Paul Parfait, Le Dossier Des Pèlerinages

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818
ivy- 1335204

LE DOSSIER

DES

PÈLERINAGES
VILLE DE LYON
Biol, on Palain den
DU MÊME AUTEUR :

L'ARSENAL DE LA DÉVOTION
NOTES FOUR SERVIR A L'HISTOIRE DES SUPERSTITIONS.

Septième édition. Un volume in- 18, 3 fr.

Paris . —Alcan-Lévy, imprimeur breveté, 61 , rue de Lafayette .


LE DOSSIER

397618
DES

PÈLERINAGES

SUITE DE

L'ARSENAL DE LA DÉVOTION

PAR

PAUL PARFAIT

3e ÉDITION

BIBLIOTH
DE LA
VILLE DE PARIS
LYON
CHEZ TOUS LES LIBRAIRES

1877
Tous droits réservés.
Ce volume peut se passer de préface.

La pensée qui l'a inspiré est la même qui nous

inspirait l'an dernier l'Arsenal de la Dévotion .

Dresser le bilan du cléricalisme, mettre en garde

les gens de bonne foi contre cette marée montante

de superstitions qui menace moins la philosophie


que le catholicisme lui-même , telle est l'œuvre que

nous avons voulu poursuivre. Tous les sérieux

esprits qui tiennent à séparer d'un grossier

fétichisme la religion dans laquelle ils placent

un espoir de régénération morale et de suprême


11

consolation ne peuvent que nous savoir gré de


l'avoir entreprise .

Ajoutons que les éléments de ce travail sont,

comme ceux de notre précédent volume, empruntés

aux auteurs les plus orthodoxes. Nous n'avons

fait, pour ainsi dire, que classer et relier par

un fil les documents qu'eux- mêmes voulaient bien

nous fournir. Il en résulte qu'avant de s'indigner


contre nous, les meneurs du cléricalisme devront

d'abord briser leurs miroirs.

Avril 1877 .
LE DOSSIER

DES

PÈLERINAGES

COMMENT SE FONDE UN SANCTUAIRE


PRIVILÉGIÉ

Sanctuaires naturels et sanctuaires factices. Les lieux priv


légiés. - Comment on les connaît. - Statuettes indicatrices.
-Système moderne des apparitions. - La Salette et Lourdes.
- Imitateurs et parodistes : Saint-Palais, Saint- Bauzille, la
Voyante de Fontet, le Pontmain. Les Sanctuaires par re-
production Simili-Lourdes ; la grotte d'Oostakker. - Choix
d'un vocable. - La Vierge accordant sous un titre ce qu'elle
refuse sous un autre. - De la pluralité des vierges . - Le
Saint-Siége créant lui-même une hiérarchie parmi elles.
Flot d'indulgences variées ; les autels privilégiés ; les couron-
nements. - Grandeur et décadence des Vierges .

Tous les centres de piété, grands ou petits , englobés


sous la dénomination générale de sanctuaires, peuvent,
I
2 Le Dossier

je dirai mieux, doivent être partagés en deux classes


bien distinctes.
Les uns, ceux que j'appellerai les sanctuaires natu-
rels , nés des besoins d'une localité , se sont élevés sans
bruit, par la seule force des choses nécessaires , pour
répondre aux aspirations d'un groupe d'individus .
C'est l'humble clocher se dressant, en même temps
que la maison de ville et la maison de justice , en
même temps que la bibliothèque et l'école , par-
tout où se développe un nouveau centre d'activité
humaine . Respect à ces demeures de paix, où les
croyants peuvent s'agenouiller dans l'ombre et le
silence.
Mais il est d'autres sanctuaires, aussi turbulents que
ceux - ci sont calmes, aussi superflus que sont justifiés
ceux-ci . Nous les appellerons , si l'on veut, les sanc-
tuaires factices . Leur trait distinctif est de répondre
beaucoup moins aux besoins du public qu'aux besoins
de leurs fondateurs ou de leurs gérants . Ce sont des
enfants du hasard nés de l'occasion et servis par elle.
On ne saurait mieux les comparer qu'à ces plantes
parasites qu'un peu d'humidité fait éclore, et qui , en-
vahissantes de leur nature, accapareraient tout le sol
si l'on n'y prenait garde. Tant pis pour l'humble fleu-
rette qui poussait sur leur chemin : elle sera bientôt
étouffée . Ainsi de la pauvre petite église locale, partout
où s'élève un de ces temples tapageurs . Foin du sanc-
tuaire ignoré, place au sanctuaire qui fera parler de lui !
C'est une œuvre de superfétation, qu'importe ; elle n'a
d'autre utilité sensible que d'enrichir telle ou telle
des Pèlerinages 3

congrégation , bravo ! Et pour elle la Réclame em-


bouche toutes ses trompettes, pour elle le Saint-Siége
ouvre l'inépuisable trésor de ses faveurs .
Devant une inégalité qui choque, n'a-t-on pas le
droit de rechercher en quoi ces sanctuaires favorisés
justifient le bruit qui se fait autour d'eux , d'où ils
viennent, où ils vont, quel rôle ils accordent à la reli-
gion vraie ? Pour que des voix autorisées les recom-
mandent au public avec tant d'instances, les prières
sont-elles donc chez eux de meilleure qualité qu'ail-
leurs ? Sans hésiter , tout bon clérical répondra : « Oui . »
C'est une théorie maintes fois développée dans les
écrits ultramontains, que le ciel se plaît à nous exau-
cer plutôt dans certaines localités que dans d'autres :

« La sainte Église , sans doute, lisons- nous dans


l'Univers , sous la signature d'un chapelain d'hon-
neur du Saint - Père , sait et enseigne que Dieu est
esprit, qu'il est présent partout et partout également
près de nous , que par conséquent nous pouvons le
trouver, le prier et en être exaucé dans un endroit
comme dans un autre . Elle reconnaît cependant aussi
qu'il y a certains lieux privilégiés où Dieu et ses
saints se plaisent à répandre leurs faveurs avec une
libéralité plus grande. L'expérience en donne chaque
jour des preuves irrécusables . »

« De tout temps , dit encore un grand auteur ecclé-


siastique cité dans une notice sur Notre- Dame de

1. Numéro du 10 août 1875.


4 Le Dossier

Chartres , Dieu a marqué certains lieux spéciale-


ment destinés à recevoir les voeux des hommes . Il
faudrait avoir pour l'histoire de l'Église une incrédu-
lité qu'on n'a pour aucune autre, pour ne pas croire
que Dieu a voulu que ses saints fussent honorés plus
'spécialement en certains endroits , et que, pour attirer
les peuples, il n'y fasse des grâces qu'il ne fait pas
ailleurs. >>>

Donc , les naïfs seuls s'imaginent qu'on peut prier


Dieu avec autant de fruit partout. C'est un fait acquis
pour les dévots qu'il y a des lieux privilégiés . Reste
à savoir où ils se trouvent . On pourrait éprouver
quelque embarras à le déterminer, si fort heureuse-
ment la Vierge ne mettait une attention singulière à
les faire connaître. Je cite la Vierge, parce qu'il n'y en
a pas qui s'occupe plus qu'elle de se faire glorifier et
honorer. Quant au bon Dieu, tout le monde sait qu'il
n'en est plus question . Grâce au systême de l'inter-
cession , on peut se dispenser d'avoir affaire à lui ; on
implore la Vierge , qui sollicite son fils , qui obtient de
Dieu . Telle est la filière la plus recommandée , en dé-
pit du vieux proverbe : « Mieux vaut s'adresser à Dieu
qu'à ses saints . »
Il est à remarquer, du reste, que cette idée de dési-
gner soi- même les endroits où l'on veut se voir dresser
des autels, n'appartient pas en propre à la Vierge. Elle

1. Notice sur Notre-Dame de Chartres et son antique pèle-


rinage. Chartres, publication de l'œuvre des Clercs, in-32,
page 32.
des Pèlerinages 5

l'aura empruntée au paganisme , par inadvertance


sans doute . J'ouvre l'opuscule de Lucien Sur la
déesse syrienne et je lis :

<< Stratonice eut un songe dans lequel Junon lui


ordonnait de lui élever un temple à Hiérapolis et la
menaçait des plus grands malheurs en cas de désobéis-
sance. La reine n'a d'abord aucun égard à ce songe.
Mais ensuite, étant tombée gravement malade, elle le
raconte à son mari , apaise Junon et lui promet de lui
bâtir un temple. Dès qu'elle fut revenue à la santé, le
roi l'envoie à Hiéropolis avec une forte somme d'ar-
gent, etc... 1 >>

Remplacez « Junon » par « la Vierge , » et vous


croirez lire le récit de la fondation d'un de nos sanc-
tuaires à succès . Le songe , toutefois , est un procédé un
peu antique qui , par cette raison même , a dû être
remplacé. Au moyen âge, il a généralement cédé le
pas aux statuettes indicatrices .
Dans un endroit sauvage, le plus souvent derrière
un buisson, un berger découvrait , sur l'indication de
ses bêtes , une statuette miraculeuse . Emportée au
prochain village, la statuette se retrouvait le lende-
main , ô miracle ! au même endroit que la veille . On
la reportait à l'église, dont on fermait avec soin les
portes. Vaine précaution ! On pouvait constater le ma-
tin que la statuette était retournée à son lieu de prédi-
lection . Quand ce jeu de passe-passe s'était renouvelé

1. Lucien, trad. Talbot, t . II, p. 449.


I.
6 Le Dossier

deux ou trois fois, alors il n'était plus douteux que la


Vierge ne voulût positivement qu'on lui construisît
un sanctuaire à l'endroit indiqué, et le clergé se met-
tait à l'œuvre.
En variant les détails , ce thème peut servir à l'his-
toire d'un bon nombre de nos lieux de pèlerinage les
plus fameux. Ici , c'est une brebis, là , un bœuf que
le berger trouve « à genoux » devant la statuette avec
l'attitude du plus profond respect ; ailleurs, une voix
se fait entendre à la cantonade. Sur l'emplacement de
Notre - Dame des Vertus , dans le Périgord , les brebis
engraissent à vue d'œil tant qu'elles paissent sur le
tertre aride où la statuette est cachée. Quand on croit
avoir compris l'intention de la Vierge , une expérience
décisive est tentée. Au lieu de reporter pour la dernière
fois la statuette au village , on la dirige sur une autre
localité , dans un sens diamétralement opposé. Le
lendemain , la statuette se retrouvait dans ses ronces,
l'épreuve était concluante.
A Besse, en Auvergne , la Vierge, après s'être esqui-
vée deux fois, finit par se rendre aux supplications des
citadins avides de la conserver.

« Les habitants désolés , dit Mgr Guérin , emploient


la prière pour la retenir et s'engagent à faire dire à
perpétuité une messe au maître-autel tous les mercre-
dis de l'année. Leur vou. plut à la sainte Vierge et son
image resta parmi eux ¹ . »

1. Les Petits Bollandistes , vies de saints, par Mgr Paul


Guérin, camérier de Sa Sainteté Pie IX. 7° édit . Bar-le-Duc et
Paris, 1876, gr. in-8°, t . VII, p . 633 .
des Pèlerinages 7

Depuis, il y a eu compromis. L'image de Notre-


Dame de Vassivière reste les neuf mois d'hiver à
Besse et va faire la saison d'été, de juillet à octobre ,
sur la montagne .
A l'église de Laeken, près Bruxelles, on a montré
longtemps un cordeau dont la Vierge s'était servi,
disait-on, pour marquer elle-même les mesures du
temple qu'elle exigeait ¹.
Quand Marie ne se fait pas architecte , elle a des
moyens persuasifs pour activer la maçonnerie. Tandis
que la peste ravageait Marciac , elle fait savoir à une
femme du peuple que le fléau cessera si on lui élève ,
au lieu qu'elle indique , une chapelle . On hésite ;
l'épidémie augmente . Enfin ,

« On va en procession au lieu désigné par elle ; on


le bénit ; et , à peine a-t-on posé la première pierre , que
le fléau diminue d'intensité . A mesure que les murs
s'élèvent, il diminue encore , jusqu'à ce qu'enfin l'état
sanitaire ait repris son cours normal 2. »

Le sanctuaire de Fourvières offre, d'après le Mois


des Pèlerins, un très-curieux exemple de l'influence
anti - épidémique d'une chapelle à la Vierge :

<< En 1564 et 1581 , Lyon , privée de son sanc-


tuaire , fut ravagée par la peste . En 1586 , enfin l'autel

1. Petits Bollandistes, t. IX, p. 396.


2. Petits Bollandistes, t. V, p . 146.
8 Le Dossier

de Marie fut relevé sur la montagne et consacré le


21 août. Dès ce moment, la source des prodiges , qui
semblait interrompue, se rouvrit, et depuis elle n'a
cessé de couler sur cette cité privilégiée . » ( P. 83. )

Ainsi , suivant que le sanctuaire de Fourvières est


démoli ou reconstruit, voici la ville protégée ou non .
N'est-il pas fort singulier de voir le sort d'une ville
subordonné à l'adoration de la Vierge sur un point
désigné ? Il ne manque pas à Lyon d'autres églises où
les mêmes fidèles vénèrent la Mère du Christ et pro-
bablement dans les mêmes termes ; mais partout ail-
leurs qu'à Fourvières , leurs prières sont, à ce qu'il
paraît, d'un effet nul ou à peu près.
La question d'emplacement est parfois traitée par la
Vierge avec la minutie la plus étrange . En demandant,
au Laus , un temple à une petite bergère , Marie précise
d'une façon remarquable que ce n'est pas au lieu
même où elle apparaît, mais un peu plus loin, qu'il
faudra lui construire une église. « Mon fils , dit- elle,
veut que je sois honorée dans cette paroisse, mais non
pas dans ce lieu . » Puis elle indique à l'enfant l'autre
côté de la vallée . Et, comme deux impies se permettent
de railler des discours aussi invraisemblables , la
Vierge, ressemblant de plus en plus à Junon , leur en-
voie << un châtiment rigoureux et exemplaire » .
Au Guyaudet , diocèse de Saint-Brieuc, le curé, se
montrant de même incrédule aux paroles d'un paysan
qui lui communique les intentions de la Vierge, est
frappé de cécité. Mais je vous demande un peu ce que
des Pèlerinages 9

vous auriez pensé, à la place de ce brave homme de


curé, si l'on fût venu vous raconter que la Vierge ,
voulant être honorée dans un lieu voisin , en avait
donné la preuve en fournissant , avec une cuillerée de
farine, des crêpes pendant plusieurs jours à toute une
famille ¹ .

Les procédés un peu raides de la Vierge sont, en


même temps que son système d'injonctions , adop-
tés par les autres bienheureux. L'archange saint Mi-
chel , voulant manifester au futur saint Aubert le
désir d'avoir une église au sommet du mont Tombe,
lui apparaît jusqu'à trois fois sans le persuader. Alors
l'archange se fâche , et il envoie à son futur collègue
un tel coup de pouce dans la tête , qu'au sortir de sa
vision saint Aubert se trouve avoir « un creux pro-
fond à l'endroit touché ² >> . On montre encore à
Avranches, sur le crâne du saint, la dépression qu'y a
laissée le doigt irrité de l'archange.

1. « En passant près de la fontaine du Guyaudet, il lui


semble entendre une voix ; il regarde et voit sur le bord de la
fontaine une petite statue de Marie. Il en conclut que la Mère
de Dieu veut qu'on lui bâtisse une chapelle en ce lieu ; et la
sainte Vierge, pour lui prouver que telle est en effet sa volonté,
lui ordonne de dire à sa femme de ne prendre qu'une cuillerée
de farine pour faire des crêpes à toute sa famille. La femme
obéit, et cette petite quantité de farine fournit abondamment
de la nourriture à tous pendant plusieurs jours. » Petits Bol-
landistes, V, 151 .
2. Mois des Pèlerins, par le père Antoine. Paris, Périsse,
in-32, p . 300.
10 Le Dossier

Autres temps, autres modes de persuasion . Le pro-


cédé un peu naïf des statues qui reviennent sur leurs
pas pendant la nuit pour marquer l'endroit précis où
elles entendent qu'on les honore , est depuis longtemps
complétement abandonné. Aujourd'hui, tout sanctuaire.
ayant la prétention d'attirer les foules , ne saurait devoir
son origine à autre chose qu'une apparition . Est-ce un
progrès ? C'est au moins un changement. Quant au
niveau de la crédulité humaine , on peut se convaincre ,
par l'historique de nos lieux de pèlerinage les plus
achalandés, qu'il n'en a pas été sensiblement modifié.
Le fait de la Salette est assez connu pour que je
puisse me borner à le rappeler en quelques mots .
Deux enfants le berger Maximin , âgé de onze ans,
et la bergère Mélanie, âgée de quatorze ans, ren-
contrent sur la montagne solitaire de la Salette une
« belle dame »D en larmes, revêtue du plus singulier
accoutrement bonnet pointu recourbé en avant, ta-
blier jaune, fichu blanc bordé d'une couronne de roses ,
autres roses aux chaussures , tenaille et marteau pen-
dus sur l'estomac . Cette dame leur tient un étonnant
discours, mi-patois, mi-français , qu'elle interrompt
pour leur confier à chacun séparément un secret, qu'ils
ne diront à personne , après quoi elle disparaît en leur
recommandant de faire connaître leur entrevue à tout
le monde .
Cette aventure est colportée dans le pays par les
deux enfants qu'on mène le dimanche matin au curé .
Au lieu de donner une semonce à ces galopins pour
leur apprendre à compromettre, par leurs propos , la
des Pèlerinages II

personnalité respectable de la Vierge , le curé lève les


bras au ciel, s'attendrit, et , sans perdre une minute,
monte en chaire pour apprendre à tous, aussi claire-
ment que l'émotion le lui permet, la grande nouvelle.

« Les sanglots entrecoupèrent sa voix , raconte le


père Berthier , et il ne fut pas entendu de tous ses
paroissiens ; mais chacun de se demander après la
messe ce qui était arrivé. »

C'est ainsi que la première sanction religieuse fut


donnée au fait devenu fameux de la Salette. On loue
beaucoup l'excessive prudence de l'évêque de Grenoble ,
qui a attendu cinq ans avant de se prononcer officielle-
ment sur le cas ; mais , si la donnée d'une apparition a
trouvé dans le clergé beaucoup d'adhérents aussi
chauds et surtout aussi prompts que M. le curé de la
Salette, l'excessive prudence de monseigneur a dû
être plus d'une fois mise à cruelle épreuve.

Somme toute, quand a paru le mandement doctri-


nal qui reconnaissait la Vierge elle-même dans l'in-
terlocutrice des deux enfants , la dévotion nouvelle
était déjà parfaitement établie. Ce mandement coupait .
court, on nous le fait remarquer , à toute réclamation
future :

« Désormais, dit le père Berthier en enregistrant

1. Notre-Dame de la Salette, son apparition , son culte, par


le P. Berthier, missionnaire de Notre-Dame de la Salette. Paris
et Grenoble, in- 18, p. 26.
12 Le Dossier

l'acte épicopal, la mission des enfants est finie, celle


de l'Église commence . Si à l'avenir ces enfants étaient
infidèles aux grâces qu'ils ont reçues (vulgairement,
s'ils se démentaient), le fait de la Salette n'en saurait
être ébranlé. » (P. 42.)

Le père Berthier ne hasarde pas cette supposition sans


motifs . Le jeune Maximin passe, en effet, pour s'être
rétracté près du curé d'Ars, dans un interrogatoire
que cet ecclésiastique lui fit subir . L'enfant a expliqué ,
depuis, que le curé était sourd et ne l'avait pas com-
pris . Or , le curé d'Ars était si peu sourd , qu'au dire
d'un de ses biographes , l'abbé Monnin, il devait, pen-
dant la nuit, envelopper sa montre dont le tic tac
l'empêchait de dormir. Quelques esprits conciliants,
en convenant que le curé n'était pas sourd , insinuent
qu'il a pu bredouiller. Quoi qu'il en soit, ce qui ne
fait aucun doute, c'est que le curé d'Ars , malgré sa
nature visionnaire, a tenu le fait de la Salette en fort
mince estime.

« Que s'est-il passé, demande l'abbé Monnin , entre


le curé d'Ars et Maximin ? Ce qu'il y a d'avéré pour
nous, c'est qu'après cette entrevue, M. Vianney refusa
de signer les images de la Salette et d'en donner des
médailles ; c'est comme cela qu'on apprit qu'il ne
croyait plus au miracle. Quand on lui demandait des
explications, il répondait invariablement : « Si ce que
l'enfant m'a dit est vrai , on ne peut pas y croire ¹ . »

1. Le curé d'Ars, vie de M. Jean- Baptiste-Marie Vianney,


des Pèlerinages 13

D'autre part , il est constant qu'une demoiselle


de Lamerlière s'est donnée plusieurs fois pour l'hé-
roïne de la Salette , et que les antécédents excentriques
de cette personne, d'une dévotion exaltée, rendent le
fait très vraisemblable . Nous ne voulons pas re-
chercher laquelle des deux hypothèses est la plus pro-
bable, ou d'un mensonge des enfants, ou de la comédie

par l'abbé A. Monnin , 12 ° édit. Paris, Douniol, 1874, gr. in- 18,
t. II, p. 203.
1. Mademoiselle de Lamerlière a poursuivi l'abbé Déléon et
le curé Cartellier pour l'avoir dénoncée dans leurs écrits comme
ayant joué le rôle de la Vierge à la Salette. Les considérants du
jugement qui déboute cette demoiselle de sa plainte, jugement
confirmé en appel, sont absolument écrasants pour l'affaire de
la Salette :
« Attendu qu'il ne saurait y avoir faute de la part des auteurs
pour avoir écrit ce qui se trouve dans leurs livres touchant la
demoiselle de Lamerlière, alors que celle-ci l'a rendu vraisem-
blable par ses actes , ses propos, suffisamment constatés dès à
présent...
» Qu'il faut bien, en effet, sous peine de rendre l'histoire im-
possible, leur reconnaître le droit de rendre compte des paroles
et des actions de ceux qui se sont trouvés mêlés aux événe-
ments qu'ils racontent ; que tout ce qu'on peut exiger d'eux,
c'est qu'ils n'abusent pas de ce droit, qu'ils n'accueillent pas
avec légèreté des rumeurs vagues, sans en vérifier l'origine et
la valeur ;
» Que, dans l'espèce, on ne saurait faire un semblable reproche
aux auteurs, car l'ensemble des faits qu'ils énoncent relative-
ment à la demoiselle de Lamerlière prouve jusqu'à l'évidence
qu'ils ne les ont accueillis qu'avec une entière bonne foi , après
un examen réfléchi , sans imprudence ni légèreté, et qu'ils ont
puisé dans des documents sérieux et des témoignages respec-
tables, etc. » Affaire de la Salette, recueillie et publiée par J.
Sabbatier. Paris, Borrani, 1857 , gr.in- 18 , p . 14 .
2
14 Le Dossier

d'une excentrique . L'un et l'autre fait se concilient


d'ailleurs parfaitement. Une enquête de l'autorité
civile eût pu seule éclairer la prétendue apparition
d'une complète lumière . Mais la solution que nous
refuse un contrôle insuffisant, le bon sens heureuse-
ment nous la donne . Portant le cas tout droit au
tribunal de la raison, il est bien simple de se de-
mander : « Une manifestation divine peut-elle être
absurde ? Assurément non . Donc la manifestation de
la Salette , étant absurde, ne saurait être divine . » Cet
argument, qui rend superflu tous les autres, a de plus
cela de commode qu'il convient aussi bien aux évé-
nements de Lourdes et d'ailleurs qu'à ceux de la
Salette.
Est-il possible d'imaginer sérieusement que la
Vierge, voulant se révéler d'une manière éclatante à la
terre, choisisse précisément pour se montrer un en-
droit où il ne passe personne ; et qu'en possession d'un
secret que nul ne doit connaître , elle en vienne faire,
à chacun par moitié, la confidence à deux enfants
d'une intelligence bornée ?
Sur les vives instances de Mgr . de Grenoble , les pe-
tits pâtres se sont décidés, du reste, malgré la recom-
mandation expresse de la belle dame, à coucher ce
secret par écrit sur deux papiers , aussitôt scellés ,
qui ont pris mystérieusement le chemin du Vatican .
Les apologistes rapportent même que Pie IX , après
avoir lu la version d'un des pastoureaux , s'est écrié :
« Il y a ici la candeur et la simplicité d'un enfant, »> ce
qui est tout juste flatteur pour les propos attribués à
des Pèlerinages. 15

la Vierge. D'après M. de Geslin , aumônier du château


Saint-Ange, le souverain pontife aurait été beaucoup
plus explicite . Une lettre adressée par cet ecclésias-
tique à l'abbé Déléon , dit en propres termes :

« Le Saint- Père m'a répété deux fois de suite que le


prétendu secret des enfants n'en était pas un , que
c'était un mondo di stupidita ... Ce n'est pas à moi
seul que Sa Sainteté a fait cette confidence ; mais elle
l'a répété à plusieurs évêques français et prélats ro-
mains et étrangers ¹ . »

On pourra s'étonner après cela que Pie IX ait re-


connu le miracle implicitement , sinon d'une manière
officielle , du moins par les faveurs dont il a comblé le
sanctuaire de la Salette ; mais il est si commode d'ac-
cepter une dévotion que le succès consacre !
Au reste, le secret a cela pour lui que nul , en de-
hors de Pie IX , ne le connaît. Il n'en est malheureu-
sement pas de même du discours que la Vierge com-
mence en français , jusqu'au moment où , s'apercevant
que les enfants n'y comprennent rien , elle le continue
en patois... pour le finir en français, par inadvertance
j'imagine.
Il faut une foi à toute épreuve pour admettre
que la reine du ciel , résolue à produire ici - bas un
grand effet, n'a rien trouvé de mieux à dire que :

<< Je vous ai donné six jours pour travailler, je me suis

1. Affaire de la Salette, p . 182,


16 Le Dossier

réservé le septième , et on ne veut pas me l'accorder ;


c'est ça qui appesantit tant le bras de mon Fils .
» Ceux qui conduisent les charrettes ne savent pas
jurer sans y mettre le nom de mon Fils . Ce sont les deux
choses qui appesantissent tant le bras de mon Fils .
» Si la récolte se gâte, ce n'est rien que pour vous
autres. Je vous l'ai fait voir , l'année dernière, par la
récolte des pommes de terre, vous n'en avez pas fait
cas. C'est, au contraire, quand vous en trouviez de
gâtées, vous juriez, vous mettiez le nom de mon Fils .
Elles vont continuer à pourrir , et à Noël il n'y en aura
plus ...
› Si vous avez du blé , il ne faut pas le semer . Tout
ce que vous sèmerez , les bêtes le mangeront ; ce qui
viendra , tombera en poussière quand vous le battrez .
» Il viendra une grande famine . Avant que la fa-
mine vienne, les enfants au-dessous de sept ans pren-
dront un tremblement et mourront entre les bras des
personnes qui les tiendront ; les autres feront pénitence
par la famine. Les noix deviendront mauvaises , les
raisins pourriront...
» Il ne va que quelques femmes âgées à la messe.
Les autres travaillent le dimanche tout l'été ; et l'hiver
quand ils ne savent que faire, ils ne vont à la messe
que pour se moquer de la religion . Le carême , ils
vont à la boucherie, comme des chiens ... '1 »

On fait bien d'insister sur l'ignorance crasse des

I. Notre-Dame de la Salette, p. 13 .
des Pèlerinages 17

deux enfants qui entendent sans sourciller ces


choses ¹ ; on s'étonnerait autrement qu'ils n'eussent
pas demandé à la belle Dame si elle se moquait d'eux .
Mais comment d'ignorants enfants se fussent-ils ré-
criés devant ce langage, quand il s'est trouvé des mem-
bres éminents du clergé pour le déclarer merveilleux !
On a été jusqu'à écrire des volumes à seule fin de
montrer l'étonnante exactitude des prédictions de la
Salette . Tels ont noté, par exemple, avec un sérieux
imperturbable , qu'en 1852 les noix avaient été en
effet malades dans le Dauphiné, sans se préoccuper si ,
avant ou après cette époque, les récoltes n'y avaient pas
été d'une richesse exceptionnelle . Les mêmes font ob-
server triomphalement que la maladie de la vigne
' s'est, depuis 1851 , répandue en France et dans toute
l'Europe. Ce n'est plus seulement le Dauphiné , c'est
l'Europe entière que viseraient alors les prédictions de
la Salette ; mais, en ce cas, il importerait de remarquer
que l'année où les Dauphinois n'avaient que de mau-
vaises noix, beaucoup d'autres Européens, dont pas
mal de Français, se régalaient de noix excellentes...

I. « A onze ans , dit de Maximin le P. Berthier, cet enfant était


d'une grande ignorance. C'est à peine si son père avait réussi
à lui apprendre le Pater et l'Ave, qu'il lui avait fait cependant
répéter pendant trois années . » Notre-Dame de la Salette, p. 7.
D'autre part, la supérieure des religieuses de Corps, à qui Méla-
nie avait été confiée, disait d'elle : « Depuis un an, Mélanie n'a
encore pu apprendre à réciter par cœur les actes de Foi , d'Espé-
rance et de Charité, quoique je les lui aie fait dire deux fois par
jour. » La Salette à tout le monde. Toulouse, Resplandy , in-32 ,
P. 17.
2.
18 Le Dossier

Je m'arrête ; car la plume répugne à relever de sem-


blables niaiseries .
Et non - seulement le discours de la Vierge est car-
rément traité d'admirable , mais , dans sa profondeur
même, on n'hésite pas à reconnaître un signe manifeste
de la réalité de la divine présence :

« La manière admirable, dit le père Berthier, dont


le discours de la divine Messagère révèle les plaies de
notre siècle, a paru à un illustre prélat, et paraîtra aux
esprits sérieux, une des preuves les plus péremptoires
de la vérité de l'apparition ' . »

L'illustre prélat en question est Mgr de Ginouilhac,


archevêque de Lyon . Hâtons-nous d'ajouter, à l'hon-
neur de l'épiscopat français , que le prédécesseur de ce
prélat a fait un tout autre accueil au miracle de la
Salette . Au mandement doctrinal de son suffragant
qui déclarait l'apparition <« indubitable, » le métropo-
litain , Mgr de Bonald répondait par cette sévère ad-
monition aux curés de son diocèse :

« Nous défendons de publier en chaire, sans notre


permission, le récit d'un fait miraculeux , quand bien
même l'authenticité en serait attestée par un évêque
étranger. Dans deux ou trois de nos . paroisses ,
messieurs les curés ont cru pouvoir lire en chaire le
mandement d'un évêque d'un autre diocèse , au sujet

1. Notre-Dame de la Salette , p . 20.


des Pèlerinages 19

d'un miracle, sans nous avoir consulté ; c'était là un


acte irrégulier .
>> Vous aurez soin , mes chers coopérateurs , de
mettre les fidèles en garde contre ces publications
journalières de miracles, de prophéties , d'images , de
prières, qui peuvent être pour les marchands cupides
une source de profits illicites, mais qui sont pour la
religion un sujet de douleur et de crainte ¹ . n

Ne semble- t-il pas qu'à travers ces lignes indignées


on entende résonner l'écho de ce fouet vengeur dont
le divin Maître cinglait le dos des vendeurs du
temple ?
Déjà l'eau de la Salette se débitait en flacons , car à
l'apparition de la Vierge s'était jointe l'apparition d'une
fontaine, non pas tout à fait miraculeuse , attendu.
qu'elle existait auparavant ; seulement, d'intermittent,
son débit est devenu continu . L'Affaire de la Salette
nous apprend que des travaux ont été faits « pour en
augmenter le volume. » ( P. 327.)
Aujourd'hui Mélanie est en Angleterre, au fond d'un
couvent ; Maximin , plus rebelle à entrer dans les
ordres , est mort après une existence que le Pèlerin ,
lui-même, qualifie d'un peu déclassée . Il a fait assez
obscurément de la médecine, et, avec un éclat passa-
ger, il a produit une liqueur de table , la Liqueur de la
Salette, dont s'est un moment amusée la galerie .
Depuis sa mort, on commence à entourer son nom

1. Affaire de la Salette, p. 328.


20 Le Dossier

d'une auréole, et je ne serais pas étonné que ce fût un


des saints de l'avenir. Les pèlerins, venus à Corps en
1876, ont tenu à visiter sa tombe et , sur la proposi-
tion du père Bailly, leur conducteur, ils lui ont sous-
crit, d'enthousiasme, une croix de pierre . Avant qu'ils
tressent à sa mémoire d'autres couronnes , je me per-
mettrai de leur rappeler, avec un écrivain religieux ,
M. Jean Darche, l'opinion de Mgr Dupanloup sur le
confident de la Vierge :

• D'après des données certaines et la juste apprécia-


tion de Mgr Dupanloup , Maximin n'avait rien en son
extérieur qui pût porter à faire croire que la Vierge
Immaculée lui était apparue, tout en lui repoussait :
manières dures , impolies , légèreté, finesse , étourderie,
méchanceté même, tels sont quelques-uns des défauts +
de Maximin qui ont donné lieu au très savant évêque
d'Orléans de déclarer que, de tous les enfants qu'il
avait vus en sa vie , il en avait vu peu ou point qui lui
aient laissé une aussi triste impression '. »

Le portrait n'est pas long, mais il est suffisant.


L'héroïne de Lourdes , Bernadette, est encore une
enfant. On nous la peint de même comme assez bor-
née, mais de plus comme faible de constitution , mala-
dive, et peut-être un peu plus portée à la dévotion
que les enfants de son âge. »

1. Vie nouvelle du curé d'Ars et de sainte Philomène, par


Jean Darche. Paris, Palmé, 1865 , gr. in- 18, p. 203.
des Pèlerinages 21

Elle avait quatorze ans lorsqu'un jour, le jeudi gras


de l'année 1858 , ayant été ramasser du bois mort sur
les bords du Gave, avec deux autres fillettes , elle entre-
vit tout à coup ou crut entrevoir, dans le creux d'une
roche, une Dame vêtue de blanc et la taille ceinte d'une
écharpe bleue. Que Bernadette eût été le jouet d'une
illusion ou qu'elle eût vu réellement la Dame en
chair et en os de certaines chroniques, il importe peu .
Toujours est-il que l'enfant rentre chez elle l'esprit
frappé et ne pense plus qu'à la Dame mystérieuse qui
a échappé aux regards de ses compagnes. Elle veut la
revoir à toute force ; elle le veut tant, que, lors d'une
seconde visite aux roches Massabielles, elle la revoit
en effet, tandis que les enfants qui l'ont suivie ouvrent
inutilement de grands yeux .
Quel prestige y a-t- il là-dessous? Bernadette a lancé
de l'eau bénite contre la roche pour faire fuir l'appa-
rition , si elle était l'œuvre du Malin , et l'apparition n'a
point fui. Une troisième fois , elle se rend à la roche
avec une dame et une demoiselle qui , précaution
charmante ! ont emporté du papier, de l'encre et des
plumes pour prier l'apparition de se faire connaître ;
mais la Dame, que Bernadette continue seule à voir,
refuse l'autographe demandé. C'est fâcheux pour les
collectionneurs ; cet autographe eût fait prime à la
salle des Bons - Enfants . La Dame aime mieux faire
prendre à Bernadette l'engagement de revenir la trou-
ver dans ce lieu écarté pendant quinze jours , non pas
seule , mais en compagnie, car elle désire « y voir du
monde. » Et, dans le même temps, l'enfant remarque
22 Le Dossier

que le regard de l'inconnue se repose avec complai-


sance sur celle de ses deux compagnes « qui n'était pas
mariée ¹ . D

A dater de ce moment, la petite ville de Lourdes as-


siste tous les jours au spectacle le plus bizarre et le plus
affolant . Chaque matin, la fillette se rend à la grotte, et ,
devant un cercle de plus en plus considérable d'hébétés
et de curieux , elle se livre à des colloques qu'on n'en-
tend pas avec une personne qu'on doit se borner à de-
viner. Tantôt immobile , l'oeil fixe , elle semble ravie
dans une contemplation mystérieuse, tantôt se traî-
nant à terre , baisant le sol , se suspendant aux roches ,
elle étonne par les exercices les plus inattendus ; et le
Gave, peu familier jusque- là avec les badauderies hu-
maines, peut contempler ceci : des gens qui viennent
voir une enfant qui croit voir quelque chose.
Dans ses entretiens avec la Dame , Bernadette en
reçoit bientôt trois secrets, deux de plus à elle seule
que les bergers de la Salette ensemble ! Et la dame,
heureusement pour les hôteliers de Lourdes , ne se
borne pas à ces confidences que personne ne doit con-
naître : « Allez dire aux prêtres que je veux que l'on
m'élève ici une chapelle . » Voilà le grand mot lâché.
Bernadette va transmettre les ordres de la Vierge à
M. le curé. M. le curé hoche la tête comme un homme

I. ( Elle te regarde en ce moment, dit la Voyante à Antoi-


nette.
» Celle ci fut toute saisie de cette parole, et depuis cette époque
elle vit de ce souvenir. » Notre-Dame de Lourdes, par Henri
Lasserre. 90e édit. Paris, Palmé, 1877, gr. in - 18 , p . 43 .
des Pèlerinages 23

qui ne voudrait pas s'engager à la légère dans une


affaire délicate. « Si c'est vraiment la Vierge qui te
parle, prie-la donc, en témoignage de son pouvoir, de
faire fleurir le rosier fané qui se trouve au pied du
rocher. » L'enfant transmet la demande de son curé
et le rosier reste fané comme devant. Un autre que
l'abbé Peyramale en eût été démonté ; mais l'enfant
rapporte que la Dame a souri .

« Ce sourire est en ma faveur, dit l'abbé Peyramale ,


la sainte Vierge n'est pas moqueuse. Si j'avais mal
parlé, elle n'aurait pas souri ; elle se serait apitoyée sur
mes raisons . Elle a souri ; donc elle approuve¹ . »

On n'a pas plus de philosophie que ce bon curé!


A quelque temps de là , l'enfant, dans le cours d'une
de ses extases, va , au fond de la grotte, gratter le sol,
d'où s'échappe, nous dit-on , une eau bourbeuse. Elle
boit cette eau mêlée de terre , se lave (?) avec , et
mange un peu de l'herbe qui pousse auprès , le tout
sur l'invitation de la Dame, qui ménage, paraît- il, à
ses élus d'étranges récréations. Vous voyez poindre la
fameuse source. Les curieux se précipitent ; ils fouil-
lent le trou , l'élargissent , et s'étonnent que l'eau
arrive plus abondante. Le merveilleux , si j'en
crois le narrateur officiel , c'est que cette eau surgisse
dans un coin desséché. » Or , si l'on se reporte au
propre récit de M. Lasserre ( p . 121 ) , on y voit que
l'herbe qui tapissait cette partie desséchée de la grotte
1. Henri Lasserre, p. 11.
24. Le Dossier

et que mangea l'enfant , n'était autre que «< cette herbe,


de la famille des saxifragées , que l'on nomme la
Dorine . Imprudent narrateur, que ne consultait-il
un naturaliste avant d'écrire ! Ce naturaliste lui eût
appris que la Dorine, autrement cresson doré, cresson
de rocher, et dans la langue savante : chrysosple-
nium , est une plante exclusive aux terrains humides.
M. Lasserre peut s'en convaincre en ouvrant toutes
nos flores françaises, et notamment celles des Pyré-
nées . Philippe donne pour habitat de la Dorine :
<< Lieux humides de toutes les basses vallées ¹. >>
Et Picot de La Peyrousse :
« Près des sources sous -Alpines 2. »
Près des sources, il me semble que cela est signifi-
catif 3.

Pour le coup, le curé, qui a le droit d'ignorer s'il


existait préalablement quelque écoulement d'eau dans
la grotte , ne doute plus de l'apparition . Songez donc !
On demande de sa part une chose à la Vierge et il en
arrive une autre. Comment ne serait-il pas convaincu !
Il aurait d'autant moins de raisons de ne pas l'être
que la Dame répète à plusieurs reprises qu'elle veut

1. Flore des Pyrénées, par Philippe. Bagnères-de-Bigorre,


1859, in-8°, t. I, p . 360 .
2. Histoire abrégée des plantes des Pyrénées , par Picot de
La Peyrousse. Toulouse, 1813 , in-8°, p . 223 .
3. Dans le cas où M. Lasserre ne se tiendrait pas encore pour
convaincu, il pourra consulter comme nous le très-consciencieux
chef de l'École de botanique au Jardin des Plantes, M. Verlot,
qui lui affirmera par expérience que, privée d'humidité, la
Dorine périt infailliblement.
des Pèlerinages 25

là une église . Et pour que l'aventure soit ridicule.


jusqu'au bout, la Dame, tenant à ce qu'on ne se
trompe pas sur sa personnalité, termine sa dernière
entrevue avec Bernadette, par un aveu aussi bizarre
que malséant . « Je suis l'Immaculée - Conception , »
lui dit-elle. L'enfant a déclaré qu'elle n'avait pas
compris cette locution barbare : c'est fort heureux.
J'espère qu'on aura respecté assez sa candeur pour ne
pas la lui expliquer.
Apprenons à ceux qui s'étonneraient de voir bap-
tiser une personne du nom d'un fait , que la consécra-
tion divine du dogme de l'Immaculée-Conception ,
promulgé depuis peu , etait impatiemment attendue
par le parti catholique :
« On attendait , dit le comte Lafond , qu'un miracle
répondît à la voix de Pie IX . » La Vierge n'aura pas
pensé pouvoir faire mieux pour son vicaire que de
s'affubler du sobriquet de Conception immaculée.
Pie IX lui a répondu depuis par une couronne . Juste
échange de bons procédés.
M. Lasserre, qui connaît la maxime Is fecit cui
prodest, s'efforce de montrer que le clergé a été tout à
fait en dehors de cette aventure . Je le crois d'autant
plus volontiers, en ce qui concerne les personnages en
vue, qu'ils ont coutume d'attendre, avant de recom-
mander une dévotion , qu'elle ait déjà fait son chemin.
toute seule. C'est ce qu'on nomme « leur excessive
prudence. »

« L'évêque, Mgr Laurence, homme de Dieu, avancé


3
26 Le Dossier

en âge, dit M. Louis Veuillot, attendait, étudiait et


ne disait pas sa pensée. »

Pour tous les lecteurs impartiaux des dix-huit en-


trevues de Bernadette avec la Dame invisible , l'état
cérébral de l'enfant ne peut faire aucun doute. Il fau-
drait se fermer volontairement les yeux pour ne pas
reconnaître dans cette fillette maladive , qui voit ce que
personne ne voit , qui entend ce que personne n'entend,
une véritable hallucinée. Tous les spécialistes vous
diront que les deux illusions de l'ouïe et de la vue
sont les plus fréquemment accouplées . Un fait donné
comme merveilleux vient en quelque sorte transfor-
mer en certitude ce qui pouvait n'être jusque- là
qu'une supposition . Dans une de ses extases devant la
grotte, Bernadette laissa , sans s'en apercevoir, ses
mains jointes s'arrêter quelque temps sur la flamme
d'un cierge. On cria : « Au miracle ! » Et les hommes
de science s'écrieront : « Réalité, tu m'apparais ! » car
aucun d'eux n'ignore l'effet d'insensibilité , autrement
dit d'anesthésie dont l'extase est le plus souvent accom-
pagnée . Il n'est personne qui n'ait été plus ou moins à
même d'en faire l'expérience sur les somnambules ,
qu'on peut impunément flamber ou larder d'épingles.
Faut- il , pour convaincre le lecteur qui douterait
encore, insister sur l'état de santé de Bernadette,
asthmatique dans sa jeunesse ¹ , aujourd'hui malade en

1. Même quand l'asthme n'est pas de sa nature essentielle-


ment nerveux, il s'accompagne encore d'accidents nerveux et en
occasionne.
des Pèlerinages 27

permanence au couvent des Ursulines de Nevers , où


on l'a fait entrer. Il est malheureusement constant que
cette pauvre fille à qui l'on doit l'eau de Lourdes
qui guérit les autres - est presque perpétuellement
en proie à d'effrayantes crises de nerfs. Le bruit de sa
mort ayant couru l'an dernier, la Semaine religieuse
de Grenoble démentit la nouvelle dans un article où
l'on peut lire :·

<«< Depuis une année bientôt, Bernadette, en reli-


gion sœur Marie- Bernard , est dans un état de santé
déplorable. Les organes de la digestion ne fonc-
tionnent que par intermittence. Pendant des mois.
entiers , elle est en proie à des crises douloureuses qui
se succèdent presque sans relâche, suivies fréquem-
ment de vomissements de sang. Malgré sa résignation
chrétienne et son courage , il lui est impossible de
maîtriser les cris que la douleur lui arrache. En temps
normal, des hoquets stridents, continuels , s'entendant
à plus de cinquante pas du lieu où elle est couchée,
s'échappent de sa frêle poitrine ¹ . »
>

Sur ces renseignements, que la Semaine religieuse


de Grenoble tient assurément de bonne source, il est
impossible qu'un seul médecin hésite à reconnaître
les signes les plus manifestes de l'hystérie, dont l'hal-
lucination est une des compagnes ordinaires.
Confier cette malade aux soins des médecins était

1. Le Pèlerin , 4° année, p. 270.


28 Le Dossier

une conduite toute indiquée. Comment donc le maire


de Lourdes ne put-il , en dépit du désir que lui avait
manifesté le préfet , diriger la jeune hallucinée sur
l'hospice de Tarbes ? C'est qu'il rencontra devant lui
l'opposition implacable du curé de Lourdes. M. Henri
Lasserre , le naïf historiographe du fait pyrénéen ,
nous raconte lui-même comment l'abbé Peyramale
déclara vertement « qu'on lui passerait sur le corps ,
qu'on le foulerait aux pieds » (p . 225 ) , avant d'emme-
ner Bernadette. Pour éviter un scandale, l'autorité
s'abstint.
Ce qui ne laisse pas d'être curieux, c'est que le
même historiographe, venant à parler un peu plus
loin d'enfants qui prétendaient à leur tour avoir des
visions comme Bernadette, nous montre l'énergique
curé faisant cesser en un clin d'œil ces visions intem-
pestives.

« M. le curé de Lourdes se hâta , dit M. Lasserre ,


de chasser honteusement du catéchisme les enfants
visionnaires, en déclarant que, si de pareils faits se
renouvelaient une seule fois , il saurait faire lui- même
une enquête sévère et découvrir les véritables instiga-
teurs.
» L'attitude et la menace du curé produisirent , con-
tinue M. Lasserre, un effet subit et radical . Les
prétendues visions cessèrent net et il n'en fut plus
question. » ( P. 305. )

Il est impossible de ne pas être frappé de la diffé-


des Pèlerinages 29

rence d'attitude de M. le curé de Lourdes, suivant


qu'il croit le miracle local menacé par la disparition
de Bernadette ou par l'excès de zèle de ses jeunes
compatriotes .
M. Lasserre prend soin d'insinuer, à vrai dire , que
les visions des enfants pourraient bien leur avoir été
inspirées par la police locale , qui prisait peu l'aven-
ture ; mais cette insinuation , des moins vraisemblables ,
n'est étȧyée par aucune preuve. En revanche, nous
remarquons qu'à propos d'autres visions inspirées
dans le même temps « à quelques filles de Lourdes
d'une haute vertu , parmi lesquelles une sainte ser-
vante vénérée de tous » (p . 200) , M. Lasserre ne
songe plus à mettre la police en cause.
Pour parler franc , les visions des saintes filles pou-
vaient, aussi bien que celles des enfants du catéchisme,
être fort réelles . Ce n'est pas impunément que les nerfs
d'une population sont secoués pendant deux ou trois
semaines par le spectacle que lui donne publiquement
une hallucinée . La science a maintes fois consigné
cette observation , non-seulement que les crises de
nature nerveuse sont aisément, contagieuses , mais
encore qu'on peut en avoir raison par la menace.
Zimmermann rapporte ce cas très - caractéristique
d'enfants qui , par imitation , se transmettaient de l'un à
l'autre des attaques spasmodiques . Pensant avec raison
que c'était à l'imagination , seule cause du mal , qu'il
fallait s'attaquer, Boerhave eut l'idée de faire amener
les enfants dans une salle où des fers étaient au feu ,
annonçant que le premier qui serait attaqué tendrait
3.
30 Le Dosssier

son bras nu au fer rouge . Inutile d'ajouter que l'épi-


démie nerveuse cessa aussitôt¹ .
M. Lasserre , lui , ne s'étonnerait pas que le diable ,
jaloux des su ccès de Bernadette , ne fût pour quelque
chose dans les pseudo - visions qui tentèrent de faire
concurrence à la sienne . Du reste , il n'insiste pas .

« Ces divers faits , assez mal observés à l'époque, dit-


il négligemment , n'ont point (maintenant surtout que
la mémoire en a oublié certains détails) une précision
assez rigoureuse pour que nous leur ouvrions les
portes de l'Histoire . »

Voyez la coupable négligence de ceux qui , observant


si minutieusement le cas de Bernadette , oublient
d'observer les cas analogues qui se produisent dans le
pays . Il en résulte que M. Lasserre n'ouvrira pas aux
faits mal observés les portes de l'Histoire, et cela est
triste. Il eût été curieux de savoir quelle part précise
revenait en cette affaire au diable , quelle part à la
Vierge ; j'hésiterais à ajouter et quelle part aux
hommes , si M. Louis Veuillot ne m'y autorisait un peu
dans les lignes suivantes :

« Nous savons tout ce que disent dans leurs feuilles


Chopin, Falempin , Galvaudin et Meurt-de- Faim . Ils
broutent encore Guéroult épuisé , ils font rage , ils
disent toujours qu'il n'y a pas de miracle. Intérieu-

1. Essai critique sur le merveilleux en médecine, par le doc-


teur Lamouroux. Paris, 1865, in-4º, p . 25.
des Pèlerinages 31

rement pourtant, ils doivent convenir que Lourdes est


une affaire bien montée¹ . »

Une affaire bien montée ! j'en conviens . Je suis


même enchanté de me trouver là-dessus , une fois
par hasard, d'accord avec M. Louis Veuillot.

Après l'immense succès de Lourdes , succès qui a


presque compromis celui de la Salette , il semblait ,
qu'en matière d'apparition , on pût tout oser ; aussi
avons-nous vu de nombreuses rivalités se produire .
Mais il n'y a rien de capricieux comme la chance . Avec
les mêmes éléments, on obtient des millions en deçà
du Gave et des pommes cuites au delà . L'évènement
de Saint-Palais l'a bien montré.
Saint-Palais est un gros bourg situé sur le chemin
de Bayonne à Mauléon . Les scènes bizarres qui atti-
rerent un moment l'attention du public sur cette
localité perdue ne sauraient être sorties de toutes les
mémoires. On racontait qu'un enfant de douze ans ,
Jean Lamerenx , avait rencontré deux fois de suite
dans la campagne une « belle dame » -— naturellement !
-
laquelle lui demanda , lors de leur seconde entrevue ,
de réciter les litanies de la sainte Vierge et une dizaine
de chapelet ; après quoi , elle lui confia un secret qu'il
ne devait révéler à quiconque, - de plus en plus natu-
rellement ! ― puis lui recommanda de venir au même
lieu dix ou quinze jours de suite . Sur quoi l'enfant

1. Univers, juillet 1876.


1

32 Le Dossier

lui ayant demandé qui elle était , la belle dame répondit


d'abord en français , comme à Bernadette : « Je suis
l'Immaculée-Conception ; puis en basque , afin que
cette fois l'enfant comprit : « Je suis la Mère Vierge. >>
On ne pouvait pasticher Lourdes avec plus de décision .

<< A partir de ce jour , dit le Français , dont nous


suivons scrupuleusement la narration ' , le doyen de
Saint- Palais et ses vicaires , avertis , accompagnèrent
l'enfant dans ses visites . >>

Ici, nous devons relever l'erreur du Français. C'est


à tort que ce journal met en scène M. le curé de
Saint- Palais, lequel , il faut le dire à sa louange , s'est
toujours montré hostile à l'apparition . Le curé qui ,
par sa présence, a approuvé ces jongleries , est celui de
Béhasque , commune limitrophe qui fut le théâtre des
prétendues apparitions. L'affaire de Saint- Palais s'ap-
pellerait donc plus exactement, l'affaire de Béhasque ,
et mieux encore de Sardace , du nom de la lande que le
fait a rendue célèbre dans le pays.
Les détails dont s'est le plus amusée la galerie sont
ceux qui suivent . Je continue de citer le Français,
organe actuel du catholicisme libéral . Il est curieux
d'apprendre, par le sérieux avec lequel il accueille de
telles billevesées , où le catholicisme libéral est tombé.

<< Non loin du lieu de l'apparition coule un petit


filet d'eau . Après la seconde apparition , l'enfant , sur

1. Numéro du 20 juin 1876.


des Pèlerinages 33

la recommandation de la Dame , y courut , prit trois


petits cailloux , qu'il avala , et but de l'eau , recomman-
dant aussi d'en boire . La dame avait dit : Ce ruisseau
ne changera pas , mais il fera du bien . Une autre fois,
la Dame a béni un cierge que la foule , au témoignage
de l'enfant, fut invitée par elle à baiser. Enfin , l'enfant
l'ayant priée un jour de glorifier son nom et le nom
de son divin Fils par un miracle éclatant , la Dame ,
avec un sourire, répondit : Le dernier , dernier jour,
je dirai oui ou non . »

Pour le coup, ce n'est plus seulement un pastiche de


Lourdes, c'en est la charge complète !
Ajoutons , d'après un récit local ' , qu'à Sardace
comme à Lourdes , c'est à la suggestion du curé que
l'enfant réclamait un miracle qui n'eut pas lieu ; et
aussi qu'au cours des apparitions , auxquelles , comme
à Lourdes, une foule nombreuse assistait , l'œil dans le
vide (« Tu viendras si tu veux avec des compagnons ,
lui avait dit la Vierge, mais toi seul me verras » ) , le
jeune Lamerenx reçut de son interlocutrice un deuxième
secret.
La même narration spécifie encore que l'enfant pro-
dige engloutit non pas seulement trois cailloux , mais
quatre, qui passèrent «< comme de l'eau » . Nous laissons
à la grave Histoire , celle dont M. Lasserre garde

1. Les Apparitions de Saint-Palais, avec trois gravures des


nouvelles apparitions. Seul dépositaire, A. Barthabure, négo-
ciant à Saint-Palais. In-32 .
34 Le Dossier

les portes , à élucider le chiffre exact . Aussi bien


ignore-t-on le nombre de pousses de cresson
qu'avala Bernadette . Un point plus curieux , c'est qu'à
diverses reprises la Vierge nous est montrée récitant
son chapelet concurremment avec le gamin , lequel en
portait un «< dont M. le curé de la paroisse l'avait prié
de se servir . » Que vous semble de la Vierge se récitant
à elle-même force : « Je vous salue Marie , pleine de
grâces ? >>
A la dernière apparition , le 11 septembre - ces plai-
santeries, commencées le 10 avril, ont pu durer cinq
mois ! la Vierge, avisant une personne qui porte un
flacon d'eau bénite , demande à l'enfant de lui en
donner.

« L'enfant se retourne vers la personne , prend le


flacon , et verse une partie du contenu sur le doigt
que la Dame a placé à l'extrémité du goulot. L'assis-
tance voit cette eau sortir du flacon et tomber perpen-
diculairement par terre . Tous l'ont suivi des yeux jus-
qu'au même point, dans un trajet de trente - cinq cen-
timètres environ ; mais là , à quinze centimètres du
sol, ils ont en même temps cessé de voir l'eau dont il
n'a pas été d'ailleurs trouvé trace par terre . Jean ,
entendant faire cette observation après la disparition.
de la vision , s'est écrié naïvement :
Arrivée à ce point, l'eau est rentrée dans le
flacon . >>

Pendant qu'on récite des litanies , la Vierge fait le


des Pèlerinages 35

signe de la croix ; puis M. le curé interpelle l'enfant :


<< Donne-lui maintenant de l'eau bénite.- Non , non , »
répond le petit . Jean attend que la Vierge en rede-
mande, ce qui ne manque pas. La belle dame approche
encore une fois son doigt du goulot, et , pour clôturer
ses séances, fait un nouveau signe de croix «< avec une
majestueuse lenteur. »
Revenons à l'eau du ruisseau .

Tous les jours , raconte une autre brochure ¹ , des


groupes nombreux de pèlerins traversent Saint - Palais
pour aller boire de l'eau miraculeuse . « L'opinion
publique attribue en effet à cette eau de nombreuses
guérisons... Un épileptique , un sourd , un paralytique ,
un hydropique , une femme atteinte d'un cancer et
plusieurs autres malades doivent, dit-on, à la fontaine
de la sainte Vierge un rétablissement complet et subit. D»

Le Français n'énumère pas les malades , mais il


constate le fait :

« On parle de cinq ou six guérisons instantanément


opérées par l'eau du ruisseau voisin du lieu de l'appa-
rition , de ce ruisseau qui , sans changer, fera du
bien. »

Et quand il parle du ruisseau qui , « sans changer ,


fera du bien , n'allez pas croire que le Français

1. Les Apparitions de Saint-Palais. Pau , impr. veuve Vi-


gnancour , 1876, pet. in-8° .
36 Le Dossier

plaisante. Oh ! que non pas ! son sérieux est impertur-


bable.

« Les personnes graves , dit- il , suspendent leur


jugement , les unes avec une grande confiance dans la
réalité d'une apparition de la sainte Vierge , les autres
avec une réserve où l'étonnement domine ; toutes avec
l'impression que ces faits méritent autre chose qu'une
indifférence dédaigneuse . >>

Quant àl'évêque, il se tient coi comme à l'ordinaire,


tandis que certains prêtres ne dédaignent pas d'apporter
aux prétendues apparitions le concours de leur pré-
sence.

« Le clergé, dit le Français , observe, constate, re-


cueille les faits et prépare en silence les éléments d'une
décision ultérieure . >>

En attendant la décision , le pèlerinage s'organisait


comme nous venons de voir , et les publications du
cru nommaient déjà la Vierge « Celle qui sera peut-
être appelée un jour Notre-Dame de Saint- Palais » ?
lorsqu'un incident fâcheux est venu renverser trop tôt
les espérances de « certaines personnes graves. » Le
curé de Béhasque, ne se bornant pas à familiariser
ses jeunes catéchumènes avec la digestion des cailloux,
dut mettre précipitamment la frontière d'Espagne
entre la gendarmerie et lui . C'est un coup dont le pèle-
rinage aura de la peine à se relever. Mais aussi
comment la Vierge , qui a le choix , marque-t-eile
des Pèlerinages 37

sa prédilection pour une paroisse aussi tristement gérée !


Je ne sais où en est l'affaire de Saint- Bauzille,
mais celle-là non plus ne me paraît pas appelée
à un grand avenir, bien qu'elle ait pour réussir une
dose suffisante de ridicule. Par extraordinaire , le
héros de Saint- Bauzille n'est pas un enfant , c'est un
petit cultivateur ayant passé la trentaine. Le 8 juin
1873 , il bourrait prosaïquement une pipe dans sa
vigne, lorsqu'une figure blanche lui apparaît , debout
sur une souche, l'entretient de la maladie de la vigne,
se plaint de ce qu'on ne suit pas assez les pèlerinages
locaux et termine ainsi : « Vous planterez dans la
vigne une croix avec une Vierge. Dans un mois , je
viendrai vous remercier . » La Vierge n'aurait pas
commencé par se nommer, qu'à cette seule préoc-
cupation de se faire mettre en évidence , on l'eût
devinée.
Le vigneron plante la croix demandée et attend . Let
mois suivant, jour pour jour , heure pour heure, le
public averti s'est rendu en foule à proximité de la
vigne pour s'assurer de la fidélité de la Vierge au
rendez-vous . Ce que voit le public , vous le devinez . Il ·
voit le brave garçon qui , de très bonne foi, je veux le
croire , s'imagine contempler la Vierge. Tout à coup,
un des curieux ayant dit : « Voilà sept heures et demie
et rien ne paraît ! » — je suis pas à pas la narration
officielle le vigneron qui travaillait s'élance les bras

1. Apparition de la sainte Vierge à Saint-Bauzille-de-la-


Silve (Hérault). Récit authentique, suivi de la Neuvaine du Pè-
lerin. Popian, 1873 , in- 8°.
4
38 Le Dossier

étendus vers la croix , où il reste trois ou quatre minutes


<< dans une agitation extatique » . Là -dessus, transports
du public .

« On saisit le pauvre cultivateur , on l'enlève d'en-


thousiasme, on le presse, on l'étouffe ; il faut qu'un
riche négociant de Gignac, pour le ravir à ce délire de
la foule, le jette dans sa voiture et le conduise à Saint-
Bauzille. >>

C'est dans l'Hérault, à quelques lieues de Gignac,


que ces scènes fantastiques se passaient. Les caravanes
de pèlerins arrivèrent bientôt avec des malades, des
aveugles , des paralytiques . « Déjà , dit la notice , on
rapporte des guérisons surprenantes. » A défaut d'eau,
la Vierge, ayant oublié de faire apparaître une source,
on emporte de la terre ou des feuilles ramassées à l'en-
droit que l'apparition passe pour avoir effleuré.

<< Les feuilles et les ceps de cette vigne bénie sont


déjà répandus dans toute la contrée ; la terre enlevée
autour de la croix s'en va au loin servir à des applica-
tions pieuses sur des membres difformes ou des or-
ganes douloureux . »

D'après un autre récit , dont je renonce avec peine à


vous faire savourer le côté lyrique ¹ , voici les propos
transcendants de la Vierge à sa seconde apparition :

1. C'est un récit en vers intitulé : Apparition de la sainte


Vierge à Auguste Arnaud de Saint-Bauzille- de-la-Silve, par
L. Vaur. Montpellier, 1873 , in-8°.
des Pèlerinages 39

« Qu'on chante . Il ne faut pas travailler le di-


manche. - Heureux ceux qui croiront ! - Malheu-
reux ceux qui ne croiront pas ! Vous serez heureux ,
vous et votre famille . »

Les derniers mots de la Vierge au vigneron , lors de


leur première entrevue , avaient été ceux-ci :

Allez trouver M. Coste , le curé, et lui faire


part de ce que je vous ai dit . »

Il s'agissait d'organiser le pèlerinage . M. Coste , le


curé, paraît avoir fait ce qu'il a pu pour se rendre au
' vœu divin. Il a organisé des processions , ouvert des
listes de souscriptions pour l'érection d'une chapelle .
Je m'étonnerais fort que la brochure à laquelle nous
avons emprunté le récit de l'apparition , et qui con-
tient en outre une neuvaine à l'usage du pèlerin , n'eût
pas son approbation .

Chaque jour de nouveaux pèlerins affluent, dit


l'auteur anonyme ... N'allez pas dire à ces fidèles
croyants que les miracles sont impossibles , qu'Arnaud
est un halluciné, que la science explique aujourd'hui
tous les prodiges, vous perdriez le temps et la peine.
D'ailleurs , qu'en savez-vous ? Qui vous a dit que le Ciel
ne veut pas doter notre pays d'un pèlerinage célèbre ,
comme ceux de Lourdes et de la Salette, dont l'origine
est certainement plus modeste , plus obscure , moins
environnée de témoins sérieux que l'apparition de
40 Le Dossier

Saint-Bauzille ? Qui vous a dit que la sainte Vierge n'a


pas choisi ce lieu de préférence pour réveiller le senti-
ment religieux engourdi dans ces riches contrées vi-
nicoles ? Qui vous a dit qu'à l'heure où nous sommes
menacés de perdre la vigne, Dieu n'a pas voulu mon-
trer que le grand médecin de nos maux , le grand in-
venteur des remèdes est au Ciel , et que la prière est
plus efficace que tous les essais de la science humaine ? >>

Dans ce chaleureux appel en faveur de la Vierge de


Saint-Bauzille - la Vierge au phylloxera , - on re-
marquera le coup de patte à Lourdes et à la Salette.
Quoi ces deux sanctuaires devraient - ils vraiment
baisser pavillon devant la simple croix de Saint-
Bauzille ? Faudrait-il admettre que leur origine fut
« plus modeste » , que les témoignages relatifs aux ap-
paritions qu'ils consacrent furent « moins sérieux » ?
Dieu me garde, pour ma part , de ne pas accepter tous
ces lieux de pèlerinages pour aussi sérieux les uns que
les autres. Je ne veux voir, dans l'insinuation du nar-
rateur anonyme de l'apparition de Saint-Bauzille,
qu'un trait échappé à l'envie . Ah ! c'est que détrôner
Lourdes ou , tout au moins , s'y rattacher par quelque
point commun , est pour tous le suprême objectif.
Il y a à Fontet, dans la Gironde , une visionnaire,
la fenime Berguille, qui reçoit depuis plusieurs années
les visites de la Vierge , visites où , par parenthèse, il
est un peu trop souvent question du retour d'Henri V¹ .

1. En mai 1873, la Vierge, mal informée sans doute sur les


résultats prochains de la fusion , disait à Berguille : « Un chan-
des Pèlerinages 41

Marie n'a pas manqué, là aussi, d'exprimer à son in-


terlocutrice le désir de voir ériger sur le lieu de ses
apparitions une église . On rapporte même , à ce sujet ,
les paroles suivantes de la Vierge : « Lourdes est pour
la guérison des corps , Fontet sera pour la guérison des
âmes et la conversion des péc curs¹ . » De cette ma-
nière, Fontet se trouvait d'avance mis au niveau de
Lourdes , dont il devenait, en quelque sorte, le pen-
dant obligatoire.
Malheureusement, un avis récent de l'archevêque
de Bordeaux aux ecclésiastiques et aux fidèles de son
diocèse , leur interdit dorénavant la demeure de la
Voyante, qui était , depuis quatre ans, le but de ridicules
pèlerinages . Ce qui étonne , c'est que monseigneur de
Bordeaux ait mis si longtemps à s'apercevoir que les
célestes communications de la Voyante n'étaient qu'un
incroyable ramassis de sottises ; mais il ne faut pas trop
chicaner sur un fait louable , même quand il arrive un

gement dans le gouvernement va s'opérer sous peu et ce sera


en bien . Bientôt vous aurez un roi. »
En octobre, elle lui disait encore : « Henri V viendra et sau-
vera la France. Il n'arrivera point par le vote et les combinai-
sons des hommes. Les hommes ne le connaissent pas. Il vien-
dra par la main de Dieu . On le croit très éloigné du trône, et
il en est très rapproché. »
En décembre, la Vierge répétait : « Que l'on prie beau-
coup Henri V arrivera bientôt. » Et, comme on demandait à
Berguille d'expliquer ce bientôt, elle répondit : « La Vierge m'a
dit que son Fils l'avait décidé ; que lui seul savait l'époque. »
Almanach illustré du surnaturel , pour l'année 1875. Palmé,
in- 16, p. 24.
1. Almanach du surnaturel, p. 29 .
4.
42 Le Dossier

peu tard . Il serait encore à souhaiter que tous nos


évêques sussent, comme leur collègue de Bordeaux,
écarter à temps les malades ou les farceurs qui com-
promettent, par leurs écarts d'imagination , la dignité
de la religion catholique .
Je craindrais de fatiguer le lecteur en poussant plus
loin la revue de nos modernes apparitions ; mais com-
ment ne pas consacrer encore quelques pages au fait
du Pontmain, dont, le sanctuaire de fraîche date
paraît, à la suite de la Salette et de Lourdes, s'engager
dans la voie du succès .
Le Pontmain (Mayenne), diocèse de Laval, huit
cents habitants. Il est difficile de citer aucun de ces
lieux privilégiés sans quelques détails géographiques
indispensables, tant la Vierge affectionne pour s'y
manifester les endroits perdus. Au Pontmain , ce sont

quatre petits paysans , comme toujours , tous quatre
élèves des sœurs, - qui sont les uniques témoins de
l'apparition . La scène se passe le soir, par une belle nuit
étoilée, devant ia plaine blanche de neige . La date, 17
janvier 1871 , dit assez quel doit être l'état de surexci-
tation des esprits . Les Prussiens sont dans la Mayenne
et la dévote bourgade se confond en génuflexions et en
prières .
C'est l'aîné des enfants , âgé de douze ans , qui voit le
premier la Vierge en l'air au-dessus du toit d'en face.

Il communique le fait à une voisine qui ne voit rien .
Le père de l'enfant arrive, écarquille les yeux et ne
voit rien. Cet homme appelle sa femme, qui met ses
lunettes et ne voit rien. La mère fait venir sa bonne,
des Pèlerinages 43

qui ne voit pas davantage. On va chercher l'une des


sœurs adoratrices de la justice de Dieu qui dirigent
intellectuellement la jeunesse du pays ; la sœur déclare
ne rien voir . Cependant, le jeune frère du gamin assure
jouir de la même vision que lui . Les sœurs ont l'idée
d'aller chercher trois petites pensionnaires et de les
amener. Il y en a deux qui voient la Vierge au -dessus
du toit ; la troisième est dans le cas de tout le monde :
elle ne voit rien . On a expliqué depuis que c'était parce
que son père se conduisait mal ' . Cependant le curé
accourt avec un certain nombre de ses paroissiens . Il
prend langue et se met en observation. Rien ! Tous
les yeux, sauf ceux des quatre enfants , sondent inuti-
lement les pâles ténèbres de la nuit . Et l'on ne saurait
trop admirer, à ce propos , combien profonds sont les
desseins de la Vierge, qui , pouvant convaincre une
centaine d'individus par sa présence , aime mieux
ouvrir le champ aux doutes et aux contradictions , en
ne se laissant voir que de quelques bambins .
Cependant le curé ne trouve rien de mieux que
de faire mettre tout le monde à genoux : « Prions ,
mes enfants ! » Et, pendant que les prières succèdent
aux prières , les quatre gamins et gamines racontent le
spectacle auquel ils assistent . C'est une véritable scène
de fantasmagorie avec modifications de poses et chan-
gements d'accessoires . Un cercle ovale est venu entourer
la vision qui , .coïncidence singulière, avait justement

1. Apparition miraculeuse au Pontmain, par M. le curé de


Bagneux. Paris, 1871 , in-32 , p. 6 .
44 Le Dossier

la pose de la Vierge sur la médaille miraculeuse ; puis ,


dans l'intérieur du cercle, ont paru quatre bougies ,
deux de chaque côté. A un moment donné , l'apparition
double de taille, « comme si elle subissait , dit Mgr.
Guérin , la force dilatrice de la prière¹ » ; puis un im-
mense écriteau blanc se déroule sous ses pieds , et les
privilégiés peuvent y lire en lettres d'or : « Mais priez ,
mes enfants , Dieu vous exaucera en peu de temps .
Mon fils se laisse toucher. »>
Parmi les commentaires originaux auxquels a donné
lieu le singulier mais qui commence la phrase , il est
impossible de ne pas citer celui-ci : qu'au Pontmain , en
1871 , la Vierge pourrait bien avoir voulu donner la
suite du discours commencé par elle à la Salette en
1846 .

Π y a dans ce mais qui commence les paroles de


la Vierge , quelque chose de très- remarquable , dit Mgr
Guérin. Ne serait- ce pas la continuation des paroles de
la Salette? la promesse après les menaces ; le pardon
après les malheurs et le châtiment ..., comme la suite.
en un mot d'une phrase interrompue !!! 2 »

Quelque charme qu'ait ce commentaire, je lui pré-


fère la naïve explication d'une des petites filles . On
lui disait :

La sainte Vierge sait le français ; elie n'a pu com-

1. Petits Bollandistes , t. I, p. 447 .


2. Petits Bollandistes , t. I , p. 448.
des Pèlerinages 45

mencer une phrase par ce mot mais. -- Sœur Vitaline


sait pourtant bien le français , repartit vivement
Jeanne- Marie Lebossé ; eh bien, quand elle est lassée
e voir qu'on ne travaille pas , elle frappe un grand
coup sur l'estrade en disant : Mais étudiez donc ,
mais travaillez donc¹ ! »

Quoi qu'il en soit du fameux mais, sur ces mots, une


des religieuses entonne un cantique. Alors la Vierge
qui avait eu jusqu'alors les mains abaissées, les lève et
« bat la mesure 2. » Peu après , une étoile quitte les
pieds de la Vierge , et , faisant le tour intérieur du
cercle , allume les quatre bougies. Un ecclésiastique ;
qui a écrit une brochure rien que pour expliquer le
symbolisme merveilleux de l'apparition du Pontmain³,
démontre que l'étoile en question ne saurait être que
l'archange Gabriel. Je serais, ma foi , bien embarrassé
de lui prouver le contraire .
Il était déjà curieux de constater que la Vierge avait
apparu aux enfants dans la pose assurément très-
familière pour eux de la médaille miraculeuse, et que
de plus cette Vierge employait les locutions de sœur
Vitaline. J'ajouterai, d'après les récits approuvés , cet
autre détail, que la robe de l'apparition , toute bleue et

1. Apparition du Pontmain . Antécédents, apparition , pèleri-


nage et faveurs obtenues, par J. M. de Gaulle . Paris et Lille,
Lefort, in- 18 , p. 94 .
2. Petits Bollandistes, I, 448 .
3. Signification des symboles constatés à Pontmain, par
l'abbé Boullan. Pontmain et Paris, 1871 , in-8°.
ier
46 Le Doss

semée d'étoiles à cinq pointes rappelait, par un singu-


lier hasard, le plafond de l'église ; et encore que le curé
du Pontmain, très-dévot à la Vierge , faisait toujours
brûler devant son autel , pendant les prières du soir ,
quatre bougies disposées devant l'image de la même
façon que les enfants devaient les voir dans la pré-
tendue apparition , deux à la hauteur des genoux , deux
à la hauteur des épaules ¹ . Tous les récits sont d'ac-
cord sur ce fait où l'on aime mieux voir une délicatesse
d'en haut qu'une preuve de la mémoire des enfants.
Du reste, il ne fait pas bon douter de l'apparition du
Pontmain . Pour s'être permis d'en rire , un meunier fut
trouvé mort dans sa voiture ; et un autre incrédule , « qui
avait traité les pèlerins d'aveugles , perdit tout à coup
l'usage d'un de ses yeux en retournant à sa maison » *. ·
Il ne serait donc pas impossible que l'évêque de Laval
fût sous le coup d'une certaine intimidation lorsque ,
l'année suivante , Sa Grandeur crut devoir consacrer,
par un jugement, la réalité de l'apparition . Même pour
un membre du clergé, il ne laisse pas d'être dangereux,
nous l'avons déjà vu , d'émettre des doutes sur les ma-
nifestations d'en haut. Sans aller bien loin du Pont-
main, à Auray, la légende nous apprend que le régent
de Pluneret, ayant envoyé son vicaire renverser le
plateau aux offrandes installé sur un escabeau , par le
paysan auquel sainte Anne avait marqué la place de
son temple futur, vicaire et régent furent châtiés, cha-

1. Apparition du Pontmain, p . 71 .
2. Apparition du Pontmain, p. 87 .
des Pèlerinages. 47

cun selon leurs mérites , l'un de maladie et l'autre de


mort. Avis aux renverseurs de plateaux !
Le même mandement, qui consacrait l'apparition
du Pontmain , annonçait naturellement aux fidèles
« le dessein d'élever un sanctuaire en l'honneur de
Marie sur le terrain même au-dessus duquel Elle avait
daigné apparaître » . Ainsi , la Vierge n'a même plus
besoin de parler pour se faire entendre. Elle apparaît ;
tout le monde a compris : elle veut un temple .
Grâce au chaleureux concours de la presse reli-
gieuse, le temple demandé est aujourd'hui construit.
Il n'est pas seulement construit, il est classé . Dans les
réclames de pèlerinages, le nom du Pontmain vient en •
troisième. A la remorque de Lourdes et de la Salette,
le nouveau sanctuaire privilégié ne peut manquer de
faire florès. Dès le début, d'ailleurs, ses miracles ont
été productifs :

<< Dans le courant de l'été 1871 , se mourait, dans


les environs de Saint-James , petite ville du diocèse de
Coutances, un digne père de famille , atteint de cette
affreuse maladie appelée communément la petite vé-
role, qui exerçait alors ses ravages dans ce pays . On
attendait sa mort d'un moment à l'autre ... »

Que faire? se vouer à Notre-Dame du Pontmain,


c'était une idée ; mais était-elle suffisante ? Le malade
comprend que non ; aussi :

<< Il fit encore vœu de donner une somme d'argent,


r
48 Le Dossie

500 francs, je crois, pour aider à l'érection du sanc-


tuaire qu'on avait déjà le projet d'ériger en l'honneur
de Notre-Dame . Immédiatement après cette promesse ,
un mieux sensible se manifesta dans l'état du malade , et,
quelques jours après, il était complétement rétabli ¹ . »

Guérison instantanée, le pied retiré du tombeau


moyennant cinq cents francs , c'est pour rien . Il ne me
semble pas moins que, lorsqu'une manifestation cé-
leste aboutit à des résultats aussi prosaïques , pour
tous les esprits sains elle est jugée.

Les sanctuaires privilégiés se multiplient non pas


seulement par voie d'imitation , mais aussi par voie de
reproduction. Quelques-uns d'entre eux comptent de
nombreuses succursales. Dans un endroit quelconque ,
on installe la statue-type ou , mieux encore , on établit
un simulacre de l'emplacement où la Vierge a mani-
festé qu'elle voulait être honorée , et cet endroit quel-
conque devient, par transmission , privilégié lui-même .
Les faveurs dont jouit l'Église mère lui sont, à peu de
chose près, dévolues .
C'est surtout depuis le succès de Lourdes que ces
fac-simile sont devenus abondants . Quelques rocailles ,
un peu de mousse, une statue , des robinets , et... un
tronc sont des éléments très faciles à réunir , et qui ne
demandent pas, pour être combinés , de grands efforts
d'architecture. Tout le monde a pu voir de ces réduc-

1. Apparition du Pontmain, p. 105 .


des Pèlerinages 49

tions de Lourdes , rappelant les travaux savants de cer-


tains pâtissiers. A Sèvres , dans le jardin de l'hospice
Saint-Jean , nous en avons une que Mgr l'évêque
de Versailles a daigné inaugurer lui-même . Une
flaque d'eau croupissante, qu'on passe sur des cail-
loux, y représente le Gave, - ô nature ! tandis que

quelques zigzags, à travers la motte de terre où s'ap-


puie le rocher, figurent les lacets de la montagne .
Au sommet de cette côte pour rire, le visiteur trouve
un réservoir. C'est là que , les jours de cérémonie ,
quelques Auvergnats robustes montent, après les avoir
pompées, les voies d'eau nécessaires pour fournir au
débit des robinets d'en bas. Les jours ordinaires , on
ne boit et on ne s'humecte que d'intention, le sys-
tème de transport étant considéré comme trop coù-
teux. Quand le réservoir est plein, on le bénit , et
les robinets de la simili-grotte laissent échapper une
simili -eau de Lourdes qui fait obtenir de simili-
faveurs. Dans certaines localités, les réservoirs rer-
ferment de véritable eau de la source ' , .expédiée
de Lourdes en fûts ou en bouteilles ; mais alors on la
ménage.

L'eau miraculeuse elle-même, dit le Pèlerin dé-


crivant le fac-simile de Pavie, près d'Auch, est là , dans

1. La petite grotte imitée de celle de Lourdes , que « le captit


du Vatican » a fait établir au milieu de ses jardins , est dans ce
cas. Quelques tonneaux d'eau de Lourdes destinés à l'alimenter
ont figuré parmi les dons déposés, l'an dernier, aux pieds de
Pie IX par des pèlerins français.
5
50 Le Dossier

un bassin fermé à clef et qui s'ouvre pour satisfaire à


la dévotion des fidèles ¹ . >>

La grotte d'Huos , bâtie nouvellement sur les bords


de la Garonne, est un des simulacres qui ont prêté aux
descriptions les plus enchanteresses :

« Cette grotte, cette montagne de pierres qui a été


faite avec un goût exquis , est décorée maintenant , non-
seulement de toutes les délicatesses de l'art, mais aussi
de tous les charmes de la nature : fleurs , gazon , arbres
touffus, jet d'eau , rien n'y manque. C'est un des mo-
numents les plus pittoresques que l'on puisse voir. »

Et le narrateur, enthousiaste, termine par ce cri du


cœur :

Gloire à Notre- Dame de Lourdes, dont notre grotte


est la fille ! »

De toutes les filles de Notre - Dame de Lourdes, la


préférée, celle de ses petites grottes qu'elle doit voir de
l'œil le plus satisfait, est certainement le fac- simile
d'Oostakker, près de Gand . Profitant des leçons ma-
ternelles, la jeune grotte fait gaillardement son chemin
en Belgique, provoquant la publicité, récoltant les
offrandes , battant la caisse sur le dos de prétendus mi-
raculés, enfin se livrant à toutes les excentricités qui

I. Le Pèlerin, 4e année, p . 435 .


2. Le Pèlerin, 3º année, p . 38.
des Pèlerinages 51

forcent l'attention . La fondation de ce sanctuaire,


qui menace d'éclipser bientôt tous les sanctuaires
belges les plus solidement établis , fut tout acci-
dentelle . Si le doigt de Dieu s'est montré là , il s'y est
montré dans des conditions bien originales.
Une noble dame voulait se faire construire un aqua-
rium ... Mais vous allez penser que je plaisante . Je
laisse donc la parole à l'abbé Scheerlinck , auteur d'un
gros volume : Lourdes en Flandre ou la Dévotion de
la Vierge Immaculée à la grotte d'Oostakker¹ .

« C'était en 1870. Le goût des aquariums s'était


introduit dans les grandes et riches familles . La mar-
quise de Courtebourne voulut en construire un dans
l'intérieur de son château . On lui fit observer que
l'aquarium placé dans une grotte serait d'un effet plus
pittoresque et, à certain point de vue, beaucoup plus
intéressant . Cette idée lui sourit ; et, à sa prière , le
révérend curé d'Oostakker, M. Moreels, chargea un
architecte de Gand , M. Van Hoecke- Peeters , de faire
le plan d'une grotte de ce genre . Le 18 janvier 1870 ,
on mit la main à l'œuvre, et bientôt on vit les premiers
fondements de la grotte surgir de terre . »

Jusqu'à présent, malgré l'ingérence du curé, il n'est


question que d'un aquarium , et quand on lit un peu
plus haut :

1. Gand, Société de Saint-Charles-Borromée, 1876, petit in-8°.


2. Lourdes en Flandre, p. 93.
52 Le Dossier

« C'est Dieu qui inspira à la généreuse marquise de


construire une grotte. >>
Il faut rétablir ainsi l'exacte vérité :
<< C'est Dieu qui inspira à la généreuse marquise de
construire un aquarium . »
Mais attendez, le curé n'est pas là pour rien .

« Un jour, M. Moreels dit à la marquise, en lui


montrant un dessin de la grotte de Lourdes : α« Madame,
>> voici un plan tracé tout naturellement ; mettez dans
» la grotte l'image de Notre- Dame de Lourdes , et rien
.
» ne vous empêche d'y ajouter l'aquarium . » Le con-
seil , si bien en harmonie avec les sentiments chrétiens
de la marquise, lui plut extrêmement. L'architecte fut
chargé de mettre la statue de l'Immaculée-Conception
dans l'ouverture de la grotte ; et ainsi le vénérable curé
de cette paroisse , sans la moindre arrière-pensée, mais
peut-être poussé par un secret pressentiment des
desseins de Dieu , fit naître le premier sanctuaire élevé
à Notre-Dame de Lourdes sur un sol étranger . »
(P. 94.)

Cette idée d'accoupler la piété et les poissons rouges ,


qui ne semble que singulière au premier abord , était,
à ce qu'il paraît, triomphante. C'est le cas de remar-
quer que les desseins de Dieu sont impénétrables .
Bientôt la noble dame «< se rappelant les émouvantes
prières que l'Église met dans la bouche de ses prêtres
pour consacrer les images, et convaincue que cette
bénédiction leur donne une vertu spéciale, désira voir
des Pèlerinages 53

accomplir cette solennité devant la statue placée dans


la grotte . Cette bénédiction, qu'on ne manqua
pas de rendre solennelle, apprit au public le chemin
du nouveau sanctuaire . Le clergé y amena bientôt en
masses pressées tout le personnel des congrégations et
des écoles ; et la riche propriétaire dut abandonner au
pèlerinage une partie de son parc. L'aquarium faisait
fortune.

« On commençait à se laver avec confiance , à boire


même de l'eau qui s'échappait en murmurant de l'aqua-
rium dans le bassin ; il est vrai qu'à cette eau on mêlait
chaque jour quelques gouttes de l'eau miraculeuse qui
avait jailli à Lourdes et qui pouvait ainsi lui commu-
niquer un vertu surnaturelle . » (P. 102.)

Tous les matins encore, on verse un peu d'eau de


Lourdes dans le bassin où se déverse le trop plein de
l'aquarium . A la faveur de ce mélange qui rappelle les
dilutions homœopathiques , il s'obtient au Lourdes
belge des guérisons merveilleuses relatées tout au long
dans le volume qui nous sert de guide . La plus con-
vaincante est , au dire de l'auteur, celle d'une enfant
atteinte de méningite . Écoutez -le s'écrier victorieuse-
ment :

Le ricanement des impies et les moqueries des


incrédules attaquaient notre sanctuaire et osaient attri-
buer les guérisons consolantes aux supercheries et aux

1. Lourdes en Flandre, p. 96.


5.
54 Le Dossier

mystifications . Mais voilà que Marie, voulant confon-


dre ces prétendus philosophes , daigne guérir une jeune
enfant, et toutes les ridicules objections de supercherie ,
d'imagination, de système nerveux s'écroulent . >>

Ceux qui brûlent de voir confondre les philosophes,


tournent la page avec avidité et ils apprennent que , la
mère de la malade ayant fait vœu de pèlerinage et
de présent à Notre- Dame de Lourdes-lez-Gand , l'en-
fant confiée aux soins de plusieurs médecins s'est
trouvée mieux :

« Ma plus intime conviction me dit, écrit la mère,


que je dois la vie de ma chère fille non aux soins et à
la science des hommes de l'art , mais à la toute-puis-
sance de Marie. Ne pouvant obtenir le certificat des
médecins, je m'abstiendrai aussi de vous citer les noms
de ces messieurs ¹ . >>

On ne confond pas plus gaiement les philosophes !


Quelquefois , je dois l'avouer, les médecins ont
donné des certificats . Parmi ces certificats , il y en a
même de très bouffons :

« Le docteur traitant soussigné a l'intime persuasion


que les moyens médicaux ont été particulièrement
bénis par la divine Providence . »

Signé : J. SCHRAMME , Dr ².

1. Lourdes en Flandre, p, 495.


2. Lourdes en Flandre, p . 524.
des Pèlerinages 55

La grotte d'Oostakker n'a dans l'aspect rien de com-


mun avec la grotte de Lourdes ; il n'y a en réalité
d'analogie entre elles que la multiplicité des of-
frandes qui y affluent. Les ex-voto dont la grotte
belge est surchargée lui donnent la physionomie la
plus bizarre . En face de l'entrée est un simulacre de
Bernadette agenouillée . On ne sait pas au juste si elle
est à genoux devant la statue de la Vierge ou devant
l'aquarium . Les pèlerins d'Oostakker font ordinaire-
ment trois fois le tour de la grotte ; dans l'intérieur
obscur et enfumé, ils allument des cierges « dont la
flamme se reflète dans les glaces de l'aquarium . »
On ne dit pas si les poissons y sont toujours, ni ce
qu'ils en pensent s'ils y sont encore.

Autre détail singulier, commun , paraît-il , aux deux


sanctuaires :

A Oostakker, comme à Lourdes , on glisse sa


carte de visite dans les fentes du rocher ¹ . » Une carte
cornée sans doute.

Il n'y a pas de bon pèlerinage sans une chapelle ;


l'abbé Scheerlinck aurait pu se dispenser de le rappeler.
La Vierge de Lourdes n'a-t-elle pas dit à Bernadette :
« Va mon enfant , dis aux prêtres qu'on doit bâtir ici
une église. »
« Marie, dit l'abbé , n'a pas émis formellement le

même vœu pour Oostakker ; mais ... » etc. ( P. 116.)

1. Lourdes en Flandre, p. 110 .


56 Le Dossier

Pasformellement est adorable !


Le fait est qu'au grand pèlerinage de 1875 , où le
clergé belge a pu diriger vingt mille Xavériens sur la
grotte d'Oostakker, on lisait sur un poteau « avec une
vive émotion » , dit le narrateur : « Je veux que
beaucoup de monde vienne ici . —- Va dire aux prêtres
qu'on doit bâtir ici une église et y venir en proces-
sion. »
L'idée de ces poteaux qui permettent de transporter
le << ici de la Vierge , de Lourdes à Oostakker et
d'Oostakker où il plaira , me paraît une véritable trou-
vaille.
En somme, le Lourdes belge a aujourd'hui son
église ; et, comme il n'y a pas de bonne église sans un
couvent tout auprès , les pères jésuites se sont fait
installer à côté une habitation commode et spacieuse .
Les voilà dans le parc. Je ne serais pas étonné que la
Vierge ne se dérangeât au premier jour pour leur faire
connaître qu'elle les verrait , avec plus de plaisir
encore, installés dans le château .

Tous les sanctuaires nouveaux ne peuvent pourtant


pas s'ériger en succursales de Lourdes et de la Salette.
Il leur importe donc de se créer une personnalité par
l'adoption d'un vocable . Grave question que le choix
d'un vocable ! surtout si l'on ne veut pas être banal .
Tous ceux qui impliquaient une idée d'assistance , de
protection , ont été pris et repris à satiété . Combien
de Notre- Dame de Bon- Secours , de Bonne- Garde , de
Bonne-Espérance , des Vertus , des Prodiges, des Mira-
des Pèlerinages 57

cles ! On a broché encore sur ces vocables déjà si sédui-


sants . A Notre- Dame des Aides on a opposé Notre- Dame
de Toutes - Aides ; à Notre - Dame du Remède , Notre-
Dame de Tous - Remèdes ; à Notre- Dame des Grâces ,
Notre- Dame de Toutes - Grâces ; à Notre- Dame de
Bon-Secours , Notre - Dame de Prompt - Secours , de
Tout-Secours et mieux encore de Perpétuel -Secours .
Un secours perpétuel, y a-t-il rien de supérieur à cela ?

« Que puis-je craindre de mes ennemis, remarque


très excellemment un des rédacteurs de la Semaine
religieuse de Paris , si j'ai pour moi Notre- Dame du
Perpétuel- Secours ?
» Notre- Dame des Victoires me convertira : mais
Notre - Dame du Perpétuel -Secours me prémunira
contre la rechute et me fera persévérer. Suis -je pêcheur
opiniâtre ? Dieu peut-être va m'abandonner , mais
Notre- Dame du Perpétuel-Secours , jamais : elle me
doit, si je la prie , une miséricorde opiniâtre et perpé-
tuelle . Lorsque j'invoque Notre -Dame de Bon- Secours,
je me sens plein d'espoir ; mais, comme cet espoir
grandit, quand je vois que ce bon secours sera perpé-
tuel ! Notre-Dame des Malades me guérira : mais avec
quel abandon je confie ma santé pour le présent et pour
l'avenir à la mère puissante qui veillera toujours sur
moi parce qu'elle est mon perpétuel secours. Dans
mes angoisses de la vie et de la mort, j'invoquerai
Notre - Dame de Consolation : mais avec quelles
délices j'entends Marie me dire : « Ne crains pas mon

1. Septembre 1867.
58 Le Dossier

>> enfant dans tes peines , dans tes épreuves, surtout à


» la mort , je serai là toujours pour te tendre la main ,
» pour sécher tes pleurs, pour fortifier ton âme. Je suis
>> ton perpétuel secours !
» On le voit , ce titre magnifique résume toutes les
prérogatives de Marie , et y ajoute quelque chose de
ravissant, la perpétuité de cet universel secours. »

Ce n'est certes pas un titre ordinaire que celui


qui vient en réduire tant d'autres à néant. L'au-
teur de ce vocable peut se flatter d'avoir touché juste.
D'autres vocables, sans paraître transcendants au
premier abord, n'en ont pas moins une valeur excep-
tionnelle . Tel par exemple , celui de Notre -Dame de
la Providence, que M. le curé de Digoin nous recom-
mande comme aussi neuf qu'opportun¹ . Tel encore
celui de Notre- Dame du Sacré - Cœur , qui nous est
donné pour une véritable inspiration en ce qu'il a
« l'avantage de réunir en une même pensée les deux
grandes dévotions qui ont , maintenant surtout , plus
d'actualité. » Lisez : la dévotion à Marie et celle au
Sacré-Cœur.

« Jusqu'ici, dit une brochure spéciale , on a pu

1. « Il est un titre sous lequel la sainte Vierge n'avait pas


encore été honorée et priée, un nom qui ne lui avait pas encore
été donné, celui de Notre-Dame de la Providence. Sous ce titre
si beau, si opportun en nos temps si troublés , j'ai été amené
par les circonstances et par un vœu ….. » etc. Circulaire de
M. le curé de Digoin, 1872 , in-8°.
des Pèlerinages 59

l'offrir ( la Vierge ) aux pêcheurs , aux mourants, aux


faibles , aux malheureux , à la France , au monde ,
sous les noms si doux de Notre- Dame de Grâce , de
Bon-Secours, de Bon-Remède , de Bon - Conseil , de la
Paix, etc.; mais rien n'égale son nouveau titre. Elle
n'est tout ce qu'on vient de dire que parce qu'elle
est en réalité Notre- Dame du Sacré-Coeur, c'est-à-dire
souveraine maîtresse du cœur de Jésus , qui est la
source de toutes les grâces qui s'épanchent sur l'huma-
nité¹. »

<< On disait bien jusqu'à cette heure , écrit un autre


panégyriste << Cœur sacré de Jésus , ayez pitié de
>> nous ! Cœur immaculé de Marie , priez pour nous ! »
Mais le trait d'union manquait, et ce trait d'union est
devenu un trait de lumière lorsqu'on a pu dire :
<< Notre-Dame du Sacré- Cœur, priez pour nous ! 2 >>

Et le même auteur ajoute, comme un argument


décisif :

« En implorant Notre- Dame du Sacré-Cœur, nous


attirons sur nous ses faveurs les plus spéciales et les
plus signalées. >>

1. Notice sur l'association en l'honneur de Notre-Dame du


Sacré-Cœur, par le P. Chevalier. 11 ° édit. Tours, 1865 , in- 18 ,
P. II.
2. De la dévotion à Notre-Dame du Sacré-Cœur, par l'abbé
X. Deidier . Chez les missionnaires du Sacré-Cœur, à Issoudun
(Indre), gr . in- 18, p . 120 .
60 Le Dossier

Les faveurs de Notre - Dame du Sacré-Coeur , enten-


dons-nous bien : faveurs qu'il ne faut pas confondre
avec celles que toute autre Notre - Dame a le droit de
répandre. Il n'est pas rare , en effet, qu'on nous montre
la Vierge accordant, quand on l'implore sous un certain
vocable, une grâce qu'elle avait refusée tant qu'on l'in-
voquait sous une autre. «< Sa malheureuse femme , dit
Mgr. de Ségur racontant la guérison d'un ivrogne ,
avait tout fait pour obtenir sa conversion : prières
continuelles , neuvaines à Notre-Dame des Victoires ,
neuvaines à Notre- Dame de Fourvières . » --Elle n'ob-
tient un résultat qu'en s'adressant à sainte Anne
d'Auray¹ .

Rien ne serait plus préjudiciable aux sanctuaires


mis en cause que des anecdotes de cette nature , si fort
heureusement le client n'ignorait d'avance quel sera
celui des saints ou celle des vierges sollicités qui ne
l'exaucera pas .

Une femme trouve , à Bétharram , la fin de maux


d'entrailles pour lesquels elle avait inutilement imploré
Notre-Dame de Lourdes . Une jeune fille, atteinte de
la danse de saint Guy, obtient de Notre- Dame du
Pontmain la guérison que Notre- Dame du Chêne lui
avait refusée . Là-dessus, rien de plus naturel que de

1. Les Merveilles de sainte Anne d'Auray, par Mgr de Ségur.


Paris, Tolra, 1876, in- 18, p. 90.
2. Manuel du Pèlerin à Notre-Dame et au calvaire de Bé-
tharram, par un prêtre de Bétharram , 3ºédit. Paris, 1874, in- 18 ,
p. 55,
3. Apparition du Pontmain, p . 108 .
des Pèlerinages 61

se demander si Notre- Dame de Lourdes et Notre-


Dame de Bétharram, Notre- Dame du Pontmain et
Notre-Dame du Chêne sont bien la même Vierge . Les
distinctions que le clergé s'attache à établir entre les
vocables , aussi bien qu'entre les degrés de pouvoir de
toutes les Notre - Dame , sont assurément faites pour
inspirer l'idée de personnalités diverses.

<< Notre-Dame de Rodez, lisons-nous dans un man-


dement de Mgr l'évêque de Rodez, va faire sa visita-
tion à Notre- Dame de Lourdes ; la Vierge du Rouergue
veut quitter ses montagnes pour aller rendre honneur.
à la Vierge des Pyrénées . »

D'après cet.amphigouri épiscopal , comment ne pas


croire à deux Vierges ; et, si l'une doit hommage à
l'autre, à deux Vierges de catégorie différente ?
Une histoire du Pèlerin , qui n'est pas parmi ses
plus ridicules , nous montre une domestique donnant
à sa maîtresse mourante une commission pour le pa-
radis . Elle a quelque chose à rappeler à la Vierge. Or,
ce n'est pas du mot Vierge que cette fille se sert , c'est
du terme Notre - Dame de Lourdes » . Celle à qui
elle a affaire , même au delà du tombeau , c'est encore
la Notre-Dame à succès ¹ .

1. « Si notre horizon politique est noir, Dieu nous montre


qu'il veille sur nous .
» Une vieille dame, infirme depuis très longtemps, après avoir
supporté ses souffrances avec une grande patience chrétienne
pendant plus de dix ans, voyait sans crainte arriver le moment
6
62 Le Dossier

Il est impossible que, de la mise en regard de ces


Vierges, qui font tant parler d'elles, avec celles dont on
ne dit rien, il ne résulte pas un certain trouble dans
l'esprit des fidèles. Ce trouble, le Saint-Siége ne con-
tribue pas peu à l'augmenter par les faveurs qu'il répand ,
dans des conditions très variables, entre les différents
sanctuaires et sur les Notre - Dame elles - mêmes. Ici ,
c'est une église à laquelle le pape octroie le titre de
basilique, qui la classe, du coup , dans l'aristocratie
des sanctuaires ; là , c'en est une autre à laquelle il ac-
corde l'insigne faveur de l'autel privilégié, ce qui per-
met d'y délivrer, à chaque messe, une âme du purga-
toire, ou à peu près ' . Quant aux indulgences atta-

de paraître devant Notre-Seigneur . Cette bonne dame avait à


son service une domestique moins infirme qu'elle, mais ayant
un bras paralysé... Voici un petit dialogue qui eut lieu avant
la mort de la maîtresse :
- Ma pauvre fille, dit la dame, vous souffrez beaucoup. Moi,
je meurs ; j'espère entrer au ciel tout de suite, parce que j'ai
fait mon purgatoire sur la terre. Je demanderai au bon Dieu
une grâce pour vous.
" Quelle grâce, madame ? dit la domestique .
La grâce, reprit la mourante, de venir avec moi , vous
êtes trop malheureuse sur la terre .
)) — Ah ! ah ! si j'étais sûre d'avoir fait mon purgatoire, je ne
dis pas... Plutôt vous verrez Notre-Dame de Lourdes, car elle
est par là, dites-lui donc que je lui ai fait plus de quinze neu-
vaines et qu'elle ne m'a pas exaucée.
» - Eh bien, je lui dirai cela.
» La maîtresse mourut. Quand la domestique fut sur le point
d'ensevelir le cadavre, elle ressentit dans son bras et dans sa
main un grand bien-être... elle était guérie ... La bonne dame
avait fait la commission . » Le Pèlerin, 2 ° année, p . 322 .
I. « Un autel est privilégié quand le Souverain Pontife atta-
des Pèlerinages 63

chées à la visite de tel ou tel sanctuaire, elles témoignent


d'une extrême fantaisie : ici partielles , là plénières ;
celles-ci à temps, celles-là à perpétuité ; bonnes seule-
ment à jour fixe, ou pour un jour au choix ; valables
une fois par mois , ou toute l'année , ou à certaines
fêtes désignées : telles fêtes pour les uns, telles fêtes
pour les autres. Sept ans, sept quarantaines à quicon-
que ira visiter Notre- Dame d'Avenière un vendredi .
Pour conquérir la même faveur à Notre-Dame des
Doms, il faut choisir un samedi . Toute autre visite à
Notre- Dame des Doms , le dimanche : indulgence
plénière, et le reste de la semaine , trois cents jours .
Toute visite, un jour quelconque, à Notre- Dame de
Soubs-Terre, à Chartres : trois ans, trois quarantaines .
Explique ces nuances qui pourra ! Notre- Dame de
Roc-Amadour jouit seule du privilége insigne d'un
jubilé solennel , dit grand pardon , chaque année où la
Fête-Dieu coïncide avec la Nativité de saint Jean-
Baptiste ; et , seule aussi , Notre- Dame du Puy jouit
d'un privilége analogue , chaque fois que l'Annoncia-
tion coïncide avec le vendredi saint . Pourquoi ? Mys-

che à chaque messe qui s'y célèbre une indulgence tellement


abondante, qu'elle suffise pour délivrer du Purgatoire l'âme en
faveur de laquelle on l'a dite .
>> Toutefois , comme cette indulgence ne peut être appliquée à
cette âme que par voie de suffrage, Dieu seul connaît la mesure
de l'efficacité qu'il juge à propos de donner à ces sortes de se-
cours : c'est là la raison pour laquelle on célèbre plusieurs
messes, même à un autel privilégié, pour le même défunt . »
Manuel des Indulgences authentiques, par un docteur en théo-
logie. 2º édit. Paris, 1869 , r. in- 18 , p, 237 .
64 Le Dossier

tère ! A Notre- Dame des Doms , déjà si bien gratifiée,


toute messe entendue rapporte au fidèle , de par décret
pontifical, cinq cents jours d'indulgence. Il y a donc
des endroits où l'on a beaucoup plus d'avantages à
entendre la messe que dans d'autres .
Parmi les indulgences connues , il en est deux de
premier ordre : l'indulgence de la Portioncule, « ob-
tenue par saint François d'Assise de Notre- Seigneur
lui-même , par l'intermédiaire de la très sainte Vierge¹ » ;
et l'indulgence de Lorette , résumant en elle seule les
priviléges des sept basiliques romaines , priviléges
tellement nombreux, que personne n'en connaît la
liste entière . Ces deux indulgences , très prisées, sont
au nombre des faveurs dont le pape se plaît à rehaus-
ser l'éclat de certains, sanctuaires . La jouissance d'une
des deux n'exclut pas l'autre . Tandis que tel sanctuaire
n'obtient que l'indulgence de Lorette, et tel autre que
l'indulgence de la Portioncule , un troisième obtiendra
très bien les deux à la fois . Il en est de même , au
reste, de toutes les autres grâces accordées chichement
aux uns, prodiguées aux autres , sans qu'il soit pos-
sible de comprendre pourquoi . Tout ce que l'on peut
dire, c'est que le zèle des évêques influe beaucoup sur
la répartition. Un prélat actif ne doit pas craindre de
pousser, en personne, jusqu'à Rome, pour solliciter,
en faveur du sanctuaire de prédilection, de celui qu'il
faut classer ou dont le succès est à entretenir, soit le
nouveau titre, soit le bagage d'indulgences après lequel

1. Manuel des Indulgences authentiques, p . 236 .


des Pèlerinages 65

on aspire . Il est rare que ces petites demandes se re-


fusent lors d'une présentation au Vatican , dans le mo-
ment d'effusion qui suit les protestations de dévoue-
ment et la remise de la bourse qui contient le denier
de saint Pierre. Au moins , est- ce dans ces conditions
qu'on les voit généralement accordées .
La maîtresse faveur consiste aujourd'hui à obtenir
de couronner officiellement telle ou telle Notre- Dame .
Je ne sache pas qu'on ait décerné à aucune de nos
Vierges les honneurs du couronnement avant 1853 .
Cette cérémonie me paraît donc faire partie des inno-
vations dont le catholicisme actuel est si friand .
Quoi qu'il en soit, renouvelée ou naissante , l'idée n'en
est pas moins bizarre de poser gravement sur la tête
de la Vierge, comme si elle devait être sensible à cette
flatterie , le cercle doré qui est le summum de la
pauvre ambition humaine . Que dis -je , sur la tête de
la Vierge sur la tête de certaines vierges, de celles
dont on croit avoir à se louer. N'est-ce pas un peu se
moquer d'elles, que de leur décerner ce prosaïque
témoignage de satisfaction ? Pour les abaisser tout à
fait au niveau de nos puérilités , que ne les décore-t-on
au Vatican de l'ordre de Saint- Grégoire ?
Des Vierges , la faveur insigne des couronnements
s'est étendue à quelques saints et saintes de première
grandeur. C'est ainsi que , chez nous , sainte Anne.
d'Auray , puis le saint Michel du mont Tombe ont suc-
cessivement reçu la nouvelle du « royal honneur » qui
leur était concédé. Du reste, ils n'ont reçu que cela du
Saint- Père. A part de très rares exceptions, le pape
6.
66 Le Dossier

åbandonne la fourniture de la couronne au clergé, local


qui s'en rapporte à son tour sur ce point à la générosité
des fidèles .

<< Nous remercions d'avance, disait l'évêque de


Vannes, en terminant son mandement sur le couron-
nement de sainte Anne, les personnes qui auraient la
générosité de nous adresser quelque offrande pour les
frais que nécessitera ce couronnement . Celles qui dé-
sirent contribuer particulièrement à l'acquisition des
couronnes , y consacrer des pierres fines ou autres
bijoux, sont priées de nous le faire savoir dans le plus
bre délai ¹ . >>

Les demandes de bijoux pour la couronne de saint


Michel n'ont pas été moins pressantes . Dans le morceau
officiel suivant on remarquera cette intéressante
théorie qu'en nous dépouillant pour saint Michel ,
nous nous assurons, à nous et aux nôtres , la protec-
tion du Tout- Puissant, protection qui sera propor-
tionnée à l'étendue de nos dons :

<< Ames chrétiennes, qui voulez participer selon vos


moyens aux grâces attachées à cette manifestation de
confiance, donnez donc des bijoux ! Les uns seront de
précieux souvenirs que vous offrirez à Dieu ; les
autres appelleront ses bénédictions sur tous ceux qui

I. Les Gloires de sainte Anne d'Auray, par l'abbé Bernard ,


Paris, Douniol et Lecoffre, 1869, in- 18, p . 163.
des Pèlerinages 67

vous sont chers et sur ceux que vous avez perdus . De


cette manière , ces objets précieux qui servaient au luxe ,
pourront ainsi devenir les causes de généreux actes de
piété et de sacrifices d'autant plus méritoires, que les
souvenirs sont plus précieux . En agissant ainsi, en
vous dépouillant librement, volontairement , généreu-
sement de vos joyaux pour en revêtir le Chef de la Mi-
lice céleste , vous attirerez les regards de Notre-Sei-
gneur sur vous , sur vos familles et sur ceux pour qui
vous priez . Par là vous obtiendrez , avec la puissante
et continuelle protection de saint Michel , que vos
pierres précieuses et vos joyaux soient changés en
joyaux immortels qui seront les reflets de Jésus en
vous, et que les mérites de votre sacrifice soient mesu-
rés et comptés devant Dieu .
» Donnez donc à saint Michel, donnez de l'or et
des bijoux pour sa couronne... ¹ »

Donnez ! donnez ! c'est le refrain consacré. La céré-


monie du couronnement ayant été remise, on profite
de ce délai « pour perfectionner , » nous dit-on , la cou-
ronne de saint Michel . De là ce dernier appel :

<< Pour compléter les pierreries de cette couronne, il


manque environ trois cents petites aigues-marines et
autant de petits diamants. On peut se rendre compte
des ornements en souffrance dans la maison Mellerio,
25, quai Voltaire, où l'on peut déposer son offrande en
pierreries ou en espèces ² . »

1. Le Pèlerin, 3° année, p. 540.


2. Le Pèlerin, 4° année, p . 8.
68 Le Dossier

Le saint Michel du mont Tombe, qui n'est pas


encore couronné à l'heure où nous écrivons ces lignes
(on annonce pour bientôt cet « événement national » ) ,
n'a encore pu exprimer sa satisfaction de l'honneur
que lui octroyait le Saint- Siége ; mais l'évêque de
Vannes nous a fait entendre les remercîments émus
de sainte Anne .

<< Mes enfants , dit - elle , votre ardeur à travailler à


ma maison me cause une grande joie . J'accepte avec
attendrissement la couronne que m'a décernée l'au-
guste représentant de Jésus-Christ ¹ . »

Que sainte Anne d'Auray soit attendrie de joie, je


le veux bien ; mais les autres Anne que ce couronne-
ment repousse aux plans éloignés , de quel œil doivent-
elles voir l'insigne faveur ? Il est certain que les cou-
ronnements sont faits pour exciter bien des petites
jalousies . Quelque soin que l'on prenne de cacher ce
sentiment mesquin, il se laisse encore deviner quel-
quefois. Que penser de Mgr l'archevêque de Gre-
noble, partant, l'année même du couronnement de
Notre- Dame de Lourdes , pour demander à Rome...
le couronnement de Notre - Dame de la Salette ? Non
pas seulement cela ; mais la bénédiction de la couronne
qu'il emporte dans sa malle, l'ayant fait faire à
l'avance.

1. Les Gloires de Sainte-Anne d'Auray, p . 179 .


des Pèlerinages 69
« Mgr l'évêque de Grenoble , dit le Pèlerin du 23
décembre dernier , se prépare à faire le voyage de
Rome dans le dessein entre autres d'obtenir du Souve-
rain Pontife le couronnement de Notre - Dame de la
Salette . Il apportera avec lui la couronne pour la faire
bénir par le pape ; cette magnifique couronne contient
pour 45,000 francs de pierres précieuses. »

La précaution d'avoir fait fabriquer la couronne


avant de solliciter le couronnement ne vous semble-
t-elle pas adorable ?
- Mais, Saint- Père, ma couronne est prête. Il y a

dessus pour 45,000 francs de pierres précieuses. Dans


quelle situation me mettez -vous vis-à-vis des fidèles ,
si vous m'obligez à les leur rendre !
C'est ce qu'on pourrait appeler, sauf le respect dû à
un prélat, le tour de la couronne forcée. Je n'attends
pas sans un certain intérêt le résultat du voyage .
En somme , on voit qu'il n'y a pas seulement des lieux
privilégiés , qu'il y a encore des Notre- Dame privilé-
giées . « Il était bien juste , dit Mgr Guérin de Notre-
Dame de Liesse, qu'une Vierge aussi célèbre reçût les
honneurs du couronnement . » Que penseraient de ces
Vierges , qui sont plus célèbres que d'autres, une per-
sonne étrangère à nos mœurs ? Il serait fort malaisé de
lui faire entendre que toutes ces Vierges, diversement
appréciées, sont la même.
Nulle part peut-être l'idée de la pluralité des Vierges
n'apparaît plus frappante qu'à Chartres , où la cathédrale
possède à elle seule deux Vierges sous deux vocables
70 Le Dossier

différents , l'une dans sa nef : Notre- Dame du Pilier ;


l'autre dans sa crypte : Notre- Dame de Soubs - Terre ;
celle-ci blanche , celle-là noire ; la noire étant couron-
née , la blanche ne l'étant pas ; enfin chacune d'elles
ayant ses clients spéciaux, ainsi qu'en témoigne la créa-
tion de deux archiconfréries distinctes. Heureux qui
se reconnaît là dedans !
Encore faudrait-il que les Vierges, une fois admises
comme privilégiées , gardassent leur situation ; malheu-
reusement nous pouvons constater qu'elles ne sont
pas plus que les simples mortels à l'abri d'un revers
de fortune . Telle Vierge , illustre jadis , se tient
encore pour satisfaite de figurer aujourd'hui parmi les
comparses . Dans le Dauphiné , Notre- Dame du Laus ,
qui avait détrôné Notre- Dame d'Embrun , a été détrô-
née à son tour par Notre- Dame de la Salette ; au pied
des Pyrénées, Notre- Dame de Bétharram avait repris
la clientèle de Notre- Dame de Garaison , quand Notre-
Dame de Lourdes l'a tout entière accaparée. Ce qu'il
y a de curieux, c'est qu'à Garaison comme à Bétharram
et qu'à Bétharram comme à Lourdes , la Vierge a de
vive voix manifesté le désir que les foules prissent le
chemin du lieu qu'elle adoptait . Faut - il conclure de
ces changements de lieu d'adoption que la sainte
Vierge a l'esprit versatile ou seulement qu'on la rend
responsable de faits auxquels elle est singulièrement
étrangère? Le lecteur choisira . Quant à l'opinion locale,
elle paraît très nettement formulée dans cette réplique
d'une Béarnaise , que rapporte le comte Lafond dans son
volume La Salette, Lourdes, etc.
des Pèlerinages 71
" - Et Lourdes , lui demandai -je , qu'en dites-
vous?
» A ce nom , la belle Béarnaise fit une moue dédai-
gneuse et s'écria avec un geste montagnard :
>> - Ce sont les Bigourdans et les Bigourdines
(gens du Bigorre) qui ont fait apparaître sainte Marie
chez eux pour nous couper l'herbe sous le pied . D
(P. 139.)
II

COMMENT FONCTIONNE UN SANCTUAIRE


PRIVILÉGIÉ

Du rôle des confréries ou archiconfréries. ― Zélateurs et zéla-


trices. - Les enrôlements. Leçons de propagande.
Grand mouvement d'affaires . - Les confrères sans le savoir.
- Le chapitre des offrandes . — Prospectus. - Les appels à
l'amour- propre. --- Messes et miracles en prime . - Les fa-
veurs obtenues contre argent comptant. - Encore les messes .
- De l'intérêt qu'on peut avoir à adresser préférablement
ses commandes à certains sanctuaires . Trois classes de
miracles. - Les protections régionales. - Le choléra et la
guerre, sources de fortune .

Quelque accessibles que puissent être les faveurs du


Saint- Siége, on conçoit que nul sanctuaire , si am-
bitieux qu'il soit, ne saurait prétendre du premier
coup à ces grands priviléges qui le mettront hors de
pair. Il y a commencement à tout. Rien ne sert mieux
les débuts d'un futur lieu de pèlerinage que la création
7
74 Le Dossier

d'une confrérie . Aussi n'y a-t- il pas un sanctuaire , en


passe de devenir fameux , qui n'ait la sienne.
A toute réunion d'individus disposés à conjurer la
colère céleste ( le Dieu des dévots est connu pour un
Dieu fort grondeur) sous un nouveau vocable et avec
des formules plus ou moins neuves , il est bien rare
que le pape n'accorde pas aussitôt un certain lot
d'indulgences partielles et plénières que couronnera la
transformation définitive de la confrérie en archi-
confrérie. Des actes improductifs pour le reste des
fidèles deviennent gros d'intérêts pour les associés :
tant pour une messe ou un sermon entendus , tant
pour un corbillard suivi , tant pour un acte de pré-
sence aux réunions . C'est ainsi que se recrute un
premier public. L'attrait des faveurs temporelles
s'ajoute bientôt à celui des faveurs spirituelles . Aux
membres de la confrérie du Mont-Saint-Michel, on
donne l'espoir d'être préservé de mort subite ; à ceux
de l'association de Saint-Joseph d'Aizanville , on promet
le succès des causes difficiles ; et les organisateurs de
l'archiconfrérie de Notre - Dame du Sacré-Cœur joi-
gnent victorieusement aux causes difficiles les causes
désespérées. Les confrères de Notre-Dame de Bon-
Secours sont assurés que le choléra n'aura pas prise
sur eux :

<< Une chose est surtout remarquable dans cette


période de terreur, c'est qu'aucun membre de la con-
frérie de Notre- Dame de Bon- Secours n'a succombé aux
atteintes de l'épidémie . Le choléra a frappé de mort
des Pèlerinages 75

plusieurs membres de la famille dont quelques autres


étaient affiliés à la confrérie : ceux-ci en ont été pré-
servés '. >>>

Ces spécialités ne doivent pas être prises trop à la


lettre. Il en est un peu , de toutes les confréries , comme
de celle de Sainte - Anne , qui , s'adressant aux mères de
famille en général, vise tout le monde en particulier :

« Cette confrérie a pour but spécial d'attirer les


faveurs de sainte Anne sur les mères de famille.... On
y admet néanmoins tous ceux qui désirent se mettre
sous la protection de cette grande sainte 2. >>

Répandre l'œuvre , persuader à chacun qu'il doit en


faire partie, c'est la grande occupation . Une confrérie
ne saurait être sérieuse si elle reste confinée dans le
cercle étroit d'une localité. Elle devra , pour devenir
puissante, étendre au loin le champ de ses opérations ,
se ramifier en tous sens et aller chercher les adhérents
jusqu'aux extrémités du monde.

<< Faites connaître cette association , écrit le curé


d'Aizanville , cherchez-lui des associés ; vous remplirez
ainsi une belle mission qui vous méritera la protection

1. Histoire de Notre-Dame de Bon-Secours et des principaux


miracles opérés par son intercession, par l'abbé Petit. Tournai,
Casterman, 1853 , in- 32 , p . 159 ,
2. Notice concernant l'histoire et le culte de l'insigne relique
`de sainte Anne, vénérée en l'église de Chiry- Ourscamp , près
Noyon, par l'abbé Lavechin , Paris, Le Clère, 1873, in - 18,
P. 25 .
76 Le Dossier

spéciale du bienheureux saint Joseph pour le temps


et une riche couronne pour l'éternité.' »

C'est presque le ciel que le curé d'Aizanville assure à


ceux qui lui recruteront des associés .
La « belle mission » qu'il exalte est celle que rem-
plissent régulièrement dans les confréries les chefs
de section désignés sous le nom de zélateurs et
de zélatrices . Ces agents volontaires se chargent de
propager et d'entretenir dans le cercle de leurs rela-
tions le genre de dévotion auquel ils daignent consa-
crer leur zèle , distribuant des images, des notices ou
des médailles, correspondant avec le siége principal de
l'œuvre , sollicitant les conseils du directeur , lui adres-
sant , avec les offrandes, les < recommandations >>
>,
»
autrement dit le détail des grâces sollicitées.
En échange de l'activité déployée , on leur concède
ordinairement la faveur d'une messe périodique , le
titre officiel de zélateur ou de zélatrice, et les plus
beaux espoirs de récompense en cette vie et dans
l'autre. Un des petits volumes de propagande de la
dévotion à Notre - Dame du Sacré-Cœur fait très clai-
rement entendre que la céleste récompense pourra être
en proportion directe avec le chiffre des adhérents
récoltés :

<< La zélatrice recevra une récompense proportion-

1. Notice sur l'association en l'honneur de saint Joseph, à


Aizanville, par l'abbé Roy, directeur de l'Association . Aizan-
ville (Haute-Marne) , 1872 , in- 32, p . 62.
des Pèlerinages 77

née au nombre, à la valeur et aux œuvres de cette


moisson d'apôtres dont elle aura été l'occasion ¹ . »

Dans tous les cas , l'auteur est persuadé que Notre


Dame du Sacré- Cœur, « liée par la reconnaissance »>,
comblera ceux qui lui auront fait de la propagande
« de ses faveurs et de ses dons » . Quant à l'étendue de
ces dons, il aime mieux rester dans un vague discret
que de préciser :

« Qui pourra faire comprendre ce que Notre- Dame


du Sacré-Cœur, si prodigue envers tous, réserve de
grâces de choix à ses zélatrices et à ses zélateurs dévoués ?
C'est là un secret intime , dont nous pourrions dire
quelque chose ; mais l'expérience seule a droit de le
révéler. (P. 12.)

La petite brochure d'où je détache ces lignes est un


manuel fort curieux du zélateur et surtout de la zéla-
trice. Le père missionnaire qui en est l'auteur paraît
un habile homme. Les fidèles de toutes les classes sont
enrôlés par lui en qualité de courtiers. Religieux et
laïques , riches et pauvres , hommes, femmes, enfants ,
vieillards, tous se voueront à la propagande de Notre-
Dame du Sacré-Coeur ; et, afin d'être assuré du zèle
intelligent de ces auxiliaires, le bon père leur trace la
marche à suivre . Après la lecture de son petit livre, il
n'est personne qui ne se trouve en état, quels que soient

1. La Zélatrice de Notre-Dame du Sacré-Cœur, par un mis-


sionnaire du Sacré-Cœur de Jésus. Avec l'approbation de
Mgr l'archevêque de Bourges. Issoudun, 1871 , in- 18, p. 10 .
7.
78 Le Dossier

son âge ou sa position, de tirer parti des circonstances


pour amener à l'œuvre beaucoup d'associés , partant
beaucoup de cotisations .

« Chaque famille, dit le missionnaire, est un centre


d'action dans le monde ; elle a ses connaissances, ses
amis, ses visites, ses relations de tous les jours, ses
correspondances, ses affaires, selon son état et selon les
incidents de la vie ; elle peut donc devenir aussi un
centre d'action pour répandre l'archiconfrérie de Notre-
Dame du Sacré- Cœur...
>> Quelle que soit l'influence que sa position lui
procure au dehors , la zélatrice sait mettre à profit,
avec ce tact que donne l'esprit de Dieu , les divers
moyens qui sont en son pouvoir. Une parole dite à
propos sur l'Association ; son image, sa médaille ou
ses livrées, données à un enfant , les Annales prêtées à
une jeune fille, un tableau de Notre- Dame du Sacré-
Cœur offert en présent, quelques livres de l'œuvre mis
à la disposition de tous, une action de grâces racontée
dans la conversation ; la facilité proposée à certaines
personnes de les inscrire comme associées, de faire
arriver à Issoudun leurs recommandations, et mille
autres ressources ingénieuses comme les ârnes dévouées
à Marie savent en inventer, voilà les habitudes journa-
lières d'une fervente zélatrice . » (P. 25.)

La fervente zélatrice n'oubliera sa mission ni près


des domestiques de sa maison , ni près des pauvres qui
s'y présentent, ni près des malades qu'elle peut être
des Pèlerinages 79

amenée à visiter. Elle glissera une petite feuille de


propagande à l'un, une médaille à l'autre : ce sera
toujours autant de fait. Un subalterne ou un obligé
ne sauraient lui répondre par un refus blessant. Si
pourtant le malade repoussait la médaille , « attachez-
la, à son insu , dit le révérend père , au chevet de son
lit ; suspendez-la à sa muraille, cachez-la dans ses vê-
tements » .
Les sœurs sont désignées, par leur situation , pour
faire des zélatrices de premier ordre. Le père mission-
naire le sait de reste.

« Que de crèches, d'asiles, d'orphelinats , d'établis-


sements divers, d'hospices , d'ambulances, de missions
étrangères sont confiés à leurs soins ! ... Que de familles
de toutes les conditions sont, par cela même, en rela-
tion avec elles ! » (P. 34.) ]

Autant d'endroits où elles peuvent recommander la


dévotion à Notre-Dame du Sacré-Cœur .
Dans les ateliers, l'ouvrière , en passe de devenir zé-
latrice, devra agir avec une certaine circonspection :

« On montre à une compagne, que l'on a su dis-


cerner, l'image de Notre- Dame du Sacré-Coeur. C'est
une occasion d'en parler et d'en expliquer la significa-
tion. Cette gracieuse image est de celles qu'il est diffi-
cile de regarder en vain , ou d'oublier quand on l'a vue
une fois... Si cette première compagne se laisse gagner
à l'association et en prend le goût, elle saura en at-
80 Le Dossier

tirer d'autres ; on se trouvera bientôt un certain


nombre . >>

Il ne reste plus qu'à placer en évidence une statue


de Notre-Dame du Sacré-Cœur, avec une lampe de-
vant, pour que les bénédictions pleuvent sur l'atelier.
En pareil cas, « plus d'une fois , dans la morte saison ,
la céleste Patronne de ce saint asile montre sa recon-
naissance en envoyant de l'ouvrage inattendu et des
secours inespérés » . ( P. 23. )

Dans les pensionnats de jeunes filles, le révérend


père recommande la formation de petites congréga-
tions de Notre- Dame du Sacré- Coeur, avec une prési-
dente, une ou deux assistantes , une trésorière, une
secrétaire, des congréganistes et des aspirantes . La
présidente , seule zélatrice titulaire , se tient en commu-
nication permanente avec le sanctuaire d'Issoudun .
Aux réunions, « les aspirantes portent les livrées de
Notre-Dame du Sacré- Coeur, avec un ruban vert, les
congréganistes avec un ruban bleu . » Sur demande
apostillée de leur aumônier ou de leur maîtresse de
pension , ces dernières peuvent obtenir un diplôme de
zélatrices , « pour exercer les jours de sortie par leurs
relations extérieures , et les autres jours par leurs cor-
respondances ou le parloir , leur petit apostolat en de-
hors de la pension . » ( P. 19. ) )
Mais ce n'est pas assez , pour le père missionnaire,
d'enrôler les jeunes filles dans son service de propa-
des Pèlerinages 81

gande, il entend y enrôler jusqu'aux enfants du pre-


mier âge :
« Dès que sa main saura écrire lisiblement, on lui
donnera (à l'enfant) le désir d'avoir , lui aussi , sa liste
d'associés (le jeu de l'apostolat ! ) . Il a déjà ses jeunes
amis, sa petite parenté , qui viennent le voir et aux-
quels il rend fidèlement sa visite : il leur proposera
l'association . Quel est le petit garçon ou la petite fille
qui refuserait d'ajouter à sa prière du matin et du soir :
<< Notre-Dame du Sacré-Cœur, priez pour nous ! > »
c'est si court ! on acceptera. Notre jeune zélateur ou
zélatrice écrira de sa main, ou de la main de sa mère ,
les nouveaux associés , les grâces qu'ils implorent de
Notre- Dame du Sacré-Coeur pour leur famille et pour
eux. Ceux-ci n'auront rien de plus pressé , de retour à
la maison, que de raconter ce qu'ils ont promis et ce
qu'ils ont demandé à la Vierge. On prêtera l'oreille à
leur récit , on réclamera des explications. L'image
de Notre- Dame du Sacré-Coeur, que notre jeune
apôtre aura distribuée à ses amis, sera examinée ; on
lira ses feuilles de propagande, la grâce du bon Dieu
agira, et de grandes personnes bien avancées dans
l'amour de Marie devront néanmoins à un enfant le
bonheur de connaître cette nouvelle dévotion si tou-
chante, et d'être reçues, par son entremise, dans la
confrérie.
» Quand la liste contiendra au moins douze noms,
en l'honneur des douze ans que l'enfant Jésus semble
avoir, tel qu'il est représenté devant sa mère , le zéla-
teur ou la zélatrice fera sa petite lettre qui sera envoyée
82 Le Dossier

à Issoudun ; ce sera sa première correspondance avec


la reine du Ciel ; elle arrivera, en son nom, en çompa
gnie d'une multitude d'autres de tous pays, au pèle-
rinage de Notre-Dame du Sacré-Cœur où elle sera la
bienvenue. On n'oubliera pas de demander instam-
ment dans la lettre la grâce d'être inscrite comme as-
pirante à un diplôme de zélatrice. » (P. 17. )

Ainsi, tous les âges , toutes les conditions, tous les


pays sont appelés à fournir leur contingent à l'associa-
tion. C'est toute la terre que le père missionnaire vou-
drait affilier à son œuvre, et il ne le cache pas :

« C'est le monde entier que nous voulons conquérir !


Le monde entier ! Nous n'arrêterons l'extension de
notre zèle que le jour où , dans la plus humble hutte ,
perdue sur les dernières plages de la terre, comme dans
les centres les plus fréquentés du monde, nous aurons
établi le règne de Notre-Dame du Sacré- Cœur. >>
(P. 49.)

Pour obtenir le fameux diplôme, il faut notam-


ment :
<< Promettre de propager avec zèle , selon son état et
selon les circonstances, la dévotion à Notre- Dame du
Sacré-Cœur ;
» Avoir procuré au moins , à l'association , cent as-
sociés et un abonnement aux Annales de Notre-Dame
du Sacré- Cœur... »

« Ces diplômes, revêtus , dit notre père missionnaire,


des Pèlerinages 83

de la signature du directeur général de l'association,


et posés un moment aux pieds de la statue couronnée
de Notre-Dame du Sacré-Cœur, communiqueront de
précieux avantages aux personnes qui en auront rem-
pli les conditions. » ( P. 43. )

En présence d'une semblable organisation , il n'est


pas difficile de comprendre l'importance que peut avoir
une confrérie sur les destinées du sanctuaire où on
l'établit. Nous avons, du reste, sur ce point la confi-
dence de saint Joseph en personne .
On allait se résoudre à abandonner, faute de fonds,
l'idée d'élever un sanctuaire au dit saint à Beauvais :

« Ce fut à cette heure de grandes anxiétés , nous


raconte l'aumônier d'une école des frères , que notre
saint protecteur daigna manifester sa volonté. Alors
que nous étions en prières dans sa chapelle provisoire,
il nous sembla que saint Joseph nous reprochait la
voie dans laquelle nous étions entrés , et nous disait au
cœur :
» Vous ne réussirez jamais par les moyens que vous
employez ; il faut une œuvre plus digne de la gloire
de Dieu et de mon nom que la simple construction
d'une église. Il faut établir, en mon honneur, une ar-
chiconfrérie qui soit générale à toute la France. Le
but de cette archiconfrérie sera de développer mon
culte, d'appeler ma protection sur le Souverain Pon-
tife , sur la France et sur les royaumes catholiques , sur
les congrégations religieuses et les familles chrétiennes ;
de solliciter la conversion des persécuteurs de l'Église
84 Le Dossier

et des pays infidèles, et de demander pour les associés ,


ainsi que pour les membres de leur famille, la béné-
diction de leurs intérêts tant spirituels que temporels,
avec la grâce d'une bonne mort.
>> Présentez ces intentions à la piété des fidèles qui
me sont dévoués ; n'imposez aucune souscription
comme obligatoire, afin de ne priver personne des
grâces de l'archiconfrérie, et bornez-vous à proposer
aux associés de faire un don pleinement libre pour
élever l'église, centre de l'archiconfrérie, comme hom-
mage de la piété du XIXe siècle pour mon culte . Quand
l'heure sera venue, je vous faciliterai les moyens de
trouver des souscripteurs, et d'obtenir de Rome la
concession de mon archiconfrérie¹ . »

Ne trouvez - vous pas que la marche à suivre est ad-


mirablement indiquée : Donner comme but à l'asso-
ciation , qu'on répandra sur toute la France , la béné-
diction des intérêts tant spirituels que temporels >>
des associés , et abandonner à la générosité de ceux-ci
le chiffre des sommes par lesquelles ils voudront bien
reconnaître les faveurs qu'on leur prodigue. C'est l'ap-
plication aux choses d'en haut de la méthode, si em-
barrassante pour le client, du « Ce sera , monsieur, ce
que vous voudrez. » Très habile , ce saint-Joseph . Il
n'y a vraiment rien de tel que l'intérêt personnel pour
ouvrir l'imaginative .

1. Almanach de l'Archiconfrérie de saint Joseph de Beau-


vais, Beauvais, 1872. in- 18 , p . 142 .
des Pèlerinages 85

La plupart des organisateurs de confréries croient


bon de faire savoir qu'ils ne refusent pas les offrandes
«< les plus minimes ». Sur les actes de piété ils ne se
<
montrent pas beaucoup plus difficiles . Après avoir
tracé aux associés certaines conditions à remplir, ils
prennent généralement soin d'ajouter que ces condi-
tions ne sont nullement obligatoires. « Rien n'oblige
sous peine de péché » est une de leurs formules
courantes.

« Prière, dit le rédacteur d'un des petits livres du


sanctuaire d'Issoudun , de communiquer cette notice
et de recueillir des noms pour l'Association de Notre-
Dame du Sacré- Cœur, dont les avantages sont si
précieux et l'obligation nulle, pour ainsi dire ,
puisqu'elle se réduit à réciter simplement, une fois le
matin et une fois le soir, cette invocation : Notre-
Dame du Sacré-Cœur, priez pour nous ¹ . >>>

Ainsi presque rien à faire et des avantages considé-


rables ; comment ne racolerait-on pas facilement des
associés dans des conditions aussi engageantes ? Or
ce premier groupe d'associés auxquels on prêche un
prosélytisme ardent en amènera d'autres . Il serait bien
étonnant qu'il n'y en eût pas de généreux dans le
nombre. La propagande faite avec les fonds qu'ils
apporteront permettra de répandre le nom du sanc-

1. Notice sur l'Association en l'honneur de Notre-Dame du


Sacré-Cœur, p. 27.
.8
86 Le Dossier

tuaire . Plus on y adressera de sollicitations à la


Vierge, plus on aura de chances pour qu'un certain
nombre d'entre elles paraissent exaucées . De là des nar-
rations de miracles qui impressionneront favorable-
ment la masse des esprits portés à se payer de chimères.
Encore quelques coups de tam- tam frappés à propos,
un journal, des notices spéciales montrant le doigt de
Dieu sur la dévotion nouvelle et dans cette dévotion le
salut du pays : voilà un sanctuaire fondé.
Au point de vue des moyens employés pour la pro-
pagande, le sanctuaire d'Issoudun est un sanctuaire-
type. Rien de ce qui peut favoriser le recrutement
intelligent d'une clientèle n'a été négligé par les pères
missionnaires qui se sont donné pour mission de le
lancer.
Au nom de leur Notre- Dame, ils font lithographier
des images, mouler des statuettes , frapper des mé-
daillons et des médailles ; ils publient des brochures,
des litanies, des cantiques, des neuvaines, et jusqu'à
des prières dites « efficaces » , ce qui n'est qu'à demi
flatteur pour les prières des autres . Leurs petites
feuilles de propagande, imprimées avec de l'encre
azurée, sont répandues avec une folle prodigalité non
pas seulement en France, mais encore à l'étranger.
Elles sont traduites, nous apprennent-ils eux - mêmes,

1. « Le nombre qui s'en est écoulé est incalculable. On a


pensé que dans les maladies de l'âme et dans celles du corps le
meilleur remède était l'application de la médaille de Notre-
Dame du Sacré-Cœur. » De la dévotion à Notre-Dame du Sa-
cré-Cœur, p. 138.
des Pélerinages 87

<< en anglais, en italien , en hollandais , en portugais, en


allemand , en tamoul, en malgache, en thibétain , en
1
espagnol , en arabe,, etc. » . Leur journal, -- car ils
en ont un, nécessairement, - ne se contente pas non
plus de paraître en français : il a des éditions italienne,
espagnole , hollandaise et allemande . De célestes
faveurs paraissent attendre ceux qui , non contents
de s'y abonner, y abonneront encore les autres :

<< Abonner les pauvres et les enfants à cette petite


publication et leur procurer la joie de recevoir, eux
aussi , les Annales de la Vierge, est un apostolat que
Dieu bénit . >>

On apprend dans ces publications toute sorte de


choses fort intéressantes . Et d'abord , que l'association
a pour but spécial « de confier à Notre- Dame du
Sacré-Cœur le succès de toutes les causes difficiles ,
extrêmes ou désespérées, » par exemple : «< les agonisants
dont le salut est en péril , les tentations les plus fortes
et les plus persévérantes , les épreuves les plus sensi-
bles, les besoins les plus pressants, les dangers les
plus imminents et les maladies les plus graves,
etc. , etc. »
C'est par des pratiques de dévotion à Notre- Dame
du Sacré-Cœur, messes, neuvaines, chapelets, litanies,
que ces périls sont ordinairement écartés .

1. Notre-Dame du Sacré-Cœur mieux connue, par le R. P.


Chevalier. Avec l'approbation de Mgr l'archevêque de Bourges .
Nouvelle édition . Issoudun, 1871 , in- 18, p . 40.
2. Notre-Dame du Sacré-Cœur mieux connue, p . 39.
88 Le Dossier

A côté de leur neuvaine courante , les missionnaires


sont en état d'offrir une réduction de neuvaine : la
petite »
> neuvaine qui s'accompagne volontiers d'une
communion.

<< Nous conseillons aux personnes qui font une


neuvaine à Notre- Dame du Sacré -Coeur de la terminer
par la sainte communion , afin d'obtenir plus sûrement
ce qu'elles désirent ¹ . »

Pour ceux qui trouvent la petite neuvaine encore


trop longue, les bons pères ont imaginé la Semaine de
Notre-Dame du Sacré- Cœur sept jours de prières
au lieu de neuf. Ils sont en outre inventeurs d'un
chapelet spécial : le chapelet de Notre- Dame du Sacré-
Cœur. Ils se chargent de dire les messes, de faire les
neuvaines et aussi les neuvaines de messes ( neuf
messes consécutives ) pour ceux qui ne craignent pas la
dépense. C'est également à eux qu'on s'adresse pour
les cierges à faire brûler, les lampes à entretenir, de
même que pour l'envoi de toute espèce d'objets relatifs
à la dévotion dont ils ont la gérance.

« Nous n'avons fait chez aucun marchand de dépôt


de nos images ni autres objets de l'association . Nous
prions nos associés qui voudraient s'en procurer, de
s'adresser directement à nous . >> (Couverture des
Annales. )

1. Petite Neuvaine à Notre-Dame du Sacré-Cœur. Bourges,


impr. Pigelet, in-32 .
des Pèlerinages 89

Enfin, il n'est pas jusqu'aux plaques des ex-voto


qu'ils ne soient jaloux de fournir eux-mêmes. Ils sont,
en même que temps missionnaires, libraires , bim-
belotiers, journalistes , marbriers, lampistes. Tous les
dimanches, les demandes de faveur adressées par les
associés pendant la semaine sont soumises à la Vierge,
qui juge si elle doit ou non les exaucer. Il paraît
qu'il en arrive de tous les points du globe cent
mille par mois, plus d'un million dans l'année, chiffre
officiel, ce qui doit singulièrement réjouir l'adminis-
tration des postes . S'il vous plaît de comparer au
chiffre des demandes celui des faveurs accordées ,
sachez que les missionnaires déclaraient en 1875
n'avoir pas reçu moins de 170,000 actions de grâces
depuis onze ans à peu près qu'était fondée leur maison.
Nous abandonons à d'autres cette mine pleine de
filons joyeux. Sur l'efficacité du recours à Notre- Dame
du Sacré- Cœur, les pères missionnaires produisent un
témoignage qui nous suffit, celui du diable .

« Dans une des plus grandes villes de France où


cette dévotion était complétement inconnue , le démon ,
interrogé par un saint prêtre sur le moyen à prendre
pour obtenir une conversion , fut obligé de répondre :
« Adresse-toi à ta souveraine et prie-la surtout sous le
> nom de Notre- Dame du Sacré-Cœur ; c'est un
» moyen infaillible de débarrasser cette femme de
» l'esprit satanique qui l'obsède et de l'orgueil effréné
» qui la domine ¹ . »

1. De la Dévotion à Notre-Dame du Sacré- Cœur, p. 141 .


8.
90 Le Dossier

Le témoignage de Satan est formel ; celui d'un grand


nombre d'évêques ne l'est pas moins . Quatre cents
prélats, si j'en crois les missionnaires, ont encouragé
leur œuvre. Quant au pape, il a voulu s'inscrire « lui-
même, de sa main , » parmi les associés. Les pères
missionnaires n'ont pas obtenu de lui que cette faveur .
Sur leur demande , il a décerné à Notre- Dame du Sacré-
Cœur l'honneur insigne du couronnement, accordé
cent jours d'indulgence à quiconque prierait devant
l'image dont la composition leur est propre¹ , et multi-
plié aux confrères, devenus de par lui des archicon-
frères, les félicitations et les bénédictions .

1. Dans l'entrevue où les missionnaires obtinrent du pape


cette faveur, ils venaient en même temps solliciter de lui l'ap-
probation définitive de leur congrégation . Parmi les dons
qu'ils déposèrent à cette occasion aux pieds du Saint-Père, les
Annales signalent une statue du Sacré-Cœur, en bronze ar-
genté, d'une conception charmante :
<< Entre le socle d'onyx et la statue de bronze était cachée
une petite cassette renfermant 8,000 francs en pièces d'or, nou-
velle offrande des missionnaires du Cœur de Jésus et des asso-
ciés de Notre-Dame du Sacré- Cœur. Un ressort invisible ,
adroitement ménagé, devait faire sortir ces rouleaux d'or au
moment où le Saint-Père aurait les regards attachés sur le
Sacré-Cœur... Le Pape fit déposer la statue sur son bureau , il
a contempla avec beaucoup de plaisir et d'attention : au mo-
ment où il regardait la tiare placée sous la protection du Sa-
cré-Cœur de Jésus , le socle dont nous avons parlé s'ouvrit tout
d'un coup et fit sortir la cassette pleine de pièces d'or . Étonne-
ment du Pape ; il nous remercie avec affection et nous dit les
plus charmantes paroles. A ses yeux, c'était le Sacré-Cœur qui
méprisait les richesses de ce monde, puisqu'il les jetait ainsi
loin de lui . » Annales de Notre-Dame du Sacré-Cœur. Issou-
dun, in- 18. Juillet 1874, pp . 147 , 153 .
des Pèlerinages 91

Parmi les archiconfrères, il en est un certain nombre


qui reçoivent ces bénédictions sans s'en douter : ce
sont ceux qu'on inscrit sur les registres de l'association
à leur insu. Dans beaucoup de confréries , aussi
bien que dans celle de Notre- Dame du Sacré - Cœur, un
ami ou un parent trop zélé peut, d'après le réglement,
vous faire cette mauvaise plaisanterie de vous affilier
sans que vous le sachiez. Il ne lui en coûte qu'un
timbre-poste et l'offrande... facultative.
A leur insu également, les défunts peuvent figurer
dans l'association, pourvu que quelqu'un remplisse à
leur égard les formalités requises, si bien qu'il ne
serait pas impossible que Voltaire lui-même en fît
partie. Il paraît d'ailleurs que certaines âmes se trou-
vent très bien de cette précaution :

<< Plusieurs grâces remarquables obtenues en faveur


des âmes du Purgatoire ont été, dit le père Chevalier ,
l'objet de divers témoignages de reconnaissance à
Notre- Dame du Sacré-Coeur ¹ . »

On voit par là que les missionnaires sont tenus au


courant même des faveurs qu'ils obtiennent aux âmes
du Purgatoire . Il n'est pas possible d'être mieux
informé ¹ !

1. Notre-Dame du Sacré-Cœur mieux connue, p. 25 .


2. « Si le fait suivant paraît extraordinaire et merveilleux , la
foi éclairée de nos associés n'aura pas de peine à l'admettre,
surtout en considérant qu'il est appuyé du témoignage de
deux les graves, dont on ne saurait suspecter ni la bonne
foi ni l'intelligence, un docteur en médecine et un greffier de
juge de paix.
92 Le Dossier

Tout en restant facultative, l'offrande ne laisse pas


que d'être encouragée. Ainsi , sur la couverture d'une
des notices de Notre- Dame du Sacré-Coeur , nous
lisons que l'offrande de « 20 centimes au moins par
personne une fois donnés » procure entre autres
avantages une messe par semaine à perpétuité et l'in-
sertion des noms des donateurs dans un registre parti-
culier, ainsi que « en un cœur de vermeil suspendu
dans la nouvelle chapelle ».

« On peut, dit un nota bene, faire participer à tous

» Il s'agissait d'une personne impossible à désigner, une âme


en peine sans doute, manifestant sa présence à la manière des
esprits frappeurs, par certains actes tout à fait en dehors des
lois du monde physique, comme bruits, apparitions, etc. , dans
la maison du docteur M..., à L...
» Pendant la grande tourmente révolutionnaire, une victime
de la Terreur était morte dans cette maison ; c'était un membre
de la famille du docteur. Peu après cette époque, le phénomène
se manifesta. On essaya tous les moyens pour découvrir la
cause de ces bruits, de ces manifestations, et pour les faire
cesser ; mais tout ayant été inutile, on finit par croire à une ap-
parition du pauvre défunt.
» Cela durait depuis soixante ans environ lorsque, en 1864,
le docteur, entendant parler du nouveau titre donné à Marie
et des merveilles opérées par Notre-Dame du Sacré-Cœur, vou-
lut en faire l'expérience par lui-même... Les bruits et les
choses extraordinaires qui depuis 1807 troublaient le repos de
sa demeure, ont complétement cessé. Le docteur est si émer-
veillé de ce fait qu'il m'en parle chaque fois qu'il me voit.
» ... Il semble que la justice divine ait réservé cette victime
pour servir, après tant d'années, à glorifier Notre- Dame du
Sacré-Cœur. » Le Pouvoir de Notre - Dame du Sacré- Cœur
prouvé par des faits, par un missionnaire du Sacré-Cœur. Ap-
prouvé par Mgr l'archevêque de Bourges. Tours, 1866, in- 18,
P. 170.
des Pèlerinages 93

ces avantages une personne vivante ou défunte à


laquelle on s'intéresse en faisant pour elle l'offrande si
modique de 20 centimes . »

Assurément l'offrande est du dernier modique et il ne


faudrait pas avoir sur soi vingt centimes « au moins »
pour refuser sa cotisation aux bons pères .
Autres lieux , autres tarifs. Les pères oblats qui solli-
citent, eux aussi , des fonds pour la construction d'une
chapelle : la succursale de la Salette à Saint-Andelin ,
n'offrent à leurs souscripteurs qu'une messe par mois
contre l'envoi d'un franc « au moins » . Il faut dire
qu'ils y joignent le don d'une image et l'espérance que
<< Notre-Dame de la Salette comblera de ses faveurs toutes
les personnes qui voudront bien leur venir en aide¹ .
Au petit séminaire de Séez , « la plus légère aumône »
suffit pour vous assurer une messe quotidienne à
perpétuité.

« Une messe par jour ! s'écrie le rédacteur du pros-


pectus enthousiasmé. Il y a dans cette faveur si rare
des avantages incalculables. C'est en quelque sorte
le bonheur rendu certain ! >»

Et, pour faire apprécier d'une manière sensible


comment le bonheur peut découler d'une messe à per-
pétuité, le petit séminaire publie en tête d'une de ses
feuilles de propagande une gravure d'une composition
ingénieuse. On y voit à gauche un prêtre qui dit la
messe, la fameuse messe à perpétuité, et à droite ,

1. Le Pèlerin, 2º année, p . 579.


94 Le Dossier

séparéé de lui par un nuage , une famille dans un


salon le père à son bureau, la mère à sa couture,
les enfants à leurs jeux , sur lesquels deux anges répan-
dent les faveurs sous forme de couronnes. On a
ainsi sous les yeux, se faisant vis-à -vis , la cause et
l'effet cela est saisissant '.
Le curé d'Aizanville offre, lui aussi, à ses souscrip-
teurs une messe par jour à perpétuité ; mais il en fixe le
prix : 50 francs pour une personne seule ou une famille
indifféremment, grandes facilités pour le versement,
qui peut se faire en deux ou trois annuités . Les dona-
teurs ont de plus, sans augmentation de prix, leur nom
inscrit sur un registre et dans un cœur en vermeil .
<< Dieu veuille, ajoute l'excellent curé, qu'ils soient
également inscrits sur le livre de vie » , autrement dit :
<< Dieu veuille que cela leur serve à quelque chose ! »
Ce qui frappe le plus , style à part, dans ces appels
de fonds dont je pourrais multiplier les citations à
l'infini, - car chaque année les voit éclore par cen-
taines ¹. c'est le singulier rôle qu'on y donne au
saint sacrifice, soit qu'on l'offre en prime , soit qu'on

1. Prospectus in-8°. Paris, impr. W. Remquet et C. ]


2. Il est même certains lieux qui les gardent affichés en
permanence. Ainsi on peut lire au-dessus d'un des troncs de
l'église de Notre-Dame de Nazareth , à Paris :
« Le dernier mercredi de chaque mois une messe est dite
aux intentions des personnes qui, dans le courant du mois, ont
versé dans ce tronc la somme de 50 centimes.
» En outre, deux messes par mois sont dites aux intentions
des personnes qui, dans le courant de l'année, ont fait à cette
chapelle une aumône ou un don de la valeur de 20 francs. »
des Pèlerinages 95
en fasse l'objet d'une sorte de marché, comme dans la
pièce suivante qui vaut la peine d'être citée à titre
d'échantillon :

POUR UNE AUMONE DE 5 SOUS

SOIXANTE MESSES

OU DOUZE MESSES PAR AN PENDANT 5 ANS

L'aumône sera employée sous la surveillance de Mgr l'évêque


de Laval à l'achèvement et à l'ameublement de l'église parois-
siale de Notre-Dame de l'Immaculée-Conception d'Andouillé
(Mayenne).
Les soixante messes seront célébrées en ladite église à partir
du 1er mai 1861 , aux jours et aux intentions ci-dessous, et en
l'honneur de Marie Immaculée et de saint Prosper, martyr.

INTENTIONS ET JOURS DES MESSES :


I. Intentions particulières des donateurs : 1º Le jour saint
Étienne, premier martyr ; 2° le mercredi des Cendres ;
30 le jour saint Joseph.
II. Pour les enfants, parents et amis des donateurs : Le jour
saint Marc; 2° le jeudi saint ; 3° le jour saint Louis de
Gonzague.
III. Pour la conservation des biens des donateurs : 1º le lundi
des Rogations ; 2º le mardi des Rogations ; 3º le mercredi
des Rogations.
IV. Pour la paix et le triomphe de l'Église : 1º Le jour de
l'Octave de l'Assomption ; 2° le jour saint Michel Ar-
change ; 3° la nuit de Noël.
Et ainsi pendant cinq ans, 5 sous seulement donnent droit
au fruit de soixante messes !
Le curé d'Andouillé, J.-B. Heslot.

Laval. Imp. Mary-Bauchêne.


96 Le Dossier

Ici les messes reviennent à un sou la douzaine.


Les sœurs Augustines de Chinon en offrent juste le
double deux douzaines, pour un sou (une messe par
mois pendant quarante ans contre un franc) . Elles y
ajoutent même quatre images, sans doute pour ceux
que la seule perspective des messes ne tenterait pas
assez.
Le curé de Graçay, qui a une chapelle à construire ,
dépasse encore les sœurs Augustines en générosité.
Contre une aumône de vingt-cinq centimes, il promet
douze messes par an pendant six ans, plus une messe
à perpétuité et une image . Pour le souscripteur qui
verse un franc , les douze messes deviennent perpé-
tuelles ; il participe aux prières de la confrérie du Saint-
Sacrement, au service annuel que cette confrérie fait
dire pour ses défunts , à ses huit messes solennelles de
l'Octave de la Fête- Dieu , et, après sa mort, à une
neuvaine de messes célébrées chaque année pour les
bienfaiteurs défunts ; enfin il reçoit par-dessus tout cela
<< la photographie de la Vierge » .
M. le curé profite de l'occasion pour rappeler qu'il
se charge des commissions pour le Ciel :

« On est prié, dit le prospectus , d'écrire ses inten-


tions sur une petite bande de papier détachée de la
lettre , si l'on tient à ce qu'elles soient déposées dans
un des neuf cœurs en vermeil rangés sous les regards
de Notre- Dame de Graçay. Les intentions qui arrivent
le même jour sont confiées au même cœur, et, après
avoir prié sur elle neuf jours , elles en sont extraites et
des Pèlerinages 97

placées aux pieds de Marie , dans l'intérieur de l'autel


soigneusement fermé, et protégées pendant de longues
années contre l'humiditié ' . »

Ah çà ! penseront les incrédules , pour que les de-


mandes adressées à la Vierge aient besoin d'être pro-
tégées pendant tant d'années contre l'humidité, le Ciel
est donc bien long à les exaucer !
Ce n'est qu'après qu'il aura reçu votre « généreuse
offrande » que M. le curé de Fréty se réserve de vous
faire connaître le détail des faveurs spirituelles qui
vous reviennent ; mais, en attendant, il vous promet
une image en couleur bien tentante, le triomphe de la
chromo-lithographie :

« Remarquez qu'aucune oeuvre ne vous apporte


d'aussi précieux avantages que je ne puis vous déve-
lopper que dans ma lettre de remercîments : messes ,
prières , sacrifices , bénédiction du Saint-Père , etc. ,
et la plus belle chromo- lithographie du Sacré-Cœur
qui ait encore paru , je ne crains pas de l'affirmer avec
connaissance de cause . Mon acte de remerciement sera
accompagné d'un fidèle et nouveau portrait de Sa
Sainteté Pie IX qui vous apportera sa bénédiction .
Ces images artistiques seront sanctifiées au contact des
reliques de la bienheureuse Marguerite-Marie . »

Au lieu d'une image du Sacré-Cœur, eût-elle reposé

1. Prospectus in-8° autographié.


2. Prospectus in-4° . Rennes, imp. Hamon.
9
ier
98 Le Doss

sur les reliques de la bienheureuse Alacoque, préférez-


vous des livres , des médaillons , des cantiques , voire
même des billets de loterie , M. le curé de Digoin vous
offrira tout cela et bien autre chose encore. Dans un
prospectus où il demande « à butiner de nouvelles
ressources auprès des bons cœurs , comme la patiente
abeille butine son miel auprès des fleurs » :

« Pouvez - vous , demande aux vrais amis de la


patrie l'inventeur de Notre-Dame de la Providence,
ne pas désirer : - ou bien d'enrichir votre biblio-
thèque d'un beau et bon livre, la vie de la bienheureuse
Marguerite-Marie , apôtre privilégiée et choisie de la
dévotion au Sacré-Cœur de Jésus ; ou bien de
décorer un de vos appartements d'une belle et artis-
tique lithographie , vrai tableau de famille dans un
foyer chrétien , la lithographie de Notre-Dame de la
Providence ; ou bien de vous procurer , soit pour
vous-mêmes, soit pour cadeaux , des objets religieux ,
tels que médailles , médaillons , etc. , de Notre- Dame
de la Providence, pieux objets que le vrai chrétien
aime à sentir battre sur sa poitrine ; >> ou bien de
courir, soit par récréation , soit par charité, soit même
par intérêt, les chances d'une loterie remarquable par
le nombre et la variété de ses lots , loterie autorisée
dont le premier tirage a été accueilli partout avec
faveur ; --- ou bien enfin de posséder, pour le chanter
ou pour le propager, un chant magnifique déjà goûté
en beaucoup de lieux ? >>

Les chances mêmes d'une loterie n'auraient-elles


des Pèlerinages 99

rien de séduisant pour vous , M. le curé ne vous lâche


pas :

<< Mais , si aucune de mes offres ne vous est agréable,


ne vous plairait-il pas , du moins , de me donner une
obole, ce sou que l'on ne refuse à personne ? Le Lazare
de l'Évangile se serait contenté des miettes qui tom-
baient d'une table. Oh ! que , volontiers, je me conten-
terais des miettes de vos aumômes : 50 , 80 centimes,
1 ou 2 francs , voilà tout ce qu'il faut pour me venir
efficacement en aide. Quelques centimes qui ne seront
pour vous qu'une privation peut - être légère , seront
pour moi un trésor . Les grains de sable ne forment-
ils pas les montagnes , et les gouttes d'eau, réunies
une à une, les rivières et les fleuves ? »

Je serais tenté de m'arrêter sur ces dernières lignes


si caractéristiques ; mais comment ne pas ajouter que ,
même si vous lui refusez 50 centimes , M. le curé ne
se tient pas pour battu . Vous avez bien des vieux
journaux , des vieux cartons , des vieilles cartes de
visite , des brochures sans valeur , des livres usés , des
timbres maculés de toute couleur , de toute date et de
toute nationalité. Il ne vous demande pas de lui aban-
donner autre chose. Et ce n'est pas même vous qui
aurez à prendre la peine de les ramasser :

<< Puissez-vous me découvrir des personnes dévouées ,


une pieuse domestique, une enfant de Marie, de jeunes
enfants à qui l'on voudrait enseigner l'ordre et la pra-
BLIOTH
DE LA
VILLE DE
LYON
100 Le Dossier

tique de la charité, et qui me recueilleraient quelques


milliers de ces vieux timbres, ou quelques kilogrammes
(50 à 100 kilogr. à la fois) de tant d'objets qui semblent
de nulle valeur et qui se perdent ! >>

A Brouzet-lez-Alais, on fait vibrer une autre corde .

« Voulez-vous que mille fois par jour votre nom


soit béni dans un cercle de 600 kilomètres de dia-
mètre ? »

Tiens, parbleu ! qui ne voudrait que son nom fût


béni mille fois par jour dans un pareil cercle ! Et que
faut-il pour cela ?

« Ah ! donnez , et donnez largement pour la statue


monumentale de Mater-Admirabilis du Bouquet. Ne
craignez pas de vous imposer quelques privations :
au contraire ; faites un petit trésor à votre mère 2. »

Et, rappelant que l'oeuvre a commencé avec des


gros sous, le prospectus fait savoir qu'on peut adresser
à M. le curé des billets de banque. Mais saurait- on
trop payer la satisfaction d'être béni mille fois par
jour sur une étendue circulaire de 600 kilomètres de
diamètre !
Evidemment la corde qu'on a voulu faire vibrer ici

1. Prospectus in-8° Impr. Dardelet.


2. Manuel des Pèlerins de Mater admirabilis de Brouzet et
de Bouquet. Paris, Douniol, 1865 ; in- 18, p . 35 .
des Pèlerinages ΙΟΙ

est celle de l'amour -propre. Il est rare qu'on la néglige


dans les prospectus de ce genre . Nous avons déjà ren-
contré des promesses d'insérer les noms des souscrip-
teurs dans un cœur de vermeil , de les inscrire sur un
registre . Ce registre prend à l'occasion un nom pom-
peux le Livre d'Or, le Livre des Élus. Souvent on
établit une sorte de classement honorifique entre les
souscripteurs.
Au-dessus de ses zélateurs , qu'elle compare à des
rameaux, l'œuvre d'Issoudun place ses fondateurs ,
qu'elle qualifie de petites branches , puis ses bienfai-
teurs, qu'elle traite de branches mères . Fondateurs et
bienfaiteurs reçoivent comme les zélateurs un diplôme.
Pour mériter celui de fondateur, il faut avoir fait
pénétrer la dévotion nouvelle dans une localité où elle
n'existait pas, avoir érigé en l'honneur de Notre- Dame
du Sacré- Cœur une statue , un monument, un ora-
toire. On engage les fondateurs à « s'encourager les
uns les autres »> , à « rivaliser à qui fera le mieux » . On
leur rappelle qu'il ne suffit pas de créer, qu'il faut
encore entretenir :

« Celui qui a allumé du feu avec peine tâche de ne


pas le laisser s'éteindre, il l'entretient. Celui qui a bâti
une maison s'occupe de la meubler , de l'embellir , de la
faire habiter... Il en est de même des œuvres de l'Asso-
ciation . On y entretient le feu sacré, on les fait vivre
d'une vie active, on organise des cérémonies pieuses ,
des réunions , des fêtes ; on multiplie les associés , et
l'on envoie le compte rendu de toutes ces diverses
9.
102 Le Dossier

œuvres au sanctuaire d'Issoudun, afin qu'il y ait un


lien toujours plus étroit entre le pèlerinage de toute
l'association et les sanctuaires qui en sont les rejetons.
>> On fait plus encore. Pour affermir davantage la
fondation que l'on a faite et que l'on soigne avec tant
de sollicitude, on cherche une âme fervente à qui l'on
puisse laisser après soi , en observant toutes les conve-
nances voulues en pareil cas, la continuation de
l'œuvre, et qui s'en occupe avec zèle. On prévoit, on
dispose toute chose pour qu'elle hérite du titre de fon-
datrice et en exerce toute la charge ¹ . »

Aux fondateurs timides, la congrégation d'Issoudun


offre le pseudonymat :

« Le nom du fondateur ou de la fondatrice, ou celui


qui aura été pris si l'on ne veut pas être connu , sera
inscrit pour être conservé dans les archives de l'Asso-
ciation de Notre- Dame du Sacré-Cœur. »

Ajoutons que le titre de fondateur de l'Association


procure l'insigne faveur d'être dépositaire de marchan-
dises :

« Les fondateurs ou fondatrices pourront obtenir


d'Issoudun un dépôt des divers objets de l'Association
avec une remise de dix pour cent et franco ². »

1. La Zélatrice de Notre-Dame du Sacré-Cœur, p. 39.


2. La Zélatrice, p . 45 .
des Pèlerinages 103

Le diplôme plus élevé de bienfaiteur appartient à


ceux qui <« favorisent de quelque manière que ce soit
le centre de l'œuvre » . (P. 40.) Cependant on remarque
un peu plus loin qu'il faut pour le mériter << avoir
rendu ou procuré un service sérieux au centre de
l'Association, avoir fait une offrande importante,
donné quelque ornement ou avoir contribué à l'orne-
mentation du sanctuaire d'Issoudun. » (P. 46.)
Le tarif du petit séminaire de Felletin ( Creuse )
proportionne le titre au chiffre de l'offrande. Pour
2,000 francs « au moins » , vous pouvez êtrefondateur
insigne ; pour 1,000 francs , toujours « au moins » ,
fondateur principal ; pour 500 francs , de plus en plus
« au moins » , fondateur tout court . Au -dessous de
cette somme, il n'y a plus que de vulgaires sous-
cripteurs.
A Plainville (Oise) , on est moins exigeant :

« Pour une offrande de cinquante francs au moins ,


vous aurez droit au titre de fondateur . Votre nom
sera gravé sur le marbre et placé sous les pieds de la
statue de Saint- Michel ¹ . >>>

Avoir son nom gravé sur le marbre, ni plus ni


moins qu'un triomphateur, qui pourrait être insensible
à une telle perspective ?
M. le curé de Longpont, qui paraît connaître , lui
aussi , les attractions de la plaque de marbre, invite les

1. Prospectus in-4° . Paris, impr. H. Carion.


104 Le Dossier

fidèles à apporter chacun sa pierre pour la reconstruc-


tion de son église . Et il ne s'agit pas ici d'une pierre
métaphorique , mais d'un véritable cube de calcaire :

« 1º Les familles, établissements ou particuliers


qui donneront une pierre ( chaque pierre , d'après l'es-
timation d'un habile architecte, reviendra à vingt
francs) , seront inscrits sur le registre des donateurs .
>> 2º Les paroisses , particuliers , associations qui
feront un don de 100 francs , auront le titre de bienfai-
teurs et leurs noms seront inscrits sur un tableau de
marbre, placé à l'intérieur de l'église.
.
» 3º Les paroisses , particuliers , associations qui
donneront un pilier ou une partie de construction
équivalente, auront le titre de fondateurs , et leurs
› noms seront inscrits sur la partie de l'édifice donnée
et sur le tableau de marbre ¹ . »

Je ne connais de plus attrayant, pour un personnage


dont l'importance n'est pas à la hauteur de ses désirs,
que le prospectus de l'Auxiliaire des églises , où l'on
peut lire:

1. Prospectus, in-8°, Saint-Denis, impr. Lambert.


2. L'Auxiliaire des églises est une société anonyme fondée
par actions à Toulouse, il y a quelques années, au capital de
huit millions « dans un but tout à la fois religieux et commer-
cial », dit son prospectus. L'œuvre était religieuse en ce qu'elle
devait faciliter aux églises, par l'extrême bon marché, l'acqui-
sition des objets nécessaires au culte ; commerciale, en ce qu'elle
ne comptait pas moins faire prospérer grassement l'argent de
ses actionnaires. En dehors d'un intérêt de 6 o/o servi aux por-
des Pèlerinages 105

<< Les personnes pieuses qui en prendront ( des ac-


tions) pour 5,000 francs, jouiront en outre : 1º du titre
de bienfaitrices de l'oeuvre ; 2° leur nom figurera en
tête des affiches et des prospectus parmi ceux des bien-
faiteurs et bienfaitrices de l'œuvre'; 3° dans les réu-
nions générales des places particulières leur seront
réservées immédiatement après celle des fondateurs de
la société.
Celles qui en prendront pour 10,000 francs et au-

teurs d'actions, le surplus des bénéfices devait être ainsi ré-


parti 10 0/0 en bonnes œuvres, 10 0/0 à la direction, 10 0/0
à chacun des quatre principaux fondateurs, 40 0/0 aux action-
tionnaires.
« Réfléchissant naguère, disaient les fondateurs, sur la véri-
table cause des malheurs que la Providence venait de nous in-
fliger, nous avons été maintes fois douloureusement émus en
voyant qu'alors que l'on s'empressait partout en France, avec
le plus louable dévouement, à ouvrir des souscriptions pour
délivrer notre malheureuse patrie de l'ennemi du dehors, per-
sonne ne songeait et ne songe encore à la délivrer de l'ennemi
du dedans , ennemi d'autant plus dangereux qu'il est invisible. »
On voit que l'œuvre devait avoir son petit côté politique .
Cette préoccupation se trahit par l'idée assez singulière d'avoir
mis à sa tête, tandis que quelques abbés prennent le titre mo-
deste de coadjuteurs, une réunion d'officiers supérieurs dont
quelques-uns, se trouvant encore en activité de service , sont
désignés sur le prospectus par de prudentes ètoiles.
« Pour suppléer, nous dit-on , à l'incompétence de ces mes-
sieurs en matière commerciale, nous avons eu soin de placer à
côté d'eux, sous les ordres de la direction, un homme d'une in-
telligence supérieure et d'une loyauté bien connue, spécialement
chargé de cette partie, et dont l'expérience sera pour nous une
garantie certaine de succès. >>
Nous ignorons ce que cette œuvre clérico-militaire est de-
venue.
106 Le Dossier

dessus, jouiront, en outre des avantages ci-dessus


mentionnés 1° de la faculté de faire exécuter pour leur
paroisse et aux frais de la société, un tableau de grande
dimension, pour chaque dix actions souscrites en sus
de 5,000 francs ; 2º elles auront également le droit de
faire faire, aux frais de la société, une mission dans
leur paroisse à la demande de M. le Curé ; 3º leur por-
trait peint à l'huile, et de grandeur naturelle, sera
placé dans la grande salle des réunions¹ » .

Que peut-on offrir de plus réussi que ce portrait


<< peint à l'huile » et « de grandeur naturelle » aux
petites vanités en mal d'éclosion, à moins d'y ajouter
encore un ruban à la boutonnière? Il est vrai que dix
mille francs sont une somme.
Le petit appel à l'amour-propre n'a pas été négligé
par Mgr l'évêque de Tarbes lorsqu'il a convié le public
à élever un temple à Notre- Dame de Lourdes. Les
souscripteurs de 20 francs « et au-dessus » allaient
acquérir le titre de bienfaiteurs principaux, les
souscripteurs de 500 francs « et au-dessus » celui de
fondateurs du sanctuaire de la grotte de Lourdes .
Les noms des uns et des autres devaient être précieuse-
ment conservés sur le registre et dans le fameux cœur
de vermeil. Des messes aussi leur étaient promises :
une par semaine à perpétuité . Mais ce qui ressortait
de plus piquant du programme épiscopal, était cette
adroite insinuation :

1. Prospectus in-4° . Toulouse, impr. Pailhès .


aes Pèlerinages 107

<< Nul doute que les personnes qui contribueront


par leurs largesses à la construction de ce monument ne
reçoivent en échange quelque faveur signalée soit
dans l'ordre spirituel , soit dans l'ordre temporel ¹. »

Est-ce à l'influence d'une belle promesse qu'il


faut attribuer le remarquable empressement des
fidèles ? Quoi qu'il en soit et quelques succès qu'aient
obtenus les appels réitérés du prélat, soyez persuadé
que jamais l'empressement ne lui paraîtra suffisant. Il
nous souvient de la lettre pleine d'une belle indigna-
tion qu'adressait l'année dernière au Monde le vicaire
général de l'évêché de Tarbes. Le Monde s'était avisé
d'écrire innocemment qu'à la grotte Massabielle « tout
était complet, moins certains détails qui ne deman-
daient qu'une discrète intelligence et des ressources
restreintes » . Des ressources restreintes, qu'est- ce à
dire ? Et le vicaire général, taillant sa plume en toute
hâte, se plaint vertement que cette affirmation , « com-
plétement erronée , et qu'on travaille d'ailleurs à
répandre (on , qui cela ? des concurrents sans doute) ,
tende à arrêter ou du moins à restreindre les
offrandes des fidèles » .

« Il a été beaucoup fait pour le sanctuaire de


Notre-Dame de Lourdes ; mais il reste beaucoup à
faire... 2 >>

Il reste d'autant plus à faire , que Mgr Peyramale ,

1. Annales de Notre-Dame de Lourdes, juin 1869, in- 8°.


2. Le Monde. Septembre 1876 .
108 Le Dossier

le curé de Lourdes ¹ , imagine maintenant de solliciter


la générosité des fidèles en faveur de la vieille église
de Lourdes . Il pourrait donner tout bonnement
comme raison que l'éclat du nouveau temple fait honte
à la vétusté de l'ancien ; mais il a trouvé un bien
meilleur motif d'embellir l'église paroissiale :

<< En prenant le nom, dit-il , non -pas de Notre-


Dame de la Grotte, mais bien de Notre-Dame de
Lourdes, la Vierge divine a marqué sa volonté
d'avoir aussi à Lourdes même un temple digne
d'Elle . »

En prenant le nom est un chef-d'œuvre !

<< Pour exécuter cette volonté, poursuit avec


sérénité Monseigneur , je vais donc mettre encore une
fois la main à l'œuvre. »

Et, fournissant aux souscripteurs l'occasion de faire


un placement exceptionnel :

« Les offrandes qu'elle recevra , Marie les rendra au


centuple. >>

Dans le même ordre d'idées, la phrase suivante est


caractéristique :

« Quiconque a une grâce à demander à Notre- Dame

1. La dignité de protonotaire apostolique, à laquelle il a été


promu par le Saint-Siége , lui confère le titre de monseigneur.
des Pèlerinages 109

de Lourdes voudra apporter une pierre à ce monu-


ment ¹ . >>>

Ne pourrait-on conclure de là , que la Vierge de


Lourdes fait marché de ses faveurs ? Quant à sainte
Anne d'Auray , il ne saurait, semble-t-il, y avoir doute
sur ce point, après la lecture du prospectus, revêtu de
l'approbation de l'évêque de Vannes, où on lit :

<< Tous les jours , des grâces extraordinaires sont ob-


tenues, dans ce sanctuaire vénéré, par la puissante in-
tercession de sainte Anne ... Vous pourrez donc , mon-
sieur, en faisant votre offrande, demander avec con-
fiance à l'auguste Mère de la très sainte Vierge , que
l'on n'invoque jamais en vain, quelque grâce parti-
culière une conversion , la santé ou la réussite d'une
affaire 2. »

Ce ne sont plus seulement des messes, ce sont bel


et bien des miracles qui sont offerts ici en prime aux
souscripteurs .
Je remarque , d'ailleurs , dans toutes les petites publi-
cations destinées à faire mousser tel ou tel sanctuaire
de choix , une tendance singulière à mettre en relief la
vénalité des saints. Par l'intermédiaire de la même
sainte Anne d'Auray , un paysan obtient la guérison
de son enfant dès qu'il lui a promis le prix du meilleur

1. Le Pèlerin, 3º année, p, 79.


2. Prospectus in-8° . Impr . Prud'homme.
10
IIO Le Dossier·

de ses bœufs , 225 francs ¹ . L'Almanach du Surnatu-


rel nous montre une malade débarrassée de la para-
lysie dont elle souffrait , au moment où elle passe au
cou d'une statue de la Vierge la chaîne qu'elle lui avait
promise.

<< Florence, poussée par une main invisible, fait un


léger effort, se lève, s'approche de la statue, prend la
chaîne et la lui met au cou . En même temps , elle
tombe à genoux, et, au milieu des larmes , des sanglots ,
on l'entend remercier avec effusion Notre-Dame du
Sacré-Cœur : elle était complétement guérie. »

C'est encore dans l'Almanach du Surnaturel qu'on


trouve cette relation d'un miracle opéré à Notre- Dame
du Chêne :

« Au moment où elle se penchait pour déposer son


obole dans le tronc, elle se sentit subitement guérie .
Plus de tumeur ! etc. ³.

Miracle dont l'analogue figure à l'actif du Pont-


main :

« Une jeune enfant de Quelaines, attaquée d'un


tremblement nerveux, est venue avec sa mère au Pont-
main. Celle-ci prie avec sa fille au pied de la colonne

1. Les Merveilles de Sainte-Anne d'Auray, p . 83.


2. 1875, p . 123
3. 1875 , p. 110.
des Pèlerinages III

où est placée la statue, dépose une aumône dans le


tronc, et voilà que tout à coup l'agitation cesse¹ . »

Une des publications les plus curieuses à consulter ,


sur le point que nous touchons, est le bulletin par
l'intermédiaire duquel l'administration du petit sémi-
naire de Séez porte périodiquement à la connaissance
du public les grâces obtenues dans son sanctuaire .
D'innombrables faveurs s'y ajoutent sans cesse, les
unes au bout des autres, numérotées de chiffres acca-
blants, comme dans les prospectus de la « Délicieuse
Révalescière » , et rédigées le plus souvent dans ce
style :

« 3,608 . Les deux petites filles que je vous ai re-


commandées le 2 octobre, en vous envoyant une of-
frande de dix francs, et qui étaient alors à toute extré-
mité, sont aujourd'hui parfaitement guéries . »

« Dès que j'eus formé le vœu de vous envoyer une


offrande, j'eus la vive satisfaction de voir s'améliorer
l'état de mon enfant. »

« J'avais un frère avec sa femme et ses enfants bien


malades, et à peine j'ai eu promis d'envoyer mon of-
frande à Séez ¹ que la maladie a cessé. »

« Une jeune personne , atteinte d'une folie très dan-

1. Apparition du Pontmain, p . 107.


112 Le Dossier

gereuse, n'avait de repos ni le jour ni la nuit... Je


parlai de Notre-Dame de Séez à une de ses parentes
qui s'engagea à faire une offrande . Bientôt après , la
jeune fille a recouvré l'usage de sa raison. >>

« Jeanne L..., malade depuis quatre ans, désespérée


de voir sa maladie si longue , a envoyé son offrande à
Notre- Dame de Séez . Aussitôt l'offrande arrivée , elle
a été guérie tout à fait¹ . »

Si la maladie fait un peu de résistance, il paraît bon


de réitérer son envoi :

« Je vous fais parvenir un second envoi pour deman-


der la guérison de madame P ..., dont la maladie est un
squirre dans l'estomac . Depuis le premier envoi , elle
va mieux. » (5° bull . )

Quelques habiles ne financent qu'après avoir été


satisfaits : J

<< Je vous fais passer un franc en timbres-poste que


j'ai promis si ma nièce guérissait promptement . >>
(10° bull. )

« Je vous ferai passer, par la première occasion , dix


francs venant de cette dame , qui promet de donner

1. Bulletins 16 , 5 , 6 , 8, 15. Les « Bulletins ou compte rendus


des grâces obtenus par les bienfaiteurs » de 1856 à 1873 ont été
réunis en un volume, sous le titre : Recueil des pièces relatives
à l'œuvre de Notre-Dame de Séez. In- 32 .
des Pèlerinages 113

deux cents francs si son fils lui est conservé. »


(7º bull .)

« A peine avais-je reçu votre cinquième compte-


rendu, que je me dis : « Je donnerai vingt sous , et , si
Blanche guérit, j'enverrai davantage... A peine avais-
je formé mon vou, que l'amélioration s'est fait sentir . »
(6e bull . )

Une autre correspondante écrit avec une douce con-


fiance :

« Monsieur, je vous envoie cinq timbres-poste , parce


que j'espère que la Sainte Vierge m'en récompensera
en attirant sur moi la bénédiction du Ciel . » ( 3º bull . )

La bénédiction du Ciel contre cinq timbres-poste, ce


n'est pas cher. Et la correspondante espère que le
marché sera ratifié là-haut !

« J'ai promis d'envoyer cinq francs pour son sanc-


tuaire, si elle m'accordait la vie de mon frère ... Mon
frère est en voie de convalescence. Je resterai toute ma
vie convaincue que c'est l'offrande faite à Notre- Dame
de Séez qui nous a obtenu ce double bonheur. »
(10° bull .)

Ici , il ne s'agit plus seulement d'une espérance . La


correspondante est sûre ,on ne le lui retirera pas de l'idée ,
que la Vierge est sensible au son des espèces. C'est à
10 .
114 Le Dossier

son offrande qu'elle doit d'avoir obtenu la guérison


de son frère .
Le premier mouvement de celui qui lit de telles
choses est de penser : « Evidemment, le supérieur du
petit séminaire ne publie ces correspondances que pour
leur infliger un blâme sévère. » On cherche le blâme .
du clergé et on lit dans la correspondance envoyée par
un bon prêtre :

« Vers midi , la malade se trouva un peu mieux :


c'était l'heure , je pense , où tu as porté la petite
offrande . >
Ce à quoi l'abbé *** ajoute en forme de témoignage :
« Le fait est que l'offrande fut déposée le jeudi
II mai, vers onze heures du matin . » (30° bull . )

Ce n'est pas encore cela qui retirera de l'idée du


public que les guérisons sont le résultat direct et na-
turel des offrandes . Cherchons ailleurs .
Une demoiselle, momentanément privée de la parole
et ne croyant pas encore envoyée l'offrande qu'elle
adresse à Notre- Dame de Séez , raconte :

« Je dis à ma mère : « Mais je ne sais pas ce que cela


>> veut dire, je parle très facilement ce matin, tandis
>> que les autres jours je ne pouvais rien dire... » Elle me
dit aussitôt que l'offrande était faite de la veille, et nous
avons compris que notre remède faisait son effet
comme cela arrive toujours. » ( 14° bull . )

Comment ! notre remède ? Pour le coup, le supérieur


des Pèlerinages 115

va se récrier. Justement le voici qui prend la parole.


Il va relever doucement, tout au moins, l'erreur des
bonnes dames qui croient la Vierge toujours prête à
les secourir , du moment qu'elles auront la bourse à la
main. Mais non, ce n'est pas ce point que le supérieur
veut toucher.

« C'est principalement par la correspondance, les


neuvaines et les messes , écrit- il , que Notre- Dame de
Séez envoie jusqu'aux extrémités de la France et du
monde ses bénédictions et ses faveurs. Les personnes
qui demandent une neuvaine ou qui remercient pour
une gráce obtenue, font ordinairement une offrande
pour l'ornementation du sanctuaire . Depuis le com-
mencement de l'œuvre , nous avons toujours accueilli
le denier de la veuve , le centime du pauvre avec la
même reconnaissance que l'aumône plus considérable
du riche, et, sans établir de catégories de bienfaiteurs ,
nous avons accordé à tous les mêmes avantages spi-
rituels. ( 32e bull.)

Le supérieur voulait seulement rappeler qu'on en-


voie « ordinairement >> une offrande quand on de-
mande une grâce , et une autre quand on l'a obtenue.
C'est à merveille, et l'on admire combien sa voix est
entendue quand on lit :

<< Pour remercier la Sainte Vierge de ses immenses.


bienfaits, je vous envoie trois francs cinquante.

Ou encore :
116 Le Dossier

« Le pauvre malade, que je vous recommandais il


y a quelques jours, va beaucoup mieux depuis sa pe-
tite offrande à Notre- Dame de Séez... En reconnais-
sance de cette grâce, il m'a prié de vous faire passer
une nouvelle offrande de trois francs. >>

Quand les guérisons n'y coûtent pas davantage, le


sanctuaire privilégié doit faire un tort bien considé-
rable aux médecins . Il est vrai que ceux qui envoient
de si minces témoignages de gratitude s'en excusent
souvent. Ils disent « combien leur cœur souffre de
donner si peu » .

« Je voudrais , dit celui-ci , vous envoyer une plus


forte offrande. Il faut me borner à cinq francs : puisse
Marie les agréer et m'accorder l'entretien honorable
de mon petit commerce avec la santé de ma famille. »
(9 bull . )

<< Il paraît, monsieur , observe un autre , qu'en fai-


sant son offrande on peut se réserver des intentions
particulières . Si la modicité de mon offrande n'est pas
un obstacle , voici ce que je demande... » ( 3º bull. )

<< Si la modicité de mon offrande n'est pas un obs-


tacle , c'est une consultation que le correspondant
demande au père supérieur. Celui - ci est interpellé
directement. Il va prendre la parole pour déclarer que
l'offrande, grosse ou petite , n'a rien de commun avec
les faveurs accordées . Je feuillette , je feuillette encore, et
des Pèlerinages 117

tout ce que je trouve , c'est l'espérance émise par le


supérieur de recueillir , grâce au dévouement de
MM . les ecclésiastiques , « une ample moisson de
fleurs nouvelles » . Partout se révèlent les traces d'une
active propagande. Les zélateurs et les zélatrices
envoient les sommes qu'ils ont pu récolter autour
d'eux. Quelques -uns ne désespèrent pas de se rendre
dignes du Ciel par ce petit travail :

« Ayant fait déjà une offrande au mois de février


dernier , écrit une zélatrice , j'en ai éprouvé tant de
consolation, que je vous prie de recevoir une nouvelle
petite collecte... Puisse Marie me recevoir dans le
Ciel pour me récompenser du léger travail que je
m'impose pour elle . » (4º bull. )

Les ecclésiastiques auxquels on a fait appel lisent en


chaire les cures merveilleuses relatées dans les bulle-
tins. Les religieuses agissent de même dans les écoles
soumises à leur direction . Paroissiens et enfants se
prennent d'un beau zèle. C'est à qui enverra son
obole. Pour apporter la leur , de pauvres servantes
économisent sou à sou , des écolières vendent leurs
boucles d'oreilles , se privent d'une partie préméditée .

« Ce matin, écrit une fillette de neuf ans, notre chère


sœur nous a lu en classe la belle lettre que vous lui
avez envoyée et elle nous a expliqué tous les avan-
tages que cela procure aux bienfaiteurs. J'ai couru le
dire chez nous et j'ai obtenu une pièce de vingt sous. »
(3º bull .)
118 Le Dossier

« J'ai appris , dit une autre , que plusieurs de mes


compagnes avaient envoyé leur offrande... J'en ai
parlé à maman ... C'est pourquoi maman m'a donné
trois francs pour vous envoyer quinze timbres-poste.
Voici d'abord les grâces que maman désire obtenir :
c'est une bonne et abondante récolte , puis la conser-
vation de nos bestiaux , car il en meurt beaucoup ;
ensuite, moi, je vais vous prier de demander la conver-
sion de papa. >

On voit par là que les offrandes ne servent pas


seulement à obtenir des guérisons , mais aussi toute
sorte de faveurs de l'ordre le plus varié. Pour trois
francs on peut demander à la Vierge une bonne et
abondante récolte , la conservation de ses bestiaux et
la conversion d'un père. C'est au moins l'idée de ceux
qui sollicitent le divin concours. Contre cette idée
révoltante, nul doute que le supérieur ne s'indigne . Je
cherche ; mais , s'il s'indigne , il paraît que ce n'est qu'en
dedans , car il continue d'enregistrer avec tranquillité :

« Dans un grand dés agrément de famille , je voyais


une partie de mon avoir compromis. Aussitôt je fis
une neuvaine à Notre-Dame de Séez, lui promettant
une offrande de 10 francs si l'arrangement que je
demandais se réalisait. Malgré les plus grands obs-
tacles , j'obtins , comme par enchantement, ce que je
désirais. » (31 ° bull.)

« Un jeune homme sans position cherchait depuis


des Pèlerinages 11g

longtemps à se placer. On fit à Séez une neuvaine à


son intention... Dès le jour même où la neuvaine a
commencé, on est venu proposer à ce jeune homme
une place avantageuse . » (24° bull . )

« Dernièrement , monsieur , j'eus l'honneur de vous


adresser une petite offrande de la part de mes parents
pour un de mes frères qui est en pension et qui ne
s'appliquait pas à ses études... Quelques jours après
mon envoi , il a eu des succès dans sa classe. >>
(5° bull . )

Disons, pour abréger, que tout, absolument tout peut


être demandé à Notre- Dame de Séez. Le correspón-
dant nº 6,768 s'en porte garant :

« Je dois déclarer ici en toute sincérité que je n'ai


jamais invoqué en vain Notre- Dame de Séez, quelque
nombreuses qu'aient été mes demandes et quelque
extraordinaires qu'aient pu être les grâces sollicitées
par son intercession . » (24° bull . )

Il convient d'ajouter qu'au don d'universalité la


Vierge de Séez joint une extrême célérité d'exécution.
Le père supérieur du petit séminaire , qui renonce
décidément à blâmer ses correspondants , nous révèle
dans un de ses bulletin s ce qu'on pourrait appeler
le miracle télégraphique .

<< La Sainte Vierge semble, dit-il , vouloir employer


!

120 Le Dossier

pour le bien de ses enfants les nouveaux moyens qui , de


nos jours, abrégent les distances , car , de tous les points
de l'horizon , chaque convoi lui apporte soir et matin
la prière, les offrandes et l'action de grâces . Cent lieues,
deux cents lieues ne sont rien pour ceux qui s'adres-
sent à Notre- Dame de Séez ; on lui écrit, on commence
une neuvaine devant son image, et souvent, avant que
nous ayons eu le temps d'accuser réception de la
lettre , la réponse est déjà arrivée . C'est Marie elle-
même qui l'a faite . Le malade est guéri , la consolation
et le secours sont venus , la tristesse a fait place à la
joie. » ( 15º bull . )

Comment les recommandations n'afflueraient -elles


pas dans un tel sanctuaire ? Elles y affluent si bien ,
que , pour suffire à la tâche , l'évêché de Séez a cru
devoir doter récemment le petit séminaire de cinq
chapelains, qui n'ont d'autre mission que de pourvoir
à la récitation des messes et d'appeler les bénédictions
du Ciel sur les souscripteurs .
Telle est la surabondance des inscriptions de messes
dans certains sanctuaires à miracles, que, de l'aveu
même de leurs administrateurs , il est impossible de
les réciter toutes sur place. En pareil cas, il serait assez
naturel d'engager le public à se reporter ailleurs ; mais
on s'en garde. Au cor. craire, on engage les fidèles à ne
pas s'inquiéter où leurs messes seront dites, pourvu
qu'ils continuent d'en verser le montant au bureau
privilégié.
Un curieux prospectus adressé « à tous les fidèles
des Pèlerinages .121

qui ont la dévotion de faire dire des messes à Notre-


Dame des Victoires » , fait savoir en ces termes ce qu'il
advient des innombrables messes qu'on y fait journel-
lement inscrire :

Chaque jour, nous célébrons , à l'autel de Notre-


Dame des Victoires et aux autres autels de l'Église,
autant de messes que nous le pouvons. Quant à celles
qui, à cause du grand nombre des demandes , ne peu-
vent pas être acquittées à Notre-Dame des Victoires,
nos règlements, approuvés par Son Em . Mgr Morlot
et par Notre Saint-Père le Pape, leur accordent de
précieux avantages . En vertu de la seule inscription
d'une messe dans les registres de l'Archiconfrérie,
l'intention indiquée jouit des priviléges suivants :
1º Elle a immédiatement part à toutes les prières qui
se font dans le sanctuaire, et aux saints sacrifices qui,
chaque jour, sont offerts à l'autel de l'Archiconfrérie ; à
neuf heures , un Memento spécial est offert pour toutes
les messes demandées . 2º Chaque jour , une messe est
célébrée, autant que possible, à l'autel de l'Archicon-
frérie , pour les personnes dont les messes ne sont pas
encore acquittées, ou qui seraient acquittées en dehors
du sanctuaire, et plus spécialement pour toutes les
messes inscrites la veille dans nos registreș. 3° Tous
les dimanches soir, à la réunion des Associés, on prie
pour les intentions des personnes qui ont demandé des
messes durant la semaine¹ .

J. Prospectus in-8° . Paris, impr . Soye.


II
122 Le Dossier

Il suit de là qu'il y a intérêt pour le client à s'adres-


ser de préférence au sanctuaire à succès, même lorsque
les messes demandées n'y pourront pas êtres dites .
Récitées ailleurs, elles seront encore privilégiées .
Étrange théorie, émise sous le couvert des approba-
tions les plus hautes, et qui ne tendrait pas à moins
qu'à faire passer par les bureaux de Notre-Dame des
Victoires toutes les messes que les fidèles de France ,
voire même ceux de l'étranger, peuvent avoir idée de
faire réciter.
Je m'en rapporte heureusement au zèle de certains
curés de province pour ne pas le souffrir. M. l'abbé
Mingassou , curé de Foëcy (Cher) et fondateur de l'œu-
vre de Saint -Joseph, ami du coeur de Jésus , fait savoir
aux fidèles que, lui aussi, « reçoit avec reconnaissance »
les intentions de messe, « et les acquitte ou les fait
acquitter par des confrères pieux. » Après quoi il
ajoute :

<< Jamais ces intentions n'entreront dans le trafic


des messes (oh ! oh ! ) dont quelques maisons de Paris
ont donné le scandale. » (Oh ! oh ! oh !)

Ce qui ne contribue pas peu à multiplier les inscrip-


tions de messes , c'est la coutume générale d'implorer le
Ciel par une messe , chaque fois qu'on a une faveur à
solliciter et de le remercier par une autre messe chaque
fois qu'on croit l'avoir obtenue . Les messes d'actions
de grâces sont en quelque sorte consacrées. Le sanc-
tuaire met encore à la disposition des solliciteurs
des Pèlerinages 123

des cierges, des lampes, des neuvaines. Ceux qui


veulent multiplier les chances de réussite emploient
tout à la fois. Une correspondante écrit à la Voix
de Notre-Dame de Chartres :

« J'avais recommandé à Notre- Dame de Chartres


mon mari très dangereusement malade ; à cette in-
tention , j'avais demandé une lampe , un cierge , une
neuvaine de prières , deux messes . Dès le lendemain ,
un peu de mieux survint dans son état ; cette améliora-
tion a continué ; je l'attribue à Notre- Dame de Char-
tres... ¹1 »

Je n'insiste pas sur les neuvaines , auxquelles un


chapitre spécial a été consacré dans le volume qui a
précédé celui -ci . La recommandation adressée d'ordi-
naire à ceux qui en usent est de ne jamais se lasser.
Quand une neuvaine n'a pas réussi , on en recommence
une autre. C'est, du reste, un principe reconnu en
matière de miracles , qu'on ne saurait trop patienter
pour les obtenir. Une miraculée du Lourdes belge
implorait en vain sa guérison de toutes les Notre- Dame
imaginables << depuis dix - neuf ans » .

• Ah ! que cette humble et pieuse fille, dit l'auteur


de Lourdes en Flandre, a bien compris la divine vertu
de la prière obstinée et ardente ! Rien ne l'a rebutée ;

1. La Voix de Notre-Dame de Chartres . Février 1874, in-8 ,


P. 45.
124 Le Dossier

pendant dix- neuf ans elle a frappé à tous les sanc-


tuaires de Marie. L'insuccès ne la lassa point, et enfin
le cœur de Marie s'est ouvert pour elle dans notre
sanctuaire si jeune encore et déjà si vénérable. »>
(P. 485. )

<< Sa confiance, loin de diminuer, dit admirablement


le Pélerin d'une miraculée de notre Lourdes à nous,
s'était accrue de tout le retard que la Vierge apportait
à sa guérison . »

Obtenir du malade que plus sa guérison tarde, plus


sa confiance augmente , c'est assurément le suprême
triomphe.
De petites brochures composées en vue de chaque
sanctuaire entremêlent de frappants exemples de pro-
tection la suite de prières propre aux neuf jours de la
neuvaine. Les miracles dont nous bombardent ces

petits livres, ainsi que les feuilles périodiques de


sacristie, peuvent se diviser en trois grandes classes :
1º Les miracles faux ; 2° les miracles imaginaires ;
3º ceux que, faute de renseignements suffisants, on
hésite à ranger dans l'une de ces deux classes plutôt
que dans l'autre.
Les miracles imaginaires sont incontestablement
es plus abondants . Ils ne demandent pour voir le
jour qu'un concours de circonstances accompagné
d'une foi robuste. Le public pieux est d'autant mieux
disposé à les bien accueillir qu'ils sont le plus souvent
les enfants de son propre cerveau . Le point caractéris-
des Pèlerinages 125

tique de ces miracles est qu'ils ne dérangent en rien le


cours des lois naturelles . Par exemple, je fais un vœu
pour obtenir un emploi au moment où part la lettre
qui m'apporte ma nomination : mon vœu est exaucé.
Une maladie doit me retenir une semaine au lit : je
fais une neuvaine, et, au bout de cette neuvaine, on
peut me voir avec admiration sur mes deux pieds .
Dans un accident de chemin de fer, j'invoque saint
Joseph, et, au lieu d'avoir le crâne fracassé comme
mon voisin , je n'ai que deux côtes enfoncées . Je
remercie chaleureusement saint Joseph de son évidente
protection .
Loin qu'on puisse nous accuser d'exagérer ici la
confiance du public ordinaire des sanctuaires privilé-
giés, on doit plutôt nous rendre cette justice que nous
l'atténuons. Voulez-vous rouvrir un des petits bulle-
tins du séminaire de Séez , cette mine inépuisable, vous
y lirez :

« J'ai mis hier à la poste une lettre à votre adresse,


contenant un bon de vingt francs, don de reconnais-
sance pour l'église de Notre-Dame de Séez. Ma fille va
beaucoup mieux ; les remèdes ont eu un excellent
effet. » (9° bull . )

Ainsi, une dame, qui a sa fille malade, fait dire des


prières pour elle en même temps qu'elle lui admi-
nistre des remèdes ; et, quand les remèdes ont pro-
duit leur effet , elle est persuadée que ce sont les
prières qui l'ont guérie. On ne discute pas ces convic-
II.
126 Le Dossier

tions-là ; on s'étonne seulement de les voir offrir au


public comme un modèle et un encouragement.
Dans un des mêmes petits bulletins, on nous montre
un enfant aveugle recouvrant la vue après qu'il a
porté à ses lèvres une image de Notre- Dame de Séez :

<< Je vous aurais fait connaître plus tôt ce prodige,


si quelques esprits forts ne l'eussent attribué unique-
ment à la nature. » (22 ° bull. )

Il me paraît manquer à cet envoi un complément


de quelque importance : la preuve que les esprits forts
se trompaient.
Les miracles imaginaires sont d'une éclosion si
facile, et il est tellement aisé d'en tirer parti , que les
miracles de pure invention doivent être, j'en suis per-
suadé, très rares. Cependant , lorsque certains miracles,
quoique ayant pour eux la justification du hasard, sont
une offense, par trop publique, à la raison , ce n'est
peut-être pas assez de les traiter d'imaginaires . Au
fronton du temple de Fourvières, on peut lire :

A NOTRE-DAME DE FOURVIÈRES

LYON RÉCONNAISSANT D'AVOIR ÉTÉ PAR SON INTERCESSION


PRÉSERVÉ DU CHOLÉRA EN MDCCCXXXII ET MDCCCXXXV.

Il n'est pas douteux qu'en 1832 et en 1835 Lyon


n'ait été préservé du choléra ; mais c'est le cas de beau-
coup d'autres localités qui n'ont pas cru pour cela être
l'objet d'une protection particulière de la Vierge. Lyon
des Pèlerinages 127

lui-même a été atteint par le choléra en 1849 et en


1850, ce qui montre que la protection de Notre- Dame
de Fourvières est très aléatoire. Il est vrai que les
auteurs pieux démontrent ingénieusement qu'à cette
époque encore les Lyonnais ont été privilégiés. L'un
d'eux raconte :

« 1849-1850 . - Le choléra apparaît de nouveau à


Lyon et Lyon est encore préservé. Deux cents per-
sonnes sont atteintes du fléau , mais on a remarqué
qu'elles étaient étrangères à la ville ¹ . »

Etonnante, cette Vierge qui fait des habitants de


Lyon deux parts : ceux qui ont vu le jour à Lyon ,
ceux qui sont nés ailleurs . Sur les premiers , elle ne
souffre pas que le choléra porte ses coups ; quant aux
autres, elle les lui abandonne. Ils ne sont pas de Lyon ,
que lui importe qu'ils expirent dans les convulsions !
La peste ravageait la ville , en 1643 , lorsque les au-
torités consulaires eurent l'idée de mettre Lyon sous
la protection de Notre- Dame de Fourvières . L'espèce
de traité , passé avec la Vierge locale, stipulait , entre
autres conventions, une procession annuelle . Aussitôt
après la procession , dit la légende, la peste cessa . Ce
qui retire à ce miracle beaucoup de son instantanéité,
c'est qu'entre la procession et le vœu six mois s'étaient
écoulés .
Ayant mis en considération , dit l'acte authen-

1. La Sainte Colline de Fourvières , histoire de son sanctuaire ,


par Bécontet. Lyon, 1867, in- 18, p . 134.
128 Le Dossier

tique, que le plus grand bien et avantage qu'ils pou-


vaient procurer à cette ville était de la mettre sous la
protection toute-puissante de la très sainte et immacu-
lée Vierge Marie ..., etc. »
Il est indubitable qu'il s'agissait ici d'une protection
pleine et entière et nullement limitée à certains cas.
Pourquoi la Vierge de Fourvières, qui protégea Lyon
contre le choléra - quelquefois , - ne l'a-t-elle donc
protégé ni contre la guerre civile, ni contre les inon-
dations, ni contre les incendies , ni contre les fléaux de
tout genre auxquels est malheureusement soumise la
pauvre humanité? Le clergé ne se le demande pas , il
ne veut pas le savoir ; il a deux dates, il les inscrit
triomphalement 1832 , 1835. Voilà un sanctuaire
posé.
On juge, par ce modeste exemple, combien le sys-
tème des grands miracles de protection est simple.
Toutes les dates néfastes , on les met de côté ; pourvu
qu'il reste une ou deux concordances heureuses , cela
suffit . On s'en empare et l'on s'écrie avec aplomb :
<< Voyez-vous l'admirable protection ! » Or , il est
curieux de voir combien le hasard s'en tire le plus
souvent à bon compte :

«< Quand, le 15 juillet 1854 , le choléra éclata à


Saint-Affrique, raconte Mgr Guérin, on courut se jeter
aux pieds de Notre- Dame de Miséricorde , dont on pos-
sède depuis longtemps, dans cette ville, une statue
miraculeuse . Le fléau , ne cédant point à ces prières,
on fit, le dimanche , 6 août (trois semaines après), une
des Pèlerinages 129

procession générale où des ecclésiastiques , en habit de


chœur, portaient la statue de la Vierge sur un brancard
surmonté d'un pavillon gracieusement décoré. Depuis
ce moment, le fléau décrut rapidement et finit par
disparaître¹ . »

« En 1849, rapporte ailleurs le même prélat, comme


le choléra menaçait d'envahir la Franche- Comté ,
Mgr Matthieu , archevêque de Besançon , recommanda
son troupeau à Notre- Dame de Gray et aux saints
Ferréol et Ferjeux. La ville de Gray fut atteinte par
le fléau, mais le reste du diocèse fut épargné. Pour
témoigner sa reconnaissance envers Marie et nos saints
patrons , Mgr l'archevêque , aidé des offrandes des
fidèles, a offert à Notre-Dame de Gray une statue en
argent ornée de pierreries 2. »

Ce précieux témoignage de reconnaissance, figurant


dans la ville même de Gray , la seule du diocèse atteinte
par le choléra, est tout bonnement stupéfiant .
Le choléra ! toujours le choléra ! On n'imagine pas
à quel point ce fléau a été profitable, en France, au
plus grand nombre de nos sanctuaires privilégiés .
Plusieurs lui doivent d'être sortis de l'ombre où ils .
étaient plongés depuis longtemps . C'est, du reste, le
cas de tous les malheurs publics de contribuer singu-
lièrement à la fortune des fabriques de miracles . Dans
l'égarement qui en résulte, on se précipite vers elles

1. Petits Bollandistes, t. IX , p . 341 .


2. Petits Bollandistes, t. VII, p . 71 ,
130 Le Dossier

avec l'espoir d'obtenir en sa faveur une dérogation


aux lois de la nature . Le malheur passé , ceux qu'il a
épargnés, tout à leur satisfaction personnelle, ne font
nulle difficulté de témoigner hautement d'une protec-
tion extraordinaire . Les victimes , généralement ab-
sentes, gardent sur ce point leur opinion pour elles.
Il n'est pas douteux que les désastres accumulés par
la guerre de 1870-1871 n'aient prodigieusement servi
le mouvement clérical dont la France offre aujour-
d'hui l'étonnant spectacle. Quand on sait combien de
saints et de Notre - Dame ont été solennellement re-
merciés pour avoir couvert de leur protection notre
malheureux pays pendant l'époque sinistre de l'inva-
sion prussienne, on en reste confondu , et peu s'en faut
qu'on ne vienne à se demander qui , des Prussiens ou
de nous, a réellement triomphé. Si la Bretagne n'a pas
été envahie , ne doutez pas qu'elle ne le doive à sainte
Anne d'Auray, et, si l'ennemi s'est arrêté sur les con-
fins du Poitou , que sainte Radegonde n'en soit la
cause. Les Prussiens auraient d'ailleurs incendié,
pillé, ravagé la Bretagne et le Poitou , que le clergé
local ne serait pas davantage embarrassé de déclarer la
protection évidente. Si meurtrier que soit un combat,
il faut toujours qu'il cesse à un moment donné. C'est
le moment où la protection se sera manifestée . Le
15 janvier 1871 , on se battait d'une furieuse manière
à Alençon :

Inutile, dit le Pèlerin, de décrire la terreur


apportée par les sons retentissants des canons et des
des Pèlerinages 131

mitrailleuses, par l'incendie qu'alimentait le pétrole ,


par le feu nourri, serré, de la fusillade étendant sur le
sol rougi nos malheureux soldats . La consternation
était générale . Tous les cœurs étaient navrés . L'ennemi
avait résolu le bombardement de la ville, et il l'exécu-
tait si bien que dans la paroisse principale, située à un
kilomètre du lieu du combat , on ne put continuer
sous les bombes et les projectiles enflammés une inhu-
mation commencée.
» Quelle puissance détourna les ravages des obus qui
tout à coup devinrent inoffensifs ! Quelle voix com-
manda à l'ennemi de s'arrêter lorsqu'il avait la volonté
bien ferme de continuer ? Quelle main s'étendit sur la
ville pour la bénir et la préserver des affreux malheurs
qui la menaçaient ? »

Ne cherchez pas. Cette main était évidemment celle


de Notre- Dame de Lorette. Pourquoi la Notre - Dame
d'un sanctuaire suburbain plutôt que la Notre- Dame
de la cathédrale, patronne naturelle de la ville ? Ne
cherchez pas .

<< Le duc de Mecklembourg , entrant à la préfecture ,


(c'est le Pèlerin qui reprend la parole) , déclarait ne
pas s'expliquer lui-même pourquoi le bombardement
avait cessé . »

C'était cependant assez facile à comprendre . Après


une journée de combat, les francs tireurs de Lipowski ,
et quatre mille mobilisés de l'Orne et de la Mayenne
132 Le Dossier

qui tenaient Alen çon avec lui , désespérant de défendre


la place plus longtemps , s'étaient retirés sur Saint-
Denis pendant la nuit¹ . Et le duc de Mecklembourg
ne pouvait pas comprendre comment il entrait dans
Alençon sans coup férir au matin !
Mais ce qui surpassait le duc de Mecklembourg
était tout simple pour un certain nombre d'Alençon-
nais. L'auteur de la cessation des hostilités avait
nom pour eux Notre- Dame de Lorette. Aussi le Pèlerin
ne s'étonne-t-il pas qu'on songe à la remercier :

« Nous étonnerons- nous si , deux ans après , le 15


août 1873 , la ville entière , dans une éclatante mani-
festation , accourait se consacrer à Marie dans son
sanctuaire restauré avec goût, rendu à une vénération
croissante, ouvert aux pélerins qui y viennent dépo-
ser, avec leurs ex-voto , leurs ferventes prières ². »

C'est à merveille . Avouez pourtant que, si Notre-


Dame de Lorette avait empéché tout d'abord « le
pétrole d'alimenter l'incendie » et « le feu nourri de la
fusillade d'étendre sur le sol rougi nos malheureux
soldats » , la protection eût été autrement manifeste.
Mais il ne faut pas trop demander au , ciel à la fois .
Le clergé, qui le sait, se montre d'une rare composition

1. « Le général Lipowski , dit le général Chanzy, ne voulant


pas exposer Alençon aux conséquences d'une lutte dans la ville,
se décida à se mettre en retraite par la route de Prez-en-Pail. »
La Deuxième Armée de la Loire, in-8 °, p . 363 .
2. Le Pèlerin, Ire année, p . 708 .
des Pèlerinages 133

en matière de faveurs publiques . On n'est pas moins


exigeant que lui . Une pierre épargnée, un pan de mur
resté debout sont à ses yeux un signe suffisant de cé-
leste attention . Qui croirait que Drancy, un des villages
des environs de Paris les plus cruellement éprouvés en
1870 , a été l'objet d'une éclatante protection . Tel est
pourtant le fait dont témoigne officiellement un dia-
dème envoyé par Pie IX à la Notre- Dame de l'endroit.

<< Pris et repris plusieurs fois pendant la guerre


autour de Paris , raconte le Pèlerin , le bourg de
Drancy fut saccagé, le magnifique château fut com-
plétement incendié , l'église ruinée. Cependant la sta-
tue de Notre- Dame Auxiliatrice resta intacte , et, sous
sa protection, une tombe chérie ne fut pas profanée .
Comme témoignage de reconnaissance , l'église vient
d'être luxueusement rebâtie , et un diadème apporté
de Rome, et enrichi de la bénédiction de Notre Saint-
Père le Pape , repose maintenant sur la tête de la
Vierge¹ . »

A Fontaine-lez-Dijon , autre cas de protection non


moins remarquable. Il s'agit de la chambre de saint
Bernard, dépendante de l'ancien château , que les Prus-
siens ont canonné pendant trois jours , a accidentelle-
ment » nous dit - on , c'est - à - dire sans qu'il y eût
nécessité pour cela , ce qui donne à penser que la
Providence avait en ce moment fort à faire autre
part.

1. Le Pèlerin, 2º année, p. 303 .


12
134 Le Dossier

« Le premier jour , presque tous les obus de l'en-


nemi tombèrent, des hauteurs de Daix , sur la toiture.
de la chambre natale de saint Bernard, et en brisèrent
en plusieurs endroits la charpente. Une mansarde ,
située au-dessus de ce sanctuaire, fut presque entière-
ment découverte , et les obus qui la criblèrent y
broyèrent une armoire renfermant les garnitures d'au-
tel en tulle et les fleurs artificielles . Mais, par la pro-
tection visible de saint Bernard , la flamme de toutes
ces explosions n'alluma pas une parcelle de ces bou-
quets de fleurs, qui auraient indubitablement commu-
niqué le feu à des débris de bois sapin hachés par des
éclats d'obus. >>

Que vous semble de cette protection visible qui


empêche les fleurs artificielles de brûler, mais qui
laisse hacher les armoires et effondrer les toitures ?
Et la protection aussi visible que conséquente ne
s'en tient pas là.

• Deux obus seulement pénétrèrent par une fenêtre


dans le bas de la chapelle , et y éclatèrent en brisant
un monument de Notre- Dame des Sept- Douleurs.
Mais le sanctuaire, c'est-à-dire la chambre natale de
saint Bernard, ne reçut pas la plus légère atteinte , ni
à l'intérieur ni à l'extérieur, comme si saint Bernard
eût voulu montrer qu'il avait le pouvoir de protéger
son berceau contre les obus des batteries allemandes ¹ . »

1. Le Pèlerin, 3° année, p. 64.


des Pèlerinages 135

Je ne sais si ce fait vaudra la couronne à saint


Bernard, mais il y a certes autant de droits que Notre-
Dame de Drancy . En attendant cet acte de justice , il
était bon de montrer comment se forment les légendes
cléricales. Un peu d'à- propos , beaucoup d'aplomb
suffisent à ériger tel saint qu'on voudra en pro-
tecteur attitré d'une localité. De ces protecteurs
locaux , il y en a même beaucoup moins de célèbres
par leur protection effective que par celle qu'ils lais-
sent espérer. Telle la patronne de Toulouse , sainte
Germaine , canonisée de fraîche date , à qui Mgr.
Donnet prédisait en 1867 les plus hautes destinées.

<< Comme sa devancière (sainte Geneviève) , disait ce


prélat , elle écartera du pays qui fut son berceau les
fléaux dévastateurs¹ . »

On sait par quels effroyables désastres, la Garonne


s'est malheureusement chargée de répondre , peu d'an-
nées après , à cette assertion aventurée ; mais je connais
trop le public pieux pour douter que sa confiance en
ait été un seul moment ébranlée ; car ce qui stupéfie
plus encore que la hardiesse des prôneurs de miracles ,
c'est l'imperturbable sérénité de ceux qui les croient.

1. Vie pratique de sainte Germaine. Toulouse, Resplandy,


in-32 , p. 79 .
III

LES SAINTS SPÉCIALISTES

Les saints protecteurs des récoltes. - Le secret pour obtenir à


coup sûr de la pluie. - Dieu père de tous nos maux. - Les
saints protecteurs des bestiaux. - Les saints protecteurs des
enfants. - Le vouement. - Les saints protecteurs des femmes
en couche . -- Les saints guérisseurs des fièvres . - Ruisseaux
et fontaines miraculeuses . - Spécialités pour les maux
d'yeux, les maux d'oreilles, les maux de tête, les maux de
bouche, les maux de dents, les maux de gorge, les maux de
rate, les maux de ventre, le coryza, les hernies, la gravelle et
la pierre. - Les saints guérisseurs des maladies de peau, de
la folie, de la possession et de l'épilepsie. La protection du
soldat. - Saints qui font retrouver les objets volés ou per-
dus ; qui empêchent de se noyer ; qui protégent contre
l'incendie, contre les démangeaisons et les brûlures ; contre
les serpents. - Les saints cumulards. Autres spécialités
bizarres les mal mariés, le délire des aboyeurs, la danse de
Saint-Guy, la rage. ― L'Étole du grand saint Hubert. -Cu-
rieux cérémonial de la taille . A Ce que c'est que le répit.

La protection, forcément passagère , que les saints


et les Notre- Dame daignent accorder en cas de guerre
12.
138 Le Dossier

ou d'épidémie peut devenir très favorable à leur gloire ,


mais ne saurait suffire à entretenir autour d'eux une
dévotion continue . Les bienheureux qui tiennent à
recevoir sans cesse l'hommage des fidèles prosternés
prennent soin de leur offrir un secours contre des
fléaux d'une moindre importance , mais d'une répétition
plus certaine . Tous les sanctuaires où l'on peut aller
demander de confiance la préservation des biens de la
terre en gros et en détail sont assurés du suffrage de
nos populations rurales ; aussi le nombre en est -il
considérable . Il n'est presque pas de région qui n'ait
encore sa Notre- Dame ou son saint protecteur des ré-
coltes qu'on implore par les moyens accoutumés .

<< Pendant tout le printemps , non - seulement la pa-


roisse, mais presque tous les villages des environs ,
écrit M. le curé de Montsalvy (Cantal) , demandent des
messes en l'honneur de saint Bernard pour la conser-
vation des récoltes¹ . >>

Généralement les statues ou les châsses des saints


protecteurs sont promenés en solennité pour faire
changer le temps . A ceux-ci on demande le soleil , à
ceux -là la pluie . Le sanctuaire de Notre-Dame de
Chartres , richement pourvu , possède à la fois dans
une de ses chapelles la châsse de saint Taurin recom-
mandée contre les temps secs, et celle de saint Piat
infaillible contre les temps humides 2. Dans certaines

1. Petits Bollandistes, t. XII , p. 181 .


2. « La châsse contenant les reliques de saint Piat, prêtre et
des Pèlerinages 139

contrées, le même saint protége alternativement dans


les deux cas. Ainsi en est-il de sainte Godeberte, que
Noyon a toujours invoquée d'une façon spéciale << aux
époques de pluie trop abondante ou de sécheresse con-
tinue ». La protection est aussi sûre que rapide .

Toutes les fois , nous dit-on , que , dans les sécheresses


ou les pluies excessives , sa châsse a été exposée , on a
vu, avant la fin de la neuvaine, les effets de la protec-
tion de la sainte¹ . »

On ne saurait trop restaurer ces pratiques dans les


localités qui en ont perdu l'habitude . Près de l'église
de saint Fromond ( Manche) coule une fontaine où,
par les temps de sécheresse , on allait autrefois en pro-
cession plonger une croix par l'extrémité de la hampe.

« Cette cérémonie , dit Mgr Guérin , a été renouvelée


en 1840, en présence de cinq paroisses des environs :
la pluie demandée fut obtenue miraculeusement 2. »

Le plus merveilleux est que la pluie ne dépasse pas


les limites précises de la commune qui s'est mise en

martyr, et celle qui renferme les ossements de saint Taurin ,


évêque d'Évreux, sont conservées dans cette chapelle. On expose
la première pour demander du beau temps dans les années plu-
vieuses, et la deuxième pour obtenir de la pluie dans les années
où la sécheresse compromet les récoltes. » Guide du touriste et
du pèlerin à Notre-Dame de Chartres. Nouv. édit . Chartres ,
1867, in- 12, p. 33 .
1. Petits Bollandistes, t . IV, p. 341 .
2. Petits Bollandistes, t . XII, p . 575 .
140 Le Dossier

frais pour la demander. Le fait a été observé : il en


valait la peine :

« En 1867 , une sécheresse effrayante menaçait nos


récoltes , le blé mourait et tout ce qui était dans nos
champs. Des prières publiques eurent lieu ; le Ciel
resta sourd ; le peuple d'Hyères demanda à grands
cris à notre pasteur de descendre
8 la Vierge de Notre-
Dame de Consolation à notre église paroissiale
d'Hyères. Le 3 mai , jour de dimanche , nous montons
en procession pour descendre la statue ; un soleil de
plomb nous brûlait, les hommes se disputaient l'hon-
neur de porter la statue ; plus de deux mille personnes
suivaient. On déposa la statue dans la paroisse saint
Louis. Le lundi 4 mai , le temps se couvrit, et, dans la
nuit, une pluie douce et fine vint ressusciter nos ré-
coltes, et , chose remarquable , la pluie s'arrêta aux
limites de la commune ¹. >>

Avant de s'étonner outre mesure de la rapidité que


mettent la Vierge et les saints à procurer le temps
qu'on leur demande, il n'est pas inutile de remarquer
comment les choses se passent à l'ordinaire . Dans le
cas merveilleux que nous venons de citer , il est con-
staté assez naïvement que le ciel était depuis longtemps
sourd aux prières publiques , lorsque Notre - Dame
de Consolation finit par triompher de sa résistance .
<< Patience » est le mot de la situation . Lorsque le

1. Le Pèlerin, 3e année, p. 65.


des Pèlerinages 141

soleil ou la pluie se sont prolongés assez longtemps


pour inspirer des craintes sérieuses , M. le curé branle
la tête et dit en consultant son baromètre : « Il faudra
que nous finissions par implorer notre saint . » Une
huitaine s'écoule. L'inquiétude est devenue vive .
M. le curé n'hésite pas : il fixe le recours solennel au
saint... à la semaine suivante. Si pendant ce nouveau
délai on a la chance d'un changement de temps, c'est
déjà le saint qui en bénéficie. Il aura généreusement
devancé l'heure fixée et on lui en rendra grâces . Le
recours solennel passe-t-il au contraire sans effet, c'est
qu'on n'a pas prié avec assez d'entrain : il faudra
recommencer. Et, pour le dimanche suivant, M. le
curé décide ... le commencement d'une neuvaine ;
quinze jours de gagnés pour le moins . Ce mode d'opé-
ration se trouve révélé avec une entière franchise dans
les instructions suivantes, adressées en 1870 par Mgr
de Verdun aux curés de son diocèse :

« Verdun, 23 mai 1870.

» La sécheresse désole nos campagnes ; elle menace


nos fruits et nos récoltes. Il est temps d'ajouter aux
prières privées le cri puissant de la prière publique.
Appelez donc au pied des autels vos chers paroissiens ;
qu'ils fassent violence au Ciel par d'unamimes sup-
plications. Seulement n'oublions pas que l'efficacité de
nos prières tient à l'ardeur de notre foi . En proclamant
le domaine de Dieu sur nos personnes, n'hésitons pas
à lui dire que nous n'attendons que de lui la fécondité de
nos champs , puisque seul il dispose de la pluie, de la
142 Le Dossier

rosée, de l'air, de la chaleur, de la lumière, c'est-à-dire


de tous les agents qui font fructifier le travail.
» N'oublions pas non plus que nos iniquités, et en
particulier la profanation du saint jour du diman-
che, déchaînent sur la terre les intempéries, la stérilité,
les maladies , les fléaux de toute nature. Joignons donc
à la prière l'observation sérieuse de la loi de Dieu , afin
que, touché de notre repentir, de notre soumission , de
nos supplications sincères, le Père des miséricordes
daigne verser sur nos campagnes une pluie de choix
et de bénédiction .

» A cet effet :
» 1º A partir de jeudi prochain, fête de l'Ascension ,
il sera célébré, dans toutes les églises et chapelles de
notre diocèse un Triduum de prières pour demander
la pluie. Ce Triduum pourra être continué si
MM. les curés le jugent à propos.
» 2º Le soir, il sera célébré un Salut, etc...
» 3° Nous autorisons les églises qui possèdent des
reliques authentiques à les exposer pendant la durée
des prières. Dans ce cas, on ajoutera au Salut l'An-
tienne et l'Oraison du saint dont les reliques seront
exposées.
» 4° Jusqu'à la cessation de la sécheresse, tous les
prêtres diront à la messe , les collecte , secrète et post-
communion Ad petendam pluviam...

» + AUGUSTUS, évêque de Verdun¹ . »

1. Semaine religieuse de Lorraine, 1870, p. 445 .


des Pèlerinages 143

Donc, <« si MM . les curés le jugent à propos , » c'est-


à-dire si la sécheresse continue en dépit de leur Tri-
duum , ils pourront le recommencer. Chaque Triduum
comportant , comme son nom l'indique, trois jours
suivis de prières , quelques Triduum escamoteront
déjà une bonne partie du mois . Et, comme si l'excel-
lent évêque craignait de n'avoir pas encore été assez
clair, il ajoute que la prière Ad petendam pluviam de-
vra être récitée « jusqu'à la cessation de la sécheresse » .
C'est certainement le moyen le moins douteux d'en
assurer l'effet .
On aura remarqué l'étrange théorie du prélat d'après
laquelle il faudrait attribuer les maux et les intempé-
ries qui nous affligent à ce qu'un trop grand nombre
de négociants ouvrent leurs volets le dimanche. Que
ce soit précisément cette cause ou une autre qui fâche
l'irascible Divinité , il ne faut pas douter que tous nos

malheurs ne nous viennent en droite ligne de Celui


qu'on nous apprend tout petits à appeler le bon Dieu-
sans doute par antiphrase . Ceux qu'éclaire un rayon
d'en haut sont d'accord là-dessus. Il n'y a pas si long-
temps qu'à propos du débordement de la Garonne, la
Semaine religieuse de Montpellier, s'empressait de
montrer l'œuvre divine se poursuivant par l'inonda-
tion , après avoir préludé par l'invasion et la famine :

« La cause de tant de maux , pour qui ne refuse pas


de voir, c'est la juste colère de Dieu , lassé de nous ;
c'est la vengeance à la fois terrible et paternelle visi-
tant une à une nos provinces coupables, livrant celles-
144 Le Dossier

là au glaive exterminateur,, dans d'autres semant la


stérilité et la misère, déchaînant contre celles- ci les ca-
taractes du ciel ¹ . »

Dans le même temps, Mgr de Toulouse , décrivant


les horribles scènes dont il était le témoin, écrivait sé-
rieusement -- on ne peut croire qu'il songeât à plai-
santer dans un pareil moment :

« C'est Dieu qui vient de passer parmi vous. Vous


l'avez reconnu sans doute . »

Il paraît qu'à la vigueur des coups administrés ,


monseigneur, lui , n'hésitait pas à reconnaître le pas-
sage de son Dieu . Or , le journal de l'évêché faisait
suivre presque immédiatement cette singulière affir-
mation de forces nouvelles comme celles -ci :

<< Dans tout le faubourg Saint-Cyprien , toutes les


églises et chapelles ont été envahies par les eaux ; celle
des Carmes seule a été détruite ; mais toutes sont gra-
vement détériorées ...
» La maison de charité, tenue à Roques -sur-
Garonne, par les sœurs de Saint-Vincent-de- Paul, a été
2
complétement rasée par les eaux , etc ...
»

Dans le célèbre cri du sac de Béziers : « Tuez- les


tous , Dieu reconnaîtra les siens , » il y avait du moins

1. Semaine religieuse de Montpellier, 1875 , in-8°, p. 776.


2. Semaine catholique de Toulouse, 1875 , in-8° , pp. 643, 644. ·
des Pèlerinages 145

une consolation . Cette consolation , les faits qui pré-


cèdent nous la retirent : Dieu lui-même ne reconnaît
pas les siens !

Il existe un certain nombre de saints protecteurs


contre les orages. Sainte Barbe marche à leur tête .
Dans le diocèse de Limoges , Notre - Dame du Crocq
semble avoir droit à une mention . On écrit au
Pèlerin :

« Nous devons dire que , si nous avons fait quelque


chose pour l'honneur de notre bonne Mère , elle nous
a bien payés ; car les orages ont dévasté autour de
nous des paroisses, des cantons même entiers , et la
paroisse et le canton de Crocq n'ont pas eu un grain
de grêle , mais des pluies bienfaisantes et répara-
trices¹ . >>

Toujours la théorie du chacun pour soi ! Notre-


Dame du Crocq n'éprouve pas le moindre intérêt pour
le sort des populations , en dehors du canton où figure
son autel.
Au diocèse de Tarbes, saint Exupère est invoqué
contre la grêle :

<< De tous les pays environnants, on fait dire dans


l'église qui lui est dédiée , à Arreau , des messes pour la
conservation des fruits de la terre et surtout pour les
préserver de la grêle 2. »

1. Le Pèlerin, 2e année , p. 420.


2. Petits Bollandistes, t . XI, p. 466..
13
146 Le Dossier

<
«< En plusieurs endroits on invoque saint Urbain
pour la prospérité de la vigne ¹ , »

Contre le phylloxéra peut - être les viticulteurs pour-


raient- ils s'adresser également avec confiance à saint
Magnus :

<< On invoque saint Magnus pour obtenir la destruc-


tion des vers, des chenilles et de tous les insectes et
animaux nuisibles aux moissons, aux arbres et aux
prés ². >>

Le paysan n'a pas seulement à se défendre contre les


animaux nuisibles ; il aime à entourer de ses soins les
animaux qui le servent . Les saints protecteurs du bé-
tail abondent. Contre l'épizootie , on recourt à sainte
Saturnine , dans l'Artois ; à saint Siméon , dans l'Orne ;
à saint Sébastien, dans l'Anjou ; à saint Guérin , dans
la Savoie ; à Saint- Viance , dans le Limousin , etc.

« Le dimanche de l'Assomption , à Saint-Viance,


les habitants amènent leurs bestiaux devant la porte de
l'église et on les bénit avec les reliques du saint ³ . »

Saint Éloi est le patron des chevaux . Pour les

1. Petits Bollandistes, t. VI , p . 174 .


2. Vie et Culte de saint Gilles, l'un des quatorze saints les
plùs secourables du paradis, par de Kerval. Le Mans, Legui-
cheux-Gallienne, 1875 , in- 18 , p . 213 .
3. Petits Bollandistes, t . I, p . 83 .
4. Petits Bollandistes, t. XIV, p . 15 .
des Pèlerinages 147

vaches, on invoque, en Bretagne , saint Corneille dit


Cornéli , et dans le Nord, sainte Brigide :

« A Bus , au diocèse d'Amiens, on célèbre la fête


.
solennelle de sainte Brigide , le premier dimanche de
mai avec neuvaine . Le but du pèlerinage est d'attirer
la bénédiction du Ciel sur les vaches 2.

Il ne faut pas confondre sainte Brigide avec sainte


Brigitte , à laquelle on fait en Belgique des pèlerinages
dans le même but :

« Près de Fosses , dans le diocèse de Namur , dit


Mgr Guérin , les paysannes font bénir , le 1er février,
des baguettes avec lesquelles on touche les vaches.
malades pour les guérir ³ . »

A Estaing , diocèse de Rodez , c'est saint Fleuret que


l'on va invoquer concurremment pour les bestiaux , les
épidémies de tout genre et la préservation des biens de
la terre :

« Les nombreux pèlerins qui se rendent à son tom-


beau pour demander à Dieu ces grâces par son inter-
cession, ont coutume de faire bénir du pain et du sel
qu'ils emportent pour en faire un saint usage chez
eux *. »

1. Petits Bollandistes , t. XI , p . 132 .


2. Petits Bollandistes , t. VIII, p. 277 .
3. Petits Bollandistes , t . II, p . 187.
4. Petits Bollandistes , t . VII , p . 599 .
148 Le Dossier

Au pèlerinage de sainte Camelle , diocèse de Carcas-


sonne, on vient non plus pour les bestiaux, mais pour
les enfants.

C'est à ce béni sanctuaire , dédié à sainte Camelle,


dont nous possédons les précieuses reliques avec son
glorieux tombeau , dit un prospectus de souscription ,
que toutes les familles chrétiennes s'empressent de
recommander leurs enfants aussitôt après leurs nais-
sance , afin que notre bienheureuse sainte veille sur
leur précieuse existence . La conservation des enfants ,
tel est donc l'unique but de cette dévotion qui répond
si bien aux ardents désirs du cœur maternel. >>

Les sanctuaires qui se sont fait une spécialité de la


protection des enfants sont entre tous les plus nom-
breux. Cette ardeur s'explique par l'intérêt qu'ont les
sanctuaires à préparer leur clientèle dès le berceau . Si
l'on songe, de plus, aux faciles terreurs des mères, à
toutes les espérances attachées à la frêle existence de
tant de petits êtres, on comprendra sans peine qu'au-
cune spécialité ne saurait être plus courue , partant
plus lucrative.
Un sanctuaire récemment fondé dans le Cher a pris
le vocable significatif de Notre- Dame des Enfants .
Toutes les familles qui pourront y amener leurs
enfants , de près ou de loin , sont invités , par un
prospectus de pèlerinage , à venir grossir la foule. »
Il est du reste peu de Notre- Dame au sanctuaire des-
quelles on ne recommande , par voie d'imprimés, de
conduire les enfants .
des Pèlerinages 149

<< Depuis l'origine de l'Association , dit une petite


feuille spéciale des missionnaires d'Issoudun , les lec-
teurs des Annales ont pu s'apercevoir que Notre-
Dame du Sacré-Cœur se plaît à couvrir d'une protection
toute particulière les petits enfants. Que de fois, en
effet , nous l'avons vue les préserver d'un danger im-
minent, les guérir subitement lorsque tout espoir était
perdu , leur conserver miraculeusement l'innocence ou
la santé , etc.
» La vue de ces bienfaits journaliers et si multipliés
a inspiré à un grand nombre de mères chrétiennes la
pensée de vouer, de consacrer leurs chers petits anges
à Notre- Dame du Sacré-Cœur . Plusieurs nous ont
manifesté ce désir. Nous l'avons accueilli comme une
inspiration du Ciel ; il a été confié à notre bonne Mère
le jour de sa fête ; elle le bénira , nous en avons la
conviction .
» Comme signe de la consécration des enfants à
Notre-Dame du Sacré- Cœur, nous tenons à la disposi-
tion des parents qui nous en feront la demande , un
gracieux emblème aux couleurs de Marie , que nous
pourrons bénir et faire toucher à la statue couronnée .
Quant aux chers petits enfants qui nous seront pré-
sentés , nous les bénirons nous - mêmes et les consacre-
rons par une formule spéciale à Notre- Dame du
Sacré-Cœur ¹ . »

A défaut d'un « gracieux emblème » fourni par

1. Consécration des enfants à Notre-Dame du Sacré-Cœur.


Prospectus in-32. Bourges, impr. Pigolet.
13.
150 Le Dossier

l'administration du sanctuaire, les parents font porter


à leurs enfants les livrées de Marie en les habillant
exclusivement de vêtements bleus ou blancs.
D'après Mgr Guérin , l'usage en question , longtemps
oublié « et presque méconnu » , serait de restauration
récente. Un pieux écrivain en aurait dit :

« Ce vœu porte bonheur ; la Vierge Marie est


comme intéressée à ne pas laisser périr ceux qui ont
pris ses couleurs. De certains droits au Ciel restent
toujours à ceux qui ont revêtu , dans leur enfance ,
des vêtements blancs comme la chasteté et bleus
comme le ciel ' . »

Voilà donc le salut des enfants en ce monde et dans


l'autre , la santé et le droit au ciel, subordonnés à
l'adoption singulière d'une couleur . Quoiqu'il n'y ait
pas de règles précises quant au temps qu'on devra les
garder pour être assuré du résultat , on peut dire
cependant qu'en général le port des livrées est de sept
ans.

« Quelquefois, dit un bulletin de Notre-Dame de


Chartres , pour des raisons particulières , on voue

1. Petits Bollandistes, t, V , p . 582 .


2. Ceux qui seraient curieux de chercher la relation qui
peut exister entre la protection du Ciel et l'usage de certaines
nuances apprendront, sans doute, avec intérêt, qu'en Italie les
épileptiques recommandés à saint Gérard, doivent revêtir « un
habit de dévotion de couleur vert-clair ». Petits Bollandistes,
t. Vl, p . 147.
des Pèlerinages 151

l'enfant sans s'obliger aux vêtements blancs et bleus ¹ . »

Il est sage, en effet -- les inventeurs du « gracieux


emblème » l'avaient déjà compris de ne pas décou-
rager les parents par de trop coûteuses perspectives.
En tout cas, on spécifie que l'enfant devra porter une
médaille , un cordon et un petit scapulaire bleu . Il
convient de l'amener au sanctuaire de Chartres aux
2
principales fêtes , de lui faire dire l'Évangile et de
brûler un cierge devant l'image de la Vierge.

« Plusieurs , ajoute le bulletin , font célébrer une


messe aux principales fêtes de la bonne Notre - Dame.
» Chaque année on fait une offrande d'un franč. »

On ne se contente pas toujours de promettre aux


enfants voués la protection de la Vierge . Afin de ren-
dre la promesse plus frappante on la met en action :

Eugène Dubosctaret, de Garlin , fut atteint, à


l'âge de deux ans , d'une méningite des plus violentes.

1. Consécration des petits enfants à Notre-Dame de Chartres.


Prospectus in-32 . Bar-le-Duc, impr. Guérin.
2. Se faire dire un évangile est un acte fréquent dans les
lieux de pèlerinage. Pendant qu'il récite, non précisément l'é-
vangile, mais un court fragment d'évangile, le chapelain délé-
gué pour cette besogne vous pose sur la tête le bas de son
étole.
« En faisant lire sur nous des évangiles, dit l'auteur du Pè-
lerin sanctifiant sa dévotion , nous nous prémunissons contre le
démon, puisque les saints évangiles sont employés dans les
exorcismes . » (P. 19.)
152 Le Dossier

Déjà tout espoir de le sauver était perdu . Tout à coup


il vint à la pensée de ses parents de le vouer à Notre-
Dame de Bétharram ; aussitôt l'enfant revint comme
de la mort à la vie et fut guéri en peu de jours¹ . ›>>

Il serait difficile de trouver contre la méningite un


remède plus simple que celui-là.
Les petites pratiques qui accompagnent les visites
d'enfants aux sanctuaires se compliquent ou varient
suivant les localités. Ici c'est une image, une relique
qu'ils doivent baiser , là des linges ou des vêtements
qu'on fait toucher ou bénir à leur intention .
Les parents qui s'adressent pour leurs enfants mala-
des à Notre- Dame de Sainte-Langueur, diocèse de
Troyes, « font bénir les linges ou les vêtements qu'ils
leur destinent et demandent pour ces petits êtres souf-
2
freteux une neuvaine à Sainte- Langueur ² » .
Ailleurs, on trempe les linges destinés aux enfants
malades dans quelque fontaine que le saint local
honore de son patronage :

« Les mères de famille de Saint- Aubin (Aisne)


assurent que généralement leurs enfants malades
éprouvent une agitation extraordinaire , prélude de
leur guérison , au moment où l'on trempe leurs langes
dans la fontaine ³ . »

1. Manuel du Pèlerin à Notre-Dame et au calvaire de Bé-


tharram par un prêtre de Bétharram . Pau, 1874, in- 16, p . 49 .
2. Petits Bollandistes, t. VI , p. 358.
3. Petits Bollandistes, t . III , p. 87.
des Pèlerinages 153

Souvent encore ce sont les enfants eux-mêmes qu'on


plonge dans l'onde miraculeuse.
Dans le Poitou , Mgr Guérin signale une fontaine
de saint Macout , dénomination poitevine de saint.
Malo, « à laquelle on vient de fort loin en pèlerinage
pour y plonger les enfants macouins » . C'est le nom
qu'on donne aux enfants noués ¹ .

Près d'Auray , sainte Avoye a, nous apprend le


même auteur , « sanctifié par son attouchement et sa
bénédiction une pierre et une fontaine sur le bord de la
mer. Depuis, par son intercession , les enfants que l'on
met sur cette pierre, qui est creusée par le milieu , ou
que l'on plonge dans cette fontaine, y obtiennent le
pouvoir de marcher » 2.

On voit que non seulement certains sanctuaires se


font une spécialité des infirmités d'enfants en général ,
mais encore de certaines infirmités particulières d'en-
fants . Ceux où l'on conduit les enfants « tardifs à mar-
cher » sont les plus nombreux . Saint Léonard paraît
être le saint qui fait prime dans cette spécialité . A
Courcy (Calvados) , on applique sur les membres ma-
lades des enfants , voire même des grandes personnes ,
pour en accélérer le mouvement, une chaîne dite
chaîne de saint Léonard . Le même genre de supersti-
tion , de dévotion si l'on préfère , existe à Chartres, où la
chapelle de l'Hôtel-Dieu possède , sous le nom de fers

1. Petits Bollandistes , t . XIII , p . 418 .


2. Petits Bollandistes, t . V, p . 364.
154 Le Dossier

de saint Léonard quatre anneaux enfilés dans une


tringle qu'on passe le jour de la fête du saint dans les
jambes et les bras des enfants pour lesquels on vient
l'implorer. Dans quelques localités, on invoque aussi
saint Léonard pour les enfants « tardifs à parler » .
En Bretagne, c'est Notre- Dame de Lambader qui
s'est attribué cette spécialité . Les mères inquiètes font
dire une messe dans son sanctuaire pour leurs enfants
quand ils tardent à parler, et, par la même occasion ,
<< y présentent à bénir du pain qu'elle leur font man-
ger » ; après quoi , elles se retirent « pleines de con-
fiance nous dit Mgr Guérin ' .
Dans la Franche-Comté, on invoque saint Hyme-
tière pour les enfants « de faible constitution » 2 ; dans
le diocèse de Châlons , saint Clotaire pour ceux «< qui
sont attaqués du catarrhe » 3. Les fidèles des environs.
d'Avesnes vont tremper dans la fontaine de saint
Ursmar « les enfants dont les reins sont faibles » * ; ceux
du Nord vont faire toucher aux reliques desaint Ghis-
lain les jeunes citoyens et les citoyennes du premier
âge que la dentition tourmente.

« Le prêtre récite sur eux l'évangile , leur fait tou-


cher les reliques du saint, et souvent, après ce pieux
voyage, les hideuses convulsions et les frayeurs natu-

1. Petits Bollandistes, t. V. p . 151 .


2. Petits Bollandistes, t. IX, p . 130 .
3. Petits Bollandistes, t . XI, p . 459.
4. Petits Bollandistes, t . IV, p . 487.
des Pèlerinages 155

relles aux jeunes enfants, surtout à l'époque de la pre-


mière dentition , se trouvent apaisées 1. »

Saint Leu a une autre spécialité : celle des douleurs


d'entrailles, que l'on calme à Paris chez les enfants en
leur faisant baiser la petite châsse qui contient quelques
reliques du saint2. A la préservation des douleurs
d'entrailles , saint Gilles ajoute la préservation de la
peur ;

« Dans beaucoup de contrées, on fait toucher à la


statue de saint Gilles les langes et les vêtements des
petits enfants sur lesquels on veut appeler sa bénédic-
tion ³. »

En Bretagne, plusieurs sanctuaires dédiés à Saint-


Gilles, attirent , à la date du 1er septembre, une
affluence de pélerins considérable.

« On y amène de loin des masses de jeunes enfants


on locale , en réci-
que l'on évangélise , selon l'expressi
tant sur eux l'évan gi le de Saint - Jean pour les préserver
de la peur , de la folie et du mal caduc * .

Saint Ours a une spécialité bien délicate . Il paraît


qu'on recourt à lui « pour demander en faveur des

1. Petits Bollandistes, t . XII , p . 213.


2. Petits Bollandistes , t . X, p . 400 .
3. Vie et Culte de saint Gilles, p. 64.'
4. Histoire de l'invention du tombeau de Saint-Gilles, par
l'abbé Trichaud . Nîmes, Giraud , 1868, in-8° , p 186.
156 Le Dossier

enfants morts sans baptême un petit retour à la vie¹ » , le


temps seulement de les entendre crier sous l'aspersion
sainte et d'offrir des dragées au curé. On ne dit malheu-
reusement pas si le recours est agréé. Notre - Dame de
Beaune et Notre- Dame de Nièvre, qui avaient autre-
fois la même spécialité, paraissent y avoir renoncé. Il
n'y a rien de stable ici bas.
C'est << aux enfants rachitiques , à ceux qui n'ont pas
une bonne croissance ou qui dépérissent tout à coup » ,
que Notre- Dame des Vertus, diocèse de Périgueux ,
réserve ses faveurs .

« On les consacre à Marie devant son autel , lors-


qu'ils sont malades, en faisant lire sur eux l'Évangile
de la messe de la sainte Vierge . Les parents les mettent
sur l'autel même ; là , ils les revêtent de nouveaux habits
et abandonnent les anciens comme un témoignage
assuré que le mal aura disparu². »

Un usage analogue à lieu , le lundi de Pâques , à


Domfront, dans le sanctuaire de Notre-Dame de
l'Habit, avec cette différence qu'il ne s'agit plus des
enfants seulement :

<< On y apporte des vêtements ou des linges qu'on


dépose sur un petit autel dressé au pied de la statue de
Marie ; on prie avec religion et on les remporte, avec
la confiance que si on s'en revêt pieusement , il en sor-

1. Petits Bollandistes, t. VII, p . 119.


2. Petits Bollandistes, t. X, p. 585.
· des Pèlerinages 157

tira une vertu secrète qui guérira les malades , préser-


vera les soldats sur le champ de bataille , sauvera les
hommes en péril , ou obtiendra d'heureuses couches
aux femmes enceintes ' . »

Toute une série de sanctuaires offrent , comme


celui-ci , leurs services aux femmes enceintes . Souvent
le même sanctuaire, par une relation naturelle, pro-
tége la mère et l'enfant . Les pèlerins se rendent à
Notre-Dame de Pitié, dans le diocèse de Blois, pour
lui recommander à la fois les nouveau-nés sujets aux
convulsions et « les enfants près de naître ²2 » . Il est à
remarquer qu'il y a bien plus de saints que de saintes
à qui les femmes ont recours dans la période délicate
de l'accouchement . Encore parmi les rares saintes en
question figure-t- il une Vierge à barbe : sainte Livrade,
qui a plusieurs chapelles dans le midi de la France ³.

1. Petits Bollandistes, t . IV, p . 101 .


2. Petits Bollandistes, t . X, p. 565.
3. Sainte Livrade ou Libérate est une sainte assez problé-
matique « à laquelle, écrit M. l'abbé Barrère, le Ciel aurait en-
voyé subitement une longue barbe pour l'aider à conserver
sa virginité » . Ceci veut une explication.
Livrade, fille. dit-on , d'un roi mal servi par le Dieu des ba-
tailles, fut offerte comme gage de paix par le monarque battu
à son vainqueur. La jeune fille, frémissant à l'idée du mariage
qui va s'accomplir, supplie le Ciel de lui venir en aide. Le Ciel
a entendu sa voix. Une barbe de sapeur garnit tout à coup son
doux menton Stupeur du prétendu . « Tout est rompu, beau-
père ! » Sur ce, fureur du chef de famille, qui, ne trouvant
plus d'autre moyen de se débarrasser de sa fille, la fait cruci-
fier. Que ne se mettait-il en quête d'une pâte épilatoire ! Petits
Bollandistes, t . II , p . 95 .
14
158 Le Dossier

Un des saints sur lesquels les femmes paraissent pou-


voir compter, dans l'état dit intéressant, est saint
Udault :

« La protection la plus manifeste du saint martyr


s'éprouve dans les accouchements difficiles. Il n'est
pas alors de femme qui ne le trouve propice, si elle
l'invoque avec ferveur ' . »

A la collégiale de Saint-Ours, dans la vallée d'Aoste,


un calice, qui passe pour avoir appartenu au saint,
joue un rôle inattendu dans les délivrances difficiles :

« On a coutume de présenter ce calice aux femmes


dont l'accouchement laborieux expose la vie et celle
des enfants ². »

<< Les femmes enceintes, écrit à Mgr Guérin le


curé de Montsalvy (Cantal) , se recommandent à saint
Bernard, et , dans leurs couches, elles sont très heu-
reuses d'avoir quelques parcelles de ses reliques , ce
qui leur est facile, vu que : 1 ° vers 1844 ou 1845,
Mgr Jalabert , vicaire - général , ouvrit l'ancienne
châsse pour prendre un os destiné à la cathédrale de
Saint- Flour, et donna de petits os au curé d'alors ; et
2º en 1865 , lorsqu'il s'agit de remplacer l'ancienne
châsse , Mgr l'évêque m'autorisa à retirer, pour les dis-

1. Petits Bollandistes, t. V. p . 454 .


2. Petits Bollandistes, t. VII, p . 120.
des Pèlerinages 159

tribuer, de petits fragments que le temps ou le frotte-


ment avait détachés ¹ . >>

Contre la stérilité, les livres pieux nous recomman-


dent saint André de Berthsaïde et sainte Colette .

« Elle obtient, nous dit-on de cette dernière , une


postérité aux époux stériles² . »

Quand on est absolument fixé pour un garçon, c'est


à sainte Félicité qu'on s'adresse :

« Comme sainte Félicie n'eut que des garçons , on


<
l'invoque pour en obtenir ³. >>

C'est au moins fort logique .


Dans l'Ardèche , on sollicite volontiers de saint Fran-
çois Régis les douceurs de la maternité, mais sans
avoir, je crois , de vues spéciales sur le résultat . Le
tombeau du saint, à la Louvesc, est un célèbre but
de pèlerinages .

« Vous entendez au fond de l'église, dit le Pèlerin,


les vagissements importuns d'un nouveau -né . Ils
troublent les offices publics, dérangent le prédicateur
et l'auditoire. Toutefois, ne vous hâtez pas de vous
impatienter et d'accuser d'imprudence ceux qui l'ont

1. Petits Bollandistes, t . XII , p . 181 .


2. Petits Bollandistes, t . III , p . 213 .
3. Petits Bollandistes, t . VIII, p . 229.
160 Le Dossier

apporté dans le lieu saint. Ce petit importun , c'est


l'enfant du miracle. C'est un des nombreux petits
Samuels du temple de la Louvesc ; c'est le fruit des
prières et des largesses de sa mère au tombeau du
grand thaumaturge¹ . »

De tous les malades , il n'en est pas de mieux servis


que les fiévreux . On trouverait difficilement une
région qui n'ait pas son saint guérisseur des fièvres.
Pour nous en tenir à quelques cérémonies originales,
je citerai celle qui se pratique au cercueil de saint.
Germain, dans l'église de Saint-Germain-sur - Bresle.
Ce cercueil est placé sous l'autel :

<< Le couvercle en dos d'âne est percé latéralement


de deux trous circulaires, par où les pèlerins passent
leurs bras et prennent de la terre qu'ils appliquent sur
le corps des malades atteints de la fièvre² . »

Le tombeau de sainte Vergue ou Verge , dans les


Deux-Sèvres , n'est pas l'objet de scènes moins bizarres :

« Ce qui reste de son tombeau dans l'église de sainte


Verge se réduit peu à peu en poussière , les fidèles la
raclant pour en mêler les débris à l'eau d'une fontaine
qui porte le nom de la sainte dans le parc du château
voisin. Ce breuvage est donné contre la fièvre³. >>

1. 4° année, p. 130 .
2. Petits Bollandistes, t . V, p. 264 .
3. Petits Bollandistes, t. II, p . 155 .
des Pèlerinages 161

A la fontaine de Notre-Dame du Cros , diocèse


d'Évreux, l'onde fébrifuge est puisée par le malade
dans une écuelle d'une origine quasi divine. Selon la
tradition , rapportée par Mgr Guérin , « une bergère ,
femme très dévouée au culte de la sainte Vierge ,
ayant vu surgir une fontaine du plus beau cristal , se
sentit pressée de boire de cette eau ; mais , n'osant la
toucher de ses mains de peur de la salir , ni se courber
pour ne pas boire à la façon des brebis , elle éprouval
un moment de perplexité . Elle contemplait et priait,
lorsqu'une belle coupe parut sur l'eau . Elle comprit
de quelle main lui venait cette délicate attention ... »
Un enfant atteint de fièvre intermittente ayant bu de
cette eau , guérit instantanément .

Depuis lors, on attribue , non sans de grands fon-


dements, -- c'est Mgr Guérin qui parle , ― une vertu
fébrifuge à l'eau du Cros puisée dans l'écuelle . Cette
écuelle ou coupe est d'une matière rouge inconnue
jusqu'ici et portant au dos des caractères que nul n'a
pu déchiffrer ¹. >>>

J'ignore ce que messieurs les archéologues en pen-


sent.
On aura déjà remarqué dans toutes ces pratiques
superstitieuses le rôle important des ruisseaux et des
fontaines. C'est le cas d'observer qu'il est peu de sanc-
tuaire privilégié qui n'ait son cours d'eau miraculeux

1. Petits Bollandistes , t . VI , p. 468 .


14 .
162 Le Dossier

à proximité du temple , sinon dans le temple même.


Les pèlerins , après leurs pieux exercices , manquent
rarement d'y aller faire des ablutions , tremper des
linges et remplir des bouteilles .
A Notre- Dame de la Gorge, diocèse d'Annecy, c'est
près de l'autel que tombe goutte à goutte dans un petit
réservoir , une eau limpide « bénite , nous dit-on , par
sa source même » , et dont les pèlerins « boivent par
dévotion , car on lui attribue des vertus bienfaisantes¹ » .

La fontaine qui donne son nom au pèlerinage de


Notre- Dame du Font- Romeu , fameuse dans le diocèse
de Perpignan, prend sa source derrière le maître-autel ,
<«< coule sous le pavé de l'église , et va verser ses eaux à
l'extérieur dans une piscine où se lavent les malades
pour obtenir la guérison de leurs infirmités ».

Rien qu'en France, les eaux miraculeuses se comp-


tent par centaines. La Salette et Lourdes se sont donc
beaucoup moins distinguées par leurs sources que par
la manière de les exploiter. Loin que l'idée soit récente
d'attribuer à certaines eaux , soi-disant sanctifiées , des
propriétés merveilleuses , cette idée n'est pas même
postérieure au christianisme . Les païens n'imploraient-
ils pas avant lui , avec des procédés analogues , les
divinités des fontaines ? Combien d'endroits où le nom
d'un saint n'a fait que remplacer celui de quelque
dieu ou de quelque déesse de 1 Olympe antique !

1. Petits Bollandistes , t. IX, p . 587 .


2. Petits Bollandistes, t. X, p. 566 .. -
des Pèlerinages 163

Beaucoup de ces eaux passent pour rendre la vue


aux yeux malades. Tel est le cas de la fontaine de
Fresneau , dont la Notre-Dame a été promue récem-
ment à l'honneur du couronnement pour la plus
grande gloire du diocèse de Valence.

« On vient surtout chercher à Fresneau la guéri-


son des aveugles , et une fontaine qui jaillit en ces
lieux est fréquentée depuis longtemps par ceux qui
demandent à Marie le bienfait de la vue ' . »

Dans quelques localités , le traitement des yeux


prend des formes originales .
A Notre-Dame de Coupiac, c'est le voile de la Mère
de Dieu « qu'on vénère comme un remède contre les
2
maladies qui affectent les yeux » . Dans celui de
Notre-Dame de Ceignac, au diocèse de Rodez, comme
le précédent, c'est une statuette de la Vierge en argent
« ayant à sa base un verre arrondi qu'on applique sur
3
les yeux malades ³». L'anneau de saint Loup, conservé
dans la cathédrale de Melun , s'emploie de la même
façon :

« Ceux qui ont mal aux yeux se l'y font appliquer


et en reçoivent des soulagements considérables et
même une entière guérison *. »

1. Le Pèlerin, 2º année, p . 1333 .


2. Petits Bollandistes, t. IX, p . 544.
3. Petits Bollandistes, t. VII , p. 523.
4. Petits Bollandistes, t. X, p. 400.
164 Le Dossier

C'est encore par apposition d'une relique qu'à la


cathédrale de Saint-Flour on vient à bout des maux
d'oreilles. La relique employée est la partie inférieure
d'un cor d'ivoire dont le saint passe pour avoir fait
usage.

<< Plusieurs personnes , dit Mgr Guérin , ont été


guéries du mal d'oreilles par l'appplication de cette
relique¹. »

Autre moyen de faire entendre les sourds usité


à la chapelle de saint Mériadec, près de Pontivy.
On y sonne sur la tête de ceux qui sont affligés
de surdité une cloche conique en cuivre qu'on croit
avoir appartenu au saint ² .

Contre les maux de tête, un à -propos , d'assez mau-


vais goût semble- t - il , fait , entre autres saints , invo-
quer saint Denis . Contre les maux de bouche en
général , les fidèles du diocèse de Vannes ont la fon-
taire de Notre- Dame de Becquerel :

« A l'intérieur du mur oriental de la chapelle jaillit


une fontaine très abondante , dont l'eau a la propriété
de guérir les maladies de la bouche * . »

Contre les maux de dents , la protection de sainte

1. Petits Bollandistes , t . XIII , p . 154 .


2. Petits Bollandistes, t. VI, p . 514.
3. Vie et culte de saint Gilles, p . 195.
4. Petits Bollandistes, t. IX, p. 543 .
des Pèlerinages 165

Apolline est consacrée par un long usage. Près des


fidèles Rémois, saint Rigobert réclame l'honneur d'a-
paiser les élancements de leurs molaires .

Un religieux, qui avait une fluxion à la joue, en-


voya un cierge pour brûler devant les reliques du
saint, et aussitôt il fut soulagé et se trouva en état
d'aller rendre ses hommages à un si puissant médecin ¹ »>

Pour les maux de gorge , la palme revient à saint


Blaise. La coutume existe, à Metz , de temps immémo-
rial, de bénir, le jour de la fête du saint, des pains dits
pains de saint Blaise qu'on serre soigneusement chez
soi . A Rome, le même jour, on oint , dans plusieurs
églises , la gorge des fidèles avec l'huile bénite de saint
Blaise. Les cierges de saint Blaise sont plus générale-
ment adoptés. Dans certaines localités, on fait bénir.
deux cierges le jour de la Chandeleur, qui est la veille
de la fête du saint :

<< Ceux qui veulent être délivrés de leurs maux de


gorge pour lesquels on l'invoque spécialement, s'ap-
prochent du prêtre qui tient à la main les deux cierges
bénits la veille , les approche du cou des malades et
prie sur eux en invoquant le saint . C'est par assimila-
tion des maladies qu'on lui recommande l'espèce por-
cine très sujette à l'esquinancie 2. >>

1. Petits Bollandistes, t . I , p . 120.


2. Petits Bollandistes , t . II , p . 229 .
166 Le Dossier

Grand merci du rapprochement .


Dans le Limousin , c'est saint Goussaud qu'on in-
voque de préférence contre l'esquinancie¹ . Contre le
mal de rate , la même région adresse ses vœux à saint
Phallier . Dans la Touraine et le Morvan , saint Brice
préside à la guérison des maux de ventre . En Nor-
mandie, on invoque avec succès saint Malo contre
l'hydropisie . C'est saint Eutrope qu'à Saintes on in-
voque dans le même cas³. Je voudrais abréger, je n'y
réussis pas . Comment taire que nous avons jusqu'à
un saint contre le coryza : saint Maur 6, et un saint
contre les hernies et la pierre : saint Florent " . Encore
allais-je oublier saint Druon , dont l'oraison est ainsi
conçue :

<< Dieu éternel ... faites, par l'entremise de saint


Druon , que nous soyons préservés ou guéris de la
pierre, gravelle , rupture et autres accidents corpo-
rels $. »

Je laisse de côté les écrouelles , que nous devons re-


trouver plus tard ; mais la fatalité me rejette sur les

1. Petits Bollandistes , t . XIII , p. 199.


2. Petits Bollandistes, t . XIII , p . 563 .
3. Petits Bollandistes , t. XIII, p . 395.
4. Petits Bollandistes, t. XIII , p . 417 .
5. Petits Bollandistes , t. V, p. 91 .
6. Petits Bollandistes, t. I, p . 358.
7. Petits Bollandistes , t. XIII , p . 241 .
8. Abrégé de la vie et des miracles de l'illustre confesseur de
Jésus-Christ, saint Druon. Tournai, Casterman , in -32 , p . 54 .
des Pèlerinages 107

maladies de peau . Il est inquiétant de penser qu'atteints


d'affections contagieuses des malheureux peuvent se
borner à aller en pèlerinage à sainte Reine , recom-
mandée pour la gale et la teigne , ou à sainte Rade-
gonde, souveraine pour la guérison de la gale , de la
lèpre et des ulcères .

« Ceux qui sont atteints de ces sortes de maux ont


la dévotion de se laver dans l'eau de la fontaine de
sainte Radegonde. Leurfoi a été plus d'une fois récom-
pensée, nous dit-on , par de véritables miracles '. >>

Plus d'une fois , c'est tout juste rassurant.


Le curé de Notre-Dame d'Aynes , Avignon , fait
savoir à Mgr Guérin que saint Brandan, dont il a la
joie de posséder « un os assez considérable » , obtient
la guérison << de toute espèce de maladies cutanées ,
mais principalement du mal que le paysan désigne
sous le nom de mal de saint Brandan 2 » .

Sur la liste des saints protecteurs contre les maladies


contagieuses , il suffit de signaler encore saint Roch ,
saint Sébastien , saint Adrien , saint Antoine. Les
saints guérisseurs d'épileptiques assistent souvent du
même coup les fous et les possédés. Telle sainte
Dympna , qu'on invoque • pour les possédés , les
aliénés et les épileptiques 3³ » . C'est avouer assez

1. Petits Bollandistes, t. IX , P. 505 .


2. Petits Bollandistes, t. XIII, p . 664 .
3. Petits Bollandistes, t. V. p. 554.
168 Le Dossier

ingénuement l'intime parenté des aliénés et des épilep-


tiques avec les prétendus possédés .
Quant à la guérison de la folie , les saints spécialistes
s'en tirent à leur honneur, si j'en juge par l'assurance
avec laquelle Mgr Guérin enregistre au sujet du sanc-
tuaire de saint Grat, dans le diocèse de Rodez :

« Ce saint est invoqué, et avec succès, pour la gué-


rison de la folie ¹ . »

Et à propos du sanctuaire de Sainte- Restitute ,


au diocèse de Soissons :

<< Ceux qui ont l'esprit aliéné y sont souvent remis


dans leur bon sens et en reviennent avec un parfait
usage de la raison 2 ».

Un prospectus du curé de Fréty (Ardennes) nous


révèle saint Gorgon comme le « céleste et puissant
médecin des maladies de nerfs 3 » . Dans la Brie, on
demande à saint Caprais, en même temps que la gué-
rison des maladies nerveuses , celle des rhumatismes *.
Depuis le service obligatoire , les saints qui avaient
pour spécialité « d'exempter de la milice, » ont beau-
coup perdu . Ils pourront se rabattre , comme Notre-
Dame de Cléry , sur la protection du troupier sous les
drapeaux :

1. Petits Bollandistes, t. XII , p . 406 .


2. Petits Bollandistes, t. VI , p. 291 .
3. Prospectus in-4° . Rennes , impr. Hamon.
4. Petits Bollandistes, t. VI, p . 366.
des Pèlerinages 169

« C'est la protectrice du soldat , dit le Pèlerin , et


jamais un jeune homme du pays ne meurt sur le champ
de bataille ¹ . >>>

Ne parlez pas à Notre-Dame de Cléry des jeunes


gens d'à côté !
« Pour recouvrer les choses perdues ou dérobées , »
on invoque saint Gatien , saint Vincent et surtout
saint Antoine de Padoue :

<< Il en est bien peu , parmi nos lecteurs, dit l'auteur


de Saint Joseph, avocat des causes désespérées, qui
ne se soient pas trouvés , un jour ou l'autre , dans un
grand embarras pour avoir perdu un objet dont ils
avaient besoin ou auquel ils attachaient un pieux sou-
venir. Tantôt c'est la clef d'un meuble de prix très
difficile à ouvrir ; d'autres fois c'est un papier nécessaire
pour éviter un procès fâcheux ; c'est un portefeuille
plein de billets de banque et de lettres intimes ; c'est
un bijou d'une valeur considérable ; une médaille , un
reliquaire , un chapelet reçu des mains d'une bonne
mère sur son lit de mort , etc. , etc. Voilà pourquoi
Dieu , qui est infiniment bon , nous a donné des saints
qui paraissent spécialement destinés à venir à notre
secours dans ces circonstances fâcheuses . Personne
n'ignore qu'on invoque principalement saint Antoine
de Padoue pour retrouver les objets perdus 2. »

1. Le Pèlerin, 1re année, p . 1050 .


2. Saint Joseph avocat des causes désespérées, par le R. P.
Huguet. Lyọn, 1874, gr . in-18 . p III .
15
170 Le Dossier

Saint Antoine de Padoue est encore invoqué « dans


le danger de faire naufrage¹ » , de même que sainte
Agnès contre les périls de la mer² » et saint Adjuteur
<< pour ne pas se noyer ³ >> .
Contre les incendies , le pays messin invoque saint
Arnoul ; le diocèse de Clermont, saint Artème " ; celui
de Cambrai , saint Wasnon ; le Soissonnais , saint
Voué. On a conservé longtemps au monastère de
Notre-Dame de Soissons le bâton de voyage du saint
qui, sous le nom de crossillon de saint Voué, passait
pour jouir de la vertu d'éteindre le feu :

« Quand quelque incendie éclatait dans la ville, on


l'y promenait et il s'éteignait aussitôt ". »

On ne saurait trop déplorer la perte de ce précieux


bâton .

Par une facétie analogue à celle qui fait implorer


saint Denis contre les maux de tête , on invoque saint
Laurent, non-seulement contre le feu , mais contre les
brûlures et aussi les démangeaisons, probablement
parce qu'elles cuisent.

« On se rend en pèlerinage à Forestmoutiers (dans

1. Petits Bollandistes, t. VI, p . 634.


2. Petits Bollndistes, t. I, p . 513 .
3. Petits Bollandistes , t. V, p . 139 .
4. Petits Bollandistes , t. VIII , p . 420 .
5. Petits Bollandistes , t . I , p . 597.
6 Petits Bollandistes, t. XII , p. 285 .
7. Petits Bollandistes, t. II, p . 312 .
des Pèlerinages 171

la Somme) pour lui demander la guérison des brûlures


et des irritations de peau qu'on appelle mal de saint
Laurent¹ . >>

Contre les serpents et notamment les vipères , le


Poitou invoque saint Hilaire ; l'Auvergne et l'Amié-
nois , saint Amable ; le Maine, saint Lifard , le Niver-
nais , saint Pèlerin. Une partie des reliques du saint
sont conservées dans l'église de Bouhy. Le curé de
cette paroisse écrivait, en 1857, à Mgr Crosnier :

<< On est tellement persuadé dans notre contrée que


la terre de saint Pèlerin, c'est-à -dire de Bouhy, est
mortelle aux serpents, que nous voyons chaque jour
des fidèles, étrangers à notre paroisse, venir de loin
prendre , dans un trou ménagé exprès dans la chapelle
de notre église dédiée à saint Pèlerin , de la terre pour
préserver leurs habitations de ces reptiles et s'en servir
au besoin contre leur morsure. Plusieurs personnes
dignes de foi assurent qu'elles ont employé ce moyen
avec succès 2. »

Tandis que, selon les régions, nous voyons des


saints différents invoqués dans un même but, il n'est
pas moins curieux de trouver, d'autre part, le même
saint changeant de spécialité à mesure qu'il change de

1. Petits Bollandistes, t. IX, p . 436 .


2. Hagiologie nivernaise, ou vie des saints et autres pieux
personnages qui ont illustré le diocèse de Nevers par leurs
vertus, par Mgr Crosnier. Nevers, in-8°, 1858, p. 140 .
172 Le Dossier

pays. Ainsi de saint Firmin qu'on vient implorer en


pèlerinage :

<< A Tully (Somme), pour se préserver des clous ; à


Saint-Pierre -du - Chastel ( Eure) , contre les picotements
désignés sous le nom de fourmilière ; à Morbecque
(Nord) , où l'on va boire de l'eau du puits de saint
Firmin , pour se préserver de la fièvre, des crampes et
des rhumatismes ; à Cormeilles ( Eure), pour faire
marcher les enfants ; à Saint- Firmin-sur- Loire ( Loiret) ,
pour les douleurs en général ; dans diverses églises de
Normandie contre les tremblements ¹ , etc. »

Peu de saints cumulent à eux seuls un aussi grand


nombre de spécialités. Cependant nous en voyons
offrir leurs services aux fideles pour des cas aussi ori-
ginaux que variés .
Tels saint Jean Népomucène qu'on invoque «< contre
les inondations, pour le passage des ponts et des ri-
vières, pour la bonne confession, contre les indiscré- .
tions et la calomnie² ; »
Saint Marc <« contre l'impénitence finale et la
gale 3 ; »
Saint Benoît « contre les maléfices, les inflamma-
tions , les érysipèles , le poison , la pierre et la
gravelle¹ ; >>

1. Petits Bollandistes, t. XI , p . 385 .


2. Petits Bo : landistes, t. V, p. 601 .
3. Petits Bollandistes, t. V, p . 23 .
4. Petits Bollandistes, t. III , p. 585 .
des Pèlerinages 173

Saint Bond << pour réunir les familles divisées , cal-


mer les coliques et le mal de dents, et guérir les ani-
maux ¹ ; »
Sainte Gertrude « contre les rats et les souris , contre
la folie , pour les chats, pour un bon gîte en voyage,
contre la fièvre². »
Mais nous n'en finirions pas à énumérer les maux
plus au moins sérieux que ces cumulards se font forts
d'écarter. Pour nous en tenir à des spécialités plus
précises, contentons - nous de signaler encore car il
faut savoir se borner :
Saint Honoré, invoqué surtout, paraît -il, « quand il
s'agit de contracter mariage ³ . »
A ceux qui ont oublié de l'invoquer, il reste le re-
cours de saint Gengoul, « spécialement invoqué, nous
apprend Mgr Guérin , par les mal mariés *. »
Saint Macre est la patronne de Fère en Tardenois :

« Le pèlerinage y est fort célèbre aussi bien qu'à


Fismes et on en reçoit souvent de grands soulage-
ments, principalement pour les chancres et les autres
maux qui viennent aux mamelles 5. »

Notre- Dame du Roncier, dont le pèlerinage est un


des plus courus du diocèse de Vannes , offre son secours

1. Petits Bollandistes, t. XIII, p . 20 .


2. Petits Bollandistes, t. III, p . 481 .
3. Petits Bollandistes, t. I. p. 253 .
4. Petits Bollandistes , t. V , p . 459. `
5. Petits Bollandistes , t. VI, p. 567 .
15.
174 Le Dossier

aux individus , heureusement rares, atteints du délire


des aboyeurs :

« On y remarque surtout plusieurs personnes at-


teintes de convulsions héréditaires qui les font aboyer
comme les chiens et dont les accès ne cessent qu'après
qu'elles ont baisé la statue ' . »

La vallée de la Zorn ( Alsace) possède une grotte


célèbre où l'on va invoquer saint Vit ou saint Guy
contre le mal dit danse de saint Guy :

« Cette grotte continue d'être fréquentée par de


nombreux pèlerins , et surtout le 1er de mai. On porte
en offrande au saint des crapauds de fer, parce qu'on
prétend que la forme de cet animal hideux ressemble
à la partie du corps où siége le mal dont on implore la
guérison 2. >>

Contre la rage, la Gascogne a sainte Quitère ou


Quitterie, et le Soissonnais, saint Hubert de Bretigny,
qu'il ne faut pas confondre avec son patron, le grand
saint Hubert des Ardennes .
Ah ! le grand saint Hubert, celui -là vaut qu'on s'y
arrête un instant . Nous avons eu occasion de signaler,
au cours de ce chapitre, mais un peu sommairement,
bien des pratiques bizarres particulières aux pèleri-
nages . Un volume écrit pour les pèlerins de saint

1. Petits Bollandistes, t. V, p . 151 .


2. Petits Bollandistes, t. III , p . 30 .
des Pèlerinages 175

Hubert, par un ancien membre du clergé de l'endroit,


M. l'abbé Bertrand -
— je n'ai pas besoin de dire que ce
volume est revêtu de toutes les approbations dési-
rables - nous fournit précisément l'occasion d'obser-
ver dans le détail certaines de ces pratiques.
Et tout d'abord, il faut savoir que l'instrument de
grâces de l'endroit n'est pas le corps de saint Hubert,
mais son étole.

« Le corps, nous dit l'abbé, n'est pas à nos yeux la


relique principale . La relique principale, selon nous ,
c'est la sainte Etole . >>

Si j'ajoute que le clergé de Saint- Hubert ne possède


rien du corps de son saint patron , tandis que son étole
lui est restée, vous aurez aussitôt le secret de cette
préférence .
Cette étole passe pour avoir été apportée du ciel au
saint évêque par un ange. Du reste, on nous prévient
charitablement que le fait n'est pas un article de foi
<< proprement dit » . Pourvu que nous admettions les
rares propriétés de l'étole , on ne nous en demande pas
davantage.

<< Les auteurs catholiques qui ne croient pas à sa

1. Pèlerinage de saint Hubert en Ardennes, ou particularités


sur la vie de saint Hubert, l'abbaye d'Andage , l'église de saint
Hubert et l'usage de la sainte Étole contre l'hydrophobie, par
l'abbé C.-J. Bertrand . 2 ° édit. revue, augmentée et approuvée
par Mgr l'évêque de Namur. Tournai, Paris et Leipzig, Caster-
man, gr . in- 18 .
176 Le Dossier

descente du ciel reconnaissent son authenticité et


sa vertu miraculeuse . » ( P. 152. )

Pour ce qui est de l'authenticité , les archéologues


ne paraissent pas aussi accommodants que les auteurs
catholiques.

« Des antiquaires habiles, qui ont examiné cette


relique, nous ont souvent dit que l'on ne travaillait
pas ainsi la soie avant le x1° siècle. » ( P. 113. )

Si l'on veut bien se souvenir que saint Hubert vivait


au vin siècle , l'assertion des habiles antiquaires ne
laisse pas que d'être embarrassante, à moins que les
habiles antiquaires, plus coulants sur l'origine céleste,
n'admettent volontiers que le travail de la soie peut
être au paradis de deux siècles en avance sur le travail
de la soie ici-bas.
Il serait superflu d'approfondir cette question . La
vertu miraculeuse de l'étole , qui seule a droit de nous
intéresser, se manifeste de deux façons . Elle transforme
d'abord tous les menus objets qu'on en approche :
croix , bagues, chapelets, médailles , en autant de pré-
servatifs contre la rage.
De plus elle guérit , par le rôle qu'elle est appelée à
jouer dans la singulière opération de la taille, les gens
déjà sous le coup de ce mal funeste.

<< La médecine, s'empresse de constater l'auteur qui


nous sert de guide, n'a aucun remède certain contre la
des Pèlerinages 177

rage ; elle doit se borner à indiquer des précautions


préventives pour empêcher que le virus rabique ne soit
absorbé et porté dans la circulation du sang... On y va
plus simplement à Saint- Hubert pour accorder infail-
liblement la guérison de la rage, quelle que soit la
manière dont le virus soit absorbé. Voici comment
s'obtient cette guérison .
» Dès qu'une personne se croit infectée du venin de
la rage , elle se rend à Saint - Hubert ; si elle a été
mordue à sang, par un animal enragé, elle subit
l'opération qu'on appelle la taille ; si elle n'a pas été
mordue à sang, elle reçoit le répit. Après quoi la
personne retourne chez elle, accomplit une neuvaine.
Elle est assurée de sa guérison . »

Nous verrons tout à l'heure ce que c'est que le répit .


Pour procéder par ordre, disons d'abord en quoi còn-
siste la taille.

<< L'aumônier fait une petite incision au front de la


personne qui a été mordue ; l'épiderme étant légère-
ment soulevé à l'aide d'un poinçon , il introduit dans
l'incision une parcelle exiguë de l'étoffe de la sainte
Etole , et l'y maintient à l'aide d'un étroit bandeau de
toile noire, qui doit être porté pendant neuf jours ;
c'est-à -dire pendant une neuvaine qui est prescrite à
saint Hubert. » (P. 160.)

Si infime que soit la parcelle introduite dans le front


du patient, on peut être surpris que l'étole, qui n'a
178 Le Dossier

après tout que la largeur d'un modeste ruban , quatre


centimètres et demi, mesure encore un mètre seize
centimètres après plus de huit siècles d'un service ac-
tif. Mais, en matière de dévotion , plus une chose
étonne, plus elle a droit à notre vénération .

« Le père Roberti , nous dit-on , avait fait, en 1621 ,


le calcul des parcelles qu'on pouvait avoir détachées
de l'étole pendant huit cents ans, c'est- à-dire depuis
l'époque de la translation du corps de saint Hubert ;
et il trouva que ces parcelles réunies formeraient une
étendue de dix -sept pieds et demi d'étoffe, ayant la
même largeur que l'étole de la Trésorerie . Si à cette
longueur on ajoute la longueur dans laquelle se trouve
actuellement l'étole de saint Hubert, on aura , dit-il ,
une longueur totale de plus de vingt pieds . Cependant
l'étole ecclésiastique la plus longue a à peine dix
pieds. >>

Notez que ce calcul date de 1621 , qu'il faut donc


ajouter au total un assez bon nombre de pieds sans
doute pour le porter au chiffre actuel.
N'allez pas croire que le savant jésuite conclue de là
que l'étole de saint Hubert ne diminue pas . Dieu le
garde d'une pareille hardiesse.

<< Il avoue même qu'au temps où il écrivait, elle était


diminuée (sachons- lui gré de cet aveu) . Mais si l'on
considère : 1 ° le grand nombre de parcelles qu'on en
détache depuis tant de siècles ; 2 ° que plusieurs églises
des Pèlerinages 179

et même plusieurs particuliers en ont des morceaux


considérables en leur possession , on sera étonné, ou
plutôt on ne comprendra pas comment elle a conservé
l'étendue qu'elle a encore aujourd'hui . » ( P. 113. )

Enfin, est-ce un miracle, n'en est- ce pas un ? Le


prudent abbé évite de se prononcer . Nous ne serons
pas plus téméraire que lui.
Une neuvaine doit forcément accompagner l'inser-
tion de la parcelle d'étole dans le front. En voici les
prescriptions fantastiques :

<< La personne à qui on a inséré dans le front une


parcelle de la sainte Etole doit observer les articles
suivants :
» 1° Elle doit se confesser et communier sous la
conduite et le bon avis d'un sage et prudent confesseur
qui peut en dispenser ;
» 2º Elle doit coucher seule en draps blancs et nets ,
ou bien toute vêtue lorsque les draps ne sont pas
blancs ;
» 3 ° Elle doit boire dans un verre ou autre vaisseau
particulier ; et ne doit point baisser sa tête pour boire
aux fontaines ou rivières , sans cependant s'inquiéter,
encore qu'elle regarderait ou se verrait dans les rivières
ou miroirs ;
» 4° Elle peut boire du vin rouge , clairet et blanc
mêlé avec de l'eau , ou boire de l'eau pure;
» 5º Elle peut manger du pain blanc ou autre , de la
chair d'un porc mâle d'un an ou plus, des chapons ou
180 Le Dossier

poules aussi d'un an ou plus , des poissons portant


écailles, comme harengs , saurets, tarpes, etc .; des
œufs cuits durs ; toutes ces choses doivent être man-
gées froides, le sel n'est point défendu ;
» 6º Elle peut laver ses mains et se frotter le visage
avec un linge frais l'usage est de ne pas faire sa
barbe pendant les neut jours ;
» 7° Il ne faut pas peigner ses cheveux pendant
quarante jours, la neuvaine y comprise ;
» 8º Le dixième jour, il faut faire délier son bandeau
par un prêtre, le faire brûler et en mettre les cendres
dans la piscine ;
» 9° Il faut garder tous les ans la fête de saint Hubert
qui est le troisième jour de novembre ;
» 10° Et si la personne recevait de quelques animaux
enragés la blessure ou morsure qui allât jusqu'au sang,
elle doit faire la même abstinence l'espace de trois
jours, sans qu'il soit besoin de revenir à Saint-Hubert ;
» 11 ° Elle pourra enfin donner répit ou délai de
quarante jours à toutes personnes qui sont blessées ou
mordues à sang ou autrement infectées par quelques
animaux enragés. » ( P. 161. )

Ces prescriptions sont suivies d'une approbation


épiscopale. On y apprend que « les effets merveilleux
que l'on a vu arriver depuis tant de siècles à Saint-
Hubert ne doivent aucunement être attribués à la su-
perstition. >>
Tel était sans doute l'avis de Roberti , le « savant
jésuite >>> déjà nommé .
des Pèlerinages 181

<< Il examine d'après les règles de la plus sévère cri-


tique si les cérémonies qui s'observent à Saint- Hubert
renferment quelque chose de superstitieux, et il décide,
avec beaucoup d'auteurs savants , qu'elles ne con-
tiennent rien de semblable. » (P. 168. )

Ceci à seule fin de rassurer les esprits timorés , atten-


du que la confiance est , paraît- il, une des conditions
indispensables du succès.

Les individus taillés n'ont « plus rien à redouter des


atteintes de la rage » ; ils peuvent <« arrêter les animaux
hydrophobes, calmer leurs accès pour un temps et les
faire périr » . (P. 169. ) Ils jouissent en outre, concur-
remment avec les aumôniers de Saint-Hubert , du
privilége de donner le répit à d'autres .
Par le répit, on garantit momentanément contre les
effets de la rage ceux qui n'ont pas le temps ou la fa-
culté de faire le voyage des Ardennes . C'est un délai
que leur accorde par procuration , soit l'aumônier,
soit le pèlerin qui est devenu , grâce à la taille , un
des favorisés de saint Hubert. Tandis que les au-
môniers donnent le répit à vie, les taillés ne peuvent,
eux, donner le répit que pour quarante jours ; mais
ils peuvent, par une faveur originale, le renouveler
indéfiniment de quarante en quarante jours .

« Nous avons vu , raconte l'abbé Bertrand , des per-


sonnes mordues à sang se contenter d'aller demander
le répit tous les quarante jours, pendant trente-huit
16
182 Le Dossier

ans, à une personne taillée demeurant à plusieurs lieues


de leur endroit, et venir après cette époque se faire
tailler à Saint-Hubert... Jamais, affirme l'abbé un
peu plus loin, la confiance au répit n'a été trompée . »
( P. 178.)

Cette confiance aurait d'autant moins de raison


d'être trompée que le répit ne se donne qu'aux gens
«< qui n'ont pas été mordus à sang » , c'est-à-dire que
le fatal virus n'a pas pénétrés :

« On accorde le répit aux personnes mordues par un


animal qui ne donne que des indices douteux d'hydro-
phie, ou auxquelles la morsure n'a pas été jusqu'à
faire couler le sang, ou encore aux personnes qui se
croient infectées du venin de la rage de quelque ma-
nière que ce soit. » . ( P. 178.)

En somme, le répit se donne moins aux gens atteints


qu'à ceux qui ont à tort la crainte de l'être.
Pour ce qui est des gens mordus à sang , on ne les
blâme pas de se faire cautériser avant de venir à
Saint-Hubert :

« Nous sommes loin de désapprouver la cautérisa-


tion ; et, à Saint- Hubert, on ne blâme pas les per-
sonnes mordues d'avoir fait brûler leur plaie ou d'avoir
employé quelque autre moyen naturel , au contraire ! >>
(P. 185. )
des Pèlerinages 183

Les braves aumôniers auraient d'autant plus tort de


blâmer le recours aux procédés humains qu'ils recon-
naissent naïvement comme nul leur système de médi-
cation si le mal est déclaré.

« Nous avouerons ne reconnaître aucun cas où la


sainte Étole ait guéri des personnes, une fois qu'elles
sont tombées dans des accès déclarés de la maladie ; et
cela ne nous surprend pas, puisque ces personnes sont
dans l'impuissance de remplir les prescriptions qui ac-
compagnent la taille ; mais la meilleure raison, c'est
que Dieu l'a voulu ainsi , comme dit d'Alembert . »

Je pense que le rédacteur veut rire.

<< Ce fait prouve donc encore ce que nous avons dit


de l'observance de la neuvaine, et il confirme aussi la
confiance dans la vertu de la sainte Etole (Hum !).
Cependant il est faux de dire que la sainte Étole ne
produise aucun effet dans le cas de maladie déclarée ;
il est reconnu , au contraire, que les personnes qui
portent au front ou sur elles une parcelle de la sainte
Étole peuvent, sinon guérir, au moins calmer les accès
de fureur du moins pour un temps . »

On ne guérit donc pas, dans ce cas-là , mais on


meurt mieux.

«< Des personnes, ayant été taillées après la rage dé-


clarée, sont mortes dans un grand calme , bienfait
procuré par la sainte Étole . » ( P. 194. )
184 Le Dossier

Quant aux pèlerins qui , venus à Saint- Hubert dans


de bonnes conditions, ne guériraient pas, c'est qu'ils
n'ont pas eu confiance ou qu'ils n'ont pas bien accom-
pli les prescriptions de la neuvaine :

<< Depuis dix ans, dix personnes seulement sont


mortes après avoir été taillées , parce qu'elles n'ont pas
observé la neuvaine et n'avaient pas confiance en saint
Hubert, comme l'ont attesté leurs propres parents et
curés respectifs. » ( P. 170.)

Quelle singulière fantaisie de venir se faire tailler à


Saint- Hubert quand on n'a pas confiance !
Mais l'abbé Bertrand émet, au sujet des taillés que
la taille ne guérit pas, une idée que je me reprocherais
de ne pas consigner.
La morsure, se demande-t-il , ne pourrait- elle pas
communiquer un venin mortel autre que celui de la
rage ? Cette supposition admise, les gens mourraient ,
non pas de la rage, mais du venin d'une autre espèce
que la morsure leur aurait transmis. Or , saint Hubert
ne se chargeant d'écarter que le venin rabique, se trou-
verait de la sorte excusé de se croiser les bras pendant
que vous rendez l'âme .
Enfin , au bout de tout cela, on ne serait pas fâché
d'avoir au moins connaissance d'un cas de guérison ,
un seul, ayant une apparence d'authenticité . Malheu-
reusement notre volume, tout en consignant le prodi-
gieux concours des visiteurs , « ces milliers de per-
sonnes de tous les rangs de la société : des savants, des
des Pèlerinages 185

docteurs en médecine, des soldats, de grands politiques


et surtout ceux qui , après s'être moqués de la taille et
du répit, n'ont rien eu de plus pressé que d'y recourir
dans le danger » , oublie de nous donner le nom de
tant de personnages éminents . On serait curieux de
savoir qui sont ces individus anonymes qui s'inclinent
devant le pouvoir thérapeutique de la sainte Étole,
notamment celui qui , après avoir longtemps discuté ,
finit par avouer en souriant :

« C'est pour éprouver votre patience que j'argu-


mente, mais j'étais convaincu avant la discussion , et
je vous avoue que , si j'étais mordu par un animal en-
ragé, j'irais aussitôt à Saint- Hubert. » ( P. 187. )

Il est vrai que l'abbé Bertrand a une bien bonne


raison pour ne pas livrer à la publicité le nom de cer-
tains visiteurs de Saint- Hubert ; ils l'ont supplié de le
taire :

« Nous avons vu nous-même de ces hommes à


esprit fortement trempé, de ces hommes qui se disent
éclairés et supérieurs aux faiblesses de la gent crédule ,
héros avant le danger, méprisant le répit en renvoyant
cette pratique à la superstition des simples , mais qui,
menacés du danger, venaient se mettre à l'abri de son
influence salutaire et recevoir avec larmes ce répit
qu'ils étaient heureux d'honorer de leur confiance ,
alors que la nécessité les forçait d'y recourir ; et dans
leur agréable surprise de voir leurs inquiétudes sitôt
16.
186 Le Dossier

calmées par un moyen si simple à leurs yeux , il leur


restait à peine assez de présence d'esprit pour nous
recommander, à nous, dépositaire de leurs frayeurs et
ministre de leur délivrance , de ne pas faire connaître
leur nom ; qu'ils cessent de trembler devant ce nou-
veau danger, leur confiance ne sera pas déçue . >>
(P. 179.)

Le curieux est que la discrétion de M. l'abbé s'é-


tende à tous les visiteurs . En faut-il tirer cette conclu-
sion qu'on ne guérit à Saint-Hubert que des libres.
penseurs ?
IV

LES RELIQUES

Division des reliques . La partie réputée pour le tout . Vé-


rification difficile . - Les prétendues « reconnaissances » . ---
Le chapitre des méprises . - Reliques mêlées. - Reliques en
double. -— Les ossements disputés. - — Transactions à l'amia-
ble. - Singuliers partages . - Les échanges. -- Entraîne-
ments du fanatisme. ― - Les faux en matière de reliques. -
La ferveur poussée jusqu'au vol. - Difficulté d'enlever les
reliques qui s'y refusent . - Reliques marquant leurs lieux
d'élection ; - se livrant à la pantomime. - Châtiments pu-
blics pour des reliques changées de place. - Les images et
statues miraculeuses . Aperçu de leurs faits et gestes.
Les Vierges noires . - Notre-Dame qui pleurent et qui trans-
pirent. - Les attouchements .

Plusieurs fois déjà , nous avons été amené à parler


accidentellement de reliques ; il est temps de consacrer
un chapitre à cet accessoire obligé de tout sanctuaire
à miracles . Si le mystique Sacré- Cœur et l'envahissant
188 Le Dossier

saint Joseph ont pris le premier plan dans nos temples,


les reliques n'en jouent pas moins dans la dévotion
moderne un rôle considérable. Nous venons de voir ,
dans le chapitre qui précède, Mgr de Verdun recom-
mander lui-même à son clergé l'usage des châsses
contre la sécheresse, et M. le curé de Montsalvy nous
apprendre comment il tient de petits fragments de
saint Bernard à la disposition des femmes enceintes .
On nous a recommandé le cor de saint Flour pour la
guérison des sourds , l'anneau de saint Loup pour
rendre la vue aux aveugles, etc. Nos sanctuaires re-
gorgent de ces menus talismans et plus encore de
toute sorte de fragments de défunts dont on s'est par-
tagé les morceaux . L'un a pris la tête, l'autre une
jambe, l'autre un bras . Quand il ne reste plus qu'une
côte pour les derniers , ils se la partagent encore . Une
dévotion plus ardente que respectueuse fait fendre ,
briser, voire scier tous ces débris . Un vieil inven-
taire des reliques de Notre- Dame de Chartres , dit, en
mentionnant un chef de saint Matthieu :

« On a scié au bas du crâne, par derrière, plusieurs


morceaux pour donner à des personnes de grande
qualité. »

On ne soupçonne pas ce qu'un os, dûment concassé,


peut arriver à donner de morceaux . Un dé à coudre
renfermera assez de parcelles pour servir cinquante
amateurs ; si les parcelles sont un peu plus fortes, elles
prendront le titre de parcelles considérables. En
des Pèlerinages 189

suivant la gradation , un morceau gros comme une


noix se qualifiera déjà de belle relique. Du reste , tète ,
omoplate, fémur, clavicule , vertèbre , et même parcelle ,
ont comme amulette une puissance égale . Le clergé
reconnaît à tout fragment de relique, quelle qu'en soit
la taille, la même valeur qui pouvait être attribuée à
la relique entière. C'est un excellent système pour que
les reliques dont un morceau viendrait à être distrait
ne perdent rien de leur efficacité.

« De même que le saint des saints , nous dit


Mgr Gaume, est tout entier dans chaque parcelle de
l'hostie consacrée, de même la vertu du martyr réside
tout entière dans la moindre portion de ses reliques ' . >>

Cette théorie explique , dans certains cas au moins ,


la multiplication extrême des reliques du même saint ,
et l'Église n'a pas toujours tort quand elle se défend de
vénérer dans douze ou quinze endroits la même par-
tie désignée d'un saint corps . La vérité est que les
sanctuaires , désireux de donner plus de relief à la re-
lique qu'ils possédaient, ou voyant cette relique à
travers les verres grossissants de l'enthousiasme , ont
fort contribué à donner prise aux railleries des in-
crédules . Tel qui n'avait d'un saint qu'une phalange ,
se targuait d'en posséder le doigt ; tel qui en possédait
le doigt disait qu'il en avait la main , et tel qui en
gardait la main la baptisait orgueilleusement de bras ,

1. Les Trois Rome, par Mgr Gaume, protonotaire aposto-


lique . Paris, Gaume et Duprey, 1864 , gr . in- 18, t. IV, p . 426 .
190 Le Dossier

si même il n'en faisait pas , par excès de zèle, un corps


entier . De là un immense tohu-bohu qui, se compli-
quant d'innombrables reliques supposées ou inventées ,
rend toute restauration de personnage complet, partant
de vérification impossible .
Pour établir un relevé approximatif, il faudrait que
tous les sanctuaires qui possèdent ou ont possédé des
reliques eussent eu la précaution d'en dresser le bilan.
avec le même soin qu'y a apporté l'église de Nolay au
diocèse de Nevers :

« Un os frontal de saint Jean-Baptiste pouvant avoir


cinq ou six centimètres de long.
» Un os du bras de saint Jacques, apôtre, cinq cen-
timètres .
>>Une partie d'os de la jambe de sainte Juliette, dix
centimètres.
» Une côte de saint Apollinaire, évêque et martyr,
huit centimètres.
>> Une rotule du bras de saint Trohé, abbé, quatre
centimètres , etc .. »

1. « Ces expressions : telle église possède , honore le corps, le


bras, la tête de tel saint, de tel martyr ne signifie pas que cette
église possède réellement le corps, la tête, le bras entier du saint
ou du martyr. Pour l'ordinaire, elles indiquent seulement qu'elle
en possède une partie . En usage dans les premiers siècles, ces
manières de parler, où l'on prend la partie pour le tout, sont
pleines d'un sens profond : elles montrent que la vertu du saint
est tout entière dans la moindre partie de ses reliques. >>
Gaume.
2. Hagiologie nivernaise, p. 440 .
des Pèlerinages 191

Lorsqu'on trouverait, grâce à ces relevés minutieux ,


un total de douze ou quinze mètres carrés d'étendue
superficielle pour l'ensemble du crâne d'un même
saint, on pourrait du moins évaluer à peu près de
combien de morceaux en trop nos églises sont dépo-
sitaires. Quant à démêler les faux d'avec les vrais, il
n'y faudrait pas encore songer . Autant vaudrait re-
chercher dans le sable broyé des plages les débris as-
surés d'une même coquille. Tâche à faire frémir ! Rien
que d'y penser, le vertige vous prend!
On accepterait en bloc tout ce bric-à-brac pour au-
thentique, que ses vertus miraculeuses n'en seraient
pas prouvées davantage ; il n'est cependant pas sans
intérêt de montrer que la plupart de ces prétendus
instruments de prodiges n'ont même pas la provenance
qu'on leur attribue. C'est une œuvre que nous rendent
facile les aveux des écrivains catholiques.
Après avoir mentionné les chefs des trois saints
Fusien, Victoric et Gentien, qui, d'après lui , sont
« aujourd'hui l'objet d'une grande vénération à l'église
Notre- Dame de Beaugency » , Mgr Guérin observe :

( II y a évidemment erreur dans l'attribution de ces


reliques, en ce qui concerne saint Gentien, dont le
chef fut conservé jusqu'à la Révolution à l'abbaye de
Corbie ; et aussi en ce qui concerne saint Victoric , dont
le chef est encore aujourd'hui vénéré à l'église de Saint-
Quentin¹. >>

1. Petits Bollandistes, t . XIV, p . 196.


192 Le Dossier

On voit que les auteurs les plus orthodoxes traitent


eux - mêmes , à l'occasion , la question des reliques avec
une certaine désinvolture .

« On ne peut méconnaître , dit le Dictionnaire théo-


logique de Wetzer et Welte, que les croisades et sur-
tout la conquête de Constantinople firent arriver en
Occident un grand nombre de reliques peu authen-
tiques ; que la dévotion des fidèles fut maintes fois
trompée ; mais l'Église intervint toujours pour arrêter
les abus¹ . >>

Au dernier membre de phrase près , rien n'est plus


exact.
L'intervention la plus importante de l'Église date
du Concile de Trente , et il n'y en a pas de moins
sérieuse.
Le Sacré-Concile statua alors « qu'aucunes reliques
nouvelles ne seraient admises que l'évêque ne les eût
examinées et approuvées. » Nouvelles , entendez bien.
Sur les anciennes , le décret du Concile passait con-
damnation , si bien que les innombrables reliques de
fantaisie dont nous inondait l'Orient depuis plus de
trois siècles , ces reliques mêmes à l'aide desquelles
<< on trompait, selon l'expression du Dictionnaire de
Théologie, la dévotion des fidèles , » et qui font encore

1. Dictionnaire encyclopédique de la théologie catholique, par


Wetzer et Welte, traduit par Goschler . Approbation de l'arche-
vêque de Fribourg . Paris, Gaume, 1863 , in-8° .
des Pèlerinages 193

le plus bel ornement de nos temples , échappaient à


toute investigation .
Quant à l'examen et à l'approbation des reliques
par les évêques, c'est une des meilleures plaisanteries
que je connaisse . La cérémonie dite « de reconnais-
sance » consiste le plus souvent à reconnaître , non pas
que les reliques ont bien la provenance qu'on leur
attribue l'absence totale de documents ne le per-
mettrait pas - mais seulement qu'elles sont bien celles
qu'on donne comme vraies depuis un nombre d'années
plus ou moins considérable.
Cette manière d'authentiquer les reliques donne
lieu , naturellement, aux plus lourdes méprises.
Un jour, le chapitre de la cathédrale de Soissons , qui
a pour patrons saint Gervais et saint Protais , songe à
se procurer quelques débris de leurs restes . On sait
que la viile de Brisach (duché de Bade) a reçu de Fré-
déric Barberousse les saints corps par lui rapportés de
Milan en même temps que la dépouille des Trois
Mages. C'est donc à cette ville qu'on s'adresse pour
obtenir une partie des saintes reliques. A cette occasion ,
les << reconnaissances » eurent beau jeu.

<< Les procès-verbaux des magistrats de Brisach et


autres pièces attestèrent, dit Mgr Guérin, l'authenti-
cité que reconnut aussi l'évêque Charles de Bourlon . >>

On ne saurait trop regretter que ces reliques , revêtues


d'attestations si probantes, aient disparu dans la tour-
mente révolutionnaire ; il eût été piquant de voir la
17
AT LE DE LYN
Bible du Palais des Arts
194 Le Dossier

figure du chapitre de Soissons , lorsque, en 1864, des


réparations exécutées dans l'église saint Ambroise, à-
Milan, y firent découvrir les corps intacts des saints
Gervais et Protais , qui , depuis le quatrième siècle , n'a-
vaient jamais quitté ce lieu '.
Ceci ne veut pas dire bien entendu que les reliques
de Milan fussent plus authentiques que celles de Bri-
sach . Si l'on songe que saint Ambroise les recueillit, à
la suite d'une révélation , dans un endroit où rien ne
marquait leur sépulture, on pourra difficilement se
défendre de quelques doutes à leur égard . Mais ne
nous perdons pas dans ces ténèbres historiques ; c'est
assez de les constater.
Troyes a pour patronne sainte Hélène , dont le corps
fut rapporté d'Orient par un de ses évêques qui suivait,
en qualité d'aumônier , la troisième croisade . Cette pa-
tronne a cela d'original qu'on ne sait rien d'elle . Un
sort facétieux fit que celui qui l'apportait n'eut pas
plus tôt touché le sol natal qu'il expira sans avoir
eu le temps de faire connaître qui était cette sainte
Hélène et d'où il la tenait.

<< Garnier, nous dit-on , était mort emportant avec


lui les détails qu'il avait pu recueillir sur les lieux . Le
nouvel évêque envoya en Orient pour prendre des in-
formations ; mais cette démarche n'amena pas grande
lumière 2. >>

1. Petits Bollandistes, t. VII , p . 148.


2. Petits Bollandistes, t. V. p . 325.
des Pèlerinages 195

Il serait plus exact de dire qu'elle n'en amena au-


cune. Cela n'empêcha pas les reliques de la soi-disant
sainte Hélène d'être « reconnues » officiellement en
1821. Reconnues comme quoi ?

" L'église de Saint-Nicolas - de - Port, en Lorraine ,


croit posséder , dit Mgr Guérin , une relique de saint
Nicolas de Tolentino. C'est une première phalange
d'un doigt ou un os du métacarpe . L'histoire de cette
relique fit grand bruit en Lorraine de 1635 à 1652 .
Depuis , sa vérité a été attaquée , peut- être avec fon-
dement ; car « la contexture de cet os ne paraît pas
» très en rapport avec la contexture des différents os
» humains ¹. »

Il serait curieux de savoir à quel animal cette relique


peut bien avoir appartenu . Dans tous les cas , comme
elle a été vénérée plus ou moins longtemps si elle ne
l'est encore, on ne peut douter qu'elle n'ait été « re-
connue » comme les autres.
En présence de pareils faits, on comprend la pru-
dence de Mgr l'archevêque d'Aix , reconnaissant à
Arles, en 1839 , un lot de reliques mêlées « comme
étant probablement les restes de saint Lucien et de
saint Vincent 2. >>

A la bonne heure ! Probablement n'est pas un ad-


verbe compromettant .

1. Petits Bollandistes , t. XI , p . 20 .
2. Petits Bollandistes, t. I , p. 186 .
196 Le Dossier

Devant deux reliquaires en forme de pyramide qui


figurent dans la cathédrale de Nevers, Mgr Crosnier
avoue avec une entière franchise :

<
«
< Quoique les reliques qu'ils renferment soient con-
sidérées comme authentiques , nous n'avons pu décou-
vrir à quels saints elles appartiennent ' . »

Si tous les sanctuaires qui possèdent des reliques en


tas prenaient ainsi le parti d'avouer leur ignorance,
cela épargnerait bien des explications embarrassées .
La châsse dite de saint Gorgon , à Essey-en-Woëvre
(Meurthe), s'est trouvée renfermer, quand on l'a ou-
verte, « plus de vingt grands ossements avec de nom-
breux fragments qui appartiennent à sept sujets diffé-
rents dont plusieurs du sexe féminin . »
D'où Mgr Guérin conclut :

<< Ainsi cette châsse contient non-seulement quelques


reliques de saint Gorgon, mais d'autres reliques véné .
rées dans l'église de Gorze , et toutes sont confondues et
vénérées sous le même nom. »

<< Non-seulement » est très joli , mais il faudrait d'a-


bord prouver que les restes de saint Gorgon font par-
tie de ce singulier fouillis d'ossements ; or, ils inspirent
à Mgr Guérin lui-même si peu de confiance, qu'au su-
jet d'un fragment de crâne tiré de ladite châsse et
vénéré dans l'église de Feys-en- Haye, il se demande :

1. Hagiologie nivernaise, p . 439 .


des Pèlerinages 197

< Est-il plus certainement du saint martyr que le


«
plus grand nombre des ossements de la châsse d'Essey,
nous n'oserions le dire ¹ . »

Je ne sais jusqu'à quel point je dois recommander à


ceux qui sont dans l'embarras pour distinguer d'un
corps de sainte un corps de saint , le procédé employé
jadis pour démêler les reliques de saint Benoit d'avec
celles de sainte Scholastique , sa sœur , qu'on avait un
peu légèrement confondues .

<< On sépara les grands que l'on s'imagina être ceux


de saint Benoit d'avec les plus petits que l'on crut être
ceux de la sainte ; et Dieu fit connaître la vérité par ce
miracle Il arriva que l'on portait deux corps en terre,
l'un d'un garçon et l'autre d'une fille , et , dans le doute ,
on approcha le corps de la fille des plus grands osse-
ments et il ne ressuscita point ; mais il ressuscita aus-
sitôt qu'il toucha les petits, et réciproquement, celui
du garçon en touchant les petits ne donna aucun signe
de vie ; au contraire , dès l'instant qu'on lui appliqua
les grands, il ressuscita 2. »

Ce procédé de vérification est peut- être moins sûr


que bizarre ; mais , du moins, il donne une solution ,
ce qu'on obtient rarement quand on s'avise de deman-
der au Saint-Siége de prononcer .

1. Petits Bollandistes , t . X, p . 600 .


2. Petits Bollandistes , t. II , p. 419 .
17.
198 Le Dossier

Les reliques de saint Germain , conservées à l'église


Saint-Eusèbe d'Auxerre , reliques que Mgr Guérin qua-
lifie lui- même de <« douteuses » , paraissent destinées à
ne se voir jamais nettement classées :

« Le procès de vérification , comemncé , laissé, re-


pris, laissé encore, est toujours pendant devant la
cour épiscopale , et ne sera probablement jamais ter-
miné¹. >>

Les religieux de Saint- Hubert attaquèrent autrefois


leurs collègues de l'abbaye d'Autray, lesquels se per-
mettaient d'exhiber un os de leur patron, « objet d'un
pèlerinage considérable » , ce qui explique de reste
l'indignation des bons pères. Le débat , porté jusqu'en
cour de Rome, après avoir été successivement plaidé
devant l'évêque de Bâle , puis devant l'évêque de Toul,
<< ne fut point jugé, nous dit-on , quant au fond ² » .
Après avoir essuyé toutes les injures des religieux de
Saint-Hubert et les hochements de tête indécis des
personnages les plus considérables, l'os en question
continue de figurer assez tranquille dans l'église pa-
roissiale de Rambervillers.
Parmi les saints dont les reliques sont multipliées
avec une surabondance inquiétante, on ne saurait
passer sous silence saint Jean, saint Roch , saint Pan-
racce. Baillet disait, au siècle dernier, des reliques de
saint Pancrace :

1. Petits Bollandistes. t . IX, p. 144 .


2. Petits Bollandistes, t . XIII, p. 139.
des Pèlerinages 199

« On ne peut nombrer tous les lieux du royaume


qui se vantent d'en avoir, mais la plupart sans titre. »

Et encore :

<< La plupart des églises qui gardent des reliques


sous le nom de saint Pancrace se réunissent à so-
lenniser la fête de son martyre au 12 mai , quoiqu'elles
ne soient pas toutes persuadées que ce qu'elles ont
soit véritablement de lui. »

Il semble qu'après cet aveu il n'y ait plus qu'à aban-


donner les reliques de saint Pancrace à leur fâcheux
destin . Point . Baillet les défend encore :

« Comme il est, dit-il , assez ordinaire de voir que,


lorsqu'on a quelque ossement considérable d'un saint,
on se vante d'avoir son corps , on doit être moins sur-
pris d'entendre dire que le corps de saint Pancrace se
trouve en quinze ou vingt endroits différents (c'est
en cent endroits que Baillet devrait dire) , sans être
obligé de recourir au mystère de la reproduction ' . »

Hé, là ! qu'est-ce que ce mystère de la reproduction ?


demanderez-vous. C'est un mystère assez curieux
par lequel Dieu manifesterait son goût pour les amu-
lettes en multipliant à plaisir les reliques d'un même
saint pour la plus grande édification des fidèles . Au
* DE LYON

1. Petits Bollandistes, t. V, p . 488 .


200 Le Dossier

temps du jésuite Ferrand (Disquisitio reliquiaria) ,


c'était une explication suffisante des fractions de saints
en double et en triple. On est devenu plus difficile
aujourd'hui .
Au nombre des pièces provenant de l'ancien chapitre
de la cathédrale, les archives de la préfecture de Char-
tres conservent une correspondance originale échan-
gée, en 1699 , entre le chanoine Étienne , gardien du
trésor de Notre- Dame et un de M. de Rotrou- Thoisy,
capitaine de chevau-légers en garnison à Tournai . Le
chanoine y insinue à son jeune compatriote que, si
le corps de saint Piat est vénéré en même temps à
Chartres et à Tournai, ce peut bien être par un cas de
réduplication extraordinaire ; mais le capitaine de
chevau-légers n'entend pas de cette oreille -là .

« Quoi qu'il arrive , répond-il un peu cavalière-


ment au bon chanoine, je ne conviendrai jamais que
le vrai saint Piat soit celui de Chartres ... Ainsi , mon-
sieur, je ne vous passe point la réduplication extraor-
dinaire ¹ . »

Comme les personnes qui croient à la réduplication


extraordinaire sont extrêmement rares , même en dehors
des chevau -légers , on a dû se mettre en nouveaux frais
d'imagination pour expliquer les reliques en double .
Le système en vigueur aujourd'hui consiste à supposer

1. Le Trésor de Notre-Dame de Chartres, rapport sur les


archives de l'ancien chapitre de la cathédrale de Chartres, par
A. de Santeul . Chartres, Garnier, 1841 , in - 8 , p . 58 .
des Pèlerinages 201

que, si l'on montre plusieurs corps du même saint,


c'est qu'il y aura eu probablement plusieurs saints
du même nom. Ainsi Sora , en Italie, et Arcy, au dio-
cèse de Soissons, se vantant toutes deux de posséder
sainte Restitute, on conclut : « Rien de plus simple :
il ne s'agit pas de la même sainte Restitute . »>

De même la tête de saint Athanase conservée à


Semblançay appartiendrait à un saint Athanase qui
n'aurait rien de commun avec le saint Athanase dont
la tête est conservée au monastère de Valvenère en
Espagne .

<< Ils ne peuvent la prouver, dit le père Papebroch ;


c'est pourquoi je me range plus volontiers à l'opinion
d'Antoine Yepès , qui affirme que cette tête n'est autre
que celle d'un religieux nommé Athanase qui fut cui-
sinier en ce couvent ¹ . »

Mais il est bon de remarquer que les habitants de


Semblançay, eux non plus , ne peuvent fournir en
faveur de leur tête aucune preuve. Mgr Guibert, qui
a reconnu l'authenticité de ce chef en 1867 , dut se
borner à faire valoir que la « tradition populaire » qui
tient lieu de tout témoignage historique , « n'était
pas dénuée de fondement » . Comme attestation , c'est
faible. Du reste , le prélat s'en est tiré selon la formule
ordinaire en se bornant à reconnaître non pas que la
tête était précisément celle d'Anathase le Grand , mais

1. Petits Bollandistes, t . V, p . 256 .


202 Le Dossier

qu'elle était bien celle qu'on honorait autrefois sous ce


nom dans la localité.
Les reliques de saint Florian pullulent en Allema-
gne et en Italie . Il n'eût pas suffi d'imaginer pour cela
deux saint Florian ; on en a donc inventé tout un
bataillon .

<< Il serait un peu fort, disent les bollandistes à l'ap-


pui de cet ingénieux système, de supposer que les reli-
ques entières d'un seul Florian se trouvent en tant d'en-
droits à la fois. La célébrité du plus ancien d'entre
eux aura amené les Polonais , les Italiens , les Westpha-
liens à croire que leurs reliques respectives ne devaient
pas provenir d'un autre que de celui qui avait souffert
en Autriche ¹ . »

Ainsi , là, c'est bien le même personnage que tous


honorent, quoique les reliques soient incontestablement
différentes . Abîmes profonds ! fourrés impénétrables !
Toute cette haute fantaisie historique n'empêche
pas qu'on ne se soit disputé de tout temps les reli-
ques avec une ardeur singulière. Et comment en eût-il
été autrement quand les sanctuaires trouvaient en eux
une source d'attraction et par conséquent de revenus.
Lorsqu'aux époques de troubles, l'inquiétude des
religieux les faisait recourir à des collègues pour
mettre en sûreté - fatale confiance ! les reliques
en possession desquelles ils se trouvaient , il est rare

1. Petits Bollandistes, t . V, p . 322 .


des Pèlerinages 203

que ces collègues peu délicats ne se soient pas refusés


énergiquement à les leur rendre. Les plus accommo-
dants en exigeaient au moins une portion .

« Les Langrois se firent payer l'hospitalité qu'ils


avaient donnée à saint Bénigne en exigeant un bras
du martyr ¹ .»

Au XVIIe siècle, le bienheureux Pierre Fourier fut ,


après sa mort, l'objet des plus vives compétitions. La
ville de Pont-à-Mousson disputait ses restes à la ville
de Gray. Pour les mettre d'accord et donner raison
à La Fontaine, ce fut une troisième localité, Mattain-
court (Vosges), qui s'en empara par violence . La force
armée envoyée pour s'opposer à ce rapt dut elle-même
battre en retraite devant l'attitude des femmes fanati-
sées du pays . Les reliques de Pierre Fourier durent
être abandonnées à Mattaincourt ; elles y sont encore .
Le cœur de sainte Chantal a été, dans le même
temps, l'objet de contestations épiques entre les visi-
tandines de Paris et celles de Moulins . La mère de
Chantal étant morte au monastère de Moulins , les
sœurs de Paris manifestaient la prétention d'obtenir
son cœur, «< assurant que déjà, en 1636 , la mère de
Chantal avait pris l'engagement par écrit de leur
léguer son cœur après sa mort, engagement qu'elle
avait renouvelé et ratifié lors de son dernier voyage ³. »

1. Petits Bollandistes , t. XIII , p . 84.


2. Petits Bollandistes, t. VIII , p . 155 .
3. Hagiologie nivernaise, p . 327.
204 Le Dossier

A cette déclaration hardie , un frémissement parcourt


le monastère de Moulins . Rendre le cœur de sainte
Chantal , jamais ! Les sœurs se soucient bien de toutes
les promesses qui ont pu être faites et même signées.
Leur supérieure, madame de Montmorency, se met
en campagne . Elle ira jusqu'au roi . L'évêque d'Autun
vient à la rescousse . Il déclare qu'il se fera tuer à la
porte du monastère plutôt que d'en laisser enlever
l'objet du litige . Il fait mieux que le dire, il l'écrit ; et
nous avons la joie de posséder sa lettre.

« Madame, l'intérêt que je prends à la conservation


du cœur de madame de Chantal dans votre maison
m'oblige de vous assurer qu'à moins d'un ordre du
roi, j'irai avec tous mes amis périr à votre porte avant
de souffrir qu'on l'enlève ; et c'est un gage qui mérite
bien une bataille pour le conserver ¹ . »

A cette époque déjà nous avions des évêques de


combat.
De nos jours, ces pieuses ardeurs n'ont pas cessé de
se produire :

« Sa Grandeur Mgr l'évêque de Fermo a cédé à la


paroisse de Lunel, en 1838 , dit Mgr Guérin , un des
seuls ossements de saint Gérard qui existent encore.
L'ossement cédé appartenait à un chanoine de

1. Histoire de sainte Chantal et des origines de la Visitation,


par l'abbé P. Bougaud , 6º édit. Paris, Poussielgue, 1876, gr .
in- 18, t. II, p. 626 .
des Pèlerinages 205

Monte-Santo qui s'en servait avec succès pour bénir


les épileptiques . On eût pu difficilement rien détacher
de l'os qui reste dans la collégiale de Monte-Santo . La
population s'y fût opposée, même au prix d'une lutte
à main armée ¹ . »

De son côté, l'évêque d'Orléans eut, en 1838 , nous


raconte le même prélat, « l'intention d'envoyer à
l'abbaye de Solesmes , au diocèse du Mans , où se réédi-
fiait l'œuvre de saint Benoit, les reliques du saint con-
servées à Fleury-sur-Loire ; mais la population , ayant
eu connaissance de ce projet, s'y opposa avec menaces.
L'évêque recula devant cette espèce d'émeute et se
contenta d'envoyer à Solesmes une partie du crâne ,
prise par derrière . »
Pour qu'on ne s'en aperçût pas, sans doute . Très
adroit, Mgr d'Orléans !
Du reste, il est à remarquer que, depuis, Mgr Dupan-
loup a pu distribuer fort tranquillement plusieurs
côtes de ce saint Benoit fort contesté à divers sanc-
tuaires. Il paraît donc évident que les populations que
l'on montre prêtes à en venir aux mains pour défendre
leur fétiche sont au moins en partie calomniées . Il n'y
a, pour tenir aux reliques au point d'engager des ba-
tailles autour d'elles , qu'une extrême minorité de
fanatisés ou d'individus dont elles font la fortune . Si
nous avons vu de nos jours deux petites villes se dis-

1. Petits Bollandistes, t . VI, p . 148.


2. Petits Bollandistes , t . III, p . 586 .
18
206 Le Dossier

puter la dépouille du fameux curé d'Ars , c'est que l'une


et l'autre comprenaient de quelle ressource cette dé-
pouille pourrait être pour la localité où elle provoque-
rait des pèlerinages. D'une part, Dardilly, la ville na-
tale de feu Vianney ; de l'autre, Ars , dont le hasard
l'avait fait curé .
Le plus curieux est que ces contestations sur son
futur cadavre se produisirent du vivant même du saint
homme et qu'il dut en personne se prononcer plu-
sieurs fois sur le cas. Quelques notables de Dardilly
qui jetaient « des regards de convoitise sur le trésor
possédé à Ars » , étaient venus trouver M. Vianney et
avaient obtenu de lui un testament qui leur assurait
la possession de son corps après sa mort. Mais
Dardilly ne sut pas garder le secret de sa victoire. A
peine le fait est-il connu que l'alarme se répand à Ars.
L'évêque de Belley s'émeut d'une donation qui porte
préjudice à son diocèse. Si M. Vianney était mort , le
prélat annoncerait évidemment, comme son collègue
d'Autun , qu'il est prêt à se faire tuer aux portes d'Ars
plutôt que d'en laisser sortir la précieuse dépouille ;
mais M. Vianney est vivant, par conséquent en état
de contredire à sa signature. Il n'y a qu'au delà du
tombeau qu'il soit trop tard pour se rétracter . L'évêque
de Belley part pour Ars ; il est pressant, éloquent, et
se retire, sinon avec un second testament, du moins
avec une promesse. Heureusement Ars veillait, et,
quelques heures avant son décès, le curé disposa défini-
tivement par écrit de ses restes en faveur de la paroisse.
On conçoit que Dardilly ne se tint pas pour battu et
des Pèlerinages 207

mit à combattre ce tardif codicille toute l'énergie du


désespoir .

« Les notables de l'endroit firent entre eux une


souscription, dit l'abbé Monnin , pour soutenir ce qu'ils
appelaient leurs droits . Ils recoururent aux diverses
autorités et un instant ils crurent avoir gain de cause .
On eut grand'peine à leur faire entendre raison . Pen-
dant tout ce débat, l'inquiétude à Ars était au comble.
Les imaginations s'étaient-elles trop émues ? je ne sais ;
mais on pensa que le tombeau du serviteur de Dieu
avait besoin d'une surveillance particulière et l'on crai-
gnit que les transports de la vénération n'amenassent
de fâcheuses tentatives ¹ . »

Voyez pourtant à quelles extrémités fâcheuses la


vénération mal dirigée peut conduire !
Une lettre du maire d'Ars à l'évêque de Belley ouvre
sur le débat un jour bien amusant. Ce fonctionnaire ,
qui traite la prétention des gens de Dardilly «< d'aussi
exorbitante que déplacée » , accumule contre ses adver-
saires les arguments les plus divers . Il invoque d'abord
la volonté du curé d'Ars ; mais les gens de Dardilly
en ont autant à son service. Et, comme les gens de
Dardilly réclament au moins un fragment de feu
Vianney, il leur oppose la difficulté de rouvrir le tom-
beau déjà fermé. « Un jour entier n'y suffirait pas ! »
Ajoutez l'opposition très sérieuse de la commune, op-

1. Le curé d'Ars, t. II, p . 247.


208 Le Dossier

position qui pourrait « devenir inquiétante » . On a


promis aux gens de Dardilly un bon morceau « quand
l'occasion le permettrait » . Que s'avisent- ils de récla-
mer encore ?

<< Ils devaient se contenter de cette promesse et ne


plus produire une semblable demande , qui , dans l'état
actuel des choses , est inconvenante et ne semble pas
inspirée par une vraie dévotion . » ( P. 252 ) .

Attrapez, bonnes gens de Dardilly !


Et le maire de terminer par ce belliqueux appel à
Mgr de Belley :

« J'ose espérer que , s'il y a lutte, vous nous sou-


tiendrez . >>

La connaissance de ce document historique fait


vivement regretter qu'on n'ait pas donné la même
publicité à toutes les pièces de cette plaisante affaire.

Tous les affamés de reliques n'apportent pas dans


leurs relations une si implacable raideur. Souvent les
débats se terminent par une transaction à l'amiable.
A ceux-ci , le corps du saint ; à ceux-là , sa tête . Étant
donné que chaque fraction a la valeur du tout, c'est
beaucoup plus simple.

« Les cérémonies terminées , dit Mgr Guérin racon-


tant les obsèques de saint Honoré, un grand conflit
s'éleva entre les gens de Buzançais et ceux de Thé-
des Pèlerinages 209

nezay. Les premiers voulaient emporter en Berry le


corps de leur compatriote, que les seconds avaient la
prétention de garder comme leur appartenant par sa
mort et le sang versé sur leur territoire . Alors eut
lieu une scène assez semblable à celle qui se passa à
Candes entre les Tourangeaux et les Poitevins après
la mort du grand saint Martin . Le tumulte était à son
comble et l'on allait en venir aux mains, quand une
transaction fut proposée et acceptée des deux parts .
Il fut convenu que le corps d'Honoré serait dévolu
aux gens du Berry et son chef à ceux du Poitou ¹ . »

Si l'on ne réfléchissait qu'il est toujours désagréable


de fournir des armes à un concurrent, on ne com-
prendrait pas que tous les débats ne se terminassent
pas par de sages transactions .
Y a-t-il trois sanctuaires à fournir au lieu de deux ?
rien de plus aisé :

« Les reliques de saint Pierre de Tarentaise, que la


Savoie et la France se disputaient, furent partagées
par le pape : l'église de Tarentaise obtint la tête ;
l'abbaye de Tamié le bras gauche ; celle de Citeaux le
bras droit 2. »

Le soin méticuleux qui préside à ces partages offi-


ciels de reliques est quelquefois bien original . Une

1. Petits Bollandistes , t . I, p. 251.


2. Petits Bollandistes, t. V, p. 402.
18.
210 Le Dossier

inscription qu'on peut lire à l'église Saint - Paul , sur


la voie d'Ostie, à Rome, dit :

« Sous cet autel reposent les corps des apôtres


Pierre et Paul, pour moitié ; l'autre moitié est déposée
dans l'église de Saint- Pierre : les têtes sont à Saint-
Jean-de- Latran . >>

Pour diviser solennellement en trois parts les pré-


tendus corps de saint Pierre et de saint Paul, le pape,
qui opérait lui-même, poussa le scrupule jusqu'à em-
ployer une balance . La pierre qui lui servit de table.
en cette circonstance fut religieusement conservée,
nous apprend Mgr Gaume, et désignée aux hommages
éternels de la piété par ces mots :

<< Sur cette table de porphyre furent divisés les


ossements des saints apôtres Pierre et Paul, et pesés
par le bienheureux Sylvestre, pape, en l'année du Sei-
gneur cccxix , quand fut faite cette église ¹ . »

Les relations aimables entre sanctuaires amènent


aussi de temps à autre des échanges . « Donne- moi
de quoi que t'as , je te donnerai de quoi que j'ai . »>
Avant la Révolution , l'église Saint-Merry à Paris pos-
sédait une des mamelles de sainte Agathe enchâssée
dans un riche reliquaire en argent.

«< Les paroissiens l'avaient eu , nous dit-on , en

1. Les Trois Rome, t . IV, p . 112 .


des Pèlerinages 21 I

échange du chef de leur patron qu'ils donnèrent à


l'église de Chanseaux-en- Brie ¹ . »

Il est permis de se demander jusqu'à quel point le


saint a dû être flatté de voir sa tête échangée par ses
fervents contre une mamelle .
Pour remercier l'église de Mont- Saint-Jean , au dio- ·
cèse d'Autun , de l'envoi de quelques menus fragments
de saint Julien , le pape Clément XI lui adressait, en
1709 , une portion de ia vraie croix . Le motif de cet
échange vaut la peine d'être noté :

<< Le pape Clément XI , souffrant depuis longtemps


de la goutte , espérait obtenir quelque soulagement par
l'intercession de saint Julien , spécialement invoqué
dans cette maladie 2. »

On remarquera ici la confiance publiquement ma-


nifestée par le pape Clément XI pour un de ces saints
à spécialités médicales, si nombreux , que saint Julien ,
patron des goutteux, manque à la longue énumération
de notre précédent chapitre.

<< Mgr de Roquette , pour se conformer, nous dit-on,


aux vœux du saint-père , se rendit à Mont- Saint- Jean ,
et, malgré les murmures du peuple , détacha un osse-

1. Petits Bollandistes, t . II, p . 297.


2. Petits Bollandistes, t . III, p. 45
212 Le Dossier

ment de saint Julien qu'il envoya au souverain


pontife. >>

Mgr Guérin n'ajoute pas que cet ossement a guéri


Clément XI , mais c'est probable .
Quant aux murmures du peuple , ils s'expliquent de
restc . On a dit à ce peuple : « Le saint corps que vous
avez l'heur de posséder est un spécifique merveilleux
contre la goutte. » Il est dès lors naturel que le peuple
s'indigne s'il s'aperçoit qu'on veut réduire son spéci-
fique en lui en subtilisant des morceaux .
En matière de reliques , le fanatisme recule très ra-
pidement les bornes du possible . Il n'est rien qui ne
puisse devenir fétiche pour le fervent. Nous avons
signalé déjà les vieux bas et les vieux bérets de Pie IX ,
les mèches de cheveux du père de la Salle et les draps
de lit du curé Vianney, dont l'application est recher-
chée avec ardeur par certains malades ¹ . Ce n'était
qu'une faible indication des reliques que la superstition
ne cesse d'enfanter. Tout le monde connaît de nom
saint Labre , l'illustre crasseux canonisé de fraîche date,
ce déguenillé « que sa malpropreté pour emprunter
les termes d'un docteur en théologie 2.- rendait in-
digne du regard et dont l'aspect repoussant était propre

1. L'Arsenal de la Dévotion , p . 253 et suivantes .


2. Le vénérable Benoît-Joseph Labre, célèbre pèlerin français,
sa vie, ses vertus, ses miracles, avec l'histoire de la procédure
suivie pour sa béatification, par Desnoyers, docteur en théologie.
Lille, Lefort, 1856, 2 vol. in-8°, p. 204.
des Pèlerinages 213

à rebuter la délicatesse la plus vulgaire ; » eh bien ,


après sa mort :

« Le mur où il s'appuyait à Sainte- Praxède fut


raclé au point qu'on dut enduire de nouveau la place.
Les niches où il avait dormi subirent plus d'une dé-
gradation ; on n'épargna pas même le tuyau d'une
fontaine à l'orifice duquel on l'avait vu boire et qui fut
arraché et enlevé de nuit.……. On s'avisa de détacher le
cuir du tabouret sur lequel il s'était assis , et en peu de
temps furent épuisées les lanières exiguës qu'on en
tira . »

C'est notre docteur en théologie qui dit cela .


(P. 226. ) Et il ajoute :

« Le custode Léopold était assailli de demandes ; on


alla jusqu'à lui demander quelque insecte qui eût été
trouvé sur le vénérable. »

Comment s'étonner de ce goût plus que singulier


des fidèles, quand on voit le clergé leur donner le ton,
ainsi qu'en témoigne cet autre passage de notre doc-
teur en théologie :

« Le respectable abbé Mélis pensa, peu après la


mort du vénérable , à rechercher les savates qu'il lui
avait fait quitter en échange de moins mauvaises ; il va
s'informer du cordonnier si elles sont encore en sa
possession elles y étaient , en effet , et se distinguaient
214 Le Dossier

des autres vétustés pareilles par les attaches dont l'une


était blanche et l'autre noire . Mélis lui demanda de les
lui céder, mais ne put en obtenir qu'une, qui lui
parut exhaler un suave parfum, ainsi qu'au père Pic-
cilli, auquel il en référa. » (P. 225. )

L'ardent désir de posséder une relique convoitée a


souvent porté les saintes gens aux extrémités les moins
louables. C'est ainsi que la paroisse de Ramerupt, ja-
louse des reliques de sainte Tanche, que la paroisse de
Lhuître croyait posséder — je dis croyait parce qu'il
paraît assez certain que depuis longtemps les Anglais
les lui avaient enlevées , ―― imagina de raconter qu'elle
venait de découvrir le vrai corps de la sainte dans son
église et se mit à offrir le prétendu corps à la vénéra-
tion des fidèles .

« Ce mensonge rapidement répandu , étant aussi


préjudiciable aux intérêts de la paroisse de Lhuître
qu'à ceux de sa patronne, le curé Jean Lejeune , les
marguilliers et les paroissiens s'en plaignirent à l'é-
vêque de Troyes, qui , pour mettre un terme à cette
fâcheuse contestation , se rendit, avec son official et son
promoteur, sur les lieux, où il reconnut officiellement
la présence des reliques authentiques de sainte Tanche
à la chapelle de Lhuître ¹ . »

1. Notice descriptive et historique sur l'église de Lhuître,


suivie de la légende de sainte Tanche, sa patronne . A Lhuître,
chez M. l'abbé Maillot, 1875. in-8°, p . 25 .
des Pèlerinages 215

Les reliques de saint Florent, que l'on conserve


encore à Haslach , ont dû être défendues de la même
façon contre une création apocryphe . Les religieux du
monastère de Saint-Thomas , à Strasbourg, désespérés
de s'être vus enlever le corps du saint par leur évêque
qui voulait en gratifier Haslach , imaginèrent de ra-
conter << pour s'en dédommager et attirer de nouveau
la foule » que le prélat avait bien tenté de leur retirer
ce corps, mais qu'ils ne l'avaient pas moins conservé.
L'évêque dut faire une ouverture solennelle de la
châsse d'Haslach pour prouver que le saint s'y trou-
vait bel et bien . Vous croyez peut-être les religieux
battus ? Point. Ils ne sont pas démontés pour si peu ;
ils changent seulement de tactique. On leur a enlevé
le corps , c'est vrai ; mais la tête leur est restée , disent-
ils, et ils l'exposent . Ce ne fut pas trop de deux man-
dements de l'évêque et des menaces de l'empereur
Charles IV pour faire cesser «< cet abus » , selon l'ex-
pression de Mgr Guérin ¹ .

Autre fraude . Les prêtres de Saint- Étienne-de- Dijon ,


ayant reçu en dépôt des moines de Bèze le corps de
saint Prudent, n'éprouvèrent pas de plus vif désir
quand on le leur réclama que de le conserver.

<< Contraints d'obéir à l'injonction de l'évêque


diocésain, ils feignirent de se soumettre, et en réalité
ils donnèrent le corps de saint Silvin . »

1. Petits Bollandistes , t. XIII , p . 241 .


216 Le Dossier

Le tour était adroit et fut peut-être resté long-


temps ignoré si saint Prudent n'eût pris la précaution
de venir le dénoncer lui-même à l'évêque .

<< Saint Prudent lui apparut et lui dit : « Eh quoi !


>> pieux pontife, demeurez -vous satisfait d'un tel
» échange, et vous plaît-il qu'un autre soit honoré
» sous mon nom ?... ¹ »

L'histoire de la tête de saint Lazare n'est pas moins


originale, bien que Lazare n'y ait pris aucune part
personnelle . Au moment des ravages de Sarrazins , les
prétendus restes de saint Lazare avaient été trans-
portés de Marseille à Autun , qui alla jusqu'à bâtir
une cathédrale pour les recevoir. Cependant le clergé
marseillais , qui se résignait avec peine à être privé de
son saint Lazare, réussit à s'en réserver adroitement
une pièce importante.

<< Marseille, raconte Mgr Guérin , garda la mâchoire


et la tête de son saint apôtre . Une autre tête fut adroi-
tement adaptée par un prêtre marseillais au corps du
saint, qu'emportèrent les Bourguignons 2. >>

Le fait fut attesté par Mgr de Belsunze à l'évêque


d'Autun lors des grandes fêtes organisées par celui-ci
au siècle dernier, dans le but de réchauffer le culte

1. Petits Bollandistes, t. XII , p. 122 .


2. Petits Bollandistes, t. XIV, p. 343.
des Pèlerinages 217

affaibli de saint Lazare. Mais il faut rendre à l'évêque


d'Autun cette justice qu'il n'en fut point démonté. Le
chef << dit de saint Lazare » , recueilli par une femme, à
l'époque de la Révolution , figure toujours dans la
cathédrale d'Autun , où « son identité » a été officielle-
ment constatée en 1803. Pendant ce temps-là, l'église
de la Major , à Marseille, continue naturellement d'ex-
hiber le même chef tout aussi reconnu . Si j'ajoute qu'il
n'y a rien de moins probable que la légende qui fait
mourir en Gaule Lazare le ressuscité , l'aventure est
complète.
J'ai dit de quelle ingénieuse façon les reliques de
saint Benoît , conservées à Fleury - sur- Loire, furent dé-
mêlées d'avec celles de sainte Scholastique sa sœur.
C'était le ciel lui-même qui se prononçait. Or, les
religieux du Mont- Cassin récusent absolument ce
céleste témoignage. Ils prétendent que le vrai saint
Benoît est toujours entre leurs mains ; et, à l'appui
de leur dire , ils produisent une bulle du pape
Urbain II prononçant anathème contre ceux qui
nieront que le corps de saint Benoît soit au Mont-
Cassin. A cela les religieux de Fleury, qui ont aussi
leur bulle, répliquent que la bulle de leurs adver-
saires est fausse ¹ .
Nous renvoyons le cas devant une juridiction com-
pétente. Quelque jugement qu'elle prononce, il reste
évident qu'une des deux bulles au moins est fausse , si
elles ne sont pas fausses toutes les deux . Voilà donc

1. Petits Bollanaistes, t . III , p . 586.


19
218 Le Dossier

le goût immodéré des reliques poussant les âmes


pieuses jusqu'au faux en écriture publique , cas prévu
par le Code. Mais pourquoi les âmes pieuses en mal
de reliques ne risqueraient- elles pas çà et là un petit
faux, quand elles n'ont pas toujours reculé devant le
vol pour s'en procurer .
Venise doit les reliques de saint Roch , dont elle est
fière, « au larcin de quelques pèlerins de Tortone ¹ » .
Le bras gauche de saint Laurent, que Laon n'a pas
cessé d'entourer de sa vénération , est le produit du
vol d'un religieux du pays , qui paya l'hospitalité que
des prémontrés de Hongrie lui avaient donné, en leur
dérobant cette relique.

<< Sa grande dévotion le pousse , dit Mgr Guérin à


enlever cette relique négligée par les religieux de ce
monastère ². »

Qui sait si les prémontrés de Hongrie ne la négli-


geaient pas à cause des doutes profonds que son
authenticité leur inspirait. On a tant abusé des frag-
ments de saint Laurent ! Le clergé de Laon n'en alla
pas moins recevoir le voleur en grande pompe , avec le
précieux échantillon qu'il leur apportait de son savoir-
faire.
Pour reconquérir les reliques de saint Taurin , que
le Puy- de- Dôme - où ils avaient cru les mettre en

1. Petits Bollandistes, t. IX, p . 622 .


2. Petits Bollandistes, t. IX, p. 438.
des Pèlerinages 219

sûreté, se refusait à leur rendre -- les fidèles de l'Eure


durent envoyer trois jeunes clercs avec mission de
« s'en emparer secrètement » :

« Après avoir accompli leur pieux larcin, ceux - ci


arrivèrent heureusement à Gigny... Les reliques
furent transportées dans l'abbaye et placées sur un
des autels , où elles opérèrent un grand nombre de mi-
racles. C'est là qu'elles sont encore exposées à la véné-
ration des fidèles ¹ . >>

L'histoire des reliques fourmille de ces « pieux lar-


cins » . Le procès-verbal d'une inspection pastorale de
la « main de saint Guillaume » , conservée dans l'é-
glise d'Eygliers, au diocèse de Gap, constate que tous
les ongles manquent, à la seule exception de celui du
petit doigt. «< Ils ont été enlevés, y est-il constaté, par
des personnes pieuses 2. >>
Saint François de Girolamo venait à peine d'expirer :

« L'infirmier, voulant garder quelques reliques d'un


si saint homme , osa , avant de le revêtir des habits
sacerdotaux , lui couper un morceau de la peau qui
couvrait la plante de ses pieds , si souvent sanctifiés en
courant après les brebis égarées ³ . »

<< On exposait autrefois cette sainte relique, nous

1. Petits Bollandistes , t . IX, p. 468 ..


2. Petits Bollandistes, t. IV, p. 82 .
3. Petits Bollandistes , t. V, p. 481 .
220 Le Dossier

dit-on du corps de saint François- Xavier à Goa, sans


avoir la précaution de la mettre dans une vitrine ; une
dame trop fervente détacha d'un coup de dent l'un des
doigts du pied du' saint. Depuis ce temps, on a dû
prendre des précautions pour que de pareils actes ne
se renouvelassent pas¹. >>

On comprend, en présence de ces frénésies pieuses,


l'église de Cannes qui , pour sauver son bien, a fait
tracer, sur la châsse renfermant « la majeure par-
tie » des reliques de saint Honorat, cette inscription
menaçante :

« Quem si quis aperire præsumpserit anni finem


non videbit. Celui qui aura la hardiesse de l'ouvrir
ne verra pas la fin de l'année ². »

Dans les précautions dont les reliques sont entourées


apparaît fréquemment la crainte de se voir ravir un
si inappréciable trésor.
Jusqu'à l'époque de la Révolution , l'abbesse de No-
tre-Dame de Soissons ne laissa sortir aux processions
les reliques de saint Crépin que sur l'engagement for-
mel pris par la municipalité de les lui restituer fidèle-
ment. Dans le principe , l'engagement était même
passé chaque fois par devant notaire. A la suite d'une
tentative d'enlèvement, il y eut interruption dans les

1. Petits Bollandistes, t. XIV, p . 44.


2. Petits Bollandistes, t. I, p . 390.
des Pèlerinages 221

promenades extérieures, et l'abbesse ne les autorisa


de nouveau qu'à la condition « qu'un des échevins
restât en ôtage au monastère pendant toute la durée
de la procession, jusqu'à ce que la châsse fût rentrée
dans l'abbaye ¹ . » Le plaisant est que cette abbesse,
si jalouse de son bien , détenait indûment les reliques
de saint Crépin et que ceux dont elle craignait les
tentatives de rapt n'étaient autres que les légitimes
possesseurs des sacrés ossements . On se demande avec
inquiétude quel sort les sœurs de Notre- Dame eussent
ménagé à l'otage infortuné si les moines de saint
Crépin eussent réussi à reconquérir leur propriété .
Paray-le-Monial ne doit qu'à une extrême vigilance
de pouvoir nous montrer encore les reliques de la bien-
heureuse Alacoque :

<< En 1817, la communauté de Moulins s'étant réunie


et régulièrement reconstituée à la Charité- sur- Loire ,
toutes les sœurs de la Visitation , à l'exception de deux ,
quittèrent Paray. Celles qui s'éloignaient emportèrent
leur part des saintes reliques , en proportion de leur
nombre. Mais, quand elles voulurent y ajouter la châsse
de la bienheureuse Marguerite - Marie , on eut recours
à l'autorité civile ; les sceaux de la ville y furent ap-
posés comme à une propriété publique, et elle fut re-
mise à la garde de M. Noiret, curé de la paroisse .
Vainement on tenta plusieurs fois de la faire enle-

1. Petits Bollandistes, t. XII, p . 628.


19.
222 Le Dossier

ver, par ruse et par adresse ; la piété et l'amour de


la patrie veillaient autour, et le trésor fut sauvé ¹ . »

D'autre part, nous voyons réussir une véritable


expédition organisée par l'abbé de Corbie, frère du
comte d'Amiens, dans le but de s'emparer des reliques
de saint Gentien :

« Vers le soir, l'abbé arriva à Amiens, accompagné


des religieux qui devaient transporter la châsse . Par
mesure de précaution , il avait laissé sur la route un
certain nombre d'habitants de Corbie, lesquels, au
besoin, pouvaient lui prêter main forte. Les moines
s'introduisent furtivement dans l'église, grâce à la
connivence des gardiens ; s'emparent du trésor si
ardemment convoité, et rejoignent la troupe des
Corbiois . Cependant l'aurore venait de paraître et les
Amiénois avaient appris le rapt qu'on avait effectué.
Animés d'une sainte colère , ils s'arment à la hâte et
courent à la poursuite des ravisseurs. Les deux
troupes se rencontrent, et le sang allait couler, quand
Dieu enveloppa les deux partis d'un brouillard si épais
que toute bataille devenait impossible. Les Amiénois
se résignèrent alors à la volonté du Très- Haut, tandis
que les Corbiois continuaient leur marche triom-
phale . >

Il est à remarquer qu'en cette dernière circonstance,

1. Petits Bollandistes, t. XII , p. 435 .


2. Petits Bollandistes , t. XIV, p. 197.
des Pèlerinages 223

Dieu prend le parti des voleurs. Mais, si le saint avait


un goût particulier pour Amiens, il n'y a rien à dire.
Quand les reliques ne veulent pas se laisser prendre ,
elles savent très-bien se rebiffer:

« Hugues , abbé de Saint- Quentin , ayant essayé


d'enlever le corps de saint Omer, pour en enrichir son
monastère, ne put dépasser le village de Lisbourg ;
car tout à coup la bière devint si lourde qu'aucune
force humaine ne put l'enlever de terre , ce qui donna
le temps à Folquin , évêque de Thérouanne, de venir
reprendre les reliques sacrées ¹ . »

Autre moyen employé par saint Antoine de Padoue


pour sauver sa langue :

« Un général de l'ordre, abusant de son pouvoir,


exigea qu'on lui remit les précieuses reliques ; comme
on s'y était refusé, il vint les prendre . Chose mer-
veilleuse ! lorsqu'il eut en main la châsse qui les con-
tenait et qu'il se disposa à sortir de la sacristie , il ne
put en trouver la porte. Alors, tout effrayé, il cacha la
sainte langue dans un calice, et vint au pied de l'autel ,
demander pardon à Dieu de sa tentative coupable 2. >>

On voit par là que, quand les reliques tiennent à


ne pas changer de localité, elles y réussissent par-

1. Petits Bollandistes, t. X, p . 603.


2. Petits Bollandistes, t. VI, p . 635.
224 Le Dossier

faitement. Les reliques ont, comme les Notre- Dame ,


leurs lieux d'élection qu'elles savent déterminer par
des procédés divers, mais, le plus généralement , en
devenant si lourdes que leurs porteurs doivent renon-
cer à faire un pas de plus.
Lorsque Mgr de Marcillac, évêque de Mende , voulut
transférer les reliques de saint Frézal dans son église pa-
roissiale, <« ceux qui étaient chargés de ce soin éprou-
vèrent , à la vue de tout le peuple , une résistance si mi-
raculeuse, lorsqu'ils furent sur le point de sortir avec
le précieux fardeau , qu'on se vit obligé de renoncer à
cette entreprise ¹ . »
>
Un évêque de Rennes, se rendant à Rome, avait ob-
tenu en passant par Reims, quelques reliques de saint
Rémi :

« Une nuit qu'il se trouvait au mont Bardon , qui


fait partie de l'Apennin , il suspendit ces reliques à un
chêne vert. Il se leva le lendemain matin et continua
sa route sans se ressouvenir du précieux gage qu'il avait
laissé à l'arbre. Ne s'étant aperçu de sa perte qu'assez
loin de là, il envoya assitôt un clerc nommé Wulfade
prendre ces reliques ; mais celui- ci ne put venir à bout
d'exécuter ce qui lui avait été ordonné . Il lui fut im-
possible d'y atteindre , et plus il s'en approchait , plus
elles semblaient s'élever. L'évêque, ayant appris ce
miracle, retourne au même lieu et y dresse sa tente ;
mais il eut beau prier une partie de la nuit , il ne put

1. Petits Bollandistes, t. X, p. 442.


des Pèlerinages 225

rien obtenir. Son trésor ne lui fût rendu que lorsque,


disant la messe le lendemain au monastère de Berzetto ,
aujourd'hui petite ville du Parmesan , qui était près de
là , et dédié à saint Abundius , martyr, il eut promis
de laisser dans ce monastère une partie des reliques.
Aussitôt elles lui furent rendues ¹ . »

Si après ce fait, nos lecteurs pouvaient douter en-


core de l'éloquence que la pantomime peut atteindre
chez une relique, je les inviterais à méditer le cas sui-
vant,
Le corps de saint Médard vient d'être transporté de
Noyon à Crouy :

« Quand on fut en ce lieu , le cercueil devint entiè-


rement immobile sans qu'on le pût lever ni de côté ni
d'autre, jusqu'à ce que le roi eut fait don de la moitié
de ce bourg, qui était de la manse royale, pour l'entre-
tien de ceux qui y célébreraient les divins offices. Mais,
comme après cette donation , le cercueil se laissait le-
ver d'un côté et restait si pesant de l'autre qu'il était
impossible de le remuer, il fit le don tout entier et en
fit expédier sur le champ des lettres patentes scellées de
son sceau ; alors le saint corps se laissa aisément trans-
porter où on voulut ². »

Les reliques parleraient, qu'en vérité, elles ne se fe-


raient pas mieux entendre .

1. Petits Bollandistes, t . XII , p . 534.


2. Petits Bollandistes, t. VI , p. 526 .
226 Le Dossier

Celles de saint Pascal Baylon, dignes du titre de


réliques à répétition , ont, pour rendre la locution
« Vous êtes servi » , un toc toc des plus originaux :

« Un miracle particulier à saint Pascal Baylon, et


qui l'a rendu surtout célèbre après sa mort, ce sont les
petits coups frappés sur sa châsse , ses reliques , ses
images : ces coups annoncent à ses dévots , le succès de
la prière qu'ils lui ont adressée ¹ . >>

D'autres savent exprimer jusqu'à la joie de se voir


logées sur un emplacement qui leur est cher . Pierre,
évêque de Saint-Brieuc , rapportait d'Angers , en
grande pompe, quelques débris du patron de sa ville
épiscopale, soit deux côtes, un bras et une vertèbre
du cou :

« Ces saints ossements, dit Mgr Guérin , lorsqu'ils


entrèrent dans la cathédrale qui leur était si chère,
tressaillirent de joie. On remarqua qu'ils s'agitaient
d'eux-mêmes 2. »

Ce dut être un singulier spectacle que celui de ces


deux côtes, de ce bras et de cette vertèbre tressautant
de plaisir.
Au contraire, change- t- on les reliques de place con-
tre leur gré, elles manifestent leur mécontentement.
C'est ainsi que les reliques de saint Druon , transfé-

1. Petits Bollandistes, t. V. p. 620 .


2. Petits Bollandistes, t . V, p, 196.
des Pèlerinages 227

rées de Sebourg à Binche, cessent d'étonner les popu-


lations par leurs miracles . Reportées à Sebourg, elles
reprennent au contraire le cours de leurs merveilleuses
protections ¹ .
Les reliques de saint Martial , enlevées par Louis
le Débonnaire à l'église qui les détenait, pour enrichir
le monastère de saint Étienne que ce prince venait de
faire bâtir, s'en vengèrent cruellement :

<< Peu de temps après, nous raconte l'histoire à la


mode du Vatican , ce roi fut fait prisonnier par ses trois
enfants et jeté dans un cachot, ce qu'on regarda
comme un châtiment de la translation qu'il avait fait
opérer contre le gré du ciel. L'hiver, cette année , fut
d'une rigueur extrême et les inondations désolèrent
le pays ; elles ne furent arrêtées que lorsque le corps
de saint Martial eût été rendu à sa première de-
meure . >>

On ne saurait trop admirer cet exemple de la justice


du Dieu des dévots : un pays entier puni par des cata-
clysmes parce que son monarque à eu l'idée fâcheuse
de changer de place les reliques de saint Martial ! Mais
attendez, ce n'est pas fini .

« Le tombeau du saint apôtre fut enrichi, par la


piété et la reconnaissance des fidèles, de dons très-pré-
cieux et d'ornements d'une magnificence inouïe. Ces

1. Abrégé de la vie et des miracles de saint Druon , p . 42 .


228 Le Dossier

richesses tentèrent la cupidité d'Aldeger, évêque de


Limoges , à la fin du xe siècle ; il les enleva sans
éprouver de résistance et mourut peu après. La peste
éclata alors à Limoges et fit une multitude de victimes,
ainsi que nous l'avons déjà rapporté. On attribua ce
fléau à un châtiment du ciel¹ .

La justice divine continue de faire des siennes . Un


évêque ayant volé cette fois les trésors du saint , des
multitudes de victimes expient dans une mort atroce
le crime du prélat . Voilà ce qui se raconte encore
tranquillement pour l'édification des fidèles . On se
demande en vérité de quelle autre façon les dévots
pourraient s'y prendre s'ils voulaient rendre leur Dieu
exécrable.
Ce Dieu rageur eût bien dû prendre exemple sur
sainte Angèle de Merici . Quoique froissée dans son
amour-propre aussi vivement qu'on peut l'être par le
propos d'un jeune imprudent, la fondatrice des Ursu-
lines se contenta , du fond de la tombe , de lui adminis-
trer au passage, deux renfoncements :

« Un jeune étranger, lisant ces louanges (les louanges


inscrites sur la tombe de la sainte) , s'avisa de dire tout
bas à l'ecclésiastique qui l'accompagnait : « Voilà de
» pompeux éloges ; croyez- vous que tout cela soit vé-
>> ritable ? » A peine a-t-il laissé échapper ces paroles
imprudentes qu'un bruit effroyable sort du tombeau :

1. Petits Bollandistes, t. VII , p . 527 .


des Pèlerinages 229

ce jeune homme reçut, dit-on , deux coups très sen-


sibles ¹ »

Vli ! vlan ! n'était- ce pas assez , puisque cette verte


admonition décida la conversion du jeune étranger?
Au nombre des reliques méritent de figurer toutes ces
statues ou ces images miraculeuses données pour de
véritables talismans par les sanctuaires qui les possè-
dent bonnes vierges dont l'origine se perd dans
la nuit des temps, peintes d'après nature ou sculptées
par le ciseau des anges ; statues qui transpirent,
Christs qui saignent , Notre - Dame qui pleurent et
qui remuent les yeux. Il y a là tout un personnel ver-
moulu dont les beaux jours sont loin d'être terminés .
Chacune de ces images a sa petite histoire, plus stupé-
fiante à elle seule que tous les miracles dont on la gra-
tifie dans la longue suite des temps écoulés .
La statue de Notre- Dame-de- Boulogne passe pour
être arrivée seule dans une barque sans voile ni ra-
meurs ; celle de Notre- Dame-des -Miracles, de Saint-
Maur, s'est trouvée toute taillée au moment où le
sculpteur s'apprêtait à la travailler. Les sœurs du Car-
mel, à Beaune, offrent à la vénération des fidèles une
statue de l'Enfant-Jésus qui passe pour avoir tenu
autrefois des conversations suivies avec l'une d'entre
elles.

<< Cette statue de bois, admirablement sculptée , a

1. Petits Bollandistes, t. VI. p . 334.


20
230 Le Dossier

appartenu à une carmélite de Beaune, morte en 1648


et que le Saint-Siége vient de déclarer vénérable , sœur
Marguerite du Saint- Sacrement. On sait que sœur
Marguerite était en commerce intime et miraculeux
avec l'Enfant-Jésus , et, si l'on en croit les traditions
du monastère, c'est par l'organe de cette statue que
le petit Roi de gloire, comme elle aimait à l'appeler,
lui souriait et lui parlait¹ . >>

J'ai déjà raconté les mystérieux voyages de certaines


de ces statues pour marquer la place de leur futur
logement. Ces voyages ne sont rien auprès de celui de
la statue de Notre-Dame-de- Liesse ramenant d'Égypte
en France, en une nuit, trois chevaliers prisonniers,
plus la belle Ismérie, fille du Soudan, enlevée par eux
à son père pour la convertir au christianisme. Les
Mille et une Nuits ne sont que des contes d'un réalisme
brutal auprès de l'histoire de toutes ces bonnes vierges
dont nous ne pouvons même songer à indiquer ici les
stupéfiants épisodes.
Les combinaisons auxquelles a dû se livrer la pein-
ture bizantine vénérée à Rome sous le nom de Notre-
Dame-du-Perpétuel-Secours, pour arriver sur l'autel
des pères rédemptoristes , laissent bien loin derrière
elles celles des contes bleus les plus extravagants. Il en a
cuit à plus d'un pour lui avoir servi de comparse dans
cette aventure. C'est d'abord l'individu chargé d'ap-
porter l'image à Rome qui y meurt, afin que cet infor-

1. Le Pèlerin, 2º année, p. 796.


des Pèlerinages 231

tuné soit empêché de la transporter ailleurs¹ . Puis


c'est l'ami auquel il l'a léguée qui, ne comprenant pas
<< que la sainte Vierge se trouvait à Rome , non pas
pour l'avantage particulier d'une famille , mais pour le
bien de la cité tout entière » , prétend la conserver
chez lui.

«< Pour que je puisse sortir de ta maison , s'écrie


» la Vierge, furieuse de sa détention , il faudra donc que
» tu en sortes le premier ! » Terrible prédiction qui se
réalisa bientôt. L'infortuné tomba malade et mourut
peu de jours après . » (P. 24.)

Puis c'est au tour de sa femme à « tomber à la ren-


verse agitée par d'affreuses convulsions . » Ah ! quand
la Vierge s'est mise en tête d'être honorée quelque
part, il ne fait pas bon lui opposer résistance !
Dans le bataillon des Notre- Dame miraculeuses ,
apparaît l'escouade des , vierges noires : Notre- Dame-
du - Puy , de Chartres , de Beaune , de Roc- Amadour,
de Myans, de Marceille , de Voirons, de Vassivière, etc.
Le bistre de leur teint leur donne un caractère étrange
des plus satisfaisants ; mais on éprouve quelque em-
barras à l'expliquer. Les écrivains catholiques, qui ne
sont jamais à court pour trouver un texte à l'appui
de toutes les fantaisies du culte , prétendent , il

1. Notre-Dame du Perpétuel secours , vierge miraculeuse vé-


nérée dans l'église de Saint-Alphonse à Rome, et dans plu-
sieurs autres églises des Pères rédemptoristes, par un Père ré-
demptoriste . Nouv. édit . Paris et Tournai, Casterman, 1870 ,
in-32 , p . 21.
232 Le Dossier

est vrai, qu'on représente en certains lieux la Vierge


noire par allusion au Nigra sum sed formosa des
saintes Écritures . Par allusion, cela est bientôt dit ;
mais ce passage est emprunté au Cantique des Can-
tiques, antérieur de bien de siècles à l'époque qui a
vu naître la Vierge , et l'idée seule d'attribuer à celle
qu'on représente comme « la plus pure entre toutes
les femmes » , les propos risqués de la Sulamite doit
paraître souverainement offensante à ceux qui savent
jusqu'à quel point la sensualité déborde dans ces
strophes troublantes . Si l'on admet d'ailleurs que le
teint chocolat était le vrai teint de la Vierge, il faut
alors reconnaître qu'aucune des innombrables images
qui la représentent blanche ne lui ressemble. Grave
difficulté.
A l'époque de la Révolution, les statues de Notre-
Dame pleuraient encore chez nous :

« L'époque désastreuse de la Révolution fut annon-


cée par les traits attristés de la figure de Notre- Dame-
de-Nanteuil et par les larmes qui coulèrent de ses
paupières 2. »

En Italie, de nos jours, les Vierges continuent de


faire des effets d'yeux quand les questions politiques
ne vont pas au gré du parti clérical. Le Pélerin
d'avril 1875 annonçait que dans plusieurs localités

1. Guide du Touriste et du Pèlerin à Notre-Dame de Char-


tres, p. 70. Les Petits Bollandistes, à propos de Notre-Dame du
Port.
2. Petits Bollandistes, t. V, p . 156 .
des Pèlerinages 233

des environs de Viterbe , c'est -à-dire sur l'ancien terri-


toire pontifical, des Vierges remuaient les yeux <« les
élevant vers le ciel dans une attitude de touchante
supplication » .
En 1874 , M. le curé de Notre- Dame-des-Victoires
rappelait aux pèlerins de Notre - Dame-des-Vertus, à
Aubervilliers, la suée célèbre de la madone locale un
jour qu'on lui demandait de l'eau . Nous avons
encore de temps en temps des Notre - Dame qui trans-
pirent. Je citerai notamment Notre-Dame de la Cer-
tenne, dont le pélerinage est, au dire de Mgr Guérin ,
un des plus courus du diocèse d'Autun. Les fidèles
s'y rendent surtout à la Pentecôte. On y arrive au
soleil couchant, et tandis qu'une partie des pèlerins
se répand dans les bois et autour de la fontaine mi-
raculeuse :

« Les plus dévots , dit le naïf récit du prélat , se ren-


dent à la chapelle, y récitent des prières ou y chantent
des cantiques toute la nuit ; le rosaire, les litanies,
les lectures se succèdent sans interruption. Tout ce
monde entassé dans cet étroit sanctuaire respire à
peine, les murs suintent sous le souffle de toutes les
haleines, la statue suinte elle- même , et alors on crie
au miracle ; la Vierge pleure, chacun s'approche ; on
lui fait toucher les livres, les médailles, les chapelets ,
les vêtements des malades, ou quelque linges pour les

1. Le Pèlerin , Ire année, p . 974.


20.
234 Le Dossier

appliquer ensuite sur les membres malades . Rien


n'est plus populaire que ce pélerinage ' . »

Le plaisant est que le sanctuaire de Notre- Dame


de la Certenne nous est donné comme ayant été
substitué à un oratoire païen , dans le but de « déra-
2
ciner de grossières superstitions ».
Les images miraculeuses ne se divisent pas comme
les pieux ossements en une infinité de morceaux . L'un
n'en prend pas le bras droit , l'autre le bras gauche,
le torse n'en est pas brisé, fendu , pulvérisé de façon à
multiplier au profit d'une multitude de sanctuaires
ou de particuliers les sources de prodiges ; mais elles
jouissent, concurremment avec les reliques, de la mer-
veilleuse propriété de transformer en autant de sous-
fétiches les objets qu'on en approche. Nous avons
déjà signalé dans l'Arsenal de la Dévotion ces amu-
lettes qui doivent toutes leurs vertus au contact avec
un objet sanctifié ou passant pour tel. Ce sont des
croix , des chapelets, des paroissiens, des médailles, le
premier objet venu , un bijou , un ruban , une feuille
de papier, un chiffon que le fidèle se trouve avoir sous
la main à l'approche de l'image ou de la châsse. On

1. Petits Bollandistes, t. V, p . 147 .


2. Ces grossières superstitions consistaient à honorer sur le
même emplacement trois dames , fées ou déesses, dont la pre-
mière passait pour guérir la fièvre , la seconde pour donner du
lait aux nourrices, et la troisième pour délivrer des maux
d'yeux. Il n'est pas sans intérêt de comparer ces « superstitions
grossières >> aux pieuses dévotions » dont regorge notre pré-
cédent chapitre.
des Pèlerinages 235

ne saurait douter de l'idée qui s'attache à ces fétiches


quand on les voit toucher à la relique « pour les ap-
pliquer ensuite sur des membres malades » .
Le cas n'est pas particulier à Notre- Dame de la
Certenne, dont le sanctuaire a été créé dans le but de
déraciner de grossières superstitions. Nous l'avons
mentionné plusieurs fois à propos de divers saints ;
nous en pourrions citer maint autre exemple.
Les religieuses des Sacrés-Cours de Jésus et de
Marie de la rue de Picpus ont une statue miraculeuse
vénérée sous le vocable de Notre- Dame de la Paix .

« On aime, dit le Pèlerin, à en recevoir l'imposi-


tion sur la tête ; on en baise les pieds avec dévotion ,
on y fait toucher des linges qu'on applique ensuite
aux malades ¹ . »

Notons, pour mémoire, qu'en allant frotter des ob-


jets à l'image miraculeuse , aussi bien qu'en allant la
baiser par vénération , il est d'usage de lui laisser
sa petite offrande. Les jours de pèlerinage au sanc-
tuaire de Notre- Dame-des-Vertus, à Périgueux :

« On place la divine image sur un petit trône, à la


portée des fidèles , afin qu'ils puissent satisfaire leur
dévotion en baisant le corps du fils et les vêtements de
la mère. On remarque quelques endroits où la pierre
est usée par les lèvres des pèlerins. Ce témoignage de
la piété populaire est très-fréquent ; chacun veut passer

1. Le Pèlerin, ire année, p. 1092 .


236 Le Dossier

à son tour pour regarder attentivement la douce


image, la baiser et faire ensuite son offrande . Enfin
on ne manque pas de faire toucher à la madone des
objets de piété qu'on conserve avec soin ¹ . »

Au point de vue des offrandes, l'image miraculeuse


de Notre-dame-de-Marceille , près Limoux, paraît devoir
compter parmi les privilégiées :

« Les fidèles se pressent autour de la niche pour y


baiser la statue vénérée . Le riche et le pauvre y riva-
lisent d'offrandes. Les dons consistent d'ordinaire en
pièces de monnaie d'or et d'argent. Ces scènes si tou-
chantes ne se produisent pas seulement le jour de la
nativité de la Vierge, les dimanches et tout le mois de
septembre ; elles se renouvellent avec moins d'éclat
sans doute, dans tout le cours de l'année... Dès sa pro-
motion à l'évêché de Carcassonne , Mgr de la Bouillerie
manifesta une dévotion particulière à ce pélerinage 2. »

Une autre cérémonie dont les reliques et les images


miraculeuses sont l'objet, consiste à passer sous le
brancard qui les supporte .

<< Après la messe, on se presse encore autour des


reliques (celles de saint Léonard en Dunois) ; une
foule remplace une autre foule. Chacun passe dévote-

1. Petits Bollandistes, t. X, p . 586 .


2. Petits Bollandistes, t. X, p . 588.
des Pèlerinages 237

ment sous la châsse en priant et en se recommandant


à la protection du saint ¹ . »

<< Avant qu'elle sorte de l'église, nous dit-on de la


statue de Notre - Dame-des - Vertus à Ligny , deux
prêtres la soutiennent en l'air pendant que plusieurs
milliers de pélerins satisfont la dévotion qu'ils ont de
passer dessous 2. »

Ne semble-t-il pas, à la tournure du récit, qu'il


faille imputer l'idée de passer sous le brancard aux seuls
pèlerins ? Cela est une dévotion à eux, ils la satisfont.
Mais il serait si simple aux deux prêtres , au lieu d'é-
lever obligeamment le brancard pour que ces pélerins
passent dessous, de leur affirmer que cet exercice est
aussi superflu qu'enfantin.
Quelquefois on ne se contente pas de frotter à la re-
lique des linges ou d'autres menus objets , on s'y frotte
soi-même.

« Cette tombe vénérée, nous dit-on de la tombe de


saint Erkembode, conservée dans l'église de Notre-
Dame-de-Saint-Omer , porte les marques évidentes de
la pieuse dévotion de nos aïeux ; en plusieurs endroits ,
en effet, le grès, malgré sa dureté extrême , se trouve
assez profondément usé, résultat du passage d'une lon-
gue suite de générations de fidèles, qui venaient se

1. Petits Bollandistes, t. XIV , p . 130 .


2. Petits Bollandistes, t . V, p . 150 .
238 Le Dossier

frotter avec confiance contre cette pierre pour se dé-


livrer de leurs maux corporels ¹. »
>

Après diverses neuvaines inutiles « une vertueuse


fille de quarante-huit ans » qui souffrait depuis sept
ans «
< d'un mal occulte » , prend , en 1867 , le parti de se
rendre au tombeau de saint Gilles , voisin de Nîmes.

<<< Etant descendue près du tombeau , raconte-t-elle


elle-même, je le baisais avec effusion , je le touchais
avec une espèce d'ivresse , comme pour en extraire une
grâce, tandis que, de mes yeux attendris, coulaient des
larmes ahondantes. Enfin , oserai-je le dire ! je m'assis
sur la pierre sainte , bien que ma conscience me re-
prochât vivement cette irrévérence. Tout à coup je me
sentis guérie. Ce fut aussi sensible qu'instantané. En
même temps une ineffable consolation embauma mon
âme et l'envahit de toutes parts . Et j'entendis comme
une voix qui me disait : « Eh bien , vous voilà guérie ;
>> maintenant prenez du lait . » Je prends du lait
depuis, avec un appétit presque sensuel, moi qui ne
pouvais en supporter la vue. »>

L'abbé Trichaud , qui publie ce récit, n'hésite pas à


déclarer qu'il en trouve les détails « saisissants » . Le
fait est que cette voix mystérieuse— celle du saint, sans
doute recommandant à la malade assise irrévéren-

I. Petits Bollandistes , t. IV, p . 354.


2. Histoire de l'invention du tombeau de saint Gilles, par
l'abbé Trichaud. Nîmes, Giraud, 1868 , in-8° , p. 117.
des Pèlerinages 239

cieusement sur sa tombe , de boire du lait, a quelque


chose qui remue l'âme.
Le Pèlerin montre une dame guérissant à Paray- le-
Monial une de ses mains malades en la posant à trois
reprises sur la châsse de Marie Alacoque :

« Au moment où elle touche la châsse pour la troi-


sième fois , Ermeline ne saurait exprimer ce qui se
passe en elle, seulement un sentiment intérieur lui dit
de porter la main au front, ce qu'elle n'avait plus fait
depuis plus de trois ans ; elle était guérie ¹ . ».

En mai 1875 , d'après le même journal, un enfant


paralysé guérit au seul contact des reliques de saint
Pierre de Tarentaise :

« Au moment où elle déposa entre les mains de


M. le curé de Cirey ce petit corps infirme dont les
jambes pendaient inertes et sans vie pour qu'il fût
mis en contact avec les saints ossements, l'enfant res-
sentit dans tous ses membres une vive commo-
tion... » etc.

Notez que, lorsqu'on parle d'un contact avec les re-


liques c'est une manière de s'exprimer. L'attouche-
ment n'a presque jamais lieu sur la relique même,
mais sur l'objet qui la renferme, sur la vitre qui la
couvre. Au tombeau de sainte Geneviève, à Saint-

I. Le Pèlerin, 3 année, p . 451 .


2. Le Pèlerin, 2º année, p. 1335 .
240 Le Dossier

Étienne-du-Mont, où il se fait chaque année d'in-


nombrables attouchements, le prêtre approche les
objets, non pas même de la pierre du tombeau où re-
posent les reliques de la sainte, mais de la pierre du
tombeau où elles passent pour avoir reposé.
Les carmélites de Beaune exposent la bière dans la-
quelle ont été autrefois inhumés les restes de la
vénérable Marguerite du Saint-Sacrement.

« Un grand nombre de personnes, dit Mgr Guérin,


viennent y déposer chaque jour des objets appartenant
aux malades recommandés à Marguerite ¹ . »

En trempant la relique ou son récipient dans de


l'eau , on obtient encore des liquides doués de pou-
voirs miraculeux . La fabrication de l'eau de saint
Ignace nous en a déjà fourni un exemple 2. L'immer-
sion se compliquait dans ce cas d'une bénédiction ;
mais le plus souvent elle peut s'en passer.
Il s'agissait, en 1826, de conjurer l'Aveyron dé-
bordé :

<< On chanta les litanies des saints et on se dirigea


vers la croix des Quinze-Arbres qui domine l'Aveyron.
Là, on chanta l'hymne, l'antienne et l'oraison de saint
Amans, et, pendant ce chant, on députa un homme
nommé Cazes , pour aller puiser, avec un seau, de

1. Petits Bollandistes, t. XV, p. 385 .


2. L'Arsenal de la Dévotion, p . 35 .
des Pèlerinages 241

l'eau, de la rivière débordée . On plongea le chef de


saint Amans dans ce seau, et le même homme re-
descendit pour rejeter cette eau ainsi sanctifiée dans
la rivière . Or, aussitôt que cette eau toucha la rivière,
celle-ci , qui jusque-là montait de plus en plus, redes-
cendit subitement d'un mètre environ ¹.

Quand on pense qu'une relique plongée dans un


seau d'eau suffit à transformer ce seau en un instru-
ment de prodiges ; quand on calcule ce que de fois
dans un jour on peut fabriquer , ― puisque cette
fabrication est subordonnée à un simple mouvement
du bras , - de seaux d'eau miraculeuse ; ce qu'aux
millions de récipients qui sont censés contenir ou
seulement avoir contenu des reliques on peut dans
le même temps présenter de brins de bois ou de métal,
de morceaux de chiffon, de bouts de papier, propres
dès lors à guérir toutes les infirmités , n'est- il pas
permis de se demander comment le monde catholique
n'est pas pour jamais à l'abri de tous les maux ?
Cependant les dévots sont à même de constater que
les pratiques bizarres dont on leur vante l'infaillibilité ,
ne les mettent ni plus ni moins que les autres à l'abri
de la maladie ou des éléments. Le plus grand de tous
les miracles à l'avoir du cléricalisme est certainement
qu'ils ne songent pas à s'en étonner.

1. Petits Bollandistes, t. XIII , p. 161 .

22
21
"
V

UNE MINE DE SAINTS

Le recrutement des saints. Canonisations et béatifications .


Les postulateurs à l'œuvre. Ce qu'il faut de temps et
d'argent pour faire un saint . La ressource des Catacombes .
Difficulté de distinguer un martyr du premier venu . —
Désordre des premières fouilles . - Quelques grosses erreurs.
- Prétendue distinction entre les vraies reliques et les fausses
ou les douteuses. La palme . Le vase de sang . Les
martyrs de nom propre et les martyrs innomés . Théorie
de Benoît XIV sur les saints couverts de crimes. La con-
quête de sainte Theudosie. -- Ce qu'on sait de sa vie.
L'histoire par supposition . Sainte Aurélie . O Saint Gene-
rosus. Un innomé au cercle Montparnasse. - Philomène,
type de la sainte parvenue. - Sa complaisance pour les bio-
graphes empêchés. Le début de sa nouvelle odyssée. —
Diffusion de reliques et pluie de miracles . - Les corpo-
santo. - Caractère intéressé des actes de la sainte. ---- Le sang
à images. - Philomène et le Sacré-Cœur .

Le personnel des saints, dont les os divisés en une


infinité de morceaux iront enrichir les sanctuaires aux
quatre coins du monde catholique, s'accroît de deux
244 Le Dossier

manières . Il se recrute d'abord d'une façon lente mais


continue par les béatifications et les canonisations.
Les canonisés sont les grands-croix d'un ordre dont les
béatifiés sont les officiers et les vénérables les chevaliers.
Le seul fait de l'introduction officielle d'un procès de
canonisation, autrement dit de son admission par la
cour de Rome, confère déjà à celui qui en est l'objet le
titre de vénérable. Le titre de bienheureux , qui ressort
de la béatification, commence seulement à engager la
responsabilité du Saint-Siége ; le culte qu'il autorise
est restreint soit à certains ordres , soit à certaines loca-
lités. Quant à la canonisation , résultant d'une infor-
mation complémentaire, elle consacre la sainteté du
sujet et admet à son égard un culte universel . Il a
droit à l'auréole, et ses reliques peuvent êtres vénérées
dans les temples.
Il serait assez naturel que le Saint-Siége décernât
de lui-même ces honneurs suprêmes à ceux que leur
passé paraît en rendre digne ; or, il n'en est rien. Un
saint homme peut s'être imposé, par son esprit ou par
ses actes , à l'admiration générale, si quelqu'un ne
porte pas sa cause devant la cour de Rome, en en ac-
ceptant les frais, le Saint-Siége ne pensera jamais à
lui adjuger l'auréole . Au contraire, le dernier des
tonsurés qui aura croupi toute sa vie dans l'ignorance
et la crasse a beaucoup de chances d'être canonisé , s'il
trouve pour engager son procès des postulateurs ar-
dents . C'est ainsi que l'abbé de l'Epée n'est pas même
vénérable, tandis que Benoît Labre figure déjà sur
certains autels .
des Pèlerinages 245

Le désir de donner du relief à une localité, d'illus-


trer les annales de tel ou tel ordre religieux font dé-
ployer une ardeur singulière à l'introduction des pro-
cès de canonisation . Le postulateur , qui doit avoir
commencé par gagner l'évêque à sa cause , provoque
les suppliques des fidèles, travaille à populariser le
futur saint par d'abondantes distributions d'images et
de médailles , et répand de toutes parts de menus frag-
ments de reliques , en échange desquels il compte bien
recueillir et les offrandes et les guérisons miraculeuses
indispensables à la canonisation . Nous avons donné,
dans l'Arsenal de la dévotion (p . 253) , le texte d'un
des petits cartons flanqués de reliques que distribuent
les missionnaires qui ont pris en main la cause du
curé d'Ars. Le paragraphe suivant, écrit à propos de
la canonisation de Benoît Labre, pourra donner idée
de la profusion avec laquelle sont répandus les petits
fétiches de cette espèce :

• Les cartes portant reliques se distribuaient tous


les jours par centaines pour tous les coins de l'univers.
Dans le court espace de quatre mois, à dater du jour
de la mort, il s'en était écoulé plus de 80,000 . Un
calcul minutieux , fait trois ou quatre ans plus tard ,
en portait le nombre à plus de 250,000 . Depuis , les
demandes n'ont jamais cessé, non - seulement des di-
vers États de l'Europe, spécialement de l'Espagne et
du Portugal , mais encore de l'Amérique et de la
Haute Asie . Et si l'on fait le compte de ce qui a dû
être distribué par les propostulateurs successifs , il est
21 .
246 Le Dossier

à croire que le total n'est pas beaucoup au-dessous


d'un million ' , »

Un million de reliques à l'actif du seul Benoît


Labre ! Et ses os n'y sont même pas compris ! Ce
chiffre suffit pour ouvrir sur la dissémination des re-
liques des horizons fantastiques.
Le père Eudes, dont la cause a été introduite il y a
trois ans , était mort en 1680. Pour quelques -uns ,
l'heure du triomphe est tardive ; pour tous , elle est
lente . Depuis les premières instances en faveur de
Marie Alacoque jusqu'à sa béatification seulement, il
s'est écoulé cent quarante-neuf ans. Les martyrs du
Japon, dont Pie Ià a signé la béatification , attendaient
cet acte depuis deux cent quarante ans. Sainte Co-
lette, pour laquelle on sollicitait à Rome depuis 1493 ,
n'a reçu définitivement l'auréole qu'en 1807. On a
mis à reconnaître ses mérites trois cent quatorze ans !
Mgr Guérin nous dit de sainte Véronique Giuliani,
dont le procès de canonisation n'a demandé que cent
douze ans :

« On commença dès l'année même de sa mort à

1. Le Vénérable Benoît-Joseph Labre, t. II, p . 508. Les


mêmes postulateurs avaient, dans la seule année de la mort de
Benoît Labre , distribué « cent trente-cinq mille médailles à
son effigie » .
2. Il n'y a d'exceptions qu'en faveur de ceux qui reçoivent la
béatification équipollente . Ce genre de béatification s'accorde à
peu près sans conteste à tous les saints dont le culte remonte
à une époque trop éloignée pour qu'on en puisse vérifier l'ori-
gine. Les vieux saints profitent ainsi , de même que les vieilles
reliques, d'une sorte de prescription .
des Pèlerinages 247

travailler à sa canonisation . Le procès fut continué


pendant presque tout le dernier siècle. On prouva
authentiquement plusieurs miracles opérés par l'in-
tercession de Véronique. En 1796 , Pie VI publia le
décret qui reconnaissait l'héroïsme de ses vertus ; en
1802 , Pie VII publia celui qui constatait ses miracles.
Le même pontife la déclara bienheureuse le 8 juin
1804. Le 22 mai 1822, la congrégation des Rites
reconnut la validité des procédures faites sur les
nouveaux miracles qui avaient été examinés. En
1839 , le pape Grégoire XVI la mit solennellement
au rang des saintes vierges ¹ . »

Pour une canonisation , c'est aller encore assez ron-


dement en besogne . On ne se fait pas idée de la com-
plication d'enquêtes , de contre- enquêtes, de concilia-
bules grands et petits , de rapports, de débats, d'inter-
rogatoires qui constituent la procédure de la béatifi-
cation la plus modeste. Les avocats théologiens
mettent en jeu toutes les ressources de la dialectique .
Les in-folios s'ajoutent aux in-folios dans d'intermi-
nables dossiers tenus au net par des escouades de
plumitifs... Tout cela pour aboutir à reconnaître la
parfaite authenticité de miracles dans le goût de celui-
ci, emprunté à l'acte de canonisation de sainte Ger-
maine :

« Les filles de Notre- Dame du Bon- Pasteur dépen-

1. Petits Bollandistes, t. VIII, p. 225 .


248 Le Dossier

saient, tout calcul fait, cent cinquante mesures de fa-


rine par mois. Elles en avaient trois cents , le 4 du
mois de novembre, dans leurs greniers, provision qui
devait être épuisée au 4 janvier suivant ; or , dans le
courant de décembre, on s'aperçut que le tas de farine
n'avait pas beaucoup baissé, et, au commencement de
janvier, lorsque les cent cinquante mesures devaient
être naturellement consommées, il en restait quatre-
vingts mesures environ . Bien plus, à la mi-janvier,
les quatre-vingts mesures ajoutées miraculeusement
n'avaient pas diminué et servirent encore à nourrir la
communauté jusqu'à la fin du mois. Ce qui porte à
cent cinquante mesures la quantité de farine fournie
par la Providence, à la prière de la Bergère de Pibrac . >>

« La sacrée Congrégation des Rites a examiné, nous


dit-on, toutes les hypothèses et toutes les objections
imaginables sans qu'aucune ait paru capable d'in-
firmer la vérité de ce miracle ¹ . »

Dire que ce jugement représente à lui seul plusieurs


années de méditations profondes !
La reconnaissance d'un minimum de deux miracles
est indispensable à toute béatification. Un minimum
de deux nouveaux miracles doit se produire après la
béatification pour rendre la canonisation possible.
C'est ce qui fit dire à Pie IX, auquel on racontait, à

1. Vie pratique de sainte Germaine, bergère de Pibrac . Tou-


louse, Bibliothèque de l'hôpital militaire, Resplandy, in-32,
p. 43.
des Pèlerinages 249

la suite de la béatification de sainte Germaine , de nou-


veaux prodiges opérés par son intercession : « Cette
petite bienheureuse veut être bientôt canonisée. Eh .
1
bien , qu'elle continue ! »
La lenteur même des délibérations ne contribue pas
peu à multiplier les causes de retard . Tandis que
les mois s'écoulent, et les années, et les lustres, et
quelquefois les siècles , les théologiens délibérants , sou-
mis au sort commun , rendent l'âme successivement .
Il faut leur donner des remplaçants. Les nouveaux
venus ont à faire connaissance les uns après les au-
tres avec les montagnes de papier déjà noirci . Quand
ils sont enfin armés de toutes pièces, il arrive que le
pape, un beau matin , laisse la place à un successeur.
Ce successeur, qui ne connaît rien de l'affaire , n'est pas
plus tôt au courant que le postulateur à son tour paye
son tribut à la nature . La disparition du postulateur
met tout de suite une cause à deux doigts de sa perte.
S'il ne laisse pas derrière lui des continuateurs zélés ,
c'en est fait de la canonisation sollicitée.
La canonisation du vénérable del Pas, mort en
1596, est encore pendante. On avait pourtant com-
mencé de s'en occuper peu d'années après sa mort.
Faute de quelqu'un « qui fît instance » , elle a subi
cent soixante-quatre ans d'interruption 2. Ou le
postulateur était mort, ou les fonds lui avaient man-
qué. Sans fonds, le postulateur le plus énergique est

1. Vie pratique de sainte Germaine, p . 48 .


2. Petits Bollandistes , t. XV, p. 550.
250 Le Dossier

réduit à néant. Cette sainte Germaine, dont l'activité


miraculeuse excitait la verve de Pie IX , s'est vue
elle-même tout près de rester en plan faute de fonds :

<< Les travaux préparatoires furent bientôt arrêtés


par défaut de ressources pour parer aux frais de la
procédure ¹ . »

C'est qu'ils sont terribles , les frais de la procédure !


Ce qu'une canonisation engloutit d'argent est incalcu-
lable . Je ne crois pas que les mieux renseignés puis-
sent dire le chiffre exact d'aucune ; et, s'ils le pou-
vaient dire, je douterais qu'ils l'osassent. A peine est-il
permis d'apprécier de loin, sur certains indices , la
profondeur de ce gouffre où vont s'enfouir les offran-
des de plusieurs générations de fidèles. Le docteur en
théologie auquel nous devons une vie de Benoît La-
.bre peint en ces termes l'empressement du public à
souscrire pour la canonisation du célèbre pouilleux ,
dès les premières tentatives faites en sa faveur auprès
du Saint-Siége :

« L'abbé Pinchetti fut celui des collecteurs qui re-


çut des sommes du Pérou et d'abondantes largesses
des cardinaux Rezzanico, Boschi et Gerdil. On disait
que le cardinal des Lances y consacrait d'assez fortes
sommes. Mgr de la Porta était au nombre des souscrip-
teurs mensuels . Le prince Doria donnait vingt écus par

1. Petits Bollandistes, t. VII, p . 50.


des Pèlerinages 251

mois. Madame Louise de France carmélite envoya


15,000 livres. Une veuve laissa par testament une pro-
priété près de Notre- Dame-des- Monts. Les employés
de la banque du marquis Belloni s'étaient imposé une
souscription commune. Cette banque reçut de Venise
une lettre de change de quinze écus souscrite par un
juif très-peu de temps après la mort, et, par la suite,
elle en reçut plusieurs autres de divers côtés. C'est
aussi par cette banque qu'un anonyme de Liége adres-
sait 10,000 florins (plus de 12,000 francs) au cardinal
Archinto, le 23 mai 1786. Comme on voit , le père
Palma n'avait pas besoin de quêter . C'est lui qui avait
reçu les offrandes de Vianna en Portugal et de la
Chine . Marconi appelle prodigieuses les aumônes
offertes dans les premiers temps ¹ . »

L'œuvre, de la canonisation de Benoît Labre, com-


mencée en 1783 et vivement conduite à la faveur de
certaines dispenses, aboutit à cette première étape, la
béatification , en 1859. Il y avait à cette époque
soixante-seize ans déjà que les offrandes, stimulées ou
volontaires , continuaient de se centraliser entre les
mains des postulateurs . On n'en vit pas moins, deux
ans après , Napoléon III , puiser encore dix mille
francs dans le trésor public pour parfaire la somme
nécessaire à la promulgation solennelle de cette béati-
fication.
Ce n'est pas sans stupeur qu'on lit au Bulletin des

1. Le Vénérable Benoît-Joseph Labre, t . II, p . 510.


252 Le Dossier

Lois, un décret du 6 août 1861 , contresigné de For-


cade et Rouland , ainsi conçu :

<< Napoléon, par la grâce de Dieu et la volonté na-


tionale, empereur des Français , etc.
» Avons décrété et décrétons ce qui suit :
» Art. 1er. Il est ouvert à notre ministre secrétaire
d'État de l'instruction publique et des cultes sur
l'exercice 1861 , un crédit extraordinaire de dix mille
francs ( 10,000 francs) , pour concourir aux frais de la
béatification du bienheureux Labre .
» Art. 2. Il sera pourvu à cette dépense au moyen
des ressources accordées par la loi du budget de 1861 .
» Art. 3. La régularisation de ce crédit sera pro-
posée au Corps législatif, conformément à l'article 21
de la loi du 5 mai 1855 ...
» Fait au palais de Saint- Cloud, le 6 août 1861 . »>

Quand on pense que ces dix mille francs , versés pour


la glorification suprême d'un pouilleux mystique, au
nom de la patrie de Voltaire et de Rabelais, ne sont
qu'une goutte d'eau dans l'abîme des canonisations
romaines, on reste confondu .
L'auteur d'un Traité de la canonisation , auquel
Mgr Guérin a donné asile dans ses Petits Bollandistes,
prétend expliquer ainsi l'énormité des sommes de-
mandées :

« Les dépenses sont grandes, il faut en convenir ;


mais c'est un frein nécessaire pour réprimer mille
des Pèlerinages 253

demandes indiscrètes dont l'Église romaine serait


accablée .

Après quoi , il ajoute aussitôt :

<< Loin de regarder ces contributions avec des yeux


avides, on voit au contraire, depuis longtemps , la cour
pontificale travailler efficacement à la réduction de ces
droits, qu'elle ne peut retrancher entièrement à ses
officiers . »

Or, ces deux arguments se contredisent. La cour


pontificale ne saurait éprouver en même temps le besoin
d'abaisser ses tarifs par désintéressement et celui de les
tenir élevés pour opposer aux demandes en canonisa-
tion un frein nécessaire. Le seul frein admissible ,
puisqu'il en faut un , consisterait à provoquer soi-
même les canonisations et à ne pas admettre de can-
didats payants .

<< Dans les informations, continue le pieux auteur


qui tient à faire valoir le désintéressement du Saint-
Siége, les juges n'ont jamais aucun salaire ; ceux des
notaires greffiers sont taxés pour chaque feuille de
grosse, et on a réglé jusqu'au nombre de mots et de
syllabes qu'elles doivent contenir. Le promoteur, pen-
sionné par le pape, a de plus pour son honoraire, un
ducat d'or par chaque séance ; les procureurs, les avo-
cats consistoriaux et les imprimeurs sont taxés de
même. Le sous-promoteur a pareillement sa rétribution
fixe de trente ducats par chaque doute .
22
254 Le Dossier

Les cardinaux et les consulteurs ne reçoivent plus


de présents ; on leur donne seulement un portrait du
saint, on leur fournit en argent la chape de camelot
rouge qui leur est due, comme le rochet, le surplis , et
les livrées aux autres prélats, officiers et domestiques
de la cour du pape .
» On donne à la sacristie du Vatican cinq cents du-
cats pour une béatification ; mille, pour une canonisa-
tion ; des présents aux avocats consistoriaux , aux se-
crétaires des brefs et à d'autres . Mais, pour éviter l'em-
barras inséparable de ces distributions, on en charge
un homme de confiance qui sait les droits et les usages .
» Il faut payer les tapisseries , les échafauds et les
peintures dont l'église est ornée le jour de la fête ; les
principales vertus et les miracles les plus éclatants y
sont représentés . Les tableaux sont dévolus au chapitre
du Vatican, de même que tous les restes d'une multi-
tude infinie de bougies qu'il faut prodiguer pour l'em-
bellissement de la Basilique ; on fournit encore tous les
ornements qui servent à la messe pontificale : ils
doivent être précieux et le Saint - Père en fait présent
à quelque église de Rome. Enfin , on orne splendide-
ment la confession des saints Apôtres . La pompe d'un
si beau jour exige qu'on répande l'or et l'argent à
pleines mains . >>

La difficulté, pour le plus grand nombre, de ré-


pandre l'or et l'argent à pleines mains, explique de

1. Petits Bollandistes, t. XVII , p . 46 .


des Pèlerinages 255

reste pourquoi les canonisations sont rares . Afin que


le personnel des nouveaux saints n'en souffre pas, le
Saint- Siége a heureusement imaginé de mettre en
exploitation réglée les corps que plusieurs générations
de fidèles ont accumulés dans les Catacombes . De
même que le Cornwall a ses mines d'étain , Charleroi
ses mines de charbon , Agrigente ses mines de soufre,
dont les produits vont de toutes parts alimenter l'in-
dustrie, Rome, elle, a ses mines de saints où s'ap-
provisionne la dévotion des deux hémisphères .
Il n'est personne qui ne connaisse , de réputation au
moins , les sombres labyrinthes qui , percés dans le tuf
tout autour de Rome , sont arrivés à former une cein-
ture de quartiers souterrains à la ville des Césars . On
n'a pas retrouvé moins d'une cinquantaine de ces ca-
tacombes , dont quelques-unes à plusieurs étages . Leurs
voies , généralement étroites , se développent sur une
étendue approximative de douze cents kilomètres ,
toutes tapissées du haut en bas de cases mortuaires ou
loculi, donnant asile à quelque six millions de corps :
un stock de squelettes comme il n'en existe nulle part .
Deux catacombes israélites ont été également retrouvées .
à Rome. C'était des juifs , en effet, que les chrétiens
tenaient ce mode de sépulture . Pendant fort long-
temps, l'une et l'autre des deux sectes, entre lesquelles
les païens faisaient peu de différence ' , y ensevelirent
leurs morts dans la plus complète sécurité.

1. « Pour les païens, c'était une même secte ridicule, turbu-


lente et digne de la haine universelle. » Gaume, les Trois
Rome, t . IV, p. 141 .
256 Le Dossier

<< Pendant les deux premiers siècles, dit l'auteur de


Rome souterraine, les chrétiens creusèrent et décorè-
rent librement leurs catacombes. Personne ne songeait
à y mettre obstacle ¹ . >»

Il est hors de doute que les Romains , beaucoup plus


tolérants en matière religieuse que certains écrivains
ne voudraient le laisser croire, n'ignorèrent ni l'exis-
tence ni l'usage des catacombes . D'après les auteurs
catholiques eux-mêmes , les chrétiens y descendaient
tous les jours en grand nombre pour célébrer les saints
mystères. On concilierait mal avec l'idée d'une persé-
cution continue, dans une grande ville pourvue d'une
importante police, et ce mouvement quotidien de
fidèles et les immenses travaux que le percement de
tant de couloirs souterrains ont dû réclamer. Les cata-
combes étaient d'ailleurs si bien connues des païens ,
qu'à l'époque où l'action politique et sociale des chré-
tiens rendit contre eux les persécutions violentes , l'au-
torité leur en interdit ou leur en restitua tour à tour
l'accès . C'est ainsi que par édit les catacombes furent
fermées de 257 à 260 et de 303 à 311 , ce qui donne
à peu près en tout une période d'une dizaine d'années .
Il est assez curieux d'observer que pendant ces
dix ans, qui correspondent aux seules époques de per-
sécution sérieuse, on ne put ensevelir dans les cata-

1. Rome souterraine, résumé des découvertes de M. de Rossi,


dans les catacombes romaines, traduction Allard, d'après Spen-
cer Northcote et Brownlow. 2° édit . Paris, Didier, 1872 , in-8°.
des Pèlerinages 257

combes qu'avec difficulté, tandis que, pendant quatre


siècles environ, avant et après le triomphe définitif
du christianisme , tous les chrétiens y allaient occuper
à l'envi d'innombrables loculi. On peut par là se
faire une idée de la proportion pour laquelle figurent
les martyrs dans les catacombes. Quant à donner des
chiffres approximatifs sérieux, nul ne serait assez hardi
pour le tenter, vu les ténèbres profondes qui obscur-
cissent toutes les questions historiques relatives à ces
sépultures.
La science archéologique qui s'est escrimée depuis
trois siècles , et souvent avec un rare succès , sur les
énigmes des Catacombes ne résoudra jamais celle- ci
d'une façon probante : « A quoi reconnaître le corps
d'un martyr de celui du premier venu ? » Il y aurait
sans doute une manière bien simple d'esquiver la
difficulté. Elle consisterait à n'admettre pour martyrs
que les défunts que leur épitaphe dénonce comme
tels ; mais ces épitaphes sont rares et l'Église romaine,
très- avide de corps dont elle puisse faire des reliques ,
n'y trouverait point son compte .
Les tombes de vrais martyrs sont d'autant plus
rares aujourd'hui que ce sont les premières sur les-
quelles s'est jeté le zèle trop peu modéré des chercheurs
d'ossements. L'archéologie moderne déplore les pertes
irréparables que des fouilles faites au hasard par des
gens sans goût pour l'art, sans souci pour l'histoire ,
ont causées à la Rome souterraine . L'autorité écclésias
tique concédait moyennant finances à de pieux explo-
rateurs le droit d'y fureter dans les tombes, comme elle
22 .
258 Le Dosssier

leur eût concédé un droit de chasse sur des terres à


elle appartenant.

<< Elle laissa des mains inexpérimentées, dit l'auteur


de Rome souterraine y entreprendre des fouilles sans
ordre, sans surveillance, sans plan arrêté... Les incon-
vénients d'une telle exploitation frappèrent plus d'une
fois les souverains pontifes ; nous voyons Clément VIII ,
Paul V , Urbain VIII interdire à diverses reprises les
excavations et révoquer toutes les concessions précé-
démment accordées. A partir d'Urbain VIII , on ne
connaît plus d'exemples de fouilles faites dans un but
pieux par des particuliers. A Clément IX remonte la
règlementation aujourd'hui en vigueur. La recherche
des reliques cesse d'être une entreprise particulière
pour devenir le privilège et l'attribution propre de
l'autorité ecclésiastique ' . >>

Le Vatican entretient aujourd'hui tout un personnel


spécial tant en vue de l'extraction que de la conserva-
tion des ossements tirés des Catacombes . La haute
direction appartient au cardinal- vicaire qui porte
toujours le titre d'évêque de Porphyre. Il a pour
premier lieutenant le prélat sacriste du palais apos-
tolique, lequel a sous ses ordres un nombre d'écclé-
siastiques égal à celui des quartiers souterrains et
qu'on appelle députés des Catacombes. Ce sont eux
qui dirigent et surveillent les fossoyeurs. Quand un

1. Rome souterraine, p. 11 .
des Pèlerinages 259

corps a été relevé en présence du haut personnel, il


est déposé à la custode , où il attend que la sacrée Con-
grégation des Reliques ait prononcé sur son sort.

« Ce sanctuaire auguste, dit Mgr Gaume , est comme


le quartier général des martyrs sortis des Catacombes .
Là , ces héros , ces héroïnes de la foi primitive attendent
les ordres du vicaire de Jésus-Christ pour aller porter
aux églises des différentes parties du monde le triple
secours de leur présence , de leurs exemples et de leurs
prières . A chaque départ , on inscrit , sur des registres
publics, le nom du martyr , le nom de la personne, du
diocèse , de la ville , de l'église qui en est gratifiée . De
cette manière , si l'authentique particulier dont on a
soin d'accompagner toujours le corps du martyr vient
à s'égarer, on peut infailliblement en obtenir un nou-
veau ¹ . >>

Les papes n'ont pas toujours apporté dans les fouilles


qu'ils faisaient exécuter eux-mêmes autant de précau-
tions . C'est par masses forcément un peu confuses ,
que certains d'entre eux ont extrait de la Rome sou-
terraine de prétendus corps de martyrs pour en enri
chir les églises.
Au vir siècle, Boniface IV en fait déjà transporter
au Panthéon « une multitude » , pour employer l'ex-
pression de Mgr Gaume . 4,300 martyrs sont récoltés
d'un coup par saint Pascal, en faveur des églises de

1. Les Trois Rome, t . IV, p . 499 .


260 Le Dossier

Rome, comme le témoigne une inscription qu'on peut


lire à Sainte-Praxède . De la catacombe Saint-Sébastien ,
on a tiré un chiffre de corps fabuleux. Tous les loculi
y sont vides.

« La piété catholique, dit Mgr Gaume, a retiré de


leur demeure souterraine ces légions immortelles de
béros et d'héroïnes, la couronne et le boulevard de
l'Église militante. Placées aujourd'hui dans des temples
magnifiques, sur des autels étincelants d'or, de jaspe ,
d'albâtre et de pierres précieuses, elles attendent, au
milieu des hommages de l'univers , le jour du réveil
général pour aller prendre leur place d'honneur dans
l'Église triomphante, dont elles seront le plus bel or-
nement ¹ . D

Une inscription , placée au seuil de cette cata-


combe, porte à cent soixante-quatorze mille le chiffre
des martyrs qui y reposaient et qui, placés aujourd'hui
dans des temples magnifiques, sur des autels etince-
lants d'or, etc... Malheurensement, l'auteur de Rome
souterraine, explique comme quoi c'est par suite d'une
confusion que l'inscription figure en cet endroit, aussi
bien qu'une autre de Guillaume , archevêque de Bour-
ges, invitant les pélerins à vénérer la tombe de sainte
Cécile.

« Ce témoignage de piété , dit-il , est aujourd'hui dé-

1. Les Trois Rome, t. IV, p . 168 .


des Pèlerinages 261

pouillé de toute valeur historique ; la seule lecture des


anciens documents suffit à en montrer l'erreur, et les
découvertes des vingt dernières années confirment de
tout point le témoignage si clair et si explicite des
vieux pélerins, en achevant de détruire la confusion
établie au moyen âge entre le cimetière de saint Sé-
bastien et celui de Calliste ¹ . »

Veut-on une autre preuve de la légèreté qui a pré-


sidé aux premières exhumations, on la trouvera à la
page 529 du même volume, qui n'est rien moins.
qu'hostile aux idées catholiques . Je connais peu de si-
tuations plus plaisantes que celle du père Marchi , dé-
couvrant, en 1845, dans la catacombe de saint Hermès,
le corps de saint Hyacinthe, que l'église San-Giovanni ,
à Florence, croyait posséder depuis le xvi° siècle , en
compagnie de celui de saint Protus. Si cruelle que fût
l'évidence, il fallut bien s'y rendre . Des recherches les
plus consciencieuses, il résulta clairement pour le père
Marchi que, depuis des siècles, on vénérait à San-Gio-
vanni un saint qui ne s'y trouvait pas . Il serait curieux ,
je ne dis pas étonnant, que la dépouille de saint Hya-
cinthe, quoique absente, eût cependant produit de
nombreux miracles 2.

1. Rome souterraine, p. 159 .


2. Les curieux pourront comparer cette aventure à celle des
reliques de saint Urbain, données par les moines de Saint-Ger-
main d'Auxerre au monastère de la Trinité, devenu de ce fait
monastère de Saint-Urbain . Ces reliques, après avoir débap-
tisé un couvent, avaient de plus donné leur nom à un village de
262 Le Dossier

Les grandes razzias opérées dans la Rome souter-


raine , datent du seizième sièle et Mgr Gaume n'hésite
pas à voir dans le rôle des Catacombes à cette époque ,
une intention providentielle . N'y avait-il pas à rem-
placer de tous côtés par de généreux envois les re-
liques dispersées ou anéanties dans les troubles de la
réforme . Et puis encore...
Mais il faut laisser parler Mgr Gaume :

<< Et puis , tandis que l'Europe catholique perd ses


protecteurs et ses guides, un nouveau monde sort
comme par miracle du sein des flots : l'Amérique se
peuplera bientôt d'églises et de chrétiens. A ces enfants.
nés d'hier il faut aussi des patrons, des modèles et des

France, le bourg actuel de Saint- Urbain ( Haute-Marne), quand


elles furent retrouvées à Rome, au complet, dans l'église Sainte-
Cécile. C'était pourtant le pape Nicolas Ier qui en avait gratifié
les moines d'Auxerre ; il faut croire que le souverain pontife
s'était trompé. (Petits Bollandistes, t . VI, p . 174.)
De même les ossements de saint Jacques le Mineur, que l'é-
glise de Saint- Cernin, à Toulouse, conserve comme un don
précieux de Charlemagne, et dont bon nombre de sanctuaires se
vantent de posséder « des parties considérables », ont été retrou-
vés à Rome avec ceux de saint Philippe , en janvier 1872 , dans
la basilique de Saint-Jean de Latran . Un décret signé du car-
dinal Patrizzi, déclare qu'après mûr examen, « on doit rete-
nir que ces corps sont ceux des bienheureux apôtres Philippe
et Jacques le Mineur, frère du Seigneur, et que par conséquent
ils doivent être, comme il est juste, vénérés comme tels par tous
les fidèles . » ( Petits Bollandistes , t . V, p . 644. ) Eh bien , et le
saint Jacques le Mineur de Toulouse, il est donc apocryphe ?
Inspirer un tel doute sur des reliques données par Charlema-
gne, cela est grave, ce prince aussi confiant qu'illustre en ayant
littéralement bourré nos églises.
des Pèlerinages 263

amis ; où les trouver ? C'est à ce moment , deux fois


solennel , que s'ouvrent, pour ne plus se refermer ,
toutes les portes de la Rome souterraine. Explorée
avec l'ardeur de la science et la persévérance de la foi ,
la grande cité des martyrs viendra réparer les pertes
des églises de l'Europe et enrichir les jeunes chré-
tientés du nouveau monde ¹ . »

Ayant un si grand nombre de corps à fournir tant


à l'ancien qu'au nouveau monde , apportait- on , en ces
temps lointains, une grande minutie à les reconnaître?
Je veux bien le croire ; cependant, l'histoire de saint
Hyacinthe et la grosse erreur relative à cent soixante
quatorze mille squelettes me laissent quelques scru-
pules. Mais on était alors si pressé !
En 1668 seulement, nous voyons la Congrégation
des Reliques s'inquiéter de la façon de distinguer « les
vraies reliques des saints martyrs des fausses et des
douteuses (a falsis et dubiis ) . Les deux signes très
certains (certissimi ) du martyre étaient, d'après la
sainte Congrégation , la palme sculptée sur la pierre
tumulaire ainsi qu'une petite fiole scellée à l'intérieur
et considérée comme renfermant du sang. Le décret de
1668 a été confirmé en 1863 par un nouveau décret.
Il est à remarquer que , dans ce dernier, on glisse très
délicatement sur un des deux signes très certains : la
palme . En effet, rien n'est moins démontré que la si-
gnification d'une mort glorieuse qu'on voudrait lui

1. Les Trois Rome, t . IV, p. 83 .


264 Le Dossier

attribuer. La palme n'est même pas un signe d'un


caractère exclusivement chrétien. Sans sortir de Rome,
on peut s'assurer, en parcourant la voie Appienne ,
que la palme figure sur le plus grand nombre des tom-
beaux païens. Du reste, Mgr Gaume avoue lui-même
qu'on a cessé d'attribuer aux palmes des Catacombes
aucune valeur indicatrice dans la recherche des mar-
tyrs :

<< Nous devons ajouter que, malgré ce décret, malgré


les preuves multipliées de la signification de la palme
sur les tombes primitives , Rome, par une prudence
qu'on ne saurait trop admirer, ne relève aujourd'hui
que les corps accompagnés du vase de sang ¹ . »

De ce fait il résulte déjà cette situation fort pi-


quante qu'un bon nombre de martyrs, ceux à la
palme, qui , pendant plusieurs siècles passaient pour
des martyrs certains , que dis-je, très certains (certis-
simi) devraient être aujourd'hui classés de droit dans
les douteux .
Maintenant les martyrs à la fiole méritent-ils être
accueillis avec beaucoup plus de foi ? Le décret même
de 1863 , qui a pour but de fixer le rôle de la fiole,
nous laisse fort hésitant sur ce point. Nous y lisons
en effet que, si la cour de Rome a jugé ce décret né-
cessaire, c'est parce que , « de nos jours , sont survenus
des hommes d'une haute érudition , très versés en

1. Les Trois Rome, t, IV, p . 449.


des Pèlerinages 265

même temps dans l'étude de l'archéologie sacrée, qui


ont réfuté, soit dans des écrits, soit dans des livres ,
que la fiole de sang dut être regardée comme le signe
indubitable du martyre¹ . »
Quand des personnages d'une si haute érudition ,
des savants dont la sacrée Congrégation elle-même re-
connaît la compétence exceptionnelle , se déclarent
contre la signification donnée à la fiole dite de sang ,
nous pouvons bien avouer à notre tour un peu d'in-
crédulité.
M. de Rossi, le dernier et le plus illustre explora-
teur des Catacombes , celui dont l'opinion pourrait sur
cette question faire autorité, s'abstient prudemment
d'en souffler mot . Si l'on songe d'une part quel ar-
chéologue consciencieux est M. de Rossi , d'autre part,
avec quelle satisfaction le Vatican, qui édite les tra-
vaux de M. de Rossi , lui verrait émettre une opinion
favorable, le silence de ce savant paraîtra tout à fait
significatif.
Mais, tandis qu'il se tait sur le prétendu vase de
sang, voici ce que nous lisons dans la Rome souter-
terraine, où se trouvent résumés ses travaux.

«< Des anneaux , des médailles , des lampes de terre


cuite ornées d'emblèmes chrétiens, un petit nombre

I. « At nostris hisce diebus alii supervenere Viri eruditione


æque pollentes, et in sacræ archeologiæ studiis valde periti ,
qui vel scriptis, vel etiam voluminibus editis adversus Phialam
sanguineam utpote indubium Martyrii signum decertarunt. >>
Les Trois Rome, t . IV, p. 481 .
23
266 Le Dossier

d'ustensiles de diverse nature , ont été découverts ou se


découvrent encore de temps en temps dans les cime-
tières souterrains. On les trouve toujours encastrés
dans le mortier des loculi où les fixa, au moment de
l'inhumation, la main d'un parent ou d'un ami du
mort, qui voulait lui donner un témoignage d'affec-
tion et se réserver les moyens de reconnaître sa tombe.
Dans un petit nombre de cas, des instruments de sup-
plice ont été enterrés à côté d'un martyr ; beaucoup
des objets que l'on montre sous ce nom sont d'une
authenticité douteuse . » (P. 403. )

Si toute sorte d'ustensiles, plus ou moins authen-


tiques, se trouvent ainsi encastrés, à la façon des
fameuses fioles, dans la marge des loculi, allez donc
distinguer le récipient à sang du premier récipient
venu , laissé là à titre de souvenir ! Et ceux qui, comme
Mgr Gaume, voient dans la tache formée par la chaux
qui retient l'objet, un signe de reconnaissance des sé-
pultures de martyrs, ne devront-ils pas abandonner
cette première illusion ?

« A côté d'un grand nombre de loculi, dit ce prélat,


on trouve un vase de sang placé extérieurement «u
tombeau. Il est incrusté dans une petite ouverture
pratiquée dans le tuf de la galerie et fermée par une
légère couche de chaux dont la couleur blanche devait,
dans le principe, se détacher vivement de la teinte
grisâtre du tuf granulaire. D'autres loculi sont accom-
pagnés d'une palme , gravée à la hâte sur la chaux qui
des Pèlerinages 267

cimente la pierre tombale ou taillée plus lentement


dans la pierre tumulaire . Enfin, il en est qui pré-
sentent tout à la fois le vase de sang et la palme¹ . »

A la seule lecture de ces lignes, apparaît le manque


absolu de méthode dans le placement des prétendus
signes du martyre. Tel loculus serait marqué d'une
palme , tel autre désigné par un vase ; ailleurs on
trouverait joints les deux signes . Mgr Gaume explique
ces inconséquences par la précipitation ; mais cet argu-
ment, dont il abuse au cours de son livre , est vraiment
trop commode .
Pour nous en tenir au vase, puisque la sacrée Con-
grégation fait abandon de la palme, au moins devrait-
on, s'il avait la même signification partout, le retrouver
près de toutes les tombes où la mention du martyre
est inscrite au long, détail qui paraît exclure la préci-
pitation. Or, il n'en est rien.

<< On les a rencontrés, dit Mgr Gaume, près d'un


grand nombre de tombeaux qui appartiennent cer-
tainement à des martyrs . >>

Près d'un grand nombre , ce n'est donc pas près de


tous. Pourquoi cette inconséquence ? Et, d'ailleurs , il
importerait de s'assurer si tous ces vases ou mieux
toutes ces fioles ont vraiment renfermé du sang.
Mgr Gaume s'évertus à rappeler les exemples de chré-

1. Les Trois Rome, t. IV, p . 435.


}

268 Le Dossier

tiens recueillant avec des linges le sang des martyrs .


Nul doute que des linges tachés du sang des victimes
n'aient été plus d'une fois emportés par des fervents à
titre de reliques ; mais l'usage de ces funèbres souve-
nirs peut être admis sans qu'il s'ensuive aucunement
la mise systématique en flacon du sang recueilli et son
emploi régulier à titre de signe de reconnaissance .
Quant à ce fait écrasant, rapporté par Mgr Gaume , que
le sang se trouve quelquefois dans les fioles « encore
liquide et vermeil » (p . 468) , c'est le cas d'observer
que qui veut trop prouver ne prouve rien. Le fait d'un
jet de sang présenté aux curieux liquide et vermeil,
après quinze ou seize siècles, ne saurait éveiller dans.
l'esprit des moins sceptiques d'autre idée que celle
d'une supercherie .
Ce ne serait pas la première en pareille matière . On
lit dans le Dictionnaire des Antiquités chrétiennes de
l'abbé Germiny, au mot sang :

« Nous ne mentionnons que pour mémoire certains


vases enveloppés encore d'une couche épaisse de mor-
tier, sur lequel figurent diverses abréviations du mot
SANGUIS : SA-SANG (Arringhi , t . I , p. 498 ) sa SATURNINI
(Id . , p. 496) , inscriptions qui, si elles étaient authen-
tiques , constitueraient une preuve irrécusable en fa-
veur de la présence du sang dans les vases où elles
sont tracées. De savants paléographes, M. de Rossi ,
d'après des documents authentiques , et le R. P.
Garrucci , d'après la forme des caractères (V. Hagio-
glypta, p. 107 ) , ont reconnu que ces monuments sont
des Pèlerinages 269

faux. Ils avaient été remis par le faussaire lui- même


à l'abbé Crescenzio , qui , à son tour, avait, sans le vou-
loir, induit en erreur Severano , éditeur de Bosio. »

Il suffit d'en appeler au plus simple raisonnement


pour se persuader que la fiole de sang , qui pourrait
bien n'être qu'une fiole à parfums, n'a jamais pu être
le signe consacré du martyre . En effet, tous les mar-
tyrs, en perdant la vie dans les tortures , n'ont pas versé
leur sang. Il y en a eu d'étouffés , de brûlés, de noyés.
Comment donc accepter l'idée qu'on aurait été choisir,
comme marque distinctive du martyre, un signe qui ne
pouvait convenir qu'à un certain nombre d'entre eux?
Autre objection. Certaines inscriptions que la fiole
accompagne renferment non - seulement les noms du
défunt et son âge, mais encore sa position sociale , le
nom de ceux qui ont enseveli ses restes , etc. Comment
sur ces épitaphes de plusieurs lignes ce qui con-
tinue à exclure la précipitation- n'a-t-on pas signalé
ce fait suprême , sans égal du martyre ?
On se l'explique d'autant moins que sur d'autres
épitaphes de trois mots , le martyre est signalé. A un
TEL, MARTYR. Quand la piété peut inscrire cette simple
acclamation sur une tombe , quel besoin d'énumérer
les vains titres du défunt ? Est-il possible , est-il admis-
sible surtout que ces seuls titres s'étalent sur la pierre
à l'exclusion complète de celui qui doit les dominer
tous ?
Ce n'est pas seulement à l'archéologie qu'il faut faire
appel en pareil cas, c'est au bon sens.
23.
270 Le Dossier

Qu'est-ce qui constate enfin que la fiole n'a été


déposée que sur la tombe des ayants droit ? Il faut bien
que Mgr Gaume en arrive à cette question : «< Comment
savons-nous qu'il n'y eut dans ce placement ni fraude.
ni surprise ? » Si Mgr Gaume était franc, il avouerait :
<< Nous ne le savons pas . » Il préfère se récrier : « Est-
il croyable que l'autorité ecclésiastique fût assez peu
jalouse de ses droits pour laisser le premier venu ap-
poser sur une tombe un signe qui consacrait le mar-
tyre du défunt ? » Mais il faudrait d'abord prouver que
la fiole était bien le témoignage du martyre , et, si elle
n'était pas le témoignage du martyre, l'autorité ecclé-
siastique n'avait aucun sujet de s'émouvoir. Du reste,
rien ne manifeste qu'elle se soit émue.
Mais de si pauvres considérations n'arrêtent pas
Mgr Gaume. « Est- ce croyable ?... Non , cela ne l'est
Et, se montant là -dessus l'imagination, mon-
seigneur est tellement persuadé que l'autorité ecclé-
siastique a dû présider au placement de la fiole qu'il
ne tarde pas à voir de ses yeux l'autorité ecclésiastique
se livrant à cette opération . La scène se déroule de-
vant lui ; il y assiste, il la raconte . C'est une fiction
animée qui trahit dans l'estimable prélat l'étoffe in-
contestable d'un romancier . Un intéressant dialogue
s'établit dans la catacombe entre le pape lui- même et
les chrétiens qui apportent le corps du martyr . « Quel
est celui que vous apportez ? ― - C'est un de nos frères .
Comment le savez -vous ?... » etc. Et la preuve irré-
cusable du martyre, le vase de sang est remis par les ré-
pondants au chef de l'Église, qui prononce sur le cas.
des Pèlerinages 271

Tout ceci est de la pure fantaisie . Il suffirait, évi-


demment, qu'un récit contemporain notât une telle
particularité pour qu'aussitôt tous les doutes sur le
rôle de la petite fiole fussent levés ; malheureusement,
ce récit n'existe pas. Mgr Gaume , qui a la foi aisée ,
n'en épilogue pas moins avec chaleur sur le fait ima-
ginaire qu'il vient de se raconter.

« L'événement , dit-il , s'est passé au grand jour ;


les témoins sont nombreux, irréprochables. D'une
part, ils ont exposé leur vie pour acquérir la certitude
du fait dont ils déposent ; d'autre part , ils présentent
de ce fait même la preuve palpable : le vase de sang.
Quelle apparence qu'ils veuillent se rendre coupables
d'une sacrilége imposture ¹ ? ... »

Oh ! l'imagination ! Quand on pense que, si tout


cela s'appuyait sur quelque chose, il n'y aurait rien
de plus convaincant !
Nous avons vu que, depuis le rejet de la palme parmi
les signes douteux , les prétendus martyrs des Cata-
combes formaient deux catégories. Ce n'est pas la
seule classification qui existe entre eux . Partant d'une
autre ordre d'idées, l'Église les classe officiellement
en martyrs de nom propre et en martyrs innomés.
Les martyrs de nom propre sont ceux dont l'épitaphe
révèle tout au moins le nom . Les innomés sont
ceux dont on ne sait rien de rien , pas même le nom.

1. Les Trois Rome, t. IV, p. 488.


272 Le Dossier

Ces derniers paraissent jouir d'une moindre considé-


ration. Le Saint-Siége n'autorise ni pour eux , ni pour
les martyrs de nom propre « dont la vie est compléte-
ment inconnue » , un culte aussi large que celui qu'elle
fait rendre aux autres saints .
<< Croire que cette distinction suppose un doute
quelconque de la part de l'Église sur l'authenticité des
reliques des Catacombes serait une grossière erreur, »
se récrie Mgr Gaume. Et exposant les causes de la
classification pontificale :

« Dans la Jérusalem céleste , tous ne jouissent pas


de la même gloire ; ne faut-il pas qu'il en soit ainsi
dans la Jérusalem terrestre ? L'Église a des enfants
dont la vie , les vertus, les travaux , les combats hé-
roïques sont l'orgueil de son cœur et l'édification du
monde à ceux-là un culte très solennel . Elle en a
d'autres, comme la plupart des martyrs des Cata-
combes , dont le courage et la sainteté ne furent peut-
être pas moins admirables ; mais les circonstances
tiennent toutes ces lumières cachées sous le boisseau ,
en sorte que l'imagination et le raisonnement peuvent
seuls, à force d'efforts et d'inductions, les faire repa-
raître aux yeux de la piété à ceux-ci un culte moins
solennel. Tel est l'unique motif de la conduite du
Saint-Siége. On comprend, du reste , que , pour être
privés ici -bas de certains honneurs , nos martyrs ne
perdent rien de leur mérite et , par conséquent, de leur
gloire devant Dieu ¹. »

1. Les Trois Rome, t. IV, p . 423 .


des Pèlerinages 273

On est enchanté d'apprendre que, pour être moins


honorés que d'autres, les innomés ne perdent rien de
leur mérite. Il ne reste donc plus qu'un point noir à
écarter : c'est à savoir si ces inconnus possèdent un
mérite quelconque. En admettant même comme ceux
d'autant de victimes les cadavres à la fiole, il ne s'en-
suivrait pas que ces victimes fussent également méri-
tantes. D'inévitables erreurs, soit dans les tueries en
masse, soit par le fait de fausses dénonciations , doivent
entrer pour compte dans le bilan de toutes les persé-
cutions ' . Mgr Gaume cherche à démontrer, il est vrai ,
que les titres du défunt ont été dans le principe l'objet
d'un examen solennel ; mais nous venons de voir à
l'aide de quelle fable. Le pieux panégyriste sent si bien
lui -même la faiblesse de son argumentation , qu'il
s'empresse d'ajouter que, pour passer saint, il suffit
d'avoir versé son sang dans de certaines conditions,
sans s'être nullement adonné à la pratique d'aucune

1. Quoique cette vérité soit du nombre de celles qui n'ont pas


besoin d'être démontrées , il n'est pas sans intérêt de rappeler
ici ce passage de Tacite (Ann . , XIV, 42-45 .) où quatre cents
esclaves vont payer de leur vie la mort tragique de leur maître.
On discute au sénat sur cette sinistre hécatombe dont s'émeut
la ville :
<< Nous avons au milieu de nous, dit un des orateurs, des na-
tions entières qui ont d'autres rites , d'autres cérémonies , qui
suivent des religions étrangères ou qui n'ont même aucune re-
ligion ; il est impossible de maintenir dans l'obéissance un tel
ramas d'hommes si on ne les gouverne par la terreur. Quel-
ques innocents, il est vrai, périront peut-être avec les coupables.
Mais, toutes les fois qu'il est nécessaire de donner pour le bien
public un éclatant exemple de sévérité, il faut se résigner à
frapper injustement des innocents , >»
274 Le Dossier

vertu . Comme cela, de tous ceux qui sont censés avoir


péri dans les tortures il ne s'en trouverait pas un
d'imméritant. Ils auraient pu être des chrétiens avares,
égoïstes , envieux , débauchés, cruels , et même ne pas
être chrétiens du tout, leur mise à mort par les païens,
dans un temps de persécution , les rendraient dignes
d'être hissés sur les autels .

« Pourvu , dit après Bellarmin , le pape Benoît XIV,


cité par Mgr Gaume, qu'il soit constant qu'une per-
sonne est vraiment martyre, l'Église n'hésite pas à
la placer parmi les bienheureux et les saints, quand
même, avant le martyre, elle eût été couverte de
crimes. » (P. 492).

L'incrédulité n'a rien écrit d'aussi fort contre les


saints , rien surtout qui rende plus suspect l'hommage
rendu aux prétendus martyrs des Catacombes .
Spécifions, pour être exact, que, depuis Urbain VIII,
quelque assurance qu'ait l'Église à cet égard, et <« sans
vouloir blâmer son passé » , elle a décidé « pour pré-
venir les accusations impies » , que la pratique des
vertus et le don de miracle seraient réclamés pour les
canonisations à venir; ce qui , par parenthèse ,
établit deux nouvelles catégories de saints : ceux
d'avant Urbain VIII et ceux d'après lui .
Mais ne négligeons pas non plus de constater avec
Mgr Gaume que « plusieurs faits récents prouvent que
le Saint-Siége n'est point dépouillé de son droit ancien
et qu'il ne se croit nullement obligé de se conformer
des Pèlerinages 275

avec rigueur et dans tous les cas aux exigences tyran-


niques de l'incrédulité moderne . » (P. 494.)
La gent dévote, peu soucieuse, paraît-il , de ces
menus détails, n'en fait pas moins aux prétendues
reliques des Catacombes un accueil chaleureux . Tel
corps sorti des mines pontificales, absolument ignoré
hors de la localité qui le possède , voire du plus grand
nombre de ses habitants, a été l'objet de débats homé-
riques. C'est ainsi qu'il y a quelque vingt ans, le corps
d'une prétendue sainte Theudosie a été remporté de
haute lutte par Mgr l'évêque d'Amiens pour sa ville
épiscopale. Il faut lire le récit officiel de la translation
du saint corps pour avoir idée des pas et démarches
que ce triomphe a dû couter.
On apprend un beau jour à Amiens, que, sur la
pierre d'une des soi-disant martyres extraites des
Catacombes figurait cette mention : Nata Ambiana ,
née Amiennoise . L'idée de posséder une sainte amien-
noise cause à l'évêché une vive émotion . Il n'y a pas
plus de deux ans qu'on a fait aux reliques de saint
Firmin , jusqu'alors confondues avec celles de quel-
ques autres, les honneurs d'un reliquaire à part, et la
cathédrale d'Amiens possède de plus une pièce assez
distinguée : la tête de saint Jean- Baptiste ; mais il
n'est plus question de saint Firmin ; qu'importe la tête
même de saint Jean- Baptiste ! Ce qu'il faut à présent
à la cathédrale d'Amiens, c'est le corps de sainte Theu-
dosie. Un messager part pour Rome à l'effet de solli-
citer de Mgr l'évêque de Porphyre l'insigne relique.
Le messager déconfit apprend qu'il y a dix ans que le
276 Le Dossier

corps a été découvert et que, depuis cette époque, il est


la propriété de Mgr . Pallavicini , ex-grand maître de
la maison du pape, auquel il a été adjugé en manière
de cadeau . Où est Mgr Pallavicini ? Il a quitté Rome.
Parti pour Gênes, il y a emporté avec lui la sainte , de-
venue le plus bel ornement de son oratoire. On devine
qu'à la première demande qui lui est adressée, Mgr Pal-
lavicini fait la sourde oreille. Nouvelle requête signée
par tout le clergé d'Amiens. Une députation va la
porter à Gênes . On y lit :

<< Si sainte Theudosie pouvait indiquer elle-même


le lieu où elle désire que ses restes soient déposés , nous
croyons qu'elle choisirait notre ville, non pas seule-
ment parce qu'elle y a eu son berceau , mais aussi
parce que c'est le lieu où sa présence peut faire le plus
de bien . En consentant à se séparer d'elle en notre
faveur , Votre Excellence acquerra encore plus de
droits à sa protection , puisqu'en faisant ce sacrifice
elle se conformera aux intentions présumées de notre
sainte compatriote ¹ . >>

La maladie du chef de la députation met l'évêque


lui- même en campagne . Il part « à la conquête du
trésor » , selon sa propre expression . Malheureusement
Mgr Pallavicini n'a pas l'air convaincu des intentions

1. Album de sainte Theudosie, recueil complet des documents


publiés sur cette sainte , avec une introduction et un épilogue,
par Mgr Gerbet, évêque de Perpignan. Paris, Vaton , 1854, in−4°,
P. 13.
des Pèlerinages 277

« présumées » de sainte Theudosie. Il a un corps de


nom propre avec sa pierre ; il y tient ; il le garde. Des
négociations qui durent être piquantes, il ne nous a
été donné que de connaître le résultat. Le monsignor
italien veut faire non pas une cession, mais un troc.
Donnant, donnant . Contre un saint de même valeur ,
il lâchera le sien . Cruelle condition ! « On n'a décou-
vert depuis trois ans dans les Catacombes, écrivait
Mgr d'Amiens , que deux corps de nom propre et tous
les deux étaient promis » ( P. 6. ) Pourtant l'évêque
d'Amiens ne se rebute pas . Il a recours au pape, seul
capable de le tirer d'embarras ; il en obtient en effet ,
par une faveur sans seconde, un saint Viator avec sa
1
plaque, lesquels allèrent prendre place dans l'oratoire
de Mgr Pallavicini , tandis que sainte Theudosie , si
péniblement conquise , était définitivement emballée,
via Amiens. Cette relique , déposée dans la cathédrale ,
y figure à présent dans une chapelle dont les frais ont
été couverts par l'ex-impératrice Eugénie, à qui le
clergé local assurait même que « de pareils actes ont
toujours porté bonheur » . (P. 73. )
Amiens ne doit pas avoir encore oublié les fêtes qui
furent provoquées pour saluer ce qu'on appelait
<< l'immense événement » . Elles durèrent plusieurs
jours. Deux mille prêtres , vingt - huit évêques avaient
répondu aux innombrables convocations lancées de
toutes parts , en vue d'élever cette translation à la
hauteur d'une manifestation publique. Une demi-
douzaine de brochures en prose et en vers virent le
jour à cette occasion . Les panégyristes ne doutaient
24

F
278 Le Dossier

pas que le retour de Theudosie, dans sa ville d'Amiens,


ne fût le signal de faveurs exceptionnelles .

Là, sainte Theudosie, rendue à notre vénération ,


répandra sur la ville épiscopale et sur toute la contrée
ses gràces et ses faveurs , et éloignera de nous les ca-
calamités et les alarmes . » (P. 20. )

En interrogeant nos souvenirs, nous nous aperce-


vons que Theudcsie , qui devait éloigner d'Amiens les
calamités , a oublié de protéger cette ville en 1866 , con-
tre l'invasion du choléra , et , en 1870 , contre une autre
invasion non moins néfaste, celle des casques à pointe.
Mais nous connaissons trop le peuple des croyants
pour supposer que ce double échec ait en rien diminué
le crédit de la sainte relique.
D'autres enthousiastes n'hésitaient pas à voir dans
la découverte si tardive de la sainte amiennoise un
<< incognito providentiel » . Pourquoi pendant quinze
siècles Dieu l'a-t-il tenue cachée ? Parce qu'aux siècles
précédents nous aurions eu bien peu de chances de
l'obtenir. Les communications étaient alors plus dif-
ficiles.

<< Dieu avait décidé que sainte Theudosie ne sorti-


rait des Catacombes que le jour où , par un heureux
concours de circonstances , elle pourrait reprendre la
route d'Amiens , malgré les détours qu'on lui a d'abord
fait faire , malgré l'innocente jalousie de la piété et de
la science qui voulaient retenir ses reliques et son épi-
des Pèlerinages 279

taphe sur une terre étrangère . Il avait pourvu d'a-


vance, par un acte authentique, à la destination de ce
dépôt sacré. Ce n'est pas en vain qu'Aurélius Optatus
a eu l'inspiration de faire graver sur la tombe de sa
femme le nom de sa ville natale, par une exception
presque unique à la règle suivie dans les inscriptions.
tumulaires. Il a été comme le notaire providentiel qui
a signé, au troisième siècle, le titre de la donation que
la bonté divine voulait nous faire au dix-neuvième
pour nous dédommager, par un don aussi précieux ,
de la perte de tant de reliques , ensevelies , il y a
soixante ans, sous les ruines de l'Église . Pourrions-
nous croire que Dieu eût ainsi pris des sûretés en
notre faveur, s'il n'avait pas attaché de grandes bé-
nédictions au retour de la sainte martyre dans les
lieux qui l'ont vue naître ? » (P. 92.)

Il n'est pas inutile de lire ces déductions fantasti-


ques pour se faire idée de la sauce à laquelle les écri-
vains religieux accommodent de nos jours le provi-
dentiel.
Mais , s'il fallait déjà de si grands efforts pour mon-
trer dans la réunion de tant de hasards le doigt de la
Providence, quels bien autres efforts ne fallait-il pas
pour intéresser le public à une martyre sur laquelle
l'histoire n'apprend rien - pas même son martyre.
« Nous n'avons aucun monument historique qui
renferme quelques détails sur sainte Theudosie, >>
avoue l'abbé Gerbet, son principal biographe ¹ .

1. Album de sainte Theudosie, p . 85 .


280 Le Dosseir

En réalité, tout ce que l'on sait de Theudosie, nous


est appris par son épitaphe, à laquelle il a été déjà fait
allusion plus haut. En voici la traduction textuelle :

A AURÉLIE THEUDOSIE
TRÈS BÉNIGNE ET
INCOMPARABLE FEMME
AURÉLIUS OPTATUS
A SON ÉPOUSE TRÈS INNOCENTE
DÉPOSÉE LA VEILLE DES KALENDES DE DÉCEMBRE
NÉE AMIENNOISE
A ELLE BIEN MÉRITANTE IL A FAIT (cette épitaphe)

On voit bien sur cette pierre les regrets d'un époux ;


mais quant à y trouver la moindre trace de martyre ,
avec la meilleure volonté du monde, c'est impossible.
Cependant la place n'a pas manqué pour le consigner.
L'épitaphe a huit lignes ; elle est « en beaux caractères
romains » ; celui qui l'a gravée avait tout son temps ;
comment expliquer son silence sur un fait aussi capital
et qu'un mot suffisait à révéler ?
Quant à la fiole dite de sang, on précise ordinaire-
ment que ce « timbre du martyre » se trouve sur la
paroi extérieure du tombeau, du côté de la tête du
cadavre. Or, d'après le récit officiel , la fiole de Theu-
dosie était «< une coupe évasée » (p . 38) et cette coupe
figurait non en dehors du tombeau , mais à l'intérieur.
On conçoit qu'en présence de témoignages aussi
précis l'abbé Gerbet, traitant la nouvelle sainte de
constellation, croic devoir ajouter que cette constella-
des Pèlerinages· 281

tion << est encore voilée à quelque égard par un nuage . >»
(P. 85).
A force de recherches patientes le savant abbé a
pourtant découvert dans le martyrologe romain une
mention de sa sainte . Au 2 décembre, le martyrologe
romain porte :

<< A Rome, passion des saints martyrs Eusèbe


prêtre, Marcel diacre , Hippolyte , Maxime , Adrie,
Pauline, Néon, Marie , Martane et Aurélie, »

Pourquoi cette Aurélie , se demande l'abbé Gerbet,


ne serait-elle pas notre Theudosie , qui s'appelait aussi
de ce nom ? « Nous ne donnons ceci que comme une
conjecture ; mais elle ne paraît pas dénuée de proba-
bilité . » (P. 89.)
Ce n'est pas moi qui m'élèverai contre cette proba-
bilité ; seulement j'ouvre une petite brochure consacrée
à une sainte Aurélie de même origine , offerte par
Pie IX à l'archiconfrérie de Notre- Dame-des- Victoires ,
et j'y lis :

<< Ce fut à Rome, durant la persécution de Valérien ,


que notre jeune vierge Aurélie fut immolée pour le
nom de Jésus-Christ . En effet, à la date du 2 décembre,
le calendrier romain , après avoir raconté le supplice
de l'illustre sainte Bibiane , vierge-martyre aussi , mais
du quatrième siècle, sous l'impie Julien l'Apostat,
ajoute : « En ce même jour , on honore encore à Rome
» la passion des saints martyrs Eusèbe prêtre, Marcel
24 .
282 Le Dossier

» diacre, Hippolyte, Maxime, Marie, Martane et


» Aurélie . '

Si nos deux auteurs étaient dans le vrai , leurs deux


sanctuaires posséderaient donc la même sainte , ce qui
paraît peu probable . Faut-il croire plutôt qu'ils ne la
possèdent ni l'un ni l'autre ? Ce doute est cruel . Je
n'insiste pas.
L'Aurélie de Notre- Dame-des-Victoires n'a pas une
légende beaucoup mieux assise que son ménechme
d'Amiens. A cette question qu'il aurait pu éviter
de se poser. « Que sait-on des derniers moments de
cette jeune sainte ? » l'abbé répond avec une sincérité
naïve : « Les actes de son martyre ne sont pas arrivés
jusqu'à nous . »
Du reste, si on ne sait rien de sa mort, on ne sait
pas davantage de sa naissance. L'épitaphe Aurelio
benemerenti. « A Aurélie bien méritante » , est encore
plus vague que celle de Theudosie. Mais l'absence
de renseignements laisse le champ d'autant plus large
aux conjectures.
Rien ne s'oppose à ce qu'Aurélie, dont l'épitaphe ne
mentionne pas l'époux, soit une jeune vierge. Donc ,
Aurélie sèra honorée comme jeune vierge.

« Il n'est pas invraisemblable de supposer, dit


l'abbé Dumax , que l'histoire de la jeune Aurélie fut , à

1. Sainte Aurélie et ses reliques à Notre-Dame-des-Victoires ,


par l'abbé V. Dumax . Paris, 1873 , in- 18, p . 6 .
des Pèlerinages 283

peu de chose près, celle des Agnès , des Flavie, des


Agathe, des Domitille et de tant d'autres jeunes saintes
sur le glorieux trépas desquelles nous possédons d'au-
thentiques récits . Dénoncées comme chrétiennes , tantôt
par d'ingrats serviteurs qui espéraient de leur délation
un riche salaire , tantôt par de jeunes extravagants
qui, charmés de leurs attraits , avaient aspiré à leur
main et croyaient se venger d'un refus par une trahi-
son, elles étaient... ¹ etc. » ( P. 7.)

Et en voilà pour près de deux pages de suppositions


qui se terminent, en manière de bouquet, par celle - ci :

« Sans toutefois préjuger ce que durent être toutes


les douleurs de son supplice (ce serait téméraire puis-

I. Veut-on un autre échantillon de cette manière d'écrire


l'histoire ? Une sainte du même calibre, Flavie, fut obtenue de
Grégoire XVI, par Mgr Gaume, pour le catéchisme de persévé-
rance de la paroisse de Saint-Cyr, à Nevers. Après avoir con-
staté qu'elle a été pendant des siècles « comme en contact » avec
les restes des Priscille, des Pudentienne, des Praxède , l'auteur
de l'Hagiologie nivernaise, s'écrie :
« Peut-être, pieuses et aimables sœurs, lui avez-vous rendu
les derniers devoirs , peut- être les plantes aromatiques, re-
cueillies par vous , ont tapissé son tombeau ; peut-être les par-
fums de la Rome païenne et sensuelle, achetés par vos soins ,
ont embaumé ce corps ; peut-être le pontife des Catacombes,
saint Pie , Pastor, le prêtre du Seigneur, ont-ils veillé pendant
vingt-huit jours auprès de ce temple de l'Esprit saint, double-
ment consacré par la vertu des sacrements et par l'onction du
martyre ; peut-être... car, l'histoire à la main , nous pouvons
laisser errer notre imagination à travers les pieuses supposi-
tions et les probabilités. »
284 Le Dossier

qu'on ne sait rien de ses derniers moments) , toujours


est-il à croire que le glaive le termina. » ( P. 8. )

En foi de quoi le corpo -santo de cire qui a long-


temps servi d'enveloppe aux reliques de la prétendue
sainte portait une profonde blessure au cou . La suppo-
sition prenait corps et l'imagier hardi allait jusqu'à
fixer la place où le glaive avait dû frapper la vic-
time ' . Curieux exemple de la transformation d'un
fait supposé en un fait palpable !

Quand la borne est franchie, il n'est plus de limite

a dit Ponsard. L'abbé Dumax, prenant de plus en


plus confiance dans ce qu'il se raconte , en vient à narrer
avec les détails les plus circonstanciés l'inhumation
de la sainte . Un colloque s'établit dans la catacombe
entre ceux qui apportent le corps et ceux qui le reçoi-
vent, le même colloque, sauf les modifications indis-
pensables, que nous avons déjà admiré au passage chez
Mgr Gaume : « Quelle est cette enfant ? - C'est une
jeune vierge, etc. ― Comment le savez-vous ? -
Nous l'avons suivie devant les juges, nous avons en-
tendu l'arrêt qui la condamnait ... » etc. Le plus joli,
c'est le début du récit : « Voulez-vous apprendre
comment se fit l'inhumation de la jeune martyre ?
Écoutez . Je n'invente rien. »

1. « Le pape avait donné l'ordre que les saints ossements fus-


sent placés dans un corpo-santo ou figure modelée en cire re-
présentant sainte Aurélie telle qu'elle avait dû être au moment
de son martyre. » Sainte Aurélie et ses reliques, p. 18.
des Pèlerinages 285

Je n'invente rien est un chef d'œuvre !


Un peu plus loin l'abbé, qui n'invente rien mais
qui suppose toujours, finit par imaginer qu'Aurélie
doit avoir eu un culte tout spécial pour la Vierge.
Pourquoi pas aussi pour saint Joseph ? S'adressant à
la jeune vierge dont le reliquaire sert de piédestal à
l'autel de Notre- Dame-des - Victoires :

<< Comment donc, lui demande-t-il , un tel honneur


(celui de servir de piédestal) vous a-t-il été réservé ?
Qu'avez vous fait pour le mériter ? Je ne crois pas
me tromper en supposant que vous l'avez acheté, non-
seulement par la pureté virginale de votre cœur, non-
seulement par votre ardent amour pour Dieu , par le
généreux sacrifice de votre vie, mais sans doute encore
par une dévotion toute spéciale envers l'auguste reine
de l'Église. Il me semble voir cette divine vierge con-
templant à l'avance , du haut du ciel, son sanctuaire
bien-aimé de Notre- Dame-des - Victoires, et disant à
Jésus-Christ : « O mon fils, entre tous les saints de
>> votre cour, c'est la jeune vierge Aurélie que je me
» rèserve pour servir de parure à l'autel béni d'où
» j'attirerai à votre amour tous les pècheurs. » (P. 24.)

Et, se tournant vers la sainte, dans son accès de


lyrisme, l'abbé Dumax continue :

« Illustre martyre ! Ah je comprends maintenant


pourquoi Dieu , qui sait bien dispenser à ses saints la
gloire extérieure à l'heure et au jour marqués dans
286 Le Dossier

ses décrets adorables, a voulu durant tant de siècles


tenir cachée aux regards des hommes votre dépouille
mortelle. Il craignait que quelque autre sanctuaire
célèbre ne réclamât vos restes précieux , et il avait
à cœur que la renommée de votre nom devînt d'au-
tant plus grande qu'il serait révélé après un plus long
temps d'oubli . » ( P. 25) .

Toujours l'incognito providentiel ! Si la dépouille


d'Aurélie est restée ignorée tant de siècles , c'est que
Dieu avait résolu , sur l'insinuation de la Vierge, que
cette dépouille serait offerte, en 1842 seulement, par
Pie IX , à l'archiconfrérie de Notre-Dame- des - Vic-
toires.
Est-ce également la Providence qui , en prévision du
mouvement des cercles catholiques , a décidé que le
corps de saint Generosus serait offert en 1874 , par le
pape, au cercle ouvrier du boulevard Montparnasse ?
Incontestablement .
Saint Generosus , dont les reliques, dans leur corpo-
santo, sont le plus bel ornement de la chapelle du
cercle, appartient à la classe si nombreuse des inno-
més. « Comment, s'écrieront ceux que tout étonne ,
cet innomé a-t-il un nom ?» C'est un mystère que
Mgr Gaume va leur expliquer.

<< Il était nécessaire de désigner ces ossements véné-


rables brisés pour la cause de Dieu , par une dénomi-
nation quelconque. La piété des fidèles le demandait .
Un nom sert puissamment à l'animer, surtout lorsque,
des Pèlerinages 287

par les idées qu'il exprime, il devient une leçon de


vertu . Dès l'origine la maitresse des Églises a trouvé
un expédient qui satisfait tout ensemble aux désirs
de la piété et aux exigences de la vérité la plus exacte.
>> Aux martyrs anonymes des Catacombes elle ne
donne jamais de nom propre, par conséquent jamais
elle ne les baptise . Elie se contente de les désigner
par des attributs ou des appellations générales qui
conviennent à tous les saints . Telles sont les suivantes :
Juste, Candide , Déodat , Victor , Félix , Fortuné, Pie
et autres semblabes . En effet tous les saints , tous les
martyrs étant justes , purs, donnés de Dieu , victorieux,
heureux , fortunés , pieux, on peut, sans ombre de
mensonge , les appeler par ces noms divers ' . >>

Et voilà comment saint Generosus, ayant été, sans


ombre de mensonge , soupçonné généreux, a reçu son
nom .
Les qualités appliquées aux saints susceptibles de
les avoir pratiquées, n'étant pas autrement nom-
breuses , il ne faut pas s'étonner si l'on rencontre
beaucoup de saints du même nom. Il n'y a à cela au-
cun inconvénient , et « la répétition des mêmes noms
appellatifs ne cause, assure Mgr Gaume , aucune con-
fusion dangereuse. » Je veux bien le croire.
Ce que les organisateurs du cercle Montparnasse se
sont donnés de mal pour obtenir leur saint Generosus ,
ils l'avouent sans détour dans la petite brochure con-

1. Les Trois Rome, t. IV, p . 424.


288 Le Dossier

sacrée à l'apologie de leur relique : « Les négociations


se prolongèrent durant une année. » Des fragments
de lettres du correspondant qui avait pris à Rome le
rôle d'intermédiaire nous montrent le pape harcelé
sans cesse de la même demande. Pie IX charge Mgr
Sacriste de faire choix d'un corps ; mais il paraît que
Mgr Sacriste en prend à son aise. Quand on reparle de
la chose à Pie IX, il ne semble plus au courant . Il
fait valoir que les corps sont très rares . Enfin , Mgr
Sacriste se décide au bout d'un an . Si l'on en juge par
la date de la découverte du corps (avril 1846) et celle
de son envoi (septembre 1874) , saint Generosus a été
oublié dans un coin de la custode pendant plus de
vingt-huit ans . Quand on pense aux demandes nom-
breuses et pressantes qui sont constamment adressées
à Rome, on soupçonne fort Mgr Sacriste d'avoir écoulé
en cette occcasion ce que je me permettrai d'appeler
«< un rossignol » , dans un style peu respectueux peut-
être, mais qui peint bien ma pensée .

« La précieuse relique nous parvint enfin , dit la


brochure, par l'intermédiaire de l'ambassade de
France . »

On la reçut en une grande pompe au cercle catho-


lique avec les indulgences qu'elle apportait. Plus de
quatre-vingts ecclésiastiques en dalmatique, ayant à
leur tête Mgr de Ségur, suivirent, des palmes à la
main , la procession organisée dans les jardins du
cercle, éclairés pour la circonstance « par les rayons
des Pèlerinages 289

magiques de la lumière électrique. » Pendant ce


temps-là le choral du cercle alternait avec la musique
du 48 ° de ligne. « L'émotion fut immense, dit le nar-
rateur enthousiasmé . On se croyait transporté au sein
d'une fête des catacombes ! »
Et si l'on veut savoir quelles idées d'apaisement,
d'amour, de concorde et de charité apportait au cercle
ouvrier ce corps arrivant de Rome en droite ligne par
l'intermédiaire de notre ambassade, qu'on lise de
sang-froid , si l'on peut, ces lignes inouïes où l'auteur
de la pieuse brochure a la prétention de peindre le sort
actuel de l'Église :

« Les légistes et les cannibales, les brutes et les let-


trés l'assiégent, l'enchaînent, la bâillonnent et tâchent
de la noyer dans son sang . Mais ni les murs du Vati-
can, ni aucune bastille de la liberté moderne , ni les
couperets, ni les fusillades ne sauraient rendre la vé-
rité captive. Pie IX accable toutes les tyrannies ,
celles d'en haut comme celles d'en bas, de ses ana-
thèmes vengeurs . Les évêques triomphent quoique
arrachés à leurs troupeaux et traînés dans les prisons
au milieu de cette ère florissante de progrès indéfini ,
de liberté de conscience et de paix universelle pro-
mise par la Révolution . Oh ! ironies sanglantes de la
vengeance divine ! Jamais les générations humaines
dans l'histoire ne furent plus opprimées, ni plus dé-
gradées, ni plus abruties ! »

Et cet appel convulsif aux ouvriers catholiques :


25
290 Le Dossier

« Ouvriers chrétiens , un jour viendra, prochaine-


ment peut-être , où il faudra affirmer sa foi et mourir.
Les apôtres de la libre pensée vous traîneront sanglants
à leurs tribunaux de mort. Ils voudront vous forcer,
comme au Japon, à piétiner la croix, à cracher sur
votre drapeau . Et vous devrez choisir entre l'apostasie
et le martyre ! Préparez-vous à ces combats terribles
qui surpasseront mille fois en cruauté toutes les ima-
ginations des bourreaux du paganisme romain . Ils
donneront à leurs tenailles et à leurs brasiers la puis-
sance des découvertes modernes. Et les merveilles de
leurs tortures seront bien autre chose que les prodiges
des nouveaux armements ¹ . »

Jamais le délire clérical s'éleva-t- il à un pareil pa-


roxysme à l'abri de saints exercices ? Si c'est là ce que
saint Generosus inspire , le voilà classé du coup comme
le patron des exaspérés !
Ainsi que le fait deviner sa qualité d'innomé , de
Generosus on ne sait rien . Cela n'empêche pas l'au-
teur de la brochure d'ébaucher déjà son histoire, tou-
jours en procédant par supposition .
A l'époque où Generosus a dû mourir il y avait des
esclaves à Rome . Puisque sa tombe ne porte aucun
nom , pourquoi ne serait- ce pas un pauvre esclave
chrétien ? Au fait oui , pourquoi pas ? Et le voilà
pauvre esclave.

1. Saint Generosus, martyr, Paris, boulevard Montparnasse


in-32, p. 19.
des Pèlerinages 291

Dans la même Catacombe , se trouvaient des gens qui


ont péri sous Dioclétien . Pourquoi ne serait- il pas
mort comme eux en poussant la vertu « jusqu'à l'hé-
roïsme » ? Rien ne s'y oppose en effet. Et le voilà passé
héros.
Il ne faudrait pas s'étonner si , d'ici à quelques années ,
on en venait de fil en aiguille à raconter sa vie dans
les moindres détails . N'avons -nous pas l'exemple de
sainte Philomène , dont le nom seul fut trouvé sur son
épitaphe et dont l'histoire avec commentaires remplit
aujourd'hui de nombreux volumes .
Sainte Philomène mérite de nous arrêter comme le
type le plus complet du saint problématique « ayant
fait son trou » . C'est le parvenu des Catacombes , le
saint parti de Rome en sabots et dont la fortune ra-
pide autant qu'insolente écrase aujourd'hui toutes les
vieilles gloires du martyrologe. Combien de saints des
plus illustres qui se trouveraient singulièrement favo-
risés si on leur rendait la moitié des honneurs dont
sainte Philomène est l'objet. Il n'est pas un succès de
sacristie qui ait manqué à cette nouvelle venue.
Sainte Philomène a sa messe spéciale , son petit of-
fice, son cantique, son hymne, ses litanies , sa neu-
vaine , elle a même son mois , lequel offre cette parti-
cularité originale que c'est un mois de quarante
jours . Les ouvrages ad hoc indiquent une manière de

1. Histoire du culte de sainte Philomène, thaumaturge du


XIXe siècle, par Louis Petit. Approbation de Mgr l'évêque de
Langres. Paris et Langres, 1875, in- 18, p . 286 .
292 Le Dossier

sanctifier la semaine en la dédiant à sainte Philomène .


Des associations se sont fondées sous le patronage de
sainte Philomène . Médailles et images de sainte Philo-
mène sont répandues à profusion . On a créé un chapelet
de sainte Philomène, un cordon de sainte Philomène.
Aux parents qui donneront à leurs enfants le nom de
Philomène on promet monts et merveilles ¹ . Des fa-
natiques pétitionnent en vue de son couronnement.
Enfin pour porter au pinacle la gloire de sainte Phi-
lomène, il se crée jusqu'à des journaux. Nous avons
des échantillons de deux de ces périodiques : l'Écho de
sainte Philomène et le Messager de sainte Philomène.
Le second, qui paraît depuis peu , se donne comme
l'organe du « comité de propagation du culte de sainte
Philomène » .

Or, si l'on a la curiosité de rechercher quelle est cette


sainte qui met tant d'industries en mouvement, on
constate avec surprise que non -seulement il n'existe

1. Les parents ne peuvent mieux assurer à leurs enfants


les faveurs d'un saint qu'en leur donnant son nom ...
« Que les mères imposent donc à leurs enfants le nom de
sainte Philomène ; l'expérience l'a démontré : elle exerce surtout
sa grande puissance envers les enfants qui portent son nom . ›
Et si l'enfant meurt après cela ? -
→ Eh bien , si l'enfant meurt,
la protection de la sainte en sera d'autant mieux démontrée :
<< S'il meurt, bien des gens diront peut-être que la confiance
des parents a été trompée et que le nom que l'on choisit pour
un enfant au baptême est de soi une chose parfaitement indif-
férente et qui ne tire pas à conséquence . Ils auront tort de rai-
sonner ainsi, puisque de toutes les faveurs que sainte Philo-
mène pourrait procurer à ses jeunes protégés , il n'en est pas
de plus précieuse , de plus digne d'envie qu'une place en para-
dis. » Petit, p . 200 .
des Pèlerinages 293

aucune mention de son existence , mais que son nom


lui-même est à peine certain . En effet, la plaque en
trois morceaux scellée sur sa tombe porte l'inscrip-
tion :

LUMENA PAX TE | CUM FI

Les uns prétendent qu'il y a eu interversion de pla-


ques, et qu'il faut lire :

PAX TE CUM FI❘ LUMENA

Les autres supposent que fi est le commencement


du mot FIAT, dont la seconde syllabe aurait été perdue
par suite de la dégradation du monument. Dans ce
cas il ne serait pas bien sûr que le nom de Philomène
fût Filumena.
Pour mettre d'accord les faiseurs de suppositions , la
sainte a raconté elle-même, dans une révélation après
coup, que ses parents , lors de sa naissance , l'avaient
appelée Lumena , lumière , et que , lors de son baptême,
elle avair reçu le nom de Filumena.
Cette révélation, qui a suivi d'une trentaine d'an-
nées la découverte du corps dans les Catacombes , est
une des inventions les plus grotesques qu'on puisse
imaginer. La sainte, déplorant que le monde ne con-
nût pas un traître mot de son histoire, serait venue
raconter successivement les épisodes les plus marquants
de sa vie à un jeune artisan d'abord , puis à un bon
chanoine, puis à une religieuse de Naples. La version
du bon chanoine suffirait à révéler le degré d'aberration
que l'imagination dévote peut atteindre.
25.
294 Le Dossier

« Je me promenais un jour dans la campagne, dit ce


prêtre, quand je vis venir à moi une femme qui m'é-
tait inconnue . M'adressant la parole, elle me demanda
s'il était bien vrai que j'eusse exposé dans mon église
un tableau de sainte Philomène ? Je lui répondis que
oui , et qu'on ne lui avait raconté que la vérité ; sur
quoi elle ajouta : « Que savez - vous de particulier sur
» cette sainte ? >> - Peu , assez peu , n'ayant pu jusqu'ici
connaître son histoire que par ce que nous en ap-
prennent l'inscription et les symboles dépeints sur sa
tombe. Je les lui expliquai assez brièvement. Mon ré-
cit terminé, elle reprit avec vivacité : « Vous ne savez
» rien davantage ? - Non . -Oh ! dit-elle, il y a pour-
>> tant une infinité de choses à dire de cette sainte . Èt
» si les mondains mêmes les entendaient , assurément
>> ils seraient ravis dans l'étonnement ! Vous connais-
» sez cependant la cause de sa persécution et son cruel
» martyre? - Non plus . --Eh bien , prêtez-moi atten-
» tion, et je vais vous l'apprendre .
» La vierge Philomène , à laquelle vous avez voué
» un culte de vénération et d'amour qui est fort
» agréable au Seigneur , n'endura de si grands tour-
» ments que pour avoir refusé d'unir sa destinée à
» celle de Dioclétien qui la voulait épouser. Le motif
» de son refus fut le vœu qu'elle avait fait de rester
» toujours vierge par affection pour Jésus-Christ. » Je
lui demandai si elle était bien assurée de ce qu'elle
avançait , et si elle ne prétendait point me surprendre ,
sachant peut-être que je désirais si vivement être ins-
truit de ce qui concerne l'histoire de la sainte . « Où
des Pèlerinages 295

» donc avez-vous lu ces choses, lui dis-je, car depuis


» longtemps nous cherchons inutilement des détails
» sur cette sainte . Dites - moi quel est le livre qui vous
» a donné cette connaissance et tout ce que vous me
>> racontez ? - Quel est le livre qui m'a appris cela ?
» répliqua -t-elle avec gravité et comme toute surprise,
» oh ! c'est bien à moi qu'il faut adresser une sem-
» blable demande. Est-ce que je peux ignorer ce qui
» me concerne ! Croyez bien que je ne vous trompe
» point et que je ne vous raconte que ce dont je suis
» certaine ¹ . »

« Nous nous abstenons de tout commentaire, » dit


l'auteur à qui j'emprunte ce récit . S'abstenir était bien
ce qu'il avait de plus sage à faire .
La version du bon chanoine n'ajoutait encore que
peu de détails à la version un peu obscure du jeune
artisan . Dans sa révélation à la religieuse de Naples ,
Philomène, qui prend goût à la narration , rédige déci-
dément ses mémoires . En voici le début :

« Ma chère sœur, je suis fille d'un prince qui gou-


vernait un petit État dans la Grèce , sous la tutelle de
Rome. Ma mère était aussi de sang royal, et comme
ils se trouvaient sans enfants , l'un et l'autre, encore
idolâtres , ils offraient continuellement à leurs faux dieux ,
pour en avoir, des sacrifices et des prières. Un méde-

1. Vie nouvelle du curé d'Ars et de sainte Philomène, vierge


et martyre, par J. Darche. Paris, Palmé, 1865, in- 18, p. 324.
296 Le Dossier

cin de Rome, nommé Publius , aujourd'hui en paradis,


vivait dans le palais et était au service de mon père.
Il faisaitprofession du christianisme . Voyant l'affliction
de mes parents et vivement touché de leur aveugle-
ment, il se mit, par l'impulsion de l'Esprit-Saint, à
leur parler de notre foi, et alla jusqu'à leur promettre
une postérité, s'ils consentaient à recevoir le baptême.
La grâce , dont ces paroles étaient accompagnées,
éclaira leur entendement, triompha de leur volonté ; et,
s'étant faits chrétiens , ils eurent le bonheur si désiré
dont Publius avait promis que leur conversion serait
le gage ¹ ... »

Nous ne jugeons pas nécessaire de pousser plus loin


la reproduction de cette ineptie. Philomène y raconte
à la religieuse de Naples comment, à treize ans, ayant
offert depuis deux ans déjà sa virginité à Jésus-Christ,
il ne lui était plus possible d'en disposer en faveur de
Dioclétien, que ses parents voulaient lui faire épouser
(p. 44) ; et encore comment, jetée en prison par son
farouche adorateur, elle y recevait tous les jours sa
visite et le voyait se livrer contre elle à des attaques
« dont quelques- unes, sans la grâce de Dieu, auraient
pu devenir fatales à sa virginité » (p . 45 ) . On ne dit
pas de quelle oreille la religieuse de Naples écoutait
ces révélations scabreuses ; mais il est probable que tout
était pour le mieux, puisque ces révélations ont reçu

1. Petit, p. 42.
des Pèlerinages 297

l'approbation du saint-siége et qu'on les donne à


méditer aux petites filles, afin qu'elles aient à modeler
leur vie sur celle de la bienheureuse . Il est à craindre
que cette lecture ne leur donne pas toujours une notion.
très exacte des devoirs filiaux et des devoirs humains .
Que penser, par exemple, de ce passage où les parents
en larmes, se traînant aux pieds de leur fille, lui
crient : « Ma fille, aie pitié de ton père, de ta mère , de
ta patrie, de nos sujets ; » ce à quoi Philomène répond :
« Non, non, Dieu et la virginité que je lui ai vouée
avant tout , avant vous, avant ma patrie. Mon
royaume , c'est le ciel. »
Cette narration, toute parfumée d'une odeur de
sacristie, n'a au fond d'autre but que de mettre en
action plusieurs signes que l'on a reconnus ou cru
reconnaître sur la pierre tumulaire . L'un de ces signes,
qualifié de lys par une imagination complaisante , a
fourni le thème de la virginité . Un ornement vague ,
qualifié de fouet, a servi de point de départ à un récit
de flagellation ; une ancre, à un récit d'immersion dans
le Tibre ; enfin deux flèches, au récit d'un double sup-
plice analogue à celui de saint Sébastien : jolie série de
tortures dont se serait jouée la vierge de treize ans et
auxquelles on joint, pour couronner le martyre et
compléter la collection , une décollation finale que la
pierre a oublié de mentionner .

1. « Ces révélations doivent inspirer la plus grande confiance,


car elles ont reçu l'imprimatur du tribunal du Saint-Office à
Rome, en date du 20 décembre 1833 , et l'on sait que ces ap-
probations ne se donnent pas à la légère. » Petit, p . 39 .
298 Le Dossier

Comment une existence si bien remplie est-elle


restée dans un si complet oubli ? Comment le nom
même de Philomène n'était-il pas parvenu jusqu'à
nous avant cette révélation précieuse ? Serait- ce ,
comme on nous l'affirme, afin que la gloire de Philo-
mène se fît jour avec d'autant plus d'éclat qu'elle
aurait été plus longtemps ignorée,

Voilà, je n'en doute pas , dit l'auteur de l'Histoire


du culte de sainte Philomène , pour quelle raison le
souverain maître a permis que la gloire de cette vierge
incomparable demeurât si longtemps couverte du
voile de l'oubli ... La Providence, qui a ses heures
dans la vie des peuples comme dans celle des hommes,
réserve à chaque siècle , comme à chacun des besoins
de son Église, un protecteur et un modèle qui leur
distribue la grâce en rapport avec leurs nécessités
présentes. » (P. 10.)

Donc les nécessités présentes exigeaient impérieuse-


ment l'apparition de sainte Philomène ; n'en doutez
pas, c'est un fait acquis :

« Avant d'apparaître avec tant d'éclat sur la scène


du monde, l'angélique vierge reçut, au haut des cieux,
sa mission de Jésus-Christ. « Il me semble voir, s'écrie
» un pieux auteur, il me semble voir ce Roi des rois ,
» à qui son père donna toute puissance, la distinguer,
> au milieu de l'assemblée des saints, par un regard
» de particulière complaisance , d'amour et de prédi-
des Pèlerinages 299

» lection . Il l'appelle auprès de son trône : Va , lui


» dit-il, je t'ai choisie ; et je veux te placer dans le
> champ de mon Église, comme une semence nouvelle
» destinée à la féconder. Va , tu me rapporteras les
» fruits que ma main te prépare ; que la solidité en
> augmente pour moi la saveur (? ) . La vierge entend ;
» son apostolat commence. Il est comme la lumière
» tirée soudainement de dessous le boisseau. » ( P. 11. )

Le corps de Philomène fut découvert en 1802. Il


était depuis trois ans relégué au fond de la custode ,
lorsqu'un prêtre de Mugnano (province de Naples)
jeta sur lui son dévolu . On donnait le choix à ce prêtre
entre douze corps sans nom « dont on lui présentait
la liste . Pour sortir d'embarras, ce bien avisé choisit
le treizième corps , qui était celui de Philomène. Le
bon prêtre ignorait que les corps de nom propre ne se
donnent qu'à des princes ou à des évêques¹ et non à
de petites gens comme lui . Grande fut sa décon-
venue lorsqu'il se vit renvoyer aux douze corps de
2
seconde catégorie . Afin de le consoler, un prélat
romain fit porter à son hôtel le corps de sainte Ferme;
mais sainte Ferme était encore une innomée ; on

1. Vie très complète de sainte Philomène, par Jean Darche.


Paris, Périsse, 1876, in- 18, p . 75.
2. « Non seulement il ne put se décider à donner une préfé-
rence à l'un des douze corps qui lui étaient offerts en échange,
mais encore il ne put pas même se résoudre, après s'être long"
temps efforcé de surmonter sa répugnance, à en tirer un au
sort. » L'Écho de Sainte Philomène, in-8° , juin 1872 .

300 Le Dossier

l'avait jugée ferme à vue de nez, de même que Gene-


rosus avait été deviné généreux . Le prêtre de Mugnano,
qui avait le juste mépris des corps sans nom, tint bon
pour Philomène et il fit bien. Il avait pour ami
Mgr de Césarée. En sa qualité d'évêque, monseigneur
avait des chances d'obtenir Philomène . Il se la fit
délivrer et l'offrit au prêtre de Mugnano , lequel n'eut
rien de plus pressé que de lui céder en échange la mal-
heureuse sainte Ferme dont les voyages et les rebon-
dissements subséquents nous sont malheureusement
inconnus . Tous les détails de cette odyssée se trouvent
rapportés de la façon la plus bouffonne dans l'Écho
de sainte Philomène .
Le prêtre de Mugnano ne se mettait pas plus tôt en
route avec sa précieuse conquête que déjà la sainte
commençait à faire des siennes . Il avait été convenu
entre le prêtre et l'évêque, compagnons de route, que
le coffre où reposaient les ossements de Philomène
serait placé en évidence sur le devant de la voiture:

« Le maître de poste qui s'était chargé de l'arrange-


ment des bagages- c'est l'Écho de sainte Philomène
qui parle - posa les deux châsses sous le siége, celle
de sainte Philomène à droite, du côté où l'évêque de-
vait s'asseoir et celle de sainte Ferme à gauche. « Les
» choses ainsi faites, nous dit dom François, je dus
» monter le premier dans la voiture pour aider en-
» suite monseigneur, qui avait une forte corpulence.
» Avec mon secours il put monter aussi et nous nous
» assîmes, recevant les adieux d'un cercle d'amis...
des Pèlerinages 301

» Mais voici qu'un miracle s'opère, qui manifeste


» combien la religion catholique a raison d'honorer
>> les reliques de ses serviteurs fidèles, qui ravive notre
» foi dans leur patronage et nous démontre en même
» temps la gloire et les grands mérites de notre sainte
>> martyre. »
» A peine assis, monseigneur ressent des secousses et
se relève, disant tout naïvement au maître de poste
qu'il a dû mal assujetir la châsse , qui vient battre ses
jambes . On examine , on s'assure que la châsse est
solidement fixée, et monseigneur se rassied ; mais le
même phénomène se reproduit. Nouvel examen qui
prouve que la châsse est à une certaine distance des
jambes de dom Barthélemy et ne peut les atteindre.
Pressé de partir, monseigneur reprend sa place , mais
force lui est de se relever encore, car il ressent les
mêmes coups. C'était bien un miracle que la sainte
opérait pour rappeler la promesse qui lui avait été
faite de la mettre sur le devant de la voiture et sous
les yeux des deux voyageurs. Immédiatement il est
répondu à ses désirs . »

Dès le premier instant, la future héroïne de tant de


brochures trahissait le fond de son caractère qui est de
ne jamais perdre une occasion de se faire mettre en
évidence. Ce n'était du reste qu'un prélude.

« A quelques milles , entre. Sesse et Capoue , nous


causions paisiblement de choses ecclésiastiques, ra-
conte encore Dom François, lorsque les chevaux , je ne
26
302 Le Dossier

sais comment , précipitèrent la voiture dans un fossé


profond le long de la route. Ils furent tués et le con-
ducteur blessé à mort ; mais la chaise de poste fut
intacte 2.

Le rédacteur de l'Écho de sainte Philomène appelle


cela un trait « de la toute-puissante protection » de la
sainte. On trouvera peut-être qu'en fait de protection ,
il n'est pas difficile . Or , cette protection ne devait pas
s'arrêter là . D'innombrables pages ne me suffiraient
pas pour esquisser les miracles, tous plus stupéfiants
les uns que les autres , dont Philomène marqua sa
route et dont elle continua l'ébouriffante série dans
son sanctuaire de Mugnano . Le bruit s'en répandit
bientôt jusqu'à l'étranger. Une dévote demoiselle de
Lyon se mit en route , sous la Restauration , tout
exprès pour aller constater le pouvoir de la nouvelle
- il
sainte, et revint rapportant triomphalement
serait curieux de savoir à quel prix - un fragment
considérable » de ses os. Ce fragment concassé a fourni
un certain nombre de parcelles, plus ou moins impor-
tantes, qui sont allées enrichir les nouveaux sanctuaires
de sainte Philomène : à Fourvières, à Ars , à Thivet,
à Neuville-sur-Seine, à Sempigny, etc.
Le curé d'Ars est certainement celui qui a le plus
contribué au succès de Philomène. Cet halluciné cé-
lèbre la nommait sa chère petite sainte » . Dans des
excès de familiarité singuliers , il lui arrivait de la

1. L'Écho de sainte Philomène, Paris, in-8°, août 1872.


des Pèlerinages 303

« gronder » , non point parce qu'elle tardait à exaucer


les vœux de ses clients , mais, au contraire, parce qu'elle
les exauçait trop . Le curé Vianney a été jusqu'à cons-
tater publiquement quatorze miracles en une semaine.

« Jamais peut-être, dit un biographe de Philomène,


une sainte du paradis ne fut plus prompte à écouter
favorablement la prière d'un mortel ici-bas. Que
de guérisons extraordinaires se sont opérées au village
d'Ars ! Le nombre en est incalculable. Le vénérable
curé se plaignait parfois que la sainte les multipliât
trop ; il la conjurait donc de vouloir bien aller faire ses
miracles plus loin, ils lui attiraient trop de monde¹ . »

A l'église Saint- Gervais, à Paris, saint Gervais s'est


depuis longtemps laissé distancer de beaucoup par
sainte Philomène . L'origine de ce nouveau culte dans
l'ancien sanctuaire est ainsi racontée :

« Des époux pleurant une longue stérilité adres-


sèrent leur prière à l'angélique Vierge, dont la nais-
sance était venue récompenser la foi de ses parents. Ils
firent une neuvaine en son honneur et promirent de
donner son nom à l'enfant qu'elle voudrait bien leur
obtenir du Ciel . L'année suivante, leurs vœux furent
enfin exaucés ; Dieu leur donna un fils qui reçut au
baptême les noms de Marie-Joseph- Philomène 2. »

1. Petit, p. 85 .
2. Petit, p. 104.
304 Le Dossier

Singulière idée de solliciter d'une si jeune per-


sonne la faveur d'avoir un enfant ! Mais devant la
réussite, il n'y a qu'à s'incliner. Les heureux époux
possédaient une parcelle provenant du fragment rap-
porté de Mugnano par la dévote personne de Lyon . Ils
en firent deux morceaux , dont l'un , donné à Mgr de
Quélen , alla enrichir le sanctuaire de Sempigny, tan-
dis que l'autre était offert à la vénération des fidèles
dans l'église Saint - Gervais .
Au diocèse de Langres , le curé de Saulles , qui pos-
sède aussi une relique de Philomène, a pu se la faire
expédier de Rome sur une demande par écrit :

<< Nos prières ont été exaucées . Sur la fin de la neu-


vaine, on m'accordait à Rome les reliques demandées ,
avec l'authentique en bonne et due forme, et daté du
1er décembre 1836. Elles furent adressées à l'évêché .
Mgr me manda d'aller chercher moi - même mon tré-
sor ; j'y cours gaudens et exultans, et je le reçois à
genoux des mains de Sa Grandeur, après l'avoir
baisé ¹. >>

Comment, en 1836 , se faisait-il , à Rome, distribu-


tion des reliques d'une sainte dont Mugnano possédait
le corps depuis 1805 ? S'il fallait approfondir de sem-
blables détails , on n'en finirait pas *.

1. Petit, p . 157 .
2. Il semble qu'en s'adressant directement à Rome, les solli-
citeurs d'un certain rang obtiennent assez facilement toute es-
pèce de fragment de saint dont ils peuvent souhaiter la posses-
des Pèlerinages 305

Ces parcelles sont, pour la plupart, enfermées dans


un corpo santo, ce qui multiplie les images fantaisistes
de la sainte. J'ai déjà parlé de ces figures de grandeur
naturelle , quelquefois en carton pâte, plus souvent en
cire . Le saint y est représenté sous des traits d'une
beauté mièvre, dans une pose théâtrale , couvert d'ori-
peaux de soie, de galons et de bijoux en strass . Ce
simulacre humain, que rehausse l'éclat d'un costume
inaccoutumé , apparaissant couché derrière une glace,
dans un demi-jour favorable , au pied d'un autel , est
fait pour impressionner les bonnes gens dont la plupart
ne doutent pas qu'ils n'aient sous les yeux le saint lui-
même, admirablement conservé. Dans le creux de ces

sion L'ex-impératrice Eugénie ayant demandé au saint-père , en


1858, un morceau de sainte Anne, le reçut par le retour du
courrier, avec cet authentique signé du cardinal vicaire du Va-
tican :
<< Nous attestons et nous certifions à tous et à chacun de ceux
qui ces présentes verront, que nous, pour la plus grande gloire
du Dieu tout-puissant et la vénération de ses Saints, nous avons
reconnu ces saintes parcelles des os de sainte Anne, mère de la
bienheureuse vierge Marie, recueillies dans des lieux authen-
tiques (? ), ex authenticis locis extractas, et les avons révéren-
cieusement placées dans un reliquaire d'argent de forme ovale,
garni d'un seul cristal bien clos et cerné d'un lien en soie rouge,
scellé de notre sceau, et nous les avons délivrées avec faculté
de les conserver pour soi , de les donner à d'autres, de les
transporter hors de la ville et dans quelque église, oratoire ou
chapelle publique que ce soit. »
On ne pouvait spécifier plus nettement que le propriétaire du
prétendu morceau de sainte Anne expédié était libre d'en faire
absolument tout ce qu'il lui plairait. Les Gloires de sainte
Anne d'Auray , par l'abbé E. Bernard . Paris , Douniol et
Lecoffre, 1869, in- 18 , p . 136.
26.
306 Le Dossier

figures de cire on dépose les reliques , à moins que leur


exiguïté n'oblige à les présenter dans un petit reli-
quaire extérieur. On conçoit combien tout cet appareil
relève l'importance d'une parcelle qui pourrait tenir
quelquefois dans un noyau de cerise .

« Au pied de l'autel de sainte Philomène à Ars , dit


l'auteur de l'Histoire du culte de sainte Philomène,
on croit jouir de la présence de la sainte, tant la pose
du corps est naturelle et virginale ... Les visiteurs du
magnifique sanctuaire ne peuvent se lasser de contem-
pler la chaste image de la thaumaturge, doucement
endormie sur un lit de velours , dans une urne d'or et
de cristal . Une robe d'argent semble la revêtir d'in-
nocence ; les broderies d'or qui l'émaillent symbolisent
ses nombreuses et éclatantes vertus . Une chlamyde de
pourpre, insigne du martyre , ajoute une nouvelle
splendeur à la beauté de la vierge, dont la taille est
légèrement serrée par une ceinture de soie , fermée par
une agrafe de topaze . Un diadème d'or et de pierreries
couronne le front candide de la thaumaturge ; des
bracelets ornent ses mains virginales ; des bandelettes
de diamant ont servi à lui façonner une riche chaus-
sure ; des pierres précieuses forment deux splendides
rosettes fixées sur l'une et l'autre épaule, pour simuler
des agrafes et retenir la chlamyde ; d'autres bijoux sont
semés çà et là sur le corps comme autant d'étoiles
scintillantes . » ( P. 96. )

Le corpo santo de . Mugnano n'est pas costumé


des Pèlerinages 307

avec moins de luxe ; mais il faut ajouter cette particu-


larité que l'ouvrier chargé de cette œuvre d'art , ne
l'ayant pas doué d'assez de charmes naturels , la sainte,
dont on sait l'amour-propre, a pris soin de rectifier
elle-même la figure de cire qui pouvait laisser au pu-
blic une idée défavorable de sa personne .

« Le corps figuré dont on avait recouvert les osse-


ments de sainte Philomène était trop petit ; le coloris du
visage et la mauvaise disposition des dents offraient un
aspect disgracieux ; l'attitude que l'ouvrier avait donnée
à la sainte n'était pas assez décente. La châsse était
aussi de dimensions trop étroites. Mais qu'y faire,
après que tout était fini et tous les plans arrêtés pour
la translation du saint corps ? »

Qu'y faire? Rien. Avec Philomène, n'est- on pas


toujours rassuré sur l'avenir !

« Un matin, quelques étrangers ayant demandé à


voir le saint corps , on trouva la situation de la sainte
tout à fait changée. La chose paraissait incroyable ;
mais les témoins ne pouvaient se récuser . Ils avaient
vu naguère le saint corps étendu et ses genoux élevés
présentant la forme d'un angle ; et ils voyaient ceux- ci
reposant avec décence sur le petit matelas placé au-
dessous ; tandis que le reste du corps , se soulevant ,
offrait l'image d'une jeune personne assise, les yeux
fermés et comme plongés dans un doux sommeil . Le
bras droit avait aussi changé de position . La flèche qui
308 Le Dossier

tournait auparavant la pointe vers le cœur fut trouvée


placée en sens inverse . Même changement du côté
gauche. Le bras qui soutenait le lys et la palme s'était
élevé, en proportion de l'élévation du corps et de la
tête ; et cette nouvelle disposition avait dégagé une
partie de la robe de pourpre, qui, en devenant visible ,
rendait l'aspect de la sainte plus gracieux. Pour qu'il
ne manquât rien à cet ensemble de prodiges , le visage
lui-même avait perdu ses premiers traits , et s'était
singulièrement embelli ; de plus , Dieu , voulant glorifier
sa servante, fit croître des cheveux dans les tresses de
soie dont on avait couvert la tête de la statue. Ces
cheveux voilaient l'épaule gauche et flottaient çà et là
avec une élégante légèreté ¹ ..

<< Plus tard et à différentes reprises , ajoute une note,


les vêtements grandirent en proportion du merveil-
leux accroissement du corps . Ce sont de ces cheveux
et de ces vêtements miraculeux que nous voyons pré-
senter à la vénération des fidèles, avec l'approbation*
de l'autorité ecclésiastique , dans les sanctuaires dédiés
à la thaumaturge . »

Tout ceci ne donne encore qu'une faible idée des


prodiges dont Philomène s'est plu à stupéfier le
monde des dévots . Je ne dirai rien des innombrables
merveilles qu'elle a opérées dans l'ordre thérapeutique ;
il y faudrait consacrer trop de pages. Les malades gué-

1. Petit, p. 55 .
des Pèlerinages 309

ris à la suite d'invocations ou de neuvaines, ou par


application d'images et de reliques de la sainte, ou par
friction avec l'huile qui brûle devant ses autels , la
multiplication même de cette huile dans les godets
pour fournir à des besoins plus nombreux ' , sont au-
tant de faits qui nous sortiraient peu d'ailleurs du pro-
gramme accoutumé. Tout au plus mentionnerai -je le
caractère trop intéressé de certaines cures, par exemple ,
lorsque le curé d'Ars fait savoir à son collègue de Thi-
vet que la guérison qu'il demande ne lui sera accordée
<< que s'il fait honorer la thaumaturge dans sa paroisse >>
(p . 139) ; et encore lorsque la sainte ne se décide à
sauver un malheureux en danger de mort que sur la
promesse d'un autel en marbre ( p . 37 ) . L'humeur peu
endurante de Philomène, qui nous est déjà connue par
l'aventure des coups dans les jambes , achève de se ré-
véler, quand on la voit frapper de cécité un prêtre qui
hésite à lui ouvrir un nouveau sanctuaire (p . 68) ; et
précipiter le départ pour l'autre monde d'un opulent
égoïste qui ne veut donner d'argent pour l'une de ses
chapelles que par testament 2 .
Cette magnifique histoire figure , en compagnie de
quelques autres , sous la rubrique : « Quelques traits

1. « Il y eut des multiplications plus merveilleuses encore,


telles que celles des images de la sainte martyre et des livres
écrits en son honneur. Il arriva qu'au lieu de deux cents exem-
plaires qu'on avait reçus, on en distribua jusqu'à cinq cents.
Plus on donnait, plus le petit magasin se trouvait abondam-
ment fourni. » Petit, p. 63.
2. Vie de sainte Philomène, Toulouse, Resplandy , in‑32 ,
P. 38 .
310 Le Dossier

de juste sévérité exercés par sainte Philomène . » Phi-


lomène , sainte sévère mais juste , a heureusement de
meilleurs moments. Par exemple , si l'on a flatté sa
vanité en donnant son nom à un enfant, elle s'en
montre très reconnaissante . Quand les petites Philo-
mènes sont malades, elle vient les visiter, elle leur
apporte des douceurs ; à l'occasion même elle leur res-
titue les membres qu'elles ont perdus :

« Cette espérance ne fut pas vaine . Deux jours après


la fête de la sainte, Philomène recouvra le doigt qu'elle
avait perdu . Ce n'était pas le même d'auparavant
qu'on avait porté au cimetière, mais un autre , et ,
quoique proportionné au reste du pied , il était facile
de reconnaître qu'il se trouvait là par une opération
extraordinaire ¹. »

<< Si on voulait raconter tous les prodiges qu'elle


opère dans ce sanctuaire béni , dit à propos d'Ars un
de ses panégyristes , il faudrait un bien gros volume .
Ces faits étonnants sont si nombreux, que la chapelle
de la sainte, ne pouvant plus contenir les ex- voto qui
les rappellent, on les entasse les uns sur les autres par
centaines et peut-être par milliers . La quantité des
béquilles déposées en signe de guérisons est telle , qu'on
a dû les grouper par énormes faisceaux aux deux côtés
de l'autel . On y voit aussi tous les genres de bandages
et de mécanismes destinés à soutenir les membres

1. Petit, p. 66.
des Pèlerinages 311

infirmes du corps humain. Quels trophées que ceux-


là 4 ! »

Ces trophées témoignent du moins de miracles


utiles . Dans l'ordre des miracles de simple agrément,
je signalerai les images de sainte Philomène qui se
proměnent dans les appartements (p . 60) ; ou qui se
tiennent perpendiculaires au sol quand on les laisse
tomber (p . 61 ) ; double expérience de physique céleste
et amusante que l'auteur de l'Histoire du culte de
sainte Philomène appelle « les admirables jeux de la
divine Puissance » .
C'est un des priviléges de l'Italie que pour un rien
les statues de saints y sont baignées de sueur ou bien
remuent les yeux . La statue de Philomène à Mugnano
a donné le spectacle d'une transpiration que les annales
dévotes enregistrent avec orgueil :

« Trois étrangers , étant entrés dans l'église pour vé-


nérer le saint corps , vinrent s'agenouiller devant la
statue et firent en même temps l'observation qu'il y
avait à l'extrémité du menton un globule brillant
comme le cristal. L'un d'eux se lève , y porte la main ,
et la retire mouillée d'une substance liquide et gluti-
neuse qu'il présente à ses compagnons, et ceux-ci
avec lui se l'appliquent dévotement sur le front. Re-
portant ensuite les yeux sur le visage de la statue , ils
voient qu'il en sortait de tous côtés une sueur prodi-

1. Petit, p. 102.
312 Le Dossier

gieuse, telle que la provoque une grande chaleur dans


les corps vivants et animés . Se réunissant ensuite en
gouttelettes, et celles-ci en deux petits ruisseaux, l'u-
nion de l'un et de l'autre venait s'opérer sous le men-
ton , et de là ils descendaient comme un fil épais sur
la poitrine. Les couleurs de la sainte paraissaient vi-
vement animées et ses yeux brillaient d'un éclat sur-
prenant . Les témoins de cette merveille en appelèrent
d'autres. Dom François et le curé de la paroisse accou-
rurent aussi . Ils examinent, ils palpent ; c'était, disent-
ils, comme une espèce de manne cristalline qui avait
quelque chose de doux et de visqueux , qui retenait et
repoussait le tact . La foule dont en un instant l'église
fut remplie, en voyant la sueur et le visage enflammé
de la statue, se mit à crier : Miracle ! Miracle ! Des
larmes coulaient de tous les yeux ; les deux pieux ecclé-
siastiques en versèrent aussi de joie et de tendresse.
Mais, pour contenter la dévotion du peuple [et mieux
s'assurer de la vérité, ils firent descendre la statue de
son piédestal, et la placèrent sur le pavé de l'église , au
milieu de plusieurs cierges allumés . De cette manière,
tous purent considérer de près le signe merveilleux
que le ciel leur donnait de sa puissance et du désir
qu'il a de voir honorer les statues des saints ¹ . D

Nous avions le langage des fleurs ; c'est ici le lan-


gage des sueurs . Des gouttelettes perlant sur une statue,
nous en devons tirer la conclusion que Dieu veut

1. Petit, p . 58 .
des Pèlerinages 313

qu'on l'honore. Étonnante traduction d'un fait en lui-


même peu surprenant : celui d'un morceau de bois
qui transpire.
Quant au sang de Philomène, il n'est pas de fantai-
sie qu'il ne se permette dans la burette où il a été re-
cueilli . Quand il s'avise de se liquéfier, ce qui lui
arrive de temps à autre , les spectateurs le voient s'illu-
miner soudain des nuances les plus diverses :

<< Tantôt c'est le rubis, tantôt c'est l'émeraude qui


domine ; leur éclat est comme terni par une légère
couche de cendre . Une fois seulement on le vit s'effa-
cer totalement, et les yeux épouvantés de ceux qui en
furent les témoins ne virent plus dans l'urne sainte
qu'un peu de terre ordinaire . Mais bientôt cette nou-
velle merveille cessa ; et ce fut quand les yeux indignes
d'un personnage, mort peu après subitement, eurent
aussi cessé de profaner de leurs regards la sainteté de
ces vénérables reliques ¹. »

Rien de plus facile à expliquer qu'un miracle de ce


genre. Un jour un homme de bon sens s'est approché
de la fiole et il a dit à ceux qui la regardaient, ébaubis :
< Où voyez-vous là des rubis ? où voyez-vous là des
émeraudes ? Cette fiole , à travers sa teinte cendrée,
présente des tons irisés comme la plupart des verres qui
ont séjourné longtemps dans le sol . Que monsieur qui
tient la fiole veuille bien cesser de la remuer et les

1. Petit, p. 53.
27
314 Le Dossier

parcelles intérieures que le temps a détachées cesseront


de rouler les unes sur les autres avec des éclats de
pierres précieuses. » Et comme le prêtre cessait d'agiter
la fiole, on n'a plus rien vu qu'un peu de terre au
fond, et le prêtre s'est écrié : « Devant des yeux in-
dignes , le miracle cesse ; c'est un nouveau prodige ! »
Les légendes ne se forment pas autrement.
A vrai dire, je ne me chargerai pas d'expliquer le
miracle suivant. Mais il convient d'ajouter que cette
nouvelle transformation du sang de Philomène a été
vue avec les yeux de la foi :

« En l'année 1872 , un missionnaire apostolique


ayant fait le pèlerinage de Mugnano, les parcelles sa-
crées prirent, en sa présence, la forme des sacrés cœurs
de Jésus et de Marie. » (P. 53.)

Des parcelles de sang séché prenant toutes seules la


forme de deux cœurs , c'est raide ; il fallait cependant en
arriver là , attendu qu'il n'y a plus de bonne dévotion
sans sacré cœur. Le sacré cœur est comme la muscade
du poëte. Ceux qui l'aiment doivent être aux anges,
car on en a mis partout. L'union de Philomène et du
sacré cœur est déjà consacrée par la peinture dans
l'église de Crépy , au diocèse d'Arras . Il fallait orner
d'une toile le rétable d'un des autels.

« On supposa, écrit le curé de Crépy, une extase


dans laquelle la jeune martyre avait vu le Sauveur du
monde lui apparaître dans son cachot, et lui montrer
des Pèlerinages 315

de la main droite le ciel, de la gauche son cœur ado-


rable, d'où des flots de grâces se répandent sur la
terre. » (P. 151.)

Pour le coup, voilà Philomène marchant en plein


dans les plates-bandes de, Marie Alacoque. Pour ceux
qui ignorent que cette peinture est une suppo-
sition », il devient évident que Philomène a dû voir,
en effet, Jésus lui présenter son cœur. Dans quelques
années , n'en doutons pas, l'histoire enregistrera le fait.
Une quatrième révélation de Philomène au curé de
Crépy suffira d'ailleurs à en faire un article de foi, et
la sainte a toujours montré assez grand souci de sa
gloire pour ne pas regarder à un petit dérangement
lorsqu'il s'agit de confondre les incrédules.
VI

LES PÈLERINAGES

Les pèlerinages dits « nationaux » . Leur origine. - Leur


caractère politique. Les nouveaux croisés. · Organisation
des pèlerinages. - Leur public . La part du tourisme .
Les pèlerins intéressés . Les pèlerins par procuration et les
pèlerins d'intention . Les commencements de guérison .
Le miraculé de Maine - et- Loire . S'il y a des guérisons vraies.
— Le secret des rechutes . Les victimes . La mort du
pèlerin considérée comme une faveur . Tout est faveur pour
celui qui pèlerine . - Les offrandes très recommandées .
La terre d'or.

Parmi les titres de gloire de Philomène, un des


moins connus , sinon des moins curieux , est d'avoir
inspiré les pèlerinages « nationaux » .
Vers la fin de 1871 , un prêtre de Saint- Gervais ,
1 se
qui attendait avec impatience << un sauveur «
trouvait à Ars, lorsque lui vint l'idée d'un pèlerinage

1. Petit, p. 123.
27.
318 Le Dossier

de Paris à la Salette, dans le but d'implorer de la


Vierge le salut de la France, qui venait précisément
de sortir d'embarras , et la délivrance du saint-père,
que, d'après une légende intéressée, il aimait à se re-
présenter chargé de chaînes ,
« Trop jeune, nous dit-on , pour prendre une ini-
tiative à laquelle se refusait d'ailleurs sa modestie , » le
prêtre en question communiqua son idée aux religieux
augustins de l'Assomption , qui, ayant beaucoup de
temps à perdre , s'empressèrent de la mettre à exécu-
cution. Quelques fidèles , racolés avec une certaine
peine , prirent , en février 1872, le chemin de la sainte
montagne, sur laquelle fut improvisé le Conseil gé-
néral des pèlerinages, sorte d'agence centrale qui di-
rige depuis cette époque le mouvement des pèlerins
sur les routes de France et d'Italie.
Vous ne voyez peut-être pas beaucoup là-dedans le
rôle de Philomène ; mais remarquez que le jeune prê-
tre avait eu son idée dans l'église d'Ars , où l'on con-
serve un fragment de la prétendue sainte. Le jeune
prêtre ne douta pas que ce fragment ne l'eût inspiré,
d'où le titre d'inspiratrice des pèlerinages nationaux
qu'on accole orgueilleusement au nom de Philomène.
Il est difficile de conquérir un titre honorifique à
meilleur marché .
Le premier soin du Conseil général fut d'aller cher-
cher à Rome la sanction officielle de son œuvre .
Pie IX ne pouvait manquer de faire bon accueil à de

I. Petit, p . 132 .
des Pèlerinages 319

chauds partisans dont le but nettement accusé était


de lui remettre sur la tête sa couronne temporelle .

« Nous voulons restituer à notre patrie sa mission ,


dit le 6 porte- parole du Conseil, rendre à l'Église sa
fille aînée, au pape son défenseur. »

Ce à quoi le pape répondit :

« Comme saint Pie V, dont nous célébrons au-


jourd'hui la fête , obtint par l'intercession de la sainte
Vierge Marie la victoire sur les Tourcs, espérons
que nous aussi obtiendrons de supérer (superare) les
ennemis de l'Église qui sont les mauvais Tourcs de
nos jours ¹. »

Puis il donna comme signe de ralliement aux nou-


veaux croisés » ― le terme n'est pas de nous la
croix de flanelle rouge de ses anciens zouaves . Les
pèlerinages nationaux » , autrement dits « pèlerinages
politiques , étaient fondés. Depuis, chaque année ,
au mois de mai , dans un pèlerinage qui ouvre la série
des autres manifestations de ce genre , le Conseil
général n'a cessé de venir régulièrement prendre son
mot d'ordre au Vatican .
L'hymne qui devait conduire les fidèles au com-
bat, je veux dire à la prière, ne pouvait être qualifié

1. « Nous n'oublierons jamais l'accent de cette phrase, » dit


M. Bournisien dans son rapport à l'Assemblée générale. Voir
Assemblée générale des comités catholiques de France . Paris,
1873 , gr. in- 18, p. 290.
320 Le Dossier

de moins, à son tour, que de « national » . Le fameux


refrain :

Sauvez Rome et la France !

présenté par le Conseil général comme devant rem-


placer la Marseillaise ¹ , devint le mot d'ordre des pè-
lerins , mot d'ordre où se résument dans une admirable
concision les voeux des entrepreneurs de pèlerinages .
Sauver Rome, c'est- à -dire revendiquer contre les Ita-
liens l'ancien domaine de saint Pierre ; sauver la
France, c'est-à-dire lui rendre un gouvernement mo-
narchique , ayant pour point d'appui le clergé . Il
n'est pas jusqu'à l'idée de nommer Rome avant la
France qui ne trahisse une intention celle de mar-
quer que nous devons nos cœurs au Vatican avant de
les devoir à la patrie 2.
Je renvoie ceux qui douteraient de cette traduction
aux textes nombreux qui en sont la paraphrase ; et
tout d'abord à cette affirmation de l'adresse à Pie IX ,
solennellement signée dans tous nos pèlerinages en
1873 : Le salut de la France, c'est le triomphe de
l'Eglise. On n'est pas plus franc.

I. « Le cantique du Sacré-Coeur, cet hymne enfant de Mar-


seille qui remplacera un jour dans nos chants nationaux
l'hymne de sang et de haine que je ne nommerai pas ici . »
Assemblée générale des comités catholiques de France. Paris,
1874, p . 220.
2. L'Église, c'est notre patrie,
Le Pape seul en est le roi.
Manuel complet des Pèlerinages, publié par le Conseil gé-
néral, Haton, in-32 , p . 172 .
des Pèlerinages 321 .

La même année, au mont Saint- Michel, le prêtre


chargé d'évangéliser les pèlerins se plaît à insister sur
cette pensée :

« L'éloquent orateur, dit le Pèlerin, a pris texte du


refrain du cantique à saint Michel : « Rends - nous nos
anciens jours, » pour nous dire l'obligation où nous
sommes, dans ces heures providentielles de rénovation
de la France (la rénovation par les pèlerinages) , de
reprendre la foi des anciens jours, la simplicité de
mœurs des anciens jours et surtout la soumission
des anciens jours, soumission sans restriction à la
voix autorisée de l'Église, soit qu'elle parle par ses
conciles , soit qu'elle parle par la bouche de l'infailli-
ble Vicaire de Dieu en terre . Il faut en finir avec les
ménagements vis-à -vis des démons de la société
moderne, le rationalisme , le libéralisme , la révo-
lution ¹. >

Ainsi plaçons l'Église au pinacle . Abandonnons - lui


sans réserve tous les droits ; quoi qu'elle fasse ou quoi
qu'elle ordonne , inclinons- nous devant ses décisions
souveraines, notre salut est à ce prix. Le salut de la
France ! Pauvre France , tu ne t'imaginais pas être
si malade ; mais , puisque tu as des sauveurs tout
prêts, il faut bien que tu aies besoin d'être sauvée . Et
voilà pourquoi nous entendons le chœur de nos évêques
déplorer les tristesses du présent et les menaces de l'a-
venir, déclarer que « nous marchons à la barbarie et à

1. Le Pèlerin, Ire année, p. 231.


322 Le Dossier

la ruine » , gémir sur nos turpitudes, et nous crier


d'expier nos « crimes » , dont le plus grand est d'avoir ,
en 1789 , décrété l'égalité de tous devant la loi.
Ce caractère de protestation des pèlerinages contre
les conquêtes de la Révolution , il reparaît à chaque
instant dans les harangues catholiques ! Ici , c'est le
père mariste Souteyran déclarant à Fourvières que les
pèlerins qu'il conduit y sont venus « pour l'expulsion
de ce venin révolutionnaire qui la ronge et la dévore
depuis quatre-vingts ans » . Là , c'est le rapporteur de
l'Assemblée générale des comités catholiques montrant
les cent cinquante députés de la droite qui se sont
rendus à Chartres en 1873 « abjurant par leur pré-
sence quatre-vingts ans d'incrédulité officielle¹ ».
C'était alors le beau temps des pèlerinages politiques.
Dans la cathédrale même où cent cinquante députés
venaient abjurer, dans ce qu'ils appelaient une ma-
nifestation nationale » , quatre-vingts ans d'incrédulité
officielle, on pouvait entendre Mgr Pie s'écrier :

<< Les voyez-vous sur tous les points du globe, ces


caravanes saintes que des centaines de chars apportent
à toute vapeur vers les lieux marqués par les appari-
tions et les miracles de la puissance divine . Quel est
cet ébranlement subit qui prend les proportions d'un
phénomène social et qui entraîne dans un élan com-
mun tous les âges et toutes les conditions ?
» La pensée de toutes ces âmes, personnification de

1. Assemblée générale des comités catholiques, 1874, p. 219.


des Pèlerinages 323

la société chrétienne , je la trouve au livre d'Esther,


laquelle, nous dit l'historien sacré, priait et conjurait
le Seigneur, Dieu d'Israël , en disant : « O vous Sei-
>> gneur, qui êtes notre unique Roi (le descendant de
» David était en exil) , venez à mon aide dans mon
isolement . >>>
» Tel est le cri de Rome, le cri de l'Église persécu-
tée par les uns, trahie par les autres , délaissée de tous.
Tel est le cri de la France , qui attend un chef, qui ap-
pelle un maître , qui n'en a pas , et qui , sans alliance
au dehors, sans cohésion et sans force à l'intérieur, n'a
d'espoir que dans le Roi des Cieux ¹ . »

Il était difficile, sous le régime républicain , de ré-


clamer un roi avec plus de clarté et avec plus d'a-
plomb.
Les croix de flanelle rouge firent pour la première
fois leur apparition en cette circonstance : <« coïnci-
dence pleine d'avenir, remarquait le rapporteur du
comité des pèlerinages, car, ne l'oublions pas, c'est
dans la basilique de Notre- Dame de Chartres qu'en
1146, saint Bernard a prêché la seconde croisade. »
On était en pleine tentative de fusion , période de
grosses intrigues ourdies par de petits hommes , et
qui paraît devoir fournir à l'histoire des éléments
moins graves que bouffons. Le Pèlerin, rendant
compte de la manifestation de Notre- Dame de France,
au Puy, manifestation plus nationale que jamais !
écrivait :

1. Assemblée générale des comités catholiques, 1874, p. 218 .


324 Le Dossier

« Après un discours de Mgr Duquesnay, qui a été


une exhortation véhémente à prier Dieu en faveur
d'un dénoûment que l'orateur sacré entrevoit dans
un avenir prochain , les cris de Vive Pie IX ! vive la
France! se sont fait entendre ¹ . >>

Et bientôt Mgr de la Bouillerie , coadjuteur de l'ar-


chevêque de Bordeaux , allait tenir publiquement ce
langage aux membres de l'association de Notre- Dame
de Salut :

< On raconte de l'un de nos premiers rois qu'un


jour, écoutant le récit de la passion du Sauveur , il
saisissait d'une main frémissante la garde de son épée
et s'écriait : Que n'étais-je là avec mes Francs ! ...
» Je m'imagine que, du fond de sa prison du Vati-
can, notre glorieux Pontife , abreuvé de tous les ou-
trages de l'Italie , a souvent répété en lui-même cette
parole : Si Clovis était là avec ses Francs 2 ! »

Malheureusement Clovis devait rester à Froshdorf.


Mgr de la Bouillerie aura pu , depuis cette conférence ,
en faire une autre aux associés de Notre- Dame de
Salut sur ce thème connu qu'il y a loin de la coupe
aux lèvres .
Il n'est pas sans intérêt de remarquer que l'associa-
tion de Notre- Dame de Salut, qui a pour but principal

Le Pèlerin, 1 année, p . 351 .


1
· Pèlerin, 1'e année, p. 893.
des Pèlerinages 325

l'encouragement de ces cercles ouvriers où l'on pousse


si bien à la haine des citoyens les uns contre les
autres , est, depuis quatre ans, l'inspiratrice ou la
propagatrice de toutes les prières qu'on a assez heu-
reusement qualifiées de « prières sociales » : la croisade
permanente de prières «< pour toutes les causes qui sont
chères aux catholiques français » ; la neuvaine à saint
Joseph « pour la délivrance du pape et le salut de la
France » ; l'année de prières et de pénitence dite
sainte croisade d'expiation » ; l'œuvre pour la con-
version de Paris » ; toutes plus ou moins , enrichies
d'indulgences par Pie IX. Quand l'association de
Notre- Dame de Salut n'imagine pas un nouvel ordre
de prières, elle se rattrape en organisant des neu-
vaines préparatoires aux prières imaginées par les
autres. Nous lui devons déjà les neuvaines prépara-
toires aux prières publiques votées par l'Assemblée ;
la neuvaine préparatoire à la fête de l'Immaculée-
Conception ; la neuvaine préparatoire à la Consécra-
tion du Sacré-Cœur ; enfin , les neuvaines et les prières
préparatoires aux élections générales dans lesquelles
on demandait encore une fois à Jésus , à la Vierge et à
saint Joseph le salut de la France, c'est-à -dire la nomi-
nation d'une Chambre réactionnaire. Il faudrait n'avoir
lu aucune des pieuses correspondances, aucun des
mandements électoraux provoqués par les prières pré-
paratoires pour nier le caractère politique qui s'y atta-
chait. Il n'est pas jusqu'aux dominicaines du Saint-

1. Voir p. 289.
28
326 Le Dossier

Rosaire qui, « frappées de l'incidence très opportune


du quatrième mystère joyeux » , ne se soient em-
pressées d'accueillir l'idée de demander au Ciel de
bons députés , << en ces jours si menacés par les vol-
tiges du suffrage universel¹ . »
Or , il est assez piquant de constater que cette œuvre
de Notre-Dame de Salut a pour directeur le même
père Picard des augustins de l'Assomption , qui dirige
le Conseil des pèlerinages , et que ces deux œuvres , jus-
tement qualifiées d'œuvres sœurs, ont pour organe de
publicité le même journal : le Pèlerin . Assurément
ceux qui ont nié de bonne foi le caractère politique des
pèlerinages dits nationaux, n'ont jamais pris la peine
d'apprendre toutes ces choses .
S'il était besoin d'ajouter encore une preuve à tant
d'autres, je la trouverais dans le dernier rapport du
Conseil des pèlerinages à l'assemblée générale des
comités catholiques . On y sent percer un abattement
singulier :

« L'œuvre des pèlerinages est implantée partout, dit


le rapporteur ; dès lors, son Conseil général n'a plus
qu'à se retirer. Nous l'avons cru un instant. Mais , du
fond de sa prison , la voix du maître s'est fait entendre :
<< Marchez , marchez toujours , ne vous arrêtez pas ; »
et aujourd'hui encore, dans une nouvelle lettre, il
nous dit : « Ces pèlerinages sont ma joie, ma consola-
» tion , un véritable encouragement pour moi . Quel-

1. Le Pèlerin, 3º année, p. 602 .


des Pèlerinages 327

>> ques personnes disent : A quoi bon ? qu'avons-nous


» obtenu ? Erreur ! vous obtiendrez bientôt. La France
>> surtout fait des pèlerinages , qu'elle continue ; cou-
» rage et patience ; la France ne peut périr ; elle est
>> indispensable à l'Église . » Qu'avons-nous à faire,
messieurs, en face de cette invitation et de ces conso-
lantes paroles ? Reprendre la croix du pèlerin et
marcher ¹ .

Cette croix qu'on reprend, pourquoi voulait-on la


quitter? Le comité a- t- il en réalité tellement implanté
son œuvre chez nous que toute direction générale soit
désormais inutile ? Il serait naïf de le supposer. Et
d'ailleurs, quand a-t-on vu . jamais des chefs aban-
donner leurs soldats à eux - mêmes sous prétexte qu'ils
sont habitués à vaincre ? La forfanterie , cela est clair,
n'est ici que le masque du découragement. Et ce dé-
couragement, la cause en est facile à dire . Entre les
provocations bruyantes des précédents rapports et le
début gêné de celui-ci , un grand fait politique s'est
accompli qui renverse bien des espérances : le vote
d'une Constitution . Le comité qui attendait Clovis est
fort déconfit. Si une voix ardente ne l'excitait , il
serait capable de rester en panne avec ses oriflammes
sur les bras ; mais du Vatican , la voix lui crie :
<< Marche, marche , marche encore ! » Et le comité
marche, car c'est du Vatican que lui viennent les
ordres.

1. Assemblée générale des comités catholiques, 1876, p . 205.


328 Le Dossier

Donc l'œuvre continue . Le comité, quoique décou-


ragé, ne désarme pas. S'il met une sourdine à ses
espérances politiques, il n'en continue pas moins les
provocations à l'extérieur, et sa guerre à la société mo-
derne, désignée sous ce terme aussi large que retentis-
sant la Révolution.

« Les pèlerins sont l'armée du peuple de Dieu , disait


le Pèlerin, résumant un discours du pape aux Ven-
déens , en décembre 1875, ils font le tour de Jéricho ,
c'est-à-dire de la cité de Satan , de la Révolution , et,
s'ils ont confiance, la cité s'écroulera d'elle-même ¹ . »

Un de ceux qui nient avec le plus de vivacité le ca-


ractère politique des pèlerinages , Mgr de Ségur, écrit
dans un des petits volumes de propagande dont il est
si prodigue :

<< Les pèlerinages, surtout les grands, sont une in-


spiration providentielle destinée à ressusciter la patrie
ensevelie, étouffée depuis près de deux siècles sous les
scandales publics de toute nature ² . »

Pour Mgr de Ségur, ce n'est plus assez de remonter le


passé de quatre-vingts ans, c'est à près de deux siècles
qu'il voudrait retourner en arrière. Près de deux siè-
cles, cela nous reporte tout juste au temps glorieux

1. Le Pèlerin, 3º année, p . 438 .


2. La France au pied du Saint-Sacrement, par Mgr de Ségur,
7º édit. Paris, Tolra, in- 18, p . 13 .
des Pèlerinages 329

des dragonnades. Monseigneur ne pouvait donner


plus clairement à entendre que le dernier acte poli-
tique digne de son approbation est la révocation de
l'édit de Nantes. Il ne se borne pas, du reste , à le
laisser entendre, car, dans la longue énumération des
scandales dont nous donnons le triste spectacle, entre
<< l'empoisonnement systématique de la jeunesse » et
<< l'oppression et les entraves de toute sorte aux saintes
expansions de l'autorité et de la liberté catholiques » ,
il fait figurer << les détestables tolérances légales de
l'athéisme et de l'hérésie. »
Ainsi la tolérance légale de l'athéisme , lisez libre
pensée, celle de l'hérésie , c'est-à-dire des religions.
dissidentes , est un état de choses détestable, et c'est
contre cet état de choses détestable que protestent les
pèlerinages . A coup sûr, les pieuses gens enrôlées dans
ces foules bruyantes ne se doutent guère qu'elles font,
en s'y mêlant, acte de rébellion contre les lois de leur
pays qui proclament la liberté absolue de conscience
et le libre exercice des différents cultes .
Soupçonnent-elles davantage qu'en entonnant cer-
tains refrains violents elles font appel à la guerre avec
l'étranger :

Pie IX attend sa délivrance,


A la merci d'enfants pervers ..
Satan t'accuse d'impuissance ;
Brise enfin l'orgueil des Enfers ¹ !

1. Chants pour les pèlerinages vendéens à Notre-Dame de


Lourdes. Avec approbation de l'évêque de Luçon . 1873, in- 18.
28 .
330 Le Dossier

Ou bien encore :

Rome est en proie à la démagogie !


Rome gémit sous un joug oppresseur!
Mais nous verrons la secte anéantie ;
Comme toujours le Christ sera vainqueur!

Levons-nous tous, soldats du Sacré-Cœur !

Levons-nous tous ! sauvons Rome et la France!


Ne craignons point d'infernales clameurs !
Prions la Vierge ! Elle est la délivrance ;
Du roi-pontife elle aide les vengeurs !
Levons-nous tous, soldats des Sacrés-Cours ! 1.

J'ai entendu des femmes, des enfants , chanter cela


de toute la force de leurs poumons. Si l'on eût pris à
part une de ces femmes, un de ces enfants et qu'on leur
eût demandé : « Quoi ! madame, quoi ! chère petite,
voudriez-vous vraiment que monsieur votre mari , que
monsieur votre père allât se battre au loin pour que le
pape ait dans l'Italie un État à lui ? » Nul doute qu'elles
ne se fussent vivement récriées : « Oh ! mais pas du
tout, monsieur ! >>
Il est impossible de nier le caractère politique des
pèlerinages ; mais ce caractère, il ne faut pas l'exagérer
non plus. Si les instigateurs de ces mouvements savent
très-bien quel but se cache derrière de prétendues ma-
nifestations pieuses, la foule qui les suit n'en a qu'une
très-faible idée .

1. Milice de la prière, cantique de Notre-Dame de Chartres


et de Paray-le-Monial. Paroles de C. P., musique de madame
K. Chartres, impr. Langlois, in-32.
des Pèlerinages 331

Les pèlerins de 1873 ont été tous invités par leurs


conducteurs à signer une adresse au pape, expédiée au
Vatican sous forme de nombreux volumes, et dans
laquelle on lisait :

<« Vous seul pouvez nous montrer le chemin de la


victoire. Continuez à éclairer notre marche par vos
enseignements infaillibles , dirigez-nous dans la voie
tracée par le grand et glorieux Syllabus...
» Le salut de la France, c'est votre délivrance.
» A vous nos cœurs , à vous nos esprits, à vous la
puissance de notre patrie, à vous le sang de nos en-
fants ¹ . >>

Que les vieilles demoiselles, que les petites filles , que


la foule des prêtres et des religieuses présents aient of-
fert au pape, sans plus marchander, le sang de leurs
enfants, ce n'est pas ce qui pouvait les embarrasser
beaucoup . Mais pense-t- on que la masse ignorante,
qui fait le fond du personnel des pèlerinages , eût expli-
qué avec le même entrain ce que c'est que « le grand
et glorieux Syllabus » ?
La vérité, c'est que la masse des pèlerins n'est qu'un
jouet entre les mains de quelques meneurs qui vou-
draient les fanatiser. Mais le mal qu'on se donne pour
le recrutement de ces troupes innocentes doit nous
rassurer sur l'issue de la lutte trop disproportionnée
engagée par ces revenants du passé contre les repré-

1. Manuel complet des pèlerinages, p. 22 .


332 Le Dossier

sentants de l'avenir, par l'esprit de routine contre l'es-


prit de libre examen.
Au comité central , siégeant à Paris, se sont reliés
peu à peu des comités de province . Ce sont eux qui
provoquent les pèlerinages, veillent à leur organisa-
tion, tracent les itinéraires ¹ , s'entendent avec les com-
pagnies de chemins de fer et les voituriers pour les
transports , envoient des prospectus 2 , et versent à l'oc-
casion les fonds nécesssaires pour l'expédition de quel-
ques représentants .
La tâche de ces comités serait toutefois bien ingrate
sans le concours des évêques. Sur un appel parti de
l'évêché, le menu clergé se met en branle. A moins
d'encourir volontairement la disgrâce de leur supé-
rieur hiérarchique , il serait difficile aux curés de ne
pas faire preuve de zèle. Non- seulement ils payent de
leur personne en cette circonstance, mais ils amènent
encore avec eux le petit personnel qu'ils ont réussi à
recruter.

1. Des programmes règlent toutes les occupations de chaque


journée, heure par heure :
◄ 7 h. Messe de communion générale ;
» 8 h. Déjeuner ( café au lait et chocolat ) ;
» 9 h. Vénération des reliques, » etc. 1. Le Pèlerin, 1ºº an-
née, p. 105.
Ces programmes renvoient de loin en loin à certaines prières
du Manuel publié par le Conseil général . « Celui, dit le Pè-
lerin, qui fera toutes les prières marquées peut être tranquille
sur son pèlerinage » 4° année, p . 144 .
2. Le signataire d'un des prospectus que nous avons sous les
yeux se qualifie « directeur du mouvement ».
des Pèlerinages 333

C'est ainsi qu'on voit traîner aux pèlerinages ces lé-


gions d'enfants qui forment, avec les prêtres et les
membres des communautés, la majeure partie des
manifestants . L'évêché va jusqu'à préciser à ces en-
fants, pour qui la manifestation est d'ailleurs une
partie de plaisir, la tenue qu'ils auront. Nous lisons
dans un « avis préliminaire » de l'évêché de Chartres
aux curés du diocèse :

« Nous serions heureux de voir, si ce n'est toutes ,


au moins un grand nombre des paroisses du diocèse
s'associer à cette manifestation religieuse. MM . les
curés pourront donc , ils devront même engager leurs
paroissiens à se rendre à Chartres au jour désigné ci-
dessus. En outre, nous les invitons spécialement à y
députer, chacun de leur paroisse respective, cinq ou six
jeunes filles vêtues de blanc, dont quelques-unes por-
teraient une bannière de la sainte Vierge avec ses
glands et une autre d'entre elles tiendrait soit une
branche de lis à la main, soit une couronne de fleurs
déposée sur un coussin ou un cœur , etc.
» Messieurs les curés qui seraient dans l'intention
et en mesure de répondre à nos désirs , sont priés de
vouloir bien nous le faire savoir par une lettre sous
bande, à l'adresse de monseigneur . »

Excellente manière de constater ceux qui auront ou


non répondu au vœu de Sa Grandeur.
En vue de grossir le public, l'association de Notre-
Dame de Salut, dont nous avons dit le degré d'inti-
334 Le Dossier

mité avec le Conseil général des pèlerinages, expédie


sur le lieu de la manifestation les ouvriers de bonne
volonté de ses cercles . D'autre part, afin d'encourager
les organisateurs , le grand Conseil a obtenu du pape, à
leur intention , trois cents jours d'indulgences, « toutes
les fois qu'ils accompliraient un acte pour organiser
ou favoriser un pèlerinage » . Sur de nouvelles instances,
la faveur a augmenté et Pie IX accorde maintenant :

<< Une indulgence plénière pour chacun des pèle-


rinages organisés par le Conseil général ou par les di-
vers comités unis à lui, ainsi qu'à tous les fidèles qui
y prendront part ¹. >>

Prodigue de ces faveurs qui lui coûtent peu , le Con-


seil général a encore imaginé d'appliquer aux pèleri-
nages les « bénédictions télégraphiques » , sollicitées de
Rome avec réponse payée et reçues sur place avant la fin
de la cérémonie. Mais ce qui , plus que les faveurs spi-
rituelles, a certainement contribué au succès de son
œuvre, c'est le rabais de 50 0/0 , et quelquefois davan-
tåge , obtenu par lui des compagnies de chemin de
fer pour le transport des pèlerins . On ne s'en est pas
tenu aux trajets directs : nous avons vu le pèlerinage
transformer les manifestations pieuses en promenades ,
et mettre à la portée de toutes les bourses un petit
tour de France ou d'Italie.

1. Le Pèlerin, 3° année, p. 35.


2. De Paris à Issoudun, le trajet est coté pour les pèlerins à
11 fr. 60 c . , aller et retour, au lieu de 32 francs,
des Pèlerinages 335

« A Turin, les pèlerins se muniront de billets cir


culaires qui leur donneront le droit de parcourir l'Italie
septentrionale et l'Italie centrale jusqu'à Rome . Ils
pourront visiter Turin , Alexandrie, Gênes, Pise, Li-
vourne, Civita-Vecchia , Rome, Foligno , Florence ,
Pistoie, Bologne, Padoue , Venise , Vérone, Milan ,
Turin. Ceux qui voudraient commencer par visiter
Milan, Vérone, etc. , ont le droit de le faire ¹ . »

Et je lis ailleurs :

« Les pèlerins pourront profiter de leur séjour à


Rome pour se rendre à Naples, au mont Cassin , à
Pompéi ; on distribue en gare des billets, aller et re-
tour (prix réduits ) pour ces diverses destinations 2. >>

On ne saisit pas très nettement ici ce qui distingue


le train de pèlerinage du train de plaisir. Et c'est le
cas d'observer qu'une certaine partie des manifestants
est beaucoup plus sensible aux distractions du voyage
qu'à son but social et religieux . « N'oublions jamais,
leur dit le comité, que nous sommes des pèlerins et
non pas des touristes ³ . » Seulement, comme les tou-
ristes peuvent grossir assez agréablement le nombre
des pèlerins, on fait tout ce qu'on peut pour les atti-
rer. Il est à remarquer d'abord que les pèlerinages
ont lieu dans la belle saison , presque toujours concur-

1. Le Pèlerin, 4º année, p. 325 .


2. Le Pèlerin, 3 ° année, p . 82 .
3. Le Pèlerin, 3° année, p. 848.
336 Le Dossier

remment avec les fêtes locales , et le plus grand nombre


en septembre, au moment des voyages. Les prospec-
tus ont soin de spécifier que le trajet est non-seulement
sans danger, mais encore agréable :

« La traversée est maintenant hors de tout danger .


Il faut dire même qu'elle est très agréable, soit en
bateau pendant les marées ordinaires , soit en voiture
ou à pied ¹ . >>

Ces mentions rassurantes ne sont pas inutiles pour


certains pèlerins. N'en est-il pas dont la mollesse in-
spire à l'organe officiel du Conseil des pèlerinages ces
reproches aussi amers que irrésistiblement comiques :

« On veut bien aller en pèlerinage, mais il faut que


rien ne manque ; il ne faut ni le froid, ni la chaleur,
ni la pluie, ni les marches fatigantes ; il faut du nou-
veau , voir des pays que l'on ne connaît pas . Enfin , il
faut une jouissance, une satisfaction matérielle, sans
quoi l'on recule... « Si le divin Sauveur avait agi ainsi ,
où en serions- nous ?? »

Donc il est des pèlerins qui n'ont pas honte de ré-


clamer des jouissances aussi neuves que variées . On
le déplore, mais on fait toutefois ce qu'on peut pour
les contenter. C'est assurément en vue de ces pèlerins
qu'on vante dans les prospectus les charmes irrésis-

1. Le Pèlerin, 1º année, p. 165 .


2. Le Pèlerin, 3º année, p. 55.
des Pèlerinages 337

tibles du paysage . Ici le sanctuaire « situé sur un ro-


cher, fait jouir du plus attrayant panorama ¹ ; » là c'est
un lieu de dévotion « que la grâce et la nature embel-
lissent à l'envi » 2. On exalte la beauté des prome-
nades , le pittoresque de la route, l'intérêt des monu-
ments des environs . Quant au spectacle de la fête, on
le promet sans pareil. L'éclat des cérémonies dépassera
tout ce qu'on pouvait attendre ; les décorations seront
hors ligne ; la musique militaire a promis son con-
cours; à la grand'messe, monseigneur officiera lui-
même. Quant aux visiteurs, on aura le dessus du
panier on s'est assuré de la présence des personnages
les plus illustres ; on va jusqu'à donner l'espoir qu'ils
parleront :

« Un grand nombre d'évêques sont invités à cette


fête ; plusieurs, nous l'espérons, y porteront la pa-
role ³. >>

« La mémorable rencontre de tant de prélats, nous


dit-on ailleurs , ne peut manquer d'exercer une attrac-
tion puissante sur ceux qui , entre tant de belles ma-
nifestations successives , ont eu parfois , si on ose le
dire, les hésitations et l'embarras du choix * . »

Autre part, on annonce qu'un bataillon de prélats

1. Le Pèlerin, 2º année, p. 137 .


2. Le Pèlerin, 2º année, p. 22 .
3. Le Pèlerin, 1гe année, p. 129.
4. Le Pèlerin, ¡ re année, p, 267.
29
338 Le Dossier

« rangés sur une vaste estrade » donneront ensemble


la bénédiction pontificale :

« L'effet sera saisissant . Dix musiques au moins


soutiendront les chants que répètera la foule ¹ . »

Le soir, outre la musique, il y aura des illumina-


tions ambulantes . Un des programmes de Lourdes
fait savoir que « des lumières vénitiennes seront mises
à la disposition des pèlerins » 2 .

« Lanternes vénitiennes courant en longs cordons


Je long des fenêtres ; flammes de Bengale projetant de
vives lueurs sur le rocher Corneille et la statue de
Notre- Dame de France ; fusées s'élançant vers le ciel
pour retomber en gerbes éblouissantes 3. >>

Ainsi parle le compte rendu d'un pèlerinage à No-


tre-Dame du Puy, car il ne faut pas oublier non plus,
parmi les moyens d'attraction employés, les feux d'ar-
tifice . Il n'est pas jusqu'à la lumière électrique qui ne
prête ses effets magiques à la cérémonie :

« On avait disposé en face de la statue colossale un


appareil électrique destiné à montrer dans la nuit
l'image de Marie. Devant ces effets de lumière , la
foule n'a pu contenir son enthousiasme *. »

1. Le Pèlerin, Ire année, p. 1065.


2. Le Pèlerin, 2º année, p . 156 .
3. Le Pèlerin, 1re année, p . 351 .
4. Le Pèlerin, Ire année, p . 210
des Pèlerinages 339

Tous ces appels si directs aux badauds n'empêchent


pas les organisateurs de pèlerinages de rappeler grave-
ment de temps à autre que pèlerinage et amusement
sont deux. Et, de fait , il est certains pèlerins auxquels
on ne saurait trop le répéter, si j'en juge par ce compte-
rendu du pèlerinage de Notre- Dame de Walcourt ¹ ,
que j'emprunte à l'organe du grand Conseil :

<< Les pèlerins prennent part à la procession qui se


fait en cercle autour de Walcourt. Il est regrettable
que l'ivraie se mêle là aussi au bon grain. Parmi les
pèlerins pieux qui y viennent en grand nombre pour
invoquer ou remercier Marie, on rencontre des
personnes qui mêlent aux idées religieuses des idées
mondaines de divertissement, de plaisir, de rendez-
vous pendant le voyage, et qui s'en retournent chez
elles pires qu'auparavant, parce qu'au lieu de profiter
de la grâce que leur offrait le Ciel pour se convertir
ou devenir meilleures, elles ont fait d'une chose
sainte, d'un pèlerinage, un prétexte pour colorer leurs
fautes 2. >>

Revenir de pèlerinage « pire qu'auparavant » , c'est


raide . Je veux croire et je suis d'ailleurs persuadé que
ce cas est une exception . Ce qu'il suffit de retenir ,
c'est que, pour une partie des pèlerinants, le pieux
voyage est un voyage d'agrément .

1. Sanctuaire de la frontière belge où l'on se rend de nos


départements du nord-est. Notre-Dame de Walcourt a été
promue, en 1875 , aux honneurs du couronnement.
2. Le Pèlerin, 1re année, p. 215.
340 Le Dossier

Si l'on ajoute à ces pèlerins d'une foi douteuse,


ainsi qu'à la foule considérable des prêtres et des en-
fants , les pèlerins que dirige un but tout intéressé , on
s'étonnera, non pas que certains sanctuaires soient pé-
riodiquement assiégés par un chiffre si élevé d'indivi-
dus, mais bien plutôt qu'ils n'en attirent pas un plus
grand nombre.
L'esprit des masses est éminemment faible et le mer-
veilleux , sous quelque forme qu'il se produise, exerce
sur lui une influence aussi profonde que indiscutable.
Ceux qui mettent les pèlerins en mouvement sont
payés de longue date pour le savoir . Aussi ne négligent-
ils rien pour persuader aux naïfs qu'ils trouveront
dans le sanctuaire qu'on leur désigne le remède à tous
leurs maux.

« Les pèlerinages , avoue l'auteur du Mois des pèle-


rins, ont leur côté intéressé. On les entreprend pres-
que toujours, soit pour obtenir une grâce spirituelle
dont l'âme ressent un grand besoin , soit même une
grâce temporelle guérison, succès, cessation d'un
fléau, etc. Il nous est parfaitement permis de donner
ce but secondaire et tout personnel à nos pieuses
excursions . Dieu lui-même nous y invite par les grâ-
ces exceptionnelles, par les prodiges sans nombre qu'il
se plaît à accorder aux pieux visiteurs des sanctuaires .
Qui rend certains pèlerinages si célèbres, si ce n'est
l'éclat des miracles qui s'y sont accomplis ? » ( P. 18. )

Puisqu'à l'éclat des miracles s'attache la célébrité,


des Pèlerinages 341

c'est-à-dire le succès des sanctuaires , le moyen de les


rendre tous courus est assez indiqué . Aussi voyons-
nous l'assemblée générale des comités catholiques du
Nord, formuler, dans sa grande session de 1875 , le
vœu suivant :

<< Les comités sont invités à faire tous leurs efforts


pour ranimer la dévotion des pèlerinages locaux . L'as-
semblée signale comme moyen d'arriver à ces résultats
la publication et la propagation de petites notices sur
les vertus du saint vénéré dans le pèlerinage, le culte
dont il a été l'objet, les miracles qui se sont opérés
dans le sanctuaire ¹ . »

Des miracles des miracles ! Voilà ce qu'il importe


de servir à l'insatiable appétit des foules . De là toutes
les surprenantes histoires dont sont farcis les petits
livres et les journaux de sacristie.

<< Un ouvrier (de l'Ardèche) se casse un bras ou une


jambe, accident qui annonce ailleurs plusieurs mois
d'inaction et de misère ; le pauvre ouvrier console sa
famille en lui disant : « Trois jours seulement de
» perdus ; un pour aller au Saint Père (saint François
» Régis) , un pour obtenir une guérison , et un troisième
» pour revenir. » Et en effet il vient, sacrifiant sa der-
nière épargne pour les frais de son voyage ; sa venue

1. Assemblée générale des comités catholiques du Nord et du


Pas-de-Calais, 1875 , in-8°, p . 157 .
29.
342 Le Dossier

peut être littéralement comparée à la victoire de César,


car il n'a pas plus tôt vu le saint que le mal fuit épou-
vanté devant son vainqueur¹. »

Ainsi , le temps seulement d'aller et de revenir et


c'est une affaire faite . En touchant le seuil des sanc-
tuaires privilégiés, soudain les boiteux marchent , les
aveugles voient, les muets parlent, les sourds en-
tendent. Que dis-je ! le seul fait de se rendre au sanc-
tuaire vous guérit quelquefois en route. Le mieux
s'accentue à mesure qu'on avance . Accourez donc ,
bonnes gens, quoi que vous souhaitiez d'impossible ,
on vous le servira. Il y aura des miracles pour tous
les désirs et pour toutes les bourses ; pour les petits
comme pour les grands, pour les jeunes comme pour
les vieux ; et, ainsi que l'annonce le curé de Notre-
Dame de l'Épine, dans son prospectus :

« Les grâces seront nombreuses et tout le monde


sera content³. »

Tout le monde sera content ! Il n'y a rien à ajouter


à cela. Qui serait assez peu soucieux de ses intérêts

1. Le Pèlerin, 4º année , p . 130 .


2. « L'enfant se met en marche. O prodige de la bonté de
Marie ! les douleurs commencent à diminuer ; l'enfant continue
sa route et les douleurs perdent toujours de leur intensité. Il
arrive enfin à l'auguste sanctuaire où sept cents ans plus tôt un
prince venu de Hongrie a recouvré la vue, et les douleurs dis-
paraissent pour ne plus se renouveler. » Almanach du surnatu-
rel pour 1875 , p . 112.
3. Le Pèlerin, 4e année, p . 285 .
des Pèlerinages 343

pour ne pas s'élancer avec ardeur vers ce sanctuaire


où tout le monde sera content !
Ne pouvez -vous aller au sanctuaire en personne,
on vous autorise, on vous engage même à y envoyer
quelqu'un à votre place . Le pèlerinage « par procura-
tion » est une des ingénieuses nouveautés de ce temps-
ci . Pour les gens qui aiment à faire leur salut sans se
déranger, on a même prôné officiellement le pèlerinage
« d'intention » . On part en esprit avec les autres, on
imagine qu'on supporte avec eux les fatigues du
chemin , on croit qu'on dort mal dans de mauvais lits ,
on suppose qu'on se plonge tout poudreux dans quel-
que piscine très froide et l'on rêve qu'on est guéri .

<«< C'est, dit l'auteur d'une sorte de catéchisme du


pèlerin , la pratique que Florence de Werquigneul,
abbesse à Douai , avait inculquée à ses religieuses .
Chaque année , le 25 août, le monastère tout entier
partait ainsi spirituellement pour Lorette . Après di-
verses étapes , marquées chaque jour par des prières
spéciales au lieu où elles se figuraient être arrivées , les
pieuses voyageuses, sans quitter leur couvent , arri-
vaient le 7 septembre en vue de Lorette , chantaient
le Te Deum, visitaient le lendemain la sainte maison ,
faisaient leurs dévotions , repartaient après l'octave de
la Nativité, et terminaient leur pèlerinage spirituel le
29 septembre¹. »

1. Le Pèlerin sanctifiant sa dévotion et sanctifié par elle, par


l'abbé Fanien . Arras, Sueur-Charruey, 1874 , in- 12 , p . 20 .
344 Le Dossier

Le petit livre, auquel j'emprunte ce piquant récit de


voyage, signale une troisième manière de jouir des
bénéfices d'un pèlerinage sans sortir de chez soi :

<< On peut, dit-il, faire un pèlerinage en envoyant


au sanctuaire vénéré ses offrandes en argent ou en
nature. » (P. 20. )

Le Pèlerin enregistre un curieux exemple de cette


manière de procéder :

<< Il s'agit d'un jeune homme qui depuis longtemps


ne pouvait plus prendre aucune nourriture qu'à l'aide
de la sonde , et encore que des liquides. Le samedi,
19 août, il se mit à déjeuner tout seul, et très bien ,
vers neuf heures du matin . On questionna , à notre
retour, la personne qui avait été chargée de prier et de
faire une offrande à son intention : l'heure de la gué-
rison était l'heure même où cette offrande avait été
faite à la grotte. »

Ce qui gâte fort le récit, c'est que le narrateur de


cette cure « au tronc » ajoute :

« J'attendrai pour vous en reparler que la guérison


se soit soutenue et achevée, car il reste à celui qui en
a été favorisé une affection de la poitrine ¹. »

Tel qu'il est présenté, ce cas rentre dans la catégorie

1. Le Pèlerin, 4º année, p . 210.


des Pèlerinages 345

des commencements de guérison » généralement si-


gnalés dans les dépêches de Lourdes :

« Un grand nombre de malades éprouvent des com-


mencements de guérison ¹. »

Tous les miracles ne se présentent pas dans des con-


ditions aussi manifestement comiques. Il en est qu'on
offre au public entourés de circonstances et de témoi-
gnages si précis , qu'il n'y a en apparence qu'à s'incli-
ner devant leur réalité . Des gens de bonne foi vous
disent : « Cet homme était malade depuis tant d'an-
nées, j'en réponds ; je le connais. Tous les gens du
pays le connaissent comme moi . Il ne pouvait se
traîner qu'avec des béquilles ; il court maintenant
comme un lapin . Cela est un fait, je vous l'affirme . »
Tel était le cas d'un pauvre diable dont le grand
pèlerinage de Lourdes , en septembre 1876 , a vu l'écla-
tante guérison . Il y avait quinze ou dix- huit ans que les
bonnes âmes de Maine-et- Loire , qui lui venaient en
aide, le connaissaient pour borgne, sourd , muet et pa-
ralytique . S'étant déjà trouvé mieux d'un voyage au
Pontmain, ce malheureux ne pouvait plus entendre
parler pèlerinage sans que les larmes lui vinssent aux
yeux. On se cotisa pour lui permettre de satisfaire son
vœu le plus ardent, lequel était de se rendre à Lourdes.
M. le curé de Marans ne l'avait admis dans la troupe
qu'il conduisait aux roches Massabielle qu'à la

1. Dépêche de Lourdes. Août 1876.


346 Le Dossier

condition que quelqu'un prendrait l'impotent sous


sa protection . Un aubergiste du pays accepta géné-
reusement cette tâche .

« Je me suis chargé , dit- il , avec le neveu de la veuve


Allard et la fille Melier, de le conduire à Lourdes. Je
l'ai porté plusieurs fois sur mon dos . Arrivé à Lourdes ,
le mardi 26 , j'ai loué un logement dans lequel j'ai mis
Rivière au rez-de - chaussée. Après dîner , j'ai loué une
voiture pour conduire Rivière à la grotte, puis à la
basilique , distante de deux ou trois cents mètres . Le
27, à cinq heures du matin , je prends Rivière sur mes
bras, ne pouvant avoir de voiture à cette heure mati-
nale. Nous arrivons à cinq heures et demie. On me
dit qu'on n'ouvre pas la grille de la grotte avant six
heures. Rivière s'assied et fait brûler un cierge qu'il
paye un franc . Nous entrons dans la grotte , nous
allons vers la piscine, Rivière ôte ses habits , ne garde
que son caleçon , s'assied à la première marche ; je
l'aide, il met son bâton dans l'eau pour s'y appuyer,
pendant qu'il laisse flotter sa jambe gauche. Je lui dis :
« Je crois que vous guérissez . » Il ne répond pas
d'abord, ne s'étant pas encore mouillé la tête. Après
s'être mouillé , il me dit : « Mon cher Jules , je vous
« remercie de m'avoir conduit à Lourdes... >>
En le voyant guéri , je fus très- ému . Rivière s'ha-
billa, nous le conduisîmes à la grotte, qui est à trente
mètres de la piscine ; il est resté agenouillé jusqu'à
neuf heures et demie . On fit ranger la foule pour le
laisser sortir, puis nous nous sommes promenés en-
des Pèlerinages 347

semble. Le lendemain , nous sommes retournés à la


grotte, nous avons acheté divers objets , nous avons
dîné et avons repris le chemin de fer. A toutes les sta-
tions, Rivière recevait de l'argent des personnes qui
venaient le voir , ayant appris sa guérison . J'en ai
moi-même reçu pour lui . A notre retour à Marans ,
nous sommes allés aussitôt à l'église , où nous avons
entonné un cantique avec Rivière . »

Pendant que le miraculé Rivière entonnait un can-


tique d'actions de grâces, la presse religieuse , avertie
déjà par le télégraphe de la grande nouvelle , entonnait,
elle aussi , l'hosanna. Rivière est devenu tout à coup le
héros du jour ; du haut de la chaire les félicitations
pleuvent sur lui ; il est la gloire du département de
Maine- et- Loire ; presbytères et châteaux se le disputent
à l'envi. Cependant, un des hôtes généreux chez les-
quels le miraculé fait grasse chère, a l'excellente idée
de conserver aux siècles futurs la mémoire d'un si
grand événement . Il prend la résolution d'écrire l'his-
toire de Rivière , et, à cet effet , lui donne rendez -vous
pour le jeudi suivant . Deux médecins apporteront à
cette entrevue le précieux concours de leur présence .
O surprise ! l'avant-veille du jour fixé, Rivière a tout
à coup disparu . On le cherche dans les couvents où il
avait manifesté déjà le désir de se retirer. Pas plus de
miraculé que sur ma main . Le camp des dévots n'était
peut-être pas loin de soupçonner les libres penseurs
d'avoir fait disparaître ce héros dont la seule présence
les écrasait, lorsqu'on le vit reparaître un beau matin ;
Le Dossier !
348

mais, hélas ! faut-il l'avouer ? reparaître entre deux


gendarmes. Le parquet venait de retrouver notre mi-
raculé sur la lisière du département , où il était tran-
quillement retourné à son industrie première. Rivière ,
reconnu pour avoir subi déjà treize condamnations
antérieures, a comparu , en février dernier , devant le
tribunal correctionnel de Segré, qui a augmenté son
volumineux dossier de trois ans de prison et dix
ans de surveillance . Ce dénoûment d'un miracle de
Lourdes aura- t-il du moins ouvert quelques yeux ?
Nous voulons l'espérer.
Au cours des dépositions , toutes irrésistiblement
gaies, le faux miraculé a reconnu , avec une bonhomie
parfaite, qu'il n'avait jamais été ni sourd , ni muet, ni
aveugle, ni paralytique. Tout son avoir maladif se
réduisait à un ulcère variqueux et une vieille cicatrice
à la jambe gauche. Avant son voyage à Lourdes ,
Rivière montrait aux badauds l'ulcère, et , au retour,
la cicatrice. A tromper ceux qui ont envie de croire,
la difficulté n'est pas grande .
M. le président demandait au curé de Marans :

« Avez-vous assisté à l'examen auquel le docteur


Menuau a procédé sur Rivière ?
<< - Oui, répond le curé, mais sans y faire atten-
tion, la guérison ne faisait pas un doute pour moi ¹ . »

1. Tribunal de Segré, Audience du 14 février 1877. Voir le


Patriote d'Angers du 17 février 1877.
des Pèlerinages 349

La moralité de cette histoire pourrait être celle de


plus d'un des miracles que la presse religieuse enre-
gistre à grand bruit. Ceux qui veulent être con-
vaincus feront bien de se contenter des apparences
sans aller au fond.
Je n'entends nullement conclure de là qu'il n'y ait
pas de vraies guérisons à Lourdes. Si parmi les milliers
de malades qui s'y rendent annuellement il ne s'en
trouvait pas quelques- uns à qui le voyage profitât, ce
serait alors le vrai miracle. Entre toutes les officines
où l'on va chercher des guérisons merveilleuses,
Lourdes deviendrait une exception . Il faut bien ad-
mettre qu'il y a dans la vie d'heureuses coïncidences .
Elles profitent à Lourdes aussi naturellement qu'aux
sorciers de campagne et aux somnambules. Quels sont
les charlatans qui n'ont pas à leur actif de nombreuses
guérisons? Les exemples abondent chaque fois qu'un
de ces individus est appelé à comparaître en justice,
car il y a des juges pour ceux- là . Une file de témoins
viennent déclarer avec la meilleure foi du monde
qu'ils ont été rendus à la santé en mangeant un foie
de crapaud tué entre onze heures et minuit, ou en ap-
pliquant sur la partie malade les rognures d'ongles
d'une personne aimée.
Il ne faudrait pas feuilleter longtemps le Droit ou
la Gazette des Tribunaux pour relever tout un vo-
lume de ces attestations fantastiques. Le hasard me
remet précisément sous les yeux une affaire de spirites.
jugée en septembre 1865 par le tribunal correctionnel
de Lyon, et où les déclarations de ce genre se suc-
30
350 Le Dossier

cèdent presque sans interruption . Il est assez piquant


d'y retrouver, outre les guérisons d'ordre courant,
aussi surprenantes que instantanées , les guérisons par
procuration et même les commencements de guérison
journellement signalées dans nos usines à miracles .

<< Ma femme n'est pas encore guérie , dit un des té-


moins, mais elle le sera bientôt. »

On n'est pas plus confiant à Lourdes.


Madame Pin, coiffeuse, rue Saint-Jérôme, dépose :

« J'étais malade depuis longtemps ; un cousin de


Lauras me conseilla d'aller le trouver. Comme je ne
pouvais pas y aller à cause de ma maladie, ce cousin
me dit : « Donnez - moi votre prénom , ce sera la même
>> chose. » Je donnai mon prénom de Mélanie et il me
rapporta une excellente consultation . J'ai été gué-
rie . »

M. Devaux, mécanicien , rue de Chartres :

« J'avais attrapé un refroidissement ; j'envoyai ma


femme consulter Lauras ; l'esprit de saint Jacques lui
faisait écrire des caractères indéchiffrables. L'esprit
parti, il les traduisait et donnait une consulte sûre.
» D. Avez-vous été guéri ?
» R. Oui, très bien . »

Madame Roche, liseuse de dessins , rue Imbert-Co-


lomès :
des Pèlerinages 351

« Ma fille avait le ver solitaire , et moi, j'avais mal à


la poitrine ; je suis allée consulter pour toutes deux
M. Lauras. L'esprit est arrivé ; M. Lauras s'est mis à
écrire comme un fou des lettres illisibles . Il avait l'air
d'avoir affaire avec quelque dieu . Après ça , il l'a tra-
duit et m'a donné ma consulte.
» D. Vous y êtes allée souvent ?
» R. Plusieurs fois.
» D. Vous avez été guérie?
R. Parfaitement.
» D. Et le ver solitaire de votre fille?
R. Il a été tué. (Rires).
> D. Combien avez-vous payé?
» R. Rien ; sa femme m'a donné dix francs, parce
que j'étais gênée. »

A cela près que je n'ai jamais ouï parler de dons


d'argent faits par les pères de Lourdes aux pèlerins be-
soigneux, le rapport, on le voit, est complet . On ne
peut pas dire qu'il y ait ici aucune affirmation vague .
Les gens que le sieur Lauras a guéris viennent en té-
moigner eux-mêmes, hautement, devant tous . Quel
doute pourrait-on conserver? Cela n'a pourtant pas
empêché le pauvre diable , qui se disait inspiré par
l'esprit de saint Jacques le Mineur , d'être condamné à
un mois de prison et seize francs d'amende pour exer-
cice illégal de la médecine ¹ .
Ces citations pourraient être multipliées à l'infini .
Le nombre de gens qui croient devoir leur guérison

1. Tribunal correctionnel de Lyon. Jugement du 21 août 1865


352 Le Dossier

plutôt à tel ou tel sortilége, à tel ou tel remède em-


pirique plutôt qu'à la nature ou à leur médecin , est
incalculable. La vérité, pour aller droit au fait, est
que les malades qui allaient entrer dans la période de
guérison, ceux à qui le changement d'air ou l'hydro-
thérapie devaient être favorables ont parfaitement pu
se trouver mieux d'un voyage à Lourdes.
L'important serait que ce mieux , dû parfois à un
état de surexcitation momentané, se continuât . Or il
est évident, de l'aveu même des intéressés, qu'il en est
plus d'une fois autrement . Dans ce cas , on attribue la
rechute à ce que le malade a mis de la tiédeur dans
ses remercîments :

<< Trop souvent, dit le Pèlerin , lorsque Dieu nous


a exaucés, nous le remercions à peine. Dernièrement
une personne avait été guérie par l'invocation de la
sainte Vierge. Tout allait bien . On rendait, il est vrai ,
quelque action de grâce, mais ce n'était pas cette foi
vive, cette reconnaissance qui se témoignent par de
nouveaux actes de piété et par un nouveau degré
franchi dans la voie de la perfection .
» Si nous osions pénétrer les secrets divins , nous
dirions peut-être que cette tiédeur fut cause d'une re-
chute. Quoi qu'il en soit, la maladie a repris son cours
interrompu pendant un mois ¹ . »

Ailleurs c'est une enfant guérie à Lourdes dont la


ferveur, nous dit-on , s'est ralentie :

1. Le Pèlerin, 4° année, p. 195.


des Pèlerinages 353

» Une de ses maîtresses s'apercevant du changement


survenu dans sa conduite, lui dit : « Mon enfant , ne
>> craignez-vous pas que la sainte Vierge ne vous
> punisse et ne permette à votre maladie de repa-
>> raître ? »

L'insinuation de cette maîtresse prouvait combien


le ciel des dévots lui est connu . Là on n'obtient pas
de faveurs de la Providence, on passe seulement des
marchés avec elle. Donnant, donnant . La petite avait
fait une promesse à la Vierge et elle avait été guérie ;
elle ne tenait plus sa promesse : la Vierge allait lui
rendre son mal. Ce fait ne manque pas de se produire.
Le mal de l'enfant, qui consistait en un lupus, lui est
rendu :

« Ce mal affreux, progressant d'une manière éton-


nante, se répandit depuis le coude jusque sur la main
qui se crispa et se ferma entièrement par la violence
du mal . Elle fut obligée d'avoir son bras en écharpe,
ne pouvant en soutenir le poids . La suppuration tra-
versait chaque jour plusieurs doubles de linge ¹ . »

Mais il peut bien y avoir des patients qui tiennent


leurs promesses et ne s'en trouvent pas mieux . C'est à
leur intention , sans doute , qu'on écrit de Lourdes au
sujet de paralysés qui ont trouvé « un commencement
de mouvement » :

1. Le Pèlerin, 3° année, p. 166.


30 .
354 Le Dossier

«< Pourquoi le miracle commencé ne s'achève- t- il


pas ? C'est le secret de la Providence , qui veut faire
produire à l'âme des fruits plus abondants de désirs¹.»

Il n'y a rien à ajouter à cela. Pourquoi nos maux


continuent-ils après que nous avons été à Lourdes
pour les guérir ? C'est le secret de la Providence, de
cette Providence taquine qui se plaît à provoquer
nos désirs -- pour ne pas les réaliser 2.
Si Lourdes s'en tenait à ces guérisons pour rire, il
n'y aurait pas encore beaucoup à s'émouvoir . On pour-
rait même à la rigueur se féliciter que la distraction
du chemin , un effort de volonté, un bain glacé pris à
propos , eussent contribué à remettre pour un moment
quelques écloppés sur leurs jambes ; mais à côté des
rares malades qui reviennent mieux portants de leur
excursion, il conviendrait de rechercher s'il n'en est
pas qui s'en retournent chez eux plus mal qu'ils n'é-
taient auparavant .

Je touche ici un point délicat sur lequel on conçoit


que les documents n'abondent point, car les propaga-
teurs de l'eau de Lourdes sont naturellement peu

1. Le Pèlerin, 3° année , p. 219.


2. « Il est d'autres malades qui n'ont reçu aucun soulagement
corporel, peut-être parce qu'ils n'ont pas prié avec assez de
confiance et de persévérance, ou bien parce que, dans les des-
seins de la Providence , il leur est plus avantageux, dans l'ordre
du salut, de ne pas recouvrer la santé dont ils pourraient
abuser. » Le Propagateur de la Dévotion à saint Joseph,
Ire année, p . 335.
des Pèlerinages 355

portés à rechercher et à faire connaître ceux de leurs


pèlerins à qui le voyage a pu être fatal . Le savent-ils
d'ailleurs ! Un individu se met en route , dont certaines
publications ont monté l'imagination au point de lui
faire croire qu'il va trouver soudain , au bout de son
voyage, la santé perdue. Tremblant la fièvre, il brave
les fatigues d'un long trajet , l'insomnie, les courants
d'air, les bousculades , l'odeur âcre et épaisse d'un
wagon trop plein . Arrivé à destination , il se plonge
dans un bain qui lui est contraire, revient chez lui
ayant aggravé son mal et meurt. Qui s'est occupé de
ce passant, qui dira le secret de sa fin ? Et d'ailleurs, la
maladie dont il allait se guérir n'est-elle pas là pour
expliquer tout ?
Peut-être la police s'inquiétera-t-elle un jour de ces
dangereux transports de malades que le fanatisme
abandonne à des mains sans expérience , soumet à des
exercices que aucune autorité médicale ne dirige . Les
villes d'eaux , où l'on ne se rend que sur ordonnance ,
n'en ont pas moins encore leurs médecins spéciaux qui
souvent détournent le malade d'une cure qui lui a été
imprudemment conseillée . A Lourdes , le seul guide
médical est M. Lasserre , lequel nous montre dans son
livre une femme qui rend la vie à son enfant agonisant
en le tenant plongé « pendant un long quart d'heure »
dans l'eau glaciale de la source .

<< Croisine tire de son tablier le corps tout nu de son


enfant à l'agonie. Elle fait sur elle-même et sur lui le
signe de la croix. Et puis, sans hésiter, d'un mouve-
356 Le Dossier

ment rapide et déterminé, elle le plonge tout entier,


sauf la tête , dans l'eau glacée de la source.
» Un cri d'effroi , un murmure d'indignation sort de
la foule .
D Cette femme est folle ! s'écrie-t-on de toutes
parts.
» Et l'on se presse autour d'elle pour l'empêcher.
» - Vous voulez donc tuer votre enfant ? lui dit
brutalement quelqu'un ...
» N'importe ! son bras demeurait ferme et sa foi ne
faiblissait pas . Pendant un long quart d'heure, aux
yeux stupéfaits de la multitude, au milieu des cris, des
objurgations et des injures que la foule groupée au-
tour d'elle ne cessait de lui adresser, elle tint son en-
fant dans cette eau mystérieuse... Spectacle sublime de
la foi catholique ! Cette femme précipitait son fils ago-
nisant dans le plus imminent des périls terrestres pour
y chercher, au nom de la Vierge Marie, la guérison
venant du Ciel. Elle le poussait naturellement vers la
mort pour le conduire surnaturellement à la vie ¹ ! »

On ne songe pas sans frémir qu'une mère peut, au


premier jour, avoir idée de renouveler, pendant un
grand quart d'heure , sur son enfant malade, cet

1. Lasserre, p. 169.
2. Une attestation médicale, que M. Lasserre joint à son ré-
cit, constate que si en effet l'enfant a été plongé dans l'eau de
la source, en février, pendant un long quart d'heure, il y a
miracle, attendu qu'une immersion aussi prolongée devait lui
être fatale. Au contraire le praticien se plaît à reconnaître que,
des Pèlerinages 357

effrayant exercice. Et comment une fanatisée hésite-


rait-elle à donner un spectacle que M. Lasserre traite
carrément de « sublime » .
Sous le titre de « Belle mort » , le Pèlerin raconte
qu'un Hollandais, a déclaré incurable » , a pris le che-
min de Lourdes :

« On voulut le détourner, dit la pieuse feuille, et


ses conseillers étaient certainement sages : rien ne
l'ébranla ; il partit. Plus d'une fois, en voyage, il
toucha à la mort. Il arriva avec sa femme seule à
l'hôtel de la Grotte... Une crise se déclare , c'était
l'agonie. On a le temps à peine de le transporter chez
les pères , au parloir. A cinq heures, M *** rendait le
dernier soupir. Et il n'a pas vu la grotte ¹. »

On m'objectera peut - être que le pèlerin en question


était à toute extrémité, je veux bien le croire ; mais , en
cet état précisément, sa fin ne devait- elle pas être hâtée
par un long et pénible voyage . On me dira que c'est

pourvu que leur durée ne dépasse pas un petit nombre de mi-


nutes, « les affusions d'eau froide peuvent rendre de grands
services dans les affections adynamiques graves. » Le miracle
se trouve donc entièrement subordonné à ce chiffre d'un quart
d'heure dont personne ne pourrait témoigner sérieusement ; car
qui aurait eu l'id e de prendre une montre en main au début
de l'incident. Ce n'est qu'une appréciation vague qui a pu faire
porter après coup l'immersion à un quart d'heure ; or , qui ne
sait combien, dans un moment d'émotion, d'inquiétude, cinq
minutes paraissent aisément l'équivalent de quinze minutes.
Ab uno miraculo disce omnes.
1. Le Pèlerin, 2º année, p . 1312 .
358 Le Dossier

contre la volonté des siens que ce malade a tenu à


partir ; que lui seul est donc responsable du résultat ;
mais la plus grande part de responsabilité ne revient-
elle pas à ceux qui , par de fantastiques récits , encou-
ragent de telles imprudences.
Le fait suivant est plus caractéristique encore.
On a pu lire dans la Gazette de France du 4 sep-
tembre 1876, sous la rubrique « nécrologie » :

<< M. le comte de *** est mort à Lourdes, à la suite


d'une crise aiguë et inattendue. C'est à l'ombre du
sanctuaire auguste et vénéré de la Vierge-Immaculée
que ce vieux gentilhomme catholique et breton a rendu
son âme à Dieu . »

Le fait n'est-il pas terrible dans sa concision? « A la


suite d'une crise aiguë ... et inattendue ! » Assurément
malade, le vieux gentilhommme allait à Lourdes cher-
cher la santé. Qu'y trouve- il ? Une crise soudaine,
inattendue, qui l'emporte. Est- ce aux fatigues du
voyage, est-ce à l'eau froide de la piscine qu'il faut
attribuer ce dénoûment ? On ne le dit pas ; mais ce
qui reste attesté, c'est qu'il est le fruit du pèlerinage.
Quelque incurables que puissent être les malades
dirigés sur Lourdes, est-il tolérable que, sous pré-
texte d'une tentative désespérée, d'ignorants conduc-
teurs puissent, même avec les intentions les meil-
leures , précipiter le départ de ces malheureux dans
l'autre monde ?
Sur ce grand saut final dans l'éternité, on s'attache ,
des Pèlerinages 359

il est vrai, à répandre parmi les pèlerins une théorie qui


rend bien aisée la justification des morts anticipées.
Mourir en pèlerinage , c'est obtenir du Ciel une faveur.
Donc aider quelqu'un à mourir en pèlerinage, c'est
lui faciliter l'accès des faveurs .
Au grand pèlerinage de Lourdes , en 1874 , un curé
de l'Eure, M. l'abbé Tissandier, qui allait mettre sa
paroisse sous la protection de Notre- Dame de Lourdes,
est frappé en chemin de fer de mort subite. Le fait est
aussitôt transmis aux pèlerins comme une bonne nou-
velle . Il eût été curieux de savoir ce que le défunt en
pensait.

« Ce mort, dit le père Bailly, prononçant l'oraison


funèbre de son collègue, est une grâce pour notre pè-
lerinage. Dieu se plaît à choisir une victime quand il
veut accorder de grandes faveurs . »

Étrange système de compensation contre lequel le


bon Dieu protesterait, je n'en doute pas, s'il prenait
souci des sottises qui se débitent en son nom !
Lors du grand pèlerinage suivant, c'est au tour d'un
prêtre de Verdun d'être frappé . Encore une faveur !
seulement, comme ce prêtre ne fait que se casser une
jambe, il en résulte que la faveur est moindre.

« La joie était dans tous les cœurs quand le bon Dieu


permit qu'un sacrifice, comme l'an dernier, quoique
beaucoup moindre , vînt ajouter les mérites d'une vic-
time aux prières des quatre jours . Un bon prêtre de
360 Le Dossier

Verdun qui , la veille ausoir , avait, à genoux sur la place


de Lourdes, récité avec tous le De profundis pour le
regretté abbé Tissandier, qui est allé au ciel et voulait
venir à Lourdes , ce bon prêtre fit une chute près de
la grotte au sortir de la messe , se fractura une cuisse
et dut rester à Lourdes ... Souffrir près de Notre-
Dame de Lourdes est encore une faveur¹ ! »

On voit combien est simple cette manière d'apprécier


les événements. Vous guérissez à Lourdes, c'est une
faveur ; vous vous y cassez la jambe ou vous y perdez
la vie , c'est encore une faveur . Auprès des gens qui
émettent de tels axiomes, Pangloss passerait pour un
pessimiste.
Ces faveurs macabres ne sont nullement particulières
à Lourdes :

« Une pieuse dame, racontent les Annales de la


Salette, qui avait passé plusieurs jours dans un état
continuel de souffrance , descendait vers le village de
la Salette , accompagnée de son mari. Le mulet
qu'elle montait s'est donné peur ; sans son état extrême
de souffrance, cette pauvre dame n'aurait eu probable-
ment rien à craindre ; mais l'effroi subit et la secousse
qu'elle a éprouvés ont malheureusement déterminé la
rupture d'un anévrisme dont elle souffrait ; elle est
tombée de sa monture et elle n'a plus donné aucun
signe de vie... Qui sait si dans cet accident, si déplo-

1. Le Pèlerin, 3° année, p. 220.


des Pèlerinages 361

rable en lui - même, il ne faut pas voir un mystérieux


secret de la bonté de Marie envers sa pieuse ser-
vante ¹ ! »

Trois jours après son départ de la Louvesc un pèle-


rin est ramassé mort sur la grande route :

<< Le cadavre , dit le Pèlerin, était celui du vieux


pèlerin qui, après avoir reçu tant de faveurs de saint
Régis, venait de recevoir la dernière et la plus précieuse
de toutes >

Faut-il conclure de ces faits que le meilleur pèleri-


nage est le pèlerinage où l'on meurt? L'inflexible logi-
que voudrait alors que le fait de mourir en naissant
constituât l'existence la plus favorisée ... Mais est- ce
bien le cas de parler logique ? La vérité est que les en-
trepreneurs de miracles tirent des circonstances le
moins mauvais parti qu'ils peuvent. Que ce soit la vie
ou la mort , la pluie ou le beau temps qui se trouvent
en jeu , le procédé est toujours le même : porter à l'avoir
du surnaturel tout le mal comme tout le bien qui vous
arrive. La pluie qui menaçait épargne - t-elle une céré-
monie miracle !

« Les nuages noirs et amoncelés sur nos têtes ne se


contenaient que par miracle et semblaient impatients
de voir rentrer la procession ; aussi à peine avait-elle

1. Annales de Notre-Dame de la Salette, août 1869.


2. Le Pèlerin, 4° année, p. 132 .
31
362 Le Dossier

franchi le seuil du saint temple, qu'ils versèrent leurs


torrents avec abondance ¹ . »

Au contraire , les pèlerins ont-ils reçu la pluie,


autre genre de miracle :

« Nous sommes pendant cinq quarts d'heure sous


une pluie torrentielle ; mais nous reconnaissons que
l'eau qui tombe en pèlerinage doit être de l'eau bénite ,
car pas un de nous ne toussait le lendemain 2. »

Le train qui emporte les pèlerins tamponne- t-il


en roulant les voyageurs les uns sur les autres et bles-
sant quatre d'entre eux, dont le directeur du pèleri-
nage, on glorifie ce magnifique trait de protection . De
protection? sans doute, puisque tout le monde pou-
vait mourir dans l'accident . Et, oubliant les remercî-
ments au mécanicien qui, d'après le récit même des
journaux pieux , a renversé à temps la vapeur et serré
les freins :

« Oui , c'est bien là un miracle très évident et très


affirmé ! La Vierge devait protéger ses pèlerins : elle
les a protégés ; mais arrêtons-nous ici, car l'événement
parle lui-même avec une irréfutable éloquence ; c'est
un argument nouveau ajouté à tous les autres , qui éta-
blissent d'une manière si péremptoire la divinité de
ce qui se passe à la grotte de Massabielle ; c'est un mo

1. Le Pèlerin, 4° année, p. 293 .


2. Le Pèlerin, ire année, p . 228 .
des Pèlerinages 363

tif de confiance de plus pour tout espérer de la protec-


tion de Notre-Dame de Lourdes ¹ ! >>

Ainsi , Notre- Dame de Lourdes favorise les pèlerins


quand elle les fait mourir sur place ; elle les favorise
encore quand elle les renvoie vivants chez eux . Tout
est faveur pour ces gens-là ; et il n'est pas jusqu'aux
contusions reçues par un chef de pèlerinage qui n'éta-
blissent << d'une manière péremptoire » la divinité de
ce qui se passe à Lourdes.
Aux dociles troupeaux qui prêtent sans rire l'oreille
à ces pauvretés , on peut tout demander. Ce qu'on leur
demande de préférence , concurremment avec la cré-
dulité , c'est de l'argent. Nous avons déjà vu qu'on
pouvait se faire représenter aux pèlerinages par une
offrande en argent ou en nature . Si l'on se rend per-
sonnellement aux lieux privilégiés, le même petit
catéchisme du pèlerin auquel nous empruntions ce dé
tail recommande, entre autres pratiques indispen-
sables , celle des offrandes . Il paraît s'ensuivre que
l'absence ou la présence du pèlerin n'est qu'une
question secondaire, pourvu que son offrande arrive .
Les trois pratiques recommandées aux pèlerins par
notre petit livre sont les cierges , les évangiles et les
offrandes .

« Doit-on, demande le questionnaire, attacher de


l'importance à ces pratiques ? »

1. Le Pélerin, 4° année, p. 55 .
364 Le Dossier

Oui, parce qu'elle nous donnent occasion d'exer-


cer plusieurs vertus .
» Quelles vertus pratiquons- nous en faisant des
offrandes aux pèlerinages?
» Nous faisons acte de religion en donnant aux
églises, soit pour elles-mêmes , soit pour l'entretien des
ministres sacrés , puisque nous faisons servir nos biens
à l'honneur de Dieu , ce qui est la recommandation
de l'Esprit-Saint dans les Proverbes . Nous faisons acte
de justice , car il est juste que , jouissant des lieux de pè-
lerinage, nous les entretenions par nos offrandes, qui
sont souvent leur seule ou leur principale ressource.
Nous faisons acte de détachement , puisque nous aban-
donnons volontairement une chose que nous possé-
dons. Nous faisons acte de reconnaissance, puisque
nous rendons à Dieu une partie des biens que nous
tenons de sa libéralité . Enfin nous augmentons encore
le mérite de notre don , si nous le faisons assez impor-
tant pour qu'il soit, relativement à notre condition ,
un acte de pénitence et de pauvreté ¹ . »

Çà, que l'on verse et que les sommes versées soient


autant que possible importantes ! Vous ferez ainsi vœu
de pauvreté, bons pèlerins. Dans le principe, c'étaient
les communautés religieuses qui faisaient vœu de
pauvreté, mais on a changé tout cela . Voyez de toute
part les maçons gâcher le mortier et tailler la pierre au
profit de quelque ordre pieux . En un petit nombre.

1. Le Pèlerin sanctifiant sa dévotion, p. 17.


des Pèlerinages 365

d'années les millions se seront promptement engloutis


dans les constructions ¹ . Et le temple ne serait rien sans
ses dépendances . Voulez -vous des nouvelles de la ma-
çonnerie à Lourdes ? Elles sont un peu anciennes déjà
(janvier 1875 ) , mais encore suffisamment instructives :

« Autour de la grotte de Lourdes, une armée d'ou-


vriers est constamment sur la brèche pour transformer
ces rochers, ces lieux jadis déserts en une véritable oa-
sis. A droite de la basilique , sur le flanc de la mon-
tagne du calvaire, on jette les fondements de l'immense
résidence des missionnaires, qui comptera cent dix
mètres de façade ; plus loin se dresse le palais épis-
copal , avec son jardin dessiné par un maître . Vis-à-vis ,
sur la rive du Gave, faisant face à la grotte , les
couvents s'élèvent comme par enchantement. Notre-
Dame de Lourdes vient d'attirer deux autres pha-
langes de vierges sur cette terre bénie : les Répara-
trices de Toulouse , les Clarisses de Lyon , ont déjà
choisi leur place pour monter, avec les Bénédictines ,
les Carmélites , les sœurs Bleues, les sœurs de Nevers ,
les Petites-Sœurs des pauvres, une garde d'honneur
autour de l'immaculée

Regardez cette nuée sombre s'abattre sur le même


point. Le bruit a couru que le terrain y était bon ;

1. « Les millions se dirigent vers la grotte. » Henri Lasserre,


P. 457 .
2. Le Pèlerin, 2 ° année, p . 833.
31 .
366 Le Dossier

chacun en veut sa part. Telles, à l'annonce de nou-


veaux placers, on voit se précipiter, sac au dos , pic en
main , les hordes d'émigrants , pauvres de costume,
mais riches d'espérances. J'ignore sur quelles res-
sources peuvent compter les communautés qui ont
jeté sur Lourdes leur dévolu , mais je dois dire
qu'en général les communautés sont assez disposées à
construire d'abord et à acquérir , sauf à solliciter en-
suite le secours des bonnes âmes pour sortir d'embar-
ras. La plupart des appels de fonds lancés dans le pu-
blic par le clergé n'ont d'autre but que d'intéresser les
fidèles à quelque ceuvre un peu légèrement entre-
prise.

« Les travaux de notre nouveau patronage avancent


rapidement, écrit au Pèlerin l'abbé F ... Les murs de la
façade sont à la hauteur voulue ; mais , s'ils montent
si vite vers le ciel, c'est pour lui demander l'argent
qui les payera ¹ . »

Quoique l'abbé F ... en appelle uniquement au ciel ,


vous verrez que ce seront encore les fidèles qui débour-
seront.
Nous n'insisterions pas sur ces perpétuelles de-
mandes d'argent, auxquelles le public pieux est après
tout fort libre de se soumettre , si nous n'avions à faire
cette dernière observation , que les ordres religieux qui

1. Le Pèlerin, 2° année, p. 1260


des Pèlerinages 367

gèrent la plupart de nos usines à miracles n'ont pas


plus tôt achevé de mettre en état un lieu de pèlerinage,
qu'ils en ont ailleurs un autre à fonder, je veux dire à
achever.
Certains ordres, en tête desquels je citerai celui des
pères oblats de Marie, prennent en quelque sorte la
restauration des pèlerinages à l'entreprise. Sur la de-
mande d'un évêque, se détache du groupe principal un
petit nombre de pères qui vont prendre possession de
quelque coin de terre destiné soit à devenir privilégié,
soit à le redevenir, s'il le fut jadis . Au bout de plu-
sieurs années d'une ardente propagande, appuyée de
quêtes diocésaines, il est rare que le pèlerinage ne soit
pas en bon chemin .
C'est ainsi qu'en peu de temps les pères oblats ont
rendu son lustre à Notre -Dame du Laus. Aujourd'hui
cet ordre actif, dont la reconnaissance officielle ne date
que de 1826 , tient une douzaine de nos pèlerinages les
plus fréquentés : Notre- Dame de l'Osier , au diocèse
de Grenoble ; Notre- Dame de Sion , au diocèse de
Nancy ; Notre- Dame de Cléry, au diocèse d'Orléans ;
Notre-Dame de Talence , au diocèse de Bordeaux ;
Notre- Dame de Bon-Secours, au diocèse de Viviers ;
Notre- Dame des Lumières , au diocèse d'Avignon ;
Notre- Dame de la Garde, au diocèse de Marseille.
L'évêque de Laval a mis entre les mains des pères
oblats le sort du pèlerinage du Pontmain . Comme
lanceurs de la simili-Salette de Saint -Andelain , aut
diocèse de Nevers , nous avons déjà vu les pères
oblats promettre à ceux qui les aideraient, ne fût- ce
368 Le Dossier des Pèlerinages

que d'un franc, dans « l'achèvement de leur belle


église » , des messes et des images , sans compter les
faveurs assurées de la Vierge :

« Elle comblera de ses faveurs toutes les personnes


qui voudront bien nous venir en aide ¹ . »

Comme restaurateurs du tombeau de saint Martin ,


à Tours, on peut entendre les mêmes pères oblats
s'écrier dans leurs prospectus :

« Nous conjurons les rédacteurs des Semaines reli-


gieuses, des journaux catholiques , les membres des
comités de pèlerinages , de donner la plus grande pu-
blicité aux conditions que les chemins de fer ont bien
voulu nous accorder 2. »

Devant ces manières un peu tapageuses de réchauf-


fer la foi ; quand Mgr Guérin, parlant des mission-
naires de Bétharram , « établis » depuis 1852 à Notre-
Dame de Sarrance, constate avec plaisir qu'ils relèvent
3
la gloire de ce pèlerinage ' et en assurent le succès ³,
on veut bien croire qu'il ne s'agit que d'œuvres pies ,
mais on ne peut se défendre de chercher quels autres
termes on emploierait s'il s'agissait d'affaires.

1. Le Pèlerin, 2 ° année, p. 579 .


2. Le Pèlerin, t . IV, p. 324 .
3. Petits Bollandistes, t. IX, p . 544.
APPENDICE

Depuis que ces pages ont été écrites, un fait singu-


lièrement caractéristique s'est produit.
Le gamin auquel nous devions l'apparition de Saint-
Palais (v. p . 31 ) s'est mis tout à coup à raconter
qu'il avait vu non la Vierge mais le diable. Les appa-
ritions de la Vierge sont si fréquentes, qu'elles n'ont
plus le don d'étonner ; on est moins familier avec les
apparitions du diable , et le Parquet daigna s'émou-
voir.
Sommé d'expliquer ses contradictions , le héros de
Saint-Palais n'eut pas plus tôt goûté de la prison qu'il
avovait au juge d'instruction n'avoir vu en réalité ni
Vierge ni diable . Il avait tout bonnement joué la co-
370 Le Dossier des Pèlerinages

médie, espérant, paraît-il, que quelqu'un de riche


s'intéresserait à lui et lui ferait un sort.
Je laisse aux moralistes à épiloguer sur le dange-
reux appât de certains modes de fortune trop faciles.
Ce qu'il nous suffit de constater ici , c'est que, de l'aveu
de son acteur principal , ces apparitions répétées de
la Vierge pour lesquelles le clergé local se mettait en
branle, ces prétendus propos de la Vierge qu'un pu-
blic béat écoutait avec componction, ces miracles en-
registrés à grand bruit , toutes ces simagrées enfin sur
lesquelles le Français appelait l'an dernier l'attention
des hommes graves, n'étaient que stupides et grossiers
mensonges .
Le jeune Lamerenx, reconnu par le tribunal de
Saint-Palais capable, malgré son âge, de discerner la
valeur de ses actes , a été , par arrêt du 16 juin 1877 ,
déclaré coupable du délit de publication , avec mau-
vaise foi, de fausse nouvelle et condamné de ce chef
à deux mois d'emprisonnement , cinquante francs d'a-
mende et aux dépens .
Ainsi finissent les histoires d'apparitions et de mi-
racles le jour où la justice veut bien les approfondir .
Le hasard ne pouvait apporter, en manière de mo-
ralité, un appui plus direct et plus sûr à ce livre.
1

Appendice 371

Au moment de mettre sous presse, nous arrive de Saint-


Palais une lettre trop intéressante pour que nous ne la
joignions pas à ce dossier . Elle nous donne l'historique
des apparitions, tel que les débats l'ont révélé , et pour-
rait porter ce titre instructif : Comment une légende se
crée.

<< Le jeune Lamerenx avait onze ans, nous écrit notre


correspondant, lorsque , par suite de la maladie de son
père et de sa mère , il dut pourvoir, dans l'hiver de 1876 ,
à tous les soins du ménage et à tout le travail nécessité
par le petit commerce de boucherie auquel se livraient ses
parents. Ce qui fatiguait surtout l'enfant, c'était d'aller
souvent la nuit quérir dans des fermes et des métairies
assez éloignées les agneaux achetés par son père .
» Il espéra se faire du moins dispenser des courses de
nuit en simulant une grande frayeur qui lui aurait été
occasionnée par une bohémienne . Cette femme l'avait
soi-disant poursuivi et il manifestait la crainte de la ren-
contrer encore . Le père ne prit pas l'histoire au sérieux ;
il rassura l'enfant et l'envoya , comme devant, prendre les
agneaux dans les métairies.
» Bientôt l'enfant imagina de dire qu'il rencontrait dans
ses courses une sorcière qui semblait s'attacher à ses pas.
Pour le coup, le père lui rit au nez et finit par le menacer
de le battre s'il continuait à débiter des histoires de bohé-
miennes et de sorcières.
>> Plusieurs commères du voisinage avaient appris , par
des propos échappés aux frères et aux sœurs du petit
Lamerenx, que ce dernier avait vu une vilaine femme qui
l'effrayait beaucoup . Elles se firent raconter par l'enfant
toute son histoire , et l'une d'elles lui dit que peut-être ce
qu'il prenait pour une sorcière était une sainte,... peut-être
même la sainte Vierge . Elle était apparue à Lourdes ;
372 Le Dossier des Pèlerinages

pourquoi n'apparaîtrait-elle pas à Sardaee ? A Lourdes,


elle n'avait parlé qu'après plusieurs apparitions . Il fallait
prendre courage et, la première fois que la vision reparaî-
trait, lui demander qui elle était et ce qu'elle voulait .
› L'enfant prit la balle au bond . S'emparant de l'idée
émise par cette commère, il commença aussitôt le rôle
qu'il devait jouer pendant dix mois environ . Une dame du
voisinage , très dévote , entendit les voisins parler de Jean
Lamerenx ; elle s'empressa de faire part à M. le doyen de
tout ce qui se disait et l'engagea à voir l'enfant .
» Le doyen de Saint- Palais, qui a trente- huit ans à
peine, est un excellent prêtre . Il est intelligent , mais
doué d'une imagination ardente . Il se trouvait d'ailleurs
dans une disposition d'esprit très propre à le faire croire
aux apparitions, s'imaginant devoir la guérison récente
d'une grave maladie à un miracle de Notre- Dame de
la Salette . Sa dévotion pour la Vierge est exaltée ,
excessive ; sa confiance en elle, illimitée. Il manda , le
20 mai, le jeune Lamerenx auprès de lui , l'interrogea
pendant près de trois heures, et convaincu , sans plus de
contrôle, de la sincérité et de la véracité de l'enfant ; en-
traîné , on n'en doute pas , par cette idée que la Vierge
voulait favoriser la paroisse dont il était pasteur, il monta
en chaire le lendemain même, un dimanche, et eut l'im-
prudence de donner aux prétendues visions de Jean La-
merenx une publicité d'autant plus dangereuse que , si dans
ce pays il y a beaucoup de foi , il y a aussi beaucoup de
superstition et que la masse y a la passion du surna-
turel.
» L'effet produit par cette publicité ainsi donnée du
haut de la chaire fut aussi déplorable qu'immense . Le lan-
gage du doyen avait été assurément très correct. Après
avoir raconté les visions de l'enfant, il avait invité tout
l'auditoire à étudier les faits avant de se décider . Se trou-
vait- on en présence de faits surnaturels ? Si oui, étaient-ils
Appendice 373

célestes ou diaboliques ? N'y avait-il dans les visions que


des phénomènes pathologiques , ou bien s'agissait - il
d'une mystification ? Tout ceci fut compris par le petit
nombre de personnes instruites, éclairées ; mais pour la
masse, puisque le curé avait parlé , c'est que c'était arrivé.
Sans cette publicité, en quelque sorte officielle , donnée
aux billevesées d'un enfant et de quelques commères ,
la comédie de Sardace n'eût jamais pris les proportions
considérables qu'elle acquit un instant .
» L'enfant était devenu l'idole mais aussi l'esclave de la
foule. On en avait fait un personnage ; les fumées de la
célébrité lui troublèrent l'esprit. Comme il l'a dit aux dé-
bats, il était entraîné et se laissait entraîner, espérant que
quelqu'un de riche s'intéresserait à lui et lui ferait un sort.
Cependant , sous l'influence grandissante de la raison et
au réveil de sa conscience , l'enfant comprit l'odieux du
rôle qu'il avait joué . Las de toute cette comédie , il finit,
en dépit de l'importance qu'il avait acquise et des atten-
tions dont il était l'objet, par en arriver à ces rectifica-
tions grossières qui devaient aboutir à une rétractation
complète .
» Le ministère public ayant relevé les grands points de
similitude qui existent entre les apparitions de Lourdes et
celles de Saint- Palais, il n'est pas sans intérêt de rappeler
qu'en 1875, on avait organisé dans notre pays un grand
pèlerinage à Lourdes . Ce fut un véritable événement et il
fit grande impression sur les enfants et les bonnes femmes.
Jean Lamerenx , une fois lancé , n'avait qu'à écouter ce qui
se disait autour de lui. On comparait journellement ce qui
s'était passé à Lourdes avec ce qui se passait à Sardace .
L'enfant tirait parti de toutes les conversations . C'est
ainsi que, pour la scène de l'eau bénite , il a reconnu devant
le tribunal qu'ayant entendu plusieurs personnes s'écrier
que l'eau n'avait pas touché terre , il imagina de dire qu'elle
était rentrée dans le flacon .
32
374 Le Dossier des Pèlerinages

» L'accusation et la défense ont été d'accord sur ces


points :
» 1° Que, dans les événements de Sardace , la moindre
part de responsabilité incombait à l'enfant ; que, pour
celui-ci toutefois, cette part , si minime qu'elle fût , était
caractérisée au point de vue de la loi pénale et tombait
sous son application .
» 2° Que la responsabilité principale était à la charge
de l'autorité ecclésiastique de Saint- Palais; mais que cette
responsabilité, si considérable qu'elle fût, n'était et ne
pouvait être que morale, vu la pureté et la bonté des
intentions.
» Du reste, c'est sur l'imprudence et la légèreté inquali-
fiables du doyen qu'ont été basées les circonstances atté-
nuantes dont le jugement a fait bénéficier l'enfant. »

Cette lettre, que nous avons voulu donner tout entière ,


fixe parfaitement la part de responsabilité qui revient au
curé de Saint- Palais dans l'affaire de l'apparition . Elle
rectifie ainsi l'erreur dans laquelle nous étions tombé
nous-même en voulant séparer la cause du curé de Béhas-
que de celle du curé de Saint- Palais, objet de nombreuses
confusions dans la presse .
C'est bien le curé de Saint- Palais, fort honnête homme
d'ailleurs, mais illuminé, qui assistait aux apparitions ;
c'est celui de Béhasque, hostile à cette comédie, qui s'est
rendu coupable d'attentats à la pudeur, et que la cour d'as-
sises des Basses- Pyrénées vient de condamner par contu-
mace à cinq ans de travaux forcés.
DOCUMENTS A CONSULTER¹

NOTRE- DAME DE LA SALETTE, son apparition , son culte ,


par le P. Berthier , missionnaire de Notre- Dame de la
Salette. Nouvelle édit. revue et augmentée . Approuvée
par Mgr l'évêque de Grenoble. Paris et Grenoble, 1870,
in- 18.

AFFAIRE DE LA SALETTE, recueillie et publiée par J. Sab-


batier. Paris, Borrani , 1857 , gr. in- 18.

NOTRE-DAME DE LOURDES, par Henri Lasserre. Ouvrage


honoré d'un bref spécial adressé à l'auteur par Sa Sain-
teté le pape Pie IX. 90 ° édit. Paris, Palmé , 1877, gr .
in- 18.

LES APPARITIONS DE SAINT- PALAIS, avec trois gravures des


nouvelles apparitions. Seul dépositaire, A. Barthabure,
négociant à Saint-Palais. In-32 .

1. Cette bibliographie ne mentionne que les principaux ou-


vrages employés et néglige en partie ceux qui ont été déjà si-
gnalés dans l'Arsenal de la Dévotion,
376 Le Dossier des Pèlerinages

LES APPARITIONS DE SAINT- PALAIS. Pau , impr . veuve Vi-


gnancour, 1876 , in-8°.

APPARITION DE LA SAINTE VIERGE A SAINT-BAUZILLE-DE-LA-


SILVE (Hérault). Récit authentique, suivi de la Neuvaine
du Pèlerin . Popian , 1873 , in-8°.

APPARITION DE LA SAINTE VIERGE A AUGUSTE ARNAUD DE


SAINT-BAUZILLE- DE-LA-SILVE , par L. Vaur. Montpellier ,
1873, in-8°.

APPARITION MIRACULEUSE AU PONTMAIN , le 17 janvier 1871 ,


par M. le curé de Bagneux . Paris, aux bureaux de la
Semaine religieuse, 1871 , in- 32 .

APPARITION DU PONTMAIN , Antécédents, apparition , pèleri-


nage et faveurs obtenues , par. J. M. de Gaulle . 2° édit .
Avec approbation de Mgr l'évêque de Laval. Paris et
Lille, Lefort, gr. in- 18.

SIGNIFICATION DES SYMBOLES CONSTATÉS A PONTMAIN , par


l'abbé Boullan. Pontmain et Paris , 1871 , in-8°.

LA SALETTE, LOURDES ET PONTMAIN, voyage d'un croyant ,


par le comte Lafond. Paris, Bray et Retaux, 1872 , gr .
in- 18.

LOURDES EN FLANDRE, ou la Dévotion à la Vierge Imma-


culée à la grotte d'Oostakker, par l'abbé E. Scheerlinck ,
ouvrage traduit du flamand. Avec approbations des évê-
de Gand, de Bruges et de Malines . Gand , Société de
Saint-Charles Borromée , 1876 , in- 8º.
Documents à consulter 377

NOTICE SUR L'ASSOCIATION EN L'HONNEUR De Notre- Dame DU


SACRE-CŒUR établie canoniquement dans la chapelle du
Sacré-Cœur de Jésus , à Issoudun ( Indre) , pour obtenir
par sa toute- puissante intercession le succès des causes
difficiles, extrêmes et désespérées, tant dans l'ordre spi-
rituel que dans l'ordre temporel, par le P. Chevalier.
11 édit. Avec approbation de Mgr l'archevêque de
Bourges. Tours , 1865 , in- 18 .

De la dévotion a Notre- Dame du Sacré- Cœur, par l'abbé


X. Deidier. Avec approbation de Mgr l'archevêque de
Bourges. Chez les missionnaires du Sacré-Cœur, à
Issoudun (Indre). Gr . in- 18 .

LE POUVOIR DE NOTRE- DAME DU SACRÉ-CŒUR PROUVÉ PAR


DES FAITS, par un missionnaire du Sacré- Cœur. Ap-
prouvé par Mgr l'archevêque de Bourges . Tours, 1866 ,
in- 18 .

NOTRE- DAME DU SACRÉ-CŒUR MIEUX CONNUE et son associa-


tion pour le succès des causes difficiles et désespérées , par
le R. P. Chevalier, missionnaire du Cœur de Jésus .
Avec l'approbation de Mgr l'archevêque de Bourges.
Nouv. édit. Issoudun , 1871 , in- 18 .

LA ZELATRICE DE NOTRE- DAME DU SACRE- CŒUR, par un


missionnaire du Sacré- Cœur de Jésus. Avec l'approba-
tion de Mgr l'archevéque de Bourges. Issoudun , 1871 ,
in- 18 .

ASSOCIATION DE NOTRE- DAME DU SACRÉ- CŒUR. Piqûre de


huit pages in-32 . Approuvée. Bourges, impr: Pigelet.

PETITE NEUVAine a Notre- Dame du Sacré- CŒUR. Piqûre


de huit pages in- 32 . Approuvée . Bourges, impr . Pigelet .
Le cent, 2 fr. , franco pour la France .
32 .
378 Le Dossier des Pèlerinages

ALMANACH DE L'ARCHICOnfrérie de SAINT-JOSEPH de Beau-


VAIS, pour 1872. Beauvais , D. Père , impr . de l'évêché,
in-18 .

NOTICE SUR L'ASSOCIATION EN L'HONNEUR DE SAINT JOSEPH ,


établie canoniquement à Aizanville ( Haute- Marne pour
obtenir, par sa puissante intercession , le soulagement
des âmes du Purgatoire et le succès des causes difficiles,
tant dans l'ordre spirituel que dans l'ordre temporel , par
l'abbé J. L. Roy, directeur de l'Association . Approba-
tion de l'évêque de Langres . Aizanville , 1872 , in-32 .

RECUEIL DES PIÈCES RELATIVES A L'EUVRE DE NOTRE-


DAME DE SEEZ . Circulaire . - - Ordonnance épiscopale.—
Bulletins. (Recueil factice) . Paris, impr. Goupy, in-32 .

LES PETITS BOLLANDISTES , vies des saints d'après les Bol-


landistes, le P. Giry, Surius, Ribadeneira , Godescard ,
les propres des diocèses et tous les travaux hagiogra-
phiques publiés jusqu'à ce jour , par Mgr Paul Guérin ,
camérier de Sa Sainteté Pie IX. 7° édit. Bar- le- Duc et
Paris, 1876 , 17 volumes gr . in-8°.

HAGIOLOGIE NIVERNAISE, Ou Vie des saints et autres pieux


personnages qui ont illustré le diocèse de Nevers par
leurs vertus , par Mgr Crosnier . Nevers, 1858, in-8°.

ALMANACH ILLUSTRÉ DU SURNATUREL , pour l'année 1875 .


Paris, Palmé, in- 16 .

Les Gloires de sainte Anne d'AURAY , Son culte , son his-


toire, son couronnement, par l'abbé E. Bernard . Ap-
Documents à consulter 379

probation de l'évêque de Vannes . Paris, Douniol et Le-


coffre, 1869, in- 18.

LES MERVEILLES DE SAINTE ANNE D'AURAY, par Mgr de


Ségur. Paris, Tolra, 1876 , in- 18.

MANUEL DU PÈLERIN a Notre- Dame et au CALVAIRE DE BÉ-


THARRAM, par un prêtre de Bétharram. Approuvé par
Mgr Lacroix, évêque de Bayonne. 3º édit . Pau, 1874 ,
in- 18.

MANUEL DES PÈLERINS DE MATER ADMIRIBILIS DE BROUZET


ET DE BOUQUET. Approbation de l'évêché de Nîmes.
Paris, Douniol , 1865 , in - 18 .

LA SAINTE COLLINE DE FOURVIÈRES, histoire de son sanc-


tuaire vénéré, par L. Becou ! et . Approbations de l'ar-
chevêché de Lyon et de l'évêque de Nîmes. Lyon, Bon-
nepart- Valette et Becoulet, 1867 , in- 18 .

GUIDE DU TOURISTE ET DU PÈLERIN A NOTRE-DAME DE


CHARTRES, par un des rédacteurs de la Voix de Notre-
Dame de Chartres . Nouv . édit. Chartres, 1867 , in- 12 .

NOTICE SUR Notre- Dame de CHARTRES ET SON ANTIQUE PÈ-


LERINAGE . Publication de l'Euvre des Clercs . Chartres,
in-32.

CONSECRATION DES PETITS ENFANTS A NOTre-Dame de CHAR-


TRES. Prospectus in-32 . Bar- le-Duc, impr . Guérin .

CONSECRATION DES ENFANTS A NOTRE-DAME DU SACRÉ-CŒUR.


Prospectus in- 32 . Bourges, impr . Pigelet .

Vie et culte DE SAINT GILLES, L'UN DES QUATORZE SAINTS


LES PLUS SECOUrables du ParADIS, par Jules de Kerval .
Le Mans, impr. Leguicheux-Gallienne, 1875 , in- 18.
385 Le Dossier des Pèlerinages

ABRÉGÉ DE LA VIE ET DES MIRACLES DE L'ILLUSTRE CONFES-


SEUR DE JÉSUS- CHRIST, SAINT DRUON. Tournai , Caster-
man, in-32.

PÈLERINAGE DE SAINT HUBERT EN ARDENNES, ou particula-


rités sur la vie de saint Hubert, l'abbaye d'Andage , l'é-
glise de Saint-Hubert et l'usage de la sainte étole contre
l'hydrophobie, par l'abbé C. J. Bertrand . 2º édit. , revue ,
augmentée et approuvée par Mgr l'évêque de Namur.
Tournai , Paris et Leipzig . Casterman , gr . in- 18.

HISTOIRE DE SAINTE CHANTAL ET DES ORIGINES DE LA VISITA-


TION, par l'abbé E. Bougaud . 8 ° édit. revue et précédée
d'une lettre de Mgr. l'évêque d'Orléans . Paris , Pous-
sielgue, 1874 , 2 vol . gr . in- 18.

LE CURÉ D'ARS, vie de M. Jean-Baptiste-Marie Vianney ,


publiée sous les yeux et avec l'approbation de Mgr l'é-
vêque de Belley, par l'abbé A. Monnin , 12 ° édit . Paris,
Douniol, 1874, 2 vol . gr. in 18.

LE VÉNÉRABLE Benoît-JosepH LABRE , CÉLÈBRE PÈLERIN


FRANÇAIS, sa vie, ses vertus, ses miracles , avec l'histoire
de la procédure suivie pour sa béatification , par J. Des-
noyers, docteur en théologie. Approbation de l'évêque
d'Arras. Lille, Lefort , 1856 , 2 vol . in-8° .

NOTRE-DAME DU PERPÉTUEL SECOURS , Vierge miraculeuse


vénérée dans l'église de Saint-Alphonse à Rome, et dans
plusieurs autres églises des pères rédemptoristes, par un
père rédemptoriste . 4° édit . Approbation du Supérieur
et de l'évêché de Tournai . Paris et Tournai , Casterman ,
1870, in-32.

HISTOIRE DE L'INVENTION DU TOMBEAU DE SAINT GILLES, par


l'abbé Trichaud . Nîmes, Giraud , 1868 , in- 8° .
Documents à consulter 381

VIE PRATIQUE DE SAINTE GERMAINE , BERGÈRE DE PIBRAC .


Approbations des archevêques de Bourges et de Tou-
louse. Toulouse, Resplandy, in- 32 .

ROME SOUTERRAINE , résumé des découvertes de M. de Rossi


dans les Catacombes romaines, et en particulier dans le
cimetière de Calliste , par Spencer Northcote et Brown-
low, traduit de l'anglais, avec des additions et des notes ,
par Paul Allard, et précédé d'une préface par M. de
Rossi . 2º édit. revue et augmentée . Paris, Didier, 1874 ,
in-8°.

LES TROIS ROME, journal d'un voyage en Italie , par


Mgr Gaume, protonotaire apostolique , docteur en théo-
logie . 3 ° édit. ( t , IV, Histoire des Catacombes) . Paris ,
Gaume et Duprey, 1864, gr. in- 18.

ALBUM DE SAINTE THEUDOSIE , recueil complet des docu-


ments publiés sur cette sainte, avec une introduction et
un épilogue, par Mgr Gerbet, évêque de Perpignan.
Paris, Vaton, 1854, in-4° .

SAINTE AURÉLIE ET SES RELIQUES, à Notre-Dame-des-Vic-


toires, par l'abbé V. Dumax . Notice publiée sous le pa-
tronage de l'abbé Chevojon , curé de Notre- Dame-des-
Victoires . Paris, au bureau de la Semaine religieuse,
1875, in-18.

SAINT GENEROSUS , MARTYR , dont le corps , donné par Sa


Sainteté le pape Pie IX, est vénéré dans la chapelle du
cercle catholique d'ouvriers de Montparnasse . Paris ,
boulevard Montparnasse, in-32.
382 Le Dossier des Pèlerinages

HISTOIRE DU Culte de sainte PHILOMÈNE, thaumaturge du


XIX siècle, inspiratrice des pèlerinages nationaux , par
Louis Petit. Ouvrage approuvé par Mgr l'évêque de
Langres. Paris et Langres, 1875, in- 18 .

VIE NOUVELLE DU CURÉ D'ARS ET DE SAINTE PHILOMÈNE , vierge


et martyre, par Jean Darche. Paris , Palmé , 1865 ,
gr. in-18.

VIE DE SAINTE PHILOMÈNE, vierge et martyre. Toulouse et


Paris, in-32 . Bibliothèque de l'hôpital militaire.

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES Comités catholIQUES DE FRANCE .


Paris , gr. in- 18. Années 1873 , 1874 , 1875 , 1876 .
Un volume paraît chaque année .

LE PÈLERIN SANCTIFIANT SA DÉVOTION ET SANCTIFIÉ PAR ELLE ,


par l'abbé H. Fanien , curé de Lagnicourt. Approba-
tion de l'évêque d'Arras . Arras, Sueur- Charruey, 1874 ,
in-12 .

LE MOIS DES PÈLERINS , ou Mois de septembre consacré à


visiter les principaux sanctuaires , par le père Antoine
D. S. G. Paris, Périsse, in- 32 .

CHANTS POUR LES PÈLERINAGES VENDÉENS A NOTRE - DAME


DE LOURDES . Approbation de l'évêque de Luçon , 1873 ,
in- 18 .

MILICE DE LA PRIÈRE, cantique. Souvenir du pèlerinage na-


tional à Notre-Dame de Chartres et à Paray-le-Monial .
Paroles de C. P. , musique de madame K. Chartres,
Langlois , in-32 .
Documents à consulter 383

MANUEL COMPLET DES PÈLERINAGES , publiée par le Conseil


général des Pèlerinages. Paris, Haton . In-32 .

LE PÈLERIN, organe du Conseil général des Pèlerinages ,


paraissant tous les samedis, depuis le mois de juillet
1873. Quatre années. Paris, in-8°.

En janvier 1877, le Pèlerin a changé son format. Il paraît


maintenant en in-4° illustré, et a joint à son premier sous-
titre celui d' « organe de l'association de Notre-Dame de
Salut ».

Ajoutons, pour mémoire, diverses publications pério-


diques du même ordre les Annales de Notre-Dame du
Sacré-Cœur; la Voix de Notre-Dame de Chartres ;
la Semaine religieuse de Lorraine ; la Semaine reli-
gieuse de Montpellier ; — la Semaine catholique de Tou-
louse ; - les Annales de Notre-Dame de Lourdes; - les
Annales de Notre-Dame de la Salette; - l'Écho de sainte
Philomène, etc. , ainsi que de nombreux prospectus dé-
taillés en leur place.

FIN
TABLE

I. COMMENT SE FONDE UN SANCTUAIRE PRIVILÉGIÉ

Sanctuaires naturels et sanctuaires factices. — Les lieux privi-


légiés. - Comment on les connaît. Statuettes indicatrices.
—Système moderne des apparitions . —La Salette et Lourdes.
- Imitateurs et parodistes : Saint-Palais, Saint-Bauzille, la
Voyante de Fontet, le Pontmain. - Les Sanctuaires par re-
production : Simili-Lourdes ; la grotte d'Oostakker. - Choix
d'un vocable. - La Vierge accofdant sous un titre ce qu'elle
refuse sous un autre. - De la pluralité des Vierges. - Le
saint-siége créant lui-même une hiérarchie parmi elles. --
Flot d'indulgences variées ; les autels privilégiés ; les couron-
nements. - - Grandeur et décadence des Vierges .... Page 1

II. COMMENT FONCTIONNE UN SANCTUAIRE PRIVILÉGIÉ


Du rôle des confréries ou archiconfréries. -- Zélateurs et zéla-
trices . Les enrôlements . Leçons de propagande. -
Grand mouvement d'affaires . Les confrères sans le savoir.
- Le chapitre des offrandes . - Prospectus. - Les appels à
l'amour-propre . - Messes et miracles en prime. - Les fa-
veurs obtenues contre argent comptant . Encore les messes .
- De l'intérêt qu'on peut avoir à adresser préférablement
ses commandes à certains sanctuaires . - Trois classes de
miracles. Les protections régionales. - Le choléra et la
guerre, sources de fortune ...... ....... Page 73

33
386 Le Dossier des Pèlerinages

III. LES SAINTS SPÉCIALISTES

Les saints protecteurs des récoltes. - Le secret pour obtenir à


coup sûr de la pluie. — Dieu , père de tous nos maux . -- Les
saints protecteurs des bestiaux. Les saints protecteurs des
enfants. - Le vouement. -Les saints protecteurs des femmes
en couche. — Les saints guérisseurs des fièvres. — Ruisseaux
et fontaines miraculeuses. - Spécialités pour les maux
d'yeux, les maux d'oreilles , les maux de tête, les maux de
bouche, les maux de dents, les maux de gorge, les maux de
rate, les maux de ventre, le coryza, les hernies, la gravelle et
la pierre. - Les saints guérisseurs des maladies de peau , de
la folie, de la possession et de l'épilepsie. — La protection du
soldat. - Saints qui font retrouver les objets volés ou per-
dus ; qui empêchent de se noyer ; qui protégent contre
l'incendie, contre les démangeaisons et les brûlures ; contre
les serpents . ―― Les saints cumulards. - Autres, spécialités
bizarres les mal mariés, le délire des aboyeurs, la danse de
Saint-Guy, la rage. L'Étole du grand saint Hubert.
- Curieux cérémonial de la taille . - Ce que c'est que le
répit..... Page 137

IV. - LES RELIQUES

Division des reliques . ― La partie réputée pour le tout . - Vé-


rification difficile. - Les prétendues « reconnaissances » . —
Le chapitre des méprises. Reliques mêlées. Reliques en
double . · Les ossements disputés. — Transactions à l'amia-
ble . - Singuliers partages . - Les échanges. - Entraîne-
ments du fanatisme. Les faux en matière de reliques .
La ferveur poussée jusqu'au vol . Difficulté d'enlever les
reliques qui s'y refusent. Reliques marquant leurs lieux
d'élection ; se livrant à la pantomime . O Châtiments pu-
blics pour des reliques changées de place. - Les images et
statues miraculeuses. - Aperçu de leurs faits et gestes.
Les Vierges noires.- Notre-Dames qui pleurent et qui trans-
pirent. -- Les attouchements...... Page 187
Table 387

V. UNE MINE DE SAINTS

Le recrutement des saints . - Canonisations et béatifications.


Les postulateurs à l'œuvre. - Ce qu'il faut de temps et
d'argent pour faire un saint. - La ressource des Catacombes.
Difficulté de distinguer un martyr du premier venu.
Désordre des premières fouilles. — Quelques grosses erreurs.
Prétendue distinction entre les vraies reliques et les fausses
ou les douteuses. La palme. - Le vase de sang. - Les
martyrs de nom propre et les martyrs innomés. - Théorie
de Benoît XIV sur les saints couverts de crimes. - · La con-
quête de sainte Theudosie. - Ce qu'on sait de sa vie.
-
L'histoire par supposition . ― Sainte Aurélie. ― Saint Gene-
rosus . ― Un innomé au cercle Montparnasse . - Philomène,
type de la sainte parvenue . - Sa complaisance pour les bio-
graphes empêchés. - Le début de sa nouvelle odyssée. -
Diffusion de reliques et pluie de miracles. - Les corpo-santo .
― Caractère intéressé des actes de la sainte. Le sang à
images . - Philomène et le Sacré-Cœur...... Page 243

VI. - LES PÈLERINAGES

Les pèlerinages dits « nationaux » . - Leur origine. - Leur


caractère politique. - Les nouveaux croisés. - — Organisation
aes pèlerinages . - Leur public. - La part du tourisme . -
Les pèlerins intéressés . Les pèlerins par procuration et les
pèlerins d'intention . - Les commencements de guérison. -
Le miraculé de Maine-et-Loire. S'il y a des guérisons
vraies. - Le secret des rechutes. - Les victimes. - La mort
du pèlerin considérée comme une faveur.-- Tout est faveur
pour celui qui pèlerine . -- Les offrandes très recommandées .
- La terre d'or..... Pages 317
APPENDICE .... 369
DOCUMENTS A CONSULTER . 375
VILLE DE CYON
an Palule 1.2

Paris . --
—Alcan-Lévy, imprimeur breveté, 61 , rue de Lafayette.

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