Droit Des Obligations: Angers Larouche

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Revue générale de droit

DROIT DES OBLIGATIONS


Angers Larouche

Volume 9, numéro 1, 1978

URI : https://id.erudit.org/iderudit/1059603ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1059603ar

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Éditions de l’Université d’Ottawa

ISSN
0035-3086 (imprimé)
2292-2512 (numérique)

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Citer cet article


Larouche, A. (1978). DROIT DES OBLIGATIONS. Revue générale de droit, 9(1),
73–212. https://doi.org/10.7202/1059603ar

Droits d'auteur © Faculté de droit, Section de droit civil, Université d'Ottawa, Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
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DROIT DES OBLIGATIONS

par A n g e rs L A R O IC H E ,
professeur à la Faculté de Droit
de lf Université d'Ottawa

I. — J u r is p r u d e n c e .

A. N o t io n s générales.

1. Obligation naturelle. Frais funéraires.


Les enfants ont une sorte d ’obligation naturelle de pourvoir à une sépulture
décente pour leurs parents. Plus précisément, l'entrepreneur de pompes funèbres
est autorisé à croire que les deux fils d une défunte se déchargent d'une obligation
naturelle lorsqu'ils font avec lui les arrangements pour la sépulture de leur mère
sans lui préciser les circonstances de leur engagement c.-à-d. qu'ils n'engagent
que la succession et ne s'engagent pas personnellement ou qu'ils ne sont pas
héritiers.
En conséquence, les deux fils contractent personnellement et sont obligés au
paiement du prix des services, quitte à exercer une action récursoire contre les
héritiers ou la succession (Maison Funéraire Arcand Enr. c. Lévesque, 1976 C.P.
171). Le tribunal ajoute ensuite que la dette est cependant conjointe, et non
solidaire. Le tribunal aurait pu, par ailleurs, à notre avis, fonder sa décision tout
aussi bien sur la notion du mandat tacite ou de la gestion d'affaires et sur l'art.
1716 C.C. La décision n'aurait pas été différente. De toute façon, la décision du
tribunal est évidemment bien fondée et bien appuyée sur la jurisprudence qu'on y
trouve.
B. L e c o n tra t.

2. Qualification de contrat. Droit de tenir une école de ski.


Le contrat par lequel une personne, moyennant le paiement d'une somme
annuelle à l'exploitant d'un centre de ski, s'oblige à donner des cours de ski
contre rémunération selon un mode de paiement prévu et bénéficie à cette fin de
l’usage des pentes de ski, des remonte-pentes, d'endroits particuliers pour les
leçons, de locaux etc... constitue un contrat de louage de choses, en vertu duquel
elle est un locataire et l'exploitant, le locateur. {Snowlarks Ski-School Inc. c. Mont
Gabriel Lodge Inc., 1975 C.S. 790).
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3. Qualification de contrat. Contrat d ’entreposage.


Un contrat d'entreposage relié à une opération de traitement et d ’emballage
d’une quantité de tabac n’est pas un contrat de dépôt, mais plutôt un louage de
services (Benson & Hedges Ltd. c. Jones Tobacco Sales Co. L td ., 1976 C.S. 1181
et jurisprudence citée).
3a. Liberté contractuelle et ordre public. Validité des clauses compromissoires.
La clause compromissoire («Si un excédent de frais découlait des travaux,
(suite à une décision de l’architecte), il sera réglé entre l’architecte et l’entrepre­
neur ou à défaut par voie d ’arbitrage») est valide et légale et l’une des parties peut
forcer l'autre à procéder à un arbitrage (Comm. Scolaire Régionale des Bois
Francs c. J.H. Dupuis Ltée, 1975 C.A. 759, conf. 1974 C.S. 649; voir aussi,
dans le même sens, Sinvor Spinners o f Canada Ltd. c. Leesona C orp., 1976 C.A.
395).
Par ailleurs, la Cour d ’appel avait déjà réitéré sa propre jurisprudence selon
laquelle une clause compromissoire est valide «vu les dispositions contenues à
l'art. 951 du Code de procédure civile» et que la jurisprudence antérieure à
l’entrée en vigueur de cet article (1966), en vertu de laquelle la clause
compromissoire était considérée comme illégale, est devenue caduque (Liman c.
K.L.M. Royal Dut ch Airlines, 1974 C.A. 505; cf. aussi nos propos à 1975 R.G.D.
196, n° 6).
Ceci dit, il faut ajouter que le tribunal ne donnera effet à une clause
compromissoire que si celle-ci oblige les parties à l’arbitrage. Si une telle clause
est facultative («the parties m ay.... agree to submit the dispute» to arbitration) elle
n’a aucun effet obligatoire: si une partie refuse d’aller à l’arbitrage, le tribunal ne
saurait l’y obliger (Eastern Township Régional School Board c. Longpré Const.
Inc., 1975 C.A. 627 ou 1976 R.P. 80).
Enfin, quoique certains juges semblent avoir oublié que les parties peuvent
renoncer, implicitement ou expressément, à une clause compromissoire et à
l’arbitrage, comme à n’importe quelle clause contractuelle (cf. par ex. nos
commentaires, 1973 R.G.D. 202, n° 6), la Cour d'appel accepte une telle
renonciation: il ne revient pas au tribunal d ’invoquer d ’office une clause
compromissoire pour renvoyer le dossier à l’arbitrage (Caribou Const. Inc. c.
Robert McAlpine Ltd., 1976 C.A. 393).

4. Liberté contractuelle et ordre public. Clauses restrictives de commerce et


d emploi.
La clause restrictive de commerce, destinée à protéger l’acheteur d ’un fonds
de commerce contre une concurrence «injuste» du vendeur n ’est plus d ’aucune
utilité et ne peut être appliquée si la violation de la clause par le vendeur a lieu
après que l’acheteur a cessé d ’exploiter le commerce en question. «La disparition
de la raison d’être de la clause de non-concurrence entraîne l’inefficacité de cette
clause» (Boisclair c. Hiv o n , 1975 C.A. 747).
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À l'occasion de cette décision, M. le juge en chef Tremblay a par ailleurs


écrit:
La jurisprudence de notre Cour est à l'effet que les clauses du genre de celle que nous
étudions sont à première vue illégales comm e contraires à l'ordre public et q u ’elles ne
doivent ¿tre appliquées que si elles sont raisonnables..

Peut-être bien. Mais encore faut-il ajouter, à notre avis, que la clause
restrictive de commerce est généralement considérée comme «raisonnable» par
nos tribunaux alors que la clause restrictive d'emploi est généralement considérée
comme «déraisonnable». Aussi, il nous apparaît que, concrètement la clause
restrictive d'emploi jouit, pour ainsi dire, d'une présomption de «déraisonnabilité»
et, partant, d'illégalité alors que la clause restrictive de commerce jouit d'une
présomption de «raisonnabilité» et, partant, de légalité. Dans l'espèce, il s'agissait
d'un contrat de vente de commerce; une clause dudit contrat prohibait la
concurrence pour une période de 3 ans dans le comté de Drummond. Nous
croyons que dans d'autres circonstances qui ne l’auraient pas rendu inefficace, la
clause aurait été jugée légale, à la lumière de la jurisprudence antérieure. De
même, est légale la clause, dans le contrat de vente d'un fonds de commerce
(studio d'enregistrement et production de disques) qui prohibe l'enregistrement et
la production de disques destinés principalement au marché québécois et ce, pour
une période de cinq ans (Norîhland Village Shopping Centre Ltd. c. Perrotte alias
Perry . 1976 C.S. 731 (en appel)). Cette dernière décision nous paraît s'inscrire
très bien dans la philosophie jurisprudentielle applicable aux clauses restrictives de
commerce (cf. 1971 R.G.D. 232, n° 14, 1972 R.G.D. 310, n° 6, 1973 R.G.D.
205, n° 7, 1975 R.G.D. 197, n° 1).
Dans une autre espèce où il s’agissait d'une clause restrictive d'emploi
interdisant à un employé de s'engager pour un compétiteur (vente de maisons
mobiles) pendant un an sur un territoire (tout l’Est et le Nord-Est du Québec)
beaucoup plus étendu que le territoire dans lequel le commis-vendeur exerçait son
métier au profit de son ex-employeur, ladite clause a été jugée invalide parce que
déraisonnable (Provincial Mobile Inc. c. Lebel, 1975 C.S. 134).
Appliquant le test mathématiquement, le tribunal a conclu que la durée de la
prohibition et l'activité prohibée étaient raisonnables mais que le territoire ne
l’était pas. Le tribunal explique:
Si la clause dont il s ’agit avait limité expressém ent l'espace prévu à la région où le
défendeur a exercé ses activités antérieurement à sa dém ission, le tribunal aurait
probablement donné effet à ladite clause, mais comme cette clause doit être prise dans son
ensemble et telle que rédigée, le tribunal ne peut y donner effet puisqu'il est d'opinion que
cette clause comprend un espace beaucoup trop vaste qui va bien au-delà des intérêts que
la demanderesse avait norm alem ent le droit de protéger.

Comme telle, cette explication paraît peut-être trop objective, si l'on


considère qu'en fait l'ex-employé a violé la clause exclusivement dans la région
où il exerçait ses activités antérieurement à sa démission. Et de telles circonstan­
ces nous permettent de penser que M. le juge Pigeon (cf. Cameron c. Canadian
Factors Corp. Ltd., 1971 R.C.S. 148, et nos propos, 1972 R.G.D. 310, n° 6)
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aurait souligné que l'employé ne pouvait invoquer le caractère excessif du


territoire stipulé pour se défendre d'avoir violé la clause dans la région même où il
travaillait avant son départ.
A tout prendre, nous considérons néanmoins que la conclusion du tribunal
était bien sentie, ne serait-ce que parce que la clause elle-même, peu importe sa
raisonnabilité quant à la durée et au territoire, n'est nullement nécessaire pour
protéger l'ex-employeur. De ce fait, on peut penser qu'elle n’avait pas sa raison
d'être et qu'elle était donc illégale eu égard au droit et à la liberté du travail.
Quoi qu'il en soit, force nous est de constater que toute motivation est bonne
lorsqu’il s'agit d'enlever son effet à une clause restrictive d'emploi. L’histoire
jurisprudentielle nous enseigne du reste que le «critère de la raisonnabilité» a été
élaboré pour invalider les clauses restrictives d'emploi et non pour les valider. En
fait, il est à peu près peine perdue de vouloir trouver une décision où le tribunal a
déjà reconnu la validité d'une clause restrictive d ’emploi. La décision précitée
s'inscrit donc tout simplement dans la liste de toutes celles qui ont refusé de
donner effet à des clauses restrictives d ’emploi. Il en est de même d’une autre
décision concernant un vendeur de détergents, dont le contrat contenait une
prohibition de cinq ans {Produits V-To Inc. c. Bolduc, 1976 C.S. 1325).
Eu égard au droit au travail et à la liberté avec laquelle ce droit doit pouvoir
s'exercer, nous ne sommes pas en désaccord avec cette jurisprudence. L ’intérêt
d’un ex-employeur ne peut sans doute pas être compromis de façon telle qu’une
clause restrictive puisse être justifiée. En fait, la jurisprudence, dans son
ensemble, ne nous dit-elle pas qu’une clause restrictive d ’emploi est illégale eu
égard au droit au travail? (voir à cet effet, l'attitude du tribunal dans l'affaire
Produits V-To In c ., précitée).
Il faut cependant distinguer de la clause restrictive d'emploi, celle qui, sans
obliger l’ex-employé à ne pas s'engager pour un concurrent, soumet la
continuation du paiement des commissions à l'ex-employé après la fin de
l'emploi, à la condition qu'il ne s’engage pas chez un concurrent. Une telle clause
ne possède pas un caractère prohibitif ou une restriction indue et elle est
parfaitement valide (Pauley c. The Impérial Life Ass. Co. o f Canada, 1976 C.A.
551).
De même, il peut arriver que le tribunal soit obligé d ’interpréter une clause
restrictive de commerce valide; elle doit alors être interprétée restrictivement (par
ex: à cet effet, Produits V-To Inc. c. Bolduc, 1976 C.S. 1325, 1327). Ainsi le
vendeur qui s'engage à ne pas exercer un commerce semblable (vente de tapis)
dans un rayon de trente milles d ’une ville ne contrevient pas à la clause s'il se
réétablit cinquante milles plus loin et ne fait que tenter d'attirer chez lui la
clientèle se trouvant dans le rayon prévu par sa publicité (journaux et lettres
circulaires), surtout si l’acheteur ne prouve pas que cette publicité a produit des
fruits (Tapis Sherbrooke Acton Ltée c. Tapis Acton Ltée, 1976 C.S. 1123). Il
s’agit là d’une décision plutôt favorable au vendeur, qui souffre peut-être la
discussion au niveau des principes et de la distinction faite entre l'exercice d ’un
commerce et la publicité, mais qui se justifie peut-être à la lumière de l'absence de
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preuve quant aux fruits de la publicité. Ce jugement aurait pu faire l'objet d'un
appel sérieux.
5. Liberté contractuelle et ordre public. Exercice des professions. Nécessité d'un
permis.
Lorsqu'une loi spéciale impose à celui qui exerce un métier ou pratique une
profession l'obligation d'obtenir un permis, un certificat ou autre «carte de
compétence», il s'agit d'une loi d'ordre public. Et toute personne qui veut
récupérer la rémunération prévue à une entente ne réussira pas dans son action si
la loi réserve la rémunération à ceux qui possèdent les qualifications légales
exigées.
Ainsi une personne ne peut réclamer une commission pour la vente de
terrains si elle ne possède pas un permis de courtier (Clément c. Dufresne, 1975
C.S. 559: Bowes c. Kracauer, 1976 C.S. 579 (en appel): Forest c. Harvey, 1976
R.L. 359 (cf. infra) n° 10).
De même la loi des maîtres mécaniciens en tuyauterie (S.R.Q. 1964, ch.
155) est une loi d'ordre public, limitant aux seuls membres de la Corporation des
maîtres mécaniciens en tuyauterie le droit d'exercer ce métier (Janin Const. Ltée
et al c. Corporation des Maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec, 1976 C.S.
1548). Ces décisions s'inscrivent dans le cadre de la jurisprudence tracée par la
Cour suprême (Pauzé c. Gauvin, 1954 R.C.S. 15).
6. Liberté contractuelle et ordre public. Prescription conventionnelle.
Nonobstant certaines décisions récentes au contraire, M. le juge Desmeubles
de la Cour supérieure ne doute pas de la légalité d'une disposition contractuelle
qui fixe le délai de prescription dans lequel l'assuré doit poursuivre son assureur
(cf. 1975 R.G .D. 197, n° 8) et ce dans un jugement succint mais bien motivé
(Chicoine c. Cie Commercial Union 1976 C.S. 355).
7. Liberté contractuelle et ordre public. Assurance-vie au profit d'une concubine.
En principe, une personne peut valablement assurer sa vie au profit de sa
concubine {Laroche c. The Great West Life Assurance, 1975 C.S. 4 à la p. 5; cf.
aussi sur ce point, Favreau c. Lapointe, 1975 C.S. 15; ces deux jugements ont
cependant été portés en appel, mais surtout sur les autres questions en litige,
apparemment.
8. Liberté contractuelle et ordre public. Règlements de zonage.
N'est pas contraire à l’ordre public le bail ayant pour objet des lieux devant
servir à un genre de commerce prohibé par les règlements de zonage, lorsque cette
prohibition est connue des deux parties et qu’elle fait l’objet de clauses
contractuelles, notamment l'obligation pour les parties de faire les démarches
nécessaires pour tenter de faire modifier le règlement. Est toutefois contraire à
l'ordre public la clause créant, pour le locataire, l'obligation d'épuiser tous les
délais et recours possibles en justice dans le but d'occuper les lieux le plus
longtemps possible à !’encontre du règlement de zonage, obligation à laquelle est
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reliée celle du paiement des loyers (Perreault c. Les Productions Pusina Inc.,
1976 C.S. 1329, en appel).
Le tribunal accorde ensuite un mois de loyer (sur un total possible de cinq
mois nécessaires à la relocation) à titre de dommages, au locateur, suite à la
résiliation unilatérale du bail par le locataire, en se fondant sur la notion des
«risques» acceptés par le locataire et sans doute implicitement sur la notion
d'équité. Tout en étant conforme aux principes juridiques applicables, cette
décision nous paraît servir également très bien l’équité, dans les circonstances.
9. Nullité d'ordre public. Qui peut l 'invoquer?
Il est généralement reconnu que toute personne possédant un intérêt suffisant
au sens des règles du Code de procédure civile («tout intéressé») peut invoquer la
nullité d’un contrat contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs.
Toutefois, il arrive rarement, en droit contractuel privée que la nullité soit
invoquée par d’autres personnes que les parties contractantes ou leurs héritiers.
L'une de ces rares occasions nous est fournie dans l’affaire Janin Const. Ltée et
al. c. Corp. des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec, 1976 C.S. 1548.
La compagnie Janin a obtenu deux contrats de plomberie, sans être membre de la
Corporation des mécaniciens en tuyauterie. Deux autres compagnies, qui avaient
fait les deux plus basses soumissions respectivement pour l’un et l’autre des deux
contrats, et qui sont membres de la Corporation, et la Corporation elle-même ont
intenté une action en annulation de contrats, en dommages et en injonction. La
Compagnie Janin a présenté une requête en irrecevabilité de ces actions en
prétendant que les trois demanderesses n’avaient pas l’intérêt suffisant quant à la
demande d ’annulation et d ’injonction.
Le tribunal a rejeté cette prétention jugeant que la Corporation avait
légalement un pouvoir de contrôle sur l’exercice du métier et le droit d ’empêcher
des contraventions à la loi régissant le métier des mécaniciens en tuyauterie. Il
ajoute qu’il y a lieu de favoriser l’accès aux tribunaux principalement aux
organismes de caractère public. Quant aux deux compagnies, leur intérêt réside,
d’après le tribunal, dans le fait que la résolution des contrats constitue une
sanction possible de la violation d ’obligations légales. On peut ajouter que cet
intérêt était suffisant dans les circonstances vu l’allégation de la violation d ’une loi
d'ordre public, apparemment au détriment des deux compagnies soumissionnaires:
tout intéressé peut invoquer une nullité d ’ordre public!
D’autre part, tel que susmentionné, il s’avère qu’une nullité d ’ordre public
est généralement invoquée par l’une des parties contractantes et ce fait n’a jamais
choqué un juge, même dans les cas où il paraissait évident que celui qui invoquait
la nullité en connaissait la cause ou devait connaître lors de la formation du
contrat.
Aussi n’est-ce pas sans une certaine surprise que l’on constate que la Cour
d’appel a refusé «d’entendre» un contractant américain qui, ayant rédigé
lui-même, par l’entremise de son conseiller juridique, le contrat et la clause
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compromissoire qu’il contenait, plaidait la nullité de ladite clause en invoquant les


dispositions légales de l'État du Rhode-Island où le contrat avait été formé (Sinxor
Spinners o f Canada Ltd. c. Leesona Corp., 1976 C.A. 395), infirmant ainsi le
jugement de la Cour supérieure. La Cour d ’appel a justifié sa conclusion en
énonçant un certain doute, fort peu motivé, sur l’applicabilité de la Loi du
Rhode-Island. Elle aurait mieux fait de s’en tenir à la distinction qu elle pouvait
tirer de la jurisprudence américaine citée. D’autre part, il est indiscutable qu’en
opposant au contractant américain le fait qu’il avait rédigé le contrat, qu’il savait
que la clause pouvait être invalide et qu’il trompait ainsi son concontractant
canadien, la Cour d ’appel se trouvait à considérer la cause de nullité comme
n'étant que relative et non absolue ou d ’ordre public, ou, en tous cas, que c ’était
l'ordre public du Québec qui devait s’appliquer, puisque la question de la validité
était soulevée au Québec et non dans le Rhode-Island. Pourtant, la Cour a bien
évité cette question, se contentant en fait d’appliquer en quelque sorte la maxime
«nemo auditur...»
Analysant la substance de cette décision, qui se distingue plus par l'ambiguïté
que par la précision de ses motifs, il nous est permis de penser qu’on a annulé
l'exception déclinatoire du contractant américain sous prétexte en quelque sorte,
qu'en l'acceptant, on aurait fait, du contractant canadien la victime d’une fausse
représentation implicite: l'inclusion de la clause invalide dans le contrat constituait
sans doute une fausse représentation à retardement, à laquelle le maintien de
l'exception déclinatoire aurait donné effet. En conséquence, la clause est valide et
ce même si elle est contraire à l'ordre public, semble-t-il. Cette décision doit
évidemment être perçue comme une décision «pratique», dont les motifs ne
sauraient s'appliquer de façon générale aux contrats québécois contraires à l'ordre
public québécois.
L'engagement d'un homme déjà marié, à la demande d'une femme séparée,
de pourvoir aux besoins matériels de celle-ci et à ceux de ses enfants, comme
condition posée par cette femme pour accepter de vivre en concubinage, jointe à la
condition qu'ils s’épouseraient dès la dissolution de leurs mariages respectifs est
un engagement contraire aux bonnes mœurs et à l’ordre public, parce qu’il
implique une complicité à amener ou à favoriser la rupture de mariages existants.
{Gourd c. Simard, 1976 C.S. 1795).
10. Nullité d'ordre public. Effets sur les prestations.
Si on a déjà cru, dans notre droit, qu'il y avait lieu de distinguer entre l'ordre
public et les bonnes mœurs en matière de nullité de contrats, la répétition des
prestations versées étant permise dans le premier cas mais inadmissible dans le
second, cette distinction n’a plus sa raison d ’être. «L'immoralité» des deux
contractants ne doit pas être, dans un contrat synallagmatique, l’occasion pour
l’un d'eux, de s’enrichir ainsi aux dépens de l'autre. Aussi, faut-il approuver les
propos de M. le juge L-P. Gagnon dans McGugh c. D ubé, 1975 C.P. 158.
Lorsqu'il s'agit, par ailleurs, d'un contrat synallagmatique où la remise en
état pré-contractuel est impossible (ex. louage de services ou de choses), les
80 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

conséquences de la nullité soulèvent évidemment un problème au niveau des


principes d ’équité. Si le tribunal fait droit à la réclamation du loyer ou de la
rémunération, il se trouve en quelque sorte à valider un contrat contraire à l'ordre
public. Par ailleurs, si le tribunal refuse, comme il le fait habituellement, la
réclamation de loyer ou de la rémunération convenue, il se trouve à permettre au
locataire de services ou au locataire d ’une chose, qui invoque la nullité, de tirer
parti d'un contrat nul (Ex. Forest c. Harvey, 1976 R.L. 359; Clément c.
Dufresne, 1975 C.S. 559; Bowes c. Fracauer, 1976 C.S. 579; Pauzé c. G a m in ;
1954 R.C.S. 15, Leblanc c. Versafood Lted, 1969 R.P. 169; Renovations de l’Est
Inc. c. Messier, 1972 R.L. 582). Il s'agit là d ’un dilemme réel qui doit forcément
être résolu de façon à protéger l'ordre public d ’abord, c ’est-à-dire à refuser toute
réclamation en vertu d'un contrat nul. Toutefois, il n'y a aucune raison de
permettre au contractant qui a payé les sommes convenues de répéter lesdits
paiements, tout au moins jusqu’à concurrence des avantages reçus en vertu du
contrat nul et qui, de leur nature, ne peuvent être remboursés (ex. occupation
profitable des lieux loués). Ainsi dans l’affaire Forest précitée, le tribunal a refusé
d ’accorder à celui qui avait fait un paiement partiel pour services «illégaux» le
remboursement de ce qu'il avait payé. Tout compte fait, les tribunaux concilient
généralement assez bien, dans ces cas, l'équité, que ce soit en invoquant le «nemo
auditur» traditionnel ou l'équité comme telle.
Ainsi, dans une espèce, le tribunal a rejeté la réclamation de l'un des
participants à une vente pyramidale contre l’autre participant, faisant droit à la
défense mais sans frais (Trottier c. Allaire, 1976 R.L. 164; cf. aussi Forest c.
Harvey, précitée, sur le refus d ’accorder les frais). Dans une autre espèce, le
tribunal a rejeté l'action en réclamation par le prêteur d'un prêt de $3 000, qui, à
la connaissance du prêteur, devait être et avait été versé dans un système de vente
pyramidale (B.C.N. c. M artella, 1976 R.L. 172).
11. Existence du consentement. Aliénation mentale.
Celui qui requiert l'annulation d'un testament pour «incapacité» du testateur
doit prouver cette «incapacité». La simple allégation de l'incapacité ne renverse
pas le fardeau de la preuve.
Toutefois «si la capacité du testateur est sérieusement mise en doute par une
preuve «prima facie», le fardeau de la preuve sera alors déplacé et il appartiendra
à celui qui soutient la validité de l'acte de prouver que le disposant avait la
capacité de tester (intervalle lucide) lorsqu'il l’a signé». De plus, pour que, dans
ces circonstances, l'on puisse reconnaître au testateur la capacité de tester, il faut
que celui-ci puisse comprendre le sens et la portée de la disposition qu’il va faire
et non seulement être capable de répondre à des questions ordinaires et familières.
La faiblesse d’esprit sera cause de nullité si le testateur ne peut avoir une
compréhension adéquate de l'acte posé, s’il ne peut en mesurer la portée et les
conséquences, et s'il n’a pas la volonté de l’apprécier, d'y résister ou d ’y
consentir.
Ces principes résument bien la jurisprudence en cette matière et ils ont été
appliqués récemment en Cour d'appel (Bedic c. Bozikovic, 1975 C.A. 484;
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 81

Touchette c. Touchette, 1975 C.A. 575 appel à la Cour suprême rejeté, (1976) 1
R.C.S. vi: Meskinis c. Rabell, 1975 C.A. 657).
Il nous semble que ce sont les mêmes principes qui s'appliquent en matière
contractuelle (986 C.C.).
12. Contrats administratifs. Conditions de validité. Nullité.
Ceux qui font affaire avec des personnes de droit public doivent évidemment
s'assurer que le contrat consenti par «l'administration» est conforme aux
conditions prévues par la loi pour la passation dudit contrat. Sans quoi, ils se
retrouvent devant un contrat nul sans recours. Ainsi on a refusé à un ingénieur le
prix de ses honoraires professionnels pour des plans parce que le contrat,
dépassant l'acte d'administration ordinaire à raison de son importance, n'avait pas
été approuvé par la Commission municipale {Cité de Montréal-Nord c. Lalonde,
1974 C.A. 416, en appel à la Cour suprême).
13. Lieu de formation des contrats.
Une action personnelle, fondée sur un contrat, peut être intentée dans le
district où le contrat a été formé. Encore faut-il que le demandeur allègue et
établisse que le contrat a été formé dans le district où il intente son action, lorsque
le défendeur réside dans un autre district.
En effet, lorsque le demandeur poursuit le défendeur dans un district autre
que celui de son forum naturel, il doit établir les faits propres à donner ouverture,
par exception, à la juridiction du tribunal d'un autre district. S'il ne fait pas cette
preuve, s'il ne se décharge pas de ce fardeau, il devra intenter son action dans le
district du forum naturel du défendeur, celui-ci bénéficiant du doute. (Pisapia
Const. Inc. c. GraveL 1976 R.P. 347 (Cour d'appel) et Vanier Leaseholds Ltd c.
Lévesque, 1976 R.P. 380 (Cour supérieure)).
14. Erreur.
L'erreur sur un fait qui est une considération principale du contrat en permet
l'annulation. Ainsi l'erreur sur «l’année d’un véhicule», en l'occurrence un
autobus, ne sera cause de nullité que si «l'année» du véhicule était une
considération déterminante. En conséquence, si l'acheteur voulait acheter un
véhicule neuf en 1967, et c'est ce qu'il a eu, il peut difficilement se plaindre
qu'on l'identifie comme un 1967 alors qu'il a été fabriqué en 1965 et que la
pratique aurait voulu qu'on l’identifie comme «un 1966». {Bel Automobiles Inc. c.
Gallant, 1974 C.A. 594, en appel à la Cour suprême sur ce point et d'autres
points).
Constitue par ailleurs une erreur propre à entraîner l'annulation d'un bail, le
fait pour le «locataire» de louer du propriétaire un immeuble avec chalet dessus
construit alors qu'il ignore qu'il possède un droit de superficie sur ledit immeuble
qui lui permet d'occuper les lieux sans avoir à contracter un bail {Gilbert c. D ion,
1976 C.S. 588).
Dans une autre cause, le possesseur d ’un billet de la loterie «Loto Perfecta» a
82 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

réclamé un prix gagnant sur la base du numéro de son billet. Toutefois, le billet
n'était valide que pour la semaine suivante et non pour la semaine du numéro
gagnant. Le demandeur a fondé son action sur l'allégation qu’il avait été trompé
sur la date de validation. La preuve a révélé que le billet du demandeur avait été
validé selon la pratique et les règlements. Dans cette optique, il est bien sûr que le
tribunal ne pouvait octroyer au demandeur le prix qu’il réclamait (Lebreux c. Soc.
d'Expi. des Loteries du Québec, 1975 C.S. 138). Toutefois, si vraiment le
demandeur a commis une erreur sur la date de «la loterie» à laquelle il voulait
participer, n’aurait‫־‬il pas pu demander subsidiairement l'annulation du contrat et
le remboursement de son billet? Rien ne s’y oppose sur le plan des principes, sauf
que le demandeur aurait eu peine à convaincre le tribunal que la semaine précise
(la date) à laquelle il voulait participer constituait une considération principale du
contrat!
15. Dol. Dol incident. Responsabilité. Dommages-intérêts.
L'on définit généralement le dol comme étant la représentation fausse d'un
fait présent ou passé. Comme le futur est aléatoire en principe, on peut
difficilement dire qu’on représente «faussement» un fait futur.
Toutefois la promesse ou la représentation d’un fait futur peut devenir
frauduleuse si le fait représenté dépend du contractant qui fait la promesse
(Bélanger c. Bolduc, 1975 C.S. 579, en appel).
On reconnaît, en général, à un commerçant le droit d’exagérer les qualités de
son produit avec cette limite que de telles exagérations ne doivent pas fausser
l'essence même du contrat. Ainsi est annulable le contrat de vente d ’un voyage
comprenant une croisière en bateau si les représentations faites sont fausses et si
les conditions du voyage en bateau sont à peu près inacceptables. L’agent de
voyage ne peut se défendre en prétendant qu’il ne connaissait pas les conditions
réelles du voyage. S'il ne les connaissait pas, il aurait dû conseiller ses clients
avec plus de réserves (Deschênes c. Juan, 1975 R.L. 267). De toutes façons,
l'agent possède à notre avis au moins une obligation de moyens, sinon de résultat,
lorsqu’il vend «son produit» à ses clients.
L'annulation d'un contrat pour dol peut être accompagnée de dommages-in-
térêts: dans cette espèce, le tribunal a accordé une somme de $350 à chacune des
deux personnes pour compenser le dommage moral résultant de la privation de
leurs vacances, en plus d ’accorder toutes les dépenses faites à l'occasion du
voyage «raté».
Le dol relativement au chiffre d'affaires, dans la vente d'un fonds de
commerce, constitue une cause d'annulation. Le chiffre d'affaires constitue, en
général, une considération importante du contrat et du prix de vente; par ailleurs,
le dol ne consiste pas nécessairement dans le trucage des bilans. Il peut consister
dans une réticence, soit celle de laisser l'acheteur croire à un chiffre d'affaires
supérieur au chiffre d'affaires réel et courant, en lui présentant des bilans d'années
antérieures et en lui laissant croire qu'on ne peut lui procurer le bilan courant
(Dominion Restaurant Inc. c. L ee. 1976 C.A. 738). Dans le cas de bilans annuels,
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 83

Faction en annulation est intentée dans les délais utiles, si elle est formée après
une année de la vente.

De même, constitue un dol le fait de représenter faussement un véhicule


comme neuf, alors qu'il est usagé (Ginn c. Conbec Auto In c ., 1976 C.S. 1416).
La notion du dol incident, tirée de l’art. 1053 c.c. dans sa conception et ses
effets, paraissait bien établie dans notre jurisprudence. (Voir nos propos, 1972
R.G.D. n° 11, p. 316 et 1975 /?.G.D. n° 12, p. 199). Toutefois, elle semble être
remise en question.
Ainsi en étudiant une requête en évocation d’un jugement de la Cour
provinciale, division des petites créances, qui avait accordé $300 en dommages à
l’acheteur d'une automobile, sous prétexte qu’il y avait eu «dol incident» quant à
la représentation de l’année du véhicule, M. le juge Casey écrit: «The alleged
fraud might have entitled Respondent to have the contract annulled but not have it
changed....» (Nissan Automobile Co. c. Pelletier, 1974 C.A. 503). Ce commen­
taire, sans être déterminant, parce que prononcé uniquement à l’occasion d’une
requête en évocation qui était manifestement bien fondée parce que les droits
futurs du vendeur pouvaient être affectés par le jugement de la «Cour des petites
créances», nous laisse perplexe. Elle a provoqué la même réaction chez M. le juge
Deschênes, tel qu’il s’en explique dans son jugement sur la même affaire en Cour
supérieure, suite à la décision de la Cour d’appel sur l'évocation. (Nissan
Automobile Co. c. Pelletier, 1976 C.S. 296). Heureusement croyons-nous, M. le
juge Deschênes a d'abord souligné la confusion que soulève la voie adoptée par la
Cour d’Appel en reniant, sans l’avouer ouvertement, la jurisprudence antérieure, y
compris la sienne, qui. de 1955 à 1973, a admis le dol incident. Il a ensuite opté,
heureusement croyons-nous, pour le maintien de la notion de dol incident, sinon
sur la base de l’art. 1053 c.c., du moins sur la base de l'art. 1065 c.c.
Notons aussi que la Cour provinciale a accordé une diminution de prix de
$600 (environ 20% du prix de vente) à l’acheteur à qui on avait vendu un véhicule
ayant roulé 65 000 milles, alors que l’odomètre n’indiquait que 32 000 {Girard c.
Bédard Dodge Chrysler Ltée, 1976 C.P. 231). Dans cette décision, le juge conclut
aussi que le vendeur, expert en automobile était présumé connaître ce vice, même
s’il n ’en était pas responsable et même si son vendeur, le coupable, ne lui en avait
pas parlé. Enfin, le juge souligne que l’action sur dol incident, sans être soumise à
l'art. 1530 c.c., doit être intentée avec une diligence raisonnable, à apprécier
suivant les circonstances. Ces principes nous paraissent bien fondés.
Par ailleurs, il est compréhensible que dans son jugement dans l’affaire
Édifice Montcalm Inc. c. Cojal Ltée, 1975 C.S. 117, la Cour supérieure ait refusé
d ’appliquer la notion de dol incident. Dans cette affaire, un locataire, alléguant
fausses représentations de la part du locateur, a réclamé une réduction du prix du
bail plutôt que l’annulation de celui-ci. La réduction demandée était de 4/7 du prix
stipulé. La Cour a jugé que cette demande était irrecevable et que le locataire ne
pouvait demander que l’annulation du contrat. Cette décision a été portée en appel
et ainsi la Cour d'appel aura sans doute l’occasion de préciser la notion du «dol
84 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

incident». Lorsqu'on demande une réduction supérieure à 50%, il nous semble


évident qu’il ne peut plus être question de «dol incident». Dans un tel cas, le «dol
incident» aurait pour effet de permettre un changement trop profond dans les
termes du contrat.
Ceci dit, il nous semble, par ailleurs, que le «dol incident» doit être retenu
comme notion juridique, quitte à ce qu'il soit appliqué raisonnablement. Dans
cette optique, nous comprenons mal le commentaire précité du juge Casey, surtout
à la lumière du fait que la Cour d'appel elle-même a reconnu la validité juridique
de la notion du «dol incident» en 1955 même si l'application de cette notion a
inévitablement pour effet de modifier, dans une certaine mesure «incidente», les
contrats auxquels elle est appliquée.
16. Violence et crainte.
L’épouse qui a consenti, sous l'influence d’un mari dominateur duquel elle a
obtenu une séparation de corps pour les motifs de sévices et injures graves, à un
«acte de partage» de la communauté, qui s’avère ne pas être un partage véritable,
peut obtenir l’annulation dudit acte en invoquant la crainte, eu égard aux
prescriptions de l’art. 995 c.c., car elle ne «jouissait pas du minimum de liberté
nécessaire à la validité de cette convention» (Etienne c. Bertrand, 1976 C.S. 670;
portée en appel par le défendeur lui-même).
17. Equité dans certains contrats. Art. 1040c c.c.
La Cour supérieure a émis l’opinion que l'art. 1040c ne s’applique pas aux
transactions en vertu desquelles «l'emprunteur» a cédé ses créances au «prêteur»
qui se charge aussi de les percevoir. La Cour ajoute ensuite que, de toute façon,
l'emprunteur ne pouvait bénéficier des dispositions de l’art. 1040c, vu qu'il était
un failli non libéré à qui aucune institution prêteuse ne voulait faire crédit. Dans
de telles circonstances, un «taux d'intérêt» variant de 24% à 40% selon la créance
cédée n'était pas déraisonnable (Simard c. Royer, 1975 C.S. 124, (en appel)).
Dans une autre espèce, le tribunal a cependant considéré que le créancier
hypothécaire qui bénéficiait d'une clause de dation en paiement abusait de son
emprunteur en lui imposant un taux réel d’intérêt de 2 0 xh % sur une somme de
$8 000, alors que l’emprunteur avait dû payer une «commission» de $400 (il
n’avait donc effectivement reçu que $7 600 au moment de l’emprunt. Aussi le
tribunal a réduit l'intérêt à 16% calculé sur la somme de $7 600 (Drummond c.
Canadian Consumers Loan & Finance Corp., 1975 C.S. 819). Le tribunal a aussi
réduit de $5 000 à $2 000 le bonus exigé sur un prêt de $25 000 pour deux mois,
qui portait également intérêt à 1% par mois. Le tribunal a de plus réduit l’intérêt à
5% par année, parce que le taux d'intérêt n'était pas exprimé en un taux annuel
(Entreprises Loyola Schmidt Ltée c. Cholette, 1976 C.S. 557, (en appel)).
Dans l’affaire Roynat Ltée c. Les Restaurants la Nouvelle-Orléans, 1976
C.A. 557, la Cour d ’appel a renversé le jugement de la Cour supérieure (cf. 1975
R.G.D. 205, n° 17) qui avait réduit les intérêts payés en règlement d ’un acte
d ’emprunt: la Cour d’appel souligne que l’art. 1040c ne peut s'appliquer à
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 85

l'indemnité versée en vertu d ’une telle transaction car 1) la transaction n'est pas
un prêt et 2) le prêt lui-même, en tant que tel était inattaquable. En d'autres
termes, si le créancier bénéficie du terme dans un acte de prêt, le débiteur ne
saurait utiliser en quelque sorte l'art. 1040c c.c. pour priver le créancier du
bénéfice du terme. Dans cette optique, la décision est forcément bien fondée.
18. Interprétation des contrats.
Toute règle d'interprétation doit servir à la recherche de l'intention commune
des parties, lorsque celle-ci paraît ambiguë; aucune règle ne possède un caractère
absolu. Ainsi, la maxime «expressio unius est exclusio alterius» ne doit pas être
utilisée de façon absolue. Sa pertinence doit être appréciée à la lumière du
contexte et de l'intention des parties, telle qu'elle peut résulter de l'ensemble du
contrat (Roy c. Dupont, 1976 C.A. 609).
19. Nullité. Remise en état pré-contractuel. Délai.
En principe, l'action en annulation d'un contrat ne peut être reçue que si le
demandeur offre, dans son action, ce qu'il a reçu en vertu du contrat: c'est la
conséquence de l'application du principe de la remise en état pré-contractuel et
celui-ci s'applique même lorsque l'annulation est fondée sur l'existence de défauts
cachés. L'application de ces principes doit être conçue raisonnablement.
Ainsi il n'y a pas lieu de retenir contre un demandeur dans une action en
annulation pour défauts cachés d'un contrat d'entreprise portant sur une chose
mobilière, le fait qu'il ait vendu l'objet pour $1,00 et autres considérations si,
d'autre part, la preuve par experts établit que l'objet (coque de bateau) était affecté
de tels défauts qu'il était sans aucune valeur à toutes fins pratiques (Williams c.
Albatross Ferro-Ciment Ltd., 1975 C.S. 803).
D'autre part, la remise en état pré-contractuel présente certaines difficultés
dans le cas de l'annulation d'un contrat qui a pour objet une chose qui se détériore
ou se déprécie par l'usage. Cette question de la remise en état pré-contractuel a été
abordée par la Cour supérieure dans Ginn c. Conbec Auto In c ., 1976 C.S. 1416, à
propos de l'annulation de la vente d'une automobile pour cause de dol.
L'acheteur avait bénéficié de l'usage de l'automobile achetée, d'avril 1973 à
man> 1975 et il avait parcouru environ 15 000 milles avec le véhicule.
Le tribunal écrit:
Il ne faut pas oublier q u 'à partir de la signification de l’action la demanderesse (le
vendeur) avait droit de prendre possession de la voiture à raison des offres contenues dans
la déclaration. D ’une part, elle n 'a pas choisi d ’agir ainsi, d ’autre part, elle n 'a qu 'à s'en
prendre à elle-m êm e, si le contrat est m aintenant annulé et qu'elle doit reprendre la voiture
avec l'usure q u ’elle a subie. Je ne prétends pas, par ailleurs, que la défenderesse n ’aurait
pas eu en défense un recours subsidiaire contre (l’acheteur) fondé sur l’enrichissement sans
cause pour le cas où le contrat serait annulé... l'annulation... ayant effet rétroactif et la
demanderesse étant incapable de rendre l'autom obile achetée telle qu'elle était lors de
l ’achat, il faudrait tenir compte du profit, en l'absence de contrat, que la demanderesse
(l’acheteur) en a tout de même retiré et la dépréciation qu'en a subie la défenderesse. Il est
vrai, par ailleurs, que lorsque la restitution en cas d'annulation de vente pour cause de dol
86 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

est rendue impossible sans la faute de l'acheteur, le vendeur doit en supporter les
conséquences parce que lui-même est fautif d ’avoir fait un contrat annulable. Mais
lorsqu'il est possible sous le couvert de l'enrichissem ent sans cause de rétablir la balance
des avantages et désavantages, je ne vois rien qui s'y oppose.

Voilà bien des idées intéressantes et, une attitude pragmatique digne d ’être
approuvée. En l'espèce, le tribunal, tentant de concilier toutes ces idées qui
parfois semblent s’opposer, a accordé à l’acheteur le plein remboursement du prix
payé, tout en rejetant cependant les dommages additionnels que l'acheteur
prétendait, assez faiblement par ailleurs, avoir subis du fait de l'achat. Le tribunal
prétend donc faire une certaine compensation entre l’utilisation de la chose et les
prétendus dommages additionnels subis.
De même, il faut approuver le refus du tribunal d'accorder à l’acheteur d ’un
véhicule, le remboursement du paiement comptant (seul paiement fait, $228),
suite à l’annulation de la vente, parce que contraire aux dispositions de la Loi de
la protection du consommateur, lorsque l’acheteur a bénéficié du véhicule pendant
cinq mois et a parcouru 10 000 milles (Couture c. Les Entreprises d'Auto W.P.
Inc., \916R .L . 38).
Cette façon de voir les choses nous paraît tout à fait raisonnable. Mieux vaut
en effet annuler un contrat, lorsque la cause d'annulation est prouvée, et tenter
d ’opérer une remise équitable plutôt que de refuser trop facilement la nullité sous
prétexte qu'il y aurait eu retard à intenter l'action ou prétendue confirmation du
contrat.
D’autre part, nous voyons dans cette attitude, une ligne de conduite à adopter
dans le cas de nullité de contrats à exécution successive (ex. louage) (cf. aussi
supra, n° 10. Nullité d'ordre public. Effets sur les prestations). Il est bien entendu
cependant que s'il doit nécessairement se produire un déséquilibre au niveau de la
remise des prestations, celui-ci doit être supporté par le contractant «fautif». Rien
ne s'oppose en effet à ce que l'annulation constitue incidemment une sanction à
caractère moral à l'égard de la remise en état pré-contractuel.
Dans un autre ordre d'idées, nous voulons attirer l'attention sur la remarque
suivante de M. le juge Gagnon, de la Cour d'appel:
... le poids de la jurisprudence me paraît être à l'effet que la demande en annulation
qui est basée non pas sur l’existence de défauts cachés, mais sur des fausses
représentations, même s ’il y a dol, doit être intentée avec une diligence raisonnable, même
si on n'applique pas la rigueur de l'article 1530 c.c. (Bel Autom obile Inc. c. G a lla n t, 1974
C.A . 593, à la p. 597).

Une telle attitude est tout à fait compréhensible, à la lumière des difficultés
de preuve que peut avoir un demandeur, s'il attend trop, et à la lumière de la
notion de la confirmation d'un contrat. Nous nous inquiétons fort cependant du
sort réservé à l’art. 2258 c.c. qui accorde un délai de 10 ans à la victime d ’un
dol, à compter de la connaissance de celui-ci, pour demander la nullité du contrat.
Cette disposition nous indique qu’on ne devrait pas faire appel, en principe, à la
notion d ’un délai raisonnable dans le cas de nullité pour vices de consentement.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 87

D'autre part, la confirmation d ’un contrat, bien qu’étant une notion juridique bien
fondée, ne devrait pas être découverte ou présumée trop facilement (voir nos
commentaires précédents, 1975 R.G .D . n° 21, p. 214). La confirmation ne se
présume pas; elle doit être claire (cf. aussi supra, n° 14, Dol).

20. Effets de la nullité envers les tiers de bonne foi.


La question des effets de la nullité d'un acte à l’égard des ayants droit de
bonne foi de l'une des parties à l’acte, soulève évidemment plusieurs problèmes
délicats. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que chaque cas doit être analysé
minutieusement à la lumière des principes qui pour leur part ne doivent pas
manquer de faire l'objet de toutes les nuances pertinentes, afin que l'application
des règles conduise à la meilleure justice possible.
Aussi sur ce sujet, nous désirons attirer l'attention sur une décision de M. le
juge A. Monet qui reprend complètement l'étude de toute la jurisprudence et de la
doctrine sur la question (La Banque d'Épargne de la Cité et du District de
Montréal c. Viau, 1976 C.S. 901). Sous cet aspect, ce jugement constitue un
cours magistral sur les effets de la nullité à l'égard des tiers.
Quant aux faits de la cause, ils sont relativement simples. Le dénommé Viau
fait vérifier un testament qu'il enregistre ensuite, à la suite du décès du
propriétaire d'un immeuble. Fort de ce testament et de son titre apparent de
propriétaire, Viau emprunte $25 000 et hypothèque l'immeuble en faveur du
prêteur. Les héritiers du propriétaire attaquent, par la suite, la validité dudit
testament, en prétendant qu’il constitue un faux et ils se font déclarer véritables
héritiers et propriétaires de l'immeuble. Entretemps, l'action en pétition d'hérédité
ayant duré environ 10 ans jusqu'à la décision de la Cour d'appel qui faisait droit à
l'action et confirmait le jugement de première instance, Viau est disparu sans
laisser de trace.
Aussi les véritables héritiers cherchent à faire annuler l'hypothèque, après
avoir eu gain de cause, dans leur action en pétition d'hérédité. M. le juge Monet,
à la suite de son étude élaborée, conclut que l'hypothèque, ayant été acquise par
un tiers de bonne foi, ne saurait être annulée, parce qu elle a été consentie par un
propriétaire apparent, sans qu’il existe au bureau d'enregistrement des éléments
qui auraient pu mettre le créancier en garde contre la fraude du propriétaire
apparent.
Cette décision a été portée en appel, mais nous avons peine à voir pour
quelles raisons elle ne serait pas confirmée par la Cour d'appel. Les principes sont
bien appliqués et ils produisent la solution la plus juste: la véritable victime de la
fraude n'est-elle pas effectivement l’héritier réel et, dans les circonstances,
l'héritier réel n’a-t-il pas é*é négligent en ne prenant aucun moyen plus tôt pour
avertir les tiers de la supercherie possible? N ’est-il pas plus juste de faire supporter
les effets de la fraude aux héritiers (victimes premières et principales du fraudeur)
plutôt qu’au créancier hypothécaire, tiers de bonne foi?
88 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

21. Effets du contrat entre les parties. Exception d ’inexécution.


L'entrepreneur dont le contrat prévoyait qu’il devait établir une couche de
huit pouces de pierre sur le sol et qui, à raison des conditions imprévues du sol,
doit établir une couche de quinze pouces pour la stabilité de la sous-fondation
prévue, est autorisée à arrêter les travaux s’il ne peut obtenir, conformément à la
convention, l'engagement du propriétaire de lui payer la valeur des nouveaux
travaux nécessaires. Le refus du propriétaire, dans les circonstances, n’est pas
justifié et il donne droit à l’entrepreneur de cesser les travaux, de réclamer le coût
des travaux exécutés, et l'exonère de sa responsabilité pour cessation des travaux.
Il ne s'agit, en fin de compte, que de l’application de l'exception d’inexécution
qui permet à l’une des parties de refuser d ’exécuter ses obligations lorsque l’autre
refuse d’exécuter les siennes (Sera Inc. c. Hydro-Semence Inc., 1976 C.S. 331).
Une partie contractante doit cependant bien apprécier la situation, sinon son
refus peut lui jouer un vilain tour. Ainsi, dans le cas d'un contrat à durée
indéterminée, le contractant qui reçoit l'avis de l’autre à l'effet qu’il a l'intention
de mettre fin au contrat dans un avenir assez prochain, n'est pas autorisé à mettre
lui-même fin unilatéralement et sans délai d ’avis au dit contrat. Agissant ainsi,
c ’est lui qui se rend coupable de violer les obligations contractuelles (Distributions
Éclair c. Journal de Montréal Inc., 1974 R.C.S. 1153, confirmant ainsi 1972
C.A. 566).
22. Effets du contrat envers les tiers. L ’inexécution d u n e obligation contractuelle
et les tiers.
De par l'art. 478 C.M ., une municipalité n’est pas responsable des
dommages résultant des conditions des routes rurales en hiver. Cette disposition
ne l’empêche évidemment pas de confier l’entretien de telles routes à un
entrepreneur. Mais un tiers ne saurait se prévaloir de l’existence d'un tel contrat
pour réclamer les dommages subis, à cause de l'état glacé de la route, à
l’entrepreneur, en alléguant que celui-ci a négligé de sabler la route. Dans de
telles circonstances, le contrat ne crée aucune obligation à la charge de
l’entrepreneur envers les usagers et sa négligence ne peut constituer un quasi-délit,
eu égard à la non-responsabilité de la municipalité et au fait qu'il s'agit d'un pur
acte d ’abstention de la part de l’entrepreneur et non d'un danger créé positive­
ment. Ce jugement de la Cour d ’appel dans Dufresne c. Forest, 1976 C.A. 416,
contient toutes les distinctions nécessaires qu’il faut faire lorsqu'on étudie la
jurisprudence sur la question de l’inexécution d'obligations contractuelles comme
source de responsabilité à l’égard des tiers (cf. cependant infra, n° 24. Stipulation
pour autrui).
23. Promesse de porte-fort.
Le contrat en vertu duquel une personne (le défendeur) promet à une autre
personne (le demandeur) qu’une tierce-personne lui transférera ses actions dans
une compagnie constitue une promesse de porte-fort. Si la tierce-personne ne
consent pas à faire ce transfert, le défendeur est en défaut d’exécuter ses
obligations et il répond alors des dommages provoqués par ce défaut. Ces
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 89

dommages ne sont cependant pas facilement évaluables. Les profits futurs que le
demandeur pouvait espérer retirer du fait qu’il aurait obtenu les actions promises
ne peuvent servir de base aux dommages, si cette perte est trop incertaine. Dans
un tel cas, le tribunal a préféré tenter d ’évaluer la perte du contrôle de la
compagnie que le transfert aurait accordé au demandeur. Toutefois, le tribunal a
également reconnu que cet élément ne pouvait être évalué comme tel et a fixé
arbitrairement les dommages à 10% de la valeur aux livres des actions du
demandeur en retenant qu’il aurait été facile pour le demandeur de vendre des
actions majoritaires alors qu’il lui était à peu près impossible de vendre ses actions
minoritaires (Jarrera c. Guinta, 1975 C.S. 490).
24. Stipulation pour autrui.
Les situations juridiques dans lesquelles on peut faire appel à la notion de la
stipulation pour autrui (1029 c.c.) pour résoudre une difficulté légale sont fort
nombreuses, y compris le cas suivant.
Le propriétaire d'un lot de marchandises en confie le transport à un
transporteur. En cours de route, des bandits volent la marchandise. L'assureur du
propriétaire indemnise ce dernier et réclame ensuite le remboursement des sommes
payées à l'assureur du transporteur. Il est admis au départ que le vol constitue un
cas fortuit, d'où la conclusion que le transporteur n'est pas responsable de la perte
et le problème de savoir lequel doit supporter finalement la perte. La réponse
dépend évidemment de l'interprétation des contrats d'assurance et dans l’espèce le
tribunal a conclu que l’assureur du transporteur avait assumé le risque, conclusion
que nous ne discuterons pas ici. Mais, étant donné cette conclusion, il fallait
néanmoins déterminer s'il existait un lien de droit entre le propriétaire et l'assureur
du transporteur. Or le tribunal a utilisé la stipulation pour autrui pour justifier
l'existence d'un lien de droit entre l'assureur du transporteur et le propriétaire des
biens.
Il faut bien dire cependant que l’existence d'une stipulation pour autrui est
loin d'être certaine dans le cas actuel puisque, le tribunal en a tout simplement
présumé l'existence: «Si le transporteur a fait assurer les biens qu'il transporte ce
ne peut être qu'au profit du propriétaire de ces biens». Cette présomption est sans
doute justifiée si l'assurance du transporteur est une assurance-responsabilité, mais
on ne saurait en dire autant si l'assurance est une assurance de choses comme le
tribunal en a conclu. Aussi la décision du tribunal dans cette affaire (Dominion
Textile Ltd. c. A & D Transport Ltd., 1975 C.S. 7) nous semble contenir une
contradiction: ou l'assurance était une assurance de choses et alors on ne peut pas
présumer comme on l'a fait l’existence d’une stipulation pour autrui, ou
l'assurance était une assurance-responsabilité (qui contenait une stipulation pour
autrui) mais alors cette assurance ne s’applique pas dans ce cas car le transporteur
n'était pas responsable. Vu l'utilisation faite par le tribunal d’une partie des deux
hypothèses et la contradiction qui en ressort, il n'est pas surprenant que le
jugement ait été porté en appel.
L'utilisation de la stipulation pour autrui a été beaucoup plus heureuse dans la
situation suivante. Le maître d ’un ouvrage (pont) contracte avec un entrepreneur
90 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

pour faire les travaux; dans ce contrat l’entrepreneur s'oblige à soumettre des
plans détaillés à un ingénieur désigné, pour approbation. Le maître contracte
également avec ledit ingénieur qui est ainsi chargé de collaborer avec l’entrepre­
neur. d'étudier les plans qui lui seront soumis par l'entrepreneur, de les vérifier,
de les corriger et de surveiller les travaux. Par ailleurs, il n’existe aucun contrat
entre l'ingénieur et le contracteur. Toutefois, la Cour d ’appel a reconnu à bon
droit l’existence d'une stipulation pour autrui dans le contrat de l’ingénieur au
profit de l'entrepreneur: l'ingénieur s'obligeait à assister l'entrepreneur et à
collaborer avec lui. C'est ainsi que la Cour a pu conclure ensuite à la
responsabilité de l’ingénieur envers l’entrepreneur pour sa faute dans l’exécution
desdites obligations, malgré l'inexistence apparente d'un contrat entre les deux
(Duresne Engineering Co. Ltd. c. Dem ers, 1975 C.A. 653).
La notion de stipulation pour autrui est également souvent utilisée pour
solutionner des litiges intervenant entre plusieurs personnes prétendant avoir droit
au produit d'une police d'assurance-vie. Si les principes applicables (acceptation,
révocation) sont simples, l’application qu’on ne fait nous apparaît plus discutable.
Il est certain que la stipulation est révocable tant qu’elle n’est pas acceptée.
Comment est-elle acceptée? Dans l'affaire Laroche c. The Great West Life
Assurance, 1975 C.S. 4, l’assuré a changé le bénéficiaire avant son décès.
Toutefois, avant ce changement, le bénéficiaire original avait été averti par
l'employeur de l'assuré (il s'agissait d'une assurance collective) qu'il était
bénéficiaire. Le tribunal conclut que la révocation a eu lieu avant la signification
de l’acceptation car celle-ci devait être signifiée soit à l'assuré, soit à l'assureur.
... la seule signification, invoquée par elle (le bénéficiaire révoqué), fut une
information qu'elle eut de l’em ployeur de (l’assuré) qu'elle avait été désignée comme
bénéficiaire de l’assurance de ce dernier.

En recevant cette information et en ne refusant naturellement pas l’avantage, la


(bénéficiaire) a manifesté à l’em ployeur sa volonté d'accepter.

Cette m anifestation ne fut pas une signification de volonté à l ’assureur ou à l’assuré.

En ajoutant les règles du mandat, si on l'avait voulu, on aurait pu facilement


favoriser la «thèse» de l'acceptation utile et de l’inefficacité de la révocation!!
Peu importe. Qu'il nous soit permis de rester sous l’impression qu’en matière
d’assurance-vie, l’ensemble des décisions utilise la notion de l’acceptation pour
favoriser la révocation et donc le dernier bénéficiaire plutôt que le premier
bénéficiaire. Une telle attitude n’est pas injuste ou inéquitable. Il est peut-être bon
d'en être conscient toutefois lorsqu'on représente le bénéficiaire révoqué.
Dans une autre espèce, l'assuré a légué, dans son testament, tous ses biens
meubles et immeubles à une personne, après avoir désigné une autre personne
comme bénéficiaire d une rente. Suivant un raisonnement déjà suivi dans Canada
Life Assurance c. Giroux, 1973 C.S. 897 (cf. nos commentaires à 1975 R .G .D . ,
n° 18, p. 206), le tribunal conclut que le testament a constitué une révocation de la
stipulation avant que celle-ci ne soit acceptée. (Ass.-vie Desjardins c. Jacques,
1975 C.S. 654). Encore ici, nous constations que «l’application» des principes ne
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 91

favorisait pas le premier bénéficiaire. Et la chose était aussi discutable que dans le
cas précédent. On ne peut comprendre pourquoi un testateur aurait l'obligation
d'exclure expressément dans un legs universel les rentes ou les assurances qu'il a
déjà décidées d'attribuer à d'autres. De ce point de vue, faut-il penser qu'une
stipulation doit être faite deux fois pour être efficace ? En faisant un legs universel
un testateur n'entend pas révoquer par le fait même toutes les stipulations pour
autrui qu'il a faites précédemment.
En fait, il s'agit surtout d'un problème d’interprétation de la volonté du
testateur et force nous est de croire qu'à moins d'indications aussi expresses que la
stipulation elle-même l'était, le testateur n'avait pas l'intention de révoquer
celle-ci. C'est aussi la façon de voir de la Cour d ’appel qui a infirmé le jugement
de la Cour supérieure dans l'affaire Ass.-vie Desjardins (1976 C.S. 617), tout en
refusant de suivre la décision de Canada Life Assurance c. Giroux.
On reconnaît généralement, d'autre part, que l'obligation assumée par
l'acheteur d'un bien de payer le prix ou une partie du prix à un tiers constitue une
stipulation pour autrui (cf. Sure Ins. Agencies Ltd. c. Travelers Indemnité Co.,
1976 C.A. 736; cf. aussi 1971 R.G.D. 246, n° 34; 1972/?.G.D. 320, n° 18: 1973
R.G.D. 220, n° 27).
Toutefois, dans une décision portée en appel (.Aliments de Santé du Québec
Ltée c. Aliments Vogel Ltée, 1975 C.S. 1215), l'hon. juge A. Monet en a décidé
autrement. Et nous croyons respectueusement que sur ce point il a fait erreur.
La clause dans le contrat de vente d'un fonds de commerce stipulait que
l'acheteur devait payer directement à un tiers (Bioforce Canada) 20% du prix de
toutes marchandises que le vendeur achèterait de ladite compagnie Bioforce...
jusqu'à concurrence du prix total de la vente.
L'acheteur, poursuivi en paiement du prix, a plaidé qu'il s’agissait d'une
stipulation pour autrui et que l'action du vendeur était prématurée. De son côté, le
vendeur interprétait cette clause comme une indication de paiement. Lorsqu'on
sait que la jurisprudence considère une telle indication de paiement comme une
stipulation pour autrui pour expliquer et justifier le recours du tiers contre
l'acheteur, il est fort surprenant que, dans ce cas, le tribunal ait refusé d ’accepter
que la clause créait une stipulation pour autrui, surtout que le vendeur lui-même
reconnaissait qu'il s'agissait d ’une indication de paiement. Et le juge de justifier
seulement en disant: «Cette opération [la stipulation] [...] est dans sa plus simple
expression un contrat en faveur d’un tiers. Or tel n ’est pas le cas. Tout au plus,
Bioforce, si elle avait participé au contrat, aurait obtenu une sûreté de sa créance
future, voire éventuelle, contre la demanderesse (le vendeur).»
Eu égard à la jurisprudence existante, il n’est pas surprenant que cette
décision ait été portée en appel, encore qu’il semble bien que, dans ce cas, le
tribunal de première instance n’ait pas bénéficié des références à la jurisprudence
courante.
À notre avis, le fait que le terme du paiement ait été indéterminé n’empêche
pas de qualifier l'opération comme une stipulation pour autrui conditionnelle à
92 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

l'achat de marchandises par le vendeur chez Bioforce, si l'on considère l'opération


dans l'optique de Bioforce.
Cette conclusion n'a cependant pas nécessairement l'effet de modifier le
jugement, dans l'espèce, où l’acheteur a été condamné à payer le vendeur
directement. En effet, le stipulant (le vendeur) pouvait révoquer la stipulation, ou
la faire avorter en n'achetant pas chez Bioforce. Et alors il conserve évidemment
ses recours quitte à ce que le terme puisse être déterminé par le tribunal, eu égard
à l'idée que les parties pouvaient s'en faire lorsqu'elles avaient convenu de cette
stipulation pour autrui conditionnelle, ce qu'il a d'ailleurs fait. En fin de compte,
même si les motifs du jugement paraissent, en partie, contraires à certains
principes juridiques, la solution nous paraît la bonne en l'espèce, si l'on se situe à
la date du jugement.
On a aussi déjà invoqué la notion de stipulation pour autrui pour justifier le
recours en dommages d'un tiers (ex. usager d'une route) contre l'entrepreneur à
qui le gouvernement ou une municipalité avait confié l'entretien d'une route ou
encore contre l'entrepreneur à qui une personne avait confié l'exécution de
certains travaux (ex. Boucher c. Drouin, 1959 B.R. 814; Giguère c. Samson,
1971 C.A. 713; Boucher c. Lorrain, 1976 C.S. 1679 où le tribunal fait une étude
minutieuse de la jurisprudence sur la question). Toutefois, il faut être averti que de
telles stipulations pour autrui n'existent pas toujours dans un contrat entre deux
personnes qui peut avoir pour effet de bénéficier aux tiers. Ainsi, si la
municipalité n'est pas d'abord responsable elle-même de l'entretien d'un chemin
rural en hiver, on ne saurait voir une stipulation pour autrui, ni une responsabilité,
à la charge de l'entrepreneur qui a accepté d'entretenir le chemin et qui a fait
défaut d'exécuter ses obligations. Vu l'absence d'obligation de la municipalité, on
peut difficilement croire que les parties aient eu l'intention de stipuler pour autrui
en faisant un contrat d'entretien (Dufresne c. Forest, 1976 C.A. 416; voir aussi
Bélanger c. Montreal Water & Power C ol, 50 R.C.S. 356; Guerin c. Nadeau,
1968 C.S. 87).
Par ailleurs, dans l'affaire Sure Ins. Agencies, précitée, la Cour d'appel a
jugé que l'acheteur (le promettant) ne pouvait opposer au tiers-bénéficiaire
l'inexécution par le stipulant (vendeur), postérieurement à la vente, d'obligations
qui relevaient d'un aspect du contrat (louage de services) totalement étranger à la
stipulation.
Voyons enfin la clause suivante: «The purchaser shall be the sole and
absolute owner of the presently sold property.... subject to the maintenance of the
following leases, namely:
a) ....
b) A lease (description complète)
The purchaser.... binds and obliges herself to fulfill all the Lessor's
obligations there-under to the entire exoneration and acquittal of the Vendor. »
Retenant le fait que le bail n'a pas été enregistré, le tribunal fait peu de cas de
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 93

cette clause en permettant à l'acheteur d'expulser le locataire à l'expiration de


douze mois depuis l’achat en expliquant que: 1) l'art. 1646 c.c. est d'ordre public
et 2) que la clause ne saurait constituer une stipulation pour autrui.
Si l'on considère que l'art. 1646 c.c. est d'ordre public exclusivement pour
les baux ayant pour objet un local d ’habitation, nous croyons qu'il doit être perçu
ainsi au bénéfice du locataire et non au bénéfice de l’acheteur.
Quant à la question de la stipulation pour autrui, le tribunal écrit: «...
l'acquéreur prend un engagement à l’égard du vendeur et non pas un engagement
à l’égard du locataire. Pour le [locataire], il faut considérer cette clause comme
une res inter alios acta». Si cette approche doit être acceptée, eu égard à la clause
stipulée, qui ne pouvait être plus claire qu’elle ne l’est, aussi bien faire disparaître
immédiatement la stipulation pour autrui de notre code civil.
Ce jugement (Sîroll c. Jacobson-Szlamkovicz, 1976 C.S. 569) a été porté en
appel et a été infirmé à bon droit (1976 C.A. 826).
24. Opposabiliîé des contrats aux tiers. Action paulienne.
L'action paulienne (1032 & ss c.c.) est admissible dans le cadre des
dispositions de la loi de la faillite; ainsi si l'annulation d'un acte, notamment un
paiement, ne peut être reçue en vertu des dispositions de la loi de la faillite, une
telle annulation peut être reçue en vertu du recours paulien, à la condition
cependant que soient prouvées les conditions nécessaires à la recevabilité du
recours paulien, soit un préjudice pour la masse des créanciers et l’intention de
frauder de la part du débiteur (In re La Société coopérative agricole régionale de
la Tuque: Lafrance Inc. c. Verrœulst, 1974 C.A. 435).
Dans cet arrêt, le tribunal définit ensuite le préjudice: celui-ci existe lorsque
l’équilibre entre les créanciers, c ’est-à-dire le traitement égal auquel ils ont droit, a
été rompu par l'acte attaqué. Il définit aussi l'insolvabilité comme étant l’état de
celui dont le passif excède l’actif saisissable c ’est-à-dire l'état du débiteur dont la
valeur pratiquement réalisable du patrimoine qui est le gage commun de ses
créanciers est inférieure au montant de ses dettes, en se référant d'ailleurs à des
décisions antérieures (Granito c. Ciceri, 1962 B.R. 967; In re Normandin: Itins c.
Dominion Structural Steel L td ., 1959 B.R. 14; In re J.M. Nault Ltée: Crockett c.
B. d e M ., 1973 C.S. 163).
Il faut aussi noter que la Cour d'appel ajoute, relativement au recours
paulien, que le créancier (ou syndic) doit prouver, pour établir l'intention de
frauder dans le cas d'un paiement, que le créancier payé connaissait l’insolvabilité
du débiteur au moment du paiement. Cette connaissance crée une présomption
d’intention de frauder aussi chez le créancier payé qui ne peut plus alors exploiter
utilement l'exception de bonne foi prévue à l’art. 1038, cette disposition ne
s'appliquant pas dans le cas d'un paiement. Autrement dit, même si le créancier
payé ne connaissait pas l'intention de frauder de la part du débiteur, il doit, s'il
connaissait l'insolvabilité du débiteur, subir les effets de la fraude du débiteur, soit
l'annulation du paiement.
94 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

Il faut cependant distinguer cette décision de celle qui suit.


En effet, la cession générale des créances présentes et futures par une
entreprise à un cessionnaire, en garantie de la marge de crédit que celui-ci consent
à lui accorder, ne peut être annulée par l'action paulienne; la cession est antérieure
aux prêts et la garantie existait donc avant les créances. Une telle opération ne
porte pas préjudice aux créanciers, puisque le crédit accordé était vital pour
l'entreprise d'une part, et d'autre part le crédit n'aurait pas été accordé sans la
garantie (cession de créances). Enfin si la cession de créances est valable, le
paiement qui est fait par le débiteur à son créancier est également inattaquable, le
créancier justifiant de sa bonne foi et bénéficiant de l'exception prévue à l'art.
1038 c.c. même si, par hypothèse, le syndic à la faillite de l'entreprise avait
prouvé que l'entreprise était, à la connaissance du créancier, insolvable au
moment de la cession de créance (F. Vigneron Const. Générale et Gingras c.
Banque Royale, 1976 C.A. 367). Dans ce cas, l’exception de bonne foi s’applique
au paiement parce qu'elle s'applique d'abord à la cession de créances en vertu de
laquelle le paiement a ensuite été fait; il était, par ailleurs, d'autant plus facile de
poser cette règle, après qu'on eût jugé que les créanciers n’avaient subi aucun
préjudice, première condition essentielle du recours paulien.
B. L E Q U ASI-CO NTRAT.

25. La gestion d'affaires.


En doctrine, l'on prétend généralement qu'il ne saurait y avoir quasi-contrat
de «negotiorium gestio» qu'à la condition que le «gérant» ait l'intention d'agir
dans l’intérêt d ’autrui. Le corollaire de cette règle semble être forcément qu'il ne
peut y avoir gestion d'affaires si le prétendu gérant agissait dans son propre
intérêt.
Cette règle a été appliquée par la Cour supérieure dans une espèce où le frère
d'un défunt, se prétendant héritier à l'exclusion du fils adoptif du défunt, a pris en
charge l'administration de la succession jusqu'à ce qu’il soit évincé de la
succession par jugement d ’un tribunal (Desmarais c. Desmarais, 1976 C.S. 729,
en appel).
Jusque là, cette décision paraît justifiée.
Toutefois, le tribunal rejette, en outre, la réclamation de «l'administrateur»,
pour honoraires, fondée subsidiairement sur l’enrichissement sans cause.
Cette deuxième partie de la décision nous laisse perplexe. Dans la mesure où
l'enrichissement sans cause est admis dans notre droit, comme source d'obligation
autonome, quoique subsidiaire, il nous était permis de croire, non sans
justification, que le «gérant» qui a administré de bonne foi «pour son propre
compte» jusqu'à ce qu'il apprenne qu'autrui bénéficiera de son administration,
peut bénéficier de l'action de in rem verso.
Toutefois, le tribunal ne semble pas partager ce point devue. Et s’il faut en
croire le résumé de l'arrêtiste, le tribunal a rejeté l’enrichissement sans cause pour
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 95

les mêmes raisons qu’il aurait rejeté la gestion d’affaires: «Il n'y a pas lieu
d'appliquer non plus la notion d'enrichissement sans cause. La succession s'est
enrichie de la valeur des services du défendeur, mais lui n’en a pas subi
d'appauvrissement. Il a travaillé pour lui-même, en tant que prétendu héritier, et
pour ses frères et sœurs. Maintenant que la succession lui échappe, il ne peut
prétendre qu'il s'est appauvri au bénéfice du demandeur».
Nous ne pouvons admettre ce principe tel qu'énoncé. Si «l'administrateur»
avait été de bonne foi, cet argument n'aurait pu, à notre avis, lui être opposé
valablement et son action de in rem verso aurait dû être reçue. Aussi, nous
préférons croire que la raison déterminante du jugement tenait à la mauvaise foi de
«l'administrateur». Dans cette optique, l'action de in rem verso ne pouvait être
reçue, le demandeur devant invoquer sa propre turpitude pour faire valoir son
droit. Or un acte frauduleux ne saurait faire naître quelque droit que ce soit pour
son auteur, même pas sur la base de l'enrichissement sans cause, (cf. aussi infra
n° 85 Paiement).

26. Répétition de l'indu.


Lorsque le mandataire vend les valeurs, dont le mandant lui a confié la vente,
à un prix fort supérieur à leur valeur réelle, par suite d'une erreur due à une
négligence de sa part, et remet le prix perçu au mandant, il ne peut s'agir d'un
problème de répétition de l'indu. La question de savoir si le mandataire peut
obtenir remboursement des sommes versées relève plutôt simplement des règles
relatives au mandat, notamment de l'art. 1725 c.c.
C ’est d'ailleurs sur ce plan que la Cour d'appel a réglé le problème
(Crochetière c. Frappier et Holland Inc., 1975 C.A. 433). En effet, l'erreur
commise ne consiste pas dans le montant de la somme remise au mandant car. à
ce niveau, le mandataire n'a fait que remettre au mandant ce qu'il a reçu pour lui.
L’erreur se trouve dans l'exécution du mandat, au moment de la vente, d'où la
nécessité de régler le problème exclusivement à la lumière des règles relatives aux
relations mandant-mandataire. Dans cette optique, le mandant avait raison de
prétendre qu'il n'y avait pas eu erreur donnant lieu à la répétition de l'indu entre le
mandataire et le mandant, même si la Cour d'appel n'a pas perçu ou n'a pas cru
bon retenir cette distinction, comme telle.
27. Enrichissement sans cause.
Cf. aussi supra n° 25 — Gestion d'affaires.
Celui qui rend des services à un membre de sa famille est présumé agir à titre
gratuit ou avec une intention libérale (à moins qu'il ne s’agisse de services
extraordinaires) et il ne peut, par la suite, prétendre avoir droit à une certaine
indemnité sur la base de l’enrichissement sans cause. L'enrichissement et
l'appauvrissement corrélatif ont une cause juridique, soit la libéralité librement
consentie au moment où elle l'a été (ex. services d'hébergement). Cette règle
s'applique, à plus forte raison lorsque la demanderesse témoigne à l’effet qu’elle
avait refusé une pension (Tremblay c. Héritiers de Mélanie Blanchard, 1975 C.S.
96 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

1093). De cette décision, bien justifiée, on acquiert aussi l'impression que le pur
espoir d'une récompense, déçu par la suite, ne peut justifier un recours fondé sur
l'enrichissement, s'il n'existait pas, par ailleurs, une promesse implicite ou
expresse de récompense de la part du bénéficiaire des services. Enfin, le tribunal a
cependant permis la demande de remboursement des frais funéraires contre la
succession, en se fondant sur l'enrichissement sans cause, puisque celle-ci est
tenue de les supporter.
Dans une autre espèce, le tribunal a aussi rejeté l'action de in rem verso d'un
sous-entrepreneur contre l'entrepreneur général, le maître de l'ouvrage (une
commission scolaire) et le gouvernement du Québec, le sous-entrepreneur
prétendant qu'il avait encouru, dans l'exécution de son contrat, des dépenses
additionnelles en se trouvant obligé de payer une augmentation de salaires à ses
employés par suite d'un décret augmentant les salaires.
À bon droit, on a décidé que l'appauvrissement n'était pas sans cause. Il
trouvait forcément sa cause dans le contrat intervenu entre le sous-entrepreneur et
l'entrepreneur. En outre, on a peine à voir en quoi le maître de l'ouvrage se serait
enrichi. On a peine à voir aussi en quoi le gouvernement se serait enrichi ou se
serait enrichi sans cause. S’il s'est effectivement enrichi la cause s'en trouve dans
les lois fiscales: !,enrichissement a donc une cause (Bernier <& Cie Ltée c. Proc.
gén. du Québec, 1975 C.S. 1201).
Par ailleurs, notons l’application libérale de l'enrichissement sans cause que
la Cour provinciale a cru bon faire dans l'espèce suivante.
Une explosion survient dans un immeuble. Le propriétaire de l'immeuble au
moment de l'explosion fait faire les réparations avec l’accord de son assureur, en
les confiant, par contrat, à un entrepreneur. Après que les réparations sont faites,
celui qui avait vendu l’immeuble à l’assuré, le reprend en vertu d ’une clause de
dation en paiement. Plutôt que de la payer à l'entrepreneur ou à son assuré,
l'assureur verse l'indemnité au vendeur qui a repris possession, et qui avait un
intérêt dans la chose assurée à titre de créancier hypothécaire. L'assureur croyait
sans doute que l'accipiens paierait l'entrepreneur. Ce n'est pas ce qui s'est
produit. Aussi l'entrepreneur impayé a décidé de poursuivre son contractant, soit
l'assuré, et le vendeur qui a repris l'immeuble, dans une action apparemment mal
conçue, juridiquement en ce sens que le demandeur n'invoquait pas clairement
l'enrichissement sans cause.
Aussi, s'autorisant de l’art. 2 C.P.C. le tribunal a décidé proprio motu de
traiter la demande comme une action de in rem verso, puisque c'était la seule
avenue qui lui était ouverte pour accueillir l’action, tel que le commandait
l'équité. En conséquence, il accueille l'action contre celui qui a reçu le paiement,
mais sans frais et il rejette forcément en même temps, sans frais, par souci de
logique, l’action de l'entrepreneur contre son contractant, soit celui qui était
l'assuré au moment du risque et qui avait contracté avec l'entrepreneur pour faire
faire les réparations (Levac c. Ravary, 1975 C.P. 151).
Le tribunal conclut l’exposé de ses motifs en écrivant: «Bien sûr, d ’aucuns
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 97

diront que le juge du présent tribunal a fait une trop grande place à l'équité.
[Mais]... «It is in the interest of Justice that the principles and fairplay which have
been incorporated into our law, be fully applied....»
Il est entendu que l'entrepreneur devait réussir contre l’un des deux
défendeurs. Normalement, il aurait dû réussir contre son contractant (l'assuré),
quitte à ce que celui-ci se retourne lui-même contre son assureur qui, à son tour,
aurait pu se faire rembourser par celui à qui il avait payé l ’indemnité. Le tribunal a
d'ailleurs exposé cette situation mais il a ajouté qu'il n'y avait pas de raison pour
qu'il ne «statue pas sur tous les recours (les droits de toutes les parties) même s'ils
avaient pu faire l'objet d'actions distinctes» bien que l'assureur ne fut pas
impliqué dans l'action.
À notre avis, l'équité utilisée de façon aussi libérale par le juge, l'a été
surtout pour pallier à la façon dont les parties et principalement le demandeur se
sont pris pour présenter leur cause. Mais il nous apparaît très étrange finalement
que l'action ait été rejetée contre le contractant, pour être admise contre un tiers.
L’enrichissement sans cause a été utilisé, non pas pour pallier à l'absence de
recours, mais bien plutôt pour éviter l’application normale des règles juridiques.
Dans le cas d'espèce, l'attitude du juge est peut-être défendable, mais l'on ne
saurait y attacher quelque valeur que ce soit au niveau des principes. Dans
d'autres situations, une décision semblable pourrait, sous prétexte d'équité, créer
des injustices. De doute façon, il va sans dire qu’on ne doit se servir de l'équité
pour éviter l'application des règles ordinaires qu'avec la plus grande prudence et
la plus grande circonspection!

C. La R E SP O N SA B ILITÉ C IV IL E .

28. Domaine de la responsabilité contractuelle. Blessures corporelles. Hôpital.


Exploitant d'un centre de loisirs. Louage de choses.
(Cf. aussi infra n° 55, Responsabilité des maîtres et commettants).
La Cour supérieure a reconnu le caractère contractuel des obligations d'un
hôpital envers un patient, dans un cas où un matelas utilisé lors d'une opération
avait surchauffé causant ainsi des brûlures au patient. Un contrat hospitalier est
intervenu entre le patient et l’hôpital en vertu duquel l'hôpital s'obligeait à fournir
des soins médicaux et hospitaliers prudents et diligents et engageait contractuelle-
ment sa responsabilité relativement au fonctionnement des appareils utilisés pour
fins de soins hospitaliers. Le tribunal ajoute même, à bon droit, que cette
responsabilité découle d'une obligation de résultat et non de moyens quant au
fonctionnement des appareils, par opposition aux soins. En l'espèce, l’appareil (le
matelas) s'est révélé défectueux; en conséquence, il revenait à l’hôpital de justifier
que les dommages provenaient d ’une cause qui ne pouvait lui être imputée.
N'ayant pas repoussé cette présomption (1071 c.c.), l’hôpital fut tenu responsable
(Richard c. Hôtel-Dieu de Québec, 1975 C.S. 223, en appel). Ce raisonnement
est impeccable, mais, par souci de comparaison, notons que la solution aurait été
98 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

exactement la même par l’application des règles de la responsabilité extra­


contractuelle, soit celles de l'art. 1054 c.c. relativement à la responsabilité du fait
des choses.
En Cour d’appel, on a aussi expliqué que l'hôpital était responsable de la
faute commise par un médecin pratiquant à la salle d ’urgence, par la notion de la
responsabilité contractuelle. Le patient, en se présentant à l ’urgence contracte avec
l'hôpital; or même si le médecin qui l’examine n ’est pas un «préposé» de
l'hôpital, dans le sens classique du terme, il reste qu’il remplit, pour l'hôpital,
l’obligation de soins médicaux que celui-ci a contracté envers le patient. Le
médecin a agit pour l'hôpital dans l’exercice de sa profession; il ne procédait tout
simplement qu’à l’exécution du contrat de l'hôpital. Pour le juge Mayrand, la
responsabilité de l'hôpital est donc contractuelle. Pour le juge Gagnon cependant,
le médecin était le préposé de l’hôpital même s’il n’en était pas un salarié, car le
service d ’urgence était la responsabilité de l’hôpital: la qualité de salarié n’est pas
un élément nécessaire du lien de subordination (Hôpital Notre-Dame de l'Espé­
rance c. Laurent, 1974 C.A. 543, en appel à la Cour suprême). L'opinion du juge
Gagnon se veut plus conforme au jugement de la Cour suprême dans Martel c.
Hôtel Dieu St-Vallier, 1969 R.C.S. 745, où le juge Pigeon a noté 1) qu’il existait
un contrat seulement entre le patient et l’hôpital 2) que l’anesthésiste était le
préposé de l'hôpital et quasi-délictuellement responsable de sa faute envers le
patient 3) que la responsabilité de l'hôpital, pour le fait de son préposé, envers le
patient était aussi quasi-délictuelle (!). Quant à l’opinion du juge Mayrand, sa
conclusion est la même que celle de la Cour suprême dans l’affaire M artel, à la
différence cependant que sa motivation est plus logique et plus conforme aux
principes juridiques que celle de la Cour suprême.
Après avoir «contractualisé» la responsabilité médicale et hospitalière, les
tribunaux continuent toujours lentement mais sûrement de «contractualiser»
l’obligation de sécurité relative à la personne découlant d ’autres genres de contrat
(cf. nos commentaires précédents, 1915 R.G.D. 212, n° 23, 1973/?.G.D. 223, n°
31, 1972 /?.G.D. 323, n° 21, 1971 R.G.D. 250, n° 37). Ainsi, on a placé sur le
plan contractuel l’obligation de sécurité de l’exploitant d ’un centre de ski envers
ses clients (Gagnon c. Desrosiers, 1975 C.S. 880) s’appuyant sur Bouchard c.
Drouin, jugement non rapporté (1974) de la C.A. C ’est donc l’analyse de cette
obligation qui est en cause lorsqu'un skieur, frappé par un autre skieur dans une
pente, prétend en imputer la responsabilité à l’exploitant. Celui-ci ne possède, de
toute évidence, qu’une obligation générale de sécurité ou de vigilance (accessoi­
rement à l’obligation principale qui fait l’objet du contrat, i.e. les services
permettant de faire du ski), c'est-à-dire seulement une obligation de moyens, la
preuve de la faute (inexécution de l’obligation) incombant à la victime. En effet,
l’obligation de sécurité n’est pas déterminée ou de résultat: le débiteur ne s’engage
pas à ce qu'aucun accident n’arrive car l’aléa d ’un tel résultat est trop grand, vu la
responsabilité personnelle des skieurs eux-mêmes quant à leur conduite.
Dans une autre espèce, on a aussi jugé qu’il intervenait un contrat entre
l’exploitant d ’une piste de voitures «Go-Kart» et ses clients de qui il percevait un
prix d’entrée. Ce contrat innommé (?) (n’est-ce pas un louage de choses qui
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 99

comporte une obligation accessoire de sécurité?) comporte une obligation de


sécurité envers les usagers en vertu de laquelle l'exploitant doit entretenir les
lieux, et les véhicules et en surveiller l'usage (Robitaille c. Em ond, 1975 C.S.
887, en appel). À notre avis, il s'agirait ici d ’une obligation de résultat (celle du
louage de choses) quant à l'entretien des véhicules et même des lieux, mais il ne
peut s’agir que d'une obligation de moyens quant à la surveillance de l'usage,
encore que celle-ci puisse être relativement exigeante quant aux moyens à prendre
pour l'exécuter.
On a aussi qualifié de faute contractuelle, celle commise par l'exploitant d'un
centre d'activités sportives, moyennant un prix d’entrée (Dupéré c. Corp. de la
Cité des Jeunes de Vaudreuil, 1976 C.S. 1002).
Il est intéressant de noter, encore que la chose n’ait pas eu d'importance dans
la solution du problème de responsabilité, qu'on a traité sur le plan contractuel la
responsabilité du propriétaire des lieux loués, à raison du défaut d'entretien des
barreaux d'une balustrade sur un balcon qui, en cédant, ont permis la chute d'un
enfant du locataire, en faisant allusion aux règles du louage, plutôt que par le biais
de l'art. 1055 c.c. (Caplan c. M iron, 1975 C.A. 296).
Tout compte fait, le processus de la contractualisation de l'obligation de
sécurité poursuit son chemin et s’amplifie. Ce processus n’est pas condamnable,
mais il faut se rendre compte qu'il n'a qu’un intérêt académique et que la
contractualisation de ce qui était considéré jusqu’ici comme des cas de responsa­
bilité quasi-délictuelle ne peut entraîner des conséquences juridiques particulières.
On a déjà tenté superficiellement de lui attacher une prescription de trente ans:
cette conséquence superficielle et sans fondement a été rejetée, à bon droit, par la
Cour suprême, en matière médicale (Hôpital Notre-Dame c. Patry, (1975) 2
R.C.S. 388). Espérons qu’on ne s’emploiera pas à inventer d ’autres nouveautés
malheureuses du même genre, pour la seule raison qu'on a décidé de qualifier
l’obligation de sécurité relative à l'intégrité physique d ’un contractant à l'occasion
de certains contrats «d’obligation contractuelle».
(Cf. infra, n° 29. Option et cumul des recours contractuels et quasi-délic-
tuels.)

29. Option et cumul des recours contractuels et quasi-délictuels.


«L'existence d ’un contrat n ’exclut pas nécessairement le recours délictuel
mais ni les tribunaux ni les auteurs qui ont critiqué cette jurisprudence ne
prétendent que la possibilité d ’un recours délictuel serait une fin de non-recevoir
contre une action basée sur des liens contractuels entre les mêmes parties». Tel est
le résumé que fait le tribunal, dans Skyline Holdings In c. c. Favorite Sportswear
In c., 1975 C.S. 1247, de la question de l’option et du cumul en matière d ’actions
en responsabilité. Dans l’espèce un locateur poursuivait un locataire, lui imputant
la responsabilité des dommages qu’il avait subis à la suite d ’un incendie. L’action
fut intentée plus de deux ans après le sinistre. Le tribunal, plaçant la poursuite sur
le plan contractuel, a rejeté le plaidoyer de prescription soumis par le défendeur-
100 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

locataire, appliquant apparemment la prescription de cinq ans (2260 — 4° c.c.)


puisqu'il s'agissait d'un bail commercial.
Dans un louage de choses, il nous paraît certain que la détérioration de la
chose louée par la faute du locataire relève logiquement du domaine contractuel.
Par ailleurs, il est possible de prétendre que les dommages à une partie de la chose
qui ne fait ni principalement ni accessoirement partie, comme telle, de l’objet du
louage sont de nature quasi-délictuelle comme il serait aussi possible de prétendre
qu'ils sont contractuels. Cette discussion ne nous paraît cependant ni pertinente ni
importante.
Ce qui est plus intriguant, c ’est la question de la prescription. Même si la
responsabilité pour un incendie est contractuelle, nous avons peine à croire que
l'action en dommages se prescrirait par deux ans, dans le cas d’un local
d ’habitation, et par cinq ans dans les autres cas, pour la seule raison qu'il s'agirait
d ’un bail commercial. Cette distinction nous paraîtrait par trop superficielle.
D'autre part, nous avons peine à nous convaincre que, sous prétexte que la
responsabilité serait contractuelle, la prescription de l’action des dommages du
locateur contre son locataire d'un local d'habitation, prétendument responsable
d'un incendie, serait de 30 ans en vertu de l'art. 2242 c.c. Un telle façon de voir
les choses répugne au bon sens élémentaire.
À notre avis, les codificateurs et le législateur se veulent raisonnables et
logiques. Aussi il nous semble inconcevable qu'ils aient eu l’intention de poser
des règles différentes pour des actions dont l'objet, peu importe la cause, est
essentiellement identique. Il ne paraît donc pas raisonnable de penser que les
codificateurs aient voulu établir une prescription de deux ans dans le cas où le
propriétaire d ’un bien poursuivrait un tiers responsable d'un incendie qui a détruit
ledit bien et une prescription de cinq ou trente ans, peu importe, dans le cas où le
propriétaire poursuivrait le locataire, responsable de l'incendie (ou de toute autre
détérioration).
Nous soumettons donc, qu’en dépit des mots qu'ils ont utilisés à l’article
2261 — 2°, les codificateurs visaient, en principe, l’action en dommages, peu
importe que ces dommages proviennent d’un délit ou de l'inexécution d'une
obligation contractuelle. Du reste, dans un langage ordinaire, on pourrait très bien
parler de quasi-délits contractuels et de quasi-délits non contractuels. D ’autre part,
par analogie, les termes susceptibles de deux sens doivent être pris dans le sens
qui convient le plus à la matière de la prescription (1015 c.c.) et lorsque le
législateur a fait des dispositions pour un cas apparemment particulier (délits et
quasi-délits), les termes généraux (l’action pour dommages) ne ^oivent pas pour
cette raison être restreints au seul cas ainsi exprimé (1021 c.c.).
Tout compte fait, bien que nous acceptons facilement que la responsabilité du
locataire pour un incendie, ou pour des détériorations, soit de nature contractuelle,
nous ne croyons pas pour autant que la prescription de l'art. 2261 — 2° devient
inapplicable. Substituer à cette prescription une prescription de cinq ou trente ans,
par le biais de la qualification de la responsabilité du défendeur à une action en
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 101

dommages, nous paraît être une utilisation abusive de cette qualification, si tel est
le but recherché. Si c'est là l'effet abusif qu'elle produit, mieux vaut revenir à la
qualification délictuelle ou quasi-délictuelle de toute action pour dommages causés
à des biens (ou à la personne).
(Cf. aussi infra, n° 41. Responsabilité du manufacturier.)
30. Obligations de moyens et de résultat. (Médecin-conservation d'une chose.)
Cf. supra, n° 28 — Domaine de la responsabilité contractuelle (obligation de
l'hôpital: obligation de l'exploitant d'un centre de loisirs. Louage de choses: cf.
infra, n° 38. Responsabilité du médecin).
L'obligation du médecin envers son patient n'est qu'une obligation de
diligence ou de moyens; aussi il revient, en principe, au patient de prouver que les
complications ou l'aggravation de sa condition résultent des traitements reçus et
qu'ils sont imputables à la faute du médecin. On l'a souvent dit et on l'a répété
récemment.
L'application de ce principe est cependant fort délicate, semble-t-il.
Tout d'abord, il est certain que la preuve de la faute du médecin peut être
faite pour tous moyens, y compris par présomption de faits.
Cette présomption naîtra plus ou moins facilement selon le traitement médical
prétendûment fautif, mais elle ne naît pas de la seule preuve de l'aggravation. En
effet, le patient doit d'abord établir, généralement, que la condition résulte d'un
phénomène médical qui pouvait être évité ou que l'accident ne s'explique
généralement, du point de vue médical, que par la commission d'une faute. Et
dans ce sens la preuve par présomption de faits n'impose certainement pas au
médecin une obligation de résultat, comme certains ont pu le croire à la suite de la
décision de la Cour suprême dans l'aff. M artel, 1969 R.C.S. 745.
Quant à la conduite du médecin, elle doit être comparée à la science et à
l'habileté normales des membres de la profession médicale.
Ces critères étant posés, il y aura présomption de faute lorsque, «dans le
cours normal des choses, un événement ne doit pas se produire, mais arrive tout
de même, et cause un dommage à autrui, et quand il est évident qu'il ne serait pas
arrivé s'il n'y avait pas eu négligence...» Si celui qui avait le contrôle de la chose
réussit à établir à la satisfaction de la Cour, l'existence d'un fait extrinsèque, il
aura droit au bénéfice de l'exonération. (Parent c. Lapointe, 1952 S.C.R. 376,
381).
Ce test, appliqué à plusieurs reprises en matière médicale depuis l'arrêt de la
Cour suprême dans l'affaire Martel c. Hôtel-Dieu St-Vallier, précitée, a pour
effet, dans la plupart des cas rapportés, d'imposer facilement au médecin le
fardeau de s'exonérer. Et celui-ci ne peut pas s'exonérer en plaidant que
«l'accident demeure inexpliqué». Il devra prouver qu'il a appliqué un niveau de
connaissances raisonnable et employé une technique raisonnable; mais il ne suffira
pas que le médecin témoigne de ces faits théoriquement; il ne réussira que si, par
102 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

une preuve prépondérante, il peut établir et expliquer qu’il s’est produit un


phénomène extrinsèque et incontrôlable. Il n'a pas à expliquer médicalement les
raisons de ce phénomène, mais il doit convaincre le tribunal que c ’est ce
phénomène qui a dû, en toute probabilité, se produire.
Ainsi, dans un cas, un anesthésiste a été exonéré de la responsabilité de
l’aggravation de la condition de son patient à la suite d ’une rachianesthésie, parce
qu’il a su convaincre le tribunal de première instance que les complications étaient
probablement dues à une réaction inflammatoire par allergie des tissus du patient à
la substance anesthésique: il s’agit donc d ’une cause étrangère à la conduite du
médecin même si on ne peut expliquer médicalement les raisons de cette réaction
(Dussault c. Barry\ 1976 C.S. 791, en appel).
Par ailleurs, s'il appert que le dommage résulte probablement d'une injection
extra-veineuse, alors qu’elle devait être intra-veineuse, le médecin n ’a plus de
défense. Il faut noter cependant que c ’est le patient qui a d ’abord dû établir qu’en
toute probabilité le dommage, tel qu'il s’est manifesté, devait découler d'une
mauvaise injection (Lapointe c. Périgny, 1976 C.S. 603).
Dans une autre espèce, le médecin lui-même a ouvert toute grande la porte à
l’application d'une présomption de faute, en laissant entendre au patient que
l'opération était simple et sans risque et que l'opération entraînerait sans doute une
amélioration de l'infirmité en cause. Si les résultats de l’opération aggravent
l'infirmité, la présomption naît, quasi-automatiquement, de la seule preuve de ces
faits et le médecin n'a que peu de chances de s'exonérer. En effet, même s'il n'a
pas commis de faute dans l'opération, il est au moins fautif de ne pas avoir
renseigné le patient sur les risques qu'il courait (Fiset c. St-Hilaire, 1976 C.S.
994).
Lorsqu'il y a décérébration d ’un enfant à la suite d'une anesthésie, et que la
preuve révèle qu'on s'est peu ou pas préoccupé de signes indiquant une réaction
anormale lorsque l’enfant a été retourné dans sa chambre après l'opération, il y a
présomption de faute causale de la part du médecin: il s'agit même d'une preuve
directe de faute, à notre avis, d'où responsabilité du médecin {Perron c. Hôpital
Général de la Région de l'Amiante Inc., 1976 C.S. 1191). Par ailleurs, avant
qu’un demandeur ne bénéficie d’une présomption (res ipsa loquitur), il doit
prouver que la personne qu’il veut tenir responsable est l'auteur du fait
dommageable. Ainsi, si un patient fait une chute en bas de son lit, suite à une
crise d ’épilepsie, il ne bénéficie pas d'une présomption: il doit prouver une faute
causale d'un préposé de l'hôpital {Hôtel-Dieu de Montréal c. Coulombe, (1975) 2
R.C.S. 115, inf. 1973 C.A. 846 et nos commentaires à (1975) R.G.D. 193, n° 6).
Pour d'autres applications de res ipsa loquitur (responsabilité médicale), voir
aussi Wilcox c. Cavan (1975) 2 R.C.S. 663 et Eady c. Tenderenda, (1975) 2
R.C.S. 599.
Pour sa part, l’hôpital a une obligation de moyens seulement dans la
surveillance des malades et non l’obligation d'avoir une surveillance de tout
instant, par un personnel aussi nombreux que les patients (Rizzo c. Hôpital
Notre-Dame, 1975 C.S. 425).
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 103

Enfin, le médecin qui fait un examen incomplet, et qui, en conséquence,


pose un diagnostic erroné (diagnostic d'un muscle étiré alors qu'il y avait fracture)
commet une faute. S'il n'avait pas le temps de faire un examen complet, il devait,
à tout le moins, s ’abstenir de poser un diagnostic et confier la patiente à un autre
médecin (Hôpital N-D. de l’Espérance c. Laurent, 1974 C.A. 543 (en appel à la
Cour suprême, mais sur ce point, le jugement se doit d'être confirmé). Notons
cependant que dans cette affaire, le tribunal a retenu 25% de responsabilité à la
charge de la patiente parce qu'à son avis (juge Dubé étant dissident) celle-ci avait
tardé indûment à consulter un autre médecin, malgré la persistance des douleurs
(cf. infra, n° 58. Causalité).
Nous avons déjà analysé la nature de l'obligation de celui qui est chargé de
conserver et de rendre une chose (cf. 1971 R.G.D. 271, n° 55).
Cette question a aussi été récemment étudiée, de façon très élaborée, par la
Cour supérieure. Il s'agissait de déterminer la responsabilité du contractant qui
devait traiter, emballer, entreposer et finalement livrer à son co-contractant une
certaine quantité de tabac, à la suite d'un incendie qui a détruit l'entrepôt où se
trouvait le tabac (Benson & Hedges Ltd. c. F.H. Jones Tobacco Sales Co. Ltd.,
1976 C.S. 1181, en appel).
Le tribunal fait une étude des principes applicables qui ressortent de plusieurs
décisions judiciaires. Du jugement du tribunal et des citations qu'il contient, nous
extrayons les idées suivantes qui, à l'occasion, semblent contradictoires.
«Il convient de distinguer... entre l'obligation de conserver un bon père de
famille (1064 c.c.) et l'obligation de remettre un corps certain et déterminé (1200
c.c.).» Il y aurait présomption de faute dans les deux cas, lorsque la chose a subi
des détériorations. Mais dans le premier cas, «le débiteur se libère... en faisant la
preuve qu'il a apporté à sa conservation les soins d'un bon père de famille (1064
c.c.) et que la détérioration provient d'une cause qui ne peut lui être imputable
(1071 c.c.)». Dans le deuxième cas, «il ne peut se libérer... qu'en faisant la
preuve qu'il n'a pu livrer la chose que par suite d'un cas fortuit dont la preuve lui
incombe (1200 et 1072 c.c.)».
Cette distinction apparente ne nous convainc nullement. Tout d'abord celui
qui conserve doit rendre éventuellement: l'obligation de conserver est donc
absorbée dans l'obligation de rendre.
Deuxièmement, il appert que dans l'esprit de la grande majorité des juges,
l'obligation pour le débiteur de prouver que la perte ne peut lui être imputable
revient à dire qu'il doit rapporter la preuve du cas fortuit.
Ceci dit, il est certain que le cas fortuit peut être prouvé par présomption de
faits: «he must establish a fortuitous event or at least make sufficient proof from
which a fortuitous event can be presumed. It is not sufficient to establish that the
care of a bon père de famille was taken and that the cause of the fire is unknown».

En d'autres termes «le débiteur ne peut faire, de façon concluante et certaine


104 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

la preuve que la perte a été causée sans son fait et sa faute, sans établir la cause
réelle de la perte; sans preuve de la cause il n'y a pas de preuve que la cause n'a
pas été le fait ou la faute du gardien; sans preuve de la cause, il n'y a donc pas de
preuve concluante que le débiteur a apporté à la conservation de la chose les soins
d'un bon père de famille».
Résumant ces idées, nous croyons donc que l'obligation de conserver et de
rendre une chose est soumise aux principes suivants: 1) l'obligation de conserver
est incluse dans celle de rendre; 2) la preuve de détériorations crée une
présomption de responsabilité contre le débiteur de la chose (1071 c.c.); le
débiteur possède une obligation de résultat escompté; 3) le débiteur doit, pour
s’exonérer, prouver cas fortuit ou force majeure (1072 — 1200 c.c.); 4) cette
preuve peut être faite directement ou par présomption de faits (le recours à la
preuve par présomption de faits ne transforme pas rétroactivement l'obligation de
résultat en une obligation de moyens, pas plus que la preuve par présomptions ne
transforme l'obligation de moyens du médecin en une obligation de résultat).
Appliquant ces principes à l'espèce précitée, le tribunal, après avoir souligné que
le feu n'est pas en lui-même un cas fortuit, a conclu qu'il avait probablement été
le résultat d'une combustion spontanée du tabac pour laquelle, dans les
circonstances (et c'est là sans doute l'objet de l'appel), «l'entrepositaire» ne
pouvait être tenu responsable. Cette dernière conclusion est peut-être discutable;
mais il s'agit plutôt d'une question d ’appréciation. Quant aux principes applica­
bles, comme tels, ils ont été, à notre avis, clairement dégagés et bien appliqués.
31 Relations droit pénal — responsabilité civile.
Un plaidoyer de culpabilité devant une instance pénale ne peut être remis en
question devant la juridiction civile lors d ’une action en dommages. Ainsi le
défendeur qui a plaidé coupable à une accusation d'attentat à la pudeur devant
l'instance pénale, sera forclos de tenter de prouver, sur objection à cette preuve
dans le cadre de l'action en dommages intentée contre lui pour viol, que la
demanderesse a consenti aux actes posés; à moins que le défendeur ne prouve que
l'aveu (plaidoyer de culpabilité) provenait d'une erreur de fait. Le plaidoyer de
culpabilité a acquis la force probante de l'aveu judiciaire parce que, et dans la
mesure où, il s'applique aux mêmes faits remis en question dans l’instance civile
(Pie c. Thibert, 1976 C.S. 180, et jurisprudence citée).
Cette question de l’incidence du plaidoyer fait ou du jugement rendu dans
une instance pénale n'est pas toujours facile à régler et les décisions des tribunaux
peuvent paraître contradictoires. Mais il nous semble que les principes suivants
résument et concilient bien les opinions exprimées: 1) la condamnation pénale ne
constitue pas chose jugée en matière civile; 2) elle est cependant admissible en
preuve et constituera une présomption juris tantum de responsabilité lorsqu'elle
porte sur les mêmes faits que ceux allégués au civil (Lacroix c. RiveL 1976 C.S.
964 ou 1976 R.P. 361 et jurisprudence citée); 3) La force probante de la
condamnation ou du plaidoyer dans l’instance pénale sera appréciée par rapport
aux autres éléments de preuve soumis dans l'instance civile. La décision précitée,
Pie c. Thibert, respecte bien ces principes.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 105

La présomption de responsabilité peut donc être repoussée: la conductrice


d'un véhicule-automobile qui a plaidé coupable à une accusation de conduite
dangereuse pour éviter la publicité et les inconvénients qui auraient accompagné le
procès à la suite d'un plaidoyer de non-culpabilité n’est pas liée par son plaidoyer
de culpabilité, dans la poursuite civile en dommages-intérêts, aux fins de
déterminer si elle a commis une faute causale, lorsque, par ailleurs, elle réussit à
prouver que l'accident est survenu alors qu'elle était affairée à repousser les
avances physiques de son passager (Bouchard c. Lepire, 1974 C.A. 616). Par
ailleurs, dans une autre espèce, la Cour supérieure a refusé de permettre, dans
l’action en dommages intentée contre l'auteur d ’un «meurtre», la production d'un
verdict de non-culpabilité pour cause d ’aliénation mentale rendu dans le procès
pénal sur une accusation de meurtre contre l'auteur de cette mort violente, jugeant
que le verdict dans l'instance pénale ne constituait pas «chose jugée» sur la
question du discernement au civil (.Laverdure c. Bélanger, 1975 C.S. 612). Le
tribunal a cependant conclu que la preuve faite devant lui le menait à la conclusion
que le défendeur souffrait d'aliénation mentale au moment de son «crime » et qu'il
était incapable de commettre une faute qui pouvait engager sa responsabilité.
32. Discernement.
La capacité de discernement est une condition essentielle de la responsabilité
civile: ainsi l’aliéné mental ne peut être tenu civilement responsable du «meurtre»
qu'il a commis. Selon le texte même de l’art. 1053 c.c., il n’y a pas d'alternative
(Laverdure c. Bélanger, 1975 C.S. 612).
Toutefois, celui qui perd l'usage de la raison en conséquence de l'utilisation
volontaire de drogues demeure responsable des dommages qu'il cause («meurtre»)
pendant qu'il est sous l'effet de la drogue. Il a commis une faute en se mettant
volontairement dans un tel état, même s'il n'avait pas nécessairement prévu qu'il
réagirait violemment (Constantineau c. Berger, 1975 C.S. 211). Il en est de
même de celui qui s’enivre: il doit être tenu au moins partiellement responsable
des dommages lui résultant d ’actes qu’il pose alors et parce qu’il est en état
d’ivresse (Leclerc c. Palardy, 1976 C.S. 162).

33. Notion de fa u te, en général. Différentes applications.


L ’appréciation du caractère fautif ou non-fautif d’un acte tient à l’apprécia­
tion du caractère prévisible de l’accident, le tout devant être apprécié évidemment
en fonction des circonstances de temps et de lieu.
Ainsi l'utilisation de torches de kérosène, plutôt que de signaux électriques,
pour annoncer des travaux de voirie ne constitue pas nécessairement une faute:
mais si on utilise des torches, il faut s'assurer que les bouchons sont bien vissés de
façon à ce qu'il n’y ait pas déversement d'huile au premier contact (coup de pied)
qu'il peut y avoir entre un enfant et la torche (Entreprises Blanchet Ltée c.
Thériault, 1974 C.A. 563).
Le fait de se conformer strictement aux règlements et ordonnances ne
constitue pas nécessairement une défense à l'art. 1053 c.c. Il faut, lorsque les
106 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

circonstances le dictent, prendre des mesures additionnelles de sécurité, comme le


bon père de famille l'aurait fait (C .N .R . c. Ashby, 1976 C.A. 594; passage à
niveau, cf. aussi P.G.Q. c. Cie des Ciments du St-Laurent, 1976 C.A. 600,
entreposage de dynamite).
«En droit l'omission ne peut engager la responsabilité que s’il y a obligation
d ’agir.» Ainsi la vente aux enchères d ’un immeuble sans formalités de justice
nécessite par ailleurs l'accomplissement strict de la procédure prévue dans la loi.
Les contraventions à ces dispositions dues à la négligence volontaire ou
involontaire du secrétaire-trésorier engagent sa responsabilité quasi-délictuelle et
celle de la corporation municipale, du moins lorsque ces contraventions ont fait
perdre au propriétaire son droit de retrait. Le propriétaire évincé peut donc
réclamer la valeur de la propriété à titre de dommages sans avoir à faire constater
préalablement la nullité de la vente. (Corp. Munie de Austin c. Leroux, 1975 C.A.
715).
1) Le danger caché. — Commet une faute (25% de responsabilité) celui qui
dirige de l'eau volontairement sur la chaussée d'une route, le soir, à une époque
où il devrait savoir qu'elle était sujette à geler sur la chaussée. Le rond de glace
ainsi créé constitue un piège; l'automobiliste a cependant été inattentif et il doit
être tenu responsable pour les trois quarts de ses dommages (Pépin c. Laramée,
1976 R.L. 216).
Constitue également une faute le fait de ne pas éviter un danger particulier et
évitable résultant d'une disposition momentanée et particulière des lieux. La porte
momentanément ouverte, par laquelle une rondelle frappée par un joueur de
hockey peut atteindre un spectateur qui entre dans l'aréna, constitue un piège dont
l'exploitant des lieux est responsable (Brassard c. Ville de Hauterive, 1974 C.A.
557).
Constitue une faute le fait d ’installer des affiches de signalisation sans
s'assurer que celles-ci sont visibles des usagers de la route (Bellechasse Transport
Inc c. Ricard, 1974 C.A. 614). La création d'une situation trompeuse constitue la
création d'un piège et engage évidemment la responsabilité de son auteur.
ii) L'accident de chasse. Faute. Indemnité statuaire. — Celui qui décharge
une arme à feu et qui atteint une autre personne est forcément présumé fautif, à
notre avis, bien qu’il ne s’agisse que d ’une présomption de fait. Et il aura à
prouver une faute de la victime pour s'exonérer. La preuve d'absence de faute de
sa part ne peut être suffisante si elle ne conduit pas le tribunal à percevoir chez la
victime la commission d ’une faute causale. C ’est la conclusion qu’il nous faut
tirer de l'étude des décisions ayant porté sur un tel accident. (Ex. Gagnon c.
Ouellette, 1976 C.S. 789, (en appel) cf. aussi nos commentaires à 1975 R.G .D.
217, n° 28).
Abstraction faite de toute responsabilité relativement à un accident de chasse,
les héritiers d'un détenteur de permis de chasse qui est décédé ou blessé à la suite
d'un accident résultant directement de la pratique, à des fins récréatives, de la
chasse ou de la pêche ont droit à une indemnité maximale de $5 000 en vertu de
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 107

l’art. 49a de la Loi de la conservation de la faune (L.Q. 1969 c. 58, amendée par
L.Q. 1971, ch. 60). Eu égard à la définition de «l’accident directement relié à la
chasse, à l'exclusion de toute activité connexe», ne constitue pas un accident
susceptible d'indemnisation le fait de se noyer en tentant de récupérer des canards
de bois si la preuve révèle que l'activité de la victime n'avait pour objet que la
récupération des canards (Lamy c. P .G .Q ., 1975 C.A. 734).
D’un autre côté, «l'accident» ne couvre pas le fait d’être frappé par la foudre
lors d'une partie de pêche (Quenneville c. P .G .Q ., 1976 C.S. 1522), non plus
évidemment que le suicide dans le bois avec une carabine (Bilodeau-Daoust c.
P .G .Q ., 1976 C.S. 287).
iii) Responsabilité du propriétaire. — Le propriétaire n’est pas l'assureur de
ceux qui viennent chez lui. Il ne sera tenu responsable que d’une faute prouvée et
le seul fait qu'on ait trébuché sur la propriété d’autrui ne crée pas une présomption
de faute {Brassard c. Simard, 1974 R.L. 439). Les mêmes principes s'appliquent
au propriétaire d'un établissement commercial relativement au terrain de station­
nement qui en est l'accessoire: la victime qui tombe doit démontrer une faute du
propriétaire c'est-à-dire qu'il aurait pu prendre à temps les mesures efficaces pour
empêcher la chute qu'aurait provoquée une pluie verglaçante (Poslums c. Vczina,
1975 C.A. 291). À plus forte raison les mêmes principes s’appliquent au
propriétaire d'une maison qui, même s’il a une superficie moins grande à
entretenir, n'est pas obligé à une surveillance de tous les instants (Swift c.
MacdougalL (1976) 1 R.C.S. 240).
Constitue une faute, par ailleurs, le fait de ne pas se préoccuper de
l'étanchéité d'un plancher déjà glissant, à la sortie d'un sauna, et de ne pas avoir
pourvu à la présence d'un tuyau d ’écoulement de l'eau qui s’accumule aux abords
de la chambre d'étuve. Quant à la victime qui a chuté, elle est aussi en faute
(209c ) pour ne pas avoir pris la précaution de chausser des souliers caoutchoutés
ou des espadrilles (Richard c. Institut Yvan Coutu Inc., 1975 C.S. 410).
L'exploitant d ’un terrain de camping qui perçoit un prix d'entrée de la part
des baigneurs pour l'usage d'un lac artificiel doit prévoir qu'à un moment donné
l'un des baigneurs se trouvera en difficulté. Aussi commet-il une faute s'il
n'engage pas un gardien-sauveteur pour surveiller les baigneurs. Il sera, par
conséquent, responsable d'une noyade qui serait due, selon les circonstances en
preuve, au délai qu'on a mis à porter recours à la victime, alors qu'un
gardien-sauveteur aurait pu agir avec vitesse (Maheux c. Lavallée, 1975 C.S.
1078; au même effet, Duplessis c. Roy 1976 C.S. 178).
Commet une faute la commission scolaire qui entoure la cour de récréation de
son école d'une clôture dangereuse, dont le sommet est constitué d'une crête de
bouts de broche pointus et affilés, alors qu'il est prévisible que les écoliers seront
tentés de grimper dans un arbre qui se trouve à proximité de la clôture, en s’aidant
précisément de la clôture (Gauthier-Fafard c. C.S. de Granby, 1976 C.S. 985).
iv) Responsabilité des pompiers. — Une municipalité peut et doit être tenue
responsable des dommages résultant des fautes des préposés de son service
108 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

d'incendie. Constituent des fautes le fait de procéder à circonscrire l’incendie


contrairement à toutes les règles de l'art et à refuser obstinément de faire appel à
l'aide disponible, même si elle doit être rémunérée (Gauthier Mfg Ltd c. City o f
Pont-Viau, 1976 C.S. 269). Cette décision a été portée en appel, mais l'objet de
celui-ci ne pourrait être que l’appréciation de la preuve et non le principe même
qui veut qu'un service d'incendie puisse être tenu responsable de ses fautes dans
l'exécution de son travail. Far ailleurs, un autre problème soulevé dans la question
de la responsabilité d'un service d ’incendie est évidemment celui de la causalité,
car au départ le service des incendies n’est pas responsable de l’origine de
l’incendie. Aussi, avant que le service des incendies ne soit tenu responsable des
dommages résultant d ’un incendie, il faut d’abord prouver que sa négligence a
entraîné des dommages particuliers et il ne pourra être tenu responsable que de ces
dommages. C ’est d’ailleurs l’absence de cette condition qui a pu permettre
souvent à un service d ’incendie d'échapper à la responsabilité, mais dans le cas
sous étude, cette causalité entre faute et dommages a été établie à la satisfaction
du tribunal de première instance (cf. infra, n° 58, Causalité).
34. Responsabilité de /’exploitant d'un centre de ski.
Constitue une faute pour l'exploitant d ’un centre de ski pourvu de remontées
mécaniques de ne pas avoir un surveillant aux embarcadères et débarcadères
desdites remontées pour aider les skieurs à descendre du télésiège. Par ailleurs, la
victime est également en faute (50CA ) pour avoir hésité à descendre et à suivre les
instructions affichées (Godon c. Auberge Yvan Coutu Inc., 1975 C.S. 208).
35. Responsabilité dans la pratique des sports. Golf.
Les rapports judiciaires récents nous fournissent quelques décisions sur des
«accidents de golf» (Léger c. Bélisle, 1976 C.S. 1805; Collège St-Viateur c.
Brassard, 1976 C.S. 599; Savoie c. Demers, 1975 C.P. 217). Si dans les deux
premières espèces, le tribunal a partagé la responsabilité à cause des circonstan­
ces, nous retenons de la troisième espèce que l’auteur d ’un coup dévié dont la
balle va frapper un golfeur sur un parcours adjacent, ne peut échapper à la
responsabilité. Même si l'on peut douter que l’art. 1054 c.c. puisse être utilisé
dans un tel cas, comme le tribunal l'a utilisé, puisqu’il ne s’agit pas du fait
autonome de la balle, il reste que le coup partiellement raté constitue à notre avis,
une faute, pour son auteur (1053 c.c.). Le golf c ’est comme la chasse: celui qui
assume les risques du jeu, en quelque sorte, ce n'est pas la victime, mais bien le
«tireur»!
36. Responsabilité de l’employeur envers son employé.
L’employeur, en l'occurrence une compagnie théâtrale, qui demande à un
employé, un comédien, par l'entremise d ’un autre employé, le directeur de la
production théâtrale, d'effectuer une manœuvre difficile et relativement dange­
reuse, sans lui avoir donné la chance de pratiquer adéquatement la manœuvre
avant de l’exécuter et sans prendre les mesures sécuritaires pour pallier au manque
d ’expérience du comédien dans l’exécution de la manœuvre (entrer sur scène sur
un tandem), est responsable de la chute du comédien en bas de la scène (80%).
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 109

Quant au comédien, il est aussi responsable d'avoir accepté de faire la manœuvre,


malgré son inexpérience et les craintes que lui inspirait la manœuvre (Paris c. La
Comédie Canadienne Inc., 1975 C.S. 216).
Celui qui, chargé de faire un travail, demande à un tiers de lui rendre service
et de l'aider doit donner au tiers les instructions et la protection suffisantes pour
qu'il puisse rendre service sans se blesser (Babe Transport Inc c. Godbout, 1975
C.A. 478).
37. Responsabilité à raison de lfentretien des routes et des trottoirs.
Le ministère de la Voirie est responsable de ne pas avoir pris les dispositions
pour faire disparaître une «trappe» constituée par une ornière en bordure d'une
route carrossable ou de ne pas avoir pris les dispositions pour avertir les usagers
de la route du danger, surtout si l’ornière était là depuis longtemps. Mais la
municipalité qui n'a pas la charge de l’entretien de cette route ne peut être tenue
responsable (Asselin c. Procureur Général du Québec, 1975 C.S. 608, en appel:
voir aussi Rioux c. P.G. Québec, 1976 C.S. 1167 (en appel): présence d'un trou
dans la chaussée depuis trois jours et absence d'avertissement; aussi Proulx c.
P .G .Q .. 1975 R.L. 311, précipice au travers d ’une route, causé par la pluie, près
d ’un ponceau).
Par ailleurs, un automobiliste circule à ses risques et périls sur un chemin de
forêt et le gouvernement n’a pas l’obligation de mettre un système de signalisation
(St-Onge c. Carrière, 1976 C.S. 1572 (en appel)).
Une corporation municipale n ’est pas automatiquement responsable de la
chute d'un piéton sur ses trottoirs, même si le trottoir était glacé et si la chute
paraissait inévitable. En effet, la victime doit prouver une faute d'entretien. Et si
la preuve révèle que les conditions climatériques (pluie, neige, grésil) rendaient
inutile l’épandage du sable et que la corporation s'employait aussi à faire
l'entretien des trottoirs, elle en peut être tenue responsable: elle n'est pas
l'assureur des piétons (Murphy c. Ville de Montréal, 1975 R.L. 409).
38. Responsabilité du médecin.
Cf. supra, n° 30. Obligations de moyens et de résultat.
Les tribunaux ne doivent mettre à la charge du médecin que des obligations
de moyens et non de résultat (Sirois c. Brunelle, 1975 C.A. 779). En
conséquence, si la preuve révèle qu’un traitement a été fait selon les règles de
l’art, et si aucune preuve positive de faute n'a été faite contre le médecin, le juge
ne peut conclure à la responsabilité du médecin en rapport avec des complications
résultant du traitement, sous prétexte que le médecin n'a pas repoussé la
présomption. Aussi, il n'est pas surprenant que la décision du juge qui avait tenu
le médecin responsable ait été infirmée en Cour d ’appel. La chose était même
prévisible (cf. nos propos à 1975 R.G .D . 226, n° 37). Enfin, on ne pouvait pas
non plus reprocher au médecin de ne pas avoir prévenu son patient des risques de
l’artériographie, puisque l’examen était nécessaire et les risques minimes par
rapport à la gravité de la maladie soupçonnée.
110 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

De même, ne commet pas une faute le médecin qui choisit l’un de deux
traitements possibles pour faire une chirurgie plastique et qui prend les précautions
connues et suggérées pour éviter les complications qui peuvent se produire, même
si les complications se produisent. Le médecin ne s’engage pas, en acceptant de
faire le traitement, à faire une opération à succès garanti, mais uniquement de
procéder suivant les règles de l'art, en accord avec les normes de sa spécialité
(Savoie c. Gaudeîîe, 1976 C.A. 127).
D'un autre côté, le médecin qui pose un acte qu'il aurait pu éviter, avec plus
d ’attention (ligature du canal cholédoque, par inadvertance), n'a pas d'excuse
valable (Horn c. Tabah, 1976 C.S. 988). Aussi, l'anesthésiste qui néglige de
vérifier le fonctionnement des appareils qui doivent fournir l'oxygène pendant
l'anesthésie est indubitablement responsable. Non seulement, à notre avis, y a-t-il
présomption de faute dans ces circonstances mais encore preuve positive d'une
faute. Le médecin ne peut se contenter de se défendre en affirmant qu'il agit
toujours de la même façon sans problème (Covet c. Jexvish General Hospiîal,
1976 C.S. 1390 (en appel sans doute sur les dommages accordés)).
Enfin, celui qui se prétend compétent pour traiter l'hydrocéphalie et qui
convainc les parents de lui confier le traitement de leur enfant n'est qu'un
charlatan qui prodigue des traitements inutiles, puisque la preuve révèle que
l’hydrocéphalie ne se traite pas (Tardif c. Laverrière, 1976 C.S. 1803). Aussi il
devra dédommager le père pour ses déplacements, ses pertes de temps, ses
inconvénients en plus de lui rembourser les honoraires payés. Il devra aussi
dédommager l'enfant ($5 000) pour les ennuis, inconforts, souffrances que lui ont
causé les traitements inutiles, pendant une période de sept ans.
39. Responsabilité de Vavocat.
Un avocat ne peut être tenu responsable de la prescription d ’une action s'il
fixe un rendez-vous au client pour recueillir les données nécessaires et si le client
ne se présente pas au rendez-vous (Hamlet c. Lefebvre, 1976 C.S. 185), non plus
que si le client ne fournit pas les documents nécessaires pour l'exécution du
mandat qu'il prétend avoir confié à l'avocat (Chartrand c. Hamel, 1975 C.S. 411
(en appel)).
Toutefois, l'avocat qui fait perdre un bon droit d ’action à son client en ne
s'assurant pas que la signification du bref qu'il a fait émettre sera faite en temps
utile commet une faute professionnelle qui engage sa responsabilité (Leclerc c.
Pépin, 1976 C.S. 1398).
Far ailleurs, «un avocat qui se trompe dans son appréciation des faits d'une
collision d'automobiles ne commet pas une faute professionnelle du seul fait qu'un
tribunal ne lui donne pas raison. Aussi s'il n'a poursuivi pour son client que l'un
des deux conducteurs impliqués dans l’accident, il ne sera pas responsable, s'il a
avisé son client qu’il serait «plus» sécuritaire de poursuivre les deux», (Lima c.
Antanuk, 1976 C.S. 990), étant entendu cependant qu’il serait responsable, à notre
avis, s’il avait négligé de donner un tel avis à son client. Nous croyons même que
l’avo qui conseillerait à son client, sur la seule base de sa propre appréciation
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 111

des faits, de ne poursuivre qu’un des deux conducteurs engagerait sa responsabi­


lité, puisque la voie sécuritaire est évidemment de poursuivre les deux. C'est là, à
notre avis l'une des implications nécessaires du jugement de la Cour d ‘appel dans
Lacourcière c. Laplante, 1976 C.A. 433 où la Cour a retenu la responsabilité d'un
avocat qui avait décidé de ne poursuivre que l'un des deux conducteurs dont la
responsabilité, malheureusement pour l'avocat, n'a pas été retenue.
Même si la Cour fonde son jugement sur la prémisse que l’avocat avait reçu
mandat de poursuivre les deux propriétaires impliqués dans l'accident, et qu'il
avait décidé unilatéralement de n’en poursuivre qu'un, il reste qu’au départ le
prétendu mandat précis qu'il avait reçu était la conséquence de sa propre
suggestion. Aussi, si la décision de la Cour d ’appel est fondée uniquement sur le
«mandat confié», il nous semble qu’on fait porter au client la responsabilité
professionnelle de l'avocat. Ainsi, par exemple, si l’avocat avait suggéré à son
client de ne poursuivre qu’un conducteur et que le client ait exprimé son accord,
faudrait-il conclure que l'avocat n’a pas commis de faute? Nous devons en douter!
L'avocat a une obligation de conseil et il doit l'exécuter avec une compétence
raisonnable. Or quel avocat le moindrement avisé se contenterait-il d'aviser son
client de ne poursuivre que l’un des conducteurs impliqué dans un accident, sur la
base de sa propre appréciation des faits, lorsqu'il est généralement reconnu que la
voie sécuritaire consiste à poursuivre les deux?
40. Responsabilité du notaire.
Le notaire-instrumentant qui ne déclare pas dans un acte d’hypothèque
l’existence d'un avis de 60 jours, parce qu’il n’a pas obtenu un certificat de
recherche avant la préparation de l’acte est responsable envers le prêteur de la
perte que celui-ci subit, soit le montant du prêt consenti.
Toutefois le notaire n’est pas responsable du défaut de révéler à un prêteur
l'existence d'une action hypothécaire personnelle, s'il en ignorait lui-même
l’existence (Sicard c. Rodrigue, 1976 C.S. 1386).
41. Responsabilité quasi-délictuelle du manufacturier ou du distributeur d'un
produit.
«Celui qui a l'exclusivité de la distribution d ’un produit manufacturé et qui
lui attribue dans sa publicité des qualités et des mérites qu’il n'a pas commet une
faute envers ceux qui, sur la foi de cette publicité trompeuse (même faite de bonne
foi mais par suite de négligence) se procurent le produit affecté de vices cachés et
en subissent un préjudice». Ainsi ledit vendeur sera responsable envers l’architecte
et l'entrepreneur, tenus eux-mêmes responsables sous 1688 c.c., même s'il n'a
contracté qu’envers un sous-entrepreneur: la publicité a incité l’architecte (et
l’entrepreneur) à inclure le produit défectueux dans les plans et devis (Building
Products o f Canada Ltd c. Sauvé Construction Ltée, 1976 C.A. 420). Ce
distributeur sera donc responsable des dommages résultant de l’effondrement du
toit.
Le manufacturier qui met sur le marché, par l’entremise d ’un détaillant, un
produit défectueux susceptible de menacer la sécurité et les biens du consomma­
112 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

teur-acheteur du produit, engage sa responsabilité quasi-délictuelle envers le


consommateur qui subit des dommages à raison de la défectuosité. La faute sur
laquelle doit reposer cette responsabilité est présumée du fait de l'existence de la
défectuosité.
Ainsi le manufacturier d’une friteuse est responsable de l’incendie dû au
surchauffage de l'huile à raison d'une défectuosité du thermostat. Toutefois, le
consommateur est également en faute si, connaissant la défectuosité, il utilise
néanmoins la friteuse, d'où partage de responsabilité (Douceî c. C .G .E ., 1975
R.L. 157). Le manufacturier sera donc partiellement responsable de tous les
dommages résultant de l'incendie, non seulement de la valeur de la friteuse.
De même, le manufacturier d'une roulotte sera responsable des dommages
résultant des défauts de fabrication qui la rendent inutilisable. Il devra rembourser
le prix et les dommages pour inconvénients (Lavoie c. C.R.S. Caravane L iée,
1976 C.S. 611). Aussi, le manufacturier d ’une roulotte sera responsable des
dommages résultant d'un défaut de conception et de fabrication qui a eu pour effet
de causer l'incendie de la roulotte et de son contenu en cours de transport
(Lachance c. Willard, 1976 C.S. 785): il devra payer la valeur de la roulotte et de
son contenu et dédommager le demandeur pour les inconvénients.
Enfin, est également responsable de la même façon pour tous les dommages
résultant de l'éclatement d'un pneu, le manufacturier dudit pneu (Beaudeî c.
Seiberling Rubber C o., 1976 C.P. 221).
Ces décisions sont généralement fondées sur les arrêts Ross c. Dunsîall,
(1922) 62 S.C.R. 393 et Gougeon c. Peugeot Canada Ltée, 1973 C.A. 824.
Nous acceptons, évidemment, facilement la conclusion à l'effet que le
manufacturier ou le distributeur d ’un produit en soit responsable envers le
consommateur. Nous ne croyons pas cependant que la justification de ce recours
par l’art. 1053 c.c. soit appropriée.
Dans l'affaire Lachance, le tribunal refuse de se prononcer sur le fondement
de la responsabilité («qu’il s ’agisse de la responsabilité de droit commun de 1053
ou de la responsabilité présumée de 1522 et 1527 c.c., le manufacturier doit être
tenu responsable...») mais dans les affaires Lavoie et Doucet, le tribunal fonde la
responsabilité expressément sur l'art. 1053 c.c., alors qu’à notre avis il applique
plutôt clairement les règles des art. 1522 et 1527 c.c.
Ainsi, en particulier, dans l'affaire Lavoie, l'acheteur a intenté une action
contre son vendeur et contre le manufacturier de la roulotte, Roulottes Carmen
Inc., dans laquelle il réclame, semble-t-il, l’annulation de la vente pour défauts
cachés ainsi que des dommages-intérêts consistant dans le remboursement de la
somme payée et dans une certaine somme additionnelle pour inconvénients. Les
défauts cachés sont prouvés. Aussi le tribunal conclut facilement que le vendeur
doit restituer le prix ($13 000) sur restitution de la roulotte par l’acheteur, en vertu
de l'art. 1526 c.c.; le tribunal condamne aussi le vendeur à payer à l'acheteur une
somme de $200 pour inconvénients, en considérant que, comme commerçant en
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 113

matière de roulottes, le vendeur était présumé connaître les vices affectant la chose
vendue (1527 c.c.). Cette partie de la décision n'appelle aucun commentaire.
Toutefois, l'audace dont fait preuve le tribunal dans sa façon de traiter
l'action de l'acheteur contre le manufacturier mérite au moins d'être soulignée et
commentée. Sur cet aspect de l’action, le tribunal note expressément «qu'il n'y a
pas eu de preuve que (le manufacturier) ait donné une garantie conventionnelle (à
l'acheteur)» et qu'aucune autre preuve de la garantie du manufacturier n'a été
faite.
Mais il ajoute:
Il a cependant été établi par la jurisprudence q u ’un acheteur peut s ’adresser au
fabricant en se basant sur les dispositions de l’art. 1053 du Code civil et exercer un recours
en dom m ages si l’objet vendu lui a causé des dommages.

Il invoque ensuite l'opinion de l'hon. juge Deschênes, telle qu'exprimée dans


Gougeon v. Peugeot Canada Ltée, 1973 C.A. 824, y retenant les extraits suivants:
... Les recours (de l’acheteur) sont de nature contractuelle contre chacun des intimés
(vendeur et manufacturier): sur la base du contrat de vente contre (le vendeur), sur la base
du contrat de garantie contre (le m anufacturier), auxquels doit s'ajouter la garantie légale
due par chacun d ’eux. Ainsi (l'acheteur) recherche la sanction de l'inexécution ... de
l'obligation de garantie contre les vices cachés (contre les deux). Comme ... il s ’agit, pour
les deux intim és, d'une affaire de com m erce, la solidarité joue entre eux (1105 c.c.).

Il est clair q u ’ayant versé le prix d ’achat entre les mains (du vendeur), (l'acheteur) ne
pouvait pas exercer directem ent répétition contre (le m anufacturier). Mais rien ne
l'em pêchait d'évaluer à un montant équivalent à ce prix les dommages que lui avait causés
l'im péritie du m anufacturier ...

Le tribunal termine ensuite son exposé ainsi:


... cette roulotte n ’était pas construite selon les règles de l'art et (le fabricant) de cet
objet savait ou devait savoir q u ’il présentait des défauts de fabrication. Il résulte de cette
preuve une présom ption de fait q u ’il y a eu négligence de la part (du manufacturier) dans
la fabrication de la roulotte ..., donnant (à l'acheteur) le droit de recouvrer les dommages
qui lui ont été causés par cette négligence.

Additionnant toutes ces idées,le tribunal annule le contrat, donne acte à


l’acheteur (Lavoie) de son offre de remettre la roulotte (à qui?)et condamne
solidairement le vendeur et le manufacturier à payer la somme de $13 200.
Même si le tribunal semble régler le cas de la responsabilité du manufacturier
comme si l'arrêt de la Cour suprême dans Ross v. Dunstall, (1922) 62 S.C.R. 393
et l'arrêt de la Cour d'appel dans Gougeon v. Peugeot CanadaLtée précité,
s'appliquaient de façon évidente et indiscutable à l'espèce soumise, force nous est
de constater qu'il a donné à l'arrêt Ross des conséquences insoupçonnées jusqu'à
l’arrêt Gougeon et qu'il a aussi poussé plus loin les idées, peut-être discutables
d'ailleurs, exprimées dans ce dernier arrêt.
Dans l'affaire R oss, on avait reconnu que le manufacturier pouvait être tenu
responsable, en vertu de l’art. 1053 c.c., des dommages subis par un acheteur, la
faute du manufacturier consistant dans le défaut d'avertissement et d'instructions
114 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

aux acheteurs sur les soins particuliers que nécessitait le montage d ’une arme à
feu. Toutefois, les dommages réclamés résultaient d ’une blessure subie à la figure
par l’acheteur (et non le remboursement du prix de l’objet). En tenant compte de
ces éléments, il nous semble donc que la faute et les dommages, dans l’affaire
Ross, étaient assez différents de ceux qu’on retrouve dans l’affaire Lavoie.
Du reste, dans l’affaire R oss, on pouvait imaginer assez facilement que les
dommages qu’on pouvait ainsi réclamer du manufacturier ne pouvaient pas l’être
nécessairement d ’un tiers qui aurait pu être le vendeur de l’objet.
Quant à l'affaire Peugeot, on y retrouvait évidemment l’obligation conven­
tionnelle de garantie du manufacturier, encore que la cour se serait peut-être
contentée volontiers, semble-t-il, d ’invoquer la notion de la garantie légale (1053
c.c.?) du manufacturier, en invoquant, l’arrêt Ross v. Dunstall et, dans cette
optique, la Cour supérieure, dans l’affaire Lavoie, était sans doute justifiée
d ’appuyer son jugement sur celui de la Cour d ’appel. Le tribunal aurait pu aussi
s'inspirer des commentaires du professeur Philippe Malinvaud (La responsabilité
civile du fabricant en droit français, Gaz. Pal. 1973, chronique, p. 463) pour
noter qu'en droit français, le manufacturier est également délictuellement
responsable des vices cachés de sa chose à l'égard des tiers et la preuve de la faute
découle simplement de la preuve du vice de fabrication. Selon les commentaires
de Malinvaud, la faute pourrait même être présumée en vertu du principe de la
responsabilité du fait des choses (1054 c.c.), dès que preuve est faite que le
dommage résulte d'un défaut de structure, dans la mesure où l’on peut considérer
que le fabricant est le gardien de la structure de la chose.
Cette nouvelle façon de concevoir la responsabilité du manufacturier semble,
par ailleurs, être celle proposée par l’Office de révision du Code civil. Celui-ci,
dans son Rapport sur les Obligations de 1975, propose en effet la règle suivante
dans le chapitre «des obligations découlant de la loi» (délits et quasi-délits):
Le fabricant ou son représentant répond d ’un vice de conception de fabrication, de
conservation ou de présentation du produit, sauf si la victime pouvait en déceler le vice par
un examen ordinaire (art. 103).

(Nos tribunaux auraient-ils devancé les réviseurs?)


Cette nouvelle conception de la responsabilité nous laisse perplexe dans la
mesure où les dommages réclamés (et accordés) consistent dans la restitution du
prix de vente. On a beau dire que l’acheteur ne peut exercer directement répétition
contre le manufacturier mais que les dommages peuvent équivaloir au prix, il nous
semble qu’il s’agit là d ’un exercice de sémantique.

En tous cas, il résulte clairement de cette façon de présenter les choses qu’à
toutes fins pratiques on substitue aux nos 1522 et ss. du Code civil le numéro
1053 ou, si l’on préfère, on déplace les art. 1522 et ss. du chapitre de la vente au
chapitre des délits et quasi-délits.
Il y a même confusion entre l’effet de la nullité d ’un contrat et la
responsabilité délictuelle. Cette confusion ne nous apparaît ni admissible dans la
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 115

logique juridique ni souhaitable à cause des autres questions qu’elle soulève et qui
devront être tranchées arbitrairement soit par les tribunaux ou soit par l’Office de
révision du Code civil.
Ainsi, sur la question de la solidarité entre le vendeur et le manufacturier,
nous demeurons songeurs devant la naissance de la notion du «délit ou quasi-délit
commercial» ou encore de «la négligence ou imprudence» (1053 c.c.) à caractère
commercial (Cf. Beaudeî c. Suberling Rubber, précitée: solidarité entre vendeur et
manufacturier).
Par ailleurs, comment dans cette esprit, arrivera-t-on à concilier logiquement
la question des délais de prescription? Si la responsabilité du manufacturier est
fondée sur l'art. 1053 c.c., ne s’ensuit-il pas que l’action en dommages (et donc
en remboursement de prix) se prescrit par deux ans (2261 c.c.), alors qu'une
action semblable contre le vendeur doit être intentée dans un délai raisonnable
(1530 c.c.)? Ou assistera-t-on à la naissance du délai de prescription raisonnable
dans le cas de la responsabilité délictuelle du manufacturier? Notons que dans
l’affaire Suberling Rubber Ltée précitée, la Cour provinciale, n'a pas hésité à
appliquer la prescription de deux ans (2261 c.c.) au manufacturier, tout en
invoquant par ailleurs renonciation à la prescription de la part du vendeur, en plus
d’invoquer la «légalité» du cumul des régimes de responsabilité!
Mieux vaudrait, nous semble-t-il, justifier arbitrairement la responsabilité du
manufacturier pour défauts cachés sur le plan contractuel, soit par l’idée qu'en
cette matière, le vendeur est le mandataire du fabricant, soit par l'idée que
l’acheteur bénéficie d ’une stipulation pour autrui expresse ou implicite contenue
dans le contrat entre le fabricant et le vendeur plutôt que de la justifier
arbitrairement par la notion du quasi-délit.

D ’ailleurs, l'Office de révision le suggère lui-même, dans ses commentaires:


Autrefois, dans une société artisanale où le fabricant vendait directem ent son produit
au consom m ateur, celui-ci pouvait trouver protection efficace dans le régime contractuel
de garantie contre les vices cachés, organisé au chapitre de la vente. Mais avec
l'avènem ent des nombreux interm édiaires entre le fabricant et le consom m ateur, on se
trouve souvent dans la situation où le fabricant donne une garantie contractuelle à une
personne (l'un ou l’autre des intermédiaires) à qui elle n ’est pas réellement destinée.

Le résultat logique de ces commentaires, qui, implicitement, constituent


également les raisons des décisions judiciaires précitées, ne serait-il pas de
réglementer l'obligation légale ou contractuelle du fabricant dans le chapitre de la
vente et dans la réglementation de la garantie des défauts cachés? Nous le
soutenons respectueusement, mais avec conviction.
À vrai dire, même si certains qualifient la responsabilité du fabricant pour
défauts cachés, de quasi délictuelle, nous croyons au contraire qu’elle est
contractuelle ou même légale, et ce, à raison de sa nature même et de son
fondement. Pourquoi d'ailleurs refuserait-on de créer cette obligation dans le
chapitre de la vente? La seule conséquence serait de présenter une législation plus
cohérente. Ceci fait, il n’y aurait aucune objection à garder dans le chapitre de la
116 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

responsabilité quasi délictuelle la règle suivante, proposée par l’Office de révision


et qui n'est qu'une consécration de l’arrêt Ross:
Le fabricant d ’un produit ou son représentant répond du défaut d'indication des
risques et dangers de son utilisation.

42. Abus de droit. Harcèlement. Perception de créances.


Un créancier a le droit de réclamer son dû, mais pas de n ’importe quelle
façon. Le créancier qui harcèle et ennuie constamment et outre mesure son
débiteur, qui pratique des saisies et obtient des renseignements avec une certaine
rudesse est responsable des dommages résultant de cette intimidation lorsque
l’exercice de ses droits dépasse les bornes d ’une incitation raisonnable à payer à
l'endroit de son débiteur (Auger c. Equity Account Buy ers Ltd., 1976 C.S. 279;
Mcllwaine c. Equity Account Buyers Ltd., 1974 R.L. 115: dommages accordés,
S 150). Si tel est le cas lorsque la dette est exigible, il en est de même à plus forte
raison si la dette n'est pas légalement exigible (ex. après libération résultant d ’une
faillite, ou après la prescription).
43. Troubles de voisinage.
Le propriétaire d ’une ferme adjacente à un terrain de golf a sollicité une
injonction permanente contre l'exploitant du terrain de golf pour empêcher les
balles de golf et les joueurs de passer sur sa ferme et pour contraindre l'exploitant
à faire des constructions (clôtures) pour empêcher les balles et les joueurs d'aller
sur son terrain.
La Cour supérieure a d'abord noté que la requérant «se plaisait» à poursuivre
l'exploitant en Cour provinciale au cours des années 1967 à 1973 inclusivement,
ne décidant d'utiliser l'injonction qu'en 1974. Elle a aussi noté que pendant la
saison du golf, le requérant n'exploitait pas et ne demeurait pas sur sa ferme: il
exploitait un terrain de camping ailleurs. Elle a enfin souligné que le requérant
n ’avait même pas démontré qu’il subissait un dommage ou des inconvénients à
raison des troubles dont il se plaignait. Dans ces circonstances, le tribunal a
considéré que les troubles ne constituaient en quelque sorte que des troubles
ordinaires de voisinage que le requérant devait tolérer, ajoutant, non sans
fondement semble-t-il que c ’est le requérant, qui, par la répétition de ses
procédures, abusait de son droit de propriété: celui-ci doit en effet s'abstenir de
clamer son indignation face à un état de fait non dommageable, s’inspirant du
caprice... Le requérant ne peut se servir de son droit de propriété de façon si
absolue, surtout s'il est mû «par la manie processive et l’esprit de chicane» (Pilon
c. St-Janvier Golf & Country Club Inc., 1976 R.P. 8 ou 1976 C.S. 975). Cette
décision a été portée en appel.
Le dem andeur réclame des dom mages en compensation de la dépréciation de ses
propriétés riveraines, à la suite de la formation d ’alluvions dans le lac, comme
conséquence de travaux effectués par le Gouvernem ent sur des fonds supérieurs contigus.
Ce lac, partie du domaine public, a été rendu impropre à la baignade.

Le demandeur a certes subi les dommages qu’il allègue. Mais encore faut-il
que le demandeur puisse légalement fonder son recours. Or la source du dommage
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 117

réside simplement dans l'exécution par l'État de travaux licites dans Tintérêt
public. Il n’y a donc pas faute. Par ailleurs, le demandeur ne possédait pas un
droit spécial à la pureté des eaux du lac, celui-ci faisant partie du domaine public,
puisqu'il n’a établi aucun droit de baignade ou de plagisme équivalent à une
servitude. Son recours en dommages n’a donc aucun fondement: l'exercice d'un
droit peut avoir pour effet de nuire à autrui, sans pour autant nécessairement
engager la responsabilité du détenteur de ce droit, pourvu que cet exercice ne soit
pas malicieux, ou qu'il soit sans intérêt pour soi ou le public en général. Ce
raisonnement de la Cour d ’appel (P .G .Q . c. Bélanger, 1975 C.A. 887) est
évidemment inattaquable en l'espèce.
Par ailleurs, l'exploitant d'opérations minières (amiante) sera responsable des
dommages résultant de la pollution d'une petite rivière qui traverse un fonds de
terre, si cette pollution cause un préjudice sérieux au propriétaire du fonds. Ce
préjudice est évidemment matière d'appréciation. Cette décision {Carey Canadian
Mines Ltd. c. Plante, 1975 C.A. 893) peut paraître contredire la précédente. Mais
cette contradiction n'est qu'apparente. Premièrement, l'exploitation de la mine
n'était pas faite d'abord dans 1' intérêt public; notons cependant qu'en première
instance, le tribunal avait refusé d'accorder une injonction, «vu l’importance de
l'industrie pour les citoyens du district qui en retirent leur principal moyen de
subsistance». Cette question n’a pas fait l'objet de l'appel. Deuxièmement, en
l'espèce, les eaux polluées étaient celles du lac: si dans le cas du ruisseau, on
pouvait appliquer l'art. 501 c.c., on ne le pouvait pas dans le cas du lac.
L'élevage de dindons dans des conditions qui font qu'il impose au voisin une
atteinte à son droit de propriété qui dépasse les limites des simples inconvients du
voisinage peut être circonscrit par voie d'injonction (Lessard c. Caron & Cie,
1976 C.S. 966).
Enfin, le propriétaire dont l'immeuble est endommagé par les racines des
arbres à haute tige situés sur le terrain du voisin a droit à l’indemnisation des
dommages contre le voisin (528 — 529 c.c.). Et il ne perd pas son recours s'il n'a
pas antérieurement mis le propriétaire des arbres en demeure de les enlever.
D'ailleurs, il n'y a pas nécessité d ’une mise en demeure préalable pour réclamer
des dommages, puisqu’il s'agit d ’une obligation de ne pas faire (art. 1070 c.c.)
(Phaneuf c. Sylvestre, 1975 C.A. 224).
44. Aliénation d'affection. Séduction. Droits d'une concubine lésée.
Il ne suffit plus que l’un des conjoints soit trompé par l'autre pour qu'il ait
droit à une action en dommages contre le tiers qui a participé à la «tromperie».
L’action en aliénation d’affection repose forcément sur l'art. 1053 c.c. avec la
conséquence que le demandeur doit prouver unt faute causale de la part du tiers.
Or si l’on considère que le conjoint qui trompe l'autre est le premier responsable
de ses actes, il est difficile d ’en imputer la causalité au tiers, à moins que celui-ci
ne se soit rendu coupable de séduction dolosive (Laroche c. Larivière* 1976 C.S.
374: voir aussi nos commentaires à (1973) 33 R. du B. 68-70).
Par ailleurs, la séduction doit être sanctionnée, par une action en dommages.
118 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

si elle est dolosive, la faute causale résidant alors plus dans le dol que dans la
séduction. Ainsi la promesse de mariage faite et répétée à une femme, par un
individu, avec la complicité de sa mère, dans le dessein de régulariser sa situation
auprès de l'immigration canadienne et l'abandon de la victime séduite après
l'accomplissement des formalités d'immigration constituent un dol qui oblige son
auteur à dédommager sa victime (Saadeh c. A m in, 1976 C.S. 378). Le tribunal a
aussi accordé le remboursement des dépenses réelles encourues et une somme de
$1 000 pour souffrances et humiliation.
Enfin, nous retrouvons, dans cette même famille de recours si l'on peut dire,
une décision de la Cour supérieure relative aux droits d'une concubine expulsée
(‫׳‬G aud c. Simard , 1976 C.S. 1795). Encore que cette cause ait été portée en appel,
le jugement de la Cour supérieure, en vertu duquel le concubin a été condamné à
dédommager la concubine, mérite d ’être souligné, à raison des points qui y sont
traités. Après avoir annulé les effets juridiques découlant d ’un engagement verbal
qui contenait une promesse de mariage et les avantages de la richesse, engagement
dont la preuve par témoins avait préalablement été reçue parce qu'il y avait
commencement de preuve par écrit, le tribunal considère cependant que l'auteur
de la promesse, qui avait été faite dans le but d'obtenir le consentement d'une
femme à une vie en concubinage, avait commis une manœuvre de séduction
dolosive qui constituait une faute délictuelle (1053 c.c.). Cette faute s'est
évidemment «révélée» seulement lorsqu'après trois ans et demi de vie commune,
le concubin a décidé brutalement de mettre fin à la vie commune et d'expulser sa
concubine. Appréciant toutes les circonstances, le tribunal a évalué les dommages,
à caractère moral suitout, à la somme de $10 000 en plus d'accorder une somme
de $6 000 pour perte de meubles, d'effets mobiliers, frais de réaménagement et
$1 500 pour frais de déménagement.
45. Fausse arrestation. Dénonciation.
Le recours en dommages pour fausse arrestation ou dénonciation doit être
décidé suivant les principes de notre droit civil, c'est-à-dire en vertu de l'art. 1053
c.c. et de la notion de faute.
Commet une faute celui qui, ayant encaissé (payé) quatre chèques de rente au
profit de celui qui les a endossés au nom du bénéficiaire des chèques, après le
décès de celui-ci, décide de remettre les chèques à la police dans le but de
convaincre l'endosseur de lui rembourser le montant des chèques. En se rendant à
la police et en faisant abstraction des explications de l'endosseur, plutôt que de
prendre une action civile, le «dénonciateur» est responsable des dommages ($300
pour humiliation plus les honoraires de son procureur) résultant de l'accusation de
fraude et du procès criminel dont a fait l'objet l'endosseur (lorsque le procès se
termine par l’acquittement) (Chapadeau c. Lajeunesse, 1976 C.P. 217).
L'agent qui procède à l'arrestation d'un individu et qui aurait pu se rendre
compte peu après l'arrestation qu’il ne pouvait offrir quelque preuve que ce soit
contre le détenu, ne peut justifier son erreur en persistant à procéder devant le
tribunal pénal et prétendre ensuite dans l'action civile en dommages intentée
contre lui qu’il appartenait au tribunal pénal seul de rejeter la plainte. Le policier
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 119

peut arrêter, sans mandat, une personne qui, d'après ce qu'il croit pour des motifs
raisonnables et probables, a commis ou est sur le point de commettre un acte
criminel. Si la plainte au pénal est rejetée «faute de preuve», il revient forcément
au policier de prouver devant le juge civil les «motifs raisonnables et probables»
qu'il avait. (Townshend c. Pépin, 1975 C.S. 423). Par ailleurs, les agents qui ne
font qu'exécuter des ordres n'engagent pas leur responsabilité. Dans cette affaire,
le tribunal a accordé S8 000 pour souffrances morales, inconvénients, atteinte à la
réputation, humiliation, détention etc... en tenant compte de tous les facteurs (ex.
délai, publicité), plus les honoraires de l'avocat dans la poursuite pénale.
Toutefois, l'accusation portée contre une personne, ou son arrestation, ne sera
source de responsabilité civile que si elle est faite témérairement c'est-à-dire sans
cause raisonnable et probable ou avec imprudence et légèreté, sans prendre les
précautions dictées par la prudence de l'homme attentif et diligent. Il n'est donc
pas nécessaire que la prétendue victime, demanderesse dans 1*action en dommages
prouve intention malicieuse, mais il lui revient de prouver absence de motif
légitime, c'est-à-dire imprudence et légèreté.
Aussi l'action en dommages pour fausse accusation ne peut réussir si les
actes posés par l'accusée» pouvaient laisser croire qu'elle entendait voler une paire
de souliers. (Fitzbach c. Steinberg’s Ltd., 1976 R.L. 345).
De même, les policiers ne commettent pas de faute lorsque le prévenu est
arrêté en vertu d'un mandat du coroner, lorsque le prévenu correspond à s'y
méprendre à la description que les témoins oculaires avaient donnée de
l'agresseur, surtout si le prévenu change sa version de ses allées et venues trois
fois et se montre agressif et évasif, (Chartier c. P . G . Q . , 1976 C.A. 126), même
s'il s'avère éventuellement que les policiers n'ont pas arrêté le bon individu.
L'obtention et l'exécution d'un mandat de perquisition sans cause raisonnable
et suffisante, dans l'opinion du tribunal, a valu a la «victime» de ce mandat, qui
n'a pas été suivi d'une plainte, la somme de $25, à titre de dommages moraux. Le
tribunal a condamné l'agent qui a obtenu ce mandat, mais a exonéré le citoyen,
victime d'un vol, qui, dans une lettre à la police, a mentionné le nom d'un
individu (chez qui la perquisition a eu lieu) comme suspect possible du vol
(Caporicci c. Ville de Montréal, 1975 C.S. 649).
Les mêmes critères s'appliquent dans le cas d'une demande de radiation du
nom d'une personne inscrite sur les listes électorales. Celui qui, n'étant pas
énumérateur, fait cette demande, sera réputé l'avoir faite sans motifs raisonnables,
et imprudemment, s’il se fonde uniquement, sans autre vérification, sur du
ouï-dire et s'il signe un affidavit à l'appui de la demande, alors qu'il n’a aucune
connaissance personnelle de faits qui justifieraient sa demande (Mancini c.
Desjardins, 1975 C.P. 55). Après avoir étudié longuement la jurisprudence sur
l'octroi des dommages moraux, le tribunal a accordé au demandeur, qui a dû faire
réinscrire son nom sur la liste, une somme de $300 pour humiliation, indignation
et démarches.
46. Diffamation.
Lorsque des propos portent atteinte à la réputation d'une personne et
120 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

l’exposent à la haine, au mépris ou au ridicule, il y a diffamation. Celle-ci peut


d’ailleurs se retrouver uniquement dans une lettre adressée par une personne à une
autre: la publicité importe peu sur l’existence de la diffamation; elle n'affectera
que le montant des dommages à octroyer. La seule bonne foi de l’auteur des
propos injurieux n'est pas une défense suffisante. Pour s'exonérer, l’auteur doit
prouver, et c'est son fardeau dès que le caractère diffamatoire de ses propos
apparaît, outre sa bonne foi, le fait que les choses devaient être dites dans 1' intérêt
public ou dans l'intérêt légitime de la personne à qui elles ont été dites. Le
défendeur doit établir la vérité ou notoriété des faits déclarés ou insinués et que
celui à qui la communication a été faite y avait intérêt tout comme l'auteur des
propos: c'est là la défense de l'immunité relative. Appliquant ces principes, le
tribunal a octroyé SI 000 à l'un des membres du mouvement des «Bérets blancs»
que le directeur du mouvement avait accusé de détruire le mouvement sous
l'influence d'éléments communistes, ces accusations ayant eu pour effet de
«couper» le demandeur des autres membres du mouvement et de l'exposer à la
haine et au mépris {Bertrand c. M ercier, 1975 C.S. 1083).
«La bonne foi ne dispense pas (l’auteur des propos) de la recherche de la
vérité et n’autorise pas les faussetés — tenues sous son couvert». L ’arène
politique et une campagne électorale ne confèrent pas une immunité particulière
aux propos diffamatoires. Les principes généraux s’appliquent. Et si la preuve
démontre que les propos tenus s'avèrent faux et ont été lancés sans aucune
vérification préalable sérieuse de leur bien-fondé, l'auteur est responsable des
dommages (Flamand c. Caouette, 1976 C.S. 1580 [en appel]). Dans cette espèce,
le tribunal a octroyé la somme de S20 500, dont $8 500 pour remboursement du
dépôt du candidat-demandeur, défait à l'élection.
Par ailleurs, celui qui, dans le cadre de procédures en liquidation d'une
compagnie, agit comme vérificateur comptable nommé par le tribunal, bénéficie
de l’immunité dont jouit pour les propos contenus dans son rapport l’officier
public recherché en dommages, en raison de l'exercice d ’une fonction publique.
Cet «officier» bénéficie d ’une présomption de bonne foi qui ne tombera que
devant la preuve expresse de malice, dont le demandeur a le fardeau (Biais c.
Lemieux, 1976 C.S. 1376 [en appel]).
Un individu impliqué dans un procès, qui s’est fait traité de «voleur»
(«touche-moi pas, je ne parle pas à un voleur») à l'occasion d'un ajournement du
procès a eu droit à $500 de dommages moraux de l'auteur de cette «parole
irréfléchie et imprudente» (Tremblay c. M arceau, 1975 C.S. 468).
«Le terme «diffamation», dans un sens large, couvre aussi l'insulte, l'injure
et non seulement l'atteinte à la réputation.» Ainsi, un professeur a eu droit à une
indemnité, jugée à $ 100, de la part du parent d ’un élève de la classe qui, avec un
langage grossier, avait tenté de ridiculiser et d'humilier le professeur devant le
groupe d'élèves (Gendron c. D ion, 1976 C.P. 225).
Enfin, soulignons que le recours en dommages pour une diffamation, publiée
dans un journal, est soumis aux dispositions de la Loi de la presse (S.R.Q. 1964
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 121

c. 48) quant à son exercice (Michel c. Grégoire, 1976 C.S. 118; Ene c. Le Soleil
Liée, 1976 C.S. 1801). Toutefois, la question de la responsabilité elle-même, pour
les propos tenus, reste soumise à l’application des critères du droit commun en
matière de faute.

47. Responsabilité des parents envers leurs enfants. Des conjoints, F un envers
Vautre. Des enfants envers leurs parents.
Ces recours en dommages d'un enfant contre ses parents ou d'un conjoint
envers l'autre, ne sont nullement interdits en vertu de l'art. 1053 c.c. Au
contraire. Toutefois, ils ne sont pas monnaie courante, pour des raisons qu'on peut
facilement apprécier.
Ceci dit, il reste que la possibilité juridique de tels recours peut avoir une
incidence dans certaines actions en dommages-intérêts (cf. nos propos à 1975
R.G.D. 237, n° 48; 1972 R.G.D. 355, n° 49: 1971 R.G.D. 294, n° 64).
Ainsi, dans une espèce, une épouse, victime d’un accident alors qu'elle était
passagère sur une motoneige conduite par son mari, tenu à 50% responsable dudit
accident, n'a eu droit qu'à la moitié de ses dommages personnels. Elle avait droit
à une condamnation solidaire, selon le tribunal, contre l’autre partie responsable
de l'accident, mais comme elle était légataire universelle de son mari, décédé dans
l'accident, il y avait confusion entre ses droits et la part de responsabilité de son
mari (Therrien c. St-Pierre, 1974 C.A. 526, conf. par (1976) 1 R.C.S. vi). C'est
évidemment reconnaître tout son effet à la responsabilité du mari à l'endroit de
son épouse.
Dans l'affaire Laverdure c. Bélanger, 1975 C.S. 612 (en appel), un insensé a
tué une jeune fille, après avoir blessé le frère de celle-ci d'un coup de poignard.
La Cour conclut à la responsabilité des parents de l'insensé pour deux tiers,
retenant un-tiers de responsabilité à la charge des parents de la victime. Il réduit
donc d'un tiers, comme il le fallait, les dommages dus aux parents de la victime,
mais il condamne les parents de l'insensé à payer au jeune homme blessé la
totalité des dommages qu'il a subis.
Il est certain que le jeune homme bénéficie de la solidarité contre les parents
de l'insensé. Mais le juge ne devait-il pas compenser jusqu'à concurrence du tiers,
soit $4 500 (13 500 3), quitte à les imputer également sur les créances du
demandeur et de la demanderesse, vu les circonstances, les condamnations
prononcées en faveur de ceux-ci? À notre avis, la chose s'imposait et il y a là un
motif suffisant pour justifier l'appel de la décision. En effet, si le décès de la jeune
fille est dû partiellement à la faute de ses parents, la même faute n’est-elle pas la
cause des dommages infligés à leur fils, une fois que l'on admet le principe, et il
est admis, que les parents ne sont pas à l'abri de l'application des principes de la
responsabilité quasi-délictuelle envers leurs enfants. Ceci dit, nous croyons
cependant que les parents de la victime n'ont pas commis une faute causale (cf.
infra, n° 53. Responsabilité des parents, sur les autres aspects de cette affaire),
contrairement à ce qu'a décidé le tribunal.
122 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

Dans un autre cas, le propriétaire d'un véhicule-automobile, endommagé


dans un accident, alors qu'il était conduit par son fils mineur, tenu responsable à
507< de l'accident, n'a eu droit contre l’autre responsable qu'à la moitié de ses
dommages, parce qu'en tant que père il était responsable de la faute de son fils
mineur. Dans cette même affaire, la mère dudit conducteur, passagère dans le
véhicule de son mari n’a eu également droit qu’à la moitié de ses dommages
contre l'autre partie responsable parce qu'elle aurait été la mandataire de son
fils-conducteur {Hébert c. Lamothe, 1974 R.C.S. 1181). Cette décision nous
laisse perplexe. À notre avis, le père était responsable de la faute de son fils plutôt
comme propriétaire que comme père. A-t-il eu au moins la chance, comme père,
de repousser la présomption? Comme propriétaire cependant, il pouvait être
appelé à rembourser à l'autre responsable la moitié des dommages: aussi il paraît
raisonnable de lui faire supporter, par le biais de la compensation, la moitié de ses
dommages, quitte à ce qu’il en réclame le paiement à son fils-conducteur. Quant à
l'épouse-passagère, elle bénéficiait en principe de la solidarité contre l'autre
responsable, mais elle ne lui devait rien à moins qu'on ne la trouve responsable,
comme mandataire ou commettant, de la faute de son fils-conducteur. Par ailleurs,
si l'autre responsable avait été condamné à payer le tout, il aurait eu une action
récursoire pour la moitié contre le mari, propriétaire du véhicule. Si on s'en était
tenu à cette dernière constatation, on aurait eu peine à justifier la condamnation
partielle seulement de l’autre responsable envers l'épouse. Après tout, l’épouse
n'est pas le mari et le mari peut être responsable des dommages subis par son
épouse: sa qualité de mari n'exclut pas cette responsabilité. Mais en considérant
l’épouse comme mandataire du conducteur on pouvait lui opposer sa propre
responsabilité contre l'autre responsable et opérer compensation. Dans la mesure
où l'épouse était mandataire du conducteur, nous acceptons la compensation, mais
à notre avis, cette décision contredit les décisions de la Cour d ’appel dans Aubin
c. R oy, 1972 C.A. 381 et Ford Motor Co. c. Lagacé, 1972 C.A. 455 (que nous
avons déjà commentées à 1973 R.G.D. 261, n° 58).

48. Faute dans la conduite d'un véhicule.


i) Le conducteur et les enfants. — L’automobiliste, comme le conducteur
d’un autobus scolaire, doit prévoir, lorsqu'il aperçoit des enfants relativement
jeunes, que ceux-ci peuvent poser des gestes inattendus ou commettre des
étourderies contre lesquels il doit se prémunir (Grégoire c. Giguère, 1975 C.A.
774; cf. aussi Bernier c. Albert Couturier Inc., 1976 C.S. 1162), et ce même si
l'enfant est légalement capable de commettre une faute et peut être tenu
partiellement responsable. Ce principe n'est pas nouveau. En fait, on peut dire que
l’automobiliste ne peut s'exonérer de la présomption envers l’accident. L’acte de
l’enfant n'est légalement imprévisible que si l'enfant était invisible avant de
commettre soudainement son étourderie.
Ainsi, le fait pour un conducteur de mettre un véhicule en mouvement sans
être allé vérifier d'abord à l'avant ou en-dessous du véhicule ne constitue pas une
faute si au moment où le véhicule a été immobilisé, il n'y avait pas d'enfant dans
les environs. La présence de l'enfant de 2 ans tout près de l'avant du camion au
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 123

moment où il a été remis en mouvement était insoupçonnée et imprévisible: dans


ces circonstances, le conducteur a repoussé la présomption (Leclair c. Lauzon,
1975 C.S. 203).
ii) Le conducteur et la défectuosité mécanique. — Le conducteur, présumé
fautif, peut s'exonérer en prouvant que l'accident est dû à une défectuosité
mécanique résultant d'un défaut d'entretien de la part du propriétaire. (Claxton c.
M auve, 1976 C.S. 970). Nous acceptons ce principe, comme semble le poser le
tribunal, de façon à ce qu'il ne s'applique que dans la mesure où le conducteur
n'avait pas pu ou ne pouvait pas se rendre compte antérieurement à l'accident des
défauts possibles affectant le véhicule qu'il a accepté de conduire.
iii) L'obstacle. Le stationnement dangereux. — Le conducteur dont le
véhicule est immobilisé et empiète sur la chaussée alors qu’aucun feu ne signale sa
présence la nuit, est en faute parce qu'il crée un obstacle dangereux et
imprévisible pour les usagers de la route (Gelmini Inc. c. Couture, 1975 C.A.
646). Et dans cette espèce, il a été tenu seul responsable.
Toutefois, celui qui frappe l'obstacle sera très souvent tenu partiellement
responsable de l'accident, même si celui-ci se produit la nuit. Cet automobiliste
devait avoir une maîtrise suffisante sur son véhicule, compte tenu de la distance à
laquelle il pouvait voir devant lui avec ses phares, pour pouvoir éviter de frapper
l'obstacle. (Courteau c. Charland, 1976 C.S. (en appel)). Ainsi l’automobiliste
qui stationne son véhicule de l'autre côté d'une butte, sur la chaussée, de telle
sorte qu'il ne peut être perçu qu'à une distance de cinquante pieds est fautif
(50%), comme l'est le motoneigiste qui n'a pu éviter de frapper l'obstacle ainsi
créé (50%) (Therrien c. St-Pierre, 1974 C.A. 526, conf. par (1976) 1 R.C.S. vi).
Constitue aussi un obstacle le fait pour un véhicule de circuler sur une route
(un tracteur), la nuit, à une vitesse beaucoup moindre que celle de la circulation
normale, sans un éclairage adéquat (Hébert c. Lamothe, 1974 R.C.S. 1181:
responsabilité de 50%: Rhéaume c. Plante, 1976 R.L. 576: responsabilité de
65%).
Ce principe du partage de la responsabilité est généralement appliqué dans
des accidents de ce genre, tel qu'en fait foi les décisions qui précèdent et la
jurisprudence qui y est citée.
iv) Le droit de passage. — Un conducteur qui bénéficie du feu vert ne peut
pas se fier aveuglément au droit que lui donne le feu. Avant de s'engager dans
l'intersection, ou en tous cas, lorsqu’il est sur le point de s'y engager, il doit
regarder à droite et à gauche pour vérifier s’il n'y aurait pas quelque conducteur
qui s'approcherait rapidement de façon à laisser croire qu'il ne respectera pas le
feu rouge qu'il a devant lui. En d'autres termes, il faut exercer son droit de
passage avec une prudence minimale. Dans l'espèce, celui qui a violé le droit de
passage a été tenu responsable à 80% (Schmitz c. La Reine, (1974) 2 C.F. 898).
Toutefois, lorsque le conducteur a regardé et qu il n'a pas constaté qu'il y
avait un danger spécial, il peut utiliser son droit de passage sans avoir à s’inquiéter
excessivement de savoir si son droit sera respecté.
124 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

«Le feu vert constitue une invitation à passer et l'automobiliste qui y fait face
a droit de prendre pour acquis que les automobilistes procédant sur la rue
transversale lui céderont le passage, à moins qu'il n ’existe une raison particulière
de croire qu'il ne le feront pas». (O'Reilly c. Bouchard, 1976 C.A. 850).
Le droit prioritaire d'un véhicule d'urgence n’est pas absolu, lui non plus: il
doit être exercé prudemment. Ainsi le conducteur d ’un fourgon à incendie qui
s'engage dans un intersection sur un feu rouge doit le faire en observant les règles
ordinaires de la prudence, même si les signaux sonores et lumineux de son
véhicule fonctionnent (Roy c. Cité de Québec, 11975 C.S. 396).
Enfin, soulignons que le terrain d'un centre d'achats constitue un chemin
public puisqu'il est destiné à la circulation publique des véhicules. En consé­
quence, on doit y circuler en «protégeant sa droite aux intersections» c'est-à-dire
en cédant le droit de passage à ceux qui arrivent à sa droite (Missisquoi & Rouville
Ins. Co. c. Couturier, 1976 R.L. 510).
v) Eblouissement. — Lorsqu'on ne voit rien devant soi, la prudence la plus
élémentaire commande de réduire sa vitesse jusqu’au point de s'arrêter, s'il le
faut: l'éblouissement ne constitue pas une raison d'exonération, sauf dans des cas
très particuliers et très limitatifs (Carrol c. Gribbon, 1975 C.S. 907).
vi) Dépassement. — Celui qui veut dépasser le véhicule qui le précède doit
s'assurer que son geste ne prendra pas le conducteur qui le précède par surprise: il
doit klaxonner pour indiquer son intention ou redoubler de prudence avant
d'entreprendre sa manoeuvre si le klaxon se serait avéré inefficace à raison du
grand bruit du moteur de sa motocyclette. En outre, constitue une faute d’effectuer
un dépassement prohibé à une intersection (Mckenzie c. Vallier e s , 1976 C.A.
858). Du reste, le fait qu'il n'existait pas de ligne double ou de signalisation
avertissant les automobilistes de la présence de l'intersection ne constitue pas la
cause de l’accident, si l’automobiliste connaissait bien les lieux.
vii) Port de la ceinture de sécurité. — Le défaut de porter une ceinture de
sécurité de la part d'une victime dans un accident d'automobiles ne peut lui être
opposé par le défendeur que si celui-ci démontre que la nature des blessures subies
est telle qu'elles auraient été évitées ou atténuées par le port de la ceinture
(Théofanis c. Sarafian, 1975 C.S. 606: Binette-Piché c. Théroux, 1976 C.S. 768;
Lafreniere c. Danis Const, 1976 C.S. 1578). Dans ces espèces, cette preuve n'a
pas été faite et il faut dire qu’à date, comme on le constate dans la grande majorité
des cas, cette preuve n'est pas faite à la satisfaction du tribunal.
viii) Manœuvre in extremis. — Un conducteur peut invoquer la manœuvre
<in extremis» ou la théorie de l’agonie de la collision pour repousser la
présomption qui pèse contre lui ou pour imputer la responsabilité de son embardée
au conducteur d’un autre véhicule lorsqu'il fait une embardée sans qu'il y ait
contact avec l'autre véhicule. Toutefois cette manœuvre, pour être telle, doit
répondre à certaines conditions que son auteur doit prouver: 1) la situation de
l'agonie de la collision ne doit pas être le résultat d'une faute de sa part, 2) il doit
y avoir faute de la part du conducteur qui a créé la situation et 3) une relation
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 125

causale entre cette faute et les mouvements «in extremis» (Miron c. Fonds, 1975
C.A. 260). Lorsque ces conditions existent, il n'y a pas lieu de reprocher à
l'auteur de la manœuvre de ne pas avoir agi avec le plus grand sang-froid. Même
si la manœuvre peut être discutable, elle demeure toujours excusable puisqu'elle
doit être jugée sous son aspect de manœuvre d'extrême urgence qui est le résultat
d'un réflexe plutôt que d'une décision qui pouvait être réfléchie (Lapointe c.
Fonds, 1975 C.S. 602; cf. aussi Lessard c. Paquin, (1975) 1 R.C.S. 665).
Il est intéressant de noter que dans l'arrêt de la Cour suprême, on y dit que la
présomption de l'art. 3 L.I.V.A .A. ne crée pas pour l'automobiliste un standard
de perfection. La conduite de l'automobiliste doit être appréciée selon la règle
d'or, soit la conduite de l'homme raisonnable dans les circonstances de temps et
de lieu révélées par la preuve. L'art. 3 ne fait que modifier le fardeau de la preuve
et la relation entre les parties lorsque la conduite de l'agent actif a été fautive. La
faute demeure toujours celle de l'art. 1053 c.c.
ix) Virage ci gauche. — Celui qui s’apprête à faire un virage à gauche doit
faire connaître son intention à l'automobiliste qui le suit, par une signalisation
appropriée en temps utile (Mckenzie c. Vallieres, 1976 C.A. 858).

49. L'application de la présomption de faute du conducteur.


La présomption de l'art. 3 L.I.V.A .A. n'a aucune utilité lorsque la preuve
faite permet clairement de déterminer où réside la faute causale d'un accident
d'automobiles. La présomption ne s’applique utilement que lorsqu'à la fin du
procès, la preuve présentée est si bien partagée que le tribunal ne peut décider de
la responsabilité sur la base de la preuve présentée (Masini c. Elliott, 1976 C.A.
713). Cette idée n'est pas nouvelle, mais elle rappelle bien le rôle de la
présomption qui pèse contre le conducteur (cf. aussi supra, 48 (viii) Manœuvre in
extremis ).
i) Le conducteur et leur passager. Présomption. Devoirs du conducteur. —
Le passager dans un véhicule-automobile bénéficie du jeu de la présomption
contre le conducteur du véhicule dans lequel il a pris place. Cette règle ne souffre
plus la discussion: elle s'applique même si le passager est un membre de la famille
du conducteur (Therrien c. St-Pierre, 1974 C.A. 526, conf. par (1976) 1 R.C.S.
vi), comme s’il était nécessaire de le dire.
Du reste, le passager bénéficie de la présomption de l'art. 3 L.I.V.A.A. à
l’encontre du conducteur, même si les deux participent à une infraction criminelle
(joy-ride) lors de l'accident, quitte à ce que le conducteur puisse opposer à la
victime une faute contributoire ou la notion de «l’aventure commune», s’il réussit
à en faire la preuve. Toutefois, l’aventure commune ou «l'acceptation des risques»
est soumise, quant à son application, à l'art. 1053 c.c. c'est-à-dire qu elle ne peut
s’appliquer, en partie ou en totalité, à rencontre de la victime que dans la mesure
où cette aventure ou cette acceptation possède les caractères d'une faute
partiellement ou exclusivement causale dans la réalisation du préjudice subi par la
victime (Jobin c. M oreau, 1975 C.A. 237).
126 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

Notons enfin l'espèce fort particulière qui suit.


Un individu s'est blessé en sautant d'un véhicule en mouvement, alors qu'il
était ivre, après avoir menacé trois fois de sauter en bas si le conducteur n'arrêtait
pas pour lui permettre de «continuer sa route à pied». Le tribunal a retenu la
responsabilité du conducteur à 50e/(, sous prétexte qu’étant sobre, celui-ci aurait
dû prendre les menaces au sérieux et prendre les moyens pour que le passager ne
puisse les mettre à exécution, tout en soulignant que le conducteur ne pouvait pas
choisir de «faire débarquer» son passager, parce qu’il risquait d ’être aussi, sinon
plus, responsable s'il arrivait quelque chose à ce dernier. {Leclerc c. Palardy,
1976 C.S. 162).
ii) Définition du véhicule-automobile. — Une motoneige constitue un
véhicule-automobile au sens de l'art. 3 L.I.V.A .A. Cette opinion n'est plus
discutable: elle est acceptée généralement par la jurisprudence et a été confirmée
récemment par la Cour suprême, semble-t-il (Therrien c. St-Pierre, 1974 C.A.
526, conf. par (1976) 1 R.C.S. vi). Une automobile dégarnie de ses ailes,
garde-boues, pare-chocs, portes, fenêtres et capot (transformée en «dune-buggy»)
demeure un véhicule-automobile, même si elle ne peut être immatriculée et même
si elle est destinée à servir en dehors de la voie publique (Laporte c. Veilleux,
1976 C.S. 1007).
Un tracteur de ferme est aussi un véhicule-automobile (Hébert c. Lamothe,
1974 R.C.S. 1181): on a aussi jugé qu’un chariot-élévateur à fourche (forklift
truck) était un véhicule-automobile, même s’il est destiné principalement à servir
dans un entrepôt pour transporter des marchandises (Rioux c. Eastern Canada
Stevedoring, 1976 C.S. 772).
En Cour provinciale, on a jugé qu’un tracteur-tondeuse était également un
véhicule-automobile (Blanchet c. L É c u y e r, 1975 C.P. 207), surtout qu'on
l’utilisait, au moment de l'accident, pour se promener dans des sentiers.
En conséquence, dans tous ces cas, le propriétaire est responsable de la faute
du conducteur, même si l'accident arrive en dehors d ’un chemin public,
conformément à l’art. 3 L.I.V.A.A.
Enfin, un train n’est pas un véhicule-automobile. En conséquence, lors d ’un
accident entre une automobile et un train, le conducteur du véhicule-automobile
est présumé responsable de l'accident. On ne saurait minimiser l'importance de
cet état de choses: le conducteur ne peut s'exonérer qu’en prouvant une faute
causale de la part des personnes en charge du train, ce qui n’est pas une mince
tâche, la plupart du temps (Leduc c. C .N .R . , 1976 C.S. 373).
50. Coexistence de la présomption. Collision entre deux véhicules.
Après qu'on eut cru, pendant un certain moment, à la suite de la décision
Morris c. Delvida, 1970 C.A. 1133, que la théorie de la coexistence des
présomptions contre les conducteurs de deux véhicules impliqués dans une même
collision devait à tort céder le pas à la théorie de la non-existence ou de la
neutralisation des présomptions, on peut constater et dire maintenant que le plus
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 127

gros bon sens a repris la première place dans cette question et que la théorie de la
coexistence s'impose maintenant en jurisprudence après avoir été défendue
vaillamment par certains de nos honorables juges de la Cour supérieure (Cf. nos
commentaires à 1976/?. du B. 568).
La Cour d'appel de notre province a maintenant accepté d'opter pour
l'application de la coexistence d'une faute présumée contre chacun des conduc­
teurs impliqués dans une collision. Cette théorie de la coexistence a été expliquée
dans son fondement et dans son application et a été acceptée dans Hémond c.
Sauvé, 1975 C.A. 232 et dans Pimparé c. Vermette, 1975 C.A. 632. Elle a aussi
été acceptée dans Choinière c. Maryland Casualty C o., 1975 C.A. 878 où la Cour
a précisé, à bon droit, que la présomption s’applique contre chaque conducteur dès
que preuve est faite que les dommages subis sont attribuables dans quelque
proportion que ce soit aux véhicules impliqués dans ladite collision. À notre avis,
il faut comprendre par là que la coexistence des présomptions s'applique dès qu'il
est établi qu’il y a eu collision, donc contact, entre deux véhicules en mouvement.
Dans un tel cas, chacun des conducteurs doit prouver que la collision n'est pas
imputable à sa propre faute; il n’a pas à prouver que la collision est due à la faute
de l’autre.
Cette explication a d'ailleurs été celle fournie par la Cour d'appel elle-même
dans une autre espèce où, infirmant le jugement de première instance dans lequel
le juge avait appliqué la théorie de la neutralisation, elle a appliqué une fois de
plus la théorie de la coexistence (Dessureault c. Vinet, 1976 C.A. 718). En outre,
dans cette affaire, les juges de la Cour d'appel ont noté que le juge de première
instance avait disposé, en vertu de la même preuve, des quatre actions résultant du
même accident en appliquant la neutralisation des présomptions aux recours des
conducteurs entre eux d ’une part, et en présumant les deux conducteurs en faute à
l'égard des passagers qui se trouvaient dans les deux véhicules.
Cette situation parlait d ’elle-même et était, à notre avis, contradictoire: entre
eux, aucun des conducteurs n'était légalement fautif mais envers les passagers, ils
étaient tous deux légalement fautifs. Une telle contradiction était forcément
inacceptable et démontrait bien, à notre avis, le caractère superficiel de la théorie
de la neutralisation.
Ajoutons que la Cour supérieure a aussi accepté la théorie de la coexistence
lorsque deux véhicules en mouvement sont entrés en collision: en conséquence
chaque conducteur devait s’exonérer (Julien c. J.E. Roy Inc., 1975 C.S. 401).
Somme toute, nous n’hésitons pas à conclure que la théorie de la coexistence
est maintenant généralement admise en jurisprudence, comme il se doit, et qu’elle
doit être appliquée dans tous les cas où la preuve ne permet pas au juge de
déterminer à qui appartient la faute dans le cas d u n e collision entre deux
véhicules en mouvement. La preuve de ces derniers faits suffit à établir que les
deux véhicules ont été la «cause matérielle» ou «la cause efficiente» des
dommages, et elle suffit donc pour que chacun des conducteurs soit présumé en
faute.
128 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1M78

Dans cette optique, on comprend facilement le jugement de la Cour suprême


dans Dumesnil c. Sheeb\\ (1976) 1 R.C.S. dans lequel on lit:
Avant de pouvoir invoquer l’art. 3 de la L .I.V .A .A ., le dem andeur doit prouver que
la cause etticiente du dommage est l'autom obile appartenant au défendeur. Tant et aussi
longtemps que cette preuve n ’a pas été apportée, cet article n ’a aucune application. Il
s'ensuit que dans tous les cas de dom m ages subis dans des circonstances semblables à
celles qui nous sont soum ises, l'article ne joue pas en faveur de la demande puisque la
preuve de la causalité efficiente exige en fait la preuve de toutes les circonstances.

L'analyse de cette décision ne nous permet pas de croire que la Cour suprême
a rejeté en bloc la théorie de la coexistence; au contraire, elle a pris bien soin de
ne pas le faire en spécifiant que dans les cas semblables au cas d'espèce il ne
pouvait y avoir application de la théorie de la coexistence. Et, sur ce point, le
jugement est forcément très à point si l'on considère que, dans l'espèce, il n'y
avait eu aucun contact entre les deux véhicules et que le «demandeur» fondait sa
demande sur le fait que le défendeur l'avait obligé à faire une manœuvre in
extremis à la suite de laquelle il s'était retrouvé dans le décor. Ce sont ces
circonstances qui obligeaient le demandeur à prouver que le défendeur avait
commis une faute.
Cette distinction a d'ailleurs bien été saisie par la Cour d ’appel qui, même en
tenant compte de l'arrêt Dumesnil, a opté pour la théorie de la coexistence dans
les arrêts précités.
La théorie de la coexistence ne s’applique donc pas lorsqu’il n'y a pas eu
collision entre les deux véhicules. Et logiquement, le passager qui se trouve dans
le véhicule qui fait l'embardée ne bénéficie pas non plus d ’une présomption à
l'égard de l’autre conducteur. 11 ne bénéficie d’une présomption qu'à l'égard de
son propre conducteur. Pour réussir contre l’autre, il devra prouver une faute de la
part de celui-ci. Cette règle est tout à fait raisonnable et pleine de gros bon sens.
Et elle ne nie aucunement l'application de la théorie de la coexistence dans les
autres cas.
La Cour d'appel elle-même a d’ailleurs eu l’occasion d’appliquer cette
nuance en décidant que le conducteur d'un véhicule ne saurait bénéficier d'une
présomption contre le conducteur d ’un véhicule qu’il n’a pas frappé. Pour que la
responsabilité de celui-ci soit retenu, il faut prouver que ledit véhicule a été, par sa
présence ou sa manœuvre, la cause de l’embardée (ex. Miron c. Fonds, 1975
C.A. 260).
À l'opposé, il est clair que la Cour supérieure, s’autorisant de l’arrêt
Dumesnil pour appliquer la théorie de la neutralisation dans le cas d'une collision
entre deux véhicules en mouvement, n'a pas du tout compris le sens dudit arrêt
dans son jugement sur l’affaire Morin c. Filice, 1976 C.S. 169. C ’est avec raison
que ce jugement a été porté en appel et, dans l'état actuel de la jurisprudence,
nous ne pouvons que croire qu'il sera infirmé au moins sur cette question de la
neutralisation des présomptions.
Ceci dit, ajoutons que les tribunaux qui appliquent la coexistence des
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 129

présomptions, ont généralement choisi de l’appliquer de telle sorte que chacun des
conducteurs doit supporter la moitié de ses propres dommages. Si le défendeur ne
fait pas de demande reconventionnelle, le demandeur n’obtiendra quand même
que la moitié de ses dommages prouvés. Si on appliquait la théorie de la
neutralisation, le demandeur, principal ou reconventionnel, perdrait son action
avec le résultat que chaque conducteur supporterait la totalité de ses propres
dommages.
Quant aux passagers, ils ont évidemment droit à la totalité de leurs
dommages contre l’un et/ou l’autre des deux conducteurs qui n’a pas réussi à
repousser complètement la présomption.
51. Application de la présomption. Collision automobile-animal.
Lors d ’un accident entre un véhicule et un animal (ex. cheval) errant sur la
route, la présomption de l'art. 1055 c.c. contre le gardien est plus lourde que celle
pesant contre le conducteur. Telle est l’opinion émise par la Cour d’appel
(Ferland c. Théberge, 1976 C.A. 278). Cet énoncé de principe nous parait
quelque peu théorique. De façon plus pratique, il faudrait peut-être plutôt se
demander quelle est la présomption qui s'applique la première. (Cf. nos
commentaires, 1973 R.G.D. 256, n° 57). Du reste, les circonstances de l’accident
permettront d ’évaluer la conduite de l’automobiliste et sa causalité dans l'accident.
S'il faut conclure que l'automobiliste n'a pas commis de faute, ou, ce qui est aussi
possible, qu'il n'a commis qu'une faute partiellement causale, le gardien de
l'animal sera tenu responsable. En d’autres termes, l'automobiliste serait mal venu
de prétendre fonder son recours sur la seule existence de la présomption de l’art.
1055 c.c. Dans cette optique, il nous semble que la présomption de l’art. 3
L.I.V.A.A. s'applique la première, encore qu’elle puisse être repoussée plus ou
moins facilement dans le cas où le conducteur a frappé un animal sur la route, la
facilité avec laquelle elle pourra être repoussée dépendant des circonstances de
temps et de lieu.
Il reste cependant qu’on a tendance à favoriser le conducteur, puisque la
route n'est pas faite pour les animaux errants qui se sont échappés de l’enclos dans
lequel ils auraient dû être gardés en sécurité. C'est, à notre avis, ce qui explique
l’attitude bienveillante de la Cour d ’appel à l'endroit d'un conducteur qui a été
tenu responsable à 339c seulement d ’avoir heurté une vache, alors qu'il aurait pu
subir une responsabilité beaucoup plus lourde, eu égard aux circonstances, si la
Cour d ’appel avait manifesté une sévérité égale à celle qu’elle aurait sans doute
manifesté si la vache avait été un piéton et pis encore un enfant! (iCavanagh c.
Bibeau, 1975 C.A. 239).
52. La responsabilité du propriétaire d'un véhicule. Moyens d'exonération: le vol
(art. 3 L.I.V.A.A.)
Le moyen d’exonération offert au propriétaire d ’un véhicule par le paragra­
phe (b) de l’art. 3 L.I.V .A .A ., fondé sur le «vol» de son véhicule, est une
exception au principe de la responsabilité du propriétaire et, à ce titre, il doit être
interprété de façon restrictive.
130 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

L'interprétation restrictive adoptée par la Cour d'appel (Martel c. Laforest,


C.A.M. 13569, 3 déc. 1973 suivie dans Letang c. Carpentier, 1975 C.A. 463 et
La Sécurité c. Hartford Fire Ins., 1975 C.A. 497 et suivie religieusement par la
Cour supérieure dans Beaudet-Charbonneau c. Mcdonald, 1976 C.S. 1779 et par
la Cour provinciale dans Lefebvre c. Coutu, 1976 R.L. 237) est à l'effet que le
mot «vol » vise «l'offense de vol définie à l'article 283 du Code Criminel et non la
prise d ’un véhicule à moteur sans le consentement du propriétaire avec l'intention
de le conduire ou de l'utiliser», c'est-à-dire qu'il vise «l'appropriation frauduleuse
et sans apparence de droit ... d'une chose quelconque ... avec l'intention ... d'en
priver ... temporairement ou absolument».
Dans l’affaire Letang, la Cour d'appel ajoute que le vol doit être établi
suivant la balance des probabilités et non pas hors de tout doute raisonnable,
puisqu'on est en matière civile.
Dans toutes les décisions précitées, il nous est donné à penser que la décision
Martel c. Laforest a tranché, de façon définitive et non équivoque, la controverse
qui, prétendument, avait été soulevée auparavant par le mot «vol» de l'art. 3 (b)
L.I.V .A .A ., à savoir s'il couvrait également la «prise d'un véhicule sans
permission».
En vertu de l'application des principes qu'elle a énoncés, la Cour a refusé
l'exonération au propriétaire dans tous les cas précités, puisque la preuve
n’établissait tout au plus, dans chacun des cas, qu'une prise de possession sans la
permission du propriétaire.
Dans l'affaire M cdonald, le conducteur-garagiste avait utilisé à des fins
personnelles le véhicule qui lui avait été confié par le propriétaire pour y faire
faire une mise au point. Devant ces faits, force nous est de constater qu'il ne s'agit
pas d ’une prise de possession sans la permission du propriétaire, mais bien plutôt
d'une utilisation non-autorisée au cours d ’une possession autorisée.
Dans l'affaire Coutu, le propriétaire avait laissé les clefs dans le véhicule et
avait demandé à son compagnon, avec qui il consommait de la boisson depuis
trois ou quatre heures, et à qui il avait refusé auparavant à quelques reprises la
permission de conduire le véhicule, d'aller chercher ses cigarettes dans le
véhicule. Le «compagnon» a profité de l’occasion pour aller faire un tour. Le juge
a considéré à bon droit qu’il n'y avait pas vol au sens de l'art. 3 (b), mais il a tenu
à ajouter que le propriétaire avait été négligent en créant cette invitation ou cette
tentation pour le compagnon.
Ce jugement est évidemment bien fondé puisqu'il n'était pas vraiment
nécessaire, ou les circonstances de l’espèce, de faire la distinction entre le vol et la
prise sans permission; même si on avait conclu à un vol au sens du Code criminel,
il n'aurait pu être exonératoire puisque c'est le propriétaire qui l'a permis, par sa
négligence.
Dans l'affaire Carpentier, la Cour d'appel conclut clairement, nous semble-
t-il, que le propriétaire n'a pas réussi à prouver que le conducteur avait volé le
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 131

véhicule. Si la «prise de possession sans permission» avait été en cause, la


solution aurait été la même: la preuve ne permettait pas raisonnablement de
conclure, selon la balance des probabilités, qu'il y avait eu prise de possession
sans permission. Dans cette optique, il est évidemment futile de se demander si le
«vol» couvre la prise sans permission ou non.
Dans l'affaire Hartford Fire Ins.* le conducteur était le fils mineur du
propriétaire du véhicule, et ledit mineur aurait pris le véhicule sans permission. Le
fait qu'il pesait, en outre, une présomption de faute contre le père, à ce titre,
facilitait évidemment grandement le rejet du moyen d’exonération tiré d'un
prétendu vol.
Enfin, dans une autre affaire, Rochon c. Gingras, 1975 C.S. 1059, le
tribunal a exonéré la propriétaire, parce que le frère de celle-ci s'était emparé du
véhicule, au moment où il était stationné au lieu de travail de sa sœur, et malgré
qu'elle lui ait absolument interdit de prendre le véhicule. Le tribunal, après avoir
opiné qu'il n'y avait aucune distinction à faire entre le vol et le «joy-ride» pour les
fins de l'art. 3 L .I.V .A .A ., a néanmoins conclu que, dans les circonstances, il y
avait vol «exonératoire», ce même dans le sens restrictif de l'art. 283 c.cr.
Tout compte fait, même si apparemment on semble vouloir faire une
distinction réelle entre un vol et une prise de véhicule sans permission, et même si
on prétend avoir tranché cette prétendue difficulté en ne retenant que le vol au
sens de l'art. 283 c.cr., nous croyons toujours que la vérité demeure simple: il y
aura vol exonératoire seulement lorsque le propriétaire prouvera que le tiers a
obtenu possession du véhicule contre son gré, dans des circonstances irrésistibles
et imprévisibles c'est-à-dire dans des circonstances qui équivalent pour le
propriétaire à un cas fortuit. Si on applique ce critère à toutes les affaires
précitées, on arrive à la même conclusion que le tribunal dans chaque cas, sans
qu'il soit nécessaire d'utiliser la distinction, artificielle à notre avis dans le cadre
de l'art. 3 (b) L.I.V .A .A ., entre le vol strict et la prise d’un véhicule sans
permission. En outre, ce critère du cas fortuit réconcilie même toutes les décisions
rendues avant l'affaire Martel c. Laforest (cf. nos commentaires précédents à 1972
R.G.D. 353, n° 48: 1973 R.G.D. 257, et ss, n° 58; 1971 R.G.D. 291, n° 62; 1975
R.G.D. 234, n° 44).
53. Responsabilité des parents (1054 c.c.)
Cf. aussi supra, n° 47. Responsabilité des parents envers leurs enfants. Des
enfants envers leurs parents.
D'aucuns ont déjà prétendu que la présomption qui pesait contre le père en
vertu de l'art. 1054 c.c. ne s’appliquait que lorsque l'enfant était «capable» de
commettre une faute, c'est-à-dire capable de discernement. Nous n'avons jamais
cru au bien-fondé de cette proposition qui nous menait à la conclusion, par
exemple, que le père n'était pas présumé responsable des dommages causés par
son enfant qui n'avait pas l'âge de raison. Or, même si cette discussion nous
semblait surtout académique dans la plupart des cas puisque la responsabilité du
père, ou du moins des parents, pouvait être recherchée assez facilement de toute
132 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

façon sous 1053 c.c., il reste que nous ne comprenions pas que le père ne soit pas
présumé responsable alors que son devoir de surveillance et de contrôle devait être
le plus intense à raison du bas âge de l’enfant. Quoiqu’il en soit, nous pouvons
maintenant compter sur une décision judiciaire, si la chose est nécessaire, pour
appuyer notre opinion à l'effet que le père est présumé responsable même si le
mineur est incapable de discernement (Laverdure c. Bélanger, 1975 C.S. 612).
Dans cette espèce, le fils mineur avait assassiné une jeune fille alors qu’il était
dans un état aigu d'aliénation. Ce jugement a été porté en appel mais nous ne
pouvons percevoir comment la Cour d ’appel pourrait infirmer l’opinion exprimée
par le juge à l’effet que le père est présumé responsable en vertu de l’art. 1054
c.c.
Le tribunal s’emploie aussi à expliquer, à bon droit, que, de toutes façons,
les parents sont présumés responsables des gestes de leur enfant mineur aliéné en
vertu du 4e alinéa de l’art. 1054 c.c., puisqu’ils en ont la garde légale.
Après avoir posé ces prémisses, le tribunal se demande ensuite si la
présomption a été repoussée. Mais auparavant, il explique les conditions de
l’exonération à l’aide de la doctrine et de la jurisprudence:
Traditionnellem ent, il est admis que les parents peuvent s'exonérer en prouvant q u'ils
ont exercé une surveillance diligente et q u 'ils ont donné à leur enfant une bonne éducation.

[...] En ce qui concerne l’éducation, elle [la preuve] est administrée sur un plan
général, l'éducation étant une œuvre se réalisant dans le temps sur une longue période. Au
contraire, la surveillance sera appréciée par rapport au fait précis qui a causé le dommage.

Encore que cela ne soit pas pertinent dans l’affaire actuelle, le tribunal aurait
pu ajouter qu’à l’occasion la preuve d ’éducation doit aussi être précise, soit dans
les cas où le dommage est causé par l'utilisation d ’un objet dont l’utilisation
négligente constitue un danger pour autrui (fusil, canot-automobile, etc.).
Quoi qu’il en soit, dans le cas actuel, le tribunal a retenu le fait qu'il y avait
déjà eu un premier attentat, l'agressivité continue du mineur contre sa victime
éventuelle et son caractère dangereux, le fait que le mineur était en liberté sous
cautionnement (il avait ainsi évité l'internement à la suite du premier attentat),
pour conclure que, bien qu'il n'ait rien à reprocher aux parents du côté éducation
(encore qu’il note qu'a pu jouer un excès de bonne éducation), il doit leur
reprocher leur défaut de surveillance, puisque le mineur n’était sous aucune
surveillance, tous les midis pour une période de trois heures. Il conclut donc qu’eu
égard à la «personnalité» du mineur, les parents n’ont pas repoussé la présomption
de faute dans la surveillance, eu égard au caractère prévisible de l’acte
d’agression.
Le tribunal poursuit cependant son jugement et décide de retenir pour un tiers
la responsabilité des parents de la victime en leur reprochant de ne pas avoir averti
les parents de l’insensé, après qu’ils eussent entendu dire par une amie de la
victime, dans les jours précédant le meurtre, que l'insensé avait rodé à une couple
de reprises autour de la demeure de la victime, violant ainsi les conditions de son
cautionnement que connaissaient les parents de la victime éventuelle.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 133

Ce jugement a été porté en appel. À notre avis, la seule question, parmi


celles qui précèdent, qui puisse être sérieusement discutée en appel est celle de la
responsabilité des parents de la victime, qui nous paraît tenir à un cheveu, pour
ainsi dire.
54. Responsabilité du fait des aliénés.
Cf. supra, n° 53. Responsabilité des parents.
Un jeune homme de 18 ans a tué la femme de ménage qui travaillait dans la
maison familiale, alors que les autres membres de la famille en étaient absents,
pendant une crise de rage due à l’absorption de mescaline. Selon la preuve faite, il
fut établi que les parents, profanes en la matière, n'avaient pu s'apercevoir que
leur fils consommait de la drogue à l’occasion; il fut aussi établi que l’adolescent
prenait «sa» drogue à l'insu de ses parents et que ceux-ci lui avaient donné une
éducation irréprochable. Le tribunal a donc conclu que les parents n’étaient pas
fautifs et que le père avait repoussé la présomption, en prenant le soin de noter
l’âge avancé du mineur et le fait qu'il soit devenu majeur par l'effet de
l'amendement à la «loi de la majorité» quelques mois après le méfait (Constant! -
neau c. Berger, 1975 C.S. 211). Dans son jugement, le tribunal précise les
contours de la présomption.
La Cour doit, pour évaluer le degré de surveillance des parents, prendre en
considération entre autres l'âge de l'adolescent, l'affaiblissem ent de l'autorité parentale
dans notre société perm issive, l'im possibilité pour les parents de contrôler les allées et
venues d'u n jeune homme de dix-huit ans dans le monde d ’aujourd'hui et l’impossibilité
pour eux de contrôler la distribution et l’usage de la drogue par les jeunes, phénomène
sociologique nouveau dans notre société.

On ne pouvait mieux le dire!


Enfin, les pères ont été exonérés par la Cour de leur responsabilité présumée
pour l'incendie d'une grange, qui avait été allumé par inadvertance par deux
enfants âgés respectivement de 5 et 6 ans. Relevant dans la preuve plusieurs
éléments positifs de bonne éducation, soulignant le fait que les enfants étaient des
enfants «ordinaires», notant que le degré de surveillance ne doit pas en être un de
tous les instants, le tribunal conclut que l'acte des enfants était imprévisible pour
le bon père de famille et cela suffisait à exonérer les pères. (Guenette c. Lapierre,
1976 C.S. 1786).
55. Responsabilité des maîtres et commettants. Généralités. Policier.
i) Généralités. — En se fondant sur la prémisse qu'un ouvrier n'engage la
responsabilité de son maître qu'en autant qu'il existe entre les deux un lien de
préposition ou de subordination, on enseigne généralement qu'un entrepreneur ne
peut engager la responsabilité de «son maître» en vertu de l'art. 1054, 7e al. c.c.
non plus qu'un sous-entrepreneur peut engager la responsabilité de l'entrepreneur
général en vertu dudit article.
Pourtant, il appert de l'ensemble des décisions de nos tribunaux que ceux-ci
trouvent plus souvent différents moyens de ne pas appliquer ce principe que de
134 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

l’appliquer. Ainsi, par exemple, on a souvent pu retenir la responsabilité du


«maître» en utilisant l ’art. 1053 c.c. sous prétexte que les circonstances révélaient
une faute de surveillance de sa part (cf. nos commentaires à 1973 R.G.D. 265, n°
61 et 1972 Æ.G.D. 356, n° 50; et la jurisprudence citée dans Duchesneau c. R o\\
1976 C.S. 387): à notre avis, les «fautes» retenues étaient substituées, dans ces
cas, aux effets qu'auraient prétendument entraîné l'absence d ’un lien de
préposition. Dans d'autres espèces par ailleurs, on a «trouvé» dans la preuve des
éléments pour conclure à l'existence d'un lien de préposition, malgré le fait qu'à
première vue un tel lien n'existait pas (Ex. Merulla c. Groulx, 1976 C.S. 1169).
Ces constatations ne sont d'ailleurs pas surprenantes si l'on retient que, d'un autre
côté, la notion du lien de préposition a été exploitée surtout pour favoriser la
rétention de la responsabilité d'un «commettant» (momentané ou occasionnel)
dans certains cas, plutôt que pour favoriser le rejet de l'action contre un
défendeur.
En somme, il nous semble qu'il serait plus juste de dire, à la lumière de la
jurisprudence, que le maître est responsable des dommages causés par son locateur
d'ouvrage, à moins que, par exception, il puisse justifier qu'il ne peut être tenu
responsable, le succès du recours à cette exception dépendant surtout de facteurs
imperceptibles.
Ceci dit, il nous paraît nécessaire d'ajouter que cette discussion relative à
l'existence d'un lien de préposition n’a aucune pertinence lorsque la victime des
dommages bénéficie d'un contrat avec le maître du locateur de services. La
solution du problème de la responsabilité doit alors normalement se trouver dans
les relations contractuelles sans qu'il soit besoin, ni même utile, de la chercher
dans l'art. 1054, 7e al. c.c.
Ainsi, par exemple, un constructeur qui, par contrat, s’engage à construire un
immeuble pour un prix déterminé. Dans l'exécution de ce contrat, il engage un
sous-entrepreneur en plomberie dont le préposé, par une négligence dans
l'exécution de son travail, met le feu à l'immeuble complété à 907c. Le juge
s'emploie longuement à expliquer que l'entrepreneur n'est pas responsable de
l'incendie en vertu de l'art. 1054, 7e al., puisque le sous-entrepreneur et son
préposé ne sont pas ses préposés. Le moins qu'on puisse dire c'est que toute cette
démonstration n'a aucune pertinence, puisque l'entrepreneur est responsable de
l'incendie envers son contractant en vertu de son contrat d'entreprise et des règles
qui lui sont applicables comme le conclut le juge dans beaucoup moins de temps
qu'il ne lui en a fallu pour rejeter la responsabilité sur la base de l'art. 1054, 7e al.
(Duchesneau c. R o\\ 1976 C.S. 387, en appel). Nous irions même jusqu'à
prétendre que dans un tel cas, il ne pourrait être question d'appliquer l'art. 1054
c.c., puisque la responsabilité de l'entrepreneur général a uniquement un
fondement contractuel.
Les commentaires qui précèdent s'appliquent aussi au jugement rendu par la
Cour provinciale dans Fidelity Ins. c. Montréal Drive Away Service Ltd., 1975
C.P. 244. Une dame communique avec «Drive Away» lui demandant d’aller
chercher son véhicule à Chicago et de le ramener à Montréal, moyennant une
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 135

rémunération qu'elle s’engage à verser. «Drive Away» confie l'exécution de ce


transport à un chauffeur d'occasion avec lequel elle conclut un contrat dans lequel
le chauffeur se reconnaît comme un «entrepreneur indépendant » pour les fins de
l'exécution du transport. Or ledit chauffeur vole le véhicule, d'où la poursuite en
dommages de la dame contre «Drive Away».
«Drive Away» se défend en se plaçant sous le couvert de l'art. 1054, 7e al.
c.c. et en plaidant 1) absence de lien de préposition et 2) le fait qu'en volant le
véhicule le chauffeur n'était pas dans l’exécution de ses fonctions.
Le tribunal a rejeté ces prétentions en considérant que vis-à-vis la demande­
resse, le chauffeur devait être considéré comme le préposé momentané de «Drive
Away», puisque le contrat entre ces derniers ne pouvait lui être opposé et en
considérant que le vol constituait un abus des fonctions et avait donc été commis
dans l'exécution des fonctions. Eu égard au fait qu’on a déjà opiné, en Cour
d'appel, que le vol ne faisait pas partie de l'exécution des fonctions d ’un préposé
(Velan-Haîîersley Valve Co. Ltd. c. Johnson, 1971 C.A. 190), point de vue que
nous ne partageons pas nécessairement, le tribunal se plaçait sur un terrain
glissant, alors qu'il n’était pas nécessaire, ni utile, ni même conforme aux
principes juridiques élémentaires de le faire. En effet, il nous semble que la
responsabilité de «Drive Away» était contractuelle. Il agissait comme transportâ­
t e s . Il était donc responsable, sauf preuve d’un cas fortuit (1675 c.c.) preuve
évidemment impossible à faire dans les circonstances, puisque le vol était le fait
de son mandataire. Le tribunal a semblé appliquer ces principes, mais il l'a fait en
interprétant l'art. 1054 c.c., solution susceptible d'entraîner la confusion sur les
conditions d'application de l'art. 1054 c.c.

ii) Policiers. — Comme commettant des agents de la Sûreté du Québec, le


procureur général est responsable des dommages résultant de la faute d’un agent
de ladite Sûreté, lorsque celui-ci «agit en vertu des dispositions du code criminel»
(Townshend c. Pépin, 1975 C.S. 423).
Une municipalité est responsable des actes de brutalité de ses policiers
lorsque ceux-ci les commettent à l’occasion d’une application, prétendue ou
réelle, d ’un règlement municipal (Courcy c. C .U .M ., 1976 C.S. 1678). Il suffit
même que la municipalité, dans son plaidoyer, tente de justifier les actes de ses
policiers, en voulant en imputer la faute à la victime, pour que sa responsabilité
apparaisse. Par ailleurs, le directeur du service de police n'est pas, pour sa part, le
commettant des policiers et sa responsabilité ne peut être engagée à ce seul titre
(Bellefeuille c. Ville de Montréal, 1975 C.S. 637). Dans cette dernière affaire, le
tribunal a octroyé $2 000 à la victime pour humiliation, en plus des dommages
résultant des blessures corporelles.
Par ailleurs, on a répété encore récemment qu’une municipalité n ’est pas
responsable des actes des policiers lorsque ces derniers agissent comme agents de
la paix, et non comme ses préposés: en l’espèce, le policier avait obtenu et
exécuté un mandat de perquisition (Caporicci c. Ville de Montréal, 1975 C.S.
649).
136 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

Sur cette question de la responsabilité du fait des policiers, cf. nos


commentaires précédents, 1971 R.G .D. 299, n° 65; 1912 R.G.D. 360, n° 50; 1973
R.G.D. 268, n° 61; 1975 R.G.D. 240, n° 51).
56. Responsabilité du fait des choses.
Avant de pouvoir invoquer la présomption de l'art. 1054 c.c., le demandeur
doit prouver que la chose, dans l'état où elle fut trouvée, a été la cause de
l'accident, sans son intervention. En d ’autres mots, celui qui veut invoquer la
présomption doit d'abord prouver que le dommage a été causé par le «fait
autonome» de la chose. Plus concrètement, celui qui se prétend compétent pour
faire un travail de réparation et qui subit un dommage en examinant et en voulant
réparer une défectuosité qu'on lui a demandée de réparer ne peut invoquer la
présomption de l'art. 1054 c.c. contre le propriétaire de la chose défectueuse
(Hamel c. Chartié, (1976) 2 R.C.S. 680, inf. 1973 C.A. 406).
La présomption de l'art. 1054 c.c. est attachée à la garde de la chose. Aussi
lorsque le tracteur auquel est attachée une remorque-citerne subit un dommage à
raison du bris d'un essieu de la remorque, le propriétaire de la remorque est
présumé responsable du dommage subi par le propriétaire du tracteur. Le
dommage résulte du fait autonome de la remorque qui, suite au bris de l'essieu, a
provoqué le renversement du tracteur (Gaspésia Rimouski Ltée c. Provost
Cartage, 1976 C.S. 977 [en appel]). Le tribunal a dû préciser que, même si le
propriétaire du tracteur avait la détention physique de la remorque, c'est le
propriétaire de celle-ci qui en avait toujours la garde juridique, au moment de
l'accident, puisque le propriétaire du tracteur n’était chargé que du transport de la
remorque et de son contenu suivant les directives et instructions du propriétaire de
celle-ci. Le tribunal aurait pu, par ailleurs, rendre justice à la notion de garde en
considérant que l’accident était dû à un vice dans la structure de la chose, et que
c'est le propriétaire, dans les circonstances, qui avait la garde de la structure, en
utilisant une distinction déjà faite en jurisprudence québécoise et française entre la
«garde de la structure» et «celle du comportement» de la chose.

On a aussi appliqué la présomption de l'art. 1054 c.c. dans le cas d'un


dommage causé à un locataire par la suie et la fumée qui se sont échappées de
fournaises, en raison de la dimension insuffisante de la cheminée:
«Les fournaises et la cheminée ne faisaient pas partie des locaux loués: le
système de chauffage... était sous la garde du propriétaire de l'immeuble... d'où
application à son égard de l’art. 1054 c.c.» (Morin c. Peoples Department Stores
Ltd., 1976 C.A. 865).
La Cour a cependant jugé que le propriétaire avait repoussé la présomption
relativement à la première fuite, parce qu’il avait pris les moyens raisonnables
pour que ses fournaises fonctionnent normalement. En effet, il en avait confié le
fonctionnement et l’entretien à des experts. Elle a jugé que le propriétaire n’avait
pas repoussé la présomption relativement à la deuxième fuite survenue trois mois
après la première, parce qu’il s'était contenté des mêmes précautions que celles
qu’il avait prises avant la première fuite.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 137

57. Responsabilité pour ruine du bâtiment.


Dans deux jugements de la Cour supérieure, portés cependant en appel, on a
jugé que l'art. 1055 c.c. relativement à la responsabilité pour la ruine d ’un
bâtiment était une disposition d ’ordre public (Bisson c. Peterqueen Realties Inc.,
1975C.S. 1245; Château Motors Ltd. c. Manning Marine Ltd., 1975 C.S. 866).
La responsabilité de l’art. 1055 c.c. s'applique à la ruine du parapet de
l'escalier d'une maison, même si cette ruine est provoquée par un geste de
protection (prise du parapet pour éviter une chute), s'il s'avère qu'à cause de son
état le parapet n’a justement pas servi à !*usage auquel il était destiné. La
responsabilité du propriétaire pour le vice de construction (faiblesse et désagréga­
tion du ciment) doit être retenue même s'il a tenté à plusieurs reprises de la faire
réparer par le constructeur: devant le défaut du constructeur, il devait faire faire le
travail par un autre entrepreneur compétent (Merulla c. Giroux, 1976 C.S. 1169).
Dans cette affaire, le tribunal a retenu, en outre, la responsabilité solidaire du
constructeur envers la victime de la ruine (1106 c.c.). Cette décision intéressante
par sa clarté et son étude minutieuse des questions litigieuses, est évidemment fort
bien fondée sous tous aspects.

58. Responsabilité du fait des animaux.


(Cf. supra, n° 51. Collision automobile-animal).
La responsabilité du locateur d’un cheval d’équitation envers le locataire,
pendant que ce dernier a la possession du cheval, ne peut être décidée sur la base
de l'art. 1055 c.c. (cf. nos commentaires à 1975 R.G.D. 242, n° 53; 1973 R.G.D.
223, n° 31). C'est donc à bon droit, à notre a.vis, que la Cour supérieure a refusé
d'appliquer l'art. 1055 c.c. dans un tel cas (Villeneuve c. Drouin, 1975 C.S. 1068
[en appel]); si on se refuse, par tradition, à traiter la question de la responsabilité
sur la base de l'existence d'une obligation de sécurité contractuelle de moyens, on
ne peut qu'appliquer les principes de l’art. 1053 c.c. c'est-à-dire que le locataire
doit prouver une faute causale de la part du locateur.

59. La causalité. Cause directe. Partage de responsabilité.


Pour qu'il y ait lieu à responsabilité, il ne suffit pas qu'il y ait commission
d'une faute, il faut aussi que cette faute ait causé des dommages.
Ce principe est bien illustré dans l'affaire Dionne c. Therrien, 1975 C.A. Un
courtier en assurance avait omis de révéler aux assureurs certains faits matériels
qui pouvaient influer sur l’appréciation du risque d ’assurance qu’un client l’avait
chargé de placer, avec le résultat que, le risque s’étant réalisé, les assureurs n'ont
pas eu à payer parce qu'ils ont obtenu l’annulation de leurs contrats d ’assurances.
Le client a poursuivi son courtier en dommages pour la perte subie à cause de la
réalisation du risque et de 1 absence d ’assurance valable. La preuve a révélé que si
le courtier avait révélé les faits matériels en question, il n'aurait pas pu, en toute
probabilité, trouver un assureur qui aurait accepté le risque. En conséquence, la
Cour d'appel a jugé, à bon droit, que la faute du courtier n’était pas la cause des
138 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

dommages subis par le client, puisque si le courtier n'avait pas commis cette
faute, le client se serait retrouvé de toute façon sans assurance.
Ce principe de la nécessité qu'une faute soit la cause des dommages pour que
son auteur soit obligé à réparation oblige aussi le juge à apprécier la causalité des
différents éléments qui ont pu se réunir pour produire un résultat dommageable.

En effet, chacun des événements ou des éléments dans la chaîne des faits qui
aboutit à la réalisation d ’un résultat peut être considéré causal. Toutefois, pour les
fins de la responsabilité, on ne veut évidemment retenir que les causes dites
directes ou immédiates. Il faut bien se rendre compte que le caractère plus ou
moins direct de la causabilité d ’un fait ou d ’un élément est une question
d'appréciation au sujet de laquelle les tribunaux exercent leur discrétion, aussi
éclairée que possible.
Dans cette optique, il est certainement intéressant de connaître empirique­
ment l'attitude des tribunaux, encore que dans les cas marginaux, la décision
rendue dans la dernière affaire n'est pas une garantie d'une appréciation identique
dans la prochaine.
Ainsi, le fait qu'un cycliste contrevienne à un règlement municipal, et
commette en conséquence une «faute statutaire» en circulant sur le trottoir, n'est
en aucune façon la cause de l'accident, si l'automobiliste qui l'a frappé en voulant
entrer sur le terrain d ’un garage a été négligent en effectuant sa manoeuvre
(Prévost c. Scantland, 1976 C.S. 1365). De la même façon, le seul fait pour le
conducteur d'une motoneige de violer la loi en circulant sur une route n'est pas
génératrice de responsabilité lorsqu'il frappe une automobile stationnée de telle
façon qu'elle constitue un danger caché: ladite violation n'est pas une cause de
l'accident s'il s'avère qu'un véhicule-automobile aurait également «frappé le
danger caché» (Therrien c. St-Pierrc, 1974 C.A. 526, conf. par (1976) 1 R.C.S.
vi).
Dans la même optique, il n'y a aucun lien entre l'absence d ’un couvercle sur
un trou d'homme, même à supposer que cette absence constituerait une faute pour
la municipalité, et le fait qu'un enfant descende dans le trou pour y jouer avec des
allumettes et de la gazoline. Il n’existe aucun lien de causalité entre l’acte
reproché à la municipalité et les brûlures subies par l’enfant. (Chartrand c. Ville
de Longueuil, 1976 C.S. 596).

Cf. aussi supra, n° 48 (vi): Dépassement et 48 (vii) Port de la ceinture de


sécurité.

Si les dommages réclamés doivent découler directement de la faute de celui


dont on les réclame, c'est dire aussi que la causalité nécessaire n'existe pas si les
dommages réclamés sont dus à l’intervention fautive d'un tiers-agent, constituant
un acte nouveau sans lequel les dommages réclamés ne se seraient pas produits.
Cet aspect du principe de la causalité a donné lieu à des applications peut-être
discutables, mais certainement intéressantes.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 139

Le premier responsable de l’origine d'un incendie, un mécanicien, a été


exonéré des dommages résultant de la destruction de l’édifice voisin, après que le
tribunal eut d'abord conclu que l'incendie ne se serait pas propagé à l'édifice
voisin si le service des incendies de la municipalité avait fait son travail suivant les
règles de l'art. La faute du service des incendies prend un aspect négatif; mais
dans la mesure où le service a commis une faute qui a permis la propagation de
l’incendie, en ne l’empêchant pas alors qu’il le pouvait et le devait, sa faute
constitue la cause directe des dommages subis par le propriétaire contigu. Cette
décision dans Gauthier Mfg Ltd c. Cité de Pont-Viau, 1976 C.S. 269, a été portée
en appel, mais nous voyons difficilement comment on pourrait trouver un vice
dans le raisonnement du tribunal au niveau de l'application de la notion de la
causalité, si, par ailleurs, on retient la conclusion à l'effet que le chef de pompiers
a commis plusieurs fautes dans l'exécution de son travail.
La remorque-citerne d'un camion-citerne capota lorsque le couvercle d'un
regard se déplaça à son passage et vint coincer les pneus arrières. L'essence coula
dans les égouts de la cité de St-Léonard et de là dans ceux de la ville de Montréal.
Les vapeurs de l'essence dans les égoûts ont éventuellement causé une explosion
dans les égoûts de la ville de Montréal et un ouvrier qui travaillait dans les égoûts
fut tué. (Cité de St-Léonard c. C .A .T. , 1975 C.A. 901 ). La Cour retint la faute du
procureur général comme cause de l'accident, mais jugea que cette faute était trop
éloignée de l'explosion pour que le procureur général soit responsable de cette
dernière. Pour que la causalité soit brisée il fallait évidemment qu'il y ait eu fautes
entre l’accident et l'explosion; or il y a eu faute du propriétaire de l'essence et de
la Cité de St-Léonard qui n'ont pas averti les autorités compétentes du danger.
D'où la conclusion que ces dernières fautes furent les seules fautes causales de
l'explosion.
La victime d'un accident d'automobile a subi une fracture du fémur.
Plusieurs mois plus tard, elle devint complètement sourde, incapacité évaluée à
309K et résultant de l'administration de fortes doses de garamycine dans le but de
guérir une infection qui s'était développée dans la jambe. Le tribunal (Trimboli c.
Dallaire, 1975 C.S. 1064 en appel) a jugé que cette deuxième incapacité n'était
pas la suite directe de l'accident et qu’il ne pouvait en tenir l’automobiliste
responsable. Cette décision implique nécessairement à notre avis, que le juge a
conclu, eu égard à la preuve faite, ou qu’il a présumé, on ne sait trop, qu’un tiers
était responsable (médecin traitant par exemple) de cette incapacité audiologique:
mais le juge ne fait aucunement allusion à ce «novus actus interveniens». Sans une
explication à l'effet que l'infection traitée n'avait aucune relation avec la fracture,
rien n'autorisait le tribunal à considérer que la surdité n'était pas le résultat direct
de l'accident. L’écoulement d ’un «long délai» entre un dommage et l'accident ne
suffit pas pour «briser» la causalité.
Si parfois on choisit l'une seule des causes possibles pour lui faire supporter
toute la responsabilité des dommages, il est, par ailleurs, bien connu que souvent
le juge retiendra deux ou plusieurs causes entre lesquelles il partagera la
responsabilité. En principe, la proportion du partage est dictée par la gravité des
fautes en présence. À notre avis, ce partage selon la gravité donne bonne
140 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

conscience au juge, dans certains cas, de retenir comme causes des fautes non
véritablement causales. Dans d ’autres cas, il donne bonne conscience au juge de
faire porter une plus grande part de responsabilité à la faute la plus lourde, même
si les fautes retenues sont également causales. Enfin, dans certains cas, la notion
de la gravité de la faute selon laquelle le partage est fait désigné la proportion de
la faute dans la causalité de l'accident. À notre avis, la seule justification d'un
partage de responsabilité est la dernière. Mais, au départ, si deux ou plusieurs
fautes doivent être retenues comme causes d'un dommage, elles doivent être
présumées également causales jusqu'à ce qu'une prépondérance de preuve
permette de déterminer une causalité inégale. Et cette prépondérance de preuve ne
doit pas tenir, contrairement à ce qui se fait trop souvent, à un sentiment arbitraire
punitif de la part du juge.

Une décision récente de la Cour d ’appel nous fournit un bon exemple d'un
partage inégal logique de responsabilité.
Suite à un diagnostic erroné de la part d'un médecin travaillant au service
d’urgence d ’un hôpital, une patiente a attendu quatre mois, malgré la persistance
des symptômes et des douleurs, avant de voir un autre médecin. Appréciant la
preuve, la Cour a jugé que le dernier mois d’attente était imputable à la négligence
de la patiente (Hôpital A -D. de l'Espérance c. Laurent, 1974 C.A. 543).

M. le juge Mayrand exprime l'opinion qu'il ne s'agit pas «d’établir la gravité


respective des fautes commises mais plutôt le lien de causalité entre la préjudice
subi et les fautes de chacune des parties. Quelle que soit la gravité de la faute du
médecin, il est responsable de tout le préjudice que sa faute a rendu inévitable;
quelque soit la gravité de la négligence [de la patiente] à ne pas consulter de
nouveau un médecin, [elle] est totalement responsable de la prolongation des
souffrances et de l'aggravation des lésions ou de l'incapacité que cette négligence
a entraînées».

Nous ne partageons pas le point de vue de la Cour à l'effet que la patiente


était en faute. Sur ce point, nous partageons l'avis du juge Dubé. Si cette faute
n'existe pas, on ne peut plus penser à un partage de causalité. Toutefois, à
supposer que la patiente ait commis une faute, nous partageons pleinement le
point de vue du juge Mayrand, tel qu’il l'exprime sur les questions du partage de
la responsabilité. Jugeant sans doute que les dommages se sont prolongés de façon
égale sur une période de quatre mois, et imputant l'attente du dernier mois à la
faute de la patiente, la Cour d’appel a imputé 25% de la responsabilité de tous les
dommages à la faute de la patiente. Et nous devons avouer qu'en matière de
causalité, c ’est l'une des premières fois qu'un partage inégal de la responsabilité
nous paraît justifié. Dans la plupart des autres cas, il nous apparaissait (ex. partage
60 et 40) que le partage ‫׳‬était purement arbitraire et non juridiquement justifié, ou
qu’il n'y aurait simplement pas dû y avoir partage, surtout dans les cas où on a
partagé 65-35, 75-25 et à plus forte raison 85-15 ou 90-10, le partage ayant servi à
retenir comme fautif un acte qui ne l'était peut-être pas ou comme cause, une
faute qui ne l’était pas.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 141

Ceci dit, notons que si le novus actus interveniens ne constitue ni une faute ni
un cas fortuit, il ne brisera pas la causalité entre le dommage et la faute.
Le demandeur, propriétaire d'un immeuble de douze étages, a subi des
dommages à la suite du bris d ’une conduite d’électricité qui alimentait son
immeuble. Miron Ltée était responsable de ce bris, qui fut réparé dans un délai de
deux heures. Toutefois, le courant n'a été rétabli, semble-t-il, qu’après un délai
beaucoup plus long en raison de la grève des employés de l'Hydro-Québec.
Pendant ce temps, le propriétaire de l’immeuble a dû louer un générateur qui
fournissait de l'électricité mais en quantité insuffisante avec le résultat qu’il en a
subi des dommages. Le tribunal a jugé que Miron était responsable des
dommages, parce que la grève à l’Hydro-Québec était légale et prévisible, d'où
causalité entre la faute et dommages (Broît c. Miron Co. Ltd, 1975 C.S. 1240 en
appel). On peut accepter facilement que l’Hydro-Québec et le syndicat ne soient
pas responsables (cf. dans ce sens Ville de Montréal c. Lamarche, 1973 C.A. 537
et Deschênes c. Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec, 1974 C.S.
244). Mais, y-a‫־‬t‫־‬il lieu de faire supporter la «responsabilité» de cette grève,
même si elle était prévisible, par le contracteur plutôt que par le propriétaire: la
grève n'est-elle pas un risque social que doit supporter le propriétaire? La faute
n ’a-t-elle pas été l'occasion des dommages seulement et non la cause, celle-ci
résidant dans la grève? N'eut été la grève, la faute de Miron n'aurait causé aucun
dommage. La position adoptée par le tribunal est défendable: elle implique qu'en
période de grève, le contracteur devait redoubler de prudence! Mais si une grève
constitue une cause d'exonération pour celui qui est chargé de l'obligation légale
d ’entretenir une route ou un trottoir (cf. décisions précitées), il paraîtrait normal
de croire qu elle constitue également une cause d’exonération pour celui dont la
faute n’aurait causé aucun dommage sans elle.

Dans cette affaire, il nous paraît certain qu'il y a eu intervention d ’un tiers,
sauf que cette intervention (omission d ’agir) ne peut être dite fautive. Est-ce
suffisant de dire qu'une grève était prévisible pour écarter la notion du cas fortuit?
Même si la grève était prévisible, ses résultats dans un tel cas l'étaient-ils pour
autant? D ’autre part, la grève n’était-elle pas un fait irrésistible pour le
demandeur? Nous le croyons et si elle était irrésistible, il importe peu qu elle ait
été prévisible!
Une automobiliste frappe un poteau de l'Hydro-Québec créant ainsi une
panne de courant chez un éleveur de poulets. Or ceux-ci sont morts de
suffocation, parce que les ventilateurs ont cessé de fonctionner. Confirmant le
jugement de la Cour supérieure, la Cour d'appel a conclu que la faute de
l'automobiliste était la cause directe de la mort des poulets, après avoir souligné
qu'il n'y avait eu aucune faute de l'Hydro-Québec qui avait fait diligence pour
réparer la panne, ni aucune faute de l'éleveur qui n'avait aucune obligation de
posséder des générateurs pour pallier à la panne de courant. Jugeant que l’absence
des générateurs ou autres palliatifs ne constituait pas l'éleveur en faute, la Cour a
conclu que le dommage résultait de l'accident puisqu'il n’y avait eu aucun «novus
actus interveniens» (Joly c. Ferme Ré-Mi Inc., 1974 C.A. 523).
142 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

On peut évidemment concilier les deux espèces qui précèdent si l'on retient
que la grève dans le premier cas et l'absence de générateurs dans le deuxième
n ’étaient pas des actes fautifs. De ce fait, il n’y aurait donc pas eu interruption du
lien de causalité entre la faute et le dommage, du point de vue juridique.
Par ailleurs, dans les deux cas, ne pouvait-on pas dire qu’une panne était
prévisible (orage, tempête)? Le fait qu’un accident la produise n’aurait été que
l'occasion des dommages que la panne a causés. Dans les deux espèces, si la
panne s'était produite à la suite d'un orage ou d'une tempête, les dommages en
résultant ne se seraient-ils pas produits? Nous avons peine à percevoir la causalité
directe entre l'accident et les dommages. Si, bien entendu, il résulte de la preuve
que le courant aurait été, en toute probalité, rétabli assez rapidement pour éviter
les dommages s’il s'était agi d'une panne due à un orage ou à une tempête, ce qui
est une hypothèse que la Cour d ’appel a peut-être envisagée dans l’affaire Joly,
encore qu’elle ne se soit pas exprimée sur la question de cette façon particulière,
la causalité entre la cause de la panne et les dommages ne fait pas de doute. Mais
sans cette preuve, cette causalité nous paraît douteuse. Évidemment, on peut
conclure qu’il y a\ait présomption de causalité, et que celle-ci n’a pas été
suffisamment repoussée par le défendeur dans les deux cas. Mais compte tenu de
la façon dont les jugements sont motivés, on acquiert l’impression que cette
position n'était même pas ouverte aux défendeurs et, pour cette raison, ces
jugements nous paraissent discutables.
Enfin soulignons la décision de la Cour supérieure dans Great Eastern Ins.
Group, c. Ville de Tracy, 1976 C.S. 253 où la notion de la causalité nous paraît
avoir été fort malmenée. Aussi il est compréhensible que ce jugement ait été porté
en appel.
L'éclatement d'une conduite d'eau appartenant à la municipalité a causé des
dommages dans un immeuble qui avait été construit en violation des règlements
municipaux, en ce que les fondations n’étaient pas imperméables parce que non
conformes auxdits règlements. Cet incident a donné lieu 1) à des actions en
dommages de la part de certains locataires contre la ville, et contre le
propriétaire-locateur qui ne connaissait pas ce vice puisqu’il avait acheté
l'immeuble plusieurs années après la construction, 2) à des actions en garantie du
propriétaire contre le constructeur, 3) et à une action en dommages du propriétaire
contre la municipalité et contre le constructeur.
Le tribunal a conclu à la responsabilité de la ville en raison du fait de sa
chose ( 1054 c.c.) et à la responsabilité du propriétaire en vertu de l’art. 1606 c.c.,
comme locateur, à l'endroit des locataires. Il a fait droit à l'action en garantie du
propriétaire contre le constructeur. Enfin, dans l’action du propriétaire, pour ses
propres dommages, il a condamné la ville mais exonéré le constructeur (sans frais
toutefois vu que son omission a rendu le dommage possible.)
Tout au long du débat, il ne fait pas de doute que si les règlements
municipaux avaient été respectés par le constructeur, l’éclatement du tuyau
n'aurait pas causé les dommages qu'il a causés. Vu cette prémisse apparemment
indiscutable, le jugement rendu nous paraît contenir des contradictions sérieuses.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 143

Premièrement, soulignons que le juge fait peu de cas de l'art. 1606: pour lui,
l'absence d'étanchéité ou la violation du règlement municipal ne constitue pas un
défaut caché et vu la causalité entre le «défaut» de l'immeuble et les dommages
subis par les locataires, le locateur est responsable. Décidément, aucun argument
ne pouvait convaincre le tribunal que le propriétaire devait bénéficier du 2e al. de
l'art. 1606 c.c. En tous cas, les motifs qui lui ont permis de retenir la
responsabilité du locateur n'ont rien à voir avec les dispositions de l'art. 1606 c.c.
Quoiqu'il en soit, admettons, en fin de compte, la conclusion à l'effet que le
locateur était responsable envers les locataires: il reste certain qu'il bénéficiait
d'une action en garantie contre son vendeur et/ou contre le constructeur, mais non
contre la ville, vu la position prise sur la question de la causalité. Aussi, après
avoir retenu la responsabilité du propriétaire, le tribunal ne pouvait que faire droit
à son recours en garantie, ce qu'il a fait. Toutefois, vu qu'il était acquis qu'il n'y
avait aucune causalité entre la «faute» de la ville et les dommages subis par les
locataires, il est difficile de comprendre pourquoi le juge a condamné la ville à
indemniser les locataires. Il retient la responsabilité de la ville pour le motif que
celle-ci ne peut opposer aux locataires l'inobservation des exigences du règlement.
Régler la question de cette façon, c'est faire peu de cas de la causalité, alors
même qu'il est acquis au débat que cette violation a causé les dommages et que
par, conséquent, Téclatement du tuyau n'a pu être que l’occasion de ceux-ci.
Abordant ensuite la réclamation personnelle du propriétaire, le tribunal juge
que la ville est responsable parce qu'elle a fait défaut à son devoir de surveiller et
de voir à ce que le règlement municipal soit appliqué lors de la construction. Voilà
une nouvelle dimension peut-être bien acceptable; mais elle ne justifie pas pour
autant, sur le plan juridique, le rejet de l'action du propriétaire contre le
constructeur. La violation est celle du constructeur et elle est, à tout le moins,
aussi causale que le défaut de surveillance de la part de la ville. À tel point que la
ville devrait, au moins, avoir une action récursoire contre le constructeur, action
qu'elle paraît avoir perdu ou ne pas avoir suivant le jugement du tribunal.
En appliquant la causalité et les autres règles juridiques, comme il se doit, le
tribunal pouvait peut-être retenir l’action des locataires contre le locateur, mais
fort difficilement contre la ville sur la seule base de 1054 c.c. Il devait cependant
faire droit à l'action du propriétaire contre le constructeur comme il avait fait droit
à ses actions en garantie contre ledit constructeur. Le bien-fondé de la
contradiction contenue dans le jugement nous échappe. En fin de compte, il nous
semble qu'au bout de la ligne, c'est le constructeur et non la ville qui était le
responsable direct de tous les dommages.
(Cf. aussi infra, n° 84. Solidarité, dernier paragraphe).
60. Notion d'autrui.
Le mot «autrui» (art. 1053 c.c.) ne signifie pas uniquement la victime
proprement dite; il comprend toute personne lésée c'est-à-dire toute personne qui a
subi directement des dommages par la faute de toute personne capable de
discerner le bien du mal, et non seulement la personne qui a été la victime
physique matérielle d ’un quasi-délit.
144 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

Il nous semble que cette règle s’impose à l’esprit depuis toujours et qu'elle a
été constamment appliquée, sans discussion, dans nombre d'espèces (ex. action en
remboursement des dépenses faites par le père d'un enfant, victime d’un accident,
et autres cas semblables).
Reste que certains cherchaient encore les contours de la définition d'autrui.
Or ces contours, comme le font voir à nouveau des décisions récentes de nos
tribunaux, tiennent aux dispositions de l'art. 1075 c.c. c ’est-à-dire au caractère
direct du dommage. Si ce lien direct peut être perçu, autrui a droit à
compensation, sinon il n’est plus autrui et il n’a droit à aucune compensation.
Ainsi dans une affaire Ellioît v. Entreprises Côte-Nord Liée (1976) C.A. 584, la
Cour d ’appel nous dit clairement que l’employeur de la victime immédiate d ’un
accident n'est pas automatiquement exclus de la possibilité de réclamer des
dommages de l'auteur de la faute, pour le préjudice lui découlant de la perte
(temporaire) de son employé. Toutefois, ce recours ne lui est pas ouvert
automatiquement, du seul fait de la privation des services de son employé. Encore
faut-il que l'employeur démontre bien l’existence des dommages et un lien de
causalité directe et nécessaire entre ces dommages et la perte de l’employé, selon
le principe de l'art. 1075 c.c.
En conséquence, s'il résulte de la preuve qu'un employé, temporairement
invalide, a été remplacé par deux employés à raison d ’un accroissement des
travaux contractés par l'entreprise, et non à raison de la perte de l'employé,
l'employeur n'a pas droit au surplus de salaire payé aux deux nouveaux employés
pendant l’absence de l’employé invalide.
Dans cette affaire, l'employeur avait déboursé $16 000 en salaires, en plus de
continuer à payer son salaire à l'invalide, soit $8 000, présumément à titre de
gratification. L’employeur réclamait donc la différence du responsable de
l'accident, soit $8 000 ($16 000 — $8 000). La Cour la lui a refusé en notant
qu'au retour au travail de la victime de l'accident, les deux «remplaçants» sont
demeurés à l'emploi de la Compagnie.
Telle que présentée, cette action a été rejetée à bon droit. Toutefois, nous
pouvons nous interroger sur la question de savoir si la compagnie aurait pu
réclamer les $8 000 payés au salarié, pendant sa période d'incapacité totale. Eu
égard au principe qui aurait permis au salarié de réclamer lui-même son salaire à
l'auteur de l'accident, parce qu’il lui aurait été versé à titre gratuit (cf. infra n° 65.
Incapacité temporaire), la réponse doit être négative. Si toutefois, pour quelque
raison, on se trouvait justifié de ne pas accorder cette réclamation au salarié
lui-même sous prétexte qu’il n’avait subi aucun préjudice, il nous faut nécessaire-
ment penser que l'employeur aurait pu récupérer cette somme à titre «d'autrui»,
même si le salaire avait dû être payé en vertu du contrat de travail: après tout,
l'employeur aurait versé cette somme sans obtenir la contre-partie à laquelle il a
droit de la part de son employé et ce, à raison de la faute d ’un tiers. Les tribunaux
acceptent évidemment cette idée, mais à la condition semble-t-il que l’employeur
bénéficie d'une subrogation ou d'une cession de créances (cf. 1975 R.G.D. 246,
n° 55, 252, n° 62; 1973 R.G.D. 280 n° 74; 1971 R.G.D. 316 n° 73). Cette réserve
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 145

a sans doute pour but d'éviter que le tiers ne soit appelé à payer deux fois. Mais
lorsqu’en vertu de l'application des principes, cette sécurité existe, la subrogation
est-elle nécessaire? Ainsi, il est maintenant établi que le salarié qui perçoit son
salaire en vertu de son contrat de travail, ne peut en réclamer le remboursement du
responsable. Pourquoi dans un tel cas, l’employeur aurait-il à produire une
subrogation ou une cession de créances pour réclamer le remboursement s'il
prouve qu'il a payé en vertu de son contrat? Le mot «autrui» ne suffit-il pas? Dans
le cas de prêt ou «gratuité», il reste cependant que l’employeur doit justifier sa
créance, car le salarié pourrait, lui aussi, réclamer le remboursement.
En conclusion, une chose nous paraît certaine: l'auteur-responsable ne doit
jamais pouvoir bénéficier des arrangements contractuels ou autres entre la victime
et son employeur. S'il ne cause pas un préjudice à l’un, il le cause sûrement à
l'autre.
Ceci dit, autrui signifie aussi la mère, pour le choc nerveux qu’elle a subi et
pour les séquelles importantes d'un tel choc, survenu lorsqu'elle a assisté à
l'accident dans lequel l'un de ses enfants a été tué et son époux et son autre enfant
ont été blessés. Le tribunal a octroyé à cette mère la somme de $1 500 (Guay c.
Parent, 1975 C.S. 392). Dans un autre cas, la mère d'un enfant qui s’est noyé a
obtenu S500 pour des troubles de santé désagréables consécutifs à la mort de son
fils (Maheux c. Lavallée, 1975 C.S. 1078).
L'époux d ’une femme qui a été blessée et qui éprouve des difficultés à avoir
des relations sexuelles avec son mari, subit de ce fait un préjudice personnel direct
du fait de l'accident et a droit à une indemnité évaluée à $1 000 pour la privation
relative de son droit à une vie sexuelle satisfaisante avec son épouse (Soumis c.
Caouette, 1975 C.S. 1057).
Le tribunal a accordé au père d’un enfant paraplégique, les sommes
nécessaires pour effectuer les transformations à sa maison pour accommoder le
paraplégique (Gagnon c. Ouellette, 1976 C.S. 789). Le tribunal a aussi accordé au
père d ’un enfant de 5 ans qui est entré dans un état neuro-végétatif (incapacité
permanente totale) la somme de $3 000 pour voyages à l’hôpital, absence
d ’ouvrage, gardienne pour le passé et autres inconvénients, plus $2 000 pour
déplacements et inconvénients à venir {Perron c. Hôpital Général de la Région de
FAmiante Inc. 1976 C.S. 1191).
De même, le mari d ’une épouse incapacitée pendant quatre ans a eu droit à
$3 200 pour les services et travaux domestiques supplémentaires qu’il a dû faire à
la place de sa femme et à $5 000 pour perte de consortium. (Hôpital N-D. de
L ’Espérance c. Laurent, 1974 C.A. 543).
Autrui comprend même le concubin. Eu égard au principe généralement
enseigné en tous lieux qu'on ne peut réclamer des dommages qu'à la condition
qu’ils résultent de la violation d'un intérêt légitime, cette affirmation peut
surprendre. Aussi, force nous est de reconnaître le caractère libéral de la décision
de la Cour supérieure dans Therrien v. Gunville (1976) C.S. 777. Dans cette
affaire, une femme a été victime d ’un accident. Son concubin ou «son épouse de
146 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

droit commun» a réclamé du responsable des dommages lui résultant de la


privation de services, de l’affection, de relations sexuelles, résultant des blessures
subies par le conjoint blessé. Que le conjoint puisse avoir droit à une telle
réclamation à titre d'autrui ne semble plus faire de doute en jurisprudence {Lister
c. McAnulty (1944) R.C.S. 317, Sebaski c. L.J. Weber Const. Co. (1972) C.S.
557; Soumis c. Caouette (1975) C.S. 1057; Overnite Express Ltd c. Beaudoin
(1971) C.A. 774). Toutefois, dans l’affaire Therrien, précitée, le «conjoint» qui
réclamait, était en fait lé «concubin» de la victime: il vivait avec la victime depuis
33 ans et, dans les faits, la victime et son «conjoint» vivaient comme mari et
femme. Le tout n’avait jamais été consacré par le mariage. Devant ces faits, le
tribunal a conclu que le demandeur était «à toutes fins pratique le conjoint [de la
victime]... et par extension [il] doit être considéré comme autrui». Cette décision
nous apparaît défendable en autant qu’il s'agit de l’application du mot «autrui». Il
faut cependant reconnaître qu’un tel demandeur (demanderesse) doit prouver dans
chaque cas son statut de «conjoint de fait» mais les exigences n ’en sont pas
différentes de celles qui ont cours dans les lois sociales, définitions auxquelles le
tribunal a fait allusion dans son jugement. Compte tenu de «l’équité» il est
difficile de ne pas approuver cette décision dans lecadre des principes de la
responsabilité civile.
Le tribunal a accordé dans cette affaire $7 538, soit $2 500 pour perte de
consortium, $3 500 pour perte de servitium, $1 000 pour aide-ménagère, $310
pour perte de salaire et $228 pour médicaments et ambulance.
Il est, par ailleurs, remarquable qu’autrui subit le même sort que les
bénéficiaires de fart. 1056 c.c.: le responsable peut opposer à autrui la part de
responsabilité de la victime proprement dit dans la réalisation de l’accident. Ainsi
dans l'affaire précédente on a réduit les dommages de moitié, en imputant 50% de
la responsabilité à la concubine blessée.
De même, la mère qui doit apporter des soins constants à son enfant, devenu
paraplégique à la suite d ’un accident, et qui, pour cette raison, ne peut plus
continuer à travailler à l’extérieur a droit d’être indemnisée pour ce préjudice.
Toutefois, la faute contributive de la victime proprement dit doit entrer en ligne de
compte pour déterminer le montant des dommages auquel la «victime par
ricochet» peut avoir droit. Selon le tribunal cette règle s'explique par le fait que
les soins spéciaux que la mère doit prodiguer à son fils résultent de son obligation
alimentaire et qu'elle ne peut donc lui en réclamer la valeur: il n'y a donc pas
solidarité entre elle et l’auteur responsable {Mckenzie c. Vallières, 1976 C.A. 858;
voir aussi N-D. de VEspérance c. Laurent, 1974 C.A. 543 — réclamation du mari
pour dommages lui résultant personnellement du fait que sa femme a été victime
d'une faute). Transposant ce principe à l'affaire des concubins, il faut donc
conclure qu'en cas d'accident, et pour les fins de la responsabilité, il y a
obligation alimentaire entre concubins!
Eu égard à la jurisprudence qui précède, il est difficile de comprendre
pourquoi le tribunal a refusé au père d'une enfant de 10 ans, affectée d'une
incapacité permanente de 80%, quelque indemnité que ce soit pour les douleurs,
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 147

l'angoisse et la tension nerveuse qu’il prétendait subir du fait de l'état de son


enfant. Le tribunal explique que ces dommages n'avaient pas fait l'objet d'une
preuve de perte pécuniaire et qu’ils constituaient du «solatium doloris» que les
tribunaux québécois refusaient d ’indemniser. Il rejette aussi les chefs d ’inconvé­
nients et de démembrement de la vie de famille, parce que trop éloignés (Merulla
c. Groulx, 1976 C.S. 1169). Malgré ces explications, le jugement nous parait fort
sévère et fort exigeant à la lumière des espèces qui précèdent (cf.aussi infra n° 66
(ii) (a) Art. 1056 c.c. Dommages résultant du décès. L a rt. 1056 et leshéritiers.
Dommages résultant de 1'accident).
61. Dommages moraux. Humiliation, atteinte à la réputation.
Cf. supra, n° 44, Aliénation d'affection. Séduction.
n° 45, Fausse arrestation. Dénonciation
n° 46, Diffamation.
n° 55, Responsabilité des maîtres et commettants. Policiers.
62. Préjudice esthétique.
Cf. infra, n° 65, Dommages pour incapacité permanente.
63. Souffrances et douleurs.
Cf. infra, n° 65, Dommages pour incapacité permanente.
64. Perte de servitium et consortium.
Cf. supra, n° 60. Notion d'autrui.
infra, n° 67. Dommages résultant du décès.
65. Dommages pour incapacité permanente, souffrances, douleurs et perte de
jouissance de la vie.
Pour douleurs et souffrances résultant de diverses contusions, qui par ailleurs
ne laissent aucune incapacité permanente, le tribunal a accordé à un homme de 42
ans, la somme de SI 000, refusant cependant, à bon droit, d'accorder quoi que ce
soit pour incapacité permanente {Guay c. Parent, 1975 C.S. 392).
Pour une cicatrice à une jambe, résultant d ’une brûlure chimique, le tribunal
a accordé SI 500, en y incluant le chef de souffrances et douleurs, soulignant qu’il
n ’y avait pas d'incapacité fonctionnelle et que la cicatrice pouvait être améliorée
beaucoup par une chirurgie plastique (Lapointe c. Périgny, 1976 C.S. 603).
Pour souffrances, douleurs et inconvénients résultant d’une brûlure au
premier degré dans le dos et à une cuisse (qui semble-t-il n'a produit aucune
incapacité permanente) dont les effets ont mis environ 1 an à disparaître
complètement, le tribunal a accordé $2 000 (Richard c. Hôtel-Dieu de Québec,
1975 C.S. 223).
Pour une incapacité d ’avoir des relations sexuelles avec satisfaction, quoique
la capacité de procréer n’ait pas été atteinte, le tribunal a accordé $8 000 à un
célibataire de 22 ans, expliquant qu’il ne s’agissait pas de porter un jugement
148 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

moral sur sa vie sexuelle, mais de l’indemniser pour un préjudice permanent,


physique et psychologique (Poulin c. Ducharme, 1974 C.A. 615).
À la suite d'un viol, le tribunal s’est contenté d'accorder $1 000 à la victime
pour atteinte à sa réputation, à son honneur et à son intégrité et $1 000
additionnels pour souffrances physiques et morales. (Pie c. Thibert, 1976 C.S.
180). Ces indemnités sont fort peu généreuses si l'on considère que le psychiatre a
souligné qu'il faudrait plusieurs mois avant que disparaissent complètement les
effets psychologiques du viol chez la victime. Le jugement nous renseigne peu sur
la preuve médicale, mais il nous semble que la «névrose post-traumatique» est
différente de «l'atteinte à la réputation» et «des souffrances physiques et morales»
résultant de l’acte même. Dans l'action, on réclamait $25 500. Le tribunal aurait
pu facilement et raisonnablement, nous semble-t-il, accorder le double des
dommages qu'il a accordés.
Pour une incapacité permanente nominale (0 à 3r/r) suite à une fracture du
crâne et une fracture du péroné, le tribunal a accordé $1 500 en ajoutant $500
pour souffrances (Gagnon c. Le m ieux, 1975 C.S. 863).
Le tribunal a accordé à une fillette de 5 ans, pour une incapacité permanente
de 2-3^ résultant d ’une fracture du crâne, la somme de $2 500 (Guax c. Parent,
1975 C.S. 392).
À un machiniste de 56 ans, la Cour a octroyé une indemnité de $2 000 pour
une incapacité de 2c/c et $500 pour souffrances, douleurs et perte de jouissance de
la vie en raison de blessures aux genoux, aux coudes et à un œil qui ont provoqué
l'incapacité totale de la victime pendant 3 1/2 mois. Dans la même affaire, la Cour
a accordé, à un postier de 25 ans, une indemnité de $3 000 pour une incapacité de
39c en y incluant les inconvénients et les souffrances et douleurs pour une cicatrice
au niveau du nez, la déformation du nez ainsi que le traumatisme crânien, suite à
une commotion cérébrale (Dessureault c. Vinet, 1976 C.A. 718).
À un homme de 47 ans, faisant des revenus de $20 000 — $25 000 par
année, le tribunal a accordé $4 000 pour les dommages résultant de coups reçus
sur tout le corps, brisure de deux dents et fracture d'un poignet, soit $2 000 pour
une incapacité permanente de 1 à 27r, et $2 000 pour douleurs, souffrances,
inconvénients, perte de jouissance de la vie et incapacité de 25^ pendant deux
mois (Bellefeuille c. Ville de M ontréal, 1975 C.S. 637).
Pour une incapacité de 3%, le tribunal a accordé $5 000, plus $1 080 pour
cicatrices et SI 000 pour douleurs, souffrances et perte de jouissance de la vie
(Nadeau c. Boivin, 1975 C.S. 631).
Pour une incapacité nominale permanente, à la suite d'un traumatisme au
thorax, la Cour d'appel a accordé $3 000 en y incluant les inconvénients et perte
de jouissance de la vie, ajoutant $500 pour souffrances et douleurs {Cavanagh c.
Bibeau, 1975 C.A. 239).
À un adolescent de 14 ans, victime d ’une fracture d'une jambe et souffrant
ainsi d'une incapacité permanente nominale résultant du fait qu'une jambe était
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 149

légèrement plus courte que l’autre et entraînait une certaine fatigue et un mal dans
le genou après une journée de travail, le tribunal a octroyé la somme de $5 300,
plus S2 000 pour souffrances et perte de jouissance de la vie et $250 pour
préjudice esthétique (Prévost c. Scantland, 1976 C.S. 1365).
Pour une incapacité de 2 à 47c résultant d’un coup de poing à la figure, le
tribunal a accordé S3 000 en y incluant le préjudice esthétique, en plus d’ajouter
$500 pour douleurs et souffrances (Bergeron c. M asson, 1976 C.S. 818).
Pour une incapacité de 2 à 4% (blessure à un pied), le tribunal a évalué les
dommages à S2 500 soulignant que, depuis son accident, la victime gagnait un
meilleur revenu, parce qu elle avait changé de travail. Le tribunal a ajouté S2 500
pour douleurs et souffrances et perte de jouissance de la vie, combinant ces deux
chefs (Rioux c. Eastern Canada Stevedoring, 1976 C.S. 772).
Pour une incapacité partielle permanente de 4% résultant de la fracture d une
jambe subie par un comédien, le tribunal a accordé la somme de $5 500 (Paris c.
La Comédie Canadienne Inc., 1975 C.S. 216).
Pour une incapacité de 4% résultant d'une grave commotion cérébrale, le
tribunal a octroyé S4 000 à un enfant de six ans, plus Si 000 pour inconvénients,
souffrances et perte de jouissance de la vie (Bouchard c. Rioux, 1976 C.S. 1782).
Pour brûlures au 3e degré aux jambes, subies par un enfant, résultant à la
suite de greffes en une incapacité permanente de 47c surtout en raison du préjudice
esthétique et de la fragilité de la peau greffée, le tribunal a accordé $5 000, plus
$1 500 pour souffrances et inconvénients (Entreprises Blanchet Ltée c. Thériault,
1974 C.A. 563).
Dans le cas d'un enfant de 11 ans qui a subi un préjudice esthétique de 57c à
raison d'une cicatrice sévère sur son bras, le tribunal a évalué l'indemnité à
$3 000, en ajoutant S2 000 pour souffrances et perte de jouissance de la vie, une
greffe cutanée ayant été nécessaire (Gauthier-Fafard c. C.S. de Granby, 1976
C.S. 985).
Le tribunal a évalué à $1 500 une incapacité permanente de 47c d'une
étudiante lui résultant de la fracture d'une jambe et il a arbitré à $750 les
dommages pour perte de la jouissance de la vie et souffrances résultant de ladite
fracture qui avait produit une incapacité temporaire de 6 mois (Godon c. Auberge
Yvan Coutu Inc., 1975 C.S. 208). Il faut constater que les dommages ont été
évalués plutôt sévèrement dans cette affaire, surtout en ce qui a trait à l’incapacité
permanente, si l'on considère les indemnités accordées dans les affaires qui
précèdent.
À une religieuse enseignante de 44 ans, le tribunal a accordé $3 500 pour
perte de jouissance de la vie, douleurs et souffrances résultant d'une fracture du
col fémoral. Il a aussi octroyé $7 500 pour une incapacité permanente de 57c
résultant de ladite fracture (Richard c. Institut Yvan Coutu Inc., 1975 C.S. 410).
Pour une incapacité permanente de 5 à 87c, le tribunal a accordé à un
150 REVUE G ÉN ÉRA LE DE DROIT 1978

militaire la somme de $8 000, plus $750 pour souffrances et douleurs (Roy c. Cité
de Québec, 1975 C.S. 396).
Pour une incapacité permanente globale de 6% résultant d ’une commotion
cérébrale et d ’une fracture à une jambe, le tribunal a évalué la compensation due à
$8 000 en plus d ’accorder $1 500 pour souffrances et douleurs (port d’un plâtre
aux deux jambes pendant neuf mois), $500 pour cicatrices et $500 pour perte de
jouissance de la vie (Leclerc c. Palardy\ 1976 C.S. 162).
À une femme de 52 ans, souffrant d’une incapacité permanente de 109f à
raison de blessures à la hanche et au coccyx, le tribunal a accordé $12 000 en y
incluant les chefs de souffrances et inconvénients (Soumis c. Caouette, 1975 C.S.
1057).
A un militaire de 19 ans, souffrant d ’une incapacité de 10%, à raison d ’une
fracture de vertèbres, le tribunal a accordé $13 500, plus $2 400 pour souffrances
et douleurs (Gingras c. Côté, 1975 C.S. 1058).
Pour une incapacité de 11 à 15%, la Cour suprême a accordé à une mère de 7
enfants, âgée de 44 ans, une indemnité de $12 000, plus $3 000 pour douleurs,
souffrances, frais médicaux éventuels, préjudice esthétique pour cicatrices au
visage (Hébert c. Lamothe, 1974 R.C.S. 1181).
À un jeune homme blessé par un coup de poignard à l’abdomen, le tribunal a
octroyé S10 000 pour incapacité partielle, et $3 000 pour les autres chefs
(Laverdure c. Bélanger, 1975 C.S. 612).
Notant que F incapacité partielle permanente affectant un jeune homme de 20
ans, commis de bureau, évaluée à 5% quant à la cuisse et 10% quant au genou de
la même jambe, ne se traduisait pas en une incapacité économique, puisque la
victime gagnait un meilleur revenu après l’accident ($8085‫־‬/semaine comparati­
vement à $65/semaine avant), la Cour a néanmoins accordé une indemnité de
$10 000, y ajoutant $5 000 pour perte de jouissance de la vie et $2 000 pour
douleurs et souffrances (Pimparé c. Vermette, 1975 C.A. 632).
Le préjudice résultant d ’une incapacité partielle de 12%, suite à la fracture
d ’un bras a été évalué à $10 000 pour un enfant de 12 ans. Le tribunal a ajouté
$1 500 pour douleurs et souffrances (trois interventions) et $3 000 pour perte de
jouissance de la vie et préjudice esthétique (Dupéré c. Corp. de la Cité des Jeunes
de VaudreuiL 1976 C.S. 1002).
Pour une incapacité permanente de 12% résultant d ’une fracture de la hanche,
suite à une incapacité totale de 57 semaines, le tribunal a accordé à un homme de
47 ans, une indemnité de $13 500, plus $15 000 pour souffrances et inconvénients
et $1 000 pour perte de jouissance de la vie {Bélanger c. Barrv Realties Inc., 1975
C.S. 1135).
A un homme de 28 ans, ouvrier de la construction, blessé aux jambes par un
coup de feu, le tribunal a accordé $18 000 pour une incapacité de 14%, y ajoutant
$1 500 pour préjudice esthétique, $4 000 pour douleurs et souffrances (l’incapa­
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 151

cité totale avait duré 13 mois) et $1 500 pour perte de jouissance de la vie
CLincourt c. C ôté, 1975 C.S. 870).
A un homme de 52 ans, atteint d'une incapacité permanente de 15%, le
tribunal a accordé S ll 000 plus $3 000 pour douleurs et souffrances, et SI 000
pour perte de jouissance de la vie (Horn c. Tabah, 1976 C.S. 988).
À un cultivateur de 60 ans, dont le revenu annuel était $4 000, la Cour a
octroyé S9 750 pour une incapacité de 15% et perte de jouissance de la vie, suite à
des fractures aux deux jambes, et $2 150 pour douleurs et souffrances (Thuot c.
Guilbert, 1975 C.A. 464).
À un homme de 26 ans, qui faisait des revenus moyens de $12 000, qui a
subi des blessures (traumatisme crânien cérébral important et diverses fractures
vertébrales) qui l'ont rendu totalement incapable pendant deux ans et demi et qui
laissent une incapacité permanente neurologique et psychiatrique d'environ 15%
au total, le tribunal a accordé $45 000, en soulignant que la victime avait de la
difficulté à se trouver et à garder un emploi après son accident. Dans cette somme,
le tribunal a aussi inclus les chefs de souffrances, douleurs et perte de la
jouissance de la vie (Audet c. Roy, 1975 C.S. 853).
À une adolescente de 14 ans, atteinte d'une incapacité permanente de 16%
pour blessure à un coude, le tribunal a évalué les dommages à $20 000 en y
incluant le préjudice esthétique, et a ajouté $4 000 pour souffrances et perte de
jouissance de la vie (Mallette c. Ville de Montréal, 1976 C.S. 1400).
À un homme de 57 ans, affecté d'une incapacité orthopédique de 20 à 30%, à
la suite d'une sérieuse fracture du fémur, le tribunal a accordé une somme globale
de S20 000 pour incapacité totale temporaire, incapacité partielle permanente,
souffrances, douleurs, inconvénients et perte de jouissance de la vie, en soulignant
que la victime, un journalier, était en chômage au moment de l’accident (Trimboli
c. Dali aire. 1975 C.S. 1064).
À un enfant de 8 ans, souffrant d ’une incapacité permanente de 16 à 24%, le
tribunal a octroyé la somme de $26 000, plus $1 500 pour souffrances et
inconvénients et S5 000 pour perte de jouissance de la vie (Miron c. Fonds, 1975
C.A. 260).

Pour la perte d'un oeil, incapacité évaluée à 25%, le tribunal a évalué les
dommages à $30 000, notant que la victime, en tant que bibliothécaire, devait lire
beaucoup et qu'il se fatiguait assez rapidement. Le tribunal a ajouté $2 000 pour
peines et souffrances, et $2 000 pour préjudice esthétique résultant du fait que la
victime portait une prothèse (!Olivier c. Brassard, 1976 C.S. 599).
Pour la perte d'un œil, le tribunal a accordé à un étudiant majeur, la somme
de $30 000 pour incapacité permanente, $1 000 pour douleurs et perte de la
jouissance de la vie et $3 000 pour préjudice esthétique (.Leblond c. Lagueux,
1975 C.S. 1074).
Le tribunal a évalué à $28 000 le préjudice relatif à une incapacité de 19 à
152 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

24% pour une perte importante de la vue dans un œil, en ajoutant $6 000 pour
perte de jouissance de la vie et $1 500 pour préjudice esthétique (Léger c. Bélisle,
1976 C.S. 1805).
A une femme de 34 ans, célibataire, technicienne en laboratoire médical qui
faisait des revenus de S 176/semaine, et qui a perdu son emploi pendant ses
périodes de convalescence, souffrant d ’une incapacité de 25%, mais déjà victime
d une malformation cardiaque et traitée par un psychiatre au moment de la
réalisation du dommage, le tribunal a accordé une indemnité globale de $30 000
(Fiset c. St-Hilaire, 1976 C.S. 994).
Pour une incapacité permanente de 28%, résultant de blessures variées
(rupture de l'intestin grêle, quatre factures diverses, une entorse, une lacération et
une commotion cérébrale) mais qui n’a pas affecté sa capacité de gain, la victime
a obtenu une indemnité de $30 000, couvrant l’incapacité et la perte de jouissance
de la vie, plus S3 000 pour douleurs et souffrances et $4 000 pour préjudice
esthétique (3 cicatrices et 2 difformités) (Lebrun c. Auger, 1975 C.S. 1236).
Pour douleurs, souffrances et inconvénients résultant de brûlures du 2e degré
sur une surface corporelle de 50% et du 3e degré sur une surface de 30-35%, et
des nombreuses opérations (greffes etc...) nécessitées par les brûlures, le tribunal
a accordé à une femme la somme de $8 000. Il lui a accordé en outre $20 000
pour préjudice esthétique, en y incluant perte de jouissance de la vie; et $25 000
(y compris service d'une bonne) pour une incapacité permanente de 25-30%
(Leblanc c. Desrochers Sports Inc., 1975 C.S. 415).
Pour une incapacité neurologique de 13% et une incapacité psychiatrique de
10-15% (agressivité-troubles de comportement), avec chances sérieuses d'épilep-
sie, le tout compromettant les chances de trouver un emploi ou de le garder,
résultant d'une fracture du crâne subie par un enfant de 4 ans, le tribunal a accordé
$40 000, y ajoutant S I5 000 pour perte de jouissance de la vie. Le tribunal a aussi
accordé S5 000 pour souffrances, douleurs et inconvients étendus sur une période
de 4 ans, plutôt que d'accorder cette somme pour incapacité totale pendant 4 ans
(Brassard c. Ville de Hauterive, 1974 C.A. 557).
À une femme de 57 ans, ménagère qui gardait des pensionnaires ($4 000 par
année), le tribunal a accordé $30 000 pour incapacité de 40-45%, en y incluant les
chefs de souffrances, perte de jouissance de la vie et préjudice esthétique
(Lafrenière c. Danis Const. Inc. 1976 C.S. 1578).

À un enfant de 5 ans, pour perte de l’usage de la main et de l'avant-bras


droit, créant une incapacité de 45-50% le tribunal a accordé $36 000, plus $2 000
pour inconvénients, $5 000 pour perte de jouissance de la vie et $4 000 pour
préjudice esthétique (Dufresne c. M oone\\ 1975 C.S. 891).
Pour une incapacité permanente neurologique et psychologique de 35 à 45%c
résultant d'une fracture du crâne très sérieuse chez un enfant de 13 mois, la Cour
d ’appel a réduit de $48 500 l’indemnité de $60 000 accordée en première
instance, en y incluant la «perte d ’avantages sociaux ». À cette indemnité, il faut
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 153

ajouter $5 000 accordés pour souffrances (Caplan c. M iron, 1975 C.A. 296).
Pour incapacité de 35# résultant du raccourcissement d'une jambe, le
tribunal a accordé $50 000 plus $5 000 pour préjudice esthétique et S10 000 pour
inconvénients et perte de jouissance de la vie (Lapoinîe c. Fonds, 1975 C.S. 602).
À un journalier de 19 ans qui gagnait $8 000 par année, souffrant d'une
incapacité de 58# à raison de la perte d'une jambe, le tribunal a accordé $60 000
plus S4 000 pour souffrances et privation des plaisirs de la vie et $8 000 pour
préjudice-esthétique {Beaudoin c. Brador Équipement Liée, 1975 C.S. 1067).
Le tribunal a évalué à $45 000 les dommages résultant de la perte de la vue
par un étudiant de 16 ans, en plus d'évaluer à $30 000 les dommages pour
inconvénients, douleurs et perte de jouissance de la vie {Dubois c. Dubois, 1975
C.S. 864).
Pour une incapacité semblable (cécité = 8570, le tribunal a accordé, à un
homme de 22 ans qui gagnait $125 par semaine, une indemnité globale de
$135 000 en y incluant tous les chefs de dommages (Rioux c. P.G. Québec, 1976
C.S. 1167 [en appel]).
Dans une autre décision portée en appel (Bernier c. Albert Couturier Inc.
1976 C.S. 1162), le tribunal a accordé une indemnité de $125 000 pour une
incapacité de 85 à 887c (perte de la vue) et 89c pour l'ablation de la rate, en
ajoutant S25 000 pour souffrances et privation des plaisirs de la vie. Eu égard à la
décision Dubois, précitée, et eu égard aux sommes accordées pour incapacité
permanente totale, il ne fait pas de doute que les indemnités accordées dans ces
deux dernières sont généreuses. Mais à tout prendre, c'est peut-être le tribunal
dans l'affaire Dubois qui s'est montré sévère.
Évaluant à 75-80# l'incapacité permanente d'une enfant de 10 ans résultant
de graves blessures à la tête et au cerveau, le tribunal a accordé une indemnité
globale de S150 000 à ladite victime, recouvrant tous les chefs de dommage, y
compris les soins futurs {Merulla c. Groulx, 1976 C.S. 1169).
Un homme de 59 ans, journalier, a subi de graves fractures aux deux jambes
et l'arrachement partiel du pouce droit. Il a fallu amputer la jambe droite et
désarticuler le genou de la jambe gauche et y installer une traction squelettique au
fémur, en plus d'amputer une partie du pouce droit. La victime faisait un revenu
de $5 400 l'année précédant son accident. Jugeant qu'à toutes fins pratiques, la
victime souffrait d'une incapacité totale permanente, la Cour a accepté l'octroi
d'une indemnité globale de $75 000 pour couvrir tous les chefs, y compris les
soins futurs {Dupont c. Ware, 1975 C.A. 255). Elle a refusé de soustraire de cette
évaluation, conformément à la jurisprudence existante, les rentes payées à la
victime en vertu du Régime des rentes et la somme de $5 000 perçue par la
victime de son propre arsureur-automobile parce que le responsable ne peut
bénéficier de la réception par la victime d'une indemnité d'assurance et parce que
la prétendue subrogation — cession faite à l'assureur sur réception de la somme
n'a pas été suffisamment prouvée.
154 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

À un enfant de 5 ans, atteint d'une incapacité permanente totale (état


végétatif) avec prévision d ’une survie maximale de 20 ans et probable de 11 ans,
le tribunal a accordé S60 000, plus $10 000 pour douleurs, souffrances et perte de
jouissance de la vie (Perron c. Hôpital Général de la Région de l'Amiante Inc.,
1976 C.S. 1191).
Pour une incapacité totale permanente affectant un enfant de 7 ans, la Cour
d ’appel a accepté l'évaluation de l’indemnité à $60 000 en sus des $10 000 pour
douleurs, souffrances et perte de jouissance de la vie, et des $5 000 pour la perte
d'intégrité physique {Grégoire c. Giguère, 1975 C.A. 774).
Le tribunal a évalué à $175 000 les dommages résultant d'une paraplégie
affectant un garçon de 15 ans (Gagnon c. Ouellette, 1976 C.S. 789).
En analysant ces décisions, le lecteur pourra tirer ses propres conclusions.
Pour notre part, nous constatons que quelle que soit l’incapacité, elle vaut, sauf
circonstances exceptionnelles, au moins $1 000 du point de pourcentage d ’incapa­
cité, lorsqu'on y inclut tous les chefs; ce calcul est presque mathématique dans le
cas d ’incapacités nominales c.-à-d. celles qui n’affectent pas l’emploi ou la
capacité économique. Quant aux incapacités plus importantes, elles valent
souvent, sauf cas exceptionnels, $1 400 à $1 500 environ du point de pourcen­
tage, en y incluant encore tous les chefs de dommages. Il s’agit là évidemment
d ’un guide pratique seulement, qui nous renseigne sur la façon dont les tribunaux
arbitrent les dommages, étant entendu que la règle admise est à l’effet que chaque
cas constitue, ou devrait-on dire peut-être, est susceptible de constituer, un cas
d ’espèce compte tenu de la présentation qui en est faite, soit en demande, soit en
défense.
66. Dommages pour incapacité temporaire.
L’indemnisation pour la perte de salaire doit être calculée sur la base du
salaire brut, en principe {Lebrun c. Auger, 1975 C.S. 1236; Nadeau c. Boivin,
1975 C.S. 631).
Toutefois, dans une autre espèce, le tribunal a calculé la perte de salaire net,
tenant compte des déductions de l’impôt sur le revenu {Rioux c. Eastern Canada
Stevedoring, 1976 C.S. 772). Ce calcul nous apparaît inadmissible si la victime
doit déclarer, dans son rapport d'impôt, les indemnités perçues pour perte de
salaire.
Par ailleurs, il y a toujours l'étemelle question de savoir si le salarié qui
reçoit son salaire de son employeur, pendant son incapacité, peut quand même en
réclamer le remboursement de l’auteur-responsable (cf. 1971 R.G.D. 316, n° 73;
1973 R.G.D. 280, n° 74; 1975 R.G .D. 246, n° 55). Les décisions qui suivent
respectent bien les principes élaborés précédemment en jurisprudence.
Ainsi, on a décidé que le paiement du salaire par l’employeur à son employé,
un militaire, pendant son incapacité totale d’une durée de 8 V2 mois ne peut
bénéficier au défendeur responsable, ce paiement constituant une pure libéralité de
l’employeur envers son employé dans le but de s’attacher les services de celui-ci
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 155

tout en s'attendant à un dévouement spécial de la part de l’employé lors de son


retour au travail (Gingras c. Côté, 1975 C.S. 1058).
Est au même effet la décision Varcœ c. W.C.B.O. 1976 C.S. 1110 (en
appel), où le tribunal a noté, en outre du caractère partiellement gratuit du
paiement du salaire que, pour partie, la victime avait dû épuiser les 114 jours de
congés-maladie qu’il avait à son crédit. Ces décisions nous paraissent tout à fait
fondées. À plus forte raison, si la victime a perçu, pendant son inaction, un
montant de salaire d’une compagnie d'assurance, cela ne peut bénéficier au
responsable. Cette assurance a été payée par la victime à même ses économies: or
le fait que la victime soit assurée n'est pas un facteur dont peut se prévaloir le
responsable de l'accident. (Théofanis c. Sarafian, 1975 C.S. 606).
La décision de la Cour d ’appel dans Thuot c. Guilbert, 1975 C.A. 464, nous
paraît toutefois contraire à ces principes et, partant, mal fondée. En l'espèce, la
victime n'avait subi aucune perte de revenus pendant sa période d'incapacité
temporaire grâce «à l'effort remarquable de ses quatre garçons qui ont rendu ce
service gratuitement». Dès lors il nous apparaît que la victime n'avait pas à
bénéficier de cet «effort remarquable». La Cour ajoute «si la victime avait payé
ses enfants, il aurait pu en réclamer le remboursement». Mais si on avait
remboursé la victime, peut-être aurait-elle payé ses enfants! À notre avis, la Cour
s’est montrée très formaliste; elle a déjà été moins scrupuleuse (cf. aussi supra, n°
59. Notion d'autrui, au sujet de la réclamation de l'employeur).
L'incapacité temporaire d'une épouse et mère peut souvent être appréciée
assez facilement. Ainsi, le tribunal a accordé à une femme qui, suite à des
brûlures, a dû employer une aide ménagère, une somme équivalente aux dépenses
encourues à raison de cet engagement, pour la durée de l'incapacité temporaire
CRichard c. Hotel-Dieu de Québec, 1975 C.S. 223; cf. aussi Leblanc c.
Desrochers Sports In c, 1975 C.S. 415, dommages pour aide supplémentaire).
Dans d'autres cas, l'évaluation est plus délicate et forcément arbitraire.
Pour une incapacité totale temporaire de six mois, pendant lesquels une
épouse et mère n'a pu faire son travail de maîtresse de maison, et pour les quinze
mois pendant lesquels elle n'a pu aider son mari dans la boutique de ce dernier, ce
qu'elle faisait sans aucune rémunération, le tribunal a accordé $1 000 à l'épouse
{Hébert c. Lamothe, 1974 R.C.S. 1181).
Les enfants, écoliers ou étudiants, peuvent aussi être compensés pour une
incapacité temporaire; l'aspect de l'indemnisation et son calcul en sont cependant
différents puisque cette incapacité ne se traduit pas en une incapacité économique.
Dans une espèce, le tribunal a refusé toute indemnisation sous le chef
d'incapacité temporaire à un enfant de 4 ans, invalide pendant quatre ans. Mais il
a indemnisé cette «incapacité» par une somme de $5 000 pour souffrances,
douleurs et inconvénients {Brassard c. Ville de Haute rive, 1974 C.A. 557).
Par ailleurs, le tribunal a accordé $5 000 à une dame de 54 ans, sous le chef
d'incapacité temporaire, même s’il n'y avait pas eu manque à gagner; l'incapacité
156 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

s'est cependant traduite par une perte d ’activités sociales et sportives (Hôpital
N.-D. de ΓEspérance c. Laurent, 1974 C.A. 543).
On indemnise la perte d'années scolaires. Notant qu’en jurisprudence, la
perte d'une année scolaire est indemnisée à raison de $800 à $1 000, la Cour
d ’appel a tenu compte de l’inflation et a réduit à $1 000 l’indemnité de $6 000 qui
avait été accordée en première instance (Dubois c. M ailloux, 1975 C.A. 471).
On a évalué, par ailleurs, le retard d'une demi-année dans la poursuite de ses
ctudes, à la somme de SI 000 (Godon c. Auberge Yvan Coutu Inc., 1975 C.S.
208).
Pour incapacité temporaire totale, le tribunal a accordé $500 à un entant de
six ans (Bouchard c. Riou.x, 1976 C.S. 1782), ce qui est surprenant, si l’on
considère que l’enfant n'a manqué que ses classes. Mais cette indemnité se justifie
certainement par les efforts que l'enfant a sans doute dû faire pour rattraper ses
compagnons, encore qu'à six ans le rattrapage de deux mois perdus semble fort
généreusement compensé.
67. Art. 1056 c.c. Dommages résultant du décès.
i) Nature du droit de l'action prévu a l'art. 1056 c.c. — La détermination de
la vraie nature du recours prévu à l'art. 1056 c.c. est capitale car, de cette
question, dépendent les réponses à bon nombre d ’autres questions relatives aux
limites et au contenu des droits d’action dans le cas d'un décès attribuable à la
faute d ’une personne.
La nature même du recours prévu à l'art. 1056 c.c. ne soulève plus de
problèmes en jurisprudence.
Il est bien établi que l’art. 1056 c.c. est une restriction aux dispositions de
l'art. 1053 c.c. (Cf. Elliott c. Entreprises Côte-Nord, 1976 C.A. 584, 587;
Hôpital N.-D. de l'Espérance c. Laurent, 1974 C.A. 543, 548) et limite aux
personnes y nommées expressément le droit de recouvrir les dommages résultant
du décès de la victime d'un accident. Et ce droit est propre et personnel aux
personnes désignées, et non un droit qui leur est accordé à titre d'héritier. Il veut
assurer principalement à des personnes désignées une indemnité pour perte de
soutien. En effet, l’art. 1056 c.c. veut assurer aux proches désignés (ce sont
d'ailleurs ceux qui bénéficient d'une obligation alimentaire légale) un substitut à
l'obligation alimentaire qu'avait et qu'exécutait la victime (Pantel c. Air Canada,
(1975), 1 R.C.S. 472).
Ces principes étant bien établis et désormais indiscutables, étudions-en les
corollaires et les conséquences qui en découlent dans l’étude d'autres questions
qui ont été posées au sujet de l'application et de l'interprétation de l'art. 1056 c.c.
ii) L'art. 1056 c.c. et les héritiers. — Il est certain que l'art. 1056 c.c. vise
les dommages résultant du décès, pour en réserver l’action aux personnes
désignées. Il résulte donc froidement de cette constatation 1) que les héritiers ne
peuvent réclamer quoi que ce soit en conséquence du décès mais 2) qu’ils peuvent
réclamer les dommages résultant de !,accident. Analysons ces deux corollaires.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 157

a) Les héritiers et les dommages résultant de ïaccident. — On admet


généralement que les héritiers peuvent réclamer les pertes matérielles résultant de
l accident. Les vêtements, et les objets perdus ou détruits dans l’accident, ainsi
que les frais d'ambulance, peuvent être réclamés. Cette conséquence est tout à fait
conforme aux principes applicables. Les héritiers d'une personne décédée héritent
des droits du défunt découlant de l’accident où il a trouvé la mort (Pantel c. Air
Canada. (1975), 1 R.C.S. 472, 478; Mack c. Air Canada, (1976), 1 R.C.S. 144;
Rioux-Simoneau c. Roy\ 1975 C.S. 1062).
La jurisprudence reconnaît, à partir de ce principe, que les héritiers peuvent
réclamer, outre les pertes purement matérielles, les dommages résultant de
souffrances, angoisse, perte de jouissance de la vie que la victime a pu endurer
entre l'accident et son décès. Ce principe a été posé, assez curieusement, dans un
arrêt où la Cour a ensuite refusé d ’accorder quoi que ce soit aux héritiers pour la
raison que la victime n’avait pas souffert de tels dommages, vu son état
d ’inconscience pendant le court délai qui s'était écoulé entre l’accident et le décès
de la victime (Driver c. Coca-Cola L td., 1961 R.C.S. 201).
Depuis que cette porte a été ouverte dans son principe, les tribunaux ont dû
s'employer à la fermer, pratiquement parlant, ou en tous cas à repousser les
prétentions de plaideurs remplis d'imagination.
Ainsi, on a décidé récemment que les héritiers ne peuvent réclamer, à ce
titre, des dommages pour les souffrances de la victime. Cette réclamation n'est
admissible que si les héritiers démontrent que les souffrances, l’angoisse et la
perte de jouissance de la vie ont été ressenties par la victime de son vivant. Cette
réclamation est donc juridiquement inadmissible lorsque le décès a été instantané;
elle est aussi inadmissible pour l’angoisse soufferte dans les instants qui ont
précédé l’accident si ces instants n’ont duré que quelques minutes, une telle
situation devant s’analyser comme un décès instantané (Mack c. Air Canada,
(1976), 1 R.C.S. 472; Rioux-Simoneau c Roy, 1975 C.S. 1062).
Ces décisions emportent évidemment notre plein accord.
En outre, nous partageons le point de vue adopté dans les décisions suivantes
qui ont refusé l’octroi de tels dommages aux héritiers. Dans une espèce, un fils ne
décéda des suites d ’un accident que treize mois après l’accident, après que l’action
eut été intentée en son nom. Sa mère, qui avait réclamé des dommages personnels
après l'accident, a repris l'instance après le décès, en sa qualité d’héritière. En
Cour supérieure, elle obtint $12 000 à titre de droits échus à la victime pour
douleurs, souffrances, inconvénients, perte de jouissance de la vie et incapacité
totale temporaire. La victime avait été dans un état de décérébration et végétatif
(coma) depuis la date de l’accident jusqu’à sa mort. Comme il se devait donc,
dans ces circonstances, la Cour d’appel n'a pas accepté tous ces dommages
(Bergeron c. Gagnon-Ellefsen, 1976 C.A. 589). En particulier, elle a rejeté
totalement toute indemnité pour souffrances, douleurs, perte de jouissance de la
vie, peine d'abrègement de la vie parce que la victime n’en avait eu aucune
perception ou conscience et que, par conséquent, elle n’avait jamais acquis un
droit à une telle réclamation qui eut pu être transmis à ses héritiers. La Cour
158 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

d'appel retranche aussi les $2 000 pour douleurs, prétextant que cette somme
représentait un solatium doloris (non indemnisable: la peine pour la mère de voir
son fils dans un état comateux), et que, de toutes façons, il ne représentait pas un
dommage précis et appréciable, si ce n’est la douleur morale intense de la mère.
(Cf. supra, n° 59, Notion d'autrui). Toutefois, le tribunal évalue à $1 200
l'indemnité pour l'incapacité totale temporaire de cet étudiant et l'octroi à
l'héritière. L’octroi de cette somme de $1 200 pour l'incapacité temporaire est
acceptable à la rigueur, à condition que la victime ne l'eût pas utilisée pour
elle-même, auquel cas on peut difficilement comprendre comment elle peut être
octroyée à l'héritier. D'autre part, si elle veut compenser la perte de soutien, elle
n'est pas différente de celle qui eut pu être accordée si on avait considéré, pour les
fins de l'indemnisation, la date du début de l'incapacité comme étant la date du
décès. Le refus de faire cette confusion a donné lieu à une décision curieuse dans
l'affaire suivante.
Une dame de 67 ans était demeurée dans un état comateux (état neuro-végé­
tatif total) à la suite d'une anesthésie, pendant 14 mois, période au terme de
laquelle elle décéda finalement. Le coma et le décès sont jugés être le résultat
d'une négligence dans l'administration de l'anesthésie.
Avant le décès, l'époux, âgé de 71 ans, avait intenté une action au montant
de $250 000, réclamant personnellement $100 000 pour perte de servitium,
consortium et dommages généraux subis à raison du coma de son épouse
(c'est-à-dire sans doute pour les dommages lui résultant personnellement de
l'incapacité totale permanente de son épouse), et réclamant $150 000 en sa qualité
de curateur à son épouse pour les dommages résultant à cette dernière de son coma
et de son incapacité. En cours d'instance, l'épouse est décédée: aussi l'époux et
ses deux enfants mariés, âgés de 37 ans et 31 ans, ont repris l'instance en leur
qualité d'héritiers, portant à leur nom la réclamation originale de $150 000 faite
au nom de l'épouse. Les mêmes personnes intentent aussi une seconde action en
vertu de l'art. 1056 c.c., réclamant les dommages résultant du décès, au montant
de $139 600. Le tribunal (Cavet c. Jewish General Hospital, 1976 C.S. 1390)
accorde $1 000 à l'époux pour perte de support et compagnonnage pendant les 14
mois de vie neuro-végétative de son épouse (Cf. supra, n°59, Notion d'autrui) se
refusant à accorder toute indemnité pour souffrance morale lui résultant de la vue
et de la connaissance de l’état comateux de son épouse. D'autre part, il rejette
toute autre réclamation de la part des héritiers, notant que la victime n'avait jamais
repris conscience et que sa situation n'était pas différente de celle qui se serait
produite si le décès était survenu au cours de l'opération. Sur cette question, le
tribunal a raison, à notre avis; il s'appuie d'ailleurs sur les notes du juge
Taschereau dans l'affaire Driver c. Coca-Cola Ltd., 1961 R.C.S. 201 et il rejette,
expressément, du même coup, la jurisprudence de common law qu’on l'invitait à
appliquer.
Il faut dire que cette décision de la Cour supérieure a été portée en appel. Et
nous le comprenons facilement. En effet, il semble bien que le jugement,
octroyant $1 000 aux ayants droit, règle les deux actions intentées. Or le résultat
du jugement consiste à accorder, en tout et partout, la somme de $1 000 à l’époux
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 159

pour ses dommages personnels pendant les 14 mois de vie neuro-végétative de son
épouse. Le juge s'est sûrement mépris sur le sens de Faction intentée en vertu de
l'art. 1056 c.c.
Il qualifie «d’arbitraire» la distinction que proposait le demandeur entre les
dommages avant et après le décès. Pourtant, plus loin, il note que la situation du
demandeur est la même que si l'épouse était décédée pendant l'opération. Aussi,
le résultat du jugement est donc d ’octroyer à l'époux seulement une somme de
$1 000 pour le décès de son épouse, et de ne rien accorder aux enfants sous ce
chef. Si tel est le sens du jugement, il n'est pas surprenant qu'il y ait eu appel: le
tribunal s'est trouvé à refuser tout dommage en raison du décès!!
Si le tribunal avait raison de ne pas retenir l'action des héritiers en leur
qualité d'héritiers, il devait cependant accorder à ces mêmes personnes les
dommages leur résultant du décès de la victime.
À tout prendre, nous constatons que malgré le principe énoncé dans l'arrêt
Driver c. Coca-Cola, il est rare en pratique que les héritiers recouvrent des
indemnités, à ce titre, pour les souffrances, perte de jouissance de la vie
prétendûment souffertes par la victime.
D'autre part, il nous paraît que le principe énoncé, dont l'application se fait
rare, est lui-même fort discutable. Premièrement, les dommages dont il est
question nous paraissent purement personnels à la victime et, comme tels,
intransmissibles. Deuxièmement, lorsque l’accident se termine par un décès, il
nous faut penser que les droits de la victime s'éteignent et qu'ils sont totalement
remplacés par ceux prévus à l'art. 1056 c.c., sauf en ce qui concerne les
dommages aux biens matériels qui étaient déjà des objets transmissibles lors de
l'accident. En effet, comme condition du recours prévu à l’art. 1056, il faut que la
victime n'ait pas reçu indemnité ou satisfaction. Nous comprenons donc qu'elle ne
doit pas avoir été indemnisée. Or en acceptant, même en principe seulement, le
recours des héritiers pour souffrances endurées par la victime pour incapacité
totale temporaire, ne permet-on pas en même temps, et à la victime d'être
indemnisée, dans la personne de ses héritiers, et aux proches d’être indemnisés en
vertu de l’art. 1056 c.c.? Nous le croyons et nous croyons que les termes mêmes
de l'art. 1056 c.c. s'opposent à cette dualité de recours!
b) Les héritiers et les dommages résultant du décès. Perte de succession
fu tu re. — Les héritiers n'ont aucune réclamation à faire valoir en raison du décès
lui-même. Ils ne peuvent donc réclamer des dommages pour abrègement de la vie
ou perte d'expectative de la vie du chef de la victime, parce qu’il s'agit forcément
de dommages causés par le décès. En fait, ces dommages constituent, à notre
avis, un jeu de mots qui ne dupe personne {Pantel c. Air Canada, (1975), 1
R.C.S. 472, 478). Les héritiers ne peuvent pas plus réclamer pour perte de
succession future. Une telle réclamation doit même être rejetée sur requête en
irrecevabilité. (Rioux-Simoneau c. R oy, 1975 C.S. 1062). En effet, si, d'une part,
on ne doit pas tenir compte des revenus personnels de la veuve, acquis avant le
décès de son époux, non plus que de la part successorale de la succession dévolue
à la veuve et aux enfants ou des droits leur résultant du décès grâce à des régimes
160 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

sociaux ou à la prévoyance de la victime, on ne peut, d’autre part, autoriser


l'indemnisation de la perte de succession future qui n'est pas autre chose que la
perte d'expectative de vie ou l'abrègement de la vie. Si l'on ne tient pas compte
de l'héritage dans l'évaluation de la perte, pour la réduire, il n’y a pas lieu de tenir
compte de l’héritage éventuel perdu pour augmenter l’évaluation de la perte.
Après avoir donné ces explications, la Cour suprême (Panîel c. Air Canada,
précitée) reproche à la Cour d’appel d ’avoir tenu compte du revenu de la
succession dans l'évaluation de la perte, pour les enfants, de leur père très riche.
Aussi, la Cour suprême a accordé respectivement aux trois filles mineures les
sommes nécessaires pour produire une rente de $1 500 par année, à compter de
l’accident jusqu'à leur 25e anniversaire. Tout compte fait, la Cour suprême a
accordé respectivement aux trois enfants, pour la perte de leur père, les sommes
de $22 215, $12 670 et $18 070, alors que la Cour d'appel avait accordé dans le
même ordre SI 1 738, $7 090 et $9 690 et la Cour Supérieure $26 632, $21 983 et
$24 483. Pour la perte de leur mère, la Cour suprême, confirmant la Cour
d'appel, a accordé aux trois filles des sommes de $11 270, $7 570 et $9 000
(Pantel c. Air Canada, (1975), 1 R.C.S. 472; 1972 C.A. 25).
iii) L'art. 1056 c.c. et les personnes ayant droit aux dommages. Ex­
conjoints. Beaux-enfants. — Traditionnellement, on a interprété très restrictive-
ment les dispositions de l’art. 1056 c.c., du moins quant aux personnes ayant droit
à un recours et à des dommages à titre personnel. Ainsi dans l'arrêt Town o f
Montréal West c. Hough, 1931 R.C.S. 113, on avait refusé le bénéfice de l'action
à un enfant naturel pour la perte de son père naturel. Aussi, bien qu’ayant tardé à
le faire, le législateur est intervenu en 1970 pour étendre le bénéfice du recours
aux parents naturels (1056 c.c.).

Une autre question se pose maintenant: le conjoint qui a droit à une pension
alimentaire en vertu d'un jugement de divorce a-t-il droit au bénéfice de l'action
prévue à l'art. 1056 c.c.?

Dans deux jugements rendus par des juges différents, mais portant sur la
même affaire, la Cour supérieure a jugé implicitement que la réponse était
négative (Marier c. Air-Canada, 1971 C.S. 142); Marier c. Air-Canada, 1976
C.S. 847 (ce dernier jugement a été porté en appel), puisqu’elle a cru devoir
utiliser le subterfuge de la coloration contractuelle de la responsabilité pour éviter
d’appliquer l'art. 1056 c.c., c ’est-à-dire pour éviter de conclure que l'ex-conjoint,
divorcé au moment du décès du débiteur de la pension alimentaire, n’avait pas
droit à des dommages dans le cas du décès du débiteur de la pension.
Dans l'affaire M arier, dont nous avions commenté le premier jugement
(1971) 31 R. du B. 453, 1971 R.G.D. 322 n° 77, 1915 R.G .D. 257, n° 63 (vi))
rejetant la requête en irrecevabilité de la défenderesse qui prétendait que
l'ex-épouse du défunt (remarié à une autre femme lors de son décès) n'avait
aucune réclamation à faire valoir même si cette ex-épouse avait droit à une
pension alimentaire de $ 150/semaine de la part de son ex-mari, la défenderesse a
présenté une nouvelle requête en irrecevabilité.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 161

Lors de sa première tentative, la défenderesse s'était fait dire que les limites
contenues à l’art. 1056 c.c. quant aux personnes ayant droit de recours dans le cas
du décès de la victime d ’un accident ne s’appliquant pas lorsque le décès résultait
de la violation d ’une obligation contractuelle de la part de celui qui est responsable
du décès. Même si nous avions ressenti quelque sympathie pour la décision du
tribunal (Cf. 1971 R. du B. 453), il restait et il reste encore, à notre avis, que la
distinction employée pour motiver le recours de l ex-conjoint est absolument sans
fondement dans notre droit.
. Quoi qu’il en soit, dans sa deuxième requête présentée cette fois devant
l’honorable juge B. de L. Bourgeois, (1976 C.S. 847), et après avoir mis en
cause, dans l’action en dommages, des membres de la famille de la victime du
désastre aérien, la défenderesse plaide, en plus de ce qu’elle avait déjà plaidé
(c.-à.-d. exclusion de la demanderesse du recours en dommages résultant du
décès, à cause des dispositions de l’art. 1056 c.c.) que la victime faisait un voyage
international et était soumise à la Loi sur le transport aérien (loi fédérale) qui 1)
limite la responsabilité du transporteur à $58 000 et 2) n ’accorde un recours
qu’aux «seuls membres de la famille du voyageur».
Pas plus chanceuse qu'à la première occasion, la défenderesse a vu sa
deuxième requête rejetée. Elle a cependant porté le jugement en appel et on ne
peut que lui souhaiter d’obtenir au moins un jugement qui daigne analyser la
question dans une perspective plus réaliste.
Dans le jugement dont est fait appel, il est difficile de bien saisir le fil
conducteur du raisonnement du juge.
D'une part, il ne semble pas faire de doute que le tribunal accepte que les
limites de l’article 1056 c.c. ne s’appliquent pas, pour le motif que le décès serait
le résultat de la violation d'une obligation contractuelle de sécurité et non d ’un
quasi-délit. Outre le fait que cette proposition nous semble inacceptable, elle a été
faite sans compter sur les arguments additionnels que la défenderesse pouvait en
tirer, en invoquant, comme elle l’a fait dans sa deuxième requête, les dispositions
de la Loi du transport aérien. Toutefois, de son côté, la demanderesse prétend que
ces dispositions ne lui sont pas opposables.
Le raisonnement du tribunal n’est pas facile à suivre, mais ses résultats sont
clairs.
Premièrement, le tribunal est obligé d ’accepter l’idée qu’entre la demande­
resse et le transporteur, il n’existe aucun lien contractuel. Si un tel lien existe, il
entrevoit la possibilité de devoir appliquer la Loi sur le transport aérien qui limite
la possibilité de recours à l’instar de l’art. 1056 c.c., «aux membres de la famille
du voyageur» et qui limite la responsabilité à $58 000 pour le décès du voyageur.
Aussi le dilemme est de taille: si on admet le caractère contractuel de la
responsabilité, pour éviter les limites de l’art. 1056 c.c., on est pris par la Loi du
transport aérien; si, en premier lieu, on n’avait jamais parlé de la responsabilité
contractuelle du transporteur, on aurait été pris par l’art. 1056 c.c. Mais pour le
tribunal, le dilemme a une solution: La responsabilité était contractuelle et l’art.
162 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

1056 c.c. ne s'applique pas. La Loi du transport aérien ne s’applique pas


puisqu’elle ne peut être substituée qu’aux dispositions de l’art. 1056 c.c.: or elle
ne s’applique pas à la demanderesse puisque celle-ci n'est pas visée par l’art. 1056
c.c. Du reste, le recours de la demanderesse est fondé sur l’art. 1053 c.c.
Il reste qu'en substance, ce raisonnement du tribunal nous paraît nier le
caractère limitatif de l'art. 1056 c.c. En suivant un tel raisonnement, on pourrait
accorder un recours aux collatéraux du défunt. En effet, puisque ceux-ci ne sont
pas prévus à l'art. 1056 c.c., ils auraient donc le recours de 1053 c.c.! Nous ne
pouvons accepter ce raisonnement qui fait dire à l’art. 1056 c.c. le contraire de ce
qu’il dit pourtant clairement, tel qu'il a été compris jusqu’ici par nos tribunaux.
La conclusion du tribunal est extraordinaire: «les parties qui sont exclues des
dispositions de la Loi sur le transport aérien peuvent encore «s’accrocher aux art.
1024, 1053 et 1065 c.c. pour recouvrer les dommages qui leur sont causés par
suite de l'inaccomplissement des obligations contractuelles du transporteur aérien:
c ’est notre cas».
Nous admettons qu'un tiers peut dans certaines circonstances se prévaloir de
la violation d'un contrat comme un fait qui puisse justifier un recours délictuel ou
quasi-délictuel en dommages. Mais dans le cas d’un décès, ce recours est
réglementé par l'art. 1056 c.c. et par la Loi sur le transport aérien, comme
exception à l’art. 1053 c.c.: c ’est l'art. 1056 c.c. qui est une exception à l’art.
1053 c.c. et non l'art. 1053 c.c. qui est une exception à l’art. 1056 c.c. Aussi
nous ne pouvons accepter la conclusion du tribunal: les personnes prévues à l'art.
1056 c.c. sont limitées dans leur recours en vertu de la Loi sur le transport aérien,
mais les personnes qui n’ont pas la mauvaise fortune d ’être désignées dans l'art.
1056 c.c., ont un recours sans limites, puisqu’elles échappent à la Loi du
transport aérien, en échappant à l’art. 1056 c.c.!
Il est grand temps qu'on attaque directement cette question des bénéficiaires
de l’art. 1056 c.c.
À notre avis, la solution du problème de la demanderesse, en tant que femme
divorcée ayant droit à une pension alimentaire, est simple. La solution se trouve
dans la nature et dans les principes applicables à l'obligation alimentaire décrétée
dans un jugement de divorce, eu égard au fondement et à l'interprétation à donner
à l'art. 1056 c.c.
Pour les fins du recours prévu à l'art. 1056 c.c., il nous paraît certain que le
décès du débiteur ne met pas fin au droit alimentaire du créancier. Au contraire,
l'action de l'art. 1056 c.c. veut pallier au décès du débiteur d'une obligation
alimentaire. Ainsi, par exemple, l'épouse séparée légalement de son mari, et qui
perçoit une pension alimentaire, peut exercer son droit d'action contre le
responsable du décès et ainsi obtenir la capitalisation de sa pension alimentaire
selon les principes applicables en matière d'évaluation de dommages.
Dans cette optique, la femme divorcée aurait également droit au recours,
mais sous prétexte qu'elle n'est pas une «épouse», doit-on torturer les textes pour
lui reconnaître un droit de recours. Cet exercice nous paraît absolument inutile. A
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 163

la lumière de la constatation que les personnes désignées à l'art. 1056 c.c. sont
celles qui bénéficient d'une créance alimentaire en vertu de la loi et de la
constatation que des ex-conjoints ont droit à des pensions alimentaires en vertu de
la loi, et en autant que celles-ci correspondent à un besoin alimentaire, on n’a plus
qu'à comprendre le mot «conjoint» comme incluant «l'ex-conjoint ». Ce faisant,
on adapte l'art. 1056 c.c. à l'évolution juridique en matière de législation
familiale, sans nier et jeter par-dessus bord les principes juridiques les plus
élémentaires.
Si une interprétation aussi simple et directe ne peut être admise, nous
soumettons que «l'ex-conjoint» n'a aucun droit. Ainsi, si l’on accepte le biais
fantaisiste du «lien contractuel», il faut conclure que l'ex-épouse, créancière d'une
pension alimentaire, n'a aucun droit si son ex-époux est victime d'un quasi-délit
alors que l'ex-épouse dont l'ex-époux décède à l'occasion d’un contrat y a droit.
Cette conclusion est tout à fait sans fondement réel et inacceptable. La réalité est
beaucoup plus simple. En effet, le défunt payait une pension alimentaire à même
ses revenus; or, en principe, c'est la proportion des revenus que le défunt
n'employait pas à ses propres fins qui doit être comblée par le responsable. Or,
une partie des revenus du défunt était consacrée au paiement d'une pension
alimentaire, lorsqu'il la payait effectivement. Il n'est donc que raisonnable que la
créancière d'une telle pension y ait droit. Il suffit donc à la lumière de ces réalités,
de conclure que le conjoint comprend l'ex-conjoint. Par où l'on voit que la
solution est fort simple. Est-elle trop simple pour être qualifiée de «juridique»?
Nous reprenons ainsi simplement l'idée que nous avions déjà avancée (1971 R. du
B. 454):
Cette solution nous apparaît beaucoup plus conforme à l’esprit de l'art. 1056 c.c. En
effet, les bénéficiaires de l’art. 1056 c.c. sont exactem ent les m êmes personnes que celles
entre lesquelles le législateur a créé l'obligation alimentaire de base (165-166, 173, 176 et
213 c .c .). On vient d ’y ajouter égalem ent les enfants naturels qui, eux aussi, peuvent
bénéficier d'u n e créance alim entaire (240 c .c .). Il est d ’ailleurs malheureux que les
tribunaux aient obligé sans raison le législateur à intervenir dans ce cas.

La situation de l'ex-épouse n'est-elle pas identique à ces bénéficiaires? La pension


alim entaire auquelle elle a droit a égalem ent sa source dans la loi, même s'il s'agit de la
Loi sur le divorce. N entre-t-elle donc pas dans l’esprit de l’art. 1056 c.c. et du caractère
alim entaire de l'action qui y est créée?

(Cf. d'ailleurs l'évaluation des dommages dans le cas d’époux en instance de


divorce infra, iv)b). Évaluation des dommages. Perte d'époux. Pour les
«beaux-enfants», Cf. infra, iv)b).
iv) Le contenu des dommages visés à l'art. 1056 c.c. Frais funéraires.
Évaluation. Incidence des faits survenant en cours d'instance dans l'évaluation.
a) Frais funéraires. — Considérant qu’il s'agit d'un principe définitif et
désormais indiscutable, la Cour suprême a jugé que «les frais funéraires étant une
charge de la succession du défunt (2002 c.c.), les proches parents désignés à l'art.
1056 c.c. ne peuvent les recouvrer que Fils démontrent qu'ils se sont trouvés dans
la nécessité de les acquitter parce qu'il n'y avait pas de biens dans la succession
pour y pourvoir» (Pantel c. Air Canada, (1975), 1 R.C.S. 472, 479).
164 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

En fait, la jurisprudence est quasi-unanime depuis quelques années à


reconnaître ce principe et à l’appliquer. On ne peut exiger du responsable les frais
funéraires lorsque la succession de la victime est solvable (Prévoyants du Canada
c. Gagnon, 1974 C.A. 533; Guardian Ass. Co. Ltd. c. Prouix, 1975 C.S. 11;
Beaudin c. M arceau, 1975 C.S. 861; Rioux-Simoneau c. Row 1975 C.S. 1062;
Binette-Piché c. Théroux, 1976 C.S. 768; C.A.T.Q. c. Tétrault, 1976 C.S. 1107;
St-Onge c. Carrière, 1976 C.S. 1572; Miron c. Fonds, 1975 C.A. 260; Julien c.
J.E. Roy Inc., 1975 C.S. 401; Maheux c. Lavallée, 1975 C.S. 1078). Il est
intéressant de noter que, dans cette dernière décision, le tribunal a constaté la
«solvabilité de la succession» en raison du fait que le décès avait donné droit au
produit d'une police d'assurance-vie contractée par le fils décédé, au profit de ses
parents qui réclamaient le paiement des frais funéraires.
Inversement, celui qui paie ces frais peut les réclamer de l'auteur responsable
du décès, lorsque la succession de la victime est insolvable (Laverdure c.
Bélanger, 1975 C.S. 612).
Ceci dit. le plaideur ne perd rien à réclamer le remboursement des frais
funéraires! Il court même la chance de «tomber» sur un juge qui les lui accordera.
En effet, en dépit de la jurisprudence précitée, pourtant fort impressionnante et qui
trouve sa source tant dans les décisions de la Cour d ’appel que de la Cour suprême
(Cf. 1975 R .G .D .. 256), le juge Lesyk (Gagnon c. Clément, 1976 C.S. 968)
prétend «qu'il n'existe aucune disposition légale qui fait de la succession la
débitrice finale de ces frais lorsque ceux-ci ont été encourus en raison d ’un acte
fautif d'un tiers.» L'hon. juge a sans doute raison lorsqu'il prétend que la
solvabilité ou l'insolvabilité de la succession est un critère artificiel lorsqu'il s’agit
de déterminer si le responsable doit les supporter, mais il ne semble pas
comprendre, par ailleurs, que l'accident n'est que l’occasion de ces frais, puisque,
tôt ou tard, le décès surviendra, accident ou pas. Aussi, à notre avis, si la règle
jurisprudentielle est critiquable, ce n'est pas lorsqu’elle refuse le remboursement
des frais, mais bien lorsqu’elle le permet sous prétexte que la succession est
insolvable.
b) Évaluation des dommages. — Les dommages résultant du décès consis­
tent principalement dans la perte de soutien financier. Mais ils ne se limitent pas à
cet aspect. Ils comprennent aussi la perte de consortium, soit la perte de soutien
moral, et la perte de servitium, soit la perte des services que rendait la victime aux
demandeurs.
Par ailleurs, l’évaluation des dommages n’est pas faite de la même façon,
habituellement à cause des circonstances, selon que la victime est le mari,
l’épouse ou un enfant. Quoiqu'il en soit, il nous paraît justifiable d'étudier
l'évaluation de façon empirique et préférable, dans cette optique, de la diviser en
trois catégories.
— Perte d'un époux-père.
Une veuve, qui avait trois enfants, a épousé un homme qui, cinq ans plus
tard, a été victime d'un accident mortel. Depuis le mariage jusqu’à son décès, cet
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 165

époux avait été le gagne-pain de la famille et le support moral de son épouse et de


ses trois enfants, sans cependant avoir adopté ces derniers légalement. La Cour a
refusé d'octroyer une indemnité personnelle aux enfants parce que ceux-ci
n’étaient pas inclus dans les personnes visées à l'art. 1056 c.c.; toutefois le
tribunal a tenu compte du fait que la victime remplissait l'obligation légale de son
épouse de subvenir au besoin de ses enfants et qu'il aurait continué de le faire:
c'était donc là un avantage que perdait l'épouse et qui devait être considéré dans
l'évaluation de l'indemnité qui devait lui être accordée. Ce jugement a été
confirmé en appel (Madden c. Young, 1975 C.A. 636). En des termes plus
simples, on aurait pu dire que l'épouse avait droit à une indemnité fondée sur les
revenus de la victime. L'utilisation qu'elle en ferait importait peu. Ce qui aurait
été accordé aux enfants aurait été déduit de la perte globale; les enfants n'ayant
légalement droit à rien, l'épouse avait droit à l'indemnité correspondant à la partie
du salaire que l'époux n'utilisait pas à ses fins personnelles. Dans cette espèce, la
Cour a accordé S10 000 à l'épouse, dont l'époux était âgé de 35 ans au moment
de son décès et gagnait S7 200 par année. La Cour d'appel a considéré qu'il
s'agissait d'une indemnité généreuse, mais pas nécessairement injuste.
Pour la perte d'un époux-père de 35 ans, avec un revenu annuel de S7 000.
on a octroyé S50 000 à l'épouse, âgée de 34 ans, et 53 000 à chacun des enfants
de 121/2 ans et 11 ans, S3 500 à celui de 10 ans, S4 000 à celui de 9 ans, $4 500 à
celui de 7 ans, $5 750 à celui de 2 ans et $6 500 au bébé né un mois et demi après
le décès de son père. Dans le même jugement, pour la perte d'un époux-père de
29 ans, avec un revenu de $10 000, on a octroyé à l'épouse épileptique la somme
de 55 000, à l'enfant de 6 ans, $12 000 et à celui de 4 1/2 ans, $13 000 (Bilodeau
& Fils Ltée c. Breaulî-Filion, 1976 C.A. 413).
Pour la perte d'un époux-père de 29 ans, la Cour d'appel a accepté
l'évaluation du préjudice subi par l’épouse à $28 500, par l'enfant de 2 ans à
$11 500. par celui de 4 ans à $10 500 et par celui de 6 ans à $9 500. La Cour note
que, dans un tel cas, eu égard à l’âge de la victime, une indemnité globale
représentant environ neuf fois le salaire annuel de la victime est acceptable
(Abiîibi Paper Co. c. C.A.T. de Québec, 1976 C.A. 426).

Le tribunal a évalué globalement à $45 000 l'indemnité résultant de la perte


d'un époux-père de 41 ans, qui gagnait un revenu annuel de $7 500 (Lagacé c.
Banville, 1976 C.S. 813, en appel sur d ’autres questions surtout sans doute).
Pour la perte d'un époux de 32 ans, avec un revenu annuel de $7 000, lors de
son décès, la Cour d'appel a accepté, non sans hésitation, l'évaluation du
préjudice subi par l'épouse, seule ayant droit, à la somme de $60 000 (Prompt
Tax. Assoc. Ltd. c. Brisson, 1975 C.A. 466).
Pour le décès d'un époux-père, avec un revenu annuel de $12 700, et qui
aurait gagné $25 000 trois ans plus tard, le tribunal a accordé $57 500 à l'épouse
et $7 500 à l’enfant de 12 ans, $8 500 à celui de 11 ans, $ 11 000 à celui de 8 ans
et $13 000 à celui d'un an (St-Onge c. Carrière, 1976 C.S. 1572, en appel sans
doute sur la responsabilité).
166 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

Dans une affaire où la preuve révélait que l’époux, séparé légalement de son
épouse depuis trois ans avant son décès, était instable dans ses habitudes de travail
et surtout dans le paiement de la pension alimentaire qu'il devait légalement verser
à son épouse, à tel point que celle-ci ne comptait plus sur le paiement de cette
pension et avait, en outre, fait une demande à l'aide sociale, le tribunal a quand
même accordé à l’épouse une indemnité de $30 000, aux enfants de 7 ans et 6
ans, $4 000 chacun et à l'enfant de 4 ans, $5 000 (Courîeau c. Charland, 1976
C.S. 367, en appel). Cette indemnité paraît fort généreuse.

Dans les deux cas qui suivent, il était question de divorce entre les époux au
moment du décès du mari.
Le tribunal n'a accordé que $15 000 à l'épouse de 23 ans dont le mari
gagnait S7 000 par année, notant que les époux étaient en instance de divorce. Il
fait cependant abstraction de ces facteurs pour accorder $10 000 à l'enfant de 4
ans et S 12 000 à l'enfant de deux ans (Binette-Piche c. Thérou.r, 1976 C.S. 768).
Pour la perte d'un «conjoint» (24 ans), qui avait des tendances alcooliques et
était instable dans ses emplois, dont l'épouse avait obtenu un jugement
conditionnel de divorce un mois avant son décès, ne réservant que ses droits à
l'obtention d'une pension alimentaire, et qui vivait du «Bien-Etre social» au
moment du décès, le tribunal a accordé $3 000 seulement à l'épouse (23 ans),
accordant cependant S7 000 à la fillette de 3 ans (Chénard c. Leblanc, 1976 C.S.
976).
Il est remarquable que dans ces deux derniers cas, le tribunal a fait une large
place au divorce, mais il semble reconnaître implicitement que le divorce projeté
ou obtenu conditionnellement ne met pas fin au droit du réclamant à compter de la
date, réelle ou projetée, du divorce pour la seule raison qu'il y a divorce.
— Perte d une épouse-mère.
Les dommages résultant du décès couvrent certes la perte de soutien
financier. Ils couvrent même la perte d 'aide financière; il n'est donc que normal
qu'on indemnise aussi un conjoint (le mari) de la valeur des services que son
épouse lui rendait gratuitement dans l’exercice de son commerce. Il n'y a aucune
raison de refuser de reconnaître le préjudice découlant de la perte d'une aide
bénévole que la défunte apportait à son conjoint (Fulmer Brothers Co. c. Adam s,
1976 C.A. 580). Dans cette affaire, la Cour supérieure a calculé mathématique­
ment la perte résultant du décès de l'épouse. L'époux, âgé de 48 ans, a évalué les
services de son épouse, âgée de 49 ans, à la somme de $5 000 par année comme
aide au commerce et $4 588 par an comme ménagère et maîtresse de maison. De
cette somme, il a soustrait le «coût d'entretien» de son épouse soit $3 600,
laissant une «perte nette» de $6 200 jusqu'à l'âge de 65 ans, âge projeté pour la
retraite de l'époux. Le tribunal a décidé d'accorder $50 000 en conséquence, pour
perte de servitium. Notant qu'il s'agissait d'une indemnité très généreuse, la Cour
d'appel a néanmoins refusé d'intervenir.
Pour la perte d'une mère et épouse, que l'on pourrait qualifier de femme de
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 167

carrière (revenus annuels de $11 000), âgée de 27 ans lors de son décès, le
tribunal a accordé $40 000 à l’époux pour perte de soutien financier et moral, de
même que $15 000 et $12 000 à ses deux enfants mineurs (Gagnon c. Clément,
1976 C.S. 968).
Un homme âgé de 21 ans a perdu son épouse de cinq mois, âgée de 19 ans,
qui gagnait un revenu de $69 par semaine. Il n'y avait aucun enfant. Considérant
les probabilités de remariage, le tribunal a néanmoins accordé $20 000 à l'époux
(Bergeron c. Lem ay, 1975 C.S. 850).
Pour la perte d'une mère de 4 enfants, le tribunal a accordé $20 000 à
l'époux pour préjudice moral et pécuniaire et $5 000 à chacun des enfants pour le
même chef de dommages (Miron c. Fonds, 1975 C.A. 260).
Pour la perte d'une mère de 2 enfants, le tribunal a accordé S22 000 à
l'époux, même si celui-ci avait avoué qu'il se remarierait probablement dans un
avenir assez proche, et $6 500 à chacun des deux enfants (Julien c. J.E. Rox Inc. ,
1975 C.S. 401).
Pour le décès d'une épouse âgée de 30 ans qui faisait un revenu net de S60
par semaine, on a accordé à son mari la somme de $10 000 pour perte de
servitium et consortium et pour perte de soutien financier. On a accordé
respectivement à ses enfants de 11, 9, 8 et 4 ans, les sommes de $5 000, S7 000,
$8 000 et S12 000, soit les sommes réclamées dans l'action (Constantineau c.
Berger, 1975 C.S. 211).
Pour le décès d'une femme de 26 ans, le tribunal a octroyé $17 000 à son
époux âgé de 27 ans pour préjudice moral et pécuniaire et $2 500 à son enfant âgé
de 6 mois (Asselin c. P .G .Q ., 1975 C.S. 608).
Le tribunal a refusé d'accorder quoi que ce soit à l’époux, séparé de corps de
son épouse décédée à la suite d ’un accident, notant que l'époux devait payer une
pension à son épouse avant l'accident (Beaudin c. Marceau, 1975 C.S. 861, en
appel). Mais il a accordé $3 000 au fils de 13 ans, dont le père avait la garde,
pour le préjudice lui résultant de la mort de sa mère.

— Perte d'un enfant. Perte d ’un fœtus.


Pour la perte d'un enfant de 8 ans, l'un de deux enfants, mais seul garçon de
la famille, le tribunal, après avoir rappelé les principes jurisprudentiels qui doivent
le guider et soulignant que chaque cas est un cas d’espèce, a accordé $5 000 au
père et le même montant à la mère (Guay c. Parent, 1975 C.S. 392).
À un père de 27 ans, on a accordé $8 000 pour la perte de sa fille de 4 ans
(Asselin c. P .G .Q ., 1975 C.S. 608).
À chacun des parents pour la perte de leur fils de 17 ans, le tribunal a accordé
$2 500 (Maheux c. Lavallée, 1975 C.S. 1078), notant qu'il restait quatre autres
enfants vivants.
Le tribunal a accordé $2 500 à la mère, âgée de 45 ans, et $500 au père pour
168 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

la perte d ’un fils de 13 ans. La mère vivait à l’aide d’allocations sociales et avait
la garde de son fils, le père ayant abandonné femme et enfant (Matton c.
Geoffroy, 1976 C.S. 1368).
Pour la perte d'un enfant unique de 10 ans, le tribunal a accordé $3 500 à
chacun des deux parents (Duplessis c. R o y, 1976 C.S. 178).
Pour la perte d'un adolescent, le tribunal a octroyé $2 500 à chacun des
parents (Jobin c. M oreau, 1975 C.A. 237).
Au père (revenu annuel de $10 000) et à la mère d ’une fille de 20 ans qui,
lors de son décès, était mariée depuis cinq mois et qui laissait, en outre, dans le
deuil un frère marié, de 26 ans, et une sœur encore célibataire, de 19 ans, le
tribunal a accordé S5 000 respectivement pour la perte de leur fille (Bergeron c.
Lem a\\ 1975 C.S. 850).
Pour la perte d'un fils de 21 ans, étudiant et aîné de la famille qui faisait
figure de père dans une certaine mesure et qui assurait une certaine aide financière
à l’occasion à sa mère, le tribunal a octroyé $10 000 à celle-ci, une veuve qui était
aidée par le Bien-Être Social {Bergeron c. Gagnon-Ellefsen, 1976 C.A. 589).
Pour la perte d ’une fille unique, étudiante adolescente assassinée par un
insensé, le tribunal a octroyé $4 000 au père, en plus de lui accorder une
indemnité de S3 000 à titre de perte de revenus due au choc subi en raison de la
tragédie. À la mère, le tribunal a accordé $6 000 (Laverdure c. Bélanger, 1965
C.S. 612).
Dans la décision Julien c. J.E. Roy Inc., 1975 C.S. 401, face à la réclamation
d ’un père qui, dans un accident, avait perdu son épouse et l’enfant dont elle était
enceinte de 8 1/2 mois, le tribunal n'a rien accordé pour le décès de l’enfant
mort-né: le recours en indemnisation n'existe pas si l’enfant n ’est pas né vivant et
viable. Notons toutefois que dans Langlois c. M eunier, 1973 C.S. 301, le juge
Vallerand avait refusé de suivre cette ligne de pensée: «la perte d ’un enfant qu’on
porte depuis plus de six mois, qu’on espère, dont on attend des joies, des
consolations et des secours éventuels, constitue un dommage — et mérite une
indemnité — tant pour la mère que pour le père qui ont procréé ensemble, subi de
concert la période de gestation et fondé les mêmes espoirs» et ce même si l’enfant
conçu mais non né «ne se situe, à vrai dire, dans aucune catégorie de biens ou de
personnes qu’identifie la loi». Le juge, appliquant ensuite les principes d ’indemni­
sation applicables à la perte d ’un enfant en bas âge, accorde $500 à chacun des
parents, après avoir déjà accordé $1 000 à la mère pour les souffrances lui ayant
résulté de l’expulsion de son sein du fœtus décédé. Entre les deux thèses, le choix
est forcément difficile. Celle qui rejette l’indemnisation de la perte du fœtus ferme
toute porte à l’arbitraire dans la réponse à la question de savoir quand le fœtus
a-t-il été porté assez longtemps pour justifier une indemnisation. Par ailleurs, la
deuxième thèse se défend aussi si l’on considère qu'il y a peu de différence
pratique entre l’enfant qui décède une semaine avant l’accouchement et celui qui
décéderait une semaine après. Tout compte fait, il paraît que, pour les fins de
l’indemnisation, la deuxième thèse devrait être préférée, quitte à ce qu’elle soit
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 169

appliquée eu égard à toutes les circonstances du cas d'espèce. La perte


involontaire d'un fœtus, quelle qu'en soit la cause, est toujours une source de
frustration pour les parents, comme peut l'être la perte d'un enfant. Nous
soutenons cependant que l'indemnité devrait être moindre et non pas semblable à
celle accordée pour la perte d'un enfant né, puisque la frustration n'est sans doute
pas aussi aiguë.
c) Incidence des faits survenant en cours d'instance dans ïévaluation des
dommages. — Le préjudice doit être évalué en tenant compte des faits pertinents
survenant en cours d'instance, comme par exemple le décès de la victime d'une
cause non reliée à l'accident. Il n'y a pas lieu alors de spéculer sur l'expectative
de vie si le décès s'est effectivement produit (Pratt c. Beaman, (1930), R.C.S.
284; Mack c. Air Canada, (1975), R.C.S. 144, 149; Cf. aussi Mongrain c.
Laplante, 1972 C.A. 794).
Par ailleurs, on ne doit pas tenir compte des faits non pertinents, que ceux-ci
surviennent ou non en cours d'instance. Ainsi le fait que l'enfant de la victime
d'un accident mortel puisse être adopté ou est en voie d ’adoption par une autre
personne en cours d'instance ne peut avoir aucun effet sur l'évaluation des
dommages. C'est un fait extrinsèque à l'action en dommages. La libéralité
consentie à l'orphelin (adoption) ne peut bénéficier au responsable {Sylvestre c.
Paquette, 1976 R.P. 117).
v) L'unité d'action. Art. 1056 c.c. — Une seule action doit être portée par
tous les intéressés qui ont droit à l'indemnité résultant d'un décès. Ce n’est pas
dire que la deuxième action soit radicalement nulle et qu'elle puisse être rejetée
sur requête en irrecevabilité. La deuxième action peut être accueillie comme
intervention dans la première {Robidoux c. Richer, 1975 C.S. 1043), étant
entendu que le défendeur ne saurait être appelé à payer les frais de deux actions
{Guardian Ass. Co. Ltd. c. Proulx, 1975 C.S. 11).

68. Dommages. L'indemnité additionnelle: 1056 c.c.


Depuis le 18 mai 1977, l'indemnité additionnelle qui peut être accordée est
de 5# , c'est-à-dire que le tribunal peut accorder au demandeur une indemnité
additionnelle équivalant à 5% des dommages, en sus des intérêts légaux (Gazette
officielle du 18 mai 1977, p. 2325).
Quand un demandeur a-t-il droit à cette indemnité additionnelle? Dans un
cas, le tribunal a refusé d’accorder l’indemnité additionnelle (1056 c.c.) au
demandeur qui la réclamait, «puisque aucune preuve n'a été faite quant à cette
indemnité» {Richard c. Hôtel-Dieu de Québec, 1975 C.S. 223). Nous ne
comprenons pas cette façon de voir qui, du reste, ne paraît pas conforme à la
pratique jurisprudentielle la plus courante qui l'accorde purement et simplement,
lorsqu'elle est demandée. À quelle preuve le tribunal s'attendait-il?
Du reste, cette décision n'apparaît pas conforme à l'interprétation par la Cour
d'appel du droit à cette indemnité. En effet, celle-ci, exprimant son désaccord
avec l'opinion contraire déjà exprimée en Cour supérieure, a expliqué que le
170 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

tribunal a la discrétion pour décider, eu égard aux circonstances, si par suite de


son fait, la victime a perdu le bénéfice de ladite indemnité. Cette prise de position
a son importance. — Selon l’interprétation de la Cour d’appel, il n’est pas
nécessaire que la victime prouve qu’elle a droit à l’indemnité; la règle est que la
victime y a droit jusqu’à ce qu'on prouve le contraire (Girard c. Lavoie, 1975
C.A. 904). Il faut ajouter, toutefois, qu'à d'autres occasions, la Cour d'appel a
souligné qu’elle n'interviendra dans la décision du tribunal de première instance
qu’à titre exceptionnel, que ce dernier accorde {Dupont c. Ware 1975 C.A. 255)
ou refuse d'accorder (Bilodeau & Fils Liée c. Breault-Filion, 1976 C.A. 413)
l'indemnité additionnelle.
Par ailleurs, il nous paraît évident, du moins à première vue, que l'indemnité
additionnelle ne peut être accordée qu’en matière de responsabilité délictuelle ou
quasi-délictuelle. Après tout, elle est prévue spécifiquement à l’art. 1056 c.c.,
dans le chapitre des délits et quasi-délits.
Aussi, il n'est pas surprenant que, dans plusieurs cas, les tribunaux aient
refusé de l'accorder lorsque la responsabilité découlait de l'existence d'un lien
contractuel (ex. 1688 c.c. Building Products o f Canada Ltd c. Sauvé Construction
Ltée, 1976 C.A. 420, 425; Clouet c. Entreprises Blanchet Ltée, 1976 C.S. 1735,
1738; Corp. de St-Philippe de Néri c. Lagacé, 1975 C.S. 799). Mais encore ici, la
distinction entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité quasi-délictuelle
n’est pas toujours claire, que ce soit à dessein ou non. En effet, dans un cas où la
responsabilité nous paraissait contractuelle (détérioration de la marchandise en
cours de transport par camion lors d ’un accident dû à la faute du conducteur), le
tribunal a accordé l'indemnité additionnelle en qualifiant la cause des détériora­
tions de quasi-délictuelle, sans même s'en expliquer (Genesse Transport Inc. c.
General Plastics L td , 1976 C.A. 273).
Encore plus surprenante est cette décision où le tribunal a retenu la
responsabilité du manufacturier envers l'acheteur, par le biais de la garantie
conventionnelle et légale contre les défauts cachés, sans même qualifier la cause
de la responsabilité de faute quasi-délictuelle et a accordé à l'acheteur l'indemnité
additionnelle (Desaulniers c. Ford Motor Co. 1976 C.S. 1609).
Enfin, il n'est pas sans intérêt de souligner que l’indemnité additionnelle
constitue une indemnité distincte de l'intérêt, et doit être considérée comme du
capital. Telle est l’opinion exprimée dans un arrêt du 29 avril 1977, Fonds c.
Martineau, non encore rapporté, dans lequel la Cour suprême infirme, sur cette
question, l’opinion que le juge Bemier avait exprimée dans Girard c. Lavoie,
précitée. Aussi la Cour suprême a jugé que la conclusion recherchée devait être
énoncée comme suit: «condamner le défendeur à payer au demandeur la somme de
... avec intérêt et avec en outre, une indemnité additionnelle de 5 pour cent l'an
depuis l'assignation» plutôt que:... avec intérêts au taux de 10c/c l’an depuis
l’assignation».
69. Dommages. Frais d'expertise.
Les frais d'expertise nécessaires pour apprécier la nature des dommages et
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 171

pour connaître le moyen d'y remédier sont recouvrables à titre de dommages. De


même les frais d'une expertise médicale faite dans le but d'obtenir un diagnostic et
de recevoir un traitement approprié sont aussi recouvrables. Ce sont des frais qui
tendent à la réparation effective du dommage.
Mais les frais d'expertise qui ont simplement pour objet d'établir le droit de
la victime, c'est-à-dire qui ont été encourus pour la présentation de la cause (ex.
établir le degré d'incapacité) ne sont pas recouvrables comme dommages, encore
qu’ils puissent être recouvrés comme dépens dans la mesure permise par le tarif
judiciaire (Hôpital N-D de l’Espérance c. Laurent, 1974 C.A. 543: Brassard c.
Ville de Hauterive, 1974 C.A. 557; Théoret c. St-Laurcnt, 1974 C.A. 543: Audei
c. R oy. 1975 C.S. 853; Dubois c. Dubois, 1975 C.S. 864; cf. aussi Denis c.
Corp. Munie de St-Denis de Brompton, 1976 C.S. 1289: Clayton c. M aure, 1976
C.S. 970: Lafreniere c. Danis Construction Inc. 1976 C.S. 1578: Carey Canadian
Mines Ltd c. Plante, 1975 C.A. 893: Lebrun c. Auger, 1975 C.S. 1236 où le
tribunal dit cependant que les frais d ’expertise médicale peuvent être inclus dans le
mémoire de frais).
Toutefois, l'honorable juge Lamb (Merulla c. Groulx, 1976 C.S. 1169) a
préféré ne pas suivre cette ligne de pensée; jugeant que certaines expertises étaient
indispensables à la détermination de la responsabilité (Ruine d'un bâtiment) et des
dommages subis (dommages au cerveau), il a accordé le remboursement, à titre de
dommages, des frais de certaines expertises.

70. Dommages. Recouvrement d'un défendeur des frais taxés payables par le
demandeur à un autre défendeur.
La Cour supérieure, se voulant innovatrice et équitable, a accordé à la
victime d'un accident, à titre de dommages payables par le responsable, les frais
judiciaires qu’elle devait payer à l’un des défendeurs qui a réussi à faire rejeter
l’action. L'occasion était belle. La victime poursuit le conducteur et le propriétaire
d’un véhicule-automobile. Le conducteur s'exonère mais le propriétaire est tenu
responsable. Eu égard au fait que les dommages subis étaient peu importants, le
tribunal n'a pas voulu condamner la victime à supporter les frais de l'action
intentée contre le conducteur, étant entendu qu’elle avait des motifs raisonnables
de le croire responsable. Pour ne pas faire perdre à la victime le bénéfice du
jugement qu’elle obtenait contre le propriétaire, le tribunal a condamné le
responsable à rembourser à la victime les frais qu'elle devait payer au conducteur
qui avait réussi à faire rejeter l’action quant à lui (Clayton c. M auve, 1976 C.S.
970). Cette innovation en droit québécois est importante; elle mérite d'être
retenue. À tout le moins son évolution mérite d'être suivie.

71. Dommages. Perte de marchandises.


L ’indemnisation pour la perte de marchandises à être accordée à un marchand
ne doit consister que dans le prix d ’achat en gros (plus une indemnité pour perte
probable de clientèle) et non dans le prix au détail des marchandises si le
marchand ne prouve pas qu’il les aurait revendues ou q u il ne pouvait
172, REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

s'approvisionner a nouveau (Foundation C. o f Canada Ltd c. Bank o f Montréal,


1974 C.A. 569).
72. Dommages. Obligations de payer une somme d'argent. Art. 1077 c.c.
Les dommages résultant du défaut de payer une somme d'argent ne consistent
que dans l'intérêt convenu ou, à défaut de convention, que dans l’intérêt légal
(5%, ch 1-18, S.R.C. 1970). Aussi, les intérêts de 1c/c par mois «stipulés» dans un
état de compte ou dans une mise en demeure ne peuvent être exigés du débiteur,
qui n'est tenu de payer que l'intérêt légal, s'il n'y a pas de convention. Et,
évidemment, un état de compte ou une mise en demeure ne constitue pas une
convention (Belle lsle & Goulet Inc. c. St-Laurent L tée, 1976 C.S. 580). (Cf.
aussi infra n° 73. Clause pénale).
73. Clause pénale. Généralités. Clause de frais de perception. Clause d'indem­
nité additionnelle.
Une clause pénale inscrite dans un contrat doit être appliquée et le tribunal ne
peut, en principe, ni proprio motu, ni à la demande de l'une des parties, réduire le
montant de la peine (1135 c.c.) (Lajeunesse c. Derepentigny\ 1975 C.P. 147).
Mais il existe un «tempérament d'équité» à cette règle (1076 et 1135 c.c.).
Ainsi un créancier réclamait le loyer payable en vertu de contrats de location de
229 enseignes électriques, en vertu desquels, advenant la faillite du locataire, «le
loyer en entier sera, au gré du bailleur, aussitôt dû et payable à titre de
dommages...».
Une telle clause est une clause pénale. Et le juge a réduit la réclamation de
$43 000 à $32 000, notant que le bailleur était libéré de son obligation d'entretien
des enseignes par la faillite du locataire (Zwaig c. Claude Néon L tée, 1976 C.S.
83).
Lorsqu'une clause contractuelle stipule que le vendeur conservera, à titre de
dommages liquidés, les versements effectués par l’acheteur, au cas où ce dernier
mettrait fin au contrat, le vendeur ne peut poursuivre l'acheteur en dommages
pour bris de contrat, surtout s'il conserve les versements faits à titre de
dommages. Car le créancier ne peut demander l'exécution de la clause pénale et
des dommages pour inexécution (art. 113 c.c.) (Laiterie Côté Inc. c. Vanasse,
1975 C.S. 1012).
L'art 1077 c.c. n'est pas d ’ordre public et les parties à un contrat peuvent
convenir d'une clause pénale en vertu de laquelle le débiteur en défaut de payer
une somme d'argent pourra être obligé de payer un pourcentage de cette somme
d'argent à titre d'indemnité additionnelle, de frais de perception, de frais
d'administration etc... (Les Imm. Fournier Inc c. Const. St-Hilaire Ltée (1975) 2
R.C.S. 2) (Voir cep. nos commentaires à 1975 R.G.D. 258, n° 66; 1973 R.G.D.
291, n° 80; 1972 R.G.D. 376, n° 59; 1971 R.G.D. 325 n° 81). Il faut cependant
que l'objet d'une telle clause soit certain et déterminé: la clause qui stipule
l’obligation de payer les frais d'avocat est indéterminée et contraire à l’art. 1060
c.c. puisqu'elle sera fixée par un tiers, l'avocat (Turcot c. Cibula, 1974 C.A.
452).
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 173

Étant donné cependant ladite règle à l’effet que l’art. 1077 c.c. n'est pas
d'ordre public, nous ne pouvons qu'approuver davantage le fait qu'une telle clause
soit maintenant illégale lorsque contenue dans un contrat soumis à la Loi de la
protection du consommateur. Nous approuvons aussi le fait que dans cette même
décision précitée, la Cour suprême, fût-ce par une majorité de cinq à quatre, a
jugé que la clause d'indemnité additionnelle dans un contrat hypothécaire était
illégale parce que contraire à l'art. 8 de la Loi de l'intérêt.
Cette décision de la Cour suprême au sujet de l’art. 8 de la Loi de l'intérêt a
été appliquée proprio motu par cette même Cour dans une autre affaire, Feeland c.
Sun Life Ass. Co. (1975) 1 R.C.S. 266 et elle a été respectée et appliquée dans
Turcot c. Cibula, 1974 C.A. 452, B.C.N. c. Lefaivre 1975 C.A. 731 et dansD /o,
c. Jutras, 1976 C.S. 715. Toutefois, nous notons que le juge Péloquin de la Cour
supérieure a décidé expressément pour sa part, de suivre l’opinion exprimée par
les juges minoritaires dans l’affaire Imm. Fournier c. St-Hilaire et de faire droit à
la clause d'indemnité (Caisse Pop. St-Patrice de Magog c. Longpré, 1976 C.S.
189). Soulignons cependant que, dans cette affaire, le défendeur avait fait défaut
de comparaître et de plaider.
74. Acceptation volontaire des risques.
Réitérons que ce moyen de défense n'est jamais reçu par le tribunal lorsque le
défendeur qui l'invoque, a commis une faute (cf. 1975 R.G.D. 259, n° 67; 1972
R.G.D. 378, n° 60). Les décisions les plus récentes témoignent à nouveau de ce
fait: une personne n'accepte pas les risques découlant de la faute d'autrui
(Blanchet c. L'Écuyer, 1975 C.P. 207; Therrien c. St-Pierre 1974 C.A. 526,
conf. par (1976) 1 R.C.S. vi; Brassard c. Ville de Hauterive, 1974 C.A. 557;
Gagnon c. Ouellette, 1976 C.S. 789).
Pour que la défense s’applique, il faut que l'accident résulte d'un risque
inhérent et habituel à l'activité au cours de laquelle le dommage s'est produit.
Ainsi le spectateur qui assiste à une partie de hockey accepte peut-être le risque de
recevoir une rondelle égarée à la figure pendant une partie, mais il n'accepte pas
le risque de se faire frapper par une rondelle qui passe par une porte ouverte
(affaire Brassard). Le passager sur une motoneige (Therrien, précitée) ou sur un
tracteur (Blanchet, précitée) n’accepte aucun risque, car, sans la commission
d'une faute, il n'y en a aucun. Le chasseur n’accepte pas le risque de se faire
atteindre par un coup de fusil (affaire Gagnon ).
Par ailleurs, le joueur de balle-molle qui a décidé de faire une glissade au
marbre a accepté les risques inhérents à cette manœuvre, soit la fracture d'une
jambe, même si le terrain n'était pas en parfait état, ce fait étant d'ailleurs à la
connaissance du joueur (Boisvert c. Comité des loisirs de Breakexville Inc. 1975
C.S. 1243).
En fin de compte, lorsque le tribunal admet la défense de l'acceptation des
risques, c'est pour expliquer à la victime qu'il y a eu un accident sans faute, ce
qui arrive, ou que l’accident est dû totalement ou partiellement à la faute de la
victime elle-même (ex. Mallette c. Ville de Montréal, 1976 C.S. 1400). (cf. aussi
174 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

supra, n° 33 (ii) Accident de chasse et n 35. Responsabilité dans la pratique des


sports).
75. Clauses de non-responsabilité.
Pour qu'une clause de non-responsabilité soit opposable au demandeur par le
défendeur, il faut d ’abord que celui-ci établisse que le demandeur connaissait la
clause de non-responsabilité ou de limitations de responsabilité, et qu'il l'a
acceptée expressément ou implicitement, sans quoi elle ne sera pas appliquée
CDesrochers c. Kodak Canada L td , 1975 C.P. 238; voir aussi Gagnon c.
Métropolitain Home Services & Cleaning L td , 1975 C.P. 241 et l'analyse de la
jurisprudence y citée; Échafaudage Falardeau Inc. c. Bédard, 1974 C.A. 538;
Gagnon c. Gilbert. 1975 C.S. 880).
Ceci dit, la clause de non-responsabilité n’est pas illégale. Toutefois, même
si elle a été connue du demandeur, elle n’opère qu’un renversement du fardeau de
la preuve, dans les cas où le demandeur aurait autrement bénéficié d ’une
présomption. En effet, la clause n'empêche pas le demandeur de réussir dans son
action en dommages, s'il prouve la faute du défendeur (affaire Gagnon c.
Métropolitain H om e, précitée, une affaire de nettoyeur: Gagnon c. Gilbert, 1975
C.S. 880 (accident de ski); Safeway Parking Ltd c. M arsan, 1976 C.A. 97
(stationnement); d'aucuns diront plutôt que la clause ne couvre pas les fautes
lourdes ou les négligences grossières, dont le demandeur doit faire la preuve
(Trans-Canadian Courrier Ltd c. Wenley-Morris Co. L td , 1975 C.S. 1125 (retard
dans la livraison d'une soumission); Raymor Painting Contractors c. Purolator
Courrier L td , 1976 C.S. 468 (retard dans la livraison d'une soumission); Cie
dAssurance les Provinces-Unies c. C .N .R ., 1976 C.S. 855).
En outre, on a jugé qu'une clause de non-responsabilité était contraire à
l'ordre public lorsque destinée à couvrir des dommages visés à l'art. 1055 c.c.
(iChâteau Motors Ltd c. Manning Marine L td, 1975 C.S. 866, en appel). Jugeant
cette disposition comme étant d'ordre public et l'appliquant dans le cadre de la
location d'un hangar pour bateaux, selon l'admission faite par les parties, le
tribunal a refusé d'appliquer la clause de non-responsabilité stipulée au bail.
Enfin, on les interprète restrictivement généralement de façon à ce qu'elles ne
puissent pas exonérer un défendeur de sa négligence (ex. affaire Raymor Painting
Contractor, précitée) ou des principes de la responsabilité quasi-délictuelle
(1053-1054-1055 c.c.) (Marin c. People Dept. Stores, 1976 C.A. 865).
Dans tous les cas qui précèdent, on a refusé, pour l’une ou l'autre des raisons
invoquées, d ’appliquer une clause de non-responsabilité invoquée en défense. Par
ailleurs, dans certains cas, on a appliqué la clause.
Ainsi dans le cas d'un vol à main armée, la banque a été exonérée envers l'un
des locataires d ’un coffret de sûreté, le tribunal jugeant qu'il n'y avait pas eu faute
lourde. Eu égard aux circonstances et au fait que la clause stipulait expressément
l'absence de responsabilité en cas de vol à main armée, on peut même croire que
les employés de la banque n’ont commis aucune faute. La banque aurait pu sans
doute, en l'absence de toute stipulation, plaider avec succès le cas fortuit. Aussi
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 175

l'application de la clause, dans de telles circonstances, n'est pas très éloquente


(Lewis c. Caisse Pop. St-Angèle, 1976 C.S. 183).
On a appliqué, de même, la clause dans le cas d'une inondation, où la
compagnie demanderesse et la compagnie défenderesse avaient la même personne
comme président (Gagnon Électrique Ltée c. Maurice Gagnon, Ltée, 1976 C.A.
268). Dans cette affaire, à lire le jugement de la Cour d'appel, on acquiert
l'impression que tous les arguments, cités plus haut, propres à justifier la
non-application de la clause de non-responsabilité ne tiennent plus et que tout
argument à cet effet était prédestiné à échouer. Aussi, vu les circonstances très
particulières de l'espèce, cette décision ne devrait pas avoir d'autre autorité que
celle qu'elle possède sur le cas dont elle dispose.
En fin de compte, peu importe tout le verbiage qu'on fait sur les clauses de
non-responsabilité, nous croyons faire état fidèlement de la jurisprudence, en
disant que l'échantillonnage qui précède, tiré des décisions les plus récentes, est
représentatif et il nous suggère, compte tenu de l'ensemble des décisions des
tribunaux, les conclusions suivantes.
Il faut d'abord faire une distinction, quant à l'application des clauses de
non-responsabilité, entre les cas de dommages à la personne et ceux de dommages
à des biens matériels.
Jamais nous n'avons vu les tribunaux rejeter une action en dommages pour
blessures corporelles sur la base d'une clause de non-responsabilité.
Et si, dans un tel cas, une décision venait un jour donner effet à une clause de
ce genre, ce n'est pas la clause en soi qui serait le point déterminant. Elle serait
superflue parce que la chose ne se produirait que dans un cas où la victime serait
elle-même responsable des dommages, soit par sa faute, soit par une acceptation
volontaire des risques qui implique absence de faute du défendeur. Donc, peu
importe ce qu'on peut écrire sur les clauses de non-responsabilité, le tribunal
trouvera, avec raison, un moyen quelconque (absence de connaissance, faute
lourde, non-application en matière de quasi-délits, interprétation restrictive, etc...)
de ne pas l'appliquer, à moins que la clause ne soit prévue expressément dans une
loi.
Dans le cas de dommages aux biens, une clause de non-responsabilité s'avère
applicable, mais seulement exceptionnellement. Et nous avons l'impression que,
même dans la plupart de ces cas, l'exonération du débiteur pourrait tenir à d'autres
motifs juridiques. Dans de telles circonstances on est évidemment très libre
«d'appliquer» la clause. Enfin, il est à peu près certain qu’on n’appliquera pas une
clause de non-responsabilité, même connue par le demandeur, si la preuve révèle
que le défendeur a été fautif, négligent, preuve qui peut être faite par une
présomption de faits dont l'appréciation est laissée à la discrétion du tribunal.
76. Cas fortuit et force majeure.
Un incendie, ou un vol, fut-il par effraction ou à main armée, ne constituent
pas automatiquement un cas fortuit. Le débiteur doit prouver, outre le fait, qu'il a
176 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

pris toutes les mesures pour l'éviter; il ne lui suffit pas de prouver qu’il n’a pas
commis de faute (Trousers Inc. c. Si-Jérôme Express L td , 1976 C.S. 1660\Bastos
du Canada Lîee c. Guilbaulî Transport Inc., 1976 C.S. 678 (en appel); cf. aussi
supra, n° 30. Obligations de moyens et de résultat).
Quant à la tempête invoquée comme cas fortuit, elle doit être telle que son
intensité n'était pas prévisible. Elle ne constitue pas un cas fortuit, si des tempêtes
semblables ont déjà eu lieu. Du reste, pour être tel, le cas fortuit plaidé ne doit pas
avoir été permis par la commission d ’une faute. La tempête qui emporte une boîte
fixée sur un camion n'est pas un cas fortuit. (Morais c. Gagnon, 1974 R.L. 433).
77. Actions en responsabilité. Préavis.
La victime d ’un accident qui veut en tenir une municipalité responsable doit,
en vertu de l'art. 622, par. 2 de la Loi des cités et villes, donner un préavis
d ’action à la municipalité, dans les délais déterminés par la loi. Ce préavis est
essentiel à la formation du droit d'action, mais seulement dans le cas où les
dommages réclamés sont la conséquence d un accident. D'où la nécessité de
déterminer, à l’occasion, si la cause des dommages constitue un accident ou autre
chose. La Cour provinciale a jugé que l'inondation d'un sous-sol qui, selon les
termes mêmes de la déclaration, serait due à la négligence de la municipalité et de
ses employés constitue un accident: le préavis d ’action était donc nécessaire (Ville
de St-Bruno de Montaville c. Whitton, 1975 C.P. 81) et, s’il n'a pas été donné,
l'action sera rejetée sur requête en irrecevabilité.
Par ailleurs, même si le préavis ne constitue pas une procédure, le délai dans
lequel il doit être donné est soumis aux règles applicables quant à la suspension de
la prescription. Si le droit d ’action n'est connu que quelques jours après
l'accident, le délai court à compter de cette connaissance et non à compter de
l'accident. Ainsi si le conjoint n'apprend que dix jours après une chute sur un
trottoir que le décès de son époux est dû à la chute, plutôt qu'à une crise
cardiaque, le délai ne court qu'à compter de la connaissance du droit d’action.
(Ville de Montréal c. Vaillancourt, jugement de la Cour suprême du 5 mai 1976
non encore rapporté). Notons que la Cour d'appel avait jugé, dans cette même
affaire que l'avis, expédié par la poste dans le délai mais reçu après son
expiration, avait été donné dans les délais (1975 C.A. 399) mais les motifs de ce
jugement ont été expressément infirmés. En particulier, la Cour suprême a refusé
de considérer 1) que l'arrêt Magann c. Auger s’appliquait, puisqu’il n ’y avait pas
eu entente entre les parties sur ce mode d ’expédition; 2) que la Loi des postes
s’appliquait; 3) que le samedi était un jour non-juridique pour les fins du calcul du
délai dans lequel le préavis devait être donné 4) que les mots «recevoir» (Charte
de la Ville de Montréal) et «donner» (Loi des cités et villes) signifiaient la même
chose.
78. Loi des accidents du travail.
Lorsque la Loi des accidents du travail s’applique, les recours de droit
commun de la victime contre son employeur et contre les préposés ou mandataires
de l’employeur de la victime sont supprimés (art. 9 et 15 L.A .T., 1056 c.c.).
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 177

Toutefois, lorsque ladite loi ne s’applique pas, les recours de droit commun
subsistent, d'où l'intérêt évident de bien cerner les conditions d'application de la
loi ou inversement les situations où celle-ci ne s'applique pas.
Pour que la L.A.T. s’applique, il faut que l’accident soit survenu au moins à
l’occasion du travail (dans un emploi visé par la loi). La loi ne s’applique donc
pas lorsque l'employée régulière du propriétaire d'une automobile, est victime
d'un accident alors qu'elle est passagère dans ladite automobile alors conduite par
une autre employée, si l'automobile a été prêtée à cette dernière, pour des fins
personnelles, et si la victime a seulement accepté de bénéficier d’une «occasion de
transport» pour aller faire des courses à Montréal pendant son temps libre et non
pendant son temps de travail. Dans de telles circonstances, le lien de sujétion et
d ’autorité nécessaire à établir les rapports d'employeur-employé n'existe pas. Il ne
s'agit donc pas d'un accident survenu à l’occasion du travail et la victime
bénéficie de ses recours de droit commun (L.I.V .A .A .) contre le propriétaire et
contre le conducteur du véhicule dans lequel elle était passagère (Gagné c.
M ajeau, 1975 C.S. 598 (en appel).
La loi ne s'applique pas non plus lorsque l’accident survient dans le cadre
d ’un «travail d ’occasion» (art. 2, al. 2 L.A.T. ). La Cour d ’appel a appliqué cette
notion au pompier volontaire à temps partiel, d'une municipalité, appelé à
travailler à l'extinction d ’un incendie dans une municipalité voisine en collabora­
tion avec les pompiers de cette dernière, lorsque ledit pompier volontaire a été
victime d'un accident d ’automobile dû à la faute d'un pompier de ladite
municipalité voisine. Retenant que la victime n'était que pompier volontaire et
surtout qu'elle travaillait à l'extérieur de sa propre municipalité où elle ne
travaillait qu'à temps partiel comme pompier, la Cour a décidé que ledit pompier
ne faisait qu'un travail d'occasion, ce qui le soustrayait à l'application de la loi et
lui permettait ainsi un recours de droit commun contre son confrère pompier et
l'employeur de celui-ci. (Després c. Nadeau, 1976 C.A. 767). À notre avis, les
«critères» utilisés par la Cour sont artificiels, du moins celui tiré du fait que le
pompier travaillait à l'extérieur de sa municipalité. Beaucoup mieux fondée est la
considération que le pompier-victime n'a jamais été l'employé de la ville,
employeur du pompier responsable de l’accident. En effet, vu l’art. 2g L.A.T.
(L'employeur qui prête les services de son ouvrier... demeure l’employeur de
l'ouvrier), et vu que la ville «secourue» n'a jamais agi comme employeur
commun, le responsable demeurait un «tiers» par rapport à la victime. La Cour
aurait dû, à notre avis, se contenter de ces derniers motifs pour admettre le recours
de droit commun (art. 7 ou 8 L.A .T.).
Constitue un vrai «travail d'occasion», le fait pour un individu de travailler
volontairement pour un garagiste dans ses temps libres, et sur demande du
garagiste seulement. Dans de telles circonstances, les relations patron-ouvrier
n'existent que pour la durée d'un travail donné, avec la conséquence que
l’employé occasionnel n'est pas soumis à la L.A.T. et bénéficie des recours de
droit commun contre le garagiste, propriétaire et conducteur du véhicule, lorsque
survient un accident d'automobile en cours de route alors que le garagiste était allé
chercher «!,employé occasionnel» chez lui (Levesque c. Therrien, 1975 C.A.
178 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

642). Est cependant plus discutable l’opinion exprimée par la Cour, dans cette
affaire, à l’effet que l’accident n'était pas survenu «à l’occasion du travail», sous
prétexte qu'il était arrivé alors que la victime n’était qu'un passager à l’occasion
d'un transport bénévole.
Les art. 7 et 8 L A .T . permettent à la victime d ’exercer ses recours de droit
commun contre les «tiers» responsables de l’accident. En fait, la loi n’emploie pas
le terme «tiers». Elle supprime seulement les recours contre les ouvriers préposés
ou mandataires de l'employeur de la victime pour les fautes commises par ceux-ci
dans Vexécution de leurs fonctions (art. 15). D ’où la nécessité dans certains cas de
déterminer si le responsable était un préposé, etc... du même employeur, ou
encore l’employeur de la victime. Nous avons quelques exemples de tels cas dans
les causes précitées. À celles-ci, ajoutons la décision suivante, relativement à la
«définition du tiers».
La victime était l’employée du locataire d ’un véhicule-automobile, qui avait
été loué «avec chauffeur». Le propriétaire du véhicule était donc l’employeur du
chauffeur, a priori. Toutefois, le contrat de location stipulait que le chauffeur
devenait le préposé du locataire et que celui-ci s'engageait à assurer la
responsabilité des fautes dudit chauffeur.
La victime a poursuivi le locateur, à la suite d ’un accident. Ce dernier a
invoqué évidemment le contrat de location et a plaidé que le chauffeur était le
préposé de l'employeur de la victime. La Cour supérieure (Rioux c. Eastern
Canada Stevedoring, 1976 C.S. 772) a refusé de faire droit à ce plaidoyer, jugeant
que le contrat de location était inopposable à la victime, tout au moins dans la
mesure où dans les faits (paiement du salaire) le locateur paraissait être demeuré
l’employé du chauffeur. Toutefois, la Cour supérieure a ensuite appliqué le contrat
de location pour condamner le locataire à rembourser au locateur les sommes que
celui-ci, en tant que tiers, avait dû payer à la victime.
Sur l inopposabilité du contrat de location à la victime, nous n'avons rien à
redire. Far ailleurs, il est intéressant de noter que l'employeur de la victime a dû
payer les «dommages de droit commun», nonobstant l’art. 15 L.A.T. Ce résultat,
qui fait échec à l'art. 15 L .A .T ., est dû à l’application des stipulations du contrat
de location, dont le tribunal a reconnu la validité parce que non défendues par
l’art. 15. Sur ce point, le tribunal avait également raison, puisque l’art. 15 ne
prohibe que les recours de l'ouvrier contre son employeur. De telles décisions
avaient déjà d ’ailleurs été rendues (Bisson c. Peter Queen Realties In c ., 1974 C.S.
258). Il faut bien reconnaître, tout au moins théoriquement, à partir de ces
décisions, que l’employeur pourrait renoncer valablement envers ses employés à
l’application de l’art. 15 L.A.T. (Cf. nos commentaires à 1975 R.G .D. 260, n°
69).
Enfin, les recours de droit commun ont donné lieu à de nombreuses
difficultés d ’application dans les cas où la victime, son co-employé ou son
employeur étaient partiellement responsables de l’accident, étant donné la
subrogation décrétée par la loi en faveur de la Commission des accidents du
travail.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 179

Une première chose nous paraît devoir être retenue de façon certaine: le
tiers-responsable ne saurait être tenu de payer plus qu'il ne serait tenu de payer en
vertu du droit commun. Ce principe a été clairement énoncé dans Brink’s Express
Co. c. Plaisance, (1977), 1 R.C.S. 640.
Cette règle a cependant soulevé des difficultés d'application quant au recours
subrogatoire de la commission et celui de la victime lorsque le tiers n'était que
partiellement responsable, l'autre partie de la responsabilité incombant soit à la
victime, soit à l'employeur ou à un co-employé de la victime. Voyons les
différentes hypothèses.
Si le tiers est totalement et exclusivement responsable, il n'a aucun problème:
la victime aura droit à la différence entre ce qu'il a reçu de la C.A.T. et la somme
totale de ses dommages et la C.A.T. aura droit au plein remboursement des
sommes payées à la victime.
Si la victime elle-même est partiellement responsable, la question est
beaucoup plus délicate. La Commission a-t-elle préséance sur la victime à
l'encontre du tiers-responsable qui, pour sa part, ne doit payer plus que les
dommages correspondant à sa part réelle de responsabilité, ou la victime a-t-elle
préséance sur la C.A.T.?
La jurisprudence de la Cour d ’appel paraît être clairement à l'effet que la
C.A.T. a préséance. Ainsi, les personnes à la charge d'un ouvrier décédé ont subi
des dommages qui s’élèvent à $60 000. Ils ont reçu $30 835 de la C.A.T. La
victime était responsable à 50% et le tiers à 5 0 # . La Cour d'appel, notant qu'en
vertu du droit commun, les dépendants n'avaient droit qu'à $30 000, a rejeté leur
recours puisqu'ils avaient déjà reçu $30 835 de la commission. Elle a ensuite
condamné le tiers à payer à la C.A.T. la somme de $30 000, même si cette
dernière avait payé S30 835, le tiers ne devant pas payer plus que sa part (Abiîibi
Paper Co. Ltd. c. C.A.T. 1976 C.A. 426). Dans ce jugement, la Cour d'appel a
pris soin de préciser que la décision de la Cour suprême dans Brink's Express c.
Plaisance, (1977), 1 R.C.S. 640, conf. 1973 C.A. 930) ne s'appliquait pas
puisque dans cette dernière affaire, la victime elle-même n'était pas en faute.
Cette façon d'utiliser la faute de la victime avait été appliquée déjà dans Henry’ c.
McMahon Transport Ltée, 1972 C.A. 66. Dans cette affaire, la victime avait subi
des dommages de S65 000. Elle avait reçu $18 000 de la C.A.T. Puisqu'elle était
responsable à 5 0 # , elle n'avait obtenu que $14 500 du tiers-responsable, celui-ci
devant, en outre payer $18 000 à la C.A.T.
Si cette façon de «compter la faute de la victime» a déjà été retenue en
première instance (Sebaski c. L.J. Weber Const. Co., 1972 C.S. 557), elle a
cependant été apparemment nuancée dans un jugement récent de la Cour fédérale
et remise en question par la Cour supérieure qui a voulu tirer des conclusions à
partir d'une distinction entre les dommages payés par la Commission et les
dommages personnels à la victime (douleurs, souffrances, perte de jouissance de
la vie) qui ne sont aucunement indemnisés par la Commission.
Ainsi, la Cour fédérale a écrit que la Commission n'était subrogée que pour
180 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

les pertes qu'elle est légalement tenue d'indemniser et qu’elle a payées. Si la


victime est partiellement en faute, elle aura droit proportionnellement à ces
dommages contre l 'auteur-responsable. De son côté, ce dernier doit bénéficier seul
du partage de responsabilité pour ces dommages (ex. dépenses personnelles de la
victime, douleurs et souffrances). Par ailleurs, Fauteur de l’accident doit aussi
indemniser les autres dommages en proportion de sa responsabilité. Toutefois, il
devra d'abord rembourser la Commission jusqu’à concurrence de ce qu'elle a été
appelée à payer ou jusqu'à concurrence de sa part de responsabilité, selon le
montant qui est le moindre. Si après avoir remboursé intégralement la Commis­
sion, il reste une solde, il sera payé à la victime (Maurice c. La Reine, (1976), 1
C.F. 219).
Cette décision applique la jurisprudence de la Cour d'appel, soit la règle de la
préséance du recours de la C.A.T. contre le tiers, mais en y ajoutant, semble-t-il,
une nuance: cette priorité ne vaut que pour les dommages dus par le tiers qui fait
partie de la catégorie des dommages que la C.A.T. doit indemniser. Quant aux
autres dommages non sujets à indemnisation par la C.A .T., la victime y a un droit
exclusif, quitte à réduire la condamnation du tiers proportionnellement à sa part de
responsabilité.
Ainsi, dans l’espèce, la victime, responsable à 25%, a subi des dommages
totaux de $36 886,72, soit $400 pour dépenses personnelles, $1 000 pour
douleurs, souffrances et inconvénients, $2 752,15 pour frais médicaux, $11 220
pour perte de salaire, et $21 514,57 pour incapacité partielle permanente. Par
ailleurs, elle a reçu $23 616,72 de la C.A .T., soit $2 752,15 pour frais médicaux,
$7 200 pour perte de salaire, et $13 664,57 pour incapacité partielle permanente.
La responsabilité du tiers étant établie à 75%, celui-ci devait débourser
$27 665,04 (75% de $36 886,72).
Selon la jurisprudence de la Cour d ’appel, le tiers aurait dû payer $23 616,72
à la C.A.T. et $4 048,32 au tiers. La Cour fédérale est arrivée au même résultat
mais en calculant le droit de la victime contre le tiers à raison de 75% de $1 400
(dommages personnels de droit commun), soit $1 050, et la différence entre la
somme due à la C.A.T. ($23 616,72) et la responsabilité du tiers sur les
dommages subis par la victime et «indemnisables» par la C.A .T., soit $2 998,32
(75% de $35 486,72 = $26 615,04 — $23 616,72). Combinant ce solde de
$2 998,32 et la somme de $1 050, le tiers a dû payer $4 048,32 à la victime, en
plus de rembourser $23 616,72 à la C.A.T.
La solution du tribunal fut différente dans Bélanger c. Jack Barry Realîies
Inc., 1975 C.S. 1135. Dans cette affaire, la victime avait subi les dommages
suivants: $1 618,30 pour frais médicaux, $7 410 pour incapacité totale tempo­
raire, $13 500 pour incapacité permanente de 12% , $1 500 pour douleurs et
souffrances et $1 000 pour perte de jouissance de la vie. Par ailleurs, la victime, à
qui le tribunal a attribué une responsabilité de 60%, avait reçu de la C.A.T.
$5 062,50 pour incapacité temporaire, $1 618,30 pour frais médicaux, et
$6 155,55 pour incapacité partielle permanente de 10%.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 181

La C.A.T. réclamait donc du tiers-responsable (40%) ce qu’elle avait payé,


soit S I2 836,35. De son côté, la victime réclamait la différence qui, une fois les
dommages évalués, s'établissait à $12 191,95 (S25 028,30 — $12 836,35).
Allant consciemment à rencontre de la jurisprudence de la Cour d'appel,
l'Hon. juge Bisson a disposé des recours de la façon suivante. Il a d ’abord posé le
principe que le tiers ne pouvait être appelé à payer plus de 40% de $25 028,30,
soit S10 011,32. Il a invoqué ensuite l’arrêt Brink’s Express Co. qui, selon lui.
précise 1) que la subrogation ne couvre que les postes de dommages dus par la
C.A .T., non les dommages pour souffrances et perte de jouissance de la vie, et
jusqu'à concurrence de ce que la C.A.T. a payé, 2) que la subrogation n'englobe
pas les droits de la victime pour le surplus qu'elle peut recouvrer du tiers-respon­
sable, et 3) que la préférence est accordée au subrogeant (à la victime). Le juge
Bisson ajoute que, si la victime doit supporter une partie de la responsabilité, il
n'existe, par ailleurs, aucune disposition légale qui permettrait d'affirmer que
l'obligation du tiers responsable envers la victime pour les dommages non
compensés serait éteinte à cause d'un partage. Il conclut que la victime ne peut
obtenir des dommages du responsable qu'en proportion de la part de responsabilité
de ce dernier et que la C.A.T. doit obtenir remboursement de ses déboursés, dans
la même proportion, le tiers ne payant en tout que sa part.
Appliquant ces idées à l'espèce, l'Hon. juge à condamner le tiers à payer à la
victime, 40% de $12 191,95, soit $4 876,78 et à la C.A.T. 40% de $12 836,35,
soit $5 134,54. Ce faisant, il a rendu jugement comme on l'avait fait déjà dans
Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Lapierre, 1972 C.S. 101, nous
semble-t-il, et contrairement à la jurisprudence de la Cour d’appel, selon laquelle,
dans cette affaire, la victime n'aurait rien obtenu du tiers et la C.A.T. aurait
obtenu la somme de S10 011,32.
Il semble bien que la Cour fédérale aurait apporté la même solution que la
Cour d'appel à cette espèce. Supposons cependant que la solution de la Cour
fédérale implique que la victime a préséance sur les dommages non indemnisables
par la C.A.T. et que la C.A.T. a préséance sur les chefs des dommages qu'elle
doit indemniser, nous aurions une solution différente de celle de la Cour d'appel,
mais différente aussi de celle du juge Bisson. En effet, la victime aurait droit
exclusivement contre le tiers à 40% de $2 500 (douleurs, souffrances et perte de
jouissance de la vie), soit $1 000. Pour sa part, le tiers n’aurait à payer, en tout,
que $10 011,32. Vu la priorité de la C.A.T. sur les autres chefs de dommages
(frais médicaux, incapacité temporaire et permanente), la C.A.T. aurait droit, en
principe, à 40% de $22 528,30, soit $9 011,32 et elle aurait droit par priorité à
toute cette somme puisqu’elle a déboursé plus que cela, soit $12 836,35.
Dans une autre espèce, où la victime était responsable à 337?% , le tribunal a
calculé ainsi le recours de la victime contre le tiers. Pour incapacité permanente,
la victime a droit à 2h de $2 500 moins $1 000 (reçu de la C.A.T.) = $1 500 =
$1 000. Pour douleurs et perte de jouissance de la vie, évaluées à $2 500, la
victime, n’ayant rien reçu de la C.A .T., a droit à 1h de $2 500, soit $1 666,66.
Pour incapacité temporaire, la victime a droit à 2h de $1 113 (la différence entre
182 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

la perte réelle subie et ce qu'elle a reçu de la C.A .T.), soit $742. La victime a
donc obtenu du tiers la somme de $3 408. Quant à la Commission qui aurait
déboursé $4 440, semble-t-il, elle n'aurait droit, en conséquence, qu'à un
remboursement de $2 960 puisque le tiers ne devait payer que les 2/3 des
dommages globaux au montant de $9 553, soit $6 368. Tout compte fait, encore
ici, l'on constate que la victime a eu droit à 2/3 des dommages excédentaires
chiffrés à $5 112 et que la commission aurait eu droit à 2/3 de ses déboursés au
montant de S4 440 (Rioux c. Eastern Canada Stevedoring, 1976 C.A. 772, juge
Lalande). Cette décision est donc identique dans sa façon de calculer à celle du
juge Bisson.
Il semble aussi que cette façon de calculer ait été retenue dans C.A.T.Q. c.
Tétreault, 1976 C.S. 1107 (juge Gauthier), où le tribunal, attribuant 50% de la
responsabilité à la victime, a condamné le tiers-responsable (50%) à payer à la
C .A .T., la moitié seulement de ce que la C.A.T. avait déboursé.
Dans tous les cas qui précèdent, il y avait faute contributoire de la victime. Il
arrive cependant que la victime ne soit aucunement en faute. Le tiers-responsable
ne l'est pas non plus totalement puisque l'employeur ou un co-employé de la
victime a contribué partiellement, par sa faute, à la réalisation des dommages
subis par la victime. Quelle est donc la situation des intéressés dans un tel cas? La
Cour suprême a finalement fait la lumière sur cette question.
Rejetant l'idée de la solidarité entre le tiers-responsable et le co-employé ou
l'employeur de la victime, vu l'impossibilité juridique de poursuivre ces derniers
(Cf. supra, n° 83. Solidarité), la Cour a jugé que le tiers ne pouvait être appelé à
payer plus que la partie des dommages qui correspondait au pourcentage de sa
responsabilité (Brink's Express Co. c. Plaisance, (1977) 1 R.C.S. 640). Mais
restait le problème de déterminer qui, de la victime ou de la C.A .T., avait priorité
contre le tiers. La Cour suprême, imitant en cela des décisions antérieures de la
Cour d'appel, mais pour des motifs différents, a conclu que c'était la victime qui
devait avoir priorité, en se référant à l'esprit de la L.A.T. et en utilisant le
principe de l'art. 1157 c.c. qui accorde la préférence au subrogeant.
En l'espèce, la victime a subi un accident par la faute de son co-employé
(50% ) et d'un tiers (50% ). La Cour suprême, confirmant la décision majoritaire de
la Cour d'appel, a décidé que la victime pouvait réclamer du tiers, la totalité de
ses dommages excédentaires. Notons cependant que la proportion des dommages
imputables à la faute du tiers était au moins équivalente à la différence entre le
montant global de la perte réellement subie par la victime et le montant de
compensation perçu par la victime de la C.A.T. La Cour d'appel avait déjà décidé
que dans un tel cas, la victime avait le droit d ’obtenir la totalité des dommages
excédentaires du tiers responsable en invoquant la solidarité (Véronneau c.
Hydro-Québec, 1975 C.A. 480) ou encore la notion de «l'obligation in solidum»
(Quirion c. Gauthier, 1975 C.A. 468).
Dans l’espèce Véronneau, la victime avait subi des dommages de $18 000,
par la faute combinée de son employeur (50%) et d'un tiers (50%). Elle a reçu
$11 700 de la C.A.T. Elle a poursuivi le tiers et la Cour a condamné ce dernier à
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 183

lui payer toute la différence, soit $6 300. Le jugement est cependant silencieux sur
les droits de la C.A.T. contre le tiers. L'application de la solidarité faisait-elle en
sorte qu'en raison de la fiction de la loi, le tiers doive payer la totalité des
dommages sans avoir d'action récursoire contre l’employeur?
Dans l'affaire Quirion, précitée, la victime a subi un accident à raison de la
faute de son co‫־‬employé (662h% ) et de la faute d'un tiers (33lh c/c). La victime a
intenté une action contre les deux auteurs fautifs. L’action a été rejetée contre le
co-employé (art. 9 L.A.T.). Mais la Cour d’appel a admis le recours de la victime
contre le tiers-responsable pour la totalité de ses dommages excédentaires, même
si le co-employé ne pouvait être poursuivi sur action récursoire. Dans ce cas, la
Cour a expliqué que le tiers était responsable de la totalité du préjudice malgré sa
faute partielle (331/ 37c), ajoutant qu'il s'agissait d'une responsabilité «in soli-
dum». Le rapport de cette affaire Quirion ne nous permet pas, non plus, de
connaître le sort réservé aux droits de la C.A .T., ni de savoir si les dommages
excédentaires dus par le tiers étaient plus élevés que la part de responsabilité dudit
tiers dans la totalité des dommages subis par la victime.
Cette même idée a aussi été exprimée, autrement, mais clairement dans
C.A.T. c. Lacroix, 1976 C.A. 490, où la Cour a refusé l’intervention de la C.A.T.
dans l'action de la victime contre le tiers, en disant que la C.A.T. n'avait aucun
intérêt dans la réclamation de la victime pour ses dommages excédentaires.
Ces décisions de la Cour d ’appel pouvaient laisser la porte ouverte à l'idée
que le tiers devait tout payer, et à la victime et à la C.A.T. Heureusement, la Cour
suprême a maintenant bien fermé cette porte, comme nous l'avons vu.
Si le problème semble définitivement réglé lorsqu'un co-employé ou
l'employeur est partiellement responsable de l'accident avec un tiers, il n'est
cependant pas nécessairement réglé lorsque la victime est elle-même partiellement
responsable.
En effet, l'arrêt Brink’s ne nous éclaire pas. Et nous demeurons toujours en
face de plusieurs solutions possibles, soit au moins trois. Pour la Cour d'appel et
certains juges de première instance, la C.A.T. a préséance sur la victime contre le
tiers-responsable. Pour d'autres cependant, la faute de la victime ne s'applique
qu'aux dommages excédentaires qu'il réclame; dans cette optique, la victime et la
C.A.T. se partagent les dommages dus par le tiers et afférent à la part de
responsabilité de ce dernier, proportionnellement à ce qui leur est dû. Enfin,
troisième possibilité évoquée par la Cour fédérale, la victime aurait un droit
prioritaire contre le tiers pour les dommages non indemnisables par la C.A .T.,
mais celle-ci aurait un droit prioritaire contre le tiers pour les chefs de dommages
qu'elle a contribué à indemniser.
Tout compte fait, et puisqu’il faudrait un jour choisir l'une des solutions,
plutôt que de toutes les mener de front, au gré des opinions individuelles, il nous
semble que la solution de la Cour d'appel est défendable comme l'est d ’ailleurs
celle appliquée par le juge Bisson. La solution de la Cour d'appel repose sur l'idée
que la victime ne saurait avoir priorité sur la C.A.T. étant donné qu'en vertu du
184 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

droit commun, elle n'aurait pas droit à plus que ce qu elle aurait reçu de la C.A.T.
en tenant compte de sa part de responsabilité. La solution appliquée par le juge
Bisson et partagée par d'autres met en lumière le fait que la victime aurait droit à
l'indemnisation due par la C.A.T. même si elle était seule responsable de son
malheur. Cette indemnité lui est donc acquise et le droit commun ne s’appliquerait
qu'à l'égard des dommages excédentaires: la victime n'a cependant droit qu’à ce
qui lui revient, le solde devant être payé à la commission. La victime aurait donc
toujours, dans cette optique et dans ce cadre, priorité sur la C.A.T. conformément
à l'art. 1157 c.c. Nous avions d'ailleurs déjà soutenu cette thèse (1974/?. du B.
76). Après quelques hésitations (1974/?. du B. 100 et 1974/?. du B. 391), nous
croyons finalement qu'elle est celle qui respecte le plus l’économie de la Loi des
accidents du travail. Du reste, cette solution respecte l’esprit de Varrët B rink's. Si
l'art. 1157 c.c. permet de justifier le droit prioritaire de la victime contre le tiers
lorsqu’elle n'est pas en faute, principe inattaquable à notre avis, cette priorité ne
semble pas devoir disparaître complètement pour la simple raison que la victime
est partiellement fautive. Quant à la solution qui semble ressortir de la décision de
la Cour fédérale, elle dépend trop du caractère fort arbitraire et superficiel de la
qualification des dommages pour devoir être retenue, à notre humble avis.
Notons enfin que de toutes façons notre loi est ainsi beaucoup plus
avantageuse poi r la victime que ne l'est celle de la province d'Ontario en vertu de
laquelle le WorKman's Compensation Board bénéficie d'une subrogation complète
dans les droits de la victime, celle-ci ne bénéficiant d'aucun recours de droit
commun pour l'excédent (Varcœ c. Tilden Rent-a-Car, 1976 C.S. 1110).
79. Recours au Fonds d ’indemnisation des victimes d'accidents d'automobiles.
Le créancier d'un jugement non satisfait, suite à un accident d'automobile,
peut demander au Fonds d'y satisfaire jusqu'à concurrence de la somme de
$35 000 (art. 36 à 42 L.I.V .A .A .). Il est maintenant bien établi en jurisprudence
que le créancier peut faire une demande au Fonds et celui-ci doit payer, même si
le débiteur du jugement est assuré. En effet, le créancier n'a pas à épuiser ou à
exercer ses recours contre tel assureur, pas plus qu'il ne doit tenter d'exécuter le
jugement sur les biens du débiteur, avant d'avoir droit au paiement de la part du
Fonds CO'Albenas c. Ancienne M utuelle, 1975 C.A. 244; Fonds c. Gagné,
jugement de la Cour suprême du 19 déc. 1975, conf. 1973 C.A. 729). Dans ces
espèces, comme dans les précédentes où on a énoncé la même règle, l'assureur
avait refusé de payer pour une raison quelconque, avec le résultat que le créancier
s'adressait au Fonds sans d'abord poursuivre l'assureur. L'attitude des tribunaux
est fort bien sentie et elle respecte les dispositions de l'art. 37(b): le paiement fait
par le Fonds ne profitera pas à l'assureur puisque le Fonds, subrogé dans les droits
du créancier, peut obtenir un remboursement de l'assureur. Et dans son action en
remboursement contre l’assureur, il bénéficie, comme la victime, des dispositions
de l'art. 6 L.I.V.A.A. c ’est-à-dire que l’assureur ne peut opposer au Fonds les
causes de nullité ou de déchéance de la police.
Il est arrivé, par ailleurs, que l’assureur poursuivi par le créancier du
jugement après que celui-ci eut essuyé un refus lorsqu’il s'est adressé à l'assureur,
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 185

a plaidé que la seule demande faite par le créancier au Fonds avait transporté à ce
dernier tous les droits du créancier qui, ainsi, aurait perdu ses recours contre
l'assureur. Cet argument a cependant été rejeté à bon droit: en effet, à l'égard des
tiers, dont fait partie l’assureur, la cession n’existe que par la dénonciation faite
par le Fonds conformément à l’art. 39 L .l.V .A .A . (Canadian Indemnity c.
Lavigne, 1976 C.A. 264).
Par ailleurs, le Fonds peut opposer au réclamant les sommes que ce dernier
aurait pu réclamer de son propre assureur en vertu du chapitre B de sa propre
police d’assurance-automobile, sans quoi le paiement fait par le Fonds bénéficie­
rait à l'assureur. Telle est en tous cas la décision rendue dans Boucher c. Fonds.
1975 C.S. 399.
D ’un autre côté, il est évident que le Fonds ne «garantit», en vertu des art. 36
à 42 L .l.V .A .A ., que les premiers $35 000 de dommages résultant d'un même
accident. En conséquence, si le créancier d'un jugement de plus de S35 000 a
reçu S35 000 d'un assureur, il ne peut ensuite s'adresser au Fonds pour réclamer
la différence (Chapados c. Fonds, 1975 C.S. 849).
De même, le Fonds ne doit payer les intérêts que sur la somme due en vertu
de l'art. 14 L.l.V .A .A . et non sur le montant du jugement (Lafleur-Pagé c.
Fonds, 1976 C.S. 1524). Cette décision a été portée en appel mais nous ne
pouvons concevoir qu'elle puisse être infirmée: l'accessoire suit le principal.
La demande (non l'action) au Fonds doit être faite dans l'année après que le
jugement dont l'exécution est demandée est devenu définitif. C'est donc dire que
dans le cas d'un jugement non porté en appel, le délai d'un an ne court qu'à
compter de l'expiration des trente jours après la date du jugement. Et ce délai
s'applique même si le Fonds avait consenti à ne pas intervenir dans une action ex
parte et s'était entendu avec la victime sur le quantum des dommages avant le
jugement rendu par défaut. Si le créancier fait sa demande après l'expiration du
délai, sa demande peut être refusée par le Fonds (Gosselin c. Lévesque. 1975 R.P.
49) et l'action contre le Fonds sera rejetée. D'autre part, une confession de
jugement partielle, jugée insuffisante, n'empêche pas le demandeur de recourir au
Fonds selon l'art. 36 L.l.V.A.A. et le délai d'un an ne court qu’à compter du
jugement définitif du tribunal et non à compter du jugement sur la «confession
partielle» (Fonds c. Langlois, 1974 C.A. 535).
Dans le cas où le défendeur à l'action en dommages fait défaut de
comparaître ou de plaider, le demandeur qui a l'intention de s'adresser au Fonds,
doit donner avis au Fonds qu’il entend procéder ex parte. Lorsque cet avis est
donné, le Fonds fait généralement enquête et s'entend ensuite souvent sur le
quantum des dommages avec le demandeur. Fort de cette entente, le Fonds choisit
souvent de ne pas intervenir et de laisser le demandeur procéder ex parte.
Soulignons cependant qu’on a jugé à bon droit qu'une telle entente ne
dispense pas le demandeur de prouver sa cause. Celui-ci ne peut se contenter
d ’invoquer le «règlement» ou «l'entente» intervenue avec le Fonds: il doit établir
la responsabilité du défendeur et les dommages qu’il a subis. L’entente avec le
186 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

Fonds n'engage ni le défendeur, ni le tribunal (Gosselin c. Lévesque, 1975 R.P.


49).

Certaines demandes au Fonds sont inadmissibles en vertu de l’art. 40


L.l.V.A.A. Ainsi l'enfant, blessé par la faute de son père, conducteur responsable
de l'accident, n'a pas de recours contre le Fonds, et ce, même s'il possède un
jugement condamnant son père et une autre personne solidairement en tant que
co‫־‬propriétaires par indivis du véhicule-automobile qui a causé le dommage.
(Papazian c. Fonds, 1975 C.S. 389). Dans les circonstances de l’espèce, cette
décision se justifie sans doute mais le problème soulevé ne manque pas d ’intérêt.
Par exemple, si le père n'avait été que conducteur et si le seul propriétaire avait
été un tiers, la solution aurait-elle été la même, même si l’on considère que le
propriétaire aurait eu une action récursoire complète contre le conducteur?
Le Fonds doit-il payer les dommages causés par une automobile alors que le
conducteur s'est servi de l'automobile pour commettre un acte criminel, soit un
assaut? La réponse était sans doute affirmative jusqu’à ce que la loi de
l'indemnisation des victimes d ’actes criminels entre en vigueur. Il appert
cependant que la réponse doit être maintenant négative puisque la loi de
l'indemnisation des victimes d'actes criminels prévoit expressément l'indemnisa­
tion de la victime d'un assaut commis avec un véhicule-automobile (art. 244
C.Cr.) La victime d'un tel «accident » n’aurait donc pas de recours contre le
Fonds; il n'aurait droit qu’aux bénéfices prévus pour les victimes d'actes
criminels. (Ducharme c. Fonds, 1976 C.S. 172). Même si cette décision a été
portée en appel, elle nous apparaît parfaitement logique.
Lorsque le responsable d ’un accident est inconnu, la victime peut poursuivre
directement le Fonds en vertu de l’art. 43 L.l.V.A.A.
À propos de ce recours, il convient d'abord de souligner que le Fonds peut
être poursuivi et condamné solidairement avec un ou d ’autres responsables
«connus». (Fonds c. Marach, 1970 R.C.S. 402; Prévoyants du Canada c. Fonds,
1975 C.S. 239, citant la Cour d'appel).
Toutefois, on a jugé dans l'affaire Prévoyants du Canada c. Fonds, précitée,
que l'assureur d’un responsable solidaire connu ne bénéficiait d'aucune action
récursoire contre le Fonds pour la part de responsabilité de l’inconnu: l’assureur
doit supporter seul les dommages. Sur ce point, la décision a été portée en appel et
la chose est compréhensible. En effet, les principes paraissent contradictoires:
d'un côté, on admet que le Fonds puisse être solidairement responsable alors que
d'un autre côté on décide que le responsable connu solvable n’a aucune action
récursoire contre le Fonds.
Est-ce dire que la responsabilité solidaire du Fonds est vide de tout sens entre
les responsables, lorsque l’auteur connu est solvable? Selon la décision ci-dessus il
faut le penser, car si d ’une part l’auteur solvable n’a aucun recours en
remboursement contre le Fonds, il faut penser d ’autre part que si le Fonds paie, il
a une action en remboursement pour le plein montant contre le responsable
solvable.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 187

À notre avis, la contradiction n'est qu'apparente si la responsabilité solidaire


du Fonds se justifie par le fait que l’auteur connu est insolvable. Si cependant
l'auteur connu est solvable, on ne peut concilier les deux propositions. Ou le
Fonds est solidaire et alors il est soumis à toutes les règles de la solidarité, y
compris l'obligation de rembourser à l'auteur solvable qui a payé, la part de
responsabilité que doit supporter l'inconnu, ou il n'existe aucune action récursoire
contre le Fonds et alors il est illogique de penser que le Fonds est solidaire. Nous
écartons évidemment l'hypothèse d’une solidarité qui cesserait d'exister entre les
responsables, après dédommagement de la victime, c'est-à-dire une espèce de
solidarité à sens unique. Entre les deux thèses, nous préférons la deuxième:
lorsque l'inconnu n'est que partiellement responsable, l’auteur connu doit
supporter seul la responsabilité de l’accident, (sous réserve de la nuance apportée
par la Cour suprême tel qu'expliquée ci-après). Cette façon de voir est conforme à
celle qui veut qu'un co‫־‬responsable solidaire n'ait pas d'action récursoire contre le
Fonds pour obtenir un remboursement de la part de l'autre co‫־‬responsable
insolvable: le premier devant supporter seul !’insolvabilité du deuxième (Fonds c.
Deblois, 1975 C.A. 262).
Une certaine jurisprudence considérait que la responsabilité du Fonds, en
vertu de l’art. 43 L.I.V.A.A. n ’était pas soumise à la limite de $35 000 prévue
aux art. 38 et 14 L .I.V .A .A . : elle était illimitée (Lapointe c. Fonds, 1975 C.S.
602: Clouîier c. Fonds, 1975 C.S. 1232 et décision de la Cour d'appel y citée
(Fonds c. Marîineau). Ces décisions ont été répudiées à bon droit par la Cour
suprême dans la décision qu’elle a rendu dans l'affaire Fonds c. Marîineau. en
date du 29 avril 1977 (jugement non encore rapporté). La responsabilité du Fonds
en vertu de l'art. 43 est plafonnée à $35 000 et le jugement portant condamnation
conjointe et solidaire du Fonds avec une autre partie ne saurait, quant au Fonds,
excéder cette somme.
Cet arrêt de la Cour suprême ne s’arrête pas là. Il implique évidemment que
les art. 36 à 42 et 43 ne sont pas complètement indépendants: au contraire, les
deux recours sont interdépendants jusqu'à un certain point. En outre, et c'est ce
qui est encore plus important, la Cour suprême ajoute que le recours au Fonds,
quoique limité à S35 000, existe cependant autant de fois jusqu’à cette limite qu’il
y a d'automobiles «impliqués» dans un accident et dont les conducteurs et
propriétaires sont en partie responsables.
Dans l'espèce, la victime a subi des dommages au montant de $148 000. Elle
a reçu $100 000 de l'assureur du propriétaire (jugé responsable à 30%) du
véhicule dans lequel elle était passagère. Elle a réclamé la différence du Fonds
(l'inconnu fut jugé responsable à 70%) qui, entre autres choses, a plaidé, en
invoquant l'art. 38, qu'il ne devait rien puisque la victime avait déjà reçu
$100 000. La Cour suprême a condamné le Fonds à payer la somme de $35 000
après avoir tenu le raisonnement suivant par la plume du juge Pigeon:
II a été satisfait ju sq u 'à concurrence de $100 000 au jugem ent obtenu par F intimée,
ce qui laisse un solde de $48 402,44. Le Fonds doit-il être condamné à payer $35 000 à
l’intimée ou bien se trouve-t-il libéré du fait que l'intim ée a déjà été indemnisée par
Jeannette M artineau et Allen Robindaine pour une somme excédant ce montant?
188 REVUE G ÉNÉRALE DE DROIT 1978

Il faut, pour résoudre ce problèm e, considérer le texte et l ’économ ie de la Loi.

Le texte dont on doit de nouveau partir est celui de Part. 43: le Fonds est responsable
vis-à-vis l 'intimée dans la même mesure que si jugem ent avait été rendu contre l'auteur de
l'accident; si tel était le cas, on l’a vu plus haut, l'identité de cet auteur, par hypothèse
serait connue; elle ne l’est pas cependant et on ne peut savoir si cet auteur est assuré; il faut
donc faire comme s'il ne l'était pas et tenir que le Fonds est responsable dans la même
mesure que si jugem ent avait été rendu contre un auteur identifié mais non assuré. Il s ’agit
de décider, en d ’autres termes, quelle serait la responsabilité du Fonds dans l ’hypothèse
où Jeannette M artineau et Allen Robindaine auraient satisfait ju sq u 'à concurrence d'une
somme de $100 000 au jugem ent obtenu par l'intim ée contre eu.x et aussi contre un autre
automobiliste identifié mais ne portant aucune assurance.

Les autres dispositions de la Loi font voir quelle est son économ ie et démontrent je
crois que la responsabilité du Fonds n ’est pas éteinte par l ’indem nisation déjà versée à
l'intim ée.

L'objet de la Loi est d ’assurer, par les moyens et dans la m esure q u ’elle prescrit,
l’indemnisation des victimes d ’accidents d ’autom obile. Le moyen principal employé par la
Loi est une forme de contrainte qui exige de tous les autom obilistes, propriétaires,
chauffeurs et conducteurs, une solvabilité s ’élevant à la somme de $35 000 pour tous les
dommages dans un même accident (art. 14). Cette solvabilité est requise pour chaque
automobile enregistrée au nom du même propriétaire (art. 15). La preuve de la solvabilité
se fait le plus souvent au moyen d'une garantie d ’assurance responsabilité (art. 16). S ’il
survient un accident, le permis de conducteur ou de chauffeur de toute personne conduisant
une automobile impliquée dans l’accident, l’im m atriculation de toute voiture immatriculée
au nom de tel conducteur ou chauffeur, le permis de conducteur ou de chauffeur de chaque
propriétaire inscrit d ’une automobile impliquée dans l ’accident et l'im m atriculation de
toute automobile immatriculée au nom de tel propriétaire sont suspendus (art. 26), sauf s'il
y a preuve de la solvabilité requise comm e le prévoit l’art. 28. La suspension ne peut pas
être révoquée à moins q u ’il y ait preuve de solvabilité pour l'avenir et, soit une garantie de
satisfaire à tout jugem ent découlant de l'accident ju sq u ’à concurrence du m ontant jugé
suffisant mais ne dépassant pas $35 000, soit une preuve d'exonération ou d'acquittem ent
de toute réclamation découlant de l'accident ju sq u ’à concurrence du montant jugé suffisant
mais ne dépassant pas $35 000 (art. 29). La contrainte s ’exerce égalem ent à l'endroit des
assureurs. Aucune police d ’assurance ne peut couvrir une responsabilité inférieure à celle
que prévoit l'art. 14, (art. 9). L ’assureur ne peut non plus opposer aux tiers les causes de
nullité ou de déchéance susceptibles d ’être invoquées contre l’assuré et ce, ju sq u ’à
concurrence pour chaque autom obile du montant prescrit à l'art. 14 (art. 6).

La contrainte employée par la Loi comm e moyen principal pour atteindre son but
n ’étant pas absolue, le but ne peut pas être totalem ent atteint par ce seul moyen. La Loi y
supplée par un moyen additionnel, la constitution du Fonds auquel elle impose les
obligations prévues aux sections XII et XIII. Le moyen principal et le m oyen additionnel
sont complémentaires l'un de l’autre et la Loi établit entre eux un certain degré
d ’intégration puisqu’elle prescrit que le Fonds est administré et alim enté par les assureurs.

La Loi ne vise pas à garantir à chaque victime une indemnisation de $35 000. Le
moyen principal et le moyen additionnel q u ’elle emploie n 'y suffiraient pas dans bien des
cas où par exemple un seul accident fait plusieurs victimes. Mais elle vise à ce que la
victime puisse compter que pour chaque automobile impliquée dans l’accident il y aura
assurance responsabilité ju sq u ’à concurrence de $35 000. Lorsque cette garantie ne se
réalise pas entièrem ent grâce au seul élém ent principal du système établi par elle —
l ’assurance quasi-obligatoire de chaque automobiliste impliqué dans l’accident — et
lorsque la victime a une réclam ation à laquelle il n 'a pas été satisfait en partie ou en
totalité, la Loi atteint le même but au moyen de l'autre élém ent de ce système: elle donne à
la victime, pour la partie de sa réclam ation à laquelle il n ’a pas été satisfait, un recours
contre le Fonds ju sq u ’à concurrence de $35 000 p a r automobile non assurée.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 189

Cette interprétation me paraît confirm ée par le texte des articles 6 et 15. L ’art. 6 porte
que l'assureur ne peut opposer aux tiers les causes de nullité ou de déchéance susceptibles
d 'être invoquées contre l’assuré et ce

«jusqu'à concurrence pour chaque automobile du montant prescrit à l'article


14».

L ’art. 15 porte que la solvabilité prescrite par la Loi

est requise pour chaque autom obile enregistrée au nom du même proprié­
taire»

Quand le moyen principal de l'assurance quasi-obligatoire ne suffit pas à garantir la


solvabilité requise par la Loi pour chaque autom obile, il est logique de conclure que le
moyen additionnel permet de satisfaire à la même exigence et que l'on peut recourir au
Fonds pour chaque automobile impliquée dans l’accident. Compte tenu du caractère
intégré de ces deux m oyens, la Loi veut en effet que la solvabilité q u ’elle exige pour
chaque autom obile soit garantie soit par des assureurs, soit par le Fonds que les assureurs
administrent et alimentent.

Dans la présente affaire, deux autom obiles sont impliquées dans l'accident, celle de
Jeannette Martineau et celle de l’inconnu. Jeannette Martineau est solvable jusqu’à
concurrence du m ontant requis par la Loi mais elle n 'a pas pleinement indemnisé la
victime. Si le conducteur inconnu était connu et assuré, son assureur serait tenu
d'indem niser l’intimée ju sq u 'à concurrence d ’au moins S35 000, quelles que soient les
causes de déchéance ou de nullité q u ’il aurait pu opposer à l’assuré. C ’est le Fonds qui
remplace cet assureur. La victime a donc raison de réclam er du Fonds, pour suppléer à
l'insolvabilité de l’inconnu, l’excédent de ses dom mages, ju sq u ’à concurrence de $35 000.

Il est vrai que l'art. 38 prescrit que le Fonds doit satisfaire au jugem ent obtenu par la
victime

«jusqu'à concurrence du m ontant prescrit à l'article 14, déduction faite de ce


m ontant de toute somme ou valeur reçue par le créancier.»

Les raisons de cette déduction sont à mon avis sans application dans la présente
cause. La déduction des som m es ou valeurs reçues par le créancier évite en prem ier lieu
que ce dernier ne soit indemnisé deux fois pour les mêmes dom mages. Ce n ’est pas notre
cas. La déduction vise ensuite et principalement les sommes ou valeurs reçues de
l’autom obiliste même contre qui le créancier a obtenu un jugem ent auquel il demande au
Fonds de satisfaire. Si cet autom obiliste est solvable jusqu’à concurrence du montant
prescrit à l’art. 14, le Fonds est libéré. Si l ’automobiliste a indemnisé la victime pour une
partie de ce m ontant, le Fonds est responsable pour le solde jusquà concurrence de
S35 000. Dans la présente affaire, la victime n ’a rien reçu de l’inconnu et n 'a rien à
déduire de la réclamation q u ’elle adresse au Fonds pour la faute de cet inconnu. La
déduction prescrite à l’art. 38 évite enfin que le Fonds soit appelé à faire un paiement qui
profite à un assureur, en contravention de l’art. 37; si par exemple Jeannette Martineau et
Allen Robindaine étaient assurés ju sq u ’à concurrence de $150 000, on ne pourrait exiger
que le Fonds contribue $35 000 à l’indemnisation de l’intimée car une telle contribution
bénéficierait à l’assureur de Jeannette Martineau et d ’Allen Robindaine. Le Fonds serait
alors totalem ent libéré. Rien n ’indique que ce soit notre cas.

La déduction prescrite à l’art. 38 se trouve donc ici sans objet et la responsabilité du


Fonds reste entière.
Cette décision s’avère lourde de conséquences pour le Fonds: il est
responsable jusqu’à concurrence de $35 000 par automobile non assurée impliquée
dans un accident dont le conducteur est partiellement responsable, qu’il soit connu
ou non. Pourtant, nous sommes convaincus que le législateur n’a jamais eu
l’intention de dire ce que la Cour suprême lui fait dire. En toute déférence, il nous
190 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

paraît que le bien-fondé du jugement tient uniquement à l’autorité du tribunal qui


l'a rendu: le cheminement qu’il a suivi nous paraît peu convaincant, car il se butte
clairement aux dispositions de l’art. 38 qui dit bien que le Fonds doit satisfaire au
jugement, «déduction faite de toute somme ou valeur reçue par le créancier».
Cet article ne précise pas quelle doit être la provenance de cette somme reçue
par le créancier. Nous notons que la Cour «considère» que «la déduction vise
principalement les sommes ou valeurs reçues de l'automobiliste même contre qui
le créancier a obtenu un jugement auquel il demande au Fonds de satisfaire».
Outre le fait qu’elle n’a pas osé prétendre que la déduction visait exclusivement
lesdites sommes alors qu’elle raisonne comme si elle le disait, la Cour se justifie,
par ce raisonnement, de ne pas appliquer la déduction à la responsabilité de
l'inconnu. Il est donc pour le moins curieux de dire que le recours de Fart. 43est
soumis à la limite des art. 14 et 38, et de conclure par ailleurs, que la déduction
prescrite ne s’applique pas. Par ailleurs, la responsabilité du Fonds nous apparaît
clairement délimitée à Fart. 38: le Fonds doit satisfaire au jugement jusqu’à
concurrence du montant prescrit à Fart. 14. Or à Fart. 14 le montant prescritest
$35 000 pour tous dommages dans un même accident et «non $35 000 par
automobile impliquée dans un accident et dont le conducteur a commis une faute».
Les deux propositions sont tellement différentes qu’on n’aurait pas manqué
d ’utiliser la deuxième formule, ou une formule au même effet, si c ’est ce qu’on
avait voulu. Si, en outre, on lit Fart. 14 avec Fart. 38, comme il se doit, on
comprend mal les réserves faites par la Cour sur les déductions à faire. Quant à
Fart. 15, auquel Fart. 38 ne réfère pas, il prévoit le cas de la solvabilité du
propriétaire qui a plusieurs automobiles.
Dans une autre affaire, l'assureur d ’un propriétaire Fa indemnisé pour la
perte de son automobile suite à une collision due exclusivement à la responsabilité
d'un inconnu. L’assureur, cessionnaire des droits de son assuré, a ensuite réclamé
le remboursement de la somme payée au Fonds. La Cour supérieure, après avoir
hésité sur la question de savoir si les art. 36 à 42, et en particulier Fart. 37,
s’appliquaient au recours de l’art. 43, a cru trouver dans la jurisprudence une
réponse négative. Il a donc condamné le Fonds à rembourser à l'assureur la
somme que celui-ci avait payée, soulignant que la restriction de Fart. 37 à l’effet
qu’un assureur ne doit pas bénéficier du paiement ne s'appliquait pas (Merit Cie
d'Ass. c. D azé, 1976 C.S. 590).
Enfin s’est posée une question fort particulière dans l’affaire Fonds c.
Lamoureux, 1976 C.A. 96. Lamoureux devait $33 000 au Fonds, à la suite d ’un
jugement acquitté, pour lui, par le Fonds. Alors qu'il était ainsi endetté envers le
Fonds, Lamoureux fut, à son tour, victime d’un accident et il obtint une
condamnation de S12 000 contre le Fonds. D’où la question: y a-t-il compensation
entre les deux dettes?
La Cour supérieure avait jugé que la compensation ne pouvait avoir lieu
puisqu'il s’agissait de créances alimentaires et que la compensation ne pouvait
avoir lieu à propos de telles créances (1190-3° c.c.). La Cour d ’appel a infirmé ce
jugement et déclaré qu’il y avait compensation puisque Fart. 553-4° C.P. prévoit
qu'une créance alimentaire peut être saisie pour une dette alimentaire.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 191

80. La Loi de V indemnisation et Vassureur. Recours de la victime contre


r assureur. Relations entre Fassureur et le Fonds.
L'assureur du responsable ne peut opposer à la victime les causes de
déchéance ou de nullité de la police; il peut cependant lui opposer l'absence de
converture (art. 6).
Force nous est de dire que la ligne de démarcation entre ces deux réalités, si
elle existe, risque d'être fort mince plus souvent qu’autrement. Aussi il faut
espérer qu on y marchera sans perdre trop souvent l’équilibre.
Le droit que confère à la victime l’art. 6 L.I.V.A.A. doit être interprété
largement.
Le premier alinéa accorde à la victime un recours direct contre l'assureur qui
a émis une police valide, pourvu que la perte subie résulte d'un risque couvert par
la police (ex. de non-couverture, le cas du conjoint du conducteur), et ce jusqu'à
concurrence du montant stipulé à la police.
Le second alinéa vise le cas de l'assureur qui aurait raison de ne pas accorder
à l'assuré la protection prévue à la police, pour un motif quelconque. Cet assureur
est responsable envers la victime, jusqu’aux limites prévues à l'art. 14, dès qu’il a
émis une police qui soit nulle ou annulable ou déchue, qu'elle soit nulle
maintenant ou l'ait toujours été, ou qu'elle soit censée n'avoir jamais existé.
En conclusion le deuxième alinéa de l'art. 6 s'applique autant aux causes de
nullité ab initio qu'à celles résultant d'une cause d'annulation ou de déchéance du
contrat, survenant après l'émission valide d'une police. Ainsi, la nullité d'une
police en raison des fausses représentations de l'assuré est inopposable à la
victime (Société d'Assurance des Caisses Populaires c. Ratté, 1975 C.A. 661).
À plus forte raison, c'est à bon droit qu’on a considéré que constituait une
cause de déchéance ou de nullité inopposable à la victime le fait pour l'assuré de
ne pas avoir donné avis à son assureur d'un changement d’automobile (D'Albenas
c. Ancienne M utuelle, 1975 C.A. 244).
Par ailleurs, on a permis à l'assureur d'opposer à la victime, blessée
lorsqu’une remorque s'est détachée d'un véhicule, le fait que la remorque n'était
pas couverte par la police d'assurance. En principe, les «remorques variées ‫׳‬
étaient couvertes, mais étaient exclues celles utilisées pour le transport des
voyageurs, pour démonstrations ou ventes, ou servant de bureau ou d'habitation.
L'assuré utilisait ladite remorque, qui a causé le dommage, pour la vente de fruits
et légumes. Dans l'opinion du tribunal la remorque était donc exclue: il ne
s'agissait pas de la violation d'une clause du contrat mais d'un cas de
non-couverture puisque la remorque était exclue de la définition de l'automobile
(Bouchard c. Fédéral Fire Ins. C o., 1975 C.A. 882). Dans cette affaire la victime
a invoqué la règle «ejusdem generis» et a plaidé que l'exclusion ne visait que les
cas où la vente se faisait à l’intérieur, même de la remorque. Cet argument nous
paraît fort convaincant à la lecture des types de remorques exclues et nous
comprenons fort mal l'attitude du tribunal. Il nous semble que, dans cette affaire.
192 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

tous les doutes ont été résolus contre la victime et contre l’assuré, et en faveur de
l’assureur. Si la remorque était visée par l'exclusion, il était juste de traiter le cas
comme un cas d'absence de couverture, mais nous ne croyons pas que la
remorque était exclue, la règle ejusdem generis paraissant devoir s’appliquer. De
toute façon, il est à espérer que la remorque est devenue ou deviendra une
«automobile» lors de la demande de la victime au Fonds! Il serait inconcevable
que la victime soit sans aucun recours! Et si la remorque est une automobile pour
le Fonds, comment ne le serait-elle pas pour l'assureur, si ce n’est à cause d'une
interprétation trop superficielle de la police d'assurance. Quant à l'assuré, force
nous est de dire qu'on lui a souvent donné le bénéfice du doute dans des cas où, à
notre avis, le doute n'était pas plus grand que celui qui pouvait exister dans le cas
présent.
Nous apparaît, par ailleurs, mieux fondée la décision où on a jugé que
l’assureur pouvait opposer à la victime la stipulation de non-responsabilité en cas
de blessures corporelles subies par un employé (la victime) de l’assuré pendant
qu’il s’occupait des affaires dudit assuré, parce qu’il s'agissait, en l'occurence
d'une véritable absence de couverture. (Société Cie d ’Assurances Générales du
Canada c. Perreault, 1975 C.A. 799). La victime conservait néanmoins
possiblement des recours, soit contre la Commission des accidents du travail, soit
encore contre le Fonds. Nous devons cependant avouer que cette possibilité de
l’existence d’un recours contre le Fonds, parce que l’assurance ne s’applique pas,
nous paraît douteuse, eu égard à l’existence de l’art. 6 L.l.V .A .A . et de
l’économie générale de la Loi.
L’intercalaire décrétant la non-responsabilité de l’assureur envers toute
personne voyageant dans ou sur le véhicule agricole lorsque, au moment de
l’accident, plus de trois personnes, outre le conducteur, voyagent dans ou sur le
véhicule agricole constitue une clause de déchéance et non une absence de
couverture et cette stipulation est donc inopposable à la victime. (Morin c. Les
Prévoyants, 1975 C.S. 205). Bien que portée en appel, cette décision nous paraît
raisonnable, vu que le droit conféré à la victime par l’art. 6 L.l.V .A .A . doit être
interprété largement. Dans le doute, il faut traiter une stipulation comme une
clause de déchéance, plutôt que comme une absence de couverture, la couverture
devant être présumée en raison de l’existence de la police.
Le recours direct du créancier d'un jugement contre l'assureur se prescrit par
trente ans car il a pour fondement un jugement (Canadian Indemnitv c. Lavigne,
1976 C.A. 264).
Lorsqu'il y a deux débiteurs solidaires assurés, l’assureur qui paie le tout
peut, sur paiement et subrogation, exercer une action en remboursement contre
l’assureur de l’autre responsable et jusqu’à concurrence de sa part de responsabi­
lité. L’assureur qui paie bénéficie, au moins en vertu de la subrogation, du droit
direct que la victime possédait contre l'autre assureur (La Sécurité c. Hartford
Fire Ins., 1975 C.A. 497). De même le Fonds qui paierait la totalité d’un
jugement pour l'un des conducteurs solidairement responsables possède, en
principe, une action récursoire contre le co-responsable solidaire (Fards c.
Ganger, 1975 C.S. 565) pour sa part de responsabilité dans l'accident.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 193

D . E ffets d e s o b l ig a t io n s .

81. Mise en demeure.


(Cf. aussi supra, n° 43 — Troubles de voisinage).
Un contractant qui confie la confection de vêtements à quelqu'un en lui
fournissant tout le matériel et les patrons, ne peut réclamer le coût des réparations
des vêtements prétendument mal confectionnés sans avoir préalablement mis en
demeure le «confectionneur» de faire les réparations ou sans lui avoir offert la
possibilité de procéder aux réparations (Edgewood Casuals Ltd. c. Porper, 1975
C.S. 1211). Cette décision est évidemment conforme aux principes, tels qu'ils
sont appliqués par les tribunaux (cf. (1912) R.G.D. n° 66, p. 382: 1913 R.G.D. n°
92, p. 305).
Un promettant-acheteur, qui a acheté un terrain ailleurs, ne peut réussir dans
son action en dommages contre son promettant-vendeur que s'il l'a mis en
demeure d'exécuter sa promesse. Il ne sera dispensé de faire cette mise en
demeure par écrit (1067 c.c.) que s’il prouve que le débiteur (promettant-vendeur)
a clairement et manifestement répudié son obligation c.-à-d. a catégoriquement
refusé d'exécuter son obligation. S'il ne fait pas cette preuve, et s'il n'a pas mis
son débiteur en demeure avant d'instituer son action, celle-ci sera rejetée, parce
que prématurée, si, dans sa défense, le promettant-vendeur se déclare prêt à
donner suite à sa promesse (Cloutier c. Cordeau, 1976 C.S. 193). Si les principes
de base énoncés dans cette affaire nous paraissent bien-fondés, il nous semble que
le tribunal paraît en faire une application inacceptable. Il est trop facile de se
déclarer prêt à donner suite à une promesse de vente, dans une défense. Pour être
valable et suffisante pour repousser l’action, une telle défense nous paraît devoir
être accompagnée des offres nécessaires, (présentation de l'acte). On n'accepte
pas généralement qu'un demandeur se déclare prêt à exécuter le contrat seulement,
sans accompagner cette déclaration, le cas échéant, des gestes concrets propres à
démontrer la sincérité de ses intentions. Aussi on voit mal pourquoi la chose serait
différente lorsque «l'offrant» est défendeur. Ceci dit, il semble bien que dans la
décision précitée, le rejet de l'action, sous prétexte qu'elle était prématurée, ne
peut être perçu que comme un rejet définitif. En effet, quel intérêt le demandeur
peut-il avoir à mettre le défendeur en demeure d'exécuter le contrat lorsqu'il s'est
«approvisionné ailleurs»? Aussi le tribunal eut mieux fait, à notre avis, de faire
droit à l'action, si le défendeur ne faisait pas des offres sérieuses, ou de rejeter
purement et simplement l'action si le défendeur avait fait des offres sérieuses ou si
les faits justifiaient le tribunal de considérer qu'il y avait résolution de la promesse
par consentement mutuel.

E. M o d a l it é s d e s o b l ig a t io n s .

82. Condition. Réalisation fictive. Cession de créance en garantie.


(Cf. aussi supra, n° 23. Stipulation pour autrui).
Le mandant qui, «pour une cause qui lui est imputable» ne donne pas ou ne
peut donner effet au contrat de vente ou d'achat au sujet duquel il a confié à un
194 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

mandataire le soin de lui trouver un acheteur ou un vendeur doit néanmoins payer


la commission due au dit mandataire (art. 1084 c.c.). Cette règle est appliquée
couramment. Ainsi, le promettant-acheteur qui refuse d'exécuter sa promesse
demeure responsable de la commission due à son mandataire par 1084 c.c. si la
seule raison de son refus est que le marché est devenu plus onéreux (Cyrus S.
Eaton Jr. c. Norîh America Trust Co.< 1974 C.A. 467).
De même, le vendeur qui ne peut donner suite à la vente parce qu'il ne peut
fournir des titres clairs, doit payer la commission au courtier qui a trouvé un
acheteur (Immeubles du Bas Richelieu Ltée c. Dumont, 1976 R.L. 411 et
jurisprudence y citée), même s'il s'agit d ’une résolution du contrat de gré à gré
entre le vendeur et l'acheteur (voir par ex. Square Realties Corp. c. M ensher,
1975 C.S. 1017, 1018).
La cession d'une créance à titre de garantie est une cession conditionnelle:
c'est un transfert sous condition résolutoire quant au cessionnaire, la condition
résolutoire consistant dans le paiement de la créance que la cession de créance
garantit. Tant que la condition n'est pas défaillie c'est-à-dire tant que la créance
principale n'est pas payée, le cédant d'une créance, en garantie, possède un intérêt
certain à la conservation de la créance cédée et à son recouvrement. Le cédé ne
peut donc opposer la cession au cédant que s’il n'est pas possible de pourvoir à ce
que le paiement que pourrait effectuer le cédé en satisfaction du jugement à
intervenir soit opposable au cessionnaire. Cette opposabilité peut avoir lieu par la
mise en cause du cessionnaire. À plus forte raison, le cédant a intérêt à poursuivre
le cédé si la cession est devenu caduque par suite du paiement de la créance
principale garantie par la cession au cessionnaire (Place Québec Inc. c.
Desmarais, 1975 C.A. 910 ou 1976 C.A. 11).
83. Terme.
(Cf. aussi supra, n° 23. Stipulation pour autrui)
La donation, contenue dans un contrat de mariage, faite par l'époux, qui
s’engage à payer la somme de $5 000 «au fur et à mesure que ses affaires le lui
permettront» constitue une donation qui comporte un terme précis. Et si la
donataire prouve que les «affaires» du donateur lui auraient permis de payer la
donation au cours des 20 années précédentes, la donation est échue et doit être
payée (Sheehy c. Sheehy, 1976 C.S. 1428).
Toutefois la même donation due «au temps et de la manière que (le donateur)
le jugera convenable et opportun» constitue une donation à cause de mort qui ne
peut être exigée du vivant du donateur (Lavoie c. Delage, 1976 C.S. 1448).

84. Solidarité. Sources. Conditions. Effets.


(Cf. aussi supra, n° 1. Frais funéraires. Obligation naturelle).
L'art. 1103 c.c. définit la solidarité: «Il y a solidarité de la part des débiteurs
lorsqu’ils sont obligés à une même chose, de manière que chacun d ’eux puisse
être séparément contraint à l’exécution de l'obligation entière, et que l’exécution
par l’un libère les autres envers le créancier».
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 195

À elle seule cette définition nous laisse croire qu'il y a solidarité dès que
deux ou plusieurs débiteurs sont obligés à une même chose de manière que ...
etc... Toutefois, cette définition est suivie des art. 1105 et 1106. Or l'art. 1105
c.c. nous dit bien: «La solidarité ne se présume pas; il faut qu'elle soit
expressément stipulée».
Cette règle cesse dans les cas où la solidarité est stipulée dans une disposition
de la loi et dans les affaires de commerce (art. 1105 c.c.).
Quant à l'art. 1106 c.c. il énonce: «L'obligation résultant d'un délit ou
quasi-délit commis par deux personnes ou plus est solidaire».
Vu l'existence de ces dispositions (1105 et 1106), il nous est permis de croire
que la définition de la solidarité leur est subordonnée et que la solidarité n'existe
que si l'obligation qui répond à la définition de l'art. 1103 répond aussi aux
conditions de l'art. 1105 ou 1106 c.c., sous réserve évidemment de l'interpréta­
tion à donner à ces articles et, en particulier, à l'art. 1106 c.c.
Ainsi, il ne fait pas de doute que le cautionnement d ’une dette commerciale
d'une compagnie est commercial pour les cautions surtout lorsque celles-ci
possèdent des intérêts dans ladite compagnie (Raymond c. International Video
Corp., 1974 C.A. 501; cf. aussi Canadian Petroleum c. Bernard, 1972 C.A.
854). En conséquence, les cautions sont obligées solidairement avec la débitrice et
elles ne peuvent opposer au créancier le bénéfice de discussion.
Toutefois, les cas suivants de solidarité sont plus discutables.
L'employé d'un sous-entrepreneur a, par sa faute, causé l'incendie d'un
ouvrage en construction. Conséquemment, le sous-entrepreneur est quasi-délic-
tuellement responsable envers le propriétaire de l'ouvrage (1054, 1er al. c.c.).
Toutefois, l’entrepreneur général n'a commis aucune faute quasi-délictuelle: mais
il est néanmoins responsable en vertu des règles contractuelles applicables en
matière de contrat d’entreprise, et plus particulièrement, à raison de l'art. 1684
c.c. Pourtant, malgré le fondement différent de la responsabilité de chacun, tel
que décrété expressément par le tribunal, celui-ci conclut que les débiteurs sont
solidairement responsables puisque chacun est tenu au paiement intégral (c.-à‫־‬d.
est responsable) de tout le préjudice (Duchesneau c. Roy, 1976 C.S. 387, en
appel mais certainement pas sur la question de la solidarité).
De même, la Cour d'appel a décrété la solidarité entre deux entrepreneurs
différents qui avaient travaillé, chacun pour partie, à l'exécution d ’un bâtiment,
après avoir jugé que chaque entrepreneur était responsable de la perte du bâtiment
en vertu de l'art 1688. Chacun étant obligé à une même chose, soit la perte
partielle du bâtiment et de la totalité de ladite perte, sa responsabilité a été jugée,
dans les circonstances, solidaire de celle de l'autre (Cargill Grain Co. Ltd c.
Foundation Co., 1975 C.A. 265, 285).
Dans une troisième espèce, l'éclatement d'une conduite d'eau avait causé une
inondation dans un immeuble non-conforme aux règlements municipaux qui
exigeaient l'imperméabilité des fondations. Retenant la responsabilité de la
196 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

municipalité, qu'il qualifie de quasi-délictuelle, et la responsabilité du propriétaire


de l'immeuble, qu’il qualifie de «légale » en vertu de ses obligations de locateur, à
l'égard des locataires pour les dommages subis par ceux-ci lors de l’inondation, le
tribunal conclut qu'il ne saurait y avoir solidarité entre la municipalité et le
propriétaire. Il condamne néanmoins chacun des responsables, semble-t-il, à payer
la totalité des dommages (Great Easîern Ins. Group c. Ville de Tracy, 1976 C.S.
253).
Rappelons aussi l'arrêt de la Cour suprême dans Martel c. Hôtel-Dieu
St-Vallier, 1969 R.C.S. 745, où la Cour, après avoir rejeté l'idée de l'existence
d'un contrat entre le patient et le médecin parce que le contrat existait entre le
patient et l'hôpital, commettant du médecin, a néanmoins jugé qu’il y avait
responsabilité solidaire du médecin et de l'hôpital, après avoir tenu à qualifier la
responsabilité de l'hôpital de «responsabilité quasi-délictuelle», par le biais de
l'art. 1054, dernier al. c.c.
En plus des autres décisions où il est question de l'existence de la solidarité
que nous avons déjà notées à 1971 R.G.D. n° 94, p. 344, 1972 R.G.D. n° 72, p.
387; 1973 R.G.D. n° 94 p. 307, 1975 R.G.D. n° 74, p. 266, soulignons les arrêts
Véronneau c. Hydro-Québec, 1975 C.A. 480, Quirion c. Gauthier, 1975 C.A.
468 et Brink's Express c. Plaisance (1977) 1 R.C.S. 640.
Dans ces trois derniers cas, il s’agissait de la réclamation de la victime d'un
accident de travail contre un tiers-responsable, alors que l’accident était aussi dû à
la faute de l'employeur ou d ’un co-employé de la victime. Dans l’arrêt Brink's, la
Cour suprême, confirmant sur ce point l'arrêt de la Cour d’appel (1973) C.A. 930,
a jugé qu'il ne pouvait y avoir solidarité entre les tiers et l’employeur de la victime
(pour la faute du co-employé). Vu l’absence de recours de droit commun de la
victime contre son employeur et son co-employé à raison de la Loi des Accidents
du travail, l’art. 1103 c.c., «qui prescrit les conditions de la naissance de la
solidarité ne trouve pas son application et par voie de conséquence, l'art. 1106
c.c. ne peut non plus être invoqué contre le tiers responsable en partie de
l’événement». Pourtant, la Cour d ’appel a dit, entre la date de son arrêt et celui de
la Cour suprême dans l’affaire Brink's, qu’il y avait solidarité dans un tel cas (cf.
affaire Véronneau précitée), substituant à cette idée de solidarité la notion de
l'obligation in solidum dans l'affaire Quirion précitée, pour expliquer l'obligation
du tiers de payer à la victime la totalité de «ses dommages excédentaires».
Enfin, notons la décision de la Cour supérieure dans Brosseau c. Choinière,
1976 C.S. 950, où le tribunal a clairement jugé qu’il ne pouvait y avoir solidarité
entre le tiers-responsable d'un accident de travail et le contractant qui dans un
contrat avec l'employeur tenu personnellement d'indemniser la victime d'un
accident de travail en vertu de la L .A .T ., s’était engagé à indemniser celui-ci des
indemnités qu'il aurait à payer en vertu de la Loi des accidents du travail, pour la
raison que l'obligation (analogue à celle d’un assureur) du contractant avait sa
source dans un contrat, alors que celle du tiers-responsable avait sa source dans un
quasi-délit. Pourtant, il faut bien noter que l’obligation de chacun avait pour objet
«la même chose».
Vol. 9 DROIT DES OBLIGA TIO NS 197

Que faut-il penser de toutes ces décisions? Quand y a-t-il solidarité?


La décision de la Cour supérieure dans l'aff. Brosseau est manifestement
bien fondée. Du reste, nous avons déjà opiné qu'il ne pouvait y avoir solidarité,
par exemple, entre le Fonds, pour son obligation en vertu de l'art. 38 L.I.V.A.A.,
et l'assureur du responsable (cf. 1973 R.G .D. p. 308), parce que la «responsabi­
lité» du Fonds trouve sa source dans la L.I.V.A.A. et celle de l'assureur, le cas
échéant, dans le contrat le liant à son assuré. Par analogie, la situation dans
l'affaire Brosseau est la même.
Si cette décision est bien fondée, il faut en retenir les implications: même si
l'objet de l'obligation est le même, et même si les débiteurs peuvent être appelés à
payer le tout, il n'y a pas solidarité. C'est dire que l'art. 1103 c.c. n'est pas
suffisant, à lui seul, pour déterminer quand il y a solidarité. Autrement dit, il faut
aussi tenir compte de la cause de l'obligation des débiteurs et ce sont les art. 1105
et 1106 qui déterminent les sources de la solidarité, c'est-à-dire quand l'obligation
pour le tout devient solidaire.
Dans cette optique, les décisions rendues dans l'affaire Brink's sont bien
fondées. L’art. 1106 ne saurait s’appliquer lorsque l'un des quasi-délits, dont
l'existence est nécessaire pour qu’il y ait solidarité, n'a aucune existence, à toutes
fins juridiques, à raison des dispositions de la loi. Et ce motif est suffisant pour
nier l'existence de la solidarité. Il n’est donc pas nécessaire de faire d ’abord appel
à la définition de l'art. 1103 c.c. À notre avis, c'est l'art. 1106 c.c. qui
conditionne l’application de l’art. 1103 c.c. et non le contraire. Si l'art. 1106 c.c.
ne peut s'appliquer, il n’y a pas solidarité et conséquemment le tiers-responsable
ne peut être tenu qu'à sa part de responsabilité. L'art. 1103 ne peut donc
s'appliquer. Pour ces raisons, l'obligation du tiers ne saurait pas plus être une
«obligation in solidum». Aussi les décisions dans Véronneau et Quirion n'étaient
pas fondées et elles ont été «infirmées» sur la question de la solidarité comme telle
par l'arrêt «Brink1s».
Toujours dans la même optique, eu égard aux principes applicables, la
décision du tribunal dans l'affaire Great Eastern Ins. Group précitée, nous
apparaît bien fondée puisque la cause juridique de l'obligation de chacun des
responsables était différente et que, du reste, il ne pouvait y avoir solidarité, ni en
vertu de l'art. 1105, ni en vertu de l'art. 1106 c.c. Il s'agit cependant d'un cas où
on peut qualifier la responsabilité de chacun des responsables «d'obligation in
solidum», chacun étant tenu au tout sans l’être solidairement. Toutefois l'obliga­
tion in solidum ne produit aucun effet juridique qui lui est propre. Il ne s'agit
évidemment que de la qualification commode d'une situation.
Par ailleurs, la décision dans l'affaire Duchesneau ne peut être approuvée.
Elle est d'ailleurs en contradiction évidente avec la décision dans l'affaire Eastern
Ins. Group. Notons cependant que la solidarité n’entraîne aucune conséquence
dans cette affaire. Le juge aurait pu se contenter de constater que chaque partie
était obligée «in solidum».
Quant aux décisions dans les affaires Martel et Cargill Grain, elles sont à
198 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

tout le moins discutables. A première vue, il n’existe aucun fondement à


l'existence de la solidarité, encore que dans chaque cas on eut pu penser à
qualifier l'obligation de chaque responsable d'obligation in solidum. (cf nos
propos sur l'affaire Martel à 1971 R.G.D. 346). Dans l'affaire Cargill Grain, la
solidarité ne semble reposer que sur la définition de l'art. 1103 c.c. Comme nous
l’avons vu, cette définition ne peut, à elle seule, déterminer les cas d ’obligations
solidaires. La solidarité ne peut trouver sa raison d'être que dans les art. 1105 et
1106. Or en l'espèce, la Cour n'a pas justifié la solidarité par l'une de ces
dispositions. Elle a simplement cru qu'elle devait conclure à l'existence de la
solidarité. Cette motivation est peu convaincante, encore qu’il faille ajouter que sa
force de conviction paraît être proportionnelle à l'intérêt porté par les parties à la
question.
Dans un autre ordre d'idées, soulignons encore que l'action intentée contre
un prétendu co‫־‬auteur d'un quasi-délit, après le délai de prescription, ne peut être
rejetée sur requête en irrecevabilité, si une action a déjà été intentée, avant
l'expiration du délai de prescription, contre un premier prétendu co-auteur d'un
quasi-délit. Car si l'enquête au fond démontre une faute partielle de celui qui est
poursuivi en premier lieu, il y aura eu interruption de la prescription à raison de la
première action, en vertu de la solidarité (1106 c.c.), si le demandeur prouve une
faute partielle contre le deuxième défendeur. (Vallès c. Shiroyatu 1976 C.S.
1757). Et ce principe vaut même si dans sa première action, le demandeur insistait
sur le caractère exclusif de la faute du défendeur, dans sa déclaration. Cette
affirmation ne doit pas s'interpréter comme une renonciation à la solidarité, mais
bien plutôt comme une prétention du demandeur à l'effet qu'il n'avait lui-même
commis aucune faute (Berthiaume c. Richer, 1975 C.A. 638).
Cependant, s'il s'avère que le premier défendeur poursuivi n’est aucunement
responsable, l'action devra, dans de telles conditions, être rejetée contre le
deuxième défendeur, même s'il est le vrai responsable, s’il n ’a été joint à la
première action qu’après l'expiration du délai de prescription (Duval c. Goudreau,
1976 R.L. 327).
Le règlement hors cour intervenant entre le demandeur et l’auteur d'un
quasi-délit ne constitue pas une fin de non-recevoir à la continuation des
procédures contre un autre défendeur, même si on demandait une condamnation
solidaire des défendeurs au départ (Gagnon c. Desrosiers, 1975 C.S. 880). Dans
cette affaire, les dommages ont été évalués à $80 000. Par ailleurs, l’un des
défendeurs a réglé pour la somme de $10 000. Dans l'action, la victime a été
jugée responsable pour 259f , mais l'autre défendeur a été exonéré complètement.
Le tribunal ne se prononce donc pas sur l'effet du règlement. Mais si le deuxième
défendeur avait été tenu responsable, il faut penser 1) qu'il n'aurait pu être
condamné qu'à payer sa part ou 2) que le règlement n'aurait pu lui être opposé par
l'autre défendeur dans le cas d'une action récursoire.
Le jugement ne nous renseigne pas sur les termes du règlement, mais les
conséquences de la décision nous paraissent délicates. Si, en réglant, le
demandeur a réglé le tout avec ce défendeur, tout en réservant ses recours contre
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 199

l'autre, il a forcément renoncé à la solidarité: le règlement ne porterait alors que


sur la part de responsabilité dudit défendeur et ce dernier n'aurait pas d ’action
récursoire contre l'autre défendeur. Si cependant le règlement ne constitue que la
réception d'un paiement partiel, le demandeur conserve évidemment son recours
solidaire contre les deux défendeurs pour le tout. Si, enfin, le règlement consiste
en un règlement pur et simple de l'action, on voit mal quels droits le demandeur
pourrait prétendre exercer contre un autre défendeur: la transaction et le paiement
n'entraînent-ils pas l'extinction de l'obligation? Cette extinction, commune à tous
les débiteurs, peut certes être invoquée par le co-débiteur solidaire (1112 c.c.). Vu
ces différentes possibilités, les motifs que donne le tribunal à l'appui de sa
décision nous paraissent laconiques et insuffisants. Quoi qu'il en soit, il nous
paraît important pour le demandeur qui règle de cette façon, de bien préciser les
limites du règlement, car, à notre avis s'il s'agit d'un «règlement final et complet»
sans autres réserves, l'autre défendeur a droit au rejet de l'action. Il nous semble
que dans le cas à l'étude le deuxième défendeur avait raison de demander le rejet
de l'action, tout en niant sa responsabilité, s'il s'agissait d'un tel règlement.
La question de l'existence de la solidarité dans le cas d'accidents en chaîne
est toujours contre versée (nos commentaires à 1976 R. du B. 252 et à 1975
R.G.D. n° 54 p. 244-246). Une chose est cependant certaine.
Avant de bénéficier de l'art. 3 L .l.V .A .A ., il faut prouver que le défendeur,
impliqué dans l'accident, a causé des dommages. Il n'y a pas de présomption de
dommages.
Aussi, si la victime poursuit un deuxième conducteur qui l'a heurtée après un
premier accident, elle doit prouver que ce deuxième conducteur lui a causé des
dommages. Si la preuve ne révèle pas que le deuxième choc a causé ou augmenté
les dommages déjà causés, il n’y a pas de solidarité (Fredette c. EngeL 1975
C.A. 880). En fin de compte, il serait préférable de dire qu'il n'y a pas de
responsabilité, puisque celle-ci n'existe que si la faute a causé des dommages.
(Cf. aussi supra, n° 79. Recours au Fonds et n° 80. La loi de lfindemnisation
et Vassureur dernier paragraphe).

F . E x t in c t io n d e s o b l ig a t io n s .

85. Paiement. Nature. Paiement par un tiers. Action récursoire. Offres et


consignation. Subrogation.
Dans les obligations ayant pour objet le paiement d'une somme d'argent, le
paiement consiste dans la livraison de ladite somme d'argent.
Ainsi, la remise d'un chèque en paiement d'une dette, si le chèque n'est pas
honoré par la suite, ne constitue évidemment pas un paiement de la dette, pas plus
qu'il ne constitue, à défaut d'une intention évidente à cet effet, une novation par
changement de dette ou par changement de débiteur (Bennett c. Soc. Coop.
agricole de Sherbrooke, 1975 C.A. 611).
200 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

Dans la même optique, le dépôt d'un chèque à la poste ne constitue pas un


paiement, s'il n'est jamais reçu par le destinataire. Si le chèque est volé et négocié
frauduleusement, le débiteur doit «payer» à nouveau (1144 c.c.), quitte à ce qu'il
exerce ses recours contre le voleur ou la Banque (Chapados c. Service de cuisine
commerciale, 1976 C.P. 173).
Celui qui paie la dette d ’un autre possède une action en remboursement
contre le débiteur. À défaut de subrogation conventionnelle ou légale, ou de
cession quelconque, le paiement peut toujours constituer un prêt, fait par celui qui
paie au débiteur pour qu'il paie (Sansemat c. M artin, 1975 C.S. 561). On fait
évidemment peu de cas alors de la possibilité que le paiement ait été fait à titre
gratuit et qu'il constitue plutôt une donation, mais le tribunal est sans doute
autorisé à ignorer cette possibilité lorsqu’elle n'est même pas invoquée par le
débiteur dont la dette a été payée.
Par ailleurs, le vendeur d ’immeuble qui continue de payer les taxes scolaires
et municipales a droit, par subrogation, à un remboursement de la part de
l’acheteur, avec intérêts depuis la mise en demeure seulement (Perron c. Lessard,
1976 C.S. 1830 en appel).
Le tribunal ne s'explique pas sur la source de la subrogation, qui n'est certes
pas conventionnelle. À moins qu'il ne s'agisse du cas prévu à l'art. 1156-3° c.c.,
ce qui nous paraît fort douteux, il faut penser qu'il s’agit encore ici d'un paiement
qui crée entre le solvens et le débiteur une relation de la nature d'un prêt. Cette
relation n'est cependant pas une relation contractuelle automatique. Aussi il faut
penser que l'action en remboursement se justifie juridiquement, en l'absence de
toute convention expresse ou implicite de prêt entre celui qui paie pour un autre et
le débiteur, par le quasi-contrat de gestion d'affaire. À moins que dans tous ces
cas, l'art. 1141 c.c. ne contienne lui-même implicitement le principe de l'action
en remboursement, ce qui reviendrait au même. Toutefois, la preuve que le
paiement aurait été fait par gratuité ferait disparaître évidemment l'action en
remboursement.
Le débiteur d'une créance hypothécaire qui paie sa dette, de bonne foi, au
donataire de cette créance, la paie valablement. Même si la donation est annulée
par la suite, en vertu d'un jugement obtenu à la demande des héritiers du
donateur, le débiteur qui a payé ne peut être recherché en justice pour le paiement
de cette dette. Il s'agit là d'une application tout à fait raisonnable de l'art. 1145
c.c., étant entendu que la question de la bonne foi est une question de faits
(Daoust c. Daoust, 1976 C.S. 1742, en appel). Cette décision ne peut
certainement pas être infirmée sur le plan des principes juridiques.
Sur la question de la consignation des offres d'une somme d'argent, les juges
semblent devoir se partager de plus en plus entre ceux qui ont une attitude
libérale, et peut-être même trop libérale, et ceux qui conservent une attitude plus
formaliste, qui n'est cependant pas sans avoir une raison d'être évidente.
Ainsi, on a jugé que la consignation d ’un chèque, certifié ou non, à titre
d’offre réelle, était illégale. L'offre doit être faite et consignée en deniers (Pabla
c. Pilikian, 1975 C.S. 669, en appel cependant).
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 201

De la même façon, la Cour provinciale, s'appuyant sur plusieurs décisions,


qui toutefois ne sont pas très récentes, a déclaré qu'elle ne pouvait tenir compte
d'une offre, dont le montant n'avait pas été consigné au greffe (art. 189 C.P. et
1162 c.c.) (Scheel-Quedrue c. Easîern Airlines, 1975 C.P. 228).
Traitant de l'exigence d'un paiement comptant dans le cas d'une vente en
justice (610 C.P.), la Cour provinciale a aussi jugé que le «paiement» fait par
!‘adjudicataire au moyen d'un chèque visé n'était pas un paiement légal
(Robichaud Trucking c. Bouladier Motor Ltée, 1975 C.P. 181) et il a annulé la
vente en justice pour ce seul motif.
Toutefois, dans une autre espèce (Ouellette c. Séguin-Dansereau, 1976 C.S.
1405), le tribunal s'est montré beaucoup plus libéral. Le demandeur, dans une
action en passation de titre, avait fait des offres réelles avant d'intenter son action,
mais il n'a pas consigné les deniers lorsqu'il l'a intentée. Le tribunal, reniant
ainsi, à notre avis, une jurisprudence fortement dominante sur cette question, mais
s’appuyant sur Venne c. Larose (1968) B.R. 1015 a dit carrément que le
demandeur «pouvait» (1162 c.c.) renouveler ses offres et les consigner, mais qu’il
n'y était pas tenu: il a cependant accueilli l'action sans frais. Cette attitude n'est
certes pas généralisée; elle est même nouvelle. Elle nous semble cependant
dangereusement trop libérale et, du reste, contraire aux dispositions du Code.
L'art. 1162 c.c. dit manifestement que le débiteur «peut» consigner la somme.
Mais on ne peut se limiter à une interprétation aussi littérale et restrictive du mot
«peut». En effet, l'art. 1162 c.c. poursuit en disant que si le débiteur consigne, la
consignation équivaut à un paiement. C'est donc dire que s’il n'y a pas
consignation, il n'y a pas paiement. Or un débiteur peut-il obtenir une
condamnation contre son cocontractant sans exécuter ses propres obligations,
c.-à-d. sans payer? Nous avons peine à le croire!

Ceci dit, nous ne nions pas que, dans certaines circonstances, il y ait lieu de
faire des nuances.
Les offres par chèque peuvent constituer des offres valables si les parties
s'étaient entendues sur ce mode de paiement. Dans cette optique, on peut aussi
dire que les offres ainsi faites sont légales si le créancier les refuse pour d'autres
raisons, comme leur insuffisance.
Toutefois, il nous paraît exagéré de dispenser un débiteur de faire une
consignation, sous quelque forme que ce soit!
La subrogation, opération pourtant simple en elle-même, soulève néanmoins
de nombreuses difficultés.
Tout d'abord, il n’est pas toujours facile de distinguer la subrogation
conventionnelle de la cession de créance, surtout lorsque les parties utilisent les
termes «cède leurs droits» et «subroge» dans un même document. Dans un tel cas,
on peut considérer que si les cessions ne sont pas valides à titre de subrogations
conventionnelles, elles peuvent être traitées utilement comme des cessions de
créances (Leblanc c. Argo Consî. Ltd., 1976 C.A. 239, 243). C'est dire qu’une
202 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

cession peut être, au choix, une subrogation ou une cession de créance. Et il n ’y a


rien à redire sur cela.
La caution qui paie une partie de la dette du débiteur est évidemment
subrogée dans les droits du créancier contre le débiteur. A-t-elle droit cependant à
un dividende dans l’actif de la faillite du débiteur, même si le cautionnement ne
portait que sur une partie de la dette (cautionnement partie au même titre que le
créancier pour ce qui lui reste dû, ou doit-elle attendre, en quelque sorte, que le
créancier soit entièrement payé?
Dans une espèce, le créancier possédait une créance de $900 000. Pour la
tranche de $100 000 à $200 00, cette créance était garantie par une caution.
Celle-ci a réglé sa dette de $100 000 envers le créancier pour $80 000. Le
créancier a néanmoins produit une réclamation de $900 000 dans la faillite. Cette
réclamation ne devait-elle pas être réduite de $100 000, pour permettre à la
caution de participer à l'actif?
Le même problème s’est posé à deux autres reprises dans la même faillite,
alors que dans chaque cas la caution dans la même faillite, alors que dans chaque
cas la caution avait payé la somme due en vertu de son engagement de caution.
Ainsi un créancier de $35 000 a reçu $25 000 de la caution. Demeure-t-il préféré
à la caution ou la caution participe-t-elle au prorata de sa créance lui résultant de
la subrogation dans l'actif de la faillite?
Ce problème a donné lieu à trois décisions, rendues par trois juges différents.
Dans le cas de la créance de $35 000, et dans un autre cas semblable, le tribunal a
jugé qu'en vertu des art. 1950 et 1157 c.c., le créancier devait être préféré jusqu’à
ce qu’il soit payé complètement, puisqu’il n'avait reçu qu’une partie de sa
créance: le créancier a donc droit de produire toute sa créance, sans qu'elle soit
réduite du montant reçu de la caution, et c'est sur cette créance totale que doit être
calculé le dividende dû au créancier (In re Canadian Vinyl Industries, Corker, c.
Shell Canada Ltd., 1975 C.S. 778; In re Canadian Vinyl Industries, Deering
Milliken Inc. c. Corker, 1975 C.S. 971).
Toutefois, dans une autre décision, soit celle portant sur la créance de
$900 000, le tribunal a jugé le contraire. Il a en effet décidé que l'art. 1157 ne
s'appliquait pas «parce que, d'une part, le créancier avait reçu la totalité de ce que
la caution lui devait» et que, d'autre part, l’art. 1157 c.c. ne s'appliquait que
lorsque le créancier ne recevait que partie de la créance telle que due par la
caution. Il a donc conclu que le créancier ne pouvait présenter qu'une réclamation
de $800 000 et que la caution, pour sa part, pouvait présenter une réclamation
pour $100 000 payés (In re Canadian Vinyl Industries, Bayer Inc. c. Corker,
1975 C.S. 340).
Ces trois décisions ont été portées en appel. Le problème devrait donc
normalement bénéficier, à tout le moins, d ’une solution identique dans les trois
cas et à notre avis, c'est la solution retenue dans Deering Milliken et Shell Canada
qui devrait prévaloir. En effet, lorsque l'art. 1157 c.c. parle de «partie de la
créance», il ne parle pas de «partie du cautionnement». Si le cautionnement n’est
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 203

que partiel, il est évident que le créancier ne recevra de la caution que «partie de
sa créance»: l'art. 1157 c.c. s'applique donc. À moins que l'art. 1157 c.c. ne
s'applique en aucune façon entre le créancier et la caution, ce qui n'apparaît pas
raisonnable, il est impossible de penser que l'art. 1157 c.c. ne s’applique pas pour
la seule raison que la caution a payé la totalité de son engagement, encore que ce
paiement ne constitue qu’un paiement partiel par rapport à la créance. Car si tel
était le cas, cela signifie que l'art. 1157 c.c. ne s'appliquerait entre caution et
créancier, que si la caution ne payait que partie de son engagement. Outre le fait
que le texte est trop clair pour permettre une interprétation aussi extraordinaire,
cette distinction n'est pas réaliste. En effet, si la caution paie une partie de son
engagement seulement, elle pourra toujours être poursuivie par le créancier pour le
solde. De sorte que si la caution avait droit à un dividende, elle le perdrait de toute
façon aux mains du créancier. Il n ’était donc pas nécessaire d'édicter l'art. 1157
c.c. pour prévoir cette solution. Elle découle des règles élémentaires. L'art. 1157
c.c. vise donc le paiement partiel de la créance et non le paiement partiel de
l'engagement de la caution.
La question de la subrogation a donné lieu à un problème délicat dans
l’affaire Browman c. Canadian Ajfiliated Financial Corp. (Cafco), 1976 C.A.
833.
Un débiteur-failli devait $105 000 à la Banque. Cette dette, d'abord garantie
par une caution qui avait fourni des sûretés réelles à la Banque, qui, en outre,
possédait une garantie en vertu de l’art. 88 de la Loi des Banques a également été
cautionnée par Cafco. Cafco a payé $81 000 à la Banque et a été subrogée dans
les droits et les garanties que celle-ci possédait en vertu de l'art. 88. La réalisation
de ces garanties a rapporté plus de $105 000 à Cafco. De son côté, la Banque, qui
n’avait reçu que S81 000, a réalisé les sûretés réelles que lui avait fourni la
première caution, pour compléter ($26 000) le paiement de sa créance totale.
La caution a donc décidé de poursuivre Cafco en remboursement de la
somme de S26 000. Cafco a présenté une requête en irrecevabilité, plaidant
l'absence de lien de droit. Cette requête, accueillie en première instance, a été
rejetée en Cour d'appel, qui a vu l'existence d'un lien de droit entre les deux
cautions, c'est-à-dire, la première caution et Cafco.
Le raisonnement de la Cour d'appel est fort bien imaginé: le subrogé (Cafco)
n ’a pas plus de droits que le subrogeant. A titre de subrogé, Cafco n'a droit qu'à
un montant égal à celui qu elle a payé. Par ailleurs, la Banque n’avait pas droit de
recevoir plus que le montant de sa créance: tout surplus dans les sûretés qu’elle
détenait devait être retourné à qui de droit. Or le subrogé est subrogé, non
seulement dans les droits de la Banque, mais encore dans les obligations qui sont
liées à ces droits. Il y a donc selon le tribunal, un lien de droit entre Cafco et la
caution. Puisqu'un lien de droit doit procéder d'une cause juridique (982-983
c.c.), il faut bien dire que, malgré les explications données, la Cour d'appel n'a
pas particulièrement bien identifié la source juridique de ce lien de droit. Un lien
de droit ayant le même objet existe-t-il aussi entre la caution et la Banque? Il est
difficile de soutenir le contraire. Malgré la subrogation, le même contrat donne-t-il
204 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

donc naissance à deux liens de droit? Ou s’agirait-il plutôt d ’une responsabilité


délictuelle? Aucune réponse ne paraît satisfaisante. Il reste, d ’autre part, que c'est
la Banque qui a trop donné à Cafco pour ce qu'elle a reçu. À notre avis, le lien de
droit n’existe donc qu'entre la caution et la Banque, à tel point d'ailleurs, que la
caution se trouve à réclamer de Cafco la valeur des sûretés réelles qu'elle avait
consenties à la Banque et qui ont été réalisées par cette dernière!
86. Novation. Cas.
La convention, rendue exécutoire par un jugement de divorce, et par laquelle
«l'épouse» renonce aux avantages accordés par son contrat de mariage, dont une
donation de $20 000 et «l’époux» s’engage à verser à «l'épouse» $25 par semaine,
à titre d'aliments, pendant une période de 10 ans constitue une novation par
changement de dette. Vu le caractère contractuel de cette nouvelle obligation
alimentaire, celle-ci est transmise aux héritiers de «l'époux» qui doivent continuer
à l'exécuter (Lett c. Gauthier, 1975 C.S. 69).
(Cf. aussi supra n° 85. Paiement).
87. Compensation. Conditions. Compensation et faillite.
Pour qu’une creance soit liquide, il suffit qu'elle puisse être aisément prouvée
et liquidée: il n'est pas nécessaire qu'elle soit reconnue par les parties (Canadian
Snow Fence Ltd. c. Banque Can. Imp. de Commerce, 1974 C.A. 476).
Le caractère liquide d'une créance peut même être rétroactif.
Ainsi, une créance incertaine et litigieuse ne peut être considérée comme
liquide au moment où elle est litigieuse. Cependant, une fois l'existence de la
dette établie, antérieurement à la prescription, elle doit être considérée comme
liquide à ce même moment à moins de circonstances bien spéciales (Enros c.
Jones Inc., 1976 C.A. 387).
Poursuivi par son locataire, un locateur confesse jugement pour une somme
de $7 000. Par ailleurs, le locataire doit $7 000, en paiement de loyers, au
locateur. Mais le locateur a transporté et cédé les loyers à son créancier
hypothécaire et ce transport a été signifé au locataire avant la confession de
jugement du locateur. En première instance, il fut jugé que la compensation était
inopposable au créancier hypothécaire par le locataire, puisque la dette du locateur
était devenue liquide et exigible après la signification au locataire (1192 c.c.) de la
cession de loyers.
Ce motif n'a pas été retenu en appel. Le juge Brossard, dissident, aurait
conclu à l'inopposabilité de la compensation pour le motif que le locataire aurait
accepté la cession. Toutefois pour les deux juges de la majorité (Owen et
Montgomery), le transport des loyers n’affecte pas le bail: il ne fait que transférer
au cessionnaire les droits du cédant, mais les droits du cédé ne sont pas affectés.
En conséquence, les deux juges ont conclu qu'il y avait compensation (A.L. Green
c. Michaud, 1975 C.A. 432).
Lorsqu'une créance est opposée en compensation à une dette pour salaire, la
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 205

compensation ne peut avoir lieu que pour la partie saisissable du salaire: le


débiteur du salaire doit donc payer la partie insaisissable du salaire (1190-3° c.c.),
quitte à exercer ses propres recours pour ce qui lui reste dû par le créancier du
salaire (Comité paritaire de 1'industrie c. Ouellet et Poirier Inc., 1976 C.P. 40).
(Sur la question de la compensation de dettes alimentaires, voir aussi supra,
n° 79. Recours contre le Fonds, dernier paragraphe.)
On a jugé qu'il y avait compensation entre le solde créditeur au compte
courant d'un dépositaire et la dette de celui-ci, résultant d'un emprunt envers la
Banque où ledit compte courant était maintenu. Le solde dans le compte est une
créance, toujours liquide et exigible, les dépôts faits dans le compte constituant
des prêts de consommation exigibles à demande. Quant à l'emprunt à terme
contracté par le «dépositaire» auprès de la Banque, il devient exigible par la
faillite du «dépositaire», puisque la faillite entraîne la déchéance du terme. D'où
compensation de plein droit entre les deux dettes. La Loi de la faillite ne fait pas
obstacle à une telle compensation; l’art. 1196 c.c. n’y fait pas obstacle non plus,
parce que le syndic n'est pas un tiers et parce que l'art. 75(3) de la Loi de la
faillite prévoit l'application de la compensation lorsque des dettes réciproques
existent au moment de la faillite. La personne (le syndic) qui s'oppose à la
compensation ne réussira que si elle prouve les éléments constitutifs d'un
paiement préférentiel ou frauduleux conformément à la Loi de la faillite ou à
l'action paulienne (In re Hil-A-Don Ltd: Bank o f Montréal c. Kwiat, 1975 C.A.
157; In re Le Syndicat d’Épargne des Épiciers du Québec: Laviollette c. Mercure,
1975 C.A. 599). Ces décisions ont été suivies dans B.C.N. c. Morency, 1975
C.S. 910, en appel), où la caution du débiteur a pu profiter dans des cas
identiques de la compensation à l’encontre de la réclamation de la Banque contre
elle.
Par ailleurs, il est certain que la compensation ne peut jouer si la dette de la
Banque n'est née qu'après la faillite. Constitue une telle dette, celle résultant du
fait que la Banque aurait perçu un excédent sur les dettes de son débiteur, par la
réalisation des garanties qui lui avaient été fournies par ce débiteur. En
conséquence, ce surplus ne saurait être compensé avec la créance due par le
débiteur à un tiers qui l’avait cédée à la Banque. La compensation est donc
impossible, soit parce que la dette résultant du surplus est un dépôt (1190-1.-2.
c.c.), soit parce que la compensation constituerait une préférence frauduleuse
(Canadian lmp. Bank o f Commerce c. Zwaig, 1976 C.A. 682).
88. Prescription. Délais, Fraude. Dépôt d'argent au greffe. Annulation d'une
adjudication pour taxes.
L'action en dommages contre une Banque qui a négligemment accepté des
chèques encaissés par l'endosseur frauduleux (1053 c.c.) se prescrit par deux ans
et la prescription ne court évidemment qu'à compter de la découverte de la fraude
par la victime de cette fraude, c .‫־‬à‫־‬d. le bénéficiaire des chèques (Gagnon
Transport Ltée c. Banque Royale, 1976 C.S. 1369).
On a jugé en Cour provinciale que l'action en restitution d'une somme
206 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

d’argent déposée au greffe se prescrivait par trente ans. La somme déposée avait
été volée. La Cour, après avoir noté que le dossier ne permettait pas de conclure
que l’employé du greffe avait commis un vol, a néanmoins retenu la responsabilité
du procureur général à titre de commettant pour la faute de l’employé ( 1054 c.c.).
De ce fait, on aurait pu penser possiblement à la prescription de deux ans (2261
c.c.), vu la contusion qui règne, et dans laquelle on se complaît généralement,
entre la responsabilité quasi délictuelle et la responsabilité contractuelle. Toute­
fois, le tribunal ne s'est pas interrogé sur l'application de ce délai de prescription:
il a considéré le dépôt comme un contrat de dépôt, à bon droit. Aussi la
responsabilité du dépositaire ne pouvait être quasi-délictuelle. Toutefois, le
tribunal a refusé d'appliquer la prescription de cinq ans contre... les... officiers
et fonctionnaires, dépositaires en vertu de la loi, pour la remise des pièces et titres
qui leur confies, et ce, à compter de la fin de la procédure à laquelle ces pièces et
titres ont servi... (2260-3° c.c.), sous prétexte que le dépôt au greffe, pour les fins
de la preuve dans un procès criminel, ne constituait pas le cas visé à 2260-3°.
Cette prescription étant écartée, il ne restait plus qu'à appliquer la prescription de
trente ans (2242 c.c.) (Chubb & Son c. P.G.Q. 1976 R.L. 231). En toute
déférence, il nous semble que le dépôt tombe clairement sous le coup de l'art.
2260-3° et que la prescription applicable est celle de cinq ans. D'aucuns verront là
une affirmation sans fondement, tout comme l'a été le rejet de cette prescription
par le tribunal. Mais, puisque c ’est la prescription de Tarticle 2260-3° qui semble,
à premier abord, s'appliquer à l’espèce, il aurait fallu, pour que le tribunal justifie
le point de vue contraire, qu'il explique pourquoi l’art. 2260-3° c.c. ne
s'appliquait pas. Il n'est pas du tout évident que cet article ne s'applique pas; au
contraire, il semble s'imposer.

Le recours de l'adjudicataire d'un immeuble, suite à l'annulation de


l’adjudication à la demande du propriétaire, contre la municipalité qui a fait
procéder à l'adjudication et qui, par la suite, a consenti un acte de cession notarié
est fondé sur des relations de nature contractuelle et il se prescrit en conséquence
par trente ans (Drouin c. Ville de Laval, 1976 C.S. 698).
(Cf. aussi supra n° 29. Option et cumul des recours contractuels et
quasi-délictuels. )
89. Prescription. Action contre une municipalité. Délai. Point de départ.
La prescription de six mois de l’art. 453(5) du Code municipal ne s’applique
qu'aux dommages résultant du mauvais état des chemins et des ponts. Les
«autres» dommages sont soumis à la prescription ordinaire; ainsi, par exemple, les
dommages résultant d'un feu que les employés municipaux ont négligé de
contrôler lors de la réparation d'un chemin municipal (Gazaille c. Corp. du village
de Ste-Prudentienne, 1974 C.A. 420; Cf. aussi Rhcault c. Corp. du village de
Bécancourt, (1926), 40 B.R. 471).
Le délai de la prescription (6 mois) d'un recours en dommages contre une
municipalité, lorsque ce recours est soumis à un préavis, ne court pas de la date de
l'accident, mais à tout le moins à compter de la date à laquelle le préavis a été
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 207

donné, puisque celui-ci est essentiel à la naissance du droit d ’action (Boyman c.


Ville de Sîe-Agathe-des-Monts, 1975 C.S. 817, citant Méîhoî c. C J .M ., 1972
R.C.S. 387). Dans ce cas, il n'était pas nécessaire pour le tribunal de trouver une
date postérieure à la date de l'avis pour rejeter l'argument de la prescription.
Cependant, dans un cas où l’étude de cette question s’imposait, le tribunal est
allé plus loin: le délai de prescription ne court que de l’expiration du délai de 15
jours après la réception par la municipalité du préavis, étant donné que l’action ne
peut être intentée avant l'expiration de ce délai (Ville St-Bruno de Montarville c.
Kulich, 1975 C.S. 949).
Cette règle nous paraît incontestable depuis qu’elle a été énoncée par la Cour
suprême dans l'arrêt Méthot.
90. Prescription. Point de départ: action subrogatoire de la C.A.T.
Après avoir étudié la jurisprudence contradictoire, le tribunal (juge Dugas) a
considéré que l’action de la C.A.T. contre un tiers-responsable, en vertu de la
L.A.T. était une action subrogatoire, en vertu de laquelle la C.A.T. exerçait les
droits de la victime et que l’option ne lui donnait pas un droit personnel. Il a
conclu que le délai de prescription de ladite action de la C.A.T. contre le tiers
courait à compter du fait dommageable, et non du paiement ou de l'option (C.A.T.
c. Ruthven, 1975 R.P. 360, résumée à 1975 C.S. 1221).
(Cf. toutefois aussi infra n° 92. Interruption de prescription.)
Étant donné que la prescription doit être considérée plus du point de vue du
débiteur que de celui du créancier, cette décision nous paraît la plus conforme aux
principes de la prescription dans les cas de délits et de quasi-délits et à la notion
juridique de la subrogation.
La situation est cependant différente dans le cas de la Loi de V indemnisation
des victimes d'actes criminels. En effet, en vertu de ladite Loi (1971 S.Q. ch. 18),
la demande d ’indemnisation faite par la victime à la C.A .T., interrompt la
prescription prévue au Code civil jusqu’au jour où la Commission rend sa décision
sur la demande (art. 10). C ’est donc dire que la prescription du Code civil ne court
contre la C.A .T., relativement à son action subrogatoire contre l’auteur de l’acte
criminel qu'à compter de sa décision sur la demande. Cette interruption de
prescription vaut également en faveur de la victime, relativement à ses recours de
droit commun contre l’auteur de l’acte criminel. Toutefois, cette interruption ne
peut avoir lieu que si la demande est faite à la C.A .T., avant l'expiration du délai
de prescription (un an) (C .A .T. c. Régimbald, 1976 C.S. 91). Cette décision nous
paraît indiscutable quant aux principes suivis et elle explique sans doute pourquoi
le législateur a cru bon modifier l'art. 9 de la Loi qui édicté maintenant (1974
L.Q. ch. 90, art. 7) que la demande de la victime à la C.A.T. doit être adressée
«dans l’année de la survenance de la blessure ou de la mort de la victime».
91. Prescription. Délai de déchéance. Pouvoir du tribunal.
Le tribunal ne peut soulever, proprio motu, la prescription d ’un droit que si la
208 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

loi dénie l’action expressément. Or même si la Loi des cités et villes, art. 519,
édicté que les taxes municipales se prescrivent par trois ans, elle «ne dénie pas
Faction». Le juge ne peut donc pas soulever d ’office la prescription. Celle-ci doit
être plaidée, ce qui n’est pas le cas lorsque le défendeur fait défaut de comparaître
(Ville de Lac Etchemin c. Fleury, 1975 R.P. 142 (C.A.), ou 1975 C.A. 129).
92. Interruption de prescription. Art. 2224: Délai pour signifier; bénéficiaires de
ïinterruption: art. 1056 c.c.; recours subrogatoire de la Commission des
Accidents de Travail.
Il est certain que l’action déposée après le délai de prescription est prescrite
même si elle est signifiée dans les 60 jours de l’expiration du délai de prescription
(Kourmalian c. M eilleur, 1975 C.A. 436).
Toutefois, on peut toujours se demander si l’action déposée dans le délai,
mais signifiée plus de 60 jours après le dépôt quoique dans les soixante jours après
l’expiration du délai de prescription interrompt la prescription!
Dans Caron c. Les Héritiers de Donat H oule, (1976) C.A. 555 et Abbott c.
Koravilos, (1975) C.P. 166 le tribunal a appliqué rigoureusement la règle de l’art.
2224 c.c. et a jugé que la signification de l’action, en dehors du délai de
prescription, devait avoir lieu dans les soixante jours du dépôt de la demande au
greffe.
Nous insistons sur le fait que nous croyons qu’il s’agit d ’une application fort
rigoureuse de la règle de l’art. 2224 c.c. Dans un cas, la demande a été déposée le
1er octobre 1974 et elle a été signifiée le 3 décembre 1974, alors que la date
d ’échéance de la prescription était le 6 octobre 1974. Dans l’autre cas, la demande
a été déposée le 18 octobre 1973 et elle a été signifiée le 12 février 1974, alors
que la date d'échéance de la prescription était le 21 décembre 1973.
Dans les deux cas, on a jugé que l’action était prescrite parce que l’action
avait été signifiée plus de 60 jours après le dépôt de la demande.
En considérant le fait que, dans chaque cas, le demandeur était tout à fait
libre de déposer sa demande le dernier jour de la prescription, ces décisions nous
paraissent appliquer trop littéralement l’art. 2224 c.c.
Il nous semble que le but du législateur était, d ’abord et avant tout,
d ’accorder au demandeur un délai de 60 jours après l’expiration du délai de
prescription pour signifier son action. La règle ne vise-t-elle pas le cas du
demandeur qui, pris à la dernière minute, ne peut signifier son action dans le délai
de prescription?
Si on applique aussi littéralement l’art. 2224 c.c., sans nuances, ne faut-il pas
conclure que la signification à l’intérieur du délai de prescription, mais plus de 60
jours après le dépôt, serait illégale et sans effet?!
N ’est-il pas préférable de considérer que, pour les fins de la signification, le
dépôt d’une demande au greffe est censé être fait le dernier jour du délai de
prescription?
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 209

Ces interprétations n'allongent certes pas le délai de prescription: le dépôt


doit toujours être fait avant l'échéance de la prescription. Elles ne font que
reconnaître que le demandeur possède un délai de 60 jours après l'expiration du
délai de prescription pour signifier sa demande, à la condition qu'il ait déposé sa
demande avant l'expiration dudit délai!
Quoi qu'il en soit, le plaideur est maintenant averti: pour bénéficier au
maximum de l'extension prévue à l'art. 2224 c.c., il lui est préférable de retarder
le dépôt de sa demande. S’il dépose sa demande trop tôt, il renonce, semble-t-il, à
bénéficier au maximum de l'extension prévue à l'art. 2224 c.c.!
L'interruption prévue à l'art. 2224 c.c. «vaut en faveur de toute partie à
l’action pour tout droit et recours résultant de la même source que la demande».
Qu'est-ce à dire?

L’action en dommages (1053 c.c.) intentée par erreur contre une personne
physique plutôt que contre la personne morale acquise par cette personne physique
pour les fins de l'entreprise qu'elle avait d'abord commencé à exercer comme
personne ph ysique interrompt la prescription: la personne morale peut être
substituée à la personne physique par amendement, après l’expiration du délai de
prescription (Studio Gosselin Ltée c. Antoine Morisset Inc., 1975 C.S. 587),
surtout lorsque la personne physique s ’est comportée jusqu'à l'amendement,
comme le véritable défendeur.

L ’art. 2224 c.c. ne s'applique pas entre deux défendeurs à une même action.
En d ’autres mots, l’action d’un demandeur contre deux défendeurs qu'il prétend
responsables d ’un quasi-délit à son égard n’interrompt pas la prescription du droit
d’action que l'un des défendeurs prétend avoir contre l’autre défendeur pour les
dommages personnels qu’il aurait subis et qui sont fondés sur la cause d'action
invoquée par le demandeur (Girard c. D anis, 1975 C.S. 813; Beauchamp c.
Poirier, 1976 C.P. 187, juge Brassard). Cette distinction s’imposait forcément, à
notre avis.

Par ailleurs, l'interruption de l’art. 2224 c.c. jouera en faveur d’un


défendeur, pour les dommages personnels qu'il a pu lui-même subir, du fait qu'il
a intenté contre d'autres prétendus responsables une action en garantie dans
l'instance où il était poursuivi. L ’action en garantie a interrompu la prescription au
sens de l'art. 2224 c.c. et elle permet donc au demandeur en garantie, d ’intenter
une action séparée après l’expiration du délai de prescription, contre les
«défendeurs en garantie de la première action, pour réclamer ses propres
dommages» (Latour c. Leduc, 1976 C.P. 178, juge Brassard; Cf. aussi
Plamondon c. Ville de Québec, 1975 C.P. 187). Cette décision est certes plus
contestable. En tous cas, nous ne voyons pas comment la «solidarité» du
défendeur principal et des défendeurs en garantie peut justifier l'application de
l’art. 2224 pour préserver les droits personnels (non pas les droits récursoires) du
défendeur principal contre les défendeurs en garantie. Toutefois, nous acceptons
que l’action en garantie elle-même puisse permettre l’addition éventuelle de la
210 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

réclamation des dommages personnels du demandeur en garantie, dans la mesure


où on cherche plutôt à protéger l'exercice d'un droit qu’à le nier.
Par ailleurs, on a refusé d'appliquer l'art. 2224 c.c. dans une action fondée
sur l'art. 1056 c.c., jugeant que l'action en dommages intentée par le père, pour le
décès de son fils, n'interrompt pas la prescription en faveur de la mère. Chacun a
un recours qui lui est personnel en vertu de l’art. 1056 c.c. et doit agir
personnellement avant l’expiration du délai de prescription. Ainsi la mère qui veut
se joindre à l'action du père, après l'expiration du délai de prescription ne le peut
pas: son droit d'action est prescrit (Chartrand c. Ville de Longueil, 1976 C.S.
596). On avait jugé le contraire dans Arsenaulî c. Bernier, 1973 C.S. 1024 et
nous croyons que cette dernière décision se défend mieux que la première qui nous
paraît indûment formaliste.
Du reste, l'attitude prise dans cette affaire Arsenault est conforme à l'attitude
que l'on retrouve dans les jugements qui suivent, portant sur le recours
subrogatoire de la C.A .T., dans le cas d'un accident de travail.
Ainsi on a jugé que l'action de la victime d'un accident du travail intentée à
l'intérieur du délai de prescription interrompt la prescription et que cette
interruption bénéficie à la C.A.T. qui, par action personnelle, décide de réclamer
du tiers, en vertu de la subrogation légale, les sommes payées à la victime.
L'action de la victime a interrompu la prescription pour tous les dommages
résultant de la même source, tout au moins dans la mesure où la victime paraît
avoir réclamé la totalité des dommages. L'action de la C .A .T., intentée après le
délai de prescription, résulte du même accident, donc de la même source. La
C.A.T. profite donc de l'interruption de prescription qui résulte de l'action
intentée par la victime contre le tiers (2224 c.c.) {C.A.T. c. Richard Ltée, 1975
C.S. 143). Du reste, cette interruption bénéficie à la C.A .T., que celle-ci réclame
en vertu d'une action, d'une intervention ou d'un amendement pour et au nom de
la victime (C.A.T. c. Taylor, 1975 C.S. 1023).
Toutefois, si la C.A.T. exerce un recours direct, alors que la victime
elle-même n'a intenté aucun recours, il est évident qu'elle ne bénéficie pas d ’une
interruption de prescription. Elle ne bénéficie même pas de l'interruption de
prescription résultant de la demande de l'employeur de la victime qui, subrogé
dans les droits de celle-ci pour lui avoir fait certains paiements en vertu de la
convention collective, prétend pouvoir les réclamer du tiers responsable. Entre
l'employeur et la C.A .T., il n'y a aucune solidarité; chacun a obtenu une cession
distincte de la victime. Indivisible entre les mains de la victime, la créance a été
divisée entre les cessionnaires et l'interruption de la prescription opérée par la
demande de l'un ne bénéficie pas à l'autre (C.A.T. c. Ruthwen, 1975 R.P. 360,
résumée à 1975 C.S. 1221).

93. Interruption de prescription. Actes interruptifs. Solidarité.


Les paiements faits et impittables à la dette résultant d'un compte courant
constituent des actes interruptifs de prescription, tout au moins lorsque les
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 211

paiements ne sont pas imputés ou imputables à un achat particulier (L.P. Potvin


Liée c. Larouche, 1974 R.L. 477, citant 1962 B.R. 431).
D'autre part, on sait que l’action intentée, en temps utile, contre un débiteur
solidaire interrompt la prescription contre les autres débiteurs solidaires (2231
c. c) .
Se fondant sur ce principe, la Cour supérieure a décidé qu'en vertu de la
subrogation dont il bénéficiait, le Fonds (L.I.V .A.A .) pouvait exercer contre un
prétendu co-auteur des dommages l'action qu’aurait pu exercer le créancier-vic­
time qu'il a payé. Le prétendu co‫־‬auteur étant débiteur solidaire (1106 c.c.),
l'action intentée par la victime contre un premier co-auteur a interrompu la
prescription contre le deuxième jusqu'au jugement. Le Fonds, comme la victime,
a donc un an (dommages corporels), à compter du jugement, pour intenter une
nouvelle action contre le prétendu deuxième co-auteur. Et ce, même si le créancier
du jugement a un an pour faire sa réclamation au Fonds, qui ainsi peut se
retrouver devant un recours prescrit avant même d'avoir pu l'exercer (Fonds c.
Gonger, 1975 C.S. 565). Malgré le résultat possiblement inéquitable de ce
jugement, il nous paraît inattaquable. La lacune constatée doit être corrigée par le
législateur.
(Cf. aussi infra n° 84. Solidarité.)
94. Suspension de la prescription. Impossibilité d'agir. Dommages répétés.
Un délai de prescription (ex. 2 ans — 2261 c.c.) ne court pas lorsqu'il y a
impossibilité absolue de former un recours par suite de l'ignorance des faits qui y
donnent ouverture. Ainsi le délai de 2 ans, dans une action en dommages pour
vente irrégulière pour taxes et perte du droit de retrait d'un immeuble, court
seulement à compter du moment où le propriétaire lésé a pris connaissance de la
vente, et non de la date de la vente (Corp. Munie, de Austin c. Leroux, 1975 C.A.
715).
Un dentiste a commis une faute, lors de l'extraction d'une dent, en laissant
un morceau de la racine dans la gencive. Malgré les infections répétées qui en ont
résultées et dont la patiente a souffert, le dentiste n'a jamais trouvé la cause du
malaise. Vu ces faits, le tribunal a jugé que la faute du dentiste s'était perpétuée
jusqu'à la dernière visite de la patiente, le 18 mai 1971. La patiente n'a appris
cependant que le 11 janvier 1973, lors d'une intervention pratiquée par un autre
dentiste, qu'une partie de la racine était restée dans sa gencive. Elle a intenté son
action en dommages le 14 mai 1973. Le tribunal souligne qu'en mai 1971, la
patiente, qui avait consulté un deuxième dentiste, n'avait pas reçu des explications
précises au sujet de la cause du mal. En fait, ce deuxième dentiste avait préféré
communiquer directement avec le premier dentiste de la patiente pour lui faire part
de sa découverte. À son tour, le premier dentiste ayant tenté de communiquer avec
sa patiente qui, ayant perdu confiance en lui, avait décidé de ne pas le rappeler.
La Loi des dentistes édicté une prescription de deux ans pour les recours
contre les dentistes. Le tribunal a jugé que cette prescription courait à partir de
212 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978

mai 1971, et non de la connaissance acquise par la patiente de la source de son


mal en janvier 1973. Il a ajouté que l’art. 2252 c.c. ne pouvait s’appliquer,
puisqu'il ne s’agissait pas d ’une impossibilité absolue d ’agir (Legault-Bellemare c.
M adore, 1975 C.S. 1249). Eu égard aux circonstances et au fait que le tribunal
n'a pas attribué à la négligence de la patiente, le délai qui s’est écoulé jusqu'à la
connaissance de la faute, cette décision nous apparaît contestable.
Le fait que la Loi des dentistes fasse courir la prescription «à compter de la
commission de la faute» ne peut faire échec à l’application des principes
juridiques dont celui de l’art. 2232 c.c. (impossibilité d ’agir). Quant à l’affirma­
tion du tribunal à l'effet qu'il ne s'agissait pas d'une impossibilité d ’agir jusqu’en
janvier 1973, elle aurait été plus convaincante si elle avait été motivée. N ’ayant
pas été motivée, elle paraît purement gratuite, d ’autant plus que, dans l’apprécia­
tion des faits, le tribunal ne retient aucune négligence de la part de la patiente dans
la recherche de la source de ses problèmes.
Par ailleurs, l’impossibilité d ’agir prévue à l’art. 2252 c.c. doit être réelle.
Ainsi si un meurtrier a avoué son crime devant le coroner et qu’il l’a avoué à
nouveau devant le juge des Sessions de la Paix sept mois plus tard, l’impossibilité
tenant à la non-connaissance de l'identité du meurtrier a cessé lors du premier
aveu et non lors du deuxième, si les demandeurs ont connu le premier aveu
(Bédard c. Pichette, 1975 C.A. 437).
Enfin, lorsqu'un dommage est causé périodiquement, la dernière occurence
suffit à préserver le droit de la victime, à l’encontre de la prescription de son
recours en dommages si cette dernière occurrence survient à l'intérieur du délai de
prescription. Ainsi en est-il des dommages causés à une propriété par un barrage
dont le niveau des eaux dépasse périodiquement la limite permise (Dominion Tar
& Chemical Co. Ltd. c. Turgeon, 1975 C.A. 787).

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