capitale » (13). Si
l'une des causes de ce phénomène est à chercher dans la formation du vocabulaire juridique
romain lui-même, encore faut-il ajouter que la spécialisation de mots du français commun
(le mot acte, par exemple) et la banalisation de termes de droit avec des valeurs moins
techniques (comme le terme forfait) ont contribué également à créer des variations de sens
selon les contextes et les domaines d'emploi.

- Le caractère phraséologique du français juridique détermine tout autant que le vocabulaire


les styles de la norme, de la pratique juridique et juridictionnelle et de la doctrine. On
l'observe de façon particulièrement voyante dans les « séquences figées » (14) ou groupe de
mots ne se prêtant à aucune modification formelle comme commencement de preuve par
écrit ou recours pour excès de pouvoir. Par ailleurs, la construction syntaxique de beaucoup
de noms commande l'usage de verbes bien spécifiques (15).

4. Les trois caractéristiques du langage du droit ci-dessus mentionnées sont autant de


raisons majeures pour un nécessaire apprentissage de ce langage idéalement pour tout
citoyen, réalistement et à tout le moins pour les étudiants en droit. Mais pourquoi «
apprentissage » et non pas « enseignement » ? S'il est vrai qu'une partie de l'apprentissage
est consacrée à la pratique enseignante, l'autre partie est consacrée à l'auto-formation.
L'apprentissage nous met en présence d'une situation dans laquelle se recouvrent les deux
sens du terme « apprendre » : le sens objectif - dation du savoir et le sens subjectif -
acquisition du savoir (16). Ainsi entendu, l'apprentissage du langage du droit comprend à la
fois la dation d'un savoir linguistico-juridique (I) et l'acquisition d'un savoir linguistico-
juridique (II).

I. - LA DATION D'UN SAVOIR LINGUISTICO-JURIDIQUE

5. Cette activité relève de l'enseignement et suppose de la part de l'enseignant un art


d'enseigner c'est-à-dire une didactique qui, en l'occurrence, paraît devoir être double :
d'abord une didactique fondamentale, ensuite une didactique appliquée.

A. - Didactique fondamentale

6. S'agissant d'une didactique « qui a l'importance d'une base » (Robert), elle se situe au
niveau du cours de la matière juridique enseignée.

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Si, depuis toujours, les théoriciens du droit font quotidiennement l'expérience que leur
activité est faite d'exercices de vocabulaire, ils font cette expérience sans même, le plus
souvent, s'en inquiéter, comme de toute chose dite habituelle. C'est, en revanche, un sujet
d'étonnement pour l'étudiant qui découvre dans les facultés de droit un langage au
caractère étrange. Dans son traité intitulé Apprendre le droit, Eléments pour une pédagogie
juridique, Paul Orianne a bien raison d'écrire qu'« une attention suffisante à ces difficultés
de langage est la condition première du succès de la communication didactique » (17). Il ne
s'agit pas alors pour l'enseignant d'essayer de « traduire en français » le langage du droit «
qui est tout à fait du français, mais du français spécialisé..., comme il y a du français
économique... ; il s'agit de l'expliquer » (18). Pour ce faire, deux points de vue sont très utiles
: avec le premier, l'accent est mis sur les étapes de la constitution des mots du droit, dans
une perspective dite diachronique ; avec le second, l'attention est centrée sur le
fonctionnement synchronique de ces mots c'est-à-dire qu'on les étudie à un moment donné
en les considérant comme stationnaires.

7. Dans une perspective diachronique, l'enseignant aura soin de présenter les deux bouts de
la chaîne de constitution des mots juridiques, à savoir non seulement la constitution
historique mais aussi la constitution récente. Les notations à caractère historique relèvent de
l'étymologie. Mettre en plein jour la racine grecque phuteuein (planter) est un indice de
compréhension du contrat de louage emphytéotique dans sa version classique, c'est-à-dire
rurale. Mais aussi attirant puisse-t-il être, le recours à l'étymologie exige non seulement
l'apport linguistique mais également l'apport historique. Révélateur, à cet égard, est le
terme chirographaire (du gr. kheir, main, et graphein, écrire). Etait appelé chirographaire le
créancier dont le débiteur s'était engagé sous signature privée à une époque où
l'engagement du débiteur par devant notaire entraînait, de ce seul fait, attribution d'une
garantie immobilière générale (19). Si ce point d'histoire du droit, relevant de l'ancien droit
français, n'est pas indiqué à l'étudiant, comment celui-ci peut-il, de nos jours, comprendre
qu'un créancier non pourvu d'une garantie soit dénommé chirographaire ? Aussi bien, dans
la ligne d'une amélioration de la communication dans le droit, nous semble-t-il s'imposer de
remplacer chirographaire par ordinaire, même si cette actualisation linguistique
simplificatrice doit quelque peu écorner le caractère savant mais, en l'occurrence, obsolète
et hermétique du langage du droit.

A l'autre bout de la chaîne, on trouve un phénomène linguistique - digne d'être indiqué à nos
auditoires - à savoir l'émergence de mots nouveaux ou néologie, sans qu'il soit aisé de dater
leur apparition. A côté de la néologie juridique textuelle qui nous met en présence, d'une
part, de la francisation depuis les années 70 de termes étrangers par l'action des
commissions ministérielles de terminologie française, plus spécialement de la francisation de
mots empruntés à l'anglo-américain (20), d'autre part de l'euphémisme dans la législation
récente (21), véritable phénomène de sociologisation du droit (comme Interruption
volontaire de grossesse à la place d'avortement), il faut relever que la doctrine est un grand
pourvoyeur de la néologie juridique (22).

8. Si maintenant l'enseignant - par delà la perspective diachronique - met l'accent sur le


vocabulaire juridique tel qu'il fonctionne en synchronie c'est-à-dire au moment où il
enseigne, il ne peut qu'être amené à dire à ses étudiants que c'est la logique interne du droit
qui conduit celui-ci à se doter comme toute langue spécialisée de concepts dont le non-

4
spécialiste peut trouver l'expression étrange. La technicité n'est pas dans les mots mais dans
les concepts (23).

Pour se limiter aux concepts à la fois les plus généraux et les plus classiques, il n'est qu'à
citer ceux de « droit naturel « et de « droit positif «. Il ne faut pas rire de l'étudiant qui arrive
en faculté et qui, entendant pour la première fois ces notions, peut se poser la question de
savoir s'il y a un droit « artificiel » et un droit « négatif ». Car les présupposés et les
implications logiques de ces concepts font qu'ils constituent pour le non-initié une barrière
notionnelle (24).

Dans ces conditions, il est impérieux pour chacune et chacun d'entre nous qui enseignent ou
enseigneront d'exercer inlassablement une activité définitoire et ce, même pour des notions
qui nous paraissent aller de soi, tellement elles nous sont devenues familières.

C'est la définition, en effet, qui véhicule les connaissances permettant, seules, de


comprendre le sens des mots juridiques. (les « signifiés » disent les linguistes). On « connaît
les « signifiés » des terminologies dans la mesure où l'on connaît les sciences et les
techniques auxquelles elles répondent et non pas dans la mesure où l'on connaît la langue »
(25).

Opinion dont on trouve la résonance sous la plume d'une spécialiste de l'informatique


juridique à l'Université du Québec à Montréal, à l'issue de la réalisation, dans le domaine de
l'intelligence artificielle appliquée au droit, d'un prototype de système expert en droit du
logement, appelé Loge-expert. « Après avoir, écrit en effet Claude Thomasset, transposé
dans Loge-expert le sens des règles juridiques dans un langage formel »... « spécifique
adapté aux capacités de l'ordinateur », nous sommes maintenant convaincus que
l'expression écrite de la loi dans la langue naturelle représente plus de sens que ce qui est
écrit. Il est très clair maintenant que le sens doit aussi être cherché dans le savoir implicite
qui est propre à une culture » (26). Ce qui, soit dit en passant, montre l'inanité des tentatives
de faire découvrir le droit par la simple diffusion de quelques « mots clés ».

Si la définition est l'activité didactique fondamentale par excellence, encore convient-il


d'ajouter aussitôt que cette didactique fondamentale ne couvre pas toute la dation d'un
savoir linguistico-juridique. A ses côtés, mérite de prendre place une didactique appliquée.

B. - Didactique appliquée

9. Cet art d'enseigner est ainsi dénommé parce qu'il paraît relever des travaux dirigés. Deux
orientations semblent devoir être suivies.

La première se situe dans la perspective de l'apport de l'informatique à l'enseignement du


droit. Il y a près de vingt ans déjà, on pouvait relever dans un rapport d'activité de l'Institut
de recherches et d'études pour le traitement de l'information juridique (IRETIJ), créé en 1968
à Montpellier par Pierre Catala, le projet de « microbanques « destinées à des séances de
travaux pratiques et constituées de sous-fichiers spécialisés à partir de la banque de
données juridiques générale (27). Pourquoi un logiciel d'enseignement assisté par ordinateur
(didacticiel) ayant pour objet le vocabulaire des institutions n'aurait-il pas sa place dans l'«

5
unité de méthodologie » prévue dans l'organisation actuelle des enseignements de première
année ?

10. La deuxième orientation a trait à l'accès aux textes juridiques en tant que discours (28).
De ce point de vue, il faut constater que dans nombre de facultés depuis plus d'une
cinquantaine d'années les civilistes tendent à privilégier dans leur activité méthodologique le
commentaire d'arrêt. Si ce difficile exercice est tout à fait nécessaire, il doit néanmoins
intervenir en son temps qui n'est pas le premier. Dans un système de législation civile
codifiée, il est, en effet, de bonne logique que l'étudiant puisse avant toute chose avoir accès
à l'analyse de texte légal en commençant par celle d'articles de lois codifiées (29). De plus,
compte tenu du développement considérable du pouvoir réglementaire, ne convient-il pas,
dans toute discipline de droit interne, de généraliser l'expérience consistant à traiter du
décret ? En outre, il paraît très utile d'attirer l'attention, spécialement des privatistes, sur le
parti pédagogique qui peut être tiré des analyses de textes de la pratique autre que
judiciaire, par exemple de l'analyse de formules d'actes notariés. Il en est de même de
l'analyse de texte doctrinal à laquelle les publicistes semblent plus familiers que leurs
collègues de droit privé (30). La dation de la méthode d'analyse de texte ainsi largement
comprise est le préliminaire indispensable à l'acquisition par l'étudiant d'un savoir
linguistico-juridique.

II. - L'ACQUISITION D'UN SAVOIR LINGUISTICO-JURIDIQUE

11. Il s'agit de l'auto-apprentissage de l'étudiant qui doit d'abord apprendre à lire les termes
de droit ; il aura ensuite le plus grand intérêt à s'initier aux écritures du droit.

A. - Auto-apprentissage de la lecture des termes de droit

12. Cette acquisition passe nécessairement par le maniement d'un dictionnaire de droit (31)
ou pour le moins d'un lexique de termes de droit (32). L'attention de tout étudiant, dès son
entrée en Faculté, doit être appelée sur la nécessité de consulter sans relâche ces
instruments linguistiques devenus indispensables pour plusieurs raisons. La première tient à
« l'accès à l'enseignement supérieur juridique d'un nombre croissant d'étudiants auxquels
leur milieu familial n'a pas donné ce commencement d'initiation qui évite le découragement
» ; la deuxième est liée au « fait que la plupart d'entre eux ignorent tout du latin, dont la
connaissance n'est nullement indispensable au juriste, mais facilite l'acquisition d'un langage
technique qui doit beaucoup au droit romain » (33). Une troisième raison est venue s'ajouter
par suite de l'élargissement de notre espace juridique.

13. Traditionnellement, un dictionnaire juridique est, dans notre pays, circonscrit dans un
espace de monolinguisme (le français) et de monosystémisme (le système de droit français).
Mais, de plus en plus, notre espace juridique devient un espace de plurilinguisme
(notamment les langues des pays de l'Union européenne) et de plurisystémisme
(spécialement les systèmes de droit des pays de l'Union européenne). Il est donc devenu
urgent d'élaborer des dictionnaires de termes juridiques qui prennent en compte ce
phénomène. Ainsi en est-il d'un dictionnaire qui contient les termes français relatifs aux
contrats, ainsi que leurs équivalents en anglais et en allemand (34) ; à défaut d'être
triplement systématique, ce dictionnaire, assurément perfectible, est partiellement trilingue.

6
Les équivalents anglais et allemands ont été déterminés grâce à la collaboration du Service
de terminologie de la Cour de justice de Luxembourg qui a travaillé depuis 1990 à la
conception et à la réalisation sur outil informatique d'une base de données terminologiques
multilingue dans le domaine du droit (35). Ce Service de terminologie « a adopté le principe
d'une double structure de fiche terminologique. La première, dite « fiche multilingue »,
recense les différentes expressions linguistiques d'une même notion ; la seconde, dite «
fiche documentaire », apporte les informations notionnelles relatives au concept traité, qu'il
relève du droit communautaire ou de l'un des droits nationaux » (36).

14. Pour inciter les étudiants à la consultation de dictionnaires juridiques, il n'est pas interdit
de recourir à la méthode ludique. L'expérience des « mots croisés juridiques » a été faite et
elle peut être rendue plus interactive par un genre métamorphosé de scrabble juridique. En
transposant certaines activités ludiques télévisuelles, pourquoi ne pas faire participer nos
étudiants au jeu des « Lettres juridiques » (sans les « chiffres ») ou encore au jeu des «
Questions pour un champion de terminologie juridique » ? Ces diverses activités, à
l'exception de la dernière, contribuent également à l'acquisition de l'orthographe juridique
qui est la condition première de l'auto-apprentissage des écritures du droit.

B. - Auto-apprentissage des écritures du droit

15. Si l'on nomme « écriture » « les signes utilisés comme marques de genres » (37), on
conviendra aisément que le style des formules légales, juridictionnelles, des formules en
usage dans l'administration ou encore chez les notaires, constitue autant d'« écritures » dont
l'auto-apprentissage paraît concevable en deux temps.

Dans un premier temps, il faut prendre la mesure de la spécificité de ces « écritures ». Pour
ce faire, l'étudiant aura le plus grand intérêt à effectuer des exercices de stylistique
comparée de textes juridiques à condition qu'il soit en présence de deux textes ayant le
même objet pour ne pas confondre stylistique et interprétation. Ainsi, tirera-t-il profit de la
comparaison d'une loi et de son décret d'application ou d'un arrêté et d'une circulaire s'y
rapportant (38) ; de même, il pourra comparer deux textes dont l'un est la réécriture de
l'autre, comme c'est le cas dans une présentation modernisée de décision judiciaire (39) ou
d'acte notarié (40).

16. Dans un deuxième temps, par exemple durant l'année de maîtrise juridique, l'étudiant
sera invité à s'initier à la rédaction des textes normatifs ainsi qu'à celle des actes juridiques
et juridictionnels (41). C'est qu'en effet, « au regard d'une réalité concrète et révolue (le
juge), ou concrète et future (le tabellion), ou encore abstraite et potentielle (le législateur),
l'ensemble des producteurs de discours juridiques sont à la recherche du mot le plus juste et
de la structure la plus apte à faire face au prévu, voire à l'imprévu » (42).

D'une façon générale, à cet égard, le dictionnaire juridique peut être un guide pour la
rédaction au niveau du groupe de mots si, du moins, cet instrument linguistique contient, à
propos des termes de droit traités, une rubrique concernant leurs « contextes immédiats
typiques » c'est-à-dire « les emplois les plus caractéristiques (construction grammaticale
particulière, problèmes de prépositions et d'articles, collocations lexicales usuelles,
phraséologie juridique) (43). Par exemple, à propos du mot action, dans son acception

7
d'action en justice, l'indication sera donnée dans le dictionnaire qu'« une action s'engage
s'exerce, s'intente contre (quelqu'un) » (44), « est ouverte à tous ceux qui » (45).

17. Relativement à la rédaction des textes normatifs, si l'acquisition d'un savoir avait été
généralisée au sein des universités, on n'en serait pas arrivé au constat accablant consigné
dans un rapport d'Alain Viandier publié (46) en 1988 sous les auspices de la Fondation
européenne de la science et portant sur une Recherche de légistique comparée, la légistique
étant entendue comme l'« étude des aspects formels de la loi ». Aux termes de ce rapport
établi à partir de questionnaires adressés à des experts des pays européens et des Etats-
Unis, « on n'a jamais témoigné autant de mépris pour la plastique du droit (formule de
Ihering). C'est vrai d'abord de la composition de la loi. Ainsi des plans sans cohérence, des
découpages irréfléchis, des articles sans unité de pensée aussi longs que des chapitres, des
constructions baroques, compliquées et opaques... C'est vrai ensuite de la formulation de la
loi. Il suffit d'observer un instant les travers du style législatif contemporain : d'une précision
maniaque où les arêtes disparaissent sous les détails les plus triviaux, d'un hermétisme à
décourager les amateurs d'ésotérisme, si grande est l'influence du style bureaucratique, d'un
symbolisme déplacé ou le pédagogique a le pas sur le normatif » (47).

Dans l'attente de la mise en place généralisée d'enseignements méthodologiques nationaux


de légistique et même d'un enseignement international à distance de légistique (48), il serait
grandement opportun d'utiliser les travaux d'avant-garde des canadiens francophones,
spécialement l'ouvrage québécois intitulé Rédaction des lois : rendez-vous du droit et de la
culture (49). En plus des aspects lexicaux et syntaxiques du langage de la loi, sont, dans cet
ouvrage, mis en relief ses aspects graphiques. Parmi eux, les lettres majuscules et les sigles
occupent une place centrale qui ne doit cependant pas faire oublier ce que Kocourek appelle
les « signes séparateurs » (50) : les signes de ponctuation et les blancs qui séparent les
alinéas, les paragraphes, les sections, les chapitres et les titres. Plus proches de nous, se
situent l'ouvrage méthodologique sur La loi (51) et les enseignements à puiser dans les
rapports sur Les mots de la loi de la Journée (23 mai 1997) du Centre d'études du français
juridique (Paris II), rapports précédés d'un avant-propos pénétrant de François Terré et
couronnés par les riches « gloses » de Gérard Cornu (52).

18. Il n'est pas négligeable, par ailleurs, de mentionner les instructions des pouvoirs publics
qui sont heureusement de plus en plus soucieux d'une meilleure compréhension des textes
par les administrés. Telle, la circulaire du 30 janvier 1997 (53), tout spécialement son § 1.
Elaboration des textes : règles générales visant le vocabulaire, les sigles, la ponctuation, les
dénominations à utiliser à la suite de l'entrée en vigueur du traité sur l'Union européenne, la
division des textes, leurs titres, les mentions initiales et visas des décrets ; son § 2.
Elaboration des textes : règles propres aux différentes catégories de textes et son Annexe 17
contenant des modèles de décrets individuel et collectif. Pour ce qui concerne les «
documents administratifs » en général, on se gardera d'omettre le petit manuel mais grand
classique sur Le style administratif (54). En matière d'actes juridiques relevant du droit privé,
les apprentis-rédacteurs trouveront une référence privilégiée dans les formulaires des
professionnels de la rédaction de ces actes, notamment dans les formulaires des actes
notariés (55).

19. Quant aux écritures juridictionnelles, existent de précieuses indications pour la structure

8
des décisions du juge administratif (56). La rédaction des jugements judiciaires a fait l'objet
d'un traité, plusieurs fois édité, ayant pour intitulé Le style des jugements (57). Grâce à
l'ouvrage méthodologique sur La technique de cassation, l'étudiant pourra se familiariser
avec l'écriture particulière des pourvois en cassation et des arrêts de la Cour de cassation en
matière civile (58). Faisons, enfin, un clin d'oeil à l'auto-apprentissage de l'écriture des
conclusions en signalant l'avènement du Petit traité de l'écrit judiciaire (59).

20. En conclusion, on veut espérer que plus l'apprentissage du langage du droit sera pour nos
étudiants précoce et complet, mieux pourront-ils, dans leur activité professionnelle
ultérieure, prendre conscience de ce paradoxe fondamental, à savoir que « le droit est un
phénomène aussi largement social que la langue elle-même, mais qui suscite un sentiment
d'étrangeté chez le plus grand nombre » (60). Mais si l'on veut surmonter ce paradoxe, la
seule solution consiste à élargir l'alphabétisation juridique (61) soit à l'intérieur du système
éducatif soit même à l'extérieur de celui-ci. Pourquoi pas des didacticiels à cet usage via
Internet ? A l'époque du jus ex machina (62), l'enjeu social de la problématique de la
communication dans le droit commande qu'à tout le moins la question soit posée au
moment même où Juriscope (63) vient de donner le jour à « Jurisite », premier « cyber-
annuaire » présentant une sélection de plus de mille sites proposant des informations
juridiques sur deux cents pays.

2° Rions un peu

« Attendu que la poule est un animal anodin et stupide… »

Attendu que la guerre est déclarée entre ruraux et néo-ruraux,


attendu que l'on ne peut parler de châtaignes sans se prendre des
marrons, voici pour les amateurs, et avant de baisser le rideau en
perspective de quelques jours de repos, une gourmandise
juridique.

Au lieu-dit La Rochette, village de Salledes (Puy-de-Dôme), un


conflit de voisinage opposait le sieur Rougier à ses voisins,
les époux Roche, propriétaires d'un poulailler que le premier estimait trop proche, trop
bruyant et trop malodorant. Saisi de la querelle, le tribunal de Clermont-Ferrand avait
donné raison aux plaignants et ordonné la destruction dudit poulailler fauteur de troubles.
Furieux, les époux Roche ont fait appel de la décision du tribunal devant la cour d'appel de
Riom qui leur a donné raison en ces termes:

"Attendu que la poule est un animal anodin et stupide, au point que nul n'est encore parvenu
à le dresser, pas même un cirque chinois; que son voisinage comporte beaucoup de silence,
quelques tendres gloussements et des caquètements qui vont du joyeux (ponte d'un œuf) au
serein (dégustation d'un ver de terre) en passant par l'affolé (vue d'un renard); que ce
paisible voisinage n'a jamais incommodé que ceux qui, pour d'autres motifs, nourrissent du
courroux à l'égard des propriétaires de ces gallinacés; que la cour ne jugera pas que le
bateau importune le marin, la farine le boulanger, le violon le chef d'orchestre, et la poule un
habitant du lieu-dit La Rochette, village de Salledes (402 âmes) dans le département du Puy-

9
de-Dôme. Par ces motifs: statuant publiquement et contradictoirement, infirme le jugement,
déboute le sieur Rougier de son action et le condamne aux dépens...". (Cour d'appel de Riom,
1ère chambre civile, 7 septembre 1995.)

Attendu que l’ombilic de Bardot…

En octobre 1961, le propriétaire d'un cinéma de Cambrai avait été assigné devant le tribunal
de police sur plainte des associations familiales du Nord, pour avoir apposé sur les murs de
son établissement une affiche publicitaire du film La bride sur le cou qui représentait Brigitte
Bardot en bikini. Deux mois plus tard, le juge Faugeroux signait le jugement suivant:

"Attendu que l'affiche incriminée est un agrandissement photographique de l'actrice Brigitte


Bardot debout, dans la position déhanchée de La Source d'Ingres, entièrement dévêtue, à
l'exception d'un mince cache-sexe, les mains croisées sur la poitrine dans le geste d'une
nymphe surprise. Attendu que le visage de l'actrice n'exprime
toutefois pas la confusion, mais, sous deux yeux effrontés, une moue
qui, pour être enfantine, ne laisse pas d'être équivoque...

Attendu encore qu'à l'exception du côté droit, où la trame plus serrée


du cliché accuse les contours extérieurs et le déhanchement suggestif,
le corps est traité en très légère demi-teinte, le cache-sexe qui
dissimule la région pubienne se distingue à peine du ventre
délicatement modelé sur lequel l'ombilic se dessine avec la précision
d'une planche anatomique et le fini d'un bijou. Attendu qu'une femme
dévêtue sur la plage ou dans une piscine n'est pas indécente, mais
que, si elle se promène dans la rue dans la même tenue elle est

10
indécente. Or l'affiche a été apposée dans la rue et par suite, il suffit d'imaginer qu'à sa place
il y a le personnage réel..."

Attendu qu'en 1961, tout cela constituait un outrage à la décence, le propriétaire du cinéma
a été condamné à 200 francs d'amende.

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Cour de cassation, chambre civile 2

Audience publique du 14 septembre 2006

N° de pourvoi: 04-20524

Publié au bulletin, Cassation.

Mme Favre., président


Mme Fontaine., conseiller apporteur
M. Kessous., avocat général
SCP Vuitton, Me Jacoupy., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort, que Mme X..., qui avait donné
en location à M. et Mme Y..., pendant une période estivale, une caravane et ses accessoires,
a été condamnée par une juridiction de proximité à leur payer une certaine somme à titre de
dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés


fondamentales ;

Attendu que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial
;

Attendu que, pour condamner Mme X..., le jugement retient notamment “la piètre
dimension de la défenderesse qui voudrait rivaliser avec les plus grands escrocs, ce qui ne
constitue nullement un but louable en soi sauf pour certains personnages pétris de
malhonnêteté comme ici Mme X... dotée d’un quotient intellectuel aussi restreint que la
surface habitable de sa caravane, ses préoccupations manifestement strictement financières
et dont la cupidité le dispute à la fourberie, le fait qu’elle acculait ainsi sans état d’âme et
avec l’expérience de l’impunité ses futurs locataires et qu’elle était sortie du domaine virtuel
où elle prétendait sévir impunément du moins jusqu’à ce jour, les agissements frauduleux ou
crapuleux perpétrés par elle nécessitant la mise en oeuvre d’investigations de nature à la
neutraliser définitivement” ;

Qu’en statuant ainsi, en des termes injurieux et manifestement incompatibles avec


l’exigence d’impartialité, le juge a violé le texte susvisé ;

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PAR CES MOTIFS, sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 26 mai 2004, entre les
parties, par la juridiction de proximité siégeant dans le ressort du tribunal d’instance de
Toulon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient
avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant par la juridiction de proximité
siégeant dans le ressort du tribunal d’instance de Marseille ;

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