Droit Des Obligations: Angers Larouche
Droit Des Obligations: Angers Larouche
Droit Des Obligations: Angers Larouche
2024 17:29
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1059603ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1059603ar
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par A n g e rs L A R O IC H E ,
professeur à la Faculté de Droit
de lf Université d'Ottawa
I. — J u r is p r u d e n c e .
A. N o t io n s générales.
Peut-être bien. Mais encore faut-il ajouter, à notre avis, que la clause
restrictive de commerce est généralement considérée comme «raisonnable» par
nos tribunaux alors que la clause restrictive d'emploi est généralement considérée
comme «déraisonnable». Aussi, il nous apparaît que, concrètement la clause
restrictive d'emploi jouit, pour ainsi dire, d'une présomption de «déraisonnabilité»
et, partant, d'illégalité alors que la clause restrictive de commerce jouit d'une
présomption de «raisonnabilité» et, partant, de légalité. Dans l'espèce, il s'agissait
d'un contrat de vente de commerce; une clause dudit contrat prohibait la
concurrence pour une période de 3 ans dans le comté de Drummond. Nous
croyons que dans d'autres circonstances qui ne l’auraient pas rendu inefficace, la
clause aurait été jugée légale, à la lumière de la jurisprudence antérieure. De
même, est légale la clause, dans le contrat de vente d'un fonds de commerce
(studio d'enregistrement et production de disques) qui prohibe l'enregistrement et
la production de disques destinés principalement au marché québécois et ce, pour
une période de cinq ans (Norîhland Village Shopping Centre Ltd. c. Perrotte alias
Perry . 1976 C.S. 731 (en appel)). Cette dernière décision nous paraît s'inscrire
très bien dans la philosophie jurisprudentielle applicable aux clauses restrictives de
commerce (cf. 1971 R.G.D. 232, n° 14, 1972 R.G.D. 310, n° 6, 1973 R.G.D.
205, n° 7, 1975 R.G.D. 197, n° 1).
Dans une autre espèce où il s’agissait d'une clause restrictive d'emploi
interdisant à un employé de s'engager pour un compétiteur (vente de maisons
mobiles) pendant un an sur un territoire (tout l’Est et le Nord-Est du Québec)
beaucoup plus étendu que le territoire dans lequel le commis-vendeur exerçait son
métier au profit de son ex-employeur, ladite clause a été jugée invalide parce que
déraisonnable (Provincial Mobile Inc. c. Lebel, 1975 C.S. 134).
Appliquant le test mathématiquement, le tribunal a conclu que la durée de la
prohibition et l'activité prohibée étaient raisonnables mais que le territoire ne
l’était pas. Le tribunal explique:
Si la clause dont il s ’agit avait limité expressém ent l'espace prévu à la région où le
défendeur a exercé ses activités antérieurement à sa dém ission, le tribunal aurait
probablement donné effet à ladite clause, mais comme cette clause doit être prise dans son
ensemble et telle que rédigée, le tribunal ne peut y donner effet puisqu'il est d'opinion que
cette clause comprend un espace beaucoup trop vaste qui va bien au-delà des intérêts que
la demanderesse avait norm alem ent le droit de protéger.
preuve quant aux fruits de la publicité. Ce jugement aurait pu faire l'objet d'un
appel sérieux.
5. Liberté contractuelle et ordre public. Exercice des professions. Nécessité d'un
permis.
Lorsqu'une loi spéciale impose à celui qui exerce un métier ou pratique une
profession l'obligation d'obtenir un permis, un certificat ou autre «carte de
compétence», il s'agit d'une loi d'ordre public. Et toute personne qui veut
récupérer la rémunération prévue à une entente ne réussira pas dans son action si
la loi réserve la rémunération à ceux qui possèdent les qualifications légales
exigées.
Ainsi une personne ne peut réclamer une commission pour la vente de
terrains si elle ne possède pas un permis de courtier (Clément c. Dufresne, 1975
C.S. 559: Bowes c. Kracauer, 1976 C.S. 579 (en appel): Forest c. Harvey, 1976
R.L. 359 (cf. infra) n° 10).
De même la loi des maîtres mécaniciens en tuyauterie (S.R.Q. 1964, ch.
155) est une loi d'ordre public, limitant aux seuls membres de la Corporation des
maîtres mécaniciens en tuyauterie le droit d'exercer ce métier (Janin Const. Ltée
et al c. Corporation des Maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec, 1976 C.S.
1548). Ces décisions s'inscrivent dans le cadre de la jurisprudence tracée par la
Cour suprême (Pauzé c. Gauvin, 1954 R.C.S. 15).
6. Liberté contractuelle et ordre public. Prescription conventionnelle.
Nonobstant certaines décisions récentes au contraire, M. le juge Desmeubles
de la Cour supérieure ne doute pas de la légalité d'une disposition contractuelle
qui fixe le délai de prescription dans lequel l'assuré doit poursuivre son assureur
(cf. 1975 R.G .D. 197, n° 8) et ce dans un jugement succint mais bien motivé
(Chicoine c. Cie Commercial Union 1976 C.S. 355).
7. Liberté contractuelle et ordre public. Assurance-vie au profit d'une concubine.
En principe, une personne peut valablement assurer sa vie au profit de sa
concubine {Laroche c. The Great West Life Assurance, 1975 C.S. 4 à la p. 5; cf.
aussi sur ce point, Favreau c. Lapointe, 1975 C.S. 15; ces deux jugements ont
cependant été portés en appel, mais surtout sur les autres questions en litige,
apparemment.
8. Liberté contractuelle et ordre public. Règlements de zonage.
N'est pas contraire à l’ordre public le bail ayant pour objet des lieux devant
servir à un genre de commerce prohibé par les règlements de zonage, lorsque cette
prohibition est connue des deux parties et qu’elle fait l’objet de clauses
contractuelles, notamment l'obligation pour les parties de faire les démarches
nécessaires pour tenter de faire modifier le règlement. Est toutefois contraire à
l'ordre public la clause créant, pour le locataire, l'obligation d'épuiser tous les
délais et recours possibles en justice dans le but d'occuper les lieux le plus
longtemps possible à !’encontre du règlement de zonage, obligation à laquelle est
78 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
reliée celle du paiement des loyers (Perreault c. Les Productions Pusina Inc.,
1976 C.S. 1329, en appel).
Le tribunal accorde ensuite un mois de loyer (sur un total possible de cinq
mois nécessaires à la relocation) à titre de dommages, au locateur, suite à la
résiliation unilatérale du bail par le locataire, en se fondant sur la notion des
«risques» acceptés par le locataire et sans doute implicitement sur la notion
d'équité. Tout en étant conforme aux principes juridiques applicables, cette
décision nous paraît servir également très bien l’équité, dans les circonstances.
9. Nullité d'ordre public. Qui peut l 'invoquer?
Il est généralement reconnu que toute personne possédant un intérêt suffisant
au sens des règles du Code de procédure civile («tout intéressé») peut invoquer la
nullité d’un contrat contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs.
Toutefois, il arrive rarement, en droit contractuel privée que la nullité soit
invoquée par d’autres personnes que les parties contractantes ou leurs héritiers.
L'une de ces rares occasions nous est fournie dans l’affaire Janin Const. Ltée et
al. c. Corp. des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec, 1976 C.S. 1548.
La compagnie Janin a obtenu deux contrats de plomberie, sans être membre de la
Corporation des mécaniciens en tuyauterie. Deux autres compagnies, qui avaient
fait les deux plus basses soumissions respectivement pour l’un et l’autre des deux
contrats, et qui sont membres de la Corporation, et la Corporation elle-même ont
intenté une action en annulation de contrats, en dommages et en injonction. La
Compagnie Janin a présenté une requête en irrecevabilité de ces actions en
prétendant que les trois demanderesses n’avaient pas l’intérêt suffisant quant à la
demande d ’annulation et d ’injonction.
Le tribunal a rejeté cette prétention jugeant que la Corporation avait
légalement un pouvoir de contrôle sur l’exercice du métier et le droit d ’empêcher
des contraventions à la loi régissant le métier des mécaniciens en tuyauterie. Il
ajoute qu’il y a lieu de favoriser l’accès aux tribunaux principalement aux
organismes de caractère public. Quant aux deux compagnies, leur intérêt réside,
d’après le tribunal, dans le fait que la résolution des contrats constitue une
sanction possible de la violation d ’obligations légales. On peut ajouter que cet
intérêt était suffisant dans les circonstances vu l’allégation de la violation d ’une loi
d'ordre public, apparemment au détriment des deux compagnies soumissionnaires:
tout intéressé peut invoquer une nullité d ’ordre public!
D’autre part, tel que susmentionné, il s’avère qu’une nullité d ’ordre public
est généralement invoquée par l’une des parties contractantes et ce fait n’a jamais
choqué un juge, même dans les cas où il paraissait évident que celui qui invoquait
la nullité en connaissait la cause ou devait connaître lors de la formation du
contrat.
Aussi n’est-ce pas sans une certaine surprise que l’on constate que la Cour
d’appel a refusé «d’entendre» un contractant américain qui, ayant rédigé
lui-même, par l’entremise de son conseiller juridique, le contrat et la clause
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 79
Touchette c. Touchette, 1975 C.A. 575 appel à la Cour suprême rejeté, (1976) 1
R.C.S. vi: Meskinis c. Rabell, 1975 C.A. 657).
Il nous semble que ce sont les mêmes principes qui s'appliquent en matière
contractuelle (986 C.C.).
12. Contrats administratifs. Conditions de validité. Nullité.
Ceux qui font affaire avec des personnes de droit public doivent évidemment
s'assurer que le contrat consenti par «l'administration» est conforme aux
conditions prévues par la loi pour la passation dudit contrat. Sans quoi, ils se
retrouvent devant un contrat nul sans recours. Ainsi on a refusé à un ingénieur le
prix de ses honoraires professionnels pour des plans parce que le contrat,
dépassant l'acte d'administration ordinaire à raison de son importance, n'avait pas
été approuvé par la Commission municipale {Cité de Montréal-Nord c. Lalonde,
1974 C.A. 416, en appel à la Cour suprême).
13. Lieu de formation des contrats.
Une action personnelle, fondée sur un contrat, peut être intentée dans le
district où le contrat a été formé. Encore faut-il que le demandeur allègue et
établisse que le contrat a été formé dans le district où il intente son action, lorsque
le défendeur réside dans un autre district.
En effet, lorsque le demandeur poursuit le défendeur dans un district autre
que celui de son forum naturel, il doit établir les faits propres à donner ouverture,
par exception, à la juridiction du tribunal d'un autre district. S'il ne fait pas cette
preuve, s'il ne se décharge pas de ce fardeau, il devra intenter son action dans le
district du forum naturel du défendeur, celui-ci bénéficiant du doute. (Pisapia
Const. Inc. c. GraveL 1976 R.P. 347 (Cour d'appel) et Vanier Leaseholds Ltd c.
Lévesque, 1976 R.P. 380 (Cour supérieure)).
14. Erreur.
L'erreur sur un fait qui est une considération principale du contrat en permet
l'annulation. Ainsi l'erreur sur «l’année d’un véhicule», en l'occurrence un
autobus, ne sera cause de nullité que si «l'année» du véhicule était une
considération déterminante. En conséquence, si l'acheteur voulait acheter un
véhicule neuf en 1967, et c'est ce qu'il a eu, il peut difficilement se plaindre
qu'on l'identifie comme un 1967 alors qu'il a été fabriqué en 1965 et que la
pratique aurait voulu qu'on l’identifie comme «un 1966». {Bel Automobiles Inc. c.
Gallant, 1974 C.A. 594, en appel à la Cour suprême sur ce point et d'autres
points).
Constitue par ailleurs une erreur propre à entraîner l'annulation d'un bail, le
fait pour le «locataire» de louer du propriétaire un immeuble avec chalet dessus
construit alors qu'il ignore qu'il possède un droit de superficie sur ledit immeuble
qui lui permet d'occuper les lieux sans avoir à contracter un bail {Gilbert c. D ion,
1976 C.S. 588).
Dans une autre cause, le possesseur d ’un billet de la loterie «Loto Perfecta» a
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réclamé un prix gagnant sur la base du numéro de son billet. Toutefois, le billet
n'était valide que pour la semaine suivante et non pour la semaine du numéro
gagnant. Le demandeur a fondé son action sur l'allégation qu’il avait été trompé
sur la date de validation. La preuve a révélé que le billet du demandeur avait été
validé selon la pratique et les règlements. Dans cette optique, il est bien sûr que le
tribunal ne pouvait octroyer au demandeur le prix qu’il réclamait (Lebreux c. Soc.
d'Expi. des Loteries du Québec, 1975 C.S. 138). Toutefois, si vraiment le
demandeur a commis une erreur sur la date de «la loterie» à laquelle il voulait
participer, n’aurait־il pas pu demander subsidiairement l'annulation du contrat et
le remboursement de son billet? Rien ne s’y oppose sur le plan des principes, sauf
que le demandeur aurait eu peine à convaincre le tribunal que la semaine précise
(la date) à laquelle il voulait participer constituait une considération principale du
contrat!
15. Dol. Dol incident. Responsabilité. Dommages-intérêts.
L'on définit généralement le dol comme étant la représentation fausse d'un
fait présent ou passé. Comme le futur est aléatoire en principe, on peut
difficilement dire qu’on représente «faussement» un fait futur.
Toutefois la promesse ou la représentation d’un fait futur peut devenir
frauduleuse si le fait représenté dépend du contractant qui fait la promesse
(Bélanger c. Bolduc, 1975 C.S. 579, en appel).
On reconnaît, en général, à un commerçant le droit d’exagérer les qualités de
son produit avec cette limite que de telles exagérations ne doivent pas fausser
l'essence même du contrat. Ainsi est annulable le contrat de vente d ’un voyage
comprenant une croisière en bateau si les représentations faites sont fausses et si
les conditions du voyage en bateau sont à peu près inacceptables. L’agent de
voyage ne peut se défendre en prétendant qu’il ne connaissait pas les conditions
réelles du voyage. S'il ne les connaissait pas, il aurait dû conseiller ses clients
avec plus de réserves (Deschênes c. Juan, 1975 R.L. 267). De toutes façons,
l'agent possède à notre avis au moins une obligation de moyens, sinon de résultat,
lorsqu’il vend «son produit» à ses clients.
L'annulation d'un contrat pour dol peut être accompagnée de dommages-in-
térêts: dans cette espèce, le tribunal a accordé une somme de $350 à chacune des
deux personnes pour compenser le dommage moral résultant de la privation de
leurs vacances, en plus d ’accorder toutes les dépenses faites à l'occasion du
voyage «raté».
Le dol relativement au chiffre d'affaires, dans la vente d'un fonds de
commerce, constitue une cause d'annulation. Le chiffre d'affaires constitue, en
général, une considération importante du contrat et du prix de vente; par ailleurs,
le dol ne consiste pas nécessairement dans le trucage des bilans. Il peut consister
dans une réticence, soit celle de laisser l'acheteur croire à un chiffre d'affaires
supérieur au chiffre d'affaires réel et courant, en lui présentant des bilans d'années
antérieures et en lui laissant croire qu'on ne peut lui procurer le bilan courant
(Dominion Restaurant Inc. c. L ee. 1976 C.A. 738). Dans le cas de bilans annuels,
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 83
Faction en annulation est intentée dans les délais utiles, si elle est formée après
une année de la vente.
l'indemnité versée en vertu d ’une telle transaction car 1) la transaction n'est pas
un prêt et 2) le prêt lui-même, en tant que tel était inattaquable. En d'autres
termes, si le créancier bénéficie du terme dans un acte de prêt, le débiteur ne
saurait utiliser en quelque sorte l'art. 1040c c.c. pour priver le créancier du
bénéfice du terme. Dans cette optique, la décision est forcément bien fondée.
18. Interprétation des contrats.
Toute règle d'interprétation doit servir à la recherche de l'intention commune
des parties, lorsque celle-ci paraît ambiguë; aucune règle ne possède un caractère
absolu. Ainsi, la maxime «expressio unius est exclusio alterius» ne doit pas être
utilisée de façon absolue. Sa pertinence doit être appréciée à la lumière du
contexte et de l'intention des parties, telle qu'elle peut résulter de l'ensemble du
contrat (Roy c. Dupont, 1976 C.A. 609).
19. Nullité. Remise en état pré-contractuel. Délai.
En principe, l'action en annulation d'un contrat ne peut être reçue que si le
demandeur offre, dans son action, ce qu'il a reçu en vertu du contrat: c'est la
conséquence de l'application du principe de la remise en état pré-contractuel et
celui-ci s'applique même lorsque l'annulation est fondée sur l'existence de défauts
cachés. L'application de ces principes doit être conçue raisonnablement.
Ainsi il n'y a pas lieu de retenir contre un demandeur dans une action en
annulation pour défauts cachés d'un contrat d'entreprise portant sur une chose
mobilière, le fait qu'il ait vendu l'objet pour $1,00 et autres considérations si,
d'autre part, la preuve par experts établit que l'objet (coque de bateau) était affecté
de tels défauts qu'il était sans aucune valeur à toutes fins pratiques (Williams c.
Albatross Ferro-Ciment Ltd., 1975 C.S. 803).
D'autre part, la remise en état pré-contractuel présente certaines difficultés
dans le cas de l'annulation d'un contrat qui a pour objet une chose qui se détériore
ou se déprécie par l'usage. Cette question de la remise en état pré-contractuel a été
abordée par la Cour supérieure dans Ginn c. Conbec Auto In c ., 1976 C.S. 1416, à
propos de l'annulation de la vente d'une automobile pour cause de dol.
L'acheteur avait bénéficié de l'usage de l'automobile achetée, d'avril 1973 à
man> 1975 et il avait parcouru environ 15 000 milles avec le véhicule.
Le tribunal écrit:
Il ne faut pas oublier q u 'à partir de la signification de l’action la demanderesse (le
vendeur) avait droit de prendre possession de la voiture à raison des offres contenues dans
la déclaration. D ’une part, elle n 'a pas choisi d ’agir ainsi, d ’autre part, elle n 'a qu 'à s'en
prendre à elle-m êm e, si le contrat est m aintenant annulé et qu'elle doit reprendre la voiture
avec l'usure q u ’elle a subie. Je ne prétends pas, par ailleurs, que la défenderesse n ’aurait
pas eu en défense un recours subsidiaire contre (l’acheteur) fondé sur l’enrichissement sans
cause pour le cas où le contrat serait annulé... l'annulation... ayant effet rétroactif et la
demanderesse étant incapable de rendre l'autom obile achetée telle qu'elle était lors de
l ’achat, il faudrait tenir compte du profit, en l'absence de contrat, que la demanderesse
(l’acheteur) en a tout de même retiré et la dépréciation qu'en a subie la défenderesse. Il est
vrai, par ailleurs, que lorsque la restitution en cas d'annulation de vente pour cause de dol
86 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
est rendue impossible sans la faute de l'acheteur, le vendeur doit en supporter les
conséquences parce que lui-même est fautif d ’avoir fait un contrat annulable. Mais
lorsqu'il est possible sous le couvert de l'enrichissem ent sans cause de rétablir la balance
des avantages et désavantages, je ne vois rien qui s'y oppose.
Voilà bien des idées intéressantes et, une attitude pragmatique digne d ’être
approuvée. En l'espèce, le tribunal, tentant de concilier toutes ces idées qui
parfois semblent s’opposer, a accordé à l’acheteur le plein remboursement du prix
payé, tout en rejetant cependant les dommages additionnels que l'acheteur
prétendait, assez faiblement par ailleurs, avoir subis du fait de l'achat. Le tribunal
prétend donc faire une certaine compensation entre l’utilisation de la chose et les
prétendus dommages additionnels subis.
De même, il faut approuver le refus du tribunal d'accorder à l’acheteur d ’un
véhicule, le remboursement du paiement comptant (seul paiement fait, $228),
suite à l’annulation de la vente, parce que contraire aux dispositions de la Loi de
la protection du consommateur, lorsque l’acheteur a bénéficié du véhicule pendant
cinq mois et a parcouru 10 000 milles (Couture c. Les Entreprises d'Auto W.P.
Inc., \916R .L . 38).
Cette façon de voir les choses nous paraît tout à fait raisonnable. Mieux vaut
en effet annuler un contrat, lorsque la cause d'annulation est prouvée, et tenter
d ’opérer une remise équitable plutôt que de refuser trop facilement la nullité sous
prétexte qu'il y aurait eu retard à intenter l'action ou prétendue confirmation du
contrat.
D’autre part, nous voyons dans cette attitude, une ligne de conduite à adopter
dans le cas de nullité de contrats à exécution successive (ex. louage) (cf. aussi
supra, n° 10. Nullité d'ordre public. Effets sur les prestations). Il est bien entendu
cependant que s'il doit nécessairement se produire un déséquilibre au niveau de la
remise des prestations, celui-ci doit être supporté par le contractant «fautif». Rien
ne s'oppose en effet à ce que l'annulation constitue incidemment une sanction à
caractère moral à l'égard de la remise en état pré-contractuel.
Dans un autre ordre d'idées, nous voulons attirer l'attention sur la remarque
suivante de M. le juge Gagnon, de la Cour d'appel:
... le poids de la jurisprudence me paraît être à l'effet que la demande en annulation
qui est basée non pas sur l’existence de défauts cachés, mais sur des fausses
représentations, même s ’il y a dol, doit être intentée avec une diligence raisonnable, même
si on n'applique pas la rigueur de l'article 1530 c.c. (Bel Autom obile Inc. c. G a lla n t, 1974
C.A . 593, à la p. 597).
Une telle attitude est tout à fait compréhensible, à la lumière des difficultés
de preuve que peut avoir un demandeur, s'il attend trop, et à la lumière de la
notion de la confirmation d'un contrat. Nous nous inquiétons fort cependant du
sort réservé à l’art. 2258 c.c. qui accorde un délai de 10 ans à la victime d ’un
dol, à compter de la connaissance de celui-ci, pour demander la nullité du contrat.
Cette disposition nous indique qu’on ne devrait pas faire appel, en principe, à la
notion d ’un délai raisonnable dans le cas de nullité pour vices de consentement.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 87
D'autre part, la confirmation d ’un contrat, bien qu’étant une notion juridique bien
fondée, ne devrait pas être découverte ou présumée trop facilement (voir nos
commentaires précédents, 1975 R.G .D . n° 21, p. 214). La confirmation ne se
présume pas; elle doit être claire (cf. aussi supra, n° 14, Dol).
dommages ne sont cependant pas facilement évaluables. Les profits futurs que le
demandeur pouvait espérer retirer du fait qu’il aurait obtenu les actions promises
ne peuvent servir de base aux dommages, si cette perte est trop incertaine. Dans
un tel cas, le tribunal a préféré tenter d ’évaluer la perte du contrôle de la
compagnie que le transfert aurait accordé au demandeur. Toutefois, le tribunal a
également reconnu que cet élément ne pouvait être évalué comme tel et a fixé
arbitrairement les dommages à 10% de la valeur aux livres des actions du
demandeur en retenant qu’il aurait été facile pour le demandeur de vendre des
actions majoritaires alors qu’il lui était à peu près impossible de vendre ses actions
minoritaires (Jarrera c. Guinta, 1975 C.S. 490).
24. Stipulation pour autrui.
Les situations juridiques dans lesquelles on peut faire appel à la notion de la
stipulation pour autrui (1029 c.c.) pour résoudre une difficulté légale sont fort
nombreuses, y compris le cas suivant.
Le propriétaire d'un lot de marchandises en confie le transport à un
transporteur. En cours de route, des bandits volent la marchandise. L'assureur du
propriétaire indemnise ce dernier et réclame ensuite le remboursement des sommes
payées à l'assureur du transporteur. Il est admis au départ que le vol constitue un
cas fortuit, d'où la conclusion que le transporteur n'est pas responsable de la perte
et le problème de savoir lequel doit supporter finalement la perte. La réponse
dépend évidemment de l'interprétation des contrats d'assurance et dans l’espèce le
tribunal a conclu que l’assureur du transporteur avait assumé le risque, conclusion
que nous ne discuterons pas ici. Mais, étant donné cette conclusion, il fallait
néanmoins déterminer s'il existait un lien de droit entre le propriétaire et l'assureur
du transporteur. Or le tribunal a utilisé la stipulation pour autrui pour justifier
l'existence d'un lien de droit entre l'assureur du transporteur et le propriétaire des
biens.
Il faut bien dire cependant que l’existence d'une stipulation pour autrui est
loin d'être certaine dans le cas actuel puisque, le tribunal en a tout simplement
présumé l'existence: «Si le transporteur a fait assurer les biens qu'il transporte ce
ne peut être qu'au profit du propriétaire de ces biens». Cette présomption est sans
doute justifiée si l'assurance du transporteur est une assurance-responsabilité, mais
on ne saurait en dire autant si l'assurance est une assurance de choses comme le
tribunal en a conclu. Aussi la décision du tribunal dans cette affaire (Dominion
Textile Ltd. c. A & D Transport Ltd., 1975 C.S. 7) nous semble contenir une
contradiction: ou l'assurance était une assurance de choses et alors on ne peut pas
présumer comme on l'a fait l’existence d’une stipulation pour autrui, ou
l'assurance était une assurance-responsabilité (qui contenait une stipulation pour
autrui) mais alors cette assurance ne s’applique pas dans ce cas car le transporteur
n'était pas responsable. Vu l'utilisation faite par le tribunal d’une partie des deux
hypothèses et la contradiction qui en ressort, il n'est pas surprenant que le
jugement ait été porté en appel.
L'utilisation de la stipulation pour autrui a été beaucoup plus heureuse dans la
situation suivante. Le maître d ’un ouvrage (pont) contracte avec un entrepreneur
90 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
pour faire les travaux; dans ce contrat l’entrepreneur s'oblige à soumettre des
plans détaillés à un ingénieur désigné, pour approbation. Le maître contracte
également avec ledit ingénieur qui est ainsi chargé de collaborer avec l’entrepre
neur. d'étudier les plans qui lui seront soumis par l'entrepreneur, de les vérifier,
de les corriger et de surveiller les travaux. Par ailleurs, il n’existe aucun contrat
entre l'ingénieur et le contracteur. Toutefois, la Cour d ’appel a reconnu à bon
droit l’existence d'une stipulation pour autrui dans le contrat de l’ingénieur au
profit de l'entrepreneur: l'ingénieur s'obligeait à assister l'entrepreneur et à
collaborer avec lui. C'est ainsi que la Cour a pu conclure ensuite à la
responsabilité de l’ingénieur envers l’entrepreneur pour sa faute dans l’exécution
desdites obligations, malgré l'inexistence apparente d'un contrat entre les deux
(Duresne Engineering Co. Ltd. c. Dem ers, 1975 C.A. 653).
La notion de stipulation pour autrui est également souvent utilisée pour
solutionner des litiges intervenant entre plusieurs personnes prétendant avoir droit
au produit d'une police d'assurance-vie. Si les principes applicables (acceptation,
révocation) sont simples, l’application qu’on ne fait nous apparaît plus discutable.
Il est certain que la stipulation est révocable tant qu’elle n’est pas acceptée.
Comment est-elle acceptée? Dans l'affaire Laroche c. The Great West Life
Assurance, 1975 C.S. 4, l’assuré a changé le bénéficiaire avant son décès.
Toutefois, avant ce changement, le bénéficiaire original avait été averti par
l'employeur de l'assuré (il s'agissait d'une assurance collective) qu'il était
bénéficiaire. Le tribunal conclut que la révocation a eu lieu avant la signification
de l’acceptation car celle-ci devait être signifiée soit à l'assuré, soit à l'assureur.
... la seule signification, invoquée par elle (le bénéficiaire révoqué), fut une
information qu'elle eut de l’em ployeur de (l’assuré) qu'elle avait été désignée comme
bénéficiaire de l’assurance de ce dernier.
favorisait pas le premier bénéficiaire. Et la chose était aussi discutable que dans le
cas précédent. On ne peut comprendre pourquoi un testateur aurait l'obligation
d'exclure expressément dans un legs universel les rentes ou les assurances qu'il a
déjà décidées d'attribuer à d'autres. De ce point de vue, faut-il penser qu'une
stipulation doit être faite deux fois pour être efficace ? En faisant un legs universel
un testateur n'entend pas révoquer par le fait même toutes les stipulations pour
autrui qu'il a faites précédemment.
En fait, il s'agit surtout d'un problème d’interprétation de la volonté du
testateur et force nous est de croire qu'à moins d'indications aussi expresses que la
stipulation elle-même l'était, le testateur n'avait pas l'intention de révoquer
celle-ci. C'est aussi la façon de voir de la Cour d ’appel qui a infirmé le jugement
de la Cour supérieure dans l'affaire Ass.-vie Desjardins (1976 C.S. 617), tout en
refusant de suivre la décision de Canada Life Assurance c. Giroux.
On reconnaît généralement, d'autre part, que l'obligation assumée par
l'acheteur d'un bien de payer le prix ou une partie du prix à un tiers constitue une
stipulation pour autrui (cf. Sure Ins. Agencies Ltd. c. Travelers Indemnité Co.,
1976 C.A. 736; cf. aussi 1971 R.G.D. 246, n° 34; 1972/?.G.D. 320, n° 18: 1973
R.G.D. 220, n° 27).
Toutefois, dans une décision portée en appel (.Aliments de Santé du Québec
Ltée c. Aliments Vogel Ltée, 1975 C.S. 1215), l'hon. juge A. Monet en a décidé
autrement. Et nous croyons respectueusement que sur ce point il a fait erreur.
La clause dans le contrat de vente d'un fonds de commerce stipulait que
l'acheteur devait payer directement à un tiers (Bioforce Canada) 20% du prix de
toutes marchandises que le vendeur achèterait de ladite compagnie Bioforce...
jusqu'à concurrence du prix total de la vente.
L'acheteur, poursuivi en paiement du prix, a plaidé qu'il s’agissait d'une
stipulation pour autrui et que l'action du vendeur était prématurée. De son côté, le
vendeur interprétait cette clause comme une indication de paiement. Lorsqu'on
sait que la jurisprudence considère une telle indication de paiement comme une
stipulation pour autrui pour expliquer et justifier le recours du tiers contre
l'acheteur, il est fort surprenant que, dans ce cas, le tribunal ait refusé d ’accepter
que la clause créait une stipulation pour autrui, surtout que le vendeur lui-même
reconnaissait qu'il s'agissait d ’une indication de paiement. Et le juge de justifier
seulement en disant: «Cette opération [la stipulation] [...] est dans sa plus simple
expression un contrat en faveur d’un tiers. Or tel n ’est pas le cas. Tout au plus,
Bioforce, si elle avait participé au contrat, aurait obtenu une sûreté de sa créance
future, voire éventuelle, contre la demanderesse (le vendeur).»
Eu égard à la jurisprudence existante, il n’est pas surprenant que cette
décision ait été portée en appel, encore qu’il semble bien que, dans ce cas, le
tribunal de première instance n’ait pas bénéficié des références à la jurisprudence
courante.
À notre avis, le fait que le terme du paiement ait été indéterminé n’empêche
pas de qualifier l'opération comme une stipulation pour autrui conditionnelle à
92 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
les mêmes raisons qu’il aurait rejeté la gestion d’affaires: «Il n'y a pas lieu
d'appliquer non plus la notion d'enrichissement sans cause. La succession s'est
enrichie de la valeur des services du défendeur, mais lui n’en a pas subi
d'appauvrissement. Il a travaillé pour lui-même, en tant que prétendu héritier, et
pour ses frères et sœurs. Maintenant que la succession lui échappe, il ne peut
prétendre qu'il s'est appauvri au bénéfice du demandeur».
Nous ne pouvons admettre ce principe tel qu'énoncé. Si «l'administrateur»
avait été de bonne foi, cet argument n'aurait pu, à notre avis, lui être opposé
valablement et son action de in rem verso aurait dû être reçue. Aussi, nous
préférons croire que la raison déterminante du jugement tenait à la mauvaise foi de
«l'administrateur». Dans cette optique, l'action de in rem verso ne pouvait être
reçue, le demandeur devant invoquer sa propre turpitude pour faire valoir son
droit. Or un acte frauduleux ne saurait faire naître quelque droit que ce soit pour
son auteur, même pas sur la base de l'enrichissement sans cause, (cf. aussi infra
n° 85 Paiement).
1093). De cette décision, bien justifiée, on acquiert aussi l'impression que le pur
espoir d'une récompense, déçu par la suite, ne peut justifier un recours fondé sur
l'enrichissement, s'il n'existait pas, par ailleurs, une promesse implicite ou
expresse de récompense de la part du bénéficiaire des services. Enfin, le tribunal a
cependant permis la demande de remboursement des frais funéraires contre la
succession, en se fondant sur l'enrichissement sans cause, puisque celle-ci est
tenue de les supporter.
Dans une autre espèce, le tribunal a aussi rejeté l'action de in rem verso d'un
sous-entrepreneur contre l'entrepreneur général, le maître de l'ouvrage (une
commission scolaire) et le gouvernement du Québec, le sous-entrepreneur
prétendant qu'il avait encouru, dans l'exécution de son contrat, des dépenses
additionnelles en se trouvant obligé de payer une augmentation de salaires à ses
employés par suite d'un décret augmentant les salaires.
À bon droit, on a décidé que l'appauvrissement n'était pas sans cause. Il
trouvait forcément sa cause dans le contrat intervenu entre le sous-entrepreneur et
l'entrepreneur. En outre, on a peine à voir en quoi le maître de l'ouvrage se serait
enrichi. On a peine à voir aussi en quoi le gouvernement se serait enrichi ou se
serait enrichi sans cause. S’il s'est effectivement enrichi la cause s'en trouve dans
les lois fiscales: !,enrichissement a donc une cause (Bernier <& Cie Ltée c. Proc.
gén. du Québec, 1975 C.S. 1201).
Par ailleurs, notons l’application libérale de l'enrichissement sans cause que
la Cour provinciale a cru bon faire dans l'espèce suivante.
Une explosion survient dans un immeuble. Le propriétaire de l'immeuble au
moment de l'explosion fait faire les réparations avec l’accord de son assureur, en
les confiant, par contrat, à un entrepreneur. Après que les réparations sont faites,
celui qui avait vendu l’immeuble à l’assuré, le reprend en vertu d ’une clause de
dation en paiement. Plutôt que de la payer à l'entrepreneur ou à son assuré,
l'assureur verse l'indemnité au vendeur qui a repris possession, et qui avait un
intérêt dans la chose assurée à titre de créancier hypothécaire. L'assureur croyait
sans doute que l'accipiens paierait l'entrepreneur. Ce n'est pas ce qui s'est
produit. Aussi l'entrepreneur impayé a décidé de poursuivre son contractant, soit
l'assuré, et le vendeur qui a repris l'immeuble, dans une action apparemment mal
conçue, juridiquement en ce sens que le demandeur n'invoquait pas clairement
l'enrichissement sans cause.
Aussi, s'autorisant de l’art. 2 C.P.C. le tribunal a décidé proprio motu de
traiter la demande comme une action de in rem verso, puisque c'était la seule
avenue qui lui était ouverte pour accueillir l’action, tel que le commandait
l'équité. En conséquence, il accueille l'action contre celui qui a reçu le paiement,
mais sans frais et il rejette forcément en même temps, sans frais, par souci de
logique, l’action de l'entrepreneur contre son contractant, soit celui qui était
l'assuré au moment du risque et qui avait contracté avec l'entrepreneur pour faire
faire les réparations (Levac c. Ravary, 1975 C.P. 151).
Le tribunal conclut l’exposé de ses motifs en écrivant: «Bien sûr, d ’aucuns
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 97
diront que le juge du présent tribunal a fait une trop grande place à l'équité.
[Mais]... «It is in the interest of Justice that the principles and fairplay which have
been incorporated into our law, be fully applied....»
Il est entendu que l'entrepreneur devait réussir contre l’un des deux
défendeurs. Normalement, il aurait dû réussir contre son contractant (l'assuré),
quitte à ce que celui-ci se retourne lui-même contre son assureur qui, à son tour,
aurait pu se faire rembourser par celui à qui il avait payé l ’indemnité. Le tribunal a
d'ailleurs exposé cette situation mais il a ajouté qu'il n'y avait pas de raison pour
qu'il ne «statue pas sur tous les recours (les droits de toutes les parties) même s'ils
avaient pu faire l'objet d'actions distinctes» bien que l'assureur ne fut pas
impliqué dans l'action.
À notre avis, l'équité utilisée de façon aussi libérale par le juge, l'a été
surtout pour pallier à la façon dont les parties et principalement le demandeur se
sont pris pour présenter leur cause. Mais il nous apparaît très étrange finalement
que l'action ait été rejetée contre le contractant, pour être admise contre un tiers.
L’enrichissement sans cause a été utilisé, non pas pour pallier à l'absence de
recours, mais bien plutôt pour éviter l’application normale des règles juridiques.
Dans le cas d'espèce, l'attitude du juge est peut-être défendable, mais l'on ne
saurait y attacher quelque valeur que ce soit au niveau des principes. Dans
d'autres situations, une décision semblable pourrait, sous prétexte d'équité, créer
des injustices. De doute façon, il va sans dire qu’on ne doit se servir de l'équité
pour éviter l'application des règles ordinaires qu'avec la plus grande prudence et
la plus grande circonspection!
C. La R E SP O N SA B ILITÉ C IV IL E .
dommages, nous paraît être une utilisation abusive de cette qualification, si tel est
le but recherché. Si c'est là l'effet abusif qu'elle produit, mieux vaut revenir à la
qualification délictuelle ou quasi-délictuelle de toute action pour dommages causés
à des biens (ou à la personne).
(Cf. aussi infra, n° 41. Responsabilité du manufacturier.)
30. Obligations de moyens et de résultat. (Médecin-conservation d'une chose.)
Cf. supra, n° 28 — Domaine de la responsabilité contractuelle (obligation de
l'hôpital: obligation de l'exploitant d'un centre de loisirs. Louage de choses: cf.
infra, n° 38. Responsabilité du médecin).
L'obligation du médecin envers son patient n'est qu'une obligation de
diligence ou de moyens; aussi il revient, en principe, au patient de prouver que les
complications ou l'aggravation de sa condition résultent des traitements reçus et
qu'ils sont imputables à la faute du médecin. On l'a souvent dit et on l'a répété
récemment.
L'application de ce principe est cependant fort délicate, semble-t-il.
Tout d'abord, il est certain que la preuve de la faute du médecin peut être
faite pour tous moyens, y compris par présomption de faits.
Cette présomption naîtra plus ou moins facilement selon le traitement médical
prétendûment fautif, mais elle ne naît pas de la seule preuve de l'aggravation. En
effet, le patient doit d'abord établir, généralement, que la condition résulte d'un
phénomène médical qui pouvait être évité ou que l'accident ne s'explique
généralement, du point de vue médical, que par la commission d'une faute. Et
dans ce sens la preuve par présomption de faits n'impose certainement pas au
médecin une obligation de résultat, comme certains ont pu le croire à la suite de la
décision de la Cour suprême dans l'aff. M artel, 1969 R.C.S. 745.
Quant à la conduite du médecin, elle doit être comparée à la science et à
l'habileté normales des membres de la profession médicale.
Ces critères étant posés, il y aura présomption de faute lorsque, «dans le
cours normal des choses, un événement ne doit pas se produire, mais arrive tout
de même, et cause un dommage à autrui, et quand il est évident qu'il ne serait pas
arrivé s'il n'y avait pas eu négligence...» Si celui qui avait le contrôle de la chose
réussit à établir à la satisfaction de la Cour, l'existence d'un fait extrinsèque, il
aura droit au bénéfice de l'exonération. (Parent c. Lapointe, 1952 S.C.R. 376,
381).
Ce test, appliqué à plusieurs reprises en matière médicale depuis l'arrêt de la
Cour suprême dans l'affaire Martel c. Hôtel-Dieu St-Vallier, précitée, a pour
effet, dans la plupart des cas rapportés, d'imposer facilement au médecin le
fardeau de s'exonérer. Et celui-ci ne peut pas s'exonérer en plaidant que
«l'accident demeure inexpliqué». Il devra prouver qu'il a appliqué un niveau de
connaissances raisonnable et employé une technique raisonnable; mais il ne suffira
pas que le médecin témoigne de ces faits théoriquement; il ne réussira que si, par
102 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
la preuve que la perte a été causée sans son fait et sa faute, sans établir la cause
réelle de la perte; sans preuve de la cause il n'y a pas de preuve que la cause n'a
pas été le fait ou la faute du gardien; sans preuve de la cause, il n'y a donc pas de
preuve concluante que le débiteur a apporté à la conservation de la chose les soins
d'un bon père de famille».
Résumant ces idées, nous croyons donc que l'obligation de conserver et de
rendre une chose est soumise aux principes suivants: 1) l'obligation de conserver
est incluse dans celle de rendre; 2) la preuve de détériorations crée une
présomption de responsabilité contre le débiteur de la chose (1071 c.c.); le
débiteur possède une obligation de résultat escompté; 3) le débiteur doit, pour
s’exonérer, prouver cas fortuit ou force majeure (1072 — 1200 c.c.); 4) cette
preuve peut être faite directement ou par présomption de faits (le recours à la
preuve par présomption de faits ne transforme pas rétroactivement l'obligation de
résultat en une obligation de moyens, pas plus que la preuve par présomptions ne
transforme l'obligation de moyens du médecin en une obligation de résultat).
Appliquant ces principes à l'espèce précitée, le tribunal, après avoir souligné que
le feu n'est pas en lui-même un cas fortuit, a conclu qu'il avait probablement été
le résultat d'une combustion spontanée du tabac pour laquelle, dans les
circonstances (et c'est là sans doute l'objet de l'appel), «l'entrepositaire» ne
pouvait être tenu responsable. Cette dernière conclusion est peut-être discutable;
mais il s'agit plutôt d'une question d ’appréciation. Quant aux principes applica
bles, comme tels, ils ont été, à notre avis, clairement dégagés et bien appliqués.
31 Relations droit pénal — responsabilité civile.
Un plaidoyer de culpabilité devant une instance pénale ne peut être remis en
question devant la juridiction civile lors d ’une action en dommages. Ainsi le
défendeur qui a plaidé coupable à une accusation d'attentat à la pudeur devant
l'instance pénale, sera forclos de tenter de prouver, sur objection à cette preuve
dans le cadre de l'action en dommages intentée contre lui pour viol, que la
demanderesse a consenti aux actes posés; à moins que le défendeur ne prouve que
l'aveu (plaidoyer de culpabilité) provenait d'une erreur de fait. Le plaidoyer de
culpabilité a acquis la force probante de l'aveu judiciaire parce que, et dans la
mesure où, il s'applique aux mêmes faits remis en question dans l’instance civile
(Pie c. Thibert, 1976 C.S. 180, et jurisprudence citée).
Cette question de l’incidence du plaidoyer fait ou du jugement rendu dans
une instance pénale n'est pas toujours facile à régler et les décisions des tribunaux
peuvent paraître contradictoires. Mais il nous semble que les principes suivants
résument et concilient bien les opinions exprimées: 1) la condamnation pénale ne
constitue pas chose jugée en matière civile; 2) elle est cependant admissible en
preuve et constituera une présomption juris tantum de responsabilité lorsqu'elle
porte sur les mêmes faits que ceux allégués au civil (Lacroix c. RiveL 1976 C.S.
964 ou 1976 R.P. 361 et jurisprudence citée); 3) La force probante de la
condamnation ou du plaidoyer dans l’instance pénale sera appréciée par rapport
aux autres éléments de preuve soumis dans l'instance civile. La décision précitée,
Pie c. Thibert, respecte bien ces principes.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 105
l’art. 49a de la Loi de la conservation de la faune (L.Q. 1969 c. 58, amendée par
L.Q. 1971, ch. 60). Eu égard à la définition de «l’accident directement relié à la
chasse, à l'exclusion de toute activité connexe», ne constitue pas un accident
susceptible d'indemnisation le fait de se noyer en tentant de récupérer des canards
de bois si la preuve révèle que l'activité de la victime n'avait pour objet que la
récupération des canards (Lamy c. P .G .Q ., 1975 C.A. 734).
D’un autre côté, «l'accident» ne couvre pas le fait d’être frappé par la foudre
lors d'une partie de pêche (Quenneville c. P .G .Q ., 1976 C.S. 1522), non plus
évidemment que le suicide dans le bois avec une carabine (Bilodeau-Daoust c.
P .G .Q ., 1976 C.S. 287).
iii) Responsabilité du propriétaire. — Le propriétaire n’est pas l'assureur de
ceux qui viennent chez lui. Il ne sera tenu responsable que d’une faute prouvée et
le seul fait qu'on ait trébuché sur la propriété d’autrui ne crée pas une présomption
de faute {Brassard c. Simard, 1974 R.L. 439). Les mêmes principes s'appliquent
au propriétaire d'un établissement commercial relativement au terrain de station
nement qui en est l'accessoire: la victime qui tombe doit démontrer une faute du
propriétaire c'est-à-dire qu'il aurait pu prendre à temps les mesures efficaces pour
empêcher la chute qu'aurait provoquée une pluie verglaçante (Poslums c. Vczina,
1975 C.A. 291). À plus forte raison les mêmes principes s’appliquent au
propriétaire d'une maison qui, même s’il a une superficie moins grande à
entretenir, n'est pas obligé à une surveillance de tous les instants (Swift c.
MacdougalL (1976) 1 R.C.S. 240).
Constitue une faute, par ailleurs, le fait de ne pas se préoccuper de
l'étanchéité d'un plancher déjà glissant, à la sortie d'un sauna, et de ne pas avoir
pourvu à la présence d'un tuyau d ’écoulement de l'eau qui s’accumule aux abords
de la chambre d'étuve. Quant à la victime qui a chuté, elle est aussi en faute
(209c ) pour ne pas avoir pris la précaution de chausser des souliers caoutchoutés
ou des espadrilles (Richard c. Institut Yvan Coutu Inc., 1975 C.S. 410).
L'exploitant d ’un terrain de camping qui perçoit un prix d'entrée de la part
des baigneurs pour l'usage d'un lac artificiel doit prévoir qu'à un moment donné
l'un des baigneurs se trouvera en difficulté. Aussi commet-il une faute s'il
n'engage pas un gardien-sauveteur pour surveiller les baigneurs. Il sera, par
conséquent, responsable d'une noyade qui serait due, selon les circonstances en
preuve, au délai qu'on a mis à porter recours à la victime, alors qu'un
gardien-sauveteur aurait pu agir avec vitesse (Maheux c. Lavallée, 1975 C.S.
1078; au même effet, Duplessis c. Roy 1976 C.S. 178).
Commet une faute la commission scolaire qui entoure la cour de récréation de
son école d'une clôture dangereuse, dont le sommet est constitué d'une crête de
bouts de broche pointus et affilés, alors qu'il est prévisible que les écoliers seront
tentés de grimper dans un arbre qui se trouve à proximité de la clôture, en s’aidant
précisément de la clôture (Gauthier-Fafard c. C.S. de Granby, 1976 C.S. 985).
iv) Responsabilité des pompiers. — Une municipalité peut et doit être tenue
responsable des dommages résultant des fautes des préposés de son service
108 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
De même, ne commet pas une faute le médecin qui choisit l’un de deux
traitements possibles pour faire une chirurgie plastique et qui prend les précautions
connues et suggérées pour éviter les complications qui peuvent se produire, même
si les complications se produisent. Le médecin ne s’engage pas, en acceptant de
faire le traitement, à faire une opération à succès garanti, mais uniquement de
procéder suivant les règles de l'art, en accord avec les normes de sa spécialité
(Savoie c. Gaudeîîe, 1976 C.A. 127).
D'un autre côté, le médecin qui pose un acte qu'il aurait pu éviter, avec plus
d ’attention (ligature du canal cholédoque, par inadvertance), n'a pas d'excuse
valable (Horn c. Tabah, 1976 C.S. 988). Aussi, l'anesthésiste qui néglige de
vérifier le fonctionnement des appareils qui doivent fournir l'oxygène pendant
l'anesthésie est indubitablement responsable. Non seulement, à notre avis, y a-t-il
présomption de faute dans ces circonstances mais encore preuve positive d'une
faute. Le médecin ne peut se contenter de se défendre en affirmant qu'il agit
toujours de la même façon sans problème (Covet c. Jexvish General Hospiîal,
1976 C.S. 1390 (en appel sans doute sur les dommages accordés)).
Enfin, celui qui se prétend compétent pour traiter l'hydrocéphalie et qui
convainc les parents de lui confier le traitement de leur enfant n'est qu'un
charlatan qui prodigue des traitements inutiles, puisque la preuve révèle que
l’hydrocéphalie ne se traite pas (Tardif c. Laverrière, 1976 C.S. 1803). Aussi il
devra dédommager le père pour ses déplacements, ses pertes de temps, ses
inconvénients en plus de lui rembourser les honoraires payés. Il devra aussi
dédommager l'enfant ($5 000) pour les ennuis, inconforts, souffrances que lui ont
causé les traitements inutiles, pendant une période de sept ans.
39. Responsabilité de Vavocat.
Un avocat ne peut être tenu responsable de la prescription d ’une action s'il
fixe un rendez-vous au client pour recueillir les données nécessaires et si le client
ne se présente pas au rendez-vous (Hamlet c. Lefebvre, 1976 C.S. 185), non plus
que si le client ne fournit pas les documents nécessaires pour l'exécution du
mandat qu'il prétend avoir confié à l'avocat (Chartrand c. Hamel, 1975 C.S. 411
(en appel)).
Toutefois, l'avocat qui fait perdre un bon droit d ’action à son client en ne
s'assurant pas que la signification du bref qu'il a fait émettre sera faite en temps
utile commet une faute professionnelle qui engage sa responsabilité (Leclerc c.
Pépin, 1976 C.S. 1398).
Far ailleurs, «un avocat qui se trompe dans son appréciation des faits d'une
collision d'automobiles ne commet pas une faute professionnelle du seul fait qu'un
tribunal ne lui donne pas raison. Aussi s'il n'a poursuivi pour son client que l'un
des deux conducteurs impliqués dans l’accident, il ne sera pas responsable, s'il a
avisé son client qu’il serait «plus» sécuritaire de poursuivre les deux», (Lima c.
Antanuk, 1976 C.S. 990), étant entendu cependant qu’il serait responsable, à notre
avis, s’il avait négligé de donner un tel avis à son client. Nous croyons même que
l’avo qui conseillerait à son client, sur la seule base de sa propre appréciation
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 111
matière de roulottes, le vendeur était présumé connaître les vices affectant la chose
vendue (1527 c.c.). Cette partie de la décision n'appelle aucun commentaire.
Toutefois, l'audace dont fait preuve le tribunal dans sa façon de traiter
l'action de l'acheteur contre le manufacturier mérite au moins d'être soulignée et
commentée. Sur cet aspect de l’action, le tribunal note expressément «qu'il n'y a
pas eu de preuve que (le manufacturier) ait donné une garantie conventionnelle (à
l'acheteur)» et qu'aucune autre preuve de la garantie du manufacturier n'a été
faite.
Mais il ajoute:
Il a cependant été établi par la jurisprudence q u ’un acheteur peut s ’adresser au
fabricant en se basant sur les dispositions de l’art. 1053 du Code civil et exercer un recours
en dom m ages si l’objet vendu lui a causé des dommages.
Il est clair q u ’ayant versé le prix d ’achat entre les mains (du vendeur), (l'acheteur) ne
pouvait pas exercer directem ent répétition contre (le m anufacturier). Mais rien ne
l'em pêchait d'évaluer à un montant équivalent à ce prix les dommages que lui avait causés
l'im péritie du m anufacturier ...
aux acheteurs sur les soins particuliers que nécessitait le montage d ’une arme à
feu. Toutefois, les dommages réclamés résultaient d ’une blessure subie à la figure
par l’acheteur (et non le remboursement du prix de l’objet). En tenant compte de
ces éléments, il nous semble donc que la faute et les dommages, dans l’affaire
Ross, étaient assez différents de ceux qu’on retrouve dans l’affaire Lavoie.
Du reste, dans l’affaire R oss, on pouvait imaginer assez facilement que les
dommages qu’on pouvait ainsi réclamer du manufacturier ne pouvaient pas l’être
nécessairement d ’un tiers qui aurait pu être le vendeur de l’objet.
Quant à l'affaire Peugeot, on y retrouvait évidemment l’obligation conven
tionnelle de garantie du manufacturier, encore que la cour se serait peut-être
contentée volontiers, semble-t-il, d ’invoquer la notion de la garantie légale (1053
c.c.?) du manufacturier, en invoquant, l’arrêt Ross v. Dunstall et, dans cette
optique, la Cour supérieure, dans l’affaire Lavoie, était sans doute justifiée
d ’appuyer son jugement sur celui de la Cour d ’appel. Le tribunal aurait pu aussi
s'inspirer des commentaires du professeur Philippe Malinvaud (La responsabilité
civile du fabricant en droit français, Gaz. Pal. 1973, chronique, p. 463) pour
noter qu'en droit français, le manufacturier est également délictuellement
responsable des vices cachés de sa chose à l'égard des tiers et la preuve de la faute
découle simplement de la preuve du vice de fabrication. Selon les commentaires
de Malinvaud, la faute pourrait même être présumée en vertu du principe de la
responsabilité du fait des choses (1054 c.c.), dès que preuve est faite que le
dommage résulte d'un défaut de structure, dans la mesure où l’on peut considérer
que le fabricant est le gardien de la structure de la chose.
Cette nouvelle façon de concevoir la responsabilité du manufacturier semble,
par ailleurs, être celle proposée par l’Office de révision du Code civil. Celui-ci,
dans son Rapport sur les Obligations de 1975, propose en effet la règle suivante
dans le chapitre «des obligations découlant de la loi» (délits et quasi-délits):
Le fabricant ou son représentant répond d ’un vice de conception de fabrication, de
conservation ou de présentation du produit, sauf si la victime pouvait en déceler le vice par
un examen ordinaire (art. 103).
En tous cas, il résulte clairement de cette façon de présenter les choses qu’à
toutes fins pratiques on substitue aux nos 1522 et ss. du Code civil le numéro
1053 ou, si l’on préfère, on déplace les art. 1522 et ss. du chapitre de la vente au
chapitre des délits et quasi-délits.
Il y a même confusion entre l’effet de la nullité d ’un contrat et la
responsabilité délictuelle. Cette confusion ne nous apparaît ni admissible dans la
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 115
logique juridique ni souhaitable à cause des autres questions qu’elle soulève et qui
devront être tranchées arbitrairement soit par les tribunaux ou soit par l’Office de
révision du Code civil.
Ainsi, sur la question de la solidarité entre le vendeur et le manufacturier,
nous demeurons songeurs devant la naissance de la notion du «délit ou quasi-délit
commercial» ou encore de «la négligence ou imprudence» (1053 c.c.) à caractère
commercial (Cf. Beaudeî c. Suberling Rubber, précitée: solidarité entre vendeur et
manufacturier).
Par ailleurs, comment dans cette esprit, arrivera-t-on à concilier logiquement
la question des délais de prescription? Si la responsabilité du manufacturier est
fondée sur l'art. 1053 c.c., ne s’ensuit-il pas que l’action en dommages (et donc
en remboursement de prix) se prescrit par deux ans (2261 c.c.), alors qu'une
action semblable contre le vendeur doit être intentée dans un délai raisonnable
(1530 c.c.)? Ou assistera-t-on à la naissance du délai de prescription raisonnable
dans le cas de la responsabilité délictuelle du manufacturier? Notons que dans
l’affaire Suberling Rubber Ltée précitée, la Cour provinciale, n'a pas hésité à
appliquer la prescription de deux ans (2261 c.c.) au manufacturier, tout en
invoquant par ailleurs renonciation à la prescription de la part du vendeur, en plus
d’invoquer la «légalité» du cumul des régimes de responsabilité!
Mieux vaudrait, nous semble-t-il, justifier arbitrairement la responsabilité du
manufacturier pour défauts cachés sur le plan contractuel, soit par l’idée qu'en
cette matière, le vendeur est le mandataire du fabricant, soit par l'idée que
l’acheteur bénéficie d ’une stipulation pour autrui expresse ou implicite contenue
dans le contrat entre le fabricant et le vendeur plutôt que de la justifier
arbitrairement par la notion du quasi-délit.
Le demandeur a certes subi les dommages qu’il allègue. Mais encore faut-il
que le demandeur puisse légalement fonder son recours. Or la source du dommage
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 117
réside simplement dans l'exécution par l'État de travaux licites dans Tintérêt
public. Il n’y a donc pas faute. Par ailleurs, le demandeur ne possédait pas un
droit spécial à la pureté des eaux du lac, celui-ci faisant partie du domaine public,
puisqu'il n’a établi aucun droit de baignade ou de plagisme équivalent à une
servitude. Son recours en dommages n’a donc aucun fondement: l'exercice d'un
droit peut avoir pour effet de nuire à autrui, sans pour autant nécessairement
engager la responsabilité du détenteur de ce droit, pourvu que cet exercice ne soit
pas malicieux, ou qu'il soit sans intérêt pour soi ou le public en général. Ce
raisonnement de la Cour d ’appel (P .G .Q . c. Bélanger, 1975 C.A. 887) est
évidemment inattaquable en l'espèce.
Par ailleurs, l'exploitant d'opérations minières (amiante) sera responsable des
dommages résultant de la pollution d'une petite rivière qui traverse un fonds de
terre, si cette pollution cause un préjudice sérieux au propriétaire du fonds. Ce
préjudice est évidemment matière d'appréciation. Cette décision {Carey Canadian
Mines Ltd. c. Plante, 1975 C.A. 893) peut paraître contredire la précédente. Mais
cette contradiction n'est qu'apparente. Premièrement, l'exploitation de la mine
n'était pas faite d'abord dans 1' intérêt public; notons cependant qu'en première
instance, le tribunal avait refusé d'accorder une injonction, «vu l’importance de
l'industrie pour les citoyens du district qui en retirent leur principal moyen de
subsistance». Cette question n’a pas fait l'objet de l'appel. Deuxièmement, en
l'espèce, les eaux polluées étaient celles du lac: si dans le cas du ruisseau, on
pouvait appliquer l'art. 501 c.c., on ne le pouvait pas dans le cas du lac.
L'élevage de dindons dans des conditions qui font qu'il impose au voisin une
atteinte à son droit de propriété qui dépasse les limites des simples inconvients du
voisinage peut être circonscrit par voie d'injonction (Lessard c. Caron & Cie,
1976 C.S. 966).
Enfin, le propriétaire dont l'immeuble est endommagé par les racines des
arbres à haute tige situés sur le terrain du voisin a droit à l’indemnisation des
dommages contre le voisin (528 — 529 c.c.). Et il ne perd pas son recours s'il n'a
pas antérieurement mis le propriétaire des arbres en demeure de les enlever.
D'ailleurs, il n'y a pas nécessité d ’une mise en demeure préalable pour réclamer
des dommages, puisqu’il s'agit d ’une obligation de ne pas faire (art. 1070 c.c.)
(Phaneuf c. Sylvestre, 1975 C.A. 224).
44. Aliénation d'affection. Séduction. Droits d'une concubine lésée.
Il ne suffit plus que l’un des conjoints soit trompé par l'autre pour qu'il ait
droit à une action en dommages contre le tiers qui a participé à la «tromperie».
L’action en aliénation d’affection repose forcément sur l'art. 1053 c.c. avec la
conséquence que le demandeur doit prouver unt faute causale de la part du tiers.
Or si l’on considère que le conjoint qui trompe l'autre est le premier responsable
de ses actes, il est difficile d ’en imputer la causalité au tiers, à moins que celui-ci
ne se soit rendu coupable de séduction dolosive (Laroche c. Larivière* 1976 C.S.
374: voir aussi nos commentaires à (1973) 33 R. du B. 68-70).
Par ailleurs, la séduction doit être sanctionnée, par une action en dommages.
118 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
si elle est dolosive, la faute causale résidant alors plus dans le dol que dans la
séduction. Ainsi la promesse de mariage faite et répétée à une femme, par un
individu, avec la complicité de sa mère, dans le dessein de régulariser sa situation
auprès de l'immigration canadienne et l'abandon de la victime séduite après
l'accomplissement des formalités d'immigration constituent un dol qui oblige son
auteur à dédommager sa victime (Saadeh c. A m in, 1976 C.S. 378). Le tribunal a
aussi accordé le remboursement des dépenses réelles encourues et une somme de
$1 000 pour souffrances et humiliation.
Enfin, nous retrouvons, dans cette même famille de recours si l'on peut dire,
une décision de la Cour supérieure relative aux droits d'une concubine expulsée
(׳G aud c. Simard , 1976 C.S. 1795). Encore que cette cause ait été portée en appel,
le jugement de la Cour supérieure, en vertu duquel le concubin a été condamné à
dédommager la concubine, mérite d ’être souligné, à raison des points qui y sont
traités. Après avoir annulé les effets juridiques découlant d ’un engagement verbal
qui contenait une promesse de mariage et les avantages de la richesse, engagement
dont la preuve par témoins avait préalablement été reçue parce qu'il y avait
commencement de preuve par écrit, le tribunal considère cependant que l'auteur
de la promesse, qui avait été faite dans le but d'obtenir le consentement d'une
femme à une vie en concubinage, avait commis une manœuvre de séduction
dolosive qui constituait une faute délictuelle (1053 c.c.). Cette faute s'est
évidemment «révélée» seulement lorsqu'après trois ans et demi de vie commune,
le concubin a décidé brutalement de mettre fin à la vie commune et d'expulser sa
concubine. Appréciant toutes les circonstances, le tribunal a évalué les dommages,
à caractère moral suitout, à la somme de $10 000 en plus d'accorder une somme
de $6 000 pour perte de meubles, d'effets mobiliers, frais de réaménagement et
$1 500 pour frais de déménagement.
45. Fausse arrestation. Dénonciation.
Le recours en dommages pour fausse arrestation ou dénonciation doit être
décidé suivant les principes de notre droit civil, c'est-à-dire en vertu de l'art. 1053
c.c. et de la notion de faute.
Commet une faute celui qui, ayant encaissé (payé) quatre chèques de rente au
profit de celui qui les a endossés au nom du bénéficiaire des chèques, après le
décès de celui-ci, décide de remettre les chèques à la police dans le but de
convaincre l'endosseur de lui rembourser le montant des chèques. En se rendant à
la police et en faisant abstraction des explications de l'endosseur, plutôt que de
prendre une action civile, le «dénonciateur» est responsable des dommages ($300
pour humiliation plus les honoraires de son procureur) résultant de l'accusation de
fraude et du procès criminel dont a fait l'objet l'endosseur (lorsque le procès se
termine par l’acquittement) (Chapadeau c. Lajeunesse, 1976 C.P. 217).
L'agent qui procède à l'arrestation d'un individu et qui aurait pu se rendre
compte peu après l'arrestation qu’il ne pouvait offrir quelque preuve que ce soit
contre le détenu, ne peut justifier son erreur en persistant à procéder devant le
tribunal pénal et prétendre ensuite dans l'action civile en dommages intentée
contre lui qu’il appartenait au tribunal pénal seul de rejeter la plainte. Le policier
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 119
peut arrêter, sans mandat, une personne qui, d'après ce qu'il croit pour des motifs
raisonnables et probables, a commis ou est sur le point de commettre un acte
criminel. Si la plainte au pénal est rejetée «faute de preuve», il revient forcément
au policier de prouver devant le juge civil les «motifs raisonnables et probables»
qu'il avait. (Townshend c. Pépin, 1975 C.S. 423). Par ailleurs, les agents qui ne
font qu'exécuter des ordres n'engagent pas leur responsabilité. Dans cette affaire,
le tribunal a accordé S8 000 pour souffrances morales, inconvénients, atteinte à la
réputation, humiliation, détention etc... en tenant compte de tous les facteurs (ex.
délai, publicité), plus les honoraires de l'avocat dans la poursuite pénale.
Toutefois, l'accusation portée contre une personne, ou son arrestation, ne sera
source de responsabilité civile que si elle est faite témérairement c'est-à-dire sans
cause raisonnable et probable ou avec imprudence et légèreté, sans prendre les
précautions dictées par la prudence de l'homme attentif et diligent. Il n'est donc
pas nécessaire que la prétendue victime, demanderesse dans 1*action en dommages
prouve intention malicieuse, mais il lui revient de prouver absence de motif
légitime, c'est-à-dire imprudence et légèreté.
Aussi l'action en dommages pour fausse accusation ne peut réussir si les
actes posés par l'accusée» pouvaient laisser croire qu'elle entendait voler une paire
de souliers. (Fitzbach c. Steinberg’s Ltd., 1976 R.L. 345).
De même, les policiers ne commettent pas de faute lorsque le prévenu est
arrêté en vertu d'un mandat du coroner, lorsque le prévenu correspond à s'y
méprendre à la description que les témoins oculaires avaient donnée de
l'agresseur, surtout si le prévenu change sa version de ses allées et venues trois
fois et se montre agressif et évasif, (Chartier c. P . G . Q . , 1976 C.A. 126), même
s'il s'avère éventuellement que les policiers n'ont pas arrêté le bon individu.
L'obtention et l'exécution d'un mandat de perquisition sans cause raisonnable
et suffisante, dans l'opinion du tribunal, a valu a la «victime» de ce mandat, qui
n'a pas été suivi d'une plainte, la somme de $25, à titre de dommages moraux. Le
tribunal a condamné l'agent qui a obtenu ce mandat, mais a exonéré le citoyen,
victime d'un vol, qui, dans une lettre à la police, a mentionné le nom d'un
individu (chez qui la perquisition a eu lieu) comme suspect possible du vol
(Caporicci c. Ville de Montréal, 1975 C.S. 649).
Les mêmes critères s'appliquent dans le cas d'une demande de radiation du
nom d'une personne inscrite sur les listes électorales. Celui qui, n'étant pas
énumérateur, fait cette demande, sera réputé l'avoir faite sans motifs raisonnables,
et imprudemment, s’il se fonde uniquement, sans autre vérification, sur du
ouï-dire et s'il signe un affidavit à l'appui de la demande, alors qu'il n’a aucune
connaissance personnelle de faits qui justifieraient sa demande (Mancini c.
Desjardins, 1975 C.P. 55). Après avoir étudié longuement la jurisprudence sur
l'octroi des dommages moraux, le tribunal a accordé au demandeur, qui a dû faire
réinscrire son nom sur la liste, une somme de $300 pour humiliation, indignation
et démarches.
46. Diffamation.
Lorsque des propos portent atteinte à la réputation d'une personne et
120 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
c. 48) quant à son exercice (Michel c. Grégoire, 1976 C.S. 118; Ene c. Le Soleil
Liée, 1976 C.S. 1801). Toutefois, la question de la responsabilité elle-même, pour
les propos tenus, reste soumise à l’application des critères du droit commun en
matière de faute.
47. Responsabilité des parents envers leurs enfants. Des conjoints, F un envers
Vautre. Des enfants envers leurs parents.
Ces recours en dommages d'un enfant contre ses parents ou d'un conjoint
envers l'autre, ne sont nullement interdits en vertu de l'art. 1053 c.c. Au
contraire. Toutefois, ils ne sont pas monnaie courante, pour des raisons qu'on peut
facilement apprécier.
Ceci dit, il reste que la possibilité juridique de tels recours peut avoir une
incidence dans certaines actions en dommages-intérêts (cf. nos propos à 1975
R.G.D. 237, n° 48; 1972 R.G.D. 355, n° 49: 1971 R.G.D. 294, n° 64).
Ainsi, dans une espèce, une épouse, victime d’un accident alors qu'elle était
passagère sur une motoneige conduite par son mari, tenu à 50% responsable dudit
accident, n'a eu droit qu'à la moitié de ses dommages personnels. Elle avait droit
à une condamnation solidaire, selon le tribunal, contre l’autre partie responsable
de l'accident, mais comme elle était légataire universelle de son mari, décédé dans
l'accident, il y avait confusion entre ses droits et la part de responsabilité de son
mari (Therrien c. St-Pierre, 1974 C.A. 526, conf. par (1976) 1 R.C.S. vi). C'est
évidemment reconnaître tout son effet à la responsabilité du mari à l'endroit de
son épouse.
Dans l'affaire Laverdure c. Bélanger, 1975 C.S. 612 (en appel), un insensé a
tué une jeune fille, après avoir blessé le frère de celle-ci d'un coup de poignard.
La Cour conclut à la responsabilité des parents de l'insensé pour deux tiers,
retenant un-tiers de responsabilité à la charge des parents de la victime. Il réduit
donc d'un tiers, comme il le fallait, les dommages dus aux parents de la victime,
mais il condamne les parents de l'insensé à payer au jeune homme blessé la
totalité des dommages qu'il a subis.
Il est certain que le jeune homme bénéficie de la solidarité contre les parents
de l'insensé. Mais le juge ne devait-il pas compenser jusqu'à concurrence du tiers,
soit $4 500 (13 500 3), quitte à les imputer également sur les créances du
demandeur et de la demanderesse, vu les circonstances, les condamnations
prononcées en faveur de ceux-ci? À notre avis, la chose s'imposait et il y a là un
motif suffisant pour justifier l'appel de la décision. En effet, si le décès de la jeune
fille est dû partiellement à la faute de ses parents, la même faute n’est-elle pas la
cause des dommages infligés à leur fils, une fois que l'on admet le principe, et il
est admis, que les parents ne sont pas à l'abri de l'application des principes de la
responsabilité quasi-délictuelle envers leurs enfants. Ceci dit, nous croyons
cependant que les parents de la victime n'ont pas commis une faute causale (cf.
infra, n° 53. Responsabilité des parents, sur les autres aspects de cette affaire),
contrairement à ce qu'a décidé le tribunal.
122 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
«Le feu vert constitue une invitation à passer et l'automobiliste qui y fait face
a droit de prendre pour acquis que les automobilistes procédant sur la rue
transversale lui céderont le passage, à moins qu'il n ’existe une raison particulière
de croire qu'il ne le feront pas». (O'Reilly c. Bouchard, 1976 C.A. 850).
Le droit prioritaire d'un véhicule d'urgence n’est pas absolu, lui non plus: il
doit être exercé prudemment. Ainsi le conducteur d ’un fourgon à incendie qui
s'engage dans un intersection sur un feu rouge doit le faire en observant les règles
ordinaires de la prudence, même si les signaux sonores et lumineux de son
véhicule fonctionnent (Roy c. Cité de Québec, 11975 C.S. 396).
Enfin, soulignons que le terrain d'un centre d'achats constitue un chemin
public puisqu'il est destiné à la circulation publique des véhicules. En consé
quence, on doit y circuler en «protégeant sa droite aux intersections» c'est-à-dire
en cédant le droit de passage à ceux qui arrivent à sa droite (Missisquoi & Rouville
Ins. Co. c. Couturier, 1976 R.L. 510).
v) Eblouissement. — Lorsqu'on ne voit rien devant soi, la prudence la plus
élémentaire commande de réduire sa vitesse jusqu’au point de s'arrêter, s'il le
faut: l'éblouissement ne constitue pas une raison d'exonération, sauf dans des cas
très particuliers et très limitatifs (Carrol c. Gribbon, 1975 C.S. 907).
vi) Dépassement. — Celui qui veut dépasser le véhicule qui le précède doit
s'assurer que son geste ne prendra pas le conducteur qui le précède par surprise: il
doit klaxonner pour indiquer son intention ou redoubler de prudence avant
d'entreprendre sa manoeuvre si le klaxon se serait avéré inefficace à raison du
grand bruit du moteur de sa motocyclette. En outre, constitue une faute d’effectuer
un dépassement prohibé à une intersection (Mckenzie c. Vallier e s , 1976 C.A.
858). Du reste, le fait qu'il n'existait pas de ligne double ou de signalisation
avertissant les automobilistes de la présence de l'intersection ne constitue pas la
cause de l’accident, si l’automobiliste connaissait bien les lieux.
vii) Port de la ceinture de sécurité. — Le défaut de porter une ceinture de
sécurité de la part d'une victime dans un accident d'automobiles ne peut lui être
opposé par le défendeur que si celui-ci démontre que la nature des blessures subies
est telle qu'elles auraient été évitées ou atténuées par le port de la ceinture
(Théofanis c. Sarafian, 1975 C.S. 606: Binette-Piché c. Théroux, 1976 C.S. 768;
Lafreniere c. Danis Const, 1976 C.S. 1578). Dans ces espèces, cette preuve n'a
pas été faite et il faut dire qu’à date, comme on le constate dans la grande majorité
des cas, cette preuve n'est pas faite à la satisfaction du tribunal.
viii) Manœuvre in extremis. — Un conducteur peut invoquer la manœuvre
<in extremis» ou la théorie de l’agonie de la collision pour repousser la
présomption qui pèse contre lui ou pour imputer la responsabilité de son embardée
au conducteur d’un autre véhicule lorsqu'il fait une embardée sans qu'il y ait
contact avec l'autre véhicule. Toutefois cette manœuvre, pour être telle, doit
répondre à certaines conditions que son auteur doit prouver: 1) la situation de
l'agonie de la collision ne doit pas être le résultat d'une faute de sa part, 2) il doit
y avoir faute de la part du conducteur qui a créé la situation et 3) une relation
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 125
causale entre cette faute et les mouvements «in extremis» (Miron c. Fonds, 1975
C.A. 260). Lorsque ces conditions existent, il n'y a pas lieu de reprocher à
l'auteur de la manœuvre de ne pas avoir agi avec le plus grand sang-froid. Même
si la manœuvre peut être discutable, elle demeure toujours excusable puisqu'elle
doit être jugée sous son aspect de manœuvre d'extrême urgence qui est le résultat
d'un réflexe plutôt que d'une décision qui pouvait être réfléchie (Lapointe c.
Fonds, 1975 C.S. 602; cf. aussi Lessard c. Paquin, (1975) 1 R.C.S. 665).
Il est intéressant de noter que dans l'arrêt de la Cour suprême, on y dit que la
présomption de l'art. 3 L.I.V.A .A. ne crée pas pour l'automobiliste un standard
de perfection. La conduite de l'automobiliste doit être appréciée selon la règle
d'or, soit la conduite de l'homme raisonnable dans les circonstances de temps et
de lieu révélées par la preuve. L'art. 3 ne fait que modifier le fardeau de la preuve
et la relation entre les parties lorsque la conduite de l'agent actif a été fautive. La
faute demeure toujours celle de l'art. 1053 c.c.
ix) Virage ci gauche. — Celui qui s’apprête à faire un virage à gauche doit
faire connaître son intention à l'automobiliste qui le suit, par une signalisation
appropriée en temps utile (Mckenzie c. Vallieres, 1976 C.A. 858).
gros bon sens a repris la première place dans cette question et que la théorie de la
coexistence s'impose maintenant en jurisprudence après avoir été défendue
vaillamment par certains de nos honorables juges de la Cour supérieure (Cf. nos
commentaires à 1976/?. du B. 568).
La Cour d'appel de notre province a maintenant accepté d'opter pour
l'application de la coexistence d'une faute présumée contre chacun des conduc
teurs impliqués dans une collision. Cette théorie de la coexistence a été expliquée
dans son fondement et dans son application et a été acceptée dans Hémond c.
Sauvé, 1975 C.A. 232 et dans Pimparé c. Vermette, 1975 C.A. 632. Elle a aussi
été acceptée dans Choinière c. Maryland Casualty C o., 1975 C.A. 878 où la Cour
a précisé, à bon droit, que la présomption s’applique contre chaque conducteur dès
que preuve est faite que les dommages subis sont attribuables dans quelque
proportion que ce soit aux véhicules impliqués dans ladite collision. À notre avis,
il faut comprendre par là que la coexistence des présomptions s'applique dès qu'il
est établi qu’il y a eu collision, donc contact, entre deux véhicules en mouvement.
Dans un tel cas, chacun des conducteurs doit prouver que la collision n'est pas
imputable à sa propre faute; il n’a pas à prouver que la collision est due à la faute
de l’autre.
Cette explication a d'ailleurs été celle fournie par la Cour d'appel elle-même
dans une autre espèce où, infirmant le jugement de première instance dans lequel
le juge avait appliqué la théorie de la neutralisation, elle a appliqué une fois de
plus la théorie de la coexistence (Dessureault c. Vinet, 1976 C.A. 718). En outre,
dans cette affaire, les juges de la Cour d'appel ont noté que le juge de première
instance avait disposé, en vertu de la même preuve, des quatre actions résultant du
même accident en appliquant la neutralisation des présomptions aux recours des
conducteurs entre eux d ’une part, et en présumant les deux conducteurs en faute à
l'égard des passagers qui se trouvaient dans les deux véhicules.
Cette situation parlait d ’elle-même et était, à notre avis, contradictoire: entre
eux, aucun des conducteurs n'était légalement fautif mais envers les passagers, ils
étaient tous deux légalement fautifs. Une telle contradiction était forcément
inacceptable et démontrait bien, à notre avis, le caractère superficiel de la théorie
de la neutralisation.
Ajoutons que la Cour supérieure a aussi accepté la théorie de la coexistence
lorsque deux véhicules en mouvement sont entrés en collision: en conséquence
chaque conducteur devait s’exonérer (Julien c. J.E. Roy Inc., 1975 C.S. 401).
Somme toute, nous n’hésitons pas à conclure que la théorie de la coexistence
est maintenant généralement admise en jurisprudence, comme il se doit, et qu’elle
doit être appliquée dans tous les cas où la preuve ne permet pas au juge de
déterminer à qui appartient la faute dans le cas d u n e collision entre deux
véhicules en mouvement. La preuve de ces derniers faits suffit à établir que les
deux véhicules ont été la «cause matérielle» ou «la cause efficiente» des
dommages, et elle suffit donc pour que chacun des conducteurs soit présumé en
faute.
128 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1M78
L'analyse de cette décision ne nous permet pas de croire que la Cour suprême
a rejeté en bloc la théorie de la coexistence; au contraire, elle a pris bien soin de
ne pas le faire en spécifiant que dans les cas semblables au cas d'espèce il ne
pouvait y avoir application de la théorie de la coexistence. Et, sur ce point, le
jugement est forcément très à point si l'on considère que, dans l'espèce, il n'y
avait eu aucun contact entre les deux véhicules et que le «demandeur» fondait sa
demande sur le fait que le défendeur l'avait obligé à faire une manœuvre in
extremis à la suite de laquelle il s'était retrouvé dans le décor. Ce sont ces
circonstances qui obligeaient le demandeur à prouver que le défendeur avait
commis une faute.
Cette distinction a d'ailleurs bien été saisie par la Cour d ’appel qui, même en
tenant compte de l'arrêt Dumesnil, a opté pour la théorie de la coexistence dans
les arrêts précités.
La théorie de la coexistence ne s’applique donc pas lorsqu’il n'y a pas eu
collision entre les deux véhicules. Et logiquement, le passager qui se trouve dans
le véhicule qui fait l'embardée ne bénéficie pas non plus d ’une présomption à
l'égard de l’autre conducteur. 11 ne bénéficie d’une présomption qu'à l'égard de
son propre conducteur. Pour réussir contre l’autre, il devra prouver une faute de la
part de celui-ci. Cette règle est tout à fait raisonnable et pleine de gros bon sens.
Et elle ne nie aucunement l'application de la théorie de la coexistence dans les
autres cas.
La Cour d'appel elle-même a d’ailleurs eu l’occasion d’appliquer cette
nuance en décidant que le conducteur d'un véhicule ne saurait bénéficier d'une
présomption contre le conducteur d ’un véhicule qu’il n’a pas frappé. Pour que la
responsabilité de celui-ci soit retenu, il faut prouver que ledit véhicule a été, par sa
présence ou sa manœuvre, la cause de l’embardée (ex. Miron c. Fonds, 1975
C.A. 260).
À l'opposé, il est clair que la Cour supérieure, s’autorisant de l’arrêt
Dumesnil pour appliquer la théorie de la neutralisation dans le cas d'une collision
entre deux véhicules en mouvement, n'a pas du tout compris le sens dudit arrêt
dans son jugement sur l’affaire Morin c. Filice, 1976 C.S. 169. C ’est avec raison
que ce jugement a été porté en appel et, dans l'état actuel de la jurisprudence,
nous ne pouvons que croire qu'il sera infirmé au moins sur cette question de la
neutralisation des présomptions.
Ceci dit, ajoutons que les tribunaux qui appliquent la coexistence des
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 129
présomptions, ont généralement choisi de l’appliquer de telle sorte que chacun des
conducteurs doit supporter la moitié de ses propres dommages. Si le défendeur ne
fait pas de demande reconventionnelle, le demandeur n’obtiendra quand même
que la moitié de ses dommages prouvés. Si on appliquait la théorie de la
neutralisation, le demandeur, principal ou reconventionnel, perdrait son action
avec le résultat que chaque conducteur supporterait la totalité de ses propres
dommages.
Quant aux passagers, ils ont évidemment droit à la totalité de leurs
dommages contre l’un et/ou l’autre des deux conducteurs qui n’a pas réussi à
repousser complètement la présomption.
51. Application de la présomption. Collision automobile-animal.
Lors d ’un accident entre un véhicule et un animal (ex. cheval) errant sur la
route, la présomption de l'art. 1055 c.c. contre le gardien est plus lourde que celle
pesant contre le conducteur. Telle est l’opinion émise par la Cour d’appel
(Ferland c. Théberge, 1976 C.A. 278). Cet énoncé de principe nous parait
quelque peu théorique. De façon plus pratique, il faudrait peut-être plutôt se
demander quelle est la présomption qui s'applique la première. (Cf. nos
commentaires, 1973 R.G.D. 256, n° 57). Du reste, les circonstances de l’accident
permettront d ’évaluer la conduite de l’automobiliste et sa causalité dans l'accident.
S'il faut conclure que l'automobiliste n'a pas commis de faute, ou, ce qui est aussi
possible, qu'il n'a commis qu'une faute partiellement causale, le gardien de
l'animal sera tenu responsable. En d’autres termes, l'automobiliste serait mal venu
de prétendre fonder son recours sur la seule existence de la présomption de l’art.
1055 c.c. Dans cette optique, il nous semble que la présomption de l’art. 3
L.I.V.A.A. s'applique la première, encore qu’elle puisse être repoussée plus ou
moins facilement dans le cas où le conducteur a frappé un animal sur la route, la
facilité avec laquelle elle pourra être repoussée dépendant des circonstances de
temps et de lieu.
Il reste cependant qu’on a tendance à favoriser le conducteur, puisque la
route n'est pas faite pour les animaux errants qui se sont échappés de l’enclos dans
lequel ils auraient dû être gardés en sécurité. C'est, à notre avis, ce qui explique
l’attitude bienveillante de la Cour d ’appel à l'endroit d'un conducteur qui a été
tenu responsable à 339c seulement d ’avoir heurté une vache, alors qu'il aurait pu
subir une responsabilité beaucoup plus lourde, eu égard aux circonstances, si la
Cour d ’appel avait manifesté une sévérité égale à celle qu’elle aurait sans doute
manifesté si la vache avait été un piéton et pis encore un enfant! (iCavanagh c.
Bibeau, 1975 C.A. 239).
52. La responsabilité du propriétaire d'un véhicule. Moyens d'exonération: le vol
(art. 3 L.I.V.A.A.)
Le moyen d’exonération offert au propriétaire d ’un véhicule par le paragra
phe (b) de l’art. 3 L.I.V .A .A ., fondé sur le «vol» de son véhicule, est une
exception au principe de la responsabilité du propriétaire et, à ce titre, il doit être
interprété de façon restrictive.
130 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
façon sous 1053 c.c., il reste que nous ne comprenions pas que le père ne soit pas
présumé responsable alors que son devoir de surveillance et de contrôle devait être
le plus intense à raison du bas âge de l’enfant. Quoiqu’il en soit, nous pouvons
maintenant compter sur une décision judiciaire, si la chose est nécessaire, pour
appuyer notre opinion à l'effet que le père est présumé responsable même si le
mineur est incapable de discernement (Laverdure c. Bélanger, 1975 C.S. 612).
Dans cette espèce, le fils mineur avait assassiné une jeune fille alors qu’il était
dans un état aigu d'aliénation. Ce jugement a été porté en appel mais nous ne
pouvons percevoir comment la Cour d ’appel pourrait infirmer l’opinion exprimée
par le juge à l’effet que le père est présumé responsable en vertu de l’art. 1054
c.c.
Le tribunal s’emploie aussi à expliquer, à bon droit, que, de toutes façons,
les parents sont présumés responsables des gestes de leur enfant mineur aliéné en
vertu du 4e alinéa de l’art. 1054 c.c., puisqu’ils en ont la garde légale.
Après avoir posé ces prémisses, le tribunal se demande ensuite si la
présomption a été repoussée. Mais auparavant, il explique les conditions de
l’exonération à l’aide de la doctrine et de la jurisprudence:
Traditionnellem ent, il est admis que les parents peuvent s'exonérer en prouvant q u'ils
ont exercé une surveillance diligente et q u 'ils ont donné à leur enfant une bonne éducation.
[...] En ce qui concerne l’éducation, elle [la preuve] est administrée sur un plan
général, l'éducation étant une œuvre se réalisant dans le temps sur une longue période. Au
contraire, la surveillance sera appréciée par rapport au fait précis qui a causé le dommage.
Encore que cela ne soit pas pertinent dans l’affaire actuelle, le tribunal aurait
pu ajouter qu’à l’occasion la preuve d ’éducation doit aussi être précise, soit dans
les cas où le dommage est causé par l'utilisation d ’un objet dont l’utilisation
négligente constitue un danger pour autrui (fusil, canot-automobile, etc.).
Quoi qu’il en soit, dans le cas actuel, le tribunal a retenu le fait qu'il y avait
déjà eu un premier attentat, l'agressivité continue du mineur contre sa victime
éventuelle et son caractère dangereux, le fait que le mineur était en liberté sous
cautionnement (il avait ainsi évité l'internement à la suite du premier attentat),
pour conclure que, bien qu'il n'ait rien à reprocher aux parents du côté éducation
(encore qu’il note qu'a pu jouer un excès de bonne éducation), il doit leur
reprocher leur défaut de surveillance, puisque le mineur n’était sous aucune
surveillance, tous les midis pour une période de trois heures. Il conclut donc qu’eu
égard à la «personnalité» du mineur, les parents n’ont pas repoussé la présomption
de faute dans la surveillance, eu égard au caractère prévisible de l’acte
d’agression.
Le tribunal poursuit cependant son jugement et décide de retenir pour un tiers
la responsabilité des parents de la victime en leur reprochant de ne pas avoir averti
les parents de l’insensé, après qu’ils eussent entendu dire par une amie de la
victime, dans les jours précédant le meurtre, que l'insensé avait rodé à une couple
de reprises autour de la demeure de la victime, violant ainsi les conditions de son
cautionnement que connaissaient les parents de la victime éventuelle.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 133
dommages subis par le client, puisque si le courtier n'avait pas commis cette
faute, le client se serait retrouvé de toute façon sans assurance.
Ce principe de la nécessité qu'une faute soit la cause des dommages pour que
son auteur soit obligé à réparation oblige aussi le juge à apprécier la causalité des
différents éléments qui ont pu se réunir pour produire un résultat dommageable.
En effet, chacun des événements ou des éléments dans la chaîne des faits qui
aboutit à la réalisation d ’un résultat peut être considéré causal. Toutefois, pour les
fins de la responsabilité, on ne veut évidemment retenir que les causes dites
directes ou immédiates. Il faut bien se rendre compte que le caractère plus ou
moins direct de la causabilité d ’un fait ou d ’un élément est une question
d'appréciation au sujet de laquelle les tribunaux exercent leur discrétion, aussi
éclairée que possible.
Dans cette optique, il est certainement intéressant de connaître empirique
ment l'attitude des tribunaux, encore que dans les cas marginaux, la décision
rendue dans la dernière affaire n'est pas une garantie d'une appréciation identique
dans la prochaine.
Ainsi, le fait qu'un cycliste contrevienne à un règlement municipal, et
commette en conséquence une «faute statutaire» en circulant sur le trottoir, n'est
en aucune façon la cause de l'accident, si l'automobiliste qui l'a frappé en voulant
entrer sur le terrain d ’un garage a été négligent en effectuant sa manoeuvre
(Prévost c. Scantland, 1976 C.S. 1365). De la même façon, le seul fait pour le
conducteur d'une motoneige de violer la loi en circulant sur une route n'est pas
génératrice de responsabilité lorsqu'il frappe une automobile stationnée de telle
façon qu'elle constitue un danger caché: ladite violation n'est pas une cause de
l'accident s'il s'avère qu'un véhicule-automobile aurait également «frappé le
danger caché» (Therrien c. St-Pierrc, 1974 C.A. 526, conf. par (1976) 1 R.C.S.
vi).
Dans la même optique, il n'y a aucun lien entre l'absence d ’un couvercle sur
un trou d'homme, même à supposer que cette absence constituerait une faute pour
la municipalité, et le fait qu'un enfant descende dans le trou pour y jouer avec des
allumettes et de la gazoline. Il n’existe aucun lien de causalité entre l’acte
reproché à la municipalité et les brûlures subies par l’enfant. (Chartrand c. Ville
de Longueuil, 1976 C.S. 596).
conscience au juge, dans certains cas, de retenir comme causes des fautes non
véritablement causales. Dans d ’autres cas, il donne bonne conscience au juge de
faire porter une plus grande part de responsabilité à la faute la plus lourde, même
si les fautes retenues sont également causales. Enfin, dans certains cas, la notion
de la gravité de la faute selon laquelle le partage est fait désigné la proportion de
la faute dans la causalité de l'accident. À notre avis, la seule justification d'un
partage de responsabilité est la dernière. Mais, au départ, si deux ou plusieurs
fautes doivent être retenues comme causes d'un dommage, elles doivent être
présumées également causales jusqu'à ce qu'une prépondérance de preuve
permette de déterminer une causalité inégale. Et cette prépondérance de preuve ne
doit pas tenir, contrairement à ce qui se fait trop souvent, à un sentiment arbitraire
punitif de la part du juge.
Une décision récente de la Cour d ’appel nous fournit un bon exemple d'un
partage inégal logique de responsabilité.
Suite à un diagnostic erroné de la part d'un médecin travaillant au service
d’urgence d ’un hôpital, une patiente a attendu quatre mois, malgré la persistance
des symptômes et des douleurs, avant de voir un autre médecin. Appréciant la
preuve, la Cour a jugé que le dernier mois d’attente était imputable à la négligence
de la patiente (Hôpital A -D. de l'Espérance c. Laurent, 1974 C.A. 543).
Ceci dit, notons que si le novus actus interveniens ne constitue ni une faute ni
un cas fortuit, il ne brisera pas la causalité entre le dommage et la faute.
Le demandeur, propriétaire d'un immeuble de douze étages, a subi des
dommages à la suite du bris d ’une conduite d’électricité qui alimentait son
immeuble. Miron Ltée était responsable de ce bris, qui fut réparé dans un délai de
deux heures. Toutefois, le courant n'a été rétabli, semble-t-il, qu’après un délai
beaucoup plus long en raison de la grève des employés de l'Hydro-Québec.
Pendant ce temps, le propriétaire de l’immeuble a dû louer un générateur qui
fournissait de l'électricité mais en quantité insuffisante avec le résultat qu’il en a
subi des dommages. Le tribunal a jugé que Miron était responsable des
dommages, parce que la grève à l’Hydro-Québec était légale et prévisible, d'où
causalité entre la faute et dommages (Broît c. Miron Co. Ltd, 1975 C.S. 1240 en
appel). On peut accepter facilement que l’Hydro-Québec et le syndicat ne soient
pas responsables (cf. dans ce sens Ville de Montréal c. Lamarche, 1973 C.A. 537
et Deschênes c. Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec, 1974 C.S.
244). Mais, y-a־t־il lieu de faire supporter la «responsabilité» de cette grève,
même si elle était prévisible, par le contracteur plutôt que par le propriétaire: la
grève n'est-elle pas un risque social que doit supporter le propriétaire? La faute
n ’a-t-elle pas été l'occasion des dommages seulement et non la cause, celle-ci
résidant dans la grève? N'eut été la grève, la faute de Miron n'aurait causé aucun
dommage. La position adoptée par le tribunal est défendable: elle implique qu'en
période de grève, le contracteur devait redoubler de prudence! Mais si une grève
constitue une cause d'exonération pour celui qui est chargé de l'obligation légale
d ’entretenir une route ou un trottoir (cf. décisions précitées), il paraîtrait normal
de croire qu elle constitue également une cause d’exonération pour celui dont la
faute n’aurait causé aucun dommage sans elle.
Dans cette affaire, il nous paraît certain qu'il y a eu intervention d ’un tiers,
sauf que cette intervention (omission d ’agir) ne peut être dite fautive. Est-ce
suffisant de dire qu'une grève était prévisible pour écarter la notion du cas fortuit?
Même si la grève était prévisible, ses résultats dans un tel cas l'étaient-ils pour
autant? D ’autre part, la grève n’était-elle pas un fait irrésistible pour le
demandeur? Nous le croyons et si elle était irrésistible, il importe peu qu elle ait
été prévisible!
Une automobiliste frappe un poteau de l'Hydro-Québec créant ainsi une
panne de courant chez un éleveur de poulets. Or ceux-ci sont morts de
suffocation, parce que les ventilateurs ont cessé de fonctionner. Confirmant le
jugement de la Cour supérieure, la Cour d'appel a conclu que la faute de
l'automobiliste était la cause directe de la mort des poulets, après avoir souligné
qu'il n'y avait eu aucune faute de l'Hydro-Québec qui avait fait diligence pour
réparer la panne, ni aucune faute de l'éleveur qui n'avait aucune obligation de
posséder des générateurs pour pallier à la panne de courant. Jugeant que l’absence
des générateurs ou autres palliatifs ne constituait pas l'éleveur en faute, la Cour a
conclu que le dommage résultait de l'accident puisqu'il n’y avait eu aucun «novus
actus interveniens» (Joly c. Ferme Ré-Mi Inc., 1974 C.A. 523).
142 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
On peut évidemment concilier les deux espèces qui précèdent si l'on retient
que la grève dans le premier cas et l'absence de générateurs dans le deuxième
n ’étaient pas des actes fautifs. De ce fait, il n’y aurait donc pas eu interruption du
lien de causalité entre la faute et le dommage, du point de vue juridique.
Par ailleurs, dans les deux cas, ne pouvait-on pas dire qu’une panne était
prévisible (orage, tempête)? Le fait qu’un accident la produise n’aurait été que
l'occasion des dommages que la panne a causés. Dans les deux espèces, si la
panne s'était produite à la suite d'un orage ou d'une tempête, les dommages en
résultant ne se seraient-ils pas produits? Nous avons peine à percevoir la causalité
directe entre l'accident et les dommages. Si, bien entendu, il résulte de la preuve
que le courant aurait été, en toute probalité, rétabli assez rapidement pour éviter
les dommages s’il s'était agi d'une panne due à un orage ou à une tempête, ce qui
est une hypothèse que la Cour d ’appel a peut-être envisagée dans l’affaire Joly,
encore qu’elle ne se soit pas exprimée sur la question de cette façon particulière,
la causalité entre la cause de la panne et les dommages ne fait pas de doute. Mais
sans cette preuve, cette causalité nous paraît douteuse. Évidemment, on peut
conclure qu’il y a\ait présomption de causalité, et que celle-ci n’a pas été
suffisamment repoussée par le défendeur dans les deux cas. Mais compte tenu de
la façon dont les jugements sont motivés, on acquiert l’impression que cette
position n'était même pas ouverte aux défendeurs et, pour cette raison, ces
jugements nous paraissent discutables.
Enfin soulignons la décision de la Cour supérieure dans Great Eastern Ins.
Group, c. Ville de Tracy, 1976 C.S. 253 où la notion de la causalité nous paraît
avoir été fort malmenée. Aussi il est compréhensible que ce jugement ait été porté
en appel.
L'éclatement d'une conduite d'eau appartenant à la municipalité a causé des
dommages dans un immeuble qui avait été construit en violation des règlements
municipaux, en ce que les fondations n’étaient pas imperméables parce que non
conformes auxdits règlements. Cet incident a donné lieu 1) à des actions en
dommages de la part de certains locataires contre la ville, et contre le
propriétaire-locateur qui ne connaissait pas ce vice puisqu’il avait acheté
l'immeuble plusieurs années après la construction, 2) à des actions en garantie du
propriétaire contre le constructeur, 3) et à une action en dommages du propriétaire
contre la municipalité et contre le constructeur.
Le tribunal a conclu à la responsabilité de la ville en raison du fait de sa
chose ( 1054 c.c.) et à la responsabilité du propriétaire en vertu de l’art. 1606 c.c.,
comme locateur, à l'endroit des locataires. Il a fait droit à l'action en garantie du
propriétaire contre le constructeur. Enfin, dans l’action du propriétaire, pour ses
propres dommages, il a condamné la ville mais exonéré le constructeur (sans frais
toutefois vu que son omission a rendu le dommage possible.)
Tout au long du débat, il ne fait pas de doute que si les règlements
municipaux avaient été respectés par le constructeur, l’éclatement du tuyau
n'aurait pas causé les dommages qu'il a causés. Vu cette prémisse apparemment
indiscutable, le jugement rendu nous paraît contenir des contradictions sérieuses.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 143
Premièrement, soulignons que le juge fait peu de cas de l'art. 1606: pour lui,
l'absence d'étanchéité ou la violation du règlement municipal ne constitue pas un
défaut caché et vu la causalité entre le «défaut» de l'immeuble et les dommages
subis par les locataires, le locateur est responsable. Décidément, aucun argument
ne pouvait convaincre le tribunal que le propriétaire devait bénéficier du 2e al. de
l'art. 1606 c.c. En tous cas, les motifs qui lui ont permis de retenir la
responsabilité du locateur n'ont rien à voir avec les dispositions de l'art. 1606 c.c.
Quoiqu'il en soit, admettons, en fin de compte, la conclusion à l'effet que le
locateur était responsable envers les locataires: il reste certain qu'il bénéficiait
d'une action en garantie contre son vendeur et/ou contre le constructeur, mais non
contre la ville, vu la position prise sur la question de la causalité. Aussi, après
avoir retenu la responsabilité du propriétaire, le tribunal ne pouvait que faire droit
à son recours en garantie, ce qu'il a fait. Toutefois, vu qu'il était acquis qu'il n'y
avait aucune causalité entre la «faute» de la ville et les dommages subis par les
locataires, il est difficile de comprendre pourquoi le juge a condamné la ville à
indemniser les locataires. Il retient la responsabilité de la ville pour le motif que
celle-ci ne peut opposer aux locataires l'inobservation des exigences du règlement.
Régler la question de cette façon, c'est faire peu de cas de la causalité, alors
même qu'il est acquis au débat que cette violation a causé les dommages et que
par, conséquent, Téclatement du tuyau n'a pu être que l’occasion de ceux-ci.
Abordant ensuite la réclamation personnelle du propriétaire, le tribunal juge
que la ville est responsable parce qu'elle a fait défaut à son devoir de surveiller et
de voir à ce que le règlement municipal soit appliqué lors de la construction. Voilà
une nouvelle dimension peut-être bien acceptable; mais elle ne justifie pas pour
autant, sur le plan juridique, le rejet de l'action du propriétaire contre le
constructeur. La violation est celle du constructeur et elle est, à tout le moins,
aussi causale que le défaut de surveillance de la part de la ville. À tel point que la
ville devrait, au moins, avoir une action récursoire contre le constructeur, action
qu'elle paraît avoir perdu ou ne pas avoir suivant le jugement du tribunal.
En appliquant la causalité et les autres règles juridiques, comme il se doit, le
tribunal pouvait peut-être retenir l’action des locataires contre le locateur, mais
fort difficilement contre la ville sur la seule base de 1054 c.c. Il devait cependant
faire droit à l'action du propriétaire contre le constructeur comme il avait fait droit
à ses actions en garantie contre ledit constructeur. Le bien-fondé de la
contradiction contenue dans le jugement nous échappe. En fin de compte, il nous
semble qu'au bout de la ligne, c'est le constructeur et non la ville qui était le
responsable direct de tous les dommages.
(Cf. aussi infra, n° 84. Solidarité, dernier paragraphe).
60. Notion d'autrui.
Le mot «autrui» (art. 1053 c.c.) ne signifie pas uniquement la victime
proprement dite; il comprend toute personne lésée c'est-à-dire toute personne qui a
subi directement des dommages par la faute de toute personne capable de
discerner le bien du mal, et non seulement la personne qui a été la victime
physique matérielle d ’un quasi-délit.
144 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
Il nous semble que cette règle s’impose à l’esprit depuis toujours et qu'elle a
été constamment appliquée, sans discussion, dans nombre d'espèces (ex. action en
remboursement des dépenses faites par le père d'un enfant, victime d’un accident,
et autres cas semblables).
Reste que certains cherchaient encore les contours de la définition d'autrui.
Or ces contours, comme le font voir à nouveau des décisions récentes de nos
tribunaux, tiennent aux dispositions de l'art. 1075 c.c. c ’est-à-dire au caractère
direct du dommage. Si ce lien direct peut être perçu, autrui a droit à
compensation, sinon il n’est plus autrui et il n’a droit à aucune compensation.
Ainsi dans une affaire Ellioît v. Entreprises Côte-Nord Liée (1976) C.A. 584, la
Cour d ’appel nous dit clairement que l’employeur de la victime immédiate d ’un
accident n'est pas automatiquement exclus de la possibilité de réclamer des
dommages de l'auteur de la faute, pour le préjudice lui découlant de la perte
(temporaire) de son employé. Toutefois, ce recours ne lui est pas ouvert
automatiquement, du seul fait de la privation des services de son employé. Encore
faut-il que l'employeur démontre bien l’existence des dommages et un lien de
causalité directe et nécessaire entre ces dommages et la perte de l’employé, selon
le principe de l'art. 1075 c.c.
En conséquence, s'il résulte de la preuve qu'un employé, temporairement
invalide, a été remplacé par deux employés à raison d ’un accroissement des
travaux contractés par l'entreprise, et non à raison de la perte de l'employé,
l'employeur n'a pas droit au surplus de salaire payé aux deux nouveaux employés
pendant l’absence de l’employé invalide.
Dans cette affaire, l'employeur avait déboursé $16 000 en salaires, en plus de
continuer à payer son salaire à l'invalide, soit $8 000, présumément à titre de
gratification. L’employeur réclamait donc la différence du responsable de
l'accident, soit $8 000 ($16 000 — $8 000). La Cour la lui a refusé en notant
qu'au retour au travail de la victime de l'accident, les deux «remplaçants» sont
demeurés à l'emploi de la Compagnie.
Telle que présentée, cette action a été rejetée à bon droit. Toutefois, nous
pouvons nous interroger sur la question de savoir si la compagnie aurait pu
réclamer les $8 000 payés au salarié, pendant sa période d'incapacité totale. Eu
égard au principe qui aurait permis au salarié de réclamer lui-même son salaire à
l'auteur de l'accident, parce qu’il lui aurait été versé à titre gratuit (cf. infra n° 65.
Incapacité temporaire), la réponse doit être négative. Si toutefois, pour quelque
raison, on se trouvait justifié de ne pas accorder cette réclamation au salarié
lui-même sous prétexte qu’il n’avait subi aucun préjudice, il nous faut nécessaire-
ment penser que l'employeur aurait pu récupérer cette somme à titre «d'autrui»,
même si le salaire avait dû être payé en vertu du contrat de travail: après tout,
l'employeur aurait versé cette somme sans obtenir la contre-partie à laquelle il a
droit de la part de son employé et ce, à raison de la faute d ’un tiers. Les tribunaux
acceptent évidemment cette idée, mais à la condition semble-t-il que l’employeur
bénéficie d'une subrogation ou d'une cession de créances (cf. 1975 R.G.D. 246,
n° 55, 252, n° 62; 1973 R.G.D. 280 n° 74; 1971 R.G.D. 316 n° 73). Cette réserve
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 145
a sans doute pour but d'éviter que le tiers ne soit appelé à payer deux fois. Mais
lorsqu’en vertu de l'application des principes, cette sécurité existe, la subrogation
est-elle nécessaire? Ainsi, il est maintenant établi que le salarié qui perçoit son
salaire en vertu de son contrat de travail, ne peut en réclamer le remboursement du
responsable. Pourquoi dans un tel cas, l’employeur aurait-il à produire une
subrogation ou une cession de créances pour réclamer le remboursement s'il
prouve qu'il a payé en vertu de son contrat? Le mot «autrui» ne suffit-il pas? Dans
le cas de prêt ou «gratuité», il reste cependant que l’employeur doit justifier sa
créance, car le salarié pourrait, lui aussi, réclamer le remboursement.
En conclusion, une chose nous paraît certaine: l'auteur-responsable ne doit
jamais pouvoir bénéficier des arrangements contractuels ou autres entre la victime
et son employeur. S'il ne cause pas un préjudice à l’un, il le cause sûrement à
l'autre.
Ceci dit, autrui signifie aussi la mère, pour le choc nerveux qu’elle a subi et
pour les séquelles importantes d'un tel choc, survenu lorsqu'elle a assisté à
l'accident dans lequel l'un de ses enfants a été tué et son époux et son autre enfant
ont été blessés. Le tribunal a octroyé à cette mère la somme de $1 500 (Guay c.
Parent, 1975 C.S. 392). Dans un autre cas, la mère d'un enfant qui s’est noyé a
obtenu S500 pour des troubles de santé désagréables consécutifs à la mort de son
fils (Maheux c. Lavallée, 1975 C.S. 1078).
L'époux d ’une femme qui a été blessée et qui éprouve des difficultés à avoir
des relations sexuelles avec son mari, subit de ce fait un préjudice personnel direct
du fait de l'accident et a droit à une indemnité évaluée à $1 000 pour la privation
relative de son droit à une vie sexuelle satisfaisante avec son épouse (Soumis c.
Caouette, 1975 C.S. 1057).
Le tribunal a accordé au père d’un enfant paraplégique, les sommes
nécessaires pour effectuer les transformations à sa maison pour accommoder le
paraplégique (Gagnon c. Ouellette, 1976 C.S. 789). Le tribunal a aussi accordé au
père d ’un enfant de 5 ans qui est entré dans un état neuro-végétatif (incapacité
permanente totale) la somme de $3 000 pour voyages à l’hôpital, absence
d ’ouvrage, gardienne pour le passé et autres inconvénients, plus $2 000 pour
déplacements et inconvénients à venir {Perron c. Hôpital Général de la Région de
FAmiante Inc. 1976 C.S. 1191).
De même, le mari d ’une épouse incapacitée pendant quatre ans a eu droit à
$3 200 pour les services et travaux domestiques supplémentaires qu’il a dû faire à
la place de sa femme et à $5 000 pour perte de consortium. (Hôpital N-D. de
L ’Espérance c. Laurent, 1974 C.A. 543).
Autrui comprend même le concubin. Eu égard au principe généralement
enseigné en tous lieux qu'on ne peut réclamer des dommages qu'à la condition
qu’ils résultent de la violation d'un intérêt légitime, cette affirmation peut
surprendre. Aussi, force nous est de reconnaître le caractère libéral de la décision
de la Cour supérieure dans Therrien v. Gunville (1976) C.S. 777. Dans cette
affaire, une femme a été victime d ’un accident. Son concubin ou «son épouse de
146 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
légèrement plus courte que l’autre et entraînait une certaine fatigue et un mal dans
le genou après une journée de travail, le tribunal a octroyé la somme de $5 300,
plus S2 000 pour souffrances et perte de jouissance de la vie et $250 pour
préjudice esthétique (Prévost c. Scantland, 1976 C.S. 1365).
Pour une incapacité de 2 à 47c résultant d’un coup de poing à la figure, le
tribunal a accordé S3 000 en y incluant le préjudice esthétique, en plus d’ajouter
$500 pour douleurs et souffrances (Bergeron c. M asson, 1976 C.S. 818).
Pour une incapacité de 2 à 4% (blessure à un pied), le tribunal a évalué les
dommages à S2 500 soulignant que, depuis son accident, la victime gagnait un
meilleur revenu, parce qu elle avait changé de travail. Le tribunal a ajouté S2 500
pour douleurs et souffrances et perte de jouissance de la vie, combinant ces deux
chefs (Rioux c. Eastern Canada Stevedoring, 1976 C.S. 772).
Pour une incapacité partielle permanente de 4% résultant de la fracture d une
jambe subie par un comédien, le tribunal a accordé la somme de $5 500 (Paris c.
La Comédie Canadienne Inc., 1975 C.S. 216).
Pour une incapacité de 4% résultant d'une grave commotion cérébrale, le
tribunal a octroyé S4 000 à un enfant de six ans, plus Si 000 pour inconvénients,
souffrances et perte de jouissance de la vie (Bouchard c. Rioux, 1976 C.S. 1782).
Pour brûlures au 3e degré aux jambes, subies par un enfant, résultant à la
suite de greffes en une incapacité permanente de 47c surtout en raison du préjudice
esthétique et de la fragilité de la peau greffée, le tribunal a accordé $5 000, plus
$1 500 pour souffrances et inconvénients (Entreprises Blanchet Ltée c. Thériault,
1974 C.A. 563).
Dans le cas d'un enfant de 11 ans qui a subi un préjudice esthétique de 57c à
raison d'une cicatrice sévère sur son bras, le tribunal a évalué l'indemnité à
$3 000, en ajoutant S2 000 pour souffrances et perte de jouissance de la vie, une
greffe cutanée ayant été nécessaire (Gauthier-Fafard c. C.S. de Granby, 1976
C.S. 985).
Le tribunal a évalué à $1 500 une incapacité permanente de 47c d'une
étudiante lui résultant de la fracture d'une jambe et il a arbitré à $750 les
dommages pour perte de la jouissance de la vie et souffrances résultant de ladite
fracture qui avait produit une incapacité temporaire de 6 mois (Godon c. Auberge
Yvan Coutu Inc., 1975 C.S. 208). Il faut constater que les dommages ont été
évalués plutôt sévèrement dans cette affaire, surtout en ce qui a trait à l’incapacité
permanente, si l'on considère les indemnités accordées dans les affaires qui
précèdent.
À une religieuse enseignante de 44 ans, le tribunal a accordé $3 500 pour
perte de jouissance de la vie, douleurs et souffrances résultant d'une fracture du
col fémoral. Il a aussi octroyé $7 500 pour une incapacité permanente de 57c
résultant de ladite fracture (Richard c. Institut Yvan Coutu Inc., 1975 C.S. 410).
Pour une incapacité permanente de 5 à 87c, le tribunal a accordé à un
150 REVUE G ÉN ÉRA LE DE DROIT 1978
militaire la somme de $8 000, plus $750 pour souffrances et douleurs (Roy c. Cité
de Québec, 1975 C.S. 396).
Pour une incapacité permanente globale de 6% résultant d ’une commotion
cérébrale et d ’une fracture à une jambe, le tribunal a évalué la compensation due à
$8 000 en plus d ’accorder $1 500 pour souffrances et douleurs (port d’un plâtre
aux deux jambes pendant neuf mois), $500 pour cicatrices et $500 pour perte de
jouissance de la vie (Leclerc c. Palardy\ 1976 C.S. 162).
À une femme de 52 ans, souffrant d’une incapacité permanente de 109f à
raison de blessures à la hanche et au coccyx, le tribunal a accordé $12 000 en y
incluant les chefs de souffrances et inconvénients (Soumis c. Caouette, 1975 C.S.
1057).
A un militaire de 19 ans, souffrant d ’une incapacité de 10%, à raison d ’une
fracture de vertèbres, le tribunal a accordé $13 500, plus $2 400 pour souffrances
et douleurs (Gingras c. Côté, 1975 C.S. 1058).
Pour une incapacité de 11 à 15%, la Cour suprême a accordé à une mère de 7
enfants, âgée de 44 ans, une indemnité de $12 000, plus $3 000 pour douleurs,
souffrances, frais médicaux éventuels, préjudice esthétique pour cicatrices au
visage (Hébert c. Lamothe, 1974 R.C.S. 1181).
À un jeune homme blessé par un coup de poignard à l’abdomen, le tribunal a
octroyé S10 000 pour incapacité partielle, et $3 000 pour les autres chefs
(Laverdure c. Bélanger, 1975 C.S. 612).
Notant que F incapacité partielle permanente affectant un jeune homme de 20
ans, commis de bureau, évaluée à 5% quant à la cuisse et 10% quant au genou de
la même jambe, ne se traduisait pas en une incapacité économique, puisque la
victime gagnait un meilleur revenu après l’accident ($8085־/semaine comparati
vement à $65/semaine avant), la Cour a néanmoins accordé une indemnité de
$10 000, y ajoutant $5 000 pour perte de jouissance de la vie et $2 000 pour
douleurs et souffrances (Pimparé c. Vermette, 1975 C.A. 632).
Le préjudice résultant d ’une incapacité partielle de 12%, suite à la fracture
d ’un bras a été évalué à $10 000 pour un enfant de 12 ans. Le tribunal a ajouté
$1 500 pour douleurs et souffrances (trois interventions) et $3 000 pour perte de
jouissance de la vie et préjudice esthétique (Dupéré c. Corp. de la Cité des Jeunes
de VaudreuiL 1976 C.S. 1002).
Pour une incapacité permanente de 12% résultant d ’une fracture de la hanche,
suite à une incapacité totale de 57 semaines, le tribunal a accordé à un homme de
47 ans, une indemnité de $13 500, plus $15 000 pour souffrances et inconvénients
et $1 000 pour perte de jouissance de la vie {Bélanger c. Barrv Realties Inc., 1975
C.S. 1135).
A un homme de 28 ans, ouvrier de la construction, blessé aux jambes par un
coup de feu, le tribunal a accordé $18 000 pour une incapacité de 14%, y ajoutant
$1 500 pour préjudice esthétique, $4 000 pour douleurs et souffrances (l’incapa
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 151
cité totale avait duré 13 mois) et $1 500 pour perte de jouissance de la vie
CLincourt c. C ôté, 1975 C.S. 870).
A un homme de 52 ans, atteint d'une incapacité permanente de 15%, le
tribunal a accordé S ll 000 plus $3 000 pour douleurs et souffrances, et SI 000
pour perte de jouissance de la vie (Horn c. Tabah, 1976 C.S. 988).
À un cultivateur de 60 ans, dont le revenu annuel était $4 000, la Cour a
octroyé S9 750 pour une incapacité de 15% et perte de jouissance de la vie, suite à
des fractures aux deux jambes, et $2 150 pour douleurs et souffrances (Thuot c.
Guilbert, 1975 C.A. 464).
À un homme de 26 ans, qui faisait des revenus moyens de $12 000, qui a
subi des blessures (traumatisme crânien cérébral important et diverses fractures
vertébrales) qui l'ont rendu totalement incapable pendant deux ans et demi et qui
laissent une incapacité permanente neurologique et psychiatrique d'environ 15%
au total, le tribunal a accordé $45 000, en soulignant que la victime avait de la
difficulté à se trouver et à garder un emploi après son accident. Dans cette somme,
le tribunal a aussi inclus les chefs de souffrances, douleurs et perte de la
jouissance de la vie (Audet c. Roy, 1975 C.S. 853).
À une adolescente de 14 ans, atteinte d'une incapacité permanente de 16%
pour blessure à un coude, le tribunal a évalué les dommages à $20 000 en y
incluant le préjudice esthétique, et a ajouté $4 000 pour souffrances et perte de
jouissance de la vie (Mallette c. Ville de Montréal, 1976 C.S. 1400).
À un homme de 57 ans, affecté d'une incapacité orthopédique de 20 à 30%, à
la suite d'une sérieuse fracture du fémur, le tribunal a accordé une somme globale
de S20 000 pour incapacité totale temporaire, incapacité partielle permanente,
souffrances, douleurs, inconvénients et perte de jouissance de la vie, en soulignant
que la victime, un journalier, était en chômage au moment de l’accident (Trimboli
c. Dali aire. 1975 C.S. 1064).
À un enfant de 8 ans, souffrant d ’une incapacité permanente de 16 à 24%, le
tribunal a octroyé la somme de $26 000, plus $1 500 pour souffrances et
inconvénients et S5 000 pour perte de jouissance de la vie (Miron c. Fonds, 1975
C.A. 260).
Pour la perte d'un oeil, incapacité évaluée à 25%, le tribunal a évalué les
dommages à $30 000, notant que la victime, en tant que bibliothécaire, devait lire
beaucoup et qu'il se fatiguait assez rapidement. Le tribunal a ajouté $2 000 pour
peines et souffrances, et $2 000 pour préjudice esthétique résultant du fait que la
victime portait une prothèse (!Olivier c. Brassard, 1976 C.S. 599).
Pour la perte d'un œil, le tribunal a accordé à un étudiant majeur, la somme
de $30 000 pour incapacité permanente, $1 000 pour douleurs et perte de la
jouissance de la vie et $3 000 pour préjudice esthétique (.Leblond c. Lagueux,
1975 C.S. 1074).
Le tribunal a évalué à $28 000 le préjudice relatif à une incapacité de 19 à
152 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
24% pour une perte importante de la vue dans un œil, en ajoutant $6 000 pour
perte de jouissance de la vie et $1 500 pour préjudice esthétique (Léger c. Bélisle,
1976 C.S. 1805).
A une femme de 34 ans, célibataire, technicienne en laboratoire médical qui
faisait des revenus de S 176/semaine, et qui a perdu son emploi pendant ses
périodes de convalescence, souffrant d ’une incapacité de 25%, mais déjà victime
d une malformation cardiaque et traitée par un psychiatre au moment de la
réalisation du dommage, le tribunal a accordé une indemnité globale de $30 000
(Fiset c. St-Hilaire, 1976 C.S. 994).
Pour une incapacité permanente de 28%, résultant de blessures variées
(rupture de l'intestin grêle, quatre factures diverses, une entorse, une lacération et
une commotion cérébrale) mais qui n’a pas affecté sa capacité de gain, la victime
a obtenu une indemnité de $30 000, couvrant l’incapacité et la perte de jouissance
de la vie, plus S3 000 pour douleurs et souffrances et $4 000 pour préjudice
esthétique (3 cicatrices et 2 difformités) (Lebrun c. Auger, 1975 C.S. 1236).
Pour douleurs, souffrances et inconvénients résultant de brûlures du 2e degré
sur une surface corporelle de 50% et du 3e degré sur une surface de 30-35%, et
des nombreuses opérations (greffes etc...) nécessitées par les brûlures, le tribunal
a accordé à une femme la somme de $8 000. Il lui a accordé en outre $20 000
pour préjudice esthétique, en y incluant perte de jouissance de la vie; et $25 000
(y compris service d'une bonne) pour une incapacité permanente de 25-30%
(Leblanc c. Desrochers Sports Inc., 1975 C.S. 415).
Pour une incapacité neurologique de 13% et une incapacité psychiatrique de
10-15% (agressivité-troubles de comportement), avec chances sérieuses d'épilep-
sie, le tout compromettant les chances de trouver un emploi ou de le garder,
résultant d'une fracture du crâne subie par un enfant de 4 ans, le tribunal a accordé
$40 000, y ajoutant S I5 000 pour perte de jouissance de la vie. Le tribunal a aussi
accordé S5 000 pour souffrances, douleurs et inconvients étendus sur une période
de 4 ans, plutôt que d'accorder cette somme pour incapacité totale pendant 4 ans
(Brassard c. Ville de Hauterive, 1974 C.A. 557).
À une femme de 57 ans, ménagère qui gardait des pensionnaires ($4 000 par
année), le tribunal a accordé $30 000 pour incapacité de 40-45%, en y incluant les
chefs de souffrances, perte de jouissance de la vie et préjudice esthétique
(Lafrenière c. Danis Const. Inc. 1976 C.S. 1578).
ajouter $5 000 accordés pour souffrances (Caplan c. M iron, 1975 C.A. 296).
Pour incapacité de 35# résultant du raccourcissement d'une jambe, le
tribunal a accordé $50 000 plus $5 000 pour préjudice esthétique et S10 000 pour
inconvénients et perte de jouissance de la vie (Lapoinîe c. Fonds, 1975 C.S. 602).
À un journalier de 19 ans qui gagnait $8 000 par année, souffrant d'une
incapacité de 58# à raison de la perte d'une jambe, le tribunal a accordé $60 000
plus S4 000 pour souffrances et privation des plaisirs de la vie et $8 000 pour
préjudice-esthétique {Beaudoin c. Brador Équipement Liée, 1975 C.S. 1067).
Le tribunal a évalué à $45 000 les dommages résultant de la perte de la vue
par un étudiant de 16 ans, en plus d'évaluer à $30 000 les dommages pour
inconvénients, douleurs et perte de jouissance de la vie {Dubois c. Dubois, 1975
C.S. 864).
Pour une incapacité semblable (cécité = 8570, le tribunal a accordé, à un
homme de 22 ans qui gagnait $125 par semaine, une indemnité globale de
$135 000 en y incluant tous les chefs de dommages (Rioux c. P.G. Québec, 1976
C.S. 1167 [en appel]).
Dans une autre décision portée en appel (Bernier c. Albert Couturier Inc.
1976 C.S. 1162), le tribunal a accordé une indemnité de $125 000 pour une
incapacité de 85 à 887c (perte de la vue) et 89c pour l'ablation de la rate, en
ajoutant S25 000 pour souffrances et privation des plaisirs de la vie. Eu égard à la
décision Dubois, précitée, et eu égard aux sommes accordées pour incapacité
permanente totale, il ne fait pas de doute que les indemnités accordées dans ces
deux dernières sont généreuses. Mais à tout prendre, c'est peut-être le tribunal
dans l'affaire Dubois qui s'est montré sévère.
Évaluant à 75-80# l'incapacité permanente d'une enfant de 10 ans résultant
de graves blessures à la tête et au cerveau, le tribunal a accordé une indemnité
globale de S150 000 à ladite victime, recouvrant tous les chefs de dommage, y
compris les soins futurs {Merulla c. Groulx, 1976 C.S. 1169).
Un homme de 59 ans, journalier, a subi de graves fractures aux deux jambes
et l'arrachement partiel du pouce droit. Il a fallu amputer la jambe droite et
désarticuler le genou de la jambe gauche et y installer une traction squelettique au
fémur, en plus d'amputer une partie du pouce droit. La victime faisait un revenu
de $5 400 l'année précédant son accident. Jugeant qu'à toutes fins pratiques, la
victime souffrait d'une incapacité totale permanente, la Cour a accepté l'octroi
d'une indemnité globale de $75 000 pour couvrir tous les chefs, y compris les
soins futurs {Dupont c. Ware, 1975 C.A. 255). Elle a refusé de soustraire de cette
évaluation, conformément à la jurisprudence existante, les rentes payées à la
victime en vertu du Régime des rentes et la somme de $5 000 perçue par la
victime de son propre arsureur-automobile parce que le responsable ne peut
bénéficier de la réception par la victime d'une indemnité d'assurance et parce que
la prétendue subrogation — cession faite à l'assureur sur réception de la somme
n'a pas été suffisamment prouvée.
154 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
s'est cependant traduite par une perte d ’activités sociales et sportives (Hôpital
N.-D. de ΓEspérance c. Laurent, 1974 C.A. 543).
On indemnise la perte d'années scolaires. Notant qu’en jurisprudence, la
perte d'une année scolaire est indemnisée à raison de $800 à $1 000, la Cour
d ’appel a tenu compte de l’inflation et a réduit à $1 000 l’indemnité de $6 000 qui
avait été accordée en première instance (Dubois c. M ailloux, 1975 C.A. 471).
On a évalué, par ailleurs, le retard d'une demi-année dans la poursuite de ses
ctudes, à la somme de SI 000 (Godon c. Auberge Yvan Coutu Inc., 1975 C.S.
208).
Pour incapacité temporaire totale, le tribunal a accordé $500 à un entant de
six ans (Bouchard c. Riou.x, 1976 C.S. 1782), ce qui est surprenant, si l’on
considère que l’enfant n'a manqué que ses classes. Mais cette indemnité se justifie
certainement par les efforts que l'enfant a sans doute dû faire pour rattraper ses
compagnons, encore qu'à six ans le rattrapage de deux mois perdus semble fort
généreusement compensé.
67. Art. 1056 c.c. Dommages résultant du décès.
i) Nature du droit de l'action prévu a l'art. 1056 c.c. — La détermination de
la vraie nature du recours prévu à l'art. 1056 c.c. est capitale car, de cette
question, dépendent les réponses à bon nombre d ’autres questions relatives aux
limites et au contenu des droits d’action dans le cas d'un décès attribuable à la
faute d ’une personne.
La nature même du recours prévu à l'art. 1056 c.c. ne soulève plus de
problèmes en jurisprudence.
Il est bien établi que l’art. 1056 c.c. est une restriction aux dispositions de
l'art. 1053 c.c. (Cf. Elliott c. Entreprises Côte-Nord, 1976 C.A. 584, 587;
Hôpital N.-D. de l'Espérance c. Laurent, 1974 C.A. 543, 548) et limite aux
personnes y nommées expressément le droit de recouvrir les dommages résultant
du décès de la victime d'un accident. Et ce droit est propre et personnel aux
personnes désignées, et non un droit qui leur est accordé à titre d'héritier. Il veut
assurer principalement à des personnes désignées une indemnité pour perte de
soutien. En effet, l’art. 1056 c.c. veut assurer aux proches désignés (ce sont
d'ailleurs ceux qui bénéficient d'une obligation alimentaire légale) un substitut à
l'obligation alimentaire qu'avait et qu'exécutait la victime (Pantel c. Air Canada,
(1975), 1 R.C.S. 472).
Ces principes étant bien établis et désormais indiscutables, étudions-en les
corollaires et les conséquences qui en découlent dans l’étude d'autres questions
qui ont été posées au sujet de l'application et de l'interprétation de l'art. 1056 c.c.
ii) L'art. 1056 c.c. et les héritiers. — Il est certain que l'art. 1056 c.c. vise
les dommages résultant du décès, pour en réserver l’action aux personnes
désignées. Il résulte donc froidement de cette constatation 1) que les héritiers ne
peuvent réclamer quoi que ce soit en conséquence du décès mais 2) qu’ils peuvent
réclamer les dommages résultant de !,accident. Analysons ces deux corollaires.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 157
d'appel retranche aussi les $2 000 pour douleurs, prétextant que cette somme
représentait un solatium doloris (non indemnisable: la peine pour la mère de voir
son fils dans un état comateux), et que, de toutes façons, il ne représentait pas un
dommage précis et appréciable, si ce n’est la douleur morale intense de la mère.
(Cf. supra, n° 59, Notion d'autrui). Toutefois, le tribunal évalue à $1 200
l'indemnité pour l'incapacité totale temporaire de cet étudiant et l'octroi à
l'héritière. L’octroi de cette somme de $1 200 pour l'incapacité temporaire est
acceptable à la rigueur, à condition que la victime ne l'eût pas utilisée pour
elle-même, auquel cas on peut difficilement comprendre comment elle peut être
octroyée à l'héritier. D'autre part, si elle veut compenser la perte de soutien, elle
n'est pas différente de celle qui eut pu être accordée si on avait considéré, pour les
fins de l'indemnisation, la date du début de l'incapacité comme étant la date du
décès. Le refus de faire cette confusion a donné lieu à une décision curieuse dans
l'affaire suivante.
Une dame de 67 ans était demeurée dans un état comateux (état neuro-végé
tatif total) à la suite d'une anesthésie, pendant 14 mois, période au terme de
laquelle elle décéda finalement. Le coma et le décès sont jugés être le résultat
d'une négligence dans l'administration de l'anesthésie.
Avant le décès, l'époux, âgé de 71 ans, avait intenté une action au montant
de $250 000, réclamant personnellement $100 000 pour perte de servitium,
consortium et dommages généraux subis à raison du coma de son épouse
(c'est-à-dire sans doute pour les dommages lui résultant personnellement de
l'incapacité totale permanente de son épouse), et réclamant $150 000 en sa qualité
de curateur à son épouse pour les dommages résultant à cette dernière de son coma
et de son incapacité. En cours d'instance, l'épouse est décédée: aussi l'époux et
ses deux enfants mariés, âgés de 37 ans et 31 ans, ont repris l'instance en leur
qualité d'héritiers, portant à leur nom la réclamation originale de $150 000 faite
au nom de l'épouse. Les mêmes personnes intentent aussi une seconde action en
vertu de l'art. 1056 c.c., réclamant les dommages résultant du décès, au montant
de $139 600. Le tribunal (Cavet c. Jewish General Hospital, 1976 C.S. 1390)
accorde $1 000 à l'époux pour perte de support et compagnonnage pendant les 14
mois de vie neuro-végétative de son épouse (Cf. supra, n°59, Notion d'autrui) se
refusant à accorder toute indemnité pour souffrance morale lui résultant de la vue
et de la connaissance de l’état comateux de son épouse. D'autre part, il rejette
toute autre réclamation de la part des héritiers, notant que la victime n'avait jamais
repris conscience et que sa situation n'était pas différente de celle qui se serait
produite si le décès était survenu au cours de l'opération. Sur cette question, le
tribunal a raison, à notre avis; il s'appuie d'ailleurs sur les notes du juge
Taschereau dans l'affaire Driver c. Coca-Cola Ltd., 1961 R.C.S. 201 et il rejette,
expressément, du même coup, la jurisprudence de common law qu’on l'invitait à
appliquer.
Il faut dire que cette décision de la Cour supérieure a été portée en appel. Et
nous le comprenons facilement. En effet, il semble bien que le jugement,
octroyant $1 000 aux ayants droit, règle les deux actions intentées. Or le résultat
du jugement consiste à accorder, en tout et partout, la somme de $1 000 à l’époux
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 159
pour ses dommages personnels pendant les 14 mois de vie neuro-végétative de son
épouse. Le juge s'est sûrement mépris sur le sens de Faction intentée en vertu de
l'art. 1056 c.c.
Il qualifie «d’arbitraire» la distinction que proposait le demandeur entre les
dommages avant et après le décès. Pourtant, plus loin, il note que la situation du
demandeur est la même que si l'épouse était décédée pendant l'opération. Aussi,
le résultat du jugement est donc d ’octroyer à l'époux seulement une somme de
$1 000 pour le décès de son épouse, et de ne rien accorder aux enfants sous ce
chef. Si tel est le sens du jugement, il n'est pas surprenant qu'il y ait eu appel: le
tribunal s'est trouvé à refuser tout dommage en raison du décès!!
Si le tribunal avait raison de ne pas retenir l'action des héritiers en leur
qualité d'héritiers, il devait cependant accorder à ces mêmes personnes les
dommages leur résultant du décès de la victime.
À tout prendre, nous constatons que malgré le principe énoncé dans l'arrêt
Driver c. Coca-Cola, il est rare en pratique que les héritiers recouvrent des
indemnités, à ce titre, pour les souffrances, perte de jouissance de la vie
prétendûment souffertes par la victime.
D'autre part, il nous paraît que le principe énoncé, dont l'application se fait
rare, est lui-même fort discutable. Premièrement, les dommages dont il est
question nous paraissent purement personnels à la victime et, comme tels,
intransmissibles. Deuxièmement, lorsque l’accident se termine par un décès, il
nous faut penser que les droits de la victime s'éteignent et qu'ils sont totalement
remplacés par ceux prévus à l'art. 1056 c.c., sauf en ce qui concerne les
dommages aux biens matériels qui étaient déjà des objets transmissibles lors de
l'accident. En effet, comme condition du recours prévu à l’art. 1056, il faut que la
victime n'ait pas reçu indemnité ou satisfaction. Nous comprenons donc qu'elle ne
doit pas avoir été indemnisée. Or en acceptant, même en principe seulement, le
recours des héritiers pour souffrances endurées par la victime pour incapacité
totale temporaire, ne permet-on pas en même temps, et à la victime d'être
indemnisée, dans la personne de ses héritiers, et aux proches d’être indemnisés en
vertu de l’art. 1056 c.c.? Nous le croyons et nous croyons que les termes mêmes
de l'art. 1056 c.c. s'opposent à cette dualité de recours!
b) Les héritiers et les dommages résultant du décès. Perte de succession
fu tu re. — Les héritiers n'ont aucune réclamation à faire valoir en raison du décès
lui-même. Ils ne peuvent donc réclamer des dommages pour abrègement de la vie
ou perte d'expectative de la vie du chef de la victime, parce qu’il s'agit forcément
de dommages causés par le décès. En fait, ces dommages constituent, à notre
avis, un jeu de mots qui ne dupe personne {Pantel c. Air Canada, (1975), 1
R.C.S. 472, 478). Les héritiers ne peuvent pas plus réclamer pour perte de
succession future. Une telle réclamation doit même être rejetée sur requête en
irrecevabilité. (Rioux-Simoneau c. R oy, 1975 C.S. 1062). En effet, si, d'une part,
on ne doit pas tenir compte des revenus personnels de la veuve, acquis avant le
décès de son époux, non plus que de la part successorale de la succession dévolue
à la veuve et aux enfants ou des droits leur résultant du décès grâce à des régimes
160 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
Une autre question se pose maintenant: le conjoint qui a droit à une pension
alimentaire en vertu d'un jugement de divorce a-t-il droit au bénéfice de l'action
prévue à l'art. 1056 c.c.?
Dans deux jugements rendus par des juges différents, mais portant sur la
même affaire, la Cour supérieure a jugé implicitement que la réponse était
négative (Marier c. Air-Canada, 1971 C.S. 142); Marier c. Air-Canada, 1976
C.S. 847 (ce dernier jugement a été porté en appel), puisqu’elle a cru devoir
utiliser le subterfuge de la coloration contractuelle de la responsabilité pour éviter
d’appliquer l'art. 1056 c.c., c ’est-à-dire pour éviter de conclure que l'ex-conjoint,
divorcé au moment du décès du débiteur de la pension alimentaire, n’avait pas
droit à des dommages dans le cas du décès du débiteur de la pension.
Dans l'affaire M arier, dont nous avions commenté le premier jugement
(1971) 31 R. du B. 453, 1971 R.G.D. 322 n° 77, 1915 R.G .D. 257, n° 63 (vi))
rejetant la requête en irrecevabilité de la défenderesse qui prétendait que
l'ex-épouse du défunt (remarié à une autre femme lors de son décès) n'avait
aucune réclamation à faire valoir même si cette ex-épouse avait droit à une
pension alimentaire de $ 150/semaine de la part de son ex-mari, la défenderesse a
présenté une nouvelle requête en irrecevabilité.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 161
Lors de sa première tentative, la défenderesse s'était fait dire que les limites
contenues à l’art. 1056 c.c. quant aux personnes ayant droit de recours dans le cas
du décès de la victime d ’un accident ne s’appliquant pas lorsque le décès résultait
de la violation d ’une obligation contractuelle de la part de celui qui est responsable
du décès. Même si nous avions ressenti quelque sympathie pour la décision du
tribunal (Cf. 1971 R. du B. 453), il restait et il reste encore, à notre avis, que la
distinction employée pour motiver le recours de l ex-conjoint est absolument sans
fondement dans notre droit.
. Quoi qu’il en soit, dans sa deuxième requête présentée cette fois devant
l’honorable juge B. de L. Bourgeois, (1976 C.S. 847), et après avoir mis en
cause, dans l’action en dommages, des membres de la famille de la victime du
désastre aérien, la défenderesse plaide, en plus de ce qu’elle avait déjà plaidé
(c.-à.-d. exclusion de la demanderesse du recours en dommages résultant du
décès, à cause des dispositions de l’art. 1056 c.c.) que la victime faisait un voyage
international et était soumise à la Loi sur le transport aérien (loi fédérale) qui 1)
limite la responsabilité du transporteur à $58 000 et 2) n ’accorde un recours
qu’aux «seuls membres de la famille du voyageur».
Pas plus chanceuse qu'à la première occasion, la défenderesse a vu sa
deuxième requête rejetée. Elle a cependant porté le jugement en appel et on ne
peut que lui souhaiter d’obtenir au moins un jugement qui daigne analyser la
question dans une perspective plus réaliste.
Dans le jugement dont est fait appel, il est difficile de bien saisir le fil
conducteur du raisonnement du juge.
D'une part, il ne semble pas faire de doute que le tribunal accepte que les
limites de l’article 1056 c.c. ne s’appliquent pas, pour le motif que le décès serait
le résultat de la violation d'une obligation contractuelle de sécurité et non d ’un
quasi-délit. Outre le fait que cette proposition nous semble inacceptable, elle a été
faite sans compter sur les arguments additionnels que la défenderesse pouvait en
tirer, en invoquant, comme elle l’a fait dans sa deuxième requête, les dispositions
de la Loi du transport aérien. Toutefois, de son côté, la demanderesse prétend que
ces dispositions ne lui sont pas opposables.
Le raisonnement du tribunal n’est pas facile à suivre, mais ses résultats sont
clairs.
Premièrement, le tribunal est obligé d ’accepter l’idée qu’entre la demande
resse et le transporteur, il n’existe aucun lien contractuel. Si un tel lien existe, il
entrevoit la possibilité de devoir appliquer la Loi sur le transport aérien qui limite
la possibilité de recours à l’instar de l’art. 1056 c.c., «aux membres de la famille
du voyageur» et qui limite la responsabilité à $58 000 pour le décès du voyageur.
Aussi le dilemme est de taille: si on admet le caractère contractuel de la
responsabilité, pour éviter les limites de l’art. 1056 c.c., on est pris par la Loi du
transport aérien; si, en premier lieu, on n’avait jamais parlé de la responsabilité
contractuelle du transporteur, on aurait été pris par l’art. 1056 c.c. Mais pour le
tribunal, le dilemme a une solution: La responsabilité était contractuelle et l’art.
162 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
la lumière de la constatation que les personnes désignées à l'art. 1056 c.c. sont
celles qui bénéficient d'une créance alimentaire en vertu de la loi et de la
constatation que des ex-conjoints ont droit à des pensions alimentaires en vertu de
la loi, et en autant que celles-ci correspondent à un besoin alimentaire, on n’a plus
qu'à comprendre le mot «conjoint» comme incluant «l'ex-conjoint ». Ce faisant,
on adapte l'art. 1056 c.c. à l'évolution juridique en matière de législation
familiale, sans nier et jeter par-dessus bord les principes juridiques les plus
élémentaires.
Si une interprétation aussi simple et directe ne peut être admise, nous
soumettons que «l'ex-conjoint» n'a aucun droit. Ainsi, si l’on accepte le biais
fantaisiste du «lien contractuel», il faut conclure que l'ex-épouse, créancière d'une
pension alimentaire, n'a aucun droit si son ex-époux est victime d'un quasi-délit
alors que l'ex-épouse dont l'ex-époux décède à l'occasion d’un contrat y a droit.
Cette conclusion est tout à fait sans fondement réel et inacceptable. La réalité est
beaucoup plus simple. En effet, le défunt payait une pension alimentaire à même
ses revenus; or, en principe, c'est la proportion des revenus que le défunt
n'employait pas à ses propres fins qui doit être comblée par le responsable. Or,
une partie des revenus du défunt était consacrée au paiement d'une pension
alimentaire, lorsqu'il la payait effectivement. Il n'est donc que raisonnable que la
créancière d'une telle pension y ait droit. Il suffit donc à la lumière de ces réalités,
de conclure que le conjoint comprend l'ex-conjoint. Par où l'on voit que la
solution est fort simple. Est-elle trop simple pour être qualifiée de «juridique»?
Nous reprenons ainsi simplement l'idée que nous avions déjà avancée (1971 R. du
B. 454):
Cette solution nous apparaît beaucoup plus conforme à l’esprit de l'art. 1056 c.c. En
effet, les bénéficiaires de l’art. 1056 c.c. sont exactem ent les m êmes personnes que celles
entre lesquelles le législateur a créé l'obligation alimentaire de base (165-166, 173, 176 et
213 c .c .). On vient d ’y ajouter égalem ent les enfants naturels qui, eux aussi, peuvent
bénéficier d'u n e créance alim entaire (240 c .c .). Il est d ’ailleurs malheureux que les
tribunaux aient obligé sans raison le législateur à intervenir dans ce cas.
Dans une affaire où la preuve révélait que l’époux, séparé légalement de son
épouse depuis trois ans avant son décès, était instable dans ses habitudes de travail
et surtout dans le paiement de la pension alimentaire qu'il devait légalement verser
à son épouse, à tel point que celle-ci ne comptait plus sur le paiement de cette
pension et avait, en outre, fait une demande à l'aide sociale, le tribunal a quand
même accordé à l’épouse une indemnité de $30 000, aux enfants de 7 ans et 6
ans, $4 000 chacun et à l'enfant de 4 ans, $5 000 (Courîeau c. Charland, 1976
C.S. 367, en appel). Cette indemnité paraît fort généreuse.
Dans les deux cas qui suivent, il était question de divorce entre les époux au
moment du décès du mari.
Le tribunal n'a accordé que $15 000 à l'épouse de 23 ans dont le mari
gagnait S7 000 par année, notant que les époux étaient en instance de divorce. Il
fait cependant abstraction de ces facteurs pour accorder $10 000 à l'enfant de 4
ans et S 12 000 à l'enfant de deux ans (Binette-Piche c. Thérou.r, 1976 C.S. 768).
Pour la perte d'un «conjoint» (24 ans), qui avait des tendances alcooliques et
était instable dans ses emplois, dont l'épouse avait obtenu un jugement
conditionnel de divorce un mois avant son décès, ne réservant que ses droits à
l'obtention d'une pension alimentaire, et qui vivait du «Bien-Etre social» au
moment du décès, le tribunal a accordé $3 000 seulement à l'épouse (23 ans),
accordant cependant S7 000 à la fillette de 3 ans (Chénard c. Leblanc, 1976 C.S.
976).
Il est remarquable que dans ces deux derniers cas, le tribunal a fait une large
place au divorce, mais il semble reconnaître implicitement que le divorce projeté
ou obtenu conditionnellement ne met pas fin au droit du réclamant à compter de la
date, réelle ou projetée, du divorce pour la seule raison qu'il y a divorce.
— Perte d une épouse-mère.
Les dommages résultant du décès couvrent certes la perte de soutien
financier. Ils couvrent même la perte d 'aide financière; il n'est donc que normal
qu'on indemnise aussi un conjoint (le mari) de la valeur des services que son
épouse lui rendait gratuitement dans l’exercice de son commerce. Il n'y a aucune
raison de refuser de reconnaître le préjudice découlant de la perte d'une aide
bénévole que la défunte apportait à son conjoint (Fulmer Brothers Co. c. Adam s,
1976 C.A. 580). Dans cette affaire, la Cour supérieure a calculé mathématique
ment la perte résultant du décès de l'épouse. L'époux, âgé de 48 ans, a évalué les
services de son épouse, âgée de 49 ans, à la somme de $5 000 par année comme
aide au commerce et $4 588 par an comme ménagère et maîtresse de maison. De
cette somme, il a soustrait le «coût d'entretien» de son épouse soit $3 600,
laissant une «perte nette» de $6 200 jusqu'à l'âge de 65 ans, âge projeté pour la
retraite de l'époux. Le tribunal a décidé d'accorder $50 000 en conséquence, pour
perte de servitium. Notant qu'il s'agissait d'une indemnité très généreuse, la Cour
d'appel a néanmoins refusé d'intervenir.
Pour la perte d'une mère et épouse, que l'on pourrait qualifier de femme de
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 167
carrière (revenus annuels de $11 000), âgée de 27 ans lors de son décès, le
tribunal a accordé $40 000 à l’époux pour perte de soutien financier et moral, de
même que $15 000 et $12 000 à ses deux enfants mineurs (Gagnon c. Clément,
1976 C.S. 968).
Un homme âgé de 21 ans a perdu son épouse de cinq mois, âgée de 19 ans,
qui gagnait un revenu de $69 par semaine. Il n'y avait aucun enfant. Considérant
les probabilités de remariage, le tribunal a néanmoins accordé $20 000 à l'époux
(Bergeron c. Lem ay, 1975 C.S. 850).
Pour la perte d'une mère de 4 enfants, le tribunal a accordé $20 000 à
l'époux pour préjudice moral et pécuniaire et $5 000 à chacun des enfants pour le
même chef de dommages (Miron c. Fonds, 1975 C.A. 260).
Pour la perte d'une mère de 2 enfants, le tribunal a accordé S22 000 à
l'époux, même si celui-ci avait avoué qu'il se remarierait probablement dans un
avenir assez proche, et $6 500 à chacun des deux enfants (Julien c. J.E. Rox Inc. ,
1975 C.S. 401).
Pour le décès d'une épouse âgée de 30 ans qui faisait un revenu net de S60
par semaine, on a accordé à son mari la somme de $10 000 pour perte de
servitium et consortium et pour perte de soutien financier. On a accordé
respectivement à ses enfants de 11, 9, 8 et 4 ans, les sommes de $5 000, S7 000,
$8 000 et S12 000, soit les sommes réclamées dans l'action (Constantineau c.
Berger, 1975 C.S. 211).
Pour le décès d'une femme de 26 ans, le tribunal a octroyé $17 000 à son
époux âgé de 27 ans pour préjudice moral et pécuniaire et $2 500 à son enfant âgé
de 6 mois (Asselin c. P .G .Q ., 1975 C.S. 608).
Le tribunal a refusé d'accorder quoi que ce soit à l’époux, séparé de corps de
son épouse décédée à la suite d ’un accident, notant que l'époux devait payer une
pension à son épouse avant l'accident (Beaudin c. Marceau, 1975 C.S. 861, en
appel). Mais il a accordé $3 000 au fils de 13 ans, dont le père avait la garde,
pour le préjudice lui résultant de la mort de sa mère.
la perte d ’un fils de 13 ans. La mère vivait à l’aide d’allocations sociales et avait
la garde de son fils, le père ayant abandonné femme et enfant (Matton c.
Geoffroy, 1976 C.S. 1368).
Pour la perte d'un enfant unique de 10 ans, le tribunal a accordé $3 500 à
chacun des deux parents (Duplessis c. R o y, 1976 C.S. 178).
Pour la perte d'un adolescent, le tribunal a octroyé $2 500 à chacun des
parents (Jobin c. M oreau, 1975 C.A. 237).
Au père (revenu annuel de $10 000) et à la mère d ’une fille de 20 ans qui,
lors de son décès, était mariée depuis cinq mois et qui laissait, en outre, dans le
deuil un frère marié, de 26 ans, et une sœur encore célibataire, de 19 ans, le
tribunal a accordé S5 000 respectivement pour la perte de leur fille (Bergeron c.
Lem a\\ 1975 C.S. 850).
Pour la perte d'un fils de 21 ans, étudiant et aîné de la famille qui faisait
figure de père dans une certaine mesure et qui assurait une certaine aide financière
à l’occasion à sa mère, le tribunal a octroyé $10 000 à celle-ci, une veuve qui était
aidée par le Bien-Être Social {Bergeron c. Gagnon-Ellefsen, 1976 C.A. 589).
Pour la perte d ’une fille unique, étudiante adolescente assassinée par un
insensé, le tribunal a octroyé $4 000 au père, en plus de lui accorder une
indemnité de S3 000 à titre de perte de revenus due au choc subi en raison de la
tragédie. À la mère, le tribunal a accordé $6 000 (Laverdure c. Bélanger, 1965
C.S. 612).
Dans la décision Julien c. J.E. Roy Inc., 1975 C.S. 401, face à la réclamation
d ’un père qui, dans un accident, avait perdu son épouse et l’enfant dont elle était
enceinte de 8 1/2 mois, le tribunal n'a rien accordé pour le décès de l’enfant
mort-né: le recours en indemnisation n'existe pas si l’enfant n ’est pas né vivant et
viable. Notons toutefois que dans Langlois c. M eunier, 1973 C.S. 301, le juge
Vallerand avait refusé de suivre cette ligne de pensée: «la perte d ’un enfant qu’on
porte depuis plus de six mois, qu’on espère, dont on attend des joies, des
consolations et des secours éventuels, constitue un dommage — et mérite une
indemnité — tant pour la mère que pour le père qui ont procréé ensemble, subi de
concert la période de gestation et fondé les mêmes espoirs» et ce même si l’enfant
conçu mais non né «ne se situe, à vrai dire, dans aucune catégorie de biens ou de
personnes qu’identifie la loi». Le juge, appliquant ensuite les principes d ’indemni
sation applicables à la perte d ’un enfant en bas âge, accorde $500 à chacun des
parents, après avoir déjà accordé $1 000 à la mère pour les souffrances lui ayant
résulté de l’expulsion de son sein du fœtus décédé. Entre les deux thèses, le choix
est forcément difficile. Celle qui rejette l’indemnisation de la perte du fœtus ferme
toute porte à l’arbitraire dans la réponse à la question de savoir quand le fœtus
a-t-il été porté assez longtemps pour justifier une indemnisation. Par ailleurs, la
deuxième thèse se défend aussi si l’on considère qu'il y a peu de différence
pratique entre l’enfant qui décède une semaine avant l’accouchement et celui qui
décéderait une semaine après. Tout compte fait, il paraît que, pour les fins de
l’indemnisation, la deuxième thèse devrait être préférée, quitte à ce qu’elle soit
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 169
70. Dommages. Recouvrement d'un défendeur des frais taxés payables par le
demandeur à un autre défendeur.
La Cour supérieure, se voulant innovatrice et équitable, a accordé à la
victime d'un accident, à titre de dommages payables par le responsable, les frais
judiciaires qu’elle devait payer à l’un des défendeurs qui a réussi à faire rejeter
l’action. L'occasion était belle. La victime poursuit le conducteur et le propriétaire
d’un véhicule-automobile. Le conducteur s'exonère mais le propriétaire est tenu
responsable. Eu égard au fait que les dommages subis étaient peu importants, le
tribunal n'a pas voulu condamner la victime à supporter les frais de l'action
intentée contre le conducteur, étant entendu qu’elle avait des motifs raisonnables
de le croire responsable. Pour ne pas faire perdre à la victime le bénéfice du
jugement qu’elle obtenait contre le propriétaire, le tribunal a condamné le
responsable à rembourser à la victime les frais qu'elle devait payer au conducteur
qui avait réussi à faire rejeter l’action quant à lui (Clayton c. M auve, 1976 C.S.
970). Cette innovation en droit québécois est importante; elle mérite d'être
retenue. À tout le moins son évolution mérite d'être suivie.
Étant donné cependant ladite règle à l’effet que l’art. 1077 c.c. n'est pas
d'ordre public, nous ne pouvons qu'approuver davantage le fait qu'une telle clause
soit maintenant illégale lorsque contenue dans un contrat soumis à la Loi de la
protection du consommateur. Nous approuvons aussi le fait que dans cette même
décision précitée, la Cour suprême, fût-ce par une majorité de cinq à quatre, a
jugé que la clause d'indemnité additionnelle dans un contrat hypothécaire était
illégale parce que contraire à l'art. 8 de la Loi de l'intérêt.
Cette décision de la Cour suprême au sujet de l’art. 8 de la Loi de l'intérêt a
été appliquée proprio motu par cette même Cour dans une autre affaire, Feeland c.
Sun Life Ass. Co. (1975) 1 R.C.S. 266 et elle a été respectée et appliquée dans
Turcot c. Cibula, 1974 C.A. 452, B.C.N. c. Lefaivre 1975 C.A. 731 et dansD /o,
c. Jutras, 1976 C.S. 715. Toutefois, nous notons que le juge Péloquin de la Cour
supérieure a décidé expressément pour sa part, de suivre l’opinion exprimée par
les juges minoritaires dans l’affaire Imm. Fournier c. St-Hilaire et de faire droit à
la clause d'indemnité (Caisse Pop. St-Patrice de Magog c. Longpré, 1976 C.S.
189). Soulignons cependant que, dans cette affaire, le défendeur avait fait défaut
de comparaître et de plaider.
74. Acceptation volontaire des risques.
Réitérons que ce moyen de défense n'est jamais reçu par le tribunal lorsque le
défendeur qui l'invoque, a commis une faute (cf. 1975 R.G.D. 259, n° 67; 1972
R.G.D. 378, n° 60). Les décisions les plus récentes témoignent à nouveau de ce
fait: une personne n'accepte pas les risques découlant de la faute d'autrui
(Blanchet c. L'Écuyer, 1975 C.P. 207; Therrien c. St-Pierre 1974 C.A. 526,
conf. par (1976) 1 R.C.S. vi; Brassard c. Ville de Hauterive, 1974 C.A. 557;
Gagnon c. Ouellette, 1976 C.S. 789).
Pour que la défense s’applique, il faut que l'accident résulte d'un risque
inhérent et habituel à l'activité au cours de laquelle le dommage s'est produit.
Ainsi le spectateur qui assiste à une partie de hockey accepte peut-être le risque de
recevoir une rondelle égarée à la figure pendant une partie, mais il n'accepte pas
le risque de se faire frapper par une rondelle qui passe par une porte ouverte
(affaire Brassard). Le passager sur une motoneige (Therrien, précitée) ou sur un
tracteur (Blanchet, précitée) n’accepte aucun risque, car, sans la commission
d'une faute, il n'y en a aucun. Le chasseur n’accepte pas le risque de se faire
atteindre par un coup de fusil (affaire Gagnon ).
Par ailleurs, le joueur de balle-molle qui a décidé de faire une glissade au
marbre a accepté les risques inhérents à cette manœuvre, soit la fracture d'une
jambe, même si le terrain n'était pas en parfait état, ce fait étant d'ailleurs à la
connaissance du joueur (Boisvert c. Comité des loisirs de Breakexville Inc. 1975
C.S. 1243).
En fin de compte, lorsque le tribunal admet la défense de l'acceptation des
risques, c'est pour expliquer à la victime qu'il y a eu un accident sans faute, ce
qui arrive, ou que l’accident est dû totalement ou partiellement à la faute de la
victime elle-même (ex. Mallette c. Ville de Montréal, 1976 C.S. 1400). (cf. aussi
174 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
pris toutes les mesures pour l'éviter; il ne lui suffit pas de prouver qu’il n’a pas
commis de faute (Trousers Inc. c. Si-Jérôme Express L td , 1976 C.S. 1660\Bastos
du Canada Lîee c. Guilbaulî Transport Inc., 1976 C.S. 678 (en appel); cf. aussi
supra, n° 30. Obligations de moyens et de résultat).
Quant à la tempête invoquée comme cas fortuit, elle doit être telle que son
intensité n'était pas prévisible. Elle ne constitue pas un cas fortuit, si des tempêtes
semblables ont déjà eu lieu. Du reste, pour être tel, le cas fortuit plaidé ne doit pas
avoir été permis par la commission d ’une faute. La tempête qui emporte une boîte
fixée sur un camion n'est pas un cas fortuit. (Morais c. Gagnon, 1974 R.L. 433).
77. Actions en responsabilité. Préavis.
La victime d ’un accident qui veut en tenir une municipalité responsable doit,
en vertu de l'art. 622, par. 2 de la Loi des cités et villes, donner un préavis
d ’action à la municipalité, dans les délais déterminés par la loi. Ce préavis est
essentiel à la formation du droit d'action, mais seulement dans le cas où les
dommages réclamés sont la conséquence d un accident. D'où la nécessité de
déterminer, à l’occasion, si la cause des dommages constitue un accident ou autre
chose. La Cour provinciale a jugé que l'inondation d'un sous-sol qui, selon les
termes mêmes de la déclaration, serait due à la négligence de la municipalité et de
ses employés constitue un accident: le préavis d ’action était donc nécessaire (Ville
de St-Bruno de Montaville c. Whitton, 1975 C.P. 81) et, s’il n'a pas été donné,
l'action sera rejetée sur requête en irrecevabilité.
Par ailleurs, même si le préavis ne constitue pas une procédure, le délai dans
lequel il doit être donné est soumis aux règles applicables quant à la suspension de
la prescription. Si le droit d ’action n'est connu que quelques jours après
l'accident, le délai court à compter de cette connaissance et non à compter de
l'accident. Ainsi si le conjoint n'apprend que dix jours après une chute sur un
trottoir que le décès de son époux est dû à la chute, plutôt qu'à une crise
cardiaque, le délai ne court qu'à compter de la connaissance du droit d’action.
(Ville de Montréal c. Vaillancourt, jugement de la Cour suprême du 5 mai 1976
non encore rapporté). Notons que la Cour d'appel avait jugé, dans cette même
affaire que l'avis, expédié par la poste dans le délai mais reçu après son
expiration, avait été donné dans les délais (1975 C.A. 399) mais les motifs de ce
jugement ont été expressément infirmés. En particulier, la Cour suprême a refusé
de considérer 1) que l'arrêt Magann c. Auger s’appliquait, puisqu’il n ’y avait pas
eu entente entre les parties sur ce mode d ’expédition; 2) que la Loi des postes
s’appliquait; 3) que le samedi était un jour non-juridique pour les fins du calcul du
délai dans lequel le préavis devait être donné 4) que les mots «recevoir» (Charte
de la Ville de Montréal) et «donner» (Loi des cités et villes) signifiaient la même
chose.
78. Loi des accidents du travail.
Lorsque la Loi des accidents du travail s’applique, les recours de droit
commun de la victime contre son employeur et contre les préposés ou mandataires
de l’employeur de la victime sont supprimés (art. 9 et 15 L.A .T., 1056 c.c.).
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 177
Toutefois, lorsque ladite loi ne s’applique pas, les recours de droit commun
subsistent, d'où l'intérêt évident de bien cerner les conditions d'application de la
loi ou inversement les situations où celle-ci ne s'applique pas.
Pour que la L.A.T. s’applique, il faut que l’accident soit survenu au moins à
l’occasion du travail (dans un emploi visé par la loi). La loi ne s’applique donc
pas lorsque l'employée régulière du propriétaire d'une automobile, est victime
d'un accident alors qu'elle est passagère dans ladite automobile alors conduite par
une autre employée, si l'automobile a été prêtée à cette dernière, pour des fins
personnelles, et si la victime a seulement accepté de bénéficier d’une «occasion de
transport» pour aller faire des courses à Montréal pendant son temps libre et non
pendant son temps de travail. Dans de telles circonstances, le lien de sujétion et
d ’autorité nécessaire à établir les rapports d'employeur-employé n'existe pas. Il ne
s'agit donc pas d'un accident survenu à l’occasion du travail et la victime
bénéficie de ses recours de droit commun (L.I.V .A .A .) contre le propriétaire et
contre le conducteur du véhicule dans lequel elle était passagère (Gagné c.
M ajeau, 1975 C.S. 598 (en appel).
La loi ne s'applique pas non plus lorsque l’accident survient dans le cadre
d ’un «travail d ’occasion» (art. 2, al. 2 L.A.T. ). La Cour d ’appel a appliqué cette
notion au pompier volontaire à temps partiel, d'une municipalité, appelé à
travailler à l'extinction d ’un incendie dans une municipalité voisine en collabora
tion avec les pompiers de cette dernière, lorsque ledit pompier volontaire a été
victime d'un accident d ’automobile dû à la faute d'un pompier de ladite
municipalité voisine. Retenant que la victime n'était que pompier volontaire et
surtout qu'elle travaillait à l'extérieur de sa propre municipalité où elle ne
travaillait qu'à temps partiel comme pompier, la Cour a décidé que ledit pompier
ne faisait qu'un travail d'occasion, ce qui le soustrayait à l'application de la loi et
lui permettait ainsi un recours de droit commun contre son confrère pompier et
l'employeur de celui-ci. (Després c. Nadeau, 1976 C.A. 767). À notre avis, les
«critères» utilisés par la Cour sont artificiels, du moins celui tiré du fait que le
pompier travaillait à l'extérieur de sa municipalité. Beaucoup mieux fondée est la
considération que le pompier-victime n'a jamais été l'employé de la ville,
employeur du pompier responsable de l’accident. En effet, vu l’art. 2g L.A.T.
(L'employeur qui prête les services de son ouvrier... demeure l’employeur de
l'ouvrier), et vu que la ville «secourue» n'a jamais agi comme employeur
commun, le responsable demeurait un «tiers» par rapport à la victime. La Cour
aurait dû, à notre avis, se contenter de ces derniers motifs pour admettre le recours
de droit commun (art. 7 ou 8 L.A .T.).
Constitue un vrai «travail d'occasion», le fait pour un individu de travailler
volontairement pour un garagiste dans ses temps libres, et sur demande du
garagiste seulement. Dans de telles circonstances, les relations patron-ouvrier
n'existent que pour la durée d'un travail donné, avec la conséquence que
l’employé occasionnel n'est pas soumis à la L.A.T. et bénéficie des recours de
droit commun contre le garagiste, propriétaire et conducteur du véhicule, lorsque
survient un accident d'automobile en cours de route alors que le garagiste était allé
chercher «!,employé occasionnel» chez lui (Levesque c. Therrien, 1975 C.A.
178 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
642). Est cependant plus discutable l’opinion exprimée par la Cour, dans cette
affaire, à l’effet que l’accident n'était pas survenu «à l’occasion du travail», sous
prétexte qu'il était arrivé alors que la victime n’était qu'un passager à l’occasion
d'un transport bénévole.
Les art. 7 et 8 L A .T . permettent à la victime d ’exercer ses recours de droit
commun contre les «tiers» responsables de l’accident. En fait, la loi n’emploie pas
le terme «tiers». Elle supprime seulement les recours contre les ouvriers préposés
ou mandataires de l'employeur de la victime pour les fautes commises par ceux-ci
dans Vexécution de leurs fonctions (art. 15). D ’où la nécessité dans certains cas de
déterminer si le responsable était un préposé, etc... du même employeur, ou
encore l’employeur de la victime. Nous avons quelques exemples de tels cas dans
les causes précitées. À celles-ci, ajoutons la décision suivante, relativement à la
«définition du tiers».
La victime était l’employée du locataire d ’un véhicule-automobile, qui avait
été loué «avec chauffeur». Le propriétaire du véhicule était donc l’employeur du
chauffeur, a priori. Toutefois, le contrat de location stipulait que le chauffeur
devenait le préposé du locataire et que celui-ci s'engageait à assurer la
responsabilité des fautes dudit chauffeur.
La victime a poursuivi le locateur, à la suite d ’un accident. Ce dernier a
invoqué évidemment le contrat de location et a plaidé que le chauffeur était le
préposé de l'employeur de la victime. La Cour supérieure (Rioux c. Eastern
Canada Stevedoring, 1976 C.S. 772) a refusé de faire droit à ce plaidoyer, jugeant
que le contrat de location était inopposable à la victime, tout au moins dans la
mesure où dans les faits (paiement du salaire) le locateur paraissait être demeuré
l’employé du chauffeur. Toutefois, la Cour supérieure a ensuite appliqué le contrat
de location pour condamner le locataire à rembourser au locateur les sommes que
celui-ci, en tant que tiers, avait dû payer à la victime.
Sur l inopposabilité du contrat de location à la victime, nous n'avons rien à
redire. Far ailleurs, il est intéressant de noter que l'employeur de la victime a dû
payer les «dommages de droit commun», nonobstant l’art. 15 L.A.T. Ce résultat,
qui fait échec à l'art. 15 L .A .T ., est dû à l’application des stipulations du contrat
de location, dont le tribunal a reconnu la validité parce que non défendues par
l’art. 15. Sur ce point, le tribunal avait également raison, puisque l’art. 15 ne
prohibe que les recours de l'ouvrier contre son employeur. De telles décisions
avaient déjà d ’ailleurs été rendues (Bisson c. Peter Queen Realties In c ., 1974 C.S.
258). Il faut bien reconnaître, tout au moins théoriquement, à partir de ces
décisions, que l’employeur pourrait renoncer valablement envers ses employés à
l’application de l’art. 15 L.A.T. (Cf. nos commentaires à 1975 R.G .D. 260, n°
69).
Enfin, les recours de droit commun ont donné lieu à de nombreuses
difficultés d ’application dans les cas où la victime, son co-employé ou son
employeur étaient partiellement responsables de l’accident, étant donné la
subrogation décrétée par la loi en faveur de la Commission des accidents du
travail.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 179
Une première chose nous paraît devoir être retenue de façon certaine: le
tiers-responsable ne saurait être tenu de payer plus qu'il ne serait tenu de payer en
vertu du droit commun. Ce principe a été clairement énoncé dans Brink’s Express
Co. c. Plaisance, (1977), 1 R.C.S. 640.
Cette règle a cependant soulevé des difficultés d'application quant au recours
subrogatoire de la commission et celui de la victime lorsque le tiers n'était que
partiellement responsable, l'autre partie de la responsabilité incombant soit à la
victime, soit à l'employeur ou à un co-employé de la victime. Voyons les
différentes hypothèses.
Si le tiers est totalement et exclusivement responsable, il n'a aucun problème:
la victime aura droit à la différence entre ce qu'il a reçu de la C.A.T. et la somme
totale de ses dommages et la C.A.T. aura droit au plein remboursement des
sommes payées à la victime.
Si la victime elle-même est partiellement responsable, la question est
beaucoup plus délicate. La Commission a-t-elle préséance sur la victime à
l'encontre du tiers-responsable qui, pour sa part, ne doit payer plus que les
dommages correspondant à sa part réelle de responsabilité, ou la victime a-t-elle
préséance sur la C.A.T.?
La jurisprudence de la Cour d ’appel paraît être clairement à l'effet que la
C.A.T. a préséance. Ainsi, les personnes à la charge d'un ouvrier décédé ont subi
des dommages qui s’élèvent à $60 000. Ils ont reçu $30 835 de la C.A.T. La
victime était responsable à 50% et le tiers à 5 0 # . La Cour d'appel, notant qu'en
vertu du droit commun, les dépendants n'avaient droit qu'à $30 000, a rejeté leur
recours puisqu'ils avaient déjà reçu $30 835 de la commission. Elle a ensuite
condamné le tiers à payer à la C.A.T. la somme de $30 000, même si cette
dernière avait payé S30 835, le tiers ne devant pas payer plus que sa part (Abiîibi
Paper Co. Ltd. c. C.A.T. 1976 C.A. 426). Dans ce jugement, la Cour d'appel a
pris soin de préciser que la décision de la Cour suprême dans Brink's Express c.
Plaisance, (1977), 1 R.C.S. 640, conf. 1973 C.A. 930) ne s'appliquait pas
puisque dans cette dernière affaire, la victime elle-même n'était pas en faute.
Cette façon d'utiliser la faute de la victime avait été appliquée déjà dans Henry’ c.
McMahon Transport Ltée, 1972 C.A. 66. Dans cette affaire, la victime avait subi
des dommages de S65 000. Elle avait reçu $18 000 de la C.A.T. Puisqu'elle était
responsable à 5 0 # , elle n'avait obtenu que $14 500 du tiers-responsable, celui-ci
devant, en outre payer $18 000 à la C.A.T.
Si cette façon de «compter la faute de la victime» a déjà été retenue en
première instance (Sebaski c. L.J. Weber Const. Co., 1972 C.S. 557), elle a
cependant été apparemment nuancée dans un jugement récent de la Cour fédérale
et remise en question par la Cour supérieure qui a voulu tirer des conclusions à
partir d'une distinction entre les dommages payés par la Commission et les
dommages personnels à la victime (douleurs, souffrances, perte de jouissance de
la vie) qui ne sont aucunement indemnisés par la Commission.
Ainsi, la Cour fédérale a écrit que la Commission n'était subrogée que pour
180 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
la perte réelle subie et ce qu'elle a reçu de la C.A .T.), soit $742. La victime a
donc obtenu du tiers la somme de $3 408. Quant à la Commission qui aurait
déboursé $4 440, semble-t-il, elle n'aurait droit, en conséquence, qu'à un
remboursement de $2 960 puisque le tiers ne devait payer que les 2/3 des
dommages globaux au montant de $9 553, soit $6 368. Tout compte fait, encore
ici, l'on constate que la victime a eu droit à 2/3 des dommages excédentaires
chiffrés à $5 112 et que la commission aurait eu droit à 2/3 de ses déboursés au
montant de S4 440 (Rioux c. Eastern Canada Stevedoring, 1976 C.A. 772, juge
Lalande). Cette décision est donc identique dans sa façon de calculer à celle du
juge Bisson.
Il semble aussi que cette façon de calculer ait été retenue dans C.A.T.Q. c.
Tétreault, 1976 C.S. 1107 (juge Gauthier), où le tribunal, attribuant 50% de la
responsabilité à la victime, a condamné le tiers-responsable (50%) à payer à la
C .A .T., la moitié seulement de ce que la C.A.T. avait déboursé.
Dans tous les cas qui précèdent, il y avait faute contributoire de la victime. Il
arrive cependant que la victime ne soit aucunement en faute. Le tiers-responsable
ne l'est pas non plus totalement puisque l'employeur ou un co-employé de la
victime a contribué partiellement, par sa faute, à la réalisation des dommages
subis par la victime. Quelle est donc la situation des intéressés dans un tel cas? La
Cour suprême a finalement fait la lumière sur cette question.
Rejetant l'idée de la solidarité entre le tiers-responsable et le co-employé ou
l'employeur de la victime, vu l'impossibilité juridique de poursuivre ces derniers
(Cf. supra, n° 83. Solidarité), la Cour a jugé que le tiers ne pouvait être appelé à
payer plus que la partie des dommages qui correspondait au pourcentage de sa
responsabilité (Brink's Express Co. c. Plaisance, (1977) 1 R.C.S. 640). Mais
restait le problème de déterminer qui, de la victime ou de la C.A .T., avait priorité
contre le tiers. La Cour suprême, imitant en cela des décisions antérieures de la
Cour d'appel, mais pour des motifs différents, a conclu que c'était la victime qui
devait avoir priorité, en se référant à l'esprit de la L.A.T. et en utilisant le
principe de l'art. 1157 c.c. qui accorde la préférence au subrogeant.
En l'espèce, la victime a subi un accident par la faute de son co-employé
(50% ) et d'un tiers (50% ). La Cour suprême, confirmant la décision majoritaire de
la Cour d'appel, a décidé que la victime pouvait réclamer du tiers, la totalité de
ses dommages excédentaires. Notons cependant que la proportion des dommages
imputables à la faute du tiers était au moins équivalente à la différence entre le
montant global de la perte réellement subie par la victime et le montant de
compensation perçu par la victime de la C.A.T. La Cour d'appel avait déjà décidé
que dans un tel cas, la victime avait le droit d ’obtenir la totalité des dommages
excédentaires du tiers responsable en invoquant la solidarité (Véronneau c.
Hydro-Québec, 1975 C.A. 480) ou encore la notion de «l'obligation in solidum»
(Quirion c. Gauthier, 1975 C.A. 468).
Dans l’espèce Véronneau, la victime avait subi des dommages de $18 000,
par la faute combinée de son employeur (50%) et d'un tiers (50%). Elle a reçu
$11 700 de la C.A.T. Elle a poursuivi le tiers et la Cour a condamné ce dernier à
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 183
lui payer toute la différence, soit $6 300. Le jugement est cependant silencieux sur
les droits de la C.A.T. contre le tiers. L'application de la solidarité faisait-elle en
sorte qu'en raison de la fiction de la loi, le tiers doive payer la totalité des
dommages sans avoir d'action récursoire contre l’employeur?
Dans l'affaire Quirion, précitée, la victime a subi un accident à raison de la
faute de son co־employé (662h% ) et de la faute d'un tiers (33lh c/c). La victime a
intenté une action contre les deux auteurs fautifs. L’action a été rejetée contre le
co-employé (art. 9 L.A.T.). Mais la Cour d’appel a admis le recours de la victime
contre le tiers-responsable pour la totalité de ses dommages excédentaires, même
si le co-employé ne pouvait être poursuivi sur action récursoire. Dans ce cas, la
Cour a expliqué que le tiers était responsable de la totalité du préjudice malgré sa
faute partielle (331/ 37c), ajoutant qu'il s'agissait d'une responsabilité «in soli-
dum». Le rapport de cette affaire Quirion ne nous permet pas, non plus, de
connaître le sort réservé aux droits de la C.A .T., ni de savoir si les dommages
excédentaires dus par le tiers étaient plus élevés que la part de responsabilité dudit
tiers dans la totalité des dommages subis par la victime.
Cette même idée a aussi été exprimée, autrement, mais clairement dans
C.A.T. c. Lacroix, 1976 C.A. 490, où la Cour a refusé l’intervention de la C.A.T.
dans l'action de la victime contre le tiers, en disant que la C.A.T. n'avait aucun
intérêt dans la réclamation de la victime pour ses dommages excédentaires.
Ces décisions de la Cour d ’appel pouvaient laisser la porte ouverte à l'idée
que le tiers devait tout payer, et à la victime et à la C.A.T. Heureusement, la Cour
suprême a maintenant bien fermé cette porte, comme nous l'avons vu.
Si le problème semble définitivement réglé lorsqu'un co-employé ou
l'employeur est partiellement responsable de l'accident avec un tiers, il n'est
cependant pas nécessairement réglé lorsque la victime est elle-même partiellement
responsable.
En effet, l'arrêt Brink’s ne nous éclaire pas. Et nous demeurons toujours en
face de plusieurs solutions possibles, soit au moins trois. Pour la Cour d'appel et
certains juges de première instance, la C.A.T. a préséance sur la victime contre le
tiers-responsable. Pour d'autres cependant, la faute de la victime ne s'applique
qu'aux dommages excédentaires qu'il réclame; dans cette optique, la victime et la
C.A.T. se partagent les dommages dus par le tiers et afférent à la part de
responsabilité de ce dernier, proportionnellement à ce qui leur est dû. Enfin,
troisième possibilité évoquée par la Cour fédérale, la victime aurait un droit
prioritaire contre le tiers pour les dommages non indemnisables par la C.A .T.,
mais celle-ci aurait un droit prioritaire contre le tiers pour les chefs de dommages
qu'elle a contribué à indemniser.
Tout compte fait, et puisqu’il faudrait un jour choisir l'une des solutions,
plutôt que de toutes les mener de front, au gré des opinions individuelles, il nous
semble que la solution de la Cour d'appel est défendable comme l'est d ’ailleurs
celle appliquée par le juge Bisson. La solution de la Cour d'appel repose sur l'idée
que la victime ne saurait avoir priorité sur la C.A.T. étant donné qu'en vertu du
184 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
droit commun, elle n'aurait pas droit à plus que ce qu elle aurait reçu de la C.A.T.
en tenant compte de sa part de responsabilité. La solution appliquée par le juge
Bisson et partagée par d'autres met en lumière le fait que la victime aurait droit à
l'indemnisation due par la C.A.T. même si elle était seule responsable de son
malheur. Cette indemnité lui est donc acquise et le droit commun ne s’appliquerait
qu'à l'égard des dommages excédentaires: la victime n'a cependant droit qu’à ce
qui lui revient, le solde devant être payé à la commission. La victime aurait donc
toujours, dans cette optique et dans ce cadre, priorité sur la C.A.T. conformément
à l'art. 1157 c.c. Nous avions d'ailleurs déjà soutenu cette thèse (1974/?. du B.
76). Après quelques hésitations (1974/?. du B. 100 et 1974/?. du B. 391), nous
croyons finalement qu'elle est celle qui respecte le plus l’économie de la Loi des
accidents du travail. Du reste, cette solution respecte l’esprit de Varrët B rink's. Si
l'art. 1157 c.c. permet de justifier le droit prioritaire de la victime contre le tiers
lorsqu’elle n'est pas en faute, principe inattaquable à notre avis, cette priorité ne
semble pas devoir disparaître complètement pour la simple raison que la victime
est partiellement fautive. Quant à la solution qui semble ressortir de la décision de
la Cour fédérale, elle dépend trop du caractère fort arbitraire et superficiel de la
qualification des dommages pour devoir être retenue, à notre humble avis.
Notons enfin que de toutes façons notre loi est ainsi beaucoup plus
avantageuse poi r la victime que ne l'est celle de la province d'Ontario en vertu de
laquelle le WorKman's Compensation Board bénéficie d'une subrogation complète
dans les droits de la victime, celle-ci ne bénéficiant d'aucun recours de droit
commun pour l'excédent (Varcœ c. Tilden Rent-a-Car, 1976 C.S. 1110).
79. Recours au Fonds d ’indemnisation des victimes d'accidents d'automobiles.
Le créancier d'un jugement non satisfait, suite à un accident d'automobile,
peut demander au Fonds d'y satisfaire jusqu'à concurrence de la somme de
$35 000 (art. 36 à 42 L.I.V .A .A .). Il est maintenant bien établi en jurisprudence
que le créancier peut faire une demande au Fonds et celui-ci doit payer, même si
le débiteur du jugement est assuré. En effet, le créancier n'a pas à épuiser ou à
exercer ses recours contre tel assureur, pas plus qu'il ne doit tenter d'exécuter le
jugement sur les biens du débiteur, avant d'avoir droit au paiement de la part du
Fonds CO'Albenas c. Ancienne M utuelle, 1975 C.A. 244; Fonds c. Gagné,
jugement de la Cour suprême du 19 déc. 1975, conf. 1973 C.A. 729). Dans ces
espèces, comme dans les précédentes où on a énoncé la même règle, l'assureur
avait refusé de payer pour une raison quelconque, avec le résultat que le créancier
s'adressait au Fonds sans d'abord poursuivre l'assureur. L'attitude des tribunaux
est fort bien sentie et elle respecte les dispositions de l'art. 37(b): le paiement fait
par le Fonds ne profitera pas à l'assureur puisque le Fonds, subrogé dans les droits
du créancier, peut obtenir un remboursement de l'assureur. Et dans son action en
remboursement contre l’assureur, il bénéficie, comme la victime, des dispositions
de l'art. 6 L.I.V.A.A. c ’est-à-dire que l’assureur ne peut opposer au Fonds les
causes de nullité ou de déchéance de la police.
Il est arrivé, par ailleurs, que l’assureur poursuivi par le créancier du
jugement après que celui-ci eut essuyé un refus lorsqu’il s'est adressé à l'assureur,
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 185
a plaidé que la seule demande faite par le créancier au Fonds avait transporté à ce
dernier tous les droits du créancier qui, ainsi, aurait perdu ses recours contre
l'assureur. Cet argument a cependant été rejeté à bon droit: en effet, à l'égard des
tiers, dont fait partie l’assureur, la cession n’existe que par la dénonciation faite
par le Fonds conformément à l’art. 39 L .l.V .A .A . (Canadian Indemnity c.
Lavigne, 1976 C.A. 264).
Par ailleurs, le Fonds peut opposer au réclamant les sommes que ce dernier
aurait pu réclamer de son propre assureur en vertu du chapitre B de sa propre
police d’assurance-automobile, sans quoi le paiement fait par le Fonds bénéficie
rait à l'assureur. Telle est en tous cas la décision rendue dans Boucher c. Fonds.
1975 C.S. 399.
D ’un autre côté, il est évident que le Fonds ne «garantit», en vertu des art. 36
à 42 L .l.V .A .A ., que les premiers $35 000 de dommages résultant d'un même
accident. En conséquence, si le créancier d'un jugement de plus de S35 000 a
reçu S35 000 d'un assureur, il ne peut ensuite s'adresser au Fonds pour réclamer
la différence (Chapados c. Fonds, 1975 C.S. 849).
De même, le Fonds ne doit payer les intérêts que sur la somme due en vertu
de l'art. 14 L.l.V .A .A . et non sur le montant du jugement (Lafleur-Pagé c.
Fonds, 1976 C.S. 1524). Cette décision a été portée en appel mais nous ne
pouvons concevoir qu'elle puisse être infirmée: l'accessoire suit le principal.
La demande (non l'action) au Fonds doit être faite dans l'année après que le
jugement dont l'exécution est demandée est devenu définitif. C'est donc dire que
dans le cas d'un jugement non porté en appel, le délai d'un an ne court qu'à
compter de l'expiration des trente jours après la date du jugement. Et ce délai
s'applique même si le Fonds avait consenti à ne pas intervenir dans une action ex
parte et s'était entendu avec la victime sur le quantum des dommages avant le
jugement rendu par défaut. Si le créancier fait sa demande après l'expiration du
délai, sa demande peut être refusée par le Fonds (Gosselin c. Lévesque. 1975 R.P.
49) et l'action contre le Fonds sera rejetée. D'autre part, une confession de
jugement partielle, jugée insuffisante, n'empêche pas le demandeur de recourir au
Fonds selon l'art. 36 L.l.V.A.A. et le délai d'un an ne court qu’à compter du
jugement définitif du tribunal et non à compter du jugement sur la «confession
partielle» (Fonds c. Langlois, 1974 C.A. 535).
Dans le cas où le défendeur à l'action en dommages fait défaut de
comparaître ou de plaider, le demandeur qui a l'intention de s'adresser au Fonds,
doit donner avis au Fonds qu’il entend procéder ex parte. Lorsque cet avis est
donné, le Fonds fait généralement enquête et s'entend ensuite souvent sur le
quantum des dommages avec le demandeur. Fort de cette entente, le Fonds choisit
souvent de ne pas intervenir et de laisser le demandeur procéder ex parte.
Soulignons cependant qu’on a jugé à bon droit qu'une telle entente ne
dispense pas le demandeur de prouver sa cause. Celui-ci ne peut se contenter
d ’invoquer le «règlement» ou «l'entente» intervenue avec le Fonds: il doit établir
la responsabilité du défendeur et les dommages qu’il a subis. L’entente avec le
186 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
Le texte dont on doit de nouveau partir est celui de Part. 43: le Fonds est responsable
vis-à-vis l 'intimée dans la même mesure que si jugem ent avait été rendu contre l'auteur de
l'accident; si tel était le cas, on l’a vu plus haut, l'identité de cet auteur, par hypothèse
serait connue; elle ne l’est pas cependant et on ne peut savoir si cet auteur est assuré; il faut
donc faire comme s'il ne l'était pas et tenir que le Fonds est responsable dans la même
mesure que si jugem ent avait été rendu contre un auteur identifié mais non assuré. Il s ’agit
de décider, en d ’autres termes, quelle serait la responsabilité du Fonds dans l ’hypothèse
où Jeannette M artineau et Allen Robindaine auraient satisfait ju sq u 'à concurrence d'une
somme de $100 000 au jugem ent obtenu par l'intim ée contre eu.x et aussi contre un autre
automobiliste identifié mais ne portant aucune assurance.
Les autres dispositions de la Loi font voir quelle est son économ ie et démontrent je
crois que la responsabilité du Fonds n ’est pas éteinte par l ’indem nisation déjà versée à
l'intim ée.
L'objet de la Loi est d ’assurer, par les moyens et dans la m esure q u ’elle prescrit,
l’indemnisation des victimes d ’accidents d ’autom obile. Le moyen principal employé par la
Loi est une forme de contrainte qui exige de tous les autom obilistes, propriétaires,
chauffeurs et conducteurs, une solvabilité s ’élevant à la somme de $35 000 pour tous les
dommages dans un même accident (art. 14). Cette solvabilité est requise pour chaque
automobile enregistrée au nom du même propriétaire (art. 15). La preuve de la solvabilité
se fait le plus souvent au moyen d'une garantie d ’assurance responsabilité (art. 16). S ’il
survient un accident, le permis de conducteur ou de chauffeur de toute personne conduisant
une automobile impliquée dans l’accident, l’im m atriculation de toute voiture immatriculée
au nom de tel conducteur ou chauffeur, le permis de conducteur ou de chauffeur de chaque
propriétaire inscrit d ’une automobile impliquée dans l ’accident et l'im m atriculation de
toute automobile immatriculée au nom de tel propriétaire sont suspendus (art. 26), sauf s'il
y a preuve de la solvabilité requise comm e le prévoit l’art. 28. La suspension ne peut pas
être révoquée à moins q u ’il y ait preuve de solvabilité pour l'avenir et, soit une garantie de
satisfaire à tout jugem ent découlant de l'accident ju sq u ’à concurrence du m ontant jugé
suffisant mais ne dépassant pas $35 000, soit une preuve d'exonération ou d'acquittem ent
de toute réclamation découlant de l'accident ju sq u ’à concurrence du montant jugé suffisant
mais ne dépassant pas $35 000 (art. 29). La contrainte s ’exerce égalem ent à l'endroit des
assureurs. Aucune police d ’assurance ne peut couvrir une responsabilité inférieure à celle
que prévoit l'art. 14, (art. 9). L ’assureur ne peut non plus opposer aux tiers les causes de
nullité ou de déchéance susceptibles d ’être invoquées contre l’assuré et ce, ju sq u ’à
concurrence pour chaque autom obile du montant prescrit à l'art. 14 (art. 6).
La contrainte employée par la Loi comm e moyen principal pour atteindre son but
n ’étant pas absolue, le but ne peut pas être totalem ent atteint par ce seul moyen. La Loi y
supplée par un moyen additionnel, la constitution du Fonds auquel elle impose les
obligations prévues aux sections XII et XIII. Le moyen principal et le m oyen additionnel
sont complémentaires l'un de l’autre et la Loi établit entre eux un certain degré
d ’intégration puisqu’elle prescrit que le Fonds est administré et alim enté par les assureurs.
La Loi ne vise pas à garantir à chaque victime une indemnisation de $35 000. Le
moyen principal et le moyen additionnel q u ’elle emploie n 'y suffiraient pas dans bien des
cas où par exemple un seul accident fait plusieurs victimes. Mais elle vise à ce que la
victime puisse compter que pour chaque automobile impliquée dans l’accident il y aura
assurance responsabilité ju sq u ’à concurrence de $35 000. Lorsque cette garantie ne se
réalise pas entièrem ent grâce au seul élém ent principal du système établi par elle —
l ’assurance quasi-obligatoire de chaque automobiliste impliqué dans l’accident — et
lorsque la victime a une réclam ation à laquelle il n 'a pas été satisfait en partie ou en
totalité, la Loi atteint le même but au moyen de l'autre élém ent de ce système: elle donne à
la victime, pour la partie de sa réclam ation à laquelle il n ’a pas été satisfait, un recours
contre le Fonds ju sq u ’à concurrence de $35 000 p a r automobile non assurée.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 189
Cette interprétation me paraît confirm ée par le texte des articles 6 et 15. L ’art. 6 porte
que l'assureur ne peut opposer aux tiers les causes de nullité ou de déchéance susceptibles
d 'être invoquées contre l’assuré et ce
est requise pour chaque autom obile enregistrée au nom du même proprié
taire»
Dans la présente affaire, deux autom obiles sont impliquées dans l'accident, celle de
Jeannette Martineau et celle de l’inconnu. Jeannette Martineau est solvable jusqu’à
concurrence du m ontant requis par la Loi mais elle n 'a pas pleinement indemnisé la
victime. Si le conducteur inconnu était connu et assuré, son assureur serait tenu
d'indem niser l’intimée ju sq u 'à concurrence d ’au moins S35 000, quelles que soient les
causes de déchéance ou de nullité q u ’il aurait pu opposer à l’assuré. C ’est le Fonds qui
remplace cet assureur. La victime a donc raison de réclam er du Fonds, pour suppléer à
l'insolvabilité de l’inconnu, l’excédent de ses dom mages, ju sq u ’à concurrence de $35 000.
Il est vrai que l'art. 38 prescrit que le Fonds doit satisfaire au jugem ent obtenu par la
victime
Les raisons de cette déduction sont à mon avis sans application dans la présente
cause. La déduction des som m es ou valeurs reçues par le créancier évite en prem ier lieu
que ce dernier ne soit indemnisé deux fois pour les mêmes dom mages. Ce n ’est pas notre
cas. La déduction vise ensuite et principalement les sommes ou valeurs reçues de
l’autom obiliste même contre qui le créancier a obtenu un jugem ent auquel il demande au
Fonds de satisfaire. Si cet autom obiliste est solvable jusqu’à concurrence du montant
prescrit à l’art. 14, le Fonds est libéré. Si l ’automobiliste a indemnisé la victime pour une
partie de ce m ontant, le Fonds est responsable pour le solde jusquà concurrence de
S35 000. Dans la présente affaire, la victime n ’a rien reçu de l’inconnu et n 'a rien à
déduire de la réclamation q u ’elle adresse au Fonds pour la faute de cet inconnu. La
déduction prescrite à l’art. 38 évite enfin que le Fonds soit appelé à faire un paiement qui
profite à un assureur, en contravention de l’art. 37; si par exemple Jeannette Martineau et
Allen Robindaine étaient assurés ju sq u ’à concurrence de $150 000, on ne pourrait exiger
que le Fonds contribue $35 000 à l’indemnisation de l’intimée car une telle contribution
bénéficierait à l’assureur de Jeannette Martineau et d ’Allen Robindaine. Le Fonds serait
alors totalem ent libéré. Rien n ’indique que ce soit notre cas.
tous les doutes ont été résolus contre la victime et contre l’assuré, et en faveur de
l’assureur. Si la remorque était visée par l'exclusion, il était juste de traiter le cas
comme un cas d'absence de couverture, mais nous ne croyons pas que la
remorque était exclue, la règle ejusdem generis paraissant devoir s’appliquer. De
toute façon, il est à espérer que la remorque est devenue ou deviendra une
«automobile» lors de la demande de la victime au Fonds! Il serait inconcevable
que la victime soit sans aucun recours! Et si la remorque est une automobile pour
le Fonds, comment ne le serait-elle pas pour l'assureur, si ce n’est à cause d'une
interprétation trop superficielle de la police d'assurance. Quant à l'assuré, force
nous est de dire qu'on lui a souvent donné le bénéfice du doute dans des cas où, à
notre avis, le doute n'était pas plus grand que celui qui pouvait exister dans le cas
présent.
Nous apparaît, par ailleurs, mieux fondée la décision où on a jugé que
l’assureur pouvait opposer à la victime la stipulation de non-responsabilité en cas
de blessures corporelles subies par un employé (la victime) de l’assuré pendant
qu’il s’occupait des affaires dudit assuré, parce qu’il s'agissait, en l'occurence
d'une véritable absence de couverture. (Société Cie d ’Assurances Générales du
Canada c. Perreault, 1975 C.A. 799). La victime conservait néanmoins
possiblement des recours, soit contre la Commission des accidents du travail, soit
encore contre le Fonds. Nous devons cependant avouer que cette possibilité de
l’existence d’un recours contre le Fonds, parce que l’assurance ne s’applique pas,
nous paraît douteuse, eu égard à l’existence de l’art. 6 L.l.V .A .A . et de
l’économie générale de la Loi.
L’intercalaire décrétant la non-responsabilité de l’assureur envers toute
personne voyageant dans ou sur le véhicule agricole lorsque, au moment de
l’accident, plus de trois personnes, outre le conducteur, voyagent dans ou sur le
véhicule agricole constitue une clause de déchéance et non une absence de
couverture et cette stipulation est donc inopposable à la victime. (Morin c. Les
Prévoyants, 1975 C.S. 205). Bien que portée en appel, cette décision nous paraît
raisonnable, vu que le droit conféré à la victime par l’art. 6 L.l.V .A .A . doit être
interprété largement. Dans le doute, il faut traiter une stipulation comme une
clause de déchéance, plutôt que comme une absence de couverture, la couverture
devant être présumée en raison de l’existence de la police.
Le recours direct du créancier d'un jugement contre l'assureur se prescrit par
trente ans car il a pour fondement un jugement (Canadian Indemnitv c. Lavigne,
1976 C.A. 264).
Lorsqu'il y a deux débiteurs solidaires assurés, l’assureur qui paie le tout
peut, sur paiement et subrogation, exercer une action en remboursement contre
l’assureur de l’autre responsable et jusqu’à concurrence de sa part de responsabi
lité. L’assureur qui paie bénéficie, au moins en vertu de la subrogation, du droit
direct que la victime possédait contre l'autre assureur (La Sécurité c. Hartford
Fire Ins., 1975 C.A. 497). De même le Fonds qui paierait la totalité d’un
jugement pour l'un des conducteurs solidairement responsables possède, en
principe, une action récursoire contre le co-responsable solidaire (Fards c.
Ganger, 1975 C.S. 565) pour sa part de responsabilité dans l'accident.
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 193
D . E ffets d e s o b l ig a t io n s .
E. M o d a l it é s d e s o b l ig a t io n s .
À elle seule cette définition nous laisse croire qu'il y a solidarité dès que
deux ou plusieurs débiteurs sont obligés à une même chose de manière que ...
etc... Toutefois, cette définition est suivie des art. 1105 et 1106. Or l'art. 1105
c.c. nous dit bien: «La solidarité ne se présume pas; il faut qu'elle soit
expressément stipulée».
Cette règle cesse dans les cas où la solidarité est stipulée dans une disposition
de la loi et dans les affaires de commerce (art. 1105 c.c.).
Quant à l'art. 1106 c.c. il énonce: «L'obligation résultant d'un délit ou
quasi-délit commis par deux personnes ou plus est solidaire».
Vu l'existence de ces dispositions (1105 et 1106), il nous est permis de croire
que la définition de la solidarité leur est subordonnée et que la solidarité n'existe
que si l'obligation qui répond à la définition de l'art. 1103 répond aussi aux
conditions de l'art. 1105 ou 1106 c.c., sous réserve évidemment de l'interpréta
tion à donner à ces articles et, en particulier, à l'art. 1106 c.c.
Ainsi, il ne fait pas de doute que le cautionnement d ’une dette commerciale
d'une compagnie est commercial pour les cautions surtout lorsque celles-ci
possèdent des intérêts dans ladite compagnie (Raymond c. International Video
Corp., 1974 C.A. 501; cf. aussi Canadian Petroleum c. Bernard, 1972 C.A.
854). En conséquence, les cautions sont obligées solidairement avec la débitrice et
elles ne peuvent opposer au créancier le bénéfice de discussion.
Toutefois, les cas suivants de solidarité sont plus discutables.
L'employé d'un sous-entrepreneur a, par sa faute, causé l'incendie d'un
ouvrage en construction. Conséquemment, le sous-entrepreneur est quasi-délic-
tuellement responsable envers le propriétaire de l'ouvrage (1054, 1er al. c.c.).
Toutefois, l’entrepreneur général n'a commis aucune faute quasi-délictuelle: mais
il est néanmoins responsable en vertu des règles contractuelles applicables en
matière de contrat d’entreprise, et plus particulièrement, à raison de l'art. 1684
c.c. Pourtant, malgré le fondement différent de la responsabilité de chacun, tel
que décrété expressément par le tribunal, celui-ci conclut que les débiteurs sont
solidairement responsables puisque chacun est tenu au paiement intégral (c.-à־d.
est responsable) de tout le préjudice (Duchesneau c. Roy, 1976 C.S. 387, en
appel mais certainement pas sur la question de la solidarité).
De même, la Cour d'appel a décrété la solidarité entre deux entrepreneurs
différents qui avaient travaillé, chacun pour partie, à l'exécution d ’un bâtiment,
après avoir jugé que chaque entrepreneur était responsable de la perte du bâtiment
en vertu de l'art 1688. Chacun étant obligé à une même chose, soit la perte
partielle du bâtiment et de la totalité de ladite perte, sa responsabilité a été jugée,
dans les circonstances, solidaire de celle de l'autre (Cargill Grain Co. Ltd c.
Foundation Co., 1975 C.A. 265, 285).
Dans une troisième espèce, l'éclatement d'une conduite d'eau avait causé une
inondation dans un immeuble non-conforme aux règlements municipaux qui
exigeaient l'imperméabilité des fondations. Retenant la responsabilité de la
196 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
F . E x t in c t io n d e s o b l ig a t io n s .
Ceci dit, nous ne nions pas que, dans certaines circonstances, il y ait lieu de
faire des nuances.
Les offres par chèque peuvent constituer des offres valables si les parties
s'étaient entendues sur ce mode de paiement. Dans cette optique, on peut aussi
dire que les offres ainsi faites sont légales si le créancier les refuse pour d'autres
raisons, comme leur insuffisance.
Toutefois, il nous paraît exagéré de dispenser un débiteur de faire une
consignation, sous quelque forme que ce soit!
La subrogation, opération pourtant simple en elle-même, soulève néanmoins
de nombreuses difficultés.
Tout d'abord, il n’est pas toujours facile de distinguer la subrogation
conventionnelle de la cession de créance, surtout lorsque les parties utilisent les
termes «cède leurs droits» et «subroge» dans un même document. Dans un tel cas,
on peut considérer que si les cessions ne sont pas valides à titre de subrogations
conventionnelles, elles peuvent être traitées utilement comme des cessions de
créances (Leblanc c. Argo Consî. Ltd., 1976 C.A. 239, 243). C'est dire qu’une
202 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
que partiel, il est évident que le créancier ne recevra de la caution que «partie de
sa créance»: l'art. 1157 c.c. s'applique donc. À moins que l'art. 1157 c.c. ne
s'applique en aucune façon entre le créancier et la caution, ce qui n'apparaît pas
raisonnable, il est impossible de penser que l'art. 1157 c.c. ne s’applique pas pour
la seule raison que la caution a payé la totalité de son engagement, encore que ce
paiement ne constitue qu’un paiement partiel par rapport à la créance. Car si tel
était le cas, cela signifie que l'art. 1157 c.c. ne s'appliquerait entre caution et
créancier, que si la caution ne payait que partie de son engagement. Outre le fait
que le texte est trop clair pour permettre une interprétation aussi extraordinaire,
cette distinction n'est pas réaliste. En effet, si la caution paie une partie de son
engagement seulement, elle pourra toujours être poursuivie par le créancier pour le
solde. De sorte que si la caution avait droit à un dividende, elle le perdrait de toute
façon aux mains du créancier. Il n ’était donc pas nécessaire d'édicter l'art. 1157
c.c. pour prévoir cette solution. Elle découle des règles élémentaires. L'art. 1157
c.c. vise donc le paiement partiel de la créance et non le paiement partiel de
l'engagement de la caution.
La question de la subrogation a donné lieu à un problème délicat dans
l’affaire Browman c. Canadian Ajfiliated Financial Corp. (Cafco), 1976 C.A.
833.
Un débiteur-failli devait $105 000 à la Banque. Cette dette, d'abord garantie
par une caution qui avait fourni des sûretés réelles à la Banque, qui, en outre,
possédait une garantie en vertu de l’art. 88 de la Loi des Banques a également été
cautionnée par Cafco. Cafco a payé $81 000 à la Banque et a été subrogée dans
les droits et les garanties que celle-ci possédait en vertu de l'art. 88. La réalisation
de ces garanties a rapporté plus de $105 000 à Cafco. De son côté, la Banque, qui
n’avait reçu que S81 000, a réalisé les sûretés réelles que lui avait fourni la
première caution, pour compléter ($26 000) le paiement de sa créance totale.
La caution a donc décidé de poursuivre Cafco en remboursement de la
somme de S26 000. Cafco a présenté une requête en irrecevabilité, plaidant
l'absence de lien de droit. Cette requête, accueillie en première instance, a été
rejetée en Cour d'appel, qui a vu l'existence d'un lien de droit entre les deux
cautions, c'est-à-dire, la première caution et Cafco.
Le raisonnement de la Cour d'appel est fort bien imaginé: le subrogé (Cafco)
n ’a pas plus de droits que le subrogeant. A titre de subrogé, Cafco n'a droit qu'à
un montant égal à celui qu elle a payé. Par ailleurs, la Banque n’avait pas droit de
recevoir plus que le montant de sa créance: tout surplus dans les sûretés qu’elle
détenait devait être retourné à qui de droit. Or le subrogé est subrogé, non
seulement dans les droits de la Banque, mais encore dans les obligations qui sont
liées à ces droits. Il y a donc selon le tribunal, un lien de droit entre Cafco et la
caution. Puisqu'un lien de droit doit procéder d'une cause juridique (982-983
c.c.), il faut bien dire que, malgré les explications données, la Cour d'appel n'a
pas particulièrement bien identifié la source juridique de ce lien de droit. Un lien
de droit ayant le même objet existe-t-il aussi entre la caution et la Banque? Il est
difficile de soutenir le contraire. Malgré la subrogation, le même contrat donne-t-il
204 REVUE GÉNÉRALE DE DROIT 1978
d’argent déposée au greffe se prescrivait par trente ans. La somme déposée avait
été volée. La Cour, après avoir noté que le dossier ne permettait pas de conclure
que l’employé du greffe avait commis un vol, a néanmoins retenu la responsabilité
du procureur général à titre de commettant pour la faute de l’employé ( 1054 c.c.).
De ce fait, on aurait pu penser possiblement à la prescription de deux ans (2261
c.c.), vu la contusion qui règne, et dans laquelle on se complaît généralement,
entre la responsabilité quasi délictuelle et la responsabilité contractuelle. Toute
fois, le tribunal ne s'est pas interrogé sur l'application de ce délai de prescription:
il a considéré le dépôt comme un contrat de dépôt, à bon droit. Aussi la
responsabilité du dépositaire ne pouvait être quasi-délictuelle. Toutefois, le
tribunal a refusé d'appliquer la prescription de cinq ans contre... les... officiers
et fonctionnaires, dépositaires en vertu de la loi, pour la remise des pièces et titres
qui leur confies, et ce, à compter de la fin de la procédure à laquelle ces pièces et
titres ont servi... (2260-3° c.c.), sous prétexte que le dépôt au greffe, pour les fins
de la preuve dans un procès criminel, ne constituait pas le cas visé à 2260-3°.
Cette prescription étant écartée, il ne restait plus qu'à appliquer la prescription de
trente ans (2242 c.c.) (Chubb & Son c. P.G.Q. 1976 R.L. 231). En toute
déférence, il nous semble que le dépôt tombe clairement sous le coup de l'art.
2260-3° et que la prescription applicable est celle de cinq ans. D'aucuns verront là
une affirmation sans fondement, tout comme l'a été le rejet de cette prescription
par le tribunal. Mais, puisque c ’est la prescription de Tarticle 2260-3° qui semble,
à premier abord, s'appliquer à l’espèce, il aurait fallu, pour que le tribunal justifie
le point de vue contraire, qu'il explique pourquoi l’art. 2260-3° c.c. ne
s'appliquait pas. Il n'est pas du tout évident que cet article ne s'applique pas; au
contraire, il semble s'imposer.
loi dénie l’action expressément. Or même si la Loi des cités et villes, art. 519,
édicté que les taxes municipales se prescrivent par trois ans, elle «ne dénie pas
Faction». Le juge ne peut donc pas soulever d ’office la prescription. Celle-ci doit
être plaidée, ce qui n’est pas le cas lorsque le défendeur fait défaut de comparaître
(Ville de Lac Etchemin c. Fleury, 1975 R.P. 142 (C.A.), ou 1975 C.A. 129).
92. Interruption de prescription. Art. 2224: Délai pour signifier; bénéficiaires de
ïinterruption: art. 1056 c.c.; recours subrogatoire de la Commission des
Accidents de Travail.
Il est certain que l’action déposée après le délai de prescription est prescrite
même si elle est signifiée dans les 60 jours de l’expiration du délai de prescription
(Kourmalian c. M eilleur, 1975 C.A. 436).
Toutefois, on peut toujours se demander si l’action déposée dans le délai,
mais signifiée plus de 60 jours après le dépôt quoique dans les soixante jours après
l’expiration du délai de prescription interrompt la prescription!
Dans Caron c. Les Héritiers de Donat H oule, (1976) C.A. 555 et Abbott c.
Koravilos, (1975) C.P. 166 le tribunal a appliqué rigoureusement la règle de l’art.
2224 c.c. et a jugé que la signification de l’action, en dehors du délai de
prescription, devait avoir lieu dans les soixante jours du dépôt de la demande au
greffe.
Nous insistons sur le fait que nous croyons qu’il s’agit d ’une application fort
rigoureuse de la règle de l’art. 2224 c.c. Dans un cas, la demande a été déposée le
1er octobre 1974 et elle a été signifiée le 3 décembre 1974, alors que la date
d ’échéance de la prescription était le 6 octobre 1974. Dans l’autre cas, la demande
a été déposée le 18 octobre 1973 et elle a été signifiée le 12 février 1974, alors
que la date d'échéance de la prescription était le 21 décembre 1973.
Dans les deux cas, on a jugé que l’action était prescrite parce que l’action
avait été signifiée plus de 60 jours après le dépôt de la demande.
En considérant le fait que, dans chaque cas, le demandeur était tout à fait
libre de déposer sa demande le dernier jour de la prescription, ces décisions nous
paraissent appliquer trop littéralement l’art. 2224 c.c.
Il nous semble que le but du législateur était, d ’abord et avant tout,
d ’accorder au demandeur un délai de 60 jours après l’expiration du délai de
prescription pour signifier son action. La règle ne vise-t-elle pas le cas du
demandeur qui, pris à la dernière minute, ne peut signifier son action dans le délai
de prescription?
Si on applique aussi littéralement l’art. 2224 c.c., sans nuances, ne faut-il pas
conclure que la signification à l’intérieur du délai de prescription, mais plus de 60
jours après le dépôt, serait illégale et sans effet?!
N ’est-il pas préférable de considérer que, pour les fins de la signification, le
dépôt d’une demande au greffe est censé être fait le dernier jour du délai de
prescription?
Vol. 9 DROIT DES OBLIGATIONS 209
L’action en dommages (1053 c.c.) intentée par erreur contre une personne
physique plutôt que contre la personne morale acquise par cette personne physique
pour les fins de l'entreprise qu'elle avait d'abord commencé à exercer comme
personne ph ysique interrompt la prescription: la personne morale peut être
substituée à la personne physique par amendement, après l’expiration du délai de
prescription (Studio Gosselin Ltée c. Antoine Morisset Inc., 1975 C.S. 587),
surtout lorsque la personne physique s ’est comportée jusqu'à l'amendement,
comme le véritable défendeur.
L ’art. 2224 c.c. ne s'applique pas entre deux défendeurs à une même action.
En d ’autres mots, l’action d’un demandeur contre deux défendeurs qu'il prétend
responsables d ’un quasi-délit à son égard n’interrompt pas la prescription du droit
d’action que l'un des défendeurs prétend avoir contre l’autre défendeur pour les
dommages personnels qu’il aurait subis et qui sont fondés sur la cause d'action
invoquée par le demandeur (Girard c. D anis, 1975 C.S. 813; Beauchamp c.
Poirier, 1976 C.P. 187, juge Brassard). Cette distinction s’imposait forcément, à
notre avis.